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Asmir Kadić LES CINQ PILIERS DE LA ... - Dzana.net

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UNIVERSITE PIERRE MEN<strong>DE</strong>S FRANCE<br />

Institut d’Etudes Politiques de Grenoble<br />

<strong>Asmir</strong> <strong>Kadić</strong><br />

<strong>LES</strong> <strong>CINQ</strong> <strong>PILIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> YOUGONOSTALGIE EN<br />

BOSNIE ET HERZÉGOVINE<br />

Une étude de la Yougoslavie communiste de 1945 à 1990. Quel héritage pour la<br />

Séminaire de 3 ème année<br />

Pratiques historiennes, enjeux politiques<br />

Année universitaire 2010-2011<br />

Sous la direction d’Yves Santamaria<br />

Bosnie et Herzégovine ?


UNIVERSITE PIERRE MEN<strong>DE</strong>S FRANCE<br />

Institut d’Etudes Politiques de Grenoble<br />

<strong>Asmir</strong> <strong>Kadić</strong><br />

<strong>LES</strong> <strong>CINQ</strong> <strong>PILIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> YOUGONOSTALGIE EN<br />

BOSNIE ET HERZÉGOVINE<br />

Une étude de la Yougoslavie communiste de 1945 à 1990. Quel héritage pour la<br />

Séminaire de 3 ème année<br />

Pratiques historiennes, enjeux politiques<br />

Année universitaire 2010-2011<br />

Sous la direction d’Yves Santamaria<br />

Bosnie et Herzégovine ?


SOMMAIRE<br />

SOMMAIRE 4<br />

REMERCIEMENTS .................................................................................................................. 5<br />

INTRODUCTION GENERALE ................................................................................................ 7<br />

<strong>LES</strong> <strong>CINQ</strong> <strong>PILIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> YOUGONOSTALGIE .............................................................. 13<br />

Tito, le fondateur communiste ................................................................................................. 13<br />

La Seconde guerre mondiale en Yougoslavie, terreau fertile ? ................................................ 36<br />

La Yougoslavie sous Tito, un idéal ? ....................................................................................... 53<br />

Mode de vie des Yougoslaves, quelle société ? ....................................................................... 69<br />

La Bosnie et Herzégovine yougoslave ..................................................................................... 85<br />

CONCLUSION GENERALE : ................................................................................................ 95<br />

Annexes : 97<br />

Bibliographie: 104<br />

4


REMERCIEMENTS<br />

Pour mon père, Muhamed.<br />

Grâce à mes parents Dinko et Mirsada à mon frère Erwin, souffre-douleur au grand courage, à<br />

ma sœur dont je ne suis que le recoin d’une poche bien connue, à Michel l’infatigable, à toute<br />

ma famille de part le monde et à mes amis, Jérémy (pour sa correction, ses encouragements et<br />

son aide, Da Vai !), Clémence, Robin, Tudy, Yacine et Julien.<br />

5


Pitao jednom tako jednoga vrli pitac neki:<br />

A kto je ta šta je ta da prostiš<br />

Gdje li je ta<br />

Odakle je<br />

Kuda je ta<br />

Bosna<br />

Rekti<br />

A zapitani odgovor njemu hitan tad dade:<br />

Bosna da prostiš jedna zemlja imade<br />

I posna, i bosa da prostiš<br />

I hladna, i gladna<br />

I k tomu još<br />

Da prostiš<br />

Prkosna<br />

Od<br />

Sna<br />

Mak Dizdar, poète Bosniaque, Zapis o zemlji 1<br />

« La citatiomanie est notre plus grande ennemie. » Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine<br />

1 DIZDAR M. [1997], Kameni spavaĉ, Svjetlost, Sarajevo, 310 p.<br />

6


INTRODUCTION GENERALE<br />

La nostalgie à l’égard de la Yougoslavie est devenue un phénomène social très présent<br />

dans la vie quotidienne. Malgré les conflits qui ont été présentés comme ethniques ou civils et<br />

malgré les élites politiques en place, le passé yougoslave n’a pas dit son dernier mot. C’est en<br />

Bosnie et Herzégovine, le pays le plus touché par les guerres d’ex-Yougoslavie, que la<br />

nostalgie à l’égard de la Yougoslavie. Une bonne partie des habitants se souviennent avec<br />

nostalgie de la période communiste. La nostalgie reste un sujet peu abordé par les sciences<br />

sociales, négligée même car elle serait tournée systématiquement vers le passé.<br />

Pourtant des études récentes tentent de montrer le caractère utopique de cette<br />

nostalgie 2 . Bien que l’étude de la Bosnie et Herzégovine postsocialiste revêt un intérêt<br />

notable, on se cantonnera ici à étudier les sources de la nostalgie bosniaque vis-à-vis de la<br />

Yougoslavie et vis-à-vis de Tito. Mais il faut d’abord définir les termes.<br />

La Yougonostalgie est un phénomène apparu après les guerres d’indépendances, ou de<br />

sécessions, selon le point du vue adopté. Il s’agit d’une forme de nostalgie vis-à-vis de<br />

l’ancienne Yougoslavie communiste regroupant les six républiques 3 ainsi que deux provinces<br />

autonomes 4 . Cette nostalgie peut prendre des formes diverses et variées mais il s’agit avant<br />

tout d’un sentiment, fugace et donc difficile à percevoir pour qui n’est pas autochtone ou alors<br />

pour l’autochtone biaisé par le nationalisme ou l’idiotie. Certes ce sentiment est véhiculé par<br />

des produits dérivés tels que des T-shirts, des verres décorés, des drapeaux, des livres, des dvd<br />

documentaires ou cinématographiques, des cédés musicaux, des associations de partisans, des<br />

colloques ou alors des commémorations 5 . L’illustration de cette nostalgie n’est pas le mythe<br />

de l’autogestion, l’ouvrier yougoslave triomphant ou l’étoile rouge mais un homme. Un<br />

homme que la propagande a érigé en mythe de son vivant, lui qui s’est juché sur les épaules<br />

des autres grâce à sa vision, Josip Broz connu sous le nom de Tito. Il est le créateur de la<br />

Yougoslavie communiste, un pays surtout transcendée par la nostalgie à son égard, on peut<br />

2<br />

VELIKONJA Mitija, Titostalgia A Study of Nostalgia for Josip Broz, Peace Institut, 2008.<br />

3<br />

Slovénie, Croatie, Bosnie et Herzégovine, Serbie, Monténégro et Macédoine<br />

4<br />

Voïvodine et Kosovo<br />

5<br />

http://www.20minutes.fr/ledirect/730542/milliers-yougo-nostalgiques-celebrent-anniversaire-tito-serbie<br />

7


même parfois lire l’expression « Titostalgie » 6 qui personnifie la nostalgie yougoslave en<br />

faisant de Tito l’élément catalyseur de celle-ci. Selon ses admirateurs, il est la Yougoslavie,<br />

l’Alpha et l’Oméga tandis que ses détracteurs y voient un dictateur communiste sanguinaire et<br />

impitoyable. Ses détracteurs ayant souvent été communistes et bénéficié du régime 7 .<br />

Il y a donc plusieurs nostalgies. On en distinguera trois sans omettre le fait qu’elles<br />

puissent être interdépendantes, l’être humain faisant de ses complexes une forme de vie. Tout<br />

d’abord, il y a la nostalgie positive qui consiste à dire que c’était mieux avant, cette nostalgie<br />

niant ou minimisant les mauvais aspects car n’étant pas directement concernés. Ensuite, il y a<br />

la nostalgie négative, la contre nostalgie ; celle qui construit le passé comme un pandémonium<br />

dont il faut sortir à tout prix, cette nostalgie là en revanche a tendance à grossir les crimes, les<br />

injustices, les erreurs et les responsabilités des uns et des autres.<br />

La nostalgie est un phénomène qui fût identifié et nommé par le docteur Suisse,<br />

Johannes Hofer au XVIIème siècle. Il observa que les individus 8 souffraient d’une maladie<br />

caractérisée par un mal du pays, ce qui conduisait certaines personnes à perdre le sens des<br />

réalités. Le nom qu’il donna à cette maladie est une combinaison de deux mots grecs, nostos 9<br />

et algia 10 . Le sens d’aujourd’hui n’a plus la même signification. La nostalgie serait une<br />

posture de l’esprit face à la conception du temps, linéaire et irréversible. Chez les anciens<br />

yougoslaves, cela est présent, mais ce qui frappe le plus c’est le souvenir, qu’il soit enjolivé<br />

ou dégradé de ce pays que chacun porte à l’intérieur de soi 11 .<br />

La Bosnie et Herzégovine est aussi le centre névralgique de cette étude. Elle est le lieu<br />

de ma naissance, elle est la raison de mon exil et sera vraisemblablement le lieu de mon<br />

action. Le lien est clair est il est évident que par honnêteté intellectuel, on ne peut nier<br />

l’influence du lieu de naissance. Ma condition sociale, même si elle est en mutation vers la<br />

« précarisation » me porte à étudier la Yougoslavie, un pays communiste. Là encore, il ne<br />

s’agit pas d’un endoctrinement mais d’un intérêt vif. Bien que ma famille fût loin de<br />

l’Alliance Communiste Yougoslave, elle avait le plus profond respect pour la Yougoslavie et<br />

6<br />

http://contourseurope.blogactiv.eu/2010/05/07/apres-l%E2%80%99ostalgie-la-titostalgie/<br />

7<br />

On pense notamment à l’écrivain et homme politique serbe Dobrica Ćosić.<br />

8<br />

En majorité des personnes déplacées.<br />

9<br />

Le retour<br />

10<br />

La souffrance<br />

11<br />

Voir le concept de Heimat<br />

http://www.arte.tv/fr/connaissancedecouverte/karambolage/Emission_2004_20Septembre_202005/864058,CmC=864050.html<br />

8


pour Tito. Pas de nationalistes enragés ni de communistes excités, en somme, de simples<br />

citoyens. Des citoyens à qui Tito a donné le rang de Nation au sein de la Yougoslavie, des<br />

citoyens Musulmans et Yougoslaves. Une chose intéressante que me rapporta ma mère 12 ,<br />

prolétaire 13 de son état, est qu’elle n’avait jamais entendu parler de Croates, de Serbes ou de<br />

Musulmans. Elle n’avait entendu parler que de Bosniaques et de Yougoslaves 14 . Le seul biais<br />

revendiqué par ma personne est le suivant, contribuer à établir la vérité et à sauvegarder la<br />

Bosnie et Herzégovine, l’idée autant que le territoire et sa population, des rhétoriques<br />

chauvines et nationalistes mais aussi du protectorat occidental saupoudré de donations<br />

saoudiennes. Ce paragraphe égo-historique étant terminé, nous allons poursuivre le<br />

cheminement de cette introduction générale.<br />

Il s’agira tout d’abord d’évoquer l’Histoire de la Bosnie et Herzégovine et de la<br />

Yougoslavie, d’une manière succincte puisqu’elle sera abordée tout au long du<br />

développement et que celle-ci mériterait de nombreux ouvrages.<br />

La Bosnie et Herzégovine est un pays d’Europe du sud-est situé dans la région des<br />

Balkans, peuplé d’un peu moins de 4 millions d’habitants. Le pays a constitué une zone<br />

tampon entre l’empire Ottoman et le monde chrétien. Il fut tour à tour une possession de<br />

l’empire Byzantin, de l’empire Ottoman, de l’empire Austro-hongrois pour enfin se fondre<br />

dans un pays, la Yougoslavie et pendant une brève période, il fût annexé par l’éphémère Etat<br />

Indépendant Croate (Régime Fasciste Oustachi de fantoche ayant perduré 1941 à 1945) durant<br />

la seconde guerre mondiale et qui sera malheureusement connu pour sa coopération avec les<br />

nazis et sa haine intrinsèque des Serbes.<br />

La République socialiste de Bosnie et Herzégovine fût créée à l’occasion du<br />

ZAVNOBIH (Zemaljsko Antifašističko Vijeće Narodnog OsloboĎenja Bosne i Hercegovine,<br />

Conseil National Antifasciste de la Libération Populaire de la Bosnie Et Herzégovine) en<br />

1943 par les partisans de Tito. A la fin de la guerre et après quelques tergiversations, la<br />

Bosnie devient partie intégrante de la Fédération des Républiques Socialistes de Yougoslavie.<br />

Les « Musulmans » vont apparaître en 1968 comme nation constitutive de la Yougoslavie. Ce<br />

terme clair en Yougoslavie mais ambigüe à l’extérieur va faire couler beaucoup d’encre et<br />

aussi pas mal de sang.<br />

12 Lors d’une conversation privée<br />

13 Dans le sens originel du terme, elle ne possède qu’une seule richesse, ses enfants.<br />

14 Citoyens du pays entier. Ma position est claire, en France, je rejette la création par Paul Garde du terme<br />

Bosnien. Accepter ce terme, c’est accepter tacitement l’œuvre guerrière menée en Bosnie.<br />

9


En 1990, le régime communiste chancelle dans les différentes républiques de Bosnie<br />

et Herzégovine. La guerre va éclater à cause d’un enchainement implacable. L’éclatement de<br />

l’unité et de la fraternité yougoslave. Des républiques vont se proclamer indépendantes, la<br />

Slovénie et la Croatie, suivies de la Bosnie et de la Macédoine, et la Serbie va répondre à cela<br />

par les armes. L’Armée Populaire Yougoslave va répandre par sa réponse la guerre. La guerre<br />

va peu durer en Slovénie, elle sera rapidement écourtée en Croatie, pour reprendre en 1995<br />

d’une manière éclaire. En Bosnie, la guerre va être longue, douloureuse et impitoyable.<br />

L’armée Yougoslave, secondée par des milices serbes et les milices croates secondées par<br />

l’armée Croate vont mettre le pays à feu et à sang. Après 4 années de guerre, des accords de<br />

paix sont négociés à Dayton et signés à Paris. Ce sont les accords de Dayton qui mettent fin à<br />

la guerre et qui établissent une transformation en profondeur de la Bosnie et Herzégovine.<br />

Malmenés par les spadassins les plus infâmes, la Bosnie a été l’objet de nombreuses<br />

querelles. Les nationalistes se sont battus pour ce petit territoire, les multiculturalistes ont fait<br />

mine de se battre pour ce petit territoire et les chantres de la dénonciation de l’islamisme<br />

veulent abattre ce petit territoire. Aujourd’hui, le constat en Bosnie est alarmant. Le pays est<br />

sous protectorat de l’Union Européenne, cette entité n’étant pas connu pour sa cohérence en<br />

matière de politique étrangère fait preuve en Bosnie et Herzégovine d’un savoir faire de<br />

l’incohérence très abouti. Le pays est divisé selon des lignes ethniques, d’un côté la Republika<br />

Srpska et de l’autre la Fédération de Bosnie et Herzégovine. L’Etat central est très faible.<br />

Il importe de ne pas se focaliser sur le conflit qui a déchiré le pays de 1992 à 1995, ce<br />

qui biaise totalement le propos et ne surtout pas tomber dans le piège téléologique du « ça<br />

devait arriver », notamment en ce qui concerne la chute de la Yougoslavie et les victimes<br />

engendrées. En 1989, malgré l’ascension Milosevic, malgré l’état d’urgence au Kosovo,<br />

personne ne s’attend à cette époque que la Yougoslavie disparaisse dans le sang, pas même<br />

les responsables principaux des guerres yougoslaves, excepté les nervis de la « Grande<br />

Serbie » guidés par Slobodan Milosevic ou les éternels rivaux à la « Grande Serbie », les<br />

chantres de la « Grande Croatie » qui seront menés par Franjo Tudjman. Il s’agira de<br />

questionner réellement Tito, la Yougoslavie communiste et surtout la Bosnie et Herzégovine.<br />

La Bosnie, pour reprendre la formule de Joseph Krulic constitue « un microcosme au sein<br />

d’un macrocosme » 15 .<br />

15 KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

10


Néanmoins, l’introduction de nationalismes exclusifs à partir de 1990 va conduire à<br />

une éradication virulente de Tito, de la Yougoslavie et des créations du communisme. Les<br />

manuels scolaires, la recherche et les politiques sont systématiquement tournés vers la guerre<br />

de 1992 à 1995 ou alors vers un passé ancestral qui justifie telle ou telle nation. Peu<br />

d’historiens sont concernés par la Yougoslavie, hormis d’anciens partisans ou d’anciens<br />

cadres communistes mais dont les voix n’ont que peu d’écho, on notera l’œuvre de Raif<br />

Dizdarević 16 , ancien président de la présidence collégiale yougoslave mais à part ça, rien à<br />

l’horizon.<br />

A la mort de Josip Broz et dans les années 80, le débat et la critique se font pourtant<br />

entendre contre la Yougoslavie, débat qui alimentera le conflit. Cependant, le constat est<br />

amer, il y a une absence de débat aujourd’hui sur la période yougoslave en Bosnie.<br />

Néanmoins, cela s’explique aisément. La guerre est passée par là. Les perspectives d’avenir<br />

n’existent pas puisque les seuls débats tournent autour de la guerre d’agression menée par la<br />

Serbie et la Croatie contre la Bosnie avec l’aide de forces sécessionnistes. Cependant, on peut<br />

noter qu’il existe des débats sur l’Inter<strong>net</strong>. Ces débats n’ont qu’un intérêt, celui de mesurer la<br />

popularité ou non de la Yougoslavie et de Tito. On peut croire que ce sont seulement les<br />

vidéos glorifiant un nationalisme ou parlant de la Yougoslavie qui comportent ce genre de<br />

commentaires, mais non, la moindre chanson, le moindre clip peut voir dériver les joutes<br />

écrites sur la guerre.<br />

Au fil de ce mémoire, on tentera non pas de faire preuve de jugement, mais de se<br />

demander qu’est ce qui chez Tito, en parcourant sa vie et son œuvre, fait que l’on s’en<br />

souvienne ? Notre thèse est simple : La Yougonostalgie en Bosnie et Herzégovine est une<br />

conséquence de la période yougoslave car la Bosnie et Herzégovine moderne est enfant de la<br />

Yougoslavie socialiste. Il s’agit pour nous d’explorer les racines de cette nostalgie dans<br />

l’histoire, peu connu de la Yougoslavie communiste, de Josip Broz et surtout de la Bosnie et<br />

Herzégovine.<br />

La période choisie va de 1945 à 1990, début et fin de la Yougoslavie communiste.<br />

Cependant, on fera également des entorses à ces délimitations, puisque lorsqu’il sera évoqué<br />

Tito, c’est toute sa vie qui sera étudiée et non un aspect particulier. De plus, il sera aussi fait<br />

16 DIZDAREVIC Raif, Od Smrt Tita do Srmt Jugoslavije, Šahinpašić, Sarajevo, 2009.<br />

11


état de la Seconde Guerre mondiale en Yougoslavie, là encore le curseur chronologique va se<br />

trouver changé, il sera remonté jusqu’en 1941, date de l’invasion du pays par les axis. Enfin,<br />

il sera fait des entorses à postériori et l’on évoquera des évènements ultérieurs à la chute du<br />

communisme en Yougoslavie.<br />

Il s’agira de ne pas tomber dans l’interprétation hâtive du second conflit mondial en<br />

Yougoslavie, mais de se demander là encore, pourquoi s’en souvient-on et surtout de quoi se<br />

souvient-on ? En questionnant l’idéal yougoslave, on tentera de creuser plus intensément la<br />

politique yougoslave, ses idées, ses contradictions pour se demander pourquoi y’a-t-il une<br />

fidélité post-mortem encore vivace à l’égard l’idée yougoslave et à Tito. Aussi, quelle<br />

légitimité, la Seconde Guerre mondiale, Tito et les communistes donnèrent ils à la Bosnie et<br />

vis-à-vis du peuple Musulman 17 au sein de la Yougoslavie ?<br />

Cependant cette étude a des limites. Outre de nombreux problèmes au niveau des<br />

ressources limités dont nous disposons, que ce soit au niveau matériel, temporel ou autres, il y<br />

a une limite spatiale au sein du mémoire même, n’étant pas une thèse, il ne peut pas prétendre<br />

aborder tous les aspects de la yougonostalgie, notamment ses émanations concrètes de nos<br />

jours que ce soit au niveau artistique, politique ou social ni les limites techniques,<br />

idéologiques, financières, politiques et autres qu’elle rencontre. De nombreuses sources sont<br />

en serbo-croate, ce qui ne facilite pas la gestion du temps imparti. Ce qui pause aussi<br />

problème c’est la sélection de ces sources, on peut à la fois dire qu’elles sont rares mais aussi<br />

abondantes. La difficulté est donc dans le choix des sources.<br />

17 Aujourd’hui « peuple Bosniaque » selon la constitution issue des Accords de Dayton qui mirent fin à la guerre<br />

d’agression en 1995.<br />

12


<strong>LES</strong> <strong>CINQ</strong> <strong>PILIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> YOUGONOSTALGIE<br />

TITO, LE FONDATEUR COMMUNISTE<br />

Les racines de la Yougonostalgie sont liées au destin d’un homme, Josip Broz, connu<br />

sous les surnoms de « Walter » et surtout «Tito » qu’il a acquis lors des années qu’il a passé<br />

au service de la Russie des soviets. Broz a été l’un des dirigeants du parti communiste<br />

yougoslave dès les années trente, il prend à partir de 1941 la tête d’un mouvement de<br />

résistance en réponse à l’occupation axis de la Yougoslavie et l’invasion de l’URSS par la<br />

Wehrmacht. Il deviendra à la fin de la guerre le dirigeant de la fédération socialiste<br />

yougoslave nouvellement créée et ce jusqu’à sa mort le 4 Mai 1980. Il n’en reste pas moins un<br />

personnage controversé, de part une biographie complexe mais aussi des choix discutables et<br />

d’un statut de dictateur avec plusieurs exactions à son actif 18 .<br />

I ) Enfance<br />

Josip Broz est né le 7 Mai 1892 dans le village de Kumrovec na Sutli qui se situe dans<br />

la région de Zagorja en Croatie mais à proximité de la frontière slovène. Lorsqu’il naît il est<br />

sujet austro-hongrois car en 1892, l’empire austro-hongrois s’étend en Europe centrale jusque<br />

dans les Balkans avec la Slovénie, la Croatie et la Bosnie et Herzégovine comme possessions.<br />

Il existe une controverse liée à sa date de naissance étant donné que lorsqu’il sera<br />

dirigeant de la Yougoslavie on fêtera le 25 Mai comme date de son anniversaire. Cette<br />

anomalie est simple car lors de sa mobilisation dans l’armée austro-hongroise en 1913 il<br />

déclare être né le 25 Mai ou lorsqu’il sera recherché que ce soit par les royalistes ou les nazis<br />

il utilisera des faux papiers, des faux noms mais surtout le 25 Mai revient très souvent et<br />

lorsque Josip Broz deviendra le dirigeant de la Yougoslavie, il préféra laisser cette date à la<br />

postérité.<br />

18 Massacres de Tchetniks durant la Seconde guerre mondiale, massacres de collaborateurs en 1945 connus sous<br />

le nom de massacres de Bleiburg ou encore tuerie dans les Foibe.<br />

13


Il est le 7 ème enfant des quinze de Franjo Broz et Marija Javeršek. Sa famille est depuis<br />

longtemps installée en Zagorja mais ses descendants viennent de la frontière d’avec la Bosnie<br />

et Herzégovine 19 . C’est un paysan, occasionnellement bucheron et mineur pour subvenir au<br />

besoin de sa famille nombreuse. Sa mère est Slovène, ce qui en fait donc un enfant issu d’un<br />

mariage mixte. Il passera son enfance avec son grand-père maternel Martin Javeršek à<br />

quelques kilomètres de Kumrovec en Slovénie. C’est ce dernier qui va apprendre à Josip Broz<br />

la lecture et l’écriture mais en slovène. Ce qui posera de nombreux problèmes lors de ses<br />

études en Croatie car il existe une différence au niveau grammatical entre le slovène et le<br />

serbo-croate. En 1900, il entra à l’école primaire de Kumrovec. Il « redouble » lors de sa<br />

deuxième année mais finit par réussir son cursus en 1905. Deux ans plus tard, il part de<br />

Kumrovec pour devenir apprenti machiniste à Sisak 20 . C’est à Sisak qu’il prend conscience du<br />

mouvement ouvrier. Il y célèbre d’ailleurs pour la première fois le 1 er Mai, journée<br />

internationale de revendication des travailleurs instituée par la deuxième Internationale<br />

socialiste qui adopte cette date comme jour de revendication. Tito va rejoindre l’union des<br />

travailleurs métallurgistes en 1910 ainsi que la parti Social Démocrate de Croatie et de<br />

Slavonie 21 . Entre 1911 et 1913, Josip Broz va se déplacer dans l’Empire austro-hongrois, il<br />

travaillera en Slovénie à Kamnik où il s’inscrit aux « Sokols » association de gymnastes 22 , à<br />

Cenkovo en Bohème et aussi dans le Reich allemand à Munich et Mannheim pour le compte<br />

de la fabrique automobile Benz. Puis, il va aller travailler en Autriche, à Wiener Neustadt<br />

comme testeur automobile pour Daimler 23 . Et ira aussi travailler en Tchéquie pour le compte<br />

de Skoda.<br />

19 KRKLEC Gustav, Djetinjstvo Josipa Broza dans Nas Tito, Zagreb, 1980<br />

20 VINTERHALTER Vilko, In the Path of Tito, Abacus Press, Tunbridge Wells,1972, p49<br />

21 <strong>DE</strong>DIJER Vladimir, Tito, Simon and Schuster, New York 1952 p 25<br />

22 Le Sokol est à la base un mouvement gymnastique nationaliste tchèque mais qui va accompagner l’ensemble<br />

du nationalisme slave à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle.<br />

23 KRKLEC Gustav, Djetinjstvo Josipa Broza in Nas Tito, Zagreb, 1980<br />

14


Josip Broz (1 er en partant de la gauche) en tenue de Sokol. (Source :<br />

http://www.titoville.com/images/tito-sokol.jpg)<br />

C’est important de noter que contrairement à un Lénine, Tito ne vient pas de la classe<br />

bourgeoise. C’est un fils de paysan devenu ouvrier, ce qui constitue une spécificité<br />

yougoslave, cela sera longuement cultivé lorsqu’il accèdera au pouvoir en Yougoslavie. Cet<br />

aspect est primordial car dans la nostalgie que l’on voue à Tito, on reconnaît notamment que<br />

malgré le luxe dont il jouissait lorsqu’il fût au pouvoir, il venait d’un milieu pauvre et que son<br />

expérience fût acquise par ses propres moyens et qu’il fût un travailleur avant de devenir un<br />

des leadeurs du mouvement ouvrier yougoslave. C’est donc bien avant son engagement<br />

communiste et résistant que se forge la personnalité du futur dirigeant communiste<br />

yougoslave. C’est un cas unique même si on peut aussi considérer que ce Tito est l’un des<br />

plus grands consommateurs de l’histoire, non content d’être le leadeur de la Yougoslavie, il<br />

collectionne les yachts, les résidences secondaires, les costumes, des îles et des voitures. Il<br />

s’agit d’un prolétaire, le seul prolétaire ayant dirigé des prolétaires, du moins en Europe.<br />

Même si ce prolétaire a cessé d’en être un lorsqu’il a pris les rênes du Parti Communiste<br />

Yougoslave, toutes les biographies, officielles ou non, s’accordent sur ses origines très<br />

modestes.<br />

15


Le prolétariat n’est pas une classe autonome pour bon nombre de raisons, la première<br />

étant qu’elle est dirigée par des non prolétaires, de Marx à Rosa Luxembourg en passant par<br />

Trotski et Lénine. Malgré un échec relatif et la dilution de l’idéal révolutionnaire avec la mise<br />

en place du socialisme en Yougoslavie, c’est important de noter que nous avons là l’exemple<br />

unique, non pas d’une révolution prolétaire réussie, mais une révolution mené par un<br />

prolétaire avec pour but initiale l’émancipation des prolétaires, dans le sens primal du terme, à<br />

savoir ceux qui ont pour seul qualité leur force de travail et comme seule richesse leurs<br />

enfants. Il est intéressant de noter que Tito est un prolétaire avant de devenir un communiste.<br />

Ses motivations ont été nombreuses, le hasard et l’opportunisme aidant, mais il est important<br />

de souligner cet aspect qui nuance l’idéalisation du prolétaire en tant que classe construite par<br />

Marx et tant d’autres. On le voit bien, Tito est un prolétaire mais ça ne l’empêche pas de rêver<br />

comme un capitaliste 24 .<br />

Comme nous l’avons vu auparavant, Broz a gouté très vite aux duretés de la vie. Ismet<br />

Dizdarevic dresse un portrait psychologique significatif de cette période de la vie de Tito.<br />

« Dès l’âge de 7 ans, il doit s’occuper des vaches de la ferme, creuser les champs de maïs et<br />

s’occuper du jardin et participer à la production du moulin manuel familial » 25 . Cette enfance<br />

paysanne l’empêche d’aller durablement à l’école, comme nous l’avons vu c’est son grand<br />

père maternel qui s’occupe de son éducation, grand père qui aura une forte prégnance sur le<br />

jeune Broz. C’est aussi lors de cette époque qu’il commence à nourrir un fantasme qui verra le<br />

jour notamment lorsqu’il sera au pouvoir à partir de 1945, c’est sa passion pour les costumes.<br />

Même si le destin en a voulu autrement, sa volonté était de devenir serveur pour avoir<br />

justement un beau costume comme il l’évoque lui-même : « C’était le rêve de tout les paysans<br />

de la Zagorja d’avoir un superbe costume, enfant, je rêvais d’être serveur d’avoir mon<br />

costume et de coudre ceux de mon père, de mes frères et de tous à la maison ». 26 C’est un trait<br />

qui ne peut être négligé car Tito est aussi célèbre pour être un amateur de costumes. En<br />

anecdote, on peut souligner par exemple qu’Enki Bilal le célèbre dessinateur et réalisateur<br />

24<br />

Lors d’une interview, on lui demanda quel aurait été son destin s’il n’avait pas été un leadeur révolutionnaire.<br />

Tito répond sans ambages qu’il aurait été millionnaire.<br />

25<br />

DIZDAREVIC Ismet, uticaj licnost Jospia Broz Tita na tokove drustvenih zbivanja in Tito I Bosna I<br />

Hercegovina, Friedrich ebert stiftung, Sarajevo, 2006, page 405 à 415<br />

26 <strong>DE</strong>DIJER Vladimir, Tito, Simon and Schuster, New York 1952<br />

16


français d’origine bosniaque a eu pour père le tailleur personnel de Tito durant les années<br />

d’après guerre. 27<br />

Aussi, débute à cet époque un attachement prononcé vis-à-vis de la gente féminine. Il<br />

va connaître plusieurs aventures durant ses pérégrinations. Une légende entourant ses<br />

conquêtes existe aussi. Car outre ses talents d’ouvriers, il va devenir un imposteur hors pair et<br />

notamment lorsque des femmes sont en question, se faire passer pour quelqu’un d’autre,<br />

s’inventer un titre ou un passé pour accéder à des femmes dont la plupart ont des origines aux<br />

antipodes des siennes. En Bohème, il va rencontrer une jeune apprentie, Marusa Novakova.<br />

L’une des premières choses qu’il demande à cette jeune femme c’est qu’elle vole de l’argent<br />

appartenant à son père pour le compte de Broz. Dès qu’il a l’argent entre ses mains, il en<br />

profite pour s’acheter un costume. Au même moment, il fréquente une femme de la<br />

bourgeoisie tchèque et il se trouve ainsi pris entre deux feux. Néanmoins, lors de son activité<br />

à l’usine Skoda, il rencontre une femme de la haute société autrichienne, Liza Spuner. Il met<br />

enceinte Marusa Novakova et lui promet de se marier. Le jour du mariage arrivé, il s’en va<br />

rejoindre Liza Spuner à Vienne. Il passera d’une femme à l’autre pendant des années et<br />

malgré trois mariages, il aura un nombre incalculable de maîtresses et de nombreux enfants.<br />

C’est aussi au contact de femmes de la haute société austro-hongroise qu’il va acquérir de<br />

nombreuses compétences, il apprendra avec Liza Spuner à chevaucher un cheval, à danser la<br />

valse, à se tenir correctement et à jouer du piano. Tito s’invente systématiquement une<br />

nouvelle vie lors de ses aventures sentimentales. Ceci explique en partie son succès pour<br />

dissimuler son identité lors de ses nombreux faits d’armes.<br />

Néanmoins ses activités ouvrières ne vont pas durer, il va tourner casaque malgré lui<br />

car il sera mobilisé dans l’armée austro-hongroise. Mais sa passion pour les costumes<br />

militaires va s’y développer et surtout ses aptitudes au combat plus en tant que meneur<br />

d’hommes qu’en fin tacticien.<br />

27 Bilal, Enki / Jarno, Stéphane. Enki Bilal : "Le futur a toujours été considéré comme inutile, anecdotique, voire<br />

un peu dégradant": Télérama (N°3095). Télérama, 06-05-2009, 3095, p.18-22<br />

17


II ) Pris dans la tempête<br />

En 1913, Josip Broz doit remplir ses obligations militaires vis-à-vis de l’Empire. Il<br />

commence sa formation à Vienne puis lors de l’été 1913, il est transféré à Zagreb avec le<br />

grade de sergent et se trouve incorporé dans le 25 ème régiment de la garde nationale. En Mai<br />

1914, Broz se fait remarquer lors d’un concours d’escrime organisé par l’armée à Budapest.<br />

Après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo le 28 Juin 1914 par un<br />

jeune nationaliste bosno-serbe de vingt ans, Gavrilo Princip, membre de l’organisation<br />

nationaliste « Jeune Bosnie ». Le monde va sombrer dans un conflit à portée mondiale.<br />

L’assassinat commandité par des hauts gradés de l’armée serbe, liés au mouvement<br />

nationaliste de la Main Noir 28 , va entrainer une confrontation entre l’Empire austro-hongrois<br />

et le Royaume de Serbie. Après une déclaration de guerre préventive de la part de l’Empire, la<br />

Serbie va se trouver épaulée par la Russie Tzariste. Le jeu des alliances, parfaitement huilée,<br />

va entrainer l’Empire allemand, la France, le Royaume-Uni et d’autres pays dans la spirale<br />

guerrière qui se terminera en 1918 avec la disparition des empires.<br />

Au début du conflit, Josip Broz et son unité se trouvent envoyé sur le front serbe à<br />

Ruma en Voïvodine, Tito participe d’ailleurs à l’assaut sur Belgrade à partir de Septembre<br />

1914 29 . Là-bas ses activités militantes ne passent pas inaperçues et après avoir critiqué<br />

l’armée et la guerre menée par l’Empire austro-hongrois, Josip Broz va être emprisonné à la<br />

forteresse de Petrovaradin pour propagande anti-guerre. Après quelques mois passés dans les<br />

catacombes de la forteresse, il n’est pas jugé et se trouve réintégré dans son régiment. Ce<br />

même régiment sera envoyé en Janvier 1915 sur le front de l’est en Galicie pour affronter<br />

l’armée russe. Il se distingue par sa bravoure au front et devient le plus jeune sergent major de<br />

l’armée austro-hongroise à 23 ans. Alors que son régiment affronte les Russes dans les<br />

Carpates, plus exactement en Bucovine 30 , où il fait preuve d’un grand courage et capture<br />

même 80 soldat russes, il est gravement blessé par une lance de cosaque qui lui transperce la<br />

poitrine et est fait prisonnier par ceux-là même, le 25 Mars 1915.<br />

28 L'Union ou la Mort (Ujedinjenje ili smrt), appelé par ses détracteurs La Main noire (Crna ruka), était une<br />

société secrète nationaliste serbe fondée en Serbie en mai 1911. Les auteurs de l'attentat de Sarajevo avaient été<br />

armés par la Main Noire.<br />

29 Politika du 3 Décembre 1977 (soit du vivant de Tito)<br />

30 La Bucovine est une région adossé aux Carpates entre l’actuelle Roumanie et l’Ukraine.<br />

18


Josip Broz durant la première guerre mondiale. (Source :<br />

http://www.titoville.com/images/prvavojna.jpg, date inconnue)<br />

On notera que Tito n’occulte pas cette période de sa vie notamment à postériori<br />

lorsqu’il sera le dirigeant de la Yougoslavie. Il est très curieux de voir que ses biographes<br />

officiels mettent en avant son courage au combat pour une armée impériale autant que son<br />

activité subversive qui lui vaudra des mois de cachot à Petrovaradin et que sera aussi<br />

divulguée en 1977 sa participation à l’assaut de Belgrade dans les rangs des troupes austro-<br />

hongroises contre les troupes serbes. D’autre part, Tito évoque lui-même la période de sa<br />

blessure, comme un moment important puisqu’il apprend le russe, ce qui lui servira plus tard<br />

en tant qu’agent du Komintern.<br />

Après avoir passé treize mois à l’hôpital militaire de Sviiajsk en Russie, il est envoyé dans un<br />

camp de travail dans le village de Kalasijevo où il sera « commandant du camp ». A force de<br />

lecture et de discussions avec les paysans locaux, il entend de plus en plus parler d’un certain<br />

Lénine. Mais il est très vite transféré à la fin de l’année 1916 à Kungur dans l’Oural. En<br />

Février 1917, la révolte gronde en Russie, les défaites tsaristes sur le front et la situation<br />

intérieur chaotique aidant. Les travailleurs se révoltent, la prison de Josip Broz, qui par<br />

ailleurs était devenu l’un des prisonniers les plus en vue, est libérée. Il rejoint par conséquent<br />

les bolchéviques. En Avril 1917, il est de nouveau arrêté mais arrive encore une fois à<br />

19


s’échapper. Il participe ensuite aux Journées de Juillet à Petrograd (Saint-Pétersbourg) les 16<br />

et 17 Juillet. Malgré sa participation à la Révolution russe, sa volonté principale est de<br />

s’enfuir et de retourner chez lui, on insistera trop sur son engagement à cette époque, plus<br />

opportuniste que volontaire. Mais il sera pris dans la tempête encore quelques années. Des<br />

années de mouvement continu qui vont forger un voyageur, un fuyard infatigable et obstiné.<br />

C’est durant ces années intenses que se forge la réputation d’un Tito voyageur,<br />

internationaliste et génie de l’évasion. Son expérience va lui servir notamment lors de ses<br />

activités au sein du Parti Communiste Yougoslave, du Komintern et de la résistance.<br />

Fuir? Pour Tito c’est une évidence. La destination est claire mais le procédé est<br />

alambiqué, les événements compliquant la tâche de Broz. Après sa participation aux<br />

manifestations des Journées de Juillet, il tente de s’échapper de Russie par la Finlande car la<br />

répression s’abat sur les masses bolchéviques. Alors que Lénine parvient à s’échapper, Broz<br />

n’aura pas cette chance, il est de nouveau capturé et se trouve emprisonné 1 mois dans la<br />

forteresse de Petropavlovsk, où fût d’ailleurs enfermé Mikhaïl Bakounine, le fondateur du<br />

socialisme libertaire, pendant 8 ans. Ensuite, Broz est de nouveau envoyé à Kungur mais cette<br />

fois-ci il arrive à s’échapper du train l’emmenant dans les confins de l’Oural. Il fait son<br />

chemin jusqu’à Omsk, ville située au sud-est de l’Oural et aux portes de la Sibérie.<br />

Une famille Russe le cache, dans celle-ci il va rencontrer sa future femme, Pelagija<br />

Belousova 31 . Après la Révolution d’Octobre 1917 et la victoire des bolchéviques menés par<br />

Lénine et Trotski, il rejoint une unité internationale de la Garde Rouge à Omsk en Novembre<br />

1917 et s’inscrit quelques mois plus tard, en Juin 1918, au Parti Communiste Russe.<br />

Néanmoins il faut rester prudent sur la participation de Tito à ces événements. On qualifiera<br />

son activité de « participation passive ». Tito en est, il accompagne, mais son action est plutôt<br />

nulle, seule compte sa survie et son retour dans les Balkans.<br />

A cette époque, la Russie est en pleine guerre civile, s’affrontent les « Blancs », c'est-<br />

à-dire des tsaristes mais aussi des révolutionnaires comme les menchéviques opposés aux<br />

bolchéviques qu’on surnomme les « Rouges ». Suite à une contre-offensive des « Blancs », il<br />

s’enfuit en Kirghizie, y trouve du travail en tant que machiniste, apprend la langue kirghize et<br />

retourne de nouveau à Omsk avec les bolchéviques pour reprendre le contrôle de la ville en<br />

Décembre 1918. Il rejoint alors la nouvellement créée section Yougoslave du Parti<br />

Communiste Russe en Mars 1919. Au mois de Juin de la même année, il se marie avec<br />

31 AUTY Phyllis, Tito: A Biography. McGraw-Hill, New York, 1970<br />

20


Pelagija Belousova qui a alors 15 ans. En Septembre 1919, il part pour la Yougoslavie avec sa<br />

femme. Après un périple d’un mois, il arrive à Zagreb le 3 Novembre. Il trouve du travail<br />

deux jours plus tard et devient en même temps membre du Parti Communiste Yougoslave.<br />

C’est à partir de 1920, date marquant le début de sa carrière, au sein du Parti<br />

Communiste Yougoslave 32 que Josip Broz va devenir Tito et parvenir à être le dirigeant du<br />

PCY.<br />

III ) Communiste<br />

A son retour en Yougoslavie, c’est une nouvelle vie qui commence pour Josip Broz,<br />

engagé dès lors au Parti Communiste Yougoslave, nouvelle vie qui va se révéler très active.<br />

En 1920, l’Empire austro-hongrois n’est plus, à sa place, il y a un Royaume des Serbes,<br />

Croates et Slovènes 3334 à sa place. Déjà durant le premier conflit mondial, la « déclaration de<br />

Corfou » fut la première pierre de la construction de la Yougoslavie. Cette déclaration<br />

affirmait notamment que les Serbes, les Croates et les Slovènes devaient donner naissance à<br />

un nouvel Etat, démocratique et parlementaire mais sous une monarchie, celle de la dynastie<br />

serbe des Karadjordjevic après le conflit. Le 1 er Décembre 1918, le prince régent Aleksandar<br />

proclame la formation du royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes. Tout au long de<br />

son existence, le royaume va être l’objet d’une opposition fondamentale. Les Croates et les<br />

Slovènes sont favorables à un Etat de type fédéral tandis que les Serbes sont favorables à un<br />

centralisme à inspiration jacobine. De plus ce royaume va jusque en 1920 connaître des<br />

limites territoriales fluctuantes. Alors que les problèmes sont rapidement réglés avec les<br />

héritiers de l’empire des Habsbourg, le conflit opposant le royaume SHS à l’Italie va trainer<br />

en longueur. La ville de Fiume 35 (Rijeka) va être un objet de litige et cela même à la suite de<br />

la deuxième guerre mondiale.<br />

32<br />

Ou plus exactement, Parti des travailleurs socialistes de Yougoslavie (Communistes) (Socijalistiĉka radniĉka<br />

partija Jugoslavije (komunista)). Le parti rejoint le Komintern et annonce son soutien à la Russie soviétique,<br />

organisant par ailleurs des grèves et des manifestations dans tout le pays. Le comité central du parti est dirigé par<br />

Filip Filipović, Ţivko Topalović et Vladimir Ćopić.<br />

33<br />

Ou royaume SHS (Kraljevina Srba, Hrvata i Slovenaca)<br />

34 er<br />

Il sera renommé Royaume de Yougoslavie en 1929 après un coup d’Etat mené par le roi Alexandre 1 de<br />

Yougoslavie.<br />

35<br />

En 1919, un aventurier italien accessoirement militaire et poète, Gabriele d’Annunzio va occuper la ville et<br />

créer un Etat, la Régence italienne du Carnaro. Le traité de Rapallo met un terme au rêve d’Annunzio, bien que<br />

21


De plus, le royaume SHS connaît de nombreuses difficultés internes que ce soit au<br />

niveau économique, politique et administratif. L’insécurité se fait ressentir car des bandes<br />

armées, résidus de l’armée austro-hongroise, se terrent dans les forêts et sèment la terreur. Les<br />

grèves se multiplient, la révolution russe fait écho ainsi que l’expérience soviétique en<br />

Hongrie 36 . La crainte du bolchévisme se fait ressentir notamment à Belgrade. La répression<br />

s’abat sur les grévistes et c’est dans ce contexte troublé que le Parti Communiste de<br />

Yougoslavie émerge. Il rencontre un grand succès aux élections administratives et aux<br />

élections de l’Assemblée constituante en 1920, en plus de prendre le contrôle de municipalités<br />

de renoms, comme Belgrade, à l’assemblée, le parti devient la troisième force politique du<br />

pays. Mais l’assassinat du ministre de l’intérieur en 1921 par un sympathisant communiste va<br />

voir le parti être interdit et toutes ses victoires électorales seront annulées.<br />

Tito va continuer à militer clandestinement pour le parti malgré la pression du pouvoir<br />

sur lui. En 1921, il va à Veliko Trojstvo près de Bjelovar et trouve du travail en tant que<br />

machiniste. Il va rester là-bas pendant 4 ans, sa femme donnera naissance à trois enfants. Seul<br />

le dernier, Zarko, va survivre, il deviendra par la suite un héros de l’armée soviétique durant<br />

la seconde guerre mondiale. En 1925, à cause de la pression policière à son égard, Tito et sa<br />

famille s’en vont à Kraljevica où il travaille comme ouvrier dans un chantier naval 37 . Il<br />

devient leader syndical et conduit une manifestation qui le conduira à être viré. Il s’en va<br />

ensuite à Belgrade, un temps au chômage, il se trouve un travail de métallurgiste pour une<br />

fabrique de trains à Smederevska Palanka. À nouveau, il se trouve élu comme syndicaliste et<br />

représentant des intérêts des travailleurs mais est viré aussitôt que son appartenance au Parti<br />

Communiste Yougoslave, désormais illégal, est révélée. Broz retourne à Zagreb où il est<br />

désigné comme secrétaire de l’Union des Métallurgistes de Croatie en Juin 1927, arrêté pour<br />

avoir fomenté des grèves, il est jugé à Ogulin mais relâché. Il devient en 1928, secrétaire de la<br />

branche du parti à Zagreb. Il est arrêté et jugé pour recèle d’armes le 4 Août 1928. C’est<br />

celui-ci ignore les injonctions qu’on lui fait. Il ira même jusqu’à déclarer la guerre à l’Italie. Il se rendra en<br />

Décembre 1920.<br />

36 La République des conseils de Hongrie (en hongrois, Magyarországi Tanácsköztársaság, également traduit par<br />

République hongroise des conseils ou République soviétique hongroise) est le régime politique que connaîtra la<br />

Hongrie du 21 mars 1919 au 6 août de la même année. Le régime hongrois est le deuxième gouvernement<br />

d'inspiration communiste de l'histoire mondiale, après celui de la Russie soviétique proclamée en 1917. Il ne<br />

dura que 133 jours et s'effondra lorsque les armées roumaines et françaises, occupèrent Budapest le 6 août 1919.<br />

L’effectivité du pouvoir était entre les mains de Béla Kun qui finira assassiné dans les geôles du NKVD lors des<br />

purges staliniennes des années 30.<br />

37 AUTY Phyllis, Tito: A Biography. McGraw-Hill, New York, 1970<br />

22


d’ailleurs durant ce procès qu’il va se faire remarquer médiatiquement notamment dans la<br />

presse. Il est condamné à 5 ans de travaux forcés et va être envoyé à la prison de Lepoglava,<br />

où sont internés de nombreux communistes. Sa femme Pélagija le quitte et retourne en Russie.<br />

Sa première femme « légale » 38 marque aussi comme l’évoque Joseph Krulic «Pélagija la<br />

Russe (…) correspond exactement à ses années de formation et d’acculturation au monde<br />

communiste » 39 .<br />

Il restera 2046 jours en prison, successivement à Lepoglava, à Maribor et à Ogulin<br />

pour purger sa précédente peine. Il ne retournera plus jamais dans des geôles. Néanmoins ce<br />

séjour va lui permettre de rencontrer un personnage décisif pour lui, Moša Pijade, un Serbe<br />

d’origine juive. Ĉiĉa Janko 40 est un peintre, éditeur 41 et un intellectuel communiste condamné<br />

à 20 ans de prison en 1925. C’est cet homme qui va donner à Josip Broz sa culture marxiste et<br />

devenir un mentor idéologique 42 . D’ailleurs, la première représentation picturale de Tito date<br />

de cette époque et elle fût exécutée par Pijade. Après ces années de prison, Tito se trouve<br />

assigné à résidence chez lui à Kumrovec. Mais le maire de son petit village, hostile plus que<br />

de raison à la monarchie serbe qui a réalisée un coup d’Etat en Janvier 1929, accueille Broz<br />

en héros et cela permet à celui qui se fera désormais appelé Tito 43 de prendre la fuite et au<br />

passage de s’acheter à nouveau un costume neuf avec chaussures assorties. Il arrive à Zagreb<br />

en 1934, la branche provinciale du parti l’envoie à Vienne où tous les comités centraux du<br />

Parti Communiste Yougoslave se sont réfugiés. C’est là qu’il retrouve des personnages clés<br />

qui vont devenir des alliés sans faille, ou presque ; parmi eux Edvard Kardelj, Milovan Đilas,<br />

Aleksandar Ranković et Boris Kidriĉ. Ces jeunes communistes qui ont à cette époque entre 20<br />

et 30 ans seront les compagnons de route de Tito.<br />

38<br />

Il a eu de nombreuses maitresses et de nombreux enfants nés de ces aventures.<br />

39<br />

KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

40<br />

Surnom de Moša Pijade<br />

41<br />

Il assure la traduction en serbo-croate de l’œuvre de Karl Marx ―Das Kapital‖.<br />

42 KRKLEC Gustav, Nas Tito, Zagreb, 1980<br />

43 Du nom de l’écrivain du XVIIIème siècle de Zagorje, Tito Bezobravski.<br />

23


Josip Broz (à droite) en compagnie de Moša Pijade à la prison de Lepoglava. (Source :<br />

http://www.titoville.com/images/tito-zapor.jpg)<br />

Nommé membre du bureau politique et du comité central, Tito est envoyé à Moscou<br />

en Union Soviétique en 1935. Il travaillera pendant un an à la section Balkan du Komintern 44 .<br />

Le Parti Communiste Yougoslave manquait cruellement de cadres, la plupart ayant été<br />

décimés par le régime monarchique mais aussi par Staline. C’est réellement durant ces années<br />

que Tito émerge comme un des leadeurs du parti même s’il se fait discret en Russie soviétique<br />

et qu’il acquiert un nouveau pseudonyme, Walter Friedrich. Il évoque lui-même cette période,<br />

« Je ne faisais que lire et j’évitais toutes les discussions politiques, le NKVD 45 écoutait par<br />

téléphone toutes les conversations dans les chambres. Je compris tout de suite qu’il fallait être<br />

sur ses gardes. Par contre, bon nombre de nos hommes ne pensaient pas que leurs<br />

conversations puissent être écoutées par téléphone, aussi s’étonnaient-ils de l’arrestation<br />

soudaine d’un tel ».<br />

Au cours de ces années, Staline, qui règne d’une main de fer, épure le parti en Russie<br />

mais aussi les représentants étrangers du Komintern. Tito survivra grâce à sa prudence et son<br />

44 L’Internationale communiste (Kommounistitcheskiï Internatsional en russe) regroupa les partis communistes<br />

qui avaient rompu avec les partis socialistes de la 2 ème Internationale.<br />

24


éloignement de la lutte de faction au sein du Parti Communiste Yougoslave mais aussi, et<br />

surtout, grâce à la bienveillance de Georgi Dimitrov, un communiste bulgare, secrétaire<br />

général du Komintern. De plus, une pression impitoyable s’exerce sur les cadres du parti, Tito<br />

doit répondre à des « biographies caractéristiques » concernant la plupart des dirigeants<br />

notamment Milan Gorkić qui finira assassiné par Staline. De cette atmosphère étouffante,<br />

l’agent Walter (I.E. Tito) parvient à sortir indemne, « il s’en fallut de peu que je périsse alors<br />

(…) Je peux dire que ce furent les jours les plus pénibles de ma vie. Même la guerre fût plus<br />

facile », raconte-t-il. Il va retourner en Yougoslavie, où le Parti Communiste est toujours<br />

illégal, et purger ce dernier.<br />

Drug Walter (Camarade Walter) va être aussi envoyé à Paris à partir de 1936 pour<br />

encadrer et coordonner le cheminement des volontaires yougoslaves des brigades<br />

internationales en partance pour l’Espagne, plongée dans une guerre civile terrible. A Paris, il<br />

va rencontrer sa deuxième femme, une Slovène, Herta Haas. Cette femme va marquer aussi<br />

un moment dans la vie de Tito, son ascension au sein du PCY. Même si Tito va acquérir sa<br />

gloire de combattant antifasciste pendant la seconde guerre mondiale, il n’en demeure pas<br />

moins une énigme, est-il allé combattre en Espagne ? En effet, il existe un mystère. La<br />

biographie officielle est formelle, Tito n’est jamais allé en Espagne. Pourtant durant ses<br />

séjours à Paris notamment en 1937, il y a plusieurs périodes troubles. Pendant de longs mois il<br />

s’absente. Au début de la guerre d’Espagne, le Komintern constitue un bataillon nommé<br />

d’après le leadeur bulgare, Dimitrov. L’un des leadeurs de ce bataillon s’appelait Shapayev,<br />

or celui-ci disparaîtra et ne sera jamais retrouvé. Tito aurait donc utilisé ce nom, celui d’un<br />

commandant de l’Armée Rouge durant la guerre civile, pour combattre en Espagne contre<br />

l’avis même du Komintern. Un brigadiste, Fred Coperman a rencontré Josip Broz à Paris et<br />

affirme que ce dernier était présent en Espagne, « le bataillon Dimitrov contrôlait le secteur à<br />

notre droite. Leur commandant était un réfugié politique qui a vécu à Moscou et qui s’est<br />

battu en Espagne sous le nom de Shapayev. Aujourd’hui on le connaît sous le nom de<br />

Tito » 46 .<br />

45 Le NKVD ou Commissariat du peuple aux Affaires intérieures, ancêtre du KGB (Narodnii Komissariat<br />

Vnoutrennikh Diél en russe) était la police politique de l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques<br />

(URSS).<br />

46 COPEMAN Fred, Reason in Revolt, Blandford Press, Londres, 1948<br />

25


Commandants des Brigades Internationales, ci-dessous de gauche à droite, Oliver<br />

Law, commandant Fort, Fred Copeman, Johnson et Josip « Shapayev » Broz.<br />

(Source :http://www.spartacus.school<strong>net</strong>.co.uk/SPcopeman.htm, tirée du livre Reason in<br />

Revolt de Fred Copeman, date indéterminée)<br />

26


A la fin de l’année 1937, Josip Broz Tito devient secrétaire général du Comité Central<br />

du Parti Communiste Yougoslave, cela survient donc à la suite de l’assassinat de Milan<br />

Gorkić. Après de nombreux déplacements au cours de l’année 1938, notamment à Moscou, il<br />

retourne définitivement en Yougoslavie. Il s’entoure de jeunes hommes fiables rencontrés<br />

quelques années plus tôt tel Đilas, Ranković et Kardelj. Malgré l’opposition de Staline, il<br />

s’éloigne de Moscou et du Komintern en transférant la direction et le secrétariat du parti en<br />

Yougoslavie et surtout en gardant l’idée de Yougoslavie alors que Staline considère ce pays<br />

come « le cachot des peuples qui gémissent sous le joug du régime grand-serbe » et qu’il ne<br />

méritait pas d’être défendu. La vision de Tito sera singulièrement différente.<br />

La guerre gronde en Europe, Hitler et Mussolini se rapprochent dangereusement de la<br />

Yougoslavie et pressent la monarchie de se joindre à l’axe. En Octobre 1940, Tito déclare lors<br />

de la 5 ème conférence nationale du parti: « Camarades! Arrivent devant nous des jours décisifs.<br />

En avant vers une victoire décisive ! La prochaine conférence devra se tenir en territoire libre<br />

de l’envahisseur et du capitaliste ! ». Pour lui c’est évident. L’entrée en guerre de la<br />

Yougoslavie serait le signe du début de la révolution qu’il entreprendrait.<br />

Six mois plus tard, le coup d’Etat du 27 Mars 1941, mené par des officiers loyaux à<br />

Pierre II et soutenus par les britanniques contre le prince régent Paul 47 , lui favorable aux axis,<br />

va précipiter l’invasion de la Yougoslavie. Le 6 Avril 1941, la Yougoslavie est envahie par<br />

l’axe. Le 17 Avril, à Belgrade, un acte de reddition est signé. C’est alors qu’entre en scène le<br />

chef de guerre Tito.<br />

IV ) Chef de guerre<br />

La seconde guerre mondiale va être une étape décisive pour Tito. Sa vie, son image, sa<br />

carrière et ses actes vont être liés à l’histoire de la Yougoslavie. C’est lors de la guerre que le<br />

pragmatisme et le génie politique de Tito éclatent aussi au grand jour. Il lance un appel à la<br />

résistance le 15 Avril 1941, avant l’invasion de l’URSS par les nazis. Même si l’action se fera<br />

plus tard il est évident qu’il montre dès lors sa singularité. En effet, il est important de noter<br />

qu’il ne suit pas les ordres du Komintern dès l’invasion de la Yougoslavie ce qui n’est pas le<br />

cas par exemple des communistes en France qui attendent docilement les ordres de Moscou<br />

47 Pavle en serbo-croate.<br />

27


pour agir. La ligne de Tito est beaucoup plus claire et l’opération Barbarossa n’est qu’un coup<br />

de pouce décisif du destin dans son action.<br />

Il n’aura cure des percepts soviétiques en ce qui concerne la résistance en<br />

Yougoslavie. Premièrement, il sait que c’est la Serbie qui sera le centre névralgique d’un<br />

soulèvement. En effet, il se réfère à une tradition insurrectionnelle serbe mais aussi à<br />

l’actualité car les serbes se soulèvent partout en Yougoslavie notamment parce qu’ils sont<br />

victimes de l’occupation allemande mais aussi des massacres et atrocités commises par l’Etat<br />

Indépendant Croate nouvellement créé et dirigé par les Oustachis d’Ante Pavelić. Deusio, il<br />

sait aussi qu’il doit faire face à un mouvement de résistance concurrent, le mouvement<br />

Tchetnik dirigé par Dragoljub Mihaïlović est favorable à la monarchie mais étant résolument<br />

axé sur la Serbie. L’avantage de Tito sur les tchetniks est qu’il peut compter sur un groupe,<br />

certes restreint, mais très organisé et surtout présent sur tout le territoire yougoslave et<br />

représentant la plupart des peuples du pays. Tito n’était guère favorable à former un front<br />

commun avec Mihaïlović et ses tchetniks, même si lors de l’automne 1941 des négociations<br />

sont menés. Ces derniers se désolidarisent vite des autres peuples yougoslaves mais<br />

commettent des actes de collaboration avec l’occupant.<br />

Tito va même réussir à créer un Etat durant l’été 1941, l’éphémère « République<br />

d’Uţice », premier territoire libéré en Europe. Mais en Novembre 1941, la zone s’effondre<br />

sous les attaques combinés des axis et des tchetniks. Malgré cette défaite qui entraine la fuite<br />

des partisans de Serbie, Tito a pu jauger l’impact que pouvait avoir le fait de libérer des<br />

territoires sur les populations locales, même pour une période très courte et lors de sa retraite<br />

en Bosnie et malgré les sept contre-offensives de l’axe il va multiplier cette expérience dans<br />

les territoires libérés en organisant des comités populaires, contrôlés par les partisans<br />

communistes, et qui agirent comme de véritables gouvernements civils.<br />

C’est en Bosnie que sera créée la Yougoslavie, que ce soit par les armes ou par des<br />

actions politiques. La Bosnie, incorporée dans l’Etat Indépendant Croate, satellite du Reich,<br />

va être le terrain d’une guerre à plusieurs dimensions, d’invasion, civile et de résistance.<br />

Néanmoins Tito va réussir, malgré de lourdes pertes, à tenir tête aux axis en employant une<br />

tactique de guérilla en adéquation au terrain montagneux que représente la Bosnie. Sur le<br />

modèle de la « République d’Uţice », Tito va créer une république similaire en Krajina<br />

28


Bosniaque à Bihać. C’est dans cette ville que va se tenir la première session de l’AVNOJ 48 le<br />

26 Novembre 1942 tandis que la deuxième session se tiendra à Jajce du 21 au 29 Novembre<br />

1943 et donnera notamment le grade de Maréchal à Tito. Malgré la présence d’un<br />

gouvernement provisoire yougoslave à Londres soutenu par Churchill, ce dernier ayant pour<br />

espoir que se constitue en Yougoslavie un système pluripartite, et la réprobation du Kremlin<br />

vis-à-vis de l’action politique de Tito, ses velléités d’indépendance et son charisme vont avoir<br />

raison des plans des uns et des autres. Même ses ennemis reconnurent ses qualités, Heinrich<br />

Himmler évoqua Tito dans les termes suivants, « Je dois dire que c’est un vétéran<br />

communiste, ce Herr Josip Broz, un homme consistant. Malheureusement, c’est notre ennemi.<br />

Il mérite pourtant son titre de maréchal. Mais lorsque nous l’attraperons, nous ferons en sorte<br />

de lui montrer, et il peut en être sur, qu’il est notre ennemi. Et pourtant, j’aurai aimé avoir une<br />

douzaine de Tito en Allemagne… » 49 .<br />

Tito et Konstantin "Koĉa" Popović à Bihać en 1943. (Source :<br />

http://www.titoville.com/images/tito&koca.jpg)<br />

De plus, Tito va réussir à évincer de la scène internationale le mouvement tchetnik au<br />

profit de ses partisans. Dès 1943 et la conférence de Téhéran, les alliés abandonnent les<br />

tchetniks et Tito devient l’unique interlocuteur. Malgré les injonctions de Churchill pour créer<br />

un gouvernement de coalition avec les représentants du roi en exil et la pression de Staline, ne<br />

48 Antifašistiĉko Vijeće Narodnog OsloboĊenja Jugoslavije, Conseil Antifasciste de la Libération Populaire de la<br />

Yougoslavie. Il s’agit d’un gouvernement provisoire dominé par les communistes mais comportant des éléments<br />

non communistes. Tenu d’abord à Bihać puis à Jajce, il s’agit du prélude de la fédération post-guerre établie par<br />

Tito.<br />

49 Cité dans RIDLEY Jasper, Tito: A Biography, Constable and Company Ltd., Londres ,1996<br />

29


supportant pas la prégnance de Tito en Yougoslavie, le maréchal va réussir à mettre la main<br />

sur la Yougoslavie fort de ses succès militaires et de l’activité politique dont il a fait preuve<br />

avec l’AVNOJ notamment qui instaurait le principe fédéral en Yougoslavie et une<br />

indépendance de cette même fédération vis-à-vis de Staline notamment. Malgré une période<br />

de transition à la fin du conflit. Tito ayant une prépondérance politique et militaire en<br />

Yougoslavie se débarrasse des opposants qu’ils soient royalistes, démocrates ou staliniens et<br />

établie une dictature du prolétariat dont il sera le représentant. A la suite d’élections en<br />

Novembre 1945, le roi Pierre II est déposé et Tito peut fonder la République fédérative<br />

populaire de Yougoslavie qui est proclamée le même jour.<br />

La guerre va marquer la fin de sa relation avec Herta Haas en 1941. Mais lorsque<br />

celle-ci sera capturée par les nazis en 1943, il la fera libérer lors d’un échange de prisonnier.<br />

Ces années marquent aussi une ascension politique dans un contexte terrible et surtout une<br />

relation amoureuse profonde avec Zdenka Paunovic, sa secrétaire, Croate comme lui qui va le<br />

marquer profondément. La mort de celle-ci en 1946 sera très mal vécue par Tito. Néanmoins,<br />

le maréchal entre dans l’histoire comme un résistant hors-norme ayant tenu tête aux axis et<br />

surtout ayant libéré seul son pays, bien que l’appui des alliés fût conséquent et capital. La<br />

nostalgie liée à cet époque s’explique donc facilement, la Yougoslavie n’est plus une prison<br />

des peuples, les minorités ethniques seraient désormais protégés, ce qui est favorablement<br />

accueillie en Bosnie, de plus la zone géographique qui a subit les combats c’est la Bosnie et le<br />

souvenir de la guerre, idéalisé par la propagande va marquer les esprits lors de la période post-<br />

guerres d’indépendances dans les années 90. Son règne d’une main de fer sur la Yougoslavie<br />

pendant 35 ans va le faire entrer dans le panthéon des grands dirigeants politiques.<br />

V ) Président à vie<br />

Cette période de la vie de Tito marque le plus grand des tournants. Le métallurgiste<br />

venu des fins fonds de la Croatie est désormais le leadeur d’une Yougoslavie fédérale et<br />

communiste qu’il a créé. La présidence à vie de Tito sera marquée par de nombreux épisodes<br />

qui vont profondément conditionner les populations yougoslaves mais aussi la perception<br />

extérieure de la Yougoslavie. Sa vie privée fusionnant avec sa vie publique, il va devenir<br />

grâce à l’aura dont il jouit mais aussi par le biais d’une propagande très efficace, le symbole<br />

du pays, que ce soit à l’intérieur mais aussi à l’extérieur. C’est à cet époque que se développe<br />

30


la base matériel de la Yougonostalgie à proprement parlé. Les actions politiques, les images,<br />

les lieux, les réformes et toutes les créations de Tito, surtout vis-à-vis de la Bosnie mais aussi<br />

au niveau fédéral et international, à partir de 1945 et jusqu’à sa mort vont être abondamment<br />

utilisés par le mouvement nostalgique.<br />

Alors que son influence s’étend en Yougoslavie et qu’il montre beaucoup de volonté à<br />

appliquer les principes communistes, Tito est trop indiscipliné, n’obéissant pas aux consignes<br />

de Staline, ceci commença dès la période de résistance. Malgré sa conviction communiste il<br />

ne pouvait renoncer à son autonomie. Au cours des années 1946-48, les Soviétiques tentent de<br />

subordonner l’Etat yougoslave directement à sa tête. Alors que dans les autres pays, futures<br />

« démocraties populaires », cette méthode fonctionne à merveille, elle échoue en<br />

Yougoslavie. Tito quant à lui entretient des rapports avec d’autres dirigeants notamment<br />

albanais, grecs et bulgares dans le but de créer une fédération balkanique et ce sans en faire<br />

part à Staline. Ce dernier tente alors d’éliminer Tito. Il commence par envoyer des assassins.<br />

Tito répond alors à Staline : « Arrête d’envoyer des hommes pour me tuer ! Nous en avons<br />

déjà capturé cinq, l’un d’eux avait une bombe et un autre avait un fusil… Si tu n’arrêtes pas<br />

de m’envoyer des tueurs, je vais en envoyer un très efficace à Moscou et je n’aurai<br />

certainement pas besoin d’en envoyer un autre » 50 . La Yougoslavie est exclue du<br />

Kominform 51 en Juin 1948. Staline passa à la vitesse supérieure en isolant la Yougoslavie<br />

politiquement, économiquement et diplomatiquement. Le refus de plier face à Staline et la<br />

volonté d’indépendance de Tito soudèrent le peuple yougoslave autour de lui et du<br />

gouvernement. A l’étranger, dans les pays soumis au stalinisme, l’accusation de titisme<br />

succède à celle de trotskisme. En revanche, sa rupture avec Staline sera accueillie<br />

favorablement par le bloc Ouest. Dès 1949, l’aide occidentale afflua sur la Yougoslavie tandis<br />

que l’URSS avait arrêté ses exportations en Yougoslavie de l’ordre de 90%. Tito ne fût pas<br />

renversé. De plus, les staliniens furent assez rares. Pour le reste, l’appareil répressif du régime<br />

fît son œuvre avec notamment l’ouverture d’un bagne pour les staliniens à Goli Otok, une île<br />

sur l’adriatique.<br />

50 SERVICE Robert, Stalin: A Biography, Harvard University Press, Cambridge, 2005<br />

51 Le Kominform, abréviation pour « Bureau d'information des partis communistes et ouvriers », est l’organe de<br />

coordination des partis communistes européens.<br />

31


Comme le souligne justement Paul Garde, « Il (Tito) profita de sa rupture avec le bloc<br />

communiste pour mener une politique novatrice (…) il devait s’appuyer sur les pays extra-<br />

européens en lutte pour la décolonisation » 52 .<br />

L'isolement de la Yougoslavie au sein du monde communiste pousse Tito à choisir une<br />

politique de neutralité internationale, fin politicien, il revendique le leadeurship du non-<br />

alignement. La Déclaration de Brioni datant du 19 Juillet 1956 initiée par Gamal Abdel<br />

Nasser, Josip Broz, Norodom Sihanouk 53 et Jawaharlal Nehru, qui suit la conférence de<br />

Bandung, marque le début du mouvement des non-alignés. La première conférence du<br />

mouvement qui comptait au départ 25 Etats se déroula à Belgrade en 1961. Dans la continuité<br />

de sa politique de neutralité, Tito va voyager à de nombreuses reprises en Afrique, en Asie et<br />

en Amérique Latine entre 1962 et 1970. D’autre part, en Europe, il se montre favorable à<br />

l’insurrection hongroise de 1956 et il dénonce l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Armée<br />

Rouge en Août 1968. Tito va appuyer cette politique jusqu’à sa mort et elle va donner une<br />

influence non plus régionale mais résolument mondiale à la Yougoslavie ainsi qu’un prestige<br />

non-négligeable dans le monde entier. C’est un aspect majeur de la Yougonostalgie que<br />

l’activité de Tito dans le mouvement des non-alignés, mouvement ayant de nombreuses<br />

incohérences et imperfections, mais qui a cependant permis cette reconnaissance mondiale et<br />

surtout aux Yougoslaves de se considérer comme des acteurs du monde ayant leur mot à dire.<br />

Tito aura réussi à faire sortir la Yougoslavie de la poudrière balkanique et de lui donner une<br />

légitimité internationale, ce qui était un motif de satisfaction et de fierté de la part des<br />

populations de la fédération, malgré les tensions intérieures.<br />

Du côté de sa vie privée, la mort de Zdenka en 1946 le bouleversa, c’est pour cela que<br />

le duo Ranković-Đilas va s’aviser de placer au sein de ses gardes du corps, un jeune officier,<br />

Jovanka Budisavljević, une Serbe de Croatie. Bien que la date exacte du mariage fasse débat,<br />

Jovanka apparaît aux côtés de Tito dès 1952. Ce mariage avait un intérêt politique évident, il<br />

s’agissait d’épouser une Serbe pour calmer les velléités de ces derniers. Mais ce mariage<br />

arrangé va se retourner sur les conjoints et en 1977, Tito se sépare définitivement de Jovanka<br />

sans qu’un divorce soit prononcé. On prêtera à Jovanka Broz un rôle d’agent double du<br />

NKVD et même la volonté de renverser Tito avec l’appuie de généraux serbes. Le fantasme<br />

de l’agent russe n’est pas nouveau puisque de nombreuses rumeurs firent leur chemin en<br />

52 GAR<strong>DE</strong> Paul, Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard, Paris, 1992<br />

53 Monarque Cambodgien dirigeant le Cambodge de 1953 à 1970.<br />

32


prétendant que Josip Broz n’était qu’un agent soviétique et que le vrai fût remplacé pendant<br />

les purges de 1937.<br />

Durant sa période à la tête de la Yougoslavie, Tito va mettre en scène le faste et les<br />

parures. Son épicurisme ostentatoire, comme en témoigne ses costumes, son île de Brioni et<br />

ses palais et résidences secondaires sont explicables par son parcours depuis la plus tendre<br />

enfance, comme l’évoque Joseph Krulic, il s’agit là du « goût d’un nouveau riche ou d’un<br />

ancien pauvre » 54 . L’œuvre politique et l’action de Tito en Yougoslavie feront pardonner à ce<br />

dernier son goût du luxe et le faste princier dans lequel il vivait. De nos jours, les<br />

yougonostalgiques célèbrent même ses palais, ses costumes et son raffinement puisqu’à<br />

l’époque la Yougoslavie avait un mode de vie honorable et bien que Tito se pavane dans le<br />

luxe, sa population profitait des bienfaits du communisme.<br />

Pourtant l’automne du dirigeant s’approche. Notamment durant les années 70, en<br />

1970, il annonce lui-même un plan de succession, il délègue le pouvoir à Edvard Kardelj,<br />

entre autres. Il laisse place à de nouvelles équipes. La constitution de 1974 formalise l’après-<br />

Tito en instaurant un principe de présidence collégiale. Broz va retrouver au crépuscule de sa<br />

vie, une métaphore de ses débuts, il voyage, il se déplace, change de costume. Joseph Krulic<br />

saisit très bien cet atmosphère de fin de règne qui entoure les dernières années du maréchal:<br />

« Tito représente bien l’homme déraciné du XXème siècle, interposant contre l’insécurité et la<br />

désespérance le divertissement, au sens pascalien, du confort matériel ou idéologique. Tito<br />

cumule les deux : le goût du faste et celui de la croyance idéologique » 55 . De plus il<br />

caractérise Tito comme un « personnage discipliné, avide de reconnaissance sociale » 56 . Il est<br />

intéressant de noter que Tito du fait de son expérience de la vie maitrisait de nombreuses<br />

langues, cependant, il avait de nombreuses difficultés à s’exprimer en serbo-croate 57 comme<br />

Mao avec le mandarin.<br />

Le 4 Mai 1980 à 15h05 à la Clinique de Ljubljana meurt le président de la République<br />

Fédérative Socialiste de Yougoslavie, président de la Ligue Communiste Yougoslave,<br />

Commandant Suprême des forces armées et Maréchal de Yougoslavie Josip Broz Tito après<br />

des mois d’agonie. L’homme aux 119 décorations sera enterré le 8 Mai 1980 à Belgrade. Plus<br />

de 200 délégations du monde entier représentants 127 pays seront présentes.<br />

54 KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

55 ibid<br />

56 ibid<br />

57 http://www.youtube.com/watch?v=OLXXJCjAryg<br />

33


Ce premier point permet d’appréhender au mieux l’essence et la pièce maîtresse de la<br />

Yougonostalgie, Josip Broz Tito. Il est impossible de concevoir ce phénomène sans s’attarder<br />

en détail sur la vie de ce dirigeant communiste hors-norme. D’une jeunesse laborieuse et<br />

sommaire, Josip Broz va être porté par le destin et devenir le dirigeant de la Yougoslavie<br />

communiste. C’est ce destin qui fascine, intrigue et intéresse les yougonostalgiques comme<br />

les détracteurs de Tito. On va ensuite se consacrer à la seconde guerre mondiale et à l’impacte<br />

de celle-ci sur la Yougoslavie et la nostalgie qui en résulte. Le découpage chronologique de la<br />

vie de Josip Broz permet de montrer que malgré une appartenance aux couches pauvres de la<br />

population, sa trajectoire n’est pas logique. Son parcours est plein de contradictions. Ces<br />

contradictions sont aussi celle d’un pays et plus largement d’une région, les Balkans, que<br />

Slavoj Ţiţek, psychanalyste Slovène, considère comme l’inconscient de l’Europe 58 , une<br />

région peu comprise par l’Europe Occidentale car l’occident y transpose ses propres<br />

contradictions. Dès lors, les contradictions du personnage de Tito, du conflit mondiale en<br />

Yougoslavie, de la Yougoslavie communiste et de l’écroulement de celle-ci apparaissent<br />

comme un enchainement logique de contradictions irréconciliables que seuls peuvent<br />

réconcilier la force, la terreur d’Etat, la croissance économique ou une fuite en avant<br />

systématique.<br />

58 http://www.youtube.com/watch?v=_n3CNp-Ef5I&feature=fvst<br />

34


Les dignitaires et plénipotentiaires du monde entier le 8 Mai 1980 lors de l’enterrement de<br />

Tito. (Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5a/Titova_sahrana.jpg)<br />

35


<strong>LA</strong> SECON<strong>DE</strong> GUERRE MONDIALE EN<br />

YOUGOS<strong>LA</strong>VIE, TERREAU FERTILE ?<br />

La seconde guerre mondiale revêt une importance à plusieurs niveaux. Tout d’abord,<br />

elle est capitale d’un point de vue militaro-politique, puisque les féroces combats qui ont eu<br />

lieu dans les Balkans à cette époque vont décidés de l’avenir de la Yougoslavie. De plus, on<br />

voit émerger nombre des forces contenues par la monarchie de l’entre deux guerres et aussi<br />

toutes les exacerbations ethniques même si l’exemple de partisans et leur tactique<br />

supranationale qui va réussir à en faire la force dominante en Yougoslavie tenta de déjouer<br />

cela. D’autre part, la seconde guerre mondiale constitue pour la Yougoslavie une réelle guerre<br />

civile et malgré la victoire des partisans, qui voit la création d’une mythologie positive, le<br />

conflit mondial va ouvrir des plaies réutilisées lors des années 90 par les forces nationalistes<br />

notamment en Bosnie et Herzégovine.<br />

Alors que la Yougoslavie tente tant bien que mal de ne pas être prise par les forces<br />

centrifuges du conflit mondial, elle va y entrer brutalement. Le régent Paul de Yougoslavie,<br />

oncle du roi Pierre II, se rapproche des axis en signant le 25 Mars 1941 un pacte, impopulaire<br />

parmi les Serbes. Le coup d’Etat du 27 Mars 1941, mené par des officiers favorable à Pierre II<br />

et soutenus par les britanniques qui dénonce le pacte, va précipiter l’invasion de la<br />

Yougoslavie et déclencher un processus guerrier très violent. Belgrade sera la cible d’un<br />

bombardement très meurtrier de la part de la Luftwaffe 59 .<br />

Le 6 Avril 1941, la Yougoslavie est envahie par l’axe et l’armée royale se trouve<br />

balayée. Le 17 Avril, à Belgrade, un acte de reddition est signé, le roi s’exile et le<br />

gouvernement fait de même. La Yougoslavie se trouve démantelée (voir carte en annexes) en<br />

divers zones d’occupations et Etats satellites du Reich ou de l’Italie fasciste. Alors que<br />

certaines zones sont occupés par les troupes allemandes, d’autres se trouvent sous protectorats<br />

italiens, hongrois ou bulgares. En Serbie, Milan Nedić, un général de l’armée royale prend le<br />

contrôle d’un Etat serbe amputé de nombreux territoires. Les nazis mettent en place un régime<br />

sous leur contrôle appelé Gouvernement de salut national mais dirigé de facto par Nedić. Il y<br />

aura aussi un Royaume croupion du Monténégro dominé par les italiens mais n’ayant aucune<br />

59 Armée de l’air allemande.<br />

36


incidence sur l’épicentre de la guerre, le territoire de la Bosnie et Herzégovine passé sous<br />

contrôle de l’Etat Indépendant Croate.<br />

I ) Nezavisna Država Hrvtaska<br />

La Bosnie et Herzégovine se trouve englobée dans ce nouvel état qui incorpore aussi<br />

la Croatie moins les terres irrédentes 60 . L’Etat Indépendant Croate devait être en théorie une<br />

monarchie dirigée par un petit cousin de Victor Emmanuel III, alors roi d’Italie. Cet Etat est<br />

né d’un accord entre le roi d’Italie, le Duce Benito Mussolini et Ante Pavelić, qui serait le<br />

premier ministre. Il est important de rappeler l’histoire et le rôle du mouvement Oustachi qui<br />

ne date pas de la guerre. Ce mouvement, mineur d’un point de vue global, accompagne<br />

chronologiquement la montée du fascisme dans les années 30 même s’il n’a pas l’envergure<br />

du Parti National Fasciste dirigé par Mussolini ou du NSDAP (Parti national-socialiste des<br />

travailleurs allemands) d’Adolf Hitler et va se montrer capital dans le déroulement de la<br />

guerre dans les Balkans.<br />

Le mouvement Oustachi 61 fût fondé en 1930, en Italie. Le lien avec les fascistes<br />

italiens évident. Ante Pavelić est le chef incontestable du mouvement. Né en Bosnie et<br />

Herzégovine, ce juriste s’engage dans le Parti Croate du Droit, une formation politique<br />

nationaliste opposée à la monarchie serbe et qui sera interdit comme tous les autres partis<br />

politiques (donc le parti communiste) ce qui contraindra Ante Pavelić à l’exil. Après un<br />

passage à Vienne, il va à Rome et fonde un nouveau parti en liaison avec d’autres exilés,<br />

membres du Parti Croate du Droit. Ce sera le parti des oustachis. Le groupuscule va se<br />

distinguer par des insurrections ratées à l’intérieur de la Yougoslavie, ces soulèvements seront<br />

pilotés par le groupe qui a préalablement installé des camps d’entrainement en Hongrie et en<br />

Italie, deux pays favorables au mouvement. Celui-ci se distingue par sa participation à<br />

l’assassinat du roi putschiste Alexandre 1 er en visite à Marseille le 9 Octobre 1934, il sera tué<br />

60 Les terres irrédentes (de irredento en italien, non libéré, non délivré) sont les territoires réclamés par les<br />

nationalistes italiens se réclamant de la doctrine irrédente, c'est-à-dire l’intégration des territoires historiquement<br />

italiens, ce qui prête à débat. Ce mouvement prend une grande ampleur lors du Resorgimento et se trouve ici<br />

repris par le fascisme. Sont concernés la Slovénie, l’Istrie et la Dalmatie.<br />

61 Du verbe Ustati en serbo-croate, se lever. Ustaše en serbo-croate, les insurgés. A noter qu’au départ, le terme<br />

est réservé à des insurgés serbes contre les Turcs en Bosnie et Herzégovine lors d’insurrections au XIXème<br />

siècle.<br />

37


par un nationaliste macédonien membre de l’Organisation révolutionnaire intérieur<br />

macédonienne 62 appuyé par le mouvement oustachi.<br />

À Rome où il réside ensuite, il fonde un nouveau parti nationaliste, en collaboration<br />

avec les membres de la faction dure du Parti croate du droit, exilés comme lui. Ce sera le parti<br />

des oustachis (de ustaša, « insurgé, rebelle »). Soutenu par les mouvements fascistes italiens,<br />

il prend de l’ampleur et implante des camps d’entraînement en Hongrie. Le groupe a d’abord<br />

des activités terroristes : il commandite l'assassinat le 9 octobre 1934 d'Alexandre Ier, en<br />

visite d'État à Marseille. Le ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou est aussi<br />

tué lors de l'attentat mais par les gendarmes français durant la fusillade qui suit l’assassinat.<br />

Même s’il faut noter que des controverses historiographiques existent sur le commanditaire<br />

exact de l’attentat 63 . Malgré une dissolution à la suite de l’attentat, le mouvement demeure.<br />

Comme l’évoque Ivan Djuric, les activités du groupe se poursuivent « dans trois foyers : le<br />

premier, en Italie, autour de Pavelić, le second en Autriche et en Allemagne (…) et le<br />

troisième, en Croatie même » 64 . Le mouvement décide de calmer le jeu à la suite de ce coup<br />

d’éclat et de s’aligner sur l’Italie et l’Allemagne.<br />

Cette attente porta ses fruits puisqu’en Avril 1941, après l’invasion de la Yougoslavie,<br />

l’Etat Indépendant Croate est proclamé par Slavko Kvaternik et malgré sa structure<br />

théoriquement monarchique c’est Ante Pavelić qui exerce la réalité du pouvoir, premier<br />

ministre, il deviendra Poglavnik (Chef) et va s’appuyer sur les Domobrani de la Garde<br />

nationale croate, la force militaire du régime. Le régime s’aligne, comme celui de Nedić en<br />

Serbie, sur la politique d’extermination et de persécution des populations juives. Mais Pavelić<br />

peaufine sa politique en y incluant un autre peuple à abattre, le peuple Serbe, très présent en<br />

Bosnie et Herzégovine, partie intégrante de l’Etat Indépendant Croate. Les Musulmans<br />

Bosniaques sont considérés comme la « fleur de la nation Croate » ce qui est contradictoire<br />

avec l’essence chrétienne catholique de ce régime de fantoche qui ne sera pas à une<br />

contradiction près. Nombre de Musulmans Bosniaques seront incorporés dans les rangs des<br />

Domobrani. Et lorsque les autorités Bosniaques critiquent et dénoncent publiquement le<br />

62 Vlado Tchernozemski, l’assassin d’Alexandre 1 er fût un membre de cette organisation dont le but était<br />

similaire à celui des Oustachis mais pour les Macédoniens, destruction de la Yougoslavie et indépendance<br />

nationale avec des moyens violents.<br />

63 Certaines thèses parlent d’une implication des services secrets allemands et/ou soviétiques.<br />

64 DJURIC Ivan, Glossaire de l’espace yougoslave, L’esprit des péninsules, Paris, 1999<br />

38


égime Oustachi et ses mesures contre les juifs et les serbes par le biais de fatwa (fetva 65 en<br />

Bosniaque) comme à Prijedor, le 23 Septembre 1941, à Sarajevo le 12 Octobre ou encore à<br />

Banja Luka en Novembre de la même année 66 , les Oustachis n’hésitent pas à faire des<br />

expéditions punitives et à tuer ou enrôler de force des Bosniaques. Les tchetniks vont faire de<br />

même en menant des attaques en Bosnie contre les Musulmans à Prijedor notamment, au<br />

milieu de l’année 1942, un millier périront 67 . Paul Garde 68 et les auteurs Mirko Grmek, Marc<br />

Gjidara et Neven Simac 69 vont dans ce sens en évoquant des rapports de gradés du<br />

mouvement tchetniks après des massacres commis à Foĉa et du témoignage de Tito après en<br />

avoir chassé les tchetniks.<br />

Les Musulmans Bosniaques se retrouvent dans une situation paradoxale. Ils n’ont pas<br />

d’appui extérieur. Ils sont incorporés ou volontaires dans les Domobrani mais les allemands<br />

ne voulant pas que Pavelić ait trop d’importance dans la zone et pour que ceux-ci se dotent<br />

d’une force pour faire face aux tchetniks. Les nazis vont utiliser les Musulmans Bosniaques<br />

par le biais d’un personnage controversé, Mohammed Amin al-Husseini, le Grand Mufti de<br />

Jérusalem qui sera un véritable Voyageur représentant placier (VRP) 70 pour le compte des<br />

nazis en vue de créer une unité Waffen-SS qui comptera près de 20 000 soldats en moyenne,<br />

la moitié étant volontaires de gré, l’autre de force. La plupart des membres de l’unité appelée<br />

Handţar 71 sont Musulmans mais des Croates et des Serbes seront aussi incorporés, ce qui<br />

démontre bien la lutte d’influence entre les Oustachis et Himmler, l’unité sera d’ailleurs<br />

connue comme un régiment croate. Enver Redţić développe minutieusement les origines, la<br />

formation et les combats ainsi que la dissolution de l’unité Handţar 72 . L’existence de ces<br />

volontaires ou conscrits musulmans ne constitue que la rencontre d’un régime aux abois avec<br />

les ambitions régionales de certaines minorités, cette unité n’est qu’un cas parmi d’autres,<br />

65<br />

Une fatwa ou fetva est, dans l'islam, un avis juridique donné par un spécialiste de loi islamique sur une<br />

question particulière. Chez les sunnites, c’est le mufti qui émet les fatwas.<br />

66<br />

POPOVIC Aleksandar, l’Islam Balkanique: les musulmans du Sud-ouest européen dans la période postottomane,<br />

Wiesbaden, Harrassowitz, 1986<br />

67<br />

BJELO Ante, Yugoslavia, Genocide: A documental analysis, Northern Tribune, Sudbury, 1985<br />

68<br />

GAR<strong>DE</strong> Paul, Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard, Paris, 1992<br />

69<br />

GRMEK Mirko GJIDARA Marc SIMAC Neven, Le <strong>net</strong>toyage ethnique, Documents historiques sur une<br />

idéologie serbe, Seuil, Paris, 1993<br />

70<br />

Il sera payé 50 000 Reich Mark pour son activité de propagande et de recrutement.<br />

(http://www.archives.gov/iwg/reports/hitlers-shadow.pdf, page 21)<br />

71<br />

Handžar en serbo-croate (turcisme) cimeterre.<br />

72<br />

REDZIC Enver, Muslimansko autonomaštvo i 13. SS divizija – autonomija BiH i Hitlerov Treći<br />

Rajh,Svjetlost, Sarajevo, 1987<br />

39


mais il est évident que dans la mémoire collective des Bosno-serbes, la participation de<br />

Musulmans Bosniaques à une unité SS occupe une place importante. Cependant, celle-ci est<br />

floue à cause de la complexité des luttes et des acteurs. Certaines positions sont totalement<br />

contradictoires, fustigation des Handţar et adoration des Tchetniks. De plus ces positions<br />

varient selon l’endroit où l’on se trouve en Bosnie et Herzégovine.<br />

Mohammed Amin al-Husseini passant en revue une unité de la 13e division de montagne de<br />

la Waffen SS Handţar en Silésie au mois de Novembre de l’année 1943. (Source : Deutsches<br />

Bundesarchiv (German Federal Archive), Wikipédia)<br />

Les Oustachis vont mettre en place une politique d’extermination et de massacres vis-<br />

à-vis des populations serbes se situant dans le territoire de l’Etat Indépendant Croate. Cela<br />

sera une des sources qui expliquent les antagonismes entre Serbes et Croates durant la<br />

dislocation violente de la Yougoslavie dans les années 90, Vojislav Šešelj, leadeur extrémiste<br />

serbe n’hésitera pas, par exemple, à vociférer contre les « hordes oustachies » lors de la<br />

proclamation d’indépendance de la Croatie 73 . A ce moment là, on évoque le spectre oustachi<br />

et le camp de concentration et d’extermination de Jasenovac 74 . Des centaines de milliers de<br />

Serbes seront tués par les Oustachis. Ceux-ci vont perdre du terrain et les bastions de<br />

73<br />

Visible dans le documentaire : Yougoslavie, suicide d’une nation européenne réalisé par Brian Lapping pour la<br />

BBC en 1996.<br />

74<br />

Camp de concentration et camp d'extermination créé par le régime des Oustachis pendant la Seconde Guerre<br />

mondiale. Il fut le seul camp d'extermination de la seconde guerre mondiale non géré par les nazis. Les victimes<br />

furent majoritairement serbes, juives, tziganes, bosniaques et aussi croates.<br />

40


ésistance des partisans vont avoir raison de l’Etat Indépendant Croate. Celui-ci va s’écrouler<br />

avec la retraite allemande en Mai 1945 alors que le territoire était déjà sous contrôle des<br />

partisans de Tito.<br />

II ) Des tchetniks aux partisans<br />

Alors que l’Europe est sous la botte nazie, en Yougoslavie, désormais démembrée, des<br />

groupes de résistances et d’oppositions à l’occupant et aux collaborateurs se forment. Deux<br />

forces vont se démarquer et tenter de s’accaparer la légitimité de la résistance. Il est important<br />

de noter qu’il s’agit de forces qui préexistaient au conflit. La première est le Parti<br />

Communiste Yougoslave, honni par la royauté. Ses dirigeants, Tito en tête, sont retournés en<br />

Yougoslavie après un périple moscovite et une hécatombe dont le précédent dirigeant, Gorkić,<br />

aura fait les frais dans le but de faire la révolution. La seconde force est constituée d’officiers<br />

serbes appartenant à l’armée royale yougoslave se regroupant autour de l’officier, Dragoljub<br />

« Draţa » Mihailovic. Les uns vont devenir l’ossature des Partizani (partisans) tandis que les<br />

autres vont former le mouvement Ĉetnik 75 (tchetnik).<br />

Le haut commandement de l’armée Yougoslave a capitulé d’une manière rapide. En<br />

réaction, un petit groupe d’officiers serbes va entrer en résistance. Réunis autour de Draţa<br />

Mihailovic, un colonel d’état-major, ils vont former des maquis, au départ dans la Ravna<br />

Gora, en Serbie centrale. Ils suivent la tradition des ĉetnik du début du XXème siècle et<br />

renouent avec un passé militaire glorieux mais bafoué. Ils se donnèrent le nom de<br />

« Détachement ĉetnik de l’Armée Yougoslave » (Četnički odredi jugoslovenske vojske)<br />

puis « d’Armée Yougoslave dans la Patrie » (Jugoslovenska vojska u otadžbini). Les tchetniks<br />

ont engagé la lutte dès le mois de Mai 1941 contre l’occupant axis. Bien que supervisé par des<br />

officiers de l’armée, le mouvement tchetnik est hétéroclite, il regroupe de royalistes, des<br />

malandrins mais aussi de simples citoyens antifascistes et anticommunistes. Leurs projets<br />

politiques sont flous. Malgré une reconnaissance du gouvernement en exil à Londres, les<br />

tchetniks ne sont recrutés que parmi les Serbes, malgré quelques très rares exceptions. Leur<br />

volonté de créer une « Grande Serbie » pure et <strong>net</strong>toyé de tous les éléments non-serbes les<br />

discréditent vis-à-vis des autres peuples et ils s’engagent dans une lutte à mort contre les<br />

75 Četnik venant du serbo-croate četa, la compagnie ou troupe (militaire). Les tchetniks sont des groupes<br />

paramilitaires.<br />

41


traitres Croates ayant cédés trop vite aux nazis. Joseph Krulic n’oublie pas de rappeler que<br />

malgré l’Histoire récente, « il ne faut pas faire d’analogie entre les ĉetniks de la Seconde<br />

Guerre mondiale et ceux des guerres des années 1990 » 76 . Mihailovic n’avait pas un contrôle<br />

absolu sur les groupes se réclamant de lui alors que les tchetniks des années 1990 sont<br />

encadrés et envoyés en appui de la JNA 77<br />

De plus Stefano Bianchini rappelle que les tchetniks sont des « alternatifs » 78 que ce<br />

soit par rapport aux Oustachis, voulant créer une « Grande Croatie » mais surtout vis-à-vis des<br />

autres groupes antifascistes. L’insistance notoire sur le « serbisme » exclue les autres peuples.<br />

Leur ligne idéologique faite de nationalisme serbe et de royalisme centralisateur ainsi qu’une<br />

stratégie militaire attentiste exclue toute alliance, même tactique, avec les partisans. Très<br />

célèbres en Serbie, en Herzégovine et au Monténégro jusqu’en 1944, les tchetniks vont voir<br />

leur aura diminuer au gré des victoires de Tito mais aussi au gré des massacres commis par les<br />

tchetniks que ce soit sur les Croates ou les Musulmans. Les actions des tchetniks contre<br />

l’occupant sont beaucoup moins engagées que celles des partisans, ces derniers sont la cible<br />

primal de Mihailovic. Dès Novembre 1941 et malgré des tentatives d’apaisement entre<br />

partisans et tchetniks, ceux-ci attaquèrent les troupes de Tito. Cela a plongé le pays, déjà<br />

occupée et démembrée dans une lutte fratricide. Lutte qui avantagera les tchetniks, considérés<br />

par les alliés comme les véritables résistants en Yougoslavie jusqu’à ce que le doute s’installe<br />

en 1943 grâce aux collaborations sporadiques mais de plus en plus nombreuses des tchetniks<br />

avec l’occupant mais aussi à cause de la propagande intense menée par les partisans de Tito.<br />

Dans ce pays effrité, Tito et son groupe, à forte tendance yougoslave, vont émerger.<br />

Dès le 15 Avril 1941, il lance un appel à la résistance à tous les peuples du royaume ayant<br />

signé son acte de reddition quelques jours plus tôt. L’invasion de l’URSS par les nazis va se<br />

montrer décisive. Les partisans, très disciplinés vont profiter de la vague insurrectionnelle de<br />

l’été 1941. A Uţice en Serbie, les partisans vont expérimenter des formes<br />

d’autogouvernement dans des zones libres. Mais les nazis auront vent de cette zone de<br />

trouble. En Novembre 1941, les axis vont lancer une offensive pour chasser Tito et les<br />

partisans de la zone d’Uţice. Il s’agit là de la première des sept offensives anti-partisanes.<br />

Cette expression est beaucoup utilisée par les historiens de l’époque communiste et elle est<br />

reprise de nos jours que ce soit par les historiens actuels ou la plèbe. Les mouvements des<br />

76 KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

77 Jugoslovenska Narodna Armija, Armée Populaire Yougoslave.<br />

42


principales forces des partisans de Tito peuvent être suivis par le biais de ces offensives qui<br />

illustrent très bien la mise en scène d’un jeu du chat et de la souris en fantastiques offensives<br />

où les partisans s’en sortent toujours en infligeant de nombreuses pertes aux axis. La réalité<br />

demeurent plus raisonnables, effectivement les partisans concentrent sur eux des adversaires<br />

beaucoup plus nombreux mais ils ne les battent pas à plate couture, au contraire, les hommes<br />

de Tito s’échappent de situations inespérées au prix de nombreuses pertes.<br />

La première offensive expulse la plupart des forces partisanes en dehors de Serbie<br />

jusqu’en 1944, la plupart vont aller en Bosnie et Herzégovine, au Monténégro, où officiera<br />

Milovan Đilas et au Sandţak de Novi Paţar. La seconde offensive allemande, en Janvier<br />

1942, va rejeter la plupart des partisans en Bosnie orientale et en Herzégovine. L’hiver aidant,<br />

les partisans seront décimés mais pas vaincus. Durant le printemps 1942, la bataille de<br />

Kozara, souvent confondue avec la troisième offensive de l’Axe, va sonner le glas, certes<br />

temporaire, de la résistance des partisans en Krajina Bosniaque. En effet, à un contre dix 79 , les<br />

partisans y sont anéantis. D’autre part, un peu plus à l’Est, Tito doit se replier face à la<br />

troisième offensive allemande qui se déroule durant l’été 1942, cette offensive est la plus dure<br />

vis-à-vis des partisans mais ceux-ci réussissent à s’extirper vers l’ouest mais seront encore<br />

attaqués lors de la bataille de la Neretva, quatrième offensive de l’axe. Bataille qui fera l’objet<br />

d’un film 80 .La cinquième offensive qui se déroule dans la vallée de la Drina près de la rivière<br />

Sutjeska entre Mai et Juin 1943 va marquer encore une fois un coup sévère pour les partisans.<br />

La victoire tactique revient aux axis aidés des oustachis cependant les partisans sont encore<br />

debout. Après cette offensive, ces derniers vont se réorganiser et ajouter une dimension<br />

politique à leur combat et surtout concrétiser la stratégie de Tito, en Novembre 1943 se<br />

tiennent les sessions de l’AVNOJ et du ZAVNOBiH qui vont respectivement décider du sort<br />

de la Yougoslavie et de la Bosnie et Herzégovine à l’issue de la guerre. Après la capitulation<br />

italienne en Septembre 1943, les allemands tentent de porter un coup fatal aux partisans lors<br />

de la sixième offensive, ce qui va s’avérer encore une fois un succès relatif au niveau tactique<br />

mais un échec stratégique, faillite qui va se conclure avec la septième et dernière offensive,<br />

connue sous le nom de « raid sur Drvar », et qui eut pour but d’assassiner directement Tito.<br />

78<br />

BIANCHINI Stefano, La question Yougoslave, Editions Casterman Giunti, Florence, 1996<br />

79<br />

L’armée allemande mobilisa environ 15 000 hommes et les Oustachies environ 22 000 contre un peu plus de<br />

3 000 partisans aidés par la population locale qui subira le joug de l’occupant.<br />

80<br />

Film sorti en 1969, mettant en scène Yul Brynner ou encore Orson Welles. De nombreux autres films vont<br />

s’inspirer de la seconde guerre mondiale en Yougoslavie.<br />

43


Un échec puisque celui-ci réussit à fuir pour l’Adriatique et installe son Quartier-Général sur<br />

l’île de Viš. A partir de cette dernière opération qui marque un tournant sur le front<br />

Yougoslave, ce sont les partisans qui vont prendre l’initiative. La Bosnie va être sous le<br />

contrôle presque total des partisans ainsi que la Serbie à partir de 1944. La conjoncture se<br />

montrait favorable aux partisans et la clairvoyance stratégique de Tito portait ses fruits. L’axe<br />

commençait à s’effondrer, les forces des collaborateurs oustachis mais aussi tchetniks qui<br />

s’épuisaient, l’avancée russe en Bulgarie et l’aide logistique de la part des alliées, autant de<br />

facteurs qui faisaient des partisans la principale force militaire dans les Balkans au début de<br />

l’année 1945 81 .<br />

La victoire de Tito est un modèle de calcul stratégique malgré une infériorité tactique<br />

évidente. La patience est mère de toutes les vertus. Cet adage s’applique parfaitement à cette<br />

situation. Tito, à l’instar d’un De Gaulle, a très vite compris les ressorts de la guerre ce qui ne<br />

fût pas le cas de Draţa Mihailovic, le leadeur tchetnik, agglutiné à des schémas datant de la<br />

première guerre mondial et n’ayant pas de talent politique. Tito a compris le caractère<br />

international du conflit et surtout les enjeux de puissances en cours. De plus, malgré des<br />

faiblesses tactiques qui ont souvent conduit Tito dans « l’antre du loup », l’entrainement<br />

idéologique de ses hommes, la connaissance du terrain ainsi qu’une certaine divine<br />

providence aidèrent les partisans à ne pas être totalement anéantis par les axis, les<br />

collaborateurs ou les tchetniks. Le jeu de « chats et de souris » qui ressort des offensives anti-<br />

partisanes ne doit pas masquer l’intense lutte armée menée sans coup férir par les partisans,<br />

lutte basée sur le principe de guérilla qui s’avéra tactiquement couteuse mais au final payante.<br />

A noter aussi que ce sont les vainqueurs qui font l’histoire. L’historiographie<br />

yougoslave et dans sa continuité, l’historiographie bosniaque parlent d’une guerre de<br />

libération. Le dualisme des historiens bosniaques est sans équivoque. Pour Smail Ĉekić,<br />

professeur à l’université de Sarajevo 82 , il y a d’un côté le Mouvement de Libération Populaire<br />

de Tito et de l’autre les forces d’occupations et de collaborations représentées par les Axis<br />

auxquels sont liés les Oustachis et les Tchetniks. On évoque peu l’expression de front<br />

yougoslave. Aussi, à contrario de la fantasmagorie occidentale, les collaborateurs sont mis au<br />

même pied que l’occupant voir diabolisés, comme ce fût le cas des Oustachis pour le camp<br />

81 Entre 500 000 et 800 000 soldats.<br />

82 http://www.institut-genocid.ba/academic_bio.html<br />

44


d’extermination de Jasenovac ou des Tchetniks pour les massacres commis contre les<br />

populations Musulmanes et Croates de Bosnie.<br />

D’autre part, il ne faut pas oublier que le mouvement partisan est résolument<br />

yougoslave, de par son dimension territoriale mais aussi de par sa composition plurinationale<br />

à la différence du mouvement tchetnik, lui aussi étendu territorialement mais dominé par les<br />

Serbes. Tito a su profiter de cela, même s’il est vrai que l’approche résolument yougoslave du<br />

parti communiste poussait énormément en ce sens. En Bosnie par exemple, à partir de 1942,<br />

les forces des partisans comptent près de 65% de Serbes, 25 % de Musulmans et 10 % de<br />

Croates 83 . Cela ne correspond pas totalement à la répartition ethnique de la Bosnie et<br />

Herzégovine notamment à cause de la prédominance serbe, néanmoins le déséquilibre n’est<br />

pas flagrant. C’est très important pour les historiens bosniaques d’insister sur la participation<br />

des Musulmans Bosniaques au Mouvement de Libération Populaire.<br />

Alors que les partisans fuient dans les montagnes serbes et entrent en Bosnie pour<br />

reproduire l’expérience d’Uţice mais aussi pour trouver de nouveaux soutiens surtout chez les<br />

Bosno-serbes, très durement frappés car la Bosnie est englobée dans l’Etat Indépendant<br />

Croate et celui-ci pratique une politique très dure à leur égard. Néanmoins de grandes figures<br />

bosniaques de la Yougoslavie vont émerger durant ce conflit, on évoquera Dţemal Bijedić<br />

ministre yougoslave de 1971 à sa mort en 1977 et Raif Dizdarević, Président de la Présidence<br />

de la République Socialiste de Bosnie et Herzégovine de 1978 à 1982 puis de la Présidence de<br />

la Yougoslavie entre 1988 et 1989. Ces figures de la Yougonostalgie émergent avec le conflit<br />

mondial et prennent une grande importance durant la période communiste et restent<br />

aujourd’hui emblématique du destin des Bosniaques dans la Yougoslavie. Car la Bosnie a<br />

indéniablement « héritée » de ses figures politiques nationales à dimension yougoslave.<br />

Durant cette guerre de libération, on s’aperçoit qu’il y a un changement crucial dans<br />

les relations politiques en Bosnie et Herzégovine. La victoire dans ce conflit dépendait bien<br />

sur de l’appui des alliés mais aussi d’une unité nationale de tous les citoyens en Bosnie. En<br />

somme ce conflit est une petite révolution nationale en Bosnie même si elle montre ses limites<br />

car au lieu de construire un peuple calqué sur le peuple Yougoslave en Bosnie et Herzégovine<br />

83 RAMET Sabrina P., The Three Yugoslavias: State-Building and Legitimation, 1918-2004, Indiana University<br />

Press, Bloomington, 2006<br />

45


on maintient un statuquo, nécessaire d’un point de vue tactique et plus tard, Tito par<br />

conscience et calcul politique va confirmer les Musulmans en tant que Nation.<br />

Mais du conflit mondial c’est un évènement politique qui retient l’attention des<br />

historiens, politiciens et politologues bosniaques, le ZAVNOBiH qui précède l’AVNOJ,<br />

organisation « parapluie ». Car cette réunion politique pose les fondements d’une Bosnie et<br />

Herzégovine une et indivisible au sein d’une fédération Yougoslave.<br />

III ) AVNOJ 84<br />

L’essence de ces initiatives politiques menées par le Mouvement Populaire de<br />

Libération en Yougoslavie durant la seconde guerre mondiale est très bien illustrée par cette<br />

déclaration de Tito :<br />

« La guerre de libération des peuples en Yougoslavie ne serait pas si légitime et si<br />

efficace si le peuple yougoslave ne voyait pas les perspectives de l’anéantissent du fascisme,<br />

de l’establishment bourgeois en Yougoslavie, l’exploitation et les haines nationales… Cette<br />

guerre ne serait que du vent, voire un mensonge, si elle n’incluait pas en plus du but<br />

Yougoslave ultime, la quête national pour chaque nation car en plus de la libération de la<br />

Yougoslavie, il en va de la libération des Croates, des Slovènes, des Serbes, des Macédoniens,<br />

des Albanais et des Musulmans… » 85 .<br />

Le ZAVNOBiH ne peut être compris sans l’étude de l’organisation mère qui contrôlait<br />

celui-ci, c'est-à-dire l’AVNOJ. Bien que cette organisation ne soit pas exclusivement menée<br />

par des communistes, il s’agit du levier utilisé par ces derniers pour contrer l’emprise fasciste<br />

des axis mais aussi des collaborateurs, qu’ils soient « étatiques », comme la NDH, la Serbie<br />

de Nedić, le Royaume Albanais ou encore l’Etat Indépendant du Monténégro ou non, comme<br />

le mouvement tchetnik, à ne pas ranger exclusivement dans la case collaborateur. L’AVNOJ<br />

est Yougoslave. Après la première session à Bihac, plusieurs lignes directrices se forment.<br />

Tout d’abord, la mise en place d’une démocratie en Yougoslavie devient une nécessité ainsi<br />

que le respect de la propriété privée, des minorités nationales ou ethniques et la liberté pour<br />

qui que ce soit d’entreprendre. Cela témoigne que les communistes avaient peu d’emprise sur<br />

l’AVNOJ, volontairement ou non.<br />

84 Cette partie est notamment développée à partir des déclarations écrites réalisées lors des séances de l’AVNOJ.<br />

46


Néanmoins, la seconde et fameuse session à Jajce en 1943 prend des allures de<br />

constitution. Il en résultera de nombreuses décisions capitales pour l’avenir de la<br />

Yougoslavie. Le pays sera une fédération basée sur le droit des peuples à disposer d’eux-<br />

mêmes. Cette fédération sera composée de six républiques ayant des droits égaux au sein de la<br />

fédération. On instaure un Comité National de Libération de la Yougoslavie 86 qui fait écho, si<br />

l’on établit un parallèle, avec le Comité français de Libération national. On y révoque le<br />

gouvernement en exil et on exclut un retour au pays de la part du roi tant qu’un référendum<br />

populaire sur le maintient de la monarchie ne sera pas tenu, un moyen pour les communistes<br />

de gagner du temps pour prendre le contrôle du pays par le biais du Comité National de<br />

Libération dominé par les communistes. Cette deuxième session est importante car Tito est<br />

nommé Maréchal de Yougoslavie, il sera d’ailleurs le seul auquel on a attribué ce grade, et<br />

premier ministre. Il devient grâce à l’AVNOJ le chef suprême de la résistance d’un point de<br />

vue militaire mais aussi politique. L’AVNOJ pour s’appuyer sur toute la Yougoslavie déclare<br />

être l’organisation suprême représentant les Conseil de Libération des différentes futures<br />

républiques.<br />

En effet, il faut savoir que l’AVNOJ a été créé pour articuler et contrôler tout ces<br />

mouvements nationaux de libération, l’AVNOJ exprimant l’unité dans le combat pour la<br />

libération, l’égalité entre les peuples, le respect pour les minorités mais surtout la prise de<br />

contrôle totale des communistes sur le terrain réel, ce qui ne laissait aucune chance au<br />

gouvernement en exil, et qui conduisait les puissances alliées à accepter cet état de fait. La<br />

proclamation de l’AVNOJ parle spécifiquement de la Bosnie et Herzégovine en tant que<br />

territoire national libre constitué de Serbes, de Croates et de Musulmans, même si ceux-ci ne<br />

sont pas reconnus en tant que nation. Néanmoins, un débat intense va être mené pour savoir si<br />

la Bosnie et Herzégovine sera le sixième flambeau sur les armoiries de la future fédération<br />

Yougoslave.<br />

IV ) Cinéma & guerre, une puissante combinaison ?<br />

La propagande yougoslave a été très classique. Elles commencent par des journaux,<br />

comme OsloboĊenje en Bosnie, des affiches, des lieux de commémorations en bref, il existe<br />

85 REDZIC Enver, Bosna i Hercegovina u drugom svjetskom ratu, Svjetlost, Sarajevo, 1998<br />

86 Nacionalni Komitet OsloboĊenja Jugoslavije, NKOJ basé à Jajce.<br />

47


une multitude de champs qui ont été explorés par les nervis de la nation yougoslave. Il existe<br />

un champ très original quia bercé durant de nombreuses heures télévisuelles ou<br />

cinématographiques les populations yougoslaves. Il convient d’exploré ce sous genre du film<br />

de guerre, ce qu’on appelle les films de partisans. Car au-delà des lieux de commémorations,<br />

des défilés et des images d’archives, la Yougoslavie a financé et créé de nombreux films<br />

inspirés des évènements de la seconde guerre mondiale, en particulier les sept offensives de<br />

l’occupant et des collaborateurs.<br />

Fait unique d’ailleurs, Tito est le seul dirigeant communiste qui sera incarné par un<br />

acteur de son vivant dans un film, certes yougoslave, mais à dimension hollywoodienne.<br />

Particularisme ou ironie de l’histoire, c’est selon, Tito sera incarné par un acteur de<br />

Hollywood, Richard Burton, dont il dira d’ailleurs qu’il était très réaliste pour le rôle 87 . Cela<br />

se fera pour le film Sutjeska 88 , il s’agit d’ailleurs du film le plus couteux pour la production<br />

yougoslave. Il retrace la cinquième offensive qui a eu lieu dans la vallée de la Drina, près de<br />

la rivière Sutjeska, dont le nom a été donné au parc naturel. Le long-métrage est d’ailleurs<br />

tourné sur les lieux mêmes de la fuite des partisans. Bien sur, le film est un pur produit de<br />

propagande. Il est rempli de clichés dont le principal est le leadeur charismatique Tito et à la<br />

fin, ce qui fût une déroute est montré en victoire. Néanmoins, la participation de Tito au<br />

tournage et les conseillers militaires yougoslaves apportent une certaine dose de vérité et de<br />

réalisme. Et puisque l’histoire est écrite par les vainqueurs, il y a là une parfaite illustration de<br />

cette démarche. Vlado Vurušić, dans un article pour le quotidien croate Globus, déclare que<br />

« de nombreuses générations d’habitants de l’ex-Yougoslavie ont grandis avec les films de<br />

partisans et notamment le message prononcé par Richard Burton dans le film Sutjeska 89 , il<br />

n’est donc pas étonnant que ces films soient en tête des audiences malgré des dizaines de<br />

rediffusions. 90 »<br />

Les films sur les partisans ont été très populaires et très popularisés durant les années<br />

60, 70 et 80. Les caractéristiques principales de ces films sont simples, l’action se déroule<br />

durant le second conflit mondial, en Yougoslavie et les partisans sont les principaux<br />

87<br />

http://www.ina.fr/video/CAF97520002/richard-burton-tourne-tito.fr.html<br />

88<br />

Titré « la cinquième offensive » en français (http://www.imdb.com/title/tt0070758/)<br />

89<br />

Communistes, en avant !<br />

90<br />

http://globus.jutarnji.hr/hrvatska/jugoslavenski-spageti-vesterni-propaganda-i-nostalgija<br />

48


protagonistes de l’action et les antagonistes sont les axis, les collaborateurs ainsi que les<br />

éventuels traîtres et autres infiltrés dans les rangs des partisans.<br />

Il existe de nombreux désaccords sur une définition exacte du sous genre. Même s’il<br />

appartient au film de guerre et qu’il en a de nombreuses caractéristiques comme le caractère<br />

populaire, divertissant, avec de nombreuses scènes épiques et sacrificielles, de nombreux<br />

figurants, une musique pompeuse, une production couteuse et de nombreux plans larges ; ce<br />

sous genre est très lié au western spaghetti qui se développe de l’autre côté de l’adriatique.<br />

Malgré l’abondance des scènes de masses et des combats épiques, il existe même une<br />

similitude dans l’aspect des costumes, le calot avec l’étoile rouge remplaçant le chapeau de<br />

cow-boy. Le pistolet mitrailleur ou le fusil Mauser volé remplaçant le six-coups et la<br />

Winchester. D’autre part, les scènes de guerre offrent souvent un duel entre deux ennemis<br />

particuliers, un partisan contre un allemand, un collaborateur oustachi ou tchetnik voir un<br />

traître, ces duels reprennent tous les codes du western spaghetti, à savoir, zoom sur les visages<br />

suants et fatigués. Le premier combattant à dégainer est souvent le dernier à rester debout.<br />

Aussi, il est intéressant de noter qu’il y a souvent un italien dans ce genre de film, mais il se<br />

trouve systématiquement du côté des partisans, qu’il s’agisse d’un partigiano ou d’un<br />

déserteur.<br />

Veljko Bulajić est celui qui introduit tout ces codes au sein du paysage<br />

cinématographique yougoslave en plein essor par son film Kozara datant de 1962, ce film,<br />

traitant de la bataille de Kozara en 1943, étant le prototype du film de partisans. Il existe une<br />

autre branche du cinéma yougoslave qui va connaître, sous l’impulsion des communistes un<br />

essor tout aussi remarquable. Il s’agit de films plus contemporains et ayant rapport avec les<br />

difficultés sociales, ils sont liés à la poétique naturaliste de la « vague noir » yougoslave, une<br />

tentative de réaliser des films à conscience sociale.<br />

Bien que leur attrait cinématographique pur soit souvent limité, une richesse certaine<br />

émane de ces créations. Les films de partisans sont très populaires et certains acteurs vont être<br />

propulsés au rang d’icônes et seront très liés à ce sous-genre cinématographique. Aussi, de<br />

nombreux films seront très liés aux spectateurs. En Bosnie, ces films sont élevés au rang de<br />

films cultes. Il s’agit d’authentiques témoignages d’une façon de faire le cinéma dans cette<br />

région. Le film partisan est vraiment typique du cinéma yougoslave. L’un des exemples allant<br />

dans ce sens est que l’un d’eux, Neretva réalisé par Veljko Bulajić, sera même en lice pour<br />

l’obtention d’un Oscar. Pour revenir à la Bosnie, l’un des films de partisans qui a marqué le<br />

49


pays, et notamment Sarajevo, s’intitule Walter défend Sarajevo 91 . Réalisé en 1972 par<br />

Hajrudin Krvavać, surnommé alors le Sergio Leone des Balkans 92 , ce film conte les aventures<br />

d’un partisan de Sarajevo, pourchassé par l’occupant allemand. Ce partisan qui a réellement<br />

existé est surnommé Walter, en réalité il s’appelait Vladimir Perić. Une rue de Sarajevo est<br />

d’ailleurs appelée en son honneur, Walter Perić. Le film reste très populaire à Sarajevo et les<br />

lieux cultes du tournage sont des endroits de promenades très prisés par les habitants de la<br />

ville. Curieusement, le film a connu un succès inattendu en République Populaire de Chine où<br />

il compte une large communauté d’aficionados et même des produits dérivés comme des<br />

bières. La nostalgie de ce film, outre des ventes de dvd et des rediffusions télévisées, est<br />

visible dans le champ artistique et notamment musical. Il s’agit là d’une mise en abime<br />

nostalgique puisque de nombreux musiciens se servent de ce film, de la musique du film<br />

comme base pour des chansons, ce qui est le cas de Zabranjeno Pušenje 93 ou récemment de<br />

Dubioza Kolektiv 94 .<br />

Affiche du film Walter défend Sarajevo (Source : Personnel)<br />

91 Walter Brani Sarajevo<br />

92 http://globus.jutarnji.hr/hrvatska/jugoslavenski-spageti-vesterni-propaganda-i-nostalgija<br />

93 http://www.youtube.com/watch?v=FdxAeigoNfU<br />

50


Malgré une qualité variable, ces films fortement endoctrinés par la propagande du<br />

régime ont toujours eu une forte audience, forcée ou non, dans les cinémas de Yougoslavie.<br />

De plus même s’ils se caractérisent par un côté western très prononcé, ces films se présentent<br />

toujours comme tirés de faits réels et par conséquent réalistes. Aujourd’hui, matraquage<br />

hollywoodien oblige, les films sont très aseptisés, la violence y est esthétisée au maximum et<br />

le sexe est omniprésent mais la société qui permet cela se veut de protéger les gens considérés<br />

comme faibles vis-à-vis d’images violentes ; alors aux projections de ces films yougoslaves, à<br />

cette époque, assistaient aussi bien des enfants que des soldats. Le but du régime, puisque cela<br />

n’est pas anodin, était de souder la population car les piliers du parti étaient la jeunesse et<br />

l’armée. La volonté des communistes par ces films était d’injecter le standard du parti dans<br />

l’inconscient de la population. Même si la Russie Soviétique et la Yougoslavie se sont<br />

effondrés, laissant libre champ à Hollywood, ces tentatives ont été partie intégrante de la<br />

politique communiste de créer par le cinéma un inconscient Yougoslave libre de tout les<br />

standards hollywoodiens mais en même temps inféodé à la puissance du cinéma américain.<br />

La création d’un film est très contrôlée, mais ce qui frappe le plus c’est que le choix<br />

des acteurs est aussi cadré pour refléter la multiplicité des nations yougoslaves. Les partisans<br />

filmés les plus connus sont Velimir Bata Ţivojinović et Boris Dvornik, respectivement Serbe<br />

et Croate. Ces deux acteurs furent associés à de nombreuses reprises dans les films de<br />

partisans pour confirmer le motto du régime : « Unité et Fraternité ». Alors qu’ils avaient<br />

tissés des liens d’amitié très forts, la guerre qui amena la dissolution de la Yougoslavie<br />

entraina aussi la transformation d’amis en ennemis. Bata Zivojinovic a commencé à soutenir<br />

Milosevic 95 tandis que Dvornik s’est rapproché de Tudjman. On constate aussi que le destin<br />

d’acteurs, représentant les combattants antifascistes, les a conduit a soutenir des régimes et<br />

des visions de la Yougoslavie qui allaient à l’encontre de tout les rôles qu’ils ont tenus.<br />

La nostalgie de ces films, quelle que soit leur qualité, est évidente et logique puisqu’il<br />

ne reste plus rien, ou presque, de la période communiste. Malgré l’instrumentalisation et la<br />

propagande faite autour et par ces films, ils restent témoins de plusieurs choses qui se<br />

trouvaient dans la Yougoslavie, l’indépendance culturelle et notamment cinématographique.<br />

Ce qui est un facteur important, même si le communisme a perdu la guerre face à Hollywood<br />

94 http://www.youtube.com/watch?v=BDZ3jUB0C1M<br />

95 Velimir Bata Ţivojinović va s’engagé en politique aux côtés de Milosevic.<br />

51


car la diffusion de ces films n’est pas négligée par rapport aux films américains. De plus, ces<br />

films évoquent indéniablement la devise du régime communiste, Unité et Fraternité, ce qui<br />

rappelle là encore une époque révolue, idéalisée certes, où les gens peu importe leur<br />

appartenance plaçait la Yougoslavie au dessus des intérêts nationaux et chauvins. D’autre<br />

part, ces films sont un témoignage, certes biaisé, mais très riche, sur la seconde guerre<br />

mondiale et l’intense mise en scène de celle-ci à postériori ainsi que sur la place que tient le<br />

conflit dans l’inconscient Yougoslave.<br />

52


<strong>LA</strong> YOUGOS<strong>LA</strong>VIE SOUS TITO, UN I<strong>DE</strong>AL?<br />

Malgré une histoire originale et indépendante durant la seconde guerre mondiale et<br />

une trajectoire unique après 1950, on ne peut oublier que la Yougoslavie est au départ une<br />

tentative de mise en application du modèle soviétique, il s’agit de la première en Europe, une<br />

autre ayant eu lieu en Mongolie extérieur. Il y a à cette époque, entre 1945 et 1950, une<br />

volonté d’imiter l’URSS stalinienne et ce, coûte que coûte dans tous les domaines, que ce soit<br />

en politique, en économie ou dans le domaine culturel. Malgré la diabolisation opérée par<br />

Staline à l’égard de Tito, la rupture de 1948, héroïsée par Tito ce qui lui vaudra la sympathie<br />

du bloc occidental, n’est en réalité qu’un schisme. Il est donc important de souligner que les<br />

formes originales du communisme yougoslave ne sont que les conséquences de la rupture et<br />

non l’inverse. Aussi, le cas yougoslave présente une première duplication sérieuse du<br />

socialisme à d’autres entités que l’URSS.<br />

La Yougoslavie va être similaire à l’URSS, car il y a de nombreux peuples,<br />

nationalités et religions même s’il s’agit de slaves en majorité. Cela va donc induire de<br />

nombreuses similitudes avec le modèle soviétique, notamment en ce qui concerne le modèle<br />

fédéraliste. La Yougoslavie est divergente car les communistes y sont puissants et disposent<br />

d’un pouvoir interne relativement fort, l’opposition ayant été éliminée physiquement pendant<br />

le conflit mondial. Divergente car la mise en place du communisme se fait de manière<br />

autonome et volontaire, ce qui n’est pas le cas dans les démocraties populaires qui<br />

commencent à être façonnées en Europe de l’est. La liberté de manœuvre de la Yougoslavie<br />

est grande, il maîtrise leur territoire mais aussi leur politique étrangère. En somme, malgré un<br />

suivisme d’un point de vue idéologique, la Yougoslavie se démarque par sa politique<br />

étrangère indépendante.<br />

De cette liberté qui sera acquise après l’affrontement avec Staline, les communistes<br />

Yougoslaves vont devoir appliquer un socialisme original. De la mise en place du<br />

communisme en Yougoslavie jusqu’à la politique étrangère en passant par les institutions et<br />

l’économie, on se demandera si la Yougoslavie constituait un idéal communiste. L’idéologie<br />

est la même, mais la confrontation avec l’URSS va faire de la Yougoslavie un autre<br />

communisme, relativement favorisé dans le bloc occidental. D’autre part, la politique<br />

étrangère va être l’un des points forts de la Yougoslavie, un point nécessaire pour survivre<br />

face au mastodonte soviétique. Il sera intéressant de voir l’évolution et la place de la Bosnie et<br />

53


Herzégovine en Yougoslavie après l’hécatombe de la guerre de libération. La nostalgie de la<br />

Yougoslavie même est-elle fondée sur des bases réelles ? Ces bases sont elles véridiques. Le<br />

nostalgique s’appuie-t-il sur une base matériel pour éprouver ce sentiment ou alors la<br />

propagande titiste-a-t-elle perdurée jusqu’à nos jours ? Autant de questions qui nécessitent<br />

une analyse de la Yougoslavie sous Tito. Il faut toutefois se démarquer des biais que sont la<br />

chute du communisme, l’anticommunisme primaire et le présent qui induirait un<br />

effondrement prévisible et inéluctable. On ne pouvait concevoir que la Yougoslavie allait<br />

disparaître que ce soit d’un point de vue externe ou interne, en revanche nombre de forces ont<br />

œuvrés pour détruire ce pays sans excès de complotisme.<br />

I ) Mise en place et fonctionnement<br />

Malgré les calculs des grandes puissances alliées, notamment Churchill et Staline, Tito<br />

n’avait cure d’un gouvernement de coalition même si on lui octroyait le poste de premier<br />

ministre. Pourtant, le 17 Juin 1944, un accord est signé sur insistance des alliés avec à leur<br />

tête Winston Churchill, sur l’ile de Vis. Cet accord de Vis, aussi connu sous le nom Tito-<br />

Šubašić, fût une tentative pour implanter la démocratie dans les Balkans. C’était sans compter<br />

Tito, le Parti et les partisans qui avaient pour objectif la dictature du prolétariat calqué sur le<br />

modèle de Staline. Tito accepte ce jeu de dupes et la création de ce gouvernement de coalition<br />

avec la monarchie. Mais c’est le peuple qui se prononcera en dernière instance sur la forme de<br />

gouvernement qu’il choisira.<br />

Durant l’été, la Fédération démocratique de Yougoslavie devient un Etat pleinement<br />

constitué, y sont proclamées les six Etats démocratiques de la Serbie, de la Croatie, de la<br />

Bosnie et Herzégovine, du Monténégro, de la Slovénie et de la Macédoine, cela témoigne du<br />

succès de l’AVNOJ. La position dominante des communistes va néanmoins entrainer une<br />

grande intolérance politique, comme l’évoque Stefano Bianchini, il s’agit là de la règle d’un<br />

système politique en rapide évolution 96 . Le sectarisme des communistes, favorables à une<br />

dictature du prolétariat, va s’entrechoquer avec les principes de compromis, de coalition et de<br />

démocratie. Le gouvernement de coalition va être mis à mal par la volonté de réforme des<br />

communistes. Ces derniers veulent tenir les promesses faites aux paysans durant la guerre et<br />

96 BIANCHINI Stefano, La question Yougoslave, Editions Casterman Giunti, Florence, 1996<br />

54


en même tant briser le pouvoir de la bourgeoisie urbaine, des institutions religieuses et de tous<br />

les groupes favorisés avant le conflit. Malgré une opposition des libéraux, des monarchistes et<br />

des propriétaires terriens, le gouvernement met en place une réforme agraire le 25 Août 1945.<br />

Comme le souligne Stefano Bianchini, il s’agit de l’arrêt de mort pour la grande propriété<br />

foncière 97 . Le prestige des communistes et de Tito est encore plus grand. Dans certaines<br />

régions de la Yougoslavie, la confiscation des terres atteint 83 % 98 . D’autres réformes auront<br />

de fortes connotations politiques, c’est notamment le cas de la réforme monétaire, la classe<br />

moyenne et les paysans riches se trouvent en grande difficulté. On établit le contrôle des<br />

loyers des maisons, la nationalisation de la plupart des secteurs industriels ainsi que la<br />

confiscation des biens des collaborateurs.<br />

Les réformes conduisent à la rupture du gouvernement à la fin du mois d’Août 1945.<br />

Ivan Šubašić, ministre des affaires étrangères jusqu'en octobre, finit par démissionner du fait<br />

de son désaccord avec les communistes. Sans appui populaire et sans moyens d’action,<br />

l’opposition proteste contre les limites à la propagande électorale. Elle refuse donc de se<br />

présenter aux élections pour la Constituante et en conséquence elle préconise l’abstention en<br />

Septembre 1945 pour les premières élections après le conflit. C’est alors que le Front national<br />

ou populaire 99 (Narodni Front) va jouer un rôle de première importance.<br />

Les communistes dirigent une coalition appelée Front national. On ne trouve pas là<br />

une originalité typiquement yougoslave. Il s’agit d’un type de coalition qui caractérise la<br />

plupart des gouvernements de l’Europe centrale et orientale durant la période post-conflit. Ces<br />

coalitions réunissent ou prétendent réunir les partis communistes, les partis socialistes et les<br />

mouvements d’inspiration chrétienne paysanne. Mais le Front populaire en Yougoslavie<br />

possède des caractéristiques bien peu communes. Il n’a jamais fonctionné avant la guerre,<br />

étant donné que le Parti Communiste Yougoslave était banni et clandestin. L’union de toutes<br />

les forces contre l’axe durant la guerre a aussi été très particulière puisque sous couvert d’unir<br />

les forces antifascistes, le Parti inféode les autres courants de résistance et les soumet, que ce<br />

soit les sokols ou le Parti Paysan Croate, très important avant la guerre et qui disparaîtra lors<br />

de celle-ci. Tito déclarera même que « le Front populaire n’est pas une combinaison politique,<br />

il est quelque chose de plus » 100 . En effet, le Front national est une structure à vocation<br />

97 ibid<br />

98 C’est notamment le cas en Vojvodine, en Croatie et en Slovénie.<br />

99 Narodni peut à la fois se traduire par national et populaire.<br />

100 Discours du 4 Novembre 1946 à Belgrade.<br />

55


hégémonique. Sur les 15 millions d’habitants que compte le pays, 7 millions sont membres du<br />

Front. La jeunesse du Front avoisine les 150 000 membres. Au niveau structurel, le front est<br />

organisé comme un parti politique. Il y a un conseil fédéral dont émane un conseil exécutif<br />

qui lui-même désigne un secrétariat. Ce schéma est aussi reproduit au niveau des républiques<br />

constituant la Yougoslavie. Selon l’article premier du statut adopté au premier congrès du<br />

Front national à Belgrade le 5 Août 1945, l’organisation se définit comme le mouvement<br />

antifasciste des peuples de Yougoslavie et la force politique de base du pays. Le Narodni<br />

Front est ce qu’il convient d’appeler une courroie de transmission pour reprendre l’expression<br />

de Joseph Krulic 101 . Un lien entre le Parti Communiste Yougoslave et les masses. Vont se<br />

dégager deux thèmes majeurs, les plans quinquennaux et la recherche des traitres. Ce dernier<br />

deviendra très obsessionnel et visera les dignitaires religieux. On retrouve là une similitude<br />

avec le modèle soviétique au moins dans la finalité. La base est politisée dans le but de<br />

transformer le système économique. Le plan quinquennal devient la tâche fondamentale du<br />

front car il représente, en plus de l’unité politique populaire, la fraternité et l’unité au niveau<br />

économique.<br />

Les élections du 11 Novembre 1945 voient la victoire sans surprise du Front national<br />

dirigé sans équivoque par le Parti communiste avec un score de 90 % tandis que la<br />

participation à été de 88 %. Malgré les contestations et le contrôle du Parti sur les élections,<br />

celles-ci reflètent l’appui populaire dont jouissent les communistes vainqueurs du conflit, à<br />

défaut de refléter un élan démocratique. De plus Stefano Bianchini écrit lui-même que le<br />

consensus obtenu par le front était spontané et sincère 102 , malgré les heurts, les violences et<br />

les intimidations. Le 29 Novembre 1945, la Constituante issue de ces élections proclame<br />

officiellement la République Fédérative Populaire de Yougoslavie. La monarchie est abolie<br />

malgré la résistance du roi désormais contraint à un exil définitif.<br />

Le 31 janvier 1946, la constitution de la RFPY est établie. Les premiers articles<br />

définissent la nature de la nouvelle Yougoslavie reposant sur deux piliers, fédérale et<br />

populaire. Y sont aussi décrits les six républiques fédérées ainsi que les deux régions<br />

autonomes que sont le Kosovo et la Vojvodine. On institue le drapeau et la capitale devient<br />

Belgrade. En ce qui concerne l’exercice du suffrage, le vote se fait à bulletin secret et les<br />

députés sont révocables par les électeurs. Ensuite, des articles fixent les droits des peuples et<br />

101 KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

102 BIANCHINI Stefano, La question Yougoslave, Editions Casterman Giunti, Florence, 1996<br />

56


des républiques populaires. Les droits de chacune des républiques sont uniquement limités par<br />

la république fédérale. Chaque république possède sa constitution, celle-ci doit être<br />

évidemment en accord avec la constitution. Les minorités nationales ont le droit de<br />

développer leurs cultures et le droit d’employer leurs langues respectives. Cela va entraîner<br />

quelques complications, notamment en Croatie, où le souvenir des Oustachis est toujours vif,<br />

la communauté de nations se trouve soudée par la force de l’universalisme communiste. Puis,<br />

la constitution évoque les bases de l’organisation économique en s’inspirant de l’exemple<br />

soviétique de la collectivisation agraire, notamment pour ce qui est de la propriété privée qui<br />

se trouve limitée, la terre appartenant à celui qui la cultive, ce qui favorise les paysans pauvres<br />

et moyens. Après, la constitution définit les droits et les devoirs des citoyens. Ceux-ci sont<br />

égaux devant le droit, ils ont le droit de vote, l’égalité de sexes est stipulée, le mariage se<br />

trouve sous la coupe de la loi comme la famille. Le lieu de résidence est protégé. L’Eglise est<br />

séparée de l’Etat. On y retrouve le droit à la santé, au logement. Bref, tous ces droits<br />

s’inspirent de la constitution stalinienne. A noter que puisque le droit n’est qu’une<br />

superstructure, il n’y a pas de justice indépendante et que les normes juridiques sont édictées<br />

par le pouvoir en place. Enfin, l’organisation théorique de l’Etat se base sur le schéma<br />

stalinien, le parlement est bicaméral, on voit donc une copie conforme du Soviet de l’Union et<br />

du Soviet des Nationalités dans la chambre fédérale et la chambre des nationalités, créées par<br />

la constitution yougoslave. L’exécutif émane de ces deux chambres. Le docteur Ivan Lolo<br />

Ribar devient donc le président de la présidence collective, Tito conserve sont poste de<br />

premier ministre ainsi que celui de secrétaire général du Parti communiste de Yougoslavie. Ce<br />

dernier devient parti unique et ce malgré des élections à candidatures multiples, organisées<br />

sous l'égide du Front populaire de Yougoslavie (Narodna fronta Jugoslavije, plus tard<br />

rebaptisé Alliance socialiste du peuple travailleur de Yougoslavie, Socijalistički savez radnog<br />

naroda Jugoslavije), organisation contrôlée par le parti, et qui supervise également les<br />

activités syndicales ainsi que l’armée.<br />

Au vu des premières années de la Yougoslavie communiste, un constat s’impose. La<br />

vision idéaliste qu’ont les nostalgiques de Tito et de tout ce qui représente la Yougoslavie et<br />

qui sera vu par la suite comme le fruit de l’originalité titiste, le « non » à Staline,<br />

l’autogestion, le non-alignement ainsi que la structure fédéraliste est en partie faussée.<br />

Faussée, car la mise en place du communisme en Yougoslavie suit à la lettre les principes<br />

marxistes léninistes énoncés à Moscou, les originalités du titisme ne sont que des bricolages<br />

57


idéologiques et opportunistes. De plus, la Constitution Yougoslave de 1946 s’inspire<br />

ouvertement de l’URSS. Malgré une essence indépendante qui n’est pas à nier, on constate<br />

que Tito est au départ un fidèle élève du maître Staline. Nous allons même voir dans le point<br />

suivant qu’il est contraint à la rupture, celle-là même qui construira sa légende par les médias<br />

occidentaux au niveau international et par la propagande et la fidélité du Parti au niveau<br />

national.<br />

II ) Politique étrangère, du « Non » à Staline au Non<br />

alignement<br />

Il est important de noter qu’après le conflit mondial, la Yougoslavie sera célébré par le<br />

« non » de Tito. Il sera vu plus tard que la rupture avec Staline est plus complexe qu’il n’y<br />

paraît. D’autre part, cette rupture va amener la Yougoslavie à développer d’intenses relations<br />

extérieures. Cette politique étrangère va fortement varier à cause de deux facteurs principaux,<br />

la politique de Moscou et la situation interne yougoslave même s’il existe une certaine<br />

logique tout au long de la Yougoslavie communiste. La politique étrangère de Tito reste<br />

fortement célébrée par les habitants. On en verra les principaux axes ainsi que les faits<br />

marquants. Les habitants de l’ex-Yougoslavie célèbrent cette politique étrangère car en ce<br />

temps là, le passeport Yougoslave était l’un des plus attractifs au monde puisqu’il n’y avait<br />

que peu de restrictions, dans la mesure où la Yougoslavie maintenait une entente avec les<br />

deux blocs malgré des variations de relations notamment avec le bloc soviétique. Le<br />

Yougoslave avait une marge de manœuvre étendue mais étant donné l’autoritarisme du<br />

régime, il est évident que ce n’est pas n’importe quel yougoslave qui sortait des frontières,<br />

preuve en est pour les transferts de joueurs de football 103 .<br />

La célébration de la politique étrangère yougoslave est de l’ordre du ressenti, certains<br />

la juge opportuniste, contraire aux droits de l’homme ou couteuse. Cependant un sentiment<br />

nostalgique notable est celui d’avoir existé sur la scène internationale, malgré des tensions<br />

internes, un pays de taille modeste et la guerre froide. Cette nostalgie s’explique par<br />

l’éclatement de la Yougoslavie en plusieurs républiques et donc un éclatement de la politique<br />

étrangère, la Serbie qui a récupérée toutes les infrastructures et un peu du prestige ne perd pas<br />

103 En effet, le joueur de football du championnat yougoslave ne pouvait quitter celui-ci avant ses 28 ans et<br />

l’accomplissement de son service militaire.<br />

58


au change. En revanche pour ce qui est de la Bosnie, la politique étrangère est beaucoup plus<br />

complexe, la situation interne aidant. Le décalage entre la période yougoslave et la période<br />

actuelle est encore plus vivace en Bosnie même si celle-ci a récupéré de la période titiste une<br />

aura auprès de certains pays du moyen orient.<br />

Avant d’expliquer la rupture entre Tito et Staline, il est important d’en découvrir les<br />

tenants. Alors qu’en politique intérieure, Josip Broz suit fidèlement les prérogatives<br />

soviétiques, il en va autrement en politique extérieure, celle-ci est beaucoup plus agressive et<br />

indépendante. En témoigne l’occupation de la Carinthie et de la ville de Triste à la fin de la<br />

guerre. Malgré de fortes contraintes qui entrainèrent l’abandon de ces zones, la Yougoslavie<br />

maintient une forte pression sur l’Italie et l’Autriche. On ne tint pas compte des<br />

revendications concernant l’Autriche mais vis-à-vis de l’Italie, Belgrade obtint l’Istrie et la<br />

zone B du territoire libre de Trieste 104 . Cela entrainera de nombreux déplacements de<br />

populations et surtout des massacres connus sous le nom de massacres des Foibe 105 . Des<br />

milliers de personnes, essentiellement des italophones seront précipitées dans ces gouffres,<br />

morts ou vivants, essentiellement par les partisans communistes yougoslaves, à partir du 8<br />

septembre 1943, date de la fin de la débandade des troupes italiennes, après la signature de<br />

l'armistice consécutif au départ de Mussolini. Les nazis réoccupent la région et les massacres<br />

s’arrêtent. Ils reprendront suite à la débâcle générale des axis ainsi que des collaborateurs<br />

issus des territoires yougoslaves, les massacres connurent leur apogée en mai et juin 1945,<br />

lors de l'arrivée presque conjointe des Yougoslaves et des Alliés à Trieste, se poursuivirent<br />

jusqu'en 1947 où le traité de paix de Paris mit fin aux hostilités mais provoqua le départ de<br />

nombreux habitants de la région. Cet épisode comme d’autres massacres de la fin du second<br />

conflit mondial en Yougoslavie est absent de l’enseignement sous la Yougoslavie de Tito<br />

mais aussi après, les recherches en ce sens sont faméliques en ex-Yougoslavie et seul<br />

l’essayiste Predrag Matvejević 106 , citoyen italien et croate, s’est tenté à écrire un article<br />

dénonçant ces massacres 107 .<br />

104<br />

Au sortir de la guerre le territoire de Trieste était séparé en deux, les Italiens garderont la ville tandis que les<br />

yougoslaves les régions alentours.<br />

105<br />

Terme frioulan dérivé du latin fovea, fosse.<br />

106<br />

Né à Mostar en Bosnie et Herzégovine d'un père russe, né à Odessa1 et d'une mère croate, née en<br />

Herzégovine dans l'alors Royaume de Yougoslavie2, il se qualifie lui-même d'ethniquement impur et de<br />

Yougoslave (et non de Croate). De 1994 jusqu'en 2007, il a tenu une chaire de slavistique à l'Université de Rome<br />

« La Sapienza ». Il milite pour une Yougoslavie unitaire. Il est lauréat Prix français du meilleur livre européen<br />

(1993). La Légion d'honneur lui a été décernée. Ancien professeur de français à l'université de Zagreb, il a quitté<br />

59


Belgrade va aller encore plus loin et tenter de s’affirmer comme une puissance<br />

régionale de premier plan. Tito va signer de nombreux traités bilatéraux avec les républiques<br />

populaires entre 1946 et 1948. Il entame ensuite des visites dans les capitales d’Europe de<br />

l’Est. Il aide aussi militairement les insurgés communistes grecs lors de la guerre civile<br />

grecque. Ces actes font échos aux diverses tentatives menés par Tito et d’autres communistes<br />

de former une fédération balkanique, Georgi Dimitrov va grandement collaborer avec Tito<br />

dans cette direction mais cette tentative maintes fois reproduites Ces actions vont amplifier la<br />

jalousie de Staline, déjà grande depuis la fin du conflit et de l’action menée alors par Tito,<br />

jalousie qui va conduire à une rupture sans équivoque.<br />

Alors que la postérité, bien aidée par la presse des pays occidentaux, retiendra un<br />

« non » à Staline, les documents, la correspondance entre Tito et Staline ainsi que les<br />

recherches menées sur cette rupture tendent à montrer que la rupture est voulue et décidée par<br />

Staline. C’est notamment ce que démontre la recherche d’Adam Ulam dont l’œuvre, Le<br />

Titisme et le Kominform, a été relayé par l’un des biographes de Tito, Vladimir Dedijer 108 . La<br />

volonté de Staline de consolider les liens du camp socialiste et les frasques d’un Tito<br />

incontrôlable montre plus une dichotomie, un schisme qu’une opposition frontale, même si de<br />

ce schisme va découler une opposition assez virulente. Les dirigeants communistes<br />

yougoslaves seront souvent humiliés ou piégés lors de réunions prévues à ces effets.<br />

S’ensuivront alors des échanges épistolaires assez discourtois, les yougoslaves se verront<br />

attribués l’accusation suprême de trotskisme.<br />

C’est la politique étrangère dynamique de Tito qui dérange, même si les tensions de<br />

1937, liées aux jeux de pouvoirs et de successions, ainsi que la Seconde Guerre mondiale sont<br />

passées par là. Josip Broz est trop indépendant pour appartenir à la conception soviétique du<br />

camp. Il aurait été aussi dangereux pour les soviétiques de le soutenir, ce qui aurait laissé le<br />

champ ouvert à une probable Union Balkanique entre les Yougoslaves et les Bulgares.<br />

L’originalité de Tito se confronte à l’hégémonie soviétique même si les yougoslaves sont des<br />

purs produits de la matrice marxiste léniniste soviétique. Le 28 Juin 1948, la Yougoslavie se<br />

trouve expulsée du Kominform, l’isolement sera total, d’ailleurs cette exclusion va être<br />

conjugué par plusieurs évènements défavorables à la Yougoslavie. Tout d’abord, la mort de<br />

la Croatie en 1991 au début des invasions serbes qui ont marqué l'éclatement de la Yougoslavie et n'a cessé<br />

depuis de lutter contre la guerre et les nationalismes.<br />

107 http://www.balcanicaucaso.org/aree/Italia/Predrag-Matvejevic-le-foibe-e-i-crimini-che-le-hanno-precedute<br />

108 U<strong>LA</strong>M Adam, Titoism and the Kominform, Harvard University Press, 1952<br />

60


Dimitrov, le leadeur communiste bulgare, va mettre un terme, temporaire mais sec, au rêve de<br />

fédération balkanique. Ensuite, c’est la trahison d’Enver Hodja, le leadeur communiste<br />

albanais, qui se rangera du côté de Staline et fera exécuter tous ceux de son parti favorables à<br />

Tito. A l’accusation de Trotskisme dans les années trente va succéder l’accusation de titisme<br />

durant les années quarante et cinquante. La Yougoslavie se trouve isolée vis-à-vis du camp<br />

soviétique et en guise de touche finale, l’URSS impose un blocus économique à la<br />

Yougoslavie. Malgré un relâchement à la mort de Staline, en 1953, les relations yougo-<br />

soviétiques seront toujours empreintes de tensions, en témoigne la crise hongroise 109 et le<br />

soutien apporté aux insurgés hongrois, qui fait écho au soutien qu’il accorda aux insurgés<br />

communistes grecs, ainsi qu’à la condamnation de l’intervention soviétique. Alors qu’il<br />

s’isole à l’est, Tito, pour éviter la famine et le chaos dans son pays, accepte l’aide occidentale,<br />

aide qui va, comme de la morphine, rendre dépendante la Yougoslavie d’une manière très<br />

insidieuse.<br />

Alors que le pays endure la séparation d’avec le camp soviétique et une mise au ban<br />

quasi-généralisée de la part des démocraties populaires, Tito, en fin politique, se tourne vers le<br />

Tiers-Monde, sentant le potentiel du mouvement décolonisateur. Il fera de la Yougoslavie un<br />

modèle pour les pays issus de la décolonisation par de nombreux déplacements, aides lors<br />

d’insurrections et surtout pour sa participation au Mouvement des Non-alignés. Il va tisser des<br />

liens amicaux avec de nombreux dirigeants comme le colonel Nasser ou Nehru. Tito va jouer<br />

de l’affrontement avec Staline, de l’équilibre interethnique acquis dans son pays et de son<br />

originalité politique pour faire de la Yougoslavie une référence pour les pays du Tiers-Monde<br />

au fur et à mesure des accessions à l’indépendance. En avril 1955, la Yougoslavie est invitée<br />

en tant qu’observateur à la conférence de Bandung. En Juillet 1956, sur l’île de Brioni, est<br />

organisé un sommet qui réunit Tito et les dirigeants indiens et égyptiens, Nehru et Nasser.<br />

Cette entrevue jette les bases du groupe de pression international connu sous le nom de<br />

Mouvement des Non-alignés. La politique étrangère yougoslave va se trouvé fortement liée au<br />

non-alignement, Tito en deviendra un des militants les plus infatigables, par conviction mais<br />

aussi par opportunisme, notamment lorsqu’il s’agira des relations avec des pays musulmans<br />

même si certains calculs vont s’avérer erronés, lors de la crise économique de 1973. La<br />

109 La crise hongroise désigne l’insurrection ayant eu lieu à Budapest et qui fut réprimée dans le sang par l’armée<br />

rouge. Les yougoslaves portèrent une assistance, relative, aux insurgés notamment en accueillant Imre Nagy, le<br />

leadeur politique de l’insurrection, dans l’ambassade yougoslave de Budapest et en organisant des manifestations<br />

de soutien aux insurgés à Belgrade.<br />

61


Yougoslavie aura orientée beaucoup de ses efforts dans le mouvement qu’elle a contribué à<br />

forger notamment lors des années soixante et soixante-dix lors de nombreuses conférences<br />

comme au Caire en 1964 ou à Alger en 1973. D’autre part, il est à souligner que la diplomatie<br />

yougoslave a réussi à maintenir un équilibre réel dans les querelles entres les deux blocs. Elle<br />

condamne l’intervention américaine au Viêt-Nam, elle rompt ses relations diplomatiques avec<br />

Israël en 1967, condamne l’invasion de la Tchéquoslovaquie. De plus, Tito reprend le<br />

dialogue en 1966 avec le Vatican et rend visite au pape Paul VI en 1971. Cette politique est la<br />

source indéniable du succès, du respect et du prestige dont jouissait la Yougoslavie dans le<br />

monde. Ce succès, bien qu’ayant eu des ratés au niveau des retombés économiques, s’en est<br />

ressenti au sein de la population yougoslave. Mais surtout c’était la première fois dans leur<br />

histoire que les Balkans se virent pourvus d’un chef qui à échapper à un destin prédéfini et qui<br />

amena un souffle nouveau dans les relations internationales. Par la suite nous verrons<br />

l’autogestion, un symbole du titisme, un mythe occidental et un échec yougoslave.<br />

III ) Autogestion<br />

L’autogestion est un mythe yougoslave très idéalisé. Ce mythe résulte de la scission<br />

d’avec l’URSS de Staline et non l’inverse. En effet, comme il a été vu précédemment, avant<br />

cette scission Tito était un bon élève de l’URSS, ce n’est que son indépendance du point de<br />

vue de la politique étrangère qui mit le feu aux poudres. Dès 1945, Tito applique les<br />

mécanismes employés en Union Soviétique pour reconstruire son pays et pour l’épurer de<br />

tous les éléments contre révolutionnaires. Force est de constater que l’autogestion dans les<br />

entreprises est un bricolage idéologique et non pas l’essence du communisme yougoslave.<br />

Officiellement, l’autogestion a été conçue pour lutter contre la bureaucratie et le rôle<br />

omniprésent de l’Etat, ce mode de production s’oppose donc au mode soviétique où l’Etat<br />

contrôle tout.<br />

Il convient en premier lieu de définir l’autogestion 110 . Il s’agit pour une structure<br />

donnée ou un groupe d’individus de prendre les décisions concernant cette même structure ou<br />

ce même groupe d’une manière collective, collégiale ou assemblée. L’autogestion yougoslave<br />

a des sources multiples. Nous avons vu l’opposition de Staline qui a forcé les dirigeants<br />

110 Du grec autos « soi-même » et du latin gestĭo, « gérer »)<br />

62


yougoslaves à trouver un substrat idéologique alternatif et à redéfinir la légitimité du pouvoir.<br />

D’autre part, l’échec cuisant du plan quinquennal, lancé dès la fin du conflit, dû à la rupture<br />

avec Staline et au blocus économique imposé par l’URSS avait contraint les dirigeants<br />

yougoslaves à réduire leur système de planification et le redimensionner non pas à la taille des<br />

républiques mais des communes, l’autogestion entre là ici dans la sphère politique. La<br />

commune revêt une importance capitale pour les communistes yougoslaves, une importance<br />

qui s’affirme aux dépends des républiques constitutives comme le montre la synthèse du<br />

VIIème congrès du Parti Communiste Yougoslave, renommé Ligue des communistes, « la<br />

commune n’est pas seulement une école de la démocratie, c’est la démocratie elle-même ;<br />

c’est la cellule de base de l’autogouvernement des citoyens sur leur propres affaires » 111 .<br />

Les bricolages successifs causés par la pression soviétique amenèrent les dirigeants<br />

yougoslaves à déconstruire l’ancien système de relation dans l’industrie copié sur le modèle<br />

de l’URSS et à constituer un système alternatif. En théorie, ce système autogestionnaire<br />

répondrait à la bureaucratie et à l’étatisme omniprésent. Il s’agit d’une tentative de réforme<br />

visant à transformer l’administration publique et de transformer la propriété étatique en<br />

propriété sociale. On démantèle l’ancien système calqué sur le mode de fonctionnement<br />

soviétique. On met en place des conseils ouvriers. Ces conseils sont des organes électifs<br />

composés de 15 à 120 membres, en fonction de la taille de l’entreprise. Les conseils sont<br />

renouvelés chaque année par tous les ouvriers. Ces conseils se voient attribuer plusieurs<br />

compétences. Tout d’abord, ils élisent les organes exécutifs de l’entreprise, ils approuvent les<br />

plans de développement économique, le règlement interne à l’entreprise, l’organisation du<br />

travail, la répartition des profits. L’organe exécutif de l’entreprise, appelé comité de gestion,<br />

élabore les statuts, les programmes et les plans de travails qu’il soumet au conseil ouvrier afin<br />

qu’ils soient approuvés, ou non. Un directeur est désigné par le comité de gestion et se voit<br />

confier diverses responsabilités comme la direction de l’entreprise, il a le droit de faire des<br />

propositions dans le but d’engager ou de licencier des ouvriers selon des critères établis par<br />

les conseils ouvriers. Théoriquement, il s’agit d’une première dans un pays communiste.<br />

Néanmoins l’appareil étatique encore très imprégné de bureaucratie veille. Faits uniques dans<br />

un régime de type socialiste, les salaires contiennent une part variable, qui n’est pas issu de la<br />

corruption ou de sources de revenus parallèles mais liée à la productivité individuelle et<br />

collective. Néanmoins, le Parti Communiste garde une importance substantielle, l’ouvrier, le<br />

111 In KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

63


cadre, le directeur, tous sont liés au parti ; et malgré tout le politique est très prégnant, c’est<br />

l’Etat qui effectue les commandes aux industries autogérées.<br />

Le système autogestionnaire connaît un fort taux de croissance de 1955 à 1965, un<br />

taux si fort qu’il est supérieur à celui du Japon. Le chômage disparaît, les revenus<br />

s’équilibrent 112 . Mais après 1965, le taux de croissance économique est réduit, le chômage<br />

apparaît et des écarts entre les revenus apparaissent 113 . Ce qui est frappant c’est que le<br />

système n’a pas changé. Et cela entrainera des réformes économiques qui vont diluer<br />

l’autogestion. Celle-ci ne peut être rangée dans la catégorie capitaliste où la liberté<br />

d’entreprendre est grande, ni dans la catégorie communiste de type soviétique où<br />

l’entreprenariat est régi par l’Etat. L’historiographie en général range l’autogestion<br />

yougoslave dans la catégorie mixte, incluant du centralisme et de la planification fondée sur la<br />

propriété étatique des moyens de productions mais aussi une économie capitaliste privée.<br />

Certains auteurs, comme Branko Horvat, définissent le type économique yougoslave comme<br />

très proche du socialisme associatif 114 . Joseph Krulic évoque lui une mythification de<br />

l’autogestion par les déçus de l’URSS et du socialisme réel mais qui voulaient garder une<br />

identité de gauche 115 . Au même moment où l’autogestion devenait un alibi pour certains en<br />

Europe de l’ouest, elle paraissait de plus en plus problématique en Yougoslavie.<br />

Alors que la croissance s’essouffle et que le chômage guette, la Yougoslavie va<br />

trouver des palliatifs comme les emprunts internationaux et la dévaluation périodique du dinar<br />

ou encore le tourisme et l’exportation de main d’œuvre. Les réformes qui commencent à partir<br />

de 1965 limitent le protectionnisme et l’interventionnisme étatique pour permettre aux<br />

entreprises yougoslaves d’être compétitives sur le marché international. Cela va conduire à<br />

d’innombrables réformes économiques fût sans cesse réformée. Dès le début des années 60,<br />

l’autogestion apparaît comme une fuite en avant. La structure politique yougoslave qui a<br />

engendrée le socialisme autogestionnaire est la même structure qui a voué la Yougoslavie à<br />

l’échec. Le pouvoir autogestionnaire des communes contrôlé d’une main de fer par l’Etat<br />

central, va être atténué au profit de celui, plus fédéraliste, des républiques. C’est le<br />

fédéralisme que nous allons voir par la suite.<br />

112<br />

SUPEK Rudi sous la direction de, Etatisme et autogestion : bilan critique du socialisme yougoslave, Editions<br />

anthropos, Paris, 1973<br />

113<br />

Id.<br />

114<br />

Op. cit<br />

115<br />

KRULIC Joseph, Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe, Bruxelles, 1993<br />

64


IV ) Fédéralisme<br />

Le fédéralisme constitue un mythe très fort, notamment celui de la fin du règne de<br />

Tito, le fédéralisme décentralisateur. Là aussi, il faut veiller à ne pas confondre les choses. Le<br />

fédéralisme yougoslave originel est très proche de celui de l’URSS, la scission va entrainer de<br />

profondes mutations du fédéralisme yougoslave. Le fédéralisme et ses métamorphoses furent<br />

conçus pour contredire l’avis premier des bolchéviques vis-à-vis de la Yougoslavie qui était<br />

selon Lénine lui-même une prison des peuples créée par les impérialistes 116 .<br />

L’adoption du fédéralisme dans la constitution de 1946 ne fait qu’entériner une<br />

situation tangible sur le terrain. On revient ici au mimétisme yougoslave vis-à-vis de l’URSS.<br />

En effet, le système fédéral a été adopté par Staline dès 1936. Tito va calquer le modèle<br />

soviétique, par exemple en reconnaissant des ethnies niées jusqu’alors, ce qu’il fera avec les<br />

Macédoniens et les Monténégrins. D’autre part, il transpose chaque ethnie à un Etat fédéré.<br />

Malgré tout, une république échappe à ce schéma, la Bosnie et Herzégovine. Il s’agit de<br />

l’unique entité fédérée ne possédant pas de fondement ethnique. Cette ancienne province<br />

ottomane a gardée sensiblement les mêmes frontières depuis l’invasion turque au 15 ème siècle.<br />

La raison de la constitution de la Bosnie et Herzégovine est double, comme il a été évoqué<br />

précédemment 117 , il s’agit de garantir un espace d’existence pour les slaves musulmans qui<br />

deviendront Musulmans en tant que nation et de réduire les ambitions territoriales des<br />

nationalistes Croates et Serbes. La Serbie, quant à elle, va se voir attribuer une organisation<br />

complexe avec deux provinces autonomes constitutive du territoire de cet Etat fédéré. Ces<br />

provinces autonomes, le Kosovo et la Voïvodine, sont en effet peuplées de nombreuses<br />

minorités. Ainsi la principale nation de la Yougoslavie se voyait tempérée par ces deux<br />

provinces et la propagande communiste se vantait alors d’avoir apporté une réponse<br />

pragmatique à la question nationale, sujet épineux s’il en est, en Yougoslavie.<br />

La rupture avec Staline entraine, en plus des mutations économiques, des mutations<br />

politiques. Néanmoins, les principes fondamentaux du fédéralisme ne changent pas, il y a six<br />

116 LUTARD-TAVARD Catherine, La Yougoslavie de Tito écartelée: 1945-1991, L’Harmattan, Paris, 2005<br />

117 In Première partie, chapitre 2, tiret 4 : Une république ?<br />

65


épubliques, cinq ethnies constitutives 118 et un parti au pouvoir pour reprendre une expression<br />

de Tito 119 . Les musulmans de Bosnie ne constituant pas encore la nation Musulmane et sont<br />

traités comme un groupe religieux se définissent le plus souvent comme Yougoslave,<br />

Indéterminé, Serbe ou même Croate lors des recensements ou du service militaire. En 1968, la<br />

Yougoslavie se dote d’un amendement qui stipule que les musulmans sont reconnus comme<br />

constituant une nationalité mais pas une nation 120 . Cela ne résout pas les problèmes que<br />

rencontre la fédération. Le remodelage continu de celle-ci fait parti intégrante de la politique<br />

pragmatique des communistes yougoslaves. Malgré tout, la constitution de 1963 est modérée<br />

et on est loin de la fuite en avant créée par la constitution de 1974. Pourtant, des nouveautés<br />

sont introduites et se pose notamment la question fatidique. Qui va succéder à Tito ? La<br />

fonction de Vice-président fédéral est introduite et elle revient à un compagnon de la première<br />

heure, Aleksandar Ranković qui est également chef de la police politique. Devenu le numéro<br />

2 du régime, il est De facto l’héritier désigné de Tito. Pourtant en 1966, il est écarté. Après<br />

avoir critiqué la réforme économique lors d’une réunion du parti en Février 1966, qui selon<br />

lui favorisait la Slovénie et la Croatie, la situation du dauphin de Tito devient délétère. Il fût<br />

accusé d’avoir transformé la police politique 121 et les services secrets 122 en organisations<br />

fermées et agissants en véritables contre-pouvoirs. De plus, les services secrets auraient fiché<br />

la population adulte de la Croatie et du Kosovo et mis sur écoute le téléphone privée de Josip<br />

Broz. Alors que certains voient là un complot antiserbe comme c’est le cas pour Dragoljub<br />

Popović 123 qui martèle avec fracas l’existence d’un complot dirigé contre un serbe, loyal<br />

envers Tito et très haut placé. L’éthnicisation des enjeux et des rapports de forces va<br />

considérablement fragiliser la fédération et conduire à des soulèvements nationalistes notables<br />

au début des années 70. Loin d’occulter ce qui va devenir une réalité saignante dans les<br />

années 90, l’essence même des troubles politiques est à chercher sur la conception de la<br />

fédération, plus fédérative et décentralisée pour certains, certaines républiques et certains<br />

118<br />

La nation Musulmane ne sera reconnue qu’après un amendement de la Constitution Yougoslave en 1968 et<br />

elle sera constitutive de la Bosnie et Herzégovine à partir de 1974.<br />

119<br />

La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul<br />

parti.<br />

120<br />

Durant la période communiste, il s’agit de ne pas confondre les Nations Narodi et les Nationalités (ou<br />

minorités ethniques) Narodnosti.<br />

121<br />

Département de la Sécurité d’Etat, Uprava drţavne bezbednosti, UDBA<br />

122<br />

Département pour la Protection du Peuple, Odeljenje za zaštitu naroda, OZNA<br />

123<br />

POPOVIC Dragoljub, Le fédéralisme de l'ancienne Yougoslavie revisité, Revue internationale de politique<br />

comparée, 2003 (http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2003-1-page-41.htm#s2n3)<br />

66


peuples comme la Croatie et la Slovénie et plus centralisée pour d’autres comme en Serbie.<br />

Dès lors, la récupération de ces luttes va devenir ethnique et les communistes seront pris au<br />

dépourvu, quand ils ne vont pas retourner leurs vestes, le cas le plus notable est bien entendu<br />

celui de Slobodan Milosevic. Ces troubles politiques vont coïncider avec les troubles<br />

économiques et surtout le déséquilibre croissant entre les républiques yougoslaves.<br />

Pourtant la succession de Tito se fait attendre, tandis que le maréchal se fait de vieux<br />

os. Après les troubles du début des années 70 et une répression, le pouvoir cède et octroie<br />

quelques concessions, cela va aboutir à la constitution de 1974, qualifiée par la propagande<br />

communiste de formule magique car perpétuant le socialisme autogestionnaire, préservant<br />

l’unité du pays et respectant les différentes composantes ethniques de la Yougoslavie. Cette<br />

constitution est fortement appréciée en Bosnie puisqu’elle garantie une coexistence au sein du<br />

pays, car se voulant respectueuse des minorités, or la Bosnie et Herzégovine est un pays<br />

uniquement constitué de minorités.<br />

Les nouveautés apportées par la constitution de 1974 sont substantielles. Les<br />

républiques se voient attribuer des pouvoirs plus étendus ce qui se fait aux dépends de l’Etat<br />

central mais aussi des communes qui avaient profité du centralisme des débuts. Les<br />

républiques obtiennent un rôle décisif dans la prise de décision de la fédération. Les deux<br />

assemblées fédérales sont conservées mais la représentation se fonde sur un système paritaire.<br />

L’exécutif se voit aussi attribué ce mode de fonctionnement. Alors que la constitution<br />

proclame Tito président à vie, l’expiration de son mandat, c'est-à-dire sa mort, va voir<br />

l’avènement d’une présidence collégiale où chacune des républiques se voit octroyer un siège<br />

ce qui est aussi le cas des provinces autonomes. La présidence devenant collégiale, la prise de<br />

décision se fait par consensus. Le moindre dérapage nationaliste fait s’écrouler ce bricolage<br />

complexe. La crise sociale et économique se fait de plus en plus lourde, les écarts de richesses<br />

entre les républiques créent des antagonismes qui seront récupérés à des fins ethniques. Mais<br />

il ne faut surtout pas tomber dans le piège téléologique. Personne à cette époque ne s’attend à<br />

voir la Yougoslavie disparaître. Par contre, comme pour l’URSS, si l’on suit une théorie du<br />

complot, la chute de la Yougoslavie est voulut par ses élites communistes pour éviter de<br />

passer par le stade des réformes et de la démocratisation et garder le pouvoir.<br />

Après avoir déconstruit les mythes yougoslaves et tenté d’apporter de précisions nous<br />

allons tenter de voir quel est la société yougoslave en dehors des concepts de fédéralisme,<br />

d’autogestion et autres. Les mythes yougoslaves sont si forts qu’on en oublie que la<br />

67


Yougoslavie fût un Etat fidèle à Moscou mais son indépendance en politique étrangère<br />

conduira à la rupture et à la création des bricolages idéologiques pour se démarquer du<br />

communisme stalinien et des Démocraties populaires d’Europe de l’Est.<br />

68


MO<strong>DE</strong> <strong>DE</strong> VIE <strong>DE</strong>S YOUGOS<strong>LA</strong>VES, QUELLE SOCIETE ?<br />

Au-delà d’un homme, au-delà d’un conflit, au-delà d’un idéal, c’est aussi un mode de<br />

vie qui est pris dans la nostalgie yougoslave. La Yougonostalgie n’est pas uniforme, elle<br />

contient aussi une part de contre nostalgie, la situation actuel de la Bosnie et Herzégovine<br />

permet de s’en rendre compte 124 . La Seconde Guerre mondiale, dont les conflits des années 90<br />

peuvent être considérés comme des resurgissements, reste un sujet de débat puisqu’il a vu<br />

l’apparition des partisans, des tchetniks et des oustachis, tout un lexique qui sera réutilisé lors<br />

de la guerre de Bosnie et Herzégovine. En outre, le conflit mondial conditionne, au-delà des<br />

références lexicales, de nombreux clichés et fantasmes qui font partie intégrante de la<br />

Yougonostalgie, qu’elle soit positive, négative ou constructive. Néanmoins, certaines<br />

structures ont été fondamentales dans la construction de la Yougoslavie communiste, à savoir<br />

le Parti et l’Armée Populaire Yougoslave. De plus, la Yougonostalgie se nourrit d’évènements<br />

fédérateurs ou polémiques issus de la société yougoslave de l’époque communiste, en outre, il<br />

sera fait état du rôle des migrants yougoslaves et de la yougonostalgie parmi eux.<br />

I ) Les bases communistes de la Yougoslavie<br />

Dans cette partie, il sera définit deux piliers de la Yougoslavie communiste. Ces deux<br />

piliers sont des fondamentaux non négligeables. Le premier est bien sur le Parti Communiste<br />

Yougoslave, le deuxième est l’Armée Populaire Yougoslave.<br />

Bien que fondé en 1920, lors du congrès de Vukovar et de l’association des<br />

communistes slovènes au mouvement, le Parti Communiste Yougoslave va émerger à partir<br />

de la fin des années 30, en parallèle à l’éclosion de son dirigeant à partir de 1937, Josip Broz.<br />

La Seconde Guerre mondiale va voir s’affirmer la prépondérance de ce parti dans la lutte<br />

contre les axis par le biais des partisans 125 . Les élections d’après guerre, en 1945 vont être un<br />

124 La Bosnie et Herzégovine est actuellement régie par la Constitution incluse dans les annexes des accords de<br />

Dayton datant de 1995. Ces accords ont mis fin au conflit mais ils ont aussi divisé la Bosnie sur des bases<br />

ethniques. Garants d’une unité de façade, ces accords sont aussi le moyen pour les nationalistes des diverses<br />

communautés, ethnies, factions, religions et mouvances de garder le pouvoir et de régner d’un commun accord,<br />

malgré des oppositions de façade sur une ethnocratie.<br />

125 Il convient de préciser que le mouvement de résistance des partisans n’est pas totalement communiste, il s’agit<br />

comme en France par exemple, d’un mouvement hétéroclite composés de tous les opposants à l’occupation et de<br />

69


plébiscite pour le Front Populaire 126 et vont fonder la Yougoslavie, dirigée par le Parti<br />

Communiste Yougoslave. A la fin du conflit, le Parti compte 140 000 membres, ce chiffre va<br />

augmenter et atteindre les 340 000 membres en l’espace de 3 ans, c'est-à-dire de 1945 à 1948.<br />

Ce qui montre un haut degré de politisation dû à l’enthousiasme suivant la guerre plus qu’à<br />

une industrialisation.<br />

En 1948, du fait de la rupture avec l’URSS de Staline, le Parti Communiste<br />

Yougoslave se retrouve isolé et en pleine crise idéologique. Malgré la rupture, les<br />

communistes yougoslaves ne vont pas changer de ligne de conduite et resteront fidèles pour<br />

un temps à l’idéologie marxiste léniniste puis sous l’impulsion des évènements et des<br />

intellectuels du parti, le PCY va opérer sa transformation formelle mais va rester le même sur<br />

le fond.<br />

Il est important de savoir que le Parti Communiste Yougoslave, qui deviendra en<br />

1952, lors du Sixième Congrès, l’Alliance des Communistes de Yougoslavie 127 pour signifier<br />

encore plus l’indépendance vis-à-vis de l’URSS. Néanmoins le Parti conserve sa structure<br />

hautement centralisée jusque dans les années 60. La chute d’Aleksandar Ranković en 1966 va<br />

entrainer la fin du centralisme orthodoxe de la part de l’Alliance des Communistes de<br />

Yougoslavie. Ce processus va être fragilisé par les mouvements sociaux des années 70, ce qui<br />

va conduire à la Constitution de 1974.<br />

Après la mort de Tito, l’Alliance des Communistes de Yougoslavie se décentralise elle<br />

aussi. L’influence du parti décline en faveur des branches locales yougoslaves. Cependant<br />

malgré une influence en perte de vitesse, les adhérents se font toujours plus nombreux, il y<br />

aura près de 2 millions de membres dans les années 80. Nombre des ces membres grossiront<br />

les rangs des partis nationalistes. Une blague circulera d’ailleurs en Bosnie sur certains<br />

membres du Parti de l’Action Démocratique 128 . Il est intéressant de noter qu’on peut<br />

considérer la situation politique actuelle comme une yougonostalgie indirecte. Durant la<br />

tous ceux qui rejettent le mouvement tchetnik ou la collaboration oustachi. Cependant, les communistes y jouent<br />

un rôle prépondérant. De plus les tensions nationalistes vont voir un autre mouvement de résistance, celui des<br />

tchetniks, dominé par les serbes.<br />

126<br />

Le Front populaire sera renommé Alliance Socialiste du Peuple Travailleur de Yougoslavie, Socijalistiĉki<br />

Savez Radnog Naroda Jugoslavije en serbo-croate.<br />

127<br />

À la suite d’un débat idéologique complexe, sur une idée de Milovan Djilas, pour se différencier de l’URSS et<br />

pour reprendre le nom de l’organisation de Karl Marx en 1848.<br />

128<br />

In BOUGAREL Xavier, C<strong>LA</strong>YER Nathalie sous la direction de, Le nouvel Islam balkanique : les<br />

musulmans, acteurs du postcommunisme 1990-2000, Maisonneuve & Larose, Paris, 2001. La blague évoque les<br />

70


période communiste, le fait d’être un membre du parti augmentait les chances d’ascension<br />

sociale. Malgré l’éthnicisation actuelle des partis politiques en Bosnie, le clientélisme<br />

politique demeure puisque l’appartenance à tel ou tel parti permet l’obtention d’un emploi,<br />

l’appartenance ethnique est donc clairement secondaire.<br />

Même si le but est de valoriser une communauté, il est évident que ce genre de<br />

procédé rappelle l’époque communiste dans la mesure où il y a toujours une clientèle,<br />

fractionnée certes, mais bel et bien présente. De plus, les pressions politiques exercés sur la<br />

vie courante, les médias, les services publics rappellent les disfonctionnements latents de la<br />

période communiste 129 . Les avis sont divergents. Certains regrettent le mode de<br />

fonctionnement avec un seul parti et critique la multiplication des partis et donc la dispersion<br />

des voix. Cependant, cela obéit à la logique imposée par les Accords de Dayton 130 .<br />

Pour revenir au Parti Communiste Yougoslave, il est important de rappelé qu’il est<br />

réservé à une élite, certes substantielle par contre les masses ne sont pas en reste puisque le<br />

Parti organise l’Alliance Socialiste du Peuple Travailleur de Yougoslavie à partir des restes du<br />

Front National. Avant l’écroulement de la Yougoslavie, près de 13 millions de Yougoslaves<br />

étaient membres de l’Alliance, c'est-à-dire la plupart des adultes du pays. Le but de cette<br />

organisation était double, à la fois garder un contrôle sur les populations sans nécessairement<br />

passer par des organes de répression mais il s’agissait aussi d’inclure le plus de monde dans<br />

les activités politiques de la fédération, l’Alliance ne possédait pas la même discipline que le<br />

Parti Communiste Yougoslave. De plus, les membres de parti n’avaient pas le droit d’exercer<br />

des fonctions au sein de l’Alliance. Cette dernière était organisée au niveau des républiques. Il<br />

est intéressant de noter que jusque dans les années 80, le nombre de membres augmentent en<br />

ce qui concerne l’Alliance Socialiste du Peuple Travailleur de Yougoslavie et malgré une<br />

augmentation du nombre de membres au sein de l’Alliance Communiste de Yougoslavie,<br />

c’est l’organisation de masses qui prendra une plus grande importance. On retrouve ici le<br />

pastèques, vert (pour l’islam) à l’extérieur et rouge (pour le communisme) à l’intérieur, pour caractériser tous les<br />

transfuges communistes du début des années 90.<br />

129<br />

Hormis des articles dans la presse bosniaque, aucune étude sérieuse n’a été menée sur ce phénomène avéré.<br />

http://balkans.courriers.info/article15711.html<br />

130<br />

Signés en Décembre 1995 à Paris mais conçus à Dayton aux Etats Unis sur une base militaire, ces accords<br />

entérinent la séparation sur des bases ethniques de la Bosnie et Herzégovine. Le pays se retrouve divisé en deux<br />

entités, sorte de régions avec de vastes pouvoirs, tandis que de faibles institutions centrales pour gouverner le<br />

pays. La Republika Srpska (République Serbe) est l’entité créé sur les conquêtes des milices du Parti<br />

Démocratique Serbe et venant de Serbie, de l’Armée Populaire Yougoslave qui sera dissolue au sein de l’armée<br />

de la Republika Srpska.<br />

71


même schéma qui précipite la Yougoslavie dans le précipice, c'est-à-dire la confrontation<br />

systématique entre l’Etat fédéral et les républiques fédérés. L’Etat fédéral étant représenté par<br />

l’Alliance Communiste de Yougoslavie et les Etats fédérés étant représentés par l’Alliance<br />

Socialiste du Peuple Travailleur.<br />

La réussite des partis nationalistes en Bosnie et Herzégovine, en 1990, lors des<br />

premières élections libres peut s’expliquer par la capacité de ces derniers à capter l’attention<br />

des membres de l’Alliance Socialiste du Peuple Travailleur de Bosnie et Herzégovine en<br />

l’occurrence.<br />

Le procédé est similaire pour le journalisme. Avant l’explosion de la Yougoslavie, les<br />

journaux étaient affiliés à l’Alliance Socialiste du Peuple Travailleur et donc au Parti, mais<br />

comme l’évoque dans une entrevue Nada Salom « Maintenant, il n’y a plus de mouvement<br />

socialiste mais les partis nationalistes possèdent chacun leur journal pour valoriser leur<br />

communauté » 131 .<br />

Après avoir vu l’importance politique du communisme, nous allons voir l’importance<br />

de l’armée en Yougoslavie.<br />

Les sources de l’Armée Populaire Yougoslave sont évidentes. Celle-ci est fondée sur<br />

les unités de partisans de la Seconde Guerre mondiale. L’Armée Populaire de Libération de la<br />

Yougoslavie fût créée en Bosnie à Rudo en Décembre 1941. Après la guerre et la mise en<br />

place du communisme en Yougoslavie, l’armée des partisans devient l’armée Yougoslave<br />

(Jugoslovenska Armija) puis se verra attribué l’adjectif Populaire en 1951 pour devenir<br />

l’Armée Populaire Yougoslave (Jugoslovenska Narodna Armija). A la fin du conflit, Tito se<br />

trouvait à la tête de près de 600 000 partisans.<br />

L’Armée Populaire Yougoslave était répartie en 4 régions militaires, elles mêmes<br />

divisés en découpages plus petits. La première région à pour centre de commandement<br />

Belgrade, la capitale, responsable de l’est de la Croatie, de la Serbie et de la Bosnie et<br />

Herzégovine. La seconde dont le centre de commandement est situé à Zagreb comprend la<br />

Slovénie et le nord de la Croatie. Ensuite, Skopje, capitale de la république de Macédoine,<br />

comprend le sud de la Serbie, le Monténégro et la Macédoine. Enfin, à Split, ville située sur la<br />

côte dalmate, se concentre le commandement de la région navale. Les effectifs complets de<br />

l’armée atteignent près de 600 000 personnes, personnel civil inclus.<br />

131 Entrevue réalisée par Camille Borde<strong>net</strong> et <strong>Asmir</strong> <strong>Kadić</strong>, voir annexes.<br />

72


Durant les années 60, l’armée se modernise fortement. On construit entre 1957 et 1965<br />

la base militaire de Ţeljava, près de Bihac. Cette base coûta la bagatelle de 6 milliards de<br />

dollars américains, une fortune à l’époque, cette somme en dit long sur les fonds colossaux<br />

investis dans le domaine de la défense. Elle fût construite sous la montagne de Plješevica et<br />

constitue l’une des plus grandes bases de ce type en Europe et aussi l’un des projets militaires<br />

les plus chers d’après 1945. Elle est aujourd’hui désaffectée à cause de destructions causées<br />

en 1992 par l’Armée Populaire Yougoslave.<br />

L’Armée Populaire Yougoslave est constitué d’une part importante de conscrits, c'est-<br />

à-dire d’individus faisant leur service militaire. En effet, le service militaire fût à la fois une<br />

expérience très pénible, d’un point de vue individuel et personnel, les souffrances endurées<br />

peuvent traumatiser des individus mais ce fût aussi le moyen pour des jeunes yougoslaves de<br />

voyager, de rencontrer d’autres hommes 132133 issus de toutes les républiques yougoslaves. De<br />

plus malgré la guerre, de nombreux Bosniaques rencontrent leurs camarades rencontrés lors<br />

du service militaire et il s’agit là d’un point intéressant dans la Yougonostalgie en Bosnie.<br />

Alors que la guerre de 1992 à 1995 a relativement clivé les gens en fonction d’une ethnie, le<br />

souvenir de l’armée et la prise de contacte s’effectue sans à priori, et ce même chez les<br />

anciens soldats de l’Armée de la République de Bosnie et Herzégovine qui se sont<br />

certainement battu contre leurs anciens frères d’armes.<br />

L’Armée Populaire Yougoslave contient aussi une part d’ombre. En effet, c’est sous<br />

son drapeau que sont commis les crimes du début de la guerre en Bosnie et Herzégovine,<br />

même si la JNA se retire en Mai 1992, les massacres commis durant l’été l’ont été par des<br />

soldats portant l’uniforme de l’armée yougoslave. Chez les Bosniaques, cela constitue un<br />

électrochoc et une trahison. On conçoit au moins que la propagande yougoslave fût efficace<br />

lorsqu’elle parlait de « l’armée de Tito » ou encore « l’armée de tous les yougoslaves ». Dans<br />

les faits, l’armée yougoslave n’était pas réellement yougoslave au sens où les soldats issus du<br />

132<br />

Le service militaire n’est pas obligatoire pour les femmes, contrairement à la participation à la Défense<br />

Territoriale.<br />

133<br />

http://www.youtube.com/watch?v=n2lW9j_ooqE&feature=related Dans cette vidéo, Slavoj Ţiţek explique<br />

son service militaire dans l’Armée Populaire Yougoslave. Bien qu’il n’ait, selon ses déclarations, aucune<br />

nostalgie pour la Yougoslavie de Tito, il évoque néanmoins la bonne entente entre les peuples par un procédé<br />

original : Les blagues racistes, homophobes et injurieuses vis-à-vis de la famille. Malgré sa déclaration préalable,<br />

« je n’éprouve pas de nostalgie », il fait preuve de yougonostalgie, puisqu’il met en avant les vertus yougoslaves<br />

du vivre ensemble qui n’était pas fondées sur un multiculturalisme à la « BHL » mais comme un respect mutuel<br />

et une forte propension à l’expression des préjugés inhérents aux différents peuples. Dans la vidéo, après avoir<br />

73


peuple serbe sont majoritaires 134 et malgré une volonté de recrutement équilibré qui reflèterait<br />

les diverses composantes nationales de la Yougoslavie, l'Armée Populaire Yougoslave, issue<br />

de la militarisation et de l'institutionnalisation du mouvement partisan, va se trouver<br />

impliquée dans une configuration complexe de violences d'Etat et de violences contre l'Etat, et<br />

emportée par une nouvelle recomposition des réalités et des légitimités étatiques.<br />

Une autre structure, incluse dans les forces armées yougoslaves, était non négligeable.<br />

Il s’agit de la Défense Territoriale 135 . Elle fût créée en 1969, lors de la réforme du système de<br />

défense. Cette réforme et donc la TO sont nés d’évènements internationaux. En 1964, Nikita<br />

Khrouchtchev est démis de ses fonctions, c’est Leonid Brejnev qui prendra sa place. Celui si<br />

va affirmer sur le terrain, la doctrine Brejnev sur la souverai<strong>net</strong>é limité des Etats lors du<br />

Printemps de Prague en 1968 136 . Cette invasion, condamnée par des nombreux pays, que ce<br />

soit dans le bloc occidental ou dans le bloc de l’est, va remettre en question la souverai<strong>net</strong>é<br />

d’autres Etats comme l’Albanie, la Chine, la Roumanie et bien sur la Yougoslavie. Un<br />

sentiment d’insécurité va grandir et va conduire chaque pays se sentant menacé à prendre des<br />

mesures pour garantir son indépendance. Cela conduit donc à la réforme du système de<br />

défense yougoslave qui va placer la TO, une structure territoriale placée aux côtés de l’armée<br />

fédérale. Cette Défense Territoriale est dotée de dépôts d’armes légères et est contrôlée par les<br />

républiques. En cas d’invasion, ces forces ont le devoir d’organiser une défense de type<br />

partisane. Les Yougoslaves s’appuient donc sur une défense avec des armes conventionnelles<br />

plutôt que d’utiliser la dissuasion nucléaire.<br />

Tous les hommes et femmes de 18 à 65 ans participent à des exercices de type<br />

militaire en guise de formation pour la défense territoriale. L’Etat major était composé<br />

d’officiers à la retraite, de cadres, de fonctionnaires. Les soldes des officiers de la TO étaient<br />

raconté plusieurs blagues, il déclare « On expérimente là l’essence même de l’Unité et de la Fraternité » (devise<br />

de la Yougoslavie).<br />

134<br />

En 1990, 60% des soldats professionnels sont des Serbes, même si plusieurs tentatives furent faites pour<br />

équilibrer la provenance ethnique des recrues dans les années 80.<br />

135<br />

Teritorijalna odbrana, abrégé en TO.<br />

136<br />

Il s’agit d’une tentative de la part du parti communiste tchécoslovaque d’introduire le « socialisme à visage<br />

humain » en prônant une relative libéralisation. Il débute le 5 janvier 1968, avec l'arrivée au pouvoir du<br />

réformateur Alexander Dubĉek et s’achève le 21 août 1968 avec l’invasion du pays par les troupes du Pacte de<br />

Varsovie.<br />

74


payées par le ministère de la défense comme l’évoque Jovan Divjak 137 , un ancien colonel de<br />

la Défense Territoriale de Bosnie et Herzégovine 138 . La défense territoriale était aussi un<br />

cours qui commençait dès l’école primaire et se poursuivait jusqu’à l’université. Elle<br />

s’étendait aussi dans les entreprises et les administrations. Le but étant de mobiliser le<br />

maximum de personnes pour stopper toute agression en accord avec la doctrine militaire<br />

d’alors 139 . La TO comportait plus de 800 000 réservistes en période de paix sur tout le<br />

territoire yougoslave et était capable d’inclure plus de 3 millions de civils yougoslaves en cas<br />

d’invasion et de conflit pour mener une guerre de guérilla.<br />

Néanmoins la défense territoriale va se trouver très impopulaire parmi les Musulmans<br />

Bosniaques puisque à l’aube du conflit, la JNA désarme la TO, notamment dans les régions<br />

où les Musulmans Bosniaques sont majoritaires pour armer les milices du Parti Démocratique<br />

Serbe de Radovan Karadzic. Alors qu’en Slovénie et en Croatie, la TO a constitué un<br />

embryon d’armée, la TO de Bosnie s’est vu confisquer sa force et n’a pu constituer un réel<br />

embryon d’armée, ce qui explique la facilité de la JNA puis de l’Armée de la République<br />

Serbe de Bosnie 140 à attaquer les villes bosniaques et à assiéger Sarajevo.<br />

II ) Les éléments dissociateurs<br />

La période après le second conflit mondial n’est pas exempte de soubresauts, de heurts<br />

et de tensions. On distinguera trois éléments déstabilisateurs et qui marqueront au fer rouge la<br />

période yougoslave. Il sera évoqué Goli Otok (l’Île Nue) le bagne pour les staliniens, la<br />

dissidence de Milovan Đilas et enfin les mouvements sociaux et nationalistes du début des<br />

années 70.<br />

Goli Otok est une petite île inhabitée situé entre l’île principale de Krk, près de<br />

Rijeka, et celle de Rab. Elle fût utilisée par l’Autriche-Hongrie durant la Première Guerre<br />

137 Jovan Divjak est un militaire yougoslave passé par l’Armée Populaire Yougoslave puis colonel de la Défense<br />

Territoriale à Mostar et à Sarajevo. En 1992, il rejoint l’Armée de la République de Bosnie et Herzégovine, lors<br />

de l’attaque conjointe de la JNA et des milices du SDS. Il devient membre de l’Etat major avec le grade de<br />

général. Après le conflit, en 1995, il est mis à la retraite et s’occupe de l’association qu’il a créé en 1994,<br />

Obrazovanje Gradi BiH (l’Education construit la Bosnie et Herzégovine) et qui prend en charge les enfants ayant<br />

perdu leurs parents.<br />

138 DIVJAK Jovan, Sarajevo, mon amour, Buchet Chastel, Paris, 2004<br />

139 Opštenarodna odbrana, c'est-à-dire une défense nationale totale.<br />

140 Vojska Republike Srpske, VRS, commandé par Ratko Mladic<br />

75


mondiale en guise de camp de prisonniers, russes pour la plupart, en provenance du front de<br />

l’est.<br />

En 1949, alors que le schisme entre Staline et Tito est consommé, on construit une<br />

prison de haute sécurité pour les opposants politiques, principalement ceux favorables à<br />

Staline mais aussi les nationalistes. Et parce que le communisme prône l’égalité entre<br />

hommes et femmes, ces dernières ont aussi le droit à un camp dans une autre île non loin, les<br />

détenues sont principalement des femmes de fugitifs ou d’opposants politiques. Jusqu’en<br />

1956, Goli Otok va être utilisée en tant que lieu d’incarcération des prisonniers politiques.<br />

Cependant, il y a aussi des criminels de droit commun qui sont enfermés dans les<br />

geôles de l’île. Selon les estimations, plus de 30 000 prisonniers ont été incarcérés dans la<br />

prison de Goli Otok et près de 4 000 tués 141 . D’autres historiens citent des chiffres plus<br />

importants. La prison va connaître une seconde jeunesse dans les années 70 après les<br />

agitations nationalistes en Croatie. Elle sera définitivement fermée en 1988. Depuis, elle reste<br />

à l’état de ruines. Goli Otok est important à plus d’un titre, même si cette prison est située sur<br />

le territoire croate, qu’elle était secrète et qu’elle reste modeste en comparaison à l’archipel du<br />

goulag, en URSS. Plusieurs postures existent vis-à-vis de Goli Otok. On trouve la négation,<br />

non pas du lieu mais de la participation de Tito et du mythe du souverain mal conseillé.<br />

Certains condamnent l’endroit par anticommunisme ou droit de l’hommisme. Tandis que<br />

d’autres vantent les mérites de ce genre d’endroit où l’on guérissait les gens de la maladie du<br />

nationalisme même si une personne peut être habitée par tout ces sentiments.<br />

Milovan Đilas, surnommé « l’enfant terrible du communisme », fût une figure clef du<br />

mouvement des partisans durant la Seconde Guerre mondiale et dans le gouvernement qui<br />

suivra le conflit. Après avoir publié de nombreux articles dans le journal du parti Borba 142<br />

remettant en cause l’orientation léniniste du parti, il va être fortement critiqué par la Ligue<br />

des Communistes Yougoslaves et Tito lui-même. Alors qu’il fût pressenti pour être le<br />

successeur de ce dernier, il se voit être démis de toutes ses responsabilités politiques. Sur ces<br />

141 <strong>DE</strong>DIJER Vladimir, Novi Prilozi za Biografiju Josipa Broza Tita (Nouvelle contribution pour la biographie<br />

de Josip Broz Tito), Mladost, Zagreb, 1980<br />

142 Le combat<br />

76


entrefaites, il ira plus loin dans la contestation du régime, contestation qui le conduira à la<br />

dissidence, lui le plus zélé des marxistes léninistes yougoslaves 143 !<br />

S’engageant dans la voie de la dissidence, il écrira, en Décembre 1954, un article<br />

publié dans le New York Times où il soutient l’introduction du bipolarisme politique en<br />

Yougoslavie. En somme, il se prononce en faveur de la création d’un parti social-démocrate.<br />

Il sera accusé d’activités subversives pour cela. Mais il ne s’arrête pas là. En 1957, il publie<br />

un essaie principalement dans les pays occidentaux. Cet essai se nomme La nouvelle classe,<br />

Đilas critique la bureaucratie communiste et ses élites corrompues. Il dénonce avec férocité<br />

l’arbitraire du régime yougoslave. En réaction, il sera condamné à 3 ans de réclusion, cette<br />

peine se verra allongée de 7 ans. Contre toute attente, il sera libéré. Mais l’année suivante il<br />

publie des mémoires, Conversations avec Staline, ce qui déclenche une colère brutale de la<br />

part de Tito, l’arrestation et la condamnation de Đilas mais aussi sa consécration comme<br />

dissident le plus prestigieux de Yougoslavie.<br />

Ensuite, l’un des principaux évènements qui secoua la Yougoslavie est le « Printemps<br />

Croate » ou « Maspok 144 ». Ce mouvement commence par une critique du système<br />

yougoslave par la direction de l’Alliance Communiste de Croatie, notamment sur la solidarité,<br />

trop lourde, vis-à-vis des autres républiques, surtout la Serbie. Cette critique va connaître un<br />

large écho au sein de la population de Croatie, notamment chez les jeunes. Les nationalistes<br />

Sayanim 145 vont se réveiller et contribuer à apporter des idées au mouvement et des<br />

revendications <strong>net</strong>tes comme une autonomie de la Croatie, un siège à l’Organisation des<br />

Nations Unies ou encore l’adjonction de la Bosnie et Herzégovine à la Croatie. Malgré la<br />

répression puis les concessions faites par Tito notamment par le biais de la constitution de<br />

1974, le maspok sera un élément important dans la conscience croate et aura un rôle, au moins<br />

symbolique, lors du réveil définitif du nationalisme à la fin des années 1980.<br />

143 Durant la Seconde Guerre mondiale, il sera connu comme l’un des partisans de la collectivisation forcée à<br />

outrance, qu’il tentera d’appliquer au Monténégro. Ses méthodes cruelles lui ont attiré les foudres de la<br />

population à son égard et vis-à-vis des communistes, ce qui obligea Tito à le rappeler à lui et à l’ordre.<br />

144 De Masovni Pokret, mouvement de masse.<br />

145 Les sayanim ( en hébreu retranscrit : sayan qui signifie aide, assistant) sont des agents passifs appelés plus<br />

communément « agents dormants », établis en dehors d’Israël et étant liés au Mossad.<br />

77


III ) Les éléments fédérateurs<br />

Les éléments fédérateurs abondent. Cependant, il faut se détacher, là encore, du<br />

contexte actuel et du matraquage systématique à l’égard de la Yougoslavie que ce soit de la<br />

part des nationalistes mais aussi des chantres du multiculturalisme fantasmant leurs espoirs<br />

sur la Yougoslavie puis la Bosnie et retournant leurs vestes pour bien souvent devenir<br />

dénonciateurs. De nombreux éléments ont fédérés les yougoslaves. Nous prendrons deux<br />

exemples pour la Bosnie et Herzégovine : le mouvement urbain, culturel et musical des Novi<br />

Primitivci 146 et le journal à rayonnement yougoslave de Sarajevo, Oslobodjenje.<br />

Le mouvement des Novi Primitivci est né à Sarajevo durant les années 80. Il est<br />

fortement identifié au groupe de Rock Zabranjeno pušenje 147 et est mené par de nombreuses<br />

personnalités dont Elvis J. Kurtović, Nele Karajlić, Rizo Petranović, Sejo Sexon, Malkolm<br />

Muharem, Draţen Riĉl, Branko Đurić, Boris Šiber, Zenit Đozić. Ce groupe deviendra une<br />

référence en Yougoslavie durant les années 80, Zabranjeno pušenje va faire de nombreux<br />

émules 148 et Sarajevo va s’affirmer comme la capitale culturelle de la Yougoslavie, comme ce<br />

fût le cas lors de la décennie précédente avec le groupe Bijelo Dugme 149 mené par Goran<br />

Bregović.<br />

Tout le discours des nouveaux primitifs était basé sur l’irrévérence et l’humour<br />

typique de la culture bosniaque. Ils introduiront le jargon bosniaque, notamment de Sarajevo,<br />

dans toute la Yougoslavie par le biais de leurs chansons et grâce à la télé. Leur émission<br />

« Top Lista Nadrealista 150 » est un véritable succès qui se poursuit encore aujourd’hui. Ils sont<br />

fortement comparés aux Monty Phyton, usant des mêmes mécanismes pour leurs sketchs.<br />

OsloboĊenje est un journal créé le 30 Août 1943, le jour de l’impression du premier<br />

numéro à Donja Trnova, un village non loin de Bijeljina (ville carrefour au nord de la Bosnie<br />

et proche de la frontière serbe). Il est donc évident qu’OsloboĊenje est un journal ayant une<br />

tradition assez longue. On peut même remonter à 1866 et retourner à Sarajevo pour retrouver<br />

146 Nouveaux primitifs<br />

147 « Interdiction de fumer »<br />

148 En effet de nombreux groupes verront le jour à Sarajevo et seront célébrés dans toute la Yougoslavie, des<br />

groupes comme Bombaj Štampa, Plavi orkestar, Dinar and Crvena jabuka et dont certains continuent leurs<br />

activités artistiques aujourd’hui.<br />

149 « Le bouton blanc »<br />

150 Le top journal des surréalistes<br />

78


les sources du journal. En effet l’imprimerie et l’organisation structurelle du journal trouvent<br />

leur source là. Ce n’est qu’avec l’avènement du communisme en Yougoslavie durant la guerre<br />

que les partisans (activistes communistes) prennent le contrôle de la structure et prénomment<br />

le journal « OsloboĊenje ». Ce dernier se caractérise donc par son appartenance partisane.<br />

Pour ce qui est de la Bosnie et de la création Yougoslave, OsloboĊenje fait parti d’un<br />

mouvement et le journal entre dans la même logique que l’AVNOJ.<br />

Après la libération de la Yougoslavie, OsloboĊenje sera un journal communiste.<br />

D’ailleurs, le sous titre en dessous du quotidien est pour le moins clair : « journal de l’alliance<br />

socialiste du peuple travailleur de Bosnie et Herzégovine ». D’autre part, après la mort de<br />

Tito, va figurer l’expression « Druze Tito mi ti si kunemo » ou « Camarade Tito, nous te<br />

sommes obligés ».<br />

Jusqu’à la guerre de Bosnie et Herzégovine de 1992 à 1995, la « maison »<br />

Oslobodjenje n’a cessé de muter, de s’agrandir, de mûrir et d’engranger des lecteurs et d’être<br />

une plate forme pour les intellectuels bosniaques. L’heure de gloire fût de 1976 à 1989, au<br />

moment où les investissements se firent plus nombreux et lorsque le siège du journal<br />

déménagea du centre ville de la vieille ville de Sarajevo jusqu’au quartier Nedţarići construit<br />

durant les jeux olympiques. Les Jeux Olympiques, l’un des fiertés de Sarajevo, se sont<br />

déroulés lors du mois de Février de l’année 1984. OsloboĊenje a d’ailleurs suivi l’évènement<br />

de très près. Le plus vieux des journalistes sportifs a été formé lors de cet événement. La<br />

construction du bâtiment en verre et en aluminium appelé le « Belveder » marque le point<br />

d’orgue de cette période dorée pour Oslobodjenje. D’autre part, le bâtiment annexe au «<br />

Belveder » était équipé des rotatives les plus perfectionnées, l’imprimerie était donc dans le<br />

même complexe pour une plus grande rapidité et une meilleure organisation et coordination<br />

entre les différents services. Près de 50 % de l’activité de l’imprimerie en Bosnie provenait<br />

des rotatives d’OsloboĊenje.<br />

Une anecdote permet d’ailleurs de comprendre les rouages de la presse selon les<br />

normes yougoslaves de l’époque et de tempérer l’aura dont jouit le journal à postériori. Nada<br />

Salom 151 , directrice de la rubrique culture du journal. Elle fût au centre d’une polémique<br />

durant les années 70. En 1971 a lieu ce qu’on appelle le « Printemps Croate », ce fût une<br />

vague d’affirmation du nationalisme croate. Elle fût durement réprimée par le régime de Tito.<br />

Néanmoins, cette vague eu des répercussions en Bosnie et Herzégovine. L’acteur de la<br />

151 Dont une partie de l’entretien figure en annexe<br />

79


polémique était le président de la république socialiste de Bosnie et Herzégovine, Hamdija<br />

Poţderac, un Krajsnik 152 . L’action est la suivante, après le « Printemps Croate », la même<br />

vague de contestations atteint la Bosnie. Fin 1971, un colloque s’est déroulé à l’université de<br />

philosophie de Sarajevo. Poţderac déclara dans ce colloque la nécessité d’instituer dans les<br />

diverses facultés de l’Université de Sarajevo des départements qui explicitent la Bosnie et<br />

Herzégovine, alors que les facultés ne parlaient que de la Yougoslavie dans son ensemble.<br />

Poţderac précisa aussi qu’il ne fallait pas se fixer sur des bases ethniques ce qui était<br />

important en Bosnie et Herzégovine et il reçu l’appui de nombreux intellectuels serbes ou<br />

croates de Bosnie mais dès l’éclatement de la Yougoslavie, ceux-ci tournerons leur veste à la<br />

Bosnie et Herzégovine prônée par Poţderac. OsloboĊenje reporta les faits et pour revenir à la<br />

journaliste, Nada, elle fût charger d’écrire un article sur la conférence de Poţderac. Ce fût une<br />

de ses premières expériences à OsloboĊenje et elle fût pour le moins douloureuse. En effet,<br />

Nada écrivit que l’intervention de Poţderac était opportune. Mais le journal, qui était<br />

totalement dévoué au parti, ne supportant pas la « sortie de route » de Poţderac et encore<br />

moins celle de sa journaliste, va être prompt à sévir. Nada verra son nom affiché en première<br />

page en guise de blâme. Un peu plus tard, le directeur en personne va la convoquer et lui dira<br />

une phrase qui m’a frappé et que je trouve très parlante : « Le journalisme ce n’est pas de la<br />

littérature à la mode d’Anna Karénine, le journalisme c’est de la politique ».<br />

Mais à cette époque, alors que la Yougoslavie était déjà fragilisée par le « Printemps<br />

Croate », l’appareil du parti essaie de tenir le choc et toutes les succursales, bureaux, armée,<br />

police, fonctionnaires de tout acabit et surtout journalistes subissent encore plus de pression<br />

de la part du parti. Lorsque j’écris « parti » J’entends plusieurs partis réunis au sein d’une<br />

superstructure, la Ligue Communiste Yougoslave. Cela inclut donc les partis communistes «<br />

nationaux », c'est-à-dire un parti pour chaque république de la fédération. Cette anecdote un<br />

peu longue montre néanmoins très bien le muselage des journalistes et pas de la presse<br />

puisque celle-ci est inféodée au parti.<br />

Cela n’empêchera pas le journal d’obtenir de nombreux prix et récompenses que ce<br />

soit yougoslaves ou internationales. Le point d’orgue sera un prix de la rédaction du journal «<br />

Slobodna Dalmacija » (Dalmatie Libérée), ce prix sera reçu en Décembre 1989 et consacre<br />

Oslobodjenje comme le meilleur journal quotidien yougoslave de l’année. Mais déjà les<br />

cloches funestes grondent. Milosevic voit son ombre grandir. La guerre s’approche et<br />

152 Venant de la Krajina (confins) de Cazin, une région au nord ouest de la Bosnie.<br />

80


OsloboĊenje va connaître une épopée tragique et douloureuse mais néanmoins courageuse.<br />

D’un journal Yougoslave, OsloboĊenje deviendra un journal bosniaque. Dans cette épopée,<br />

OsloboĊenje deviendra aussi un journal libre et non plus simplement le « journal du Parti »<br />

avec des conséquences moindres puisqu’il n’y aura pas de « purges » dans le journal mais le<br />

journal va payer le prix du sang. Il ne cessera de dénoncer les monstruosités et les absurdités<br />

de la guerre qui ravagera la Yougoslavie et surtout la République de Bosnie et Herzégovine. Il<br />

est étiqueté comme nostalgique, socialiste et progressiste, autant de termes qui peuvent se<br />

télescoper. Alors qu’il franchissait fréquemment les 100 000 exemplaires lors des jours<br />

importants durant l’époque Yougoslave, le tirage ne dépasse plus 10 000 exemplaires.<br />

Néanmoins l’aura dont jouit le journal demeure, réduite, mais encore vivace en Bosnie mais<br />

aussi en dehors.<br />

Nous allons voir aussi la place des migrants au sein de l’espace yougoslave et<br />

constater leur importance dans la société.<br />

IV ) Pays d’émigrants ?<br />

Le phénomène migratoire est profondément ancré dans l'histoire sociale des peuples et<br />

nations de Yougoslavie. Dans les années 1950 et au début des années 1960, l'émigration<br />

yougoslave concerne deux groupes en particulier, premièrement, des Musulmans d'origine<br />

turque et des Musulmans d'origine slave de Bosnie et du Sandjak ; et deuxièmement, des<br />

dissidents du régime de Tito ou les collaborateurs du second conflit mondial. Une immense<br />

majorité des premiers part en Turquie tandis que le deuxième groupe se dirige vers l'Europe<br />

occidentale et outre-mer. Les seules données disponibles concernent le premier groupe.<br />

Pendant les années 1950, environ 300 000 Yougoslaves de souche turque et<br />

musulmane quittent la Bosnie, la Macédoine et d'autres régions au sud-est de la Yougoslavie<br />

pour s'installer en Turquie.<br />

A partir du milieu des années 1960, la Yougoslavie devient le premier pays<br />

communiste à autoriser presque toutes les catégories de citoyens à émigrer. En conséquence,<br />

la RFA, la Suisse et l'Autriche recrutent environ 500 000 ouvriers yougoslaves, suivis d'un<br />

nombre inconnu de dépendants.<br />

Selon les statistiques officielles 57 238 personne sont quitté la Yougoslavie en 1968<br />

pour aller chercher du travail. Les années suivantes la dynamique des départs a été encore<br />

81


plus forte : 123 639 en 1969 ; 239 779 en 1970 ; 116 724 en 1971. Jusqu'en 1971,<br />

vraisemblablement plus d'un million de Yougoslaves, pour la plupart des hommes dans la<br />

force de l'âge se sont retrouvés sur le marché du travail de l'Europe occidentale. En simplifiant<br />

un peu, on peut dire que la liberté de partir et la possibilité de trouver un emploi à l'étranger<br />

ont eu un effet calmant sur la pression liée au chômage, ainsi que sur les larges tensions<br />

sociales mais pour un temps seulement.<br />

D’un point de vue idéologique même les Yougoslaves partaient séjourner et travailler<br />

temporairement à l'étranger (à la différence de nombreux migrants d'avant-guerre, qui ont<br />

émigré définitivement) restaient partie intégrante de la classe ouvrière yougoslave. La<br />

première raison se fondait sur les projets et les convictions des migrants eux-mêmes, mais elle<br />

s'est avérée illusoire pour une bonne partie des migrants. En ce qui concerne le second aspect,<br />

le gouvernement a passé des contrats d'emploi et des conventions concernant la sécurité<br />

sociale avec la plupart des pays d'accueil des migrants yougoslaves. Il a élargi le réseau des<br />

consulats dans ces pays. Des travailleurs sociaux ont été adjoints aux services consulaires et<br />

se sont notamment préoccupés des problèmes sociaux croissants des migrants. Des sections et<br />

des écoles complémentaires yougoslaves ont été mises en place où des professeurs<br />

yougoslaves enseignent aux enfants la langue maternelle et la culture de leur pays, afin de<br />

maintenir leur identité culturelle autogestionnaire, Dans les pays européens d'accueil, il y a<br />

environ 1 100 enseignants permanents et honoraires dans les sections et écoles<br />

complémentaires yougoslaves. La moitié d'entre eux a un contrat avec les institutions<br />

yougoslaves, l'autre moitié avec les institutions d'immigration compétentes 153 .<br />

Jusqu'à présent, la proportion de personnes immigrant à l'Ouest pour des raisons<br />

purement économiques a été relativement faible. Moins de 15% peuvent être caractérisés<br />

comme des migrants économiques ayant un travail régulier ou irrégulier, ou faisant partie de<br />

la famille d'un migrant de ce type. Ce phénomène est une conséquence de la division politique<br />

et économique entre les deux Europe. Avant 1990 le commerce Est-Ouest est resté faible et la<br />

mobilité des capitaux et des hommes était quasiment inexistante. La seule exception est la<br />

Yougoslavie. Depuis la fin des années 1960, la Yougoslavie a été le seul pays communiste<br />

dont les ressortissants avaient le droit d'émigrer. Environ 500 000 ouvriers yougoslaves, suivis<br />

d'un nombre non chiffré de dépendants, ont été recrutés par l'Autriche, la Suisse, la<br />

153 AUClC , Radnici u inozemstvu prema popisu stanoviStva Jugoslavije 1971 .<br />

Institut za geografiju SveuCiliSta u Zagrebu, Zagreb, 1973.<br />

82


République Fédérale d'Allemagne et quelques autres pays. 154 Dans la décennie allant du<br />

milieu des années 70 au milieu et des années 80, ce nombre s'est réduit à la suite de la crise<br />

économique à l'Ouest et des mesures restreignant l'immigration. Commence alors un<br />

mouvement de retour vers la Yougoslavie. Qui va s’atténuer fortement pour de nombreux cas<br />

où le provisoire laissera la place au long terme.<br />

La migration extérieure devient une forme normale d'emploi, elle est même stimulée.<br />

Mais cela ne supprima pas les attitudes négatives à l'égard des migrants. Ils étaient à la fois<br />

suspectés et enviés ; considérés comme des « étrangers » aliénés Jugo-Svabe, nom péjoratif<br />

qui donne en français Yougo-Schleu à cause des biens de consommation qu'ils étalaient quand<br />

ils revenaient en vacances : voitures de luxe, nouveaux appareils électroniques et semblables.<br />

Mais aussi on les plaignait parce qu'ils devaient aller travailler à l'étranger pour des<br />

capitalistes étrangers. On constate aujourd’hui que les déplacés de guerre sont dans le même<br />

schéma. Une condition sociale précaire dans les pays d’accueil mais une volonté d’afficher les<br />

biens de consommations acquis lors des retours au pays.<br />

Les gains des migrants, qui étaient (en partie) versés dans le pays, stimulaient la<br />

consommation, surtout de produits importés. Dans un certain sens, ceci a permis<br />

l'accroissement des importations, alors que l'économie intérieure rigide répondait à la<br />

demande accrue par une hausse des prix. Le résultat fut une spirale inflationniste. Mais d’un<br />

point de vue des migrations, cela à entrainé un refroidissement progressif vis-à-vis de la «<br />

mère patrie » dans la mesure où la situation en Yougoslavie se détériorait cela n’encourageait<br />

pas les yougoslaves à l’étranger de revenir au pays ni de réinvestir. Dès le moment où le flux<br />

des remises des migrants a commencé à diminuer, il est devenu clair que le pays était devenu<br />

dépendant d'eux. Au lieu de renforcer sa position dans la division internationale du travail,<br />

l'économie yougoslave est devenue vulnérable par rapport aux pays développés.<br />

Parallèlement, tout un réseau de services sociaux s'est créé en Yougoslavie à<br />

l'intention des migrants, à tous les niveaux de l'organisation sociale et politique. En plus des<br />

bureaux d'emploi, d'autres agences et services autogestionnaires et gouvernementaux sont<br />

intégrés à ce réseau, notamment au niveau des communes, des communautés autogérées et des<br />

organisations sociopolitiques (terme yougoslave pour désigner les organisations politiques,<br />

Ligue des communistes, syndicats, Alliance socialiste du peuple travailleur). Dans les pays<br />

154 BENAC, "O etnickim zajednicama starijeg Zejeznog doba u Jugoslaviji". in<br />

Praistorija jugoslavenskih zemalja, , leljezno doba. ANUBIH, Sarajevo, 1987,<br />

83


d’accueil, on assistera à la création de nombreuses associations qui plus tard vont soit abriter<br />

des mouvements pacifistes et profondément yougoslave soit alors soutenir les politiques<br />

nationalistes et la poursuite du conflit dans les années 90. Ces associations vont être le fer de<br />

lance de la Yougoslavie et après les conflits, elles continuent de développer une ligne<br />

nationaliste et chauviniste ou alors elles s’érigent en mausolées de la diaspora dédiés à la<br />

Yougoslavie et par conséquent, ces associations cultivent ce qu’ils ne retrouveront plus. Alors<br />

qu’au départ, c’était une « vie à la yougoslave » qui était promue à l’étranger, avec la<br />

disparition de la Yougoslavie, on évoque quelque chose qui n’existerait plus et qu’on tente de<br />

recréer. On y fête le 1 er Mai, le 25 Mai et d’autres fêtes en fonction de l’ethnie majoritaire<br />

dans ces associations. Après 1995, les associations sont ethniques mais malgré leur volonté de<br />

vouloir se démarquer le plus possible l’une d’entre elles, elles conservent des caractéristiques<br />

communes, au niveau de l’organisation des manifestations, des plats culinaires, de la musique<br />

et du passé commun que chacun cherche à mettre à son profit.<br />

L'exode de Yougoslaves est la crise la plus grave de réfugiés en Europe depuis la<br />

Seconde guerre mondiale. Malgré un contexte différent il s’agit d’une habitude pour les<br />

habitants, c’est le troisième déplacement massif de population depuis 1945. Le premier<br />

concernait les gens fuyant la persécution après la Seconde guerre et les déplacements forcés<br />

au sein de la Yougoslavie même 155 .La seconde vague concernait surtout la migration de<br />

travail dans le cadre du programme des recrutements « temporaires » — des « Gastarbeiter »<br />

— des années 60 et 70 156 ; c'était le cas unique de recrutement officiel de main-d’œuvre parmi<br />

les pays socialistes de la part des pays d’Europe de l’Ouest.<br />

Après avoir vu certains aspects de la société yougoslave, il convient de se concentrer<br />

sur l’ultime héritage de la Yougoslavie de Tito, la Bosnie et Herzégovine mais aussi ses<br />

habitants notamment Bosniaques Musulmans. Nous verrons que la reconnaissance de la<br />

Bosnie et Herzégovine a été discutée, nous verrons qu’au-delà des opportunités, la nation<br />

Musulmane Bosniaque moderne fût réfléchie, mûrie et créée par la Yougoslavie, même si<br />

aujourd’hui les historiens bosniaques, à l’image des autres, s’évertuent à faire le Kérygme<br />

d’une nation Bosniaque millénaire.<br />

pp. 737-802.<br />

155 BAUCIC I, FRIGANOVIC M. et MOROKVASIC M., Iz Jugoslavije na Rad u Francusku, Zagreb, 1972<br />

156 MOROKVASIC M., « Les Yougoslaves » in Garson J.-P. et Tapinos G. L'argent des immigrés,<br />

Cahiers de l'INED n° 94, Paris, PUF 1981, pp. 267-300 ; « L'émigration yougoslave », Revue française d'études<br />

politiques méditerranéennes, n° 6, 1975, pp. 90-106 ; « Des migrants temporaires : lesYougoslaves », Sociologie<br />

du travail no3, 1972, pp. 260-277.<br />

84


<strong>LA</strong> BOSNIE ET HERZEGOVINE YOUGOS<strong>LA</strong>VE<br />

Cette dernière partie va mettre en exergue l’un des points capital de la yougonostalgie<br />

mais aussi le plus volatil, le plus difficile à cerner, même si, c’est autour de lui que s’établie le<br />

plus large consensus. En effet, Tito jouit d’une aura non négligeable en Bosnie. Néanmoins,<br />

l’histoire récente et les problèmes actuels ne permettent pas aux Bosniaques lambda de<br />

réfléchir longuement sur Tito. Aussi, le retour du religieux dans les années 90 a conduit à une<br />

critique systématique du communisme 157 . Cette partie va montrer par une étude du passé en<br />

quoi la Bosnie est l’héritière fragile et décharnée de la Yougoslavie en cette période trouble<br />

du postcommunisme.<br />

La Bosnie étant par les faits mais aussi grâce à la propagande, notamment<br />

cinématographique, le centre névralgique du conflit en Yougoslavie. L’idéal communiste est<br />

aussi illustré par la reconnaissance de la Bosnie et Herzégovine comme république et des<br />

Musulmans Bosniaques comme nation.<br />

Cette partie tente de montrer ce que les historiens oublient vis-à-vis de la Bosnie et ce<br />

que les charlatans qualifient eux-mêmes de charlatanerie. Nous verrons que la Bosnie est l’un<br />

des enjeux majeurs de la Seconde Guerre mondiale, aussi bien en ce qui concerne son statut<br />

territorial que son statut national.<br />

I ) ZAVNOBiH 158<br />

Le 25 Novembre 1943, à Vracar Vakuf 159 , lors d’une assemblée générale fondant le<br />

Conseil Populaire Antifasciste pour la Libération de la Bosnie et Herzégovine 160 il a été<br />

décidé que cet organe politique serait le seul et unique représentant du Mouvement Populaire<br />

de Libération en Bosnie et Herzégovine. Le ZAVNOBiH a travaillé durant trois sessions,<br />

d’abord à Vracar Vakuf les 25-26 Novembre, le 30 Juin, le 1 er et le 2 Juillet 1944 à Sanski<br />

Most et enfin entre le 26 et le 28 Avril 1945 à Sarajevo. De fait, la présidence de ce conseil<br />

était la plus haute autorité politique en Bosnie et Herzégovine à ce moment.<br />

157<br />

Le livre noir du communisme, dirigé par Stéphane Courtois, figure en bonne position dans de nombreuses<br />

librairies, à commencer par les librairies religieuses.<br />

158<br />

Cette partie est notamment développée à partir des déclarations écrites réalisées lors des trois séances du<br />

ZAVNOBiH.<br />

159 Localité située dans la municipalité de Mrkonjić Grad<br />

85


L’établissement du ZAVNOBiH a été initié en parallèle du Conseil Populaire<br />

Antifasciste pour la Libération de la Yougoslavie (AVNOJ), la plus haute autorité Yougoslave<br />

guidée par les communistes, dont les sessions se sont tenues en Novembre 1942 à Bihać, qui a<br />

insufflé l’établissement de Conseils antifascistes dans chaque pays et la constitution d’un<br />

réseau qui a couvert jusqu’à 2/3 du territoire de la Bosnie et Herzégovine.<br />

Ce territoire faisait plus ou moins 30 000 kilomètres ² et était de fait la moelle épinière<br />

du territoire libre Yougoslave qui incluait aussi le Monténégro, le Sandţak et des portions<br />

notables de la Croatie. C’est dans ces territoires que stationnait la majorité des troupes<br />

partisanes. La Bosnie est devenue le centre du dispositif militaire des partisans. Sur ce<br />

territoire substantiel était situé le quartier général du commandement suprême de l’Armée<br />

Populaire de Libération ainsi que près de 300 000 combattants ainsi que 50 places fortes ou<br />

postes avancées tenus par les partisans.<br />

Smail Ĉekić considère que l’activité intense menée par le ZAVNOBiH à partir de<br />

1943 jusqu’en Avril 1945 est l’évènement le plus important dans l’histoire de la Bosnie et<br />

Herzégovine 161 .Oui, d’un point de vue historique et politique, la résolution du ZAVNOBiH en<br />

1943 restaure l’indépendance de la Bosnie après 480 ans d’occupation, d’annexion, de<br />

séparation ou de négation. La Bosnie devient un Etat à part entière, dans le système fédéral<br />

yougoslave. Il s’agit pour Smail Ĉekić de l’héritage le plus important de la seconde guerre<br />

mondiale. Ce jour d’indépendance est symboliquement très important et il s’agit d’un jour de<br />

fête nationale en Bosnie. Fête nationale dénigré par les partis nationalistes et peu relayée dans<br />

les médias malgré un intérêt notable de la population. Le ZAVNOBiH légitime aussi<br />

l’intégrité de la Bosnie et Herzégovine, intégrité mise à mal par les accords de Dayton de<br />

1995 ayant mis fin au conflit en Bosnie et Herzégovine et ayant entérinés la séparation du<br />

pays sur des bases ethniques.<br />

Le ZAVNOBiH et son résultat, à savoir un compromis qui établit la création de la<br />

Bosnie et Herzégovine sont la première et unique occasion où le peuple ou les peuples du<br />

pays voulaient un pays qui ne soit ni exclusivement Serbe, ni Croate ou Bosniaque. Les<br />

communistes ont réussis une convergence pour que ce pays devienne celui de tous les<br />

Bosniaques sans distinction d’aspirations nationales qu’elles soient Serbes, Croates ou<br />

Musulmanes.<br />

160 Zemaljsko antifašistiĉko vijeće narodnog osloboĊenja Bosne i Hercegovine ou ZAVNOBiH.<br />

161 http://www.baginst.com/DD1-1.pdf<br />

86


II ) Une république ?<br />

Le combat pour la Bosnie et Herzégovine en tant qu’unité indépendante ayant le statut<br />

de république au sein de la Yougoslavie fût une lutte de longue haleine sous la pression de<br />

l’occupant, des collaborateurs, des partisans et de la Guerre de libération populaire.<br />

L’émergence de l’entité fédérale bosniaque au sein de l’Etat Yougoslave a été sujette à une<br />

controverse au sein de la classe dirigeante du Mouvement Populaire de Libération. De<br />

nombreux drugovi 162 étaient en faveur d’une Bosnie et Herzégovine ayant le statut de<br />

province autonome rattachée à la Serbie plutôt que d’une République au sein de la fédération.<br />

Moša Pijade, Milovan Đilas and Sreten Tujović, de hauts cadres du Parti Communiste<br />

Yougoslave, se basaient sur une approche nationale de la question et étaient donc favorables à<br />

un statut alternatif pour la Bosnie. Au nombre de nations, le nombre de républiques, car les<br />

Musulmans n’avaient pas le statut de nation durant la guerre, statut qu’ils acquerront bien plus<br />

tard 163 . Pour Smail Ĉekić, cette attitude contrevient à l’esprit de la Guerre de libération<br />

populaire en Bosnie et Herzégovine. C’est aussi le cas de la plupart des élites universitaires et<br />

intellectuels Musulmanes actuelles. Soit, on nie l’existence d’un débat autour de la Bosnie et<br />

Herzégovine au sein même des forces qui ont fait émerger celle-ci, soit on considère que<br />

l’option de faire de la Bosnie un Kosovo-bis est contraire à la lutte menée durant le second<br />

conflit mondial. Pourtant la réflexion sur le statut de la Bosnie semble légitime et va au-delà<br />

de la seule Bosnie, puisque il s’agissait pour Tito de savoir comment contenir les deux<br />

nationalismes antagonistes Serbe et Croate qui se déchiraient durant le conflit et de préserver<br />

une nation en devenir, les Musulmans Bosniaques.<br />

Cependant, l’idée d’une république de Bosnie et Herzégovine était appuyée par le<br />

Comité provinciale de Bosnie et Herzégovine du Parti Communiste Yougoslave, la branche<br />

bosniaque du parti. Et il est intéressant de noter le désaccord entre les cadres extranationaux,<br />

favorables à une entité inféodée à une république, voir même à la dislocation de la Bosnie<br />

entre la Croatie et la Serbie et les cadres nationaux bosniaques, favorables à l’indépendance<br />

162 Camarade en Serbo-croate.<br />

163 Durant la guerre de libération, il n’y a que cinq nations reconnues au sein de l’espace Yougoslave. Alors que<br />

les Serbes, les Croates, les Slovènes, les Monténégrins et les Macédoniens ont ce statut, les Musulmans<br />

(Bosniaques) ne vont l’acquérir qu’en 1971.<br />

87


au sein de l’espace Yougoslave. A la veille de la création du ZAVNOBiH, d’intenses<br />

discussions eurent lieu à propos du futur statut constitutionnel de la Bosnie et Herzégovine,<br />

discussions opposant Rodoljub Ĉolaković et Avdo Humo à Milovan Đilas et Mosa Pijade<br />

entre autres. Ĉolaković et Humo, membres locaux de la branche bosniaque du parti étaient<br />

unanimes sur le devenir de la Bosnie et Herzégovine.<br />

Tous les membres du Comité Central étaient de l’avis de Đilas, c'est-à-dire que la<br />

Bosnie et Herzégovine ne pouvait être une république. D’une part, il n’y avait pas de nation<br />

Bosniaque 164 et d’autre part, ils doutaient de la définition des Musulmans comme une nation,<br />

ils ne croyaient pas que même dans le socialisme, les Musulmans se développeraient en tant<br />

que nation. Seul Edvard Kardelj, l’auteur de la constitution fédérale de 1974, se rangeait du<br />

côté des membres locaux bosniaques du parti.<br />

Ces derniers que sont Humo et Ĉolaković refusèrent l’idée d’une province autonome<br />

de Pijade mais aussi l’alternative du découpage offerte par Milovan Đilas. Chacun restant sur<br />

ses positions, Kardelj suggèrent aux membres locaux bosniaques du parti d’aller voir Tito et<br />

de l’informer de leurs arguments, de leur mécontentement et de leurs désaccords. La rencontre<br />

avec Tito dura des heures. Durant la discussion, Avdo Humo ainsi que Rodoljub Ĉolaković<br />

argumentèrent en faveur de l’obtention pour la Bosnie du statut de république en évoquant les<br />

raisons historiques et ethniques conduisant en ce sens.<br />

Tito se prononça en faveur de Humo et Ĉolaković et appuya le projet des membres<br />

locaux du parti en vue d’établir la Bosnie et Herzégovine comme une république à part<br />

entière. Tito déclara que la Bosnie et Herzégovine devait être une république, comme la<br />

Serbie et la Croatie, les Musulmans auraient les mêmes droits que les bosno-serbes et les<br />

bosno-croates » 165 .Tito s’est toujours montré clair vis-à-vis du statut constitutionnel de la<br />

Bosnie et Herzégovine, dans la mesure où sa ligne était connue et qu’il n’a jamais dérogé à<br />

celle-ci 166 . Son opposition à Đilas concernait également la Bosnie.<br />

Lors d’une visite à Sarajevo en Novembre 1979, au crépuscule de sa vie, Tito<br />

déclara que « la Bosnie et Herzégovine ne pouvait appartenir à tel ou tel peuple, mais aux<br />

gens qui ont toujours vécu ici. De toute façon, la Bosnie n’est pas un cadeau, les gens se sont<br />

battus durant la guerre pour cela. C’était la seule alternative possible et souhaitable, non<br />

seulement pour les habitants de Bosnie et Herzégovine mais pour toute la communauté. La<br />

164 Ou Bosno-Herzégovinienne.<br />

165 TITO BROZ Josip, Autobiografska kazivanja, Narodna Knjiga, Belgrade, 1982.<br />

88


Bosnie a toujours été dans le passé un point d’achoppement. Avec notre guerre de libération,<br />

nous nous sommes débarrassé de cela. 167 »<br />

Faire de la Bosnie une république pouvait être considéré comme un acte de<br />

démagogie. Au-delà de la légitimité du peuple bosniaque en tant que nation, au-delà de la<br />

nation Musulmane puisque les Musulmans ne sont pas reconnus en tant que nation que ce soit<br />

par le ZAVNOBiH ou même l’AVNOJ, l’idée était de réaliser un modèle miniature du<br />

modèle d’intégration yougoslave et de prévenir toute division de la Bosnie et Herzégovine<br />

pour contrer les deux nationalismes hégémoniques en Yougoslavie, croate et serbe. De<br />

nombreux cercles en Serbie critiquèrent l’établissement d’une Yougoslavie fédéral mais aussi<br />

les nouvelles relations interethniques basés sur une égalité mais aussi couvertes par la supra<br />

citoyen<strong>net</strong>é yougoslave.<br />

Le conflit mondial revêt une importance quant au destin politique de la Yougoslavie<br />

puisque ce sont les partisans de Tito qui gagnent le conflit et qui établissent une dictature du<br />

prolétariat dans le pays. Le conflit établit aussi la Bosnie et Herzégovine en tant que<br />

république indépendante et ouvre la voie à une reconnaissance, dans ce laboratoire<br />

yougoslave, à la nation Musulmane. De ce point de vue, la guerre est importante pour les<br />

historiens et hommes politiques bosniaques puisqu’elle légitime l’idée d’une Bosnie<br />

indépendante, souveraine et composées de plusieurs peuples. La Bosnie et Herzégovine<br />

indépendante est le fruit d’un calcul simple, diviser pour mieux régner.<br />

III ) La Bosnie en Yougoslavie<br />

Les avis des Bosniaques divergent sur l’appréciation de leur passé communiste.<br />

Néanmoins, il ne fait aucun doute que la seconde Yougoslavie confirme la Bosnie sur ses<br />

bases territoriales mais va aussi créer l’espace nécessaire et devenir le cadre de l’affirmation<br />

nationale de ceux qui deviendront les Musulmans 168 . Comme il a été vu précédemment 169 , le<br />

mouvement partisan a été principalement appuyé par des Serbes, néanmoins, il va élargir sa<br />

base à toutes les populations de la Bosnie et Herzégovine en garantissant l’égalité des droits<br />

166 L’étude et la lecture de son œuvre écrite (éléments autobiographiques et discours) vont dans ce sens.<br />

167 DIZDAREVIC Raif, Od Smrti Tita do Smrti Jugoslavije Svjedocenja, Svjetlost, Sarajevo, 2000<br />

168 Musulman avec « M » majuscule désigne l’individu appartenant à la nation tandis que musulman avec le<br />

« m » minuscule, désigne le croyant.<br />

169 In Première partie, chapitre 2, tiret 2 : Des tchetniks aux partisans<br />

89


entre les Serbes, Musulmans et Croates et en faisant de ce pays une des républiques<br />

constitutives de la Yougoslavie. On tolère même la création de brigades musulmanes<br />

distinctes, ces brigades respectent les préceptes de l’islam. Aux sessions de l’AVNOJ et du<br />

ZAVNOBiH sont conviés des notables de l’Organisation Musulmane Yougoslave 170 . On<br />

reconnaît donc la Bosnie et Herzégovine comme un territoire déterminé et on reconnaît aussi<br />

l’existence de la communauté musulmane, néanmoins on ne précise pas la nature de celle-ci,<br />

ethnique ou religieuse. Cette acceptation va rapidement être remise en cause, les communistes<br />

vont dissoudre le Comité musulman 171 au sein du Front Populaire de Libération. Puis, en<br />

athéistes et anticléricaux de bon aloi, le Parti s’attaque à la communauté islamique. En 1947,<br />

les Vakuf ou Waqfs 172 sont nationalisés. Les tribunaux appliquant la charia sont supprimés et<br />

toutes les écoles religieuses ou medrese sont fermés à l’exception de la principale, basée à<br />

Sarajevo. Cela marque la fin des institutions musulmanes qui représentaient le noyau<br />

structurel de la communauté. Le Parti communiste va faire de même en 1949 avec<br />

l’association culturelle musulmane Preporode ou Renaissance, qu’elle a favorisé lors de sa<br />

création en 1946. Après avoir canalisé les modes traditionnels qui structuraient la<br />

communauté bosniaque, le Parti communiste les démantèle. Malgré cette attitude ambivalente<br />

et une volte-face mal perçu, les autorités yougoslaves favorisent la transformation des<br />

bosniaques en nation moderne. Il ne faut pas oublier que bon nombre de bosniaques étaient<br />

membres du Parti Communiste Yougoslave 173 et qu’ils ont aussi participé au démantèlement<br />

des institutions religieuses.<br />

En 1946, la Bosnie et Herzégovine est l’une des six républiques constitutives de la<br />

Yougoslavie. Les aspirations impérialistes des nationalistes serbes et croates sont freinées.<br />

Cela dégage un espace pour l’affirmation d’une identité nationale Musulmane. Le<br />

recensement de 1953 fait clairement transparaître un vide car 93,8 % des personnes de<br />

confession musulmane en Bosnie et Herzégovine se déclarent Yougoslaves ou indéterminés<br />

contre 3,8% se déclarant Serbes et 1,7% se déclarant Croates. De plus, la guerre mais surtout<br />

la modernisation du pays voient apparaître de nouvelles élites politiques et intellectuelles<br />

170 Jugoslovenska Muslimanska Organizacija, il s’agit d’un parti politique Musulman du temps du Royaume des<br />

Serbes, des Croates et des Slovènes. Il fût fondé à Sarajevo en 1919 et sa figure de proue est Mehmed Spaho.<br />

171 Muslimanski odbor<br />

172 Il s’agit de donations faites à perpétuité par un particulier à une œuvre d'utilité publique, pieuse ou charitable<br />

et qui donnent en Bosnie des fondations religieuses de solidarité, peu éloigné du secours catholique dans son<br />

essence.<br />

173 Qui deviendra en 1954 la Ligue des communistes.<br />

90


musulmanes communistes. Alors que le pays entreprend une décentralisation poussée à partir<br />

de la fin des années 60 et que la reconnaissance des minorités et des ethnies se fait crescendo,<br />

l’entreprise commencée vingt ans plus tôt va aboutir en 1968 à la reconnaissance des<br />

Musulmans par la Ligue des Communistes de Bosnie et Herzégovine.<br />

Cette reconnaissance a donné lieu à de nombreuses interprétations. Bien sur la<br />

politique de non-alignement de Tito a mise en relation la Yougoslavie avec de nombreux pays<br />

avec des populations majoritairement musulmanes comme l’Egypte, l’Algérie ou l’Indonésie.<br />

Ces relations ont naturellement élevé le statut politique des Musulmans Bosniaques, que ce<br />

soit en tant que nation ou au sens religieux. En effet, un point qui est fortement oublié mais<br />

qui mérite d’être rappelé relativise l’érection de nombreuses mosquées sur le territoire de la<br />

Bosnie et Herzégovine, financées par des pays arabiques dont les dirigeants sont connus pour<br />

être des hommes très pieux, leur piété dépassant leurs pétrodollars. Durant la période allant de<br />

1953 à 1980, ce sont près de 500 mosquées qui sont construites ou reconstruites en Bosnie et<br />

Herzégovine. Le système communiste faisant que ce sont des bosniaques de toutes<br />

confessions ou sans confessions qui participent à ces œuvres. L’Islam est la religion la plus<br />

favorisée, douce contradiction dans un système communiste, en ce qui concerne la<br />

symbolique, reconnaissance d’une population nationale, avec toutes les ambiguïtés liés au<br />

terme Musulman, mais aussi le matériel 174 . Bien que la guerre de 1992 à 1995 a réduite à<br />

néant ces avancements, ceux-ci ne sont pas oubliés par les yougonostalgiques qui utilisent en<br />

Bosnie cette argument pour contrer les théories fumeuses d’un prétendue choc des<br />

civilisations 175 en Bosnie. De plus, la création d’un espace d’affirmation pour les Bosniaques<br />

Musulmans et in fine la reconnaissance nationale de ceux-ci, est un élément marquant de la<br />

174<br />

Cité dans la thèse de M. Gilles Troude, La France et ses partenaires occidentaux face à la question nationale<br />

en république fédérative de Yougoslavie de la fin des années 1950 à la fin des années 1970, Soutenue à<br />

l’Université de Paris III le 23 juin 2003<br />

175<br />

Le Choc des civilisations est le titre d'un essai d'analyse politique rédigé par l'Américain Samuel Huntington,<br />

professeur à Harvard, paru en 1996 et traduit en français en 1997.<br />

Huntington élabore un nouveau modèle conceptuel pour décrire le fonctionnement des relations internationales<br />

après l'effondrement du bloc soviétique à la fin des années 1980. Toutefois, il ne prétend pas donner à son<br />

modèle une validité qui s'étend forcément au-delà de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle et<br />

s'appuie sur une description géopolitique du monde fondée non plus sur des clivages idéologiques « politiques »,<br />

mais sur des oppositions culturelles plus floues, qu'il appelle « civilisationnelles », dans lesquelles le substrat<br />

religieux tient une place centrale, et sur leurs relations souvent conflictuelles. Cette théorie connaît de<br />

nombreuses controverses, notamment liés à l’instrumentalisation de celle-ci.<br />

91


Yougonostalgie, même si certains considèrent cela comme un calcul 176 ou un cadeau<br />

empoisonné, il est évident que dans l’histoire longue, la Yougoslavie Titiste a fait<br />

substantiellement bouger les lignes vis-à-vis des slaves islamisés et des descendants de turcs<br />

installés sur le territoire yougoslave et particulièrement en Bosnie et Herzégovine. En plus de<br />

reconnaître le territoire de la Bosnie et Herzégovine, de le légaliser et au fil du temps de lui<br />

accorder une souverai<strong>net</strong>é, l’espace créé par la Yougoslavie communiste pour les Musulmans<br />

conduit logiquement à une nostalgie et une bienveillance naturel si l’on se replace dans le<br />

contexte actuel à l’égard de la fédération yougoslave et de Tito. Pourtant, une d’autres<br />

nostalgiques prétendent que la nation Musulmane est une invention. Ce genre d’affirmations<br />

réactionnaires, utilisées par certains Bosno-serbes pour délégitimer la Bosnie et Herzégovine<br />

est une incohérence au regard de l’Histoire du pays, qu’elle soit longue ou courte.<br />

D’autre part, la période communiste constitue pour la Bosnie un « bond en avant »<br />

formidable, jamais le pays n’a eu une telle croissance, une telle modernisation et un tel<br />

développement. Cela est fortement retenu par les Yougonostalgiques, le niveau de vie, même<br />

en tant de crise au crépuscule de la Yougoslavie, est plus élevé que celui d’aujourd’hui, même<br />

si ce niveau de vie était un niveau de vie au dessus des moyens que pouvait se permettre la<br />

Yougoslavie selon les banques et le FMI 177 .<br />

Cependant, l’affirmation nationale des Musulmans conduit certains historiens à<br />

considérer qu’il ne s’agit pas là d’un peuple mais d’une création artificielle. Pour Joseph<br />

Krulic 178 , il est évident qu’ « au regard de l’histoire de la Bosnie, une telle affirmation<br />

apparaît très imprudente. [Il se base sur la thèse d’Ivo Banac 179 ] Les intellectuels bosniaques<br />

de tradition musulmane d’avant 1914 étaient bien conscients d’une identité particulière, mais<br />

encore flottante depuis le départ des Turcs, en 1878. Une partie d’entre eux pensaient être des<br />

« Croates » musulmans, d’autres, bien plus rares, acceptaient de se déclarer Serbes, mais une<br />

part non négligeable, qui va devenir écrasante à compter des années 1920, se définissaient par<br />

une identité tierce. »<br />

176<br />

Cependant le traitement des Musulmans de 1945 à 1953, c'est-à-dire le démantèlement des symboles<br />

institutionnelles musulmans, entre dans une logique à moyen terme de consolidation du régime et qui<br />

débouchera à la reconnaissance des Musulmans, reconnaissance qui existait de fait durant la guerre, qui fût<br />

bâillonnée pour ouvrir l’espace à la nation Musulmane Bosniaque.<br />

177<br />

Fond Monétaire Internationale<br />

178<br />

KRULIC Joseph, « Islam et communisme en Bosnie-Herzégovine » ,<br />

Cités, 2007/4 n° 32, p. 75-82.<br />

179<br />

BANAC Ivo, The National Question in Yugoslavia. Origins, History, Politics, Cornell<br />

University Press, 1984<br />

92


L’affirmation nationale des Musulmans représente une évolution conséquente dans<br />

leur évolution au niveau politique et identitaire. Car même si l’on suppose que le projet de<br />

départ était de créer un espace d’affirmation de l’identité nationale Musulmane, il faut qu’il y<br />

ait un support à la base, c'est-à-dire l’acceptation de prime abord du communisme par les<br />

Bosniaques. Cela a été fait. Malgré la pression exercée sur la Bosnie par l’épisode stalinien de<br />

Parti Communiste Yougoslave, la rupture avec Staline et la transformation qui en a résulté ont<br />

été fortement accepté au sein de la République. D’autre part, le communisme a permis<br />

l’émergence de nombreuses élites Musulmanes ne venant pas de la communauté islamique.<br />

Le communisme titiste fût original mais aussi idéal du fait de la composition de la<br />

Bosnie et Herzégovine, un microcosme au sein du macrocosme yougoslave, il n’est pas erroné<br />

de parler de petite Yougoslavie pour la Bosnie et aussi pour la Macédoine. Alors que le pays<br />

fût le terrain des plus âpres combats lors du conflit mondial et des failles ethniques,<br />

religieuses ou nationales abyssales, l’action des partisans fît de ce pays l’endroit idéal pour<br />

implanter une idéologie universaliste. On constate d’ailleurs que le pays a globalement bien<br />

accepté le communisme malgré des faits controversés et il fût très populaire et demeure<br />

aujourd’hui source de nostalgie non seulement au niveau de la vie quotidienne mais des idées<br />

et des perspectives d’avenir. À cette époque, pour reprendre les termes d’Alija Izetbegovic, un<br />

anticommuniste notoire, la Yougoslavie constitue non seulement l’intérêt, mais aussi l’amour<br />

d’une grande majorité des Musulmans bosniaques 180 . Izetbegovic ne sera d’ailleurs pas<br />

épargné par le régime communiste puisqu’il sera jugé en 1983 los du procès de Sarajevo avec<br />

plusieurs autres individus, il lui sera reproché avec d’autres 181 d’avoir écrit le « Manifeste<br />

Islamique » 182 et « L'Islam entre l'Est et l'Ouest », d’avoir entretenu des activités nationalistes,<br />

organisé une visite en Iran 183<br />

Malgré tout, l’attachement des Musulmans Bosniaques à la Yougoslavie est intéressé<br />

et actif, en témoigne l’accession de certains à des postes politiques clés, comme Dţemal<br />

Bijedić ou Hamdija Poţderac. Ces deux personnalités politiques sont les plus importantes de<br />

la période communiste pour les Musulmans Bosniaques. D’une part, les fonctions qu’ils<br />

180<br />

BOUGAREL Xavier, Les Musulmans bosniaques et l’idée yougoslave, Matériaux pour l’histoire de notre<br />

temps, n° 71, juillet 2003, pp. 24-29<br />

181<br />

Edhem Biĉakĉić, Omer Behmen, Mustafa Spahić and Hasan Ĉengić, membres fondateurs du Parti de l’Action<br />

Démocratique (Stranka Demokratske Akcije) en 1989 et qui portera Izetbegovic à la tête de la Présidence de la<br />

Bosnie et Herzégovine seront co-accusés avec ce dernier.<br />

182<br />

Disponible en téléchargement sur inter<strong>net</strong> http://bosanskialim.com/rubrike/tekstovi_save/000375R024.PDF<br />

183 Ce pays étant devenu une République Islamique<br />

93


occupèrent furent très importantes. Leur influence en faveur du peuple Musulman et vis-à-vis<br />

du processus de reconnaissance de celui-ci font de ces hommes des personnalités de premier<br />

ordre. Mort dans un accident d’avion en 1977, Bijedić bénéficie d’une yougonostalgie se<br />

manifestant par des noms de rues ou de bâtiments publics 184 , entre autres. Pour ce qui est de<br />

Hamdija Poţderac, l’héritage est plus ambigüe du fait de son implication dans le scandale<br />

majeur de la Yougoslavie des années 80, l’affaire Agrokomerc 185 , une entreprise bosniaque<br />

qui va se trouver au centre d’une immense affaire de corruption qui implique Fikret Abdić, le<br />

directeur de ce conglomérat et membre du comité central de la ligue des communistes<br />

yougoslaves. Le scandale qui éclate pendant l’été 1987 est lié au financement douteux de<br />

l’entreprise, financement qui prendra une forme très inflationniste, ce qui fait écho à<br />

l’économie yougoslave d’alors. En effet, des traites et des bons du trésor d’un montant<br />

substantiel 186 furent émient par une banque slovène, cette dernière renonce alors à poursuivre<br />

dans cette voie et l’entreprise est mise en liquidation judiciaire en Août 1987. Fikret Abdić est<br />

arrêté mais il entrainera Hamdija Poţderac dans sa chute en invoquant des cassettes audio<br />

compromettantes à l’égard de l’homme politique, il démissionnera peu de temps après cela.<br />

Alors que Bijedić a été tué lors d’un accident d’avion et que Poţderac a été contraint à la<br />

démission, les yougonostalgiques en Bosnie évoquent souvent la thèse du complot. En effet,<br />

l’avion de Bijedić aurait été abattu par les nervis nationalistes serbes pour mettre un terme à<br />

l’ascension avérée du premier ministre yougoslave d’alors tandis que l’affaire Agrokomerc ne<br />

serait qu’un vaste coup monté pour empêcher Poţderac d’accéder à la présidence yougoslave.<br />

Ces théories sont peu sérieuses, néanmoins, il est certain que l’émergence de ces hommes<br />

politiques faisait de l’ombre aux ambitions nationalistes serbes.<br />

184 Université Dţemal Bijedić à Mostar, sa ville de naissance.<br />

185 Il s’agit d’une compagnie agroalimentaire dont le siège était situé à Velika Kladuša en Krajina bosniaque et<br />

qui devint une firme à dimension Yougoslave. Elle fût dirigée par Fikret Abdić.<br />

186 A l’époque les journalistes yougoslaves parlèrent de plus d’un milliard de dollars.<br />

94


CONCLUSION GENERALE :<br />

La nation est le refuge des pauvres et des opprimés. En ce sens, la Yougonostalgie<br />

peut aussi être considérée comme un contre discours. Il s’agit là d’un jeu dialectique<br />

intéressant. Alors qu’à l’époque de Marx, la nation est le suppôt du capitalisme, de nos jours,<br />

ce serait plutôt l’inverse 187 , elle défend l’intérêt des plus mal lotis, des prolétaires devenus<br />

précaires. Or la nation n’existe pas en Bosnie à cause les impérialismes serbes et croates aidés<br />

de l’inactive action de la Communauté Internationale, entité floue s’il en est.<br />

L’étude des piliers de la yougonostalgie, de la Bosnie, de Tito et de son œuvre<br />

éclairent plusieurs points. Loin d’être une création artificielle ou une nation millénaire, la<br />

Bosnie et Herzégovine est un territoire uni, même si malmené par l’histoire, l’exemple de la<br />

Seconde Guerre mondiale est sur ce point édifiant, il a grâce aux communistes bénéficié d’une<br />

légitimité supplémentaire.<br />

La modernité nous présente le progrès et le changement comme les seules alternatives<br />

souhaitables et possibles. La nostalgie est perçue comme un contre productive, conservatrice<br />

et rétrograde. La course en avant sans freins, le processus de mondialisation ainsi que le<br />

passage à des « post » dans tous les domaines de la société entraine ce genre de reflexes<br />

humains comme la nostalgie ou la révolte. La nostalgie devient un havre avec des valeurs<br />

morales claires, un passé sécurisé où la vie était stable et prévisible.<br />

Cette étude a tenté de montrer une partie des sources de la Yougonostalgie bosniaque.<br />

Elle n’est pas et ne peut être exhaustive, car malgré une tentative de transdisciplinarité, des<br />

domaines comme la sociologie ou l’anthropologie permettraient d’approfondir la question. Si<br />

l’Histoire permet de clarifier les sources de la nostalgie, la sociologie, la philosophie et<br />

d’autres sciences permettent d’explorer les tenants concrets de la nostalgie.<br />

Ce fût aussi une tentative d’éclairer les tenants de la yougonostalgie en Bosnie. Il ne faut<br />

cependant pas oublier que celle-ci a un mal à s’affirmer du fait de la situation politique<br />

actuelle. Dans d’autres pays, l’expression de la Yougonostalgie paraît plus facile. Cependant,<br />

elle peut aussi être considérer négativement et il s’agit là d’un champ d’étude très vaste, celui<br />

du rejet du passé yougoslave et de l’affirmation nationale à outrance.<br />

187 Nous reprenons ici une citation de Michel Clouscard concernant les mutations du marxisme.<br />

95


De plus, la reprise marchande et capitaliste de la nostalgie est un moyen de la voir se<br />

fondre dans un folklore et de faire taire toute voix contraire à l’établissement, qui est en<br />

Bosnie, un protectorat déguisé.<br />

Le souvenir et l’étude de la nostalgie peuvent poser des problèmes. Notre démarche a<br />

tenté de s’atteler à ceux-ci. Nous avons vu dans toutes ces partis ce dont les gens se<br />

souviennent et même ce dont ils ne se souviennent plus mais qui reste inscrit comme dans un<br />

patrimoine. L’étude de la vie de Tito éclaire sur la nostalgie qui entoure le personnage.<br />

L’étude de la Seconde Guerre mondiale montre bien l’émergence de tensions mais aussi d’un<br />

front uni autour de la bannière communiste, un front qui aura raison des forces axis et<br />

collaboratrices. La guerre montre aussi que le pays ne s’est pas forgé comme en 1918 par des<br />

traités mais par la violence et le sang, cependant cette violence n’est pas ethniquement dirigée<br />

et la force des partisans c’est son caractère yougoslave. De plus l’AVNOJ est le point de<br />

départ politique de l’aventure communiste en Yougoslavie. Les actions des communistes en<br />

faveur de la Bosnie sont abondantes et constitue l’un des intérêts majeurs de notre étude.<br />

Ce qui pose aussi la question de l’absence d’une réelle opposition rejetant les<br />

chauvinismes communautaires et présentant un nationalisme inclusif et positif. Au vu des<br />

problèmes actuels et du potentiel utopique de la nostalgie, il s’agit d’une question très<br />

importante en ce qui concerne la Bosnie, loin d’un consensualisme mou, fade et<br />

compromettant. Seule l’émergence d’un mouvement populaire massif ou de tensions graves<br />

entre chauvins peuvent permettre un changement radical mais souhaitable pour l’avenir.<br />

96


Annexe 1 : Chronologie<br />

Annexes :<br />

1941: La Yougoslavie est occupée par les forces de l'Axe (Allemagne, Italie, Bulgarie,<br />

Hongrie). Proclamation de l'état indépendant de Croatie. Début de l'insurrection des royalistes<br />

serbes ("tchetniks") et des partisans dirigés par Josip Broz, dit Tito.<br />

26-27 Novembre 1942 : Tenue à Bihac (Bosnie) de la Première session du Conseil antifasciste<br />

de la libération nationale de Yougoslavie (AVNOJ) en tant que représentation politique du<br />

mouvement de libération nationale.<br />

29 Novembre 1943 : Seconde session de l’AVNOJ à Jajce (Bosnie) se constituant à cette<br />

occasion en corps représentatif suprême de la Yougoslavie.<br />

31 Janvier 1946 : Promulgation de la Constitution de la République populaire fédérative de<br />

Yougoslavie.<br />

1946 : Exécution de Draţa Mihailovic, chef des tchetniks.<br />

28 Juin 1948 : Publication de la Résolution du Kominform isolant la Yougoslavie de l’URSS<br />

et des pays du bloc soviétique.<br />

Juin 1950 : Adoption de la loi sur l’autogestion ouvrière.<br />

Janvier 1953: Adoption de la loi constitutionnelle sur les fondements de l’ordre social et<br />

politique de la RPFY.<br />

22-26 Avril 1958 : Septième congrès du Parti communiste yougoslave caractérisé par<br />

l’adoption d’un nouveau programme politique et le changement de nom du Parti : Ligue des<br />

communistes de Yougoslavie (LCY).<br />

1956: Première réunion en Yougoslavie du mouvement des Non-alignés fondé par Tito,<br />

l'Indien Nehru et l'Egyptien Nasser.<br />

1965: Réforme économique; la planification est démantelée. Mise en place du "socialisme de<br />

marché".<br />

1968: Manifestations étudiantes et ouvrières. Au Kosovo, les Albanais revendiquent un statut<br />

de république pour la province.<br />

1971: Mouvement social et nationaliste en Croatie : "Printemps croate".<br />

21 Février 1974: Nouvelle constitution. Tito reconnaît l'autonomie du Kosovo et de la<br />

Voïvodine au sein de la Serbie.<br />

4 Mai 1980 : Mort du maréchal Tito, remplacé à la tête de l’État par une présidence collégiale.<br />

97


Mai 1987 : Début de l’ « affaire Agrokomerc » en Bosnie (scandale financier lié à l’entreprise<br />

dirigée par Fikret Abdić), conduisant à la démission de l’homme politique Hamdija Poţderac.<br />

Septembre 1987 : Slobodan Milosevic prend le contrôle de la Ligue des communistes de<br />

Serbie.<br />

6 Décembre 1989 : Slobodan Milosevic est élu président de la Présidence de Serbie par le<br />

Parlement serbe.<br />

20-22 Janvier 1990 : XIVe congrès de la Ligue des communistes de Yougoslavie, interrompu<br />

après le départ de la délégation slovène, dont la proposition d’introduction du pluripartisme en<br />

Yougoslavie avait été rejetée. Fin de la Ligue des communistes de Yougoslavie et début de la<br />

Annexe 2 : Prononciation<br />

fin.<br />

(Sources : http://www.bdic.fr/ & personnel)<br />

Les voyelles se prononcent a, ê, i, o, ou.<br />

Certaines consonnes sont accentuées :<br />

đ se prononce « dj » mouillé (les Djinns) : KanaĊanin (Canadien) se prononce «<br />

kanadjianine » ;<br />

ž se prononce « j » (Jules) ; ţivjeti (vivre) se prononce « jivyeti »<br />

Source : http://droitdecites1.free.fr/spip.php?article70<br />

98


Annexe 3 : Cartes<br />

Carte montrant la partition de la Yougoslavie entre les axis durant la Seconde Guerre<br />

mondiale. (Source : http://fr.wikipedia.org)<br />

99


Carte de la Yougoslavie de 1945 à 1990 avec ses six républiques et ses deux provinces<br />

autonomes. (Source : www.theodora.com/maps )<br />

Carte de la Bosnie et Herzégovine actuellement (Source : http://www.paixbalkans.org)<br />

100


Annexe 4 : Entretien<br />

Extrait d’une interview de Nada Salom réalisée par Camille Borde<strong>net</strong> et <strong>Asmir</strong> <strong>Kadić</strong>, née le<br />

12 février 1947 à Doboj, Madame Salom est journaliste au quotidien national « Oslobodjenje<br />

» (« Libération ») depuis trente ans et se trouve être la responsable de la rubrique Culture.<br />

« Question : Pouvez-vous me raconter votre parcours de journaliste à Oslobodjenje, depuis<br />

votre arrivée (et même avant, qu’est-ce qui vous y a amené, études, journalisme vocation ?…)<br />

Réponse : J’ai commencé le journalisme en octobre 1972. Je ne pensais pas être journaliste,<br />

mais prof de littérature et de serbo-croate, langue qui d’ailleurs « n’existe plus », je veux dire<br />

en termes d’appellation. Maintenant se sont trois langues distinctes. J’étais étudiante en<br />

philosophie et une amie qui travaillait à la rédaction d’Oslobodjenje m’a appelé pour faire un<br />

article. J’aimais le théâtre en tant qu’actrice et je pouvais écrire dessus donc c’était parfait. Au<br />

service culture de la rédaction, j’écrivais sur tout ce qui se passait dans le théâtre, dans tous<br />

les secteurs, c’était l’idéal. J’ai eu de la chance d’être venue directement dans la rubrique<br />

culture, d’ailleurs si je n’avais pas commencé dans cette rubrique j’aurais abandonné ce<br />

travail car il n’aurait pas concerné mes centres d’intérêts. Mais là c’était proche de ce qui me<br />

plaisait dans la vie. J’ai fait du théâtre étant jeune, j’écrivais de la poésie aussi. Mon premier<br />

travail a été d’écrire sur le théâtre, j’aimais et savais faire ça. Mais j’ai vite été « châtiée,<br />

punie » : il y a eu un débat au sein des départements nationaux de la fac de philo, suite aux<br />

propos d’Hamdija Poţderac, un homme politique, en 1972. Jusqu’à cette époque j’ai cru que<br />

je vivais dans un monde d’amour. Mon père est slovène, ma mère du Monténégro, moi je suis<br />

née en Bosnie, et j’ai eu un fils avec un juif : notre famille c’est le mixage parfait, qui<br />

représentait toute la Yougoslavie d’alors. Ce qui a lancé la polémique est qu’Hamdija<br />

Poţderac, en réaction au printemps croate (une vague libertaire et d’affirmation du peuple<br />

croate en 1971) a déclaré qu’il fallait qu’on institue des départements d’études qui<br />

représentent et parlent explicitement de la Bosnie-Herzégovine dans les facultés et non plus<br />

que de l’entité yougoslave. Je n’avais étudié que la littérature yougoslave et avec le recul je<br />

me rends compte qu’étudier que ce qui appartenait à la culture bosniaque rétrécissait<br />

largement mon champs d’études, c’était réducteur. Le sentiment d’appartenance que j’avais<br />

pour la Yougoslavie d’alors relevait plus d’un rêve que d’une réalité, mais ça, je ne m’en suis<br />

101


endue compte qu’en 1992 et je suis tombée de haut. Pour revenir à l’anecdote, Hamdija<br />

Poţderac (et Branko Mikulić) a parlé trop tôt de ce qui allait se passer en 1992, c’était très<br />

mal vu, mais il avait pressenti l’essentiel. En 1972, de leur vivant, c’était trop tôt de parler<br />

d’eux et inopportun alors qu’en 1992, on parlait d’eux en bien. En 1972, en racontant les faits<br />

et la décision de Hamdija Poţderac dans Oslobodjenje, j’ai seulement commis l’erreur de dire<br />

que son action était opportune, plutôt que de la déclarer inopportune et déplacée : c’est ce qui<br />

m’a valu de me faire taper sur les doigts. Il est paru un numéro où la première page titrait sur<br />

le fait que j’avais « défendu » Hamdija Poţderac, il apparaissait mon nom en première page !<br />

En fait, je réalise que c’est toujours plus facile de faire payer le journaliste (moi) que de faire<br />

payer le politicien directement. C’est seulement en 1992, avec la guerre, que j’ai compris ce<br />

dont parlait vraiment Hamdija…<br />

A l’époque, la rédaction d’Oslobodjenje était quelque chose de beaucoup plus grand<br />

qu’aujourd’hui, ils éditaient des livres et plein d’autres trucs. Le directeur général d’alors m’a<br />

expliqué à mon arrivée : « le journalisme ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas Anna<br />

Karénine, c’est de la politique » : c’est l’idée que la politique s’intéresse toujours à vous<br />

même si vous ne vous y intéressez pas. Pourtant, je ferai en sorte jusqu’en 2012, mon départ à<br />

la retraite, que le journalisme ne soit pas de la politique ! Je vivais dans un monde idéal que je<br />

ne comprenais pas jusqu’en 1992, même si j’ai eu de la chance que la rubrique culture ne soit<br />

pas trop imprégnée de politique. Avant 1992 on ne pouvait pas parler de tous les films, ce<br />

n’est qu’après la guerre qu’on a pu citer tous les écrivains qu’on voulait. On falsifiait des<br />

documents, on était muselé, même si c’était sous-jacent et qu’on ne le disait pas ouvertement.<br />

Je faisais mes articles et je voyais le lendemain certains propos ou données effacées. Nous<br />

pouvons noter, pour revenir à l’anecdote de 1972, que certains de mes profs d’alors avaient<br />

pris ma défense, non pour moi mais parce qu’ils étaient déjà nationalistes. Et pour eux<br />

c’étaient toujours bien de défendre une idée nationaliste. Ces mêmes personnes sont ensuite<br />

parties rejoindre Belgrade dès l’arrivée de la guerre et ont développés leurs idées qu’ils<br />

avaient depuis longtemps d’une Grande Serbie…<br />

De 1972 à 1992 je n’ai pas vu ce qu’il se passait, les montées de nationalismes. A 40 ans, j’ai<br />

eu honte de ne comprendre qu’à ce moment-là, tout ce qui se tramait depuis longtemps. En<br />

1971, j’ai été punie car je ne savais pas ce qu’était la Yougoslavie et les nations, et en 1992,<br />

pendant la guerre, j’ai compris ça. »<br />

102


Annexe 5 : Chant<br />

Uz maršala Tita 188 (Avec le Maréchal Tito), écrite en 1943 par Vladimir Nazor et composée<br />

par Oskar Danon.<br />

Uz maršala Tita, junačkoga sina<br />

Nas neće ni pakao smest'.<br />

Mi dižemo čelo, mi kročimo smjelo<br />

I čvrsto stiskamo pest !<br />

Rod prastari svi smo, a Goti mi nismo,<br />

Slavenstva smo drevnoga čest!<br />

Ko drukčije kaže, kleveće i laže,<br />

Našu ce osjetit' pest!<br />

Sve prste na ruci u jadu i muci<br />

Partizanska stvorila je svijest.<br />

Pa sad kad i treba, do sunca do neba<br />

Visoko mi dižemo pest!<br />

En français :<br />

Avec le Maréchal Tito, le fils héroïque<br />

Pas même l’enfer ne nous arrêtera<br />

Nous levons nos fronts, marchons fièrement<br />

Et brandissons nos poings !<br />

Nous sommes d’une ancienne race, nous ne sommes pas des Goths 189<br />

Nous sommes des Slaves !<br />

Qui répand le mensonge et la duplicité,<br />

Va gouter notre poing !<br />

Avec nos mains, au delà la misère et la souffrance<br />

Nous avons bâtis la conscience des Partisans.<br />

Et maintenant nous allons, au soleil, au ciel,<br />

Lever haut nos poings !<br />

(Traduction personnelle)<br />

188 http://www.youtube.com/watch?v=7sMD6W0qhYk<br />

189 Référence à la théorie selon laquelle les habitants de la Yougoslavie descendraient des Goths, tribu<br />

germanique.<br />

103


Sources :<br />

Bibliographie:<br />

BROZ J. [1975] Borba za dalji razvoj socijalistickog samoupravljanja, Svjetlost, Sarajevo.<br />

BROZ J. [1979] Radnicka klasa i Savez Komunista Jugoslavije (la classe ouvrière et<br />

l’Alliance Communiste de Yougoslavie), Samoupravljanje (Autogestion), Referati sa<br />

kongresa KPJ (Rapports des congrès du Parti Communiste Yougoslave), Jugoslavija u borbi<br />

za nezavisnost i nesavrstanost (La Yougoslavie dans la lutte pour l’indépendance et le non-<br />

alignement), Nacionalno pitanje i revolucija (La question nationale et la révolution) Svjetlost,<br />

Sarajevo.<br />

Travaux :<br />

Articles scientifiques:<br />

B<strong>LA</strong>NC A. [1951], « Structure sociale en Yougoslavie », Annales de Géographie, tome 60,<br />

pp. 149-150.<br />

BOUGAREL X. [2003], « Les Musulmans bosniaques et l’idée yougoslave », Matériaux pour<br />

l’histoire de notre temps, N°71, juillet-septembre, pp. 24-29.<br />

BOUGAREL X. [2008], « Voisinage et crime intime », Confluences Méditerranée, N°64, pp.<br />

83-98.<br />

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d’études comparatives Est-Ouest, Volume 16, N°1, pp. 121-152.<br />

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unité »? «, Confluences Méditerranée, N°73, pp. 67-78.<br />

<strong>DE</strong>RENS J.-A. [2007] , « Sarajevo et l'islam : religion des clercs, religion vécue » , Cités,<br />

Presses Universitaires de France , N° 32, pp. 29-36.<br />

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perspective », Population, N°6, pp. 1189-1212.<br />

HERSAK E. & MESI M. [1990], « L’espace migratoire de Yougoslavie: historique des<br />

migrations yougoslaves », Revue européenne des migrations internationales, Volume 6, N°2,<br />

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104


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1055-1064.<br />

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yougoslave, et les changements politiques des années quatre-vingt », Cahiers d’éthique<br />

sociale et politique ,N°48, pp. 77-87.<br />

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MACURA M. [1955], « La population de la Yougoslavie et son développement »,<br />

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MOROKVASIC M. [1972], « Les Yougoslaves » in Garson J.-P. et Tapinos G. L'argent des<br />

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Ouvrages de référence:<br />

Sur Tito:<br />

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ĆOSIĆ D. [2008], Le temps de l’imposture ou le roman de Tito, L’Age d’Homme, Lausanne.<br />

<strong>DE</strong>DIJER V. [1953], Tito parle…, Gallimard, Paris.<br />

DJI<strong>LA</strong>S M. [1980], Tito, mon ennemi, mon ami : biographie critique, Fayard, Paris.<br />

GUIKOVATY E. [1979], Tito, Hachette, Paris.<br />

RIDLEY Jasper [1996], Tito: a biography, Trans-Atlantic Publications.<br />

Sur la Yougoslavie et la yougonostalgie:<br />

BIANCHINI S. [1996], La question yougoslave, Casterman, Florence.<br />

BOBROWSKI C. [1958], la Yougoslavie socialiste, Armand Colin, Paris.<br />

DIZDAREVIC R. [2009], Od Smrt Tita do smrt Jugoslavije, Šahinpašić, Sarajevo.<br />

DJURIC I. [1999], Glossaire de l’espace yougoslave, L’esprit des péninsules, Paris.<br />

105


GAR<strong>DE</strong> P. [1994], Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard, Paris ; Les Balkans, Flammarion,<br />

Paris.<br />

KRULIC J. [1993], Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Editions complexe,<br />

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LUTARD TAVARD C. [2005], La Yougoslavie de Tito écartelée : 1945-1991, L’Harmattan,<br />

Paris.<br />

OSLOBO<strong>DE</strong>NJE rédaction d’ [2008], numéro « anniversaire » les 65 ans du journal,<br />

Oslobodjenje, Sarajevo.<br />

RUSINOW D. [1977], The Yugoslav Experiment 1948-1974, Hurst & company, London.<br />

SILBER L. et LITTLE A. [1996], The Death of Yugoslavia, BBC Penguin Book, Essex,<br />

408p.<br />

SUPEK R. sous la direction de [1973], Etatisme et autogestion, bilan critique du socialisme<br />

yougoslave, Editions anthropos, Paris.<br />

VELIKONJA M. [2008], Titostalgia - A Study of Nostalgia for Josip Broz, , Peace Institute,<br />

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Sur la Bosnie et Herzégovine:<br />

BOJIC M. [2001], Historije Bosne i Bošnjaka, Šahinpašić, Sarajevo.<br />

BOUGAREL X. [1996], Bosnie : Anatomie d’un conflit, La Découverte, Paris.<br />

DIVJAK J. [2004], Sarajevo, mon amour, Buchet Chastel, Paris.<br />

DIZDAREVIC Z. [1993], Journal de guerre. Chronique de Sarajevo, Spengler, 210p.<br />

DUCASSE-ROGIER M. [2003], A la recherche de la Bosnie (et) Herzégovine, la mise en<br />

œuvre de l’accord de paix de Dayton, Presses Universitaires de France, Paris.<br />

MAHMUTCEJAHIC R. [2008], Le meurtre de la Bosnie, Non Lieu, Paris.<br />

MUDRY T. [1999], Histoire de la Bosnie-Herzégovine : Faits et controverses, Ellipses, Paris.<br />

SACCO J. [2004], Gorazde intégrale : La guerre en Bosnie orientale 1993-1995, Rackham,<br />

Paris.<br />

WESSELINGH I. & VAULERIN A. [2003], Bosnie, la mémoire à vif, Buchet Chastel, Paris.<br />

Généraux et divers :<br />

CASTEL<strong>LA</strong>N G. [1999], Histoire des Balkans, XIVe-XXe siècle, Fayard, Paris.<br />

CLOUSCARD M. [1996], Les Métamorphoses de la lutte des classes, Le Temps des Cerises,<br />

Paris.<br />

WEIBEL E. [2002], Histoire et géopolitique des Balkans de 1800 à nos jours, Ellipses, Paris.<br />

106


BOUGAREL X. & C<strong>LA</strong>YER N. sous la direction de [2001], Le nouvel Islam balkanique :<br />

Les musulmans, acteurs du postcommunisme 1990-2000, Maisonneuve & Larose, Paris.<br />

ZIZEK S. [2011], Vivre la fin des temps, Flammarion, Paris.<br />

Œuvres de fiction:<br />

DIZDAR M. [1997], Kameni spavaĉ, Svjetlost, Sarajevo, 310 p.<br />

SELIMOVIC M. [1966], Derviš i smrt (Le derviche et la mort), Svjetlost, Sarajevo.<br />

SIDRAN A. [1979], Sarajevska zbirka, Svjetlost, Sarajevo, 100 p<br />

Sites, revues et articles consultés fréquemment en ligne :<br />

Oslobodjenje : www.oslobodjenje.ba/<br />

Courrier des Balkans : balkans.courriers.info/<br />

Courrier International : www.courrierinternational.com<br />

Wikipédia : ba.wikipedia.org<br />

Youtube : http://www.youtube.com<br />

Site de Tito: http://www.titoville.com/<br />

Filmographie :<br />

BU<strong>LA</strong>JIC V. [1969], Bitka na Neretvi, 175 minutes, Yougoslavie.<br />

<strong>DE</strong>LIC, S. [1973], Sutjeska, 128 minutes, Yougoslave.<br />

KUSTURICA, E. [1995], Underground, 170 minutes, Serbie.<br />

KRVAVAC H. [1972], Valter brani Sarajevo, 130 minutes, Yougoslavie.<br />

TANOVIC, D [2001] [2010], No Man’s Land, Cirkus Columbia, 100 minutes & 110 minutes<br />

,Bosnie et Herzégovine.<br />

107


Table des matières<br />

SOMMAIRE 4<br />

REMERCIEMENTS .................................................................................................................. 5<br />

INTRODUCTION GENERALE ................................................................................................ 7<br />

<strong>LES</strong> <strong>CINQ</strong> <strong>PILIERS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> YOUGONOSTALGIE .............................................................. 13<br />

TITO, LE FONDATEUR COMMUNISTE ............................................................................. 13<br />

I ) Enfance ..................................................................................................................... 13<br />

II ) Pris dans la tempête .............................................................................................. 18<br />

III ) Communiste ......................................................................................................... 21<br />

IV ) Chef de guerre ...................................................................................................... 27<br />

V ) Président à vie ...................................................................................................... 30<br />

<strong>LA</strong> SECON<strong>DE</strong> GUERRE MONDIALE EN YOUGOS<strong>LA</strong>VIE, TERREAU FERTILE ? ...... 36<br />

I ) Nezavisna Država Hrvtaska ..................................................................................... 37<br />

II ) Des tchetniks aux partisans .................................................................................. 41<br />

III ) AVNOJ ................................................................................................................. 46<br />

IV ) Cinéma & guerre, une puissante combinaison ? .................................................. 47<br />

<strong>LA</strong> YOUGOS<strong>LA</strong>VIE SOUS TITO, UN I<strong>DE</strong>AL ? .................................................................. 53<br />

I ) Mise en place et fonctionnement .............................................................................. 54<br />

II ) Politique étrangère, du « Non » à Staline au Non alignement ............................. 58<br />

III ) Autogestion .......................................................................................................... 62<br />

IV ) Fédéralisme .......................................................................................................... 65<br />

Mode de vie des Yougoslaves, quelle société ? ....................................................................... 69<br />

I ) Les bases communistes de la Yougoslavie .............................................................. 69<br />

II ) Les éléments dissociateurs ................................................................................... 75<br />

III ) Les éléments fédérateurs ...................................................................................... 78<br />

IV ) Pays d’émigrants ? ............................................................................................... 81<br />

<strong>LA</strong> BOSNIE ET HERZEGOVINE YOUGOS<strong>LA</strong>VE .............................................................. 85<br />

I ) ZAVNOBiH ............................................................................................................. 85<br />

II ) Une république ? .................................................................................................. 87<br />

III ) La Bosnie en Yougoslavie .................................................................................... 89<br />

CONCLUSION GENERALE : ................................................................................................ 95<br />

Annexes : 97<br />

Annexe 1 : Chronologie ................................................................................................... 97<br />

Annexe 2 : Prononciation ................................................................................................. 98<br />

Annexe 3 : Cartes ............................................................................................................. 99<br />

Annexe 4 : Entretien ....................................................................................................... 101<br />

Annexe 5 : Chant ............................................................................................................ 103<br />

Bibliographie: 104<br />

Table des matières .................................................................................................................. 108<br />

108

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