Dossier - Prochoix

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Charismatiques Ils ne sont pas traditionalistes. D’ailleurs, les traditionalistes les détestent ou du moins s’en méfient. Ils n’ont pas cet air visiblement austère qu’arborent les militants de l’extrême droite catholique. Du reste, on ne sait pas trop s’ils sont catholiques ou protestants. Chaleureux quoiqu’un un peu extatiques, ils ne sont pas non plus racistes. Et pour cause, la moitié de leurs adeptes sont noirs. Enfin, ils ne disent pas conservateurs, plutôt du genre à prôner le renouveau de l’Eglise... mais gare aux apparences, ces fidèles là n’ont rien de chrétiens progressistes ! Ce sont des charismatiques. Malgré leur immense diversité qui rend difficile toute généralisation, ces nouveaux mouvements ont de quoi inquiéter. Adeptes d’une foi —certes plus vivante — mais toujours plus aliénante, le dépoussiérage de leur pratique religieuse n’a d’égal que son fanatisme. Leur spécialité, le petit plus qui fait toute la différence, consiste à croire que l’Esprit Saint se manifeste physiquement et directement en eux. Fini les longs récitals marmonnées en latin, l’heure est à l’imposition des mains, aux transes, aux crises de larmes exutoires et à la musique rock. C’est dire si leurs séances de prières sont plus piquantes qu’une messe à Saint Nicolas du Chardonnet ! Pourtant, loin d’être montrés du doigt, les charismatiques sont parvenus à se faire reconnaître officiellement par les institutions religieuses établies. Côté protestant, de plus en plus de temples subissent son influence. Côté catholique, certains groupes ont même été officiellement reconnus. En 1998, Jean-Paul II a même déclaré que certains de ces “nouveaux mouvements religieux” étaient le “nouveau printemps de l’Eglise”. Autrement dit, l’avenir du catholicisme. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes. En effet, à quelques nuances près, les charismatiques ont une relation extrêmement personnelle avec Dieu. La venue du Saint Esprit dans leur corps les dispense de tout intermédiaire entre eux et le divin. Bref, la pratique de la foi charismatique est à l’exact opposé du catholicisme basé sur une hiérarchie d’intermédiaires entre Dieu et les hommes. Bien sûr, certaines divergences pourraient s’expliquer par leurs influences protestantes. Mais là aussi, le bât blesse. Persuadés de former une communauté supérieure, composée d’élus ayant accès physique avec l’Esprit Saint, les charismatiques sont également en parfaite contradiction avec certains principes de la religion réformée. En fait, plus sensa- dossier tionnaliste que réfléchie, la foi charismatique est un mélange plus ou moins cohérent de références théologiques qui, sans être complètement différent, ne ressemble à aucun des deux cultes. A long terme, leur montée en puissance pourrait en toute logique menacer les fondements des religions qui les abritent. Alors pourquoi continuer à les laisser grandir en son sein au risque d’y perdre son âme ? Voilà un épineux problème et même sûrement l’un des plus grands défis qu’ait à relever les religions du Livre. Souvent choquants et incontrôlables, les mouvements charismatiques sont pourtant les seuls à remplir temples et églises de fidèles. Ce qui par, par les temps qui courent, vaut bien une messe charismatique ! Bien des églises l’ont compris. Elles qui sonthabituées à faire ne faire plus qu’un service par semaine pour un public on ne peut plus limité et dont la moyenne d’âge ne descend rarement en dessous de 60 ans. Qu’elles ouvrent un service charismatique et les voilà submergées, obligées de jouer les prolongations en organisant plusieurs services par semaine ! Exemple de ce Temple à Belleville passé sous influence charismatique. Désormais, le service réunit plusieurs centaines de croyants chaque semaine. Des jeunes comme des vieux ! Qu’importe alors leurs pratiques peu orthodoxes, les églises préfèrent fermer les yeux plutôt que de fermer tout court. Bilan, l’influence charismatique ne cesse de s’étendre. Plus on approche de l’an 2000, plus ces mouvements se gavent de “proies à sectes” du monde entier. Des adeptes bien plus nombreux, bien plus difficile à cerner et pourtant bien plus redoutables qu’une quarteron de lefevristes ! C’est dire toute l’énergie et le discernement qu’il va falloir aux prochoix pour tenter d’enrayer le phénomène. Car sous leurs aspects folkloriques, faussement modernes, les charismatiques n’ont rien à envier à la haine anti-choix des intégristes traditionalistes. Persuadés qu’ils peuvent guérir l’homosexualité, le désir d’avortement, le sida, la souffrance ou le cancer, leur passion “provie” est d’autant plus redoutable qu’elle trop mal connue pour être dénoncée. C’est donc pour mieux les connaître que ProChoix vous propose de lire attentivement ce dossier... Fiammetta Venner et Caroline Fourest ProChoix n°10 / Avril 1999 13
dossier L’histoire du mouvement charismatique Rien n’est plus difficile que d’étudier le mouvement charismatique tant ce mot recoupe des réalités diverses, vagues et mal définies. Première difficulté : “charismatique” vient du mot “charisme” et l’on est tenté d’attribuer cet adjectif à toute manifestation religieuse un tantinet attractive ou séduisante. C’est une des forces de ce mouvement : jouer sur l’impression positive que lui confère son nom. Mais “charisme” vient aussi du mot grec signifiant “don”. C’est un des facteurs communs aux charismatiques : se sentiment d’être doué pour recevoir l’Esprit Saint, notamment par le don du parler en langues (sons émis par un croyant lorsqu’il est possédé par l’Esprit Saint). C’est dire si cet adjectif n’est plus anodin depuis bien longtemps. Même difficile à cerner, il correspond à une réalité particulière, à un courant religieux transversal auquel on reconnaît, malgré toute sa diversité, quelques traits ou références caractéristiques. Selon les charismatiques eux mêmes, l’utilisation du charisme parmi les croyants est présente dès l’Eglise primitive. C’est donc à partir d’une reconstruction subjective et extérieure que nous tentons ici de dégager les grandes étapes ou vagues successives de l’apparition des charismatiques en tant que mouvement. Inspirée par différent courants et rites religieux, le mouvement charismatique a vraisemblablement connu trois grandes périodes depuis le début du XXème siècle. Chaque étape ayant fait des émules, créé de nouvelles églises dans un contexte historique et théologique spécifique, aussi peut-on parfois considérer ces “vagues” comme des courant charismatiques distincts. Il peut en en effet arriver que certains groupes aient évolués d’une vague à l’autre comme, au contraire, qu’un groupe ne se sente de filiation qu’avec une seule de ces vagues. Ce qui expliquerait pourquoi tout charismatique ne se reconnaît pas dans toutes les utilisations du nom charismatique et qu’il n’est pas rare d’en trouver d’extrêmement sceptiques ou 14 ProChoix n°10 / Avril 1999 Première vague : les pentecôtistes Les débuts du mouvement pentecôtiste à proprement dit sont ironiques. Très vite assimilé à la communauté afro-américaine, le pentecôtisme a été initié par un militant blanc du Klu Klux Klan et diffusé par l’un de ses disciples noirs humilié. Le premier événement fondateur remonte au soir du 31 décembre 1900, lors d’une séance de prière organisée par Charles Parham (directeur d’une Bible school) dans une maison de Topeka (Kansas). Invitée, Agnès Oznan ressent le besoin de demander l’imposition des mains afin, dit-elle, de recevoir le “don de l’Esprit”. A la surprise générale, elle se met soudain à babiller des sons étranges, une syntaxe décousue aux sonorités anciennes... Ce qui sera identifié comme du “parler en langues”. Le nom provient d’un extrait de l’Acte 2 du Nouveau Testament racontant comment l’Esprit saint s’est emparé des hommes lors de la Pentecôte : “Quand le jour de la pentecôte arriva, ils se trouvaient tous réunis ensemble. Tout à coup survint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fût toute remplie alors apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux, ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer”. En se revendiquant de la Pentecôte, ces croyants s’identifient aux premiers chrétiens et à la façon particulière dont ils ont rencontré l’Esprit Saint grâce au “parler en langues”, dit aussi glossolalie. L’expérience gagne peu à peu les autres membres du groupe Topeka. Il est encadré par Parham dont le travail de théorisation constitue les bases du futur mouvement pentecôtiste. Il explique que le parler en langue est la preuve de “l’évidence initiale du baptême de l’esprit“ : la preuve que Dieu existe. Mais il ne s’arrête pas là. Raciste convaincu, Parham en profite pour convaincre ses fidèles que les anglo-saxons sont les descendants des dix tribus d’Israël mises en captivité par les assyriens et donc les élus de Dieu.
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