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G.H.LUQUETT<br />
ii<br />
<strong>L'ARTT</strong><br />
LAA<br />
<strong>RELIGIONN</strong><br />
DESS<br />
HOMMESS FOSSILES<br />
EDITEURSS
<strong>L'ARTT</strong> ET LA RELIGION<br />
DESS<br />
t-yy))<br />
HOMMESS FOSSILES
AA LA MÊME LIBRAIRIE<br />
ANNALESS DE PALÉONTOLOGIE, publiées sous la direction de Marcellin BOULE,<br />
professeurr de Paléontologie au Muséum d'Histoire Naturelle. Abonnement<br />
annuel..<br />
LESS HOMMES FOSSILES. Éléments de Paléontologie humaine, par Marcellin BOULE,<br />
professeurr au Muséum National d'Histoire Naturelle, directeur de l'Institut<br />
dee Paléontologie humaine. 2 e édition. Paris, 1923. 1 volume de :>06 pages<br />
avecc 248 figures.<br />
LESS RACES ET LES PEUPLES DE LA TERRE, par J. DENIKER, docteur es sciences,<br />
bibliothécairee du Muséum d'Histoire Naturelle. Paris, 1926. 2 e édition, revue<br />
ett considérablement augmentée. 1 volume de 750 pages avec 340 figures et<br />
22 cartes.<br />
GÉOLOGIEE STRATIGRAPHIQUE, par Maurice GIGNOUX, professeur à la Faculté<br />
dess Sciences de l'Université de Strasbourg. Paris, 1926. 1 volume de 588 pages<br />
avecc 124 figures et cartes.<br />
LEÇONSS DE PÉTROGRAPHIE, par Jacques DE LAPPARENT, professeur à l'Universitéé<br />
de Strasbourg. Paris, 1923. 1 volume de 522 pages, avec 120 figures et<br />
288 planches hors texte en héliogravure.<br />
TRAITÉÉ DE ZOOLOGIE, par Edmond PERBIEB, directeur du Muséum d'Histoire<br />
Naturellee de Paris. 7 fascicules parus : Zoologie générale — Protozoaires ri<br />
PhytozoairesPhytozoaires—— Arthropodes — Vers, Mollusques — Amphioxus, Tunic<br />
PoissonsPoissons — Les Batraciens.<br />
COURSS ÉLÉMENTAIRE DE ZOOLOGIE, par Uémy PERRIER, professeur adjoint à la<br />
Facultéé des Sciences de l'Université de Paris, chargé du cours de Zoologie<br />
pourr le certificat de P. C. N. 8 e édition. Paris, 1925. 1 volume de 872 pages<br />
avecc 765 figures dans le texte et^!6 planches.
G.-H.. LUQUET<br />
<strong>L'ARTT</strong> ET LA RELIGION<br />
DESS<br />
HOMMESS FOSSILES<br />
MASSONN ET C ie , ÉDITEURS<br />
LIBRAIRESS DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE<br />
120,, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS<br />
= = = = == 1926 '
TousTous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction<br />
réservésréservés pour tous pays.<br />
Copyright.Copyright. 1926 by Masosn et C' e .
AA L'AUTEUR DES "HOMMES FOSSILES"<br />
MARCELLINMARCELLIN BOULE<br />
HOMMAGEE D'ADMIRATION ET DE RECONNAISSANCE.
<strong>L'ARTT</strong> ET LA RELIGION<br />
DESS<br />
HOMMESS FOSSILES<br />
PREFACEPREFACE<br />
Nouss possédons actuellement sur la constitution physique de<br />
noss plus lointains ancêtres un certain nombre de données<br />
précises,, qui ont été exposées et interprétées de façon magistralee<br />
par M. M. Boule dans son ouvrage sur Les Hommes fossiles.siles.<br />
Mais le psychologue ne s'intéresse pas moins que le<br />
naturalistee à la paléontologie humaine et souhaiterait se représenter,,<br />
autant que faire se peut, l'âme paléolithique.<br />
Unee telle représentation ne peut s'appuyer que sur les traces<br />
matérielless laissées par ces Hommes disparus depuis des millénaires..<br />
Assurément, elle restera toujours, plus encore que<br />
cellee des paléontologistes, forcément conjecturale. Mais il ne<br />
fautt pas oublier qu'il en est de même de toute psychologie,<br />
puisquee le psychologue, dès qu'il veut étudier d'autres esprits<br />
quee sa conscience propre, ne peut le faire qu'en interprétant<br />
leurss manifestations extérieures. La difficulté est certes incomparablementt<br />
plus grande ici, car on serait entraîné à de graves<br />
contresenss en voulant interpréter d'après notre mentalité<br />
actuellee les documents préhistoriques, et il faut commencer<br />
parr se faire, dans la mesure du possible, une âme préhistoriquee<br />
. Si malaisée que soit cette tâche de gymnastique et<br />
presquee d'acrobatie intellectuelle, elle est facilitée par la connaissancee<br />
de mentalités analogues, en tant que primitives,<br />
avecc lesquelles l'ethnographie peut entrer en contact direct<br />
chezz les sauvages. La psychologie de l'enfant actuel, maniée
66 L'ART ET LA RELIGION DES HOMMES FOSSILES<br />
avecc précaution, peut également fournir des indications<br />
précieuses..<br />
Noss conclusions seront présentées avec toute la prudence<br />
qu'exigentt la nature du sujet, l'insuffisance des documents<br />
ett la complexité des faits. A mon sens, les affirmations tranchantess<br />
sont incompatibles avec le souci d'objectivité. Les<br />
théories,, quelles qu'elles soient, sont toujours plus ou moins<br />
hypothétiques;; mais les théories simples ont les plus grandes<br />
chancess d'être fausses. Une revue de ce que nous savons en<br />
cettee matière aboutit autant à dresser le bilan de nos ignorancess<br />
que celui de nos connaissances, et c'est déjà beaucoup<br />
d'énoncerr avec précision les problèmes que posent les faits<br />
rassemblés,, même quand on doit constater qu'ils ne permettentt<br />
pas de les résoudre.<br />
Ill est possible, et souhaitable, que la découverte de faits<br />
nouveauxx vienne accroître et préciser nos connaissances. Mais<br />
laa science n'avancerait pas, si elle se laissait arrêter dans la<br />
tâchee de mettre en œuvre les matériaux acquis par l'attente,<br />
ett l'appréhension, de découvertes éventuelles. Dès maintenant,<br />
less faits connus sont assez nombreux pour permettre, et<br />
exiger,, une synthèse provisoire ; et d'ailleurs, l'intérêt des faits<br />
nouveauxx dépendra dans une large mesure des conclusions,<br />
fermess ou dubitatives, tirées de la systématisation des faits<br />
connus.. La discussion est, dans l'infirmité de l'esprit humain,<br />
lee moyen le moins imparfait d'approcher de la vérité. Mais<br />
onn ne saurait discuter que des opinions dont l'affirmation peut<br />
êtree timide, mais dont au moins l'énoncé est précis. Ce sont<br />
dess formules nettes de ce genre que je me suis efforcé de<br />
présenterr et sur lesquelles j'appelle les objections qui m'auraientt<br />
échappé.<br />
L'illustrationn exigée par un ouvrage de ce genre, tant<br />
pourr le nombre que pour la qualité, a été rendue possible<br />
parr des concours variés dont l'obligeance requiert de ma part<br />
unn témoignage de gratitude. Mon éminent ami l'abbé Breuil<br />
m'aa laissé puiser à pleines mains dans l'admirable collection de<br />
sess copiesd'œuvres d'art paléolithiques. M. le Prof. Obermaier,
PRÉFACEPRÉFACE<br />
dee l'Université de Madrid, m'a permis d'emprunter à ses<br />
reproductionss des peintures rupestres espagnoles les spécimenss<br />
les plus caractéristiques. Je suis redevable au D r R. de<br />
Saint-Périerr pour la reproduction des objets de Lespugue, à<br />
M.. Passemard pour celle de deux de ses trouvailles d'Isturitz.<br />
M.. le Prof. Boule m'a fait la faveur insigne, dont je lui<br />
suiss infiniment reconnaissant, de mettre à ma disposition les<br />
clichéss des luxueuses publications de l'Institut de Paléontologuee<br />
humaine. L'éditeur, de son côté, n'a rien épargné pour<br />
quee l'illustration, comme la présentation matérielle du<br />
volume,, fût digne du sujet traité et de la renommée de sa<br />
maison..<br />
Enn dépit de tous ces concours, il était matériellement<br />
impossiblee de présenter la reproduction de tous les documentss<br />
mentionnés dans le texte. Du moins, j'ai constamment<br />
indiquéé où l'on en pourra trouver une figure. Pour la commoditéé<br />
du lecteur, j'ai donné, toutes les fois que c'était<br />
possible,, la référence au Répertoire de l'Art quaternaire<br />
dee M. S. Reinach, qui fournit un véritable Corpus des œuvres<br />
d'artt paléolithiques publiées jusqu'en i g13 ; il est indiqué<br />
parr l'abréviation Rêp. L'abréviation L'A. désigne VAnthropologie.pologie.<br />
Les ouvrages sur Altamira (Alt.), les Cavernes<br />
cantabriquess (Gav. cant.), Font-de-Gaume (F. de G.), les<br />
Combarelless (Comb.), les Grottes de Grimaldi (Grim.), sont<br />
less grandes monographies publiées par l'Institut de Paléontologiee<br />
humaine.
PREMIÈREPREMIÈRE PARTIE<br />
<strong>L'ARTT</strong><br />
CHAPITRECHAPITRE PREMIER<br />
ORIENTATIONN GÉNÉRALE<br />
Less peuples historiques sur lesquels nous sommes renseignéss<br />
par des documents écrits sont relativement<br />
récents.. Une antiquité infiniment plus reculée, restée<br />
long-tempss inconnue, a été révélée par la découverte<br />
d'unee part de débris osseux ou de squelettes plus ou moins<br />
bienn conservés, d'autre part d'objets exécutés par l'Homme.<br />
Null n'ignore plus aujourd'hui qu'au moins en Europe,<br />
l'époquee de la métallurgie qui travailla d'abord le bronze, puis<br />
lee fer, a été précédée d'un âge de la pierre, où celle-ci fournissait,,<br />
avec les os d'animaux, les bois de cervidés et sans<br />
doutee aussi le bois d'arbre, la matière des armes et outils.<br />
Onn connaît ég-alement les deux grandes subdivisions de cet<br />
âgee de la pierre, la plus récente dite Néolithique, caractérisée<br />
parr des haches en pierre dure, polie par frottement, la plus<br />
anciennee ou Paléolithique, où la pierre, principalement le<br />
silex,, était taillée par éclatement. C'est de cette période que<br />
nouss allons étudier les productions artistiques, dont les trouvailless<br />
se sont multipliées depuis le milieu du xix e siècle et<br />
quii ont donné lieu à des travaux dans lesquels, il est permis<br />
dee le noter en passant, la science française tient une place
100 L'ART PALEOLITHIQUE<br />
toutt à fait prépondérante. Ces œuvres présentent un intérêt<br />
doublee : d'une part elles possèdent une haute valeur esthétiquee<br />
et, dans les sujets auxquels leurs auteurs se sont<br />
appliquéss avec leur outillage rudimentaire, elles supportent<br />
sanss peine la comparaison avec les meilleures productions<br />
dee notre technique raffinée. En outre, ce sont, au moins<br />
danss l'état actuel des connaissances, les plus anciennes<br />
productionss artistiques; par suite, en cherchant dans quelles<br />
intentionss elles ont été exécutées, on peut espérer arriver à<br />
unee solution objective, et non plus seulement théorique, du<br />
problèmee des origines de l'art.<br />
Onn a trouvé des œuvres de cet art dans toute l'Europe,<br />
jusqu'enn Angleterre, en Autriche et même en Russie; mais<br />
leurr principal centre de dispersion est la France, principalementt<br />
la région du Périgord et celle des Pyrénées avec leur<br />
prolongementt espagnol des Cantabres.<br />
Danss ce vaste domaine géographique, on a pu distinguer<br />
dess époques chronologiquement successives, caractérisées<br />
notammentt par leur industrie. Ce sont, après le Paléolithiquee<br />
inférieur (Chelléen, Aclieuléen, Moustiérien) dont nous<br />
n'avonss pas à nous occuper, car il ne nous a laissé aucune<br />
œuvree d'art, le Paléolithique supérieur ou âge du Renne, ainsi<br />
nomméé parce que cet animal est le représentant caractéristiquee<br />
de la faune, correspondant à un climat froid et sec<br />
analoguee à celui des toundras et des steppes. L'âge du Renne<br />
commencee par l'Aurignacien et se termine par le Magdalénien,,<br />
entre lesquels s'intercale, en se superposant à la fin du<br />
premierr et au début du second, une civilisation solutréenne,<br />
quii semble n'avoir existé que dans certaines régions et qui<br />
n'aa au point de vue artistique qu'un intérêt secondaire.<br />
L'âgee des civilisations paléolithiques européennes correspondd<br />
en gros à la période pléislocène des géologues. Si leur<br />
successionn chronologique semble fixée d'une manière à peu<br />
prèss définitive, leur date absolue reste indéterminée et a<br />
donnéé lieu, selon les auteurs, aux évaluations les plus variées.<br />
D'aprèss les estimations les plus modérées, l'Aurignacien se
ORIENTATIONORIENTATION GÉNÉRALE<br />
placeraitt de 25.ooo à 1O.000 ans avant notre ère, le Magdalénienn<br />
de 16.000 à 12.000.<br />
Unn certain nombre des activités classées parmi les beauxartss<br />
ont probablement existé aux temps paléolithiques. Certainess<br />
peintures rupestres sont considérées comme représentantt<br />
des danses ; bien que cette interprétation ne s'impose<br />
pas,, les figurations certaines de déguisements rendent fort<br />
vraisemblable,, par analogie avec les sauvages, l'existence<br />
dee la danse à l'époque magdalénienne. Les danses une fois<br />
admises,, il est probable qu'elles étaient, comme chez les<br />
sauvagess et pour des raisons psychologiques, accompagnées<br />
dee musique, ne fût-ce que d'une sorte de chœur. Comme instrumentss<br />
de musique découverts dans les fouilles, certains<br />
tubess en os d'oiseaux, considérés par Pielte comme des élémentss<br />
de flûtes de Pan, sont beaucoup plus vraisemblablementt<br />
des étuis à aiguilles. Peut-être pourrait-on voir une flûte<br />
primitivee dans un os de Lièvre perforé de plusieurs trous,<br />
provenantt d'une caverne paléolithique anglaise (1). Des phalangess<br />
d'antilopidés ou de cervidés, notamment de Renne,<br />
percéess près de l'une de leurs extrémités, dont on a retrouvé<br />
unn certain nombre dans diverses stations (2), sont courammentt<br />
considérées comme des sifflets comparables à ceux que<br />
noss enfants confectionnent avec des noyaux d'abricots.<br />
L'utilisationn de ces os comme sifflets n'a rien d'impossible,<br />
maiss dans certains d'entre eux, notamment les plus anciens,<br />
remontantt au Mousliérien (La Chapelle-aux-Saints, la<br />
Quina),, le trou n'est pas le produit d'un travail industriel,<br />
maiss simplement d'un coup de dent de carnassier.<br />
Pourr l'architecture, il est probable que les Paléolithiques<br />
habitaient,, outre les abris ou grottes où l'on a retrouvé leurs<br />
foyers,, des huttes en branchages, que semblent représenter<br />
certainess figures dites « tectiformes », gravées ou peintes<br />
surr les parois des cavernes (fig. 101).<br />
(1)) Guide oftheBritish Muséum, Stone Age, p. 62, fig. 71 (Kent's Hole).<br />
(2)) Solutré, le Ghaffaud, le Placard, les Eyzies, la Mouthe, Laugerie-Basse,<br />
Bruniquel,, Aurignac.
122 VART PALÉOLITHIQUE<br />
Unee autre forme d'art, la parure corporelle, était très<br />
développéee chez les Paléolithiques, comme chez les sauvages,<br />
pourr ne rien dire des civilisés. Nous nous bornons à la mentionnerr<br />
ici et lui consacrerons plus loin de plus amples développementss<br />
(i).<br />
Maiss on entend principalement par le terme d'art la<br />
peinture,, la sculpture et la gravure, c'est-à-dire l'ensemble<br />
dess activités humaines qui, quels que soient la technique,<br />
less matériaux et les instruments employés, donnent naissancee<br />
à des formes. Dès ces âges extraordinairement reculés,<br />
.. ces productions artistiques sont de nature très variée. On<br />
peutt les distinguer d'abord au point de vue de leur simple<br />
aspectt visuel en œuvres figurées, reproduisant des objets ou<br />
dess êtres réels, et en simples assemblages de traits qui, au<br />
moinss à première vue, semblent dépourvus de signification<br />
figuréefigurée et qu'on peut appeler linéaires ou géométrique<br />
D'aprèss la nature des matériaux utilisés pour les exécuter,<br />
onn les divise en œuvres d'art mobilier, sur objets transportables,,<br />
et d'art pariétal, exécutées sur les parois, les plafonds<br />
ouu même parfois le sol des cavernes. Enfin, au point de vue<br />
dee leur destination présumée et plus précisément, quand il<br />
s'agitt de dessins, au point de vue de leur relation à la surfacee<br />
qui les supporte, on peut distinguer des œuvres d'art<br />
décoratives,, où les tracés, qu'ils soient d'ailleurs figurés ou<br />
purementt géométriques, sont destinés à orner, à embellir, à<br />
rendree plus agréable à l'œil un objet préexistant et qui avait<br />
déjàà son rôle propre avant l'addition de l'ornementation, et<br />
dess œuvres, qu'on appelle généralement œuvres d'art tout<br />
courtt et que nous appellerons indépendantes, où les figures<br />
see suffisent à elles-mêmes, la matière (pierre, bois de cervidés,,<br />
os ou ivoire) n'ayant d'autre rôle que de leur servir de<br />
support,, comme ferait chez nous une feuille de papier. Les<br />
principauxx instruments auxquels est appliquée la décoration<br />
artistiquee sont d'abord les propulseurs pour lancer les<br />
(1)) Cf. ci-dessous, p. 3J-5G.
ORIENTATIONORIENTATION GÉNÉRALE<br />
flèches,flèches, ensuite les bâtons troués en bois de cervidés, surtout<br />
dee Rennes, connus sous le nom de bâtons de commandement,,<br />
et dont l'usage véritable, malgré de nombreuses tentativess<br />
d'interprétation, reste encore énig-matique.<br />
Auu point de vue technique, ces œuvres d'art se divisent<br />
toutt naturellement en peintures, sculptures et gravures. On<br />
aa longtemps considéré, à la suite de Piette, la sculpture<br />
Kg.. 1. — Gravures pariétales aurignaciennes (Pair-non-Pair, Gironde).<br />
Echellee : 1/25 environ (d'après DALEAU).<br />
commee antérieure à la gravure, qui en serait sortie par des<br />
intermédiairess tels que les contours découpés, analogues aux<br />
soldatss en fer-blanc de nos enfants, le relief et le champlevé.<br />
Cettee conception, d'accord avec les faits connus du temps de<br />
Piette,, ne correspond plus à l'état actuel de la documentation..<br />
S'il reste vrai que la sculpture a prédominé à l'époque<br />
aurignaciennee et la gravure à la fin du Magdalénien, il<br />
semblee y avoir eu apparition non successive, mais simultanée,,<br />
dès une époque voisine des débuts de l'Aurignacien,<br />
dee la peinture, de la gravure et de la sculpture.<br />
Cett état de fait de la chronologie relative des techniques<br />
artistiquess n'aurait qu'un intérêt secondaire, si Piette<br />
n'avaitt invoqué des arguments a priori pour soutenir l'antérioritéé<br />
nécessaire de la sculpture par rapport à la gravure.
144 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Less objets représentés par 1 art figuré, et en particulier les<br />
êtress vivants, sont, dit-il, des volumes au sens géométrique<br />
duu mot, des corps à trois dimensions. Les sculptures ayant<br />
égalementt trois dimensions, ce mode de représentation est<br />
pluss naturel que la gravure qui, ne donnant des objets à<br />
troiss dimensions que des images à deux dimensions, suppose<br />
l'abstractionn de la troisième et, en tant que procédé plus<br />
compliqué,, doit être d'invention postérieure.<br />
Maiss il faut remarquer d'abord que la technique de la couleur,,<br />
qui n'est susceptible de produire par elle-même que des<br />
imagess à deux dimensions, est aussi ancienne que la<br />
techniquee glyptique ou du grattage avec des instruments en<br />
silex,, qui peut produire indifféremment des sculptures à trois<br />
dimensionss et des gravures à deux dimensions seulement;<br />
ett dans celle-ci elle-même, les images à deux dimensions<br />
dee la gravure ne sont pas postérieures aux images à trois<br />
dimensionss de la sculpture. L'argumentation théorique de<br />
Piettee est donc contredite par les faits.<br />
Ellee est d'ailleurs très contestable en elle-même et semble<br />
reposerr sur une confusion résultant d'une psychologie trop<br />
superficielle.. Il est exact que les représentations à deux<br />
dimensionss d'objets à trois dimensions supposent une abstractionn<br />
; mais il ne s'ensuit nullement que cette abstraction<br />
doivee être une opération postérieure. Sans même rappeler<br />
cettee banalité psychologique que l'abstraction est spontanémentt<br />
impliquée dans l'opération mentale la plus simple,<br />
commee une sensation, nous pouvons constater la présence de<br />
l'abstractionn dans les plus anciennes œuvres d'art. En effet,<br />
laa technique glyptique fait abstraction de la couleur des<br />
objetss représentés, et il en est de même de la technique<br />
peinte,, car les peintures aurignaciennes se réduisent à des<br />
contourss dessinés avec des matières dont la couleur jaune<br />
rougee ou noire n'a pas plus de rapport objectif avec le<br />
coloriss réel de l'objet représenté que nos dessins au crayon<br />
noir.. En ce qui concerne maintenant l'abstraction de la<br />
troisièmee dimension qui caractériserait la gravure par oppo-
ORIENTAORIENTA TJO.X GÉNÈAA LE<br />
sitionn à la sculpture, c'est une erreur, encore que très<br />
naturelle,, de croire que l'œuvre d art reproduit l'être objectif<br />
dontt elle semble être l'image. Elle n'en est, si l'on peut dire,<br />
qu'unee traduction au second degré, et ce qu'elle reproduit<br />
enn réalité, c'est la représentation mentale que l'artiste a de<br />
cett objet et spécialement de ses caractères visuels, représentationn<br />
donnée par la sensation et conservée par la mémoire.<br />
Fig.. 2. — Statuette féminine (Willendorf, Autriche).<br />
Vuee de face et de profil. Echelle : 1/2 (Photographie d'un moulage).<br />
Or,, la voluminosité de l'objet, la possession par lui d'une<br />
troisièmee dimension, n'est pas une donnée primitive de la<br />
sensationn visuelle. En laissant de côté le rôle des éléments<br />
tactiless dans la perception acquise de la troisième dimension,<br />
unn objet, même à trois dimensions, se présente toujours à<br />
l'œill sous l'aspect d'un champ coloré limite par un contour<br />
d'unee certaine forme et qui n'a que deux dimensions. Ce qui<br />
constituee la troisième dimension d'un objet visuel, ce n'est<br />
pass une sensation, mais une idée, l'idée que l'objet qui<br />
donnee en ce moment une sensation visuelle d'une certaine<br />
formee à deux dimensions a donné antérieurement et donnera<br />
ultérieurement,, si ion l'envisage d'un autre point de vue,<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 2<br />
155
166 L\\l\T PALÉOUTHIQI'K<br />
d'autress sensations visuelles,-également à deux dimensions,<br />
maiss de forme différente, par exemple les différentes sensationss<br />
visuelles d'un Bison vu successivement de devant, de<br />
profill et de derrière. Par conséquent, l'artiste qui veut<br />
rendree la troisième dimension d'un objet veut rendre en<br />
réalité,, non l'aspect qu'il présente à l'œil à un moment<br />
donné,, mais les différents aspects qu'il pourrait lui présenter<br />
àà des moments successifs. Ce n'est donc pas la représentationn<br />
à deux dimensions, mais la représentation à trois dimensionss<br />
qui suppose un processus mental plus compliqué, et si<br />
l'onn devait conclure, comme le veut Piette, de la complexité<br />
psychologiquee à la postériorité chronologique, la sculpture<br />
devraitt être postérieure à la gravure. Si donc la sculpture<br />
estt sans nul doute la technique la mieux appropriée au rendu<br />
dee la troisième dimension (encore le dessin en est-il capable<br />
danss une certaine mesure en recourant au procédé que j'ai<br />
appeléé réalisme intellectuel et qui, comme nous le verronss<br />
(i), n'est pas inconnu des Paléolithiques), il n'en résulte<br />
nullementt que les premiers artistes aient tenu à rendre cette<br />
troisièmee dimension et que la sculpture ait dû être la premièree<br />
en date des techniques artistiques.<br />
L'outillagee artistique a consisté essentiellement, pour la<br />
sculpturee et la gravure (sans parler des dessins tracés avec le<br />
doigtt sur l'argile molle du sol ou des parois des grottes)<br />
danss des burins en silex, accompagnés de pointes fines pour<br />
less détails et de ciseaux ou de marteaux en pierre pour<br />
dégrossirr les contours des grands reliefs.<br />
Less sculpteurs paléolithiques ont également pratiqué le<br />
modelagee de l'argile, comme l'attestent les Bisons du Tue<br />
d'Audoubertt (fi g. 3) et diverses figures de la grotte de Mon?<br />
tespann (Haute-Garonne) (2). Dans cette dernière grotte, une<br />
statuee d'ourson en argile, qui n'a jamais eu de tête, porte<br />
surr la section du cou une cavité qui semble produite par une<br />
(1)) Cf. ci-dessous, p. 84.<br />
(2)) Comte BEGÛUEN et N. GASTERET, La caverne de Montespan, Hevue anthropologique,pologique,<br />
1923, p. 533, sq. —Cf. ci-dessous, p. 118.
Fig.. 3. — Bisons d'argile (Caverne du Tue d'Audoubert, Ariège).<br />
Echellee : 1 '!> environ (Photographie de M. MAX BÉGOUEN).
188 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
chevillee de bois cédant sous le poids, et un crâne d'ourson a<br />
étéé retrouvé sur le sol entre les pattes de la statue. Il semble<br />
doncc que la statue acéphale en argile ait été complétée par<br />
unee tête naturelle. Certains indices permettent en outre de se<br />
demanderr si le corps modelé n'aurait pas été recouvert d'une<br />
peauu de bête. Il ne serait pas impossible que la statue en<br />
ivoiree de Laugerie-Basse, dite « Vénus impudique » (fig. 4><br />
n°° 3), qui n'a jamais eu ni tête ni bras et dont l'extrémité<br />
supérieure,, dans la région du cou, se termine en biseau, ail<br />
étéé également complétée par des pièces annexes en bois ou<br />
cornee et en pelleterie, à la façon de certaines de nos poupées<br />
actuelless à corps en peau, tête en porcelaine, recouvertes de<br />
vêtements..<br />
Pourr la peinture, les couleurs employées étaient le noir<br />
fournii par le charbon et divers minéraux contenant du manganèse,,<br />
le jaune et diverses nuances de rouge fournies par<br />
l'ocre.. Ces couleurs étaient employées tantôt à l'état solide,<br />
tailléess comme des pastels, tantôt broyées et triturées avec<br />
dee l'eau, de l'huile, de la moelle ou de la graisse et étendues<br />
soitt avec le doigt, soit avec de véritables pinceaux. On a<br />
retrouvéé des tubes en os contenant encore de la poudre de<br />
couleurr et des pierres qui avaient servi de godets ou de<br />
palettess pour préparer la couleur en pâte et qui en conservaientt<br />
encore les traces.<br />
Laa technique artistique a subi au cours des âges paléolithiquess<br />
des modifications fort complexes dont l'examen nous<br />
entraîneraitt trop loin. Nous nous bornerons à indiquer les<br />
principaless phases de la peinture pariétale : après des dessins<br />
Fig.. 4. — Figures humaines magdaléniennes.<br />
1.. Statuette féminine taillée dans une incisive de Cheval (le Mas d'Azil, Ariège).<br />
—— i. La « Femme au Henné », gravure sur bois de Renne (Laugerie-Basse, Dordogne))<br />
(1 el2 d'après PIETTE). —3. La « Vénus impudique », statuette féminine<br />
enn ivoire (Laugerie-Basse) (photographie de l'original au Muséum).— 4 Gravure<br />
surr bâton troué en bois de Renne (Gourdan, Haute-Garonne). — 5. « Danseur ><br />
gravéé sur rondelle d'os (le Mas d'Azil). — 0. Homme de la gravure sur buis de<br />
Rennee dite le Chasseur d'Aurochs » (Laugerie-Basse). —7. Portion d'une gravuree<br />
sur bois de Renne (La Madeleine, Dordogne) (4 à 7, d'après PIETTE). — S.<br />
Gravuress pariétales (Marsoulas, Haute-Garonne) (d'après BIIEUIL).
Fig.. 4,
200 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
oùù le contour seul était peint, en trait d'abord mince, parfoiss<br />
ponctué (fig-. 5), puis plus épais et baveux, elle a passé<br />
àà des peintures proprement dites, à intérieur coloré, d'abord<br />
enn teintes estompées, puis en teintes plates avec épargnes,,<br />
ensuite en teintes plates uniformes, enfin en couleurr<br />
polychrome. On trouve à toutes les époques des<br />
exempless fréquents de collaboration de la peinture avec la<br />
Fig.. o. — Biches.<br />
[Peintt ires pariétales en rouge (Otn-alanas, province de Santander, Espagne)<br />
(d'aprèss BREUTL).<br />
sculpturee et la gravure, non seulement dans le Magdalénien<br />
final,final, où les polychromes sont esquissés en gravure, puis<br />
repriss par raclage par-dessus la couleur pour produire des<br />
effetss de modelé, mais aussi dans l'Aurignacien où des traces<br />
dee peinture ont subsisté sur les gravures pariétales de Pairnon-Pairr<br />
(fig. i) (i), les reliefs de Laussel (fig. 9), la statue<br />
dee Willendorf (fig. 2), ce qui a permis de se demander si<br />
danss la « figurine à la capuche » de Brassempouy (fig. 6),<br />
less yeux et la bouche, non figurés en sculpture, n'auraient<br />
pass été tracés avec de la couleur aujourd'hui disparue.<br />
Quelless que soient les différences de nature et de tech-<br />
(1)) Altam., p. 19.
ORIEXTATIOXORIEXTATIOX GÉNÉRALE<br />
nique,, les œuvres d'art paléolithique forment un ensemble<br />
homogène;; à diverses reprises, un même g-isement a fourni<br />
dess figures presque identiques à la fois en art mobilier et<br />
Fig.. 6. — Statuettes humaines aurignaciennes en ivoire.<br />
(Brassempouy,, Landes).<br />
Enn haut à droite, « Fig-urine à la capuche », légèrement réduite. En bas au milieu,<br />
«« la Poire ». Echelle : 3/4 (d'après MIETTE).<br />
enn art pariétal : c'est le cas notamment pour des Chevaux<br />
aurignacienss de Hornos et pour les têtes de Biches du Magdalénienn<br />
inférieur d'Altamira et de Caslillo. Par suite, le<br />
procédéé le plus commode pour passer en revue ces productionss<br />
est de les diviser d'après les sujets représentés.
222 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Nouss laisserons provisoirement de coté, pour y revenir<br />
pluss loin en détail, les motifs géométriques.<br />
D'autress figures, appartenant presque exclusivement à<br />
l'artt pariétal, restent énigmaliques. Les unes, notamment à<br />
Santiann et à Altamira, pourraient représenter des variétés<br />
d'armess analogues à des massues ou à des boumerangs, de<br />
mêmee que d'autres ont toutes chances de figurer des flèches<br />
Fig.. 7. — Bison.<br />
Peinturee pariétale en rouge et noir (Marsoulas, Haute-Garonne). Sur le flanc,<br />
unn signe pectiniforme. Echelle : 1/30 environ (d'après BREUIL).<br />
ouu des harpons. D'autres, appelées tectiformes parce que<br />
certainess ressemblent beaucoup à des charpentes de huttes<br />
(fig.. IOI), forment une série très complexe et n'ont probablementt<br />
pas toutes la même signification. D'autres enfin<br />
restentt entièrement inexpliquées et l'on a dû se borner à<br />
leurr donner le nom très vague de scutiformes (en forme de<br />
bouclier),, qui ne répond même qu'approximativement à leur<br />
aspect.. Quelques signes pectiniformes (en forme de peigne),<br />
notammentt un peint en rouge sur le flanc d'un bison<br />
polychromee de Marsoulas (fig. 7), pourraient être des stylisationss<br />
de la main.<br />
Less dessins de végétaux sont extrêmement rares et d'ailleurss<br />
d'interprétation ambiguë : on peut hésiter entre des
ORIENTAORIENTA TIO.X G ËNÈRA L E 233<br />
plantess et des flèches: il semble cependant)- avoir un rameau<br />
feuilluu gravé sur os au Trilobite (fîg-. 8), un autre sur un<br />
bâtonn troué de Veyrier (Haute-Savoie) (i); une gravure sur<br />
oss du Mas d'Azil (2) semble représenter un arbuste avec ses<br />
branchess et ses racines. Deux<br />
curieusess sculptures en bois de m^<br />
Rennee de Lourdes (3) présentent<br />
unee assez grande ressemblance<br />
avecc un épi.<br />
Laa figure humaine et surtout<br />
fémininee joue à l'origine un rôle<br />
prépondérant.. Ce sont, au début<br />
dee PAurignacien moyen, les statuettess<br />
en ivoire de la grotte du<br />
Papee à Brassempouy (Landes)<br />
(fig.. 6) et les deux gravures au<br />
champlevéé sur une pierre de<br />
Terme-Pialatt (Dordogne) (4);<br />
d'unn Aurignacien peut-être plus<br />
avancé,, les statuettes en stéatitee<br />
et en os des Baoussé-<br />
Rousséé (5) et une gravure sur<br />
oss de Cro-Magnon (6); à la fin<br />
dee l'Aurignacien, la statue fémininee<br />
en calcaire oolithique de<br />
Willendorff près de Vienne<br />
(Autriche)) (fig. 2), les cinq<br />
remarquabless reliefs sur pierre<br />
dee Laussel (Dordogne), dont l'un<br />
représentee un homme et un autre une femme aux formes<br />
^plantureusess élevant dans la main droite une corne de<br />
mm<br />
Fig.. 8. — Rameau gravé sur os<br />
(grottee du Trilobite à Arcy-sur-<br />
Cure,, Yonne).<br />
(d'aprèss PARÂT.)<br />
(1)) Rép., p. 187, n» 1.<br />
(2)) Hep., p. 157, n° 4.<br />
(3)) L'une dans Rép., p. 135, n« 10 et 11.<br />
(4)) A. DELUGIN, Bull. Soc. histor. elarchéol. du Périgord, 1914.<br />
(5)) Rép., p
LARTLART PALÉOLITHIQUE<br />
Bisonn (%. 9). De tout premier ordre, véritable chefd'œuvree<br />
de la sculpture aurignacienne, est la statuetfe en<br />
ivoiree récemment découverte à Lespug-ue (Haute-Garonne)<br />
(fig\\ 10) (1), qui porte au bas du dos la représentation d'une<br />
sortee de pagne et qui témoigne d'une habileté technique à<br />
Fi>'.. y. — Reliefs pierree (l.aussel, Dordogne). « Femmee à la corne »<br />
ett personnage masculin.<br />
Echellee : 1/6 'd'après LALANNEÏ.<br />
laquellee la sculpture n'arrive que relativement tard en ce<br />
quee les bras sont en partie détachés du corps'.<br />
Dee l'extrême fin de PAurignacien ou tout au plus, pour<br />
certains,, de l'aurore du Solutréen, mais en tout cas se<br />
rattachantt aux traditions aurignaciennes,sont là statue masculinee<br />
en ivoire de Brno (Moravie) (fig. io4), où le seul bras<br />
restantt est bien dégagé du tronc, une figurine très grossièree<br />
en bois de Renne de Trou-Magrite (Belgique) (2) et<br />
(1)) VA., t. XXII, 1922, p. 365, fig. 2 et pi. I-III. I<br />
(2)) Itép., p. 171, n- 8 et 9.
Fig.. 10. — La « Dame de Lespugue » (Haute-Garonne).<br />
Vuee de devant, de profil et de derrière. En haut, la staluette d'ivoire telle qu'elle a été<br />
trouvée:: en bas, moulage restauré. Echelle: 1/2 Fouilles R. de SAINT-PÉRIER).,
LWRTLWRT PALÉOLITHIQUE<br />
d'autres,, presque informes, taillées dans des phalanges de<br />
Mammouthh à peine dégrossies du gisement de Przedmost<br />
(Moravie)) (fig. 96), qui a fourni également une gravure sur<br />
ivoiree représentant, selon toute vraisemblance, une figure<br />
fémininee très stylisée (fig. n). Des objets en ivoire et en os<br />
dee Mézine (Ukraine) paraissent être également des figures<br />
humaines.. Dans un milieu qui n'est sans doute pas aurigna-<br />
Fig.. 11. — Objets de Przedmost (Moravie).<br />
AA gauche, slylisation de figure féminine (en partie reconstituée) gravée sur tronçon<br />
dee défense. Echelle : 1/2. A droite, pendeloque décorée en ivoire. Echelle : 2/B.<br />
cien,, mais qui est chronologiquement antérieur au Magdalénien,,<br />
l'abri de La Colombière (Ain) a fourni une gravure<br />
d'Hommee sur omoplate de Mammouth (fig. 12).<br />
Laa figure humaine est en régression très nette à l'époque<br />
magdalénienne,, tant pour le nombre des exemplaires que<br />
pourr le fini de l'exécution. On n'y trouve guère comme<br />
sculpturess que la « Vénus impudique » (fig. [\, 11" 3) en<br />
ivoiree de Laugerie-Basse, une incisive de Cheval taillée en<br />
personnagee féminin du Mas d'Azil (fig. 4, n° 1), des bustes<br />
trèss grossiers en bois de Renne du Placard et de Laugerie-<br />
Basse,, et comme spécimens d'art décoratif, un ciseau de la<br />
grottee des Fées à Marcamps (Gironde) et deux extrémités
Fig.. 12. — Homme, Renne et Ours, gravures superposées sur os de<br />
Mammouthh (la Colombière, Ain).<br />
Echellee : 1/ï environ (d'après MAYET).<br />
Fig.. 13. — Tête anthropoïde formant l'extrémité d'un propulseur en bois<br />
dee Renne (Gourdan, Haute-Garonne).<br />
(Musée(Musée de Saint-Germain, collection PIETTE .
288 VAUT PALÉOLITHIQUE<br />
dee propulseurs taillées en forme de têtes, l'une de Gourdan<br />
(fig.. i3), l'autre du Placard. Les gravures, à peine moins<br />
rares,, sont tout aussi médiocres et parfois détestables; les<br />
pluss soignées sont deux figures de Laugerie-Basse, la<br />
«« Femme au Renne » (fig. 4, n° 2) et le « Chasseur d'Aurochss<br />
» ; une lame d'os de la même station est gravée à son<br />
extrémitéé fragmentée d'une tête humaine. Des bonshommes<br />
tantôtt simplement grossiers, tantôt presque méconnaissables,<br />
sontt gravés sur une plaquette d'ardoise d'Aurensan, sur un<br />
bâtonn troué en bois de Renne de Gourdan (fig. l\, n° 4), sur<br />
dess pierres de Lourdes (fig. 110), sur un bois de Renne à<br />
Laa Madeleine (fig. 4, n° 7), sur un os à Chancelade (fig. 113),<br />
surr les deux faces d'une rondelle d'os au Mas d'Azil (fig. 4}<br />
n°° 5).<br />
L'artt pariétal présente également quelques figures<br />
humainess ou plus exactement anthropomorphes à Marsoulas<br />
(fig.. 4) n° 8), à Font-de-Gaume, aux Gombarelles, au Portel;<br />
ouu en trouve à Ilornos et Altamira qui sont sûrement aurignaciennes;;<br />
une d'Altamira (frise tombée) (fig. 88) peut<br />
mêmee être datée comme du début de l'Aurignacien (1).<br />
Danss bon nombre de ces figures, l'aspect grimaçant, on<br />
nee peut même pas dire animal des têtes semble, comme la<br />
grossièretéé des silhouettes, s'expliquer suffisamment par la<br />
maladressee de l'exécution, qui rapproche ces productions<br />
dess bonshommes dessinés par nos enfants. Mais cette explicationn<br />
ne saurait suffire pour certaines figures, présentant<br />
dess caractères animaux qui paraissent voulus. Divers bonshommess<br />
sont munis d'une queue qui pourrait n'êlre que<br />
l'appendicee d'une peau de bête portée comme vêtemenl :<br />
telss sont, par exemple, une gravure sur bois de Renne de<br />
Lacavee (Lot) (fig. i4) ou dans l'art pariétal, une figure de<br />
Hornos.. Mais d'autres exemplaires, sur lesquels nous reviendronss<br />
(2), présentent, associées ou non à cette queue, des<br />
têtess plus ou moins animales qui doivent correspondu',<br />
(1)) Sur les représentations humaines ou anthropoïdes, cf. Comb., chap VIII<br />
(2)) Cf. ci-dessous, p. 211.
00111111 EX TA TJ ON G ÉNÊRA LE 299<br />
commee chez nombre de sauvag-es actuels,<br />
àà des déguisements cérémoniels.<br />
Less animaux ont fourni aux artistes<br />
paléolithiquess leurs sujets de prédilection.<br />
Leurss représentations sont de valeur inégalee<br />
: certaines ne sont que des griffonnagess<br />
presque informes et doivent être<br />
attribuéess à des apprentis, sinon même<br />
àà des enfants; d'autres, surtout au Mag-dalénienn<br />
supérieur, donnent l'impression<br />
d'œuvress bâclées et en quelque sorte exécutéess<br />
à la grosse ; ce sont pour ainsi dire<br />
dess articles de bazar, de l'art commercial<br />
duu genre des assiettes décorées qu'on trouvaitt<br />
jadis dans nos campagnes. Les<br />
figuress d'exécution hâtive aboutissent à<br />
dess schématisations où l'on a la plus<br />
grandee peine à reconnaître avec quelque<br />
probabilitéé le motif original. Mais un<br />
Fig.. 14. — Gravures sur bois de Renne<br />
(Lacave,, Lot).<br />
(d'aprèss VIRÉ).<br />
Fig.. 15. — Serpents.<br />
Gravuree sur os (Grotte<br />
dess Rideaux à Lespugue,,<br />
Haute-Garonne).<br />
Grandeurr vraie (d'après<br />
R.. de SAINT-PÉRIER).
300 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
grandd nombre sont traitées avec une telle maîtrise que non<br />
seulementt un naturaliste, mais quiconque a vu les animaux<br />
représentés,, les reconnaît au premier coup d'oeil.<br />
Dess coquillages et des coléoptères sont représentés à titre<br />
toutt à fait exceptionnel, sous forme de pendeloques (i). On<br />
connaîtt quelques gravures de serpents (fig. i5) (2). Les pois-<br />
Fig.. 16. — Cerfs et Saumons.<br />
Gravuress (déroulées) sur andouiller de Cerf (Lorthet, Hautes-Pyrénées^.<br />
Echellee : 3,4 environ (d'apivs PIETTE).<br />
sonss et les oiseaux, bien que plus fréquents, sont encore<br />
relativementt rares, surtout en sculpture. On peut citer pour<br />
less premiers, outre des figures qui ne permettent guère une<br />
déterminationn précise (fig. 79) (3), le Saumon (fig. 16), la<br />
Truitee (fig. 17), le Brochet (fig. 36) (4), la Sole (fig. 18),<br />
lee Tlion (5) ; pour les seconds, le Cygne, l'Oie, le Canard,<br />
laa Grue, le Coq de bruyère (fig. 19) (6).<br />
(1)) Cf. ci-dessous, p. 45-41J.<br />
(8)) R. de SAINT-I'ERIER, l'A., t. XXXIV, 1924, pp. 10-14.<br />
(3)) Cf. Hép., p. 62, n" G (Croze de Tnyac); p. 156, no 3 et 157, n» 5 (Mas d'Azil)p..<br />
173, n» 8 (grotte Rey); p. 184, Q» 1 (Teyjal). ''<br />
(4)) CI" Rép., p. 114, n" 8 et 116, n" 4 (Laugerie-BwM).<br />
(N)) Hép., p. 167, n° 3 (gravure pariétale de Find;il).<br />
(6)) Sur les représentations d'Oiseaux dans l'art paléolithique, cl'. Cav. cantabr.,<br />
chapitree XVI.
ORIENTATIONORIENTATION GÉNÉRALE 311<br />
Maiss ce sont surtout des Mammifères (i) que représentent<br />
Fig.. 17. — Poissons gravés sur le sol (grotte de Niaux, Ariège,'.<br />
Echellee : 1/5 (d'après BREUII.).<br />
less sculptures et gravures mobilières, aussi bien que les<br />
Fig.. 18. — Poisson (Soie?).<br />
Gravuree à contours découpés sur os ^Groltedes Bœufs, àLespugue, Haute-Garonne).<br />
Less deux faces. Double de la grandeur vraie (d'après R. de SAINT-PÉEUERI.<br />
figuresfigures pariétales. Les classes d'animaux représentées sont<br />
11 Sur les figures de Mammifères dans l'art paléolithique, cf. Cav. canlabr ,<br />
chap.. XV; p. de G., chap. X-XV; Comb., chap. VIII-XIII.<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 3
322 VAUTVAUT l'ALÉOLITHIQl r E<br />
nombreuses,, ce qui, joint aux ossements fossiles rencontrés<br />
danss les mêmes gisements, permet de reconstituer la Faune<br />
dee l'époque. Le Renne, dont on a donné le nom à celle<br />
époquee et qui était la ressource universelle pour les hommes<br />
Fig.. 19. — Gravures d'Oiseaux<br />
1.. Cyyne sur caillou roulé de Gourdan; 2. Canard sur bois de Renne de Gourdan<br />
S.S. Oiseau sur pierre de Lourdes (d'après PIETTÏ).<br />
d'alors,, auxquels il fournissait non seulement sa chair comme<br />
nourriture,, mais aussi ses os et ses bois comme matière<br />
ouvrable,, ses tendons qu'on disséquait en cordes ou fils de<br />
toutess les grosseurs souhaitées, est figuré à de très nombreuxx<br />
exemplaires (fig. Gi, 03-05, 94), peut-être cependant<br />
moinss fréquemment que le Bison (Kg. 3, 7, 53, 00, 69, 73,
ORIENTAORIENTA TION GÊNÉ RA L K 333<br />
78,, 101, 102). Viennent ensuite, encore assez fréquents, le<br />
Chevall (fig. 20), dont les représentations ont permis de<br />
reconnaîtree au moins deux g-randes races, le Bœuf sauvage,<br />
Aurochss ou Urus, le Mammouth (fig. 27, 44, 9 2 )i le Cerf<br />
Fig.. 20. — Equidé. Statuette en ivoire (grotte de Lourdes).<br />
Echellee : 4/3 environ (d'après PIBTTE) (dessin de H. BREUIL) .<br />
(fig 1 .. 16) et le Bouquetin (fig 1 . 74); enfin, avec des représentationss<br />
plus rares ou même exceptionnelles, le Rhinocéros<br />
(fig-.. 83), l'Ours (fig-. 67), le Phoque (fig 1 . 36), la Loutre, le<br />
I''<br />
Fig.. 21. — Têtes de Chamois et de Marmotte (?)<br />
Gravuress sur bois de Renne (Gourdan, Haute-Garonne). Echelle : 5/6 environ<br />
(d'aprèss PIETTE).<br />
Bœuff musqué, le Chevreuil, le Chamois (fig-. 21), l'Elan<br />
(fig-.. 70), l'Antilope saïga, le Lion des cavernes (fig. 80), la<br />
Hyène,, le Loup, le Chat sauvage, le Glouton (fig. 4o), le<br />
Sanglierr (fig. 90), le Renard, le Lièvre (fig. 22). Le chef-
344 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
d'oeuvree peut-être de cet arl animalier est l'admirable tête<br />
Fïg.. 22. — Lièvre.<br />
Gravuree sur pierre (Isturitz, Basses-Pyrénées) (d'après PASSEMARD).<br />
dee Cheval hennissant sculptée en bois de Renne du Mas<br />
Fig.. 23. — Tête de Cheval sculptée en bois de tienne.<br />
(grottee du Mas d'Azil, Ariège).<br />
Echellee : 2/1 environ (d'après PIETTE).<br />
d'Azill (fig. 23), qui révèle à la fois une habileté technique
0RŒXTAT10X0RŒXTAT10X GÉXÉRALE 3<br />
consomméee et un rendu saisissant de l'expression et de la<br />
vie..<br />
DansDans nombre de figures, la tête seule a été traitée ; une<br />
mentionn spéciale est due à une sculpture en bois de Renne<br />
duu Mas d'Azil représentant une tête de Cheval décharnée (i);<br />
c'estt sans doute, comme d'autres figures, l'image d'un trophéee<br />
de chasse et peut-être en même temps une étude anatomique..<br />
On peut considérer également comme des croquis<br />
dess figures de parties isolées du corps, en particulier des<br />
Fig.. 24. — Chasse au Sanglier.<br />
Peinturee rupestre en rouge sombre (Val del Charco del Agua amarga,<br />
provincee de Teruel, Espagne). Echelle : 1/0 (d'après OBERMAIER).<br />
boiss de cervidés ou des jambes. Les faits de ce genre donnentt<br />
à penser que, dès l'époque magdalénienne, il existait<br />
sinonn des écoles d'art comme on l'a prétendu avec quelque<br />
exagération,, du moins des hommes qui s'appliquaient avec<br />
zèlee à la création artistique et probablement même des<br />
artistess professionnels.<br />
Sii remarquable que soit l'art de la vaste région que nous<br />
venonss d'étudier, et malgré la haute valeur esthétique de ses<br />
chefs-d'œuvre,, on ne peut se défendre de le trouver un peu<br />
monotone.. La figure humaine n'y est guère représentée<br />
aprèss l'Aurignacien, et par des spécimens dont les meilleurs<br />
sontt simplement honorables. Dans l'ensemble, cet art donne<br />
l'impressionn d'une vaste ménagerie, et l'œil même finit par<br />
see lasser de cet interminable défilé d'animaux qui, sauf<br />
exceptionss relativement peu nombreuses, sont toujours les<br />
(1)) Rép., p. 149, n° 4.
366 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
mêmes,, parfois saisis avec une fidélité d'attitude qui fait<br />
penserr à la photographie instantanée, mais, à part de rares<br />
exceptions,, sans aucun souci de composition.<br />
Mais,, depuis une quinzaine d'années, des découvertes qui<br />
see poursuivent tous les jours ont révélé une nouvelle provincee<br />
de l'art paléolithique, qui se distingue par des caractèress<br />
spéciaux. Sa situation géographique est en gros l'Es-<br />
Fig.. 25. — Chasse aux Cerfs.<br />
Peinturee rupestre en rouge sombre (Cueva del Mas d'en Josep, Barranco de<br />
Valltorta,, province de Castellon, Espagne). Echelle : 1/5 (d'après OBERMAIER).<br />
pagnee de l'Est et du Sud-Est (i). Elle n'a pas fourni d'œuvres<br />
d'artt mobilier, mais uniquement des peintures tracées, non<br />
pluss dans les profondeurs obscures de vastes cavernes, mais<br />
surr les parois d'abris ou même sur des rochers en plein air.<br />
Cess productions sont certainement contemporaines de l'âge<br />
duu Renne du reste de l'Europe, bien qu'elles ne figurent pas<br />
cett animal, dont au reste les ossements sont très rares et<br />
auquell le climat ne devait pas convenir; mais leurs auteurs<br />
avaientt des conceptions esthétiques partiellement originales.<br />
Danss l'état encore rudimentaire de nos connaissances, ils<br />
(1)) Cf. H. OBERMAIER, El Hombre fosil, 2* édit., Madrid, 1925, chap. VII.
01UEXTA01UEXTA T10X GÉNÉRALE 377<br />
semblentt avoir appartenu à des peuplades dites capsiennes,<br />
venuess peut-être de Tunisie qui, tandis qu'au Nord des Pyrénéess<br />
où on les appelle aurignaciennes, elles auraient été<br />
modifiéess dans la suite par des influences solutréennes et<br />
magdaléniennes,, auraient<br />
suivii en Espagne jusqua<br />
l'Azilienn une évolution à peu<br />
prèss indépendante.<br />
Onn rencontre dans ces<br />
peintures,, surtout semble-till<br />
au début, des animaux<br />
isoléss de même style que<br />
ceuxx de la région francoeanlabrique,,<br />
cette ressemblancee<br />
pouvant s'expliquer,<br />
sanss faire appel à des influencess<br />
d'une région sur l'autre,<br />
parr une même tendance au<br />
réalismee qui a pu se produire<br />
indépendammentt de part et<br />
d'autre.. En tout cas, l'originaliléé<br />
des artistes espagnols<br />
paléolitlnquess se manifeste<br />
d'unee façon incontestable par<br />
dess scènes complexes, pleines<br />
dee vie et parfois exubérantes<br />
Fig.. 26. — « Sic vos non vobis ».<br />
Récoltee du miel.<br />
Partiee supérieure d'une peinture rupestree<br />
rouge (Bicorp, province de Valence<br />
Espagne),, Echelle : 1/2.<br />
(d'aprèss OBERMAIER).<br />
dee mouvement, où l'Homme occupe le premier plan. Ce sont<br />
principalementt des scènes de chasse (fig. 24, 25, 56-58) et<br />
dee guerre (fig. 55), parfois aussi des scènes de la vie civile, si<br />
l'onn peut dire, comme certains groupes qui semblent vouloir<br />
représenterr des palabres, ou à Cogul la réunion de neuf femmess<br />
autour d'un homme, que l'on interprète généralement,<br />
peut-êtree avec une imagination un peu prompte, comme une<br />
dansee ou une cérémonie rituelle (fig. 116). Ailleurs, ce sont de<br />
véritabless scènes de genre, par exemple le bonhomme grimpantt<br />
le longd'une corde ou d'une liane de la Vieja (fig. 60), qui
388 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
rappellee des gravures sur bambous de Nouvelle-Calédonie, les<br />
deuxx personnages d'une roche peinte de Bicorp (province de<br />
Valence)) montant à une sorte d'échelle de corde pour s'emparerr<br />
du miel d'abeilles qui volent autour d'eux (fig. 26), ou<br />
enfinn le délicieux groupe de Minateda d'une femme conduisant<br />
unn enfant par la main (fig. 81). Il y a là un art à la fois pittoresquee<br />
et humain, tout à fait inattendu pour ces temps reculés<br />
ett du plus haut intérêt, tant par le sentiment qui l'inspire que<br />
parr sa technique d'une naïveté savante qui suggère les formes<br />
ett les attitudes par des lignes simples et quasi schématiques<br />
ett cependant pleines de naturel et de vie.
CHAPITRECHAPITRE 11<br />
<strong>L'ARTT</strong> DÉCORATIF<br />
L'artt décoratif repose sur l'idée ou tout au moins le sentimentt<br />
que des modifications artificielles apportées à des<br />
objetss préexistants les rendent plus beaux, c'est-à-dire plus<br />
agréabless à l'œil. Décoration et parure sont donc essentiellementt<br />
parentes, et ne diffèrent que par la nature de la chose<br />
qu'elless modifient : la décoration est la parure d'un objet<br />
matériel,, la parure est la décoration du corps humain.<br />
Nouss commencerons donc par étudier avec quelques<br />
détailss la parure paléolithique, à laquelle les traités de préhistoiree<br />
ne consacrent que des développements, selon nous<br />
insuffisants..<br />
Pourr la parure comme pour le costume (que nous laissons<br />
icii de côté, en tant que relevant plutôt de l'industrie utilitairee<br />
que de l'art proprement dit), les documents sont de<br />
deuxx sortes : d'une part, les objets de parure effectivement<br />
retrouvéss dans les fouilles, de l'autre, les œuvres figurées où<br />
dess personnages humains sont représentés, ornés de ces<br />
paruress (i). Ces derniers documents peuvent seuls nous<br />
donnerr des indications, encore forcément incomplètes, sur<br />
less parures en matières périssables, qui n'ont pu se conserver<br />
jusqu'àà nous. C'est ainsi que diverses peintures rupestres<br />
espagnoless (Gharco del Agua amarga, Valltorta, Minateda,<br />
laa Vieja) (fîg. 117), témoignent de l'usage de coiffures de<br />
plumes,, analogues à celles des Peaux-Rouges.<br />
(1)) La stalue féminine de Willendorf ;fig. 2 a un bracelet à l'avant-bras; la<br />
Femme au Renne » iflg. 4, n° 2 porte l'indication de bracelets et d'un collier.
400 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Peut-êtree les Paléolithiques pratiquaient-ils le tatouage OU<br />
laa peinture corporelle, d'après des indices qui, corroborés<br />
parr les parallèles ethnographiques, présentent une certaine<br />
vraisemblance,, mais non une certitude absolue. Les matières<br />
colorantess trouvées en abondance dans une foule de gisenientss<br />
avec les objets employés pour les broyer, les triturer<br />
ett les étendre (i) peuvent avoir servi à d'autres usages, soit<br />
pourr les œuvres d'art (peintures proprement dites, gravures<br />
ett sculptures qui étaient parfois recouvertes de couleur, à en<br />
jugerr par les traces qui ont subsisté sur certaines) (2), soit<br />
pourr recouvrir de poudre rouge le sol des sépultures et les<br />
cadavres,, selon un rite qui sera étudié plus loin (3), sans<br />
qu'ill soit permis de conclure de cette sorte de peinture des<br />
mortss à une peinture analogue des vivants. Certaines figures<br />
interprétéess au début comme des bras humains et sur lesquelless<br />
on croyait apercevoir des tatouages sont considérées<br />
aujourd'huii avec la plus grande vraisemblance comme des<br />
dessinss stylisés de poissons (4).<br />
L'argumentt actuellement le plus solide en faveur de la<br />
pratiquee de la peinture corporelle est fourni par des fig-ures<br />
humainess sculptées ou gravées où des traits incisés semblent<br />
vouloirr représenter cette peinture; telles sont certaines sculpturess<br />
de Mézine (Ukraine), qui semblent des figurines<br />
humainess dégénérées et qui portent sur la région de la taille<br />
ett des reins des décorations géométriques, ou encore la gravuree<br />
sur ivoire de Przedmost (fig. 11); mais elles sont tellementt<br />
stylisées qu'on se fait scrupule d'en tirer argument.<br />
Less rangées d'incisions que portent des figures plus naturalistes,,<br />
« la Poire » de Brassempouy (fig. 6) et la « Femme au<br />
Rennee » (fig. n° 2), figurent, non des tatouages, mais la<br />
pilositéé naturelle du corps. Le pelage des animaux est représentéé<br />
d'une façon analogue, non seulement dans de nombreux<br />
(1)) Altam., p. 115-121; Font-de-Gaume, p 48-52<br />
(2)) Cf. ci-dessus, p. 20.<br />
(3)) Ci-dessous, p. 185-187.<br />
(4)) Ci-dessous, p. 78.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 41<br />
spécimenss magdaléniens sculptés ou gravés, mais déjà à la fin<br />
dee l'Aurignacien sur le Mammouth sculpté en ivoire de<br />
Przedmostt (fig. 27). Tout compte fait, la pratique de la<br />
peinturee corporelle aux temps paléolithiques et dès l'Aurignacienn<br />
semble probable, mais reste insuffisamment établie.<br />
Mais,, même avec cette réserve de prudence objective, la<br />
Fig.. 27. — Mammouth. Honde-bosse en ivoire (Przedmosl, Moravie)<br />
Echellee : 2/3 environ (Collection KRIZ) .<br />
paruree corporelle se présente incontestablement dès le début<br />
dee l'âge du Renne sous forme de bijoux, dont une quantité<br />
assezz considérable nous sont parvenus. Les plus simples<br />
étaient,, selon toute vraisemblance, des pierres rencontrées<br />
surr leur route par les chasseurs qui, séduits par leur forme ou<br />
surtoutt leur couleur, les avaient rapportées au campement..<br />
L'utilisation de ces « pierreries » reste incertaine<br />
lorsqu'elless ne présentent aucune trace de travail humain ;<br />
maiss on trouve, à côté de pierres sans retouches, mais dont<br />
dess étranglements naturels permettaient la suspension, des
422 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
pierress sur lesquelles ont été pratiquées des encoches latéraless<br />
symétriques destinées à cet office; c'est le cas notammentt<br />
dans le gisement solutréen de Monthaud (Indre) (i).<br />
L'utilisationn intentionnelle d'objets naturels est établie avec<br />
certitudee lorsque ceux-ci portent des perforations artificielles.<br />
Cee n'est d'ailleurs pas à dire que tous les objets perforés<br />
soientt des bijoux. La perforation n'est pas nécessairement<br />
unee preuve de suspension; un objet suspendu ne l'est pas<br />
forcémentt au corps humain (exemple : nos casseroles, malgré<br />
leurtrou|àà l'extrémité du manche), et même un objetsuspendu<br />
auu corps humain peut être, non un bijou, mais un instrument<br />
ouu une arme. Même en laissant de côté les objets fabriqués<br />
auxquelsauxquels leur forme assigne une destination pratique [bàlon<br />
trouéss dits « bâtons de commandement », propulseurs souventt<br />
perforés à l'extrémité, lissoirs (a)], certains objets naturelss<br />
perforés semblent trop volumineux et trop lourds pour<br />
avoirr servi de bijoux : tels sont de gros galets qui ont pu<br />
êtree employés comme poids de filets. Diverses pointes de<br />
sagaiess en bois de Renne, notamment de Laugerie-Basse (3)<br />
ett de Lespugue (fig. 34) portent à leur partie inférieure une<br />
perforationn qui peut avoir servi soit à les porter comme pendeloques,,<br />
soit à les fixer à leur manche par un lien ou une<br />
goupille.. Certaines rondelles de sanguine à perforation centralee<br />
semblent mal adaptées par leur forme au rôle de<br />
crayonss et rappellent par contre les disques percés en os qui<br />
devaientt être des bijoux ; mais d'autres pièces de môme<br />
matière,, également perforées ou munies d'une tête, peuvent<br />
avoirr été portées aussi bien comme des crayons de couleur<br />
dontt leur propriétaire ne voulait pas se séparer que comme<br />
dess bijoux colorés analogues à nos pendeloques en corail (4).<br />
(1)) BREUIL et CLÉMENT, Un abri solutréen sur les bords de l'Anglin, Mémoires de<br />
lala Soc. des Antiquaires du Centre, t. XXIX, 1900, p. 11-12 (du tiré à part) et<br />
(2)) Trois lissoirs intacts du Magdalénien ancien du Placard, donl l'un mesure<br />
pluss de 25 centimètres de long, sont percés à la base (A. de MOIITILIET ConarM<br />
préhist.préhist. de F,:, 1890, p. 256). ' ' vu " 9 ' es<br />
(3)) GIROD et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, pi. LXX1, n" 5 et pi. LXX1I, n
L'ARTL'ART DÉCORATIF<br />
Quoii qu'il en soit de ces cas litigieux, on doit considérer<br />
sanss aucune hésitation comme des bijoux les dents (fig. 28 et<br />
3o)) ou les coquillages perforés recueillis en si grand nombre<br />
danss tant de stations (on pourrait dire plus ou moins dans<br />
toutes)) qu'il serait sans intérêt d'en donner une énumération,<br />
mêmee sommaire. Il sera plus utile de signaler en passant<br />
quee certaines coquilles de provenance éloignée des lieux où<br />
less fouilles les ont découvertes témoignent, soit d'amples<br />
Fig.. 28. — Dents de Carnassiers, de Renne, de Cheval (A) et os de Renne (B)<br />
percéss de trous de suspension (Lacave, Lot)<br />
(d'aprèss VIRÉ).<br />
migrationss des chasseurs paléolithiques, soit de relations<br />
commercialess (1).<br />
Less Paléolithiques ont également transformé en bijoux des<br />
vertèbress de poissons (2) et des os, en passant un fil soit à<br />
traverss le canal qu'ils fournissaient naturellement, soit<br />
danss des perforations artificielles (fig. 28) (3). Des galets<br />
(1)) Notamment des coquillages méditerranéens (Cypraea lurida, C. pyrum, Nassa<br />
gibbosula)gibbosula) trouvés à Laugerie-Basse, et les coquilles marines trouvées dans les gisementss<br />
de Haute-Garonne (Gourdan, Lespugue, etc.), distants d'environ 200 kilomètress<br />
a vol d'oiseau tant de la Méditerranée que de l'Atlantique.<br />
(2)) Deux vertèbres de poisson (genre Salmo?) percées à la grotte Rey (RIVIÈRE,<br />
A.. P. A. S., Caen, 1894, t. II, p. 715 et pi. X, n° 13).<br />
(3)) Bruniquel (Montastruc), des os d'oiseaux percés à l'une de leurs extrémités<br />
(PECCADEAUU de L'ISLE, Rev. archéol., 1868, I, p. 217); Bruniquel (grotte des<br />
Forges)) un petit os décoré de traits qui peut avoir été enfilé et de petits os perforés<br />
(CARTAILHAC,, l'A., t. XIV, 1903, p. 306, fig. 110 et 111); Combarelles, extrémité de<br />
cubituss d'oiseau (Ac/uila sp.) percée RIVIÈRE, A. F. A. S., 1894, t. II, p. 71,<br />
pi.. X, n° 11); Grotte Rey, très petite clavicule, longue et mince, aplatie, percée<br />
d'unn trou rond à chaque extrémité (RIVIÈRE, A. F. A. S., 1894, t. II, p. 716; ; Le<br />
433
444<br />
L'AL'A HT PALÉOLITHIQUE<br />
perforéss ont dû recevoir la même utilisation (fig 1 . 29) (1).<br />
Mais,, dès une époque ancienne, l'Homme ne s'est pas contentéé<br />
de percer pour les suspendre des objets que la nalurr<br />
Fig.. 29. — Bâton troué en bois de Renne avec déroulement de ses gravures<br />
(Echellee : 1/3) et galet de schiste percé d'un trou de suspension (Lacave, Lot)<br />
(d'aprèss VIRÉ).<br />
luii fournissait tout faits; il a taillé dans la pierre, l'ivoire, l'os<br />
Placard,, couches magdaléniennes anciennes, stylets du pied ou bois de Henné, plus<br />
ouu inoins découpés et percés d'un trou (A. de MARET, Congrès archéol. de ,<br />
Vienne,, 1879, p. 171-172).<br />
11 Laugerie-Haute Solutréen), galet roulé en schiste rougeâtre de forme ovoïde,<br />
percéé à son extrémité la plus pointue (L, GIRAUX, Bull. Soc. préhist. Fr., t. IV,<br />
1907,, p. 215 et (ig. 5). —Altamira (probablement Magdalénien ancien 1 , plaque<br />
schisteusee avec trou de suspension (Altam., p. 2). — Laugerie-Basse, divers galets<br />
perforéss (GIROD et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, pi. LXXXI).
L'ARTL'ART DÉCORATIF 455<br />
ouu le bois de Renne, qu'il savait façonner en outils ou en<br />
armes,, des pièces destinées à être enfilées et qu'on ne saurait<br />
comparerr mieux qu'aux perles tubulaires de nos couronnes<br />
mortuairess ou à nos grains de colliers (fig-. 3o). L'Abri Blanchardd<br />
notamment (Aurignacien moyen) a non seulement livré<br />
unee quantité particulièrement considérable de perles en ivoire<br />
ett bois de Renne, mais encore permis de reconstituer la<br />
techniquee de leur fabrication (1).<br />
Parmii ces pendeloques entièrement artificielles, une men-<br />
Fi;r.. 30. — Perles en pierre (18), dents d'animaux percées (19, 20) et rondellee<br />
d'os perforée (21) (Abris du Château, Bruniquel, Tarn-et-Garonne). :<br />
Echellee : 2'3 (d'après CARTAII.HAC).<br />
tionn spéciale est due à celles qui sont des imitations d'objets<br />
naturelss utilisés comme bijoux, dents (2) ou coquillages (3).<br />
11 L. DIDOX, L'Abri Blanchard, Périgueux, 1911 (Extrait du Bull.de la Soc.<br />
kistor.kistor. et urcliéol. du l'érigord., p. 35.<br />
[t][t] Gomme exemples de ces fausses dents, inventées à une époque très reculée<br />
nonn par des dentistes, mais par des bijoutiers, nous citerons plusieurs dents artificielless<br />
en ivoire, notamment de Renard, trouvées en même temps que des dents<br />
percéess véritables à Pair-non-Pair (Aurignacien moyen), et diverses imitations de<br />
caniness de Cervidés, une en ivoire, plus grande que nature, de Monthaud ; Indre,<br />
Solutréenn typique) (BREUIL et CLÉMENT, Un abri solutréen, op. cit., fig. 12, n° 10),<br />
unee du Placard Magdalénien ancien) (A. de MORTILLET, Congrès préhist. Fr.,<br />
Vannes,, 1906, p. 261), plusieurs de la grotte magdalénienne du Mammouth (Pologne 1<br />
A.. de MORTILLET, Bull. Soc. préhiêt.Fr., t. IV, 1907, p. 215-216), une en os de<br />
laa grotte des Harpons à Lespugue (Magdalénien supérieur; (R. de SAINT-PÉRIER,<br />
VA.,VA., t. XXX, 1920, p. 220 et fig. 2, 11° 3 .<br />
:{{ Une bague d'ivoire de Pair-non-Pair portait en guise de chaton une Ci/prée<br />
tailléee dans la même masse; une bague analogue, mais plus fruste, aujourd'hui perdue,,<br />
a été trouvée à la Chaise et publiée par l'abbé Bourgeois. De Laugerie-Basse<br />
provientt une coquille de Cardium en bois de Renne avec trou de suspension brisé<br />
iGuiODD et MASSENAT, Laugerie-Basse, pi. LXXIX, n° 15). Une pendeloque en
466 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Diversess pendeloques sont des imitations, les unes peutêtree<br />
de fruits (i), d'autres certainement d'insectes (2), ce qui<br />
donnee à penser que les Paléolithiques, comme divers sauvagess<br />
actuels, mettaient à contribution pour leur parure ces<br />
productionss naturelles, et peut-être aussi les fleurs et les<br />
feuilles,, concurremment aux coquillages et aux dents.<br />
Puis,, le bijoutier s'émancipe de la simple reproduction<br />
artificiellee d'objets naturels antérieurement employés comme<br />
pendeloques.. Déjà, des pendeloques en ivoire de Paviland et<br />
dee Spy (Aurignacien moyen), en forme de haricots, pourraientt<br />
avoir l'intention de représenter, sous une forme extrêmementt<br />
schématique, des corps humains de profil. En tout<br />
cas,, on trouve à partir du Magdalénien ancien des contours<br />
découpéss de têtes de Cheval, munis de trous de suspensionn<br />
(3). Nous rangerions volontiers dans la même catégoriee<br />
des bijoux sculptés la magnifique pièce d'ivoire du<br />
Mass d'Azil (Magdalénien ancien) (4), à sculptures de Bouquetinss<br />
et incisions ramiformes, que ses dimensions et son poids<br />
nee nous semblent pas interdire de considérer comme une<br />
sortee de pendentif. Elle porte d'ailleurs deux perforations,<br />
l'unee en partie brisée à l'extrémité pointue, une autre plus<br />
petitee vers l'autre bout, qui semblent témoigner de difficultés<br />
ouu d'hésitations relatives à son mode de suspension.<br />
ivoiree de 7 centimètres de long de la grotte des Bœufs à Lespugue Magdalénien<br />
ancien)) pourrait être une imitation de Cérithe ou de TurritelU l\. de SUNT-PÉRIER<br />
Less grottes de Lespugue et de Montmaurin, Saint-Gaudens, 1921 extrait de là<br />
HeeueHeeue de Comminges), p. 15 et lîg. 4, n° 7.<br />
I)) Une pendeloque de l'Abri Blanchard ressemble beaucoup à une noisette<br />
(DiDON,, op. cit., pi. VI, n° 11).<br />
i)i) Tels sont, sans parler de quelques spécimens moins nets, un Bupreste en lignite<br />
dee la grotte du Tniobite iMagdalénien ancien), (Rép., p. 20 n«l(Min et deux Coc<br />
cmelleaa en ivoire, Tune de Laugerie-Basse {Rép., p. 110, n°- 10-11), l'autre de Gap-<br />
nnff ?vf!T<br />
nR ' ête de GheVal décou P ée dan * un os de Saumon de Brassempouyy<br />
Magdalénien moyen) (lig. 31); du Mas d'Azil une tfile découpée en os<br />
cL?3mîncL?3mîn<br />
Pr °i Q" 16 6 7 c° S<br />
' P ' 153 ' n °* U) ' une p " ala ^ e sculptée en lêle<br />
Chevall (fiep,p.H9,n"7-9); d Isturitz une tête de Cheval découpée enos (PABSUMARD<br />
RevueRevue archeol., 1922, I, p. 34, fig. 30) ; de l'abri de la Garenne a Saint-Marcel ( ndrê'<br />
unee belle tête de Cheval découpée dans un os plat et dont les naseauxfourni 'ènt fé<br />
trouu de suspension (fig. 33). - Peut-être faut-il attribuer à 1. même sér eu, bois<br />
l l ^ ^ T ^ T Sr0SSièU lté f ^ S 5ï<br />
(4)) Hép.,\. 153,'n" 1 et 2.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 477<br />
Less modifications artificielles apportées aux pendeloques<br />
Fig.. 31. — Tête d'Equidé.<br />
Pendeloquee à contour découpé dans l'os de l'ouïe d'un Saumon.<br />
(Brassempouy,, Landes). Grandeur vraie (d'après PIETTE).<br />
soitt naturelles, soit fabriquées, pour les suspendre sont de<br />
Fig.. 32. — Tête de Cheval. Pendeloque à contour découpé en os.<br />
(Grotlee du Mas d'Azil, Ariège). Grandeur vraie (d'après PIETTE).<br />
naturess diverses : encoches latérales symétriques (i), rainure<br />
(1)) Exemple : portion de jaspe rouge de Monthaud (Indre) (Solutréen) (BREUIL<br />
ett CLÉMENT, op. cit., lig-. 3, n° 1)<br />
G.-H.. LOQOBT. — Art et religion des Hommes fossiles. 4
488 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
circulairee autour de l'une des extrémités (i), et surtout perforation..<br />
Celle-ci est faite de façons variées, parfois par<br />
sciage,, notamment pour les Cyprées (2) ; le plus souvent,<br />
pourr les valves de coquillages, les dents, les objets en<br />
matièree osseuse ou en pierre, de même que pour le chas des<br />
aiguilless magdaléniennes, en perçant sur chaque face de<br />
l'objett une cavité conique; les deux cavités, en se rejoignant,,<br />
formaient un trou traversant l'objet. Ce procédé est<br />
bienn mis en lumière par divers objets sur lesquels les deuxcavitéss<br />
se rejoignent mal (3).<br />
Fig.. 33. — Tête de Cheval.<br />
Pendeloquee à contour découpé en os (Saint Marcel, Indre^.<br />
Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />
Pourr suspendre ces pendeloques, les Paléolithiques ont<br />
puu utiliser des tiges végétales suffisamment longues, minces,<br />
soupless et résistantes; mais il est vraisemblable qu'ils se<br />
sontt servis principalement, comme les populations actuelles<br />
quii possèdent le Renne (Lapons et Esquimaux), de liens<br />
empruntéss à cet animal. Ses intestins se prêtent à la confectionn<br />
de cordes à boyau ; mais surtout ses tendons sont de<br />
véritabless écheveaux d'où l'on peut détacher à sa guise des<br />
filss de toutes les grosseurs voulues, jusqu'aux plus ténues<br />
Onn a trouvé dans les stations paléolithiques de nombreux<br />
canonss de Renne portant près de leur extrémité inférieure<br />
auu point d'insertion des gros tendons, des traces manifestes<br />
(1)) Exemple : une poinle de BeUmnitella du Solutréen de I n,,.vPn IT .<br />
,, Bull. Soc. prélmt. Fr t IV 1907 p 214 t n if Uau Sene-IIaulo<br />
——
L'ARTL'ART DÉCORATIF 49<br />
dee sectionnement qui prouvent que ceux-ci ont été détachés<br />
parr les Paléolithiques (i). Ils avaient également à leur dispositionn<br />
les crins de Cheval ou, sans chercher plus loin, les<br />
cheveuxx humains.<br />
Less pendeloques ne sont pas les seuls objets de parure<br />
employéss par les Paléolithiques. Des sections transversales<br />
dee défenses de Mammouth transformées en anneaux à Brassempouyy<br />
et à Spy (Aurignacien moyen), à Paviland (2), au<br />
Placardd (Solutréen supérieur) (3), ou plus simplement des<br />
anneauxx sciés dans la diaphyse d'un os long (4) fournissaient,,<br />
selon leur diamètre, des bracelets ou des bagues.<br />
Diverss objels en matières osseuses, bien que pouvant être<br />
interprétéss comme des poinçons, des poignards ou des<br />
pointess de sagaies, semblent devoir à cause, soit de leurs<br />
dimensions,, soit de leur minceur qui n'aurait fourni qu'une<br />
soliditéé insuffisante pour des objets d'usage, être considérés<br />
plutôtt comme' des épingles à cheveux, interprétation qui<br />
paraîtt incontestable pour le spécimen trouvé sur le front du<br />
squelettee de la grotte du Cavillon (5). Ce sont, pour l'époque<br />
aurignacienne,, tantôt des os, notamment des métacarpiens<br />
aiguiséss à l'une des extrémités et dont la saillie de l'articulationn<br />
a été conservée à l'autre bout, tantôt des pièces entièrementt<br />
artificielles, mais de même forme et où la tige mince<br />
aa été intentionnellement munie d'une tête (6).<br />
Onn peut, semble-t-il, attribuer le même rôle à de longues<br />
ett minces baguettes magdaléniennes en bois de Renne,<br />
droitess ou légèrement incurvées, effilées à leurs deux extrémités,,<br />
notamment de Laugerie-Basse (7). Je rangerais dans<br />
11 GIROU et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, p. 75.<br />
(2)) Fragments d'anneaux en ivoire, de 11 à 12 centimètres de diamètre, trouvés<br />
auprèss du squelette aurignacien iGrim., t. II, p. 305).<br />
(3)) A. de MORTILLET, Congrès prékist. del'r.. Vannes, 190G, p. 253.<br />
tt Exemple : VERNEAU, L'A., l. III, 1892, p. 524. Bg. 11 (Barma Grande).<br />
(55 La pholùgrapliie que reproduit notre Bg. 107 ne donne pas cette position de<br />
l'épingle;; on la trouvera dans Grim., t. II, pi. 1, n" 1.<br />
66 Grim., t. II, pi. XX, n 1 " 12-14 Grotte des Enfants ; un objet analogue en<br />
métacarpienn de Loup a été trouvé à côté du squelette aurignacien de Paviland<br />
Grim.,, t. II, p. 304 : Grim., t. II, fig. 150 et 151 Gorge d'Enfer .<br />
77 GIHOD et MABSÉHAT, Laugerie-Basse, pi. LXXX1X-XC.— Cf. une pièce analoguee<br />
de Bruniquel MORTILLET, Musée préhistorique, 2' édit., n J 228).
500 L'.\ltrL'.\ltr PALÉOLITHIQUE<br />
laa même catégorie une pièce analogue de la grotte des Harponss<br />
à Lespugue (Hg. 34), malgré la perforationn<br />
que porte une de ses extrémités, et qui<br />
pourraitt avoir servi, soit à y fixer une sorte<br />
dee goupille formant arrêtoir, soit à y suspendree<br />
une pendeloque mobile.<br />
Certainss objets, d'ailleurs rares, semblent<br />
pouvoirr être considérés comme des boucles<br />
dee ceintures ou plus généralement des piècess<br />
destinées à fixer les extrémités de lanières<br />
dee cuir. Tel serait un objet pislilliforme en<br />
ivoiree de Brassempouy (i) décoré de reliefs<br />
onduléss sur sa partie renflée ; la lanière aurait<br />
étéé cousue autour de sa gorge médiane. On<br />
peutt attribuer un rôle analogue à sept objets<br />
enn bois de Renne du Placard (Magdalénien<br />
ancien),, en forme d'arceaux dont les branchess<br />
se terminent en pointes divergentes<br />
parr lesquelles ils auraient été maintenus dans<br />
lee cuir. Enfin, de menus objets en ivoire, os<br />
ouu bois de Renne, rappelant en petit les<br />
bobiness du « diabolo » de nos enfants, et<br />
quii semblent apparentés aux objets en forme<br />
dee « double olive » de la Barma Grande dont<br />
nouss parlons plus loin, auraient pu, fixés<br />
parr une attache entourant leur étranglement<br />
central,, avoir un emploi analogue à celui de<br />
noss boutons de pelisses en olives ou de nos<br />
boutonss de manchettes à bascule (2).<br />
** '<br />
Fig.. 3*. — Epingle à cheveux (?) el pointe de sagaie<br />
àà base perforée, en bois de Renne (grotte des Harpons<br />
àà Lespugue, Haute-Garonne).<br />
Echellee : 3/4 (d'après H. de SAI.NT-PÊIUEU).<br />
(I)) Bép., p. 31, n° 3.<br />
ii Exemples de Laugerie-Basse : GIROD etMASsÉNAT,Laugerie-Basse,pl.LXXlX,<br />
n>> 13 a et 6; MORTILLET, Musée préhistorique, 2" édit., n" l'JO.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 51<br />
Sii l'interprétation du rôle de divers de ces objets reste<br />
pluss ou moins conjecturale, elle est rendue certaine pour<br />
bonn nombre d'entre eux par leur découverte dans des sépulturess<br />
(i), qui non seulement nous renseigne sur leur emploi,<br />
maiss encore fournit des détails sur les parures complexes où<br />
ilss entraient comme éléments. Nous avons déjà signalé<br />
l'épinglee à cheveux de l'homme du Cavillon; il avait en<br />
outree le crâne couvert de plus de 200 Nasses et 22 canines<br />
dee Cerf perforées aux régions temporales; le tout devait<br />
constituerr une sorte de résille analogue à celles que portent<br />
encoree des pêcheurs ou des femmes du peuple dans certaines<br />
régionss de l'Italie. Il avait en outre au jarret un jambelet de<br />
Nassess (2). Dans la grotte des Enfants, le jeune homme<br />
négroïdee portait sur un pariétal 4 rangs de Nasses (Ci/clonassanassa<br />
neritea) perforées qui avaient dû former une sorte de<br />
couronnee (fig. 10G). La vieille femme inhumée à côté de lui<br />
avaitt deux bracelets composés des mêmes coquilles, l'un<br />
au-dessuss du poignet gauche, l'autre, à deux rangs, encore<br />
fixéfixé par une gangue solide à l'humérus au-dessus de son<br />
extrémitéé inférieure. Pour l'homme rencontré dans un foyer<br />
àà 70 centimètres au-dessus des deux squelettes précédents,<br />
onn a recueilli à gauche, au milieu des côtes, un certain<br />
nombree de Nasses perforées qui avaient dû appartenir à un<br />
collierr ou à une sorte de pectoral; un petit nombre des<br />
mêmess coquilles et quelques dents de Cerf retrouvées isolées<br />
àà côté de la tête et en dessous de la mandibule ont pu faire<br />
partiee d'un collier et d'un diadème (3). Les deux enfants<br />
auxquelss cette grotte doit son nom étaient accompagnés<br />
d'unn millier de Nasses perforées, appartenant à « une ceinturee<br />
de coquillages ou pagne, s'étendant pour chacun d'eux<br />
depuiss l'ombilic jusqu'au tiers supérieur des cuisses et recouvrantt<br />
entièrement le bassin et les lombes » (4)-<br />
(1)) Cf. ci-dessous, p. 180.<br />
(2)) Grim , t. II, pp. 31 et 289.<br />
(3)) lbid., pp. 29-30.<br />
(4)) E. RIVIÈRE, De l'Antiquité de l'homme dans les Alpes Maritimes, Paris, 1877,<br />
p.. 119 et pi. XIII.
L'AllTL'AllT PALÊOLITHIQl 'E<br />
Auu Baousso da Torre, l'homme rencontré à .'i m. go de<br />
profondeurr avait autour de la tête de nombreuses coquilles<br />
ett des dents de Cerfs perforées; il portait un collier composé<br />
dee canines de Cerf et, de 162 coquilles et des bracelets qui<br />
ontt été retrouvés au niveau des coudes (au coude droit,<br />
a55 Nasses, une Cypraea lurida, une C. pyrum, un Cérithe;<br />
auu coude gauche, 19 Nasses et une Cypraea pyrum) et du<br />
poignett gauche; deux Cypraea lurida recueillies un peu<br />
au-dessouss des grands trochanters, une de chaque côté,<br />
pouvaientt avoir été suspendues à une sorte de ceinture.<br />
L'hommee rencontré i5 centimètres plus haut avait, audessouss<br />
de la clavicule une Cypraea pyrum et deux Nasses<br />
quii ont pu faire partie d'un collier; il portait en outre des<br />
braceletss au-dessus des coudes (une dent de Cerf et des<br />
coquilless au coude droit) et aux poignets (des Nasses et une<br />
Cypréee au poignet droit, 12 Nasses, une Cyprée et un<br />
Buccinn au poignet gauche). Des coquilles appartenant aux<br />
mêmess genres ont été retrouvées de chaque côté auprès des<br />
condyless fémoraux (1).<br />
Less parures du Baousso da Torre comprenaient des<br />
coquilless plus variées et de plus grandes dimensions (Cardium,dium,<br />
Cypraea, Buccinum, Cerithium) que les Nasses,<br />
seuless représentées dans les grottes du Cavillon et des<br />
Enfants.. A la Barma Grande, elles ajoutent aux coquillages<br />
ett aux dents des vertèbres de poisson et des pendeloques<br />
artificielles.. Dans la sépulture triple, le squelette masculin<br />
quii gisait en avant des deux autres portait sur la tête des<br />
Nassess perforées, des vertèbres de poisson dont la cloison<br />
médianee était percée et des canines de Cerf percées et ornées<br />
dee stries sur la couronne; sur le frontal, de jolies petites<br />
pendeloquess en ivoire, planes d'un côté et présentant sur<br />
l'autree face, en dessous d'une partie plane percée du trou<br />
dee suspension, une partie hémisphérique ornée de séries de<br />
striess parallèles finement gravées. Il portait un collier com-<br />
(1)) Grim., t. II, p. 32 et 2911.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 53<br />
poséé de pendeloques exactement semblables à celles qui<br />
viennentt d'être décrites, de vertèbres de poisson et de<br />
i44 dents de Cerf. Au niveau du thorax, on a rencontré les<br />
mêmess pendeloques hémisphériques, des vertèbres de<br />
Saumonn perforées et un objet en os ayant la forme de deux<br />
olivess mises bout à bout, que l'étranglement de sa partie<br />
médianee permettait de suspendre sans perforation ; toute la<br />
surfacee de ce bijou est décorée de petites stries disposées en<br />
rangéess parallèles. Enfin, ce cadavre portait de chaque côté<br />
duu tibia g-auche une grosse coquille (Cypraea millepunctata)<br />
perforée,, qui devait être enfilée dans une sorte de jarretièree<br />
(i). Le squelette de femme rencontré à côté du précédentt<br />
portait sur la tête des Nasses et des vertèbres de poisson<br />
perforéess et une pendeloque hémisphérique en os; sur la<br />
poitrinee une pendeloque en os en forme de double olive, de<br />
555 millimètres de longueur sur 18 millimètres de larg-eur<br />
maxima.. Le jeune homme inhumé en arrière d'elle avait le<br />
crânee recouvert de vertèbres de poisson et de Nasses; sur le<br />
frontt se trouvaient plusieurs pendeloques hémisphériques;<br />
prèss de lui, au niveau du cou, se trouvait un ornement en<br />
doublee olive semblable à celui de ses voisins. Il portait en<br />
outree un collier qu'un recouvrement d'argile avait conservé<br />
danss son agencement primitif. Il était formé de trois rangées<br />
parallèles,, les deux du haut composées de vertèbres, celle<br />
duu bas de Nasses. En outre, à intervalles réguliers,<br />
séparéss par 4 vertèbres et 3 Nasses, une canine de Cerf,<br />
enfiléee dans la rangée supérieure, coupait verticalement les<br />
troiss rangées (fig. 35).<br />
Dess deux squelettes trouvés un peu plus haut que la<br />
sépulturee triple, le premier avait un collier de Nasses et portaitt<br />
sur la tête des Nasses, dont plusieurs encore collées au<br />
frontal,, des canines de Cerf perforées et des pendeloques<br />
hémisphériquess en ivoire, ayant en moyenne 20 millimètres<br />
dee longueur, dont 10 pour le diamètre de la partie hémi-<br />
(i)) /&«/., p. 33 et 298 et fig. 4.
L'AL'A HT PALÉOLITHIQUE<br />
sphérique,, et 12 millimètres de largeur maxima; le second,<br />
auxx os carbonisés, était accompagné de nombreuses<br />
Nassess (1).<br />
Lee squelette aurignacien de Gombe-Capelle était également<br />
paréé de coquilles marines (2). A Gro-Magnon, on a recueilli<br />
auu milieu des ossements près de 3oo coquilles perforées,<br />
notammentt Littorina littorea, et plusieurs pendeloques en<br />
ivoire,, rondes et ovales, percées d'un ou de deux trous (3).<br />
L'ornementt en double olive de la Barma Grande a été rencontréé<br />
aussi, cette fois en ivoire, dans la sépulture de Pavi-<br />
Fig.. 35. — Collier du jeune homme de la sépulture triple de la<br />
Barmaa Grande (fig. 108).<br />
Echellee : 3/4 (d'après VERNEAU).<br />
landd et dans celle de Przedmost, où un squelette d'enfant<br />
portaitt un collier formé de i4 de ces pendeloques. On en a<br />
trouvéé de semblables, mais sans cadavre, dans le niveau<br />
aurignacienaurignacien moyen de Spy (4). A côté du squelette de Brn<br />
see trouvaient plus de 600 morceaux de Dentaliam badense,<br />
coquilless fossiles provenant de quelques kilomètres de la<br />
sépulture,, qui formaient des tubes coniques d'enfilage,<br />
encoree partiellement insérés les uns dans les autres et dont<br />
laa réunion devait constituer au cadavre une sorte de<br />
plastronn (5).<br />
Less sépultures magdaléniennes ont également, livré<br />
dess parures en place, mais généralement plus simples<br />
(1)) lbid., p. 32-33.<br />
(2)) BOULE, Les hommes fossiles, 2' édit., p. 273.<br />
(3)) lbid., p. 304. — heliquiae aquitan., p. 70.<br />
(4)) BOULE, op. cil., p. 310.<br />
(5)) OBERMAIER, der Mensch der Vorzeit, pi. XXIII, n° 2.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 555<br />
quee celles de l'époque aurignacienne. Sans parler d'une<br />
dentt de Cerf perforée qui accompagnait le squelette<br />
dess Hoteaux (i), nous relèverons notamment 11 incisives<br />
dee jeunes ruminants percées, trouvées à Laugerie-Basse<br />
souss un crâne d'enfant et qui devaient constituer un<br />
collierr (2), les canines (une quarantaine d'Ours et 3 de<br />
Fig.. 36. — Dents d'Ours décorées de gravures (flèches, poisson, Phoque) et<br />
percéess d'un trou de suspension (grotte Duruthy, près de Sordes, Landes)<br />
(d'aprèss L. LARTET).<br />
Lion)) rencontrées près du squelette de l'Abri Duruthy<br />
àà Sordes, presque toutes soigneusement percées, dont une<br />
vingtainee étaient décorées de remarquables gravures (fig. 36),<br />
ett « réparties en deux groupes inégalement distants du<br />
crâne,, comme si l'un avait constitué un collier et l'autre<br />
une.. ceinture » (3). Enfin, sur le corps de « l'Homme écrasé »<br />
dee Laugerie-Basse étaient disséminées des coquilles des<br />
deuxx espèces de Porcelaines méditerranéennes rencontrées<br />
égalementt au Baousso da Torre, Cypraea lurida et C.pyrum,<br />
(1)) BOULE, BOULE, op. cit., p. 269.<br />
(2)) GIROD et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, Lau<br />
pi. LXXIX. n° 9.<br />
(3)) BOULE, op. cit., p. 266.
500 L'A UT PALÉOLITHIQUE<br />
perforéess par incision transversale ; il y en avait l\ sur le front,<br />
à chaque coude, 2 au-dessous de chaque genou, 2. sur<br />
chaquee pied (1).<br />
Nouss ne saurions quitter les bijoux paléolithiques sans<br />
releverr comme il convient le sens de la symétrie et du rythme<br />
dontt témoigne, dans un agencement assez compliqué et déjà<br />
savant,, malgré la simplicité des matériaux, le collier du jeune<br />
hommee de la Barma Grande. Un caractère analogue se<br />
retrouvee dans un collier plus simple provenant du Magdalénienn<br />
ancien du Placard, où G coquilles fossiles percées<br />
(Sismundia(Sismundia occitana) alternaient avec 5 Natica (2).<br />
Unee fois conçus et exécutés pour décorer le corps humain,<br />
less bijoux deviennent des objets mobiliers susceptibles à<br />
leurr tour d'être embellis par une décoration, au même titre<br />
quee des instruments utilitaires. En fait, à l'époque paléolithique,,<br />
les bijoux ont reçu une ornementation absolument<br />
semblable,, par ses caractères et son évolution, à celle des<br />
outilss et des armes. A ce point de vue, l'art décoratif peut<br />
êtree étudié dans son ensemble, abstraction faite de la nature<br />
dess objets qu'il s'applique à embellir.<br />
Laa décoration ainsi entendue apparaît dès l'Aurignacien<br />
ancien.. Sous sa forme la plus rudimentaire, elle consiste<br />
simplementt en encoches sur les bords ou incisions sur la<br />
surfacee des objets ornés, disposées d'une façon plus ou moins<br />
régulièree en séries parallèles, continues ou séparées par des<br />
intervalles.. On en pourrait énumérer une infinité d'exemples,<br />
répartiss sur toute la durée de l'âge du Renne; nous nous<br />
borneronss à citer celui qui est peut-être le plus ancien,<br />
unee dent de Lion provenant de Pont-Neuf (Charente). Les<br />
incisionss alignées sont d'abord transversales au grand axe de<br />
laa surface décorée; puis, à partir de l'Aurignacien moyen, elles<br />
see rencontrent aussi disposées obliquement. Vers la même<br />
époquee apparaissent des alignements de ponctuations (3),<br />
(1)) CARTAILHAC, La France préhistorique, p. 110.<br />
(2)) A. de MARET, Congrès archéol. de Fr., Vienne, 1879, p. 173<br />
(3)) Exemple: Rép,, p. 82, n» 2 (Gorge d'Enfer).
Fig.. 37. — Côtes de Mammouth, ornées de motifs géométriques.<br />
(Przedmost,, Moravie).<br />
Echellee : 1/2 (d'après BREUIL).
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
quii rappellent les séries de points ou de disques peints<br />
surr les parois des grottes à l'Aurignacien ancien. Dans<br />
dess cas relativement rares, des lignes obliques disposées en<br />
senss inverse forment des chevrons ou des dents de loup.<br />
Gommee décors un peu plus complexes, on n'a guère à citer<br />
quee des reliefs ondulés, plus ou moins réguliers, sur un objet<br />
coniquee et une pendeloque de Brassempouy, tous deux en<br />
ivoiree (i), des chevrons emboîtés et des bandes de losanges<br />
surr un morceau de schiste de la Barma Grande et un ornementt<br />
compliqué en forme de filet irrégulier sur un galet de<br />
stéatitee de même provenance (2).<br />
Laa pauvreté générale de cette ornementation fait ressortir<br />
unn motif décoratif représenté uniquement à Mézine (Ukraine)<br />
ett qui, sous sa forme la plus achevée, consiste en une série<br />
continuee de grecques (3). Il est très vraisemblable que ce<br />
motiff a été la trouvaille fortuite d'un artiste unique : la<br />
comparaisonn de diverses pièces de cette provenance, et en<br />
particulierr de fragments de bracelet, donne à penser que<br />
sonn parti décoratif était une série de lignes zigzaguées disposéess<br />
parallèlement aux bords. Mais il semble que, pour des<br />
raisonss de commodité, l'artiste ait tracé ces lignes zigzaguées<br />
successivementt ou alternativement le long de chacun des<br />
bordss en faisant tourner l'objet de 180 degrés. Peut-être<br />
aussii a-t-il tracé d'abord toutes les obliques d'un même sens<br />
pourr les réunir ensuite par les obliques de sens inverse.<br />
Quoii qu'il en soit, lorsque les lignes zigzaguées sont arrivées<br />
auu voisinage les unes des autres au milieu de la surface, les<br />
saillantss et les rentrants de leurs chevrons constitutifs se<br />
correspondaientt d'une façon irrégulière, donnant lieu à des<br />
combinaisonss diverses, dont voici les trois principales.<br />
Lorsquee les saillants de l'une des lignes correspondaient aux<br />
rentrantss de l'autre, il en résultait des lignes zigzaguées<br />
parallèless à chevrons emboîtés. Lorsque deux chevrons<br />
(1)) Rép., p. 31, n-3 et 0.<br />
(2)) S. REINACH, L'A., t. IX, 1898, p. 28-29 et fig. 1-4.<br />
(3)) Cf. L. TCHIKALENKO, Etude sur l'évolution de l'ornement géométrique à<br />
époquee paléolithique (en tchèque, avec résumé en français), Prague, 1923.
L'ARTL'ART DÉCORATIF<br />
opposéss se réunissaient par leur sommet, il en résultait un<br />
losange.. Enfin, lorsque les dents de l'une des séries de<br />
zigzagss tombaient entre les saillants et les rentrants des<br />
zigzagss de la série opposée, leur ensemble donnait une<br />
»»<br />
Fig.. 38. — Ciseau double eu os (Saint-Marcel, Indre).<br />
Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />
grecque.. L'artiste aurait remarqué ce motif nouveau, l'aurait<br />
isoléé de l'ensemble et en aurait fait l'élément d'un décor<br />
continu..<br />
Quoii qu'il en soit de son origine, ce motif n'a pas été<br />
rencontréé ailleurs qu'à Mézine (Aurignacien final), et si dans<br />
l'Europee orientale, en particulier à Przedmost, la décoration<br />
géométriquee rectiligne présente des formes assez compli-
VARTVART PALÉOLITHIQUE<br />
quii rappellent les séries de points ou de disques peints<br />
surr les parois des grottes à l'Aurignacien ancien. Dans<br />
dess cas relativement rares, des lignes obliques disposées en<br />
senss inverse forment des chevrons ou des dents de loup.<br />
Gommee décors un peu plus complexes, on n'a guère à citer<br />
quee des reliefs ondulés, plus ou moins réguliers, sur un objet<br />
coniquee et une pendeloque de Brassempouy, tous deux en<br />
ivoiree (i), des chevrons emboîtés et des bandes de losanges<br />
surr un morceau de schiste de la Barma Grande et un ornementt<br />
compliqué en forme de filet irrégulier sur un galet de<br />
stéatitee de même provenance (2).<br />
Laa pauvreté générale de cette ornementation fait ressortir<br />
unn motif décoratif représenté uniquement à Mézine (Ukraine)<br />
ett qui, sous sa forme la plus achevée, consiste en une série<br />
continuee de grecques (3). Il est très vraisemblable que ce<br />
motiff a été la trouvaille fortuite d'un artiste unique : la<br />
comparaisonn de diverses pièces de cette provenance, et en<br />
particulierr de fragments de bracelet, donne à penser que<br />
sonn parti décoratif était une série de lignes zigzaguées disposéess<br />
parallèlement aux bords. Mais il semble que, pour des<br />
raisonss de commodité, l'artiste ait tracé ces lignes zigzaguées<br />
successivementt ou alternativement le long de chacun des<br />
bordss en faisant tourner l'objet de 180 degrés. Peut-être<br />
aussii a-t-il tracé d'abord toutes les obliques d'un même sens<br />
pourr les réunir ensuite par les obliques de sens inverse.<br />
Quoii qu'il en soit, lorsque les lignes zigzaguées sont arrivées<br />
auu voisinage les unes des autres au milieu de la surface, les<br />
saillantss et les rentrants de leurs chevrons constitutifs se<br />
correspondaientt d'une façon irrégulière, donnant lieu à des<br />
combinaisonss diverses, dont voici les trois principales.<br />
Lorsquee les saillants de l'une des lignes correspondaient aux<br />
rentrantss de l'autre, il en résultait des lignes zigzaguées<br />
parallèless à chevrons emboîtés. Lorsque deux chevrons<br />
(1)) Rép., p. 31, n°" 3 et G.<br />
(2)) S. RKINACH, L'A., t. IX, 1898, p. 28-29 et fig. 1-4.<br />
^^ (3) Cf. L. TCHIKAI.ENKO, Etude sur l'évolution de l'ornement géométrique à<br />
'époquee paléolithique (en tchèque, avec résumé en français), Prague, VJSS.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 611<br />
lampee en grès de la Mouthe, dont la face inférieure est décoréee<br />
d'une gravure de Bouquetin (i), d'autre part les bâtons<br />
WINN<br />
Fig.^39.. — Baguettes à décor curviligne et disque-pendeloque en bois de<br />
Rennee (grotte des Harpons à Lespugue, Haute-Garonne).<br />
Grandeurr vraie (d'après H. de SAINT-PÉFUER).<br />
troués,, dits « bâtons de commandement », qui représenlent<br />
(1)) Rép., p. 159, n" (S.
600 VART PALEOLITHIQUE<br />
quéess (fig. 37), dans l'Europe occidentale elle n'a guère<br />
dépassé,, dans toute la suite de l'âge du Renne, les motifs<br />
trèss simples mentionnés ci-dessus. Elle atteint son apogée,<br />
tantt pour la fréquence de son emploi que pour le fini de<br />
l'exécution,, dans le Solutréen supérieur. Elle se continue<br />
pendantt tout le Magdalénien et jusqu'à l'Azilien, mais beaucoupp<br />
plus rare; sauf dans un beau spécimen de Saint-Marcel<br />
(Indre)) (fig-. 38), elle est alors en régression manifeste et<br />
réduitee à un rôle de remplissage, éclipsée par deux formes<br />
pluss développées de l'ornementation.<br />
Laa première, elle-même limitée à une époque et à une<br />
régionn restreintes, est la décoration curviligne, qui se rencontree<br />
au Magdalénien ancien dans les Basses-Pyrénées<br />
[Arudyy (1), Lourdes (2), Isturitz (3]] et la Haute-Garonne<br />
(Lespugue)) (fig. 3g), toujours sur bois de Renne et, d'après<br />
less exemplaires les plus complets, sur des baguettes rondes<br />
ouu sur des baguettes demi-rondes qui étaient assemblées<br />
deuxx à deux par leur face plate. Les motifs, aux contours<br />
profondémentt gravés qui les font ressortir en relief, se composentt<br />
d'ellipses, de cercles, parfois centrés, de spirales<br />
simpless ou en S. Par suite de la limitation de son aire de<br />
dispersion,, ce style semble devoir être rapporté à une peupladee<br />
unique et n'avoir pas fait école.<br />
AA l'inverse du décor géométrique curviligne, le décor<br />
figuréfiguré est plus répandu, quoique, sauf quelques exceptions<br />
isolées,, il soit localisé entre la Loire, le Rhône et les Pyrénées..<br />
H se rencontre pendant toute la durée du Magdalénien,,<br />
aussi bien sur des pendeloques de forme et de matière<br />
variéess (fig. 36, 4o-4a)(4) que sur des instruments d'usage.<br />
Parmii ceux-ci, nous relèverons notamment, d'une part la<br />
(1)) Rcp., p. 22, n" 4; p. 23, n- 7-10-<br />
(2)) Hép., p. 136, n"' 1 (ou 6), 2, 4, 5, 8-10, 12.<br />
(3)) PASSEMARD, Bull. Soc. préhitt. AV., t. XVII, 1920, p. 150.<br />
(4)) Autres exemples : Protome de Cheval gravée sur un galet percé à l'une de ses<br />
extrémitéss de Laugerie-Basse ilïép., p. 102, n" ',). - Arrière-train de Renne sur<br />
fragmentt de pendeloque en os de Laugerie-Basse ,Kép., p. 111, n" 5) — Cervidé<br />
gravéé sur galet allongé perforé de la Madeleine Hép., p. 141, n° 4) — Deux pendeloquess<br />
de Liveyre (Dordogne; (/{
L'ARTL'ART DÉCORATIF 633<br />
laa même façon que les gravures tracées sur des supports<br />
osseuxx ou lithiques apparemment dépourvus d'utilisation<br />
f\f\<br />
Fig.. 42. — Bouquetins et signes alphabétiformes.<br />
Gravuress sur canon de Renne (Grotte du Mas d'Azil, Ariège).<br />
Facee et revers, grandeur vraie (d'après BREIJIL).<br />
pratiquee et qui rentrent par suite dans l'art indépendant, ou<br />
quee les figures peintes et gravées de l'art pariétal ; à ce point<br />
dee vue, il suffit de renvoyer à ce qui sera dit de l'art fig-uré<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 5
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
less objets les plus richement décorés de l'âge du Renne et<br />
dont,, pour cette raison, la deslination, encore énigmatique<br />
ett qui n'était peut-être pas la même pour tous, ne devait pas<br />
êtree exclusivement utilitaire au sens restreint du mot. Sans<br />
Fig.. 40. — Glouton gravé sur pendeloque en bois de Renne, d'une grotte de<br />
laa Dordogne (British Muséum, collection Christy).<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
parlerr de leur tête sculptée dans certains exemplaires sur<br />
lesquelss nous reviendrons plus loin, ils sont ornés de gra-<br />
Fig.. 41. — Deux Pendeloques en os (Saint Marcel, Indre).<br />
Less deux faces. Grandeur vraie (d'après BREUIL).<br />
vuress ou de reliefs dont certains passent presque à la sculpture,,<br />
notamment dans des têtes affrontées qui rappellent les<br />
contourss découpés (fig 1 . 43) (i).<br />
Quelss que soient les objets auxquels est appliquée la décorationn<br />
figurée, elle présente les mêmes motifs, et traités de<br />
(1)) Cf. Têtes de Cheval (Mas d'Azil; /îe'p., p. lifl, n°" 1 et 2).
L'ARTL'ART DÉCORATIF 655<br />
serpents,, poissons, bois de Renne), et d'autres, notamment<br />
dess têtes animales, dont la silhouette est tracée au moins<br />
partiellementt en trait continu, les incisions alignées étant<br />
généralementt conservées pour représenter le pelage, comme<br />
onn en retrouve de nombreux exemples aux étages plus<br />
récentss du Magdalénien.<br />
Commee illustration de l'emploi simultané de l'ornement<br />
figuréé et de l'ornement linéaire, nous nous référerons spécialementt<br />
à une catégorie d'objets,,<br />
consistant en minces rondelless<br />
plus ou moins régulières<br />
d'oss ou de bois de Renne,<br />
Kg.. 44. — fragment dune rondelle d'os perforée avec<br />
Mammouthss (Raymonden, Chancelade, Dordogne)<br />
Less deux faces, grandeur vraie (d'après BRELIL).<br />
gravuress de<br />
percéess au centre, et qui sont vraisemblablement des boutons..<br />
Certaines ne présentent aucune décoration (fig. 3g) (i).<br />
D'autress sont ornées soit de traits en tous sens (fig. 3o) (2),<br />
soitt de droites ou de séries parallèles de droites rayonnant<br />
autourr du trou central (3). D'autres enfin ont un décor figuré.<br />
Unee rondelle en os incomplète de Laugerie-Basse porte sur<br />
unee face un arrière-train de Bison, sur l'autre un décor<br />
linéairee (4). Deux rondelles en os, l'une entière de Laugerie-<br />
Bassee (5), l'autre de Chancelade, dont il ne reste qu'une<br />
(1)) Autre exemple à Enlène BEGOUEN, l'A., t. XXIII, 1912, p. 289).<br />
(2)) Cf. RIVIÈRE, A. F. A. S-, Caen, 1894, t. II, pi. X, n" 3 .Coinbarelles).<br />
(3)) Bruniquel (Monstastruc) ;PECCADEAU de I.'ISLE, Revue archéol., 1868, I, p. 217);<br />
Gourdann Jiép., p. 89, n° 5); L*augerie-Basse {Rép., p. 118. n" 7 .<br />
(4)) GIROD et MASSENAT, Laugerie-Basse, pi. XXI, n" 6 {Rép., p. 105, n° 1, ne<br />
(lonnee que la face à décor figuré).<br />
(5)) Hep., p. 106, n"* 5 et 6.
644 L'ARTL'ART PÀ LÊOLtTHIQVE<br />
enn général au chapitre suivant. Nous nous bornerons ici à<br />
montrer,, sur des exemples particuliers, d'une part, l'apparitionn<br />
du décor figuré à côté du décor géométrique rectilignp,<br />
auu Magdalénien ancien, d'autre part la survivance de celuici,,<br />
quoique dans un rang 1 inférieur, pendant toule la durée<br />
duu Magdalénien.<br />
Laa transition de l'ornementation simplement linéaire à<br />
l-'ig.. 43. — Têtes de Rennes affrontées sculptées sur bâton troué en bois de<br />
Rennee (La Madeleine, Dordogne).<br />
Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />
l'ornementt figuré est particulièrement nette dans les couches<br />
magdalénienness anciennes du Placard (i). A coté des<br />
encochess ou des petites incisions disposées en rangées parallèless<br />
comme aux époques plus anciennes, mais qui dans<br />
certainss cas s'allongent et forment des groupes diversement<br />
orientés,, on y rencontre de véritables figures, les unes constituéess<br />
encore par des séries de hachures ou de ponctuations,<br />
maiss dont l'intention figurée est incontestable (notamment<br />
(t;; BRKUIL, Paléolithique supérieur, op. cl*., fig-. 11, 18, 20-22
L'ARTL'ART DÉCORATIF 677<br />
quadrupèdes,, d'une exécution souvent remarquable, notammentt<br />
au Placard (Magdalénien ancien) (i) et à Laugerie-<br />
Bassee (fig. 46) (2).<br />
Less propulseurs, dans leur forme purement utilitaire, non<br />
Fig.. 45. — Objets sculptés en bois de Renne (Laugerie-Basse, Dordogne).<br />
AA gauche, propulseur avec figure de Cervidé (face et profil, échelle : 3/4).<br />
AA droite, bâton troué (échelle : 1/2) (d'après BREUIL).<br />
modifiéee par la sculpture, telle qu'on la rencontre dans le<br />
Magdalénienn ancien du Placard (3), se composaient d'une tige<br />
(1)) BREUIL, Paléol. super., op. cit., fig. 23, n°-1, 2, 4-6 (6 = Rép., p. 1G8, n°'2-4).<br />
(2)) Cf. Rép., p. 103, n» 6-7; p. 112, n« 1, 6-7.<br />
(3)) BREUIL, Paléol. super., op. cit., ftg. 2i, n°" 5-7.
666 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
moitiéé (fig\ 44)) sont ornées sur chaque face d'un animal,<br />
Isardd pour la première, Mammouth pour la seconde; mais le<br />
décorr est complété par de petits chevrons espacés formant<br />
bordure..<br />
Laa décoration peut consister non seulement en ornements<br />
gravéss plus ou moins profondément à la surface des objets,<br />
maiss aussi en modifications apportées à leur forme générale<br />
parr la sculpture. Cette sorte d'ornementation n'avait pas<br />
d'applicationn pour une catégorie de bijoux, à savoir ceux<br />
quii consistaient en objets naturels (dents, coquillages,<br />
galets)) utilisés tels quels et où la part de l'industrie humaine<br />
see réduisait à la perforation. Par contre, pour les bijoux<br />
artificiels,, façonnés en matières osseuses, la forme que leur<br />
donnaitt l'artiste dépendait presque entièrement de sa fantaisie,,<br />
puisqu'ils n'avaient d'autre rôle que de produire un<br />
effett esthétique. Il n'en va plus de même pour les objets<br />
d'usagee (outils et armes), dont l'artiste ne pouvait modifier<br />
quee dans des limites assez restreintes la forme générale<br />
imposéee par l'emploi utilitaire de ces instruments. Aussi,<br />
danss ce domaine, la sculpture décorative se rencontre-t-elle<br />
principalementt dans deux catégories d'objets, les « bâtons<br />
dee commandement » et les propulseurs.<br />
Danss les premiers, l'office de la sculpture décorative a<br />
consistéé essentiellement à transformer en tête animale leur<br />
protubérancee terminale, qui en suggérait déjà jusqu'à un<br />
certainn point l'idée par son renflement au centre duquel le<br />
trouu fa,sait songer à un œil. C'est ainsi que, dans un exemplairee<br />
de Lacave (Lot) (% 2g), remontant au Solutréen<br />
moyen,, l'aspect général d'une tête à museau pointu et oreille<br />
dressée,, ressemblant grossièrement à une Biche, semble<br />
avoirr été obtenu sans être cherché. Dans quelques pièces<br />
assezz rares, mais qui se rencontrent à la fois dans les Pyré<br />
nées,, en Dordogne (fig. 45) et en Bavière, l'artiste semble<br />
avoirr voulu représenter très grossièrement une tête d'oiseau<br />
aa bec ouvert dont l'œil serait figuré par le trou du bâton.<br />
Malss le plus souvent, les bâtons se terminent en têtes de
\:\:<br />
Fig.. 47. — Propulseurs en bois de Renne.<br />
AA gauche, de Saint-Michel d'Arudy (Basses-Pyrénées) (d'après MASCARAUX).<br />
AA droite, de Bruniquel (Tarn-et-Garonne). Echelle : 2/3 (d'après CART.VILHAC).
C88 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
àà partie supérieure plus ou moins plane formant en quelque<br />
sortee gouttière pour recevoir la flèche, terminée en arrière<br />
parr un crochet destiné à retenir l'extrémité postérieure de<br />
celle-ci.. Les propulseurs sculptés sont représentés, sans<br />
parlerr de fragments que la présence d'un crochet permet de<br />
Fig.. 46. — Sommet rompu d'un « bâton de commandement » figurant une<br />
têtee de Bison; sur le reste du fût, nu léger bas-relief d'une portion d'un<br />
autree Bison est visible (Laugerie-Basse, Dordogne).<br />
Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />
leurr attribuer, par quelques spécimens complets grâce<br />
auxquelss on peut se rendre compte de leur ornementation<br />
(fig.. i3 et 47) (0 et de la façon dont celle-ci était adaptée<br />
àà l'usage pratique de l'instrument. Le crochet était fourni,<br />
tantôtt par le bec d'une tête d'oiseau, tantôt par le toupet<br />
ramenéé sur le front d'une tête de Cheval(2), tantôt, à ce qu'il<br />
(1)) Cf. Rép., p. 102, n- 14 el 15 (Laugerie-Basse).<br />
(2)) Cf. Rép., p. 33, n°- 2-4 el 8-9 (Bruniquel).
LARTLART DÉCORATIF 711<br />
détaill curieux, dans bon nombre de ces sculptures, la tête a<br />
étéé coupée intentionnellement à l'époque paléolithique. Ces<br />
instruments,, pour lesquels je proposerai le nom de propul-<br />
Fig.. 49. — Restitution d'un propulseur décoré d'un Coq do bruyère d'après<br />
lee Fragment de sculpture en bois de Renne du Mas d'Azil baptisé « Sphinx »<br />
parr Piette (la partie limitée par les lignes pointillées).<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
seursseurs lestés, différaient des propulseurs simples par un<br />
largee renflement situé en dessous de la région voisine du<br />
crochett et qui, en alourdissant cette extrémité, donnait plus<br />
dee force à la propulsion. Ce perfectionnement balistique a<br />
servii de support à une riche ornementation fig-urée. Les deux<br />
exemplairess les plus complets sont le fameux Mammouth de
722 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Bruniquell (Montastruc), dit Mammouth Peccadeau, du nom<br />
dee son premier possesseur (i), et un objet bien connu de<br />
Laug-erie-Bassee (a), jadis considéré à tort comme un poignard..<br />
A la même série semblent appartenir deux Bouquetins<br />
dee Saint-Michel d'Arudy (3), un Bison du Mas d'Azil (4), un<br />
Cervidéé d'Enlène (fig. 48), un Bouquetin d'Isturitz (5).<br />
L'objett du Mas d'Azil baptisé Sphinx par Piette (6) a été<br />
restituéé par l'abbé Breuil en propulseur décoré d'un oiseau<br />
(fîg\\ 49), le soi-disant « Cygne à trois têtes » de même<br />
provenancee (7) par M. H. Hubert en propulseur décoré d'un<br />
poisson..<br />
Ill y a lieu de sig-naler la façon habile dont l'animal<br />
sculptéé dans la masse pesante était rattaché au manche de<br />
l'instrument.. Tantôt c'était par les pieds, comme cela<br />
semblee résulter de l'attitude du Bouquetin d'Isturitz et de<br />
certainess pièces où le manche seul subsistant conserve les<br />
extrémitéss de pattes de ruminants (fîg\ 5o)(8); tantôt au contrairee<br />
par la tête, comme dans le Mammouth Peccadeau. Cet<br />
objett fournit un curieux exemple de raccommodage préhistorique..<br />
La queue, qui formait le crochet, c'est-à-dire un<br />
élémentt indispensable de l'instrument, ayant été cassée^ on<br />
enn a encastré une nouvelle dans le dos, un peu en avant de<br />
l'emplacementt primitif.<br />
Onn sait la place considérable tenue dans l'art décoratif<br />
dess primilifs sur lesquels nous renseigne l'ethnographie par<br />
dess ornements d'apparence purement géométrique, mais où<br />
unee étude plus approfondie arrive à reconnaître des dégénérescencess<br />
de représentations figurées. L'âge du Uenne présentee<br />
de nombreux spécimens de cette catégorie de motifs,<br />
dontt la signification véritable, restée longtemps inaperçue,<br />
(1)) Rép., p. 32, n" 1 et 2.<br />
(2)) Rép., p. 106, n" 1.<br />
(3)) Rép., p. 22. n" 3 et G-7.<br />
(4)) Rép., p. 151, n° 1.<br />
(5)) HASSEMARD, Hevue arehéol., 1922, I, p. 26, fig. 19.<br />
(6)) Rép., p. 150, n" 2.<br />
(7)) Rép., p. 156, n° (j.<br />
(8)) Cf. Rép., p. 23, n°2 (Arudy).
L'ARTL'ART DÉCORATIF<br />
aa été découverte par l'abbé Breuil. Ill ne saurait être questionn<br />
d'en faire ici un examen détailléé<br />
; nous devons nous borner à des<br />
indicationss sommaires, en laissant<br />
délibérémentt de côté des hypothèsess<br />
séduisantes, mais par trop conjecturaless<br />
et en rappelant que<br />
l'ornementationn paléolithique, malgréé<br />
la place importante qu'y tient<br />
laa dégénérescence des motifs figurés,,<br />
ne saurait s'expliquer entièrementt<br />
par ce facteur unique.<br />
Lee fil conducteur de cette étude<br />
estt fourni par la « méthode des<br />
sériess » qui rattache au motif<br />
figuréfiguré originel ses modifications<br />
dee moins en moins reconnaissabless<br />
en intercalant dans l'intervallee<br />
des transitions graduelles.<br />
Danss quelques cas, malheureusementt<br />
exceptionnels, un même<br />
objett juxtapose plusieurs figures,<br />
exécutéess selon toute vraisemblancee<br />
consécutivement par le<br />
mêmee artiste et qui doivent être<br />
considéréess comme des répliques<br />
dee plus en plus hâtives d'un même<br />
motif.. L'exemple le plus caractéristique,,<br />
véritablement décisif, est<br />
fournii par trois têtes de Capridés<br />
gravéess sur un bois de Renne de<br />
Massaii (i).<br />
Fig.. 50. — Fût de propulseur<br />
enn bois de Renne avec ves-<br />
Less dégénérescences apparais- tig-ess de quatre pieds de Ruminantt<br />
sculptés (Abris du<br />
Château,, Bruniquel, Tarn-<br />
(1)) Rép., p. 158, n" 4-6. Cf. BREUIL, C. fi. et-Garonne)..<br />
Acad.Acad. Inscr., 1905, p. 117, (ig. 6, n" 1 et 2 (le<br />
Souci);; Rép., p. 188, n"" 4 et 5 Montfort). EE chelle : 2/3 (d'après CARTAILHAC).
744 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
sentt comme résultant de l'action séparée ou concourante de<br />
deuxx facteurs : d'une part, la schématisation qui, sous<br />
l'influencee de circonstances accidentelles (maladresse ou<br />
hâtee de l'exécution, étroitesse des surfaces à décorer) simplifiee<br />
et déforme les lignes du modèle figuré; d'autre<br />
part,, la stylisation qui modifie ces lignes avec l'intention<br />
dee produire un effet esthétique et notamment de donner<br />
satisfactionn au g'oùt de la symétrie et du rythme.<br />
Ill va sans dire que la dégénérescence devient de plus<br />
enn plus rapide et accentuée à mesure qu'on s'éloigne du<br />
motiff originel, dont la signification est entièrement oubliée<br />
dess décorateurs qui en reproduisent uniquement par routine<br />
less formes modifiées et les allèrent davantage encore. 11 est<br />
souventt d'autant plus malaisé de retrouver l'origine d'un<br />
motiff donné qu'il peut, surtout pour les formes les plus<br />
simplifiées,, être rattaché avec une égale vraisemblance à des<br />
originess figurées différentes. Parfois aussi, un motif dégénéré<br />
récupèree une signification figurée qui peut être, selon le cas,<br />
soitt sa signification originelle, soit une signification nouvelle.<br />
Lee rapprochement de divers exemples montre comment la<br />
tètee de profil d'un quadrupède sans cornes, tel qu'une Biche,<br />
arrivee à se réduire à une simple barre horizontale flanquée<br />
àà l'une de ses extrémités d'un petit trait oblique rappelant<br />
l'oreillee (i), ou encore comment la juxtaposition de têtes de<br />
Chevall de profil schématisées donne naissance à un ornementt<br />
ondulé ou festonné (2). Les têtes de face ont donné<br />
lieuu à nombre de dégénérescences variées, dont l'une des<br />
pluss nettes et des plus reconnaissables a en gros la forme<br />
d'unee sorte de rave surmontée d'un nombre variable de<br />
feuilles.. Lorsqu'il y en a 4, elles correspondent aux oreilles<br />
ett aux cornes d'un Gapridé; 2, aux oreilles d'un Ruminant<br />
sanss cornes; 3, aux oreilles et au toupet d'un Cheval. Au<br />
dernierr stade de la dégénérescence, elles se réduisent à un Y (3).<br />
(1)) BREUir,, C. R. Acad. Inscr., 1905, p 117 et fi» G<br />
(2)) lbid.,ag. 7.<br />
(33 BHRJIL, C R. Acad. Inscr., 1905, pp. 112-115; Congrès d'Anthronol. et<br />
(lArcheol.(lArcheol. prehist., Monaco, 1906, t. I, p. 396-400; VA., t. XV1I1, L907, p. 3i.
L'ARTL'ART DÉCORATIF 75<br />
Laa schématisation de la tête animale de face se rencontre<br />
nonn seulement en gravure, mais aussi en sculpture, notammentt<br />
dans des pendeloques (i).<br />
Parfois,, la tête, soit de profil, soit de face, se réduit aux<br />
corness et aux yeux. L'abbé Breuil a, par une conjecture<br />
ingénieusee et selon moi exacte, considéré l'ensemble de la<br />
cornee et de l'œil du Bison comme l'une des sources du décor<br />
curvilignee et spirale. Cette dérivation trouve un appui solide<br />
danss plusieurs figures du Mag-dalénien ancien qui reproduisentt<br />
cet ensemble isolé (2), complété même dans certains<br />
exempless par des traits rappelant le front poilu (3). Quoi<br />
qu'ill en soit de 1 origine de ce motif, son utilisation décorativee<br />
prouve que les artistes ont été séduits par son caractère<br />
ornemental,, par l'effet esthétique de ses lignes constitutives,<br />
indépendammentt de tout rapport à la réalité. C'est là d'ailleurs,,<br />
semble-t-il, un cas isolé, et d'une manière générale,<br />
surtoutt dans le Mag-dalénien supérieur, les dégénérescences<br />
paraissentt devoir être rapportées beaucoup moins à la<br />
recherchee d'un effet véritablement artistique qu'au souci de<br />
laa production hâtive d'articles de camelote.<br />
Lee Bouquetin vu de dos, figuré d'une façon naturaliste sur<br />
unee lame d'os de Laugerie-Basse (fig\ 70), se retrouve schématiséé<br />
sur un bâton de commandement de Raymonden (4) et<br />
surr un autre de Laugerie-Basse (5), où il devient un losang-e<br />
prolongéé dans le haut et dans le bas par un chevron. La<br />
réunionn de plusieurs motifs semblables est une des origines<br />
duu treillis losang-ique.<br />
Unn dernier exemple peut être emprunté au thème du<br />
poisson.. Il nous semble particulièrement instruclif comme<br />
(1)) BREUIL, Congrès de Monaco, op. cit., t. I, p. 395, flg. 1.<br />
(2)) BREUIL, Exemples de ligures dégénérées, Congrès d'Anthropol. et d'Archéol.<br />
préhist.,préhist., Monaco, 1906, t. I, p. 400, Og. 4, n°" 10 et 12
766 L'ARTL'ART PALEOLITHIQUE<br />
mettantt en évidence la complexité et la difficulté de l'étude<br />
dess dég-énérescences, par suite de ce que j'ai appelé l'homonymiee<br />
et la synonymie graphiques. D'une part, en effet, un<br />
mêmee motif originel aboutit, par des modifications divergentes,,<br />
à des fig-ures d'aspect souvent très différent, mais<br />
b.b.<br />
Fig.. SI. — Dégénérescences de figures de poissons.<br />
AA gauche sur ciseau, à droite sur fragment de baguette demi-ronde.<br />
(Laugerie-Basse)) (d'après BREUIL).<br />
synonymess en tant qu'elles ont la même origine fig-urée ;<br />
inversement,, des figures d'origine différente arrivent à<br />
prendree le même aspect et deviennent ainsi homonymes.<br />
Danss le poisson, la schématisation peut donner une importancee<br />
prépondérante soit au corps, soit aux nageoires, soit à<br />
laa queue. Tantôt alors la figure se réduit à une sorte de<br />
rubann légèrement ondulé bifurqué à l'une de ses extrémités<br />
(fig.. 5i), tantôt, à une ellipse à extrémités pointues, striée<br />
dee lignes obliques (fig. 5a.) (i) ou quadrillées (2), parfois pro-<br />
(1)) Cf. Baguette de bois de Renne de Laugerie-Basse (Rép., p. 109, n" 4, en arrière<br />
dee deux têtes de jeunes Rennes; il esl à noter que l'autre face de cet objet (Hép<br />
p.. 115, n" 7j porle deux gravures naturalistes de poissons).<br />
(2)) Bâton troué de la Madeleine \liép., p. 144, n" 9).
Fig.. i>2. — Partie allongée d'un « bâton de commandement », décorée de<br />
têtess de Chevaux et de figures dérivées du poisson (Laugerie-lîasse).<br />
Echellee : 2/3 (d'après BREUIL).
788 VAUT PALÉOLITHIQUE<br />
longéee à l'un de ses bouts par une ligne droite, tantôt à une<br />
sortee de parenthèse correspondant au corps et à l'une des<br />
extrémitéss de laquelle sont inscrits des traits parallèles correspondantt<br />
à la queue (i), ou encore à une sorte de long<br />
fuseauu chargé de hachures ou de chevrons (2). Parfois, les<br />
poissonss passent de la forme du fuseau à celle de têtards<br />
ouu de larmes; ces figures, souvent disposées d'une façon<br />
alterne,, par exemple sur deux ciseaux de Lorlhet (3) et<br />
Laugerie-Bassee (fig. ai), fournissent la transition, particulièrementt<br />
marquée sur un ciseau du Souci (4), vers des figures<br />
d'abordd interprétées comme des bras humains prolongés<br />
parr une main qui est en réalité la queue du poisson (5).<br />
Parr ses multiples modifications, le thème dégénéré du<br />
poissonn converge vers d'autres motifs d'origine différente.<br />
Saa schématisation elliptique vient se confondre avec celle<br />
,, de l'œil; un assemblage de plusieurs de ces ellipses donne un<br />
motiff réticulé. Le corps plus ou moins aplati, avec les<br />
nageoiress réduites à des traits obliques disposés des deux<br />
côtéss ou d'un seul, rejoint le motif en arête de poisson qui<br />
peutt dériver lui-même, soit de motifs purement géométriques,,<br />
soit de flèches ou de harpons, soit de bois de cervidés,,<br />
soit de végétaux. Des poissons schématisés mis bout<br />
àà bout donnent une figure ressemblant à un collier en vertèbress<br />
de poissons (6). La queue de poisson isolée et pourvue<br />
dee la représentation d'un trou à l'endroit de son insertion<br />
danss le corps (fig. 52) rappelle des pendeloques réelles de<br />
mêmee forme qui pourraient avoir eu l'intention d'évoquer<br />
unn ventre féminin, à la façon de l'objet du Placard (7). Enfin,<br />
souss sa forme la plus simplifiée, elle aboutit au même Y que<br />
less têtes animales de face.<br />
(1)) Ciseau en bois de Renne de la Madeleine {Hép., p. 137, n» 4).<br />
(8)) Pendeloque en os de Laugerie-Basse (Hép., p, 118, n" 6).<br />
(3)) BREUIL, Paléol. super., op. cit., lig. 40, n u 5.<br />
(4)) BREUIL, Paléol. sup., fig. 40, n- 1.<br />
(5)) Rép., p. 137, n°-3, 5 et 6 (La Madeleine).— Cf. BREUIL, l'A., t. XVIII, 1907,<br />
(6)) Hép., p. 23, n» 6 (Arudy); p. 143, n° 8 (la Madeleine).<br />
(7)) Rép., p. 171, n° 7.
CHAPITRECHAPITRE 111<br />
LEE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ (1)<br />
C'estt à juste titre qu'on caractérise l'art paléolithique par<br />
sonn réalisme et qu'on en attribue la perfection aux qualités<br />
d'observationn minutieuse et d'habileté manuelle exigées et<br />
développéess par les conditions d'existence de peuples chasseurs..<br />
Mais il ne sera pas superflu de déterminer avec plus<br />
dee précision la nature de ce réalisme.<br />
L'artt figuré est par essence réaliste, puisqu'il se propose<br />
dee créer des images d'objets réels (et en particulier d'êtres<br />
vivants),, c'est-à-dire d'en donner des reproduciions ressemblantes..<br />
Mais la ressemblance de l'image avec l'objet représentéé<br />
(que nous appellerons le modèle, même si l'artiste,<br />
commee ce doit être le cas le plus fréquent, ne l'avait pas<br />
souss les yeux et dessinait « de chic ») peut être conçue de<br />
façonss différentes.<br />
111 semble que dans la généralité des cas, aussi bien, pour<br />
prendree les deux extrêmes, dans les œuvres des artistes professionnelss<br />
que dans celles des primitifs ou les dessins de nos<br />
enfants,, la ressemblance soit cherchée, non dans la reproductionn<br />
totale des détails ou éléments du modèle, mais dans<br />
lee choix, soit voulu, soit spontané, de certains de ces élémentss<br />
jugés essentiels, sélection qui entraîne comme contrepartiee<br />
la négligence des autres éléments considérés comme<br />
sanss intérêt.<br />
Ainsi,, dans l'art paléolithique, les Mammouths des Com-<br />
(i)) Je me borne ici à l'essentiel. On pourra, pour plus de délails, se reporter à<br />
l'étudee que j'ai consacrée à ce sujet dans l'A., t. XXXIII, 1923, p. 17 sq.<br />
G.-H.. LuQUBT. — Art et religion des Hommes fossiles. 6
800 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
barelless et de Font-de-Gaunie sont dépourvus d'oreilles; un<br />
certainn nombre de ceux de Fonl-de-Gaume n'ont pas d'yeux.<br />
Less mêmes artistes qui, comme nous le venons plus loin,<br />
tiennentt souvent à figurer dans les dessins d'animaux<br />
blesséss la pointe des flèches, pourtant invisible puisqu'elle a<br />
pénétréé dans le corps, négligent fréquemment d'en figurer<br />
Fig.. 53. — Bison avec flèches sur le corps.<br />
Peinturee pariétale en noir (les deux flèches latérales en rouge) (Niaux, Ariège)<br />
Echellee : 1/10 (d'après BKEUIL).<br />
laa hampe, pourtant visible, mais jugée sans intérêt (fig 53)<br />
Onn rencontre à Minateda, même dans les peintures de la<br />
phasee naturaliste, plusieurs personnages dépourvus de<br />
bras;; pourtant, dans deux cas, ceux-ci auraient été utiles<br />
pourr tenir l'arc figuré devant le bonhomme (fig. 54.)<br />
DansDans les caractères du modèle, on peut distinguer deux<br />
grandess catégories, à savoir ceux qui sont visibles d'un<br />
pointt de vue donné et ceux qui, bien qu'appartenant<br />
effectivementt tout autant que les premiers à l'être considéré<br />
ett pouvant par suite être aperçus si on le regardait d'un<br />
autree point de vue ou dans des conditions différentes ne<br />
sontt pas visibles du point de vue actuellement choisi
LELE RÉALISME DAXS L'ART FIGURÉ 811<br />
Laa différence de ces deux sortes de caractères provient de<br />
cee que le modèle est un objet à trois dimensions, tandis que<br />
laa sensation visuelle qu'il offre à un moment donné n'en -a<br />
quee deux; par suite, tel ou tel caractère présentera selon<br />
lee point de vue d'où l'on envisag-e le modèle des aspects différentss<br />
ou même sera enlièrement invisible; par exemple,<br />
pourr le visage humain, la situation symétrique des yeux de<br />
chaquee côté du nez n'apparaît que de face, la saillie du nez<br />
Fig.. 34. — Figures humaines.<br />
Peinturess rupestres en noir ou brun foncé de Minateda (province d'Albacete, Espagne<br />
Echellee : 1/4 (d'après BREUIL).<br />
surr le contour antérieur du visage n'est visible que de profil.<br />
Celtee distinction des deux sortes de caractères du modèle<br />
n'existee pas pour la sculpture. Ayant trois dimensions<br />
commee le modèle, la sculpture peut, comme lui, fourair<br />
successivementt au spectateur une foule d'aspects différents,<br />
mettree en évidence tel de ses caractères et en cacher tel<br />
autre.. L'artiste pourra y loger tous les éléments qu'il juge<br />
essentiels,, et ce sera au spectateur, s'il y tient, de regarder<br />
laa sculpture du point de vue qui met en évidence tel caractère..<br />
Mais une figure dessinée (qu'il s'agisse de gravure à la<br />
pointee ou de peinture soit monochrome, soit polychrome)<br />
n'aa que deux dimensions, autrement dit ne peut représenter<br />
qu'unn aspect unique; les caractères du modèle qui sont dans<br />
lee dessin y sont, ceux qui n'y sont pas n'y sont pas ; et il n'est
822<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
pass plus possible à ceux qui y sont de cesser d'y être qu'à<br />
ceuxx qui n'y sont pas de s'y trouver. 11 y a là une différence<br />
essentiellee entre l'image dessinée d'une part, l'image sculptée<br />
ett le modèle d'autre part, dans lesquels tel caractère invisible<br />
àà un moment donné deviendra apparent à un autre, et inversement..<br />
Par suite, tandis que dans le modèle ou l'image<br />
sculptéee tout ce qui s'y trouve est visible successivement,<br />
maiss n'est pas visible simultanément, dans le dessin tout ce<br />
quii s'y trouve est visible simultanément, mais rien de ce qui<br />
n'yy est pas n'est jamais visible.<br />
Dee cette condition inhérente à la nature même du dessin,<br />
ill résulte que, dans la généralité des cas, il ne lui est pas possiblee<br />
de figurer à la fois tous les caractères du modèle. L'artisiee<br />
commencera donc par choisir pour son image (sans<br />
qu'ill y ait dans ce choix volonté expresse) le point de vue<br />
d'oùù seront mis en évidence les caractères les plus essentielss<br />
(en général, la silhouetie de l'ensemble du corps); et<br />
c'estt pour cette raison que les artistes primitifs des milieux<br />
less plus variés adoptent spontanément pour leurs dessins<br />
d'animauxx la vue de profil, pour leurs figures humaines,<br />
quoiqu'avecc un certain nombre d'exceptions, la vue de face.<br />
Cettee tendance est si forte que dans des dessins réunissant<br />
plusieurss êtres ou personnages, le point de vue choisi pour<br />
figurerfigurer chacun d'eux n'est pas celui qu'exigerait sa relati<br />
avecc les autres, mais celui qui conviendrait le mieux pour sa<br />
représentationn caractéristique, s'il était isolé. Il y a là quelque<br />
chosee d'analogue à la convention suivant laquelle au<br />
théâtre,, pendant longtemps, deux interlocuteurs, au lieu de<br />
see faire face, faisaient tous deux face au public, alignés<br />
devantt le trou du souffleur.<br />
Maiss la ressemblance obtenue par ce procédé n'est que<br />
partiellee et à mesure que l'artiste deviendra plus exigeant et<br />
voudraa loger dans son image un plus grand nombre de<br />
détails,, il se heurtera à cette difficulté inéluctable que,<br />
tandiss que le modèle peut présenter successivement des<br />
aspectss divers, alternativement montrer et cacher tel ou tel
LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 833<br />
caractère,, les caractères figurés dans le dessin n'y peuvent<br />
êtree que simultanés.<br />
Dèss lors, pour la représentation des caractères d'un<br />
modèle,, le dessinateur est obligé de choisir, qu'il s'en doute<br />
Fig.. 55. — Combat d'archers.<br />
Peinturee rupestre en rouge sombre {Morella la Vella, province de Caslellon, Espagne)<br />
Echellee : 1/3 environ. (Légère restauration d'après la copie de BENITEZ, dans<br />
IIERNANDEZ-PACHECO)..<br />
ouu non, entre ces deux « partis » différents : représenter ce<br />
qu'ill en voit, ou représenter ce qu'il en sait ; autrement dit,<br />
aprèss avoir choisi le point de vue d'où sont visibles le plus<br />
grandd nombre des caractères importants, soit ne pas représenterr<br />
les autres, puisqu'ils ne sont pas visibles de ce point<br />
dee vue bien qu'ils appartiennent au modèle; soit les représenterr<br />
puisqu'ils lui appartiennent, bien qu'ils ne soient pas<br />
visibless en même temps que les autres. En définitive, il y a<br />
deuxx grandes sortes de ressemblance et par suite deux
844 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
grandess sortes de réalisme, puisque le réalisme cherche à<br />
fairee des images ressemblantes : un réalisme visuel, qui consistee<br />
à figurer dans le dessin les seuls caractères du modèle<br />
qu'onn en peut apercevoir du point de vue choisi, et un réalismelisme<br />
intellectuel, qui consiste à figurer dans le dessin tous<br />
less caractères que le modèle possède effectivement, qui<br />
«« y sont » ; le dessin est, dans le premier cas, une impressionn<br />
visuelle fixée, dans le second, une définition exprimée<br />
parr des traits au lieu de l'être par des mots.<br />
Ill est hors de doute que l'art paléolithique a comme caractèree<br />
dominant le réalisme visuel. Une première catégorie de<br />
figuresfigures consistant dans la fixation d'une impression visuelle<br />
estt celle des tableaux d'ensemble où sont réunis plusieurs<br />
êtress différents. Ce pourra être d'abord des groupes d'êtres<br />
humains.. Il n'en existe pas d'exemples certains dans l'art<br />
françaiss ou cantabrique, où les figures humaines même isoléess<br />
sont extrêmement rares ; pour les rupestres espagnols,<br />
onn peut citer la charmante scène d'une femme tenant un<br />
enfantt par la main, de Minateda (fig. 81), la fameuse scène<br />
dee Cogul, représentant peut-être une cérémonie rituelle<br />
(fig.. II 6) et diverses scènes de guerre (fig. 55).<br />
L'Hommee peut encore être associé à des animaux dans<br />
dess scènes de chasse. Cette catégorie n'est représentée dans<br />
l'artt paléolithique français que par un exemple, le fameux<br />
«« chasseur d'Aurochs » de Laugerie-Basse, dans lequel il<br />
semblee bien que l'Homme et le Bovidé (en réalité un Bison)<br />
soientt réunis intentionnellement. 11 est très aventuré de considérerr<br />
comme une scène de pêche la juxtaposition d'un<br />
Poissonn et de quelques bonshommes très grossiers sur un<br />
oss de Laugerie-Basse (i). Par contre, on ne peut se refuser<br />
àà reconnaître des scènes de chasse dans un certain nombre<br />
d'ensembless de figures des rupestres de l'Espagne orientale<br />
(fig.. M, 25, 56-58).<br />
Less groupes certains d'animaux sont également fort rares;<br />
^(l;; Mp., p. 99, n°- 5 el G (qui ne reproduit pas le poisson) ; Alta.n., fig. 103,
LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ<br />
carr lorsque plusieurs animaux sont figurés à la file sur un<br />
mêmee support, os ou bois de Renne, il peut n'y avoir là qu'une<br />
répétitionn rythmique d'un même motif; il en est de même,<br />
àà plus forte raison, pour les assemblages d'animaux sur les<br />
Fig.. 56. — Chasse aux Cerfs.<br />
Peinturee en rouge sombre (restaurée) (Cueva de los Caballos, Barranco de<br />
Valltorta,, province de Gastellon, Espagne). Kchelle : 1/8 (d'après OBERMAIER<br />
ett WERNERT).<br />
paroiss des cavernes, qui peuvent n'être qu'une juxtaposition<br />
accidentellee d'œuvres d'auteurs différents et dont la contemporanéitéé<br />
même est plus ou moins douteuse. 11 existe toutefoiss<br />
une gravure de Loutre saisissant un Poisson sur un os<br />
dee Laug-erie-Basse (i).<br />
(I)) Rép,, p. 115, n° 4.<br />
855
866<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Commee représentations de la vie sociale, pour ainsi dire,<br />
dess animaux, nous pouvons citer une gravure du Chaffaud<br />
(6g-.. 59). Le tableau, qui rappelle jusqu'à un certain point<br />
laa perspective égyptienne, est disposéé<br />
en deux registres superposés<br />
dontt chacun porte, gravée légèrement,,<br />
une file de Chevaux; dans chacune,,<br />
l'animal de tète est détaché,<br />
less autres sont en retrait l'un sur<br />
Fig.. 57. — Chasse au Bison.<br />
Peinluree rupestre rouge de<br />
Cogull (province de Lerida,<br />
Espagne).. Echelle : 1/8<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
l'autre.. Une gravure sur os de la<br />
Mairiee à Teyjat(i) représente d'une<br />
façonn analogue une longue file de<br />
Rennes.. Dans un ensemble défigures<br />
dee Font-de-Gaume [fis;. 80), on peut<br />
hésiterr à affirmer que l'artiste ait<br />
vouluu représenter un Lion attaquant une troupe de Chevaux,<br />
encoree que dans la réalité les Chevaux attaqués fassent tête<br />
Fig.. 58. — Chasse au Chamois.<br />
Peinturee rupestre en brun (Torlosillas, province de Valence Espagne)<br />
Echelle:: 1/4 (d'après BREUIL).<br />
àà l'ennemi, cherchant à le mordre et à le fouler sous leurs<br />
pattess de devant; mais il semble incontestable que l'as-<br />
(1)) fie/)., p. 183, n" 4.
LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 877<br />
semblagee des Chevaux forme un groupe voulu, représenté<br />
enn perspective par étalement des plans. Les corps des Chevauxx<br />
supérieurs sont interrompus à partir de l'endroit où<br />
chacunn d'eux est masqué par celui du Cheval situé sur un<br />
SS <<br />
E-<br />
plann plus rapproché du spectateur, et le Cheval inférieur a<br />
quatree pattes de devant, dont deux doivent être celles du<br />
Chevall figuré au-dessus (c'est-à-dire en arrière) de lui, qui<br />
n'aa que des pattes de derrière. Oh trouve également quelques<br />
exempless de files d'animaux, mais simplement successifs,
888 L"AL"A R T PA LÉÔLITH1Q l r<br />
danss les rupestres espagnols, notamment la bande de huit<br />
Bouquetinss mâles et femelles de la Vieja (&g. 60).<br />
Fig.. 60. — Fragment des peintures rupestres de la Vieja (Alpera, province<br />
d'Albacete,, Espagne). Chasseurs, Cerfs et Houquetins.<br />
AA droite, entre les bois du Cerf, petit Bouquetin détérioré retournant la tète. Tout<br />
àà droite, personnage grimpant à une corde ou liane. Echelle : 1/6 environ<br />
(d'aprèss BREUIL) .<br />
Less artistes paléolithiques ont également représenté d'une<br />
Fig.. 61. — Couple de Rennes. Sculpture en ivoire.<br />
(Bruniquel,, British Muséum).<br />
Echellee : 1/2 environ (d'après BIIEUIL).<br />
façonn réaliste, on pourrait dire impressionniste, diverses<br />
scèness de ce qu'on pourrait appeler la vie familiale des
LELE RÉALISME DAXS L'ART FIGURÉ<br />
animaux.. Je ne connais pas d'exemple certain de dessins de<br />
combatss de mâles analogues à ce que sont, dans un autre<br />
milieu,, les gravures rupestres préhistoriques d'Ahjérie fig"urantt<br />
des combats de Bubalus antiquas, dont le plus bel<br />
exemplee est celui des environs d'Er Richa (annexe<br />
d'Aflou)(i).. Les deux Rennes polychromes affrontés de<br />
Fig.. 62. — Biche avec son faon.<br />
Gravuree sur calcaire (Le Bout du Monde, près des Eyzies, Dordogne). (Collection<br />
Lucas:.. Grandeur vraie (d'après BREUIL).<br />
Font-de-Gaumee (fig'.
900 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Telss sont le « combat de Rennes » de Laugerie-Bassc,<br />
l'ivoiree sculpté de Bruniquel (%. 61), que l'abbé Breuil a<br />
reconstituéé au British Muséum en réunissant les deux fragmentss<br />
considérés jusqu'alors comme pièces indépendantes,<br />
ett le couple de Bisons sculptés en argile du Tue d'Audoubcrl,<br />
(«g-- 3.)<br />
Laa dernière série de ces scènes familiales correspond au<br />
Fig.. 63. — Renne broutant.<br />
Gravuree sur pierre (Limeuil, Dordogne). Echelle : 2/3<br />
(d'aprèss BOUYSSONIE et CAPITAN).<br />
thèmee de la mère accompagnée de son petit, dont nous<br />
mentionneronss comme exemple une Biche et son faon<br />
(fig.. 62).<br />
Sii nous passons des groupes aux animaux isolés, il en<br />
existee un grand nombre dont l'attitude ou le mouvement est<br />
renduu avec une fidélité dénotant une observation attentive<br />
dee la nature, ce qui. n'a rien pour surprendre de la part de<br />
chasseurs.. Ces figures étant bien connues, nous nous borneronss<br />
à rappeler, outre les polychromes d'Altamira, le Renne
LELE RÉALISME DANS L'ART F1GUIÎÉ 911<br />
broutantt de Limeuil (fig\ 63), qui vaut bien celui de<br />
Tliaing-enn (fîg\ Q\), et le Renne courant de Saint-Marcel<br />
Fig.. 04. — lleiuie broutant.<br />
Gravuree (développée) sur bâton de bois de Renne (Thaingen, Suisse).<br />
Grandeurr vraie (d'après le dessin de HEIM).<br />
(Indre)) (fig. 65). A la Vieja, les attitudes de la course et du<br />
saut,, ainsi que les différences de développement des cornes<br />
Fig.. uo. — Renne courant.<br />
Gravuree sur plaque de schiste (Saint-Marcel, Indre). Echelle : 2/3 (d'après BHEUH. .<br />
selonn le sexe, sont bien saisies et rendues dans la baude de<br />
Bouquetinss (fig-. 60), à gauche de laquelle un autre Bouquetin,,<br />
lui tournant le dos, se fait remarquer par le devant
922 L'ARTL'ART l'ALÉ0L1THIQUE<br />
duu corps surélevé, la tête au mufle ramené contre la gorge,<br />
less cornes en arrêt. Le D r de Saint-Périer a également<br />
signaléé le réalisme de la figuration des trompes de Mammouthss<br />
(i).<br />
Unee altitude assez fréquemment donnée aux animaux,<br />
tantôtt avec un rendu très habile et analomiquement exact,<br />
Fig.. G6. — liison.<br />
Peinturee pariétale polychrome (AHamira, province de Sanlander, Kspagne).<br />
Echellee : 1/15 environ (d'après BREUIL).<br />
tantôtt avec une grande maladresse d'exécution, analogue à<br />
cellee que présentent les membres des bonshommes de nos<br />
enfants,, est celle des pattes repliées sous le corps, qu'il<br />
s'agissee d'animaux blessés, ou couchés, ou se levant de leur<br />
gîtee (fig. 58, 71). Les Ruminants sont fréquemment représentéss<br />
tirant la langue (fig. 66, 71, 70). L'haleine est figurée<br />
danss certaines images, notamment dans la gravure d'un<br />
avant-trainn de Renne sur un bâton à trou de Laugerie-Basse<br />
(fig.. 68), dans un Cheval gravé pariétal de Marsoulas (2), et<br />
peut-êtree dans une tête d'Ours gravée sur bois de Cerf de<br />
Massâtt (fig. 67).<br />
Unn autre cas de notation réaliste de l'altitude est celui<br />
(1)) R. de SAINT-PÉRIER, Bull. Soc. préhist. Fr., t. XVII, 1920, p. 283-285<br />
(2),, Bép., p. 145, ri" 4.
LELE RÉALISME DAXS L'ART FIGURÉ 933<br />
d'animauxx de profil dont la tête n'esl pas dans le prolongementt<br />
du corps. Nous n'insisterons pas sur ceux où elle est<br />
figuréefigurée de face, comme dans le Cervidé ou Gapridé gravé<br />
danss le bas d'un bàlon en bois de Renne de Gourdan (Magdalénienn<br />
final) (i), car ces exemples peuvent être portés<br />
àà aussi bon droit au compte soit du réalisme visuel, puis-<br />
Fig.. 67. — Gravures d'Ours (Massât, Ariège).<br />
Echellee : 3/4- En haut, sur galet (d'après GAUHIGOUI. En bas, sur bâton troué en<br />
boiss de Cerf ;d'après E. LARTET).<br />
qu'enn fait les animaux se présentent à l'occasion dans celte<br />
altitude,, soit du réalisme intellectuel. 11 serait en effet possiblee<br />
que les figures de ce genre fussent inspirées par le<br />
corollairee du réalisme intellectuel que j'appelle changement<br />
dee point de vue,, la vue de face étant celle qui met en évidencee<br />
le plus grand nombre de détails de la tète, alors que<br />
laa vue de profil est celle qui manifeste le plus grand<br />
nombree de détails du corps.<br />
Maiss cette incertitude que présente l'interprétation des<br />
animauxx à tête de face n'existe plus pour d'autres animaux<br />
dontt la têle est tournée en arrière. Ici, en effet, on ne saurait<br />
(1)) Rëp., p. 88, no 10.
944 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
invoquerr le réalisme intellectuel, car la tête retournée étant<br />
dee profil comme la tête normale, ne manifeste pas, comme<br />
laa tête de face, un plus grand nombre de détails, mais seulementt<br />
les détails d'un seul côté (en particulier un seul œil).<br />
L'uniquee explication possible de ^altitude donnée par l'artiste<br />
àà sa figure semble donc être qu'il a voulu rendre une altitudee<br />
observée sur l'animal vivant. Comme exemples de cette<br />
catégorie,, nous citerons le Gervidé au galop gravé sur l'autre<br />
facee du bâton à Irou que nous avons mentionné plus haut<br />
àà propos de la figuration de l'haleine (fig. 68); le Cerf mâle<br />
duu groupe du fameux bâton aux Saumons de Lorthet (fig. 16);<br />
danss l'art pariétal, 1' « agnus Dei », équidé retournant la tète<br />
dee Pair-non-Pair (fig. 1), le Bison polychrome d'Altamira<br />
(fig.. 69) et une Biche à contour pointillé rouge de Covalanass<br />
(fig. 5) ; dans les peintures rupestres espagnoles, un<br />
petitt Bouquetin mâle à cornes très sinueuses, très incomplet<br />
pourr le corps et les pattes, de la Vieja (fig. Go).<br />
Pourr terminer, la manifestation la plus nette du réalisme<br />
visuell est le raccourci. Ici, en effet, l'artiste choisit parmi<br />
less divers aspects possibles du modèle non celui qui permet<br />
lee plus facilement de le reconnaître, mais au contraire celui<br />
d'oùù il présente l'aspect le plus insolite : c'est, pourrait-on<br />
dire,, la substitution de l'impressionnisme à la caractéristique..<br />
Certainess figures, par exemple un Cheval gravé sur fragmentt<br />
d'omoplate de Laugerie-Basse (1), ont peut-être voulu<br />
êtree faites de trois-quarts; mais cette apparence pourrait<br />
aussii bien s'expliquer par une exécution maladroite.<br />
Parr contre, est certainement vu de dos le Bouquetin gravé<br />
surr fragment de baguette de Laugerie-Basse (fig. 70) : le<br />
corps'' globuleux se prolonge par un cou aminci couronné<br />
d'unee tête munie de cornes et d'oreilles; sous le corps s'aperçoiventt<br />
deux pattes repliées comme chez un animal couché.<br />
Unn autre animal vu d'un point de vue insolite est le Bison<br />
(1)) Rép., p. 100, n' 4.
Fig.. 08. — u Iiàton de commandement » avec figures de cervidés<br />
(Laugerie-BasseVV<br />
Echellee : un peu moins de 1/2 (d'après BREUIL).<br />
G.-H.. LUQUET. — Arl et religion des Hommes fossiles.
ett<br />
Fig.. 69. — liison couché retournant la tête.<br />
Peinturee pariétale polychrome (Altamira). Echelle : 1/5 environ (d'après BREUIL).<br />
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LELE RÉALISME BAXS L'ART FIGURÉ 977<br />
Less exemples que nous venons de passer en revue établissentt<br />
que le réalisme visuel tient sans conteste dans l'art<br />
fig-uréfig-uré de l'âge du Renne une place prépondérante. Mais la<br />
conceptionn diamétralement opposée de la ressemblance, le<br />
réalismee intellectuel, y est aussi représentée à un degré<br />
notable,, même à l'époque où le réalisme visuel a atteint<br />
sonn apogée.<br />
Laa rareté des groupes dans l'art<br />
paléolithiquee et l'absence de représentationn<br />
du fond dans ceux qu'il<br />
présentee ne permettent guère de<br />
conclusionss nettes sur la façon<br />
dontdont les artistes concevaient le<br />
renduu de la perspective aérienne.<br />
Pourtant,, quelques exemples semblentt<br />
manifester une tendance,<br />
correspondantt au réalisme intellectuel,,<br />
à éviter que les différents<br />
individuss faisant partie d'un ensemblee<br />
se masquent plus ou moins<br />
less uns les autres comme ils le<br />
fontt dans la réalité. A cette tendancee<br />
correspond rétagement des<br />
plans,, dont nous avons relevé cidessuss<br />
quelques spécimens.<br />
Unn autre corollaire du réalisme<br />
intellectuell en ce qui concerne<br />
less groupes est le procédé que j'ai appelé rabattement.<br />
111 consiste, pour figurer deux objets se faisant face, à les<br />
rabattree dans un même plan autour de l'une de leurs extrémitéss<br />
faisant en quelque sorte office de charnière; l'un est<br />
alorss figuré dans le prolongement de l'autre, mais à l'envers.<br />
C'estt ainsi, par exemple, que le dessin des deux rangées<br />
d'arbress bordant une route aura l'aspect d'une seule rangée<br />
auu bord d'une rivière avec son reflet dans l'eau. Si l'on<br />
admett que dans la gravure sur os de Chancelade (fig. 113), les<br />
4..<br />
Fig.. :o.<br />
Animauxx en raccourci.<br />
AA gauche, Elan, gravure sur bois<br />
dee Henné (Gourdan). Grandeurr<br />
vraie (d'après PIETTE).<br />
AA droite, Bouquetin, gravure<br />
surr os (Laugerie-Basse!. Grandeurr<br />
vraie (d'après GIROD et<br />
MASSÉNAT)..
988 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
bonshommess figurés de part et d'autre d'un avant-train de<br />
Bisonn et dont l'un semble porter une espèce de palme pourraientt<br />
correspondre à une sorte de procession, les deux files<br />
dee celle-ci seraient rabattues des deux côtés du Bison, opposéess<br />
par la tête. En tout cas, l'emploi du rabattement est<br />
incontestablee dans l'unique groupe humain que nous connaissionss<br />
de l'Aurignacien et plus généralement de l'âge du<br />
Rennee franco-cantabrique, à savoir le relief de Laussel figurantt<br />
un coït (fig. 8/|). On le considère parfois comme pouvantt<br />
aussi bien représenter un accouchement; mais aucune<br />
hésitationn n'est permise, car le personnage symétriquement<br />
opposéé au corps féminin ne saurait être qu'un adulte, caractériséé<br />
comme tel par une barbe à deux pointes nettement<br />
distincte.. Dans cette ligure, les deux personnages qui dans<br />
laa réalité devaient être accolés sont rabattus dans un même<br />
plann de part et d'autre de leur intersection.<br />
Maiss c'est surtout dans les représentations d'êtres isolés que<br />
peuventt s'observer des symptômes du réalisme intellectuel.<br />
Unn caractère des figures animales qui permet de reconnaître<br />
sii leur auteur concevait le réalisme sous la forme visuelle ou<br />
souss la forme intellectuelle est le mode de représentation des<br />
appendicess pairs du corps (membres) et de la tête (cornes et<br />
oreilles).. Le réalisme visuel exige que ceux du second plan<br />
soient,, comme dans la réalité, plus ou moins masqués par<br />
ceuxx du premier plan; le réalisme intellectuel réclame au<br />
contrairee que chaque paire en montre deux nettement distincts..<br />
Celte exigence reçoit satisfaction par deux procédés<br />
quii consistent, l'un à faire subir à chaque paire d'appendices<br />
unee sorte de torsion à QO° selon un axe vertical et à la représenterr<br />
comme si elle était vue de face; l'autre, à reculer<br />
l'organee du second plan et à le dessiner en arrière de l'autre<br />
lee long de l'axe longitudinal du corps. Nous allons examiner<br />
l'applicationn de ces deux procédés à la représentation<br />
d'abordd des oreilles et des cornes, puis des pattes.<br />
Pourr qu'il soit possible de tirer du mode de représentation<br />
dess oreilles une conclusion en faveur du réalisme intellectuel,
LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 999<br />
ill faut qu'elles soient figurées d'une façon nettement différentee<br />
de celle dont elles se présentent à l'œil et destinée à<br />
less détacher l'une de l'autre, à en accentuer la dualité. Or,<br />
parr suite de la mobilité de ces organes dans l'être vivant, ils<br />
peuventt prendre effectivement des positions qui répondent<br />
auxx exigences du réalisme intellectuel, de telle sorte que la<br />
Fig.. 71. — Cerf.<br />
Peinturee rupeslre rouge (Calapata, province de Teruel, Espagne).<br />
Echelle:: 1/3 environ (d'après BREUIL).<br />
façonn dont ils sont représentés ne permet pas de les rapporter<br />
àà l'une plutôt qu'à l'autre des deux sortes de réalisme. Mais<br />
sii les oreilles sont mobiles, leur insertion dans la tête reste<br />
fixe,, et dans la vue de profil l'insertion de celle du second<br />
plann est masquée pour le réalisme visuel par l'insertion de<br />
cellee du premier plan et en outre, lorsqu'il s'agit d'animaux<br />
cornus,, par les cornes situées entre les deux oreilles. Par<br />
suite,, on devra porter au compte du réalisme intellectuel les<br />
dessinss de têtes cornues ou non dont les oreilles sont figurées<br />
parallèlementt l'une derrière l'autre par recul et ceux de têtes
1000 L'ART PALEOLITHIQUE<br />
cornuess où les insertions des deux oreilles sont visibles de<br />
partt et d'autre des cornes. Je me bornerai à citer comme<br />
exemplee du premier cas un Cerf rouge de Calapata (%. 71).<br />
Less cornes, à la différence des oreilles, sont des organes<br />
rigidess et par suite leur disposition dans les dessins permet<br />
dee reconnaître si elles sont figurées en profil correspondant<br />
auu réalisme visuel, celle du second plan étant plus ou moins<br />
masquéee par celle du premier, ou soit de face, soit de profil<br />
avecc recul conformément au réalisme intellectuel.<br />
Particulièrementt intéressants sont les bois des Cerfs mâles<br />
adultes,, où le dessinateur doit tenir compte, non seulement<br />
dee leur tige, mais aussi des branches, spécialement des deux<br />
andouillerss basilaires, recourbés en forme de crochet. La<br />
plupartt des figures qu'en fournit l'art rupestre espagnol paléolithiquee<br />
sont du type que j'ai appelé type de Calapata, du<br />
nomm de la localité qui en a fourni les spécimens les plus anciennementt<br />
publiés et d'ailleurs les plus remarquables (fig. 71).<br />
Chacunn des bois, pris individuellement, est figuré de profil,<br />
avecc les andouillers dirigés en avant; mais la position divergentee<br />
des deux bois l'un par rapport à l'autre, semblable à<br />
cellee que présenteraient des tiges sans andouillers vues de<br />
face,, relève sans équivoque possible du réalisme intellectuel.<br />
Unee autre application de ce mélange de points de vue,<br />
corollairee du réalisme intellectuel, consiste, pour faire ressortirr<br />
les orteils dans des jambes de profil, à figurer le pied<br />
commee s'il était vu à vol d'oiseau : on l'observe par exemple<br />
danss des figures humaines de la Vieja (fig. Go et 117) et de<br />
Minatedaa (fig. 81), dans la Fe/is spelaea de Bruniquel (fig. 72)<br />
ett dans le Rhinocéros de la Colombière (fig. 83).<br />
Lee réalisme intellectuel est décelé sans contestation possiblee<br />
par une certaine façon de dessiner les pieds des ruminantss<br />
et des suidés. Leur sabot se distingue de celui des<br />
équidéss par la fente qui le divise en deux onglons et leur a<br />
valuu le nom de bisulques; en outre, ils ont au-dessus et en<br />
arrièree du sabot deux ergots, tandis que les équidés n'en ont<br />
qu'un.. Ces différents éléments du pied ne sauraient être vus
LELE RÉALISME BAXS L'ART FIGURE 1011<br />
àà la fois : de profil, l'ong-Ion et l'ergot du premier plan masquentt<br />
leurs correspondants du second plan ; la séparation des<br />
77<br />
Fig.. 72. —Félin.<br />
Gravuree (déroulée) sur bâton troué en bois de Renne (Abris du Château, Bruniquel).<br />
Echellee : 2/3 (d'après CARTAILHAC) .<br />
deuxx ong-lons ne peut être vue que de devant, celle des deux<br />
ergotss que de derrière; enfin, si l'on peut, en regardant<br />
Fig.. 73. — Bison.<br />
Peinturee pariétale en noir (Niaux, Ariège). Kchelle : 1/10 (d'après BREUIL).<br />
l'animall de trois-quarts par devant, apercevoir la séparation<br />
dess deux onglons du pied du premier plan, on ne peut pas la
1022 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
voirr au pied du second plan. On devra donc considérer comme<br />
inspiréss par le réalisme intellectuel les dessins qui, bien que<br />
lee corps et les pattes soient de profil, figureront dans le<br />
piedd des éléments invisibles de ce point de vue.<br />
Cecii se produit pour les sabots bisulques dans une foule<br />
d'exempless (fîg. 4 n° 2, 65, 73-75), où la séparation des<br />
deuxx onglons est marquée comme si le pied était vu de face<br />
Fig.. 74. — Bouquetin.<br />
Peinturee pariétale en noir (Niaux). Echelle : 1/7 (d'après BREUIL).<br />
ett avait subi par rapport à la patte qu'il termine une torsion<br />
àà 90 degrés selon leur axe vertical.<br />
Bienn que les artistes paléolithiques se soient montrés beaucoupp<br />
moins soucieux de représenter les deux ergots des<br />
bisulquess que leurs deux onglons, quelques dessins témoignentt<br />
cependant du désir d'en montrer la dualité. Le procédé<br />
généralementt employé n'est qu'une variante de celui que<br />
nouss avons déjà signalé pour les cornes, oreilles et pattes<br />
souss le nom de recul, avec celte différence que les jambes<br />
surr lesquelles s'insèrent les ergots étant verticales, tandis que<br />
laa ttHe sur laquelle s'insèrent les cornes et les oreilles et le<br />
ventree sur lequel s'insèrent les pattes sont horizontaux, le<br />
recull se manifeste ici par un déplacement non en longueur,<br />
maiss en hauteur, les deux ergots étant figurés comme s'ils
LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ<br />
1033<br />
s'attachaientt sur la jambe l'un au-dessus de l'autre (fig 1 . 76).<br />
Unn cas encore plus net que tous les précédents, où le<br />
dessinateurr est obligé de choisir entre les deux sortes de<br />
réalisme,, est celui où l'objet représenté possède des éléments<br />
qui,, bien que réels, ne sont jamais visibles dans les circonstancess<br />
normales, par exemple les org-anes internes d'un être<br />
. '<br />
Fig.. 7;;. _ Biche polychrome, petit Bison noir et signes rouges.<br />
Peinturess du plafond de la caverne d'Altamira (Espagne).<br />
Echellee : 1/25 environ (d'après CARTAILHAC et BIIEUIL).<br />
vivant.. Ces éléments étant invisibles, le réalisme visuel ne<br />
less représentera pas ; il y aura opacité du contenant dans le<br />
dessinn comme dans le modèle. Mais comme ils sont réels,<br />
fontt partie de l'essence du modèle, le réalisme intellectuel<br />
tiendraa à les figurer dans le dessin comme si le contenant les<br />
laissaitt apercevoir par transparence ou en vertu d'une sorte<br />
dee radioscopie. Ainsi opacité et transparence seront respectivementt<br />
des symptômes du réalisme visuel et du réalisme<br />
intellectuel..<br />
Unn exemple certain de transparence pour la figuration des<br />
org-aness internes est fourni par le poisson (Truite ?) à
1044 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
contourr découpé dans une lame d'os de Lorthet, qui montree<br />
sur une de ses faces la représentation schématisée du<br />
tubee digestif et de l'estomac (fig. 76).<br />
Jee considère comme un autre exemple du même procédé<br />
l'Eléphantt aurignacien<br />
peintt en rouge à Pindal<br />
(fig.. 77), en interprétant<br />
commee le cœur vu par<br />
Fig.. 70. — Poisson (Truite?)<br />
Contourr découpé en os (Lorthet,Hautes-Pyrénées)<br />
(d'aprèss PIETTE).<br />
transparencee la tache<br />
quii l'on interprète souventt<br />
comme une oreille.<br />
AA Ardales (province de<br />
Malaga),, une tache<br />
rougee dans la grande<br />
Bichee noire ( 1 ) semble<br />
égalementt représenter le cœur. La Loutre au poisson gravéee<br />
sur os de Laugerie Basse (2) semble, à un examen attentif,,<br />
avoir un autre poisson dans le ventre. Du même procédéé<br />
relève encore un Bison<br />
peintt de la Pasiega (3), dont<br />
lala corne du second plan (cornee<br />
droite de l'animal) est<br />
figuréefigurée en entier, bien que<br />
toutee sa partie inférieure,<br />
situéee derrière le front, dût<br />
êtree masquée par lui.<br />
Laa représentation des organess<br />
internes d'un être<br />
vivantt n'est pas le seul cas 7.. — Eléphant.<br />
Peinturee parioiale en rouge (Pindal,<br />
OUU 1 artiste SOlt oblige de province d'Oviedo, Espagne).<br />
prendree parti (consciemment<br />
Echel ie : 1/iO. (d'après BREUIL).<br />
ouu non) entre l'opacité et la transparence; un autre cas<br />
estt fourni par la représentation d'un objet dont une partie<br />
(1)) BREUIL, L'A., t. XXXI, 1921, p. 245 fia- 4<br />
(2)) Rép., p. 115, n° 4.<br />
(3)) La Pasiega, pi. XXVIII, n° 83.
LELE RÉALISME DANS L'A HT FIGURÉ 1055<br />
aa pénétré dans un autre, comme une arme dans le corps<br />
d'unn animal ou d'un homme dans des scènes de chasse<br />
ouu de guerre. L'extrémité qui a pénétré dans le corps est<br />
inexistantee pour le réalisme visuel, mais existe pour le réalismee<br />
intellectuel. Par suite, la façon dont sont représentées<br />
cess flèches permettra de déterminer quelle conception du réalismee<br />
se faisait l'artiste dans tel cas donné. Pour les animaux<br />
représentéss avec des flèches barbelées en surcharge sur le<br />
corps,, l'interprétation la plus vraisemblable est qu'elles ont<br />
Fig.. 78. — Bison percé de flèches.<br />
Gravuree sur le sol (Niaux, Ariège). Echelle : 1/8 (d'après BREUIL).<br />
pénétréé dans la chair et que cependant leur pointe est figurée<br />
parr transparence. Cette interprétation s'impose pour le Jiison<br />
gravéé sur le sol à Niaux (fig. 78), où la représentation des<br />
pointess de flèches est accompagnée de celle de blessures.<br />
Danss d'autres images, l'animal est environné de flèches<br />
dirigéess contre lui, mais sans l'avoir encore atteint; tel est,<br />
parr exemple, le poisson gravé sur bois de Renne de Fontarnaudd<br />
(fig. 79). Ces figures rentrent dans la formule générale<br />
énoncéee par Barnes et Levinstein pour la représentation<br />
d'actions,, de scènes changeantes, autrement dit encore « d'histoiress<br />
», à propos du dessin enfantin, et d'après laquelle le<br />
dessinateurr représente la « préparation » de préférence à la<br />
«« catastrophe » (1). Cette formule, exacte au point de vue<br />
(i)) BARNES, A studyy on children's drawing, Pedagogical Seminary, t. II (1902),<br />
p.. 4G1. — LEVINSTEIN, Kinderzeichnungen, Leipzig, 1905, p. 40.
1066 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
purementt graphique, c'est-à-dire pour ce qui se voit dans le<br />
dessin,, me semble insuffisante au point de vue psychologique,,<br />
c'est-à-dire en ce qui concerne les raisons qui ont<br />
inclinéé l'artiste à prendre ou à choisir ce parti : c'est que la<br />
représentationn de la « préparation » permet de figurer des<br />
élémentss qui ne sont plus visibles au moment de la « catastrophee<br />
» . Le cas des flèches, barbelées ou non, touchant du<br />
dehorss le corps des animaux ne serait peut-être qu'une sorte<br />
dee passage à la limite du thème des animaux environnés de<br />
flèchess et n'en différerait qu'en ce qu'elles sont figurées, non<br />
pass simplement au cours de leur vol dans la direction de<br />
l'animal,, mais au moment précis où elles l'atteignent. Dans<br />
Fig.. 79. — Poisson et flèche.<br />
Gravuree sur bois de Renne (Fontarnaud, Gironde). Collection Labrie<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
unn cas comme dans l'autre, l'artiste aurait trouvé, peut-être<br />
sanss le chercher, un mode de représentation privilégié qui parvientt<br />
à concilier le réalisme visuel et le réalisme intellectuel,<br />
opposéss en principe : il y a à la fois réalisme visuel, puisque<br />
l'œill pourrait avoir de la scène et que la photographie instantanéee<br />
pourrait enregistrer une image semblable au dessin,<br />
ett réalisme intellectuel, puisque la flèche est représentée dans<br />
sonn intégralité. Nous retrouvons là quelque chose de comparablee<br />
aux dessins signalés plus haut des animaux de profil à<br />
têtee de face, dont l'attitude se présente dans la nature et en<br />
mêmee temps manifeste à la fois le maximum de détails tant<br />
dee la tête que du corps.<br />
Ill n'est peut-être pas abusif de pousser encore plus loin.<br />
Danss une foule de cas, l'animal visé par des flèches comme le<br />
nn de Pontarnaud est également atteint par d'autres<br />
flèchesflèches ou figuré avec des blessures. Or, le dessin non seu-
LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 107<br />
lementt des enfants, mais aussi de professionnels appartenant<br />
àà des phases relativement primitives dans l'art d'époques<br />
ett de régions diverses, recourt, pour la représentation des<br />
actionss dramatiques, des « histoires », à un procédé qui<br />
consiste,, sur le fond commun des éléments de la scène qui<br />
nee changent pas et font en quelque sorte office de décor,<br />
àà figurer plusieurs fois les éléments changeants, chacune<br />
dess représentations de ces éléments correspondant à un<br />
momentt différent de leur changement. Il est dès lors permis<br />
dee se demander si, dans les dessins paléolithiques, les flèches<br />
quii volent vers l'animal et celles qui l'ont atteint ne seraient<br />
pas,, dans la pensée de l'artiste, les mômes flèches considéréess<br />
à des moments successifs. Nous aurions là un nouvel<br />
exemplee de conciliation du réalisme visuel et du réalisme<br />
intellectuel,, non plus seulement dans l'espace, mais aussi<br />
danss le temps. Dans la réalité, un animal, surtout attaqué<br />
parr plusieurs chasseurs, peut être déjà blessé par des flèches<br />
pendantt que d'autres volent vers lui; et les figures de ce<br />
genree représentent en un sens une scène vue. Mais d'autre<br />
part,, comme, selon la profonde remarque de Zenon d'Elée,<br />
laa flèche qui vole est immobile dans chacune de ses positions,<br />
laa représentation de ces diverses positions est un moyen de<br />
rendre,, en les juxtaposant dans un dessin unique, les moments<br />
successifss du vol de la flèche. Nous avons relevé divers<br />
exempless de conciliation du réalisme visuel et du réalisme<br />
intellectuell dans l'art paléolithique, et en particulier celui dont<br />
nouss venons de parler est assez compliqué. Mais les Magdalénienss<br />
n'étaient certainement plus des artistes novices; ils<br />
avaientt donc probablement, sinon conçu sous forme abstraite,<br />
duu moins senti d'une façon plus ou moins vague l'antagonismee<br />
que nous avons fait ressortir entre les deux sortes de<br />
réalisme.. L'exislencede ce sentiment chez les dessinateurs de<br />
l'Agee du Renne est d'autant plus vraisemblable que nous<br />
pouvonss la constater chez nos enfants, dès l'âge d'environ<br />
sixx ans, où elle détermine un abandon graduel du réalisme<br />
intellectuell pour le réalisme visuel. Dès lors, il est permis de
1088 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
see demander si les divers cas de conciliation des deux sortes<br />
dee réalisme que nous avons relevés sont un simple effet du<br />
hasardd ou si cette conciliation n'aurait pas été plutôt, sinon<br />
cherchée,, du moins préférée intentionnellement par les<br />
artistess paléolithiques.<br />
Ill ne s'ag-it là, à coup sûr, que de possibilités, et je serai le<br />
premierr à reconnaître le caractère forcément conjectural de<br />
cess déductions. Mais il n'en va pas de même pour l'emploi du<br />
procédéé de la transparence à l'àg"e du Renne, qui me semble<br />
solidementt établi par les faits.<br />
Pourr résumer les résultats de cette étude, il nous semble<br />
quee le réalisme se manifeste dans l'art paléolithique de deux<br />
façonss non seulement différentes, mais opposées. Le réalismee<br />
visuel y est prépondérant ; mais le réalisme intellectuel<br />
yy est également représenté dans une large mesure tant par<br />
laa figuration d'éléments invisibles du point de vue choisi,<br />
quoiqu'ilss puissent être aperçus d'un point de vue différent,<br />
quee par la figuration d'éléments toujours invisibles (transparence))<br />
. Cette coexistence du réalisme intellectuel avec le<br />
réalismee visuel subsiste jusque dans le Mag-dalénien, qui est<br />
àà la fois l'apogée artistique du Paléolithique et son terme<br />
chronologique.. Par suite, si l'époque magdalénienne est fort<br />
éloig-néee dans le temps de l'enfance de l'art, l'esthétique que<br />
révèlentt les œuvres figurées de cette période est encore, à<br />
unn degré notable, une esthétique d'enfants.
CHAPITRECHAPITRE IV<br />
SIGNIFICATIONN DE L'ART FIGURÉ<br />
Unee étude de l'art paléolithique serait incomplète et<br />
sommee toute de peu d'intérêt si, après en avoir retracé<br />
l'évolutionn chronologique, décrit les procédés et dégag-é le<br />
style,, elle ne tentait d'en déterminer l'intention. Une activité<br />
humaine,, telle que l'art, n'est pas entièrement expliquée si<br />
l'onn s'en tient au comment, sans rechercher le pourquoi.<br />
Quellee était donc la destination de l'art paléolithique?<br />
Onn en a donné deux explications opposées. L'une, surtout<br />
enn faveur en Allemagne, y voit la manifestation d'une<br />
tendancee esthétique entièrement désintéressée. En France,<br />
malgréé l'énergique protestation de M. Boule en faveur de<br />
«« l'art pour l'art » (i), la théorie la plus généralement<br />
adoptée,, avec plus ou moins de réserves, est celle qu'a<br />
présentéee et développée M. S. Reinach (a) et qui peut se<br />
résumerr de la manière suivante. L'art de l'âge du Renne<br />
n'estt nullement désintéressé : il a avant tout un rôle pratique,<br />
ett pour parler précisément, c'est une opération magique.<br />
Less primitifs de toutes les régions et de toutes les époques<br />
ontt cette idée que la représentation figurée d'un être, comme<br />
sonn évocation par la parole, donne à l'auteur du dessin une<br />
prisee sur lui (3).<br />
Less Paléolithiques avaient besoin pour vivre de se procurer<br />
I)) M. BOULE, Les hommes fossiles, 2" édition, p. 262, note.<br />
ii)ii) S. REINACH, L'art et la magie, dans Cultes, mythes et religions, Paris,Leroux,<br />
t.. I, p. 126 sq.<br />
(3)) On trouvera une riche collection de parallèles ethnographiques dans Altamira,<br />
pp.. 145-225 et 236-243.
HOO L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
less animaux qui leur fournissaient leur nourriture. La<br />
représentationn figurée de ces animaux était un moyen d'en<br />
favoriserr la reproduction, de les attirer et de les retenir<br />
danss le voisinage, d'en faciliter la chasse. En résumé,<br />
l'expressionn « magie de l'art » doit, pour cette époque, être<br />
prisee à la lettre, de sorte que les artistes étaient à proprementt<br />
parler des sorciers. « II y aurait beaucoup d'exagération,,<br />
conclut M. Reinach, à prétendre que la magie est<br />
laa source unique de l'art, à nier la part de l'instinct d'imitation,,<br />
de celui de la parure, du besoin social d'exprimer et<br />
dee communiquer sa pensée; mais... (les faits) semblent<br />
démontrerr que le grand essor de l'art à l'âge du Renne est<br />
liéé au développement de la magie. » II convient, à notre<br />
avis,, en conservant l'essentiel de cette thèse, de la restreindree<br />
à ses limites légitimes en discutant la valeur très<br />
inégalee en fait et en droit des arguments invoqués en sa<br />
faveur..<br />
Unee première série d'arguments allégués à l'appui du rôle<br />
magiquee des œuvres d'art paléolithiques s'appuient sur les<br />
caractèress des régions où ont été tracées nombre de figures<br />
pariétales.. Nous examinerons d'abord l'obscurité de ces<br />
régions,, que l'on envisage d'ordinaire en même temps que<br />
leurr éloignement par rapport à l'entrée, mais qu'il y a lieu<br />
d'enn distinguer, car si l'éloignement de l'entrée entraîne<br />
d'ordinairee l'obscurité, il y a des exceptions. En effet, la<br />
lumièree du jour peut pénétrer non seulement par l'entrée,<br />
maiss aussi par des fissures des parois ou du plafond, comme<br />
celaa a pu être le cas à La Mouthe(i). Inversement, certaines<br />
régionss voisines de l'entrée, par exemple le grand plafond<br />
d'Altamiraa (2), étaient à peine éclairées. Quoi qu'il en soit,<br />
l'obscuritéé des lieux où se trouvent les figures implique,<br />
dit-on,, qu'elles n'avaient pas un caractère décoratif (nous<br />
dirionss plus généralement purement esthétique ou désintéressé),,<br />
puisqu'elles ne pouvaient pas être vues. Mais c'est<br />
(I)) CAPITAN. Bull. Soc. d'Anthropol., 1897, p. 488.<br />
(i)(i) Allamira, p. 2.
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURK<br />
àà tort que l'on conclut de l'obscurité naturelle à l'obscurité<br />
totale.. Lors des premières découvertes de grottes à figures,<br />
l'obscuritéé naturelle constatée et l'absence supposée de<br />
moyenss d'éclairage artificiels pouvaient être invoquées pour<br />
contesterr l'authenticité des figures. Mais maintenant que<br />
celle-cii n'est plus mise en question, leur existence même<br />
exigee nécessairement l'existence d'un éclairage artificiel aussi<br />
rudiinentairee qu'on le voudra, mais suffisant pour des<br />
hommess dont l'acuité visuelle, par suite de leurs conditions<br />
d'existence,, devait être plus développée que celle des citadins<br />
modernes.. L'expérience ne pouvait avoir manqué de leur<br />
apprendree que le feu produit de la lumière en même temps<br />
quee de la chaleur, et ils pouvaient utiliser des torches. Bien<br />
plus,, on a retrouvé dans les gisements paléolithiques quelquess<br />
spécimens de lampes en pierre (i), notamment un exemplairee<br />
à La Moulhe, dans une grotte décorée, dont l'usage,<br />
qu'onn peut concevoir sur le type de celles dont se servaient<br />
less Groenlandais avant leur contact avec la civilisation européennee<br />
(2), est hors de doute, car elle contenait encore dans<br />
saa concavité des résidus de matière grasse brûlée. Mais<br />
quandd bien même nous n'aurions aucune indication sur les<br />
moyenss d'éclairage employés par les Paléolithiques, leur existencee<br />
est établie sans doute possible par l'existence même<br />
dess figures.<br />
Onn s'est étonné que ces luminaires qui, forcément très<br />
imparfaits,, devaient produire beaucoup de fumée, n'aient<br />
laisséé aucune trace de suie dans les régions où l'on s'en était<br />
servi.. Mais le puissant foyer de la salle à l'entrée d'Altamira<br />
aa dû produire une fumée autrement intense et prolongée<br />
qui,, chargée de matières animales par le contact direct des<br />
viandess avec la flamme, était bien de nature à laisser d'abondantess<br />
traces de suie : pourtant aucune de ces traces n'a<br />
subsistéé sur le plafond aux polychromes situé au-dessus de<br />
(1)) R. de SAINT-PÉRIER, Congrès préhisl. de , Lons-le-Saulnier, 1913, p.<br />
139-146;; l'A., t. XXXVI, 1986, p. 30 sq.<br />
(2)) Allamira, p. 232.<br />
O.-IJ.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 8
1122 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
cee foyer (i). L'explication de ce fait a d'ailleurs été donnée<br />
parr Moissan: les parcelles de charbon d'orig-ine organique<br />
quii constituaient cette suie s'oxydent à l'air et disparaissent<br />
àà la longue (a).<br />
Outree l'obscurité des régions décorées, on a invoqué certainss<br />
autres de leurs caractères, à savoir leur éloigneraient<br />
parr rapport à l'entrée, leur difficulté d'accès, leur disposition<br />
incommodee qui imposait à l'artiste une grande gêne pour<br />
exécuterr ses figures, ce qui semblerait indiquer la recherche<br />
d'unn locus remotus et en quelque sorte tabou, et l'on a<br />
rapprochéé ce fait de cet autre que chez les Australiens les<br />
rochess peintes sont tabou pour les non-initiés. Mais, sans<br />
discuterr pour le moment la matérialité du fait allégué, la<br />
conclusionn qu'on en tire nous semble dépasser les prémisses.<br />
S'ill est certain que, dans une foule de cas, la recherche du<br />
mystèree est liée à des pratiques magiques ou rituelles, elle<br />
n'enn est pas inséparable : les pratiques rituelles peuvent<br />
prendree au contraire un caractère cérémoniel et public. Sans<br />
allerr chercher plus loin, la messe des catholiques réunit les<br />
deuxx éléments : c'est une cérémonie publique dans son<br />
ensemblee contenant un élément secret, la prière appelée<br />
«« secrète ». Le même caractère public se retrouve chez les<br />
sauvagess pour des cérémonies totémiques (3).<br />
Ainsii le principe que des pratiques magiques exigent le<br />
secrett n'est qu'un postulat qui peut être contesté. Mais ceux<br />
quii l'invoquent devraient au moins être logiques et admettre<br />
saa conséquence, que s'il existe des figures tracées ailleurs<br />
quee dans des endroits retirés et peu accessibles, il n'y a<br />
pluss de raison d'attribuer à ces figures un rôle magique et<br />
que,, par suite, la théorie magique n'a plus une portée universelle..<br />
Or, les figures de ce genre sont innombrables. Il y a<br />
d'abordd toutes celles qui sont tracées sur objets mobiliers<br />
ett qui, par leur nature même, sont destinées à voir le jour,<br />
(1)) lbid., p. 8.<br />
(2)) lbid., p. 27.<br />
(3)) BREUIL, La grotte de la Grèze, C. R. Acatl. Inscr., l'J04, pp. 494-495.
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'A HT FIGURÉ<br />
enn particulier celles qui décorent les armes de chasse, notammentt<br />
les propulseurs, et dont la vertu mag-ique qu'on leur<br />
aa prêtée ne peut s'exercer qu'à la chasse, c'est-à-dire au<br />
grandd air. Il y a encore toutes les fîg-ures rupestres de<br />
l'Espagnee orientale, tracées sur des abris peu profonds ou<br />
mêmee sur des rochers en plein air.<br />
Maiss tenons-nous en aux œuvres pariétales des cavernes<br />
franco-cantabriques.. Ce serait nier l'évidence — et nous<br />
sommess fort éloignés de ce ridicule — que de ne pas reconnaîtree<br />
que, dans une foule de cas, ces fig-ures sont tracées<br />
danss les régions les plus reculées des grotles et qu'on n'y<br />
accèdee qu'avec d'extrêmes difficultés. Les récits des explorateurs,,<br />
les plans des grottes qu'ils ont publiés avec indicationn<br />
de l'emplacement des figures, ne laissent aucun doute à<br />
cee sujet. Mais on pourrait peut-être se demander si les<br />
artistess ont cherché ces lieux pour y tracer les fig-ures, ou<br />
s'ilss n'ont pas simplement tracé les fig-ures en des endroits<br />
oùù ils étaient parvenus pour d'autres raisons. La grotte du<br />
Tuee d'Audoubert, qui est précisément une de celles auxquelless<br />
on attribue tout spécialement un caractère sacré, a<br />
conservéé des traces du passage d'hommes en un endroit des<br />
partiess profondes où n'a été sig-nalée aucune œuvre d'art (i).<br />
Quoii qu'il en soit, si la destination magique des fig-ures<br />
pariétaless est liée à leur situation difficilement accessible et<br />
éloignéee de l'entrée, on rencontre dans la région franco-cantabriquee<br />
nombre de figures exécutées parfois dans de simples<br />
abriss ou, pour des grottes profondes, dès le voisinage de<br />
l'entréee (La Grèze, Puy-Rousseau, Cap-Blanc, Pair-non-Pair,<br />
laa Calévie, Comarque, la Croze à Gontran, Teyjat, Marsoulas,,<br />
Gargas, Ayguèze, Allamira, Hornos de la Pena, la<br />
Ventaa de la Perra, la Haza) (2).<br />
(1)) « Dans les coins de cette longue salle élevée, des ossements d'Ours; en tas, à<br />
peinee dérangés, indiquent que les fauves sont morts là. Les hommes quaternaires<br />
sontt venus et, dédaignant les ossements inutiles, ont brisé les mâchoires pour en<br />
arracherr les canines destinées à servir de parure... Autour de ces squelettes, on<br />
voitt que le sol a été piétiné, et en plus d'un endroit des traces de pieds humains sont<br />
visibless ... (BEGOUEN, VA., t. XXIII, 1912, pp. G59-C6O).<br />
(2)) BUEUIL, La grotte de la Grèze, C. R. Acad. lnscr., 1904, p. 492. — Altamira,
1144 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Bienn plus, non seulement des figures pariétales ont subsistéé<br />
dans le voisinage de l'entrée des grottes, mais leur<br />
absencee là où elle est constatée s'explique sans peine par<br />
leurr destruction, qui a pour causes, à l'entrée, les végétaux, le<br />
soleil,, la pluie, la gelée ; plus profondément, la rosée de condensation..<br />
La corrosion des parois a été observée jusqu'à<br />
4oo mètres à la grotte Rey, jusqu'à 60 mètres à Font-de-<br />
Gaume,, jusqu'à 90 mètres aux Gombarelles, même jusqu'à<br />
pluss de 5oo mètres dans des grottes à entrée très large,<br />
commee Bédeilhac ou le Mas d'Azil. La conservation des<br />
figuresfigures au voisinage de l'entrée ne se présente que lo<br />
qu'elless ont été protégées soit par des éboulements, soit par<br />
unn recouvrement archéologique (1). On peut donc conclure<br />
avecc les explorateurs de Font-de-Gaume : « La localisation<br />
dess figures dans les parties profondes, si exclusive à premièree<br />
vue, est peut-être illusoire et peut être due à ce que<br />
seuless ont échappé à la destruction les fresques et les gravuress<br />
qui se cachaient loin des agents atmosphériques de<br />
destructionn » (2).<br />
Ill nous semble donc que la conclusion à tirer de la situationn<br />
des figures pariétales est que, à côté de celles d'entre<br />
elless qui semblent témoigner d'une recherche intentionnelle<br />
duu mystère et peuvent par suite être considérées comme<br />
ayantt eu un caractère sacré, les Magdaléniens en ont exécuté<br />
d'autress auxquelles rien n'autorise à attribuer la même significationfication<br />
et qui sont des œuvres d'art pures et simples. C<br />
tainss faits donneraient à penser que des grottes différentes<br />
ouu des parties différentes d'une même grotte, parfois la<br />
mêmee partie à des époques différentes, ont reçu l'une et<br />
l'autree des deux utilisations, profane comme gîtes, sacrée<br />
commee sanctuaires. Aux Gombarelles, l'occupation du cou-<br />
pp.. 19, 29, 34 note 2. — Font-de-Gaume, p. 53. — L'A., t. XVI 1905, p 433-437;<br />
t.. XXII, 1911, p. 385 sq.; t. XXVI, 1915, p. 507.<br />
(1)) BREUIL, La grotte de la Grèze, op. cit., p. 492-493. — L'A., t. XVI, 1905,<br />
p.. 432; t. XXII, 1911, p. 385 sq. — Altamira, p. 29, 33, 233. —'Font-de-Gaume,<br />
p.. 53-58.<br />
(2)) Font-de-Gaume, p. 58.
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ<br />
loirr de droite, sans figures, est dans l'ensemble, par ses<br />
niveauxx archéologiques qui vont du Magdalénien moyen (sans<br />
harpons)) au Magdalénien final, très postérieure à l'époque de<br />
laa décoration de la galerie de gauche, sans restes archéologiques,,<br />
mais qui, par les caractères des figures, doit être<br />
rapportéee aux périodes du Magdalénien antérieures aux<br />
harpons.. A Allamira et à Marsoulas, des figures d'un Magdalénienn<br />
plus ou moins ancien accompagnées de couches<br />
archéologiquess de même date, ont été dans la suite surchargéess<br />
par des polychromes sans vestiges d'habitation correspondantss<br />
(i).<br />
Less conclusions, plus ou moins solides, que l'on avait jadis<br />
tiréess de la nature des sujets représentés, nous semblent<br />
aujourd'huii périmées. On croyait pouvoir établir une différencee<br />
entre les animaux comestibles, figurés en image pour<br />
enn faciliter la reproduction ou la chasse par une influence<br />
magique,, et les animaux dangereux, indésirables, en particulierr<br />
les félins, dont la représentation aurait été négligée ou<br />
mêmee proscrite. La faune figurée, telle que nous la connaissonss<br />
actuellement, comprend les espèces les plus variées,<br />
commee le prouve l'énumération sommaire que nous en avons<br />
donnéee (p. 3o-33), et la prépondérance numérique des représentationss<br />
de gibiers s'explique suffisamment, sans faire<br />
appell à des intentions magiques, par l'orientation des idées<br />
d'artistess chasseurs.<br />
Si,, dans la grande majorité des cas, les animaux sont<br />
figurésfigurés isolés, on les rencontre aussi associés à l'Homme<br />
danss des scènes de chasse. On n'en connaît pour la région<br />
franco-cantabriquee qu'un exemple unique et peu décisif, le<br />
«« chasseur d'Aurochs » (en réalité de Bison) de Laugerie-<br />
Bassee (2); mais les peintures rupeslres espagnoles en contiennentt<br />
un certain nombre de spécimens (fig. 24, 25, 56-58).<br />
Pourr ces scènes de chasse, le choix reste libre entre deux<br />
interprétations.. On peut y voir soit des opérations magiques,<br />
(1)) Combarelles, p. 184-185.<br />
(2)) Rép., p. 99, n'S.
1166<br />
L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
oùù la représentation figurée aurait eu pour rôle, comme les<br />
représentationss mimées chez divers primitifs (i), d'assurer<br />
lee succès d'une chasse réelle, soit simplement des œuvres<br />
d'art,, des scènes de g-enre reproduisant, sans intention<br />
mag-ique,, un événement réel ou imaginé. Il paraît difficile<br />
d'attribuerr une intention magique à un ensemble de gravures<br />
dee Font-de-Gaume (fig. 80), qui semble représenter un<br />
groupee de Chevaux attaqués par un Lion. Pour contester<br />
lee caractère purement artistique des représentations de<br />
chasses,, on a allégué (2) qu'elles représentent, non des<br />
chassess à la grosse bête, dont leur caractère exceptionnel et<br />
dangereuxx pourrait justifier la commémoration fig-urée à<br />
titree d'événements historiques, mais uniquement des chasses<br />
auu Cerf, au Bouquetin ou au Sanglier qui, par leur facilité<br />
ett leur banalité, ne méritaient pas cet honneur. Cet argumentt<br />
repose, à notre avis, sur une erreur psychologique.<br />
Laa reproduction fig-urée d'une scène dans une intention purementt<br />
artistique prouve bien que cette scène présentait de<br />
l'intérêtt pour l'artiste, qu'elle avait attiré son attention. Mais<br />
cettee attention et cet intérêt peuvent avoir été excités non<br />
parr le caractère important ou exceptionnel de cette scène,<br />
maiss au contraire par sa fréquence entraînant sa banalité.<br />
Notree art ne présente pas moins des tableaux de g-enre que<br />
dess tableaux d'histoire; les scènes de la vie courante sont<br />
représentéess au moins aussi fréquemment que des événementss<br />
exceptionnels dans divers arts primitifs, par exemple<br />
danss les gravures sur bambous de Nouvelle-Calédonie, qui<br />
n'ontt aucune intention magique; et je n'aperçois pas quelle<br />
intentionn magique a bien pu faire peindre à Minateda la<br />
scènee on ne peut plus courante d'une maman tenant son<br />
enfantt par la main (fig. 81).<br />
Nouss considérerions comme témoignant d'une intention<br />
(1)) H. OBERMAIER, El hombre fosil, Madrid, 1916, p. 245 (Annam).— LUBBOCK,<br />
Originess de la civilisation, traduction BAHBIEH, 2" édit., p 275 (Gafres Koussas,<br />
d'aprèss Lichtenstein).<br />
(2)) H. OBERMAIER et P. WERNERT, Las pinturas rupestres del Barranco del Valltorta,,<br />
Madrid, 1919, p. 125-127.
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ 1177<br />
magique,, bien plutôt que les figures d'animaux isolées et<br />
quee les scènes complexes qui associent la représentation des<br />
caca<br />
IflIfl !<br />
i<br />
a--<br />
SS -a<br />
C33 > S<br />
ass Q<br />
SS eu<br />
oo -o<br />
§33<br />
SEE "C<br />
chasseurss à celle du gibier, celles, particulièrement nombreusess<br />
dans la région franco-cantabrique, dans l'art mobi-
1188 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
lierr comme dans l'art pariétal, où les animaux sont figurés<br />
soitt blessés, soit frappés de flèches, soit, ce qui revient au<br />
même,, environnés de flèches ou autres armes de jet dirigées<br />
contree eux (i). Assurément, ces figures pourraient être considéréess<br />
comme de simples scènes de genre, des représentationss<br />
purement artistiques de chasses dans lesquelles les<br />
artistess auraient négligé les chasseurs, et à ce point de vue,<br />
ill n'y aurait entre la province franco-<br />
^KK cantabrique el l'Espagne orientale que<br />
^^LL la différence générale de style consis-<br />
^»^» A El tant dans la fréquence ou la rareté des<br />
""fe^WkCjj Wf représentations humaines. Néanmoins,<br />
^BB £ il nous semble plus vraisemblable d'at-<br />
^KK Iribuer aux figures de ce genre un rôle<br />
2Bgg m magique, de les rattacher aux pratiques<br />
MM d'envoûtement donl l'existence à l'épo-<br />
B«« ^^m que magdalénienne parait établie. Lin<br />
a^yy II quadrupède (félin?) en ronde-bosse<br />
4## J d'Isturitz (fig. 82) porte, outre des per-<br />
Fig.. 81. — Une<br />
mamann avec son<br />
enfant..<br />
Peinturee rupestre en<br />
brunn de Minateda<br />
(provincee d'Albacete,<br />
Espagne).. Echelle: 1/4<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
forationss qui ne semblent pouvoir s'expliquerr<br />
comme des trous de suspension<br />
ett doivent par suite représenter des blessures,,<br />
des flèches ou harpons gravés sur<br />
sess cuisses et son échine. Dans la grotte<br />
dee Montespan, diverses gravures ou<br />
sculpturess en argile semblent avoir été<br />
exécutéess uniquement pour être percées de trous ou zébrées<br />
d'estafiladess correspondant à des blessures. Une mention<br />
toutee spéciale est due à la statue en argile d'un Ourson sans<br />
tête,, mais entre les pattes de devant de laquelle on a retrouvé<br />
surr le sol un crâne d'Ourson. Gomme la tranche du cou de<br />
laa statue porte un trou qui semble avoir reçu une cheville,<br />
onn peut penser que la statue avait été complétée par une tête<br />
naturellee et peut-être, d'après d'autres indices, recouverte<br />
(1)) Cf. plus haut, p. 105-107.
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DK L'A HT FIGURÉ 1199<br />
d'unee peau pour servir à une cérémonie d'envoûtement (i).<br />
Onn pourrait répéter à propos des scènes de combat (2) ou<br />
dess figures isolées d'hommes blessés, qui ne se rencontrent<br />
quee dans les peintures espagnoles^ ce qui vient d'être dit des<br />
scèness de chasse ou des figures d'animaux blessés : le choix<br />
restee libre entre des images purement artistiques et des<br />
pratiquess magiques destinées à assurer le succès de combats<br />
réels,, sous cette réserve que l'intention d'envoûtement<br />
Fig.. 82. — Félin avec perforations et flèches gravées.<br />
Sculpturee en bois de Henné (lsluritz, Basses-Pyrénées). Grandeur vraie<br />
(d'aprèss PASSEMARD).<br />
pourraitt être plus probable pour les figures d'hommes<br />
blesséss sans représentation de leurs adversaires (3). En<br />
effet,, dans ce milieu où l'art présente souvent des figures<br />
humaines,, on n'a pas la même raison que pour la province<br />
f'ranco-cantabrique,, où ces figures sont exceptionnelles, d'expliquerr<br />
l'absence des chasseurs d'ennemis par le simple<br />
caractèree du style artistique, et il est plus vraisemblable que<br />
laa représenlation des armes ait été considérée comme possédantt<br />
par elle-même une vertu magique.<br />
Aprèss les figures humaines associées à des animaux dans<br />
(1)) BEGOUEN et CASTERET, La caverne de Monlespan, Revue anthropologique,<br />
1923.. p. 533 sq. — Ci', ci-dessus, p. 10.<br />
(2)) Cf. plus haut, p. 84.<br />
(3)) Exemple : OBEHMAIER, El nombre fosil, 8* édit., p. 292, fig. 137 (Grotte<br />
Salladora)..
1200 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
dess scènes de chasse ou à d'autres figures humaines dans<br />
dess scènes de combat, il reste à examiner les figures<br />
d'hommess isolés. Celles-ci se divisent objectivement en deux<br />
catégories,, selon qu'elles présentent des caractères exclusivementt<br />
humains ou à la fois des caractères humains et des<br />
caractèress animaux. Pour les figures de la première catégorie,,<br />
leur rareté à l'époque magdalénienne, surtout dans la<br />
provincee franco-cantabrique, s'explique sans peine par le<br />
faitt que l'artiste s'intéressait moins à l'Homme qu'aux animauxx<br />
; et d'autre part, leur seule existence prouve que les<br />
représentationss humaines et même plus spécialement viriles<br />
n'étaientt l'objet d'aucune prohibition sociale dictée par des<br />
idéess magiques.<br />
Enn ce qui concerne maintenant les figures à caractères<br />
mixtes,, à la fois humains et animaux, qu'on a appelées<br />
anthropoïdes,, elles nous semblent, comme nous l'exposerons<br />
pluss loin en détail (i), établir l'existence de sorciers et de<br />
pratiquess de sorcellerie à l'époque magdalénienne. Mais ici,<br />
laa question envisagée est différente : cette représentation de<br />
personnagess à fonction magique, se livrant même à des opérationss<br />
magiques, a-t-elle par elle-même, en tant que simple<br />
représentationn figurée, une valeur magique? Toute affirmationn<br />
sur ce point serait évidemment arbitraire, et par<br />
exemplee le sorcier de la grotte des Trois-Frères (fig. 119) peut<br />
fortt bien n'être que la représentation à caractère purement<br />
artistiquee d'un événement réel, un tableau de genre au même<br />
titree que la reproduction d'une scène de chasse ou de guerre.<br />
Enn résumé, si l'on soumet à une critique impartiale l'ensemblee<br />
des faits connus d'âge magdalénien, les seuls exempless<br />
certains (dans la mesure où ce terme n'est pas trop<br />
ambitieux)) d'une valeur magique attribuée à des œuvres<br />
figuréesfigurées par leurs auteurs ou leurs contemporains nous semblentt<br />
être celles qui représentent des êtres blessés, c'est-àdiree<br />
celles où la vertu magique peut avoir résidé, non dans<br />
(1)) Cf. ci-dessous, p. 211-213.
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ<br />
laa simple, représentation de ces êtres, mais dans celle des<br />
armess qui les blessent ou les menacent. Dans tous les autres<br />
cas,, quels que soient les arguments invoqués, qu'il s'agisse<br />
dee la situation topographique des images ou des sujets<br />
qu'elless représentent, rien ne permet de se prononcer pour<br />
unn rôle magique plutôt que pour un rôle purement artistique<br />
dess représentations. En ce qui concerne les figures humaines,<br />
lee fait que pour les rapporter à une intention magique, on<br />
invoquee simultanément la magie protectrice à l'égard des<br />
membress du groupe social auquel appartenaient les<br />
artistess et la magie hostile à l'égard d'ennemis, suffit à<br />
prouverr l'arbitraire de telles explications, car rien dans les<br />
caractèress objectifs des figures ne permet de reconnaître si<br />
elless représentent les uns ou les autres.<br />
Pourr conclure, il est infiniment vraisemblable que l'art<br />
magdalénienn nous présente côte à côte des œuvres à intentionn<br />
magique et d'autres à intention purement artistique;<br />
maiss aucun critère précis ne permet de faire le départ entre<br />
less deux catégories et de rapporter à l'une plutôt qu'à l'autre<br />
tellee figure déterminée.<br />
Maiss de ces deux destinations, l'une proprement artistique<br />
ouu désintéressée, l'autre magique et par suite utilitaire, que<br />
paraissentt avoir eu concurremment les œuvres figurées magdaléniennes,,<br />
n'y en aurait-il pas une, et laquelle, qui serait<br />
postérieuree à l'autre et issue d'elle? Pour tenter de résoudre<br />
cee problème, il faut remonter dans le passé et chercher quelle<br />
significationn permettent d'attribuer aux œuvres figurées<br />
aurignaciennes,, et notamment aux plus anciennes, leurs<br />
caractèress objectifs.<br />
Rienn dans les faits, à notre avis, ne permet de conclure<br />
àà un rôle magique de ces figures. Ici moins encore que<br />
pourr l'époque magdalénienne on ne saurait parler d'une<br />
recherchee systématique du mystère. Il ne peut en être<br />
questionn pour les figures mobilières, c'est-à-dire tracées sur<br />
blocss de pierre à surface brute ou grossièrement régularisée,<br />
caillouxx ou os non façonnés. Ces représentations, il est
1222 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
vrai,, ont parfois été considérées comme des exercices par<br />
lesquelss les artistes se faisaient la main ou des esquisses<br />
destinéess à être exécutées d'une façon plus soignée en<br />
figuresfigures pariétales. On a notamment rapproché (i) la gravuree<br />
en traits larges et profonds d'un arrière-train de<br />
Chevall sur un frontal de Cheval (2) recueilli tout à la base<br />
duu sol archéologique du vestibule de Hornos du dessin de<br />
l'arrière-trainn d'un Cheval de la paroi du vestibule (3).<br />
Maiss cette ressemblance même nous semble aller à<br />
l'encontree de la conséquence qu'on en veut tirer. Si, pour<br />
l'époquee magdalénienne, qui présente des figures pariétales<br />
d'unee réelle perfection artistique, on peut admettre que des<br />
figuress mobilières d'exécution plus sommaire aient joué le<br />
rôlee d'esquisses, cette interprétation n'a plus le même fondementt<br />
pour la période aurignacienne, où les figures mobilièress<br />
ont exactement le même style, ne sont ni plus ni moins<br />
imparfaitess que les représentations pariétales.<br />
Celles-cii à leur tour ne présentent aucun indice d'une<br />
recherchee systématique du mystère. Les mains cernées et<br />
less ponctuations qui sont à Gargas et dans tout l'Aurignacien<br />
less plus anciennes manifestations artistiques, se trouvent<br />
nonn seulement dans les parties profondes et obscures de la<br />
grotte,, mais également dans les parties éclairées et occupées.<br />
Less mains cernées, déclarent les inventeurs, « commencentt<br />
dès l'entrée... on les suit sur la paroi gauche, justementt<br />
au-dessus de la région où était le foyer, et principalementt<br />
plus loin dans un diverticule faiblement éclairé par<br />
lee jour, et sur une grande surface au delà, puis en face sur<br />
less très irrégulières parois de droite. On peut dire que le<br />
vestibule—— en était légèrement tapissé ». De même « des<br />
ponctuationss à éléments.... groupés en séries, en bandes,<br />
noiress ou rouges, se trouvent en face de la porte d'entrée,<br />
souss une apparence d'auvent de stalagmite ». En outre,<br />
11 OBERMAIER, Der Mensch der Vorzeit, p. 239.<br />
2)) liép., p. 92, n- 3.<br />
33 Rép., p. 91, n° 3 (celui du haut).
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ 1233<br />
l'inégalee conservation de ces figures donne à penser que<br />
«« beaucoup, aux environs de l'entrée surtout, ont pu disparaître,,<br />
en général lavées par les eaux, quelques-unes<br />
recouvertess par les dépôts calcaires toujours en voie de<br />
formationn » (i). De même, à la Croze à Gontran, les dessins<br />
digitauxx et les premières figures animales se trouvent dans<br />
less dix premiers mètres à partir de l'entrée (2). Il ne saurait<br />
Fig.. 83. — Rhinocéros avec flèches.<br />
Gravuree sur pierre (La Colombière, Ain). Grandeur vraie (d'après MAYET).<br />
doncc être question pour les figures pariétales aurignaciennes<br />
d'unee recherche systématique des lieux écartés.<br />
Enn ce qui concerne maintenant les sujets représentés, les<br />
figuresfigures d'animaux percés de flèches sont absentes à l'Aurignacienn<br />
(le niveau inférieur de la Golombière, où se sont<br />
rencontréess deux de ces figures gravées sur galets calcaires<br />
(fig.. 83) (3), ne présente aucun caractère aurignacien typique<br />
ett doit être d'un très vieux Magdalénien). Les mains représentéess<br />
sur les parois des grottes pourraient à la rigueur<br />
êtree considérées comme un symbole de propriété et par<br />
suite,, dans la théorie magique, comme un moyen de prise<br />
(I)CARTAII.HACC etBREuii., C R. Acad. Inscr., 1907, p. 214; l'A., I. XXI, 1910,<br />
p.. 131-137.<br />
(2)(2) CAPITAN, BREUIL et PEYRONY, Revue antkropol., t. XXI, 1914, p. ?'7.<br />
(3)) Cf. MAYKT et PISSOT, L'abri de la Golombière, Lyon, 1915, fig. 47 (Cerf).
mm L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
dee possession quand elles recouvrent ou avoisinent des<br />
figuresfigures animales comme à Castillo, mais cette interprétation<br />
estt inapplicable aux mains de Gargas, qui ne sont accompagnéess<br />
d'aucune autre représentation (fig. 118).<br />
Less figures humaines, exceptionnelles au Magdalénien,<br />
occupentt au contraire une place importante, sinon prépondérantee<br />
dans l'Aurignacien (i). Leur existence établit que la<br />
représentationn du corps humain et même plus spécialement<br />
virill n'était pas l'objet d'une prohibition sociale. Avaientelless<br />
une intention magique, soit de protection, soit d'hostilitéé<br />
à l'égard de personnages réels dont elles auraient été<br />
dess portraits? Etaient-ce des idoles? De tout cela, nous ne<br />
savonss rien. La statuette de Brno (fig. io4j, rencontrée dans<br />
unee sépulture, pourrait avoir joué le rôle d'un « double »<br />
destinéé à fixer l'âme du mort dans sa tombe pour l'empêcherr<br />
de revenir tourmenter les vivants; mais comme rien<br />
n'autorisee à attribuer aux autres une destination funéraire,<br />
ill est également possible que ce fût simplement une propriété<br />
duu défunt déposée dans son mobilier funéraire au même<br />
titree que les autres objets qui le constituaient.<br />
Onn a également songé, particulièrement pour les figures<br />
fémininess qui sont notablement prépondérantes, à un rite de<br />
fécondité.. Cette hypothèse nous semble extrêmement aventurée..<br />
La subsistance des chasseurs paléolithiques avait pour<br />
conditionn inéluctable l'existence et par conséquent la reproductionn<br />
du gibier, et par suite on pourrait admettre que,<br />
s'ilss croyaient à la magie sympathique, ils y aient recouru<br />
pourr la reproduction des animaux. Mais attribuaient-ils la<br />
mêmee importance à la leur propre? Au point de vue économique,,<br />
la multiplication des chasseurs accroît la concurrence<br />
pourr la nourriture dans une plus large mesure, semble-t-il,<br />
qu'ellee ne facilite la chasse par l'entr'aide, et d'ailleurs les<br />
enfantss ne deviendront utiles comme chasseurs qu'à échéance<br />
lointainee et resteront pendant de longues années des bouches<br />
(1)) Cf. ci-dessus, p. 23-2G.
SIGNIFICATIONSSIGNIFICATIONS DE L'ART FIGURÉ<br />
inutiles.. En fait, divers primitifs pratiquent l'avortement et<br />
l'infanticide.. Il reste donc fort problématique que les Aurignacienss<br />
aient considéré la fécondité humaine comme un<br />
avantagee qu'il y eût lieu de rechercher et éventuellement de<br />
provoquerr par des pratiques magiques.<br />
Lee développement excessif des seins, du ventre et des<br />
fessess de nombre de figures féminines aurignaciennes, où<br />
l'onn a vu l'indice d'un culte ou d'un rite magique de la<br />
fécondité,, peut tout aussi bien, si l'on tient compte de<br />
diversess analogies avec les Hottentots et les Bushmen et du<br />
caractèree négroïde des deux plus anciens squelettes de la<br />
grottee des Enfants, s'expliquer par un rendu naturaliste de<br />
l'aspectt réel, tout au plus accentué dans le sens d'un certain<br />
idéall esthétique. Si c'était, pour une raison quelconque,<br />
l'enfantt qui était visé dans la représentation de la femme,<br />
n'aurait-ill pas convenu défigurer des femmes manifestement<br />
enceintes,, en recourant au procédé de la transparence? (i)<br />
Cee cas particulier du réalisme intellectuel, dont nous avons<br />
citéé des exemples magdaléniens, devait a fortiori correspondree<br />
à l'art plus enfantin des Aurignaciens qui, en fait,<br />
présentee un autre corollaire du réalisme intellectuel, le rabattement,,<br />
dans le relief de Laussel (fig. 84) (2). S'ils ne l'ont<br />
pass employé, ne serait-ce pas que la fécondité de la femme<br />
leurr semblait sans intérêt? Et puisque nous venons de faire<br />
allusionn au relief de Laussel, n'est-il pas curieux que cet<br />
uniquee spécimen que nous possédions d'une femme jointe à<br />
unn autre être humain représente, non un enfantement, mais<br />
unee copulation? Ce n'est pas le caractère générateur de la<br />
femme,, mais son caractère voluptueux qui avait éveillé<br />
l'intérêtt de l'auteur de cette œuvre. Il est permis de penser<br />
quee pour les autres figures féminines également, l'idée d'une<br />
femme,, dont l'exécution figurée traduisait la présence dans<br />
l'espritt de l'artiste, y était associée beaucoup moins à celle<br />
1)) Cf. LUQL'ET, Représentation par transparence de la grossesse dans l"art<br />
chrétien,, Rev. archéol,, 1924, II, p. 137-141.<br />
>2)>2) Cf. ci-dessus, p. 98.
1266 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
dee la prospérité éventuelle de son groupe social qu'au souvenir,,<br />
où à l'imagination de ses propres satisfactions<br />
charnelles..<br />
Less représentations isolées, en sculpture ou en gravure, des<br />
organess caractéristiques des deux sexes de l'humanité, dont<br />
less plus anciennes sont celles de l'Abri Blanchard (Aurignacienn<br />
moyen) (i) donneraient lieu à des remarques analoguess<br />
. Rien n'autorise à attribuer à ces figures, pas plus<br />
qu'àà celles qui se rencontrent dans les milieux les plus<br />
variés,, civilisés actuels aussi bien que sauvages, une significationn<br />
cultuelle ou magique plutôt que simplement erotique.<br />
Lee nombre restreint des œuvres d'art figuré attribuables à<br />
l'Aurignacien,, bien qu'il ne fournisse qu'un argument<br />
négatiff dont il serait dangereux d'exagérer l'importance, doit<br />
cependantt cire pris en considération. Même en laissant une<br />
grandee marge pour les œuvres qui ont dû être détruites au<br />
courss des siècles et pour celles que pourront ramener au jour<br />
less fouilles à venir, on ne peut manquer d'être frappé de la<br />
grandee infériorité numérique des œuvres figurées aurignaciennes_,,<br />
non seulement par rapport à celles du Magdalénien,<br />
maiss aussi en comparaison des autres productions aurignaciennes,,<br />
objets industriels et manifestations de l'art décoratif.<br />
Ill semble légitime d'en conclure à une pratique très restreinte<br />
dee l'art figuré, difficilement conciliable avec l'intérêt vital<br />
pourr la collectivité tout entière qu'attribue à cet art la<br />
théoriee magique.<br />
Enfin,, et c'est là selon nous un argument capital, si les<br />
artistess préhistoriques ont pu, à un moment donné, exécuter<br />
dess oeuvres figurées dans une intention magique, il nous<br />
semblee impossible que.cette conception ait existé dans la<br />
périodee initiale. La magie sympathique repose essentiellementt<br />
sur l'idée d'un pouvoir conféré à l'artiste sur certains<br />
êtress par leur représentation. Mais pour pouvoir songer à<br />
utiliserr dans une intention magique des représentations^ il<br />
(1)) DIDON, L'Abri Blanchard, Périgueux, 1911, pi. 7 et 8.
'' G.-H. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles.<br />
66 S<br />
ooo ,0
1288 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
fautt avoir déjà l'idée de représentation, concevoir que dès<br />
formesformes artificiellement créées sont la reproduction plus o<br />
moinss ressemblante d'êtres naturels. Or, cette idée de<br />
représentationn artificielle d'êtres naturels, c est le principe<br />
mêmee de l'art figuré. Il nous semble donc inévitable que les<br />
artistes-sorcierss aient été précédés par des artistes tout court,<br />
ett impossible que l'art figuré dans sa phase initiale n'ait pas<br />
étéé une activité désintéressée.<br />
Sii Tari, figuré aurignacien n'a pas d'intention magique,<br />
ill n'a pas davantage une destination décorative. Les statuettess<br />
d'abord, par leur nature même, appartiennent non à<br />
l'artt décoratif, mais à l'art indépendant. Pour les peintures<br />
(unee seule, de l'Abri Blanchard) et gravures mobilières sur<br />
objetss bruts, on ne peut parler d'un art décoratif, car les<br />
supportss n'ayant pas par eux-mêmes de rôle utilitaire et la<br />
pierree ou l'os servant uniquement à recevoir les figures,<br />
commee chez nous une feuille de papier, les figures qui les<br />
recouvrentt n'ont pas pour but de les décorer. Ce n'était pas<br />
nonn plus des esquisses de décorations pour instruments<br />
d'usage,, celles-ci étant, à l'époque aurignacienne, exclusivementt<br />
géométriques, et pas davantage, à notre avis, comme<br />
ill a été dit plus haut, des esquisses pour les gravures ou<br />
peinturess pariétales. Celles-ci d'ailleurs ne semblent pas<br />
avoirr eu un rôle décoratif, à cause de la situation de<br />
nombree d'entre elles dans des lieux d'accès difficile ou mal<br />
éclairés.. Enfin les figures pariétales, même quand elles sont<br />
tracéess sur des surfaces facilement visibles, et les figures<br />
mobilièress sont fréquemment superposées et emmêlées. On<br />
conçoitt dès lors difficilement que les artistes se soient proposéé<br />
d'embellir les supports par des figures que leur enchevêtrementt<br />
empêchait d'apercevoir distinctement; et l'attributionn<br />
à toutes ces figures d'une destination décorative ne<br />
nouss semble pas plus satisfaisante que leur explication par<br />
unee intention magique.<br />
Enn résumé, l'art figuré n'a eu, croyons-nous, à l'époque<br />
aurignaciennee ni la destination magique qui paraît établie
SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ 129<br />
auu moins pour certaines figures du Magdalénien, ni le rôle<br />
décoratiff qu'il a également joué à cette dernière époque dans<br />
l'ornementationn d'instruments d'usage, outils ou armes. L'art<br />
figuréé aurignacien est purement et simplement un art<br />
figuré,, dicté par le plaisir que prenait l'artiste à créer des<br />
imagess des êtres réels dont l'idée occupait son esprit.
CHAPITRECHAPITRE V<br />
LESS ORIGINES DE L'ART<br />
L'artt paléolithique, nous l'avons vu, se manifeste à ses<br />
débutss dans l'Aurig-nacien sous la double forme d'un art<br />
décoratiff non figuré et d'un art figuré non décoratif. Mais<br />
quellee est l'origine de ces deux sortes d'art? La question<br />
présentee un intérêt tout spécial en tant que, l'art aurignacienn<br />
étant le plus ancien art connu, la détermination de son<br />
originee permettrait de fonder sur une base plus objective<br />
less spéculations plus ou moins vagues et arbitraires de<br />
l'esthétiquee métaphysique sur les origines de l'art.<br />
Enn ce qui concerne d'abord la parure corporelle, certains<br />
bijoux,, notamment les dents, peuvent avoir été des trophées<br />
dee chasse, destinés à témoigner de la bravoure ou de l'habiletéé<br />
de leur porteur, et auxquels peut s'être surajouté un<br />
rôlee plus ou moins vague d'amulettes ou de grigris ; mais<br />
cettee signification ne saurait être attribuée aux simples<br />
«« pierreries », ni aux fossiles, parfois de provenance lointaine,,<br />
perforés pour servir de bijoux, comme un oursin<br />
fossilee de l'Abri Blanchard (i), des dents de poissons fossiles<br />
dess couches magdaléniennes du Placard (2) ou le Trilobite<br />
quii a valu son nom à une grotte d'Arcy-sur-Cure. Il est<br />
possiblee qu'au début ces différents bijoux n'aient été considéréss<br />
que comme des bibelots, des curiosités, ramassés à ce<br />
titree comme les enfants et même les adultes de notre époque<br />
recueillentt des coquillages dans leurs excursions au bord de<br />
(1)) DIDON, op. cit., pp. 20-30 et pi. VI, n° 25.<br />
(2)) A. de MARET, Congrès archéol. de Fr., Vienne 1879, p. 173.
LESLES ORIGINES DE L'ART 131<br />
laa mer et que le préhistorique, à défaut d'étag-ères, collectionnaitt<br />
sur lui-même : qu'on songe aux véritables musées<br />
(juee sont les poches de nos bambins. Ces bijoux seraient<br />
alorss plutôt du luxe que de la décoration proprement<br />
dite;; ces deux rôles de la parure se trouvent d'ailleurs<br />
réuniss jusque chez les civilisés. Il n'en reste pas moins<br />
d'abordd que ce qui les a fait utiliser comme bijoux était<br />
leurr forme ou leur couleur, c'est-à-dire une appréciation<br />
esthétique;; et d'autre part, la parure n'a pas tardé à<br />
acquérirr un rôle purement décoratif dès qu'aux bijoux naturelss<br />
se sont surajoutés des bijoux factices. Si les imitations<br />
dee dents en ivoire peuvent n'avoir eu pour but que de<br />
multiplierr des amulettes, il est difficile d'attribuer un rôle<br />
prophylactiquee à des annelets d'ivoire ou aux pendeloques<br />
ouu perles en pierre, os ou ivoire, comme celles de l'abri<br />
Blanchard,, de forme variée^ mais où rien n'indique aucune<br />
intentionn de représentation figurée. Donc, dès cette époque,<br />
l'Hommee avait l'idée qu'un objet (ici son propre corps)<br />
acquéraitt de la beauté par l'addition d'éléments dont le seul<br />
rôlee était de l'embellir, c'est-à-dire, sous une forme aussi<br />
rudimentairee qu'on le voudra, l'idée de « l'art pour l'art ».<br />
AA la même conception se rattachent les additions décorativess<br />
(traits alignés ou encoches, parfois ponctuations) qui<br />
n'ontt pas tardé à être apportées soit à ces objets déjà décoratifss<br />
par eux-mêmes, bijoux tant naturels qu'artificiels,<br />
soill à des objets d'usage, outils en os, poinçons, lissoirs,<br />
baguettes,, côtes ou lames de côtes, etc. Malgré le caractère<br />
rudimentairee et exclusivement géométrique de la décoration<br />
àà cette époque, elle présente cependant quelques spécimens<br />
dee constructions linéaires un peu plus compliquées que de<br />
simpless traits parallèles (chevrons, dents de loup, zigzags,<br />
groupementss ou semis de ponctuations), qui témoignent déjà<br />
d'unn certain sens ornemental.<br />
Maiss si les incisions sur bijoux ou instruments n'ont pas<br />
tardéé à acquérir une valeur décorative, il est probable qu'elles<br />
avaientt au début un rôle utilitaire. Je ne suis guère partisan
11 32 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
dee l'interprétation traditionnelle qui y voit des « marques de<br />
chassee » ou plus généralement des aide-mémoire numériques<br />
analoguess aux coches des tailles de boulangers. S il s'agissaitt<br />
de sortes de comptes-courants, il faudrait que les marquess<br />
mnémoniques eussent été tracées successivement, à<br />
mesuree que se produisaient les événements dont elles étaient<br />
destinéess à conserver le souvenir, alors que, dans nombre de<br />
cas,, les incisions semblent avoir été tracées en une seule fois<br />
ett recouvrent toute la surface ou toute la bordure de l'objet.<br />
D'autree part, en admettant que les hommes de cette époque<br />
eussentt éprouvé pour certains événements le besoin de<br />
statistiques,, l'emploi de ces comptes supposerait un certainn<br />
développement de la numération, que des analogies<br />
ethnographiquess rendent fort problématique : les Indiens du<br />
Brésill central, étudiés par K. von den Steinen, ne savent<br />
pass compter au delà de six, et sont incapables d'énoncer le<br />
nombree de leurs enfants. Si l'on tenait à attribuer à certaines<br />
dee ces incisions un rôle symbolique, j'inclinerais plutôt à y<br />
voirr des marques de propriété, des signes distinctifs analoguess<br />
à ceux que nos soldats gravent sur leurs couverts pour<br />
less reconnaître dans la chambrée. Un autre rôle utilitaire<br />
peutt être assigné avec la plus grande vraisemblance à un certainn<br />
nombre de ces incisions : elles devaient produire shr<br />
l'instrumentt des rugosités qui l'empêchaient de glisser entre<br />
less doigts et, s'il était destiné à être emmanché, augmentaient<br />
sonn adhérence avec le bois, retenaient peut-être quelque<br />
matièree faisant office de colle et facilitaient la ligature. C'est<br />
seulementt après coup que l'Homme, s'étant aperçu que ces<br />
incisionss utilitaires produisaient un aspect agréable à l'œil,<br />
enn a tiré un parti ornemental. Cette transition est particulièrementt<br />
manifeste sur l'extrémité des pointes de sagaies,<br />
soitt conique, soit à simple ou double biseau, destinée à<br />
entrerr dans le manche. Les incisions essentiellement destinéess<br />
à assurer l'adhérence sont souvent disposées obliquement,,<br />
dans un parallélisme plus ou moins régulier ; parfois<br />
ill y a côte à côte deux rangées d'incisions obliques à direc-
LESLES ORIGINES DE L'ART 133<br />
tionn opposée; dans certains cas, une rainure verticale tracée<br />
entree ces deux rang-ées donne à l'ensemble l'aspect d'une<br />
arêtee de poisson, ou encore les deux rangées d'obliques<br />
contrariéess sont superposées en une sorte de treillis.<br />
Pourr conclure sur cette ornementique primitive, elle nous<br />
semblee le résultat d'une collaboration et d'une action réciproquess<br />
des bijoux et des instruments. La conception sur<br />
laquellee reposent les bijoux primitifs, qu'un objet peut être<br />
renduu plus beau par des additions sans utilité pratique,<br />
auraitt été étendue du corps humain aux objet d'usage; en<br />
senss inverse, le caractère agréable à l'œil constaté dans des<br />
incisionss faites sur des objets d'usage pour des fins utilitairess<br />
aurait amené à les répéler non seulement sur ces<br />
mêmess objets avec une intention ornementale, mais aussi<br />
surr les bijoux. Dans un cas comme dans l'autre, nous<br />
croyonss constater dès le début de l'art préhistorique l'existencee<br />
et la recherche d'un plaisir produit par certaines<br />
impressionss sensorielles (ici visuelles) indépendamment de<br />
toutee autre préoccupation, ce qui est l'essence même du<br />
sentimentt esthétique et du sentiment artistique.<br />
Telless sont, selon nous, les sources de l'art décoratif dans<br />
laa préhistoire européenne ; il nous reste à chercher l'origine<br />
dee l'autre forme d'art qui se rencontre également dès l'Aurignacien,,<br />
à savoir l'art figuré.<br />
Toutt d'abord, nous croyons pouvoir établir que l'art figuré<br />
proprementt dit, c'est-à-dire l'exécution voulue de représentationss<br />
figurées, a dû nécessairement être précédé par une<br />
phasee préliminaire dans laquelle des œuvres figurées ont été<br />
produites,, non intentionnellement, mais par hasard.<br />
L'exécutionn intentionnelle d'une œuvre figurée, comme<br />
toutt autre acte volontaire, suppose deux conditions, l'une<br />
d'ordree affectif, l'autre d'ordre intellectuel, à savoir d'une<br />
partt le désir de l'exécuter, autrement dit l'attente d'un avantagee<br />
et en définitive d'un plaisir résultant directement ou<br />
indirectementt de son exécution, d'autre part (car il faut bien,<br />
pourr vouloir, se représenter ce qu'on veut) l'idée même de
d344 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
l'exéculion,, la représenta'ion de cel acte comme simplement<br />
possible..<br />
Enn ce qui concerne d'abord l'élément affectif de l'exécutionn<br />
d'une œuvre fi;»une, une l'ois qu'un individu en aura<br />
exécutéé une seule, s' I trouve à celle exécution un avantage<br />
ouu un plaisir quel qu'il soii, il sein naturellement, amené à<br />
recommencerr celle aciiou agréable, pour renouveler le<br />
plaisirr qu'elle provoque. On ioniprend également que<br />
d'autress individus de son entourage .suivent son exemple, ne<br />
fût-cee que par imitation machinale, et que l'imitation, soit<br />
enn elle-même, soit par ses résultats, leur procure quelque<br />
plaisirr qui les conduise à la renouveler, cette répétition prenantt<br />
de plus en plus, conformément aux lois générales de<br />
l'habitude,, un caractère automatique. Mais ces conditions<br />
fontt évidemment défaut pour la production de la première<br />
œuvree d'art. Le plaisir résultant de la production d'une<br />
œuvre,, de quelque nature qu'il soit, est forcément postérieurr<br />
à l'exécution, tout au plus simultané dans le cas où il<br />
résultee de la création même, mais ne saurait être antérieur.<br />
L'individuu qui n'a encore produit aucune œuvre figurée ne<br />
peutt donc soupçonner le plaisir que lui causera cette productionn<br />
et par suite ne peut avoir l'intention d'en produire.<br />
111 en résulte que la première représentation figurée ne peut<br />
avoirr été une création intentionnelle; et la première exécutionn<br />
volontaire d'une œuvre figurée proprement dite ne peut<br />
avoirr été que la répétition voulue d'une activité qui, si elle<br />
aa produit en fait une image, la produite par hasard et non<br />
dee propos délibéré. C'est seulement à la suite de cette<br />
productionn fortuite, si elle s'est révélée avantageuse ou<br />
agréable,, qu'a pu prendre naissance le désir de la création<br />
intentionnelle..<br />
Onn aboutit à la même conclusion en envisageant, après<br />
l'élémentt affectif de la production d'une œuvre figurée, son<br />
élémentt intellectuel, à savoir l'idée du pouvoir de créer des<br />
images,, abstraction faite du plaisir résultant de l'exercice de<br />
celtee faculté.
LESLES ORIGINES DE L'ART 135<br />
Enn tant que l'exécution d'une œuvre figurée consiste à<br />
produire,, par un travail de la main éventuellement aidée<br />
d'instrumentss divers, un résultat, et plus précisément une<br />
modificationn dans la forme d'une matière préexistante, elle<br />
rentree dans la notion plus générale d'industrie. D'autre part,<br />
lee résultat de cette industrie est de créer des images, c'est-àdiree<br />
des objets factices dont l'aspect ressemble à celui que<br />
présententt naturellement certains êtres ou objets réels, dans<br />
leurr ensemble ou par tel de leurs traits caractéristiques.<br />
L'exécutionn d'une œuvre figurée réalise donc la synthèse des<br />
deuxx idées d'industrie et de ressemblance, et l'exécution<br />
volontaire,, caractéristique de l'art proprement dit, n'est<br />
possiblee que si cette synthèse est déjà effectuée dans l'esprit<br />
dee l'artiste, sous la forme de conscience du pouvoir créateur<br />
d'images..<br />
Less Aurignaciens, au moment où ils ont produit leurs<br />
premièress créations artistiques, étaient en possession de ces<br />
deuxx idées. L'idée de ressemblance existe déjà, sous la<br />
formee vécue de reconnaissance, chez des animaux dénués<br />
d'industriee : carnassiers et herbivores savent reconnaître les<br />
animauxx et les plantes qui conviennent à leur alimentation,<br />
ett d'ailleurs on ne voit pas comment un être vivant pourraitt<br />
subsister s'il n'était capable de reconnaître les objets<br />
ett plus généralement les circonstances qui exigent de sa part<br />
tellee réaction adaptative. Si cette reconnaissance peut être<br />
fondéee sur des sens variés, par exemple l'odorat, dans certainss<br />
cas au moins elle repose sur une ressemblance visuelle.<br />
L'enfantt est capable de reconnaître d'après leur aspect, non<br />
seulementt des objets réels, mais même des images, dès un<br />
âgee qu'on peut fixer en moyenne vers le début de la<br />
deuxièmee année, et la même reconnaissance visuelle d'images<br />
aa été observée chez divers animaux.<br />
Less premiers Aurignaciens n'étaient pas moins en possessionn<br />
de l'idée d'industrie que de l'idée de ressemblance. Les<br />
outilss ou armes recueillis dans les fouilles, dont les plus<br />
ancienss remontent au Paléolithique inférieur, et qui ont déjà
1366 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
acquiss à l'époque aurignacienne une différenciation, une<br />
adaptationn pratique et une perfection technique fort avancées,<br />
prouventt que les Aurignaciens, au moment où ils ont créé<br />
leurss premières œuvres d'art figuré, avaient déjà la pratique<br />
dee l'industrie, et par suite la conscience plus ou moins précisee<br />
de leur pouvoir d'apporter par leur travail des modificationss<br />
à une matière préexistante. Plus particulièrement,<br />
ilss savaient déjà tracer des traits, soit tout simplement pour<br />
creuserr dans les os, bois de Rennes ou défenses de Mammouthss<br />
les sillons qui, approfondis, leur servaient à les<br />
débiter,, soit pour rendre plus maniables ou plus pratiques<br />
dess objets déjà façonnés, soit enfin pour décorer leurs instrumentss<br />
ou leurs bijoux d'une ornementation rudimentaire ;<br />
lee grattage et le polissage appliqués aux matières osseuses,<br />
ett peut-être aussi la peinture corporelle, pour laquelle suffisaientt<br />
les doigts trempés dans de la couleur, fournissaient<br />
less éléments d'une technique susceptible d'être utilisée pour<br />
l'artt figuré.<br />
Ainsi,, les Aurignaciens étaient en possession des deux éléments,,<br />
idée d'industrie et idée de ressemblance, dont la synthèsee<br />
constitue l'idée d'art figuré. Mais les éléments ne sont<br />
pass la synthèse : un individu peut avoir conscience de son<br />
pouvoirr industriel et posséder également la notion de ressemblancee<br />
sans avoir conscience que son travail est capable<br />
dee créer des ressemblances. En fait, l'enfant, alors même<br />
qu'ill se rend compte que d'autres individus possèdent la<br />
facultéé graphique, n'a pas encore conscience de la posséder<br />
lui-mêmee (i). A plus forte raison devait-il en être de même<br />
pourr un premier artiste préhistorique à qui manquait, puisqu'il<br />
étaitt le premier, l'expérience de la création artistique par<br />
autrui;; et il a fallu que quelque circonstance fortuite lui<br />
révélâtt l'existence de son pouvoir créateur d'images. De<br />
mêmee que l'enfant trouve dans des lignes qu'il a tracées<br />
sanss intention figurée une ressemblance avec des objets<br />
(1)) LUQUET, Journal de Psychologie, 1922, pp. 7O4-70G.
LESLES ORIGINES DE L'ART 137<br />
réels,, sous l'influence soit d'une analogie d'aspect plus ou<br />
moinss vague, soit des circonstances qui orientent dans telle<br />
ouu telle direction sa fantaisie interprétative, les premiers<br />
Aurig-nacienss ont pu trouver des ressemblances dans des<br />
ligness qu'ils avaient tracées ou plus généralement dans des<br />
formess qu'ils avaient créées sans intention figurée, et comme<br />
l'idéee du gibier était constamment présente dans l'esprit ou<br />
toutt au moins dans la subconscience de ces chasseurs, leur<br />
fantaisiee interprétative était naturellement inclinée à reconnaîtree<br />
des animaux dans ces images fortuites.<br />
Quelless sont maintenant ces lignes tracées sans intention<br />
figuréefigurée et où l'artiste trouve après coup une ressemblance<br />
avecc des objets ou êtres réels, ce qui l'amène graduellement<br />
àà une imitation voulue de ces objets? On pourrait songer à<br />
dess traits exécutés dans une intention décorative, puisque<br />
l'artt décoratif existe, au moins sous forme élémentaire, antérieurementt<br />
aux plus anciennes œuvres figurées incontestabless<br />
de l'Aurignacien. Mais le rôle décoratif de ces traits<br />
estt précisément un obstacle à ce qu'ils reçoivent après coup<br />
unee interprétation figurée. Pour qu'un dessinateur trouve<br />
danss des lignes tracées par lui une ressemblance avec<br />
quelquee objet réel, alors qu'il n'a pas voulu l'y mettre, il<br />
fautt que ce tracé offre à sa fantaisie interprétative, si développéee<br />
qu'on la suppose, quelque possibilité d'application,<br />
autrementt dit qu'il présente aux yeux un minimum de ressemblancee<br />
avec quelque objet réel.<br />
C'estt ce qui se produit dans les premiers dessins de nos<br />
enfants,, auxquels même un adulte peut appliquer comme<br />
leurr auteur une interprétation figurée, bien qu'ils aient été<br />
tracéss sans aucune intention de ressemblance avec un objet<br />
quelconque.. Mais à quoi cela tient-il? D'une part à ce qu'ils<br />
sontt exécutés sans intention autre que de tracer des traits,<br />
ett d'autre part à la maladresse de leur exécution en tant que<br />
simpless traits. Comme ils n'ont aucune destination, non<br />
seulementt figurée, mais quelconque, ils peuvent prendre<br />
n'importee quelle forme; en outre, faute d'inhibition neuro-
1388 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
musculairee et de direction ferme des mouvements graphiques,,<br />
auxquels l'habitude n'a pas encore donné une sûreté<br />
suffisante,, le crayon, auquel d'ailleurs le papier n'offre pas<br />
dee résistance, produit des traits qui se prolongent presque<br />
indéfiniment,, souvent aussi loin et parfois davantage que le<br />
permettentt les dimensions de la feuille, qui serpentent, se<br />
coudent,, rétrogradent, se recourbent, se pelotonnent, s'enchevêtrent..<br />
Bref, les premiers tracés enfantins fournissent<br />
dess figures relativement compliquées et confuses qui, en<br />
vertuu de ces caractères mêmes, si elles ne ressemblent proprementt<br />
à rien, peuvent présenter à une imagination à la<br />
foiss riche et déréglée, comme l'est celle de l'enfant, une<br />
ressemblancee vague avec les objets les plus divers et les plus<br />
inattendus..<br />
Less conditions eussent été tout autres pour un Aurignacienn<br />
qui serait passé directement de l'art décoratif à l'art<br />
figuré.figuré. L'intention de produire non pas n'importe quels<br />
traits,, mais des lignes ornementales, les dimensions réduites<br />
dess outils ou des bijoux qu'il décorait d'incisions, la résistancee<br />
qu'opposait à son burin la dureté de ses matériaux,<br />
pierre,, os, bois de cervidés ou ivoire, enfin l'habileté acquise<br />
parr la pratique même de l'art décoratif, tout concourait à<br />
luii faire produire des traits courts, précis, réguliers, espacés,<br />
qui,, par ces caractères mêmes, n'offraient aucune occasion<br />
àà une interprétation figurée. Telle est la raison pour laquelle<br />
ill ne nous semble pas possible de dériver les dessins figurés<br />
dess lignes décoratives. Il en faut donc chercher l'origine dans<br />
dess lignes que leur auteur ne traçait pas plus dans une intentionn<br />
décorative que dans une intention figurée, mais simplementt<br />
pour les tracer.<br />
Or,, on constate précisément, dès le début de l'Aurignacien,,<br />
c'est-à-dire à une époque antérieure aux plus anciennes<br />
œuvress figurées ou tout au plus contemporaine, des manifestationss<br />
plus rudimentaires qui répondent à ces conditions.<br />
L'argilee tapissant les parois ou les plafonds de diverses<br />
grottess a conservé les traces de trainées de doigts, tantôt
LESLES ORIGINES DE L'ART 1399<br />
confuses,, entrecroisées dans tous les sens, tantôt formant des<br />
assemblagess assez réguliers de lignes droites parallèles, soit<br />
horizontales,, soit verticales (i). Dans certains cas, par<br />
exemplee à la Croze à Contran (2) ou à Ilornos de la Pena(3),<br />
cess figures apparaissent plus nettement comme inlention-<br />
Fig.. 85. — Dessins digitaux sur enduit argileux, caverne de Gargas<br />
(Hautes-Pyrénées)..<br />
Less traits semblent représenter, dans le haut, le front avec les cornes et le dos<br />
avecc la queue d'un quadrupède (Bison?); dans le bas, sur un angle rocheux en<br />
saillie,, une tête de face avec deux yeux et un groin (d'après BREUIL).<br />
nelless : ce sont des courbes parallèles, spiralées, serpentines,<br />
méandriques,, entrelacées, tracées avec les doigts (généralementt<br />
trois) d'une même main ou peut-être dans certains cas<br />
avecc un instrument pectine, sorte de main artificielle ou de<br />
fourchettee fabriquée avec des rameaux. Les tracés de ce<br />
genree qui, partout où des superpositions de figures fournis-<br />
(1)) L'A. t. XXI, 1910, pp. 139 et 144; Gav. cantahr., pp. 93-95 et 194-195<br />
(2)) GAWTAN, BREUIL et PEYRONY, La Groze à Gonlran, Revueanlhropol., t. XXIV,<br />
1914,, p. 27cS, lig. 1.<br />
(3)(3) Rép.,x>. 94, n° 4.
1400<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
sentt des indications chronolog-iques certaines, sont les productionss<br />
les plus anciennes, ne nous semblent susceptibles<br />
d'aucunee interprétation figurée, et il est vraisemblable que<br />
leurss auteurs ne leur en attribuaient pas eux-mêmes; mais<br />
c'étaitt déjà une trace déposée volontairement sur un support<br />
parr l'activité humaine. On a trouvé à Gargas des tracés ana-<br />
Fig.. 86. — Bovidés.<br />
Dessinss aurignaciens tracés avec le doigt sur argile (La Glolilde de Santa IsabeL<br />
provincee de Santander, Espagne;.<br />
Echellee variant autour de 1/10 (d'après BREUIL).<br />
loguess (fig-. 85), mais dont les lignes plus longues, plus<br />
sinueuses,, plus compliquées, et qui par leur aspect méritent<br />
lee nom expressif de « macaroni » qui leur a été donné par<br />
leurss inventeurs, sont plus susceptibles de fournir l'occasion<br />
d'unee interprétation figurée; et en fait, on peut trouver dans<br />
l'unn de ces macaroni une ressemblance avec un mufle, de face,<br />
danss un autre une ressemblance avec le front et l'échiné, et<br />
peut-êtree même aussi le train de derrière et la queue, d'un<br />
animall cornu. Ces derniers tracés nous semblent des
LESLES ORIGINES DE L'ART 141<br />
exemples,, analogues à ceux que nous avons rencontrés dans<br />
lee dessin des enfants, d'une ressemblance obtenue fortuitement..<br />
Celle-ci a pu, comme chez eux, donner l'idée de la<br />
compléterr intentionnellement, puis de la créer de toules<br />
pièces,, l'Homme étant arrivé à l'idée que, puisqu'il en a déjà<br />
faitt une, il peut bien en faire d'autres. On arrive de la sorte<br />
auxx dessins d'animaux encore extrêmement grossiers, mais<br />
déjàà reconnaissables, de la Glotilde de Santa Isabel (fig. 86),<br />
dee Hornos (i), et à ceux de Gargas (fig-. 87), un peu inoins<br />
Fig.. 87. — Bisons.<br />
Tracéss digitaux sur l'enduit argileux du plafond de la caverne de Gargas<br />
(Hautes-Pyrénées).. Kchelle très réduite ,'d'après BREUIL).<br />
imparfaits,, tracés encore les uns et les autres sur l'argile,<br />
maiss avec un seul doigt, et dont il paraît difficile de considérerr<br />
la ressemblance comme simplement accidentelle et<br />
nonn préméditée. Ces différents tracés digitaux sur une<br />
matièree molle sont analogues, si l'on fait abstraction de leur<br />
caractèree figuré, aux incisions (lignes et points) exécutés sur<br />
less outils ou les bijoux dans une intention décorative, et<br />
dèss lors la technique du burin peut être transférée de l'art<br />
ornementall à l'art figuré. La Croze à Gontran réunit des<br />
spécimenss de ces différents stades des origines de l'art<br />
figuréé : elle présente à la fois des dessins digitaux analogues<br />
àà ceux de Hornos, des incisions parallèles multipliées qui<br />
nee sont que la répétition au burin de ces tracés digitaux,<br />
enfinn des silhouettes animales incisées d'un trait unique et<br />
quii ne sont que la répétition, exécutée au burin sur matière<br />
(1)) J}cp.,p. 93, n" 1-1.
1422<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
dure,, des figures animales tracées avec un seul doigt de<br />
Gargas.. Gargas et Hornos présentent une réunion analogue<br />
dee spécimens des différents moments que nous venons de<br />
distinguerr dans la genèse du dessin figuré. On trouve sur la<br />
Fig.. 88. — Figure humaine.<br />
Gravuree aurignacienne sur la partie droite de la frise tombée d'Altamira<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
frisee tombée d'Altamira (fig. 89,
LESLES ORIGINES DE L'ART 1433<br />
particulièrementt visible à La Pileta (province de Malaga),<br />
danss des figures non tracées sur l'argile molle, mais peintes<br />
enn jaune sur paroi dure. Ce sont d'abord de simples lignes<br />
parallèless plus ou moins longues, rectilignes, incurvées ou<br />
présentantt un nombre variable d'ondulations serpentiformes.<br />
Cess tracés, considérés isolément, semblent avoir donné naissancee<br />
à des figures qui, exécutées avec le même procédé,<br />
Fig.. 89. — Figures aurignaciennes.<br />
Partiee gauche de la frise tombée d'AHamira (d'après BREUIL).<br />
seraientt cependant des serpents voulus : dans les unes, les<br />
traitss parallèles se rejoignent en pointe effilée soit à l'une des<br />
extrémités,, soit dans un cas aux deux; dans d'autres, une<br />
dess extrémités est effilée et l'autre présente un renflement<br />
évoquantt une tête de serpent, parfois précédé d'un étranglement..<br />
Le renflement, de forme variable, est parfois divisé<br />
enn deux lobes qui font penser à des mâchoires écartées, d'où<br />
s'échappee même dans certains cas une ligne correspondant<br />
àà une langue. Il nous semble impossible que la ressemblance<br />
dee toutes ces figures avec un serpent soit purement accidentelle,,<br />
et n'ait pas été produite d'abord accidentellement,, mais<br />
remarquéee et reproduite exprès.<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 10
1444<br />
VAUTVAUT PALEOLITHIQUE<br />
Dee même que ces tracés serpeutiformes isolés ont abouti,<br />
Fi^.. 90. — Fifuin s aurignaciennes.<br />
Partiee médiane de la frise touille d'Altamira (d'après BRBUIL).<br />
selonn nous, à des serpents voulus, de même leur juxtaposition,,<br />
puis leur coalesceuce ont conduil, comme dans les
LESLES ORIGINES DE L'A HT 145<br />
macaronii de Gargas, à des figures animales plus compliquées..<br />
Les tracés à traits parallèles sont tantôt juxtaposés<br />
sanss aucun ordre, tantôt disposés d'une façon alterne, tantôt<br />
soudéss pour ainsi dire et embranchés les uns dans les autres.<br />
Pourr la plupart des fîg-ures complexes ainsi obtenues, l'artiste<br />
semblee n'avoir eu aucune intention figurée et avoir simplementt<br />
pris plaisir au jeu des lignes; mais il en est une au<br />
moinss où nous voyons certainement et où l'artiste a bien pu<br />
voir,, même sans l'avoir cherché, l'aspect d'un animal, quadrupèdee<br />
ou oiseau, en profil absolu, reposant sur une patte.<br />
Quee cette transition soit ou non hypothétique, elle conduit à<br />
dess figures où se retrouve la même technique des traits<br />
parallèless et dont l'intention zoomorphique est incontestablee<br />
: la tête avec encolure d'un Bouquetin, la tête avec<br />
encoluree d'un Bœuf et un animal entier qui semble un<br />
Rhinocéross (i). Dans quelques parties du contour de ces<br />
figures,, les traits parallèles se réunissent en un trait unique.<br />
Enfin,, la technique primitive est complètement abandonnée,<br />
ett l'on se trouve en présence d'animaux à contour tracé d'une<br />
lignee unique, Chevaux, Bouquetins, Biches, Bœufs, tout<br />
semblabless aux peintures zoomorphiques aurignaciennes de<br />
laa province de Santander (2).<br />
Maiss nous ne sommes pas au bout de nos peines, et la<br />
difficultéé à résoudre n'est que reculée. Si les tracés digitaux<br />
ontt pu donner naissance aux dessins figurés voulus, il reste<br />
encoree à les expliquer eux-mêmes.<br />
Cess tracés digitaux, dépourvus à la fois d'intention figurée<br />
ett d'intention décorative, qui se rencontrent non seulement<br />
surr les parois des cavernes paléolithiques, mais dans des<br />
milieuxx variés et jusque sur les murs de nos rues, paraissentt<br />
devoir s'expliquer comme de simples manifestations<br />
spontanéess de la personnalité de leur auteur, des attestations<br />
machinaless de son passage, un rudiment de signatures.<br />
Cess traînées de doigts sans destination figurée ni çlécora-<br />
(1)) La Pileta, pi. III.<br />
(2)) La Pileta, p. 19.
1466 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
tive,, mais préméditées, ont probablement à leur tour été la<br />
répétitionn intentionnelle de traces involontaires; peut-être, et<br />
enn tout cas à titre exceptionnel, d'empreintes résultant d'une<br />
glissade,, où les orteils auraient laissé sur le sol ou les doigts<br />
surr les parois une marque allongée ; à peu près certainement,<br />
pourr les tracés imprimés du g-enre des plus rudimentaires<br />
d'Altamira,, Gargas ou Hornos, des empreintes laissées par<br />
less doigts sur des parois couvertes d'argile dont on<br />
extrayait,, pour quelque emploi utilitaire, l'enduit plastiquee<br />
(i), et pour les tracés peints de la Pileta, de la trace<br />
laisséee sur les parois en essuyant une main souillée d'argile (a).<br />
Less dessins voulus ont ég-alement dû, selon toute vraisemblance,,<br />
être inspirés par des images fortuites d'origine différente..<br />
Des hommes à qui la chasse fournissait la majeure<br />
partiee de leur alimentation devaient très vraisemblablement<br />
avoirr l'idée de piste. Ils n'étaient pas sans avoir remarqué<br />
quee les animaux laissent sur la terre molle des empreintes<br />
caractéristiques,, celles d'un Cheval différant de celles d'un<br />
Bison,, d'un Rhinocéros ou d'un félin, celles d'un palmipède<br />
dee celles d'un échassier ou d'un gallinacé. En fait, des<br />
empreintess de griffes et même de pieds d'Ours ont subsisté<br />
jusqu'àà nos jours et ont été découvertes sur le sol ou les<br />
paroiss de grottes à Font-de-Gaume, à Gargas, à Bélharram<br />
prèss de Lourdes, au Tue d'Audoubert, à Altamira, à Hornos<br />
dee la Pena, à la Cova Negra, à la l'ilela, à Castillo (3).<br />
Cettee dernière grotte a fourni une observation particulièrementt<br />
instructive : sur la muraille de la dernière galerie où<br />
sontt peints de gros disques rouges alignés en longues files,<br />
less griffes d'Ours ont entamé un trait rouge sans signification<br />
définie,, mais appartenant à la technique des animaux des-<br />
(1)) Cav. canlabr., p. 194-195.<br />
(2)) La Pileta, p. 17 et 18.<br />
(3)) BREUIL, Traces laissées par l'Ours des cavernes, Revue préhislor., marsl'JOS,<br />
p.. 05. — CARTAILHAC, Les coups de griffes d'Ours, l'A., t. XIX, 1008, p. 113. —<br />
BEGOUEN,, C. R. de l'Acad. des Inscr., 1912, p. 536-5;S7; l'A., t. XX1I1, 1912,<br />
p.. 659-660. — GARTAILHAC et BREUIL, Allamira, p. 43-41- VA., t. XXI, 1910,<br />
p.. 142. — Font-de-Gaume, p. 29-31 et pi. XLVI, XLVII et XLVII bis; Cav. cantabr.,,<br />
p. 91, 115-116. — La Pileta, p. 6, 13 14
LESLES ORIGINES DE L ART 147<br />
sinéss au Irait de la phase la plus ancienne de l'art pariétal<br />
paléolithique,, et les empreintes de ces griffes ont été ellesmêmess<br />
recouvertes par un gros disque rouge (i). Par conséquent,,<br />
au moins l'auteur de ce disque, qui remonte à<br />
l'Aurignacienn ancien, a certainement vu et vraisemblablementt<br />
reconnu des traces d'Ours.<br />
Maiss les animaux n'étaient pas seuls à laisser des<br />
empreintess sur le sol. Les pieds de l'Homme en marchant,<br />
sess mains et ses genoux en rampant sous les plafonds surbaisséss<br />
des cavernes ou à travers les fourrés laissaient dans<br />
laa poussière ou la terre humide des vestiges analogues :<br />
l'abbéé Breuil à Niaux (2), le comte Begouen au Tue d'Audoubertt<br />
(3) ont découvert de ces empreintes qui semblent d'âge<br />
magdalénien,, et les Aurignaciens n'ont pu manquer d'en<br />
laisserr de semblables. En constatant qu'il a de la sorte produitt<br />
des images, bien que sans le vouloir, l'Aurignacien a<br />
bienn pu être amené à l'idée d'en produire intentionnellement<br />
dee pareilles, par un processus analogue à celui qui s'observe<br />
auu début du dessin enfantin (4).<br />
Nouss ne sommes d'ailleurs pas réduits sur ce point à une<br />
simplee hypothèse fondée sur l'analogie, et l'on a découvert<br />
dess exemples authentiques d'empreintes de mains exécutées<br />
volontairementt à l'époque aurignacienne. Il s'agit, non pas<br />
dee traces laissées en creux dans la terre molle, dont rien ne<br />
pourraitt établir qu'elles étaient voulues, mais de figures<br />
déposéess avec de la couleur sur une surface dure, et qui ne<br />
peuventt l'avoir été qu'intentionnellement.<br />
Cess figures étaient obtenues par deux procédés. Tantôt<br />
laa main enduite de couleur liquide était appliquée sur une<br />
surfacee et y laissait son décalque coloré. Tantôt, la main<br />
étantt placée sur une surface naturellement humide ou mouil-<br />
(1)) Cav. cant., flg. 104.<br />
(2)) C. li. Acad. Inser., 19u7, p. 222.<br />
(3)) C. /{. Acad. Insar., 1912, p. 536-537; VA , t. XXIII. 1912 p. &>9-663. -<br />
Danss une des salles, on a relevé à la fois des empreintes de grilles et de pattes<br />
d'Ourss et de pieds d'Hommes.<br />
(4)) LUQUET, Journal de Psychologie, 1922, p. 717.
1488 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
léee exprès, ou même, comme dans trois exemples de<br />
Gargas,, déjà recouverte d'une couleur de fond de teinte<br />
différentee (i), on projetait sur le tout, soit avec l'autre<br />
main,, soit avec la bouche, de la couleur qui cernait d'une<br />
plagee colorée la partie recouverte par la main. De la sorte,<br />
celle-cii une fois retirée, la surface qu'elle recouvrait primitivementt<br />
donnait l'image d'une main de la couleur naturelle<br />
dee la paroi rocheuse, entourée de la couleur projetée.<br />
Lee premier procédé ou procédé par impression ou par<br />
décalquee n'est représenté que par un tout petit nombre de<br />
spécimenss de Bédeilhac (en noir) (2) et d'Altamira (une<br />
mainn rouge du grand plafond) (fig. 91). Les exemples du<br />
secondd procédé ou procédé par épargne ou au patron sont<br />
beaucoupp plus nombreux; on en a retrouvé à Altamira<br />
(fig.. 91), à Gastillo (3), à Font-de-Gaume (4), aux Combarelless<br />
(5), à l'Abri Labatut des Roches de Sergeac (G), à<br />
Beyssacc près Vieil-Mouly (Dordogne) (une main rouge) (7),<br />
àà la grotte David de Cabrerets (Lot) (8), dans les galeries<br />
latéraless de la grotte des Trois Frères (mains rouges associéess<br />
comme à Castillo à des alignements de points rouges<br />
ouu noirs) (9); enfin à Gargas (fig. 118). Ces dernières figurationss<br />
de la main sont à la fois les plus nombreuses, les<br />
pluss intéressantes et les plus sûrement datées comme<br />
remontantt à la phase la plus reculée de l'Aurignacien, au<br />
moinss aussi anciennes, et peut-être davantage, que les<br />
gravuress pariétales de Pair-non-Pair (10).<br />
(1)) VA., t. XXI, 1910, p. 134.<br />
(2)) Font-de-Gaume, p. 118.<br />
(3)) Une cinquantaine de mains cernées de rouge; Rép p 42 et 43- Cav cantabr.,,<br />
(ig. 100-108.<br />
(4)) Quatre mains cernées de noir, l'une bien nette, les trois autres très déteintes<br />
ett cachées par des peintures postérieures (Font-de-Gaume, p. 72, note et lig. 83).<br />
(5)) Gombarelles, iîg. 41.<br />
(6)) Mains cernées de rouge sur des blocs tombés dans le niveau aurignacien supérieurr<br />
et probablement plus anciennes {CAPITAL, BRÏUIL, PKYHONY, Nouvelles grottes<br />
ornéess de la vallée de la Beune, l'A., t. XXVI 1913 p 518)<br />
(7)) Ibid., p. 518 et fig. 13.<br />
(8)) L'Illustration, n" 4200, 13 octobre 1923, fig. p. 359.<br />
(9)) MAINAGE, Les religions de la préhistoire, p 217 note 25<br />
(10)) L'A., t. XXI, 1910, p. 143.
Fil?.. 91. — Panneauu de la partie droite du plafond d'Altamira Mains en décalque et au patron,<br />
Chevauxx peints en rouge plat, Cervidé gravé (d'après BBEUIL).
1500 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
Less mains obtenues par l'un ou l'autre de ces deux procédéss<br />
ne paraissent pouvoir s'expliquer que par l'imitation<br />
volontairee d'empreintes produites accidentellement sur la<br />
terree molle. Nous avons bien là un exemple de fait incontestablee<br />
de la reproduction intentionnelle d'une image obtenue<br />
parr hasard.<br />
Less images aurignaciennes de mains en couleur prouvent<br />
que,, dès ce moment, l'Homme avait conscience de sa faculté<br />
créatricee d'images, au moins pour l'image de sa main.<br />
Dess faits établissent qu'il ne s'en est pas tenu là, et qu'il<br />
aa cherché à étendre le procédé du patron à la production<br />
d'autress images. Les explorateurs de Gargas ont relevé<br />
surr les parois de celte caverne « une petite main potelée,<br />
avecc le poignet, d'un enfant en bas âge; des doigts isolés,<br />
nee provenant pas d'une main déteinte, quelquefois le<br />
poucee ; le long d'une saillie, dans le recoin où furent observéess<br />
les premières mains, une série de cinq doigts sont ainsi<br />
juxtaposéss comme en guirlande décorative. Non loin de là se<br />
trouvee une empreinte [c'est-à-dire un dessin au patron^ faite<br />
dee l'assemblage du pouce et de l'index des deux mains<br />
droitee et gauche— Une autre silhouette cernée de rouge<br />
rappellee celle qu'on obtiendrait avec la tête d'un humérus<br />
ouu d'un tibia » (i). Ces différents exemples de Gargas<br />
correspondentt à autant de tentatives pour obtenir avec le<br />
procédéé du patron, inauguré avec la main entière, des<br />
figuress plus variées.<br />
C'estt par la même intention que s'expliquerait, selon<br />
nous,, la curieuse particularité que présentent un grand<br />
nombree des mains au palron de cette même grotte. Un, plusieurss<br />
ou même tous les doigts sont privés des deux phalangeslanges<br />
terminales (fig. 118). Ces figures sont généralement<br />
considéréess comme résultant de l'emploi comme patron<br />
dd une main mutilée. Pour des raisons qui seront développées<br />
pluss loin (2), il nous semble beaucoup plus vraisemblable<br />
(1)) GARTAILHAC et BREUIL, VA., t. XXI, 1910 p 135<br />
(2)) Cf. ci-dessous, p. 222-220.
LESLES ORIGLXES DE L'ART 151<br />
quu au moins la plupart aient été exécutées avec des mains<br />
intactess à doig-ts repliés, en vue d'obtenir avec la main<br />
commee patron des images plus variées.<br />
Enn résumé, le procédé du dessin mécanique a été, dès<br />
less temps aurignaciens, étendu graduellement de la main<br />
entièree à des parties de main, à des doigts isolés, à des<br />
objetss différents. Il est permis de supposer que les<br />
empreintess proprement dites, non colorées, produites<br />
d'abordd fortuitement par simple impression dans la terre<br />
molle,, ont fourni un point de départ à un processus analogue,,<br />
de même que nos enfants, ayant remarqué l'empreintee<br />
de leurs pas dans la neige, prennent plaisir à s'y<br />
étendree tout de leur long pour « faire leur portrait ».<br />
Parr l'une ou l'autre des voies que nous venons de signaler,<br />
sanss parler d'autres également possibles, mais dont les faits<br />
connuss ne fournissent aucune indication, les Aurignaciens<br />
étaientt sûrement arrivés à se savoir capables de créer, non<br />
seulementt par hasard, mais même de propos délibéré, certainess<br />
images. Tout l'art fig-uré était là en germe, et ce<br />
germee ne demandait qu'à se développer. 11 suffisait que<br />
l'individu,, ayant constaté son pouvoir de créer des images<br />
dee certains objets, cherchât à étendre ce pouvoir à la productionn<br />
d'images différentes. L'art aurignacien présente un<br />
exemplee de passage du dessin mécanique au dessin proprementt<br />
dit, analogue à ceux qu'on rencontre dans les dessins<br />
enfantinss ou les graffiti de nos jours, où une main au patron<br />
aa été complétée par des additions réellement dessinées. Il<br />
s'agitt d'une petite main gauche imprimée en noir à la<br />
Pasieg'a,, semblable à la main imprimée en rouge à Altamira;<br />
onn y distingue parfaitement les cinq doigts et les parties<br />
charnuess de la paume (i). La main d'Altamira avait été<br />
régulariséee au pinceau (2). Celle de la Pasiega est prolongée<br />
parr un bras dessiné en noir et fort déteint, qui lui-même se<br />
continuaitt peut-être par un corps, aujourd'hui presque entiè-<br />
(1)) La Pasiega, pi. XXV.<br />
(2)) Allam., p. 76.
1522 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
rementt disparu. Nous croyons trouver à Santian un autre<br />
exemple,, à un stade un peu plus avancé, du passage du<br />
dessinn mécanique au dessin proprement dit. Une sorte de<br />
frisee formée par la paroi de la grotte présente un groupe de<br />
quinzee figures rouges (i). Ce sont des peintures proprement<br />
dites,, et non plus de simples impressions obtenues par les<br />
procédéss mécaniques du décalque ou du patron; mais elles<br />
see rattachent aux figures mécaniques par le sujet traité, qui<br />
pourr plusieurs est sans hésitation possible une main prolongéee<br />
par un bras. D'autres présentent un aspect différent<br />
ett plus ou moins énigmatique : dans les unes, il semble que<br />
laa forme de la main ait été schématisée et stylisée; dans une<br />
autre,, les doigts ressemblent plutôt à des orteils ; d'autres<br />
fontt penser à des pattes velues d'animaux, d'autres à<br />
diversess armes de jet; mais toutes forment un ensemble<br />
homogènee caractérisé par la présence constante d'une longue<br />
ett étroite bande verticale rappelant le bras humain. Il n'est<br />
doncc pas abusif de supposer que l'artiste, probablement le<br />
mêmee pour toutes les figures, vu la difficulté de l'opération à<br />
l'endroitt où elle a été effectuée, a eu l'idée de faire en peinturee<br />
les mains qu'il avait pu antérieurement voir exécuter<br />
mécaniquementt par d'autres, sinon exécuter lui-même; puis<br />
quee la forme de ses peintures, exécutées avec une maladressee<br />
accrue par les difficultés de la situation, lui aura<br />
suggéréé l'idée de représenter des objets différents, mais en<br />
gross analogues, de la même façon que se produit au début<br />
l'enrichissementt du répertoire graphique de nos enfants,<br />
grâcee à ce que j'ai appelé les maladresses fécondes (2).<br />
Ill est également possible qu'avant de tracer une figure<br />
complètee sur une surface primitivement nue, l'Aurignacien<br />
see soit borné d'abord à l'opération matériellement plus<br />
facilee et surtout psychologiquement plus simple de compléterr<br />
intentionnellement une ressemblance qu'il avait<br />
(1)) Cav. cantabr., fig. 32-35 ;Une partie seulement sont reproduites dans Rép.,<br />
p.. 176, n» 1).<br />
(8)) LUQUET, Les dessins d'un enfant, p. 85-87.
LESLES ORIGINES DE L'ART 153<br />
remarquéee et jugée imparfaite dans des images qui n'étaient<br />
pass son œuvre.<br />
Less images paléolithiques fournissent des exemples<br />
d'additionss ou de corrections apportées à un dessin par un<br />
individuu autre que son auteur. I! convient assurément d'être<br />
trèss prudent dans l'interprétation des figures de ce genre,<br />
car,, sans parler des superpositions accidentelles, les correctionss<br />
peuvent être des « repentirs » émanant de l'auteur<br />
Fig.. 92. — Mammouth.<br />
Gravuree sur lame d'ivoire (La Madeleine, Dordogne).<br />
Echellee : 1/3 (d'après Ed. LARTET).<br />
mêmee du dessin. On en peut citer comme exemples le<br />
Mammouthh de la Madeleine (fig. 92), une Biche de la<br />
Pasiega,, dont les oreilles sont figurées deux fois dans deux<br />
positionss différentes (1), la grande Biche du plafond d'Altamira,,<br />
qui conserve derrière ses deux oreilles une autre<br />
oreillee mal placée, incomplètement effacée par l'artiste<br />
(fig-.. 75); de Font-de-Gaume un Cheval gravé (fig. o,3), un<br />
graffitee léger de Mammouth qui a deux fronts et trois<br />
défensess (2), un Mammouth polychrome, où la gravure présentee<br />
deux yeux dont un seul a été repris en peinture (3), les<br />
deuxx Rennes polychromes (fig.
1544<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
laa narine de la femelle est figurée deux fois en gravure, une<br />
seulee en peinture.<br />
Ill semble toutefois légitime de considérer comme des<br />
exempless de perfectionnements apportés à des figures exécutéess<br />
antérieurement par des auteurs différents diverses<br />
Fig.. 03. — Tête de Cheval.<br />
Gravuree pariétale (Font-de-Gaume, Dordogne). Echelle : 1/4 (d'après BREUIL).<br />
peinturess de la Pasiega et surtout trois Bœufs de la Vieja<br />
transforméss plus tard en Cerfs par la simple addition d'une<br />
ramuree (i). Il est également très probable que le Sanglier<br />
marchantt d'Altamira est une réfection postérieure d'un Sanglierr<br />
au galop dont les pattes subsistent (fig. g5).<br />
Quoii qu'ilen soit des modifications apportées à des images<br />
(1)) Rép., p. 4, en bas à droite et p. 5, n° 1, en bas. L'addition de la ramure est<br />
particulièrementt visible au Bœuf le plus à droite.
LESLES ORIGINES DE L'ART 1555<br />
pluss anciennes, on trouve en foule, à toutes les époques de<br />
l'artt paléolithique, des figures qui ont élé déterminées par la<br />
formee de la matière qui leur sert de support, à laquelle l'artistee<br />
a apporté des modifications plus ou moins importantes.<br />
DansDans divers exemples, la forme d'un instrument déjà<br />
façonnéé a, scmblc-i-il, suggéré l'intention d'accentuer la<br />
ressemblancee plus ou moins v.i-ue qu'il présentait avec<br />
quelquee être réel. Dans un harpon bibarbelé de Mouthiers
1566 VAUT PALEOLITHIQUE<br />
(Charente),, le fût a été interprété en serpent dont le renflementt<br />
basilaire du harpon forme la tête : des traits gravés<br />
indiquentt les yeux et les taches de la peau (i). La partie<br />
inférieuree d'une lame en bois de Renne trouvée dans les<br />
couchess magdaléniennes anciennes de la grotte du Placard a<br />
enn gros la forme d'un ventre féminin avec l'amorce des<br />
cuisses;; cette ressemblance globale a été accentuée par des<br />
traitss de burin figurant les lèvres et les poils d'une vulve (2).<br />
Danss les mêmes couches, des boucles en bois de Renne en<br />
formee générale d'arceau évoquent par leurs deux pointes<br />
terminaless divergentes l'idée d'une tête cornue ; deux de ces<br />
objetss sont décorés d'incisions représentant des naseaux et<br />
dess yeux qui, dans l'un, sont accompagnés de cornes (3).<br />
Danss un sommet de « bâton de commandement » magdalénienn<br />
bien connu en bois de Renne, de Gorge d'Enfer (4),<br />
less deux saillies latérales ont été interprétées en phallus, où<br />
l'onn voit nettement le méat urinaire. Mais, tandis que l'une<br />
dess saillies porte sur les deux faces l'indication des testicules,<br />
l'autree semble avoir été interprétée également comme un<br />
coléoplèree avec figuration des élytres et, sur une des faces,<br />
dess yeux. 11 y aurait là un exemple de ce que j'ai appelé le<br />
calembourr graphique.<br />
D'autress pièces osseuses ou lithiques sans destination utilitairee<br />
manifestent également une accentuation par l'Homme de<br />
leurr forme naturelle. L'abbé Breuila signalé un éclat d'os du<br />
muséee de Mont-de-Marsan, recueilli à Rrassempouy, et dont<br />
parr hasard la cassure reproduisait à peu près la forme d'une<br />
lêlee d'équidé, qui a été complétée par la gravure des narines,<br />
dee la bouche, d'une oreille et d'un œil. Il a trouvé aussi dans<br />
laa station magdalénienne du Rois du Roc à Vilhonneur un<br />
rognonn de silex affectant vaguement la forme d'une tête de<br />
Lièvree ou de Marmotte, et où des aspérités naturelles ont<br />
(1)) Rép., p. 160, no 1 (Les deux faces sont analogues)<br />
(2)) lu-p., p. 171, no 7.<br />
(3)) BREUIL, Paléol. super., fig. 23, n« 7 et 8<br />
(4)) Iiép., p. 82, n" 1 et 2.
LESLES OIUGINES DE LA11T 1577<br />
unee certaine ressemblance avec des yeux. Une série de stries<br />
tracéess par l'Homme simulenlles barbiches; deux d'entre elles,<br />
enn se rejoignant, rappellent le dessin du nez fendu du Lièvre.<br />
a.a.<br />
QQ<br />
etet<br />
çaça<br />
%% 60<br />
ab-SS<br />
Bienn qu'il soit difficile de reconnaître avec exactitude l'animal<br />
qu'onn a voulu représenter (1), l'intervention d'un artiste qui<br />
(1)) l'A t XII 1901, p. 110. — Par un lapsus amusant, la Marmotte » de ce<br />
passagee s'èst^ sous la plume de certains auteurs, métamorphosée en « Mammouth. »
1588<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
s'estt proposé d'accentuer les formes naturelles du caillou est<br />
incontestable..<br />
Surr un morceau de concrétion stalag-antique trouvé dans<br />
Fig.. 96. — Statuettes humaines en métacarpiens de Mammouth<br />
(Przedmost,, Moravie).<br />
Echellee : 1/4 environ (d'après BREUIL).<br />
laa couche supérieure de la grotte de la Mairie à Teyjat, qui<br />
danss son ensemble suggère l'idée d'une lêle humaine, un<br />
Fig.. 97. — Peintures pariétales en rouge utilisant des accidents rocheux<br />
(Cavernee de Niaux, Ariège).<br />
AA gauche, tête et encolure de Cheval (renversé 1 . A droite. Bison hlessé ; le dos (en<br />
pointillé)) est fait par le contour du rocher. Kchelle : 1/8 (d'aprèa BREUIL).<br />
raclagee vigoureux au silex a figuré un œil à la place convenablee<br />
(i). Un exemple des Eyzies est encore moins contestablee<br />
: c'est un g-alet dont la forme naturelle bizarre, en têle<br />
(1)) ftep.,p. 181, nol.
LESLES ORIGINES DE L'ART 1599<br />
arrondie,, a été complétée par l'addition sur chaque face d'un<br />
œil,, d'une narine, d'une oreille et d'un trait pour la bouche.<br />
Danss le sens inverse, une autre oreille et un œil complètent<br />
unee tête de Cheval dont le contour général est également<br />
évoquéé par la forme naturelle de l'objet (i). Des phalanges<br />
Fig.. 98. — Esquisse gravée d'un Bison mugissant.<br />
Peinturee polychrome, dont la ligne dorsale utilise un accident naturel (Altamira).<br />
Echellee : 1/20 environ (d'après BFLEUIL).<br />
d'Equidéss découvertes par Pietfe au Mas d'Azil et dont la<br />
formee naturelle présentait l'aspect d'une tête de Cheval ont<br />
étéé également complétées par quelques incisions représentant<br />
less naseaux et les yeux (2). Peut-être faut-il ranger dans<br />
laa même catégorie les sept statuettes humaines rudimentairess<br />
de Przedmost (Moravie) façonnées dans des métacarpienss<br />
de Mammouth, dont la forme naturelle a pu suggérer<br />
l'idéee d'un corps humain et l'intention d'accentuer artificiel"<br />
(1)) Rép., p. 68, n° 2.<br />
(2)) Rép., p. 149, n" 7-12.<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 111
1600<br />
L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />
lementt la ressemblance, d'une manière d'ailleurs extrêmementt<br />
grossière (fig\ 96).<br />
L'utilisationn figurée d'accidents naturels est particulière-<br />
mentt manifesle dans les représentations pariétales. On en<br />
pourraitt mentionner une foule d'exemples de Sireuil, des<br />
Gombarelles,, de Font-de-Gaume (%. 99-101), de la grolte<br />
Marcenacc à Cabrerets, de Marsoulas, de Niaux (%. 97), du<br />
Portel,, du Mas d'Azil, du Tue d'Audoubert, de Govalanas,
LESLES ORIGINES DE VAUT 161<br />
dee Pindal, de Hornos de la Pena, de Castillo, de la Pasiega,<br />
d'Allamira.. Leur énumération serait fastidieuse; je me<br />
borneraii à emprunter quelques exemples particulièrement<br />
caractéristiquess aux polychromes du grand plafond d'Altamira..<br />
De volumineuses saillies qui, dans les jeux de lumière<br />
dess flammes du foyer, pouvaient ressembler à des dos de<br />
bêtes,, ont donné l'idée de parfaire l'image avec de la couleur.<br />
L'adaptationn des figures à ces accidents de la roche fut aussi<br />
habilee que possible (i). Le Sanglier au galop repeint plus<br />
tardd en Sanglier marchant (fig.
aa<br />
tee<br />
oo<br />
aa<br />
099<br />
SS<br />
33<br />
aa<br />
oo<br />
55 à<br />
«« S 1<br />
ill<br />
cc<br />
XX -<br />
oo
Fig.. 101. — Bison.<br />
Peinturee polychrome complétant la gravure de l'accident rocheux de la lig. 100. (Font-de-Oaume).<br />
Surr cette peinture ont été peints postérieurement des signes tectiformes (d'après BREUII.).
1644<br />
L'ARTL'ART PALEOLITHIQUE<br />
équivoquee qui dégénérerait facilement en contresens. Il<br />
nouss semblerait forcé de prendre à la lettre le mot utilisationn<br />
et de supposer que l'artiste, ayant déjà l'intention de<br />
fairee une image, ait cherché un emplacement dont la l'orme<br />
naturellee lui en facilitât l'exécution : plus vraisemblablement,<br />
croyons-nous,, l'artiste, n'ayant encore aucune intention<br />
Fig.Fig. 102. — Bison ramassé.<br />
Peinturee pariétale polychrome (Altamira, Espagne). Echelle : 1/25 environ<br />
(d'aprèss BUEUIL).<br />
précisee de dessiner, fut incliné à le faire en apercevant un<br />
accidentt naturel dont l'aspect lui suggérait l'idée d'une ligure.<br />
J'accepteraiss à la rigueur qu'à l'apogée du Magdalénien, où<br />
l'onn doit admettre l'existence d'artistes exercés, peut-être<br />
mêmee professionnels, il y ait eu recherche systématique des<br />
accidentss naturels en vue de leur utilisation figurée ; mais je<br />
suiss persuadé que, dans la plupart des cas, et notamment aux<br />
époquess primitives, il y a eu bien moins adaptation des accidentss<br />
naturels à l'idée préméditée de la figure que suggestionn<br />
de celle-ci par ceux-là. Par exemple, il me semble invraisemblablee<br />
que pour la figure du Portel (i), un artiste qui<br />
avaitt déjà l'intention de peindre un bonhomme ait cherché<br />
unee saillie rocheuse qui lui en fournît le phallus.<br />
(1)) Hép., p. 172, ir>6.
LESLES ORIGINES DE L'ART 165<br />
Cettee conception du rôle véritable de l'utilisation des<br />
accidentss naturels dans l'art des cavernes paléolithiques nous<br />
semblee encore confirmée par des considérations intrinsèques<br />
relativess aux figures pariétales elles-mêmes. L'attitude forcée<br />
dee certains animaux d'Altamira, notamment les trois Bisons<br />
ramasséss (fig. 102) (1), que l'on interprète d'ordinaire<br />
commee une manifestation de maniérisme ou de convention<br />
d'école,, pourrait bien être due simplement à la forme naturellee<br />
des bosses rocheuses utilisées pour les figures, qui se<br />
limitentt presque à leur surface, à part les cornes, les pieds<br />
ett la queue. Gartailhac et l'abbé Breuil, qui paraissent avoir<br />
unee préférence marquée pour la thèse de l'utilisation préméditéee<br />
des accidents naturels, remarquent que « de la sorte on<br />
obtenaitt à peu de frais les effets d'un bas-relief coloré ».<br />
Maiss leurs descriptions sont d'une objectivité si scrupuleuse<br />
que,, en dépit de leurs opinions théoriques, ils signalent un<br />
faitt qui va à l'encontre de celles-ci. En effet, si les bosses<br />
rocheusess pouvaient suggérer l'idée de la représentation<br />
animale,, elles nuisaient à son effet une fois qu'elle était<br />
exécutéee et empêchaient de saisir l'ensemble de la figure,<br />
parcee qu'à cause de leur grande convexité, on n'en peut voir<br />
qu'unn côté à la fois : c'est au point que, dans ses relevés,<br />
l'abbéé Breuil a été obligé de figurer les animaux en projectionn<br />
plane, comme si le relief des bosses n'existait pas (a).<br />
Touss les exemples que nous venons d'alléguer pour établir<br />
laa persistance, pendant toute la durée de l'âge du Renne, de<br />
l'utilisationn artistique d'accidents naturels, c'est-à-dire de<br />
l'influencee de ces accidents pour déterminer et si l'on peut<br />
diree déclancher l'exécution des figures, proviennent d'époques<br />
oùù l'art figuré existait déjà et où par suite l'artiste avait déjà<br />
vuu et sans doute exécuté d'autres œuvres figurées qui<br />
nee s'expliquent pas par cette suggestion. Mais d'autres<br />
exemples,, encore que forcément plus rares, semblent<br />
(1)) Cf. Rép., p. 13, n°" 2 et 4.<br />
(2)) L'A., t. XV, 1904, p. 641; Altamira, p. 78 et 108. — Cf. Cav. cantabr.,<br />
pi.. XCI, la perspective d'une partie du plafond aux polychromes.
1666 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />
remonterr aux débuis de l'Aurignacien, c'est-à-dire au moment<br />
dee l'apparition de l'art figuré. Je serais porté à considérer<br />
commee des cas d'utilisation figurée de surfaces rocheuses,<br />
oùù les additions artificielles sont réduites au minimum, certainss<br />
pendentifs, franges rocheuses et reliefs naturels de<br />
Castilloo et de Pindal marqués de taches rouges (i) ; les<br />
alignementss de taches au bord des accidents pourraient<br />
simulerr une crinière, et en outre une tache isolée semble correspondree<br />
à un œil dans deux spécimens où je verrais, sous<br />
unee forme extraordinairement grossière, l'équivalent de la<br />
têtee de Cheval rouge de Niaux (fig. 97). D'autres exemples<br />
sontt plus incontestables. Sur la frise tombée d'Altamira, à<br />
côtéé de courbes parallèles qui sont la reproduction gravée des<br />
tracéss digitaux à plusieurs doigts, la ligne verticale figurant<br />
lee front d'une tête de quadrupède (Cheval ou Biche ?) grossièrementt<br />
gravée suit un angle rocheux ffig. 89). La Croze à<br />
Gontran,, qui remonte à l'Aurignacien ancien et qui nous a<br />
déjàà fourni des spécimens des différents moments de la genèse<br />
dee l'art figuré, présente deux gravures de Chevaux dont la<br />
têtee est faite, partiellement dans l'un, totalement dans l'autre,<br />
parr un accident rocheux (2). Il nous semble donc légitime de<br />
considérerr comme l'une des sources de l'art figuré, chez<br />
l'hommee paléolithique comme chez l'enfant de nos jours,<br />
l'accentuationn volontaire d'une ressemblance aperçue dans<br />
dess accidents naturels.<br />
Peut-êtree même cette utilisation artistique de lusus naturae<br />
a-t-ellee commencé à une époque encore plus reculée que<br />
l'Aurignacien,, dès le Paléolithique inférieur. Divers préhistoriens,,<br />
reprenant une idée déjà soutenue par Boucher de<br />
Perthes,, ont considéré comme des « pierres-figures » certainss<br />
cailloux, généralement rognons de silex, qui présententt<br />
avec des êtres réels une certaine ressemblance globale<br />
ett dans lesquels cette ressemblance naturelle serait accentuéee<br />
par des retouches qui leur semblent intentionnelles.<br />
(1)) Cav. caniabr., fig. 64 (Pindal) et 112 {Castillo) (Manquent dans Rép.).<br />
(2)) Revue anthropologique, t. XXIV, 1914, p. 277 et fig. 2 et 3.
LESLES ORIGINES DE L'ART 1Ô7<br />
Jusqu'àà présent, la théorie des pierres-figures paléolithiques,,<br />
malgré les efforts de ses défenseurs, n'a rencontré chez<br />
laa majorité des préhistoriens qu'indifférence ou hostilité.<br />
Ill est certain que, dans la plupart des pièces allég-uées, il<br />
fautt les yeux de la foi pour apercevoir la ressemblance<br />
fig'uréefig'urée et surtout les retouches intentionnelles; ici comme<br />
danss le cas analogue des éolithes, l'intervention de l'Homme<br />
restee extrêmement problématique. Pourtant elle ne semble<br />
pass inadmissible dans quelques spécimens de choix. Mais,<br />
pourr notre part, même quand l'aspect matériel de ces pièces<br />
n'empêchee pas de les considérer comme des pierres-fig-ures,<br />
nouss sommes arrêtés par une difficulté d'ordre psychologique..<br />
L'étude du dessin enfantin nous a semblé établir que<br />
laa constatation d'une ressemblance fortuite ne suffisait pas<br />
pourr donner à un individu l'idée de la compléter, qu'il fallait<br />
enn outre que son pouvoir de créer lui-même des ressemblancess<br />
lui eût été révélé par la production involontaire de<br />
telless ressemblances. Or, aucun fait ne prouve l'existence,<br />
danss le Paléolithique inférieur, de cette production accidentellee<br />
d'imag-es, et l'on n'aperçoit rien, dans l'industrie<br />
lithiquee de cette époque, qui ait pu en fournir l'occasion.<br />
Ill nous semble donc que la plus grande prudence continue<br />
àà s'imposer pour cette question.<br />
Enn résumé, la première œuvre figurée exécutée par le premierr<br />
artiste paléolithique n'a pu être sug-gérée par l'imitation<br />
d'unn artiste antérieur, puisque par définition il n'y en avait<br />
pass encore ; et en tout état de cause, l'orig-ine de l'art figuré,<br />
commee de n'importe quelle sorte d'activité volontaire, ne<br />
sauraitt s'expliquer par l'imitation proprement dite. Il ne<br />
peutt être question que d'une auto-imitation, c'est-à-dire de<br />
laa répétition intentionnelle par un individu d'une activité<br />
qu'ill avait déjà exercée lui-même auparavant sans le faire<br />
exprès,, ici de la répétition intentionnelle de mouvements de<br />
laa main qui avaient produit une imag-e sans se l'être proposé.<br />
D'unn autre côté, tant que de nouvelles observations qui,<br />
enn l'espèce, ne pourront porter que sur les enfants de nos
1688 L'ART PALEOLITHIQUE<br />
jours,, n'auront pas établi qu'un individu peut arriver à la<br />
consciencee de son pouvoir créateur d'images avant d'en avoir<br />
produitt lui-même et par la simple constatation de celte<br />
facultéé chez autrui, nous devons admettre que non seulementt<br />
pour le premier artiste, mais aussi pour ses contemporainss<br />
et ses successeurs, leurs premières œuvres figurées<br />
résultentt non de l'imitation d'artistes antérieurs, mais d'une<br />
auto-imitation.. Le problème de la genèse de l'art figuré<br />
paléolithiquee revient donc d'abord à déterminer quelles sont<br />
less activités qui ont pu à cette époque créer des images sans<br />
intentionn d'en créer, ensuite par quelles transitions un<br />
individuu qui avait produit ces images fortuites est arrivé à<br />
l'intentionn de créer de toutes pièces des images en sculptant<br />
unee matière ou en traçant des lignes sur une surface qui<br />
étaientt originairement amorphes, c'est-à-dire ne possédaient<br />
avantt le travail de l'artiste absolument aucune ressemblance<br />
avecc l'objet représenté par l'image.<br />
Ill nous a semblé que les premières images fortuites qui<br />
avaientt donné à leur auteur l'idée d'en faire d'autres volontairementt<br />
ne pouvaient, pour fournir l'occasion d'une interprétationn<br />
figurée, avoir été l'œuvre d'un artiste décorateur,<br />
ett nous avons essayé d'en découvrir les origines probables.<br />
Unee fois ainsi éveillée la conscience de son pouvoir créateurr<br />
d'images, l'Homme paléolithique a pu songer à utiliser<br />
cee pouvoir d'abord pour compléter, les jugeant insuffisammentt<br />
ressemblantes, soit les images produites fortuitement<br />
parr lui-même, soit des accidents naturels présentant quelque<br />
ressemblancee avec les êtres qui l'intéressaient spécialement,<br />
enfinn pour créer de toutes pièces des figures d'exécution<br />
d'abordd plus ou moins maladroite et grossière, mais intentionnelle..<br />
Nouss sommes maintenant en mesure de comprendre commentt<br />
l'art à destination magique qui, comme nous l'avons<br />
vuu (i), a dû nécessairement être précédé par un art désintéressé,,<br />
a pu en sortir. Si le civilisé adulte, accoutumé à voir<br />
(i)) Cf. ci-dessus, p. 126-128.
LESLES ORIGISES DE L'ART 169<br />
ett même à exécuter des représentations figurées, trouve<br />
toutt naturel que sa main, aidée d'ailleurs d'instruments faits<br />
exprèss pour cela, laisse sur un support des traces qui fassentt<br />
une image, nos enfants considèrent ce pouvoir de créer<br />
dess ressemblances comme une faculté réservée aux grandes<br />
personness et dont ils se reconnaissent d'abord dépourvus.<br />
Lorsque,, dans la suite, ils arrivent à constater qu'ils ont,<br />
euxx aussi, produit un dessin ressemblant (ou jugé tel par leur<br />
imaginationn complaisante), c'est pour eux la révélation d'un<br />
pouvoirr à la fois créateur et miraculeux qui, par ces caractères,,<br />
participe de la magie : l'expression n'est pas de moi,<br />
maiss d'un psychologue évoquant ses souvenirs d'enfance (i).<br />
Maiss en outre, c'est un fait établi de la psychologie de<br />
l'enfantt et du primitif que la confusion de l'image artificielle<br />
avecc l'objet réel correspondant. Si, comme c'est infiniment<br />
vraisemblable,, le Paléolithique avait une mentalité analogue,<br />
l'artistee qui avait fait par exemple une gravure ou une sculpturee<br />
de Cheval se considérait comme le créateur et le maître,<br />
nonn seulement d'un simulacre de Cheval, mais d'un Cheval<br />
véritable.. Le caractère créateur de l'art figuré est le fondementt<br />
commun d'abord de son charme désintéressé pour<br />
l'artiste,, ensuite de la croyance à sa vertu magique.<br />
(1)) H. T. LUKENS, Einige Bemerkungen ûber malendes Zeichnen im friihen Kindesalter,,<br />
Aus dem pàdagog. Onwersitats-Seminiir zu Jena, t. VII, 1897, p. 154.
DEUXIÈMEDEUXIÈME PARTIE<br />
LAA RELIGION<br />
CHAPITRECHAPITRE VI<br />
LEE CULTE DES MORTS<br />
Avantt de chercher à dégager, dans la mesure du possible,<br />
less sentiments, les idées, les croyances des Paléolithiques à<br />
l'égardd de leurs morts, nous devons commencer par prendre<br />
l'expressionn culte des morts dans un sens à la fois très large<br />
ett purement objectif. Nous entendons par là toutes les pratiques,,<br />
quelles qu'elles soient, par lesquelles l'Homme paléolithiquee<br />
a appliqué aux cadavres humains un traitement<br />
intentionnell prouvant qu'il établissait une différence entre<br />
euxx et des restes animaux.<br />
L'existencee de ces pratiques a été longtemps niée par<br />
suitee d'une conception a priori. Le culte des morts, s'il se<br />
distinguee abstraitement de la religion proprement dite en ce<br />
quee celle-ci s'adresse à des êtres qui, au moins en principe,<br />
n'ontt jamais été des hommes, est cependant la manifestation<br />
d'unn sentiment étroitement apparenté au sentiment religieux.<br />
Less pratiques funéraires pouvaient donc fournir un argumentt<br />
dans la controverse sur la religiosité comme caractéristiquee<br />
de l'i [omme. G. de Morlillet, qui a exercé sur les études<br />
préhistoriquess une si grande influence, tantôt bienfaisante,
LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
tantôtt néfaste, était un adversaire irréconciliable de Y Homo<br />
religiosus,religiosus, et a été amené par là à exagérer dans le se<br />
négatfff le scrupule de prudence scientifique que légitimait<br />
d'ailleurs,, dans une large mesure, l'ambiguïté des faits alors<br />
connus.. A sa suite, lorsqu'il s'agissait de documents d'âge<br />
paléolithiquee indiscutable, on considérait l'apparence de<br />
pratiquess fuuéraires comme explicable par de simples accidentss<br />
: tel fut le cas pour « l'Homme écrasé » de Laugerie-<br />
Basse.. Inversement, quand les pratiques funéraires étaient<br />
horss de doute, on en reculait la date au Néolithique, comme<br />
pourr les premières découvertes de Grimaldi.<br />
Maiss des découvertes plus récentes, en particulier celles<br />
qu'ontt amenées les fouilles instituées par le prince de Monaco<br />
àà Grimaldi en 1901, ont définitivement tranché la question,<br />
mêmee aux yeux de sceptiques de la première heure (1).<br />
Actuellement,, si nous n'avons aucune preuve de l'existencee<br />
de pratiques funéraires pour les époques chelléenne et<br />
acheuléenne,, dont les Hommes nous sont d'ailleurs mal<br />
connuss au simple point de vue anatomique, elle est établie<br />
pourr l'âge du Renne et même pour le Paléolithique moyen<br />
(Moustiérien)..<br />
Ill sera sans doute commode, avant d'entrer dans le détail<br />
dess faits, de donner une liste des principales trouvailles, en<br />
less ordonnant, non d'après la succession des découvertes,<br />
maiss d'après les périodes auxquelles elles se rapportent.<br />
AA l'époque moustiérienne remontent le squelette découvert<br />
enn 1908 au Moustier par Hauser, les squelettes trouvés à la<br />
Ferrassiee par MM. Gapitan et Peyrony, savoir un homme<br />
trouvéé en 1909, une femme en 1910, deux enfants en 1912;<br />
lee squelette découvert en 1908 par les abbés Bardon et<br />
Bouyssoniee à la Bouffia Bonneval à la Chapelle- aux-Saints<br />
(Corrèze),, les deux squelettes trouvés en 188G parM. de Puydt<br />
ett Lohest dans la terrasse devant la grotte de Spy près du<br />
moulinn de Goyet (province de Namur, Belgique).<br />
1,1)) Grim., t. II, p. 3-18 et 2
LELE CULTE DES MORTS 173 .<br />
AA l'époque aurig-nacienne appartiennent le squelette<br />
dépourvuu de son crâne découvert en 1823 par Buckland<br />
danss la grotte de Paviland sur la côte du Glamorg-anshire<br />
(Payss de Galles) et appelé la « Dame roug-e » (Red Lady),<br />
bienn qu'il ait probablement appartenu à un homme ; le squelettee<br />
trouvé en 1881 par le marquis de Rochebrune aux Cottes<br />
(Vienne);; les restes de cinq individus, notamment d'un<br />
vieillardd d'une soixantaine d'années, exhumés en 1868 par<br />
L.. Lartet de l'abri de Cro-Magnon, le squelette trouvé en<br />
18911 à 4 m - 5o de profondeur dans le loess de Brno<br />
(Moravie),, les 20 squelettes, dont i4 entiers, trouvés en 1894<br />
parr Maschka à Przedmost, le squelette trouvé en 1910 par<br />
Hauserr à Combe-Capelle (Dordogne), les squelettes (deux<br />
femmes,, dont une accompagnée de deux tout jeunes enfants,<br />
ett trois hommes, dont un d'environ 26 ans), découverts<br />
enn 1923 et 1924 à Solutré par MM. Depéret, F. Arcelin et<br />
Mayet,, enfin l'ensemble des découvertes des grottes des<br />
Baoussé-Rousséé à Grimaldi.<br />
Cee sont, dans la grotte des Enfants, les deux squelettes<br />
négroïdess f un adolescent de 16 à 18 ans et une vieille femme),<br />
découvertss en 1901 par le chanoine de Villeneuve à 7 m. 7;"»<br />
dee profondeur, le squelette d'un homme dans un foyer à<br />
77 m. o5 de profondeur et celui d'une femme trouvé à 1 m. 90<br />
dee profondeur dans les mêmes fouilles, les squelettes de<br />
deuxx enfants de 4 et 6 ans rencontrés à 2 m. 70 de profondeurr<br />
par E. Rivière en 1874 et 1870 et auxquels est dû le<br />
nomm sous lequel la grotte est désormais connue ; dans la<br />
grottee du Gavillon, le squelette masculin découvert à<br />
GG m. 55 de profondeur (E. Rivière, 1872); au Baousso da<br />
Torre,, trois squelettes découverts en 1873 par le même<br />
explorateurr (adulte à 3 m. 90 de profondeur, adolescent<br />
d'unee quinzaine d'années un peu plus haut, adulte en plein<br />
foyerr à 3 m. 76) ; à la Barma Grande, le squelette trouvé<br />
enn 1884 par Julien le long- de la paroi gauche de la grotte,<br />
àà 8 m. 4o de profondeur, les trois squeletLes allong-és côte à<br />
côtee découverts à environ 8 mètres de profondeur par Abbo
i744 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
enn 1892 (un homme, une femme encore jeune, un adolescent<br />
d'unee quinzaine d'années), deux autres squelettes découverts<br />
égalementt par Abbo en 1894, à 1 m. 60 au-dessus des précédents,,<br />
mais beaucoup plus près du fond de la grotte, et<br />
dontt le second, situé à environ 80 centimètres des pieds du<br />
précédent,, était assez incomplet et entièrement carbonisé.<br />
AA Tépoque solutréenne, appartiennent un squelette découvertt<br />
à Solutré en 1869 par l'abbé Ducrost et très probablementt<br />
le squelette d'un homme d'une trentaine d'années<br />
découvertt dans la grotte moyenne de la Klause à Neu-<br />
Essingg (Bavière) (fouilles de l'Institut de Paléontologie<br />
humaine,, 1913).<br />
Enfin,, comme découvertes d'âge magdalénien, on a<br />
1'' « Homme écrasé » trouvé en 1872 à Laugerie-Basse par<br />
E.. Massénat, le squelette découvert la môme année par<br />
L.. Lartet et Chaplain-Duparc sous l'Abri Duruthy à Sordes<br />
(Landes),, les restes osseux d'un adolescent de iG à 18 ans<br />
trouvéss en 18(j4 p&r Tournier et Guillon dans le plus ancien<br />
dess foyers de l'âge du Renne de la grotte voisine du moulin<br />
dess Iloteaux (commune de Rossillon, Ain), le squelette d'un<br />
vieillardd dune soixantaine d'années trouvé en 1888 par<br />
Féauxx et Hardy sous l'Abri de Raymonden (Chancelade), les<br />
deuxx squelettes, l'un masculin, l'autre féminin, d'Obercassel<br />
prèss de Bonn, dont la découverte a été publiée en 1914 par<br />
Verworn..<br />
Unee preuve décisive de l'intention funéraire est fournie<br />
parr les fosses artificiellement creusées dans lesquelles ont<br />
étéé rencontrés un certain nombre de cadavres, et qui se<br />
trouventt dès l'époque moustiérienne. A la Ferrassie, si le<br />
squelettee d'homme gisait dans une faible dépression de<br />
i55 centimètres de profondeur apparemment naturelle et qui<br />
see prolongeait en arrière vers la paroi rocheuse, la faible<br />
dénivellationn dans laquelle était logé le squelette de femme<br />
semblaitt avoir été un peu approfondie pour lui faire sa place.<br />
Enn tout cas, il n'y a aucun doute sur le caractère artificiel<br />
dess fosses dans lesquelles ont été retrouvés les restes fort
LELE CULTE DES MORTS 175<br />
endommagéss de deux enfants au voisinage immédiat dos<br />
deuxx squelettes précédents. L'une des deux fosses, de 3o centimètress<br />
de profondeur sur 70 centimètres de large, avait été<br />
creuséee dans la couche acheuléenne sous-jacente (1). Le<br />
squelettee de la Chapelle-aux-Sainls gisait dans une fosse<br />
àà peu près rectangulaire de 1 m. 45 de long, 1 mètre de<br />
largee et 3o centimètres de profondeur environ, creusée<br />
danss le sol marneux de la grotte (2). A Grimaldi, les deux<br />
squelettess négroïdes de la grotte des Enfants reposaient<br />
danss une fosse d'environ j5 centimètres de profondeur<br />
creuséee dans un foyer de telle sorte que la nuque de l'adolescentt<br />
reposait sur l'argile sous-jacente (3) ; le squelette<br />
trouvéé par Julien à la Barma Grande reposait dans une fosse<br />
peuu profonde revêtue d'un lit de pierres; la fosse dans<br />
laquellee gisaient côte à côte trois cadavres était manifestementt<br />
artificielle (4). Le squelette des Hoteaux se trouvait<br />
danss une petite fosse (5).<br />
Unn second mode de sépulture, tantôt combiné avec la<br />
fosse,, tantôt employé seul, consiste à entourer ou recouvrir<br />
less cadavres de matières dures, pierres ou fragments d'os.<br />
AA la Ferrassie, le squelette d'homme était surmonté de<br />
plusieurss moellons, l'un entre le ventre et la cuisse droite,<br />
unn autre contre l'avant-bras gauche, et deux ou trois autres<br />
poséss à plat sur la tête, qui s'était écrasée sous leur poids.<br />
Toutt le corps était- en outre recouvert d'une sorte de revêtementt<br />
d'éclats d'os presque tous utilisés (6). Le squelette<br />
duu Mouslier se trouvait également sous des fragments d'os<br />
animauxx ; sa tête s'appuyait à droite sur un lit de silex ; le<br />
nezz paraissait spécialement protégé par deux éclats. La<br />
têtee du squelette de la Chapelle-aux-Saints était appuyée<br />
contree la fosse dans un coin, calée par quelques pierres et<br />
(1)) BREU.L, L'A., t. XXXI, 192!, » . » « .<br />
«« BARUON et BOUYSSONIB. L'A., t. XXIV, 1913, p 630<br />
(3)) BOULE, Les hommes fossiles, 2e edit., p. 276; VCRMAU, LA., t. XIII, 1308,<br />
p.. 561.<br />
(4)) Grim., t. II, p. 298.<br />
^ i ^ t .. XXXI, 1«1, P. 343-344.<br />
G.-H.. LUQUET. - Art et religion des Hommes fossiles. 12
1766 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
recouvertee de larg-es plaques d'os (i). Une sépulture collective,,<br />
qui semble d'âge présolutréen, a été découverte par<br />
Maschkaa dans la station de Frzedmost (Moravie). Dans du<br />
loesss non remanié, sous-jacent à des couches intactes datées<br />
parr toute la faune pléistocène, 20 squelettes humains étaient<br />
réuniss sous un véritable couvercle de pierres, comme c'esl<br />
encoree l'usage de nos jours chez des peuples arctiques.<br />
i4,, parfaitement protégés par les pierres, étaient complets;<br />
less 6 autres, représentés seulement par quelques fragments<br />
dispersés,, ont été trouvés au voisinage des précédents, dans<br />
laa même couche archéologique, et étaient mêlés à divers<br />
ossementss d'animaux. Ces ossements ont été rongés par des<br />
carnassiers,, dont les dents ont laissé des traces évidentes (2).<br />
Less fouilles de Grimaldi ont fourni des données concordantes..<br />
Pour l'homme découvert par Rivière dans la grotte<br />
duu Cavillon, la base du crâne ainsi que la région postérieure<br />
duu tronc jusqu'au bassin avaient été appuyées sur quelques<br />
grossess pierres non taillées (3). Dans la grotte des Enfants,<br />
lee squelette masculin trouvé à 7 m. o5 de profondeur<br />
avaitt au-dessus de la tête une large et grosse pierre (qui<br />
d'ailleurs,, en ^'affaissant peu à peu, exerça sur le cadavre<br />
unee pression qui eut pour lui des conséquences fâcheuses).<br />
Saa tête était entourée par un blocage irrégulier; une<br />
plaquettee de grès était appliquée « comme un nimbe » en<br />
arrièree du crâne; au niveau des pieds, cinq pierres, couvrantt<br />
un espace de 80 centimètres, avaient été placées de<br />
champ,, dans une disposition manifestement intentionnelle (l\).<br />
Lee squelette féminin trouvé par le chanoine de Villeneuve<br />
était,, d'après les notes prises par lui au moment de la<br />
découverte,, « entouré de blocs; deux grosses pierres avaient<br />
étéé plantées verticalement, l'une au milieu du thorax, l'autre<br />
àà la base du bassin, comme pour fixer le corps dans la<br />
(1)) BARDON et BOUYSSONIE, L'A., t. XXIV, 1913 p. 629 et 030<br />
(2)) MASCIIKA, L'A., t. XII, 1901, p. 148.<br />
Jm K ' I HlvlfcRE > De l'MJUquilé de l'homme dans les Alpes Maritimes, Pari»,<br />
loii,, p. 131.<br />
(4)) Grim., t. Il, p. 23 et 262.
LELE CULTE DES MORTS<br />
1777<br />
fossee » (i). La tête de la vieille femme négroïde se trouvait<br />
entree deux blocs latéraux et une dalle horizontale qui reposait<br />
surr les autres à la façon d'une<br />
tablee de dolmen. Ces pierres<br />
avaientt été rapprochées assez<br />
soigneusementt pour former un<br />
petitt caisson hermétique, car il<br />
étaitt vide de terre au moment<br />
dee la découverte. Il devait<br />
existerr en outre une pierre de<br />
chevet,, mais elle n'a pas été<br />
vuee en place par le chanoine<br />
dee Villeneuve (2). A la Barma<br />
Grande,, le squelette découvert<br />
parr Julien était surmonté d'un<br />
blocc de pierre volumineux qui<br />
venaitt buter par une de ses extrémitéss<br />
contre la paroi, formantt<br />
ainsi une sorte de tombe;<br />
ill était couché sur un lit de<br />
pierress et sa tête était coincée<br />
entree deux grosses pierres (3).<br />
L'hommee trouvé par Abbo audessuss<br />
et en arrière de la sépulturee<br />
triple était recouvert en<br />
partiee par trois dalles calcaires.<br />
Deuxx d'entre elles, placées, l'une<br />
au-dessuss des jambes, l'autre<br />
au-dessuss des cuisses et de la<br />
partiee inférieure du tronc, reposaientt<br />
directement sur le sol;<br />
laa troisième, de forme irrégulièrementt<br />
triangulaire, mesurantt<br />
70 centimètres sur 66, et<br />
Fig.. 103. — Sépultures amignacienness<br />
de Solulré (S.-ct-L.)<br />
(d'aprèss DEPÉKI:T,ARCEUN et MAYET).<br />
(1)) Ibicl., p. 277. (2)) lhid., p. 23. (i)(i) Ibld., p. 22.
1788 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
quii s'étendait sur la partie supérieure du tronc et la tête,<br />
s'appuyaitt sur trois autres blocs de calcaire de 25 à 35 centimètress<br />
de diamètre (i).<br />
Chacunn des trois squelettes aurig-naciens (une femme et<br />
deuxx hommes) découverts à Solutré en 1923 avait sur les<br />
côtéss de la tête deux dalles calcaires, empruntées à la roche<br />
dee Solutré, hautes en moyenne de 5o centimètres et placées<br />
verticalement,.. Elles ne descendaient pas jusqu'au niveau de<br />
laa tête et sont considérées par les inventeurs comme de<br />
simpless repères des sépultures. Des deux squelettes découvertss<br />
en 1924, celui de femme n'avait aucune dalle; celui<br />
d'hommee était accompagné de trois dalles dressées, une de<br />
chaquee côté de la tête et une troisième, perpendiculaire aux<br />
deuxx autres, en arrière du crâne. Les cinq squelettes étaient<br />
enn rigoureux alignement Est-Ouest, les pieds à l'Est,<br />
chacunn séparé du suivant par un intervalle sensiblement<br />
égall à la longueur d'un corps humain (fîg-. io3) (2).<br />
Lee squelette de la Klause était enclavé entre des rochers<br />
tombéss du plafond qui avaient été légèrement aménagés pour<br />
luii faire place; au-dessus et au-dessous de la tête se trouvaitt<br />
un grand amas de fragments de défenses de Mammouth<br />
transforméss en brèche, peut-être en relation avec le dépôt<br />
funérairee (3). Une grosse pierre avait été placée en arrière<br />
delàà tête du squelette des Hoteaux (4). Le dessin publié de<br />
laa découverte du squelette de la grotte Duruthy ligure plusieurss<br />
blocs posés sur le crâne.<br />
Outree l'existence de fosses ou de tombes rudimentaires,<br />
onn peut encore considérer comme l'indice, sinon d'un culte,<br />
duu moins d'un respect des morts, l'intégrité de bon nombre<br />
dess squelettes retrouvés. Des cadavres simplement abandonnéss<br />
sur le sol, ou même ensevelis superficiellement<br />
commee l'exigeaient les instruments rudimentaires dont on<br />
(1)) R. VERNEAU, L'Homme de la Barma Grande, Baoussé-Houssé, 1908, p. 101.<br />
(2)) La Nature, n" du 3 novembre 1923 et du 14 lévrier 19*5<br />
(3)) L'A., t. XXV, 1914, p. 2G1-202.<br />
(4)) Grim., t. II, p. 308.
LELE CULTE DES MORTS • 179<br />
disposaitt à celte époque, offraient une proie facile aux carnassiers,,<br />
notamment aux Hyènes, et en fait divers indices<br />
ontont donné à penser qu'à Grimaldi les sépultures de la femme<br />
découvertee par Villeneuve dans la grotte des Enfants et de<br />
l'hommee trouvé à 3 m. go de profondeur au Baousso da<br />
Torree avaient été bouleversées par ces animaux. Les cadavress<br />
dont les squelettes ont été retrouvés intacts ont donc<br />
dûû être protégés contre les atteintes des carnassiers qui<br />
rôdaientt aux alentours par une occupation humaine des<br />
lieuxx où ils se trouvaient, occupation dont témoignent en<br />
outree les restes archéologiques retrouvés aux mêmes<br />
endroits.. Il y avait donc, au moins dans certains cas, cohabitation,,<br />
si l'on peut dire, des morts et des vivants, et ceuxcii<br />
devaient être incommodés par ceux-là, tout au moins,<br />
sanss parler de leur odeur, par la place qu'ils occupaient<br />
danss les abris. Si donc ces cadavres gênants n'ont pas été<br />
déplacés,, c'est sans doute que quelque motif antagoniste<br />
poussaitt les survivants à n'y pas toucher.<br />
Ett ces cadavres conservés dans l'abri étaient exposés à<br />
d'autress dommages que les atteintes des carnassiers, qui cessaientt<br />
lorsque la putréfaction était assez avancée. Précisémentt<br />
à partir de ce moment, les ossements, que les chairs ne<br />
reliaientt plus entre eux, auraient été dispersés par le va-etvientt<br />
des occupants de l'abri, si ceux-ci ne s'en étaient pas<br />
écartés.. Or, pour les deux cadavres de la Ferrassie, qui ne<br />
semblentt pas avoir été recouverts de terre, les ossements ont<br />
étéé retrouvés dans leurs connexions anatomiques. Le squelettee<br />
d'homme était intact, à part plusieurs phalanges de la<br />
mainn et du pied droit, qui avaient été dérangées et replacées<br />
surr la poitrine. Pour le cadavre féminin, seule la partie<br />
inférieuree du squelette était intacte; le thorax et l'épaule<br />
gauchee avaient disparu ; le crâne avait été brisé et éparpillé<br />
(maxillairee inférieur en contact avec le genou gauche, fragmentt<br />
du temporal droit près du coude); mais les dégâts de la<br />
partiee supérieure du squelette s'expliquent par la position du<br />
cadavre,, qui était, non horizontale, mais oblique, la partie
1800 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
supérieuree légèrement surélevée (i); par suite, lorsqu'au<br />
boutt d'un certain temps, le cadavre s'était trouvé recouvert<br />
parr la terre ou les débris résultant de l'occupation de la<br />
caverne,, la partie supérieure du corps, moins protégée par<br />
cee revêtement accidentel, avait été endommagée par le va-etvientt<br />
des occupants. Il semble donc que, pendant un certainn<br />
temps, les cadavres aient été respectés, au moins matériellement,,<br />
par les survivants.<br />
Onn peut encore considérer comme l'indice d'un certain<br />
respectt des cadavres aux temps paléolithiques le fait que<br />
nombree de squelettes retrouvés dans les fouilles étaient<br />
accompagnéss de parures, que nous avons décrites en<br />
détaill (2). Assurément celles-ci n'avaient en elles-mêmes<br />
rienn de spécifiquement funéraire : elles avaient sans doute<br />
appartenuu au défunt ; il avait dû les porter pendant sa vie,<br />
toutt au moins dans certaines circonstances solennelles, et<br />
peut-êtree d'une façon continue, car, bijoux ou amulettes, ils<br />
représentaientt une propriété, on pourrait dire toute sa fortune,,<br />
qui n'était nulle part aussi en sûreté que sur lui. Nous<br />
n'avonss donc aucun moyen de savoir, pour les cadavres qui<br />
n'ontt pas été l'objet d'une sépulture proprement dite, si les<br />
paruress leur ont été ajoutées après la mort comme suprême<br />
toilette,, ou s'ils ont été abandonnés par les survivants dans<br />
lee costume qu'ils portaient au moment de leur mort. Toutefois,,<br />
même dans cette hypothèse, il faut remarquer que cette<br />
parure,, qui représentait une richesse notable, ne leur avait<br />
pass été enlevée, ce qui prouve tout au moins que le cadavre<br />
avaitt protégé la parure, l'avait en quelque sorte rendue<br />
tabouu et avait par suite inspiré aux survivants une sorte de<br />
respect..<br />
Outree la parure qu'ils portaient, un certain nombre de<br />
cadavress étaient accompagnés d'un rudiment de mobilier<br />
funérairee qui semble avoir été placé à côté d'eux pour les<br />
accompagnerr dans leur vie posthume. Dès l'époque moustié-<br />
(1)) BREUIL, L'A., t. XXXI, 1921, p. 343-344<br />
(2)) Cf. ci-dessus, p. 51-55.
LELE CULTE DES MORTS 181<br />
rienn ne, on signale au Moustier de grands os et des silex<br />
remarquablementt taillés, notamment, à côté du bras gauche<br />
duu squelette, un coup de poing- et un racloir. Les squelettes<br />
dee la Ferrassie étaient recouverts de silex moustiériens d'une<br />
dimensionn et d'un travail tout à t'ait exceptionnels, nullement<br />
brûlés,, malgré leur présence au milieu de la cendre noire (i).<br />
AA la Chapelle-aux-Saints surtout, des traces assez caractériséess<br />
de mobilier funéraire ont été relevées au voisinage du<br />
squelette,, soit dans la fosse même qui le contenait, soit sur<br />
lee sol à ses abords immédiats. Dans la fosse, outre les silex<br />
recueilliss par un ouvrier qui y avait fouillé à l'insu des<br />
inventeurss et qui sont parmi les plus beaux de l'abri, les<br />
inventeurss signalent des éclats divers de silex de couleurs<br />
variées,, de quartz, de cristal de roche, plus ou moins retouchéss<br />
(en particulier, de beaux racloirs et un grattoir), quelquess<br />
fragments de grès très ferrugineux, mais non de l'ocre<br />
proprementt dite, un petit galet arrondi et plat. A côté de la<br />
fosse,, on a recueilli, du côté des pieds du squelette, un assez<br />
grandd nombre d'objets, notamment un beau racloir en<br />
silexx noir; du côté de la tête, des silex bien travaillés et des<br />
éclatss de quartz. On a trouvé également sur la droite, à<br />
proximitéproximité de la main, une patte de Bœuf avec les os dans<br />
leurss connexions anatomiques; en arrière, une portion<br />
notablee de colonne vertébrale de Renne, également en connexion,,<br />
et de nombreux os dispersés (surtout de gros fragments)..<br />
Il semble donc très vraisemblable qu'on avait déposé<br />
àà la portée du défunt des outils pour son usage et des pièces<br />
dee venaison pour sa nourriture (2).<br />
AA Grimaldi, dans la sépulture des négroïdes de la grotte<br />
dess Enfants, sans parler d'une dizaines de lamelles de silex<br />
quii n'avaient probablement pas été déposées intentionnellement,,<br />
on a trouvé une pastille de pierre bleue à gauche sur<br />
lee front de la vieille femme, un autre peut disque ou galet<br />
enn serpentine non perforé entre les deux têtes ; dans les<br />
(1)) BHEUIL, VA., t. XXXI, 1921. P-344.<br />
(2)) L'A., t. XXIV, 1913, p. 630-632.
1822 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
terres,, sur le bras droit du jeune homme une lame de silex,<br />
prèss du bassin et à la main gauche de la vieille femme deux<br />
petitss grattoirs (i). Le squelette d'homme trouvé dans la<br />
mêmee grotte à 7 m. i5 de profondeur avait une plaquette<br />
dee grès, rougie par le peroxyde de fer, « posée comme un<br />
nimbee » en arrière du crâne; à côté, une cheville de bois de<br />
Cerff en partie détériorée, une lame de silex; sous la tête, une<br />
pointee avec encoche naturelle et base taillée en foi me de<br />
grattoir;; aux pieds, une petite pointe; une autre à arête<br />
médianee entre le rocher et la cuisse droite ; un peu plus bas,<br />
unn éclat sans apparence de retouche ; au-dessous et en arrière<br />
dee la tête un burin (les instruments de silex pourraient<br />
n'avoirr pas été placés intentionnellement dans la sépulture<br />
ett s'être trouvés antérieurement dans le dépôt) (2). Le squelettee<br />
féminin découvert par Villeneuve à 1 ni. 90 environ de<br />
profondeurr était recouvert d'os animaux, de mâchoires de<br />
Sanglierr et de quelques éclats de silex. Il avait sous la tête<br />
unn galet blanc avec traces de couleur rouge et était littéralementt<br />
enseveli dans un lit de coquilles de Trochus, qui, non<br />
percées,, ne devaient pas faire partie d'objets de parure et qui<br />
see trouvaient, non seulement dans la terre au voisinage du<br />
cadavre,, mais aussi au milieu des ossements (3).<br />
AA la Barma Grande, l'homme découvert par Julien avait<br />
unn grand éclat de silex sous la tête et deux autres vers les<br />
épaules,, « comme des épauleltes » (4). Un assez gros morceauu<br />
de gypse se trouvait près de la main gauche de<br />
l'hommee qui gisait un peu en avant du sujet carbonisé, la<br />
têtee tournée vers l'entrée de la grotte (5). Dans la sépulture<br />
triple,, on a trouvé au niveau de la main gauche de l'homme<br />
unee fort belle lame de silex de 23 centimètres de long sur<br />
prèss de 5 centimètres de largeur maxima et dont l'une des<br />
extrémitéss était retouchée en grattoir. La femme avait dans<br />
(i;; Grim., t. II, p. 2G0 et pi. XXI et XXII.<br />
(2)) Ibid., p. 29-3U et 202 et pi. XXII<br />
(3)) Ibid., p. 31 et 278.<br />
{i){i) Ibid., p. 298.<br />
(5)) Ibid., p. 32.
LELE CULTE DES MORTS 183<br />
laa main gauche une mag-nifique lame de silex de 26 centimètress<br />
de long- sur 5 centimètres et demi de larg-e ; sa tête reposaitt<br />
sur un fémur de Bœuf, dont les condyles dépassaient en<br />
avantt du frontal. La tête du jeune homme reposait sur une<br />
grandee lame de silex mesurant 17 centimètres sur près de<br />
55 centimètres et dont l'extrémité la plus épaisse était retouchéee<br />
en forme de grattoir (1).<br />
L'hommee du Cavillon avait deux lames de silex triangulairess<br />
appliquées contre l'occiput ; dans le voisinag-e du corps<br />
see trouvaient des pointes à base fendue du type d'Aurignac,<br />
d'autress pointes, un métacarpien de Cheval, entier, perforé<br />
d'unn gros trou. Au Baousso da Torre, l'homme trouvé en<br />
pleinn foyer à 3 m. 75 de profondeur avait en travers de<br />
l'épinee scapulaire gauche une superbe lame de silex et<br />
prèss de la main un grand galet rougi par le fer oligiste.<br />
L'hommee au squelette bouleversé avait entre le bras gauche<br />
ett le thorax plusieurs pointes en os, dont une à base fendue<br />
duu type d'Aurignac (2).<br />
AA côté du squelette de Paviland se trouvait une tête entière<br />
dee Mammouth, encore armée de ses défenses. Près de la<br />
cuisse,, à l'endroit ordinaire de nos poches, et noyées dans<br />
laa couleur rouge, se trouvaient deux poignées de petites<br />
coquilless {Nerita littoralis) ; près de la poitrine, 4o à<br />
5oo morceaux de baguettes rondes en ivoire, dont une seule<br />
étaitt complète et avait environ 10 centimètres de long (3).<br />
AA Gro-Magnon, on recueillit au milieu des ossements des<br />
pendeloquess en ivoire, des bois de Renne travaillés et des<br />
silexx taillés (4).<br />
Avecc le squelette de Brno dont nous avons déjà signalé la<br />
paruree on a trouvé de grands disques en pierre perforés, de<br />
petitss disques gravés sur leur pourtour, trois disques pleins en<br />
côtess de Rhinocéros ou de Mammouth, trois autres découpés<br />
danss des molaires de Mammouth, enfin la célèbre statuette<br />
(1)) Ibid.,p. 33-34.<br />
(2)) Ibid., p. 31 et 298.<br />
(3)) Ibid., p. 304.<br />
(4)) Ibid., p. 304; Reliquise Aquitanicae, p. 70.
1844 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
enn ivoire représentant un personnage sans doute masculin et<br />
dontt il ne subsiste plus que la tète, le torse et le bras gauche<br />
(fig-.. io4); immédiatement au-dessus du squelette se trouvaientt<br />
une défense et une omoplate de Mammouth (i).<br />
Unn squelette solutréen découvert à Solutré par l'abbé<br />
Ducrostt avait sous la main droite deux grandes feuilles de<br />
SB--<br />
Fig.. 104. — Mobilier funéraire de la sépulture de Brno (Moravie).<br />
AA gauche, statuette humaine en ivoire, de face et de profil. Echelle : 1/3 (d'après<br />
MAKOWSKY).. A droite, rondelles (de haut en bas : en molaire de Mammouth,<br />
ivoire,, grès rouge et quartzite). Echelle : 3/5 (d'après BREUIL).<br />
laurier,, un grand nombre de plus petites et une valve de<br />
PectenPecten Jacobaeus percée d'un trou près de la charnière; il<br />
étaitt également accompag-né de deux grossières statuettes,<br />
bienn connues, taillées dans des fragments de molasse et figurantt<br />
des Rennes (2).<br />
(1)) OBERMAIER, Der Mensch der Vorzeit, p. 208. — DÉCHBLBTTE, Manuel, p. 285.<br />
—— BBKIUL, L'A., 192i, p. 54'.)-551.<br />
(2)) DUCROST et LORTET, Station préhist. de Solutré, Archives du Muséum d'Hist.<br />
nat.nat. de Lyon, t. I, 1872, p. 11; pi. VII, n" 8 et pi. V, n" 7, 8, 12 et 13.<br />
—— Rép., p. 178.
LELE CULTE DES MORTS 185<br />
Less deux squelettes d'Obercassel étaient accompagnés de<br />
quelquess os gravés. Le squelette des Hoteaux était accompagnéé<br />
de silex taillés et d'un « bâton de commandement »<br />
d'âgee magdalénien (i).<br />
Less objets industriels retrouvés dans le voisinage immédiatt<br />
des cadavres pourraient à la rigueur être considérés non<br />
commee déposés intentionnellement auprès d'eux, mais comme<br />
perduss fortuitement par les contemporains, au même titre<br />
quee les pièces découvertes dans les couches archéologiques.<br />
Maiss il est impossible de considérer comme accidentelle la<br />
présencee de l'ocre rouge (argile colorée par du fer oligiste ou<br />
peroxydee de fer) dont avait été saupoudrée en nombre de<br />
cass la région occupée par les cadavres, et qui a laissé ses<br />
tracess colorantes sur les squelettes et sur les objets environnants..<br />
A Grimaldi, la fosse de la sépulture triple de la Barma<br />
Grandee avait reçu un lit de terre rouge contenant une<br />
grandee quantité de fer oligiste; le crâne du squelette découvertt<br />
par Julien dans la même grotte était « dans un lit de<br />
terree rouge » et avait « comme une épaisse calotte d'ocre<br />
rougee » (2). Les os de l'homme du Gavillon, ainsi que la<br />
paruree qui l'accompagnait, étaient très saupoudrés de poudre<br />
rouge;; la même matière avait été déposée au devant de la<br />
bouchee et des fosses nasales dans une' sorte de sillon intentionnell<br />
de 18 centimètres de longueur, 4 centimètres de lar-<br />
•geurr et 3 cm. 1/2 de profondeur (3). Au Baousso da ïorre,<br />
lee squelette trouvé à 3 m. 70 de profondeur était saupoudré<br />
dee fer oligiste; l'homme placé sur un foyer à 3 m. 90 était<br />
couvertt d'une couche d'oxyde de fer assez forte pour que,<br />
danss certaines cavités osseuses naturelles, la cavité coronoïde<br />
dee l'humérus par exemple, elle atteignît près de 1 centimètre<br />
d'épaisseur,, comblant celle-ci entièrement (4)- Dans la grotte<br />
dess Entants, la parure de l'homme trouvé dans un foyer à<br />
77 m. i5 de profondeur et la plaquette de grès sur laquelle<br />
(1)) BOULE, Les hommes fossiles, 2- édiL.p. 269-270. - Bëp., p. 95, n«l.<br />
(t)(t) Grim., t. II, p. 299.<br />
(3)) lbid.,p. 298; RIVIÈRE, De l'antiq. de Th. dans les A. M., p. 131.<br />
(4)) (irira., t. II, p. 302.
1866 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
reposaitt sa tête étaient roug-ies par le peroxyde de fer. La<br />
sépulturee des négroïdes contenait de la poudre roug-e dans le<br />
blocag-e,, autour de la tête et par places sur le squelette du<br />
jeunee homme; par contre,la vieille femme de la même sépulturee<br />
ne présentait aucune trace rouge, sauf sur ses deux<br />
bracelets;; mais là, celle couleur devait provenir du peroxyde<br />
dee fer répandu sur le jeune homme (i).<br />
Lee cadavre de Paviland avait été saupoudré d'oxyde de<br />
ferr qui teignait la terre et le mobilier funéraire et en quelquess<br />
endroits formait couche à la surface des ossements (2);<br />
c'estt à cette particularité qu'est dû son nom de Dame<br />
roug-ee (lied Ladij) (le cadavre est d'ailleurs probablement<br />
masculin)..<br />
Lee squelette et quelques objets de la sépulture de Brno<br />
étaientt partiellement teintés de rouge (3). A Cro-Magnon, le<br />
crânee et le fémur du vieillard étaient rougis au contact de<br />
fragmentss d'hématile, onctueux au toucher, qui les avoisinaient;;<br />
la coloration est encore visible sur ceux des os (conservéss<br />
au Muséum de Paris) qui n'ont pas été lavés (4). Le<br />
squelettee de la Klause était complètement entouré d'une<br />
grandee masse de poudre rouge (5). A Chancelade, une<br />
couchee de peroxyde de fer répandue sur tout le squelette<br />
avaitt coloré les ossements d'une teinte rouge brique et sur<br />
certainss points violacée. « Cette couche ocreuse, ajoute<br />
Hardy,, n'était pas limitée à la sépulture et se trouvait, sur<br />
toutt le même horizon, dans toute l'étendue de la station;<br />
maiss le peroxyde de fer était en plus grande abondance<br />
auprèss du squelette humain et il n'est pas impossible que<br />
danss l'une des inondations dont la station gardait les traces,<br />
cee fer dilué se soit répandu un peu partout » (6). Le squelettee<br />
des Hoteaux était enveloppé d'ocre rouge, mélangée en<br />
(1)) lbid., p. 41 et 2G0-2C2.<br />
(2)) lbid., p. 304.<br />
(3)) BOULE, Les hommes fossiles, p. 2G8<br />
(4)) Grim., t. II. p. 304; Altam., p. 120<br />
(5)) VA., t. XXV, 1914, p. 261-262.<br />
(0)) HARDY, La station quaternaire de Raymonden, Paris, Leroux, 1891, p. 50
LELE CULTE DES MORTS 187<br />
petitess proportions avec de la terre ou de l'argile. Cette<br />
matière,, répartie inég-alement, formait de véritables plaques<br />
autourr de la tète, des vertèbres et des côtes. Les autres<br />
ossementss en étaients imprégnés et au-dessous du terreau<br />
noirr qui les recouvrait, on apercevait l'ocre rouge (i). Le<br />
squelettee d'homme et le squelette de femme découverts dans<br />
unn foyer à Obercassel avaient les os colorés en rouge (2).<br />
Immédiatementt au-dessus du squelette de la grotte Darutny,<br />
laa terre était extrêmement rouge.<br />
Dee ce qui précède il résulte, d'une façon purement objective,,<br />
sans hypothèse ni interprétation, que divers cadavres<br />
paléolithiquess ont été déposés dans des fosses, entourés ou<br />
recouvertss de pierres, ornés de parures et vraisemblablementt<br />
accompagnés d'un mobilier funéraire, couchés sur un<br />
litt d'ocre rouge et recouverts de la même substance. On a<br />
relevéé également des indices de pratiques plus particulières,<br />
maiss à litre plus ou moins exceptionnel et parfois problématique..<br />
Nous allons les passer brièvement en revue.<br />
Laa pratique de déposer le mobilier funéraire non dans la<br />
tombee même, mais dans une cachette distincte établie dans<br />
sonn voisinage, qui a été constatée notamment dans le monde<br />
égéenn aux âges du Cuivre et du Bronze, semble avoir existé<br />
déjàà chez les Paléolithiques. Il est au moins troublant de<br />
constaterr que des cachettes d'objets mobiliers ont été découvertess<br />
dans des grottes qui ont fourni également des sépultures..<br />
La plus remarquable de ces cachettes est celle qui a<br />
étéé fouillée en 1873 par E. Rivière dans la grotte du Cavillon<br />
quii lui avait livré l'année précédente « l'Homme de Menton ».<br />
Ellee contenait près de 8.000 (exactement 7.868) coquillages<br />
marinss dont environ un dixième (857) étaient percés. L'espècee<br />
dominante était Nassa neritea ; il y avait également<br />
diversess espèces de Cyprées, soit méditerranéennes, soit<br />
océaniquess (Cypraea europaea, C. lurida, C. phifsis,<br />
C.pyrum,C.pyrum, C./usca). Dans la même cachette se trouvaient<br />
(1)) TOURNIER et GUILLON, Les hommes préhistor. dans l'Ain, Bourg, 1895, p. 01.<br />
(2)) BOULE, Les hommes fossiles, p. 274.
1888 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
égalementt 4o petites vertèbres de poissons du genre Salmo,<br />
dontdont la moitié (26) percées au centre. Il est à noter, ce qui<br />
tendraitt à accentuer le rôle funéraire de ces objets de parure<br />
éventuels,, que « coquillages et vertèbres étaient tous recouvertss<br />
d'une couche de peroxyde de fer qui leur donnait une<br />
teintee rouge très prononcée et de ci de là un reflet métalliquee<br />
plus ou moins brillant de fer oligisle » (1).<br />
Déjàà pour l'époque moustiérienne, on a rencontré à la<br />
Ferrassie,, tout près et en avant des sépultures des deux<br />
enfants,, une fosse incontestable de 35 centimètres de profondeurr<br />
et à bords assez abrupts, qui contenait uniquement<br />
dee la cendre et de gros os appartenant surtout au Bœuf (2).<br />
Ill ne serait pas impossible qu'il y eût là un dépôt funéraire<br />
enn relation avec la sépulture. Il en serait de même d'une<br />
petitee excavation qui se trouvait à la Chapelle-aux-Saints, à<br />
Tentréee même de la grotte, soit à environ 4 mètres de la<br />
fossee funéraire, et qui contenait, cachées sous de gros blocs<br />
dee pierre, une corne de Bison accompagnée de gros os<br />
appartenantt notamment au crâne et à la colonne vertébrale<br />
(apophysess épineuses énormes), et au-dessous une jolie<br />
pointee en silex(3). La corne de Bison de la Chapelle-aux-<br />
Saintss rappelle d'une part la défense de Mammouth trouvée<br />
immédiatementt au-dessus du squelette de Brno et la tête de<br />
Mammouthh avec ses défenses qui accompagnait la « Dame<br />
rougee » de Paviland (4), d'autre part le bas-relief de Laussel,<br />
oùù une femme tient une corne dans la main droite (fig. 9).<br />
111 semblerait que les cornes et les défenses, c'est-à-dire les<br />
armess pointues de grosses bêtes, aient joué, pour une raison<br />
quii nous échappe, un rôle dans les rites funéraires et plus<br />
généralementt dans les croyances paléolithiques.<br />
Less inventeurs de la sépulture de la Chapelle-aux-Sainls<br />
1)) K. RIVIÈRE, Bull. Soc. (CAnlhropol.de Varis, 1903, p. 2(0 et bail. Soc.<br />
préhist.préhist. Fr.. t. I, 1904, p. 86.<br />
(2)) L'A., t. XXIV, 1913, p. 633; 13REUIL, L'A., t. XXXI, 1921, p. 344<br />
(3)) VA., t. XXIV, 1913, p. 033.<br />
(4)) La défense de Mammouth trouvée à Cro-Magnon n'a aucune relation avec les<br />
squelettess humains; fille était située 2 in. plus bas et 4 m. en avant, et séparée d'eux<br />
parr plusieurs étages de foyers (Fteliq. aquit., fig. 41 et 43;.
LELE CULTE DES MORTS 189<br />
ontt cru y trouver des traces d'un repas funéraire; mais leurs<br />
constatationss mêmes nous paraissent rendre leur conjecture<br />
peuu solide. En effet, ils ont trouvé dans cette grotte des os<br />
dee Renne appartenant à 22 individus au moins, de Bovidés<br />
(Bisonn et peut-être Bos primigenius, une douzaine d'individus))<br />
et de Cheval (deux ou trois individus) ( 1). Les quartierss<br />
de viande correspondant à cette quantité d'ossements<br />
n'ontt très vraisemblablement pas pu être consommés dans<br />
unn repas unique, quelque appétit que l'on accorde aux<br />
chasseurss moustiériens; d'autre part, étant donné le nombre<br />
minimumm des bêtes auxquelles appartenaient les ossements<br />
retrouvés,, et dont chacune a exig-é au moins un chasseur,<br />
sinonn pour la tuer et la dépecer sur le terrain de chasse, du<br />
moinss pour en rapporter dans l'abri les morceaux de choix,<br />
ill semble difficile d'admettre qu'une telle quantité de gibier<br />
ett de chasseurs se soit trouvée réunie le même jour. Il<br />
semblee donc, comme le disent eux-mêmes les inventeurs,<br />
quee des repas nombreux ou tout au moins multiples aient<br />
étéé pris dans l'abri (2) ; et comme il n'y a été trouvé qu'un<br />
seull cadavre, il est impossible de distinguer des autres repas<br />
celuii qui, par hypothèse, aurait accompagné ses funérailles.<br />
Pass davantage ne semble établie pour l'époque paléolithiquee<br />
la pratiqué du bris rituel des objets constituant le<br />
mobilierr funéraire. Une statuette de Renne trouvée par<br />
Ducrostt dans une sépulture solutréenne de Solutré n'avait<br />
pluss de tète; mais rien ne prouve que la fracture fût volontaire,,<br />
d'autant plus qu'une autre sculpture de même provenancee<br />
n'a jamais eu de tête. Deux sculptures magdaléniennes<br />
dee quadrupèdes en bois de Renne découvertes à Enlène par<br />
lee comte Begouen (fig-. /t8) (3) portent des traces manifestes de<br />
mutilationn intentionnelle. Malheureusement on n'a retrouvé à<br />
Enlènee aucune trace de sépulture, de sorte que si la fracture<br />
volontairee des objets semble bien incontestable, la destina-<br />
(1)) L'A., t. XXIY, 1913, p. 627.<br />
12)12) Ibid., p. 632.<br />
(3)) BEGOUEN, L'A., t. XXIII, 1912, p. 292-293 et 300-301. - Itep.. p. 03, a" 3-F.
1900 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
tionn funéraire de cette opération reste ici problématique.<br />
Less explorateurs de la Chapelle-aux-Saints ont, de leur côté,<br />
relevéé le fait que parmi les pointes en silex qu'ils ont trouvéess<br />
dans celte grotte, et ici au voisinage d'une sépulture,<br />
bonn nombre (3o pointes et 12 bouts) étaient brisées près de<br />
leurr extrémité pointue. Nous sommes pleinement d'accord<br />
avecc les inventeurs (1) pour considérer ces pointes non<br />
commee des armes (pointes de flèches ou de dards), mais<br />
commee des ustensiles de table destinés à fendre les os longs<br />
pourr en extraire la moelle, au même titre que l'un des rôles<br />
dess racloirs était de détacher la chair des os comme nous<br />
faisonss avec nos couteaux. Mais comme il y a eu à la Cliapelle-aux-Saintss<br />
des repas, qu'ils aient eu ou non une significationn<br />
funéraire, ces repas suffisent à expliquer la fracture<br />
dess pointes de silex, leur extrémité s'étant brisée dans l'os<br />
qu'elless servaient à fendre pendant qu'on faisait levier avec l'autree<br />
bout pour cette opération. Rien n'autorise donc à croire<br />
quee ces pointes aient été brisées exprès à l'intention du mort.<br />
L'incinérationn ne paraît pas avoir été pratiquée à l'époque<br />
paléolithique.. Les brûlures superficielles et irrégulières remarquéess<br />
sur certains squelettes de Grimaldi résultent de ce que<br />
less foyers sur lesquels ils ont été déposés étaient incomplètementt<br />
éleints; il en est probablement de même pour le<br />
squelettee carbonisé trouvé par Abbo à la Barma Grande sur<br />
unn foyer de 60 centimètres d'épaisseur : le cadavre aura été<br />
placéé sur ce foyer alors qu'il était encore ardent, sans que la<br />
combustionn des ossements ait été préméditée.<br />
Encoree problématique et contestée, mais selon nous fort<br />
vraisemblable,, est la pratique du décharnement présépulcral<br />
ouu sépulture en deux temps, dont l'existence aux temps<br />
paléolithiquess a été défendue notamment par Cartailhac{2).<br />
Onn doit, il est vrai, considérer comme inopérant l'argument<br />
tiréé du fait que dans deux squelettes, à Chancelade et au<br />
Baoussoo da Torre (l'homme à 3 m. yo de profondeur), cer-<br />
(1)) VA., t. XXIV, 1913, p. 816-618.<br />
(i)(i) Grim., t. II, p. 278, 298,299, 302, 303.
LELE CULTE DES MORTS 191<br />
tainess cavités osseuses naturelles, en particulier la cavité<br />
coronoïdee de l'humérus, étaient remplies de poudre rouge.<br />
L'ocree répandue sur les cadavres a été retenue dans ces<br />
cavitéss quand elle est venue à leur contact; mais y est-elle<br />
venuee au moment de l'ensevelissement d'un squelette<br />
décharnéé ou pour un cadavre non décharné après la putréfactionn<br />
des chairs, rien ne permet de le décider. L'examen<br />
dess objets provenant de la sépulture de Brno et du loess qui<br />
avoisinaitt le squelette a prouvé à Obermaier que la couleur<br />
rougee ne pouvait être considérée comme ayant été appliquée<br />
directementt sur les os décharnés, mais qu'elle était due à<br />
dess grains d'ocre répandus dans le sol et qui, se dissolvant<br />
auu contact des chairs lors de leur putréfaction, avaient teint<br />
less ossements et les objets voisins(i).<br />
Maiss un autre fait est déjà moins ambigu. Dans certains<br />
squelettes,, les ossements, plus ou moins incomplets, ne se<br />
trouvaientt plus dans leurs connexions anatomiques : tels<br />
étaientt notamment le squelette d'homme trouvé à 3 m. (jo<br />
dee profondeur au Baousso da Torre, la femme découverte par<br />
Villeneuvee dans la grotte des Enfants, et surtout le squelette<br />
dess Hoteaux, dont les deux fémurs étaient intervertis. Il est<br />
horss de doute que les os ont été placés par des Hommes dans<br />
unee position différente de celle qu'ils occupaient dans le<br />
cadavree immédiatement après la mort. On peut, il est vrai,<br />
admettree que le cadavre normalement inhumé a été plus<br />
tardd bouleversé soit par les carnassiers, soit même par des<br />
hommess qui s'étaient établis au-dessus de la sépulture, et<br />
ensuitee remis tant bien que mal en place.<br />
Maiss d'autres faits ne peuvent s'accommoder de cette<br />
explication.. Rivière a trouvé à la base de la grotte du<br />
Gavillonn un ensemble de trois ossements : un radius d'enfant<br />
briséé et deux os des pieds d'un homme, très fortement<br />
coloréss en rouge, ainsi qu'une série de coquillages, percés<br />
ouu non, semés au voisinage (2). Il semble bien qu'il y ait ici<br />
(1)) OBERMAIER., Der Mensch (1er Vorzeit, p. 298-299.<br />
(2)) Griin., t. II, p. 298.<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 13
1922 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
unn rite relatif à des ossements. Peut-être toutefois est-il<br />
légèrementt abusif de parler d'un rite funéraire, chaque<br />
individuu n'étant représenté que par un ou deux petits os. On<br />
songeraitt plutôt à une cachette d'amulettes; et peut-être<br />
est-cee de la même façon qu'il faudrait interpréter les nombreusess<br />
trouvailles d'ossements isolés, qui sont le plus souventt<br />
des mandibules ou des crânes. Une mention spéciale<br />
estt due aux crânes de la grotte du Placard (Solutréen supérieurr<br />
et Magdalénien ancien), qui portent des traces manifestess<br />
de décharnement intentionnel et que des retouches<br />
incontestabless ont transformés en coupes (i).<br />
Danss d'autres cas, qu'il est d'ailleurs assez malaisé de<br />
séparerr des précédents par une limite précise, il semble y<br />
avoirr eu réellement pratique funéraire. Dans la même grotte<br />
duu Placard, un crâne de femme entier (Magdalénien ancien),<br />
avecc son maxillaire, était placé sur un rocher, entouré de<br />
1700 coquilles d'espèces diverses, percées ou non (2). Au<br />
Pechh de l'Aze (Sarlat), un crâne d'enfant de 5 à 6 ans (moustiérien))<br />
était entouré d'ossements animaux brisés intentionnellementt<br />
(Dos, Cerf, Cheval, Renne peu abondant), de<br />
dentss et de nombreux racloirs et pointes bien retouchés (3).<br />
Unn squelette (moustiérien) aux membres inférieurs repliés,<br />
trouvéé en 1921 dans une fosse à la Ferrassie, avait son crâne<br />
privéé de face et de mâchoires placé à 1 m. 20 du corps (4)-<br />
Cess divers faits et d'autres moins nets donnent à penser que<br />
l'ensevelissementt (dans un sens très large) n'a pas été<br />
l'uniquee traitement appliqué par les paléolithiques à leurs<br />
morts;; en particulier, il semble y avoir eu inhumation ou<br />
expositionn de cadavres incomplets ou mutilés ou de parties<br />
restreintess du corps.<br />
Unee fois établies l'existence et, dans une certaine mesure,<br />
less modalités des pratiques funéraires, on peut se demander<br />
(1)) BREIIIL et OBERMAIER, L'A., t. XX, 1900, p 523 sa<br />
(!)/6id2111<br />
( ) , p 2 1 1 ..<br />
(3)) CAI'ITAN et PBÏRONY, Bull. Soc. anlhropol. de Paris, 1910, p. 48.<br />
(4)) CAPITAN et PEYRONY, Revue anlhropol., t. XXXI, 1921, p. 382-388.
LELE CULTE DES MORTS 193<br />
parr quels sentiments elles étaient inspirées et quelle conceptionn<br />
se faisaient de la mort les Hommes de ces âges lointains.<br />
Less soins rendus aux cadavres, dont la matérialité est<br />
établie,, s'adressent à un être qui n'a plus d'existence terrestree<br />
et impliquent par suite la croyance que le défunt<br />
conservee après sa mort une certaine existence. Cette vie<br />
posthumee paraît avoir été conçue comme semblable à la<br />
viee terrestre, soumise aux mêmes besoins auxquels il devait<br />
êtree pourvu par les mêmes procédés. Par là s'expliquent les<br />
paruress laissées aux morts, les mobiliers funéraires et, dans<br />
certainss cas, les provisions alimentaires (quartiers de<br />
venaisonn à la Chapelle-aux-Saints, monceau de Trochus<br />
accompag-nantt le squelette féminin de la grotte des Enfants).<br />
Onn a parfois tiré de l'attitude repliée ou ramassée (on<br />
devraitt bien renoncer à l'expression « attitude accroupie »,<br />
quii est tout à fait impropre pour des corps placés horizontalement))<br />
constatée pour divers cadavres des conclusions<br />
selonn nous abusives. Il est certain que la posture « en chien<br />
dee fusil » ressemble objectivement à celle du sommeil, surtoutt<br />
chez les primitifs; mais quand bien même elle aurait<br />
étéé donnée au cadavre pour symboliser l'analogie de la mort<br />
avecc le sommeil, cela ne nous apprendrait en rien si le<br />
sommeill mortel était considéré comme définitif ou simple<br />
mentt provisoire, suivi d'un réveil posthume. La disposition<br />
ramasséee a été également rapprochée de l'attitude du fœtus<br />
danss la vie intra-utérine, et l'on a voulu en conclure que la<br />
mortt était considérée comme la période initiale d'une vie<br />
nouvelle,, qui se préparait dans le sein de la « mère terre » (i).<br />
Maiss c'est là une conclusion arbitraire : il est très aventuré<br />
ett dans divers cas certainement erroné d'attribuer aux primitifss<br />
les connaissances sur l'attitude fœtale qui, en fait,<br />
mêmee dans notre civilisation occidentale, sont d'acquisition<br />
relativementt récente (2).<br />
Pourr les sentiments qui dictaient les soins donnés aux<br />
(1)) A. DIETEIUCH, Mutter Erde, Ein Versuch iiber Volksreligion, Leipzig, 1905.<br />
(8)) Cf. PLOSS-BARTELS, Das Weib, 8' édit., 1905, t. I, p. 824-831.
1944 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
cadavres,, une piété désintéressée telle qu'elle se rencontre<br />
chezz les civilisés actuels semble difficilement attribuable<br />
àà la rudesse de ces âges primitifs, et il semble infiniment<br />
pluss vraisemblable de considérer les pratiques funéraires<br />
commee dictées par des préoccupations utilitaires, et effectuéess<br />
bien moins dans l'intérêt des défunts que dans celui<br />
dess survivants. Les mesures prises envers les cadavres<br />
(fossess ou tombes) ont bien eu (et encore pas toujours) pour<br />
effett de les proléger contre les atteintes des fauves, mais il<br />
n'enn résulte pas que ce fût le but qu'on s'était proposé. Si,<br />
danss certains cas, on peut envisager comme explication de<br />
l'attitudee ramassée donnée aux cadavres déposés dans des<br />
fosses,, dont l'exécution exigeait un travail pénible avec<br />
l'outillagee rudimentaire du temps, le souci de réduire les<br />
dimensionss et par suite la difficulté de celles-ci, cette hypothèsee<br />
est inapplicable aux cadavres non déposés dans une<br />
fossee artificielle, et notamment au cadavre masculin de la<br />
Ferrassie,, placé dans une dépression naturelle qui se continuaitt<br />
en arrière et par suite aurait pu le contenir allongé;<br />
ett elle a contre elle la sépulture triple de la Barma Grande,<br />
oùù les cadavres étaient allongés, bien que placés dans une<br />
fossee artificielle.<br />
Dess cadavres repliés avaient, il est vrai, l'avantage de<br />
réduiree au minimum la place qu'ils occupaient dans l'abri et<br />
parr suite de les rendre moins encombrants pour les survivantss<br />
qui continuaient à l'occuper; mais, sans vouloir trop<br />
généraliserr en une matière où les faits sont extrêmement<br />
complexess et souvent discordants, il semble qu'au moins<br />
danss certains cas les survivants aient, comme les Veddas de<br />
Ceylan,, abandonné au mort l'abri où ils l'avaient enseveli,<br />
àà ce que donnent à penser les cadavres retrouvés sur des<br />
foyers,, qui par suite n'avaient plus été entretenus, et les<br />
épaissess couches stériles qui séparent certaines sépultures<br />
duu niveau archéologique supérieur.<br />
111 est donc douteux que, d'une façon générale, les pratiquess<br />
funéraires aient été dictées davantage par l'intérêt
LELE CULTE DES MORTS 195<br />
directementt utilitaire des survivants que par l'intérêt du<br />
défunt.. Il ne semble rester qu'une hypothèse, à savoir<br />
qu'elless aient eu pour objet de pourvoir de la façon la plus<br />
avantag-eusee pour les survivants aux relations que conservaientt<br />
avec eux les défunts ou leurs esprits.<br />
Ill reste extrêmement difficile de se prononcer sur les dispositionss<br />
prêtées à ces esprits. Se proposait-on simplement<br />
dee ne pas irriter des puissances sans mauvaises dispositions<br />
antérieuress en leur accordant des égards auxquels elles estimaientt<br />
avoir droit, ou voulait-on soit apaiser par des<br />
marquess de respect des puissances foncièrement malfaisantes,,<br />
soit les mettre matériellement hors d'état de nuire?<br />
Ill est bien difficile de choisir entre ces diverses conceptions,<br />
quii d'ailleurs se confondaient peut-être plus ou moins dans<br />
l'espritt des Paléolithiques, car l'ethnographie comparée nous<br />
présentee des conceptions différentes et même opposées,<br />
parfoiss juxtaposées dans un même milieu.<br />
Assurément,, dans des croyances qui subsistent jusque<br />
danss nos civilisations actuelles, les « revenants y, viennent<br />
exercerr des vengeances ou réclamer des soins posthumes<br />
dontt on ne s'était pas acquitté envers eux, et nous avons<br />
peinee à croire que la mort ait pu subitement modifier du tout<br />
auu tout les dispositions que les défunts avaient pendant leur<br />
viee pour leurs parents ou leurs amis : chez nous, les vivants<br />
prientt pour les morts et les morts pour les vivants. Mais il<br />
fautt se garder de transférer d'office nos propres conceptions<br />
auxx primitifs, et_, en se plaçant à leur point de vue, on comprendd<br />
sans peine que, selon eux, les morts, par le seul fait<br />
qu'ilss sont morts, prennent une attitude hostile envers les<br />
vivants,, même aimés pendant leur vie. D'une manière générale,,<br />
pour les primitifs, la mort comme la maladie est le<br />
résultatt d'une opération mag-ique, et les décès que nous<br />
considéronss comme produits par une cause naturelle sont<br />
attribuéss par eux à un acte de sorcellerie dont ils cherchent<br />
parr des procédés variés à découvrir les auteurs. Cela étant,<br />
onn comprend que les morts soient considérés comme ayant
1966 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
unee vengeance à exercer contre leurs meurtriers présumés,<br />
ett les survivants innocents peuvent craindre d'être victimes<br />
dee cette vengeance, ne fût-ce qu'en vertu de l'idée, égalementt<br />
fréquente, de responsabilité collective, dont on trouve<br />
unee survivance dans les vendettas corses. Il semble donc<br />
quee l'attitude essentielle envers les morts soit la crainte,<br />
ett que les pratiques funéraires soient, dans leur principe,<br />
dess mesures de protection contre eux. Les fosses et les<br />
tombess auraient été pour le mort non un abri, mais une<br />
prison,, et nous serions tenté de prendre à la lettre la<br />
remarquee du clianoine de Villeneuve que les pierres plantéess<br />
sur le cadavre féminin de la grotte des Enfants semblaientt<br />
avoir pour rôle de fixer le mort dans la fosse.<br />
Cettee interprétation nous semble confirmée par la dispositionn<br />
des cadavres. Pour les squelettes moustiériens de la<br />
Ferrassie,, celui de l'homme était étendu sur le dos, les<br />
jambess très ployées versées à droite, le bras gauche allongé<br />
lee long du flanc, le droit replié et relevé, la tête renversée<br />
enn arrière sur l'épaule droite fortement haussée, la bouche<br />
grandee ouverte à droite. La femme était couchée sur le<br />
flancc droit, les jambes très fortement repliées; l'avant-bras<br />
droitt fléchi s'appliquait le long de la cuisse, la main sur le<br />
genouu ; l'assemblage des jambes et de ce bras formait un<br />
N,, une distance de 16 centimètres seulement séparant<br />
l'épaulee du genou (i). A la Ghapelle-aux-Saints, le bras<br />
gauchee était étendu, mais le bras droit était probablement<br />
replié,, ramenant la main vers la tête ; les jambes aussi<br />
étaientt repliées et renversées vers la droite; elles étaient<br />
relevéess au point que les rotules se trouvaient à peu près<br />
auu niveau de la poitrine (2). Le squelette du Mouslier avait<br />
égalementt une attitude ramassée. La moitié droite de la<br />
têtee reposait sur l'avant-bras droit ; la main droite tenait la<br />
tête;; le bras gauche était étendu le long du corps (3). L'un<br />
(t)) BREUIL, VA., t. XXXI, 1921. p. 343-344.<br />
(2)) L'A., t. XXIV, 1913, p. 689-630.<br />
(3)) OBERMAIER, El Hombre fosil, 2' édit., p. 106.
LELE CULTE DES MORTS<br />
dess deux squelettes de Spy étaitcouchéé<br />
sur le côté, la main<br />
appuyéee contre la mâchoire<br />
inférieuree (i).<br />
AA Grimaldi, dans la grotte<br />
dess Enfants, les deux enfants<br />
découvertss par Rivière étaient<br />
couchéss sur le dos, avec les<br />
membress étendus et les coudess<br />
lég-èrement écartés du<br />
corpss (2). Des quatre squelettess<br />
rencontrés par Villeneuve,,<br />
la femme trouvée à<br />
11 m. 90 de profondeur et<br />
l'hommee à 7 m. o5 avaient<br />
touss deux la tête tournée à<br />
gauchee et les membres inférieurss<br />
allongés; mais tandis<br />
quee la femme (3) avait les<br />
membress supérieurs entièrementt<br />
allongés parallèlement<br />
auu corps, les avant-bras de<br />
l'hommee (%. io5) étaient<br />
trèss fortement fléchis, de sortee<br />
que les deux mains se<br />
trouvaientt au-devant du cou.<br />
Pourr les deux squelettes négroïdes,,<br />
celui du jeune hommee<br />
reposait légèrement sur<br />
lee côté droit. Son bras g-auche<br />
étaitt étendu le long du thorax<br />
ett l'extrémité inférieure de Fig.. 105. — Squelette masculin de<br />
sonn avant-bras se rapprochait laa grotte des Enfants.<br />
(Fouilless de VILLENEUVE) (d'après<br />
dee l'axe médian du corps, de<br />
VERNBAU)..<br />
(1)) DÉCHELETTE, Manuel, t. I, p. 280.<br />
(2)) HIVIÈRE, De l'Antiquité de l'homme dans les AIpes-Manlimes, pi. XIII.<br />
(3)) Grim., t. II, p. 27, fig-. 3.<br />
1977
1988 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
tellee façon que les phalanges de la main gauche ont été<br />
rencontréess sur l'os iliaque droit. Le membre supérieur<br />
opposéé se trouvait dans l'extension, mais il s'écartait quelquee<br />
peu du corps et gisait au-dessous de la colonne vertébrale<br />
ett du fémur de la vieille femme. Les fémurs étaient légèrementt<br />
fléchis et ramenés parallèlement du côté droit; les<br />
jambess étaient complètement ramenées sous les cuisses, au<br />
pointt que le talon gauche venait presque toucher la tubérositéé<br />
de l'ischion.<br />
Laa vieille femme était couchée à plat ventre à droite et<br />
au-dessuss du cadavre précédent; au moment de la découverte,,<br />
la face était dirigée verticalement en bas et la région<br />
occipitalee dirigée vers le haut. Les cuisses étaient fléchies au<br />
dernierr point, la droite appliquée le long de la colonne vertébrale,,<br />
la gauche longeant le thorax, de telle sorte que<br />
less genoux se trouvaient au niveau des articulations scapulo-humérales..<br />
Les jambes, à leur tour, étaient fortement<br />
fléchiess sons les cuisses, et les pieds revenaient vers le<br />
bassin.. Les avant-bras étaient repliés en haut, de façon que<br />
laa main gauche se trouvait au-dessus de l'omoplate. L'huméruss<br />
droit longeait la colonne vertébrale du jeune homme,<br />
lee coude s'écartanl un peu des côtes et la main venant s'appliquerr<br />
en avant du cou (fig. 106) (i).<br />
L'hommee du Cavillon était couché sur le côté gauche, les<br />
jambess assez fortement fléchies et les avant-bras repliés de<br />
façonn que les mains arrivaient au niveau du menton (fig. 107).<br />
AA la Barrna Grande, dans la sépulture triple, l'homme était<br />
allongéé sur le dos, la tête reposant sur le côté gauche; les<br />
membres,, aussi bien supérieurs qu'inférieurs, étaient e.oinplèlementt<br />
étendus; le bras gauche suivait une direction parai-;<br />
lèlee à l'axe du corps, le bras droit élail légèrement ramené<br />
danss le plan médian, de sorte que la main se trouvait enlre<br />
less deux fémurs. Les deux autres squelettes étaient couchés<br />
(1)) L'A. t. XIII, 1902, p. 566-5G7; Grim., t. II, p. 25-87 et 260. — Dans la figure<br />
quee nous reproduisons, la position de la lêle de la vieille femme a été inodiliée<br />
pourr montrer les caractères de la face; sa position au moment de la découverte est<br />
donnéee dans l'A., t. XIII, 190g, p. 567, Bg. 2 (VEIINEAU).
Fig.. 106. — Les deux squelettes de Négroïdes de la grotte des Enfants.<br />
(Muséee d'Anthropologie de Monaco)<br />
(d'aprèss VERNEAU).
2000 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
surr le côté gauche, avec les avant-bras fortement fléchis,<br />
less mains arrivant au niveau de la face. Les membres<br />
iR.. 107. — « L'Homme de Menton»<br />
(grottee du Cavillon).<br />
Photographiee prise sur place avant<br />
l'exhumationn (d'après RIVIÈRE).<br />
Fig.. 108.<br />
Sépulturee triple de la Barma Grande<br />
(d'aprèss VERNEAI;).<br />
inférieurss étaient étendus chez la femme, légèrement fléchis<br />
chezz le jeune homme (fig\ 108). Le squelette trouvé par Abbo<br />
unn peu plus haut que la sépulture triple et plus près du<br />
fondd de la grotte était dans le décubitus dorsal avec les
LELE CULTE DES MORTS 201<br />
membress inférieurs dans l'extension et les jambes croisées<br />
l'unee sur l'autre vers leur tiers inférieur. Les avant-bras<br />
étaientt fléchis, le gauche plus fortement que le droit. De ce<br />
dernierr côté, le bras était un peu écarlé du corps et la main<br />
venaitt s'appliquer sur la partie supérieure du thorax (i). Le<br />
squelettee découvert à côlé de celui-ci, bien qu'assez incom-<br />
Rg.. 109. — Squelette de Ghancelade (Dordogne)<br />
(d'aprèss HARDY et FÉAUX).<br />
plet,, permettait de reconnaître que les jambes avaient été<br />
relevéess dans la posture ramassée (2).<br />
L'' « Homme écrasé » de Laugerie-Basse était couché sur<br />
lee flanc gauche et ramassé sur lui-même, la main gauche<br />
souss le pariétal, la droite sur le cou, les coudes touchant à<br />
peuu près les genoux, un pied plus rapproché que l'autre du<br />
bassin.. Les os étaient en place; c'est à peine si l'on constataittait<br />
les résultats d'un très léger tassement des terres. La<br />
colonnee vertébrale était écrasée par l'angle d'un gros bloc et<br />
lee bassin était brisé (3). Le vieillard de Chancelade reposait<br />
(1)) Grim., t. II, p. 24-25 et p. 2G, fig. 2.<br />
(2)) OBERMAIEH, Der Mensch der Vorzeit, p. 189.<br />
(3)) CARTAILHAC, La France préhistorique, p. 110 et Bg. 4b.
LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
surr le côté gauche ; la tête était fortement inclinée en avant<br />
ett en bas ; la colonne vertébrale elle-même était incurvée en<br />
avantt de façon à revêtir dans son ensemble la forme d'un<br />
arcc à convexité dirigée en arrière. Les avant-bras étaient<br />
repliéss sur la poitrine et les mains se trouvaient reportées,<br />
laa gauche sur la face latérale gauche de la tête, la droite<br />
surr le côté gauche du maxillaire inférieur. Les membres<br />
inférieurss étaient, eux aussi, fortement fléchis, les pieds<br />
ramenéss à la hauteur des ischions et les genoux arrivant au<br />
contactt des arcades dentaires (fig. 109). L'espace occupé par<br />
lee squelette n'était que de 67 centimètres de long sur 4o de<br />
largee (1).<br />
Dee la comparaison de ces différents squelettes, en particulierr<br />
de ceux qui appartiennent à la région étroitement<br />
limitéee des Baoussé-Roussé, et notamment de ceux d'une<br />
mêmee grotte, il résulte que la disposition des cadavres n'était<br />
soumisee à aucune règle fixe. L'orientation du corps, relativementt<br />
soit aux points cardinaux, soit à l'axe et à l'ouverturee<br />
de la grotte, sa position (couché sur le dos, sur l'un ou<br />
l'autree flanc ou même sur le ventre), l'attitude (allongée ou<br />
fléchie)) donnée aux membres supérieurs et inférieurs, l'emploi<br />
dee l'ocre rouge présentent toutes les variétés imaginables,<br />
sanss qu'il soit possible de les rapporter à une différence ni<br />
d'époque,, ni de condition sociale (en prenant comme indice<br />
dee celle-ci la richesse de la parure), ni d'âge ou de sexe.<br />
Nouss relèverons spécialement que les femmes paraissent<br />
avoirr été traitées au point de vue funéraire exactement de la<br />
mêmee façon que les hommes, contrairement à une hypothèse,<br />
destinéee à expliquer la prépondérance numérique des figures<br />
fémininess par rapport aux figures viriles à l'époque aurignacienne,,<br />
d'après laquelle la femme n'aurait été considérée alors<br />
qnee comme une sorte de bétail. Pour nous borner aux<br />
sépulturess aurignaciennes de Grimaldi, la jeune femme<br />
placéee entre un homme et un adolescent dans la sépulture<br />
(1)) HARDY, La station quaternaire de Raymonden, Paris, Leroux, 1891, p. 49.
LELE CULTE DES MORTS 203<br />
triplee de la Barma Grande (fig, 108), la vieille femme<br />
négroïdee placée après coup dans la tombe d'un jeune<br />
hommee d'environ iG ans dans la grotte des Enfants (fig. 106),<br />
laa femme d'âge déjà avancé enterrée seule dans la même<br />
grotte,, établissent que les femmes n'étaient pas inhumées<br />
pourr accompagner dans la mort un mari ou un enfant, mais<br />
pourr leur compte personnel.<br />
Unee attention spéciale doit être accordée à la flexion plus<br />
ouu moins forte, parfois complète, des membres supérieurs ou<br />
inférieurs,, constatée sur nombre de squelettes. Non seulement,,<br />
comme l'a déjà signalé à propos du squelette de Ghanceladee<br />
(fig. 109) l'anatomiste Testut (1), c'est une position<br />
forcéee qui ne peut avoir été donnée au cadavre que par des<br />
mainss étrangères, ce qui suffirait à établir la réalité de pratiquess<br />
funéraires, mais encore elle implique que le corps<br />
aa été ligoté au moment de la mort, sans quoi il eût été<br />
impossiblee de la lui donner plus tard, à cause de la rigidité<br />
cadavérique..<br />
Laa question précise qui se pose est donc celle-ci : le<br />
cadavree a-t-il été ligoté pour lui donner la posture ramassée,<br />
ouu au contraire celle-ci est-elle le résultat du ligolage,<br />
ett n'était-ce pas ce dernier qui, dans l'intention des pratiques<br />
funéraires,, était l'élément essentiel ? La réponse ne semble<br />
pass douteuse. La posture ramassée donnée aux cadavres,<br />
répanduee chez les primitifs les plus variés sur toute la surface<br />
duu globe, est généralement liée à leur empaquetage, et toutes<br />
less fois que l'on a pu obtenir une explication précise de celte<br />
coutumee de la bouche de ceux qui la pratiquent, ils ont<br />
déclaréé qu'ils ligotaient le mort pour l'empêcher de « revenir t><br />
tourmenterr les vivants (2).<br />
Nouss ajouterons que si c'est le ficelage qui était l'opération<br />
essentielle,, on s'explique plus facilement la diversité d'alli-<br />
(1)) L. TESTUT, Recherches anthropol. iur le squel. de Cbancelade, Bull, delà<br />
Soc^.Soc^. anthropol. de iyon^,^ t. Belr^chtun'gen abêr Hockerbestattung, Archio far<br />
Anthropol,,Anthropol,, 1907, 'p. 282 sq.
2044 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
tudee présentée par les membres des squelettes : pourvu que<br />
less morts fussent solidement attachés de façon à ne pouvoir<br />
quitterr leur demeure mortuaire, l'attitude donnée aux<br />
membress pour cette opération n'avait qu'une importance<br />
secondairee et pouvait être abandonnée aux initiatives individuelles..<br />
Enn résumé, les faits constatés à propos des sépultures<br />
paléolithiquess donnent à penser que, dans les croyances<br />
d'alors,, les morts conservaient après le décès une vie analoguee<br />
à celle des vivants, soumise aux mêmes besoins<br />
auxquelss il devait être pourvu de la même façon, et pendantt<br />
laquelle ils conservaient avec les vivants des relations<br />
quee ceux-ci semblaient redouter et dont ils prenaient des<br />
précautionss pour se garantir.
CHAPITRECHAPITRE VII<br />
LAA RELIGION ET LA MAGIE<br />
Lee culte des morts, malgré sa parenté avec la religion au<br />
senss strict, s'en distingue en ce que les êtres auxquels il<br />
s'adressee ont été connus des survivants, avant leur mort,<br />
commee des Hommes ordinaires. La religion au contraire est<br />
relativee à des êtres considérés comme d'une essence non<br />
humaine,, alors même que des traditions lég-endaires leur<br />
attribuentt avec les Hommes des relations plus ou moins<br />
étroites,, entre autres celle de parenté.<br />
Unee fois la religion proprement dite définie de la sorte<br />
parr la nature des êtres auxquels elle se rapporte, en quoi<br />
consiste-t-ellee au juste?<br />
Sii complexe qu'elle soit et malgré l'infinie diversité des<br />
formess sous lesquelles elle se manifesle dans la réalité concrète,,<br />
elle nous semble caractérisée par une attitude de<br />
l'individuu tout entier, âme et corps, que nous appellerons<br />
dëoollon.dëoollon. Celle-ci a pour élément fondamental un sentiment,<br />
dontt l'absence constitue l'irréligion, sentiment qu'a l'individuu<br />
de sa faiblesse et de sa dépendance à l'égard de forces<br />
supérieuress ou divinités. Ce sentiment religieux, comme<br />
touss les sentiments, se manifeste par des actes qui en<br />
sontt l'expression.<br />
Laa dévotion ainsi entendue se spécifie sous des formes<br />
différentess selon les conceptions que l'individu se fait en<br />
mêmee temps de la nature des puissances supérieures et qui,<br />
danss les religions développées, constituent la théologie. La<br />
naturee des divinités conditionne leur activité ; comme tout
2066 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
être,, elles agissent selon ce qu'elles sont, et leur activité<br />
intéressee au plus haut point l'Homme qui doit en subir les<br />
effets.. Or, les relations entre l'Homme et les divinités peuventt<br />
être conçues, soit comme unilatérales, soit comme<br />
réciproques..<br />
L'Hommee peut croire que sa dévotion laisse la divinité<br />
absolumentt indifférente, n'exerce sur elle aucune influence;<br />
laa dévotion est alors uniquement une altitude d'abandon, où<br />
see combinent des éléments de révérence et de crainte et à<br />
l'occasion,, si la divinité est conçue comme bienfaisante, de<br />
reconnaissancee et d'amour, attitude entièrement désintéressée<br />
quee nous appellerons la piété.<br />
Maiss l'Homme peut croire également que la divinité n'est<br />
pass insensible à sa dévotion. La divinité ne fait en définitive<br />
quee ce qu'elle veut, mais la dévotion peut l'incliner à vouloirr<br />
ceci ou cela, et en particulier à vouloir et à accomplir<br />
dess actions avantageuses pour le dévot, de même que l'attitudee<br />
d'un Homme envers d'autres Hommes peut modifier<br />
leurss intentions ou leur conduite à son égard. Dans cette<br />
conception,, la dévotion, tout en reconnaissant que l'Homme<br />
nee peut se soustraire à la puissance divine, deviendra un<br />
moyenn de diriger celle-ci dans un sens favorable; elle<br />
prendraa un caractère utilitaire.<br />
Cettee conception de la dévotion, qui s'oppose à la piété<br />
désintéressée,, présente à son tour deux variétés différentes<br />
selonn l'efficacité qui lui est attribuée, selon que son influence<br />
surr la divinité est considérée comme simplement persuasive,<br />
susceptiblee d'échecs, ou comme rigoureusement contraignante,,<br />
autrement dit selon que la volonté divine est considéréee<br />
par rapport à la dévotion humaine comme libre ou<br />
déterminée.. Dans le premier cas, qui constitue la religion<br />
proprementt dite, le dévot se propose de toucher la divinité,<br />
dee se la concilier, sans être assuré du succès de sa tentative.<br />
DansDans le second cas, au contraire, qui caractérise la magie,<br />
laa divinité ne fait toujours que ce qu'elle veut, elle ne peut<br />
vouloirr autre chose que ce que le dévot veut qu'elle veuille.
LALA RELIGION ET LA MAGIE 207<br />
Lee dévot, devenu magicien ou sorcier, domine la volonté<br />
divinee dont il dépend. C'est, appliquée aux puissances<br />
divines,, la conception de Bacon sur les forces physiques —<br />
unn nom à peine différent pour les mêmes choses — que<br />
l'hommee s'asservit par la connaissance de leur nature et par<br />
dess pratiques appropriées, dont le succès est assuré si elles<br />
ontt été convenablement exécutées.<br />
Enn résumé, la relig-ion consiste dans une attitude à la<br />
foiss mentale et corporelle de l'homme, la dévotion, qui peut<br />
prendree les trois formes principales de la piété, de la relig-ion<br />
proprementt dite et de la mag-ie.<br />
Quell que puisse être l'intérêt de cette analyse théorique,<br />
less différentes formes d'attitudes relig-ieuses qu'elle disting-ue<br />
nee sont que des abstractions, des types purs; même dans des<br />
religionss développées et systématiques, même chez des individuss<br />
réfléchis, on en constate la coexistence, malgré leur<br />
incompatibilitéé foncière. C'est donc en vain, pensons-nous,<br />
qu'onn chercherait à discerner si l'attitude religieuse des<br />
Paléolithiques,, sur lesquels nous ne sommes renseignés que<br />
parr des vestiges peu nombreux et ambigus, mérite plutôt le<br />
nomm de religion ou de magie. Si l'on songe que notre philosophiee<br />
n'est pas encore arrivée, non seulement à résoudre le<br />
problèmee de la liberté humaine, mais peut-être même simplementt<br />
à en donner un énoncé exempt d'ambiguïté, on<br />
s'étonneraitt à juste titre que l'Homme préhistorique fût<br />
arrivéé à une conception nette de la volonté divine et de<br />
l'influencee éventuelle exercée sur elle par les pratiques<br />
rituelless issues de la dévotion. Pour cette époque, les mots<br />
dee magie et de religion nous semblent donc pouvoir être<br />
tenuss comme synonymes.<br />
Sii maintenant nous envisageons les opérations, pratiques<br />
ouu rites, de quelque nom qu'on voudra les désigner, par lesquelless<br />
l'Homme espère exercer une influence sur les forces<br />
dontt il dépend, on peut, d'après leur nature, les répartir en<br />
troiss catégories principales.<br />
Danss une première conception, connue sous le nom de<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et rel'glon des Hommes fossiles. li
2088 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
magiemagie sympathique, la vertu magique s'exerce par<br />
représentationn figurée; en fabriquant par la peinture, la<br />
gravuree ou la sculpture l'image d'un être, on acquiert par<br />
làà même la domination sur lui et on l'oblige ou tout au<br />
moinss l'incline à ce qu'on en désire.<br />
Danss une seconde conception des pratiques magiques,<br />
l'exécutionn d'images n'y joue aucun rôle; elles peuvent<br />
comprendree des cérémonies diverses, plus ou moins compliquées,,<br />
des actes mimiques ou vocaux, des incantations, des<br />
danses,, etc., mais aucune représentation figurée des êtres<br />
auxquelsauxquels elle s'adresse.<br />
Danss une dernière conception, intermédiaire entre les<br />
deuxx précédentes, la vertu magique appartient, comme dans<br />
laa seconde, à des cérémonies ; mais celles-ci s'adressent à des<br />
imagess de l'être sur lequel on veut agir ; par là elle exige,<br />
commee la première, l'exécution d'images. Mais cette exécutionn<br />
n'est pas par elle-même magique, et les images ou<br />
idolesidoles n'ont d'autre rôle que de recevoir les cérémonie<br />
rituelless seules efficaces.<br />
Bienn entendu, les conceptions ainsi distinguées par<br />
abstractionn peuvent se trouver réunies dans un même<br />
milieu.. Par exemple, des cérémonies effectuées devant des<br />
idoless et à leur intention peuvent venir renforcer la vertu<br />
magiquee que possèdent déjà ces images par le seul fait de<br />
leurr exécution ; ou encore des cérémonies rituelles non adresséess<br />
à des idoles peuvent consister à la fois en exécution<br />
d'imagess et en pratiques non figurées. Mais les trois conceptionss<br />
typiques que nous avons distinguées nous semblent<br />
tenirr compte de tous les éléments qui se rencontrent, isolémentt<br />
ou réunis, dans les pratiques magico-religieuses des<br />
milieuxx les plus divers.<br />
L'existencee à l'époque paléolithique de pratique magiques,<br />
quellee qu'en soit la nature, est vraisemblable a priori<br />
d'aprèss l'analogie présumable de la mentalité des Paléolithiquess<br />
avec celle des sauvages, confirmée par la constatation<br />
dee pratiques funéraires qui semblent avoir eu pour rôle
LALA RELIGION ET LA MAGIE 209<br />
d'exercerr une influence sur les esprits des morts . Mais il n'y<br />
aa là qu'une vraisemblance extrinsèque qui gagnerait à être<br />
renforcée,, si c'est possible, par des arguments intrinsèques<br />
tiréss des vestiges paléolithiques eux-mêmes. Ceux dont on<br />
peutt espérer obtenir des indications à ce sujet sont de deux<br />
sortes,, d'une part les représentations figurées, de l'autre des<br />
tracess non figurées laissées par l'accomplissement même des<br />
pratiquess rituelles.<br />
Pourr les représentations figurées, nous avons déjà eu<br />
l'occasionn de les étudier à propos de la destination magique<br />
quii leur a été attribuée (i); il suffira donc ici de rappeler nos<br />
conclusionss sur ce point. La destination magique nous<br />
semblee extrêmement vraisemblable pour les images d'animauxx<br />
blessés correspondant à des pratiques d'envoûtement ;<br />
nouss considérons au contraire comme très problématique<br />
l'intentionn magique pour les scènes de la vie journalière, de<br />
guerree ou de chasse, et pour les représentations isolées<br />
d'animauxx non blessés ou d'hommes.<br />
Toutefois,, parmi ces représentations non magiques en<br />
elles-mêmes,, il en est qui pourraient figurer soit des divinités,<br />
soitt des sorciers dans l'exercice de leurs fonctions et qui, à ce<br />
titre,, révéleraient des croyances ou des pratiques magiques.<br />
Cee sont des figures qui, de forme humaine dans l'ensemble,<br />
présententt des détails correspondant à des caractères animaux..<br />
Les discussions auxquelles ont donné lieu ces « masquess<br />
quaternaires » (2) n'ont plus guère, à l'heure actuelle,<br />
qu'unn intérêt rétrospectif.<br />
Enn effet, les adversaires étaient, implicitement ou même<br />
expressément,, d'accord sur deux points : d'abord que l'existencee<br />
de « masques » paléolithiques n'avait rien d'impossiblee<br />
et était même vraisemblable d'après les parallèles<br />
ethnographiques,, ensuite que pour transformer celle vrai-<br />
(1)) Cf. ci-dessus, p. 115-121.<br />
\i)\i) W. DEONNA, L'A., t. XXV, 1914, p. 107-113 et 597-598; Revue archéol.,<br />
19155 I i> 172-176. — BREUIL, L'A., t. XXV. 1914, p. 420-422; Revue, archéol.,<br />
1914,'' It, p. 300-301. — LUQUET, L'A., t. XXI, 1910, p. 409-423; l. XXX, 1919,<br />
p.. 388 389.
2100 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
semblancee en certitude, il fallait trouver dans les images<br />
paléolithiquess des figures réunissant des caractères humains<br />
ett des caractères animaux également incontestables. C'est<br />
Fig.. HO. — Figure anthropoïde (Homme à grande barbe, avec queue de<br />
Chevall et peut-être ramure de Cerf).<br />
Gravuree sur plaque de schiste (Lourdes). Grandeur vraie (d'après BREUIL).<br />
surr l'existence de figures de ce genre que portait le débat.<br />
Less documents alors connus présentaient bien des figures<br />
réunissantt à des caractères humains incontestables des caractèress<br />
ambigus ; mais c'est sur l'interprétation de ces derniers
LALA RELIGION ET LA MAGIE 2111<br />
quee les adversaires n'étaient plus d'accord. Pour les uns, ces<br />
caractères,, n'étant pas manifestement humains, étaient animaux;;<br />
pour les autres, n'étant pas manifestement animaux,<br />
cee n'était que des caractères humains mal dessinés. Le différendd<br />
se réduisant ainsi à une opposition d'impressions<br />
subjectives,, il était évidemment insoluble tant que, si l'on<br />
peutt dire, le dossier resterait en l'état ; mais d'autre part, il<br />
Fig.. 111. — Figures anthropoïdes (Hommes à tête de Chamois).<br />
Gravuress sur bâton troué en bois de Cerf (Abri Mège à Teyjat, Dordogne).<br />
Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />
devaitt forcément être tranché du jour où l'on disposerait de<br />
figuress humaines présentant des caractères non plus seulementt<br />
ambigus, mais indiscutablement animaux. Or, on<br />
connaîtt aujourd'hui des images remplissant ces conditions.<br />
Laa tête d'un Homme à longue barbe et queue de Cheval<br />
gravéé sur schiste de Lourdes (fig. no) semble surmontée<br />
d'unee grossière ramure de Cerf. Les bonshommes gravés<br />
surr un bâton à trou en bois de Cerf de Teyjat (fig. m) ont<br />
dess têtes de Chamois très reconnaissables ; une figure masculinee<br />
gravée sur un galet de la Madeleine (fig. 112) a la tête<br />
surchargéee d'un masque distinct. Enfin la figure gravée et<br />
peintee sur paroi de la grotte des Trois Frères (fig. 119), avec<br />
saa queue de Cheval et sa tête barbue à oreilles et bois de<br />
Cerf,, ne laisse place à aucun doute.
2122 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
Ainsii l'existence de figures réellement hybrides, mi-partie<br />
humainess et animales, parait désormais hors de doute, et si<br />
less spécimens incontestables sont forcément en nombre restreint,,<br />
les exemples moins nets qui, à eux seuls, ne permettaientt<br />
pas de conclusion ferme, acquièrent, éclairés par eux,<br />
unee valeur atténuée, mais réelle.<br />
Quellee est maintenant la signification de ces figures? Deux<br />
Fig.. 112. — Figures anthropoïdes (probablement femme et homme masqués).<br />
Gravuress sur lès deux faces d'un petit galet de calcaire dur (La Madeleine,<br />
Dordogne.. Fouilles GAPITAN et PEYRONY). Grandeur vraie (d'après BRELIL).<br />
interprétationss sont possibles : elles peuvent représenter ou<br />
bienn des êtres conçus comme ayant une nature à la fois<br />
humainee et animale, c'est-à-dire des divinités, ou bien des<br />
hommess revêtus d'un déguisement animal correspondant<br />
àà des pratiques céréironielles qui, d'après les parallèles<br />
ethnographiques,, avaient selon toute vraisemblance un<br />
caractèree magico-religieux. Ces deux interprétations ne sont<br />
d'ailleurss pas exclusives l'une de l'autre, et il est possible<br />
quee certaines figures aient été déterminées par la première<br />
intentionn et d'autres par la seconde. En tout cas, l'interprétationn<br />
qui les considère comme représentant des hommes<br />
déguiséss semble la plus fondée objectivement à cause de<br />
laa gravure de la Madeleine où le visage humain est figuré<br />
souss le masque. D'autre part, on s'explique comment la<br />
pratiquee des déguisements magiques a pu contribuer à la
LALA RELIGION ET LA MAGIE 213<br />
croyancee en des divinités hybrides. Le pouvoir des sorciers,,<br />
occasionnels ou professionnels, étant attribué à leur<br />
déguisement,, il en résultait une association d'idées entre<br />
l'aspectt à la fois humain et animal du sorcier et la puissance<br />
magique,, et par suite il était tout naturel de concevoir sous<br />
laa même forme hybride les divinités qui disposaient d'une<br />
puissancee analogue. En outre, les êtres mixtes vus effectivementt<br />
dans les cérémonies magiques par les Paléolithiques<br />
leurr laissaient des images visuelles qui, à cause de l'intérêt<br />
vitall qu'avaient pour eux ces cérémonies, ne pouvaient<br />
manquerr de réapparaître dans leurs song-es et dans les états<br />
dee transe des sorciers. Mais pour des primitifs, il n'existe<br />
aucunee différence entre la perception réelle et l'image hallucinatoiree<br />
; les êtres mixtes vus en rêve étaient des êtres<br />
existantss et, comme ce n'était pas des hommes, ce ne pouvaitt<br />
être que des divinités. On conçoit ainsi d'une façon à la<br />
foiss satisfaisante pour notre esprit et fondée sur la mentalité<br />
primitivee comment la croyance à des divinités mixtes a pu<br />
sortirr de la pratique des déguisements, et cette interprétationn<br />
présente le maximum de vraisemblance qu'il soit<br />
permiss d'espérer dans une reconstruction de ce genre.<br />
Quoii qu'il en soit, que les figures hybrides représentent<br />
dess divinités ou des sorciers, elles témoignent avec la plus<br />
grandee probabilité de l'existence de pratiques et de croyances<br />
magico-religieusess à l'époque paléolithique. Il faut du reste<br />
noterr que, si elles figurent des sorciers, l'attribution d'une<br />
vertuu magique à la représentation en elle-même est particulièrementt<br />
douteuse dans ce cas, et si elles figurent des divinités,,<br />
nous ignorons si les rites comprenaient, outre la<br />
représentationn artistique, des cérémonies, soit indépendantes,,<br />
soit adressées à ces idoles.<br />
C'estt en vain, selon nous, qu'on a cherché dans certaines<br />
imagess des indications plus précises sur la nature de ces cérémonies..<br />
Une gravure de Chancelade (fîg. 113) pourrait représenterr<br />
une procession d'êtres humains, disposés en deux<br />
filess d'après le procédé que nous avons appelé rabattement;
2144 LALA RELIGION PALEOLITHIQUE<br />
l'unn des personnages semble même tenir une sorte de<br />
palme.. Dans une autre gravure du Château des Eyzies<br />
(fig.. n3), on voit également deux rangées de personnages<br />
dontt chacun semble porter un bâton sur l'épaule, faisant face<br />
àà un Bison et intercalés entre des figures dont on se<br />
demandee si ce sont des arbres ou des mains. Mais dans tous<br />
Fig.. H3. — Représentations de processions (?)<br />
Enn haut : gravure sur lame d'os (pendeloque?) (Abri de Haymonden, Chancelade,<br />
Dordogne).. Grandeur vraie (d'après BREUIL). En bas : gravure sur côte (Abri du<br />
Château,, les Eyzies, Dordogne). Echelle : 2/3 (d'après PEYRONY).<br />
cess exemples, la grossièreté du dessin rend l'interprétation<br />
incertaine.. Il en est de même pour deux peintures rupestres<br />
d'Alperaa où l'on pourrait voir l'exaltation d'une idole. Au<br />
Quesoo (fig. i i4), une petite figure humaine remarquablement<br />
bienn faite a l'apparence d'une idole qu'élèverait, en la tenant<br />
parr le pied, un personnage très peu soigné; mais la dilïérencee<br />
de facture des deux images donne à penser qu'il n'y a<br />
làà que juxtaposition accidentelle de deux dessins d'auteurs<br />
différents.. Dans une peinture de la Vieja (fig. 115), une femme<br />
soutientt de son bras gauche un objet dont l'aspect d'en-
LALA RELIGION ET LA MAGIE 2155<br />
semblee est celui d'une statuette assez informe. Bien que la<br />
rochee présente autour de cet objet différentes figures sans<br />
relationn avec lui, notamment une flèche, le geste du bras<br />
trèss étendu semble indiquer qu'il ne s'agit pas d'une simple<br />
juxtapositionn fortuite et que l'artiste a réellement voulu<br />
Fig.. i 14. — Figures humaines en rouge clair, sous-jacentes à un Bouquetin<br />
enn brun foncé (abri del Queso à Alpera, province d'Albacetc, Espagne).<br />
Echellee : 1/3 (d'après BREUIL).<br />
représenterr une femme soulevant un objet ; mais la représentationn<br />
de celui-ci est trop grossière pour qu'on puisse<br />
affirmerr qu'il s'agit d'une statuette et a fortiori d'une idole.<br />
Danss un relief aurignacien de Laussel (fig. 9), une femme<br />
tientt un objet qui a tout l'air d'une corne; mais rien ne<br />
garantitt que cette corne ait une signification religieuse.<br />
Onn a considéré également certaines images paléolitliiques<br />
commee représentant des danses rituelles. Il convient, pour
2166 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
discuterr cette interprétation, de disting-uer deux sortes de<br />
danses,, |à savoir les danses g-ambadées, à mouvements violentss<br />
des membres, en particulier des jambes, et les danses<br />
pluss graves, analogues à nos danses de caractère. En ce qui<br />
concerneconcerne d'abord celles-ci, c<br />
n'estt pas l'altitude donnée aux<br />
membress dans la représentation<br />
quii permettra de considérer les<br />
personnag-ess comme dansant<br />
plutôtt que comme marchant ou<br />
«« passant », c'est-à-dire figurés<br />
danss une attitude neutre; il faudraa<br />
donc que quelque autre<br />
caractèree de l'imag-e permette<br />
dee conclure à une activité cérémonielle..<br />
C'est ainsi que la questionn<br />
se pose en termes précis<br />
pourr le célèbre ensemble de<br />
figuresfigures de Cogul (fig-. 116).<br />
Objectivement,, il comprend<br />
neuff femmes réparties en deux<br />
_.. ' _. groupes, l'un de cinq à g-auche,<br />
Fig.. US. — Figures féminines, „ , l . .<br />
dontt l'une soulève un objet qui 1 autre de quatre à droite d'une<br />
Viejaa à Alpera, province d'Al-<br />
aa l'air d'une idole (Abri de la figure masculine, et leur réu-<br />
bacete,, Espagne).<br />
Echellee : 3/16 (d'après BRKUIL).<br />
nionn autour de celle-ci est la<br />
seulee raison qui autorise à parlerr<br />
d'une scène relig-ieuse : la<br />
fig-uree virile représenterait soit un sorcier, soit peut-être,<br />
pourr tenir compte de sa petite taille, une idole à qui s'adresseraitt<br />
la cérémonie. Il faut donc examiner soigneusement si<br />
laa réunion des dix figures correspond réellement à un groupe<br />
voulu,, ou s'il n'y aurait pas simplement juxtaposition fortuite,,<br />
comme il s'en présente précisément des exemples sur<br />
lee panneau qui nous occupe. La dame n° 7 oblitère un<br />
petitt animal roug-e uni certainement plus ancien, dont elle<br />
nee laisse subsister que l'arrière-train. Sous les dames 3, l\
Fig.. 116. — Peinture rupeslre de Cogul (province de Lerida, Espagne).<br />
Echellee : 1/4 (d'après BREUIL).
2188 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
ett 5 se trouve une petite figure humaine schématique en<br />
rougee plat, réduite à deux jambes écartées, un petit torse<br />
cambréé et une tête en ellipse horizontale très aplatie comme<br />
cellee du chasseur de Bison peint sur la même roche, vraisemblablementt<br />
plus ancienne que les dames, et une Biche<br />
peintee en noir uni avec épargne centrale dont le rapport<br />
chronologiquee aux dames est difficile à préciser, mais qui<br />
n'aa certainement aucun rapport avec elles, pas plus que le<br />
petitpetit bonhomme rouge. Cependant les neuf figures féminines,,<br />
malgré des différences de couleur qui doivent résulter<br />
dee réfections successives, semblent bien avoir été conçues<br />
commee formant un groupe; on dirait même que l'une d'elles<br />
tendd les bras vers ses deux voisines, qui d'ailleurs ne paraissentt<br />
guère s'en soucier, comme pour former une chaîne.<br />
Maiss la question la plus importante est de savoir si ce<br />
groupee de femmes forme avec la figure masculine un<br />
ensemblee voulu. On a parlé d'un rite de fécondité; mais,<br />
sanss revenir sur la critique générale que nous avons déjà<br />
adresséee à l'idée d'un culte de la génération chez des peupless<br />
chasseurs (i), il semble que, dans cette hypothèse, la<br />
figurefigure correspondant au principe fécondant, satyre ou idole,<br />
devraitt être ithyphallique, ce qu'elle n'est pas en réalité. Le<br />
stylee des figures me semble présenter des différences qui<br />
inclineraientt à les rapporter à des auteurs différents : j'opposeraii<br />
nettement les bras coudés des dames aux bras d'une<br />
seulee pièce de l'homme, ses jambes rectilignes et filiformes<br />
auxx jambes plus épaisses et à genoux et mollets plus ou<br />
moinss accentués des dames. C'est là, il est vrai, affaire<br />
d'impressionn subjective; mais la couleur brun foncé de la<br />
figurefigure virile diffère de celle des dames noires qui s'en rapprochentt<br />
le plus. Enfin, cette figure, qui ne présente pas de<br />
tracess de réfection, semble postérieure à l'une des dames<br />
surr laquelle elle empiète légèrement. Le personnage masculinn<br />
aurait donc été ajouté à un tableau qui, primitivement,<br />
(1)) CC ci-dessus, p. 124-125.
LALA RELIGION ET LA MAGIE 219<br />
nee comprenait que les dames. Pour ces diverses raisons, il<br />
restee permis d'hésiter à voir dans le panneau de Cogul la<br />
représentationn d'une cérémonie rituelle.<br />
Enn ce qui concerne maintenant les danses gambadées, on<br />
peutt alléguer en faveur de leur existence des fîg-ures<br />
humainess qui, par leur attitude générale et le mouvement de<br />
leurss membres, ont l'air de danser. Mais, ici comme pour la<br />
questionn des masques, il faut examiner soigneusement si<br />
l'attitudee du personnage dessiné ne s'expliquerait pas aussi<br />
bienn ou même mieux par d'autres raisons que l'intention de<br />
l'artistee de figurer un danseur. Le « danseur » du Mas d'Azil<br />
(fig.. 45 n ° 5) a exactement le même mouvement que d'autres<br />
bonshommess d'AHamira, des Combarelles et de la grotte<br />
Davidd à Cabrerets (i), dont certains n'ont jamais été interprétéss<br />
comme dansant. Ici comme là, l'aspect de la figure<br />
(bras,, coudés ou non, allongés en avant à peu près perpendiculairementt<br />
au corps, jambes coudées au genou et faisant<br />
avecc le tronc un angle plus ou moins obtus) s'explique suffisammentt<br />
par une technique graphique primitive : ce sont,<br />
nonn des danseurs, mais des bonshommes articulés à la façon<br />
dee nos pantins, et en même temps des quadrupèdes partiellementt<br />
redressés, mais que les artistes n'ont pas encore su<br />
amenerr complètement à la station droite (2).<br />
Laa représentation de la danse semble plus probable dans<br />
deuxx figures de la Vieja, voisines et presque identiques<br />
(fig.. 117). Objectivement, ce sont des hommes de face à tête<br />
dee profil, à jambes écartées et ployées. Le rendu réaliste du<br />
mouvement,, sinon dans son exécution, du moins dans son<br />
intention,, qui caractérise tous les personnages de ce style,<br />
nouss semble interdire de considérer l'attitude des jambes<br />
commee un simple mouvement de pantin. Elle doit être<br />
voulue,, et d'autre part, elle ne semble pas correspondre à<br />
unee attitude de chasse, d'après la façon dont sont portés l'arc<br />
(1)) fie/)., p. 7 et p. 8, n" 1 et 6 (Altamira) ; p. 57, n" 1-3 (Combarelles). — Revue<br />
anthropoloqique,anthropoloqique, 1924, p. 165 sq. (grotte David).<br />
(2)) Cf. LUQUET, VA., t. XXI, 1910, p. 414-422; t. XXX, 1919, p. 389, note 1.<br />
—— Gomb., p. 114-116.
2200 LALA BELIGIOX PALÉOLITHIQUE<br />
ett les flèches, celles-ci la pointe en bas, celui-là tenu verticalementt<br />
par l'extrémité inférieure du bois, la corde en dehors.<br />
Ill ne s'agit évidemment pas de chasseurs en train de tirer de<br />
l'arc,, et il ne paraît pas s'agir davantage de chasseurs allant<br />
au-devantt du gibier à une allure plus ou moins rapide,<br />
commee d'autres figures du même ensemble, qui portent leur<br />
Fig.. 117. — Danseur à tète ornée de plumes, à côté d'un Bouquetin repeint<br />
àà deux époques successives (Abri de la Vieja à Alpera, province d'Albacetc,<br />
Espagne)..<br />
Echellee : 1/4 (d'après BREUIL).<br />
arcc sous le bras, la corde en l'air, la main tenant à la fois le<br />
boiss par son milieu et les flèches horizontales. 11 semble<br />
bienn s'agir d'une activité comparable aux corroboris australiens,,<br />
et il est au inoins possible que cette danse eût à quelque<br />
degréé un caractère religieux ou tout au moins cérémoniel.<br />
Enfin,, aucune hésitation n'est possible pour la figure<br />
gravéee et peinte sur paroi de la grotte des Trois Frères<br />
(fig.. 119). Le caractère artistique de ce dessin nous semble<br />
interdiree de rapporter son attitude à une exécution enfantine,,<br />
et comme le personnage est incontestablement hybride<br />
ouu masqué, l'interprétation la plus vraisemblable est sans
LALA RELIGION El" LA MAGIE 221<br />
contreditt d y voir un sorcier dans l'exercice de ses fonctions.<br />
Enn résumé, si l'on cherche à réduire au minimum la part<br />
d'impressionss subjectives qu'il n'est jamais possible d'éliminerr<br />
entièrement, il nous semble qu'une critique attentive<br />
doitt hésiter à faire état des figures autres que celle de la<br />
grottee des Trois Frères, mais qu'inversement ce serait<br />
pousserr la prudence jusqu'à la timidité que de refuser une<br />
valeurr démonstrative à celle-ci, qui constitue un document<br />
capitall et à notre avis décisif en faveur de l'existence de<br />
dansess magiques à l'époque magdalénienne.<br />
L'inventeurr de cette figure a invoqué à l'appui des danses<br />
paléolithiquess une autre de ses découvertes, qui ne se rapportee<br />
plus à l'art figuré. Dans une petite salle de la grotte<br />
duu Tue d'Audoubert, située quelques mètres en avant de<br />
cellee où se trouvent les Bisons sculptés en argile, et où les<br />
hommess paléolithiques ont extrait de la terre et même laissé<br />
dee petits boudins sans doute destinés à l'exécution de ces<br />
images,, il a relevé sur le sol, parmi un lacis de courbes<br />
incompréhensibles,, des empreintes de pieds nus, tellement<br />
nettess que l'on y distingue les callosités de la peau. Or, ces<br />
empreintess correspondent exclusivement à des talons ; on<br />
n'aa remarqué à cet endroit ni pied complet, ni empreintes<br />
d'orteils,, alors que des empreintes de pieds entiers et<br />
notammentt d'orteils se voient dans une autre salle des<br />
partiess profondes de la grotte, à côté des ossements de<br />
cadavress d'Ours. Selon le comte Begouen, ce fait pourrait<br />
s'expliquerr par quelque cérémonie dont les exécutants<br />
auraientt marché selon un rite déterminé, comme cela se<br />
constatee chez certaines peuplades africaines et australienness<br />
(i).<br />
Cettee interprétation nous semble extrêmement aventurée.<br />
Lee sol étant très uni et les empreintes très nettes, il n'y en a<br />
jamaiss eu d'autres que la quarantaine qu'on a relevées, et<br />
mêmee en admettant qu'elles aient été laissées par un seul<br />
(1)) Comte BEGOUEN, C. B. de l'Acad. des Iriser., 1912, p. 537; M., t. XXIII,<br />
1912,, p. 659-663.
2222 LA RELIGION ET LA MAGIE<br />
individu,, la cérémonie présumée aurait dû être bien brève<br />
pourr ne laisser qu'un nombre aussi restreint d'empreintes.<br />
D'autree part, l'inventeur signale lui-même que le plafond de<br />
cettee salle est assez bas pour que presque dès l'entrée on ne<br />
puissee plus s'y tenir debout, mais accroupi. Cette disposition<br />
dess lieux explique tout naturellement que l'artiste ou les<br />
artistess qui sont venus y chercher de l'argile pour les statues<br />
dess Bisons aient été obligés de marcher sur les talons. Il<br />
nouss semble donc arbitraire de voir dans les empreintes de<br />
talonss la trace de quelque cérémonie magique.<br />
Onn a enfin considéré comme pouvant être un indice de<br />
pratiquess à caractère plus ou moins religieux l'étrange particularitéé<br />
que présentent un grand nombre des mains au<br />
patronn de Garg-as : un, plusieurs ou même tous les doigts<br />
sontt privés des deux phalanges terminales (fig. 118). Cet<br />
aspectt des images est susceptible de deux interprétations : la<br />
mainn naturelle qui a servi de patron était, soit une main<br />
intactee aux doigts repliés, soit une main mutilée. Sans vouloir<br />
prendree parti, les inventeurs semblent avoir une préférence<br />
pourr la dernière interprétation. L'ethnographie fournit de<br />
nombreuxx exemples de mutilations des doigts correspondant<br />
àà des rites religieux, funéraires ou propitiatoires, dont la<br />
significationn primitive semble même parfois oubliée de ceux<br />
quii les pratiquent (i). Si donc les figures de mains de Gargas<br />
avaientt été obtenues avec des mains mutilées, [on ^pourrait<br />
conjecturerr que des pratiques semblables ont existé chez les<br />
Aurignaciens..<br />
Laa complexité des faits ne saurait s'accommoder d une<br />
explicationn simpliste. Tout d'abord, la mutilation digitale,<br />
sii elle a existé, n'était pas une pratique générale et systématique..<br />
Outre qu'on n'a relevé, à ma connaissance, aucune<br />
mutilationn des doigts sur les squelettes retrouvés dans les<br />
sépultures,, toutes les images de mains rencontrées ailleurs<br />
(1)) LUQUET, Journal de Psychologie, 1922, p. 813-814. — Rev. de VEc. d'Anthropol.thropol.<br />
de Paris, 1894, p. 167. — OBERMAIER, Der Mensch der Vorzeit, p. 430.<br />
—— RATZHL, Vûlkerkunde, t. I, p. 306 et 690.
jjfffll<br />
YY ... M. ..' ' .<br />
Figg 118 — Peinlures au patron en noir (grisé foncé) et rouge (grisé pâle)<br />
dee mains, parties de mains, doigts, etc. (Caverne de Gargas, Hautes-<br />
Pvrénées))<br />
(d'aprèss BREUIL).<br />
G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles.
2244 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
qu'àà Gargas et plusieurs de Gargas correspondent à des<br />
mainss intactes. Même les mains « mutilées » de Garg-as présententt<br />
des mutilations dont la diversité s'accorde mal avec<br />
unee pratique systématique et qui, intéressant plusieurs ou<br />
mêmee tous les doigts de mains masculines, bien qu'il ne<br />
s'agissee que de mains gauches, semblent difficilement conciliabless<br />
avec les conditions d'existence de chasseurs. Et. si l'on<br />
supposee que les mains qui ont servi de patrons appartenaient<br />
àà des sorciers, chez qui la mutilation des doigts était en relationn<br />
avec leur caractère sacré et qui, nourris par la communauté,,<br />
n'avaient pas besoin de chasser, on ne s'explique<br />
pluss la multiplicité et la diversité des mutilations présentées<br />
parr les images.<br />
111 nous paraît donc beaucoup plus vraisemblable de considérerr<br />
la majorité des images a mutilées » de Gargas comme<br />
exécutéess avec des mains intactes aux doigts repliés. Les<br />
inventeurss signalent, il est vrai, que les essais faits par euxmêmess<br />
et par leurs amis avec leurs doigts repliés ont échoué<br />
àà donner une silhouette à contours aussi nets que ceux des<br />
mainss de Gargas dans la partie correspondant aux doigts<br />
«« mutilés » . Mais, dans leurs expériences, ils ont projeté la<br />
matièree colorante avec la main, comme un moderne songe<br />
naturellementt à le faire, et non avec la bouche, procédé<br />
auquell il est au moins possible, d'après les parallèles ethnographiques,,<br />
qu'aient recouru les Aurignaciens de Gargas, et<br />
quii donnerait plus de netteté aux contours dans la région<br />
dess doigts repliés. Je suis très frappé du fait que, dans toutes<br />
less images « mutilées », les deux phalanges terminales manquentt<br />
à la fois et qu'il n'a pas été signalé un seul exemple<br />
dee doigt qui ne soit privé que de la dernière phalange, ce qui<br />
s'expliquee admirablement avec l'hypothèse de doigts repliés,<br />
oùù les deux phalanges disparaissent en même temps. Enfin,<br />
l'unee des mains de la paroi gauche (fig. 118; la main en<br />
bass à gauche du groupe du haut) a tous les doigts incompletss<br />
et le pouce totalement absent; bien plus, l'absence du<br />
poucee dans l'image ne paraît pas résulter d'une désarticula-
LALA RELIGION ET LA MAGIE 2255<br />
lionn du pouce de la main patron : l'image ne présente pas la<br />
sailliee qui, dans le cas de désarticulation du pouce, correspondraitt<br />
à l'extrémité du premier métacarpien, mais le contourr<br />
descend en ligne presque droite dans le prolongement<br />
Fig.. 119. — Sorcier dansant (?)<br />
Figuree gravée et peinte sur paroi de la caverne des Trois Frères (Àriège).<br />
Echellee : 1/10 environ (d'après BÉGOLEN et BREUIU).<br />
dee l'index, comme si le métacarpien lui aussi avait été enlevé.<br />
Cett aspect de l'image s'explique tout naturellement si elle<br />
aa été obtenue en appuyant sur la muraille une main dont<br />
lee pouce aurait été replié à l'intérieur. Des quatre images<br />
dee mains cernées de Font-de-Gaume, l'une, qui ressemble
2266 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />
àà une sorte de fer à cheval ovoïde, semble également avoir<br />
étéé faite avec le poing 1 fermé (i).<br />
Cee n'est pas à dire, cependant, qu'aucune des images de<br />
Gargass n'ait eu comme patron une main réellement mutilée.<br />
L'abbéé Breuil en a remarqué plusieurs pour ainsi dire superposabless<br />
et qui doivent avoir été exécutées avec une main<br />
uniquee présentant les mêmes mutilations.<br />
Lee problème se pose alors de la façon suivante. Une au<br />
moinss des mains qui ont servi de patron à Gargas était réellementt<br />
mutilée. D'autres ne l'étaient pas. 11 nous semble<br />
trèss problématique que les images de mains aient eu un rôle<br />
magiquee (s), mais même en le leur attribuant, il n'était pas<br />
nécessairee qu'elles eussent une apparence mutilée, puisque<br />
partoutt ailleurs et même dans plusieurs exemplaires de<br />
Gargas,, elles correspondent à une main intacte. Dès lors,<br />
less images offrant l'apparence de'mains mutilées exécutées<br />
avecc des mains intactes aux doigts repliés, si l'idée a pu en<br />
êtree suggérée par la vue d'images de mains réellement mutilées,,<br />
doivent correspondre à une intention non magique,<br />
maiss purement artistique, au désir d'obtenir avec le procédé<br />
duu patron des images plus variées. La question se résume<br />
doncc finalement en ceci : la mutilation réelle que présentait<br />
probablementt l'une des mains qui ont servi de patron à<br />
Gargass était-elle une mutilation accidentelle ou résultant<br />
d'unee pratique, d'ailleurs restreinte à une catégorie limitée<br />
d'individus,, dictée par certaines croyances d'ordre magique??<br />
(3) II ne nous semble pas possible de faire davantage<br />
quee de poser la question dans ces termes précis : ici, comme<br />
surr tant d'autres points, l'examen scrupuleux des faits n'autorisee<br />
pour le moment aucune conclusion ferme.<br />
(1)) Font-de-Gaume, p. 72, note.<br />
(2)) Cf. ci-dessus, p. 123-124.<br />
(3)) C'est ainsi qu'à Madagascar, on mutile le petit doigt des enfants nés sous une<br />
influencee néfaste pour conjurer le mauvais sort. Le ministre de Hanavalo, Rainilaiarivony,,<br />
en était un exemple (Communication orale de M. le Gouverneur Julien
CONCLUSIONSS<br />
Less résultats essentiels qui nous semblent se dég-ager,<br />
avecc le maximum de vraisemblance, de l'analyse et du rapprochementt<br />
des faits relatifs à l'art et à la religion paléolithiquess<br />
peuvent se résumer en quelques lignes.<br />
Less sépultures témoignent que, dès le début de l'âge du<br />
Rennee et même sans doute dès le Moustiérien, les défunts<br />
étaientt considérés comme conservant après la mort une sorte<br />
d'existencee analogue à leur vie terrestre, dans laquelle ils<br />
continuaientt à entretenir avec les vivants des relations que<br />
less rites funéraires avaient pour but de rendre aussi favorables,,<br />
ou tout au moins aussi peu dangereuses que possible.<br />
L'Hommee d'alors croyait donc d'une part à une survivance<br />
dess morts, d'autre part à l'efficacité de certaines pratiques<br />
destinéess à agir sur eux.<br />
Less exemples infiniment vraisemblables d'envoûtement<br />
soitt par blessures effectivement faites à des simulacres d'animaux,,<br />
soit par représentation graphique de ces blessures,<br />
donnentt à penser que l'Homme croyait également possible,<br />
auu moins à l'époque magdalénienne, d'exercer par des opérationss<br />
appropriées une influence sur les animaux. Il est probablee<br />
que l'utilité constatée des déguisements de chasse a<br />
entraînéé la croyance à une vertu magique des déguisements<br />
ett des masques, qui sont devenus ainsi l'attribut des sorciers.<br />
Surr la nature des opérations de ceux-ci, toute indication fait<br />
défaut.. En particulier, la magie sympathique, la croyance<br />
quee la représentation d'un être confère par elle seule une<br />
dominationn sur cet être à l'auteur ou éventuellement au pos-
2288 L'ART ET LA RELIGION DES HOMMES FOSSILES<br />
sesseurr de son image, est simplement vraisemblable; en<br />
toutt cas, elle ne suffit pas à rendre compte de la totalité des<br />
œuvress figurées magdaléniennes et reste extrêmement douteusee<br />
pour l'Aurignacien.<br />
Quandd bien même l'art aurait reçu postérieurement une<br />
destinationn magique et par suite utilitaire, il a été au début<br />
purementt désintéressé et n'a eu d'autre objet que le beau.<br />
Celui-cii a été conçu primitivement sous deux formes auxquelless<br />
correspondent deux sortes d'art, l'art décoratif et<br />
l'artt figuré. Le beau de l'art décoratif est essentiellement<br />
esthétiquee au sens étymologique du mot : c'est un plaisir<br />
priss aux impressions sensorielles produites par des additions<br />
ouu des modifications apportées à des objets préexistants,<br />
corpss humain ou instruments d'usage. Le beau de l'art<br />
figuréfiguré est le plaisir résultant de l'expérience faite par l'artistee<br />
de son pouvoir créateur d'images. Les objets représentéss<br />
par ces images étaient naturellement ceux dont l'idée<br />
étaitt présente dans l'esprit de l'artiste, par suite soit des conditionss<br />
générales de son existence, soit de circonstances<br />
momentanées;; mais la nature des représentations l'intéressaitt<br />
beaucoup moins que le fait même d'en produire des<br />
imagess ressemblantes. Cette ressemblance ou réalisme acquit<br />
unee perfection due aux qualités d'observation minutieuse et<br />
d'habiletéé manuelle développées par la pratique de la chasse.<br />
Maiss jusque dans l'apogée du Magdalénien, elle conserve des<br />
tracess du réalisme intellectuel qui caractérise les dessins<br />
dess enfants de nos jours. Au reste, chez le Paléolithique<br />
commee chez nos enfants, ce réalisme intellectuel est l'indice<br />
d'unee activité psychique originale, puisque les images mentaless<br />
traduites en lignes par l'artiste ne sont pas un enregistrementt<br />
purement passif, mais une élaboration par l'esprit<br />
dess sensations visuelles.<br />
L'artt proprement dit ou intentionnel, sous sa double forme<br />
figuréee et ornementale, a eu comme source des activités<br />
purementt utilitaires. Mais l'Homme, ayant reconnu après<br />
coupp que leurs résultats possédaient un 'caractère esthétique,
CONCLUSIONSCONCLUSIONS<br />
less a renouvelées volontairement avec l'intention de produire<br />
ee beau qui n'en avait été primitivement qu'un effet fortuit.<br />
C'estt seulement au Magdalénien que la convergence de 1 art<br />
ornementall purement géométrique et de l'art figuré sans<br />
intentionn ornementale a donné naissance à une utilisation<br />
décorativee de motifs figurés, et que peut-être l'art figuré a<br />
acquiss une destination magique. Mais celle-ci n'a pu lui être<br />
surajoutéee qu'en vertu du caractère créateur qu'il tenait de<br />
sonn essence même. En outre., même dans des figures à rôle<br />
magiquee vraisemblable, l'exécution a été soignée en vue d'un<br />
effett esthétique. Ainsi, même dans l'utilisation utilitaire de<br />
l'art,, qui n'en est qu'un développement postérieur, subsiste<br />
sonn caractère désintéressé primitif.
INDEXINDEX DES FIGURES<br />
PARPAR OKDHE AWUAIIÉTIQUE DE PROVENANCE<br />
ALPEHAA (province d'Albacete, Espagne),<br />
abrii del Qiieso. Fig. 114.<br />
abrii de la Vieja. Fig. 6', 115, 117.<br />
ALTAMIRAA (province de Santander,<br />
Espagne).. Fig. 66, 69, 70 (b), 75,<br />
88-91,, 95, 98, 102.<br />
ARCY-SUR-CUREE ("Yonne).<br />
grottee du Trilobite. Fig. 8.<br />
ARUDYY (Basses-Pyrénées). Fig. 47 (a).<br />
grottess des BAOUSSÉ-HOUSSÉ (commune<br />
dee Grimaldi, Italie, près de Menton).<br />
Fig.. 35, 105-108.<br />
BICORPP (province de Valence, Espagne).<br />
Fig.. 26.<br />
BRASSEMPOUYY (Landes).<br />
grottee du Pape. Fig. 6, 31.<br />
BRNOO (antérieurement Briinni (Moravie).<br />
Fig.. 104.<br />
BKUNIQUELL (Tarn-et-Garonne). Fig. 30,<br />
477 (b), 50, 61, 72.<br />
CALAPATAA (province de Teruel. Espagne)<br />
Fig.. 71.<br />
lala CAVE. Voir LACAVE.<br />
lee CHAFFAUD (Vienne). Fig. 59.<br />
vall del CIIARCO DEL AGUA AMARGA (provincee<br />
de Teruel, Espagne). Fig. 24.<br />
CIIANCELADEE (Dordogne). Fig. 44, 109,<br />
1133 (a).<br />
lala CLOTILDE DE SANTA ISABEL (province<br />
dee Santander, Espagne). Fig. 86.<br />
COGULL (province de Lerida, Espagne).<br />
Fig.. 57, 116.<br />
laa COLOMBIÈRE (Ain). Fig. 12, 83.<br />
COVALANASS (province de Santander,<br />
Espagne).. Fig. 5.<br />
DOKDOGNEE (provenance précise incertaine))<br />
Fig. 40.<br />
abrii DURUTUY. Voir SOUDES.<br />
ENIANBB (Ariège). Fig. 48.<br />
less EYZIES (Dordogne). Fig. 62, 113 (b).<br />
FONTARNAUDD (Gironde). Fig 79.<br />
FONT-DE-GAUMEE (Dordogne). Fig. 80,
TABLETABLE DES MATIÈRES<br />
PRÉFACEE 5<br />
PREMIÈREE PARTIE<br />
<strong>L'ARTT</strong><br />
CHAPITREE PREMIER. — Orientation générale 9<br />
CHAPITREE II. — L'art décoratif 39<br />
CHAPITREE III. — Le réalisme dans l'art figuré. . 79<br />
CHAPITREE IV. — Signification de l'art figuré 109<br />
CBAPITREE V. — Les origines de l'art 130<br />
DEUXIÈMEE PAHTIE<br />
LAA RELIGION<br />
CHAPITREE VI. — Le culte des morts 171<br />
CHAPITREE VII. — La religion et la magie 205<br />
CONCLUSIONSS 227<br />
IjiDEXX DES FIGURES 230
COULOMMIERSS<br />
Imprimeriee E. DESSAINT. — 1-26.