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L'ARTT RELIGIONN

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G.H.LUQUETT<br />

ii<br />

<strong>L'ARTT</strong><br />

LAA<br />

<strong>RELIGIONN</strong><br />

DESS<br />

HOMMESS FOSSILES<br />

EDITEURSS


<strong>L'ARTT</strong> ET LA RELIGION<br />

DESS<br />

t-yy))<br />

HOMMESS FOSSILES


AA LA MÊME LIBRAIRIE<br />

ANNALESS DE PALÉONTOLOGIE, publiées sous la direction de Marcellin BOULE,<br />

professeurr de Paléontologie au Muséum d'Histoire Naturelle. Abonnement<br />

annuel..<br />

LESS HOMMES FOSSILES. Éléments de Paléontologie humaine, par Marcellin BOULE,<br />

professeurr au Muséum National d'Histoire Naturelle, directeur de l'Institut<br />

dee Paléontologie humaine. 2 e édition. Paris, 1923. 1 volume de :>06 pages<br />

avecc 248 figures.<br />

LESS RACES ET LES PEUPLES DE LA TERRE, par J. DENIKER, docteur es sciences,<br />

bibliothécairee du Muséum d'Histoire Naturelle. Paris, 1926. 2 e édition, revue<br />

ett considérablement augmentée. 1 volume de 750 pages avec 340 figures et<br />

22 cartes.<br />

GÉOLOGIEE STRATIGRAPHIQUE, par Maurice GIGNOUX, professeur à la Faculté<br />

dess Sciences de l'Université de Strasbourg. Paris, 1926. 1 volume de 588 pages<br />

avecc 124 figures et cartes.<br />

LEÇONSS DE PÉTROGRAPHIE, par Jacques DE LAPPARENT, professeur à l'Universitéé<br />

de Strasbourg. Paris, 1923. 1 volume de 522 pages, avec 120 figures et<br />

288 planches hors texte en héliogravure.<br />

TRAITÉÉ DE ZOOLOGIE, par Edmond PERBIEB, directeur du Muséum d'Histoire<br />

Naturellee de Paris. 7 fascicules parus : Zoologie générale — Protozoaires ri<br />

PhytozoairesPhytozoaires—— Arthropodes — Vers, Mollusques — Amphioxus, Tunic<br />

PoissonsPoissons — Les Batraciens.<br />

COURSS ÉLÉMENTAIRE DE ZOOLOGIE, par Uémy PERRIER, professeur adjoint à la<br />

Facultéé des Sciences de l'Université de Paris, chargé du cours de Zoologie<br />

pourr le certificat de P. C. N. 8 e édition. Paris, 1925. 1 volume de 872 pages<br />

avecc 765 figures dans le texte et^!6 planches.


G.-H.. LUQUET<br />

<strong>L'ARTT</strong> ET LA RELIGION<br />

DESS<br />

HOMMESS FOSSILES<br />

MASSONN ET C ie , ÉDITEURS<br />

LIBRAIRESS DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE<br />

120,, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS<br />

= = = = == 1926 '


TousTous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction<br />

réservésréservés pour tous pays.<br />

Copyright.Copyright. 1926 by Masosn et C' e .


AA L'AUTEUR DES "HOMMES FOSSILES"<br />

MARCELLINMARCELLIN BOULE<br />

HOMMAGEE D'ADMIRATION ET DE RECONNAISSANCE.


<strong>L'ARTT</strong> ET LA RELIGION<br />

DESS<br />

HOMMESS FOSSILES<br />

PREFACEPREFACE<br />

Nouss possédons actuellement sur la constitution physique de<br />

noss plus lointains ancêtres un certain nombre de données<br />

précises,, qui ont été exposées et interprétées de façon magistralee<br />

par M. M. Boule dans son ouvrage sur Les Hommes fossiles.siles.<br />

Mais le psychologue ne s'intéresse pas moins que le<br />

naturalistee à la paléontologie humaine et souhaiterait se représenter,,<br />

autant que faire se peut, l'âme paléolithique.<br />

Unee telle représentation ne peut s'appuyer que sur les traces<br />

matérielless laissées par ces Hommes disparus depuis des millénaires..<br />

Assurément, elle restera toujours, plus encore que<br />

cellee des paléontologistes, forcément conjecturale. Mais il ne<br />

fautt pas oublier qu'il en est de même de toute psychologie,<br />

puisquee le psychologue, dès qu'il veut étudier d'autres esprits<br />

quee sa conscience propre, ne peut le faire qu'en interprétant<br />

leurss manifestations extérieures. La difficulté est certes incomparablementt<br />

plus grande ici, car on serait entraîné à de graves<br />

contresenss en voulant interpréter d'après notre mentalité<br />

actuellee les documents préhistoriques, et il faut commencer<br />

parr se faire, dans la mesure du possible, une âme préhistoriquee<br />

. Si malaisée que soit cette tâche de gymnastique et<br />

presquee d'acrobatie intellectuelle, elle est facilitée par la connaissancee<br />

de mentalités analogues, en tant que primitives,<br />

avecc lesquelles l'ethnographie peut entrer en contact direct<br />

chezz les sauvages. La psychologie de l'enfant actuel, maniée


66 L'ART ET LA RELIGION DES HOMMES FOSSILES<br />

avecc précaution, peut également fournir des indications<br />

précieuses..<br />

Noss conclusions seront présentées avec toute la prudence<br />

qu'exigentt la nature du sujet, l'insuffisance des documents<br />

ett la complexité des faits. A mon sens, les affirmations tranchantess<br />

sont incompatibles avec le souci d'objectivité. Les<br />

théories,, quelles qu'elles soient, sont toujours plus ou moins<br />

hypothétiques;; mais les théories simples ont les plus grandes<br />

chancess d'être fausses. Une revue de ce que nous savons en<br />

cettee matière aboutit autant à dresser le bilan de nos ignorancess<br />

que celui de nos connaissances, et c'est déjà beaucoup<br />

d'énoncerr avec précision les problèmes que posent les faits<br />

rassemblés,, même quand on doit constater qu'ils ne permettentt<br />

pas de les résoudre.<br />

Ill est possible, et souhaitable, que la découverte de faits<br />

nouveauxx vienne accroître et préciser nos connaissances. Mais<br />

laa science n'avancerait pas, si elle se laissait arrêter dans la<br />

tâchee de mettre en œuvre les matériaux acquis par l'attente,<br />

ett l'appréhension, de découvertes éventuelles. Dès maintenant,<br />

less faits connus sont assez nombreux pour permettre, et<br />

exiger,, une synthèse provisoire ; et d'ailleurs, l'intérêt des faits<br />

nouveauxx dépendra dans une large mesure des conclusions,<br />

fermess ou dubitatives, tirées de la systématisation des faits<br />

connus.. La discussion est, dans l'infirmité de l'esprit humain,<br />

lee moyen le moins imparfait d'approcher de la vérité. Mais<br />

onn ne saurait discuter que des opinions dont l'affirmation peut<br />

êtree timide, mais dont au moins l'énoncé est précis. Ce sont<br />

dess formules nettes de ce genre que je me suis efforcé de<br />

présenterr et sur lesquelles j'appelle les objections qui m'auraientt<br />

échappé.<br />

L'illustrationn exigée par un ouvrage de ce genre, tant<br />

pourr le nombre que pour la qualité, a été rendue possible<br />

parr des concours variés dont l'obligeance requiert de ma part<br />

unn témoignage de gratitude. Mon éminent ami l'abbé Breuil<br />

m'aa laissé puiser à pleines mains dans l'admirable collection de<br />

sess copiesd'œuvres d'art paléolithiques. M. le Prof. Obermaier,


PRÉFACEPRÉFACE<br />

dee l'Université de Madrid, m'a permis d'emprunter à ses<br />

reproductionss des peintures rupestres espagnoles les spécimenss<br />

les plus caractéristiques. Je suis redevable au D r R. de<br />

Saint-Périerr pour la reproduction des objets de Lespugue, à<br />

M.. Passemard pour celle de deux de ses trouvailles d'Isturitz.<br />

M.. le Prof. Boule m'a fait la faveur insigne, dont je lui<br />

suiss infiniment reconnaissant, de mettre à ma disposition les<br />

clichéss des luxueuses publications de l'Institut de Paléontologuee<br />

humaine. L'éditeur, de son côté, n'a rien épargné pour<br />

quee l'illustration, comme la présentation matérielle du<br />

volume,, fût digne du sujet traité et de la renommée de sa<br />

maison..<br />

Enn dépit de tous ces concours, il était matériellement<br />

impossiblee de présenter la reproduction de tous les documentss<br />

mentionnés dans le texte. Du moins, j'ai constamment<br />

indiquéé où l'on en pourra trouver une figure. Pour la commoditéé<br />

du lecteur, j'ai donné, toutes les fois que c'était<br />

possible,, la référence au Répertoire de l'Art quaternaire<br />

dee M. S. Reinach, qui fournit un véritable Corpus des œuvres<br />

d'artt paléolithiques publiées jusqu'en i g13 ; il est indiqué<br />

parr l'abréviation Rêp. L'abréviation L'A. désigne VAnthropologie.pologie.<br />

Les ouvrages sur Altamira (Alt.), les Cavernes<br />

cantabriquess (Gav. cant.), Font-de-Gaume (F. de G.), les<br />

Combarelless (Comb.), les Grottes de Grimaldi (Grim.), sont<br />

less grandes monographies publiées par l'Institut de Paléontologiee<br />

humaine.


PREMIÈREPREMIÈRE PARTIE<br />

<strong>L'ARTT</strong><br />

CHAPITRECHAPITRE PREMIER<br />

ORIENTATIONN GÉNÉRALE<br />

Less peuples historiques sur lesquels nous sommes renseignéss<br />

par des documents écrits sont relativement<br />

récents.. Une antiquité infiniment plus reculée, restée<br />

long-tempss inconnue, a été révélée par la découverte<br />

d'unee part de débris osseux ou de squelettes plus ou moins<br />

bienn conservés, d'autre part d'objets exécutés par l'Homme.<br />

Null n'ignore plus aujourd'hui qu'au moins en Europe,<br />

l'époquee de la métallurgie qui travailla d'abord le bronze, puis<br />

lee fer, a été précédée d'un âge de la pierre, où celle-ci fournissait,,<br />

avec les os d'animaux, les bois de cervidés et sans<br />

doutee aussi le bois d'arbre, la matière des armes et outils.<br />

Onn connaît ég-alement les deux grandes subdivisions de cet<br />

âgee de la pierre, la plus récente dite Néolithique, caractérisée<br />

parr des haches en pierre dure, polie par frottement, la plus<br />

anciennee ou Paléolithique, où la pierre, principalement le<br />

silex,, était taillée par éclatement. C'est de cette période que<br />

nouss allons étudier les productions artistiques, dont les trouvailless<br />

se sont multipliées depuis le milieu du xix e siècle et<br />

quii ont donné lieu à des travaux dans lesquels, il est permis<br />

dee le noter en passant, la science française tient une place


100 L'ART PALEOLITHIQUE<br />

toutt à fait prépondérante. Ces œuvres présentent un intérêt<br />

doublee : d'une part elles possèdent une haute valeur esthétiquee<br />

et, dans les sujets auxquels leurs auteurs se sont<br />

appliquéss avec leur outillage rudimentaire, elles supportent<br />

sanss peine la comparaison avec les meilleures productions<br />

dee notre technique raffinée. En outre, ce sont, au moins<br />

danss l'état actuel des connaissances, les plus anciennes<br />

productionss artistiques; par suite, en cherchant dans quelles<br />

intentionss elles ont été exécutées, on peut espérer arriver à<br />

unee solution objective, et non plus seulement théorique, du<br />

problèmee des origines de l'art.<br />

Onn a trouvé des œuvres de cet art dans toute l'Europe,<br />

jusqu'enn Angleterre, en Autriche et même en Russie; mais<br />

leurr principal centre de dispersion est la France, principalementt<br />

la région du Périgord et celle des Pyrénées avec leur<br />

prolongementt espagnol des Cantabres.<br />

Danss ce vaste domaine géographique, on a pu distinguer<br />

dess époques chronologiquement successives, caractérisées<br />

notammentt par leur industrie. Ce sont, après le Paléolithiquee<br />

inférieur (Chelléen, Aclieuléen, Moustiérien) dont nous<br />

n'avonss pas à nous occuper, car il ne nous a laissé aucune<br />

œuvree d'art, le Paléolithique supérieur ou âge du Renne, ainsi<br />

nomméé parce que cet animal est le représentant caractéristiquee<br />

de la faune, correspondant à un climat froid et sec<br />

analoguee à celui des toundras et des steppes. L'âge du Renne<br />

commencee par l'Aurignacien et se termine par le Magdalénien,,<br />

entre lesquels s'intercale, en se superposant à la fin du<br />

premierr et au début du second, une civilisation solutréenne,<br />

quii semble n'avoir existé que dans certaines régions et qui<br />

n'aa au point de vue artistique qu'un intérêt secondaire.<br />

L'âgee des civilisations paléolithiques européennes correspondd<br />

en gros à la période pléislocène des géologues. Si leur<br />

successionn chronologique semble fixée d'une manière à peu<br />

prèss définitive, leur date absolue reste indéterminée et a<br />

donnéé lieu, selon les auteurs, aux évaluations les plus variées.<br />

D'aprèss les estimations les plus modérées, l'Aurignacien se


ORIENTATIONORIENTATION GÉNÉRALE<br />

placeraitt de 25.ooo à 1O.000 ans avant notre ère, le Magdalénienn<br />

de 16.000 à 12.000.<br />

Unn certain nombre des activités classées parmi les beauxartss<br />

ont probablement existé aux temps paléolithiques. Certainess<br />

peintures rupestres sont considérées comme représentantt<br />

des danses ; bien que cette interprétation ne s'impose<br />

pas,, les figurations certaines de déguisements rendent fort<br />

vraisemblable,, par analogie avec les sauvages, l'existence<br />

dee la danse à l'époque magdalénienne. Les danses une fois<br />

admises,, il est probable qu'elles étaient, comme chez les<br />

sauvagess et pour des raisons psychologiques, accompagnées<br />

dee musique, ne fût-ce que d'une sorte de chœur. Comme instrumentss<br />

de musique découverts dans les fouilles, certains<br />

tubess en os d'oiseaux, considérés par Pielte comme des élémentss<br />

de flûtes de Pan, sont beaucoup plus vraisemblablementt<br />

des étuis à aiguilles. Peut-être pourrait-on voir une flûte<br />

primitivee dans un os de Lièvre perforé de plusieurs trous,<br />

provenantt d'une caverne paléolithique anglaise (1). Des phalangess<br />

d'antilopidés ou de cervidés, notamment de Renne,<br />

percéess près de l'une de leurs extrémités, dont on a retrouvé<br />

unn certain nombre dans diverses stations (2), sont courammentt<br />

considérées comme des sifflets comparables à ceux que<br />

noss enfants confectionnent avec des noyaux d'abricots.<br />

L'utilisationn de ces os comme sifflets n'a rien d'impossible,<br />

maiss dans certains d'entre eux, notamment les plus anciens,<br />

remontantt au Mousliérien (La Chapelle-aux-Saints, la<br />

Quina),, le trou n'est pas le produit d'un travail industriel,<br />

maiss simplement d'un coup de dent de carnassier.<br />

Pourr l'architecture, il est probable que les Paléolithiques<br />

habitaient,, outre les abris ou grottes où l'on a retrouvé leurs<br />

foyers,, des huttes en branchages, que semblent représenter<br />

certainess figures dites « tectiformes », gravées ou peintes<br />

surr les parois des cavernes (fig. 101).<br />

(1)) Guide oftheBritish Muséum, Stone Age, p. 62, fig. 71 (Kent's Hole).<br />

(2)) Solutré, le Ghaffaud, le Placard, les Eyzies, la Mouthe, Laugerie-Basse,<br />

Bruniquel,, Aurignac.


122 VART PALÉOLITHIQUE<br />

Unee autre forme d'art, la parure corporelle, était très<br />

développéee chez les Paléolithiques, comme chez les sauvages,<br />

pourr ne rien dire des civilisés. Nous nous bornons à la mentionnerr<br />

ici et lui consacrerons plus loin de plus amples développementss<br />

(i).<br />

Maiss on entend principalement par le terme d'art la<br />

peinture,, la sculpture et la gravure, c'est-à-dire l'ensemble<br />

dess activités humaines qui, quels que soient la technique,<br />

less matériaux et les instruments employés, donnent naissancee<br />

à des formes. Dès ces âges extraordinairement reculés,<br />

.. ces productions artistiques sont de nature très variée. On<br />

peutt les distinguer d'abord au point de vue de leur simple<br />

aspectt visuel en œuvres figurées, reproduisant des objets ou<br />

dess êtres réels, et en simples assemblages de traits qui, au<br />

moinss à première vue, semblent dépourvus de signification<br />

figuréefigurée et qu'on peut appeler linéaires ou géométrique<br />

D'aprèss la nature des matériaux utilisés pour les exécuter,<br />

onn les divise en œuvres d'art mobilier, sur objets transportables,,<br />

et d'art pariétal, exécutées sur les parois, les plafonds<br />

ouu même parfois le sol des cavernes. Enfin, au point de vue<br />

dee leur destination présumée et plus précisément, quand il<br />

s'agitt de dessins, au point de vue de leur relation à la surfacee<br />

qui les supporte, on peut distinguer des œuvres d'art<br />

décoratives,, où les tracés, qu'ils soient d'ailleurs figurés ou<br />

purementt géométriques, sont destinés à orner, à embellir, à<br />

rendree plus agréable à l'œil un objet préexistant et qui avait<br />

déjàà son rôle propre avant l'addition de l'ornementation, et<br />

dess œuvres, qu'on appelle généralement œuvres d'art tout<br />

courtt et que nous appellerons indépendantes, où les figures<br />

see suffisent à elles-mêmes, la matière (pierre, bois de cervidés,,<br />

os ou ivoire) n'ayant d'autre rôle que de leur servir de<br />

support,, comme ferait chez nous une feuille de papier. Les<br />

principauxx instruments auxquels est appliquée la décoration<br />

artistiquee sont d'abord les propulseurs pour lancer les<br />

(1)) Cf. ci-dessous, p. 3J-5G.


ORIENTATIONORIENTATION GÉNÉRALE<br />

flèches,flèches, ensuite les bâtons troués en bois de cervidés, surtout<br />

dee Rennes, connus sous le nom de bâtons de commandement,,<br />

et dont l'usage véritable, malgré de nombreuses tentativess<br />

d'interprétation, reste encore énig-matique.<br />

Auu point de vue technique, ces œuvres d'art se divisent<br />

toutt naturellement en peintures, sculptures et gravures. On<br />

aa longtemps considéré, à la suite de Piette, la sculpture<br />

Kg.. 1. — Gravures pariétales aurignaciennes (Pair-non-Pair, Gironde).<br />

Echellee : 1/25 environ (d'après DALEAU).<br />

commee antérieure à la gravure, qui en serait sortie par des<br />

intermédiairess tels que les contours découpés, analogues aux<br />

soldatss en fer-blanc de nos enfants, le relief et le champlevé.<br />

Cettee conception, d'accord avec les faits connus du temps de<br />

Piette,, ne correspond plus à l'état actuel de la documentation..<br />

S'il reste vrai que la sculpture a prédominé à l'époque<br />

aurignaciennee et la gravure à la fin du Magdalénien, il<br />

semblee y avoir eu apparition non successive, mais simultanée,,<br />

dès une époque voisine des débuts de l'Aurignacien,<br />

dee la peinture, de la gravure et de la sculpture.<br />

Cett état de fait de la chronologie relative des techniques<br />

artistiquess n'aurait qu'un intérêt secondaire, si Piette<br />

n'avaitt invoqué des arguments a priori pour soutenir l'antérioritéé<br />

nécessaire de la sculpture par rapport à la gravure.


144 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Less objets représentés par 1 art figuré, et en particulier les<br />

êtress vivants, sont, dit-il, des volumes au sens géométrique<br />

duu mot, des corps à trois dimensions. Les sculptures ayant<br />

égalementt trois dimensions, ce mode de représentation est<br />

pluss naturel que la gravure qui, ne donnant des objets à<br />

troiss dimensions que des images à deux dimensions, suppose<br />

l'abstractionn de la troisième et, en tant que procédé plus<br />

compliqué,, doit être d'invention postérieure.<br />

Maiss il faut remarquer d'abord que la technique de la couleur,,<br />

qui n'est susceptible de produire par elle-même que des<br />

imagess à deux dimensions, est aussi ancienne que la<br />

techniquee glyptique ou du grattage avec des instruments en<br />

silex,, qui peut produire indifféremment des sculptures à trois<br />

dimensionss et des gravures à deux dimensions seulement;<br />

ett dans celle-ci elle-même, les images à deux dimensions<br />

dee la gravure ne sont pas postérieures aux images à trois<br />

dimensionss de la sculpture. L'argumentation théorique de<br />

Piettee est donc contredite par les faits.<br />

Ellee est d'ailleurs très contestable en elle-même et semble<br />

reposerr sur une confusion résultant d'une psychologie trop<br />

superficielle.. Il est exact que les représentations à deux<br />

dimensionss d'objets à trois dimensions supposent une abstractionn<br />

; mais il ne s'ensuit nullement que cette abstraction<br />

doivee être une opération postérieure. Sans même rappeler<br />

cettee banalité psychologique que l'abstraction est spontanémentt<br />

impliquée dans l'opération mentale la plus simple,<br />

commee une sensation, nous pouvons constater la présence de<br />

l'abstractionn dans les plus anciennes œuvres d'art. En effet,<br />

laa technique glyptique fait abstraction de la couleur des<br />

objetss représentés, et il en est de même de la technique<br />

peinte,, car les peintures aurignaciennes se réduisent à des<br />

contourss dessinés avec des matières dont la couleur jaune<br />

rougee ou noire n'a pas plus de rapport objectif avec le<br />

coloriss réel de l'objet représenté que nos dessins au crayon<br />

noir.. En ce qui concerne maintenant l'abstraction de la<br />

troisièmee dimension qui caractériserait la gravure par oppo-


ORIENTAORIENTA TJO.X GÉNÈAA LE<br />

sitionn à la sculpture, c'est une erreur, encore que très<br />

naturelle,, de croire que l'œuvre d art reproduit l'être objectif<br />

dontt elle semble être l'image. Elle n'en est, si l'on peut dire,<br />

qu'unee traduction au second degré, et ce qu'elle reproduit<br />

enn réalité, c'est la représentation mentale que l'artiste a de<br />

cett objet et spécialement de ses caractères visuels, représentationn<br />

donnée par la sensation et conservée par la mémoire.<br />

Fig.. 2. — Statuette féminine (Willendorf, Autriche).<br />

Vuee de face et de profil. Echelle : 1/2 (Photographie d'un moulage).<br />

Or,, la voluminosité de l'objet, la possession par lui d'une<br />

troisièmee dimension, n'est pas une donnée primitive de la<br />

sensationn visuelle. En laissant de côté le rôle des éléments<br />

tactiless dans la perception acquise de la troisième dimension,<br />

unn objet, même à trois dimensions, se présente toujours à<br />

l'œill sous l'aspect d'un champ coloré limite par un contour<br />

d'unee certaine forme et qui n'a que deux dimensions. Ce qui<br />

constituee la troisième dimension d'un objet visuel, ce n'est<br />

pass une sensation, mais une idée, l'idée que l'objet qui<br />

donnee en ce moment une sensation visuelle d'une certaine<br />

formee à deux dimensions a donné antérieurement et donnera<br />

ultérieurement,, si ion l'envisage d'un autre point de vue,<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 2<br />

155


166 L\\l\T PALÉOUTHIQI'K<br />

d'autress sensations visuelles,-également à deux dimensions,<br />

maiss de forme différente, par exemple les différentes sensationss<br />

visuelles d'un Bison vu successivement de devant, de<br />

profill et de derrière. Par conséquent, l'artiste qui veut<br />

rendree la troisième dimension d'un objet veut rendre en<br />

réalité,, non l'aspect qu'il présente à l'œil à un moment<br />

donné,, mais les différents aspects qu'il pourrait lui présenter<br />

àà des moments successifs. Ce n'est donc pas la représentationn<br />

à deux dimensions, mais la représentation à trois dimensionss<br />

qui suppose un processus mental plus compliqué, et si<br />

l'onn devait conclure, comme le veut Piette, de la complexité<br />

psychologiquee à la postériorité chronologique, la sculpture<br />

devraitt être postérieure à la gravure. Si donc la sculpture<br />

estt sans nul doute la technique la mieux appropriée au rendu<br />

dee la troisième dimension (encore le dessin en est-il capable<br />

danss une certaine mesure en recourant au procédé que j'ai<br />

appeléé réalisme intellectuel et qui, comme nous le verronss<br />

(i), n'est pas inconnu des Paléolithiques), il n'en résulte<br />

nullementt que les premiers artistes aient tenu à rendre cette<br />

troisièmee dimension et que la sculpture ait dû être la premièree<br />

en date des techniques artistiques.<br />

L'outillagee artistique a consisté essentiellement, pour la<br />

sculpturee et la gravure (sans parler des dessins tracés avec le<br />

doigtt sur l'argile molle du sol ou des parois des grottes)<br />

danss des burins en silex, accompagnés de pointes fines pour<br />

less détails et de ciseaux ou de marteaux en pierre pour<br />

dégrossirr les contours des grands reliefs.<br />

Less sculpteurs paléolithiques ont également pratiqué le<br />

modelagee de l'argile, comme l'attestent les Bisons du Tue<br />

d'Audoubertt (fi g. 3) et diverses figures de la grotte de Mon?<br />

tespann (Haute-Garonne) (2). Dans cette dernière grotte, une<br />

statuee d'ourson en argile, qui n'a jamais eu de tête, porte<br />

surr la section du cou une cavité qui semble produite par une<br />

(1)) Cf. ci-dessous, p. 84.<br />

(2)) Comte BEGÛUEN et N. GASTERET, La caverne de Montespan, Hevue anthropologique,pologique,<br />

1923, p. 533, sq. —Cf. ci-dessous, p. 118.


Fig.. 3. — Bisons d'argile (Caverne du Tue d'Audoubert, Ariège).<br />

Echellee : 1 '!> environ (Photographie de M. MAX BÉGOUEN).


188 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

chevillee de bois cédant sous le poids, et un crâne d'ourson a<br />

étéé retrouvé sur le sol entre les pattes de la statue. Il semble<br />

doncc que la statue acéphale en argile ait été complétée par<br />

unee tête naturelle. Certains indices permettent en outre de se<br />

demanderr si le corps modelé n'aurait pas été recouvert d'une<br />

peauu de bête. Il ne serait pas impossible que la statue en<br />

ivoiree de Laugerie-Basse, dite « Vénus impudique » (fig. 4><br />

n°° 3), qui n'a jamais eu ni tête ni bras et dont l'extrémité<br />

supérieure,, dans la région du cou, se termine en biseau, ail<br />

étéé également complétée par des pièces annexes en bois ou<br />

cornee et en pelleterie, à la façon de certaines de nos poupées<br />

actuelless à corps en peau, tête en porcelaine, recouvertes de<br />

vêtements..<br />

Pourr la peinture, les couleurs employées étaient le noir<br />

fournii par le charbon et divers minéraux contenant du manganèse,,<br />

le jaune et diverses nuances de rouge fournies par<br />

l'ocre.. Ces couleurs étaient employées tantôt à l'état solide,<br />

tailléess comme des pastels, tantôt broyées et triturées avec<br />

dee l'eau, de l'huile, de la moelle ou de la graisse et étendues<br />

soitt avec le doigt, soit avec de véritables pinceaux. On a<br />

retrouvéé des tubes en os contenant encore de la poudre de<br />

couleurr et des pierres qui avaient servi de godets ou de<br />

palettess pour préparer la couleur en pâte et qui en conservaientt<br />

encore les traces.<br />

Laa technique artistique a subi au cours des âges paléolithiquess<br />

des modifications fort complexes dont l'examen nous<br />

entraîneraitt trop loin. Nous nous bornerons à indiquer les<br />

principaless phases de la peinture pariétale : après des dessins<br />

Fig.. 4. — Figures humaines magdaléniennes.<br />

1.. Statuette féminine taillée dans une incisive de Cheval (le Mas d'Azil, Ariège).<br />

—— i. La « Femme au Henné », gravure sur bois de Renne (Laugerie-Basse, Dordogne))<br />

(1 el2 d'après PIETTE). —3. La « Vénus impudique », statuette féminine<br />

enn ivoire (Laugerie-Basse) (photographie de l'original au Muséum).— 4 Gravure<br />

surr bâton troué en bois de Renne (Gourdan, Haute-Garonne). — 5. « Danseur ><br />

gravéé sur rondelle d'os (le Mas d'Azil). — 0. Homme de la gravure sur buis de<br />

Rennee dite le Chasseur d'Aurochs » (Laugerie-Basse). —7. Portion d'une gravuree<br />

sur bois de Renne (La Madeleine, Dordogne) (4 à 7, d'après PIETTE). — S.<br />

Gravuress pariétales (Marsoulas, Haute-Garonne) (d'après BIIEUIL).


Fig.. 4,


200 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

oùù le contour seul était peint, en trait d'abord mince, parfoiss<br />

ponctué (fig-. 5), puis plus épais et baveux, elle a passé<br />

àà des peintures proprement dites, à intérieur coloré, d'abord<br />

enn teintes estompées, puis en teintes plates avec épargnes,,<br />

ensuite en teintes plates uniformes, enfin en couleurr<br />

polychrome. On trouve à toutes les époques des<br />

exempless fréquents de collaboration de la peinture avec la<br />

Fig.. o. — Biches.<br />

[Peintt ires pariétales en rouge (Otn-alanas, province de Santander, Espagne)<br />

(d'aprèss BREUTL).<br />

sculpturee et la gravure, non seulement dans le Magdalénien<br />

final,final, où les polychromes sont esquissés en gravure, puis<br />

repriss par raclage par-dessus la couleur pour produire des<br />

effetss de modelé, mais aussi dans l'Aurignacien où des traces<br />

dee peinture ont subsisté sur les gravures pariétales de Pairnon-Pairr<br />

(fig. i) (i), les reliefs de Laussel (fig. 9), la statue<br />

dee Willendorf (fig. 2), ce qui a permis de se demander si<br />

danss la « figurine à la capuche » de Brassempouy (fig. 6),<br />

less yeux et la bouche, non figurés en sculpture, n'auraient<br />

pass été tracés avec de la couleur aujourd'hui disparue.<br />

Quelless que soient les différences de nature et de tech-<br />

(1)) Altam., p. 19.


ORIEXTATIOXORIEXTATIOX GÉNÉRALE<br />

nique,, les œuvres d'art paléolithique forment un ensemble<br />

homogène;; à diverses reprises, un même g-isement a fourni<br />

dess figures presque identiques à la fois en art mobilier et<br />

Fig.. 6. — Statuettes humaines aurignaciennes en ivoire.<br />

(Brassempouy,, Landes).<br />

Enn haut à droite, « Fig-urine à la capuche », légèrement réduite. En bas au milieu,<br />

«« la Poire ». Echelle : 3/4 (d'après MIETTE).<br />

enn art pariétal : c'est le cas notamment pour des Chevaux<br />

aurignacienss de Hornos et pour les têtes de Biches du Magdalénienn<br />

inférieur d'Altamira et de Caslillo. Par suite, le<br />

procédéé le plus commode pour passer en revue ces productionss<br />

est de les diviser d'après les sujets représentés.


222 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Nouss laisserons provisoirement de coté, pour y revenir<br />

pluss loin en détail, les motifs géométriques.<br />

D'autress figures, appartenant presque exclusivement à<br />

l'artt pariétal, restent énigmaliques. Les unes, notamment à<br />

Santiann et à Altamira, pourraient représenter des variétés<br />

d'armess analogues à des massues ou à des boumerangs, de<br />

mêmee que d'autres ont toutes chances de figurer des flèches<br />

Fig.. 7. — Bison.<br />

Peinturee pariétale en rouge et noir (Marsoulas, Haute-Garonne). Sur le flanc,<br />

unn signe pectiniforme. Echelle : 1/30 environ (d'après BREUIL).<br />

ouu des harpons. D'autres, appelées tectiformes parce que<br />

certainess ressemblent beaucoup à des charpentes de huttes<br />

(fig.. IOI), forment une série très complexe et n'ont probablementt<br />

pas toutes la même signification. D'autres enfin<br />

restentt entièrement inexpliquées et l'on a dû se borner à<br />

leurr donner le nom très vague de scutiformes (en forme de<br />

bouclier),, qui ne répond même qu'approximativement à leur<br />

aspect.. Quelques signes pectiniformes (en forme de peigne),<br />

notammentt un peint en rouge sur le flanc d'un bison<br />

polychromee de Marsoulas (fig. 7), pourraient être des stylisationss<br />

de la main.<br />

Less dessins de végétaux sont extrêmement rares et d'ailleurss<br />

d'interprétation ambiguë : on peut hésiter entre des


ORIENTAORIENTA TIO.X G ËNÈRA L E 233<br />

plantess et des flèches: il semble cependant)- avoir un rameau<br />

feuilluu gravé sur os au Trilobite (fîg-. 8), un autre sur un<br />

bâtonn troué de Veyrier (Haute-Savoie) (i); une gravure sur<br />

oss du Mas d'Azil (2) semble représenter un arbuste avec ses<br />

branchess et ses racines. Deux<br />

curieusess sculptures en bois de m^<br />

Rennee de Lourdes (3) présentent<br />

unee assez grande ressemblance<br />

avecc un épi.<br />

Laa figure humaine et surtout<br />

fémininee joue à l'origine un rôle<br />

prépondérant.. Ce sont, au début<br />

dee PAurignacien moyen, les statuettess<br />

en ivoire de la grotte du<br />

Papee à Brassempouy (Landes)<br />

(fig.. 6) et les deux gravures au<br />

champlevéé sur une pierre de<br />

Terme-Pialatt (Dordogne) (4);<br />

d'unn Aurignacien peut-être plus<br />

avancé,, les statuettes en stéatitee<br />

et en os des Baoussé-<br />

Rousséé (5) et une gravure sur<br />

oss de Cro-Magnon (6); à la fin<br />

dee l'Aurignacien, la statue fémininee<br />

en calcaire oolithique de<br />

Willendorff près de Vienne<br />

(Autriche)) (fig. 2), les cinq<br />

remarquabless reliefs sur pierre<br />

dee Laussel (Dordogne), dont l'un<br />

représentee un homme et un autre une femme aux formes<br />

^plantureusess élevant dans la main droite une corne de<br />

mm<br />

Fig.. 8. — Rameau gravé sur os<br />

(grottee du Trilobite à Arcy-sur-<br />

Cure,, Yonne).<br />

(d'aprèss PARÂT.)<br />

(1)) Rép., p. 187, n» 1.<br />

(2)) Hep., p. 157, n° 4.<br />

(3)) L'une dans Rép., p. 135, n« 10 et 11.<br />

(4)) A. DELUGIN, Bull. Soc. histor. elarchéol. du Périgord, 1914.<br />

(5)) Rép., p


LARTLART PALÉOLITHIQUE<br />

Bisonn (%. 9). De tout premier ordre, véritable chefd'œuvree<br />

de la sculpture aurignacienne, est la statuetfe en<br />

ivoiree récemment découverte à Lespug-ue (Haute-Garonne)<br />

(fig\\ 10) (1), qui porte au bas du dos la représentation d'une<br />

sortee de pagne et qui témoigne d'une habileté technique à<br />

Fi>'.. y. — Reliefs pierree (l.aussel, Dordogne). « Femmee à la corne »<br />

ett personnage masculin.<br />

Echellee : 1/6 'd'après LALANNEÏ.<br />

laquellee la sculpture n'arrive que relativement tard en ce<br />

quee les bras sont en partie détachés du corps'.<br />

Dee l'extrême fin de PAurignacien ou tout au plus, pour<br />

certains,, de l'aurore du Solutréen, mais en tout cas se<br />

rattachantt aux traditions aurignaciennes,sont là statue masculinee<br />

en ivoire de Brno (Moravie) (fig. io4), où le seul bras<br />

restantt est bien dégagé du tronc, une figurine très grossièree<br />

en bois de Renne de Trou-Magrite (Belgique) (2) et<br />

(1)) VA., t. XXII, 1922, p. 365, fig. 2 et pi. I-III. I<br />

(2)) Itép., p. 171, n- 8 et 9.


Fig.. 10. — La « Dame de Lespugue » (Haute-Garonne).<br />

Vuee de devant, de profil et de derrière. En haut, la staluette d'ivoire telle qu'elle a été<br />

trouvée:: en bas, moulage restauré. Echelle: 1/2 Fouilles R. de SAINT-PÉRIER).,


LWRTLWRT PALÉOLITHIQUE<br />

d'autres,, presque informes, taillées dans des phalanges de<br />

Mammouthh à peine dégrossies du gisement de Przedmost<br />

(Moravie)) (fig. 96), qui a fourni également une gravure sur<br />

ivoiree représentant, selon toute vraisemblance, une figure<br />

fémininee très stylisée (fig. n). Des objets en ivoire et en os<br />

dee Mézine (Ukraine) paraissent être également des figures<br />

humaines.. Dans un milieu qui n'est sans doute pas aurigna-<br />

Fig.. 11. — Objets de Przedmost (Moravie).<br />

AA gauche, slylisation de figure féminine (en partie reconstituée) gravée sur tronçon<br />

dee défense. Echelle : 1/2. A droite, pendeloque décorée en ivoire. Echelle : 2/B.<br />

cien,, mais qui est chronologiquement antérieur au Magdalénien,,<br />

l'abri de La Colombière (Ain) a fourni une gravure<br />

d'Hommee sur omoplate de Mammouth (fig. 12).<br />

Laa figure humaine est en régression très nette à l'époque<br />

magdalénienne,, tant pour le nombre des exemplaires que<br />

pourr le fini de l'exécution. On n'y trouve guère comme<br />

sculpturess que la « Vénus impudique » (fig. [\, 11" 3) en<br />

ivoiree de Laugerie-Basse, une incisive de Cheval taillée en<br />

personnagee féminin du Mas d'Azil (fig. 4, n° 1), des bustes<br />

trèss grossiers en bois de Renne du Placard et de Laugerie-<br />

Basse,, et comme spécimens d'art décoratif, un ciseau de la<br />

grottee des Fées à Marcamps (Gironde) et deux extrémités


Fig.. 12. — Homme, Renne et Ours, gravures superposées sur os de<br />

Mammouthh (la Colombière, Ain).<br />

Echellee : 1/ï environ (d'après MAYET).<br />

Fig.. 13. — Tête anthropoïde formant l'extrémité d'un propulseur en bois<br />

dee Renne (Gourdan, Haute-Garonne).<br />

(Musée(Musée de Saint-Germain, collection PIETTE .


288 VAUT PALÉOLITHIQUE<br />

dee propulseurs taillées en forme de têtes, l'une de Gourdan<br />

(fig.. i3), l'autre du Placard. Les gravures, à peine moins<br />

rares,, sont tout aussi médiocres et parfois détestables; les<br />

pluss soignées sont deux figures de Laugerie-Basse, la<br />

«« Femme au Renne » (fig. 4, n° 2) et le « Chasseur d'Aurochss<br />

» ; une lame d'os de la même station est gravée à son<br />

extrémitéé fragmentée d'une tête humaine. Des bonshommes<br />

tantôtt simplement grossiers, tantôt presque méconnaissables,<br />

sontt gravés sur une plaquette d'ardoise d'Aurensan, sur un<br />

bâtonn troué en bois de Renne de Gourdan (fig. l\, n° 4), sur<br />

dess pierres de Lourdes (fig. 110), sur un bois de Renne à<br />

Laa Madeleine (fig. 4, n° 7), sur un os à Chancelade (fig. 113),<br />

surr les deux faces d'une rondelle d'os au Mas d'Azil (fig. 4}<br />

n°° 5).<br />

L'artt pariétal présente également quelques figures<br />

humainess ou plus exactement anthropomorphes à Marsoulas<br />

(fig.. 4) n° 8), à Font-de-Gaume, aux Gombarelles, au Portel;<br />

ouu en trouve à Ilornos et Altamira qui sont sûrement aurignaciennes;;<br />

une d'Altamira (frise tombée) (fig. 88) peut<br />

mêmee être datée comme du début de l'Aurignacien (1).<br />

Danss bon nombre de ces figures, l'aspect grimaçant, on<br />

nee peut même pas dire animal des têtes semble, comme la<br />

grossièretéé des silhouettes, s'expliquer suffisamment par la<br />

maladressee de l'exécution, qui rapproche ces productions<br />

dess bonshommes dessinés par nos enfants. Mais cette explicationn<br />

ne saurait suffire pour certaines figures, présentant<br />

dess caractères animaux qui paraissent voulus. Divers bonshommess<br />

sont munis d'une queue qui pourrait n'êlre que<br />

l'appendicee d'une peau de bête portée comme vêtemenl :<br />

telss sont, par exemple, une gravure sur bois de Renne de<br />

Lacavee (Lot) (fig. i4) ou dans l'art pariétal, une figure de<br />

Hornos.. Mais d'autres exemplaires, sur lesquels nous reviendronss<br />

(2), présentent, associées ou non à cette queue, des<br />

têtess plus ou moins animales qui doivent correspondu',<br />

(1)) Sur les représentations humaines ou anthropoïdes, cf. Comb., chap VIII<br />

(2)) Cf. ci-dessous, p. 211.


00111111 EX TA TJ ON G ÉNÊRA LE 299<br />

commee chez nombre de sauvag-es actuels,<br />

àà des déguisements cérémoniels.<br />

Less animaux ont fourni aux artistes<br />

paléolithiquess leurs sujets de prédilection.<br />

Leurss représentations sont de valeur inégalee<br />

: certaines ne sont que des griffonnagess<br />

presque informes et doivent être<br />

attribuéess à des apprentis, sinon même<br />

àà des enfants; d'autres, surtout au Mag-dalénienn<br />

supérieur, donnent l'impression<br />

d'œuvress bâclées et en quelque sorte exécutéess<br />

à la grosse ; ce sont pour ainsi dire<br />

dess articles de bazar, de l'art commercial<br />

duu genre des assiettes décorées qu'on trouvaitt<br />

jadis dans nos campagnes. Les<br />

figuress d'exécution hâtive aboutissent à<br />

dess schématisations où l'on a la plus<br />

grandee peine à reconnaître avec quelque<br />

probabilitéé le motif original. Mais un<br />

Fig.. 14. — Gravures sur bois de Renne<br />

(Lacave,, Lot).<br />

(d'aprèss VIRÉ).<br />

Fig.. 15. — Serpents.<br />

Gravuree sur os (Grotte<br />

dess Rideaux à Lespugue,,<br />

Haute-Garonne).<br />

Grandeurr vraie (d'après<br />

R.. de SAINT-PÉRIER).


300 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

grandd nombre sont traitées avec une telle maîtrise que non<br />

seulementt un naturaliste, mais quiconque a vu les animaux<br />

représentés,, les reconnaît au premier coup d'oeil.<br />

Dess coquillages et des coléoptères sont représentés à titre<br />

toutt à fait exceptionnel, sous forme de pendeloques (i). On<br />

connaîtt quelques gravures de serpents (fig. i5) (2). Les pois-<br />

Fig.. 16. — Cerfs et Saumons.<br />

Gravuress (déroulées) sur andouiller de Cerf (Lorthet, Hautes-Pyrénées^.<br />

Echellee : 3,4 environ (d'apivs PIETTE).<br />

sonss et les oiseaux, bien que plus fréquents, sont encore<br />

relativementt rares, surtout en sculpture. On peut citer pour<br />

less premiers, outre des figures qui ne permettent guère une<br />

déterminationn précise (fig. 79) (3), le Saumon (fig. 16), la<br />

Truitee (fig. 17), le Brochet (fig. 36) (4), la Sole (fig. 18),<br />

lee Tlion (5) ; pour les seconds, le Cygne, l'Oie, le Canard,<br />

laa Grue, le Coq de bruyère (fig. 19) (6).<br />

(1)) Cf. ci-dessous, p. 45-41J.<br />

(8)) R. de SAINT-I'ERIER, l'A., t. XXXIV, 1924, pp. 10-14.<br />

(3)) Cf. Hép., p. 62, n" G (Croze de Tnyac); p. 156, no 3 et 157, n» 5 (Mas d'Azil)p..<br />

173, n» 8 (grotte Rey); p. 184, Q» 1 (Teyjal). ''<br />

(4)) CI" Rép., p. 114, n" 8 et 116, n" 4 (Laugerie-BwM).<br />

(N)) Hép., p. 167, n° 3 (gravure pariétale de Find;il).<br />

(6)) Sur les représentations d'Oiseaux dans l'art paléolithique, cl'. Cav. cantabr.,<br />

chapitree XVI.


ORIENTATIONORIENTATION GÉNÉRALE 311<br />

Maiss ce sont surtout des Mammifères (i) que représentent<br />

Fig.. 17. — Poissons gravés sur le sol (grotte de Niaux, Ariège,'.<br />

Echellee : 1/5 (d'après BREUII.).<br />

less sculptures et gravures mobilières, aussi bien que les<br />

Fig.. 18. — Poisson (Soie?).<br />

Gravuree à contours découpés sur os ^Groltedes Bœufs, àLespugue, Haute-Garonne).<br />

Less deux faces. Double de la grandeur vraie (d'après R. de SAINT-PÉEUERI.<br />

figuresfigures pariétales. Les classes d'animaux représentées sont<br />

11 Sur les figures de Mammifères dans l'art paléolithique, cf. Cav. canlabr ,<br />

chap.. XV; p. de G., chap. X-XV; Comb., chap. VIII-XIII.<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 3


322 VAUTVAUT l'ALÉOLITHIQl r E<br />

nombreuses,, ce qui, joint aux ossements fossiles rencontrés<br />

danss les mêmes gisements, permet de reconstituer la Faune<br />

dee l'époque. Le Renne, dont on a donné le nom à celle<br />

époquee et qui était la ressource universelle pour les hommes<br />

Fig.. 19. — Gravures d'Oiseaux<br />

1.. Cyyne sur caillou roulé de Gourdan; 2. Canard sur bois de Renne de Gourdan<br />

S.S. Oiseau sur pierre de Lourdes (d'après PIETTÏ).<br />

d'alors,, auxquels il fournissait non seulement sa chair comme<br />

nourriture,, mais aussi ses os et ses bois comme matière<br />

ouvrable,, ses tendons qu'on disséquait en cordes ou fils de<br />

toutess les grosseurs souhaitées, est figuré à de très nombreuxx<br />

exemplaires (fig. Gi, 03-05, 94), peut-être cependant<br />

moinss fréquemment que le Bison (Kg. 3, 7, 53, 00, 69, 73,


ORIENTAORIENTA TION GÊNÉ RA L K 333<br />

78,, 101, 102). Viennent ensuite, encore assez fréquents, le<br />

Chevall (fig. 20), dont les représentations ont permis de<br />

reconnaîtree au moins deux g-randes races, le Bœuf sauvage,<br />

Aurochss ou Urus, le Mammouth (fig. 27, 44, 9 2 )i le Cerf<br />

Fig.. 20. — Equidé. Statuette en ivoire (grotte de Lourdes).<br />

Echellee : 4/3 environ (d'après PIBTTE) (dessin de H. BREUIL) .<br />

(fig 1 .. 16) et le Bouquetin (fig 1 . 74); enfin, avec des représentationss<br />

plus rares ou même exceptionnelles, le Rhinocéros<br />

(fig-.. 83), l'Ours (fig-. 67), le Phoque (fig 1 . 36), la Loutre, le<br />

I''<br />

Fig.. 21. — Têtes de Chamois et de Marmotte (?)<br />

Gravuress sur bois de Renne (Gourdan, Haute-Garonne). Echelle : 5/6 environ<br />

(d'aprèss PIETTE).<br />

Bœuff musqué, le Chevreuil, le Chamois (fig-. 21), l'Elan<br />

(fig-.. 70), l'Antilope saïga, le Lion des cavernes (fig. 80), la<br />

Hyène,, le Loup, le Chat sauvage, le Glouton (fig. 4o), le<br />

Sanglierr (fig. 90), le Renard, le Lièvre (fig. 22). Le chef-


344 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

d'oeuvree peut-être de cet arl animalier est l'admirable tête<br />

Fïg.. 22. — Lièvre.<br />

Gravuree sur pierre (Isturitz, Basses-Pyrénées) (d'après PASSEMARD).<br />

dee Cheval hennissant sculptée en bois de Renne du Mas<br />

Fig.. 23. — Tête de Cheval sculptée en bois de tienne.<br />

(grottee du Mas d'Azil, Ariège).<br />

Echellee : 2/1 environ (d'après PIETTE).<br />

d'Azill (fig. 23), qui révèle à la fois une habileté technique


0RŒXTAT10X0RŒXTAT10X GÉXÉRALE 3<br />

consomméee et un rendu saisissant de l'expression et de la<br />

vie..<br />

DansDans nombre de figures, la tête seule a été traitée ; une<br />

mentionn spéciale est due à une sculpture en bois de Renne<br />

duu Mas d'Azil représentant une tête de Cheval décharnée (i);<br />

c'estt sans doute, comme d'autres figures, l'image d'un trophéee<br />

de chasse et peut-être en même temps une étude anatomique..<br />

On peut considérer également comme des croquis<br />

dess figures de parties isolées du corps, en particulier des<br />

Fig.. 24. — Chasse au Sanglier.<br />

Peinturee rupestre en rouge sombre (Val del Charco del Agua amarga,<br />

provincee de Teruel, Espagne). Echelle : 1/0 (d'après OBERMAIER).<br />

boiss de cervidés ou des jambes. Les faits de ce genre donnentt<br />

à penser que, dès l'époque magdalénienne, il existait<br />

sinonn des écoles d'art comme on l'a prétendu avec quelque<br />

exagération,, du moins des hommes qui s'appliquaient avec<br />

zèlee à la création artistique et probablement même des<br />

artistess professionnels.<br />

Sii remarquable que soit l'art de la vaste région que nous<br />

venonss d'étudier, et malgré la haute valeur esthétique de ses<br />

chefs-d'œuvre,, on ne peut se défendre de le trouver un peu<br />

monotone.. La figure humaine n'y est guère représentée<br />

aprèss l'Aurignacien, et par des spécimens dont les meilleurs<br />

sontt simplement honorables. Dans l'ensemble, cet art donne<br />

l'impressionn d'une vaste ménagerie, et l'œil même finit par<br />

see lasser de cet interminable défilé d'animaux qui, sauf<br />

exceptionss relativement peu nombreuses, sont toujours les<br />

(1)) Rép., p. 149, n° 4.


366 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

mêmes,, parfois saisis avec une fidélité d'attitude qui fait<br />

penserr à la photographie instantanée, mais, à part de rares<br />

exceptions,, sans aucun souci de composition.<br />

Mais,, depuis une quinzaine d'années, des découvertes qui<br />

see poursuivent tous les jours ont révélé une nouvelle provincee<br />

de l'art paléolithique, qui se distingue par des caractèress<br />

spéciaux. Sa situation géographique est en gros l'Es-<br />

Fig.. 25. — Chasse aux Cerfs.<br />

Peinturee rupestre en rouge sombre (Cueva del Mas d'en Josep, Barranco de<br />

Valltorta,, province de Castellon, Espagne). Echelle : 1/5 (d'après OBERMAIER).<br />

pagnee de l'Est et du Sud-Est (i). Elle n'a pas fourni d'œuvres<br />

d'artt mobilier, mais uniquement des peintures tracées, non<br />

pluss dans les profondeurs obscures de vastes cavernes, mais<br />

surr les parois d'abris ou même sur des rochers en plein air.<br />

Cess productions sont certainement contemporaines de l'âge<br />

duu Renne du reste de l'Europe, bien qu'elles ne figurent pas<br />

cett animal, dont au reste les ossements sont très rares et<br />

auquell le climat ne devait pas convenir; mais leurs auteurs<br />

avaientt des conceptions esthétiques partiellement originales.<br />

Danss l'état encore rudimentaire de nos connaissances, ils<br />

(1)) Cf. H. OBERMAIER, El Hombre fosil, 2* édit., Madrid, 1925, chap. VII.


01UEXTA01UEXTA T10X GÉNÉRALE 377<br />

semblentt avoir appartenu à des peuplades dites capsiennes,<br />

venuess peut-être de Tunisie qui, tandis qu'au Nord des Pyrénéess<br />

où on les appelle aurignaciennes, elles auraient été<br />

modifiéess dans la suite par des influences solutréennes et<br />

magdaléniennes,, auraient<br />

suivii en Espagne jusqua<br />

l'Azilienn une évolution à peu<br />

prèss indépendante.<br />

Onn rencontre dans ces<br />

peintures,, surtout semble-till<br />

au début, des animaux<br />

isoléss de même style que<br />

ceuxx de la région francoeanlabrique,,<br />

cette ressemblancee<br />

pouvant s'expliquer,<br />

sanss faire appel à des influencess<br />

d'une région sur l'autre,<br />

parr une même tendance au<br />

réalismee qui a pu se produire<br />

indépendammentt de part et<br />

d'autre.. En tout cas, l'originaliléé<br />

des artistes espagnols<br />

paléolitlnquess se manifeste<br />

d'unee façon incontestable par<br />

dess scènes complexes, pleines<br />

dee vie et parfois exubérantes<br />

Fig.. 26. — « Sic vos non vobis ».<br />

Récoltee du miel.<br />

Partiee supérieure d'une peinture rupestree<br />

rouge (Bicorp, province de Valence<br />

Espagne),, Echelle : 1/2.<br />

(d'aprèss OBERMAIER).<br />

dee mouvement, où l'Homme occupe le premier plan. Ce sont<br />

principalementt des scènes de chasse (fig. 24, 25, 56-58) et<br />

dee guerre (fig. 55), parfois aussi des scènes de la vie civile, si<br />

l'onn peut dire, comme certains groupes qui semblent vouloir<br />

représenterr des palabres, ou à Cogul la réunion de neuf femmess<br />

autour d'un homme, que l'on interprète généralement,<br />

peut-êtree avec une imagination un peu prompte, comme une<br />

dansee ou une cérémonie rituelle (fig. 116). Ailleurs, ce sont de<br />

véritabless scènes de genre, par exemple le bonhomme grimpantt<br />

le longd'une corde ou d'une liane de la Vieja (fig. 60), qui


388 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

rappellee des gravures sur bambous de Nouvelle-Calédonie, les<br />

deuxx personnages d'une roche peinte de Bicorp (province de<br />

Valence)) montant à une sorte d'échelle de corde pour s'emparerr<br />

du miel d'abeilles qui volent autour d'eux (fig. 26), ou<br />

enfinn le délicieux groupe de Minateda d'une femme conduisant<br />

unn enfant par la main (fig. 81). Il y a là un art à la fois pittoresquee<br />

et humain, tout à fait inattendu pour ces temps reculés<br />

ett du plus haut intérêt, tant par le sentiment qui l'inspire que<br />

parr sa technique d'une naïveté savante qui suggère les formes<br />

ett les attitudes par des lignes simples et quasi schématiques<br />

ett cependant pleines de naturel et de vie.


CHAPITRECHAPITRE 11<br />

<strong>L'ARTT</strong> DÉCORATIF<br />

L'artt décoratif repose sur l'idée ou tout au moins le sentimentt<br />

que des modifications artificielles apportées à des<br />

objetss préexistants les rendent plus beaux, c'est-à-dire plus<br />

agréabless à l'œil. Décoration et parure sont donc essentiellementt<br />

parentes, et ne diffèrent que par la nature de la chose<br />

qu'elless modifient : la décoration est la parure d'un objet<br />

matériel,, la parure est la décoration du corps humain.<br />

Nouss commencerons donc par étudier avec quelques<br />

détailss la parure paléolithique, à laquelle les traités de préhistoiree<br />

ne consacrent que des développements, selon nous<br />

insuffisants..<br />

Pourr la parure comme pour le costume (que nous laissons<br />

icii de côté, en tant que relevant plutôt de l'industrie utilitairee<br />

que de l'art proprement dit), les documents sont de<br />

deuxx sortes : d'une part, les objets de parure effectivement<br />

retrouvéss dans les fouilles, de l'autre, les œuvres figurées où<br />

dess personnages humains sont représentés, ornés de ces<br />

paruress (i). Ces derniers documents peuvent seuls nous<br />

donnerr des indications, encore forcément incomplètes, sur<br />

less parures en matières périssables, qui n'ont pu se conserver<br />

jusqu'àà nous. C'est ainsi que diverses peintures rupestres<br />

espagnoless (Gharco del Agua amarga, Valltorta, Minateda,<br />

laa Vieja) (fîg. 117), témoignent de l'usage de coiffures de<br />

plumes,, analogues à celles des Peaux-Rouges.<br />

(1)) La stalue féminine de Willendorf ;fig. 2 a un bracelet à l'avant-bras; la<br />

Femme au Renne » iflg. 4, n° 2 porte l'indication de bracelets et d'un collier.


400 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Peut-êtree les Paléolithiques pratiquaient-ils le tatouage OU<br />

laa peinture corporelle, d'après des indices qui, corroborés<br />

parr les parallèles ethnographiques, présentent une certaine<br />

vraisemblance,, mais non une certitude absolue. Les matières<br />

colorantess trouvées en abondance dans une foule de gisenientss<br />

avec les objets employés pour les broyer, les triturer<br />

ett les étendre (i) peuvent avoir servi à d'autres usages, soit<br />

pourr les œuvres d'art (peintures proprement dites, gravures<br />

ett sculptures qui étaient parfois recouvertes de couleur, à en<br />

jugerr par les traces qui ont subsisté sur certaines) (2), soit<br />

pourr recouvrir de poudre rouge le sol des sépultures et les<br />

cadavres,, selon un rite qui sera étudié plus loin (3), sans<br />

qu'ill soit permis de conclure de cette sorte de peinture des<br />

mortss à une peinture analogue des vivants. Certaines figures<br />

interprétéess au début comme des bras humains et sur lesquelless<br />

on croyait apercevoir des tatouages sont considérées<br />

aujourd'huii avec la plus grande vraisemblance comme des<br />

dessinss stylisés de poissons (4).<br />

L'argumentt actuellement le plus solide en faveur de la<br />

pratiquee de la peinture corporelle est fourni par des fig-ures<br />

humainess sculptées ou gravées où des traits incisés semblent<br />

vouloirr représenter cette peinture; telles sont certaines sculpturess<br />

de Mézine (Ukraine), qui semblent des figurines<br />

humainess dégénérées et qui portent sur la région de la taille<br />

ett des reins des décorations géométriques, ou encore la gravuree<br />

sur ivoire de Przedmost (fig. 11); mais elles sont tellementt<br />

stylisées qu'on se fait scrupule d'en tirer argument.<br />

Less rangées d'incisions que portent des figures plus naturalistes,,<br />

« la Poire » de Brassempouy (fig. 6) et la « Femme au<br />

Rennee » (fig. n° 2), figurent, non des tatouages, mais la<br />

pilositéé naturelle du corps. Le pelage des animaux est représentéé<br />

d'une façon analogue, non seulement dans de nombreux<br />

(1)) Altam., p. 115-121; Font-de-Gaume, p 48-52<br />

(2)) Cf. ci-dessus, p. 20.<br />

(3)) Ci-dessous, p. 185-187.<br />

(4)) Ci-dessous, p. 78.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 41<br />

spécimenss magdaléniens sculptés ou gravés, mais déjà à la fin<br />

dee l'Aurignacien sur le Mammouth sculpté en ivoire de<br />

Przedmostt (fig. 27). Tout compte fait, la pratique de la<br />

peinturee corporelle aux temps paléolithiques et dès l'Aurignacienn<br />

semble probable, mais reste insuffisamment établie.<br />

Mais,, même avec cette réserve de prudence objective, la<br />

Fig.. 27. — Mammouth. Honde-bosse en ivoire (Przedmosl, Moravie)<br />

Echellee : 2/3 environ (Collection KRIZ) .<br />

paruree corporelle se présente incontestablement dès le début<br />

dee l'âge du Renne sous forme de bijoux, dont une quantité<br />

assezz considérable nous sont parvenus. Les plus simples<br />

étaient,, selon toute vraisemblance, des pierres rencontrées<br />

surr leur route par les chasseurs qui, séduits par leur forme ou<br />

surtoutt leur couleur, les avaient rapportées au campement..<br />

L'utilisation de ces « pierreries » reste incertaine<br />

lorsqu'elless ne présentent aucune trace de travail humain ;<br />

maiss on trouve, à côté de pierres sans retouches, mais dont<br />

dess étranglements naturels permettaient la suspension, des


422 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

pierress sur lesquelles ont été pratiquées des encoches latéraless<br />

symétriques destinées à cet office; c'est le cas notammentt<br />

dans le gisement solutréen de Monthaud (Indre) (i).<br />

L'utilisationn intentionnelle d'objets naturels est établie avec<br />

certitudee lorsque ceux-ci portent des perforations artificielles.<br />

Cee n'est d'ailleurs pas à dire que tous les objets perforés<br />

soientt des bijoux. La perforation n'est pas nécessairement<br />

unee preuve de suspension; un objet suspendu ne l'est pas<br />

forcémentt au corps humain (exemple : nos casseroles, malgré<br />

leurtrou|àà l'extrémité du manche), et même un objetsuspendu<br />

auu corps humain peut être, non un bijou, mais un instrument<br />

ouu une arme. Même en laissant de côté les objets fabriqués<br />

auxquelsauxquels leur forme assigne une destination pratique [bàlon<br />

trouéss dits « bâtons de commandement », propulseurs souventt<br />

perforés à l'extrémité, lissoirs (a)], certains objets naturelss<br />

perforés semblent trop volumineux et trop lourds pour<br />

avoirr servi de bijoux : tels sont de gros galets qui ont pu<br />

êtree employés comme poids de filets. Diverses pointes de<br />

sagaiess en bois de Renne, notamment de Laugerie-Basse (3)<br />

ett de Lespugue (fig. 34) portent à leur partie inférieure une<br />

perforationn qui peut avoir servi soit à les porter comme pendeloques,,<br />

soit à les fixer à leur manche par un lien ou une<br />

goupille.. Certaines rondelles de sanguine à perforation centralee<br />

semblent mal adaptées par leur forme au rôle de<br />

crayonss et rappellent par contre les disques percés en os qui<br />

devaientt être des bijoux ; mais d'autres pièces de môme<br />

matière,, également perforées ou munies d'une tête, peuvent<br />

avoirr été portées aussi bien comme des crayons de couleur<br />

dontt leur propriétaire ne voulait pas se séparer que comme<br />

dess bijoux colorés analogues à nos pendeloques en corail (4).<br />

(1)) BREUIL et CLÉMENT, Un abri solutréen sur les bords de l'Anglin, Mémoires de<br />

lala Soc. des Antiquaires du Centre, t. XXIX, 1900, p. 11-12 (du tiré à part) et<br />

(2)) Trois lissoirs intacts du Magdalénien ancien du Placard, donl l'un mesure<br />

pluss de 25 centimètres de long, sont percés à la base (A. de MOIITILIET ConarM<br />

préhist.préhist. de F,:, 1890, p. 256). ' ' vu " 9 ' es<br />

(3)) GIROD et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, pi. LXX1, n" 5 et pi. LXX1I, n


L'ARTL'ART DÉCORATIF<br />

Quoii qu'il en soit de ces cas litigieux, on doit considérer<br />

sanss aucune hésitation comme des bijoux les dents (fig. 28 et<br />

3o)) ou les coquillages perforés recueillis en si grand nombre<br />

danss tant de stations (on pourrait dire plus ou moins dans<br />

toutes)) qu'il serait sans intérêt d'en donner une énumération,<br />

mêmee sommaire. Il sera plus utile de signaler en passant<br />

quee certaines coquilles de provenance éloignée des lieux où<br />

less fouilles les ont découvertes témoignent, soit d'amples<br />

Fig.. 28. — Dents de Carnassiers, de Renne, de Cheval (A) et os de Renne (B)<br />

percéss de trous de suspension (Lacave, Lot)<br />

(d'aprèss VIRÉ).<br />

migrationss des chasseurs paléolithiques, soit de relations<br />

commercialess (1).<br />

Less Paléolithiques ont également transformé en bijoux des<br />

vertèbress de poissons (2) et des os, en passant un fil soit à<br />

traverss le canal qu'ils fournissaient naturellement, soit<br />

danss des perforations artificielles (fig. 28) (3). Des galets<br />

(1)) Notamment des coquillages méditerranéens (Cypraea lurida, C. pyrum, Nassa<br />

gibbosula)gibbosula) trouvés à Laugerie-Basse, et les coquilles marines trouvées dans les gisementss<br />

de Haute-Garonne (Gourdan, Lespugue, etc.), distants d'environ 200 kilomètress<br />

a vol d'oiseau tant de la Méditerranée que de l'Atlantique.<br />

(2)) Deux vertèbres de poisson (genre Salmo?) percées à la grotte Rey (RIVIÈRE,<br />

A.. P. A. S., Caen, 1894, t. II, p. 715 et pi. X, n° 13).<br />

(3)) Bruniquel (Montastruc), des os d'oiseaux percés à l'une de leurs extrémités<br />

(PECCADEAUU de L'ISLE, Rev. archéol., 1868, I, p. 217); Bruniquel (grotte des<br />

Forges)) un petit os décoré de traits qui peut avoir été enfilé et de petits os perforés<br />

(CARTAILHAC,, l'A., t. XIV, 1903, p. 306, fig. 110 et 111); Combarelles, extrémité de<br />

cubituss d'oiseau (Ac/uila sp.) percée RIVIÈRE, A. F. A. S., 1894, t. II, p. 71,<br />

pi.. X, n° 11); Grotte Rey, très petite clavicule, longue et mince, aplatie, percée<br />

d'unn trou rond à chaque extrémité (RIVIÈRE, A. F. A. S., 1894, t. II, p. 716; ; Le<br />

433


444<br />

L'AL'A HT PALÉOLITHIQUE<br />

perforéss ont dû recevoir la même utilisation (fig 1 . 29) (1).<br />

Mais,, dès une époque ancienne, l'Homme ne s'est pas contentéé<br />

de percer pour les suspendre des objets que la nalurr<br />

Fig.. 29. — Bâton troué en bois de Renne avec déroulement de ses gravures<br />

(Echellee : 1/3) et galet de schiste percé d'un trou de suspension (Lacave, Lot)<br />

(d'aprèss VIRÉ).<br />

luii fournissait tout faits; il a taillé dans la pierre, l'ivoire, l'os<br />

Placard,, couches magdaléniennes anciennes, stylets du pied ou bois de Henné, plus<br />

ouu inoins découpés et percés d'un trou (A. de MARET, Congrès archéol. de ,<br />

Vienne,, 1879, p. 171-172).<br />

11 Laugerie-Haute Solutréen), galet roulé en schiste rougeâtre de forme ovoïde,<br />

percéé à son extrémité la plus pointue (L, GIRAUX, Bull. Soc. préhist. Fr., t. IV,<br />

1907,, p. 215 et (ig. 5). —Altamira (probablement Magdalénien ancien 1 , plaque<br />

schisteusee avec trou de suspension (Altam., p. 2). — Laugerie-Basse, divers galets<br />

perforéss (GIROD et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, pi. LXXXI).


L'ARTL'ART DÉCORATIF 455<br />

ouu le bois de Renne, qu'il savait façonner en outils ou en<br />

armes,, des pièces destinées à être enfilées et qu'on ne saurait<br />

comparerr mieux qu'aux perles tubulaires de nos couronnes<br />

mortuairess ou à nos grains de colliers (fig-. 3o). L'Abri Blanchardd<br />

notamment (Aurignacien moyen) a non seulement livré<br />

unee quantité particulièrement considérable de perles en ivoire<br />

ett bois de Renne, mais encore permis de reconstituer la<br />

techniquee de leur fabrication (1).<br />

Parmii ces pendeloques entièrement artificielles, une men-<br />

Fi;r.. 30. — Perles en pierre (18), dents d'animaux percées (19, 20) et rondellee<br />

d'os perforée (21) (Abris du Château, Bruniquel, Tarn-et-Garonne). :<br />

Echellee : 2'3 (d'après CARTAII.HAC).<br />

tionn spéciale est due à celles qui sont des imitations d'objets<br />

naturelss utilisés comme bijoux, dents (2) ou coquillages (3).<br />

11 L. DIDOX, L'Abri Blanchard, Périgueux, 1911 (Extrait du Bull.de la Soc.<br />

kistor.kistor. et urcliéol. du l'érigord., p. 35.<br />

[t][t] Gomme exemples de ces fausses dents, inventées à une époque très reculée<br />

nonn par des dentistes, mais par des bijoutiers, nous citerons plusieurs dents artificielless<br />

en ivoire, notamment de Renard, trouvées en même temps que des dents<br />

percéess véritables à Pair-non-Pair (Aurignacien moyen), et diverses imitations de<br />

caniness de Cervidés, une en ivoire, plus grande que nature, de Monthaud ; Indre,<br />

Solutréenn typique) (BREUIL et CLÉMENT, Un abri solutréen, op. cit., fig. 12, n° 10),<br />

unee du Placard Magdalénien ancien) (A. de MORTILLET, Congrès préhist. Fr.,<br />

Vannes,, 1906, p. 261), plusieurs de la grotte magdalénienne du Mammouth (Pologne 1<br />

A.. de MORTILLET, Bull. Soc. préhiêt.Fr., t. IV, 1907, p. 215-216), une en os de<br />

laa grotte des Harpons à Lespugue (Magdalénien supérieur; (R. de SAINT-PÉRIER,<br />

VA.,VA., t. XXX, 1920, p. 220 et fig. 2, 11° 3 .<br />

:{{ Une bague d'ivoire de Pair-non-Pair portait en guise de chaton une Ci/prée<br />

tailléee dans la même masse; une bague analogue, mais plus fruste, aujourd'hui perdue,,<br />

a été trouvée à la Chaise et publiée par l'abbé Bourgeois. De Laugerie-Basse<br />

provientt une coquille de Cardium en bois de Renne avec trou de suspension brisé<br />

iGuiODD et MASSENAT, Laugerie-Basse, pi. LXXIX, n° 15). Une pendeloque en


466 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Diversess pendeloques sont des imitations, les unes peutêtree<br />

de fruits (i), d'autres certainement d'insectes (2), ce qui<br />

donnee à penser que les Paléolithiques, comme divers sauvagess<br />

actuels, mettaient à contribution pour leur parure ces<br />

productionss naturelles, et peut-être aussi les fleurs et les<br />

feuilles,, concurremment aux coquillages et aux dents.<br />

Puis,, le bijoutier s'émancipe de la simple reproduction<br />

artificiellee d'objets naturels antérieurement employés comme<br />

pendeloques.. Déjà, des pendeloques en ivoire de Paviland et<br />

dee Spy (Aurignacien moyen), en forme de haricots, pourraientt<br />

avoir l'intention de représenter, sous une forme extrêmementt<br />

schématique, des corps humains de profil. En tout<br />

cas,, on trouve à partir du Magdalénien ancien des contours<br />

découpéss de têtes de Cheval, munis de trous de suspensionn<br />

(3). Nous rangerions volontiers dans la même catégoriee<br />

des bijoux sculptés la magnifique pièce d'ivoire du<br />

Mass d'Azil (Magdalénien ancien) (4), à sculptures de Bouquetinss<br />

et incisions ramiformes, que ses dimensions et son poids<br />

nee nous semblent pas interdire de considérer comme une<br />

sortee de pendentif. Elle porte d'ailleurs deux perforations,<br />

l'unee en partie brisée à l'extrémité pointue, une autre plus<br />

petitee vers l'autre bout, qui semblent témoigner de difficultés<br />

ouu d'hésitations relatives à son mode de suspension.<br />

ivoiree de 7 centimètres de long de la grotte des Bœufs à Lespugue Magdalénien<br />

ancien)) pourrait être une imitation de Cérithe ou de TurritelU l\. de SUNT-PÉRIER<br />

Less grottes de Lespugue et de Montmaurin, Saint-Gaudens, 1921 extrait de là<br />

HeeueHeeue de Comminges), p. 15 et lîg. 4, n° 7.<br />

I)) Une pendeloque de l'Abri Blanchard ressemble beaucoup à une noisette<br />

(DiDON,, op. cit., pi. VI, n° 11).<br />

i)i) Tels sont, sans parler de quelques spécimens moins nets, un Bupreste en lignite<br />

dee la grotte du Tniobite iMagdalénien ancien), (Rép., p. 20 n«l(Min et deux Coc<br />

cmelleaa en ivoire, Tune de Laugerie-Basse {Rép., p. 110, n°- 10-11), l'autre de Gap-<br />

nnff ?vf!T<br />

nR ' ête de GheVal décou P ée dan * un os de Saumon de Brassempouyy<br />

Magdalénien moyen) (lig. 31); du Mas d'Azil une tfile découpée en os<br />

cL?3mîncL?3mîn<br />

Pr °i Q" 16 6 7 c° S<br />

' P ' 153 ' n °* U) ' une p " ala ^ e sculptée en lêle<br />

Chevall (fiep,p.H9,n"7-9); d Isturitz une tête de Cheval découpée enos (PABSUMARD<br />

RevueRevue archeol., 1922, I, p. 34, fig. 30) ; de l'abri de la Garenne a Saint-Marcel ( ndrê'<br />

unee belle tête de Cheval découpée dans un os plat et dont les naseauxfourni 'ènt fé<br />

trouu de suspension (fig. 33). - Peut-être faut-il attribuer à 1. même sér eu, bois<br />

l l ^ ^ T ^ T Sr0SSièU lté f ^ S 5ï<br />

(4)) Hép.,\. 153,'n" 1 et 2.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 477<br />

Less modifications artificielles apportées aux pendeloques<br />

Fig.. 31. — Tête d'Equidé.<br />

Pendeloquee à contour découpé dans l'os de l'ouïe d'un Saumon.<br />

(Brassempouy,, Landes). Grandeur vraie (d'après PIETTE).<br />

soitt naturelles, soit fabriquées, pour les suspendre sont de<br />

Fig.. 32. — Tête de Cheval. Pendeloque à contour découpé en os.<br />

(Grotlee du Mas d'Azil, Ariège). Grandeur vraie (d'après PIETTE).<br />

naturess diverses : encoches latérales symétriques (i), rainure<br />

(1)) Exemple : portion de jaspe rouge de Monthaud (Indre) (Solutréen) (BREUIL<br />

ett CLÉMENT, op. cit., lig-. 3, n° 1)<br />

G.-H.. LOQOBT. — Art et religion des Hommes fossiles. 4


488 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

circulairee autour de l'une des extrémités (i), et surtout perforation..<br />

Celle-ci est faite de façons variées, parfois par<br />

sciage,, notamment pour les Cyprées (2) ; le plus souvent,<br />

pourr les valves de coquillages, les dents, les objets en<br />

matièree osseuse ou en pierre, de même que pour le chas des<br />

aiguilless magdaléniennes, en perçant sur chaque face de<br />

l'objett une cavité conique; les deux cavités, en se rejoignant,,<br />

formaient un trou traversant l'objet. Ce procédé est<br />

bienn mis en lumière par divers objets sur lesquels les deuxcavitéss<br />

se rejoignent mal (3).<br />

Fig.. 33. — Tête de Cheval.<br />

Pendeloquee à contour découpé en os (Saint Marcel, Indre^.<br />

Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />

Pourr suspendre ces pendeloques, les Paléolithiques ont<br />

puu utiliser des tiges végétales suffisamment longues, minces,<br />

soupless et résistantes; mais il est vraisemblable qu'ils se<br />

sontt servis principalement, comme les populations actuelles<br />

quii possèdent le Renne (Lapons et Esquimaux), de liens<br />

empruntéss à cet animal. Ses intestins se prêtent à la confectionn<br />

de cordes à boyau ; mais surtout ses tendons sont de<br />

véritabless écheveaux d'où l'on peut détacher à sa guise des<br />

filss de toutes les grosseurs voulues, jusqu'aux plus ténues<br />

Onn a trouvé dans les stations paléolithiques de nombreux<br />

canonss de Renne portant près de leur extrémité inférieure<br />

auu point d'insertion des gros tendons, des traces manifestes<br />

(1)) Exemple : une poinle de BeUmnitella du Solutréen de I n,,.vPn IT .<br />

,, Bull. Soc. prélmt. Fr t IV 1907 p 214 t n if Uau Sene-IIaulo<br />

——


L'ARTL'ART DÉCORATIF 49<br />

dee sectionnement qui prouvent que ceux-ci ont été détachés<br />

parr les Paléolithiques (i). Ils avaient également à leur dispositionn<br />

les crins de Cheval ou, sans chercher plus loin, les<br />

cheveuxx humains.<br />

Less pendeloques ne sont pas les seuls objets de parure<br />

employéss par les Paléolithiques. Des sections transversales<br />

dee défenses de Mammouth transformées en anneaux à Brassempouyy<br />

et à Spy (Aurignacien moyen), à Paviland (2), au<br />

Placardd (Solutréen supérieur) (3), ou plus simplement des<br />

anneauxx sciés dans la diaphyse d'un os long (4) fournissaient,,<br />

selon leur diamètre, des bracelets ou des bagues.<br />

Diverss objels en matières osseuses, bien que pouvant être<br />

interprétéss comme des poinçons, des poignards ou des<br />

pointess de sagaies, semblent devoir à cause, soit de leurs<br />

dimensions,, soit de leur minceur qui n'aurait fourni qu'une<br />

soliditéé insuffisante pour des objets d'usage, être considérés<br />

plutôtt comme' des épingles à cheveux, interprétation qui<br />

paraîtt incontestable pour le spécimen trouvé sur le front du<br />

squelettee de la grotte du Cavillon (5). Ce sont, pour l'époque<br />

aurignacienne,, tantôt des os, notamment des métacarpiens<br />

aiguiséss à l'une des extrémités et dont la saillie de l'articulationn<br />

a été conservée à l'autre bout, tantôt des pièces entièrementt<br />

artificielles, mais de même forme et où la tige mince<br />

aa été intentionnellement munie d'une tête (6).<br />

Onn peut, semble-t-il, attribuer le même rôle à de longues<br />

ett minces baguettes magdaléniennes en bois de Renne,<br />

droitess ou légèrement incurvées, effilées à leurs deux extrémités,,<br />

notamment de Laugerie-Basse (7). Je rangerais dans<br />

11 GIROU et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, p. 75.<br />

(2)) Fragments d'anneaux en ivoire, de 11 à 12 centimètres de diamètre, trouvés<br />

auprèss du squelette aurignacien iGrim., t. II, p. 305).<br />

(3)) A. de MORTILLET, Congrès prékist. del'r.. Vannes, 190G, p. 253.<br />

tt Exemple : VERNEAU, L'A., l. III, 1892, p. 524. Bg. 11 (Barma Grande).<br />

(55 La pholùgrapliie que reproduit notre Bg. 107 ne donne pas cette position de<br />

l'épingle;; on la trouvera dans Grim., t. II, pi. 1, n" 1.<br />

66 Grim., t. II, pi. XX, n 1 " 12-14 Grotte des Enfants ; un objet analogue en<br />

métacarpienn de Loup a été trouvé à côté du squelette aurignacien de Paviland<br />

Grim.,, t. II, p. 304 : Grim., t. II, fig. 150 et 151 Gorge d'Enfer .<br />

77 GIHOD et MABSÉHAT, Laugerie-Basse, pi. LXXX1X-XC.— Cf. une pièce analoguee<br />

de Bruniquel MORTILLET, Musée préhistorique, 2' édit., n J 228).


500 L'.\ltrL'.\ltr PALÉOLITHIQUE<br />

laa même catégorie une pièce analogue de la grotte des Harponss<br />

à Lespugue (Hg. 34), malgré la perforationn<br />

que porte une de ses extrémités, et qui<br />

pourraitt avoir servi, soit à y fixer une sorte<br />

dee goupille formant arrêtoir, soit à y suspendree<br />

une pendeloque mobile.<br />

Certainss objets, d'ailleurs rares, semblent<br />

pouvoirr être considérés comme des boucles<br />

dee ceintures ou plus généralement des piècess<br />

destinées à fixer les extrémités de lanières<br />

dee cuir. Tel serait un objet pislilliforme en<br />

ivoiree de Brassempouy (i) décoré de reliefs<br />

onduléss sur sa partie renflée ; la lanière aurait<br />

étéé cousue autour de sa gorge médiane. On<br />

peutt attribuer un rôle analogue à sept objets<br />

enn bois de Renne du Placard (Magdalénien<br />

ancien),, en forme d'arceaux dont les branchess<br />

se terminent en pointes divergentes<br />

parr lesquelles ils auraient été maintenus dans<br />

lee cuir. Enfin, de menus objets en ivoire, os<br />

ouu bois de Renne, rappelant en petit les<br />

bobiness du « diabolo » de nos enfants, et<br />

quii semblent apparentés aux objets en forme<br />

dee « double olive » de la Barma Grande dont<br />

nouss parlons plus loin, auraient pu, fixés<br />

parr une attache entourant leur étranglement<br />

central,, avoir un emploi analogue à celui de<br />

noss boutons de pelisses en olives ou de nos<br />

boutonss de manchettes à bascule (2).<br />

** '<br />

Fig.. 3*. — Epingle à cheveux (?) el pointe de sagaie<br />

àà base perforée, en bois de Renne (grotte des Harpons<br />

àà Lespugue, Haute-Garonne).<br />

Echellee : 3/4 (d'après H. de SAI.NT-PÊIUEU).<br />

(I)) Bép., p. 31, n° 3.<br />

ii Exemples de Laugerie-Basse : GIROD etMASsÉNAT,Laugerie-Basse,pl.LXXlX,<br />

n>> 13 a et 6; MORTILLET, Musée préhistorique, 2" édit., n" l'JO.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 51<br />

Sii l'interprétation du rôle de divers de ces objets reste<br />

pluss ou moins conjecturale, elle est rendue certaine pour<br />

bonn nombre d'entre eux par leur découverte dans des sépulturess<br />

(i), qui non seulement nous renseigne sur leur emploi,<br />

maiss encore fournit des détails sur les parures complexes où<br />

ilss entraient comme éléments. Nous avons déjà signalé<br />

l'épinglee à cheveux de l'homme du Cavillon; il avait en<br />

outree le crâne couvert de plus de 200 Nasses et 22 canines<br />

dee Cerf perforées aux régions temporales; le tout devait<br />

constituerr une sorte de résille analogue à celles que portent<br />

encoree des pêcheurs ou des femmes du peuple dans certaines<br />

régionss de l'Italie. Il avait en outre au jarret un jambelet de<br />

Nassess (2). Dans la grotte des Enfants, le jeune homme<br />

négroïdee portait sur un pariétal 4 rangs de Nasses (Ci/clonassanassa<br />

neritea) perforées qui avaient dû former une sorte de<br />

couronnee (fig. 10G). La vieille femme inhumée à côté de lui<br />

avaitt deux bracelets composés des mêmes coquilles, l'un<br />

au-dessuss du poignet gauche, l'autre, à deux rangs, encore<br />

fixéfixé par une gangue solide à l'humérus au-dessus de son<br />

extrémitéé inférieure. Pour l'homme rencontré dans un foyer<br />

àà 70 centimètres au-dessus des deux squelettes précédents,<br />

onn a recueilli à gauche, au milieu des côtes, un certain<br />

nombree de Nasses perforées qui avaient dû appartenir à un<br />

collierr ou à une sorte de pectoral; un petit nombre des<br />

mêmess coquilles et quelques dents de Cerf retrouvées isolées<br />

àà côté de la tête et en dessous de la mandibule ont pu faire<br />

partiee d'un collier et d'un diadème (3). Les deux enfants<br />

auxquelss cette grotte doit son nom étaient accompagnés<br />

d'unn millier de Nasses perforées, appartenant à « une ceinturee<br />

de coquillages ou pagne, s'étendant pour chacun d'eux<br />

depuiss l'ombilic jusqu'au tiers supérieur des cuisses et recouvrantt<br />

entièrement le bassin et les lombes » (4)-<br />

(1)) Cf. ci-dessous, p. 180.<br />

(2)) Grim , t. II, pp. 31 et 289.<br />

(3)) lbid., pp. 29-30.<br />

(4)) E. RIVIÈRE, De l'Antiquité de l'homme dans les Alpes Maritimes, Paris, 1877,<br />

p.. 119 et pi. XIII.


L'AllTL'AllT PALÊOLITHIQl 'E<br />

Auu Baousso da Torre, l'homme rencontré à .'i m. go de<br />

profondeurr avait autour de la tête de nombreuses coquilles<br />

ett des dents de Cerfs perforées; il portait un collier composé<br />

dee canines de Cerf et, de 162 coquilles et des bracelets qui<br />

ontt été retrouvés au niveau des coudes (au coude droit,<br />

a55 Nasses, une Cypraea lurida, une C. pyrum, un Cérithe;<br />

auu coude gauche, 19 Nasses et une Cypraea pyrum) et du<br />

poignett gauche; deux Cypraea lurida recueillies un peu<br />

au-dessouss des grands trochanters, une de chaque côté,<br />

pouvaientt avoir été suspendues à une sorte de ceinture.<br />

L'hommee rencontré i5 centimètres plus haut avait, audessouss<br />

de la clavicule une Cypraea pyrum et deux Nasses<br />

quii ont pu faire partie d'un collier; il portait en outre des<br />

braceletss au-dessus des coudes (une dent de Cerf et des<br />

coquilless au coude droit) et aux poignets (des Nasses et une<br />

Cypréee au poignet droit, 12 Nasses, une Cyprée et un<br />

Buccinn au poignet gauche). Des coquilles appartenant aux<br />

mêmess genres ont été retrouvées de chaque côté auprès des<br />

condyless fémoraux (1).<br />

Less parures du Baousso da Torre comprenaient des<br />

coquilless plus variées et de plus grandes dimensions (Cardium,dium,<br />

Cypraea, Buccinum, Cerithium) que les Nasses,<br />

seuless représentées dans les grottes du Cavillon et des<br />

Enfants.. A la Barma Grande, elles ajoutent aux coquillages<br />

ett aux dents des vertèbres de poisson et des pendeloques<br />

artificielles.. Dans la sépulture triple, le squelette masculin<br />

quii gisait en avant des deux autres portait sur la tête des<br />

Nassess perforées, des vertèbres de poisson dont la cloison<br />

médianee était percée et des canines de Cerf percées et ornées<br />

dee stries sur la couronne; sur le frontal, de jolies petites<br />

pendeloquess en ivoire, planes d'un côté et présentant sur<br />

l'autree face, en dessous d'une partie plane percée du trou<br />

dee suspension, une partie hémisphérique ornée de séries de<br />

striess parallèles finement gravées. Il portait un collier com-<br />

(1)) Grim., t. II, p. 32 et 2911.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 53<br />

poséé de pendeloques exactement semblables à celles qui<br />

viennentt d'être décrites, de vertèbres de poisson et de<br />

i44 dents de Cerf. Au niveau du thorax, on a rencontré les<br />

mêmess pendeloques hémisphériques, des vertèbres de<br />

Saumonn perforées et un objet en os ayant la forme de deux<br />

olivess mises bout à bout, que l'étranglement de sa partie<br />

médianee permettait de suspendre sans perforation ; toute la<br />

surfacee de ce bijou est décorée de petites stries disposées en<br />

rangéess parallèles. Enfin, ce cadavre portait de chaque côté<br />

duu tibia g-auche une grosse coquille (Cypraea millepunctata)<br />

perforée,, qui devait être enfilée dans une sorte de jarretièree<br />

(i). Le squelette de femme rencontré à côté du précédentt<br />

portait sur la tête des Nasses et des vertèbres de poisson<br />

perforéess et une pendeloque hémisphérique en os; sur la<br />

poitrinee une pendeloque en os en forme de double olive, de<br />

555 millimètres de longueur sur 18 millimètres de larg-eur<br />

maxima.. Le jeune homme inhumé en arrière d'elle avait le<br />

crânee recouvert de vertèbres de poisson et de Nasses; sur le<br />

frontt se trouvaient plusieurs pendeloques hémisphériques;<br />

prèss de lui, au niveau du cou, se trouvait un ornement en<br />

doublee olive semblable à celui de ses voisins. Il portait en<br />

outree un collier qu'un recouvrement d'argile avait conservé<br />

danss son agencement primitif. Il était formé de trois rangées<br />

parallèles,, les deux du haut composées de vertèbres, celle<br />

duu bas de Nasses. En outre, à intervalles réguliers,<br />

séparéss par 4 vertèbres et 3 Nasses, une canine de Cerf,<br />

enfiléee dans la rangée supérieure, coupait verticalement les<br />

troiss rangées (fig. 35).<br />

Dess deux squelettes trouvés un peu plus haut que la<br />

sépulturee triple, le premier avait un collier de Nasses et portaitt<br />

sur la tête des Nasses, dont plusieurs encore collées au<br />

frontal,, des canines de Cerf perforées et des pendeloques<br />

hémisphériquess en ivoire, ayant en moyenne 20 millimètres<br />

dee longueur, dont 10 pour le diamètre de la partie hémi-<br />

(i)) /&«/., p. 33 et 298 et fig. 4.


L'AL'A HT PALÉOLITHIQUE<br />

sphérique,, et 12 millimètres de largeur maxima; le second,<br />

auxx os carbonisés, était accompagné de nombreuses<br />

Nassess (1).<br />

Lee squelette aurignacien de Gombe-Capelle était également<br />

paréé de coquilles marines (2). A Gro-Magnon, on a recueilli<br />

auu milieu des ossements près de 3oo coquilles perforées,<br />

notammentt Littorina littorea, et plusieurs pendeloques en<br />

ivoire,, rondes et ovales, percées d'un ou de deux trous (3).<br />

L'ornementt en double olive de la Barma Grande a été rencontréé<br />

aussi, cette fois en ivoire, dans la sépulture de Pavi-<br />

Fig.. 35. — Collier du jeune homme de la sépulture triple de la<br />

Barmaa Grande (fig. 108).<br />

Echellee : 3/4 (d'après VERNEAU).<br />

landd et dans celle de Przedmost, où un squelette d'enfant<br />

portaitt un collier formé de i4 de ces pendeloques. On en a<br />

trouvéé de semblables, mais sans cadavre, dans le niveau<br />

aurignacienaurignacien moyen de Spy (4). A côté du squelette de Brn<br />

see trouvaient plus de 600 morceaux de Dentaliam badense,<br />

coquilless fossiles provenant de quelques kilomètres de la<br />

sépulture,, qui formaient des tubes coniques d'enfilage,<br />

encoree partiellement insérés les uns dans les autres et dont<br />

laa réunion devait constituer au cadavre une sorte de<br />

plastronn (5).<br />

Less sépultures magdaléniennes ont également, livré<br />

dess parures en place, mais généralement plus simples<br />

(1)) lbid., p. 32-33.<br />

(2)) BOULE, Les hommes fossiles, 2' édit., p. 273.<br />

(3)) lbid., p. 304. — heliquiae aquitan., p. 70.<br />

(4)) BOULE, op. cil., p. 310.<br />

(5)) OBERMAIER, der Mensch der Vorzeit, pi. XXIII, n° 2.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 555<br />

quee celles de l'époque aurignacienne. Sans parler d'une<br />

dentt de Cerf perforée qui accompagnait le squelette<br />

dess Hoteaux (i), nous relèverons notamment 11 incisives<br />

dee jeunes ruminants percées, trouvées à Laugerie-Basse<br />

souss un crâne d'enfant et qui devaient constituer un<br />

collierr (2), les canines (une quarantaine d'Ours et 3 de<br />

Fig.. 36. — Dents d'Ours décorées de gravures (flèches, poisson, Phoque) et<br />

percéess d'un trou de suspension (grotte Duruthy, près de Sordes, Landes)<br />

(d'aprèss L. LARTET).<br />

Lion)) rencontrées près du squelette de l'Abri Duruthy<br />

àà Sordes, presque toutes soigneusement percées, dont une<br />

vingtainee étaient décorées de remarquables gravures (fig. 36),<br />

ett « réparties en deux groupes inégalement distants du<br />

crâne,, comme si l'un avait constitué un collier et l'autre<br />

une.. ceinture » (3). Enfin, sur le corps de « l'Homme écrasé »<br />

dee Laugerie-Basse étaient disséminées des coquilles des<br />

deuxx espèces de Porcelaines méditerranéennes rencontrées<br />

égalementt au Baousso da Torre, Cypraea lurida et C.pyrum,<br />

(1)) BOULE, BOULE, op. cit., p. 269.<br />

(2)) GIROD et MASSÉNAT, Laugerie-Basse, Lau<br />

pi. LXXIX. n° 9.<br />

(3)) BOULE, op. cit., p. 266.


500 L'A UT PALÉOLITHIQUE<br />

perforéess par incision transversale ; il y en avait l\ sur le front,<br />

à chaque coude, 2 au-dessous de chaque genou, 2. sur<br />

chaquee pied (1).<br />

Nouss ne saurions quitter les bijoux paléolithiques sans<br />

releverr comme il convient le sens de la symétrie et du rythme<br />

dontt témoigne, dans un agencement assez compliqué et déjà<br />

savant,, malgré la simplicité des matériaux, le collier du jeune<br />

hommee de la Barma Grande. Un caractère analogue se<br />

retrouvee dans un collier plus simple provenant du Magdalénienn<br />

ancien du Placard, où G coquilles fossiles percées<br />

(Sismundia(Sismundia occitana) alternaient avec 5 Natica (2).<br />

Unee fois conçus et exécutés pour décorer le corps humain,<br />

less bijoux deviennent des objets mobiliers susceptibles à<br />

leurr tour d'être embellis par une décoration, au même titre<br />

quee des instruments utilitaires. En fait, à l'époque paléolithique,,<br />

les bijoux ont reçu une ornementation absolument<br />

semblable,, par ses caractères et son évolution, à celle des<br />

outilss et des armes. A ce point de vue, l'art décoratif peut<br />

êtree étudié dans son ensemble, abstraction faite de la nature<br />

dess objets qu'il s'applique à embellir.<br />

Laa décoration ainsi entendue apparaît dès l'Aurignacien<br />

ancien.. Sous sa forme la plus rudimentaire, elle consiste<br />

simplementt en encoches sur les bords ou incisions sur la<br />

surfacee des objets ornés, disposées d'une façon plus ou moins<br />

régulièree en séries parallèles, continues ou séparées par des<br />

intervalles.. On en pourrait énumérer une infinité d'exemples,<br />

répartiss sur toute la durée de l'âge du Renne; nous nous<br />

borneronss à citer celui qui est peut-être le plus ancien,<br />

unee dent de Lion provenant de Pont-Neuf (Charente). Les<br />

incisionss alignées sont d'abord transversales au grand axe de<br />

laa surface décorée; puis, à partir de l'Aurignacien moyen, elles<br />

see rencontrent aussi disposées obliquement. Vers la même<br />

époquee apparaissent des alignements de ponctuations (3),<br />

(1)) CARTAILHAC, La France préhistorique, p. 110.<br />

(2)) A. de MARET, Congrès archéol. de Fr., Vienne, 1879, p. 173<br />

(3)) Exemple: Rép,, p. 82, n» 2 (Gorge d'Enfer).


Fig.. 37. — Côtes de Mammouth, ornées de motifs géométriques.<br />

(Przedmost,, Moravie).<br />

Echellee : 1/2 (d'après BREUIL).


L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

quii rappellent les séries de points ou de disques peints<br />

surr les parois des grottes à l'Aurignacien ancien. Dans<br />

dess cas relativement rares, des lignes obliques disposées en<br />

senss inverse forment des chevrons ou des dents de loup.<br />

Gommee décors un peu plus complexes, on n'a guère à citer<br />

quee des reliefs ondulés, plus ou moins réguliers, sur un objet<br />

coniquee et une pendeloque de Brassempouy, tous deux en<br />

ivoiree (i), des chevrons emboîtés et des bandes de losanges<br />

surr un morceau de schiste de la Barma Grande et un ornementt<br />

compliqué en forme de filet irrégulier sur un galet de<br />

stéatitee de même provenance (2).<br />

Laa pauvreté générale de cette ornementation fait ressortir<br />

unn motif décoratif représenté uniquement à Mézine (Ukraine)<br />

ett qui, sous sa forme la plus achevée, consiste en une série<br />

continuee de grecques (3). Il est très vraisemblable que ce<br />

motiff a été la trouvaille fortuite d'un artiste unique : la<br />

comparaisonn de diverses pièces de cette provenance, et en<br />

particulierr de fragments de bracelet, donne à penser que<br />

sonn parti décoratif était une série de lignes zigzaguées disposéess<br />

parallèlement aux bords. Mais il semble que, pour des<br />

raisonss de commodité, l'artiste ait tracé ces lignes zigzaguées<br />

successivementt ou alternativement le long de chacun des<br />

bordss en faisant tourner l'objet de 180 degrés. Peut-être<br />

aussii a-t-il tracé d'abord toutes les obliques d'un même sens<br />

pourr les réunir ensuite par les obliques de sens inverse.<br />

Quoii qu'il en soit, lorsque les lignes zigzaguées sont arrivées<br />

auu voisinage les unes des autres au milieu de la surface, les<br />

saillantss et les rentrants de leurs chevrons constitutifs se<br />

correspondaientt d'une façon irrégulière, donnant lieu à des<br />

combinaisonss diverses, dont voici les trois principales.<br />

Lorsquee les saillants de l'une des lignes correspondaient aux<br />

rentrantss de l'autre, il en résultait des lignes zigzaguées<br />

parallèless à chevrons emboîtés. Lorsque deux chevrons<br />

(1)) Rép., p. 31, n-3 et 0.<br />

(2)) S. REINACH, L'A., t. IX, 1898, p. 28-29 et fig. 1-4.<br />

(3)) Cf. L. TCHIKALENKO, Etude sur l'évolution de l'ornement géométrique à<br />

époquee paléolithique (en tchèque, avec résumé en français), Prague, 1923.


L'ARTL'ART DÉCORATIF<br />

opposéss se réunissaient par leur sommet, il en résultait un<br />

losange.. Enfin, lorsque les dents de l'une des séries de<br />

zigzagss tombaient entre les saillants et les rentrants des<br />

zigzagss de la série opposée, leur ensemble donnait une<br />

»»<br />

Fig.. 38. — Ciseau double eu os (Saint-Marcel, Indre).<br />

Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />

grecque.. L'artiste aurait remarqué ce motif nouveau, l'aurait<br />

isoléé de l'ensemble et en aurait fait l'élément d'un décor<br />

continu..<br />

Quoii qu'il en soit de son origine, ce motif n'a pas été<br />

rencontréé ailleurs qu'à Mézine (Aurignacien final), et si dans<br />

l'Europee orientale, en particulier à Przedmost, la décoration<br />

géométriquee rectiligne présente des formes assez compli-


VARTVART PALÉOLITHIQUE<br />

quii rappellent les séries de points ou de disques peints<br />

surr les parois des grottes à l'Aurignacien ancien. Dans<br />

dess cas relativement rares, des lignes obliques disposées en<br />

senss inverse forment des chevrons ou des dents de loup.<br />

Gommee décors un peu plus complexes, on n'a guère à citer<br />

quee des reliefs ondulés, plus ou moins réguliers, sur un objet<br />

coniquee et une pendeloque de Brassempouy, tous deux en<br />

ivoiree (i), des chevrons emboîtés et des bandes de losanges<br />

surr un morceau de schiste de la Barma Grande et un ornementt<br />

compliqué en forme de filet irrégulier sur un galet de<br />

stéatitee de même provenance (2).<br />

Laa pauvreté générale de cette ornementation fait ressortir<br />

unn motif décoratif représenté uniquement à Mézine (Ukraine)<br />

ett qui, sous sa forme la plus achevée, consiste en une série<br />

continuee de grecques (3). Il est très vraisemblable que ce<br />

motiff a été la trouvaille fortuite d'un artiste unique : la<br />

comparaisonn de diverses pièces de cette provenance, et en<br />

particulierr de fragments de bracelet, donne à penser que<br />

sonn parti décoratif était une série de lignes zigzaguées disposéess<br />

parallèlement aux bords. Mais il semble que, pour des<br />

raisonss de commodité, l'artiste ait tracé ces lignes zigzaguées<br />

successivementt ou alternativement le long de chacun des<br />

bordss en faisant tourner l'objet de 180 degrés. Peut-être<br />

aussii a-t-il tracé d'abord toutes les obliques d'un même sens<br />

pourr les réunir ensuite par les obliques de sens inverse.<br />

Quoii qu'il en soit, lorsque les lignes zigzaguées sont arrivées<br />

auu voisinage les unes des autres au milieu de la surface, les<br />

saillantss et les rentrants de leurs chevrons constitutifs se<br />

correspondaientt d'une façon irrégulière, donnant lieu à des<br />

combinaisonss diverses, dont voici les trois principales.<br />

Lorsquee les saillants de l'une des lignes correspondaient aux<br />

rentrantss de l'autre, il en résultait des lignes zigzaguées<br />

parallèless à chevrons emboîtés. Lorsque deux chevrons<br />

(1)) Rép., p. 31, n°" 3 et G.<br />

(2)) S. RKINACH, L'A., t. IX, 1898, p. 28-29 et fig. 1-4.<br />

^^ (3) Cf. L. TCHIKAI.ENKO, Etude sur l'évolution de l'ornement géométrique à<br />

'époquee paléolithique (en tchèque, avec résumé en français), Prague, VJSS.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 611<br />

lampee en grès de la Mouthe, dont la face inférieure est décoréee<br />

d'une gravure de Bouquetin (i), d'autre part les bâtons<br />

WINN<br />

Fig.^39.. — Baguettes à décor curviligne et disque-pendeloque en bois de<br />

Rennee (grotte des Harpons à Lespugue, Haute-Garonne).<br />

Grandeurr vraie (d'après H. de SAINT-PÉFUER).<br />

troués,, dits « bâtons de commandement », qui représenlent<br />

(1)) Rép., p. 159, n" (S.


600 VART PALEOLITHIQUE<br />

quéess (fig. 37), dans l'Europe occidentale elle n'a guère<br />

dépassé,, dans toute la suite de l'âge du Renne, les motifs<br />

trèss simples mentionnés ci-dessus. Elle atteint son apogée,<br />

tantt pour la fréquence de son emploi que pour le fini de<br />

l'exécution,, dans le Solutréen supérieur. Elle se continue<br />

pendantt tout le Magdalénien et jusqu'à l'Azilien, mais beaucoupp<br />

plus rare; sauf dans un beau spécimen de Saint-Marcel<br />

(Indre)) (fig-. 38), elle est alors en régression manifeste et<br />

réduitee à un rôle de remplissage, éclipsée par deux formes<br />

pluss développées de l'ornementation.<br />

Laa première, elle-même limitée à une époque et à une<br />

régionn restreintes, est la décoration curviligne, qui se rencontree<br />

au Magdalénien ancien dans les Basses-Pyrénées<br />

[Arudyy (1), Lourdes (2), Isturitz (3]] et la Haute-Garonne<br />

(Lespugue)) (fig. 3g), toujours sur bois de Renne et, d'après<br />

less exemplaires les plus complets, sur des baguettes rondes<br />

ouu sur des baguettes demi-rondes qui étaient assemblées<br />

deuxx à deux par leur face plate. Les motifs, aux contours<br />

profondémentt gravés qui les font ressortir en relief, se composentt<br />

d'ellipses, de cercles, parfois centrés, de spirales<br />

simpless ou en S. Par suite de la limitation de son aire de<br />

dispersion,, ce style semble devoir être rapporté à une peupladee<br />

unique et n'avoir pas fait école.<br />

AA l'inverse du décor géométrique curviligne, le décor<br />

figuréfiguré est plus répandu, quoique, sauf quelques exceptions<br />

isolées,, il soit localisé entre la Loire, le Rhône et les Pyrénées..<br />

H se rencontre pendant toute la durée du Magdalénien,,<br />

aussi bien sur des pendeloques de forme et de matière<br />

variéess (fig. 36, 4o-4a)(4) que sur des instruments d'usage.<br />

Parmii ceux-ci, nous relèverons notamment, d'une part la<br />

(1)) Rcp., p. 22, n" 4; p. 23, n- 7-10-<br />

(2)) Hép., p. 136, n"' 1 (ou 6), 2, 4, 5, 8-10, 12.<br />

(3)) PASSEMARD, Bull. Soc. préhitt. AV., t. XVII, 1920, p. 150.<br />

(4)) Autres exemples : Protome de Cheval gravée sur un galet percé à l'une de ses<br />

extrémitéss de Laugerie-Basse ilïép., p. 102, n" ',). - Arrière-train de Renne sur<br />

fragmentt de pendeloque en os de Laugerie-Basse ,Kép., p. 111, n" 5) — Cervidé<br />

gravéé sur galet allongé perforé de la Madeleine Hép., p. 141, n° 4) — Deux pendeloquess<br />

de Liveyre (Dordogne; (/{


L'ARTL'ART DÉCORATIF 633<br />

laa même façon que les gravures tracées sur des supports<br />

osseuxx ou lithiques apparemment dépourvus d'utilisation<br />

f\f\<br />

Fig.. 42. — Bouquetins et signes alphabétiformes.<br />

Gravuress sur canon de Renne (Grotte du Mas d'Azil, Ariège).<br />

Facee et revers, grandeur vraie (d'après BREIJIL).<br />

pratiquee et qui rentrent par suite dans l'art indépendant, ou<br />

quee les figures peintes et gravées de l'art pariétal ; à ce point<br />

dee vue, il suffit de renvoyer à ce qui sera dit de l'art fig-uré<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 5


L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

less objets les plus richement décorés de l'âge du Renne et<br />

dont,, pour cette raison, la deslination, encore énigmatique<br />

ett qui n'était peut-être pas la même pour tous, ne devait pas<br />

êtree exclusivement utilitaire au sens restreint du mot. Sans<br />

Fig.. 40. — Glouton gravé sur pendeloque en bois de Renne, d'une grotte de<br />

laa Dordogne (British Muséum, collection Christy).<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

parlerr de leur tête sculptée dans certains exemplaires sur<br />

lesquelss nous reviendrons plus loin, ils sont ornés de gra-<br />

Fig.. 41. — Deux Pendeloques en os (Saint Marcel, Indre).<br />

Less deux faces. Grandeur vraie (d'après BREUIL).<br />

vuress ou de reliefs dont certains passent presque à la sculpture,,<br />

notamment dans des têtes affrontées qui rappellent les<br />

contourss découpés (fig 1 . 43) (i).<br />

Quelss que soient les objets auxquels est appliquée la décorationn<br />

figurée, elle présente les mêmes motifs, et traités de<br />

(1)) Cf. Têtes de Cheval (Mas d'Azil; /îe'p., p. lifl, n°" 1 et 2).


L'ARTL'ART DÉCORATIF 655<br />

serpents,, poissons, bois de Renne), et d'autres, notamment<br />

dess têtes animales, dont la silhouette est tracée au moins<br />

partiellementt en trait continu, les incisions alignées étant<br />

généralementt conservées pour représenter le pelage, comme<br />

onn en retrouve de nombreux exemples aux étages plus<br />

récentss du Magdalénien.<br />

Commee illustration de l'emploi simultané de l'ornement<br />

figuréé et de l'ornement linéaire, nous nous référerons spécialementt<br />

à une catégorie d'objets,,<br />

consistant en minces rondelless<br />

plus ou moins régulières<br />

d'oss ou de bois de Renne,<br />

Kg.. 44. — fragment dune rondelle d'os perforée avec<br />

Mammouthss (Raymonden, Chancelade, Dordogne)<br />

Less deux faces, grandeur vraie (d'après BRELIL).<br />

gravuress de<br />

percéess au centre, et qui sont vraisemblablement des boutons..<br />

Certaines ne présentent aucune décoration (fig. 3g) (i).<br />

D'autress sont ornées soit de traits en tous sens (fig. 3o) (2),<br />

soitt de droites ou de séries parallèles de droites rayonnant<br />

autourr du trou central (3). D'autres enfin ont un décor figuré.<br />

Unee rondelle en os incomplète de Laugerie-Basse porte sur<br />

unee face un arrière-train de Bison, sur l'autre un décor<br />

linéairee (4). Deux rondelles en os, l'une entière de Laugerie-<br />

Bassee (5), l'autre de Chancelade, dont il ne reste qu'une<br />

(1)) Autre exemple à Enlène BEGOUEN, l'A., t. XXIII, 1912, p. 289).<br />

(2)) Cf. RIVIÈRE, A. F. A. S-, Caen, 1894, t. II, pi. X, n" 3 .Coinbarelles).<br />

(3)) Bruniquel (Monstastruc) ;PECCADEAU de I.'ISLE, Revue archéol., 1868, I, p. 217);<br />

Gourdann Jiép., p. 89, n° 5); L*augerie-Basse {Rép., p. 118. n" 7 .<br />

(4)) GIROD et MASSENAT, Laugerie-Basse, pi. XXI, n" 6 {Rép., p. 105, n° 1, ne<br />

(lonnee que la face à décor figuré).<br />

(5)) Hep., p. 106, n"* 5 et 6.


644 L'ARTL'ART PÀ LÊOLtTHIQVE<br />

enn général au chapitre suivant. Nous nous bornerons ici à<br />

montrer,, sur des exemples particuliers, d'une part, l'apparitionn<br />

du décor figuré à côté du décor géométrique rectilignp,<br />

auu Magdalénien ancien, d'autre part la survivance de celuici,,<br />

quoique dans un rang 1 inférieur, pendant toule la durée<br />

duu Magdalénien.<br />

Laa transition de l'ornementation simplement linéaire à<br />

l-'ig.. 43. — Têtes de Rennes affrontées sculptées sur bâton troué en bois de<br />

Rennee (La Madeleine, Dordogne).<br />

Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />

l'ornementt figuré est particulièrement nette dans les couches<br />

magdalénienness anciennes du Placard (i). A coté des<br />

encochess ou des petites incisions disposées en rangées parallèless<br />

comme aux époques plus anciennes, mais qui dans<br />

certainss cas s'allongent et forment des groupes diversement<br />

orientés,, on y rencontre de véritables figures, les unes constituéess<br />

encore par des séries de hachures ou de ponctuations,<br />

maiss dont l'intention figurée est incontestable (notamment<br />

(t;; BRKUIL, Paléolithique supérieur, op. cl*., fig-. 11, 18, 20-22


L'ARTL'ART DÉCORATIF 677<br />

quadrupèdes,, d'une exécution souvent remarquable, notammentt<br />

au Placard (Magdalénien ancien) (i) et à Laugerie-<br />

Bassee (fig. 46) (2).<br />

Less propulseurs, dans leur forme purement utilitaire, non<br />

Fig.. 45. — Objets sculptés en bois de Renne (Laugerie-Basse, Dordogne).<br />

AA gauche, propulseur avec figure de Cervidé (face et profil, échelle : 3/4).<br />

AA droite, bâton troué (échelle : 1/2) (d'après BREUIL).<br />

modifiéee par la sculpture, telle qu'on la rencontre dans le<br />

Magdalénienn ancien du Placard (3), se composaient d'une tige<br />

(1)) BREUIL, Paléol. super., op. cit., fig. 23, n°-1, 2, 4-6 (6 = Rép., p. 1G8, n°'2-4).<br />

(2)) Cf. Rép., p. 103, n» 6-7; p. 112, n« 1, 6-7.<br />

(3)) BREUIL, Paléol. super., op. cit., ftg. 2i, n°" 5-7.


666 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

moitiéé (fig\ 44)) sont ornées sur chaque face d'un animal,<br />

Isardd pour la première, Mammouth pour la seconde; mais le<br />

décorr est complété par de petits chevrons espacés formant<br />

bordure..<br />

Laa décoration peut consister non seulement en ornements<br />

gravéss plus ou moins profondément à la surface des objets,<br />

maiss aussi en modifications apportées à leur forme générale<br />

parr la sculpture. Cette sorte d'ornementation n'avait pas<br />

d'applicationn pour une catégorie de bijoux, à savoir ceux<br />

quii consistaient en objets naturels (dents, coquillages,<br />

galets)) utilisés tels quels et où la part de l'industrie humaine<br />

see réduisait à la perforation. Par contre, pour les bijoux<br />

artificiels,, façonnés en matières osseuses, la forme que leur<br />

donnaitt l'artiste dépendait presque entièrement de sa fantaisie,,<br />

puisqu'ils n'avaient d'autre rôle que de produire un<br />

effett esthétique. Il n'en va plus de même pour les objets<br />

d'usagee (outils et armes), dont l'artiste ne pouvait modifier<br />

quee dans des limites assez restreintes la forme générale<br />

imposéee par l'emploi utilitaire de ces instruments. Aussi,<br />

danss ce domaine, la sculpture décorative se rencontre-t-elle<br />

principalementt dans deux catégories d'objets, les « bâtons<br />

dee commandement » et les propulseurs.<br />

Danss les premiers, l'office de la sculpture décorative a<br />

consistéé essentiellement à transformer en tête animale leur<br />

protubérancee terminale, qui en suggérait déjà jusqu'à un<br />

certainn point l'idée par son renflement au centre duquel le<br />

trouu fa,sait songer à un œil. C'est ainsi que, dans un exemplairee<br />

de Lacave (Lot) (% 2g), remontant au Solutréen<br />

moyen,, l'aspect général d'une tête à museau pointu et oreille<br />

dressée,, ressemblant grossièrement à une Biche, semble<br />

avoirr été obtenu sans être cherché. Dans quelques pièces<br />

assezz rares, mais qui se rencontrent à la fois dans les Pyré<br />

nées,, en Dordogne (fig. 45) et en Bavière, l'artiste semble<br />

avoirr voulu représenter très grossièrement une tête d'oiseau<br />

aa bec ouvert dont l'œil serait figuré par le trou du bâton.<br />

Malss le plus souvent, les bâtons se terminent en têtes de


\:\:<br />

Fig.. 47. — Propulseurs en bois de Renne.<br />

AA gauche, de Saint-Michel d'Arudy (Basses-Pyrénées) (d'après MASCARAUX).<br />

AA droite, de Bruniquel (Tarn-et-Garonne). Echelle : 2/3 (d'après CART.VILHAC).


C88 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

àà partie supérieure plus ou moins plane formant en quelque<br />

sortee gouttière pour recevoir la flèche, terminée en arrière<br />

parr un crochet destiné à retenir l'extrémité postérieure de<br />

celle-ci.. Les propulseurs sculptés sont représentés, sans<br />

parlerr de fragments que la présence d'un crochet permet de<br />

Fig.. 46. — Sommet rompu d'un « bâton de commandement » figurant une<br />

têtee de Bison; sur le reste du fût, nu léger bas-relief d'une portion d'un<br />

autree Bison est visible (Laugerie-Basse, Dordogne).<br />

Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />

leurr attribuer, par quelques spécimens complets grâce<br />

auxquelss on peut se rendre compte de leur ornementation<br />

(fig.. i3 et 47) (0 et de la façon dont celle-ci était adaptée<br />

àà l'usage pratique de l'instrument. Le crochet était fourni,<br />

tantôtt par le bec d'une tête d'oiseau, tantôt par le toupet<br />

ramenéé sur le front d'une tête de Cheval(2), tantôt, à ce qu'il<br />

(1)) Cf. Rép., p. 102, n- 14 el 15 (Laugerie-Basse).<br />

(2)) Cf. Rép., p. 33, n°- 2-4 el 8-9 (Bruniquel).


LARTLART DÉCORATIF 711<br />

détaill curieux, dans bon nombre de ces sculptures, la tête a<br />

étéé coupée intentionnellement à l'époque paléolithique. Ces<br />

instruments,, pour lesquels je proposerai le nom de propul-<br />

Fig.. 49. — Restitution d'un propulseur décoré d'un Coq do bruyère d'après<br />

lee Fragment de sculpture en bois de Renne du Mas d'Azil baptisé « Sphinx »<br />

parr Piette (la partie limitée par les lignes pointillées).<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

seursseurs lestés, différaient des propulseurs simples par un<br />

largee renflement situé en dessous de la région voisine du<br />

crochett et qui, en alourdissant cette extrémité, donnait plus<br />

dee force à la propulsion. Ce perfectionnement balistique a<br />

servii de support à une riche ornementation fig-urée. Les deux<br />

exemplairess les plus complets sont le fameux Mammouth de


722 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Bruniquell (Montastruc), dit Mammouth Peccadeau, du nom<br />

dee son premier possesseur (i), et un objet bien connu de<br />

Laug-erie-Bassee (a), jadis considéré à tort comme un poignard..<br />

A la même série semblent appartenir deux Bouquetins<br />

dee Saint-Michel d'Arudy (3), un Bison du Mas d'Azil (4), un<br />

Cervidéé d'Enlène (fig. 48), un Bouquetin d'Isturitz (5).<br />

L'objett du Mas d'Azil baptisé Sphinx par Piette (6) a été<br />

restituéé par l'abbé Breuil en propulseur décoré d'un oiseau<br />

(fîg\\ 49), le soi-disant « Cygne à trois têtes » de même<br />

provenancee (7) par M. H. Hubert en propulseur décoré d'un<br />

poisson..<br />

Ill y a lieu de sig-naler la façon habile dont l'animal<br />

sculptéé dans la masse pesante était rattaché au manche de<br />

l'instrument.. Tantôt c'était par les pieds, comme cela<br />

semblee résulter de l'attitude du Bouquetin d'Isturitz et de<br />

certainess pièces où le manche seul subsistant conserve les<br />

extrémitéss de pattes de ruminants (fîg\ 5o)(8); tantôt au contrairee<br />

par la tête, comme dans le Mammouth Peccadeau. Cet<br />

objett fournit un curieux exemple de raccommodage préhistorique..<br />

La queue, qui formait le crochet, c'est-à-dire un<br />

élémentt indispensable de l'instrument, ayant été cassée^ on<br />

enn a encastré une nouvelle dans le dos, un peu en avant de<br />

l'emplacementt primitif.<br />

Onn sait la place considérable tenue dans l'art décoratif<br />

dess primilifs sur lesquels nous renseigne l'ethnographie par<br />

dess ornements d'apparence purement géométrique, mais où<br />

unee étude plus approfondie arrive à reconnaître des dégénérescencess<br />

de représentations figurées. L'âge du Uenne présentee<br />

de nombreux spécimens de cette catégorie de motifs,<br />

dontt la signification véritable, restée longtemps inaperçue,<br />

(1)) Rép., p. 32, n" 1 et 2.<br />

(2)) Rép., p. 106, n" 1.<br />

(3)) Rép., p. 22. n" 3 et G-7.<br />

(4)) Rép., p. 151, n° 1.<br />

(5)) HASSEMARD, Hevue arehéol., 1922, I, p. 26, fig. 19.<br />

(6)) Rép., p. 150, n" 2.<br />

(7)) Rép., p. 156, n° (j.<br />

(8)) Cf. Rép., p. 23, n°2 (Arudy).


L'ARTL'ART DÉCORATIF<br />

aa été découverte par l'abbé Breuil. Ill ne saurait être questionn<br />

d'en faire ici un examen détailléé<br />

; nous devons nous borner à des<br />

indicationss sommaires, en laissant<br />

délibérémentt de côté des hypothèsess<br />

séduisantes, mais par trop conjecturaless<br />

et en rappelant que<br />

l'ornementationn paléolithique, malgréé<br />

la place importante qu'y tient<br />

laa dégénérescence des motifs figurés,,<br />

ne saurait s'expliquer entièrementt<br />

par ce facteur unique.<br />

Lee fil conducteur de cette étude<br />

estt fourni par la « méthode des<br />

sériess » qui rattache au motif<br />

figuréfiguré originel ses modifications<br />

dee moins en moins reconnaissabless<br />

en intercalant dans l'intervallee<br />

des transitions graduelles.<br />

Danss quelques cas, malheureusementt<br />

exceptionnels, un même<br />

objett juxtapose plusieurs figures,<br />

exécutéess selon toute vraisemblancee<br />

consécutivement par le<br />

mêmee artiste et qui doivent être<br />

considéréess comme des répliques<br />

dee plus en plus hâtives d'un même<br />

motif.. L'exemple le plus caractéristique,,<br />

véritablement décisif, est<br />

fournii par trois têtes de Capridés<br />

gravéess sur un bois de Renne de<br />

Massaii (i).<br />

Fig.. 50. — Fût de propulseur<br />

enn bois de Renne avec ves-<br />

Less dégénérescences apparais- tig-ess de quatre pieds de Ruminantt<br />

sculptés (Abris du<br />

Château,, Bruniquel, Tarn-<br />

(1)) Rép., p. 158, n" 4-6. Cf. BREUIL, C. fi. et-Garonne)..<br />

Acad.Acad. Inscr., 1905, p. 117, (ig. 6, n" 1 et 2 (le<br />

Souci);; Rép., p. 188, n"" 4 et 5 Montfort). EE chelle : 2/3 (d'après CARTAILHAC).


744 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

sentt comme résultant de l'action séparée ou concourante de<br />

deuxx facteurs : d'une part, la schématisation qui, sous<br />

l'influencee de circonstances accidentelles (maladresse ou<br />

hâtee de l'exécution, étroitesse des surfaces à décorer) simplifiee<br />

et déforme les lignes du modèle figuré; d'autre<br />

part,, la stylisation qui modifie ces lignes avec l'intention<br />

dee produire un effet esthétique et notamment de donner<br />

satisfactionn au g'oùt de la symétrie et du rythme.<br />

Ill va sans dire que la dégénérescence devient de plus<br />

enn plus rapide et accentuée à mesure qu'on s'éloigne du<br />

motiff originel, dont la signification est entièrement oubliée<br />

dess décorateurs qui en reproduisent uniquement par routine<br />

less formes modifiées et les allèrent davantage encore. 11 est<br />

souventt d'autant plus malaisé de retrouver l'origine d'un<br />

motiff donné qu'il peut, surtout pour les formes les plus<br />

simplifiées,, être rattaché avec une égale vraisemblance à des<br />

originess figurées différentes. Parfois aussi, un motif dégénéré<br />

récupèree une signification figurée qui peut être, selon le cas,<br />

soitt sa signification originelle, soit une signification nouvelle.<br />

Lee rapprochement de divers exemples montre comment la<br />

tètee de profil d'un quadrupède sans cornes, tel qu'une Biche,<br />

arrivee à se réduire à une simple barre horizontale flanquée<br />

àà l'une de ses extrémités d'un petit trait oblique rappelant<br />

l'oreillee (i), ou encore comment la juxtaposition de têtes de<br />

Chevall de profil schématisées donne naissance à un ornementt<br />

ondulé ou festonné (2). Les têtes de face ont donné<br />

lieuu à nombre de dégénérescences variées, dont l'une des<br />

pluss nettes et des plus reconnaissables a en gros la forme<br />

d'unee sorte de rave surmontée d'un nombre variable de<br />

feuilles.. Lorsqu'il y en a 4, elles correspondent aux oreilles<br />

ett aux cornes d'un Gapridé; 2, aux oreilles d'un Ruminant<br />

sanss cornes; 3, aux oreilles et au toupet d'un Cheval. Au<br />

dernierr stade de la dégénérescence, elles se réduisent à un Y (3).<br />

(1)) BREUir,, C. R. Acad. Inscr., 1905, p 117 et fi» G<br />

(2)) lbid.,ag. 7.<br />

(33 BHRJIL, C R. Acad. Inscr., 1905, pp. 112-115; Congrès d'Anthronol. et<br />

(lArcheol.(lArcheol. prehist., Monaco, 1906, t. I, p. 396-400; VA., t. XV1I1, L907, p. 3i.


L'ARTL'ART DÉCORATIF 75<br />

Laa schématisation de la tête animale de face se rencontre<br />

nonn seulement en gravure, mais aussi en sculpture, notammentt<br />

dans des pendeloques (i).<br />

Parfois,, la tête, soit de profil, soit de face, se réduit aux<br />

corness et aux yeux. L'abbé Breuil a, par une conjecture<br />

ingénieusee et selon moi exacte, considéré l'ensemble de la<br />

cornee et de l'œil du Bison comme l'une des sources du décor<br />

curvilignee et spirale. Cette dérivation trouve un appui solide<br />

danss plusieurs figures du Mag-dalénien ancien qui reproduisentt<br />

cet ensemble isolé (2), complété même dans certains<br />

exempless par des traits rappelant le front poilu (3). Quoi<br />

qu'ill en soit de 1 origine de ce motif, son utilisation décorativee<br />

prouve que les artistes ont été séduits par son caractère<br />

ornemental,, par l'effet esthétique de ses lignes constitutives,<br />

indépendammentt de tout rapport à la réalité. C'est là d'ailleurs,,<br />

semble-t-il, un cas isolé, et d'une manière générale,<br />

surtoutt dans le Mag-dalénien supérieur, les dégénérescences<br />

paraissentt devoir être rapportées beaucoup moins à la<br />

recherchee d'un effet véritablement artistique qu'au souci de<br />

laa production hâtive d'articles de camelote.<br />

Lee Bouquetin vu de dos, figuré d'une façon naturaliste sur<br />

unee lame d'os de Laugerie-Basse (fig\ 70), se retrouve schématiséé<br />

sur un bâton de commandement de Raymonden (4) et<br />

surr un autre de Laugerie-Basse (5), où il devient un losang-e<br />

prolongéé dans le haut et dans le bas par un chevron. La<br />

réunionn de plusieurs motifs semblables est une des origines<br />

duu treillis losang-ique.<br />

Unn dernier exemple peut être emprunté au thème du<br />

poisson.. Il nous semble particulièrement instruclif comme<br />

(1)) BREUIL, Congrès de Monaco, op. cit., t. I, p. 395, flg. 1.<br />

(2)) BREUIL, Exemples de ligures dégénérées, Congrès d'Anthropol. et d'Archéol.<br />

préhist.,préhist., Monaco, 1906, t. I, p. 400, Og. 4, n°" 10 et 12


766 L'ARTL'ART PALEOLITHIQUE<br />

mettantt en évidence la complexité et la difficulté de l'étude<br />

dess dég-énérescences, par suite de ce que j'ai appelé l'homonymiee<br />

et la synonymie graphiques. D'une part, en effet, un<br />

mêmee motif originel aboutit, par des modifications divergentes,,<br />

à des fig-ures d'aspect souvent très différent, mais<br />

b.b.<br />

Fig.. SI. — Dégénérescences de figures de poissons.<br />

AA gauche sur ciseau, à droite sur fragment de baguette demi-ronde.<br />

(Laugerie-Basse)) (d'après BREUIL).<br />

synonymess en tant qu'elles ont la même origine fig-urée ;<br />

inversement,, des figures d'origine différente arrivent à<br />

prendree le même aspect et deviennent ainsi homonymes.<br />

Danss le poisson, la schématisation peut donner une importancee<br />

prépondérante soit au corps, soit aux nageoires, soit à<br />

laa queue. Tantôt alors la figure se réduit à une sorte de<br />

rubann légèrement ondulé bifurqué à l'une de ses extrémités<br />

(fig.. 5i), tantôt, à une ellipse à extrémités pointues, striée<br />

dee lignes obliques (fig. 5a.) (i) ou quadrillées (2), parfois pro-<br />

(1)) Cf. Baguette de bois de Renne de Laugerie-Basse (Rép., p. 109, n" 4, en arrière<br />

dee deux têtes de jeunes Rennes; il esl à noter que l'autre face de cet objet (Hép<br />

p.. 115, n" 7j porle deux gravures naturalistes de poissons).<br />

(2)) Bâton troué de la Madeleine \liép., p. 144, n" 9).


Fig.. i>2. — Partie allongée d'un « bâton de commandement », décorée de<br />

têtess de Chevaux et de figures dérivées du poisson (Laugerie-lîasse).<br />

Echellee : 2/3 (d'après BREUIL).


788 VAUT PALÉOLITHIQUE<br />

longéee à l'un de ses bouts par une ligne droite, tantôt à une<br />

sortee de parenthèse correspondant au corps et à l'une des<br />

extrémitéss de laquelle sont inscrits des traits parallèles correspondantt<br />

à la queue (i), ou encore à une sorte de long<br />

fuseauu chargé de hachures ou de chevrons (2). Parfois, les<br />

poissonss passent de la forme du fuseau à celle de têtards<br />

ouu de larmes; ces figures, souvent disposées d'une façon<br />

alterne,, par exemple sur deux ciseaux de Lorlhet (3) et<br />

Laugerie-Bassee (fig. ai), fournissent la transition, particulièrementt<br />

marquée sur un ciseau du Souci (4), vers des figures<br />

d'abordd interprétées comme des bras humains prolongés<br />

parr une main qui est en réalité la queue du poisson (5).<br />

Parr ses multiples modifications, le thème dégénéré du<br />

poissonn converge vers d'autres motifs d'origine différente.<br />

Saa schématisation elliptique vient se confondre avec celle<br />

,, de l'œil; un assemblage de plusieurs de ces ellipses donne un<br />

motiff réticulé. Le corps plus ou moins aplati, avec les<br />

nageoiress réduites à des traits obliques disposés des deux<br />

côtéss ou d'un seul, rejoint le motif en arête de poisson qui<br />

peutt dériver lui-même, soit de motifs purement géométriques,,<br />

soit de flèches ou de harpons, soit de bois de cervidés,,<br />

soit de végétaux. Des poissons schématisés mis bout<br />

àà bout donnent une figure ressemblant à un collier en vertèbress<br />

de poissons (6). La queue de poisson isolée et pourvue<br />

dee la représentation d'un trou à l'endroit de son insertion<br />

danss le corps (fig. 52) rappelle des pendeloques réelles de<br />

mêmee forme qui pourraient avoir eu l'intention d'évoquer<br />

unn ventre féminin, à la façon de l'objet du Placard (7). Enfin,<br />

souss sa forme la plus simplifiée, elle aboutit au même Y que<br />

less têtes animales de face.<br />

(1)) Ciseau en bois de Renne de la Madeleine {Hép., p. 137, n» 4).<br />

(8)) Pendeloque en os de Laugerie-Basse (Hép., p, 118, n" 6).<br />

(3)) BREUIL, Paléol. super., op. cit., lig. 40, n u 5.<br />

(4)) BREUIL, Paléol. sup., fig. 40, n- 1.<br />

(5)) Rép., p. 137, n°-3, 5 et 6 (La Madeleine).— Cf. BREUIL, l'A., t. XVIII, 1907,<br />

(6)) Hép., p. 23, n» 6 (Arudy); p. 143, n° 8 (la Madeleine).<br />

(7)) Rép., p. 171, n° 7.


CHAPITRECHAPITRE 111<br />

LEE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ (1)<br />

C'estt à juste titre qu'on caractérise l'art paléolithique par<br />

sonn réalisme et qu'on en attribue la perfection aux qualités<br />

d'observationn minutieuse et d'habileté manuelle exigées et<br />

développéess par les conditions d'existence de peuples chasseurs..<br />

Mais il ne sera pas superflu de déterminer avec plus<br />

dee précision la nature de ce réalisme.<br />

L'artt figuré est par essence réaliste, puisqu'il se propose<br />

dee créer des images d'objets réels (et en particulier d'êtres<br />

vivants),, c'est-à-dire d'en donner des reproduciions ressemblantes..<br />

Mais la ressemblance de l'image avec l'objet représentéé<br />

(que nous appellerons le modèle, même si l'artiste,<br />

commee ce doit être le cas le plus fréquent, ne l'avait pas<br />

souss les yeux et dessinait « de chic ») peut être conçue de<br />

façonss différentes.<br />

111 semble que dans la généralité des cas, aussi bien, pour<br />

prendree les deux extrêmes, dans les œuvres des artistes professionnelss<br />

que dans celles des primitifs ou les dessins de nos<br />

enfants,, la ressemblance soit cherchée, non dans la reproductionn<br />

totale des détails ou éléments du modèle, mais dans<br />

lee choix, soit voulu, soit spontané, de certains de ces élémentss<br />

jugés essentiels, sélection qui entraîne comme contrepartiee<br />

la négligence des autres éléments considérés comme<br />

sanss intérêt.<br />

Ainsi,, dans l'art paléolithique, les Mammouths des Com-<br />

(i)) Je me borne ici à l'essentiel. On pourra, pour plus de délails, se reporter à<br />

l'étudee que j'ai consacrée à ce sujet dans l'A., t. XXXIII, 1923, p. 17 sq.<br />

G.-H.. LuQUBT. — Art et religion des Hommes fossiles. 6


800 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

barelless et de Font-de-Gaunie sont dépourvus d'oreilles; un<br />

certainn nombre de ceux de Fonl-de-Gaume n'ont pas d'yeux.<br />

Less mêmes artistes qui, comme nous le venons plus loin,<br />

tiennentt souvent à figurer dans les dessins d'animaux<br />

blesséss la pointe des flèches, pourtant invisible puisqu'elle a<br />

pénétréé dans le corps, négligent fréquemment d'en figurer<br />

Fig.. 53. — Bison avec flèches sur le corps.<br />

Peinturee pariétale en noir (les deux flèches latérales en rouge) (Niaux, Ariège)<br />

Echellee : 1/10 (d'après BKEUIL).<br />

laa hampe, pourtant visible, mais jugée sans intérêt (fig 53)<br />

Onn rencontre à Minateda, même dans les peintures de la<br />

phasee naturaliste, plusieurs personnages dépourvus de<br />

bras;; pourtant, dans deux cas, ceux-ci auraient été utiles<br />

pourr tenir l'arc figuré devant le bonhomme (fig. 54.)<br />

DansDans les caractères du modèle, on peut distinguer deux<br />

grandess catégories, à savoir ceux qui sont visibles d'un<br />

pointt de vue donné et ceux qui, bien qu'appartenant<br />

effectivementt tout autant que les premiers à l'être considéré<br />

ett pouvant par suite être aperçus si on le regardait d'un<br />

autree point de vue ou dans des conditions différentes ne<br />

sontt pas visibles du point de vue actuellement choisi


LELE RÉALISME DAXS L'ART FIGURÉ 811<br />

Laa différence de ces deux sortes de caractères provient de<br />

cee que le modèle est un objet à trois dimensions, tandis que<br />

laa sensation visuelle qu'il offre à un moment donné n'en -a<br />

quee deux; par suite, tel ou tel caractère présentera selon<br />

lee point de vue d'où l'on envisag-e le modèle des aspects différentss<br />

ou même sera enlièrement invisible; par exemple,<br />

pourr le visage humain, la situation symétrique des yeux de<br />

chaquee côté du nez n'apparaît que de face, la saillie du nez<br />

Fig.. 34. — Figures humaines.<br />

Peinturess rupestres en noir ou brun foncé de Minateda (province d'Albacete, Espagne<br />

Echellee : 1/4 (d'après BREUIL).<br />

surr le contour antérieur du visage n'est visible que de profil.<br />

Celtee distinction des deux sortes de caractères du modèle<br />

n'existee pas pour la sculpture. Ayant trois dimensions<br />

commee le modèle, la sculpture peut, comme lui, fourair<br />

successivementt au spectateur une foule d'aspects différents,<br />

mettree en évidence tel de ses caractères et en cacher tel<br />

autre.. L'artiste pourra y loger tous les éléments qu'il juge<br />

essentiels,, et ce sera au spectateur, s'il y tient, de regarder<br />

laa sculpture du point de vue qui met en évidence tel caractère..<br />

Mais une figure dessinée (qu'il s'agisse de gravure à la<br />

pointee ou de peinture soit monochrome, soit polychrome)<br />

n'aa que deux dimensions, autrement dit ne peut représenter<br />

qu'unn aspect unique; les caractères du modèle qui sont dans<br />

lee dessin y sont, ceux qui n'y sont pas n'y sont pas ; et il n'est


822<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

pass plus possible à ceux qui y sont de cesser d'y être qu'à<br />

ceuxx qui n'y sont pas de s'y trouver. 11 y a là une différence<br />

essentiellee entre l'image dessinée d'une part, l'image sculptée<br />

ett le modèle d'autre part, dans lesquels tel caractère invisible<br />

àà un moment donné deviendra apparent à un autre, et inversement..<br />

Par suite, tandis que dans le modèle ou l'image<br />

sculptéee tout ce qui s'y trouve est visible successivement,<br />

maiss n'est pas visible simultanément, dans le dessin tout ce<br />

quii s'y trouve est visible simultanément, mais rien de ce qui<br />

n'yy est pas n'est jamais visible.<br />

Dee cette condition inhérente à la nature même du dessin,<br />

ill résulte que, dans la généralité des cas, il ne lui est pas possiblee<br />

de figurer à la fois tous les caractères du modèle. L'artisiee<br />

commencera donc par choisir pour son image (sans<br />

qu'ill y ait dans ce choix volonté expresse) le point de vue<br />

d'oùù seront mis en évidence les caractères les plus essentielss<br />

(en général, la silhouetie de l'ensemble du corps); et<br />

c'estt pour cette raison que les artistes primitifs des milieux<br />

less plus variés adoptent spontanément pour leurs dessins<br />

d'animauxx la vue de profil, pour leurs figures humaines,<br />

quoiqu'avecc un certain nombre d'exceptions, la vue de face.<br />

Cettee tendance est si forte que dans des dessins réunissant<br />

plusieurss êtres ou personnages, le point de vue choisi pour<br />

figurerfigurer chacun d'eux n'est pas celui qu'exigerait sa relati<br />

avecc les autres, mais celui qui conviendrait le mieux pour sa<br />

représentationn caractéristique, s'il était isolé. Il y a là quelque<br />

chosee d'analogue à la convention suivant laquelle au<br />

théâtre,, pendant longtemps, deux interlocuteurs, au lieu de<br />

see faire face, faisaient tous deux face au public, alignés<br />

devantt le trou du souffleur.<br />

Maiss la ressemblance obtenue par ce procédé n'est que<br />

partiellee et à mesure que l'artiste deviendra plus exigeant et<br />

voudraa loger dans son image un plus grand nombre de<br />

détails,, il se heurtera à cette difficulté inéluctable que,<br />

tandiss que le modèle peut présenter successivement des<br />

aspectss divers, alternativement montrer et cacher tel ou tel


LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 833<br />

caractère,, les caractères figurés dans le dessin n'y peuvent<br />

êtree que simultanés.<br />

Dèss lors, pour la représentation des caractères d'un<br />

modèle,, le dessinateur est obligé de choisir, qu'il s'en doute<br />

Fig.. 55. — Combat d'archers.<br />

Peinturee rupestre en rouge sombre {Morella la Vella, province de Caslellon, Espagne)<br />

Echellee : 1/3 environ. (Légère restauration d'après la copie de BENITEZ, dans<br />

IIERNANDEZ-PACHECO)..<br />

ouu non, entre ces deux « partis » différents : représenter ce<br />

qu'ill en voit, ou représenter ce qu'il en sait ; autrement dit,<br />

aprèss avoir choisi le point de vue d'où sont visibles le plus<br />

grandd nombre des caractères importants, soit ne pas représenterr<br />

les autres, puisqu'ils ne sont pas visibles de ce point<br />

dee vue bien qu'ils appartiennent au modèle; soit les représenterr<br />

puisqu'ils lui appartiennent, bien qu'ils ne soient pas<br />

visibless en même temps que les autres. En définitive, il y a<br />

deuxx grandes sortes de ressemblance et par suite deux


844 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

grandess sortes de réalisme, puisque le réalisme cherche à<br />

fairee des images ressemblantes : un réalisme visuel, qui consistee<br />

à figurer dans le dessin les seuls caractères du modèle<br />

qu'onn en peut apercevoir du point de vue choisi, et un réalismelisme<br />

intellectuel, qui consiste à figurer dans le dessin tous<br />

less caractères que le modèle possède effectivement, qui<br />

«« y sont » ; le dessin est, dans le premier cas, une impressionn<br />

visuelle fixée, dans le second, une définition exprimée<br />

parr des traits au lieu de l'être par des mots.<br />

Ill est hors de doute que l'art paléolithique a comme caractèree<br />

dominant le réalisme visuel. Une première catégorie de<br />

figuresfigures consistant dans la fixation d'une impression visuelle<br />

estt celle des tableaux d'ensemble où sont réunis plusieurs<br />

êtress différents. Ce pourra être d'abord des groupes d'êtres<br />

humains.. Il n'en existe pas d'exemples certains dans l'art<br />

françaiss ou cantabrique, où les figures humaines même isoléess<br />

sont extrêmement rares ; pour les rupestres espagnols,<br />

onn peut citer la charmante scène d'une femme tenant un<br />

enfantt par la main, de Minateda (fig. 81), la fameuse scène<br />

dee Cogul, représentant peut-être une cérémonie rituelle<br />

(fig.. II 6) et diverses scènes de guerre (fig. 55).<br />

L'Hommee peut encore être associé à des animaux dans<br />

dess scènes de chasse. Cette catégorie n'est représentée dans<br />

l'artt paléolithique français que par un exemple, le fameux<br />

«« chasseur d'Aurochs » de Laugerie-Basse, dans lequel il<br />

semblee bien que l'Homme et le Bovidé (en réalité un Bison)<br />

soientt réunis intentionnellement. 11 est très aventuré de considérerr<br />

comme une scène de pêche la juxtaposition d'un<br />

Poissonn et de quelques bonshommes très grossiers sur un<br />

oss de Laugerie-Basse (i). Par contre, on ne peut se refuser<br />

àà reconnaître des scènes de chasse dans un certain nombre<br />

d'ensembless de figures des rupestres de l'Espagne orientale<br />

(fig.. M, 25, 56-58).<br />

Less groupes certains d'animaux sont également fort rares;<br />

^(l;; Mp., p. 99, n°- 5 el G (qui ne reproduit pas le poisson) ; Alta.n., fig. 103,


LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ<br />

carr lorsque plusieurs animaux sont figurés à la file sur un<br />

mêmee support, os ou bois de Renne, il peut n'y avoir là qu'une<br />

répétitionn rythmique d'un même motif; il en est de même,<br />

àà plus forte raison, pour les assemblages d'animaux sur les<br />

Fig.. 56. — Chasse aux Cerfs.<br />

Peinturee en rouge sombre (restaurée) (Cueva de los Caballos, Barranco de<br />

Valltorta,, province de Gastellon, Espagne). Kchelle : 1/8 (d'après OBERMAIER<br />

ett WERNERT).<br />

paroiss des cavernes, qui peuvent n'être qu'une juxtaposition<br />

accidentellee d'œuvres d'auteurs différents et dont la contemporanéitéé<br />

même est plus ou moins douteuse. 11 existe toutefoiss<br />

une gravure de Loutre saisissant un Poisson sur un os<br />

dee Laug-erie-Basse (i).<br />

(I)) Rép,, p. 115, n° 4.<br />

855


866<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Commee représentations de la vie sociale, pour ainsi dire,<br />

dess animaux, nous pouvons citer une gravure du Chaffaud<br />

(6g-.. 59). Le tableau, qui rappelle jusqu'à un certain point<br />

laa perspective égyptienne, est disposéé<br />

en deux registres superposés<br />

dontt chacun porte, gravée légèrement,,<br />

une file de Chevaux; dans chacune,,<br />

l'animal de tète est détaché,<br />

less autres sont en retrait l'un sur<br />

Fig.. 57. — Chasse au Bison.<br />

Peinluree rupestre rouge de<br />

Cogull (province de Lerida,<br />

Espagne).. Echelle : 1/8<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

l'autre.. Une gravure sur os de la<br />

Mairiee à Teyjat(i) représente d'une<br />

façonn analogue une longue file de<br />

Rennes.. Dans un ensemble défigures<br />

dee Font-de-Gaume [fis;. 80), on peut<br />

hésiterr à affirmer que l'artiste ait<br />

vouluu représenter un Lion attaquant une troupe de Chevaux,<br />

encoree que dans la réalité les Chevaux attaqués fassent tête<br />

Fig.. 58. — Chasse au Chamois.<br />

Peinturee rupestre en brun (Torlosillas, province de Valence Espagne)<br />

Echelle:: 1/4 (d'après BREUIL).<br />

àà l'ennemi, cherchant à le mordre et à le fouler sous leurs<br />

pattess de devant; mais il semble incontestable que l'as-<br />

(1)) fie/)., p. 183, n" 4.


LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 877<br />

semblagee des Chevaux forme un groupe voulu, représenté<br />

enn perspective par étalement des plans. Les corps des Chevauxx<br />

supérieurs sont interrompus à partir de l'endroit où<br />

chacunn d'eux est masqué par celui du Cheval situé sur un<br />

SS <<br />

E-<br />

plann plus rapproché du spectateur, et le Cheval inférieur a<br />

quatree pattes de devant, dont deux doivent être celles du<br />

Chevall figuré au-dessus (c'est-à-dire en arrière) de lui, qui<br />

n'aa que des pattes de derrière. Oh trouve également quelques<br />

exempless de files d'animaux, mais simplement successifs,


888 L"AL"A R T PA LÉÔLITH1Q l r<br />

danss les rupestres espagnols, notamment la bande de huit<br />

Bouquetinss mâles et femelles de la Vieja (&g. 60).<br />

Fig.. 60. — Fragment des peintures rupestres de la Vieja (Alpera, province<br />

d'Albacete,, Espagne). Chasseurs, Cerfs et Houquetins.<br />

AA droite, entre les bois du Cerf, petit Bouquetin détérioré retournant la tète. Tout<br />

àà droite, personnage grimpant à une corde ou liane. Echelle : 1/6 environ<br />

(d'aprèss BREUIL) .<br />

Less artistes paléolithiques ont également représenté d'une<br />

Fig.. 61. — Couple de Rennes. Sculpture en ivoire.<br />

(Bruniquel,, British Muséum).<br />

Echellee : 1/2 environ (d'après BIIEUIL).<br />

façonn réaliste, on pourrait dire impressionniste, diverses<br />

scèness de ce qu'on pourrait appeler la vie familiale des


LELE RÉALISME DAXS L'ART FIGURÉ<br />

animaux.. Je ne connais pas d'exemple certain de dessins de<br />

combatss de mâles analogues à ce que sont, dans un autre<br />

milieu,, les gravures rupestres préhistoriques d'Ahjérie fig"urantt<br />

des combats de Bubalus antiquas, dont le plus bel<br />

exemplee est celui des environs d'Er Richa (annexe<br />

d'Aflou)(i).. Les deux Rennes polychromes affrontés de<br />

Fig.. 62. — Biche avec son faon.<br />

Gravuree sur calcaire (Le Bout du Monde, près des Eyzies, Dordogne). (Collection<br />

Lucas:.. Grandeur vraie (d'après BREUIL).<br />

Font-de-Gaumee (fig'.


900 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Telss sont le « combat de Rennes » de Laugerie-Bassc,<br />

l'ivoiree sculpté de Bruniquel (%. 61), que l'abbé Breuil a<br />

reconstituéé au British Muséum en réunissant les deux fragmentss<br />

considérés jusqu'alors comme pièces indépendantes,<br />

ett le couple de Bisons sculptés en argile du Tue d'Audoubcrl,<br />

(«g-- 3.)<br />

Laa dernière série de ces scènes familiales correspond au<br />

Fig.. 63. — Renne broutant.<br />

Gravuree sur pierre (Limeuil, Dordogne). Echelle : 2/3<br />

(d'aprèss BOUYSSONIE et CAPITAN).<br />

thèmee de la mère accompagnée de son petit, dont nous<br />

mentionneronss comme exemple une Biche et son faon<br />

(fig.. 62).<br />

Sii nous passons des groupes aux animaux isolés, il en<br />

existee un grand nombre dont l'attitude ou le mouvement est<br />

renduu avec une fidélité dénotant une observation attentive<br />

dee la nature, ce qui. n'a rien pour surprendre de la part de<br />

chasseurs.. Ces figures étant bien connues, nous nous borneronss<br />

à rappeler, outre les polychromes d'Altamira, le Renne


LELE RÉALISME DANS L'ART F1GUIÎÉ 911<br />

broutantt de Limeuil (fig\ 63), qui vaut bien celui de<br />

Tliaing-enn (fîg\ Q\), et le Renne courant de Saint-Marcel<br />

Fig.. 04. — lleiuie broutant.<br />

Gravuree (développée) sur bâton de bois de Renne (Thaingen, Suisse).<br />

Grandeurr vraie (d'après le dessin de HEIM).<br />

(Indre)) (fig. 65). A la Vieja, les attitudes de la course et du<br />

saut,, ainsi que les différences de développement des cornes<br />

Fig.. uo. — Renne courant.<br />

Gravuree sur plaque de schiste (Saint-Marcel, Indre). Echelle : 2/3 (d'après BHEUH. .<br />

selonn le sexe, sont bien saisies et rendues dans la baude de<br />

Bouquetinss (fig-. 60), à gauche de laquelle un autre Bouquetin,,<br />

lui tournant le dos, se fait remarquer par le devant


922 L'ARTL'ART l'ALÉ0L1THIQUE<br />

duu corps surélevé, la tête au mufle ramené contre la gorge,<br />

less cornes en arrêt. Le D r de Saint-Périer a également<br />

signaléé le réalisme de la figuration des trompes de Mammouthss<br />

(i).<br />

Unee altitude assez fréquemment donnée aux animaux,<br />

tantôtt avec un rendu très habile et analomiquement exact,<br />

Fig.. G6. — liison.<br />

Peinturee pariétale polychrome (AHamira, province de Sanlander, Kspagne).<br />

Echellee : 1/15 environ (d'après BREUIL).<br />

tantôtt avec une grande maladresse d'exécution, analogue à<br />

cellee que présentent les membres des bonshommes de nos<br />

enfants,, est celle des pattes repliées sous le corps, qu'il<br />

s'agissee d'animaux blessés, ou couchés, ou se levant de leur<br />

gîtee (fig. 58, 71). Les Ruminants sont fréquemment représentéss<br />

tirant la langue (fig. 66, 71, 70). L'haleine est figurée<br />

danss certaines images, notamment dans la gravure d'un<br />

avant-trainn de Renne sur un bâton à trou de Laugerie-Basse<br />

(fig.. 68), dans un Cheval gravé pariétal de Marsoulas (2), et<br />

peut-êtree dans une tête d'Ours gravée sur bois de Cerf de<br />

Massâtt (fig. 67).<br />

Unn autre cas de notation réaliste de l'altitude est celui<br />

(1)) R. de SAINT-PÉRIER, Bull. Soc. préhist. Fr., t. XVII, 1920, p. 283-285<br />

(2),, Bép., p. 145, ri" 4.


LELE RÉALISME DAXS L'ART FIGURÉ 933<br />

d'animauxx de profil dont la tête n'esl pas dans le prolongementt<br />

du corps. Nous n'insisterons pas sur ceux où elle est<br />

figuréefigurée de face, comme dans le Cervidé ou Gapridé gravé<br />

danss le bas d'un bàlon en bois de Renne de Gourdan (Magdalénienn<br />

final) (i), car ces exemples peuvent être portés<br />

àà aussi bon droit au compte soit du réalisme visuel, puis-<br />

Fig.. 67. — Gravures d'Ours (Massât, Ariège).<br />

Echellee : 3/4- En haut, sur galet (d'après GAUHIGOUI. En bas, sur bâton troué en<br />

boiss de Cerf ;d'après E. LARTET).<br />

qu'enn fait les animaux se présentent à l'occasion dans celte<br />

altitude,, soit du réalisme intellectuel. 11 serait en effet possiblee<br />

que les figures de ce genre fussent inspirées par le<br />

corollairee du réalisme intellectuel que j'appelle changement<br />

dee point de vue,, la vue de face étant celle qui met en évidencee<br />

le plus grand nombre de détails de la tète, alors que<br />

laa vue de profil est celle qui manifeste le plus grand<br />

nombree de détails du corps.<br />

Maiss cette incertitude que présente l'interprétation des<br />

animauxx à tête de face n'existe plus pour d'autres animaux<br />

dontt la têle est tournée en arrière. Ici, en effet, on ne saurait<br />

(1)) Rëp., p. 88, no 10.


944 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

invoquerr le réalisme intellectuel, car la tête retournée étant<br />

dee profil comme la tête normale, ne manifeste pas, comme<br />

laa tête de face, un plus grand nombre de détails, mais seulementt<br />

les détails d'un seul côté (en particulier un seul œil).<br />

L'uniquee explication possible de ^altitude donnée par l'artiste<br />

àà sa figure semble donc être qu'il a voulu rendre une altitudee<br />

observée sur l'animal vivant. Comme exemples de cette<br />

catégorie,, nous citerons le Gervidé au galop gravé sur l'autre<br />

facee du bâton à Irou que nous avons mentionné plus haut<br />

àà propos de la figuration de l'haleine (fig. 68); le Cerf mâle<br />

duu groupe du fameux bâton aux Saumons de Lorthet (fig. 16);<br />

danss l'art pariétal, 1' « agnus Dei », équidé retournant la tète<br />

dee Pair-non-Pair (fig. 1), le Bison polychrome d'Altamira<br />

(fig.. 69) et une Biche à contour pointillé rouge de Covalanass<br />

(fig. 5) ; dans les peintures rupestres espagnoles, un<br />

petitt Bouquetin mâle à cornes très sinueuses, très incomplet<br />

pourr le corps et les pattes, de la Vieja (fig. Go).<br />

Pourr terminer, la manifestation la plus nette du réalisme<br />

visuell est le raccourci. Ici, en effet, l'artiste choisit parmi<br />

less divers aspects possibles du modèle non celui qui permet<br />

lee plus facilement de le reconnaître, mais au contraire celui<br />

d'oùù il présente l'aspect le plus insolite : c'est, pourrait-on<br />

dire,, la substitution de l'impressionnisme à la caractéristique..<br />

Certainess figures, par exemple un Cheval gravé sur fragmentt<br />

d'omoplate de Laugerie-Basse (1), ont peut-être voulu<br />

êtree faites de trois-quarts; mais cette apparence pourrait<br />

aussii bien s'expliquer par une exécution maladroite.<br />

Parr contre, est certainement vu de dos le Bouquetin gravé<br />

surr fragment de baguette de Laugerie-Basse (fig. 70) : le<br />

corps'' globuleux se prolonge par un cou aminci couronné<br />

d'unee tête munie de cornes et d'oreilles; sous le corps s'aperçoiventt<br />

deux pattes repliées comme chez un animal couché.<br />

Unn autre animal vu d'un point de vue insolite est le Bison<br />

(1)) Rép., p. 100, n' 4.


Fig.. 08. — u Iiàton de commandement » avec figures de cervidés<br />

(Laugerie-BasseVV<br />

Echellee : un peu moins de 1/2 (d'après BREUIL).<br />

G.-H.. LUQUET. — Arl et religion des Hommes fossiles.


ett<br />

Fig.. 69. — liison couché retournant la tête.<br />

Peinturee pariétale polychrome (Altamira). Echelle : 1/5 environ (d'après BREUIL).<br />

s-.erçç<br />

133<br />

es-- »-<br />

ess o<br />

He2-..<br />

;; et-<br />

33 a<br />

"33 O<br />

»» c<br />

et-- PBB o.<br />

oo *<br />

ett<br />

500 es<br />

aa iress<br />


LELE RÉALISME BAXS L'ART FIGURÉ 977<br />

Less exemples que nous venons de passer en revue établissentt<br />

que le réalisme visuel tient sans conteste dans l'art<br />

fig-uréfig-uré de l'âge du Renne une place prépondérante. Mais la<br />

conceptionn diamétralement opposée de la ressemblance, le<br />

réalismee intellectuel, y est aussi représentée à un degré<br />

notable,, même à l'époque où le réalisme visuel a atteint<br />

sonn apogée.<br />

Laa rareté des groupes dans l'art<br />

paléolithiquee et l'absence de représentationn<br />

du fond dans ceux qu'il<br />

présentee ne permettent guère de<br />

conclusionss nettes sur la façon<br />

dontdont les artistes concevaient le<br />

renduu de la perspective aérienne.<br />

Pourtant,, quelques exemples semblentt<br />

manifester une tendance,<br />

correspondantt au réalisme intellectuel,,<br />

à éviter que les différents<br />

individuss faisant partie d'un ensemblee<br />

se masquent plus ou moins<br />

less uns les autres comme ils le<br />

fontt dans la réalité. A cette tendancee<br />

correspond rétagement des<br />

plans,, dont nous avons relevé cidessuss<br />

quelques spécimens.<br />

Unn autre corollaire du réalisme<br />

intellectuell en ce qui concerne<br />

less groupes est le procédé que j'ai appelé rabattement.<br />

111 consiste, pour figurer deux objets se faisant face, à les<br />

rabattree dans un même plan autour de l'une de leurs extrémitéss<br />

faisant en quelque sorte office de charnière; l'un est<br />

alorss figuré dans le prolongement de l'autre, mais à l'envers.<br />

C'estt ainsi, par exemple, que le dessin des deux rangées<br />

d'arbress bordant une route aura l'aspect d'une seule rangée<br />

auu bord d'une rivière avec son reflet dans l'eau. Si l'on<br />

admett que dans la gravure sur os de Chancelade (fig. 113), les<br />

4..<br />

Fig.. :o.<br />

Animauxx en raccourci.<br />

AA gauche, Elan, gravure sur bois<br />

dee Henné (Gourdan). Grandeurr<br />

vraie (d'après PIETTE).<br />

AA droite, Bouquetin, gravure<br />

surr os (Laugerie-Basse!. Grandeurr<br />

vraie (d'après GIROD et<br />

MASSÉNAT)..


988 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

bonshommess figurés de part et d'autre d'un avant-train de<br />

Bisonn et dont l'un semble porter une espèce de palme pourraientt<br />

correspondre à une sorte de procession, les deux files<br />

dee celle-ci seraient rabattues des deux côtés du Bison, opposéess<br />

par la tête. En tout cas, l'emploi du rabattement est<br />

incontestablee dans l'unique groupe humain que nous connaissionss<br />

de l'Aurignacien et plus généralement de l'âge du<br />

Rennee franco-cantabrique, à savoir le relief de Laussel figurantt<br />

un coït (fig. 8/|). On le considère parfois comme pouvantt<br />

aussi bien représenter un accouchement; mais aucune<br />

hésitationn n'est permise, car le personnage symétriquement<br />

opposéé au corps féminin ne saurait être qu'un adulte, caractériséé<br />

comme tel par une barbe à deux pointes nettement<br />

distincte.. Dans cette ligure, les deux personnages qui dans<br />

laa réalité devaient être accolés sont rabattus dans un même<br />

plann de part et d'autre de leur intersection.<br />

Maiss c'est surtout dans les représentations d'êtres isolés que<br />

peuventt s'observer des symptômes du réalisme intellectuel.<br />

Unn caractère des figures animales qui permet de reconnaître<br />

sii leur auteur concevait le réalisme sous la forme visuelle ou<br />

souss la forme intellectuelle est le mode de représentation des<br />

appendicess pairs du corps (membres) et de la tête (cornes et<br />

oreilles).. Le réalisme visuel exige que ceux du second plan<br />

soient,, comme dans la réalité, plus ou moins masqués par<br />

ceuxx du premier plan; le réalisme intellectuel réclame au<br />

contrairee que chaque paire en montre deux nettement distincts..<br />

Celte exigence reçoit satisfaction par deux procédés<br />

quii consistent, l'un à faire subir à chaque paire d'appendices<br />

unee sorte de torsion à QO° selon un axe vertical et à la représenterr<br />

comme si elle était vue de face; l'autre, à reculer<br />

l'organee du second plan et à le dessiner en arrière de l'autre<br />

lee long de l'axe longitudinal du corps. Nous allons examiner<br />

l'applicationn de ces deux procédés à la représentation<br />

d'abordd des oreilles et des cornes, puis des pattes.<br />

Pourr qu'il soit possible de tirer du mode de représentation<br />

dess oreilles une conclusion en faveur du réalisme intellectuel,


LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 999<br />

ill faut qu'elles soient figurées d'une façon nettement différentee<br />

de celle dont elles se présentent à l'œil et destinée à<br />

less détacher l'une de l'autre, à en accentuer la dualité. Or,<br />

parr suite de la mobilité de ces organes dans l'être vivant, ils<br />

peuventt prendre effectivement des positions qui répondent<br />

auxx exigences du réalisme intellectuel, de telle sorte que la<br />

Fig.. 71. — Cerf.<br />

Peinturee rupeslre rouge (Calapata, province de Teruel, Espagne).<br />

Echelle:: 1/3 environ (d'après BREUIL).<br />

façonn dont ils sont représentés ne permet pas de les rapporter<br />

àà l'une plutôt qu'à l'autre des deux sortes de réalisme. Mais<br />

sii les oreilles sont mobiles, leur insertion dans la tête reste<br />

fixe,, et dans la vue de profil l'insertion de celle du second<br />

plann est masquée pour le réalisme visuel par l'insertion de<br />

cellee du premier plan et en outre, lorsqu'il s'agit d'animaux<br />

cornus,, par les cornes situées entre les deux oreilles. Par<br />

suite,, on devra porter au compte du réalisme intellectuel les<br />

dessinss de têtes cornues ou non dont les oreilles sont figurées<br />

parallèlementt l'une derrière l'autre par recul et ceux de têtes


1000 L'ART PALEOLITHIQUE<br />

cornuess où les insertions des deux oreilles sont visibles de<br />

partt et d'autre des cornes. Je me bornerai à citer comme<br />

exemplee du premier cas un Cerf rouge de Calapata (%. 71).<br />

Less cornes, à la différence des oreilles, sont des organes<br />

rigidess et par suite leur disposition dans les dessins permet<br />

dee reconnaître si elles sont figurées en profil correspondant<br />

auu réalisme visuel, celle du second plan étant plus ou moins<br />

masquéee par celle du premier, ou soit de face, soit de profil<br />

avecc recul conformément au réalisme intellectuel.<br />

Particulièrementt intéressants sont les bois des Cerfs mâles<br />

adultes,, où le dessinateur doit tenir compte, non seulement<br />

dee leur tige, mais aussi des branches, spécialement des deux<br />

andouillerss basilaires, recourbés en forme de crochet. La<br />

plupartt des figures qu'en fournit l'art rupestre espagnol paléolithiquee<br />

sont du type que j'ai appelé type de Calapata, du<br />

nomm de la localité qui en a fourni les spécimens les plus anciennementt<br />

publiés et d'ailleurs les plus remarquables (fig. 71).<br />

Chacunn des bois, pris individuellement, est figuré de profil,<br />

avecc les andouillers dirigés en avant; mais la position divergentee<br />

des deux bois l'un par rapport à l'autre, semblable à<br />

cellee que présenteraient des tiges sans andouillers vues de<br />

face,, relève sans équivoque possible du réalisme intellectuel.<br />

Unee autre application de ce mélange de points de vue,<br />

corollairee du réalisme intellectuel, consiste, pour faire ressortirr<br />

les orteils dans des jambes de profil, à figurer le pied<br />

commee s'il était vu à vol d'oiseau : on l'observe par exemple<br />

danss des figures humaines de la Vieja (fig. Go et 117) et de<br />

Minatedaa (fig. 81), dans la Fe/is spelaea de Bruniquel (fig. 72)<br />

ett dans le Rhinocéros de la Colombière (fig. 83).<br />

Lee réalisme intellectuel est décelé sans contestation possiblee<br />

par une certaine façon de dessiner les pieds des ruminantss<br />

et des suidés. Leur sabot se distingue de celui des<br />

équidéss par la fente qui le divise en deux onglons et leur a<br />

valuu le nom de bisulques; en outre, ils ont au-dessus et en<br />

arrièree du sabot deux ergots, tandis que les équidés n'en ont<br />

qu'un.. Ces différents éléments du pied ne sauraient être vus


LELE RÉALISME BAXS L'ART FIGURE 1011<br />

àà la fois : de profil, l'ong-Ion et l'ergot du premier plan masquentt<br />

leurs correspondants du second plan ; la séparation des<br />

77<br />

Fig.. 72. —Félin.<br />

Gravuree (déroulée) sur bâton troué en bois de Renne (Abris du Château, Bruniquel).<br />

Echellee : 2/3 (d'après CARTAILHAC) .<br />

deuxx ong-lons ne peut être vue que de devant, celle des deux<br />

ergotss que de derrière; enfin, si l'on peut, en regardant<br />

Fig.. 73. — Bison.<br />

Peinturee pariétale en noir (Niaux, Ariège). Kchelle : 1/10 (d'après BREUIL).<br />

l'animall de trois-quarts par devant, apercevoir la séparation<br />

dess deux onglons du pied du premier plan, on ne peut pas la


1022 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

voirr au pied du second plan. On devra donc considérer comme<br />

inspiréss par le réalisme intellectuel les dessins qui, bien que<br />

lee corps et les pattes soient de profil, figureront dans le<br />

piedd des éléments invisibles de ce point de vue.<br />

Cecii se produit pour les sabots bisulques dans une foule<br />

d'exempless (fîg. 4 n° 2, 65, 73-75), où la séparation des<br />

deuxx onglons est marquée comme si le pied était vu de face<br />

Fig.. 74. — Bouquetin.<br />

Peinturee pariétale en noir (Niaux). Echelle : 1/7 (d'après BREUIL).<br />

ett avait subi par rapport à la patte qu'il termine une torsion<br />

àà 90 degrés selon leur axe vertical.<br />

Bienn que les artistes paléolithiques se soient montrés beaucoupp<br />

moins soucieux de représenter les deux ergots des<br />

bisulquess que leurs deux onglons, quelques dessins témoignentt<br />

cependant du désir d'en montrer la dualité. Le procédé<br />

généralementt employé n'est qu'une variante de celui que<br />

nouss avons déjà signalé pour les cornes, oreilles et pattes<br />

souss le nom de recul, avec celte différence que les jambes<br />

surr lesquelles s'insèrent les ergots étant verticales, tandis que<br />

laa ttHe sur laquelle s'insèrent les cornes et les oreilles et le<br />

ventree sur lequel s'insèrent les pattes sont horizontaux, le<br />

recull se manifeste ici par un déplacement non en longueur,<br />

maiss en hauteur, les deux ergots étant figurés comme s'ils


LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ<br />

1033<br />

s'attachaientt sur la jambe l'un au-dessus de l'autre (fig 1 . 76).<br />

Unn cas encore plus net que tous les précédents, où le<br />

dessinateurr est obligé de choisir entre les deux sortes de<br />

réalisme,, est celui où l'objet représenté possède des éléments<br />

qui,, bien que réels, ne sont jamais visibles dans les circonstancess<br />

normales, par exemple les org-anes internes d'un être<br />

. '<br />

Fig.. 7;;. _ Biche polychrome, petit Bison noir et signes rouges.<br />

Peinturess du plafond de la caverne d'Altamira (Espagne).<br />

Echellee : 1/25 environ (d'après CARTAILHAC et BIIEUIL).<br />

vivant.. Ces éléments étant invisibles, le réalisme visuel ne<br />

less représentera pas ; il y aura opacité du contenant dans le<br />

dessinn comme dans le modèle. Mais comme ils sont réels,<br />

fontt partie de l'essence du modèle, le réalisme intellectuel<br />

tiendraa à les figurer dans le dessin comme si le contenant les<br />

laissaitt apercevoir par transparence ou en vertu d'une sorte<br />

dee radioscopie. Ainsi opacité et transparence seront respectivementt<br />

des symptômes du réalisme visuel et du réalisme<br />

intellectuel..<br />

Unn exemple certain de transparence pour la figuration des<br />

org-aness internes est fourni par le poisson (Truite ?) à


1044 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

contourr découpé dans une lame d'os de Lorthet, qui montree<br />

sur une de ses faces la représentation schématisée du<br />

tubee digestif et de l'estomac (fig. 76).<br />

Jee considère comme un autre exemple du même procédé<br />

l'Eléphantt aurignacien<br />

peintt en rouge à Pindal<br />

(fig.. 77), en interprétant<br />

commee le cœur vu par<br />

Fig.. 70. — Poisson (Truite?)<br />

Contourr découpé en os (Lorthet,Hautes-Pyrénées)<br />

(d'aprèss PIETTE).<br />

transparencee la tache<br />

quii l'on interprète souventt<br />

comme une oreille.<br />

AA Ardales (province de<br />

Malaga),, une tache<br />

rougee dans la grande<br />

Bichee noire ( 1 ) semble<br />

égalementt représenter le cœur. La Loutre au poisson gravéee<br />

sur os de Laugerie Basse (2) semble, à un examen attentif,,<br />

avoir un autre poisson dans le ventre. Du même procédéé<br />

relève encore un Bison<br />

peintt de la Pasiega (3), dont<br />

lala corne du second plan (cornee<br />

droite de l'animal) est<br />

figuréefigurée en entier, bien que<br />

toutee sa partie inférieure,<br />

situéee derrière le front, dût<br />

êtree masquée par lui.<br />

Laa représentation des organess<br />

internes d'un être<br />

vivantt n'est pas le seul cas 7.. — Eléphant.<br />

Peinturee parioiale en rouge (Pindal,<br />

OUU 1 artiste SOlt oblige de province d'Oviedo, Espagne).<br />

prendree parti (consciemment<br />

Echel ie : 1/iO. (d'après BREUIL).<br />

ouu non) entre l'opacité et la transparence; un autre cas<br />

estt fourni par la représentation d'un objet dont une partie<br />

(1)) BREUIL, L'A., t. XXXI, 1921, p. 245 fia- 4<br />

(2)) Rép., p. 115, n° 4.<br />

(3)) La Pasiega, pi. XXVIII, n° 83.


LELE RÉALISME DANS L'A HT FIGURÉ 1055<br />

aa pénétré dans un autre, comme une arme dans le corps<br />

d'unn animal ou d'un homme dans des scènes de chasse<br />

ouu de guerre. L'extrémité qui a pénétré dans le corps est<br />

inexistantee pour le réalisme visuel, mais existe pour le réalismee<br />

intellectuel. Par suite, la façon dont sont représentées<br />

cess flèches permettra de déterminer quelle conception du réalismee<br />

se faisait l'artiste dans tel cas donné. Pour les animaux<br />

représentéss avec des flèches barbelées en surcharge sur le<br />

corps,, l'interprétation la plus vraisemblable est qu'elles ont<br />

Fig.. 78. — Bison percé de flèches.<br />

Gravuree sur le sol (Niaux, Ariège). Echelle : 1/8 (d'après BREUIL).<br />

pénétréé dans la chair et que cependant leur pointe est figurée<br />

parr transparence. Cette interprétation s'impose pour le Jiison<br />

gravéé sur le sol à Niaux (fig. 78), où la représentation des<br />

pointess de flèches est accompagnée de celle de blessures.<br />

Danss d'autres images, l'animal est environné de flèches<br />

dirigéess contre lui, mais sans l'avoir encore atteint; tel est,<br />

parr exemple, le poisson gravé sur bois de Renne de Fontarnaudd<br />

(fig. 79). Ces figures rentrent dans la formule générale<br />

énoncéee par Barnes et Levinstein pour la représentation<br />

d'actions,, de scènes changeantes, autrement dit encore « d'histoiress<br />

», à propos du dessin enfantin, et d'après laquelle le<br />

dessinateurr représente la « préparation » de préférence à la<br />

«« catastrophe » (1). Cette formule, exacte au point de vue<br />

(i)) BARNES, A studyy on children's drawing, Pedagogical Seminary, t. II (1902),<br />

p.. 4G1. — LEVINSTEIN, Kinderzeichnungen, Leipzig, 1905, p. 40.


1066 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

purementt graphique, c'est-à-dire pour ce qui se voit dans le<br />

dessin,, me semble insuffisante au point de vue psychologique,,<br />

c'est-à-dire en ce qui concerne les raisons qui ont<br />

inclinéé l'artiste à prendre ou à choisir ce parti : c'est que la<br />

représentationn de la « préparation » permet de figurer des<br />

élémentss qui ne sont plus visibles au moment de la « catastrophee<br />

» . Le cas des flèches, barbelées ou non, touchant du<br />

dehorss le corps des animaux ne serait peut-être qu'une sorte<br />

dee passage à la limite du thème des animaux environnés de<br />

flèchess et n'en différerait qu'en ce qu'elles sont figurées, non<br />

pass simplement au cours de leur vol dans la direction de<br />

l'animal,, mais au moment précis où elles l'atteignent. Dans<br />

Fig.. 79. — Poisson et flèche.<br />

Gravuree sur bois de Renne (Fontarnaud, Gironde). Collection Labrie<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

unn cas comme dans l'autre, l'artiste aurait trouvé, peut-être<br />

sanss le chercher, un mode de représentation privilégié qui parvientt<br />

à concilier le réalisme visuel et le réalisme intellectuel,<br />

opposéss en principe : il y a à la fois réalisme visuel, puisque<br />

l'œill pourrait avoir de la scène et que la photographie instantanéee<br />

pourrait enregistrer une image semblable au dessin,<br />

ett réalisme intellectuel, puisque la flèche est représentée dans<br />

sonn intégralité. Nous retrouvons là quelque chose de comparablee<br />

aux dessins signalés plus haut des animaux de profil à<br />

têtee de face, dont l'attitude se présente dans la nature et en<br />

mêmee temps manifeste à la fois le maximum de détails tant<br />

dee la tête que du corps.<br />

Ill n'est peut-être pas abusif de pousser encore plus loin.<br />

Danss une foule de cas, l'animal visé par des flèches comme le<br />

nn de Pontarnaud est également atteint par d'autres<br />

flèchesflèches ou figuré avec des blessures. Or, le dessin non seu-


LELE RÉALISME DANS L'ART FIGURÉ 107<br />

lementt des enfants, mais aussi de professionnels appartenant<br />

àà des phases relativement primitives dans l'art d'époques<br />

ett de régions diverses, recourt, pour la représentation des<br />

actionss dramatiques, des « histoires », à un procédé qui<br />

consiste,, sur le fond commun des éléments de la scène qui<br />

nee changent pas et font en quelque sorte office de décor,<br />

àà figurer plusieurs fois les éléments changeants, chacune<br />

dess représentations de ces éléments correspondant à un<br />

momentt différent de leur changement. Il est dès lors permis<br />

dee se demander si, dans les dessins paléolithiques, les flèches<br />

quii volent vers l'animal et celles qui l'ont atteint ne seraient<br />

pas,, dans la pensée de l'artiste, les mômes flèches considéréess<br />

à des moments successifs. Nous aurions là un nouvel<br />

exemplee de conciliation du réalisme visuel et du réalisme<br />

intellectuel,, non plus seulement dans l'espace, mais aussi<br />

danss le temps. Dans la réalité, un animal, surtout attaqué<br />

parr plusieurs chasseurs, peut être déjà blessé par des flèches<br />

pendantt que d'autres volent vers lui; et les figures de ce<br />

genree représentent en un sens une scène vue. Mais d'autre<br />

part,, comme, selon la profonde remarque de Zenon d'Elée,<br />

laa flèche qui vole est immobile dans chacune de ses positions,<br />

laa représentation de ces diverses positions est un moyen de<br />

rendre,, en les juxtaposant dans un dessin unique, les moments<br />

successifss du vol de la flèche. Nous avons relevé divers<br />

exempless de conciliation du réalisme visuel et du réalisme<br />

intellectuell dans l'art paléolithique, et en particulier celui dont<br />

nouss venons de parler est assez compliqué. Mais les Magdalénienss<br />

n'étaient certainement plus des artistes novices; ils<br />

avaientt donc probablement, sinon conçu sous forme abstraite,<br />

duu moins senti d'une façon plus ou moins vague l'antagonismee<br />

que nous avons fait ressortir entre les deux sortes de<br />

réalisme.. L'exislencede ce sentiment chez les dessinateurs de<br />

l'Agee du Renne est d'autant plus vraisemblable que nous<br />

pouvonss la constater chez nos enfants, dès l'âge d'environ<br />

sixx ans, où elle détermine un abandon graduel du réalisme<br />

intellectuell pour le réalisme visuel. Dès lors, il est permis de


1088 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

see demander si les divers cas de conciliation des deux sortes<br />

dee réalisme que nous avons relevés sont un simple effet du<br />

hasardd ou si cette conciliation n'aurait pas été plutôt, sinon<br />

cherchée,, du moins préférée intentionnellement par les<br />

artistess paléolithiques.<br />

Ill ne s'ag-it là, à coup sûr, que de possibilités, et je serai le<br />

premierr à reconnaître le caractère forcément conjectural de<br />

cess déductions. Mais il n'en va pas de même pour l'emploi du<br />

procédéé de la transparence à l'àg"e du Renne, qui me semble<br />

solidementt établi par les faits.<br />

Pourr résumer les résultats de cette étude, il nous semble<br />

quee le réalisme se manifeste dans l'art paléolithique de deux<br />

façonss non seulement différentes, mais opposées. Le réalismee<br />

visuel y est prépondérant ; mais le réalisme intellectuel<br />

yy est également représenté dans une large mesure tant par<br />

laa figuration d'éléments invisibles du point de vue choisi,<br />

quoiqu'ilss puissent être aperçus d'un point de vue différent,<br />

quee par la figuration d'éléments toujours invisibles (transparence))<br />

. Cette coexistence du réalisme intellectuel avec le<br />

réalismee visuel subsiste jusque dans le Mag-dalénien, qui est<br />

àà la fois l'apogée artistique du Paléolithique et son terme<br />

chronologique.. Par suite, si l'époque magdalénienne est fort<br />

éloig-néee dans le temps de l'enfance de l'art, l'esthétique que<br />

révèlentt les œuvres figurées de cette période est encore, à<br />

unn degré notable, une esthétique d'enfants.


CHAPITRECHAPITRE IV<br />

SIGNIFICATIONN DE L'ART FIGURÉ<br />

Unee étude de l'art paléolithique serait incomplète et<br />

sommee toute de peu d'intérêt si, après en avoir retracé<br />

l'évolutionn chronologique, décrit les procédés et dégag-é le<br />

style,, elle ne tentait d'en déterminer l'intention. Une activité<br />

humaine,, telle que l'art, n'est pas entièrement expliquée si<br />

l'onn s'en tient au comment, sans rechercher le pourquoi.<br />

Quellee était donc la destination de l'art paléolithique?<br />

Onn en a donné deux explications opposées. L'une, surtout<br />

enn faveur en Allemagne, y voit la manifestation d'une<br />

tendancee esthétique entièrement désintéressée. En France,<br />

malgréé l'énergique protestation de M. Boule en faveur de<br />

«« l'art pour l'art » (i), la théorie la plus généralement<br />

adoptée,, avec plus ou moins de réserves, est celle qu'a<br />

présentéee et développée M. S. Reinach (a) et qui peut se<br />

résumerr de la manière suivante. L'art de l'âge du Renne<br />

n'estt nullement désintéressé : il a avant tout un rôle pratique,<br />

ett pour parler précisément, c'est une opération magique.<br />

Less primitifs de toutes les régions et de toutes les époques<br />

ontt cette idée que la représentation figurée d'un être, comme<br />

sonn évocation par la parole, donne à l'auteur du dessin une<br />

prisee sur lui (3).<br />

Less Paléolithiques avaient besoin pour vivre de se procurer<br />

I)) M. BOULE, Les hommes fossiles, 2" édition, p. 262, note.<br />

ii)ii) S. REINACH, L'art et la magie, dans Cultes, mythes et religions, Paris,Leroux,<br />

t.. I, p. 126 sq.<br />

(3)) On trouvera une riche collection de parallèles ethnographiques dans Altamira,<br />

pp.. 145-225 et 236-243.


HOO L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

less animaux qui leur fournissaient leur nourriture. La<br />

représentationn figurée de ces animaux était un moyen d'en<br />

favoriserr la reproduction, de les attirer et de les retenir<br />

danss le voisinage, d'en faciliter la chasse. En résumé,<br />

l'expressionn « magie de l'art » doit, pour cette époque, être<br />

prisee à la lettre, de sorte que les artistes étaient à proprementt<br />

parler des sorciers. « II y aurait beaucoup d'exagération,,<br />

conclut M. Reinach, à prétendre que la magie est<br />

laa source unique de l'art, à nier la part de l'instinct d'imitation,,<br />

de celui de la parure, du besoin social d'exprimer et<br />

dee communiquer sa pensée; mais... (les faits) semblent<br />

démontrerr que le grand essor de l'art à l'âge du Renne est<br />

liéé au développement de la magie. » II convient, à notre<br />

avis,, en conservant l'essentiel de cette thèse, de la restreindree<br />

à ses limites légitimes en discutant la valeur très<br />

inégalee en fait et en droit des arguments invoqués en sa<br />

faveur..<br />

Unee première série d'arguments allégués à l'appui du rôle<br />

magiquee des œuvres d'art paléolithiques s'appuient sur les<br />

caractèress des régions où ont été tracées nombre de figures<br />

pariétales.. Nous examinerons d'abord l'obscurité de ces<br />

régions,, que l'on envisage d'ordinaire en même temps que<br />

leurr éloignement par rapport à l'entrée, mais qu'il y a lieu<br />

d'enn distinguer, car si l'éloignement de l'entrée entraîne<br />

d'ordinairee l'obscurité, il y a des exceptions. En effet, la<br />

lumièree du jour peut pénétrer non seulement par l'entrée,<br />

maiss aussi par des fissures des parois ou du plafond, comme<br />

celaa a pu être le cas à La Mouthe(i). Inversement, certaines<br />

régionss voisines de l'entrée, par exemple le grand plafond<br />

d'Altamiraa (2), étaient à peine éclairées. Quoi qu'il en soit,<br />

l'obscuritéé des lieux où se trouvent les figures implique,<br />

dit-on,, qu'elles n'avaient pas un caractère décoratif (nous<br />

dirionss plus généralement purement esthétique ou désintéressé),,<br />

puisqu'elles ne pouvaient pas être vues. Mais c'est<br />

(I)) CAPITAN. Bull. Soc. d'Anthropol., 1897, p. 488.<br />

(i)(i) Allamira, p. 2.


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURK<br />

àà tort que l'on conclut de l'obscurité naturelle à l'obscurité<br />

totale.. Lors des premières découvertes de grottes à figures,<br />

l'obscuritéé naturelle constatée et l'absence supposée de<br />

moyenss d'éclairage artificiels pouvaient être invoquées pour<br />

contesterr l'authenticité des figures. Mais maintenant que<br />

celle-cii n'est plus mise en question, leur existence même<br />

exigee nécessairement l'existence d'un éclairage artificiel aussi<br />

rudiinentairee qu'on le voudra, mais suffisant pour des<br />

hommess dont l'acuité visuelle, par suite de leurs conditions<br />

d'existence,, devait être plus développée que celle des citadins<br />

modernes.. L'expérience ne pouvait avoir manqué de leur<br />

apprendree que le feu produit de la lumière en même temps<br />

quee de la chaleur, et ils pouvaient utiliser des torches. Bien<br />

plus,, on a retrouvé dans les gisements paléolithiques quelquess<br />

spécimens de lampes en pierre (i), notamment un exemplairee<br />

à La Moulhe, dans une grotte décorée, dont l'usage,<br />

qu'onn peut concevoir sur le type de celles dont se servaient<br />

less Groenlandais avant leur contact avec la civilisation européennee<br />

(2), est hors de doute, car elle contenait encore dans<br />

saa concavité des résidus de matière grasse brûlée. Mais<br />

quandd bien même nous n'aurions aucune indication sur les<br />

moyenss d'éclairage employés par les Paléolithiques, leur existencee<br />

est établie sans doute possible par l'existence même<br />

dess figures.<br />

Onn s'est étonné que ces luminaires qui, forcément très<br />

imparfaits,, devaient produire beaucoup de fumée, n'aient<br />

laisséé aucune trace de suie dans les régions où l'on s'en était<br />

servi.. Mais le puissant foyer de la salle à l'entrée d'Altamira<br />

aa dû produire une fumée autrement intense et prolongée<br />

qui,, chargée de matières animales par le contact direct des<br />

viandess avec la flamme, était bien de nature à laisser d'abondantess<br />

traces de suie : pourtant aucune de ces traces n'a<br />

subsistéé sur le plafond aux polychromes situé au-dessus de<br />

(1)) R. de SAINT-PÉRIER, Congrès préhisl. de , Lons-le-Saulnier, 1913, p.<br />

139-146;; l'A., t. XXXVI, 1986, p. 30 sq.<br />

(2)) Allamira, p. 232.<br />

O.-IJ.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 8


1122 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

cee foyer (i). L'explication de ce fait a d'ailleurs été donnée<br />

parr Moissan: les parcelles de charbon d'orig-ine organique<br />

quii constituaient cette suie s'oxydent à l'air et disparaissent<br />

àà la longue (a).<br />

Outree l'obscurité des régions décorées, on a invoqué certainss<br />

autres de leurs caractères, à savoir leur éloigneraient<br />

parr rapport à l'entrée, leur difficulté d'accès, leur disposition<br />

incommodee qui imposait à l'artiste une grande gêne pour<br />

exécuterr ses figures, ce qui semblerait indiquer la recherche<br />

d'unn locus remotus et en quelque sorte tabou, et l'on a<br />

rapprochéé ce fait de cet autre que chez les Australiens les<br />

rochess peintes sont tabou pour les non-initiés. Mais, sans<br />

discuterr pour le moment la matérialité du fait allégué, la<br />

conclusionn qu'on en tire nous semble dépasser les prémisses.<br />

S'ill est certain que, dans une foule de cas, la recherche du<br />

mystèree est liée à des pratiques magiques ou rituelles, elle<br />

n'enn est pas inséparable : les pratiques rituelles peuvent<br />

prendree au contraire un caractère cérémoniel et public. Sans<br />

allerr chercher plus loin, la messe des catholiques réunit les<br />

deuxx éléments : c'est une cérémonie publique dans son<br />

ensemblee contenant un élément secret, la prière appelée<br />

«« secrète ». Le même caractère public se retrouve chez les<br />

sauvagess pour des cérémonies totémiques (3).<br />

Ainsii le principe que des pratiques magiques exigent le<br />

secrett n'est qu'un postulat qui peut être contesté. Mais ceux<br />

quii l'invoquent devraient au moins être logiques et admettre<br />

saa conséquence, que s'il existe des figures tracées ailleurs<br />

quee dans des endroits retirés et peu accessibles, il n'y a<br />

pluss de raison d'attribuer à ces figures un rôle magique et<br />

que,, par suite, la théorie magique n'a plus une portée universelle..<br />

Or, les figures de ce genre sont innombrables. Il y a<br />

d'abordd toutes celles qui sont tracées sur objets mobiliers<br />

ett qui, par leur nature même, sont destinées à voir le jour,<br />

(1)) lbid., p. 8.<br />

(2)) lbid., p. 27.<br />

(3)) BREUIL, La grotte de la Grèze, C. R. Acatl. Inscr., l'J04, pp. 494-495.


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'A HT FIGURÉ<br />

enn particulier celles qui décorent les armes de chasse, notammentt<br />

les propulseurs, et dont la vertu mag-ique qu'on leur<br />

aa prêtée ne peut s'exercer qu'à la chasse, c'est-à-dire au<br />

grandd air. Il y a encore toutes les fîg-ures rupestres de<br />

l'Espagnee orientale, tracées sur des abris peu profonds ou<br />

mêmee sur des rochers en plein air.<br />

Maiss tenons-nous en aux œuvres pariétales des cavernes<br />

franco-cantabriques.. Ce serait nier l'évidence — et nous<br />

sommess fort éloignés de ce ridicule — que de ne pas reconnaîtree<br />

que, dans une foule de cas, ces fig-ures sont tracées<br />

danss les régions les plus reculées des grotles et qu'on n'y<br />

accèdee qu'avec d'extrêmes difficultés. Les récits des explorateurs,,<br />

les plans des grottes qu'ils ont publiés avec indicationn<br />

de l'emplacement des figures, ne laissent aucun doute à<br />

cee sujet. Mais on pourrait peut-être se demander si les<br />

artistess ont cherché ces lieux pour y tracer les fig-ures, ou<br />

s'ilss n'ont pas simplement tracé les fig-ures en des endroits<br />

oùù ils étaient parvenus pour d'autres raisons. La grotte du<br />

Tuee d'Audoubert, qui est précisément une de celles auxquelless<br />

on attribue tout spécialement un caractère sacré, a<br />

conservéé des traces du passage d'hommes en un endroit des<br />

partiess profondes où n'a été sig-nalée aucune œuvre d'art (i).<br />

Quoii qu'il en soit, si la destination magique des fig-ures<br />

pariétaless est liée à leur situation difficilement accessible et<br />

éloignéee de l'entrée, on rencontre dans la région franco-cantabriquee<br />

nombre de figures exécutées parfois dans de simples<br />

abriss ou, pour des grottes profondes, dès le voisinage de<br />

l'entréee (La Grèze, Puy-Rousseau, Cap-Blanc, Pair-non-Pair,<br />

laa Calévie, Comarque, la Croze à Gontran, Teyjat, Marsoulas,,<br />

Gargas, Ayguèze, Allamira, Hornos de la Pena, la<br />

Ventaa de la Perra, la Haza) (2).<br />

(1)) « Dans les coins de cette longue salle élevée, des ossements d'Ours; en tas, à<br />

peinee dérangés, indiquent que les fauves sont morts là. Les hommes quaternaires<br />

sontt venus et, dédaignant les ossements inutiles, ont brisé les mâchoires pour en<br />

arracherr les canines destinées à servir de parure... Autour de ces squelettes, on<br />

voitt que le sol a été piétiné, et en plus d'un endroit des traces de pieds humains sont<br />

visibless ... (BEGOUEN, VA., t. XXIII, 1912, pp. G59-C6O).<br />

(2)) BUEUIL, La grotte de la Grèze, C. R. Acad. lnscr., 1904, p. 492. — Altamira,


1144 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Bienn plus, non seulement des figures pariétales ont subsistéé<br />

dans le voisinage de l'entrée des grottes, mais leur<br />

absencee là où elle est constatée s'explique sans peine par<br />

leurr destruction, qui a pour causes, à l'entrée, les végétaux, le<br />

soleil,, la pluie, la gelée ; plus profondément, la rosée de condensation..<br />

La corrosion des parois a été observée jusqu'à<br />

4oo mètres à la grotte Rey, jusqu'à 60 mètres à Font-de-<br />

Gaume,, jusqu'à 90 mètres aux Gombarelles, même jusqu'à<br />

pluss de 5oo mètres dans des grottes à entrée très large,<br />

commee Bédeilhac ou le Mas d'Azil. La conservation des<br />

figuresfigures au voisinage de l'entrée ne se présente que lo<br />

qu'elless ont été protégées soit par des éboulements, soit par<br />

unn recouvrement archéologique (1). On peut donc conclure<br />

avecc les explorateurs de Font-de-Gaume : « La localisation<br />

dess figures dans les parties profondes, si exclusive à premièree<br />

vue, est peut-être illusoire et peut être due à ce que<br />

seuless ont échappé à la destruction les fresques et les gravuress<br />

qui se cachaient loin des agents atmosphériques de<br />

destructionn » (2).<br />

Ill nous semble donc que la conclusion à tirer de la situationn<br />

des figures pariétales est que, à côté de celles d'entre<br />

elless qui semblent témoigner d'une recherche intentionnelle<br />

duu mystère et peuvent par suite être considérées comme<br />

ayantt eu un caractère sacré, les Magdaléniens en ont exécuté<br />

d'autress auxquelles rien n'autorise à attribuer la même significationfication<br />

et qui sont des œuvres d'art pures et simples. C<br />

tainss faits donneraient à penser que des grottes différentes<br />

ouu des parties différentes d'une même grotte, parfois la<br />

mêmee partie à des époques différentes, ont reçu l'une et<br />

l'autree des deux utilisations, profane comme gîtes, sacrée<br />

commee sanctuaires. Aux Gombarelles, l'occupation du cou-<br />

pp.. 19, 29, 34 note 2. — Font-de-Gaume, p. 53. — L'A., t. XVI 1905, p 433-437;<br />

t.. XXII, 1911, p. 385 sq.; t. XXVI, 1915, p. 507.<br />

(1)) BREUIL, La grotte de la Grèze, op. cit., p. 492-493. — L'A., t. XVI, 1905,<br />

p.. 432; t. XXII, 1911, p. 385 sq. — Altamira, p. 29, 33, 233. —'Font-de-Gaume,<br />

p.. 53-58.<br />

(2)) Font-de-Gaume, p. 58.


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ<br />

loirr de droite, sans figures, est dans l'ensemble, par ses<br />

niveauxx archéologiques qui vont du Magdalénien moyen (sans<br />

harpons)) au Magdalénien final, très postérieure à l'époque de<br />

laa décoration de la galerie de gauche, sans restes archéologiques,,<br />

mais qui, par les caractères des figures, doit être<br />

rapportéee aux périodes du Magdalénien antérieures aux<br />

harpons.. A Allamira et à Marsoulas, des figures d'un Magdalénienn<br />

plus ou moins ancien accompagnées de couches<br />

archéologiquess de même date, ont été dans la suite surchargéess<br />

par des polychromes sans vestiges d'habitation correspondantss<br />

(i).<br />

Less conclusions, plus ou moins solides, que l'on avait jadis<br />

tiréess de la nature des sujets représentés, nous semblent<br />

aujourd'huii périmées. On croyait pouvoir établir une différencee<br />

entre les animaux comestibles, figurés en image pour<br />

enn faciliter la reproduction ou la chasse par une influence<br />

magique,, et les animaux dangereux, indésirables, en particulierr<br />

les félins, dont la représentation aurait été négligée ou<br />

mêmee proscrite. La faune figurée, telle que nous la connaissonss<br />

actuellement, comprend les espèces les plus variées,<br />

commee le prouve l'énumération sommaire que nous en avons<br />

donnéee (p. 3o-33), et la prépondérance numérique des représentationss<br />

de gibiers s'explique suffisamment, sans faire<br />

appell à des intentions magiques, par l'orientation des idées<br />

d'artistess chasseurs.<br />

Si,, dans la grande majorité des cas, les animaux sont<br />

figurésfigurés isolés, on les rencontre aussi associés à l'Homme<br />

danss des scènes de chasse. On n'en connaît pour la région<br />

franco-cantabriquee qu'un exemple unique et peu décisif, le<br />

«« chasseur d'Aurochs » (en réalité de Bison) de Laugerie-<br />

Bassee (2); mais les peintures rupeslres espagnoles en contiennentt<br />

un certain nombre de spécimens (fig. 24, 25, 56-58).<br />

Pourr ces scènes de chasse, le choix reste libre entre deux<br />

interprétations.. On peut y voir soit des opérations magiques,<br />

(1)) Combarelles, p. 184-185.<br />

(2)) Rép., p. 99, n'S.


1166<br />

L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

oùù la représentation figurée aurait eu pour rôle, comme les<br />

représentationss mimées chez divers primitifs (i), d'assurer<br />

lee succès d'une chasse réelle, soit simplement des œuvres<br />

d'art,, des scènes de g-enre reproduisant, sans intention<br />

mag-ique,, un événement réel ou imaginé. Il paraît difficile<br />

d'attribuerr une intention magique à un ensemble de gravures<br />

dee Font-de-Gaume (fig. 80), qui semble représenter un<br />

groupee de Chevaux attaqués par un Lion. Pour contester<br />

lee caractère purement artistique des représentations de<br />

chasses,, on a allégué (2) qu'elles représentent, non des<br />

chassess à la grosse bête, dont leur caractère exceptionnel et<br />

dangereuxx pourrait justifier la commémoration fig-urée à<br />

titree d'événements historiques, mais uniquement des chasses<br />

auu Cerf, au Bouquetin ou au Sanglier qui, par leur facilité<br />

ett leur banalité, ne méritaient pas cet honneur. Cet argumentt<br />

repose, à notre avis, sur une erreur psychologique.<br />

Laa reproduction fig-urée d'une scène dans une intention purementt<br />

artistique prouve bien que cette scène présentait de<br />

l'intérêtt pour l'artiste, qu'elle avait attiré son attention. Mais<br />

cettee attention et cet intérêt peuvent avoir été excités non<br />

parr le caractère important ou exceptionnel de cette scène,<br />

maiss au contraire par sa fréquence entraînant sa banalité.<br />

Notree art ne présente pas moins des tableaux de g-enre que<br />

dess tableaux d'histoire; les scènes de la vie courante sont<br />

représentéess au moins aussi fréquemment que des événementss<br />

exceptionnels dans divers arts primitifs, par exemple<br />

danss les gravures sur bambous de Nouvelle-Calédonie, qui<br />

n'ontt aucune intention magique; et je n'aperçois pas quelle<br />

intentionn magique a bien pu faire peindre à Minateda la<br />

scènee on ne peut plus courante d'une maman tenant son<br />

enfantt par la main (fig. 81).<br />

Nouss considérerions comme témoignant d'une intention<br />

(1)) H. OBERMAIER, El hombre fosil, Madrid, 1916, p. 245 (Annam).— LUBBOCK,<br />

Originess de la civilisation, traduction BAHBIEH, 2" édit., p 275 (Gafres Koussas,<br />

d'aprèss Lichtenstein).<br />

(2)) H. OBERMAIER et P. WERNERT, Las pinturas rupestres del Barranco del Valltorta,,<br />

Madrid, 1919, p. 125-127.


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ 1177<br />

magique,, bien plutôt que les figures d'animaux isolées et<br />

quee les scènes complexes qui associent la représentation des<br />

caca<br />

IflIfl !<br />

i<br />

a--<br />

SS -a<br />

C33 > S<br />

ass Q<br />

SS eu<br />

oo -o<br />

§33<br />

SEE "C<br />

chasseurss à celle du gibier, celles, particulièrement nombreusess<br />

dans la région franco-cantabrique, dans l'art mobi-


1188 L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

lierr comme dans l'art pariétal, où les animaux sont figurés<br />

soitt blessés, soit frappés de flèches, soit, ce qui revient au<br />

même,, environnés de flèches ou autres armes de jet dirigées<br />

contree eux (i). Assurément, ces figures pourraient être considéréess<br />

comme de simples scènes de genre, des représentationss<br />

purement artistiques de chasses dans lesquelles les<br />

artistess auraient négligé les chasseurs, et à ce point de vue,<br />

ill n'y aurait entre la province franco-<br />

^KK cantabrique el l'Espagne orientale que<br />

^^LL la différence générale de style consis-<br />

^»^» A El tant dans la fréquence ou la rareté des<br />

""fe^WkCjj Wf représentations humaines. Néanmoins,<br />

^BB £ il nous semble plus vraisemblable d'at-<br />

^KK Iribuer aux figures de ce genre un rôle<br />

2Bgg m magique, de les rattacher aux pratiques<br />

MM d'envoûtement donl l'existence à l'épo-<br />

B«« ^^m que magdalénienne parait établie. Lin<br />

a^yy II quadrupède (félin?) en ronde-bosse<br />

4## J d'Isturitz (fig. 82) porte, outre des per-<br />

Fig.. 81. — Une<br />

mamann avec son<br />

enfant..<br />

Peinturee rupestre en<br />

brunn de Minateda<br />

(provincee d'Albacete,<br />

Espagne).. Echelle: 1/4<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

forationss qui ne semblent pouvoir s'expliquerr<br />

comme des trous de suspension<br />

ett doivent par suite représenter des blessures,,<br />

des flèches ou harpons gravés sur<br />

sess cuisses et son échine. Dans la grotte<br />

dee Montespan, diverses gravures ou<br />

sculpturess en argile semblent avoir été<br />

exécutéess uniquement pour être percées de trous ou zébrées<br />

d'estafiladess correspondant à des blessures. Une mention<br />

toutee spéciale est due à la statue en argile d'un Ourson sans<br />

tête,, mais entre les pattes de devant de laquelle on a retrouvé<br />

surr le sol un crâne d'Ourson. Gomme la tranche du cou de<br />

laa statue porte un trou qui semble avoir reçu une cheville,<br />

onn peut penser que la statue avait été complétée par une tête<br />

naturellee et peut-être, d'après d'autres indices, recouverte<br />

(1)) Cf. plus haut, p. 105-107.


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DK L'A HT FIGURÉ 1199<br />

d'unee peau pour servir à une cérémonie d'envoûtement (i).<br />

Onn pourrait répéter à propos des scènes de combat (2) ou<br />

dess figures isolées d'hommes blessés, qui ne se rencontrent<br />

quee dans les peintures espagnoles^ ce qui vient d'être dit des<br />

scèness de chasse ou des figures d'animaux blessés : le choix<br />

restee libre entre des images purement artistiques et des<br />

pratiquess magiques destinées à assurer le succès de combats<br />

réels,, sous cette réserve que l'intention d'envoûtement<br />

Fig.. 82. — Félin avec perforations et flèches gravées.<br />

Sculpturee en bois de Henné (lsluritz, Basses-Pyrénées). Grandeur vraie<br />

(d'aprèss PASSEMARD).<br />

pourraitt être plus probable pour les figures d'hommes<br />

blesséss sans représentation de leurs adversaires (3). En<br />

effet,, dans ce milieu où l'art présente souvent des figures<br />

humaines,, on n'a pas la même raison que pour la province<br />

f'ranco-cantabrique,, où ces figures sont exceptionnelles, d'expliquerr<br />

l'absence des chasseurs d'ennemis par le simple<br />

caractèree du style artistique, et il est plus vraisemblable que<br />

laa représenlation des armes ait été considérée comme possédantt<br />

par elle-même une vertu magique.<br />

Aprèss les figures humaines associées à des animaux dans<br />

(1)) BEGOUEN et CASTERET, La caverne de Monlespan, Revue anthropologique,<br />

1923.. p. 533 sq. — Ci', ci-dessus, p. 10.<br />

(2)) Cf. plus haut, p. 84.<br />

(3)) Exemple : OBEHMAIER, El nombre fosil, 8* édit., p. 292, fig. 137 (Grotte<br />

Salladora)..


1200 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

dess scènes de chasse ou à d'autres figures humaines dans<br />

dess scènes de combat, il reste à examiner les figures<br />

d'hommess isolés. Celles-ci se divisent objectivement en deux<br />

catégories,, selon qu'elles présentent des caractères exclusivementt<br />

humains ou à la fois des caractères humains et des<br />

caractèress animaux. Pour les figures de la première catégorie,,<br />

leur rareté à l'époque magdalénienne, surtout dans la<br />

provincee franco-cantabrique, s'explique sans peine par le<br />

faitt que l'artiste s'intéressait moins à l'Homme qu'aux animauxx<br />

; et d'autre part, leur seule existence prouve que les<br />

représentationss humaines et même plus spécialement viriles<br />

n'étaientt l'objet d'aucune prohibition sociale dictée par des<br />

idéess magiques.<br />

Enn ce qui concerne maintenant les figures à caractères<br />

mixtes,, à la fois humains et animaux, qu'on a appelées<br />

anthropoïdes,, elles nous semblent, comme nous l'exposerons<br />

pluss loin en détail (i), établir l'existence de sorciers et de<br />

pratiquess de sorcellerie à l'époque magdalénienne. Mais ici,<br />

laa question envisagée est différente : cette représentation de<br />

personnagess à fonction magique, se livrant même à des opérationss<br />

magiques, a-t-elle par elle-même, en tant que simple<br />

représentationn figurée, une valeur magique? Toute affirmationn<br />

sur ce point serait évidemment arbitraire, et par<br />

exemplee le sorcier de la grotte des Trois-Frères (fig. 119) peut<br />

fortt bien n'être que la représentation à caractère purement<br />

artistiquee d'un événement réel, un tableau de genre au même<br />

titree que la reproduction d'une scène de chasse ou de guerre.<br />

Enn résumé, si l'on soumet à une critique impartiale l'ensemblee<br />

des faits connus d'âge magdalénien, les seuls exempless<br />

certains (dans la mesure où ce terme n'est pas trop<br />

ambitieux)) d'une valeur magique attribuée à des œuvres<br />

figuréesfigurées par leurs auteurs ou leurs contemporains nous semblentt<br />

être celles qui représentent des êtres blessés, c'est-àdiree<br />

celles où la vertu magique peut avoir résidé, non dans<br />

(1)) Cf. ci-dessous, p. 211-213.


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ<br />

laa simple, représentation de ces êtres, mais dans celle des<br />

armess qui les blessent ou les menacent. Dans tous les autres<br />

cas,, quels que soient les arguments invoqués, qu'il s'agisse<br />

dee la situation topographique des images ou des sujets<br />

qu'elless représentent, rien ne permet de se prononcer pour<br />

unn rôle magique plutôt que pour un rôle purement artistique<br />

dess représentations. En ce qui concerne les figures humaines,<br />

lee fait que pour les rapporter à une intention magique, on<br />

invoquee simultanément la magie protectrice à l'égard des<br />

membress du groupe social auquel appartenaient les<br />

artistess et la magie hostile à l'égard d'ennemis, suffit à<br />

prouverr l'arbitraire de telles explications, car rien dans les<br />

caractèress objectifs des figures ne permet de reconnaître si<br />

elless représentent les uns ou les autres.<br />

Pourr conclure, il est infiniment vraisemblable que l'art<br />

magdalénienn nous présente côte à côte des œuvres à intentionn<br />

magique et d'autres à intention purement artistique;<br />

maiss aucun critère précis ne permet de faire le départ entre<br />

less deux catégories et de rapporter à l'une plutôt qu'à l'autre<br />

tellee figure déterminée.<br />

Maiss de ces deux destinations, l'une proprement artistique<br />

ouu désintéressée, l'autre magique et par suite utilitaire, que<br />

paraissentt avoir eu concurremment les œuvres figurées magdaléniennes,,<br />

n'y en aurait-il pas une, et laquelle, qui serait<br />

postérieuree à l'autre et issue d'elle? Pour tenter de résoudre<br />

cee problème, il faut remonter dans le passé et chercher quelle<br />

significationn permettent d'attribuer aux œuvres figurées<br />

aurignaciennes,, et notamment aux plus anciennes, leurs<br />

caractèress objectifs.<br />

Rienn dans les faits, à notre avis, ne permet de conclure<br />

àà un rôle magique de ces figures. Ici moins encore que<br />

pourr l'époque magdalénienne on ne saurait parler d'une<br />

recherchee systématique du mystère. Il ne peut en être<br />

questionn pour les figures mobilières, c'est-à-dire tracées sur<br />

blocss de pierre à surface brute ou grossièrement régularisée,<br />

caillouxx ou os non façonnés. Ces représentations, il est


1222 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

vrai,, ont parfois été considérées comme des exercices par<br />

lesquelss les artistes se faisaient la main ou des esquisses<br />

destinéess à être exécutées d'une façon plus soignée en<br />

figuresfigures pariétales. On a notamment rapproché (i) la gravuree<br />

en traits larges et profonds d'un arrière-train de<br />

Chevall sur un frontal de Cheval (2) recueilli tout à la base<br />

duu sol archéologique du vestibule de Hornos du dessin de<br />

l'arrière-trainn d'un Cheval de la paroi du vestibule (3).<br />

Maiss cette ressemblance même nous semble aller à<br />

l'encontree de la conséquence qu'on en veut tirer. Si, pour<br />

l'époquee magdalénienne, qui présente des figures pariétales<br />

d'unee réelle perfection artistique, on peut admettre que des<br />

figuress mobilières d'exécution plus sommaire aient joué le<br />

rôlee d'esquisses, cette interprétation n'a plus le même fondementt<br />

pour la période aurignacienne, où les figures mobilièress<br />

ont exactement le même style, ne sont ni plus ni moins<br />

imparfaitess que les représentations pariétales.<br />

Celles-cii à leur tour ne présentent aucun indice d'une<br />

recherchee systématique du mystère. Les mains cernées et<br />

less ponctuations qui sont à Gargas et dans tout l'Aurignacien<br />

less plus anciennes manifestations artistiques, se trouvent<br />

nonn seulement dans les parties profondes et obscures de la<br />

grotte,, mais également dans les parties éclairées et occupées.<br />

Less mains cernées, déclarent les inventeurs, « commencentt<br />

dès l'entrée... on les suit sur la paroi gauche, justementt<br />

au-dessus de la région où était le foyer, et principalementt<br />

plus loin dans un diverticule faiblement éclairé par<br />

lee jour, et sur une grande surface au delà, puis en face sur<br />

less très irrégulières parois de droite. On peut dire que le<br />

vestibule—— en était légèrement tapissé ». De même « des<br />

ponctuationss à éléments.... groupés en séries, en bandes,<br />

noiress ou rouges, se trouvent en face de la porte d'entrée,<br />

souss une apparence d'auvent de stalagmite ». En outre,<br />

11 OBERMAIER, Der Mensch der Vorzeit, p. 239.<br />

2)) liép., p. 92, n- 3.<br />

33 Rép., p. 91, n° 3 (celui du haut).


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ 1233<br />

l'inégalee conservation de ces figures donne à penser que<br />

«« beaucoup, aux environs de l'entrée surtout, ont pu disparaître,,<br />

en général lavées par les eaux, quelques-unes<br />

recouvertess par les dépôts calcaires toujours en voie de<br />

formationn » (i). De même, à la Croze à Gontran, les dessins<br />

digitauxx et les premières figures animales se trouvent dans<br />

less dix premiers mètres à partir de l'entrée (2). Il ne saurait<br />

Fig.. 83. — Rhinocéros avec flèches.<br />

Gravuree sur pierre (La Colombière, Ain). Grandeur vraie (d'après MAYET).<br />

doncc être question pour les figures pariétales aurignaciennes<br />

d'unee recherche systématique des lieux écartés.<br />

Enn ce qui concerne maintenant les sujets représentés, les<br />

figuresfigures d'animaux percés de flèches sont absentes à l'Aurignacienn<br />

(le niveau inférieur de la Golombière, où se sont<br />

rencontréess deux de ces figures gravées sur galets calcaires<br />

(fig.. 83) (3), ne présente aucun caractère aurignacien typique<br />

ett doit être d'un très vieux Magdalénien). Les mains représentéess<br />

sur les parois des grottes pourraient à la rigueur<br />

êtree considérées comme un symbole de propriété et par<br />

suite,, dans la théorie magique, comme un moyen de prise<br />

(I)CARTAII.HACC etBREuii., C R. Acad. Inscr., 1907, p. 214; l'A., I. XXI, 1910,<br />

p.. 131-137.<br />

(2)(2) CAPITAN, BREUIL et PEYRONY, Revue antkropol., t. XXI, 1914, p. ?'7.<br />

(3)) Cf. MAYKT et PISSOT, L'abri de la Golombière, Lyon, 1915, fig. 47 (Cerf).


mm L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

dee possession quand elles recouvrent ou avoisinent des<br />

figuresfigures animales comme à Castillo, mais cette interprétation<br />

estt inapplicable aux mains de Gargas, qui ne sont accompagnéess<br />

d'aucune autre représentation (fig. 118).<br />

Less figures humaines, exceptionnelles au Magdalénien,<br />

occupentt au contraire une place importante, sinon prépondérantee<br />

dans l'Aurignacien (i). Leur existence établit que la<br />

représentationn du corps humain et même plus spécialement<br />

virill n'était pas l'objet d'une prohibition sociale. Avaientelless<br />

une intention magique, soit de protection, soit d'hostilitéé<br />

à l'égard de personnages réels dont elles auraient été<br />

dess portraits? Etaient-ce des idoles? De tout cela, nous ne<br />

savonss rien. La statuette de Brno (fig. io4j, rencontrée dans<br />

unee sépulture, pourrait avoir joué le rôle d'un « double »<br />

destinéé à fixer l'âme du mort dans sa tombe pour l'empêcherr<br />

de revenir tourmenter les vivants; mais comme rien<br />

n'autorisee à attribuer aux autres une destination funéraire,<br />

ill est également possible que ce fût simplement une propriété<br />

duu défunt déposée dans son mobilier funéraire au même<br />

titree que les autres objets qui le constituaient.<br />

Onn a également songé, particulièrement pour les figures<br />

fémininess qui sont notablement prépondérantes, à un rite de<br />

fécondité.. Cette hypothèse nous semble extrêmement aventurée..<br />

La subsistance des chasseurs paléolithiques avait pour<br />

conditionn inéluctable l'existence et par conséquent la reproductionn<br />

du gibier, et par suite on pourrait admettre que,<br />

s'ilss croyaient à la magie sympathique, ils y aient recouru<br />

pourr la reproduction des animaux. Mais attribuaient-ils la<br />

mêmee importance à la leur propre? Au point de vue économique,,<br />

la multiplication des chasseurs accroît la concurrence<br />

pourr la nourriture dans une plus large mesure, semble-t-il,<br />

qu'ellee ne facilite la chasse par l'entr'aide, et d'ailleurs les<br />

enfantss ne deviendront utiles comme chasseurs qu'à échéance<br />

lointainee et resteront pendant de longues années des bouches<br />

(1)) Cf. ci-dessus, p. 23-2G.


SIGNIFICATIONSSIGNIFICATIONS DE L'ART FIGURÉ<br />

inutiles.. En fait, divers primitifs pratiquent l'avortement et<br />

l'infanticide.. Il reste donc fort problématique que les Aurignacienss<br />

aient considéré la fécondité humaine comme un<br />

avantagee qu'il y eût lieu de rechercher et éventuellement de<br />

provoquerr par des pratiques magiques.<br />

Lee développement excessif des seins, du ventre et des<br />

fessess de nombre de figures féminines aurignaciennes, où<br />

l'onn a vu l'indice d'un culte ou d'un rite magique de la<br />

fécondité,, peut tout aussi bien, si l'on tient compte de<br />

diversess analogies avec les Hottentots et les Bushmen et du<br />

caractèree négroïde des deux plus anciens squelettes de la<br />

grottee des Enfants, s'expliquer par un rendu naturaliste de<br />

l'aspectt réel, tout au plus accentué dans le sens d'un certain<br />

idéall esthétique. Si c'était, pour une raison quelconque,<br />

l'enfantt qui était visé dans la représentation de la femme,<br />

n'aurait-ill pas convenu défigurer des femmes manifestement<br />

enceintes,, en recourant au procédé de la transparence? (i)<br />

Cee cas particulier du réalisme intellectuel, dont nous avons<br />

citéé des exemples magdaléniens, devait a fortiori correspondree<br />

à l'art plus enfantin des Aurignaciens qui, en fait,<br />

présentee un autre corollaire du réalisme intellectuel, le rabattement,,<br />

dans le relief de Laussel (fig. 84) (2). S'ils ne l'ont<br />

pass employé, ne serait-ce pas que la fécondité de la femme<br />

leurr semblait sans intérêt? Et puisque nous venons de faire<br />

allusionn au relief de Laussel, n'est-il pas curieux que cet<br />

uniquee spécimen que nous possédions d'une femme jointe à<br />

unn autre être humain représente, non un enfantement, mais<br />

unee copulation? Ce n'est pas le caractère générateur de la<br />

femme,, mais son caractère voluptueux qui avait éveillé<br />

l'intérêtt de l'auteur de cette œuvre. Il est permis de penser<br />

quee pour les autres figures féminines également, l'idée d'une<br />

femme,, dont l'exécution figurée traduisait la présence dans<br />

l'espritt de l'artiste, y était associée beaucoup moins à celle<br />

1)) Cf. LUQL'ET, Représentation par transparence de la grossesse dans l"art<br />

chrétien,, Rev. archéol,, 1924, II, p. 137-141.<br />

>2)>2) Cf. ci-dessus, p. 98.


1266 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

dee la prospérité éventuelle de son groupe social qu'au souvenir,,<br />

où à l'imagination de ses propres satisfactions<br />

charnelles..<br />

Less représentations isolées, en sculpture ou en gravure, des<br />

organess caractéristiques des deux sexes de l'humanité, dont<br />

less plus anciennes sont celles de l'Abri Blanchard (Aurignacienn<br />

moyen) (i) donneraient lieu à des remarques analoguess<br />

. Rien n'autorise à attribuer à ces figures, pas plus<br />

qu'àà celles qui se rencontrent dans les milieux les plus<br />

variés,, civilisés actuels aussi bien que sauvages, une significationn<br />

cultuelle ou magique plutôt que simplement erotique.<br />

Lee nombre restreint des œuvres d'art figuré attribuables à<br />

l'Aurignacien,, bien qu'il ne fournisse qu'un argument<br />

négatiff dont il serait dangereux d'exagérer l'importance, doit<br />

cependantt cire pris en considération. Même en laissant une<br />

grandee marge pour les œuvres qui ont dû être détruites au<br />

courss des siècles et pour celles que pourront ramener au jour<br />

less fouilles à venir, on ne peut manquer d'être frappé de la<br />

grandee infériorité numérique des œuvres figurées aurignaciennes_,,<br />

non seulement par rapport à celles du Magdalénien,<br />

maiss aussi en comparaison des autres productions aurignaciennes,,<br />

objets industriels et manifestations de l'art décoratif.<br />

Ill semble légitime d'en conclure à une pratique très restreinte<br />

dee l'art figuré, difficilement conciliable avec l'intérêt vital<br />

pourr la collectivité tout entière qu'attribue à cet art la<br />

théoriee magique.<br />

Enfin,, et c'est là selon nous un argument capital, si les<br />

artistess préhistoriques ont pu, à un moment donné, exécuter<br />

dess oeuvres figurées dans une intention magique, il nous<br />

semblee impossible que.cette conception ait existé dans la<br />

périodee initiale. La magie sympathique repose essentiellementt<br />

sur l'idée d'un pouvoir conféré à l'artiste sur certains<br />

êtress par leur représentation. Mais pour pouvoir songer à<br />

utiliserr dans une intention magique des représentations^ il<br />

(1)) DIDON, L'Abri Blanchard, Périgueux, 1911, pi. 7 et 8.


'' G.-H. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles.<br />

66 S<br />

ooo ,0


1288 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

fautt avoir déjà l'idée de représentation, concevoir que dès<br />

formesformes artificiellement créées sont la reproduction plus o<br />

moinss ressemblante d'êtres naturels. Or, cette idée de<br />

représentationn artificielle d'êtres naturels, c est le principe<br />

mêmee de l'art figuré. Il nous semble donc inévitable que les<br />

artistes-sorcierss aient été précédés par des artistes tout court,<br />

ett impossible que l'art figuré dans sa phase initiale n'ait pas<br />

étéé une activité désintéressée.<br />

Sii Tari, figuré aurignacien n'a pas d'intention magique,<br />

ill n'a pas davantage une destination décorative. Les statuettess<br />

d'abord, par leur nature même, appartiennent non à<br />

l'artt décoratif, mais à l'art indépendant. Pour les peintures<br />

(unee seule, de l'Abri Blanchard) et gravures mobilières sur<br />

objetss bruts, on ne peut parler d'un art décoratif, car les<br />

supportss n'ayant pas par eux-mêmes de rôle utilitaire et la<br />

pierree ou l'os servant uniquement à recevoir les figures,<br />

commee chez nous une feuille de papier, les figures qui les<br />

recouvrentt n'ont pas pour but de les décorer. Ce n'était pas<br />

nonn plus des esquisses de décorations pour instruments<br />

d'usage,, celles-ci étant, à l'époque aurignacienne, exclusivementt<br />

géométriques, et pas davantage, à notre avis, comme<br />

ill a été dit plus haut, des esquisses pour les gravures ou<br />

peinturess pariétales. Celles-ci d'ailleurs ne semblent pas<br />

avoirr eu un rôle décoratif, à cause de la situation de<br />

nombree d'entre elles dans des lieux d'accès difficile ou mal<br />

éclairés.. Enfin les figures pariétales, même quand elles sont<br />

tracéess sur des surfaces facilement visibles, et les figures<br />

mobilièress sont fréquemment superposées et emmêlées. On<br />

conçoitt dès lors difficilement que les artistes se soient proposéé<br />

d'embellir les supports par des figures que leur enchevêtrementt<br />

empêchait d'apercevoir distinctement; et l'attributionn<br />

à toutes ces figures d'une destination décorative ne<br />

nouss semble pas plus satisfaisante que leur explication par<br />

unee intention magique.<br />

Enn résumé, l'art figuré n'a eu, croyons-nous, à l'époque<br />

aurignaciennee ni la destination magique qui paraît établie


SIGNIFICATIONSIGNIFICATION DE L'ART FIGURÉ 129<br />

auu moins pour certaines figures du Magdalénien, ni le rôle<br />

décoratiff qu'il a également joué à cette dernière époque dans<br />

l'ornementationn d'instruments d'usage, outils ou armes. L'art<br />

figuréé aurignacien est purement et simplement un art<br />

figuré,, dicté par le plaisir que prenait l'artiste à créer des<br />

imagess des êtres réels dont l'idée occupait son esprit.


CHAPITRECHAPITRE V<br />

LESS ORIGINES DE L'ART<br />

L'artt paléolithique, nous l'avons vu, se manifeste à ses<br />

débutss dans l'Aurig-nacien sous la double forme d'un art<br />

décoratiff non figuré et d'un art figuré non décoratif. Mais<br />

quellee est l'origine de ces deux sortes d'art? La question<br />

présentee un intérêt tout spécial en tant que, l'art aurignacienn<br />

étant le plus ancien art connu, la détermination de son<br />

originee permettrait de fonder sur une base plus objective<br />

less spéculations plus ou moins vagues et arbitraires de<br />

l'esthétiquee métaphysique sur les origines de l'art.<br />

Enn ce qui concerne d'abord la parure corporelle, certains<br />

bijoux,, notamment les dents, peuvent avoir été des trophées<br />

dee chasse, destinés à témoigner de la bravoure ou de l'habiletéé<br />

de leur porteur, et auxquels peut s'être surajouté un<br />

rôlee plus ou moins vague d'amulettes ou de grigris ; mais<br />

cettee signification ne saurait être attribuée aux simples<br />

«« pierreries », ni aux fossiles, parfois de provenance lointaine,,<br />

perforés pour servir de bijoux, comme un oursin<br />

fossilee de l'Abri Blanchard (i), des dents de poissons fossiles<br />

dess couches magdaléniennes du Placard (2) ou le Trilobite<br />

quii a valu son nom à une grotte d'Arcy-sur-Cure. Il est<br />

possiblee qu'au début ces différents bijoux n'aient été considéréss<br />

que comme des bibelots, des curiosités, ramassés à ce<br />

titree comme les enfants et même les adultes de notre époque<br />

recueillentt des coquillages dans leurs excursions au bord de<br />

(1)) DIDON, op. cit., pp. 20-30 et pi. VI, n° 25.<br />

(2)) A. de MARET, Congrès archéol. de Fr., Vienne 1879, p. 173.


LESLES ORIGINES DE L'ART 131<br />

laa mer et que le préhistorique, à défaut d'étag-ères, collectionnaitt<br />

sur lui-même : qu'on songe aux véritables musées<br />

(juee sont les poches de nos bambins. Ces bijoux seraient<br />

alorss plutôt du luxe que de la décoration proprement<br />

dite;; ces deux rôles de la parure se trouvent d'ailleurs<br />

réuniss jusque chez les civilisés. Il n'en reste pas moins<br />

d'abordd que ce qui les a fait utiliser comme bijoux était<br />

leurr forme ou leur couleur, c'est-à-dire une appréciation<br />

esthétique;; et d'autre part, la parure n'a pas tardé à<br />

acquérirr un rôle purement décoratif dès qu'aux bijoux naturelss<br />

se sont surajoutés des bijoux factices. Si les imitations<br />

dee dents en ivoire peuvent n'avoir eu pour but que de<br />

multiplierr des amulettes, il est difficile d'attribuer un rôle<br />

prophylactiquee à des annelets d'ivoire ou aux pendeloques<br />

ouu perles en pierre, os ou ivoire, comme celles de l'abri<br />

Blanchard,, de forme variée^ mais où rien n'indique aucune<br />

intentionn de représentation figurée. Donc, dès cette époque,<br />

l'Hommee avait l'idée qu'un objet (ici son propre corps)<br />

acquéraitt de la beauté par l'addition d'éléments dont le seul<br />

rôlee était de l'embellir, c'est-à-dire, sous une forme aussi<br />

rudimentairee qu'on le voudra, l'idée de « l'art pour l'art ».<br />

AA la même conception se rattachent les additions décorativess<br />

(traits alignés ou encoches, parfois ponctuations) qui<br />

n'ontt pas tardé à être apportées soit à ces objets déjà décoratifss<br />

par eux-mêmes, bijoux tant naturels qu'artificiels,<br />

soill à des objets d'usage, outils en os, poinçons, lissoirs,<br />

baguettes,, côtes ou lames de côtes, etc. Malgré le caractère<br />

rudimentairee et exclusivement géométrique de la décoration<br />

àà cette époque, elle présente cependant quelques spécimens<br />

dee constructions linéaires un peu plus compliquées que de<br />

simpless traits parallèles (chevrons, dents de loup, zigzags,<br />

groupementss ou semis de ponctuations), qui témoignent déjà<br />

d'unn certain sens ornemental.<br />

Maiss si les incisions sur bijoux ou instruments n'ont pas<br />

tardéé à acquérir une valeur décorative, il est probable qu'elles<br />

avaientt au début un rôle utilitaire. Je ne suis guère partisan


11 32 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

dee l'interprétation traditionnelle qui y voit des « marques de<br />

chassee » ou plus généralement des aide-mémoire numériques<br />

analoguess aux coches des tailles de boulangers. S il s'agissaitt<br />

de sortes de comptes-courants, il faudrait que les marquess<br />

mnémoniques eussent été tracées successivement, à<br />

mesuree que se produisaient les événements dont elles étaient<br />

destinéess à conserver le souvenir, alors que, dans nombre de<br />

cas,, les incisions semblent avoir été tracées en une seule fois<br />

ett recouvrent toute la surface ou toute la bordure de l'objet.<br />

D'autree part, en admettant que les hommes de cette époque<br />

eussentt éprouvé pour certains événements le besoin de<br />

statistiques,, l'emploi de ces comptes supposerait un certainn<br />

développement de la numération, que des analogies<br />

ethnographiquess rendent fort problématique : les Indiens du<br />

Brésill central, étudiés par K. von den Steinen, ne savent<br />

pass compter au delà de six, et sont incapables d'énoncer le<br />

nombree de leurs enfants. Si l'on tenait à attribuer à certaines<br />

dee ces incisions un rôle symbolique, j'inclinerais plutôt à y<br />

voirr des marques de propriété, des signes distinctifs analoguess<br />

à ceux que nos soldats gravent sur leurs couverts pour<br />

less reconnaître dans la chambrée. Un autre rôle utilitaire<br />

peutt être assigné avec la plus grande vraisemblance à un certainn<br />

nombre de ces incisions : elles devaient produire shr<br />

l'instrumentt des rugosités qui l'empêchaient de glisser entre<br />

less doigts et, s'il était destiné à être emmanché, augmentaient<br />

sonn adhérence avec le bois, retenaient peut-être quelque<br />

matièree faisant office de colle et facilitaient la ligature. C'est<br />

seulementt après coup que l'Homme, s'étant aperçu que ces<br />

incisionss utilitaires produisaient un aspect agréable à l'œil,<br />

enn a tiré un parti ornemental. Cette transition est particulièrementt<br />

manifeste sur l'extrémité des pointes de sagaies,<br />

soitt conique, soit à simple ou double biseau, destinée à<br />

entrerr dans le manche. Les incisions essentiellement destinéess<br />

à assurer l'adhérence sont souvent disposées obliquement,,<br />

dans un parallélisme plus ou moins régulier ; parfois<br />

ill y a côte à côte deux rangées d'incisions obliques à direc-


LESLES ORIGINES DE L'ART 133<br />

tionn opposée; dans certains cas, une rainure verticale tracée<br />

entree ces deux rang-ées donne à l'ensemble l'aspect d'une<br />

arêtee de poisson, ou encore les deux rangées d'obliques<br />

contrariéess sont superposées en une sorte de treillis.<br />

Pourr conclure sur cette ornementique primitive, elle nous<br />

semblee le résultat d'une collaboration et d'une action réciproquess<br />

des bijoux et des instruments. La conception sur<br />

laquellee reposent les bijoux primitifs, qu'un objet peut être<br />

renduu plus beau par des additions sans utilité pratique,<br />

auraitt été étendue du corps humain aux objet d'usage; en<br />

senss inverse, le caractère agréable à l'œil constaté dans des<br />

incisionss faites sur des objets d'usage pour des fins utilitairess<br />

aurait amené à les répéler non seulement sur ces<br />

mêmess objets avec une intention ornementale, mais aussi<br />

surr les bijoux. Dans un cas comme dans l'autre, nous<br />

croyonss constater dès le début de l'art préhistorique l'existencee<br />

et la recherche d'un plaisir produit par certaines<br />

impressionss sensorielles (ici visuelles) indépendamment de<br />

toutee autre préoccupation, ce qui est l'essence même du<br />

sentimentt esthétique et du sentiment artistique.<br />

Telless sont, selon nous, les sources de l'art décoratif dans<br />

laa préhistoire européenne ; il nous reste à chercher l'origine<br />

dee l'autre forme d'art qui se rencontre également dès l'Aurignacien,,<br />

à savoir l'art figuré.<br />

Toutt d'abord, nous croyons pouvoir établir que l'art figuré<br />

proprementt dit, c'est-à-dire l'exécution voulue de représentationss<br />

figurées, a dû nécessairement être précédé par une<br />

phasee préliminaire dans laquelle des œuvres figurées ont été<br />

produites,, non intentionnellement, mais par hasard.<br />

L'exécutionn intentionnelle d'une œuvre figurée, comme<br />

toutt autre acte volontaire, suppose deux conditions, l'une<br />

d'ordree affectif, l'autre d'ordre intellectuel, à savoir d'une<br />

partt le désir de l'exécuter, autrement dit l'attente d'un avantagee<br />

et en définitive d'un plaisir résultant directement ou<br />

indirectementt de son exécution, d'autre part (car il faut bien,<br />

pourr vouloir, se représenter ce qu'on veut) l'idée même de


d344 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

l'exéculion,, la représenta'ion de cel acte comme simplement<br />

possible..<br />

Enn ce qui concerne d'abord l'élément affectif de l'exécutionn<br />

d'une œuvre fi;»une, une l'ois qu'un individu en aura<br />

exécutéé une seule, s' I trouve à celle exécution un avantage<br />

ouu un plaisir quel qu'il soii, il sein naturellement, amené à<br />

recommencerr celle aciiou agréable, pour renouveler le<br />

plaisirr qu'elle provoque. On ioniprend également que<br />

d'autress individus de son entourage .suivent son exemple, ne<br />

fût-cee que par imitation machinale, et que l'imitation, soit<br />

enn elle-même, soit par ses résultats, leur procure quelque<br />

plaisirr qui les conduise à la renouveler, cette répétition prenantt<br />

de plus en plus, conformément aux lois générales de<br />

l'habitude,, un caractère automatique. Mais ces conditions<br />

fontt évidemment défaut pour la production de la première<br />

œuvree d'art. Le plaisir résultant de la production d'une<br />

œuvre,, de quelque nature qu'il soit, est forcément postérieurr<br />

à l'exécution, tout au plus simultané dans le cas où il<br />

résultee de la création même, mais ne saurait être antérieur.<br />

L'individuu qui n'a encore produit aucune œuvre figurée ne<br />

peutt donc soupçonner le plaisir que lui causera cette productionn<br />

et par suite ne peut avoir l'intention d'en produire.<br />

111 en résulte que la première représentation figurée ne peut<br />

avoirr été une création intentionnelle; et la première exécutionn<br />

volontaire d'une œuvre figurée proprement dite ne peut<br />

avoirr été que la répétition voulue d'une activité qui, si elle<br />

aa produit en fait une image, la produite par hasard et non<br />

dee propos délibéré. C'est seulement à la suite de cette<br />

productionn fortuite, si elle s'est révélée avantageuse ou<br />

agréable,, qu'a pu prendre naissance le désir de la création<br />

intentionnelle..<br />

Onn aboutit à la même conclusion en envisageant, après<br />

l'élémentt affectif de la production d'une œuvre figurée, son<br />

élémentt intellectuel, à savoir l'idée du pouvoir de créer des<br />

images,, abstraction faite du plaisir résultant de l'exercice de<br />

celtee faculté.


LESLES ORIGINES DE L'ART 135<br />

Enn tant que l'exécution d'une œuvre figurée consiste à<br />

produire,, par un travail de la main éventuellement aidée<br />

d'instrumentss divers, un résultat, et plus précisément une<br />

modificationn dans la forme d'une matière préexistante, elle<br />

rentree dans la notion plus générale d'industrie. D'autre part,<br />

lee résultat de cette industrie est de créer des images, c'est-àdiree<br />

des objets factices dont l'aspect ressemble à celui que<br />

présententt naturellement certains êtres ou objets réels, dans<br />

leurr ensemble ou par tel de leurs traits caractéristiques.<br />

L'exécutionn d'une œuvre figurée réalise donc la synthèse des<br />

deuxx idées d'industrie et de ressemblance, et l'exécution<br />

volontaire,, caractéristique de l'art proprement dit, n'est<br />

possiblee que si cette synthèse est déjà effectuée dans l'esprit<br />

dee l'artiste, sous la forme de conscience du pouvoir créateur<br />

d'images..<br />

Less Aurignaciens, au moment où ils ont produit leurs<br />

premièress créations artistiques, étaient en possession de ces<br />

deuxx idées. L'idée de ressemblance existe déjà, sous la<br />

formee vécue de reconnaissance, chez des animaux dénués<br />

d'industriee : carnassiers et herbivores savent reconnaître les<br />

animauxx et les plantes qui conviennent à leur alimentation,<br />

ett d'ailleurs on ne voit pas comment un être vivant pourraitt<br />

subsister s'il n'était capable de reconnaître les objets<br />

ett plus généralement les circonstances qui exigent de sa part<br />

tellee réaction adaptative. Si cette reconnaissance peut être<br />

fondéee sur des sens variés, par exemple l'odorat, dans certainss<br />

cas au moins elle repose sur une ressemblance visuelle.<br />

L'enfantt est capable de reconnaître d'après leur aspect, non<br />

seulementt des objets réels, mais même des images, dès un<br />

âgee qu'on peut fixer en moyenne vers le début de la<br />

deuxièmee année, et la même reconnaissance visuelle d'images<br />

aa été observée chez divers animaux.<br />

Less premiers Aurignaciens n'étaient pas moins en possessionn<br />

de l'idée d'industrie que de l'idée de ressemblance. Les<br />

outilss ou armes recueillis dans les fouilles, dont les plus<br />

ancienss remontent au Paléolithique inférieur, et qui ont déjà


1366 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

acquiss à l'époque aurignacienne une différenciation, une<br />

adaptationn pratique et une perfection technique fort avancées,<br />

prouventt que les Aurignaciens, au moment où ils ont créé<br />

leurss premières œuvres d'art figuré, avaient déjà la pratique<br />

dee l'industrie, et par suite la conscience plus ou moins précisee<br />

de leur pouvoir d'apporter par leur travail des modificationss<br />

à une matière préexistante. Plus particulièrement,<br />

ilss savaient déjà tracer des traits, soit tout simplement pour<br />

creuserr dans les os, bois de Rennes ou défenses de Mammouthss<br />

les sillons qui, approfondis, leur servaient à les<br />

débiter,, soit pour rendre plus maniables ou plus pratiques<br />

dess objets déjà façonnés, soit enfin pour décorer leurs instrumentss<br />

ou leurs bijoux d'une ornementation rudimentaire ;<br />

lee grattage et le polissage appliqués aux matières osseuses,<br />

ett peut-être aussi la peinture corporelle, pour laquelle suffisaientt<br />

les doigts trempés dans de la couleur, fournissaient<br />

less éléments d'une technique susceptible d'être utilisée pour<br />

l'artt figuré.<br />

Ainsi,, les Aurignaciens étaient en possession des deux éléments,,<br />

idée d'industrie et idée de ressemblance, dont la synthèsee<br />

constitue l'idée d'art figuré. Mais les éléments ne sont<br />

pass la synthèse : un individu peut avoir conscience de son<br />

pouvoirr industriel et posséder également la notion de ressemblancee<br />

sans avoir conscience que son travail est capable<br />

dee créer des ressemblances. En fait, l'enfant, alors même<br />

qu'ill se rend compte que d'autres individus possèdent la<br />

facultéé graphique, n'a pas encore conscience de la posséder<br />

lui-mêmee (i). A plus forte raison devait-il en être de même<br />

pourr un premier artiste préhistorique à qui manquait, puisqu'il<br />

étaitt le premier, l'expérience de la création artistique par<br />

autrui;; et il a fallu que quelque circonstance fortuite lui<br />

révélâtt l'existence de son pouvoir créateur d'images. De<br />

mêmee que l'enfant trouve dans des lignes qu'il a tracées<br />

sanss intention figurée une ressemblance avec des objets<br />

(1)) LUQUET, Journal de Psychologie, 1922, pp. 7O4-70G.


LESLES ORIGINES DE L'ART 137<br />

réels,, sous l'influence soit d'une analogie d'aspect plus ou<br />

moinss vague, soit des circonstances qui orientent dans telle<br />

ouu telle direction sa fantaisie interprétative, les premiers<br />

Aurig-nacienss ont pu trouver des ressemblances dans des<br />

ligness qu'ils avaient tracées ou plus généralement dans des<br />

formess qu'ils avaient créées sans intention figurée, et comme<br />

l'idéee du gibier était constamment présente dans l'esprit ou<br />

toutt au moins dans la subconscience de ces chasseurs, leur<br />

fantaisiee interprétative était naturellement inclinée à reconnaîtree<br />

des animaux dans ces images fortuites.<br />

Quelless sont maintenant ces lignes tracées sans intention<br />

figuréefigurée et où l'artiste trouve après coup une ressemblance<br />

avecc des objets ou êtres réels, ce qui l'amène graduellement<br />

àà une imitation voulue de ces objets? On pourrait songer à<br />

dess traits exécutés dans une intention décorative, puisque<br />

l'artt décoratif existe, au moins sous forme élémentaire, antérieurementt<br />

aux plus anciennes œuvres figurées incontestabless<br />

de l'Aurignacien. Mais le rôle décoratif de ces traits<br />

estt précisément un obstacle à ce qu'ils reçoivent après coup<br />

unee interprétation figurée. Pour qu'un dessinateur trouve<br />

danss des lignes tracées par lui une ressemblance avec<br />

quelquee objet réel, alors qu'il n'a pas voulu l'y mettre, il<br />

fautt que ce tracé offre à sa fantaisie interprétative, si développéee<br />

qu'on la suppose, quelque possibilité d'application,<br />

autrementt dit qu'il présente aux yeux un minimum de ressemblancee<br />

avec quelque objet réel.<br />

C'estt ce qui se produit dans les premiers dessins de nos<br />

enfants,, auxquels même un adulte peut appliquer comme<br />

leurr auteur une interprétation figurée, bien qu'ils aient été<br />

tracéss sans aucune intention de ressemblance avec un objet<br />

quelconque.. Mais à quoi cela tient-il? D'une part à ce qu'ils<br />

sontt exécutés sans intention autre que de tracer des traits,<br />

ett d'autre part à la maladresse de leur exécution en tant que<br />

simpless traits. Comme ils n'ont aucune destination, non<br />

seulementt figurée, mais quelconque, ils peuvent prendre<br />

n'importee quelle forme; en outre, faute d'inhibition neuro-


1388 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

musculairee et de direction ferme des mouvements graphiques,,<br />

auxquels l'habitude n'a pas encore donné une sûreté<br />

suffisante,, le crayon, auquel d'ailleurs le papier n'offre pas<br />

dee résistance, produit des traits qui se prolongent presque<br />

indéfiniment,, souvent aussi loin et parfois davantage que le<br />

permettentt les dimensions de la feuille, qui serpentent, se<br />

coudent,, rétrogradent, se recourbent, se pelotonnent, s'enchevêtrent..<br />

Bref, les premiers tracés enfantins fournissent<br />

dess figures relativement compliquées et confuses qui, en<br />

vertuu de ces caractères mêmes, si elles ne ressemblent proprementt<br />

à rien, peuvent présenter à une imagination à la<br />

foiss riche et déréglée, comme l'est celle de l'enfant, une<br />

ressemblancee vague avec les objets les plus divers et les plus<br />

inattendus..<br />

Less conditions eussent été tout autres pour un Aurignacienn<br />

qui serait passé directement de l'art décoratif à l'art<br />

figuré.figuré. L'intention de produire non pas n'importe quels<br />

traits,, mais des lignes ornementales, les dimensions réduites<br />

dess outils ou des bijoux qu'il décorait d'incisions, la résistancee<br />

qu'opposait à son burin la dureté de ses matériaux,<br />

pierre,, os, bois de cervidés ou ivoire, enfin l'habileté acquise<br />

parr la pratique même de l'art décoratif, tout concourait à<br />

luii faire produire des traits courts, précis, réguliers, espacés,<br />

qui,, par ces caractères mêmes, n'offraient aucune occasion<br />

àà une interprétation figurée. Telle est la raison pour laquelle<br />

ill ne nous semble pas possible de dériver les dessins figurés<br />

dess lignes décoratives. Il en faut donc chercher l'origine dans<br />

dess lignes que leur auteur ne traçait pas plus dans une intentionn<br />

décorative que dans une intention figurée, mais simplementt<br />

pour les tracer.<br />

Or,, on constate précisément, dès le début de l'Aurignacien,,<br />

c'est-à-dire à une époque antérieure aux plus anciennes<br />

œuvress figurées ou tout au plus contemporaine, des manifestationss<br />

plus rudimentaires qui répondent à ces conditions.<br />

L'argilee tapissant les parois ou les plafonds de diverses<br />

grottess a conservé les traces de trainées de doigts, tantôt


LESLES ORIGINES DE L'ART 1399<br />

confuses,, entrecroisées dans tous les sens, tantôt formant des<br />

assemblagess assez réguliers de lignes droites parallèles, soit<br />

horizontales,, soit verticales (i). Dans certains cas, par<br />

exemplee à la Croze à Contran (2) ou à Ilornos de la Pena(3),<br />

cess figures apparaissent plus nettement comme inlention-<br />

Fig.. 85. — Dessins digitaux sur enduit argileux, caverne de Gargas<br />

(Hautes-Pyrénées)..<br />

Less traits semblent représenter, dans le haut, le front avec les cornes et le dos<br />

avecc la queue d'un quadrupède (Bison?); dans le bas, sur un angle rocheux en<br />

saillie,, une tête de face avec deux yeux et un groin (d'après BREUIL).<br />

nelless : ce sont des courbes parallèles, spiralées, serpentines,<br />

méandriques,, entrelacées, tracées avec les doigts (généralementt<br />

trois) d'une même main ou peut-être dans certains cas<br />

avecc un instrument pectine, sorte de main artificielle ou de<br />

fourchettee fabriquée avec des rameaux. Les tracés de ce<br />

genree qui, partout où des superpositions de figures fournis-<br />

(1)) L'A. t. XXI, 1910, pp. 139 et 144; Gav. cantahr., pp. 93-95 et 194-195<br />

(2)) GAWTAN, BREUIL et PEYRONY, La Groze à Gonlran, Revueanlhropol., t. XXIV,<br />

1914,, p. 27cS, lig. 1.<br />

(3)(3) Rép.,x>. 94, n° 4.


1400<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

sentt des indications chronolog-iques certaines, sont les productionss<br />

les plus anciennes, ne nous semblent susceptibles<br />

d'aucunee interprétation figurée, et il est vraisemblable que<br />

leurss auteurs ne leur en attribuaient pas eux-mêmes; mais<br />

c'étaitt déjà une trace déposée volontairement sur un support<br />

parr l'activité humaine. On a trouvé à Gargas des tracés ana-<br />

Fig.. 86. — Bovidés.<br />

Dessinss aurignaciens tracés avec le doigt sur argile (La Glolilde de Santa IsabeL<br />

provincee de Santander, Espagne;.<br />

Echellee variant autour de 1/10 (d'après BREUIL).<br />

loguess (fig-. 85), mais dont les lignes plus longues, plus<br />

sinueuses,, plus compliquées, et qui par leur aspect méritent<br />

lee nom expressif de « macaroni » qui leur a été donné par<br />

leurss inventeurs, sont plus susceptibles de fournir l'occasion<br />

d'unee interprétation figurée; et en fait, on peut trouver dans<br />

l'unn de ces macaroni une ressemblance avec un mufle, de face,<br />

danss un autre une ressemblance avec le front et l'échiné, et<br />

peut-êtree même aussi le train de derrière et la queue, d'un<br />

animall cornu. Ces derniers tracés nous semblent des


LESLES ORIGINES DE L'ART 141<br />

exemples,, analogues à ceux que nous avons rencontrés dans<br />

lee dessin des enfants, d'une ressemblance obtenue fortuitement..<br />

Celle-ci a pu, comme chez eux, donner l'idée de la<br />

compléterr intentionnellement, puis de la créer de toules<br />

pièces,, l'Homme étant arrivé à l'idée que, puisqu'il en a déjà<br />

faitt une, il peut bien en faire d'autres. On arrive de la sorte<br />

auxx dessins d'animaux encore extrêmement grossiers, mais<br />

déjàà reconnaissables, de la Glotilde de Santa Isabel (fig. 86),<br />

dee Hornos (i), et à ceux de Gargas (fig-. 87), un peu inoins<br />

Fig.. 87. — Bisons.<br />

Tracéss digitaux sur l'enduit argileux du plafond de la caverne de Gargas<br />

(Hautes-Pyrénées).. Kchelle très réduite ,'d'après BREUIL).<br />

imparfaits,, tracés encore les uns et les autres sur l'argile,<br />

maiss avec un seul doigt, et dont il paraît difficile de considérerr<br />

la ressemblance comme simplement accidentelle et<br />

nonn préméditée. Ces différents tracés digitaux sur une<br />

matièree molle sont analogues, si l'on fait abstraction de leur<br />

caractèree figuré, aux incisions (lignes et points) exécutés sur<br />

less outils ou les bijoux dans une intention décorative, et<br />

dèss lors la technique du burin peut être transférée de l'art<br />

ornementall à l'art figuré. La Croze à Gontran réunit des<br />

spécimenss de ces différents stades des origines de l'art<br />

figuréé : elle présente à la fois des dessins digitaux analogues<br />

àà ceux de Hornos, des incisions parallèles multipliées qui<br />

nee sont que la répétition au burin de ces tracés digitaux,<br />

enfinn des silhouettes animales incisées d'un trait unique et<br />

quii ne sont que la répétition, exécutée au burin sur matière<br />

(1)) J}cp.,p. 93, n" 1-1.


1422<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

dure,, des figures animales tracées avec un seul doigt de<br />

Gargas.. Gargas et Hornos présentent une réunion analogue<br />

dee spécimens des différents moments que nous venons de<br />

distinguerr dans la genèse du dessin figuré. On trouve sur la<br />

Fig.. 88. — Figure humaine.<br />

Gravuree aurignacienne sur la partie droite de la frise tombée d'Altamira<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

frisee tombée d'Altamira (fig. 89,


LESLES ORIGINES DE L'ART 1433<br />

particulièrementt visible à La Pileta (province de Malaga),<br />

danss des figures non tracées sur l'argile molle, mais peintes<br />

enn jaune sur paroi dure. Ce sont d'abord de simples lignes<br />

parallèless plus ou moins longues, rectilignes, incurvées ou<br />

présentantt un nombre variable d'ondulations serpentiformes.<br />

Cess tracés, considérés isolément, semblent avoir donné naissancee<br />

à des figures qui, exécutées avec le même procédé,<br />

Fig.. 89. — Figures aurignaciennes.<br />

Partiee gauche de la frise tombée d'AHamira (d'après BREUIL).<br />

seraientt cependant des serpents voulus : dans les unes, les<br />

traitss parallèles se rejoignent en pointe effilée soit à l'une des<br />

extrémités,, soit dans un cas aux deux; dans d'autres, une<br />

dess extrémités est effilée et l'autre présente un renflement<br />

évoquantt une tête de serpent, parfois précédé d'un étranglement..<br />

Le renflement, de forme variable, est parfois divisé<br />

enn deux lobes qui font penser à des mâchoires écartées, d'où<br />

s'échappee même dans certains cas une ligne correspondant<br />

àà une langue. Il nous semble impossible que la ressemblance<br />

dee toutes ces figures avec un serpent soit purement accidentelle,,<br />

et n'ait pas été produite d'abord accidentellement,, mais<br />

remarquéee et reproduite exprès.<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 10


1444<br />

VAUTVAUT PALEOLITHIQUE<br />

Dee même que ces tracés serpeutiformes isolés ont abouti,<br />

Fi^.. 90. — Fifuin s aurignaciennes.<br />

Partiee médiane de la frise touille d'Altamira (d'après BRBUIL).<br />

selonn nous, à des serpents voulus, de même leur juxtaposition,,<br />

puis leur coalesceuce ont conduil, comme dans les


LESLES ORIGINES DE L'A HT 145<br />

macaronii de Gargas, à des figures animales plus compliquées..<br />

Les tracés à traits parallèles sont tantôt juxtaposés<br />

sanss aucun ordre, tantôt disposés d'une façon alterne, tantôt<br />

soudéss pour ainsi dire et embranchés les uns dans les autres.<br />

Pourr la plupart des fîg-ures complexes ainsi obtenues, l'artiste<br />

semblee n'avoir eu aucune intention figurée et avoir simplementt<br />

pris plaisir au jeu des lignes; mais il en est une au<br />

moinss où nous voyons certainement et où l'artiste a bien pu<br />

voir,, même sans l'avoir cherché, l'aspect d'un animal, quadrupèdee<br />

ou oiseau, en profil absolu, reposant sur une patte.<br />

Quee cette transition soit ou non hypothétique, elle conduit à<br />

dess figures où se retrouve la même technique des traits<br />

parallèless et dont l'intention zoomorphique est incontestablee<br />

: la tête avec encolure d'un Bouquetin, la tête avec<br />

encoluree d'un Bœuf et un animal entier qui semble un<br />

Rhinocéross (i). Dans quelques parties du contour de ces<br />

figures,, les traits parallèles se réunissent en un trait unique.<br />

Enfin,, la technique primitive est complètement abandonnée,<br />

ett l'on se trouve en présence d'animaux à contour tracé d'une<br />

lignee unique, Chevaux, Bouquetins, Biches, Bœufs, tout<br />

semblabless aux peintures zoomorphiques aurignaciennes de<br />

laa province de Santander (2).<br />

Maiss nous ne sommes pas au bout de nos peines, et la<br />

difficultéé à résoudre n'est que reculée. Si les tracés digitaux<br />

ontt pu donner naissance aux dessins figurés voulus, il reste<br />

encoree à les expliquer eux-mêmes.<br />

Cess tracés digitaux, dépourvus à la fois d'intention figurée<br />

ett d'intention décorative, qui se rencontrent non seulement<br />

surr les parois des cavernes paléolithiques, mais dans des<br />

milieuxx variés et jusque sur les murs de nos rues, paraissentt<br />

devoir s'expliquer comme de simples manifestations<br />

spontanéess de la personnalité de leur auteur, des attestations<br />

machinaless de son passage, un rudiment de signatures.<br />

Cess traînées de doigts sans destination figurée ni çlécora-<br />

(1)) La Pileta, pi. III.<br />

(2)) La Pileta, p. 19.


1466 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

tive,, mais préméditées, ont probablement à leur tour été la<br />

répétitionn intentionnelle de traces involontaires; peut-être, et<br />

enn tout cas à titre exceptionnel, d'empreintes résultant d'une<br />

glissade,, où les orteils auraient laissé sur le sol ou les doigts<br />

surr les parois une marque allongée ; à peu près certainement,<br />

pourr les tracés imprimés du g-enre des plus rudimentaires<br />

d'Altamira,, Gargas ou Hornos, des empreintes laissées par<br />

less doigts sur des parois couvertes d'argile dont on<br />

extrayait,, pour quelque emploi utilitaire, l'enduit plastiquee<br />

(i), et pour les tracés peints de la Pileta, de la trace<br />

laisséee sur les parois en essuyant une main souillée d'argile (a).<br />

Less dessins voulus ont ég-alement dû, selon toute vraisemblance,,<br />

être inspirés par des images fortuites d'origine différente..<br />

Des hommes à qui la chasse fournissait la majeure<br />

partiee de leur alimentation devaient très vraisemblablement<br />

avoirr l'idée de piste. Ils n'étaient pas sans avoir remarqué<br />

quee les animaux laissent sur la terre molle des empreintes<br />

caractéristiques,, celles d'un Cheval différant de celles d'un<br />

Bison,, d'un Rhinocéros ou d'un félin, celles d'un palmipède<br />

dee celles d'un échassier ou d'un gallinacé. En fait, des<br />

empreintess de griffes et même de pieds d'Ours ont subsisté<br />

jusqu'àà nos jours et ont été découvertes sur le sol ou les<br />

paroiss de grottes à Font-de-Gaume, à Gargas, à Bélharram<br />

prèss de Lourdes, au Tue d'Audoubert, à Altamira, à Hornos<br />

dee la Pena, à la Cova Negra, à la l'ilela, à Castillo (3).<br />

Cettee dernière grotte a fourni une observation particulièrementt<br />

instructive : sur la muraille de la dernière galerie où<br />

sontt peints de gros disques rouges alignés en longues files,<br />

less griffes d'Ours ont entamé un trait rouge sans signification<br />

définie,, mais appartenant à la technique des animaux des-<br />

(1)) Cav. canlabr., p. 194-195.<br />

(2)) La Pileta, p. 17 et 18.<br />

(3)) BREUIL, Traces laissées par l'Ours des cavernes, Revue préhislor., marsl'JOS,<br />

p.. 05. — CARTAILHAC, Les coups de griffes d'Ours, l'A., t. XIX, 1008, p. 113. —<br />

BEGOUEN,, C. R. de l'Acad. des Inscr., 1912, p. 536-5;S7; l'A., t. XX1I1, 1912,<br />

p.. 659-660. — GARTAILHAC et BREUIL, Allamira, p. 43-41- VA., t. XXI, 1910,<br />

p.. 142. — Font-de-Gaume, p. 29-31 et pi. XLVI, XLVII et XLVII bis; Cav. cantabr.,,<br />

p. 91, 115-116. — La Pileta, p. 6, 13 14


LESLES ORIGINES DE L ART 147<br />

sinéss au Irait de la phase la plus ancienne de l'art pariétal<br />

paléolithique,, et les empreintes de ces griffes ont été ellesmêmess<br />

recouvertes par un gros disque rouge (i). Par conséquent,,<br />

au moins l'auteur de ce disque, qui remonte à<br />

l'Aurignacienn ancien, a certainement vu et vraisemblablementt<br />

reconnu des traces d'Ours.<br />

Maiss les animaux n'étaient pas seuls à laisser des<br />

empreintess sur le sol. Les pieds de l'Homme en marchant,<br />

sess mains et ses genoux en rampant sous les plafonds surbaisséss<br />

des cavernes ou à travers les fourrés laissaient dans<br />

laa poussière ou la terre humide des vestiges analogues :<br />

l'abbéé Breuil à Niaux (2), le comte Begouen au Tue d'Audoubertt<br />

(3) ont découvert de ces empreintes qui semblent d'âge<br />

magdalénien,, et les Aurignaciens n'ont pu manquer d'en<br />

laisserr de semblables. En constatant qu'il a de la sorte produitt<br />

des images, bien que sans le vouloir, l'Aurignacien a<br />

bienn pu être amené à l'idée d'en produire intentionnellement<br />

dee pareilles, par un processus analogue à celui qui s'observe<br />

auu début du dessin enfantin (4).<br />

Nouss ne sommes d'ailleurs pas réduits sur ce point à une<br />

simplee hypothèse fondée sur l'analogie, et l'on a découvert<br />

dess exemples authentiques d'empreintes de mains exécutées<br />

volontairementt à l'époque aurignacienne. Il s'agit, non pas<br />

dee traces laissées en creux dans la terre molle, dont rien ne<br />

pourraitt établir qu'elles étaient voulues, mais de figures<br />

déposéess avec de la couleur sur une surface dure, et qui ne<br />

peuventt l'avoir été qu'intentionnellement.<br />

Cess figures étaient obtenues par deux procédés. Tantôt<br />

laa main enduite de couleur liquide était appliquée sur une<br />

surfacee et y laissait son décalque coloré. Tantôt, la main<br />

étantt placée sur une surface naturellement humide ou mouil-<br />

(1)) Cav. cant., flg. 104.<br />

(2)) C. li. Acad. Inser., 19u7, p. 222.<br />

(3)) C. /{. Acad. Insar., 1912, p. 536-537; VA , t. XXIII. 1912 p. &>9-663. -<br />

Danss une des salles, on a relevé à la fois des empreintes de grilles et de pattes<br />

d'Ourss et de pieds d'Hommes.<br />

(4)) LUQUET, Journal de Psychologie, 1922, p. 717.


1488 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

léee exprès, ou même, comme dans trois exemples de<br />

Gargas,, déjà recouverte d'une couleur de fond de teinte<br />

différentee (i), on projetait sur le tout, soit avec l'autre<br />

main,, soit avec la bouche, de la couleur qui cernait d'une<br />

plagee colorée la partie recouverte par la main. De la sorte,<br />

celle-cii une fois retirée, la surface qu'elle recouvrait primitivementt<br />

donnait l'image d'une main de la couleur naturelle<br />

dee la paroi rocheuse, entourée de la couleur projetée.<br />

Lee premier procédé ou procédé par impression ou par<br />

décalquee n'est représenté que par un tout petit nombre de<br />

spécimenss de Bédeilhac (en noir) (2) et d'Altamira (une<br />

mainn rouge du grand plafond) (fig. 91). Les exemples du<br />

secondd procédé ou procédé par épargne ou au patron sont<br />

beaucoupp plus nombreux; on en a retrouvé à Altamira<br />

(fig.. 91), à Gastillo (3), à Font-de-Gaume (4), aux Combarelless<br />

(5), à l'Abri Labatut des Roches de Sergeac (G), à<br />

Beyssacc près Vieil-Mouly (Dordogne) (une main rouge) (7),<br />

àà la grotte David de Cabrerets (Lot) (8), dans les galeries<br />

latéraless de la grotte des Trois Frères (mains rouges associéess<br />

comme à Castillo à des alignements de points rouges<br />

ouu noirs) (9); enfin à Gargas (fig. 118). Ces dernières figurationss<br />

de la main sont à la fois les plus nombreuses, les<br />

pluss intéressantes et les plus sûrement datées comme<br />

remontantt à la phase la plus reculée de l'Aurignacien, au<br />

moinss aussi anciennes, et peut-être davantage, que les<br />

gravuress pariétales de Pair-non-Pair (10).<br />

(1)) VA., t. XXI, 1910, p. 134.<br />

(2)) Font-de-Gaume, p. 118.<br />

(3)) Une cinquantaine de mains cernées de rouge; Rép p 42 et 43- Cav cantabr.,,<br />

(ig. 100-108.<br />

(4)) Quatre mains cernées de noir, l'une bien nette, les trois autres très déteintes<br />

ett cachées par des peintures postérieures (Font-de-Gaume, p. 72, note et lig. 83).<br />

(5)) Gombarelles, iîg. 41.<br />

(6)) Mains cernées de rouge sur des blocs tombés dans le niveau aurignacien supérieurr<br />

et probablement plus anciennes {CAPITAL, BRÏUIL, PKYHONY, Nouvelles grottes<br />

ornéess de la vallée de la Beune, l'A., t. XXVI 1913 p 518)<br />

(7)) Ibid., p. 518 et fig. 13.<br />

(8)) L'Illustration, n" 4200, 13 octobre 1923, fig. p. 359.<br />

(9)) MAINAGE, Les religions de la préhistoire, p 217 note 25<br />

(10)) L'A., t. XXI, 1910, p. 143.


Fil?.. 91. — Panneauu de la partie droite du plafond d'Altamira Mains en décalque et au patron,<br />

Chevauxx peints en rouge plat, Cervidé gravé (d'après BBEUIL).


1500 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

Less mains obtenues par l'un ou l'autre de ces deux procédéss<br />

ne paraissent pouvoir s'expliquer que par l'imitation<br />

volontairee d'empreintes produites accidentellement sur la<br />

terree molle. Nous avons bien là un exemple de fait incontestablee<br />

de la reproduction intentionnelle d'une image obtenue<br />

parr hasard.<br />

Less images aurignaciennes de mains en couleur prouvent<br />

que,, dès ce moment, l'Homme avait conscience de sa faculté<br />

créatricee d'images, au moins pour l'image de sa main.<br />

Dess faits établissent qu'il ne s'en est pas tenu là, et qu'il<br />

aa cherché à étendre le procédé du patron à la production<br />

d'autress images. Les explorateurs de Gargas ont relevé<br />

surr les parois de celte caverne « une petite main potelée,<br />

avecc le poignet, d'un enfant en bas âge; des doigts isolés,<br />

nee provenant pas d'une main déteinte, quelquefois le<br />

poucee ; le long d'une saillie, dans le recoin où furent observéess<br />

les premières mains, une série de cinq doigts sont ainsi<br />

juxtaposéss comme en guirlande décorative. Non loin de là se<br />

trouvee une empreinte [c'est-à-dire un dessin au patron^ faite<br />

dee l'assemblage du pouce et de l'index des deux mains<br />

droitee et gauche— Une autre silhouette cernée de rouge<br />

rappellee celle qu'on obtiendrait avec la tête d'un humérus<br />

ouu d'un tibia » (i). Ces différents exemples de Gargas<br />

correspondentt à autant de tentatives pour obtenir avec le<br />

procédéé du patron, inauguré avec la main entière, des<br />

figuress plus variées.<br />

C'estt par la même intention que s'expliquerait, selon<br />

nous,, la curieuse particularité que présentent un grand<br />

nombree des mains au palron de cette même grotte. Un, plusieurss<br />

ou même tous les doigts sont privés des deux phalangeslanges<br />

terminales (fig. 118). Ces figures sont généralement<br />

considéréess comme résultant de l'emploi comme patron<br />

dd une main mutilée. Pour des raisons qui seront développées<br />

pluss loin (2), il nous semble beaucoup plus vraisemblable<br />

(1)) GARTAILHAC et BREUIL, VA., t. XXI, 1910 p 135<br />

(2)) Cf. ci-dessous, p. 222-220.


LESLES ORIGLXES DE L'ART 151<br />

quu au moins la plupart aient été exécutées avec des mains<br />

intactess à doig-ts repliés, en vue d'obtenir avec la main<br />

commee patron des images plus variées.<br />

Enn résumé, le procédé du dessin mécanique a été, dès<br />

less temps aurignaciens, étendu graduellement de la main<br />

entièree à des parties de main, à des doigts isolés, à des<br />

objetss différents. Il est permis de supposer que les<br />

empreintess proprement dites, non colorées, produites<br />

d'abordd fortuitement par simple impression dans la terre<br />

molle,, ont fourni un point de départ à un processus analogue,,<br />

de même que nos enfants, ayant remarqué l'empreintee<br />

de leurs pas dans la neige, prennent plaisir à s'y<br />

étendree tout de leur long pour « faire leur portrait ».<br />

Parr l'une ou l'autre des voies que nous venons de signaler,<br />

sanss parler d'autres également possibles, mais dont les faits<br />

connuss ne fournissent aucune indication, les Aurignaciens<br />

étaientt sûrement arrivés à se savoir capables de créer, non<br />

seulementt par hasard, mais même de propos délibéré, certainess<br />

images. Tout l'art fig-uré était là en germe, et ce<br />

germee ne demandait qu'à se développer. 11 suffisait que<br />

l'individu,, ayant constaté son pouvoir de créer des images<br />

dee certains objets, cherchât à étendre ce pouvoir à la productionn<br />

d'images différentes. L'art aurignacien présente un<br />

exemplee de passage du dessin mécanique au dessin proprementt<br />

dit, analogue à ceux qu'on rencontre dans les dessins<br />

enfantinss ou les graffiti de nos jours, où une main au patron<br />

aa été complétée par des additions réellement dessinées. Il<br />

s'agitt d'une petite main gauche imprimée en noir à la<br />

Pasieg'a,, semblable à la main imprimée en rouge à Altamira;<br />

onn y distingue parfaitement les cinq doigts et les parties<br />

charnuess de la paume (i). La main d'Altamira avait été<br />

régulariséee au pinceau (2). Celle de la Pasiega est prolongée<br />

parr un bras dessiné en noir et fort déteint, qui lui-même se<br />

continuaitt peut-être par un corps, aujourd'hui presque entiè-<br />

(1)) La Pasiega, pi. XXV.<br />

(2)) Allam., p. 76.


1522 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

rementt disparu. Nous croyons trouver à Santian un autre<br />

exemple,, à un stade un peu plus avancé, du passage du<br />

dessinn mécanique au dessin proprement dit. Une sorte de<br />

frisee formée par la paroi de la grotte présente un groupe de<br />

quinzee figures rouges (i). Ce sont des peintures proprement<br />

dites,, et non plus de simples impressions obtenues par les<br />

procédéss mécaniques du décalque ou du patron; mais elles<br />

see rattachent aux figures mécaniques par le sujet traité, qui<br />

pourr plusieurs est sans hésitation possible une main prolongéee<br />

par un bras. D'autres présentent un aspect différent<br />

ett plus ou moins énigmatique : dans les unes, il semble que<br />

laa forme de la main ait été schématisée et stylisée; dans une<br />

autre,, les doigts ressemblent plutôt à des orteils ; d'autres<br />

fontt penser à des pattes velues d'animaux, d'autres à<br />

diversess armes de jet; mais toutes forment un ensemble<br />

homogènee caractérisé par la présence constante d'une longue<br />

ett étroite bande verticale rappelant le bras humain. Il n'est<br />

doncc pas abusif de supposer que l'artiste, probablement le<br />

mêmee pour toutes les figures, vu la difficulté de l'opération à<br />

l'endroitt où elle a été effectuée, a eu l'idée de faire en peinturee<br />

les mains qu'il avait pu antérieurement voir exécuter<br />

mécaniquementt par d'autres, sinon exécuter lui-même; puis<br />

quee la forme de ses peintures, exécutées avec une maladressee<br />

accrue par les difficultés de la situation, lui aura<br />

suggéréé l'idée de représenter des objets différents, mais en<br />

gross analogues, de la même façon que se produit au début<br />

l'enrichissementt du répertoire graphique de nos enfants,<br />

grâcee à ce que j'ai appelé les maladresses fécondes (2).<br />

Ill est également possible qu'avant de tracer une figure<br />

complètee sur une surface primitivement nue, l'Aurignacien<br />

see soit borné d'abord à l'opération matériellement plus<br />

facilee et surtout psychologiquement plus simple de compléterr<br />

intentionnellement une ressemblance qu'il avait<br />

(1)) Cav. cantabr., fig. 32-35 ;Une partie seulement sont reproduites dans Rép.,<br />

p.. 176, n» 1).<br />

(8)) LUQUET, Les dessins d'un enfant, p. 85-87.


LESLES ORIGINES DE L'ART 153<br />

remarquéee et jugée imparfaite dans des images qui n'étaient<br />

pass son œuvre.<br />

Less images paléolithiques fournissent des exemples<br />

d'additionss ou de corrections apportées à un dessin par un<br />

individuu autre que son auteur. I! convient assurément d'être<br />

trèss prudent dans l'interprétation des figures de ce genre,<br />

car,, sans parler des superpositions accidentelles, les correctionss<br />

peuvent être des « repentirs » émanant de l'auteur<br />

Fig.. 92. — Mammouth.<br />

Gravuree sur lame d'ivoire (La Madeleine, Dordogne).<br />

Echellee : 1/3 (d'après Ed. LARTET).<br />

mêmee du dessin. On en peut citer comme exemples le<br />

Mammouthh de la Madeleine (fig. 92), une Biche de la<br />

Pasiega,, dont les oreilles sont figurées deux fois dans deux<br />

positionss différentes (1), la grande Biche du plafond d'Altamira,,<br />

qui conserve derrière ses deux oreilles une autre<br />

oreillee mal placée, incomplètement effacée par l'artiste<br />

(fig-.. 75); de Font-de-Gaume un Cheval gravé (fig. o,3), un<br />

graffitee léger de Mammouth qui a deux fronts et trois<br />

défensess (2), un Mammouth polychrome, où la gravure présentee<br />

deux yeux dont un seul a été repris en peinture (3), les<br />

deuxx Rennes polychromes (fig.


1544<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

laa narine de la femelle est figurée deux fois en gravure, une<br />

seulee en peinture.<br />

Ill semble toutefois légitime de considérer comme des<br />

exempless de perfectionnements apportés à des figures exécutéess<br />

antérieurement par des auteurs différents diverses<br />

Fig.. 03. — Tête de Cheval.<br />

Gravuree pariétale (Font-de-Gaume, Dordogne). Echelle : 1/4 (d'après BREUIL).<br />

peinturess de la Pasiega et surtout trois Bœufs de la Vieja<br />

transforméss plus tard en Cerfs par la simple addition d'une<br />

ramuree (i). Il est également très probable que le Sanglier<br />

marchantt d'Altamira est une réfection postérieure d'un Sanglierr<br />

au galop dont les pattes subsistent (fig. g5).<br />

Quoii qu'ilen soit des modifications apportées à des images<br />

(1)) Rép., p. 4, en bas à droite et p. 5, n° 1, en bas. L'addition de la ramure est<br />

particulièrementt visible au Bœuf le plus à droite.


LESLES ORIGINES DE L'ART 1555<br />

pluss anciennes, on trouve en foule, à toutes les époques de<br />

l'artt paléolithique, des figures qui ont élé déterminées par la<br />

formee de la matière qui leur sert de support, à laquelle l'artistee<br />

a apporté des modifications plus ou moins importantes.<br />

DansDans divers exemples, la forme d'un instrument déjà<br />

façonnéé a, scmblc-i-il, suggéré l'intention d'accentuer la<br />

ressemblancee plus ou moins v.i-ue qu'il présentait avec<br />

quelquee être réel. Dans un harpon bibarbelé de Mouthiers


1566 VAUT PALEOLITHIQUE<br />

(Charente),, le fût a été interprété en serpent dont le renflementt<br />

basilaire du harpon forme la tête : des traits gravés<br />

indiquentt les yeux et les taches de la peau (i). La partie<br />

inférieuree d'une lame en bois de Renne trouvée dans les<br />

couchess magdaléniennes anciennes de la grotte du Placard a<br />

enn gros la forme d'un ventre féminin avec l'amorce des<br />

cuisses;; cette ressemblance globale a été accentuée par des<br />

traitss de burin figurant les lèvres et les poils d'une vulve (2).<br />

Danss les mêmes couches, des boucles en bois de Renne en<br />

formee générale d'arceau évoquent par leurs deux pointes<br />

terminaless divergentes l'idée d'une tête cornue ; deux de ces<br />

objetss sont décorés d'incisions représentant des naseaux et<br />

dess yeux qui, dans l'un, sont accompagnés de cornes (3).<br />

Danss un sommet de « bâton de commandement » magdalénienn<br />

bien connu en bois de Renne, de Gorge d'Enfer (4),<br />

less deux saillies latérales ont été interprétées en phallus, où<br />

l'onn voit nettement le méat urinaire. Mais, tandis que l'une<br />

dess saillies porte sur les deux faces l'indication des testicules,<br />

l'autree semble avoir été interprétée également comme un<br />

coléoplèree avec figuration des élytres et, sur une des faces,<br />

dess yeux. 11 y aurait là un exemple de ce que j'ai appelé le<br />

calembourr graphique.<br />

D'autress pièces osseuses ou lithiques sans destination utilitairee<br />

manifestent également une accentuation par l'Homme de<br />

leurr forme naturelle. L'abbé Breuila signalé un éclat d'os du<br />

muséee de Mont-de-Marsan, recueilli à Rrassempouy, et dont<br />

parr hasard la cassure reproduisait à peu près la forme d'une<br />

lêlee d'équidé, qui a été complétée par la gravure des narines,<br />

dee la bouche, d'une oreille et d'un œil. Il a trouvé aussi dans<br />

laa station magdalénienne du Rois du Roc à Vilhonneur un<br />

rognonn de silex affectant vaguement la forme d'une tête de<br />

Lièvree ou de Marmotte, et où des aspérités naturelles ont<br />

(1)) Rép., p. 160, no 1 (Les deux faces sont analogues)<br />

(2)) lu-p., p. 171, no 7.<br />

(3)) BREUIL, Paléol. super., fig. 23, n« 7 et 8<br />

(4)) Iiép., p. 82, n" 1 et 2.


LESLES OIUGINES DE LA11T 1577<br />

unee certaine ressemblance avec des yeux. Une série de stries<br />

tracéess par l'Homme simulenlles barbiches; deux d'entre elles,<br />

enn se rejoignant, rappellent le dessin du nez fendu du Lièvre.<br />

a.a.<br />

QQ<br />

etet<br />

çaça<br />

%% 60<br />

ab-SS<br />

Bienn qu'il soit difficile de reconnaître avec exactitude l'animal<br />

qu'onn a voulu représenter (1), l'intervention d'un artiste qui<br />

(1)) l'A t XII 1901, p. 110. — Par un lapsus amusant, la Marmotte » de ce<br />

passagee s'èst^ sous la plume de certains auteurs, métamorphosée en « Mammouth. »


1588<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

s'estt proposé d'accentuer les formes naturelles du caillou est<br />

incontestable..<br />

Surr un morceau de concrétion stalag-antique trouvé dans<br />

Fig.. 96. — Statuettes humaines en métacarpiens de Mammouth<br />

(Przedmost,, Moravie).<br />

Echellee : 1/4 environ (d'après BREUIL).<br />

laa couche supérieure de la grotte de la Mairie à Teyjat, qui<br />

danss son ensemble suggère l'idée d'une lêle humaine, un<br />

Fig.. 97. — Peintures pariétales en rouge utilisant des accidents rocheux<br />

(Cavernee de Niaux, Ariège).<br />

AA gauche, tête et encolure de Cheval (renversé 1 . A droite. Bison hlessé ; le dos (en<br />

pointillé)) est fait par le contour du rocher. Kchelle : 1/8 (d'aprèa BREUIL).<br />

raclagee vigoureux au silex a figuré un œil à la place convenablee<br />

(i). Un exemple des Eyzies est encore moins contestablee<br />

: c'est un g-alet dont la forme naturelle bizarre, en têle<br />

(1)) ftep.,p. 181, nol.


LESLES ORIGINES DE L'ART 1599<br />

arrondie,, a été complétée par l'addition sur chaque face d'un<br />

œil,, d'une narine, d'une oreille et d'un trait pour la bouche.<br />

Danss le sens inverse, une autre oreille et un œil complètent<br />

unee tête de Cheval dont le contour général est également<br />

évoquéé par la forme naturelle de l'objet (i). Des phalanges<br />

Fig.. 98. — Esquisse gravée d'un Bison mugissant.<br />

Peinturee polychrome, dont la ligne dorsale utilise un accident naturel (Altamira).<br />

Echellee : 1/20 environ (d'après BFLEUIL).<br />

d'Equidéss découvertes par Pietfe au Mas d'Azil et dont la<br />

formee naturelle présentait l'aspect d'une tête de Cheval ont<br />

étéé également complétées par quelques incisions représentant<br />

less naseaux et les yeux (2). Peut-être faut-il ranger dans<br />

laa même catégorie les sept statuettes humaines rudimentairess<br />

de Przedmost (Moravie) façonnées dans des métacarpienss<br />

de Mammouth, dont la forme naturelle a pu suggérer<br />

l'idéee d'un corps humain et l'intention d'accentuer artificiel"<br />

(1)) Rép., p. 68, n° 2.<br />

(2)) Rép., p. 149, n" 7-12.<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 111


1600<br />

L'ARTL'ART PALÉOLITHIQUE<br />

lementt la ressemblance, d'une manière d'ailleurs extrêmementt<br />

grossière (fig\ 96).<br />

L'utilisationn figurée d'accidents naturels est particulière-<br />

mentt manifesle dans les représentations pariétales. On en<br />

pourraitt mentionner une foule d'exemples de Sireuil, des<br />

Gombarelles,, de Font-de-Gaume (%. 99-101), de la grolte<br />

Marcenacc à Cabrerets, de Marsoulas, de Niaux (%. 97), du<br />

Portel,, du Mas d'Azil, du Tue d'Audoubert, de Govalanas,


LESLES ORIGINES DE VAUT 161<br />

dee Pindal, de Hornos de la Pena, de Castillo, de la Pasiega,<br />

d'Allamira.. Leur énumération serait fastidieuse; je me<br />

borneraii à emprunter quelques exemples particulièrement<br />

caractéristiquess aux polychromes du grand plafond d'Altamira..<br />

De volumineuses saillies qui, dans les jeux de lumière<br />

dess flammes du foyer, pouvaient ressembler à des dos de<br />

bêtes,, ont donné l'idée de parfaire l'image avec de la couleur.<br />

L'adaptationn des figures à ces accidents de la roche fut aussi<br />

habilee que possible (i). Le Sanglier au galop repeint plus<br />

tardd en Sanglier marchant (fig.


aa<br />

tee<br />

oo<br />

aa<br />

099<br />

SS<br />

33<br />

aa<br />

oo<br />

55 à<br />

«« S 1<br />

ill<br />

cc<br />

XX -<br />

oo


Fig.. 101. — Bison.<br />

Peinturee polychrome complétant la gravure de l'accident rocheux de la lig. 100. (Font-de-Oaume).<br />

Surr cette peinture ont été peints postérieurement des signes tectiformes (d'après BREUII.).


1644<br />

L'ARTL'ART PALEOLITHIQUE<br />

équivoquee qui dégénérerait facilement en contresens. Il<br />

nouss semblerait forcé de prendre à la lettre le mot utilisationn<br />

et de supposer que l'artiste, ayant déjà l'intention de<br />

fairee une image, ait cherché un emplacement dont la l'orme<br />

naturellee lui en facilitât l'exécution : plus vraisemblablement,<br />

croyons-nous,, l'artiste, n'ayant encore aucune intention<br />

Fig.Fig. 102. — Bison ramassé.<br />

Peinturee pariétale polychrome (Altamira, Espagne). Echelle : 1/25 environ<br />

(d'aprèss BUEUIL).<br />

précisee de dessiner, fut incliné à le faire en apercevant un<br />

accidentt naturel dont l'aspect lui suggérait l'idée d'une ligure.<br />

J'accepteraiss à la rigueur qu'à l'apogée du Magdalénien, où<br />

l'onn doit admettre l'existence d'artistes exercés, peut-être<br />

mêmee professionnels, il y ait eu recherche systématique des<br />

accidentss naturels en vue de leur utilisation figurée ; mais je<br />

suiss persuadé que, dans la plupart des cas, et notamment aux<br />

époquess primitives, il y a eu bien moins adaptation des accidentss<br />

naturels à l'idée préméditée de la figure que suggestionn<br />

de celle-ci par ceux-là. Par exemple, il me semble invraisemblablee<br />

que pour la figure du Portel (i), un artiste qui<br />

avaitt déjà l'intention de peindre un bonhomme ait cherché<br />

unee saillie rocheuse qui lui en fournît le phallus.<br />

(1)) Hép., p. 172, ir>6.


LESLES ORIGINES DE L'ART 165<br />

Cettee conception du rôle véritable de l'utilisation des<br />

accidentss naturels dans l'art des cavernes paléolithiques nous<br />

semblee encore confirmée par des considérations intrinsèques<br />

relativess aux figures pariétales elles-mêmes. L'attitude forcée<br />

dee certains animaux d'Altamira, notamment les trois Bisons<br />

ramasséss (fig. 102) (1), que l'on interprète d'ordinaire<br />

commee une manifestation de maniérisme ou de convention<br />

d'école,, pourrait bien être due simplement à la forme naturellee<br />

des bosses rocheuses utilisées pour les figures, qui se<br />

limitentt presque à leur surface, à part les cornes, les pieds<br />

ett la queue. Gartailhac et l'abbé Breuil, qui paraissent avoir<br />

unee préférence marquée pour la thèse de l'utilisation préméditéee<br />

des accidents naturels, remarquent que « de la sorte on<br />

obtenaitt à peu de frais les effets d'un bas-relief coloré ».<br />

Maiss leurs descriptions sont d'une objectivité si scrupuleuse<br />

que,, en dépit de leurs opinions théoriques, ils signalent un<br />

faitt qui va à l'encontre de celles-ci. En effet, si les bosses<br />

rocheusess pouvaient suggérer l'idée de la représentation<br />

animale,, elles nuisaient à son effet une fois qu'elle était<br />

exécutéee et empêchaient de saisir l'ensemble de la figure,<br />

parcee qu'à cause de leur grande convexité, on n'en peut voir<br />

qu'unn côté à la fois : c'est au point que, dans ses relevés,<br />

l'abbéé Breuil a été obligé de figurer les animaux en projectionn<br />

plane, comme si le relief des bosses n'existait pas (a).<br />

Touss les exemples que nous venons d'alléguer pour établir<br />

laa persistance, pendant toute la durée de l'âge du Renne, de<br />

l'utilisationn artistique d'accidents naturels, c'est-à-dire de<br />

l'influencee de ces accidents pour déterminer et si l'on peut<br />

diree déclancher l'exécution des figures, proviennent d'époques<br />

oùù l'art figuré existait déjà et où par suite l'artiste avait déjà<br />

vuu et sans doute exécuté d'autres œuvres figurées qui<br />

nee s'expliquent pas par cette suggestion. Mais d'autres<br />

exemples,, encore que forcément plus rares, semblent<br />

(1)) Cf. Rép., p. 13, n°" 2 et 4.<br />

(2)) L'A., t. XV, 1904, p. 641; Altamira, p. 78 et 108. — Cf. Cav. cantabr.,<br />

pi.. XCI, la perspective d'une partie du plafond aux polychromes.


1666 L'ART PALÉOLITHIQUE<br />

remonterr aux débuis de l'Aurignacien, c'est-à-dire au moment<br />

dee l'apparition de l'art figuré. Je serais porté à considérer<br />

commee des cas d'utilisation figurée de surfaces rocheuses,<br />

oùù les additions artificielles sont réduites au minimum, certainss<br />

pendentifs, franges rocheuses et reliefs naturels de<br />

Castilloo et de Pindal marqués de taches rouges (i) ; les<br />

alignementss de taches au bord des accidents pourraient<br />

simulerr une crinière, et en outre une tache isolée semble correspondree<br />

à un œil dans deux spécimens où je verrais, sous<br />

unee forme extraordinairement grossière, l'équivalent de la<br />

têtee de Cheval rouge de Niaux (fig. 97). D'autres exemples<br />

sontt plus incontestables. Sur la frise tombée d'Altamira, à<br />

côtéé de courbes parallèles qui sont la reproduction gravée des<br />

tracéss digitaux à plusieurs doigts, la ligne verticale figurant<br />

lee front d'une tête de quadrupède (Cheval ou Biche ?) grossièrementt<br />

gravée suit un angle rocheux ffig. 89). La Croze à<br />

Gontran,, qui remonte à l'Aurignacien ancien et qui nous a<br />

déjàà fourni des spécimens des différents moments de la genèse<br />

dee l'art figuré, présente deux gravures de Chevaux dont la<br />

têtee est faite, partiellement dans l'un, totalement dans l'autre,<br />

parr un accident rocheux (2). Il nous semble donc légitime de<br />

considérerr comme l'une des sources de l'art figuré, chez<br />

l'hommee paléolithique comme chez l'enfant de nos jours,<br />

l'accentuationn volontaire d'une ressemblance aperçue dans<br />

dess accidents naturels.<br />

Peut-êtree même cette utilisation artistique de lusus naturae<br />

a-t-ellee commencé à une époque encore plus reculée que<br />

l'Aurignacien,, dès le Paléolithique inférieur. Divers préhistoriens,,<br />

reprenant une idée déjà soutenue par Boucher de<br />

Perthes,, ont considéré comme des « pierres-figures » certainss<br />

cailloux, généralement rognons de silex, qui présententt<br />

avec des êtres réels une certaine ressemblance globale<br />

ett dans lesquels cette ressemblance naturelle serait accentuéee<br />

par des retouches qui leur semblent intentionnelles.<br />

(1)) Cav. caniabr., fig. 64 (Pindal) et 112 {Castillo) (Manquent dans Rép.).<br />

(2)) Revue anthropologique, t. XXIV, 1914, p. 277 et fig. 2 et 3.


LESLES ORIGINES DE L'ART 1Ô7<br />

Jusqu'àà présent, la théorie des pierres-figures paléolithiques,,<br />

malgré les efforts de ses défenseurs, n'a rencontré chez<br />

laa majorité des préhistoriens qu'indifférence ou hostilité.<br />

Ill est certain que, dans la plupart des pièces allég-uées, il<br />

fautt les yeux de la foi pour apercevoir la ressemblance<br />

fig'uréefig'urée et surtout les retouches intentionnelles; ici comme<br />

danss le cas analogue des éolithes, l'intervention de l'Homme<br />

restee extrêmement problématique. Pourtant elle ne semble<br />

pass inadmissible dans quelques spécimens de choix. Mais,<br />

pourr notre part, même quand l'aspect matériel de ces pièces<br />

n'empêchee pas de les considérer comme des pierres-fig-ures,<br />

nouss sommes arrêtés par une difficulté d'ordre psychologique..<br />

L'étude du dessin enfantin nous a semblé établir que<br />

laa constatation d'une ressemblance fortuite ne suffisait pas<br />

pourr donner à un individu l'idée de la compléter, qu'il fallait<br />

enn outre que son pouvoir de créer lui-même des ressemblancess<br />

lui eût été révélé par la production involontaire de<br />

telless ressemblances. Or, aucun fait ne prouve l'existence,<br />

danss le Paléolithique inférieur, de cette production accidentellee<br />

d'imag-es, et l'on n'aperçoit rien, dans l'industrie<br />

lithiquee de cette époque, qui ait pu en fournir l'occasion.<br />

Ill nous semble donc que la plus grande prudence continue<br />

àà s'imposer pour cette question.<br />

Enn résumé, la première œuvre figurée exécutée par le premierr<br />

artiste paléolithique n'a pu être sug-gérée par l'imitation<br />

d'unn artiste antérieur, puisque par définition il n'y en avait<br />

pass encore ; et en tout état de cause, l'orig-ine de l'art figuré,<br />

commee de n'importe quelle sorte d'activité volontaire, ne<br />

sauraitt s'expliquer par l'imitation proprement dite. Il ne<br />

peutt être question que d'une auto-imitation, c'est-à-dire de<br />

laa répétition intentionnelle par un individu d'une activité<br />

qu'ill avait déjà exercée lui-même auparavant sans le faire<br />

exprès,, ici de la répétition intentionnelle de mouvements de<br />

laa main qui avaient produit une imag-e sans se l'être proposé.<br />

D'unn autre côté, tant que de nouvelles observations qui,<br />

enn l'espèce, ne pourront porter que sur les enfants de nos


1688 L'ART PALEOLITHIQUE<br />

jours,, n'auront pas établi qu'un individu peut arriver à la<br />

consciencee de son pouvoir créateur d'images avant d'en avoir<br />

produitt lui-même et par la simple constatation de celte<br />

facultéé chez autrui, nous devons admettre que non seulementt<br />

pour le premier artiste, mais aussi pour ses contemporainss<br />

et ses successeurs, leurs premières œuvres figurées<br />

résultentt non de l'imitation d'artistes antérieurs, mais d'une<br />

auto-imitation.. Le problème de la genèse de l'art figuré<br />

paléolithiquee revient donc d'abord à déterminer quelles sont<br />

less activités qui ont pu à cette époque créer des images sans<br />

intentionn d'en créer, ensuite par quelles transitions un<br />

individuu qui avait produit ces images fortuites est arrivé à<br />

l'intentionn de créer de toutes pièces des images en sculptant<br />

unee matière ou en traçant des lignes sur une surface qui<br />

étaientt originairement amorphes, c'est-à-dire ne possédaient<br />

avantt le travail de l'artiste absolument aucune ressemblance<br />

avecc l'objet représenté par l'image.<br />

Ill nous a semblé que les premières images fortuites qui<br />

avaientt donné à leur auteur l'idée d'en faire d'autres volontairementt<br />

ne pouvaient, pour fournir l'occasion d'une interprétationn<br />

figurée, avoir été l'œuvre d'un artiste décorateur,<br />

ett nous avons essayé d'en découvrir les origines probables.<br />

Unee fois ainsi éveillée la conscience de son pouvoir créateurr<br />

d'images, l'Homme paléolithique a pu songer à utiliser<br />

cee pouvoir d'abord pour compléter, les jugeant insuffisammentt<br />

ressemblantes, soit les images produites fortuitement<br />

parr lui-même, soit des accidents naturels présentant quelque<br />

ressemblancee avec les êtres qui l'intéressaient spécialement,<br />

enfinn pour créer de toutes pièces des figures d'exécution<br />

d'abordd plus ou moins maladroite et grossière, mais intentionnelle..<br />

Nouss sommes maintenant en mesure de comprendre commentt<br />

l'art à destination magique qui, comme nous l'avons<br />

vuu (i), a dû nécessairement être précédé par un art désintéressé,,<br />

a pu en sortir. Si le civilisé adulte, accoutumé à voir<br />

(i)) Cf. ci-dessus, p. 126-128.


LESLES ORIGISES DE L'ART 169<br />

ett même à exécuter des représentations figurées, trouve<br />

toutt naturel que sa main, aidée d'ailleurs d'instruments faits<br />

exprèss pour cela, laisse sur un support des traces qui fassentt<br />

une image, nos enfants considèrent ce pouvoir de créer<br />

dess ressemblances comme une faculté réservée aux grandes<br />

personness et dont ils se reconnaissent d'abord dépourvus.<br />

Lorsque,, dans la suite, ils arrivent à constater qu'ils ont,<br />

euxx aussi, produit un dessin ressemblant (ou jugé tel par leur<br />

imaginationn complaisante), c'est pour eux la révélation d'un<br />

pouvoirr à la fois créateur et miraculeux qui, par ces caractères,,<br />

participe de la magie : l'expression n'est pas de moi,<br />

maiss d'un psychologue évoquant ses souvenirs d'enfance (i).<br />

Maiss en outre, c'est un fait établi de la psychologie de<br />

l'enfantt et du primitif que la confusion de l'image artificielle<br />

avecc l'objet réel correspondant. Si, comme c'est infiniment<br />

vraisemblable,, le Paléolithique avait une mentalité analogue,<br />

l'artistee qui avait fait par exemple une gravure ou une sculpturee<br />

de Cheval se considérait comme le créateur et le maître,<br />

nonn seulement d'un simulacre de Cheval, mais d'un Cheval<br />

véritable.. Le caractère créateur de l'art figuré est le fondementt<br />

commun d'abord de son charme désintéressé pour<br />

l'artiste,, ensuite de la croyance à sa vertu magique.<br />

(1)) H. T. LUKENS, Einige Bemerkungen ûber malendes Zeichnen im friihen Kindesalter,,<br />

Aus dem pàdagog. Onwersitats-Seminiir zu Jena, t. VII, 1897, p. 154.


DEUXIÈMEDEUXIÈME PARTIE<br />

LAA RELIGION<br />

CHAPITRECHAPITRE VI<br />

LEE CULTE DES MORTS<br />

Avantt de chercher à dégager, dans la mesure du possible,<br />

less sentiments, les idées, les croyances des Paléolithiques à<br />

l'égardd de leurs morts, nous devons commencer par prendre<br />

l'expressionn culte des morts dans un sens à la fois très large<br />

ett purement objectif. Nous entendons par là toutes les pratiques,,<br />

quelles qu'elles soient, par lesquelles l'Homme paléolithiquee<br />

a appliqué aux cadavres humains un traitement<br />

intentionnell prouvant qu'il établissait une différence entre<br />

euxx et des restes animaux.<br />

L'existencee de ces pratiques a été longtemps niée par<br />

suitee d'une conception a priori. Le culte des morts, s'il se<br />

distinguee abstraitement de la religion proprement dite en ce<br />

quee celle-ci s'adresse à des êtres qui, au moins en principe,<br />

n'ontt jamais été des hommes, est cependant la manifestation<br />

d'unn sentiment étroitement apparenté au sentiment religieux.<br />

Less pratiques funéraires pouvaient donc fournir un argumentt<br />

dans la controverse sur la religiosité comme caractéristiquee<br />

de l'i [omme. G. de Morlillet, qui a exercé sur les études<br />

préhistoriquess une si grande influence, tantôt bienfaisante,


LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

tantôtt néfaste, était un adversaire irréconciliable de Y Homo<br />

religiosus,religiosus, et a été amené par là à exagérer dans le se<br />

négatfff le scrupule de prudence scientifique que légitimait<br />

d'ailleurs,, dans une large mesure, l'ambiguïté des faits alors<br />

connus.. A sa suite, lorsqu'il s'agissait de documents d'âge<br />

paléolithiquee indiscutable, on considérait l'apparence de<br />

pratiquess fuuéraires comme explicable par de simples accidentss<br />

: tel fut le cas pour « l'Homme écrasé » de Laugerie-<br />

Basse.. Inversement, quand les pratiques funéraires étaient<br />

horss de doute, on en reculait la date au Néolithique, comme<br />

pourr les premières découvertes de Grimaldi.<br />

Maiss des découvertes plus récentes, en particulier celles<br />

qu'ontt amenées les fouilles instituées par le prince de Monaco<br />

àà Grimaldi en 1901, ont définitivement tranché la question,<br />

mêmee aux yeux de sceptiques de la première heure (1).<br />

Actuellement,, si nous n'avons aucune preuve de l'existencee<br />

de pratiques funéraires pour les époques chelléenne et<br />

acheuléenne,, dont les Hommes nous sont d'ailleurs mal<br />

connuss au simple point de vue anatomique, elle est établie<br />

pourr l'âge du Renne et même pour le Paléolithique moyen<br />

(Moustiérien)..<br />

Ill sera sans doute commode, avant d'entrer dans le détail<br />

dess faits, de donner une liste des principales trouvailles, en<br />

less ordonnant, non d'après la succession des découvertes,<br />

maiss d'après les périodes auxquelles elles se rapportent.<br />

AA l'époque moustiérienne remontent le squelette découvert<br />

enn 1908 au Moustier par Hauser, les squelettes trouvés à la<br />

Ferrassiee par MM. Gapitan et Peyrony, savoir un homme<br />

trouvéé en 1909, une femme en 1910, deux enfants en 1912;<br />

lee squelette découvert en 1908 par les abbés Bardon et<br />

Bouyssoniee à la Bouffia Bonneval à la Chapelle- aux-Saints<br />

(Corrèze),, les deux squelettes trouvés en 188G parM. de Puydt<br />

ett Lohest dans la terrasse devant la grotte de Spy près du<br />

moulinn de Goyet (province de Namur, Belgique).<br />

1,1)) Grim., t. II, p. 3-18 et 2


LELE CULTE DES MORTS 173 .<br />

AA l'époque aurig-nacienne appartiennent le squelette<br />

dépourvuu de son crâne découvert en 1823 par Buckland<br />

danss la grotte de Paviland sur la côte du Glamorg-anshire<br />

(Payss de Galles) et appelé la « Dame roug-e » (Red Lady),<br />

bienn qu'il ait probablement appartenu à un homme ; le squelettee<br />

trouvé en 1881 par le marquis de Rochebrune aux Cottes<br />

(Vienne);; les restes de cinq individus, notamment d'un<br />

vieillardd d'une soixantaine d'années, exhumés en 1868 par<br />

L.. Lartet de l'abri de Cro-Magnon, le squelette trouvé en<br />

18911 à 4 m - 5o de profondeur dans le loess de Brno<br />

(Moravie),, les 20 squelettes, dont i4 entiers, trouvés en 1894<br />

parr Maschka à Przedmost, le squelette trouvé en 1910 par<br />

Hauserr à Combe-Capelle (Dordogne), les squelettes (deux<br />

femmes,, dont une accompagnée de deux tout jeunes enfants,<br />

ett trois hommes, dont un d'environ 26 ans), découverts<br />

enn 1923 et 1924 à Solutré par MM. Depéret, F. Arcelin et<br />

Mayet,, enfin l'ensemble des découvertes des grottes des<br />

Baoussé-Rousséé à Grimaldi.<br />

Cee sont, dans la grotte des Enfants, les deux squelettes<br />

négroïdess f un adolescent de 16 à 18 ans et une vieille femme),<br />

découvertss en 1901 par le chanoine de Villeneuve à 7 m. 7;"»<br />

dee profondeur, le squelette d'un homme dans un foyer à<br />

77 m. o5 de profondeur et celui d'une femme trouvé à 1 m. 90<br />

dee profondeur dans les mêmes fouilles, les squelettes de<br />

deuxx enfants de 4 et 6 ans rencontrés à 2 m. 70 de profondeurr<br />

par E. Rivière en 1874 et 1870 et auxquels est dû le<br />

nomm sous lequel la grotte est désormais connue ; dans la<br />

grottee du Gavillon, le squelette masculin découvert à<br />

GG m. 55 de profondeur (E. Rivière, 1872); au Baousso da<br />

Torre,, trois squelettes découverts en 1873 par le même<br />

explorateurr (adulte à 3 m. 90 de profondeur, adolescent<br />

d'unee quinzaine d'années un peu plus haut, adulte en plein<br />

foyerr à 3 m. 76) ; à la Barma Grande, le squelette trouvé<br />

enn 1884 par Julien le long- de la paroi gauche de la grotte,<br />

àà 8 m. 4o de profondeur, les trois squeletLes allong-és côte à<br />

côtee découverts à environ 8 mètres de profondeur par Abbo


i744 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

enn 1892 (un homme, une femme encore jeune, un adolescent<br />

d'unee quinzaine d'années), deux autres squelettes découverts<br />

égalementt par Abbo en 1894, à 1 m. 60 au-dessus des précédents,,<br />

mais beaucoup plus près du fond de la grotte, et<br />

dontt le second, situé à environ 80 centimètres des pieds du<br />

précédent,, était assez incomplet et entièrement carbonisé.<br />

AA Tépoque solutréenne, appartiennent un squelette découvertt<br />

à Solutré en 1869 par l'abbé Ducrost et très probablementt<br />

le squelette d'un homme d'une trentaine d'années<br />

découvertt dans la grotte moyenne de la Klause à Neu-<br />

Essingg (Bavière) (fouilles de l'Institut de Paléontologie<br />

humaine,, 1913).<br />

Enfin,, comme découvertes d'âge magdalénien, on a<br />

1'' « Homme écrasé » trouvé en 1872 à Laugerie-Basse par<br />

E.. Massénat, le squelette découvert la môme année par<br />

L.. Lartet et Chaplain-Duparc sous l'Abri Duruthy à Sordes<br />

(Landes),, les restes osseux d'un adolescent de iG à 18 ans<br />

trouvéss en 18(j4 p&r Tournier et Guillon dans le plus ancien<br />

dess foyers de l'âge du Renne de la grotte voisine du moulin<br />

dess Iloteaux (commune de Rossillon, Ain), le squelette d'un<br />

vieillardd dune soixantaine d'années trouvé en 1888 par<br />

Féauxx et Hardy sous l'Abri de Raymonden (Chancelade), les<br />

deuxx squelettes, l'un masculin, l'autre féminin, d'Obercassel<br />

prèss de Bonn, dont la découverte a été publiée en 1914 par<br />

Verworn..<br />

Unee preuve décisive de l'intention funéraire est fournie<br />

parr les fosses artificiellement creusées dans lesquelles ont<br />

étéé rencontrés un certain nombre de cadavres, et qui se<br />

trouventt dès l'époque moustiérienne. A la Ferrassie, si le<br />

squelettee d'homme gisait dans une faible dépression de<br />

i55 centimètres de profondeur apparemment naturelle et qui<br />

see prolongeait en arrière vers la paroi rocheuse, la faible<br />

dénivellationn dans laquelle était logé le squelette de femme<br />

semblaitt avoir été un peu approfondie pour lui faire sa place.<br />

Enn tout cas, il n'y a aucun doute sur le caractère artificiel<br />

dess fosses dans lesquelles ont été retrouvés les restes fort


LELE CULTE DES MORTS 175<br />

endommagéss de deux enfants au voisinage immédiat dos<br />

deuxx squelettes précédents. L'une des deux fosses, de 3o centimètress<br />

de profondeur sur 70 centimètres de large, avait été<br />

creuséee dans la couche acheuléenne sous-jacente (1). Le<br />

squelettee de la Chapelle-aux-Sainls gisait dans une fosse<br />

àà peu près rectangulaire de 1 m. 45 de long, 1 mètre de<br />

largee et 3o centimètres de profondeur environ, creusée<br />

danss le sol marneux de la grotte (2). A Grimaldi, les deux<br />

squelettess négroïdes de la grotte des Enfants reposaient<br />

danss une fosse d'environ j5 centimètres de profondeur<br />

creuséee dans un foyer de telle sorte que la nuque de l'adolescentt<br />

reposait sur l'argile sous-jacente (3) ; le squelette<br />

trouvéé par Julien à la Barma Grande reposait dans une fosse<br />

peuu profonde revêtue d'un lit de pierres; la fosse dans<br />

laquellee gisaient côte à côte trois cadavres était manifestementt<br />

artificielle (4). Le squelette des Hoteaux se trouvait<br />

danss une petite fosse (5).<br />

Unn second mode de sépulture, tantôt combiné avec la<br />

fosse,, tantôt employé seul, consiste à entourer ou recouvrir<br />

less cadavres de matières dures, pierres ou fragments d'os.<br />

AA la Ferrassie, le squelette d'homme était surmonté de<br />

plusieurss moellons, l'un entre le ventre et la cuisse droite,<br />

unn autre contre l'avant-bras gauche, et deux ou trois autres<br />

poséss à plat sur la tête, qui s'était écrasée sous leur poids.<br />

Toutt le corps était- en outre recouvert d'une sorte de revêtementt<br />

d'éclats d'os presque tous utilisés (6). Le squelette<br />

duu Mouslier se trouvait également sous des fragments d'os<br />

animauxx ; sa tête s'appuyait à droite sur un lit de silex ; le<br />

nezz paraissait spécialement protégé par deux éclats. La<br />

têtee du squelette de la Chapelle-aux-Saints était appuyée<br />

contree la fosse dans un coin, calée par quelques pierres et<br />

(1)) BREU.L, L'A., t. XXXI, 192!, » . » « .<br />

«« BARUON et BOUYSSONIB. L'A., t. XXIV, 1913, p 630<br />

(3)) BOULE, Les hommes fossiles, 2e edit., p. 276; VCRMAU, LA., t. XIII, 1308,<br />

p.. 561.<br />

(4)) Grim., t. II, p. 298.<br />

^ i ^ t .. XXXI, 1«1, P. 343-344.<br />

G.-H.. LUQUET. - Art et religion des Hommes fossiles. 12


1766 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

recouvertee de larg-es plaques d'os (i). Une sépulture collective,,<br />

qui semble d'âge présolutréen, a été découverte par<br />

Maschkaa dans la station de Frzedmost (Moravie). Dans du<br />

loesss non remanié, sous-jacent à des couches intactes datées<br />

parr toute la faune pléistocène, 20 squelettes humains étaient<br />

réuniss sous un véritable couvercle de pierres, comme c'esl<br />

encoree l'usage de nos jours chez des peuples arctiques.<br />

i4,, parfaitement protégés par les pierres, étaient complets;<br />

less 6 autres, représentés seulement par quelques fragments<br />

dispersés,, ont été trouvés au voisinage des précédents, dans<br />

laa même couche archéologique, et étaient mêlés à divers<br />

ossementss d'animaux. Ces ossements ont été rongés par des<br />

carnassiers,, dont les dents ont laissé des traces évidentes (2).<br />

Less fouilles de Grimaldi ont fourni des données concordantes..<br />

Pour l'homme découvert par Rivière dans la grotte<br />

duu Cavillon, la base du crâne ainsi que la région postérieure<br />

duu tronc jusqu'au bassin avaient été appuyées sur quelques<br />

grossess pierres non taillées (3). Dans la grotte des Enfants,<br />

lee squelette masculin trouvé à 7 m. o5 de profondeur<br />

avaitt au-dessus de la tête une large et grosse pierre (qui<br />

d'ailleurs,, en ^'affaissant peu à peu, exerça sur le cadavre<br />

unee pression qui eut pour lui des conséquences fâcheuses).<br />

Saa tête était entourée par un blocage irrégulier; une<br />

plaquettee de grès était appliquée « comme un nimbe » en<br />

arrièree du crâne; au niveau des pieds, cinq pierres, couvrantt<br />

un espace de 80 centimètres, avaient été placées de<br />

champ,, dans une disposition manifestement intentionnelle (l\).<br />

Lee squelette féminin trouvé par le chanoine de Villeneuve<br />

était,, d'après les notes prises par lui au moment de la<br />

découverte,, « entouré de blocs; deux grosses pierres avaient<br />

étéé plantées verticalement, l'une au milieu du thorax, l'autre<br />

àà la base du bassin, comme pour fixer le corps dans la<br />

(1)) BARDON et BOUYSSONIE, L'A., t. XXIV, 1913 p. 629 et 030<br />

(2)) MASCIIKA, L'A., t. XII, 1901, p. 148.<br />

Jm K ' I HlvlfcRE > De l'MJUquilé de l'homme dans les Alpes Maritimes, Pari»,<br />

loii,, p. 131.<br />

(4)) Grim., t. Il, p. 23 et 262.


LELE CULTE DES MORTS<br />

1777<br />

fossee » (i). La tête de la vieille femme négroïde se trouvait<br />

entree deux blocs latéraux et une dalle horizontale qui reposait<br />

surr les autres à la façon d'une<br />

tablee de dolmen. Ces pierres<br />

avaientt été rapprochées assez<br />

soigneusementt pour former un<br />

petitt caisson hermétique, car il<br />

étaitt vide de terre au moment<br />

dee la découverte. Il devait<br />

existerr en outre une pierre de<br />

chevet,, mais elle n'a pas été<br />

vuee en place par le chanoine<br />

dee Villeneuve (2). A la Barma<br />

Grande,, le squelette découvert<br />

parr Julien était surmonté d'un<br />

blocc de pierre volumineux qui<br />

venaitt buter par une de ses extrémitéss<br />

contre la paroi, formantt<br />

ainsi une sorte de tombe;<br />

ill était couché sur un lit de<br />

pierress et sa tête était coincée<br />

entree deux grosses pierres (3).<br />

L'hommee trouvé par Abbo audessuss<br />

et en arrière de la sépulturee<br />

triple était recouvert en<br />

partiee par trois dalles calcaires.<br />

Deuxx d'entre elles, placées, l'une<br />

au-dessuss des jambes, l'autre<br />

au-dessuss des cuisses et de la<br />

partiee inférieure du tronc, reposaientt<br />

directement sur le sol;<br />

laa troisième, de forme irrégulièrementt<br />

triangulaire, mesurantt<br />

70 centimètres sur 66, et<br />

Fig.. 103. — Sépultures amignacienness<br />

de Solulré (S.-ct-L.)<br />

(d'aprèss DEPÉKI:T,ARCEUN et MAYET).<br />

(1)) Ibicl., p. 277. (2)) lhid., p. 23. (i)(i) Ibld., p. 22.


1788 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

quii s'étendait sur la partie supérieure du tronc et la tête,<br />

s'appuyaitt sur trois autres blocs de calcaire de 25 à 35 centimètress<br />

de diamètre (i).<br />

Chacunn des trois squelettes aurig-naciens (une femme et<br />

deuxx hommes) découverts à Solutré en 1923 avait sur les<br />

côtéss de la tête deux dalles calcaires, empruntées à la roche<br />

dee Solutré, hautes en moyenne de 5o centimètres et placées<br />

verticalement,.. Elles ne descendaient pas jusqu'au niveau de<br />

laa tête et sont considérées par les inventeurs comme de<br />

simpless repères des sépultures. Des deux squelettes découvertss<br />

en 1924, celui de femme n'avait aucune dalle; celui<br />

d'hommee était accompagné de trois dalles dressées, une de<br />

chaquee côté de la tête et une troisième, perpendiculaire aux<br />

deuxx autres, en arrière du crâne. Les cinq squelettes étaient<br />

enn rigoureux alignement Est-Ouest, les pieds à l'Est,<br />

chacunn séparé du suivant par un intervalle sensiblement<br />

égall à la longueur d'un corps humain (fîg-. io3) (2).<br />

Lee squelette de la Klause était enclavé entre des rochers<br />

tombéss du plafond qui avaient été légèrement aménagés pour<br />

luii faire place; au-dessus et au-dessous de la tête se trouvaitt<br />

un grand amas de fragments de défenses de Mammouth<br />

transforméss en brèche, peut-être en relation avec le dépôt<br />

funérairee (3). Une grosse pierre avait été placée en arrière<br />

delàà tête du squelette des Hoteaux (4). Le dessin publié de<br />

laa découverte du squelette de la grotte Duruthy ligure plusieurss<br />

blocs posés sur le crâne.<br />

Outree l'existence de fosses ou de tombes rudimentaires,<br />

onn peut encore considérer comme l'indice, sinon d'un culte,<br />

duu moins d'un respect des morts, l'intégrité de bon nombre<br />

dess squelettes retrouvés. Des cadavres simplement abandonnéss<br />

sur le sol, ou même ensevelis superficiellement<br />

commee l'exigeaient les instruments rudimentaires dont on<br />

(1)) R. VERNEAU, L'Homme de la Barma Grande, Baoussé-Houssé, 1908, p. 101.<br />

(2)) La Nature, n" du 3 novembre 1923 et du 14 lévrier 19*5<br />

(3)) L'A., t. XXV, 1914, p. 2G1-202.<br />

(4)) Grim., t. II, p. 308.


LELE CULTE DES MORTS • 179<br />

disposaitt à celte époque, offraient une proie facile aux carnassiers,,<br />

notamment aux Hyènes, et en fait divers indices<br />

ontont donné à penser qu'à Grimaldi les sépultures de la femme<br />

découvertee par Villeneuve dans la grotte des Enfants et de<br />

l'hommee trouvé à 3 m. go de profondeur au Baousso da<br />

Torree avaient été bouleversées par ces animaux. Les cadavress<br />

dont les squelettes ont été retrouvés intacts ont donc<br />

dûû être protégés contre les atteintes des carnassiers qui<br />

rôdaientt aux alentours par une occupation humaine des<br />

lieuxx où ils se trouvaient, occupation dont témoignent en<br />

outree les restes archéologiques retrouvés aux mêmes<br />

endroits.. Il y avait donc, au moins dans certains cas, cohabitation,,<br />

si l'on peut dire, des morts et des vivants, et ceuxcii<br />

devaient être incommodés par ceux-là, tout au moins,<br />

sanss parler de leur odeur, par la place qu'ils occupaient<br />

danss les abris. Si donc ces cadavres gênants n'ont pas été<br />

déplacés,, c'est sans doute que quelque motif antagoniste<br />

poussaitt les survivants à n'y pas toucher.<br />

Ett ces cadavres conservés dans l'abri étaient exposés à<br />

d'autress dommages que les atteintes des carnassiers, qui cessaientt<br />

lorsque la putréfaction était assez avancée. Précisémentt<br />

à partir de ce moment, les ossements, que les chairs ne<br />

reliaientt plus entre eux, auraient été dispersés par le va-etvientt<br />

des occupants de l'abri, si ceux-ci ne s'en étaient pas<br />

écartés.. Or, pour les deux cadavres de la Ferrassie, qui ne<br />

semblentt pas avoir été recouverts de terre, les ossements ont<br />

étéé retrouvés dans leurs connexions anatomiques. Le squelettee<br />

d'homme était intact, à part plusieurs phalanges de la<br />

mainn et du pied droit, qui avaient été dérangées et replacées<br />

surr la poitrine. Pour le cadavre féminin, seule la partie<br />

inférieuree du squelette était intacte; le thorax et l'épaule<br />

gauchee avaient disparu ; le crâne avait été brisé et éparpillé<br />

(maxillairee inférieur en contact avec le genou gauche, fragmentt<br />

du temporal droit près du coude); mais les dégâts de la<br />

partiee supérieure du squelette s'expliquent par la position du<br />

cadavre,, qui était, non horizontale, mais oblique, la partie


1800 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

supérieuree légèrement surélevée (i); par suite, lorsqu'au<br />

boutt d'un certain temps, le cadavre s'était trouvé recouvert<br />

parr la terre ou les débris résultant de l'occupation de la<br />

caverne,, la partie supérieure du corps, moins protégée par<br />

cee revêtement accidentel, avait été endommagée par le va-etvientt<br />

des occupants. Il semble donc que, pendant un certainn<br />

temps, les cadavres aient été respectés, au moins matériellement,,<br />

par les survivants.<br />

Onn peut encore considérer comme l'indice d'un certain<br />

respectt des cadavres aux temps paléolithiques le fait que<br />

nombree de squelettes retrouvés dans les fouilles étaient<br />

accompagnéss de parures, que nous avons décrites en<br />

détaill (2). Assurément celles-ci n'avaient en elles-mêmes<br />

rienn de spécifiquement funéraire : elles avaient sans doute<br />

appartenuu au défunt ; il avait dû les porter pendant sa vie,<br />

toutt au moins dans certaines circonstances solennelles, et<br />

peut-êtree d'une façon continue, car, bijoux ou amulettes, ils<br />

représentaientt une propriété, on pourrait dire toute sa fortune,,<br />

qui n'était nulle part aussi en sûreté que sur lui. Nous<br />

n'avonss donc aucun moyen de savoir, pour les cadavres qui<br />

n'ontt pas été l'objet d'une sépulture proprement dite, si les<br />

paruress leur ont été ajoutées après la mort comme suprême<br />

toilette,, ou s'ils ont été abandonnés par les survivants dans<br />

lee costume qu'ils portaient au moment de leur mort. Toutefois,,<br />

même dans cette hypothèse, il faut remarquer que cette<br />

parure,, qui représentait une richesse notable, ne leur avait<br />

pass été enlevée, ce qui prouve tout au moins que le cadavre<br />

avaitt protégé la parure, l'avait en quelque sorte rendue<br />

tabouu et avait par suite inspiré aux survivants une sorte de<br />

respect..<br />

Outree la parure qu'ils portaient, un certain nombre de<br />

cadavress étaient accompagnés d'un rudiment de mobilier<br />

funérairee qui semble avoir été placé à côté d'eux pour les<br />

accompagnerr dans leur vie posthume. Dès l'époque moustié-<br />

(1)) BREUIL, L'A., t. XXXI, 1921, p. 343-344<br />

(2)) Cf. ci-dessus, p. 51-55.


LELE CULTE DES MORTS 181<br />

rienn ne, on signale au Moustier de grands os et des silex<br />

remarquablementt taillés, notamment, à côté du bras gauche<br />

duu squelette, un coup de poing- et un racloir. Les squelettes<br />

dee la Ferrassie étaient recouverts de silex moustiériens d'une<br />

dimensionn et d'un travail tout à t'ait exceptionnels, nullement<br />

brûlés,, malgré leur présence au milieu de la cendre noire (i).<br />

AA la Chapelle-aux-Saints surtout, des traces assez caractériséess<br />

de mobilier funéraire ont été relevées au voisinage du<br />

squelette,, soit dans la fosse même qui le contenait, soit sur<br />

lee sol à ses abords immédiats. Dans la fosse, outre les silex<br />

recueilliss par un ouvrier qui y avait fouillé à l'insu des<br />

inventeurss et qui sont parmi les plus beaux de l'abri, les<br />

inventeurss signalent des éclats divers de silex de couleurs<br />

variées,, de quartz, de cristal de roche, plus ou moins retouchéss<br />

(en particulier, de beaux racloirs et un grattoir), quelquess<br />

fragments de grès très ferrugineux, mais non de l'ocre<br />

proprementt dite, un petit galet arrondi et plat. A côté de la<br />

fosse,, on a recueilli, du côté des pieds du squelette, un assez<br />

grandd nombre d'objets, notamment un beau racloir en<br />

silexx noir; du côté de la tête, des silex bien travaillés et des<br />

éclatss de quartz. On a trouvé également sur la droite, à<br />

proximitéproximité de la main, une patte de Bœuf avec les os dans<br />

leurss connexions anatomiques; en arrière, une portion<br />

notablee de colonne vertébrale de Renne, également en connexion,,<br />

et de nombreux os dispersés (surtout de gros fragments)..<br />

Il semble donc très vraisemblable qu'on avait déposé<br />

àà la portée du défunt des outils pour son usage et des pièces<br />

dee venaison pour sa nourriture (2).<br />

AA Grimaldi, dans la sépulture des négroïdes de la grotte<br />

dess Enfants, sans parler d'une dizaines de lamelles de silex<br />

quii n'avaient probablement pas été déposées intentionnellement,,<br />

on a trouvé une pastille de pierre bleue à gauche sur<br />

lee front de la vieille femme, un autre peut disque ou galet<br />

enn serpentine non perforé entre les deux têtes ; dans les<br />

(1)) BHEUIL, VA., t. XXXI, 1921. P-344.<br />

(2)) L'A., t. XXIV, 1913, p. 630-632.


1822 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

terres,, sur le bras droit du jeune homme une lame de silex,<br />

prèss du bassin et à la main gauche de la vieille femme deux<br />

petitss grattoirs (i). Le squelette d'homme trouvé dans la<br />

mêmee grotte à 7 m. i5 de profondeur avait une plaquette<br />

dee grès, rougie par le peroxyde de fer, « posée comme un<br />

nimbee » en arrière du crâne; à côté, une cheville de bois de<br />

Cerff en partie détériorée, une lame de silex; sous la tête, une<br />

pointee avec encoche naturelle et base taillée en foi me de<br />

grattoir;; aux pieds, une petite pointe; une autre à arête<br />

médianee entre le rocher et la cuisse droite ; un peu plus bas,<br />

unn éclat sans apparence de retouche ; au-dessous et en arrière<br />

dee la tête un burin (les instruments de silex pourraient<br />

n'avoirr pas été placés intentionnellement dans la sépulture<br />

ett s'être trouvés antérieurement dans le dépôt) (2). Le squelettee<br />

féminin découvert par Villeneuve à 1 ni. 90 environ de<br />

profondeurr était recouvert d'os animaux, de mâchoires de<br />

Sanglierr et de quelques éclats de silex. Il avait sous la tête<br />

unn galet blanc avec traces de couleur rouge et était littéralementt<br />

enseveli dans un lit de coquilles de Trochus, qui, non<br />

percées,, ne devaient pas faire partie d'objets de parure et qui<br />

see trouvaient, non seulement dans la terre au voisinage du<br />

cadavre,, mais aussi au milieu des ossements (3).<br />

AA la Barma Grande, l'homme découvert par Julien avait<br />

unn grand éclat de silex sous la tête et deux autres vers les<br />

épaules,, « comme des épauleltes » (4). Un assez gros morceauu<br />

de gypse se trouvait près de la main gauche de<br />

l'hommee qui gisait un peu en avant du sujet carbonisé, la<br />

têtee tournée vers l'entrée de la grotte (5). Dans la sépulture<br />

triple,, on a trouvé au niveau de la main gauche de l'homme<br />

unee fort belle lame de silex de 23 centimètres de long sur<br />

prèss de 5 centimètres de largeur maxima et dont l'une des<br />

extrémitéss était retouchée en grattoir. La femme avait dans<br />

(i;; Grim., t. II, p. 2G0 et pi. XXI et XXII.<br />

(2)) Ibid., p. 29-3U et 202 et pi. XXII<br />

(3)) Ibid., p. 31 et 278.<br />

{i){i) Ibid., p. 298.<br />

(5)) Ibid., p. 32.


LELE CULTE DES MORTS 183<br />

laa main gauche une mag-nifique lame de silex de 26 centimètress<br />

de long- sur 5 centimètres et demi de larg-e ; sa tête reposaitt<br />

sur un fémur de Bœuf, dont les condyles dépassaient en<br />

avantt du frontal. La tête du jeune homme reposait sur une<br />

grandee lame de silex mesurant 17 centimètres sur près de<br />

55 centimètres et dont l'extrémité la plus épaisse était retouchéee<br />

en forme de grattoir (1).<br />

L'hommee du Cavillon avait deux lames de silex triangulairess<br />

appliquées contre l'occiput ; dans le voisinag-e du corps<br />

see trouvaient des pointes à base fendue du type d'Aurignac,<br />

d'autress pointes, un métacarpien de Cheval, entier, perforé<br />

d'unn gros trou. Au Baousso da Torre, l'homme trouvé en<br />

pleinn foyer à 3 m. 75 de profondeur avait en travers de<br />

l'épinee scapulaire gauche une superbe lame de silex et<br />

prèss de la main un grand galet rougi par le fer oligiste.<br />

L'hommee au squelette bouleversé avait entre le bras gauche<br />

ett le thorax plusieurs pointes en os, dont une à base fendue<br />

duu type d'Aurignac (2).<br />

AA côté du squelette de Paviland se trouvait une tête entière<br />

dee Mammouth, encore armée de ses défenses. Près de la<br />

cuisse,, à l'endroit ordinaire de nos poches, et noyées dans<br />

laa couleur rouge, se trouvaient deux poignées de petites<br />

coquilless {Nerita littoralis) ; près de la poitrine, 4o à<br />

5oo morceaux de baguettes rondes en ivoire, dont une seule<br />

étaitt complète et avait environ 10 centimètres de long (3).<br />

AA Gro-Magnon, on recueillit au milieu des ossements des<br />

pendeloquess en ivoire, des bois de Renne travaillés et des<br />

silexx taillés (4).<br />

Avecc le squelette de Brno dont nous avons déjà signalé la<br />

paruree on a trouvé de grands disques en pierre perforés, de<br />

petitss disques gravés sur leur pourtour, trois disques pleins en<br />

côtess de Rhinocéros ou de Mammouth, trois autres découpés<br />

danss des molaires de Mammouth, enfin la célèbre statuette<br />

(1)) Ibid.,p. 33-34.<br />

(2)) Ibid., p. 31 et 298.<br />

(3)) Ibid., p. 304.<br />

(4)) Ibid., p. 304; Reliquise Aquitanicae, p. 70.


1844 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

enn ivoire représentant un personnage sans doute masculin et<br />

dontt il ne subsiste plus que la tète, le torse et le bras gauche<br />

(fig-.. io4); immédiatement au-dessus du squelette se trouvaientt<br />

une défense et une omoplate de Mammouth (i).<br />

Unn squelette solutréen découvert à Solutré par l'abbé<br />

Ducrostt avait sous la main droite deux grandes feuilles de<br />

SB--<br />

Fig.. 104. — Mobilier funéraire de la sépulture de Brno (Moravie).<br />

AA gauche, statuette humaine en ivoire, de face et de profil. Echelle : 1/3 (d'après<br />

MAKOWSKY).. A droite, rondelles (de haut en bas : en molaire de Mammouth,<br />

ivoire,, grès rouge et quartzite). Echelle : 3/5 (d'après BREUIL).<br />

laurier,, un grand nombre de plus petites et une valve de<br />

PectenPecten Jacobaeus percée d'un trou près de la charnière; il<br />

étaitt également accompag-né de deux grossières statuettes,<br />

bienn connues, taillées dans des fragments de molasse et figurantt<br />

des Rennes (2).<br />

(1)) OBERMAIER, Der Mensch der Vorzeit, p. 208. — DÉCHBLBTTE, Manuel, p. 285.<br />

—— BBKIUL, L'A., 192i, p. 54'.)-551.<br />

(2)) DUCROST et LORTET, Station préhist. de Solutré, Archives du Muséum d'Hist.<br />

nat.nat. de Lyon, t. I, 1872, p. 11; pi. VII, n" 8 et pi. V, n" 7, 8, 12 et 13.<br />

—— Rép., p. 178.


LELE CULTE DES MORTS 185<br />

Less deux squelettes d'Obercassel étaient accompagnés de<br />

quelquess os gravés. Le squelette des Hoteaux était accompagnéé<br />

de silex taillés et d'un « bâton de commandement »<br />

d'âgee magdalénien (i).<br />

Less objets industriels retrouvés dans le voisinage immédiatt<br />

des cadavres pourraient à la rigueur être considérés non<br />

commee déposés intentionnellement auprès d'eux, mais comme<br />

perduss fortuitement par les contemporains, au même titre<br />

quee les pièces découvertes dans les couches archéologiques.<br />

Maiss il est impossible de considérer comme accidentelle la<br />

présencee de l'ocre rouge (argile colorée par du fer oligiste ou<br />

peroxydee de fer) dont avait été saupoudrée en nombre de<br />

cass la région occupée par les cadavres, et qui a laissé ses<br />

tracess colorantes sur les squelettes et sur les objets environnants..<br />

A Grimaldi, la fosse de la sépulture triple de la Barma<br />

Grandee avait reçu un lit de terre rouge contenant une<br />

grandee quantité de fer oligiste; le crâne du squelette découvertt<br />

par Julien dans la même grotte était « dans un lit de<br />

terree rouge » et avait « comme une épaisse calotte d'ocre<br />

rougee » (2). Les os de l'homme du Gavillon, ainsi que la<br />

paruree qui l'accompagnait, étaient très saupoudrés de poudre<br />

rouge;; la même matière avait été déposée au devant de la<br />

bouchee et des fosses nasales dans une' sorte de sillon intentionnell<br />

de 18 centimètres de longueur, 4 centimètres de lar-<br />

•geurr et 3 cm. 1/2 de profondeur (3). Au Baousso da ïorre,<br />

lee squelette trouvé à 3 m. 70 de profondeur était saupoudré<br />

dee fer oligiste; l'homme placé sur un foyer à 3 m. 90 était<br />

couvertt d'une couche d'oxyde de fer assez forte pour que,<br />

danss certaines cavités osseuses naturelles, la cavité coronoïde<br />

dee l'humérus par exemple, elle atteignît près de 1 centimètre<br />

d'épaisseur,, comblant celle-ci entièrement (4)- Dans la grotte<br />

dess Entants, la parure de l'homme trouvé dans un foyer à<br />

77 m. i5 de profondeur et la plaquette de grès sur laquelle<br />

(1)) BOULE, Les hommes fossiles, 2- édiL.p. 269-270. - Bëp., p. 95, n«l.<br />

(t)(t) Grim., t. II, p. 299.<br />

(3)) lbid.,p. 298; RIVIÈRE, De l'antiq. de Th. dans les A. M., p. 131.<br />

(4)) (irira., t. II, p. 302.


1866 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

reposaitt sa tête étaient roug-ies par le peroxyde de fer. La<br />

sépulturee des négroïdes contenait de la poudre roug-e dans le<br />

blocag-e,, autour de la tête et par places sur le squelette du<br />

jeunee homme; par contre,la vieille femme de la même sépulturee<br />

ne présentait aucune trace rouge, sauf sur ses deux<br />

bracelets;; mais là, celle couleur devait provenir du peroxyde<br />

dee fer répandu sur le jeune homme (i).<br />

Lee cadavre de Paviland avait été saupoudré d'oxyde de<br />

ferr qui teignait la terre et le mobilier funéraire et en quelquess<br />

endroits formait couche à la surface des ossements (2);<br />

c'estt à cette particularité qu'est dû son nom de Dame<br />

roug-ee (lied Ladij) (le cadavre est d'ailleurs probablement<br />

masculin)..<br />

Lee squelette et quelques objets de la sépulture de Brno<br />

étaientt partiellement teintés de rouge (3). A Cro-Magnon, le<br />

crânee et le fémur du vieillard étaient rougis au contact de<br />

fragmentss d'hématile, onctueux au toucher, qui les avoisinaient;;<br />

la coloration est encore visible sur ceux des os (conservéss<br />

au Muséum de Paris) qui n'ont pas été lavés (4). Le<br />

squelettee de la Klause était complètement entouré d'une<br />

grandee masse de poudre rouge (5). A Chancelade, une<br />

couchee de peroxyde de fer répandue sur tout le squelette<br />

avaitt coloré les ossements d'une teinte rouge brique et sur<br />

certainss points violacée. « Cette couche ocreuse, ajoute<br />

Hardy,, n'était pas limitée à la sépulture et se trouvait, sur<br />

toutt le même horizon, dans toute l'étendue de la station;<br />

maiss le peroxyde de fer était en plus grande abondance<br />

auprèss du squelette humain et il n'est pas impossible que<br />

danss l'une des inondations dont la station gardait les traces,<br />

cee fer dilué se soit répandu un peu partout » (6). Le squelettee<br />

des Hoteaux était enveloppé d'ocre rouge, mélangée en<br />

(1)) lbid., p. 41 et 2G0-2C2.<br />

(2)) lbid., p. 304.<br />

(3)) BOULE, Les hommes fossiles, p. 2G8<br />

(4)) Grim., t. II. p. 304; Altam., p. 120<br />

(5)) VA., t. XXV, 1914, p. 261-262.<br />

(0)) HARDY, La station quaternaire de Raymonden, Paris, Leroux, 1891, p. 50


LELE CULTE DES MORTS 187<br />

petitess proportions avec de la terre ou de l'argile. Cette<br />

matière,, répartie inég-alement, formait de véritables plaques<br />

autourr de la tète, des vertèbres et des côtes. Les autres<br />

ossementss en étaients imprégnés et au-dessous du terreau<br />

noirr qui les recouvrait, on apercevait l'ocre rouge (i). Le<br />

squelettee d'homme et le squelette de femme découverts dans<br />

unn foyer à Obercassel avaient les os colorés en rouge (2).<br />

Immédiatementt au-dessus du squelette de la grotte Darutny,<br />

laa terre était extrêmement rouge.<br />

Dee ce qui précède il résulte, d'une façon purement objective,,<br />

sans hypothèse ni interprétation, que divers cadavres<br />

paléolithiquess ont été déposés dans des fosses, entourés ou<br />

recouvertss de pierres, ornés de parures et vraisemblablementt<br />

accompagnés d'un mobilier funéraire, couchés sur un<br />

litt d'ocre rouge et recouverts de la même substance. On a<br />

relevéé également des indices de pratiques plus particulières,<br />

maiss à litre plus ou moins exceptionnel et parfois problématique..<br />

Nous allons les passer brièvement en revue.<br />

Laa pratique de déposer le mobilier funéraire non dans la<br />

tombee même, mais dans une cachette distincte établie dans<br />

sonn voisinage, qui a été constatée notamment dans le monde<br />

égéenn aux âges du Cuivre et du Bronze, semble avoir existé<br />

déjàà chez les Paléolithiques. Il est au moins troublant de<br />

constaterr que des cachettes d'objets mobiliers ont été découvertess<br />

dans des grottes qui ont fourni également des sépultures..<br />

La plus remarquable de ces cachettes est celle qui a<br />

étéé fouillée en 1873 par E. Rivière dans la grotte du Cavillon<br />

quii lui avait livré l'année précédente « l'Homme de Menton ».<br />

Ellee contenait près de 8.000 (exactement 7.868) coquillages<br />

marinss dont environ un dixième (857) étaient percés. L'espècee<br />

dominante était Nassa neritea ; il y avait également<br />

diversess espèces de Cyprées, soit méditerranéennes, soit<br />

océaniquess (Cypraea europaea, C. lurida, C. phifsis,<br />

C.pyrum,C.pyrum, C./usca). Dans la même cachette se trouvaient<br />

(1)) TOURNIER et GUILLON, Les hommes préhistor. dans l'Ain, Bourg, 1895, p. 01.<br />

(2)) BOULE, Les hommes fossiles, p. 274.


1888 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

égalementt 4o petites vertèbres de poissons du genre Salmo,<br />

dontdont la moitié (26) percées au centre. Il est à noter, ce qui<br />

tendraitt à accentuer le rôle funéraire de ces objets de parure<br />

éventuels,, que « coquillages et vertèbres étaient tous recouvertss<br />

d'une couche de peroxyde de fer qui leur donnait une<br />

teintee rouge très prononcée et de ci de là un reflet métalliquee<br />

plus ou moins brillant de fer oligisle » (1).<br />

Déjàà pour l'époque moustiérienne, on a rencontré à la<br />

Ferrassie,, tout près et en avant des sépultures des deux<br />

enfants,, une fosse incontestable de 35 centimètres de profondeurr<br />

et à bords assez abrupts, qui contenait uniquement<br />

dee la cendre et de gros os appartenant surtout au Bœuf (2).<br />

Ill ne serait pas impossible qu'il y eût là un dépôt funéraire<br />

enn relation avec la sépulture. Il en serait de même d'une<br />

petitee excavation qui se trouvait à la Chapelle-aux-Saints, à<br />

Tentréee même de la grotte, soit à environ 4 mètres de la<br />

fossee funéraire, et qui contenait, cachées sous de gros blocs<br />

dee pierre, une corne de Bison accompagnée de gros os<br />

appartenantt notamment au crâne et à la colonne vertébrale<br />

(apophysess épineuses énormes), et au-dessous une jolie<br />

pointee en silex(3). La corne de Bison de la Chapelle-aux-<br />

Saintss rappelle d'une part la défense de Mammouth trouvée<br />

immédiatementt au-dessus du squelette de Brno et la tête de<br />

Mammouthh avec ses défenses qui accompagnait la « Dame<br />

rougee » de Paviland (4), d'autre part le bas-relief de Laussel,<br />

oùù une femme tient une corne dans la main droite (fig. 9).<br />

111 semblerait que les cornes et les défenses, c'est-à-dire les<br />

armess pointues de grosses bêtes, aient joué, pour une raison<br />

quii nous échappe, un rôle dans les rites funéraires et plus<br />

généralementt dans les croyances paléolithiques.<br />

Less inventeurs de la sépulture de la Chapelle-aux-Sainls<br />

1)) K. RIVIÈRE, Bull. Soc. (CAnlhropol.de Varis, 1903, p. 2(0 et bail. Soc.<br />

préhist.préhist. Fr.. t. I, 1904, p. 86.<br />

(2)) L'A., t. XXIV, 1913, p. 633; 13REUIL, L'A., t. XXXI, 1921, p. 344<br />

(3)) VA., t. XXIV, 1913, p. 033.<br />

(4)) La défense de Mammouth trouvée à Cro-Magnon n'a aucune relation avec les<br />

squelettess humains; fille était située 2 in. plus bas et 4 m. en avant, et séparée d'eux<br />

parr plusieurs étages de foyers (Fteliq. aquit., fig. 41 et 43;.


LELE CULTE DES MORTS 189<br />

ontt cru y trouver des traces d'un repas funéraire; mais leurs<br />

constatationss mêmes nous paraissent rendre leur conjecture<br />

peuu solide. En effet, ils ont trouvé dans cette grotte des os<br />

dee Renne appartenant à 22 individus au moins, de Bovidés<br />

(Bisonn et peut-être Bos primigenius, une douzaine d'individus))<br />

et de Cheval (deux ou trois individus) ( 1). Les quartierss<br />

de viande correspondant à cette quantité d'ossements<br />

n'ontt très vraisemblablement pas pu être consommés dans<br />

unn repas unique, quelque appétit que l'on accorde aux<br />

chasseurss moustiériens; d'autre part, étant donné le nombre<br />

minimumm des bêtes auxquelles appartenaient les ossements<br />

retrouvés,, et dont chacune a exig-é au moins un chasseur,<br />

sinonn pour la tuer et la dépecer sur le terrain de chasse, du<br />

moinss pour en rapporter dans l'abri les morceaux de choix,<br />

ill semble difficile d'admettre qu'une telle quantité de gibier<br />

ett de chasseurs se soit trouvée réunie le même jour. Il<br />

semblee donc, comme le disent eux-mêmes les inventeurs,<br />

quee des repas nombreux ou tout au moins multiples aient<br />

étéé pris dans l'abri (2) ; et comme il n'y a été trouvé qu'un<br />

seull cadavre, il est impossible de distinguer des autres repas<br />

celuii qui, par hypothèse, aurait accompagné ses funérailles.<br />

Pass davantage ne semble établie pour l'époque paléolithiquee<br />

la pratiqué du bris rituel des objets constituant le<br />

mobilierr funéraire. Une statuette de Renne trouvée par<br />

Ducrostt dans une sépulture solutréenne de Solutré n'avait<br />

pluss de tète; mais rien ne prouve que la fracture fût volontaire,,<br />

d'autant plus qu'une autre sculpture de même provenancee<br />

n'a jamais eu de tête. Deux sculptures magdaléniennes<br />

dee quadrupèdes en bois de Renne découvertes à Enlène par<br />

lee comte Begouen (fig-. /t8) (3) portent des traces manifestes de<br />

mutilationn intentionnelle. Malheureusement on n'a retrouvé à<br />

Enlènee aucune trace de sépulture, de sorte que si la fracture<br />

volontairee des objets semble bien incontestable, la destina-<br />

(1)) L'A., t. XXIY, 1913, p. 627.<br />

12)12) Ibid., p. 632.<br />

(3)) BEGOUEN, L'A., t. XXIII, 1912, p. 292-293 et 300-301. - Itep.. p. 03, a" 3-F.


1900 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

tionn funéraire de cette opération reste ici problématique.<br />

Less explorateurs de la Chapelle-aux-Saints ont, de leur côté,<br />

relevéé le fait que parmi les pointes en silex qu'ils ont trouvéess<br />

dans celte grotte, et ici au voisinage d'une sépulture,<br />

bonn nombre (3o pointes et 12 bouts) étaient brisées près de<br />

leurr extrémité pointue. Nous sommes pleinement d'accord<br />

avecc les inventeurs (1) pour considérer ces pointes non<br />

commee des armes (pointes de flèches ou de dards), mais<br />

commee des ustensiles de table destinés à fendre les os longs<br />

pourr en extraire la moelle, au même titre que l'un des rôles<br />

dess racloirs était de détacher la chair des os comme nous<br />

faisonss avec nos couteaux. Mais comme il y a eu à la Cliapelle-aux-Saintss<br />

des repas, qu'ils aient eu ou non une significationn<br />

funéraire, ces repas suffisent à expliquer la fracture<br />

dess pointes de silex, leur extrémité s'étant brisée dans l'os<br />

qu'elless servaient à fendre pendant qu'on faisait levier avec l'autree<br />

bout pour cette opération. Rien n'autorise donc à croire<br />

quee ces pointes aient été brisées exprès à l'intention du mort.<br />

L'incinérationn ne paraît pas avoir été pratiquée à l'époque<br />

paléolithique.. Les brûlures superficielles et irrégulières remarquéess<br />

sur certains squelettes de Grimaldi résultent de ce que<br />

less foyers sur lesquels ils ont été déposés étaient incomplètementt<br />

éleints; il en est probablement de même pour le<br />

squelettee carbonisé trouvé par Abbo à la Barma Grande sur<br />

unn foyer de 60 centimètres d'épaisseur : le cadavre aura été<br />

placéé sur ce foyer alors qu'il était encore ardent, sans que la<br />

combustionn des ossements ait été préméditée.<br />

Encoree problématique et contestée, mais selon nous fort<br />

vraisemblable,, est la pratique du décharnement présépulcral<br />

ouu sépulture en deux temps, dont l'existence aux temps<br />

paléolithiquess a été défendue notamment par Cartailhac{2).<br />

Onn doit, il est vrai, considérer comme inopérant l'argument<br />

tiréé du fait que dans deux squelettes, à Chancelade et au<br />

Baoussoo da Torre (l'homme à 3 m. yo de profondeur), cer-<br />

(1)) VA., t. XXIV, 1913, p. 816-618.<br />

(i)(i) Grim., t. II, p. 278, 298,299, 302, 303.


LELE CULTE DES MORTS 191<br />

tainess cavités osseuses naturelles, en particulier la cavité<br />

coronoïdee de l'humérus, étaient remplies de poudre rouge.<br />

L'ocree répandue sur les cadavres a été retenue dans ces<br />

cavitéss quand elle est venue à leur contact; mais y est-elle<br />

venuee au moment de l'ensevelissement d'un squelette<br />

décharnéé ou pour un cadavre non décharné après la putréfactionn<br />

des chairs, rien ne permet de le décider. L'examen<br />

dess objets provenant de la sépulture de Brno et du loess qui<br />

avoisinaitt le squelette a prouvé à Obermaier que la couleur<br />

rougee ne pouvait être considérée comme ayant été appliquée<br />

directementt sur les os décharnés, mais qu'elle était due à<br />

dess grains d'ocre répandus dans le sol et qui, se dissolvant<br />

auu contact des chairs lors de leur putréfaction, avaient teint<br />

less ossements et les objets voisins(i).<br />

Maiss un autre fait est déjà moins ambigu. Dans certains<br />

squelettes,, les ossements, plus ou moins incomplets, ne se<br />

trouvaientt plus dans leurs connexions anatomiques : tels<br />

étaientt notamment le squelette d'homme trouvé à 3 m. (jo<br />

dee profondeur au Baousso da Torre, la femme découverte par<br />

Villeneuvee dans la grotte des Enfants, et surtout le squelette<br />

dess Hoteaux, dont les deux fémurs étaient intervertis. Il est<br />

horss de doute que les os ont été placés par des Hommes dans<br />

unee position différente de celle qu'ils occupaient dans le<br />

cadavree immédiatement après la mort. On peut, il est vrai,<br />

admettree que le cadavre normalement inhumé a été plus<br />

tardd bouleversé soit par les carnassiers, soit même par des<br />

hommess qui s'étaient établis au-dessus de la sépulture, et<br />

ensuitee remis tant bien que mal en place.<br />

Maiss d'autres faits ne peuvent s'accommoder de cette<br />

explication.. Rivière a trouvé à la base de la grotte du<br />

Gavillonn un ensemble de trois ossements : un radius d'enfant<br />

briséé et deux os des pieds d'un homme, très fortement<br />

coloréss en rouge, ainsi qu'une série de coquillages, percés<br />

ouu non, semés au voisinage (2). Il semble bien qu'il y ait ici<br />

(1)) OBERMAIER., Der Mensch (1er Vorzeit, p. 298-299.<br />

(2)) Griin., t. II, p. 298.<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles. 13


1922 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

unn rite relatif à des ossements. Peut-être toutefois est-il<br />

légèrementt abusif de parler d'un rite funéraire, chaque<br />

individuu n'étant représenté que par un ou deux petits os. On<br />

songeraitt plutôt à une cachette d'amulettes; et peut-être<br />

est-cee de la même façon qu'il faudrait interpréter les nombreusess<br />

trouvailles d'ossements isolés, qui sont le plus souventt<br />

des mandibules ou des crânes. Une mention spéciale<br />

estt due aux crânes de la grotte du Placard (Solutréen supérieurr<br />

et Magdalénien ancien), qui portent des traces manifestess<br />

de décharnement intentionnel et que des retouches<br />

incontestabless ont transformés en coupes (i).<br />

Danss d'autres cas, qu'il est d'ailleurs assez malaisé de<br />

séparerr des précédents par une limite précise, il semble y<br />

avoirr eu réellement pratique funéraire. Dans la même grotte<br />

duu Placard, un crâne de femme entier (Magdalénien ancien),<br />

avecc son maxillaire, était placé sur un rocher, entouré de<br />

1700 coquilles d'espèces diverses, percées ou non (2). Au<br />

Pechh de l'Aze (Sarlat), un crâne d'enfant de 5 à 6 ans (moustiérien))<br />

était entouré d'ossements animaux brisés intentionnellementt<br />

(Dos, Cerf, Cheval, Renne peu abondant), de<br />

dentss et de nombreux racloirs et pointes bien retouchés (3).<br />

Unn squelette (moustiérien) aux membres inférieurs repliés,<br />

trouvéé en 1921 dans une fosse à la Ferrassie, avait son crâne<br />

privéé de face et de mâchoires placé à 1 m. 20 du corps (4)-<br />

Cess divers faits et d'autres moins nets donnent à penser que<br />

l'ensevelissementt (dans un sens très large) n'a pas été<br />

l'uniquee traitement appliqué par les paléolithiques à leurs<br />

morts;; en particulier, il semble y avoir eu inhumation ou<br />

expositionn de cadavres incomplets ou mutilés ou de parties<br />

restreintess du corps.<br />

Unee fois établies l'existence et, dans une certaine mesure,<br />

less modalités des pratiques funéraires, on peut se demander<br />

(1)) BREIIIL et OBERMAIER, L'A., t. XX, 1900, p 523 sa<br />

(!)/6id2111<br />

( ) , p 2 1 1 ..<br />

(3)) CAI'ITAN et PBÏRONY, Bull. Soc. anlhropol. de Paris, 1910, p. 48.<br />

(4)) CAPITAN et PEYRONY, Revue anlhropol., t. XXXI, 1921, p. 382-388.


LELE CULTE DES MORTS 193<br />

parr quels sentiments elles étaient inspirées et quelle conceptionn<br />

se faisaient de la mort les Hommes de ces âges lointains.<br />

Less soins rendus aux cadavres, dont la matérialité est<br />

établie,, s'adressent à un être qui n'a plus d'existence terrestree<br />

et impliquent par suite la croyance que le défunt<br />

conservee après sa mort une certaine existence. Cette vie<br />

posthumee paraît avoir été conçue comme semblable à la<br />

viee terrestre, soumise aux mêmes besoins auxquels il devait<br />

êtree pourvu par les mêmes procédés. Par là s'expliquent les<br />

paruress laissées aux morts, les mobiliers funéraires et, dans<br />

certainss cas, les provisions alimentaires (quartiers de<br />

venaisonn à la Chapelle-aux-Saints, monceau de Trochus<br />

accompag-nantt le squelette féminin de la grotte des Enfants).<br />

Onn a parfois tiré de l'attitude repliée ou ramassée (on<br />

devraitt bien renoncer à l'expression « attitude accroupie »,<br />

quii est tout à fait impropre pour des corps placés horizontalement))<br />

constatée pour divers cadavres des conclusions<br />

selonn nous abusives. Il est certain que la posture « en chien<br />

dee fusil » ressemble objectivement à celle du sommeil, surtoutt<br />

chez les primitifs; mais quand bien même elle aurait<br />

étéé donnée au cadavre pour symboliser l'analogie de la mort<br />

avecc le sommeil, cela ne nous apprendrait en rien si le<br />

sommeill mortel était considéré comme définitif ou simple<br />

mentt provisoire, suivi d'un réveil posthume. La disposition<br />

ramasséee a été également rapprochée de l'attitude du fœtus<br />

danss la vie intra-utérine, et l'on a voulu en conclure que la<br />

mortt était considérée comme la période initiale d'une vie<br />

nouvelle,, qui se préparait dans le sein de la « mère terre » (i).<br />

Maiss c'est là une conclusion arbitraire : il est très aventuré<br />

ett dans divers cas certainement erroné d'attribuer aux primitifss<br />

les connaissances sur l'attitude fœtale qui, en fait,<br />

mêmee dans notre civilisation occidentale, sont d'acquisition<br />

relativementt récente (2).<br />

Pourr les sentiments qui dictaient les soins donnés aux<br />

(1)) A. DIETEIUCH, Mutter Erde, Ein Versuch iiber Volksreligion, Leipzig, 1905.<br />

(8)) Cf. PLOSS-BARTELS, Das Weib, 8' édit., 1905, t. I, p. 824-831.


1944 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

cadavres,, une piété désintéressée telle qu'elle se rencontre<br />

chezz les civilisés actuels semble difficilement attribuable<br />

àà la rudesse de ces âges primitifs, et il semble infiniment<br />

pluss vraisemblable de considérer les pratiques funéraires<br />

commee dictées par des préoccupations utilitaires, et effectuéess<br />

bien moins dans l'intérêt des défunts que dans celui<br />

dess survivants. Les mesures prises envers les cadavres<br />

(fossess ou tombes) ont bien eu (et encore pas toujours) pour<br />

effett de les proléger contre les atteintes des fauves, mais il<br />

n'enn résulte pas que ce fût le but qu'on s'était proposé. Si,<br />

danss certains cas, on peut envisager comme explication de<br />

l'attitudee ramassée donnée aux cadavres déposés dans des<br />

fosses,, dont l'exécution exigeait un travail pénible avec<br />

l'outillagee rudimentaire du temps, le souci de réduire les<br />

dimensionss et par suite la difficulté de celles-ci, cette hypothèsee<br />

est inapplicable aux cadavres non déposés dans une<br />

fossee artificielle, et notamment au cadavre masculin de la<br />

Ferrassie,, placé dans une dépression naturelle qui se continuaitt<br />

en arrière et par suite aurait pu le contenir allongé;<br />

ett elle a contre elle la sépulture triple de la Barma Grande,<br />

oùù les cadavres étaient allongés, bien que placés dans une<br />

fossee artificielle.<br />

Dess cadavres repliés avaient, il est vrai, l'avantage de<br />

réduiree au minimum la place qu'ils occupaient dans l'abri et<br />

parr suite de les rendre moins encombrants pour les survivantss<br />

qui continuaient à l'occuper; mais, sans vouloir trop<br />

généraliserr en une matière où les faits sont extrêmement<br />

complexess et souvent discordants, il semble qu'au moins<br />

danss certains cas les survivants aient, comme les Veddas de<br />

Ceylan,, abandonné au mort l'abri où ils l'avaient enseveli,<br />

àà ce que donnent à penser les cadavres retrouvés sur des<br />

foyers,, qui par suite n'avaient plus été entretenus, et les<br />

épaissess couches stériles qui séparent certaines sépultures<br />

duu niveau archéologique supérieur.<br />

111 est donc douteux que, d'une façon générale, les pratiquess<br />

funéraires aient été dictées davantage par l'intérêt


LELE CULTE DES MORTS 195<br />

directementt utilitaire des survivants que par l'intérêt du<br />

défunt.. Il ne semble rester qu'une hypothèse, à savoir<br />

qu'elless aient eu pour objet de pourvoir de la façon la plus<br />

avantag-eusee pour les survivants aux relations que conservaientt<br />

avec eux les défunts ou leurs esprits.<br />

Ill reste extrêmement difficile de se prononcer sur les dispositionss<br />

prêtées à ces esprits. Se proposait-on simplement<br />

dee ne pas irriter des puissances sans mauvaises dispositions<br />

antérieuress en leur accordant des égards auxquels elles estimaientt<br />

avoir droit, ou voulait-on soit apaiser par des<br />

marquess de respect des puissances foncièrement malfaisantes,,<br />

soit les mettre matériellement hors d'état de nuire?<br />

Ill est bien difficile de choisir entre ces diverses conceptions,<br />

quii d'ailleurs se confondaient peut-être plus ou moins dans<br />

l'espritt des Paléolithiques, car l'ethnographie comparée nous<br />

présentee des conceptions différentes et même opposées,<br />

parfoiss juxtaposées dans un même milieu.<br />

Assurément,, dans des croyances qui subsistent jusque<br />

danss nos civilisations actuelles, les « revenants y, viennent<br />

exercerr des vengeances ou réclamer des soins posthumes<br />

dontt on ne s'était pas acquitté envers eux, et nous avons<br />

peinee à croire que la mort ait pu subitement modifier du tout<br />

auu tout les dispositions que les défunts avaient pendant leur<br />

viee pour leurs parents ou leurs amis : chez nous, les vivants<br />

prientt pour les morts et les morts pour les vivants. Mais il<br />

fautt se garder de transférer d'office nos propres conceptions<br />

auxx primitifs, et_, en se plaçant à leur point de vue, on comprendd<br />

sans peine que, selon eux, les morts, par le seul fait<br />

qu'ilss sont morts, prennent une attitude hostile envers les<br />

vivants,, même aimés pendant leur vie. D'une manière générale,,<br />

pour les primitifs, la mort comme la maladie est le<br />

résultatt d'une opération mag-ique, et les décès que nous<br />

considéronss comme produits par une cause naturelle sont<br />

attribuéss par eux à un acte de sorcellerie dont ils cherchent<br />

parr des procédés variés à découvrir les auteurs. Cela étant,<br />

onn comprend que les morts soient considérés comme ayant


1966 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

unee vengeance à exercer contre leurs meurtriers présumés,<br />

ett les survivants innocents peuvent craindre d'être victimes<br />

dee cette vengeance, ne fût-ce qu'en vertu de l'idée, égalementt<br />

fréquente, de responsabilité collective, dont on trouve<br />

unee survivance dans les vendettas corses. Il semble donc<br />

quee l'attitude essentielle envers les morts soit la crainte,<br />

ett que les pratiques funéraires soient, dans leur principe,<br />

dess mesures de protection contre eux. Les fosses et les<br />

tombess auraient été pour le mort non un abri, mais une<br />

prison,, et nous serions tenté de prendre à la lettre la<br />

remarquee du clianoine de Villeneuve que les pierres plantéess<br />

sur le cadavre féminin de la grotte des Enfants semblaientt<br />

avoir pour rôle de fixer le mort dans la fosse.<br />

Cettee interprétation nous semble confirmée par la dispositionn<br />

des cadavres. Pour les squelettes moustiériens de la<br />

Ferrassie,, celui de l'homme était étendu sur le dos, les<br />

jambess très ployées versées à droite, le bras gauche allongé<br />

lee long du flanc, le droit replié et relevé, la tête renversée<br />

enn arrière sur l'épaule droite fortement haussée, la bouche<br />

grandee ouverte à droite. La femme était couchée sur le<br />

flancc droit, les jambes très fortement repliées; l'avant-bras<br />

droitt fléchi s'appliquait le long de la cuisse, la main sur le<br />

genouu ; l'assemblage des jambes et de ce bras formait un<br />

N,, une distance de 16 centimètres seulement séparant<br />

l'épaulee du genou (i). A la Ghapelle-aux-Saints, le bras<br />

gauchee était étendu, mais le bras droit était probablement<br />

replié,, ramenant la main vers la tête ; les jambes aussi<br />

étaientt repliées et renversées vers la droite; elles étaient<br />

relevéess au point que les rotules se trouvaient à peu près<br />

auu niveau de la poitrine (2). Le squelette du Mouslier avait<br />

égalementt une attitude ramassée. La moitié droite de la<br />

têtee reposait sur l'avant-bras droit ; la main droite tenait la<br />

tête;; le bras gauche était étendu le long du corps (3). L'un<br />

(t)) BREUIL, VA., t. XXXI, 1921. p. 343-344.<br />

(2)) L'A., t. XXIV, 1913, p. 689-630.<br />

(3)) OBERMAIER, El Hombre fosil, 2' édit., p. 106.


LELE CULTE DES MORTS<br />

dess deux squelettes de Spy étaitcouchéé<br />

sur le côté, la main<br />

appuyéee contre la mâchoire<br />

inférieuree (i).<br />

AA Grimaldi, dans la grotte<br />

dess Enfants, les deux enfants<br />

découvertss par Rivière étaient<br />

couchéss sur le dos, avec les<br />

membress étendus et les coudess<br />

lég-èrement écartés du<br />

corpss (2). Des quatre squelettess<br />

rencontrés par Villeneuve,,<br />

la femme trouvée à<br />

11 m. 90 de profondeur et<br />

l'hommee à 7 m. o5 avaient<br />

touss deux la tête tournée à<br />

gauchee et les membres inférieurss<br />

allongés; mais tandis<br />

quee la femme (3) avait les<br />

membress supérieurs entièrementt<br />

allongés parallèlement<br />

auu corps, les avant-bras de<br />

l'hommee (%. io5) étaient<br />

trèss fortement fléchis, de sortee<br />

que les deux mains se<br />

trouvaientt au-devant du cou.<br />

Pourr les deux squelettes négroïdes,,<br />

celui du jeune hommee<br />

reposait légèrement sur<br />

lee côté droit. Son bras g-auche<br />

étaitt étendu le long du thorax<br />

ett l'extrémité inférieure de Fig.. 105. — Squelette masculin de<br />

sonn avant-bras se rapprochait laa grotte des Enfants.<br />

(Fouilless de VILLENEUVE) (d'après<br />

dee l'axe médian du corps, de<br />

VERNBAU)..<br />

(1)) DÉCHELETTE, Manuel, t. I, p. 280.<br />

(2)) HIVIÈRE, De l'Antiquité de l'homme dans les AIpes-Manlimes, pi. XIII.<br />

(3)) Grim., t. II, p. 27, fig-. 3.<br />

1977


1988 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

tellee façon que les phalanges de la main gauche ont été<br />

rencontréess sur l'os iliaque droit. Le membre supérieur<br />

opposéé se trouvait dans l'extension, mais il s'écartait quelquee<br />

peu du corps et gisait au-dessous de la colonne vertébrale<br />

ett du fémur de la vieille femme. Les fémurs étaient légèrementt<br />

fléchis et ramenés parallèlement du côté droit; les<br />

jambess étaient complètement ramenées sous les cuisses, au<br />

pointt que le talon gauche venait presque toucher la tubérositéé<br />

de l'ischion.<br />

Laa vieille femme était couchée à plat ventre à droite et<br />

au-dessuss du cadavre précédent; au moment de la découverte,,<br />

la face était dirigée verticalement en bas et la région<br />

occipitalee dirigée vers le haut. Les cuisses étaient fléchies au<br />

dernierr point, la droite appliquée le long de la colonne vertébrale,,<br />

la gauche longeant le thorax, de telle sorte que<br />

less genoux se trouvaient au niveau des articulations scapulo-humérales..<br />

Les jambes, à leur tour, étaient fortement<br />

fléchiess sons les cuisses, et les pieds revenaient vers le<br />

bassin.. Les avant-bras étaient repliés en haut, de façon que<br />

laa main gauche se trouvait au-dessus de l'omoplate. L'huméruss<br />

droit longeait la colonne vertébrale du jeune homme,<br />

lee coude s'écartanl un peu des côtes et la main venant s'appliquerr<br />

en avant du cou (fig. 106) (i).<br />

L'hommee du Cavillon était couché sur le côté gauche, les<br />

jambess assez fortement fléchies et les avant-bras repliés de<br />

façonn que les mains arrivaient au niveau du menton (fig. 107).<br />

AA la Barrna Grande, dans la sépulture triple, l'homme était<br />

allongéé sur le dos, la tête reposant sur le côté gauche; les<br />

membres,, aussi bien supérieurs qu'inférieurs, étaient e.oinplèlementt<br />

étendus; le bras gauche suivait une direction parai-;<br />

lèlee à l'axe du corps, le bras droit élail légèrement ramené<br />

danss le plan médian, de sorte que la main se trouvait enlre<br />

less deux fémurs. Les deux autres squelettes étaient couchés<br />

(1)) L'A. t. XIII, 1902, p. 566-5G7; Grim., t. II, p. 25-87 et 260. — Dans la figure<br />

quee nous reproduisons, la position de la lêle de la vieille femme a été inodiliée<br />

pourr montrer les caractères de la face; sa position au moment de la découverte est<br />

donnéee dans l'A., t. XIII, 190g, p. 567, Bg. 2 (VEIINEAU).


Fig.. 106. — Les deux squelettes de Négroïdes de la grotte des Enfants.<br />

(Muséee d'Anthropologie de Monaco)<br />

(d'aprèss VERNEAU).


2000 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

surr le côté gauche, avec les avant-bras fortement fléchis,<br />

less mains arrivant au niveau de la face. Les membres<br />

iR.. 107. — « L'Homme de Menton»<br />

(grottee du Cavillon).<br />

Photographiee prise sur place avant<br />

l'exhumationn (d'après RIVIÈRE).<br />

Fig.. 108.<br />

Sépulturee triple de la Barma Grande<br />

(d'aprèss VERNEAI;).<br />

inférieurss étaient étendus chez la femme, légèrement fléchis<br />

chezz le jeune homme (fig\ 108). Le squelette trouvé par Abbo<br />

unn peu plus haut que la sépulture triple et plus près du<br />

fondd de la grotte était dans le décubitus dorsal avec les


LELE CULTE DES MORTS 201<br />

membress inférieurs dans l'extension et les jambes croisées<br />

l'unee sur l'autre vers leur tiers inférieur. Les avant-bras<br />

étaientt fléchis, le gauche plus fortement que le droit. De ce<br />

dernierr côté, le bras était un peu écarlé du corps et la main<br />

venaitt s'appliquer sur la partie supérieure du thorax (i). Le<br />

squelettee découvert à côlé de celui-ci, bien qu'assez incom-<br />

Rg.. 109. — Squelette de Ghancelade (Dordogne)<br />

(d'aprèss HARDY et FÉAUX).<br />

plet,, permettait de reconnaître que les jambes avaient été<br />

relevéess dans la posture ramassée (2).<br />

L'' « Homme écrasé » de Laugerie-Basse était couché sur<br />

lee flanc gauche et ramassé sur lui-même, la main gauche<br />

souss le pariétal, la droite sur le cou, les coudes touchant à<br />

peuu près les genoux, un pied plus rapproché que l'autre du<br />

bassin.. Les os étaient en place; c'est à peine si l'on constataittait<br />

les résultats d'un très léger tassement des terres. La<br />

colonnee vertébrale était écrasée par l'angle d'un gros bloc et<br />

lee bassin était brisé (3). Le vieillard de Chancelade reposait<br />

(1)) Grim., t. II, p. 24-25 et p. 2G, fig. 2.<br />

(2)) OBERMAIEH, Der Mensch der Vorzeit, p. 189.<br />

(3)) CARTAILHAC, La France préhistorique, p. 110 et Bg. 4b.


LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

surr le côté gauche ; la tête était fortement inclinée en avant<br />

ett en bas ; la colonne vertébrale elle-même était incurvée en<br />

avantt de façon à revêtir dans son ensemble la forme d'un<br />

arcc à convexité dirigée en arrière. Les avant-bras étaient<br />

repliéss sur la poitrine et les mains se trouvaient reportées,<br />

laa gauche sur la face latérale gauche de la tête, la droite<br />

surr le côté gauche du maxillaire inférieur. Les membres<br />

inférieurss étaient, eux aussi, fortement fléchis, les pieds<br />

ramenéss à la hauteur des ischions et les genoux arrivant au<br />

contactt des arcades dentaires (fig. 109). L'espace occupé par<br />

lee squelette n'était que de 67 centimètres de long sur 4o de<br />

largee (1).<br />

Dee la comparaison de ces différents squelettes, en particulierr<br />

de ceux qui appartiennent à la région étroitement<br />

limitéee des Baoussé-Roussé, et notamment de ceux d'une<br />

mêmee grotte, il résulte que la disposition des cadavres n'était<br />

soumisee à aucune règle fixe. L'orientation du corps, relativementt<br />

soit aux points cardinaux, soit à l'axe et à l'ouverturee<br />

de la grotte, sa position (couché sur le dos, sur l'un ou<br />

l'autree flanc ou même sur le ventre), l'attitude (allongée ou<br />

fléchie)) donnée aux membres supérieurs et inférieurs, l'emploi<br />

dee l'ocre rouge présentent toutes les variétés imaginables,<br />

sanss qu'il soit possible de les rapporter à une différence ni<br />

d'époque,, ni de condition sociale (en prenant comme indice<br />

dee celle-ci la richesse de la parure), ni d'âge ou de sexe.<br />

Nouss relèverons spécialement que les femmes paraissent<br />

avoirr été traitées au point de vue funéraire exactement de la<br />

mêmee façon que les hommes, contrairement à une hypothèse,<br />

destinéee à expliquer la prépondérance numérique des figures<br />

fémininess par rapport aux figures viriles à l'époque aurignacienne,,<br />

d'après laquelle la femme n'aurait été considérée alors<br />

qnee comme une sorte de bétail. Pour nous borner aux<br />

sépulturess aurignaciennes de Grimaldi, la jeune femme<br />

placéee entre un homme et un adolescent dans la sépulture<br />

(1)) HARDY, La station quaternaire de Raymonden, Paris, Leroux, 1891, p. 49.


LELE CULTE DES MORTS 203<br />

triplee de la Barma Grande (fig, 108), la vieille femme<br />

négroïdee placée après coup dans la tombe d'un jeune<br />

hommee d'environ iG ans dans la grotte des Enfants (fig. 106),<br />

laa femme d'âge déjà avancé enterrée seule dans la même<br />

grotte,, établissent que les femmes n'étaient pas inhumées<br />

pourr accompagner dans la mort un mari ou un enfant, mais<br />

pourr leur compte personnel.<br />

Unee attention spéciale doit être accordée à la flexion plus<br />

ouu moins forte, parfois complète, des membres supérieurs ou<br />

inférieurs,, constatée sur nombre de squelettes. Non seulement,,<br />

comme l'a déjà signalé à propos du squelette de Ghanceladee<br />

(fig. 109) l'anatomiste Testut (1), c'est une position<br />

forcéee qui ne peut avoir été donnée au cadavre que par des<br />

mainss étrangères, ce qui suffirait à établir la réalité de pratiquess<br />

funéraires, mais encore elle implique que le corps<br />

aa été ligoté au moment de la mort, sans quoi il eût été<br />

impossiblee de la lui donner plus tard, à cause de la rigidité<br />

cadavérique..<br />

Laa question précise qui se pose est donc celle-ci : le<br />

cadavree a-t-il été ligoté pour lui donner la posture ramassée,<br />

ouu au contraire celle-ci est-elle le résultat du ligolage,<br />

ett n'était-ce pas ce dernier qui, dans l'intention des pratiques<br />

funéraires,, était l'élément essentiel ? La réponse ne semble<br />

pass douteuse. La posture ramassée donnée aux cadavres,<br />

répanduee chez les primitifs les plus variés sur toute la surface<br />

duu globe, est généralement liée à leur empaquetage, et toutes<br />

less fois que l'on a pu obtenir une explication précise de celte<br />

coutumee de la bouche de ceux qui la pratiquent, ils ont<br />

déclaréé qu'ils ligotaient le mort pour l'empêcher de « revenir t><br />

tourmenterr les vivants (2).<br />

Nouss ajouterons que si c'est le ficelage qui était l'opération<br />

essentielle,, on s'explique plus facilement la diversité d'alli-<br />

(1)) L. TESTUT, Recherches anthropol. iur le squel. de Cbancelade, Bull, delà<br />

Soc^.Soc^. anthropol. de iyon^,^ t. Belr^chtun'gen abêr Hockerbestattung, Archio far<br />

Anthropol,,Anthropol,, 1907, 'p. 282 sq.


2044 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

tudee présentée par les membres des squelettes : pourvu que<br />

less morts fussent solidement attachés de façon à ne pouvoir<br />

quitterr leur demeure mortuaire, l'attitude donnée aux<br />

membress pour cette opération n'avait qu'une importance<br />

secondairee et pouvait être abandonnée aux initiatives individuelles..<br />

Enn résumé, les faits constatés à propos des sépultures<br />

paléolithiquess donnent à penser que, dans les croyances<br />

d'alors,, les morts conservaient après le décès une vie analoguee<br />

à celle des vivants, soumise aux mêmes besoins<br />

auxquelss il devait être pourvu de la même façon, et pendantt<br />

laquelle ils conservaient avec les vivants des relations<br />

quee ceux-ci semblaient redouter et dont ils prenaient des<br />

précautionss pour se garantir.


CHAPITRECHAPITRE VII<br />

LAA RELIGION ET LA MAGIE<br />

Lee culte des morts, malgré sa parenté avec la religion au<br />

senss strict, s'en distingue en ce que les êtres auxquels il<br />

s'adressee ont été connus des survivants, avant leur mort,<br />

commee des Hommes ordinaires. La religion au contraire est<br />

relativee à des êtres considérés comme d'une essence non<br />

humaine,, alors même que des traditions lég-endaires leur<br />

attribuentt avec les Hommes des relations plus ou moins<br />

étroites,, entre autres celle de parenté.<br />

Unee fois la religion proprement dite définie de la sorte<br />

parr la nature des êtres auxquels elle se rapporte, en quoi<br />

consiste-t-ellee au juste?<br />

Sii complexe qu'elle soit et malgré l'infinie diversité des<br />

formess sous lesquelles elle se manifesle dans la réalité concrète,,<br />

elle nous semble caractérisée par une attitude de<br />

l'individuu tout entier, âme et corps, que nous appellerons<br />

dëoollon.dëoollon. Celle-ci a pour élément fondamental un sentiment,<br />

dontt l'absence constitue l'irréligion, sentiment qu'a l'individuu<br />

de sa faiblesse et de sa dépendance à l'égard de forces<br />

supérieuress ou divinités. Ce sentiment religieux, comme<br />

touss les sentiments, se manifeste par des actes qui en<br />

sontt l'expression.<br />

Laa dévotion ainsi entendue se spécifie sous des formes<br />

différentess selon les conceptions que l'individu se fait en<br />

mêmee temps de la nature des puissances supérieures et qui,<br />

danss les religions développées, constituent la théologie. La<br />

naturee des divinités conditionne leur activité ; comme tout


2066 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

être,, elles agissent selon ce qu'elles sont, et leur activité<br />

intéressee au plus haut point l'Homme qui doit en subir les<br />

effets.. Or, les relations entre l'Homme et les divinités peuventt<br />

être conçues, soit comme unilatérales, soit comme<br />

réciproques..<br />

L'Hommee peut croire que sa dévotion laisse la divinité<br />

absolumentt indifférente, n'exerce sur elle aucune influence;<br />

laa dévotion est alors uniquement une altitude d'abandon, où<br />

see combinent des éléments de révérence et de crainte et à<br />

l'occasion,, si la divinité est conçue comme bienfaisante, de<br />

reconnaissancee et d'amour, attitude entièrement désintéressée<br />

quee nous appellerons la piété.<br />

Maiss l'Homme peut croire également que la divinité n'est<br />

pass insensible à sa dévotion. La divinité ne fait en définitive<br />

quee ce qu'elle veut, mais la dévotion peut l'incliner à vouloirr<br />

ceci ou cela, et en particulier à vouloir et à accomplir<br />

dess actions avantageuses pour le dévot, de même que l'attitudee<br />

d'un Homme envers d'autres Hommes peut modifier<br />

leurss intentions ou leur conduite à son égard. Dans cette<br />

conception,, la dévotion, tout en reconnaissant que l'Homme<br />

nee peut se soustraire à la puissance divine, deviendra un<br />

moyenn de diriger celle-ci dans un sens favorable; elle<br />

prendraa un caractère utilitaire.<br />

Cettee conception de la dévotion, qui s'oppose à la piété<br />

désintéressée,, présente à son tour deux variétés différentes<br />

selonn l'efficacité qui lui est attribuée, selon que son influence<br />

surr la divinité est considérée comme simplement persuasive,<br />

susceptiblee d'échecs, ou comme rigoureusement contraignante,,<br />

autrement dit selon que la volonté divine est considéréee<br />

par rapport à la dévotion humaine comme libre ou<br />

déterminée.. Dans le premier cas, qui constitue la religion<br />

proprementt dite, le dévot se propose de toucher la divinité,<br />

dee se la concilier, sans être assuré du succès de sa tentative.<br />

DansDans le second cas, au contraire, qui caractérise la magie,<br />

laa divinité ne fait toujours que ce qu'elle veut, elle ne peut<br />

vouloirr autre chose que ce que le dévot veut qu'elle veuille.


LALA RELIGION ET LA MAGIE 207<br />

Lee dévot, devenu magicien ou sorcier, domine la volonté<br />

divinee dont il dépend. C'est, appliquée aux puissances<br />

divines,, la conception de Bacon sur les forces physiques —<br />

unn nom à peine différent pour les mêmes choses — que<br />

l'hommee s'asservit par la connaissance de leur nature et par<br />

dess pratiques appropriées, dont le succès est assuré si elles<br />

ontt été convenablement exécutées.<br />

Enn résumé, la relig-ion consiste dans une attitude à la<br />

foiss mentale et corporelle de l'homme, la dévotion, qui peut<br />

prendree les trois formes principales de la piété, de la relig-ion<br />

proprementt dite et de la mag-ie.<br />

Quell que puisse être l'intérêt de cette analyse théorique,<br />

less différentes formes d'attitudes relig-ieuses qu'elle disting-ue<br />

nee sont que des abstractions, des types purs; même dans des<br />

religionss développées et systématiques, même chez des individuss<br />

réfléchis, on en constate la coexistence, malgré leur<br />

incompatibilitéé foncière. C'est donc en vain, pensons-nous,<br />

qu'onn chercherait à discerner si l'attitude religieuse des<br />

Paléolithiques,, sur lesquels nous ne sommes renseignés que<br />

parr des vestiges peu nombreux et ambigus, mérite plutôt le<br />

nomm de religion ou de magie. Si l'on songe que notre philosophiee<br />

n'est pas encore arrivée, non seulement à résoudre le<br />

problèmee de la liberté humaine, mais peut-être même simplementt<br />

à en donner un énoncé exempt d'ambiguïté, on<br />

s'étonneraitt à juste titre que l'Homme préhistorique fût<br />

arrivéé à une conception nette de la volonté divine et de<br />

l'influencee éventuelle exercée sur elle par les pratiques<br />

rituelless issues de la dévotion. Pour cette époque, les mots<br />

dee magie et de religion nous semblent donc pouvoir être<br />

tenuss comme synonymes.<br />

Sii maintenant nous envisageons les opérations, pratiques<br />

ouu rites, de quelque nom qu'on voudra les désigner, par lesquelless<br />

l'Homme espère exercer une influence sur les forces<br />

dontt il dépend, on peut, d'après leur nature, les répartir en<br />

troiss catégories principales.<br />

Danss une première conception, connue sous le nom de<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et rel'glon des Hommes fossiles. li


2088 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

magiemagie sympathique, la vertu magique s'exerce par<br />

représentationn figurée; en fabriquant par la peinture, la<br />

gravuree ou la sculpture l'image d'un être, on acquiert par<br />

làà même la domination sur lui et on l'oblige ou tout au<br />

moinss l'incline à ce qu'on en désire.<br />

Danss une seconde conception des pratiques magiques,<br />

l'exécutionn d'images n'y joue aucun rôle; elles peuvent<br />

comprendree des cérémonies diverses, plus ou moins compliquées,,<br />

des actes mimiques ou vocaux, des incantations, des<br />

danses,, etc., mais aucune représentation figurée des êtres<br />

auxquelsauxquels elle s'adresse.<br />

Danss une dernière conception, intermédiaire entre les<br />

deuxx précédentes, la vertu magique appartient, comme dans<br />

laa seconde, à des cérémonies ; mais celles-ci s'adressent à des<br />

imagess de l'être sur lequel on veut agir ; par là elle exige,<br />

commee la première, l'exécution d'images. Mais cette exécutionn<br />

n'est pas par elle-même magique, et les images ou<br />

idolesidoles n'ont d'autre rôle que de recevoir les cérémonie<br />

rituelless seules efficaces.<br />

Bienn entendu, les conceptions ainsi distinguées par<br />

abstractionn peuvent se trouver réunies dans un même<br />

milieu.. Par exemple, des cérémonies effectuées devant des<br />

idoless et à leur intention peuvent venir renforcer la vertu<br />

magiquee que possèdent déjà ces images par le seul fait de<br />

leurr exécution ; ou encore des cérémonies rituelles non adresséess<br />

à des idoles peuvent consister à la fois en exécution<br />

d'imagess et en pratiques non figurées. Mais les trois conceptionss<br />

typiques que nous avons distinguées nous semblent<br />

tenirr compte de tous les éléments qui se rencontrent, isolémentt<br />

ou réunis, dans les pratiques magico-religieuses des<br />

milieuxx les plus divers.<br />

L'existencee à l'époque paléolithique de pratique magiques,<br />

quellee qu'en soit la nature, est vraisemblable a priori<br />

d'aprèss l'analogie présumable de la mentalité des Paléolithiquess<br />

avec celle des sauvages, confirmée par la constatation<br />

dee pratiques funéraires qui semblent avoir eu pour rôle


LALA RELIGION ET LA MAGIE 209<br />

d'exercerr une influence sur les esprits des morts . Mais il n'y<br />

aa là qu'une vraisemblance extrinsèque qui gagnerait à être<br />

renforcée,, si c'est possible, par des arguments intrinsèques<br />

tiréss des vestiges paléolithiques eux-mêmes. Ceux dont on<br />

peutt espérer obtenir des indications à ce sujet sont de deux<br />

sortes,, d'une part les représentations figurées, de l'autre des<br />

tracess non figurées laissées par l'accomplissement même des<br />

pratiquess rituelles.<br />

Pourr les représentations figurées, nous avons déjà eu<br />

l'occasionn de les étudier à propos de la destination magique<br />

quii leur a été attribuée (i); il suffira donc ici de rappeler nos<br />

conclusionss sur ce point. La destination magique nous<br />

semblee extrêmement vraisemblable pour les images d'animauxx<br />

blessés correspondant à des pratiques d'envoûtement ;<br />

nouss considérons au contraire comme très problématique<br />

l'intentionn magique pour les scènes de la vie journalière, de<br />

guerree ou de chasse, et pour les représentations isolées<br />

d'animauxx non blessés ou d'hommes.<br />

Toutefois,, parmi ces représentations non magiques en<br />

elles-mêmes,, il en est qui pourraient figurer soit des divinités,<br />

soitt des sorciers dans l'exercice de leurs fonctions et qui, à ce<br />

titre,, révéleraient des croyances ou des pratiques magiques.<br />

Cee sont des figures qui, de forme humaine dans l'ensemble,<br />

présententt des détails correspondant à des caractères animaux..<br />

Les discussions auxquelles ont donné lieu ces « masquess<br />

quaternaires » (2) n'ont plus guère, à l'heure actuelle,<br />

qu'unn intérêt rétrospectif.<br />

Enn effet, les adversaires étaient, implicitement ou même<br />

expressément,, d'accord sur deux points : d'abord que l'existencee<br />

de « masques » paléolithiques n'avait rien d'impossiblee<br />

et était même vraisemblable d'après les parallèles<br />

ethnographiques,, ensuite que pour transformer celle vrai-<br />

(1)) Cf. ci-dessus, p. 115-121.<br />

\i)\i) W. DEONNA, L'A., t. XXV, 1914, p. 107-113 et 597-598; Revue archéol.,<br />

19155 I i> 172-176. — BREUIL, L'A., t. XXV. 1914, p. 420-422; Revue, archéol.,<br />

1914,'' It, p. 300-301. — LUQUET, L'A., t. XXI, 1910, p. 409-423; l. XXX, 1919,<br />

p.. 388 389.


2100 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

semblancee en certitude, il fallait trouver dans les images<br />

paléolithiquess des figures réunissant des caractères humains<br />

ett des caractères animaux également incontestables. C'est<br />

Fig.. HO. — Figure anthropoïde (Homme à grande barbe, avec queue de<br />

Chevall et peut-être ramure de Cerf).<br />

Gravuree sur plaque de schiste (Lourdes). Grandeur vraie (d'après BREUIL).<br />

surr l'existence de figures de ce genre que portait le débat.<br />

Less documents alors connus présentaient bien des figures<br />

réunissantt à des caractères humains incontestables des caractèress<br />

ambigus ; mais c'est sur l'interprétation de ces derniers


LALA RELIGION ET LA MAGIE 2111<br />

quee les adversaires n'étaient plus d'accord. Pour les uns, ces<br />

caractères,, n'étant pas manifestement humains, étaient animaux;;<br />

pour les autres, n'étant pas manifestement animaux,<br />

cee n'était que des caractères humains mal dessinés. Le différendd<br />

se réduisant ainsi à une opposition d'impressions<br />

subjectives,, il était évidemment insoluble tant que, si l'on<br />

peutt dire, le dossier resterait en l'état ; mais d'autre part, il<br />

Fig.. 111. — Figures anthropoïdes (Hommes à tête de Chamois).<br />

Gravuress sur bâton troué en bois de Cerf (Abri Mège à Teyjat, Dordogne).<br />

Grandeurr vraie (d'après BREUIL).<br />

devaitt forcément être tranché du jour où l'on disposerait de<br />

figuress humaines présentant des caractères non plus seulementt<br />

ambigus, mais indiscutablement animaux. Or, on<br />

connaîtt aujourd'hui des images remplissant ces conditions.<br />

Laa tête d'un Homme à longue barbe et queue de Cheval<br />

gravéé sur schiste de Lourdes (fig. no) semble surmontée<br />

d'unee grossière ramure de Cerf. Les bonshommes gravés<br />

surr un bâton à trou en bois de Cerf de Teyjat (fig. m) ont<br />

dess têtes de Chamois très reconnaissables ; une figure masculinee<br />

gravée sur un galet de la Madeleine (fig. 112) a la tête<br />

surchargéee d'un masque distinct. Enfin la figure gravée et<br />

peintee sur paroi de la grotte des Trois Frères (fig. 119), avec<br />

saa queue de Cheval et sa tête barbue à oreilles et bois de<br />

Cerf,, ne laisse place à aucun doute.


2122 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

Ainsii l'existence de figures réellement hybrides, mi-partie<br />

humainess et animales, parait désormais hors de doute, et si<br />

less spécimens incontestables sont forcément en nombre restreint,,<br />

les exemples moins nets qui, à eux seuls, ne permettaientt<br />

pas de conclusion ferme, acquièrent, éclairés par eux,<br />

unee valeur atténuée, mais réelle.<br />

Quellee est maintenant la signification de ces figures? Deux<br />

Fig.. 112. — Figures anthropoïdes (probablement femme et homme masqués).<br />

Gravuress sur lès deux faces d'un petit galet de calcaire dur (La Madeleine,<br />

Dordogne.. Fouilles GAPITAN et PEYRONY). Grandeur vraie (d'après BRELIL).<br />

interprétationss sont possibles : elles peuvent représenter ou<br />

bienn des êtres conçus comme ayant une nature à la fois<br />

humainee et animale, c'est-à-dire des divinités, ou bien des<br />

hommess revêtus d'un déguisement animal correspondant<br />

àà des pratiques céréironielles qui, d'après les parallèles<br />

ethnographiques,, avaient selon toute vraisemblance un<br />

caractèree magico-religieux. Ces deux interprétations ne sont<br />

d'ailleurss pas exclusives l'une de l'autre, et il est possible<br />

quee certaines figures aient été déterminées par la première<br />

intentionn et d'autres par la seconde. En tout cas, l'interprétationn<br />

qui les considère comme représentant des hommes<br />

déguiséss semble la plus fondée objectivement à cause de<br />

laa gravure de la Madeleine où le visage humain est figuré<br />

souss le masque. D'autre part, on s'explique comment la<br />

pratiquee des déguisements magiques a pu contribuer à la


LALA RELIGION ET LA MAGIE 213<br />

croyancee en des divinités hybrides. Le pouvoir des sorciers,,<br />

occasionnels ou professionnels, étant attribué à leur<br />

déguisement,, il en résultait une association d'idées entre<br />

l'aspectt à la fois humain et animal du sorcier et la puissance<br />

magique,, et par suite il était tout naturel de concevoir sous<br />

laa même forme hybride les divinités qui disposaient d'une<br />

puissancee analogue. En outre, les êtres mixtes vus effectivementt<br />

dans les cérémonies magiques par les Paléolithiques<br />

leurr laissaient des images visuelles qui, à cause de l'intérêt<br />

vitall qu'avaient pour eux ces cérémonies, ne pouvaient<br />

manquerr de réapparaître dans leurs song-es et dans les états<br />

dee transe des sorciers. Mais pour des primitifs, il n'existe<br />

aucunee différence entre la perception réelle et l'image hallucinatoiree<br />

; les êtres mixtes vus en rêve étaient des êtres<br />

existantss et, comme ce n'était pas des hommes, ce ne pouvaitt<br />

être que des divinités. On conçoit ainsi d'une façon à la<br />

foiss satisfaisante pour notre esprit et fondée sur la mentalité<br />

primitivee comment la croyance à des divinités mixtes a pu<br />

sortirr de la pratique des déguisements, et cette interprétationn<br />

présente le maximum de vraisemblance qu'il soit<br />

permiss d'espérer dans une reconstruction de ce genre.<br />

Quoii qu'il en soit, que les figures hybrides représentent<br />

dess divinités ou des sorciers, elles témoignent avec la plus<br />

grandee probabilité de l'existence de pratiques et de croyances<br />

magico-religieusess à l'époque paléolithique. Il faut du reste<br />

noterr que, si elles figurent des sorciers, l'attribution d'une<br />

vertuu magique à la représentation en elle-même est particulièrementt<br />

douteuse dans ce cas, et si elles figurent des divinités,,<br />

nous ignorons si les rites comprenaient, outre la<br />

représentationn artistique, des cérémonies, soit indépendantes,,<br />

soit adressées à ces idoles.<br />

C'estt en vain, selon nous, qu'on a cherché dans certaines<br />

imagess des indications plus précises sur la nature de ces cérémonies..<br />

Une gravure de Chancelade (fîg. 113) pourrait représenterr<br />

une procession d'êtres humains, disposés en deux<br />

filess d'après le procédé que nous avons appelé rabattement;


2144 LALA RELIGION PALEOLITHIQUE<br />

l'unn des personnages semble même tenir une sorte de<br />

palme.. Dans une autre gravure du Château des Eyzies<br />

(fig.. n3), on voit également deux rangées de personnages<br />

dontt chacun semble porter un bâton sur l'épaule, faisant face<br />

àà un Bison et intercalés entre des figures dont on se<br />

demandee si ce sont des arbres ou des mains. Mais dans tous<br />

Fig.. H3. — Représentations de processions (?)<br />

Enn haut : gravure sur lame d'os (pendeloque?) (Abri de Haymonden, Chancelade,<br />

Dordogne).. Grandeur vraie (d'après BREUIL). En bas : gravure sur côte (Abri du<br />

Château,, les Eyzies, Dordogne). Echelle : 2/3 (d'après PEYRONY).<br />

cess exemples, la grossièreté du dessin rend l'interprétation<br />

incertaine.. Il en est de même pour deux peintures rupestres<br />

d'Alperaa où l'on pourrait voir l'exaltation d'une idole. Au<br />

Quesoo (fig. i i4), une petite figure humaine remarquablement<br />

bienn faite a l'apparence d'une idole qu'élèverait, en la tenant<br />

parr le pied, un personnage très peu soigné; mais la dilïérencee<br />

de facture des deux images donne à penser qu'il n'y a<br />

làà que juxtaposition accidentelle de deux dessins d'auteurs<br />

différents.. Dans une peinture de la Vieja (fig. 115), une femme<br />

soutientt de son bras gauche un objet dont l'aspect d'en-


LALA RELIGION ET LA MAGIE 2155<br />

semblee est celui d'une statuette assez informe. Bien que la<br />

rochee présente autour de cet objet différentes figures sans<br />

relationn avec lui, notamment une flèche, le geste du bras<br />

trèss étendu semble indiquer qu'il ne s'agit pas d'une simple<br />

juxtapositionn fortuite et que l'artiste a réellement voulu<br />

Fig.. i 14. — Figures humaines en rouge clair, sous-jacentes à un Bouquetin<br />

enn brun foncé (abri del Queso à Alpera, province d'Albacetc, Espagne).<br />

Echellee : 1/3 (d'après BREUIL).<br />

représenterr une femme soulevant un objet ; mais la représentationn<br />

de celui-ci est trop grossière pour qu'on puisse<br />

affirmerr qu'il s'agit d'une statuette et a fortiori d'une idole.<br />

Danss un relief aurignacien de Laussel (fig. 9), une femme<br />

tientt un objet qui a tout l'air d'une corne; mais rien ne<br />

garantitt que cette corne ait une signification religieuse.<br />

Onn a considéré également certaines images paléolitliiques<br />

commee représentant des danses rituelles. Il convient, pour


2166 LALA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

discuterr cette interprétation, de disting-uer deux sortes de<br />

danses,, |à savoir les danses g-ambadées, à mouvements violentss<br />

des membres, en particulier des jambes, et les danses<br />

pluss graves, analogues à nos danses de caractère. En ce qui<br />

concerneconcerne d'abord celles-ci, c<br />

n'estt pas l'altitude donnée aux<br />

membress dans la représentation<br />

quii permettra de considérer les<br />

personnag-ess comme dansant<br />

plutôtt que comme marchant ou<br />

«« passant », c'est-à-dire figurés<br />

danss une attitude neutre; il faudraa<br />

donc que quelque autre<br />

caractèree de l'imag-e permette<br />

dee conclure à une activité cérémonielle..<br />

C'est ainsi que la questionn<br />

se pose en termes précis<br />

pourr le célèbre ensemble de<br />

figuresfigures de Cogul (fig-. 116).<br />

Objectivement,, il comprend<br />

neuff femmes réparties en deux<br />

_.. ' _. groupes, l'un de cinq à g-auche,<br />

Fig.. US. — Figures féminines, „ , l . .<br />

dontt l'une soulève un objet qui 1 autre de quatre à droite d'une<br />

Viejaa à Alpera, province d'Al-<br />

aa l'air d'une idole (Abri de la figure masculine, et leur réu-<br />

bacete,, Espagne).<br />

Echellee : 3/16 (d'après BRKUIL).<br />

nionn autour de celle-ci est la<br />

seulee raison qui autorise à parlerr<br />

d'une scène relig-ieuse : la<br />

fig-uree virile représenterait soit un sorcier, soit peut-être,<br />

pourr tenir compte de sa petite taille, une idole à qui s'adresseraitt<br />

la cérémonie. Il faut donc examiner soigneusement si<br />

laa réunion des dix figures correspond réellement à un groupe<br />

voulu,, ou s'il n'y aurait pas simplement juxtaposition fortuite,,<br />

comme il s'en présente précisément des exemples sur<br />

lee panneau qui nous occupe. La dame n° 7 oblitère un<br />

petitt animal roug-e uni certainement plus ancien, dont elle<br />

nee laisse subsister que l'arrière-train. Sous les dames 3, l\


Fig.. 116. — Peinture rupeslre de Cogul (province de Lerida, Espagne).<br />

Echellee : 1/4 (d'après BREUIL).


2188 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

ett 5 se trouve une petite figure humaine schématique en<br />

rougee plat, réduite à deux jambes écartées, un petit torse<br />

cambréé et une tête en ellipse horizontale très aplatie comme<br />

cellee du chasseur de Bison peint sur la même roche, vraisemblablementt<br />

plus ancienne que les dames, et une Biche<br />

peintee en noir uni avec épargne centrale dont le rapport<br />

chronologiquee aux dames est difficile à préciser, mais qui<br />

n'aa certainement aucun rapport avec elles, pas plus que le<br />

petitpetit bonhomme rouge. Cependant les neuf figures féminines,,<br />

malgré des différences de couleur qui doivent résulter<br />

dee réfections successives, semblent bien avoir été conçues<br />

commee formant un groupe; on dirait même que l'une d'elles<br />

tendd les bras vers ses deux voisines, qui d'ailleurs ne paraissentt<br />

guère s'en soucier, comme pour former une chaîne.<br />

Maiss la question la plus importante est de savoir si ce<br />

groupee de femmes forme avec la figure masculine un<br />

ensemblee voulu. On a parlé d'un rite de fécondité; mais,<br />

sanss revenir sur la critique générale que nous avons déjà<br />

adresséee à l'idée d'un culte de la génération chez des peupless<br />

chasseurs (i), il semble que, dans cette hypothèse, la<br />

figurefigure correspondant au principe fécondant, satyre ou idole,<br />

devraitt être ithyphallique, ce qu'elle n'est pas en réalité. Le<br />

stylee des figures me semble présenter des différences qui<br />

inclineraientt à les rapporter à des auteurs différents : j'opposeraii<br />

nettement les bras coudés des dames aux bras d'une<br />

seulee pièce de l'homme, ses jambes rectilignes et filiformes<br />

auxx jambes plus épaisses et à genoux et mollets plus ou<br />

moinss accentués des dames. C'est là, il est vrai, affaire<br />

d'impressionn subjective; mais la couleur brun foncé de la<br />

figurefigure virile diffère de celle des dames noires qui s'en rapprochentt<br />

le plus. Enfin, cette figure, qui ne présente pas de<br />

tracess de réfection, semble postérieure à l'une des dames<br />

surr laquelle elle empiète légèrement. Le personnage masculinn<br />

aurait donc été ajouté à un tableau qui, primitivement,<br />

(1)) CC ci-dessus, p. 124-125.


LALA RELIGION ET LA MAGIE 219<br />

nee comprenait que les dames. Pour ces diverses raisons, il<br />

restee permis d'hésiter à voir dans le panneau de Cogul la<br />

représentationn d'une cérémonie rituelle.<br />

Enn ce qui concerne maintenant les danses gambadées, on<br />

peutt alléguer en faveur de leur existence des fîg-ures<br />

humainess qui, par leur attitude générale et le mouvement de<br />

leurss membres, ont l'air de danser. Mais, ici comme pour la<br />

questionn des masques, il faut examiner soigneusement si<br />

l'attitudee du personnage dessiné ne s'expliquerait pas aussi<br />

bienn ou même mieux par d'autres raisons que l'intention de<br />

l'artistee de figurer un danseur. Le « danseur » du Mas d'Azil<br />

(fig.. 45 n ° 5) a exactement le même mouvement que d'autres<br />

bonshommess d'AHamira, des Combarelles et de la grotte<br />

Davidd à Cabrerets (i), dont certains n'ont jamais été interprétéss<br />

comme dansant. Ici comme là, l'aspect de la figure<br />

(bras,, coudés ou non, allongés en avant à peu près perpendiculairementt<br />

au corps, jambes coudées au genou et faisant<br />

avecc le tronc un angle plus ou moins obtus) s'explique suffisammentt<br />

par une technique graphique primitive : ce sont,<br />

nonn des danseurs, mais des bonshommes articulés à la façon<br />

dee nos pantins, et en même temps des quadrupèdes partiellementt<br />

redressés, mais que les artistes n'ont pas encore su<br />

amenerr complètement à la station droite (2).<br />

Laa représentation de la danse semble plus probable dans<br />

deuxx figures de la Vieja, voisines et presque identiques<br />

(fig.. 117). Objectivement, ce sont des hommes de face à tête<br />

dee profil, à jambes écartées et ployées. Le rendu réaliste du<br />

mouvement,, sinon dans son exécution, du moins dans son<br />

intention,, qui caractérise tous les personnages de ce style,<br />

nouss semble interdire de considérer l'attitude des jambes<br />

commee un simple mouvement de pantin. Elle doit être<br />

voulue,, et d'autre part, elle ne semble pas correspondre à<br />

unee attitude de chasse, d'après la façon dont sont portés l'arc<br />

(1)) fie/)., p. 7 et p. 8, n" 1 et 6 (Altamira) ; p. 57, n" 1-3 (Combarelles). — Revue<br />

anthropoloqique,anthropoloqique, 1924, p. 165 sq. (grotte David).<br />

(2)) Cf. LUQUET, VA., t. XXI, 1910, p. 414-422; t. XXX, 1919, p. 389, note 1.<br />

—— Gomb., p. 114-116.


2200 LALA BELIGIOX PALÉOLITHIQUE<br />

ett les flèches, celles-ci la pointe en bas, celui-là tenu verticalementt<br />

par l'extrémité inférieure du bois, la corde en dehors.<br />

Ill ne s'agit évidemment pas de chasseurs en train de tirer de<br />

l'arc,, et il ne paraît pas s'agir davantage de chasseurs allant<br />

au-devantt du gibier à une allure plus ou moins rapide,<br />

commee d'autres figures du même ensemble, qui portent leur<br />

Fig.. 117. — Danseur à tète ornée de plumes, à côté d'un Bouquetin repeint<br />

àà deux époques successives (Abri de la Vieja à Alpera, province d'Albacetc,<br />

Espagne)..<br />

Echellee : 1/4 (d'après BREUIL).<br />

arcc sous le bras, la corde en l'air, la main tenant à la fois le<br />

boiss par son milieu et les flèches horizontales. 11 semble<br />

bienn s'agir d'une activité comparable aux corroboris australiens,,<br />

et il est au inoins possible que cette danse eût à quelque<br />

degréé un caractère religieux ou tout au moins cérémoniel.<br />

Enfin,, aucune hésitation n'est possible pour la figure<br />

gravéee et peinte sur paroi de la grotte des Trois Frères<br />

(fig.. 119). Le caractère artistique de ce dessin nous semble<br />

interdiree de rapporter son attitude à une exécution enfantine,,<br />

et comme le personnage est incontestablement hybride<br />

ouu masqué, l'interprétation la plus vraisemblable est sans


LALA RELIGION El" LA MAGIE 221<br />

contreditt d y voir un sorcier dans l'exercice de ses fonctions.<br />

Enn résumé, si l'on cherche à réduire au minimum la part<br />

d'impressionss subjectives qu'il n'est jamais possible d'éliminerr<br />

entièrement, il nous semble qu'une critique attentive<br />

doitt hésiter à faire état des figures autres que celle de la<br />

grottee des Trois Frères, mais qu'inversement ce serait<br />

pousserr la prudence jusqu'à la timidité que de refuser une<br />

valeurr démonstrative à celle-ci, qui constitue un document<br />

capitall et à notre avis décisif en faveur de l'existence de<br />

dansess magiques à l'époque magdalénienne.<br />

L'inventeurr de cette figure a invoqué à l'appui des danses<br />

paléolithiquess une autre de ses découvertes, qui ne se rapportee<br />

plus à l'art figuré. Dans une petite salle de la grotte<br />

duu Tue d'Audoubert, située quelques mètres en avant de<br />

cellee où se trouvent les Bisons sculptés en argile, et où les<br />

hommess paléolithiques ont extrait de la terre et même laissé<br />

dee petits boudins sans doute destinés à l'exécution de ces<br />

images,, il a relevé sur le sol, parmi un lacis de courbes<br />

incompréhensibles,, des empreintes de pieds nus, tellement<br />

nettess que l'on y distingue les callosités de la peau. Or, ces<br />

empreintess correspondent exclusivement à des talons ; on<br />

n'aa remarqué à cet endroit ni pied complet, ni empreintes<br />

d'orteils,, alors que des empreintes de pieds entiers et<br />

notammentt d'orteils se voient dans une autre salle des<br />

partiess profondes de la grotte, à côté des ossements de<br />

cadavress d'Ours. Selon le comte Begouen, ce fait pourrait<br />

s'expliquerr par quelque cérémonie dont les exécutants<br />

auraientt marché selon un rite déterminé, comme cela se<br />

constatee chez certaines peuplades africaines et australienness<br />

(i).<br />

Cettee interprétation nous semble extrêmement aventurée.<br />

Lee sol étant très uni et les empreintes très nettes, il n'y en a<br />

jamaiss eu d'autres que la quarantaine qu'on a relevées, et<br />

mêmee en admettant qu'elles aient été laissées par un seul<br />

(1)) Comte BEGOUEN, C. B. de l'Acad. des Iriser., 1912, p. 537; M., t. XXIII,<br />

1912,, p. 659-663.


2222 LA RELIGION ET LA MAGIE<br />

individu,, la cérémonie présumée aurait dû être bien brève<br />

pourr ne laisser qu'un nombre aussi restreint d'empreintes.<br />

D'autree part, l'inventeur signale lui-même que le plafond de<br />

cettee salle est assez bas pour que presque dès l'entrée on ne<br />

puissee plus s'y tenir debout, mais accroupi. Cette disposition<br />

dess lieux explique tout naturellement que l'artiste ou les<br />

artistess qui sont venus y chercher de l'argile pour les statues<br />

dess Bisons aient été obligés de marcher sur les talons. Il<br />

nouss semble donc arbitraire de voir dans les empreintes de<br />

talonss la trace de quelque cérémonie magique.<br />

Onn a enfin considéré comme pouvant être un indice de<br />

pratiquess à caractère plus ou moins religieux l'étrange particularitéé<br />

que présentent un grand nombre des mains au<br />

patronn de Garg-as : un, plusieurs ou même tous les doigts<br />

sontt privés des deux phalanges terminales (fig. 118). Cet<br />

aspectt des images est susceptible de deux interprétations : la<br />

mainn naturelle qui a servi de patron était, soit une main<br />

intactee aux doigts repliés, soit une main mutilée. Sans vouloir<br />

prendree parti, les inventeurs semblent avoir une préférence<br />

pourr la dernière interprétation. L'ethnographie fournit de<br />

nombreuxx exemples de mutilations des doigts correspondant<br />

àà des rites religieux, funéraires ou propitiatoires, dont la<br />

significationn primitive semble même parfois oubliée de ceux<br />

quii les pratiquent (i). Si donc les figures de mains de Gargas<br />

avaientt été obtenues avec des mains mutilées, [on ^pourrait<br />

conjecturerr que des pratiques semblables ont existé chez les<br />

Aurignaciens..<br />

Laa complexité des faits ne saurait s'accommoder d une<br />

explicationn simpliste. Tout d'abord, la mutilation digitale,<br />

sii elle a existé, n'était pas une pratique générale et systématique..<br />

Outre qu'on n'a relevé, à ma connaissance, aucune<br />

mutilationn des doigts sur les squelettes retrouvés dans les<br />

sépultures,, toutes les images de mains rencontrées ailleurs<br />

(1)) LUQUET, Journal de Psychologie, 1922, p. 813-814. — Rev. de VEc. d'Anthropol.thropol.<br />

de Paris, 1894, p. 167. — OBERMAIER, Der Mensch der Vorzeit, p. 430.<br />

—— RATZHL, Vûlkerkunde, t. I, p. 306 et 690.


jjfffll<br />

YY ... M. ..' ' .<br />

Figg 118 — Peinlures au patron en noir (grisé foncé) et rouge (grisé pâle)<br />

dee mains, parties de mains, doigts, etc. (Caverne de Gargas, Hautes-<br />

Pvrénées))<br />

(d'aprèss BREUIL).<br />

G.-H.. LUQUET. — Art et religion des Hommes fossiles.


2244 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

qu'àà Gargas et plusieurs de Gargas correspondent à des<br />

mainss intactes. Même les mains « mutilées » de Garg-as présententt<br />

des mutilations dont la diversité s'accorde mal avec<br />

unee pratique systématique et qui, intéressant plusieurs ou<br />

mêmee tous les doigts de mains masculines, bien qu'il ne<br />

s'agissee que de mains gauches, semblent difficilement conciliabless<br />

avec les conditions d'existence de chasseurs. Et. si l'on<br />

supposee que les mains qui ont servi de patrons appartenaient<br />

àà des sorciers, chez qui la mutilation des doigts était en relationn<br />

avec leur caractère sacré et qui, nourris par la communauté,,<br />

n'avaient pas besoin de chasser, on ne s'explique<br />

pluss la multiplicité et la diversité des mutilations présentées<br />

parr les images.<br />

111 nous paraît donc beaucoup plus vraisemblable de considérerr<br />

la majorité des images a mutilées » de Gargas comme<br />

exécutéess avec des mains intactes aux doigts repliés. Les<br />

inventeurss signalent, il est vrai, que les essais faits par euxmêmess<br />

et par leurs amis avec leurs doigts repliés ont échoué<br />

àà donner une silhouette à contours aussi nets que ceux des<br />

mainss de Gargas dans la partie correspondant aux doigts<br />

«« mutilés » . Mais, dans leurs expériences, ils ont projeté la<br />

matièree colorante avec la main, comme un moderne songe<br />

naturellementt à le faire, et non avec la bouche, procédé<br />

auquell il est au moins possible, d'après les parallèles ethnographiques,,<br />

qu'aient recouru les Aurignaciens de Gargas, et<br />

quii donnerait plus de netteté aux contours dans la région<br />

dess doigts repliés. Je suis très frappé du fait que, dans toutes<br />

less images « mutilées », les deux phalanges terminales manquentt<br />

à la fois et qu'il n'a pas été signalé un seul exemple<br />

dee doigt qui ne soit privé que de la dernière phalange, ce qui<br />

s'expliquee admirablement avec l'hypothèse de doigts repliés,<br />

oùù les deux phalanges disparaissent en même temps. Enfin,<br />

l'unee des mains de la paroi gauche (fig. 118; la main en<br />

bass à gauche du groupe du haut) a tous les doigts incompletss<br />

et le pouce totalement absent; bien plus, l'absence du<br />

poucee dans l'image ne paraît pas résulter d'une désarticula-


LALA RELIGION ET LA MAGIE 2255<br />

lionn du pouce de la main patron : l'image ne présente pas la<br />

sailliee qui, dans le cas de désarticulation du pouce, correspondraitt<br />

à l'extrémité du premier métacarpien, mais le contourr<br />

descend en ligne presque droite dans le prolongement<br />

Fig.. 119. — Sorcier dansant (?)<br />

Figuree gravée et peinte sur paroi de la caverne des Trois Frères (Àriège).<br />

Echellee : 1/10 environ (d'après BÉGOLEN et BREUIU).<br />

dee l'index, comme si le métacarpien lui aussi avait été enlevé.<br />

Cett aspect de l'image s'explique tout naturellement si elle<br />

aa été obtenue en appuyant sur la muraille une main dont<br />

lee pouce aurait été replié à l'intérieur. Des quatre images<br />

dee mains cernées de Font-de-Gaume, l'une, qui ressemble


2266 LA RELIGION PALÉOLITHIQUE<br />

àà une sorte de fer à cheval ovoïde, semble également avoir<br />

étéé faite avec le poing 1 fermé (i).<br />

Cee n'est pas à dire, cependant, qu'aucune des images de<br />

Gargass n'ait eu comme patron une main réellement mutilée.<br />

L'abbéé Breuil en a remarqué plusieurs pour ainsi dire superposabless<br />

et qui doivent avoir été exécutées avec une main<br />

uniquee présentant les mêmes mutilations.<br />

Lee problème se pose alors de la façon suivante. Une au<br />

moinss des mains qui ont servi de patron à Gargas était réellementt<br />

mutilée. D'autres ne l'étaient pas. 11 nous semble<br />

trèss problématique que les images de mains aient eu un rôle<br />

magiquee (s), mais même en le leur attribuant, il n'était pas<br />

nécessairee qu'elles eussent une apparence mutilée, puisque<br />

partoutt ailleurs et même dans plusieurs exemplaires de<br />

Gargas,, elles correspondent à une main intacte. Dès lors,<br />

less images offrant l'apparence de'mains mutilées exécutées<br />

avecc des mains intactes aux doigts repliés, si l'idée a pu en<br />

êtree suggérée par la vue d'images de mains réellement mutilées,,<br />

doivent correspondre à une intention non magique,<br />

maiss purement artistique, au désir d'obtenir avec le procédé<br />

duu patron des images plus variées. La question se résume<br />

doncc finalement en ceci : la mutilation réelle que présentait<br />

probablementt l'une des mains qui ont servi de patron à<br />

Gargass était-elle une mutilation accidentelle ou résultant<br />

d'unee pratique, d'ailleurs restreinte à une catégorie limitée<br />

d'individus,, dictée par certaines croyances d'ordre magique??<br />

(3) II ne nous semble pas possible de faire davantage<br />

quee de poser la question dans ces termes précis : ici, comme<br />

surr tant d'autres points, l'examen scrupuleux des faits n'autorisee<br />

pour le moment aucune conclusion ferme.<br />

(1)) Font-de-Gaume, p. 72, note.<br />

(2)) Cf. ci-dessus, p. 123-124.<br />

(3)) C'est ainsi qu'à Madagascar, on mutile le petit doigt des enfants nés sous une<br />

influencee néfaste pour conjurer le mauvais sort. Le ministre de Hanavalo, Rainilaiarivony,,<br />

en était un exemple (Communication orale de M. le Gouverneur Julien


CONCLUSIONSS<br />

Less résultats essentiels qui nous semblent se dég-ager,<br />

avecc le maximum de vraisemblance, de l'analyse et du rapprochementt<br />

des faits relatifs à l'art et à la religion paléolithiquess<br />

peuvent se résumer en quelques lignes.<br />

Less sépultures témoignent que, dès le début de l'âge du<br />

Rennee et même sans doute dès le Moustiérien, les défunts<br />

étaientt considérés comme conservant après la mort une sorte<br />

d'existencee analogue à leur vie terrestre, dans laquelle ils<br />

continuaientt à entretenir avec les vivants des relations que<br />

less rites funéraires avaient pour but de rendre aussi favorables,,<br />

ou tout au moins aussi peu dangereuses que possible.<br />

L'Hommee d'alors croyait donc d'une part à une survivance<br />

dess morts, d'autre part à l'efficacité de certaines pratiques<br />

destinéess à agir sur eux.<br />

Less exemples infiniment vraisemblables d'envoûtement<br />

soitt par blessures effectivement faites à des simulacres d'animaux,,<br />

soit par représentation graphique de ces blessures,<br />

donnentt à penser que l'Homme croyait également possible,<br />

auu moins à l'époque magdalénienne, d'exercer par des opérationss<br />

appropriées une influence sur les animaux. Il est probablee<br />

que l'utilité constatée des déguisements de chasse a<br />

entraînéé la croyance à une vertu magique des déguisements<br />

ett des masques, qui sont devenus ainsi l'attribut des sorciers.<br />

Surr la nature des opérations de ceux-ci, toute indication fait<br />

défaut.. En particulier, la magie sympathique, la croyance<br />

quee la représentation d'un être confère par elle seule une<br />

dominationn sur cet être à l'auteur ou éventuellement au pos-


2288 L'ART ET LA RELIGION DES HOMMES FOSSILES<br />

sesseurr de son image, est simplement vraisemblable; en<br />

toutt cas, elle ne suffit pas à rendre compte de la totalité des<br />

œuvress figurées magdaléniennes et reste extrêmement douteusee<br />

pour l'Aurignacien.<br />

Quandd bien même l'art aurait reçu postérieurement une<br />

destinationn magique et par suite utilitaire, il a été au début<br />

purementt désintéressé et n'a eu d'autre objet que le beau.<br />

Celui-cii a été conçu primitivement sous deux formes auxquelless<br />

correspondent deux sortes d'art, l'art décoratif et<br />

l'artt figuré. Le beau de l'art décoratif est essentiellement<br />

esthétiquee au sens étymologique du mot : c'est un plaisir<br />

priss aux impressions sensorielles produites par des additions<br />

ouu des modifications apportées à des objets préexistants,<br />

corpss humain ou instruments d'usage. Le beau de l'art<br />

figuréfiguré est le plaisir résultant de l'expérience faite par l'artistee<br />

de son pouvoir créateur d'images. Les objets représentéss<br />

par ces images étaient naturellement ceux dont l'idée<br />

étaitt présente dans l'esprit de l'artiste, par suite soit des conditionss<br />

générales de son existence, soit de circonstances<br />

momentanées;; mais la nature des représentations l'intéressaitt<br />

beaucoup moins que le fait même d'en produire des<br />

imagess ressemblantes. Cette ressemblance ou réalisme acquit<br />

unee perfection due aux qualités d'observation minutieuse et<br />

d'habiletéé manuelle développées par la pratique de la chasse.<br />

Maiss jusque dans l'apogée du Magdalénien, elle conserve des<br />

tracess du réalisme intellectuel qui caractérise les dessins<br />

dess enfants de nos jours. Au reste, chez le Paléolithique<br />

commee chez nos enfants, ce réalisme intellectuel est l'indice<br />

d'unee activité psychique originale, puisque les images mentaless<br />

traduites en lignes par l'artiste ne sont pas un enregistrementt<br />

purement passif, mais une élaboration par l'esprit<br />

dess sensations visuelles.<br />

L'artt proprement dit ou intentionnel, sous sa double forme<br />

figuréee et ornementale, a eu comme source des activités<br />

purementt utilitaires. Mais l'Homme, ayant reconnu après<br />

coupp que leurs résultats possédaient un 'caractère esthétique,


CONCLUSIONSCONCLUSIONS<br />

less a renouvelées volontairement avec l'intention de produire<br />

ee beau qui n'en avait été primitivement qu'un effet fortuit.<br />

C'estt seulement au Magdalénien que la convergence de 1 art<br />

ornementall purement géométrique et de l'art figuré sans<br />

intentionn ornementale a donné naissance à une utilisation<br />

décorativee de motifs figurés, et que peut-être l'art figuré a<br />

acquiss une destination magique. Mais celle-ci n'a pu lui être<br />

surajoutéee qu'en vertu du caractère créateur qu'il tenait de<br />

sonn essence même. En outre., même dans des figures à rôle<br />

magiquee vraisemblable, l'exécution a été soignée en vue d'un<br />

effett esthétique. Ainsi, même dans l'utilisation utilitaire de<br />

l'art,, qui n'en est qu'un développement postérieur, subsiste<br />

sonn caractère désintéressé primitif.


INDEXINDEX DES FIGURES<br />

PARPAR OKDHE AWUAIIÉTIQUE DE PROVENANCE<br />

ALPEHAA (province d'Albacete, Espagne),<br />

abrii del Qiieso. Fig. 114.<br />

abrii de la Vieja. Fig. 6', 115, 117.<br />

ALTAMIRAA (province de Santander,<br />

Espagne).. Fig. 66, 69, 70 (b), 75,<br />

88-91,, 95, 98, 102.<br />

ARCY-SUR-CUREE ("Yonne).<br />

grottee du Trilobite. Fig. 8.<br />

ARUDYY (Basses-Pyrénées). Fig. 47 (a).<br />

grottess des BAOUSSÉ-HOUSSÉ (commune<br />

dee Grimaldi, Italie, près de Menton).<br />

Fig.. 35, 105-108.<br />

BICORPP (province de Valence, Espagne).<br />

Fig.. 26.<br />

BRASSEMPOUYY (Landes).<br />

grottee du Pape. Fig. 6, 31.<br />

BRNOO (antérieurement Briinni (Moravie).<br />

Fig.. 104.<br />

BKUNIQUELL (Tarn-et-Garonne). Fig. 30,<br />

477 (b), 50, 61, 72.<br />

CALAPATAA (province de Teruel. Espagne)<br />

Fig.. 71.<br />

lala CAVE. Voir LACAVE.<br />

lee CHAFFAUD (Vienne). Fig. 59.<br />

vall del CIIARCO DEL AGUA AMARGA (provincee<br />

de Teruel, Espagne). Fig. 24.<br />

CIIANCELADEE (Dordogne). Fig. 44, 109,<br />

1133 (a).<br />

lala CLOTILDE DE SANTA ISABEL (province<br />

dee Santander, Espagne). Fig. 86.<br />

COGULL (province de Lerida, Espagne).<br />

Fig.. 57, 116.<br />

laa COLOMBIÈRE (Ain). Fig. 12, 83.<br />

COVALANASS (province de Santander,<br />

Espagne).. Fig. 5.<br />

DOKDOGNEE (provenance précise incertaine))<br />

Fig. 40.<br />

abrii DURUTUY. Voir SOUDES.<br />

ENIANBB (Ariège). Fig. 48.<br />

less EYZIES (Dordogne). Fig. 62, 113 (b).<br />

FONTARNAUDD (Gironde). Fig 79.<br />

FONT-DE-GAUMEE (Dordogne). Fig. 80,


TABLETABLE DES MATIÈRES<br />

PRÉFACEE 5<br />

PREMIÈREE PARTIE<br />

<strong>L'ARTT</strong><br />

CHAPITREE PREMIER. — Orientation générale 9<br />

CHAPITREE II. — L'art décoratif 39<br />

CHAPITREE III. — Le réalisme dans l'art figuré. . 79<br />

CHAPITREE IV. — Signification de l'art figuré 109<br />

CBAPITREE V. — Les origines de l'art 130<br />

DEUXIÈMEE PAHTIE<br />

LAA RELIGION<br />

CHAPITREE VI. — Le culte des morts 171<br />

CHAPITREE VII. — La religion et la magie 205<br />

CONCLUSIONSS 227<br />

IjiDEXX DES FIGURES 230


COULOMMIERSS<br />

Imprimeriee E. DESSAINT. — 1-26.

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