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Du bon usage à l'usage L'expression de « quelqu'un » au XVIe siècle

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1. Introduction<br />

<strong>Du</strong> <strong>bon</strong> <strong>usage</strong> <strong>à</strong> l’<strong>usage</strong><br />

L’expression <strong>de</strong> <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong><br />

Anne Van<strong>de</strong>rhey<strong>de</strong>n (Universiteit Antwerpen)<br />

L’objectif <strong>de</strong> cette contribution est <strong>de</strong> remonter <strong>au</strong>x débuts <strong>de</strong> la grammaticographie (le <strong>XVIe</strong><br />

<strong>siècle</strong>) et d’examiner comment quelques-uns <strong>de</strong>s premiers ouvrages <strong>de</strong> référence du français<br />

ren<strong>de</strong>nt compte d’un problème linguistique spécifique, celui du fonctionnement <strong>de</strong>s pronoms<br />

indéfinis susceptibles <strong>de</strong> produire le sens <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong>. Le <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> se définit comme une<br />

pério<strong>de</strong> où la réflexion grammaticale est particulièrement brillante (Chevalier 1968 : 10) et où<br />

l’on commence <strong>à</strong> éprouver le besoin d’une véritable grammaire pour le français 1 , comme le<br />

fait remarquer par exemple Geoffroy Tory dans la préface <strong>de</strong> son Champ fleury (1529, éd.<br />

Cohen):<br />

(1) O Devotz Amateurs <strong>de</strong> <strong>bon</strong>nes Lettres, Pleust a Dieu que quelque Noble cuer semployast a<br />

mettre & ordõner par Reigle nostre Lãgage Francois ! Ce seroit moyen que maints Milliers<br />

dhommes se everturoient a souvent user <strong>de</strong> belles & <strong>bon</strong>nes parolles.<br />

Une <strong>de</strong>s raisons sous-jacentes <strong>à</strong> ce souhait, toujours selon Tory, est une conception négative<br />

du changement linguistique, celui-ci étant compris comme un élément perturbateur, comme<br />

un synonyme <strong>de</strong> corruption ou <strong>de</strong> dégradation:<br />

(2) S’il (nostre Lãgage François) n’y est mys et ordonné, on trouvera que <strong>de</strong> Cinquante Ans en<br />

Cinquante Ans la Langue Francoise, pour la plus gran<strong>de</strong> part, sera changee et pervertie.<br />

1 Nous ne voulons <strong>au</strong>cunement prétendre que la réflexion grammaticale soit née <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>. Il existe déj<strong>à</strong> <strong>de</strong>s<br />

textes portant sur la langue française avant cette époque, comme le signalent entre <strong>au</strong>tres Hermans & Van<br />

Hoecke (1989, 136): <strong>«</strong> Les premiers textes consacrés <strong>à</strong> la langue française apparaissent dès le XIIIe <strong>siècle</strong>, mais<br />

il s’agit d’ouvrages plutôt clairsemés, <strong>de</strong>stinés <strong>à</strong> <strong>de</strong>s étrangers, surtout <strong>de</strong>s Anglais, désireux d’apprendre le<br />

français. A partir du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> les traités grammatic<strong>au</strong>x se multiplient et visent pour la plupart <strong>au</strong>ssi le public<br />

français <strong>»</strong>. On trouve une remarque analogue chez Rickard (1968 : 27) : <strong>«</strong> Abstraction faite <strong>de</strong> quelques<br />

‘manuels <strong>de</strong> langage’ médiév<strong>au</strong>x, composés <strong>à</strong> l’étranger et très sujets <strong>à</strong> c<strong>au</strong>tion, ce n’est qu’<strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> qu’on<br />

s’avisa en France d’analyser la langue vulgaire <strong>»</strong>.<br />

177


Trois approches seront explorées dans cette contribution. Dans un premier temps, nous<br />

examinerons quelques grammaires du français <strong>de</strong> la Renaissance, dans le but <strong>de</strong> répertorier les<br />

morphèmes correspondant <strong>au</strong> sens <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> et <strong>de</strong> caractériser la façon dont ces ouvrages<br />

en font mention. Les <strong>au</strong>teurs étudiés sont, par ordre chronologique, John Palsgrave<br />

(Lesclarcissement <strong>de</strong> la langue francoyse 1530), Jacques <strong>Du</strong>bois, dit Sylvius (In linguam<br />

gallicam isagge 1531), Louis Meigret (Le tretté <strong>de</strong> grammere françoeze 1550), Robert<br />

Estienne (Traicté <strong>de</strong> la gramaire francoise 1557) et Pierre <strong>de</strong> la Ramée, dit Ramus<br />

(Grammaire 1572). Dans un <strong>de</strong>uxième temps, nous confronterons ces témoignages <strong>à</strong> l’<strong>usage</strong><br />

linguistique <strong>de</strong> l’époque, ce qui <strong>de</strong>vrait nous permettre non seulement <strong>de</strong> déterminer l’apport<br />

et l’intérêt <strong>de</strong>s premiers ouvrages <strong>de</strong> référence, mais <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong> préciser la distribution <strong>de</strong>s<br />

différentes formes disponibles. Cette analyse empirique s’appuiera sur un corpus constitué <strong>à</strong><br />

partir <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s textes du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>, tous genres confondus, figurant dans Frantext.<br />

Enfin, en fonction <strong>de</strong>s résultats <strong>de</strong> l’analyse, nous essayerons <strong>de</strong> reconstruire le paradigme, tel<br />

qu’il fonctionne <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>.<br />

Il importe <strong>de</strong> signaler d’emblée que les pronoms signifiant <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> ont subi une<br />

évolution significative, qui va dans le sens d’une simplification. Ainsi le français actuel<br />

dispose d’un paradigme minimal, restreint <strong>à</strong> un seul élément (quelqu’un), ce qui permet sans<br />

doute d’expliquer pourquoi dans les grammaires normatives du français actuel le pronom<br />

indéfini quelqu’un ne fait guère l’objet <strong>de</strong> <strong>de</strong>scriptions poussées et que les informations<br />

retenues <strong>à</strong> son sujet n’y sont présentées que <strong>de</strong> façon éparse 1 . Pendant la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

Renaissance, en revanche, la situation est plus complexe, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux points <strong>de</strong> vue : du point <strong>de</strong><br />

vue paradigmatique, puisque plusieurs lexèmes sont attestés pour exprimer la notion en<br />

question, mais <strong>au</strong>ssi du point <strong>de</strong> vue sémantique, étant donné que les vocables attestés sont<br />

soumis <strong>à</strong> <strong>de</strong>s règles d’emploi, qui méritent d’être mises en valeur.<br />

2. Le <strong>bon</strong> <strong>usage</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> : le cas <strong>de</strong> <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong><br />

2.1. La catégorie <strong>de</strong>s pronoms indéfinis dans les grammaires du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong><br />

Quoi que puissent suggérer les titres <strong>de</strong>s ouvrages consultés, il f<strong>au</strong>t noter que la <strong>de</strong>scription du<br />

fonctionnement et du <strong>bon</strong> <strong>usage</strong> <strong>de</strong>s pronoms indéfinis (et, a fortiori, la réflexion<br />

grammaticale) n’est pas l’objet principal <strong>de</strong> la grammaticographie <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>. Si<br />

1 Le Bon Usage (2008) par exemple définit quelqu’un comme un nominal n’ayant que <strong>de</strong>s personnes comme<br />

référent et ne s’employant qu’<strong>au</strong> masculin singulier <strong>«</strong> pour désigner une personne indéterminée <strong>»</strong>.<br />

178


‘grammaire’ il y a, ce sont essentiellement – ou exclusivement même – la morphologie, les<br />

parties du discours ou la rhétorique qui y sont étudiées, plutôt que les structures langagières <strong>à</strong><br />

proprement parler, comme le fait remarquer <strong>au</strong>ssi Rickard (1968 : 29-30) 1 :<br />

(3) Quant <strong>à</strong> la syntaxe, elle manque entièrement <strong>à</strong> plusieurs grammaires, ou bien, on ne trouve que<br />

quelques observations syntaxiques très éparses, sous <strong>de</strong>s rubriques où l’on ne songerait pas <strong>à</strong><br />

les chercher (…). Le fait est qu’<strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>, la syntaxe, que les grammairiens l’aient<br />

nommée ainsi ou non, ne dépassait guère les limites <strong>de</strong> l’accord du sujet avec le verbe, <strong>de</strong><br />

l’adjectif avec le nom, du relatif avec son antécé<strong>de</strong>nt.<br />

L’explication <strong>de</strong> ce manque d’intérêt rési<strong>de</strong> entre <strong>au</strong>tres dans les nécessités linguistiques <strong>de</strong><br />

l’époque. Un <strong>de</strong>s problèmes linguistiques majeurs du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> est celui <strong>de</strong> l’orthographe,<br />

ou plutôt celui <strong>de</strong> l’absence d’une orthographe systématisée et standardisée pour le français,<br />

problème qui doit être mis en relation avec l’essor <strong>de</strong> l’imprimerie. Le débat linguistique se<br />

concentrera dès lors sur l’examen linguistique du rapport entre prononciation et écriture et sur<br />

l’élaboration <strong>de</strong> propositions <strong>de</strong> réformes d’orthographe, <strong>au</strong> détriment <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong><br />

grammaticale proprement dite 2 . Louis Meigret, par exemple, - le premier Français qui a écrit<br />

la première grammaire du français en langue française, publiée en France - <strong>de</strong>viendra célèbre<br />

grâce justement <strong>à</strong> ses réflexions sur les rapports entre écrit et oral. L’orthographe qu’il<br />

établira en sera une qui donne la prim<strong>au</strong>té <strong>à</strong> l’oral et qui reflète par conséquent la<br />

prononciation <strong>de</strong> l’époque (H<strong>au</strong>smann 1980 : XII). Le point <strong>de</strong> vue qu’il défend est clair :<br />

(4) Les Français ont tant étrangé l’écriture, en une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> vocables, <strong>de</strong> l’<strong>usage</strong> <strong>de</strong> parler :<br />

tant par une superfluité <strong>de</strong> lettres que par la confusion <strong>de</strong> leur puissance qu’il n’est possible <strong>de</strong><br />

dresser sur elle <strong>au</strong>cune façon <strong>de</strong> grammaire que ce ne fût <strong>à</strong> notre confusion.<br />

(H<strong>au</strong>smann 1980 : 2)<br />

La priorité accordée <strong>à</strong> la graphie du français est donc un trait propre <strong>à</strong> la majorité <strong>de</strong>s traités<br />

‘grammatic<strong>au</strong>x’ écrits <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>. En témoignent d’ailleurs les quelques titres suivants,<br />

1 Sioufi (2003 : 27) note <strong>de</strong> la même façon : <strong>«</strong> En schématisant be<strong>au</strong>coup, on pourrait en effet dire que le <strong>XVIe</strong><br />

<strong>siècle</strong> s’est essentiellement intéressé <strong>au</strong>x langues mo<strong>de</strong>rnes sous le rapport du lexique réservant l’analyse<br />

grammaticale <strong>au</strong> cadre <strong>de</strong>s langues anciennes (…). (C’est) l’époque <strong>de</strong>s innombrables ‘trésors’, trésors<br />

d’innombrables termes qui par leurs spécialisations d’emploi, leur origine mystérieuse, leurs croisements <strong>de</strong><br />

sens, pouvaient donner l’impression <strong>au</strong>x esprits encyclopédiques <strong>de</strong> la Renaissance <strong>de</strong> tisser sur le mon<strong>de</strong> un<br />

rése<strong>au</strong> complet <strong>de</strong> significations<strong>»</strong>.<br />

2 Sioufi (2003 : 21) donne encore une <strong>au</strong>tre explication : le fait qu’<strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> les langues vernaculaires<br />

étaient considérées comme <strong>de</strong>s formes bâtar<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s langues classiques, qu’elles ne possédaient pas <strong>de</strong> véritable<br />

syntaxe et que, par conséquent, elles ne pouvaient être fixées par <strong>de</strong>s règles.<br />

179


qui font ressortir en même temps la polémique, parfois virulente, suscitée par ces différentes<br />

propositions <strong>de</strong> régularisation et <strong>de</strong> réforme :<br />

(5) Traité touchant l’ancien orthographe françois contre l’orthographe <strong>de</strong>s Meygretistes, par<br />

Gl<strong>au</strong>malis du Vezlet (Guill<strong>au</strong>me <strong>de</strong>s Autels 1548) ; Dialogue <strong>de</strong> l’ortografe e prononciation<br />

françoese (Jacques Pelletier du Mans 1550) ; Defenses <strong>de</strong> Louis Meigret touchant son livre <strong>de</strong><br />

l’orthographe francoeze contre les censures et calomnies <strong>de</strong> Gl<strong>au</strong>malis du Vezelet et <strong>de</strong> ses<br />

adherans (Louis Meigret 1550) ; La <strong>de</strong>claration <strong>de</strong>s abus que l’on consent en escrivant et les<br />

moyens <strong>de</strong> les eviter et representer nayvement les paroles, ce que jamais homme n’a faict<br />

(Honorat Ramb<strong>au</strong>d 1578), Dialogue sur la cacographie française avec <strong>de</strong>s annotations sur<br />

l’orthographie (L<strong>au</strong>rent Joubert 1579).<br />

Traités d’orthographe donc, plutôt que grammaires du français, ces ouvrages n’abor<strong>de</strong>nt guère<br />

le sujet <strong>de</strong>s pronoms indéfinis; le terme même <strong>de</strong> ‘pronom indéfini’ n’y apparaît d’ailleurs<br />

pas.<br />

2.2. <strong>«</strong> Quelqu’un <strong>»</strong> dans les grammaires du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong><br />

En général, les <strong>au</strong>teurs <strong>de</strong>s grammaires du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> s’en tiennent <strong>à</strong> l’énumération <strong>de</strong><br />

quelques lexèmes correspondant <strong>au</strong> sens <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong>; parfois ils s’attar<strong>de</strong>nt sur leur<br />

morphologie (variation en genre et en nombre), mais jamais ils ne procè<strong>de</strong>nt <strong>à</strong> une analyse<br />

syntaxique approfondie. Ainsi la grammaire <strong>de</strong> Jacques <strong>Du</strong>bois (1531) donne <strong>de</strong>ux lexèmes,<br />

avec leur origine latine, dans un chapitre consacré <strong>au</strong>x pronoms 1 :<br />

(6) aliquis aûlcu’un, ab aliquis unus : vel quelc’un <strong>à</strong> quisquam<br />

Meigret (1550) ne signale que le mot quelcun, en spécifiant qu’il appartient <strong>à</strong> la classe <strong>de</strong>s<br />

noms et qu’il est variable en genre et en nombre. Cette information morphologique sera tout<br />

simplement reprise dans le Traicté <strong>de</strong> la Gramaire francoise (1557) <strong>de</strong> Robert Estienne. La<br />

Grammaire (1572) <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> La Ramée ne réfère pas du tout <strong>à</strong> la sous-classe <strong>de</strong>s indéfinis,<br />

même si l’<strong>au</strong>teur consacre un chapitre <strong>au</strong>x pronoms.<br />

Il y a toutefois une grammaire qui fait exception, non seulement parce qu’elle essaie<br />

d’accor<strong>de</strong>r <strong>au</strong>tant d’importance <strong>à</strong> l’orthographe qu’<strong>à</strong> la ‘grammaire’ et <strong>au</strong> lexique du français,<br />

mais encore parce qu’elle mentionne explicitement les indéfinis (sans toutefois les dénommer<br />

1 Terme pour lequel <strong>Du</strong>bois note explicitement qu’il n’est pas nécessaire <strong>de</strong> le définir !<br />

180


ainsi); c’est Lesclarcissement <strong>de</strong> la langue francoyse <strong>de</strong> Palsgrave, ouvrage qui, <strong>à</strong> l’exception<br />

du titre, a été rédigé entièrement en anglais et qui a été conçu dans un objectif pratique et<br />

pédagogique, celui d’apprendre le français <strong>au</strong>x Anglais.<br />

Pour ce qui est du sujet qui nous occupe, cette grammaire diffère <strong>de</strong>s <strong>au</strong>tres ouvrages<br />

examinés <strong>à</strong> plusieurs égards. En premier lieu, les formes signifiant <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> n’y sont pas<br />

affectées <strong>à</strong> la classe grammaticale <strong>de</strong>s noms, comme c’est le cas chez Meigret et Estienne,<br />

mais <strong>à</strong> celle <strong>de</strong>s pronoms; l’ambiguïté terminologique n’est toutefois pas entièrement levée<br />

puisque les indéfinis relèveraient selon Palsgrave d’une sous-classe <strong>de</strong>s pronoms, désignée<br />

par le terme <strong>de</strong> ‘noms partitifs et distributifs’ 1 :<br />

(7) Of pronownes there be thre chefe sortes, primityves, <strong>de</strong>rivatyves, and <strong>de</strong>monstratyves. We<br />

may also contayne un<strong>de</strong>r the pronowne other thre dyvers sortes: relatyves; interrogatyves, and<br />

numeralles. And I speke also amongest the pronownes in my secon<strong>de</strong> boke of nownes<br />

partityves and distributyves as tout, nul, <strong>au</strong>lcun, quelqun, chascun, etc. (Génin 1852 : XXIX)<br />

En <strong>de</strong>uxième lieu, Lesclarcissement est la seule grammaire <strong>à</strong> dresser une liste exh<strong>au</strong>stive <strong>de</strong>s<br />

morphèmes entrant dans cette sous-classe (Livre II) :<br />

(8) HOWE MANY BE PARTITVES AND DISTRIBUTIVES<br />

Partitives and distributives be these: <strong>au</strong>lcun any man or some man; quelcun some man or some<br />

body; chascun every man or eche; nessung no body or no man; nul no or none, and of hym<br />

nulluy no body; tout all, and of hym trestout all to gether or al holly; tel suche, and of hym<br />

<strong>au</strong>tel suche an other; and ytél suche selfe; <strong>au</strong>ltre other, and of hym <strong>au</strong>ltruÿ an other body;<br />

quelque some; quiconques who soever; maynt many; plusieurs many. (Génin 1852 : 75) 2<br />

Enfin, Palsgrave, contrairement <strong>à</strong> ses contemporains, rend compte du fonctionnement<br />

linguistique <strong>de</strong> cette sous-classe dans un paragraphe qui figure dans la partie la plus<br />

‘grammaticale’ <strong>de</strong> l’ouvrage (le Livre III) et qui est intitulé :<br />

(9) Annotacyons to knowe howe and whan we shall use their nownes partytives and distrybutyves,<br />

and what sondry maners of spekynge they use in the Frenche tonge. Whan we use any of the<br />

same wor<strong>de</strong>s in our tonge, and first to knowe what wor<strong>de</strong>s they have for any (Génin 1852:<br />

359).<br />

1 Classe non définie et non spécifiée par Palsgrave.<br />

2 Les exemples montrent que la distinction entre pronom indéfini et déterminant indéfini n’est pas faite.<br />

181


Le titre même <strong>de</strong> ce paragraphe définit clairement la métho<strong>de</strong> visée par Palsgrave : répertorier<br />

les indéfinis, décrire leurs contextes d’emploi et préciser ce qui différencie le français <strong>de</strong><br />

l’anglais 1 . L’approche <strong>de</strong> Palsgrave est donc plus systématique et plus complète que celle <strong>de</strong><br />

ses contemporains.<br />

Or, <strong>de</strong>ux remarques s’imposent. La première est d’ordre méthodologique. Même si Palsgrave<br />

est l’un <strong>de</strong>s premiers <strong>à</strong> développer une réflexion quelque peu linguistique sur les pronoms<br />

indéfinis correspondant <strong>au</strong> sens <strong>«</strong> <strong>quelqu'un</strong> <strong>»</strong>, cela ne signifie pas que cette réflexion puisse<br />

être qualifiée <strong>de</strong> grammaticale. En réalité, elle est plutôt lexicale, vu que l’<strong>au</strong>teur fait<br />

l’inventaire <strong>de</strong>s formes disponibles et qu’il donne, pour chaque élément, une traduction qui<br />

prend l’anglais comme point <strong>de</strong> départ et un exemple – littéraire parfois – qui permet <strong>de</strong><br />

légitimer la corrélation exposée 2 . L’extrait suivant, où sont énumérées les diverses possibilités<br />

<strong>de</strong> traduction pour l’anglais some, illustre la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> Palsgrave:<br />

(10) WHAT WORDES THEY HAVE FOR SOME.<br />

Whan we use some body or some man or woman, they use quelqun or quelqune.<br />

EXEMPLE.<br />

There is some body ad the dore: il y a quelqun a luys. (Génin 1852: 360)<br />

L’importance <strong>de</strong> la grammaire <strong>de</strong> Palsgrave rési<strong>de</strong> donc moins dans la réflexion<br />

grammaticale, qui est peu présente, que dans une approche qui peut être qualifiée <strong>de</strong><br />

lexicographique, comparative et contrastive.<br />

La secon<strong>de</strong> remarque a trait <strong>à</strong> l’analyse même. Nous avons dû constater, d’une part, que les<br />

listes <strong>de</strong>s pronoms indéfinis dressées par Palsgrave varient d’un chapitre <strong>à</strong> un <strong>au</strong>tre, et d’<strong>au</strong>tre<br />

part, qu’il y a parfois <strong>de</strong>s contradictions <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription sémantique même <strong>de</strong>s<br />

éléments (cf. 2.).<br />

Face <strong>à</strong> ces observations, une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> corpus s’impose afin <strong>de</strong> mettre <strong>à</strong> jour l’inventaire <strong>de</strong>s<br />

lexèmes disponibles <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>, <strong>de</strong> décrire leur distribution respective et <strong>de</strong> comparer<br />

ainsi l’<strong>usage</strong> linguistique <strong>de</strong> l’époque <strong>au</strong> <strong>bon</strong> <strong>usage</strong> proposé dans les ouvrages <strong>de</strong> référence.<br />

1 Kibbee (1985 : 38) caractérise le livre III <strong>de</strong> Palsgrave <strong>de</strong> la façon suivante : <strong>«</strong> The third book has a special<br />

grammatical and pedagogical function. In Palsgrave, the third book is more than just a commentary on the<br />

morphology presented in book II. Book III concentrates on explaining those ‘acci<strong>de</strong>nts’ of the parts of speech<br />

which differentiate French from English<strong>»</strong>.<br />

2 Il est clair que cette approche comparative et contrastive est en gran<strong>de</strong> partie inspirée par le but pédagogique<br />

que se propose cet ouvrage : l’apprentissage du français, langue étrangère. Cette métho<strong>de</strong> paraît d’ailleurs<br />

caractéristique <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s ouvrages parus <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> pour un public anglophone. Kibbee (1989 :<br />

60) remarque <strong>à</strong> ce sujet que <strong>«</strong> dans les œuvres <strong>de</strong>stinées <strong>au</strong>x anglophones, les observations syntaxiques<br />

concernent soit les différences entre l’anglais et le français, soit les différences sémantiques et syntaxiques entre<br />

<strong>de</strong>ux formes i<strong>de</strong>ntiques <strong>»</strong>.<br />

182


3. L’<strong>usage</strong> <strong>de</strong>s pronoms indéfinis signifiant <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong><br />

Dans le <strong>de</strong>uxième livre <strong>de</strong> sa grammaire, Palsgrave signale <strong>de</strong>ux vocables <strong>à</strong> valeur positive<br />

rendant compte du sens <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> : d’une part quelcun, qui est la traduction <strong>de</strong> some man<br />

ou <strong>de</strong> some body ; d’<strong>au</strong>tre part <strong>au</strong>cun, qui correspond selon lui <strong>à</strong> any man ou <strong>à</strong> some man (voir<br />

les citations sous (8) et (10)). Sans vouloir juger <strong>de</strong> la valeur sémantique exacte <strong>de</strong> some et <strong>de</strong><br />

any en anglais <strong>de</strong> la Renaissance, nous pouvons déduire <strong>de</strong> cette caractérisation que <strong>au</strong>cun et<br />

quelcun positifs sont en partie <strong>de</strong>s variantes (correspondant tous les <strong>de</strong>ux <strong>à</strong> some man) et en<br />

partie <strong>de</strong>s éléments complémentaires (seul <strong>au</strong>cun peut être l’équivalent <strong>de</strong> any man, ce qui<br />

signifie qu’il a un fonctionnement plus large que quelcun).<br />

Des problèmes surgissent cependant dans le troisième livre <strong>de</strong> Palsgrave, <strong>au</strong> moment où<br />

l’<strong>au</strong>teur réfère une nouvelle fois <strong>à</strong> la traduction <strong>de</strong> l’indéfini any : conformément <strong>à</strong> son<br />

analyse antérieure, il y signale <strong>au</strong>cun, mais il y ajoute d’<strong>au</strong>tres possibilités, parmi lesquelles<br />

on note quelcun, mais <strong>au</strong>ssi nul et quelconque personne :<br />

(11) For this wor<strong>de</strong> <strong>«</strong> any <strong>»</strong> in our tonge, by sy<strong>de</strong>s <strong>au</strong>lcun they have also nul, quelcun, quelconque<br />

personne (…) of whiche the use shall apere by exemple.<br />

EXEMPLE<br />

And if any man or woman aske: et si nul ou nulle <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. So that nul, in all his gendres and<br />

nombres where the verb hath nat ne before him, stan<strong>de</strong>th for any man, or any woman (…). If<br />

you se any body passe this way: si vous voyez quelcun passer par ycy (…). Sans faire tort a<br />

parsonne. (Génin 1852 : 359)<br />

Cette observation <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Palsgrave remet en c<strong>au</strong>se tout d’abord l’hypothèse <strong>de</strong> la<br />

complémentarité partielle <strong>de</strong> quelcun et <strong>de</strong> <strong>au</strong>cun ; elle oblige ensuite <strong>à</strong> préciser quel est le<br />

vocabulaire disponible <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> pour dire <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong>. Ce sont les données du corpus<br />

qui nous permettront d’éluci<strong>de</strong>r ces <strong>de</strong>ux problèmes et d’affiner la <strong>de</strong>scription proposée par<br />

Palsgrave.<br />

3.1. Quelcun et <strong>au</strong>cun : complémentaires ou non ?<br />

Un premier point <strong>à</strong> éclaircir est celui <strong>de</strong> la complémentarité partielle <strong>de</strong>s pronoms <strong>au</strong>cun et<br />

quelcun. Au premier abord, les occurrences du corpus semblent confirmer l’hypothèse<br />

d’emplois équivalents, dans la mesure où les <strong>de</strong>ux termes sont attestés dans tous les contextes<br />

183


positifs possibles, <strong>au</strong> sens <strong>de</strong> Haspelmath 1 (1997), et qu’ils se présentent par conséquent<br />

comme <strong>de</strong>s variantes, interchangeables. Ainsi, les <strong>de</strong>ux pronoms peuvent désigner <strong>de</strong>s<br />

référents spécifiques, la spécificité référentielle étant <strong>«</strong> la capacité pour une expression<br />

référentielle <strong>à</strong> présupposer l’existence et l’i<strong>de</strong>ntifiabilité unique d’un référent (unique) <strong>»</strong><br />

(Schne<strong>de</strong>cker 2007 : 253). Ce cas <strong>de</strong> figure est illustré par les exemples suivants 2 :<br />

(12a) Celle femme se arresta pour escouster le huttin que nous menions. Alors yl y eust <strong>au</strong>cuns <strong>de</strong><br />

nous qui rua une petite pierre <strong>de</strong>vers elle pour l'en faire aller, et elle se print <strong>au</strong> braire et <strong>au</strong><br />

tencer contre nous (…). (Ph. De Vigneulles, Les Cent Nouvelles Nouvelles, 1515)<br />

(12b) car il y est passé <strong>quelqu'un</strong> venant <strong>de</strong> Strasbourg qui en a dict comme s'il avoit sceu vostre<br />

intention. (J. Calvin, Lettres <strong>à</strong> Monsieur et Madame <strong>de</strong> Falais, 1543-1554)<br />

Les <strong>de</strong>ux pronoms peuvent désigner <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong>s référents non spécifiques, emplois qui se<br />

caractérisent entre <strong>au</strong>tres par le fait que le pronom en question peut être suivi <strong>de</strong> n’importe qui<br />

(Schne<strong>de</strong>cker 2006 : 408). Les contextes non spécifiques suivants sont attestés (cf.<br />

Haspelmath 1997) 3 :<br />

- les contextes irréels 4 :<br />

(13a) Las ! viengne <strong>au</strong>cun, <strong>au</strong> moins, qui <strong>à</strong> ton œil Face apparoir <strong>de</strong> vert que ce soit dueil ! Mon<br />

cueur se <strong>de</strong>ult, combien que d'un vert gay Soit mon habit, comme d'un papegay. (J. Lemaire<br />

<strong>de</strong>s Belges, Les Épîtres <strong>de</strong> l'amant vert, 1511)<br />

(13b) Elisez d'entre vous Quelqu'un qui vienne ici me combattre pour tous. (L. Des Masures, David<br />

combattant, 1566)<br />

- les conditionnelles (14a et b), les questions (15a et b), les comparaisons (16a et b), les<br />

négations indirectes (17a et b), contextes qui relèvent tous <strong>de</strong> la polarité négative:<br />

1 L’approche typologique proposée par Haspelmath dans son ouvrage In<strong>de</strong>finite Pronouns (1997) repose sur la<br />

distinction entre neuf fonctions, le terme <strong>de</strong> ‘fonction’ correspondant <strong>au</strong>x notions <strong>de</strong> <strong>«</strong> sens <strong>»</strong> ou <strong>de</strong> <strong>«</strong> contexte <strong>»</strong>.<br />

2 L’exemple <strong>de</strong> some signalé par Palsgrave sous (10) correspond <strong>à</strong> ce cas.<br />

3 Il importe <strong>de</strong> signaler que tous les exemples <strong>de</strong> any donnés par Palsgrave (cf. (11)) sont <strong>de</strong> ce type.<br />

4 Selon Haspelmath (1997), il s’agit <strong>de</strong> contextes qui mettent en ve<strong>de</strong>tte l’incertitu<strong>de</strong> du locuteur: contextes <strong>au</strong><br />

futur ou <strong>à</strong> l’impératif, contextes mod<strong>au</strong>x (<strong>de</strong>voir, pouvoir, vouloir), contextes épistémiques (savoir, croire, …),<br />

contextes présentant une itération, etc.<br />

184


(14a) Le tiers poinct est qu'en traduisant il ne se f<strong>au</strong>lt Pas asservir jusques <strong>à</strong> l<strong>à</strong> que l'on ren<strong>de</strong> mot<br />

pour mot. Et si <strong>au</strong>cun le faict, cela luy proce<strong>de</strong> <strong>de</strong> p<strong>au</strong>vreté et <strong>de</strong>ff<strong>au</strong>lt d'esprit. (E. Dolet, La<br />

Maniere <strong>de</strong> bien traduire d'une langue en <strong>au</strong>ltre, 1540)<br />

(14b) Je ne dys pas que, si quelcun me donne Ung <strong>bon</strong> présent pour rachacter sa vye (…) Qu'<strong>à</strong> le<br />

s<strong>au</strong>lver promptement n'aye envye. (M. De Navarre, L'Inquisiteur, 1536)<br />

(15a) As-tu <strong>au</strong>ssi jamais veu <strong>au</strong>cun, qui sceust faire fondre, ou liquifier les cailloux, sans sel ?<br />

(B. Palissy, Recepte veritable, 1563)<br />

(15b) H<strong>au</strong>lt, Boniface, un peu plus doux, Quelqu'un vous fait-il <strong>de</strong>splaisir? (J. Grévin, La<br />

Trésorière, 1562)<br />

(16a) et dy que j'ay mieux dormy que <strong>au</strong>cun, non pour avoir reposé plus long temps en sommeil,<br />

mais pour avoir en dormant fait double proffit, l'un <strong>au</strong> corps, l'<strong>au</strong>tre <strong>à</strong> l'ame. (J. Yver, Le<br />

Printemps (extraits), 1572)<br />

(16b) car chascun verra bien tousjours que c'est, et que ce n'est tousjours que faintise, ainsi que fit<br />

<strong>quelqu'un</strong>, qui avec trop peu <strong>de</strong> reverence, et non selon l'art, fit par fainte crucifier en plein<br />

theatre ce grand S<strong>au</strong>veur <strong>de</strong> nous tous. (J. De la Taille, Saül le furieux : tragédie prise <strong>de</strong> la<br />

Bible, 1572)<br />

(17a) car celuy qui est le premier né, est le premier appasté, le second produict tient le second ordre,<br />

et ainsi consecutivement les <strong>au</strong>tres, sans qu'<strong>au</strong>cun soit fr<strong>au</strong>dé <strong>de</strong> ce qui luy compete par le<br />

<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> nature. (P. Boaistu<strong>au</strong>, Le Théâtre du mon<strong>de</strong>, 1558)<br />

(17b) Voyant <strong>au</strong>ssi que ce genre d'escrire Des yeux François si long temps se retire, Sans que<br />

<strong>quelqu'un</strong> ait encore esprouvé Ce que tant <strong>bon</strong> jadis on a trouvé, A bien voulu dépendre ceste<br />

peine Pour vous donner sa Comedie *Eugene (…). (E. Jo<strong>de</strong>lle, L'Eugène, 1573)<br />

Tous ces extraits mettent en évi<strong>de</strong>nce l’équivalence <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pronoms : conformément <strong>à</strong> la<br />

<strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Palsgrave dans son livre III, <strong>au</strong>cun et quelcun correspon<strong>de</strong>nt tant <strong>à</strong> some man<br />

qu’<strong>à</strong> any man et ils se prêtent tout <strong>au</strong>ssi bien <strong>à</strong> la lecture spécifique qu’<strong>à</strong> la lecture non<br />

spécifique, <strong>de</strong> sorte qu’ils peuvent être qualifiés d’allomorphes.<br />

Cependant, malgré les similarités sémantiques et fonctionnelles décelées, il y a un <strong>au</strong>tre<br />

facteur qui paraît plus important pour la définition <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux morphèmes et qui permet <strong>de</strong> les<br />

différencier; c’est leur fréquence globale. Il f<strong>au</strong>t, en fait, signaler la rareté <strong>de</strong> <strong>au</strong>cun positif,<br />

qui n’est présent que dans 100 cas environ, alors que le corpus contient quelque 1100<br />

occurrences du pronom indéfini positif quelcun. Les <strong>de</strong>ux lexèmes se différencient donc sur le<br />

185


plan <strong>de</strong> leur fréquence absolue. Il est clair que ces données numériques nous obligent <strong>à</strong><br />

relativiser la <strong>de</strong>scription fournie par Palsgrave ; il convient même <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il est<br />

encore pertinent <strong>de</strong> mentionner la valeur positive <strong>de</strong> <strong>au</strong>cun dans une grammaire <strong>de</strong>stinée <strong>à</strong><br />

l’apprentissage du français du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>, vu la disproportion quantitative que présente le<br />

corpus.<br />

Enfin, ce qui entre <strong>au</strong>ssi en ligne <strong>de</strong> compte lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> caractériser les <strong>de</strong>ux pronoms,<br />

c’est la fréquence <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s formes par rapport <strong>au</strong>x différentes fonctions (<strong>au</strong> sens <strong>de</strong><br />

Haspelmath). Ainsi <strong>au</strong>cun positif semble se spécialiser dans les emplois du type<br />

‘conditionnelle’ et ‘négation indirecte’, contrairement <strong>à</strong> quelcun qui figure majoritairement<br />

dans les contextes ‘spécifiques’, ‘irrealis’, ‘conditionnelle’; les <strong>de</strong>ux termes diffèrent donc<br />

également par leur fonctionnement référentiel.<br />

3.2. Le vocabulaire pour dire <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong><br />

Le second problème <strong>à</strong> résoudre est celui <strong>de</strong>s formes disponibles <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>. Outre <strong>au</strong>cun<br />

et quelcun, Palsgrave signale les lexèmes nul et quelconque personne (cf. la citation sous<br />

(11)). Les données du corpus rejoignent les observations <strong>de</strong> Palsgrave <strong>au</strong> sujet <strong>de</strong> nul, dans la<br />

mesure où nul peut effectivement avoir une valeur positive :<br />

(18) Batu feusmes piteusement Sans que nul nous vint secourir. (La Chesnaye Nicolas De, La<br />

Condamnation <strong>de</strong> Banquet, 1508)<br />

Mais cela ne signifie pas qu’il soit un simple substitut possible <strong>de</strong> <strong>au</strong>cun ou <strong>de</strong> quelcun. En<br />

fait, comme en latin et en FM, la totalité <strong>de</strong>s occurrences <strong>de</strong> nul positif apparaît dans <strong>de</strong>s<br />

contextes <strong>de</strong> polarité négative (conditionnelle / question / comparaison / négation indirecte),<br />

ce qui implique que ce pronom est exclu <strong>de</strong>s contextes ‘spécifique’ et ‘irrealis’ et qu’il a par<br />

conséquent un fonctionnement plus réduit que <strong>au</strong>cun ou quelcun.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> quelconque personne, en revanche, les informations procurées par<br />

Palsgrave posent problème, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux façons <strong>au</strong> moins : d’abord, parce que notre corpus ne<br />

contient qu’une seule occurrence <strong>de</strong> ce syntagme ; ensuite parce que l’exemple fourni par<br />

Palsgrave (cf. la citation sous (11)) concerne personne, et non pas quelconque personne.<br />

A la question <strong>de</strong> savoir pourquoi le syntagme quelconque personne a été mentionné par<br />

Palsgrave, alors qu’il est quasiment absent dans le corpus, nous n’avons pas <strong>de</strong> réponse<br />

définitive. La seule constatation que nous puissions faire pour l’instant est qu’il s’agit sans<br />

186


doute d’une ancienne survivance : un examen rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’apparition <strong>de</strong> ce même syntagme<br />

pendant la pério<strong>de</strong> du moyen français (MF) 1 , nous apprend plus précisément que le syntagme<br />

est relativement fréquent <strong>au</strong> XIVe <strong>siècle</strong>, mais qu’il régresse <strong>de</strong> manière significative <strong>au</strong> XVe<br />

<strong>siècle</strong>.<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>tre problème, celui du fonctionnement précis <strong>de</strong> personne (<strong>au</strong> lieu <strong>de</strong><br />

quelconque personne), notre corpus est révélateur. Les attestations <strong>de</strong> personne positif y sont<br />

nombreuses, be<strong>au</strong>coup plus nombreuses que celles <strong>de</strong> <strong>au</strong>cun, et quelques régularités se font<br />

jour. <strong>Du</strong> point <strong>de</strong> vue syntagmatique, personne apparaît le plus souvent seul, mais il peut être<br />

combiné <strong>au</strong>ssi <strong>à</strong> <strong>de</strong>s déterminants indéfinis comme un¸ <strong>au</strong>cun, ou quelque. <strong>Du</strong> point <strong>de</strong> vue<br />

distributionnel, personne positif ne se différencie pas <strong>de</strong> <strong>au</strong>cun positif. Ainsi, tout comme<br />

<strong>au</strong>cun, personne peut figurer dans <strong>de</strong>s contextes ‘spécifiques’, où il est toujours étoffé d’un<br />

élément indéfini, dans <strong>de</strong>s combinaisons qui n’ont pas été observées par Palsgrave :<br />

(19) - Monseigneur, l'<strong>au</strong>tre nuyt passée, j'ay veu quelque personne qui me disoit : <strong>«</strong>Demain ton<br />

mary, toy et tes enfans viendrez <strong>à</strong> moy.<strong>»</strong> Et je congnois maintenant que c'estoit Christ.<br />

(Anonyme, Le Violier <strong>de</strong>s histoires rommaines moralisées, 1521)<br />

Comme <strong>au</strong>cun, personne présente <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong>s emplois non spécifiques, où il apparaît<br />

généralement seul, sans déterminant indéfini, et où il est plus fréquent. On l’observe dans <strong>de</strong>s<br />

contextes ‘irrealis’ (21), <strong>de</strong>s conditionnelles (22), <strong>de</strong>s questions (23), <strong>de</strong>s comparaisons (24),<br />

<strong>de</strong>s négations indirectes (25) :<br />

(20) Et vous supplie, Madame, ne trouver estrange si j'en parle tant affectueusement, car ce pourroit<br />

bien estre pour personne qui m'attouche be<strong>au</strong>coup. (C. De Taillemont, Discours <strong>de</strong>s Champs<br />

faëz. A l'honneur, et exaltation <strong>de</strong> l'Amour et <strong>de</strong>s Dames, 1553)<br />

(21) et luy diré que, s'il vient personne pour confesser, qu'i les confesset et que je luy donne ma<br />

puissance. (Ph. De Vigneulles, Les Cent Nouvelles Nouvelles, 1515)<br />

(22) pour ce frappa <strong>à</strong> la porte pour sçavoir si il y avoit personne, mais <strong>à</strong> l'heure qu'il frappoit<br />

Frappes<strong>au</strong>lce dormoit. (Anonyme, Les Chroniques admirables, 1534)<br />

(23) mais pour-<strong>au</strong>tant qu'elle sait d'enchantemens plus que personne qui vive (…), n'est congnu le<br />

moyen <strong>de</strong> sa mort. (C. De Taillemont, Discours <strong>de</strong>s Champs faëz. A l'honneur, et exaltation <strong>de</strong><br />

l'Amour et <strong>de</strong>s Dames, 1553)<br />

1 Le corpus sur lequel s’apppuie cette hypothèse est celui du Dictionnaire du Moyen Français (DMF), accessible<br />

<strong>à</strong> partir <strong>de</strong> ‘Frantext Moyen français’.<br />

187


(24) Et ayant loué une petite chambre <strong>au</strong>x f<strong>au</strong>lxbourgs Sainct Martial, fus l<strong>à</strong> ung an durant, avec<br />

ung petit garçon qui me servoit, sans frequenter personne, estudiant jour et nuict en ces<br />

<strong>au</strong>theurs. (Zecaire, Opuscule tres-eccelent <strong>de</strong> la vraye philosophie naturelle <strong>de</strong>s met<strong>au</strong>lx, ca<br />

1550)<br />

Aucun et personne sont donc en tous points comparables.<br />

Une <strong>de</strong>rnière observation s’impose concernant le vocabulaire signalé par Palsgrave. Par<br />

rapport <strong>au</strong>x données empiriques, le paradigme <strong>de</strong>vrait être complété par <strong>au</strong> moins un mot,<br />

ame, qui, bien qu’il ne soit pas très fréquent, peut avoir une valeur nettement positive <strong>au</strong><br />

<strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>. Il présente en outre la particularité <strong>de</strong> figurer essentiellement, mais pas<br />

exclusivement, dans les négations indirectes:<br />

(25) Noblesse bat sans estre bastue d’ame. (Anonyme, Six pièces polémiques du recueil La<br />

Vallière, 1530)<br />

On peut en conclure que les divers morphèmes disponibles <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> pour exprimer le<br />

sens <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> ne se restreignent pas <strong>à</strong> ceux observés par Palsgrave.<br />

4. Le système en <strong>usage</strong><br />

L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pronoms indéfinis traduisant <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> permet <strong>de</strong> dégager<br />

quelques spécificités. Ainsi, contrairement <strong>au</strong> FM, le français du <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> se caractérise<br />

par la diversité <strong>de</strong>s formes attestées. Parallèlement, la comparaison <strong>de</strong>s diverses formes<br />

concurrentes nous permet <strong>de</strong> constater que la distribution <strong>de</strong>s morphèmes disponibles ne peut<br />

être dissociée du contexte. C’est ce que visualise le table<strong>au</strong> suivant, qui met en rapport les<br />

distinctions fonctionnelles et les formes disponibles selon le critère <strong>de</strong> la fréquence (en gris<br />

les emplois majoritaires 1 <strong>de</strong> chaque forme ; les emplois négatifs, où le lexème en question<br />

signifie <strong>«</strong> absence <strong>de</strong> quelqu’un <strong>»</strong>, ont été intégrés <strong>au</strong>ssi (‘direct negation’) afin <strong>de</strong> montrer<br />

l’importance <strong>de</strong>s formes positives par rapport <strong>au</strong> total <strong>de</strong>s occurrences) :<br />

1 Au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 10%.<br />

188


Table<strong>au</strong> : Répartition <strong>de</strong>s formes principales signifiant <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> et <strong>«</strong> personne <strong>»</strong> (<strong>XVIe</strong> s.)<br />

FORMES<br />

total <strong>de</strong>s occurrences<br />

QUELCUN<br />

1101 occ.<br />

AULCUN<br />

165 occ.<br />

189<br />

PERSONNE<br />

600 occ.<br />

NUL<br />

847 occ.<br />

AME<br />

38 occ.<br />

Spécifique 12 % 4,2 % 1,5 % 2,5 %<br />

Irrealis 28,5 % 8,5 % 4,5 % 5 %<br />

Negative<br />

Polarity<br />

Conditionnelle 48% 18,8 % 3% 0,5 % 2,5%<br />

Question 6 % 3,6 % 1,5% 1 % 8 %<br />

Comparaison 1,2 % 2,5 % 0,5% 2,4 % 5,5 %<br />

Indirect<br />

negation<br />

4 % 21,2 % 13% 31 % 21 %<br />

Direct negation 0,3 % 41,2 % 76 % 93 % 55,5 %<br />

Lorsqu’on tient compte <strong>de</strong>s pourcentages et du nombre absolu <strong>de</strong>s diverses variantes, on peut<br />

observer qu’un contexte pleinement positif appelle majoritairement, mais pas encore<br />

exclusivement, quelcun ; qu’un contexte négatif exige majoritairement personne ; que c’est<br />

dans les contextes <strong>à</strong> polarité négative que le flottement est le plus grand. On voit donc<br />

apparaître clairement <strong>de</strong>s tendances, sans que le système soit entièrement ou définitivement<br />

fixé. Les variations et les hésitations observées, que ce soit dans les ouvrages <strong>de</strong> référence <strong>de</strong><br />

l’époque ou dans les données du corpus, sont essentielles <strong>à</strong> ce propos : elles sont l’illustration<br />

d’une instabilité et d’un changement en cours.<br />

D’un point <strong>de</strong> vue diachronique, il importe <strong>de</strong> signaler que le <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong> n’est pas très<br />

novateur quant <strong>au</strong> sous-système étudié. Tous les mots repérés existaient déj<strong>à</strong> en ancien<br />

français ou en moyen français. En outre, leur fonctionnement référentiel est, en gran<strong>de</strong>s<br />

lignes, analogue <strong>à</strong> celui <strong>de</strong> l’ancien ou du moyen français. Ce qui a changé, en revanche, c’est<br />

le rapport numérique entre les différentes possibilités ; ce sont ces modifications-l<strong>à</strong>, qui<br />

annoncent la mise en place d’un nouve<strong>au</strong> système.


Conclusion<br />

Au moins <strong>de</strong>ux conclusions s’imposent <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> ce petit sous-système. D’une<br />

part le paradigme français pour dire <strong>«</strong> quelqu’un <strong>»</strong> est plus complexe <strong>au</strong> <strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong><br />

qu’actuellement et les vocables disponibles y obéissent <strong>à</strong> <strong>de</strong>s règles qui concernent leur mo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> référer, <strong>de</strong> telle sorte qu’une complémentarité partielle est créée.<br />

D’<strong>au</strong>tre part, l’analyse <strong>de</strong> ce cas concret fait apparaître un décalage entre l’<strong>usage</strong> réel et la<br />

façon dont les grammaires témoignent <strong>de</strong> cette réalité langagière: le corpus offre une image<br />

plus nuancée, <strong>au</strong>ssi bien <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong>s formes disponibles (et donc <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> du paradigme),<br />

qu’<strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong>s significations qui leur sont attribuées ; les informations procurées par les<br />

grammairiens, quant <strong>à</strong> elles, sont parfois moins complètes (cf. les grammaires étudiées <strong>au</strong>tres<br />

que celle <strong>de</strong> Palsgrave), ou moins correctes (le cas le plus flagrant étant celui du syntagme<br />

quelconque personne dans la grammaire <strong>de</strong> Palsgrave). La <strong>de</strong>scription proposée par les<br />

grammairiens ne coïnci<strong>de</strong> donc pas (entièrement) avec la pratique – littéraire, il est vrai – du<br />

<strong>XVIe</strong> <strong>siècle</strong>.<br />

Cet écart observé entre l’<strong>usage</strong> et le <strong>bon</strong> <strong>usage</strong> s’explique en partie par la considération qu’il<br />

y a toujours un décalage – parfois important – entre la langue <strong>de</strong> l’époque (qui est le terrain<br />

d’innovations possibles) et la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> cette langue (qui est plus conservatrice par<br />

définition et qui rend compte <strong>de</strong>s innovations acquises). En même temps, cet écart est<br />

doublement étonnant. D’abord parce que le corpus sur lequel s’appuie notre analyse et le<br />

corpus <strong>de</strong> référence employé par Palsgrave ont été composés <strong>de</strong> textes essentiellement<br />

littéraires et qu’ils présentent donc, tous <strong>de</strong>ux, une langue plutôt conservatrice; ensuite parce<br />

que l’ouvrage <strong>de</strong> Palsgrave a un côté pédagogique important, ce qui amène en principe un<br />

intérêt plus marqué pour la langue ‘vivante’.<br />

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Grammatica Latino- Gallica, ex Hebraeis, Graecis et Latinis <strong>au</strong>thoribus. Paris : Archives <strong>de</strong><br />

la linguistique française, vol. 370 (2 microfiches).<br />

191


192


1. Introduction<br />

Sur la typologie <strong>de</strong>s rimes phonologiques<br />

en français vernaculaire <strong>de</strong> Bruxelles<br />

Marc Dominicy (Université libre <strong>de</strong> Bruxelles)<br />

Le francophone bruxellois qui consulte, <strong>au</strong> hasard, l’un ou l’<strong>au</strong>tre manuel <strong>de</strong> phonétique ou <strong>de</strong><br />

phonologie française peine souvent <strong>à</strong> y reconnaître sa langue (Dominicy 2000). On lui<br />

affirme, par exemple, qu’en syllabe accentuée fermée (en position <strong>«</strong> couverte <strong>»</strong> ou<br />

<strong>«</strong> entravée <strong>»</strong>), où les voyelles mi-fermées /e, ø, o/ <strong>de</strong>vraient rester exceptionnelles, <strong>de</strong>s<br />

allongements purement combinatoires opèrent soit pour toutes les voyelles <strong>de</strong>vant certaines<br />

consonnes ou certains groupes consonantiques, soit pour certaines voyelles <strong>de</strong>vant toute<br />

consonne ou tout groupe consonantique. Ainsi, la voyelle serait toujours longue dans tige,<br />

neige, nage, Bruges, M<strong>au</strong>beuge, rouge, <strong>au</strong>ge, loge, linge, ronge, lange, etc., comme dans<br />

trempe, tante, calanque, flambe, ban<strong>de</strong>, langue, camphre, bombance, tranche, Vanves,<br />

Cortanze, range, etc. Or, comme en témoignent les items ci-<strong>de</strong>ssous, le français standard <strong>de</strong><br />

Bruxelles que je pratique use fréquemment <strong>de</strong>s voyelles mi-fermées /e, ø, o/ <strong>à</strong> cet endroit<br />

(Pohl 1983: 38; Walter 1982: 111-112; Warnant 1997: 174):<br />

/e/: Kate, Molenbeek, barmaid (Baetens Beardsmore 1971: 426), De Greef, ace, ai-je, (Olli) Rehn,<br />

Geel, Vermeer, etc.<br />

/œ/: Eu<strong>de</strong>s, (Rudolf) Hoess, joyeuse, M<strong>au</strong>beuge, Dereume, foehn, etc.<br />

/o/: Van<strong>de</strong>rnoot, coke 1 , <strong>au</strong>be, Au<strong>de</strong>, D’Hooghe, witloof, s<strong>au</strong>ce, Auch, alcôve, ose, <strong>au</strong>ge, arôme,<br />

zone, hall, m<strong>au</strong>re, etc.<br />

Par ailleurs, les consonnes /v, z, ʒ/ ne manifestent pas, dans mon <strong>usage</strong>, le caractère<br />

impérativement allongeant que leur attribuent la plupart <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs, <strong>à</strong> l’exception notable <strong>de</strong><br />

Martinet (1985: 32) et Walter (1976: 127, 133-135; 1977: 44-45): si j’ai un [i:] dans vive, un<br />

[ɛ:] dans lève, lèse et neige, un [ɔ:] dans innove, je prononce, en revanche, la forme tronquée<br />

univ (pour université) avec [iv], Medve<strong>de</strong>v avec [ɛv], Alvarez ou fez avec [ɛz] (Walter 1976,<br />

1 Pour désigner soit le Coca-Cola, soit la cocaïne; le mot se prononce avec [ɔ] lorsqu’il fait référence <strong>à</strong> une<br />

variété <strong>de</strong> char<strong>bon</strong>.<br />

193


127), le sigle T.E.J. (pour <strong>«</strong> Tourisme Étudiants Jeunesse <strong>»</strong>) avec [ɛʒ], et Popov ou Molotov<br />

avec [ɔv].<br />

Mais c’est <strong>à</strong> propos <strong>de</strong> la quantité vocalique que l’écart se fait le plus énorme entre les<br />

<strong>de</strong>scriptions courantes et la réalité phonologique du vernaculaire bruxellois (voir Dominicy<br />

2000: 20; Francard 2010; Hambye 2005: 167-169; Hambye et al. 2003; Pohl 1983, 1986;<br />

Warnant 1997). Le Table<strong>au</strong> 1 montre que, sous l’accent, ce parler <strong>au</strong>torise, pour tous les<br />

timbres vocaliques non-nasals différents <strong>de</strong> [o], une opposition <strong>de</strong> longueur qui crée <strong>de</strong>s<br />

paires (quasi) minimales (voir <strong>au</strong>ssi Dominicy 2000: 22; Féry 2003: 262-263). Si l’on essaie<br />

d’établir une liste représentative <strong>de</strong> telles paires, on s’aperçoit assez vite qu’elles peuvent<br />

relever <strong>de</strong> toutes les strates historiques et <strong>de</strong> tous les registres.<br />

On trouve d’abord, pour les timbres fermés [i, y, u] et mi-fermés [e, ø] 1 , <strong>de</strong>s paires où le<br />

membre <strong>à</strong> voyelle longue se note, dans l’orthographe, avec une syllabe <strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong><br />

postvocalique qui fonctionne, normalement, comme une marque du genre féminin (lie<br />

substantif) ou comme un élément <strong>de</strong> la flexion verbale (lie <strong>de</strong> <strong>«</strong> lier); mais génie masculin<br />

possè<strong>de</strong> un [i:]. Cette première classe accueille sans peine <strong>de</strong>s néologismes ou <strong>de</strong>s emprunts,<br />

surtout pour ce qui concerne le timbre [i]: goupil–groupie, Wi-Fi–philosophie, City–Scythie,<br />

Allenby–Lockerbie, zébu–Kotzebue, Malibu–boue, tsé-tsé–laissée, Lao Tseu–bleue, etc.<br />

Viennent ensuite, pour les timbres fermés [i, y, u], mi-ouverts [ɛ, œ, ɔ] et ouvert [a], les paires<br />

où le membre <strong>à</strong> voyelle longue se note, dans l’orthographe, avec une syllabe <strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong><br />

postconsonantique (plus, éventuellement, le circonflexe). L<strong>à</strong> <strong>au</strong>ssi, les néologismes ou les<br />

emprunts s’intègrent aisément: Dim–dîme, Sim–cime, uppercut–eûtes, foot–voûte, raid/red–<br />

rai<strong>de</strong>, plaid–plai<strong>de</strong>, Club Med–Mè<strong>de</strong>, (Porgy and) Bess–baisse, Mel (Ferrer/Gibson)–mêle,<br />

ket–quête 2 , fun–jeune, Job/job–gobe, Rob–robe, Rod (Steiger/Stewart)–ro<strong>de</strong>/Rho<strong>de</strong>(s) 3 , snob–<br />

xénophobe (Walter 1976: 220), Brad (Pitt)–bra<strong>de</strong>, Bram (van Vel<strong>de</strong>)–brame, GATT–gâte,<br />

MASH–mâche, pack–Pâques, Pam–pâme, etc.<br />

Une troisième classe inclut, pour les timbres fermés, mi-ouverts et ouverts <strong>au</strong>tres que [œ], les<br />

paires dont les <strong>de</strong>ux membres se notent, dans l’orthographe, avec une syllabe <strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong><br />

postconsonantique; ici <strong>au</strong>ssi, néologismes et emprunts sont attestés: Van<strong>de</strong>wille–huile 4 ,<br />

1<br />

Certains <strong>de</strong>s locuteurs étudiés par Walter (1976 : 117-126, 150; 1977 : 79, 95, 144-145; 1993) distinguent lait<br />

<strong>de</strong> laie en prononçant un [ɛ:] dans le second mot; pour ma part, j’oppose alors [lɛ] <strong>à</strong> [le:], ce qui rend possible un<br />

triplet lez–laie–laid /le–le:–lɛ/, sur le modèle <strong>de</strong> appelé–appelée–appelait.<br />

2<br />

Le substantif ket (<strong>«</strong> jeune garçon <strong>»</strong>) est un emprunt <strong>au</strong> dialecte bruxellois (Baetens Beardsmore 1971 : 411-<br />

412).<br />

3<br />

La forme verbale ro<strong>de</strong> avec [ɔ] (<strong>«</strong> mettre progressivement en <strong>usage</strong> ou en route <strong>»</strong>) s’oppose <strong>à</strong> rô<strong>de</strong> avec [o]<br />

(Delattre 1966 : 108); Rho<strong>de</strong>s désigne l’île grecque et Rho<strong>de</strong>(-Saint-Genèse) une commune <strong>«</strong> <strong>à</strong> facilités <strong>»</strong> située<br />

dans la banlieue flaman<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bruxelles.<br />

4<br />

Prononcé [wi:l] et non [ɥil].<br />

194


Verbrugge–Hugues, Le Zoute–voûte, quette–quête 1 , Melle–mêle, Gobbe–gobe, acre–âcre, (la)<br />

pape – (le) pape 2 , Crabbe–crabe, etc. On remarquera que si le circonflexe caractérise souvent<br />

le membre <strong>à</strong> voyelle longue, il ne constitue cependant pas une indication univoque: la forme<br />

verbale lâche avec [a] ne se distingue pas, typographiquement, <strong>de</strong> l’adjectif lâche avec [a:], ni<br />

s’abîme (avec [i], <strong>«</strong> se détériore <strong>»</strong>) <strong>de</strong> s’abîme (avec [i:], <strong>«</strong> s’enfonce <strong>»</strong>), même si les locuteurs<br />

– dont Delattre (1966: 107) ou Féry (2003: 263) – ten<strong>de</strong>nt <strong>à</strong> supprimer le circonflexe <strong>au</strong><br />

moment d’écrire les formes <strong>à</strong> voyelle brève 3 . Dans la transcription <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières, le <strong>«</strong> e<br />

muet <strong>»</strong> suit fréquemment une consonne graphique redoublée, ou un groupe <strong>de</strong> consonnes<br />

graphiques où l’obstruante est redoublée.<br />

Lorsqu’un [ɛ:] précè<strong>de</strong> un /m/ ou un /n/ dans un mot que l’orthographe note avec une syllabe<br />

<strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong> postconsonantique, la voyelle longue se nasalise (Dominicy 2000: 19; Hambye et<br />

al. 2003; Pohl 1983: 40-41; Warnant 1997: 174) 4 . On obtient ainsi <strong>de</strong> très nombreuses paires<br />

(quasi) minimales entre [ɛ] et [ɛ :], y compris par la voie du néologisme ou <strong>de</strong> l’emprunt:<br />

harem–trirème, mo<strong>de</strong>m–œdème, (Sophia) Loren–Lorraine, Ten–Taine, yen–hyène, gemme–<br />

j’aime, rêne/renne/Rennes–reine, Senne–Seine, etc.<br />

Une quatrième classe, plus hétérogène et dépendante du néologisme ou <strong>de</strong> l’emprunt, réunit<br />

les paires où le membre <strong>à</strong> voyelle longue ne se note pas, dans l’orthographe, avec une syllabe<br />

<strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong> postconsonantique: crime–cold cream, mine–Halloween, Dyle–<strong>de</strong>al, cric/crique–<br />

Kriek, Zadig–Grieg, talmud–sud, dune–Zuun, coule–cool, poule–pool, vous–VOO 5 , sol(e)–<br />

soul 6 , abaque/bac(k)–Bae(c)k, basse–baas 7 , masse–Maes, etc. À ma connaissance, ce cas <strong>de</strong><br />

figure ne se présente pas avec les timbres [e, ø, ɛ, œ]; la voyelle longue reçoit presque<br />

toujours une transcription d’origine germanique.<br />

1<br />

Quette substantif (<strong>«</strong> pénis <strong>»</strong>) ou verbe (<strong>«</strong> fait l’amour <strong>»</strong>) est un terme obscène très vulgaire, dont le caractère<br />

brutal disparaît dans la forme nominale <strong>à</strong> réduplication quéquette (Baetens Beardsmore 1971 : 344). Les jeunes<br />

garçons utilisent quette et quetter parallèlement <strong>à</strong> tette pour <strong>«</strong> sein <strong>»</strong>.<br />

2<br />

La pape avec [a] est une bouillie ou une colle; on dit <strong>au</strong>ssi pape <strong>au</strong> riz (néerlandais rijstpap) pour <strong>«</strong> riz <strong>au</strong> lait <strong>»</strong><br />

(Baetens Beardsmore 1971 : 359-360).<br />

3<br />

La coexistence <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux s’abîme montre comment <strong>de</strong>s paires minimales peuvent émerger suite <strong>à</strong> une diglossie<br />

entre langage quotidien et langage littéraire; il en va <strong>de</strong> même pour dites–dîtes, vite–vîtes, butte–bûtes, pute–<br />

pûtes, etc.<br />

4<br />

Dans mon parler, ce phénomène ne se produit pas <strong>de</strong>vant /ɲ/ ou sa <strong>«</strong> désarticulation <strong>»</strong> /nj/: je prononce peigne<br />

ou duègne avec [ɛ]; mais l’un <strong>de</strong>s sujets étudiés par Walter (1977 : 127) a [ɛ:] dans duègne et j’ai entendu un<br />

locuteur originaire <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong> la Belgique produire la voyelle longue nasalisée dans peigne. Par ailleurs, jeûne et<br />

jeune admettent sporadiquement une réalisation avec [œ :].<br />

5<br />

Nom d’un rése<strong>au</strong> <strong>de</strong> télédistribution dont le slogan publicitaire <strong>«</strong> Vous êtes si bien chez VOO <strong>»</strong> exploite la<br />

quasi-homonymie entre les <strong>de</strong>ux membres <strong>de</strong> la paire.<br />

6<br />

Le [ɔ:] tend ici, comme dans Docteur House, <strong>à</strong> subir une diphtongaison imitée <strong>de</strong> l’anglais.<br />

7<br />

Un baas (<strong>au</strong>ssi orthographié baes ou baze) est un patron (notamment <strong>de</strong> café) ou un homme cost<strong>au</strong>d (Baetens<br />

Beardsmore 1971 : 373-374).<br />

195


TABLEAU 1<br />

[i] [i:] [y] [y:] [u] [u:]<br />

lit lie cru/crû crue bout boue<br />

Sim cime (le) but bûtes foot voûte<br />

s’abîme s’abîme pute pûtes route voûte<br />

crime cold-cream dune Zuun coule cool<br />

Zadig Grieg talmud sud vous VOO<br />

[e] [e:] [ø] [ø:]<br />

armé armée bleu bleue<br />

[ɛ] [ɛ:] [œ] [œ:] [ɔ] [ɔ:]<br />

cep cèpe fun jeune job gobe<br />

mettre/mètre maître Lobbes lobe<br />

2. Quelques solutions <strong>à</strong> exclure<br />

[a] [a:]<br />

Ath hâte<br />

tache tâche<br />

abaque Bae(c)k<br />

masse Maes<br />

196<br />

sole soul<br />

sol soul<br />

En 1949, Roman Jakobson et John Lotz ont publié une <strong>de</strong>scription phonologique <strong>de</strong>s voyelles<br />

françaises qui ne postule que trois <strong>de</strong>grés d’aperture: (i) les voyelles diffuses /i, y, u/, qui<br />

combinent les traits /+diffus/ et /-compact/; (ii) les voyelles moyennes /e, ɛ, ø, œ, o, ɔ/, qui<br />

combinent les traits /-diffus/ et /-compact/; (iii) les voyelles compactes /a, ɑ/, qui combinent<br />

les traits /-diffus/ et /+compact/. Pour rendre compte <strong>de</strong> l’opposition entre les mi-fermées<br />

/e, ø, o/ et les mi-ouvertes /ɛ, œ, ɔ/, ou <strong>de</strong> celle entre /ɑ/ et /a/, Jakobson et Lotz recourent <strong>au</strong>x<br />

traits mutuellement contradictoires /tendu/ et /lâche/ (voir encore Jakobson, Fant & Halle<br />

1952 [1988]: 635-636; Jakobson & Halle 1963, 153; Jakobson & W<strong>au</strong>gh 1980: 166-171, 186-<br />

187). Les voyelles tendues /e, ø, o, ɑ/ se distinguent <strong>de</strong>s voyelles lâches /ɛ, œ, ɔ, a/ par<br />

l’articulation ou par une durée plus gran<strong>de</strong>. On s’explique ainsi que les oppositions <strong>de</strong> timbre


ɛ–e/, /œ–ø/, /ɔ–o/, /a–ɑ/ puissent, ou aient pu, alterner avec <strong>de</strong>s oppositions <strong>de</strong> longueur<br />

vocalique dans graisse–Grèce ([grɛ:s] ou [gres] pour le second mot), jeune–jeûne ([ʒœ:n] ou<br />

[ʒøn] pour le second mot), Molotov–Ninove ([ninɔ:v] ou [ninov]), patte–pâte ([pa:t] ou [pɑt]<br />

pour le second mot).<br />

La première difficulté <strong>à</strong> laquelle se heurte cette approche tient <strong>à</strong> l’existence, pour les timbres<br />

fermés [i, y, u] et mi-fermés [e, ø], <strong>de</strong>s paires où le membre <strong>à</strong> voyelle longue se note, dans<br />

l’orthographe, avec une syllabe <strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong> postvocalique. Jakobson considère le <strong>«</strong> schwa <strong>»</strong><br />

/ə/, équivalent phonémique du <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong>, non pas comme une voyelle, mais comme une<br />

glissante syllabique (peut-être tendue) qui s’oppose <strong>à</strong> la glissante non-syllabique (peut-être<br />

lâche) /h/. De surcroît, il suppose les voyelles diffuses /i, y, u/ tendues, par contraste avec les<br />

semi-voyelles /j, ɥ, w/, qui seraient lâches. Il s’ensuit que les paires lit–lie, cru/crû–crue,<br />

bout–boue se verront phonologisées avec /i, y, u/ pour la brève et /iə, yə, uə/ pour la longue –<br />

la même stratégie s’appliquant <strong>à</strong> armé–armée /e–eə/ et bleu–bleue /ø–øə/ puisque /e/ comme<br />

/ø/ sont déj<strong>à</strong> <strong>de</strong>s voyelles tendues.<br />

Deux arguments militent en faveur d’une telle solution. Tout d’abord, les réalisations avec<br />

syllabe posttonique <strong>de</strong> lie, crue, boue, armée ou bleue, qui ont survécu plus tard qu’on ne le<br />

pense souvent (Dominicy 2000: 22; Morin 2000: 199-200), restent en vigueur dans certains<br />

<strong>usage</strong>s métriques ou chantés (Dell 1989; Morin 2000). Ensuite, <strong>de</strong>s allongements imputables<br />

<strong>au</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong> apparaissent également dans <strong>de</strong>s syllabes pénultièmes et prétoniques 1 : épiera<br />

avec [i:], dénuement avec [y:], amadouera avec [u:], féerie avec [e:], bleuement (s’il f<strong>au</strong>t<br />

prononcer ce mot rare) avec [ø:] – toutes formes qui admettent, elles <strong>au</strong>ssi, les réalisations<br />

bisyllabiques en lieu et place <strong>de</strong> la voyelle longue dans certains <strong>usage</strong>s métriques ou chantés<br />

(Dell 1989: 123-124): par exemple, nous te ma-ri-e-rons (<strong>«</strong> Ne pleure pas, Jeannette <strong>»</strong>). On<br />

comprend, dès lors, que Tranel (1987: 49-51) postule un allongement compensatoire, dû <strong>au</strong><br />

<strong>«</strong> e muet <strong>»</strong>, dans la prononciation <strong>«</strong> belge <strong>»</strong> <strong>de</strong> amie et roue, et qu’il n’hésite pas <strong>à</strong> étendre<br />

cette analyse <strong>au</strong>x paires minimales où le membre <strong>à</strong> voyelle longue se note, dans<br />

l’orthographe, avec une syllabe <strong>à</strong> <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong> postconsonantique 2 .<br />

1 Le portugais lusitanien connaît, mutatis mutandis, une situation comparable: certains mots y contreviennent <strong>à</strong> la<br />

tendance générale en renfermant un [a] prétonique plutôt que la réduction <strong>à</strong> [ə]: on a ainsi ca<strong>de</strong>ira avec [ə] mais<br />

caveira ou pa<strong>de</strong>iro avec [a], bater avec [ə] mais baptizar avec [a], armar avec [ə] mais armada avec [a], a casa<br />

avec [ə] mais <strong>à</strong> casa avec [a], etc. La solution la plus simple, et qui s’accor<strong>de</strong> avec certaines données<br />

diachroniques, consiste <strong>à</strong> poser, pour caveira, pa<strong>de</strong>iro, baptizar, armada, <strong>à</strong> casa, etc., l’existence d’un noy<strong>au</strong><br />

long sous-jacent qui se réduit superficiellement <strong>à</strong> [a] (Dominicy, 2007, 225).<br />

2 Les exemples qu’il fournit – sûr avec [y] opposé <strong>à</strong> sûre avec [y:], tous avec [u] opposé <strong>à</strong> tousse avec [u:] –<br />

n’appartiennent pas <strong>à</strong> mon <strong>usage</strong>. Le second offre, <strong>de</strong> surcroît, la singularité troublante que P<strong>au</strong>l Passy faisait la<br />

distinction inverse – tousse avec [u] opposé <strong>à</strong> tous avec [u:] (Michaelis, Passy, 1914, XXII; voir Martinet, 1985,<br />

29). L’hypothèse <strong>de</strong> Tranel reçoit une forme extrême chez Montreuil (1995) qui voudrait expliquer le [o:] <strong>de</strong><br />

s<strong>au</strong>te, par exemple, <strong>au</strong> moyen <strong>de</strong> l’allongement compensatoire; mais, pour maintenir le contraste avec la voyelle<br />

197


On peut cependant entretenir <strong>de</strong>s doutes légitimes quant <strong>à</strong> l’existence d’un <strong>«</strong> schwa<br />

phonologique <strong>»</strong> en français septentrional. La notation <strong>«</strong> /ə/ <strong>»</strong> sert, en principe, <strong>à</strong> enco<strong>de</strong>r un<br />

segment caractérisable, avant tout, par <strong>de</strong>s propriétés distributionnelles et prosodiques que ne<br />

partageraient ni /ø/ ni /œ/: entre <strong>au</strong>tres, une <strong>«</strong> caducité <strong>»</strong> très générale et l’impossibilité<br />

d’apparaître, dans le mot, <strong>à</strong> l’initiale absolue ou <strong>de</strong>vant voyelle (Jakobson & W<strong>au</strong>gh 1980:<br />

186-187; comparer avec œuvrer, bleuet), <strong>de</strong> même qu’<strong>au</strong>x pénultième ou finale accentuées<br />

(comparer avec émeute trisyllabique ou heure bisyllabique, avec frileux et malheur). Poussés<br />

par le souci <strong>de</strong> maintenir un lien immédiat entre l’analyse phonologique et les transcriptions<br />

phonétiques, <strong>de</strong> très nombreux <strong>au</strong>teurs utilisent la notation <strong>«</strong> [ə] <strong>»</strong> sans trop s’interroger sur la<br />

réalité qu’elle peut recouvrir: voyelle centrale non-arrondie, voyelle arrondie intermédiaire<br />

entre [ø] et [œ], antériorisation <strong>de</strong> [o] ou [ɔ], etc. Cette pratique contraste avec la fragilité<br />

notoire <strong>de</strong>s paires minimales que l’on a invoquées pour établir l’i<strong>de</strong>ntité purement segmentale<br />

du <strong>«</strong> e muet <strong>»</strong> par rapport <strong>à</strong> /ø/ et <strong>à</strong> /œ/: fris-le–frileux, comme je dis–comme jeudi, <strong>de</strong> tristes<br />

histoires–<strong>de</strong>ux tristes histoires, le rôt–leur e<strong>au</strong>, le ré–leurré, je ne v<strong>au</strong>x rien–jeune v<strong>au</strong>rien,<br />

etc. (Dominicy 2000: 19). Mais si, par réalisme phonétique, on renonce <strong>à</strong> écrire <strong>«</strong> [ə] <strong>»</strong>, tout<br />

choix unilatéral en faveur <strong>de</strong> <strong>«</strong> [ø] <strong>»</strong> ou <strong>de</strong> <strong>«</strong> [œ] <strong>»</strong> se révèlera difficilement justifiable. En<br />

outre, il ne suffirait pas <strong>de</strong> neutraliser la différence entre [ø] ou [œ] <strong>au</strong> moyen d’une notation<br />

<strong>«</strong> [Œ] <strong>»</strong> par ailleurs justifiée pour la plupart <strong>de</strong>s <strong>usage</strong>s actuels; car afin <strong>de</strong> distinguer neige (en<br />

prononciation bisyllabique) <strong>de</strong> neigeux, l’on <strong>de</strong>vrait encore affecter chaque transcription d’un<br />

diacritique accentuel ([n·ɛʒŒ] vs [nɛʒ·Œ]), et cela en contradiction flagrante avec la nature<br />

prédictible <strong>de</strong> l’accent en français. Si l’introduction d’un <strong>«</strong> schwa phonologique <strong>»</strong> élimine<br />

techniquement le problème (/nɛʒə/ vs /nɛʒø, nɛʒŒ/), on ne s<strong>au</strong>rait pourtant écarter une <strong>au</strong>tre<br />

hypothèse, <strong>à</strong> savoir celle d’un ajout, <strong>à</strong> certains positions, d’un [Œ] qui ne figure pas dans la<br />

structure segmentale <strong>de</strong>s formes concernées. La pratique <strong>de</strong>s enfants pré-alphabétisés et <strong>de</strong>s<br />

personnes mal acculturées <strong>à</strong> l’orthographe milite en ce sens, puisqu’on y trouve non<br />

seulement <strong>de</strong>s occurrences postconsonantiques du type cheval[Œ] pour cheval (voir la rime<br />

intentionnellement boiteuse belle–Courchevel[Œ] dans la chanson <strong>«</strong> Qu’est-ce qu’elle est<br />

belle <strong>»</strong> <strong>de</strong> Pierre Perret), mais <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong>s occurrences postvocaliques du type Dormez-vous [Œ]<br />

(Morin 2000: 204). Des hésitations du même ordre se manifestent, dans mon <strong>usage</strong> personnel,<br />

quand il me f<strong>au</strong>t choisir entre une brève ou une longue pénultième et prétonique pour certains<br />

mots – par exemple, entre [i] et [i:] pour définiriez, entre [y] et [y:] pour prétendument, entre<br />

[e] et [e:] pour censément; la prononciation, très répandue, <strong>de</strong> exclura, inclura avec [y:]<br />

brève [ɔ] <strong>de</strong> sotte, il f<strong>au</strong>drait introduire, <strong>de</strong> toute façon, une spécification supplémentaire portant sur l’articulation<br />

consonantique qui suit (Scullen 1997 : 23-26; Dominicy 2000 : 25).<br />

198


favorise d’ailleurs les orthographes <strong>«</strong> analogiques <strong>»</strong> excluera, incluera, etc. Très récemment,<br />

enfin, on a vu se multiplier les cl<strong>au</strong>sules finales dans lesquelles une forme insistante <strong>de</strong> la<br />

mélodie accentuelle h<strong>au</strong>t-bas impose l’adjonction d’un [Œ] posttonique en toutes<br />

circonstances: É-cou-TE!, Do-mi-ni-QUE!, C’est-mon-ma-ri-[Œ]!, T’es fou-[Œ]!, etc. (Fónagy,<br />

1989). Si l’on assimile l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>«</strong> e muets <strong>»</strong> réalisés <strong>à</strong> <strong>de</strong>s [Œ], on s’explique non<br />

seulement l’apocope [<strong>de</strong>ʒ´ne] dans déjeuner, mais <strong>au</strong>ssi la diffusion <strong>de</strong> l’accentuation<br />

oxytonique pour <strong>de</strong>s mots comme Mahler, <strong>de</strong>aler, speaker (avec [Œr]) et, <strong>à</strong> Bruxelles, Van<br />

Volxem (avec [ksŒm]) ou Van<strong>de</strong>moortele (avec [tŒl·Œ]), dont la syllabe finale ou pénultième<br />

subissait, <strong>au</strong>paravant, l’ajustement en [ɛ]: [malɛr], [dilɛr], [spikɛr], [vãnvɔlksɛm],<br />

[vãndœmɔrtɛl] (Fónagy 1989: 223, 246). Pour <strong>de</strong>aler, speaker, voire Mahler, l’influence du<br />

suffixe -eur ne peut être exclue (cf. l’orthographe spiqueur, <strong>de</strong>aleur); mais Van Volxem et<br />

Van<strong>de</strong>moortele semblent bel et bien indiquer que les emplois <strong>de</strong> l’<strong>«</strong> archiphonème <strong>»</strong> /Œ/<br />

connaissent une extension spectaculaire en syllabe finale.<br />

Autre difficulté, plus grave encore, pour l’approche <strong>de</strong> Jakobson et Lotz: le parler que<br />

j’examine ici ne connaît <strong>au</strong>cune relation d’allophonie entre les voyelles mi-fermées (brèves ou<br />

longues) et les mi-ouvertes longues qui leur correspon<strong>de</strong>nt. On trouve, en effet, <strong>de</strong>s triplets<br />

tels que Kate avec [e:], quête avec [ɛ:] et ket/quette avec [ɛ], fœhn avec [ø:], jeune ou jeûne<br />

avec [œ:]/[œ :] et fun avec [œ], l’<strong>au</strong>be avec [o:], lobe avec [ɔ:] et Lobbes avec [ɔ]. Certes, ces<br />

triplets mettent en jeu <strong>de</strong>s emprunts, un anthroponyme et un toponyme; mais, comme je l’ai<br />

déj<strong>à</strong> indiqué, la possibilité d’employer /e/ en syllabe fermée est bien enracinée, notamment<br />

par les toponymes et anthroponymes d’origine flaman<strong>de</strong>, et la série l’<strong>au</strong>be–lobe–Lobbes ne<br />

constitue pas un hapax. En témoignent ace–abesse–baisse, mail-Mel(le)–mêle, Rehn–<br />

rêne/renne/Rennes–reine, ale–elle–aile/hèle, etc. ou rô<strong>de</strong>–ro<strong>de</strong>/Rho<strong>de</strong>(s)–Rod, D’Hooghe–<br />

dogue–(hot-)dog, alcôve–innove–Molotov, etc.<br />

Chose intéressante, la même insuffisance affecte la <strong>de</strong>scription, d’esprit jakobsonien, que<br />

Cohen et al. (1961) ont voulu appliquer <strong>au</strong> système vocalique du néerlandais. Ces <strong>au</strong>teurs<br />

séparent, eux <strong>au</strong>ssi, les phonèmes <strong>«</strong> non articulés <strong>»</strong> que seraient le schwa /ə/ et l’aspiration /h/<br />

du reste <strong>de</strong>s segments; parce qu’il s’accompagne d’un <strong>«</strong> bruit secondaire <strong>»</strong> (secundair geruis),<br />

/h/ ne peut constituer un noy<strong>au</strong> syllabique, <strong>à</strong> la différence du /ə/. On aboutit ainsi, comme le<br />

montre le Table<strong>au</strong> 2, <strong>à</strong> un inventaire maximal <strong>de</strong> treize voyelles 1 , réparties en trois classes: (i)<br />

1 Voir Cohen et al. (1961 : 24-25, 43). Afin <strong>de</strong> simplifier la discussion, j’ai maintenu partout la terminologie<br />

jakobsonienne <strong>de</strong>s traits distinctifs et j’ai adopté la notation actualisée qu’emploient Collier, Droste (1973 : V-VI)<br />

et Booij (1981 : 17-19, 29-34); plus récemment, Booij (1995: 4-7, 16-17) a substitué <strong>«</strong> Y <strong>»</strong> <strong>à</strong> <strong>«</strong> œ <strong>»</strong>. Il va <strong>de</strong> soi<br />

que le Table<strong>au</strong> 2 ne mentionne pas les très nombreux <strong>«</strong> phonèmes d’emprunt <strong>»</strong> (analyse, centrifuge, rouge, serre,<br />

œuvre, controle, basketball, enfin, parfum, chanson, rest<strong>au</strong>rant).<br />

199


les voyelles fermées /i, y, u/, que Cohen et al. considèrent comme indifférentes <strong>à</strong> l’opposition<br />

entre tension et laxité; (ii) les voyelles moyennes ou ouverte tendues /e, ø, o, a/; les voyelles<br />

moyennes ou ouverte non-tendues (lâches) /I, ɛ, œ, ʊ, ɔ, ɑ/ 1 .<br />

TABLEAU 2<br />

/+diffus,-compact/ /+aigu/ /-bémolisé/ /i/ piet<br />

/+bémolisé/ /y/ buut<br />

/-aigu/ /u/ boet<br />

/-diffus,-compact/ /+aigu/ /-bémolisé/ /+tendu/ /e/ beet<br />

200<br />

/-tendu/ /I/ pit<br />

/ɛ/ bed<br />

/+bémolisé/ /+tendu/ /ø/ beuk<br />

/-tendu/ /œ/ put<br />

/-aigu/ /+tendu/ /o/ boot<br />

/-tendu/ /ʊ/ bot<br />

/ɔ/ bod<br />

/-diffus,+compact/ /+tendu/ /a/ baat<br />

/-tendu/ /ɑ/ bad<br />

Dans ce système également, <strong>au</strong>cune relation d’allophonie ne permet <strong>de</strong> réduire les triplets [e–<br />

I–ɛ] et [o–ʊ–ɔ], <strong>de</strong> sorte que Cohen et al. se voient obligés d’ajouter une opposition mi-fermé<br />

– mi-ouvert, indépendante <strong>de</strong> celle entre tension et laxité, pour distinguer /I/ et /ʊ/ <strong>de</strong> /ɛ/ et /ɔ/.<br />

Mais la situation se révèle cependant moins délicate qu’en français. D’une part, les paires<br />

(quasi) minimales entre /ʊ/ et /ɔ/ (bok–hok, bot–bod, mos <strong>«</strong> mousse <strong>»</strong> – mos <strong>«</strong> <strong>usage</strong> <strong>»</strong>, schrok<br />

<strong>de</strong> schrikken – schrok <strong>de</strong> schrokken, etc.) semblent toutes discutables (Cohen et al. 1961: 17;<br />

Hermkens 1969: 28-29; Schouten 1981) et les phonologues ten<strong>de</strong>nt <strong>au</strong>jourd’hui <strong>à</strong> considérer<br />

[ʊ] comme un allophone <strong>de</strong> /ɔ/, attesté <strong>de</strong>vant /m, n, ŋ/ ainsi que dans op (Booij 1981: 18;<br />

1995: 7). D’<strong>au</strong>tre part, et plus généralement, les données empiriques justifient d’assigner le<br />

trait /+tendu/ <strong>à</strong> la série fermée [i, y, u], et <strong>de</strong> voir dans [I, œ, ʊ] une série fermée, mais non<br />

tendue, où [œ] <strong>de</strong>vient le correspondant lâche <strong>de</strong> [y] (Collier & Droste 1973: 44-48; Booij<br />

1981: 29) – ce qui, soit dit en passant, invite <strong>à</strong> remplacer la notation <strong>«</strong> œ <strong>»</strong> par <strong>«</strong> <strong>«</strong> Y <strong>»</strong> (voir<br />

note 15).<br />

1 Voir encore Moulton (1962), Hermkens (1969 : 23-32, 88-92) et van Bakel (1976 : 16-21). On se souviendra<br />

que, pour la paire /a–ɑ/, les valeurs <strong>de</strong> tension/laxité sont inversées par rapport <strong>au</strong> français.


3. Une typologie <strong>de</strong>s rimes phonologiques<br />

Ce bref détour par le néerlandais me fournit une transition aisée vers le genre d’approche que<br />

je voudrais défendre ici. On sait, en effet, que Nicolaas van Wijk, <strong>au</strong> lieu <strong>de</strong> conserver la<br />

dichotomie traditionnelle <strong>de</strong>s longues et <strong>de</strong>s brèves, et avant même que n’émerge la<br />

répartition entre voyelles tendues et voyelles lâches, a voulu opposer les <strong>«</strong> zwakgesne<strong>de</strong>n<br />

klinkers <strong>»</strong> /i, y, u, e, ø, o, a/ <strong>au</strong>x <strong>«</strong> scherpgesne<strong>de</strong>n klinkers <strong>»</strong> /I, ɛ, Y, ʊ, ɔ, ɑ/ (voir, par<br />

exemple, van Wijk 1941; Moulton 1962: 299-300; Hermkens 1969: 24, 89-91; van<br />

Oostendorp, 2000: 65-67; Kloots 2008: 11-13) 1 . Afin d’adapter cette terminologie <strong>au</strong> français,<br />

je reprendrai <strong>à</strong> Marguerite <strong>Du</strong>rand (1946: 158-162) la distinction entre <strong>«</strong> coupe lente <strong>»</strong> et<br />

<strong>«</strong> coupe brusque <strong>»</strong>. Les voyelles <strong>à</strong> coupe lente, comme dans laat et laten, ne seraient jamais<br />

<strong>«</strong> couvertes <strong>»</strong> ou <strong>«</strong> entravées <strong>»</strong>, même lorsque la consonne qui les suit appartient <strong>à</strong> la même<br />

syllabe; les voyelles <strong>à</strong> coupe brusque, comme dans lat et latten, seraient toujours<br />

<strong>«</strong> couvertes <strong>»</strong> et <strong>«</strong> entravées <strong>»</strong>, même lorsque la consonne qui les suit appartient <strong>à</strong> une <strong>au</strong>tre<br />

syllabe.<br />

Selon Moulton (1962: 300), l’analyse <strong>de</strong> van Wijk ne résiste pas <strong>à</strong> l’épreuve <strong>de</strong>s faits:<br />

there is no way of <strong>de</strong>termining that the syllable boundary which follows the “zwak gesne<strong>de</strong>n”<br />

vowels of gieten, futen, boeken is in any way different from that which follows the “scherp<br />

gesne<strong>de</strong>n” vowels of pitten, putten, pokken; or that the “zwak gesne<strong>de</strong>n” vowels of riet, fuut, boek<br />

are less sharply “cut off” than are the “scherp gesne<strong>de</strong>n” vowels of rit, fut, bok.<br />

Certes, van Wijk s’exprime parfois comme si la consonne intervocalique <strong>de</strong> latten, pitten,<br />

putten, pokken, etc. se partageait entre une coda (C) et une attaque (A); il suggère,<br />

notamment, que la première partie (eerste ge<strong>de</strong>elte) <strong>de</strong> ce segment viendrait fermer la syllabe<br />

contenant la voyelle <strong>à</strong> coupe brusque (1941: 15). Mais s’il en allait ainsi, latten, pitten, putten,<br />

pokken, etc. se prononceraient avec la géminée <strong>«</strong> ambisyllabique <strong>»</strong> que l’on rencontre dans<br />

<strong>de</strong>s mots italiens tels que fatto ou secco. On doit donc reconstruire la pensée <strong>de</strong> van Wijk <strong>de</strong><br />

telle manière que la fermeture (ou l’ouverture) syllabique associée <strong>au</strong> caractère brusque (ou<br />

lent) <strong>de</strong> la voyelle <strong>de</strong>meure indépendante <strong>de</strong> la présence (ou <strong>de</strong> l’absence) d’une consonne en<br />

coda. Je supposerai, pour ce faire, que toute voyelle néerlandaise précè<strong>de</strong> une position vi<strong>de</strong>,<br />

1 Le désaccord subsiste, dans la littérature, entre ceux qui, <strong>à</strong> l’instar <strong>de</strong> Cohen et al. (1961), considèrent la série<br />

fermée /i, y, u/ comme indifférente <strong>à</strong> la distinction <strong>de</strong> van Wijk (Hermkens 1969 : 24, 89), voire comme<br />

<strong>«</strong> scherpgesne<strong>de</strong>n <strong>»</strong>, et ceux qui la rangent, selon la logique <strong>de</strong> van Wijk (1941 : 24), parmi l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

<strong>«</strong> zwakgesne<strong>de</strong>n klinkers <strong>»</strong> (voir, notamment, Heeroma 1959; Moulton 1962 : 299-300).<br />

201


notée <strong>«</strong> • <strong>»</strong>, qui figure soit dans la coda C (coupe brusque), soit dans le noy<strong>au</strong> N (coupe lente).<br />

Les mots lat, latten, laat, laten se transcriront alors /AlA NaN C•tC/, /AlA NaN C•C AtA NəN/,<br />

/AlA Na•N CtC/, /AlA Na•N AtA NəN/ et l’inventaire <strong>de</strong>s phonèmes vocaliques prendra la forme illustrée<br />

par le Table<strong>au</strong> 3.<br />

TABLEAU 3<br />

/+diffus,-compact/ /+aigu/ /-bémolisé/ /+lent/ / Ni• N/ piet<br />

202<br />

/-lent/ / Ni N C•/ pit<br />

/+bémolisé/ /+lent/ / Ny• N/ buut<br />

/-lent/ / Ny N C•/ put<br />

/-aigu/ /+lent/ / Nu• N/ boet<br />

/-lent/ / Nu N C•/ bot<br />

/-diffus,-compact/ /+aigu/ /-bémolisé/ /+lent/ / Ne• N/ beet<br />

/-lent/ / Ne N C•/ bed<br />

/+bémolisé/ (/+lent/) / Nø• N/ beuk<br />

/-aigu/ /+lent/ / No• N/ boot<br />

/-lent/ / No N C•/ bod<br />

/-diffus,+compact/ /+lent/ / Na• N/ baat<br />

/-lent/ / Na N C•/ bad<br />

Sans préjuger <strong>de</strong> l’intérêt que cette approche peut revêtir pour le néerlandais, je signalerai que<br />

Pierre Delattre (1966: 109) a adopté une perspective similaire quand il a traité <strong>de</strong> la quantité<br />

vocalique en français. Discutant la <strong>«</strong> Loi <strong>de</strong> Position <strong>»</strong>, <strong>«</strong> qui veut qu’en syllabe ouverte une<br />

voyelle moyenne ten<strong>de</strong> <strong>à</strong> se fermer […] et en syllabe fermée <strong>à</strong> s’ouvrir <strong>»</strong>, il écrit:<br />

Pomme s’y soumet – sa voyelle ouverte [ɔ] est entravée (suivie d’une consonne prononcée dans la<br />

même syllabe) comme le <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la Loi <strong>de</strong> Position. Mais p<strong>au</strong>me ne s’y soumet pas – sa voyelle<br />

[o] est entravée, tandis que la Loi <strong>de</strong> Position exige qu’une voyelle fermée soit libre. Ainsi l’[o]<br />

fermé <strong>de</strong> p<strong>au</strong>me, afin <strong>de</strong> s’accor<strong>de</strong>r <strong>à</strong> la Loi <strong>de</strong> Position et les habitu<strong>de</strong>s articulatoires du français,<br />

tend <strong>à</strong> se rendre “libre,” <strong>à</strong> ouvrir la syllabe, c’est-<strong>à</strong>-dire <strong>à</strong> repousser l’[m] vers une syllabe suivante:<br />

[po–m]. C’est cela qui allonge la voyelle [o].<br />

C’est donc son désaccord avec la Loi <strong>de</strong> Position qui donnerait <strong>à</strong> l’[o] <strong>de</strong> p<strong>au</strong>me son surcroît <strong>de</strong><br />

durée par rapport <strong>à</strong> l’[ɔ] <strong>de</strong> pomme. Et tous les [o] et [ø] en syllabe fermée seraient ainsi plus longs<br />

que les [ɔ] et [œ] en syllabe fermée.<br />

De toute évi<strong>de</strong>nce, ces lignes soulèveront les objections que l’on a adressées <strong>à</strong> van Wijk.<br />

Mais, une nouvelle fois, le problème se dissipe, <strong>au</strong> moins théoriquement, si l’on admet que les


voyelles <strong>de</strong> pomme et p<strong>au</strong>me se différencient entre elles par le rattachement d’une position<br />

vi<strong>de</strong> <strong>à</strong> la coda ou <strong>au</strong> noy<strong>au</strong>: on <strong>au</strong>ra donc /ApA NɔN C•mC/ pour pomme et /ApA No•N CmC/ pour<br />

p<strong>au</strong>me.<br />

Dans un article précé<strong>de</strong>nt (2000: 24-25), j’ai élaboré, en me fondant sur l’intuition esquissée<br />

par Delattre, une typologie <strong>de</strong>s rimes vocaliques, applicable <strong>au</strong> vernaculaire bruxellois, que<br />

l’on trouvera résumée dans le Table<strong>au</strong> 4. Toutes les rimes, vocaliques ou consonantiques,<br />

admettent l’ajout d’un [Œ] posttonique avec une forme insistante <strong>de</strong> la mélodie accentuelle<br />

h<strong>au</strong>t-bas. En revanche, dans certains <strong>usage</strong>s métriques et chantés, cet ajout ne s’opère<br />

inconditionnellement que chez les enfants pré-alphabétisés et les personnes mal acculturées <strong>à</strong><br />

l’orthographe; pour les <strong>au</strong>tres, le caractère masculin ou féminin <strong>de</strong> la rime <strong>de</strong>vient crucial.<br />

Des distinctions comparables <strong>de</strong>vront être faites pour les <strong>«</strong> pré-rimes <strong>»</strong> vocaliques que l’on<br />

rencontre dans épiera, dénuement, amadouera, féerie, bleuement, etc. 1<br />

TABLEAU 4<br />

rimes vocaliques masculines (<strong>à</strong> coupe brusque) lit / Ni N C• C/<br />

féminines (<strong>à</strong> coupe lente) lue / Ny• N/<br />

consonantiques masculines <strong>à</strong> coupe lente cool / Nu• N Cl C/<br />

<strong>à</strong> coupe brusque sept / Nɛ N C•t C/<br />

féminines <strong>à</strong> coupe lente s<strong>au</strong>te / No• N Ct C/<br />

<strong>à</strong> coupe brusque sotte / Nɔ N C•t C/<br />

Un relevé <strong>de</strong>s paires (quasi) minimales, ou <strong>de</strong>s triplets (quasi) minim<strong>au</strong>x, montre que seules<br />

les voyelles /o, ɛ , œ , ɑ , ɔ / échappent <strong>au</strong> contraste entre coupe lente et coupe brusque 2 . Il<br />

s’ensuit qu’<strong>à</strong> l’inverse <strong>de</strong> ce qui se passe en néerlandais, la typologie <strong>de</strong>s rimes ne permet pas<br />

<strong>de</strong> réduire l’inventaire phonémique. Le triplet /Nø•N/ – /Nœ•N/ – /NœN C•/ constitue, <strong>à</strong> cet égard,<br />

un cas-limite. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s mentions métalinguistiques et <strong>de</strong>s p<strong>au</strong>ses marquées 3 , les<br />

segments [ø] et [œ] semblaient réaliser, jusqu’il y a peu, un <strong>«</strong> archiphonème <strong>»</strong> /Œ/ issu <strong>de</strong> la<br />

neutralisation, avec une prédominance <strong>de</strong> [ø] ou [œ] selon l’environnement segmental et la<br />

prosodie. Mais l’irruption <strong>de</strong> fun a créé le triplet foehn–jeune–fun qui s’aligne désormais sur<br />

1 Cette appellation <strong>de</strong> <strong>«</strong> pré-rime <strong>»</strong> est moins arbitraire qu’il n’y paraît <strong>à</strong> première vue. On peut en effet penser<br />

que les locuteurs i<strong>de</strong>ntifient une fin <strong>de</strong> mot virtuelle <strong>de</strong>vant les suffixes -ment et -rie, ou <strong>de</strong>vant les marques<br />

morphologiques du futur, qui commencent toujours par /r/. En occitan, les formes <strong>de</strong> futur ont gardé, <strong>à</strong> la<br />

première conjugaison, le /a/ <strong>de</strong> l’infinitif (/kantar·ɔ/, etc.), en contradiction avec la fermeture générale vers [ɔ]<br />

<strong>de</strong>s [a] situés, <strong>de</strong>vant l’accent, dans une syllabe ouverte et non initiale (Dominicy 1989 : 357-358).<br />

2 Auparavant (2000 : 25), j’excluais <strong>au</strong>ssi /e, ø/ parce que j’acceptais encore l’existence phonologique du schwa.<br />

3 DEUX garçons avec [ø] face <strong>à</strong> DE garçon avec [œ]; la queue avec [ø] face <strong>à</strong> Je crois que… avec [œ].<br />

203


Kate–quête–ket/quette et l’<strong>au</strong>be–lobe–Lobbes. On pourrait éliminer ce contre-exemple en<br />

maintenant la transcription anglaise /fʌn/ pour fun, mais cette échappatoire ne serait qu’un<br />

artifice.<br />

S<strong>au</strong>f /r/, toutes les consonnes peuvent apparaître après une coupe lente ou une coupe brusque 1 .<br />

De manière générale, les consonnes <strong>de</strong>s rimes <strong>à</strong> coupe brusque tolèrent le dévoisement en<br />

position finale, même quand il s’agit <strong>de</strong> /v/, /z/ ou /ʒ/, alors que le même processus se voit<br />

plutôt stigmatisé, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’assimilation ou du discours parodique, pour <strong>de</strong>s mots comme<br />

vive, lève ou neige; la graphie courante unif pour <strong>«</strong> université <strong>»</strong> en témoigne.<br />

Face <strong>au</strong> toponyme Lobbes /lNɔN C•bC/ opposé <strong>à</strong> lobe /lNɔ•N CbC/, ou <strong>au</strong>x anthroponymes Crabbe<br />

/krNaN C•bC/ opposé <strong>à</strong> crabe /krNa•N CbC/, Gobbe /gNɔN C•bC/ opposé <strong>à</strong> gobe /gNɔ•N CbC/ et Rogge<br />

/rNɔN C•gC/ opposé <strong>à</strong> rogue /rNɔ•N CgC/, les sujets néerlandophones, ou influencés par le<br />

néerlandais, optent pour une prononciation bisyllabique avec coupe brusque. Ainsi ma mère,<br />

<strong>au</strong>jourd’hui âgée <strong>de</strong> nonante (ou quatre-vingt-dix) ans et francophone d’ascendance flaman<strong>de</strong>,<br />

a-t-elle toujours parlé <strong>de</strong> [lNɔN C•C AbAŒ], ce qui a parfois surpris ou amusé certaines personnes.<br />

Tous les locuteurs, cependant, maintiennent la coupe brusque suivie d’un [Œ]<br />

postconsonantique en position prétonique; exemples: Crabbegat (lieu-dit situé <strong>à</strong> Uccle)<br />

/krNaN C•C AbAŒgat/, Dobbeleer (anthroponyme) /dNɔN C•C AbAŒler/, Zottegem (toponyme)<br />

/zNɔN C•C AtAŒgɛm/, Ommegang (cortège historique annuel; Baetens Beardsmore 1971: 393-<br />

394) /NɔN C•C AmAŒgang/. La préférence majoritaire pour la prononciation monosyllabique avec<br />

coupe brusque (et avec une tendance <strong>au</strong> dévoisement) dans Crabbe, Gobbe, Robbe, Rogge a<br />

généré les orthographes alternatives Crab, Gob, Rob, Rog 2 .<br />

Chez les sujets lettrés, les rimes <strong>à</strong> coupe brusque créent <strong>de</strong> sérieuses difficultés quand il s’agit<br />

<strong>de</strong> dire le vers en préservant les <strong>«</strong> e muets <strong>»</strong> exigés par la métrique. Considérons, <strong>à</strong> titre<br />

d’illustration, les <strong>de</strong>ux lignes qui suivent:<br />

Lève-toi, les seins nus, belle prostituée (Musset)<br />

Pour trouver dans leur ventre une pomme volée (Hugo)<br />

Une fois exclues les dictions [bNɛN C•lC] et [pNɔN C•mC], il f<strong>au</strong>t se rabattre soit sur les<br />

géminations [bNɛN ClC AlAŒ] et [pNɔN CmC AmAŒ], peu spontanées en français, soit sur les<br />

1<br />

Pour /f/, les contrastes impliquent toujours l’emprunt; exemple: Landgraaf avec coupe lente opposé <strong>à</strong> graphe<br />

avec coupe brusque.<br />

2<br />

Comme le toponyme Lobbes (Gysseling 1960 : I, 626-627), tous les anthroponymes cités, s<strong>au</strong>f Crab(be),<br />

proviennent d’un ancien composé germanique; voir Carnoy (1953 : 23, 38, 60-62, 268); Debraban<strong>de</strong>re (2003 :<br />

281, 517, 1042, 1048); Germain, Herbillon (2007 : 270, 471, 866, 869). Une variante comme /rɔgɛn/ pour<br />

Roggen est issue <strong>de</strong> la réalisation pleine du -n final, qui a entraîné une accentuation oxytonique et l’ajustement<br />

en [ɛ]; mais on ne s<strong>au</strong>rait exclure, désormais, la forme rivale /rɔg·Œn/ (voir plus h<strong>au</strong>t).<br />

204


syllabations [bNɛN C•C AlAŒ] et [pNɔN C•C AmAŒ] qui risquent <strong>de</strong> rappeler fâcheusement les<br />

réalisations <strong>de</strong> bellen ou domme en néerlandais. Les traités normatifs (par exemple, Milner &<br />

Regn<strong>au</strong>lt 1987: 43-45) préconisent un allongement <strong>de</strong> la voyelle tonique. Mais, dans mon<br />

<strong>usage</strong>, [bNɛ•N AlAŒ] ou [bNɛ•N ClC] v<strong>au</strong>t bêle et non belle, tandis qu’en produisant [pNɔ•N AmAŒ]<br />

ou [pNɔ•N CmC], j’ai l’impression d’imiter (ou <strong>de</strong> mal imiter) la prononciation méridionale <strong>de</strong><br />

p<strong>au</strong>me. Il convient <strong>de</strong> remarquer, cependant, que [bNɛ•N AlAŒ] ou [pNɔ•N AmAŒ] ne choquent<br />

pas dans la parole chantée, surtout en fin <strong>de</strong> ligne: Pierre Perret, on l’a déj<strong>à</strong> vu, fait rimer<br />

[bNɛ•N AlAŒ] avec [kurʃŒvNɛ•N AlAŒ] et M<strong>au</strong>rice Chevalier chante le groupe trisyllabique Ma<br />

pomme avec un allongement notable du [ɔ] et sans gémination 1 .<br />

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1 Merci <strong>à</strong> Yves-Charles Morin, qui a attiré mon attention sur ce <strong>de</strong>rnier exemple. De même, les sujets italiens qui<br />

géminent la consonne dans fatto ou fanno chanteront ces formes [fa:to] ou [fa:no] en fin <strong>de</strong> ligne, malgré<br />

l’homophonie qui en résultera entre fatto et fato.<br />

205


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commun<strong>au</strong>té. Louvain-la-Neuve: <strong>Du</strong>culot, pp. 163-174.<br />

208


Le traitement <strong>de</strong>s tiroirs en -rais dans quelques grammaires<br />

du début du XVIIIe <strong>à</strong> la fin du XIXe <strong>siècle</strong><br />

1. Introduction<br />

Patrick Dendale (Université d’Anvers)<br />

Il est généralement connu que les formes en -rais, désignées communément <strong>de</strong> nos jours par<br />

le terme <strong>de</strong> conditionnel, peuvent prendre, comme tout <strong>au</strong>tre signe langagier, <strong>de</strong> nombreuses<br />

valeurs spécifiques selon le cotexte dans lequel elles apparaissent. Dans les grammaires et les<br />

étu<strong>de</strong>s linguistiques, ces nombreuses valeurs cotextuelles sont ramenées <strong>à</strong> un nombre restreint<br />

<strong>de</strong> valeurs, qu’on appelle parfois <strong>«</strong> canoniques <strong>»</strong> (Dendale 2001 : 13) et dont chacune<br />

caractérise, <strong>à</strong> un certain nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> généralité, un groupe entier d’emplois parfois assez variés.<br />

Les <strong>de</strong>scriptions et classifications <strong>de</strong>s groupes d’emplois et <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>s tiroirs en -rais<br />

telles qu’on les trouve dans les grammaires et ouvrages <strong>de</strong> linguistique mo<strong>de</strong>rnes ont une<br />

histoire dont nous voudrions rappeler ici quelques jalons en hommage <strong>à</strong> Alex Vanneste, qui,<br />

<strong>au</strong>ssi longtemps que je le connaisse, a été professeur <strong>au</strong>ssi bien <strong>de</strong> grammaire normative que<br />

<strong>de</strong> linguistique <strong>de</strong>scriptive du français dans le département <strong>de</strong> français <strong>à</strong> l’Université<br />

d’Anvers. C’est d’ailleurs par lui qui j’ai été initié <strong>à</strong> ces disciplines ; c’est <strong>au</strong>ssi par lui que<br />

j’ai pris goût <strong>à</strong> la linguistique, dès ma première année <strong>de</strong> formation.<br />

Le but <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> est <strong>de</strong> faire un survol historique un peu schématique et limité du<br />

traitement du conditionnel dans les grammaires <strong>à</strong> travers les <strong>siècle</strong>s, en partant <strong>de</strong>s<br />

grammaires du français du début du XVIII <strong>siècle</strong> jusqu’<strong>à</strong> la fin du XIXe <strong>siècle</strong> 1 , quand<br />

commencent <strong>à</strong> paraître les premières <strong>de</strong>scriptions détaillées et nuancées et les premières<br />

classifications mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong>s valeurs du conditionnel, le but final étant <strong>de</strong> se former une idée<br />

plus précise <strong>de</strong> la manière dont les classifications mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong>s emplois du conditionnel ont<br />

petit <strong>à</strong> petit été construites.<br />

Nous verrons que l’i<strong>de</strong>ntification, pour les tiroirs en -rais, <strong>de</strong> trois grands groupes d’emplois,<br />

caractérisables par <strong>au</strong>tant <strong>de</strong> valeurs, tels qu’on les trouve dans les ouvrages mo<strong>de</strong>rnes, est le<br />

résultat d’une longue réflexion sur la signification et les conditions d’emploi <strong>de</strong>s formes en<br />

1 Notre étu<strong>de</strong> s’est inspirée utilement <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> Bena (2011), mais comme notre étu<strong>de</strong> concerne<br />

uniquement les tiroirs en -rais, elle constitue nécessairement, sur certains points, un élargissement et un<br />

approfondissement <strong>de</strong>s observations <strong>de</strong> cet <strong>au</strong>teur.<br />

209


-rais, une réflexion qui peut paraître parfois tâtonnante, voire erratique,. Ces trois grands<br />

groupes d’emplois 1 du conditionnel sont 2 :<br />

(a) les emplois temporels, indiquant un futur dans le passé, <strong>«</strong> subjectif <strong>»</strong> ou <strong>«</strong> objectif 3 <strong>»</strong>;<br />

(b) les emplois mod<strong>au</strong>x, indiquant la localisation d’un procès dans un mon<strong>de</strong> possible distinct du mon<strong>de</strong><br />

actuel, lié ou non <strong>à</strong> une proposition conditionnelle ;<br />

(c) les emplois évi<strong>de</strong>ntiels, 4 indiquant d’une part la reprise <strong>à</strong> <strong>au</strong>trui et la non-prise en charge par le locuteur et<br />

d’<strong>au</strong>tre part la conjecture.<br />

Ces trois groupes et leurs sous-groupes peuvent être illustrés respectivement par les exemples<br />

suivants :<br />

1. a. Elle disait qu’elle accepterait l’enfant en pension (Brunot 1922 : 515)<br />

b. les <strong>de</strong>ux Guises […] se quittèrent sans tourner la tête : ils ne se reverraient plus (Robert<br />

1909 : 344)<br />

2. a. Si j’étais venu, il serait parti (Frei 1929 : 261)<br />

b. Oui je vous tromperais <strong>de</strong> parler <strong>au</strong>trement (Grevisse 1980 : 848)<br />

c. Il n’<strong>au</strong>rait rien dit, on n’<strong>au</strong>rait pas su qu’il était mala<strong>de</strong><br />

3. a. L’ouragan <strong>de</strong> Honduras. Il y <strong>au</strong>rait plusieurs milliers <strong>de</strong> victimes (Wilmet, 2010 5 : 324)<br />

b. Les films français voient leur <strong>au</strong>dience fléchir. La critique en serait-elle responsable ? (Haillet<br />

2001 : 309)<br />

2. Le traitement du conditionnel dans les grammaires du XVIII <strong>siècle</strong><br />

Dans les grammaires du XVIIIe <strong>siècle</strong>, on constate, premièrement, qu’il y a toujours la<br />

variabilité et l’instabilité <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong> la dénomination <strong>de</strong>s tiroirs en -rais qui dominait dans<br />

les <strong>siècle</strong>s précé<strong>de</strong>nts : <strong>à</strong> la place du terme d’optatif, utilisé dès les premières grammaires (cf.<br />

Meigret 1550 : 70v), mais qui tend <strong>à</strong> disparaître, on utilise désormais le terme <strong>de</strong> conditionnel,<br />

<strong>à</strong> côté <strong>de</strong> quelques <strong>au</strong>tres termes.<br />

Variabilité <strong>au</strong>ssi, <strong>de</strong>uxièmement, <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> du statut du conditionnel : toujours un mo<strong>de</strong> pour<br />

la plupart <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs, mais quand même un temps pour certains <strong>au</strong>tres.<br />

Variabilité <strong>au</strong>ssi, enfin, <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> du nombre <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rais qui sont distingués<br />

(<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>à</strong> cinq), et corollairement <strong>de</strong>s noms qui sont prévus pour les désigner. De l’<strong>au</strong>tre<br />

1 Voir entre <strong>au</strong>tres : Korzen & Nølke (1990), Haillet (1995), Abouda (1997), Kronning (2001, 2004), Dendale<br />

(2010) ou Provôt-Olivier (2011), parmi bien d’<strong>au</strong>tres.<br />

2 Pour plus <strong>de</strong> détails, voir Dendale (2010 : 292-294).<br />

3 Pour le terme, voir Nilsson-Ehle (1943 : 54) ou Korzen & Nølke (2001 : 129-130).<br />

4 Nous empruntons la classification <strong>au</strong> moyen <strong>de</strong> ces trois adjectifs (temporel, modal et évi<strong>de</strong>ntiel) <strong>à</strong> Kronning<br />

(2001, p. 265).<br />

210


côté, on assiste <strong>à</strong> un début <strong>de</strong> cristallisation <strong>de</strong>s emplois du conditionnel : <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s<br />

valeurs se dégagent <strong>de</strong> plus en plus clairement, la valeur modale et la valeur temporelle.<br />

Regardons <strong>de</strong> plus près ces différents aspects chez quelques grammairiens <strong>de</strong> l’époque.<br />

2.1. Statut et dénomination <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rois<br />

On constate que les formes en -rais constituent toujours, pour la plupart <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs, un mo<strong>de</strong>;<br />

pour un nombre croissant d’<strong>au</strong>teurs toutefois c’est un temps, qui est <strong>à</strong> situer <strong>à</strong> l’intérieur <strong>de</strong> tel<br />

ou tel mo<strong>de</strong>. On constate <strong>au</strong>ssi que le terme d’optatif est abandonné par la plupart <strong>de</strong>s<br />

grammairiens en faveur <strong>de</strong> quelques <strong>au</strong>tres termes : subjonctif ou conjonctif, conditionnel,<br />

suppositif.<br />

Deux <strong>au</strong>teurs étudiés qui utilisent encore le terme d’optatif sont Regnier Desmarais (1705) et<br />

Latouche (1730). Le premier subsume le terme d’optatif sous ceux <strong>de</strong> subjonctif ou <strong>de</strong><br />

conditionnel, qui désignent tous <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s : <strong>«</strong> Le Mo<strong>de</strong> Subjonctif, ou Conditionnel, sous<br />

lequel nous comprenons celuy qu’on appelle Optatif <strong>»</strong> (p. 358) 1 . Latouche (1730 : 147)<br />

juxtapose trois termes pour désigner un seul et même mo<strong>de</strong> : Conjonctif, Subjonctif et Optatif.<br />

Condillac (1789 : 181) considère les tiroirs en -rais comme un mo<strong>de</strong> qu’il appelle<br />

conditionnel. Cela v<strong>au</strong>t <strong>au</strong>ssi pour Lhomond (1780 : 21), qui est <strong>à</strong> l’origine <strong>de</strong> la tradition <strong>de</strong><br />

la grammaire scolaire du XIXe <strong>siècle</strong> (Bena 2011 : 177). C’est encore ce terme <strong>de</strong><br />

conditionnel qui est utilisé par Rest<strong>au</strong>t (1730 : 71), Eléazar <strong>de</strong> M<strong>au</strong>villon (1754 : 374) et<br />

Wailly (1770 7 : 18, 22), s<strong>au</strong>f que pour ces trois <strong>au</strong>teurs le conditionnel est un temps <strong>de</strong><br />

l’indicatif. Cela est également le cas chez Buffier, <strong>au</strong> tout début du <strong>siècle</strong> (1709 : 72), qui,<br />

s’interrogeant sur la place du conditionnel par rapport <strong>au</strong> subjonctif, conclut que le<br />

<strong>«</strong> temps qui dans nôtre langue se termine en rois <strong>»</strong> appartient <strong>au</strong> mo<strong>de</strong> indicatif :<br />

<strong>«</strong> C’est ici le lieu d’éxaminer si le temps qui dans nôtre langue se termine en rois comme j’aimerois, je<br />

dirois &c. doit se rapporter <strong>au</strong> mo<strong>de</strong> subjonctif, comme disent la plûpart <strong>de</strong>s Grammairiens, ou <strong>au</strong> mo<strong>de</strong><br />

indicatif ; <strong>au</strong>quel selon nos principes il f<strong>au</strong>t le rapporter. En éfet, puisqu’il indique simplement une<br />

certaine circonstance <strong>de</strong> temps dans le verbe […] je ne voi pas pourquoi nous placerions ce temps<br />

incertain j’<strong>au</strong>rois dans un <strong>au</strong>tre mo<strong>de</strong> que l’indicatif <strong>»</strong> (p. 73).<br />

Cette prise <strong>de</strong> position <strong>«</strong> temporaliste <strong>»</strong> est vivement contestée par Be<strong>au</strong>zée (1767), pour qui il<br />

est f<strong>au</strong>x <strong>de</strong> ranger ce tiroir <strong>à</strong> l’intérieur <strong>de</strong> l’indicatif, car <strong>«</strong> c’est confondre un Mo<strong>de</strong> qui<br />

1 Le rapport mis entre ces termes est instable <strong>à</strong> l’intérieur <strong>de</strong> l’ouvrage, car <strong>à</strong> peine vingt pages plus loin l’<strong>au</strong>teur<br />

parle du conditionnel comme le mo<strong>de</strong> <strong>«</strong> sous lequel l’Optatif & le Subjonctif sont compris <strong>»</strong> (p. 377).<br />

211


n’exprime l’existence que d’une manière conditionnelle, avec un <strong>au</strong>tre qui l’exprime d’une<br />

manière absolue [l’indicatif] <strong>»</strong> (1767 : 225). Be<strong>au</strong>zée propose d’appeler ce mo<strong>de</strong> suppositif,<br />

terme que Girard (1747 :16) avait déj<strong>à</strong> utilisé 1 <strong>au</strong>paravant et que Be<strong>au</strong>zée préfère <strong>à</strong> celui <strong>de</strong><br />

conditionnel sur la base <strong>de</strong>s arguments suivants :<br />

<strong>«</strong> Il m’a semble que le nom <strong>de</strong> Suppositif étoit préférable <strong>à</strong> celui <strong>de</strong> Conditionnel, dont il semble que les<br />

grammairiens ayent voulu faire le caractère <strong>de</strong>s temps qui appartiennent en effet <strong>à</strong> ce Mo<strong>de</strong>. Le terme <strong>de</strong><br />

Suppositif m’a paru plus analogue <strong>au</strong>x termes d’indicatif, d’impératif, <strong>de</strong> subjonctif, &c. & marquer<br />

d’une manière plus précise la <strong>de</strong>stination particulière <strong>de</strong> ce Mo<strong>de</strong>, qui sert effectivement <strong>à</strong> ajoûter <strong>à</strong> la<br />

signification fondamentale du verbe l’idée accessoire d’une condition, d’une hypothèse, d’une<br />

supposition. <strong>»</strong> (Be<strong>au</strong>zée 1767 : 236-237) 2<br />

2.2. Le nombre <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rois<br />

La plupart <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs que nous avons étudiés distinguent <strong>de</strong>ux tiroirs en -rois, comme dans<br />

les grammaires mo<strong>de</strong>rnes : un pour la forme simple, un pour la forme composée. C’est le cas<br />

<strong>de</strong> Rest<strong>au</strong>t (1730 : 71), <strong>de</strong> Wailly (1770 : 18, 22) et <strong>de</strong> Lhomond (1780), qui opposent tous un<br />

conditionnel présent (je ferois) <strong>à</strong> un conditionnel passé (j’<strong>au</strong>rois fait). Girard (1747 : 28), lui<br />

<strong>au</strong>ssi, distingue <strong>de</strong>ux tiroirs, <strong>à</strong> l’intérieur <strong>de</strong> son mo<strong>de</strong> <strong>«</strong> Supositif <strong>»</strong>, mais les appelle<br />

respectivement Présens (Je ferois) et Prétérit (J’<strong>au</strong>rois fait). Deux tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rois<br />

également chez Buffier (1709 : 210), avec <strong>de</strong>s noms inhabituels : Incertain <strong>de</strong> l’indicatif et<br />

Composé <strong>de</strong> l’Incertain <strong>de</strong> l’indicatif.<br />

Les <strong>au</strong>teurs pour qui les formes en -rois font partie d’un mo<strong>de</strong> <strong>«</strong> mixte <strong>»</strong><br />

subjonctif/conditionnel prévoient évi<strong>de</strong>mment plus <strong>de</strong> tiroirs verb<strong>au</strong>x <strong>à</strong> l’intérieur <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong>,<br />

parce que l’extension du mo<strong>de</strong> est alors plus gran<strong>de</strong>. Regnier Desmarais (1705 : 377) par<br />

exemple prévoit six tiroirs <strong>à</strong> l’intérieur du mo<strong>de</strong> subjonctif ou conditionnel, dont <strong>de</strong>ux tiroirs<br />

seulement en -rois, appelés futur (p. 358, 372) ou futur simple (p. 375, 376, 377) du<br />

Conditionnel et futur composé (p. 376, 377) ou second futur composé (p. 372-373), le reste<br />

étant ce que nous appelons <strong>au</strong>jourd’hui <strong>de</strong>s subjonctifs. Latouche (1730 4 ) 3 situe les formes en<br />

-rois <strong>à</strong> l’intérieur d’un mo<strong>de</strong> qui a trois noms (Conjonctif, Subjonctif, Optatif) et sept tiroirs<br />

verb<strong>au</strong>x, trois simples et quatre composés 4 (p. 147-148) ; les tiroirs qui nous intéressent ici<br />

1 S<strong>au</strong>f que Girard l’écrit avec un p: supositif.<br />

2 Vu cette argumentation et surtout la référence <strong>à</strong> la notion <strong>de</strong> condition, le terme <strong>de</strong> conditionnel ferait <strong>au</strong>ssi<br />

bien l’affaire, comme le remarque très justement Bena (2011 : 159).<br />

3 Il existe <strong>de</strong> sa grammaire une édition <strong>de</strong> 1696.<br />

4 Il n’est pas fait mention chez lui <strong>de</strong> temps surcomposés (voir plus loin) et on ne trouve pas non plus dans ses<br />

table<strong>au</strong>x <strong>de</strong> formes surcomposées.<br />

212


sont le <strong>«</strong> Second Prétérit Imparfait, ou Conditionnel <strong>»</strong> et le <strong>«</strong> Second Prétérit Plus-que-<br />

parfait, ou Conditionnel <strong>»</strong> (p. 152). Be<strong>au</strong>zée (1767 : 231-235) prévoit cinq tiroirs en -rois dans<br />

son mo<strong>de</strong> suppositif : un présent (je chanterois), un prétérit positif (j’<strong>au</strong>rois chanté), une<br />

forme surcomposée, appelée prétérit comparatif (j’<strong>au</strong>rois eu chanté), un prétérit prochain (je<br />

viendrois <strong>de</strong> chanter) et un futur (je <strong>de</strong>vrois chanter). On voit qu’il intègre, lui, <strong>de</strong>ux tiroirs<br />

formés <strong>à</strong> l’ai<strong>de</strong> d’<strong>au</strong>xiliaires (venir <strong>de</strong> et <strong>de</strong>voir).<br />

Signalons encore que les tiroirs surcomposés du conditionnel (ou du subjonctif) ne sont pas<br />

présents chez tous les <strong>au</strong>teurs. Louis <strong>de</strong> Courcillon, dit l’abbé <strong>de</strong> Dange<strong>au</strong>, semble avoir été le<br />

premier <strong>à</strong> avoir utilisé le terme <strong>de</strong> surcomposé 1 (en 1723 selon le TLFi, s.v. surcomposé 2 ) :<br />

J’<strong>au</strong>rois eu fini est pour lui un temps surcomposé du subjonctif (Discours VIII (10)). Cl<strong>au</strong><strong>de</strong><br />

Buffier (1709 : 225-226) signale l’existence <strong>de</strong> temps <strong>«</strong> doublement composez <strong>»</strong>, qui<br />

signifient <strong>«</strong> un entier accomplissement <strong>de</strong> l’action <strong>»</strong> (p. 226), mais il ne croit pas nécessaire <strong>de</strong><br />

<strong>«</strong> s’embarrasser l’esprit <strong>de</strong> cette double composition <strong>de</strong>s temps <strong>»</strong> (p. 226). Pas <strong>de</strong> conditionnel<br />

surcomposé non plus chez Latouche (1730 : 298), qui mentionne bien un <strong>«</strong> Parfait indéfini<br />

double <strong>»</strong> par exemple (J’ai eu dîné). Pierre Rest<strong>au</strong>t (1730) <strong>«</strong> n’a pas mis non plus dans la<br />

conjugaison <strong>de</strong> ses verbes les temps sur-composés <strong>»</strong> (Fromant 1769 : 341). Il en est <strong>de</strong> même<br />

<strong>de</strong> Regnier Desmarais (1705).<br />

2.3. Les valeurs sémantiques <strong>de</strong>s formes en -rois<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la caractérisation sémantique <strong>de</strong>s formes en -rois, on retrouve tout d’abord<br />

et chez <strong>de</strong> nombreux <strong>au</strong>teurs l’idée, déj<strong>à</strong> présente <strong>au</strong> XVIIe <strong>siècle</strong>, que l’action désignée par le<br />

verbe en -rois est liée <strong>à</strong> une condition : <strong>«</strong> La dénomination <strong>de</strong> ce tems [= conditionnel] en est<br />

une véritable définition. En effet il est ordinairement employé pour marquer quelque<br />

condition ou supposition <strong>»</strong>, écrit Eléazar <strong>de</strong> M<strong>au</strong>villon (1754 : 388-389). Et voici comment<br />

Rest<strong>au</strong>t (1730) décrit la valeur du conditionnel présent et du conditionnel passé 3 :<br />

<strong>«</strong> LE CONDITIONNEL PRE’SENT, 4 marque qu’une chose arriveroit en posant certaines conditions. Ainsi<br />

quand je dis JE SEROIS heureux, si je vous voyois ; je fais entendre que mon <strong>bon</strong>heur dépend d’une<br />

condition, qui est celle <strong>de</strong> vous voir : & je rapporte ce tems <strong>au</strong> Présent, parce qu’en posant la condition,<br />

1 Nous avons effectivement retrouvé le terme dans le Discours VIII (8) <strong>de</strong>s Essais <strong>de</strong> grammaire <strong>de</strong> Dange<strong>au</strong>,<br />

dans l’édition posthume <strong>de</strong> 1754, publiée par Jullien (1849 : 81-82).<br />

2 Le terme est entré dans le dictionnaire <strong>de</strong> l’Académie française en 1762 2 (TLFi, s.v. surcomposé, voir <strong>au</strong>ssi<br />

Bena 2011 : 138). A noter que Dange<strong>au</strong> était lui-même académicien.<br />

3 Qui couvre non seulement la forme j’<strong>au</strong>rois eu, mais <strong>au</strong>ssi la forme j’eusse eu.<br />

4 La virgule est dans le texte original.<br />

213


la chose qui n’est point, seroit présente, & que je puis dire, JE SEROIS heureux <strong>à</strong> présent, si je vous<br />

voyois <strong>»</strong> (Rest<strong>au</strong>t 1730 : 84, nos gras).<br />

<strong>«</strong> LE CONDITIONNEL PASSE’ marque qu’une chose seroit arrivée, si certaines conditions eussent eu<br />

lieu. Ainsi quand je dis, J’AUROIS E’TE’ ou J’EUSSE E’TE’ incommodé, si j’avois mangé davantage, on<br />

entend que mon incommodité étoit attachée <strong>à</strong> la condition <strong>de</strong> manger davantage, & que je n’ai pas été<br />

incommodé parce que je n’ai pas mangé davantage. Ce tems d’ailleurs doit être rapporté <strong>au</strong> passé,<br />

puisque si la chose étoit arrivée, elle seroit passée <strong>à</strong> l’égard du tems où je parle, & que l’on peut dire,<br />

J’AUROIS E’TE’ ; ou J’EUSSE E’TE’ incommodé hier, si j’avois mangé davantage <strong>»</strong> (p. 86)<br />

C’est <strong>au</strong>ssi la caractérisation qu’on retrouve chez Latouche (1730 : 147) : ce mo<strong>de</strong> <strong>«</strong> se met en<br />

suite <strong>de</strong> quelque Conjonction, ou dépen<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> quelque condition exprimée, ou sous-<br />

entendue, d’une façon indirecte <strong>»</strong> (p. 147), s<strong>au</strong>f que cet <strong>au</strong>teur range les emplois <strong>de</strong>s formes<br />

du subjonctif et ceux <strong>de</strong>s formes du conditionnel dans un seul et même paradigme désigné par<br />

le triplet Conjonctif, Subjonctif ou Optatif. Il est donc normal <strong>de</strong> retrouver dans sa<br />

caractérisation une partie qui concerne plutôt les emplois du subjonctif (<strong>«</strong> se met en suite <strong>de</strong><br />

quelque Conjonction <strong>»</strong>).<br />

Ce sera sous la formulation con<strong>de</strong>nsée <strong>de</strong> Lhomond que cette caractérisation sémantique<br />

générale du conditionnel se répandrai dans la plupart <strong>de</strong>s grammaires scolaires du XIXe<br />

<strong>siècle</strong> : le conditionnel, écrit Lhomond, est un mo<strong>de</strong> qui s’utilise <strong>«</strong> quand on dit qu’une chose<br />

seroit, ou qu’elle <strong>au</strong>roit été moyennant une condition <strong>»</strong> (1780 : 21).<br />

A côté <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> condition, <strong>de</strong>ux <strong>au</strong>tres notions sont fréquemment utilisées pour<br />

caractériser sémantiquement le conditionnel : supposition et hypothèse. Dans la citation <strong>de</strong><br />

Be<strong>au</strong>zée plus h<strong>au</strong>t (§ 2.1), nous avions déj<strong>à</strong> vu que ces trois termes-l<strong>à</strong> sont utilisés pour<br />

décrire <strong>«</strong> la <strong>de</strong>stination particulière <strong>de</strong> ce Mo<strong>de</strong> <strong>»</strong>, qui est d’<strong>«</strong> ajoûter <strong>à</strong> la signification<br />

fondamentale du verbe l’idée accessoire d’une condition, d’une hypothèse, d’une<br />

supposition <strong>»</strong> (p. 236-237).<br />

A côté <strong>de</strong> la valeur modale du conditionnel, liée <strong>à</strong> une condition, on voit apparaître, chez<br />

plusieurs <strong>au</strong>teurs, mais pas encore chez tous, une <strong>de</strong>uxième valeur, qui serait désignée dans<br />

les classifications contemporaines <strong>de</strong> valeur temporelle <strong>de</strong> futur du passé. Eléazar <strong>de</strong><br />

M<strong>au</strong>villon (1754) par exemple pose d’abord que le conditionnel <strong>«</strong> est ordinairement employé<br />

pour marquer quelque condition ou supposition <strong>»</strong> (<strong>«</strong> Je lirois si j’avois <strong>de</strong>s livres <strong>»</strong>) (p. 388-<br />

389), mais ajoute quelques lignes plus loin : <strong>«</strong> On l’emploie <strong>au</strong>ssi quelquefois pour le futur<br />

après la conjonction que <strong>»</strong> (<strong>«</strong> Il a promis qu’il viendroit <strong>»</strong>) (p. 389).<br />

214


Il f<strong>au</strong>t toutefois noter que ces <strong>de</strong>ux valeurs, modale et temporelle, ne sont pas encore<br />

clairement distinguées chez tous les <strong>au</strong>teurs. Be<strong>au</strong>zée par exemple (1767 : 302) liste une série<br />

d’emplois du conditionnel où l’on trouve, sans transition, plusieurs emplois mod<strong>au</strong>x et un<br />

emploi temporel <strong>de</strong> futur du passé :<br />

- emploi après si plus imparfait et plus-que-parfait (p.302) : Je vous donnerois <strong>de</strong> l’argent, si j’en avois.<br />

- emploi après quand : Je ne serois pas plus content, quand on me donneroit cent mille écus<br />

- pour exprimer un souhait : Je voudrois qu’il fût d’une <strong>au</strong>tre humeur. Je boirois bien un verre <strong>de</strong> vin<br />

- après les <strong>«</strong> Prétérits imparfaits, parfaits & plus-que-parfaits <strong>»</strong> <strong>de</strong> l’indicatif <strong>de</strong>s verbes croire, penser,<br />

s’imaginer, espérer, se persua<strong>de</strong>r, etc. + que : Je croïois que vous viendriez ici. Il s’imagina que le Roi<br />

lui donneroit une pension. Et l’<strong>au</strong>teur ajoute que l’on met le futur <strong>de</strong> l’indicatif si le verbe régissant est<br />

<strong>au</strong> présent.<br />

Également intéressant <strong>à</strong> ce sujet est Condillac (1789), parce qu’il met un lien entre les emplois<br />

mod<strong>au</strong>x et les emplois temporels du conditionnel, en soulignant, <strong>à</strong> propos du conditionnel,<br />

<strong>«</strong> que cette forme exprime toujours un futur <strong>»</strong> (1789 : 180) :<br />

<strong>«</strong> je ferois affirme <strong>au</strong>ssi ; mais l’affirmation n’est pas positive ; comme dans l’indicatif, elle est<br />

conditionnelle : je ferois ; si j’avois le temps. Cette condition est l’accessoire d’un mo<strong>de</strong> que je nomme<br />

conditionnel.<br />

La forme je ferois est un présent ou un futur, suivant les circonstances du discours ; et on peut<br />

l’employer sans déterminer <strong>au</strong>cune époque. Je ferois actuellement votre affaire si vous m’en aviez parlé<br />

plutôt, est un présent ; je ferois votre affaire avant qu’il fût peu, si elle dépendoit uniquement <strong>de</strong> moi, est<br />

un futur ; enfin je ferois le voyage <strong>de</strong> Rome, si j’étois plus jeune, est un futur dont l’époque peut, <strong>à</strong> notre<br />

choix, être ou n’être pas déterminée ; en général cette forme exprime toujours un futur : je l’attends, il<br />

m’a promis qu’il viendroit bientôt. Viendrois est pour viendra, et l’<strong>usage</strong> le préfère ; parce que<br />

l’exécution <strong>de</strong> ce qu’on promet, dépend toujours <strong>de</strong> quelques conditions exprimées ou supposées <strong>»</strong><br />

(Condillac 1789 : 180-181, nos gras).<br />

Signalons encore, comme parenthèse, que Condillac propose une hypothèse sur la différence<br />

sémantique entre les formes j’<strong>au</strong>rois fait et j’eusse fait :<br />

<strong>«</strong> j’<strong>au</strong>rois fait marque plus particulièrement le temps où l’affaire <strong>au</strong>roit été entreprise, et […] j’eusse fait<br />

marque plus particulièrement le temps où elle eût été finie. J’<strong>au</strong>rois fait signifie je me serois occupé <strong>à</strong><br />

faire, et j’eusse fait signifie elle seroit faite <strong>»</strong> (p. 181) 1 .<br />

1 Une trentaine d’années plus tard, Boinvilliers (1818) présente une <strong>au</strong>tre analyse <strong>de</strong> la différence entre les <strong>de</strong>ux<br />

formes : j’<strong>au</strong>rais fait est pour l’<strong>au</strong>teur <strong>«</strong> le conditionnel <strong>de</strong> je fais <strong>»</strong>, j’eusse fait le conditionnel <strong>de</strong> je fis, d’où les<br />

rapports d’acceptabilité suivants selon l’<strong>au</strong>teur :<br />

*J’<strong>au</strong>rais terminé hier cet ouvrage, si on m’avait accordé quelques moments <strong>de</strong> loisir.<br />

215


On le voit, il n’y a pas encore, <strong>au</strong> XVIIIe <strong>siècle</strong>, <strong>de</strong> véritable classification, systématique et<br />

homogène, <strong>de</strong>s emplois du conditionnel, mais un inventaire souvent hybri<strong>de</strong> <strong>de</strong> contextes dans<br />

lesquels apparaissent les formes du conditionnel et <strong>de</strong> valeurs qu’elles permettent d’exprimer<br />

par elles-mêmes.<br />

3. Le traitement du conditionnel dans les grammaires <strong>au</strong> XIX <strong>siècle</strong><br />

Dans cette section, nous traiterons les grammaires traditionnelles non historiques. Ces<br />

<strong>de</strong>rnières, plus intéressantes pour l’étu<strong>de</strong> du conditionnel, feront l’objet d’un paragraphe <strong>à</strong><br />

part (§ 4).<br />

3.1. Nom et statut <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rois<br />

En ce qui concerne le nom <strong>de</strong>s tiroirs en -rois, <strong>au</strong> XIXe <strong>siècle</strong>, on voit qu’après la disparition<br />

du terme d’optatif <strong>au</strong> XVIIIe <strong>siècle</strong> 1 , le terme qui domine désormais est celui <strong>de</strong> conditionnel.<br />

Chez quelques <strong>au</strong>teurs, on retrouve encore le terme <strong>de</strong> suppositif 2 , introduit par Girard<br />

(1747) et repris <strong>à</strong> lui 3 par Be<strong>au</strong>zée (1767). Parmi les <strong>au</strong>teurs qui utilisent le terme <strong>de</strong><br />

conditionnel, citons : Camina<strong>de</strong> (1803 : 215), Destutt <strong>de</strong> Tracy (1803 : 48), Sicard (1808 3 :<br />

282, 283 4 ) et Lemare (1819 : 828).<br />

Pour ce qui est du statut du conditionnel, peu <strong>de</strong> choses changent par rapport <strong>au</strong> <strong>siècle</strong><br />

précé<strong>de</strong>nt. Le conditionnel (ou suppositif) reste un mo<strong>de</strong> 5 pour la quasi-totalité <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs et<br />

le restera jusqu’<strong>au</strong>x grammairiens historiques. Dans les grammaires que nous avons étudiées,<br />

c’est le cas chez Camina<strong>de</strong> (1803 : 215), Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier (1818 3 : 605), Lemare (1819 2 :<br />

829), Thiel (1836 4 : 27, 125), Noël & Chapsal (1845 35 : 33), Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1850 : 20),<br />

Poitevin (1856 : 410), Henry (1860 : 88), Landais (1860 8 : 320), Chabane<strong>au</strong> (1868 : 26),<br />

J’eusse terminé hier cet ouvrage, si on m’eût accordé quelques moments <strong>de</strong> loisir.<br />

*J’eusse terminé ce matin mon ouvrage, si on m’eût accordé quelques moments <strong>de</strong> loisir.<br />

J’<strong>au</strong>rais terminé ce matin mon ouvrage, si on m’avait accordé quelques moments <strong>de</strong> loisir.<br />

1<br />

Nous avons trouvé un ouvrage qui utilise le terme : Fallot (1839 : 427), mais il s’agit d’un ouvrage qui traite du<br />

XIIe <strong>siècle</strong>.<br />

2<br />

Doublé toutefois chez Destutt <strong>de</strong> Tracy et Sicard par celui <strong>de</strong> conditionnel.<br />

3<br />

Cf. l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné <strong>de</strong>s sciences, <strong>de</strong>s arts et <strong>de</strong>s métiers (1751-1772) : <strong>«</strong> J'ai mieux<br />

aimé donner <strong>à</strong> ce mo<strong>de</strong> le nom <strong>de</strong> suppositif, avec M. l'abbe Girard, que celui <strong>de</strong> conditionnel; <strong>»</strong> s.v. suppositif<br />

(nos gras).<br />

4<br />

Pagination <strong>de</strong> Frantext.<br />

5<br />

Dont certains soulignent qu’il doit être distingué du subjonctif, plutôt qu’intégré <strong>à</strong> celui-l<strong>à</strong>. La raison invoquée<br />

est qu’il <strong>«</strong> n’a pas besoin d’être lié <strong>à</strong> un <strong>au</strong>tre, pour produire son effet <strong>»</strong> (Sicard 1808 : 251).<br />

216


Brachet (1874 2 : 106, 116 ; 1880 32 : 185) et Chassang (1881 6 : 78, 348), ce <strong>de</strong>rnier affirmant<br />

très explicitement <strong>«</strong> Le conditionnel est un mo<strong>de</strong>, et non un temps <strong>»</strong> (p. 348).<br />

Dans le camp <strong>de</strong> ceux qui, <strong>à</strong> travers l’histoire, ont considéré le conditionnel comme un temps,<br />

il f<strong>au</strong>t situer sans doute pour ce <strong>siècle</strong> Destutt <strong>de</strong> Tracy (1817 2 ), mais <strong>de</strong> façon un peu<br />

hésitante : en effet, si, <strong>à</strong> la page 210, il parle du <strong>«</strong> second temps du mo<strong>de</strong> conditionnel <strong>»</strong> (nos<br />

italiques) ; <strong>à</strong> la page 212 il signale qu’un grand nombre <strong>de</strong> grammairiens <strong>«</strong> considèrent les<br />

temps du mo<strong>de</strong> conditionnel <strong>«</strong> suivant moi avec be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> raison, comme faisant partie du<br />

mo<strong>de</strong> indicatif <strong>»</strong> (nos italiques).<br />

Entre les <strong>de</strong>ux, il y a encore ceux qui qualifient le conditionnel <strong>de</strong> temps, mais où le mot<br />

temps est pris <strong>au</strong> sens morphologique <strong>de</strong> <strong>«</strong> tiroir verbal <strong>»</strong>. Ainsi Thiel (1836 : 125) traite <strong>de</strong>s<br />

<strong>«</strong> <strong>de</strong>ux temps du conditionnel <strong>»</strong> dans une section intitulée <strong>«</strong> De l’emploi <strong>de</strong> certains temps <strong>»</strong><br />

(p.125, nos italiques), mais non sans avoir qualifié plus h<strong>au</strong>t le conditionnel <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> (p. 27).<br />

Bescherelle, Bescherelle & Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1835-1836 : 445) parlent eux <strong>au</strong>ssi <strong>de</strong> temps, mais<br />

nulle part ils ne prennent clairement position quant <strong>au</strong> statut temporel ou modal <strong>de</strong> ce tiroir.<br />

Citons pour finir le point <strong>de</strong> vue très personnel et unique <strong>de</strong> Boniface (1843 9 ) qui considère le<br />

conditionnel non pas comme un mo<strong>de</strong> mais comme <strong>«</strong> une nuance <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>»</strong>, parce qu’il<br />

<strong>«</strong> exprime une modification accessoire, commune <strong>à</strong> plusieurs mo<strong>de</strong>s <strong>»</strong> (p. 33), parmi lesquels<br />

l’indicatif (appelé <strong>au</strong>ssi <strong>«</strong> affirmatif <strong>»</strong>) et le subjonctif 1 .<br />

3.2. Nombre <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rois<br />

Le nombre <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x qui sont énumérés pour le conditionnel reste variable : <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

<strong>à</strong> cinq. Minimalement, on distingue un conditionnel simple et un conditionnel composé<br />

(termes utilisés explicitement par Camina<strong>de</strong> (1803 : 215), appelés le plus souvent<br />

conditionnel présent et conditionnel passé 2 (Lévizac 1809 : 90-91, Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier 1818 :<br />

605, Thiel 1836 : 125, Noël & Chapsal 1845 : 158, Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x 1850 : 77-78, Poitevin<br />

1856 : 410, Henry 1860 : 101, Chabane<strong>au</strong> 1868 : 26-28, Brunot 1887 : 477, 1899 : 477).<br />

A ces <strong>de</strong>ux tiroirs, certains <strong>au</strong>teurs, mais pas tous, ajoutent très explicitement celui du<br />

conditionnel surcomposé (p. ex. Camina<strong>de</strong> 1803 : 215, Lévizac 1809 : 91 et Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier<br />

1818 : 606, qui l’orthographient sur-composé ; Brunot 1887 : 477), appelé passé antérieur<br />

1 On a ainsi chez lui, <strong>à</strong> l’intérieur du subjonctif, un <strong>«</strong> Présent conditionnel <strong>»</strong> et un <strong>«</strong> Futur conditionnel <strong>»</strong> (Que<br />

j’écrivisse) (p. 38 et 40), un <strong>«</strong> Passé conditionnel <strong>»</strong> et un <strong>«</strong> Futur antérieur conditionnel <strong>»</strong> (Que j’eusse écrit)<br />

(p. 40).<br />

2 Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1850 : 20) parle <strong>de</strong> premier conditionnel passé, parce qu’il intègre les formes du subjonctif<br />

plus-que-parfait dans le conditionnel. Brachet (1874 : 120) parle <strong>de</strong> conditionnel antérieur. Les termes utilisés<br />

par Chassang (1886 11 : 80-81) sont conditionnel présent et conditionnel parfait indéfini.<br />

217


immédiat conditionnel par Boinvilliers (1818 : 48), conditionnel passé comparatif par Sicard<br />

(1808 : 250).<br />

On constate <strong>au</strong>ssi que le tiroir eusse chanté est désigné <strong>de</strong> plus en plus souvent par le terme <strong>de</strong><br />

conditionnel 1 , fût-ce <strong>de</strong> différentes façons. Ainsi Boinvilliers (1818 : 292-293) parle du passé<br />

conditionnel périodique (J’eusse envoyé) − qui s’oppose <strong>au</strong> passé conditionnel tout court<br />

(J’<strong>au</strong>rais envoyé) − et du passé antérieur immédiat périodique conditionnel (J’eusse eu<br />

travaillé), sa forme surcomposée (1818 : 48) 2 . Noël & Chapsal (1845 : 37) réunissent, sous le<br />

terme <strong>de</strong> conditionnel prétérit ou passé, les <strong>de</strong>ux tiroirs j’<strong>au</strong>rois aimé et j’eusse aimé. Brachet<br />

(1874 2 : 120) fait <strong>de</strong> même sous son terme <strong>de</strong> conditionnel antérieur. Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier (1818 :<br />

629) et Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1850 : 20, 78) appellent la forme eusse chanté respectivement second<br />

conditionnel passé et <strong>de</strong>uxième conditionnel passé, pour l’opposer <strong>à</strong> la forme <strong>au</strong>rait chanté,<br />

<strong>«</strong> premier conditionnel passé <strong>»</strong>. Chassang (1881 6 : 344, 348) intègre la <strong>«</strong> secon<strong>de</strong> forme du<br />

conditionnel <strong>»</strong> sous son conditionnel parfait indéfini et observe que la forme fussiez sans que<br />

en début <strong>de</strong> phrase <strong>«</strong> est en réalité une secon<strong>de</strong> forme <strong>de</strong> conditionnel <strong>»</strong> (p. 344). Landais<br />

(1860 : 321) semble <strong>au</strong>ssi prévoir la forme, mais ses explications sur le nom qu’il veut donner<br />

<strong>à</strong> la forme sont pour le moins confuses.<br />

Quelques <strong>au</strong>teurs complètent la liste <strong>de</strong>s tiroirs avec <strong>de</strong>s conditionnels formés <strong>à</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

<strong>au</strong>xiliaires venir <strong>de</strong> et <strong>de</strong>voir, comme le faisait Be<strong>au</strong>zée <strong>au</strong> XVIIIe <strong>siècle</strong> : Sicard (1808 : 250)<br />

par exemple prévoit, en plus <strong>de</strong> trois <strong>au</strong>tres tiroirs du conditionnel, un conditionnel passé<br />

comparatif (Je viendrois <strong>de</strong> chanter) et un conditionnel passé prochain (Je <strong>de</strong>vrois chanter) 3 .<br />

Notons encore que chez plusieurs <strong>au</strong>teurs, comme par exemple Boinvilliers (1818 : 47-48),<br />

les noms <strong>de</strong>s tiroirs sont dédoublés en fonction <strong>de</strong>s valeurs que ceux-ci peuvent prendre. Pour<br />

un seul et même tiroir, on a ainsi jusqu’<strong>à</strong> trois noms : la forme travaillerais est désignée <strong>à</strong> la<br />

fois comme présent conditionnel, comme futur conditionnel (Je travaillerais <strong>de</strong>main) et<br />

comme passé simultanée [sic] postérieur conditionnel; la forme <strong>au</strong>rais travaillé est désignée <strong>à</strong><br />

la fois comme passé conditionnel et comme futur antérieur conditionnel. Cela est également<br />

le cas chez Boniface (1843), où le conditionnel, <strong>à</strong> l’intérieur <strong>de</strong> l’indicatif, apparaît <strong>à</strong> cinq<br />

endroits, avec les noms <strong>de</strong> : Présent conditionnel (p. 34), Futur conditionnel (p. 37) et Passé<br />

1<br />

Henry (1860 : 101) l’appelle simplement plus-que-parfait du subjonctif.<br />

2<br />

Mentionnée <strong>au</strong>ssi par Landais (1860 : 320).<br />

3<br />

Cf. Be<strong>au</strong>zée plus h<strong>au</strong>t § 2.2.<br />

218


postérieur (Vous saviez bien que j’écrirais) (p. 35-36 1 ) pour la forme J’écrirais, et <strong>de</strong> <strong>«</strong> Passé<br />

conditionnel <strong>»</strong> (p. 35) et <strong>«</strong> Futur antérieur conditionnel <strong>»</strong> pour la forme J’<strong>au</strong>rais écrit (p. 37).<br />

3.3. Les valeurs sémantiques <strong>de</strong>s formes en -rois<br />

Sur le plan <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription sémantique du conditionnel, il y a plusieurs choses <strong>à</strong> noter.<br />

3.3.1. Le conditionnel comme forme liée explicitement ou implicitement <strong>à</strong> une condition<br />

Pour la pério<strong>de</strong> étudiée, la caractérisation sémantique globale du conditionnel passe<br />

généralement 2 par l’idée, première ou unique, que le conditionnel signale qu’une action est<br />

soumise <strong>à</strong> une condition, explicite ou sous-entendue : <strong>«</strong> L’affirmation conditionnelle est […]<br />

le caractère distinctif <strong>de</strong> toutes les formes du conditionnel <strong>»</strong>, écrit Landais (1860 : 320) 3 et il<br />

ajoute <strong>«</strong> Nous jugeons inutile <strong>de</strong> faire observer que la condition n’est pas toujours<br />

explicitement énoncée ; mais elle est sous-entendue <strong>»</strong>. Ces idées se retrouvent chez la plupart<br />

<strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs. Un petit florilège :<br />

- le suppositif est <strong>«</strong> une manière <strong>de</strong> s’exprimer par forme d’hypothèse <strong>»</strong> (Camina<strong>de</strong> 1803 : 215).<br />

- le conditionnel ou suppositif est <strong>«</strong> un mo<strong>de</strong> dont les temps expriment <strong>de</strong>s futurs, ou <strong>de</strong>s présens, qui<br />

dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> quelque condition, exprimée ou sous-entendue <strong>»</strong> (Sicard 1808 : 283).<br />

- le conditionnel <strong>«</strong> exprime l’affirmation avec dépendance d’une condition : Je lirois si j’avais <strong>de</strong>s<br />

livres <strong>»</strong> (Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier 1818 : 287).<br />

- le mo<strong>de</strong> suppositif <strong>«</strong> s’emploie lorsqu’on veut exprimer une action dépendante d’une condition <strong>à</strong><br />

l’exécution <strong>de</strong> laquelle on ne s’attend point <strong>»</strong> : Je serais mardi <strong>à</strong> Grignan, si Dieu le voulait (Lemare<br />

1819 2 : 829).<br />

- <strong>«</strong> Les <strong>de</strong>ux temps du conditionnel supposent toujours une condition, tantôt exprimée, tantôt sous-<br />

entendue <strong>»</strong> (Thiel 1836 : 125). Ailleurs, Thiel lie le mo<strong>de</strong> conditionnel <strong>à</strong> une <strong>«</strong> restriction ou une<br />

condition <strong>»</strong> (1836 : 27).<br />

- <strong>«</strong> Le conditionnel, employé, soit <strong>au</strong> présent, soit <strong>au</strong> passé, exprime toujours une condition explicitement<br />

énoncée <strong>»</strong>, et lorsqu’il s’emploie sans que la condition soit exprimée, celle-ci <strong>«</strong> résulte toujours<br />

clairement du sens <strong>de</strong> la phrase <strong>»</strong> (Poitevin 1856 : 410).<br />

1 L’analyse <strong>de</strong> la temporalité proposée par l’<strong>au</strong>teur n’est pas tout <strong>à</strong> fait celle que l’on propose actuellement :<br />

<strong>«</strong> j’écrirais qui est ici un Passé relativement <strong>au</strong> moment <strong>de</strong> la parole, exprime une idée <strong>de</strong> postériorité<br />

relativement <strong>à</strong> vous saviez <strong>»</strong> (Boniface 1843 : 36).<br />

2 Une <strong>de</strong>s rares exceptions que nous ayons trouvées est Brachet (1880 : 187). Dans les quelques lignes qu’il<br />

consacre <strong>à</strong> la formation historique du conditionnel dans son ouvrage, il décrit la valeur du <strong>«</strong> mo<strong>de</strong> <strong>»</strong><br />

conditionnel comme suit : <strong>«</strong> Le conditionnel désigne un avenir <strong>au</strong> point <strong>de</strong> vue du passé <strong>»</strong>.<br />

3 Voir <strong>au</strong>ssi Brunot (1887 : 503) : Il a <strong>«</strong> surtout une valeur modale, souvent conditionnelle ; <strong>de</strong> l<strong>à</strong> son nom <strong>»</strong>.<br />

219


- une phrase avec le conditionnel ne donne pas lieu <strong>à</strong> une <strong>«</strong> affirmation absolue, indépendante <strong>»</strong>, mais <strong>à</strong><br />

une <strong>«</strong> affirmation conditionnelle, dépendante d’une supposition <strong>»</strong> (Landais 1860 : 320).<br />

Parfois cette caractérisation générale du conditionnel dispense les <strong>au</strong>teurs <strong>de</strong> donner une<br />

<strong>de</strong>scription plus précise <strong>de</strong>s emplois ou <strong>de</strong>s valeurs plus spécifiques <strong>de</strong> ces tiroirs. C’est le cas<br />

<strong>au</strong> moins chez Camina<strong>de</strong> (1803), Sicard (1808) et Brachet (1874 2 : 106, 116).<br />

3.3.2. Reconstruction <strong>de</strong> la proposition conditionnelle en si<br />

Le <strong>de</strong>uxième élément intéressant dans la caractérisation sémantique du conditionnel concerne<br />

les emplois où celui-ci <strong>«</strong> ne diffère <strong>de</strong> l’<strong>usage</strong> ordinaire que par l’ellipse <strong>»</strong>, comme le<br />

formulent Bescherelle, Bescherelle & Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1835-1836 : 448). Lorsque la<br />

proposition conditionnelle fait déf<strong>au</strong>t, <strong>«</strong> il f<strong>au</strong>t […] s’attacher <strong>à</strong> la rétablir, afin <strong>de</strong> justifier<br />

l’emploi que l’on fait du conditionnel <strong>»</strong>, recomman<strong>de</strong> Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1850 : 136). La<br />

restitution <strong>de</strong> la conditionnelle élidée <strong>de</strong>viendra ainsi l’exercice obligé et favori <strong>de</strong>s<br />

grammaires scolaires pour tous les emplois <strong>«</strong> absolus <strong>»</strong> du conditionnel.<br />

Lemare (1819) par exemple commente, <strong>de</strong> façon très détaillée (pp. 829-833), divers cas<br />

d’emploi du suppositif où la condition est sous-entendue. Un exemple. Je souhaiterais que<br />

les philosophes s’appliquassent <strong>à</strong> démontrer…est expliqué ainsi : <strong>«</strong> C’est-<strong>à</strong>-dire, si j’avais <strong>de</strong>s<br />

vœux <strong>à</strong> faire, ou si mes vœux pouvaient avoir quelque influence, je souhaiterais, etc. 1 <strong>»</strong> (p.<br />

831). D’<strong>au</strong>tres <strong>au</strong>teurs, comme Bescherelle & Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1835-1836) consacrent<br />

plusieurs pages (p. 445-450) <strong>à</strong> la recherche et la restitution <strong>de</strong> propositions en si élidées. Ainsi<br />

ils expliquent l’exemple On dirait qu’il va pleuvoir, comme suit : <strong>«</strong> C’est-<strong>à</strong>-dire, si l’on<br />

considérait les nuages, etc. comme je le fais, on dirait qu’il va pleuvoir <strong>»</strong> (1835-1836 : 448).<br />

3.3.3. Inventaire <strong>de</strong>s emplois du conditionnel<br />

Troisième point concernant la caractérisation sémantique du conditionnel : chez <strong>de</strong> plus en<br />

plus d’<strong>au</strong>teurs, on retrouve <strong>de</strong>s listes d’emplois telles que Be<strong>au</strong>zée en avait dressée une <strong>au</strong><br />

XVIIIe <strong>siècle</strong>. Voici comment Lévizac (1809 : 91-92) énumère les cinq <strong>«</strong> occasions <strong>»</strong> dans<br />

lesquelles est utilisé le conditionnel. Le conditionnel s’emploie :<br />

1 Les italiques et caractères droits sont ceux <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>teur.<br />

220


1° <strong>«</strong> pour exprimer un souhait <strong>»</strong><br />

2° <strong>«</strong> avec si qui marque doute, incertitu<strong>de</strong>, comme <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z-lui s’il seroit venu avec nous, supposé<br />

qu’il n’eût pas eu affaire <strong>»</strong><br />

3° <strong>«</strong> avant ou après l’imparfait ou le plus-que-parfait <strong>de</strong> l’indicatif, précédés <strong>de</strong> si <strong>»</strong><br />

4° <strong>«</strong> avec quand mis pour si ou pour quoique, mais alors les verbes doivent être <strong>au</strong> même conditionnel,<br />

comme quand l’avare possé<strong>de</strong>roit tout l’argent du mon<strong>de</strong>, il ne seroit pas encore content <strong>»</strong><br />

5° <strong>«</strong> pour différents temps <strong>de</strong> l’indicatif, comme, croiriez-vous votre fils ingrat, l’<strong>au</strong>riez-vous<br />

soupçonné d’un vice si déshonorant ? pourquoi violeroit-il un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs les plus saints ? <strong>»</strong><br />

Cette liste se retrouvera chez d’<strong>au</strong>tres <strong>au</strong>teurs, sous <strong>de</strong>s formes fort semblables, mais parfois<br />

avec <strong>de</strong>s coupes. Ainsi Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier (1818 : 606) reprend seulement les cas 1°, 2° et 5°.<br />

3.3.4. L’emploi temporel sans condition : condamnation versus constatation<br />

Le quatrième point, corolaire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux précé<strong>de</strong>nts, mais nouve<strong>au</strong> par rapport <strong>au</strong>x <strong>de</strong>scriptions<br />

du conditionnel <strong>au</strong> <strong>siècle</strong> précé<strong>de</strong>nt, est que chez la plupart <strong>de</strong>s <strong>au</strong>teurs l’emploi temporel du<br />

conditionnel − notamment dans la proposition complétive après un verbe principal <strong>au</strong> passé −<br />

n’est reconnu comme un emploi légitime (contrairement <strong>à</strong> ce qui se faisait <strong>au</strong>x XVIIe et<br />

XVIIIe <strong>siècle</strong>s) qu’<strong>à</strong> condition qu’il y ait quelque part l’idée d’un conditionnement. Quelques<br />

exemples :<br />

- Boinvilliers (1818), très normatif, remarque :<br />

<strong>«</strong> Au lieu du futur positif 1 , bien <strong>de</strong>s gens se servent, mais <strong>à</strong> tort, d’un futur conditionnel, lorsqu’il n’y a<br />

pas <strong>de</strong> condition <strong>à</strong> exprimer ; c’est donc une f<strong>au</strong>te <strong>de</strong> dire : "Le bruit a couru que j’abandonnerais ce<br />

pays ; mais on était mal informé". "Votre oncle a prétendu que vous iriez <strong>à</strong> la campagne l’<strong>au</strong>tomne<br />

prochain" […] Comme il s’agit d’indiquer ici une époque future sans condition, il f<strong>au</strong>t dire : "Le bruit<br />

a couru que j’abandonnerai ce pays; mais on était mal informé". "Votre oncle a prétendu que vous irez <strong>à</strong><br />

la campagne l’<strong>au</strong>tomne prochain" <strong>»</strong> (Boinvilliers 1818 : 291-292, nos gras).<br />

- Destutt <strong>de</strong> Tracy (1817) et Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier (1818) prennent la même position :<br />

<strong>«</strong> [le futur composé] est un vrai futur passé relatif et subordonné <strong>à</strong> une condition <strong>»</strong> (Destutt <strong>de</strong> Tracy<br />

1817 : 210, nos gras)<br />

<strong>«</strong> Au lieu du futur, on se sert abusivement du conditionnel présent : On nous a dit que vous<br />

consentiriez <strong>à</strong> faire cette démarche. Votre frère m’a assuré que vous iriez <strong>à</strong> la campagne <strong>au</strong><br />

commencement du printemps prochain. Le bruit a couru que je quitterois ce pays incessamment <strong>»</strong><br />

(Gir<strong>au</strong>lt-<strong>Du</strong>vivier 1818 : 605, nos gras).<br />

Ce sont <strong>de</strong>s futurs simples qu’il f<strong>au</strong>drait dans ces constructions <strong>«</strong> attendu qu’il n’est pas question ici <strong>de</strong><br />

1 Que nous appelons <strong>de</strong> nos jours futur simple.<br />

221


conditions moyennant lesquelles les actions <strong>de</strong> consentir, d’aller, <strong>de</strong> quitter doivent avoir lieu <strong>»</strong> (1818 :<br />

605). Ainsi <strong>à</strong> la page 630, quand l’<strong>au</strong>teur cite l’exemple On disoit/On dit/On a dit/On avait dit que vous<br />

aimeriez l’étu<strong>de</strong>, si pour illustrer la concordance <strong>de</strong>s temps, c’est un si qu’on voit apparaître <strong>à</strong> la fin <strong>de</strong><br />

l’exemple.<br />

- Condamnation analogue chez Noël & Chapsal (1845 35 : 158) 1 :<br />

<strong>«</strong> Le conditionnel ne doit pas s’employer pour le futur <strong>»</strong>, notamment dans <strong>de</strong>s phrases comme <strong>«</strong> On<br />

m’a assuré que vous voyageriez incessamment <strong>»</strong> (nos gras).<br />

Quelques <strong>au</strong>tres <strong>au</strong>teurs qui condamnent l’emploi temporel du conditionnel lorsqu’il n’y a pas<br />

<strong>de</strong> condition sont : Bescherelle, Bescherelle & Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1835-1836 : 449), Litais <strong>de</strong><br />

G<strong>au</strong>x (1850 : 137), Poitevin (1856 : 410). Certains, comme Chassang (1886 11 ) attribuent <strong>au</strong><br />

conditionnel temporel une <strong>au</strong>tre nuance sémantique, le doute 2 ; sans cette nuance, on doit<br />

mettre le futur :<br />

<strong>«</strong> Le conditionnel se met pour le futur dans les propositions subordonnées, quand le verbe <strong>de</strong> la<br />

proposition principale est <strong>à</strong> un <strong>de</strong>s temps du passé, et quand il y a quelque doute dans l’esprit. Ex. Je<br />

voulais/J’ai voulu/J’avais voulu voir s’il viendrait <strong>»</strong> (p. 348-349, nos gras).<br />

Les <strong>au</strong>teurs qui constatent l’existence <strong>de</strong> l’emploi temporel du conditionnel sans le condamner<br />

dans les emplois où il n’y a pas <strong>de</strong> condition ou <strong>de</strong> doute sont principalement <strong>de</strong>s<br />

grammairiens historiques <strong>de</strong> la fin du <strong>siècle</strong>, comme Ayer, Brunot et Clédat. Nous les<br />

traiterons <strong>à</strong> part sous § 4.<br />

On constate par ailleurs que pour certains <strong>au</strong>teurs le conditionnel temporel a une nuance qu’il<br />

ne semble plus avoir maintenant. Voici comment Henry décrit la valeur du conditionnel futur<br />

du passé :<br />

<strong>«</strong> Les <strong>de</strong>ux conditionnels remplacent les <strong>de</strong>ux futurs, lorsque ces futurs 3 complétant une proposition<br />

indicative <strong>au</strong> passé, annoncent un fait postérieur <strong>à</strong> celui qu’exprime cette proposition, mais antérieur <strong>à</strong><br />

l’instant <strong>de</strong> la parole. Ex :<br />

Je disais/J’ai dit/J’avais dit qu’il viendrait hier<br />

Je disais/J’ai dit/J’avais dit qu’il serait venu dès hier <strong>»</strong> (Henry 1860 : 101, nos gras)<br />

Si les futurs annoncent une chose encore <strong>à</strong> venir <strong>au</strong> moment <strong>de</strong> la parole, ils se conservent.<br />

Ex. : <strong>«</strong> J’ai dit qu’il viendra <strong>de</strong>main, qu’il sera venu dès <strong>de</strong>main ; et je persiste <strong>à</strong> le dire <strong>»</strong><br />

1 La première édition date <strong>de</strong> 1823. Nous n’y avons pas eu accès.<br />

2 Chez Henry (1860 : 88) cela s’appelle <strong>«</strong> certitu<strong>de</strong> relative <strong>»</strong>, laquelle s’oppose <strong>à</strong> la <strong>«</strong> certitu<strong>de</strong> absolue <strong>»</strong> du<br />

futur.<br />

3 Pas <strong>de</strong> virgule dans le texte.<br />

222


(Henry 1860 : 101, nos gras). C’est <strong>de</strong> la même façon que Boinvilliers (1818) décrit la valeur<br />

du passé simultanée postérieur [sic] : il <strong>«</strong> exprime l’existence antérieure <strong>à</strong> l’instant <strong>de</strong> la<br />

parole, et coïnci<strong>de</strong>nte avec une époque passée, en y ajoutant une idée <strong>de</strong> futurition : je le<br />

sçavais que vous travailleriez <strong>»</strong> (p. 45-46, nos gras).<br />

Un <strong>au</strong>tre emploi temporel du conditionnel qui est souvent commenté et condamné dans les<br />

grammaires <strong>de</strong> ce <strong>siècle</strong> est l’emploi <strong>de</strong> la forme composée pour la forme simple dans <strong>de</strong>s<br />

exemples comme Je croyais qu’il m’<strong>au</strong>rait prévenu pour je croyais qu’il me préviendrait.<br />

Noël & Chapsal (1845) :<br />

<strong>«</strong> Lorsque le verbe <strong>de</strong> la proposition principale est <strong>à</strong> un temps passé, le verbe <strong>de</strong> la proposition inci<strong>de</strong>nte<br />

doit être <strong>au</strong> conditionnel présent, et non <strong>au</strong> conditionnel passé, pour exprimer un passé postérieur <strong>à</strong><br />

l’égard du verbe <strong>de</strong> la proposition principale <strong>»</strong>. En d’<strong>au</strong>tres termes, il f<strong>au</strong>t dire : <strong>«</strong> je croyais que vous<br />

viendriez <strong>»</strong> ou <strong>«</strong> j’<strong>au</strong>rais parié que vous réussiriez <strong>»</strong> et non <strong>«</strong> que vous seriez venu <strong>»</strong> et <strong>«</strong> que vous<br />

<strong>au</strong>riez réussi <strong>»</strong> (p. 158) 1 .<br />

3.3.5. Condamnation <strong>de</strong> certains emplois comme barbarismes ou emplois vicieux<br />

Le cinquième point <strong>à</strong> noter concernant le traitement sémantique du conditionnel, corollaire du<br />

précé<strong>de</strong>nt, est que s’il est impossible <strong>de</strong> résoudre l’ellipse <strong>de</strong> la conditionnelle, on qualifiera<br />

généralement l’emploi du conditionnel <strong>de</strong> barbarisme. C’est ainsi que Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1850 :<br />

138) rejette comme <strong>«</strong> emploi vicieux <strong>»</strong> l’emploi que Racine fait du conditionnel passé dans le<br />

passage suivant <strong>de</strong>s Plai<strong>de</strong>urs :<br />

<strong>«</strong> … Un soufflet ; écrivons. Lequel Hiérome, après plusieurs, rébellions, Aurait atteint, frappé moi<br />

sergent <strong>à</strong> la joue, Et fait tomber d'un coup mon chape<strong>au</strong> dans la boue. … Et <strong>de</strong> ce non content, Aurait<br />

avec le pied réitéré. − Courage ! Outre plus, le susdit serait venu <strong>de</strong> rage Pour lacérer ledit procès-<br />

verbal… <strong>»</strong><br />

La raison invoquée du rejet est que <strong>«</strong> les actions exprimées par ces verbes ne sont nullement<br />

sous la dépendance d’une condition : ce sont <strong>de</strong>s passés qui appartiennent <strong>au</strong> mo<strong>de</strong> indicatif <strong>»</strong><br />

(1850 : 138-139). Le même exemple avait été cité précé<strong>de</strong>mment par Lemare (1819 : 832),<br />

qui le commente ainsi : <strong>«</strong> Le sens appelait le présent, … a, a, est, <strong>au</strong> lieu <strong>de</strong> [sic] suppositif,<br />

<strong>au</strong>rait, serait, lequel … A atteint … EST venu <strong>»</strong>. Il est repris ensuite par Bescherelle,<br />

Bescherelle & Litais <strong>de</strong> G<strong>au</strong>x (1835-1836 : 448), qui le qualifient d’ <strong>«</strong> emploi vicieux <strong>»</strong>.<br />

Comme pour justifier son rejet, Lemare y ajoute un exemple relevé et critiqué par Voltaire :<br />

1 Même condamnation dans Poitevin (1856 : 410).<br />

223


<strong>«</strong> Ce style barbare, dit Voltaire 1 , commence <strong>à</strong> se glisser dans les papiers publics. On imprime que Sa<br />

Majesté <strong>au</strong>rait reconnu qu’une telle province <strong>au</strong>rait été endommagée par les inondations. <strong>»</strong> (p. 832,<br />

italiques <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>teur)<br />

Sans le savoir, ces <strong>au</strong>teurs ont relevé, <strong>de</strong>ux <strong>siècle</strong>s après M<strong>au</strong>pas 1607 (voir Dendale 2012 et<br />

Dendale & Coltier 2012), un emploi actuellement parfaitement accepté et très fréquent du<br />

conditionnel, qui a obtenu <strong>au</strong>ssi pleinement droit <strong>de</strong> cité dans les grammaires et dans les<br />

étu<strong>de</strong>s contemporaines sur le conditionnel : l’emploi évi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> reprise et/ou non prise en<br />

charge. Cet emploi, condamné par Voltaire et les grammairiens <strong>de</strong> la première moitié du<br />

XIXe <strong>siècle</strong>, sera mentionné comme emploi <strong>«</strong> normal <strong>»</strong> dans les grammaires historiques <strong>de</strong> la<br />

fin du <strong>siècle</strong>, qui seront traitées dans la section qui suit.<br />

4. Le traitement du conditionnel dans les grammaires (historiques) <strong>de</strong> la fin<br />

du XIX <strong>siècle</strong><br />

Bena (2011 : 181) − après Chervel (1977) − qualifie la pério<strong>de</strong> qui va <strong>de</strong> 1820 <strong>à</strong> 1920 <strong>de</strong><br />

pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>«</strong> sécheresse grammaticale <strong>»</strong> :<br />

<strong>«</strong> Ce qui frappe, c’est le hiatus considérable, <strong>de</strong> 1820 <strong>à</strong> 1920 <strong>à</strong> peu près, qui sépare ces <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s<br />

époques <strong>de</strong> la linguistique française [celle <strong>de</strong> Be<strong>au</strong>zée, Dange<strong>au</strong>, <strong>Du</strong> Marsais, Gabriel Girard, etc., d’une<br />

part, et celle <strong>de</strong> Guill<strong>au</strong>me, Benveniste, etc., <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>tre]. […] Un <strong>siècle</strong> d’app<strong>au</strong>vrissement continu <strong>de</strong> la<br />

réflexion grammaticale française ; un <strong>siècle</strong> <strong>au</strong> cours duquel, <strong>à</strong> une science déj<strong>à</strong> ferme et prometteuse, a<br />

été substituée une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s mystifications <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la grammaire, la théorie syntaxique <strong>de</strong><br />

la grammaire scolaire <strong>»</strong> (Chervel 1977 : 87-88).<br />

La remarque <strong>de</strong> Bena sur la sécheresse grammaticale et la citation <strong>de</strong> Chervel ne concernent<br />

que les grammaires scolaires. Y échappent clairement, en tout cas en ce qui concerne le<br />

conditionnel, les grammaires historiques et comparées du français, comme celles d’Ayer, <strong>de</strong><br />

Brunot et <strong>de</strong> Clédat 2 <strong>de</strong> la fin du XIXe <strong>siècle</strong>. C’est pourquoi nous traitons ici <strong>à</strong> part ces<br />

<strong>au</strong>teurs, chez qui le conditionnel reçoit un traitement parfois plus approfondi et souvent<br />

novateur.<br />

1 Dans une lettre <strong>à</strong> l’abbé d’Olivet datée du 5 janvier 1767 (ndlr).<br />

2 Brachet (1880) est également une grammaire historique, mais elle ne contient pas <strong>de</strong>s vues <strong>au</strong>ssi neuves en<br />

matière <strong>de</strong> conditionnel que les <strong>au</strong>tres ouvrages traités ici. C’est pourquoi nous l’avons traitée plus h<strong>au</strong>t sous § 3.<br />

224


4.1. Statut <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rais<br />

Ayer (1851) prend une position mo<strong>de</strong>rne en classant les conditionnels présent et passé non<br />

comme un mo<strong>de</strong>, mais comme <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> l’indicatif 1 (1851 : 57). Dans sa Grammaire<br />

comparée <strong>de</strong> 1885 4 , Ayer ne prévoit pas non plus <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> conditionnel (1885 : 221-222,<br />

227) et les formes en -rais sont toujours rangées comme tiroirs <strong>de</strong> l’indicatif (1885 : 476,<br />

477) :<br />

<strong>«</strong> Le conditionnel appartient <strong>au</strong> mo<strong>de</strong> indicatif, même lorsqu'il dépend d'une condition ou d'une<br />

supposition, car dans ce cas il marque également la réalité, soit la réalité supposée <strong>»</strong> (1885 : 477).<br />

Clédat (1889 : 221-222), commente la position d’Ayer et trouve <strong>«</strong> très légitime,<br />

théoriquement, <strong>de</strong> supprimer le mo<strong>de</strong> conditionnel, comme le fait la grammaire <strong>de</strong> Ayer <strong>»</strong><br />

(p. 234 note 1, italiques <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>teur), mais ajoute que <strong>«</strong> la valeur modale du même temps en<br />

français a pris un tel développement, qu’il est impossible, en pratique, <strong>de</strong> ne pas lui accor<strong>de</strong>r<br />

toute l’importance d’un mo<strong>de</strong> <strong>»</strong> (p. 235, note). C’est que le conditionnel est originellement un<br />

temps (p. 221), mais qui<br />

n’a <strong>«</strong> conservé sa valeur primitive que dans un cas déterminé, lorsqu’il est dans une proposition<br />

complétive (subordonnée ou inci<strong>de</strong>nte) et que le verbe <strong>de</strong> la proposition principale est <strong>à</strong> un temps du<br />

passé <strong>»</strong> (p. 221-222, italiques <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>teur).<br />

Il propose <strong>de</strong> <strong>«</strong> séparer avec soin <strong>de</strong> l’acception modale les restes <strong>de</strong> la valeur primitive <strong>»</strong><br />

(p. 235, note) et donnera <strong>à</strong> la forme en -rais <strong>de</strong>ux noms : conditionnel, quand il parle <strong>de</strong> sa<br />

valeur modale, et futur dans le passé, quand il parle <strong>de</strong> sa valeur temporelle originelle (1889 :<br />

222). On a d’abord l’impression que le grammairien ne va pas jusqu’<strong>à</strong> l’appeler mo<strong>de</strong>, car on<br />

voit qu’il étudie l’<strong>«</strong> Emploi du conditionnel <strong>»</strong> dans une section intitulée <strong>«</strong> Des fonctions<br />

modales du futur dans le passé <strong>de</strong> l’indicatif <strong>»</strong> (p. 234, nos gras). Mais <strong>à</strong> la p. 241, le même<br />

<strong>au</strong>teur écrit <strong>«</strong> Les temps du mo<strong>de</strong> conditionnel sont donc : Présent, futur, futur dans le passé :<br />

J’arriverais (temps dit conditionnel présent) <strong>»</strong> (nos gras) 2 . Pour Clédat il est <strong>«</strong> indispensable<br />

<strong>de</strong> faire figurer <strong>de</strong>ux fois chaque temps du conditionnel, une première fois parmi les temps <strong>de</strong><br />

l’indicatif, sous les noms <strong>de</strong> futur dans le passé et <strong>de</strong> futur antérieur dans le passé, et une<br />

secon<strong>de</strong> fois dans le mo<strong>de</strong> conditionnel <strong>»</strong> (p. 253).<br />

1 Ayer ne prévoit que trois mo<strong>de</strong>s : indicatif, subjonctif et impératif (1851 : 56).<br />

2 Le problème est sans doute dû <strong>à</strong> l’ambiguïté du mot temps.<br />

225


La position <strong>de</strong> Brunot (1887, 1899), pour finir, n’est pas loin finalement <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Clédat :<br />

pour lui, le conditionnel est <strong>«</strong> <strong>à</strong> la fois un temps 1 et un mo<strong>de</strong> <strong>»</strong> (p. 504) 2 , plus précisément, un<br />

temps qui, <strong>à</strong> l’origine, était une forme temporelle (1887 : 471) et qui a pris la fonction d’un<br />

mo<strong>de</strong> :<br />

Il <strong>«</strong> sert simultanément <strong>à</strong> rendre le futur dans le passé, et en même temps <strong>à</strong> exprimer une idée modale<br />

que nous <strong>au</strong>rons <strong>à</strong> déterminer, et que le latin, f<strong>au</strong>te d'un mo<strong>de</strong> spécial, indiquait <strong>au</strong> moyen du<br />

subjonctif <strong>»</strong> (1887 : 504) 3 .<br />

4.2. Nombre <strong>de</strong>s tiroirs verb<strong>au</strong>x en -rois<br />

Ayer distingue <strong>de</strong>ux conditionnels, un conditionnel présent 4 (1851 : 57, 1885 : 226, 475),<br />

appelé <strong>au</strong>ssi futur imparfait (1851 : 57), et un conditionnel passé (1851 : 57, 1885 : 477) ou<br />

parfait (1885 : 222, 227), appelé <strong>au</strong>ssi futur plus-que-parfait (1851 : 57, 1885 : 477) 5 .<br />

Brunot (1887 : 473), parle <strong>de</strong> conditionnel présent (1887 : 473) et <strong>de</strong> futur dans le passé<br />

(1887 : 471) ; la forme composée s’appelle chez lui conditionnel passé 6 (1887 : 473). Il<br />

prévoit <strong>au</strong>ssi un conditionnel passé surcomposé (Brunot 1887 : 474, 477), dont il estime <strong>«</strong> que<br />

ces temps sont trop rares pour qu’ils méritent une analyse détaillée <strong>»</strong> (p. 474). Ce qui est un<br />

peu plus étonnant c’est que pour Brunot <strong>«</strong> On peut même dire d’un <strong>de</strong>s temps du subjonctif, le<br />

plus-que-parfait, qu’il est resté une <strong>de</strong>s formes du conditionnel, car on le trouve partout<br />

concurremment avec les temps correspondants <strong>de</strong> ce mo<strong>de</strong> <strong>»</strong> (Brunot 1887 : 508).<br />

Chez Clédat (1889), c’est un peu plus compliqué. D’un côté il distingue, comme be<strong>au</strong>coup<br />

d’<strong>au</strong>teurs, un conditionnel présent et un conditionnel passé, plus un conditionnel surcomposé<br />

(p. 235), appelé <strong>au</strong>ssi plus-que-parfait du conditionnel (p. 241). De l’<strong>au</strong>tre côté, il qualifie,<br />

sémantiquement parlant, la forme j’arriverais <strong>de</strong> <strong>«</strong> présent, futur et futur dans le passé 7 <strong>»</strong> du<br />

mo<strong>de</strong> conditionnel (p. 244) et la forme je serais arrivé <strong>de</strong> passé, futur antérieur, futur (négatif)<br />

et <strong>de</strong> futur dans le passé (négatif) (p. 242). C’est que Clédat évolue vers un traitement<br />

1 Cf. p. 471, 473.<br />

2 L’<strong>au</strong>teur traite <strong>de</strong>s <strong>«</strong> Temps du conditionnel <strong>»</strong> (1887 : 477) dans une section intitulée <strong>«</strong> Temps <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>au</strong>tres<br />

que l’indicatif <strong>»</strong> (p. 474). Et la section intitulée <strong>«</strong> <strong>Du</strong> conditionnel <strong>»</strong> (1887 : 503) fait partie <strong>de</strong> la section <strong>«</strong> Les<br />

mo<strong>de</strong>s <strong>»</strong> (p. 486).<br />

3 Malgré cette affirmation, l’ouvrage contient une section intitulée <strong>«</strong> Le conditionnel <strong>»</strong>, une <strong>de</strong>s six sous-sections<br />

<strong>de</strong> <strong>«</strong> Des mo<strong>de</strong>s <strong>»</strong>.<br />

4 Pour ses valeurs modales, l’<strong>au</strong>teur distingue <strong>au</strong>ssi un futur (1851 : 58).<br />

5 <strong>«</strong> Le conditionnel présent n’est pas <strong>au</strong>tre chose que l’imparfait, et le conditionnel passé le plus-que-parfait du<br />

futur <strong>»</strong> (1882 : 476).<br />

6 Qui est, selon l’<strong>au</strong>teur, un <strong>«</strong> futur antérieur relativement <strong>au</strong> passé <strong>»</strong> (p. 473).<br />

7 Cette <strong>de</strong>rnière valeur est celle que la forme a dans Je pensais qu’il viendrait si on l’en priait (p. 242), en tant<br />

que forme passée <strong>de</strong> Je pense qu’il viendra si on l’en prie.<br />

226


homonymique du conditionnel, où <strong>de</strong>ux valeurs sont clairement distinguées et dotées <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

noms différents (cf. plus loin).<br />

4.3. Les valeurs sémantiques <strong>de</strong>s formes en -rais<br />

Les trois <strong>au</strong>teurs étudiés ici, Ayer (1855 : 58, 1885 4 : 475), Brunot (1887 : 471) et Clédat<br />

(1889 : 222), distinguent tous les trois, pour les formes en –rais, une valeur modale et une<br />

valeur temporelle. Examinons les caractéristiques <strong>de</strong> ces valeurs selon ces <strong>au</strong>teurs.<br />

Commençons par la valeur temporelle, qui est pour eux la valeur originelle (Ayer 1885 : 399,<br />

Brunot 1887 : 471, Clédat 1889 : 221), même si elle n’est plus la valeur la plus fréquente<br />

(Brunot 1887 : 471).<br />

4.3.1 Valeur temporelle : sans conditionnelle<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong> la valeur temporelle <strong>de</strong> futur dans le passé, ce qui caractérise le traitement<br />

chez ces <strong>au</strong>teurs c’est que la forme en -rais qui apparaît dans la proposition subordonnée <strong>au</strong><br />

passé n’est pas nécessairement liée <strong>à</strong> l’expression d’une condition. Elle désigne simplement<br />

<strong>«</strong> un avenir <strong>au</strong> point <strong>de</strong> vue du passé, <strong>de</strong> même que le futur proprement dit désigne un avenir<br />

<strong>au</strong> point <strong>de</strong> vue du présent (<strong>de</strong> celui qui parle) <strong>»</strong> (Ayer 1885 : 475).<br />

Ainsi Clédat (1889) pose très explicitement que viendrait dans Je savais qu’il viendrait <strong>«</strong> n’a,<br />

<strong>à</strong> <strong>au</strong>cun <strong>de</strong>gré, l’acception modale que nous rendons par le mot conditionnel <strong>»</strong> (p. 222) et que<br />

dans ces phrases on peut employer la forme en -rais <strong>«</strong> sans qu’il y ait quelque doute dans<br />

l’esprit <strong>»</strong> (p.224). Il s’écarte par-l<strong>à</strong> très explicitement <strong>de</strong>s vues généralement répandues <strong>au</strong><br />

long <strong>de</strong> ce <strong>siècle</strong> (cf. plus h<strong>au</strong>t § 3.3.4).<br />

Pour Brunot (1899) le conditionnel passé <strong>«</strong> a conservé sa signification temporelle partout où<br />

le conditionnel présent a gardé la sienne, savoir dans les propositions subordonnées <strong>»</strong><br />

(p. 473) : J’ai vu que tout serait consumé avant que la foule pût arriver (1899 : 473).<br />

Ayer (1885) prévoit, lui <strong>au</strong>ssi, un emploi temporel du futur non lié nécessairement <strong>à</strong> une<br />

condition, avec <strong>de</strong>s exemples comme :<br />

Je savais qu’il partirait (p. 475)<br />

On promit une récompense <strong>à</strong> qui découvrirait le voleur (p. 475)<br />

Il obtint <strong>de</strong> lui qu’Eurydice retournerait parmi les vivants (p. 476)<br />

Jésus Christ a promis qu’il viendrait juger les vivants et les morts (p. 476)<br />

Je savais bien qu’il serait parti avant moi (p. 477)<br />

227


Cette conception <strong>«</strong> non modale <strong>»</strong> <strong>de</strong> la valeur temporelle du conditionnel permet <strong>au</strong>ssi <strong>à</strong> ces<br />

<strong>au</strong>teurs <strong>de</strong> rompre avec la tradition qui consiste <strong>à</strong> rejeter normativement l’emploi du<br />

conditionnel temporel dans la subordonnée complétive d’un verbe <strong>au</strong> passé si l’action n’est<br />

pas soumise <strong>à</strong> une condition, et corollairement <strong>à</strong> accepter et <strong>à</strong> justifier l’emploi du<br />

conditionnel dans ces contextes. Voici comment Ayer (1885), qui s’oppose <strong>à</strong> ces <strong>au</strong>tres<br />

grammairiens, le formule :<br />

<strong>«</strong> Si l’on tient compte <strong>de</strong> ce caractère essentiel du conditionnel [que le conditionnel n’est <strong>au</strong>tre qu’un<br />

imparfait du futur <strong>»</strong>], rien n’est plus facile que d’expliquer l’emploi <strong>de</strong> cette forme dans les phrases<br />

suivantes, qui seraient <strong>de</strong> véritables solécismes s’il était vrai, comme le croient les grammairiens, que<br />

tout conditionnel suppose une condition exprimée ou sous-entendue : Il obtint <strong>de</strong> lui qu’Eurydice<br />

retournerait parmi les vivants […] Pensant qu’il pleuvrait, je restai <strong>à</strong> la maison <strong>»</strong> (Ayer 1885 : 476).<br />

Un <strong>au</strong>tre point sur lequel les <strong>au</strong>teurs étudiés ici ne suivent pas les nombreux grammairiens du<br />

début du <strong>siècle</strong> concerne la soi-disant nécessité d’utiliser un futur et non un conditionnel dans<br />

<strong>de</strong>s constructions <strong>à</strong> subordonnée complétive comme : <strong>«</strong> Il m’a dit qu’il arriverait <strong>de</strong>main,<br />

qu’il serait l<strong>à</strong> <strong>à</strong> cinq heures <strong>»</strong>. Pour Brunot (1899 : 484), il est <strong>«</strong> correct et légitime <strong>»</strong> d’utiliser<br />

un futur (Il m’a écrit qu’il arrivera <strong>de</strong>main), mais <strong>«</strong> on dira plutôt <strong>»</strong> (Il m’a écrit qu’il<br />

arriverait <strong>de</strong>main). Il ne f<strong>au</strong>t pas pour cela que l’action annoncée précè<strong>de</strong> le moment <strong>de</strong> la<br />

parole, comme on a affirmé dans certaines grammaires (§ 3.3.4). En revanche, le conditionnel<br />

s’impose lorsque <strong>«</strong> l’action qui était future par rapport <strong>au</strong> temps du verbe principal est passé<br />

par rapport <strong>au</strong> moment où l’on parle <strong>»</strong> (1899 : 484) : <strong>«</strong> Il m’avait dit que ce serait fini hier <strong>»</strong>.<br />

4.3.2 Valeurs modales<br />

Chez Ayer (1885), la caractérisation <strong>de</strong> la valeur modale du conditionnel est tout ce qu’il y a<br />

<strong>de</strong> plus classique, par le renvoi <strong>à</strong> une condition : <strong>«</strong> Le conditionnel s’emploie surtout dans la<br />

proposition principale d'une phrase composée pour exprimer une action qui dépend d'une<br />

condition ou d'une supposition <strong>»</strong> (1885 : 475). Comme chez <strong>de</strong> nombreux <strong>au</strong>teurs, Ayer<br />

(1885) y ajoute :<br />

<strong>«</strong> [t]rès souvent la condition ou la supposition n’est pas exprimée par une proposition subordonnée,<br />

mais par un simple circonstanciel, ou bien elle est sous-entendue <strong>»</strong> (p. 475).<br />

228


Pour la valeur modale, Brunot (1887 : 506-507) énumère une série <strong>de</strong> circonstances dans<br />

lesquelles est utilisé le conditionnel :<br />

1° <strong>«</strong> énonce très souvent l’action problématique comme <strong>de</strong>vant avoir lieu <strong>à</strong> certaines conditions. Ces<br />

conditions sont fréquemment exprimées par une proposition commençant par si <strong>»</strong> (p. 506)<br />

2° <strong>«</strong> Mais elles peuvent être contenues dans une proposition quelconque, ou dans une <strong>au</strong>tre phrase qui<br />

n’a avec la phrase conditionnelle <strong>au</strong>cun rapport syntaxique apparent <strong>»</strong> : <strong>«</strong> N’en captive pas un trop<br />

tendre. Tu t’en repentirais <strong>»</strong> (p. 506)<br />

3° <strong>«</strong> Très souvent <strong>au</strong>ssi la condition n’est pas exprimée et pour compléter les phrases conditionnelles il<br />

f<strong>au</strong>t sous-entendre <strong>de</strong>s idées très variées <strong>»</strong> : <strong>«</strong> On dirait un pacha ! (si on s’en tenait <strong>à</strong> l’apparence) <strong>»</strong><br />

(p. 507)<br />

4° on emploie […] le conditionnel pour indiquer que l’action n’est pas réelle, qu’elle est incertaine,<br />

possible seulement <strong>»</strong> : <strong>«</strong> Au cas où il le voudrait (on ne sait pas s’il le voudra, peut-être oui, peut-être<br />

non) <strong>»</strong> (p. 507)<br />

5° <strong>«</strong> De l<strong>à</strong> l’emploi du conditionnel dans <strong>de</strong>s phrases contenant une exclamation, une interrogation,<br />

rapportant l’opinion d’<strong>au</strong>trui, partout en un mot où il y a un doute <strong>»</strong> : <strong>«</strong> Ce serait <strong>à</strong> moi ! […] On<br />

raconte qu’il l’<strong>au</strong>rait souffleté <strong>»</strong> (p. 507)<br />

6° <strong>«</strong> De l<strong>à</strong> <strong>au</strong>ssi l’emploi du conditionnel, dit <strong>de</strong> politesse, pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un service dont on ne doute<br />

pas, présenter une idée que l’on considère comme certaine, mais dont on veut adoucir l’énonciation <strong>»</strong> :<br />

<strong>«</strong> Auriez-vous la <strong>bon</strong>té ? Je désirerais <strong>»</strong> (p. 507)<br />

7° dans le cas où <strong>«</strong> la proposition conditionnelle dépend d’une première proposition principale, dont le<br />

verbe est <strong>au</strong> conditionnel […] le verbe subordonné peut être ou n’être pas <strong>au</strong> conditionnel, suivant les<br />

cas <strong>»</strong> : <strong>«</strong> Je croirais que la conquête d’un tel cœur ne seroit pas une victoire <strong>à</strong> dédaigner <strong>»</strong> (p. 510)<br />

Ce qui est un peu surprenant c’est qu’il va jusqu’<strong>à</strong> parler d’une <strong>«</strong> sorte <strong>de</strong> subjonctif du<br />

conditionnel <strong>»</strong> (1887 : 511) lorsque le verbe d’une proposition principale régit un subjonctif et<br />

que le verbe <strong>de</strong> la subordonnée exprime une idée conditionnelle : Je ne doute pas qu’il ne<br />

prêtât l’oreille.<br />

Clédat (1889) s’attache lui <strong>au</strong>ssi <strong>à</strong> chercher les conditionnelles élidées quand le conditionnel<br />

figure dans une phrase sans condition explicite. Ainsi pour Il condamnerait son propre fils, la<br />

conditionnel sous-entendue <strong>«</strong> n’est <strong>au</strong>tre que l’occasion <strong>»</strong> : <strong>«</strong> si l’occasion s’en offrait <strong>»</strong><br />

(p. 236) ; je pourrais/s<strong>au</strong>rais est <strong>à</strong> rattacher <strong>à</strong> un <strong>«</strong> si je voulais <strong>»</strong> et On dirait <strong>à</strong> <strong>«</strong> si on s’en<br />

tenait <strong>à</strong> l’apparence <strong>»</strong> (p. 236). Mais ce qu’il est important <strong>de</strong> souligner c’est que Clédat<br />

donne une <strong>de</strong>scription assez précise <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> ce conditionnel modal :<br />

<strong>«</strong> Le conditionnel présent exprime la possibilité d’une action présente ou future, dans une hypothèse qui<br />

ne se réalise pas ou ne s’est pas réalisée, ou dont la réalisation est douteuse (1889: 235).<br />

229


Et ce qui est intéressant et nouve<strong>au</strong> <strong>au</strong>ssi c’est qu’il ne confond pas, comme cela se fait<br />

souvent sous la couverture du terme <strong>de</strong> <strong>«</strong> conditionnel corrélatif <strong>»</strong>, les <strong>de</strong>ux conditionnels<br />

mod<strong>au</strong>x qu’on a par exemple dans Au cas où il se déci<strong>de</strong>rait, je vous avertirais. Si ces <strong>de</strong>ux<br />

conditionnels qualifient tous <strong>de</strong>ux les actions exprimées par les verbes <strong>de</strong> <strong>«</strong> futures et<br />

douteuses <strong>»</strong>, le second (celui <strong>de</strong> la principale) exprime <strong>«</strong> la possibilité conditionnelle 1 <strong>de</strong><br />

l’action <strong>»</strong> (p. 237), alors que le premier (celui <strong>de</strong> la subordonnée), exprime juste une <strong>«</strong> idée<br />

accessoire d’incertitu<strong>de</strong> <strong>»</strong> (p. 238) si on le compare <strong>au</strong> futur <strong>de</strong> l’indicatif.<br />

Signalons pour finir que les trois grammaires traitées ici, Ayer (1882 3 ), Brunot (1887 1 ) et<br />

Clédat (1889 1 ), <strong>de</strong> même que celle <strong>de</strong> Chassang (1881 6 : 344), mentionnent et illustrent toutes,<br />

parmi les emplois mod<strong>au</strong>x du conditionnel, l’emploi relevé pour la première fois par M<strong>au</strong>pas<br />

(1608), qui avait été redécouvert et condamné <strong>de</strong>ux <strong>siècle</strong>s plus tard par Lemare (1819) et<br />

quelques <strong>au</strong>tres grammairiens. C’est l’emploi évi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> reprise/ non prise en charge.<br />

L’exemple <strong>de</strong> Ayer (1885 : 476) est : <strong>«</strong> D’après les <strong>de</strong>rnières nouvelles, l’insurrection serait<br />

étouffée <strong>»</strong>, mais cet exemple est <strong>«</strong> noyé <strong>»</strong> dans une série exemples d’<strong>au</strong>tres conditionnels<br />

mod<strong>au</strong>x qui n’ont rien <strong>à</strong> voir avec l’emploi <strong>de</strong> reprise et qui se caractérisent tous, selon<br />

l’<strong>au</strong>teur, par le fait que le conditionnel y est utilisé <strong>à</strong> la place d’un <strong>«</strong> <strong>au</strong>tre temps absolu <strong>de</strong><br />

l’indicatif ou même du subjonctif, soit pour affirmer d’une manière moins positive, soit pour<br />

marquer le doute, l’étonnement, ou le désir <strong>»</strong> (p. 399-400). Ces <strong>au</strong>tres exemples sont :<br />

<strong>«</strong> On dirait qu’il est mala<strong>de</strong>. […] Je ne s<strong>au</strong>rais vous le dire. S<strong>au</strong>riez-vous me le dire ? Serait-il vrai ?<br />

Il serait vrai ! Je voudrais y être. Que je voudrais savoir l’anglais ! Pourquoi mon âme refuserait-elle<br />

les jouissances qui sont éparses sur le chemin difficile <strong>de</strong> la vie ? <strong>»</strong> (p. 476)<br />

Chassang (1886) et Clédat (1889) reprennent l’exemple <strong>de</strong>s Plai<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> Racine, mais cette<br />

fois-ci sans nullement le condamner. Clédat l’analyse et le situe ainsi : <strong>«</strong> En langue du Palais,<br />

dans une citation, on met souvent <strong>au</strong> conditionnel les verbes exprimant les faits articulés <strong>»</strong><br />

(1889 : 236, n.2.). Chassang y ajoute <strong>de</strong>ux exemples où le conditionnel <strong>de</strong> reprise apparaît<br />

dans une subordonnée complétive dépendant d’un verbe <strong>de</strong> parole <strong>au</strong> présent :<br />

<strong>«</strong> On dit que les choses se seraient passées ainsi <strong>»</strong>.<br />

<strong>«</strong> D’<strong>au</strong>tres préten<strong>de</strong>nt qu’elles se seraient passées <strong>au</strong>trement <strong>»</strong><br />

(Chassang 1881 6 : 344, nos gras, italiques <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>teur)<br />

1 Conditionnée ? (ndlr).<br />

230


Le même type <strong>de</strong> structure, avec un verbe principal <strong>au</strong> présent et le conditionnel <strong>de</strong><br />

reprise/non prise en charge en subordonnée, est exemplifié <strong>au</strong>ssi par Brunot (1887) et Clédat<br />

(1889) :<br />

On raconte qu’il l’<strong>au</strong>rait souffleté. (Brunot 1887 : 507)<br />

On prétend que l’ennemi serait en vue. (Clédat 1889 : 236)<br />

Ces exemples sont incorporés <strong>au</strong>x séries suivantes, fort similaires d’une grammaire <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>tre :<br />

Ce serait <strong>à</strong> moi ! Il me pardonnerait ? (Brunot 1887 : 507)<br />

Ce serait vrai ! Serait-il vrai ? − Il arriverait <strong>de</strong>main ? (Clédat 1889 : 236)<br />

et expliqués comme suit :<br />

<strong>«</strong> Dans les phrases interrogatives ou exclamatives, et dans les phrases affirmatives où on rapporte<br />

l’opinion d’un <strong>au</strong>tre, le conditionnel peut exprimer, par extension, une possibilité dont on doute, et<br />

dont par conséquent on n’a pas <strong>à</strong> formuler la condition <strong>»</strong> (Clédat 1889 : 236, nos gras)<br />

Conclusion<br />

Dans cette contribution, qui se situe entre la grammaire et la linguistique, <strong>de</strong>ux domaines où<br />

Alex Vanneste, <strong>à</strong> qui cet article est dédié, a été très actif tout <strong>au</strong> long <strong>de</strong> sa carrière, nous<br />

avons voulu donner un aperçu <strong>de</strong> la façon dont les grammaires du début du XVIIe <strong>à</strong> la fin du<br />

XIXe <strong>siècle</strong> ont traité les différents tiroirs en -rais, <strong>de</strong>s noms qu’elles leur ont donnés, du<br />

statut (temps ou mo<strong>de</strong>) qu’elles leur ont accordé et <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s valeurs qu’elles leur ont<br />

attribuées.<br />

Nous avons vu que le nom <strong>de</strong> <strong>«</strong> conditionnel <strong>»</strong> ne s’est imposé que petit <strong>à</strong> petit, que les tiroirs<br />

en -rais − <strong>au</strong> nombre variable <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>à</strong> cinq − ont connu eux <strong>au</strong>ssi toute une série <strong>de</strong><br />

dénominations, que les tiroirs en -rais n’ont été considérés comme formant <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong><br />

l’indicatif que par une minorité <strong>de</strong> grammairiens, répartis toutefois sur toute la pério<strong>de</strong><br />

étudiée, et que les trois valeurs que les linguistes retiennent actuellement pour les formes en -<br />

rais ne se sont dégagées que très lentement : avec une domination <strong>de</strong> la valeur modale <strong>de</strong>s<br />

mon<strong>de</strong>s possibles sur la valeur temporelle et une prise <strong>de</strong> conscience assez tardive et lente <strong>de</strong><br />

la valeur modale évi<strong>de</strong>ntielle.<br />

231


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Université Paris IV-Sor<strong>bon</strong>ne.<br />

1 La grammaire mentionne <strong>de</strong> façon erronée la date <strong>de</strong> 1630.<br />

234


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WILMET, M. (2010 5 ). Grammaire critique du français. Paris/Bruxelles : <strong>Du</strong>culot.<br />

235


236


TABULA GRATULATORIA<br />

Alex Vanneste a toujours été fort apprécié par ses collègues, ses amis et sa famille. La longue<br />

liste <strong>de</strong> personnes qui se sont inscrites pour le présent volume en est la preuve :<br />

Absillis Kevin<br />

Aelbers Gerd & Cuyvers Greet<br />

Apers Kjell<br />

Berg Christian<br />

Beyers Rita<br />

Blust Ronny<br />

Braeckmans Luc<br />

Braet Herman<br />

Bultinck Donald & Croymans Ann<br />

Cantillon Bea<br />

Ceulemans Reinhart<br />

Cheyns Jozef<br />

Claes Jacques<br />

Clemens Theo<br />

Clerbout Geert<br />

Clijsters Willy<br />

Collard Patrick<br />

Colpaert Jozef<br />

Cordy P<strong>au</strong>l<br />

Couttenier Piet<br />

Cuvelier Pol<br />

Cuyvers Jan<br />

Daelemans Walter<br />

Daems Frans<br />

De Clerck Luc<br />

De Clerck Tony<br />

De Decker Benny<br />

<strong>de</strong> Heusch Bob & Willekens Ria<br />

De Mul<strong>de</strong>r Walter<br />

De Smedt Helma<br />

De Wil<strong>de</strong> Peter<br />

De Winter Benedicte<br />

De Winter Edgard<br />

Decancq Martin<br />

Declercq Christophe<br />

Decoo Wilfried<br />

Dejemeppe Benoit<br />

Dekeyser Xavier<br />

Delcroix M<strong>au</strong>rice<br />

Deleu Jozef<br />

Dendale Patrick<br />

Denekens Joke<br />

Devol<strong>de</strong>re Luc<br />

Dominicy Marc<br />

Donche Vincent<br />

<strong>Du</strong>hamel Roland<br />

<strong>Du</strong>mont Pascale & Hoste Dimitri<br />

Engelen Christine<br />

Geerardyn Godfried<br />

Geerts Walter<br />

Halsberghe Guido<br />

Hebb Patrick<br />

Heger P<strong>au</strong>l<br />

Heremans Karin<br />

Humbeeck Kris<br />

Janssen Herman<br />

237


Kindt Saskia<br />

Lemmens Willem<br />

Levrie - Butzen Resi<br />

Mahieu Raymond<br />

Makar Amin<br />

Markey Dominique<br />

Martens Rudy<br />

Meeus Hubert<br />

Meeusen Johan<br />

Melis Ludo<br />

Mertens Thom<br />

Michel Yves<br />

Moors Martin<br />

Mortelmans Jesse<br />

Nawrot Jef & Marie-José<br />

Nawrot Tim & Ellen<br />

Nijssen Rombout<br />

Norbert Ubarri Miguel<br />

Peeters Frank<br />

Pelckmans P<strong>au</strong>l<br />

Pepermans Koen<br />

Rasson Luc<br />

Remmen Roy<br />

Sabbe Bernard<br />

Schoutens Karel<br />

Simons Ludo<br />

Simons Mathea<br />

Smeets Frank<br />

Sny<strong>de</strong>rs Dirk<br />

Spruyt Eric<br />

Straetmans Gert<br />

Taels Johan<br />

Taeymans Luc & Croymans Irène<br />

Tasmowski Liliane<br />

Temmerman Martina<br />

Teuwen - Cuyvers Marie-Jeanne<br />

Teuwen Valerie & Stansfield Justin<br />

Tobac Arnold & Marleen<br />

Tops Guy & van Scherpenzeel Marianne<br />

Tritsmans Bruno & Melis Miren<br />

Valcke Rik<br />

Van Acker Isa<br />

Van <strong>de</strong>n Berghe Koen & Van <strong>de</strong>n Abeele Isabel<br />

Van Den Bogaert Cis<br />

Van <strong>de</strong>n Dries Luk<br />

Van <strong>de</strong>r Auwera Johan<br />

Van <strong>de</strong>r Cruysse Dirk<br />

van <strong>de</strong>r Merwe Herman<br />

Van Goethem Herman<br />

Van Hecke Philippe<br />

Van Herck Walter<br />

Van Houtte Jean<br />

Van Kerchove Luc<br />

Van Loo Bart<br />

Van Loon Francis<br />

Van Moll Frank & Claes Hil<strong>de</strong><br />

Van Moll Hil<strong>de</strong>gar<strong>de</strong><br />

Van Moll Luc<br />

Van Petegem Peter<br />

Van Steenberge Josse<br />

Van Straelen Robert<br />

Van Uytfanghe Marc<br />

Vanassche Jean-Pierre<br />

Van<strong>de</strong>kerckhove Reinhild<br />

Van<strong>de</strong>nberghe Lionel<br />

Versluys Eline<br />

238


Van<strong>de</strong>rhey<strong>de</strong>n Anne<br />

Vanheule Dirk<br />

Vanneste Johan<br />

Vanneste Peter & Verberckmoes Sarah<br />

Vanneste Stefaan<br />

Venckeleer Theo<br />

Verberckmoes Remi & Toté Ria<br />

Verhoeven Annemie<br />

Verhoeven Florentine<br />

Verjans Martine<br />

Vossen Hil<strong>de</strong><br />

Wil<strong>de</strong>meersch Georges<br />

Willekens Rik<br />

Dienst Studieadvies en Stu<strong>de</strong>ntenbegeleiding UA<br />

Hogere Zeevaartschool Antwerpen<br />

OLVE E<strong>de</strong>gem-Mortsel<br />

Universiteitsbibliotheek Antwerpen<br />

Zusters Dochters van het Kruis Limburg<br />

239


240

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