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D. deVillepin:<br />
«Le dialogue<br />
n’a jamais cessé entre<br />
nos deux cultures».<br />
Dans le cadre de cette rubrique, dont<br />
l’objet est de donner la parole à nos partenaires<br />
français, <strong>Djazaïr</strong> 2003 reproduit<br />
compte tenu de son importance, le<br />
discours du Ministre français des<br />
Affaires étrangères, prononcé lors de la<br />
conférence de presse du 6 novembre<br />
dernier à Paris, pour le lancement de<br />
l’Année de l’<strong>Al</strong>gérie en France.<br />
I<br />
l y a deux ans, les Présidents<br />
Jacques Chirac et Abdelaziz<br />
Bouteflika ont souhaité que la<br />
France et l’<strong>Al</strong>gérie se donnent<br />
rendez-vous en 2003, pour “sceller les retrouvailles<br />
des deux pays”. “<strong>Djazaïr</strong>, une Année de<br />
l’<strong>Al</strong>gérie en France” ne sera pas, vous l’imaginez<br />
bien, un rendez-vous comme les autres. Il s’agit<br />
d’un rendez-vous ardemment espéré, longtemps<br />
attendu, longuement préparé.<br />
Il s’agit, aussi, d’un parti pris courageux.<br />
Courageux parce que notre monde vit à l’heure<br />
de tous les dangers. Les nouvelles menaces qui<br />
pèsent sur notre avenir se font plus pressantes,<br />
et l’on assiste à un retour de tentations qui, dans<br />
l’histoire, ont toujours mené au pire. La tentation<br />
du repli sur soi, du réveil des identités<br />
agressives ou guerrières, en réaction à un<br />
monde qui tend à s’uniformiser. La tentation<br />
aussi de la fuite en avant, du recours à la force,<br />
de l’affrontement. L’Année de l’<strong>Al</strong>gérie va exactement<br />
à l’opposé de ces tentations. Son ambition<br />
est d’ouvrir le champ du dialogue, d’instaurer<br />
le partage et la culture au cœur des relations<br />
entre les peuples. Car l’art est toujours le ferment<br />
du changement. Il est le trait d’union<br />
entre les nations et les individus. Il guide la<br />
conscience des peuples, comme l’étoile guide le<br />
voyageur. C’est un parti pris courageux, du fait<br />
aussi des liens passionnels que l’histoire a tissés<br />
entre nos deux pays, unis à la fois par une fascination<br />
et une affection réciproques, à la fois par<br />
des souvenirs d’épreuves et de douleurs. Je<br />
pense aux <strong>Al</strong>gériens, aux rapatriés et aux harkis.<br />
A tous ceux qui ont souffert. Nous ne devons ni<br />
ne voulons occulter les pages difficiles de cette<br />
relation.<br />
Un album que nous<br />
aspirons à redécouvrir<br />
Au regard de l'Histoire, la France et l'<strong>Al</strong>gérie<br />
ont manqué plus d'un rendez-vous. Car le dialogue<br />
n'est jamais simple, lorsqu'il s'instaure<br />
dans le doute et le désarroi. Il faut du temps<br />
pour parvenir à la reconnaissance de l’autre,<br />
pour adhérer à cette phrase de Mohammed <strong>Dib</strong>:<br />
«Les hommes sont semblables et différents, nous<br />
les décrivons différents pour qu’en eux vous<br />
reconnaissiez vos semblables». Pourtant, le dialogue<br />
n'a jamais cessé entre nos deux cultures,<br />
transcendant les disciplines et se fécondant en<br />
une multitude de regards croisés. Il nous revient<br />
à tous des images, des bribes éparses de ce dialogue<br />
morcelé, lacunaire, formant les fragments<br />
d’un album formé de mots, d’images, de<br />
musiques familières, que nous aspirons aujourd’hui<br />
à redécouvrir.<br />
Dans cet album, on retrouverait la figure de<br />
l’Emir Abdel Kader, soldat indomptable et chevalier<br />
mystique. On y verrait le peintre Etienne<br />
Dinet, né à Paris, enterré à Bou Saada, après sa<br />
conversion à l'islam et qui fut à l'origine de la<br />
création de la Mosquée de Paris. On y verrait<br />
Eugène Fromentin parcourant l'<strong>Al</strong>gérie, mais<br />
aussi Baya, née à <strong>Al</strong>ger, au talent célébré par<br />
André Breton et exposant à la galerie Maëght en<br />
1947, ouvrant la voie à la prodigieuse explosion<br />
de l’art algérien d’aujourd’hui, l’un des plus<br />
vivants et des plus imaginatifs de l’espace méditerranéen.Il<br />
y aurait aussi une bibliothèque idéale<br />
où se poursuivraient, autour de la revue<br />
Fontaine, de rudes passes d'armes entre <strong>Al</strong>bert<br />
Camus et Kateb Yacine et des conversations plus<br />
feutrées entre <strong>Mohamed</strong> <strong>Dib</strong> et Max-Pol<br />
Fouchet ou Jean Amrouche. Il y aurait ensuite la<br />
symphonie algérienne de Camille Saint-Saëns,<br />
répondant à la musique du film Pépé le Moko<br />
composée par <strong>Mohamed</strong> Iguerbouchen. Et, les<br />
images se bousculant, on reverrait Mohammed<br />
Lakhdar-Hamina recevant la Palme d’Or à<br />
Cannes en 1975 pour la “chronique des années<br />
de braise”, l’œuvre de Picasso honorée à <strong>Al</strong>ger<br />
en 1988, et, toujours inscrites dans le paysage<br />
algérien d’aujourd’hui, les architectures de<br />
Fernand Pouillon fasciné par le M’zab.<br />
Il nous faut aujourd’hui reprendre le fil de ce<br />
dialogue, de cette effervescence artistique qui<br />
mène à la découverte d'un héritage commun.<br />
Car nos sociétés sont plus que jamais<br />
empreintes d’un profond brassage humain et<br />
culturel, fortes de cette proximité géographique,<br />
mais surtout, comme l’avait souligné<br />
Jacques Berque, “historique et essentielle”, à<br />
partir de laquelle l’âme de nos peuples se mêle<br />
intimement. La France et l’<strong>Al</strong>gérie ont besoin de<br />
se retrouver. Elles ont besoin de pouvoir mettre<br />
des mots, des gestes, des images, des musiques,<br />
sur ce qui pendant trop longtemps n’a pas été<br />
exprimé. C’est à nous, Français et <strong>Al</strong>gériens, de<br />
savoir maintenant reprendre l’histoire en<br />
<strong>Djazaïr</strong> ▲ numéro 4