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Jury :<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong> <strong>Ouest</strong> <strong>Nanterre</strong> <strong>La</strong> <strong>Défense</strong><br />
Ecole doctorale Economie, organisations, société<br />
Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Démographie<br />
Liliana ESTRADA QUIROZ<br />
Quelle place le travail a-t-il dans la vie des enfants ?<br />
Le cas des grandes villes du Mexique<br />
Thèse dirigée par Mme María Eugenia COSIO ZAVALA<br />
Soutenue le 17 décembre 2011<br />
Bruno LAUTIER. Professeur à l’<strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong> 1.<br />
Cecilia RABELL. Professeur à l’Universidad Nacional Autónoma de México.<br />
Véronique HERTRICH. Chargée de Recherche à l’INED.<br />
1
RÉSUMÉ<br />
Bien que le travail des enfants semble être une pratique hors du temps, dans l’actualité une partie non<br />
négligeable d’enfants — dans les grandes villes du Mexique, ainsi que dans plusieurs pays en<br />
développement — travaillent de manière quotidienne. Nous allons tenter de connaître l’importance du<br />
travail dans la vie des enfants à travers deux approches : qualitative et quantitative. <strong>La</strong> première est<br />
basée sur des entretiens, que nous avons spécialement réalisés auprès des enfants travailleurs et non<br />
travailleurs à Mexico ; la deuxième est appuyée sur une source secondaire, une base de données<br />
nationale sur le travail des enfants. Grâce à l’utilisation de ces deux sources complémentaires, nous<br />
avons réussi à aborder plusieurs aspects de cette problématique si complexe, en donnant une place<br />
privilégiée à la famille et en regardant les enfants travailleurs comme protagonistes dans tout ce qui les<br />
concerne. Or, les enfants travailleurs ne représentent pas une population homogène. Nous avons<br />
montré que les raisons, les processus de mise au travail, les activités, les conditions, les déterminants<br />
et les conséquences varient selon leur domaine de participation (extradomestique ou domestique) et<br />
leur lien de parenté avec l’employeur (familial ou non familial). Cependant, les différences ne se<br />
limitent pas au terrain des faits, elles s’observent aussi dans les représentations sociales qu’ont les<br />
enfants sur les types distincts de travail des enfants. Enfin, des contrastes marqués existent par âges et<br />
par sexes, témoignant que des inégalités de genres et de générations touchent déjà les plus jeunes.<br />
Mots clés : enfant, travail, famille, Mexique, domestique, représentation.<br />
What place does work have in the lives of children?<br />
Case study in the big cities of Mexico.<br />
ABSTRACT<br />
Although child labour is thought to be an outdated practice, currently a significant proportion of<br />
children - in the big cities of Mexico and in many developing countries - are working on a daily basis.<br />
We have looked into the importance of work in the lives of children using two different approaches:<br />
qualitatitve and quantitative. The first is based on interviews, which we specifically carried out with<br />
both working and non-working children in Mexico City; the second approach uses a national database<br />
on child labour. By using these two complementary sources, we were able to cover several aspects of<br />
this complex problem, in particular by emphasising the role of the family and observing child workers<br />
as protagonists in their lives. However, child workers are not a homogeneous population. We have<br />
shown that the reasons for working, the type of work, the working conditions, and the determining<br />
factors and consequences of working vary according to the area of activity (domestic or not) and the<br />
child's relationship to their employer (family member or not). However, the differences are not<br />
confined to simply facts, they are also observed in the social representations that children have about<br />
the distinct types of child labour. Finally, there are marked differences determined by age and gender,<br />
showing that inequality already affects the youngest members of society.<br />
Key Words: child, work, family, Mexico, housework, representation.<br />
Centre de recherche Populations et sociétés (CERPOS)<br />
<strong>Université</strong> <strong>Paris</strong> <strong>Ouest</strong> <strong>Nanterre</strong> <strong>La</strong> <strong>Défense</strong><br />
200, avenue de la République<br />
92000 NANTERRE<br />
3
4<br />
REMERCIEMENTS<br />
Je voudrais, tout d’abord, remercier María Eugenia Cosio, qui s’est intéressée à mon projet, et<br />
a dirigé et enrichi cette thèse avec ses réflexions, ses questions et ses corrections. Je lui suis<br />
reconnaissante de sa confiance et de la liberté qu’elle m’a toujours accordée. Son aide, sa<br />
patience et sa compréhension ont été fondamentales pour atteindre mon but, après toutes ces<br />
années si exceptionnelles dans ma vie.<br />
Je souhaite spécialement saluer Cecilia Rabell, qui a été une personne essentielle pendant mon<br />
parcours professionnel. Ses conseils, son soutien et sa confiance avant, pendant et jusqu’à la<br />
fin de cette aventure m'ont beaucoup réconfortée. Je la remercie aussi d'avoir accepté d’être<br />
rapporteuse et de participer à mon jury, et donc de consacrer quelque temps de son séjour en<br />
France à ma soutenance.<br />
Je voudrais adresser mes très chaleureux remerciements à Monsieur Bruno <strong>La</strong>utier pour avoir<br />
accepté d’examiner et de rapporter cette thèse, et à Madame Véronique Hertrich pour accepter<br />
de lire mon manuscrit et de faire partie de mon jury. Merci pour leur intérêt, leur participation<br />
et leur temps.<br />
Je remercie également Carole Brugeilles et toute l’équipe du CERPOS, pour le soutien que<br />
j’ai toujours eu comme doctorante attachée de ce laboratoire de recherche. Leur aide fut fort<br />
importante à divers moments de ma recherche.<br />
Un grand merci à tous ceux qui ont apporté à mon travail leurs compétences, à différents<br />
moments de mon parcours. De manière particulière à : Helen Del Pozo, <strong>La</strong>uro Mercado,<br />
Blanca M. Aguilar, Miguel Morales, Alexandra Fillon, Céline Clément, Camille Bret,<br />
Bernadette Fieux, Emmanuelle Derouet, Louisa Ersanilli. Merci pour leur aide et leur<br />
disponibilité inestimables.<br />
Un dernier, mais non moins important merci à ma famille, qui m’a toujours beaucoup donnée.<br />
De manière spéciale à mes parents, deux exemples de vie, si chers et si exceptionnels à mes<br />
yeux. A Juan Carlos, pour sa patience, son soutien et tout le bonheur qu’il m’apporte. A Gael<br />
pour toutes les joies et les réconforts qu’il me procure chaque jour.<br />
Cette recherche a été possible grâce au financement du CONACyT et la SFERE.<br />
Enfin, je tiens à saluer tous les amis et collègues non nommés qui, de près ou de loin, ont<br />
contribué à la concrétisation de ce travail de recherche.
TABLE DE MATIÈRES<br />
INTRODUCTION.................................................................................................................... 13<br />
PARTIE I.................................................................................................................................. 19<br />
Les enfants travailleurs au Mexique : leur réalité et leurs discours ......................................... 19<br />
CHAPITRE I..................................................................................................................................... 21<br />
Les enfants travailleurs comme sujets de recherche ......................................................................... 21<br />
I.1. L’état des connaissances sur le travail des enfants................................................................. 23<br />
I.1.1. Le travail des enfants comme objet d’études en sciences sociales.................................. 23<br />
I.1.2. Qu’est-ce le travail des enfants ? .................................................................................... 26<br />
I.1.3. Les approches du travail des enfants............................................................................... 32<br />
I.2. Le travail des enfants comme pratique : problématique et hypothèses. ................................. 35<br />
I.3. Notre cadre théorique de référence......................................................................................... 39<br />
I.3.1. Les enfants travailleurs comme protagonistes. ............................................................... 39<br />
I.3.2. Le travail des enfants comme une stratégie familiale de vie........................................... 41<br />
I.3.3. <strong>La</strong> théorie des représentations sociales consacrée au sujet du travail des enfants. ......... 47<br />
Conclusions .................................................................................................................................. 57<br />
CHAPITRE II ................................................................................................................................... 59<br />
Les enfants travailleurs sous deux approches : méthodologie et sources de données....................... 59<br />
II.1. Les enfants travailleurs : notre cadre conceptuel de référence.............................................. 59<br />
II.1.1. Notre population objet d’études..................................................................................... 60<br />
II.1.2. Le travail des enfants : nos points de repère.................................................................. 70<br />
II.1.3. Sur les notions de famille et ménage. ............................................................................ 75<br />
II.2. Les approches qualitative et quantitative : une quête de complémentarité entre deux points<br />
de vue............................................................................................................................................ 77<br />
II.2.1. L’analyse qualitative...................................................................................................... 78<br />
II.2.1.1. Déroulement du travail de terrain a Mexico........................................................... 83<br />
II.2.1.2. Les limites du travail de terrain.............................................................................. 96<br />
II.2.2. L’analyse quantitative.................................................................................................... 99<br />
II.2.2.1. Les bases de données pour l’analyse quantitative. ............................................... 101<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 108<br />
CHAPITRE III ................................................................................................................................ 111<br />
Le Mexique : une mise en contexte................................................................................................. 111<br />
III.1. Le Mexique : le contexte national...................................................................................... 114<br />
III.1.1. <strong>La</strong> population.............................................................................................................. 115<br />
5
6<br />
III.1.2. Les conditions de vie : une image inégale d’opportunités.......................................... 120<br />
III.1.3. Le système éducatif : en franche croissance, mais encore insuffisant........................ 123<br />
III.1.4. Le marché du travail : un portrait de flexibilisation, précarité et hétérogénéité......... 127<br />
III.2. Le monde des familles mexicaines. ................................................................................... 133<br />
III.3. Le quartier de Pueblo Quieto : un contexte particulier...................................................... 137<br />
III.3.1. <strong>La</strong> brève histoire du quartier. ..................................................................................... 137<br />
III.3.2. <strong>La</strong> situation socioéconomique. ................................................................................... 139<br />
III.3.3. <strong>La</strong> situation sociodémographique............................................................................... 145<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 148<br />
CHAPITRE IV................................................................................................................................ 151<br />
A propos des représentations sociales : les enfants prennent la parole........................................... 151<br />
IV.1. L’enfance : l’étape qui correspond à l’école primaria. ..................................................... 152<br />
IV.2. <strong>La</strong> scolarité : la condition pour être quelqu’un.................................................................. 158<br />
IV.3. Le travail : des regards tendancieux. ................................................................................. 165<br />
IV.3.1. Le discours des enfants sur le travail des enfants....................................................... 170<br />
IV.3.2. Le travail des enfants extradomestique familial......................................................... 179<br />
IV.3.3. Le travail extradomestique des enfants dans les rues................................................. 182<br />
IV.3.4. Le travail ménager...................................................................................................... 186<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 195<br />
PARTIE II .............................................................................................................................. 201<br />
<strong>La</strong> place du travail dans la vie quotidienne des enfants ......................................................... 201<br />
CHAPITRE V ................................................................................................................................. 203<br />
Activités des enfants mexicains dans les grandes villes ................................................................. 203<br />
V.1. <strong>La</strong> scolarisation de la population urbaine de 6 à 17 ans...................................................... 204<br />
V.2. Les tâches domestiques....................................................................................................... 209<br />
V.3. Le travail extradomestique.................................................................................................. 210<br />
V.4. <strong>La</strong> combinaison des activités. ............................................................................................. 211<br />
Conclusion.................................................................................................................................. 214<br />
CHAPITRE VI................................................................................................................................ 217<br />
Les enfants travailleurs domestiques familiaux .............................................................................. 217<br />
VI.1. Les tâches domestiques : de l’apprentissage au travail. .................................................... 217<br />
VI.1.1. Le rôle de la famille sur la participation des enfants aux tâches domestiques. .......... 218<br />
VI.2. Les travailleurs domestiques familiaux. ............................................................................ 230<br />
VI.3. Les enfants face au travail domestique familial : une question de genre et de génération.233<br />
VI.4. Le travail domestique familial : une question de composition et d’organisation familiales.<br />
.................................................................................................................................................... 235<br />
VI.4.1. Le travail domestique, une affaire de femmes et d’enfants........................................ 238
VI.4.2. Des enfants qui remplissent l’absence de femmes. .................................................... 243<br />
VI.4.3. Garçons et filles : différents face a la précarité familiale........................................... 247<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 248<br />
CHAPITRE VII............................................................................................................................... 253<br />
Les enfants travailleurs extradomestiques ...................................................................................... 253<br />
VII.1. Qui sont ces enfants travailleurs extradomestiques ?....................................................... 256<br />
VII.2. Le processus d’entrée précoce au marché du travail........................................................ 259<br />
VII.2.1. Les raisons de l'entrée précoce sur le marché du travail : entre contrainte et choix. 260<br />
VII.2.2. Les liens sexués d’embauche.................................................................................... 278<br />
VII.3. Le travail extradomestique non familial et familial : deux mondes différents................. 280<br />
VII.3.1. Le monde du travail des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux. ....... 281<br />
VII.3.2. Le monde du travail des enfants travailleurs extradomestiques familiaux. .............. 297<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 309<br />
CHAPITRE VIII ............................................................................................................................. 313<br />
Le rôle du milieu familial sur le travail extradomestique des enfants............................................. 313<br />
VIII.1. Caractéristiques familiales et travail extradomestique des enfants : en quête<br />
d’explications.............................................................................................................................. 313<br />
VIII.2. Les incidences de l’environnement familial sur le travail extradomestique................... 329<br />
VIII.2.1. Les enfants vis-à-vis du travail extradomestique : une participation sexuée et<br />
générationnelle, soumise à l’entourage. ................................................................................. 332<br />
VIII.2.2. Des enfants qui remplacent un conjoint absent. ...................................................... 339<br />
VIII.2.3. <strong>La</strong> scolarité et l’activité du conjoint du chef de ménage : un rôle important, mais<br />
secondaire............................................................................................................................... 342<br />
VIII.2.4. Le travail extradomestique : soit une question de précarité familiale, soit une<br />
question d’offre de travail. ..................................................................................................... 347<br />
VIII.3. L’offre de travail disponible grâce à l’emploi des parents.............................................. 350<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 356<br />
CHAPITRE IX................................................................................................................................ 359<br />
Les conséquences du travail : les vicissitudes d’une expérience précoce....................................... 359<br />
IX.1. Le vécu quotidien des enfants travailleurs. ....................................................................... 360<br />
IX.1.1. Les travailleurs domestiques familiaux : une vie en double. ..................................... 360<br />
IX.1.2. Les problèmes engendrés par le travail extradomestique : entre mythes et réalité. ... 367<br />
IX.2. Scolarisation et travail : entre dépendance et partialité. .................................................... 373<br />
IX.2.1. <strong>La</strong> déscolarisation : une question de temps................................................................ 377<br />
Conclusions ................................................................................................................................ 386<br />
CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................................................................ 389<br />
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 405<br />
7
ANNEXES ............................................................................................................................. 425<br />
8<br />
ANNEXE I. Information Générale ................................................................................................. 427<br />
I.1. Extraits de la Loi fédérale du travail .................................................................................... 427<br />
I.2. Groupes d’activité professionnelle....................................................................................... 428<br />
ANNEXE II. Les instruments de travail ......................................................................................... 429<br />
II.1. Travail de terrain................................................................................................................. 430<br />
II.2. Les questionnaires de l’ENOE et du MTI 2007.................................................................. 434<br />
ANNEXE III. Présentation des interviewés.................................................................................... 455
LISTE DE FIGURES<br />
Tableaux<br />
Tableau 1. Participation des enfants par domaines institutionnels selon l’âge...................................... 65<br />
Tableau 2. Répartition (%) de la population urbaine de 6 à 17 ans....................................................... 66<br />
par groupes d’âges et sexe, 2007........................................................................................................... 66<br />
Tableau 3. Répartition de la population d’étude (%, N, n) 1 , ................................................................. 69<br />
par groupes d’âges et sexe, 2007........................................................................................................... 69<br />
Tableau 4. Classification des EAJ travailleurs selon le type de travail................................................. 73<br />
Tableau 5. Répartition (%) des enfants travailleurs de 6 à 14 ans....................................................... 112<br />
selon le type de travail, 1995-2002...................................................................................................... 112<br />
Tableau 6. Nombre de localités et population par taille de la localité,................................................ 119<br />
selon le classement de l’INEGI........................................................................................................... 119<br />
Tableau 7. L’Indice de Développement Humain 2007 pour des pays sélectionnés ............................ 122<br />
Tableau 8. L’organisation du système scolaire mexicain.................................................................... 123<br />
Tableau 9. Le classement des ménages selon l’INEGI ....................................................................... 136<br />
Tableau 10. Caractéristiques des enfants interviewés individuellement ............................................. 152<br />
Tableau 11. Répartition (%) de la population urbaine de 6 à 17 ans................................................... 207<br />
qui ne fréquente pas l’école, selon les raisons de déscolarisation....................................................... 207<br />
Tableau 12. Répartition (%) des enfants selon le type d’activité qu’ils réalisent au moins une heure par<br />
semaine, selon les groupes d’âges et le sexe ....................................................................................... 212<br />
Tableau 13. Répartition (%) des EAJ et nombre moyen d'heures dédié ............................................. 220<br />
aux tâches domestiques selon la composition du ménage par âges..................................................... 220<br />
Tableau 14. Répartition (%) des EAJ et nombre moyen d'heures dédié aux tâches domestiques selon la<br />
composition du ménage par sexe des adultes...................................................................................... 220<br />
Tableau 15. Répartition (%) des EAJ selon la composition et la participation au travail ................... 222<br />
économique du couple parental, et nombre moyen d'heures dédié aux tâches ménagères.................. 222<br />
Tableau 16. Répartition (%) des EAJ selon les activités du couple familial....................................... 224<br />
et nombre moyen d'heures dédié aux tâches ménagères ..................................................................... 224<br />
Tableau 17. Répartition (%) des EAJ selon la condition du couple familial....................................... 225<br />
et nombre moyen d'heures dédié aux tâches ménagères ..................................................................... 225<br />
Tableau 18. Répartition (%) des EAJ et nombre moyen d'heures dédié aux tâches............................ 229<br />
ménagères selon le groupe d’activité professionnelle du chef de ménage .......................................... 229<br />
Tableau 19. Dédier plus de 7 heures ou 15 heures et plus par semaine aux tâches domestiques........ 234<br />
Rapport de risque et probabilité ajustée d’une régression logistique .................................................. 234<br />
9
Tableau 20. Dédier plus de 7 heures ou 15 heures et plus aux tâches domestiques par semaine........ 237<br />
Rapport de risque et probabilité ajustée d’une régression logistique binomiale par sexe ................... 237<br />
Tableau 21. Répartition (%) des chefs par sexe, ................................................................................. 247<br />
selon le nombre d'heures moyen dédié au travail domestique............................................................. 247<br />
Tableau 22. Age moyen au premier travail des EAJ de 6 à 17 ans ..................................................... 259<br />
par groupes d’âges et sexe, selon le type de travail............................................................................. 259<br />
Tableau 23. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux ...................... 260<br />
et familiaux, selon la raison principale pour travailler ........................................................................ 260<br />
Tableau 24. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux, ..................... 286<br />
selon la taille de l’entreprise par groupes d’âges et sexe..................................................................... 286<br />
Tableau 25. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux, ..................... 287<br />
selon le type d’entreprise..................................................................................................................... 287<br />
Tableau 26. Répartition (%) des EAJ et pourcentage de travailleurs extradomestiques ..................... 314<br />
familiaux et non familiaux, selon la composition par groupes d’âges du ménage.............................. 314<br />
Tableau 27. Répartition (%) des EAJ et pourcentage de travailleurs extradomestiques ..................... 317<br />
familiaux et non familiaux, selon la composition du ménage par sexe et âges................................... 317<br />
Tableau 28. Répartition (%) des EAJ et pourcentage de travailleurs extradomestiques non familiaux et<br />
familiaux, selon la composition et la participation extradomestique du couple parental.................... 319<br />
Tableau 29. Répartition (%) des EAJ et pourcentage des travailleurs extradomestiques.................... 321<br />
familiaux et non familiaux, selon les activités du couple familial ...................................................... 321<br />
Tableau 30. Répartition (%) des EAJ et pourcentage des travailleurs extradomestiques.................... 324<br />
non familiaux et familiaux selon la scolarité du couple parental ........................................................ 324<br />
Tableau 31. Répartition (%) des EAJ et pourcentage d’enfants travailleurs non familiaux et familiaux<br />
selon le groupe d’activité professionnelle du chef de ménage et du conjoint du chef ........................ 328<br />
Tableau 32. Etre travailleur extradomestique non familial ou familial par rapport à ne pas l’être.<br />
Rapport de risque et probabilité ajustée d’une régression logistique binomiale par sexe ................... 331<br />
Tableau 33. Pourcentage d’enfants travailleurs, selon le groupe d’activité combinée........................ 351<br />
du chef de ménage et du conjoint du chef ........................................................................................... 351<br />
Tableau 34. Pourcentage d’enfants travailleurs, selon la situation dans l’activité .............................. 354<br />
combinée du chef de ménage et du conjoint du chef........................................................................... 354<br />
Tableau 35. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques selon les conséquences........ 372<br />
d’un éventuel arrêt de travail, par type de travail et par sexe.............................................................. 372<br />
Tableau 36. Répartition (%) de la population urbaine de 6 à 17 ans qui ne fréquente pas l’école,..... 382<br />
selon les raisons de déscolarisation par type de travail, pour les deux sexes ...................................... 382<br />
Tableau 37. L’ordre d’importance des variables sélectionnées dans le modèle.................................. 399<br />
Travail domestique familial selon le temps de travail et le sexe d’Ego .............................................. 399<br />
Travail extradomestique selon le lien de parenté et le sexe d’Ego...................................................... 399<br />
10
Graphiques<br />
Graphique 1. Taux de travail économique et taux de travail domestique ........................................... 112<br />
des enfants de 6 à 14 ans par sexe, 1995-2002.................................................................................... 112<br />
Graphique 2. Evolution des pourcentages d’élèves inscrits en école publique, .................................. 125<br />
selon le cycle scolaire, 1990-2007....................................................................................................... 125<br />
Graphique 3. Proportion (%) de personnes qui fréquentent l’école .................................................... 126<br />
par groupes d’âges, selon le sexe, 1970 et 2000.................................................................................. 126<br />
Graphique 4. Taux de chômage (TDA) et taux de .............................................................................. 129<br />
conditions critiques d’emploi (TCCO) par sexe, 1991-2009 .............................................................. 129<br />
Graphique 5. Pourcentage d’EAJ scolarisés et nombre moyen d'heures par semaine......................... 206<br />
dédié aux études, par âges et sexe ....................................................................................................... 206<br />
Graphique 6. Pourcentage d'EAJ qui réalise des tâches domestiques et ............................................. 209<br />
nombre moyen d’heures par semaine dédié à ces activités, par âges et sexe ...................................... 209<br />
Graphique 7. Pourcentage d’EAJ qui réalise un travail extradomestique ........................................... 210<br />
et heures moyennes par semaine dédiées au travail extradomestique, par âge et sexe........................ 210<br />
Graphique 8. Heures moyennes que les EAJ consacrent aux tâches domestiques,............................. 227<br />
selon la scolarité du chef et la différence de scolarité dans le couple parental ................................... 227<br />
Graphique 9. Répartition (%) des enfants travailleurs domestiques familiaux ................................... 231<br />
par âge et sexe, pour les deux critères de temps de travail.................................................................. 231<br />
Graphique 10. Répartition (%) des EAJ par groupes d’âges et sexe,.................................................. 233<br />
selon le nombre d’heures hebdomadaires dédiées au travail domestique ........................................... 233<br />
Graphique 11. Répartition (%) des EAJ travailleurs extradomestiques .............................................. 254<br />
selon le lien de parenté avec l’employeur par groupes d’âges et sexe, 2007 ...................................... 254<br />
Graphique 12. Structure par âges et sexe des enfants travailleurs extradomestiques.......................... 257<br />
selon le lien de parenté avec l’employeur ........................................................................................... 257<br />
Graphique 13. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux .................. 282<br />
par branches d’activité économique, selon le sexe et les trois groupes d’âges ................................... 282<br />
Graphique 14. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux .................. 284<br />
par activité principale, selon le sexe et les trois groupes d’âges ......................................................... 284<br />
Graphique 15. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux .................. 289<br />
par type d’établissement de travail, selon les groupes d’âges et le sexe ............................................. 289<br />
Graphique 16. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux .................. 291<br />
par nombre de jours travaillés par semaine, selon les groupes d’âges et le sexe ................................ 291<br />
Graphique 17. Quartiles de revenus des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux, ......... 294<br />
par revenu par heure, selon les groupes d’âges et le sexe ................................................................... 294<br />
11
Graphique 18. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques familiaux ......................... 298<br />
selon les branches d’activité économique par sexe et groupes d’âges ................................................ 298<br />
Graphique 19. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques familiaux ......................... 299<br />
selon l’activité principale par sexe et groupes d’âges ......................................................................... 299<br />
Graphique 20. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques familiaux ......................... 302<br />
par lieu de travail, selon le sexe et les groupes d’âges ........................................................................ 302<br />
Graphique 21. Quartiles de revenus des enfants travailleurs extradomestiques familiaux ................. 307<br />
par revenu par heure, selon les groupes d’âges et le sexe ................................................................... 307<br />
Graphique 22. Pourcentages d’enfants travailleurs extradomestiques non familiaux......................... 326<br />
et familiaux selon la scolarité combinée du couple parental............................................................... 326<br />
Graphique 23. Proportion (%) des EAJ déscolarisées par sexe et âges, selon le type de travail......... 379<br />
Graphique 24. Proportion (%) des EAJ déscolarisés par sexe, selon le type et le temps de travail .... 384<br />
12<br />
Figures<br />
Figure 1. Carte : Localisation du quartier de Pueblo Quieto................................................................. 81<br />
Figure 2. Carte : Le Mexique et ses principales villes......................................................................... 118<br />
Figure 3. Plan: Quartier de Pueblo Quieto à Mexico .......................................................................... 139<br />
Figure 4. Photos : Le quartier de Pueblo Quieto ................................................................................. 140<br />
Figure 5. Photos : Le commerce informel dans les rues de Pueblo Quieto......................................... 142<br />
Figure 6. Photos : Les camions-bennes partout dans le quartier de Pueblo Quieto............................. 143
INTRODUCTION<br />
Dans les pays en développement, avant tout mais aussi dans certains pays développés, les<br />
enfants travailleurs font partie du paysage quotidien, en ville, comme à la campagne. Au<br />
Mexique, il n’est pas rare de croiser tous les jours l’un de ces enfants travailleurs, que l’on<br />
estime à peu près à 3,6 millions. Des travailleurs qui ont du mal à se positionner dans un<br />
monde construit principalement par et pour les adultes, en suivant les préceptes de l’idée<br />
moderne de l’enfance, qui dominent la scène internationale, et qui soutiennent que la place<br />
des enfants se réduit aux domaines sociaux de l’école et de la famille. Le travail étant assimilé<br />
à son rôle économique, et les enfants travailleurs considérés globalement comme des<br />
individus hors norme ne représentant, en général, que des individus stigmatisés et montrés du<br />
doigt.<br />
Il n’est pas alors étonnant que le sujet ait été abordé souvent de manière partiale, dans tous les<br />
domaines, en privilégiant une approche sur les inconvénients, en traitant les enfants<br />
travailleurs comme un groupe de victimes d’un système injuste ou d’une famille en difficulté,<br />
par exemple, et en proposant, par conséquent, divers moyens pour éradiquer le problème. Une<br />
logique qui part d’une vision adulte, qui prétend suivre le modèle idéal de l’enfance moderne,<br />
qui pourtant s’avère souvent hors de contexte. Nous avons du mal à partager dans sa globalité<br />
une telle logique, par principe idéologique, à cause de notre expérience personnelle — en tant<br />
que travailleur précoce et en tant que témoin d’autres cas proches — et de notre parcours<br />
intellectuel, car nous avons croisé au bon moment — personnellement ou à travers leurs<br />
publications — des personnes qui nous ont permis de découvrir une manière alternative<br />
d’aborder cette réalité, grâce à leur regard particulier sur le sujet. Dans ce sens, au début de<br />
notre recherche, notre rencontre en Allemagne avec M. Liebel, docteur en sociologie et<br />
chercheur de la Freie Universität Berlin, a été très révélatrice. Il a, pendant des années, été<br />
l’un des principaux précurseurs d’un mouvement international pour revendiquer la place des<br />
enfants, notamment des enfants travailleurs, dans la société. Ses efforts en matière scientifique<br />
et sur le terrain de l’action, appuyé par d'autres partisans, ont finalement réussi à attirer<br />
l’attention de divers acteurs (chercheurs, dirigeants, associations, etc.) partout dans le monde.<br />
Il soutient principalement la nécessité d’approcher les enfants lorsque l’on aborde des sujets<br />
qui les concernent, en soulignant qu’ils ont leur mot à dire sur leur propre vie, et que leur vécu<br />
et leur vision sont importants. Ce qui implique de privilégier leur tout nouveau statut de sujets<br />
13
de droits, de personnes, d’acteurs, par-dessus celui de « mineurs », de victimes ou d’objets<br />
passifs des influences externes. Une approche connue comme child centred approach dans le<br />
monde anglo-saxon, par laquelle loin d’envisager l’éradication du travail des enfants — un<br />
objectif utopique à leurs yeux — l’on cherche, avant tout, à garantir à tous les enfants les<br />
meilleures conditions pour leur développement, même en ce qui concerne leur travail (Liebel,<br />
2003).<br />
Cette approche nous a paru pertinente, réaliste et intéressante pour le sujet, au moins dans le<br />
cas du Mexique, dont les conditions structurelles, familiales et individuelles, dans tous les<br />
domaines (économique, social, culturel, idéologique et politique) semblaient peu favorables<br />
pour finir avec une telle pratique. Et un contexte où le travail des enfants relève d’une grande<br />
hétérogénéité : les enfants réalisent des activités multiples, dans des conditions très<br />
contrastées (INEGI, 2004). Or, nous avons voulu nous concentrer sur le contexte urbain, qui<br />
est en expansion, afin de mieux traiter le sujet, étant donné que le travail des enfants dans le<br />
milieu rural représente une autre réalité, digne aussi d’une analyse particulière (Cos-Montiel,<br />
2000 ; Vargas Evaristo, 2006).<br />
C’est à partir de ce positionnement que nous avons choisi d’entamer une recherche sur la<br />
place du travail dans la vie des enfants, en abordant des aspects divers : causes, conditions de<br />
travail, conséquences ; mais aussi en faisant une analyse des déterminants proches. Certes, ces<br />
aspects ont déjà été abordés dans d’autres études (Levison, Moe et Knaul, 2001 ; Mier y<br />
Terán et Rabell, 2001a et 2004 ; Estrada Quiroz, 2005), mais pour la toute première fois au<br />
Mexique, nous proposons de les analyser avec une enquête spécialisée sur le sujet, et en<br />
tenant compte d’un classement des enfants travailleurs selon leur lien de parenté avec leur<br />
employeur (en plus de la division par types d’activité : extradomestique et domestique). Une<br />
division que nous croyons tout à fait nécessaire, pertinente et originale, à la lumière des études<br />
qui commençaient à poser des questions sur le bien-être des enfants au sein du ménage dans<br />
d’autres pays en développement (<strong>La</strong>nge, 1996 ; Ngueyap, 1996 ; Nieuwenhuys, 1996 ;<br />
Bhukuth, 2009), mais surtout, étant donné l’importance de la famille dans la vie des enfants.<br />
Dans ce sens, il nous semblait aussi d’intérêt de traiter l’environnement familial en<br />
considérant les caractéristiques du couple parental (ensemble et séparément), et non<br />
seulement à travers les caractéristiques du chef de ménage, en reconnaissant ainsi<br />
l’importance du conjoint du chef (fréquemment la mère d’Ego) dans le façonnement de la vie<br />
familiale et de chacun de ses membres. Une approche qui semble maintenant évidente pour<br />
14
l’étude de la relation entre la famille et la vie des enfants (Bertaux-Wiame et Muxel, 1996 ;<br />
Clément, 2009), et pourtant peu utilisée dans les études sur le travail des enfants au Mexique.<br />
Tout au début, notre projet était centré sur une analyse nettement quantitative. Mais au cours<br />
de notre recherche, trois événements se sont conjugués pour élargir notre étude vers une<br />
approche qualitative qui compléterait nos objectifs initiaux, à travers les informations sur le<br />
vécu des protagonistes eux-mêmes, et qui permettrait aussi l’incorporation d’une analyse dans<br />
un domaine que nous n’avions pas envisagé préalablement : les représentations sociales.<br />
D’abord, notre conviction croissante sur l’importance d’approcher les enfants travailleurs afin<br />
de mieux étudier le sujet ; ensuite, l’occasion d’avoir trouvé, au milieu du chemin, des<br />
personnes qui se sont intéressées à notre recherche, et qui nous ont alors offert leur appui<br />
technique et matériel pour réaliser le travail de terrain à Mexico ; enfin, l’obtention de<br />
ressources financières pour le faire.<br />
Nous nous sommes alors trouvés, à mi-chemin, face à la possibilité d’analyser la place du<br />
travail dans la vie des enfants dans deux sphères : pragmatique et idéologique ; et de toucher<br />
des sujets relatifs aux processus et aux liens qui jouent dans l’entrée précoce au travail et dans<br />
la permanence dans celui-ci, des thèmes impossibles à aborder à travers notre source de<br />
données quantitative. Ce qui a été une occasion d’approcher plus largement notre<br />
problématique. Et c'est seulement grâce à la combinaison de ces deux sources de nature<br />
différente que nous avons pu toucher « tous » les aspects qui constituent la problématique du<br />
travail des enfants. Or, nous combinons les données quantitatives (enquête officielle) qui<br />
permettent d’avoir des résultats solides, car elles sont représentatives de la population urbaine<br />
du Mexique, en termes statistiques, avec les données qualitatives (entretiens auprès des<br />
enfants d’un quartier populaire à Mexico) qui servent à illustrer une partie très particulière de<br />
la réalité et qui offrent des pistes pour les explications, mais dont les résultats ne peuvent pas<br />
être généralisés, car ils n'ont pas une représentativité statistique, ni nationale. C’est pourquoi,<br />
lorsque nous utilisons ensemble les deux sources, nous encadrons l’information qui provient<br />
directement des entretiens auprès des enfants, en soulignant ainsi qu’il s’agit de données de<br />
nature et de portée différentes de celles issues de l’enquête officielle. Cette remarque prétend<br />
aussi souligner que les récits servent seulement à illustrer, éclairer ou à enrichir une idée ou<br />
un résultat précis, dont nous ne pouvons pas faire une généralisation, mais dont le contenu<br />
complète ce que nous avons pu trouver sur la base des données quantitatives. Un critère que<br />
15
nous n’utilisons pas lorsque nous parlons des représentations sociales, parce que dans ce cas,<br />
nous nous servons uniquement des entretiens auprès des enfants.<br />
Notre étude est donc une tentative pour aborder le sujet de manière intégrale, en combinant<br />
des données complémentaires, où le vécu des enfants travailleurs eux-mêmes permet de<br />
rendre un autre aperçu d’une pratique qui semble hors du temps, mais, dans la réalité, a du<br />
sens et de la valeur dans la vie de ceux qui la réalisent et de ceux qui la côtoient. Nous<br />
contrastons ainsi notre recherche avec la plupart des études mexicaines, dans les domaines<br />
sociodémographique et économique, qui abordent le sujet en privilégiant l’idée selon laquelle<br />
la mise au travail précoce représente une stratégie de « survie » des familles à faibles revenus,<br />
pour faire face aux problèmes économiques au niveau du ménage et au niveau structurel.<br />
Trois idées ont spécialement marqué notre intérêt pour approfondir le travail des enfants.<br />
D’une part, l'intérêt d’approcher le sujet à partir d’une perspective qui place les enfants au<br />
cœur de l’analyse, au-delà des jugements, leur rendre une place centrale en tant qu’acteurs<br />
dynamiques dans leur développement. Une approche qui amènerait à privilégier la<br />
reconnaissance de leur apport dans la construction de leur propre vie, de la vie familiale et de<br />
la société, en leur ôtant le rôle de simples victimes. D’autre part, l’idée très répandue que les<br />
enfants qui travaillent dans leur milieu familial représentent un cas à part de tous les autres<br />
enfants travailleurs, voire qu’ils ne sont simplement pas des travailleurs. Leur particularité<br />
repose principalement sur le fait que la famille, en tant qu’espace privilégié de l’enfance, a été<br />
considérée comme un lieu naturel de protection et de formation pour les enfants. Or, des<br />
évidences appuyées sur des études de cas ont mis en cause le caractère banal et anodin du<br />
travail des enfants en milieu familial, ainsi que de la sécurité que la famille est censée offrir<br />
aux enfants. Des évidences qui prennent de l’ampleur face à une pratique assez fréquente.<br />
Enfin, en relation directe avec ce que nous venons d’évoquer, l’indifférence vis-à-vis des<br />
enfants qui travaillent au sein du ménage, en s’occupant des tâches ménagères et d’autres<br />
membres de la famille, a attiré aussi notre intérêt. Et c’est à partir de ces inquiétudes qu’a<br />
commencé à prendre forme notre recherche, dont la question de départ portait sur la place du<br />
travail dans la vie des enfants ; notre hypothèse centrale étant que les enfants continuent de<br />
travailler actuellement parce que le travail représente un moyen important pour accomplir des<br />
projets ou pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux.<br />
16
Présentation du plan<br />
<strong>La</strong> thèse est divisée en deux parties, composées de neuf chapitres. Les deux premiers<br />
chapitres de la première partie sont consacrés aux aspects théoriques et méthodologiques qui<br />
donnent sens à cette étude. Le travail des enfants, étant un sujet plutôt de récent intérêt dans le<br />
monde scientifique, manque d’un développement théorique et méthodologique propre. Dans<br />
le premier chapitre, nous nous pencherons sur trois discussions qui sont à la base de notre<br />
raisonnement théorique : d’abord, le travail des enfants du point de vue de la sociologie de<br />
l’action, soit les enfants travailleurs comme protagonistes de leur propre vie ; ensuite, le<br />
travail des enfants comme une stratégie familiale de vie ; enfin, la théorie des représentations<br />
sociales. Dans le deuxième chapitre, nous étudierons tout ce qui concerne le cadre conceptuel,<br />
la méthodologie et nos sources d’information. En effet, face aux flux qui entourent<br />
l’expression « travail des enfants », nous sommes plus que jamais obligés d’éclaircir, tout<br />
d’abord, notre cadre conceptuel de référence. Ensuite, nous discuterons sur les méthodes<br />
utilisées dans chacune de nos deux approches analytiques : quantitatif et qualitatif. Enfin,<br />
nous traiterons ce qui concerne les sources des données qui fournissent l’information pour les<br />
analyses : d’un côté, pour l’approche quantitative, nous présenterons notre source de données<br />
secondaire, le Module du travail des enfants qui fait partie de l’Enquête Nationale sur<br />
l’Occupation et l’Emploi, ENOE, de 2007 ; de l’autre, pour l’approche qualitative, nous<br />
discuterons sur l’information qui provient de la collecte de notre travail de terrain dans un<br />
quartier populaire de la Ville de Mexico.<br />
Les deux derniers chapitres de la première partie sont consacrés à la mise en contexte. Dans le<br />
troisième chapitre, nous parlerons de la situation générale dans le pays, notamment sur les<br />
conditions structurelles sociodémographiques et socioéconomiques. Mais aussi, nous<br />
aborderons brièvement le contexte au niveau méso, la place et la signification de la famille au<br />
Mexique, ainsi que ses principales caractéristiques. Tout tourne autour de la famille, cette<br />
institution qui a su remplacer l’Etat, dans son rôle de chargé de la protection sociale de la<br />
population : fondamentale dans la vie du pays, ainsi que dans la vie des enfants. Ensuite, nous<br />
décrirons la situation concrète du contexte où vivent les enfants que nous avons rencontrés<br />
lors de notre travail de terrain : le quartier de Pueblo Quieto, un tout petit quartier sensible<br />
enclavé dans la capitale, où le travail des enfants est assez fréquent, et un cas de figure de<br />
l’hétérogénéité de cette pratique. Et pour finir avec les questions du contexte, et pour<br />
commencer avec l’analyse des résultats proprement dite, dans le quatrième chapitre, sous une<br />
17
approche nettement qualitative, nous aborderons le sujet des représentations sociales à propos<br />
des divers thèmes qui entourent la vie des enfants : l’enfance, la scolarité, le travail<br />
extradomestique et domestique. Nous considérons que les pratiques ne peuvent pas être<br />
expliquées sans les représentations, et vice-versa. Nous nous servirons des discussions avec<br />
les enfants, les protagonistes de notre sujet d’étude, pour explorer ce monde des idées.<br />
<strong>La</strong> deuxième partie est consacrée entièrement à l’analyse de la place qu’occupe le travail dans<br />
la vie quotidienne des enfants. Des analyses basées sur une approche quantitative, mais<br />
enrichies, dès que possible, avec l’information issue de l’expérience des enfants que nous<br />
avons eus l’occasion de rencontrer lors de notre travail de terrain. Tout d’abord, dans le<br />
cinquième chapitre, nous discuterons de l’importance, quant à l’intensité et la participation<br />
des enfants dans diverses activités : études, tâches domestiques, travail économique, en<br />
soulignant les différences par genre et par génération. Ensuite, le sixième chapitre sera<br />
consacré aux enfants travailleurs domestiques familiaux. Nous commencerons par identifier<br />
leurs caractéristiques individuelles, pour poursuivre avec l’analyse de la relation entre cette<br />
pratique et le milieu familial. Dans les deux chapitres suivants, nous aborderons le cas des<br />
enfants travailleurs extradomestiques, les distinguant selon s’il y a un lien de parenté avec<br />
l’employeur : familiaux ou non familiaux. Dans le chapitre sept, nous commencerons par<br />
observer les principales caractéristiques individuelles de ces enfants, et nous passerons à<br />
l’analyse du processus d’entrée des enfants dans le monde du travail. Ensuite, nous décrirons<br />
tout ce qui concerne le travail : que font-ils ? où le font-ils ? comment et dans quelles<br />
conditions ? Dans le chapitre huit, nous rentrerons dans l’analyse relationnelle entre le travail<br />
des enfants et le milieu familial, en étudiant ainsi l’importance de certains facteurs familiaux<br />
sur le travail des enfants. Enfin, pour terminer avec cette partie, et avec notre recherche, nous<br />
consacrerons le neuvième et dernier chapitre aux conséquences du travail des enfants, pour<br />
chaque cas : travail domestique familial, travail extradomestique familial et travail<br />
extradomestique non familial. Un aspect qui est au cœur des désaccords à propos du sujet.<br />
Nous aborderons le thème de deux points de vue : premièrement, les conséquences, dans un<br />
sens large, sur la vie quotidienne des enfants ; deuxièmement, le rapport entre le travail et la<br />
scolarité, dans un sens plus relationnel que causal, vu la nature des nos données.<br />
18
PARTIE I<br />
Les enfants travailleurs au Mexique : leur réalité et leurs discours<br />
19
CHAPITRE I<br />
Les enfants travailleurs comme sujets de recherche<br />
Notre intérêt pour le sujet du travail des enfants surgit à partir d'une collaboration dans un<br />
groupe de travail multidisciplinaire (sociologues, démographes, anthropologues) des<br />
chercheurs, des jeunes chercheurs et des étudiants, dans le cadre d’un projet qui portait sur les<br />
conditions de vie des enfants et des jeunes au Mexique. 1 Tout au début, c’était plutôt un<br />
regard partiel et suspicieux sur cette pratique qui nous a motivés à choisir un tel thème. Mais<br />
au fur et à mesure des lectures et des recherches, la complexité du sujet, ainsi que l’étendue<br />
des incertitudes et des préjugés qui l’entourent ont remplacé cette motivation plutôt éthique<br />
par une curiosité scientifique qui depuis n’a pas cessé de s’accroître.<br />
C’est ainsi que nous avons engagé notre première étude : une analyse quantitative sur les<br />
facteurs déterminants du travail des enfants au Mexique, en considérant que le travail des<br />
enfants est le résultat d’une stratégie familiale de survie. Nous avons fait des analyses pour<br />
deux types de travailleurs : domestiques et extradomestiques, et selon le sexe, deux groupes<br />
d’âges (de 12 à 14 ans et de 15 à 17 ans) et le milieu de résidence (rural/urbain). A l’aide des<br />
données du recensement de la population 2000, 2 nous avons étudié les facteurs familiaux<br />
(type de ménage et sexe du chef ; nombre de jeunes enfants ; années de scolarité du chef ;<br />
l’activité du chef ; condition du logement) et contextuels (type du marché du travail local),<br />
associés à l’offre et à la demande, du travail des enfants.<br />
Nos résultats ont montré des différences qualitatives et quantitatives par âge, sexe et type de<br />
localité, ainsi que la pertinence d’analyser séparément les deux types de travail : domestique<br />
et extradomestique, car il existe un lien différencié entre les divers facteurs et le type de<br />
travail. Tout d’abord, comme attendu, le travail parmi les 15 à 17 ans est plus fréquent que<br />
celui des 12 à 14 ans, et ils ont des caractéristiques différentes : les 12 à 14 ans étant plus<br />
concentrés dans les activités domestiques que les 15 à 17 ans par exemple. En plus, il existe<br />
1 Un projet coordonné par Marta Mier y Terán et Cecilia Rabell, démographes chercheuses de l’Instituto de<br />
Investigaciones Sociales de l’Universidad Nacional Autónoma de México, IISUNAM, et de la Facultad<br />
<strong>La</strong>tinoamericana de Ciencias Sociales, FLACSO-México. Les études réalisées par les participants de ce groupe<br />
de travail sont publiées dans l’ouvrage : Mier y Terán Marta, Rabell Cecilia (coords.) (2005). Jóvenes y niños:<br />
Un enfoque sociodemográfico. México : FLACSO-México, IISUNAM. 373 p.<br />
2 Faute d’une source de données plus appropriée pour notre objectif de recherche, à ce moment-là.<br />
21
une distribution traditionnelle par sexe, où les filles réalisent plutôt des activités domestiques,<br />
tandis que les garçons réalisent plutôt du travail extradomestique, une différenciation plus<br />
notable dans les localités rurales et chez les 12 à 14 ans. En effet, si l’on considère que les<br />
tâches domestiques réalisées comme activité principale sont un type de travail chez les<br />
enfants, la participation de filles et de garçons est semblable, tandis que si l’on reste<br />
seulement avec le travail extradomestique, les garçons semblent travailler davantage que les<br />
filles. Enfin, le travail des enfants est beaucoup plus fréquent dans le milieu rural que dans<br />
l’urbain, mais au-delà de l’intensité, à la lumière des résultats, les enfants travailleurs dans le<br />
milieu rural et urbain représentaient deux univers différents, dignes d’être traités séparément<br />
(Estrada Quiroz, 2005).<br />
Cette étude quantitative a permis de confirmer la complexité du sujet, et l’hétérogénéité de cas<br />
qui existent, et qui méritent d’être regardés de plus près. Parce que même si le classement en<br />
domestique ou extradomestique a été déjà efficace, l’on peut aller encore plus loin. Bien<br />
évidemment, en gardant les divisions des enfants selon les critères démographiques de l’âge et<br />
du sexe. Et aussi, il s’est avéré nécessaire de chercher d’autres sources de données<br />
quantitatives et qualitatives ; d’une part, pour avoir des informations sur les enfants âgés de<br />
moins de 12 ans ; et d’autre part, pour mieux connaître ces enfants travailleurs, car les<br />
données quantitatives sont toujours limitées.<br />
Les résultats et les inquiétudes surgies de cette étude ont favorisé notre intérêt par le sujet. A<br />
ce moment-là, déjà en France, un travail d’état des connaissances s’est imposé avant de<br />
s’engager dans une recherche plus importante. C’est pourquoi nous avons consacré notre<br />
mémoire du DEA à faire le point sur le sujet (Estrada, 2004). Nous avons discuté brièvement<br />
sur les diverses approches au sujet, sur l’histoire et l’actualité du travail des enfants dans le<br />
monde, et concrètement au Mexique. Ainsi, survoler l’état des connaissances sur le sujet, ainsi<br />
que relativiser la situation des enfants travailleurs mexicains, par rapport aux enfants d’autres<br />
pays et régions, a été fondamental pour l’élaboration de notre projet de thèse. <strong>La</strong> présente<br />
recherche s’inscrit alors dans la continuité de ces travaux.<br />
Avant de présenter notre problématique, nous tenons à faire un état des connaissances qui<br />
permettrait de donner sens à notre projet de recherche final.<br />
22
I.1. L’état des connaissances sur le travail des enfants.<br />
L’entrée du XXIe siècle représente un tournant dans l’étude du travail des enfants dans divers<br />
sens. A l’origine, le sujet est passé de simple problème social à problème de sciences sociales.<br />
Un virage fort important qui a eu pour effet une meilleure connaissance de cette pratique et de<br />
ses acteurs.<br />
I.1.1. Le travail des enfants comme objet d’études en sciences sociales.<br />
Alors que les enfants travailleurs ont toujours existé dans l’histoire de l’humanité, c’est en<br />
1919, avec la création de l’Organisation Internationale du Travail, OIT, qu’ils apparaissent sur<br />
la scène publique comme un problème social d’envergure internationale. Cependant, celui-ci<br />
reste un peu à l’écart de l’intérêt public et gouvernemental jusqu’à la fin du XXe siècle<br />
(Schlemmer, 2006). A cette époque-là, l’attention des groupes et des personnes intéressés par<br />
le sujet répond plus à une question politique et éthique que scientifique. <strong>La</strong> majorité des<br />
études et des publications spécialisées sur le sujet ont été faites sur recommandation ou avec<br />
le soutien de l’OIT. Tout au début, les études semblaient être plus un moyen de dénonciation<br />
qu’une quête de connaissances ou d’approfondissement sur le sujet (Cain, 1977 ; Schildkrout,<br />
1981 ; Bequele et Boyden, 1990 ; OIT, 1990). Une manière de justifier la mise en marche des<br />
programmes d’éradication du travail des enfants partout dans le monde, et de la vision<br />
abolitionniste, en se servant comme exemples des cas les plus inacceptables et touchants<br />
(OIT, 1990 ; OIT, 1999 ; OIT, 2002). L’intérêt portait surtout sur le classement des activités<br />
réalisées par les enfants (Tienda, 1979 ; Rodgers et Standing, 1981a ; Grootaert et Kanbur,<br />
1995) et sur la quête des indicateurs et des outils de collecte les plus adaptés pour mieux<br />
mesurer l’ampleur du travail des enfants (Elson, 1982 ; Bossio, 1992 ; Anker, 2000). Mais la<br />
réflexion théorique et la quête d’approfondissement dans la connaissance du sujet étaient<br />
assez réduites. Il faut cependant reconnaître qu’à la veille de l’an 2000, il y a eu, de plus en<br />
plus, des propositions intéressantes qui ont fait avancer la recherche sur un sujet qui a eu du<br />
mal à trouver une place parmi les chercheurs.<br />
En effet, le sujet du travail des enfants est assez nouveau en tant que thème d’étude en<br />
sciences sociales. A la fin des années 90, la production scientifique est encore peu nombreuse.<br />
En l’occurrence, il suffit de mentionner qu’en 1997 une recherche concernant les études sur le<br />
23
travail des enfants dans les pays du Sud au XXe siècle, qui ont été recensées au cours des dix<br />
dernières années 3 dans trois importantes sources <strong>documentaire</strong>s françaises 4 , a donné comme<br />
résultat seulement 34 références. Il s’agit de : cinq ouvrages, un numéro spécial de revue, dix-<br />
neuf articles du monde de la recherche académique, six documents universitaires et trois<br />
documents d’institutions internationales ou d’ONG. Selon Schlemmer (1997), le premier<br />
ouvrage important publié par l’OIT date de 1979, il s’agit de l’étude de Mendelievitch<br />
intitulée Le travail des enfants. En 1981 paraît un autre article important, celui de Rodgers et<br />
Standing, « Le rôle économique des enfants dans les pays à faibles revenus » publié dans la<br />
Revue internationale du travail. Et en 1988, Bequele et Boyden publient le premier ouvrage<br />
posant la question à un niveau théorique adéquat : Combating Child <strong>La</strong>bour.<br />
Le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance, UNICEF, a mis plus de temps à s’intéresser à la<br />
question. Le premier document où il s’exprime sur la question des enfants travailleurs et leurs<br />
conditions de vie date de 1986 : Exploitation of Working and Street Children. Mais avec la<br />
création, en 1988, de l’UNICEF International Child Development Center, appelé aussi<br />
Innocenti Center, les recherches au sein de cette organisation s’intensifient. Ce centre est<br />
devenu depuis un lieu de production d’études sur la question.<br />
Pour que les études et les publications se multiplient, il a fallu attendre l'arrivée de la<br />
Convention Internationale des Droits de l’Enfant, CIDE, organisée par l’UNICEF en 1989<br />
(UNICEF, 1990), et la création du programme IPEC (International programme for<br />
élimination of child labour) de l’OIT en 1992. Une remise en scène des enfants travailleurs<br />
qui a contribué à attirer, pour la première fois, l’attention du monde académique. Ainsi, selon<br />
Schlemmer, le colloque international « L’enfant exploité – mise au travail et prolétarisation »<br />
qui s’est tenu à <strong>Paris</strong> en 1994, constitue le « premier colloque organisé sur le sujet à<br />
l’initiative exclusive de chercheurs et pour des chercheurs, c'est-à-dire à vocation strictement<br />
scientifique, avec pour seul objet la confrontation et l’approfondissement des analyses,<br />
théoriques et concrètes, et non pas un débat sur les politiques à promouvoir. » (1996 : 9).<br />
3 Il s’agit d’articles de 7 pages ou plus (en quête d’articles de recherche et non seulement d’information) et des<br />
publications où le thème central est le travail des enfants.<br />
4 Les trois sources <strong>documentaire</strong>s interrogées sont : FRANCIS du CNRS, HORIZON élaborée par l’ORSTOM et<br />
la base SUD un réseau <strong>documentaire</strong> du ministère de la Coopération.<br />
24
En 2000, une nouvelle initiative de l’OIT, l’UNICEF et la Banque Mondiale propose<br />
d’améliorer les recherches, le recueil et l’analyse de données en matière de travail des enfants,<br />
ainsi que d’augmenter les études locales et nationales, et d’évaluer les interventions (OIT,<br />
2002).<br />
Depuis ces événements, les recherches se sont élargies, et il n’est pas difficile de trouver des<br />
articles scientifiques qui abordent la question du travail des enfants dans différents domaines :<br />
ethnologie, anthropologie, sociologie, démographie et économie, notamment. Mais ces études<br />
restent encore marginales par rapport à d’autres sujets sur l’enfance en sciences sociales. En<br />
plus, il existe encore une tendance à aborder le sujet comme un facteur de risque d’autres<br />
problèmes, notamment : la déscolarisation et la reproduction de la pauvreté, plus que comme<br />
un sujet à part entière.<br />
Les spécialistes reconnaissent la nécessité d’une réflexion théorique spécifique pour ne pas<br />
continuer à traiter le sujet à travers des théories dérivées de travaux généraux menés sur la<br />
population adulte (Schlemmer, 1996). Jusqu’à aujourd'hui, cette demande a eu juste quelques<br />
réponses dans les divers domaines d’étude (Nieuwenhuys, 2006 ; Hobbs et McKechnie,<br />
2007 ; Mizen, 2007 ; Morrow, 2007 ; Myers, 2007). D’ailleurs, il manque aussi le<br />
développement d’outils appropriés, car malgré la reconnaissance générale de sa différence par<br />
rapport au travail des « majeurs », le travail des enfants continue d’être souvent approché à<br />
travers des critères, des indicateurs, et des sources élaborés plutôt pour l’analyse de l’emploi<br />
en général (Gendreau, 1996 ; Anker, 2000 ; Levison, 2007 ; Bourdillon, 2009).<br />
Cependant, l’adoption du sujet par les scientistes sociaux n’empêche pas que dans d’autres<br />
domaines (médias, politique et social), le sujet continue à suivre son propre chemin, en<br />
présentant une image des enfants travailleurs qui porte plus sur des critères moraux que sur<br />
des résultats scientifiques. Ainsi, une bonne partie des informations publiées, notamment dans<br />
les médias, a pour objectif de montrer les enfants travailleurs comme un bloc homogène<br />
constitué de « pauvres victimes » ou de « victimes pauvres », en utilisant des arguments qui<br />
appellent plutôt à la compassion qu’à la raison. Une vision qui persiste, car, en l’utilisant, l’on<br />
joue avec le côté moral et émotif des personnes, et ainsi, il devient un sujet plus facile à<br />
vendre (Bonnet, 1996). En effet, le travail des enfants représente un sujet difficile à approcher<br />
sans prendre en compte la grande charge des connotations qui l’entourent. Et sans se laisser<br />
prendre par des jugements moraux et des positions politiques.<br />
25
Dans ce processus d’intégration au monde scientifique, les études, ainsi que les lignes de<br />
recherche, les approches et les perspectives se multiplient partout dans le monde, en<br />
apportant, progressivement, des éléments théoriques, conceptuels et méthodologiques qui<br />
contribuent à avancer dans la connaissance du sujet, en suivant le rythme des résultats<br />
scientifiques qui, de plus en plus, permettent de mieux connaître le phénomène. Mais aussi, en<br />
observant sur place l’évolution qu’a prise le travail des enfants dans les dernières années, face<br />
aux changements socioéconomiques et culturels qui affectent divers aspects de la vie familiale<br />
et individuelle. Car, plus que jamais, les effets pervers de la macroéconomie dépassent les<br />
enfants travailleurs ; aujourd’hui, même les enfants non travailleurs pourraient souffrir des<br />
effets négatifs des transformations économiques, politiques et sociales de la mondialisation<br />
(Hevener et al., 2002). 5 Enfin, en s’approchant des enfants travailleurs et en prenant en<br />
compte leur propre expérience.<br />
Pourtant, il existe encore d’intenses discussions autour de la définition. Car l’un des premiers<br />
aspects à traiter lorsque le sujet est devenu un sujet de recherche a été lié justement à la<br />
nécessité d’établir ce qu’est le travail des enfants (Bonnet, 1996 ; Schlemmer, 2005). Une<br />
discussion qui n’a rien d’anodin, et qui est l’objet de controverses toujours dans l’actualité.<br />
I.1.2. Qu’est-ce le travail des enfants ?<br />
Même si certains ont tenté de donner une définition au moins opératoire, on n’a pas réussi à<br />
élaborer un concept scientifique rigoureusement défini. Il s’agit d’un problème plutôt<br />
épistémologique abordé souvent par les chercheurs et les spécialistes du sujet, et pourtant<br />
encore l’objet d’une vive discussion. Cependant, une idée s’est imposée : le travail des enfants<br />
est une expression consacrée davantage qu’un concept scientifique (Schlemmer, 1997 ; Leroy,<br />
2009). Une expression qui a la particularité de se constituer autour de deux concepts subjectifs<br />
et abstraits : enfant et travail. Des concepts socialement construits, qui présentent des<br />
5 Les éléments les plus importants des changements dans les économies nationales et internationales sont<br />
résumés par les auteurs en sept points : la libéralisation de la libre entreprise ou l’entreprise privée de la<br />
régulation du gouvernement ; la promotion internationale de l’inversion et les échanges commerciaux ; la<br />
réduction des salaires des travailleurs syndicalisés et l’élimination ou la réduction des droits des travailleurs ;<br />
l’élimination du contrôle de prix ; la permission des dépenses publiques sur les services sociaux et d’autres<br />
services publics pour la privatisation ; et la vente d’entreprises de l’Etat, ainsi que les biens et les services aux<br />
investisseurs privés.<br />
26
spécificités historiques, sociales et culturelles (Cussianovich, 2004. Chaque société a sa<br />
perception particulière sur ces deux concepts, lesquels répondent à leur propre histoire et à<br />
leur propre réalité. 6 Alors, même si l’on peut dire que des enfants travailleurs ont toujours<br />
existé dans l’histoire de l’humanité, la perception sur le sujet a suivi des chemins différents<br />
dans le temps et l’espace. 7 Ainsi, le dynamisme qui caractérise les deux concepts qui intègrent<br />
l’expression « travail des enfants » converge vers la subjectivité de l’expression en elle-<br />
même. Cette difficulté pour définir les deux concepts qui la constituent a suscité une grande<br />
controverse autour du sujet du travail des enfants, et elle a été à l’origine du manque de<br />
consensus international à son égard (Barreiro, 2000).<br />
Certes, il est impossible de parler des enfants travailleurs sans faire appel à la notion d’enfant,<br />
mais au-delà des critères opérationnels, ce qui est au centre des discussions est la<br />
conceptualisation du terme « enfance » et, par conséquent, du rôle de l’enfant dans la société.<br />
Des aspects fondamentaux pour donner un sens au travail précoce. Et la conception sur ce<br />
qu’est le travail devient aussi un thème de discussion.<br />
Depuis le début du XXe siècle, dans la scène internationale, l’enfance est de plus en plus<br />
sacralisée, caractérisée par sa non-productivité économique et sa valorisation affective, c’est-<br />
à-dire que l’enfant perd sa valeur économique pour gagner en valeur morale (Zelizer, 1994).<br />
Cependant, l’on peut dire que la Déclaration de Genève, des droits des enfants, de 1923-<br />
1924, 8 marque le premier pas d’un changement dans la conception internationale de<br />
l’enfance : l’enfant n’est plus un objet de charité chrétienne ou de philanthropie, il devient<br />
l’objet d’une attention spéciale, qui est au centre de la collectivité et non exclusivement une<br />
affaire particulière à la famille. Toutefois, c’est plutôt la CIDE (UNICEF, 1990), qui fait<br />
6 Pour plus de détails sur l’histoire de l’enfance en divers pays, voir : Ariès, 1973 ; De Mause, 1983 ; Pollock,<br />
1983 ; Qvortrup, 1994 ; Zelizer, 1994 ; Stella, 1996 ; Portocarrero, 1998 ; Trisciuzzi et Combi, 1998 ; Brondi,<br />
2001 ; Rollet, 2001 ; Morel, 2004 ; Rojas Flores, 2004 ; Rodríguez Roca, 2005 ; Castillo Troncoso, 2006 ;<br />
Sánchez Calleja et Salazar Anaya, 2006 ; Pedraza-Gómez, 2007 ; Ramírez Sánchez, 2007.<br />
7 Pour des discussions à ce propos, voir : Qvortrup, 1994 ; Zelizer, 1994 ; Ngueyap, 1996 ; Méda, 1997 ;<br />
Trisciuzzi et Combi, 1998 ; Brondi, 2001 ; Camarena Córdova, 2004 ; Domic Ruiz, 2004 ; Rojas Flores, 2004 ;<br />
Castillo Troncoso, 2006 ; Pedraza-Gómez, 2007.<br />
8 Les hommes et les femmes de toutes les nations reconnaissent que l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle<br />
a de meilleur, et affirment leurs devoirs, en dehors de toute considération de race, de nationalité, de croyance.<br />
L’enfant doit être mis en mesure de se développer d’une façon normale, matériellement et spirituellement.<br />
L’enfant qui a faim doit être nourri ; l’enfant malade doit être soigné ; l’enfant arriéré doit être encouragé ;<br />
l’enfant dévoyé doit être ramené ; l’orphelin et l’abandonné doivent être secourus.<br />
L’enfant doit être le premier à recevoir secours en temps de détresse.<br />
L’enfant doit être mis en mesure de gagner sa vie et doit être protégé contre toute exploitation.<br />
L’enfant doit être élevé dans le sentiment que ses meilleures qualités doivent être mises au service de ses frères.<br />
27
vraiment évoluer l’image de l’enfance dans les discours : « A l’idée que les enfants avaient<br />
des besoins spéciaux a succédé la conviction que les enfants avaient des droits. » (Leroy,<br />
2009 : 13). Mais, malgré la reconnaissance des enfants en tant que « sujets de droits », cette<br />
considération reste plutôt dans le domaine idéologique, car dans les faits on ne prend au<br />
sérieux ni leurs idées, ni leurs capacités. En privilégiant la vision moderne d’enfance, où<br />
l’enfance est assimilée à une période d’insouciance, d’apprentissage, d’innocence et<br />
d’absence de contraintes, la vie et les actions des enfants dépendent encore plutôt de décisions<br />
des adultes (Liebel, 2003). L’école et la famille sont considérées comme les seuls espaces<br />
sociaux valorisants et structurants des enfants. L’enfant et l’adulte représentent deux mondes<br />
différents et exclusifs, et dans cette logique, l’enfance — comme l’âge de vulnérabilité<br />
physique et émotionnelle, et d’incomplétude psychologique et intellectuelle — a besoin d’une<br />
protection spéciale, et elle doit être exclue des activités productives (Castillo Troncoso, 2006 ;<br />
Pedraza-Gómez, 2007 ; Leroy, 2009). Par conséquent, l’on a tendance à considérer que les<br />
enfants éloignés de la protection et de l’abri qui apportent la famille, ainsi qu’en dehors du<br />
système scolaire, perdent les attributs et les privilèges propres de cette étape, et deviennent<br />
plutôt des petits adultes, comme les enfants travailleurs. Car le travail, qui est pris en termes<br />
économiques, appartient au monde des adultes (Castillo Troncoso, 2006). Dans cette<br />
perspective, basée sur la vision moderne de l’enfance et sur une notion de travail nettement<br />
économique, qui se sont imposées comme « concepts normatifs universels » (Bourdillon,<br />
2006), le travail des enfants a été longuement considéré comme synonyme d’exploitation,<br />
comme un problème à éradiquer, en négligeant la diversité socioculturelle, et en oubliant une<br />
mise en contexte.<br />
Sous cette perspective de l’enfance, il n’est pas alors étonnant que l’enfance soit située à une<br />
place prioritaire au centre de la société et des politiques publiques, et c'est grâce à cette<br />
préoccupation grandissante que diverses organisations internationales (principalement l’OIT,<br />
l’UNICEF et l’Organisation Mondiale de la Santé, OMS) ont poussé les Etats membres de<br />
l’Organisation de Nations Unies, ONU, à s’engager pour améliorer les conditions de vie des<br />
enfants dans divers domaines : scolarité, santé, alimentation... Cependant, alors qu’il existe un<br />
consensus sur la nécessité de garantir des conditions de vie adéquates et des droits à tous les<br />
enfants, il y a aussi des désaccords sur les formes et les moyens d’y arriver, ainsi que sur ce<br />
qui n’est pas adéquat pour les enfants, et le rôle des enfants dans la société. Comme le<br />
souligne Leroy par rapport au travail des enfants : « C’est davantage la conception idéale de<br />
l’enfance qui cristallise les oppositions » (2009 : 11).<br />
28
Le modèle d’enfance moderne qui part de la réalité des pays développés — et qui est pris<br />
internationalement comme exemple à suivre, dans une perspective de progrès — a montré ses<br />
limites quant à la réalité de la majorité des pays, les pays en développement. Dans la pratique,<br />
ce modèle idéal est difficile à adopter, malgré son intérêt. Cette incompatibilité entre les<br />
idéaux et la réalité a eu des effets pervers importants, comme dans le cas des programmes de<br />
boycott du travail des enfants dans certains pays. 9 En étant confrontées à la partialité de l’idée<br />
moderne d’enfance, les oppositions ne se sont pas fait attendre. <strong>La</strong> principale raison est le<br />
manque de respect de la diversité culturelle et socioéconomique. En tant que construction<br />
sociale, une seule vision d’enfance ne peut pas répondre à toutes les manières de vivre de<br />
l’enfance qui existent dans le monde, et elle ne peut pas être présentée comme un modèle à<br />
suivre par tous. Simplement parce que la réalité socioéconomique et culturelle des populations<br />
ne peut pas s’adapter à un tel modèle (Brondi, 2001 ; Liebel, 2003 ; Rodríguez Roca, 2005 ;<br />
Ramírez Sánchez, 2007). En plus, cette vision de l’enfance moderne met l’accent sur l’avenir<br />
de l’enfant et non sur son présent : l’enfant n’est pas considéré comme un « être humain »,<br />
mais comme un « potentiel humain » (Qvortrup, 1994), ce qui annule l’importance de la<br />
participation actuelle des enfants. <strong>La</strong> nouvelle sociologie de l’enfance surgit comme<br />
perspective alternative, à l’encontre de cette vision dominante.<br />
Les paradigmes de l’idée moderne d’enfance sont limités à un cadre individualiste et à une<br />
perspective non historique, et l’enfant universel semble écarté des changements vécus dans<br />
son entourage. Or, la nouvelle sociologie de l’enfance, signale Gaitán (2006), doit être<br />
capable d’expliquer les choses communes et diverses qui arrivent aux enfants à propos de leur<br />
expérience sociale à travers le temps et l’espace. Le plus important est de considérer l’enfance<br />
comme un élément structurel intégré à la vie sociale organisée, comme un élément qui<br />
interagit avec d’autres éléments sociaux pour établir l’ensemble de l’organisation sociale.<br />
« (…) il s’agit d’assumer que les changements dans la société sont codéterminants pour la<br />
situation générale de la vie des enfants et leurs modèles généraux d’activité, et que la place<br />
de l’enfance dans la structure sociale ait un effet de “feed-back” sur les processus<br />
macrosociaux. Construire une sociographie de l’enfance signifie aussi saisir l’implication des<br />
phénomènes et des processus sociaux qui seulement indirectement semblent faire référence<br />
9 Pour des discussions dans ce sens, voir : Ramanathan, 1996 ; Gulrajani, 1996 ; White, 1996 ; Invernizzi, 2003 ;<br />
Ballet et Bhukuth, 2005 ; Dumas et <strong>La</strong>mbert, 2008 ; Leroy, 2009.<br />
29
aux enfants » 10 (Gaitán, 2006 : 247). L’enfant doit être, par conséquent, plus qu’un sujet des<br />
droits, un acteur social, ce que Liebel (2003) appelle : un protagoniste.<br />
<strong>La</strong> nouvelle sociologie propose alors d’« (…) expliquer l’enfance comme groupe social et<br />
comme un phénomène permanent dans n’importe quel système social. Observer l’enfant<br />
comme faisant partie d’un groupe, strate ou classe sociale, dont les caractéristiques et les<br />
comportements sont compréhensibles en termes de lois socioculturelles, comme offre de<br />
nouvelles perspectives telles que : la possibilité de comprendre les aspects communs des<br />
sujets qui partagent le même statut dans la société, la possibilité de faire des comparaisons de<br />
sa situation à différentes époques historiques, sociétés et cultures, ainsi que la possibilité<br />
d’examiner les relations de ce groupe-ci avec d’autres groupes qui composent la société. » 11<br />
(Gaitán, 2006 : 19). Et sous cette nouvelle idée d’enfance, le travail des enfants a pris une<br />
autre dimension, où l’importance ne réside pas dans le fait de travailler ou non, mais dans les<br />
conditions de travail. « Reconnaître que les enfants ne sont pas des objets passifs au regard<br />
des préoccupations économiques, mais qu’au contraire ils sont activement engagés dans<br />
l’économie, entendue comme la production de valeur dans une société, a conduit à un<br />
nouveau mode de réflexion économique et sociologique, qui prend comme départ la<br />
perspective des enfants. Il ressort de ce type d’analyse que les enfants sont des participants<br />
actifs en matière à la fois de consommation, de distribution et de production, et qu’ils sont<br />
engagés dans des relations complexes avec les membres de leurs familles, avec les autres<br />
enfants et avec les acteurs de la société civile. » (Nieuwenhuys, 2006 : 166). De manière que<br />
l’enfant, en tant qu’acteur social, ne peut pas être exclu du monde du travail, mais en tant<br />
qu’enfant, il doit être protégé de manière spéciale, si jamais il y rentre. On s’appuie sur<br />
l’article 3 du texte de la CIDE, où l’on établit que dans toutes les décisions qui concernent<br />
l’enfant, la considération primordiale doit être l’intérêt supérieur de l’enfant (UNICEF, 1990).<br />
10 Traduction de l’auteur. “(…) se trata de asumir que los cambios en la sociedad son codeterminantes para la<br />
situación general de vida de los niños y sus patrones generales de actividad, y que el lugar de la infancia en la<br />
estructura social tiene un efecto de feed-back sobre los procesos macrosociales. Construir una sociografía de la<br />
infancia también significa captar la implicación que tienen fenómenos y procesos sociales que sólo<br />
indirectamente parecen referirse a los niños.”<br />
11 Traduction de l’auteur. “(…) explicar a la infancia como grupo social y como fenómeno permanente en<br />
cualquier sistema social. Mirar al niño como perteneciente a un grupo, estrato o clase social, cuyas características<br />
y comportamiento son comprensibles en términos de leyes socioculturales ofrece nuevas perspectivas, como son:<br />
la posibilidad de entender los aspectos comunes a los sujetos que comparten el mismo estatus dentro de la<br />
sociedad, la de hacer comparaciones entre su situación en diferentes épocas históricas, sociedades y culturas y,<br />
asimismo, la de examinar las relaciones de éste con otros grupos componentes de la sociedad.”<br />
30
Dans ce sens, certains spécialistes ont proposé de considérer le travail scolaire comme une<br />
forme de travail des enfants, une idée proposée par le sociologue danois Qvortrup (1994). Il<br />
soutient que la scolarisation des enfants, vue comme une conséquence de l’industrialisation,<br />
est un vrai travail, avec une valeur économique, car la formation fait partie du processus de<br />
production (Gaitán, 2006). D’autres chercheurs partout dans le monde soutiendront cette idée.<br />
En France, Schlemmer a réfléchi sur l’utilité heuristique de considérer que tous les enfants<br />
travaillent, que ce soit à l’usine, aux champs, dans leur propre maison, dans la rue ou à<br />
l’école. L’idée de base est que « tous consacrent une partie de leur temps à des activités<br />
contraignantes, non loisibles, productrices d’utilité sociale, soit immédiatement, soit de façon<br />
différée, quand le travail consiste en un investissement — les études — pour un travail<br />
productif futur. » (Schlemmer, 1996 : 23-24). Alors, d’après Schlemmer, tous les enfants<br />
travaillent, mais pas dans les mêmes conditions. Et tous n’auront pas les mêmes opportunités<br />
d’entrée sur le marché du travail lors de leur vie adulte.<br />
Certes, de plus en plus, les approches du travail des enfants portent sur des visions d’enfance<br />
et de travail plus variées qui essayent de donner une place aux différentes réalités. On a ouvert<br />
un chemin vers la diversité et la modération. Même si c'est la perception proposée par l'OIT<br />
qui continue toujours de dominer sur la scène internationale. Une perception qui, avec un peu<br />
de retard, a bien évolué au rythme des changements qui se sont opérés autour du sujet dans les<br />
dernières années (les approches scientifiques, l’écoute des enfants travailleurs, l’observation<br />
sur le terrain de la réalité). Ainsi l’on est passé d’une vision abolitionniste radicale qui ne<br />
propose que l’éradication du travail des enfants, à une vision plus nuancée : « L’expression<br />
“travail des enfants” ne vise pas toutes les formes de travail des moins de 18 ans. Des<br />
millions de jeunes travaillent de façon tout à fait légitime, contre de l’argent ou non, dans des<br />
conditions adaptées à leur âge et à leur degré de maturité. Ils apprennent ainsi à être<br />
responsables, acquièrent des compétences, améliorent leur niveau de vie et celui de leurs<br />
familles et contribuent à la prospérité économique de leur pays. Après l’école, leurs devoirs<br />
une fois terminés et leurs leçons apprises, des enfants peuvent aussi très bien, pour aider<br />
leurs parents, participer aux tâches ménagères ou au jardinage, veiller sur d’autres enfants,<br />
etc., sans que l’on puisse y trouver à redire. Condamner ce type d’activité, ce serait banaliser<br />
31
ce que l’on veut abolir – ce travail qui prive d’enfance des millions d’êtres humains. » (OIT,<br />
2002 : 9). 12<br />
Cependant, l’expression « travail des enfants » reste ambiguë, et l’on continue de l’adapter<br />
aux intérêts et aux objectifs de chaque recherche, projet ou politique. De manière que les<br />
études sur le travail des enfants sont à peine comparables temporellement et spatialement,<br />
parce que l’enfance n’est pas toujours représentée par le même groupe d’âges de la<br />
population, ni le travail n’est défini selon les mêmes critères.<br />
I.1.3. Les approches du travail des enfants.<br />
<strong>La</strong> plupart des approches ont été centrées sur une vision déterministe, qui place les enfants et<br />
les familles comme victimes de la pauvreté et de l’inégalité résultant du système de<br />
production. Dans un niveau global, le travail des enfants est vu principalement comme une<br />
conséquence de problèmes économiques et politiques d’envergure internationale. Des facteurs<br />
comme la concurrence internationale, les investissements étrangers, la tutelle exercée par les<br />
institutions financières internationales, et les systèmes de crédit, sont cause de ravages<br />
sociaux, qui finissent par affaiblir les conditions de vie de nombreuses familles, surtout des<br />
pays en développement, contraintes de vivre dans des conditions très précaires, ce qui favorise<br />
l’exploitation des enfants. <strong>La</strong> pauvreté est alors à l’origine du travail des enfants, qui est<br />
aperçu comme un phénomène structurel propre au capitalisme, et plus actuellement lié au<br />
processus de la mondialisation (<strong>La</strong>bazée, 1996 ; Meillassoux, 1996 ; Sari, 1996 ; Verlet,<br />
1996 ; Hemmer et al., 1997 ; Ranjan, 1999 ; Cos-Montiel, 2000 ; Galli, 2001 ; Delgado,<br />
2004). Sous une telle optique, la plupart des études de cas traitent d’exemples les plus<br />
touchants. 13 Cependant, les approches économiques s’avèrent partielles pour expliquer une<br />
situation qui est très complexe. Certes, la pauvreté joue un rôle fondamental, mais il faut<br />
12 Il faut dire qu'actuellement l’OIT a mis l’accent sur la lutte contre ce qu’elle appelle « les pires formes du<br />
travail des enfants », en se donnant pour objectif de les abolir en 2016 (OIT, 2007).<br />
13 En prenant les cas les plus condamnables, par exemple : les enfants dans les industries dangereuses (fabriques<br />
d’allumettes, de feux d’artifices, de verre…), du tapis, de la brique, du bois et du vêtement ; les enfants<br />
travailleurs dans les rues, les enfants dans les mines, dans les carrières, les enfants mis en servitude pour dettes...<br />
Des enfants qui travaillent dans des conditions pénibles et précaires : en milieux de haut risque pour leur santé<br />
(pollution, bruit, obscurité, enfermement), en réalisant des activités fatigantes et répétitives, en recevant de<br />
faibles revenus, voire sans revenus, par de longues journées de travail. Pour la plupart, ils ne sont pas scolarisés<br />
et leur travail ne leur apporte guère un apprentissage (Abdalla, 1990 ; Gatchalian, 1990 ; Guillén-Marroquín,<br />
1990 ; Kanbargi, 1990 ; Oosterhout, 1990 ; Salazar, 1990 ; Céspedes Sastre et Zarama, 1996 ; Gulrajani, 1996 ;<br />
Morice, 1996 ; Yaro, 1996).<br />
32
valoriser le travail des enfants dans son contexte socioculturel pour mieux comprendre toute<br />
la diversité de formes de travail qui existent (Rodgers et Standing, 1981a).<br />
D’ailleurs, d’autres traitent le sujet d’un point de vue de la transmission de coutumes et de<br />
connaissances, comme un héritage entre générations, comme une pratique qui fait partie d’un<br />
type d’organisation familiale et communautaire spéciale. <strong>La</strong> socialisation, comme processus<br />
de préparation à la vie adulte ou à la formation de genre, est au centre de ces études, qui font<br />
référence surtout aux sociétés paysannes (Cain, 1977 ; Schildkrout, 1981; González Chávez,<br />
1982 ; Ngueyap, 1996 ; Nieuwenhuys, 1996 ; Boyden, Ling et Myers, 1998 ; Escalante Cantú,<br />
2000 ; Camarena Córdova, 2004 ; Domic Ruiz, 2004 ; Vargas Evaristo, 2006). En termes<br />
individuels, la capacité et la disponibilité des enfants au travail peuvent augmenter leur<br />
reconnaissance et aussi leur indépendance. On attribue au travail des enfants une valeur<br />
économique, mais aussi une valeur personnelle, émotionnelle et culturelle (Weiss, 1993 ;<br />
Meiser, 1997, cités in Liebel, 2003).<br />
Enfin, certains approchent le travail des enfants par rapport à l’inefficacité des institutions qui<br />
sont censées éloigner les enfants du monde du travail, en l’occurrence : l’école et le système<br />
juridique. D’une part, les défaillances du système éducatif peuvent favoriser l’abandon<br />
scolaire, soit parce que la scolarisation perd de la valeur et de l’intérêt aux yeux des personnes<br />
concernées, soit parce que l’offre est insuffisante, inaccessible ou inexistante. Dans ces cas, le<br />
travail est une option de vie qui éloigne les enfants de la fainéantise, du vagabondage, de la<br />
délinquance, des vices et de la sexualité précoce par exemple (Bequele et Boyden, 1990 ;<br />
Bonnet, 1993 ; Hevener et al., 2002 ; Schlemmer, 1996 et 2007). D’autre part, le manque de<br />
mécanismes qui permettent l’exécution des lois et des accords, nationaux et internationaux, en<br />
matière de travail des enfants, assure le développement du travail des enfants (Fukui, 1996 ;<br />
Hobbs et al., 1996). Dans ce sens, le travail des enfants continuera tant que les institutions ne<br />
seront pas fortes et efficaces.<br />
Les approches dans le domaine familial sont assez nombreuses, où la pauvreté est la vedette.<br />
Les travaux portent notamment sur l’importance économique du travail des enfants pour la<br />
reproduction sociale de la famille. Dans un contexte de pauvreté, les enfants peuvent être<br />
considérés comme partie du capital d’une famille, et par conséquent, une descendance<br />
nombreuse est bien valorisée : cela est la garantie d’avoir une main-d’œuvre disponible dans<br />
tous les cycles de vie familiale. Les couples choisissent parmi un ensemble d’actions, celles<br />
33
qui maximisent leur « bien-être » (well being) ou leurs « bénéfices » (utility) soumis à<br />
diverses restrictions, selon le household production function approach de Gary<br />
Becker 14 (Tienda, 1979 ; Grootaert et Kanbur, 1995 ; Hemmer et al., 1997 ). C’est une idée de<br />
plus en plus contestée, à cause de la baisse de la fécondité des populations pauvres des pays<br />
en développement, comme le Mexique, observée depuis quelques années (Cosio-Zavala,<br />
1998) ; et aussi parce que les évidences montrent que tous les enfants pauvres ne travaillent<br />
pas, de même que tous les enfants travailleurs ne sont pas des enfants pauvres (Benería,<br />
1992). En outre, nombreuses études abordent le sujet avec la théorie des stratégies familiales<br />
de survie. Divers aspects en rapport à la famille se sont avérés d’intérêt pour expliquer les<br />
variations de la mise au travail précoce, comme : la composition sociodémographique du<br />
ménage, le type de ménage (monoparental ou biparental ; nucléaire ou élargi), les<br />
caractéristiques du chef de ménage (sexe, scolarité, activité) et la position socioéconomique<br />
du ménage (Bossio, 1992 ; Marcoux, 1995 ; Mier y Terán et Rabell, 2001, 2001a et 2004 ;<br />
Estrada Quiroz, 2005). 15<br />
Enfin, encore à propos des approches du niveau familial, pour mesurer le degré de<br />
participation des enfants dans le travail, on a utilisé l’approche « budget-temps » (Cain, 1977 ;<br />
Schildkrout ; 1981 ; Molina Barrios et Rojas Lizarazu, 1995 ; Cos-Montiel, 2000).<br />
Par ailleurs, une partie importante de recherches se concentrent sur l’étude de la relation entre<br />
le travail des enfants et le capital humain, soit d’un point de vue économique, encore une fois<br />
selon les modèles de Becker. Le travail des enfants est en général approché comme un facteur<br />
de désinvestissement en termes de capital humain, voire opposé à la scolarisation. Et ainsi, les<br />
coûts du travail des enfants sont mesurés sur le plan de la productivité future. Le travail des<br />
enfants est souvent vu comme reproducteur de la pauvreté. 16 Même si le centre d’attention est<br />
l’enfant et son propre avenir, divers facteurs associés au milieu familial sont souvent proposés<br />
14 Selon Becker, les individus sont des acteurs rationnels qui font des choix selon un rapport de coût/bénéfice des<br />
options. De manière que les divers comportements tendent à maximiser le bien-être ou l’utilité. Par conséquent,<br />
par exemple, le niveau de fécondité d’un couple dépend de ce rapport de coût/bénéfice de la valeur des enfants.<br />
15 Ce type de travaux s’inscrit dans la même ligne de recherche de ceux sur l’étude des formes d’organisation<br />
familiale dans les pays d’Amérique latine qui ont eu un apogée surtout à partir des années 1980. Dans ces études,<br />
le travail des enfants est traité comme partie des résultats, et non comme un sujet en lui-même (García et al.,<br />
1979 et 1982 ; Bossio, 1992 ; García et Oliveira, 1994 et 2001 ; Rendón, 2004).<br />
16 C’est à partir d’une telle perception que des programmes internationaux et nationaux de lutte contre la<br />
pauvreté concentrent leurs efforts sur la promotion de la scolarisation des enfants pauvres, en essayant ainsi de<br />
les éloigner du travail. Comme le Programme du Millénaire de l’UNICEF et les programmes élaborés à leur tour<br />
par les divers gouvernements mexicains depuis les années 1990 : PRONASOL, PROGRESA et actuellement<br />
OPORTUNIDADES.<br />
34
comme déterminants du travail ou comme cause de la déscolarisation des enfants. <strong>La</strong><br />
composition démographique du ménage, les caractéristiques sociodémographiques du chef de<br />
ménage et la position socioéconomique du ménage ont montré leur intérêt comme facteurs en<br />
relation avec le travail des enfants (Llomovatte, 1991 ; Psacharopoulos, 1997 ; Levison et<br />
Moe, 1998 ; Heady, 2000 ; Knaul, 2000 et 2001 ; Levison, Moe et Knaul, 2001). Les études<br />
mettant l’accent sur les relations de genre qui dominent le monde des enfants travailleurs sont<br />
de plus en plus nombreuses, mais encore limitées (Nieuwenhuys, 1996 ; Levision et Moe,<br />
1998 ; Knaul, 2001 ; Levison, 2007).<br />
A partir de cet état de connaissances, nous avons élaboré notre problématique et nos<br />
hypothèses.<br />
I.2. Le travail des enfants comme pratique : problématique et hypothèses.<br />
Notre problématique repose sur le fait que le travail des enfants est une pratique qui dépend<br />
des conditions structurelles, familiales et individuelles. On considère que les familles et les<br />
enfants ont une certaine marge de liberté, pour faire face aux contraintes imposées par les<br />
structures. Et aussi dans une perspective de genre, car le travail des enfants, comme celui des<br />
adultes, fonctionne selon les modèles et les relations de genre qui dominent dans le ménage,<br />
mais aussi dans la société tout entière. Il est important de considérer tous les aspects qui<br />
façonnent les conditions de vie de la population : économiques, sociaux, culturels. Mais aussi,<br />
les idées qui donnent du sens aux pratiques, soit les représentations sociales.<br />
Au Mexique, il existe une grande diversité de conditions de vie qui dépendent du milieu de<br />
résidence, de l’appartenance à un secteur socioéconomique ou à un groupe ethnique en<br />
particulier. De manière que les pratiques et les idées peuvent être totalement opposées aux<br />
extrêmes entre les divers groupes de la population : ruraux/urbains, pauvres/riches,<br />
indiens/non indiens, par exemple. Bien que nous puissions avancer qu'en général les<br />
conditions socioéconomiques dans le pays sont propices au travail des enfants, et nous<br />
voudrions l’approfondir du point de vue des idées : quelle est la situation actuelle par rapport<br />
à la perception sur le travail des enfants ?<br />
35
A ce propos, malgré l’existence d’un discours officiel qui condamne le travail des enfants, et<br />
qui sert de soutien aux mesures légales et sociales afin de l’empêcher, nous pensons que les<br />
personnes centrent leur attention plutôt sur les conditions de travail des enfants que sur le<br />
travail des enfants en lui-même. De manière qu’il n’existe pas un consensus contre le travail<br />
des enfants. Tout dépend des conditions dans lesquelles le travail est réalisé. Or nous pensons<br />
aussi qu’il existe divers regards sur le sujet, selon le vécu des individus, quant à leur<br />
expérience propre et proche. Ainsi, une population où le travail des enfants est fréquent, et<br />
apparemment sans conséquences négatives sur le développement de l’enfant, sera propice à<br />
accepter et à transmettre cette pratique.<br />
Evidemment, il est difficile de penser aux enfants, et tout ce qui les concerne, sans faire<br />
référence à la famille. Cet espace social est par excellence le lieu de formation de valeurs et<br />
des aspects affectifs pour l’enfant. C’est là où s’organise la participation de chaque personne<br />
afin de garantir la reproduction quotidienne commune et personnelle. Le degré de<br />
participation des enfants dans les diverses activités, tant domestiques qu’économiques, est lié<br />
aux besoins et aux ressources familiales à un moment donné du cycle de vie familiale. <strong>La</strong><br />
famille est alors considérée comme l’institution médiatrice entre les actions individuelles et la<br />
société. Ainsi, le travail des enfants est considéré comme une stratégie familiale de vie. Une<br />
stratégie visant à l’accomplissement de projets et des besoins familiaux, mais aussi<br />
personnels. Face à un contexte macrosocioéconomique qui semble favorable au travail<br />
précoce, les familles réagissent de différentes manières, en mettant en marche diverses<br />
stratégies pour y vivre, selon leurs propres ressources et besoins. Mais aussi en prenant en<br />
compte les limites imposées par le contexte : cadre légal, système scolaire, marché du travail.<br />
Et les enfants, en tant que membres de la famille, peuvent participer, plus ou moins<br />
activement, dans les diverses activités domestiques et économiques du ménage.<br />
A ce propos, même si des évidences recueillies à travers le monde permettent d’affirmer<br />
aujourd’hui que le travail des enfants est en relation étroite avec le milieu familial. <strong>La</strong><br />
composition familiale permet d’avoir une vision globale sur le milieu familial de l’enfant, où<br />
la figure du chef de ménage, en général le père, sert d’unique repère. Mais, de plus en plus, le<br />
rôle des mères, voire des femmes, a fait preuve de son importance sur la vie et le devenir des<br />
enfants. C’est pourquoi nous considérons que, si le milieu familial est fondamental pour<br />
comprendre la mise au travail précoce, ce milieu familial doit être approché de manière plus<br />
ample, en prenant en compte aussi les caractéristiques du conjoint du chef (de la mère des<br />
36
enfants). Notre hypothèse est que père et mère (chef de ménage et conjoint du chef), en tant<br />
que principaux responsables de la famille, contribuent ensemble à la conformation de<br />
l’environnement familial, où la participation des enfants prend du sens. Et la participation de<br />
chacun (chef de ménage et conjoint du chef) a des effets différentiels sur la vie des enfants,<br />
concrètement sur la mise au travail.<br />
Or, l’argument amplement répandu et accepté selon que les familles pauvres ont besoin d’un<br />
revenu supplémentaire pour survivre n’explique pas pourquoi l’incidence du travail des<br />
enfants varie d’une famille pauvre à une autre au sein d’une communauté, d’une communauté<br />
pauvre à une autre dans un même pays, et d’un pays pauvre à un autre dans le monde (Anker,<br />
2000). Il faudrait peut-être analyser la pauvreté selon ses causes, car, comme dit Bonnet<br />
(1993), la pauvreté ne touche pas toutes les familles de la même façon. Et elle n’arrive pas<br />
dans chaque famille de la même façon non plus. Elle entre parfois sous la forme d’une crise<br />
économique, le décès d’un membre de la famille, le chômage, une guerre… En plus, la<br />
pauvreté n’est pas toujours la principale cause du travail des enfants, même si l’on considère<br />
le travail des enfants dans un sens économique. Certes, les revenus des enfants peuvent servir<br />
à satisfaire les besoins familiaux de base, voire personnels, mais aussi à acheter simplement<br />
des produits de loisir. Le travail des enfants est loin d’être seulement une source de revenus,<br />
comme le signalent les diverses études sur le rôle du travail des enfants en tant que pratique<br />
de socialisation et de formation. Et même au-delà de ces causes évoquées traditionnellement,<br />
les enfants trouvent parfois dans le travail une source d’épanouissement et de loisir, voire de<br />
solidarité envers les membres de leur communauté, une activité pour utiliser leur temps<br />
périscolaire au quotidien ou de manière temporaire (en vacances). Un sujet qui a été plutôt<br />
traité chez les enfants des pays développés (Wihstutz, 2007).<br />
Ainsi, la mise au travail précoce n’est pas seulement en relation avec des aspects externes aux<br />
enfants, bien qu’ils fassent partie d’un contexte familial et social bien déterminé, dont les<br />
conditions peuvent favoriser ou non leur participation, ils ont aussi des caractéristiques<br />
individuelles, qui contribuent à la détermination de leurs actions, de gré ou de force. A la<br />
lumière des études récentes et de la réalité mexicaine, pour aborder le sujet, il nous semble<br />
pertinent de rejoindre les précurseurs de l’approche du travail des enfants centrée sur l’enfant,<br />
qui est basée principalement sur les idées de la nouvelle sociologie de l’enfance. Et, de cette<br />
manière, aborder le sujet en considérant les enfants travailleurs comme des protagonistes de la<br />
construction de leur propre vie et comme participants dynamiques en ce qui concerne la vie<br />
37
familiale, et ainsi, comme des sujets actifs dans la société. En tant que protagonistes de leur<br />
propre vie, les enfants ont alors une certaine marge de liberté pour mettre en marche des<br />
stratégies pour accomplir des projets personnels, visant leur propre intérêt ou celui de la<br />
famille.<br />
A ce propos, il y a un consensus sur l’importance du sexe et de l’âge de l’enfant comme<br />
déterminants de sa participation dans les diverses activités. Au fur et à mesure que l’âge des<br />
enfants augmente, leur participation dans le travail est de plus en plus fréquente. De plus, les<br />
activités que réalisent les enfants sont fortement liées au genre. A l’image des adultes, les<br />
filles réalisent davantage d’activités domestiques, tandis que celles des garçons sont surtout<br />
économiques. Etant donné l’évidence que le genre et la génération sont fondamentaux pour<br />
expliquer le travail précoce, nous nous demandons comment ces conditions individuelles<br />
entrent en relation avec le contexte familial et social, lorsque nous classons les enfants selon<br />
le type de travail réalisé : domestique ou extradomestique.<br />
Or, il existe une idée, plutôt implicite, qui suggère que les enfants qui travaillent dans un<br />
milieu familial forment un groupe à part, voire qu’ils ne sont pas de « vrais » travailleurs.<br />
Ainsi, au Mexique, le cadre juridique en matière d’emploi exclut de son application le travail<br />
dit familial. C’est-à-dire que l’Etat n’a aucune influence dans la sphère privée des unités de<br />
production familiale. Quant à l’avenir et la protection des enfants, l’intérêt privé des familles<br />
domine sur l’intérêt public. L’autorité paternelle et la liberté de travail dans ce contexte sont<br />
sans restriction. Ainsi, les enfants travaillent dans des conditions qui dépendent seulement de<br />
la bonne volonté et des besoins des parents qui deviennent leurs employeurs. Etant donné que<br />
la famille est censée être l’un des espaces sociaux privilégiés pour l’enfance, un lieu de<br />
protection, d’affection et de formation, a priori les enfants qui travaillent dans un tel contexte<br />
devraient être l’objet d’une attention spéciale, être à l’abri. Cependant, il existe des exemples<br />
qui permettent de contester cette supposée protection familiale : des enfants qui préfèrent<br />
quitter la famille pour aller travailler ailleurs, là où les conditions de travail sont moins dures<br />
et plus avantageuses en termes économiques et d’indépendance. Mais, il s’agit de cas très<br />
particuliers, notamment à la campagne (Nieuwenhuys, 1996).<br />
Nous nous demandons alors si le lien de parenté entre l’enfant et l’employeur représente un<br />
facteur différentiel, en ce qui concerne : les causes, le processus d’entrée, les conditions de<br />
travail et les conséquences sur la vie des enfants. Nous considérons que, malgré les cas d’abus<br />
38
envers les enfants qui peuvent exister au sein de la famille (violence, maltraitance,<br />
exploitation), dans la plupart des familles, il existe un intérêt de veiller au bon développement<br />
des enfants. De sorte que les enfants qui travaillent pour l’un des parents représentent un cas<br />
particulier parmi les enfants travailleurs.<br />
Enfin, en respectant le rôle des enfants comme protagonistes de tout ce qui les concerne, dès<br />
que possible, nous privilégions leur parole pour connaître l’importance du travail dans leur<br />
propre vie : ce qu’il représente dans leur imaginaire et dans la pratique.<br />
I.3. Notre cadre théorique de référence.<br />
I.3.1. Les enfants travailleurs comme protagonistes.<br />
A l’opposé de l’idée moderne d'enfance qui domine, certains proposent une vision alternative,<br />
que nous partageons dans son ensemble. Une vision qui part d’une lecture sociopolitique de la<br />
situation des enfants travailleurs, avec une approche par les droits, selon ce qui est établi dans<br />
la CIDE (UNICEF, 1990). L’approche est basée sur la notion d’enfance que propose la<br />
nouvelle sociologie de l’enfance, soit l’enfant en tant qu’acteur social. Le concept de sujet<br />
social n’est pas uniquement une idée sinon une interprétation de la réalité. Tous les enfants<br />
sont nés avec les qualités de « sujets » : créatifs, observateurs, curieux. Ils recherchent,<br />
interprètent et donnent une forme à leur réalité immédiate (Liebel, 1994).<br />
Cette perspective surgit comme réponse à la réalité que vivent de nombreux enfants partout<br />
dans le monde, à l’écoute des enfants concernés. Des enfants qui, de gré ou de force,<br />
travaillent et qui, en tant qu’enfants, sont « protégés », mais « déprotégés », en tant que<br />
travailleurs, ce qui les a rendus vulnérables et la cible de multiples abus. L’enfant, en tant que<br />
protagoniste de la construction de sa vie, doit être en mesure de décider de travailler ou non,<br />
et par conséquent, d’avoir le droit de le faire de manière digne et adéquate à ses particularités.<br />
Sans être l’objet de préjugés, de harcèlements, de sanctions, et d’abus à cause uniquement de<br />
leur statut d’enfants. Il s’agit d’une approche du travail des enfants « centrée sur l’enfant », et<br />
pas seulement sur la vision adulte (Liebel, 2003).<br />
Certes, le travail est principalement une source de revenus, mais ses qualités ne se limitent pas<br />
strictement au domaine économique. Le travail est aussi source de créativité, de formation, de<br />
39
distraction, de socialisation, de solidarité, de fierté pour celui qui l’exerce dignement, soit un<br />
adulte, soit un enfant. Dans cette perspective, le travail des enfants est le produit d’une<br />
décision individuelle ou familiale qui ne répond pas toujours aux mêmes besoins ou<br />
motivations. Dans les extrêmes, nous trouvons, d’un côté, l’enfant qui est parfois contraint de<br />
travailler pour arriver à couvrir ses besoins essentiels ou secondaires, ainsi que ceux de sa<br />
famille. Ils se reconnaissent comme membres actifs dans le processus de reproduction sociale<br />
de leur famille. D’un autre côté, il existe des enfants qui travaillent à leur initiative, juste pour<br />
acquérir des objets superflus, voire pour se distraire, leurs besoins essentiels étant satisfaits<br />
par les parents. Dans les deux cas, les enfants conçoivent alors leur participation économique<br />
dans le ménage plutôt avec fierté et dignité.<br />
En se servant des expériences directes avec des enfants qui travaillent dans les pays en<br />
développement, les précurseurs de cette approche ont conclu que la majorité des enfants ne<br />
veulent pas arrêter le travail — à moins que leurs familles sortent de la pauvreté, le cas<br />
échéant — (Schibotto et Cussianovich, 1994 ; Liebel, 2003). Ce qu’ils souhaitent, c’est la<br />
sécurité d’avoir des conditions adéquates pour réaliser leurs activités et aussi pour avoir la<br />
possibilité d’aller à l’école. Ces auteurs soutiennent que les enfants à travers leur travail aident<br />
énormément leurs familles et la société. Mais cela n’est pas bien reconnu de nous jours. De<br />
plus, les enfants sont fréquemment impliqués de façon considérable dans les affaires<br />
publiques. Ils développent leurs propres points de vue sur une vie meilleure et un travail<br />
bénéfique. Dans les pays en développement, les mouvements et les organisations des enfants<br />
et des adolescents travailleurs (qui sont nés à partir des années 80) ont mis en évidence que les<br />
enfants travailleurs sont capables de s’organiser de façon compétente et de convaincre<br />
certains adultes (notamment des experts sur le travail des enfants) de l'importance de leur<br />
opinion en tant que protagonistes (Schlemmer, 1996 ; Bonnet, 1998 ; Liebel, 1994, 2000 et<br />
2003 ; Wintersberger, 2003).<br />
<strong>La</strong> valeur de l’enfant est plus que sociale. Etant donné le contexte local dans lequel<br />
grandissent les enfants des pays en développement, certes, la production marchande et le<br />
travail rémunéré sont des sources de revenus non négligeables, mais les enfants donnent la<br />
priorité aux moyens de subsistance et aux tâches domestiques. « Prendre en considération le<br />
rôle des enfants dans ces activités met en lumière la contribution économique considérable<br />
des enfants à la prospérité d’une société tout entière. » (Nieuwenhuys, 2006 : 168). Et bien<br />
évidemment, une contribution inestimable à leurs propres familles. Nous pensons que les<br />
40
enfants travailleurs ne sont pas que de simples victimes, ils sont avant tout des sujets qui<br />
participent activement à la reproduction sociale du ménage de diverses manières et selon leurs<br />
capacités. Une perception qui montre une enfance solidaire, responsable, entrepreneuse et<br />
engagée, avec soi-même et avec son entourage, des qualités fréquemment négligées par<br />
rapport à cette jeune population. Cela implique alors, de passer d’une vision étroite du travail<br />
des enfants, comme un bloc homogène avec une connotation nettement négative, à une vision<br />
plus élargie : un phénomène hétérogène, multidimensionnel et multicausal qui a différentes<br />
qualités (Leroy, 2009).<br />
Ainsi, au-delà des évidences qui mettent en doute l’idée très répandue du travail des enfants<br />
comme facteur perturbateur du développement des enfants, il est nécessaire de repenser cette<br />
idée dominante de l’enfance moderne, qui de plus en plus ne répond guère aux conditions de<br />
vie des enfants, notamment des pays en développement. L’enfant vu en tant que sujet actif<br />
dans la société, en tant que protagoniste et coresponsable de sa vie, a le droit de participer<br />
dans tous les domaines de la vie publique ; sa place ne se limitant plus aux<br />
sphères domestique et scolaire (Liebel, 1994 et 2003).<br />
Une vision que nous garderons en approchant le travail des enfants comme une stratégie<br />
familiale de « vie », en mettant l’accent sur le fait qu’il ne s’agit pas des stratégies limitées à<br />
la « survie » (dans son sens littéral). 17 Car nous considérons que les enfants ne travaillent pas<br />
seulement pour des raisons de survie personnelle ou familiale, voire des raisons économiques,<br />
même si ces cas restent assez fréquents. Et la décision sur les activités que les enfants<br />
réaliseront et leur degré de participation à chacune sont déterminés au sein du ménage. Nous<br />
discuterons par la suite de cette approche.<br />
I.3.2. Le travail des enfants comme une stratégie familiale de vie.<br />
L’approche du travail des enfants comme une stratégie familiale de vie nous semble tout à fait<br />
pertinente dans notre cas, étant donné que la théorie a été élaborée à partir des conditions de<br />
vie et familiales qui prédominent en l’Amérique latine. <strong>La</strong> perception contenue dans cette<br />
approche permet de garder une vision des enfants comme protagonistes, comme sujets actifs<br />
17 Duque et Pastrana (1973) et Cornia (1987) ont développé le thème des stratégies familiales de « survie ».<br />
41
dans la vie familiale, et comme acteurs dans la réalisation de projets personnels, dont le travail<br />
fait partie.<br />
On part de l’idée que tout individu exposé à des normes sociales similaires, à travers les<br />
mêmes agents de socialisation, a un comportement semblable. C’est-à-dire des stratégies<br />
semblables pour des familles de la même classe. Une autre hypothèse est que les relations<br />
sociales forment une structure d’options qui se présentent aux individus ou aux groupes dans<br />
l’espace social. Il existe alors des structures d’options limitées en fonction de la classe<br />
d’appartenance. Néanmoins, il y a des comportements hétérogènes à l’intérieur d’une même<br />
classe dus à la présence d’un éventail d’options ouvertes aux individus et aux groupes<br />
(Przeworski, 1982).<br />
Les stratégies familiales de vie concernent toutes les strates socioéconomiques de la<br />
population. On suppose que les comportements familiaux sont orientés, de manière délibérée<br />
ou non, à assurer la reproduction matérielle, mais aussi biologique de l’unité domestique, dans<br />
un cadre de conditions de vie spécifiques à la strate d’appartenance ; ainsi les pressions<br />
externes de type socioéconomique qui suivent les familles dépendent des conditions de vie<br />
« imposées » par la classe sociale d’appartenance. Or, l’on considère que le comportement des<br />
individus et des familles n’est pas totalement déterminé par les structures, ils ont une marge<br />
d’action pour faire face aux conditions adverses (Torrado, 1981 ; García et Oliveira, 1994).<br />
<strong>La</strong> famille a une dynamique et des effets propres qui redéfinissent les exigences en matière de<br />
main-d’œuvre sur le marché du travail (García et al., 1982). Et c'est justement au sein des<br />
familles que naissent les processus de production et de reproduction quotidiens et<br />
intergénérationnels, et là où se détermine la participation économique familiale comme<br />
élément essentiel des stratégies de vie. <strong>La</strong> famille, en tant qu’acteur collectif, est une<br />
institution médiatrice entre les structures et les individus. Les familles rendent possible la<br />
reproduction de la population. Ce qui permet l’étude des différentes réponses aux conditions<br />
structurelles et l’analyse des changements spécifiques de sous-groupes de la population<br />
(Schmink, 1984).<br />
Dans le cadre des stratégies familiales de vie, Torrado (1982) identifie les multiples<br />
dimensions comportementales : 1) Constitution de l’unité familiale, 2) procréation, 3)<br />
préservation de la vie, 4) socialisation et apprentissage, 5) cycle de vie familiale, 6) obtention<br />
42
et assignation des ressources pour la reproduction quotidienne (division familiale du travail et<br />
organisation de la consommation familiale), 7) migrations de travail, 8) placement résidentiel,<br />
9) familiarité entre les membres du ménage, et 10) coopération extrafamiliale.<br />
En tant qu’unité médiatrice entre les déterminations structurelles et les actions individuelles,<br />
afin de faire face aux besoins de la reproduction quotidienne du ménage, la famille organise<br />
donc ses ressources humaines, sa main-d’œuvre, prenant en compte les limites et les<br />
possibilités imposées au niveau macrosocioéconomique : le marché du travail, le système<br />
scolaire, le cadre juridique... Mais bien évidemment, une telle organisation interne dépend de<br />
deux conditions inhérentes au ménage : ses ressources (ensemble de capacités) et ses besoins<br />
(ensemble de nécessités). Lesquelles dépendent de deux dimensions fondamentales : la<br />
sociodémographique et la socioéconomique (García et al., 1982).<br />
Il s’impose maintenant de passer du concept de « famille » à celui de « ménage » parce que ce<br />
sont des ménages et non des familles que nous trouvons dans nos sources de données. Le<br />
ménage est un concept opérationnel associant les individus, qui donne un rôle central à la<br />
résidence et à la consommation, sans se limiter aux liens de sang, comme le fait celui de la<br />
famille. Nous discuterons plus en détail sur les définitions plus tard.<br />
D’un point de vue statique, la dimension sociodémographique permet de différencier les<br />
ménages selon le type de combinaisons des caractéristiques démographiques de leurs<br />
membres (nombre de personnes, sexe, âge et lien de parenté), à chaque étape de leur<br />
développement (cycle de vie familiale). Mais cette composition est dynamique et évolue selon<br />
l’arrivée d’événements démographiques tels que : la mortalité, la fécondité, la nuptialité et les<br />
patrons de résidence ; lesquels modifient constamment les capacités et les nécessités du<br />
ménage en général, mais aussi de chaque membre en particulier. Et la dimension<br />
socioéconomique permet de mesurer le niveau des nécessités et des capacités des membres du<br />
ménage selon la position structurelle de la famille, par rapport aux propres caractéristiques<br />
sociodémographiques. Il s’agit aussi d’une dimension dynamique, car la position structurelle<br />
du ménage peut évoluer de manière volontaire ou involontaire, soudaine ou progressive, à la<br />
suite d’événements démographiques ou d’autres faits externes, notamment de type<br />
économique. En général, la position socioéconomique du ménage est approchée à travers la<br />
situation du chef de ménage sur le marché du travail (notamment l’activité et le salaire).<br />
43
Au sein du ménage, il existe une interrelation entre les aspects démographiques et les aspects<br />
économiques, mais chaque aspect a une certaine autonomie par rapport à l’autre. Ces deux<br />
dimensions constituent l’environnement familial, où les membres partagent une expérience de<br />
vie en commun, où chacun trouve des motivations et des obstacles à son action individuelle.<br />
De même, ils partagent, par définition, une dépense et une infrastructure communes (dont le<br />
travail domestique) pour satisfaire à leurs besoins. C’est-à-dire que l’appartenance à un<br />
ménage signifie partager les bénéfices et les désavantages dérivés des conditions économiques<br />
des autres membres. Une telle infrastructure peut faciliter ou entraver le travail domestique ou<br />
extradomestique de chacun de ses membres, selon leurs caractéristiques<br />
sociodémographiques. <strong>La</strong> participation familiale est alors le résultat de l’ensemble des<br />
interactions qui opèrent à travers l’environnement familial, et qui répondent aussi au propre<br />
contexte socioculturel (García et al., 1982).<br />
C’est ainsi qu’à partir des caractéristiques sociodémographiques, économiques, culturelles et<br />
historiques, qui résultent de la position structurelle du ménage, se réalisent l’ensemble des<br />
capacités et l’ensemble des nécessités du ménage.<br />
<strong>La</strong> composition de la famille selon les liens de parenté, le cycle de vie familiale et la taille du<br />
ménage déterminent la structure par sexe et par âges du ménage, et par conséquent l’ensemble<br />
des capacités du ménage. Cet ensemble provient des capacités de chaque membre par rapport<br />
aux conditions extérieures. <strong>La</strong> possibilité de participation de chaque personne aux diverses<br />
activités de reproduction quotidienne du ménage est plus ou moins importante selon les<br />
caractéristiques sociodémographiques individuelles (âge, sexe, scolarité, savoir-faire). Ainsi,<br />
la participation économique potentielle de chaque individu dépendra des contraintes imposées<br />
par le marché du travail. Tandis que la participation domestique, qui dépend aussi de ces<br />
aspects individuels, est d’habitude soumise à la participation économique. Car la reproduction<br />
sociale du ménage dépend tout d’abord de sa survie. Or cet ensemble de capacités a un<br />
caractère potentiel, en plus de dynamique. Il devient réel au fur et à mesure que l’ensemble<br />
des besoins du ménage le demande.<br />
D’ailleurs, l’ensemble des besoins est façonné à partir de ceux de chaque membre de la<br />
famille, et des actions nécessaires pour les satisfaire. Ces besoins répondent au statut de vie<br />
familiale dans un sens socioéconomique. Des mécanismes culturels de priorisation peuvent se<br />
mettre en marche afin de répondre seulement aux plus légitimes. Pour faire face à l’ensemble<br />
44
des besoins, les familles organisent la participation de chacun de leurs membres dans les<br />
diverses activités de reproduction quotidienne, selon les capacités individuelles (sexe, âge,<br />
scolarité, savoir-faire) vis-à-vis des demandes au niveau structurel, notamment sur le marché<br />
du travail. Bien évidemment, la distribution de tâches à l’intérieur du ménage n’a rien<br />
d’anodin, elle peut se réaliser de manière explicite ou implicite, autoritaire ou démocratique,<br />
dans un climat de conflit ou de coopération (Jelin, 1983). 18<br />
Il faut signaler que la reproduction quotidienne du ménage est centrée sur la conservation<br />
(voire l’amélioration) d’un niveau et d’un style de vie socialement et culturellement définis et<br />
pas seulement sur la survie. Dans ce sens, les actions nécessaires pour répondre aux besoins<br />
de reproduction quotidienne (l’ensemble des besoins) d’une famille peuvent se classer selon<br />
le type de ressources mobilisées en deux types : professionnelles et non professionnelles. Les<br />
deux types d’action ont des restrictions imposées au niveau macrosocial, cependant les<br />
ménages ont une certaine marge de liberté de décision, ce qui donne du sens au terme de<br />
stratégies (Cuéllar, 1987). D’ailleurs, malgré l’existence de limites macrosociales, les<br />
ménages ont aussi souvent la possibilité de surpasser ces limites et de générer de nouvelles<br />
possibilités d’action dans le domaine microsocial, soit dans le ménage soit dans d’autres<br />
espaces sociaux de plus grande envergure (Saenz et Di Paula, 1981)<br />
Les stratégies sont les actions développées par les membres d’un ménage afin d’équilibrer les<br />
ressources familiales. <strong>La</strong> notion d’équilibre (balance), selon Cuéllar (1987), fait référence à<br />
l’équilibre que les ménages cherchent à obtenir entre un niveau de consommation désiré et le<br />
niveau de ressources obtenues à travers la réalisation d’activités économiques et non<br />
économiques (dont les domestiques) par les membres du ménage.<br />
Les stratégies non professionnelles ont la particularité d’éviter d’altérer la distribution des<br />
tâches de ses membres. 19 Par contre, les stratégies professionnelles altèrent qualitativement et<br />
quantitativement la participation des membres du ménage. 20 Ces dernières actions impliquent<br />
18 Cette idée va à l’encontre de la vision harmonique de la division sociale du travail au sein du ménage proposée<br />
par la New Home Economics, principalement à travers les travaux de Becker.<br />
19 Soit : réduction de la consommation familiale ; utilisation des économies ou réduction du patrimoine ;<br />
procuration de ressources à travers d’autres institutions sociales (ménages, l’Etat, des ONG…), grâce aux<br />
réseaux sociaux extrafamiliaux de caractère solidaire ou clientéliste ; utilisation commerciale du patrimoine ; la<br />
mendicité ; et appropriation collective « violente » (voler, escroquer, cambrioler, squatter…).<br />
20 Les stratégies professionnelles sont de deux types : domestiques et extradomestiques. Les domestiques<br />
comprennent l’utilisation ou l’augmentation de la force du travail à la marge du marché (production familiale<br />
45
la réorganisation des tâches domestiques, ainsi que la réorganisation des relations entre les<br />
membres du ménage et la structure économique. Elles peuvent aussi requérir une mobilité<br />
spatiale (temporaire ou non) de certains membres du ménage, voire de l’ensemble. C’est-à-<br />
dire que les stratégies professionnelles peuvent être accompagnées par des stratégies<br />
migratoires (Cuéllar, 1987).<br />
Dans ce sens, deux hypothèses sont nécessaires. D’une part, que la principale ressource d’un<br />
ménage est sa force de travail. Par conséquent, la reproduction quotidienne de ses membres<br />
dépend de l’assignation de tâches que l’on fait de cette force de travail, orientée par un<br />
système normatif d’assignation de rôles propres de la division du travail au sein du ménage,<br />
lequel a comme principaux critères : l’âge, le sexe et le lien de parenté. D’autre part, le<br />
ménage utilise surtout deux circuits d’obtention de biens de consommation : le travail<br />
domestique et le marché du travail. <strong>La</strong> décision de faire appel à chacun de ces circuits est<br />
prise au sein du ménage et dépend du temps disponible pour le travail. Ainsi, certains<br />
membres de la famille seront censés participer aux activités domestiques spécifiques et<br />
d'autres au travail économique.<br />
Cette assignation différentielle de rôles selon le sexe, l’âge et le lien de parenté permet de<br />
supposer que le degré de compulsion à développer un travail extradomestique ou un travail<br />
domestique est différent pour chacun des membres du ménage. Par conséquent, la<br />
participation de chaque membre dans les diverses activités de reproduction quotidienne<br />
(extradomestiques ou domestiques) dépend de ce système d’assignation de rôles. Mais aussi<br />
de l’ensemble des capacités du ménage et de l’ensemble des besoins générés à partir du statut<br />
socioéconomique d’appartenance du ménage.<br />
En résumé, nous considérons que la participation des enfants dans les diverses activités<br />
résulte d’une décision prise dans la famille, comme partie de l’ensemble d’actions destinées à<br />
faire face aux besoins de reproduction quotidienne de la famille. Dans ce sens, nous parlons<br />
de la conservation, voire de l’augmentation, d’un niveau et d’un style de vie sociale et<br />
culturelle déterminés, et pas seulement des besoins qui concernent la survie des familles<br />
pauvres. Comme les ressources ou les capacités de la famille pour répondre à ses besoins sont<br />
limitées par les caractéristiques sociodémographiques des membres du ménage, l’utilisation,<br />
pour l’autoconsommation, travail domestique et autoservice). Les extradomestiques : entrée sur le marché du<br />
travail d’autres membres ou augmentation du temps de travail des membres actifs.<br />
46
en termes qualitatifs et quantitatifs, de ces ressources potentielles et disponibles, dépendra de<br />
deux aspects principalement. D’un côté, du système de normes d’assignation de rôles, ou de<br />
tâches, prévalant au sein du ménage. De l’autre côté, des limites ou des possibilités d’action<br />
qu’imposent les structures à chaque membre du ménage, selon ses particularités.<br />
Du point de vue des stratégies de vie, les ménages prennent leurs décisions d’action selon leur<br />
structure familiale, dont la composition sociodémographique, le type d’arrangement familial,<br />
les ressources humaines et économiques. Dans le cadre de relations de genre et des<br />
générations qui dominent au sein du ménage, elles peuvent favoriser certains membres de la<br />
famille selon le sexe ou l’âge (CLADEHLT, 1995 ; Grootaert et Kanbur, 1995 ; Camacho,<br />
1999 ; Mier y Terán et Rabell, 2001 ; Estrada Quiroz, 2005). Plusieurs études ont montré<br />
l’importance des caractéristiques du chef du ménage sur la participation des enfants dans les<br />
activités domestiques et extradomestiques, mais la place de la mère reste un peu dans l’oubli<br />
des études. Seulement Levison, Moe et Knaul (2001) ont analysé l’importance du niveau<br />
scolaire de la mère, en tant qu’indicateur de la valorisation de l’éducation des enfants vis-à-vis<br />
du travail. Or, dans l’étude d’autres sujets, l’importance de la mère sur le devenir des enfants<br />
a été prouvée (Bertaux-Wiame et Muxuel, 1996 ; Clément, 2009). C’est pourquoi nous tenons<br />
à considérer dans cette recherche certaines caractéristiques de la mère, en tant que<br />
coresponsable de la vie familiale.<br />
Pour finir, une autre approche du sujet qui nous intéresse est celle qui part de l’utilisation de<br />
la théorie des représentations sociales. <strong>La</strong> connaissance du sujet est appréhendée à partir des<br />
idées des enfants travailleurs eux-mêmes.<br />
I.3.3. <strong>La</strong> théorie des représentations sociales consacrée au sujet du travail des enfants.<br />
Cette approche nous intéresse spécialement parce que nous soutenons l’idée que les<br />
représentations amènent à se poser des questions sur les pratiques et que la compréhension<br />
des pratiques n’est pas possible sans considérer les représentations. <strong>La</strong> représentation sociale<br />
nous semble un moyen privilégié pour que les personnes décrivent leur manière de voir le<br />
monde, et tout ce qui le compose, dans un contexte précis. Et ainsi, une base pour donner du<br />
sens aux pratiques. Une approche que nous allons utiliser dans cette étude.<br />
47
Nous considérons une représentation, tout court, comme une manière de donner sens aux<br />
choses et aux êtres de notre entourage. Il s’agit d’une construction mentale de l’objet,<br />
inséparable de l’activité symbolique d’une personne. Comme le souligne Herzlich (1972), à<br />
travers le langage l’on construit des concepts et des notions qui permettent de concrétiser et de<br />
communiquer les sensations, les émotions et les réponses produites en nous par tout ce qui<br />
nous entoure.<br />
Néanmoins, il existe des liens entre l’individuel et le collectif. Etant donné que les personnes<br />
vivent dans des contextes socialement et culturellement déterminés, les représentations<br />
« mentales » de la « réalité » tendent à être semblables à celles d’autres personnes de leur<br />
entourage, d’un groupe. Mais, il faut aussi considérer qu’il existe des variations individuelles<br />
et des variations spatiales et temporelles qui font des représentations, des éléments malléables<br />
et en transformation continuelle (Flament, 1989 ; Moscovici, 1991).<br />
Les représentations circulent grâce à des processus de communication et sont, en partie,<br />
partagées, distribuées socialement. On peut les considérer comme des idées, des<br />
connaissances et des croyances, des façons de penser, d’agir ou de parler, ou encore, des<br />
systèmes de valeurs, d’idées et de pratiques. Les représentations mentales qui sont<br />
socialement élaborées et partagées sont connues comme « représentations sociales ». Certains<br />
idées et arguments tendent à être exprimés de façon récurrente par différents groupes, ce qui<br />
permet de parler de présupposés socialement ou culturellement partagés (en partie seulement).<br />
C'est-à-dire que les représentations sociales circulent en dehors de l’ensemble restreint des<br />
individus qui les ont produites (Wibeck et al., 2004).<br />
Les représentations sociales nous guident sur : la façon de nommer et de définir ensemble les<br />
différents aspects de la réalité quotidienne ; la façon de les interpréter, statuer sur eux et le cas<br />
échéant, prendre une position à leur égard et la défendre (Jodelet, 1989). Selon Moscovici<br />
(1976), les représentations sociales ne sont pas le produit d’élaborations théoriques<br />
complexes, mais des formes de connaissance pratique, dirigées vers l’action et l'interaction<br />
avec le monde social et naturel.<br />
Néanmoins, les éléments d’une représentation sociale ne sont pas tous sujets à une même<br />
variabilité. Il existe des éléments hautement individualisés qui se transforment facilement,<br />
tandis que d’autres, plus résistants au changement, apparaissent dans toutes et chacune des<br />
48
eprésentations du groupe en question. Dans un groupe déterminé, les constants échanges<br />
d’information et les interactions entre les individus font que les représentations sociales<br />
s’associent entre elles. Certaines d'entre elles servent de base à la construction de nouvelles<br />
représentations sociales, fonctionnant ainsi comme des principes logiques qui donnent une<br />
cohérence à l’ensemble. Cet ensemble organisé agit comme une série de normes qui<br />
déterminent les diverses façons par lesquelles les individus du groupe conçoivent et<br />
interagissent avec leur entourage, en constituant ainsi ce qu’on appelle des systèmes de<br />
représentation sociale (Flament, 1989 ; Abric, 1994).<br />
Il faut signaler que la structure de base du groupe consiste en un lien social entre trois<br />
personnes : soi, autrui et un observateur. Ces trois personnes s’engagent dans un processus<br />
dont le produit est une représentation de leur être-ensemble, avec ses contradictions, conflits,<br />
solidarités, désaccords et conciliations. Ces représentations sont partagées par les membres<br />
d’un groupe. Chaque fois que nous faisons une recherche sur les représentations sociales,<br />
nous faisons aussi une recherche sur la culture. Dans ces représentations, se retrouvent des<br />
éléments qui renvoient à chacun des membres et à la totalité qu’ils constituent, et chaque<br />
membre possède une représentation qui est toujours une synthèse entre le soi, l'autrui et<br />
l’observateur. On vise à les identifier, à comprendre leur origine et la manière dont elles<br />
fonctionnent dans la vie sociale. Les trois éléments caractérisant l’ensemble du groupe (soi,<br />
autrui, observateur), la négociation de signification et les affirmations au travers du dialogue,<br />
ainsi que la pluralité du groupe, sont tous indicatifs de la manière dont les formes<br />
symboliques sont générées dans la vie sociale (Jovchelovitch, 2004).<br />
<strong>La</strong> théorie des représentations sociales offre un point de départ théorique et analytique fécond<br />
pour étudier les communications à propos de phénomènes nouveaux et complexes, renvoyant<br />
à des phénomènes spécifiques qui sont prégnants, et parfois contestés dans la société (Wibeck<br />
et al., 2004). Vu que notre sujet d’étude est un sujet sensible, nous avons trouvé que la théorie<br />
des représentations sociales du travail des enfants, ainsi que d’autres activités propres à<br />
l’enfance, comme la scolarisation et le travail domestique, nous donnent des outils pertinents<br />
pour approfondir la connaissance du sujet, notamment à partir du récit des propres enfants.<br />
L’on considère que les représentations sociales ne sont pas fortuites. Dans les formes<br />
individuelles, les représentations sociales reflètent la nécessité inhérente à l’être humain de<br />
s’orienter et de se défendre dans la vie. Et, dans les formes collectives, les représentations<br />
49
sociales reflètent les intérêts de certains groupes sociaux, soit de classes sociales, de genres,<br />
d’ethnies, de générations, des élites de pouvoir ou de groupes sociaux exclus ou opprimés par<br />
le pouvoir ou socialement marginalisés. Le concept de représentation sociale est utilisé avec<br />
l’objectif de signaler et de comprendre des aspects parfois cachés ou niés de la réalité et des<br />
points de vue des enfants travailleurs. Nous allons évoquer plus bas quelques exemples<br />
d’études faites sous cette approche.<br />
Certaines de ces études montrent, selon Liebel, que « (…) dans les sociétés occidentales<br />
bourgeoises surgissent et s’institutionnalisent certains “discours” normatifs, lesquels<br />
pratiquement imprègnent un cachet idéologique à ce phénomène. (…) Implicitement, l’on<br />
attribue à l’enfant, aux enfants, à l’enfance quelque chose, qui apparemment leur<br />
correspond ; par exemple des caractéristiques ou des capacités et des habiletés ou le manque<br />
de capacités ou d’habiletés, qui légitiment une position sociale déterminée, ou même la<br />
marginalisation sociale. » (2003 : 70). 21 A partir de ces « discours normatifs », on mesure et<br />
l'on juge la réalité, et plus encore, on désigne la perception et la représentation de ce que l’on<br />
considère comme la réalité. A ce propos, Domic Ruiz (1999) signale que la représentation<br />
n’est pas le monopole des élites de pouvoir et des groupes sociaux dominants, elle est aussi<br />
l’interprétation d’expériences quotidiennes.<br />
L’une des premières études sur la représentation sociale du travail des enfants est celui de Da<br />
Silva Telles et Abramo. Les auteurs jugent, dans leur étude sur les enfants travailleurs à São<br />
Paulo, que les enfants travailleurs « n’apparaissent jamais comme des sujets d’expériences<br />
importantes, quoi qu’ils puissent éventuellement éclaircir et aider à déchiffrer les multiples et<br />
diverses pratiques à travers lesquelles les travailleurs confrontent leurs conditions de vie. »<br />
(1987 : 198). Ces auteurs proposent depuis de traiter le sujet de manière différente à ce qui est<br />
usuel. Selon ces auteurs, les données « objectives » doivent être considérées comme des<br />
situations vécues « (…) pensées et élaborées à l’intérieur d’un univers symbolique croisé par<br />
des valeurs et des représentations avec lesquelles les hommes, les femmes et les enfants<br />
interprètent les conditions imposées, en traduisant, dans leurs expériences quotidiennes, les<br />
déterminations dans lesquelles ils sont submergés, dans un effort toujours novateur pour<br />
21 Ces processus sont aussi analysés sous d’autres perspectives, par exemple dans l’étude argentine sur les<br />
enfants de la rue que font Grima et Le Fur (1999). Ils affirment que « Lorsque les gens croisent ces enfants, ils<br />
les assignent uniquement des attributs “de la rue”, ce qui nie les caractéristiques propres de leur enfance (…) »<br />
(1999 : 52).<br />
50
conférer du sens à leurs vies et au monde auquel ils appartiennent. » (Silva Telles et Abramo,<br />
1987 : 198). Da Silva Telles et Abramo interprètent les discours des enfants comme une<br />
« double valorisation du travail ». D’un côté, le travail est perçu comme une conquête<br />
d’autonomie dans un espace de sociabilité propre (connaître d’autres personnes ou d’autres<br />
endroits) et les possibilités, restreintes et partielles, d’administrer leur vie, grâce à l’argent<br />
qu’ils obtiennent. D’un autre côté, le travail est considéré comme une façon d’obtenir une<br />
plus grande légitimité au sein de la vie domestique, en tant que pourvoyeurs de la famille.<br />
Cependant, malgré l’idée de « plus grand espace de reconnaissance, de liberté et<br />
d’autonomie » qu’expriment les enfants à propos de leur travail, les auteurs signalent que,<br />
dans la pratique, la reconnaissance, la liberté et l’autonomie sont assez restreintes, tant au sein<br />
de la famille comme sur le lieu de travail.<br />
Ramanathan (1996) a fait une étude sur la façon de percevoir les lois sur le travail des enfants<br />
en Inde. Le discours témoigne de certaines perceptions qui conditionnent les attitudes prises.<br />
Pour certains, le travail des enfants est vu comme un capital, un « actif ». Par conséquent, « la<br />
limitation légale due à la minorité met cet actif à la disposition de personnes autres que<br />
l’enfant lui-même ». Pour d’autres, le travail est ce qui maintient l’équilibre entre la survie et<br />
la ruine de leurs familles. En permettant aux enfants de travailler, « l’Etat se décharge ainsi<br />
d’une partie de sa responsabilité : s’occuper du problème des salaires du travailleur adulte,<br />
qui sont aujourd’hui de “sous-survie”. » Enfin, on établit aussi des liens entre la pauvreté et<br />
la croissance de la population. D’une part, la croissance de la population est perçue comme<br />
« (…) synonyme de problème de population, et les pauvres comme y contribuant directement<br />
(…) c’est la responsabilité totale et entière des pauvres qui ont beaucoup d’enfants et qui<br />
éprouvent des difficultés à gagner leur vie (…) » (1996 : 225). Le travail des enfants est alors<br />
le prix de la pauvreté auto-infligée, car les enfants travailleurs sont des enfants pauvres, dont<br />
les familles ont, elles-mêmes, la responsabilité d’être pauvres. D’autre part, l’éradication du<br />
travail des enfants serait la solution pour décourager les parents pauvres d’avoir une<br />
nombreuse progéniture. Par ailleurs, puisque la pauvreté persiste, certains proposent de<br />
trouver des schémas d’éducation plus imaginatifs et adaptés pour rendre, aux yeux des parents<br />
pauvres, la scolarisation plus intéressante que le travail.<br />
Un autre exemple est l’étude de Domic Ruiz (1999) qui a interviewé des enfants travailleurs<br />
et leurs parents avec l’objectif d’approfondir la représentation sociale de l’enfant, de l’enfance<br />
51
et du travail des enfants en Bolivie. 22 Il a cherché à connaître aussi les conséquences de ces<br />
représentations sociales sur les pratiques des enfants. Selon les résultats de son étude, les<br />
enfants travailleurs, ainsi que leurs parents, considèrent le travail important, notamment parce<br />
qu’il est source de revenus économiques, un soutien pour la famille et une possibilité pour les<br />
enfants de vivre seuls. Avoir de l’argent est synonyme de pouvoir (notamment en matière<br />
d’achat et de décision). Un pouvoir qui donne de la confiance et de l’assurance aux enfants,<br />
lesquels d’habitude sont censés être dépendants et protégés. Domic Ruiz signale que les<br />
enfants travailleurs ont un niveau de compétence sociale très développé, car ils connaissent<br />
bien leur entourage social. Ils ont structuré des stratégies de comportement pour répondre de<br />
façon efficace et créative à n’importe quelle situation. Le fait d’apporter de l’argent à la<br />
famille contribue à faire des enfants travailleurs des sujets capables d’assumer des<br />
responsabilités, ils ne sont plus des « enfants invisibles ». Mais le travail a aussi une « grande<br />
valeur sociale » parce qu’il est un synonyme de responsabilité, de dévouement et d’une<br />
attitude positive envers la vie. Il trouve dans les discours des enfants travailleurs beaucoup<br />
d’éléments qui vont au-delà de l’argent, des éléments qui récupèrent l’essentiel du travail en<br />
tant qu’activité productive, transformatrice et porteuse de valeurs sociales.<br />
Concernant l’école, les enfants trouvent de plus grandes bénéfices dans le travail que dans la<br />
scolarisation à cause de résultats immédiats. Les revenus du travail permettent parfois d’être<br />
scolarisés. Cependant, la scolarisation est perçue comme un moyen d’avoir plus des<br />
possibilités de travail et de mieux se défendre dans la vie. Mais évidemment, les enfants<br />
travailleurs ne voient pas que les côtés positifs de leur activité, ils critiquent aussi la<br />
maltraitance, la discrimination et leur exploitation. Selon Domic Ruiz, le discours des enfants<br />
travailleurs sur leur origine socioculturelle, leur position sociale et leur interprétation de la<br />
réalité, révèle un degré de conscience et de connaissance surprenant, qui répond à un long<br />
processus d’expériences vécues à cause de leur position sociale et de leur entrée dans le<br />
monde de travail.<br />
22 L’étude de Domic Ruiz s’appuie sur des garçons indigènes (Aymaras) âgés de 10 à 14 ans qui travaillaient<br />
dans les rues de <strong>La</strong> Paz et El Alto, Bolivie. L’étude a eu une durée de recueil des données de onze mois, avec la<br />
participation de 360 enfants et adultes au total. L’auteur a utilisé diverses méthodologies pour le recueil des<br />
données : entretiens collectifs, entretiens individuels, enquêtes.<br />
52
Pour sa part, Lucchini (1998) montre aussi, dans une étude qui porte sur les formes de travail<br />
et les significations de celles-ci pour les enfants travailleurs dans les rues de Montevideo, 23<br />
qu’ils ont des idées et des images de l’« enfance » et du « travail des enfants » qui sont loin de<br />
l’idéal ou du mythe occidental de l’enfance et qui influent sur leur propre image et sur leur<br />
comportement. L’auteur affirme que, dans la plupart des cas, les conditions de travail des<br />
enfants sont précaires et instables. En général, les périodes d’inactivité alternent avec les<br />
périodes de travail. Les obligations scolaires sont souvent la cause de cette alternance. Et ce<br />
sont les enfants eux-mêmes qui prennent la décision d’arrêter ou de continuer. <strong>La</strong> plupart des<br />
interviewés travaillent délibérément de façon indépendante. Par ailleurs, les enfants préfèrent<br />
travailler plutôt que de mendier parce que le travail donne aux enfants le sentiment d’être<br />
utiles et d’avoir une certaine capacité. Etant donné que le sujet de l’acceptation sociale de leur<br />
activité est important pour les enfants travailleurs dans les rues, les deux aspects les plus<br />
positifs de leur travail, selon eux, sont : « se sentir utiles » et « le fait de pouvoir agir eux-<br />
mêmes et de ne pas dépendre de la bonne volonté d’autrui », en plus de constituer une source<br />
de revenus. L’auteur décrit une série de caractéristiques du travail exercé par les enfants dans<br />
les rues, ainsi que le processus d’entrée/évolution de leur activité. <strong>La</strong> recherche de Lucchini<br />
insiste sur les conditions de travail et l’autonomie dans le travail.<br />
Une autre étude intéressante sur la représentation du travail des enfants est celle d’Invernizzi<br />
(2003), à propos de la diversité des discours et des positions actuelles des acteurs concernés<br />
par le travail des enfants. Quant à la question : sommes-nous contre ou pour le travail des<br />
enfants ? les réponses se concentrent surtout dans deux champs opposés, même si au milieu se<br />
situent des discours de plusieurs ONG : « L’un décrit l’enfant comme victime de son travail et<br />
préconise des mesures d’élimination du travail des enfants ou éventuellement de protection.<br />
L’autre présente en revanche les enfants travailleurs comme des acteurs compétents qui<br />
revendiquent leur droit à travailler tout en luttant contre l’exploitation. » (Invernizzi, 2003 :<br />
459-460). Des oppositions qui naissent des différentes représentations sociales sur le travail et<br />
l’enfance. A propos du travail, on sait que sa représentation sociale « varie selon les époques,<br />
les régions géographiques et les groupes sociaux. (…) Dans les faits, la définition de ce qui<br />
est admis pour les enfants varie fortement d’un contexte et d’une catégorie sociale à l’autre,<br />
de la situation de la famille et surtout, des conditions économiques. » (Invernizzi, 2003 : 469).<br />
23 Lucchini a observé et interviewé, pendant six mois, 40 garçons âgés de 12 à 15 ans qui travaillent dans les rues<br />
de Montevideo, Uruguay. L’étude est basée principalement sur de l’observation participante dans les rues où<br />
travaillaient les enfants, et dès que possible, de façon spontanée, il discutait avec eux.<br />
53
« Le travail peut représenter simultanément une forme d’exploitation, un moyen pour<br />
acquérir des revenus indispensables, une forme de socialisation et un moyen de participation<br />
sociale valorisée. » (Invernizzi, 2003 : 471). Concernant l’enfance, dans les sociétés<br />
industrialisées en Occident, les enfants ont progressivement perdu toute valeur économique,<br />
en gagnant en revanche une valeur essentiellement affective (Zelizer, 1992, cité in Invernizzi,<br />
2003). <strong>La</strong> vie quotidienne des enfants est de plus en plus structurée par les adultes, l’école<br />
étant reconnue comme le travail légitime (Qvortrup, 2000, cité in Invernizzi, 2003). Et bien<br />
évidemment, le travail des enfants est inacceptable, une idée qui a été exportée aux pays en<br />
développement. Il s’agit de ce que Boyden appelle la globalisation de l’enfance (1990, cité in<br />
Invernizzi, 2003). Tandis que dans d’autres contextes sociaux et culturels, la représentation de<br />
l’enfance admet l’entrée de l’enfant dans la sphère productive et, à certaines conditions, on<br />
considère cette expérience positive. Plusieurs recherches récentes montrent que plus que<br />
l’âge, l’expérience, la socialisation et l’identité de l’enfant sont essentielles pour comprendre<br />
ses besoins. L’idée qu’il soit ou qu’il ne soit pas compétent pour une tâche donnée en raison<br />
de son âge devrait ainsi être systématiquement remise en question. C’est justement une telle<br />
vision des choses que les discours des mouvements d’enfants travailleurs mettent à l’épreuve,<br />
en refusant d’être exclus à la fois de la sphère du travail et de la sphère politique (Invernizzi,<br />
2003).<br />
Une étude originale est celle de Wihstutz (2007) qui étudie la signification du travail<br />
domestique et du travail de surveillance domestique (care work) auprès des enfants<br />
germaniques. 24 A partir d’entretiens semi-directifs, elle a discuté avec les enfants sur des<br />
thèmes comme : la participation, l’appartenance sociale, et les implications de leur travail sur<br />
les relations de genre et de génération. D’une approche centrée sur l’enfant, c’est-à-dire avec<br />
l’enfant comme expert de ses propres droits, elle conclut que le ménage est le lieu où la<br />
plupart des enfants travaillent. Les enfants considèrent leur travail (sans revenu) comme une<br />
contribution importante à l’organisation familiale et au bien-être de la communauté (car ils<br />
font souvent du bénévolat chez des personnes âgées). Elle trouve que l’importance que les<br />
enfants donnent au travail domestique ou au travail de surveillance domestique (care work),<br />
dépend des intérêts et des nécessités de chaque enfant, lesquels sont influencés par leur<br />
origine culturelle et socioéconomique, ainsi que par la qualité des relations (de genre et de<br />
génération) existantes dans la famille. Les enfants qui travaillent dans un contexte familial ou<br />
24 L’auteur a interviewé des filles et des garçons âgés de 9 à 15 ans à Berlin.<br />
54
communautaire participent et font partie d’une relation complexe entre structure et institution,<br />
choix et contrainte, autonomie et appartenance. Un premier pas pour admettre que la<br />
participation des enfants est fondamentale dans la société serait de développer un concept de<br />
travail capable d'admettre la valeur de la contribution sociale, ainsi que de la contribution<br />
économique du travail domestique des enfants.<br />
Au Mexique, les études sur la représentation sociale du travail des enfants ont débuté tôt, mais<br />
elles restent peu nombreuses. Taracena et Tavera (1996) ont réalisé diverses recherches sur<br />
les représentations du travail des enfants chez les enfants travailleurs dans les rues. Au cours<br />
d’une première étude en 1992, l’objectif était de « (…) connaître la représentation suscitée<br />
par le phénomène de travail des enfants dans la rue et pour savoir quelle image, socialement,<br />
on a de lui. » (Taracena et Tavera, 1996 : 203). Elles ont alors comparé les représentations<br />
obtenues par leurs entretiens auprès des enfants travailleurs et leurs propres constats, avec ce<br />
que disaient la presse écrite et la population adulte. 25 Dans une deuxième étude en 1993, les<br />
auteurs ont voulu connaître la représentation que les enfants travailleurs se faisaient de leur<br />
situation de travail. Mais étant donné l’importance de la situation familiale sur la situation de<br />
travail chez les enfants interviewés dans la première étude, elles ont décidé d’approfondir le<br />
thème de la relation entre l’enfant et sa famille. En plus, elles ont ajouté un nouveau groupe<br />
d’enfants travailleurs, les cerillos. Il s’agit d’enfants « (…) qui aident à mettre les courses des<br />
clients du supermarché dans les sacs en plastique et à les transporter jusqu'à leur voiture en<br />
échange d’un pourboire. » (Taracena et Tavera, 1996 : 207). 26 Ils n’ont ni salaire, ni<br />
prestations sociales, ni assurance en cas d’accident. Ils ont juste le droit de recevoir des<br />
pourboires, qui dépassent aisément la valeur du salaire minimum (peut être doublé ou triplé).<br />
Les journées de travail sont de 4 à 6 heures. Cela concerne des enfants de 14 à 16 ans, même<br />
si l’on trouve parfois des enfants de moins de 14 ans. Pour être accepté, il faut fréquenter<br />
l’école et avoir de bonnes notes, ainsi qu’un accord écrit des parents. 27<br />
Les principaux résultats de l’analyse de contenu des entretiens des deux études, suggèrent que<br />
les perceptions et les représentations sur les enfants qui travaillent dans les rues sont parfois<br />
25<br />
Elles ont interviewé (des entretiens semi-directifs) 45 enfants, filles et garçons travailleurs dans les rues de<br />
Mexico, ainsi que 67 habitants adultes. Et elles ont aussi analysé 37 articles de journaux et magazines.<br />
26<br />
Ce métier est très répandu dans le milieu urbain du Mexique. Selon l’INEGI, autour de 75 000 enfants seraient<br />
concernés en 1999 (INEGI, 2008).<br />
27<br />
Elles ont interviewé 36 enfants en utilisant des entretiens semi-directifs, dont 12 cerillos (dont 3 filles) et 24<br />
travailleurs dans les rues (dont 3 filles).<br />
55
incertaines (la scolarité des enfants dépend de leur activité, mais la plupart sont scolarisés ; les<br />
enfants ne se sentent pas mal acceptés quand les personnes ont besoin de leurs services, même<br />
si la presse les considère tous comme des individus inutiles pour la société, des mendiants.).<br />
Mais toutes les choses écrites dans la presse ou dites à travers l’opinion publique ne sont pas<br />
fausses, il y a des faits réels (en général, les enfants sont âgés de 7 à 16 ans ; notamment des<br />
garçons ; une majorité des vendeurs…). <strong>La</strong> situation, les conditions et les caractéristiques des<br />
enfants qui travaillent dans la rue dépendent du type d’emploi, de même que du type de lien<br />
avec la famille. Les auteurs montrent les différences entre trois groupes d’enfants : vendeurs,<br />
travailleurs des services et travailleurs des spectacles. Les vendeurs sont les plus nombreux, et<br />
avec ceux des services, la plupart ont un lien avec leur famille. Et ceux des spectacles sont les<br />
plus risqués, ils vivent souvent dans la rue 28 et n’ont pas de relation avec leur famille<br />
(Taracena et Tavera, 1996).<br />
Enfin, une autre étude plus récente est celle réalisée dans le cadre d’un mémoire de DEA.<br />
Araiza Díaz (2004) a interviewé des adolescents travailleurs dans un quartier populaire de la<br />
zone métropolitaine de la ville de Mexico. 29 L’auteur a trouvé que « l’argent » est le sujet le<br />
plus récurrent parmi les adolescents lorsque l’on parle travail. Le travail est un moyen pour<br />
satisfaire leurs besoins matériels et provoque chez les adolescents un sentiment d’autonomie.<br />
Selon les participants, un adolescent travailleur est quelqu’un de responsable, vaillant et<br />
indépendant, qui travaille pour aider sa famille ou payer ses études ; il sait valoriser les choses<br />
et, à la différence des non travailleurs, n’est plus en train de faire des bêtises, car il se trouve<br />
bien placé dans la réalité. Les adolescents travailleurs soulignent comme des aspects négatifs<br />
du travail, l’exploitation et l’abandon scolaire motivé par l’envie de gagner plus d’argent.<br />
L’auteur a analysé trois aspects en relation directe avec le travail des enfants : scolarisation,<br />
famille et genre. Il semblerait que le travail est envisagé comme un avenir possible après<br />
l’échec scolaire. Chez la majorité des garçons interviewés, l’échec scolaire semble plus lié<br />
aux circonstances spécifiques de leur situation familiale qu’au travail. En général, l’école est<br />
vue comme un chemin trop long pour arriver aux mêmes buts. A propos des relations de<br />
28 Les enfants qui habitent dans la rue sont connus comme « enfants des rues » (niños de la calle), un terme<br />
popularisé par l’UNICEF dans les années 80. Il faut souligner que tous les enfants qui travaillent dans la rue ne<br />
sont pas des « enfants des rues ».<br />
29 L’auteur a interviewé 9 adolescents travailleurs d’Ecatepec et 2 autres d’un autre quartier. Elle a de même<br />
séjourné plus d’un mois chez une famille du quartier dont les enfants travaillaient et en a profité pour réaliser<br />
divers entretiens plus spontanés avec la famille, des voisins et des amis. Elle a aussi appliqué 34 questionnaires à<br />
collégiens non travailleurs du quartier. Elle a réalisé une analyse de contenu et une analyse de texte, en se servant<br />
du système d’exploitation de données qualitatives, ALCESTE.<br />
56
genre, étant donné que, traditionnellement, la femme appartient à l’espace domestique, les<br />
filles sont considérablement moins encouragées à travailler. Pour elles, le travail est plus une<br />
circonstance qu’un avenir. L’image des rôles de genre des adolescents est très proche de celle<br />
établie par la société traditionnelle mexicaine.<br />
Conclusions<br />
Faire le point sur la place du sujet du « travail des enfants » dans le monde académique<br />
international permet de mieux comprendre les vides et les problèmes théoriques et<br />
méthodologiques, ainsi que les défis et les besoins de recherche, mais aussi de valoriser<br />
l’évolution notable, dans les dernières années, dans la manière de traiter le sujet. En effet, la<br />
transition du XXe au XXIe siècle a représenté un tournant important, grâce à l’apparition de<br />
nouvelles façons d’appréhender l’enfance, d’être à l’écoute des enfants concernés, et<br />
d’observer « objectivement » la réalité qui les entoure. L’on accepte maintenant la complexité<br />
et l’hétérogénéité que caractérisent les enfants travailleurs, et ainsi, les approches se<br />
multiplient en essayant de saisir leur diversité, en respectant à la fois leurs particularités.<br />
Avec notre cadre théorique de référence, nous proposons une manière intégrale d’approcher<br />
les enfants travailleurs, dont les trois dimensions sociales — individuelle, familiale et<br />
contextuelle — sont prises en compte, directement ou indirectement. En effet, les enfants<br />
travailleurs font partie d’une famille et d’une société spécifiques où leur travail prend du sens.<br />
C’est-à-dire que pour comprendre l’importance du travail dans la vie des enfants, il faut les<br />
replacer dans leur contexte.<br />
Nous cherchons aussi une approche plus étendue que celle suggérée par la vision moderne de<br />
l’enfance. En partant de l’idée que les enfants ne sont pas indifférents à la réalité qui les<br />
entoure, dès leur jeune âge, ils peuvent réagir, selon leurs possibilités, à des besoins et des<br />
projets personnels et familiaux. Ils sont des acteurs coresponsables de leur vie avec les<br />
parents, même s’ils sont limités par leur contexte social et familial, par leur âge. Les enfants<br />
travailleurs deviennent alors des sujets actifs à l’intérieur et à l’extérieur du sein familial ; des<br />
sujets qui trouvent ou qui cherchent un espace de participation quotidienne, au-delà des<br />
milieux familial et scolaire, environnements privilégiés de l’enfance moderne.<br />
57
D’ailleurs, le travail dans la vie des enfants ne peut pas être réduit à sa pratique ; connaître sa<br />
signification, son sens, sa symbolique, ses non-dits, toutes les idées qu’il porte sont aussi<br />
importantes pour comprendre la préservation de cette pratique. Une pratique historiquement et<br />
culturellement encouragée dans des groupes étendus de la société mexicaine, mais qui va<br />
actuellement à l’encontre des discours officiels nationaux et internationaux. Dans ce sens, la<br />
représentation sociale du travail des enfants constitue un moyen complémentaire pour<br />
approfondir notre sujet d’intérêt, car nous partageons ce qui dit Schwartz à ce propos : « Les<br />
représentations informent en profondeur les pratiques elles-mêmes, elles participent à leur<br />
genèse sans pour autant échapper au décalage qui s’insinue nécessairement entre pensée et<br />
actes. » (1990 : 205).<br />
58
CHAPITRE II<br />
Les enfants travailleurs sous deux approches : méthodologie et sources de données<br />
Dans ce chapitre, nous discutons sur la manière que nous avons choisie de traiter notre<br />
recherche, nos motivations et nos justifications, ainsi que les limites. Tout d’abord, étant<br />
donné que le travail des enfants n’est pas un sujet avec un cadre conceptuel bien défini, il<br />
s’impose d’en construire un qui guide sans ambiguïté nos analyses. Ensuite, nous présentons<br />
les méthodes que nous utilisons pour chacune des approches exploitées : qualitative et<br />
quantitative, ainsi que la description et l’évaluation des sources de données qui fournissent<br />
l’information de cette étude.<br />
II.1. Les enfants travailleurs : notre cadre conceptuel de référence.<br />
Selon le sociologue allemand Fürstenberg (1997 : 21) : « Le premier pas vers la connaissance<br />
du monde consiste en la transformation des perceptions en des concepts. Seulement avec cet<br />
effort d’abstraction, la communication interpersonnelle, c’est-à-dire l’expression de ce qui est<br />
réel, devient possible. Etant donné la multiplicité de significations qu’ont les mots du langage<br />
quotidien, les concepts scientifiques doivent être nets et exacts. (…) Un concept scientifique<br />
naît au moment de déterminer un phénomène de manière généralisable par le chemin d’une<br />
définition de ses caractéristiques distinctives. » 30 Pour sa part, l’économiste américaine<br />
Levison (2007), spécialiste du travail des enfants, soutient que les définitions ne semblent pas<br />
être fondamentales dans le domaine qualitatif, par contre, dans le domaine quantitatif, elles<br />
sont essentielles, parce que les définitions ainsi que les méthodologies utilisées affectent les<br />
résultats quant à la magnitude du phénomène.<br />
Or, dans notre étude, le premier problème qui s’est posé est justement l’absence d’une<br />
définition propre du « travail des enfants ». Un tel flou conceptuel oblige, plus que jamais, à<br />
30 Traduction de l’auteur. “El primer paso hacia el conocimiento del mundo consiste en la transformación de<br />
percepciones en conceptos. Sólo con este esfuerzo de abstracción la comunicación interpersonal, es decir, la<br />
expresión de aquello que es real, se vuelve posible. Ante la multitud de significados que tienen las palabras del<br />
lenguaje cotidiano, los conceptos científicos deben ser claros y exactos. (...) Un concepto científico nace al<br />
determinar un fenómeno de una manera generalizante por el camino de una definición de sus características<br />
distintivas.”<br />
59
l’éclaircissement de notre propre cadre conceptuel. Un cadre qui a été élaboré à partir de<br />
critères opérationnels et selon les limites imposées par nos sources de données. Mais aussi en<br />
prenant en considération les réflexions, les propositions et les résultats d’autres études sur le<br />
sujet, ainsi que nos propres intérêts.<br />
II.1.1. Notre population objet d’études.<br />
<strong>La</strong> complexité du sujet a demandé une délimitation claire de notre population d’analyse, pour<br />
mieux connaître une partie de cette réalité si hétérogène. Dans ce processus de sélection, nous<br />
considérons fondamentalement deux aspects : le lieu de résidence (urbain ou rural) et l’âge<br />
des enfants, car le travail a des spécificités, des motivations, des conséquences et des<br />
problèmes différents selon ces deux critères. Cependant, la détermination de notre population<br />
d’étude répond aussi aux limites imposées par l’information statistique disponible dans les<br />
enquêtes et aux restrictions du travail de terrain. Etant donné l’importance du milieu familial<br />
dans notre approche du travail des enfants, nous limitons encore notre population objet<br />
d’étude à un groupe plus homogène par rapport au lien de parenté avec le chef de ménage,<br />
l’état civil et la fécondité d’Ego. Nous en parlerons par la suite.<br />
Le milieu de résidence<br />
Tout d’abord, en ce qui concerne le lieu de résidence des enfants, il faut dire que les enfants<br />
travailleurs urbains et ceux qui sont ruraux représentent deux mondes différents, dont les<br />
différences commencent par les conditions de vie et de développement de ces deux contextes<br />
(Tienda, 1979 ; Grootaert et Kanbur, 1995 ; Cos-Montiel, 2000 ; Levison, Moe, Knaul, 2001 ;<br />
Mier y Terán et Rabell, 2001 ; Estrada Quiroz, 2005 ; Oliveira, 2006 ; Vargas Evaristo, 2006).<br />
C’est pourquoi nous tenons à approfondir un seul de ces mondes. En l’occurrence, le cas des<br />
enfants travailleurs du milieu urbain, c’est-à-dire de ceux qui habitent en localités de 100 000<br />
habitants ou plus : les grandes villes (selon le classement de l’INEGI, Instituto Nacional de<br />
Estadística, Geografía e Informática 31 ). Car il s’agit d’un milieu en pleine expansion, où la<br />
population d’enfants est nombreuse. Et malgré l’important développement des villes du pays,<br />
31 L’Institut National de Statistique, Géographie et Informatique. Il est chargé de réaliser les enquêtes officielles<br />
au Mexique.<br />
60
il n’est pas rare d’y trouver des enfants travailleurs dans diverses conditions, et dans divers<br />
secteurs.<br />
Les études concernant le travail des enfants urbains au Mexique se sont concentrées<br />
notamment sur ceux qui travaillent dans les rues, soit les cas les plus visibles, les plus<br />
médiatisés et stigmatisés (Robles Berlanga, 2000 ; UNICEF-DIF, 2000 ; UNICEF-DIF-DF,<br />
2000). Mais les enfants travailleurs qui réalisent leurs activités de manière « plus cachée » ont<br />
été peu traités. Comme les enfants travailleurs domestiques (soit chez eux, soit chez un tiers),<br />
ainsi que tous ceux qui travaillent dans un milieu familial. Le manque de connaissance à ce<br />
propos répond surtout à deux causes. D’une part, la difficulté de repérer et d’approcher ces<br />
enfants : il s’agit d’une situation qui appartient à la vie privée des familles. D’autre part, le fait<br />
que le travail réalisé dans le propre ménage ou dans l’entreprise familiale est, en général,<br />
approuvé socialement et légalement : il est dispensé des lois interdisant le travail des enfants.<br />
En tout cas, il n’est même pas souvent considéré comme une forme de travail des enfants. Il<br />
nous a alors paru intéressant de plonger dans une telle problématique, où la modernité des<br />
grandes villes ne semble pas cohérente avec le développement d’une pratique qui semble<br />
plutôt traditionnelle.<br />
Pour faciliter la lecture, nous utiliserons par la suite le terme « urbain », tout court, pour faire<br />
référence aux grandes villes.<br />
Les enfants<br />
Nous avons déjà évoqué la subjectivité qui entoure le concept d’enfance, un concept<br />
socialement construit qui n’a pas un seul sens. Malgré toutes les possibles divergences quant à<br />
la perception d’enfance, un fait est incontestable, la préoccupation croissante pour les enfants<br />
dans pratiquement tous les domaines. Ce qui a demandé l’élaboration continue d’outils de<br />
collecte des données, afin d’approfondir cette étape de la vie et ce groupe de la population.<br />
Habituellement, l’on utilise dans les domaines de la recherche et des lois, le critère de l’âge<br />
chronologique pour définir les limites de l’enfance. Ce choix répond au fait qu’une définition<br />
basée sur l’âge chronologique des personnes est précise quantitativement et rend possible<br />
l’élaboration des indicateurs qui permettent la comparaison spatiale et temporelle. Elle s’avère<br />
l’unique façon de regrouper les enfants d’une manière objective et de rendre le concept<br />
61
applicable. En plus, la codification de la vie par rapport à l’âge chronologique représente l’un<br />
des aspects les plus visibles de notre époque. Selon Tuirán (1999), l’âge chronologique est<br />
une dimension éminente pour l’organisation sociale et pour la construction de la biographie.<br />
D’un point de vue individuel, l’âge chronologique est un trait central qui sert aux individus<br />
pour organiser, interpréter et donner une signification à leurs expériences. Et d’un point de<br />
vue social, l’âge chronologique est devenu l’un des principes les plus importants de<br />
l’organisation sociale.<br />
Toutefois, tout ce qui appartient à une tranche d’âges n’est pas forcément identique, et tous les<br />
enfants ne sont pas égaux dans tous les milieux (Gaitán, 2006). En plus, le passage du statut<br />
d’enfant à celui d’adulte n’est pas envisagé comme progressif, mais comme soudain, ce qui<br />
renforce l’opposition existante entre enfant et adulte (Leroy, 2009).<br />
Dans un article sur le concept de jeunesse, qui montre bien les limites d’une définition basée<br />
sur l’âge chronologique, Esteinou (2005) affirme que le concept de jeunesse a été conçu et<br />
opérationnalisé de diverses formes, selon les différentes disciplines. Les caractéristiques des<br />
jeunes et les transformations qu’ils vivent varient selon les sociétés, les cultures, les ethnies,<br />
les classes sociales et le genre. Mais quand il s’agit d’opérationnaliser le concept, on a<br />
tendance à privilégier le critère de l’âge chronologique comme indicateur de base, au-delà des<br />
paramètres socioculturels. Ce qui répond à une convention qui obéit à la nécessité pratique<br />
d’établir un critère capable de repérer les jeunes de façon simple et opérationnelle, ainsi qu’à<br />
la quête d’un paramètre général applicable à différents contextes et pays avec l’objectif de la<br />
comparabilité. D’après l’auteur, l’un des problèmes le plus importants en ce qui concerne<br />
l’utilisation du critère de l’âge chronologique est la tendance à donner une vision homogène<br />
de la jeunesse. Il existe implicitement l’idée que les individus d'une certaine tranche d'âges<br />
partagent une série d’intérêts et d’espoirs communs qu’ils expriment de la même façon. Mais<br />
la jeunesse n’est pas une unité homogène ni universelle.<br />
Ces observations sur la jeunesse sont tout à fait applicables à l’enfance. Des remarques qu’il<br />
faut avoir à l’esprit lors des analyses, car, le critère de l’âge chronologique reste le plus<br />
objectif. Or, il reste encore un problème d’ambiguïté à résoudre : la détermination de l’âge où<br />
l’enfance s’arrête. Les divergences qui existent actuellement sur la perception de l’enfance au<br />
niveau international, ainsi que les énormes différences entre les conditions de vie des enfants<br />
dans divers contextes socioculturels, rendent plus difficile la définition d'un âge précis pour la<br />
62
fin de l’enfance, ainsi que pour ses diverses étapes : nourrisson, bébé, petit enfant, enfant,<br />
préadolescent, adolescent.<br />
Une définition basée sur la perception de l’enfance moderne s’est imposée sur la scène<br />
internationale, celle de l’UNICEF, proposée dans le premier Article de la CIDE de 1989 :<br />
« L’enfant est défini comme tout être humain de moins de dix-huit ans, sauf si la loi nationale<br />
accorde la majorité plus tôt. » (UNICEF, 1990 : 6). 32 C’est-à-dire que l’enfance est définie<br />
selon un critère légal ; elle est devenue un synonyme de non-majorité civile 33 liée au cadre<br />
juridique de chaque pays. Même si cette définition reste incertaine, elle établit une limite qui<br />
ne serait jamais dépassée : 17 ans. <strong>La</strong> plupart des gouvernements, dont le Mexique et d’autres<br />
instances officielles, ont adopté cette définition, car leur législation s’y accorde. Cependant,<br />
dans le domaine scientifique, les spécialistes sur l’enfance ne coïncident pas toujours avec<br />
cette limite d’âge ni avec cette perception de l’enfance. De manière que les recherches sur<br />
l’enfance continuent d’inclure différents groupes d’âge, définis selon les intérêts, les données<br />
et les objectifs propres à chaque étude, et adaptés au contexte de référence, en configurant des<br />
groupes d’enfants âgés toujours en dessous de 18 ans.<br />
A la lumière des remarques évoquées plus haut, dans cette étude les « enfants » sont<br />
constitués de personnes âgées de 6 à 17 ans. L’âge limite inférieur répond surtout à deux<br />
contraintes. D’une part, la disponibilité de données statistiques sur la condition d’activité des<br />
personnes dans les sources de données officielles. 34 D’autre part, l’âge d’entrée au système<br />
scolaire qui est obligatoire et gratuit au pays à partir de 6 ans. A partir de cet âge tous les<br />
enfants sont censés assister à l’école. D’ailleurs, l’âge maximum de 17 ans s’accorde avec la<br />
définition de l’UNICEF sur la fin de l’enfance. Cette délimitation permet de faire de nos<br />
résultats matière de possibles comparaisons avec d’autres études, surtout des études élaborées<br />
dans le cadre des organisations internationales intergouvernementales et des institutions<br />
gouvernementales des divers pays. Mais dans un pays comme le Mexique, les conditions sont<br />
32<br />
Auparavant, certaines institutions intergouvernementales, comme l’OIT, considéraient comme enfants les<br />
moins de 16 ans.<br />
33<br />
Selon Le Petit Robert, la majorité est définie comme « L’âge légal à partir duquel une personne est capable<br />
de tous les actes de la vie civile. » « Majorité civile. » Pour sa part, le Diccionario de la Lengua Española définit<br />
« la mayoría de edad » comme « Edad que la ley fija para tener alguien pleno derecho de sí y de sus bienes. »<br />
(L’âge fixé par la loi, à partir duquel quelqu’un a le plein droit de soi-même et de ses biens).<br />
34<br />
Il faut souligner qu’au Mexique, les sources officielles de données sur le travail des enfants correspondent à<br />
des enquêtes pratiquées en 1997, 1999 et 2007. Les deux premières considèrent les enfants de 6 à 17 ans, tandis<br />
que la dernière, de 5 à 17 ans (l’inclusion des enfants âgés de 5 ans dans la dernière enquête répond seulement au<br />
fait que d’autres enquêtes internationales sur le sujet le font). Les autres enquêtes et les recensements ne<br />
recueillent d’information concernant l’activité des enfants qu’à partir de l’âge de 12 ans.<br />
63
propices pour qu’une grande partie des jeunes, après l’âge de 14 ans, mènent une vie qui<br />
ressemble plus à la vie des adultes qu’à celle des enfants.<br />
En considérant la situation des enfants mexicains des grandes villes ou urbains, nous avons<br />
décidé d’analyser cette population selon trois groupes d’âge : enfants (de 6 à 11 ans),<br />
adolescents (de 12 à 14 ans) et jeunes (15 à 17 ans). Par la suite, pour des raisons pratiques,<br />
nous nommons l’ensemble de notre population d’étude (enfants, adolescents et jeunes) les<br />
EAJ. Nous les classons, dans ces trois catégories, selon des critères institutionnels. <strong>La</strong><br />
détermination des âges pour la division de ces trois groupes est faite à partir de critères qui<br />
concernent principalement la participation dans les domaines de l’éducation, le marché du<br />
travail et la législation civile. En général, chaque groupe d’âges réunit des individus avec des<br />
possibilités de participation sociale semblables à l’intérieur du groupe, mais différentes avec<br />
les autres groupes d’âge (Tableau 1). Cependant, le critère fondamental pour le classement<br />
correspond au système scolaire national : primaria-enfants, secundaria-adolescents, medio<br />
superior-jeunes, parce qu’aujourd’hui, la vie et les activités des EAJ urbains s’organisent<br />
souvent en fonction des horaires scolaires, à cause de leur place importante dans leur vie,<br />
notamment lors des cycles obligatoires (primaria et secundaria), soit de 6 à 15 ans d'âge.<br />
Outre que les critères institutionnels, l’expérience, la qualification et les capacités des EAJ<br />
évoluent avec leur âge, la participation potentielle des enfants dans le monde du travail<br />
augmente au fur et à mesure qu’ils grandissent (Tienda, 1979 ; Mier y Téran et Rabell, 2001 ;<br />
Estrada Quiroz, 2005). D’abord parce que les EAJ se trouvent dans une étape de<br />
développement physique et mental, et acquièrent progressivement des aptitudes qui leur<br />
permettent de réaliser davantage d’activités. Puis, parce que dans la famille, on utilise souvent<br />
la main-d’œuvre disponible selon le rang de naissance, en premier les aînés. Enfin, certains<br />
facteurs externes à la famille, comme la législation en matière de travail et le système<br />
éducatif, facilitent l’entrée sur le marché du travail au fur et à mesure de l’élévation de l’âge :<br />
les lois sont de moins en moins strictes et le caractère obligatoire de la scolarité s’arrête vers<br />
15 ans. 35 Ces arguments constituent les principales raisons de notre classement en trois<br />
groupes d’âge.<br />
35 Des études menées au Mexique montrent que dans certaines classes de la population, l’abandon de l’école et la<br />
mise au travail sont fréquents à partir de 12 ans (Mier y Terán et Rabell, 2001a). Il est alors possible que les<br />
familles fassent un effort pour que leurs enfants fréquentent l’école primaria, qui est le cycle censé leur<br />
apprendre à lire et à compter. Mais au-delà de ce niveau, la scolarité n’a pas la même valeur, malgré la qualité<br />
d’obligation de la secundaria (collège).<br />
64
Tableau 1. Participation des enfants par domaines institutionnels selon l’âge<br />
Domaines de<br />
participation<br />
Scolarisation 1<br />
Marché du<br />
travail 2<br />
Mariage civil<br />
(sous l’accord<br />
des mariés) 3<br />
Ages<br />
6 à 11 12 13 14 15 16 et 17<br />
Enfants Adolescents Jeunes<br />
Primaria<br />
(Ecole<br />
élémentaire)<br />
Secundaria<br />
(Collège)<br />
Medio Superior<br />
(Lycée)<br />
Obligatoire et gratuite Non obligatoire<br />
Interdiction d’embauche<br />
Filles : Interdit<br />
Garçons : Interdit<br />
Embauche<br />
restreinte à<br />
moins de 6h<br />
par jour et à<br />
certains<br />
emplois<br />
Unique<br />
restriction :<br />
le travail<br />
industriel<br />
nocturne<br />
Possible avec l’accord des<br />
parents ou tuteurs<br />
Possible avec<br />
l’accord des<br />
parents ou<br />
tuteurs<br />
Source : Elaboration propre à partir des documents officiels :<br />
1_/ Article 3 de la Constitución Política de los Estados Unidos Mexicanos.<br />
2_/ Articles 173 à 180 de la Ley Federal del Trabajo. Texte intégral en Annexe I.1.<br />
3_/ Articles 139 à 145 du Código Civil Federal. <strong>La</strong> Loi civile concernant le mariage est différente par<br />
Etat, mais la plupart des Etats du pays ont cette restriction.<br />
Il faut souligner qu’en matière juridique, même si l’âge de la majorité civile est acquis à 18<br />
ans, les Mexicains à partir de 16 ans pourraient avoir une vie comme celle des « majeurs ».<br />
C’est-à-dire sans restrictions de participation dans les domaines du marché du travail et civil :<br />
travailler et se marier, par exemple. <strong>La</strong> scolarité est aussi optionnelle à partir de cet âge-là.<br />
Notre population d’étude est alors constituée de trois groupes d’âges qui ont des<br />
caractéristiques bien particulières concernant leurs droits et leurs obligations, en matière<br />
juridique :<br />
• Les « enfants » de 6 à 11 ans : ils sont censés fréquenter l’école primaria, 36 soit 4,5 heures<br />
par jour, du lundi au vendredi. Ils n’ont pas le droit légal d’être embauchés ni au mariage<br />
civil.<br />
• Les « adolescents » de 12 à 14 ans : ils sont censés fréquenter l’école secundaria, 37 soit 6<br />
heures par jour, du lundi au vendredi. Ils n’ont pas le droit de travailler, ni de se marier,<br />
36 <strong>La</strong> fréquentation de l’école des enfants âgés de 6 à 11 ans est de 95% (source : Recensement de la<br />
population 2000).<br />
65
66<br />
sauf ceux de 14 ans. Ceux-ci peuvent travailler sous des conditions restreintes, et les filles<br />
peuvent se marier à condition d’avoir l’accord explicite des parents.<br />
• Les « jeunes » de 15 à 17 ans : leur scolarité est facultative, 38 et ceux qui sont scolarisés<br />
fréquentent l’école en moyenne 6 heures par jour, du lundi au vendredi. Ils peuvent être<br />
embauchés dans le secteur formel, sous certaines conditions pour ceux de 15 ans et<br />
pratiquement sans restriction à 16 et 17 ans (sauf le travail industriel nocturne). Ils<br />
peuvent se marier à condition d’avoir l’accord explicite des parents, sauf les garçons de 15<br />
ans.<br />
Le temps consacré à leur scolarisation est l’une des différences les plus importantes entre ces<br />
trois groupes et par conséquent, la disponibilité de temps périscolaire pour réaliser d’autres<br />
activités, en l’occurrence travailler. 39 A ce propos, il faut considérer que le temps périscolaire<br />
est un facteur qui peut favoriser le travail (Grootaert et Kanbur, 1995). Au Mexique, en<br />
général, les enfants scolarisés, peu importe leur niveau, ont une grande partie de la journée<br />
« libre ».<br />
Selon notre base de données, le MTI de l’ENOE 2007 (nous présentons les détails de cette<br />
source plus bas), les EAJ urbains représentent à peu près 12 millions (soit 53 934 cas dans la<br />
base de données), la distribution par âges et sexe étant plutôt équilibrée (Tableau 2).<br />
Tableau 2. Répartition (%) de la population urbaine de 6 à 17 ans<br />
par groupes d’âges et sexe, 2007<br />
Groupes d’âges Ensemble<br />
Sexe<br />
Garçons Filles<br />
(%) (%) (%)<br />
6 à 11 ans (enfants) 47,8 24,3 23,5<br />
12 à 14 ans (adolescents) 25,7 12,8 12,9<br />
15 à 17 ans (jeunes) 26,5 13,2 13,3<br />
Total<br />
N (Population)<br />
n (Echantillon)<br />
100,0%<br />
12 020 031<br />
53 934<br />
50,3%<br />
6 048 748<br />
27 366<br />
Source : MTI-ENOE, quatrième trimestre de 2007.<br />
49,7%<br />
5 971 283<br />
26 568<br />
37<br />
<strong>La</strong> fréquentation de l’école des adolescents âgés de 12 à 14 ans est de 85% (source : Recensement de la<br />
population 2000).<br />
38<br />
Seulement 55% des jeunes âgés de 15 à 17 ans fréquentent l’école (source : Recensement de la<br />
population 2000).<br />
39<br />
Dans l’enseignement public, les enfants scolarisés en primaria doivent rester à l’école 4,5 heures, tandis que<br />
ceux de secundaria 5,5 heures. Soit le matin, soit l’après-midi, car il y a les deux options. Les écoles privées<br />
proposent en général des emplois du temps plus larges, mais variables de l’une à l’autre.
Etant donné notre intérêt pour étudier les EAJ travailleurs dans leur milieu familial, nous<br />
avons décidé de raffiner encore plus notre population d’étude, lors des analyses bivariées et<br />
multivariées, en prenant en compte le lien de parenté de l’EAJ avec le chef de ménage, ainsi<br />
que son état matrimonial et sa fécondité (pour les filles).<br />
Tout d’abord, nous sélectionnons seulement les EAJ qui sont fils ou filles du chef de ménage.<br />
Cette précision répond au fait que nous sommes intéressés par l’étude de la relation entre le<br />
travail des enfants et certaines caractéristiques des parents (père et mère) des EAJ, en tant que<br />
responsables directs des enfants, mais aussi comme personnes déterminantes dans la<br />
construction de l’environnement familial. Ainsi, pour les EAJ, dont le chef est le grand-père<br />
(désigné parfois comme chef de ménage pour des raisons simplement de hiérarchie<br />
générationnelle), nous ne pouvons pas identifier avec certitude les informations sur les<br />
parents, qui sont très probablement en réalité les responsables directs d'Ego et qui déterminent<br />
les conditions de vie de la famille et celles d’Ego. Par contre, toutes nos approches sur le<br />
milieu familial concerneraient dans ce cas, les caractéristiques des grands-parents, soit des<br />
informations qui pourraient être biaisées.<br />
Par conséquent, les enfants qui appartiennent à un ménage où le chef a avec eux un autre lien<br />
de parenté que celui de père ou de mère sont écartés de notre étude. De même que les enfants<br />
qui habitent dans les rues (« enfants des rues »), car ils ne sont pas pris en compte par la<br />
source statistique de données que nous utilisons, s’agissant d’une enquête auprès des<br />
ménages. Et ces enfants ont souvent rompu leurs liens avec leur famille d’origine (Mortier,<br />
2006). Mais il faut signaler que la plupart des EAJ urbains occupants habituels d’un ménage<br />
sont les filles ou les fils du chef de ménage : 85%. 40 Notre décision de choisir seulement les<br />
fils ou les filles du chef suppose alors de laisser en dehors de l’analyse 15% de tous les EAJ.<br />
Ce qui signifie que nous restons avec une population estimée de 10 159 383 EAJ, dont le<br />
nombre d’individus dans la base de données correspond à 45 479 cas.<br />
Ensuite, nous sélectionnons uniquement les enfants célibataires et sans progéniture. Dans<br />
l’hypothèse où les enfants mariés ou avec des enfants, malgré leur jeune âge, sont contraints à<br />
avoir d’autres responsabilités et des perspectives différentes de travail et de vie, par rapport à<br />
leurs pairs qui sont célibataires et sans enfants. Nous supposons que les EAJ célibataires et<br />
40 Il s’agit des fils ou des filles légitimes, adoptifs ou adoptives, beau-fils ou belles-filles.<br />
67
sans enfants dont le lien de dépendance envers leurs parents ou leur famille est différent. Et<br />
même si certains EAJ mariés, unis ou célibataires avec des enfants pourraient avoir un lien de<br />
dépendance semblable, ils sont censés avoir acquis d’autres responsabilités. En effet, nous<br />
constatons par exemple qu’en milieu urbain, seulement un quart des filles de 12 à 17 ans qui<br />
sont mères fréquente l’école, tandis que la majorité des non-mères sont élèves (87%). En<br />
outre, les enfants célibataires ont aussi une fréquentation plus élevée de l’école,<br />
respectivement 91 contre 43%. Cependant, malgré l’information disponible, nous ne sommes<br />
pas en mesure de savoir si l’abandon scolaire est une conséquence ou une cause de la<br />
fécondité ou de la mise en couple précoce. Mais à l’évidence, il existe une relation entre ces<br />
deux conditions et la scolarisation. Et tous ces EAJ non scolarisés sont censés réaliser d’autres<br />
activités en lien avec les responsabilités propres d’une mère ou d’une personne qui a<br />
commencé une vie en couple, et qui difficilement peut consacrer tout son temps aux études.<br />
L’information sur l’état matrimonial n’est pas disponible pour les moins de 12 ans, et donc,<br />
nous supposons que tous les enfants du groupe d’âges de 6 à 11 ans sont célibataires, ce qui<br />
semble plausible. Une telle décision signifie donc d’éliminer encore de notre analyse 0,7%<br />
des EAJ, lesquels sont : unis, mariés, divorcés, séparés, veufs ou sans état matrimonial connu.<br />
Nous restons donc avec une population d’étude de 10 087 509 EAJ (45 479 cas). Or,<br />
concernant la descendance des EAJ, l’enquête repère seulement celle de filles à partir de 12<br />
ans d’âge. Nous avons alors filtré seulement cette population, et gardé tous les garçons ainsi<br />
que toutes les filles âgées de moins de 12 ans, car nous ne connaissons pas leur situation par<br />
rapport à la fécondité. Et il est très probable qu’ils soient sans progéniture étant donné leur<br />
jeune âge. En effet, les filles de 12 à 17 ans avec enfant(s) représentent 0,2% du total des filles<br />
urbaines célibataires et filles du chef de ménage.<br />
En résumé, notre population d’étude, les EAJ, est constituée de : garçons et filles âgés de 6 à<br />
17 ans, urbains (résidents des localités de 100 000 habitants et plus), célibataires et sans<br />
progéniture, appartenant à un ménage, dont le lien de parenté avec le chef est de fils ou de<br />
fille. C’est-à-dire 10 133 835 EAJ (soit 45 371 cas effectifs dans la base de données), dont la<br />
répartition par sexe et groupes d’âges est représentée dans le Tableau 3.<br />
Il faut signaler que dans le processus d’exploitation de la base de données, nous avons<br />
rencontré des problèmes d’information à propos du ménage, des informations manquantes ou<br />
incohérentes ; ainsi, lorsqu’il a été impossible de résoudre le problème, nous avons éliminé<br />
68
ces cas de notre étude (294 cas). Nous restons donc avec une population de 10 079 536, soit<br />
45 077 cas.<br />
Tableau 3. Répartition de la population d’étude (%, N, n) 1 ,<br />
par groupes d’âges et sexe, 2007<br />
Groupes d’âges<br />
6 à 11 ans (enfants)<br />
N =<br />
n =<br />
12 à 14 ans (adolescents)<br />
N =<br />
n =<br />
15 à 17 ans (jeunes)<br />
N =<br />
n =<br />
Total<br />
Sexe<br />
Ensemble Garçons Filles<br />
46,6%<br />
4 720 205<br />
21 039<br />
26,6%<br />
2 690 933<br />
12 079<br />
26,9%<br />
2 722 697<br />
12 253<br />
100,0%<br />
23,5%<br />
2 377 869<br />
10 734<br />
13,2%<br />
1 339 716<br />
6 099<br />
13,7%<br />
1 387 044<br />
6 290<br />
50,4%<br />
23,1%<br />
2 342 336<br />
10 305<br />
13,3%<br />
1 351 217<br />
5 980<br />
13,2%<br />
1 335 653<br />
5 963<br />
49,6%<br />
N =<br />
10 133 835 5 104 629 5 029 206<br />
n =<br />
45 371 23 123 22 248<br />
Source : ENOE et MTI, quatrième trimestre de 2007.<br />
1_/ N : Population (estimée avec le facteur d’expansion de l’échantillon),<br />
n : effectifs dans l’échantillon,<br />
% : pourcentage par rapport à la population (N) de l’ensemble.<br />
Nous traitons les EAJ de manière différenciée par sexe, dans une perspective de genre, car<br />
dans l’analyse d’un sujet comme celui qui nous occupe, c’est indispensable, le travail des<br />
enfants présentant des différences de genre marquées (Tienda, 1979 ; García et Oliveira,<br />
2001 ; Knaul, 2001 ; Mier y Terán et Rabell, 2001 ; Levison, Moe, Knaul, 2001 ; Estrada<br />
Quiroz, 2005 ; Oliveira, 2006 ; Levison, 2007). A l’image des adultes, les garçons font le plus<br />
souvent des activités économiques, presque toujours en dehors du noyau familial. Tandis que<br />
les filles réalisent davantage d’activités domestiques, ou bien des activités qui peuvent être<br />
considérées comme une extension des activités domestiques. Mais, chez les EAJ, à un<br />
moment donné, la réalisation de ces activités domestiques peut devenir une forme de travail<br />
proprement dit, car elle réunit les mêmes « inconvénients » qu’un travail extradomestique.<br />
Pour cette raison, il faut prendre en compte les activités domestiques au sein du ménage (sous<br />
certaines conditions) comme une forme de travail, et ainsi reconnaître la participation active<br />
des filles, qui sont les plus concernées par ce type de travail.<br />
69
II.1.2. Le travail des enfants : nos points de repère.<br />
Au-delà des discussions qui entourent le sujet du travail des enfants dans divers domaines, les<br />
institutions gouvernementales ont besoin d’opérationnaliser les concepts, en l’occurrence<br />
l’expression « travail des enfants ». L’OIT suggère des directives à suivre pour arriver à des<br />
résultats comparatifs internationalement. Des propositions qui généralement sont prises en<br />
compte par les institutions nationales qui fournissent les informations officielles sur le sujet.<br />
Au Mexique, les critères officiels pour classer les personnes selon leurs activités sont définis<br />
par l’INEGI. Ainsi, dans le cadre de l’étude du travail des enfants, un travailleur est celui qui<br />
réalise une activité économique, laquelle est définie comme : « l’ensemble des actions d'une<br />
unité économique réalisées avec l’objectif de produire ou de fournir des biens et des services<br />
pour le marché ou la production pour l’autoconsommation. » 41 Par contre, n’est pas un<br />
travailleur celui qui réalise des activités non économiques : « les actions réalisées pour<br />
satisfaire les besoins essentiels personnels, du ménage ou de la communauté, ainsi que celles<br />
destinées à obtenir un revenu, mais qui n’impliquent pas la production de biens ni la<br />
génération de services. Sont incluses aussi les activités marginales et la mendicité<br />
déguisée. » 42 (INEGI-STPS, 2008 : 239).<br />
Il faut souligner l’exclusion des activités nommées « marginales » et de la « mendicité<br />
déguisée » dans les activités économiques : mendier, chanter dans les transports en commun,<br />
nettoyer des parebrises, cracher du feu, danser, laver ou surveiller des voitures… dans les<br />
lieux publics o dans la rue. Il s’agit d’activités réalisées souvent par des enfants ; des enfants<br />
qui d’habitude sont considérés comme des travailleurs dans le sens le plus commun du terme.<br />
Il s’agit des enfants travailleurs les plus médiatisés, parce qu'ils sont les plus visibles.<br />
L’INEGI considère donc que les personnes qui réalisent des activités dirigées à obtenir des<br />
revenus ou de biens par le biais d’un « transfert » à travers divers mécanismes (mendier,<br />
nettoyer des parebrises…) ne réalisent pas une activité économique. L’idée centrale est qu’un<br />
service qui n’est pas demandé par la société ne fait pas partie d’une vraie transaction, par<br />
conséquent ce prestataire de services n’est pas occupé, malgré sa perception d’être un<br />
41 Traduction de l’auteur. « Conjunto de acciones realizadas por una unidad económica con el propósito de<br />
producir o proporcionar bienes y servicios para el mercado o la producción para el autoconsumo. »<br />
42 Traduction de l’auteur. « Acciones realizadas para satisfacer las necesidades básicas personales, del hogar o la<br />
comunidad, así como aquellas actividades para obtener ingresos, pero que no implican la producción de bienes ni<br />
la generación de servicios. Incluye también actividades marginales y de mendicidad disfrazada. »<br />
70
travailleur. Cette personne participe juste à un transfert unilatéral à son bénéfice par le biais<br />
d’un acte symbolique ou d’un protocole de communication avec la personne donnante, ce qui<br />
le distingue d’un vol ou d’une attaque. <strong>La</strong> détermination du statut « occupé » d’une personne<br />
qui rend un service dépend alors de la demande explicite ou non du service rendu (INEGI,<br />
2007 ; INEGI-STPS, 2008b).<br />
En ce sens, l’INEGI propose dans l’ENOE, à la différence des anciennes enquêtes emploi, une<br />
différenciation entre les concepts empleo (emploi) et ocupación (activité économique). D’une<br />
part, le concept d’empleo est un terme applicable fondamentalement au travail subordonné.<br />
D’autre part, le concept d’ocupación est un terme plus général qui regroupe les travailleurs<br />
subordonnés, les patrons et les travailleurs indépendants (INEGI, 2007 : 25). 43 Ainsi, les<br />
enfants qui réalisent des activités marginales peuvent être considérés comme actifs dans un<br />
sens élargi, mais pas en termes économiques. Le cadre conceptuel de l’INEGI définit donc le<br />
travail des enfants comme : « Les garçons et les filles âgés de 5 à 17 ans qui, pendant la<br />
période de référence, ont réalisé une activité économique. Un concept équivalent à celui de la<br />
population active occupée. » 44 (INEGI-STPS, 2008a : 44).<br />
D’ailleurs, il a été indispensable de repenser et de bien réfléchir sur l’expression « travail des<br />
enfants », en considérant ses différentes formes, mais surtout en considérant sérieusement le<br />
travail dans le sein familial (<strong>La</strong>nge, 1996 ; Nieuwenhuys, 1996 ; Levison, 2000 ; Knaul,<br />
2001). L’importante proportion d’enfants qui s’occupent des tâches ménagères ou d’autres<br />
personnes de leur propre ménage, de manière quotidienne et comme une activité formelle et<br />
non rémunérée, a conduit à la reconnaissance de ces enfants comme des travailleurs, sous<br />
certaines conditions, même s’ils ne rentrent pas dans la catégorie officielle de travailleurs<br />
économiques. Ainsi, il existe deux approches des enfants travailleurs, une restreinte, qui fait<br />
allusion seulement au travail économique, et une autre élargie, qui prend en compte le travail<br />
non économique réalisé sous certaines conditions (Anker, 2000 ; OIT, 2002). Il faut dire à<br />
propos du travail domestique qu’il est difficile à déceler le moment où la réalisation des<br />
diverses tâches domestiques ou la garde d’autres personnes du ménage deviennent un travail<br />
proprement dit, avec seulement l’information statistique disponible.<br />
43 Il ne faut pas confondre le terme « ocupación » avec celui d’« ocupado » qui sert pour différencier les actifs<br />
ayant un emploi (actifs occupés) des chômeurs « desocupados ».<br />
44 Traduction de l’auteur. « Niños y niñas de 5 a 17 años que durante el periodo de referencia realizaron alguna<br />
actividad económica. Concepto equivalente al de la población ocupada. »<br />
71
Divers critères peuvent être considérés, dont le temps est un facteur déterminant, et le moyen<br />
le plus objectif pour le faire. Or, il n’existe pas une définition officielle sur le moment à partir<br />
duquel la participation dans les tâches domestiques devient un travail proprement dit. L’OIT<br />
évoque seulement la nécessité d’établir un minimum d’heures consacrées à ce type de travail,<br />
en prenant en considération la performance scolaire et le développement de l’enfant. Ainsi, la<br />
définition est ambiguë par rapport au seuil de temps, de manière que les critères peuvent<br />
varier. En l’occurrence, par exemple, les Costaricains ont établi un seuil de 10 heures<br />
hebdomadaires, car ils ont observé que la fréquentation à l’école, parmi les enfants qui<br />
consacrent plus de ce temps au travail domestique, chutait de manière évidente. En Colombie,<br />
il a été établi un minimum de 15 heures par semaine, avec l’idée qu’au dessous de ce seuil, les<br />
tâches domestiques pourraient être bénéfiques d’un point de vue social, et contribuer au<br />
processus d’apprentissage des enfants, ainsi qu’à leur sens de satisfaction et d’apport au<br />
ménage. Mais au dessus, leur participation pourrait être un préjudice pour leur scolarisation et<br />
le développement des enfants (OIT-IPEC, 2005). <strong>La</strong> plupart des études au Mexique, dont<br />
celles réalisées par le gouvernement, marquent le seuil de temps à 15 heures par semaine<br />
(Levison, Moe et Knaul, 2001 ; INEGI, 2004 ; INEGI-STPS, 2008). 45<br />
Pour notre recherche, nous considérons la définition de travail élargie. Le travail est considéré<br />
comme toute activité destinée à la production de biens et de services pour le marché ou pour<br />
l’autoconsommation, au-delà des conditions de travail (rémunéré ou sans rémunération,<br />
formel ou informel, temporaire ou permanent, à temps partiel ou à plein temps…). De même,<br />
nous incluons, dans notre définition de travailleur, les enfants qui consacrent un certain temps<br />
au travail domestique chez eux, en général de manière non rémunérée. Tout d’abord, afin de<br />
classer les EAJ en travailleurs ou non travailleurs, nous prenons en compte le temps<br />
hebdomadaire consacré à chacun des deux types d’activités : extradomestiques ou<br />
domestiques. <strong>La</strong> division en ces deux types de travail s’impose, car il s’agit de deux domaines<br />
de travail très différents (Nieuwenhuys, 1996 ; Invernizzi, 2003 ; Bourdillon, 2007 ; Wihstutz,<br />
2007 ; Ramírez Sánchez, 2007 ; Levison, 2007). Nous repérons alors les heures dédiées à ces<br />
deux types d’activités pendant la semaine de référence de notre source de données.<br />
45 Seulement Camarena Córdova (2004) propose un critère de plus de 10 heures par semaine, en considérant<br />
comme repère le temps modal consacré aux tâches domestiques estimé par l’Enquête Nationale sur l’Emploi en<br />
1997.<br />
72
Ainsi, les EAJ travailleurs extradomestiques sont ceux qui dédient au moins une heure par<br />
semaine (comme convenu officiellement) aux activités économiques, selon la définition de<br />
l’INEGI. Mais nous ajoutons aux activités économiques, celles qualifiées par l’INEGI de<br />
« marginales » (Tableau 4). Car leur exclusion nous semble draconienne, alors que l’EAJ<br />
concerné y consacre du temps et de l’énergie, et parfois investit pour acheter son matériel<br />
(même si celui-ci est très simple) 46 . L’objectif est de gagner de l’argent en réalisant cette<br />
activité, car il n’a pas le droit d’exercer un emploi formellement s’il est âgé de moins de 14<br />
ans.<br />
Tableau 4. Classification des EAJ travailleurs selon le type de travail<br />
Type de<br />
travail<br />
Extradomestique Domestique<br />
Temps<br />
hebdomadaire<br />
Types<br />
d’activité<br />
Source : Elaboration propre.<br />
Au moins 1 heure<br />
Des activités économiques : les activités<br />
rémunérées ou non, destinées à la<br />
production de biens et de services<br />
commercialisables sur le marché.<br />
Des activités économiques domestiques :<br />
les activités propres au service<br />
domestique, rémunérées ou non, réalisées<br />
pour un tiers étranger au ménage.<br />
Des activités marginales (sauf la mendicité<br />
ouverte) : chanter dans les transports en<br />
commun, nettoyer des parebrises, cracher du<br />
feu, danser déguisés, laver ou surveiller des<br />
voitures… dans les lieux publics ou dans la rue.<br />
Plus de 7 heures ou<br />
15 heures et plus<br />
Des activités non économiques<br />
domestiques, soit des actions<br />
réalisées gratuitement pour satisfaire<br />
les besoins essentiels personnels ou<br />
du ménage :<br />
S’occuper des enfants, des malades,<br />
des personnes âgées ou handicapées<br />
du ménage, sans rémunération.<br />
Les tâches ménagères (sans<br />
revenus) au bénéfice des membres du<br />
ménage, voire personnel : laver le<br />
linge, faire la vaisselle, repasser,<br />
préparer de repas, balayer, faire des<br />
courses...<br />
D’ailleurs, nous utilisons deux critères relatifs au temps de travail pour trouver les EAJ<br />
travailleurs domestiques, dont le travail domestique est l’ensemble des tâches orientées à la<br />
production de biens et de services pour la consommation des membres du ménage, ainsi que<br />
la garde d’autres personnes du ménage (malades, enfants, personnes âgées) : ceux qui<br />
consacrent plus de 7 heures par semaine au travail domestique, et ceux qui dédient 15 heures<br />
et plus hebdomadaires. Car, même si presque toutes les études nationales proposent le seuil de<br />
15 heures et plus par semaine, si l’on centre l’intérêt du travail des enfants dans l’impact qu’il<br />
peut avoir sur leur vie quotidienne, et pas seulement sur leur performance scolaire, la limite<br />
46 Du savon, un seau, un déguisement…<br />
73
peut se trouver avant les 15 heures. Ainsi, nous considérons que si la participation aux tâches<br />
domestiques pendant l’enfance a comme objectif la formation de « bonnes » habitudes (par<br />
exemple : ranger leurs affaires, ranger leur chambre, participer aux activités<br />
collectives comme la préparation des repas), lorsqu’elle dépasse une heure journalière, cet<br />
objectif peut déjà être mis en cause. Au-delà de 7 heures hebdomadaires, nous pourrions<br />
considérer que les enfants concernés ont une responsabilité plus formelle, notamment en<br />
sachant que les enfants de 6 à 17 ans urbains consacrent en moyenne 6 heures hebdomadaires<br />
aux tâches domestiques. Et donc, qu’à partir de 8 heures par semaine, ils peuvent être<br />
considérés comme des travailleurs.<br />
En tout cas, en quête d’une revalorisation de la participation quotidienne de ces enfants, mais<br />
aussi de comparabilité avec d’autres sources, nous allons analyser deux groupes d’enfants<br />
travailleurs domestiques familiaux : ceux qui consacrent plus de 7 heures par semaine aux<br />
tâches domestiques, et ceux qui en font 15 et plus. Bien évidemment, une réflexion plus<br />
approfondie sur ce sujet serait nécessaire pour mieux s’approcher de ces enfants travailleurs,<br />
en considérant les différences par âges, et par milieu de résidence par exemple, car la<br />
participation des enfants dans les diverses activités domestiques est variable (Cos-Montiel,<br />
2000 ; Vargas Evaristo, 2006). Mais c’est une discussion qui dépasse les objectifs de cette<br />
recherche.<br />
En ayant identifié ces deux groupes de travailleurs : domestiques et extradomestiques ; nous<br />
divisons après les travailleurs extradomestiques en deux groupes : familiaux et non familiaux,<br />
selon le lien de parenté qui existe entre Ego et son « employeur », et leur appartenance au<br />
même ménage. Dans le premier cas, l’enfant a un lien de parenté avec l’employeur et celui-ci<br />
fait partie du même ménage ; dans le deuxième cas, l’enfant n’a aucun lien de parenté avec<br />
l’employeur ou celui-ci appartient à un autre ménage. Ainsi, nous avons trois groupes<br />
d’analyse : les travailleurs extradomestiques non familiaux, les travailleurs extradomestiques<br />
familiaux, et les travailleurs domestiques qui par définition sont familiaux. Il faut souligner<br />
que les enfants qui travaillent en tant que domestique pour un étranger du ménage<br />
appartiennent au groupe d'enfants travailleurs extradomestiques non familiaux. Il s’agit d’un<br />
groupe tout à fait spécial, car certains de ces enfants n’habitent pas avec leur famille, mais<br />
chez leur employeur, une grande partie de la semaine (au moins du lundi au vendredi), voire<br />
définitivement. Par conséquent, officiellement, ils font partie d’un ménage complexe, où ils<br />
74
n’ont fréquemment aucun lien de parenté avec le chef de ménage, qui est leur patron-<br />
employeur.<br />
Bien que la proposition d’une sous-division des enfants travailleurs, selon le lien de parenté<br />
avec l’employeur, reste encore générale, nous considérons que ce nouveau classement ouvre<br />
le champ d’analyse vers un approfondissement du sujet, comme le propose O’Connell<br />
Davison : « <strong>La</strong> catégorisation est essentielle à la connaissance, mais elle doit être un pas vers<br />
la compréhension et non un fin en-soi. (…) Les catégories doivent découler d’expériences et<br />
être affinées par les nouvelles données. Les systèmes binaires suffisent rarement, bien qu’ils<br />
soient simples à construire et qu’ils évitent la complexité. » (2005, cité in Bourdillon, 2009 :<br />
41).<br />
II.1.3. Sur les notions de famille et ménage.<br />
Il est difficile de faire référence aux enfants sans penser à la famille. Même si l’on parle des<br />
enfants seuls, vivant dans les rues par exemple, on voit un enfant éloigné de sa famille. Parce<br />
que, indépendamment de la perception d’enfance, un élément important dans toute société est<br />
le fort lien de l’enfant avec sa famille. Or, l’importance du milieu familial sur le travail des<br />
enfants a été prouvée. D’où notre intérêt à considérer l’enfant dans une dimension familiale,<br />
et non seulement dans sa dimension individuelle.<br />
Cependant, nous ne disposons pas de données concernant la famille proprement dite mais sur<br />
les ménages où résident les enfants. A ce propos, nous considérons pertinent d’éclaircir<br />
brièvement les deux concepts et comment nous les emploierons pour notre recherche.<br />
Dans le langage courant, on utilise les mots : famille et ménage de manière presque<br />
indistincte. Certes, ces mots sont bien des synonymes, mais ils ont des différences théoriques<br />
et méthodologiques dans un sens strict. Selon Le Petit Robert, le mot « famille » a deux sens<br />
principaux. Un sens restreint : « Les personnes apparentées vivant sous le même toit, et<br />
spécialement le père, la mère et les enfants. » Et un sens large : « L’ensemble des personnes<br />
liées entre elles par le mariage et par la filiation ou, exceptionnellement par l’adoption. »<br />
D’autre part, le mot « ménage » signifie « Famille » ou bien dans son sens économique<br />
« Unité de population définie par une consommation globale (famille ou personne vivant<br />
75
seule). » De son côté, le Diccionario de la Lengua Española a plusieurs définitions pour le<br />
mot familia (famille), dont seulement trois nous intéressent : « Groupe de personnes<br />
apparentées qui vivent ensemble. », « Ensemble des ascendants, descendants et collatéraux et<br />
semblables d’un lignage. » et « Enfants ou descendants. » 47 . Concernant le mot « hogar »<br />
(ménage), il propose deux sens : « Maison ou adresse. » et « Groupe de personnes<br />
apparentées qui vivent ensemble. » 48 .<br />
Dans le domaine de la sociodémographie, les deux concepts sont utilisés pour appréhender les<br />
configurations familiales. Le concept de famille lie les idées de co-résidence et de parenté<br />
proche. « Ainsi, une famille, telle qu’elle est le plus usuellement repérée par les statistiques<br />
démographiques, se limite aux personnes apparentées co-résidentes. » (Bonvalet et Lelièvre,<br />
1995 : 178). Le terme famille ne désigne pas uniquement les liens parents-enfants ; il désigne<br />
plus généralement les liens de sang et d’alliance entre les individus. Le concept ménage,<br />
quant à lui, est l’élément-clé pour relier les domaines de la famille à ceux de la<br />
consommation, du logement ou de l’équipement, dans la plupart des analyses<br />
sociodémographiques ou économiques. « Le ménage est une unité statistique repérée à un<br />
moment donné selon un critère de résidence (...) Le ménage constitue la plus complexe des<br />
unités primaires associant les individus et permet de prendre en compte l’ensemble des cas de<br />
figure (…) » (Bonvalet et Lelièvre, 1995 : 179). Mais, comme résultat du rôle central donné à<br />
la résidence, le concept de ménage nie le centre de la famille, à savoir, les liens de sang. Bien<br />
que le concept ménage soit très opérationnel, c’est une unité statistique complexe de caractère<br />
économico-social, dont la définition varie d’un pays à l’autre.<br />
En France, le ménage est défini comme : « le groupe d’individus habitant sous le même toit. »<br />
(Bonvalet et Lelièvre, 1995 :179). <strong>La</strong> définition du ménage coïncide avec celle du logement,<br />
et dans un logement, il n’y a qu’un ménage. Tandis qu’au Mexique, le ménage est défini par<br />
l’INEGI comme « L’ensemble des personnes unies ou non par des liens de parenté, qui<br />
résident habituellement dans le même logement et qui partagent une seule dépense,<br />
principalement pour l’alimentation. » 49 (INEGI-STPS, 2008 : 240). C’est-à-dire qu’un<br />
logement peut être occupé par un ménage, si tous les individus partagent la même dépense, ou<br />
47 « Grupo de personas emparentadas entre sí que viven juntas. », « Conjunto de ascendientes, descendientes,<br />
colaterales y afines de un linaje. » et « Hijos o descendencia. »<br />
48 « Casa o domicilio. » et « Grupo de personas emparentadas que viven juntas. »<br />
49 Traduction de l’auteur. « El conjunto de personas unidas o no por lazos de parentesco, que residen<br />
habitualmente en la misma vivienda y se sostienen de un gasto común, principalmente para comer. »<br />
76
par plusieurs ménages à partir du moment où les individus ont des dépenses distinctes. Une<br />
personne seule peut constituer un ménage.<br />
<strong>La</strong> nature des données utilisées pour cette étude nous amène alors à travailler, dans un sens<br />
strict, avec des ménages (selon la définition de l’INEGI) et non avec des familles. Mais,<br />
malgré les différences méthodologiques et théoriques entre ces notions, dans ce document<br />
nous allons utiliser le mot famille en se référant au ménage.<br />
II.2. Les approches qualitative et quantitative : une quête de complémentarité entre<br />
deux points de vue.<br />
Notre étude est constituée d’une approche qualitative et d’une approche quantitative, parce<br />
que nous considérons que la réalité sociale est complexe et multivariée, et par conséquent, elle<br />
demande un pluralisme méthodologique qui diversifie les manières de l’approcher. C’est<br />
pourquoi, en utilisant ces deux approches, nous tenons à analyser des données<br />
complémentaires qui réduisent les limites propres à chacune d’elles, en apportant à la<br />
connaissance du sujet d’intérêt deux visions différentes, également importantes.<br />
Concernant l’approche qualitative, nous utilisons des données collectées expressément pour<br />
notre recherche, à Mexico, lors de notre travail de terrain. Nous nous sommes inspirés ainsi de<br />
la nouvelle sociologie de l’enfance qui suggère aux chercheurs de compter sur les enfants<br />
eux-mêmes en tant qu’informateurs, en reconnaissant leur statut de personne à part entière, de<br />
protagonistes de leur propre vie (Gaitán, 2006). Une proposition qui semble banale, et qui est<br />
pourtant souvent oubliée à propos du travail des enfants. Cette approche est essentielle pour<br />
l’analyse de la représentation sociale du travail, et d’autres aspects qui entourent la vie des<br />
enfants. Elle sert aussi, dès que possible, à compléter les analyses quantitatives concernant les<br />
causes, les déterminants, les conditions et les conséquences du travail des enfants. Car<br />
l’information disponible à travers les sources des données statistiques est limitée.<br />
Quant à l’approche quantitative, nous disposons d’une base de données spécialisée sur le sujet<br />
du travail des enfants, et pour la première fois au Mexique, représentative du milieu urbain.<br />
Ce qui permet de réaliser une analyse secondaire tout à fait appropriée à notre recherche.<br />
L’enquête a été réalisée la même année du travail de terrain, en 2007. Il s’agit de la première<br />
et unique enquête officielle, disponible au moment de la réalisation de cette recherche,<br />
77
eprésentative à divers niveaux d’analyse. Et à nos yeux, l’unique source de données formelle.<br />
Cette enquête est notre principale source pour les analyses quantitatives.<br />
II.2.1. L’analyse qualitative.<br />
Nous avions programmé un travail de terrain assez simple. Nous voulions approfondir la<br />
représentation sociale du travail des enfants à travers des entretiens collectifs, méthode<br />
nommée aussi focus groups, entretiens de groupe ou groupes de discussion. Cette méthode<br />
s’est avérée la plus pertinente pour notre recherche, principalement grâce à quatre raisons.<br />
En premier lieu, l’entretien collectif est reconnu comme l’une des techniques les plus<br />
appropriées pour l’étude des représentations sociales, qui sont produites, soutenues et<br />
transformées par les pratiques quotidiennes de communication (Jovchelovitch, 2004).<br />
L’entretien collectif peut « (…) nous donner accès à la formation et aux transformations des<br />
représentations sociales, des croyances, des connaissances et des idéologies circulant dans<br />
les sociétés. » (Marková, 2004 : 235-236). Il est particulièrement adapté aux recherches qui<br />
essayent de démontrer comment et combien le rôle de certains facteurs (tels que le genre,<br />
l’appartenance sociale, politique, nationale ou ethnique) influence la perception et la<br />
représentation d’un objet culturel ou d’une situation sociale donnée. Il permet le recueil d’un<br />
large éventail de discours (points de vue, opinions, informations, souvenirs) autour d’objets<br />
d’étude consensuels ou conflictuels. Il donne à voir comment les interprétations des sujets<br />
sont liées aux valeurs et normes culturelles partagées au sein du groupe de discussion<br />
(Kalampalikis, 2004).<br />
En deuxième lieu, la méthode est d’un spécial intérêt dans le cas des sujets sensibles. Même si<br />
elle n’encourage pas la discussion libre et ouverte concernant certains sujets difficiles, la<br />
situation de groupe peut faciliter une discussion sur des sujets tabous, en réduisant les<br />
inhibitions individuelles par un effet d’entraînement. Par exemple, les participants les moins<br />
inhibés entraînent les autres dans une dynamique qui surmonte la timidité. <strong>La</strong> participation<br />
commune peut aussi fournir un soutien mutuel, parce qu'elle permet l’expression de<br />
sentiments s’écartant parfois de la norme culturelle (Duchesne et Haegel, 2005). Ceci est<br />
particulièrement important dans le cas de sujets de recherche relatifs à des expériences<br />
78
taboues ou stigmatisantes (Kitzinger et al., 2004), et les enfants travailleurs en font partie, car<br />
ils font plus l’objet de discussions éthiques que de discussions scientifiques.<br />
En troisième lieu, la méthode offre un moyen aisé de collecte de données qualitatives. Grâce<br />
au fait d’interviewer simultanément plusieurs personnes, l’on a un gain de temps et des<br />
réductions des coûts (Duchesne, Haegel, 2005).<br />
Enfin, elle est l’une des méthodes conseillées par les spécialistes pour la recherche auprès des<br />
enfants. Selon Boyden et Ennew (1997), les groupes de discussion avec des enfants favorise<br />
l’équilibre des relations inégales de pouvoir qui existent entre les enfants et les adultes dans le<br />
processus de recherche, et offrent la possibilité aux enfants de s’exprimer spontanément. Il<br />
faut juste faire attention : aux sujets traités (intéressants et abordables pour les enfants) ; à la<br />
présence des adultes (qui doivent s’abstenir d’interrompre en dénigrant les enfants) ; au degré<br />
de concentration (les enfants peuvent se distraire facilement) ; à l’ambiance (confortable et<br />
adaptée aux enfants) ; et à une communication claire (les enfants doivent comprendre ce qui<br />
se discute).<br />
Outre la pertinence de cette méthode, par rapport à notre recherche, elle est un outil novateur<br />
à propos du travail des enfants au Mexique, car la plupart des études qualitatives, peu<br />
nombreuses, portent sur des entretiens individuels, ou bien sur un groupe spécifique d’enfants<br />
travailleurs, mais différents des nôtres (les enfants des rues, les cerillos, les journaliers dans<br />
les champs de culture extensive).<br />
Malgré notre objectif principal de travailler sur la représentation sociale du travail des enfants,<br />
nous avons aussi envisagé de faire des entretiens individuels, mais cela dépendrait plutôt des<br />
conditions sur le terrain. L’objectif des entretiens individuels serait de compléter<br />
l’information recueillie à travers les entretiens collectifs, ainsi que d’approfondir l’expérience<br />
personnelle des enfants par rapport aux diverses activités qui les concernent, de même que de<br />
trouver des liens entre les activités réalisées par les enfants et les conditions et caractéristiques<br />
familiales.<br />
Il faut dire que, de même que les entretiens collectifs, les entretiens individuels sont aussi<br />
considérés, par les spécialistes de l’enfance, comme un outil bien adapté aux recherches sur<br />
les enfants, à condition de faire attention aux différences de statuts (enfant/adulte),<br />
79
d’intérêts et à la confidentialité. D’après Boyden et Ennew (1997), les enfants, peu habitués à<br />
s’exprimer de cette façon, acceptent ce type d’échanges lorsqu’un entretien est réalisé de<br />
manière respectueuse. Selon Gaitán (2006), la recherche auprès d’enfants ne demande pas<br />
d’élaborer des procédures extravagantes, il s’agit simplement de trouver la méthode la plus<br />
appropriée pour répondre aux objectifs de l’étude et, adapter les outils pour mieux<br />
s’approcher des enfants. Cependant, il y a des techniques (orales, visuelles et écrites, ainsi<br />
qu’individuelles et collectives) qui semblent plus appropriées aux recherches auprès<br />
d’enfants, comme les jeux de rôles, les représentations, les groupes de discussion et les<br />
entretiens (Boyden et Ennew, 1997). Certains chercheurs suggèrent que les questionnaires<br />
sont inappropriés chez les jeunes enfants. Dans ces cas, il vaut mieux utiliser des techniques<br />
moins structurées qui permettent de surmonter les possibles barrières de la compréhension du<br />
langage adulte. Mais à partir de l’âge de 7 ans, il est tout à fait possible de réussir des<br />
entretiens semi-structurés, individuels ou collectifs (Gaitán, 2006).<br />
Nous sommes donc partis au Mexique avec l’objectif de faire des entretiens collectifs et, si<br />
possible, des entretiens individuels. Pour en arriver là, nous élaborions une grille de lecture<br />
pour les entretiens collectifs susceptible d’être utilisée aussi pour les entretiens individuels,<br />
avec les adaptations nécessaires. Les questions visaient la représentation sociale du travail et<br />
d’autres aspects qui entourent le sujet, mais aussi des questions qui pourraient compléter les<br />
analyses quantitatives concernant les déterminants familiaux du travail des enfants et les<br />
conditions de travail des enfants, selon le type de travail et le lien de parenté avec<br />
l’employeur.<br />
Il faut souligner que deux conditions ont rendu possible la réalisation du travail de terrain, en<br />
tenant compte de nos contraintes. <strong>La</strong> première est le soutien logistique, technique et matériel,<br />
sur place, de deux professionnels en matière de sondages et d’enquêtes d’opinion à Mexico.<br />
Nous avions eu l’occasion de leur présenter notre recherche lors d’une réunion informelle en<br />
France. Avec eux, nous avons formé le groupe d’organisation et de réalisation du travail de<br />
terrain pour les entretiens collectifs sur place. 50 <strong>La</strong> deuxième condition est notre relation avec<br />
des personnes d’un quartier populaire à Mexico, quartier qui semblait tout à fait approprié<br />
pour mener notre recherche. Nous avions alors décidé de mener notre recherche dans le<br />
50 Madame Blanca Elena Del Pozo et Monsieur <strong>La</strong>uro Mercado Gasca, du groupe MERCAIE, Inteligencia de<br />
Mercados (www.merca.com.mx)<br />
80
quartier de Pueblo Quieto, au centre du Distrito Federal, dans l’arrondissement de Tlalpan, 51<br />
au sud de la ville de Mexico 52 (Figure 1).<br />
Figure 1. Carte : Localisation du quartier de Pueblo Quieto<br />
Le Mexique<br />
Tlalpan<br />
Mexico, D.F.<br />
Pueblo<br />
Quieto<br />
Il s’agit d’un quartier où le travail des enfants, notamment familial, n’est pas rare à cause des<br />
caractéristiques de sa population et du contexte. L’origine du quartier est assez récente ; les<br />
fondateurs, des adultes y résidant encore, sont des immigrants d’autres Etats, notamment du<br />
centre du pays. En général, deux ou trois générations de familles habitent dans la même<br />
propriété. <strong>La</strong> mise en couple précoce, avant 20 ans, semble la règle, à cause notamment des<br />
grossesses d’adolescentes qui aboutissent presque toujours au mariage. Les fratries<br />
nombreuses sont fréquentes parmi les générations d’adultes, mais les plus jeunes, bien que se<br />
mettant en couple assez tôt, ont une fécondité plutôt modérée, souvent 2 enfants. <strong>La</strong><br />
population est peu scolarisée, même chez les générations les plus jeunes. <strong>La</strong> plupart des<br />
emplois se trouvent dans le secteur du commerce et des services, dont une partie importante<br />
comme travailleurs indépendants. Les femmes sont majoritairement femmes au foyer ou<br />
commerçantes. Les familles ont, en général, des revenus restreints, mais quelques-unes ont<br />
51<br />
Tlalpan est l’un des 16 arrondissements, appelés « delegaciones », qui forment le Distrito Federal, ou ville de<br />
Mexico.<br />
52<br />
Selon le dernier recensement de la population, la ville de Mexico, capitale du pays, compte 8 873 017<br />
habitants. Elle et 60 autres communes (municipios) qui l’entourent composent la Zona Metropolitana de la<br />
Ciudad de México, qui accueille un cinquième de la population nationale (à peu près 20 millions d’habitants en<br />
2010), ainsi qu’une partie très importante de l’infrastructure sociale, économique, politique et culturelle du pays.<br />
Elle a un rôle prépondérant dans le pays.<br />
81
vécu une ascension sociale, surtout à partir de la deuxième génération de résidents<br />
(actuellement la génération des grands-parents). Il existe de nombreux problèmes sociaux et<br />
de santé publique dans le quartier. Nous allons décrire les conditions de vie de la population<br />
ainsi que leurs caractéristiques dans le troisième chapitre de la thèse.<br />
A l’époque, nous connaissions bien le quartier et certains résidents depuis plus de dix ans, car<br />
nous y avions travaillé comme bénévole dans des projets sociaux. 53 Même si nous avions<br />
arrêté notre bénévolat depuis quelques années, nous avions toujours gardé le contact avec<br />
certaines personnes du lieu, et nous y avions encore des amis et des connaissances. Pueblo<br />
Quieto s’avérait donc comme un grand avantage pour l’organisation et le déroulement du<br />
travail, de terrain. D’une part, nous réduirions au maximum les frais de déplacement, de<br />
logement et de repas, grâce à nos parents qui habitent près de la commune et à nos amis<br />
résidant dans la commune. Ensuite, nous serions près du groupe d’organisation du travail de<br />
terrain pour avoir des contacts facilement avec eux. D’autre part, nous pourrions mieux<br />
profiter du temps disponible, car Pueblo Quieto est un quartier assez petit où nous sommes<br />
connus ; et nous connaissons des personnes-clés, qui ont des responsabilités publiques, et qui<br />
en général sont bien respectées par les autres habitants.<br />
Sur place, les circonstances nous ont permis de faire les deux types d’entretiens : collectifs et<br />
individuels. Ce fut une grande opportunité, car l’information obtenue à travers les deux types<br />
d’entretiens a fortement enrichi notre connaissance sur le sujet et nos données pour l’analyse.<br />
Nous en avons profité pour élargir les objectifs initiaux de l’analyse qualitative. Finalement, à<br />
la quête des représentations sociales du travail des enfants, nous avons ajouté un<br />
approfondissement sur le processus d’entrée précoce sur le marché du travail, le rôle de<br />
l’environnement familial, ainsi que l’autoperception et le vécu des enfants concernés par le<br />
travail.<br />
Nous avons alors obtenu deux dimensions d’analyse : une collective et une individuelle. A<br />
partir de l’analyse de ces deux dimensions qualitatives, nous voulons mieux connaître, mais<br />
surtout mieux comprendre, une partie de la réalité des enfants travailleurs urbains en relation<br />
avec leur vie familiale. Mais aussi ce que les enfants pensent du travail des enfants, du travail<br />
53 L’organisation de « missions » chez la population indigène d’Oaxaca avec les jeunes de la commune, une<br />
chorale, divers ateliers de formation et sportifs…<br />
82
ménager, de la scolarisation et de l’enfance, soit la représentation sociale des thèmes autour<br />
de notre sujet d’intérêt.<br />
Pour faire l’analyse des entretiens, nous avons réalisé une analyse de contenu à partir d’une<br />
analyse thématique. Et pour mettre en contexte les discussions pendant les entretiens<br />
collectifs, nous présentons des illustrations sur les conditions du déroulement de la discussion<br />
entre les participants, comme le suggère Kitzinger et al. (2004).<br />
II.2.1.1. Déroulement du travail de terrain a Mexico.<br />
Avant le travail de terrain, nous avions contacté nos connaissances de Pueblo Quieto pour les<br />
informer de nos propos et connaître leurs disponibilités. De même, nous avions envoyé notre<br />
proposition de travail à l’équipe d’organisation de l’enquête. Nous assurant que les personnes-<br />
clés nous attendaient, nous sommes arrivés à Mexico fin mai 2007.<br />
<strong>La</strong> première visite à Pueblo Quieto a été le 28 mai. Lors de notre parcours du quartier, nous<br />
avons rencontré dans les rues d'anciennes connaissances. Nous en avons profité pour<br />
expliquer un peu le motif de notre visite, sans donner beaucoup de détails. Les personnes se<br />
sont montrées assez intéressées à l’égard de notre travail de terrain. Cette première visite nous<br />
a permis aussi de reconnaître le lieu, lequel avait subi certains changements en matière<br />
d’infrastructure publique, notamment la construction d’un centre social et sportif qui offre aux<br />
habitants divers services gratuits ou pas chers. Ce jour-là et le lendemain, nous avons rendu<br />
visite à quatre personnes-clés pour le travail de terrain. Des habitants du quartier que nous<br />
connaissions auparavant et que nous avions contactés avant notre arrivée à Mexico. Cette<br />
première approche nous a servi pour leur expliquer notre travail de terrain et ce que nous<br />
attendions de leur part. Ils ont accepté volontiers de nous soutenir selon leurs possibilités.<br />
Tout d’abord, nous avons rendu visite à Guadalupe et Aldo, un jeune couple d’amis installé au<br />
quartier. Guadalupe y est née, et son compagnon avait été bénévole étranger au même<br />
moment que nous. Ils y sont bien connus et appréciés des habitants. Les deux sont parmi les<br />
rares jeunes adultes du quartier avec un diplôme universitaire. Ils sont professeurs. Ils nous<br />
ont parlé de la situation actuelle du quartier, des problèmes les plus importants à leurs yeux,<br />
des mœurs et des habitudes des habitants en général, ainsi que des enfants et des jeunes.<br />
83
Guadalupe nous a aussi partagé ses souvenirs de la vie au quartier et comme celui-ci a évolué<br />
depuis son enfance, pendant les deux dernières décennies. Ils nous ont accueillis chez eux,<br />
leur appartement nous a servi de base de travail et de repos pendant notre recherche, parfois<br />
même de demeure.<br />
Ensuite, nous retrouvons Miguel, un jeune homme qui habite Pueblo Quieto depuis son<br />
enfance, à peu près 25 ans. Depuis deux ans, il avait abandonné ses études d’ethnographie à<br />
l’université, au premier semestre, pour vivre d’autres expériences. Il travaille à mi-temps<br />
comme baby-sitter des enfants d’une amie à lui, ainsi que comme bénévole au centre social et<br />
sportif auprès des enfants et des jeunes du quartier. Il y est instructeur de basket-ball et chargé<br />
d’un atelier d’artisanat, entre autres. C’est pourquoi il est bien connu et apprécié des familles<br />
locales, et particulièrement des enfants. Il a été une personne essentielle pour la réussite du<br />
travail de terrain. C’est lui qui nous a présenté les responsables administratifs du quartier,<br />
ainsi que les personnes qui géraient le centre social. Il nous a aussi aidés à remarquer et à<br />
contacter les participants potentiels aux entretiens collectifs et individuels, et nous a donné un<br />
coup de main pour la préparation des entretiens collectifs.<br />
Enfin, pour mieux comprendre la situation du quartier, nous avons aussi contacté Guille, une<br />
cinquantenaire qui y habite depuis sa création. Elle est arrivée au quartier à l’âge de 13 ans et<br />
elle a épousé l’un de ses voisins. Elle a vécu tout le processus d’aménagement de Pueblo<br />
Quieto : depuis sa formation, en tant que petite communauté temporaire de locataires, jusqu’à<br />
sa constitution en quartier reconnu par le gouvernement, en passant par une période de squat.<br />
En effet, sa famille est passée de locataire à squatter, et ensuite de squatter à propriétaire. Au<br />
moment de notre travail de terrain, elle était chargée de l’entretien du temple catholique local<br />
(salariée). Certains jours, elle travaillait comme commerçante dans un petit local itinérant<br />
qu’elle installait face à l’église, dans la rue. Elle vendait des tacos (galettes de maïs garnies).<br />
Et certains week-ends, elle vendait de petits poissons frits ou des elotes (épis de maïs cuits)<br />
devant le portail de sa maison. Elle travaillait aussi comme femme de ménage et se chargeait<br />
d’une dame âgée quelques heures par semaine (salariée). Nous l’avons retrouvée à plusieurs<br />
occasions afin de connaître l’histoire du quartier et de discuter à propos de la situation actuelle<br />
et de son évolution. Manquant de renseignements officiels sur Pueblo Quieto, c’est surtout<br />
avec les récits de Guille que nous l’avons découvert et pu connaître son histoire et sa situation<br />
actuelle. Cependant, nous nous sommes aussi servis d’autres récits plus informels auprès<br />
d’autres habitants, ainsi que d’observations directes.<br />
84
Le bon déroulement du travail de terrain a été facilité par ces quatre personnes du quartier,<br />
mais aussi grâce à nos parents. Un couple étranger au lieu, mais bien connu et apprécié par les<br />
habitants. Ils y travaillaient en tant que bénévoles depuis plus de dix ans. Ils sont devenus les<br />
amis de certaines familles qu’ils fréquentaient à titre personnel. Ils connaissent les problèmes<br />
généraux, les coutumes et les habitudes des familles du quartier. Ils nous ont donné, en<br />
quelques entretiens, leur expérience sur place et avec les familles, ainsi que leur point de vue<br />
par rapport à la situation du quartier. Ils nous ont aussi personnellement présenté leurs amis de<br />
Pueblo Quieto, dont certains sont des parents d’enfants travailleurs.<br />
Toutes ces personnes nous ont aidés à plusieurs reprises et de différentes façons tout au long<br />
de notre travail de terrain, mais sans participer à l’organisation proprement dite.<br />
Le 30 mai, nous avons eu rendez-vous avec l’équipe d’organisation du travail de terrain. Ce<br />
jour-là, nous avons rediscuté les objectifs du travail de terrain, et concrètement les entretiens<br />
collectifs. Nous avons mis au point la batterie de questions, ainsi que les démarches pour le<br />
travail. Nous avons alors déterminé les conditions nécessaires du lieu où se tiendraient les<br />
entretiens collectifs, le nombre de personnes par groupe, les caractéristiques des participants<br />
de chaque groupe, les dates possibles, le matériel à utiliser, et les consignes de recrutement<br />
des participants. A ce moment-là, nous n’étions concentrés que sur les entretiens collectifs.<br />
L’idée étant d’abord de finir cette étape du travail, et d’évaluer après la possibilité de réaliser<br />
des entretiens individuels. Notre programme de travail envisageait de faire six groupes de<br />
discussion ou d’entretiens collectifs : mères d’enfants travailleurs, mères d’enfants non<br />
travailleurs, pères d’enfants travailleurs, pères d’enfants non travailleurs, enfants travailleurs<br />
et enfants non travailleurs. Nous avons décidé de travailler avec des enfants âgés de 6 à 14<br />
ans 54 , des filles et des garçons, et des parents avec au moins un enfant dans cette tranche<br />
d’âges. Il faut signaler que nous cherchions des enfants travailleurs de différents types, c’est-<br />
à-dire ceux qui font du travail domestique familial, du travail extradomestique familial ou du<br />
travail extradomestique non familial. Après la réunion, nous sommes allés au quartier pour<br />
commencer le recrutement pour les entretiens collectifs, ainsi que la quête de l’endroit le plus<br />
propice pour les réunions.<br />
54 Pour éviter de mettre dans un même groupe de discussion des enfants avec des différences d’âges notables.<br />
Comme des enfants de 6 et de 17 ans, par exemple.<br />
85
Comme le sujet du travail des enfants est un sujet sensible, nous n’avons pas voulu l’exposer<br />
d’emblée aux personnes du quartier. Il fallait éviter la méfiance de la part des habitants,<br />
surtout ceux concernés par le travail des enfants. Nous avons décidé de présenter alors notre<br />
recherche à nos participants potentiels comme une quête d’information concernant les<br />
différentes activités que réalisent les membres des familles, et notamment les enfants. Et ainsi,<br />
arriver au sujet du travail des enfants de façon discrète. Cela nous permettait par la même<br />
occasion d’obtenir des informations relatives aux autres membres de la famille. Vu cette<br />
situation, nous étions obligés de repérer les enfants travailleurs et non travailleurs, ainsi que<br />
leurs parents, à partir de l’observation sur place, mais aussi en considérant ce que savaient nos<br />
amis du quartier. Pour trouver les travailleurs domestiques familiaux, nous avons eu besoin<br />
d’informations plutôt « privées », parce que ce travail se réalise au sein du ménage, à l’abri du<br />
regard des autres. Mais comme il s’agit d’un quartier peu peuplé où tout le monde se connaît,<br />
il n’était pas difficile d’avoir ce type d’information. <strong>La</strong> vie privée des familles est facilement<br />
connue par les autres : « C’est Pueblo Quieto ! » nous a rétorqué l’une de nos connaissances.<br />
A partir du 30 mai, avec l’aide de nos connaissances, nous avons progressivement, et selon les<br />
nécessités, repéré les enfants et les adultes susceptibles de participer aux entretiens collectifs.<br />
Après, toujours accompagnés de l’un d’entre eux, nous sommes allés contacter certains des<br />
participants potentiels en leur proposant les dates possibles pour le rendez-vous. Nous nous<br />
sommes rapidement aperçus que les entretiens collectifs avec les adultes s’avéraient difficiles,<br />
parce qu’ils se connaissent assez bien, et il existe de graves problèmes de voisinage parmi<br />
eux : mécontentement, méfiance, envie, jalousie, disputes familiales. Une dame que nous<br />
avions contactée nous avait avertis qu’il y avait des personnes qui ne seraient pas disposées à<br />
partager une telle expérience avec certains de leurs voisins, même si tous acceptaient de se<br />
présenter au rendez-vous. Nous risquions alors fortement de rater les séances d’entretiens<br />
collectifs des adultes. De plus, leurs emplois du temps n’ont pas beaucoup aidé : même les<br />
femmes au foyer avaient des difficultés à trouver un moment de libre. Elles sont censées faire<br />
les tâches domestiques et s’occuper de leurs enfants, voire leurs petits-enfants, et surtout de<br />
leur mari lorsqu’il est à la maison. De leur côté, la plupart des hommes n’ont pas un emploi<br />
du temps précis, car ils sont généralement travailleurs indépendants et travaillent dès que<br />
l’occasion se présente, même du jour au lendemain. Il s’est avéré presque tout de suite<br />
difficile de réussir les entretiens collectifs avec les parents, et nous avons alors reconsidéré<br />
cette idée.<br />
86
Lors de la réunion suivante avec l’équipe d’organisation, nous avons décidé de limiter les<br />
entretiens collectifs aux enfants, qui n’ont pas les mêmes problèmes de relation avec les<br />
voisins que les adultes. C’est à ce moment-là que nous avons cru pertinent de faire des<br />
entretiens individuels semi-directifs chez les enfants. L’objectif était de valider les acquis de<br />
la discussion collective, d’explorer en profondeur le vécu des enfants et de faire émerger les<br />
expériences personnelles, lesquelles étaient difficiles à aborder pendant la discussion en<br />
groupe.<br />
Cela représentait l’opportunité d’avoir deux approches méthodologiques qui apporteraient des<br />
éléments différents à l’analyse. Par contre, cela représentait aussi un petit échec parce que<br />
nous n’avions pas eu la possibilité de diriger des entretiens collectifs avec les parents, comme<br />
prévu, perdant le point de vue des adultes concernés par la problématique du travail des<br />
enfants.<br />
Nous avons alors fixé les conditions des entretiens collectifs avec les enfants : la date, l’heure,<br />
le lieu, le matériel nécessaire, le rôle de chaque membre de l’équipe d’organisation. Les<br />
caractéristiques des participants des deux groupes d’enfants sont restées celles qui étaient<br />
initialement prévues.<br />
Avec les nouvelles consignes, nous sommes retournés sur le terrain auprès des parents déjà<br />
contactés, pour leur expliquer qu’à cause des difficultés avec l’emploi du temps des adultes,<br />
nous avions décidé de faire des entretiens collectifs seulement avec les enfants. Et que nous<br />
tenions aussi à des entretiens individuels avec les enfants. Ils ont accepté de bon gré. Nous<br />
avons eu l’impression que cela les soulageait. Nous avons alors continué parallèlement le<br />
recrutement des enfants pour les entretiens collectifs, ainsi que la prise des rendez-vous pour<br />
les entretiens individuels.<br />
Nous avons suivi un protocole d’invitation aux entretiens. Tout d’abord, nous repérions les<br />
enfants à contacter pour les entretiens collectifs, pour les entretiens individuels ou bien pour<br />
les deux. Ensuite, accompagnés par l’une de nos connaissances, nous rendions visite aux<br />
familles repérées. Elle nous présentait les parents en justifiant brièvement le motif de notre<br />
présence, ensuite nous leur parlions de notre recherche et invitions leur enfant à participer aux<br />
entretiens. Nous demandions d'abord l’accord des parents, et ensuite celui de l’enfant. Tous<br />
les parents ont accepté l’invitation aux entretiens collectifs, sauf dans le cas où leurs enfants<br />
87
avaient déjà un impératif à la date prévue. En général, les enfants acceptaient d’y participer<br />
aussi, cependant, certains ont refusé l’invitation à l’entretien collectif. Dans ce cas, si nous le<br />
considérions pertinent, nous leur demandions la possibilité de les interviewer de façon<br />
individuelle. Ils ont tous accepté cette proposition. Il faut souligner la grande réactivité des<br />
parents à nous aider. Ils nous ont même parfois exprimé leur sentiment de reconnaissance, car<br />
ils considéraient comme quelque chose d'important le choix de leurs enfants, parmi tous ceux<br />
du quartier, pour participer aux entretiens.<br />
Miguel nous a aussi présenté les élus locaux et les responsables du centre social qui se sont<br />
montrés assez disponibles pour nous aider et pour nous donner des renseignements sur le<br />
quartier.<br />
Pour remercier les enfants dans leur participation aux entretiens collectifs, nous avons<br />
organisé un buffet pour le déjeuner après les réunions. Et à la fin du travail de terrain, nous<br />
avons rendu visite aux enfants participants des entretiens, soit collectifs, soit individuels, pour<br />
les remercier de leur aide en leur offrant des tee-shirts spécialement élaborés pour l’occasion.<br />
Les entretiens collectifs<br />
<strong>La</strong> méthode simule une discussion de groupe centrée, mais assez libre, ouverte, dans laquelle<br />
les participants sont mutuellement incités à la production d’associations et d’arguments de<br />
groupe qui sont difficiles à réaliser dans des entretiens individuels, dans lesquels il n’y a<br />
qu’une interaction entre deux personnes (Wibeck et al., 2004 ; Duchesne et Haegel, 2005).<br />
L’objectif est de cerner un sujet ou une série de questions pertinentes pour une recherche,<br />
sous la coordination d’un modérateur ou animateur. Et c’est justement le fait de pouvoir saisir<br />
ce qui est dit dans le cadre d’une discussion, c’est-à-dire le produit des interactions sociales,<br />
qui est l’un des avantages de la méthode (Duchesne, Haegel, 2005). Car aucun individu n’a<br />
une relation directe au monde, celui-ci a déjà été mis en mots, et catégorisé par d’autres. Son<br />
discours, comme son appréhension du monde, est traversé et constitué par le discours des<br />
autres, qu’il reprend, modifie et prend comme repère pour se situer (Salazar et Grossen,<br />
2004). Ces discussions dévoilent la pensée de groupes plutôt que d’individus (Kitzinger et al.,<br />
2004). Les discussions au sein des entretiens collectifs ont plus à voir avec l’argumentation<br />
informelle, quotidienne, qu’avec des argumentations caractérisées par un travail de réflexion<br />
formelle (Salazar et Grossen, 2004 ; Wibeck et al., 2004).<br />
88
En recrutant seulement des enfants habitant Pueblo Quieto, nous avons réuni des groupes dits<br />
naturels, c’est-à-dire des participants qui appartiennent à une culture relativement homogène.<br />
Selon Wibeck et al. (2004), la discussion des groupes d’interconnaissances est plus proche de<br />
la discussion de la vie quotidienne, de la réalité. Pourtant, d’autres chercheurs reconnaissent<br />
l’intérêt à rassembler des individus divers, afin d’obtenir l’éventail le plus large possible de<br />
perspectives au sein du groupe, et d’éviter le risque de l’implicite, d’autocensure, de ce qui est<br />
évident pour le groupe (Duchesne et Haegel, 2005). Nous pensions que l’interconnaissance<br />
des participants, dans une discussion avec des enfants, était un facteur qui favoriserait la prise<br />
de la parole de chacun, condition importante pour la qualité des résultats. 55<br />
Il était alors nécessaire de trouver un minimum d’homogénéité sociale entre les participants,<br />
en restant dans une logique d’échantillonnage tendant vers la diversification. Notre objectif<br />
était de construire des groupes permettant de saisir des situations diverses et contrastées au<br />
regard du thème de la discussion. C’est pourquoi s’est imposée une logique de segmentation<br />
comme proposent les spécialistes (Duchesne et Haegel, 2005).<br />
Par conséquent, nous avons décidé de segmenter notre échantillon selon un<br />
critère fondamental concernant la condition de travail des enfants, soit deux groupes<br />
d’entretien collectif : l’un avec des enfants travailleurs (de trois types) et l’autre avec des<br />
enfants non travailleurs. Deux groupes homogènes à propos de la situation de travail, mais<br />
hétérogènes concernant les caractéristiques sociales des enfants : des groupes mixtes (sans<br />
quotas) en ce qui concerne l’âge et le sexe (unique restriction : des enfants âgés de 6 à 14<br />
ans). Et nous comptions faire une seule réunion par groupe.<br />
Nous pensions réunir un minimum de six enfants et un maximum de douze par groupe<br />
(Kitzinger et al., 2004 ; Duchesne et Haegel, 2005). Ainsi, nous aurions deux groupes de<br />
tailles gérables, mais suffisamment riches et variés pour la discussion. Nous avons alors invité<br />
douze enfants, filles et garçons, pour chaque groupe, en sachant que l’oubli ou l’empêchement<br />
55 Le travail de terrain ne permet pas de répondre de façon stricte à cette hypothèse, car pendant les entretiens<br />
collectifs, il y a eu des moments de complicité entre les participants, mais aussi des moments de censure et de<br />
jugement sur les opinions des uns et des autres à cause de la familiarité existante. D’une part, les enfants<br />
soutenaient ou confirmaient la réponse des copains, ce qui demandait de l’honnêteté de la part des participants,<br />
au moins de ceux qui se connaissaient bien. Mais, d’autre part, ils pouvaient se taquiner entre copains ou mettre<br />
en doute leurs réponses, ce qui ne favorisait pas toujours les réponses hors norme.<br />
89
de dernière minute existe, malgré la promesse formelle de chacun d’y participer. Comme<br />
prévu, le jour des entretiens collectifs, certains enfants invités ont manqué au rendez-vous.<br />
Pourtant, nous avons eu plus de six enfants par groupe avec une répartition plus au moins<br />
semblable par sexe (nous en parlerons plus bas). En général, tous les participants de chaque<br />
groupe se connaissaient, car tout le monde se connaît dans le quartier. Des amis et des parents<br />
se sont même retrouvés dans les groupes.<br />
Nous avons prévu de faire d’abord la discussion avec les enfants travailleurs et après avec les<br />
non travailleurs. C’était une stratégie pour préserver la totale méconnaissance des enfants<br />
travailleurs à propos des questions discutées au cours de la réunion. Car nous voulions éviter<br />
que les participants du premier groupe aient l’occasion d’en discuter avec ceux du deuxième,<br />
avant leur tour. Même si les deux séances étaient le même jour, nous serions là pour faire<br />
attention aux possibles échanges entre participants.<br />
Pour réaliser les séances, nous avons choisi un endroit neutre pour les participants, mais en<br />
même temps facilement accessible et familier, surtout en considérant qu’il s’agissait<br />
d’enfants. Le centre social du quartier s’est avéré être la meilleure solution. Nous avons réussi<br />
à obtenir l’accord du responsable du centre pour y faire notre activité de façon gratuite. Il<br />
nous a prêté une salle très adaptée à notre projet. Les deux entretiens collectifs ont eu lieu de<br />
façon consécutive pendant une seule journée dans la même salle. L’on avait prévu deux<br />
heures par session : de 10 h à midi et de midi à 14 h. 56 Il y avait dans chaque séance :<br />
l’animateur, la secrétaire, et nous-mêmes, en tant qu’observateurs et secrétaires.<br />
L’animateur et la secrétaire étaient les professionnels en matière d’entretiens qui formaient<br />
notre équipe d’organisation. Ils ont fourni le matériel de papeterie (crayons, feuilles,<br />
tablettes), les appareils d’enregistrement et les copies d’un questionnaire sociodémographique<br />
pour les participants (voir Annexe II.1). Quelques jours après les entretiens collectifs, ils nous<br />
ont rendu une base de données avec les informations collectées des questionnaires, ainsi que<br />
les notes prises au moment des entretiens et les enregistrements.<br />
Nous avons utilisé la même batterie de questions pour les entretiens collectifs et pour les<br />
entretiens individuels, mais bien évidemment avec des adaptations. Il s’agit d’une série de<br />
56 Juste avant l’heure du déjeuner, lequel commence à partir de 14 h au Mexique.<br />
90
questions classées en quatre domaines : enfance et scolarisation, activités familiales,<br />
distribution du travail dans la famille, et perception sur le travail des enfants (Annexe II.1).<br />
Le protocole de chaque session était le même. L’unique différence a concerné le moment de<br />
l’application du questionnaire sociodémographique. Les circonstances nous ont poussés à<br />
passer le questionnaire à la fin de la première séance et au début de la deuxième. Chaque<br />
séance a démarré avec la présentation de l’animateur, ensuite, les objectifs de la réunion, puis<br />
les règles à suivre pour le bon déroulement de la discussion, et pour finir avec la présentation<br />
de chacun des participants. Pour la courte présentation des participants, l’animateur demandait<br />
à chacun de dire son prénom, son âge et ce qu’il aimait faire le plus dans la vie. Ensuite,<br />
l’animateur posait les questions aux enfants pour démarrer la discussion. Après la dernière<br />
question, il demandait aux participants s’ils avaient des doutes ou des commentaires. Et pour<br />
finir la séance, nous les remercions et leur rappelions de revenir au déjeuner après la<br />
deuxième séance (nous les y avions conviés au préalable). 57<br />
Dans la partie concernant la discussion proprement dite, l’animateur posait chacune des<br />
questions prévues et ajoutait des questions pertinentes, le cas échéant, afin d’éclaircir un point<br />
de désaccord ou d’intérêt. Au début, il a fallu demander une réponse à chaque participant,<br />
mais peu à peu la discussion partait spontanément, et il ne restait plus qu’à encourager les plus<br />
timides. A la fin de la séance, nous avions la possibilité de poser des questions visant aussi à<br />
éclaircir un point spécifique, à notre avis manquant d'approfondissement ou d’éclaircissement.<br />
Avec le groupe d’organisation des entretiens collectifs, nous nous sommes réunis l’après-midi<br />
pour discuter sur le déroulement et la participation des enfants aux entretiens collectifs.<br />
Ensemble, nous avons partagé nos points de vue et nos premières impressions. Par la suite,<br />
nous décrirons le déroulement de chacun des entretiens collectifs.<br />
57 Ils ont presque tous participé au repas, sauf un, qui devait justement commencer son travail à ce moment-là (il<br />
livrait des déjeuners préparés par sa mère). Les enfants sont partis contents et certains nous ont même demandé<br />
si le lendemain il y aurait encore une autre séance. Les parents ont aussi exprimé leur satisfaction de la<br />
participation de leurs enfants.<br />
91
L’entretien collectif avec des enfants travailleurs<br />
L’entretien avec les enfants travailleurs a concerné dix enfants, dont six filles (âgées de : 9, 9,<br />
10, 12, 14 et 14 ans) et quatre garçons (trois âgés de 12 ans et l’autre de 14 ans). Tous sont<br />
scolarisés.<br />
Les enfants participants font partie des différents groupes de travailleurs : extradomestiques<br />
ou non, familiaux ou non. Ils travaillent fréquemment pendant toute l’année. Cependant, tous<br />
ont comme activité principale leurs études. Ils ne travaillent que pendant leur temps<br />
périscolaire.<br />
Nous avons commencé tard à cause du retard de certains participants. Au début, les<br />
participants paraissaient un peu timides et nerveux, certains étaient indifférents, mais, peu à<br />
peu ils ont commencé à se montrer plus à l’aise et à s’intéresser à la discussion. Les quatre<br />
garçons se sont assis côte à côte, en face de l’animateur, et après quelques minutes se sont mis<br />
à se taquiner et à s'amuser. Cela empêchait le bon déroulement de la discussion. L’animateur<br />
a dû leur rappeler les règles à tenir, comme le respect pour celui qui parle. Cependant, l’un<br />
des garçons, dont la participation dans la discussion était assez vive et révélatrice, continuait à<br />
plaisanter et à déranger les autres. Alors, l’animateur lui a demandé de changer de place, tout<br />
près de lui, et finalement tout s’est bien passé par la suite. Il y a encore eu de petites blagues,<br />
mais cela ne dérangeait nullement la discussion, ni l’enregistrement, au contraire cela<br />
décontractait la séance. <strong>La</strong> session a duré une heure et quart.<br />
Les filles étaient plus sérieuses et tranquilles que les garçons. Elles participaient activement,<br />
mais en général de façon bien concrète et sans plaisanter. Pour leur part, les garçons<br />
s’exprimaient vivement, mais ils faisaient souvent plus de commentaires et de blagues, et ils<br />
s’interrompaient plus que les filles.<br />
L’entretien collectif avec des enfants non travailleurs<br />
Etant donné le retard subi et l’absence de certains invités dans le premier groupe de<br />
discussion, un peu avant l’heure de la deuxième séance, Miguel et Guadalupe, qui nous<br />
aidaient à ce moment-là, sont allés personnellement chez nos invités pour leur rappeler la<br />
92
éunion. <strong>La</strong> plupart des participants sont arrivés ponctuellement, nonobstant quelques absents<br />
et retardataires.<br />
L’entretien collectif avec les enfants non travailleurs a impliqué la participation de huit<br />
enfants, dont trois filles et cinq garçons. Ce groupe était plus jeune que celui des enfants<br />
travailleurs, et les garçons étaient les cadets. Les filles avaient 10 ans (deux filles) et 12 ans,<br />
tandis que les garçons avaient : 7, 8, 9 ans (deux garçons) et 10 ans, tous scolarisés.<br />
Dans ce groupe, nous avons eu la participation de deux frères et d’une fille et son petit frère.<br />
<strong>La</strong> mère des deux frères nous a expliqué, au moment de la contacter pour inviter l’aîné, que<br />
les deux restaient seuls à la maison pendant qu’elle travaillait, c’est-à-dire au moment du<br />
rendez-vous, alors elle ne voulait pas laisser le benjamin seul. Elle a accepté la participation<br />
de leurs enfants, âgés de 7 et 9 ans, à condition d’aller les chercher personnellement chez eux<br />
et de les y déposer après la séance, ainsi que de les surveiller lorsqu’ils seraient avec nous.<br />
Dans l’autre cas de fratrie, la mère nous a aussi demandé de laisser participer son fils (9 ans),<br />
en plus de sa fille (12 ans), pour des raisons similaires. Dans les deux situations, nous avons<br />
accepté, car les enfants ciblés avaient les caractéristiques souhaitées pour les participants à ce<br />
groupe et nous ne voulions pas les perdre. En plus, l'enfant « accompagnant » rentrait aussi<br />
dans les critères du groupe.<br />
Nous avons commencé la session par le remplissage du questionnaire avec les enfants qui<br />
étaient arrivés à l’heure, en attendant le reste des participants. Etant donné leur âge, certains<br />
ont demandé de l’aide pour le remplissage, nous et les enfants les plus âgés les avons aidés.<br />
En général, ils se sont montrés assez intéressés par la réunion dès le début. <strong>La</strong> séance a duré<br />
une heure.<br />
Pendant toute la séance, ce groupe a été bien sage, les participants ne plaisantaient guère. Ils<br />
s’exprimaient ouvertement, mais de manière assez concrète, sauf deux garçons (les frères) qui<br />
aimaient bien discuter, s’exprimer et raconter des expériences personnelles dès qu’ils en<br />
trouvaient l’occasion. Leur participation a bien enrichi la discussion, pourtant ils étaient les<br />
plus jeunes du groupe. Cependant, l’animateur a parfois été contraint de leur couper<br />
discrètement la parole, lorsqu’ils s’éloignaient trop du sujet traité, en plus de motiver la<br />
participation des plus timides.<br />
93
Les entretiens individuels semi-directifs<br />
Nous avons réalisé les entretiens individuels avant et après les séances d’entretiens collectifs,<br />
selon la disponibilité des interviewés.<br />
Les connaissances que nous avons dans le quartier, et le fait d’être connue de certaines<br />
personnes, ont favorisé le contact avec les habitants. En général, les personnes se sont<br />
montrées prêtes à nous aider pour notre recherche. Les enfants respectaient les rendez-vous<br />
comme prévu. Ils montraient même de l’impatience et de la curiosité pour l’entretien.<br />
Nous avons réalisé douze entretiens individuels chez les enfants : sept travailleurs (cinq<br />
filles âgées de : 9, 9, 11, 12 et 14 ans, et deux garçons de 14 ans) et cinq enfants non<br />
travailleurs (deux filles âgées de : 7 et 10 ans, et trois garçons de : 8, 12 et 14 ans). Sept<br />
enfants interviewés ont participé aussi aux entretiens collectifs. Il faut signaler que parmi les<br />
enfants travailleurs nous trouvons : quatre filles extradomestiques familiales, deux garçons<br />
extradomestiques non familiaux et une fille domestique familiale. Le nombre d’enfants de<br />
chaque type de travail est arbitraire, nous n’avions pas de quotas à remplir à ce sujet. Nous<br />
avons interviewé plutôt ceux que nous avons eu la possibilité d’approcher. Il y avait en effet<br />
d’autres enfants travailleurs, mais nos connaissances nous ont conseillé de ne pas les aborder,<br />
car les familles étaient méfiantes envers les étrangers à cause principalement d’une situation<br />
familiale « sensible » (comme la vente de drogue, des problèmes de violence intrafamiliale,<br />
des problèmes d’alcool…) : dans ce cas, un entretien sur la vie privée aurait pu être mal<br />
interprété. D’autres personnes avaient déjà eu des problèmes avec les parents de ces enfants.<br />
Donc, nous nous sommes abstenus de les approcher. D’ailleurs, bien évidemment, il y avait<br />
d’autres enfants travailleurs que nous n’avons pas pu contacter à cause du manque de temps et<br />
de leur indisponibilité.<br />
Tous les enfants ont été interviewés une seule fois. <strong>La</strong> plupart des entretiens ont eu lieu chez<br />
l’interviewé, à l’initiative des propres parents, sauf deux entretiens. Le premier est celui d’une<br />
fille travailleuse extradomestique familiale (Claudia). Comme la mère ne nous avait pas<br />
proposé d’entretien dans sa maison, nous avons retrouvé la fille à l’épicerie familiale. A cause<br />
du bruit, du passage et de la pluie, nous nous sommes entretenues à l’intérieur de notre<br />
voiture. Nous n’avions pas la possibilité de remettre à plus tard la réunion, car nous étions aux<br />
derniers jours de notre séjour, et avions eu du mal à trouver un moment libre dans l’emploi du<br />
94
temps de la fille, qui avait déjà annulé deux fois le rendez-vous. Le deuxième enfant était un<br />
garçon travailleur extradomestique non familial (Alejandro), qui n’a pas non plus proposé sa<br />
maison pour l’entretien ; alors nous sommes allés dans la cour du centre social du quartier,<br />
laquelle était peu fréquentée et calme à ce moment-là.<br />
Il faut souligner que nous avons eu quelques problèmes de bruit aux enregistrements, car<br />
parfois pendant le déroulement des entretiens individuels, les voisins, ou même les autres<br />
personnes du ménage, mettaient de la musique à haut volume ; une habitude bien tolérée dans<br />
le quartier. Dans la majorité de cas, l’interviewé était seul avec nous dans la pièce où se<br />
déroulait l’entretien (le salon, ou parfois la salle à manger ou encore la cuisine). En général,<br />
les autres personnes passaient parfois dans le lieu où nous étions, en évitant de déranger.<br />
Seulement dans deux cas, l’enfant le plus jeune venait de temps en temps à côté de<br />
l’interviewé, dont la fratrie se trouvait seule à la maison. Or, dans certains cas, l’enfant était<br />
seul dans toute la maison, ce qui arrivait fréquemment lorsque les parents étaient sortis<br />
travailler. Les interviewés, ainsi que la description des conditions des entretiens individuels,<br />
sont présentés dans l’Annexe III.<br />
Lors du rendez-vous, tout d’abord, nous rappelions aux enfants, brièvement et de façon<br />
simple, l’objectif de l’entretien et la manière dont il se déroulerait, ainsi que la nécessité<br />
d’enregistrer la conversation. 58 Nous les rassurions par rapport aux réponses, en leur<br />
expliquant que nous cherchions à apprendre certaines choses et non pas à les évaluer : il fallait<br />
juste dire ce qu’ils pensaient ou savaient. Avant de commencer l’entretien proprement dit, à<br />
l’aide d’un questionnaire, nous demandions aux interviewés certaines<br />
informations personnelles et familiales, afin de mieux connaître la composition du ménage,<br />
ainsi que les caractéristiques sociodémographiques et les activités de chaque personne de la<br />
famille, et bien évidemment du propre interviewé (voir fiche de renseignements généraux en<br />
Annexe II.1). L’information recueillie est résumée dans un tableau dans l’Annexe III. Nous<br />
commencions alors l’entretien à l’aide d’une grille de lecture qui nous servait de repère (voir<br />
Annexe II.1). Comme pour les entretiens collectifs, il s’agit d’une série de questions classées<br />
en quatre domaines : enfance et scolarisation, activités familiales, organisation du travail dans<br />
la famille, et perception sur le travail des enfants.<br />
58 Nous avions un très petit enregistreur discret.<br />
95
Il faut dire que tous les enfants interviewés sont nés à Pueblo Quieto. Ils avaient comme<br />
activité principale leurs études et participaient habituellement aux tâches ménagères (ils<br />
s’occupaient de leurs affaires personnelles : ranger sa chambre et faire son lit, entre autres).<br />
II.2.1.2. Les limites du travail de terrain.<br />
Le travail de terrain à Mexico a produit des informations importantes pour notre étude. Mais,<br />
même si ces résultats ont permis d’enrichir notre recherche et de trouver d’autres lignes<br />
possibles de recherche futures, il faut en souligner les limitations.<br />
De manière générale, le fait d’avoir des participants d’un seul et même quartier pour les<br />
entretiens collectifs et individuels a constitué une limite. Même si une certaine homogénéité a<br />
ses avantages, nous sommes dans l’impossibilité de comparer nos résultats à d’autres<br />
contextes pour savoir à quel point le contexte influence les comportements et les idées des<br />
enfants. Une analyse qui s’avère intéressante pour de prochaines recherches.<br />
Par ailleurs, le fait d’avoir masqué notre vrai sujet d’intérêt est un point discutable en termes<br />
éthiques, méthodologiques et pratiques. L’explicitation de notre sujet auprès des interviewés<br />
nous aurait peut-être donné une liberté majeure pour poser plus de questions concernant le<br />
thème et pour approfondir plus le sujet. Pourtant, nous considérons que notre choix a été<br />
pertinent en considérant la méfiance des personnes du quartier envers les étrangers,<br />
notamment celle des adultes. Nous avons de forts doutes quant à la réaction des personnes<br />
concernées, car elles savent bien que le travail des enfants est interdit aux moins de 14 ans.<br />
Nous avons constaté la difficulté de repérer les enfants travailleurs domestiques familiaux.<br />
Bien évidemment, les enfants concernés ne se reconnaissent pas en tant que travailleurs. Et le<br />
fait que ce type de travail soit réalisé dans la sphère privée de la famille le rend encore plus<br />
difficile à déceler de l’extérieur comme travail, malgré nos informateurs et leur connaissance<br />
sur la vie privée des familles du quartier. Nous avons seulement réussi à trouver une fille<br />
travailleuse domestique familiale. Ce qui représente une limite de notre travail de terrain, tout<br />
autant qu’un exploit. Car nous avons au moins un cas qui servira à donner de pistes à propos<br />
d’un sujet dépourvu d’informations, même s’il nous empêchera de conclure sérieusement sur<br />
son seul appui.<br />
96
Enfin, l’une des limites à notre travail de terrain, qui est plutôt un regret, est le fait d’avoir<br />
manqué les entretiens collectifs avec les parents. Ils auraient donné des informations<br />
complémentaires à ce que nous avons réussi à recueillir. De même que des entretiens, tantôt<br />
collectifs, tantôt individuels, avec des jeunes ou adultes ayant été des travailleurs pendant leur<br />
enfance auraient pu être aussi très enrichissants pour connaître les conséquences et les vécus<br />
avec du recul.<br />
Les limites des entretiens collectifs<br />
Une des limitations méthodologiques de l’entretien collectif est le fait que cette méthode ait<br />
tendance à recueillir des discours conformes à « la norme » et non précisément aux pratiques.<br />
C’est-à-dire qu’il nous informe sur ce qui est socialement acceptable et non nécessairement<br />
sur ce qui est réellement fait au quotidien. En effet, nous avons constaté, par exemple, que<br />
même si l’on a essayé de masquer notre intérêt au sujet du travail des enfants, dans le groupe<br />
des enfants travailleurs, au moment où nous avions touché ce thème, l’un des participants a<br />
demandé directement en forme de plaisanterie si nous allions les dénoncer. Evidemment, nous<br />
avons démenti ce propos et rassuré les enfants. Mais il est évident que l’enfant en cause a mis<br />
en alerte les autres enfants. Et peut-être qu’après la remarque, les autres enfants ont fait plus<br />
attention à ce qu’ils disaient, malgré notre réponse. Cependant, leur participation a continué à<br />
être assez animée et apparemment sincère.<br />
Nous considérons que ce qui est dit par les enfants est l’expression, directe ou indirecte, de ce<br />
qu’ils connaissent et comprennent sur les normes et sur les pratiques du contexte<br />
d’appartenance, ainsi que le reflet de ce qu’ils ont appris au sein de leur famille et aussi dans<br />
leur propre communauté. En effet, ils évoquaient parfois un discours « normatif ».<br />
Néanmoins, on considère que les enfants ont la propension à s’exprimer de façon spontanée,<br />
voire sincère. Ce qui impliquerait que le discours des enfants, recueilli à travers un entretien<br />
collectif, soit plus proche de la réalité que celui des adultes. Mais c’est juste une hypothèse,<br />
car la bibliographie spécialisée sur la méthode ne traite pas ce sujet. 59 Et nous n’avons pas<br />
59 Nous avons trouvé un auteur qui parle de la recherche sociologique concernant l’enfance ; elle ne développe<br />
pas vraiment le sujet des méthodologies qualitatives. Elle essaie plutôt de sensibiliser les chercheurs sur<br />
l’importance de prendre en compte les caractéristiques des enfants pour adapter les outils et les méthodologies<br />
déjà existantes (Gaitán, 2006).<br />
97
d’éléments pour prouver cette hypothèse de façon nette. Nous avons juste nos résultats,<br />
lesquels, bien qu’ils ne puissent pas être considérés comme une règle à ce sujet, peuvent être<br />
un exemple. D’après nos expériences du travail de terrain, les enfants expriment leurs pensées<br />
apparemment sans trop réfléchir et sans préjugés. De manière libre, voire naïve et innocente.<br />
Et nous avons remarqué que ces dernières caractéristiques semblent s’amenuiser au fur et à<br />
mesure que l’âge des enfants augmente.<br />
Concernant les réunions, bien que l’interconnaissance des participants ait profité aux<br />
échanges, car les enfants se sentaient en confiance les uns avec les autres, peut-être a-t-elle<br />
par contre limité les discours « hors norme », justement pour éviter les jugements des voisins,<br />
en dehors de la réunion. Mais cela dépendait plutôt du caractère de chaque enfant, voire de<br />
leur maturité, parce que les plus jeunes parlaient de façon assez naturelle, spontanée, on aurait<br />
dit qu’ils ne réfléchissaient pas beaucoup avant de parler. Ils nous ont souvent surpris à cause<br />
de leurs réponses inattendues. Par contre, chez les garçons travailleurs, qui étaient des amis,<br />
les commentaires des plus timides étaient exprimés de façon discrète, tandis que les plus<br />
ouverts parlaient beaucoup et mettaient fréquemment en doute les réponses des autres (amis),<br />
en les taquinant.<br />
Par ailleurs, une nouvelle discussion avec les groupes d’enfants aurait permis d’approfondir<br />
des thèmes intéressants ou faiblement abordés lors de la première réunion. Mais nous avons<br />
limité notre analyse aux résultats d’une seule discussion, dont parfois les données sont<br />
restreintes.<br />
Enfin, nous avons aussi constaté que les enfants se distraient et s’ennuient rapidement, les<br />
discussions se font plutôt rapides et concrètes, ils n’approfondissent pas beaucoup leurs<br />
réponses. Or, lors des entretiens individuels, plus intimes, certains de ces mêmes participants<br />
se sont montrés plus ouverts et bavards qu’en collectivité ; pour d’autres ce fut tout le<br />
contraire, comme si le fait d’être entourés de leurs amis leur donnait de l’assurance.<br />
Les limites des entretiens individuels<br />
L’une des limitations des entretiens individuels est le nombre restreint d’interviewés, surtout<br />
par type de travail, notamment en ce qui concerne le travail domestique familial, car nous<br />
avons réussi seulement un entretien de ce genre. Dans ce cas, nous n’avons pas trouvé<br />
98
d’autres enfants concernés. Il aurait fallu peut-être chercher des moyens plus effectifs pour en<br />
trouver, ainsi qu’élargir le contexte de recherche. Ce qui constitue un défi pour de prochaines<br />
études sur ce type de travailleurs si cachés et peu étudiés.<br />
Par ailleurs, le manque d’approfondissement sur le thème spécifique du travail chez les<br />
enfants travailleurs, lors de nos rencontres auprès des interviewés, est aussi une limite. Nous<br />
nous sommes rendu compte, après les interviews et même après les transcriptions, des<br />
éléments ou des questions ratés lors des entretiens. Le temps restreint, ainsi que notre<br />
inquiétude sur les questions « sensibles » a été à l’origine de lacunes. Nous n’avons pas eu<br />
l’occasion d'interviewer à nouveau les enfants concernés, malgré leur disponibilité.<br />
II.2.2. L’analyse quantitative<br />
Afin de saisir la variabilité des situations du travail des enfants ainsi que de chercher des<br />
facteurs (de type plutôt familial) impliqués dans ce phénomène, nous utilisons des données<br />
quantitatives que nous analysons avec l’aide des méthodes statistiques. Nous réalisons une<br />
analyse secondaire — car nous ne sommes pas les producteurs de ces données — à travers<br />
deux types d’analyse : bivariée et multivariée. Pour le faire, nous utilisons le programme<br />
Statistical Package for the Social Sciences, SPSS.<br />
D’une part, pour analyser et comparer les conditions de travail des enfants, nous utilisons une<br />
analyse bivariée afin d’étudier les relations, les dépendances ou les corrélations entre deux<br />
variables à chaque fois. Pour cela, nous élaborons principalement des tableaux croisés, en<br />
l’occurrence des tableaux de contingence, lesquels offrent la possibilité de connaître la<br />
distribution des individus selon deux variables simultanément. De cette façon, nous mettons<br />
en évidence d’éventuelles différences de pratiques ou d’attitudes selon diverses modalités<br />
d’intérêt pour notre recherche (sexe, âge, type de travail). Ainsi, l’on peut voir l’influence ou<br />
la dépendance d’une variable sur une autre. Il faut signaler qu’il s’agit d’une notion de<br />
dépendance que ne renvoie pas nécessairement à une idée déterministe ou causale, sinon à une<br />
idée de lien entre les variables. Il s’agit d’une analyse simple et plutôt descriptive,<br />
indispensable statistiquement pour entamer des analyses plus complexes, comme les analyses<br />
multivariées. Etant donné le fait que nous utilisons des échantillons, nous sommes obligés de<br />
faire attention à la « fiabilité » ou le niveau de confiance de l’inférence des résultats, soit par<br />
99
apport aux différences soit par rapport à la relation de dépendance entre deux variables. Nous<br />
allons alors faire appel aux tests statistiques comme le test du khi-deux, le test des corrélations<br />
de Pearson ou le coefficient de contingence, selon le cas. Tous les résultats montrés par la<br />
suite sont statistiquement significatifs.<br />
D’autre part, étant donné que le travail des enfants est un phénomène où divers facteurs sont<br />
importants, individuels et familiaux par exemple, nous tenons à faire une analyse multivariée.<br />
Nous proposons alors l’utilisation d’une des méthodes statistiques de ce type d’analyse : les<br />
modèles de régression. Cette méthode sert à trouver des liens dans un sens large de relation, et<br />
non strictement de causalité. Ce type de modèles permet de mettre en relation la variable<br />
d’intérêt (variable dépendante à expliquer) avec chacune des variables explicatives<br />
(indépendantes), en prenant en compte la présence d’autres variables incluses dans le modèle,<br />
qui sont susceptibles de modifier la relation. Ainsi, il est possible d’évaluer l’effet des<br />
variables explicatives dans son ensemble sur la variable à expliquer, mais aussi d’estimer de<br />
manière individuelle, pour chaque variable explicative : le type de relation (directe ou<br />
inverse), le degré d’importance statistique (significative ou non), et la variabilité de cette<br />
relation avec la variable à expliquer, toujours en contrôlant l’effet du reste des variables<br />
explicatives, soit « toutes choses égales par ailleurs ». En l’occurrence, nous élaborons des<br />
modèles qui permettent d’estimer de manière séparée le risque d’être un travailleur<br />
domestique familial, un travailleur extradomestique non familial ou un travailleur<br />
extradomestique familial (la variable dépendante), par rapport à ne pas l’être. Les variables<br />
explicatives, qui dépendent du type de travail — domestique ou extradomestique —<br />
permettent de considérer des aspects individuels et familiaux associés. Les estimations de<br />
chaque modèle ne sont pas strictement comparables entre elles, mais elles offrent une idée de<br />
l’importance de chaque variable explicative selon le type de travail analysé.<br />
Les caractéristiques de nos variables dépendantes d’intérêt (travailler ou ne pas travailler),<br />
ainsi que le type de données disponibles, nous ont menés à choisir les modèles de régression<br />
logistique binomiale. 60 Car il s’agit d’une variable dépendante catégorique avec deux options<br />
60 Equation de régression logistique binomiale :<br />
e<br />
α + β1X1<br />
+ β 2X2<br />
+ β 3X3<br />
+ .... + βiXi<br />
P(<br />
Y == 1)<br />
=<br />
X X X<br />
iXi<br />
1+<br />
e<br />
α + β1<br />
1 + β 2 2 + β 3 3 + ... + β<br />
100
possibles. Afin de rendre plus facile la lecture des résultats des modèles, nous calculons aussi<br />
les probabilités ajustées (%), associées à chaque coefficient, soit à chaque catégorie de<br />
différentes variables explicatives. 61<br />
II.2.2.1. Les bases de données pour l’analyse quantitative.<br />
En considérant notre impossibilité réelle de produire nos propres données quantitatives, c’est-<br />
à-dire de réaliser une enquête spéciale pour cette recherche, nous avons cherché parmi les<br />
bases de données existantes la plus appropriée et la plus actuelle pour réussir nos objectifs<br />
initiaux.<br />
Nous sélectionnons comme source de données, le Módulo sobre Trabajo Infantil, MTI 62 , du<br />
quatrième trimestre 2007, de l’Encuesta Nacional de Ocupación y Empleo, ENOE 63 . Nous<br />
présentons par la suite une brève description de ces enquêtes, ainsi qu’une évaluation de la<br />
qualité de l’information disponible. Nous parlerons aussi de ses qualités et ses limites.<br />
L’Enquête nationale sur l’occupation et l’emploi 2007 (ENOE) et son Module sur le<br />
travail des enfants (MTI).<br />
Au Mexique, les enquêtes emploi auprès des ménages datent de 1973. Depuis, la Direction<br />
Générale de Statistique a mis en place différents projets à ce sujet. Au fur et à mesure, les<br />
projets ont changé, visant à l’amélioration de la qualité de l’information, ainsi qu’à une<br />
meilleure approche de l’évolution du marché du travail ; toujours en accord avec les nouvelles<br />
dispositions des spécialistes des institutions internationales. 64 Ce processus de développement<br />
des projets a abouti actuellement à l’ENOE.<br />
Dont :<br />
Y : Variable dépendante (binomiale : travailler=1/ne pas travailler=0).<br />
α : Terme constante du modèle.<br />
βi : Coefficients du modèle (rapports de risque).<br />
Xi : Variables indépendantes (construites dans une logique dummy : 0,1, soit des variables dites « muettes »).<br />
61 Pour une explication détaillée sur ces modèles, ainsi que sur l’estimation des probabilités ajustées, consulter :<br />
Retherford et Choe, 1993 ; Hosmer et Lemeshow, 1989.<br />
62 Module sur le Travail des Enfants.<br />
63 Enquête Nationale sur l’Occupation et l’Emploi.<br />
64 L’ENOE suit les directives proposées par : l’OIT, l’Organisation de Coopération et de Développement<br />
Economiques (OCDE), le Groupe de <strong>Paris</strong> sur les statistiques d’emploi et de rémunération, le Groupe de Delhi,<br />
le Bureau de Statistique de l’ONU, le Groupe Interministériel de Travail de Révision des Systèmes de<br />
101
L’ENOE est le plus récent projet national en matière d’emploi ; elle a été mise en marche à<br />
partir de 2005. Cette enquête a été élaborée en continuité avec les deux principales enquêtes<br />
d’emploi qui l’ont précédée : l’Encuesta Nacional de Empleo Urbano, ENEU, 65 et l’Encuesta<br />
Nacional de Empleo, 66 ENE. 67 Ces deux projets ont été arrêtés fin 2004 et ont été remplacés<br />
par l’ENOE qui a une représentativité à cinq niveaux : localités de moins de 2 500 habitants,<br />
localités de 2 500 à 14 999 habitants, localités de 15 000 à 99 999 habitants, localités de<br />
100 000 habitants et plus, et national. Il s’agit d’une enquête trimestrielle. <strong>La</strong> méthode de<br />
sondage est aléatoire en deux étapes : stratifié et par conglomérats ; et le type de collecte est<br />
en face à face. <strong>La</strong> population concernée est toute personne âgée de 12 ans et plus. En 2007, le<br />
nombre de logements dans l’échantillon est de 120 105.<br />
L’ENOE est constituée de deux bulletins : le questionnaire sociodémographique et le<br />
questionnaire d’activité et d’emploi (voir Annexe II.2). Le premier permet, tout d’abord,<br />
d’identifier le nombre de ménages par logement ainsi que le nombre de personnes par<br />
ménage 68 . Ensuite, il renseigne sur les caractéristiques sociodémographiques de chaque<br />
membre du ménage : le lien de parenté avec le chef, l’âge, le sexe, l'année et le lieu de<br />
naissance ; pour les 5 ans et plus : la condition d’alphabétisation et la situation scolaire ; et<br />
pour les 12 ans et plus : la fécondité (seulement pour les femmes) et l’état civil. Enfin, comme<br />
chaque logement sélectionné dans l’échantillon est visité cinq fois tous les trois mois, il<br />
permet de repérer l’évolution de la composition des ménages : les nouveaux et les anciens<br />
résidents, leurs motifs d’arrivée et de départ, ainsi que leur origine et leur destination<br />
géographique. Le deuxième questionnaire traite des sujets propres au travail et ne concerne<br />
que les personnes âgées de 12 ans et plus : la situation d’activité ; le chômage ; la population<br />
active selon sa situation de travail ; l’activité principale ; le secteur d’activité ; le nombre<br />
d’heures travaillées par semaine ; les revenus ; les formes de paiement ; les droits sociaux ; le<br />
travail secondaire et d’autres activités.<br />
Comptabilité Nationale (ISWGNA) et l’Accord Nord-Américain de Coopération dans le Domaine de Travail<br />
(ANACT).<br />
65<br />
L’Enquête Nationale sur l’Emploi Urbain.<br />
66<br />
L’Enquête Nationale sur l’Emploi.<br />
67<br />
L’ENEU a eu une validité de vingt ans, à partir de 1983. Elle avait une représentativité au niveau national et<br />
au niveau des principales villes. L’ENE a commencé en 1988, en réponse à la nécessité d’avoir des informations<br />
sur l’activité économique dans les milieux ruraux.<br />
68<br />
Il faut rappeler que selon la définition de « ménage » de l’INEGI, un logement peut accueillir plus d’un<br />
ménage.<br />
102
C’est justement parce qu’elle renseigne sur les caractéristiques sociodémographiques des<br />
membres du ménage avec beaucoup de détails sur les caractéristiques de leurs activités, que<br />
cette enquête est la plus appropriée pour notre recherche. Cependant, elle restreint le travail<br />
des enfants à 12 ans et plus, ce qui empêche de connaître la situation des plus jeunes.<br />
Même si, depuis des années, un outil pour recueillir des données spéciales au sujet du travail<br />
des enfants était nécessaire, l’on peut dire que c’est en 2007 que l’INEGI mène, pour la<br />
première fois, une enquête bien planifiée à ce propos. Auparavant, il y a eu deux autres projets<br />
expérimentaux pour connaître le travail des enfants, mais la représentativité de l’information<br />
est restreinte et la qualité de l’information reste à réviser, faute de document méthodologique<br />
à propos de ces deux enquêtes. <strong>La</strong> première expérience date de 1997, l’INEGI avec d’autres<br />
institutions 69 ayant réalisé une enquête sur les activités des enfants dans la population<br />
indienne du pays. Elle fait partie de l’Encuesta Nacional de Empleo en Zonas Indígenas,<br />
ENEZI. 70 Plus tard, au deuxième trimestre de 1999, un deuxième projet a, cette fois, une<br />
représentativité nationale, elle fait partie de l’ENE. Le troisième et le projet le plus récent est<br />
le MTI, qui fait partie de l’ENOE pendant le quatrième trimestre de 2007. L’objectif général<br />
du MTI est de recueillir des informations actuelles sur l’étendue et les caractéristiques des<br />
activités (économiques, domestiques et scolaires) que réalisent les personnes âgées de 5 à 17<br />
ans (INEGI, 2004 ; INEGI-STPS, 2008). 71<br />
<strong>La</strong> taille de l’échantillon du MTI est de 57 127 logements, ce qui correspond au nombre de<br />
logements de l'échantillon ayant au moins un enfant de 5 à 17 ans (soit 55% des logements<br />
qui font partie de l’échantillon de l’ENOE du même trimestre 72 , d'après l’information<br />
recueillie par l’ENOE le trimestre précédent). Et le nombre d’interviewés est finalement de<br />
107 041 enfants âgés de 5 à 17 ans. Cet échantillon permet de faire des estimations<br />
représentatives à divers niveaux : national, des localités les plus urbanisées (100 000 habitants<br />
et plus) et les capitales de chaque Etat, des localités les moins urbanisées (moins de 100 000<br />
habitants), et par Etat.<br />
69 A savoir : l’INEGI, le Secrétariat du Travail et de la Prévision Sociale (STPS), l’Institut National Indigéniste<br />
(INI), le Secrétariat du Développement Social (SEDESOL), le Programme des Nations Unies pour le<br />
Développement (PNUD) et l’OIT.<br />
70 L’Enquête Nationale sur l’Emploi en Zones Indigènes.<br />
71 Il existe d’autres enquêtes, dans le cadre d’études spécifiques, notamment à propos des enfants travailleurs<br />
dans les rues ou des travailleurs marginaux (surtout de la part des ONG, des institutions intergouvernementales<br />
internationales ou des gouvernements locaux), mais à courte portée (INEGI, 2004).<br />
72 Près de 14% des logements de l’échantillon de l’ENOE sont restés sans information, donc l’échantillon final<br />
compte : 103 262 logements au lieu des 120 105 prévus.<br />
103
Afin d’éviter la méfiance que provoque souvent le sujet du travail des enfants parmi la<br />
population, le MTI est nommé sur les bulletins de l’enquête : « Módulo de Actividades de<br />
niños, niñas y adolescentes, MANNA » 73 . Il s’agit de deux bulletins : un questionnaire pour<br />
les 5 à 11 ans, et un autre pour ceux âgés de 12 à 17 ans. Ce dernier sert seulement à<br />
compléter l’information recueillie par le questionnaire de l’ENOE pour cette tranche d’âge, de<br />
manière à collecter la même information que pour les enfants de 5 à 11 ans (voir Annexe II).<br />
Les thématiques incluses dans le MTI sont :<br />
Les activités non économiques 74 , domestiques 75 et marginales 76 .<br />
Les activités économiques. 77<br />
L’expérience de travail.<br />
<strong>La</strong> nécessité de travailler et la quête de travail (chômeurs) 78 .<br />
Des aspects professionnels.<br />
Les caractéristiques de l’unité économique.<br />
Les conditions de travail (revenus, heures, jours et mois travaillés).<br />
L’importance du travail des enfants.<br />
Les conséquences de l’abandon du travail.<br />
Les accidents, les blessures et les maladies associés au travail.<br />
<strong>La</strong> fréquentation, l’interruption et l’abandon de la scolarisation.<br />
Les aides économiques.<br />
Les limites de la base de données<br />
Pendant notre recherche, nous avons trouvé certaines limites importantes dans le MTI, à<br />
propos de l’information recueillie. Evidemment, les contraintes économiques imposées pour<br />
73<br />
Module sur les activités des garçons, des filles et des adolescents.<br />
74<br />
Soit les actions réalisées pour satisfaire les besoins essentiels personnels, du ménage ou de la communauté,<br />
ainsi que des actions pour obtenir un revenu, mais, qui n’impliquent pas la production de biens ni la génération<br />
de services. Il inclut aussi les activités marginales et la mendicité déguisée.<br />
75<br />
Soit les activités réalisées pour la production des biens et des services pour la consommation des membres du<br />
ménage.<br />
76<br />
Soit des activités pour obtenir des revenus dans la rue, mais il n’existe pas une demande de la part des<br />
« clients » et ceux qui les réalisent attendent un pourboire.<br />
77<br />
Soit l’ensemble des actions réalisées par une unité économique avec l’objectif de produire ou de fournir des<br />
biens et des services pour le marché ou la production pour l’autoconsommation.<br />
78<br />
Selon le MTI, étant donné que l’embauche des moins de 14 ans est interdite, les enfants de 5 à 13 ans qui<br />
cherchent un travail ne peuvent pas être considérés proprement dits comme chômeurs.<br />
104
l’élaboration des enquêtes, surtout d’enquêtes si spécifiques, exigent la parcimonie des<br />
questions, laissant des vides sur certains sujets. Par exemple, le travail domestique familial est<br />
à peine accessible dans cette source. Le manque de reconnaissance du travail domestique<br />
familial comme une forme de travail laisse un grand vide dans l’enquête sur les conditions de<br />
travail de ces enfants. Nous n’arrivons qu’à les identifier (grâce au nombre d’heures<br />
consacrées), mais nous ne pouvons pas savoir, par exemple, ce qu’ils font au juste et depuis<br />
quand, de même que les causes et les conséquences de cette mise au travail, sauf en ce qui<br />
concerne la scolarité.<br />
D’ailleurs, les caractéristiques de l’employeur des enfants travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux, qui nous semblent importantes pour étudier les processus d’entrée précoce sur le<br />
marché du travail et de sa continuation, sont encore peu connues. Tous les adultes ne sont pas<br />
prêts à embaucher un enfant, car c'est illégal, alors, qui sont susceptibles de le faire ? Une<br />
réponse qui pourrait aider à identifier des facteurs favorisant le travail des enfants, du point de<br />
vue de l’offre sur le marché du travail.<br />
Une autre limite du MTI, qui existe dans toutes les enquêtes sur l’emploi en général, est le fait<br />
d’avoir un seul moment de référence pour identifier les EAJ travailleurs : la semaine<br />
précédant l’enquête. Un problème important dans le cas du travail des enfants, car il présente<br />
une grande discontinuité. Par conséquent, l’enquête identifie surtout les enfants qui travaillent<br />
avec une certaine régularité. Or, au Brésil, par exemple, une étude a montré que si l’on<br />
arrivait à identifier le travail intermittent, le taux de participation des enfants âgés de 10 à 12<br />
ans pourrait doubler (Levison, 2007).<br />
Par ailleurs, quant au processus de recueil de l’information, nous trouvons une contrainte très<br />
importante : le fait que les informateurs ne soient pas directement les enfants. Nous rejoignons<br />
alors une critique de la nouvelle sociologie de l’enfance, à propos des sources d’information<br />
sur tout ce qui concerne les enfants. Il s’agit du manque de renseignements provenant<br />
directement des enfants. Car la plupart des données disponibles sur les enfants sont recueillies<br />
auprès des adultes (Gaitán, 2006). Dans le cas du MTI, la plupart des informateurs sont le<br />
chef de ménage ou son conjoint : 99% chez les 5 à 11 ans et 91% chez les 12 à 17 ans. Ce qui<br />
a un impact direct sur la fiabilité des données du MTI. Au mieux, les parents peuvent avoir<br />
une idée assez proche de ce que fait leur enfant, mais seulement l’enfant lui-même connaît<br />
vraiment sa propre situation. Cependant, cette remarque n’est pas exclusive au MTI, c’est un<br />
105
problème général de recueil d’information en ce qui concerne les enfants dans pratiquement<br />
toutes les enquêtes. Une situation qui répond surtout à une question pragmatique dans le<br />
processus de recueil de l’information, mais aussi à un déni des enfants, en tant<br />
qu’informateurs fiables. L’information disponible peut alors contenir plus de réponses dans la<br />
catégorie « non spécifié », ou plutôt des réponses faussées. Car, en plus de la possible<br />
méconnaissance des vraies réponses, il est aussi plausible que les adultes soient plus méfiants<br />
que les enfants à l’égard d’un tel sujet, et donc, qu’ils répondent plus sur la norme que sur la<br />
réalité. Des idées qui restent des hypothèses, mais qu’il faut prendre en compte, même si nous<br />
ne connaissons pas la magnitude du problème, s’il existe vraiment.<br />
Enfin, à propos de l’organisation de l’information, il faut dire que l’ENOE est composée d’un<br />
bulletin sociodémographique, où l’on note l’information sur le ménage. Les renseignements<br />
sur l’activité des personnes âgées de 12 ans et plus sont recueillis à l’aide d’un autre<br />
formulaire. Et concernant le MTI, deux questionnaires différents ont été utilisés. L’un pour les<br />
enfants âgés de 5 à 11 ans et l’autre pour ceux de 12 à 17 ans (voir Annexe II.2). On a donc<br />
quatre fichiers des données complémentaires qu’il faut rassembler pour avoir toute<br />
l’information dans un même fichier. Etant donné que certaines questions sur l’activité des<br />
enfants de 12 à 17 ans ont été posées avec le questionnaire de l’ENOE, une partie de<br />
l’information pour ce groupe d’âges est prise de la base de données du MTI respectif, et une<br />
autre de celle de l’ENOE. Mais le questionnaire du MTI pour les 12 à 17 ans est plus complet<br />
que celui pour les 5 à 11 ans. Il comprend six questions sur l’histoire scolaire de ceux qui ne<br />
fréquentent pas l’école ou ceux qui ont interrompu leurs études à un moment donné (les<br />
questions 10 à 11c) 79 . Des questions qui n’ont pas été posées aux 5 à 11 ans qui,<br />
effectivement, abandonnent ou interrompent rarement l’école. En plus, il faut dire que<br />
certaines questions ont des catégories de réponse différentes pour les enfants de 5 à 11 ans et<br />
pour ceux de 12 à 17 ans. De même que certaines questions « filtres » ne sont pas pareilles.<br />
Ce qui a exigé un minutieux travail de recodage de ces variables pour les rendre comparables<br />
et cohérentes pour tous les enfants de 6 à 17 ans.<br />
79 Des questions pour ceux qui ne fréquentent pas l’école au moment de l’enquête :<br />
10a. Avez-vous fréquenté l’école à un moment donné ?<br />
10b. A quel âge avez-vous quitté l’école ?<br />
Des questions pour ceux qui fréquentent l’école au moment de l’enquête :<br />
11. Avez-vous interrompu votre scolarisation pendant plus de six mois ?<br />
11a. Combien de fois avez-vous interrompu votre scolarisation plus de six mois ?<br />
11b. <strong>La</strong> dernière fois, après combien de temps avez-vous repris votre scolarisation ?<br />
11c. <strong>La</strong> dernière fois, quel niveau de scolarisation suivez-vous au moment de l’interruption ?<br />
106
<strong>La</strong> qualité de l’information de l’ENOE et du MTI<br />
Comme il se doit, avant de commencer l’exploitation des bases de données, une évaluation de<br />
la qualité et de la cohérence de l’information s’est imposée. Et ensuite un « nettoyage » des<br />
données pour réduire les problèmes liés à l’information. Dans cette première phase, nous<br />
trouvons que les bases de données de l’ENOE et du MTI sont correctes, car les incohérences<br />
internes et les non-réponses sont en général peu fréquentes.<br />
Il faut dire que pendant l’exploitation des bases de données, le plus grand problème rencontré,<br />
par rapport à l’incohérence des données, a été l’inconsistance de l’information relative à la<br />
scolarité des enfants. Après évaluation des variables concernées, nous avons trouvé 579 cas<br />
avec des informations contradictoires chez les 6 à 11 ans, à propos des réponses sur la<br />
fréquentation à l’école, l’activité principale, les heures consacrées aux études, les raisons de<br />
non-scolarisation. Ce que signifie 1% du total d’individus dans la base de données qui<br />
correspond aux enfants âgés de 6 à 17 ans (sans restrictions d’état civil, fécondité et lien de<br />
parenté avec le chef de ménage). Comme il était impossible de savoir où était le problème,<br />
quelle réponse était juste ? nous considérons alors l’information sur la scolarité de ces cas<br />
comme non spécifiée. Et par conséquent, ces enfants n’ont pas le statut d’élèves, car nous ne<br />
pouvons pas être sûrs qu’ils le sont. D’ailleurs, nous avons détecté aussi cinq enfants pour qui<br />
la scolarisation aurait duré 14 ou 15 ans, une réponse peu plausible chez les moins de 18 ans :<br />
nous leur avons assigné des années de scolarité non spécifiées, en gardant l’information sur le<br />
cycle scolaire signalé.<br />
D’ailleurs, comme il est fréquent dans les sources des données des enquêtes, les variables<br />
numériques, comme les revenus et les heures dédiés aux diverses activités, sont des variables<br />
à traiter avec précaution. D’abord parce que l’informateur ne connaît pas toujours avec<br />
précision une telle information pour tous les membres du ménage. Ensuite par méfiance de<br />
l’informateur vis-à-vis de l’enquêteur. A ce propos, nous avons trouvé un certain nombre de<br />
réponses peu crédibles, des revenus exorbitants. Mais la majorité de l’information reste à un<br />
niveau correct, même si cela semble très élevé par rapport au revenu moyen au Mexique. Or,<br />
nous ne pouvons pas savoir jusqu’à quel degré l’information disponible est réelle, car certains<br />
emplois des enfants sont effectivement mieux rémunérés que ceux des adultes. En<br />
l’occurrence, les cerrillos, qui représentent une partie importante des enfants travailleurs<br />
107
urbains marginaux, 80 peuvent avoir des revenus plus importants que certains travailleurs<br />
adultes (INEGI-STPS, 2008a ; INEGI, 2010). Concernant le nombre d’heures, nous avons<br />
rencontré aussi quelques cas (53) avec des problèmes d’incohérence, car en comptabilisant les<br />
heures que les enfants consacrent aux diverses activités, leurs journées pouvaient dépasser 24<br />
heures.<br />
Malgré quelques problèmes plutôt rares, les bases de données du MTI et de l'ENOE, sont les<br />
meilleures et uniques sources d’information disponibles. Nous avons essayé de corriger les<br />
inconsistances, dès que possible, et éliminer les éléments perturbateurs, selon le cas, avec<br />
précaution, en gardant toujours le plus d’information originale. En conclusion, le MTI, malgré<br />
ses défauts, comme toutes les enquêtes, s’est avéré une source intéressante et riche en<br />
possibilités pour l’analyse.<br />
Conclusions<br />
Notre objectif étant d’analyser tous les aspects du travail des enfants, l’utilisation des données<br />
qualitatives et quantitatives s’est imposée. Car certains éléments sont saisissables seulement à<br />
travers les données quantitatives, et d’autres uniquement par le biais des données qualitatives ;<br />
tandis que quelques-uns demandent l’usage des deux types. En effet, pour avoir une vision<br />
intégrale du phénomène, il nous a fallu réunir des informations provenant de sources<br />
différentes et complémentaires. Cette recherche s’appuie donc sur deux sources permettant<br />
d’allier deux approches : l’une quantitative, à partir de l’exploitation de l’Encuesta Nacional<br />
de Ocupación y Empleo et de son Módulo de Trabajo Infantil, 2007 ; l’autre qualitative, à<br />
travers l’analyse d’entretiens semi-directifs et d’entretiens collectifs auprès des enfants d’un<br />
quartier sensible de la ville de Mexico, interviewés lors de notre travail de terrain en 2007. De<br />
sorte que nos deux sources d’informations ont la particularité d’être contemporaines.<br />
Les données quantitatives constitueront la source principale de notre étude, car il s’agit<br />
d’informations représentatives de toute la population urbaine, ce qui permettra de produire des<br />
résultats généralisables. Elles permettront de connaître, dans un premier temps, l’importance<br />
des diverses activités dans la vie quotidienne des enfants : l’école, les tâches domestiques et le<br />
80 Les travailleurs urbains marginaux sont ceux qui travaillent dans les rues et dans d’autres espaces publics. On<br />
estime le nombre à 95 000 en 2002, dans les grandes villes (INEGI-STPS, 2008a).<br />
108
travail économique ; ainsi que tout ce qui concerne les conditions de travail. Dans un second<br />
temps, elles serviront pour les analyses relationnelles d’un point de vue statistique. Lesquelles<br />
concernent, d’une part, les liens entre divers aspects de l’environnement familial avec le<br />
travail des enfants, et d’autre part, les liens entre le travail et la déscolarisation.<br />
D’autre part, les résultats du travail de terrain permettront, tout d’abord, de réaliser l’analyse<br />
des représentations sociales de l’enfance, la scolarité et le travail (selon diverses dimensions)<br />
afin de connaître l’importance du travail dans la vie des enfants. Des informations qui feront<br />
partie aussi de la mise en contexte nécessaire pour mieux comprendre le développement du<br />
travail des enfants en milieu urbain au Mexique. Ensuite, elles serviront pour illustrer,<br />
compléter ou éclaircir certains résultats statistiques obtenus avec nos sources des données<br />
quantitatives. Enfin, elles apporteront des éléments inestimables pour aborder des sujets<br />
relatifs aux processus et mécanismes de la mise au travail précoce, les liens de causalité, les<br />
perceptions et le vécu des enfants concernés. Des informations impossibles à connaître sans<br />
accorder la parole aux protagonistes : les enfants travailleurs eux-mêmes. Évidemment, ces<br />
derniers résultats ne sont pas généralisables, mais ils offrent des pistes pour mieux<br />
comprendre cette pratique.<br />
109
110
CHAPITRE III<br />
Le Mexique : une mise en contexte<br />
« Ce pays est une terre de contrastes,<br />
surprenants toujours, enchanteurs<br />
parfois, cruels souvent. »<br />
Mortier (2006 : 14)<br />
Avant de parler de la situation socioéconomique du Mexique, nous présentons brièvement des<br />
données officielles à propos de l’ampleur et des tendances du travail des enfants dans le pays,<br />
pendant les dernières années.<br />
D’après les données officielles disponibles, lesquelles sont assez limitées et récentes, 81 en<br />
considérant le travail domestique et le travail économique ensemble, la tendance à la baisse du<br />
travail des enfants est récente (INEGI, 2004). Selon les estimations de l’INEGI, le nombre<br />
d’enfants âgés de 6 à 14 ans travailleurs a augmenté entre 1995 et 1996, passant de 3,6<br />
millions à 3,9 millions, 82 une hausse liée très probablement à la grave crise économique dont a<br />
souffert le pays à la fin de 1994. Mais, à partir de 1997, le travail des enfants a commencé sa<br />
descente pour arriver en 2002 au chiffre de 3,3 millions, les travailleurs domestiques<br />
familiaux (15 heures et plus dans la semaine de référence) étant de plus en plus représentatifs<br />
(Tableau 5).<br />
Pendant la période 1995-2002, les taux de travail économique des enfants sont passés de 10,5<br />
à 7,1%, tandis que les taux de travail économique et domestique sont passés de 18,4 à 15,7%.<br />
Mais ces chiffres sont assez différents par sexe et, selon le type de travail. Le travail<br />
domestique a augmenté chez les garçons ; tandis que chez les filles il a faiblement diminué,<br />
même si elles sont les plus concernées. Par contre, le travail économique, qui touche<br />
davantage les garçons, a baissé plus nettement, surtout chez les garçons (Graphique 1).<br />
81 <strong>La</strong> première enquête nationale sur le travail des enfants date de 1999.<br />
82 Des enfants qui ont déclaré avoir réalisé une activité économique au moins une heure pendant la semaine de<br />
référence, et au moins 15 heures de travail domestique chez eux.<br />
111
112<br />
Taux (%)<br />
Tableau 5. Répartition (%) des enfants travailleurs de 6 à 14 ans<br />
selon le type de travail, 1995-2002<br />
Enfants travailleurs<br />
Année<br />
Total (Milles) Economiques (%) Domestiques (%)<br />
1995 3 632 57,0 43,0<br />
1996 3 892 50,0 50,0<br />
1997 3 683 52,3 47,7<br />
1998 3 693 54,0 46,0<br />
1999 3 695 53,5 46,5<br />
2000 3 607 48,0 52,0<br />
2001 3 472 46,0 54,0<br />
2002 3 308 45,3 54,7<br />
Source : INEGI, 2004.<br />
Graphique 1. Taux de travail économique et taux de travail domestique<br />
des enfants de 6 à 14 ans par sexe, 1995-2002<br />
16<br />
14<br />
12<br />
10<br />
8<br />
6<br />
4<br />
2<br />
0<br />
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002<br />
Années<br />
Travail économique Travail domestique<br />
Garçons Filles Garçons Filles<br />
Source : INEGI, 2004.<br />
Cependant, malgré la flagrante distribution traditionnelle du travail par sexe, les filles dans le<br />
domaine domestique et les garçons dans le domaine économique, les estimations de l’INEGI<br />
suggéraient une participation chaque fois plus importante des garçons dans le travail<br />
domestique. En l’occurrence, sur le total de travailleurs domestiques, en 1995 les garçons<br />
représentaient 20,5% et en 2002 la proportion atteint 32,1%. Tandis que chez les travailleurs<br />
économiques, pendant les dernières années, la situation n’a guère évolué en ce qui concerne la
distribution par sexe. De 1995 à 2002, la proportion de filles concernées est passée de 29,3% à<br />
28,4%. Concernant la répartition par sexe des enfants travailleurs (domestiques et<br />
économiques), elle a toujours fluctué autour de 50% entre 1995 et 2000, parfois en faveur des<br />
filles, parfois en faveur des garçons. Par exemple, en 1996 les garçons représentaient 47,4%,<br />
tandis qu’en 1999 ils étaient 50,4%, et 50% en 2002.<br />
Il faut juste dire qu’avec un taux de travail économique de 15,7% chez les enfants âgés de 6 à<br />
14 ans en 2002, soit 1,5 million, le Mexique ne se trouve pas parmi les pays les plus touchés<br />
dans le monde, voire d’Amérique latine. Selon les estimations mondiales de l’OIT (2002) sur<br />
l’incidence du travail des enfants, en 2001 un peu plus de 17 millions d’enfants de 5 à 14 ans<br />
travaillaient dans la région, soit 16% de cette tranche d’âges. Un taux nettement inférieur à<br />
celui de l’Afrique Subsaharienne (29%), et aussi de l’Asie (19%), mais plutôt semblable à<br />
celui de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (15%). Il s’agit d’un total d’environ 211<br />
millions d’enfants travailleurs (économiques) âgés de 5 à 14 ans dans le monde en 2000, et<br />
191 millions en 2004 (OIT, 2002 et 2006).<br />
Les informations officielles les plus récentes au Mexique, pour un groupe d’âges plus large,<br />
soit de 5 à 17 ans, datant de 2007, estiment que 12,5% d’enfants de cette tranche d’âges<br />
réalisent un travail économique 83 : 16,6% chez les garçons et 8,3% chez les filles, soit 3,6<br />
millions d’enfants. Un chiffre qui sous-estime la réalité des enfants travailleurs<br />
extradomestiques, car on ne considère ni les travailleurs marginaux 84 , ni les « enfants des<br />
rues ». En plus, cette pratique étant illégale avant l’âge de 14 ans, il est plausible que les<br />
personnes aient du mal à la déclarer ouvertement lors des enquêtes, et moins encore quand il<br />
s’agit d’activités à risque, comme la prostitution par exemple. Or, dans une vision plus ample<br />
du sujet, la réalisation d’activités domestiques chez soi, sous certaines conditions, est aussi<br />
une forme de travail des enfants. A ce propos, en 2007, 9,3% des enfants de 5 à 17 ans (2,7<br />
millions) sont des travailleurs domestiques, dédiant 15 heures ou plus par semaine aux tâches<br />
ménagères ou à la garde d’autres personnes 85 : 3,4% chez les garçons et 15,2% chez les filles.<br />
83 Des enfants qui ont dédié au moins une heure pendant la semaine de référence à une activité économique.<br />
L’INEGI les qualifie d’actifs occupés (ocupados).<br />
84 Ceux qui gardent des voitures garées dans les rues, lavent les parebrises aux croisements, chantent dans les<br />
transports en commun... en échange d’un pourboire.<br />
85 Incluant : les tâches ménagères, la garde d’autres personnes du ménage et la réparation et l’entretien du<br />
logement et du mobilier.<br />
113
Même si le travail des enfants âgés de 5 à 17 ans en milieu rural et semi-urbain (localités de<br />
moins de 100 000 habitants) est plus important qu'en milieu urbain, les processus accélérés<br />
d’urbanisation des dernières décennies ont accentué l’ampleur du travail dans les grandes<br />
villes. Ainsi, actuellement au Mexique, selon les données du MTI, le taux de travail<br />
économique en zones rurales est de 15,6% (2,5 millions d’enfants), et le taux de travail<br />
domestique de 10,7% (1,7 million). Tandis que le taux de travail économique des enfants qui<br />
résident en localités de 100 000 habitants et plus est de 8,6%, soit 1,1 million d’enfants, et les<br />
taux par sexe sont : 10,5% chez les garçons et 6,7% chez les filles. D’autre part, le taux de<br />
travail domestique représente 7,5%, soit 971 000 : 3,5% chez les garçons et 11,5% chez les<br />
filles.<br />
Au-delà des chiffres, afin d’essayer de mieux comprendre l’importance du travail dans la vie<br />
des enfants, nous réviserons dans ce chapitre les aspects qui nous semblent importants pour<br />
replacer notre population d’études dans son contexte, sans prétendre être exhaustifs ni<br />
détaillés. Tout d’abord, nous parlerons du pays dans son ensemble, car les conditions<br />
structurelles limitent ou motivent les stratégies familiales de vie, et bien évidemment, les<br />
actions individuelles, dont celles des enfants. Nous en profiterons pour discuter aussi sur<br />
l’entourage direct des enfants, c’est-à-dire la famille, étant donné qu’elle est le milieu dans<br />
lequel s’organise la vie des enfants, et l’institution centrale dans la société mexicaine. Après,<br />
nous dirigerons notre attention sur le contexte local dans lequel nous avons réalisé notre<br />
travail de terrain. Un contexte assez particulier qui demande un éclaircissement pour mieux<br />
placer le vécu, les propos et les idées des enfants interviewés.<br />
III.1. Le Mexique : le contexte national.<br />
Le pays et sa population ont historiquement été caractérisés par son hétérogénéité culturelle,<br />
raciale et sociale. <strong>La</strong> société mexicaine est actuellement touchée par les changements des<br />
modèles socioéconomiques qui prédominent dans le monde contemporain, lesquels répondent<br />
aux besoins des formes nouvelles de production et d’organisation nationales et<br />
internationales. Face au processus de mondialisation, le pays est exposé à beaucoup<br />
d’influences d’origine étrangère. Ce processus affecte le contexte quotidien dans lequel les<br />
enfants grandissent et interagissent avec le reste de la société. Les néolibéraux affirment que<br />
le principal but des changements du processus de mondialisation est d’accroître le commerce<br />
114
et la production pour que chaque personne en profite. Certes, de nos jours, le commerce et<br />
l’activité financière sont immenses, mais les impacts de ces changements sur la population<br />
sont encore assez discutables, car seuls certains ont pu profiter des bénéfices de la modernité<br />
tandis que les autres ont juste été témoins ou victimes des inconvénients. Les inégalités<br />
socioéconomiques ont énormément augmenté parmi la population, où les enfants se trouvent<br />
parmi les plus vulnérables vis-à-vis des effets positifs et négatifs du processus de<br />
mondialisation (Hevener et al, 2002).<br />
En effet, le développement et les influences externes ont suivi un chemin inégal partout au<br />
Mexique. Ils sont plus évidents dans les grandes villes, parmi la population des classes les<br />
plus aisées, que dans le grand ensemble des petites communes rurales et parmi la population<br />
la plus pauvre. De fortes inégalités surgissent entre communautés, et pis encore entre les<br />
différents groupes sociaux d’une même commune. Les conditions de vie et de développement<br />
dans le pays étant tellement hétérogènes, nous pourrions bien parler de l’existence de<br />
plusieurs Mexiques.<br />
Parallèlement aux changements qui s’opèrent dans la sphère macrosocioéconomique, la<br />
population continue de changer ses comportements reproductifs, de mobilité, de<br />
consommation… ainsi que les relations de genre et de génération, grâce notamment au<br />
développement des systèmes éducatif et sanitaire, et à l’évolution des moyens de<br />
communication qui offrent une énorme transmission de valeurs, d’idées, de modèles. Mais,<br />
encore une fois, ces changements sont polarisés, ils ont commencé plutôt parmi les secteurs<br />
les plus aisés et scolarisés, notamment dans les villes, pour atteindre peu à peu le reste de la<br />
population.<br />
III.1.1. <strong>La</strong> population.<br />
<strong>La</strong> situation socioéconomique actuelle du pays est caractérisée surtout par l’inégalité sociale,<br />
malgré le développement de plusieurs domaines, comme la santé, l’éducation et les<br />
communications. Une telle situation est le résultat de changements notables de la société<br />
mexicaine, surtout pendant les dernières décennies, lesquels ont contribué à l’état actuel du<br />
pays et aux conditions de ses habitants. D’abord, le processus de concentration de la<br />
population dans les villes : l’urbanisation. Ensuite, la transformation du marché du travail,<br />
115
avec la dévaluation de l’agriculture et des manufactures en faveur du commerce et des<br />
services dans l’économie nationale ; la croissance du secteur informel, l’entrée des femmes<br />
sur le marché du travail, ainsi que l’émigration mexicaine vers les Etats-Unis depuis<br />
pratiquement toutes les régions du pays. Puis, le développement de l’offre éducative publique,<br />
obligatoire et gratuite. Enfin, le processus de la transition démographique, avec la réduction<br />
de la mortalité, le contrôle de la fécondité, et des taux de croissance démographique en<br />
diminution (Coubès et al., 2005).<br />
Actuellement, le pays se trouve au onzième rang des pays les plus peuplés du monde. Dans un<br />
territoire de 1,96 million de km 2 , le pays héberge 112 millions en 2010, selon le dernier<br />
recensement de la population (INEGI, 2011). Comme résultat de l’approfondissement de la<br />
transition démographique pendant la dernière décennie du XXe siècle, le taux<br />
d’accroissement a été de 1,8% annuel (Cortés et al., 2002), et de 1,4% annuel entre 2000 et<br />
2010. Selon le dernier recensement, le nombre moyen d’enfants nés vivants par femme au<br />
Mexique continue de descendre : il est passé de 2,4 en 1990 à 1,7 enfants par femme en 2010.<br />
Malgré les changements, la population mexicaine a une structure d’âges encore jeune. L’âge<br />
médian est passé de 22 en 2000 à 26 ans en 2010. En 2000, la génération la plus jeune, de 0 à<br />
14 ans, représente 34% ; la population dite en âges économiquement productifs, de 15 à 64<br />
ans, compte pour 61% ; et pour finir, les plus de 65 ans représentent 5%. En 2010, les trois<br />
groupes représentent respectivement : 29, 65 et 6%. Nous pouvons souligner le fait que la<br />
population est fortement représentée par les moins de 18 ans, qui, depuis le début de ce siècle,<br />
sont à peu près 40 millions, soit 35% de la population totale en 2010.<br />
A partir de la structure par âges, on obtient un rapport de dépendance de 64,3% en 2000 et de<br />
55,2% en 2010, 86 c'est-à-dire qu'il y a approximativement six personnes en âge « non<br />
productif » (de 0 à 14 ans et de 65 ans et plus, dépendantes économiques) pour dix personnes<br />
en âge « productif » (de 15 à 64 ans), ce qui peut donner une idée de la charge sur la<br />
population adulte. Selon les estimations du Consejo Nacional de Población, CONAPO, 87 dans<br />
les trois premières décennies du siècle, il y aura une moindre proportion de population en âge<br />
« non productif » (les moins de 15 ans et les 65 ans et plus), tandis que la population en âge<br />
« productif » atteindra son maximum historique. Cette combinaison des conditions<br />
86 Rapport de dépendance = (population de 0 à 14 ans + population de 65 ans et plus)/population de 15 à 64<br />
ans*100.<br />
87 Conseil National de la Population.<br />
116
démographiques constitue le « dividende démographique », ce qui signifie qu'en matière de<br />
population, il existe un grand potentiel productif. Durant cette période, la population du<br />
Mexique entamera la dernière phase de sa transition démographique, se dirigeant rapidement<br />
vers une croissance de plus en plus réduite et vers un vieillissement de sa population<br />
(CONAPO, 2003). Néanmoins, pour arriver à bien profiter du dividende démographique, il<br />
faudrait compter avec un marché du travail (surtout formel) capable d’accueillir dans les<br />
meilleures conditions la main-d’œuvre nombreuse. Ainsi, le potentiel productif peut devenir<br />
un vrai problème de chômage et de sous-emploi, avec toutes ses conséquences sociales.<br />
En ce qui concerne la répartition par sexes de la population, en 2000 ainsi qu’en 2010, les<br />
femmes représentent 51,2% de la population totale. Cependant, cette légère supériorité de la<br />
représentation féminine varie selon l'âge. Le rapport de masculinité 88 chez les enfants de<br />
moins de 15 ans montre une population masculine légèrement plus nombreuse que la<br />
population féminine, mais à partir de 15 ans les femmes sont majoritaires, avec de petits<br />
changements quant à la valeur de l'indice, principalement dus à une plus grande émigration et<br />
une mortalité masculine supérieure à celle des femmes de mêmes âges. Pour l’ensemble de la<br />
population, l'indice de masculinité est de 95,4%.<br />
<strong>La</strong> densité de la population est actuellement de 57,3 habitants par km 2 . Cependant, la<br />
distribution de la population dans le territoire a suivi un modèle de concentration-dispersion<br />
qui a laissé de vastes surfaces presque inhabitées, de multiples petites localités dispersées et<br />
isolées, tandis qu’il y a un surpeuplement dans quelques villes.<br />
Le Mexique est divisé administrativement en 31 Etats et un Etat Fédéral (Distrito Federal,<br />
DF) (Figure 2). <strong>La</strong> capitale (DF ou ville de Mexico) est géographiquement placée au centre du<br />
pays. Elle concentre la plupart des principaux centres administratifs du gouvernement, ainsi<br />
que la majorité des plus grands centres de santé, d’éducation, financiers et de services en<br />
général. Une situation similaire est observée pour les deux autres grandes zones<br />
métropolitaines (Guadalajara et Monterrey), mais à une échelle plus modeste, et avec un<br />
impact plutôt régional que national. <strong>La</strong> centralisation des pouvoirs et des services dans les<br />
villes les plus importantes du pays a été parallèle à la concentration du développement ou du<br />
88 Rapport de masculinité : (population masculine/population féminine)*100.<br />
117
ythme de la modernisation dans tous les domaines (communication, transport, construction,<br />
éducation, santé et tous les services publics et privés).<br />
118<br />
Figure 2. Carte : Le Mexique et ses principales villes<br />
Source : http://www.paises.com.mx/mexico/mapa.html<br />
Selon le dernier recensement de la population en 2010, parmi les 192 244 localités 89<br />
existantes dans le pays, 83% ont moins de 250 habitants. <strong>La</strong> plupart de ces petites localités se<br />
trouvent éloignées des chefs-lieux, et isolées les unes des autres. En revanche, il y a seulement<br />
onze localités qui comptent 1 million d’habitants ou plus dans le pays. <strong>La</strong> majorité des<br />
localités, 98,1%, a moins de 2 500 habitants, ce sont les localités rurales selon le classement<br />
proposé par l’INEGI, et seulement un quart de la population y habite (23,2%). Par contre,<br />
presque la moitié de la population (47,8%) habite l’une des 131 grandes villes du pays<br />
(Tableau 6).<br />
Deux Mexicains sur dix habitent la Zone métropolitaine de la ville de Mexico, qui héberge la<br />
capitale du pays, et qui est l’une des zones urbaines les plus peuplées du monde. C'est-à-dire<br />
que dans à peu près 0,4% du territoire mexicain (8 000 Km 2 ) habite 19% de sa population,<br />
soit à peu près 20 millions de personnes (SEDESOL- CONAPO-INEGI, 2004).<br />
89 Selon la définition de l’INEGI, une localité est un lieu occupé par un ou plusieurs logements habités. Ce lieu<br />
est reconnu par un certain nom légal, ou bien par coutume (INEGI, 2003a).
Ce modèle de concentration-dispersion de la population a contribué à une répartition et un<br />
développement inégaux de l’infrastructure et des services publics dans chaque localité, en ce<br />
qui concerne les niveaux de qualité, de quantité et de modernité. C’est ainsi qu’en général, les<br />
localités les plus petites ne sont pas munies de tous les services publics : eau potable, égout,<br />
électricité. Et même les services de santé et d’éducation y sont très précaires, voire<br />
inexistants. Par contre, les localités les plus peuplées (les grandes villes) comptent grosso<br />
modo avec tous les services publics et sociaux, même parfois parmi les plus modernes du<br />
monde. Par conséquent, les Mexicains ont des opportunités différentes de développement<br />
selon leur lieu de résidence. Mais bien sûr, aussi selon leurs capacités familiales et<br />
individuelles. Parce que la seule existence d’options ne suppose pas qu'on a la capacité d’en<br />
profiter.<br />
Tableau 6. Nombre de localités et population par taille de la localité,<br />
selon le classement de l’INEGI<br />
Taille de la localité<br />
(par nombre d’habitants)<br />
Nombre de<br />
localités<br />
% Population %<br />
Localités rurales :<br />
Moins de 2 500<br />
De 1 à 249 159 820 83,1 5 743 745 5,1<br />
De 250 à 499 13 587 7,1 4 820 906 4,3<br />
De 500 à 999 9 265 4,8 6 507 589 5,8<br />
De 1 000 à 2 499 5 921 3,1 8 976 888 8,0<br />
Localités mixtes :<br />
De 2 500 à 14 999<br />
De 2 500 à 4 999 1 839 1,0 6 360 949 5,7<br />
De 5 000 à 9 999 882 0,5 6 081 738 5,4<br />
De 10 000 à 14 999 300 0,2 3 664 946 3,3<br />
Petites villes :<br />
De 15 000 à 99 999<br />
De 15 000 à 29 999 304 0,2 6 407 065 5,7<br />
De 30 000 à 49 999 110 0,1 4 182 386 3,7<br />
De 50 000 à 99 999 85 0,0 5 891 954 5,2<br />
Grandes villes :<br />
De 100 000 et plus<br />
De 100 000 à 249 999 56 0,0 8 632 712 7,7<br />
De 250 000 à 499 999 39 0,0 13 873 211 12,3<br />
De 500 000 à 999 999 25 0,0 16 363 103 14,6<br />
1 million et plus 11 0,0 14 829 346 13,2<br />
Total<br />
192 244 100,0 112 336 538 100,0<br />
Source : INEGI, XIII Censo General de Población y Vivienda, 2010.<br />
119
III.1.2. Les conditions de vie : une image inégale d’opportunités.<br />
Le pays a subi à partir de 1982 diverses crises économiques et de restructuration de<br />
l’économie nationale. D’un point de vue économique, la dernière décennie du XXe siècle peut<br />
se diviser en trois sous-périodes : lente croissance économique de 1991 à 1994 ; grave crise de<br />
1995 à 1996 ; et dynamisme majeur de la croissance économique pendant les quatre dernières<br />
années. Cependant, selon Cortés et al. (2002), la dernière décennie du XXe siècle a été une<br />
période de « stagnation » en matière de progrès social.<br />
<strong>La</strong> Secretaría de Desarrollo Social, SEDESOL, 90 estime qu’au Mexique il y avait 52,3<br />
millions de pauvres en 2000 (53,7% de la population) 91 , dont 23,6 millions dans des<br />
conditions de pauvreté extrême (24,2%) 92 . Il faut souligner que l’évolution de la pauvreté<br />
dans les années 90 a suivi la même tendance que le cycle économique mentionné plus haut :<br />
une augmentation pendant les années proches de la crise de 1994, une légère diminution à<br />
partir de 1996, et une diminution majeure après l’an 1998. Néanmoins, à la fin du XXe siècle,<br />
El Banco de México indique que pendant les quinze dernières années, la proportion de<br />
personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrême avait presque doublé (Boltvinik et<br />
Hernández, 1999). <strong>La</strong> pauvreté dans les localités rurales, notamment des localités de<br />
population d’origine indienne, est plus importante que celle des localités urbaines. Même si<br />
les tendances dans les deux cas ont suivi les cycles économiques du pays, l’ampleur des<br />
changements est fort différente. De sorte que les zones rurales sont plus touchées par les<br />
crises que les zones urbaines. Les zones indiennes sont celles qui montrent les taux de<br />
marginalisation les plus élevés, avec 82% de la population en situation d'exclusion.<br />
Néanmoins, même dans les grandes villes comme Mexico, Guadalajara et Monterrey, une<br />
partie non négligeable (43%) vit dans des conditions de grande ou de très grande marginalité<br />
(Garza, 2000).<br />
90 Ministère du Développement Social.<br />
91 Les personnes en pauvreté sont celles dont les revenus du ménage sont insuffisants pour couvrir les besoins en<br />
alimentation, en santé, en éducation, en habillement, en logement et en transport. C’est-à-dire des revenus<br />
inférieurs à environ 3 dollars (en localités rurales) et 4,5 dollars (en localités urbaines) par jour et par personne,<br />
en août 2000 (Cortés et al., 2002).<br />
92 Les personnes en situation de pauvreté extrême sont celles qui habitent dans un ménage dont les revenus sont<br />
insuffisants pour couvrir les besoins minimums en alimentation. C’est-à-dire, en août 2000, un revenu inférieur à<br />
1,7 dollar (en localités rurales) et 2,2 dollars (en localités urbaines) par jour et par personne (Cortés et al., 2002).<br />
120
En plus de l’augmentation du nombre de pauvres pendant la décennie 1990, la pauvreté s’est<br />
aussi intensifiée : les pauvres sont devenus progressivement plus pauvres qu’au début de la<br />
décennie (Cortés et al., 2002). En ce qui concerne les revenus, 69% des ménages ont un<br />
revenu total inférieur à 20 dollars par jour, tandis que la moitié d'entre eux a un revenu<br />
inférieur à 12 dollars. On estime que pendant la dernière décennie du XXe siècle, le Salaire<br />
minimum 93 (SM) a perdu 45,2% de son pouvoir d’achat (Boltvinik et Hernández, 1999).<br />
Depuis quelques années, le gouvernement a créé le Consejo Nacional de Evaluación de la<br />
Política de Desarrollo Social, CONEVAL (Conseil National d’Evaluation de la Politique de<br />
Développement Social) qui est l’institution chargée de mesurer officiellement la pauvreté du<br />
pays. Avec une vision multidimensionnelle de la pauvreté, il prend en compte des<br />
indicateurs sur le revenu, l’éducation, l’accès aux services de santé, la qualité du logement,<br />
l’accès aux services de base dans le logement (électricité, de l’eau potable…), l’alimentation<br />
et la cohésion sociale. Le CONEVAL (2011) estime qu’en 2008, 42,8% de la population du<br />
pays vivait dans des conditions de pauvreté, soit 47,2 millions de personnes : 36 millions de<br />
« pauvres modérés » et 11,2 millions de « pauvres extrêmes » 94 .<br />
Cette approche est semblable à celle de l'Indice de Développement Humain (IDH), élaboré<br />
par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), lequel prend en<br />
compte trois dimensions de base : la santé, l’éducation et les revenus, afin d'avoir une idée<br />
globale de la situation dans laquelle se trouve la population au pays. Même s'il reste un<br />
indicateur général et flou, car il est difficile de représenter avec un seul chiffre une série de<br />
facteurs de développement, il permet de comparer la situation entre pays et de les situer dans<br />
un cadre de référence international. Dans le tableau 7, nous montrons l’IDH et ses composants<br />
pour certains pays sélectionnés pour 2007, année de l’enquête que nous utilisons pour notre<br />
recherche et du travail de terrain. Selon le rapport de l’IDH de 2009, le Mexique se trouvait en<br />
2007 parmi les pays qui ont un IDH « élevé », à la 53e place parmi les 182 pays étudiés, place<br />
qu’il occupe depuis le début des années 2000. Mieux placés que le Mexique dans ce<br />
classement, nous trouvons tous les pays dits développés, ainsi que d’autres<br />
comme l’Argentine, le Chili, l’Uruguay et Cuba, pour n’en mentionner que quelques-uns de<br />
93 A la fin des années 1990, le SM était approximativement de 4 dollars US par jour (la parité entre le dollar et le<br />
peso mexicain est très dynamique, mais de décembre 1998 au début 2002, elle a stagné à près de 10 pesos<br />
mexicains pour 1 dollar US).<br />
94 <strong>La</strong> population présente plusieurs carences sociales et son revenu est insuffisant pour couvrir ses nécessités<br />
alimentaires, même si tout son revenu n’était utilisé que pour cela.<br />
121
l’Amérique latine (PNUD, 2009). En 2010, selon le dernier rapport, le Mexique est placé en<br />
56e place (PNUD, 2011).<br />
122<br />
Tableau 7. L’Indice de Développement Humain 2007 pour des pays sélectionnés<br />
Composants de l’IDH<br />
Pays et rang<br />
IDH en 2007<br />
Espérance<br />
de vie à la<br />
naissance<br />
(années)<br />
Taux<br />
d’alphabétisatio<br />
n des adultes<br />
(% entre 15 ans<br />
et plus)<br />
Taux brut<br />
combiné de<br />
scolarité<br />
(%)<br />
PIB par<br />
habitant<br />
(PPA 1 en<br />
USD)<br />
IDH<br />
1. Norvège 80,5 100,0 98,6 53 433 0,971<br />
8. France 81,0 100,0 95,4 33 674 0,961<br />
13. Etats-Unis 79,1 100,0 92,4 45 592 0,956<br />
44. Chili 78,5 96,5 82,5 13 880 0,878<br />
49. Argentine 75,2 97,6 88,6 13 238 0,866<br />
53. Mexique 76,0 92,8 80,2 14 104 0,854<br />
Niveau<br />
DH<br />
Très<br />
élevé<br />
Elevé<br />
100. Jamaïque 71,7 86,0 78,1 6 079 0,766 Moyen<br />
182. Niger 50,8 28,7 27,2 627 0,340 Faible<br />
Source : PNUD (2009).<br />
1_/ PPA : Parité de pouvoir d’achat (en assurant le même pouvoir d’achat dans tous les pays).<br />
Par ailleurs, l'Indice de Gini 95 montre que le niveau d'inégalité des revenus économiques au<br />
Mexique a légèrement diminué dans les dernières années : il est passé de 51,9 en 1999 à 48,1<br />
en 2007. Néanmoins, les différences entre les revenus, ainsi qu’entre les conditions de vie de<br />
la population nationale continuent d’être assez importantes. Afin d’avoir un repère, l’Indice<br />
de Gini en France, en 2007, était de 32,7 ; tandis qu’aux extrêmes on trouve Haïti parmi les<br />
pays les plus inégalitaires avec 59,5, et le Danemark dans les moins inégalitaires avec 24,7<br />
(PNUD, 2009).<br />
L'une des réussites sociales les plus importantes du Mexique contemporain est la baisse de la<br />
mortalité, grâce à l’amélioration générale de l’infrastructure publique et à l’innovation en<br />
matière de santé. <strong>La</strong> vie moyenne de la population a plus que doublé de 1930 à aujourd’hui,<br />
l’espérance de vie à la naissance étant passée de 36,1 ans pour les hommes et 37,5 ans pour<br />
les femmes à respectivement 71,3 et 76,5 ans en 2000, et 73,1 et 77,8 ans en 2010 (Mendoza<br />
García et Tapia Colocia, 2010). <strong>La</strong> diminution du risque de mort infantile a contribué de<br />
manière significative à favoriser ces changements, et les améliorations de l'espérance de vie<br />
95 L’Indice de Gini est un indicateur statistique pour mesurer l’inégalité de la répartition des revenus ou de la<br />
consommation. Le chiffre zéro correspond à l’égalité parfaite et le chiffre cent à l’inégalité totale.
ont, en particulier, concerné les enfants de moins d'un an. D’après le CONAPO, la mortalité<br />
infantile a diminué d'environ 20% par rapport au taux enregistré en 1994, c'est-à-dire de 31,4<br />
à 24,9 décès d'enfants de moins d'un an sur mille enfants nés vivants, ce qui signifie qu'avec<br />
cette baisse, environ 20 000 décès d’enfants ont été évités seulement pour l'an 2000<br />
(González, 2004). Une autre sphère où le pays a suivi une évolution notable est celle de la<br />
scolarisation. Nonobstant, malgré les efforts faits dans ce domaine, le système éducatif est<br />
aussi témoin de l’iniquité d’opportunités et d’options qui prédomine dans le pays.<br />
III.1.3. Le système éducatif : en franche croissance, mais encore insuffisant.<br />
A l’origine, la Constitución Política de los Estados Unidos Mexicanos (Constitution Politique<br />
des Etats Unis Mexicains), datée de 1917, a établi dans son Article 3, six ans d'éducation<br />
obligatoire et gratuite pour tous les Mexicains (l’école primaria). Mais cet article a été changé<br />
à partir de 1993, le gouvernement ayant alors établi neuf ans de scolarité obligatoire : six<br />
années de primaria (école élémentaire) plus trois années de secundaria (collège). Ce qui<br />
concerne en théorie les enfants âgés de 6 à 11 ans et de 12 à 14 ans respectivement. De 3 à 5<br />
ans d’âge, les enfants peuvent fréquenter l’école preescolar (école maternelle) qui n’est pas<br />
obligatoire (Tableau 8). Pour les personnes qui n'ont pas pu suivre l’enseignement élémentaire<br />
à l’âge prévu, il existe un programme scolaire spécial qui leur permet de passer ces diplômes.<br />
Tableau 8. L’organisation du système scolaire mexicain<br />
Age Niveau Durée Qualité<br />
3 à 5 ans<br />
6 à 11 ans<br />
12 à 14 ans<br />
15 à 17 ans<br />
18 ans et plus<br />
Preescolar<br />
(Ecole maternelle)<br />
Primaria<br />
(Ecole élémentaire)<br />
Secundaria<br />
(Collège)<br />
Medio Superior<br />
(Lycée)<br />
Superior<br />
(Etudes supérieures)<br />
2 ou 3 ans Non<br />
obligatoire<br />
6 ans<br />
(De la 1 e à la 6 e année)<br />
3 ans<br />
(De la 1 e à la 3 e Obligatoire<br />
année)<br />
3 ans<br />
(De la 1 e à la 3 e année)<br />
Source : Secretaría de Educación Pública.<br />
Non<br />
obligatoire<br />
Cependant, malgré le droit qu’ont tous les Mexicains à neuf ans de scolarisation à partir de<br />
1993, il faut reconnaître que satisfaire la demande éducative, étant donné l’ampleur de la<br />
population en âge scolaire, la diversité ethnique, culturelle et linguistique du pays, est un des<br />
défis majeurs pour le gouvernement national. A cela s'ajoute la difficulté d’accès pour un<br />
123
grand nombre de petites localités rurales, isolées et assez éloignées des chefs-lieux, mal<br />
desservies et souvent sans l’infrastructure nécessaire pour garantir l’enseignement de base à<br />
leurs habitants. De telle façon que le droit à la scolarisation reste encore un idéal pour la<br />
population de beaucoup de petites localités.<br />
Il est important de préciser que le système scolaire au Mexique est organisé en deux tours, au<br />
moins dans les écoles publiques : matinal et après-midi. Par exemple, les horaires de l’école<br />
primaria sont de 8 h à 12 h 30 ou de 13 h à 17 h 30 ; et ceux de l’école secundaria sont de<br />
7 h 20 à 13 h ou de 13 h 30 à 19 h 50, du lundi au vendredi. Les horaires peuvent varier<br />
légèrement d’un Etat à l’autre du pays, mais en moyenne, les 6 à 11 ans sont censés passer<br />
22,5 heures hebdomadaires à l’école, soit 4,5 heures par jour, tandis que ceux âgés de 12 ans<br />
et plus y passent au moins 30 heures, soit 5,5 heures par jour. Les écoles ne proposent pas de<br />
réfectoire.<br />
Il faut aussi signaler que même si l’offre scolaire est principalement publique, une partie non<br />
négligeable d’écoles dans le pays sont privées, surtout dans les villes. Le secteur privé<br />
dispense notamment les cours à partir de l’enseignement medio superior (lycée). Et les<br />
tendances montrent que le secteur privé gagne du terrain (Graphique 2). Selon les statistiques<br />
de la Secretaría de Educación Pública, SEP, 96 globalement, de 1990 à 2007, la proportion<br />
d’écoles ainsi que d’élèves dans le secteur public a baissé progressivement ; mais cette baisse<br />
s’observe principalement au niveau supérieur. A l’évidence, le gouvernement a concentré ses<br />
efforts sur la scolarisation obligatoire qui concerne les enfants de 6 à 14 ans. Pour celle-ci, le<br />
système scolaire public accueille la majorité des élèves dans ses établissements. Son caractère<br />
obligatoire force de toute évidence l’Etat à mettre en marche tous les moyens pour faire face à<br />
l’énorme demande nationale (à peu près 20 millions d’enfants). Certaines familles aisées<br />
préfèrent toutefois payer une scolarisation privée à leurs enfants, censée être de meilleure<br />
qualité. Mais à partir du deuxième cycle, pour les 15 à 17 ans, même si la proportion d’écoles<br />
et d’élèves augmente, le gouvernement a négligé son offre, qui est insuffisante pour répondre<br />
à la demande croissante d’adolescents et jeunes qui veulent de plus en plus accéder à des<br />
études plus avancées.<br />
96 Ministère de l’Education Publique.<br />
124
Graphique 2. Evolution des pourcentages d’élèves inscrits en école publique,<br />
selon le cycle scolaire, 1990-2007<br />
% (Elèves en école publique)<br />
100<br />
90<br />
80<br />
70<br />
60<br />
50<br />
1990 2000 2007<br />
Primaria Secundaria Medio Superior Superior<br />
Source : SEP (2002) et SEP (2010).<br />
En effet, l’offre publique, quant au nombre d’écoles et d’élèves inscrits, diminue à mesure que<br />
le cycle scolaire augmente. De sorte qu’à partir du medio superior (lycée) les places en école<br />
publique sont assez limitées, et le prix de l’offre privée n’est pas à la portée de toutes les<br />
familles. Surtout lorsque les allocations familiales ou les bourses pour les études sont<br />
vraiment rares. Par conséquent, le nombre d’élèves inscrits en medio superior, soit dans le<br />
public, soit dans le privé, est assez mince par rapport à la population du groupe d’âges<br />
correspondant : 3,7 millions d’élèves sur 6 millions de jeunes pendant l’année scolaire 2006-<br />
2007.<br />
Pour mentionner quelques indicateurs actuels de scolarité au Mexique, selon les données du<br />
recensement de la population 2010, parmi toutes les personnes âgées de 15 ans et plus, 93%<br />
savent lire et écrire, 7% n’ont jamais été scolarisées, et seulement 33% ont terminé le niveau<br />
scolaire medio superior ou superior (lycée ou troisième cycle). D’ailleurs, 94,7% d’enfants de<br />
6 à 14 ans fréquentent l’école, mais de cette fréquentation ne découle pas systématiquement<br />
une réussite ni une poursuite scolaire. D’autant plus que les élèves de tout niveau ne cessent<br />
de remettre en cause la qualité de l’enseignement, les énormes déficiences du système<br />
éducatif national.<br />
De manière générale, la scolarité moyenne des personnes âgées de 15 ans ou plus s’est<br />
beaucoup élevée pendant les dernières décennies : elle est passée de 3,4 ans en 1970 à 8,6 ans<br />
125
en 2010. Le niveau scolaire moyen actuel est de 2 années de secundaria (soit la classe de<br />
quatrième en France), ce qui reste assez proche du niveau obligatoire, qui est de 9 ans.<br />
Malgré une tendance à l’égalité des sexes en matière de scolarité, il existe encore de petites<br />
différences, les hommes ayant une scolarité moyenne supérieure à celle des femmes :<br />
respectivement 8,8 et 8,5 ans. De plus, la proportion de femmes sans instruction, ou bien avec<br />
seulement une scolarité élémentaire, est supérieure à celle des hommes. Tandis que la<br />
proportion d’hommes avec une scolarité de secundaria ou plus est plus élevée que celle de<br />
femmes. En 1970, la fréquentation de l’école était déjà semblable parmi les filles et les<br />
garçons âgés de 6 à 12 ans, mais à partir l’âge de 13 ans, il y avait une différence notable par<br />
sexe (INEGI, 2006). A partir de l’an 2000, il n’existe plus de différence par sexe dans tous les<br />
niveaux. Et la proportion d’enfants qui fréquentent l’école a augmenté à tous âges, même si<br />
elle reste encore assez faible après 15 ans (pour les niveaux légalement non obligatoires).<br />
Cependant, le grand abandon scolaire à partir de 13 ans est inquiétant, tout de suite après la<br />
primaria (l’école élémentaire), malgré l’obligation et la gratuité de la scolarisation jusqu’à 14<br />
ou 15 ans (Graphique 3). Enfin, la scolarisation des plus âgés (20 à 24 ans) n’a pas beaucoup<br />
évolué depuis 1970.<br />
126<br />
Graphique 3. Proportion (%) de personnes qui fréquentent l’école<br />
par groupes d’âges, selon le sexe, 1970 et 2000<br />
%<br />
100<br />
90<br />
80<br />
70<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
6 à 12 ans 13 à 15 ans 16 à 19 ans 20 à 24 ans<br />
Groupes d'âges<br />
Hommes-1970 Femmes-1970<br />
Hommes-2000 Femmes-2000<br />
Source : INEGI (2006).
Les causes de l’abandon scolaire sont multiples, soit en rapport direct avec la demande (des<br />
problèmes familiaux ou individuels), soit un manque d’offre scolaire dans la localité de<br />
résidence. En effet, en 1997, à 12 ans presque neuf enfants sur dix fréquentent l’école, mais à<br />
14 ans la proportion descend à huit sur dix, et cela s’accélère dans les trois années suivantes,<br />
période où plus d’un quart des enfants abandonnent l’école. Ainsi, seulement la moitié des<br />
enfants de 17 ans sont scolarisés. Et à partir de 18 ans, les garçons sont moins fréquemment<br />
scolarisés que les filles. Par exemple, à l’âge de 19 ans, 31% des garçons et 43% des filles<br />
sont étudiants, tandis qu’à 20 ans ils ne sont plus que 25 et 31% respectivement (Camarena<br />
Córdova, 2004).<br />
Nous voudrions également signaler qu’en 2000, parmi les personnes âgées de 24 ans et plus, à<br />
peine 15% des hommes et 10% des femmes ont réussi au moins une année de scolarité<br />
supérieure. Cette population est une génération qui a vécu la scolarité obligatoire de 6 ans et<br />
de grandes iniquités d’accès à la scolarité par sexe. Mais, il est évident que malgré les<br />
déficiences persistantes en matière d’éducation, le pays a connu pendant les dernières années<br />
des avancées dans ce domaine : on observe une élévation du niveau éducatif à chaque<br />
nouvelle génération.<br />
Cependant, une telle réussite du système éducatif ne s’accorde pas avec la détérioration<br />
progressive du marché du travail. Les diplômes ne sont plus une garantie de réussite<br />
professionnelle et d’intégration sociale. Ainsi, le Mexique est devenu un pays de main-<br />
d’œuvre qualifiée et bon marché.<br />
III.1.4. Le marché du travail : un portrait de flexibilisation, précarité et hétérogénéité.<br />
<strong>La</strong> Constitution mexicaine établit dans son Article 123 les termes du droit au travail. <strong>La</strong> durée<br />
légale de travail journalière est de huit heures, avec un minimum d’un jour de repos pour six<br />
jours de travail (la durée légale du travail est fixée à 40 heures par semaine). Les travailleurs<br />
ont aussi droit à un revenu minimum « digne », dont la valeur est établie annuellement<br />
(Salario mínimo, SM), 97 une rémunération majorée de 100% sur les heures supplémentaires,<br />
97 En 2011, il correspond en moyenne (car il existe trois zones géographiques du SM) à 58,22 pesos (3,5 euros)<br />
par journée de travail de 8 heures. A Mexico le SM est de 59,82 pesos (SAT, 2011). A savoir, le coût d’un ticket<br />
de métro est de 3,00 pesos (voyage simple) ; et en moyenne : 10,00 pesos le kilo de tortilla ; le kilo de viande de<br />
127
l’intéressement aux bénéfices de l’entreprise (dans le secteur privé), à des vacances 98 , et à la<br />
sécurité sociale (santé, maternité, retraite, incapacité de travail, décès et vieillesse).<br />
Néanmoins, dans la pratique, les droits des travailleurs sont parfois transgressés même dans le<br />
secteur formel du marché du travail. D'une part, car la mauvaise situation économique des<br />
familles, en plus de la faible offre de travail formel, pousse les personnes à accepter des<br />
postes aux conditions de travail précaires (parfois illégales), et à taire les irrégularités<br />
existantes. Le gouvernement et les syndicats ne remplissent plus leurs fonctions de veiller au<br />
bon respect des droits des travailleurs, ils ferment souvent les yeux face aux injustices,<br />
récompensés par l’énorme corruption qui domine toutes les sphères de la vie du pays. D’autre<br />
part, les patrons profitent de la flexibilité du marché, de la faible application de la loi, de la<br />
corruption, de la demande débordante de travailleurs et de leurs nécessités économiques. Si<br />
quelqu’un n’est pas d’accord avec une injustice professionnelle, l’option est claire : la<br />
démission immédiate. <strong>La</strong> porte de sortie est grande ouverte en permanence, et tout le monde<br />
est remplaçable, au vu de la convoitise des places. Les phrases « Il vaut mieux avoir un travail<br />
quelconque que rien ! » ou « Je cherche n’importe quoi, je ne suis pas exigeant ! » sont assez<br />
courantes dans la population en général, et notamment dans les classes populaires. En effet, le<br />
chômage n’est pas une situation dans laquelle on peut durer, dans un pays qui ne dispose pas<br />
d’un programme de soutien des chômeurs (allocations au chômage). Les taux de chômage<br />
(Tasa de desempleo abierto, TDA) sont alors toujours restés à un niveau assez bas, même en<br />
1995 pendant la grave crise économique qui a touché le pays (Graphique 4). En 2000, le taux<br />
de chômage a été de 1,6%, très en dessous de certains pays développés : l’Espagne 14,1%,<br />
l’Italie 10.5%, la France 10% et les Etats-Unis 4% (INEGI, 2003). 99 Or, en 2009, le taux de<br />
chômage a augmenté notablement en arrivant à 5,2% (INEGI, 2010). Mais, même si ce niveau<br />
de chômage reste encore faible, il ne signifie pas que le marché du travail au Mexique est plus<br />
bœuf 37,00 pesos ; le kilo de tomate 5,00 pesos ; le litre de lait 13,00 pesos ; un kilo de pomme de terre 9,50<br />
pesos (SNIIM, 2011).<br />
98 Au bout de la première année de service consécutif, les travailleurs ont le droit à au moins 6 jours de congés<br />
payés, après, à chaque année travaillée s’ajoutent 2 jours de plus, jusqu’à atteindre 12 jours de congés payés,<br />
puis 2 jours supplémentaires tous les cinq ans.<br />
99 Les chiffres font référence aux taux de chômage : (nombre de chômeurs/PEA)*100. Dont :<br />
Chômeurs : Personnes qui n’ont pas travaillé une heure pendant la semaine de référence, mais qui ont cherché un<br />
travail.<br />
PEA : Population économiquement active.<br />
Ce taux est recommandé par l’OIT en cas de comparaisons internationales. Cependant, les chiffres pour le<br />
Mexique prennent en compte les personnes de 12 ans et plus, lorsque d’autres pays considèrent les 15 ans et<br />
plus.<br />
128
efficace, sinon qu’il est simplement beaucoup plus flexible. Le chômage est un luxe pour la<br />
majorité de la population, et même pour certains EAJ.<br />
Selon les données officielles, même si les conditions de travail se sont améliorées au cours<br />
des dernières années, il reste encore des traits de précarité et de flexibilité sur le marché du<br />
travail : bas revenus, longues journées de travail, contrats temporaires et droits violés. En<br />
2000, six travailleurs sur dix (de 12 ans et plus) gagnent moins de 2 fois la valeur du SM 100<br />
mensuel et une proportion similaire travaille plus de 40 heures par semaine (INEGI, 2001).<br />
Tandis qu’en 2009, un travailleur sur trois gagne moins de 2 fois la valeur correspondante au<br />
SM et 52% travaille plus de 40 heures hebdomadaires (INEGI, 2010).<br />
%<br />
35<br />
30<br />
25<br />
20<br />
15<br />
10<br />
5<br />
0<br />
Graphique 4. Taux de chômage (TDA) et taux de<br />
conditions critiques d’emploi (TCCO) par sexe, 1991-2009<br />
1991 1993 1995 1997 1999 2009<br />
Années<br />
TDA Hommes TDA Femmes<br />
TCCO Hommes TCCO Femmes<br />
Sources : INEGI, Encuesta Nacional de Empleo, deuxième trimestre, 1991 à 1999.<br />
INEGI, Encuesta Nacional de Ocupación y Empleo 2009.<br />
Selon le recensement de la population de 2000, seulement un travailleur sur trois a droit aux<br />
vacances ainsi qu’au service médical, deux sur cinq aux étrennes et trois sur dix au service<br />
d’épargne pour la retraite. Il faut signaler que deux retraités sur trois perçoivent moins de 2<br />
fois la valeur du SM (8 dollars par jour), et seulement 46% des ménages sont affiliés à la<br />
sécurité sociale (INEGI, 2005). Or, en 2009 selon les données officielles, 64% des travailleurs<br />
100 Le SM varie selon trois régions du pays : A, B et C. Le SM de la région A (où se trouve la ville de Mexico)<br />
en 2000 correspond à 37,90 pesos par jour (4 dollars). Pour la région B il est de 35,10 et pour la région C de<br />
32,70 pesos (SAT, 2011). Il faut rappeler qu’en 2000, les ménages avec un revenu inférieur à 4,5 dollars US par<br />
jour et par personne étaient considérés comme pauvres (Cortés et al., 2002).<br />
129
n’ont pas directement le droit d’accès aux institutions de santé publique (INEGI, 2010), mais<br />
il est possible que certains y accèdent à travers leurs parents. Enfin, selon le dernier<br />
recensement, en 2010, 35% de la population n’a pas encore le droit à la sécurité sociale.<br />
L’un des indicateurs de la détérioration de la qualité du travail, qui montre la fragilité de<br />
l’application de la loi, est le taux de conditions critiques d’emploi (Tasa de condiciones<br />
críticas de ocupación, TCCO). D’après l’INEGI, il est probablement l’indicateur le plus<br />
important pour illustrer la situation. 101 Pendant les années 90, au moins un travailleur sur cinq<br />
travaillait dans des conditions critiques d’emploi, c’est-à-dire qu’il travaillait à mi-temps faute<br />
d’avoir trouvé un travail à plein temps, ou bien qu’il recevait un faible revenu par son travail.<br />
Cet indicateur a touché jusqu’à un actif occupé sur trois en 1997, à cause des réajustements du<br />
marché du travail après la crise économique de 1995. Et selon les données officielles, de<br />
moins en moins de travailleurs se trouvent dans ce cas, puisqu’en 2009 seulement un<br />
travailleur sur dix travaillait dans des conditions critiques d’emploi (Graphique 4). A l’égard<br />
de l’indicateur, le phénomène était plus masculin que féminin, mais cet écart par sexe a<br />
presque disparu depuis la fin de la décennie 1990.<br />
L’augmentation de la population économiquement active (PEA) — qui est passée de 24<br />
millions de personnes en 1990 à 34 millions en 2000, pour arriver à 45,7 millions en 2009 —<br />
est principalement due à la croissante participation économique des femmes depuis les années<br />
90, mais aussi à la présence d’une population plus nombreuse en âge de travailler. En ce qui<br />
concerne le taux de participation économique, pour les hommes, il est resté à 78% entre 1990<br />
et 2000, tandis que celui des femmes est passé dans la même période de 31,5% à 36,4%. Il<br />
s’agit pour la plupart de femmes mariées (INEGI, 2006a). Il faut également souligner que les<br />
taux de participation des femmes ont presque doublé de 1970 à 1996 (17,6 et 35,2%<br />
respectivement) (Parrado et Zenteno, 2005). En 2010, le recensement donne un taux de<br />
participation économique de 73,4% chez les hommes et de 33,3% chez les femmes, c’est-à-<br />
101<br />
TCCO : ((OH35RM + OH35SM + OH48SM)/les travailleurs ayant un emploi) *100. Pour la population de 12<br />
ans et plus.<br />
Dont :<br />
OH35RM : Les actifs occupés qui ont travaillé moins de 35 heures la semaine de référence pour des raisons<br />
propres au marché (c’est-à-dire des raisons involontaires ou non personnelles).<br />
OH35SM : Les actifs occupés qui ont travaillé plus de 35 heures avec un revenu inférieur au SM.<br />
OH48SM : Les actifs occupés qui ont perçu pour leur travail entre 1 et 2 SM avec une journée de travail de plus<br />
de 48 heures par semaine.<br />
130
dire une légère diminution pour les deux sexes, qui est en relation avec l’augmentation du<br />
taux de chômage de cette période.<br />
En présence d’un marché du travail national incapable d’offrir le nombre de postes<br />
nécessaires dans le secteur formel pour répondre à la demande grandissante de travail, et vis-<br />
à-vis des nouvelles réformes économiques impulsées par les gouvernements, il y a eu une<br />
augmentation des emplois principalement dans les entreprises manufacturières d’exportation,<br />
ainsi que dans le secteur informel, au détriment de la qualité de l’emploi (Parrado et Zenteno,<br />
2005). L’INEGI a estimé que 30% de la population active occupée en 2000 travaillait dans le<br />
secteur informel (petit commerce de rue, services domestiques, travaux des champs, etc.). 102<br />
Et c’est justement l’ouverture de l’économie mexicaine au commerce et à l’investissement<br />
internationaux pendant les années 80 qui a contribué à la plus grande participation des<br />
femmes aux activités manufacturières (notamment dans l’industrie « maquiladora » 103 ) et aux<br />
activités économiques informelles (INEGI, 2006).<br />
En 2000, d’après le recensement, 68% des travailleurs étaient des salariés. <strong>La</strong> plupart (53%)<br />
travaillaient dans le secteur tertiaire ; le secteur secondaire étant aussi notable (28%), et le<br />
moins important était le secteur primaire avec à peine 16%. Mais l’on peut trouver d'énormes<br />
différences entre Etats. 104 D’ailleurs, les travailleurs dans l’industrie (28%), les travailleurs en<br />
services (17%), les travailleurs dans le secteur primaire (16%) et les commerçants et les<br />
vendeurs dans les rues (15%) sont les plus importants (INEGI, 2001). Plus récemment, en<br />
2009, parmi les travailleurs, 66% sont salariés ; les travailleurs dans le secteur tertiaire<br />
continuent de prendre de l’importance, atteignant 63%, tandis que les travailleurs dans les<br />
secteurs secondaire et primaire diminuent : 24 et 13% respectivement (INEGI, 2010)<br />
Malgré les tendances cycliques, l’emploi non agricole a augmenté de 8,5 millions de<br />
personnes entre 1991 et 2000, dont 30% dans le secteur manufacturier et 70% dans les<br />
secteurs non manufacturiers, notamment dans le commerce et les services. D’ailleurs, les<br />
102 Mais les chiffres concernant le secteur informel sont toujours contestables, voire sous-estimés, à cause de la<br />
difficulté théorico-méthodologique pour les repérer.<br />
103 Des usines d’assemblage ou d’élaboration d’une partie ou de tout un produit qui se réalise pour d’autres<br />
établissements, où les derniers sont les propriétaires de la matière première utilisée (« Servicio de ensamblado<br />
y/o elaboración de partes o todo el producto de un establecimiento para otros, donde estos últimos son los<br />
dueños de la materia prima a procesar y/o ensamblar. ») (INEGI, 2011a).<br />
104 Il faut dire que dans les Etats de Chiapas et Oaxaca, le secteur primaire est le plus important (plus de 40%),<br />
par contre à Quintana Roo et DF le secteur tertiaire représente un peu plus de 70%.<br />
131
evenus ont été fortement affectés (négativement) pendant toute la décennie, surtout à cause<br />
du comportement des taux d’inflation, 105 et la baisse du pouvoir d’achat a été plus sévère chez<br />
les ruraux (Cortés et al., 2002). C’est qui a contribué à polariser les conditions de vie entre la<br />
population urbaine et rurale, en général.<br />
Par ailleurs, concernant l’âge minimum des travailleurs, la Ley Federal del Trabajo (Loi<br />
Fédérale du Travail) de 1970, qui a été réformée pour la dernière fois en 2006, établit les<br />
restrictions d’embauche : avant 14 ans, le travail est interdit ; de 14 à 15 ans, le travail est<br />
permis, restreint à des conditions précises et à certains emplois ; et de 16 à 17 ans, tout est<br />
autorisé, sauf le travail industriel nocturne. Les consignes d’embauche pour les moins de 16<br />
ans sont strictes : 106<br />
Obligation de demander un certificat médical attestant la bonne santé, et d’effectuer des<br />
examens de contrôle quotidiennement.<br />
Une journée de travail de six heures maximum, dont une période de repos d’une heure après<br />
les trois premières heures.<br />
Interdiction de travailler après 22 h, de faire des heures supplémentaires, et de travailler les<br />
dimanches ou les jours fériés.<br />
Flexibilisation de l’emploi de temps pour une scolarité en parallèle.<br />
Interdiction de travailler dans des endroits où la vente de boissons alcoolisées de<br />
consommation immédiate est autorisée ; de métiers qui pourraient affecter leur moralité ou<br />
leurs bonnes coutumes ; les rues, en tant qu’itinérants ; les souterrains ; des métiers reconnus<br />
dangereux ; des postes qui demandent une force supérieure à celle d’un enfant.<br />
Mais la loi indique aussi clairement qu’elle ne concerne pas les ateliers dits familiaux, à<br />
savoir, ceux où travaillent exclusivement les deux conjoints, leurs ascendants, leurs<br />
descendants et leurs disciples (voir Annexe I.1). C’est-à-dire que les ateliers familiaux n’ont à<br />
respecter que les restrictions législatives en matière de sécurité et de santé. Et bien<br />
évidemment, les lois ne peuvent pas s’appliquer au secteur informel.<br />
Cette mise en contexte permet de montrer tout d’abord, l’énorme importance des enfants dans<br />
la vie du pays. Ils représentent une population très nombreuse, et continuera de l’être encore<br />
dans les prochaines années. Faire face aux demandes particulières de cette population<br />
105 Lesquels sont passés de 8,4% annuel, entre 1992 et 1994, à presque 35% annuel, entre 1994 et 1996, pour<br />
diminuer à 15,7%, entre 1996 et 2000.<br />
106 Le texte intégral est en Annexe I.1.<br />
132
eprésente alors un grand défi pour l’Etat qui est censé offrir les meilleures conditions pour<br />
son bon développement. D’autre part, ces observations servent aussi à comprendre la vie<br />
quotidienne des enfants, leurs activités et leurs idées. Il est essentiel d’avoir un aperçu de la<br />
situation du système éducatif national pour bien connaître son organisation, ainsi que ses<br />
défaillances et son efficacité, car il représente un domaine de participation fondamental<br />
pendant l’enfance. De même que l’information à propos du marché du travail permet d’avoir<br />
une vision générale sur les conditions d’emploi et sur les possibilités de travail pour les<br />
enfants, dans la pratique et dans la théorie. Enfin, d’autres aspects, comme les conditions de<br />
vie de la population, donnent une idée des besoins et des opportunités des familles et des<br />
enfants.<br />
III.2. Le monde des familles mexicaines.<br />
<strong>La</strong> famille n’a pas pu échapper aux transformations socioéconomiques et démographiques de<br />
la deuxième moitié du XXe siècle, que nous avons montrées précédemment. En général, la<br />
taille moyenne des familles a diminué. Et même si la famille nucléaire prédomine, les autres<br />
types de famille, naguère peu fréquents, commencent à gagner du terrain. D’ailleurs, le<br />
modèle de famille traditionnel, avec une unique personne prenant en charge la famille<br />
(l’homme principalement), perd de la force, comme conséquence des facteurs de types<br />
économique, social, culturel et démographique ; tout ce qui impose de nouvelles formes<br />
d’organisation familiale, car les moyens de l’Etat sont assez restreints en la matière. En effet,<br />
la plupart des problèmes sont censés se résoudre en famille, pour couvrir les énormes carences<br />
de l’Etat en matière de protection sociale.<br />
<strong>La</strong> famille est l’institution sociale par excellence, avec une forte composante communautaire.<br />
Elle adopte différentes formes d’organisation et se trouve insérée dans diverses traditions<br />
culturelles et relations sociales. Mais, elle est encore un espace pour l’autorité et l’exercice du<br />
pouvoir (qu’exerce le père, le chef de ménage ou la personne la plus âgée). Elle se caractérise<br />
par la solidarité et le soutien sous des règles d’obéissance et d’autorité selon les liens<br />
hiérarchiques d’appartenance. Les conflits sont subordonnés afin de maintenir l’unité à tout<br />
prix. Néanmoins, d’après certaines études, nous savons que les familles et les ménages ont<br />
commencé à changer depuis quelques décennies (Ariza et Oliveira, 2001 ; Esteinou, 2004 ;<br />
Rendón, 2004 ; Echarri Cánovas, 2009). Maintenant, il existe une grande variété<br />
133
d’institutions, de rôles, de styles de vie qui entrent sur le marché. Ainsi, la famille a perdu son<br />
rôle fondamental en divers domaines, sauf dans le domaine affectif. Elle est le milieu des<br />
solidarités affectives et de formation de nouveaux types des solidarités (Flores, 1998). Or,<br />
comme signale Esteinou (2004), les changements n’ont pas été homogènes, toutes les familles<br />
mexicaines n’ont pas suivi les mêmes évolutions, les changements varient dans les formes et<br />
l’intensité, ainsi que parmi les groupes sociaux.<br />
Certains événements démographiques et socioéconomiques ont aussi contribué à l'évolution<br />
vers de nouvelles formes d’arrangements familiaux afin de chercher à mieux s’adapter aux<br />
nouvelles demandes et nécessités socioéconomiques. <strong>La</strong> diminution de la proportion de<br />
familles nucléaires et l’augmentation de familles monoparentales, recomposées, sans enfants<br />
et de personnes seules ont été la conséquence de diverses situations, par exemple : la<br />
participation de plus en plus élevée des femmes sur le marché du travail, l’élévation de leur<br />
niveau de scolarité, la diminution de la fécondité, la simplification de tâches domestiques, les<br />
nouvelles formes de division sexuelle du travail, la meilleure acceptation sociale du divorce et<br />
de la séparation des couples, l’augmentation de l’espérance de vie, la migration et les crises<br />
économiques (García Castro, 1998). Néanmoins, les nouvelles stratégies familiales dépendent<br />
de l’appartenance socioéconomique, ethnique et des traditions culturelles de chaque groupe<br />
(Valenzuela et Salles, 1998).<br />
Parallèlement aux changements démographiques et socioéconomiques que le Mexique a<br />
vécus, on assiste aussi à un ensemble de transformations culturelles fort importantes pour le<br />
monde familial. L’urbanisation croissante, la constante exposition d’autres cultures par les<br />
médias par exemple, l’élévation du niveau de scolarité des femmes et leur plus grande<br />
participation sur le marché du travail, ainsi que le contrôle de la fécondité et la séparation<br />
entre sexualité et reproduction ont abouti à une certaine redéfinition des images sociales sur<br />
les femmes et les hommes. Ces transformations ont commencé par influencer les secteurs<br />
urbains et de majeure scolarisation, qui restent encore et surtout les plus concernés (Ariza et<br />
Oliveira, 2004).<br />
Mais, en dépit des tendances de plus grande tolérance des unions consensuelles et de<br />
l’exercice de la libre sexualité, du travail des femmes ou de l’égalité de la distribution des<br />
tâches dans le ménage, de nos jours les hiérarchies prédominent sur l’égalité, la solidarité sur<br />
l’efficacité, et les liens parentaux sur l’ambition personnelle. Malgré l’existence de conflits<br />
134
intrafamiliaux, ceux-ci ne suffisent pas pour remettre en cause la hiérarchie des valeurs<br />
(Flores, 1998). Malgré les importants processus de sécularisation, il existe encore beaucoup<br />
de familles mexicaines contemporaines qui sont régies par la morale, les règles de sexualité et<br />
de procréation, ainsi que des contrôles sur la séparation émanant de la pensée catholique<br />
(Valenzuela et Salles, 1998).<br />
D’ailleurs, étant donné la grande importance de la vie familiale au Mexique, le fait de vivre<br />
seul est peu courant, mais peu à peu plus fréquent. Le degré d’union et de solidarité familiale<br />
(au moins en apparence et malgré les conflits internes) est presque la mesure de l’honorabilité<br />
de la famille, alors il faut le préserver coûte que coûte. Un jeune vit avec sa famille jusqu’à<br />
son mariage, et parfois même après son mariage avec son partenaire, voire avec leurs enfants.<br />
D’habitude, la famille accueille et soutient ses proches en cas de « problèmes » (séparation,<br />
divorce, veuvage, chômage, licenciement…) ou pendant la vieillesse. Les personnes âgées<br />
restent chez elles (normalement près de leurs enfants), ou bien vont vivre avec leurs enfants.<br />
Mais la rareté des ménages « individuels », soit des personnes seules, répond aussi à des<br />
problèmes économiques, parce que les personnes n’ont pas les moyens de vivre de façon<br />
autonome, même si elles le souhaitent. Il faut payer au moins un loyer, la nourriture et les<br />
services, c’est-à-dire avoir un revenu stable. De plus, le fait de vivre seul n’est pas toujours<br />
bien vu et accepté par la famille et par l’entourage, surtout pendant la jeunesse, sauf dans des<br />
cas particuliers. Par exemple, si l’un des enfants doit partir en ville pour travailler ou étudier<br />
loin de sa famille, mais dans ce cas, on cherchera une ville où un parent ou un proche pourra<br />
l’accueillir ; sinon, le départ sera organisé avec au moins une autre personne de la<br />
communauté, et ils s’installeront ensemble dans un nouveau logement. Car les allocations<br />
pour la scolarisation des enfants n’existent pas, et tous les frais de déplacement des enfants<br />
doivent être assumés par les familles.<br />
Alors, face aux transformations économiques et sociales ainsi que celles de l’organisation<br />
familiale, on assiste à une augmentation du déséquilibre entre l’offre et la demande de travail,<br />
de sorte qu’on observe certaines modifications des rôles des membres de la famille. D’après<br />
Rendón (2004), la plus grande flexibilisation du marché du travail a abouti à la flexibilisation<br />
de la division intrafamiliale du travail. En ce qui concerne les rôles des membres dans la<br />
famille, de 1950 à 1970 le modèle de famille prédominant était celui qui plaçait le chef de<br />
famille (un homme) comme unique pourvoyeur de revenus. Ce modèle était possible grâce<br />
aux conditions favorables de travail à l’époque, et à la condition soumise des femmes. Mais<br />
135
entre 1970 et 2000, ce modèle de famille perd de l’importance, car les conditions de travail se<br />
précarisent et se diversifient, la scolarisation augmente et la fécondité diminue, entre autres.<br />
Comme les revenus familiaux diminuent, les enfants passent plus d’années à l’école, les<br />
femmes, sans trop d’enfants et une bonne scolarité, peuvent trouver des opportunités pour<br />
travailler. En général, la mère doit aussi travailler pour permettre aux enfants d’étudier le plus<br />
longtemps possible. Néanmoins, de nos jours, le modèle de couple, où l’homme est le<br />
pourvoyeur de revenus et la femme est au foyer, prédomine encore. Mais parfois, l’homme<br />
n’est plus l’unique pourvoyeur, les enfants aussi, à partir de 15 ans, travaillent fréquemment.<br />
Cependant, parmi les plus jeunes l’on continue à voir la division traditionnelle du travail selon<br />
le sexe : il est plus fréquent que les garçons travaillent hors de la maison, tandis que les filles<br />
font le travail ménager. Pourtant, certaines études montrent que les nouvelles générations de<br />
garçons participent de plus en plus aux tâches ménagères (García et Oliveira, 2001). Ainsi, la<br />
plus grande participation des enfants et des conjointes dans les revenus familiaux commence à<br />
affaiblir les privilèges du père-mari (Rendón, 2004).<br />
Les ménages au Mexique se classent en deux types : familiaux et non familiaux. Pour le<br />
premier au moins, l’un des membres du ménage a un lien de parenté avec le chef de ménage,<br />
ils se classent en : nucléaire, élargi et complexe ; et pour le second, aucun des membres n’a<br />
une relation de parenté avec le chef de ménage, dont il y a les ménages d’une personne et les<br />
ménage avec des corésidents (Tableau 9).<br />
136<br />
Tableau 9. Le classement des ménages selon l’INEGI<br />
Type de ménage Familial Non familial<br />
Classe de<br />
ménage<br />
Caractéristiques<br />
Nuclear<br />
(nucléaire)<br />
Le chef de<br />
ménage et/ou<br />
le conjoint<br />
et/ou les<br />
enfants.<br />
Ampliado<br />
(Elargi)<br />
Un ménage nucléaire<br />
(ou un chef de<br />
ménage seul), avec<br />
d’autre(s) parent(s).<br />
Source : INEGI (2011a).<br />
Compuesto<br />
(Complexe)<br />
Un ménage nucléaire<br />
ou élargi, avec<br />
d’autre(s) personne(s)<br />
sans lien de parenté.<br />
Unipersonal<br />
(Une<br />
personne)<br />
Une seule<br />
personne.<br />
De<br />
corresidentes<br />
(Avec des<br />
corésidents)<br />
Des<br />
personnes<br />
sans lien de<br />
parenté.<br />
En termes statistiques, les données les plus récentes montrent que l’importance relative des<br />
ménages nucléaires a commencé à diminuer depuis les années 80. En 1980, ils représentaient<br />
72,8%, tandis qu’en 2005 65,7%. Même tendance à la baisse observée pour les ménages
complexes et ceux avec des corésidents, qui sont assez rares, au profit des ménages élargis et<br />
d’une personne seule qui sont passés de : 25,5 à 27,8%, et de 4,3 à 5,9%, respectivement. Il<br />
faut souligner aussi que, de 1980 à 2005, pour l’ensemble des ménages, les chefs femmes sont<br />
de plus en plus nombreuses, leur proportion est passée de 14 à 23%.<br />
<strong>La</strong> configuration des types de ménage est différente selon le type de localité. Dans les<br />
localités rurales (de moins de 2 500 habitants), 67% des ménages sont nucléaires, 25,7%<br />
élargis et 6,6% d’une personne seule ; tandis que dans les villes d’un million et plus<br />
d’habitants, les proportions sont : 63,6, 30,5 et 5,1%, respectivement. C’est donc plutôt dans<br />
les localités urbaines que les ménages nucléaires perdent de l’importance. Des différences<br />
s’observent aussi par rapport à la strate socioéconomique : parmi les familles qui<br />
appartiennent au premier quintile, les ménages nucléaires sont moins fréquents que parmi<br />
celles qui appartiennent au cinquième quintile (respectivement 62,8 et 70%) ; par contre, les<br />
personnes seules, ainsi que les ménages élargis sont plus fréquents chez les premiers (Echarri<br />
Cánovas, 2009).<br />
Il est tout à fait possible que dans le futur les familles élargies, avec trois générations vivant<br />
ensemble, continuent d’augmenter, et que les formes d’arrangements résidentiels et familiaux<br />
se diversifient et se complexifient comme une stratégie pour faire face aux faibles revenus<br />
individuels, au vieillissement de la population et à l’accès insuffisant à la sécurité sociale<br />
(Rendón, 2004).<br />
III.3. Le quartier de Pueblo Quieto : un contexte particulier.<br />
Toutes les informations présentées par la suite sont le résultat d’entretiens formels et<br />
informels auprès des habitants du quartier, ainsi que de l’observation directe, où nous avons<br />
réalisé notre travail de terrain. Parce que jusqu’à nos jours, il n’existe pas des registres<br />
officiels spécifiques au quartier.<br />
III.3.1. <strong>La</strong> brève histoire du quartier.<br />
L’origine de ce quartier remonte à une quarantaine d’années. Il a été fondé sur une ancienne<br />
carrière à ciel ouvert qui est arrivée à la fin de son exploitation au moment de la construction<br />
137
du boulevard périphérique dans cette partie de la ville de Mexico. <strong>La</strong> plupart des hommes qui<br />
travaillaient dans cette carrière étaient des immigrants de l’Etat de Guanajuato, venus à<br />
Mexico expressément pour y travailler, grâce à un réseau des connaissances qui s’y était<br />
établi. Au début, ils sont arrivés tous seuls, mais graduellement, leurs familles les ont rejoints.<br />
A la demande de l’un de ces travailleurs, le propriétaire a loué une partie de la carrière, déjà<br />
exploitée, aux familles des travailleurs immigrés. Ils y ont construit de petites maisons<br />
improvisées par-ci, par-là, en désordre. Et afin d’avoir le minimum de dépenses pour vivre, ils<br />
volaient l’électricité des poteaux électriques publics. Ils s’approvisionnaient d’eau potable en<br />
transportant dans des seaux l’eau recueillie d’un robinet public placé à proximité du quartier.<br />
Quelques années plus tard, le propriétaire de la carrière étant décédé, les habitants y restèrent.<br />
Ils commencèrent à s’organiser pour essayer de s’approprier du terrain, qui apparemment était<br />
resté sans héritiers. Finalement, aux alentours des années 80, après des années de demandes,<br />
ils obtiennent des titres de propriété. En effet, à cette époque-là, cela faisait des années déjà<br />
qu’ils avaient commencé, peu à peu, à verser de l’argent aux leaders pour acheter les terrains,<br />
chaque famille selon ses propres moyens financiers. En général, le payement total du prix des<br />
terrains finira quelques années après l’obtention des titres de propriété. Il faut signaler qu’en<br />
plus des paiements, une condition incontournable pour acquérir les terrains était de s’affilier<br />
au PRI 107 , et d’assister assidûment aux diverses manifestations politiques organisées par ce<br />
parti politique (aller soutenir un politicien ou un nouveau programme social par exemple).<br />
Cette manipulation politique des habitants a fini, bien évidemment, peu après l’obtention des<br />
titres de propriété.<br />
Une fois les titres de propriété obtenus, les leaders en profitèrent pour vendre certains terrains<br />
à d’autres personnes étrangères au groupe d’origine (les travailleurs de la carrière, émigrés de<br />
Guanajuato). C’est comme cela que des immigrés d’autres Etats du pays s’y sont installés.<br />
Avec des propriétés bien délimitées et des rues établies, le gouvernement a apporté sa<br />
contribution en approvisionnant le quartier en eau potable, électricité, en égouts, ainsi qu’en<br />
asphaltant les routes. Des maisons en béton commencèrent donc progressivement à remplacer<br />
celles improvisées en bois, voire en carton.<br />
107 PRI : Partido Revolucionario Institucional. Le PRI est le parti politique qui a gouverné le Mexique soixante-<br />
dix ans durant, jusqu’en 2000.<br />
138
Pueblo Quieto est un quartier assez particulier, car il est physiquement presque enfermé.<br />
D’une part, par un grand hôpital privé et des écoles privées. Et d’autre part, par une falaise qui<br />
s’est formée à cause de l’exploitation de la carrière. Il n’y a que deux entrées pour les<br />
voitures, et une troisième juste pour les piétons (Figure 3).<br />
Figure 3. Plan: Quartier de Pueblo Quieto à Mexico<br />
Source : Elaboration propre d’après l’observation in situ.<br />
Mais le plus frappant est le fait de trouver aussi un genre d’enfermement des relations et des<br />
activités des habitants dans le quartier, surtout chez les adultes. Une partie importante des<br />
couples d’adultes, et même de jeunes couples, est constituée de deux personnes originaires du<br />
quartier. Et d’habitude, ceux qui ont un partenaire étranger y demeurent avec leur nouvelle<br />
famille. Les amis et les connaissances sont surtout les voisins et les parents du quartier, ou des<br />
personnes qui y viennent dans un but précis, notamment d’aide sociale aux habitants.<br />
III.3.2. <strong>La</strong> situation socioéconomique.<br />
Actuellement, Pueblo Quieto est qualifié comme un quartier « sensible » à cause de ses<br />
conditions de vie générales et des caractéristiques socioéconomiques de sa population. Il se<br />
139
trouve donc sur la liste des quartiers candidats aux aides des programmes de financement<br />
locaux pour le développement (Figure 4).<br />
140<br />
Figure 4. Photos : Le quartier de Pueblo Quieto<br />
Néanmoins, certaines familles ont connu une ascension sociale évidente, notamment grâce<br />
aux vieilles personnes, qui n’arrêtent pas de travailler malgré leur âge avancé, et qui<br />
investissent tout dans leur propriété, voire dans leurs enfants. Il s’agit de personnes d’origine<br />
modeste qui sont restées simples, se contentant de combler leurs besoins les plus basiques, en<br />
économisant la plupart de leurs gains. Ce n’est pas le cas chez les plus jeunes de ces familles.<br />
Ils ont du mal à s’abstenir des nouvelles technologies, vêtements de marque et jouets à la<br />
mode par exemple. Mais, malgré leur réussite, ces familles habitent toujours le quartier, parce<br />
qu’il est très bien placé dans la ville de Mexico, mais surtout parce qu’ils lui montrent un fort<br />
attachement. Il faut rappeler qu’ils se sont battus pour devenir propriétaires. Les habitants qui<br />
ont les moyens n’expriment pas le souhait de le quitter, mais plutôt d’améliorer leur logement<br />
et leurs conditions de vie.
En effet, on peut dire que le processus d’appropriation des terrains par les habitants a été le<br />
facteur facilitant une certaine ascension sociale à toutes les familles qui ont créé le quartier.<br />
Car ils sont devenus propriétaires de façon relativement facile, en termes économiques ; c’est-<br />
à-dire, en achetant leurs terrains en petites mensualités adaptées aux ressources de chaque<br />
personne. Une opportunité difficile à trouver lorsque l’on est d’une famille modeste. En plus,<br />
l’emplacement du quartier valorise les propriétés à un degré assez intéressant.<br />
Quant à l’activité commerciale, elle y est assez intense, si l’on considère que la clientèle est<br />
seulement locale (les habitants du quartier). Il faut signaler qu’à cause de l’enfermement<br />
physique du quartier ainsi que de sa mauvaise réputation, les personnes que l’on trouve dans<br />
les rues de Pueblo Quieto sont seulement les habitants, les connaissances ou les parents des<br />
occupants qui viennent leur rendre visite, ou les fournisseurs de services ou de produits. Il n’y<br />
a guère des personnes qui sont là par hasard ou de passage. Le commerce est une activité<br />
assez développée : sept tiendas, 108 deux tortillerías, 109 deux boulangeries, trois boucheries,<br />
deux papeteries, deux salons de coiffure, deux magasins de vêtements, deux merceries, une<br />
serrurerie et un petit restaurant. On y trouve aussi une forge, un établissement de location de<br />
matériel des fêtes (chaises, tables, nappes, vaisselles…) et un autre de location de matériel de<br />
musique pour les fêtes. Il y a aussi treize établissements informels placés sur les trottoirs,<br />
parfois à même les routes, qui offrent, tous les jours ou juste les week-ends, des aliments<br />
(tacos, garnachas, 110 jus d’orange pressée, salades de fruits, petits-déjeuners, fruits de mer…),<br />
des DVD et des CD de contrefaçon, et des fils à broder et à tricoter (Figure 5).<br />
Ces commerçants informels de temps en temps sont importunés par les policiers ou les<br />
inspecteurs municipaux qui leur demandent de l’argent pour continuer. Les enfants sont<br />
avertis de ne pas tout dire lorsqu’un étranger, suspecté d’être agent de mairie, les questionne à<br />
propos de leur situation. En l’occurrence, une jeune fille nous a raconté : « (…) mon oncle<br />
m’a dit de dire que je ne suis pas en train de travailler, je suis en train d’aider. » 111 (Alicia,<br />
11 ans, travailleuse extradomestique non familiale).<br />
108<br />
Au Mexique, il est courant de trouver dans les rues des établissements semblables aux « épiceries » (tiendas)<br />
où l’on peut acheter toutes sortes de produits de consommation et des produits pour l’hygiène personnelle.<br />
109<br />
Des établissements où l’on achète les tortillas (de minces galettes à base de farine de maïs) qui accompagnent<br />
les repas mexicains (comme le pain en France). C’est un des aliments basiques de la population.<br />
110<br />
Différents hors-d'œuvre mexicains faits à base de farine de maïs et farcis de fromage, viande de bœuf, poulet,<br />
champignons…<br />
111<br />
« (...) mi tío me dijo que yo debo decir que yo no estoy trabajando, estoy ayudando. »<br />
141
Il n’est pas rare de trouver des habitants qui vendent sporadiquement des aliments devant la<br />
porte de leur maison, sur le trottoir. Car il suffit d’installer une table avec la marchandise<br />
devant la maison pour vendre quoi que ce soit. Il n’y a aucun problème, c’est une pratique<br />
tolérée par les voisins et par le gouvernement (un travail informel). En effet, de temps en<br />
temps, certains enfants en profitent pour vendre leurs jouets, vêtements ou articles divers<br />
qu’ils n’utilisent plus pour avoir un peu d’argent de poche.<br />
142<br />
Figure 5. Photos : Le commerce informel dans les rues de Pueblo Quieto<br />
Tous les établissements commerciaux, formels et informels, sont la propriété des habitants. Le<br />
propriétaire ou un membre de sa famille s’en occupe, notamment une femme ou les plus<br />
jeunes, voire les enfants. Et la plupart des employés, le cas échéant, sont aussi du quartier.<br />
Une autre activité économique, caractéristique du lieu, concerne le transport de matériaux.<br />
Une partie importante d’hommes, adultes et jeunes, sont des chauffeurs de camions-bennes ou<br />
bien de macheteros (pelleteurs ou chargeurs à benne). Certains sont les propriétaires des
camions, notamment les plus âgés, propriétaires qui sont généralement les fils des anciens<br />
travailleurs de la carrière. L’on peut voir les camions garés partout dans le quartier (Figure 6).<br />
Quand la carrière eut fermé, la plupart des ouvriers de la carrière ont cherché du travail<br />
comme chauffeurs ou livreurs dans diverses entreprises, car l’exercice de leur métier n’était<br />
plus possible dans la ville de Mexico. D’après une informatrice, le développement du travail<br />
autour du transport et la charge et de la décharge de matériaux est le résultat du fait qu’un de<br />
ces ouvriers de la carrière, devenu livreur, s’est fait licencier, après des années de travail.<br />
Avec l’argent de son licenciement, il décida d’acheter un camion-benne d’occasion pour<br />
reprendre une activité, au moment où la situation était critique pour lui, du fait de son âge et<br />
de la crise de l’emploi. Bientôt, il devint évident qu’avoir un camion-benne était une bonne<br />
affaire, et certains, en possibilité de le faire, décidèrent à leur tour d’en acheter un, avec le<br />
soutien technique et logistique du premier acheteur qui était devenu un expert dans ce<br />
domaine. Voilà comment cette profession s’est développée dans le quartier, et notamment à<br />
travers les membres d’une seule et même famille nombreuse qui accapare le marché.<br />
Figure 6. Photos : Les camions-bennes partout dans le quartier de Pueblo Quieto<br />
143
Ces macheteros ou chauffeurs ont le statut d’indépendant ou de patron, par conséquent, ils<br />
n’ont pas toujours de travail. Ils n’ont pas des prestations de travail (sécurité sociale et<br />
médicale, retraite…), pas d’horaires de travail, et bien évidemment pas de revenus fixes. Ils<br />
occupent leur temps libre à réparer leur camion ou à faire de petits travaux dans le quartier, en<br />
attendant une offre d’emploi. Cela peut arriver à n’importe quel moment ou jour de la<br />
semaine (même un dimanche). Il est fréquent que les fils des propriétaires des camions-<br />
bennes rejoignent leurs parents au travail dès leur très jeune âge, soit comme chauffeurs soit<br />
comme macheteros. En général, ces garçons se consacrent à ce métier, et ils n'étudient pas au-<br />
delà du collège. Pour eux, il s’agit d’un monde de travail qu’ils connaissent, et malgré la<br />
dureté du métier, il représente une source d’emploi facile, sûr et correctement rentable, en<br />
sachant que plus tard ils pourraient hériter du camion-benne. Le développement de ce métier a<br />
aussi été possible grâce à la disponibilité de main-d’œuvre masculine, jeune et peu qualifiée<br />
dans le quartier.<br />
Concernant les espaces publics disponibles, il y a un centre social et une église. Le centre<br />
social offre divers services : dispensaire, cabinet médical, groupe d’aide aux personnes<br />
alcooliques souhaitant guérir (AA), salle informatique, salle qui sert comme crèche (un lieu<br />
petit et improvisé, la crèche est gérée pour des filles bénévoles du quartier sans aucune<br />
formation spéciale en la matière, mais avec beaucoup de volonté d'aider), salles pour des<br />
cours de danse, des activités manuelles et de taekwondo, ainsi que pour des groupes de<br />
soutien scolaire aux enfants. Et un terrain de basket-ball ou de football couvert, où des<br />
bénévoles du quartier et d’ailleurs entraînent les jeunes et les enfants, à bas coûts ou<br />
gratuitement. Mais, les services ne sont pas toujours disponibles, sérieux ou de bonne qualité.<br />
Sauf le travail et l’instruction scolaire, les activités des habitants se développent à l’intérieur<br />
du quartier même : les loisirs, les petits achats, les fêtes, la messe, le sport, les soins médicaux<br />
de base. Et même certains, notamment des femmes, exercent aux alentours, dans les écoles ou<br />
à l’hôpital, qui sont contigus. Elles y travaillent en tant que femmes de ménage ou assistantes<br />
administratives.<br />
144
III.3.3. <strong>La</strong> situation sociodémographique.<br />
Le nombre d’habitants de Pueblo Quieto ne dépasse pas le millier, dont beaucoup de jeunes.<br />
<strong>La</strong> plupart des adultes sont des immigrés de Guanajuato, Michoacán, Hidalgo. 112 Cependant,<br />
la majorité des jeunes, des adolescents et des enfants sont nés dans le quartier.<br />
<strong>La</strong> plupart des propriétés comptent plus d’un logement et plus d’un ménage dans la même<br />
enceinte. Habituellement, après le mariage, les enfants demeurent chez leurs parents avec leur<br />
partenaire. Si possible, ils construisent au fil du temps un appartement, au-dessus ou à côté du<br />
logement des parents, toujours dans le même lot. Et seulement s’il n’y a pas la possibilité de<br />
construire un logement dans la propriété familiale, ils louent une chambre ou un petit<br />
appartement dans le quartier. Il est fréquent de trouver trois générations réunies dans le même<br />
lot, voire les familles entières de tous les enfants du propriétaire ; mais, généralement,<br />
chacune a sa propre habitation. Même les filles ou les fils issus des familles les plus aisées du<br />
quartier vivent souvent dans la même propriété, voire sous le même toit.<br />
Tout le monde s’y connaît ; la plupart des habitants appartiennent à l’un des dix groupes<br />
familiaux qui constituent le quartier. C’est pour cela qu’il est facile de repérer les étrangers.<br />
Apparemment, les relations y sont faciles, mais complexes. Il y a des groupes de voisins,<br />
plutôt des familles, qui sont en dispute avec d’autres. Ces disputes finissent parfois en<br />
bagarres, surtout chez les jeunes, filles ou garçons, indistinctement. Outre ces rixes dans les<br />
rues, les résidents sont témoins ou protagonistes de divers problèmes sociaux : vices, abandon<br />
scolaire, grossesses précoces, et par conséquent, des mariages « involontaires » à un très jeune<br />
âge, violence familiale, etc.<br />
L’alcoolisme et la dépendance aux drogues sont des vices assez répandus. Certains résidents<br />
sont des petits distributeurs de drogue depuis la création du quartier. A tout moment de la<br />
journée, traînent dans les rues des jeunes alcoolisés ou drogués qui mendient, ou bien des<br />
groupes de jeunes dans un coin en train de consommer leurs produits. Cette situation dérange<br />
de plus en plus les habitants, et surtout ceux qui ont de jeunes enfants, parce qu’ils savent bien<br />
que ces actes sont un mauvais exemple pour eux, mais aussi parce que la vie communautaire<br />
se dégrade et devient de plus en plus dangereuse, même si les résidents sont plutôt respectés et<br />
112 Des Etats du centre du pays.<br />
145
ien traités par les voleurs, les alcooliques et les drogués locaux. En effet, une dame âgée qui<br />
vivait seulement avec l’un de ses petits-fils (écolier), nous a raconté qu’elle avait été obligée<br />
de l’envoyer vivre chez sa sœur, dans une autre ville, car il avait été convié à boire de l’alcool<br />
par des adultes du lieu, et elle l’avait plusieurs fois retrouvé ivre à la maison.<br />
Un autre problème sérieux est la forte fréquence de grossesses des adolescentes. <strong>La</strong> grossesse<br />
précoce semblerait être le « pervers destin » de la plupart des filles du quartier, car l’éducation<br />
sexuelle ainsi que les moyens de contraception modernes y sont peu connus et acceptés. <strong>La</strong><br />
population en général est assez proche de la morale catholique. En effet, la pratique de la<br />
contraception et le sujet de la sexualité sont un tabou. Les parents demandent la chasteté à<br />
leurs filles, ce qui n’est évidemment pas toujours appliqué. De plus, la communauté est aussi<br />
prise par des mœurs bien traditionnelles, où le machisme est d’actualité, davantage chez les<br />
aînés.<br />
<strong>La</strong> violence familiale est aussi bien répandue. Comme souvent, les femmes et les enfants sont<br />
la cible privilégiée de mauvais traitements de la part des hommes. Les causes sont diverses :<br />
machisme, jalousie, alcoolisme, drogues... Parfois aussi le résultat d’une mise en couple<br />
obligée par une grossesse involontaire, qui loin de finir avec une séparation après constatation<br />
d’un mauvais choix, montre ses inconvénients à travers la violence. Parfois, c’est juste une<br />
question de mœurs ou d’éducation, quand il y a une sorte de reproduction du mode de<br />
formation des enfants selon d'anciennes méthodes, à savoir à base de coups.<br />
Enfin, l’abandon scolaire est aussi courant après les neuf années obligatoires, voire avant. Les<br />
filles plutôt à cause des grossesses précoces et du manque de motivation, et les garçons à<br />
cause des mauvaises performances et de mauvaise conduite à l’école, ainsi que du manque de<br />
motivation. On voit aussi souvent les jeunes arrêter leurs études après le collège parce qu’ils<br />
n’ont pas été acceptés dans un des établissements scolaires publics qui leur convenaient,<br />
notamment à cause de leurs mauvais résultats. Ainsi, ils sont parfois obligés de suivre une<br />
formation contraire à leurs intérêts, jusqu’au moment où ils en ont assez. 113 Poursuivent<br />
113 Pour accéder au système scolaire public de medio superior (lycée), tous les enfants doivent passer un examen,<br />
et donner une liste des choix d’écoles où ils aimeraient poursuivre leurs études. <strong>La</strong> détermination de l’école où<br />
l’enfant sera accepté se fait à partir du résultat de l’examen et de la note finale obtenue en secundaria. Ainsi,<br />
pour les moins performants, l’école assignée est loin d’être parmi les premières de leur choix. Le problème<br />
majeur est qu’à ce niveau de l’enseignement, l’option disponible peut être une école de préparation au travail,<br />
146
uniquement leurs études ceux qui ont les moyens de se payer une école privée, ou ceux qui<br />
arrivent à avoir une place dans une école publique qui propose une formation appropriée à<br />
leurs intérêts et à leur budget. Il faut dire que la plupart des parents des jeunes et des enfants<br />
du quartier ont un niveau de scolarité assez faible ou sont sans scolarité. Une partie<br />
importante des jeunes hommes ont juste continué le métier du père ou du grand-père, par<br />
exemple comme chauffeurs, maçons ou macheteros. Les mères et les grands-mères sont<br />
généralement des femmes au foyer ou commerçantes ; les filles, étant donné qu’elles se<br />
marient fréquemment assez jeunes, deviennent à leur tour femmes au foyer, commerçantes ou<br />
employées en divers services. Cela fait un peu moins de dix ans que le quartier a eu ses<br />
premiers diplômés universitaires, et ils sont vraiment peu nombreux. Mais, même s’ils restent<br />
rares, progressivement, plus de jeunes, filles et garçons, suivent une formation<br />
professionnelle, universitaire ou technique.<br />
Malgré la conviction des parents sur la grande valeur de la scolarisation, ils sont peu qualifiés<br />
pour aider leurs enfants dans les devoirs, par exemple, et les problèmes d’apprentissage<br />
restent souvent sans solution, en se cumulant avec le temps. Les enfants qui veulent réussir<br />
doivent presque tout faire seuls. Ce qui peut les décourager à suivre une scolarité après le<br />
premier cycle, qui est obligatoire. C’est pourquoi dans le centre communautaire du quartier,<br />
depuis quelque temps s’est mis en marche un programme de soutien aux écoliers, où des<br />
bénévoles, venus de l’extérieur, aident les enfants à faire les devoirs une à deux fois par<br />
semaine.<br />
En général, les jeunes et les enfants qui étudient fréquentent les écoles publiques. Mais, les<br />
rares enfants des familles qui ont connu une ascension sociale sont inscrits dans des écoles<br />
privées peu onéreuses. Ces enfants appartiennent à la deuxième génération née à Pueblo<br />
Quieto. Ce sont leurs grands-parents qui ont commencé l’ascension sociale, et pourtant leurs<br />
parents fréquentaient encore les écoles publiques.<br />
Une grande partie des jeunes filles ne sont pas vraiment intéressées par les études au-delà du<br />
collège, ni par la vie professionnelle en général. Il semblerait que la vie de femmes au foyer<br />
les attire. En cas de grossesse involontaire, ce qui arrive souvent, le jeune couple doit se<br />
marier le plus tôt possible, peu importe l’âge des concernés, leur volonté et leurs ressources.<br />
dans une carrière professionnelle qui peut ne pas convenir aux intérêts de l’enfant, qui finira par abandonner les<br />
études au bout d’un moment.<br />
147
L’union consensuelle des couples est mal vue, même si cela existe de plus en plus, et les<br />
mères célibataires sont rarissimes. Le mariage est pratiquement l’unique forme de lien bien<br />
reconnue chez eux, et celle qui donne de l’honorabilité aux familles. Et l’interruption<br />
volontaire de grossesse y est inconcevable 114 , même s’il s’agit d’une très jeune fille. C'est<br />
pourquoi les familles respectives soutiendront le jeune couple pris dans une telle situation,<br />
malgré lui, et l’une d’entre elles l’hébergera. Il doit commencer à travailler et en général il<br />
abandonnera l’école. Comme les adolescents ont l’habitude d’avoir des liaisons avec des<br />
voisins du même quartier, ils y resteront même après leur mariage.<br />
Par ailleurs, les étrangers n’y sont pas toujours bien accueillis, sauf ceux qui ont l’habitude de<br />
fréquenter le quartier. Ils sont vus avec méfiance, surtout par les drogués et les ivrognes<br />
parfois installés à l’entrée principale. Mais aussi par certains délinquants qui y habitent et qui<br />
ont l’habitude de voler les personnes à la sortie du quartier. Les habitants peuvent aussi<br />
discrètement saccager les voitures étrangères… Par conséquent, le lieu a mauvaise réputation<br />
aux alentours. Par contre, les habitants ainsi que leurs biens (maisons et voitures, par<br />
exemple) sont respectés.<br />
En général, les adultes et les personnes âgées ne sortent pas beaucoup du quartier, mais les<br />
jeunes commencent à montrer un autre type d’attitude à cet égard, surtout ceux qui ont la<br />
possibilité de suivre une formation au-delà du collège.<br />
C’est dans ce contexte national et local que se déroule le quotidien des enfants qui ont<br />
participé aux entretiens organisés dans le cadre de notre travail de terrain, qui avait pour<br />
objectif de donner la parole aux enfants, les protagonistes de notre sujet d’étude. Tout<br />
d’abord, nous nous intéressons à leur perception sur des sujets qui les concernent ou qui les<br />
entourent, pour après rentrer dans leur vécu et leur expérience de travail, lorsqu’ils en ont une.<br />
Conclusions<br />
Malgré les progrès réalisés au cours des dernières années dans tous les domaines au Mexique,<br />
notamment à l’égard de l’enfance, nous considérons que les conditions socioéconomiques et<br />
culturelles représentent encore aujourd’hui un scénario qui se prête tout particulièrement au<br />
114 Il est interdit au Mexique, sauf dans le DF depuis 2007.<br />
148
dynamisme de certaines formes de travail des enfants. Et même si les conditions structurelles<br />
ne suffisent pas à expliquer la mise au travail précoce, les enfants seront plus impliqués si le<br />
contexte est favorable à leur participation. Nous parlons des conditions en termes pratiques et<br />
des représentations, deux conditions en étroite relation.<br />
Dans le domaine de la pratique, qui correspond à ce chapitre qui s’achève, nous voulons<br />
souligner trois aspects fondamentaux qui touchent les sphères éducative, légale et<br />
économique. Tout d’abord, même si les enfants accomplissent pleinement leur rôle d’élèves,<br />
l’organisation du système éducatif national en deux tours leur permet de réaliser facilement<br />
d’autres activités parallèles, où le travail est l’une des options d’utilisation de leur long temps<br />
périscolaire, souvent ennuyeux et difficile à gérer sans une offre d’activités culturelles,<br />
sportives, ludiques adaptées à leurs besoins. Une option théoriquement restreinte par la loi,<br />
voire interdite, pourtant praticable, à cause de l’ampleur du travail familial et de l’importance<br />
qu’a pris le secteur informel en milieu urbain (deux secteurs de travail qui échappent souvent<br />
officiellement aux contraintes juridiques). En plus, les lois limitant le travail des enfants ne<br />
sont pas toujours respectées là où elles le devraient. Enfin, en matière économique, la<br />
flexibilité et la précarité, qui caractérisent le marché du travail, demandent souvent une<br />
participation intensive de tous les individus, y compris les enfants, dans les diverses activités<br />
de production et de reproduction familiales. Ce qui ouvre le chemin aux divers types de<br />
travail des enfants. Ainsi, les enfants voulant ou nécessitant un travail, pour de multiples<br />
raisons, trouvent en général un terrain plutôt propice à ce propos.<br />
<strong>La</strong> situation concrète du quartier de Pueblo Quieto pourrait illustrer le contexte de vie d’une<br />
partie non négligeable de la population mexicaine, la classe populaire, même si l’exemple<br />
reste particulier et non généralisable. Mais plus qu’une référence du quotidien de certaines<br />
familles mexicaines, voire de certains enfants, cette petite communauté a servi surtout comme<br />
source principale pour approcher le monde des idées, un monde que nous explorerons dans<br />
notre prochain chapitre, afin d’avoir une vision plus intégrale du contexte mexicain qui<br />
permettrait une meilleure tentative pour expliquer l'entrée précoce au travail.<br />
149
150
CHAPITRE IV<br />
A propos des représentations sociales : les enfants prennent la parole<br />
Ce chapitre est basé sur la collecte de notre travail de terrain à Mexico, qui permet d’explorer<br />
les représentations sociales du travail des enfants, une approche qualitative basée directement<br />
sur le vécu des enfants d’un quartier populaire, dont certains sont des enfants travailleurs.<br />
L’objectif est de nature plutôt exploratoire, car nous cherchons de nouveaux éléments pour<br />
mieux comprendre le sujet, pour mettre en contexte cette pratique, ainsi que pour enrichir<br />
l’analyse quantitative qui servira à répondre à notre question de départ : quelle est<br />
l’importance du travail dans la vie des enfants ?<br />
Le travail de terrain a constitué une belle occasion de s’approcher des protagonistes du travail<br />
des enfants et de leur donner la parole. Mais aussi une occasion de savoir ce que les enfants en<br />
général perçoivent et pensent sur des sujets qui les concernent. En plus, des enfants<br />
travailleurs ont volontiers partagé avec nous leurs expériences de travail, voire de vie. Ce qui<br />
constitue une grande contribution à la connaissance du sujet quant au processus précoce<br />
d’entrée au monde du travail.<br />
A présent, nous parlerons des résultats obtenus à travers l’analyse des entretiens collectifs et<br />
individuels, qui ont été réalisés auprès des enfants du quartier de Pueblo Quieto. Nous nous<br />
intéressons spécialement à trois sujets : l’enfance, la scolarité et le travail (domestique et<br />
extradomestique), des sujets qui font, plus ou moins, partie de la vie quotidienne de ces<br />
enfants.<br />
Notre hypothèse centrale est que la perception de tout ce qui entoure la vie des enfants varie<br />
selon les caractéristiques de chaque enfant : l’âge, le sexe et la condition d’activité (travailleur<br />
ou non). Car la manière dont chaque personne aborde des sujets variés dépend largement<br />
de ses propres expériences, sa propre histoire et ses conditions de vie sociale et familiale à<br />
chaque moment déterminé, soit en termes dynamiques. En plus, les idées sur l’enfance, la<br />
scolarisation et le travail ont une charge de subjectivité qui évolue à mesure que changent le<br />
contexte et les normes culturellement déterminées par divers domaines, comme le juridique<br />
151
(les droits des enfants, l’interdiction légale du travail des enfants…), le scolaire et le<br />
socioéconomique.<br />
Avant de commencer notre analyse, précisons que les participants aux entretiens collectifs et<br />
individuels sont âgés de 6 à 14 ans, filles et garçons, travailleurs et non travailleurs, tous<br />
originaires du quartier de Pueblo Quieto et tous scolarisés. En général, il s’agit d’enfants de<br />
familles modestes, qui arrivent plus ou moins bien à faire face à leurs besoins essentiels ; les<br />
parents ont une faible scolarisation, et occupent des emplois plutôt manuels et peu qualifiés.<br />
Dans le tableau 10, nous présentons les principales caractéristiques de nos interviewés, dans<br />
l’ordre des entretiens. Un tableau avec des informations personnelles et familiales plus<br />
détaillées ainsi que des informations sur le déroulement de chaque entretien est disponible<br />
dans l’Annexe III.<br />
152<br />
Tableau 10. Caractéristiques des enfants interviewés individuellement<br />
Nom Sexe<br />
Age<br />
(ans)<br />
1. Juan Garçon 12 6 e année de primaria<br />
Scolarité Condition d’activité<br />
Non travailleur, mais avec<br />
expérience de travail<br />
2. Gloria Fille 10 5 e année de primaria Non travailleuse<br />
3. Mariana Fille<br />
4. María Fille 9 3 e année de primaria<br />
5. Pedro Garçon 8 2 e année de primaria<br />
7<br />
2 e année de primaria Non travailleuse<br />
6. Felipe Garçon 14 1 ère année de secundaria<br />
7. Karen Fille 14 2 e année de secundaria<br />
8. Carlos Garçon 14 3 e année de secundaria<br />
9. Sandra Fille 12 6 e année de primaria<br />
10. Alejandro Garçon 14 1 ère année de secundaria<br />
11. Alicia Fille 11 6 e année de primaria<br />
12. Claudia Fille 9 3 e année de primaria<br />
IV.1. L’enfance : l’étape qui correspond à l’école primaria.<br />
Travailleuse<br />
familiale<br />
extradomestique<br />
Non travailleur, mais avec<br />
expérience de travail<br />
Travailleur<br />
non familial<br />
extradomestique<br />
Travailleuse<br />
familiale<br />
domestique<br />
Non travailleur, mais avec<br />
expérience de travail<br />
Travailleuse extradomestique<br />
familiale et non familiale<br />
Travailleur<br />
non familial<br />
extradomestique<br />
Travailleuse<br />
non familiale<br />
extradomestique<br />
Travailleuse<br />
familiale<br />
extradomestique<br />
D’après les entretiens collectifs et individuels, nous nous sommes aperçus que les participants<br />
ont recours à divers aspects pour définir ce qu’est l’enfance : leurs intérêts, leurs devoirs
(obligations), leur façon de penser et le type de rapport avec les autres, ainsi que leurs<br />
caractéristiques sociodémographiques et physiologiques. Mais, ce sont surtout l’âge, lié aux<br />
divers cycles de système éducatif, et leurs intérêts particuliers, qui, à leur avis, déterminent<br />
mieux ce qu’est un enfant.<br />
Les entretiens collectifs, de deux groupes, permettent de dire que tous les participants âgés de<br />
12 ans et plus ne se considèrent plus comme des enfants, en revanche, tous ceux âgés de<br />
moins de 12 ans s’autodésignaient comme des enfants. Il est évident pour tous, que le passage<br />
de l’école primaria à la secundaria est l’un des moments-clés pour déterminer si l’on est ou<br />
pas un enfant, car c’est justement vers l’âge de 12 ans que l’on passe d’un cycle à l’autre :<br />
« Les enfants assistent à l’école ‘primaria’. » 115 (Groupe de non travailleurs).<br />
« Les adolescents vont en dernière année de l’école ‘primaria’. » 116 (Groupe de travailleurs).<br />
Mais, ils pensent aussi que l’enfance est déterminée par des intérêts, notamment des activités<br />
bien spécifiques, dont le jeu est fondamental :<br />
« Les enfants jouent beaucoup, avec des jouets, de petites voitures et des poupées. » 117 […]<br />
« Par la manière de penser, nous aimons des choses différentes des adultes, par exemple, les<br />
enfants aiment les mangas et les adultes non. » 118 (Groupe de non travailleurs).<br />
« Les enfants jouent, regardent la télé, un adolescent sort avec les amis et sort à des<br />
soirées. » 119 […] « Tu (en tant qu’adolescent) ne joues pas pareil avec les petites voitures, tu<br />
penses différemment. » 120 (Groupe de travailleurs).<br />
Seul le groupe de travailleurs, qui est aussi le plus âgé, souligne le fait que les adolescents,<br />
contrairement aux enfants, font des activités en dehors et loin de leur maison. Ce qui reflète<br />
un degré de liberté, d’autonomie ou d’indépendance plus élevé que celui des enfants.<br />
D’ailleurs, le groupe des non travailleurs, qui sont plus jeunes que les travailleurs, pense aussi<br />
que ce sont les autres qui décident dans le quotidien qui est ou pas un enfant :<br />
« Nous sommes des enfants parce qu’on nous traite comme ça. » 121 […] « On nous<br />
chouchoute beaucoup, et pas les adultes. » 122<br />
115<br />
« Los niños van a la primaria. »<br />
116<br />
« Los adolescentes ya van en sexto de primaria. »<br />
117<br />
« Los niños juegan mucho. Les gusta jugar con juguetes, carritos y muñecas. »<br />
118<br />
« Por la forma de pensar, nos gustan cosas diferentes a los adultos, por ejemplo a los niños les gustan las<br />
caricaturas y a los adultos no. »<br />
119<br />
« Los niños juegan, ven la tele, un adolescente sale con los amigos y sale a fiestas. »<br />
120<br />
« Ya no juegas igual con los cochecitos, piensas diferente. »<br />
121<br />
« Somos niños porque nos tratan como niños. »<br />
122<br />
« Nos consienten mucho y a los adultos no. »<br />
153
Des critères physiques ont aussi été évoqués par les deux groupes, mais, de manière plus<br />
claire parmi les plus âgés :<br />
« Ta moustache pousse. » 123 (Groupe de travailleurs).<br />
« Ils sont plus “grands” ou plus “âgés” que nous. » 124 (Groupe de non travailleurs).<br />
Or, l’unanimité sur l’âge de 12 ans, comme terme de l’enfance, n’est pas aussi évidente dans<br />
les entretiens individuels que dans les entretiens collectifs. Au cours des entretiens, quelques<br />
participants âgés de 12 ans ou plus, se considèrent encore comme des enfants, en évoquant le<br />
côté « éternel » de l’enfance, et en mettant en évidence la subjectivité du concept :<br />
« Je me considère comme une petite fille… Je considère qu’on est toujours un enfant, non ?<br />
Mais les personnes changent. » 125 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
« Non, je ne suis plus un enfant, je suis un jeune ou un truc du genre. Pourquoi ? Je ne sais<br />
pas. Je ne sais pas, mais moi, je sens que je suis maintenant un jeune, ou un truc du genre... je<br />
ne sais pas à quel moment on n’est plus un enfant, je pourrais encore être un enfant. » 126<br />
(Felipe, 14 ans, travailleur).<br />
Cette vision intemporelle de l’enfance n’est pas mentionnée par les enfants les plus jeunes.<br />
Mais, nous avons entendu des commentaires dans ce sens dans des discussions auprès des<br />
adultes du même quartier. Peut-être, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’enfance, l’on<br />
commence à s’accrocher aux vertus dites propres à l’enfance : l’innocence, la naïveté, la<br />
tranquillité, la joie... Comme une fille non travailleuse l’a signalé au moment des entretiens<br />
collectifs : « Les adultes ont déjà fini leur enfance, ils deviennent aigris. » 127 Même si ces<br />
vertus de l’enfance restent sur le plan subjectif, elles sont bien ancrées dans l’imaginaire<br />
collectif.<br />
Nonobstant, ces vertus et d’autres caractéristiques associées à l’enfance, contribuent aussi à<br />
« sous-estimer » cette étape de la vie, d’un point de vue évolutionniste, en la considérant<br />
comme la période de préparation, évidemment, pour quelque chose de plus sérieux, voire plus<br />
important, qui est la vie adulte. C’est pour cela qu’à partir d’un certain âge, on se sent souvent<br />
123<br />
« Ya te sale bigote. »<br />
124<br />
« Son más grandes que nosotros. » Le mot grande en espagnol a deux significations en français : plus âgé et<br />
plus grand.<br />
125<br />
« Yo me considero niña… Yo considero que siempre eres un niño ¿no? pero las personas van cambiando. »<br />
126<br />
« No, yo ya no soy un niño, yo soy un joven o algo así. ¿Por qué? No sé. No sé, pero yo ya siento que ya soy<br />
un joven, algo así... no sé en que momento se deja de ser niño, yo todavía podría ser un niño. »<br />
127<br />
« Los adultos ya acabaron su infancia, ya se vuelven amargados. »<br />
154
offensé, voire insulté, d’être considéré comme un enfant. Parce que l’enfance est aussi<br />
synonyme de faiblesse, irresponsabilité, inconscience, et dépendance :<br />
Être un enfant c’est « Que sa maman l’habille encore et tout ça, qu’on le surveille encore<br />
beaucoup parce qu’il se conduit d’une façon différente : fait des espiègleries... et, je ne sais<br />
pas. (...) Nous, les jeunes, pensons plus les choses et tout. » 128 (Felipe, 14 ans, travailleur).<br />
L’on n’est plus un enfant « Lorsque... je ne sais pas... on est plus responsable, et on sort et on<br />
n’est pas beaucoup à la maison. » 129 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
« Un enfant ne peut pas sortir dans la rue, il doit demander la permission, nous (les<br />
adolescents) demandons la permission, mais nous allons à plusieurs endroits. » 130 (Alejandro,<br />
14 ans, travailleur).<br />
« Les enfants ne pensent pas en grand, au futur. (…) Les adolescents doivent étudier parce<br />
que c’est leur futur qui est en jeu. » 131 (Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
Nous avons constaté, comme dans les entretiens collectifs, que ce sont seulement les<br />
participants les plus âgés qui relient l’enfance à une façon de penser et d’agir moins<br />
« responsable » et moins « indépendante ». Et il faut même signaler que l’importance de<br />
l’autonomie, comme facteur de différence entre les enfants et les autres, est seulement<br />
évoquée par des enfants travailleurs. Il est aussi évident que l’indépendance n’est pas encore<br />
acquise, comme souligne l’enfant qui témoigne qu’il demande encore la permission, même<br />
s’il a plus de liberté. En effet, nous considérons que c’est justement cette vision de<br />
dépendance, voire de mépris de l’enfance, qui a poussé certains participants des deux types<br />
d’entretien, à ne plus se considérer comme des enfants face à leurs pairs, lors des entretiens<br />
collectifs, malgré leur autoreconnaissance comme des enfants au moment de l’entretien<br />
individuel.<br />
Par contre, pendant les entretiens individuels, comme lors des entretiens collectifs, la plupart<br />
des participants font aussi appel au rapport direct entre l’enfance et le niveau scolaire. Ils<br />
considèrent que l’enfance s’arrête au moment de passer à la secundaria :<br />
« Je suis un enfant parce que j’assiste à la ‘primaria’, non ? Pour ça. » 132 (Juan, 12 ans, non<br />
travailleur).<br />
128<br />
« Que su mamá todavía lo vista y todo eso, que todavía lo ande cuidando mucho porque se comporta de una<br />
manera diferente: hace travesuras... y pus, no sé (...) Ya los jóvenes pensamos más las cosas y todo. »<br />
129<br />
« Cuando ya... no sé... es más responsable, y ya sale y ya no está tanto en su casa, podríamos decir. »<br />
130<br />
« Un niño no puede salir a la calle, tiene que pedir permiso, nosotros (los adolescentes) pedimos permiso pero<br />
ya salimos a más lados. »<br />
131<br />
« Los niños no piensan a lo grande, en el futuro. (…) Los adolescentes ya tienen que estudiar porque es su<br />
futuro lo que se está jugando. »<br />
132<br />
« Soy niño porque voy a la primaria ¿no? por eso. »<br />
155
Je ne serai plus un enfant « Lorsque j’aurai… lorsque j’assisterai, ainsi, à la<br />
‘secundaria’. » 133 (Claudia, 9 ans, travailleuse).<br />
En général, il n’y a pas d’allusion à un âge précis, même si celui-ci est implicite, étant donné<br />
la manière dont est organisé le système éducatif, mais aussi au fait que l’entrée en primaria se<br />
fait maintenant systématiquement au bon âge, vers six ans. Or, l’un des participants a précisé<br />
la fin de l’enfance par rapport à un autre critère, le droit civil :<br />
« Un enfant n’est plus un enfant à 18 ans, parce qu’il a alors sa carte d’identité pour aller<br />
voter, il est déjà dans la jeunesse (...) Ils savent plus que nous, ils assistent à la ‘secundaria’,<br />
et voilà. » 134 (Pedro, 8 ans, non travailleur).<br />
Mais son récit montre encore la difficulté de définir l’enfance, car il entre en contradiction en<br />
abordant deux conditions qui dans la réalité s’accordent très rarement : la fréquentation à la<br />
secundaria et l’âge de la majorité civile.<br />
A l’évidence, les participants considèrent que la société est organisée selon les diverses étapes<br />
de la vie. Et à chaque étape, à chaque âge, correspond un rôle plus ou moins bien déterminé.<br />
Mais ce sont des situations contextuelles qui déterminent le mieux le passage d’une étape à<br />
l’autre ; les caractéristiques individuelles restant un peu à l’écart, même si présentes.<br />
D’ailleurs, ainsi comme lors des entretiens collectifs, tous les participants aux entretiens<br />
individuels évoquent aussi une détermination de l’enfance selon des intérêts ou des goûts bien<br />
spécifiques, disons des activités enfantines, par exemple : « jouer », « regarder les mangas »,<br />
« faire des espiègleries ». Des choses qui sont limitées à cause d’un important niveau de<br />
dépendance des enfants :<br />
« Je suis un enfant parce qu’on me coupe les cheveux, parce que j’ai des tee-shirts de<br />
Superman et toutes ces choses, et j’ai des jouets et des voitures. (…) Un jeune est plus grand<br />
que moi, il a déjà une petite amie ou un truc du genre. » 135 (Pedro, 8 ans, non travailleur).<br />
« Je me considère enfant parce que j’étudie, joue avec mon frère et ma sœur et j’aide ma<br />
mamie. (...) Les enfants jouent encore avec leurs frères et leurs sœurs et ils ne passent pas<br />
133 « Cuando ya tenga… cuando ya vaya, así, en la secundaria. »<br />
134 « Un niño deja de ser niño a los 18 años porque ya tiene su credencial de elector, ya está en la juventud (...)<br />
Ya saben más que nosotros, ya van como en la secundaria o así. »<br />
135 « Soy un niño porque me corto el pelo, porque tengo playeras de Superman y todas esas cosas, y tengo<br />
juguetes y carros. (…) Un joven es más grande que yo, ya tiene novia o algo así. »<br />
156
tout le temps, je ne sais pas, dans la rue. Je ne sais pas, avec leurs amis ou un truc du<br />
genre. » 136 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
« Je suis un enfant parce que je joue et je m’amuse. Rien de plus. » 137 (Claudia, 9 ans,<br />
travailleuse).<br />
Ce qui caractérise les enfants se trouve dans le type d’activités qu’ils réalisent, les vêtements<br />
qu’ils portent, le type de jeux, de programmes télévisés et de loisirs qu’ils aiment. Et tout cela<br />
les différencie d’autres groupes de personnes, comme les jeunes ou les adultes. Mais, au-delà<br />
de la description de qui est ou pas un enfant, nous avons discuté aussi sur les devoirs des<br />
enfants.<br />
En accord avec le fait que l’enfance est souvent définie par rapport aux cycles scolaires, les<br />
enfants sont censés être des élèves. Mais, pas seulement. Nous avons interpellé les<br />
participants à propos des devoirs des enfants :<br />
« En tant qu’enfant je dis que l’on doit s’amuser, jouer et tout ça, mais aussi étudier et faire<br />
ce que l’on est censé faire à la maison. On doit aider sa maman et tout ça. » 138 (Felipe, 14<br />
ans, travailleur).<br />
« Un enfant doit aider ses parents à faire les tâches de la maison, et aussi faire ses devoirs<br />
scolaires, arroser les plantes (…) » 139 (Pedro, 8 ans, non travailleur).<br />
« Mon papa m’a dit que je ne dois jamais arrêter d’étudier. Que les études sont l’unique<br />
chose que j’ai à faire, étudier et étudier. (...) Lorsque les enfants ont un âge raisonnable, il<br />
faut leur apprendre à faire le ménage. » 140 (Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
Les enfants doivent « aider leur maman, les études. » 141 (Claudia, 9 ans, travailleuse).<br />
Alors qu’il existe des intérêts et des goûts propres à l’enfance, ses devoirs ne sont pas<br />
exclusifs à cette étape, comme étudier et aider aux tâches domestiques. Mais ces devoirs se<br />
limitent aux domaines de l’école et de la famille. C'est-à-dire que la vie des enfants se passe<br />
essentiellement dans ces deux milieux. En général, l’on considère que ces devoirs sont<br />
nécessaires pour la préparation des enfants à la vie adulte. Ils sont demandés, voire imposés,<br />
136<br />
« Yo me considero niña porque estudio, juego con mis hermanos y le ayudo a mi abuelita. (...) Los niños<br />
todavía juegan con sus hermanos y no se la pasan todo el tiempo, no sé, en la calle. No sé, con sus amigos o algo<br />
así. »<br />
137<br />
« Soy niña porque juego y me divierto. Nada más. »<br />
138<br />
« Como niño yo digo que divertirse, jugar y todo eso, pero también estudiar y hacer lo que tiene que hacer en<br />
la casa. Ayudarle a su mamá y todo eso. »<br />
139<br />
« Un niño debe ayudarle a sus papás a hacer la tarea de la casa, y también a hacer su tarea, regar las plantas. »<br />
140<br />
« Mi papá me ha dicho que nunca deje el estudio. Que nada más el estudio es lo que tengo que hacer, estudiar<br />
y estudiar. (...) Los niños cuando ya tengan una edad razonable hay que enseñarles a hacer quehacer. »<br />
141<br />
« ayudarle a su mamá, los estudios. »<br />
157
par les parents à leurs enfants. Plus tard, les enfants pourront décider eux-mêmes, par<br />
exemple, s’ils continuent leurs études, mais pas maintenant, ce qui montre leur niveau de<br />
dépendance par rapport aux jeunes.<br />
L’aspect du développement physique, qui est souvent pris comme un critère pour déterminer<br />
le passage d’une étape à l’autre, n’est guère observé au moment des entretiens individuels ni<br />
dans les entretiens collectifs. Nous pensons que les participants n’en ont pas parlé par honte<br />
ou par pudeur, parce que dans le quartier, comme dans les familles, prédominent des idées<br />
traditionnelles régies par une morale catholique, où les sujets sexuels sont des tabous.<br />
Uniquement Alicia (11 ans, travailleuse) a commenté directement et avec timidité :<br />
« Ma maman m’a dit, ben, qu’après une étape de la menstruation, l’on devient<br />
adolescente. » 142<br />
Et María (9 ans, travailleuse) a fait allusion à un sujet proche, la vie sexuelle active, en<br />
évoquant des problèmes sociaux qui sont assez fréquents dans le quartier, voire dans sa propre<br />
famille :<br />
« Les adolescentes disent des gros mots et se disputent beaucoup. Ou parfois elles ont des<br />
petits amis et ils les mettent enceintes, et après ils les quittent. Ben, cela arrive aussi parfois<br />
aux petites filles. » 143<br />
Elle a un regard assez sombre de l’adolescence. Les grossesses précoces, vers 15 ans, et la<br />
violence sont tellement répandues dans son entourage, qu’elle les considère même comme une<br />
partie des caractéristiques de l’adolescence. Même si toutes n’auront pas le même chemin, le<br />
risque semble très élevé. En effet, sa mère et sa tante sont passées par une telle situation, et le<br />
cas de sa mère a très mal fini, avec l’abandon de María, qui vit maintenant avec ses grands-<br />
parents, à cause de problèmes d’addiction aux drogues. Son récit montre bien les effets du<br />
contexte sur les idées, voire sur la vie des enfants.<br />
IV.2. <strong>La</strong> scolarité : la condition pour être quelqu’un.<br />
Tous les participants aux entretiens collectifs ou individuels assistent à l’école et considèrent<br />
sans hésitation que la scolarisation est une chose très importante. <strong>La</strong> plupart souhaitent avoir<br />
142 « Me ha dicho mi mamá, bueno, que pasando una etapa de la menstruación ya parece ser adolescente. »<br />
143 « <strong>La</strong>s adolescentes dicen groserías y se pelean mucho. O luego tienen novios y ya las dejan embarazadas y<br />
luego ya las dejan. Bueno, también luego les pasa a las niñas. »<br />
158
une formation universitaire, notamment dans les domaines les plus traditionnels (médecine,<br />
droit, enseignement, architecture, ingénierie). Seuls les garçons les plus jeunes souhaitent<br />
suivre plutôt les pas des célébrités sportives, ou bien d’autres métiers traditionnels.<br />
En toute cohérence avec ces idées, le fait de quitter l’école pendant l’enfance est un vrai<br />
handicap pour le futur, comme le signalent les enfants lors des entretiens collectifs. En dehors<br />
de l’école, l’on n’apprend rien d'important :<br />
« Ceux qui quittent l’école deviennent des ânes, parce qu’ils n’apprennent rien. » 144 (Groupe<br />
de travailleurs).<br />
Cependant, les inconvénients de la déscolarisation ne se réduisent pas qu’à l’apprentissage,<br />
mais aussi aux pratiques, selon le groupe d’enfants travailleurs. Le fait de quitter l’école est<br />
propice au développement de comportements considérés comme indésirables : « vicieux » et<br />
« fainéants ». En effet, la déscolarisation est perçue comme l’origine des problèmes sociaux.<br />
Des problèmes qu’ils côtoient quotidiennement dans le quartier :<br />
« Les enfants qui ne fréquentent pas l’école vont se droguer. Ils seront dans les rues. Ils<br />
feront des graffitis. » 145<br />
Au fur et à mesure que l’âge des enfants augmente, il y a une prise de conscience plus<br />
développée sur les problèmes sociaux. Mais, il semble aussi que les enfants travailleurs ont<br />
plus cette ouverture d’esprit, car une telle vision n’est pas apparue lors de l’entretien collectif<br />
avec des enfants non travailleurs, également les plus jeunes.<br />
Les deux groupes ont évoqué, de manière implicite, l’opposition entre scolarisation et travail.<br />
Pour traiter le sujet, ils ont fait appel à des cas concrets qu’ils connaissent, car l’abandon<br />
scolaire est fréquent parmi leurs voisins ou leurs parents :<br />
« Certains se mettent à travailler au lieu d’étudier parce qu’ils n’ont pas d’argent. » 146 […]<br />
« Il y a des filles qui sont en lycée et qui tombent enceintes et abandonnent l’université. Et<br />
c’est mal, parce qu’elles ne doivent pas laisser tant d’années d’efforts (années d’études déjà<br />
faites). » 147 (Groupe de travailleurs).<br />
« Mon cousin a quitté l’école parce qu’il n’a plus voulu, et maintenant il fait le ménage. » 148<br />
(Groupe de non travailleurs).<br />
144<br />
« Los que dejan la escuela se vuelven muy burros porque no aprenden. »<br />
145<br />
« Los niños que no van a la escuela se van a mariguanear. Andan en las calles. Andan grafiteando. »<br />
146<br />
« Algunos se ponen a trabajar en lugar de estudiar porque no tienen dinero. »<br />
147<br />
« Hay unas muchachas que están en la prepa y que se embarazan y dejan su carrera. Y está mal, porque no<br />
deben dejar tantos años de esfuerzo. »<br />
148<br />
« Mi primo dejó de estudiar porque ya no quiso y ahora hace el quehacer. »<br />
159
Néanmoins, ils montrent les deux sens de la relation entre travail et déscolarisation : parfois,<br />
le travail est une cause, et parfois il est une conséquence de la déscolarisation. A l’évidence,<br />
les causes de l’abandon scolaire sont diverses : précarité, désintérêt, grosses précoce. Tout<br />
comme les conséquences : errance, petite délinquance, drogues.<br />
Les entretiens individuels confirment que tous les enfants considèrent la scolarisation comme<br />
quelque chose de fondamental et propre à l’enfance, la clé pour réussir sa vie : « Réussir sa<br />
vie est, disons, étudier au-delà de la ‘secundaria’, et avoir un bon travail. » 149 (Karen, 14 ans,<br />
travailleuse). Et l’abandon scolaire est un handicap, qui s’exprime dans les domaines du<br />
savoir et de l’apprentissage, et aussi en matière de conduite ou pratiques indésirables, comme<br />
nous l’avons évoqué plus haut lors des entretiens collectifs :<br />
« Les enfants qui ne fréquentent pas l’école vont se consacrer aux métiers... à balayer, à laver<br />
le linge des autres, à être un chauffeur, comme mon papa... Ou être comme ceux qui soudent,<br />
et des trucs du genre. Parce qu’ils n’ont aucune connaissance. » 150 (Pedro, 8 ans, non<br />
travailleur).<br />
Les enfants déscolarisés deviennent des « vicieux », des « fainéants », des « flemmards », des<br />
« voleurs », des «irrespectueux », des « bruyants ». Et ce sont encore les enfants travailleurs,<br />
les plus âgés, qui mentionnent ces problèmes. Mais cette fois-là, ils explicitent que l’abandon<br />
scolaire est une cause de ces pratiques indésirables :<br />
« Un enfant qui ne fréquente pas l’école devient un fainéant, il ne fait rien, il devient un<br />
vicieux. » 151 (Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
« Ils deviennent des voleurs ou des alcooliques, ils fument ou se droguent. Je connais une fille<br />
(déscolarisée) que je vois là. Je la vois toujours dans la rue avec son petit ami, là, en train de<br />
boire et de fumer. » 152 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
Outre le handicap, l’abandon scolaire constitue aussi une privation des enfants de leurs droits.<br />
Les enfants apprennent à l’école les droits de la CIDE, mais seulement cette fille les a<br />
revendiqués :<br />
« Ben, à mon avis, je n’aimerais pas (quitter l’école), parce que, je dis que c’est mal parce<br />
que nous tous, les enfants, avons le droit d’étudier. » 153 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
149 « Salir adelante es no quedarte, hasta por decir, la secundaria, y tener un buen trabajo. »<br />
150 « Los niños que no van a la escuela van a hacer oficios... a barrer, a lavar ropa de otra gente, a ser camionero,<br />
como mi papá... O ser como uno de esos de los que soldan, todo eso. Porque no tienen ningún conocimiento. »<br />
151 « Un niño que no va a la escuela se vuelve vago, no hace nada, se vuelve vicioso. »<br />
152 « Se vuelven rateros o toman, fuman o se drogan. Conozco una niña (que no va a la escuela) que veo ahí.<br />
Pues siempre la veo en la calle con su novio, ahí tomando y fumando. »<br />
160
D’ailleurs, l’opposition du travail à la scolarisation est encore une fois mentionnée.<br />
L’abandon scolaire, soit par nécessité, soit juste par manque d’intérêt ou de plaisir pour<br />
l’école, ouvre la porte au travail des enfants :<br />
« Les enfants quittent l’école parce qu’ils n’aiment plus étudier et ils se mettent plutôt à<br />
travailler. Comme un enfant de ma classe qui habite par là, il a décidé de faire la fête et de<br />
travailler. Et il a arrêté ses études. Il a abandonné l’école en CM2. Mais je crois que ses<br />
parents étaient des alcooliques. (…) Ils deviennent des feignants ou un truc du genre. Ou cela<br />
dépend, parce que si jamais ils arrêtent les études par nécessité, et ils se mettent à travailler,<br />
alors ils peuvent subvenir seuls à leurs besoins. » 154 (Sandra, 12 ans, travailleuse).<br />
Ainsi, le travail est une option face à la déscolarisation volontaire, mais aussi une contrainte,<br />
lorsque la situation socioéconomique familiale est précaire. <strong>La</strong> perception sur les enfants<br />
travailleurs en dépend. Ceux qui abandonnent l’école de manière volontaire sont des<br />
fainéants, et leur mise au travail est peu appréciée, mais ceux qui sont obligés de quitter<br />
l’école pour travailler sont justifiés et leur travail est reconnu.<br />
Mais la déscolarisation est aussi en relation avec une attitude « irresponsable » des parents<br />
envers leurs enfants :<br />
« Parce que leurs parents ne les soutiennent pas ou ne leur demandent pas d’étudier... Mon<br />
papa me gronderait (si jamais elle abandonnait l’école). » 155 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
Les enfants qui ne fréquentent pas l’école « C’est parce que leurs parents les laissent là en<br />
train de vendre des chewing-gums. » 156 (María, 9 ans, travailleuse).<br />
Ce sont seulement des enfants travailleurs, pas forcément âgés, qui évoquent la relation entre<br />
la responsabilité parentale et l’abandon scolaire, ainsi que la déscolarisation comme<br />
conséquence d’une contrainte économique, comme dans les entretiens collectifs. Par contre, le<br />
désintérêt pour l’école comme cause de la déscolarisation est mentionné individuellement par<br />
les enfants travailleurs, tandis que dans les entretiens collectifs, ce sont les jeunes enfants non<br />
travailleurs qui l’ont abordé.<br />
153<br />
« Bueno, en mi opinión, a mí no me gustaría (dejar la escuela), porque, por lo mismo, yo digo que está mal<br />
porque todos los niños tenemos derecho a estudiar. »<br />
154<br />
« Los niños dejan la escuela porque ya no les gusta estudiar y ya mejor se ponen a trabajar. Como un niño de<br />
mi salón que vive por aquí, decidió mejor andar en el despapaye y seguir trabajando. Y ya no estudió. Se quedó<br />
en quinto. Pero creo que sus papás eran alcohólicos. (…) Se vuelven unos vagos o así. O depende, que tal si<br />
dejan de estudiar por necesidad, y se ponen a trabajar y ya se pueden mantener ellos mismos. »<br />
155<br />
« O porque no quieren y son flojos. O porque sus papás no los apoyan o no les dicen que estudien... Mi papá<br />
me regañaría (si dejara la escuela). »<br />
156<br />
« Es porque sus papás los dejan botados vendiendo chicles. »<br />
161
Il y a seulement deux enfants qui ont parlé du besoin d’une aide spéciale à la scolarisation des<br />
enfants pauvres, ce qui pourrait être une mesure pour éviter que ces enfants abandonnent<br />
l’école et pour les éloigner du travail, qu’ils considèrent inapproprié :<br />
« Il faut les aider, on doit leur donner des bourses ou des choses comme ça pour suivre leurs<br />
études, mais qu’ils ne travaillent pas. » 157 (Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
« Les enfants ne doivent pas travailler. Il devrait y avoir plus d’écoles pour tous, et là, si tu as<br />
des bons résultats, tu devrais avoir des bourses. » 158 (María, 9 ans, travailleuse).<br />
Par ailleurs, en relation directe avec la déscolarisation, nous avons interpellé les enfants sur le<br />
moment où ils devraient alors arrêter les études, et sur leur projet personnel à ce sujet. En<br />
général, les enfants du groupe de travailleurs considèrent qu’ils doivent tous entreprendre une<br />
formation universitaire. 159 Et en toute cohérence, ils ont l’idée de réussir des études de droit,<br />
médecine ou ingénierie (tous dans ces trois domaines) ; seulement une fille veut suivre une<br />
formation d’infirmière. De leur côté, les enfants du groupe de non travailleurs, qui sont jeunes<br />
et connaissent moins le système scolaire, ont juste évoqué l’importance de finir la secundaria<br />
(collège) et si possible d’aller au-delà. Certains, les plus âgés, aimeraient réussir une<br />
formation universitaire (un architecte, deux médecins et un chef cuisinier) ; les plus jeunes des<br />
carrières sportives (footballeur ou catcheur 160 ), ou des métiers traditionnels : soldat ou<br />
chauffeur de cars (comme son grand-père).<br />
A partir des entretiens individuels, nous avons trouvé que les participants pensent que l’on<br />
doit finir au minimum le collège, pour avoir au moins les connaissances basiques. Il faut<br />
rappeler qu’au Mexique, seulement la scolarisation nommée « de base » (primaria et<br />
secundaria) est obligatoire et gratuite :<br />
« Ben, pas jusqu’à l’université, sinon à la ‘secundaria’, parce que maintenant on peut dire<br />
que cela est le basique… on dirait qu’à la ‘secundaria’ on te donne les connaissances. » 161<br />
(Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
« Ben, je ne sais pas, selon ce qu’ils peuvent ou ils veulent, mais principalement, il faut<br />
étudier jusqu’à la ‘secundaria’. Parce que je crois que dès qu’on finit la ‘secundaria’, ils sont<br />
157<br />
« Pus que les ayuden, que les den una beca o algo para seguir sus estudios, pero que trabajen pus no. »<br />
158<br />
« Los niños no deben trabajar. Deberían haber más escuelas para todos, y ahí en la escuela si vas bien que te<br />
den becas.»<br />
159<br />
Au Mexique, il n’existe pas de grandes écoles, comme en France, la formation professionnelle la plus<br />
prestigieuse est dispensée dans les universités (licence, master, doctorat, postdoctorat).<br />
160<br />
Un sport populaire au pays.<br />
161<br />
« Bueno, no hasta la universidad, sino la secundaria, porque ahorita se puede decir que es lo básico… como<br />
que ahí te dan los conocimientos. »<br />
162
maintenant des adolescents, et ils pourraient décider ce qui les convient, mais aussi en ayant<br />
l’accord des parents. » 162 (Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
Mais, bien sûr, il vaut mieux poursuivre au-delà du collège, préférablement finir une carrière<br />
universitaire, voire technique. Néanmoins, certains enfants, les plus âgés et travailleurs,<br />
évoquent la nécessité d’une certaine liberté de choix à ce sujet :<br />
« Ils doivent finir toute une carrière. Ben, chacun selon son choix de carrière. <strong>La</strong> ‘primaria’,<br />
la ‘secundaria’ et au-delà... mais aussi cela dépend de ce qu’on choisit comme formation<br />
professionnelle. Mais les enfants devraient continuer leurs études après la ‘secundaria’. » 163<br />
(Felipe, 14 ans, travailleur).<br />
« Je pense qu’ils doivent arrêter quand ils le décideront, parce que si un enfant ne veut pas<br />
étudier, alors on ne peut pas l’obliger à fréquenter l’école. » 164 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
D’après les enfants, les bénéfices de la scolarisation sont l’accumulation de connaissances,<br />
mais surtout l’obtention d’un diplôme. Un diplôme qui à long terme sera fondamental pour<br />
avoir un travail :<br />
« Parce qu’il y a plus de possibilités quand tu te prépares que quand tu n’étudies que jusqu’à<br />
la ‘primaria’ ou un truc du genre. (...) Parce que presque tous ceux qui vendent des chewinggums<br />
(dans les rues) n’ont pas fini, ils ne savent même pas écrire, et pour cette raison on ne<br />
leur donne pas de travail. » 165 (Sandra, 12 ans, travailleuse).<br />
Mais, l'intérêt n'est pas d'avoir un travail tout simplement, mais d'avoir un bon travail, c’est-à-<br />
dire un travail bien rémunéré, qui permettra de « réussir » la vie familiale qui les attend. C'est<br />
à propos de cette discussion que nous trouvons l’idée, un peu cachée, que le travail des<br />
femmes est perçu comme secondaire, un travail d’appui à celui des hommes, une « aide », ou<br />
bien une activité à réaliser seulement en cas d’absence d’un chef homme de ménage, en cas<br />
d'urgence familiale :<br />
162<br />
« Pues, no sé, según lo que ellos puedan o quieran, pero principalmente es hasta la secundaria. Porque yo creo<br />
que ya saliendo de la secundaria ya son unos adolescentes, y ya podrían ver ellos lo que les conviene, pero<br />
también mientras los padres estén de acuerdo. »<br />
163<br />
« Tienen que terminar toda su carrera. Bueno, cada quien como elija su carrera. <strong>La</strong> primaria, la secundaria y<br />
la prepa... pero también depende de cómo elija su carrera. Pero deberían seguir estudiando después de la<br />
secundaria. »<br />
164<br />
« Supongo que hasta que ellos quieran, porque si un niño no quiere estudiar, pues no puedes obligar a un niño<br />
a ir a la escuela. »<br />
165<br />
« Porque hay más posibilidades cuando te preparas que cuando nada más estudias hasta primaria o así. (...)<br />
Porque casi todos los que venden chicles no han terminado, ni siquiera saben escribir, y por esa razón no les dan<br />
trabajo. »<br />
163
Etudier sert « Disons, si plus tard tu as besoin d’avoir un bon travail, un bon poste, et que tu<br />
aies besoin d’argent, je ne sais pas, par exemple, si tu es mère célibataire ou si ton mari est<br />
sans argent alors tu peux l’aider. » 166 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
« Pour apprendre des choses, pour avoir un futur, parce que si tu n’étudies pas, tu seras en<br />
train d’aider les personnes, et si tu as des enfants comment vas-tu les entretenir ? Il faut avoir<br />
un futur pour assurer les choses. » 167 (Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
<strong>La</strong> scolarisation est pour les enfants le début de la construction de ce que l’on voudrait<br />
devenir, une fois adulte : « Pour savoir plus, pour être quelqu’un dans la vie. » 168 (Gloria, 10<br />
ans, non travailleuse). En effet, grâce aux études l’on peut « Etre quelqu’un », une phrase<br />
célèbre bien répandue dans notre société et qui parfois justifie le caractère incontournable de<br />
la scolarisation des enfants. Comme si une personne ne valait rien sans études. Une approche<br />
simpliste et superficielle sur la vie, mais fréquemment utilisée et acceptée. Mais, au-delà de<br />
cette idée, les enfants rêvent d’avoir une ascension sociale, car ils appartiennent à des familles<br />
modestes. Une ascension sociale qu’ils pensent possible seulement à travers une scolarisation<br />
longue, qui leur permettra d’avoir des emplois mieux rémunérés et moins pénibles que ceux<br />
de leurs parents, leurs proches, leurs voisins :<br />
« Mon papa m’a dit que je ne dois jamais arrêter d’étudier. Que les études sont l’unique<br />
chose que j’ai à faire, étudier et étudier, parce qu’il ne veut pas que je reste comme lui, juste<br />
au lycée. Il veut que je le surpasse. » 169 (Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
« Actuellement, pour avoir un bon travail et avoir beaucoup d’argent pour t’entretenir toimême,<br />
alors tu as besoin d’étudier, parce qu'autrement, tu seras recruté comme balayeur ou<br />
un truc du genre, et tu n’auras plus les mêmes possibilités de gagner ce que tu pourrais<br />
gagner avec les études. (…) En étudiant, nous avons la possibilité d’avoir quelque chose de<br />
mieux que ce que mon papa est en train de nous offrir. » 170 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
Malgré l'idée généralisée que l’obtention d’un diplôme est une « garantie » de meilleures<br />
conditions de travail et de vie à l'avenir, l'un des participants réfléchit sur une situation qui<br />
commence à mettre en doute la pertinence des études universitaires ou longues :<br />
166 « Por si decir que más adelante necesites un buen trabajo, un buen empleo, y necesites el dinero para, no sé,<br />
por decir algo, si eres madre soltera o si tu marido se quedó sin dinero pues para ayudarle. »<br />
167 « Para aprender cosas, para tener un futuro, porque si no estudias ahí vas a andar ayudando a personas, y si<br />
tienes hijos ¿con qué los vas a mantener? Hay que tener un futuro para asegurar las cosas. »<br />
168 « Para saber más, para ser alguien en la vida. »<br />
169 « Mi papá, él me ha dicho que nunca deje el estudio, que nada más el estudio es lo único que tengo que hacer,<br />
estudiar y estudiar. Porque no quiere que me quede como él, nada más en la prepa. Quiere que lo supere. »<br />
170 « En la actualidad para que te den un trabajo bien y tengas un buen dinero para que puedas mantenerte tú,<br />
pues necesitas el estudio, porque sino, te contratan de barrendero o algo así, y ya no vas a tener las mismas<br />
posibilidades de ganar lo que con el estudio podrías ganar. (...) Al estudiar pues podemos tener algo mejor a lo<br />
que mi papá nos está ofreciendo. »<br />
164
« Je connais des gars qui ont fini une carrière et qui ont tous ces diplômes et ils n’ont pas de<br />
travail, ça c’est mal parce qu’on nous dit que… ben, le gouvernement et tout ça, on nous dit<br />
de devenir quelqu’un d’important, et après personne ne leur donne de travail. Je pense<br />
maintenant, ben, étudier et travailler (en tant qu’apprenti d’un métier). Et si jamais je n’ai<br />
pas de travail à partir de mes études, alors j’aurai un métier. » 171 (Felipe, 14 ans, travailleur).<br />
Le témoignage de Felipe illustre l’inconséquence dans laquelle est plongée actuellement la<br />
scolarisation. Car d’une part, elle est présentée comme le principal moyen pour « réussir dans<br />
la vie », mais d’autre part, de plus en plus, elle a du mal à accomplir son rôle de socialisation<br />
et d’intégration, de réussite professionnelle ou économique. En effet, ce garçon, qui en plus<br />
d’étudier a travaillé plusieurs fois chez des artisans (forgeur, électricien et serrurier), a fini par<br />
se rendre à l’évidence qu’une certaine « réussite économique » est aussi possible à travers<br />
l'exercice d'un métier, d'un savoir-faire, et non seulement grâce à l’obtention d’un diplôme<br />
universitaire, ou des études formelles simplement. Un diplôme n'est plus une garantie pour<br />
décrocher un bon travail, car des exemples de personnes diplômées au chômage ou sous-<br />
employées ne manquent pas au Mexique, une réalité qui pourrait décourager les jeunes. Mais<br />
qui apparemment n’a pas trop affaibli la valeur que les enfants, ainsi que leurs parents,<br />
donnent aux études. Et ils continuent de croire en la scolarisation et ses bénéfices.<br />
IV.3. Le travail : des regards tendancieux.<br />
Face à la subjectivité du concept de « travail », nous avons décidé de traiter le thème de façon<br />
ouverte, c’est-à-dire sans le limiter à une définition concrète. Nous avons alors posé aux<br />
participants des questions sur le travail sans donner des précisions. Ce qui nous a permis de<br />
voir qu’ils utilisaient parfois le terme de « travail » tout simplement comme synonyme<br />
d’« activité », ou bien d’« aide » à autrui. Par contre, certaines activités, que nous considérons<br />
comme une forme de travail, ne sont pas perçues comme telles.<br />
Les participants des deux groupes de discussion collective ont coïncidé sur les réponses à la<br />
question : à quoi sert le fait de travailler ? En général, le travail n’a que des attributs en termes<br />
économiques, concrètement, la possibilité d’avoir un revenu, qui, évidemment, aura des effets<br />
171 « Conozco a chavos que tienen toda su carrera y tienen todos sus papeles y no tienen trabajo. Eso está mal<br />
porque según nos ponen a que… bueno el gobierno y todo eso, nos ponen a que ser alguien en la vida, y nadie<br />
les da trabajo. Yo pues ahorita pienso, pus estudiar y trabajar (en un oficio). Y ya si no tengo un trabajo de mi<br />
carrera pues ya un oficio. »<br />
165
sur les conditions de vie. Ils associent principalement le travail à quatre sujets : le pouvoir<br />
d’achat, l’entretien d’une famille, le maintien de la santé et l’aisance :<br />
« Travailler sert à gagner de l’argent. A subvenir à ses besoins et à ceux de leurs enfants. A<br />
avoir une maison. A avoir une bonne vie. Le travail sert pour que les autres ne parlent pas<br />
mal de toi. Ils disent que pour cela ils ne vont pas me payer. » 172 (Groupe d’enfants non<br />
travailleurs).<br />
« Travailler sert à t’acheter des choses, des vêtements. A vivre. Si tu as des enfants. A acheter<br />
ce que tu veux, et pour, en cas de maladies, pouvoir aider. A subvenir aux besoins d’une<br />
famille. A acheter une Xbox (console de jeux vidéo). » 173 (Groupe d’enfants travailleurs).<br />
Il y a aussi une référence à la reconnaissance et à l’acceptation sociale à travers la réalisation<br />
d’une activité qui est valorisée. Il n’est pas clair à travers les récits si cette perception<br />
valorisante du travail fait référence seulement au travail exercé par les adultes, ou aussi à celui<br />
des enfants. D’ailleurs, implicitement, le travail est une activité qui devient indispensable dans<br />
la vie adulte lorsque l’on a des enfants, une famille. Mais, pour les enfants travailleurs, il est<br />
aussi perçu comme un moyen pour gagner de l’argent et ainsi pouvoir se faire plaisir<br />
personnellement.<br />
Le travail des pères est vu comme une obligation, cela va de soi ; mais le travail des mères est<br />
plutôt facultatif, et même parfois il n’est pas bien accepté. En général les participants pensent<br />
que le travail de leur mère est une bonne chose, mais certains ne sont pas d’accord. Voici<br />
quelques exemples :<br />
« Ce n’est pas juste, parce que les pères doivent travailler. » 174 […] « Ce n’est pas bien,<br />
parce qu’elle rentre tard le soir, et elle arrive très fatiguée et parfois elle s’endort. » 175 […]<br />
« C’est bien pour qu’elle change d’air et ne reste pas enfermée à la maison. » 176 […] « C’est<br />
bien, comme ça elle nous aide tous. » 177 (Groupe d’enfants non travailleurs).<br />
« Elle se fatigue beaucoup (prépare des déjeuners chez eux). (…) Moi aussi, je me fatigue<br />
parce qu’elle me demande d’aller apporter les déjeuners (il livre sur sa bicyclette aux<br />
clients). » 178 (Groupe d’enfants travailleurs).<br />
172<br />
« Trabajar sirve para ganar dinero. Mantenerte. Mantener a los hijos. Tener una casa. Tener una buena<br />
vida. El trabajo sirve para que los demás no hablen mal de ti, dicen que por eso no me van a pagar. »<br />
173<br />
« Trabajar sirve para comprarte cosas, ropa. Para vivir. Si tienes un hijo. Para comprarte lo que quieras, y para<br />
en caso de enfermedades poder ayudar. Para mantener una familia. Para comprar una XBox. »<br />
174<br />
« No está justo, porque los padres (varones) tienen que trabajar. » (Réponse à la question sur le travail des<br />
mères).<br />
175<br />
« No está bien, porque llega a las horas de la noche y llega bien cansada y a veces se queda dormida. »<br />
176<br />
« Está bien para que se distraiga y no esté encerrada en la casa. »<br />
177<br />
« Está bien, así nos ayuda a todos. »<br />
178<br />
« Se cansa mucho. (…) También yo me canso porque me deja ir a entregar las comidas. »<br />
166
Concernant le travail de la mère, il peut relever des avantages particuliers, car, en plus du côté<br />
économique, qui n’est jamais mentionné explicitement par les participants, il peut servir aussi<br />
à l’épanouissement. Une fonction souvent négligée. Or, presque toutes les mères travailleuses<br />
concernées ont des travaux peu qualifiés : femme de ménage, vendeuse ou commerçante<br />
informelle. Des emplois qui sont parfois physiquement prenants, ce qui expliquerait la<br />
compassion exprimée par certains.<br />
<strong>La</strong> perception du travail, qui relève surtout de ses avantages économiques est aussi unanime<br />
dans les entretiens individuels. Les enfants interviewés n’évoquent jamais l’accès à la santé<br />
comme un bénéfice du travail, par exemple. Et le fait de pouvoir entretenir une famille, ainsi<br />
que de subvenir à ses propres besoins, est mentionné plutôt par des filles travailleuses, et non<br />
par tous les enfants comme dans le cas des entretiens collectifs. Le travail sert :<br />
« A subvenir aux besoins de ta famille si tu veux, ou sinon, à tes propres besoins ou des trucs<br />
du genre, que tu puisses acheter tout ce que tu voudras. » 179 (Sandra, 12 ans, travailleuse).<br />
« Lorsque tu es célibataire, tu dois travailler pour subvenir à tes besoins, pour t’acheter tes<br />
petites affaires. Mais, lorsque tu as une famille, tu dois travailler parce que tu as une famille,<br />
tu as une fille, une femme à entretenir, tu dois donner de l’argent pour les achats et pour<br />
préparer les repas, et voilà. » 180 (Alicia, 11 ans, travailleuse).<br />
Il est évident qu’Alicia fait allusion à son propre cas : elle parle du travail en général en se<br />
concentrant sur celui de son père en particulier. Elle utilise l’exemple de sa propre famille, car<br />
elle est une fille unique et sa mère est femme au foyer. Elle n’est pas contre la participation<br />
des femmes au travail, car elle-même travaille, et elle aimerait bien que sa mère<br />
travaille. Mais, le travail de sa mère est perçu comme une « aide » directe au père, qui est<br />
censé travailler pour apporter les revenus nécessaires au ménage :<br />
« J’ai dit à ma maman de travailler, pour aider mon papa dans les dépenses de la maison.<br />
(…) Parfois, il nous manque de l’argent. (…) Ils ne payent pas mon papa, ils ne le payent pas<br />
quand il le faut, et nous n’avons pas d’argent. Et, ben, parfois ma maman semble vouloir<br />
travailler, pour aider mon papa. Je lui dis : ne t’inquiète pas pour moi, parce que je suis déjà<br />
assez grande pour m’occuper de moi-même. » 181 (Alicia, 11 ans, travailleuse).<br />
179 « Para mantener a tu familia si quieres, o sino para mantenerte a ti, y que te compres todo lo que tu quieras. »<br />
180 « Cuando estás soltero tienes que trabajar para mantenerte, para comprarte tus cositas. Pero ya cuando estás<br />
con tu familia, tienes que trabajar porque ya tienes una familia, tienes una hija, una esposa que mantener, que dar<br />
gasto para ir al mercado y hacerte de comer, y así. »<br />
181 « Yo le he dicho que sí, para que ayude a mi papá a los gastos de la casa (…) Que a veces sí nos hace falta<br />
(…) A mi papá no le pagan cuando debe ser, y no tenemos dinero. Y pues mi mamá, a veces como que quiere<br />
trabajar, pues sí para ayudarle a mi papá. Yo le digo: pues por mí no te preocupes, porque yo ya estoy grandecita<br />
para cuidarme sola. »<br />
167
Encore une fois, nous observons que l’obligation de travailler est associée aux hommes, et<br />
que le travail des femmes est plutôt facultatif. Ainsi, les femmes doivent travailler s’il manque<br />
un homme pour le faire, ou lorsque celui-ci se trouve en difficulté, dans une situation qui est<br />
censée être temporaire, mais le travail des femmes reste secondaire :<br />
« Si (en tant que femme) tu as besoin d’argent pour, je ne sais pas, par exemple, si tu es<br />
maman célibataire ou si ton mari est sans argent, alors tu peux l’aider. » 182 (Karen, 14 ans,<br />
travailleuse).<br />
Dans les idées des enfants, le travail, comme pouvoir d’achat et source de revenus, reste<br />
encore une activité propre aux pères. Cependant, le travail peut aussi être perçu comme une<br />
source de « bien-être », simplement comme une activité pour se distraire, mais ce droit ne<br />
semble appartenir qu’aux femmes. Le travail des mères est bien accepté, car il représente un<br />
bénéfice individuel aux propres femmes, au-delà du bénéfice économique, qui est seulement<br />
évoqué par une fille, et qui semble ne pas être important :<br />
« Qu’elle travaille pour nous donner de l’argent pour l’école et aussi pour acheter des choses<br />
au moment de la récréation à l’école et pour acheter nos vêtements. » 183 (María, 9 ans,<br />
travailleuse).<br />
« Je dis que cela est bien parce que si elle ne travaillait pas, elle serait seulement enfermée<br />
là. Et en plus, ma maman aime travailler. » 184 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
« C’est bien parce qu’elle a commencé à travailler parce que... je ne sais pas, il y a eu un<br />
problème et elle a alors décidé de monter son affaire pour ne plus stresser, pour penser à<br />
d’autres choses. Il me semble que c’est bien. » 185 (Sandra, 12 ans, travailleuse).<br />
« C’est bien parce que parfois, il y a des mamans que ne travaillent pas, et, donc, elles<br />
passent toute la journée dans la maison à s’ennuyer, à regarder la télé. Je pense que c’est<br />
bien pour se distraire un peu. » 186 (Claudia, 9 ans, travailleuse).<br />
En tout cas, les filles sont d’accord avec le travail de leur mère. Ce sont les garçons les plus<br />
âgés qui questionnent la valeur ou la nécessité du travail économique des mères, ou des<br />
femmes, sauf s'il s'agit d’une vraie nécessité économique familiale :<br />
« Non (ma maman ne devrait pas travailler), mais si elle doit travailler parce qu’il nous<br />
manque l’argent, alors c’est bien. » 187 (Felipe, 14 ans, travailleur).<br />
182<br />
« Cuando necesites el dinero para, no sé, por decir algo, si eres madre soltera o si tu marido se quedó sin<br />
dinero pues para ayudar. »<br />
183<br />
« Que trabaje para que nos dé dinero para la escuela y también para que compre en el recreo y para comprar<br />
nuestra ropa. »<br />
184<br />
« Yo digo que está bien porque si no trabajara sólo estaría aquí encerrada. Y a parte a mi mamá le gusta. »<br />
185<br />
« Está bien porque ella lo hizo porque... no sé, pasó un problema y ella mejor decidió salir a vender para<br />
desestresarse, para estar pensando en otras cosas. Me parece que está bien. »<br />
186<br />
« Que está bien porque luego hay unas mamás que no trabajan, y están todo el día en la casa aburridas, viendo<br />
la tele. Yo pienso que está bien para que se distraiga un poquito. »<br />
168
« Non (il n’y a pas besoin que ma mère travaille). (…) Je n’aimerais pas, parce qu’elle<br />
négligerait la maison. C’est bien si elle se consacre seulement au ménage. En plus, nous aussi<br />
ne lui laissons pas beaucoup de travail : nous faisons la vaisselle, rangeons les affaires à la<br />
maison. (...) <strong>La</strong> maman ne va pas tout faire, les filles et les garçons doivent aussi apprendre à<br />
cuisiner. Mais c’est plutôt pour les filles, non ? Parce que, peut-être, la fille tombera sur un<br />
mari qui doit travailler et pas elle. Un mari que lui donne tout, et si jamais elle ne sait pas<br />
cuisiner, alors qu’est-ce qu’elle va faire ? (...) Si les deux travaillent (homme et femme) alors<br />
je ne sais pas, ils vont peut-être s’organiser pour préparer les repas tous les deux. » 188<br />
(Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
« Si ma maman travaillait, elle serait comme mon papa, elle n’aurait pas de temps, ma<br />
maman devrait aller travailler et mon papa aussi, et comme ça. (...) Je n’aimerais pas que ma<br />
maman travaille, mon papa lui dit aussi de ne pas travailler. Ce n’est pas nécessaire. » 189<br />
(Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
Dans le discours général des enfants, tant en entretiens collectifs qu’individuels, les filles et<br />
les garçons doivent avoir les mêmes droits et les mêmes obligations. C’est comme si les<br />
différences de genres s’accroissaient au fur et à mesure que l’on vieillissait. Car ils assignent<br />
des valeurs différentes au travail des mères et des pères, mais pas à la scolarisation des filles<br />
et des garçons, par exemple.<br />
Etant donné que le travail est perçu plutôt comme source de revenus pour entretenir une<br />
famille, il n’est pas rare de trouver que les enfants parlent du travail comme quelque chose qui<br />
arrivera dans le futur, en ignorant que certains parmi eux sont déjà de facto travailleurs. Peut-<br />
être que le fait d’être élèves et d’avoir un travail comme activité secondaire les amène à faire<br />
référence plus au travail futur, au travail comme activité principale : « Les adultes pensent au<br />
travail, nous pensons à l’école. » 190 (Juan, 12 ans, non travailleur). L’on peut dire alors que<br />
les participants ont une vision du travail comme quelque chose qui se fait à plein temps, en<br />
dehors du ménage, pour un tiers, et qui est rémunéré. Mais aussi une activité qui a par objectif<br />
principal l’entretien de soi-même ou d’autres. Et même qu’il est un devoir, une responsabilité,<br />
187 « (Mi mamá) no (debería trabajar), pero si tiene que trabajar porque no nos alcanza el dinero, pues está bien. »<br />
188 « No (hay necesidad de que mi mamá trabaje) (...) Y no me gustaría, porque descuidaría la casa. Está bien que<br />
se dedique sólo a la casa. Luego también no le dejamos mucho trabajo a ella: lavamos los trastes, recogemos la<br />
casa (...) No todo lo va a hacer la mamá (…) niños y niñas deben aprender a cocinar. Aunque es más bien de las<br />
niñas ¿no? Porque tal vez le toque un marido que tenga que trabajar y ella no. Un marido que le ponga todo, y si<br />
ella no sabe cocinar, pues ¿qué va a hacer? (...) Si los dos trabajan pues no sé, a lo mejor se turnarían los dos para<br />
hacer de comer. »<br />
189 « Si mi mamá trabajara, va a ser igual que mi papá, no va a tener tiempo, mi mamá va a tener que ir y mi papá<br />
está trabajando, y así. (...) No me gustaría que trabajara, también mi papá le dice que no trabaje. No es<br />
necesario. »<br />
190 « Los adultos piensan en su trabajo, nosotros en la escuela. »<br />
169
une nécessité, voire une obligation, même si dans les cas des femmes ces caractéristiques<br />
peuvent être nuancées.<br />
Or, lorsque l’on parle de travail des enfants, ou même de leur propre expérience en tant<br />
qu’enfants travailleurs, le sujet devient un peu flou, ce qui contribue à beaucoup de<br />
contradictions dans leurs discours. Mais nous avons observé que, de la même manière qu’ils<br />
donnent une valeur différente au travail des femmes et des hommes, ils ne donnent pas la<br />
même valeur à un travail fait par un enfant qu’à celui réalisé par un adulte. C’est-à-dire que la<br />
perception sur le travail est une question de genre et de génération, même si d’autres aspects<br />
sont aussi évoqués. Nous en discuterons par la suite.<br />
IV.3.1. Le discours des enfants sur le travail des enfants.<br />
Pour rentrer dans le sujet, nous avons commencé par interroger les enfants sur le travail des<br />
enfants en général, sans donner d’autres spécifications. Et après, nous avons concrètement<br />
posé des questions sur certains types de travail, dont le travail des enfants dans les petites<br />
entreprises familiales et le travail des enfants dans les rues.<br />
Concernant la perception sur le travail des enfants en général, tous les discours vont dans le<br />
même sens : le travail n’est pas une activité propre à l’enfance :<br />
« Ils ne peuvent pas travailler parce qu’ils sont des jeunes enfants. (…) Je sais que nous ne<br />
devons pas travailler aussi jeunes. » 191 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
Comme nous l’avons déjà discuté plus haut, l’idée implicite que l’enfance est synonyme,<br />
entre autres, de fragilité et d’inexpérience, fait des enfants des êtres vulnérables dans ce<br />
monde du travail, un monde des adultes, où domine la loi du plus fort :<br />
« Parce que parfois il y a des voleurs qui arrivent et ils prennent tout l’argent aux enfants.<br />
(...) Les enfants ne doivent pas travailler. » 192 (María, 9 ans, travailleuse extradomestique<br />
familiale).<br />
« Si un jeune enfant va travailler, alors j’imagine qu’on va lui dire qu’il a mal fait les choses,<br />
parce qu’il n’a pas l’âge suffisant pour dire ce qui est bien. Et il y a des enfants qui ne disent<br />
191<br />
« No pueden trabajar por lo mismo que son menores de edad. (…) Yo sé que no debemos trabajar tan<br />
pequeños. »<br />
192<br />
« Porque luego llegan unos rateros y les quitan todo el dinero (...) Los niños no deben trabajar. »<br />
170
ien parce que, peut-être, ils ne savent pas ce qui est bien et ce qui est mal. » 193 (Karen, 14<br />
ans, travailleuse domestique familiale).<br />
« Parfois, il y a des personnes qui te regardent comme un enfant et on dirait qu’elles veulent<br />
t’utiliser, c’est-à-dire qu’elles veulent que tu fasses tout. C’est mal. » 194 (Carlos, 14 ans, non<br />
travailleur).<br />
Mais, le travail est aussi inapproprié aux enfants parce qu’il s’agit d’une étape pour profiter de<br />
la vie sans contraintes, une période d’épanouissement. Les enfants doivent avoir du temps<br />
libre pour s’amuser pleinement, en tant qu’enfants, tout comme les adolescents :<br />
« Commencer à travailler ? Dès que je finirai l’université, pour finir de profiter de toute ta<br />
vie… A la ‘secundaria’ tu commences à faire la fête, à être avec tes amis, à aller en boîte et<br />
tout ça. Et après tout ça, alors tu peux travailler. » 195 (Alicia, 11 ans, travailleuse<br />
extradomestique non familiale).<br />
« Les enfants qui travaillent n’ont pas d’enfance, ils ne jouent pas autant qu’un enfant qui ne<br />
travaille pas. » 196 (Juan, 12 ans, non travailleur).<br />
Enfin, les participants perçoivent le travail des enfants comme franchement opposé aux<br />
études, ce que nous avons déjà évoqué à propos de la scolarisation :<br />
« Je ne travaille pas parce que j’étudie. » 197 (Juan, 12 ans, non travailleur au moment de<br />
l’entretien, mais qui a travaillé sporadiquement auparavant. Il a quitté son travail juste pour<br />
avoir un peu plus du temps pour jouer.).<br />
« Je ne travaille pas parce que je veux me consacrer à mes études. Je te l’ai déjà dit, je veux<br />
finir ma carrière. Je ne veux pas abandonner mes études. » 198 […] « Les enfants qui<br />
seulement travaillent ne vont avoir aucune connaissance scolaire, rien de plus, rien dans la<br />
vie, seulement travailler et travailler… S’ils veulent travailler dans quelque chose de<br />
supérieur, ils ne pourront pas parce qu’ils ne seront pas scolarisés. » 199 (Carlos, 14 ans, non<br />
travailleur).<br />
193 « Que si un niño menor va a trabajar pues me imagino que le van a decir que las cosas están mal hechas,<br />
porque no tiene la suficiente edad para decir que están bien. Y hay niños que se quedan callados porque tal vez<br />
no saben lo que está bien y lo que está mal. »<br />
194 « Luego hay algunas personas que te ven como un niño y te quieren como que usar, o sea quieren que hagas<br />
todo. Está mal. »<br />
195 « ¿Empezar a trabajar? cuando termine mi carrera, para acabar de disfrutar toda tu vida… En la secundaria ya<br />
empiezas a echar relajo, a estar con tus amigos, ya te empiezas a ir a discos, y todo eso. Y ya terminando eso,<br />
pus puedes trabajar. »<br />
196 « Los niños que trabajan no tienen infancia, no juegan tanto como uno que no trabaja. »<br />
197 « No trabajo porque estudio. »<br />
198 « No trabajo porque me quiero dedicar a mi escuela. Como ya te dije, quiero terminar mi carrera. No quiero<br />
dejar el estudio. »<br />
199 « Los niños que sólo trabajan no van a tener ningún conocimiento escolar, nada más, en la vida nada más<br />
trabajar y trabajar... Pues si quieren trabajar en algo más superior no van a poder porque no tuvieron escuela. »<br />
171
« Si tu travailles à 12 ans, tu ne vas plus étudier et tu vas continuer à faire cela (le même<br />
travail qu’au cours de l’enfance) toute ta vie… sauf si on le fait que pendant les vacances. » 200<br />
(Groupe d’enfants travailleurs).<br />
« Parce qu’ils n’aiment plus étudier et ils préfèrent travailler. » 201 (Sandra, 12 ans,<br />
travailleuse extradomestique familiale et non familiale).<br />
Ils considèrent que le fait de travailler pendant l’enfance va les empêcher de continuer leurs<br />
études et de se développer de manière adéquate, d’avoir une carrière. Car ils sont convaincus<br />
que la scolarisation est fondamentale pour avoir un bon avenir et l’enfance est le moment<br />
privilégié pour apprendre et se préparer dans ce sens. Or, il est aussi reconnu que le travail est<br />
une option lorsque l’école n’intéresse plus les enfants.<br />
<strong>La</strong> possibilité de travailler et d’étudier parallèlement est vue comme un risque, non seulement<br />
quant à la scolarisation, mais aussi du bien-être de l’enfant :<br />
« Je crois que cela doit être assez dur, non ? Peut-être, aller à l’école les matinées, rentrer et<br />
faire les devoirs scolaires vite fait et après aller travailler. Cela doit mettre assez de pression.<br />
Je crois que ce n’est pas bien, parce qu’on dirait qu’on est K.-O. Il arrivera un moment où les<br />
enfants ne sauront plus quoi faire, si travailler ou étudier. » 202 (Carlos, 14 ans, non<br />
travailleur).<br />
Etant donné tous les inconvénients du travail au cours de l’enfance, les participants des deux<br />
groupes de discussion collective et des entretiens individuels coïncident aussi avec l’idée que<br />
le meilleur moment pour commencer à travailler est à la fin des études professionnelles, voire<br />
à 18 ans (l’âge de la majorité effective au Mexique). Parce que, d’après eux, les enfants<br />
d’avant cet âge ne savent pas encore quoi faire (au niveau professionnel). N’oublions pas que<br />
l’enfance est une étape de préparation pour la vie adulte : il vaut mieux alors attendre le<br />
moment de savoir qui l’on veut être (Groupes de discussion collective), soit de choisir un<br />
métier ou d’avoir un diplôme professionnel. Mais, concrètement, ils n’ont pas une idée<br />
précise du meilleur moment pour commencer à travailler parce que, malgré tout, et avec un<br />
certain regret, ils reconnaissent que l’université implique beaucoup d’années d’études.<br />
200<br />
« Si trabajas a los 12 años, ya no vas a estudiar y vas a seguir haciendo eso toda tu vida... menos si lo haces en<br />
vacaciones. »<br />
201<br />
« Porque ya no les gusta estudiar y ya mejor se ponen a trabajar. »<br />
202<br />
« Yo creo que ha de ser muy pesado ¿no? A lo mejor ir a la escuela en las mañanas, llegar y hacer tareas de<br />
volada y luego irse a trabajar. Debe ser mucha presión. Yo creo que no está bien, porque como que se noquean.<br />
Como que se llega a un tiempo en que ya no saben qué hacer, si trabajar o estudiar. »<br />
172
Cependant, en plus des motifs scolaires, il est mieux de commencer à travailler à partir de 18<br />
ans parce que l’on est déjà un citoyen majeur, une personne avec plus de droits dans tous les<br />
domaines, une idée plutôt évoquée par les participants les plus jeunes :<br />
« A 19 ans on peut conduire et acheter une voiture. » […] « Tu as une formation<br />
professionnelle et tu sais maintenant te mettre au travail. » […] « Tu as plus de chances de<br />
trouver un bon travail. » (Groupe d’enfants non travailleurs).<br />
« On peut avoir un travail plus facilement. » 203 (Juan, 12 ans, non travailleur).<br />
A l’évidence, jusqu’à maintenant, les enfants font référence à un travail à plein-temps, ou en<br />
tant qu’activité principale. Un travail auquel consacrer la plupart du temps, rémunéré, par un<br />
tiers externe au ménage, avec un compromis formel (explicitement ou implicitement), et qui a<br />
pour but principal l’obtention de revenus pour la survie ou l’entretien. En résumé, un travail<br />
qui remplace la scolarisation. Vu de cette façon, le travail des enfants est en général<br />
désapprouvé. Cependant, lorsque l’on parle du travail comme une aide des enfants aux<br />
parents, la perception des enfants change à tel point qu’il est même bien apprécié, mais à<br />
condition d’être une activité secondaire dans la vie de l’enfant :<br />
« C’est bien pour aider tes parents, pour manger, pour t’acheter des vêtements et des<br />
chaussures. » 204 (María, 9 ans, travailleuse extradomestique familiale non rémunérée).<br />
De même, lorsque le travail sert aux enfants à continuer leurs études, la mise au travail est<br />
justifiée :<br />
« Les enfants qui vendent des chewing-gums dans les rues peuvent acheter plus de chewinggums<br />
et acheter à manger, et après ils s’inscrivent à l’école, s’achètent des vêtements, des<br />
baskets ou des chaussures. » 205 (María, 9 ans, travailleuse extradomestique familiale).<br />
« S’ils quittent l’école par nécessité, et ils se mettent à travailler, alors ils peuvent s’entretenir<br />
eux-mêmes, c’est bien. » 206 (Sandra, 12 ans, travailleuse extradomestique familiale et non<br />
familiale).<br />
« J’avais une cousine qui travaillait comme “cerillo”, parce que mon oncle et ma tante ne lui<br />
donnaient pas (d’argent) et elle voulait poursuivre ses études. C’est pourquoi elle travaillait<br />
là. » 207 (Karen, 14 ans, travailleuse domestique familiale).<br />
203<br />
« Puede tener trabajo más fácil. »<br />
204<br />
« Está bien para que les ayudes a tus papás, para que tu comas, para que te compres ropa y zapatos. »<br />
205<br />
« Los niños que venden chicles en la calle pueden comprar más chicles y comprar comida, y ya después ellos<br />
se meten a la escuela, se compran ropa, tenis o zapatos. »<br />
206<br />
« (...) si dejan de estudiar por necesidad, y se ponen a trabajar y ya se pueden mantener ellos mismos, está<br />
bien. »<br />
207<br />
« Yo tenía una prima que trabajaba de ‘cerillo’, y era porque mis tíos no le daban y ella quería seguir<br />
estudiando. Por eso trabajaba ahí. »<br />
173
Ainsi, malgré le désaccord supposé à propos du travail des enfants, que les participants ont<br />
exprimé au début, et qui le posait comme ennemi de la scolarisation, nous observons qu’à<br />
mesure que nous faisions appel à des cas concrets, ou qu’ils prenaient des exemples dans leur<br />
entourage, d’enfants travailleurs continuant leurs études, le travail des enfants était accepté<br />
sous certaines conditions :<br />
« Ben, cela dépend, je ne sais pas, cela dépend de la nécessité. Les enfants ne doivent pas<br />
travailler. Ou, qui sait ? Parce que parfois ils ne travaillent pas par nécessité, parfois ils<br />
travaillent juste pour avoir quelque chose à faire... C’est bien, s’ils n’ont rien à faire, alors<br />
j’en suis d’accord. (...) Ils peuvent faire... ben, un travail pas très difficile. Comme, laver la<br />
vaisselle, charger des cartons, et voilà. » 208 (Sandra, 12 ans, travailleuse).<br />
Des conditions relatives aux causes de la mise au travail, au type de travail réalisé, au temps<br />
consacré au travail, mais toujours en respectant le temps de scolarisation. Pour certains, leur<br />
propre expérience est la preuve qu’un travail, comme activité secondaire, n’empêche pas<br />
d’assumer d’autres responsabilités, comme les études et les tâches ménagères, ainsi que<br />
d’autres activités pour se distraire. Et surtout, le travail ne leur pose pas de problèmes de<br />
santé. Par contre, ils trouvent dans leur travail un moyen, complémentaire à l’école,<br />
d’apprendre, en utilisant leur temps libre d’une façon plus « productive ».<br />
Dans ce sens, un point qui nous intéresse est l’auto perception des enfants concernant leurs<br />
activités, concrètement le travail. Pour ce faire, nous utiliserons comme support l’information<br />
des entretiens collectifs. Car les mêmes résultats se confirment avec les entretiens individuels,<br />
et nous préférons utiliser leurs récits individuels pour illustrer la prochaine partie de notre<br />
recherche.<br />
En général, les enfants parlent du travail comme d’une activité qui appartient au futur, même<br />
certains enfants travailleurs. Car le travail est censé servir principalement à entretenir une<br />
famille, alors qu’ils réduisent ce qu’ils font à une simple « aide ». C’est pourquoi à présent,<br />
nous allons nous centrer sur la façon dont les enfants identifient, définissent, repèrent et<br />
classent leurs propres activités, notamment leur expérience de travail.<br />
208 « Pues depende, no sé, depende de la necesidad. Los niños no deben trabajar. O ¿quién sabe? es que luego no<br />
trabajan por necesidad, luego nada más trabajan para tener algo que hacer... Está bien, si no tienen nada que<br />
hacer, pues sí estoy de acuerdo. (...) Pueden hacer... pues (un trabajo) uno no muy difícil. Como pues así, lavar<br />
los trastes, cargar cajas, así. »<br />
174
Lors des entretiens collectifs, parmi les enfants du groupe que nous considérons comme<br />
travailleurs, à la question : « Est-ce que quelqu’un travaille ? » presque tous ont répondu<br />
affirmativement en ajoutant ce qu’ils font. Voici quelques exemples :<br />
« Dans l’épicerie avec mes parents. » 209<br />
« Je livre des repas que ma maman prépare. Je travaille, je suis une personne<br />
travailleuse. » 210<br />
« J’aide un monsieur à déposer les petites machines de jeux vidéo qu’il loue, ou je<br />
l’accompagne. » 211<br />
« Je lave le ‘comal’ (poêle très plate, épaisse et grande) de ma mamie et elle me paie. » 212<br />
« J’aide mes oncles dans leur atelier de dessin. » 213<br />
« On vient de me renvoyer, car j’arrivais toujours à 10 h » 214<br />
Certes, ces enfants rentrent globalement dans notre propre définition de travail, notamment,<br />
dans le type de travail extradomestique, familial ou non. Cependant, d’autres enfants, qui<br />
rentrent pourtant eux aussi dans notre définition de travail, ont estimé que ce qu’ils faisaient<br />
n’était pas un travail. Ils ne se sont pas reconnus comme des travailleurs. C’est le cas de trois<br />
participants :<br />
• Un enfant qui travaillait sans rémunération tous les samedis avec sa maman, commerçante<br />
dans un local commercial informel du quartier.<br />
• Une fille que nous tenons pour travailleuse domestique familiale, parce qu’elle était<br />
responsable de ses deux cadets, et du travail domestique chez eux, leur mère n’y vivant<br />
plus avec eux. Néanmoins, à la question « Qui aimerait travailler maintenant ? » elle a<br />
reconnu que sa responsabilité domestique avait bien la valeur d’un travail :<br />
« Je n’aimerais pas travailler maintenant, ma maman n’est pas avec moi, alors mon<br />
travail est d’aider ma mamie et de m’occuper des cadets. Je suppose que c’est mon<br />
travail, je n’aurais pas le temps d’aider mon frère et ma sœur si je travaillais. » 215<br />
• Une autre fille aussi travailleuse domestique familiale selon nos critères, parce qu’elle<br />
était responsable des tâches ménagères et de la préparation des repas chez elle, à cause<br />
d’un père handicapé qui ne pouvait rien faire, et d’une mère qui travaillait toute la journée.<br />
Elle accompagnait aussi parfois sa mère au travail, dans la vente de bonbons et de jouets à<br />
209 « En la tienda con mis papás. »<br />
210 « Voy a dejar la comida que prepara mi mamá. Yo trabajo, soy una persona trabajadora. »<br />
211 « Ayudo a un señor a dejar las maquinitas que renta o lo acompaño. »<br />
212 « Le lavo el comal a mi abuelita y me paga. »<br />
213 « Ayudo a mis tíos en su taller de diseño. »<br />
214 « Me acaban de correr porque siempre llegaba a las 10. »<br />
215 « No me gustaría trabajar ahora, mi mamá no está conmigo, entonces mi trabajo es ayudar a mi abuelita y<br />
cuidar a mis hermanos. Supongo que ése es mi trabajo, no tendría tiempo para cuidar a mis hermanos si<br />
trabajara. »<br />
175
176<br />
la sortie d’une école et dans un marché itinérant. Elle nous a dit qu’elle ne travaillait pas,<br />
mais : « J’aimerais travailler les soirs comme serveuse. » 216<br />
Nous observons que le travail domestique familial est spécialement difficile à repérer, pas<br />
seulement de l’extérieur, mais aussi de la part des propres protagonistes. Ils n’ont pas une<br />
position franche à cet égard, de même qu’avec les adultes : certains enfants le prennent<br />
comme un travail, d’autres non. L’on ne sait pas avec certitude à quel moment une activité<br />
ménagère devient un travail. Ce type de travail semblerait surtout être une aide nécessaire au<br />
ménage pour faire face à une contrainte familiale : séparation, irresponsabilité ou maladie des<br />
parents. C’est pourquoi, peut-être, les filles ne le prennent pas comme un travail. En plus, il<br />
faut rappeler l’idée prédominante des enfants sur ce qu’est le « travail ». C’est une activité qui<br />
répond à la nécessité de survivre, normalement rémunérée, avec des horaires précis, pour un<br />
tiers, mais surtout externe au ménage, et opposée à la scolarisation. Et les tâches ménagères<br />
ne s’accordent pas avec cette définition, ce qui est conforme avec la vision prédominante sur<br />
le travail dans la société, qui ne considère pas les femmes au foyer comme travailleuses.<br />
Cependant, cette vision est mise en cause par l’une de ces enfants qui « suppose » que son<br />
« travail » est de s’occuper de son frère et sa sœur cadets.<br />
Mais, ce qui nous a le plus frappés, en ce qui concerne l’autoperception et l’identification du<br />
travail des enfants, est la discussion qui s’est produite lors de la réunion avec le groupe<br />
d’enfants non travailleurs. Car, à la question : « Avez-vous travaillé quelquefois ? » Ils se sont<br />
presque tous autoidentifiés comme des travailleurs. Ainsi, ils ont démontré la subjectivité qui<br />
existe par rapport à ce qu’est le travail. Même si selon notre définition tous n’étaient pas des<br />
travailleurs, presque tous ont estimé l’être. Mais, l’on peut dire que c’est à la suite de la<br />
participation des deux premiers enfants, qui ont répondu affirmativement à la question et qui<br />
ont décrit leur « travail », que le reste du groupe a aussi voulu témoigner d’un hypothétique<br />
travail, comme une façon de ne pas rester à l’écart, de ne pas se sentir mal jugé. Il faut<br />
rappeler que l’idée que d’être une personne travailleuse ennoblit, est bien ancrée parmi eux :<br />
« Je vais parfois avec mon tonton, je l’aide, il vend du poisson. Je l’aide à mettre le poisson<br />
dans les sacs en plastique et après je les donne aux clients. Il me paie parfois. » 217<br />
« J’aide ma maman à faire la chambre et à balayer. » 218<br />
216 « Me gustaría trabajar como mesera en las noches. »<br />
217 « A veces voy con mi tío, le ayudo, vende pescado. Le ayudo a meter el pescado en las bolsas de plástico y<br />
después se los doy a los clientes. A veces me paga. »<br />
218 « Sí, ayudo a mi mamá a hacer mi cuarto y a barrer. »
« Parfois, lorsque mes parents me demandent d’aller à l’épicerie acheter des choses pour<br />
préparer le repas, ils me laissent la monnaie. » 219<br />
« De temps en temps, j’aide mon papi à balayer les rues du centre-ville, il est balayeur. Je ne<br />
veux pas qu’il me paye, je veux juste l’aider. » 220<br />
« Quand mon papa va vendre une voiture (c’est son travail), je l’accompagne, s’il la vend, il<br />
me donne de l’argent, sinon non. » 221<br />
« J’aide ma tante à laver et monter leur local commercial, parfois elle me donne de l’argent.<br />
(…) Quand je suis en vacances, elle (la tante) ne veut pas que nous flemmardions (lui et son<br />
frère), que nous regardions la télé toute la journée, et elle nous emmène avec eux. » 222<br />
« Parfois, quand mon papa m’invite j’y vais (au travail). Il m’amène pour enlever les gravats,<br />
je l’aide avec la pelle à bouger les gravats du camion-benne, il me paie toujours. » 223<br />
Il est clair que l’idée qu’ont les enfants sur ce qu’est le travail ne correspond pas forcément à<br />
celle que nous avions en tête. De même qu’il n’y a pas un consensus entre eux : une même<br />
activité est considérée comme travail par un enfant et non par un autre. Le terme « travail »<br />
est utilisé par les enfants plutôt comme un synonyme d’« activité » en général.<br />
C'est pourquoi ils parlent de leur travail en tant qu’« aide », comme nous le constatons d’après<br />
les derniers exemples. A ce sujet, une fille qui travaille tous les jours comme serveuse dans un<br />
petit restaurant de sa tante, nous a expliqué la différence entre ce qu’elle considère être « le<br />
travail » et ce qu’elle considère être « une aide » :<br />
« Ben, travailler, on te paie, on t’exige. Et si tu ne vas pas travailler, on te déduit de l’argent<br />
et tout ça. Eh ben, avec ma tante, non. Je le prends comme une aide. Et mes pourboires sont<br />
mes pourboires, parce que j’ai bien fait les choses. Et là (si je ne peux pas y aller), je dois<br />
juste aller prévenir ma tante, et voilà. Mais dans un travail non. Si tu as des devoirs scolaires,<br />
peu importe, tu dois y aller forcément, sinon on te déduit de l’argent, et voilà. Tu aides tes<br />
oncles ou tes tantes, tu aides ta mère. Ou pourquoi forcément : travailler, travailler et<br />
travailler ? Et parce que j’aime bien le faire. Parce que sinon, ma mère me dirait : allez, vasy<br />
! Et comme ça, je le prendrais alors comme un travail, et pas comme une aide. » 224 […]<br />
219 « A veces, cuando mis papás me piden que vaya a comprar cosas a la tienda para preparar la comida, me dan<br />
el cambio. »<br />
220 « Luego, ayudo a mi abuelito a barrer las calles del zócalo, es barrendero. No quiero que me pague, yo sólo<br />
quiero ayudarle. »<br />
221 « Cuando mi papá va a vender un carro (es su trabajo), lo acompaño, si lo vende, me da algo, sino no. »<br />
222 « Ayudo a mi tía a lavar y a poner su puesto, a veces me da algo. (…) Cuando estoy de vacaciones, no quiere<br />
que estemos de flojos (él y su hermano), que estemos viendo la tele todo el día y nos llevan con ellos. »<br />
223 « Luego, cuando mi papá me invita voy (al trabajo). Me lleva a machetear, le ayudo con la pala a mover el<br />
cascajo. Siempre me paga. »<br />
224 « Pues que trabajar, te pagan, te mandan. Y si faltas te descuentan y todo eso. Y pues aquí no. Yo lo estoy<br />
tomando como una ayuda. Y mis propinas son mis propinas, porque yo lo hice. Y ahí les debo de ir a avisar a mi<br />
tía y todo eso ¿no? Pero en el trabajo, no. Si tienes tarea, no importa, tú tienes que ir a fuercitas, sino te<br />
177
« Quand je suis malade ou si j’ai assez de devoirs scolaires je reste à la maison, il n’y a pas<br />
de problème. » 225 (Alicia, 11 ans).<br />
Selon elle, la différence est donc relative au degré de compromis avec l’employeur, en plus<br />
d’avoir un salaire fixe. <strong>La</strong> marge de liberté des enfants à l’égard de la réalisation d’une<br />
certaine activité est censée déterminer la nature de l’activité. L’on peut constater cette idée<br />
avec le récit des enfants travailleurs lors des entretiens individuels.<br />
Les réponses des enfants nous révèlent aussi la diversité des activités qu’ils réalisent,<br />
lesquelles peuvent ou non être considérées comme travail, selon les critères utilisés pour le<br />
définir. Au cours des entretiens, les enfants nous amènent souvent à réfléchir sur la très fine<br />
ligne qui sépare, parfois, un enfant travailleur d’un enfant non travailleur. Le problème surgit<br />
plutôt avec les activités que réalisent les enfants dans leur milieu familial, et notamment celles<br />
non rémunérées. Et bien évidemment, surtout avec le travail domestique qui, en général, n’est<br />
pas considéré comme un travail. Mais, dans le cas des enfants, cette situation prend un visage<br />
spécial, car a priori un enfant ne doit pas être responsable de l’entretien d’un ménage, ni en<br />
termes économiques ni en termes de reproduction sociale. Certes, un enfant peut participer<br />
aux tâches ménagères, comme les autres membres du ménage, et selon ses propres<br />
possibilités, mais il est difficile de savoir le moment où leurs tâches deviennent un travail.<br />
Cette situation est justement une des difficultés méthodologiques du sujet. <strong>La</strong> question n’a pas<br />
une seule réponse possible. Les réponses peuvent se donner en relation au temps consacré aux<br />
tâches, au type de tâches et au degré de responsabilité, par exemple. C’est aux principaux<br />
intéressés dans le sujet, de définir les critères selon leurs besoins et leurs intérêts. L’on est loin<br />
encore de faire l’unanimité. D’ailleurs, en ce qui concerne le travail extradomestique familial,<br />
c’est-à-dire les tâches réalisées par les enfants dans une petite entreprise familiale, le<br />
problème n’est pas non plus facile à résoudre, car il est aussi difficile de déterminer dans<br />
quelle situation un enfant peut être considéré comme travailleur. Et nous revenons encore aux<br />
questions sur le temps consacré, le type de tâches, le degré de responsabilité et les conditions<br />
de travail (informel/formel, fixe/itinérant, par exemple). Nous pensons que les enfants ne sont<br />
pas ignorants de cette variété de situations et des conditions pour définir le travail, ce qui peut<br />
descuentan dinero, y así. Ayudas a tus tíos, ayudas a tu mamá. O por qué a fuercitas: ¿trabajar, trabajar, trabajar?<br />
Y porque a mí me gusta hacerlo. Porque si no, mi mamá me dijera: ¡Ándale, córrele ve! Y eso sí lo tomaría como<br />
trabajo, no como una ayuda. »<br />
225 « Cuando estoy enferma o si tengo mucha tarea, me quedo en mi casa, no importa. »<br />
178
être à l’origine de confusions et de contradictions dans leurs discours. Des discours qui<br />
deviennent de plus en plus divergents lorsque l’on commence à les interroger sur les types de<br />
travail spécifiques, comme on le verra par la suite.<br />
IV.3.2. Le travail des enfants extradomestique familial.<br />
En général, le travail des enfants dans un milieu familial est bien vu par les enfants. D’après<br />
eux, incontestablement, ce type de travail n’a que des avantages. Mais, lors des entretiens<br />
collectifs, ces avantages font l’objet de points de vue différents entre les enfants travailleurs et<br />
les non travailleurs. Ainsi, les enfants travailleurs focalisent le sujet sur le plan de<br />
l’apprentissage en général. Mais ils évoquent aussi le travail comme une pratique qui ennoblit<br />
celui qui la réalise : « On devient des personnes travailleuses. » 226 Une image qui persiste<br />
dans les classes populaires du Mexique depuis le XIXe siècle (Sosenski, 2010). Tandis que<br />
chez le groupe d’enfants non travailleurs, les avantages sont beaucoup plus variés : un apport<br />
économique, une bonne utilisation du temps et une solidarité familiale, ainsi qu’un<br />
apprentissage des valeurs comme la responsabilité, et un sentiment d’indépendance. Mais<br />
l’apprentissage d’un métier ou d’un savoir-faire n’est jamais mentionné. Or, comme déjà<br />
évoqué, la plupart des enfants du groupe de non travailleurs ont vécu une expérience de<br />
travail, ou bien travaillent pendant les vacances, ils font alors souvent référence à leur propre<br />
expérience, qui est celle d’un travail extradomestique familial justement (des travaux toujours<br />
peu qualifiés) :<br />
« C’est bien, parce que c’est comme si l’on était majeur. » 227 […] « J’aime parce que j’aide<br />
mon père et je ne m’ennuie pas beaucoup. » 228 […] « C’est bien parce qu’on me paie. » 229<br />
[…] « J’aime parce que je les aide, et pour commencer à nous rendre responsables de notre<br />
argent. » 230 […] « C’est bien parce qu’ils peuvent décider quoi faire. » 231 […] « Ils ne<br />
s’ennuient pas. » 232 (Groupe d’enfants non travailleurs).<br />
Les discours à travers les entretiens individuels montrent aussi une tendance générale à<br />
l’acceptation du travail des enfants auprès des parents. Et comme pour les entretiens<br />
collectifs, ce sont les enfants les plus âgés et travailleurs qui considèrent ce type de travail<br />
226 « Se vuelven personas trabajadoras. »<br />
227 « Está bien porque es como si ya fuera grande. »<br />
228 « Me gusta porque le ayudo a mi papá y no me aburro tanto. »<br />
229 « Está bien porque me pagan. »<br />
230 « Me gusta porque les ayudo, y para que nos vayamos haciendo responsables de nuestro dinero. »<br />
231 « Está bien porque pueden decidir qué hacer. »<br />
232 « No se aburren. »<br />
179
comme un moyen pour apprendre et devenir une personne « travailleuse », et donc comme un<br />
atout. En effet, c’est une sorte d’initiation à la vie future :<br />
« C’est bien, parce qu’ils apprennent à s’occuper des clients et à faire d’autres choses, et<br />
parfois ils accompagnent leurs parents au marché. Ils sont en train d’apprendre et lorsqu’ils<br />
seront plus âgés ils vont savoir les choses, ils pourront alors tous seuls s’occuper de<br />
l’épicerie. » 233 (Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
Or, ce type de travail est souvent accepté parce qu’il est sporadique, parce que c’est une façon<br />
de rendre service aux parents qui travaillent, et parce qu’ils font une « bonne » utilisation de<br />
leur temps :<br />
« Parce que parfois les mamans leur disent juste : reste là un petit moment pendant que je<br />
rentre pour préparer les repas ou pour préparer tes vêtements pour demain. » 234 (María, 9<br />
ans, travailleuse extradomestique familiale).<br />
« J’ai vu que les enfants sont là, et seulement quand leur papa va aux toilettes, alors ils<br />
surveillent. » 235 (Alejandro, 14 ans, travailleur extradomestique non familial).<br />
« Pour ne pas être des fainéants tout le temps. Parce que s’ils ne travaillaient pas, ils<br />
seraient en train de rien faire. » 236 (Felipe, 14 ans, travailleur extradomestique non familial).<br />
« C’est bien, parce qu’ils aident leur maman au travail, et pour ne pas être tout le temps chez<br />
eux. » 237 (Claudia, 9 ans, travailleuse extradomestique familiale).<br />
Mais, les activités à réaliser dans leur travail sont censées être appropriées aux<br />
caractéristiques des enfants, et respecter le temps de scolarisation, qui doit rester l’activité<br />
principale :<br />
« Ben, si le travail n’est pas trop dur c’est bien. (…) Ils pourraient aider à transporter des<br />
choses. Ce n’est pas mal de faire des efforts, mais… » 238 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
« Parfois, juste s’ils ont du temps. Parce que parfois leur travail finit assez tard et après ils<br />
n’ont plus de temps. » 239 (Pedro, 8 ans, non travailleur).<br />
« C’est bien, parce qu’ils sont en train d’aider leurs parents, mais si les parents les<br />
empêchent de fréquenter l’école pour travailler avec eux, alors c’est mal. Parce que le plus<br />
important est l’éducation des enfants, et après les parents. C’est ainsi que mes parents m’ont<br />
233 « Está bien, porque ya se enseñan a despachar y hacer otras cosas, y a veces acompañan a sus papás a la<br />
central. Se van enseñando y ya cuando estén grandes ya saben las cosas, ya pueden atender la tienda. »<br />
234 « Porque luego las mamás nada más les dicen: quédate aquí un ratito en lo que yo voy a hacer de comer o en<br />
lo que te preparo tu ropa para mañana. »<br />
235 « Yo he visto que los niños sólo están ahí, y sólo cuando su papá va al baño pues ellos se quedan cuidando. »<br />
236 « Para no estar de huevones todo el tiempo. Porque si no trabajaran no estarían haciendo nada. »<br />
237 « Bien porque ayudan a sus mamás a trabajar, para no estar ahí nada más en la casa. »<br />
238 « Bueno, si no son muy forzados está bien. (...) Podrían ayudarles en llevar las cosas. No es malo que nos<br />
forcemos, pero también… »<br />
239 « Luego, nada más si tienen tiempo. Porque luego su trabajo termina muy tarde y luego ya no tienen tiempo. »<br />
180
dit : d’abord toi et après nous. » 240 (Alicia, 11 ans, travailleuse extradomestique non<br />
familiale).<br />
Dans ce sens, lorsque le travail ne respecte pas le temps libre et l’avis des enfants concernés,<br />
voire qu’il est imposé, il peut être désapprouvé, les intérêts de l’enfant étant négligés par les<br />
parents :<br />
« Parce que j’ai une amie qui travaille comme ça. Et il y a beaucoup d’enfants qui disent :<br />
j’ai juste le temps pour étudier et parfois je fais mes devoirs scolaires et parfois non. Mais je<br />
dois passer le temps avec ma maman, si ma maman me le demande, parce que ma maman me<br />
demande de le faire. C’est-à-dire, vraiment ce n’est pas parce qu’ils veulent, sinon parce que<br />
leur maman ou leur papa le leur dit. (…) Leurs parents le leur ordonnent. J’ai une amie qui<br />
dit qu’à cause d’être toute la journée là, comme ma maman adore cancaner et mon papa<br />
adore ça aussi, je ne peux pas faire mes devoirs scolaires, ou je dois m’occuper des clients,<br />
ou s’il y a beaucoup de monde alors oui, et sinon, alors je perds mon temps et j’y suis juste en<br />
train de manger. (...) Je suppose que si ton papa est en train de t’aider alors il doit te<br />
soutenir. Et je suppose qu’ils sont censés donner priorité à leur enfant, et aux choses qu’il<br />
veut, si les choses sont bonnes, bien évidemment. » 241 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
Enfin, en tout cas, il faudrait alors prendre en compte ce que pensent les enfants, et respecter<br />
aussi leurs intérêts, leurs désirs : « Si les enfants aiment aller travailler avec leurs parents,<br />
pourquoi pas ? » 242 (Pedro, 8 ans, non travailleur). Etant donné qu’il s’agit de travailler<br />
auprès des parents, certains enfants, notamment les plus jeunes, pourraient voir dans ce type<br />
de travail une façon d’être en compagnie des parents, au-delà de l’aide qu’ils peuvent leur<br />
offrir : « Même si leur père ne les paie pas, ils aiment travailler. » 243 (Mariana, 7 ans, non<br />
travailleuse). Car le travail familial des enfants n’est pas souvent un moyen pour avoir un<br />
revenu, il fait partie des activités propres à la famille, il n’existe guère une division entre les<br />
activités de production et de reproduction sociale de la famille.<br />
Certes, l’on peut trouver une grande diversité de situations dans ce type de travail : des<br />
enfants qui remplacent leurs parents quelques minutes par jour et des enfants qui doivent<br />
240 « Están haciendo bien porque le están ayudando a sus papás, pero si los sacan de estudiar para trabajar con<br />
ellos, pues están mal. Porque primero es la educación de los niños y después sus papás. Así me han dicho mis<br />
papás: primero tú y después nosotros. »<br />
241 « Porque tengo una amiga que trabaja así. Y hay muchos niños que dicen: es que nada más estudio y a veces<br />
hago mi tarea y a veces no la hago. Pero el tiempo pues lo tengo que pasar con mi mamá, si mi mamá me dice,<br />
porque mi mamá me dice que lo tengo que hacer. O sea, realmente no es porque ellos quieren, sino porque su<br />
mamá o su papá les dice. (...) Sus papás los están mandando. Tengo una amiga que dice que por estar todo el día<br />
ahí, y luego mi mamá que le encanta el chisme, y a mi papá le encanta el argüende también, no puedo hacer la<br />
tarea, o tengo que estar atendiendo aquí o si hay mucha gente pues sí, y sino pues pierdo el tiempo y nada más<br />
estoy ahí comiendo. (...) Supongo que si tu papá te está ayudando pues te tiene que apoyar. Y supongo tienen que<br />
darle prioridad a su hijo, y darle prioridad a las cosas que su hijo quiere y si está bien, por supuesto. »<br />
242 « Si a los niños les gusta ir a trabajar con sus papás ¿por qué no? »<br />
243 « Aunque no les pague su papá, a ellos les gusta trabajar. »<br />
181
passer une grande partie de la journée à leur poste ; ceux qui font un peu de tout et ceux qui<br />
seulement surveillent ; ceux qui sont rémunérés ; ceux qui perçoivent quelques récompenses<br />
(pourboires) et ceux qui ne gagnent rien ; ceux qui aiment le faire et ceux qui ne l’aiment pas<br />
du tout ; ceux qui prennent l’initiative et ceux qui sont obligés ; ceux qui travaillent dans un<br />
lieu improvisé et ceux qui travaillent dans un local ; et la combinaison de toutes ces situations<br />
et d’autres situations entre ces extrêmes. Ce qui pose un problème méthodologique pour<br />
l’étude de ce type de travail qui est très hétérogène. Mais qui a comme particularité le<br />
prolongement du lien de parenté vers un lien professionnel, où la relation familiale, parent-<br />
enfant, devient aussi, implicitement, une relation de travail, employeur-employé. Et là, le lien<br />
hiérarchique chef-subordonné est tenu.<br />
Face à cette multiplicité de cas, les opinions des enfants sont aussi très variées. Ainsi, voir un<br />
enfant en train de travailler dans une petite entreprise familiale est si habituel dans le quartier,<br />
voire dans le pays, que cela n’étonne personne, ni n’est un motif de révolte. Par contre,<br />
lorsque les enfants sont considérés en danger, là, le sujet devient inacceptable. Nous en<br />
parlerons par la suite.<br />
IV.3.3. Le travail extradomestique des enfants dans les rues.<br />
Contrairement à l’opinion des enfants sur le travail extradomestique familial, qui fait appel à<br />
une notion de protection, le travail des enfants dans les rues est assez mal vu, « moche ». Il<br />
existe un sentiment général de « tristesse » et de « peine » envers ces enfants qui travaillent<br />
dans les rues. En effet, dans ce cas précis, ce n’est pas le travail des enfants à proprement<br />
parler qui dérange, mais ce sont les conditions du travail qui peuvent être à l’origine de<br />
l’indignation, du désaccord. Un travail dans un milieu qui représente l’extension du ménage<br />
(un espace fermé, voire simplement à l’abri) n’est pas en général un motif de révolte. Par<br />
contre, même si l’enfant travaille auprès des parents, le fait de le faire dans les rues, sans abri,<br />
change totalement la perspective :<br />
« Je ne ressens rien de les voir travailler dans l’épicerie, mais si je les voyais en train de<br />
vendre des chewing-gums (dans les rues), je sentirais de la tristesse. » 244 (Gloria, 10 ans, non<br />
travailleuse).<br />
244 « No siento nada, sólo si los viera vendiendo chicles (en la calle) siento tristeza. »<br />
182
D’après les entretiens collectifs, le groupe d’enfants non travailleurs se sont centrés sur l’idée<br />
que ces enfants sont « obligés » à travailler par des parents « irresponsables » :<br />
« C’est pas bien, les parents doivent donner à leurs enfants. » 245 […] « Il semblerait que ces<br />
enfants sont leurs propres parents. » 246 […] « Ils (les parents) n’ont pas de responsabilité<br />
envers leurs enfants. » 247 (Groupe d’enfants non travailleurs).<br />
Tandis que le groupe de travailleurs a fait allusion à la pauvreté comme cause, et non aux<br />
parents explicitement : « Très jeunes, ils ont commencé à travailler pour manger. » 248 , il s’est<br />
concentré plutôt sur les conséquences négatives de ce type de travail. En effet, ils considèrent<br />
que les enfants travailleurs dans les rues ne fréquentent pas l’école, et par conséquent, ce<br />
travail est un handicap pour leur avenir :<br />
« C’est mal, ils me font pitié, ils devraient étudier pour avoir une carrière. » 249 […] « Ce n’est<br />
pas bien à leur âge, ils devraient étudier pour devenir quelqu’un dans la vie. » 250<br />
Or, les problèmes de ce type de travail ne se limitent pas à ses origines ou à ses conséquences,<br />
qui sont déjà mal vues, mais aux risques propres aux rues, parce que les enfants concernés ne<br />
sont pas à l’abri d’accidents : « On peut les écraser. » 251 , une idée qui a été évoquée dans les<br />
deux groupes.<br />
Les entretiens individuels confirment la désapprobation face à ce type de travail. Tous les<br />
interviewés sont contre le travail des enfants dans les rues, sauf un garçon qui considère que :<br />
« C’est bien, parce qu’ils sont en train de travailler parce qu’ils en ont besoin pour manger,<br />
ou des trucs du genre. Ils sont en train de gagner de l’argent honnêtement. » 252 (Felipe, 14<br />
ans, travailleur extradomestique non familial).<br />
Ce qui est dans la pratique vrai : certains enfants subissent cette réalité, et le travail représente<br />
le moyen le plus « correct » pour y pallier. Car les autres méthodes pour récolter de l’argent<br />
sont peu dignes : voler ou mendier, méthodes qui sont aussi de temps en temps pratiquées.<br />
C’est pourquoi probablement ce garçon met l’accent sur l’honnêteté dans une telle situation.<br />
245<br />
« No está bien, sus padres tienen que darle a él. »<br />
246<br />
« Es como si fueran sus propios padres. »<br />
247<br />
« No tienen responsabilidad para sus hijos. »<br />
248<br />
« De chiquitos ya empezaron a trabajar para alimentarse. »<br />
249<br />
« Está mal, me da tristeza, deberían estudiar para tener una carrera. »<br />
250<br />
« No es bueno a su edad, deberían estudiar para ser alguien. »<br />
251<br />
« Los pueden atropellar. »<br />
252<br />
« Está bien, porque están trabajando porque no les alcanza para comer o así. Están ganando el dinero<br />
honradamente. »<br />
183
D’ailleurs, les enfants interviewés individuellement ont apporté plus d’idées sur l’origine des<br />
enfants travailleurs dans les rues. Selon eux, il s’agirait aussi d’enfants « abandonnés »,<br />
« orphelins », « rebelles » ou « victimes de violence », qui habitent maintenant dans les rues, à<br />
l’écart de leurs familles, si elles existent :<br />
« Je crois que presque tous sont des enfants des rues. Je dis que cela arrive parce qu’ils sont<br />
des rebelles ou parce que leurs parents les frappent. » 253 (Sandra, 12 ans, travailleuse<br />
extradomestique familiale et non familiale).<br />
« Quelques-uns sont des orphelins et ils vivent avec d’autres enfants qu’ils ont connus dans<br />
l’autre rue. » 254 (Karen, 14 ans, travailleuse extradomestique non familiale).<br />
Néanmoins, l’idée généralisée est que ces enfants ont une famille. Or, la perception des<br />
participants sur le rôle des parents dans la mise au travail des enfants est partagée. Certains<br />
considèrent que les parents n’ont pas le choix, ils sont contraints de faire travailler leurs<br />
enfants, notamment parce qu’ils ont un bas niveau scolaire et ont des travaux marginaux qui<br />
soumettent la famille à la précarité :<br />
« Parce que parfois leurs parents, à cause de leur manque de scolarité, n’ont pas un travail<br />
fixe et ils les mettent au travail. » 255 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
Et d’autres, par contre, pensent qu’il s’agit d’une situation préméditée de la part des parents,<br />
qui par irresponsabilité abusent de l’image fragile des enfants :<br />
« Leurs parents sont si fainéants qu’ils ne veulent pas travailler et alors ils n’ont plus<br />
d’argent, alors les enfants sortent dans les rues pour vendre des chewing-gums, ou pour cirer<br />
des chaussures. » 256 (Pedro, 8 ans, non travailleur).<br />
« Ils abusent, les parents. Je crois qu’ils les obligent. Parce qu’au lieu de travailler, les<br />
parents, ils nettoient des parebrises dans les rues. Et ils disent : vas-y parce que tu es petit et<br />
par pitié on ne lui achète pas des choses, mais on lui donne de l’argent. » 257 (Alicia, 11 ans,<br />
travailleuse extradomestique non familiale).<br />
Or, même si la précarité familiale est l’une des causes du travail des enfants dans les rues, les<br />
enfants ne sont pas toujours forcés de travailler, il est possible que certains prennent<br />
l’initiative d’aider leur famille lors qu’ils se rendent compte de leurs carences :<br />
253 « Creo yo que casi todos son niños de la calle. Yo digo que se dan esos casos por rebeldía o porque sus papas<br />
los golpean. »<br />
254 « Algunos son huérfanos y viven nada más con los niños que conocieron en la otra calle. »<br />
255 « Porque a veces sus papás por lo mismo que no tienen estudios, no tienen un trabajo fijo y los ponen a<br />
trabajar. »<br />
256 « Sus papás son tan flojos que no quieren trabajar y ya no tienen dinero, y ellos salen a la calle a vender<br />
chicles, a bolear zapatos. »<br />
257 « Se pasan los papás. Yo creo que ellos los mandan. Porque en vez de que trabajen, nada más están limpiando<br />
parabrisas. Y dicen: tú vas porque te ves chiquita y por lástima no le compran, pero le dan dinero. »<br />
184
« Ils travaillent pour gagner de l’argent et ainsi aider leurs parents pour avoir de quoi<br />
manger ou de trucs du genre. » 258 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
« Ils travaillent parce que leurs parents ne peuvent pas payer ce dont ils ont besoin. Ils ne<br />
peuvent pas le leur payer. » 259 (Claudia, 9 ans, travailleuse extradomestique familiale).<br />
Outre les contraintes économiques familiales, le travail des enfants dans les rues a aussi<br />
comme origine des problèmes intrafamiliaux, car les enfants sont parfois victimes de<br />
désamour de la part des parents, et aussi les victimes des parents avec de graves problèmes<br />
d’addiction. Le travail est vu alors comme une expression du délaissement des enfants :<br />
« Ce sont des enfants qui n’y sont pour rien. Et disons qu’ils sont nés juste par hasard. Ou<br />
qu’ils ne sont pas coupables du fait que leurs parents ne les laissent pas étudier. » 260 (Carlos,<br />
14 ans, non travailleur).<br />
« Parce que leur papa parfois ne veulent pas avoir d’enfants, ou parfois les mamans non plus,<br />
et alors ils les laissent tomber, les abandonnent, et parfois ils se vont avec un autre, ou<br />
parfois ils les mettent en pension. » 261 (María, 9 ans, travailleuse extradomestique familiale).<br />
« Et je crois que les parents sont des drogués, et qu’ils les utilisent seulement pour leurs<br />
drogues. Ou les utilisent pour boire, ou des trucs du genre. » 262 (Alicia, 11 ans, travailleuse<br />
extradomestique familiale).<br />
Par ailleurs, certains participants trouvent que le travail des enfants dans les rues est quelque<br />
chose de grave à cause des diverses situations dangereuses qui existent, comme l’insécurité<br />
publique. Mais aussi parce que la vie dans les rues engendre des comportements indésirables :<br />
« Je dirais qu’on ne les oblige pas à travailler dans la rue, non ? Comme ça, en train de<br />
vendre des chewing-gums ou comme ça, qu’ils restent dans un seul endroit, non ? Parce<br />
qu’ils risquent d’être renversés, ou d’être séquestrés. » 263 (Juan, 12 ans, non travailleur). Il<br />
considère que si l’enfant vend des chewing-gums dans un endroit fixe, alors, c’est bien, mais<br />
pas s’il travaille en pleine route parmi les voitures.<br />
« Une amie de mon papa fait partie d’une organisation pour aider les enfants. Elle dit qu’il<br />
s’agit d’enfants qui passent tout leur temps à se droguer. » 264 (Karen, 14 ans, travailleuse<br />
domestique familiale).<br />
258 « Trabajan para ganar dinero y ayudarles a sus papás para poder comer, y todo eso. »<br />
259 « Trabajan porque sus papás no pueden pagar lo que ellos necesitan. No pueden pagarlo. »<br />
260 « Son niños que no tienen nada que ver. Y ahora sí que los hicieron nada más porque sí. O sea de que ellos no<br />
tienen la culpa de que no les den estudios. »<br />
261 « Porque sus papás luego no quieren tener hijos, o luego las esposas tampoco, y los dejan botados, o luego se<br />
van con otros, o luego los internan. »<br />
262 « Y yo creo que los papás son drogadictos y que nada más los usan para sus drogas. O los usan para tomar o<br />
algo así. »<br />
263 « Yo diría que no los mandaran a trabajar en la calle ¿no? Así, vendiendo chicles o así, que se queden en un<br />
mismo lugar ¿no? Porque corren peligro de que los atropellen, que se los roben. »<br />
264 « Una amiga de mi papá está en eso de organizaciones para niños. Dice ella que son niños que nada más se la<br />
pasan drogándose. »<br />
185
« Parce que dans la rue ils sont seulement en train de se droguer. » 265 (Sandra, 12 ans,<br />
travailleuse extradomestique familiale et non familiale).<br />
Les commentaires des enfants, aussi bien travailleurs que non travailleurs, filles ou garçons,<br />
jeunes ou plus âgés, montrent que le travail des enfants n’est pas toujours désapprouvé. En<br />
effet, comme on l’avait évoqué plus haut, les enfants réprouvent le travail des enfants dans les<br />
rues parce que là, ils ne sont pas à l’abri, ils sont exposés à divers périls. C’est le contexte, la<br />
rue, qui pose le plus gros problème, pas le travail en lui-même. Car la rue signifie aussi<br />
l’éloignement de la famille et de l’école, les deux institutions privilégiées, voire exclusives, de<br />
l’enfance. Alors, ce qui dérange le plus est de trouver des enfants dans une ambiance que l’on<br />
ne considère pas adéquate pour eux, en reconnaissant qu’un contexte familial est ce qui est<br />
convenable. <strong>La</strong> plupart des enfants ont un sentiment de peine et de rejet envers ces enfants<br />
qu’ils pensent abandonnés, délaissés. Ils n’ont personne pour les soutenir, pour les aider et<br />
pour les garder et subvenir à leurs besoins, ce qui va à l’encontre de l’enfance idéale.<br />
L’indépendance totale ne rentre pas dans cet idéal. Et les enfants qui travaillent dans la rue,<br />
fréquemment confondus avec les enfants qui y vivent aussi, ce qui n’est pas toujours le cas,<br />
sont la meilleure illustration de ce qui est le contraire de l’idéal d’enfance. Des enfants qui<br />
vivent en dehors du monde de la famille et de l’école, sans tous les bénéfices et les attentions<br />
que ces deux institutions pourraient leur offrir. C’est dans ce sens que le travail des enfants<br />
auprès des parents dans une entreprise familiale est plutôt bien accepté. Ce sont des enfants<br />
qui, malgré leur travail, restent protégés, dans les milieux propres à l’enfance : la famille et<br />
l’école. Nous finirons avec un extrait qui illustre la perception générale des participants à<br />
propos du travail des enfants :<br />
« On peut commencer à travailler à n’importe quel âge, je dis que l’âge n’a pas<br />
d’importance. Dès que possible... Cela dépend du type de travail et avec qui. » 266 (Felipe, 14<br />
ans, travailleur).<br />
IV.3.4. Le travail ménager.<br />
Nous considérons comme travail ménager l’ensemble des activités propres à la reproduction<br />
sociale du ménage : la préparation des repas et les tâches ménagères : balayer, nettoyer le sol,<br />
ranger les affaires, faire le lit, la vaisselle, le repassage, laver le linge…<br />
265 « Porque en la calle nada más se están drogando. »<br />
266 « Uno puede empezar a trabajar a cualquier edad, yo digo que no importa la edad. Desde que se pueda...<br />
También depende de qué trabajo y con quién. »<br />
186
Comme attendu, dans les familles des enfants participants, la mère est responsable de la<br />
préparation des repas. Et si jamais la mère ne peut pas le faire, une des grand-mères, une autre<br />
proche parente ou une voisine s’en charge ; le cas échéant, l’une des filles, la plus âgée en<br />
priorité. De même, ce sont les mères les principales responsables des tâches ménagères, même<br />
si les autres membres y participent un peu, notamment les enfants, et surtout les aînées. Selon<br />
les enfants participants aux entretiens collectifs, les pères ne participent guère aux tâches<br />
ménagères parce qu'ils « travaillent », et alors ils « rentrent assez tard », ou même, comme l’a<br />
signalé une fille âgée de 12 ans du groupe d’enfants non travailleurs, simplement « Parce<br />
qu’ils sont très fainéants. » 267 , car certaines mères qui « travaillent » s’occupent de ce type<br />
d'activités, même si elles aussi sont fatiguées ou rentrent tard : la double journée des femmes.<br />
Par contre, d’après les entretiens individuels, tous les pères participent au travail domestique,<br />
mais à différents degrés. Il semble qu’il y ait une hiérarchie implicite par génération, en plus<br />
de celle de genre, pour réaliser ce type de travail. C’est-à-dire que la mère est la première<br />
responsable, suivent les enfants, en ordre d’âges, et finalement le père. Ainsi, quelques pères<br />
ont une participation sporadique, notamment les week-ends ou les jours de congé :<br />
« Parfois il balaie ou parfois il fait la vaisselle, mais il ne repasse pas. Parfois il aide ma<br />
maman à laver le linge, mais non. » 268 (Mariana, 7 ans, non travailleuse, mère travailleuse).<br />
« Ben, parfois il fait le lit, et parfois il range les affaires qui sont par terre, pour que<br />
quelqu’un d’autre balaye. » 269 (Claudia, 9 ans, travailleuse, mère travailleuse).<br />
« Lorsqu’il ne travaille pas, les samedis et les dimanches et en vacances. Il est censé faire la<br />
vaisselle ou des trucs du genre, cela dépend de ce qu’il y a à faire... Parfois il prépare les<br />
repas, tandis que ma maman lave le linge, ou des trucs du genre. » 270 (Sandra, 12 ans,<br />
travailleuse, mère travailleuse).<br />
« Non... oui parfois, presque les samedis il nous aide à faire le lit ou à balayer là. (…) Il doit<br />
surveiller là-bas son affaire et il n’a pas de temps. » 271 (Carlos, 14 ans, non travailleur, mère<br />
femme au foyer).<br />
267<br />
« Porque son muy huevones. »<br />
268<br />
« A veces barre o a veces lava los trastes, pero no plancha. A veces le ayuda a mi mamá a lavar la ropa, pero<br />
no. »<br />
269<br />
« Pues luego tiende la cama, y luego recoge todas las cosas del piso para que otro barra. »<br />
270<br />
« Cuando descansa, sábados, domingos y en vacaciones. Le tocan los trastes o así, depende lo que haya que<br />
hacer. A veces hace la comida, y mi mamá mientras se sube a lavar o así. »<br />
271<br />
« No... sí luego, casi los sábados nos ayuda a tender la cama o aquí a barrer. El tiene que estar viendo allá<br />
abajo su negocio y no tiene tiempo. »<br />
187
« Oui, les samedis et les dimanches lorsqu’il ne travaille pas il balaie (...) Il fait parfois à<br />
manger, et moi, je l’aide. Et ma maman reste là, parce que la pauvre, elle fait tout tous les<br />
jours, et nous ne faisons rien. » 272 (Alicia, 11 ans, travailleuse, mère femme au foyer).<br />
D’autres pères s’y attellent seulement dans une situation spéciale qui empêche la mère de le<br />
faire, lors qu’il n’y a pas d’autres solutions. Mais, même dans ces situations d’urgence, il<br />
arrive que les pères se débrouillent pour échapper à ces responsabilités, en cherchant une<br />
femme ou un enfant dans leur entourage pour s’en occuper :<br />
« Lorsque ma maman n’a pas de temps pour préparer les repas, il nous aide à les préparer et<br />
à ranger là. » 273 (Gloria, 10 ans, non travailleuse, mère travailleuse).<br />
« Oui, parfois lorsque ma maman n’est pas là. Parce que parfois elle tombe malade et elle<br />
reste à l’hôpital. Il range les chambres, il lave le linge, ou il demande à ma tante de le laver,<br />
et alors elle le fait. Ou bien, il lui demande de faire le ménage. Mon papa parfois nettoie le<br />
sol, balaye, fait les lits ou lave les toilettes. (...) Ma maman fait en bas, mais lorsqu’elle vend,<br />
mon papa fait en bas. » 274 […] « Parfois lorsque ma tante n’est pas là, mon oncle me<br />
demande de faire son lit, et je le fais. Ou je balaie sa chambre, ou parfois ma tante demande à<br />
leurs sœurs de venir l’aider faire son ménage (car elle est enceinte). » 275 (María, 9 ans,<br />
travailleuse, mère travailleuse. Cette fille vivait avec ses grands-parents depuis quelques<br />
années, qu’elle appelait « maman » et « papa ». Sa mère avait des problèmes d’addiction à la<br />
drogue et c’est pour cela qu’elle n’habitait plus avec elle).<br />
Seulement deux pères, parmi tous nos interviewés, participent de manière quotidienne, dès<br />
que possible, même s’ils ne sont les responsables. Il s’agit d’un monsieur qui, travaillant la<br />
nuit comme vigile, arrive à dormir pendant son travail, et passe alors la journée chez lui,<br />
éveillé :<br />
« Il aide ma maman à préparer les repas et l’accompagne où elle va. Il l’aide à faire le<br />
ménage. » 276 (Alejandro, 14 ans, travailleur, mère femme au foyer).<br />
L’autre était un père seul, séparé de la mère, qui travaillait du lundi au samedi, toute la<br />
journée, comme mécanicien :<br />
« Mon papa m’aide, parce que ma maman n’est pas avec nous. Alors, les matins il se lève et<br />
douche mon frère et je douche ma sœur. Après, il fait son lit, et moi, je fais le mien et ceux de<br />
272 « Sí, los sábados y los domingos que no trabaja se pone a barrer. (...) El a veces hace de comer, y yo le ayudo.<br />
Y mi mamá se queda ahí, porque pobrecita que todos los días hace, y nosotros no. »<br />
273 « Cuando a mi mamá no le da tiempo de hacer la comida, él nos ayuda a hacer y a recoger aquí. »<br />
274 « Sí, luego cuando no está mi mamá, es que luego se enferma y que está en el hospital. El hace los cuartos,<br />
lava su ropa, o le dice a mi tía que si se la puede lavar, y ya viene y se la lava. O que si le puede hacer su<br />
quehacer. Mi papá luego trapea, barre, tiende las camas y hace el baño. (...) Mi mamá hace allá abajo, pero<br />
cuando vende, mi papá hace abajo. »<br />
275 « Luego cuando no está mi tía, mi tío me dice que si le tiendo su cama, y se la tiendo. O le barro, o luego mi<br />
tía le habla a sus hermanas para que le ayuden en su quehacer (ya que ella está embarazada). »<br />
276 « Le ayuda a mi mamá que a hacer la comida, acompañarla a donde va. Le ayuda a hacer el quehacer. »<br />
188
mon frère et de ma sœur. Il range ses affaires et celles de mon frère et je range mes affaires et<br />
celles de ma sœur. » 277 (Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
Et, uniquement un père était entièrement impliqué dans les tâches ménagères, en plus de<br />
travailler. <strong>La</strong> mère a été obligée de quitter son travail de bonne dans une famille aisée, car elle<br />
avait été opérée et sa récupération serait assez longue :<br />
« Mon frère est toujours en train d’aider ma maman au ménage. Comme ma maman ne peut<br />
pas monter les escaliers (parce qu’elle vient d’être opérée), il sort le linge à sécher et tout ça.<br />
(...) Mon papa fait de tout aussi. (...) Parfois, il nous laisse ainsi juste, et il ne nous demande<br />
rien. Et il se met à faire tout le ménage. Il lave le linge et la vaisselle, range les affaires,<br />
balaie, nettoie le sol. Tout. (...) Ma maman est couchée. Elle prépare les repas. » 278 (Felipe,<br />
14 ans, travailleur).<br />
Mais peu importe le niveau de participation des pères, dans tous les cas, cette participation est<br />
vue comme une « aide » directe à la mère, voire à la femme qui joue le rôle de maîtresse de<br />
maison. Car, même si la mère a une activité extérieure, un travail extradomestique ou des<br />
études, elle continue d’être la responsable de ces tâches à la maison (sauf dans les cas de<br />
maladie grave ou de handicap). Il faut rappeler qu’il y a des enfants, notamment les garçons<br />
les plus âgés, qui pensent que la responsabilité propre aux mères est le travail domestique, et<br />
qu’elles ne doivent travailler qu’en cas de vraie nécessité économique.<br />
Cependant, bien que le travail domestique soit une attribution nette de la mère, les enfants y<br />
participent souvent. Selon les interviewés, tous réalisent des tâches ménagères chez eux. Peu<br />
importe l’âge ou le sexe, même leur condition d’activité (travailleur ou non travailleur), les<br />
enfants sont censés ranger leurs affaires et faire leur lit, au minimum. <strong>La</strong> plupart font aussi<br />
parfois des activités comme : balayer, faire la vaisselle, laver le sol, et certains, même laver le<br />
linge, repasser ou nettoyer la salle de bain. Ils y consacrent en moyenne une heure et demie<br />
par jour, dont les plus âgés à peu près deux heures et les plus jeunes une heure. Quelques-uns<br />
cuisinent aussi parfois. En effet, le travail domestique fait plus ou moins partie des activités<br />
quotidiennes des enfants :<br />
277 « Mi papá si me ayuda, porque mi mamá no está con nosotros. Entonces en la mañana se para y baña a mi<br />
hermano y yo baño a mi hermana. Ya después él tiende su cama y yo tiendo la mía y la de mis hermanos. El<br />
recoge lo que es suyo y lo que es de mi hermano y yo lo que es mío y lo que es de mi hermana. »<br />
278 « Mi hermano siempre anda ayudando a mi mamá aquí en el quehacer. Como mi mamá no puede subir las<br />
escaleras, él tiende la ropa y todo eso. (...) Mi papá sí hace todo también. (...) Cuando luego nada más nos deja<br />
así a nosotros, y no nos manda a nada. Y se pone a hacer todo el quehacer. <strong>La</strong>va, lava los trastes, recoge, barre,<br />
trapea. Todo. (...) Mi mamá está acostada. Ella hace la comida. »<br />
189
« Je fais juste ma chambre. Balayer et nettoyer le sol. (…) Ma maman lave mon linge. Dès<br />
que je finis mon ménage, je repasse mon linge et cire mes chaussures, me douche et descends<br />
pour manger, et quand il est 13 h 30 je pars à l’école. » 279 (María, 9 ans, travailleuse).<br />
« Tous les jours, je me lève, prends mon petit-déjeuner et pars à l’école. (...) En rentrant, je<br />
fais mes devoirs scolaires, et lorsque je finis mes devoirs, si jamais on n’a pas rangé là-haut,<br />
je dois monter pour y faire le ménage. (...) Et je mange dès que ma maman arrive, cela<br />
dépend à quelle heure elle arrive. (...) Parfois je fais la vaisselle ou je nettoie le frigo, je sors<br />
l’eau. Après je monte pour laver le linge, laver mon linge et celui de mon papa et celui de<br />
tous. Après s’il y a une flaque d’eau là-haut, je l’essuie, je descends deux seaux d’eau et<br />
commence à jeter de l’eau sur les couloirs, et je ramasse la poubelle et la mets dans un sac et<br />
c’est tout. (...) Les samedis, celui qui ne fait pas de ménage (parmi les cinq enfants les plus<br />
âgés) s’occupe de Sulem (la benjamine, âgée de 2 ans). » 280 (Mariana, 7 ans, non travailleuse).<br />
« Moi, par exemple, j’ai 12 ans et je fais déjà la cuisine. Mes frères cuisinent aussi, ben, José<br />
(8 ans) presque jamais, il ne l’a jamais aimé. Mais Sergio (10 ans), parfois, lorsque je ne suis<br />
pas là, et ma maman est allée laver le linge et mon papa n’est pas là, il prépare des<br />
spaghettis. (...) Ma maman va travailler, alors nous nous répartissons le ménage, entre mes<br />
frères et moi... ben, presque toujours ma maman fait la vaisselle. Là, elle fait quelque chose<br />
parfois. (...) Je lave les toilettes parfois, nettoie le sol et fais mon lit. (…) Si jamais il y a un<br />
peu de linge, je le lave, mais s’il y en a beaucoup, ma maman le fait. » 281 (Sandra, 12 ans,<br />
travailleuse).<br />
« Ma maman prépare les repas et parfois mon papa. Si jamais ils ne sont pas là, je prépare<br />
parfois ou mon frère ou ma sœur (respectivement 12 et 10 ans), tous. (...) Ma maman m’a<br />
appris, dès assez jeune, à faire les œufs, la soupe, les saucisses, tout ça, mais pas le poulet, le<br />
riz. (...) Parfois je lave le linge, mon frère aussi. » 282 (Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
« De lundi à vendredi, je fais des tâches ménagères : faire le lit, sortir la poubelle,<br />
débarrasser la table. Et parfois je lave mon linge. » 283 (Alicia, 11 ans, travailleuse).<br />
279 « Yo hago mi cuarto y nada más. Barrer y trapear. (…) Mi mamá me lava mi ropa y me la deja ahí. Y ya<br />
cuando acabo de hacer mi quehacer, plancho mi ropa y boleo mis zapatos, me baño y me bajo a comer, y ya<br />
cuando son la una y media me voy a la escuela. »<br />
280 « Todos los días me levanto, desayuno, me voy a la escuela (...) venimos aquí a la casa. Hago la tarea<br />
llegando de la escuela, y cuando acabo la tarea, cuando no recogen allá arriba yo tengo que subir allá arriba a<br />
hacer el quehacer. Y como cuando llega mi mamá, depende a qué hora llegue. (...) A veces lavo los trastes o<br />
limpio el refri, saco a veces la agua. Luego me subo a lavar, a lavar mi ropa y la de mi papá, la de mis hermanos<br />
y toda la ropa. Luego si hay un charco allá arriba lo barro, me bajo dos cubetas de agua y empiezo a echar agua<br />
en los pasillos, y recojo toda la basura, y la echo en una bolsa y ya. (...) Los sábados el que no hace quehacer<br />
(entre los cinco hermanos mayores) cuida a Sulem (la hermana menor). »<br />
281 « Pues yo, por decir, tengo 12 y ya cocino. Mis hermanos también ya cocinan, bueno, José (8 años) casi no,<br />
nunca le ha gustado. Pero Sergio (10 años), luego de repente, cuando no estoy, y mi mamá se fue a lavar y mi<br />
papá no está, él hace espagueti. (...) Mi mamá pone su puesto y ya nos distribuimos el quehacer entre mis<br />
hermanos y yo... bueno, casi siempre a ella le toca lavar los trastes. Pero acá abajo si hace, de vez en cuando. (...)<br />
Yo a veces lavo el baño, lavo el piso y tiendo mi cama. (...) Si hay poquita ropa me toca a mí, pero si es mucha le<br />
toca a mi mamá. »<br />
282 « Mi mamá hace de comer y a veces mi papá (...) Si no están ellos, les hago yo a veces, o mis hermanos (12 y<br />
10 años), todos. (...) Mi mamá me enseñó desde chiquito a hacer los huevos, la sopa, las salchichas, todo eso,<br />
pero menos el pollo, el arroz. (...) A veces yo lavo la ropa, también mi hermano. »<br />
283 « Entre semana yo sí hago quehacer: tiendo la cama, saco la basura, limpio la mesa. Y a veces lavo mi ropa.»<br />
190
Selon les participants, le travail domestique constitue une responsabilité, principalement de la<br />
mère, et après des enfants. Car, comme nous l’avons évoqué plus haut, pour les enfants, le<br />
travail domestique est l’une des responsabilités propres à l’enfance. Par contre, le père a<br />
comme responsabilité primordiale de travailler et d’apporter de l’argent au ménage, ce qui<br />
justifie que sa faible ou nulle participation dans le travail ménager soit vue comme naturelle.<br />
D’habitude, c’est plutôt la mère qui incite les enfants au travail domestique. C’est pourquoi<br />
lorsque les enfants parlent de leur participation au travail ménager, ils font référence à une<br />
aide directe à leur mère.<br />
Il est évident pour tous que les enfants doivent faire du travail domestique à la maison.<br />
Cependant, contrairement à la vision des enfants sur le travail domestique des pères, qui est<br />
toujours considéré comme une « aide » non indispensable, car la mère est la responsable, la<br />
participation des enfants dans le travail ménager est interprétée plus que comme une aide,<br />
comme une forme de « solidarité », voire d’« obligation » familiale :<br />
« J’aide ma maman à faire la chambre et à balayer. » 284 (Claudia, 9 ans, travailleuse).<br />
« Mais, lorsqu’ils auront un âge raisonnable (les enfants), il faut leur apprendre. <strong>La</strong> maman<br />
seule ne va pas tout faire ! » 285 (Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
« Elle (sa maman) me demandait juste de l’aider, et je lui disais oui. Et si nous ne voulons<br />
pas, alors non… Je le fais parfois. C’est aussi mon obligation. Elle seule ne va pas tout faire !<br />
(…) Mon papa nous demande aussi d’aider. » 286 (Alejandro, 14 ans, travailleur).<br />
« Si sa maman (d’un enfant) lui permet d’aller à une soirée, après s’il rentre et il y a la<br />
vaisselle à faire, même deux ou trois assiettes, alors il doit aider sa maman avec cette<br />
responsabilité. Il sait qu’il a la responsabilité de l’école, mais s’il sait que sa maman part<br />
toute la journée au travail et elle est en train de lui donner la permission et tout ce que<br />
l’enfant veut, alors l’enfant doit aussi comprendre qu’il doit aussi aider là, à la maison. » 287<br />
(Karen, 14 ans, travailleuse).<br />
284<br />
« Ayudo a mi mamá a hacer el cuarto y a barrer. »<br />
285<br />
« Pero cuando ya tengan una edad razonable (los hijos) ya hay que enseñarles. ¡No todo lo va a hacer la<br />
mamá! »<br />
286<br />
« Nada más me decía (mi mamá) que si le ayudaba, y yo le decía que sí. Y si no queremos, pues no… Yo a<br />
veces lo hago. Es también mi obligación. ¡Ella no nomás va a hacer todo! (…) También a veces mi papá nos dice<br />
de ayudar. »<br />
287<br />
« Y con la responsabilidad de que su mamá lo dejó ir a una fiesta, ya después si él llega a su casa y hay trastes<br />
sucios, así sean dos o tres, pues que le ayude a su mamá con esa responsabilidad. Sabe que tiene la<br />
responsabilidad de la escuela, pero si sabe que su mamá se va todo el día a trabajar y le está dando permiso y le<br />
está dando todo lo que quiera al niño, pues el niño también debe comprender que él también tiene que ayudar allí<br />
en su casa. »<br />
191
« J’ai commencé à aider depuis 9 ans, je l’aidais à ranger les chaussures, c’était simple.<br />
J’aime le faire parce que j’aime coopérer. » 288 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
Mais, au-delà de la valeur qu’ils donnent à leur participation dans le travail domestique, tous<br />
s’accordent sur le fait qu’ils doivent tous le faire, peu importe le sexe. D’après les enfants, il<br />
s’agit d’activités indispensables au bon fonctionnement du ménage. Néanmoins, quelques<br />
garçons, notamment les plus âgés, ont du mal à éviter les pensées sexistes :<br />
« Les filles peuvent commencer à cuisiner vers 11 ans, étant donné qu’elles le feront dès<br />
qu’elles seront plus âgées, elles doivent préparer à manger pour leur mari et tout ça, alors<br />
elles doivent déjà savoir le faire. (…) Les garçons… ben, aussi, au fur et à mesure qu’ils<br />
apprennent. Je dis que tous doivent faire les mêmes choses, peu importe s’il s’agit de filles ou<br />
de garçons. » 289 (Felipe, 14 ans, travailleur).<br />
« Les garçons et les filles doivent apprendre à cuisiner. Mais, c’est plutôt pour les filles,<br />
non ? Parce que peut-être la fille tombera sur un mari qui travaille et elle non. Un mari qui<br />
lui donnera tout, et si elle ne sait pas cuisiner, alors, qu’est-ce qu’elle va faire ? (...) Si les<br />
deux travaillent alors je ne sais pas, peut-être ils vont s’organiser pour préparer les<br />
repas. » 290 (Carlos, 14 ans, non travailleur).<br />
Il s’avère que ces mêmes garçons estiment que les mères ne doivent pas travailler sauf en cas<br />
d’une forte nécessité économique de la famille. Néanmoins, ils disent participer chez eux aux<br />
tâches ménagères, même à la préparation des repas. Et ils soulignent l’importance de<br />
décharger un peu leur mère de ces tâches, elle seule ne doit pas tout faire.<br />
Le travail ménager est une activité propre à l’enfance, mais le degré de participation des<br />
enfants varie selon leur âge. Selon nos interviewés, les diverses activités à accomplir ont des<br />
niveaux différents de « risques » et demandent plus ou moins de capacités ou de force. Ainsi,<br />
les plus jeunes enfants peuvent balayer et ranger les affaires, faire leur lit, ce que tous les<br />
enfants interviewés ont commencé à accomplir à différents âges, mais la plupart vers 7 ans. Et<br />
ils pensent que c’est bien de commencer à cet âge-là, car il s’agit de choses simples : « Je dis<br />
que ce n’est pas si compliqué que ça. » 291 (Gloria, 10 ans, non travailleuse).<br />
288<br />
« Empecé a ayudar desde los 9, le ayudaba a recoger los zapatos, que era simple. Me gusta porque me gusta<br />
cooperar. »<br />
289<br />
« <strong>La</strong>s niñas pueden empezar a cocinar como a los 11, como ellas de grandes van a hacer (de comer), tienen<br />
que hacer de comer a su esposo y todo eso, pues ya tienen que saber. (…) Los niños... pus igual, conforme vayan<br />
aprendiendo. Yo digo que todos tienen que hacer lo mismo, no importa si son niños o niñas. »<br />
290<br />
« Niños y niñas deben aprender a cocinar. Aunque es más bien de las niñas ¿no? Porque tal vez le toque un<br />
marido que tenga que trabajar y ella no. Un marido que le ponga todo, y si ella no sabe cocinar, pues ¿qué va a<br />
hacer? (...) Si los dos trabajan pues no sé, a lo mejor se turnarían los dos para hacer de comer. »<br />
291<br />
« Yo digo que no es tan complicado. »<br />
192
Par contre, ce qui a trait au linge (le laver et le repasser), ainsi qu’à la préparation des repas<br />
sont des activités que tous ne réalisent pas, surtout les plus jeunes et les garçons. Ces activités<br />
sont vues comme « dangereuses », « pénibles », ou simplement « inappropriées » pour les<br />
enfants. Concernant la cuisine, trois filles, âgées de 7, 9 et 10 ans, aiment aider leurs mères<br />
dans la cuisine, éplucher les légumes ou préparer les ustensiles, parfois elles réchauffent les<br />
repas, mais ne cuisinent pas, car c’est dangereux :<br />
« Je suis encore trop jeune pour cuisiner, j’aide seulement ma maman. (...) Tu peux te brûler<br />
ou tu peux laisser tomber quelque chose et après glisser et te faire mal. » 292 (Gloria, 10 ans,<br />
non travailleuse).<br />
Par contre, quatre enfants, dont trois filles de 11, 12 et 14 ans, et un garçon de 14 ans, savent<br />
cuisiner, plutôt des choses simples et rapides (des œufs, quesadillas, sincronizadas…), mais<br />
en utilisant la cuisinière à gaz. Tous cuisinent seulement s’il le faut, en l’absence d’un adulte<br />
ou un aîné. Ils ont commencé vers 8 ans, et ils ne trouvent pas de problème à cet égard. Mais,<br />
ils reconnaissent qu’ils doivent faire très attention lorsqu’ils font à manger. Cependant, les<br />
autres enfants trouvent qu’il est assez « dangereux » de cuisiner avant 14 ans, car avant cet<br />
âge-là les enfants peuvent être maladroits, inattentifs ou inconscients.<br />
Au sujet du repassage, nous constatons que deux filles le font habituellement. L’une, la plus<br />
jeune, de 9 ans, repasse tous les jours son uniforme scolaire 293 . L’autre, de 14 ans, parfois<br />
repasse le linge de son père, sa sœur et son frère cadets et le sien, car sa mère ne vivant pas<br />
avec eux, elle a pris la place de ménagère. A propos du linge à laver, il s’avère que ce sont<br />
plutôt les filles qui le font : cinq filles (7, 9, 11, 12 et 14 ans) et un garçon (14 ans). Cette<br />
activité est plus pénible que « dangereuse ». En l’occurrence, une fille raconte :<br />
« Parfois on me punissait en me demandant de laver le linge. On me punissait, car je ne<br />
répondais pas aux appels de mes parents, et voilà. » 294 (Sandra, 12 ans, travailleuse).<br />
Les enfants qui s’occupent du linge n’éprouvent aucun problème. Au contraire, ceux qui<br />
n’occupent pas encore ce poste trouvent qu’il est préférable du débuter vers 14 ans, pour les<br />
292<br />
« Yo todavía estoy muy chica para cocinar, y sólo ayudo a mi mamá. (...) Puedes quemarte o que se te caiga<br />
algo y te puedes resbalar y pegar. »<br />
293<br />
Au Mexique, tous les enfants scolarisés dans le secteur public, et la plupart de ceux scolarisés dans le secteur<br />
privé doivent porter l’uniforme officiel de l’école pour être admis dans les cycles obligatoires (primaria et<br />
secundaria).<br />
294<br />
« O a veces me castigaban y me ponían a lavar la ropa. Me castigaban porque me hablaban y yo no hacía<br />
caso, y así. »<br />
193
mêmes raisons que de cuisiner. Mais bien évidemment, la tâche est imposée pour quelques<br />
enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge adéquat.<br />
En général, nous observons que même si tous les enfants participent au travail ménager, les<br />
filles font davantage des activités moins simples que les garçons, peu importe leur âge, en<br />
reproduisant le modèle des adultes, car les pères qui participent du travail domestique font<br />
plutôt des tâches « élémentaires ». Rarement, ils repassent, lavent le linge ou cuisinent :<br />
« Mon papa balaie parfois, ou parfois lave la vaisselle, mais il ne repasse pas. » 295 (Mariana,<br />
7 ans, non travailleuse).<br />
« Mon papa ne lave jamais le linge, il lave toujours la vaisselle. » 296 (Sandra, 12 ans,<br />
travailleuse).<br />
L’on dirait que ces activités sont perçues davantage comme féminines, et donc elles sont<br />
surtout réalisées par les femmes, depuis leur jeune âge.<br />
En général, même si dans leur discours les enfants évoquent la parité hommes-femmes par<br />
rapport au travail ménager, la réalité montre que l’organisation familiale ne suit pas forcément<br />
un modèle d’égalité, ni de genres ni de générations. Les tâches à accomplir à la maison sont<br />
distribuées selon le sexe dès un jeune âge. Malgré l’intention d’entretenir des relations<br />
égalitaires, l’idée qui prédomine chez les enfants est que les femmes sont les principales<br />
responsables du travail domestique. Les filles sont alors prédestinées à le faire lorsqu’elles<br />
seront plus âgées, les garçons pas forcément. Ils pensent que les hommes doivent plutôt se<br />
préoccuper d’entretenir la famille, de gagner de l’argent. Mais, en attendant, en tant<br />
qu’enfants, tous doivent participer au travail domestique : les filles pour apprendre le savoir-<br />
faire, les garçons, simplement, parce qu’ils sont jeunes. Mais, tous ont l’idée préconçue que<br />
les différences au niveau des responsabilités familiales naîtront plus tard. Même si tous<br />
souhaitent réussir une formation professionnelle pour avoir un bon travail, l’inégalité dans la<br />
participation par sexe aux activités de reproduction sociale du ménage n’est pas mise en<br />
cause, au moins dans les discours des enfants.<br />
295 « Mi papá a veces barre, o a veces lava los trastes, pero no plancha. »<br />
296 « Mi papá nunca lava la ropa, siempre lava los trastes. »<br />
194
Conclusions<br />
Les deux manières d’approcher les enfants, collective et individuelle, pour connaître leurs<br />
perceptions, se sont avérées complémentaires et cohérentes. Cependant, il existe une plus<br />
grande tendance à suivre la norme lors des discussions en groupe, car les entretiens<br />
individuels ont ouvert aux enfants un espace de liberté plus large pour s’exprimer de manière<br />
plus ouverte, même si certains se sont montrés discrets dans les deux situations. En effet, il<br />
nous a semblé que les enfants sont peu habitués au protagonisme, au fait que leur vécu et leur<br />
point de vue puissent intéresser un adulte étranger. Quelques-uns se sont montrés intimidés,<br />
tandis que d’autres ont bien profité de l’occasion.<br />
A propos de l’enfance, nos interviewés la définissent plus à partir d’aspects<br />
pratiques (activités, intérêts, devoirs, attitudes), que de caractéristiques personnelles, même<br />
s’il y a une relation entre les deux. L’idée qui domine est celle de l’enfance moderne, laquelle<br />
a émergé partiellement pour la première fois dans l’histoire du Mexique indépendant à<br />
l’époque d’El Porfiriato, entre 1876 et 1911, 297 soit avant la Révolution mexicaine (Castillo<br />
Troncoso, 2006). Cette idée s’inscrit dans une vision évolutionniste, dans laquelle les enfants<br />
sont des personnes naïves, irresponsables et vulnérables ; une étape caractérisée par la<br />
dépendance, l’insouciance et l’apprentissage. Ces conditions placent les enfants au-dessous<br />
des adultes, des jeunes et des adolescents. En effet, l’enfance est vue comme une étape de<br />
formation vers la vie adulte, comme un essai pour rentrer dans la « vraie » vie. Une étape qui<br />
s’arrête à la fin de l’école primaria. <strong>La</strong> sortie de l’enfance est en relation directe avec<br />
l’autonomie, voire l’indépendance (économique, de déplacement, de prise de décisions). Les<br />
enfants de moins de 12 ans sont censés rester dans les espaces sociaux de la famille et de<br />
l’école, leurs activités se limitant à l’apprentissage et aux loisirs. Une contrainte qui s’estompe<br />
progressivement avec l’âge, et selon les cycles scolaires.<br />
En toute cohérence avec le fait que l’enfance soit une période de formation, les enfants sont<br />
censés accomplir certains devoirs, en tant que « mineurs » et en tant que membres d’une<br />
famille. Ils doivent en priorité étudier, et sur leur temps périscolaire, en général, ils doivent<br />
aussi participer aux tâches ménagères et aider leurs parents. Mais des représentations<br />
différentes s’observent à l’égard de ce qu’est l’enfance, où l’âge des interviewés et leurs<br />
297 Période de l’histoire du Mexique, qui est marquée par le régime autoritaire du président Porfirio Díaz.<br />
195
conditions de travail (travailleur ou non travailleur) sont essentiels, tandis que le sexe n’est<br />
guère une variable discriminante. Le concept s’avère flou et subjectif : il n’y a pas une seule<br />
enfance. Mais ce sont les enfants les plus âgés et les travailleurs, soit ceux qui ne se<br />
considèrent plus comme des enfants, qui ont les idées les plus concrètes et les plus élaborées<br />
par rapport au sujet. D’ailleurs, les participants éprouvent bien de la difficulté à conceptualiser<br />
l’enfance, à trouver les limites entre les étapes de la vie : des aspects divers sont nécessaires<br />
pour définir toute la richesse de l’enfance.<br />
Au sujet de la scolarisation, il est évident qu’elle est fondamentale dans la vie des enfants<br />
interviewés. Non seulement au niveau pratique (car parmi nos interviewés, travailleurs ou non<br />
travailleurs, tous fréquentent l’école, et la scolarité est leur principale activité), mais aussi<br />
dans le domaine des représentations, car tous considèrent qu’elle représente la meilleure et<br />
même l’unique manière d’être « quelqu’un », soit de réussir dans le futur, et d’avoir une<br />
ascension sociale, à travers un travail bien rémunéré. Un objectif de vie pour ces enfants de<br />
familles modestes, car ils trouvent dans le vécu de leurs parents et de leurs proches, en général<br />
tous peu scolarisés, l’exemple de la vulnérabilité des personnes sans diplômes face à la<br />
société. Ils rêvent alors tous de faire mieux que leurs ascendants, encouragés par leurs propres<br />
parents. Les bénéfices de la scolarisation sont mesurés surtout en termes professionnels et<br />
économiques. Ainsi, la scolarisation a pris une telle importance dans l’actualité, qu’elle sert<br />
même de point de repère pour déterminer les diverses étapes de la vie, de manière que<br />
l’enfance corresponde à la période scolaire primaria, tout simplement. De façon apparente,<br />
pour les enfants interviewés presque tout tourne autour du système scolaire.<br />
Or, il faut souligner que l’omnipotence de la scolarité s’estompe à mesure de l’âge et des<br />
expériences périscolaires en dehors des milieux familial et éducatif. En effet, ce sont les<br />
enfants les plus âgés (qui sont aussi pour la plupart ceux qui travaillent), qui trouvent dans<br />
d’autres domaines, comme le physique, le psychologique et le comportemental, les repères<br />
pour se positionner par rapport aux autres groupes de la population (adolescents, jeunes,<br />
adultes). En plus, ils peuvent aussi être plus méfiants à propos des bénéfices de la<br />
scolarisation. L’on dirait que les plus jeunes se contentent d’accepter et de répéter le discours<br />
social normatif à propos des qualités d’une longue scolarisation, mais en grandissant, surtout<br />
lorsqu’eux-mêmes subissent la réalité du marché du travail, ce discours est à peine soutenable.<br />
Encore que l’obtention d’un diplôme reste importante à leurs yeux, il peut perdre sa qualité<br />
d’indispensable. Selon nos interviewés, la décision de continuer ou non les études au-delà des<br />
196
niveaux obligatoires appartient seulement aux enfants. Ce qui suppose une certaine liberté de<br />
décision à partir de 14 ans. Mais la déscolarisation avant de finir la secundaria (le collège),<br />
qui est le dernier niveau obligatoire (vers 14 ans justement), est toujours mal vue ; elle<br />
représente un handicap perpétuel. Et en ce sens, les enfants travailleurs dans les rues sont<br />
souvent pris comme exemples de cet échec, dans l’idée qu’il y a une opposition systématique<br />
entre travail et scolarité.<br />
L’opposition entre travail et scolarisation est relative au fait que lorsque l’on parle de travail,<br />
le terme est associé de manière systématique à une activité économique, rémunérée sur le<br />
marché du travail, qui demande un engagement à plein temps. Nos interviewés ont pris<br />
comme repère le travail des adultes, notamment le travail de leur père, parce qu’en réalité, les<br />
enfants donnent une valeur différente au travail des adultes selon le sexe : les hommes sont<br />
« obligés » de travailler, car ils sont censés être les pourvoyeurs économiques de la famille,<br />
tandis que les femmes ont le « choix », leur travail n’étant souvent pas essentiel pour la<br />
famille, et donc surtout légitimé en cas d’urgence familiale. Certains garçons pensent même<br />
que les mères ont leur place dans le ménage comme femmes au foyer. En ce sens, nos<br />
interviewés ne considèrent pas comme un vrai travail celui qu’exercent les enfants, sauf s’ils<br />
sont des travailleurs économiques à temps complet ou déscolarisés.<br />
A ce propos, la perception sur le travail est hétérogène. Si le « travail » représente l’activité<br />
principale d’une personne, il est alors vu comme inapproprié à l’enfance, parce que dans le<br />
monde du travail les enfants sont exposés davantage que les adultes à divers risques qui<br />
peuvent nuire à leur bon développement. Les enfants travailleurs sont juridiquement démunis.<br />
C'est pourquoi il vaut mieux attendre l’âge de la majorité pour intégrer le marché du travail<br />
avec tous les avantages légaux. Mais le principal problème que pose le travail, de ce point de<br />
vue, résulte du fait qu’il est considéré comme opposé à la scolarisation, sous l'idée que les<br />
enfants qui travaillent sont déscolarisés, et donc que ces enfants sont en désavantage pour<br />
faire face à la vie, par rapport à leurs pairs scolarisés et non travailleurs.<br />
Lorsque l’on parle du travail des enfants dans un cadre familial, la perception des enfants<br />
change. Ce type de travail est considéré en général comme une « aide », et il est plutôt bien<br />
accepté, voire apprécié. Dans l’idée des interviewés non concernés par ce type de travail, ces<br />
enfants travaillent juste de temps en temps, continuent leurs études, et sont à l’abri de tous les<br />
risques. C’est-à-dire qu’ils restent en accord avec le modèle de l’enfance moderne, bien<br />
197
apprécié. En l’occurrence, le travail perd de sa valeur économique pour gagner d’autres<br />
avantages : socialisation, solidarité, formation, meilleure utilisation du temps périscolaire, etc.<br />
Par contre, quand on parle des enfants travailleurs dans les rues, la désapprobation est presque<br />
unanime, étant donné que ces enfants sont totalement écartés du modèle idéal. Ils vivent en<br />
dehors des deux domaines sociaux qui hébergent l’enfance : la famille et l’école. Et ce n’est<br />
pas l’action de travailler qui dérange les interviewés, ce sont les conditions de travail qui sont<br />
mises en cause, surtout l’exposition des enfants aux périls de la rue, un espace inapproprié aux<br />
jeunes personnes.<br />
Enfin, au sujet du travail ménager, la perception des interviewés révèle de flagrantes iniquités<br />
de genre et de génération au sein familial. Il s’agit d’activités peu valorisées et peu<br />
valorisantes qui sont censées être accomplies selon une hiérarchie « sociale » par sexe et par<br />
âges, où les femmes-adultes se trouvent à l’avant, tandis que les hommes-adultes à l’arrière,<br />
les filles et les garçons occupant les places centrales. Une activité nécessaire à la vie familiale<br />
qui fait partie des devoirs propres à l’enfance ; et dans ce sens, il s’agit d’un moyen de<br />
rétribuer les parents de toutes leurs attentions, une manière d’apprendre aussi la solidarité et la<br />
coopération ; en plus, c’est une activité formatrice de bonnes habitudes personnelles.<br />
Nous pouvons alors supposer qu’une partie de la société mexicaine tolère grosso modo le<br />
travail des enfants, malgré les oppositions officielles. Car notre étude sur la représentation<br />
sociale du travail des enfants confirme que, dans les classes populaires, le travail des enfants<br />
n’a pas toujours une mauvaise image. Une position qui n’est pas étonnante à la lumière de<br />
l’histoire moderne du Mexique. En effet, après la Révolution mexicaine de 1910, l’Etat a<br />
favorisé le travail des enfants pauvres à travers ses programmes politiques et sociaux. Le<br />
projet de reconstruction du pays visait à la transformation des Mexicains, pour qu’ils<br />
s’adaptent à l’ère de la modernisation (l’industrialisation, l’urbanisation et la croissance<br />
économique). Ainsi, le Mexicain « était censé être scolarisé, travailleur, économe, sain et un<br />
bon consommateur ; sous ces idées se sont configurées les nouvelles politiques envers<br />
l’enfance. Les enfants des classes moyennes et aisées ont été orientés à devenir les futurs<br />
professionnels, et les enfants des secteurs populaires on les a dirigés vers le chemin du travail<br />
manuel. Les projets pour les enfants pauvres ont cherché à développer en eux le plaisir et les<br />
compétences du travail, mais aussi les formes d’expression orale, les manières, les normes,<br />
les patrons de consommation et les stéréotypes propres aux classes moyennes. Les institutions<br />
scolaires et de contrôle social ont été loin de remettre en question le travail des enfants, elles<br />
198
l’ont utilisé au contraire comme une ressource qui servirait pour arriver à un objectif : faire<br />
de l’enfance de classes populaires une enfance disciplinée, saine, vigoureuse, travailleuse,<br />
défenseur de l’éthique du travail et productive. » 298 (Sosenski, 2010 : 16). Pendant la première<br />
moitié du XXe siècle, les débats nationaux sur le travail des enfants se sont consacrés plus à la<br />
régularisation et à l’amélioration des conditions de travail qu’à sa pertinence, voire à son<br />
éradication (Sosenski, 2010). Des débats qui restent encore tout à fait d’actualité dans les<br />
propos des précurseurs du droit international au travail pour les enfants (Liebel, 2003 ; Leroy,<br />
2009).<br />
Selon les résultats de ces deux derniers chapitres, dans la vie quotidienne actuelle les<br />
conditions socioéconomiques et culturelles, ainsi qu’idéologiques permettent aux enfants de<br />
trouver une place comme travailleurs, même si leur participation active peut ne pas être<br />
appréciée comme un travail. Mais au-delà des conditions structurelles, les enfants comme<br />
membres d’une famille et comme individus à part entière, ont une marge de liberté pour<br />
travailler ou non, selon leurs conditions familiales et leurs caractéristiques individuelles, ce<br />
que nous essayerons de montrer par la suite.<br />
298 Traduction de l’auteur. « (…) debía ser escolarizado, trabajador, ahorrativo, saludable y un buen consumidor;<br />
bajo estas premisas se configuraron las nuevas políticas hacia la infancia. Los niños de las clases medias y altas<br />
fueron orientados a convertirse en los futuros profesionistas y a los niños de los sectores populares se los<br />
encauzó hacia la senda del trabajo manual. Los proyectos para los niños pobres buscaron desarrollar en ellos el<br />
gusto y las habilidades del trabajo, pero también las formas de expresión oral, los modales, las normas, los<br />
patrones de consumo y los estereotipos propios de las clases medias. <strong>La</strong>s instituciones escolares y de control<br />
social estuvieron lejos de cuestionar el trabajo infantil y por el contrario, apelaron a éste como un recurso que<br />
servía para lograr un fin: hacer de la infancia de los sectores populares una infancia disciplinada, sana, vigorosa,<br />
trabajadora, defensora de la ética del trabajo y productiva. »<br />
199
200
PARTIE II<br />
<strong>La</strong> place du travail dans la vie quotidienne des enfants<br />
201
202
CHAPITRE V<br />
Activités des enfants mexicains dans les grandes villes<br />
Tout d’abord, il est nécessaire de souligner qu’en 2007, moment de référence de nos sources<br />
de données, l’ENOE estime la population du Mexique à 106 millions de personnes, 299 dont<br />
49,5% (52 millions) habitent en milieu urbain. Par ailleurs, 37% de la population nationale est<br />
âgée de moins de 18 ans (39 millions), de telle sorte qu'un Mexicain sur deux appartient à un<br />
ménage urbain avec au moins une personne âgée de moins de 18 ans. Or, concernant notre<br />
population d’intérêt (les 6 à 17 ans), ils représentent à peu près un quart de la population<br />
totale du pays, dont 44,4% résident en milieu urbain. C’est-à-dire que les EAJ urbains<br />
constituent 11% de la population totale du pays, soit à peu près 12 millions. 300<br />
Il est donc évident que tout ce qui concerne les moins de 18 ans prend une importance<br />
majeure. Et l’attention aux besoins sociaux essentiels des enfants, tels que la santé et la<br />
scolarisation, implique un vrai défi pour le gouvernement, mais aussi pour une grande partie<br />
des familles concernées qui ont des moyens restreints pour y répondre.<br />
Cependant, dans les grandes villes, l’offre scolaire publique, en termes quantitatifs, semble<br />
correcte pour faire face à la demande scolaire qui correspond à l’enseignement obligatoire<br />
constitutionnellement : primaria et secundaria (respectivement l’enseignement élémentaire et<br />
du premier cycle en France). 301 Ce qui représente neuf années de scolarisation qui<br />
correspondent aux âges de 6 à 14 ans. Or, la qualité de l’enseignement a été souvent mise en<br />
question, et le système éducatif national a montré d'énormes défaillances, la préoccupation de<br />
l’Etat se concentrant sur les chiffres plus que sur le contenu et la qualité de l’enseignement.<br />
C’est une situation qu’il faut avoir à l’esprit lorsque l’on parle de la scolarisation des enfants.<br />
299 Une estimation élaborée avec les données des divers recensements de population, dont le dernier utilisable<br />
pour 2007 était le comptage de population 2005.<br />
300 Selon les données les plus récentes, celles du recensement de population 2010, parmi les 112 millions de<br />
Mexicains, 48% habitent en milieu urbain. Les moins de 18 ans représentent 35% de la population totale, et les 6<br />
à 17 ans représentent 24%.<br />
301 Une situation qui est différente dans les localités rurales, où certaines communes ne comptent même pas avec<br />
l’accès au collège.<br />
203
Dans les discours officiels, le Mexique suit la vision moderne d’enfance. Etudier est censé<br />
être l’activité privilégiée chez les enfants, et le travail est légalement limité. Mais dans la<br />
pratique, un tel modèle a du mal à s’instituer dans un pays où les conditions<br />
socioéconomiques et culturelles ne sont pas adéquates pour y répondre de manière générale.<br />
Dans les faits, de nombreux enfants mexicains accomplissent leur rôle principal d’écoliers,<br />
mais leur temps périscolaire, qui est assez long, est utilisé de manière très diverse, selon les<br />
nécessités et les possibilités personnelles, familiales et sociales. Le travail, domestique ou<br />
extradomestique, familial ou non, trouve parfois une place importante dans le quotidien des<br />
enfants. Les raisons sont aussi variées que les activités qu’ils développent. <strong>La</strong> réalisation de<br />
chaque activité peut répondre à un besoin personnel ou familial, mais toujours lié au contexte<br />
socioculturel et économique. Quelques-uns consacrent une partie de leur temps périscolaire à<br />
des activités de formation formelle, à bénéfice personnel, proposées par des institutions<br />
d’accueil aux enfants, comme préconisé par l’idée moderne d’enfance. Mais ces cas restent<br />
rares, car l’offre est assez limitée dans le secteur public, et plutôt inaccessible<br />
(économiquement) dans le secteur privé pour la plupart des enfants. Par conséquent, la vie des<br />
enfants des secteurs aisés peut bien répondre à la perception moderne d’enfance, mais au fur<br />
et à mesure que les conditions socioéconomiques des familles se détériorent, la pertinence de<br />
cette perception s’estompe, elle reste comme un modèle idéal, en termes d’utopie. De sorte<br />
qu’au Mexique l’enfance n’a pas un sens unique, l'on peut surtout parler d'enfances, qui<br />
illustrent bien l’hétérogénéité et la diversité culturelles qui caractérisent la population, ainsi<br />
que les iniquités socioéconomiques qui persistent. Et parmi une partie de la population, les<br />
enfants ont une marge de participation plus vaste, même si la scolarisation reste à une place<br />
prioritaire.<br />
V.1. <strong>La</strong> scolarisation de la population urbaine de 6 à 17 ans.<br />
Selon le MTI, effectivement, la plupart des EAJ urbains au Mexique sont scolarisés : neuf sur<br />
dix. Mais cette activité n’est pas la seule dans la vie quotidienne des EAJ. Ils réalisent aussi<br />
d’autres activités, au moins une heure par semaine, comme faire des tâches ménagères (laver<br />
le linge, repasser, préparer et servir les repas, balayer, faire les courses…), 68% ; s’occuper<br />
des malades, des jeunes enfants ou des personnes âgées du même ménage sans rémunération,<br />
6,3% ; ou à travailler dans une activité économique 9,3%. Mais le temps consacré à chacune<br />
204
de ces activités n’est pas le même. 302 Ainsi, étudier n’est pas seulement l’activité la plus<br />
réalisée par les EAJ, mais aussi celle qui occupe le plus de temps : en moyenne 34 heures par<br />
semaine. C’est pourquoi elle est considérée comme leur activité principale. Pour leur part, les<br />
tâches domestiques occupent un temps plutôt « modeste » pour ceux qui les réalisent : 9<br />
heures en moyenne par semaine. Enfin, le travail extradomestique, qui est l’activité la moins<br />
fréquente parmi les 6 à 17 ans, est une activité qui occupe un temps considérable dans la vie<br />
de ceux qui sont concernés : 30 heures en moyenne par semaine.<br />
Le degré de participation et le temps dédié à chaque activité varient selon l’âge et le sexe des<br />
EAJ. En général, le temps consacré aux diverses activités augmente avec l’âge. Ainsi, les EAJ<br />
ont de moins en moins de temps pour les loisirs et le repos, notamment les garçons. Et l’on<br />
constate une division traditionnelle des rôles par sexe, notamment à partir de 12 ans.<br />
Etudier est l’activité la plus importante chez les enfants de 6 à 17 ans urbains. L’histogramme<br />
du graphique 5, illustre la proportion (%) d’EAJ scolarisés selon les âges et le sexe.<br />
Néanmoins, un processus de déscolarisation commence surtout à partir de 12 ans, ce qui<br />
coïncide avec la fin de l’instruction élémentaire (primaria), qui est incontestablement<br />
indispensable dans la vie, car l’on y apprend à lire, à écrire et les bases des mathématiques.<br />
L’on constate sur le graphique 5 que la fréquentation à l’école avant 12 ans est pratiquement<br />
universelle. Mais au moment de passer au niveau scolaire suivant (secundaria), la<br />
fréquentation de l’école diminue progressivement avec l’âge. Ainsi, chez les enfants âgés de<br />
12 à 14 ans, presque 10% abandonnent l’école, alors que la scolarisation à ces âges-là a<br />
encore le statut obligatoire et gratuit. Bien évidemment, lorsque la scolarisation n’est plus<br />
obligatoire et surtout gratuite, la déscolarisation s’intensifie. A 17 ans, seulement six jeunes<br />
sur dix sont scolarisés, un résultat à souligner du fait que les écarts par sexe sont faibles, mais<br />
toujours favorables aux filles. L’on peut alors dire que, parmi les nouvelles générations,<br />
l’égalité de genre face à la scolarisation s’est installée en milieu urbain au Mexique.<br />
Les défaillances du système scolaire, le népotisme abusif qui domine le marché du travail<br />
formel, ainsi que l’étendue du secteur informel, en plus de la précarité familiale, sont<br />
sûrement à l’origine de l’abandon scolaire précoce. Depuis quelques années, l’école a du mal<br />
à accomplir son objectif d’intégration et d’ascension sociale, ainsi que de réussite<br />
302 Pour des raisons pratiques, nous groupons dans une seule catégorie, nommée « tâches domestiques », les<br />
tâches ménagères et la garde d’autres personnes du ménage.<br />
205
économique. Les bénéfices de la scolarisation, notamment économiques, sont donc en<br />
concurrence directe avec ceux du travail et de l’apprentissage non officiel dès un très jeune<br />
âge, notamment chez les enfants issus des familles non aisées qui ont des ressources<br />
économiques et des réseaux sociaux assez limités pour se permettre de réaliser de longues<br />
études sans une garantie de décrocher un poste à la hauteur.<br />
206<br />
Graphique 5. Pourcentage d’EAJ scolarisés et nombre moyen d'heures par semaine<br />
dédié aux études, par âges et sexe<br />
Etudiants (%)<br />
100,0<br />
90,0<br />
80,0<br />
70,0<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Age<br />
Histogramme (%) Lignes (h)<br />
Temps (h)<br />
Garçon Fille Garçon Fille<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Concernant le temps dédié à étudier, les différences par sexe sont pratiquement inexistantes.<br />
Sur le graphique 5, le temps consacré aux études, par sexe et âges, est représenté par des<br />
lignes. L’augmentation du temps d’études observée au fur et à mesure que l’âge augmente est<br />
sûrement liée aux différents horaires scolaires en fonction de l’âge. Il faut rappeler que les 6 à<br />
11 ans sont censés passer 22,5 heures hebdomadaires à l’école, tandis que ceux âgés de 12 à<br />
17 ans passent autour de 30 heures.<br />
45<br />
40<br />
35<br />
30<br />
25<br />
20<br />
15<br />
10<br />
5<br />
0
Selon le MTI, l’abandon scolaire répond à des problèmes liés surtout à la demande 303 plus<br />
qu’à l’offre (Tableau 11). Sur les 935 476 EAJ qui ont déclaré ne pas fréquenter l’école,<br />
seulement 1,8% évoque une raison liée directement à l’offre : l’école est loin, l’école n’est pas<br />
un lieu sûr, l’enfant y a souffert de violence ou de discrimination, l’école n’est pas utile. Le<br />
reste a des raisons liées soit à la famille (23,9%), soit directement à l’enfant (63%).<br />
Tableau 11. Répartition (%) de la population urbaine de 6 à 17 ans<br />
qui ne fréquente pas l’école, selon les raisons de déscolarisation<br />
Raisons de déscolarisation Domaine %<br />
L’école est loin 0,6<br />
L’école n’est pas un lieu sûr pour lui ou elle<br />
L’enfant a souffert de violence ou de discrimination à l’école<br />
L’offre<br />
0,4<br />
0,6<br />
L’école n’est pas utile pour le futur<br />
0,2<br />
Il (elle) a redoublé l’année ou a été expulsé(e) ou suspendu(e) 6,8<br />
Il ou elle n’aime pas étudier 45,5<br />
Maladie ou accident<br />
Grossesse<br />
Individuelle<br />
1,7<br />
2,3<br />
Mariage ou union 3,5<br />
Handicap physique ou mental<br />
3,2<br />
Il n’y avait pas d’argent pour payer l’école 18,8<br />
Il était nécessaire d’apporter de l’argent à la maison 2,9<br />
Il n’y avait personne d'autre pour faire les tâches ménagères 0,1<br />
Il n’y avait personne d'autre pour s’occuper des enfants, personnes<br />
âgées ou malades<br />
Familiale 0,8<br />
Le père ou le tuteur ne le permet pas 0,4<br />
Migration familiale de travail<br />
0,9<br />
Autres Autres 11,0<br />
Total<br />
N<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
100,0<br />
935 476<br />
L’une des causes apparemment familiales est aussi liée à un problème d’offre : « Il n’y avait<br />
pas d’argent pour payer l’école ». Parce que pour les niveaux scolaires non obligatoires<br />
constitutionnellement (soit à peu près à partir de l’âge de 15 ans), l’offre du secteur public est<br />
assez restreinte et pas toujours de bonne qualité, les options de scolarisation pour les jeunes se<br />
limitant plutôt au secteur privé. Une alternative qui dans beaucoup de cas signifierait une<br />
lourde charge économique pour la famille, qui n’est pas en mesure d’assumer de tels frais,<br />
malgré l’envie des enfants de continuer leurs études. A ce moment-là, une option pour ces<br />
enfants est de travailler pour assumer leurs propres frais de scolarisation. Ce qui n’est pas<br />
toujours évident vu la différence entre le prix d’inscription aux écoles privées et le niveau des<br />
303 <strong>La</strong> demande dans un sens de l’origine du problème (qui sollicite ?), et non la demande scolaire en termes de la<br />
dimension familiale à partir de ses caractéristiques, comme terme utilisé par : Pilon et al., 2001 ; Kobiané, 2001 ;<br />
Buchmann et Hannum, 2001.<br />
207
salaires sur le marché du travail. Ou bien, une autre option est d’attendre le cycle scolaire<br />
suivant pour essayer, une fois de plus, de trouver une place en école publique, ce qui peut<br />
prendre des années. Et pendant cette attente, les enfants sont alors censés chercher une<br />
occupation apparemment temporaire. Avec tous les inconvénients qu’une telle démarche peut<br />
avoir dans la formation de ces enfants, qui en général s’investissent dans des activités peu<br />
qualifiées (vendeurs, serveurs, aides…), une occupation qui parfois finit par devenir<br />
permanente. Ou bien ils ne font rien de spécial ou de concret. Enfin, parfois ils terminent pour<br />
faire une formation courte ou semi-qualifiée, où c’est possible.<br />
Par ailleurs, il est aussi pertinent de souligner l’importance des enfants qui ont d’« autres »<br />
raisons inconnues de déscolarisation (11%), une catégorie qui fréquemment cache des enfants<br />
travailleurs. Car, vu que le travail des enfants a une mauvaise réputation lorsqu’il est<br />
accompagné d’une déscolarisation, et qu’il est illégal avant 14 ans, les personnes ont du mal à<br />
reconnaître ouvertement cette activité comme une cause de la déscolarisation. A ce propos,<br />
une précision s’impose sur l’information disponible dans le MTI. Seulement 5,3% des enfants<br />
qui font partie de l’enquête ont répondu directement aux enquêteurs. <strong>La</strong> plupart des<br />
informateurs sont le chef du ménage ou son conjoint (85%). Alors, d’une part, il est plausible<br />
que les parents justifient la déscolarisation des enfants en responsabilisant les propres enfants,<br />
même si ce n’est pas le cas. D’autre part, si l’on croit à ces réponses, certains enfants ont une<br />
grande liberté d’action et de décision sur leur vie dès un très jeune âge. En tout cas, avec les<br />
données disponibles, il est difficile de déterminer le type de relation entre la déscolarisation et<br />
le travail : quelle a été la cause et quelle est la conséquence ? De même, s'il existe une<br />
complémentarité entre le travail et la scolarisation, lorsque l’une sert à continuer l’autre.<br />
Enfin, les informateurs peuvent donner des réponses qui appartiennent plus à la norme qu’à la<br />
pratique vu qu'il s’agit d’un sujet sensible. Cependant, le sujet restera toujours délicat à traiter<br />
et donc vulnérable à ces problèmes de déclaration, ce qui demande de continuer à chercher<br />
des outils méthodologiques plus appropriés pour approcher ces enfants directement et ainsi<br />
diminuer les biais. Mais cela n’empêche pas de continuer à travailler avec les données<br />
disponibles en faisant attention aux résultats. En plus, évidemment, tout n’est pas faux, et les<br />
résultats peuvent servir de pistes, à défaut d’évidences, ce qui représente déjà un progrès<br />
important à propos d’un sujet dépourvu d’éléments d’analyse.<br />
208
V.2. Les tâches domestiques.<br />
En plus de la scolarisation, les tâches domestiques font aussi partie des activités courantes<br />
dans la vie des enfants, mais le degré de participation est fort différent selon le sexe et l’âge<br />
(Graphique 6). Comme attendu, les filles participent toujours plus que les garçons. Et leur<br />
participation est plus fréquente en grandissant, surtout à partir de 12 ans. Les garçons trouvent<br />
leur participation la plus importante de 12 à 14 ans (75%), et par la suite, ils sont de moins en<br />
moins concernés, de sorte que, de 15 à 17 ans, la différence dans la participation par sexe est<br />
importante (70% chez les garçons et 91% chez les filles).<br />
Graphique 6. Pourcentage d'EAJ qui réalise des tâches domestiques et<br />
nombre moyen d’heures par semaine dédié à ces activités, par âges et sexe<br />
EAJ qui réalisent des tâches<br />
domestiques (%)<br />
100,0<br />
90,0<br />
80,0<br />
70,0<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Age<br />
Histogramme (%) Lignes (h)<br />
Temps (h)<br />
Garçon Fille Garçon Fille<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Pour ce qui est du temps, même si la participation des EAJ aux tâches domestiques est assez<br />
fréquente, en général, cette activité ne leur prend pas beaucoup de temps (Graphique 6), ce<br />
qui permet aussi de la combiner « aisément » avec la scolarisation. Les filles dédient toujours<br />
plus de temps que les garçons à cette activité, mais les écarts par sexe s’accentuent à partir de<br />
11 ans. Ainsi, les filles de 17 ans consacrent le double de temps que les garçons<br />
(respectivement 17 et 8 heures en moyenne) aux tâches domestiques, tandis qu’à 10 ans, par<br />
45<br />
40<br />
35<br />
30<br />
25<br />
20<br />
15<br />
10<br />
5<br />
0<br />
209
exemple, la différence est seulement d’une heure hebdomadaire : respectivement 7 et 6<br />
heures.<br />
V.3. Le travail extradomestique.<br />
Enfin, moins fréquent que la participation aux tâches ménagères ou à étudier, le travail<br />
extradomestique est une activité non négligeable chez les EAJ, elle concerne un EAJ sur dix.<br />
Mais pour la plupart, ce sont les 12 ans et plus, et notamment les garçons, qui s’investissent<br />
(histogramme du graphique 7). En effet, 40% des garçons de 17 ans réalisent un travail<br />
extradomestique, tandis que chez les filles du même âge la proportion est de 20%. Chez les<br />
plus jeunes, le travail extradomestique est peu fréquent, mais il existe déjà à 6 ans. Après la<br />
scolarisation, c’est le travail extradomestique qui demande le plus de temps à ceux qui sont<br />
concernés.<br />
210<br />
Graphique 7. Pourcentage d’EAJ qui réalise un travail extradomestique<br />
et heures moyennes par semaine dédiées au travail extradomestique, par âge et sexe<br />
EAJ travailleurs extradomestiques<br />
(%)<br />
100,0<br />
90,0<br />
80,0<br />
70,0<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Age<br />
Histogramme (%) Lignes (h)<br />
Temps (h)<br />
Garçon Fille Garçon Fille<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
En général, les garçons investissent plus de temps que les filles, notamment à partir de 12 ans<br />
(Graphique 7, lignes). Et le temps augmente notablement avec leur âge, ainsi que l’écart entre<br />
les sexes, de manière que les garçons de 15 à 17 ans qui travaillent consacrent un peu plus de<br />
45<br />
40<br />
35<br />
30<br />
25<br />
20<br />
15<br />
10<br />
5<br />
0
temps à cette activité que celui que les garçons élèves exclusifs dédient à leur scolarisation.<br />
Les jeunes travailleurs de 15 à 17 ans ont souvent des travaux à plein temps, ce qui est tout à<br />
fait cohérent avec l’importante déscolarisation observée à partir de 14 ans, et aussi au fait que<br />
l’âge légal pour travailler commence à 14 ans. A ce propos, il n’est pas clair si le travail est à<br />
l’origine de la déscolarisation, s’il est une limitation ; ou au contraire, si le travail est une<br />
option à l’impossibilité de continuer la scolarisation pour des raisons personnelles ou<br />
familiales que nous avons déjà évoquées (et qui est aussi en relation au nombre limité de<br />
places en école publique). Pour leur part, les enfants de 12 à 14 ans travaillent plutôt à mi-<br />
temps (entre 15 et 20 heures en moyenne par semaine), et ceux de 6 à 11 ans travaillent<br />
relativement peu, mais de manière quotidienne (à peu près une heure par jour). Une situation<br />
qui tient au fait que la plupart des enfants travailleurs âgés de moins de 15 ans continuent leur<br />
scolarisation.<br />
Mais, les EAJ dédient souvent au moins une heure hebdomadaire à deux ou trois de ces<br />
activités au quotidien (Tableau 12) et seulement 27% des EAJ a une activité exclusive,<br />
principalement étudier. 304 Ceux qui s'investissent de manière exclusive aux tâches<br />
domestiques ou au travail extradomestique, soit ceux qui sont déscolarisés, sont peu fréquents<br />
(respectivement 5% et 1,4%). Cependant, la situation varie selon le groupe d’âges et le sexe.<br />
En grandissant, les EAJ se consacrent de moins en moins à étudier exclusivement, surtout les<br />
filles.<br />
V.4. <strong>La</strong> combinaison des activités.<br />
<strong>La</strong> combinaison d'activités la plus fréquente est « Etudier et tâches domestiques » (57%) ; elle<br />
suit un comportement en forme de courbe en cloche, avec son maximum de 12 à 14 ans pour<br />
les deux sexes, mais toujours avec une présence relative plus élevée des filles. <strong>La</strong> perte<br />
d’importance de cette catégorie parmi les 15 à 17 est encore sûrement liée à la déscolarisation<br />
considérable à partir de 14 ans. Par contre, toutes les autres situations tendent à augmenter au<br />
fur et à mesure de leur âge, et la concentration sur une seule activité s’intensifie, chez les<br />
garçons, spécialement ce qui concerne le travail extradomestique, et chez les filles les tâches<br />
domestiques. Par conséquent, chez les jeunes de 15 à 17 ans, la participation des filles et des<br />
304 Les enfants qui ne dédient même pas une heure hebdomadaire aux tâches domestiques ou au travail<br />
économique.<br />
211
garçons aux diverses activités est assez dissemblable. Par exemple, 9% des jeunes garçons se<br />
consacrent au travail extradomestique, et 14% à l’école, tandis que, chez les jeunes filles à<br />
peine 1 et 5% respectivement. En revanche, les filles participent davantage que les garçons<br />
aux tâches domestiques, soit de manière exclusive (respectivement 17 et 7%), soit en<br />
combinaison avec l’école (respectivement 60 et 47%). Il est évident que depuis un jeune âge<br />
se profilent déjà les rôles traditionnellement masculins et féminins.<br />
212<br />
Tableau 12. Répartition (%) des enfants selon le type d’activité qu’ils réalisent au moins une<br />
heure par semaine, selon les groupes d’âges et le sexe<br />
Activités<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans 6 à 17 ans<br />
Garçon Fille Garçon Fille Garçon Fille Total<br />
% % N<br />
Etudier 45,8 41,5 19,5 10,1 13,9 5,3 27,2 3 273 194<br />
Tâches domestiques 1,1 1,5 4,5 4,6 6,6 16,7 4,9 585 513<br />
Travail extradomestique 0,0 0,0 1,2 0,1 8,6 0,8 1,4 169 135<br />
Etudier<br />
domestiques<br />
et tâches<br />
Etudier et travail<br />
extradomestique<br />
Tâches domestiques et<br />
travail extradomestique<br />
Tâches domestiques,<br />
travail extradomestique et<br />
étudier<br />
Autres activités<br />
(Réparation ou construction<br />
domestique, et bénévolat)<br />
49,4 53,9 65,8 77,4 46,9 60,2 57,3 6 886 450<br />
0,8 0,3 2,3 0,8 4,0 1,3 1,4 163 215<br />
0,1 0,1 1,1 0,8 9,6 8,0 2,6 313 551<br />
1,6 1,7 4,3 4,9 7,9 6,8 3,9 473 085<br />
0,0 0,0 0,0 0,2 0,2 0,1 0,1 10 114<br />
Aucune 0,4 0,3 0,9 0,4 1,6 0,4 0,6 70 646<br />
Non spécifié 0,7 0,8 0,4 0,6 0,7 0,4 0,6 75 128<br />
Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 12 020 031<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Enfin, à propos des EAJ qui ne réalisent aucune des activités analysées et qui apparemment ne<br />
font « rien » (la catégorie « Aucune » : ni études, ni travail, ni tâches domestiques), il faut<br />
donner certains éclaircissements. En analysant plus en détail ce groupe de population, qui<br />
concerne 70 646 EAJ, nous trouvons que cette condition peut être conjoncturelle, car elle<br />
correspond à un moment bien spécifique : l’année scolaire de la semaine de référence de<br />
l’enquête. Des facteurs divers peuvent en être à l’origine, dont quelques-uns sont temporaires<br />
(Tableau 12). En l’occurrence, l’on trouve qu’ils ne fréquentaient pas l’école à ce moment à<br />
cause d’une maladie ou d’une grossesse (8%). Des raisons intemporelles, comme un
handicap, sont aussi présentes (28%). Des explications qui pourraient justifier la non-<br />
réalisation d’autres activités à ce moment-là. Le reste des EAJ ont reconnu une<br />
déscolarisation pour des raisons personnelles ou familiales, principalement parce qu’ils<br />
n’aiment pas l’école (27%), ou à cause d’une mauvaise performance scolaire (2%), et d’un<br />
manque d’argent pour payer l’école 305 (15%). Des situations qui visiblement n’empêcheraient<br />
pas de participer à d’autres activités. Et pourtant, ils déclarent ne rien faire. Enfin, en écartant<br />
les enfants dans une situation « légitime » d’inactivité, le chiffre des EAJ qui ne font « rien »<br />
peut être autour de 44 000. Ce qui est quand même inquiétant, à un stade de la vie où l’on<br />
peut normalement participer aux diverses activités et à une période de formation. En analysant<br />
ces EAJ, l’on trouve que 54% sont des garçons âgés de 14 à 17 ans. Mais en général, il s’agit<br />
de garçons de tous âges (80%). A l’évidence, les filles « trouvent » davantage que les garçons<br />
une façon de s’occuper.<br />
Ces éclaircissements sont importants parce que depuis quelques années, au Mexique, a surgi<br />
une discussion politique. Il s’agit d’un problème qui touche surtout le groupe de jeunes âgés<br />
de 15 à 29 ans qui n’étudient pas et ne travaillent pas, et que l’on a nommé les « ninis ». 306<br />
Les données à ce propos différent selon les sources. Ainsi le recteur de l’<strong>Université</strong> Nationale<br />
Autonome du Mexique, UNAM, estime que dans le pays il y a 7,5 millions de ninis, tandis<br />
que le gouvernement fédéral affirme qu’il s’agit de 285 000 (Norandi, 2010). Des chiffres qui<br />
expliquent la préoccupation portée à ce groupe, censé être en période de pleine activité<br />
scolaire ou de travail. Mais, la discussion reste plutôt dans le domaine politique et médiatique,<br />
se concentrant sur des problèmes sociaux attachés aux jeunes comme le manque d’offre<br />
scolaire publique dans les niveaux medio superior et superior, le chômage et les iniquités de<br />
genre (Olivares Alonso, 2011). Or, tout récemment, la préoccupation sur ce groupe de la<br />
population s’est aussi faite présente au sein de l’Organisation des Etats Américains, OEA. Le<br />
secrétaire général, José Miguel Insulza, a signalé que près de 38 millions de jeunes en<br />
Amérique latine ne travaillent pas et n'étudient pas, en mettant l’accent sur le risque couru par<br />
ces jeunes, face à la criminalité croissante dans la région (Insulza, 2011). Une telle<br />
problématique a attiré des chercheurs qui ont commencé à s’exprimer sur le sujet (Norandi,<br />
305 Dans ce dernier cas, il s’agit notamment des jeunes de 15 à 17 ans (80%), alors qu’ils sont censés être inscrits<br />
au lycée, qui est un cycle non obligatoire, et dont l’offre publique est assez limitée. Comme évoqué plus haut,<br />
une grande partie de jeunes qui veulent continuer leurs études n’ont que l’option d’étudier dans une école privée.<br />
Ce qui devient cher pour certaines familles, qui préfèrent tenter leur chance l’année suivante. Et en attendant, le<br />
jeune reste déscolarisé.<br />
306 Le terme « ninis » provient du fait qu’il s’agit des enfants qui « ni estudian ni trabajan » (n’étudient pas et ne<br />
travaillent pas).<br />
213
2010 ; Camacho Servín, 2011), qui demande à être approfondit d’un point de vue scientifique<br />
plus que politique, mais qui dépasse les objectifs de notre thèse. En plus, il s’agit d’un groupe<br />
de la population différent à celui de notre étude, même si une partie est concernée.<br />
Conclusion<br />
Encore une fois, nous constatons que la vie des EAJ est fortement régie par l’organisation<br />
scolaire. En effet, pendant la période qui correspond à la primaria (l’école élémentaire), de 6<br />
à 11 ans, la plupart des enfants mènent une vie, qui s'accorde à l'idée moderne d’enfance,<br />
consacrée davantage à l’école et éloignée du travail économique, avec une participation active<br />
mais discrète dans les tâches domestiques, sans différence importante par sexe. Mais, malgré<br />
le caractère obligatoire de la scolarisation jusqu’à 14 ans, à partir du moment où les enfants<br />
passent à secundaria (collège), soit vers l’âge de 12 ans, les enfants s’éloignent<br />
progressivement de ce modèle idéal. Dans la pratique, le travail se fait de plus en plus<br />
fréquent, la déscolarisation commence à augmenter pour diverses raisons, et les rôles de genre<br />
commencent à marquer le quotidien des enfants. Les filles participent plus que les garçons<br />
aux tâches domestiques et y investissent plus de temps qu’eux, tandis que les garçons sont<br />
concernés davantage par le travail économique. Ainsi, après l’âge de 14 ans, lorsque les<br />
enfants ont légalement le droit de travailler et que la scolarisation n’est plus obligatoire, une<br />
proportion importante d’enfants travaille. De manière qu’à 17 ans, 40% de garçons et 20% de<br />
filles réalisent une activité économique, qui en moyenne prend respectivement 40 et 35 heures<br />
hebdomadaires ; soit un travail à plein temps. Les tâches domestiques représentent aussi une<br />
activité importante à cet âge-là, notamment chez les filles qui en moyenne consacrent plus de<br />
15 heures par semaine à ces activités. A mesure que l’âge augmente, la participation des EAJ<br />
est plus fréquente et intensive dans diverses activités, soit à l’intérieur du ménage, soit en<br />
dehors ; et l’importance de la scolarisation s’estompe nettement à partir de l’âge de 12 ans.<br />
Or, l'on peut dire que les filles participent, de plus en plus, aux activités d’intérêt commun au<br />
détriment de celles d'intérêt individuel, soit dans le travail domestique familial, tandis que les<br />
garçons, même s’ils passent des études au travail économique, restent plutôt dans une logique<br />
d’investissement pour un bénéfice individuel, même si cela peut bénéficier aussi à toute la<br />
famille.<br />
214
Pour finir avec ce chapitre, nous pouvons conclure à propos des activités des EAJ qu’étudier<br />
est l’activité généralisée chez les enfants. Une situation qui est totalement cohérente avec la<br />
perception d’enfance qui domine notre société, et qui demande aux enfants de se consacrer<br />
principalement à l’école, comme moyen de formation privilégié pour la vie adulte. Cependant,<br />
l’on a vu que de nombreux enfants participent quotidiennement aux activités de production et<br />
de reproduction sociale du ménage, en apportant ainsi une aide assez importante à la vie<br />
familiale et communautaire. Or, la participation des EAJ dans ces activités varie selon le sexe<br />
et l’âge, signe des iniquités de genre et de génération qui se façonnent depuis un très jeune<br />
âge. Nous en discuterons par la suite, en analysant la situation des enfants travailleurs dans les<br />
domaines domestique et extradomestique, en prenant comme exemple le cas des EAJ fils ou<br />
filles du chef de ménage, célibataires et sans progéniture.<br />
215
216
CHAPITRE VI<br />
Les enfants travailleurs domestiques familiaux<br />
« Loin de la curiosité de<br />
médias, la grosse majorité<br />
des enfants sont invisibles et<br />
leur travail inaperçu car<br />
dilué dans l’ensemble des<br />
activités familiales. »<br />
Leroy (2009 : 9).<br />
Par-delà du caractère éducatif que l’on peut attribuer à la réalisation des diverses tâches<br />
domestiques au sein du ménage, la vive participation des enfants à ces activités contribue plus<br />
ou moins de manière directe à la reproduction quotidienne du ménage. Le temps que les EAJ<br />
y consacrent libère les autres membres de la famille pour réaliser des activités alternatives :<br />
économiques, de loisir, de reproduction, etc. (Knaul, 2001 ; Mier y Terán et Rabell, 2001 ;<br />
Levison, Moe et Knaul, 2001) ; en permettant ainsi d’élargir l’éventail d’options d’action et<br />
de participation de tous les membres à l’intérieur et à l’extérieur du sein familial, les enfants<br />
sont donc des acteurs actifs dans la construction de la vie familiale. Mais évidemment, chez<br />
les enfants, la participation dans les tâches domestiques ne représente pas toujours une forme<br />
de travail proprement dit. C’est-à-dire que tous les enfants qui réalisent des tâches<br />
domestiques ne peuvent pas être considérés comme des travailleurs domestiques familiaux.<br />
Cela dépend du temps dédié, ainsi que d’autres conditions subjectives difficiles à mesurer et à<br />
repérer, comme le niveau de responsabilité qu’ils assument. Mais, quelles sont les conditions<br />
familiales qui augmentent la participation des EAJ aux tâches domestiques chez eux ?<br />
VI.1. Les tâches domestiques : de l’apprentissage au travail.<br />
Comme nous l'avons déjà montré plus haut, les caractéristiques individuelles des EAJ (âge et<br />
sexe) sont fondamentales pour expliquer leur participation aux diverses activités. Mais les<br />
particularités individuelles ne suffisent pas pour expliquer leur niveau d’investissement, parce<br />
que tout ce qui touche les enfants est fortement lié à la vie familiale, et ainsi, le degré de<br />
participation des EAJ en dépend. En l’occurrence, nous pouvons citer : la composition<br />
familiale en termes sociodémographiques (comme une approche du cycle de vie familiale) ;<br />
les caractéristiques du couple parental ; la position socioéconomique du ménage ; ainsi que le<br />
217
type de relations de genre et de génération qui prédominent. <strong>La</strong> participation des EAJ aux<br />
tâches domestiques ne semble pas échapper à cette importante relation entre l’enfant et la vie<br />
familiale. Cependant, comme activité très fréquente chez les enfants, le niveau de<br />
participation est influencé par des aspects bien spécifiques du milieu familial.<br />
VI.1.1. Le rôle de la famille sur la participation des enfants aux tâches domestiques.<br />
Nous considérons que la famille est le milieu où se structurent les premières relations<br />
intergénérationnelles et de genre, se développent les règles morales et sociales de conduite, et<br />
où se vivent la gratuité, la solidarité et la coopération, ainsi que les conflits. C’est pourquoi il<br />
est très important de prendre en compte le milieu familial des enfants, afin de comprendre la<br />
spécificité de la participation de chaque EAJ.<br />
Afin d’avoir une première idée sur la relation entre des aspects concrets du contexte familial<br />
et le niveau d’investissement des EAJ dans les tâches domestiques, nous commençons par<br />
faire une comparaison du nombre moyen d'heures par semaine que les enfants consacrent à<br />
cette activité, selon certaines caractéristiques bien spécifiques du ménage. L’ensemble des<br />
EAJ consacre 6 heures hebdomadaires en moyenne aux tâches domestiques.<br />
<strong>La</strong> composition du ménage<br />
Certains aspects de la composition du ménage semblent importants pour expliquer les<br />
variations dans le niveau de participation des EAJ. Même si en général ces variations sont<br />
parfois assez faibles. Tout d’abord, la taille du ménage est fondamentale. Il s’agit d’une<br />
question mathématique : un nombre réduit de personnes implique une majeure charge de<br />
travail pour chacun, dans l’hypothèse d’une distribution équitable des tâches, et si celles-ci<br />
sont accomplies seulement par les membres du ménage (Kono, 1977). Ainsi, les EAJ qui<br />
appartiennent à un ménage peu nombreux, de 2 personnes, en moyenne s’investissent<br />
beaucoup plus aux tâches ménagères que leurs pairs (Tableau 12). Cependant, ce type de<br />
ménage est assez rare. Ensuite, l’augmentation du nombre de personnes dans le ménage fait<br />
diminuer progressivement le nombre moyen d’heures que les EAJ consacrent aux tâches<br />
domestiques. Néanmoins, à partir de 6 personnes les ménages demandent, encore une fois, un<br />
peu plus d’investissement de la part des EAJ, pour arriver à un temps moyen de 7 heures<br />
218
hebdomadaires dans les ménages de 7 personnes et plus. Un niveau qui reste encore très<br />
inférieur à celui des EAJ qui vivent juste avec une autre personne (16 heures). Ainsi, les<br />
tailles extrêmes constituent un plus grand risque de travail pour les EAJ. En effet, la plupart<br />
des ménages nombreux ont un nombre considérable de jeunes enfants (de 0 à 5 ans). Et ces<br />
jeunes enfants ne participent guère aux tâches domestiques, par contre ils demandent une<br />
attention soutenue de la part des autres, et ils augmentent la charge de tâches domestiques au<br />
sein du ménage (OIT, 1990 ; Mier y Terán et Rabell, 2001). Or, la plupart des EAJ<br />
appartiennent à un ménage de 4 ou 5 personnes (61%), soit les ménages où le temps moyen<br />
consacré aux tâches domestiques est le plus court (5,5 heures).<br />
A l’évidence, en plus de la taille du ménage, il faut prendre en compte sa composition, quant à<br />
l'âge et au sexe de ses membres (Tableau 13). Car l’ensemble des besoins et des capacités du<br />
ménage en dépendent, et par conséquent, l’assignation de tâches à chaque membre de la<br />
famille, soit les stratégies familiales à suivre. Ainsi, nous trouvons que la présence d’enfants<br />
âgés de 0 à 5 ans ou de personnes âgées dans le ménage augmente le temps de participation<br />
des EAJ. De même qu’un plus grand nombre d’autres enfants de 6 à 17 ans. Il y a aussi une<br />
relation entre le nombre d’adultes et les heures moyennes que les EAJ consacrent aux tâches<br />
domestiques. Le type de ménage où les EAJ participent le moins à ces activités est celui où il<br />
y a 2 adultes (5,4 heures en moyenne), les ménages les plus communs. Et comme évoqué plus<br />
haut, un EAJ seul avec un autre adulte implique un majeur investissement du temps de<br />
l’enfant aux tâches domestiques que dans les autres types de familles.<br />
<strong>La</strong> distribution de tâches au sein du ménage ne dépend pas seulement de l’âge des personnes,<br />
où les relations de génération sont perceptibles. Il existe aussi des relations de genre qui se<br />
traduisent par une participation plus ou moins active des EAJ. Ainsi, en l’absence d’une<br />
femme adulte dans le ménage, les EAJ dédient plus de temps aux tâches domestiques : 9<br />
heures (Tableau 14). Là, l’enfant prend souvent cette responsabilité, en remplaçant la mère<br />
absente, qui est d’habitude la principale responsable de ces activités. Le père ou les autres<br />
hommes adultes du ménage peuvent participer ou non, mais, sans en prendre la responsabilité,<br />
en réponse à des raisons d’emploi du temps ou simplement de genre, cela dépend des familles.<br />
En revanche, l’absence d’un homme adulte n’est pas aussi décisive. Par contre, une présence<br />
nombreuse d’hommes adultes, à partir de 3, est plus contraignante (8 heures).<br />
219
220<br />
Tableau 13. Répartition (%) des EAJ et nombre moyen d'heures dédié<br />
aux tâches domestiques selon la composition du ménage par âges<br />
Composition du ménage<br />
EAJ dans ce type<br />
de ménage<br />
(%)<br />
Heures<br />
Moyennes<br />
Deux personnes<br />
Taille du ménage (Ego inclus) :<br />
1,7 16,0<br />
Trois personnes 9,9 7,2<br />
Quatre personnes 30,5 5,6<br />
Cinq personnes 30,7 5,5<br />
Six personnes 15,3 6,0<br />
Sept personnes et plus 11,9 6,8<br />
Aucun<br />
Nombre d’enfants de 0 à 5 ans :<br />
69,3 5,7<br />
Un ou deux 29,6 6,0<br />
Trois et plus 1,1<br />
Nombre d’EAJ de 6 à 17 ans (sans Ego) :<br />
6,7<br />
Aucun 27,7 5,7<br />
Un 40,8 5,7<br />
Deux 21,8 5,9<br />
Trois 7,4 6,1<br />
Quatre et plus 2,3<br />
Nombre d’adultes (18 ans et plus) :<br />
6,2<br />
Un 10,6 6,8<br />
Deux 64,3 5,4<br />
Trois ou plus 25,1 6,3<br />
Aucune<br />
Nombre de personnes âgées (80 ans et plus) :<br />
99,0 5,8<br />
Une ou Deux<br />
1,0 6,7<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(10 070 536)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Tableau 14. Répartition (%) des EAJ et nombre moyen d'heures dédié aux tâches<br />
domestiques selon la composition du ménage par sexe des adultes<br />
EAJ dans ce type de<br />
Heures<br />
Composition du ménage ménage<br />
Moyennes<br />
(%)<br />
Nombre de femmes adultes :<br />
Aucune 1,1 9,1<br />
Une 80,1 5,7<br />
Deux 15,6 6,0<br />
Trois et plus 3,2 6,0<br />
Nombre d’hommes adultes :<br />
Aucun 12,5 6,6<br />
Un 72,8 5,4<br />
Deux 12,0 6,6<br />
Trois et plus 2,7 7,7<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(10 070 536)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
5,8<br />
5,8
L’on peut supposer qu’à l’origine de cette plus grande participation des EAJ aux tâches<br />
domestiques, les raisons sont plutôt justifiées par des relations inégales de genre et de<br />
génération. <strong>La</strong> mère et les autres femmes adultes d’une famille partagent plus cette<br />
responsabilité avec les EAJ que les hommes adultes. Ainsi, les ménages où il y a une seule<br />
femme adulte et un seul homme adulte sont ceux où les EAJ dédient le moins de temps aux<br />
tâches domestiques. D’où l’importance d’analyser aussi la situation du couple parental (chef<br />
de ménage et son conjoint), qui dans notre cas correspond aux parents de l’enfant, dont le chef<br />
est souvent le père et le conjoint du chef, la mère.<br />
Le couple parental<br />
Les derniers résultats se confirment en analysant les caractéristiques du couple parental, quant<br />
à la composition par sexe et la présence physique de chacun des membres qui composent le<br />
couple, mais aussi en relation avec l’activité principale du couple (Tableau 15). Les ménages<br />
les plus habituels (80%), qui sont les plus conventionnels, avec un chef homme et sa<br />
conjointe, sont ceux où les EAJ consacrent le temps moyen le plus court aux tâches<br />
domestiques (5,5 heures). Dans ces cas, une partie non négligeable de ménages ont une<br />
distribution de rôles par sexe traditionnelle, où l’homme réalise le travail extradomestique et<br />
la conjointe se consacre au travail domestique. Là, la participation des EAJ n’est pas<br />
essentielle (5,2 heures), mais semble plutôt une activité formatrice, qui fait partie des<br />
« obligations » de l’enfance. Or, lorsque la conjointe travaille aussi, le temps consacré par les<br />
EAJ aux tâches domestiques augmente à peu près d’une heure par rapport aux familles dont le<br />
chef de ménage est l'unique pourvoyeur économique.<br />
Par ailleurs, la monoparentalité familiale, qui a été longuement qualifiée comme vulnérable<br />
surtout par rapport au bien-être des enfants, montre sa fragilité. Dans ce cas, certes, elle<br />
augmente le temps des EAJ aux tâches ménagères, par rapport à ceux qui appartiennent à une<br />
famille biparentale. Mais, il y a encore des différences selon le sexe du chef (Tableau 15).<br />
Dans les ménages monoparentaux masculins, qui sont assez rares (1,5%), les EAJ participent<br />
davantage aux tâches domestiques que dans les ménages monoparentaux féminins, des<br />
ménages beaucoup plus fréquents (14%), respectivement 9 et 7 heures (Tableau 15). Il faut<br />
dire que le soutien du conjoint absent du ménage (homme ou femme), si jamais il est encore<br />
vivant, n’est pas toujours certain. Dans les deux cas, l’on peut supposer que le chef travaille<br />
221
intensivement pour s’occuper seul de la famille, en termes économiques. Pourtant, en plus de<br />
l’entrée des chefs femmes au marché du travail, elles gardent leur rôle de femmes au foyer,<br />
tandis que les chefs hommes délèguent plutôt cette responsabilité sur les EAJ, dès que<br />
possible. En revanche, il faut signaler le cas des familles où le chef est absent du ménage, et<br />
pourtant garde leur statut de chef, des cas rares aussi (1,4%), où le chef est un homme. Nous<br />
supposons qu’il s’agit d’un chef migrant qui continue d’être un pourvoyeur économique de la<br />
famille, voire le pourvoyeur, et donc, le conjoint peut, soit continuer à s’occuper<br />
exclusivement de la maison, soit travailler parallèlement, sans trop demander aux EAJ. Parce<br />
que dans les deux cas, les EAJ participent peu aux tâches domestiques (respectivement 5 et 6<br />
heures).<br />
222<br />
Tableau 15. Répartition (%) des EAJ selon la composition et la participation au travail<br />
économique du couple parental, et nombre moyen d'heures dédié aux tâches ménagères<br />
Condition du couple parental<br />
EAJ dans ce<br />
type de ménage<br />
(%)<br />
Heures<br />
Moyennes<br />
Composition :<br />
Chef homme sans conjointe 1,5 8,7<br />
Chef femme sans conjoint 14,2 6,9<br />
Chef homme avec conjointe 79,5 5,5<br />
Chef femme avec conjoint 3,3 6,3<br />
Conjointe seule, chef absent 1,4 5,5<br />
Autres 0,1 7,7<br />
Participation au travail économique :<br />
Couple : seulement le chef travaille 41,5 5,2<br />
Couple : le deux travaillent 36,8 5,9<br />
Couple : seulement le conjoint travaille 2,8 6,3<br />
Couple : Aucun ne travaille 1,6 5,8<br />
Chef seul : travaille 12,4 7,3<br />
Chef seul : ne travaille pas 3,3 6,4<br />
Conjoint seul : travaille 0,9 5,8<br />
Conjoint seul : ne travaille pas 0,5 4,9<br />
Autres cas 0,1 8,1<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(10 070 536)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Or, l’intensité de la participation du couple parental aux diverses activités de production ou de<br />
reproduction sociale nécessaires à la vie familiale est aussi à considérer (Tableau 16). Car de<br />
cela dépend la nécessité de faire participer les EAJ plus ou moins aux tâches domestiques, par<br />
exemple. A propos de la participation du couple aux tâches domestiques, il faut d’abord<br />
signaler qu’un chef sur trois ne participe pas du tout à ces activités. Par contre, quatre chefs<br />
sur dix le font quotidiennement (plus de 7 heures en moyenne par semaine). A ce sujet, plus le<br />
chef investit du temps aux tâches ménagères, plus les EAJ y participent aussi. Alors, si un<br />
5,8
chef ne participe pas à ces activités, c’est sûrement parce qu’une autre personne le fait, soit le<br />
conjoint, soit un employé, car les EAJ sont dans ce cas peu concernés (5 heures). Mais, il<br />
existe des cas où le chef ne participe pas grâce à la collaboration des EAJ.<br />
Par ailleurs, concernant la situation du conjoint du chef, il est frappant de constater qu’ils sont<br />
presque tous (95%) concernés par les activités domestiques de manière intensive (plus de 7<br />
heures par semaine), en plus d’autres responsabilités qu’ils peuvent avoir éventuellement. Et<br />
dans ce cas, les EAJ participent un peu moins que lorsque le conjoint réalise plus<br />
sporadiquement ces activités ou même ne participe pas (Tableau 16). Ce qui suggère<br />
l’existence d’un « remplacement » plutôt partiel des conjoints par les EAJ aux tâches<br />
domestiques, mais aussi par des employés, le cas échéant, dans l’hypothèse où les conjoints<br />
sont les principaux responsables d’accomplir ces activités.<br />
En ce qui concerne le travail extradomestique, il est remarquable que trois chefs sur quatre<br />
travaillent plus de 40 heures par semaine (Tableau 16). Une situation qui montre bien la<br />
flexibilité et la précarité du marché du travail, qui a poussé la population à intensifier son<br />
temps de travail. Car officiellement au Mexique, un travail à plein temps est de 40 heures<br />
hebdomadaires. A ce sujet, l’unique différence dans la participation des EAJ aux tâches<br />
domestiques se présente lorsque le chef a un emploi à mi-temps, soit moins de 20 heures par<br />
semaine. Dans ce cas, il est probable que le conjoint travaille de manière plus intensive,<br />
demandant ainsi une participation plus active des EAJ aux tâches domestiques, dans un<br />
contexte de relations traditionnelles de genre et de génération, où le chef, notamment un<br />
homme, ne s’investit guère dans le travail domestique, malgré l’apparente disponibilité de son<br />
temps. D’autre part, le travail extradomestique des conjoints est moins fréquent et aussi moins<br />
intense que celui des chefs. Il faut dire que 92% des chefs travaillent, contre 48% des<br />
conjoints. Et quatre conjoints sur dix travaillent de 20 à 40 heures par semaine, mais encore<br />
une fois, une partie non négligeable travaille plus de 40 heures hebdomadaires (43%). <strong>La</strong><br />
relation entre le temps de travail extradomestique des conjoints et le temps dédié aux tâches<br />
domestiques des EAJ est directe. De manière que les EAJ, dans les familles où le conjoint du<br />
chef travaille plus de 40 heures, consacrent une heure de plus par semaine aux tâches<br />
domestiques que les EAJ où le conjoint du chef travaille jusqu’à 20 heures hebdomadaires, ce<br />
qui est encore supérieur à ceux où le conjoint ne travaille pas.<br />
223
224<br />
Tableau 16. Répartition (%) des EAJ selon les activités du couple familial<br />
et nombre moyen d'heures dédié aux tâches ménagères<br />
Activités du couple familial<br />
EAJ dans ce type<br />
de ménage<br />
(%)<br />
Heures<br />
Moyennes<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le chef aux tâches domestiques :<br />
Aucune 35,6 4,9<br />
De 1 à 7 heures 22,2 5,9<br />
Plus de 7 heures 42,2 6,5<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(9 909 299) 1<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le conjoint aux tâches domestiques :<br />
Aucune 2,8 5,8<br />
De 1 à 7 heures 2,0 6,3<br />
Plus de 7 heures 95,2 5,5<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(8 471 959) 2<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le chef au travail extradomestique :<br />
1 à 20 heures 2,3 6,8<br />
20 à 40 heures 22,5 5,7<br />
Plus de 40 heures 75,2 5,7<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(8 350 164) 3<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le conjoint au travail extradomestique :<br />
1 à 20 heures 15,7 5,4<br />
20 à 40 heures 41,0 5,7<br />
Plus de 40 heures 43,3 6,3<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(3 744 167) 4<br />
5,7<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
1_/ Sont éliminés les EAJ sans information sur le travail domestique du chef ou lorsque le<br />
chef ne cohabite pas avec eux, soit 161 237 enfants (695 cas).<br />
2_/ Sont éliminés les EAJ dont le travail domestique du conjoint n’est pas spécifié ou le<br />
conjoint ne cohabite pas avec eux, soit 1 598 577 enfants (7 339 cas).<br />
3_/ Sont éliminés les EAJ dont le chef ne travaille pas, ne cohabite pas avec eux, ou le<br />
temps de travail n’est pas spécifié, soit 1 720 372 enfants (7 560 cas).<br />
4_/ Sont éliminés les EAJ le conjoint ne travaille pas, ne cohabite pas avec eux, ou le<br />
temps de travail n’est pas spécifié, soit 6 326 369 enfants (27 201 cas).<br />
Un autre aspect d’importance en relation au couple parental est leur niveau de scolarité. Car<br />
celui-ci peut être à l’origine tantôt des relations de genre et de génération plus ou moins<br />
équitables au sein du ménage ; tantôt des conditions socioéconomiques plus ou moins<br />
précaires de la famille. « L’idée que les adultes se font des avantages immédiats et lointains<br />
de l’instruction est l’un des principaux éléments qui déterminent la fréquentation de l’école<br />
par les enfants ou leur entrée dans la vie active. » (Bequele et Boyden, 1988a : 184).<br />
L’hypothèse centrale est alors qu’un niveau de scolarité plus élevé des parents implique de<br />
meilleures conditions familiales, en termes économiques, mais aussi d’équité entre ses<br />
membres, et une plus grande valorisation de la scolarité.<br />
5,8<br />
5,5<br />
5,7
Selon nos résultats à propos de la relation entre la scolarité des parents et le niveau de travail<br />
des enfants, le niveau de scolarité du chef a un impact plus important que celui du conjoint,<br />
sur le niveau de participation des EAJ aux tâches domestiques (Tableau 17). Mais dans les<br />
deux cas, la différence du temps consacré aux activités domestiques chez les EAJ est assez<br />
notable d’un extrême à l’autre. De manière qu’un EAJ dédie à peu près trois heures de plus<br />
par semaine aux tâches ménagères lorsque le chef ou le conjoint du chef n'ont pas été<br />
scolarisés, qu’un EAJ dont le chef ou le conjoint compte au moins 16 ans de scolarité.<br />
Tableau 17. Répartition (%) des EAJ selon la condition du couple familial<br />
et nombre moyen d'heures dédié aux tâches ménagères<br />
Années de scolarité<br />
EAJ dans ce type<br />
de ménage<br />
(%)<br />
Chef de ménage :<br />
Heures<br />
Moyennes<br />
Sans scolarité 2,2 7,4<br />
De 1 à 5 ans 8,3 7,0<br />
De 6 à 8 ans 21,8 6,4<br />
De 9 à 11 ans 32,8 5,8<br />
De 12 à 15 ans 18,4 5,6<br />
16 ans et plus 16,5 4,3<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(9 918 640) 1<br />
5,8<br />
Sans scolarité<br />
Conjoint du chef de ménage :<br />
2,9 6,8<br />
De 1 à 5 ans 7,7 6,5<br />
De 6 à 8 ans 23,9 6,3<br />
De 9 à 11 ans 34,0 5,5<br />
De 12 à 15 ans 20,2 5,0<br />
16 ans et plus 11,3 4,1<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(8 470 879) 2<br />
Différence entre les années de scolarité du couple parental :<br />
Aucune 33,7 5,5<br />
De 1 à 3 ans 39,7 5,6<br />
De 4 et plus 26,6 5,6<br />
100,0<br />
Total<br />
(8 331 122) 3<br />
5,5<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
1/ Sont éliminés les EAJ dont la scolarité du chef n’est pas spécifiée, soit<br />
151 896 enfants (655 cas).<br />
2/ Sont éliminés les EAJ dont la scolarité du conjoint du chef n’est pas<br />
spécifiée, soit 1 599 657 enfants (7 346 cas).<br />
3/ Sont éliminés les EAJ dont la scolarité du conjoint ou du chef n’est pas<br />
spécifiée, soit 1 739 414 enfants (7 954 cas).<br />
Or, concernant le niveau éducatif du couple parental, nous calculons la différence absolue des<br />
années de scolarité entre le chef et le conjoint, comme un indicateur des relations de genre au<br />
5,5<br />
225
sein du ménage (Tableau 17). 307 Mais il s’avère que cette différence n’est pas importante pour<br />
expliquer des variations dans la participation des EAJ aux tâches domestiques. Car un couple<br />
sans scolarité est placé dans la même catégorie qu’un couple de lycéens ou d’universitaires.<br />
Ce qui dans la pratique n’a pas les mêmes implications pour la vie des enfants, et même pour<br />
la vie familiale, sous l’hypothèse qu’au fur et à mesure qu’augmente la scolarité du couple, les<br />
relations de genre et de génération sont plus équitables au sein du ménage. En effet, il ne<br />
suffit pas d’avoir une même scolarité dans le couple, pour avoir des relations plus équitables,<br />
le niveau scolaire est aussi important.<br />
Effectivement, en considérant la différence de scolarité entre le couple et le niveau scolaire du<br />
chef, le graphique 8 montre que les deux aspects ensemble créent des conditions différentes<br />
pour les EAJ. A un extrême se trouvent les EAJ dont les parents sont sans scolarité, et à l'autre<br />
extrême, ceux dont les parents ont plus de 15 ans de scolarité. Dans ces cas, les EAJ<br />
consacrent aux tâches domestiques respectivement 8 et 3,5 heures par semaine. Là, il est<br />
évident que, même si la scolarité du chef est fondamentale, la scolarité du conjoint est aussi<br />
importante. Lorsque le conjoint est plus scolarisé que le chef, les EAJ consacrent moins de<br />
temps aux tâches domestiques. Pourtant, il semble que la différence de scolarité entre le<br />
couple quand le chef est peu scolarisé (jusqu’à 8 ans, soit la scolarisation obligatoire) n’a pas<br />
d’influence régulière sur la vie des EAJ. C’est vraiment le fait d’avoir un chef plus scolarisé<br />
(des études après les niveaux obligatoires, soit 9 ans et plus) qui est crucial, et ensuite, le fait<br />
d’avoir un conjoint qui a aussi un bon niveau de scolarisation. C’est clair qu’une scolarité plus<br />
élevée du couple peut se traduire par de meilleures conditions familiales pour les EAJ. D’où<br />
l’importance de chercher les moyens pour que les filles et les garçons réussissent des niveaux<br />
de scolarisation plus élevés, car le fait de réussir seulement la scolarité obligatoire, qui<br />
correspond à 9 années d’études, dans la pratique ne change pas grand-chose dans le contexte<br />
familial, donc dans les conditions de vie des enfants.<br />
Même si le niveau scolaire du chef ou du couple parental donne une idée de la condition<br />
socioéconomique du ménage, cela ne suffit pas, car, aujourd’hui au Mexique, le plus haut<br />
diplôme n’est pas une garantie de réussite professionnelle ou simplement d’ascension sociale.<br />
Le marché du travail est tellement flexible et informel, que les postes de travail, voire les<br />
revenus, ne correspondent pas toujours au niveau des diplômes obtenus. D’autres éléments<br />
307 Un indicateur en termes de la valeur absolue, c’est-à-dire qu’il est indifférent qui a le niveau le plus élevé de<br />
scolarité : le chef de ménage ou son conjoint.<br />
226
sont alors à prendre en compte pour mieux s’approcher des conditions familiales de vie des<br />
EAJ.<br />
Graphique 8. Heures moyennes que les EAJ consacrent aux tâches domestiques,<br />
selon la scolarité du chef et la différence de scolarité dans le couple parental<br />
EAJ: Heures moyennes dédiées<br />
aux tâches domestiques<br />
9,0<br />
8,0<br />
7,0<br />
6,0<br />
5,0<br />
4,0<br />
3,0<br />
2,0<br />
1,0<br />
0,0<br />
Sans<br />
scolarité<br />
1 à 5 ans 6 à 8 ans 9 à 11 ans 12 à 15 ans 16 ans et<br />
plus<br />
Scolarité du chef<br />
Chef plus scolarisé Sans différence Chef moins scolarisé<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre). Sont éliminés les EAJ dont la scolarité du<br />
conjoint ou du chef n’est pas spécifiée, soit 1 739 414 enfants (7 954 cas).<br />
<strong>La</strong> position socioéconomique du ménage<br />
<strong>La</strong> prise en compte d’indicateurs du niveau socioéconomique familial est fondamentale pour<br />
étudier la participation des EAJ dans les diverses activités (Mier y Terán et Rabell, 2004). A<br />
ce propos, outre le niveau de revenus, des indicateurs directement liés aux conditions<br />
familiales de vie ont souvent été considérés avec succès, selon le contexte analysé : matériel<br />
du logement (du sol, du toit, des murs), la possession de biens (téléphone fixe) ou de services<br />
(toilettes privées), la relation entre le nombre de personnes et le nombre de pièces de<br />
couchage (surpeuplement) 308 (Tienda, 1979 ; Grootaert et Kanbur, 1995 ; Levison, Moe et<br />
Knaul, 2001 ; Mier y Terán et Rabell, 2004 ; Estrada Quiroz, 2005). Des indicateurs qui<br />
reflètent le capital économique que dispose la famille en termes nettement matériels. Avec<br />
nos données, nous ne disposons pas de ce type d’information, et le seul revenu de la famille<br />
nous semble peu pertinent pour classer les ménages selon leur position socioéconomique, à<br />
308 Hacinamiento en espagnol.<br />
227
cause principalement de la mauvaise qualité des déclarations, mais aussi de la restriction de<br />
cette variable au domaine purement économique.<br />
A ce propos, un indicateur du niveau socioéconomique du ménage qui a montré ses qualités<br />
est la condition socioprofessionnelle du chef de ménage. Malgré les critiques qu’il mérite,<br />
c’est l’unique moyen d’approcher cette condition à partir de notre source de données. Car<br />
nous ne comptons pas avec d’autres informations susceptibles d’illustrer la condition<br />
socioéconomique du ménage, telles que les caractéristiques du logement ou les biens<br />
familiaux par exemple ; ainsi que de données qui pourraient servir à l’élaboration d’un<br />
indicateur spécial. C’est pourquoi, afin d’approcher la position socioéconomique du ménage,<br />
nous utilisons un classement proposé par Solís et Cortés (2009), lequel a montré ses vertus<br />
pour différencier les ménages selon les niveaux socioéconomiques. Dans une étude récente<br />
sur la mobilité professionnelle au Mexique, ces auteurs ont élaboré un indicateur basé sur<br />
l’activité professionnelle du chef de ménage. Il rassemble dans chacun des six groupes<br />
d’activité professionnelle des familles semblables quant au niveau éducatif du chef de<br />
ménage, au niveau de revenus et à l’actif du ménage ; et il rend compte d’une hiérarchie<br />
sociale, qui montre les disparités présentes dans le pays actuellement. 309<br />
Or, étant donné que d’habitude au Mexique le chef est le principal pourvoyeur économique, et<br />
aussi, en général, le plus scolarisé du couple parental, nous considérons cet indicateur, qui<br />
concerne seulement le chef de ménage, tout à fait pertinent pour appréhender la situation<br />
socioéconomique familiale des EAJ, sans pour autant nier l’importance de la participation du<br />
conjoint dans la constitution de l’environnement familial.<br />
Selon cet indicateur, effectivement, la participation des EAJ varie selon le groupe<br />
d’occupation du chef de ménage. Le temps consacré au travail domestique augmente au fur et<br />
à mesure que le niveau socioéconomique diminue. <strong>La</strong> classe de services, qui accueille un<br />
enfant sur dix, correspond au plus haut niveau dans l’échelle sociale. Là, les EAJ participent<br />
le moins aux tâches domestiques (4 heures). Par contre, le groupe où les EAJ participent plus<br />
de temps (6,5 heures) est celui des enfants des travailleurs non spécialisés, qui se trouvent en<br />
bas de l’échelle sociale, avec les travailleurs agricoles. Mais les enfants des travailleurs<br />
309 Les six groupes : travailleurs dans la classe de services, travailleurs non manuels en activités routinières,<br />
travailleurs spécialisés, travailleurs du commerce, travailleurs non spécialisés et travailleurs agricoles, dans cet<br />
ordre d’importance (voir Annexe I.2).<br />
228
agricoles sont assez rares dans les villes (0,8%). Et dans ce cas, ils dédient moins de temps au<br />
travail domestique que les autres enfants (5 heures), sauf ceux dont le chef appartient à la<br />
classe de services. Peut-être qu’ils participent peu au travail domestique parce qu’ils<br />
s’investissent davantage au travail proprement agricole, soit au travail extradomestique. Nous<br />
ajoutons au classement la catégorie « non travailleur », juste pour prendre en compte tous les<br />
cas possibles, mais ce groupe-là ne fait pas partie du classement original, ni a de rang dans<br />
cette échelle (Tableau 18).<br />
Tableau 18. Répartition (%) des EAJ et nombre moyen d'heures dédié aux tâches<br />
ménagères selon le groupe d’activité professionnelle du chef de ménage<br />
Groupe d’activité professionnelle du<br />
chef de ménage<br />
EAJ dans ce type<br />
de ménage<br />
(%)<br />
Heures<br />
Moyennes<br />
Classe de services 8,1 3,9<br />
Travailleurs non manuels en<br />
activités routinières<br />
17,6 5,4<br />
Travailleurs du commerce 10,1 5,4<br />
Travailleurs spécialisés 35,9 6,1<br />
Travailleurs non spécialisés 19,7 6,5<br />
Travailleurs agricoles 0,8 5,1<br />
Ne travaille pas 7,9 6,2<br />
Total<br />
100,0<br />
5,8<br />
(N)<br />
(9 919 689)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre). Sont éliminés tous les enfants dont l’information à<br />
propos de l’activité du chef de ménage est indisponible, soit 150 847 enfants (643 individus).<br />
En résumé, les résultats sur la comparaison des heures moyennes suggèrent des relations<br />
importantes entre l’intensité des tâches domestiques et quelques aspects du contexte familial.<br />
Et d’autres conditions familiales, où les différences parmi les heures moyennes sont souvent<br />
faibles. Ce qui confirme l’influence du contexte familial sur la vie des enfants en général.<br />
Cependant, l’on peut dire que dans la plupart des cas, le temps que les EAJ consacrent à ces<br />
tâches rentre plutôt dans une logique d’éducation familiale, soit à peu près une heure par jour.<br />
C’est-à-dire que comme partie d’une famille, les enfants ont des « obligations » à accomplir<br />
au sein du groupe, selon leurs possibilités, afin de participer au bien-être collectif. D’où leur<br />
participation quotidienne, mais plutôt discrète aux tâches ménagères.<br />
Néanmoins, pour certains EAJ, la participation aux activités domestiques se transforme d’une<br />
simple « activité éducative » en une forme de travail proprement dit, soit ce que nous<br />
appelons le travail domestique familial.<br />
229
VI.2. Les travailleurs domestiques familiaux.<br />
Etant donné la faible et récente reconnaissance des activités domestiques comme une forme<br />
de travail chez les enfants dans la pratique et dans la représentation sociale, les enquêtes<br />
officielles ne recueillent pas d’information détaillée sur les enfants concernés. Par conséquent,<br />
par le biais des données statistiques, un approfondissement de la situation de ces enfants est<br />
peu plausible, les données se limitant aux caractéristiques sociodémographiques et au temps<br />
consacré au travail ménager et la garde d’autres personnes. Un manque que nous tâcherons de<br />
combler, dès que possible, avec nos données qualitatives.<br />
Selon nos estimations, presque un EAJ sur quatre consacre plus de 7 heures par semaine au<br />
travail domestique (23,6%), soit 2,4 millions. Et, presque un EAJ sur treize dédie 15 heures et<br />
plus (7,7%), soit autour de 774 000. Une différence assez notable quant au nombre d’enfants<br />
concernés dans chaque cas. Mais le travail domestique est encore une responsabilité des<br />
adultes, principalement des femmes, et les enfants y participent surtout de manière<br />
complémentaire, et non en tant que responsables, même si certains enfants sont à la tête de ces<br />
tâches pour des raisons diverses. Mais en tout cas, il y a un apport important des enfants aux<br />
conditions de vie familiale quotidiennement. Cependant, la participation des enfants est fort<br />
différente selon l’âge et le sexe. Car le manque de valeur économique qui est attribuée<br />
fréquemment à ce type de travail l’a converti en un terrain réservé aux femmes et aux enfants,<br />
soit ceux qui se trouvent en bas de la hiérarchie sociale, où les filles ont une place doublement<br />
défavorable (Cabanes, 1996).<br />
Parmi les travailleurs domestiques familiaux, la plupart sont des filles : 67% chez celles qui<br />
travaillent plus de 7 heures, et 75% pour 15 heures et plus. A l’évidence, lorsqu’il s’agit d’un<br />
plus grand investissement dans le travail domestique familial, ce sont principalement les<br />
filles, surtout les plus âgées, qui le font. Mais évidemment, en l’absence d'une fille, les<br />
garçons sont contraints de le faire. En l’occurrence, parmi les garçons qui sont travailleurs<br />
domestiques familiaux (15 heures et plus), il s’avère que 27% habitent un ménage où il n’y a<br />
pas d’autres enfants âgés de 6 à 17 ans, et 31% habitent un ménage où il n’y a que des garçons<br />
de cette même tranche d’âges. C’est-à-dire que ce sont des garçons qui n’ont pas le choix de<br />
réaliser ou pas le travail domestique. Cependant, pour le reste, qui n’est pas négligeable<br />
(42%), des filles sont présentes au ménage. Il reste à savoir s’il s’agit des filles plus jeunes, et<br />
dans ce cas, en tant qu’aîné, le garçon a été contraint de participer de manière intense au<br />
230
travail domestique. Nonobstant, il faut accepter aussi que dans certains cas, la participation<br />
masculine résulte de relations de genre plus équitables au sein du ménage.<br />
Graphique 9. Répartition (%) des enfants travailleurs domestiques familiaux<br />
par âge et sexe, pour les deux critères de temps de travail<br />
%<br />
%<br />
20,0<br />
18,0<br />
16,0<br />
14,0<br />
12,0<br />
10,0<br />
8,0<br />
6,0<br />
4,0<br />
2,0<br />
0,0<br />
20,0<br />
18,0<br />
16,0<br />
14,0<br />
12,0<br />
10,0<br />
8,0<br />
6,0<br />
4,0<br />
2,0<br />
0,0<br />
Plus de 7 heures hebdomadaires<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Ages<br />
15 heures hebdomadaires et plus<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Ages<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Garçons<br />
Filles<br />
Garçons<br />
En prenant en compte aussi l’âge des enfants, parmi les travailleurs domestiques familiaux, la<br />
plupart sont des filles âgées de 12 ans et plus (Graphique 9). Cependant, ce sont les enfants de<br />
15 ans les plus concernés par cette activité, et ensuite la participation diminue<br />
progressivement pour les deux sexes. Cette tendance est sûrement liée à deux situations.<br />
D’abord, l’importante déscolarisation observée dès la fin des cycles obligatoires, vers 14 ans ;<br />
et ensuite, le fait qu’à partir de cet âge-là, le travail des enfants est légal sur le marché du<br />
Filles<br />
231
travail formel, même sous conditions. Par conséquent, il est possible que le travail<br />
extradomestique soit préférable au travail domestique dès que possible, car il est plus<br />
avantageux, au moins économiquement. Et apparemment, ce sont les garçons qui profitent<br />
davantage que les filles de cette possibilité, même avant cet âge (dans le secteur informel ou<br />
« familial »), vers 11 ou 12 ans, car juste à partir de ce moment-là, les filles sont nettement<br />
plus concernées que les garçons pour le travail domestique. Enfin, les tendances signalées<br />
sont semblables pour les deux groupes de travailleurs (plus de 7 heures et 15 heures et plus),<br />
mais les écarts par sexe s’accentuent parmi les enfants qui travaillent davantage. De manière<br />
que parmi ceux qui travaillent plus de 7 heures par semaine, un enfant sur trois est un garçon.<br />
Tandis que parmi ceux qui travaillent 15 heures et plus, il s’agit d’un enfant sur quatre.<br />
Une autre manière d’apprécier les différences du travail domestique familial par âge est à<br />
travers la proportion (%) d’enfants touchés par ce type de travail, selon chacun des trois<br />
groupes d’âges et de sexe (Graphique 10). D’abord, les différences par sexe sont évidentes.<br />
Des différences qui s’accentuent au fur et à mesure que l’âge augmente. Chez les moins de 14<br />
ans, le pourcentage de filles travailleuses domestiques familiales double, à peu près, celui de<br />
garçons, et chez les 15 à 17 ans, il dépasse cette différence : 2,4 fois pour ceux qui travaillent<br />
plus de 7 heures, et 4 fois pour ceux qui travaillent 15 heures et plus. Or, en regardant chaque<br />
sexe séparément, l’âge joue aussi un rôle fondamental. Chez les filles, il y a toujours une<br />
augmentation progressive avec l’âge. Ainsi, le pourcentage de filles de 15 à 17 ans est presque<br />
10 fois celui des filles de 6 à 11 ans. Les garçons, par contre, présentent une augmentation<br />
importante entre 6 à 11 et 12 à 14 ans, mais après leur participation augmente très légèrement<br />
chez les 15 à 17 ans, sûrement pour les raisons déjà évoquées à propos de la déscolarisation et<br />
la légalité du travail des enfants. Comme attendu, ces tendances se vérifient pour les deux<br />
types de travailleurs domestiques familiaux, mais les écarts sont plus notables lorsque le<br />
travail est plus intensif, soit 15 heures et plus par semaine.<br />
En plus de l’âge et du sexe des EAJ, la condition de scolarisation est l’unique information<br />
disponible à propos des caractéristiques sociodémographiques de ces travailleurs. A ce sujet,<br />
il s’agit d’enfants pour la plupart scolarisés. Parmi ceux qui travaillent plus de 7 heures<br />
hebdomadaires, 86% fréquentent l’école ; et 74% parmi ceux qui travaillent 15 heures et plus.<br />
Avec nos données, il est difficile de savoir si le travail domestique est à l’origine de la<br />
déscolarisation des enfants, ou au contraire, si une éventuelle déscolarisation a précédé cette<br />
232
mise au travail. Plus tard, dans un autre chapitre, nous discuterons spécialement sur la relation<br />
entre la déscolarisation et le travail des enfants.<br />
Graphique 10. Répartition (%) des EAJ par groupes d’âges et sexe,<br />
selon le nombre d’heures hebdomadaires dédiées au travail domestique<br />
%<br />
70,0<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
6 à 11<br />
ans<br />
12 à 14<br />
ans<br />
Garçons<br />
15 à 17<br />
ans<br />
6 à 11<br />
ans<br />
Groupes d'âges et sexe<br />
12 à 14<br />
ans<br />
Filles<br />
Plus de 7 heures 15 heures et plus<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
15 à 17<br />
ans<br />
VI.3. Les enfants face au travail domestique familial : une question de genre et de<br />
génération.<br />
Selon les résultats montrés jusqu’à maintenant, deux caractéristiques individuelles des<br />
enfants, l’âge et le sexe, ont des effets importants sur le degré de participation aux diverses<br />
activités. Certes, ces deux conditions individuelles ne suffisent pas pour expliquer leur<br />
participation, mais elles sont quand même des facteurs de risque à regarder d’un peu plus<br />
près. Car ces deux conditions « imposées naturellement » sont les éléments de base qui<br />
placent les enfants dans une position plus ou moins avantageuse face aux autres personnes,<br />
selon les relations de genre et de génération qui les entourent. Mais quel est l’impact de<br />
chacune de ces conditions sur le travail domestique familial ?<br />
Pour estimer les effets nets du sexe et les effets nets de l’âge, nous proposons un modèle de<br />
régression logistique bivariée pour les deux « types » de travail domestique : plus de 7 heures<br />
par semaine et 15 heures et plus. Avec ces résultats, il est possible d’estimer la probabilité<br />
ajustée (en pourcentage) de participer au travail domestique familial pour les trois groupes<br />
d’âges et par sexe. Un indicateur plus facile à comprendre que les rapports de risque (les<br />
233
coefficients ß). De ces résultats, présentés sur le tableau 19, soulignons que la probabilité de<br />
travailler plus de 7 heures hebdomadaires parmi les 6 à 17 ans urbains, célibataires, sans<br />
progéniture, filles ou fils du chef de ménage, est de 19,7% (« toutes choses égales par<br />
ailleurs », soit en contrôlant l’effet du sexe). Une probabilité qui diminue notablement à partir<br />
de 15 heures par semaine, 4,5%, un fait qui montre que les EAJ sont beaucoup plus<br />
susceptibles de travailler entre 8 et 14 heures hebdomadaires que 15 heures et plus.<br />
Or, en observant les effets nets, selon nos résultats, en ce qui concerne l’âge, soit en<br />
contrôlant l’effet du sexe (« toutes choses égales par ailleurs »), nous trouvons que le risque<br />
de travailler augmente de manière importante à partir de 12 ans. Et ce sont surtout les enfants<br />
les plus âgés qui ont les probabilités estimées (%) les plus élevées de travailler, les enfants<br />
âgés de 6 à 11 ans étant peu concernés par ce type de travail. En effet, la probabilité de<br />
travailler chez les 15 à 17 ans est cinq fois celle des 6 à 11 ans par une période de plus de 7<br />
heures hebdomadaires (respectivement 41,6 et 8,4%), et de 9 fois, par une période de 15<br />
heures et plus (respectivement 14,9 et 1,6%) (Tableau 19).<br />
Tableau 19. Dédier plus de 7 heures ou 15 heures et plus par semaine aux tâches domestiques.<br />
Rapport de risque et probabilité ajustée d’une régression logistique<br />
234<br />
Variables indépendantes (Xi)<br />
Rapports de risque<br />
(ß)<br />
Probabilité ajustée<br />
(%)<br />
Plus de 7h 15h et plus Plus de 7h 15h et plus<br />
Constante du modèle (α)<br />
Age d’Ego :<br />
-2,96*** -4,81***<br />
6 à 11 ans --- --- 8,4 1,6<br />
12 à 14 ans 1,66*** 1,71*** 32,3 8,1<br />
15 à 17 ans<br />
Sexe d’Ego :<br />
2,06*** 2,40*** 41,6 14,9<br />
Garçon --- --- 12,3 2,4<br />
Fille 1,15*** 1,36*** 30,6 8,7<br />
TOTAL 1 19,7 4,5<br />
Nombre d’observations 45 084 45 084<br />
Khi-deux du modèle<br />
7788,586 3781,362<br />
(ddl)<br />
(3)<br />
(3)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Sont considérés tous les enfants de 6 à 17 ans, fils ou filles du chef de ménage, célibataires et sans<br />
progéniture. (Données non pondérées).<br />
*** Significative au seuil de 1‰. --- Catégorie de référence.<br />
1/ Probabilité ajustée lorsque toutes les variables prennent la valeur moyenne.<br />
Lecture :<br />
Rapports de risque : les enfants âgés de 15 à 17 ans travaillent plus fréquemment plus de 7h<br />
hebdomadaires (l’odds ratio est de 2.06) que ceux âgés de 6 à 11 ans, cette dernière catégorie prise ici<br />
comme modalité de référence.<br />
Quant à l’effet net du sexe d’Ego sur le travail domestique familial, en contrôlant l’âge, nous<br />
trouvons qu’effectivement, le fait d’être une fille augmente notablement le risque de
travailler, surtout lorsqu’il s’agit d’un travail de 15 heures et plus par semaine. Ainsi, la<br />
probabilité estimée (%) de travailler chez les filles est 2,5 fois celle des garçons pour la<br />
période de plus de 7 heures hebdomadaires (respectivement 30,6 et 12,3%), tandis qu’elle est<br />
de 3,6 fois pour la période de 15 heures et plus (respectivement 8,7 et 2,4%) (Tableau 19).<br />
En plus des caractéristiques individuelles des enfants, le degré de participation de chacun dans<br />
les diverses activités propres à la reproduction sociale du ménage dépend aussi de<br />
l’environnement familial, de manière que chaque enfant peut avoir des conditions familiales<br />
favorables ou non pour réduire ou augmenter les risques liés à son âge et à son sexe.<br />
VI.4. Le travail domestique familial : une question de composition et d’organisation<br />
familiales.<br />
Par la suite, nous discuterons de l’importance de certaines conditions familiales que, d’après<br />
les résultats de l’analyse bivariée, peuvent modifier le niveau de participation des EAJ dans le<br />
travail domestique familial. Mais aussi des facteurs qui sont en étroite relation avec cette<br />
pratique. Or, sous l’hypothèse que les questions de genre jouent un rôle fondamental dans<br />
l’assignation de rôles au sein du ménage, nous estimons des modèles de régression logistique<br />
pour filles et garçons de manière indépendante. 310 Nous proposons deux modèles différents, le<br />
premier pour estimer le risque de consacrer plus de 7 heures hebdomadaires au travail<br />
domestique et le deuxième pour estimer le risque de travailler 15 heures et plus par semaine.<br />
En considérant pour les deux modèles les mêmes variables individuelles et familiales, à<br />
propos de la composition du ménage, les caractéristiques du couple parental et la position<br />
socioéconomique du ménage (Tableau 20) : 311<br />
• l’âge d’Ego (selon les trois groupes de référence) ;<br />
• le rang d’Ego dans la fratrie âgée de moins de 18 ans présente dans le ménage (aîné ou<br />
non aîné) ;<br />
• le nombre de jeunes enfants de moins de 6 ans (aucun, un ou deux, trois et plus) ;<br />
• la présence d’autres garçons âgés de 6 à 17 ans en plus d’Ego (oui ou non) ;<br />
• la présence d’autres filles âgées de 6 à 17 ans en plus d’Ego (oui ou non) ;<br />
310 Il faut dire qu’avant d’arriver au modèle que nous proposons, nous avons élaboré d’autres modèles pour tester<br />
les divers indicateurs et classements afin d’arriver à obtenir les différences les plus significatives statistiquement,<br />
mais aussi les variables et les catégories les plus pertinentes.<br />
311 L’exigence de parcimonie dans les modèles de régression logistique limite toujours le nombre des variables<br />
incluses dans les modèles.<br />
235
• le nombre de femmes adultes, de 18 ans et plus ;<br />
• la composition du couple parental (couple, chef homme seul, chef femme seule) ;<br />
• la condition d’activité du conjoint du chef de ménage (travailleur extradomestique ou non<br />
236<br />
travailleur extradomestique) ;<br />
et comme indicateur de la position socioéconomique familiale, le groupe d’activité<br />
professionnelle du chef de ménage (travailleurs dans la classe de services, travailleurs non<br />
manuels en activités routinières, travailleurs spécialisés, travailleurs du commerce,<br />
travailleurs non spécialisés et travailleurs agricoles), selon le classement proposé par Solís et<br />
Cortés (2009).<br />
A la lumière des résultats des modèles, il faut souligner que les caractéristiques individuelles<br />
des EAJ sont fondamentales pour expliquer le travail domestique familial. D’une part, les<br />
filles ont toujours des probabilités beaucoup plus élevées de travailler que les garçons.<br />
D’autre part, parmi les variables indépendantes du modèle, l’âge est la plus importante,<br />
« toutes choses égales par ailleurs ». <strong>La</strong> probabilité de travailler augmente à mesure de l’âge,<br />
mais surtout après l’âge de 11 ans, et avec une plus forte intensité chez les filles (Tableau 20).<br />
Quant aux variables concernant le milieu familial, l’on a constaté que celles associées à la<br />
composition du ménage ont une relation différente avec le travail domestique familial.<br />
Certaines sont essentielles, comme le nombre de jeunes enfants dans le ménage, la<br />
composition du couple parental et l’absence des femmes adultes, tandis que d’autres ne sont<br />
même pas significatives, (par exemple, le nombre d’autres EAJ dans le ménage). Le rang<br />
d’Ego est significatif mais son effet est faible, de même que la condition d’activité du conjoint<br />
du chef de ménage et la position socioéconomique de la famille. Mais la probabilité de<br />
travailler, ainsi que l’importance de chaque variable dépendent du sexe d’Ego et du temps<br />
consacré au travail (plus de 7 heures par semaine ou 15 heures et plus) (Tableau 20).
Tableau 20. Dédier plus de 7 heures ou 15 heures et plus aux tâches domestiques par semaine.<br />
Rapport de risque et probabilité ajustée d’une régression logistique binomiale par sexe<br />
Variables indépendantes<br />
Rapport de risque (β)<br />
Plus de 7 heures 15 heures et plus<br />
Probabilité<br />
ajustée (%)<br />
Rapport de risque (β)<br />
Probabilité<br />
ajustée (%)<br />
Garçon Fille Garçon Fille Garçon Fille Garçon Fille<br />
Constante du modèle (α) -2,979*** -2,997*** -5,111*** -5,174***<br />
INDIVIDUELLES<br />
Age d’Ego :<br />
6 à 11 ans --- --- 6,9 11,1 --- --- 1,3 2,0<br />
12 à 14 ans 1,332*** 1,900*** 21,9 45,4 1,251*** 1,998*** 4,5 13,2<br />
15 à 17 ans 1,437*** 2,529*** 23,7 61,0 1,545*** 2,816*** 5,9 25,7<br />
COMPOSITION DU MENAGE<br />
Rang d’Ego :<br />
Non aîné --- --- 12,1 26,7 --- --- 2,2 5,8<br />
Aîné 0,178** 0,171*** 14,1 30,2 0,331** 0,328*** 3,1 7,8<br />
Nombre de jeunes enfants :<br />
Aucun --- --- 12,1 26,1 --- --- 2,2 5,6<br />
Un ou deux 0,339*** 0,396*** 16,2 34,4 0,748*** 0,724*** 4,4 10,8<br />
Trois et plus 0,563** 1,081*** 19,4 51,0 1,112*** 1,548*** 6,3 21,7<br />
D’autres garçons de 6 à 17 ans :<br />
Non --- --- 13,1 27,3 --- --- 2,5 6,3<br />
Oui 0,026 0,149*** 13,4 30,4 0,140 0,216*** 2,9 7,7<br />
D’autres filles de 6 à 17 ans :<br />
Non --- --- 13,1 27,9 --- --- 2,6 6,7<br />
Oui 0,024 0,086* 13,4 29,6 0,107 0,063 2,9 7,1<br />
Nombre de femmes adultes :<br />
Nombre moyen (1,2 femme) -0,194*** -0,123*** 13,2 28,7 -0,222** -0,265*** 2,7 6,9<br />
EXEMPLES : Aucune femme 16,2 31,8 3,5 9,3<br />
Deux femmes 11,6 26,7 2,3 5,7<br />
Trois femmes 9,8 24,4 1,8 4,4<br />
Composition du couple :<br />
Couple --- --- 12,4 27,3 --- --- 2,4 6,3<br />
Chef homme seul 0,537*** 0,965*** 19,4 49,6 0,732** 0,874*** 4,9 14,0<br />
Chef femme seule 0,564*** 0,445*** 19,9 36,9 0,845*** 0,599*** 5,4 11,0<br />
CONJOINT DU CHEF DE MENAGE<br />
Condition d’activité :<br />
Non travailleur extradomestique --- --- 11,9 27,2 --- --- 2,2 6,2<br />
Travailleur extradomestique 0,275*** 0,169*** 15,1 30,6 0,439*** 0,242*** 3,4 7,8<br />
POSITION SOCIOECONOMIQUE FAMILIALE<br />
Groupe d’activité professionnelle du<br />
chef de ménage :<br />
Classe de services --- --- 11,3 18,3 --- --- 2,2 3,0<br />
Non manuels en activités<br />
0,114 0,415*** 12,5 25,3 0,123 0,698*** 2,5 5,8<br />
routinières<br />
Travailleurs du commerce 0,021 0,481*** 11,5 26,6 0,113 0,694*** 2,4 5,8<br />
Travailleurs spécialisés 0,267*** 0,755*** 14,3 32,2 0,345* 1,094*** 3,0 8,4<br />
Travailleurs non spécialisés 0,257** 0,779*** 14,1 32,8 0,271 1,183*** 2,8 9,1<br />
Travailleurs agricoles 0,152 0,611** 12,9 29,2 -0,206 0,704** 1,8 5,9<br />
TOTAL 1 13,2 28,7 2,7 6,9<br />
Nombre d’observations 20 730 20 172 20 730 20 172<br />
Khi-deux du modèle<br />
(ddl)<br />
1314,208<br />
(16)<br />
4896,031<br />
(16)<br />
471,313<br />
(16)<br />
2707,972<br />
(16)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre). Sont considérés tous les enfants de 6 à 17 ans, fils ou filles du chef de ménage,<br />
célibataires et sans progéniture. Des enfants dont l’information sur l’activité du chef de ménage est connue. (Données non<br />
pondérées).<br />
*** Significative au seuil de 1‰ ; ** Significative au seuil de 1% et * Significative au seuil de 5%.<br />
--- Catégorie de référence.<br />
1/ Probabilité ajustée lorsque toutes les variables prennent la valeur moyenne.<br />
Lecture : « toutes choses égales par ailleurs » les garçons âgés de 15 à 17 ans travaillent plus fréquemment plus de 7h<br />
hebdomadaires (l’odds ratio est de 1,437) que ceux âgés de 6 à 11 ans, pris ici comme modalité de référence.<br />
237
Par la suite, nous allons procéder à l’analyse détaillée de chaque variable dans le modèle, en<br />
illustrant, dès que possible, les résultats quantitatifs avec les récits des enfants interviewés.<br />
VI.4.1. Le travail domestique, une affaire de femmes et d’enfants.<br />
Pour tester la relation entre le travail domestique familial et la présence des jeunes enfants ou<br />
d’autres enfants âgés de 6 à 17 ans (en plus d’Ego) dans le ménage, ainsi que l’importance du<br />
rang de « naissance », nous nous appuyons sur les résultats des modèles de régression<br />
logistique binomiale élaborés à cet effet.<br />
Même si le rang de naissance d’Ego peut être considéré comme une caractéristique<br />
individuelle, nous préférons l’inclure dans les caractéristiques du ménage, car c’est dans le<br />
contexte familial que ce rang prend du sens et de l’importance. En contrôlant l’effet de l’âge<br />
d’Ego et d’autres aspects inclus dans le modèle, soit « toutes choses égales par ailleurs », il<br />
s’est avéré que le rang de naissance d’Ego parmi tous les fils ou filles du chef de ménage qui<br />
cohabitent n’a pas de relation avec le travail domestique familial. Par contre, ce qui a de<br />
l’importance (en termes statistiques) c’est le rang occupé par Ego parmi la fratrie âgée de<br />
moins de 18 ans dans le ménage. Un résultat qui confirme une assignation de rôles par<br />
génération à l’intérieur du ménage. De manière que les jeunes sont plus propices à faire ce<br />
type de travail, tandis que les plus âgés sûrement se consacrent à la réalisation d’une activité<br />
extradomestique, ou à d’autres activités à titre personnel, déléguant aux plus jeunes les tâches<br />
domestiques, qui manquent de valeur sociale et économique. C’est-à-dire que la participation<br />
d’Ego dans le travail domestique familial ne dépend pas seulement du rang de naissance, mais<br />
plutôt de son rang parmi les moins de 18 ans dans le ménage (une situation aussi associée au<br />
cycle de vie du ménage). C’est justement pour cela que nous incluons le dernier indicateur<br />
dans le modèle final.<br />
Selon les résultats de la régression, malgré la relation prouvée entre le rang de naissance et le<br />
travail domestique familial, cette condition n’est pas l’un des facteurs les plus importants pour<br />
expliquer la participation des enfants, même si les aînés ont une probabilité légèrement plus<br />
élevée de travailler que les autres. Par exemple, dans le cas des filles, leur probabilité estimée<br />
de travailler 15 heures et plus est de 5,8%, lorsqu’elles ne sont pas les aînées, et de 7,8%<br />
lorsqu’elles sont les aînées, tandis que leur probabilité de travailler plus de 7 heures<br />
238
hebdomadaires est de 26,7 et 30,2%, respectivement (Tableau 20). Il faut alors réunir d’autres<br />
conditions pour que les aînés s’investissent davantage que les autres. Il est ainsi plausible que<br />
les aînés dont l’écart d’âge avec le reste de la fratrie est important soient plus susceptibles de<br />
devenir les seuls travailleurs domestiques parmi la fratrie. Car les différences générationnelles<br />
sont plus évidentes. Par contre, lorsque les âges de chaque membre de la fratrie sont proches<br />
les uns des autres, les tâches domestiques seraient mieux distribuées parmi tous, sans un seul<br />
responsable, sinon des coresponsables. Il s’agit d’une situation que nous avons rencontrée lors<br />
des entretiens auprès des enfants.<br />
Dans ce sens, la seule présence de jeunes enfants (moins de 6 ans) augmente notablement la<br />
probabilité de travailler pour les EAJ, filles ou garçons. Mais de manière beaucoup plus<br />
importante chez les filles. Et c’est justement, parmi toutes les variables familiales incluses<br />
dans le modèle, le fait de cohabiter au moins avec trois jeunes enfants qui augmente le plus le<br />
risque de travailler, sauf pour les garçons concernant le travail de plus de 7 heures. Pour ces<br />
derniers, plus que la présence nombreuse de jeunes enfants dans le ménage, c’est le fait<br />
d’avoir une femme chef de ménage seule qui favorise le plus le travail domestique familial.<br />
Nous y reviendrons plus tard. Ainsi, lorsqu’Ego habite un ménage où il y a au moins trois<br />
jeunes enfants, la probabilité de travailler plus de 7 heures est de 51% et de travailler 15<br />
heures et plus est de 21,7% chez les filles ; tandis que chez les garçons, les probabilités<br />
sont respectivement : 19,4 et 6,3%. Par contre, l’absence de jeunes enfants implique une<br />
probabilité estimée chez les filles respectivement de 26,1 et 5,6% ; et chez les garçons de 12,1<br />
et 2,2% respectivement (Tableau 20).<br />
<strong>La</strong> relation entre le travail des enfants et la présence de jeunes enfants (de moins de 6 ans) ou<br />
d’une fratrie nombreuse dans le ménage a été prouvée pour certains chercheurs. Les raisons<br />
s’expliquent de deux points de vue. D’une part, l’on soutient que dans un contexte de<br />
pauvreté, les enfants peuvent être considérés comme partie des capitaux qui possède la<br />
famille. D’où l’intérêt des familles pauvres d’avoir une fécondité élevée, car cela garantit la<br />
disponibilité de main-d'œuvre pendant les divers cycles de la vie familiale, une idée qui<br />
s’appuie principalement sur la théorie utilitariste de Gary Becker sur la famille. Ainsi, le<br />
nombre d’enfants est un indicateur de pauvreté, et donc un facteur qui favorise le travail des<br />
enfants (Grootaert et Kanbur, 1995). D’autre part, dans un sens plus large, les jeunes enfants<br />
ont besoin d’une attention assez proche qui demande un investissement de temps de la part<br />
des autres membres plus âgés du ménage (OIT, 1990). Et même s’il s’agit d’une obligation<br />
239
parentale, diverses circonstances comme la précarité familiale ou l’irresponsabilité de l’un ou<br />
des deux parents (l'abandon de la famille de la part de l’un des parents par exemple), poussent<br />
parfois les parents à déléguer la garde des plus jeunes, totalement ou partiellement, au reste<br />
des membres du ménage. Et dans certains cycles de la vie familiale, ce sont d’autres enfants<br />
qui doivent s’en charger. Car, il est assez fréquent au Mexique que la fratrie reste seule à la<br />
maison toute la journée pendant que les parents travaillent. Comme illustrent les récits de<br />
certains des nos interviewés.<br />
240<br />
« Mon frère aîné s’occupait de nous parce que mes parents travaillaient. Il nous douchait, il nous<br />
préparait à manger, ben, parfois il nous faisait des œufs et des choses comme ça, il nous amenait à<br />
l’école. Il allait aussi à l’école, mais il avait le temps de tout faire. Il nous faisait aussi faire le ménage<br />
et lui, il faisait aussi. (…) Il avait comme 11 ou 12 ans. » 312 (Felipe, 14 ans, travailleur<br />
extradomestique non familial. Sa famille est composée par son père qui est maçon, sa mère qui est<br />
femme de ménage, et ses deux frères aînés, 20 et 16 ans).<br />
« J’ai dû faire à manger pour mes sœurs cadettes [pour des raisons inconnues, l’aînée, plus âgée<br />
qu’Ego, n’a pas pris cette responsabilité], j’ai dû aller les chercher à l’école. Je révisais leurs devoirs.<br />
C’est-à-dire que j’ai pris le rôle de la mère depuis très jeune. Je crois que j’avais plus ou moins huit<br />
ou neuf ans lorsque j’ai commencé à cuisiner. Je disais : il nous faut manger ! » 313 (Coco, ancienne<br />
fille travailleuse domestique familiale. Sa famille était composée par sa mère, femme de ménage, et<br />
trois sœurs, une aînée et deux cadettes. Le père n’avait aucun contact avec elles). 314<br />
« C’est moi qui ai dit : ben, je dois m’occuper d’eux, étant donné que mon père et ma mère ne le font<br />
pas. Je leur donnais à manger, et parfois nous jouions ou je les aidais avec leurs devoirs. Même<br />
maintenant... je me sens responsable de ce qu’ils soient bien, parce que je suis l’aînée. Et parce que<br />
je les aime. (...) <strong>La</strong> responsabilité n’est pas à moi, ben non, parce que c’est de mon père ou de ma<br />
mère. Mais ils sont ma sœur et mon frère, et, comme leur sœur, j’ai aussi la responsabilité de<br />
m’occuper d’eux, comme je suis la plus âgée. » 315 (Karen, 14 ans, travailleuse domestique familiale.<br />
Sa famille était composée par son père qui est mécanicien non diplômé, un frère de 10 ans et une<br />
sœur de 8 ans. Sa mère n’avait plus contact avec eux depuis la séparation de ses parents, depuis à<br />
peu près un an. Ils vivaient dans un studio situé à l’étage de la maison propriété de sa grand-mère).<br />
312 « Mi hermano el grande nos cuidaba, porque mis papás trabajaban. El nos bañaba, nos hacía de comer, bueno<br />
luego nos hacía huevos y así, nos llevaba a la escuela. El iba a la escuela, pero le daba tiempo de todo. También<br />
nos ponía a hacer el quehacer a nosotros y él también hacía. (…) Tenía como 11 o 12 años. »<br />
313 « Yo tuve que hacer de comer para mis hermanas, yo tuve que recogerlas de la escuela. Les revisaba la tarea.<br />
O sea, yo tomé el rol de la mamá desde chica. Yo creo que tenía como ocho o nueve años cuando empecé a<br />
cocinar. Yo decía: ¡tenemos que comer! »<br />
314 Après l’entretien avec l’un des enfants à Pueblo Quieto, nous sommes allés chez Coco (29 ans, femme au<br />
foyer, mère de deux filles âgées de 11 et 5 ans, écolières), une ancienne connaissance, qui après son mariage<br />
avec un voisin est restée vivre au quartier. Lors d’une conversation informelle, elle s’est mise à nous raconter<br />
son histoire personnelle, qu’elle a accepté que nous enregistrions, en sachant que nous étions en train de faire des<br />
entretiens auprès des enfants du quartier pour nos études.<br />
315 « Fui yo la que dije: pues yo los tengo que cuidar, ya que mi papá y mi mamá no lo hacen. Les daba de<br />
comer, y a veces nos poníamos a jugar o les ayudaba en sus tareas. Hasta ahora también... me siento responsable<br />
de que estén bien, porque soy la mayor. Y porque los quiero. (...) Responsabilidad así que digamos<br />
responsabilidad que es mía, pues no, porque es la de mi papá o la de mi mamá. Pero pues son mis hermanos, y<br />
también como son mis hermanos tengo la responsabilidad, como soy la más grande, de cuidarlos en lo que les<br />
haga falta. »
Ces récits montrent l’importance que peut prendre le travail dans la vie des enfants qui, à un<br />
moment donné, assument un rôle qui ne leur correspond pas, mais qui est indispensable à la<br />
reproduction quotidienne du ménage. Or, ces extraits suggèrent aussi que la présence de<br />
jeunes enfants (de moins de 6 ans) ou de personnes âgées n’est pas la seule à demander un tel<br />
investissement de la part de l’un des enfants, la présence d’autres enfants est aussi une raison<br />
pour que l’un parmi eux finisse par prendre la responsabilité. Cependant, même les enfants<br />
sans frères ou sœurs, âgés de moins de 18 ans dans le ménage, qui représentent 17% des EAJ,<br />
peuvent devenir des travailleurs domestiques lorsqu’ils s’occupent d’eux-mêmes ou du travail<br />
ménager. Une autre évidence, d’après les récits, est le fait que lorsque la fratrie doit rester<br />
seule chez elle, ce sont plutôt, mais pas toujours, les aînés qui prennent cette responsabilité à<br />
leur initiative, sans une demande explicite de la part des parents. Une attitude qui semble<br />
évidente aux yeux des enfants. Il s’agit d’une question de solidarité familiale, d’amour<br />
fraternel, mais aussi de hiérarchie : cela va de soi ! Car l’aîné sent qui c’est lui qui a le plus de<br />
capacités pour s’en charger, comme l’exprime cette fille qui s’occupe de ses cadets âgés de 10<br />
et 8 ans :<br />
« Mon frère et ma sœur sont jeunes et ils sont des écoliers. (...) Et ils étudient et veulent jouer ou<br />
regarder la télé. Et ils ne peuvent pas le faire les matins (le travail domestique, car ils sont à l’école à<br />
ce moment-là). Et ce que je fais, je peux le faire. » 316 (Karen, 14 ans).<br />
Par rapport à la présence d’autres EAJ, chez les garçons, partager le ménage ou non avec<br />
d’autres filles ou d’autres garçons âgés de 6 à 17 ans ne représente pas un facteur de risque<br />
statistiquement significatif, pour le travail domestique familial (« toutes choses égales par<br />
ailleurs »). Or, chez les filles, c’est surtout la présence d’autres garçons de cette tranche<br />
d’âges qui favorise leur participation. <strong>La</strong> présence d’autres filles est aussi en relation, mais<br />
d'une manière moins évidente (Tableau 20). Si l’on considère qu’il n’y a pas une demande<br />
expresse de la part des parents adressée aux aînés afin de s’occuper du travail domestique,<br />
voire des plus jeunes, il semble que ce sont davantage les filles de la fratrie qui prennent<br />
l’initiative. Une attitude qui répond à la connotation féminine qui garde encore cette activité<br />
dans les idées des plus jeunes, filles et garçons au même titre, qui malgré leur discours qui<br />
tend à l’équité de genre continuent de garder dans leur esprit, une assignation de rôles<br />
316 « Mis hermanos están chiquitos y están estudiando (...) Ellos estudian y quieren jugar y quieren ver la tele. Y<br />
en las mañanas ellos no pueden hacerlo (el quehacer). Y yo lo que hago sí lo puedo realizar. »<br />
241
déterminée par le sexe. En l’occurrence, une fille parle des bénéfices de cette expérience<br />
domestique :<br />
242<br />
C’est bien « (…) pour plus tard lorsque je me marierai. Car je sais déjà ce que je vais faire. Je sais<br />
aussi que les enfants sont une responsabilité, ainsi que le mari, le linge et tout ça. Que sais-je ? Pas<br />
comme beaucoup de filles qui s’installent avec leur partenaire à 25 ans et elles ne savent ni cuisiner ni<br />
bien laver le sol. Je dis, ben, je ne sais pas le faire excellemment, mais je sais le faire bien. Cela va me<br />
servir pour plus tard. Et ça ne me nuit pas du faire. » 317 (Karen, 14 ans).<br />
Certes, il existe un apprentissage domestique, et il n’est pas négligeable, mais bien<br />
évidemment, il n’est pas non plus indispensable pour l’avenir, même si l’on compte devenir<br />
une femme au foyer à l’âge adulte, ce qui n’est pas le cas pour cette fille qui veut réussir une<br />
formation universitaire en médecine. Une situation semblable pour les autres filles<br />
interviewées qui veulent réussir une formation universitaire. Il semble plutôt que c’est une<br />
manière de justifier une importante charge, une responsabilité impropre, qui leur a été<br />
imposée par les circonstances.<br />
Comme nous l’avons constaté dans le chapitre sur les représentations sociales, les garçons<br />
sont censés devenir les principaux pourvoyeurs de revenus de leur famille, tandis que les<br />
filles, même si elles garderont la responsabilité du travail ménager, travailleront à l’image de<br />
leurs parents. Une idée qui semble dissociée avec leur récit sur l’égalité de chances de<br />
scolarité pour les filles et les garçons : tous sont censés faire des études universitaires. Et tous<br />
voudraient y arriver.<br />
Enfin, en général, la relation entre les variables analysées et le travail domestique familial a<br />
les mêmes tendances pour les travailleurs domestiques qui consacrent plus de 7 heures<br />
hebdomadaires que pour ceux qui dédient 15 heures et plus. Même si bien évidemment, les<br />
risques sont beaucoup plus élevés chez les premiers, une situation qui concerne une<br />
population plus nombreuse.<br />
317 « (…) para más adelante cuando me case. Pues ya sé lo que voy a hacer o ya sé que es una responsabilidad los<br />
hijos, el marido, la ropa y todo eso. No sé, no como muchas muchachas que se juntan a los 25 y no saben ni<br />
cocinar o no saben trapear bien. Digo, pues yo no sé hacerlo excelente, pero sé hacerlo bien. Me va a servir más<br />
adelante. Y tampoco me perjudica hacerlo. »
VI.4.2. Des enfants qui remplissent l’absence de femmes.<br />
Etant donné que le travail domestique est dans la pratique une affaire plutôt de femmes, la<br />
présence ou l’absence de celles-ci dans le ménage représente un facteur qui peut favoriser la<br />
participation plus ou moins active des enfants dans ce type de travail. Ainsi l’on trouve qu’au<br />
fur et à mesure que le nombre de femmes adultes dans le ménage augmente, le risque des<br />
enfants d’être des travailleurs domestiques familiaux diminue. Notamment lorsqu’il s’agit<br />
d’un travail de 15 heures et plus par semaine, et principalement chez les filles, dans ce cas par<br />
exemple, la probabilité (%) de travailler quand il n’y a pas une femme dans le ménage double<br />
celle des ménages où il y a trois femmes adultes (respectivement 9,3 et 4,4%) (Tableau 20).<br />
Cependant, l’absence de femmes adultes dans le ménage peut résulter de causes et de<br />
conditions différentes. Leur absence peut être provisoire ou permanente, et donc avoir des<br />
conséquences différentes sur la vie familiale et sur chaque membre de la famille.<br />
A ce sujet, deux situations qui ont pris de l’importance au Mexique pendant les dernières<br />
décennies marquent la vie des familles, et donc des enfants, quant à la participation dans les<br />
activités de reproduction familiale. D’une part, la croissance des séparations et des divorces<br />
des couples, qui souvent se traduisent par l’abandon total de l’un des parents. D’autre part,<br />
l’entrée de plus en plus fréquente des femmes sur le marché du travail, pour des raisons<br />
économiques ou culturelles. Dans les deux cas, les femmes ont moins du temps pour<br />
s’occuper des tâches domestiques et des enfants que les femmes au foyer.<br />
Or, pour évaluer l’importance des séparations, un indicateur que nous créons à cet effet est la<br />
composition du couple parental dans le ménage. Selon les résultats des modèles de régression,<br />
c’est principalement l’absence de l’un des parents au foyer qui favorise le travail domestique<br />
familial, soit la monoparentalité. Mais l’impact de la composition du couple parental est plus<br />
important chez les filles que chez les garçons. En effet, face au travail domestique familial, les<br />
garçons ont presque les mêmes risques qu’ils appartiennent à une famille monoparentale<br />
féminine ou masculine. Tandis que chez les filles, c’est le sexe du chef qui est important.<br />
Ainsi, c’est notamment l’absence de la mère (une femme) qui favorise la participation de<br />
filles.<br />
A la lumière de ces résultats, il est fort probable que la mère qui reste seule comme chef de<br />
ménage continue d’assumer la responsabilité du travail domestique, ou une partie, même en<br />
243
combinaison d’un travail extradomestique, et surtout dans les cas où les enfants sont des<br />
garçons, ou assez jeunes. Tandis que dans le cas des pères seuls, ce sont plutôt les filles, si<br />
elles existent, qui prennent la responsabilité du travail domestique, et le père continue<br />
d’exercer principalement son rôle de pourvoyeur, même si éventuellement il « aide » aux<br />
tâches domestiques. Le vécu de Karen résume bien, encore une fois, ce qui peut se passer au<br />
sein d’une famille, lors d’une séparation :<br />
244<br />
« Mon papa m’aide, parce que ma maman n’est pas avec nous. Alors, les matins il se lève et<br />
douche mon frère et je douche ma sœur. Après, il fait son lit, et moi, je fais le mien et ceux de mon<br />
frère et de ma sœur. Il range ses affaires et celles de mon frère et je range mes affaires et celles<br />
de ma sœur. » 318 [...] « Je balaie, lave le sol, et lave les toilettes. Je fais la vaisselle du dîner. » 319<br />
[…] « Parfois, je repasse et je lave mon linge, celui de mes cadets et celui de mon père. » 320 […]<br />
« Auparavant, il cuisinait et je réchauffais seulement et servais les repas. Maintenant, ma mamie<br />
fait la cuisine (qui habite un logement à côté, mais qui n’appartient pas au même ménage). » 321<br />
(Karen, 14 ans).<br />
Une évidence qui suggère que, lorsqu’il s’agit d’une famille monoparentale, tout court, ce<br />
sont les filles qui s’investissent plus dans le travail domestique. <strong>La</strong> charge d’un chef de<br />
ménage qui reste seul avec ses enfants peut être assez lourde, plus encore si le soutien du<br />
conjoint absent est nul. Et dans certaines conditions (comme la précarité économique), les<br />
responsabilités censées être parentales peuvent dépasser les possibilités réelles du chef de<br />
ménage qui se trouve débordé pour accomplir seul cette double charge de pourvoyeur<br />
économique et de femme au foyer :<br />
« Ma mère a travaillé tout le temps (le père a abandonné la famille) (...) Et ta mère ne peut plus se<br />
diviser davantage, elle fait déjà assez avec son travail. Et tant pis, en tant qu’enfant tu es censée le<br />
faire, tu es censé te faire responsable des autres. Je ne crois pas que cela soit le mieux parce que tu<br />
prends le rôle de mère. Parce que tu es un enfant, mais tu es responsable des autres. Mais, tant pis,<br />
tu dois apprendre, et c’est comme ça les circonstances que j’ai vécues. » 322 (Coco, ancienne fille<br />
travailleuse domestique familiale).<br />
318 « Mi papá si me ayuda, porque mi mamá no está con nosotros. Entonces en la mañana se para y baña a mi<br />
hermano y yo baño a mi hermana. Ya después él tiende su cama y yo tiendo la mía y la de mis hermanos. El<br />
recoge lo que es suyo y lo que es de mi hermano y yo lo que es mío y lo que es de mi hermana. »<br />
319 « Barro, trapeo y lavo el baño. <strong>La</strong>vo los trastes de la cena. »<br />
320 « A veces plancho y lavo la ropa. Yo lavo mi ropa, la de mis hermanos y la de mi papá. »<br />
321 « Antes él cocinaba y yo lo único que hacía era calentar y darles. Ahora cocina mi abuelita. »<br />
322 « Mi mamá todo el tiempo trabajó (...) Y tu mamá no se puede dividir en más, ya bastante hace con irse a<br />
trabajar. Y ni modo, como niña te va a tener que tocar, te toca hacerte responsable de las demás. No creo que sea<br />
lo mejor porque tomas el rol de mamá. Porque eres un niño, pero eres la responsable de los demás. Entonces, ni<br />
modo te toca aprender, y así fueron las circunstancias que yo viví. »
Ainsi pour certaines familles, l’expérience d’une séparation parentale entraîne parfois la mise<br />
en marche du travail domestique familial de la part de la fratrie, voire de l’un des enfants en<br />
particulier. Cependant, la participation active des enfants au travail domestique familial<br />
survient également lorsqu’en plus du chef de ménage, le conjoint exerce aussi un travail<br />
extradomestique. Comme illustre le récit de cette fille :<br />
« Je m’occupe de mon frère et de ma sœur depuis que mes parents se sont séparés. Mais, je m’en<br />
occupais depuis toujours, c’est-à-dire depuis assez jeunes, et j’ai toujours joué avec eux. (...) Depuis<br />
que j’étais assez jeune, mes parents ont toujours eu des problèmes. Ma maman travaillait et mon papa<br />
travaillait. Et auparavant, mon papa n’était pas de ceux qui font des tâches domestiques, et ma maman<br />
se consacrait seulement à travailler. Alors, ils rentraient un peu tard. Et les trois (enfants) faisions<br />
semblant de faire le ménage, car nous étions assez jeunes. Les trois aidions. » 323 (Karen, 14 ans).<br />
En effet, le temps disponible des parents pour accomplir les tâches domestiques, voire pour<br />
s’occuper des enfants, est limité. Surtout si l’on prend en compte que le marché du travail est<br />
si précaire qu’il demande souvent un important investissement de temps de la part des<br />
travailleurs qui travaillent souvent plus que les 40 heures hebdomadaires marquées par la loi,<br />
pour avoir un revenu suffisant pour faire face aux besoins de la famille. En plus, le temps de<br />
déplacement de la maison au travail est souvent très important dans les villes. Alors, la<br />
probabilité (%) pour un EAJ d’être un travailleur domestique familial est plus élevée lorsque<br />
le conjoint est un travailleur extradomestique, par rapport à toutes les autres situations. Il est<br />
clair que si l’un des parents reste à la maison, il peut s’occuper des enfants et des tâches<br />
domestiques aisément, et donc les enfants participent plus sporadiquement. Par contre, si les<br />
parents travaillent, soit ils laissent leurs enfants pendant la journée avec quelqu’un d’autre,<br />
notamment un parent ou un proche, soit les enfants restent seuls à la maison. Or, les familles<br />
vivent souvent proches les unes des autres, de sorte qu’implicitement il y a une certaine<br />
notion d’accompagnement entre elles, surtout lorsque les parents sont absents. Comme le<br />
démontre le récit de cette fille qui habite un appartement construit dans une copropriété<br />
familiale, où habitent les grands-parents et aussi d’autres parents avec leur famille :<br />
323 « Cuido a mis hermanos desde que se separaron mis papás. Pero de por sí, siempre los he cuidado, o sea<br />
desde chiquitos, y siempre he jugado con ellos. (...) Desde chiquita siempre han tenido problemas. Mi mamá<br />
trabajaba y mi papá trabajaba. Y antes mi papá no era de esos que hacía labores domésticas y mi mamá nada más<br />
se dedicaba a trabajar. Entonces, ya llegaban los dos algo tarde. Y los tres según hacíamos el quehacer porque<br />
éramos pequeños, los tres los ayudábamos. »<br />
245
246<br />
« Nous restons seuls depuis que j’avais comme 8 ans (ses frères : 6 et 4 ans). J’étais une petite fille,<br />
mais étant donné qu’il y a toutes mes tantes là, parfois elles passaient et nous jetaient un coup<br />
d’œil. » 324 (Sandra, 12 ans).<br />
Ainsi, l’entrée des femmes sur le marché du travail, par besoin ou par conviction personnelle,<br />
a eu principalement deux conséquences importantes au niveau de l’organisation familiale et<br />
de la vie des femmes et des enfants notamment. D’une part, certaines femmes ont doublé leur<br />
journée de travail en conservant la responsabilité du travail ménager en plus de leur travail<br />
extradomestique. D’autre part, les enfants ont souvent intensifié leur participation aux tâches<br />
ménagères. Et même parfois, ils ont pris cette responsabilité, en remplaçant surtout leur mère<br />
(qui d’habitude est la responsable principale du travail domestique), et même en s’occupant<br />
d’eux-mêmes dès un jeune âge.<br />
En tout cas, dans ce processus de changement des activités des femmes, les hommes adultes<br />
sont restés plutôt à l’écart, en gardant principalement leur rôle de pourvoyeurs de revenus.<br />
Signe de « l’injustice ménagère » qui persiste partout dans le monde (Singly, 2007).<br />
Cependant, il faut reconnaître que, de plus en plus, ils s’investissent davantage dans le travail<br />
domestique, notamment dans les secteurs les plus scolarisés et chez les générations les plus<br />
jeunes, cela marque le début de relations de genre plus équitables qui s’esquisse dans la<br />
société mexicaine.<br />
Dans ce sens, il faut souligner que la plupart des chefs de ménage sont des hommes (82%)<br />
(Tableau 21). Parmi eux, quatre sur dix ne participent pas au travail ménager, et un sur quatre<br />
le fait seulement en moyenne une heure par jour. De manière que seulement un chef homme<br />
sur trois dédie plus de 7 heures hebdomadaires au travail ménager, tandis que chez les chefs<br />
femmes, c’est la majorité (96%). Une situation qui évidemment a des effets sur la<br />
participation des EAJ.<br />
324 « Nos quedábamos solos como desde que yo tenía como los 8 (hermanos: 6 y 4 años). Estaba chiquita, pero<br />
como están aquí todas mis tías, a veces pasaban y nos echaban un ojo. »
Tableau 21. Répartition (%) des chefs par sexe,<br />
selon le nombre d'heures moyen dédié au travail domestique<br />
Heures moyennes<br />
dédiées au travail<br />
Sexe du chef<br />
domestique Homme Femmes Ensemble<br />
Aucune 43,0 2,5<br />
Une à sept heures 26,1 2,0<br />
Plus de sept heures 31,0 95,5<br />
Total<br />
%<br />
(N)<br />
100,0<br />
82,3<br />
(4 085 459)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
100,0<br />
17,7<br />
(883 126)<br />
VI.4.3. Garçons et filles : différents face a la précarité familiale.<br />
35,8<br />
(1 778 241)<br />
21,8<br />
(1 082 045)<br />
42,4<br />
(2 108 299)<br />
100,0<br />
100,0<br />
(4 968 585)<br />
Pour finir avec l’analyse des conditions du contexte familial incluses dans le modèle de<br />
régression logistique, nous nous attardons maintenant sur l’importance de la situation<br />
socioéconomique du ménage, en utilisant l’indicateur basé sur l’activité professionnelle du<br />
chef de ménage, proposé par Solís et Cortés (2009), dont les travailleurs de la « classe de<br />
services » se trouvent en haut de l’échelle sociale, et les « travailleurs non spécialisés » et les<br />
« travailleurs agricoles » tout en bas.<br />
Selon nos résultats, chez les filles, la condition socioéconomique du ménage est en étroite<br />
relation avec le fait d’être une travailleuse domestique familiale (tous les coefficients du<br />
rapport de risque sont statistiquement significatifs). Ainsi, en général, plus le ménage<br />
d’appartenance des filles est mal placé dans l’échelle socioéconomique, plus la probabilité de<br />
travailler augmente (Tableau 20). Cependant certains groupes d’activité ont entre eux le<br />
même niveau de risque, quant au travail domestique familial : les travailleurs non manuels en<br />
activités routinières et les travailleurs du commerce ; et les travailleurs spécialisés et non<br />
spécialisés. Les travailleurs agricoles présentent une situation particulière, car les filles y sont<br />
moins concernées par le travail domestique que les deux groupes juste en dessus de cette<br />
échelle. Un résultat étonnant, car le travail des enfants dans un milieu agricole est supposé<br />
assez fréquent, et bien déterminé par une participation active des filles aux tâches<br />
domestiques. Or, peut-être, la participation de tous les enfants de la famille est plus active,<br />
alors moins concentrée sur une seule personne, de sorte que même les filles consacreraient<br />
247
moins de temps à ces activités, grâce à la coresponsabilité du travail domestique dans la<br />
fratrie, ou chez les femmes. Or, sans tenir compte des travailleurs agricoles, le contraste entre<br />
appartenir à une famille bien placée ou une famille mal placée dans cette échelle<br />
socioéconomique est à souligner. Ainsi, les filles appartenant à une famille de la classe de<br />
services participent beaucoup moins que les filles appartenant à une famille de travailleurs<br />
spécialisés ou non spécialisés, notamment lorsqu’il s’agit d’un investissement de 15 heures et<br />
plus par semaine. Ce qui montre que le travail domestique familial est en relation directe avec<br />
un problème socioéconomique. Car, par exemple, dans une situation socioéconomique<br />
familiale favorable, l’absence d’une femme adulte ou la présence d’un nombre considérable<br />
de jeunes enfants dans le ménage, ne serait pas nécessairement un motif d’investissement des<br />
filles dans ce type de travail, car l’on peut embaucher une personne étrangère, qui peut être<br />
prise en charge par la propre famille. Une situation qui n’est pas donnée aux familles plus<br />
démunies, qui n’ont pas la possibilité de résoudre leurs contraintes domestiques en dépensant<br />
de l’argent.<br />
Chez les garçons, la position socioéconomique du ménage n’a pas une relation nette avec le<br />
travail domestique familial. En effet, par rapport aux fils des familles les plus favorisées, la<br />
probabilité (%) de travailler plus de 7 heures hebdomadaires augmente significativement<br />
seulement si le chef est un travailleur spécialisé ou non spécialisé, soit dans deux groupes<br />
d’activité placés en bas de l’échelle (Tableau 20). Néanmoins, le dernier, les travailleurs<br />
agricoles, offre un risque moindre à leurs fils. Et la relation est encore moins évidente<br />
lorsqu’il s’agit du travail pendant 15 heures et plus, car seuls les fils des travailleurs<br />
spécialisés ont un risque plus élevé de travailler (statistiquement significatif). Un résultat<br />
difficile à comprendre d’un point de vue simplement socioéconomique. Il faudrait chercher<br />
les réponses plutôt sur les particularités dans la composition de ce groupe de travailleurs par<br />
rapport aux autres.<br />
Conclusions<br />
Concernant les activités domestiques, la plupart des enfants, dès un jeune âge, participent de<br />
manière systématique, même si le temps qu'ils consacrent à ces activités n'est pas excessif<br />
(moins d'une heure par jour en moyenne, soit six heures en moyenne par semaine). Or, cette<br />
participation peut se transformer subtilement dans une forme de travail (travail domestique<br />
248
familial), surtout lorsque le nombre d’heures à accomplir dépasse un certain seuil, et que la<br />
réalisation de ces tâches devient une responsabilité quotidienne de l’enfant : s’occuper de plus<br />
jeunes, préparer les repas, faire le ménage... Et c’est justement ces cas qui sortent de la norme<br />
qui nous intéressent, soit les enfants travailleurs domestiques familiaux.<br />
Nous trouvons que le travail domestique familial est fréquent, notamment lorsque l’on prend<br />
le critère de plus de 7 heures hebdomadaires (24%), soit 2,4 millions d’EAJ. Une pratique qui<br />
diminue notablement lorsque l’on passe au critère de 15 heures et plus par semaine (8%), soit<br />
à peu près 774 000 EAJ. C’est-à-dire que la plupart de ces travailleurs consacrent moins de 15<br />
heures hebdomadaires. Il s’agit alors d’une activité qui permet, plus ou moins aisément, la<br />
scolarisation, mais en détriment d’une partie du temps libre ou du temps de repos de ces<br />
enfants. Cependant, ce type de travail peut s’avérer très prenant pour certains EAJ qui, en<br />
général pour des raisons de désintégration familiale, mais aussi économiques et culturelles,<br />
sont poussés à assumer cette responsabilité à plein temps. Une obligation qui, en combinaison<br />
avec les études, devient une lourde charge pour les EAJ concernés, dont les problèmes ne sont<br />
pas seulement physiques, mais aussi émotionnels. Or, il faut souligner la forte présence de<br />
rôles de genre qui domine cette sphère de travail. De manière notable, ce sont les filles qui<br />
sont les plus concernées. Et même si en général il s’agit de filles de plus de 14 ans, il existe<br />
une participation déjà importante depuis l’âge de 12 ans, lorsque la scolarisation est encore<br />
obligatoire. Il faut souligner que l’âge d’Ego est le facteur le plus déterminante du travail<br />
domestique familial : à mesure que les enfants (garçons et filles) grandissent augmente le<br />
risque de travailler. De manière que les filles de 15 à 17 ans, le groupe le plus concerné, ont<br />
une probabilité de 61% de travailler plus de 7 heures par semaine et de 26% de travailler 15<br />
heures et plus hebdomadaires.<br />
D’après l’ensemble de résultats, l’on est face à une situation d’injustice ménagère en matière<br />
de genre (Singly, 2007), mais aussi une injustice ménagère de génération, car ce sont souvent<br />
les enfants, et notamment les filles, qui assument les devoirs de la maison, sans pour autant<br />
renoncer à leur scolarisation. Ce qui signifie pour certains, une double journée de travail, à<br />
l’image des femmes, même s’il y a des différences qualitatives et quantitatives entre ces deux<br />
types de double journée. En effet, cette idée suit les propos de certains qui, à l’initiative de<br />
Qvortrup, réfléchissent à la pertinence de considérer la scolarisation comme une forme de<br />
travail.<br />
249
Néanmoins, l’on sait qu’en général, la moindre participation des garçons dans le travail<br />
domestique ne signifie pas une moindre participation dans la vie familiale (activités<br />
productives et de reproduction sociale). Il s’agit plutôt du résultat d’une assignation de rôles<br />
traditionnels par sexe, qui pousse les garçons à s’occuper davantage des activités<br />
économiques, et laisse les filles s’occuper des tâches à l’intérieur du ménage. C’est-à-dire que<br />
le niveau de participation des filles et des garçons est semblable, mais dans des domaines<br />
différents. Or, en général, les bénéfices réels (économiques, sociaux, culturels, formateurs…)<br />
à l’extérieur de la sphère familiale sont plus importants qu’à l’intérieur. De manière que les<br />
garçons travailleurs ont plus d’avantages que les filles travailleuses (un revenu, l’acquisition<br />
d’un savoir-faire, l’élargissement d’un réseau social), des avantages à court et à long terme.<br />
Par ailleurs, les risques pour les enfants sont plus nombreux et plus importants en dehors de la<br />
sphère familiale. Une situation qui joue sûrement un rôle important dans l’assignation des<br />
tâches parmi les membres d’une famille. Les filles, en tant que femmes, seraient considérées<br />
comme plus vulnérables, fragiles et naïves que les garçons, par conséquent, elles seraient<br />
poussées à passer le plus de temps possible près de la famille, tandis que les garçons sortent<br />
du noyau familial plus tôt.<br />
Comme on l’a observé lors des récits montrés dans ce chapitre, les enfants qui ont pris la<br />
responsabilité de la maison ou de la fratrie reconnaissent qu’il s’agit d’un travail non<br />
approprié aux enfants, mais parfois indispensable à la vie familiale. C’est plutôt une<br />
responsabilité imposée par les circonstances familiales, une solidarité « obligée ». A l’origine<br />
se trouvent diverses causes, comme l’absence de l’un des parents et la précarité familiale<br />
notamment, mais, en tout cas, il ne s’agit pas forcément d’une situation préméditée de la part<br />
des parents. Or, il faut dire aussi que, d’après nos observations sur le terrain, laisser les<br />
enfants seuls à la maison fait partie d’une coutume, au-delà des restrictions économiques.<br />
Surtout lorsqu’il n’y a plus de jeunes enfants, l’on considère que les enfants n’ont pas besoin<br />
d’une surveillance continuelle. Et la proximité d’autres proches ou parents renforce ou<br />
favorise cette habitude.<br />
Dans ce sens, nous avons constaté qu’effectivement, la participation des EAJ dans le travail<br />
domestique est favorisée par certaines conditions familiales. Nous trouvons que la<br />
participation des EAJ dans le travail domestique suit un ordre générationnel : les plus âgés<br />
sont davantage concernés que les cadets. Mais, il faut dire que cet ordre générationnel est<br />
250
limité aux enfants de moins de 18 ans. Les enfants de la fratrie âgés de 18 ans et plus ne sont<br />
pas concernés, ils se consacrent sûrement à d’autres activités plus valorisées socialement, ou à<br />
des activités d’intérêt personnel, laissant le travail domestique familial aux mains des plus<br />
« petits ». D’autre part, la présence de jeunes enfants (moins de 6 ans) dans le ménage s’est<br />
avérée très importante.<br />
Parmi tous les facteurs familiaux que nous avons analysés, c’est le fait d’avoir plus de trois<br />
jeunes enfants dans le ménage qui favorise le plus la participation des EAJ (sauf pour les<br />
garçons, dans le critère de plus de 7 heures hebdomadaires de travail). Plus il y a de jeunes<br />
enfants dans le ménage, plus les EAJ sont concernés par le travail domestique familial,<br />
notamment chez les filles. D’ailleurs, la présence d’autres EAJ dans le ménage, filles ou<br />
garçons, n’a pas d’effet sur la participation de garçons au travail domestique familial ; par<br />
contre, chez les filles, la présence d’autres garçons favorise leur participation.<br />
<strong>La</strong> présence de femmes adultes (18 ans et plus) dans le ménage est en relation directe avec la<br />
participation des EAJ, de manière que l’absence d’une femme adulte pousse les enfants à<br />
s’investir davantage, mais à mesure que le nombre de femmes augmente, les EAJ participent<br />
moins. 325 Mais l’absence des femmes adultes peut être aussi temporaire, lorsque la mère doit<br />
travailler à l’extérieur du ménage, par exemple. Nous trouvons qu’il existe une relation directe<br />
entre la condition d’activité économique des mères et la participation domestique des enfants,<br />
mais la relation est plutôt faible. De manière que le travail extradomestique de femmes ne<br />
peut pas être considéré systématiquement comme un facteur de risque au travail domestique<br />
familial des enfants. Mais il faut souligner que la plupart de mères ne travaillent pas à plein<br />
temps, ainsi, il faudrait différencier les cas des femmes selon leur temps de travail, pour voir<br />
si l’activité extradomestique des femmes a des conséquences importantes sur les activités des<br />
enfants, car le temps qu’elles pourraient consacrer au travail domestique est nettement<br />
différent. Mais l’absence de femmes adultes dans le ménage n’est pas plus importante que<br />
l’absence de l’un des parents. Les familles monoparentales sont celles où la participation des<br />
EAJ est la plus probable. Chez les filles, le risque de travailler augmente surtout lorsque le<br />
chef seul est un homme, et chez les garçons, lorsque le chef seul est une femme. Enfin, nous<br />
avons trouvé que les filles sont très sensibles à la position socioéconomique du ménage. Face<br />
aux diverses contraintes familiales, les filles qui appartiennent à des familles défavorisées sont<br />
325 Le nombre d’hommes adultes dans le ménage ne montre pas de relation claire au cours des analyses bivariées.<br />
251
plus vulnérables que les autres, tandis que les garçons sont peu concernés dans ce sens.<br />
Sûrement parce qu’ils s’investissent davantage dans le travail extradomestique.<br />
Il s’avère que le travail domestique familial, soit les tâches ménagères et la garde d’autres<br />
personnes, reste dans un domaine d’abord féminin, et après, puéril. C’est-à-dire que la sphère<br />
du travail domestique est façonnée par l’inégalité des relations de genre et de génération.<br />
Il faut reconnaître que les récits des enfants, malgré leurs limites, ont été essentiels pour avoir<br />
une idée plus complète de la situation des enfants travailleurs domestiques familiaux. Soit ils<br />
ont enrichi les résultats quantitatifs, soit ils nous ont permis d’aborder des aspects dépourvus<br />
d’information dans les bases de données, notamment les raisons qui poussent les enfants à<br />
s’investir dans ce type de travail, l’organisation des tâches à l’intérieur du ménage, les<br />
activités qu’ils réalisent et leur perception.<br />
Enfin, vu qu’au Mexique les difficultés familiales ou personnelles sont censées être résolues<br />
par la famille elle-même ou par d’autres proches, car le rôle social de l’Etat est très restreint,<br />
et qu’il existe une culture historique de travail des enfants dans la société, l’on peut se<br />
demander jusqu’à quel degré les parents ont vraiment le choix et l’envie d’empêcher la<br />
participation active de leurs enfants dans les diverses activités qui concernent la vie familiale.<br />
Dans ce sens, la participation des enfants ne se limite pas au travail domestique familial, aux<br />
activités de reproduction sociale, parfois ils participent aussi aux activités productives, comme<br />
nous le verrons par la suite.<br />
252
CHAPITRE VII<br />
Les enfants travailleurs extradomestiques<br />
« En tant qu’enfants, ils ne<br />
sont pas de véritables<br />
travailleurs, et en tant que<br />
travailleurs, ils ne sont pas de<br />
véritables enfants. »<br />
Schibotto et Cussianovich<br />
Le travail extradomestique touche 9,2% des EAJ urbains de 6 à 17 ans, soit à peu près<br />
932 000. 326 Un chiffre pas très éloigné de celui qui concerne les travailleurs domestiques<br />
familiaux, lorsque l’on considère le critère de 15 heures hebdomadaires et plus (774 000).<br />
Pourtant, l’inquiétude bien médiatisée que soulèvent les enfants travailleurs extradomestiques<br />
a gommé l’intérêt sur les travailleurs domestiques familiaux cachés dans la sphère privée du<br />
ménage. Mais, le travail extradomestique précoce attire l’attention surtout parce qu’il est plus<br />
visible, et parce qu’il est reconnu davantage comme une forme de travail des enfants.<br />
Pour avoir un portrait général du groupe de travailleurs extradomestiques, il y a quelques<br />
caractéristiques à signaler. Il est composé principalement par des garçons (62%) – situation<br />
contraire à celle des travailleurs domestiques familiaux. Et la répartition par âges est la<br />
suivante : 12% de 6 à 11 ans ; 23% de 12 à 14 ans ; et 65% de 15 à 17 ans. Parmi eux, 63%<br />
sont scolarisés. Cette forte déscolarisation correspond à la structure par âges de ce groupe, car<br />
une proportion importante est constituée par des jeunes âgés de 15 à 17 ans, qui en général<br />
présentent un taux notable d’abandon scolaire. Enfin, les EAJ travailleurs extradomestiques<br />
appartiennent, plus fréquemment que leurs pairs, à des ménages de cinq personnes et plus<br />
(Ego inclus) : 66% 327 ; ainsi qu’à des ménages sans jeunes enfants (moins de 6 ans) : 71%. 328<br />
326 Sur notre population d’études.<br />
327 Parmi tous les EAJ, 58% habitent un ménage de cinq membres ou plus, tandis que parmi les travailleurs<br />
domestiques familiaux (de 15 heures et plus) il s’agit de 62%.<br />
328 Parmi tous les EAJ, 69% habitent un ménage sans jeunes enfants, tandis que parmi les travailleurs<br />
domestiques familiaux (de 15 heures et plus) il s’agit de 62%.<br />
253
Mais, pour l’analyse de la situation des EAJ travailleurs extradomestiques, un aspect qui nous<br />
intéresse spécialement est le lien de parenté de l’enfant avec son employeur. Car, lorsqu’un<br />
enfant travaille directement pour l’un de ses parents, cette pratique est plutôt légale,<br />
indépendamment de l’âge de l’enfant. <strong>La</strong> loi en matière d’emploi signale clairement qu’elle<br />
ne concerne pas les ateliers dits familiaux, soit ceux où travaillent exclusivement les deux<br />
conjoints, leurs ascendants, leurs descendants et leurs disciples. En effet, l’on peut dire même<br />
que ce type de travail n’est pas considéré socialement comme un travail, mais plutôt comme<br />
une aide. C'est sûrement pour cette raison que la majorité des moins de 14 ans (lesquels n'ont<br />
pas le droit de travailler) ont souvent un lien de parenté avec leur employeur. Mais à partir de<br />
14 ans, quand la loi permet une certaine liberté d’embauche aux enfants, ceux-ci quittent le<br />
noyau familial pour aller travailler ailleurs (Graphique 11). Ainsi, au fur et à mesure que l’âge<br />
des EAJ augmente, le lien de parenté avec l’employeur est de moins en moins proche,<br />
notamment chez les garçons. Parce que les filles restent davantage dans une relation familiale,<br />
soit comme des travailleuses extradomestiques, soit comme des travailleuses domestiques. Il<br />
est alors clair que les rôles par sexe se recréent depuis un jeune âge, privilégiant la place des<br />
filles dans la sphère familiale. Tandis que les garçons s’incorporent plus précocement au<br />
monde public. Il faut souligner que la plupart des enfants qui ont un lien de parenté avec<br />
l'employeur travaillent pour leur père ou leur mère directement, les filles avec une plus grande<br />
intensité.<br />
254<br />
Graphique 11. Répartition (%) des EAJ travailleurs extradomestiques<br />
selon le lien de parenté avec l’employeur par groupes d’âges et sexe, 2007<br />
15 à 17 ans-filles<br />
15 à 17 ans- garçons<br />
12 à 14 ans-filles<br />
12 à 14 ans-garçons<br />
6 à 11 ans-filles<br />
6 à 11 ans-garçons<br />
0% 20% 40% 60% 80% 100%<br />
Père ou mère Autre lien de parenté<br />
Sans lien de parenté Indépendant<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).
Par ailleurs, il faut aussi noter que les travailleurs « indépendants » (sans employeur), même<br />
s’ils sont peu nombreux, sont plus représentatifs avant l'âge de 12 ans. Un tel résultat pourrait<br />
s'expliquer par le fait qu’un enfant de cette tranche d’âges, qui veut ou qui doit travailler, est<br />
dans l’impossibilité réelle de le faire pour quelqu’un d’autre, sauf pour l’un de ses parents,<br />
son âge étant un vrai handicap, même pour une embauche informelle. Alors, il peut se mettre<br />
à faire de petits travaux « à son compte ». Comme en témoigne Pedro, l’un de nos<br />
interviewés, âgé de 8 ans, et scolarisé :<br />
« Je cirais des chaussures, mais pas dans les rues. Je les amenais chez moi, là, les chaussures de<br />
mes oncles, de mes tantes, ou de mes parents. Mais un jour, je suis allé chez un monsieur et lui, il m’a<br />
donné des chaussures. (...) Et je les cirais là, chez moi. Après, j’allais les leur rendre et ils me<br />
donnaient de l’argent. » […] « J’ai arrêté lorsque je n’avais plus de cires. Maintenant, je ne travaille<br />
plus. Mais je voudrais travailler en tant que cireur. (…) Mais je n’ai plus de cires. Parfois, j’en demande<br />
à mon papi, mais il ne veut plus m’en acheter. » 329 Il travaillait juste pour avoir une peu d’argent de<br />
poche et pour éviter l’ennui du temps périscolaire. Il n’a pas d’employeur, et son revenu est pour luimême.<br />
Cet exemple constitue juste une piste pour expliquer cette situation des travailleurs<br />
indépendants, mais d’autres possibilités existent. Des situations plus contraignantes pour<br />
l’enfant en question, comme celles où l’on exploite l’image de fragilité d’un jeune enfant seul,<br />
afin de provoquer la pitié de gens et ainsi obtenir plus facilement ce que l’on veut : un<br />
pourboire, un achat. Dans ce cas, l’enfant ne serait pas toujours formellement un travailleur<br />
indépendant, car il pourrait avoir éventuellement un employeur. Mais, comme souvent c’est<br />
l’un des parents qui répond à l’enquête, alors, si jamais c’est lui l’employeur, il peut dire que<br />
l’enfant travaille seul, juste pour ne pas être mal jugé. Car toutes les formes de travail des<br />
enfants ne sont pas acceptées socialement, et moins encore s’agissant des plus jeunes. Et<br />
même si dans certains groupes de la population le travail des enfants n’est pas l’objet de<br />
scandale, l’on sait grosso modo qu’officiellement la loi l’interdit, il vaut mieux alors rester<br />
prudent à ce sujet.<br />
Par la suite, afin d’approfondir le monde des EAJ travailleurs extradomestiques, nous<br />
analysons de manière séparée les travailleurs familiaux et les non familiaux (où les<br />
travailleurs indépendants sont inclus), en supposant que ces deux sous-groupes ont des<br />
329 « Yo boleaba zapatos, pero no en la calle. Los estaba trayendo aquí de mis tíos, o de mis tías, o de mis papás.<br />
Pero luego, un día fui con un señor y me dio unos zapatos. (...) Y los boleaba aquí en la casa, luego se los<br />
entregaba y luego me daban el dinero. » […] « Lo dejé cuando se me acabó la cera. Ahorita no he trabajado.<br />
Pero quiero trabajar en la boleada. (...) Pero ya no tengo pintura. Luego le pido a mi abuelito, pero ya no quiere<br />
comprarme. »<br />
255
caractéristiques bien particulières. Les causes, les conditions de travail et les conséquences<br />
sont différentes. Il faut rappeler que pour classer les enfants travailleurs extradomestiques,<br />
familiaux ou non familiaux, nous faisons référence au lien de parenté entre l’enfant et son<br />
employeur, mais aussi à l’appartenance des deux au même ménage. De manière qu’un EAJ<br />
qui a un lien de parenté avec son employeur, mais celui-ci ne fait pas partie du même ménage,<br />
est un travailleur non familial.<br />
VII.1. Qui sont ces enfants travailleurs extradomestiques ?<br />
Les différences entre les deux groupes sont évidentes en termes quantitatifs : les travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux sont plus nombreux que les familiaux (respectivement 62 et<br />
38% du total des EAJ). Mais il existe des différences aussi en termes qualitatifs. Concernant<br />
la structure par sexe, les travailleurs extradomestiques non familiaux sont surtout des<br />
garçons : 67% ; tandis que chez les travailleurs extradomestiques familiaux la distribution par<br />
sexe est plus équitable : les garçons représentent 54% (Graphique 12), ce qui suggère qu’en<br />
général, dans un milieu familial, le travail extradomestique des EAJ n’est pas soumis à des<br />
préférences par sexe. En revanche, l’emploi en dehors du milieu familial semble être<br />
spécialement attractif pour les garçons (dont la détermination de ce choix peut venir, soit de la<br />
part des parents, soit de la part des enfants eux-mêmes). Peut-être que cette préférence est<br />
soutenue par l’idée qu’une fille a besoin d’une protection plus proche de la part de la famille,<br />
et pendant plus longtemps, en tant que femme, et donc, qu’elles seraient plus vulnérables que<br />
les garçons aux dangers de la vie publique et de la vie adulte, représentées justement par le<br />
travail extradomestique non familial. Par conséquent, les parents ou les enfants eux-mêmes<br />
agissent en cohérence avec cette idée, en confinant les filles au noyau familial plus longtemps,<br />
même si elles travaillent, une situation qui est aussi vraie chez les travailleurs domestiques<br />
familiaux, qui sont pour la plupart des filles.<br />
D'ailleurs, les différences quant à la vulnérabilité et la dépendance des personnes sont<br />
évidentes parmi les divers groupes d’âges. D'où, par exemple, la détermination de l’âge de la<br />
majorité civile en 18 ans au Mexique. Il est censé être l’âge auquel les enfants deviennent des<br />
citoyens avec une pleine capacité juridique et le droit au vote. Cependant, diverses étapes<br />
existent aussi avant 18 ans, qui sont déterminées par des limites d’âge, selon la maturité et le<br />
discernement de l’enfant, qui peuvent différer d’une société à l’autre, et d’un moment<br />
256
historique à l’autre, et qui supposent toujours différents niveaux de participation de l’enfant<br />
dans la vie familiale et dans la vie publique, surtout en ce qui concerne la prise de décisions<br />
sur les questions qui les touchent directement. De manière qu’au fur et à mesure qu’ils<br />
grandissent, les EAJ sont de plus en plus autonomes et indépendants et considérés de moins<br />
en moins « fragiles ».<br />
Graphique 12. Structure par âges et sexe des enfants travailleurs extradomestiques<br />
selon le lien de parenté avec l’employeur<br />
Garçons-15 à 17 ans<br />
50%<br />
Filles-12 à 14 ans<br />
16%<br />
Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Filles-12 à 14 ans<br />
7%<br />
Filles-15 à 17 ans<br />
24%<br />
Garçons-6 à 11 ans<br />
4%<br />
Filles-6 à 11 ans<br />
3%<br />
Garçons-12 à 14 ans<br />
12%<br />
Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
Garçons-15 à 17 ans<br />
28%<br />
Garçons-12 à 14 ans<br />
14%<br />
Filles-6 à 11 ans<br />
10%<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Filles-15 à 17 ans<br />
21%<br />
Garçons-6 à 11 ans<br />
11%<br />
257
Dans ces termes, il n’est pas surprenant que parmi les EAJ, le groupe de travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux, qui a quitté le noyau familial pour aller travailler au dehors,<br />
soit surtout composé par des enfants âgés de 15 à 17 ans. Cependant, cette progressive<br />
ouverture des EAJ au monde extérieur est soumise aux idées traditionnelles de la vulnérabilité<br />
féminine. De manière que, dans la pratique, les garçons commencent à sortir de la sphère<br />
familiale souvent avant que les filles (Graphique 12). En plus, une telle situation est fortement<br />
conditionnée par les limites d’âge qu’impose la loi en matière d’emploi, qui empêche les<br />
moins de 14 ans de travailler formellement, sauf dans des cas particuliers. Cependant, la<br />
prédominance masculine, surtout à partir de l’âge de 12 ans, seulement peut être expliquée par<br />
des raisons associées à une assignation traditionnelle de rôles de genre. Des différences plus<br />
nuancées s’observent dans le groupe de travailleurs extradomestiques familiaux, qui se<br />
caractérise par une composition par âges et par sexe moins déséquilibrée. L’on y constate une<br />
participation moins marquée des plus âgés et des garçons, même si ce type de travail est<br />
réalisé aussi davantage par des garçons de 15 à 17 ans. En conclusion, l’âge et le sexe<br />
constituent des facteurs fondamentaux pour la participation des enfants dans le travail<br />
extradomestique en général.<br />
En ce qui concerne l’âge au premier travail, en moyenne, les travailleurs extradomestiques<br />
non familiaux commencent moins jeunes que les familiaux (14 et 12 ans, respectivement).<br />
Dans les deux cas, l’entrée au travail commence après 8 ans, sans différences à souligner<br />
selon le sexe (Tableau 22). <strong>La</strong> moyenne d’âge au premier travail des enfants travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux coïncide avec l’âge auquel il est légal de travailler sous<br />
certaines conditions, ce qui montrerait une tendance au respect des lois, ou bien une<br />
déclaration plutôt bien méditée de la part des interviewés dans leur ensemble, pour rester dans<br />
la norme. Car seulement 16% des travailleurs extradomestiques non familiaux n’ont pas l’âge<br />
légal pour travailler, soit ils travaillent hors norme. Par ailleurs, l’âge au premier travail des<br />
travailleurs extradomestiques familiaux est aussi en accord avec l’âge auquel les enfants<br />
considèrent que l’on n’est plus un enfant, selon nos interviews, c’est-à-dire l’âge auquel l’on<br />
quitte l’enseignement élémentaire (primaria) pour rejoindre celui du premier cycle<br />
(secundaria) : 12 ans.<br />
Enfin, en étroite relation avec la structure par âges de deux groupes d’enfants travailleurs<br />
extradomestiques, la fréquentation à l’école est aussi dissemblable : 82% des travailleurs<br />
familiaux sont scolarisés, tandis que seulement 52% des non familiaux le sont. C’est-à-dire<br />
258
que la mise au travail précoce dans un milieu familial se fait souvent en permettant la<br />
combinaison de deux activités : travail et scolarisation. Tandis que le travail non familial<br />
implique plus souvent une exclusivité. Mais nous allons traiter le sujet de la déscolarisation<br />
dans le dernier chapitre plus en détail.<br />
Tableau 22. Age moyen au premier travail des EAJ de 6 à 17 ans<br />
par groupes d’âges et sexe, selon le type de travail<br />
Travailleurs<br />
Groupes d’âges et sexe<br />
Extradomestiques<br />
Non familiaux Familiaux<br />
6 à 11 ans – garçons 8,7 8,5<br />
6 à 11 ans – filles 8,5 8,6<br />
12 à 14 ans – garçons 12,2 11,5<br />
12 à 14 ans – filles 12,5 11,7<br />
15 à 17 ans – garçons 14,9 13,8<br />
15 à 17 ans - filles 15,4 13,5<br />
Total 14,1 12,0<br />
Garçons de 6 à 17 ans 14,1 12,1<br />
Filles de 6 à 17 ans 14,2 11,8<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Une telle différence dans la structure par âges et par sexe, ainsi que dans l’âge d’entrée au<br />
travail et le niveau de déscolarisation des EAJ de deux sous-groupes, est sûrement liée aux<br />
causes qui motivent la mise au travail précoce dans chaque cas.<br />
A ce propos, il est pertinent de souligner le fait que le travail extradomestique familial<br />
demande d’une condition bien particulière : l’appartenance à un ménage où au moins l’un des<br />
membres adultes réalise une activité professionnelle où l’enfant peut trouver une place pour<br />
travailler à leur côté. Et là encore, divers cas sont possibles : des travailleurs indépendants<br />
(commerçants, artisans, domestiques…), ou des patrons, notamment de microentreprises<br />
formelles et informelles. Un aspect qu’il faut toujours avoir à l’esprit lorsque l’on parle des<br />
travailleurs familiaux.<br />
VII.2. Le processus d’entrée précoce au marché du travail.<br />
Même si dans la pratique la scolarisation occupe une place privilégiée chez les enfants, le<br />
travail extradomestique est une activité non négligeable. Comme nous l’avons montré dans le<br />
chapitre sur les représentations sociales, malgré l’existence d’interdictions légales, ce sont<br />
259
davantage les conditions de travail des enfants et la déscolarisation qui pourraient provoquer<br />
le refus ou la désapprobation vis-à-vis de cette pratique : exploitation, danger, abus, etc., mais<br />
pas forcément le fait de voir un enfant travailler lui-même. Une situation qui favorise l'entrée<br />
précoce sur le marché du travail dans le pays, que d’autres conditions comme la flexibilité du<br />
marché du travail, l’organisation du système scolaire et l’inefficacité du système juridique<br />
sont aussi propices à sa progression.<br />
Ainsi, à travers les raisons qui poussent les enfants au travail, on peut comprendre comment<br />
se construit le processus d’entrée sur le marché du travail, dont les relations de genre jouent<br />
un rôle fondamental, comme nous le verrons par la suite.<br />
VII.2.1. Les raisons de l'entrée précoce sur le marché du travail : entre contrainte et<br />
choix.<br />
Des raisons personnelles ou familiales en sont à l’origine, et les objectifs de la mise au travail<br />
précoce sont multiples, comme observé lors des entretiens et en exploitant notre base de<br />
données. Ainsi, par rapport à la principale raison pour travailler, d’après le MTI, des<br />
différences importantes existent aussi entre travailleurs extradomestiques familiaux et non<br />
familiaux (Tableau 23).<br />
260<br />
Tableau 23. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
et familiaux, selon la raison principale pour travailler<br />
Raisons<br />
Travailleurs extradomestiques<br />
Non familiaux Familiaux<br />
Le ménage a besoin de son apport économique 12,6 1,9<br />
Le ménage a besoin de son travail 2,5 39,2<br />
Pour payer sa scolarisation 7,1 0,3<br />
Pour avoir ses propres revenus 52,8 13,4<br />
Pour apprendre un métier 7,8 22,5<br />
Parce qu’il ne veut pas aller à l’école 8,6 3,5<br />
Autres 8,6 19,2<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(577 971)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
100,0<br />
(352 693)
Chez les travailleurs extradomestiques non familiaux, 76% travaillent pour des raisons<br />
nettement économiques. Mais, le besoin d’argent répond plus à une nécessité personnelle que<br />
familiale. Ainsi, 53% des EAJ travaillent pour avoir leurs propres revenus, et 7% pour payer<br />
leurs études. Tandis que 13% travaillent pour donner un apport économique au ménage et 3%<br />
pour aider le ménage avec son travail. Cependant, d’autres raisons poussent aussi les enfants<br />
ou les familles au travail précoce. Notamment, l’envie d’apprendre un métier (8%), ou le fait<br />
de trouver une occupation alternative à l’école, lorsque la scolarisation n’a plus d’intérêt pour<br />
l’enfant (9%).<br />
Lors de nos interviews, nous avons observé qu’effectivement, le processus d’entrée précoce<br />
au travail extradomestique non familial peut répondre à diverses raisons, et se mettre en route<br />
à travers différents moyens. Et qu’après, la permanence dans le marché du travail a aussi de<br />
multiples motivations :<br />
« Ma mamie et ma maman m’ont demandé si je voulais aider ma cousine (à laver le comal<br />
qu’occupe sa grand-mère pour travailler) et j’ai dit oui. » 330 […] « (…) Et mes parents me donnent<br />
de l’argent quand j’en ai besoin. Mais, ce que je gagne est pour moi, et pour mes dépenses<br />
personnelles. Et je n’ai plus besoin de rien… J’épargne mon argent. Et je l’utilise lorsque je veux<br />
acheter du crédit pour mon téléphone portable (que son père lui a offert à son anniversaire) ou<br />
lorsque je veux acheter quoi que ce soit. (…) J’achète des bonbons, ou plusieurs choses. Ou, si je<br />
suis invitée à une fête et je veux acheter le cadeau, alors je prends de mes économies. » 331<br />
(Sandra, 12 ans. Elle était rémunérée par cette activité. Elle et sa cousine lavaient le comal à son<br />
tour de lundi à dimanche, une semaine sur deux, dans la cour de chez elles — elles et sa grandmère<br />
vivaient dans le même lot, propriété des grands-parents, mais chaque famille dans son<br />
propre logement. Elle partageait ce travail avec un autre travail extradomestique familial non<br />
rémunéré pour sa mère, qui était commerçante informelle).<br />
« Parce que mon papi m’a proposé d’aller cirer des chaussures. Et je lui ai dit : bonne idée papi !<br />
(…) Après, lui, il m’a donné les cires, et j’ai commencé à travailler, à travailler. » […] « Parce<br />
qu’auparavant, mon papi cirait des chaussures dans la rue. Et lui, il m’a raconté. (…) Il m’a<br />
appris. » 332 (Pedro, 8 ans. Il a été un travailleur extradomestique non familial indépendant pendant<br />
un certain temps, mais, au moment de l'entretien, il ne l'était plus. Il était rémunéré à la tâche. Il<br />
travaillait chez lui les après-midi).<br />
« Un jour, j’ai eu l’idée d’aider ma tante (qui a un petit restaurant populaire, mais bien établi,<br />
formel). Et c’est comme ça que j’ai commencé, comme ça... J’ai dit à ma mère : je vais aider ma<br />
tante pour les déjeuners, parce qu’ils sont seuls (sa tante et son oncle), leur fille part au travail. Et<br />
alors ils sont seuls et lorsqu’il y a beaucoup de clients ils sont débordés ! Et ma maman a dit : c’est<br />
330 « Mi abuelita y mi mamá me dijeron que si quería ayudarle a mi prima, y yo les dije que sí. »<br />
331 « (...) Y ya mis papás me dan dinero cuando necesito. Pero todo lo que me pagan eso ya es para mí, y para<br />
mis gastos. Y ya no necesito para nada. (...) Lo ahorro. Y me lo gasto cuando le quiero meter crédito a mi<br />
celular (que su papá le regaló) o cuando me quiero comprar así cualquier cosa. (...) Compro dulces, o varias<br />
cosas. O que voy a una fiesta, y yo quiero comprar un regalo, pues ya de ahí lo agarro. »<br />
332 « Porque mi abuelito me dijo que si iba a bolear. Y le dije: ¡buena idea abuelito! Luego mi abuelito me<br />
consiguió las pinturas, y yo empecé a trabajar, a trabajar. » […] « Porque él antes boleaba en la calle. Y él me<br />
platicó. (…) El me enseñó. »<br />
261
262<br />
à toi de décider ma petite (...) Et je l’ai raconté à mon papa et il m’a répondu que c’était à moi de<br />
décider. Alors, je suis allée discuter avec ma tante et mon oncle, et ils mon dit : oui, si tu veux,<br />
merci beaucoup. » 333 […] « Avant je ne faisais rien. Si jamais je n’allais pas avec ma tante, je ne<br />
sais pas ce que je ferais… m’ennuyer. (...) Je ferais mes devoirs scolaires, et tout ce qui concerne<br />
l’école. Après, je pourrais regarder la télé, ou écouter de la musique, sortir en vélo et tout ça. Mais<br />
parfois, cela ne me plaît pas, parce qu’il y a des enfants qui me dérangent, alors je reste là ou je<br />
joue avec mes poupées toute seule. » 334 […] « J’épargne, et les samedis avec mon tonton Antonio<br />
aussi, il a organisé une caisse (d’épargne) 335 , je dois lui donner 100 pesos (7 euros). Moi, de mes<br />
pourboires, je rassemble cent pesos, et je le lui donne le samedi. Et il me note (dans un cahier) et<br />
c’est tout. Et cela va me servir pour aller à Cancún avec mes parents (pour rendre visite à l'un de<br />
ses oncles, qui y habite). » Et, avec ce qui lui reste, « Ben, comme nous allons, je ne sais pas, à<br />
San Angel, on sort pour aller manger ou pour acheter des choses pour l’école, et ainsi, j’ai mon<br />
argent, non ? Et je vois, ah, regard, ce bonnet me plaît. Et je me l’achète. Et parfois, je dis à mon<br />
papa : je n’ai pas suffisamment, tu me donnes de l’argent ? Et il m’en donne, mais je donne de<br />
mon argent. Ou je lui emprunte et après je lui paie. Mais quand je lui dis : tiens, il me dit non. Mais<br />
je lui dis : tiens, en plus tu en as besoin. Mais quand j'ai une mauvaise semaine, je ne rassemble<br />
pas les cent pesos, alors je l’emprunte à mon papa pour la caisse. » 336 (Alicia, 11 ans, travaillait<br />
comme serveuse pour une tante qui avait un petit restaurant placé à côté de chez elle. Elle n’avait<br />
pas un revenu stable, mais elle recevait toujours des pourboires.).<br />
333<br />
« Es que un día se me ocurrió ayudarle a mi tía. Y empecé así, así... Yo le dije a mi mamá: le voy a ayudar a<br />
mi tía en las comidas, porque están solos, su hija se va a trabajar. Y entonces están solitos y cuando tienen<br />
mucha gente ¡ni pueden atender! Y dice mi mamá: Tú decides nena... Y ya le platiqué a mi papá y me dijo que<br />
como quisiera. Y ya les dije a mis tíos y me dijeron: sí, si quieres, muchas gracias. »<br />
334<br />
« Antes no hacía nada. Si no tuviera que ir con mi tía no sé qué haría... aburrirme. (...) Hacer mis tareas, ver<br />
qué tengo pendiente de la escuela. Y después podría ver la tele, oír música, salir en bicicleta y todo eso. Pero<br />
como a veces no me gusta, porque hay unos niños que me molestan, me quedo aquí o juego con mis muñecas yo<br />
solita. »<br />
335<br />
Chaque semaine, pendant une année, on doit donner une quantité d’argent à l’organisateur, et en fin d’année<br />
on reçoit tout ce qu’on a épargné, comme une banque, mais sans utilités. Tout est informel, c’est la confiance qui<br />
prime. Une pratique très courante dans les secteurs populaires urbains.<br />
336<br />
« Lo junto, y los sábados con mi tío Antonio también, él hizo una caja, le tengo que dar 100 pesos. Yo de mis<br />
propinas junto cien pesos, y se las doy el sábado. Y me anota y ya. Y eso me va a servir para irme a Cancún con<br />
mis papás. » […] « Pues, como salimos, no sé, a San Ángel, salimos a comer o a comprar cosas para mi escuela,<br />
y así, ahí traigo mi dinero, ¿no? Y veo: mira, esa gorra me gusta. Y ya, pero yo me la compro. Y luego le digo a<br />
mi papá: no me alcanza ¿me das dinero? Y ya me lo da, pero yo pongo de mi dinero. O le pido prestado y ya<br />
después se lo pago. Aunque cuando le digo: ten, me dice no. Pero le digo: ten, además a ti te hace falta. Pero<br />
cuando me va mal, no junto los cien pesos, y ya le pido prestado a mi papá para lo de la caja. »<br />
337<br />
« Yo le dije a mi tío que si me iba con él a trabajar y me dijo que sí. (...) No sé, pero me gusta mucho<br />
trabajar. No me gustaba lo que hacía mi tío, pero quería trabajar. (…) Para ganar dinero para comprarme lo que<br />
yo quisiera. Mis papás me daban, pero no para todo. Luego quería un dulce o así, y había veces que mi mamá no<br />
tenía dinero, ni mi papá. »<br />
338<br />
« Es que un día vino mi padrino a arreglar mi chapa, y yo le dije a mi mamá que quería trabajar y luego mi<br />
mamá le dijo que si me aceptaba, y dijo que sí. »<br />
339<br />
« Está bien trabajar para no estar de huevones todo el tiempo. (...) Cuando no he trabajado siempre he<br />
ayudado aquí en la casa y entonces hago mi tarea y me salgo todo el día, entonces no hago nada de provecho. No<br />
hago nada. Prefiero trabajar que estar en la calle. »<br />
340<br />
« Luego venía y le compraba cosas a mi mamá, o así. Normalmente juntaba dinero. A mí me gustan los tenis,<br />
así. Lo que más me compré fue tenis; pantalones y todo eso casi no, pero tenis sí, tenis sí me compré muchos.<br />
Me compraba cosas para mí. Luego juntaba, pero no juntaba lo de la semana, luego me lo gastaba. »<br />
341<br />
« El me conoce porque yo iba a su tienda con su hijo, y veía cómo despachaba. (…) Una vez salí y él iba<br />
saliendo en su camioneta y me dijo: vamos. Y le pedí permiso a mi mamá y así me llevó... Lo anduve<br />
acompañando... Tenía como 8 años. »<br />
342<br />
« No necesito trabajar, lo hago por gusto. Me gusta, porque ¿qué hago en mi casa? así salgo a lugares. Porque<br />
vamos a lugares con su camioneta. Y pues me compro cosas con lo que gano, a veces lo guardo y ya si me<br />
gustan unas cosas pues me las compro A veces le doy a mi mamá, toda mi vida me ha mantenido, todas las<br />
cosas, y me esta manteniendo y me va a ayudar más adelante con mis estudios. »
« J’ai demandé à mon oncle (forgeur) si je pouvais aller travailler avec lui, et il a dit oui. (…) Je ne<br />
sais pas, mais j’aime beaucoup travailler. Je n’aimais pas ce que mon oncle faisait, mais je voulais<br />
travailler. (…) Pour gagner de l’argent pour m’acheter ce que je voulais. Mes parents me<br />
donnaient, mais pas toujours. (...) Des fois, je voulais un bonbon ou des trucs du genre, et parfois<br />
ma mère n’avait pas d’argent, mon père non plus. » 337 […] « Ben, un jour mon parrain est venu<br />
pour réparer ma serrure, et j’ai dit à ma mère que je voulais travailler, et alors ma mère lui a<br />
demandé s’il m’acceptait, et il a dit oui. » 338 […] « C’est bien de travailler pour ne pas être de<br />
fainéants tout le temps. (...) Lorsque je ne travaillais pas, j’aidais toujours là, à la maison, et alors je<br />
faisais mes devoirs scolaires et après je sortais toute la journée, alors je faisais rien de bon. Je<br />
faisais rien. Je préfère travailler plutôt que d’être dans la rue. » 339 « Parfois j’achetais des choses à<br />
ma maman, ou comme ça. Normalement, j’épargnais de l’argent. Moi, j’aime les baskets, voilà. Ce<br />
que j’ai acheté le plus ce sont des baskets ; des pantalons et des trucs du genre presque pas,<br />
mais des baskets oui, des baskets j’en ai acheté beaucoup. J’achetais de choses pour moi. Des<br />
fois, j’épargnais, mais je n’épargnais pas tout, je le dépensais. » 340 (Felipe, 14 ans. Il a commencé<br />
à travailler lorsqu’il avait plus ou moins 8 ans, et depuis, il a changé souvent d’employeur, à son<br />
initiative, mais toujours avec un artisan de son entourage. Il a été toujours rémunéré, mais sans<br />
contrats).<br />
« Il (le patron) me connaît parce que j’allais à son épicerie avec son fils, et je regardais comme il<br />
s’occupait des clients. (…) Un jour, je suis sorti et lui, il était en train de sortir dans son pick-up et il<br />
m’a dit : on y va ? Et j’ai demandé la permission à ma mère et c’est comme ça qu’il m’a amené…<br />
J’ai commencé à l’accompagner… J’avais environ 8 ans. » 341 […] « Je n’ai pas besoin de travailler,<br />
je le fais par plaisir. Cela me plaît, parce que sinon, qu’est-ce que je ferais à la maison ? Comme<br />
ça, je sors à divers endroits. Parce que nous allons à des endroits dans son pick-up (du patron).<br />
Et, ben, je m’achète de choses avec ce que je gagne, parfois je le garde et si jamais il y a quelque<br />
chose qui me plaît, je l’achète. Des fois, je le donne à ma maman. (Elle ne me le demande pas,<br />
mais) toute la vie, elle s’est occupée de moi, toutes les choses, et elle est en train de s’occuper de<br />
moi et elle va m’aider plus tard avec mes études. » 342 (Alejandro, 14 ans. Il continue de travailler<br />
pour cet épicier qui est un voisin, et qui a son épicerie dans la même rue que chez lui. Il est<br />
rémunéré).<br />
Les récits de ces enfants permettent d’observer divers aspects et, la variété de situations à<br />
l’origine de l’entrée précoce au travail, qui vont de la proposition directe d’une tierce<br />
personne (notamment un parent), à l’initiative du propre EAJ. Il n’y a pas une tendance claire<br />
de genre ou de génération à ce sujet, filles et garçons prennent l’initiative, de même que les<br />
plus jeunes et plus âgés. Même si les raisons d’origine peuvent différer : gagner de l’argent de<br />
poche, aider un proche, sortir, se distraire. Or, le moment peut arriver un jour par hasard, ou<br />
bien de manière tout à fait préméditée. En tout cas, les enfants ont une condition qui semble<br />
essentielle pour y accéder : du temps libre. Car, même s’ils sont tous scolarisés, le temps<br />
périscolaire est long et les activités pour le remplir sont limitées et inintéressantes. Ils essayent<br />
de trouver une activité complémentaire, pour utiliser leur temps autrement. Il faut considérer<br />
que ces enfants appartiennent à des familles à revenu modeste, dont les activités périscolaires<br />
se limitent en général, pour les plus jeunes, à regarder la télévision et à jouer chez eux, car<br />
l’environnement du quartier (avec des drogués et des alcooliques dans les rues) est peu<br />
263
agréable. Et pour les plus âgés à écouter de la musique, aller au parc ou au centre sportif. Les<br />
ordinateurs, le service d’internet, les jeux vidéo… (qui servent de distraction aux enfants qui<br />
en possèdent) représentent un luxe qui n'est pas à portée de la plupart de ces enfants. Ils y ont<br />
accès seulement dans les cafés internet qui pullulent dans la ville, à cause de la forte<br />
demande. 343 Ainsi, ils finissent pour trouver le temps périscolaire ennuyeux. Une des raisons<br />
qui les poussent à chercher une activité de distraction, dont le travail est une option, car, selon<br />
Felipe (âgé de 14 ans, qui a travaillé depuis l’âge de 8 ans pour de différents artisans) : il n’est<br />
pas apparemment difficile pour un enfant qui a pris la décision de le faire, de trouver un<br />
travail. Un jeune âge et l’interdiction légale n’empêchent pas cette pratique, au moins dans<br />
certains secteurs d’activité :<br />
264<br />
« Je ne suis jamais allé à un endroit où l’on ne m’a pas embauché ! » 344<br />
Il faut prendre en compte que tous nos interviewés sont des enfants scolarisés qui travaillent<br />
après l’école. Certes, des cas existent, où le travail est l’activité principale, mais nous n’avons<br />
pas rencontré d’enfants dans une telle situation. Tous nos interviewés ont la scolarisation<br />
comme activité principale. En effet, tous croient au fait que la scolarisation est le moyen<br />
privilégié pour avoir une ascension sociale : avoir un bon travail, gagner beaucoup d’argent,<br />
soit « être quelqu’un dans la vie ». Et les parents insistent souvent, sans hésiter à l’illustrer<br />
avec leur propre expérience de vie, sur les difficultés que l’on rencontre lorsque l’on n’étudie<br />
pas assez, le message étant de ne pas faire comme eux. Car, mères et pères ont une faible<br />
scolarité, les mieux placés ont réussi la scolarisation obligatoire, soit le collège. Cela pourrait<br />
expliquer pourquoi dans ces familles tous les enfants veulent faire de longues études, en<br />
laissant une place secondaire au travail. D’ailleurs, ils n’ont pas besoin de travailler, leurs<br />
parents arrivent modestement à s’occuper des besoins essentiels de la famille. Ainsi, lorsque<br />
le travail devient très prenant, il n’est plus intéressant, et dès que possible, ils cherchent une<br />
autre option de travail, comme raconte ce garçon qui a une longue expérience de travail :<br />
« Ce qui se passe c’est que je pense d’abord à l’école, après au travail et ensuite au jeu. Ou comme<br />
ça, je dois avoir le temps pour être un moment avec ma famille ou dans la rue avec mes amis. Lorsque<br />
je travaille, j’ai toujours du temps pour l’école, le jeu et des trucs du genre. Parce que si je n’ai pas de<br />
temps pour ça, il vaut mieux ne pas travailler. » […] « Lorsque je n’ai pas travaillé, j’ai toujours aidé là,<br />
343<br />
Selon le dernier recensement de 2010, 30% de la population nationale a un ordinateur et 20% Internet à la<br />
maison.<br />
344<br />
« !Nunca he ido así a lugares donde no me hayan contratado! »
à la maison, et puis je fais mes devoirs scolaires et je sors toute la journée, alors je ne fais rien de<br />
profitable. Je ne fais rien. Je préfère travailler plutôt que d’être dans la rue. C’est mieux de<br />
travailler. » 345 (Felipe, 14 ans, travailleur non familial rémunéré).<br />
Les enfants semblent avoir une participation active en tant qu’acteurs, comme protagonistes,<br />
dans cette mise au travail, mais surtout dans leur permanence. Même s’ils entrent sur le<br />
marché du travail un peu par hasard, voire par contrainte, après, ce sont eux qui décident d’y<br />
rester ou non. Ce qui les motive le plus à rester est généralement le côté économique. Une fois<br />
éprouvés les avantages d’une certaine indépendance économique, d’avoir de l’argent de poche<br />
pour se faire plaisir de temps en temps sans affecter le revenu familial, qui dans tous les cas<br />
est restreint, l’expérience de travail a plus du sens. En effet, c’est l’unique moyen honnête<br />
d’avoir ce qu’ils désirent, car ils ont déjà bien d’autres contraintes. <strong>La</strong> société de<br />
consommation ne cesse de séduire les EAJ avec de nouveaux produits. Ils en sont piégés. En<br />
plus, le fait de posséder certaines choses semble réduire les écarts socioéconomiques avec les<br />
pairs plus aisés. Mais en plus des raisons économiques, qui sont les plus importantes, une<br />
autre motivation assez fréquente est le plaisir d’avoir une activité à faire dans son temps<br />
périscolaire, qui est perçu comme assez long. Le travail est juste une option qui s’accorde à<br />
leur dynamique de vie, et qui leur apporte certains bénéfices, c’est aussi pourquoi ils restent<br />
dans le marché du travail. En effet, les enfants trouvent dans le travail une activité périscolaire<br />
plus avantageuse que de ne rien faire. Mais bien évidemment, il y a souvent une combinaison<br />
de raisons pour y rester.<br />
Les EAJ qui ne sont pas obligés de travailler et qui ont les études comme activité principale<br />
(ce qui est le cas de nos interviewés) conservent en partie leur rôle d’enfants, en évoquant leur<br />
plaisir pour jouer, par exemple, mais aussi leur rôle de fils ou de fille, car ils demandent la<br />
permission, l’avis ou l’accord des parents avant de travailler. Des parents qui agissent souvent<br />
comme des médiateurs ou des intermédiaires entre l’employeur et l’enfant. Un rôle qui est<br />
sûrement mieux accepté par les parents grâce au fait que les employeurs sont pour la plupart<br />
des parents collatéraux ou des proches, voire des voisins, soit des personnes connues par la<br />
famille. Alors, il semble que cette relation proche donne un sentiment de sécurité aux enfants<br />
345 « Lo que pasa es que yo me baso en que primero la escuela y luego el trabajo y luego el juego. O así, que me<br />
quede tiempo para estar aquí un rato con mi familia o en la calle jugando con mis amigos. Cuando he trabajado<br />
siempre he tenido tiempo para la escuela, jugar y eso. Porque si no tengo tiempo de eso, mejor no trabajo. » […]<br />
« Cuando no he trabajado siempre he ayudado aquí en la casa y entonces hago mi tarea y me salgo todo el día,<br />
entonces no hago nada de provecho. No hago nada. Prefiero trabajar que estar en la calle. Mejor me voy a<br />
trabajar. »<br />
265
et aux parents concernés. Il est aussi important de souligner le rôle des grands-parents (qui ne<br />
font pas partie du même ménage) qui parfois agissent eux-mêmes comme des promoteurs du<br />
travail des petits-enfants, soutenus évidemment par les parents. Or, apparemment, tous les<br />
parents concernés dans notre étude gardent aussi leur rôle de « surveillants » des enfants, en<br />
agissant en conséquence lorsque le travail devient un problème, ou une source potentielle de<br />
risque pour le bien-être des enfants, à court et long terme, comme raconte encore Felipe :<br />
266<br />
« Lorsque je ne vais pas bien à l’école et je suis en train de travailler, ils (mes parents) me font quitter<br />
le travail. Parce qu’ils disent : travaille dur à l’école, et que lorsque j'aurai de nouveau de bonnes notes,<br />
ils me remettront au travail. Ils disent que je dois réussir dans la vie. Ils ne m’ont jamais dit jusqu'à<br />
quand ? mais ils me disent de faire une formation. » 346<br />
[…]<br />
« Je ne sais pas, j’ai fini pour m’ennuyer. J’ai décidé de le quitter (un travail). De toute façon, ma<br />
maman m’a dit de ne plus travailler parce qu’il (l’employeur) me donnait très peu d’argent, et comme<br />
cette fois-là elle s’est fâchée, ma maman, très fort parce que nous rentrons très tard le soir et il me<br />
donnait très très peu d’argent. » 347<br />
Néanmoins, la perception de ce qui est apte ou non pour un enfant est subjectif, alors chaque<br />
famille agit d’après ses propres idées de bien-être, qui peuvent changer d’un cas à l’autre.<br />
Certains parents permettent des activités que d’autres n’accepteraient jamais pour leurs<br />
enfants. De même avec les résultats scolaires, certains parents se contentant de l’assiduité<br />
scolaire des enfants, et non, à proprement parler, de leurs performances. Mais au-delà de ces<br />
perceptions individuelles, il existe en général une surveillance adulte. Or, ce contrôle parental<br />
est partiel, ainsi que leur rôle de filles et de fils à charge, car ces enfants ont acquis aussi des<br />
responsabilités d’adulte, en gagnant leur propre argent et en décidant personnellement quoi<br />
faire avec lui. Ils donnent parfois une partie de leur revenu aux parents, qui ne le leur<br />
demandent pas forcément, et ainsi, involontairement, ils deviennent aussi des pourvoyeurs<br />
économiques du ménage.<br />
L’ouverture au travail des enfants de la part des divers acteurs (enfants, parents, employeurs)<br />
est liée à une bonne acceptation sociale de cette pratique, qui, a priori, n’est pas perçue<br />
comme quelque chose de négatif, au moins dans les secteurs populaires. Une acceptation qui a<br />
continué après la Révolution mexicaine de 1910, quand les politiques envers l’enfance ont<br />
346 « Cuando voy mal y estoy trabajando, me sacan del trabajo. Porque dicen que le eche ganas a la escuela y que<br />
hasta que suba de calificaciones me vuelven a meter a trabajar. Ellos dicen que tengo que salir adelante. Nunca<br />
me han dicho hasta qué, pero me dicen que estudie una carrera. »<br />
347 « No sé, ya me aburrió. Yo decidí dejarlo. De todos modos mi mamá me dijo que ya no trabajara porque me<br />
daba muy poquito dinero, y como esa vez se enojó mucho mi mamá porque llegamos muy noche y me daba muy<br />
poquito dinero. »
promu une enfance polarisée au sein de la société mexicaine. Les enfants des classes aisées et<br />
moyennes ont été orientés pour devenir les futurs professionnels, devant se consacrer aux<br />
études, tandis que les enfants des secteurs populaires deviendront les futurs travailleurs<br />
manuels, les ouvriers, des travailleurs formés au travail de leur jeune âge, motivés par l’idée<br />
que le travail ennoblit (Sosenski, 2010). Une idée qui est encore d’actualité, surtout parmi les<br />
secteurs populaires nombreux, comme l’on a observé à partir des informations collectées dans<br />
le travail de terrain. Et qui est renforcée par le fait que maintenant les enfants peuvent parfois<br />
travailler dans des conditions « acceptables », sans pour autant être déscolarisés, c’est-à-dire<br />
qu'ils restent, quand même, dans la course vers la réussite professionnelle. Cette tolérance au<br />
travail des enfants est illustrée par les récits de Felipe qui parle de sa propre expérience, mais<br />
aussi de son avis par rapport aux enfants qui travaillent dans les rues :<br />
« Je leur dis (à mes parents) : on m’a dit que si je voulais travailler? ou je suis allé demander du travail,<br />
et on m’a dit oui. Ils me disent que c’est bien. Ils m’ont toujours dit oui. Jamais ils ne nous l’ont refusé<br />
(lui et ses frères aînés), car il s’agit d’une chose bien. » 348<br />
« C’est bien, parce qu’ils sont en train de travailler parce qu’ils en ont besoin pour manger, ou des trucs<br />
du genre. Ils sont en train de gagner de l’argent honnêtement. » 349<br />
Or, il faut rappeler que malgré l’interdiction légale, l’acceptation sociale du travail des enfants<br />
est conditionnée au fait que les enfants ne soient pas déscolarisés, et qu'ils travaillent dans des<br />
conditions « adéquates ». Ainsi, toutes les formes de travail des enfants ne sont pas bien vues,<br />
certaines sont même condamnées socialement, comme le travail marginal et dans les rues, par<br />
exemple. C’est dans ce contexte que le récit de ce garçon devient intéressant. Car, au-delà des<br />
préjugés qui entourent les enfants travailleurs dans les rues (des pauvres, des délinquants, des<br />
abandonnés, des bons à rien, des victimes passives), il met l’accent sur deux vérités qui<br />
dérangent. D’une part, l’enfant comme protagoniste dans la résolution de ses problèmes les<br />
plus urgents, et comme acteur principal dans la construction de sa vie, et ainsi de la vie<br />
familiale et communautaire, dans la mesure de ses possibilités individuelles et des options<br />
disponibles. D’autre part, le travail comme un moyen légitime de résoudre les difficultés<br />
quotidiennes de la vie, même la survie, voire comme un droit humain pour tous. Une idée qui<br />
est motif de débat actuellement parmi les spécialistes du travail des enfants partout dans le<br />
348 « Les digo: me dijeron que si quería trabajar o fui a pedir trabajo, y me dijeron que sí. Me dicen que está bien.<br />
Siempre me han dicho que sí. Nunca nos lo han negado, pues es una buena cosa. »<br />
349 « Está bien, porque están trabajando porque no les alcanza para comer o así. Están ganando el dinero<br />
honradamente. »<br />
267
monde (Leroy, 2009). Parce que, si l’interdiction légale du travail des enfants est censée<br />
justement protéger l’enfance, en l’éloignant notamment des pratiques d’exploitation et d'abus,<br />
cette mesure juridique a montré son inefficacité à cet égard. Car, dans les pays en<br />
développement, il y a des enfants qui ont besoin de travailler pour des raisons de survie ou<br />
urgentes, et ils se trouvent piégés par ces lois, déprotégés dans un marché du travail interdit,<br />
qui pourtant continue de les accueillir. Et ce sont justement les enfants les plus défavorisés qui<br />
continuent de payer le prix le plus cher de cette interdiction. Dans ce sens, tant que les<br />
conditions de vie des familles démunies ne s'arrangeront pas, certains enfants ne pourront pas<br />
échapper à cette pratique, dont l’interdiction seule ne suffit pas à les protéger, lorsque leur<br />
environnement familial et social est déjà fragile et démuni d’options réelles. De plus,<br />
l’interdiction oublie le fait que le travail des enfants n’est pas synonyme d’exploitation,<br />
comme nous l’avons vu à travers les expériences des enfants interviewés, une évidence qui<br />
favorise sûrement son approbation sociale. En plus, le travail peut aussi représenter un moyen<br />
de formation alternative à l’école, une option qui n’est pas du tout négligeable dans les<br />
conditions actuelles du marché du travail, où l’obtention d’un diplôme n’est plus une garantie<br />
pour trouver un bon emploi et les meilleures conditions de travail :<br />
268<br />
« J’ai connu d’autres gars qui gagnent plus que moi. Des garçons de mon âge. Mais ils étaient, par<br />
exemple, distributeurs de jus pressés, de salades et des trucs du genre, avec un monsieur de là-bas.<br />
Ils sont des aides, et gagnent plus que moi. Ils gagnent plus que moi, c’est sûr ! Mais cela n’est pas un<br />
métier. Moi, je préfère un métier et apprendre, que gagner plus d’argent et ne rien apprendre.<br />
(…) Parce que lorsque je serai plus grand, je peux acheter une machine pour faire des clés et travailler<br />
comme serrurier, me mettre à mon compte (…) Je pense maintenant, ben, étudier et travailler (en tant<br />
qu’apprentis d’un métier). Et ainsi si jamais je n’ai pas de travail dans ma spécialité alors j’aurai un<br />
métier. » […] « Je voulais travailler dans la serrurerie parce que c’est un métier et c’est chouette. » 350<br />
(Felipe, 14 ans).<br />
« Comme ma tante était chef pour X (le nom du restaurant), alors elle sait beaucoup de recettes. Et<br />
elle me dit : regarde, c’est comme ça, on fait comme ça, et si tu veux devenir chef, tu sais déjà<br />
quelques recettes. Je dis : attendez, laissez-moi aller chercher un cahier et je les note. Parfois, je fais<br />
les recettes qu’elle me donne chez moi. » […] « Je ne sais pas que penser du travail comme “cerillo”.<br />
Ben, c’est bien, mais cela dépend des heures. Parce que si c'est trop, non, je n’irais pas. Ça n’est pas<br />
350 « Sí he conocido chavos que ganan más. Chavos de mi edad. Pero es que ellos estaban, por ejemplo, de<br />
repartidores de jugos, de ensaladas y todo eso, con un señor de acá atrás. Están ahí de ayudantes, y ganan más.<br />
De que ganan más que yo, ¡ganan más que yo! pero pues no es un oficio. Prefiero un oficio y aprender que ganar<br />
más dinero y no aprender nada (....) Porque ya de grande puedo comprar una máquina para hacer llaves y trabajar<br />
de eso, poner yo mi negocio (...) Yo pues ahorita pienso, pus estudiar y trabajar (en un oficio). Y ya si no tengo<br />
un trabajo de mi carrera pues ya un oficio. » […] « Quería trabajar en la cerrajería porque es un oficio y está<br />
padre. »<br />
351 « Como mi tía era chef de X, pues ella sabe un chorro de recetas. Y ya me dice: mira así es, así se hace, y si<br />
quieres ser chef, ya te sabes algunas recetas. Le digo: déjeme ir por un cuaderno y las apunto. A veces hago las<br />
recetas que me da en la casa. » […] « No sé qué pienso de ese trabajo. Pues está bien, pero depende de las horas.<br />
Porque si es mucho, no, no iría. No es interesante, nada mas empacas las cosas, y ya es lo único que haces. Y te<br />
dan 20 centavitos, y así. Preferiría estar con mi tía. »
intéressant, rien que garder les choses dans les sacs, et c’est tout que tu fais. Et on te donne 20<br />
centimes, ou comme ça. Je préférerais être avec ma tante. » 351 (Alicia, 11 ans, travaillait comme<br />
serveuse pour sa tante, qui a été formée comme cuisinière dans une chaîne de restaurants très connue<br />
au pays, et qui s’est mise à son compte).<br />
Au Mexique, les métiers ne s’apprennent pas toujours à l’école, ils s’apprennent plutôt dans la<br />
pratique, auprès des artisans. 352 Un diplôme ne sera pas toujours demandé pour être<br />
embauché, et jamais pour travailler de manière indépendante ou pour créer une<br />
microentreprise. Alors, pour mieux réussir dans la vie adulte, surtout lorsque l’on fait partie<br />
d’une famille modeste, il faut commencer à se préparer aux métiers dès que possible, même<br />
depuis très jeunes, pour avoir le temps de bien apprendre le métier et ainsi d’arriver à l’âge<br />
adulte avec une certaine expérience. Mais dans ces cas, disons d’« apprentissage », qui sont<br />
fréquents, il n’existe pas un cadre légal pour déterminer les conditions d’emploi, tout est fait<br />
de manière informelle, et presque tout est permis. <strong>La</strong> situation de travail de l’enfant ne dépend<br />
alors que de l’employeur. D'où les dérapages qui parfois finissent par des abus de la part de<br />
ceux-ci.<br />
Néanmoins, il faut rappeler que parmi nos interviewés aucun ne travaille par des raisons de<br />
« survie ». Le travail est une activité secondaire à la scolarité, et apparemment ces enfants ne<br />
travaillent pas par obligation, sinon plutôt par choix personnel. Mais, il faut reconnaître aussi<br />
qu’il s’agit d’un choix façonné par des circonstances bien précises. Tout d’abord, parce que<br />
ces enfants appartiennent souvent à des familles modestes, qui, si elles arrivent à satisfaire les<br />
besoins essentiels des enfants, ne peuvent pas toujours leur donner plus que l’indispensable,<br />
une condition difficile à supporter pour les enfants, surtout actuellement, où ils sont harcelés<br />
d’une offre surabondante de produits séduisants partout : à la télévision, dans les magazines,<br />
dans les magasins, à l’école, chez des amis ou des voisins, dans les rues. Ensuite, le temps<br />
périscolaire de ces enfants est assez long, et les options pour l’utiliser se limitent, pour la<br />
plupart, à des activités monotones à la maison, l’offre d’activités périscolaires étant souvent<br />
privée et assez chère, et les options publiques abordables (pas chères ou gratuites) étant peu<br />
nombreuses et parfois très éloignées. Alors, ces familles aux ressources restreintes n’ont pas<br />
les moyens de supporter une telle charge. En plus, il s’agit aussi d’une question culturelle. Car<br />
352 Il existe dans le système scolaire public mexicain deux options. D’une part, des formations professionnelles<br />
courtes « pour le travail » qui vont de 90 à 360 heures. Il suffit de savoir lire et écrire pour s’inscrire et payer le<br />
droit au diplôme (aucune restriction explicite n’est faite par rapport à l’âge ou le niveau minimum de scolarité).<br />
D’autre part, des formations « professionnelles techniques » après le collège, qui ont une durée de trois ans :<br />
électronique, électricité, informatique, administration, infirmière…<br />
269
toutes les familles n’ont pas l’intérêt d’occuper les enfants dans des activités périscolaires<br />
sportives ou culturelles, cette idée n’est même pas dans leurs mœurs. Enfin, parce que souvent<br />
les deux parents travaillent, et ils n’ont pas le temps pour amener les enfants partout, même<br />
lorsqu’ils ont la possibilité de payer une activité périscolaire. Les enfants restent souvent seuls<br />
toute la journée chez eux. Ils s’ennuient fréquemment, comme nous l’avons constaté lors des<br />
entretiens collectifs et individuels auprès des enfants. Face à ces situations, le travail devient<br />
une pratique en général bien acceptée socialement, une option pratique et avantageuse.<br />
Par ailleurs, concernant les travailleurs extradomestiques familiaux, selon le MTI, les raisons<br />
économiques sont moins importantes (55%) que chez les travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux (Tableau 23). Notamment, l’envie d’avoir ses propres revenus (13%), le besoin de<br />
payer sa scolarisation (0,3%), et les besoins de la famille du revenu de l’enfant (2%). Par<br />
contre, le besoin familial du « travail » de l'enfant et non de son apport économique est la<br />
raison la plus fréquente (39%). Et elle est bien plus considérable que chez les travailleurs non<br />
familiaux. Mais cette valorisation du travail des enfants, en termes de temps et d’effort, plutôt<br />
qu’en termes économiques est seulement apparente. Car, d’une part, un enfant non salarié qui<br />
travaille pour un membre du ménage remplace souvent un salarié potentiel étranger à la<br />
famille, ce qui évite directement une perte des revenus familiaux. D’autre part, la productivité<br />
du parent-employeur augmente grâce à l’appui de l’enfant. Ce qui empêche encore une baisse<br />
des revenus familiaux. En effet, dans ces cas, l’on peut dire que le salaire qui correspondrait<br />
au travail de l’enfant est mis directement à disposition de toute la famille, voire du parent-<br />
employeur, mais pas à la disposition personnelle de l’enfant. C’est-à-dire que finalement la<br />
famille gagne toujours économiquement, même si parfois, de manière indirecte. Or, quant aux<br />
autres raisons non économiques, apprendre un métier est une raison assez fréquente (23%).<br />
Par contre, le travail comme activité remplaçante de l’école est rare (4%). Enfin, pour une<br />
proportion non négligeable d’enfants les raisons sont : d’autres, inconnues (19%).<br />
En général, les résultats du MTI sont compatibles avec les récits des enfants interviewés, dans<br />
la mesure où ils montrent la diversité des causes de l’entrée précoce sur le marché du travail<br />
dans le cas familial. Les raisons sont aussi bien familiales que personnelles, économiques que<br />
pragmatiques :<br />
270<br />
« C’est moi qui décide, ou parfois c’est mon père qui me demande de l’accompagner (au travail). » […]<br />
« (Mon argent) Je l’épargne pour m’acheter après une paire de baskets. » […] « J’apprends à réviser<br />
les machines. C’est comme ça que l’on apprend quelque chose. » […] « J’aimerais travailler deux
heures par jour pour changer d’air. Soit, aller à l’école, mais ne pas être tout le temps accroché aux<br />
études. Avoir d’autres distractions. » 353 (Carlos, 14 ans. Son père avait des machines distributrices de<br />
petits ours en peluche, qu’il avait comme affaire personnelle. Il s’occupait de la maintenance et la<br />
réparation. Sa mère était femme au foyer. Il travaillait avec son père pendant les vacances et les weekends).<br />
« Elle m’a demandé de l’aider (la mère-employeuse.) » 354 (María, 9 ans, Elle travaillait sans<br />
rémunération deux fois par semaine avec sa mère qui vendait des fritures dans un local improvisé dans<br />
la rue près de chez eux, une affaire informelle. Elle appelait « papa » et « maman » ses grands-parents<br />
maternels, avec lesquels elle vivait depuis quelques années. Elle avait quitté sa mère biologique, qui<br />
avait des problèmes d’addiction, et qui à l'époque ne s’occupait plus d'elle. Son grand-père était<br />
chauffeur de camion benne.).<br />
« J’ai commencé à aider (ma maman) parce que, je ne voulais pas, et que mon papa m’a dit : tu dois<br />
aider ta maman si tu veux, et sinon, alors ne l’aides pas. Et après, tout à coup j’en ai eu envie parce<br />
que je n’avais rien à faire. Et donc j’ai commencé à l’aider. » […] (Lorsque je suis malade) « Ma mère<br />
dit à mon frère (âgé de 10 ans), allons voir, on va essayer avec toi. Il dit d’accord. Et il sort, mais il ne<br />
dure rien, et tout de suite il rentre. » 355 (Sandra, 12 ans. Elle travaillait pour sa mère qui vendait des<br />
hamburgers, des frites, des hot-dogs de lundi à samedi dans un local improvisé dans la rue, tout près<br />
de chez eux, une affaire informelle. Son père était fonctionnaire, comptable.).<br />
« Nous allons à l’épicerie dès que ma mère nous appelle, lorsqu’il y a beaucoup de clients ou parfois<br />
nous y allons de notre gré. » 356 (Claudia, 9 ans. Ses parents s’occupaient sept jours sur sept de<br />
l’épicerie de son grand-père, laquelle était placée formellement à côté de chez eux. Sa famille avait un<br />
appartement dans le même lot dont ses grands-parents étaient les propriétaires).<br />
« Parfois, quand j’ai du temps et que j’ai fini mes devoirs, je lui demande, lorsqu’il dit qu’il va aller<br />
travailler : papa, peux-je aller avec toi ? Parce que parfois j’ai envie d’y aller. Et comme je n’ai rien à<br />
faire, je m’ennuie là (chez moi). (…) J’aime travailler, mais seulement chaque fois que je peux... pour<br />
gagner de l’argent » […] « Parce que j’aime gagner de l’argent et en plus je m’amuse. (…) Je n’irais<br />
pas tous les jours, mais les week-ends oui, parce que je ne fais rien. » 357 « Je fais des économies. Je<br />
veux acheter une Play Station Portable. Çà coûte à peu près quatre mille pesos (250 euros). J’en ai<br />
mille. Et je veux aussi économiser pour acheter un téléphone portable. Je veux acheter aussi des<br />
chaussures et des vêtements de marque. Parce que je n’ai plus de chaussures, et comme mon père<br />
est aussi en train d'économiser, alors il vaut mieux que je les achète par moi-même... Parce que je ne<br />
veux pas, comme on ne paie guère mon petit papa, parce que les personnes n’ont pas parfois d’argent.<br />
Je ne veux pas qu’il reste sans argent juste parce que je veux un jeu vidéo ou un téléphone<br />
portable. » 358 (Pedro, 8 ans. Son père était travailleur indépendant, comme pelleteur et chauffeur de<br />
353 « Yo decido. O luego mi papá me dice que lo acompañe. » […] « Lo estoy ahorrando para comprarme luego<br />
unos tenis. » […] « Aprendo a ver las máquinas. Así se aprende algo. » […] « Me gustaría trabajar unas dos<br />
horas diarias para también tener un poco de desconecte. O sea, estar en la escuela pero no siempre apegado ahí.<br />
También tener otras distracciones. »<br />
354 « Ella me dijo que la ayudara (la mamá). »<br />
355 « Comencé a ayudar (a mi mamá) porque yo no quería, y mi papá me dijo: debes ayudar a tu mamá si tú<br />
quieres, y si no pues no le ayudes. Y después, de repente tuve ganas porque no tenía nada que hace. Y comencé a<br />
ayudarle. […] Le dice mi mamá, a ver vamos a probar contigo. Y dice, bueno. Y ya se sale, pero no aguanta<br />
nada, luego, luego se mete. »<br />
356 « Vamos a la tienda cuando nos llama, cuando hay mucha gente o a veces vamos nosotros. »<br />
357 « Luego, cuando tengo tiempo y hago la tarea, yo le digo, cuando dice que va a ir a un ‘tiro’: ¿papá puedo ir<br />
contigo?... Porque luego me dan ganas de ir. Y como no tengo nada que hacer, es que me aburro aquí. (…) Me<br />
gusta trabajar, pero sólo cada que puedo... Para ganar dinero. » […] « Porque me gusta ganar dinero y además<br />
me divierto. (…) No iría todos los días, pero los fines de semana sí, porque no tengo nada que hacer.»<br />
358 « Lo ahorro. Quiero comprar un Play Station. Cuesta como 4 000 pesos. Y llevo mil. Y también quiero<br />
ahorrar para un celular. También quiero comprarme zapatos y ropa. Porque ya no tengo zapatos y como mi papá<br />
271
272<br />
camion benne. Sa mère était femme au foyer et aussi étudiante en lycée. Elle avait auparavant<br />
interrompu ses études parce qu'elle est tombée enceinte lorsqu'elle était adolescente).<br />
A l’évidence, lorsqu’il s’agit de travailler pour l’un des parents, le rôle de ces derniers est,<br />
évidemment, plus déterminant que chez les travailleurs extradomestiques non familiaux.<br />
Cependant, nous pouvons dire qu’il y a trois groupes bien différents : ceux qui travaillent à la<br />
demande du parent-employeur, ceux qui en ont pris l’initiative, et ceux qui sont à la fois dans<br />
les deux cas. Trois groupes qui ont des traits particuliers aussi.<br />
D’une part, il y a ceux qui travaillent à la demande expresse de leurs parents (soit, dans la<br />
catégorie « la famille a besoin du travail de l’enfant »). Ils n’ont pas forcément de choix face<br />
au travail, ils représentent la majorité des EAJ travailleurs. Il s’agit notamment des filles, mais<br />
pas seulement, qui travaillent pour leur mère qui est commerçante de détail, mais dans tous les<br />
cas, une patronne ou une travailleuse indépendante, généralement du secteur informel, soit<br />
dans des conditions qui favorisent l’accès des enfants au travail. D’habitude, le travail se<br />
réalise dans un endroit tout près de chez eux, mais dans la rue. Les parents installent et<br />
désinstallent tous les jours de travail un local improvisé. Dans ce cas, la participation de<br />
l’enfant est perçue comme une aide et non comme un travail proprement dit. Et c’est sûrement<br />
par cette raison qu’ils ne sont pas rémunérés. Même s’il y a des horaires plutôt bien établis qui<br />
se déterminent en fonction du temps scolaire. Le travail est assez flexible, mais quotidien. Or,<br />
il faut signaler qu’officiellement, ces enfants font partie de la catégorie des « aides<br />
familiales ». 359<br />
D’autre part, il y a ceux qui prennent l’initiative de travailler, notamment des garçons. Ils<br />
demandent à l’un des parents, surtout le père, de les amener avec eux. Dans ce cas, il s’agit de<br />
pères travailleurs indépendants dans le secteur informel, donc ils ont la liberté d’amener leurs<br />
enfants avec eux au travail. Or, parfois, les activités que réalisent les parents ne sont pas<br />
attractives pour les enfants, c’est le fait de sortir de chez eux, de gagner un peu d’argent de<br />
poche, voire d’être avec leur père, de l’accompagner, qui les attire. Ils cherchent une activité<br />
plutôt pour se distraire. Et vu qu’ils n’ont pas trop de choix, le travail avec leurs parents (ou<br />
también está juntando aparte, pues mejor yo los compro. Porque no quiero que, como casi no le pagan a mi papi,<br />
porque luego no tienen dinero. No quiero que se quede sin dinero porque yo quiero un videojuego o un celular.»<br />
359 En espagnol « trabajador familiar sin pago » (travailleur familial sans rémunération). L’action d’aider<br />
quelqu’un (« ayudar ») en espagnol ne prête pas à confusion avec la catégorie, comme en français « aider » et<br />
« aide familiale ».
un autre membre du ménage) est l’option la plus à portée de la main, même si, peut-être, peu<br />
intéressant. L’on comprend le manque d’attirance à ce propos, car la plupart des parents des<br />
interviewés ont des emplois manuels et peu qualifiés, parfois très durs et mal payés. Un<br />
exemple clair est celui de Pedro, âgé de 8 ans, qui à son initiative travaillait de temps en<br />
temps avec son père, qui était pelleteur et chauffeur de camion-benne. A la question, « Tu<br />
aimes faire ce travail ? » Il a répondu :<br />
« Ben, oui… mais non pour le faire quand je serais plus grand. Mais maintenant oui, il me plaît un petit<br />
peu. » 360<br />
Dans ce sens, il faut faire attention avec les résultats du MTI, concernant l’importante<br />
proportion d’enfants travailleurs familiaux qui se sont mis au travail pour apprendre un<br />
métier (23%). Il est pertinent de souligner, à ce propos, que ce sont d’habitude les parents qui<br />
répondent aux enquêteurs, donc, il est tout à fait plausible que les parents répondent selon leur<br />
propre point de vue, et non pas forcément selon celui de l’enfant concerné. Certes, quelques<br />
métiers peuvent être très attirants aux yeux des enfants, ou bien représenter une tradition<br />
familiale ou un moyen sûr pour le futur professionnel, et ainsi motiver l’intérêt des enfants.<br />
Mais, dans d’autres cas, justement la dure expérience vécue par eux-mêmes ou à travers leurs<br />
parents, les démotive pour suivre un tel chemin, en les poussant à essayer de faire mieux<br />
qu’eux. Et là, c’est la scolarisation qui est mise en valeur, par les enfants et par les parents, le<br />
travail restant secondaire et sporadique.<br />
Enfin, concernant le dernier groupe, il s’agit des EAJ dont la famille a une petite affaire<br />
familiale à la maison, même si elle est installée dans un lieu spécifique à ce propos. <strong>La</strong> vie<br />
familiale se partage entre la maison et le local commercial, tout en fait partie. Il n’y a pas une<br />
distinction claire des activités de production et de reproduction sociale, et donc, tous passent<br />
d’un domaine à l’autre, même sans s'en rendre compte. Les enfants peuvent aider dans la<br />
cuisine, comme dans l’entreprise, dans la pratique, il n’y a pas de différence. C’est sûrement<br />
pour cela que ce travail n’est pas non plus rémunéré. Et aussi, il est considéré comme une<br />
aide, une aide à la demande ou à l’initiative, mais très fréquente. Ils doivent être disponibles à<br />
tout moment, lorsqu’ils sont à la maison. En général, ce sont des affaires où l’on travaille sept<br />
jours sur sept, tous les mois de l’année, et toute la journée (de 7 h à 22 h). Le travail fait partie<br />
de la dynamique familiale quotidienne, et de la vie périscolaire des enfants. En effet, il<br />
360 « Pues, sí,… para hacer de grande no. Pero ahorita sí, me gusta tantito. »<br />
273
n’existe guère une vie familiale privée, un temps en famille à la maison. Même les rencontres<br />
avec les amis se font plutôt dans le local, sur le temps de travail. Ils y viennent pour discuter,<br />
dès que possible. Tout se fait par relais, même si les parents restent les plus engagés dans<br />
l’affaire. Par exemple : les uns mangent à la maison, tandis que les autres s’occupent des<br />
clients. Même parfois, les parents mangent dans le local. Et ainsi pour toutes les autres<br />
activités essentielles, le local est une extension de la maison. Les enfants remplacent les<br />
parents lorsqu'ils sont absents. Par exemple, cette fille s’occupe des clients de l’épicerie<br />
familiale de temps en temps, de même que son frère aîné :<br />
274<br />
« Parfois, lorsque ma maman va préparer les repas ou lorsque ma maman veut aller<br />
regarder quelque chose ou aller aux toilettes, et voilà. » 361 (Claudia, 9 ans).<br />
Par ailleurs, les particularités du processus d’entrée sur le marché du travail impliquent un<br />
certain protagonisme des enfants concernés, par rapport au premier contact avec le monde du<br />
travail. Parfois, ils sont de simples acteurs secondaires, mais des acteurs, en acceptant la<br />
demande de la part d'autre personne); et parfois, ils sont de vrais protagonistes (en prenant<br />
l’initiative). Or, dès qu’ils sont sur le marché du travail, leur participation est active, ils<br />
deviennent tous des protagonistes en façonnant ainsi, de gré ou de force, leur propre vie et<br />
celle de leur famille. En général, ceux qui ont été contraints de le faire assument cette activité<br />
avec soumission et abnégation, comme une forme de solidarité ou d’obligation familiale.<br />
Parce que l’union et le soutien dans les familles sont fondamentaux dans la société mexicaine,<br />
où pour faire face à toute difficulté, l’on ne compte qu’avec le soutien de la famille élargie ou<br />
des proches, l’appui de l’Etat étant très restreint. Alors, tout au long de la vie, les personnes<br />
passent du rôle de soutenu au rôle de soutien, dans la sphère familiale. Et c’est grâce à cette<br />
cohésion familiale que la population arrive à tenir, malgré toutes les difficultés quotidiennes,<br />
et surtout lors d’un drame. Ce soutien est plus important à mesure que la situation<br />
socioéconomique de la famille est plus précaire, soit plus vulnérable. Il s’agit d’un intérêt<br />
mutuel, où tous sont impliqués, que cela plaise ou non.<br />
C'est pourquoi le travail dans le milieu familial est souvent considéré comme une aide et non<br />
comme un travail. En effet, le concept de travail est souvent lié aux conditions d’emploi<br />
(rémunéré/non rémunéré, formel/informel, économique/non économique, etc.), et pas<br />
361 « Algunas veces, cuando mi mamá va a hacer la comida, o cuando mi mamá quiere ir a ver algo o al baño, o<br />
así. »
forcément au simple fait de réaliser ou non une activité concrète, comme nous l’avons déjà<br />
évoqué dans la partie sur les représentations sociales. Mais la proximité familiale avec<br />
l’employeur n’est pas toujours perçue comme une condition dans la détermination de ce qui<br />
est ou non un travail. Nous l’avons observé dans l’entretien avec Sandra, âgée de 12 ans. Ce<br />
cas montre la difficulté de repérer le travail des enfants, notamment lorsqu’il se réalise dans le<br />
milieu familial. En plus le fait de qualifier le travail comme aide, permet son développement<br />
plus facilement. Et ainsi, l’entrée des enfants dans le monde du travail se fait souvent d’une<br />
manière très subtile, presque inaperçue. <strong>La</strong> famille de cette fille partageait la même propriété<br />
avec d’autres familles de proches parents, dont ses grands-parents maternels. Cette fille<br />
travaille de manière rémunérée et sporadique pour sa grand-mère en lavant un comal, et<br />
parallèlement, travaille tous les soirs pour sa maman, sans rémunération. A la question,<br />
« Aimerais-tu travailler maintenant ? » Elle a répondu :<br />
« Ben, je ne sais pas, au fait, je travaille avec le ‘comal’ » 362 Elle ne considérait pas comme un travail ce<br />
qu’elle faisait pour sa mère, malgré le fait que dans la pratique c’était un travail plus prenant que le travail<br />
pour sa grand-mère.<br />
Enfin, en analysant les récits des enfants travailleurs extradomestiques, tant familiaux que non<br />
familiaux, nous trouvons que le travail est vécu plutôt comme une expérience positive, une<br />
expérience qui peut leur apporter des bénéfices, à court et à long terme. Et cette perception<br />
positive les motive à rester sur le marché du travail.<br />
D’un côté, parmi les travailleurs rémunérés, familiaux ou non, leur indépendance<br />
économique, qui est plutôt symbolique, montre le caractère persévérant de ces enfants, qui les<br />
motive à travailler pour gagner de l’argent et ainsi, peu à peu, arriver à un but précis : la<br />
réalisation d’un souhait, un achat prévu. Et en le faisant, ils « goûtent » la saveur du monde<br />
adulte, comme une forme de maturité précoce, forcé par eux-mêmes, comme évoquent ces<br />
deux enfants :<br />
« Je veux apprendre maintenant à faire mon propre argent. » 363 (Carlos, 14 ans, travailleur familial).<br />
(Travailler m’aide) « A savoir valoriser les heures de travail. » 364 (Alicia, 11 ans, travailleuse non<br />
familiale).<br />
362 « Pues no sé, es que sí trabajo con el comal. »<br />
363 « Quiero aprender ahorita a hacer mi propio dinero. »<br />
364 « En saber valorar las horas de trabajo. »<br />
275
D’autre côté, nous avons aussi observé que les enfants qui travaillent à l’extérieur du quartier,<br />
comme travailleurs familiaux ou non, peuvent trouver dans ces sorties une autre source de<br />
plaisir par rapport au travail, qui les motive à y rester. Le travail devient un moyen<br />
d’ouverture au monde extérieur du quartier :<br />
276<br />
« Je vais à des lieux lointains, que je ne connais pas, je ne sais où ils se trouvent, et j’apprends où ils<br />
sont placés. Parfois, il y a des endroits que j’aime, jolis. (…) Parce que parfois j’ai envie d’y aller. Et<br />
comme je n’ai rien à faire, je m’ennuie là. (...) Je n’irais pas tous les jours, mais les week-ends si, parce<br />
que je fais rien. » 365 (Pedro, 8 ans, travailleur familial).<br />
« Oui, j’aime (le travail), parce qu’on va à des lieux avec son pick-up. » […] « J’aime parce que sinon,<br />
qu’est-ce que je ferais chez moi ? Comme ça, je sors à des endroits. » […] « Ben, parfois il m’amène à<br />
différents endroits, comme à Veracruz, car il y va en vacances avec sa famille » […] « Ben, je connais<br />
des endroits, et quand j’y vais, donc je sais où je suis, je sais comment y arriver, je ne me perds pas<br />
facilement. » 366 (Alejandro, 14 ans, travailleur non familial).<br />
Mais cette perception est peut-être particulière aux enfants du quartier, lequel se caractérise<br />
justement pour être très enfermé (dans les idées, dans les pratiques, et aussi dans<br />
l’emplacement physique). Les habitants du quartier ont l’habitude de sortir peu du quartier<br />
pour se promener, notamment les familles les plus défavorisées. Ils ont à l’intérieur tout ce qui<br />
est essentiel à la vie quotidienne. En plus, toute la famille est là, dedans, ou dans les villages<br />
d’origine, car il faut rappeler qu’il s’agit d’un quartier formé par des immigrants de<br />
« récente » arrivée. Mais, cette qualité du travail est réservée aux garçons, car ce sont eux<br />
seuls qui ont l’opportunité de sortir, étant donné que toutes les filles travaillent dans le<br />
quartier, voire à la maison. Un effet pervers de la vulnérabilité féminine supposée, qui touche<br />
d’abord les mères, et ainsi de suite, à cause du lien sexué d’embauche, pour leurs filles.<br />
Parfois l’espace de travail devient un lieu de socialisation, une qualité que certains enfants<br />
valorisent. Mais cette qualité se présente plutôt lorsque l’enfant travaille dans un milieu<br />
familial, un environnement plutôt décontracté et convivial, qui favorise les relations entre les<br />
365 « Porque me gusta ganar dinero y además me divierto. Voy a lados lejos, que no conozco, y ni sé dónde están<br />
y aprendo donde están. Luego hay lados que me gustan, bonitos. (…) Porque luego me dan ganas de ir. Y como<br />
no tengo nada que hacer, es que me aburro aquí. (...) No iría todos los días, pero los fines de semana sí, porque<br />
no tengo nada que hacer. »<br />
366 « Sí me gusta, porque vamos a lugares con su camioneta. » […] « Me gusta, porque ¿qué hago en mi casa?<br />
Así salgo a lugares. » […] « Pus, que a veces me lleva a varios lugares, como a Veracruz, porque él va de<br />
vacaciones con su familia. » […] « Pus conozco lugares, ya cuando voy a esos lugares, pues ya sé dónde ando,<br />
ya sé cómo llegar a esos lugares, ya no me pierdo fácilmente. »
enfants et les clients, en plus d’être un lieu de rencontre entre amis. Mais évidemment, la<br />
socialisation trouve de limites selon le type de travail :<br />
« J’aimais m’occuper de l’épicerie, parce qu’en plus de prendre des choses, c’était bien parce que nos<br />
amis y venaient, parfois on allumait une machine (de jeu vidéo), et nous restions là en jouant. Mes amis<br />
arrivaient, et après lorsqu’il y avait du football, nous sortions la télé (à l’épicerie) et nous y restions. » 367<br />
(Felipe, 14 ans, qui à l’époque de l’entretien était travailleur extradomestique non familial, et avait<br />
auparavant travaillé pour sa mère pendant des années, sans rémunération. Ils vendaient des sucreries<br />
et des sodas, et avaient installé une machine à pièces (de jeux vidéo) dans leur salon).<br />
« Ben, ma tante m’a dit de m’occuper d’eux (les clients), tu ne dois pas dire cela. » […] « Au début,<br />
j’avais honte, j’arrivais et je leur demandais (aux clients leur commande), et avec la peur que j’avais,<br />
j’oubliais le menu. Et je disais : ups ! Mais j’ai déjà pris de l’expérience, de l’expérience, et ça va. Je n’ai<br />
plus honte. Et on me dit : il y a ceci et cela. Je demande à ma tante : qu’est-ce qu’il y a comme menu ?<br />
Et elle me dit et je vais et je leur dis. » […] « J’ai appris à savoir m’occuper de clients. Je discute avec<br />
eux, mais parfois on me gronde parce que je discute beaucoup avec eux, je me mets à leur table<br />
presque. Et comme ça, j’ai mes clients, et ils me disent, appelle-moi par mon prénom, tutoie-moi. Et<br />
comme ça. Mais quand j'ai commencé, je ne savais rien. Je les vouvoyais, car ma maman m’a appris à<br />
vouvoyer les personnes, et ne pas les tutoyer. Et quand on te dit tutoie-moi, je te tutoie. (…) Parfois, ils<br />
se fâchent avec moi et me grondent. Parce que parfois j’oublie de les amener les “tortillas”. Et ils me<br />
disent, et alors je vais en courant, et ça va. » 368 (Alicia, 11 ans, elle travaillait, à son initiative, pour sa<br />
tante qui avait un petit restaurant près de chez elle).<br />
A la lumière des expériences de ces enfants, le travail peut s’avérer positif lorsque certaines<br />
conditions se présentent. Les enfants interviewés sont entrés et sont restés dans le monde du<br />
travail parce qu’ils y trouvent certains bénéfices, dont l’économique très important, mais il<br />
n’est pas le seul. Certes, nos interviewés représentent des cas très particuliers de travailleurs,<br />
dans un contexte aussi singulier, mais leurs récits montrent une partie de ce monde hétérogène<br />
des enfants travailleurs. Dire que tous les enfants travailleurs sont satisfaits avec leur travail<br />
serait aussi partiel que de dire que tous sont exploités.<br />
367 « Me gustaba estar en la tienda porque aparte de que agarrábamos cosas, estaba bien porque venían nuestros<br />
amigos, luego prendíamos una maquinita, y ahí estábamos jugando. Venían mis amigos, y luego cuando había<br />
futbol, sacábamos la tele y ahí estábamos. »<br />
368 « Pues mi tía me estaba diciendo que los atienda, no tienes que decir todo eso. » […] «Al principio tenia pena,<br />
como que así llegaba, y les decía. Y con lo nerviosa que estaba se me olvidaba el guisado. Y decía: ¡híjole! Pero<br />
ya agarré experiencia, experiencia, y ya. Ya no me da pena. Y me dice: hay esto y esto. Le pregunto a mi tía:<br />
¿qué hay de guisado? Y me dice, y voy y les digo. » […] « He aprendido a saber atender a los clientes. Platico<br />
con ellos, nada más que a veces me regañan porque me quedo platicando con ellos, casi me siento en su mesa. Y<br />
así, como que ya tengo clientes. Y me dicen: llámame por mi nombre, de tú. Y así. Pero yo, cuando entré no<br />
sabia nada. Les hablaba de usted. Porque mi mama me ha enseñado a hablarles a las personas de usted, no de tú.<br />
Y cuando te digan háblame de tú, te hablo de tú. (…) A veces se enojan los clientes y me regañan a mí. Porque a<br />
veces se me olvidan llevar las tortillas. Y me dice, y ya voy corriendo, y ya. »<br />
277
VII.2.2. Les liens sexués d’embauche.<br />
Un aspect notable qui s’est révélé lors de l’analyse de nos entretiens, est l’existence d’une<br />
« relation sexuée d’embauche » : les filles travaillant plutôt pour des femmes et les garçons<br />
pour des hommes, une situation plus nette chez les travailleurs familiaux, mais présente aussi<br />
chez les travailleurs non familiaux.<br />
L'existence d'un tel lien sexué d'embauche prend une importance majeure, car il a<br />
d'importantes conséquences sur les conditions de travail des filles et des garçons. Par<br />
exemple, dans le cas des travailleurs extradomestiques familiaux, en général, les filles<br />
travaillent avec leur mère et les garçons avec leur père. Quant à leurs conditions de travail,<br />
toutes les filles interviewées sont non rémunérées, tandis que les garçons ont presque tous une<br />
rémunération par leur travail. Ils travaillent de manière sporadique, elles le font de manière<br />
quotidienne, sans un horaire fixe. Les hommes travaillent à l’extérieur du quartier, les femmes<br />
ne sortent pas du quartier, elles ne s’éloignent même pas trop de chez elles. Par ailleurs, les<br />
filles réalisent des activités qui sont une extension des tâches domestiques à la maison. Tandis<br />
que les garçons réalisent des activités qui demandent plus de force physique, ou bien qui<br />
s’inscrivent dans le cadre d’un métier, plutôt masculin. Ce qui permet aux garçons travailleurs<br />
l’apprentissage d’un métier, qui représente une option de plus, en termes de formation, pour<br />
leur entrée future sur le marché du travail. Mais, ils y apprennent aussi à « gagner de<br />
l’argent ». Ce qui sera leur responsabilité primordiale à l'avenir, comme pourvoyeurs<br />
économiques de leur propre famille.<br />
Par contre, une fille qui travaille dans la petite entreprise familiale n’est pas là afin de se<br />
préparer pour l'avenir. Elle rend juste un service à la famille en tant qu’enfant dépendant. Il<br />
faut signaler que parmi nos interviewés, les mères n’ont pas de formation, elles sont avant tout<br />
femmes au foyer, même si elles travaillent à côté. Alors, si jamais elles travaillent, elles ont<br />
des travaux peu qualifiés : petites commerçantes (surtout informelles) ou travailleuses<br />
domestiques pour un tiers. Par contre, les pères, même s’ils ont aussi de faibles niveaux de<br />
scolarisation, d’habitude ils ont un métier. Ils sont des travailleurs manuels qui ont besoin de<br />
bouger dans la réalisation de leur travail, ce qui attire plus l’attention des enfants. Il semble<br />
alors que les garçons ont des options plus intéressantes de travail auprès de leur père que les<br />
filles auprès de leur mère, et donc le manque d’initiative de leur part est tout à fait<br />
compréhensible. Alors que les emplois des pères s’inscrivent dans un milieu plutôt masculin,<br />
278
où les femmes et les filles n’ont pas de place, par contre, le travail des mères est plus asexué<br />
(comme le commerce), et même s’il reste dans un contexte plutôt féminin (services<br />
domestiques), les garçons y sont tout à fait bien acceptés.<br />
D’ailleurs, dans le cas des travailleurs extradomestiques non familiaux, il existe aussi un lien<br />
sexué d’embauche : les filles travaillent pour une femme, les garçons pour un homme. Mais<br />
en plus, les filles travaillent toujours pour un parent, même si celui-ci n’appartient pas au<br />
même ménage, et elles restent tout près de chez elles pour travailler. Tandis que les garçons<br />
travaillent de manière indépendante ou pour quelqu’un sans lien de parenté, mais, quelqu'un<br />
de connu dans leur entourage. Et ils se déplacent plus, soit pour se rendre au travail, soit<br />
comme partie de leur travail.<br />
Etant donné la particularité et le nombre restreint d’enfants interviewés, il faut encore<br />
vérifier l’importance de ce lien sexué d’embauche trouvé lors du travail de terrain, à l’aide de<br />
la base de données du MTI. Malheureusement, l’enquête ne permet pas de connaître le sexe<br />
de l’employeur dans le cas des enfants travailleurs non familiaux. A ce sujet, nous devons<br />
nous contenter d’observer seulement la situation des enfants travailleurs extradomestiques<br />
familiaux.<br />
Tout d’abord, indépendamment du rôle de l’employeur dans le ménage (chef, conjoint ou<br />
autre), 69% des garçons travaillent pour un homme, et 64% de filles pour une femme ; en<br />
général, il s’agit du père et de la mère, respectivement. Mais, à mesure que l’âge des enfants<br />
augmente, tous travaillent plus souvent pour un homme. Ainsi, parmi les filles de 6 à 11 ans,<br />
30% travaille pour un homme, tandis que la proportion s’élève à 40% chez les 15 à 17 ans.<br />
Parmi les garçons, la proportion passe de 56 à 75%, respectivement. Plus en détail, à propos<br />
du lien de parenté de l’enfant avec l’employeur, parmi les garçons travailleurs familiaux, les<br />
principaux employeurs sont : le chef de ménage homme (64%), la conjointe du chef (21%) ou<br />
la chef de ménage (10%). Et parmi les filles travailleuses familiales : la conjointe du chef de<br />
ménage (42%), le chef de ménage (35%) ou la chef de ménage (19%).<br />
Le lien sexué d’embauche répond à des relations traditionnelles de genre et de génération,<br />
mais aussi d’opportunité. Pour des questions pratiques, de nécessité ou de coutume, l’entrée<br />
précoce des enfants au travail peut être plus simple si elle se fait à côté ou dans le même<br />
réseau de travail des parents, au moins dans un premier temps. Or hommes et femmes<br />
279
travaillent selon un modèle plutôt traditionnel, parce que le marché du travail est construit de<br />
cette manière, notamment parmi les familles les plus démunies. Par conséquent, les activités<br />
s’héritent d’une génération à l’autre, au moins pendant l’enfance et l’adolescence, en<br />
contribuant ainsi à la permanence de la distribution traditionnelle d’activités économiques par<br />
sexe : les pères embauchant davantage les fils dans des activités typiquement masculines, et<br />
les mères les filles dans des activités féminines.<br />
Certes, la mise au travail précoce et la permanence dans le marché du travail répondent à des<br />
causes diverses en même temps, mais l’existence d’un environnement favorable est<br />
essentielle. Si une affaire familiale existe par exemple, le travail extradomestique familial est<br />
assez probable, même s’il n’est pas obligatoire, ni nécessaire. Mais, si ce n'est pas le cas, les<br />
enfants qui ont envie ou besoin de travailler le feront en qualité de travailleurs non familiaux,<br />
en cherchant ailleurs. Or cette simple différence du lien de parenté avec l’employeur peut se<br />
répercuter directement sur les conditions de travail des enfants, et ainsi avoir des<br />
conséquences sur la vie et le bien-être de l’enfant. C'est pourquoi maintenant nous nous<br />
intéressons au travail réalisé par les enfants, selon le lien de parenté : que font-ils ? où<br />
travaillent-ils ? dans quelles conditions ?<br />
VII.3. Le travail extradomestique non familial et familial : deux mondes différents.<br />
<strong>La</strong> connaissance de l’environnement de travail des EAJ selon le lien de parenté avec<br />
l’employeur servira à avoir des éléments susceptibles à expliquer, et à<br />
comprendre l’importance du travail dans la vie des enfants et des familles concernés. Les<br />
différences observées à propos de la composition sociodémographique de ces deux sous-<br />
groupes, en plus des évidences successives sur la participation sexuée des enfants, imposent<br />
une analyse par sexe.<br />
Nous allons par la suite présenter les principaux aspects qui servent à caractériser<br />
l’environnement de travail : les branches d’activité économique, le statut d’emploi, la taille et<br />
le type d’unité de production de biens ou de services (la possession d’un nom, comme un<br />
moyen d’approcher le secteur d’emploi : formel ou informel), lieu de travail (établissement,<br />
rue, unité domestique…), et les conditions d’emploi (horaires, périodes, rémunération et<br />
milieu).<br />
280
VII.3.1. Le monde du travail des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux.<br />
Les travailleurs extradomestiques non familiaux ont trouvé une place dans diverses branches<br />
d’activité économique. Mais, ils sont surtout présents dans le commerce de détail (28%),<br />
l’industrie manufacturière (18%), et le secteur de services en général, mais notamment<br />
dans deux branches : le service à la personne, aux automobiles et aux appareils ménagers<br />
(16%) 369 ; et le service de logement temporaire et de préparation de repas et des boissons<br />
(13%). Et plus discrètement, l’industrie du bâtiment est aussi parmi celles qui accueillent<br />
fréquemment ces enfants (9%). Cependant, il y a des différences à commenter selon le sexe et<br />
les groupes d’âges (Graphique 13).<br />
Le commerce de détail est la branche la plus importante chez tous les EAJ, les autres branches<br />
n’ont pas le même niveau d’importance dans chaque sous-groupe. Tout d’abord, à propos des<br />
différences par sexe, la plus notable est que l’industrie du bâtiment est une branche<br />
typiquement masculine, où les filles sont presque absentes. Par contre, la branche de services<br />
de logement et de préparation de repas est beaucoup plus importante chez les filles que chez<br />
les garçons, même s’ils sont aussi concernés. A l’image des pratiques adultes, il existe<br />
certaines branches bien sexuées. Par ailleurs, en relation à l’âge, en grandissant, les enfants<br />
s’incorporent progressivement à plus de branches d’activité économique. En général, les<br />
secteurs de services et du commerce perdent de l’importance au profit du secteur industriel,<br />
notamment l’industrie manufacturière, et chez les garçons de l’industrie du bâtiment. Mais,<br />
signalons qu’il n’y a pas de filles âgées de moins de 12 ans dans le secteur de l’industrie,<br />
tandis que les garçons y sont déjà présents.<br />
369 Cette branche inclut spécifiquement : la réparation et maintenance des automobiles et des camions ; la<br />
réparation et maintenance de l’équipement, des machines et des articles ménagers et personnels ; les services<br />
personnels ; les parkings ; les services de garde et de nettoyage des automobiles par des travailleurs itinérants ;<br />
service d’administration de cimetière ; des associations et des organisations ; et des ménages avec des employés<br />
domestiques.<br />
281
282<br />
Graphique 13. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
par branches d’activité économique, selon le sexe et les trois groupes d’âges<br />
Branches d'activité<br />
Services à la personne, aux automobiles et aux<br />
appareils ménagers<br />
Services de logement temporaire et de préparation<br />
de repas et des boissons<br />
Branches d'activité<br />
Commerce de détail<br />
Commerce de gros<br />
Industrie manufacturière<br />
Industrie du bâtiment<br />
Garçons<br />
Autres<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Autres<br />
Services à la personne, aux automobiles et aux<br />
appareils ménagers<br />
Services de logement temporaire et de préparation<br />
de repas et des boissons<br />
Commerce de détail<br />
Commerce de gros<br />
Industrie manufacturière<br />
Industrie du bâtiment<br />
0 10 20 30 40 50<br />
Filles<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
%<br />
0 10 20 30 40 50<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
En accord avec leur appartenance privilégiée à certaines branches d’activité économique,<br />
leurs activités se concentrent surtout dans trois catégories, comme travailleurs en services<br />
personnels dans un établissement (24%) ; aides ou manœuvres (20%) ; et commerçants<br />
%
(19%). Cependant, ils réalisent toutes sortes d’activités, même si certaines activités sont peu<br />
fréquentes. Or, il existe des différences dans la répartition par type d’activité selon le sexe et<br />
les groupes d’âges (Graphique 14). Les aspects à souligner quant au sexe sont une plus forte<br />
présence d’aides et de manœuvres chez les garçons, par contre une plus grande participation<br />
de filles comme domestiques. Concernant l’âge, une diversification d’activités parmi les plus<br />
âgés, qui à partir de 12 ans trouvent une place dans des activités mieux qualifiées comme :<br />
assistants administratifs ; opérateurs de machine fixe ou techniciens, au détriment d’activités<br />
comme le travail domestique et la vente dans les rues pour les deux sexes ; et concrètement<br />
chez les filles, l’artisanat et le travail manuel (ouvriers) ; et chez les garçons, le travail dans<br />
des services personnels en établissement.<br />
En effet, les travailleurs extradomestiques non familiaux réalisent des activités qui demandent<br />
une qualification minimale ou bien spécifique. Par exemple, Felipe âgé de 14 ans, raconte ce<br />
qu’il a fait vers l’âge de 8 ans en tant que travailleur avec son oncle qui était forgeur :<br />
« Je lui approchais les choses, les pinces et tout ça, puis, nous ramassions et rangions les outils.» 370<br />
Mais, les activités évoluent avec l’autonomie qui gagne l’enfant avec l’âge, comme raconte<br />
Alejandro, âgé de 14 ans. Il travaillait depuis des années pour le même employeur, le<br />
propriétaire d’une petite épicerie près de chez lui, qui en plus louait des jeux gonflables et<br />
avait des machines de jeux vidéo placées dans d’autres magasins :<br />
« Ben, ça fait déjà quelques années, j’avais comme 8 ans. Je l’accompagnais de temps en temps.<br />
Après, lorsque j’avais comme 10 ans, comme j’avais un peu plus de forces, j’ai commencé à remplir<br />
les frigos avec des sodas et des bières et ces choses (dans l’épicerie de l’employeur). » 371<br />
[…] « (Maintenant) (…) je l’accompagne à sortir de l’argent de ses machines de jeux vidéo. (...) Je lui<br />
approche le sac avec les clefs, j’ouvre la machine et commence à compter l’argent et c’est tout, et il<br />
faut enlever l’argent. (...) Quand j’étais plus jeune et je l’accompagnais, je ne faisais que lui donner les<br />
clefs. » 372<br />
370 « Yo le pasaba las cosas, las pinzas y todo eso, y después recogíamos y arreglábamos le herramienta. »<br />
371 « Pues, ya tiene varios años, tenía como 8 años. Lo anduve acompañando. Después, cuando tenía como 10<br />
años, como ya tenía un poco de fuerza, ya empecé a llenar los refris de refresco y de cerveza y esas cosas. »<br />
372 « (...) lo acompaño a que saque dinero de las máquinas. (...) Yo le paso la mochila con las llaves, abro la<br />
máquina y empiezo a contar el dinero y ya, y hay que quitar el dinero. (...) Cuando estaba más chico y lo<br />
acompañaba, sólo le pasaba las llaves. »<br />
283
284<br />
Graphique 14. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
par activité principale, selon le sexe et les trois groupes d’âges<br />
Activités<br />
Autres<br />
Travailleurs domestiques<br />
Travailleurs en services personnels dans un<br />
établissement<br />
Vendeurs ambulants<br />
Commerçants<br />
Assistants administratifs<br />
Aides ou manœuvres<br />
Operateurs d'une machine fixe<br />
Artisants et ouvriers<br />
Techniciens<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Activités<br />
Autres<br />
Travailleurs domestiques<br />
Travailleurs en services personnels dans un<br />
établissement<br />
Vendeurs ambulants<br />
Commerçants<br />
Assistants administratifs<br />
Aides ou manœuvres<br />
Operateurs d'une machine fixe<br />
Artisants et ouvriers<br />
Techniciens<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Garçons<br />
0 10 20 30 40<br />
Filles<br />
0 10 20 30 40<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
%<br />
%
Autre exemple est celui d’Alicia, âgée de 11 ans, qui à l’époque travaillait comme serveuse<br />
dans le restaurant de sa tante. Elle avait vécu une évolution liée à son âge dans son travail :<br />
elle est passée d’aide à serveuse, où l’on demande une certaine maîtrise de l’écriture, pour<br />
prendre la commande, par exemple :<br />
Auparavant, « Au début, je l’aidais pour les petits-déjeuners, j’étais en CM1. Pendant les vacances ma<br />
tante vendait des petits-déjeuners. (...) Si elle avait besoin de sucre, alors j’allais le chercher dans<br />
l’épicerie qu’elle a à côté du restaurant. (...) Je mettais du miel aux “hot cakes”, et je les amenais à la<br />
table des clients, et des trucs du genre. Comme serveuse. (…) J’aidais ma tante juste pendant les<br />
vacances. Après, vers 14 h, je l’aidais à préparer le riz pour le déjeuner, dans le restaurant : j’ouvrais le<br />
sac de riz et voilà (...) » 373 […] (Maintenant) « Je sers les assiettes, prends les commandes et<br />
débarrasse les tables des assiettes utilisées. Parfois, je nettoie les tables, parce que parfois c’est mon<br />
oncle qui le fait. Je ne fais pas la vaisselle, je leur ai dit que si je devais faire la vaisselle il fallait me<br />
payer. » 374<br />
Cependant, malgré l’évolution des activités dans le travail de ces enfants, en général, les<br />
perspectives de formation sont limitées et peu avantageuses pour l’avenir professionnel des<br />
enfants, sauf peut-être, dans les cas des enfants « mis en apprentissage » chez un artisan. Une<br />
pratique qui n’est pas régulée. Ce sont l’enfant travailleur et l'artisan, et parfois les parents,<br />
qui arrivent à un arrangement, où tout est fait de manière informelle. Et en général, les<br />
arrangements peuvent être interrompus à n’importe quel moment, sans problème :<br />
« Je ne sais pas, ce travail m’a ennuyé. J’ai décidé de le quitter. » 375 Raconte Felipe, 14 ans, à propos<br />
de son travail avec un forgeur.<br />
Ainsi, le travail précoce n’est pas seulement une source de revenus, il peut aussi représenter<br />
un moyen d’apprentissage, comme jadis, lorsqu’il se fait dans certaines conditions. Une<br />
qualité plutôt négligée dans les sociétés contemporaines, et à l’évidence peu valorisée aussi.<br />
Et le manque d’un cadre régulateur de cette pratique empêche une vraie formation pour les<br />
enfants intéressés.<br />
373 « Primero le ayudaba en los desayunos, cuando iba en cuarto. En las vacaciones mi tía vendía desayunos. (...)<br />
Pues si faltaba azúcar, pues yo iba por ella. Como ella tiene una tienda al lado del restaurante, pues tengo que ir.<br />
(...) Pues le ponía miel a los hotcakes, y se los llevaba a su mesa y así. Como mesera. (...) Y yo le ayudaba a mi<br />
tía, sólo en las vacaciones. Después, ya eran las dos, y le ayudaba a hacer el arroz para su comida, en el<br />
restaurante, le abría la bolsa y así. »<br />
374 « Llevo los platos, pregunto de los guisados y de la sopa, y recojo los platos. A veces limpio la mesa, porque<br />
a veces la recoge mi tío. No lavo platos, yo les dije que si lavaba platos que me pagaran. »<br />
375 « No sé, ya me aburrió. Yo decidí dejarlo. »<br />
285
Par rapport aux principales caractéristiques à propos de l’entreprise où les enfants travaillent,<br />
la plupart le font en très petites entreprises constituées de moins de 20 personnes (l’enfant et<br />
le patron inclus) : 79%. Ce sont surtout des microentreprises, de 2 à 5 employés (48%) ou de<br />
6 à 10 (13%). Les travailleurs indépendants représentent 9%. L’embauche dans des petites et<br />
moyennes entreprises (PME), de 20 à 250 salariés, concerne 13% de ces travailleurs. Par<br />
contre, les entreprises de taille intermédiaire, ainsi que les grandes entreprises (ETI et GE)<br />
sont peu concernées (6%). Cependant, l’âge et le sexe de l’enfant sont en étroite relation avec<br />
la taille de l’entreprise (Tableau 24). Tout d’abord, le travail « indépendant » est beaucoup<br />
plus important chez les filles que chez les garçons de tous les groupes d’âges et la différence<br />
est plus forte chez les moins de 12 ans (43%). Ensuite, avant 15 ans, les garçons intègrent plus<br />
fréquemment les grosses entreprises que les filles, mais à partir de 15 ans la tendance<br />
s’inverse. Enfin, la proportion de filles et de garçons dans les entreprises de plus de 10<br />
employés augmente au fur et à mesure de l’âge, mais ne dépasse jamais l’importance des<br />
entreprises de 2 à 5 salariés.<br />
286<br />
Tableau 24. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux,<br />
selon la taille de l’entreprise par groupes d’âges et sexe<br />
Groupes d’âges et<br />
sexe<br />
6 à 11 ans-garçons<br />
6 à 11 ans-filles<br />
12 à 14 ans-garçons<br />
12 à 14 ans-filles<br />
15 à 17 ans-garçons<br />
15 à 17 ans-filles<br />
Total<br />
Total<br />
Taille de l’entreprise<br />
%<br />
(nombre de salariés)<br />
(N) 1 2 à 5 6 à 10 Plus de 10 NS<br />
100,0<br />
(22 818)<br />
100,0<br />
(18 260)<br />
100,0<br />
(67 975)<br />
100,0<br />
(38 896)<br />
100,0<br />
(294 955)<br />
100,0<br />
(136 803)<br />
23,3 57,5 2,5 15,0 1,7<br />
43,3 45,4 6,5 4,8 0,0<br />
6,3 57,3 12,6 21,1 2,7<br />
19,6 52,5 6,6 19,6 1,7<br />
4,9 48,2 15,4 27,7 3,8<br />
8,6 39,6 13,8 35,3 2,7<br />
100,0<br />
(563 273)<br />
8,9 48,1 13,4 22,1 2,5<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
A propos de l’entreprise, la possession d’un nom peut être associée, grosso modo, à la<br />
situation de l'entreprise : formelle ou informelle. Une entreprise sans nom peut être liée à une<br />
situation informelle. 376 En général la majorité des enfants travaillent pour une entreprise qui a<br />
un nom (60%). Cependant, le travail dans un milieu que l’on peut supposer formel ne signifie<br />
376 Au sujet du secteur informel voir Roubaud (1995).
pas du tout que l’embauche de l’enfant soit réalisée de manière formelle (soit un contrat et un<br />
salaire bien établis, des droits à la sécurité sociale…). Et les entreprises sans nom accueillent<br />
33% des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux (Tableau 25). Pour le reste des<br />
enfants, 7%, travaille simplement pour un autre travailleur directement ou pour une unité<br />
domestique. Néanmoins, de grosses différences par sexe et par groupes d’âges existent, les<br />
filles travaillant beaucoup plus souvent que les garçons dans une unité domestique ou par un<br />
autre travailleur. C’est le cas, par exemple, des travailleuses domestiques chez les particuliers.<br />
Mais cette situation, qui concerne plus les filles que les garçons, touche aussi davantage les<br />
plus jeunes.<br />
Tableau 25. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux,<br />
selon le type d’entreprise<br />
Groupes d’âges et<br />
sexe<br />
6 à 11 ans-garçons<br />
6 à 11 ans-filles<br />
12 à 14 ans-garçons<br />
12 à 14 ans-filles<br />
15 à 17 ans-garçons<br />
15 à 17 ans-filles<br />
Total<br />
Total<br />
%<br />
(N)<br />
100,0<br />
(22 818)<br />
100,0<br />
(18 260)<br />
100,0<br />
(67 975)<br />
100,0<br />
(38 896)<br />
100,0<br />
(294 955)<br />
100,0<br />
(136 803)<br />
Type d’entreprise<br />
Avec nom Sans nom<br />
Unité<br />
domestique<br />
ou un autre<br />
travailleur<br />
NS<br />
33,1 50,7 14,5 1,7<br />
23,3 55,1 21,6 0,0<br />
51,9 42,5 4,7 1,0<br />
47,0 27,9 22,2 3,0<br />
60,5 35,7 2,7 1,1<br />
70,5 19,0 10,3 0,1<br />
100,0<br />
(563 273)<br />
59,0 33,4 7,2 0,4<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Par ailleurs, au sujet du caractère formel ou informel que l’on peut attribuer aux entreprises<br />
selon la possession d’un nom, en grandissant les enfants sont progressivement plus présents<br />
dans les entreprises avec nom, « formelles », que dans les entreprises « informelles », une<br />
conséquence directe des restrictions légales à l’embauche des enfants. Etant donné que les<br />
conditions de travail sont censées être plus avantageuses dans une entreprise formelle, il est<br />
plausible de supposer que les enfants qui veulent ou qui ont besoin de travailler cherchent à<br />
rejoindre une entreprise formelle dès que possible (à partir de 14 ans, âge légal pour<br />
travailler). Et en attendant, ils travaillent dans les entreprises informelles qui pratiquement ne<br />
posent pas de restrictions au travail des enfants. Or, si l’on analyse par sexe le cas des<br />
287
travailleurs dans une entreprise sans nom, alors que la proportion de travailleurs concernés<br />
diminue à mesure que l’âge augmente, ce sont les garçons qui restent plus souvent dans ce<br />
type d’entreprises après l’âge de 14 ans. Les raisons de ce comportement sélectif par sexe<br />
peuvent être liées tantôt à l’offre, tantôt à la demande. Du côté de l’offre, par exemple, il y a<br />
une préférence pour embaucher des jeunes filles plutôt que des jeunes garçons dans certaines<br />
entreprises formelles, comme c’est le cas des industries « maquiladoras ». De même, il y a<br />
une plus grande offre de travail pour les garçons comme « apprentis » chez des artisans<br />
indépendants, la plupart « sans nom ». Du côté de la demande, on peut supposer que les<br />
garçons sont plus contraints ou plus impatients de travailler que les filles, et donc qu’ils<br />
acceptent tout type de travail, tandis que les filles ont les moyens d’être plus sélectives, et<br />
d’attendre un poste dans une entreprise formelle, ou bien dans un poste plutôt féminin :<br />
serveuse, baby-sitter, caissière, vendeuse...<br />
Concernant le lieu de travail, en excluant ceux qui travaillent pour un autre travailleur ou pour<br />
une unité domestique, qui représentent 7%, la plupart travaillent dans un bureau, un local ou<br />
un établissement (65%) ; et chez le patron ou chez les clients (12%). Le reste, dans un étal<br />
installé dans la rue (6%) ; comme ambulants ou nettement dans la rue (4%) ; chez soi (2%) ;<br />
dans un véhicule (2%) ou d’autres lieux (2%). Cependant, encore une fois, les filles et les<br />
garçons de différents âges ne travaillent pas dans les mêmes types de lieux (Graphique 15).<br />
Tout d’abord, il faut dire que, depuis l’âge de 6 ans, les travailleurs les plus nombreux sont<br />
ceux qui travaillent dans un établissement, un bureau ou un local. Et ces types de lieu de<br />
travail prennent de l’importance à mesure que l’âge augmente, et notamment chez les filles.<br />
Or, le travail chez le patron ou les clients concerne plus les garçons que les filles, à tous âges,<br />
mais diminue en grandissant. Par ailleurs, le travail en véhicules est plutôt masculin et<br />
augmente chez les plus âgés. Par contre, le travail subordonné à une unité domestique ou<br />
comme travailleur d’un autre travailleur est plus fréquent chez elles que chez eux, mais<br />
toujours en perte d’importance avec l’augmentation de l’âge. Le travail ambulant ou dans la<br />
rue a une importance semblable entre filles et garçons, mais il est toujours plus fréquent chez<br />
les plus jeunes. Il faut juste ajouter que le travail chez soi est peu fréquent, sauf pour les filles<br />
de 6 à 11 ans. Selon ces résultats, il est plausible de supposer que la majorité des travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux doivent se déplacer pour aller travailler, ou même, qu’ils<br />
travaillent nettement dans les rues, avec toutes les conséquences que cela pourrait<br />
impliquer dans la vie de l’enfant. Une situation à prendre en compte dans un pays où la vie<br />
288
dans les rues des villes n’a rien de simple à cause principalement de l’insécurité publique<br />
(vols, escroqueries, enlèvements), de l’anarchie routière et du manque d’attention aux piétons.<br />
Graphique 15. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
par type d’établissement de travail, selon les groupes d’âges et le sexe<br />
Lieu de travail<br />
Autre lieu<br />
Ambulant, dans la rue<br />
Véhicule<br />
Etal dans la rue<br />
Chez le patron ou les<br />
clients<br />
Chez soi<br />
Unité domestique ou autre<br />
travailleur<br />
Etablissement, bureau,<br />
local<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Lieu de travail<br />
Autre lieu<br />
Ambulant, dans la rue<br />
Véhicule<br />
Etal dans la rue<br />
Chez le patron ou les<br />
clients<br />
Chez soi<br />
Unité domestique ou<br />
autre travailleur<br />
Etablissement, bureau,<br />
local<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Garçons<br />
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90<br />
Filles<br />
%<br />
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Enfin, à propos des conditions d’emploi de ces enfants, les aspects que nous analysons sont<br />
les horaires, les périodes, la rémunération et le milieu.<br />
%<br />
289
Tout d’abord, concernant les horaires de travail, la majorité des enfants travaillent pendant la<br />
journée (92%), cependant, même si les pourcentages sont faibles, certains le font la nuit<br />
(3%) ; la nuit et le jour (4%) ; ou en alternant jour et nuit (1%). 377 Et ce sont surtout les<br />
garçons et les plus âgés qui ne travaillent pas seulement en journée. En moyenne, ces enfants<br />
travaillent 33 heures hebdomadaires. Mais, il existe une relation directe entre l’âge de l’enfant<br />
et les heures moyennes de travail, ainsi que des différences par sexe. En général, les garçons<br />
travaillent plus que les filles à partir de 12 ans. Tandis que les enfants de 6 à 11 ans, de deux<br />
sexes, travaillent en moyenne 10 heures, et parmi les 15 à 17 ans, les garçons travaillent 39,4<br />
heures et les filles 34,4.<br />
Cependant, certains enfants n’ont pas un horaire régulier de travail (16%), c’est-à-dire qu'ils<br />
n’ont pas des heures précises d’entrée et de sortie, et encore moins des jours bien déterminés<br />
pour aller travailler. En l’occurrence, tous les enfants âgés de 6 à 11 ans ne travaillent pas de<br />
manière régulière. Et parmi ceux qui ont des horaires réguliers, la plupart travaillent au moins<br />
cinq jours par semaine (78%) : 19% cinq jours, 51% six jours et 8% sept jours. <strong>La</strong> situation<br />
par groupes d’âges et sexe est semblable, même si chez les plus âgés et chez les garçons les<br />
jours de travail sont plus nombreux que chez leurs pairs (Graphique 16). De manière que dans<br />
les extrêmes se trouvent les garçons de 15 à 17 ans, ceux qui travaillent le plus de jours, et les<br />
filles de 12 à 14 ans, celles qui travaillent le moins.<br />
377 Les horaires de jour sont de 6 h à 20 h et ceux de nuit de 20 h à 6 h.<br />
290
Graphique 16. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
par nombre de jours travaillés par semaine, selon les groupes d’âges et le sexe<br />
%<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
1 2 3 4 5 6 7<br />
Jours travaillés par semaine<br />
12 à 14-garçon 12 à 14-fille 15 à 17-garçon 15 à 17- fille<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Ce résultat est fort important pour montrer la grande importance du travail dans la vie des<br />
enfants concernés, au moins en termes de temps et de responsabilité. Comme le confirment<br />
les récits des enfants qui, malgré l’absence des contrats ou des compromis, essayent de<br />
travailler avec régularité :<br />
« Je rentrais de l’école, j’enlevais l’uniforme et partais. Je commençais (à travailler) l’après-midi vers<br />
2 h (de l'après-midi) et finissais vers 8 h (du soir), du lundi au vendredi. Les samedis de 7 h à 12 h<br />
seulement. » 378 […] « Parfois, nous ne faisons rien. Quelques jours, il n’y avait pas de travail, alors je<br />
rentrais chez moi. (…) Un jour je suis resté avec lui toute la journée, c’était un dimanche, je suis parti<br />
depuis le matin et je suis rentré vers 11 h (du soir). » 379 (Felipe, 14 ans, il travaillait pour son oncle qui<br />
était forgeur, il était rémunéré).<br />
« En période scolaire, le soir je l’aide à mettre les choses (à l’employeur) (...) J’y arrive vers 9 h 30 (du<br />
soir). Et vers 10 h (du soir) je mets les choses dans le local. J’essaie d’y aller tous les jours, de lundi à<br />
dimanche. (...) Pendant les vacances, je l’aide tous les matins, je commence vers 10 h et je finis vers<br />
2 h (de l'après-midi). (...) Après je reviens le soir pour l’aider à mettre les choses. » 380 (Alejandro, 14<br />
ans, il travaillait pour un épicier qui le payait à la tâche).<br />
Auparavant « Parfois je rentrais chez moi vers 2 ou 3 h (de l'après-midi), lorsqu’il arrivait le plus de<br />
378 « Llegaba de la escuela, me quitaba el uniforme y me iba. Empezaba como a las 2 de la tarde y terminaba<br />
como a las 8 de la noche, de lunes a viernes. Los sábados sólo de 7 à 12. »<br />
379 « Luego no hacíamos nada. Pero luego había días que no había trabajo. Los días que no había trabajo me<br />
venía. (…) Un día me fui hasta todo el día, fue domingo, me fui desde la mañana así como hasta las 11 de la<br />
noche. »<br />
380 « Cuando estoy en la escuela, en la noche le ayudo a meter las cosas (...) Voy como a las nueve y media. Y a<br />
las diez ya meto las cosas. Trato de ir todos los días, de lunes a domingo. (...) En las vacaciones le ayudo en las<br />
mañanas, como a las diez comienzo y termino como a las dos. (...) Después regreso en la noche para ayudarle a<br />
meter las cosas. »<br />
291
292<br />
monde au restaurant (où elle travaillait). J’y arrivais vers 10 h, ou parfois si jamais je me levais à 9 h, je<br />
m’habillais et j’y allais, c’était déjà ouvert le restaurant. Je n’avais pas un horaire. » […] Maintenant,<br />
« J’ai toujours le même horaire. De 3 h (de l'après-midi) à… prenant en compte mon repas ? De 3 à 5,<br />
ben, s’il y a beaucoup de monde à 5, mais s’il n’y a pas beaucoup de monde vers 4 h 30, je mange, et<br />
je finis à 5 h (de l'après-midi). » 381 (Alicia, 11 ans, elle travaillait du lundi au vendredi pour sa tante qui<br />
avait un petit restaurant à côté de chez elle).<br />
« Je faisais d’abord mes devoirs, puis ma mère me disait : va cirer les chaussures parce que sinon tu<br />
ne vas pas les rendre à temps. (…) J’y mettais comme deux heures. Pour toutes les chaussures. Mes<br />
parents m’aidaient (…) Parfois je mettais un peu de temps pour les leur rendre, et je les leur rendais le<br />
lendemain ou après le lendemain. » 382 (Pedro, 8 ans, il avait travaillé du lundi au vendredi de manière<br />
indépendante, il était payé à la tâche. Mais au moment de l'entretien, il ne travaillait plus).<br />
C’est-à-dire que malgré l’inexistence d’un horaire fixe, dans la majorité de cas, il s’agit bel et<br />
bien d’un travail dans tous les sens du terme. Or, 53% de ces enfants ne sont pas scolarisés, le<br />
travail étant leur activité principale, mais, la déscolarisation concerne surtout les garçons et les<br />
plus âgés. De sorte que l’importance de la scolarité parmi certains peut aussi aider à expliquer<br />
la fréquence du travail en week-ends chez les enfants, car 16% travaillent seulement samedi<br />
ou dimanche, tandis que 20% travaillent du vendredi au dimanche. Dans ces cas, le travail,<br />
voire le revenu, n’est pas sûrement quelque chose d’essentiel. Une situation qui concerne<br />
seulement quelques travailleurs extradomestiques non familiaux, mais qui montre la diversité<br />
de causes de la mise au travail précoce.<br />
Dans le même sens, les périodes de travail montrent aussi le caractère sérieux du travail de ces<br />
enfants. Parmi les 48% des travailleurs qui ont plus d’un an au travail, la plupart déclarent<br />
avoir travaillé tous les mois de l’année (96%), 383 chez les enfants de 6 à 14 ans 90%, et<br />
98,5% chez les 15 à 17 ans. Certes, la plupart des enfants n’ont même pas un an au travail<br />
dans tous les groupes d’âges et chez les deux sexes, et donc, nous ne connaissons pas leur<br />
situation à ce propos. Ils peuvent être des travailleurs saisonniers, ou bien de travailleurs qui<br />
viennent de commencer un travail permanent.<br />
381 « Pues a veces me venía a las dos o a las tres ya que empezaba a tener gente. Yo iba como a las 10 o a veces<br />
que me levantaba a las 9, me arreglaba y ya me voy, ya estaba abierto. No tenía un horario. » […] « Siempre ha<br />
sido el mismo horario. De 3 a... ¿contando mi comida? De 3 a 5, bueno cuando hay mucha gente a 5, pero<br />
cuando no hay mucha gente como a las 4 y media, ya como, y ya termino a las 5. »<br />
382 « Hacía primero la tarea. Luego ya me decía mi mamá: ya ponte a bolear los zapatos porque no los vas a<br />
entregar a tiempo. (...) Me tardaba como unas dos horas. De todos los zapatos que me entregaban y todo. Mis<br />
papás me ayudaban. (...) Luego me tardaba un poquito en entregarlos, y se los entregaba mañana o pasado<br />
mañana. »<br />
383 52% des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux ont moins d’un an au travail. Et donc, ils n’ont<br />
pas répondu à la question correspondante : « Dans quels mois de l’année… réalisez-vous votre travail ? »
Un autre aspect d’intérêt à propos des conditions de travail des enfants est la rémunération,<br />
car les enfants qui travaillent en dehors du milieu familial cherchent, pour diverses raisons,<br />
l’obtention d’argent. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que 96% des travailleurs en question<br />
ait un revenu. Cependant, il existe des différences selon les âges et le sexe. <strong>La</strong> proportion de<br />
travailleurs non rémunérés est plus importante chez les plus jeunes (10%) que chez les 12 à 17<br />
ans (5%), ainsi que chez les filles, à peu près trois points de pourcentage de plus que les<br />
garçons dans chaque groupe d’âges. Mais, c'est à partir de 12 ans que la proportion d’enfants<br />
rémunérés augmente le plus, et après cet âge, l’augmentation est assez faible chez les deux<br />
sexes. Les travailleurs rémunérés reçoivent, en général, leur argent chaque semaine (55%) ou<br />
chaque jour (29%).<br />
Par rapport au niveau de rémunération, il faut être méfiants, car la majorité de déclarants sont<br />
les parents, alors, il est difficile de savoir la précision d’une telle information. Mais, à titre<br />
illustratif, nous donnons certains chiffres. Afin d’avoir des revenus comparables, étant donné<br />
la grande diversité du temps que les enfants dédient au travail (nombre d'heures et jours<br />
travaillés), ainsi que la diversité de conditions de paiement, nous calculons le revenu par<br />
heure, dès que possible. 384 Les résultats sont assez inespérés. Apparemment, le revenu moyen<br />
par heure est 115,66 pesos. Mais, le graphique 17 montre l’existence d’un nombre non<br />
négligeable d’enfants avec un revenu assez disproportionné par rapport aux autres,<br />
notamment les plus âgés. Il s’agit tantôt de valeurs éloignées, 385 tantôt de valeurs extrêmes, 386<br />
des valeurs qui font monter la moyenne. C’est pourquoi, en l’occurrence, la médiane<br />
représente un indicateur plus pertinent : 64,50 pesos par heure. Pour avoir une idée de la<br />
situation salariale au Mexique, il faut dire que le SM est approximativement de 6,50 pesos par<br />
heure travaillée effectivement (la ligne en points sur le Graphique 17). 387 C’est-à-dire que la<br />
moitié des enfants recevraient presque dix fois la valeur du SM, par heure effective. Difficile<br />
de déterminer jusqu’à quel point ces résultats sont conséquence d’un problème de déclaration<br />
ou d’une réalité. Car, selon les estimations de l’INEGI, en 2010, 13% des travailleurs<br />
384 Pour ceux dont on connaît le nombre d’heures travaillées par semaine, ainsi que le nombre de jours travaillés<br />
par semaine pour ceux payés par jour. Et la période de paiement.<br />
385 Les valeurs éloignées sont les observations dont les valeurs sont comprises entre 1,5 et 3 hauteurs de boîte du<br />
bord supérieur ou inférieur de la boîte à moustaches. <strong>La</strong> hauteur de boîte est l'intervalle interquartile.<br />
386 Les valeurs extrêmes sont les observations dont les valeurs sont à plus de 3 hauteurs de boîte du bord<br />
supérieur ou inférieur de la boîte à moustaches. <strong>La</strong> hauteur de boîte est l'intervalle interquartile.<br />
387 Il s’agit d’une estimation moyenne du montant par heure des trois zones géographiques officielles du SM<br />
existant au pays. Le SM par jour de 8 heures de travail est de 50,57 pesos pour la zone A ; 49,00 pesos pour la<br />
zone B : et 47,60 pesos pour la zone C. (SAT, 2011).<br />
293
mexicains de 12 ans et plus ont un revenu maximum d’un SM, 27% entre 1 et 2 SM, 38% de<br />
3 à 5 SM et seulement 9% plus de 5 SM.<br />
Graphique 17. Quartiles de revenus des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux,<br />
par revenu par heure, selon les groupes d’âges et le sexe<br />
294<br />
Revenu par heure (pesos)<br />
1000<br />
900<br />
800<br />
700<br />
600<br />
500<br />
400<br />
300<br />
200<br />
100<br />
0<br />
6 à 11garçon<br />
6 à 11-fille 12 à 14garçon<br />
12 à 14-fille 15 à 17garçon<br />
Groupes d'âges et sexe<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
15 à 17- fille<br />
En ce qui concerne les différences de revenu par âges et par sexe des enfants, ce qui attire le<br />
plus l’attention est le fait que la médiane est pratiquement la même dans tous les cas. 388 Pour<br />
tous les groupes d’âges et par chaque sexe, la moitié des enfants travailleurs gagnent moins de<br />
64,50 pesos par heure de travail. Cependant, contrairement à ce que l’on attendait, il semble<br />
que les plus jeunes sont susceptibles d’être mieux rémunérés. Par contre, comme attendu, les<br />
garçons sont mieux rémunérés que les filles, une inégalité précoce qui se conserve parmi les<br />
adultes.<br />
Alors que les plus jeunes sont mieux rémunérés à l’heure, ils travaillent moins d’heures par<br />
semaine, en moyenne, le temps de travail est de : 10 heures parmi les 6 à 11 ans, 24 heures<br />
parmi les 12 à 14 ans, et 38 parmi les 15 à 17 ans. C’est qui donne des revenus plus<br />
388 Les valeurs extrêmes et les valeurs éloignées sont écartées.
importants à la fin du mois chez les plus âgés. Par contre, les filles sont les moins bien<br />
placées, car elles gagnent moins et elles travaillent moins (35 heures hebdomadaires les<br />
garçons et 29 heures les filles). Au-delà des chiffres concrets, le revenu à l’heure est un<br />
indicateur de l’inéquité chez les enfants travailleurs.<br />
A ce sujet, les renseignements des enfants interviewés donnent une idée plus proche des<br />
revenus des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux. Le cas de Felipe est<br />
illustratif, garçon âgé de 14 ans, qui avait à peu près 6 ans d’expérience de travail. Il nous a<br />
parlé un peu sur ses divers revenus :<br />
« Il me payait par jour, mais il me donnait très peu, comme 30 pesos par jour (2 euros) (…) Je n’ai<br />
jamais pu épargner de l’argent. Avec ce travail, je n’ai jamais acheté quelque chose » 389 . A propos d’un<br />
travail postérieur : « (…) Au début, il me payait 250 pesos (17 euros) par semaine, parfois plus si nous<br />
avions eu beaucoup de travail, mais, après quelque temps d’être dans ce travail, il m’a donné 400<br />
pesos par semaine (27 euros). » 390 Et finalement sur son dernier travail : « Un gars m’a demandé : estce<br />
que tu veux travailler avec moi comme ‘taquero’ 391 les week-ends ? Je te paie 100 pesos par jour (7<br />
euros). J’ai accepté. (…) Je me lève à 5 h (du matin) et je rentre vers 3 h (de l’après-midi). » 392<br />
Un autre cas de figure est celui d’Alicia, fille âgée de 11 ans, qui au moment de l’interview<br />
travaillait tous les après-midi, du lundi au vendredi de 3 à 5 h (de l'après-midi) environ dans le<br />
petit restaurant familial de sa tante. Elle n’avait pas un salaire, mais elle recevait des<br />
pourboires, en tant que serveuse, un revenu qui peut être assez variable, mais quotidien. 393<br />
Depuis l’âge de 9 ans à peu près, elle avait commencé à travailler pour sa tante. Tout au début,<br />
elle ne travaillait que pendant les vacances scolaires, comme assistante de sa tante pour la<br />
préparation des petits-déjeuners, du lundi au vendredi de 10 à 2 h (de l'après-midi) environ, et<br />
pour ce travail-là :<br />
« Elle me payait 100 pesos (7 euros) par semaine, mais parce que je ne touchais pas les assiettes, ni<br />
rien d'autre. » 394<br />
389<br />
« Me pagaba todos los días, pero me daba muy poquito, como 30 pesos. (...) Nunca junté dinero. En ese<br />
trabajo nunca me compré nada. »<br />
390<br />
« (…) Al principio, me pagaba 250 pesos a la semana, a veces, si nos iba bien, me daba más, pero después de<br />
un tiempo de estar trabajando con él, me daba 400 a la semana. »<br />
391<br />
Personne qui prépare les tacos : coupe la viande cuite pour fourrer la tortilla (galette de maïs) et mettre<br />
ensuite les épices et la sauce.<br />
392<br />
« Un chavo me dijo: ¿no quieres trabajar conmigo de taquero los fines de semana? Te doy 100 baros por el<br />
día. Y le dije: pues sí. Y ya me fui. (…) Me paro a las cinco de la mañana y llego como a las 3 de la tarde. »<br />
393<br />
Au Mexique, le pourboire n’est pas inclus dans l’addition, et même s’il n’est pas obligatoire, dans la pratique<br />
il est mal vu de ne pas en donner quelque chose à la serveuse ou au serveur. L’habitude a imposé le 10% de<br />
l’addition. Et cette coutume s’applique dans n’importe quel restaurant (modeste ou non).<br />
394<br />
« Me pagaba 100 pesos a la semana, pero porque no agarraba los platos, ni nada. »<br />
295
Finalement, Pedro, âgé de 8 ans, qui a travaillé comme cireur à son compte, nous a raconté :<br />
296<br />
« Les chaussures je les cirais pour 10 pesos (0,70 euro) et les bottes pour 15 (1 euro). Parce que les<br />
bottes ont besoin de trop de cire (…) » 395<br />
Certes, les enfants interviewés travaillent pour avoir un peu d’argent de poche, pour acheter<br />
de « petits caprices », ou simplement pour éviter l’ennui périscolaire, mais, en tout cas, par<br />
décision personnelle. Et même si les familles de ces enfants vivent en toute simplicité, elles<br />
arrivent à satisfaire les besoins essentiels des enfants : nourriture, vêtements, scolarisation,<br />
soins… Ce sont des objets secondaires, souvent chers, que ces enfants désirent obtenir en<br />
travaillant : bonbons, jouets, téléphones portables, jeux vidéo, vêtements et chaussures de<br />
marque, et non par une contrainte économique liée à la survie, à proprement parler. Alors, le<br />
montant de revenus n’est pas essentiel pour leur mise au travail. En plus, ces enfants ont le<br />
travail comme activité secondaire, comme un « passe-temps ». En revanche, dans le cas des<br />
enfants travailleurs contraints d’avoir un revenu pour leur survie ou celle de leur famille, ainsi<br />
que pour ceux qui ont le travail comme activité principale, il est évident que le montant des<br />
revenus devient essentiel. Ils cherchent à maximiser les gains, même si la marge de manœuvre<br />
des demandeurs d’emploi est assez mince. Il faut supposer alors qu’ils ont des revenus plus<br />
importants que ceux des enfants non contraints de travailler, car ils travaillent aussi plus de<br />
temps. Nous n’avons pas trouvé des interviewés dans une telle situation.<br />
Enfin, l’INEGI à travers le MTI a mis l'accent sur les lieux de travail potentiellement<br />
dangereux. C’est ainsi que l’on constate que seulement une minorité travaille en ce type de<br />
lieu (3%) : mines souterraines ; rivières, lacs ou la mer ; sur des échafaudages ; lieux sans<br />
ventilation ; réservoirs de poubelles ; ou ambiances propres aux adultes (bars, spas…). Or, en<br />
regardant la situation par âges et sexe, nous trouvons que parmi les travailleurs dans des lieux<br />
périlleux, il n’existe pas d’enfants de 6 à 11 ans, ni de filles de 12 à 14 ans. Par contre,<br />
certains garçons de 12 à 14 ans sont parfois déjà exposés à des conditions à risque, comme le<br />
travail sur des échafaudages (1%), en des lieux sans ventilation (0,5%) et réservoirs de<br />
poubelles (0,4%). Les 15-17 ans sont plus exposés à des risques ; chez les garçons : sur des<br />
échafaudages (2.5%), en ambiances propres aux adultes (1,2%), en des lieux sans ventilation<br />
(0,4%) et en réservoirs de poubelles (0,3%) ; et chez les filles : dans des lieux sans ventilation<br />
(1,3%), en réservoirs de poubelles (0,1%) et en ambiances propres aux adultes (0,1%). Par<br />
395 « Los zapatos los boleaba de a 10 y las botas de a 15. Porque las botas gastan mucho la grasa. »
ailleurs, le travail dans les rues, trottoirs ou carrefours continuent d’être le travail à risque qui<br />
fédère le plus d’enfants (4,4%), de tous âges et des deux sexes. Mais les proportions les plus<br />
importantes s’observent chez les 12-14 ans (7% chez les garçons et 8% chez les filles), puis<br />
chez les 6-11 ans (6 et 5%, respectivement), et les moins concernés sont les plus âgés (5 et<br />
1%, respectivement).<br />
Plus que les lieux potentiellement dangereux, c’est l’exposition des enfants à des produits<br />
nocifs ou des conditions périlleuses qui est fréquente : poussière, gaz, feu (13%) ; bruit<br />
excessif ou vibrations (10%) ; humidité ou températures extrêmes (8%) ; et produits<br />
chimiques (5%). Ainsi, un enfant sur trois travaille dans des conditions « malsaines ». En<br />
général, en grandissant, les EAJ sont de plus en plus exposés à des risques, et les garçons plus<br />
que les filles, sauf dans le cas des produits chimiques, où filles et garçons âgés de 15 à 17 ans<br />
sont également exposés (5%).<br />
VII.3.2. Le monde du travail des enfants travailleurs extradomestiques familiaux.<br />
Les travailleurs extradomestiques familiaux se trouvent plus concentrés sur quelques branches<br />
de l’activité économique que les travailleurs non familiaux. Ils sont réunis plutôt dans la<br />
branche du commerce de détail : un enfant sur deux. Le reste se trouve surtout dans les<br />
services de logement temporaire et de préparation de repas et de boissons (20%) ; l’industrie<br />
manufacturière (13%) ; et même dans l’industrie du bâtiment (5%), des branches où les<br />
microentreprises familiales, ainsi que le travail indépendant sont bien présents. Et là, les<br />
enfants peuvent trouver une place pour travailler à côté des parents, parfois en toute légalité et<br />
sans intermédiaires. Cependant, filles et garçons des divers groupes d’âges ne se trouvent pas<br />
dans les mêmes branches (Graphique 18). Certes, le commerce de détail est la branche la plus<br />
importante parmi tous les travailleurs extradomestiques familiaux. Mais, au fur et à mesure<br />
que l’âge augmente, la présence de garçons s’étend parmi les diverses branches. Tandis que<br />
chez les plus jeunes et chez les filles de tous âges, la plupart se concentrent dans : le<br />
commerce de détail, les services de logement temporaire et de restauration, et l’industrie<br />
manufacturière.<br />
297
298<br />
Graphique 18. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques familiaux<br />
selon les branches d’activité économique par sexe et groupes d’âges<br />
Branches d'activité<br />
Services à la personne, aux automobiles et aux<br />
appareils domestiques<br />
Services de logement temporaire et de préparation<br />
de repas et des boissons<br />
Branches<br />
d'activité<br />
Commerce de détail<br />
Commerce de gros<br />
Industrie manufacturière<br />
Industrie du bâtiment<br />
Garçons<br />
Autres<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Autres<br />
Services à la personne, aux automobiles et aux<br />
appareils domestiques<br />
Services de logement temporaire et de préparation<br />
de repas et des boissons<br />
Commerce de détail<br />
Commerce de gros<br />
Industrie manufacturière<br />
Industrie du bâtiment<br />
0 10 20 30 40 50 60 70<br />
Filles<br />
%<br />
0 10 20 30 40 50 60 70<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
Selon le MTI, en toute cohérence avec les résultats sur la branche d’activité économique, la<br />
plupart des enfants réalisent des activités en tant que commerçants (46%). Cependant, bien<br />
que moins fréquentes, d’autres activités sont aussi présentes : aide ou manœuvre (16%) ;<br />
travailleur en services personnels dans un établissement (14%) ; vendeur ambulant (10%) et<br />
%
artisan et ouvrier (6%). C’est-à-dire que les enfants travailleurs extradomestiques familiaux se<br />
concentrent sur quelques activités bien précises (Graphique 19).<br />
Graphique 19. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques familiaux<br />
selon l’activité principale par sexe et groupes d’âges<br />
Activité<br />
Autres<br />
Travailleurs en services personnels dans un<br />
établissement<br />
Vendeurs ambulants<br />
Commerçants<br />
Assistants administratifs<br />
Aides ou manœuvres<br />
Artisants et ouvriers<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Activité<br />
Autres<br />
Travailleurs en services personnels dans un<br />
établissement<br />
Vendeurs ambulants<br />
Commerçants<br />
Assistants administratifs<br />
Aides ou manœuvres<br />
Artisants et ouvriers<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Garçons<br />
0 10 20 30 40 50 60<br />
Filles<br />
%<br />
0 10 20 30 40 50 60<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
%<br />
299
Il y a des différences peu importantes à souligner par sexe et par âges. Concernant le sexe, à<br />
tous âges, il y a plus de garçons que de filles manœuvres ou aides, par contre, il y a plus de<br />
filles commerçantes. Les filles et les garçons vendeurs ambulants sont de moins en moins<br />
importants en grandissant, ainsi que les garçons commerçants et en services personnels dans<br />
un établissement. Par contre, les filles commerçantes et travailleuses en services personnels<br />
dans un établissement augmentent leur poids avec l’âge.<br />
Selon les interviews, ces enfants réalisent notamment des tâches simples et peu qualifiées :<br />
surveiller, donner la marchandise aux clients, nettoyer les outils… Mais l’activité dépend<br />
surtout de l’âge, du sexe et du type d’activité du parent-employeur :<br />
300<br />
« Je sers les sauces, si les personnes achètent un kilo de ‘carnitas’ 396 , alors je mets les oignons dans<br />
les sacs en plastique, je prends l’argent ou je rends la monnaie, je nettoie les assiettes (avec un<br />
torchon). Je sers les cocas. » 397 (María, 9 ans, travaillait pour sa mère, qui vendait des aliments dans la<br />
rue).<br />
« Parfois je l’aide à préparer les frites : les mettre du ketchup et ça. Ou sinon à mettre le papier sur<br />
l’assiette pour y mettre les hamburgers. » 398 (Sandra, 12 ans, travaillait avec sa mère qui vendait des<br />
hamburgers, des frites, des hot-dogs).<br />
« Ben, faire les comptes et recevoir le payement (dans une petite épicerie familiale), ou si l’on nous<br />
demande de l’huile je le lui donne, ou un savon, je le lui donne. » 399 (Claudia, 9 ans, travaillait avec ses<br />
parents dans une épicerie familiale, où les clients n’ont pas l’accès direct aux produits).<br />
« Depuis l’âge de 7 ans, j’ai commencé à utiliser la pelle. (…) Lorsque je vais avec mon père, je l’aide à<br />
pelleter les gravats au camion-benne. (…) Je charge les pierres... » 400 (Pedro, 8 ans, travaillait avec<br />
son père chauffeur de camion benne et pelleteur).<br />
« J’aide mon père à réviser les machines, à les vérifier et les nettoyer, à les laisser en bon état. » 401<br />
(Carlos, 14 ans, travaillait avec son père qui avait des machines distributrices d'ours en peluche dans<br />
des centres commerciaux).<br />
D’après ces récits, les enfants sont tout simplement les assistants des parents, qui réalisent<br />
aussi généralement des activités peu qualifiées n’offrant guère d’avantages à la vie<br />
professionnelle de l’enfant, sauf si celui-ci restait dans l’affaire. Mais, tous ces enfants rêvent<br />
396 Plat typique mexicain : viande de porc frite dans la graisse du porc.<br />
397 « Que sirvo las salsas, que si lleva un kilo de carnitas, pues meto la cebolla en una bolsa, recibo el dinero o<br />
doy el cambio, limpio los platos. Doy las cocas. »<br />
398 « A veces le ayudo a preparar las papas: le echo la catsup y eso. O sino a poner el polipapel en la charola para<br />
que ahí ella ponga la hamburguesa ... »<br />
399 « Pues cobrar, o si quieren aceite, llevar el aceite, o si quieren jabón, darle el jabón. »<br />
400 « Desde los 7 años empecé a agarrar la pala. (…) Cuando voy con él le ayudo a machetear, a agarrar la pala y<br />
meterla al escombro y luego aventarlo al camión. (…) Levanto piedras. (...) A veces es pesado, cuando hay<br />
muchas piedras... »<br />
401 « Le ayudo a mi papá a ver las máquinas, a checarlas, a limpiarlas, a dejarlas bien. »
de réussir une carrière universitaire, et ils sont scolarisés. Alors, en théorie, leur travail n’a pas<br />
du tout l’objectif de les préparer pour leur avenir, mais c’est une forme de solidarité familiale.<br />
Par rapport aux principales caractéristiques des entreprises où travaillent ces enfants, la<br />
plupart (92%) travaillent en microentreprises constituées de 2 à 5 personnes, l’enfant et le<br />
patron inclus. Le reste le fait principalement en des microentreprises de 6 à 10 personnes<br />
(6%). <strong>La</strong> présence d’enfants travailleurs familiaux dans des entreprises de plus de 10 salariés<br />
est assez rare. Ce qui montre que le travail familial des enfants concerne plutôt les ménages<br />
avec une entreprise familiale modeste, ou les parents travailleurs indépendants. Les<br />
différences par sexe et par âges sont peu considérables. Dans tous les groupes d’âges, les<br />
garçons travaillent un peu plus fréquemment que les filles dans des entreprises de plus de 5<br />
personnes ; et la proportion d’enfants dans les entreprises de moins de 6 personnes diminue<br />
progressivement avec l’âge, mais assez discrètement. De manière que la proportion de<br />
travailleurs dans des entreprises de 2 à 5 personnes reste toujours au-dessus de 90%.<br />
Par ailleurs, seulement 40% de ces enfants travaillent dans une entreprise avec un nom, soit<br />
« formelle » (Graphique 20). Concernant le lieu de travail, à différence de leurs pairs<br />
travailleurs non familiaux, la majorité n’a pas un local, un bureau ou un établissement spécial<br />
pour réaliser leur travail, même si une partie non négligeable travaille dans un établissement<br />
spécial (45%). Les autres travaillent surtout chez eux (18%), dans un étal dans la rue (17%),<br />
ou chez les clients (7%), pour mentionner les plus fréquents. Le travail ambulant ou<br />
directement dans la rue concerne 4% de ces enfants travailleurs. Mais, il y a deux différences<br />
à souligner quant au sexe ou à l’âge. Les garçons travaillent dans une variété de lieux plus<br />
large que les filles, qui se concentrent surtout dans trois lieux : établissements, bureau ou<br />
locaux ; étaux dans la rue ; ou chez elles. Et le travail dans la rue, dans un étal, dans un<br />
véhicule, ou en plein air, perd de l’importance progressivement au fur et à mesure que l’âge<br />
des enfants augmente.<br />
Enfin, à propos des conditions de travail des EAJ travailleurs extradomestiques familiaux,<br />
tout d’abord il faut dire qu’en général, ces enfants travaillent pendant la journée (95%),<br />
seulement 3% travaille la nuit, et 2% accomplit un horaire mixte (nuit et jour). Mais, les filles<br />
travaillent plus fréquemment pendant la nuit et en horaires mixtes que les garçons. Ces<br />
dernières conditions concernent à peu près 7% des filles et 3% des garçons de tous âges.<br />
301
302<br />
Graphique 20. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques familiaux<br />
par lieu de travail, selon le sexe et les groupes d’âges<br />
Lieu de travail<br />
Autre lieu<br />
Ambulant, dans la rue<br />
Véhicule<br />
Etal dans la rue<br />
Chez le patron ou les clients<br />
Chez soi<br />
Unité domestique ou autre travailleur<br />
Etablissement, bureau, local<br />
Garçons<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
Lieu de travail<br />
Autre lieu<br />
Ambulant, dans la<br />
rue<br />
Véhicule<br />
Etal dans la rue<br />
Chez le patron ou<br />
les clients<br />
Chez soi<br />
Unité domestique ou<br />
autre travailleur<br />
Etablissement,<br />
bureau, local<br />
6 à 11 ans 12 à 14 ans 15 à 17 ans<br />
0 10 20 30 40 50 60<br />
Filles<br />
%<br />
0 10 20 30 40 50 60<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
En général, ils travaillent de manière régulière, des jours bien précis (64%). Un EAJ sur cinq<br />
travaille uniquement pendant le week-end. Mais, en moyenne, tous les enfants à partir de 12<br />
ans travaillent cinq jours par semaine, tandis que tous les 6 à 11 ans n’ont pas un horaire<br />
%
égulier, sans différence par sexe. En effet, parmi les travailleurs réguliers, 31% travaillent six<br />
jours par semaine, et 29% les sept jours de la semaine. Mais, ce résultat représente plutôt la<br />
situation des garçons, car les filles travaillent davantage sept jours que six. A l’image des<br />
parents, ces EAJ fréquemment n’ont pas un jour de repos, car souvent l’entreprise familiale<br />
est l’unique source de revenus de la famille. Et dans certains types de microentreprises<br />
familiales du quartier comme les épiceries, les boulangeries, les tortillerías, les pharmacies,<br />
par exemple, la concurrence est très importante, alors c’est en travaillant plus que l’on gagne<br />
la fidélité de la clientèle. Un jour sans travailler implique la perte de revenus, mais aussi de<br />
clients. 402 Pour cette raison, ils n’arrêtent presque jamais : sept enfants sur dix travaillent tous<br />
les mois de l’année, et le reste n’a pas répondu à cette question, car il n’a pas encore un an au<br />
travail, sauf 2% qui travaille moins de 12 mois par an.<br />
Par ailleurs, il existe aussi beaucoup de microentreprises familiales informelles, où l'on<br />
propose souvent des aliments préparés dans les rues, de la restauration rapide, qui ne<br />
représentent pas le principal revenu de la famille, mais une source complémentaire bien<br />
précieuse. En général, ce sont les femmes qui sont à la tête de ces affaires, des femmes au<br />
foyer peu scolarisées, qui ont comme expérience le travail domestique et la cuisine. Et donc,<br />
une option pratique pour gagner de l’argent est de se mettre à leur compte, en exploitant leur<br />
savoir-faire. Cela se fait souvent de manière informelle et près de chez elles, pour pouvoir<br />
continuer leur rôle de femmes au foyer, mais aussi pour réduire les coûts de déplacement de la<br />
marchandise et du local, qui doivent être installés et désinstallés tous les jours de travail. Il<br />
faut dire qu’au Mexique, l’on a l’habitude de manger n’importe où et tout le temps. Alors,<br />
vendre quelque chose à manger est presque toujours une bonne affaire.<br />
Cependant, la régularité du travail de ces EAJ n’implique pas forcément un grand<br />
investissement en termes de temps. En moyenne, ils travaillent 20 heures par semaine,<br />
dont 25% travaillent moins de 8 heures ; 50% moins de 15 heures et 75% moins de 28 heures<br />
hebdomadaires. Mais le temps moyen consacré augmente en grandissant, notamment chez les<br />
garçons : les 6 à 11 ans des deux sexes travaillent 11 heures, tandis que de 15 à 17 ans, les<br />
garçons travaillent 29 heures et les filles 22 heures.<br />
402 Les petits commerces du quartier souvent ne ferment pas dans toute la journée. Mais cela dépend du type de<br />
commerce. Ceux où l’on travaille le plus ce sont les épiceries, en général, elles sont ouvertes de 7 h à 22 h du<br />
lundi au dimanche, tous les mois de l’année.<br />
303
L’implication des EAJ au travail familial dépend beaucoup des conditions de travail du parent<br />
« employeur ». Ainsi, si le parent-employeur travaille en horaire mixte, ou tous les jours,<br />
l’enfant le fait aussi (dans la limite imposée par l’emploi du temps scolaire) :<br />
304<br />
« J’y vais lorsqu’elle travaille (sa maman), les jeudis et les vendredis, j’y reste un petit moment, jusqu’à<br />
1 h 30 (de l’après-midi), à ce moment-là, j’ai déjà pris ma douche et tout, et alors je rentre et je<br />
m’habille avec l’uniforme. Ou si jamais je me suis tachée d’huile, je rentre avant et je prends encore ma<br />
douche vers 11 h, avant de partir à l’école. » 403 (María, 9 ans).<br />
« J’y vais tous les jours, au maximum…mmm… elle (sa maman) commence à 7 h (du soir), alors 8, 9,<br />
10... environ trois heures et demie. Et si je vois qu’ils (père et mère) vont y rester beaucoup de temps,<br />
alors je rentre vers 11 ou 12 h (du soir). Je leur dis juste : je vais rentrer. Et ils me disent que oui. » 404<br />
(Sandra, 12 ans. <strong>La</strong> mère de cette fille vendait tous les soirs du lundi au samedi, des hamburgers et<br />
des frites qu’elle préparait sur place dans un local semi-fixe, qu’elle installait tous les jours sur la rue,<br />
près de leur maison).<br />
Cependant, les EAJ ont une certaine flexibilité horaire qui est déterminée par le temps de<br />
scolarisation et l’accomplissement des devoirs. Ils travaillent seulement pendant le temps<br />
périscolaire, lequel étant long permet de partager travail et études avec une relative facilité.<br />
Les récits de nos enfants interviewés montrent clairement le caractère primordial qu’a la<br />
scolarisation face aux autres activités de la vie quotidienne. Le temps de travail s’organise par<br />
rapport au temps scolaire :<br />
« Tout d’abord, je finis mes devoirs et après je vais l’aider (sa maman). (...) Je l’aide dès que possible,<br />
ben presque toujours, mais parfois je dois rentrer pour faire mes devoirs ou comme ça. Et alors je<br />
rentre, mais après je sors encore. » 405 (Sandra, 12 ans).<br />
« Quand j’arrive de l’école, je mange, après je fais les devoirs, après j’aide ma maman. Ou, d’abord<br />
j’aide ma maman. Parfois, je l’aide en lui donnant les choses pour préparer les repas, ou dans<br />
l’épicerie, pour qu’elle cuisine (la mère quitte l’épicerie). Après, quand je finis d’étudier et de faire mes<br />
devoirs, alors je sors pour jouer un petit moment ou je regarde la télé une demi-heure, et après je<br />
rentre chez moi pour faire le ménage et c’est tout. » 406 (Claudia, 9 ans).<br />
« Parfois quand j’ai du temps et j’ai fini mes devoirs, je lui demande, lorsqu’il dit qu’il va aller travailler :<br />
papa, puis-je aller avec toi ? » 407 […] « Je l’accompagne les samedis ou les dimanches. Parfois en<br />
semaine. Mais, j’y vais pas toutes les semaines, ni chaque mois, plus de temps en temps. » 408 (Pedro,<br />
8 ans. Son père travaillait de manière indépendante comme pelleteur et chauffeur de camion-benne,<br />
alors il n’avait pas un horaire de travail, et parfois même pas de travail. Il devait être toujours<br />
disponible, du lundi au dimanche, au cas où un travail de dernière minute se présentait).<br />
403 « Siempre voy los jueves y los viernes. Voy y me quedo un ratito ahí hasta que de la una y media, y ya me<br />
bañé y todo. Y me vengo y me cambio. O si me lleno de grasa, me vengo y me baño otra vez a las once, antes de<br />
irme a la escuela. »<br />
404 « Voy todos los días, lo máximo es de… mmm... sale a las 7 de la noche, entonces 8, 9, 10... como tres horas<br />
y media. Y si ya veo que se la van a aventar larga, entonces me meto como a las 11 o 12. Sólo les digo: ya me<br />
voy a meter. Y ellos me dicen que sí. »<br />
405 « Primero termino mi tarea y luego voy a ayudarle. (...) Le ayudo cuando puedo, bueno casi siempre, pero a<br />
veces tengo que meterme a hacer mi tarea o así. Y entonces ya me meto y vuelvo a salir. »
Quant aux revenus des travailleurs extradomestiques familiaux, au contraire des non<br />
familiaux, les plus nombreux sont les travailleurs non rémunérés : trois sur quatre. Une<br />
situation attendue, car dans l’idée des parents et des enfants, le travail dans une affaire<br />
familiale est considéré comme une « aide », qui fait partie des obligations familiales de tous<br />
les membres, en incluant les enfants. Une aide au parent-employeur, évidemment, mais plutôt<br />
à toute la famille.<br />
En effet, souvent les activités de production et de reproduction sociale du ménage se mêlent,<br />
et toutes font partie d’un même panier. Implicitement, voire explicitement, tous les membres<br />
doivent y contribuer, être « solidaires » pour le bien-être de toute la famille. A ce propos, il est<br />
illustratif que, selon le MTI, 39% de ces enfants travaillent parce que « le ménage a besoin de<br />
leur travail », par contre seulement 2% travaillent parce que « le ménage a besoin de leur<br />
apport économique ». Dans les deux cas, l’enfant participe activement et directement au<br />
maintien de la famille, même si la valeur de son travail est perçue de manière différente. <strong>La</strong><br />
famille gagne toujours, en termes économiques, en remplaçant un éventuel salarié par<br />
l’enfant, et en termes du temps individuel, en distribuant les diverses activités entre plus de<br />
ses membres. C’est pourquoi, de plus en plus, la non-rémunération des enfants travailleurs<br />
dans les entreprises familiales est remise en question.<br />
Or, des différences par âges et sexe sont à souligner. Il y a des proportions plus importantes de<br />
travailleurs non rémunérés chez les filles que chez les garçons de tous âges. En plus, en<br />
grandissant, les garçons sont plus fréquemment rémunérés ; par contre, les filles n’ont pas une<br />
tendance claire quant à la rémunération, il semble plutôt que leur situation est de plus en plus<br />
précaire au fur et à mesure que l’âge augmente (78% de 6 à 11 ans et 83% de 15 à 17 ans ne<br />
sont pas rémunérées), un constat que nous avons perçu lors de notre travail de terrain. En<br />
effet, toutes les filles travailleuses domestiques interviewées étaient non rémunérées, tandis<br />
que les garçons recevaient un « revenu », même symbolique. Sauf le cas d’un garçon âgé de<br />
406<br />
« Cuando llego de la escuela, como, luego hago mi tarea, luego le ayudo a mi mamá. O primero le ayudo a mi<br />
mamá. Luego le ayudo llevándole las cosas para que haga la comida, o en la tienda para que ella vaya a cocinar.<br />
Luego, cuando ya estudié y ya hice mi tarea, ya es cuando ya voy a jugar un ratito o veo una media hora la tele, y<br />
luego ya me voy a mi casa a hacer el quehacer y ya. »<br />
407<br />
« Luego cuando tengo tiempo y hago la tarea, yo le digo, cuando dice que va a ir a un ‘tiro’: ¿papá puedo ir<br />
contigo? »<br />
408<br />
« Lo acompaño los sábados o los domingos. A veces entre semana. Pero no voy todas las semanas, ni cada<br />
mes, pasa más tiempo. »<br />
305
14 ans, Felipe, qui lorsqu’il était plus jeune (à 9 ans) travaillait avec sa mère. A ce propos,<br />
face à l’absence d’un revenu, les enfants trouvent à justifier cette situation, en se considérant<br />
récompensés d’autres manières. Les enfants essayent de montrer que le parent employeur fait<br />
quelque chose de spécial pour eux, pour leur effort supplémentaire, pour leur « aide », comme<br />
signalent ces enfants :<br />
306<br />
« Non (elle ne me paie pas), mais, elle me donne parfois à manger là-bas, ou elle me donne parfois 10<br />
pesos (0,70 euro) et elle m’aide. » 409 (María, 9 ans).<br />
« Non (elle ne me paie pas), mais, elle me laisse parfois acheter ceci et cela, c’est pourquoi je l’aide.<br />
Dans le magasin, je lui dis : je peux m'acheter ça ? Et elle me dit oui parce que je l’ai déjà aidé. » 410<br />
(Sandra, 12 ans).<br />
« Non (elle ne me paie pas). Parce que parfois je prends (de l’argent) pour aller acheter des ciseaux ou<br />
des trucs du genre pour l’école. Parfois, je prends pour m’acheter des concombres 411 , ou comme ça.<br />
(...) Je dois demander la permission (pour prendre des choses à l’épicerie). Parfois, on me le donne,<br />
parfois non. On ne me donne pas des chips, ni des sodas, ce qu’on me donne le plus est des glaces.<br />
Ou par exemple de petits chocolats. Mais juste de petites choses. » 412 (Claudia, 9 ans).<br />
« Les gains étaient destinés à l’achat de la marchandise et à ma maman. Mais elle nous donnait des<br />
choses. (…) Nous pouvions prendre ce que nous voulions. Ma mère ne disait rien, sauf si nous<br />
prenions beaucoup. » 413 (Felipe, 14 ans).<br />
Les travailleurs extradomestiques familiaux ne sont pas seulement plus fréquemment non<br />
rémunérés que les non familiaux, mais en plus, parmi ceux qui ont un revenu, celui-ci est plus<br />
faible. A titre illustratif, étant donné l'incertitude de l’information, le revenu moyen de ces<br />
enfants est de 119 pesos et le revenu médian est de 61,40 pesos. Selon la boîte à moustaches<br />
correspondante (Graphique 21), des valeurs éloignées et des valeurs extrêmes existent qui<br />
élèvent considérablement la valeur de la moyenne en général. Or, concernant les quartiles des<br />
revenus par sexe et par groupes d’âges, la situation a deux aspects à signaler.<br />
D’abord, le revenu médian n’est pas stable, comme chez les travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux. A ce propos, les garçons sont moins favorisés que les filles. Chez les 6 à 11 ans,<br />
409<br />
« No (me paga), pero luego me da ahí de comer, o luego me da 10 pesos y me ayuda. »<br />
410<br />
« No (me paga), pero luego me deja que me compre esto o lo otro, por eso le ayudo. En la tienda le digo: ¿me<br />
puedo comprar esto? Y me dice que sí, porque ya le ayudé. »<br />
411<br />
Des concombres épluchés et découpés, préparés avec du citron, du sel et du piment que l'on vend dans les<br />
rues pour grignoter.<br />
412<br />
« No (me paga). Porque luego yo agarro para ir a comprar tijeras o cosas así de la escuela. Alguna vez agarro<br />
para comprarme unos pepinos, o así. (...) Tengo que pedir permiso (para agarrar lo que quiero). A veces me lo<br />
dan a veces no. Papas ya no me dan, ni refresco, lo que me dan un poquito de más es las paletas de hielo. O por<br />
ejemplo: chocolates de pollito. Pero que sean cosas chiquitas. »<br />
413<br />
« <strong>La</strong>s ganancias eran para invertir o para mi mamá. Pero nos daba cosas. Agarrábamos lo que quisiéramos.<br />
No decía nada mi mamá, sólo si agarrábamos mucho. »
par exemple, la moitié des garçons reçoivent moins de 43 pesos par heure (3 €), et les filles<br />
104 pesos (7 €). Et chez les 12 à 14 ans, respectivement 46 et 86 pesos (3 et 6 €). Cependant,<br />
les différences par sexe diminuent au fur et à mesure de l’âge, jusqu’à ceux âgés de 15 à 17<br />
ans, qui ont un revenu médian semblable par sexe : 61,40 pesos (4 €). De manière qu’en<br />
grandissant, le niveau de revenus augmente faiblement chez les garçons, mais diminue chez<br />
les filles. Ensuite, à partir de 12 ans, ce sont les garçons qui ont plus souvent des revenus<br />
élevés (en ignorant les valeurs extrêmes et les valeurs éloignées qui sont aussi plus fréquentes<br />
parmi eux).<br />
Graphique 21. Quartiles de revenus des enfants travailleurs extradomestiques familiaux<br />
par revenu par heure, selon les groupes d’âges et le sexe<br />
Revenu par heure (pesos)<br />
1000<br />
900<br />
800<br />
700<br />
600<br />
500<br />
400<br />
300<br />
200<br />
100<br />
0<br />
6 à 11garçon<br />
6 à 11-fille 12 à 14garçon<br />
12 à 14-fille 15 à 17garçon<br />
Groupes d'âges et sexe<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
15 à 17- fille<br />
Certes, les chiffres du MTI à ce propos sont contestables, mais les tendances générales<br />
pourraient être révélatrices d’une situation réelle. Car il est difficile de supposer que la<br />
déclaration des revenus soit biaisée de forme indistincte par sexe ou par âges.<br />
Afin de mieux s’approcher de cette situation, il est pertinent de considérer aussi les<br />
renseignements obtenus à travers nos interviews. Sans oublier qu’il s’agit d’un contexte tout à<br />
fait particulier, ces informations sont importantes, car elles permettent de trouver d’autres<br />
307
éléments d’intérêt. A travers les récits des enfants travailleurs extradomestiques familiaux,<br />
nous trouvons que les enfants qui reçoivent un revenu de la part des parents sont souvent<br />
faiblement rémunérés. Il s’agit plus d’une forme de récompense, d’un pourboire, que d’un<br />
salaire proprement dit, comme c’est évoqué à travers le récit d’un garçon âgé de 14 ans, qui<br />
travaillait avec son père pendant les vacances ou parfois les week-ends en période scolaire :<br />
308<br />
« J’y vais tous les trois jours, presque. Environ cinq heures par jour. » 414 […] « Oui, chaque semaine il<br />
me donne 100 pesos (7 €). Peu importe le nombre de jours que j’y aille. » (Carlos).<br />
C’est-à-dire que la rémunération ne semble pas être la conséquence du travail réalisé, mais<br />
plutôt une forme de remercier l’enfant pour ses services, pour son aide. Une rémunération qui<br />
peut être certaines fois plus juste que d'autres, cela dépend du temps réellement investi à<br />
chaque fois, mais toujours symbolique, peu importe le travail réalisé, l’enfant aura toujours la<br />
même récompense.<br />
Enfin, en ce qui concerne le milieu d’emploi de ces enfants, ils sont moins exposés à des<br />
risques que les travailleurs non familiaux. Les enfants exposés à des conditions à risque<br />
travaillent notamment sur des échafaudages, dans des lieux sans ventilation ou réservoirs de<br />
poubelles (0,5% en total). Il s’agit notamment de garçons âgés de 15 à 17 ans. Encore une<br />
fois, les carrefours, les rues et les trottoirs représentent le milieu à risque où les enfants<br />
travailleurs sont les plus nombreux (3%), mais les cas sont rares parmi le total des EAJ<br />
travailleurs. Et là, il y a des enfants de tous âges et des deux sexes, mais les proportions les<br />
plus importantes s’observent chez les garçons les plus âgés (5%) et chez les filles de 12 à 14<br />
ans (4%).<br />
D’ailleurs, les EAJ exposés à des conditions périlleuses ou à des produits nocifs pendant la<br />
réalisation de leurs activités n’est pas négligeable : poussière, gaz, feu (11%) ; bruit excessif<br />
ou vibrations (4%) ; humidité ou températures extrêmes (4%) ; et outils dangereux (3%). En<br />
effet, 14% de ces enfants travaillent au moins dans une de ces conditions malsaines, les<br />
garçons étant plus concernés par ces problèmes, de même que les plus âgés.<br />
414 « Voy cada tercer día, casi. Como cinco horas cada día. » [...] « Sí, cada semana me da cien pesos. No<br />
importa cuántos días vaya. »
Concernant le milieu de travail, en général les travailleurs extradomestiques familiaux sont<br />
moins fréquemment exposés à des risques que les travailleurs non familiaux. Il s’agit<br />
justement de l’un des arguments qui font du travail familial un cas à part : le climat supposé<br />
de sécurité pour l’enfant qui est inhérent au lien de parenté. Dans ce sens, il est vrai que les<br />
enfants travailleurs courent plus de risques seuls qu’avec l’un des parents, même si des cas<br />
existent où ce sont les parents qui exploitent leurs propres enfants (Bhukuth, 2009) et où ce<br />
sont les parents qui les exposent à des conditions dangereuses, directement ou indirectement,<br />
des cas que nous n’avons pas rencontrés. A ce sujet, il est plausible que cet aspect de la<br />
sécurité des enfants soit à l’origine de la sortie du milieu familial plus précoce et plus<br />
fréquente chez les garçons que chez les filles, car ils sont pris comme plus forts, plus<br />
indépendants, moins vulnérables qu’elles, en plus de l’assignation traditionnelle de rôles où<br />
les hommes sont vus comme des sources potentielles de revenus, même d'un jeune âge, une<br />
image moins attachée aux filles, qui sont plus associées au domaine domestique. Et donc, ce<br />
sont plutôt les garçons que les filles qui doivent avoir cette expérience de travail, tôt ou tard.<br />
D’après nos résultats, force est de constater qu’il y a des différences importantes par rapport<br />
aux conditions de travail des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux et familiaux,<br />
qui sont sûrement en relation avec les causes qui motivent le travail, dont les caractéristiques<br />
du milieu familial sont fondamentales.<br />
Conclusions<br />
Le travail extradomestique touche presque un enfant sur dix (9%), soit à peu près 931 000<br />
enfants. A la différence des travailleurs domestiques familiaux, ce groupe de travailleurs est<br />
composé principalement par des garçons, notamment âgés de 15 à 17 ans. Cependant, la<br />
participation des EAJ plus jeunes dans le travail extradomestique n’est pas négligeable, pour<br />
les deux sexes, près de 116 000 enfants de 6 à 11 ans étant concernés.<br />
Chez les travailleurs extradomestiques, une condition nous a spécialement intéressé : celle du<br />
lien de parenté qui existe entre Ego et son employeur, familial ou non, en supposant qu’il<br />
s’agit de deux groupes de travailleurs bien différents quant aux motivations et conditions de<br />
travail, deux mondes qu’il faut alors regarder de manière indépendante. Les différences<br />
commencent avec l’intensité, puis que chez les travailleurs extradomestiques 62% sont non<br />
309
familiaux et 38% des familiaux, soit 579 000 et 353 000 respectivement. Le premier groupe<br />
est constitué principalement par des garçons, tandis que le deuxième a une distribution<br />
équitable par sexe, ce qui suggère que le travail extradomestique familial ne fonctionne pas<br />
sous une logique de genre, contrairement au travail non familial. Selon l’âge, des différences<br />
sont aussi notables : trois travailleurs extradomestiques non familiaux sur quatre sont âgés de<br />
15 ans et plus, filles et garçons, alors que parmi les travailleurs extradomestiques familiaux la<br />
proportion est d’un sur deux. Le travail extradomestique familial fonctionne moins sur des<br />
contraintes de génération que le travail non familial, en accord avec le fait que le travail non<br />
familial est soumis à des restrictions légales, tandis que le travail familial ne l’est pas. Ainsi, à<br />
partir de 14 ans, les enfants ont la possibilité de travailler formellement et légalement, un<br />
contexte qui ouvre la porte du travail extradomestique non familial. D’ailleurs, ce même âge<br />
marque la fin de la scolarisation obligatoire et la déscolarisation est aussi un trait différentiel<br />
entre ces deux groupes : elle atteint 48% parmi les travailleurs non familiaux et 18% parmi les<br />
travailleurs familiaux.<br />
Cependant, les contrastes entre ces deux groupes de travailleurs ne se limitent pas à leur<br />
composition générale, le processus de mise au travail se fait aussi différemment. Selon notre<br />
analyse quantitative, au sujet des raisons qui motivent les enfants au travail, nous trouvons<br />
que les travailleurs extradomestiques non familiaux travaillent principalement pour des motifs<br />
économiques, notamment à caractère personnel, ceux travaillant pour des raisons<br />
économiques familiales représentant une minorité. Apprendre un métier, avoir une occupation<br />
alternative à l’école et payer leurs études sont des causes rares. Tandis que chez les<br />
travailleurs extradomestiques familiaux, les raisons économiques perdent du poids, et les<br />
raisons familiales sont beaucoup plus importantes que les raisons personnelles. Les motifs liés<br />
à la formation professionnelle sont assez courants.<br />
<strong>La</strong> variété de raisons qui poussent les enfants au travail s’accorde à nos résultats sur le terrain.<br />
Le travail des enfants ne répond pas seulement à des raisons économiques, il a un intérêt plus<br />
large, comme la quête d’une distraction pendant le temps périscolaire, qu’ils jugent long et<br />
ennuyeux. Même si certains sont contraints de travailler, notamment chez les travailleurs<br />
familiaux, les enfants ont une certaine marge de liberté sur ce qu’ils font, et souvent ce sont<br />
eux-mêmes qui décident de travailler ou non. Et apparemment, malgré les interdictions<br />
légales, les options de travail existent sur le marché du travail. Face à la faiblesse du système<br />
judiciaire, les patrons n’hésitent pas à accepter une main-d’œuvre bon marché, à embaucher<br />
310
presque sans risque. D’autres deviennent sans problème les clients d’enfants qui proposent<br />
leurs services pas chers de manière indépendante.<br />
En général, parmi nos interviewés, les enfants travaillent pour un parent ou un proche, ou<br />
pour des personnes connues de la famille ou de l’enfant. De même, ils travaillent près de chez<br />
eux. Et les parents restent vigilants du bien-être des enfants, ils veillent notamment à leur<br />
scolarisation, laquelle ne doit pas être perturbée à cause du travail. Or, il faut signaler que ces<br />
enfants sont encore censés suivre la scolarisation obligatoire, car, ils sont tous âgés de moins<br />
de 15 ans, mais nous ne savons pas si après cet âge-là, les parents et les enfants continueraient<br />
de privilégier la scolarité et non le travail. Mais, au présent, comme membres de la famille,<br />
comme enfants, comme travailleurs et comme élèves, ils partagent sans problème, voire avec<br />
orgueil et fierté, une certaine indépendance d’adultes tout en gardant la dépendance propre à<br />
l’enfance.<br />
Un résultat important issu de l’analyse des entretiens auprès des enfants travailleurs<br />
extradomestiques est l’existence d’un lien sexué d’embauche (filles/femmes et<br />
garçons/hommes), une relation qui reproduit chez les enfants les bénéfices et les<br />
inconvénients des relations de genre qui dominent le monde des adultes plus nettement chez<br />
les travailleurs familiaux, notamment les plus jeunes.<br />
Quant aux conditions de travail, il existe aussi des différences entre travailleurs<br />
extradomestiques familiaux et non familiaux. Les enfants travailleurs familiaux se trouvent<br />
dans une variété moins étendue de branches d’activité que les non familiaux, se concentrant<br />
surtout dans le commerce de détail et les services de restauration et de logement. En plus,<br />
presque tous les travailleurs familiaux travaillent dans des microentreprises, de 2 à 5<br />
personnes, et une grande partie pour des entreprises sans nom (que nous pouvons dire<br />
informelles), et sans un lieu de travail spécialement établi. Or, seulement la moitié des<br />
travailleurs non familiaux travaillent dans une microentreprise, et moins de la moitié dans une<br />
entreprise sans nom ou sans local spécial. Les travailleurs familiaux travaillent moins de<br />
temps que les non familiaux (22 et 33 heures par semaine en moyenne, respectivement) et<br />
sont moins fréquemment rémunérés (25% contre 96%). Enfin, les travailleurs familiaux sont<br />
moins exposés à des conditions périlleuses que leurs pairs non familiaux. Bien évidemment,<br />
des différences importantes s’observent entre filles et garçons et par groupes d’âges, ce qui<br />
311
confirme la transmission des inégalités de genres et de générations qui dominent le marché du<br />
travail, dès un très jeune âge.<br />
Nous rappelons que le vécu des enfants travailleurs que nous avons interviewés a permis de<br />
compléter les résultats quantitatifs, en plus d’avoir une idée davantage détaillée par rapport<br />
aux conditions d’emploi extradomestique et aux processus d’entrée sur le marché du travail,<br />
ainsi que sur le rôle et les perceptions des enfants concernés.<br />
312
CHAPITRE VIII<br />
Le rôle du milieu familial sur le travail extradomestique des enfants<br />
Vu que la participation extradomestique des enfants est le résultat des stratégies familiales ou<br />
personnelles qui tendent tantôt à la reproduction sociale du groupe, tantôt à l’accomplissement<br />
de projets personnels, la composition du ménage, ainsi que les principales caractéristiques<br />
sociodémographiques des parents, en tant que chargés ou dirigeants du groupe, sont<br />
fondamentales. <strong>La</strong> composition familiale quant à l’âge, le sexe, et le nombre de personnes<br />
offre une idée des besoins, mais aussi des capacités du ménage à un moment donné du cycle<br />
de vie familiale. Et quant aux caractéristiques des parents, ce sont des aspects concernant le<br />
niveau de scolarité et la position professionnelle qui nous intéressent le plus, car c’est à<br />
travers ces aspects que nous approchons la situation socioéconomique du ménage, mais aussi<br />
les inégalités dans les relations de genre et de génération. En plus, connaître le type d’activité<br />
des deux parents est essentiel pour expliquer la mise au travail précoce, car il a une influence<br />
sur le travail des enfants.<br />
VIII.1. Caractéristiques familiales et travail extradomestique des enfants : en quête<br />
d’explications.<br />
Afin d’avoir une première idée sur la relation entre des aspects concrets du contexte familial<br />
et le travail extradomestique des enfants, nous comparons les pourcentages d’enfants<br />
travailleurs extradomestiques non familiaux et familiaux, selon certaines caractéristiques de la<br />
composition du ménage. Il faut signaler que parmi tous les EAJ qui font partie de notre<br />
population d’étude, 5,8% sont des travailleurs extradomestiques non familiaux et 3,5% des<br />
travailleurs extradomestiques familiaux.<br />
<strong>La</strong> composition du ménage<br />
Selon les données du MTI, la taille du ménage est un facteur déterminant de la mise au travail<br />
précoce, mais la relation n’est pas linéaire (Tableau 26). C’est dans les extrêmes que les<br />
pourcentages d’enfants travailleurs familiaux ou non familiaux sont les plus élevés : les<br />
313
ménages très nombreux (six personnes et plus) et les ménages constitués de deux personnes,<br />
soit un adulte et un EAJ. Par contre, les familles composées de quatre personnes sont celles où<br />
le pourcentage d’enfants travailleurs est le plus mince.<br />
Dans une étude sur l’importance de la composition du ménage, par sexe et âges des membres,<br />
Levison, Moe et Knaul (2001) ont trouvé que la présence de certains groupes de personnes<br />
dans le ménage peut encourager le travail des enfants. Par exemple, la présence d’hommes<br />
âgés de 15 à 64 ans augmente la probabilité du travail chez les filles, notamment en relation<br />
avec le travail domestique familial. Par contre, la présence de femmes âgées de plus de 20 ans<br />
et d’hommes âgés de plus de 64 ans le fait diminuer. De même, la présence d’adultes âgés de<br />
plus de 20 ans, hommes ou femmes, diminue le risque de travail chez les garçons.<br />
314<br />
Tableau 26. Répartition (%) des EAJ et pourcentage de travailleurs extradomestiques<br />
familiaux et non familiaux, selon la composition par groupes d’âges du ménage<br />
Composition du ménage<br />
EAJ dans ce<br />
type de<br />
ménage<br />
(%)<br />
% de travailleurs<br />
extradomestiques<br />
Non<br />
familiaux Familiaux<br />
Deux personnes<br />
Taille du ménage (ego inclus) :<br />
1,7 8,5 5,5<br />
Trois personnes 9,9 5,9 3,0<br />
Quatre personnes 30,5 4,1 2,6<br />
Cinq personnes 30,7 5,0 4,0<br />
Six personnes 15,3 7,2 3,7<br />
Sept personnes et plus 11,9 9,4 4,2<br />
Aucun<br />
Nombre d’enfants de 0 à 5 ans :<br />
69,3 5,8 3,8<br />
Un ou deux 29,6 5,7 2,9<br />
Trois et plus 1,1 8,0 2,6<br />
Nombre d’EAJ de 6 à 17 ans (sans Ego) :<br />
Aucun 27,7 5,3 3,1<br />
Un 40,8 5,2 3,6<br />
Deux 21,8 6,0 4,0<br />
Trois 7,4 8,6 3,2<br />
Quatre et plus 2,3 10,0 4,0<br />
Nombre d’adultes (18 ans et plus) :<br />
Un 10,6 7,4 3,5<br />
Deux 64,3 4,8 3,0<br />
Trois ou plus 25,1 7,5 4,8<br />
Nombre de personnes âgées (80 ans et plus) :<br />
Aucune 99,0 5,7 3,5<br />
Une ou Deux<br />
1,0 5,4 4,9<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0 5,8<br />
(10 070 536) (579 707)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
3,5<br />
(352 693)
Selon nos données sur la composition du ménage par âges, la relation est différente selon le<br />
type de travail. Ainsi, chez les travailleurs non familiaux, le nombre de jeunes enfants (moins<br />
de 6 ans) ainsi que d’autres EAJ dans le ménage est en relation directe avec le pourcentage<br />
d’enfants travailleurs, et une grande fratrie, notamment en âge scolaire, peut favoriser le<br />
travail des enfants. Le nombre d’adultes a la même tendance que la taille du ménage, où les<br />
cas extrêmes sont les plus propices au travail des enfants : un seul adulte ou bien trois et plus.<br />
Enfin, la présence de personnes âgées n’a pas d’effet. En conclusion, c’est justement dans les<br />
types de ménage les plus rares parmi les ménages mexicains que le pourcentage d’enfants<br />
travailleurs extradomestiques non familiaux est le plus élevé (Tableau 26).<br />
D’ailleurs, chez les travailleurs extradomestiques familiaux, le nombre de jeunes enfants est<br />
en relation inverse au travail des enfants. Ainsi, c’est dans les ménages où il n’y a pas de<br />
jeunes enfants que le travail familial est le plus fréquent (Tableau 26). L’absence de jeunes<br />
enfants ouvre, par exemple, la possibilité aux mères femmes au foyer de s’investir davantage<br />
dans des activités économiques afin d’aider aux revenus familiaux, voire d’être en quête<br />
d’indépendance. Les femmes entrent dans le marché du travail, car les enfants en âge scolaire<br />
sont plus autonomes pour rester seuls à la maison, ou même pour aider dans une affaire<br />
familiale. Et ce sont justement les affaires familiales, notamment informelles, qui représentent<br />
une option d’emploi pour les mères, lorsqu’elles sont peu scolarisées ou qu’elles ont une<br />
expérience de travail limitée. En plus, ce type de travail permet de continuer le rôle de femme<br />
au foyer, au moins à mi-temps, et de rester plus ou moins près des enfants. Si jamais il y a au<br />
moins un jeune enfant, la mère peut aussi envisager de travailler, mais dans ce cas, les enfants<br />
aînés seront poussés à devenir des travailleurs domestiques familiaux, soit à s’occuper des<br />
jeunes enfants, et éventuellement, des tâches domestiques aussi. Par ailleurs, il n’existe pas<br />
une relation claire entre le travail des enfants et le nombre d’autres EAJ dans le ménage. Pour<br />
sa part, le nombre d’adultes a toujours une tendance croissante dans les valeurs extrêmes,<br />
notamment dans la limite supérieure : trois adultes ou plus. Il existe une relation, mais elle<br />
n’est pas linéaire. Enfin, la présence de personnes âgées est en relation avec une augmentation<br />
du pourcentage d’enfants travailleurs. C'est-à-dire que le travail des enfants familial n’est pas<br />
une pratique des ménages peu communs (comme le travail non familial), il se trouve aussi<br />
dans les types de ménages les plus fréquents. Il faut donc chercher au-delà de la composition<br />
par âges du ménage d’autres facteurs de risque, en l’occurrence, le sexe des personnes,<br />
notamment des EAJ et des adultes.<br />
315
Il faut souligner que la place qu’occupe l’enfant dans la fratrie est aussi un facteur qui peut<br />
inhiber ou favoriser la mise au travail précoce. Pour les deux types de travail nous trouvons<br />
que le rang de naissance est très important, et plus nettement sur le travail non familial.<br />
Cependant, comme dans le cas du travail domestique familial, c’est plutôt le rang par rapport<br />
aux autres enfants âgés de moins de 18 ans qui compte. Car le rang de naissance parmi toute<br />
la fratrie (présente dans le ménage), lorsqu’il existe des frères ou des sœurs adultes, n’est pas<br />
déterminant. Ainsi, être l’aîné de l’ensemble de la fratrie âgée de moins de 18 ans est un<br />
facteur qui peut favoriser le travail des enfants.<br />
A propos de la composition du ménage par âges et sexe, il y a aussi des différences selon le<br />
type de travail. Chez les travailleurs non familiaux, la présence de deux femmes adultes ou<br />
plus coïncide avec un plus grand pourcentage d’enfants travailleurs (Tableau 27). L’absence<br />
de femmes adultes est moins importante. En revanche, l’absence d’hommes adultes fait<br />
grimper le pourcentage d’enfants travailleurs, et un peu moins leur présence nombreuse. En<br />
général, les ménages avec au moins deux garçons ou filles de 6 à 17 ans (sans Ego) sont ceux<br />
où le travail des enfants est le plus fréquent.<br />
Par rapport aux travailleurs familiaux, la présence d’autres enfants de 6 à 17 ans, filles ou<br />
garçons, ne semble pas fondamentale pour expliquer le pourcentage d’enfants travailleurs<br />
(Tableau 27). Quant aux adultes, l’absence des femmes est le facteur le plus important, et un<br />
peu moins, leur présence nombreuse. Enfin, au fur et à mesure que le nombre d’hommes<br />
adultes augmente, le pourcentage d’enfants travailleurs augmente aussi. Et c’est justement<br />
l’absence d’un homme adulte dans le ménage qui inhibe le plus le travail extradomestique<br />
familial des enfants.<br />
Vu l’importance de la présence ou de l’absence d'adultes, femmes et hommes, sur le travail<br />
des enfants, il est alors pertinent de regarder ce qui se passe lorsque les conditions du couple<br />
parental sont prises en compte. A ce propos, nous analysons d’abord la composition du couple<br />
dans la famille (biparentale ou monoparentale), selon le sexe du chef de ménage, et ensuite, la<br />
condition d’activité du couple selon le rôle de chacun de ses membres dans la famille.<br />
316
Tableau 27. Répartition (%) des EAJ et pourcentage de travailleurs extradomestiques<br />
familiaux et non familiaux, selon la composition du ménage par sexe et âges<br />
Composition du<br />
ménage<br />
EAJ dans ce type de<br />
ménage<br />
% de travailleurs<br />
extradomestiques<br />
(%) Non familiaux Familiaux<br />
Nombre de femmes adultes :<br />
Aucune 1,1 6,5 5,7<br />
Une 80,1 5,3 3,3<br />
Deux 15,6 7,4 4,2<br />
Trois et plus 3,2 8,7 4,8<br />
Nombre d’hommes adultes :<br />
Aucun 12,5 8,3 2,9<br />
Un 72,8 4,9 3,4<br />
Deux 12,0 8,0 4,5<br />
Trois et plus 2,7 7,7 5,0<br />
Nombre des filles de 6 à 17 ans (sans Ego)<br />
Aucune 54,9 5,7 3,3<br />
Une 34,3 5,5 3,8<br />
Deux et plus 10,7 6,9 3,6<br />
Nombre des garçons de 6 à 17 ans (sans Ego)<br />
Aucun 55,0 5,3 3,4<br />
Un 33,4 5,6 3,6<br />
Deux et plus 11,6 8,7 3,7<br />
Total<br />
(N)<br />
Le couple parental<br />
100,0<br />
5,8<br />
(10 070 536) (579 707)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
3,5<br />
(352 693)<br />
Des études en Amérique latine soulignent la pertinence de l’examen du type de famille pour<br />
comprendre l’importance de la participation des enfants dans le travail. Mier y Terán et Rabell<br />
(2004) montrent que dans les ménages monoparentaux, en général, les jeunes ont une plus<br />
grande probabilité de travailler que dans les ménages nucléaires ou élargis, mais la probabilité<br />
dépend du sexe d’Ego, ainsi que du secteur socioéconomique familial. Par rapport au sexe du<br />
chef de ménage, il n’existe pas un consensus quant à son effet sur le travail des enfants.<br />
Certains trouvent qu’il n’est pas discriminant (Mier y Terán et Rabell, 2001), d’autres<br />
soutiennent qu’une femme chef de ménage augmente la probabilité du travail des enfants<br />
(CLADEHLT, 1995 ; Psacharopoulos, 1997). Enfin, l’absence de l’un des parents, notamment<br />
317
de la mère, semble accroître la probabilité de travailler chez les enfants urbains de 12 à 17 ans<br />
au Mexique (Levison, Moe et Knaul, 2001).<br />
Pour notre étude, nous analysons un indicateur combiné de l’absence ou la présence du chef et<br />
du conjoint dans le ménage et du sexe du chef. En toute cohérence avec nos résultats sur<br />
l’importance des hommes ou des femmes adultes dans le ménage, l’absence du père dans le<br />
ménage est la condition qui motive le plus le travail extradomestique non familial des enfants<br />
(Tableau 28). Deux cas peuvent exister. D’une part, le père absent, qui garde sa place en tant<br />
que chef de ménage (chef homme absent et conjointe seule). Dans ce cas, le pourcentage<br />
d’enfants travailleurs est assez élevé par rapport aux autres cas (11%). D’autre part, le père<br />
absent qui a perdu sa place traditionnelle en tant que chef (chef femme sans conjoint). Là, le<br />
pourcentage est assez important aussi, mais plus discrètement (9%). Or, la présence du père<br />
dans le ménage, mais son « absence » comme chef est aussi une autre condition à signaler<br />
comme facteur de risque, soit les ménages avec chefs femmes avec conjoint (8%). Des<br />
résultats qui montrent la vulnérabilité des enfants face au travail extradomestique non<br />
familial, lorsqu’ils appartiennent aux ménages dirigés par des femmes. Une fragilité qui est en<br />
relation directe avec la position socioprofessionnelle des femmes et l’iniquité par sexe des<br />
salaires sur le marché du travail. Cependant, cette vulnérabilité des ménages dirigés par des<br />
femmes disparaît lorsqu’il s’agit du travail extradomestique familial. Là, par contre, c’est<br />
justement l’absence de la conjointe du chef homme qui expose le plus les enfants au travail.<br />
Et ensuite, c’est dans les ménages modèle, ceux constitués d’un chef homme et sa conjointe,<br />
que le travail est aussi assez important. L’importance du sexe du chef de ménage sur le travail<br />
des enfants est ainsi évident (Tableau 28).<br />
Pour compléter l’analyse sur le couple parental, nous regardons la condition d’activité du<br />
couple. A ce sujet, en ce qui concerne les travailleurs extradomestiques non familiaux, ce<br />
n’est pas la condition de travail des parents qui est discriminante, mais surtout le type de<br />
ménage. Les pourcentages les plus élevés correspondent encore aux ménages monoparentaux,<br />
au-delà de la condition d’activité du couple, notamment ceux où le chef est absent, et donc le<br />
conjoint est seul ; et pis encore, lors que ce dernier ne travaille pas (Tableau 28). Il s’agit<br />
sûrement des ménages avec des chefs qui ont émigré pour des raisons économiques, et donc<br />
cela signifierait que la migration internationale des chefs de ménage (pour des raisons<br />
économiques) génère une croissance du travail des enfants. Une hypothèse qui serait en<br />
contradiction avec le principe qui motive souvent la migration : augmenter les revenus du<br />
318
ménage. Or, il existe certainement une relation, mais l’importance de cette relation est<br />
inconnue, ainsi que ses diverses conditions. Peut-être qu’il s’agit d’une situation<br />
conjoncturelle, qui correspond au temps dans lequel le migrant trouve un travail dans son lieu<br />
de destination, s’installe et réussit à épargner de l’argent pour l’envoyer au ménage. Ou bien,<br />
d’une situation qui montrerait l’échec de la migration économique par rapport aux bénéfices<br />
auprès du ménage, ou concrètement des enfants, toute une analyse qui échappe aux objectifs<br />
de cette thèse et aux données disponibles. En revenant à notre discussion, il n’existe pas une<br />
relation claire entre la condition d’activité du couple et le pourcentage des travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux. Les raisons sont sûrement liées plutôt à la position<br />
socioprofessionnelle du couple (les revenus, la scolarité, le type d’activité et les conditions<br />
d’emploi) qu’au simple fait de travailler. Car les pourcentages les plus faibles d’enfants<br />
travailleurs concernent les ménages où dans le couple, seul le chef travaille, ou bien les deux<br />
conjoints ne travaillent pas. Le revenu du chef ou du couple suffit aisément à la reproduction<br />
quotidienne du ménage, et que les revenus des autres membres ne sont alors pas nécessaires,<br />
les parents peuvent offrir sans difficulté de l’argent de poche aux enfants.<br />
Tableau 28. Répartition (%) des EAJ et pourcentage de travailleurs extradomestiques non familiaux et<br />
familiaux, selon la composition et la participation extradomestique du couple parental<br />
EAJ dans ce % de travailleurs<br />
type de extradomestiques<br />
Condition du couple parental ménage<br />
(%) Non<br />
Familiaux<br />
familiaux<br />
Composition :<br />
Chef homme sans conjointe 1,5 6,5 4,4<br />
Chef femme sans conjoint 14,2 9,0 3,1<br />
Chef homme avec conjointe 79,5 5,0 3,6<br />
Chef femme avec conjoint 3,3 8,2 3,3<br />
Chef homme absent, conjointe seule. 1,4 11,1 1,9<br />
Autres 0,1 6,7 4,3<br />
Participation au travail extradomestique :<br />
Couple : seulement le chef travaille 41,5 4,5 1,3<br />
Couple : les deux travaillent 36,8 5,7 6,3<br />
Couple : seulement le conjoint travaille 2,8 5,8 2,3<br />
Couple : Aucun ne travaille 1,6 5,1 1,3<br />
Chef seul : travaille 12,4 8,9 4,1<br />
Chef seul : ne travaille pas 3,3 8,0 0,3<br />
Conjoint seul : travaille 0,9 10,7 2,8<br />
Conjoint seul : ne travaille pas 0,5 11,7 0,2<br />
Autres cas 0,1 8,6 5,5<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0 5,8<br />
(10 070 536) (579 707)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
3,5<br />
(352 693)<br />
319
Chez les travailleurs extradomestiques familiaux, le plus fort pourcentage de travailleurs se<br />
trouve parmi les ménages biparentaux où les deux membres du couple travaillent (Tableau<br />
28). Et ensuite, l’autre condition favorable au travail familial des enfants est celle des<br />
ménages monoparentaux, où le chef travaille. Le premier cas est tout à fait compatible avec le<br />
fait, qu’en général, les microentreprises ou ateliers familiaux marchent grâce au travail de<br />
toute la famille : couple et enfants. Mais aussi, il s’agit d’une question d’offre, où l’emploi de<br />
chaque parent peut être une option potentielle de travail pour les enfants. Le deuxième cas est<br />
en relation au fait que la plupart des chefs seuls sont des femmes, sûrement commerçantes ou<br />
travailleuses dans d’autres activités peu qualifiées, où la participation de toute la famille, soit<br />
des enfants, n’est pas négligeable afin de maximiser les gains.<br />
Ces résultats montrent que certaines conditions du couple parental représentent un facteur de<br />
risque pour le travail familial, mais en même temps, un facteur qui inhibe le travail non<br />
familial, comme une forme de complémentarité. Ce qui prouve la pertinence d’une analyse<br />
séparée des deux types de travail, car le lien de parenté avec l’employeur révèle deux mondes<br />
différents.<br />
Un autre aspect qui nous intéresse est le degré de participation du couple parental dans les<br />
deux activités principales à la reproduction quotidienne du ménage : les tâches domestiques et<br />
le travail extradomestique. Car le travail des enfants fait partie des stratégies familiales, où la<br />
participation de chaque membre de la famille aux diverses activités répond aux besoins du<br />
groupe et individuels, mais aussi aux capacités de chacun. Et l’assignation de rôles peut servir<br />
d’approche au type de relations de genre et de génération qui dominent dans le ménage<br />
(Tableau 29).<br />
En ce qui concerne les enfants travailleurs extradomestiques non familiaux, la participation du<br />
chef de ménage aux tâches domestiques est sans relation avec le pourcentage de travail des<br />
enfants, mais le niveau d’investissement dans les tâches domestiques du conjoint est<br />
important (Tableau 29). Ainsi, lorsque le conjoint participe peu au travail domestique, la<br />
proportion d’enfants dans le travail non familial est plus élevée, un résultat cohérent avec le<br />
fait que les ménages biparentaux où seulement le chef homme travaille sont ceux où le travail<br />
des enfants est le moins fréquent. L’on peut supposer donc qu’il s’agit de familles<br />
suffisamment aisées, et traditionnelles, où chaque membre du ménage accomplit un rôle bien<br />
déterminé selon son sexe et son âge : le chef homme est le pourvoyeur économique, la<br />
320
conjointe est la femme au foyer, les enfants sont des écoliers. Par contre, les autres familles,<br />
dont l’assignation de rôles est moins « traditionnelle », soit que le conjoint participe moins ou<br />
ne participe pas au travail domestique, sont plus propices au travail des enfants. A l’origine<br />
d’un tel comportement, l’on peut trouver des raisons économiques ou des raisons<br />
d’organisation familiale.<br />
Tableau 29. Répartition (%) des EAJ et pourcentage des travailleurs extradomestiques<br />
familiaux et non familiaux, selon les activités du couple familial<br />
Activités du couple<br />
familial<br />
EAJ dans ce type<br />
de ménage<br />
(%)<br />
% de travailleurs<br />
extradomestiques<br />
Non<br />
Familiaux<br />
familiaux<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le chef aux tâches domestiques :<br />
Aucune 35,6 5,7 4,1<br />
De 1 à 7 22,2 5,6 3,5<br />
Plus de 7 heures 42,2 5,7 3,1<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(9 909 299) 1<br />
5,7 3,5<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le chef au travail extradomestique :<br />
1 à 20 heures 2,3 6,4 6,9<br />
20 à 40 heures 22,5 4,4 3,3<br />
Plus de 40 heures 75,2 5,6 3,6<br />
Total<br />
(N)<br />
100,0<br />
(8 350 164) 2<br />
5,3 3,6<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le conjoint aux tâches domestiques :<br />
Aucune 2,8 7,5 3,1<br />
De 1 à 7 2,0 6,9 3,9<br />
Plus de 7 heures 95,2 5,1 3,6<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(8 471 959) 3<br />
5,2 3,5<br />
Heures hebdomadaires dédiées par le conjoint au travail extradomestique :<br />
1 à 20 heures 15,7 8,2 4,7<br />
20 à 40 heures 41,0 3,9 4,8<br />
Plus de 40 heures 43,3 6,7 7,2<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(3 744 167) 4<br />
5,8 5,8<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
1_/ Sont éliminés les EAJ où le travail domestique du chef n’est pas spécifié ou le chef ne<br />
cohabite pas avec eux, soit 161 237 enfants (695 cas).<br />
2_/ Sont éliminés les EAJ où le chef ne travaille pas, ne cohabite pas avec eux, ou le temps de<br />
travail n’est pas spécifié, soit 1 720 372 enfants (7 560 cas).<br />
3_/ Sont éliminés les EAJ où le travail domestique du conjoint n’est pas spécifié ou le conjoint ne<br />
cohabite pas avec eux, soit 1 598 577 enfants (7 339 cas).<br />
4_/ Sont éliminés les EAJ où le conjoint ne travaille pas, ne cohabite pas avec eux, ou le temps de<br />
travail n’est pas spécifié, soit 6 326 369 enfants (27 201 cas).<br />
321
D’ailleurs, dans le travail extradomestique, le temps de travail du chef est un facteur<br />
déterminant sur le pourcentage d’enfants travailleurs (Tableau 29), de sorte que le travail non<br />
familial des enfants est plus important dans les ménages où le chef et le conjoint travaillent à<br />
mi-temps (moins de 20 heures hebdomadaires), ou bien lorsqu’ils travaillent de manière<br />
excessive (dépassant les 40 heures hebdomadaires établies par la loi) ; des conditions de<br />
travail extrêmes qui peuvent révéler des problèmes économiques. D’un côté, on trouve le<br />
manque d’offre d’emploi qui limite le temps de travail des adultes, notamment de certains<br />
travailleurs indépendants, qui ont un revenu qui dépend du travail effectué. Le revenu est<br />
alors variable, voire parfois nul, et donc le travail des enfants devient plus ou moins<br />
nécessaire, mais surtout à l’extérieur du milieu familial. D’un autre côté, le surinvestissement<br />
au travail répond aussi parfois à des problèmes économiques. Etant donné les faibles niveaux<br />
de rémunération sur le marché du travail, beaucoup de travailleurs sont poussés à travailler<br />
plus pour gagner plus (en termes de temps ou de nombre de postes), pour couvrir les besoins<br />
essentiels de la famille. Ou même, dans les conditions actuelles du marché du travail, les<br />
travailleurs sont obligés d’accomplir des longues journées de travail pour garder leur place.<br />
Dans ces conditions, il est difficile de supporter seul la charge de la famille, alors d’autres<br />
membres sont censés travailler, dont les enfants. Et même si le travail des enfants ne sert qu’à<br />
avoir un peu d’argent de poche, cela décharge les parents de certaines dépenses (des<br />
vêtements, des chaussures…). En plus, les parents trop investis dans leur emploi passent<br />
moins de temps avec leurs enfants, ceux-ci peuvent donc trouver dans le travail une source de<br />
distraction, voire de socialisation.<br />
Quant à la situation des enfants travailleurs extradomestiques familiaux, le niveau<br />
d’investissement du chef de ménage et de son conjoint dans les tâches domestiques a une<br />
certaine importance sur le travail des enfants, mais la relation est faible. Par contre, le temps<br />
consacré par le chef ou par son conjoint au travail extradomestique est fondamental, mais pas<br />
dans les mêmes conditions. De la part du chef de ménage, seulement le travail à mi-temps<br />
(moins de 20 heures par semaine) est en relation avec l’augmentation du pourcentage de<br />
travail des enfants (Tableau 29). Il s’agit sûrement, encore une fois, d’un problème d’offre<br />
d’emploi, voire d’un problème économique. De nombreux travailleurs indépendants,<br />
notamment des artisans, sont concernés. Et ce sont les plus susceptibles d’amener leurs<br />
enfants avec eux au travail. En plus, si les revenus sont limités, car le travail manque, les<br />
enfants peuvent, le cas échéant, travailler avec un autre membre du ménage. De la part du<br />
conjoint du chef de ménage, par contre, lorsque le conjoint est trop investi dans son emploi, le<br />
322
travail des enfants prend de l’importance. Il s’agit, par exemple, de personnes qui ont des<br />
microentreprises familiales ayant besoin d’un travail intensif pour gagner plus d’argent et<br />
pour fidéliser leur clientèle. Mais pour maintenir un tel rythme de travail et maximiser les<br />
gains, il faut que tous les membres du ménage y participent activement, même s’ils ne le font<br />
pas de manière intensive, et comme ce sont surtout les enfants qui ont du temps disponible,<br />
alors l’on s’en sert. Or, une personne avec un travail assez prenant, en termes de temps, peut<br />
simplement chercher le soutien de ses enfants afin de réduire sa charge, si le type de travail le<br />
permet. Cependant, au-delà du temps investi par le conjoint dans le travail extradomestique, le<br />
facteur de risque est le fait que le conjoint exerce une activité économique, comme signalé<br />
plus haut.<br />
Un autre aspect relevant qui concerne le couple parental est le niveau de scolarité. En effet, de<br />
nombreuses études ont signalé l’importance du niveau scolaire des personnes sur leur<br />
comportement ou leurs pratiques : la fécondité, la mortalité infantile, l’état matrimonial,<br />
l’échec et l’abandon scolaires… Nous considérons que bien que les données issues du travail<br />
de terrain ne sont pas statistiquement représentatives, elles signalent le poids de la scolarité<br />
sur le travail des enfants. Car tous les parents de ces travailleurs interviewés sont peu<br />
scolarisés. Or, même si les études sur le travail des enfants, en général, ne prennent en compte<br />
que la scolarité du chef, maintenant certaines incluent la scolarité du conjoint, concrètement<br />
de la mère, comme facteur déterminant du devenir des enfants, comme par exemple, sur la<br />
trajectoire professionnelle des enfants en France (Singly et Thélot, 1986, cité in Blöss, 1997),<br />
ou sur la trajectoire scolaire des enfants en Afrique, dans une étude au Mali (Marcoux et al.,<br />
2006). C’est pourquoi nous considérons qu’il faut prendre en compte les deux niveaux, et<br />
même les deux dans son ensemble.<br />
Les résultats du MTI ne laissent aucun doute sur l’étroite relation entre la scolarité du chef de<br />
ménage et du conjoint du chef et le pourcentage d’enfants travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux, même si la scolarité du chef a un rôle un peu plus remarquable que celle du<br />
conjoint. Au fur et à mesure que le niveau de scolarité du chef et du conjoint, séparément,<br />
augmente, le pourcentage d’enfants travailleurs diminue nettement (Tableau 30). De manière<br />
que les écarts entre les pourcentages d’enfants travailleurs selon les catégories extrêmes de<br />
scolarité du chef de ménage ou du conjoint sont assez importants. Ainsi, pour les chefs<br />
comme pour les conjoints, le travail des enfants parmi les non scolarisés est huit fois celui que<br />
l’on trouve parmi ceux qui ont 16 ans et plus de scolarité.<br />
323
324<br />
Tableau 30. Répartition (%) des EAJ et pourcentage des travailleurs extradomestiques<br />
non familiaux et familiaux selon la scolarité du couple parental<br />
Années de scolarité<br />
EAJ dans ce type de<br />
ménage<br />
(%)<br />
Chef de ménage :<br />
% de travailleurs<br />
extradomestiques<br />
Non<br />
Familiaux<br />
familiaux<br />
Sans scolarité 2,2 15,8 3,8<br />
De 1 à 5 ans 8,3 10,8 5,9<br />
De 6 à 8 ans 21,8 7,8 4,6<br />
De 9 à 11 ans 32,8 5,3 3,6<br />
De 12 à 15 ans 18,4 3,6 2,7<br />
16 ans et plus 16,5 2,0 1,6<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(9 918 640) 1<br />
5,7 3,5<br />
Conjoint du chef de ménage :<br />
Sans scolarité 2,9 11,5 5,4<br />
De 1 à 5 ans 7,7 10,7 4,4<br />
De 6 à 8 ans 23,9 7,5 4,6<br />
De 9 à 11 ans 34,0 4,6 3,6<br />
De 12 à 15 ans 20,2 2,6 2,6<br />
16 ans et plus 11,3 1,5 1,7<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(8 470 879) 2<br />
5,2 3,5<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
1/ Sont éliminés les EAJ dont la scolarité du chef n’est pas spécifiée, soit 151 896 enfants (655 cas).<br />
2/ Sont éliminés les EAJ dont la scolarité du conjoint du chef n’est pas spécifiée, soit<br />
1 599 657 enfants (7 346 cas).<br />
Dans le cas des enfants travailleurs extradomestiques familiaux, l’importance du niveau de<br />
scolarité du chef et du conjoint sur le pourcentage d’enfants travailleurs se confirme aussi,<br />
avec la tendance attendue. Mais, sur le tableau 30, nous observons que la différence entre les<br />
catégories extrêmes est plus nuancée que chez les travailleurs non familiaux, à peu près trois<br />
fois plus chez les non scolarisés que chez les plus scolarisés. Néanmoins, dans le cas des<br />
chefs, le niveau le plus bas est celui de 1 à 5 ans de scolarité, car le pourcentage d’enfants<br />
travailleurs parmi les non scolarisés s’éloigne de la tendance. A ce propos, le faible<br />
pourcentage d’enfants travailleurs familiaux lorsque le chef est sans scolarité peut répondre à<br />
des conditions d’emploi et familiales tellement précaires, qu’une rémunération<br />
supplémentaire de la part des enfants est souhaitable.<br />
Maintenant, pour mieux illustrer le cadre familial des enfants, nous analysons la scolarité<br />
combinée du couple parental à l’aide de trois catégories, selon la différence entre les années<br />
de scolarité du chef et du conjoint : le chef plus scolarisé que le conjoint ; sans différence de<br />
scolarité entre le chef et le conjoint ; et le chef moins scolarisé. En comparant ces catégories
selon le niveau de scolarité du chef, les pourcentages d’enfants travailleurs extradomestiques<br />
non familiaux les plus considérables s’observent lorsque le chef n’a jamais été scolarisé, peu<br />
importe si son conjoint l’a été ou non (presque 16%), voir graphique 22. Après, c’est lorsque<br />
le chef est plus scolarisé que son conjoint que le travail des enfants est important. Par contre,<br />
une scolarité moins élevée du chef que du conjoint coïncide avec les pourcentages les plus<br />
faibles d’enfants travailleurs, dans tous les groupes de scolarité du chef, sauf dans le cas des<br />
chefs qui ont 16 ans et plus de scolarité. Là, c’est chez les couples également très scolarisés<br />
que l’on trouve le pourcentage le plus faible d’enfants travailleurs non familiaux (0,7%). Il est<br />
probable que les conditions socioéconomiques des ménages soient plus aisées quand le<br />
conjoint a une scolarité plus élevée que le chef que quand le conjoint est moins scolarisé,<br />
alors, il y a moins besoin du travail des enfants.<br />
Concernant les enfants travailleurs extradomestiques familiaux, la situation est différente<br />
(Graphique 22). Tout d’abord, comme déjà vu, les pourcentages les plus élevés d’enfants<br />
travailleurs ne se présentent pas lorsque le chef n’a jamais été scolarisé, mais plutôt dans la<br />
catégorie de 1 à 5 ans, soit sans avoir fini la primaria. Or, c’est spécialement quand le<br />
conjoint est aussi peu scolarisé, ou bien plus scolarisé que le chef que le travail des enfants<br />
atteint les plus forts pourcentages. Par contre, face à un couple dont le chef est peu scolarisé et<br />
le conjoint est sans scolarité le pourcentage d’enfants travailleurs descend, car, dans ces<br />
conditions, il est peu probable que les parents aient la possibilité d’embaucher eux-mêmes un<br />
enfant. Cependant, à partir du moment où le chef a une scolarité de 6 et jusqu’à 11 ans (soit<br />
une scolarité élémentaire, et même de premier cycle), la participation des enfants au travail ne<br />
dépend pas trop de la différence avec la scolarité du conjoint. En revanche, dès que le chef a<br />
une scolarité de 12 ans et plus (soit au moins la scolarité obligatoire), le niveau de<br />
participation des enfants est en relation directe à la scolarité du conjoint. De manière que les<br />
pourcentages les plus élevés de travailleurs s’observent lorsque le conjoint est moins<br />
scolarisé, tandis que les pourcentages les plus bas se présentent quand le conjoint est plus ou<br />
aussi scolarisé que le chef, presque sans différence entre ces deux situations. Et les couples<br />
très scolarisés détiennent encore la plus faible proportion (1%) d’enfants travailleurs<br />
familiaux.<br />
325
326<br />
Graphique 22. Pourcentages d’enfants travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
et familiaux selon la scolarité combinée du couple parental<br />
%<br />
%<br />
18<br />
16<br />
14<br />
12<br />
10<br />
8<br />
6<br />
4<br />
2<br />
0<br />
10<br />
9<br />
8<br />
7<br />
6<br />
5<br />
4<br />
3<br />
2<br />
1<br />
0<br />
Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Sans scolarité 1 à 5 ans 6 à 8 ans 9 à 11 ans 12 à 15 ans 16 ans et plus<br />
Sans<br />
scolarité<br />
Scolarité du chef<br />
Chef plus scolarisé Sans différence Chef moins scolarisé<br />
Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
1 à 5 ans 6 à 8 ans 9 à 11 ans 12 à 15 ans 16 ans et<br />
plus<br />
Scolarité du chef<br />
Chef plus scolarisé Sans différence Chef moins scolarisé<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
A la lumière de ces résultats, le niveau scolaire du chef de ménage semble être l’indicateur le<br />
plus important pour expliquer les différences sur le pourcentage d’enfants travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux et familiaux. Cependant, bien que secondaire, la scolarité du<br />
conjoint ainsi que la scolarité combinée du couple parental ont un rôle important. Les<br />
contextes familiaux qui résultent des diverses combinaisons entre le niveau de scolarité du
chef et du conjoint peuvent effectivement favoriser ou non le travail extradomestique des<br />
enfants. Là, les relations de genre et de génération qui se créent ont sûrement un rôle<br />
important dans la mise au travail précoce. L’on suppose que lorsque le conjoint (femme) a un<br />
niveau de scolarité semblable ou plus élevé à celui du chef (homme), les relations sont plus<br />
équitables à l’intérieur de la famille, mais, seulement à partir d’un certain niveau de scolarité.<br />
En relation étroite avec la scolarité, la position professionnelle du couple est aussi un aspect à<br />
considérer dans cette quête d’explications relatives au cadre familial, sur le travail<br />
extradomestique des enfants. Il est alors important d’approfondir quel type d’activités<br />
économiques réalisent les adultes du ménage, notamment le couple parental. Car, face à<br />
l’énorme diversité des types d’emploi et des conditions de travail qui existent sur le marché, il<br />
serait simpliste de se contenter d’un indicateur limité à la condition d’activité des parents<br />
(travaille ou ne travaille pas). L’occupation principale des travailleurs est un indicateur proche<br />
de la position socioéconomique du ménage, qui a toujours été considérée comme le<br />
déterminant du travail des enfants. Or, depuis quelques années, la faiblesse de prendre en<br />
compte seulement l’occupation du chef (le père) comme référence à l’origine sociale a été<br />
mise en évidence (Bertaux-Wiame et Muxuel, 1996). C’est ainsi que, de plus en plus, l’on<br />
étudie le rôle de la mère sur le devenir des enfants, à travers certains aspects comme sa<br />
scolarité, sa condition d’activité et son occupation principale, le cas échéant. C’est pourquoi<br />
nous tenons à tester l’importance de l’occupation principale du conjoint sur le travail<br />
extradomestique des enfants, en plus de celle du chef de ménage. Nonobstant, il faut souligner<br />
qu’au Mexique, même si l’entrée des femmes au marché du travail a été progressive depuis<br />
quelques décennies, une partie importante des EAJ habite encore un ménage où seulement le<br />
chef travaille (54%) 415 . <strong>La</strong> position socioéconomique des ménages dépend alors surtout de<br />
l’occupation du chef, dont 82% d’hommes, soit le père.<br />
<strong>La</strong> position socioéconomique du ménage<br />
Pour la position socioéconomique du ménage, nous utilisons encore comme indicateur le<br />
classement en six groupes d’activité professionnelle proposé par Solís et Cortés (2009). Les<br />
résultats concernant les enfants travailleurs extradomestiques non familiaux confirment que<br />
l’activité du chef de ménage est en relation directe avec le niveau de travail des enfants. En<br />
415 Des familles biparentales et monoparentales.<br />
327
l’occurrence, il y a à peu près 2% d’enfants travailleurs dans la classe de services, tandis que<br />
chez les travailleurs non spécialisés et les travailleurs agricoles les pourcentages arrivent à<br />
8%. D’ailleurs, dans le cas des ménages biparentaux, l’activité du conjoint est aussi en<br />
relation directe avec le travail des enfants, celui-ci passe d’environ 1% chez les conjoints qui<br />
appartiennent à la classe de services à 9% chez les travailleurs non spécialisés. Cependant,<br />
dans ce cas, les conjoints employés comme travailleurs agricoles présentent un pourcentage<br />
d’enfants travailleurs assez faible (3%). A ce propos, il est plausible que si le conjoint est un<br />
travailleur agricole, c’est parce que la famille toute entière vit de cette activité économique,<br />
donc le travail des enfants devient du type familial (Tableau 31).<br />
Tableau 31. Répartition (%) des EAJ et pourcentage d’enfants travailleurs non familiaux et<br />
familiaux selon le groupe d’activité professionnelle du chef de ménage et du conjoint du chef<br />
Groupes d’activité professionnelle<br />
EAJ dans ce type<br />
de ménage<br />
(%)<br />
% de travailleurs<br />
extradomestiques<br />
Non<br />
Familiaux<br />
familiaux<br />
Classe de services<br />
Chef du ménage<br />
8,1 1,7 1,6<br />
Travailleur non manuel en activités<br />
routinières<br />
17,6 3,5 1,0<br />
Travailleur du commerce 10,1 4,7 10,3<br />
Travailleur spécialisé 35,9 6,5 3,6<br />
Travailleur non spécialisé 19,7 7,8 3,8<br />
Travailleur agricole 0,8 7,5 5,8<br />
Non travailleur 7,9 6,6 1,2<br />
Total<br />
100,0<br />
(N)<br />
(9 919 689) 1<br />
5,7 3,5<br />
Classe de services<br />
Conjoint du chef<br />
3,1 1,2 1,3<br />
328<br />
Travailleur non manuel en activités<br />
routinières<br />
11,8 3,0 2,2<br />
Travailleur du commerce 8,6 4,8 15,7<br />
Travailleur spécialisé 8,2 7,1 5,3<br />
Travailleur non spécialisé 16,4 8,6 4,7<br />
Travailleur agricole 0,1 3,2 18,1<br />
Non travailleur 51,8 4,6 1,3<br />
Total<br />
100,0<br />
5,2 3,5<br />
(N)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
(8 471 959)²<br />
1/ Sont éliminés tous les enfants dont l’information à propos de l’activité du chef de ménage est<br />
indisponible, soit 150 847 enfants (643 cas).<br />
2/ Sont éliminés tous les enfants dont l’information à propos de l’activité du conjoint du chef de<br />
ménage est indisponibles, soit 1 598 577 enfants (7 332 cas).<br />
Néanmoins, cette relation évidente entre le groupe d’activité du chef et celle du conjoint avec<br />
le niveau de travail des enfants extradomestiques non familiaux est moins nette lorsqu’il s’agit
des enfants travailleurs extradomestiques familiaux. Les groupes les mieux placés dans le<br />
classement présentent les plus faibles pourcentages d’enfants travailleurs, mais la relation<br />
entre position socioéconomique et pourcentage de travail des enfants n’est pas forcément<br />
directe. Ainsi, chez les chefs de ménage, par exemple, ce sont plutôt les travailleurs non<br />
manuels en activités routinières, que les travailleurs de la classe de services, qui ont les<br />
niveaux les plus bas d’enfants travailleurs. Par contre, soit chez les chefs, soit chez les<br />
conjoints, ce sont largement les travailleurs du commerce, et ensuite les travailleurs agricoles<br />
qui sont les plus concernés par ce type de travail des enfants (Tableau 31). C’est-à-dire que le<br />
travail familial des enfants dépend plus de l’activité économique des parents que de la<br />
position socioéconomique qui représente ce classement. En effet, le commerce et l’agriculture<br />
sont les deux branches de l’activité économique dont l’environnement permet plus au moins<br />
facilement l’accès des enfants au travail. De manière que si le chef ou le conjoint y travaillent,<br />
les enfants ont de fortes chances d’y travailler dès un jeune âge, même si cette entrée est<br />
sporadique et qu’elle n’est pas reconnue comme un travail proprement dit. Il s’agit bien de<br />
deux branches où le travail des enfants, et notamment le travail familial, est assez répandu, car<br />
des activités peu qualifiées y sont abondantes, que les enfants peuvent réaliser pour laisser les<br />
adultes s’occuper plutôt des activités moins simples ou plus lourdes, et ainsi maximiser la<br />
productivité familiale. Et en plus, ce type de travail, dans un environnement familial, est<br />
presque toujours bien accepté socialement, et il est en général dispensé des restrictions<br />
légales.<br />
VIII.2. Les incidences de l’environnement familial sur le travail extradomestique.<br />
Les analyses bivariées offrent d'ores et déjà, des idées sur les divers facteurs déterminants du<br />
travail des enfants associés au milieu familial. Il est clair que dans la mise au travail précoce,<br />
des aspects individuels, familiaux et du contexte (le marché du travail, la législation en<br />
matière d’emploi) jouent un rôle important. Mais dans la vie réelle, ces divers aspects se<br />
mêlent en créant des conditions familiales et sociales bien particulières, lesquelles dans leur<br />
ensemble peuvent inhiber ou favoriser la mise au travail précoce. C’est pourquoi nous<br />
proposons l’analyse des modèles de régression logistique, où nous prenons en compte un<br />
ensemble de variables individuelles et familiales qui nous intéressent, pour mieux apprécier<br />
leur rôle sur l’entrée des enfants sur le marché du travail, selon le type de travail familial ou<br />
non. Et vu que filles et garçons présentent de notables différences en ce qui concerne le<br />
travail, et que nous pensons que l’importance des facteurs familiaux varie selon le sexe des<br />
329
enfants, nous utilisons le modèle par sexe. Cela permet de comparer l’importance de divers<br />
facteurs d’intérêt selon le sexe d’Ego et le type de travail réalisé. Ainsi, grâce aux modèles de<br />
régression, nous analysons la relation de chaque variable incorporée, de manière isolée, sur la<br />
mise au travail précoce, soit en contrôlant l’influence des autres variables incorporées dans le<br />
modèle, en ayant toujours « toutes choses égales par ailleurs ». 416 A la lumière des résultats<br />
de l’analyse bivariée, nous proposons un modèle pour estimer les risques d’être un travailleur<br />
extradomestique, familial et non familial séparément, par rapport à ne pas l’être, en incluant<br />
des variables individuelles et de l’environnement familial (composition du ménage,<br />
caractéristiques du conjoint du chef de ménage, position socioéconomique du ménage). A<br />
savoir (Tableau 32) : 417<br />
• l’âge d’Ego (selon les trois sous groupes de référence) ;<br />
• la taille du ménage (non nombreux ou nombreux) ;<br />
• le nombre de moins de 18 ans dans le ménage (y compris Ego) ;<br />
• le rang occupé par Ego dans la fratrie de moins de 18 ans dans le ménage (aîné ou non) ;<br />
• la composition du couple parental (chef homme seul, chef femme seule, chef homme et<br />
330<br />
conjoint, chef femme et conjoint) ;<br />
• la condition d’activité du conjoint du chef de ménage (travailleur ou non travailleur) ;<br />
• les années de scolarité du conjoint du chef de ménage (sans scolarité, de 1 à 5 ans, de 6 à 8<br />
ans, de 9 à 11 ans, de 12 à 15 ans et 16 ans et plus) ; 418<br />
• le groupe d’activité professionnelle du chef de ménage, comme indicateur de la position<br />
socioéconomique familiale (travailleurs dans la classe de service, travailleurs non manuels<br />
en activités routinières, travailleurs spécialisés, travailleurs du commerce, travailleurs non<br />
spécialisés et travailleurs agricoles). 419<br />
Le niveau scolaire du chef de ménage fait partie de l’indicateur sur la position<br />
socioéconomique familiale, qui classe l’activité des chefs en six groupes d’activité<br />
professionnelle discriminants selon la scolarité, le niveau de revenus et la possession de biens<br />
matériels. C’est pourquoi nous ne l’avons pas inclus au modèle comme une variable<br />
indépendante.<br />
416<br />
Il faut dire qu’avant d’arriver au modèle que nous proposons, nous avons élaboré d’autres modèles pour tester<br />
les divers indicateurs et classements afin d’arriver à obtenir les différences les plus significatives statistiquement,<br />
mais aussi les variables et les catégories les plus pertinentes.<br />
417<br />
L’exigence de parcimonie dans les modèles de régression logistique limite toujours le nombre des variables<br />
incluses dans les modèles.<br />
418<br />
Des groupes qui correspondent aux divers cycles scolaires au Mexique.<br />
419<br />
L’indicateur proposé par Solís et Cortés (2009). Voir Annexe I.2.
Tableau 32. Etre travailleur extradomestique non familial ou familial par rapport à ne pas<br />
l’être. Rapport de risque et probabilité ajustée d’une régression logistique binomiale par sexe<br />
Variables indépendantes<br />
Etre travailleur extradomestique<br />
non familial<br />
Probabilité<br />
Rapport de risque<br />
ajustée (%)<br />
Etre travailleur extradomestique familial<br />
Rapport de risque<br />
Probabilité<br />
ajustée (%)<br />
Garçon Fille Garçon Fille Garçon Fille Garçon Fille<br />
Constante du modèle<br />
INDIVIDUELLES<br />
Age d’Ego :<br />
-7,408 -6,492 -5,975 -8,279<br />
6 à 11 ans --- --- 1,0 1,0 --- --- 1,6 0,7<br />
12 à 14 ans 1,634*** 0,863*** 5,0 2,3 0,942*** 0,948*** 4,1 1,7<br />
15 à 17 ans<br />
COMPOSITION DU MENAGE<br />
Taille du ménage<br />
3,070*** 2,433*** 18,2 10,3 1,488*** 1,264*** 6,9 2,4<br />
Non nombreux --- --- 3,3 2,2 --- --- 3,0 1,2<br />
Nombreux (plus de 5 personnes)<br />
Nombre de moins de 18 ans<br />
0,096 0,201* 3,7 2,7 0,84 0,149 3,2 1,4<br />
Nombre moyen (2,5) 0,188*** 0,083* 3,4 2,3 0,082* 0,015 3,1 1,2<br />
EXEMPLES : Un 2,6 2,1 2,7 1,2<br />
Deux 3,1 2,2 2,9 1,2<br />
Cinq<br />
Rang d’Ego<br />
5,4 2,9 3,7 1,3<br />
Non aîné --- --- 3,0 2,1 --- --- 2,6 1,2<br />
Aîné<br />
Composition du couple :<br />
0,258** 0,218* 3,8 2,6 0,260** 0,050 3,4 1,2<br />
Chef homme et conjoint --- --- 2,7 2,0 --- --- 2,7 0,7<br />
Chef femme et conjoint 0,146 0,299 3,1 2,6 -0,454* -0,318 1,7 0,5<br />
Chef homme seul 1,534*** 0,565 11,4 3,4 1,832*** 3,180*** 14,9 14,9<br />
Chef femme seule 1,744*** 1,258*** 13,7 6,6 0,831*** 3,803*** 6,0 24,6<br />
CONJOINT DU CHEF DE MENAGE<br />
Scolarité :<br />
Sans scolarité 1,973*** 1,315*** 9,1 4,9 0,817** 1,279*** 3,8 2,0<br />
1 à 5 ans 1,728*** 1,023*** 7,3 3,7 0,823*** 1,070*** 3,8 1,6<br />
6 à 8 ans 1,384*** 0,817*** 5,3 3,0 0,876*** 1,158*** 4,0 1,8<br />
9 à 11 ans 1,042*** 0,630** 3,8 2,5 0,698*** 0,784*** 3,4 1,2<br />
12 à 15 ans 0,501** 0,240 2,3 1,7 0,441** 0,634** 2,6 1,1<br />
16 ans et plus<br />
Condition d’activité :<br />
--- --- 1,4 1,4 --- --- 1,7 0,6<br />
Non travailleur --- --- 3,2 2,1 --- --- 1,9 0,3<br />
Travailleur extradomestique 0,128 0,276** 3,7 2,7 1,122*** 3,532*** 5,6 8,2<br />
POSITION SOCIOECONOMIQUE FAMILIALE<br />
Groupe d’activité du chef de<br />
ménage :<br />
Classe de services --- --- 1,4 1,2 --- --- 2,3 0,9<br />
Non manuel en activités 0,672*** 0,566** 2,6 2,2 -0,635** -0,487* 1,2 0,5<br />
routinières<br />
Travailleur du commerce 0,894*** 0,300 3,2 1,7 1,513*** 1,602*** 9,7 4,1<br />
Travailleur spécialisé 1,161*** 0,816*** 4,2 2,8 0,456** 0,404* 3,6 1,3<br />
Travailleur non spécialisé 1,329*** 0,868*** 4,9 2,9 0,372* 0,577** 3,3 1,5<br />
Travailleur agricole 1,064** 0,908* 3,8 3,0 1,463*** 1,040** 9,2 2,4<br />
TOTAL 1 3,4 2,3 3,1 1,2<br />
Nombre d’observations 20 730 20 172 20 730 20 172<br />
Khi-deux du modèle<br />
2885,864 1084,275<br />
1057,800 1259,183<br />
(ddl)<br />
(19) (19)<br />
(19) (19)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre). Sont considérés tous les enfants de 6 à 17 ans, fils ou filles du chef de<br />
ménage, célibataires et sans progéniture, dont l’activité du chef est connue. (Données non pondérées).<br />
*** Significative au seuil de 1‰ ; ** Significative au seuil de 1% et * Significative au seuil de 5%.<br />
--- Catégorie de référence.<br />
1/ Probabilité ajustée lorsque toutes les variables prennent la valeur moyenne.<br />
Lecture : « toutes choses égales par ailleurs », les garçons âgés de 12 à 14 ans travaillent plus fréquemment en tant que<br />
travailleurs extradomestiques non familiaux (l’odds ratio est de 1,634) que ceux âgés de 6 à 11 ans, celle-ci prise comme<br />
modalité de référence.<br />
331
Selon les résultats des régressions logistiques, de manière générale, le travail extradomestique<br />
non familial est un peu plus probable que le travail familial, et les garçons ont des probabilités<br />
plus élevées de travailler que les filles. Nous constatons aussi qu’il existe une relation<br />
différente entre les diverses variables dans le modèle et le travail des enfants, par type de<br />
travail (non familial ou familial) et par sexe également.<br />
Le travail extradomestique non familial est très sensible à l’âge d’Ego, qui représente la<br />
variable la plus discriminante dans le modèle, avec les probabilités les plus élevées et les plus<br />
basses de travailler, dans les groupes d’âges extrêmes. <strong>La</strong> probabilité augmente surtout à<br />
partir de 15 ans, soit lorsque le travail est légal et la scolarisation n’est pas forcement<br />
obligatoire. En second, c’est la composition du couple parental et le niveau scolaire du<br />
conjoint du chef de ménage qui importent, suivis par la position socioéconomique familiale.<br />
De son coté, le travail extradomestique familial dépend moins de l’âge d’Ego. Dans ce cas, est<br />
surtout essentielle la composition du couple parental, pour les deux sexes. En second, chez les<br />
garçons, c’est la position socioéconomique familiale qui compte, et chez les filles, la<br />
condition d’activité du conjoint du chef de ménage et la position socioéconomique familiale.<br />
Par la suite, nous allons procéder à l’analyse détaillée de chaque variable dans les modèles, en<br />
illustrant, dès que possible, les résultats quantitatifs avec les récits des enfants interviewés.<br />
VIII.2.1. Les enfants vis-à-vis du travail extradomestique : une participation sexuée et<br />
générationnelle, soumise à l’entourage.<br />
Les différences par sexe dans les probabilités estimées (%) de travailler suggèrent des formes<br />
de vie différentielles entre filles et garçons ; des destinées sexuées qui dominent les idées,<br />
mais aussi les pratiques, dès un très jeune âge (Tableau 32). Les rôles traditionnels par sexe<br />
persistent actuellement en faisant des garçons les principaux candidats au travail<br />
extradomestique. Etant donné que tôt ou tard ils rentreront sur le marché du travail, l’on<br />
considère qu’il vaut mieux commencer avant l’âge adulte, pour connaître progressivement ce<br />
monde qui dominera leur vie. Et aussi pour assumer le rôle qui leur correspondra dans la<br />
société et dans la famille : celui de pourvoyeur ou simplement comme individu autosuffisant,<br />
un rôle souhaité ou imposé par les circonstances familiales ou personnelles, qui façonne la vie<br />
des garçons dés un jeune âge. En ce qui concerne les filles, l’attente est différente. Elles ne<br />
sont pas censées être des pourvoyeuses, ou en tout cas, pas les responsables du soutien<br />
332
économique d’une famille. Elles pourraient devenir des personnes indépendantes, mais cela<br />
ne serait pas une obligation sociale comme chez les garçons. Elles peuvent alors, dès que<br />
possible, reporter le moment d’entrée dans la vie active. Par contre, leur participation dans la<br />
vie domestique est bien appréciée, encouragée, préférée, voire imposée. Et même si de plus en<br />
plus de filles souhaitent réussir de longues études, une formation professionnelle, la sphère<br />
domestique domine la sphère économique. Et leur professionnalisation semble plus un<br />
souhait, une fierté personnelle que la quête d’un mode de vie différente ou d’équité vis-à-vis<br />
des hommes. Certes, les conditions socioéconomiques du pays aujourd’hui poussent les<br />
femmes à entrer sur le marché du travail, par choix ou par contrainte, pour des raisons<br />
culturelles ou économiques ; mais en tout cas, leur travail (voire leur apport économique)<br />
reste plutôt secondaire de celui des hommes, tandis que leur responsabilité en tant que<br />
« femmes au foyer » ne diminue guère.<br />
D’ailleurs, il est clair qu’au fur et à mesure que les enfants grandissent leurs besoins changent,<br />
et ainsi parallèlement ceux de la famille. De façon que chaque étape de la vie familiale a des<br />
demandes sociales différentes, des tâches spécifiques à accomplir pour donner réponse aux<br />
nécessités du groupe familial et à celles de chacun de ses membres. Pour cette raison, la<br />
participation des enfants dans les diverses activités de production et de reproduction<br />
quotidienne du ménage peut être très dynamique.<br />
Parmi tous les aspects considérés dans les modèles, l’âge de l’enfant est la condition de plus<br />
grande envergure dans le cas du travail non familial. Certes, il est tout à fait logique qu’en<br />
grandissant, ils soient potentiellement plus susceptibles de travailler, malgré l’interdiction<br />
légale de le faire avant 14 ans. Mais cette tendance croissante devrait, en théorie, se faire<br />
progressivement, selon les diverses étapes qui se succèdent : l’enfance, l’adolescence et la<br />
jeunesse. Cependant, d’après les modèles, travailler étant âgé de moins de 15 ans est peu<br />
probable, notamment chez les filles, et surtout pour les plus jeunes en général (1% chez les 6 à<br />
11 ans), « toutes choses égales par ailleurs », et à partir de 15 ans la probabilité de travailler<br />
augmente de manière significative. En effet, elle passe de 5% chez les garçons de 12 à 14 ans<br />
à 18,2% chez les 15 à 17 ans. Et chez les filles respectivement de 2,3 à 10,3% (Tableau 32),<br />
des augmentations qui ne peuvent pas être expliquées simplement par le fait de grandir. Les<br />
explications se trouvent aussi ailleurs.<br />
333
Cette situation est en relation directe avec deux aspects qui caractérisent le contexte dans<br />
lequel vivent les enfants au pays. D’une part, les restrictions légales en matière d’emploi<br />
interdisant l’embauche avant l’âge de 14 ans. A l’évidence, une partie non négligeable<br />
d’enfants attendent le moment de pouvoir être embauchés pour entrer sur le marché du travail,<br />
même si quelques-uns s’y incorporent avant l’âge permis, illégalement. D’autre part, l’offre<br />
scolaire est insuffisante pour les enfants à partir de 15 ans. Il semblerait alors que le système<br />
juridique, ainsi que le système éducatif jouent un rôle de frein au travail des enfants. Mais,<br />
cette perception peut être trompeuse. Car, face aux conditions précaires de vie dont souffre<br />
une partie non négligeable de la population au Mexique, et les places limitées pour les<br />
diplômés sur le marché du travail, il est difficile de savoir si toutes les familles en difficulté<br />
seraient capables de maintenir leurs enfants à l’écart du travail, même si l’offre scolaire était<br />
plus ample et les restrictions légales plus laxistes. Il serait simpliste de penser qu’augmenter<br />
les places dans le système scolaire en deuxième et troisième cycles, ainsi qu’interdire le<br />
travail des enfants serait la solution à la mise au travail précoce. Parce que cela ne résoudrait<br />
pas, au moins au court terme, le problème de la précarité économique des familles, donc des<br />
enfants, et en plus, parce que les enfants ne travaillent pas seulement par des raisons de survie<br />
(même si les raisons économiques sont assez fréquentes). Enfin, parce que travail et<br />
scolarisation ne sont pas en opposition. Les enfants qui ont vraiment besoin de travailler vont<br />
travailler malgré les interdictions, et si possible, en continuant leur scolarisation.<br />
C’est un constat partout dans le monde. Et les conditions du marché du travail au Mexique (si<br />
flexible et informel), ainsi que du système scolaire le permettent plutôt aisément. De sorte que<br />
les lois en matière d’emploi rentrent en contradiction avec les conditions du marché du travail<br />
et de vie. Et c’est cette contradiction qui rend la législation inefficace. En effet, avec<br />
l’interdiction légale de travailler, les enfants se trouvent piégés entre la théorie (la loi) et la<br />
réalité (l’intégration au monde du travail, envers et contre tout), en devenant une cible de<br />
toutes sortes d’abus, car, malgré leurs intentions, les lois ne les protègent pas suffisamment.<br />
Le fait de se savoir en situation illicite pousse les enfants à être plus dociles face aux<br />
employeurs qui acceptent de transgresser les lois, ce qui est vu à travers les expériences des<br />
enfants interviewés, qui se contentent volontiers des revenus dérisoires, par exemple.<br />
Par ailleurs, les enfants qui veulent continuer leurs études font souvent des efforts personnels,<br />
en travaillant eux-mêmes parfois pour poursuivre leur scolarisation, alors que, dans ce cas,<br />
c’est l’interdiction au travail qui deviendrait un frein à la scolarité :<br />
334
« Je n’aimerais pas travailler dur maintenant, sinon juste comme ça, comme ce que je fais... mais si<br />
jamais ma mère ne peut plus, alors je travaillerais pour gagner de l’argent et continuer mes études. » 420<br />
(Felipe, 14 ans. Il travaillait pendant son temps périscolaire pour avoir un peu d’argent de poche, pour<br />
apprendre un métier et pour se distraire. Ses parents arrivaient à s’occuper de ses besoins essentiels,<br />
mais pas plus).<br />
Certes, la scolarisation doit occuper une place privilégiée dans la vie de tous les enfants, car<br />
malgré ses défaillances, c’est encore le moyen le plus approprié pour préparer les enfants à la<br />
vie future. Mais la vie présente des enfants compte aussi, et dans la réalité, les conditions<br />
actuelles du pays ne sont pas toujours favorables pour imposer la scolarité comme la seule<br />
activité des enfants. En plus, le travail n’est pas non plus synonyme d’exploitation, une<br />
activité qui met en danger le bien-être des enfants. Ce n’est pas le travail qui est dangereux, ce<br />
sont les conditions dans lesquelles il est réalisé qui peuvent nuire aux enfants (voire aux<br />
adultes). C’est pourquoi le travail familial des enfants est permis, car là, les enfants sont<br />
censés être protégés par leurs parents, une idée qui n’est pas toujours exacte, et pourtant<br />
acceptée.<br />
Contrairement au travail extradomestique non familial, le travail familial ne dépend pas trop<br />
des conditions externes à la famille, comme l’école et la législation. D’une part, les<br />
restrictions légales ne sont pas un frein, car ce type de travail échappe souvent aux lois en<br />
matière d’emploi. Les enfants peuvent y travailler à leur gré ou à celui des parents, et l’âge ne<br />
représente pas une contrainte externe. Les limites sont marquées plutôt par les capacités<br />
propres à l’enfant, lesquelles s’élargissent au fur et à mesure que l’âge augmente : la force, la<br />
motricité, la maturité, la logique. D’ailleurs, la maîtrise de la lecture, l’écriture et les<br />
opérations mathématiques évoluent aussi (pour ceux qui sont scolarisés). Ainsi, leurs<br />
capacités et leurs aptitudes sont de plus en plus amples, et leur participation de plus en plus<br />
importante en grandissant. D’autre part, le travail est souvent sporadique et flexible<br />
permettant aux enfants de continuer leurs études. Mais comme tous les EAJ, ils sont aussi<br />
touchés par le manque d’offre scolaire à partir d’un certain âge. Les enfants qui ne trouvent<br />
pas une place à l’école, ou qui ne veulent pas continuer leurs études après les cycles<br />
obligatoires sont censés s’impliquer dans une autre activité, au moins en attendant de<br />
reprendre leurs études. Le travail familial devient alors une possibilité pour certains, peut-être<br />
420 « No me gustaría trabajar ahora en algo pesado. Pero nomás así, como lo que hago. (...) ya si mi mamá ya no<br />
puede, pus ya trabajaría en alguna cosa para ganar algo y seguir estudiando. »<br />
335
la plus simple. C’est ainsi que les résultats des modèles montrent une croissance progressive<br />
de la probabilité de travailler d’un groupe d’âges à l’autre. Chez les garçons, la probabilité<br />
passe de 1,6% de 6 à 11 ans à 6,9% de 15 à 17 ans ; chez les filles, la probabilité passe<br />
respectivement de 0,7 à 2,4% (Tableau 32), une tendance qui suit l’évolution naturelle des<br />
enfants, sans être très perturbée par des contraintes externes.<br />
A mesure que les enfants s’approchent de l’âge adulte, la probabilité d’être un travailleur<br />
extradomestique familial est moins élevée que celle d’être un travailleur non familial, car<br />
celui-ci est censé être plus attractif et plus avantageux (surtout en termes économiques),<br />
notamment lorsque l’on compte commencer une vie professionnelle et quitter définitivement<br />
l’école, et que les restrictions légales diminuent. Mais dans les deux cas, les garçons sont plus<br />
concernés que les filles, même si les différences par sexe sont plus accentuées dans les cas du<br />
travail extradomestique familial. Cependant, en plus des caractéristiques individuelles d’Ego,<br />
les aspects liés à l’environnement familial peuvent avancer ou retarder le moment d’entrer<br />
dans la vie active.<br />
Parmi les aspects associés à la composition du ménage, nous considérons la taille, le nombre<br />
d’enfants âgés de moins de 18 ans, ainsi que le rang occupé par Ego dans la fratrie, des<br />
aspects qui ont été souvent signalés comme déterminants du travail des enfants. Or, selon nos<br />
résultats, parmi tous les aspects considérés dans les modèles, ceux qui concernent la<br />
composition du ménage sont les moins impliqués dans le travail extradomestique en général.<br />
Cependant, certaines de ces conditions peuvent favoriser la mise au travail précoce, selon le<br />
type de travail et le sexe d’Ego.<br />
Par rapport à la taille du ménage, même si les analyses bivariées évoquaient une relation<br />
étroite du travail des enfants selon le nombre de personnes de divers groupes d’âges, à travers<br />
l’analyse multivariée, nous trouvons que l'effet net (soit « toutes choses égales par ailleurs »)<br />
de la taille du ménage sur le travail des enfants est faible (Tableau 32). Il s'agit alors d'un<br />
facteur qui n’a pratiquement pas d’importance sur la mise au travail précoce, pour les deux<br />
sexes et pour les deux types de travail. 421 C'est-à-dire que ce n’est pas directement le nombre<br />
de membres du ménage qui détermine le risque de travailler, mais plutôt les conditions<br />
421 Statistiquement il n’existe pas une relation linéaire entre cette variable et la variable dépendante.<br />
336
inhérentes à chaque type de ménages (nombreux ou peu nombreux), des conditions qui sont<br />
cachées par la taille, dont nous avons contrôlé l’effet en les incluant dans les modèles.<br />
Ainsi, la probabilité de travailler ne change guère entre un EAJ qui appartient à un ménage<br />
nombreux (plus de 5 personnes) et un autre qui appartient à un ménage peu nombreux,<br />
notamment dans le cas du travail familial, pour les deux sexes. En effet, la taille du ménage<br />
n’intervient pas dans la mise au travail extradomestique familial. Dans le cas du travail<br />
extradomestique non familial, l’importance de cette variable est faible. Lorsqu’Ego appartient<br />
à un ménage nombreux, il a une probabilité estimée de travailler un peu plus élevée que<br />
lorsqu’il fait partie d’un ménage composé par moins de 6 personnes. 422 Mais la probabilité<br />
augmente juste d’un demi-point (%) pour les deux sexes (Tableau 32). Il est possible que ces<br />
familles nombreuses aient des coutumes plus traditionnelles que les peu nombreuses, et que le<br />
travail extradomestique précoce soit donc perçu comme faisant partie du processus de<br />
formation de l’enfant, et soit donc plus fréquent, au-delà de l’éventuel apport économique, car<br />
nous avons contrôlé l’effet de la position socioéconomique du ménage. Dans les conditions<br />
socioéconomiques actuelles du pays, c’est presque un luxe pour les couples, d’avoir plus de<br />
deux enfants, parfois même un seul enfant. 423 Les ressources économiques de l’Etat sont<br />
restreintes pour faire face aux besoins de presque 40 millions de moins de 18 ans. C’est<br />
pourquoi depuis des décennies la politique de population nationale vise à « motiver » la<br />
régulation de la fécondité. Ainsi, dans les milieux urbains du Mexique, en général les familles<br />
nombreuses sont rares, car il existe un accès facile aux divers moyens de contraception. Et<br />
avoir une fratrie nombreuse est plutôt mal vu, à cause du coût des enfants (scolarisation,<br />
nourriture, vêtements...).<br />
Dans ce même sens, le nombre d’enfants (moins de 18 ans) dans le ménage est très révélateur,<br />
il est un facteur relativement important chez les garçons, mais pas chez les filles. En effet,<br />
chez les filles cette condition n’est pas du tout significative pour expliquer le travail familial,<br />
et concernant le travail non familial, le nombre d’enfants est sans grand intérêt. Il faut la<br />
présence de plus de cinq enfants pour que la probabilité de travailler parmi les filles augmente<br />
422 Nous avons trouvé pendant les analyses bivariées, que la proportion d’enfants travailleurs est aussi<br />
considérable dans les ménages petits (deux personnes). Mais l’incorporation de trois catégories de ménage s’est<br />
avérée sans intérêt dans le modèle (nombreux, moyen ou petit). C’est pourquoi nous avons décidé d’incorporer<br />
juste les deux catégories significativement différentes.<br />
423 Parmi les ménages de notre population d’étude, celles qui comptent au moins un enfant âgé de 6 à 17 ans, le<br />
nombre moyen d’enfants âgés de moins de 18 ans est de 2,5.<br />
337
au-delà d’un point (%). Or, parmi les garçons la relation est plus nette : au fur et à mesure que<br />
le nombre d’enfants augmente, la probabilité de travailler s’élève pour les deux types de<br />
travail, mais avec une plus grande intensité dans le cas des enfants travailleurs non familiaux.<br />
Ainsi, par rapport au travail non familial, la probabilité estimée de travailler passe de 2,6%<br />
lorsqu’Ego est l’unique enfant âgé de moins de 18 ans dans le ménage à 5,4% lorsqu’il y a<br />
quatre enfants en plus d’Ego, et dans le cas du travail familial, respectivement de 2,7 à 3,7%<br />
(Tableau 32). Des raisons culturelles sont sûrement à l’origine de cette influence sexuée du<br />
nombre d’enfants, où les garçons sont plus susceptibles de réaliser un travail extradomestique<br />
que les filles. Et comme nous l’avons prouvé auparavant, dès que le nombre de moins de 18<br />
ans dans le ménage augmente (soit des jeunes enfants ou d’autres EAJ), les filles sont plus<br />
concernées par le travail domestique familial, ce qui expliquerait le manque d’influence de la<br />
taille de la fratrie par rapport au travail extradomestique lorsque la fratrie est nombreuse.<br />
En plus du nombre d’enfants âgés de moins de 18 ans dans le ménage, il est aussi important<br />
de considérer le rang de naissance d’Ego : si c’est l'aîné ou non, une condition souvent<br />
considérée comme un déterminant essentiel. A ce propos, les aînés ont une probabilité plus<br />
élevée de travailler que les cadets, mais les différences sont plutôt faibles, et en général, ces<br />
différences concernent, encore une fois, plutôt les garçons que les filles. En effet, chez les<br />
filles, le rang n’est pas significatif par rapport au travail familial, et il a un rôle assez discret<br />
par rapport au travail non familial. Un peu plus important est-il chez les garçons, soit pour le<br />
travail familial, soit pour le non familial. Mais la différence dans les deux cas est d’à peine 0,8<br />
point (%) entre un aîné et un cadet, « toutes choses égales par ailleurs » (Tableau 32), une<br />
situation qui est cohérente avec les résultats à propos de l’âge des enfants. Il s’agit d’une<br />
hiérarchie générationnelle. Parmi les enfants du ménage, en général l’aîné serait le premier à<br />
entrer sur le marché du travail, surtout lors qu’il s’agit du travail non familial et chez les<br />
garçons, car le travail extradomestique familial est moins déterminé par cette hiérarchie<br />
générationnelle.<br />
C’est-à-dire qu'il existe dans la fratrie un certain ordre d’entrée sur le marché du travail,<br />
lequel dépend de l’ensemble des quatre conditions : l’âge d'Ego, son rang et la taille de la<br />
fratrie cohabitant, mais aussi et surtout le sexe d’Ego, car les filles sont beaucoup moins<br />
dépendantes de ce type de conditions, peut-être parce qu’elles sont davantage prises par le<br />
travail domestique familial, lequel est fortement déterminé pour la composition du ménage. Il<br />
338
faut souligner aussi le fait que ces trois conditions sont plus en relation avec le travail non<br />
familial qu’avec le travail familial.<br />
Etant donné le rôle fondamental des parents dans tout ce qui concerne la vie familiale, en plus<br />
de la composition du ménage, il faut aussi prendre en compte l’effet des variables liées<br />
directement à la composition du couple parental, car les particularités peuvent favoriser ou<br />
non le travail des enfants. A ce propos, nous considérons trois caractéristiques du couple en<br />
même temps : le sexe, le rôle dans la famille et la présence ou l’absence de chacun des parents<br />
d’Ego, en supposant qu’il s’agit des parents d’Ego, car l’on sait par notre définition de la<br />
population d’études qu’Ego est le fils ou la fille du chef de ménage, mais le lien de parenté<br />
entre Ego et le conjoint du chef n’est pas connu, même s’il est fort probable qu’Ego soit fils<br />
ou fille aussi du conjoint du chef.<br />
VIII.2.2. Des enfants qui remplacent un conjoint absent.<br />
Selon les modèles, la composition du couple parental est un facteur fondamental pour<br />
expliquer le risque de travailler parmi les EAJ. En effet, concernant le travail extradomestique<br />
familial, la composition du couple est la variable qui a l’effet le plus discriminant parmi<br />
toutes ; et quant au travail non familial, elle est la deuxième variable la plus importante après<br />
l’âge d’Ego. En général, nous pouvons dire que les deux aspects associés à la composition du<br />
couple parental qui favorisent le plus le travail des enfants sont la monoparentalité et<br />
l’autorité féminine, avec des nuances selon le type de travail et le sexe d’Ego.<br />
Ainsi, par rapport au travail non familial, chez les garçons, la probabilité de travailler présente<br />
des différences marquées à propos de la monoparentalité, et ensuite des différences subtiles<br />
s’observent selon le sexe du chef. De manière que, pour un garçon, le plus grand risque est<br />
d’appartenir à un ménage monoparental, et après, si en plus le chef est une femme la<br />
probabilité augmente légèrement par rapport à un chef homme (respectivement 13,7 et<br />
11,4%), la probabilité dans les familles biparentales étant autour de 3%. Concernant les filles,<br />
le plus grand risque de devenir des travailleuses extradomestiques non familiales se présente<br />
lorsqu’elles appartiennent à un ménage monoparental dirigé par leur mère (6,6%). Dans les<br />
autres cas, la probabilité est plus faible, les rapports de risque étant non significatifs<br />
(Tableau 32). Il faut rappeler que c’est justement lorsque les filles appartiennent à un ménage<br />
339
monoparental masculin qu’elles ont de fortes probabilités de prendre la responsabilité du<br />
travail domestique familial, ce qui les empêcherait de s’investir dans un travail<br />
extradomestique, tandis que les garçons ne sont pas très concernés par le travail domestique.<br />
En tout cas, filles et garçons ont moins de risques de travailler lorsqu’ils font partie d’un<br />
ménage biparental avec un chef homme (le type de couple conventionnel et le plus fréquent).<br />
Des différences notables séparent les probabilités de travailler entre les EAJ des familles<br />
biparentales avec un chef homme, et les EAJ de familles monoparentales avec un chef<br />
femme : chez les filles la différence est de 3,3 fois, tandis que chez les garçons elle est de 5<br />
fois, ce qui montre l’importance de la composition du couple parental sur le travail<br />
extradomestique non familial des enfants.<br />
En effet, la monoparentalité est un facteur de risque pour le travail des enfants, car toutes les<br />
responsabilités qui appartiennent normalement au couple (économiques, émotionnelles…)<br />
sont fréquemment assumées par un seul des parents. Les aides sociales de la part de l’Etat<br />
pour les parents et les enfants seuls ou en difficulté n’existent guère au Mexique. Et le parent<br />
qui reste avec la fratrie perd souvent tout contact avec son conjoint, qui disparaît sans aucun<br />
sens de responsabilité envers leurs enfants ; ou en cas de décès, laissant leur famille parfois<br />
très fragilisée. Les processus de demande de divorce, ainsi que les indemnisations par décès<br />
sont rares. Par conséquent, certaines familles restent assez vulnérables face à la perte de l’un<br />
des membres du couple. Les enfants sont alors censés prendre une place plus active dans la<br />
vie familiale. Néanmoins, la participation des EAJ dépendra de leurs caractéristiques<br />
individuelles, ainsi que de celles du chef qui reste seul, et de la condition socioéconomique de<br />
la famille. Or, les ménages monoparentaux dirigés par une femme sont encore plus<br />
vulnérables, car la scolarité et la position dans l’occupation des femmes sont fréquemment<br />
pires que celles des hommes, ce qui se traduit par un niveau de revenus plus bas que celui<br />
d’autres ménages. Et donc, en tant que pourvoyeuse principale, la chef est en désavantage par<br />
rapport aux ménages où le chef est un homme, ou bien où les revenus du ménage proviennent<br />
du travail combiné de la chef femme et de son conjoint. Cela expliquerait la plus forte<br />
probabilité des EAJ de participer aux activités de production lorsqu’ils appartiennent à un<br />
ménage monoparental, et notamment des ménages dirigés par une femme.<br />
Concernant le travail familial, la composition du couple parental est encore plus<br />
discriminante, la différence des probabilités entre les cas extrêmes étant considérable pour les<br />
340
deux sexes. D'un côté, chez les garçons, la probabilité de travailler la plus élevée se présente<br />
lorsque le chef homme est seul (14,9%), et pour les autres cas, les probabilités diminuent : 6%<br />
lorsque la chef est seule ; 2,7% pour une couple dont le chef est le père ; et 1,7% pour un<br />
couple dont la chef est la mère. Dans ce cas, la vulnérabilité des ménages monoparentaux<br />
masculins est notable. D'un autre côté, chez les filles, la composition du couple parental est<br />
essentielle, et c'est surtout la monoparentalité qui importe, puis le sexe du chef. Dans ce cas,<br />
les filles qui appartiennent à un ménage monoparental avec une chef femme ont une<br />
probabilité très élevée de travailler, 24,6% ; et 14.9% pour celles dont le chef est un homme.<br />
En revanche, pour les ménages biparentaux, peu importe le sexe du chef, la probabilité de<br />
travailler est assez réduite : moins de 1% (Tableau 32).<br />
Bien évidemment, en cas de besoin ou d’envie de travailler de la part de l’enfant, d'une part,<br />
les parents eux-mêmes n’ont toujours pas un poste à leur offrir, d'autre part, le travail dans un<br />
milieu extérieur au milieu familial peut être plus avantageux qu'à l'intérieur, et donc, dans ces<br />
cas, l'enfant cherchera à travailler ailleurs, ce qui arrive plutôt dans les cas des filles et des fils<br />
de chefs seuls, notamment de chefs femmes. A ce propos, nous rappelons l'hypothèse d'une<br />
embauche sexuée des enfants travailleurs extradomestiques non familiaux : les garçons<br />
travaillant souvent pour un homme, en général sans lien de parenté, même s’il est connu de la<br />
famille ; et les filles travaillant surtout pour une femme apparentée (des parents collatéraux :<br />
grand-mère, tante), filles et garçons réalisant des activités plutôt « propres » à leur sexe.<br />
Ainsi, l’absence de l’un des parents dans la famille est le facteur de risque le plus important<br />
par rapport au travail des enfants. Les enfants sont censés participer davantage dans les<br />
diverses activités de production et de reproduction quotidienne du ménage, et cette place est<br />
parfois prise par l’un des enfants. Cela dépend des caractéristiques individuelles de l'enfant, et<br />
aussi des besoins familiaux aux différents moments du cycle familial de vie, selon la<br />
composition par âges et sexe du ménage. Nous l’avons déjà vu par rapport au travail<br />
domestique familial, où surtout les filles (mais pas seulement) prennent souvent la<br />
responsabilité des tâches ménagères lorsque la mère est absente, soit en devenant les<br />
remplaçantes de la femme au foyer, soit des travailleuses domestiques familiales. Mais,<br />
lorsque les EAJ habitent dans un ménage monoparental, leur participation peut dépasser les<br />
responsabilités d’ordre domestique, et arriver ainsi à faire des EAJ des pourvoyeurs<br />
supplémentaires dans la famille, notamment dans le cas des garçons, qui ont une probabilité<br />
assez importante de devenir des travailleurs extradomestiques non familiaux. Pour leur part,<br />
341
les filles participent aussi comme travailleuses extradomestiques non familiales, mais plus<br />
discrètement.<br />
<strong>La</strong> rémunération des enfants travailleurs peut être mise au service de toute la famille ou<br />
gardée à titre personnel, mais dans les deux cas, il s’agit d’une participation active, soit en<br />
apportant directement de l’argent à la famille, soit en lui évitant certaines dépenses, comme<br />
nous l’avons illustré avec les expériences des enfants interviewés. Le travail extradomestique<br />
familial des enfants représente aussi un apport indirect au bien-être familial, car les EAJ<br />
concernés sont rarement rémunérés, et ce sont les filles qui y participent davantage. Les<br />
résultats confirment l’existence d’une embauche sexuée dans le milieu familial, les chefs<br />
femmes ayant tendance à « employer » surtout leurs filles, une situation moins fréquente avec<br />
leurs fils, qui participent plutôt au travail en dehors du milieu familial. De même, les chefs<br />
hommes emploient plutôt leurs garçons.<br />
VIII.2.3. <strong>La</strong> scolarité et l’activité du conjoint du chef de ménage : un rôle important,<br />
mais secondaire.<br />
Pour valoriser le rôle du conjoint du chef de ménage (généralement la mère) dans la vie<br />
familiale, et ainsi dans la vie des enfants, nous analysons l’effet individuel de la scolarité du<br />
conjoint du chef de ménage sur le travail des enfants, parce que la participation du conjoint du<br />
chef de ménage dans une activité économique, ainsi que ses conditions d’emploi sont en<br />
étroite relation avec son niveau de scolarité. Pour information, il faut signaler que 34% des<br />
EAJ appartiennent à un ménage où le couple à un niveau scolaire semblable et 40% où le chef<br />
est le plus scolarisé.<br />
D’après nos résultats, par rapport au travail extradomestique non familial, il existe une<br />
relation inverse entre la scolarité du conjoint et la probabilité de travailler : plus le conjoint est<br />
scolarisé, moins Ego est en risque de travailler (Tableau 32). Etant donné que nous avons<br />
contrôlé la position socioéconomique du ménage, ces résultats suggèrent plutôt des<br />
différences culturelles, où le degré de valorisation de la scolarité serait fondamental, ainsi que<br />
l’existence de relations de genre et de génération plus ou moins équitables, ce qui peut<br />
favoriser ou pas le travail des enfants ou la déscolarisation, notamment après les cycles<br />
obligatoires d’enseignement. <strong>La</strong> moitié des conjoints sans scolarisation sont avec un chef peu<br />
scolarisé (moins de 6 ans de scolarité), et par contre, la plupart des conjoints les plus<br />
342
scolarisés (16 ans et plus de scolarisation) sont en couple avec un chef aussi scolarisé : 70%<br />
avec un chef qui a 16 ans et plus de scolarisation, et 17% avec un chef qui a de 12 à 15 ans de<br />
scolarisation (soit au moins le lycée). Ainsi, les chances d’avoir un meilleur milieu familial se<br />
multiplient au fur et à mesure que le conjoint a un meilleur niveau scolaire.<br />
Les différences dans les probabilités de travailler par sexe suggèrent que les garçons sont plus<br />
sensibles au niveau scolaire de la mère, la probabilité la plus faible de travailler s’observe<br />
lorsque le conjoint du chef a plus de 15 ans de scolarité, soit un niveau superior (troisième<br />
cycle) : 1,4% pour les deux sexes. A l’autre extrême, les probabilités les plus élevées de<br />
travailler se présentent lorsque le conjoint est sans scolarité : 9,1% parmi les garçons et 4,9%<br />
parmi les filles (Tableau 32). Ce comportement peut s’expliquer par des relations de genre et<br />
de génération moins égalitaires dans les familles où le conjoint est le moins scolarisé que dans<br />
les familles où il est le plus scolarisé. Car, même si les enfants veulent ou doivent travailler,<br />
dans le premier cas, ce sont plutôt les garçons qui ont les probabilités les plus importantes de<br />
le faire ; par contre dans le deuxième cas, filles et garçons ont la même probabilité de le faire.<br />
Concernant le travail extradomestique familial, la situation n’est pas évidente. Il n’y a pas une<br />
tendance claire dans la relation entre la scolarité du conjoint du chef et le travail des enfants.<br />
Même si un bon niveau scolaire du conjoint est toujours en relation avec une faible probabilité<br />
de travailler, parmi les conjoints peu scolarisés, voire sans scolarité, la probabilité de travailler<br />
ne change guère (Tableau 32). Ainsi, en général, le plus important à signaler est le fait que les<br />
probabilités de travailler les plus élevées se trouvent lorsque le conjoint est sans scolarité ou<br />
peu scolarisé (de 1 à 8 ans de scolarité), soit une personne qui n’a même pas fini la<br />
scolarisation obligatoire (qui est justement de 9 ans). C'est-à-dire que la réussite de la<br />
scolarisation obligatoire marque un vrai point de repère. Une situation plutôt attendue, car une<br />
embauche dans le secteur formel de travail, censée être plus avantageuse que dans le secteur<br />
informel, est soumise à la condition d’avoir au minimum une scolarité obligatoire, ce qui rend<br />
plus vulnérables les personnes qui en manquent. Dans ce cas, la relation entre la scolarité du<br />
conjoint et les relations de genres est moins claire, car, pour tous les groupes de scolarisation,<br />
les garçons ont une probabilité de travailler toujours plus élevée que celles des filles. Ce qui<br />
montre que, lorsque les conditions sont propices au travail extradomestique familial (par<br />
exemple, si la famille a une microentreprise, un atelier, une affaire, ou le conjoint est<br />
travailleur indépendant), les garçons sont plus touchés que les filles, au-delà du niveau de<br />
scolarité. Apparemment, lorsqu’il existe la possibilité d’embaucher un enfant dans une affaire<br />
343
familiale, à chaque niveau scolaire du conjoint persiste une assignation de rôles plutôt<br />
traditionnelle.<br />
Chaque environnement familial a des traits particuliers, façonnés notamment par les<br />
caractéristiques combinées des deux parents, le niveau de scolarité étant fondamental. En<br />
général, les parents les moins scolarisés ont des emplois à faible rémunération, et pour cette<br />
raison la situation socioéconomique du ménage est plus restreinte, et le travail des enfants<br />
peut s’avérer plus fréquent, tandis qu’une scolarité plus élevée peut être liée à un meilleur<br />
niveau de revenus. En plus, les différents niveaux de scolarité peuvent être en relation avec<br />
l’existence de relations de genre et de génération plus ou moins équitables au sein du ménage.<br />
Même si l’importance de la scolarisation des enfants est plutôt universelle dans les milieux<br />
urbains, les divers niveaux de scolarité des parents peuvent donner lieu à une valorisation<br />
différente des avantages de la scolarité et du travail des enfants (Grootaert et Kanbur, 1995 ;<br />
Camacho 1999 ; Levison, Moe et Knaul, 2001 ; Mier y Terán et Rabell, 2004). Les parents les<br />
moins scolarisés prendraient plus souvent le travail des enfants comme une forme de<br />
socialisation ou d’apprentissage nécessaire à la bonne éducation des enfants, avec l’idée que<br />
le travail est une activité qui ennoblit (Sosenski, 2010).<br />
Par ailleurs, en continuant avec l’idée que le rôle du conjoint du chef de ménage est important<br />
pour expliquer la participation des enfants, nous avons trouvé lors des analyses bivariées que<br />
l’activité du conjoint n'est pas sans intérêt dans la mise au travail précoce, raison pour laquelle<br />
nous observons le rôle de la condition d’activité du conjoint. Selon nos résultats, cette<br />
variable concerne plutôt le travail extradomestique familial. En plus, son importance dépend<br />
aussi du sexe d’Ego, la relation étant plus étroite avec le travail des filles que des garçons. En<br />
effet, la condition d’activité du conjoint est la deuxième variable qui a l’effet net le plus<br />
important sur le travail extradomestique familial des filles. Tandis que chez les garçons cette<br />
place est occupée par la position socioéconomique familiale, soit l’activité du chef de ménage.<br />
Ce résultat suggère encore une embauche sexuée, où les mères impliquent davantage leurs<br />
filles et les pères leurs fils.<br />
Par rapport au travail non familial, la condition d’activité du conjoint n’est pas significative<br />
chez les garçons, la mise au travail des garçons ne dépendant pas de cette condition, « toutes<br />
choses égales par ailleurs ». Chez les filles, cette condition prend un peu d’importance, mais<br />
elle reste assez faible : les filles dont le conjoint du chef de ménage travaille sont juste un peu<br />
344
plus susceptibles de travailler que les autres (respectivement 2,7 et 2,1%). Par contre,<br />
concernant le travail extradomestique familial, le rôle de la condition d’activité du conjoint est<br />
assez notable. Le fait que le conjoint du chef travaille fait grimper la probabilité de travailler,<br />
surtout chez les filles. Ainsi, la probabilité d’être travailleur familial passe de 1,9% chez les<br />
garçons lorsque le conjoint ne travaille pas à 5,6% lorsqu’il travaille. Et chez les filles, la<br />
différence est encore plus accentuée : de 0,3 à 8,2% (Tableau 32).<br />
Le travail du conjoint peut répondre à diverses situations. Si nous considérons que la plupart<br />
des conjoints sont des femmes, il faut souligner que l’entrée des femmes sur le marché du<br />
travail au Mexique a été principalement la réponse des familles face aux crises économiques<br />
des dernières décennies. Et même si des raisons culturelles et personnelles de la mise au<br />
travail des femmes sont de plus en plus fréquentes, les raisons économiques en sont toujours à<br />
la base. A l’heure actuelle, c’est presque un luxe qu’une mère ne travaille pas, soit pour aider<br />
au revenu familial, soit juste pour avoir un peu d’indépendance économique. Mais, trouver un<br />
travail formel n’est pas facile, surtout lorsque les compétences professionnelles sont<br />
restreintes et les occupations domestiques prenantes (le ménage et la garde des enfants). Dans<br />
l'hypothèse où les mères (conjoints) sont les principales responsables du domaine domestique,<br />
et les pères (chefs) du domaine économique, il n’est pas rare chez les mères, de trouver ou de<br />
créer toutes sortes d’emplois informels, à leur compte, pour pouvoir continuer leur rôle de<br />
femme au foyer, en gagnant au moins un peu d’argent, avec de petits travaux abondants grâce<br />
à la flexibilité et à la régulation insuffisante du marché du travail urbain. 424 C’est une quête<br />
d’indépendance économique ou une revendication de femme à leur mesure, mais une aide<br />
jamais négligeable aux revenus du ménage, car au moins elles peuvent assumer certaines<br />
dépenses. Donc, l’entrée des femmes sur le marché du travail peut répondre à une nécessité<br />
économique pour le bien-être familial ou personnel, mais aussi simplement à la quête d’une<br />
certaine indépendance ou à l’accomplissement d’un projet individuel, des raisons diverses qui<br />
impliquent des environnements familiaux distincts et pas seulement la précarité familiale.<br />
Ainsi, bien que le travail du conjoint puisse répondre à une contrainte économique familiale<br />
importante, où les enfants seraient peut-être appelés à participer activement, il peut aussi<br />
424 De plus en plus, les femmes vendent de produits par catalogue parmi leurs connaissances (produits de beauté,<br />
produits de décoration pour la maison, produits pour la cuisine, des chaussures…). Cela demande un minimum<br />
d’investissement en termes de temps et d’argent, et il n’y a pas de contrat, ni des exigences… mais non plus de<br />
droits. Les gains dépendent du nombre et du prix des produits vendus. D’autres femmes, qui ont plus de temps et<br />
un peu plus d’argent à investir, vendent des aliments préparés, de vêtements, des chaussures… à la porte de leur<br />
maison ou tout près. Elles travaillent hors la loi. Et pour continuer, elles payent le silence des agents du<br />
gouvernement, les policiers, qui viennent de temps en temps leur rappeler leur situation irrégulière.<br />
345
empêcher la participation des enfants sur le marché du travail. C’est pourquoi nous<br />
considérons la condition d’activité du conjoint plutôt comme un indicateur d’opportunité de<br />
travail pour les EAJ, un environnement qui facilite l’embauche directe des EAJ. En ce sens,<br />
l’activité du conjoint peut devenir un raccourci du chemin vers l’emploi des enfants.<br />
Bien évidemment, cette logique concerne aussi les chefs et les autres travailleurs du ménage.<br />
De manière que, si seulement le chef travaille, les enfants n’ont qu’une option potentielle<br />
d’embauche directe, mais si le conjoint travaille aussi, les enfants ont deux possibilités, et<br />
ainsi de suite. Il faut prendre en compte que le droit à l’embauche, ainsi que l’offre de travail<br />
pour les enfants en dehors du milieu familial sont restreints, tandis que le travail familial est<br />
en général légal. Mais, pour le moment, nous allons juste nous attarder sur le cas du conjoint,<br />
comme coresponsable du bien-être familial, mais souvent en deuxième place après le chef,<br />
lequel est censé travailler, presque par définition. Il faut rappeler que 41% de conjoints<br />
travaillent, tandis que 91% de chefs le font.<br />
Les conditions d’emploi des parents peuvent favoriser ou non l’embauche des EAJ. Certains<br />
emplois, d’accès difficile aux enfants, les pousseront, le cas échéant, plutôt vers le travail<br />
extradomestique non familial (cadres, fonctionnaires…). En revanche, d’autres activités<br />
facilitent le travail extradomestique familial des enfants, même s’il n’est pas essentiel à la<br />
famille. En effet, il faut rappeler que parmi notre population d’étude, près de la moitié des<br />
conjoints travailleurs sont des travailleurs non spécialisés (vendeurs ambulants, travailleurs en<br />
services à la personne…) ou des travailleurs du commerce (dans des établissements), soit des<br />
activités manuelles et peu qualifiées, où les enfants peuvent trouver une place plus ou moins<br />
facilement. Et si en plus le conjoint est le patron ou un travailleur indépendant, la décision<br />
d’embaucher l’enfant dépend directement et uniquement de lui, voire de la famille, en toute<br />
légalité. C’est pourquoi le travail extradomestique familial ne répond pas forcément à une<br />
contrainte économique du ménage, il est aussi le résultat de la facilité d’entrée au travail que<br />
les EAJ peuvent trouver dans le milieu familial, même à leur insu. En effet, dans certains<br />
ménages, les activités de production font partie de la vie familiale, où tous sont censés<br />
participer, presque de manière naturelle, comme nous l’avons vu à travers les récits des<br />
enfants interviewés.<br />
Les différences observées selon le sexe confirment la tendance à garder les filles, plus de<br />
temps que les garçons, tout près du sein familial, et si possible, éloignées des activités<br />
346
productives. Ainsi, les filles travaillent surtout s’il existe une place près des parents,<br />
notamment à côté de la mère, ou bien si le travail reste dans le milieu familial. D’ailleurs,<br />
même si les garçons sont touchés aussi par cette facilité d’embauche familiale, ils sont plus<br />
ouverts aux offres en dehors du noyau familial, ce qui les rend plus disponibles au travail<br />
extradomestique en général que les filles.<br />
VIII.2.4. Le travail extradomestique : soit une question de précarité familiale, soit une<br />
question d’offre de travail.<br />
Même si la pauvreté a été souvent considérée comme la cause principale de la mise au travail<br />
précoce, l’on sait maintenant qu’elle n’est pas toujours à l’origine du travail des enfants. Les<br />
enfants travailleurs ne sont pas seulement des enfants pauvres, et les enfants pauvres ne sont<br />
pas tous de travailleurs. <strong>La</strong> position socioéconomique familiale joue effectivement en rôle<br />
important sur la participation ou non des enfants au travail, mais son effet dépend plutôt du<br />
type de travail et du sexe d’Ego. Le travail extradomestique non familial dépend plus du<br />
milieu familial que le travail extradomestique familial.<br />
En utilisant l’activité du chef de ménage comme indicateur de la position socioéconomique<br />
familiale, nous trouvons que le travail extradomestique non familial est en relation étroite<br />
avec cette variable. En effet, les fils et les filles d’un chef de ménage qui appartient à la classe<br />
de service, le groupe le mieux placé dans notre échelle, sont les moins concernés par le travail<br />
(1,4% chez les garçons et 1,2% chez les filles). En général, la probabilité de travailler<br />
augmente au fur et à mesure que les chefs sont liés à des conditions socioéconomiques moins<br />
favorables (Tableau 32). 425 Donc nos résultats confirment un lien entre précarité et travail non<br />
familial des enfants, mais, il existe des différences selon le sexe d’Ego. Au sujet des garçons,<br />
il s’avère que les fils d’un travailleur non spécialisé (4,9%), ou même spécialisé (4,2%) sont<br />
plus susceptibles de travailler que les fils d’un travailleur agricole (3,8%), alors que ces<br />
derniers sont les moins bien placés. Chez les filles, une situation comparable s’observe, mais<br />
dans un autre groupe d’activité du chef. Elles ont une probabilité moins élevée de travailler<br />
lorsque le chef est travailleur du commerce (1,7%) que lorsque le chef est travailleur non<br />
manuel en activités routinières (2,6%). Pourtant ce dernier groupe est mieux placé que le<br />
425 Il faut rappeler qu’il s’agit d’un indicateur de l’occupation du chef de ménage qui classe de manière<br />
hiérarchique les familles selon le niveau scolaire du chef, les revenus du ménage et le type de biens matériels<br />
appartenant à la famille.<br />
347
premier. Or il s’agit des deux groupes d’activité où le travail des enfants est<br />
traditionnellement très répandu : commerce et agriculture, ce qui pourrait sembler<br />
contradictoire. Mais, l’explication peut se trouver avec les résultats sur le travail<br />
extradomestique familial. L’on peut supposer alors qu’une partie importante de chefs dans le<br />
commerce et dans l’agriculture peuvent « embaucher » directement leurs propres enfants<br />
(notamment les patrons ou les travailleurs indépendants), dans des emplois extradomestiques<br />
familiaux, plutôt que non familiaux. C’est-à-dire que lorsque le chef de ménage travaille dans<br />
les milieux du commerce ou l’agriculture, les enfants travaillent en général directement pour<br />
lui, et très rarement pour une tierce personne étrangère au ménage. Pour les autres groupes<br />
d’activité du chef, mieux il est placé dans cette échelle, moins les enfants sont en risque de<br />
travailler.<br />
D’ailleurs, les résultats qui concernent le travail extradomestique familial montrent qu’il<br />
n’existe pas une tendance claire entre le risque de travailler et la position socioéconomique du<br />
ménage, pour les deux sexes. Les trois conclusions que nous pourrions énoncer à ce propos<br />
sont : d’abord, que les enfants des chefs des groupes les mieux placés sont les moins touchés<br />
par ce type de travail ; ensuite, que les enfants des chefs travailleurs spécialisés ou non<br />
spécialisés sont plutôt peu concernés ; enfin, que le travail familial est important lorsque le<br />
chef est un travailleur agricole ou un travailleur du commerce. Ces résultats sont révélateurs<br />
de la relation entre le travail des enfants et l'offre de travail disponible, en plus de la situation<br />
socioéconomique familiale, car, la probabilité de travailler d’un enfant de travailleur agricole<br />
(les moins bien placés dans notre classement), n’est pas plus élevée que la probabilité d’un<br />
enfant de travailleur du commerce (mieux placés). <strong>La</strong> situation est beaucoup plus nette chez<br />
les garçons que chez les filles. Ainsi, au-delà de la situation socioéconomique, qui peut<br />
expliquer en partie cette mise au travail précoce, notamment chez les travailleurs agricoles,<br />
ceux qui travaillent le plus sont justement les enfants qui appartiennent aux ménages où une<br />
offre de travail potentielle existe, en relation avec le type d’emploi des parents (chef ou<br />
conjoint). Les filles ont une probabilité de travailler plus importante face à l’offre familiale<br />
dans le commerce (4,1%) que dans l’agriculture (2,4%) ; tandis que les garçons sont<br />
concernés presque de la même manière par ces deux secteurs d’activité économique :<br />
respectivement 9,7 et 9,2% (Tableau 32).<br />
Jusqu’ici, nous avons traité des aspects seulement en relation à la demande, des aspects<br />
individuels et familiaux, lesquels ont montré leur importance sur le travail des enfants. Mais<br />
348
les résultats ont aussi ouvert une autre voie d’analyse complémentaire qui se réfère au rôle des<br />
conditions d’emploi des parents, lesquelles peuvent favoriser ou non le travail des enfants. A<br />
ce sujet, Levison, Moe et Knaul (2001) ont montré que les enfants dont le chef de ménage<br />
travaille dans une affaire familiale ont des risques plus élevés de travailler que ceux dont le<br />
chef travaille dans le secteur formel. Dans ce sens, tous les adultes ne sont pas en mesure<br />
d’embaucher leurs propres enfants, de même que tous les parents n’ont pas d’enfants<br />
susceptibles d’être « embauchés » (vu par exemple leur âge ou leur sexe), malgré le fait<br />
d'avoir une offre de travail familial, alors ils embauchent éventuellement d’autres personnes,<br />
voire d'autres enfants. Et certains qui ont tout pour le faire ne le font point. D’ailleurs, de la<br />
part des enfants, certains veulent travailler, d'autres sont contraints de le faire, alors ils le font,<br />
si possible, pour l’un des parents (le plus facile), et sinon ailleurs. Or certains n’ont ni envie ni<br />
besoin de travailler, mais ils sont contraints de le faire dans l’affaire familiale, à la demande<br />
des parents. Et là, un éventail des possibilités s’esquisse pour les enfants et pour les familles,<br />
des situations qui font de la mise au travail précoce un phénomène complexe et<br />
multidimensionnel.<br />
Dans le cas concret du travail familial, il est clair qu’avant tout, pour qu’un enfant devienne<br />
un travailleur familial, il faut que l’un des membres du ménage ait la possibilité réelle de<br />
l’« embaucher », ce qui n’est pas donné à toutes les familles. Alors, l’offre d’emploi, qui<br />
normalement fait partie du domaine public, extérieur, dans certains cas fait partie du domaine<br />
privé de la famille. Et c’est là que l’entrée de l’enfant au travail se fait plus facilement, car<br />
elle ne dépend que de la famille. Ainsi, le travail extradomestique familial fonctionne sous<br />
une logique propre, spéciale, qui se développe grâce à la confusion qui existe entre les<br />
activités de production et de reproduction sociale dans le sein familial, et à l’acceptation<br />
légale et sociale d’une telle pratique.<br />
Vu que le travail extradomestique des enfants répond aussi à un problème d’offre, qui peut<br />
être représentée directement par l’activité des parents d’Ego, il est important de considérer la<br />
participation du chef et du conjoint en tant que « facilitateurs » de la mise au travail précoce,<br />
en plus de leur rôle fondamental dans la construction de l’environnement familial. Mais<br />
l’activité des parents n’est pas l’unique aspect à considérer, car elle est seulement une partie<br />
de ce qui peut façonner l’offre d’emploi pour les enfants, la position dans l’emploi (salarié,<br />
patron, travailleur indépendant, travailleur familial) est aussi fondamentale.<br />
349
VIII.3. L’offre de travail disponible grâce à l’emploi des parents.<br />
Pour commencer, nous considérons l’activité du chef et du conjoint du chef de manière<br />
combinée. Nous trouvons que la plupart des EAJ appartiennent à un ménage où le chef<br />
travaille et le conjoint ne travaille pas (52%). Or, presque un EAJ sur quatre habite un ménage<br />
où le chef est travailleur spécialisé et le conjoint ne travaille pas. Les autres combinaisons les<br />
plus importantes sont : chef travailleur non spécialisé et conjoint non travailleur (9%) ; chef<br />
travailleur non manuel en activités routinières et conjoint non travailleur (8%) ; et chef<br />
travailleur spécialisé et conjoint travailleur non spécialisé (7%). Seulement 1,5% d’EAJ font<br />
partie d’un ménage où le chef et le conjoint appartiennent à la classe de services, soit les<br />
ménages les mieux placés selon notre échelle. Il faut rappeler que les ménages où le chef et/ou<br />
le conjoint sont des travailleurs agricoles sont assez rares dans les grandes villes, et parmi eux,<br />
la combinaison la plus fréquente est celle des ménages où le chef est travailleur agricole et le<br />
conjoint ne travaille pas (0,6%).<br />
Sur la totalité des EAJ de ménages biparentaux, les travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux représentent 5,1%, tandis que les travailleurs extradomestiques familiaux sont 3,6%<br />
(Tableau 33A y 33B). Mais des différences existent selon la combinaison qui résulte de<br />
l’activité de chaque membre du couple. En général, les pourcentages les plus élevés d’enfants<br />
travailleurs extradomestiques non familiaux s’observent dans les groupes les moins bien<br />
placées dans l’échelle socioéconomique et les groupes où le travail familial n’est pas toujours<br />
possible à développer. <strong>La</strong> faible présence d’enfants travailleurs non familiaux dans les<br />
ménages où le couple est composé des travailleurs agricoles, ou d’un travailleur agricole ou<br />
d’un travailleur du commerce peut s’expliquer par le travail familial, car très probablement<br />
dans ce cas, leur travail est de type familial (Tableau 33A). Il s’agit bien des branches de<br />
l’activité économique où le travail en famille est bien répandu et habituel, comme le<br />
confirment les résultats sur le travail extradomestique familial (Tableau 33B). A ce propos, les<br />
pourcentages les plus élevés se présentent justement dans les ménages où au moins l’un des<br />
deux membres du couple est un travailleur du commerce ou un travailleur agricole, et même<br />
dont le chef est un travailleur non spécialisé. Dans tous les cas, les exceptions concernent les<br />
ménages dont les conjoints appartiennent à la classe de services, ou dont les conjoints ne<br />
travaillent pas. Il est clair donc que l’emploi des parents dans un milieu propice est un facteur<br />
déterminant du travail familial des enfants, au-delà de la situation socioéconomique, laquelle<br />
350
Conjoint du chef de ménage<br />
Conjoint du chef de ménage<br />
peut, dans certains cas, inhiber la participation des enfants aux activités économiques, malgré<br />
l’existence d’un environnement propice (une affaire, une entreprise ou un atelier familiaux).<br />
Groupes<br />
d’activité<br />
combinée<br />
Tableau 33. Pourcentage d’enfants travailleurs, selon le groupe d’activité combinée<br />
du chef de ménage et du conjoint du chef<br />
Classe de<br />
services<br />
Non<br />
manuel en<br />
activités<br />
routinières<br />
Travailleur<br />
du<br />
commerce<br />
Travailleur<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
non<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
agricole<br />
Non<br />
travailleur<br />
Classe<br />
de<br />
services<br />
A. Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Non<br />
manuel en<br />
activités<br />
routinières<br />
Travailleur<br />
du<br />
commerce<br />
Chef de ménage<br />
Travailleur<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
non<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
agricole<br />
Non<br />
travailleur<br />
0,4 1,4 0,9 0,3 9,9 --- 0,0 1,2<br />
1,4 2,0 4,7 4,2 3,6 --- 4,6 3,0<br />
0,9 5,7 3,8 6,3 4,1 1,0 6,8 4,8<br />
1,4 3,4 4,3 6,9 10,5 14,1 7,1 7,1<br />
6,4 5,9 8,4 9,1 9,0 11,0 5,7 8,4<br />
0,0 --- 0,0 0,0 --- 0,0 4,1 3,2<br />
1,2 3,1 3,9 5,4 5,3 7,7 5,1 4,5<br />
Total 1,3 3,3 4,3 6,1 6,7 7,3 5,6 5,1<br />
Groupes<br />
d’activité<br />
combinée<br />
Classe de<br />
services<br />
Non<br />
manuel en<br />
activités<br />
routinières<br />
Travailleur<br />
du<br />
commerce<br />
Travailleur<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
non<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
agricole<br />
Non<br />
travailleur<br />
Classe<br />
de<br />
services<br />
B. Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
Non<br />
manuel en<br />
activités<br />
routinières<br />
Travailleur<br />
du<br />
commerce<br />
Chef de ménage<br />
Travailleur<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
non<br />
spécialisé<br />
Travailleur<br />
agricole<br />
0,9 0,2 3,4 3,0 1,0 ---<br />
Non<br />
travailleur<br />
2,3 1,0 6,0 1,3 6,3 1,1 0,0 2,2<br />
12,0 6,3 21,1 18,4 10,2 11,0 11,6 15,8<br />
4,3 2,7 11,1 5,3 7,2 9,4 2,2 5,4<br />
1,1 2,0 12,8 4,5 6,4 1,4 0,9 4,8<br />
--- --- 35,2 48,9 --- 44,6 2,7 18,1<br />
0,6 0,2 3,5 1,6 0,5 4,8 1,3 1,3<br />
Total 1,7 1,2 9,7 3,6 3,6 5,8 2,0 3,6<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre). Sont éliminés tous les enfants dont l’information à propos de l’activité<br />
du chef de ménage ou du conjoint est indisponible, soit 1 737 366 enfants (7 929 cas).<br />
--- Aucun EAJ dans ce cas.<br />
2,8<br />
Total<br />
Total<br />
1,2<br />
351
En plus, il faut souligner que tous les parents qui travaillent comme commerçants ou comme<br />
travailleurs agricoles n’ont pas une entreprise familiale ou sont indépendants, et ne sont pas en<br />
mesure d’embaucher leurs propres enfants. Alors, les enfants sont censés travailler pour une<br />
tierce personne s’ils en ont besoin ou envie, donc être des travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux.<br />
Il faut souligner qu’en général, l’activité des membres du couple, selon le rôle que chacun<br />
occupe dans le ménage (chef ou conjoint), a une relation différente avec le niveau du travail<br />
des enfants, c’est-à-dire que l’environnement familial ne dépend pas seulement de la<br />
combinaison des deux types d’activité, mais aussi de qui fait quoi. En l’occurrence, le<br />
pourcentage d’enfants travailleurs extradomestiques non familiaux est de 4,1% lorsque le chef<br />
est travailleur non spécialisé et le conjoint travailleur du commerce (chef moins bien placé<br />
que le conjoint), mais il est de 8,4% dans le cas inverse, soit le chef travailleur du commerce<br />
et le conjoint travailleur non spécialisé. Par contre, le pourcentage d’enfants travailleurs<br />
extradomestiques familiaux est de 6,3% lorsque le chef est travailleur non spécialisé et le<br />
conjoint travailleur non manuel en activités routinières (chef moins bien placé que le<br />
conjoint), et dans le cas inverse le pourcentage est de 2%.<br />
Cependant, même s’il faut faire la différence entre ce qui fait le conjoint et ce qui fait le chef,<br />
il semble qu’il n’y a pas une hiérarchie systématique entre l’activité du chef et celle du<br />
conjoint. Dans le cas du travail extradomestique non familial, chez les couples formés par un<br />
travailleur de la classe de services et un travailleur non manuel en activités routinières ou un<br />
travailleur du commerce, les mieux placés dans le classement, le travail des enfants est plutôt<br />
rare. Donc, si les deux parents sont bien placés, les enfants sont moins susceptibles de<br />
travailler, et le pourcentage d’enfants travailleurs augmente au fur et à mesure que les deux<br />
membres du couple sont moins bien placés. Ainsi, pour mieux comprendre la mise au travail<br />
précoce, il semble important de prendre en compte les conditions d’emploi du chef et du<br />
conjoint de manière individuelle.<br />
Pour finir avec le sujet de l’offre de travail pour les enfants, nous observons maintenant les<br />
pourcentages d’enfants travailleurs selon la situation dans l’activité du chef et du conjoint de<br />
manière combinée.<br />
352
<strong>La</strong> plupart des EAJ (qui font partie d'un ménage biparental) habitent des ménages où le chef<br />
est un salarié (67%), et ensuite, un patron (15%) ou un travailleur indépendant (13%). Pour la<br />
plupart des EAJ, les conjoints du chef de ménage ne travaillent pas (52%), ou bien sont des<br />
salariés (31%) ou travailleurs indépendants (9%). Or, en analysant de manière combinée la<br />
situation dans l’activité du chef et du conjoint, les arrangements les plus fréquents sont : le<br />
chef est salarié et le conjoint est non travailleur (39%) ou les deux sont salariés (23%). Les<br />
autres arrangements ne représentent même pas 10% chacun, comme chef travailleur<br />
indépendant et conjoint non travailleur (7%), chef patron et conjoint non travailleur (6%) et<br />
chef salarié et conjoint travailleur indépendant (6%). Ceci implique, a priori, que la plupart<br />
d’enfants ne sont pas exposés à une facilité d’embauche de la part des parents.<br />
Par rapport au travail extradomestique non familial, les proportions d’enfants travailleurs les<br />
plus importantes se présentent notamment lorsque le couple parental est composé d’un chef<br />
travailleur sans rémunération 426 et un conjoint qui ne travaille pas (11,5%), de deux<br />
travailleurs indépendants (9,8%), d’un chef travailleur indépendant et un conjoint salarié<br />
(8,5%), et d’un chef non travailleur et un conjoint travailleur indépendant (7%), soit dans des<br />
situations où les conditions d’emploi peuvent s’avérer difficiles pour les adultes (sans un<br />
contrat formel, sans un horaire fixe, avec des revenus incertains, sans le droit à la sécurité<br />
sociale…) (Tableau 34.A).<br />
Dans ce cas, il est fort probable que les EAJ soient contraints de travailler, soit pour<br />
augmenter le revenu familial, soit pour s’occuper de leurs propres dépenses. Or, certains<br />
travailleurs indépendants, surtout les artisans ou les travailleurs manuels en général, en ayant<br />
une relation plutôt directe avec le client-employeur, ont parfois la possibilité de trouver un<br />
travail à leurs enfants dans leur même milieu de travail (des travaux peu qualifiés), soit en<br />
offrant directement au client-employeur les services de leur enfant, ou en amenant leur enfant<br />
avec eux, comme partie de l'« équipe de travail », comme des travailleurs indépendants et non<br />
comme leurs employés. Ainsi, même si le parent travaille à côté de son enfant, parent et<br />
enfant ont une relation de collègues, et non d’employeur-employé. Dans ce cas, l’enfant est un<br />
travailleur non familial. Certes, il existe aussi le cas où un parent travailleur indépendant<br />
embauche directement son enfant, et là, l’enfant devient alors un travailleur extradomestique<br />
426 Un travailleur occupé qui ne reçoit pas un paiement par son travail, mais qui est susceptible de recevoir<br />
d’autres types de prestations.<br />
353
familial. Mais apparemment, c’est le travail extradomestique non familial le plus répandu<br />
parmi les parents travailleurs indépendants.<br />
354<br />
Conjoint du chef de ménage<br />
Conjoint du chef de ménage<br />
Tableau 34. Pourcentage d’enfants travailleurs, selon la situation dans l’activité<br />
combinée du chef de ménage et du conjoint du chef<br />
Situation dans<br />
l’activité combinée Salarié<br />
A. Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Travailleur<br />
indépendant<br />
Chef de ménage<br />
Patron<br />
Travailleur sans<br />
rémunération<br />
Non<br />
travailleur<br />
Salarié 5,4 8,5 4,1 --- 5,6 5,7<br />
Travailleur<br />
indépendant<br />
Total<br />
5,9 9,8 4,2 --- 7,0 6,4<br />
Patron 6,0 4,1 5,0 0,0<br />
Travailleur sans<br />
rémunération<br />
0,0 --- 0,0 3,1<br />
Non travailleur 5,0 3,6 2,6 11,5 5,1 4,5<br />
Total 5,2 5,7 3,4 3,4 5,6 5,1<br />
Situation dans<br />
l’activité combinée Salarié<br />
B. Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
Travailleur<br />
indépendant<br />
Chef de ménage<br />
Patron<br />
Travailleur sans<br />
rémunération<br />
4,9<br />
---<br />
Non<br />
travailleur<br />
Salarié 0,8 1,1 9,2 --- 0,2 1,6<br />
Travailleur<br />
indépendant<br />
5,4<br />
2,9<br />
Total<br />
0,8 0,2 14,4 --- 0,3 2,0<br />
Patron 32,4 31,2 20,7 0,0 23,7 28,2<br />
Travailleur sans<br />
rémunération<br />
0,0 --- 0,0 19,9 --- 18,7<br />
Non travailleur 0,4 0,2 8,6 0,0 1,3 1,3<br />
Total 1,6 1,7 10,5 18,7 2,0 2,7<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre). Sont éliminés tous les enfants dont l’information à propos de la<br />
situation dans l’activité du chef de ménage ou du conjoint est indisponible, soit 2 060 787 enfants (9 458 cas).<br />
--- Aucun EAJ dans ce cas.<br />
<strong>La</strong> situation du chef domine parmi les conditions de l’environnement familial. <strong>La</strong> proportion<br />
d'EAJ travailleurs est plus importante lorsque le chef de ménage est travailleur indépendant<br />
que lorsque le conjoint l’est, sauf chez les chefs non travailleurs. De même, le travail non<br />
rémunéré et l’inactivité économique du chef ont des effets plus accentués sur le travail des<br />
enfants que le travail non rémunéré et l’inactivité du conjoint. Le caractère secondaire du<br />
travail du conjoint y est évident, même si parfois la situation dans l’activité du conjoint peut
éduire la vulnérabilité des enfants au travail, comme chez les chefs de ménage travailleurs<br />
indépendants dont le conjoint est patron. <strong>La</strong> situation dans l’activité de chaque membre du<br />
couple parental a son propre rôle à jouer dans la mise au travail précoce.<br />
Concernant le travail extradomestique familial, il est évident que l’offre de travail pour les<br />
enfants est essentielle à la mise au travail précoce. Car, ce sont justement les couples<br />
composés par un patron (voire deux), qui présentent les pourcentages les plus élevés d’enfants<br />
travailleurs (Tableau 34.B). Mais, d’un point de vue légal, le travail des enfants est interdit<br />
dans les entreprises où au moins un salarié n’est pas un ascendant ou un descendant du patron.<br />
Ainsi, même si le patron est le père ou la mère, dans ce cas, l’enfant serait embauché<br />
illégalement avant 14 ans. D’ailleurs, d’autres aspects liés directement aux conditions de<br />
l’offre, comme un environnement de travail périlleux pour le bien-être des enfants, pourraient<br />
éventuellement décourager les patrons à embaucher leurs propres enfants, pour des raisons de<br />
santé, ou encore, morales ou légales, car l’embauche formelle des enfants de 14 à 15 ans est<br />
exclut dans des conditions dangereuses, comme l’utilisation de produits chimiques ou des<br />
matériaux coupants, un bruit excessif, une faible lumière... Dans la pratique, si ces conditions<br />
peuvent représenter un frein à l’embauche des enfants, elles ne l’empêchent pas non plus.<br />
Nous en avons parlé auparavant : les cas d’enfants travailleurs, tantôt familiaux, tantôt non<br />
familiaux, dans un environnement « malsain » sont rares, mais ils existent.<br />
Dans le cas du travail extradomestique familial, l’importance de la situation dans l’activité du<br />
conjoint est très nette, au-delà de celle du chef. Même si les patrons (chefs ou conjoints)<br />
présentent les pourcentages les plus élevés d’EAJ travailleurs, ce sont surtout les EAJ dont le<br />
patron est le conjoint qui participent le plus. En effet, au moins un EAJ dont le conjoint du<br />
chef est patron sur cinq travaille. Or la proportion peut grimper jusqu’à un EAJ sur trois dans<br />
le cas des chefs salariés et des chefs travailleurs indépendants. Il existe des différences<br />
qualitatives entre un patron qui est le chef de ménage (un homme) et un patron qui est le<br />
conjoint du chef de ménage (une femme). Par exemple, chez les chefs de ménage-patrons les<br />
plus nombreux sont les travailleurs spécialisés (33%) et les travailleurs du commerce (28%),<br />
tandis que chez les conjoints-patrons ce sont les travailleurs du commerce (38%) et les<br />
travailleurs non spécialisés (23%). <strong>La</strong> scolarité est aussi un facteur différentiel entre chefs de<br />
ménages et conjoints, et ceux avec un niveau supérieur représentent : 23 et 16%,<br />
respectivement. C’est-à-dire que l’offre de travail pour les EAJ est différente selon le rôle<br />
dans la famille et le sexe du patron. Par ailleurs, le cas des deux parents travailleurs sans<br />
355
émunération est aussi à souligner, car il s’agit sûrement de deux personnes en difficulté, qui<br />
amènent leurs enfants avec eux sur le même chemin.<br />
A la lumière des nos résultats, il est évident que le travail extradomestique des enfants dépend<br />
des conditions individuelles et des conditions familiales, où les caractéristiques du chef de<br />
ménage et du conjoint du chef sont importantes, mais aussi des conditions externes. Le travail<br />
des enfants est une pratique en relation directe avec la demande, mais aussi avec l’offre sur le<br />
marché du travail.<br />
Conclusions<br />
Quant à la relation entre l’environnement familial et la participation des enfants au marché du<br />
travail, selon le lien de parenté, les résultats confirment des différences entre les deux<br />
groupes, qui ne sont pas comparables en termes de l’intensité de la relation, mais dont les<br />
tendances peuvent rendre compte de contrastes.<br />
Chez les travailleurs extradomestiques non familiaux, les caractéristiques individuelles de<br />
l’enfant sont essentielles, l’âge étant le facteur le plus relevant lorsque l’on contrôle l’effet des<br />
autres variables du modèle. A propos des conditions familiales, il n’existe pas de différences<br />
notables par sexe, c’est la composition du couple parental qui importe le plus. <strong>La</strong><br />
monoparentalité favorise la mise au travail précoce. Or, chez les garçons, le sexe du chef de<br />
ménage n’est pas fondamental, tandis que chez les filles, les familles monoparentales<br />
féminines sont les plus favorables au travail des filles. Ensuite, pour les deux sexes encore, la<br />
scolarité de la mère s’est révélée de grand intérêt, avec des différences assez importantes entre<br />
les enfants de mères les plus scolarisées et celles sans scolarisation. Le rang d’Ego dans la<br />
fratrie de moins de 18 ans est un peu significatif, suggérant une plus grande participation des<br />
aînés. Et la position socioéconomique du ménage a aussi une importance secondaire, même si<br />
le fait d’appartenir à une famille bien placée, dans notre échelle de référence, réduit<br />
sensiblement le risque de travailler.<br />
Concernant les travailleurs extradomestiques familiaux, pour les deux sexes, l’âge de l’enfant<br />
n’est pas le facteur le plus important, mais la composition du couple, et après la position<br />
socioéconomique familiale. Mais l’on trouve des différences entre filles et garçons par rapport<br />
356
au rôle du couple parental. Ainsi, chez les garçons, la monoparentalité masculine est le facteur<br />
de plus grand risque pour le travail des enfants, et après la monoparentalité féminine ; la<br />
situation inverse s’observe chez les filles, et en plus, les différences avec les familles<br />
biparentales sont énormes. <strong>La</strong> condition d’activité de la mère, plus que sa scolarité a aussi un<br />
grand intérêt, notamment chez les filles, tandis que les variables associées à la composition du<br />
ménage sont sans importance, sauf dans le cas du rang chez les garçons, qui a une relation<br />
faible, mais significative. Il faut souligner que le groupe d’activité du chef de ménage a mis<br />
en évidence l’offre de travail, plus que des conditions socioéconomiques, de manière que c’est<br />
le fait d'appartenir à une famille liée aux branches du commerce et de l’agriculture qui<br />
favorise la mise au travail précoce.<br />
Nous trouvons que l’activité du chef et du conjoint ont une relation différentielle avec la<br />
participation des enfants au travail. Ainsi, la configuration de l’environnement familial ne<br />
dépend pas seulement de l’activité combinée du père et de la mère (chef et conjoint), mais<br />
aussi de qui fait quoi spécifiquement. A l’évidence, la mise au travail dans le cas des<br />
travailleurs familiaux dépend de l’existence d’une option de travail avec l’un des parents,<br />
justement dans les secteurs du commerce et de l’agriculture où les conditions sont les plus<br />
propices.<br />
Même si les travailleurs extradomestiques ont des traits communs, le lien de parenté avec leur<br />
employeur présente des différences importantes. L’entourage familial continue d’apporter aux<br />
enfants une ambiance plus détendue, mais moins avantageuse en termes économiques et<br />
professionnels. Le travail familial s’inscrit plutôt dans une logique de solidarité et<br />
d’organisation familiales, tandis que le travail non familial accomplit des objectifs surtout<br />
personnels et économiques. Cette stratégie peut se mettre en marche facilement grâce aux<br />
conditions favorables de la société locale : un marché du travail amplement dérégulé dans la<br />
pratique, un système légal très flexible et peu efficace, un système éducatif insuffisant, et une<br />
acceptation implicite du travail des enfants.<br />
357
358
CHAPITRE IX<br />
Les conséquences du travail : les vicissitudes d’une expérience précoce<br />
Nous voudrions finir notre recherche en traitant le sujet qui est au centre de multiples<br />
discussions sur le travail des enfants partout dans le monde : les conséquences. D’habitude,<br />
l’on s’attarde en évoquant les préjudices, en prenant comme exemple les cas les plus<br />
intolérables. Ainsi, l’on finit par donner à tous les enfants travailleurs l’unique image de<br />
victimes passives, en négligeant la valeur de leur participation, mais surtout en minimisant la<br />
diversité des cas. C'est-à-dire que le sujet est plongé dans une vision partielle de la situation,<br />
qui nie aux enfants leur rôle d’acteurs, de protagonistes dans l’édification de leur propre vie,<br />
et ainsi dans celle de la famille et de la société tout entière. Or, les enfants, comme nous<br />
venons de le montrer tout au long de notre étude, ont une participation plutôt active. Certes,<br />
des inconvénients, plus ou moins graves, existent par rapport à la mise au travail précoce,<br />
mais le travail ne représente pas toujours une source de problèmes. En plus, les enfants sont<br />
souvent fiers et orgueilleux de travailler. Le vécu des enfants interviewés permet d’en rendre<br />
compte.<br />
Les répercussions du travail précoce s’inscrivent dans le court et le long termes,<br />
cependant, étant donné qu’on a eu tendance à regarder l’enfance d’un point de vue prospectif,<br />
en s’intéressant plus à leur avenir qu’à leur présent, on s’est focalisé sur les conséquences<br />
potentielles du travail dans le futur. C’est ainsi que l’opposition entre travail et scolarisation a<br />
été énoncée comme l’un des problèmes fondamentaux, car c’est l’avenir de l’enfant qui est en<br />
jeu, les implications les plus immédiates restant dans une place plus modeste, ainsi que les<br />
problèmes de santé qui ont été plutôt peu étudiés. 427 C’est pourquoi nous tenons à analyser<br />
dans ce chapitre, d’abord, les conséquences du travail sur la vie quotidienne des enfants de<br />
manière générale, pour finir avec une analyse de la relation entre travail et scolarisation. En<br />
considérant qu’il n’est pas toujours possible de déterminer le sens de la causalité entre ces<br />
deux activités, vu la nature de nos données, nous proposons une approche relationnelle plus<br />
que causale.<br />
427 Plusieurs études, dans divers domaines, ont été consacrées à l’analyse de la relation entre le travail des enfants<br />
et la scolarisation. Voir par exemple : Llomovate, 1991 ; Psacharopoulos, 1997 ; Levison et Moe, 1998 ;<br />
Escalante Cantú, 2000 ; Heady, 2000 ; Knaul, 2000 et 2001 ; Levison, Moe et Knaul, 2001 ; Myers, 2001 ;<br />
Marcoux et al., 2006 ; Mier y Terán et Rabell, 2001a ; Schlemmer, 2007.<br />
359
A ce propos, les données du MTI concernent uniquement les enfants travailleurs<br />
extradomestiques, parce que le travail domestique familial, bien que reconnu officiellement<br />
comme un type de travail chez les enfants, n'est pas l'objet d'approfondissement de ses<br />
conditions, ses causes et ses conséquences. Or, grâce à notre travail de terrain, nous pouvons<br />
avoir certaines pistes sur les conséquences du travail dans le cas des travailleurs domestiques<br />
familiaux, ainsi que des informations complémentaires dans le cas des travailleurs<br />
extradomestiques. Nous traiterons le sujet séparément pour les trois types de travailleurs, avec<br />
l’hypothèse que si la mise au travail des enfants et les conditions d’emploi sont particulières<br />
dans chaque cas, alors, les conséquences sont aussi diverses.<br />
IX.1. Le vécu quotidien des enfants travailleurs.<br />
IX.1.1. Les travailleurs domestiques familiaux : une vie en double.<br />
Comme nous l'avons déjà signalé, le travail domestique familial, qui se confond souvent avec<br />
une forme de solidarité ou d’obligation familiale des enfants envers la famille, demande<br />
parfois aux enfants concernés un important investissement de temps et d’énergie, ainsi que de<br />
certains sacrifices dans l’immédiat, des sacrifices qui façonnent déjà leur vie, ainsi que son<br />
futur.<br />
Pour avoir une approche des conséquences du travail domestique familial, nous allons nous<br />
appuyer sur l’entretien de Karen, qui est l'unique enfant interviewé qui appartient au groupe<br />
de travailleurs de ce type. C’est une adolescente âgée de 14 ans, qui s’occupe de son frère et<br />
de sa sœur cadets (respectivement 10 et 8 ans), et elle est aussi la principale responsable des<br />
tâches domestiques chez elle. Sa mère ne vit plus avec eux, et son père travaille toute la<br />
journée. Elle est l’aînée de la fratrie, et elle est inscrite en dernière année de secundaria.<br />
Si nous devions résumer et qualifier en un mot le récit de Karen, nous pourrions le faire avec<br />
le mot « responsabilité » ou ses dérivés. Elle en parle assez lorsqu’elle se met à nous raconter<br />
sa vie au quotidien. Et cela est justement l’une des conséquences les plus importantes à court<br />
terme : un excès de responsabilité précoce. Car, en plus de jouer le rôle de fille, d’EAJ,<br />
d’élève, elle doit veiller au bien-être d’autres personnes et s’occuper des tâches domestiques,<br />
un travail qui peut se dire « à mi-temps », l’autre mi-temps étant consacré aux études, des<br />
360
« obligations » qui pèsent lourd dans la vie d’une jeune personne. Cette jeune fille a du mal à<br />
trouver des moments d’épanouissement personnel ou avec ses copains. En effet, elle est<br />
tellement prise par cette responsabilité plutôt filiale que fraternelle que même les week-ends<br />
où son père est à la maison et peut s’occuper des cadets, elle a du mal à reprendre son rôle de<br />
fille :<br />
« Mon papa me dit : les week-ends si tu veux sortir, alors sors avec tes amis ! Mais, au lieu d'aller au<br />
cinéma avec des amis et des amies que je vois presque tous les jours, et avec qui je partage presque<br />
tous les jours de la semaine et je bavarde avec eux, ben, je préfère passer le temps avec ma famille,<br />
parce que je peux sortir avec eux pour m’amuser. Parce que quand je sors avec mes amis pour<br />
m’amuser, mon papa et mon frère restent là, à la maison. Et ils ne font rien. Ou ma sœur sort avec eux<br />
et ils ne font rien. Ils ne font rien parce que je ne suis pas là. Parce que nous avons l’habitude de sortir<br />
tous ensemble, ou sinon, personne. Et nous sommes comme ça. Et lorsque je sors, parfois je vois<br />
qu’ils ont envie de dire : ah, tu vas sortir maintenant ? Et moi, j'avais déjà un programme ! (pour tous).<br />
Et je préfère sortir avec ma famille qu’avec mes amis que je vois presque tous les jours. Et je sais que<br />
je vais m’amuser avec ma famille autant qu’avec mes amis. » 428<br />
D’après son discours, il y a un fort attachement familial, qui s’accorde plus à une figure<br />
maternelle dans le ménage, qu’à une fille ou une adolescente. Elle est devenue la remplaçante<br />
de la mère absente, le symbole de l’union familiale, un aspect fondamental dans la société<br />
mexicaine, où tout tourne autour de la famille. Et la vie familiale tourne autour de la figure<br />
maternelle. En effet, elle a fini pour partager une double vie, qui est à la fois d’adolescente et<br />
d’adulte, de femme au foyer et d’élève, de sœur et de mère, de fille et de « compagne » de son<br />
père :<br />
« Ben, nous commençons par nous diviser les choses, avec mon papa, lorsqu’il s’est séparé de ma<br />
maman. On a dit : ben, je travaille et toi, tu fais ceci et cela, ou tu ne fais qu’étudier et je fais le reste, et<br />
tu m’aides à la maison à faire ce que tu pourras. » 429<br />
[…]<br />
« Je ne sais pas, il m’a dit : tiens ça (de l’argent), je veux que tu l’administres pour voir comment tu le<br />
fais. Je lui ai dit que je ne sais pas bien le faire. Mais il a dit : il s’agit juste d’essayer, si jamais tu le fais<br />
bien, ben, je ne dois plus y penser, et je m’enlève un poids. » 430<br />
428 « Mi papá me dice: los fines de semana si quieres salirte, ¡pues salte con tus amigos! Pero de ir al cine con<br />
amigas y amigos, que los veo casi diario y convivo con ellos casi diario, toda la semana, y platico y todo esto,<br />
pues paso mejor el tiempo con mi familia, que puedo salir con ellos a divertirme. Porque cuando salgo yo con<br />
mis amigos a divertirme, mi papá y mi hermano se quedan aquí en la casa. Y no hacen nada. O mi hermana sí<br />
sale con ellos y no hacen nada. Porque yo salgo. Y somos de: si sale uno salen todos. Y ya somos así. Y cuando<br />
yo salgo a veces veo que ellos así como que dicen: ya vas a salir, y yo que tenía planes. Y prefiero salir con mi<br />
familia que con mis amigos que los veo casi diario. Y sé que lo que me voy a divertir con ellos, lo puedo divertir<br />
con mi familia. »<br />
429 « Bueno, empezamos a dividirnos las cosas, con mi papá, cuando se separó de mi mamá. Dijimos: bueno, yo<br />
trabajo y tú haces esto o lo otro, o nada más estudias y yo hago lo demás, y ayudas aquí en lo que puedas. »<br />
361
362<br />
[…]<br />
« Parfois, lorsque je ne peux pas faire les choses (repasser ou laver le linge), ils (les cadets) me<br />
demandent pourquoi je ne l’ai pas fait. Parce que oui, ils sont déjà habitués à le voir, et après ils me<br />
l’exigent. Et ils me disent : mais c’est à toi de le faire. Et je leur dis, mais, est-ce que suis-je leur mère ?<br />
Ils répondent : non, mais, on dirait que tu l'es. Je dis : non, non, non, lorsque j’aurai mes enfants, je vais<br />
m’en occuper et je ne vais pas les abandonner. Mais toi, quoi ? Qu'est-ce que tu es en train de<br />
faire tout de suite ? Ben, jouer, alors, je leur dis de faire les choses, et ils rient et le font. Mais parfois ils<br />
se fâchent parce que je ne leur fais pas les choses. Et parfois, ils sont déjà habitués au fait que, moi ou<br />
ma mamie, nous fassions tout. Toi, tu es déjà âgé, tu dois déjà aussi te faire responsable. Toute la vie<br />
je ne serai pas auprès de vous. Je dois aussi réaliser ma vie. Et toute la vie, je ne vais pas être en train<br />
de te dire quoi faire. Lorsque tu seras plus âgé, tu dois le faire. Tu dois te faire responsable de tes<br />
notes, de si tu étudies ou non. Et alors, ils comprennent et ils me disent oui. » 431<br />
Une double mission sûrement difficile à gérer dans la vie quotidienne, où rester dans le rôle<br />
d’enfant peut s’avérer compliqué. L’on change forcément de statut dans la famille, pour le<br />
mieux et pour le pire. Et donc, les relations entre les membres de la famille et l’enfant qui<br />
prend une telle responsabilité prennent une autre dimension. Ainsi, Karen, par exemple, a du<br />
mal à trouver sa place, car malgré ses efforts pour privilégier son rôle de fille, dans la<br />
pratique, c’est son rôle maternel qui domine, dans la manière où elle fait référence à ses<br />
cadets, mais aussi aux gros soucis qu’elle se fait pour eux :<br />
« A l’école, on ne voulait pas nous les recevoir, car ils avaient de mauvaises notes. On ne nous les<br />
voulait pas accepter, alors mon papa a dû discuter, aller voir. Et maintenant ils travaillent dur, et mon<br />
frère augmente (dans ces notes), mais diminue, et comme ça. Mais ils voient déjà les choses. Et ils<br />
voient que ma mamie fait la cuisine, que là, on les soutient, que là, si je ne suis pas là, ben, mon oncle<br />
leur dit : puis-je t’aider ? Ou, non, là, tu vas mal. On les gronde seulement lorsqu’ils font de mauvaises<br />
choses ou ils ne veulent pas obéir. » 432<br />
[…]<br />
« Si mon frère a une mauvaise note, il me dit : c’est parce que je n’ai pas étudié, peux-tu signer (le<br />
rapport de la maîtresse) ? Parce que mon papa a toujours désigné comme tuteurs mon oncle Santiago,<br />
430 « No sé, me dijo: ten esto, quiero que me lo administres tú para ver qué tan buena eres. Yo le dije que no soy<br />
tan buena. Pero dijo: nada más es para probar, por si tú eres buena, pues yo ya no tengo que estar pensando en<br />
eso, y me quito un peso de encima. »<br />
431 « A veces cuando no puedo hacer las cosas, me dicen que porqué no lo he hecho. Porque si ya están<br />
acostumbrando a que lo ven, ya después me lo exigen. Y me dicen: pero es que tú lo tienes que hacer. Y les digo:<br />
¿pero es que yo soy su mamá? Y me dicen: no pero es como si lo fueras. Yo digo: no, no, no, cuando yo tenga<br />
mis hijos, los voy a cuidar yo y no los voy a dejar. Pero tú qué, a ver ¿qué estas haciendo ahorita? Pues jugando,<br />
entonces les digo que ellos hagan las cosas, y se ríen y lo hacen. Pero a veces sí se enojan porque yo no les tengo<br />
las cosas. Y a veces ya están acostumbrados a que yo o mi abuelita les tengan las cosas. Tú ya estás grande, tú<br />
también ya tienes que hacerte responsable. No toda la vida voy a estar con ustedes. Yo también tengo que<br />
realizar mi vida. Y no toda la vida voy a estarte diciendo qué hacer. Cuando estés grande tú lo tienes que hacer.<br />
Tú te tienes que hacer responsable de tus calificaciones, de si estudias o no estudias. Y agarran y, sí entiende, y<br />
me dicen que sí. »<br />
432 « En la escuela no nos los querían aceptar por las bajas calificaciones. No nos los querían recibir, entonces mi<br />
papá tuvo que hablar, que ver. Y ahorita ya le está echando ganas, y mi hermano subió, pero baja, y así. Pero<br />
ellos ya ven las cosas. Ya ven que mi abuelita cocina, que aquí se les apoya más, que aquí si no estoy yo, o no<br />
está mi abuelita, pues mi tío les dice: en qué te puedo ayudar, o no aquí estás mal. Y sólo se les regaña cuando<br />
hacen cosas malas o no quieren obedecer. »
lui ou moi, et sinon ma mamie ou mes tantes. Mais, ben, ils me demandent à moi, parce que c’est moi<br />
qui suis avec eux, et voilà. S'ils obtiennent des mauvaises notes, ou font mal quelque chose, ils me<br />
disent à moi, parce qu’ils savent qu’on va les gronder, alors, ils me disent à moi. Parce qu’ils me font<br />
plus de confiance à moi. » 433<br />
[…]<br />
« J’espère juste qu’ils seront des personnes bien, parce que je le leur ai dit : soyez responsables ! Et<br />
qu’ils voient la situation dans laquelle nous sommes. Surtout que s’ils n’étudient pas, ils ne<br />
décrocheront ni un bon travail, ni gagner d’argent, ni acheter la voiture qu’ils veulent. S’ils n’étudient<br />
pas, ils ne pourront pas avoir un bon futur. Et en étudiant, ben, ils peuvent avoir quelque chose de<br />
mieux que ce que mon papa est en train de nous offrir. » 434<br />
Le côté maternel est si fort chez cette fille, qu’elle a même projeté sa propre vie en fonction<br />
de celle de sa sœur et de son frère, en privilégiant toujours leur bien-être au sien. En effet, il<br />
s’agit d’une attitude de soumission, d’un acte d’abnégation qui caractérise les « bonnes<br />
mères mexicaines » :<br />
« Ben, me marier et tout ça, je suis en train de le projeter, ainsi, quand j’aurai 30 ou 35 ans, parce que<br />
maintenant je suis en train de les aider et je suis en train d’étudier, et je dis : plus tard je pourrai réussir<br />
ma carrière et je pourrai aussi réussir ma vie et dire : maintenant, le moment d’aller m’amuser ou d’aller<br />
à un tel endroit ou d’aller avec ma sœur et mon frère est arrivé. (…) Mais d’abord, avant de finir<br />
l’université je continuerais à aider ma sœur et mon frère. » 435<br />
[…]<br />
« Mon papa dit : le jour où je m’absenterais, je vous laisserai de l’argent (qu’il économise au cas<br />
d'urgence), mais tu seras censée travailler. Et moi, je sais que là, j’ai le soutien de ma mamie, qui nous<br />
veut près d’elle. Et je sais aussi que j’ai un toit, parce que là, ce n’est pas à moi, c’est à mon frère,<br />
parce que mon papi lui a hérité. Alors, nous avons où vivre. Et moi, je pourrais les aider pour qu’ils<br />
puissent continuer leurs études. Et si jamais j’ai l’opportunité, alors je continuerais aussi mes<br />
études. » 436<br />
Il ne s’agit pas d’un discours de gentille sœur, car elle a fait autrefois des sacrifices<br />
personnels, lorsque sa fratrie s’est séparée pendant quelques mois à cause des problèmes entre<br />
433 « Si mi hermano saca dos o algo así y me dice: es que no estudié, me firmas tú. Porque mi papá siempre ha<br />
puesto de tutor a mi tío Santiago, a él o a mí, y en otro caso a mi abuelita o a mis tías Pero luego me dicen a mí,<br />
porque como yo soy la que luego estoy con ellos, o algo así. Cuando sacan bajas calificaciones o hacen algo<br />
malo me dicen a mí, porque saben que los van a regañar, así que me dicen a mí. Porque me tienen más confianza<br />
a mí. »<br />
434 « Bueno nada mas espero que sean unas personas de bien, porque se los he dicho. Que sean responsables. Y<br />
que vean la situación en la que estamos viviendo. Más que nada de que si no estudian no van a conseguir un<br />
buen trabajo, ni ganar dinero, ni comprarse el carro que quieren. Si no estudian no podrán tener un buen futuro.<br />
Y al estudiar pues pueden tener algo mejor a lo que mi papá nos está ofreciendo. »<br />
435 « Pues casarme y eso, lo estoy planeando, así, hasta que tenga unos 30 o 35, porque ahorita los estoy<br />
ayudando y estoy estudiando, y digo: no pues más adelante podré realizar mi carrera y podré realizarme como<br />
persona y decir: ahora sí llegó el momento de irme a divertir o de irme a tal lugar, o de irme con mis hermanos.<br />
[...] Pero, antes de terminar la universidad seguiría apoyando a mis hermanos. »<br />
436 « Mi papá dice: el día que yo falte, yo ya les tengo dinero, pero tú tendrías que meterte a trabajar. Y yo sé que<br />
aquí cuento con el apoyo de mi abuelita, que nos quiere aquí. Y sé que cuento con un techo, porque allá arriba,<br />
no es mío es de mi hermano, porque se lo dejó mi abuelito. Pues ya tenemos dónde estar. Y yo podría apoyarlos<br />
para que ellos sí puedan seguir estudiando. Y ya en dado caso de que yo tenga la oportunidad, pues también<br />
seguir estudiando. »<br />
363
leurs parents. A l’époque, elle avait décidé de vivre avec son père, et sa sœur et son frère avec<br />
leur mère. Mais, progressivement, elle avait le sentiment que les jeunes enfants n’allaient pas<br />
bien, alors elle s’est inquiétée :<br />
364<br />
« Je suis partie un temps là-bas (chez sa mère). Parce que je disais à mon papa : ma mère ne nous<br />
permet pas de voir mon frère et ma sœur. Elle ne nous le permettait pas. (…) Et j’ai dit à mon papa : ils<br />
ne vont pas bien, à l’école ils n’ont pas du tout de bons résultats. Je pourrais les aider. <strong>La</strong>isse-moi voir<br />
ce que je peux faire. Et je suis partie deux semaines. » 437<br />
Et pendant cette période-là, elle a écarté la vie qu’elle avait choisie avec son père et sa grand-<br />
mère, et elle n’a pas non plus assisté à l’école, car sa mère vivait dans un autre Etat. Karen<br />
comptait même se réinscrire à un collège près de chez sa mère, en pensant qu’elle allait y<br />
demeurer longtemps. Mais, peu de temps après, elle est repartie avec ses cadets vivre<br />
volontairement chez son père, et donc, Karen a repris l’école après deux semaines d’absence.<br />
Or, étant donné la grande valeur assignée à la scolarisation des enfants dans l’actualité, et<br />
notamment dans les villes, outre la responsabilité du travail domestique acquise par ces<br />
enfants, malgré les contraintes familiales, on essaie d’éviter l’abandon scolaire, presque<br />
« coûte que coûte ». Et donc, les enfants sont contraints de partager leur temps entre l'école et<br />
le travail domestique, deux grandes responsabilités sociales et morales. Une double charge qui<br />
semble difficile à gérer aisément, qui devient très compliquée à vivre comme dans le cas de<br />
Karen :<br />
« J’aime toujours leur dire ce qui ne va pas. Et lorsque je crie, c’est parce que parfois ils me rendent<br />
folle. Et ils savent que quand je dis quelque chose, ils doivent obéir. Parce que parfois, je suis si<br />
stressée de l’école, de faire ceci et cela, que je les gronde. Eh oui, je perds patience. Et ils me disent :<br />
tu dois te calmer ! Ou de trucs du genre. Il vaut mieux que tu quittes l’école, regarde dans quel état tu<br />
te mets ! Ou des trucs du genre. » 438<br />
Cependant, la quotidienneté et l’inévitabilité de cette charge, en plus de sa conviction sur<br />
l’importance des études, son envie de réussir une carrière professionnelle, semblent parfois<br />
négliger la valeur du temps libre et du temps de repos personnel :<br />
437 « Yo me fui un tiempo para allá. Porque yo le decía a mi papá: es que mi mamá no nos deja ver a mis<br />
hermanos. No nos lo permitía. (…) Yo le dije a mi papá: ellos están mal, en la escuela van muy mal. Yo los<br />
podría apoyar. Déjame ver qué puedo hacer yo. Y me fui como dos semanas. »<br />
438 « Siempre me ha gustado decirles en lo que están mal. Y cuando a veces les grito es porque a veces sí me<br />
sacan de quicio. Y ya saben que cuando les digo algo, me tienen que hacer caso. Porque a veces, yo también<br />
estoy tan estresada de la escuela, de hacer esto y lo otro, que los regaño. Y sí me desespero. Y me dicen: ya<br />
mejor contrólate, o algo así. Ya mejor no vayas a la escuela, ve como te pones de histérica o algo así. »
« Parce que si j’avais ce temps libre, et je ne faisais rien, ben, qu’est-ce que je ferais ? Je serais en<br />
train de perdre le temps, ou j’aiderais ma mamie. Je ne sais pas, je ne ferais rien. Ainsi c’est du temps<br />
occupé. » 439<br />
Il semble que « ne rien faire » perd sa qualité de droit, pour devenir une forme de<br />
« gaspillage ». Néanmoins, cette mauvaise idée sur le temps libre est un peu à l’encontre du<br />
fait que, selon elle-même, c'est justement la tranquillité qui lui manque le plus pour mettre de<br />
l’ordre dans sa vie personnelle, même si elle ne regrette pas explicitement le manque de temps<br />
de repos, sinon le manque de temps pour s’occuper mieux de ses affaires. A la question : « si<br />
jamais tu n’avais pas cette responsabilité, que ferais-tu ? » Elle a répondu :<br />
« Je ne sais pas, je me lèverais et prendrais mon petit-déjeuner tranquillement, parce que parfois je<br />
prends mon petit déjeuner rapidement. Ou faire mes devoirs scolaires avec plus de tranquillité et avoir<br />
plus de temps pour moi. Je ne sais pas, pour ranger mon linge, parce que les soirs je suis censée avoir<br />
mes vêtements prêts et avoir mes devoirs scolaires presque finis, mais parfois je ne peux pas parce<br />
que j’ai trop de devoirs scolaires. Et cela serait plus de temps pour moi. Plus de temps, je ne sais pas,<br />
pour bien organiser mes cours. Parce que parfois je suis très mal organisée. Organiser mieux mes<br />
vêtements. Organiser mieux les choses de l’école ou les choses de la maison, mieux ma chambre,<br />
mieux mon lit. » 440<br />
Tous ses efforts semblent récompensés par le fait qu’elle trouve dans cette responsabilité<br />
presque inéluctable, la satisfaction d’être utile à sa famille. L’orgueil d’aider ses cadets et son<br />
père face à leur situation difficile :<br />
439 « Porque a veces, si tuviera ese tiempo libre, y no hiciera nada, pues nada más ¿qué estuviera haciendo?<br />
Haciéndome tonta, o ayudándole aquí a mi abuelita. No sé, o no estaría haciendo nada. Así, es tiempo que<br />
ocupo. »<br />
440 « No sé, pararme y desayunar con tranquilidad, porque a veces sí desayuno así (rápido). O hacer mi tarea con<br />
más tranquilidad y tener más tiempo para mí. No sé, para acomodar mi ropa, porque ya en la noche tengo que<br />
tener mi ropa y casi mi tarea completa, pero a veces no porque me dejan demasiada. O tener lo más sencillo para<br />
ahorita, y lo más difícil para al rato. Y eso sería más tiempo para mí. Más tiempo, no sé, en organizarme bien con<br />
mis materias. Porque luego soy muy desorganizada. Organizar mejor mi ropa. Organizar mejor las cosas del<br />
estudio o las cosas de mi casa, más mi cuarto, más mi cama. »<br />
365
366<br />
« Cela me fait plaisir (lorsque mes cadets me cherchent en cas de problèmes), parce que, ben, tout ce<br />
que je peux faire pour eux, ben, c’est bien. Parce que je suis plus âgée. » 441<br />
[…]<br />
Elle se sent responsable de faire le ménage « Parce que mon frère et ma sœur sont jeunes et ils sont<br />
en train d’étudier, ils ne sont pas si jeunes que ça, mais ils sont jeunes. Et ils étudient ou ils veulent<br />
jouer ou regarder la télé. Et les matins, ils ne peuvent pas le faire (le ménage, car ils vont à l’école la<br />
matinée, et elle l’après-midi). Et ce que je fais, je peux le faire. Et j’aide mon père parce qu’il n’a pas de<br />
temps pour faire ses choses, et il travaille, et il nous soutient comme il peut. » 442<br />
[…]<br />
« Oui (mes cadets m’obéissent), et s’ils ne m’obéissent pas, je leur dis : si tu ne m’obéis pas, à partir<br />
de ce moment, si tu ne m’obéis pas, je ne veux pas que tu me dises ce dont tu en as besoin, ne me<br />
demande rien. Parce que, en premier, ce n’est pas ma responsabilité, mais je le fais parce que j’aime le<br />
faire, mais en deuxième, tu dois te faire responsable. Et je vous aide comme je peux. Et après vous me<br />
dites : j’ai envie de ça. Et si j’ai de l’argent, ben, je vous l’achète. Et ils restent muets parce qu’ils savent<br />
que j’ai raison et ils obéissent. » 443<br />
Il existe aussi l’orgueil qui lui donne le pouvoir qu’elle a acquis dans la sphère familiale, son<br />
nouveau statut est hiérarchiquement plus important. Elle est passée d’être l’aînée à être la<br />
maîtresse de maison. Et cela a des privilèges. Mais il faut signaler que dans ce cas, elle-même<br />
a proposé de jouer ce rôle à ses parents, pourvu que la fratrie reste ensemble, car auparavant<br />
les enfants étaient séparés, les cadets vivaient avec la mère, et elle vivait avec son père. Cette<br />
initiative a sûrement façonné ses sentiments, et évidemment, cela ne concerne pas tous les<br />
enfants travailleurs domestiques familiaux. Cependant, ces sentiments de fierté et de<br />
satisfaction pourraient être compréhensibles dans d’autres situations, étant donné la taille de la<br />
responsabilité accomplie, de gré ou de force. Or, la maturité requise par une telle<br />
responsabilité peut être sûrement un atout dans sa vie présente et future, non en termes à<br />
proprement parler professionnels, mais dans son développement personnel. Mais, c’est un<br />
atout qui implique peut-être une enfance volée, selon certains, et d’autres inconvénients<br />
pourraient en résulter.<br />
Bien évidemment, nous ne pouvons pas prétendre représenter la situation des enfants<br />
travailleurs domestiques familiaux avec le récit d’une seule, qui en plus, vit une situation<br />
441 « Pues siento bonito porque pues en lo que yo les pueda ayudar, pues está bien. Porque estoy grande. »<br />
442 « Porque mis hermanos como están chiquitos y están estudiando, no están tan chiquitos pero si están<br />
chiquitos. Y estudian o quieren jugar o quieren ver la tele. Y ellos en las mañanas pues no lo pueden hacer. Y lo<br />
que yo hago pues sí lo puedo realizar. Y yo le ayudo a mi papá porque él no tiene el tiempo para realizar esas<br />
cosas, y él trabaja, y nos apoya en lo que puede. »<br />
443 « Sí, y si no me hacen caso les digo: si no me haces caso, de este momento en adelante, si no me haces caso<br />
no quiero que me digas lo que necesitas, no me pidas nada. Porque en primera, no es mi responsabilidad, pero lo<br />
estoy haciendo porque me gusta hacerlo, pero en segunda, tú tienes que hacerte responsable. Y yo los apoyo en<br />
lo que puedo. Y luego me dicen: se me antojó esto. Y si tengo dinero pues se los compro. Y se quedan callados<br />
porque saben que tengo la razón, y lo hacen. »
familiale tout à fait particulière (une famille modeste qui se trouve dans un cycle<br />
d’expansion, 444 qui a subi l’abandon total de la mère). Il est clair que d’autres conséquences<br />
peuvent exister, et que l’expérience et les sentiments d’autres enfants dépendent aussi de leur<br />
propre contexte familial, de leur propre manière de voir et de vivre la situation, ainsi que du<br />
temps investi et du niveau de responsabilité acquise. Mais, nous tenons à évoquer l’expérience<br />
de Karen, parce qu’elle nous permet de rentrer dans le monde privé du travail domestique<br />
familial, si difficile à approcher, et ainsi, d'avoir des idées, des pistes, sur divers aspects de la<br />
vie quotidienne de ce type d’enfants travailleurs.<br />
Maintenant, nous allons passer au cas des enfants travailleurs extradomestiques, plus visibles<br />
au regard étranger et plus faciles à approcher, et pourtant, ils sont encore aujourd’hui entourés<br />
de multiples préjugés.<br />
IX.1.2. Les problèmes engendrés par le travail extradomestique : entre mythes et réalité.<br />
Pour analyser les problèmes qui pourraient survenir à cause du travail extradomestique<br />
précoce, nous utilisons comme principale source les données du MTI, et comme source<br />
secondaire nos données du travail de terrain. Dans le MTI on a inclus une question à propos<br />
des problèmes engendrés par le travail. Les problèmes considérés dans l’enquête sont : 1)<br />
avoir mal au dos ou douleur musculaire ; 2) problèmes respiratoires ; 3) problèmes de vision ;<br />
4) blessures ; 5) problèmes scolaires ; 6) surinvestissement de temps (travailler beaucoup<br />
d’heures) ; 7) maltraitance, menaces, insultes ; 8) angoisse ou peur de quelque chose ; et 9)<br />
manque de temps pour jouer. 445 L’on demande alors aux répondants si Ego s’est plaint<br />
quelquefois de ces problèmes à cause de son travail. Nous voudrions encore rappeler que ce<br />
sont souvent les parents, et non les enfants eux-mêmes, qui répondent aux enquêteurs.<br />
Concernant les enfants travailleurs extradomestiques familiaux, selon les résultats du MTI, les<br />
plaintes les plus courantes sont avoir mal au dos et des douleurs musculaires (4%) et ne pas<br />
avoir de temps pour jouer (2%). Tous les autres problèmes ne représentant même pas 1%. Le<br />
444 Selon le classement basé sur l’âge des enfants et de la mère : formation (des enfants âgés de moins de 6 ans<br />
ou mère en âge reproductif et sans enfants), expansion (des enfants âgés de 6 à 14 ans), consolidation (des<br />
enfants de 15 à 24 ans), nid vide (des enfants âgés de 25 ans et plus ou mère en âge non reproductif), années<br />
dorées (retraite du mari ou des deux conjoints), et veuvage (décès de l’un des conjoints).<br />
445 Il s’agit de la question 11a du questionnaire pour les 5 à 11 ans et de la question 8a du questionnaire pour les<br />
12 à 17 ans (Voir Annexe II.2).<br />
367
problème de mal au dos et douleurs musculaires concerne surtout les garçons, et les enfants<br />
les plus âgés. Ainsi, les garçons de 15 à 17 ans concernés par ce type de problème<br />
représentent 10%, tandis que chez les filles, 2%, car ce sont justement les garçons, et surtout<br />
les plus âgés, qui réalisent des activités physiques, qui peuvent finir par affaiblir leur état de<br />
santé. A propos du regret sur le temps de jeu, ce type de plainte est beaucoup plus fréquent<br />
chez les plus jeunes, et il n’existe pas de différence par sexe, sauf dans le groupe de 6 à 11<br />
ans. Ainsi, parmi ceux-ci, 8% des garçons et 1% des filles sont concernés ; tandis que parmi<br />
les 12 à 14 ans, 3% pour les deux sexes, et parmi les 15 à 17 ans, 1% pour les deux sexes, une<br />
situation cohérente avec le développement des enfants, qui en grandissant trouvent le jeu de<br />
moins en moins attractif. Les intérêts des enfants changent, et la manière d’utiliser le temps<br />
aussi. Vraisemblablement, les enfants qui travaillent pour leurs parents ne sont guère exposés<br />
à des conditions qui peuvent aboutir à des problèmes de santé, physique ou morale, ou de<br />
performance scolaire, par exemple.<br />
D’ailleurs, concernant les enfants travailleurs extradomestiques non familiaux, nous trouvons<br />
dans le MTI une plus forte proportion d’EAJ qui se plaint des problèmes évoqués, par rapport<br />
aux travailleurs familiaux, sauf concernant le manque de temps pour jouer (qui n’arrive même<br />
pas à 1%). Cependant, à l’exception de la catégorie « mal au dos et des douleurs<br />
musculaires », qui représente le problème le plus observé (15%), les autres pourcentages sont<br />
aussi plutôt faibles : 4% les blessures, et pour le reste, au maximum 2%. En considérant le<br />
sexe et les groupes d’âges, nous trouvons toujours que les problèmes de santé sont plus<br />
fréquents chez les garçons que chez les filles, et ils augmentent au fur et à mesure de l’âge, les<br />
enfants les plus concernés étant les garçons de 15 à 17 ans. Par exemple, chez les garçons de<br />
cette tranche d’âges, 17% ont eu mal au dos ou des douleurs musculaires, et 6% des<br />
blessures ; et chez les filles, respectivement 14 et 2%.<br />
Apparemment, les enfants travailleurs non familiaux souffrent davantage de problèmes à<br />
cause du travail que les travailleurs familiaux. Mais, à l’évidence, le lien de parenté ne<br />
garantit pas non plus l’absence des problèmes. Or, l’idée de vulnérabilité qui entoure les filles,<br />
qui sont souvent éloignées des activités physiques, les protège sûrement de ce type de<br />
problèmes de santé, plus récurrents chez les garçons.<br />
Parmi nos interviewés, nous avons aussi constaté que les problèmes survenus à cause du<br />
travail sont rares, mais, ces enfants ont la caractéristique de réaliser des activités plutôt<br />
368
simples, peu risquées, et peu physiques. Ils ont tous comme priorité les études, car ils veulent<br />
réussir une carrière universitaire, et le travail est secondaire dans leurs vies. En effet, tout est<br />
organisé autour du temps scolaire, et le temps de jeu est plus ou moins respecté. Alors, la<br />
performance scolaire et la santé des enfants sont rarement mises en jeu. En général, les<br />
parents y veillent de très près, comme nous l’avons montré auparavant. Cependant, nous<br />
avons trouvé que, lorsqu’il s’agit d’un travail qui demande un effort physique important,<br />
même si celui-ci est sporadique, les enfants n’hésitent pas à se plaindre de fatigue ou même de<br />
douleurs musculaires :<br />
« C’est parfois fatigant, parfois non. Je jette seulement une pelletée et je reste ainsi un petit peu, je jette<br />
une autre et, je reste ainsi un petit peu plus, et ainsi de suite. Pour éviter d’avoir mal au dos. Lorsque<br />
j’ai fait trop, comme je me baisse ainsi, j’ai mal. Et lorsque je commence à avoir mal mon papa<br />
m’allonge dans le camion, et il me masse. Et j’y reste. (…) Parfois c’est dur, quand il y a beaucoup de<br />
pierres. (...) Mon père me demande si je suis fatigué, et je dis oui. Il me dit : alors, va au camion et dors<br />
un petit peu. Et je l’attends là-bas. » […] « Parfois j’ai mal, mais maintenant presque pas. Je dis que je<br />
me suis déjà habitué. » 446 (Pedro, 8 ans, rémunéré. Il travaillait à sa demande, de temps en temps,<br />
comme pelleteur avec son père aux chantiers.)<br />
« Auparavant, ma cousine seule le lavait (le comal), mais elle se fatiguait beaucoup. Alors, on m’a dit si<br />
je voulais l’aider ; et j’ai dit oui. » […] « Je mets environ une heure. Ça dépend, si j’ai la flemme je mets<br />
beaucoup de temps. Mais sinon, ben, je le lave rapidement. » 447 […] « Oui (laver le comal me plaît).<br />
Ben, un petit peu, cela dépend, parce que parfois j’ai trop la flemme, mais parfois non. Parce que<br />
parfois je ne me sens pas bien ou comme ça, et je dois le laver. Eh ben, je le lave. » 448 (Sandra, 12<br />
ans, travailleuse familiale et non familiale. Elle et sa cousine, du même âge, lavaient un grand comal (à<br />
peu près 1m²) qui servait à leur grand-mère dans son travail. Les filles étaient rémunérées pour ce<br />
travail. 449 Elles le lavaient à leur tour, une semaine sur deux, dans la cour de chez elles. Elles et sa<br />
grand-mère vivaient dans le même lot, propriété de leurs grands-parents, mais chaque famille dans son<br />
propre logement).<br />
Les récits de ces enfants montrent la pénibilité de certaines activités, qui peuvent affecter plus<br />
ou moins l’état de bien-être des enfants, mais aussi, le fait que les parents essayent de limiter<br />
les « dégâts » à leur façon. Par exemple, la mère de Sandra s’est mise d’accord avec la grand-<br />
446<br />
« Luego es cansado, pero luego no. Solamente echo un palazo y me quedo así tantito, echo otro palazo y me<br />
quedo otro ratito, y así. Para que no me duela mi espalda. Cuando he hecho mucho, como me agacho así, me<br />
duele. Y cuando me empieza a doler mi papá me acuesta en el camión, y me soba. Y ahí me quedo. (…) A veces<br />
es pesado, cuando hay muchas piedras. (...) Me dice mi papá que si ya me cansé, y yo le digo que sí. Y me<br />
dice: pues vete al camión y aunque sea duérmete tantito. Y ahí lo espero.» [...] « A veces me duele, pero ya casi<br />
no. Yo digo que ya me acostumbré. »<br />
447<br />
« Antes mi prima nada más lo lavaba, pero se cansaba mucho. Y me dijeron que si le ayudaba, y yo dije que<br />
sí. » […] « Me tardo como una hora. Depende, es que si tengo flojera me tardo mucho. Pero si no, pues rápido lo<br />
lavo. »<br />
448<br />
« Sí. Bueno un poquito, depende, es que luego me da mucha flojera, pero luego no. Es que luego me siento<br />
mal o así, y lo tengo que lavar. Y pues lo lavo. »<br />
449<br />
Il faut souligner que le comal sert à frire des aliments à base de pâte de farine de maïs, alors après utilisation<br />
intensive pendant toute la journée de travail, il reste imprégné de la graisse brûlée avec des restes de nourriture.<br />
Ainsi, le lendemain, au moment de le laver, ce n’est pas évident d’enlever la graisse collée.<br />
369
mère pour qu’elle fasse ce travail par relais, afin de laisser un temps de repos aux filles, et de<br />
diminuer la fatigue. Cependant, les parents ne les mettent pas totalement à l’abri, en les<br />
empêchant de le faire, peut-être parce que ces problèmes sont perçus comme ordinaires,<br />
temporaires, en tout cas, sans conséquences graves, car les enfants mènent une vie<br />
quotidienne sans problèmes de santé. Une telle subjectivité est à la base des controverses qui<br />
existent autour du travail des enfants, car ce qui est « inapproprié » pour les enfants n’est pas<br />
universel.<br />
Pour compléter l’analyse sur les conséquences du travail extradomestique, nous allons<br />
discuter sur les possibles conséquences d’un éventuel arrêt du travail de la part de ces<br />
enfants. 450 Une question incluse dans le MTI, où les possibilités de réponse proposées dans le<br />
questionnaire sont :<br />
1) On devrait embaucher quelqu’un d'autre pour le remplacer,<br />
2) le revenu économique du ménage serait affecté,<br />
3) il n’aurait pas d’argent pour continuer les études,<br />
4) il n’aurait pas suffisamment d’argent pour l’habiller ou le chausser,<br />
5) il n’apprendrait pas un métier manuel (oficio),<br />
6) il n’aurait pas d’argent pour son propre divertissement,<br />
7) il retournerait à l’école,<br />
8) il se consacrerait aux tâches domestiques chez lui,<br />
9) il deviendrait une personne irresponsable,<br />
10) il serait un fainéant (tomberait dans les vices),<br />
11) autre,<br />
12) rien,<br />
13) je ne sais pas.<br />
Il faut dire que les résultats illustrent plutôt le point de vue des parents qui sont ceux qui<br />
répondent souvent aux enquêteurs.<br />
Chez les travailleurs extradomestiques familiaux, l’arrêt du travail n’aurait pas d’importance<br />
pour la plupart : il ne se passerait « rien » dans 63% des cas. Mais, il s’avère que pour 4% de<br />
ces enfants les revenus du ménage seraient touchés, et pour 7% la famille serait obligée<br />
d’embaucher quelqu’un pour le remplacer. C’est-à-dire qu'en termes pratiques, dans les deux<br />
450 Question 10c du questionnaire pour les 5 à 11 ans et question 7c du questionnaire pour les 12 à 17 ans : Que<br />
se passerait-il si X quittait son travail ? (Voir Annexe II.2).<br />
370
cas, les conséquences concernent directement une réduction des revenus du ménage. Pour les<br />
autres enfants, les préjudices seraient plutôt individuels, mais de divers types : 3% ne pourrait<br />
pas s’habiller et se chausser (ce qui montre qu’une partie des enfants travaillent pour<br />
s’habiller, une aide très importante aux parents), 451 et 3% n’auraient pas d’argent pour<br />
s’amuser ; 3% n’apprendraient pas un métier manuel ; 5% deviendraient des fainéants ; 4%<br />
deviendraient des personnes irresponsables. Par contre, 1% pourrait retourner à l’école.<br />
Apparemment, le travail familial n’est pas fréquemment une activité fondamentale pour le<br />
ménage et pour la plupart des enfants, au moins en matière de survie. Il faut rappeler que la<br />
plupart de ces enfants travailleurs n’ont pas de revenu (74%). Et, parmi ceux qui ont un<br />
revenu, 69% n’apporte rien au ménage, 18% moins de la moitié de leur revenu, 7% la moitié<br />
ou plus, et seulement 6% apporte tout à la famille.<br />
Chez les travailleurs extradomestiques non familiaux, les implications sont un peu plus<br />
importantes, même si dans 45% des cas, il ne se passerait « rien ». Pour le reste, les dégâts<br />
seraient plutôt individuels : 12% n’aurait pas d’argent pour acheter des vêtements ou des<br />
chaussures ; 7% n’auraient pas d’argent pour leur propre divertissement ; 6% deviendraient<br />
des fainéants ; et 5% n’auraient pas d’argent pour continuer leurs études. Cependant, pour<br />
certains, le travail des enfants représente une activité importante pour les conditions familiales<br />
de vie : pour 15% le revenu du ménage serait touché. Par contre, pour d’autres enfants le<br />
travail représente un empêchement à la scolarité, car 4% d’enfants retourneraient à l’école,<br />
des résultats qui s'accordent au fait que la plupart des travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux sont rémunérés (96%). Pourtant, les revenus sont utilisés surtout à titre personnel :<br />
36% n’apporte rien au ménage, 37% apporte moins de la moitié de son revenu, 24% au moins<br />
la moitié et seulement 3% tout. Bien évidemment, certaines de ces conséquences peuvent<br />
peser lourd sur la vie des enfants, voire des familles, tandis que d’autres ne seraient pas<br />
déterminantes pour le bien-être de l’enfant.<br />
Néanmoins, ce qui est très révélateur en matière des conséquences probables de l'arrêt du<br />
travail est la différence par sexe (Tableau 35). A l’évidence, d’après les parents, la<br />
participation de filles et de garçons n’a toujours ni la même valeur, ni la même signification.<br />
Par exemple, pour les deux sexes, l’arrêt du travail n’aurait aucune conséquence (« rien »)<br />
451 Selon nos entretiens, l’argent que gagnent les enfants sert à acheter des vêtements et des chaussures de<br />
marque, et non pas forcément de quoi s’habiller. Ainsi, il n’est pas possible de savoir si cette réponse dans le<br />
MTI correspond à cette situation particulière.<br />
371
dans la plupart des cas. Cependant, ce sont les filles qui se trouvent davantage dans une telle<br />
situation. L’on dirait que leur travail est considéré sans importance, vu de l’extérieur. Or,<br />
certains préjugés de genre sont aussi clairs, comme le fait que ce sont surtout les garçons qui<br />
pourraient devenir des fainéants ou des vicieux, tandis que ce sont les filles qui se<br />
consacreraient davantage que les garçons au travail domestique familial. D’ailleurs,<br />
l’économie familiale serait plus touchée par la perte du travail des filles que des garçons<br />
(notamment dans le travail familial). Tandis que les « dégâts » individuels et « superflus »<br />
sont plus importants chez les garçons, comme dans le cas du divertissement. Enfin, de faibles<br />
différences par sexe s’observent par rapport au travail comme moyen pour fréquenter l’école ;<br />
ce sont un peu plus fréquemment les filles qui travaillent pour continuer leurs études. Par<br />
contre, ce sont plutôt les garçons qui retourneraient à l’école dans le cas de ne pas travailler.<br />
Mais, par rapport à ce dernier constat, il est difficile de dire s’il s’agit d’une situation<br />
souhaitable par l’enfant, car c’est l’un des parents qui répond.<br />
Tableau 35. Répartition (%) des enfants travailleurs extradomestiques selon les conséquences<br />
d’un éventuel arrêt de travail, par type de travail et par sexe<br />
Travailleurs extradomestiques<br />
372<br />
Conséquences<br />
Familiaux Non familiaux<br />
Garçons Filles Garçons Filles<br />
On devrait embaucher quelqu’un pour le remplacer 7,7 6,7 0,0 0,0<br />
Le revenu économique du ménage serait affecté 2,4 6,2 14,2 15,3<br />
Il n’aurait pas d’argent pour continuer les études 0,4 0,1 4,2 6,4<br />
Il n’aurait pas suffisamment d’argent pour l’habiller ou<br />
3,5 2,0 12,2 11,2<br />
lui chausser<br />
Il n’apprendrait pas un métier manuel 2,6 3,2 0,9 0,3<br />
Il n’aurait pas d’argent pour son propre divertissement 4,3 0,5 8,8 4,9<br />
Il retournerait à l’école 1,9 0,3 4,9 1,9<br />
Il se consacrerait aux tâches domestiques chez lui 0,5 5,0 0,8 3,5<br />
Il deviendrait une personne irresponsable 4,3 3,8 1,7 0,8<br />
Il deviendrait un fainéant (vicieux) 8,1 1,8 6,6 0,8<br />
Autre 4,7 2,8 2,6 3,5<br />
Rien 59,4 67,1 42,5 51,1<br />
Je ne sais pas 0,2 0,4 0,6 0,1<br />
Total<br />
100,0<br />
(190 383)<br />
100,0<br />
(162 310)<br />
100,0<br />
(382 938)<br />
100,0<br />
(193 928)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
En toute cohérence avec les réponses du MTI, à travers nos entretiens, nous observons que le<br />
travail de certains enfants est important pour les familles. Et même si la survie n’en dépend<br />
pas, dans ces cas concrets, la participation active des enfants contribue quotidiennement à la<br />
vie du ménage. En général, la contribution n’est pas directement un apport économique, sinon<br />
que grâce au travail des enfants, les revenus du ménage ne diminuent pas. Mais, pour la
plupart, les enfants interviewés travaillent pour des raisons personnelles et plutôt superflues,<br />
ainsi, un éventuel arrêt de leur travail serait préjudiciable surtout en termes personnels pour<br />
l’enfant qui ne pourrait plus acheter, par exemple des vêtements et des chaussures de marque,<br />
des téléphones portables, des jeux vidéo, voire des bonbons et de petits « caprices ». En plus,<br />
nous trouvons aussi que certains enfants travaillent afin d’apprendre un métier manuel, mais<br />
dans la plupart de cas, le travail actuel est considéré plus comme un passe-temps d’enfance,<br />
une simple distraction, que le début d’une carrière professionnelle. En effet, la majorité des<br />
enfants sont scolarisés et souhaiteraient réussir une formation universitaire, ou en tout cas, ne<br />
pas suivre les pas de leurs parents, qui sont presque tous peu scolarisés et qui ont des emplois<br />
peu qualifiés. Enfin, nous trouvons dans les récits des enfants travailleurs l’idée qui lie le fait<br />
de ne pas travailler avec celle d'être une personne paresseuse ou irresponsable, une perception<br />
qui montre que le travail des enfants n’a pas perdu sa qualité historique d’ennoblir les<br />
personnes, au moins dans les secteurs populaires urbains, ce qui est favorable au<br />
développement de cette pratique (Sosenski, 2010).<br />
Pour finir avec ce chapitre nous allons discuter maintenant sur l’un des points les plus<br />
controversés au sujet du travail des enfants : la relation entre travail et scolarité. Bien que<br />
jusqu’à ce moment, les résultats, tantôt dans l’approche qualitative, tantôt dans l’approche<br />
quantitative, montrent un possible partage entre ces deux activités, il est tout à fait pertinent<br />
de regarder plus en détail la situation.<br />
IX.2. Scolarisation et travail : entre dépendance et partialité.<br />
Le travail a été fréquemment perçu comme la cause principale des problèmes liés à la<br />
scolarité : l’assiduité, la performance, l’abandon. Pourtant, nous avons constaté le caractère<br />
partiel de l’opposition présumée entre travail et scolarité : tous les enfants qui travaillent ne<br />
sont pas déscolarisés, et tous les enfants déscolarisés ne sont pas des travailleurs. Et il existe<br />
même des enfants qui peuvent continuer leurs études grâce aux revenus de leur travail. Certes,<br />
des cas existent où le travail est à l’origine de la déscolarisation, mais cela ne suffit pas pour<br />
attacher systématiquement au travail tous les problèmes liés à la scolarisation. En effet, la<br />
réalisation du travail n’est pas toujours un obstacle à la scolarisation, car deux enfants<br />
travailleurs extradomestiques sur trois sont scolarisés, et trois enfants travailleurs domestiques<br />
familiaux sur quatre (pour ceux qui travaillent 15 heures ou plus hebdomadaires). Mais, tous<br />
373
les enfants travailleurs ne forment pas un groupe homogène, et c’est pourquoi il faut observer<br />
ce qui se passe dans des conditions plus particulières.<br />
A travers l’expérience des enfants travailleurs interviewés, nous avons une approche de la<br />
perception des enfants sur la relation entre scolarité et travail. Il faut rappeler qu’il s’agit<br />
d’enfants qui ont comme activité principale les études et leur temps de travail est organisé en<br />
fonction de leur emploi de temps scolaire. A la question « Le travail a gêné ta performance<br />
scolaire ? » Ils ont répondu, par exemple :<br />
374<br />
« Non, lorsque je suis malade ou si jamais j’ai beaucoup de devoirs, je reste chez moi, il n’y a pas de<br />
problème ! Je vais chez ma tante et je lui dis : vous savez tante, je ne vais pas venir travailler, ne<br />
comptez pas avec moi, je vais faire mes devoirs, je dois aller au café internet, j’ai trop de devoirs. Elle<br />
me dit : fais tes devoirs, correctement, ne te mets pas de la pression, et si jamais tu finis avant ton<br />
heure de sortie du travail, tu peux venir et tu peux nous aider à ramasser les assiettes, et après tu<br />
manges. Et je dis : oui. » 452 (Alicia, 11 ans, travailleuse extradomestique non familiale. Elle travaillait<br />
pour sa tante qui avait un petit restaurant à côté de chez elle).<br />
« Non, c’est pareil. Moi, si j’ai des devoirs scolaires, et il (le patron) me demande de l’accompagner, je<br />
dis : je ne peux pas, et je ne vais pas. Alors il s’en va. » 453 […] « Si jamais je ne peux pas y aller, alors il<br />
(l’employeur) les met (les marchandises dans le local de l’épicerie), s’il voit que je n’arrive pas alors il<br />
commence à les mettre. » 454 (Alejandro, 14 ans, travailleur extradomestique non familial, il travaillait<br />
pour un voisin, propriétaire d'une épicerie du quartier, qui louait aussi des jeux gonflables).<br />
Il faut signaler que la plupart des interviewés considèrent que le travail n’est pas un obstacle à<br />
leur scolarisation, car ils ont des emplois flexibles et sans engagements formels. En plus, leur<br />
travail n’est pas indispensable. Cependant, pour ceux qui ont un travail « imposé » le partage<br />
entre école et travail est moins évident. C’est le cas de Karen par exemple, qui à l’âge de 14<br />
ans, joue le rôle de maîtresse de maison, en plus de poursuivre ses études. Nous avons observé<br />
que, bien que le temps scolaire soit peu touché, car elle continue ses études et apparemment<br />
elle arrive à accomplir ses devoirs comme auparavant, c’est le temps périscolaire, le temps<br />
libre ou le temps de repos, qui sont en jeux, et qui affectent la vie de cette fille :<br />
« Parfois lorsque je me couche tard (le lendemain) j’ai les yeux cernés et je me sens fatiguée. (Elle doit<br />
452<br />
« No, cuando estoy enferma o si tengo mucha tarea me quedo en casa ¡no hay problema! Yo voy y le digo:<br />
sabe que tía, no voy a venir, no cuente conmigo, voy a hacer mi tarea, tengo que ir a Internet, me dejaron mucha<br />
tarea. Me dice: ponte a hacer tu tarea, bien hechesita, no te presiones nada, y si terminas antes de que salgas de<br />
trabajar supuestamente, puedes venir y ya nos ayudas a recoger los platos y después tú ya comes. Y digo: sí. »<br />
453<br />
« No, yo estoy igual. Yo, si tengo tarea, y él me dice: acompáñame, yo le digo: no puedo, y pues no voy.<br />
Entonces, él se va. »<br />
454<br />
« Si no puedo ir pues ya las mete (las mercancías de la tienda), si ya ve que no llegué, pues las empieza a<br />
meter. »
se lever de bonne heure pour faire le ménage et préparer ses cadets qui partent à l’école). Mais après,<br />
dès que j’arrive à l’école, si je me sens fatiguée, après, dans l’après-midi, je commence à sentir que je<br />
suis en train de me réveiller. » 455 […] « Ben, au début je sentais que c’était trop de pression, ainsi : je<br />
dois faire ceci et cela… Mais maintenant, je me suis déjà habituée. Et même parfois j’ai l’impression<br />
que le temps est plus long. Lorsque je n’ai pas de devoirs scolaires, je dis : ah, quel repos ! Maintenant,<br />
je vais me coucher pour regarder la télé. Parce que parfois je ne peux pas la regarder. Mais quand je<br />
ne vais pas à l’école ou ça, je me mets à jouer ou à les aider (ses cadets). J’ai plus du temps pour moi.<br />
Vraiment, je ne sais pas, l’on dirait que (pour accomplir cette responsabilité) j’utilise le temps que je<br />
n’utilisais pas. » 456<br />
Une situation qui pourrait bien être à l’origine de la déscolarisation. Car il serait plus facile<br />
d’abandonner l’école, même temporairement, que de laisser tomber la famille face à une<br />
situation délicate qui demande d’une attention immédiate. En effet, comme nous l’avons<br />
montré plus haut, elle est même prête à renoncer à ses études pour soutenir ses cadets. Or, au<br />
fur et à mesure que ses cadets grandiront, ils seront plus autonomes et peut-être partageront<br />
avec elle les tâches ménagères, en lui laissant un peu plus de temps pour elle. Ainsi, la facilité<br />
du partage entre travail domestique familial et scolarité dépend beaucoup du cycle de vie<br />
familiale, ainsi que des multiples conditions de l'environnement familial, comme la<br />
composition du couple parental, la scolarité des parents, la position socioéconomique, etc.,<br />
comme nous l’avons montré dans les chapitres antérieurs.<br />
D’ailleurs, au-delà du travail, nous avons trouvé que certaines difficultés d’adaptation à la vie<br />
scolaire, ainsi que des défaillances familiales, peuvent entraîner les enfants à avoir de mauvais<br />
résultats à l’école, comme dans le cas de Felipe âgé de 14 ans. Depuis son entrée en primaria,<br />
il cumule des problèmes et un certain scepticisme pour le système scolaire — il a évoqué<br />
comment la possession d’un diplôme ne garantit plus l’obtention d’un bon travail. Il faut dire<br />
que pendant les premières années de primaria, c’était son frère aîné qui s’occupait de lui et de<br />
son autre frère, car ses deux parents (maçon et femme de ménage) était absents la plupart de<br />
la journée. C’est son frère aîné qui l’a toujours aidé à faire ses devoirs lorsqu’il a des doutes.<br />
Il reconnaît que son travail affecte sa performance scolaire, même s’il a eu toujours des<br />
455 « Sí, a veces cuando me duermo tarde, sí traigo las ojerotas y me siento cansada. Pero ya después de que llego<br />
a la escuela, y si me siento cansada, ya después, en eso que es la tarde ya me empiezo a sentir como que ya estoy<br />
despertando. »<br />
456 « Bueno, al principio sí sentía que era mucha presión, así de: que tengo esto, y lo otro... Pero ya ahorita ya me<br />
acostumbré. Y ya hasta veo que a veces ya me dura más el tiempo. Cuando no tengo tarea sí digo: ah, qué<br />
descanso, ahorita me voy a acostar a ver la tele. Porque a veces no la puedo ver. Pero sí cuando no voy a la<br />
escuela, o algo así, ya me pongo a jugar o a ayudarles. Ya tengo más tiempo para mí. Realmente, no sé, como<br />
que me quita el tiempo que a veces tengo, que no lo tengo utilizado. »<br />
375
problèmes de résultats et de comportement à l'école. Ainsi, à la question : « As-tu eu des<br />
difficultés à cause de ton travail ? », il a répondu :<br />
376<br />
« Pas beaucoup, mais oui. Je n’aime pas faire les devoirs, mais j’aime aller à l’école » […] « Oui, parce<br />
que je ne faisais pas mes devoirs. J’avais du temps et tout, mais, je ne sais pas, j’avais la<br />
flemme. Parfois, je les faisais à l’école. » […] « J’ai redoublé une classe deux fois, j’ai fini la ’primaria’<br />
vers 14 ans (on est censé finir à 12 ans). J’ai redoublé la première et la cinquième année. <strong>La</strong> première<br />
année, je ne me souviens pas pourquoi, mais la cinquième année parce que parfois je n’y allais pas, et<br />
voilà, par une mauvaise conduite. Je me conduisais mal, ben, toujours, mais moins. Maintenant au<br />
collège je vais mal, j’aime étudier, mais je fais plus de bêtises que d’étudier. » 457<br />
Et malgré ses problèmes scolaires, il continue ses études, d’une part, obligé par ses parents, et<br />
d’autre part, parce qu’il pense que pour « réussir dans la vie », pour « être quelqu’un », il doit<br />
au moins finir la scolarisation obligatoire. C'est pourquoi probablement il a toujours aimé<br />
travailler, et a cherché à tout prix à apprendre un métier, en se préparant peut-être à quitter<br />
l’école dès que possible. Dans ce cas, il est difficile de dire jusqu’à quel point le travail est un<br />
obstacle à sa performance scolaire, car il avait des problèmes scolaires avant de travailler.<br />
Cette situation n’est pas exceptionnelle, si l’on en croit les résultats du MTI sur les raisons de<br />
l’abandon scolaire, où 7% des enfants urbains âgés de 6 à 17 ans déscolarisés ont abandonné<br />
l’école à cause d’un redoublement de classe ou de mauvais comportement (soit près de 64 000<br />
enfants). Là, le travail devient une option à la déscolarisation, voire à la déscolarisation<br />
potentielle vécue au quotidien par les enfants qui trouvent des difficultés à s’adapter au<br />
système scolaire, sans autres alternatives de formation.<br />
Les conséquences du travail en général, mais concrètement les conséquences sur la<br />
scolarisation, dépendent du type de travail réalisé, mais surtout du temps qui lui est consacré.<br />
<strong>La</strong> dynamique de vie des enfants qui travaillent sporadiquement, sans horaire fixe, pendant les<br />
vacances, les week-ends est sûrement différente des enfants qui ont un travail à plein temps,<br />
ou même à mi-temps. C’est-à-dire que le temps consacré au travail devient un facteur<br />
fondamental pour la possibilité de combinaison des activités. C’est pourquoi nous ferons des<br />
analyses entre le niveau de déscolarisation et les résultats scolaires, selon le temps de travail<br />
et le type de travail. Néanmoins, l’information disponible ne permet pas de savoir depuis<br />
457 « No mucho, pero sí. No me gusta hacer tareas, aunque sí me gusta la escuela. » […] « Sí, porque no hacía<br />
tarea. Sí me daba tiempo y todo, pero, no sé, me daba flojera. Luego la hacía en la escuela. » […] « Reprobé dos<br />
años, terminé la primaria como a los 14. Reprobé primero y quinto. En primero no me acuerdo por qué, pero en<br />
quinto porque luego no iba, o algo así, por mala conducta. Me portaba mal, bueno todavía, pero ya menos. Ahora<br />
en la secundaria voy mal, sí me gusta estudiar, pero es que hago más despapaye que estudiar. »
quand ces enfants travaillent ou sont déscolarisés, une information forte importante pour<br />
déterminer le rôle causal du travail sur les problèmes scolaires. Nous avons juste des données<br />
du moment, qui font un portrait de la semaine de référence à l’enquête. Alors, le sens de la<br />
causalité du travail sur la scolarisation est difficile à mesurer dans ces conditions, et nous ne<br />
pouvons que nous contenter de parler en termes de « relation » entre le travail et la<br />
déscolarisation.<br />
IX.2.1. <strong>La</strong> déscolarisation : une question de temps.<br />
<strong>La</strong> déscolarisation est une question de temps dans deux sens : chronologique, soit l’âge<br />
biologique ; et de l’utilisation du temps, soit le temps consacré au travail. Mais, est-ce que ce<br />
temps a les mêmes implications pour tous les enfants, par sexe, et pour les trois types de<br />
travail : domestique familial, extradomestique familial et extradomestique non familial ?<br />
Il existe une relation directe entre travail et déscolarisation selon les âges qui est liée à un<br />
processus normal du développement des personnes, mais aussi aux contraintes imposées par<br />
les conditions macrosocioéconomiques. Au fur et à mesure que l’âge augmente, les EAJ sont<br />
de plus en plus déscolarisés, mais avec une tendance qui s’accentue à partir de l’âge de 14<br />
ans, lorsque l’école n’est plus obligatoire et le travail formel est légal. Or, selon les données<br />
du MTI, filles et garçons travailleurs ne font pas face à la déscolarisation de la même manière.<br />
Bien que la déscolarisation soit en relation directe avec l’âge, le sexe est aussi important, car,<br />
ce sont les garçons qui subissent plus cette situation que les filles. Il faut noter que parmi les<br />
travailleurs extradomestiques familiaux âgés de 6 à 11 ans, tous sont scolarisés. C’est-à-dire<br />
que la fréquentation de la primaria est accomplie. Par contre, parmi les travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux la déscolarisation s’observe très tôt, 4% des garçons et 8% de<br />
filles de 6 à 11 ans sont déscolarisés, il s’agit peut-être d’enfants jamais scolarisés. Une<br />
situation semblable se trouve chez les travailleurs domestiques familiaux, qui dès un très<br />
jeune âge peuvent souffrir l’abandon scolaire : 3% chez les garçons et 6% chez les filles de 6<br />
à 11 ans. Par ailleurs, le niveau de déscolarisation des garçons âgés de 15 à 17 ans travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux est frappant : 62%, des enfants qui ont atteint au maximum<br />
une scolarisation du premier cycle, vu leur âge. Donc ils ont fini au maximum la scolarité<br />
obligatoire, un niveau de scolarité faible qui peut avoir des conséquences lourdes sur l’avenir<br />
de ces enfants. Cette situation est moins fréquente chez les filles, mais pas négligeable (48%).<br />
377
Or, la relation entre déscolarisation et travail est difficile à établir, car, parfois le travail est<br />
une cause, mais parfois il est une conséquence de la déscolarisation. En tout cas, pour une<br />
partie importante des jeunes, à partir de 15 ans, ou même avant, la place privilégiée des études<br />
est remplacée par le travail dans leur vie quotidienne.<br />
Pour avoir une approche plus détaillée sur la relation entre la déscolarisation et le type travail<br />
par âges et par sexe, nous présentons le graphique 23. Nous observons que chez les garçons, il<br />
y a certains cas de travailleurs déscolarisés à un jeune âge, pourtant, la déscolarisation<br />
concerne surtout les 12 ans ou plus, soit à partir de la fin de la primaria. Les garçons les plus<br />
fréquemment déscolarisés sont les travailleurs extradomestiques non familiaux, qui présentent<br />
une tendance progressive à la hausse avec l’âge, ils passent de 9% chez les 12 ans jusqu’à<br />
72% chez les 17 ans, c’est-à-dire qu'à 17 ans seulement un travailleur extradomestique non<br />
familial sur quatre est scolarisé. Ensuite, ce sont les travailleurs extradomestiques familiaux<br />
qui sont touchés par la déscolarisation, mais ils le sont seulement à partir de 12 ans, sans une<br />
relation directe avec l’âge. Chez les plus âgés, de 15 à 17 ans, la proportion de déscolarisation<br />
arrive à 36% en moyenne, soit deux sur trois sont scolarisés. Enfin, les travailleurs<br />
domestiques familiaux sont les moins concernés par la déscolarisation, laquelle s’observe<br />
surtout à partir de 14 ans, même si des cas existent avant cet âge. De manière générale, il<br />
existe une tendance croissante avec l’âge. Ainsi, les 17 ans arrivent presque à 40% de<br />
déscolarisés.<br />
Chez les filles, la situation est un peu différente (Graphique 23). D’abord, les plus touchées<br />
par la déscolarisation sont aussi les travailleuses extradomestiques non familiales, mais il n’y<br />
a pas une relation nette avec l’âge, même si les niveaux de déscolarisation grimpent à partir de<br />
14 ans, pour toucher à peu près 44% en moyenne entre 14 et 17 ans. Ensuite, ce sont les<br />
travailleuses domestiques familiales les plus concernées, avec une tendance croissante avec<br />
l’âge à partir de 12 ans. Elles passent de 5% à 12 ans à 44% de déscolarisées à 17 ans. Enfin,<br />
les travailleuses extradomestiques familiales sont les moins touchées, elles ne connaissent la<br />
déscolarisation qu’à partir de 12 ans, avec un maximum à 16 ans (34%). Il faut signaler qu'à<br />
16 ans, l'on trouve la plus forte déscolarisation chez les filles, pour tous les types de<br />
travailleuses (46% en moyenne), et ensuite la déscolarisation semble diminuer. Les enfants<br />
étant censés finir l’école basique à 15 ans, il est possible qu’en finissant cette obligation<br />
scolaire, certaines filles, de gré ou de force, abandonnent l’école pour essayer d’autres<br />
options, lesquelles peuvent dans certains cas ne pas être meilleures que l’école, et alors, elles<br />
378
eprennent leurs études l’année suivante. En conclusion, le travail extradomestique non<br />
familial est celui où le partage avec la scolarisation se fait le plus rare, pour les filles et les<br />
garçons. Après, pour les autres types de travail cela dépend du sexe, et de l’âge aussi.<br />
Graphique 23. Proportion (%) des EAJ déscolarisées par sexe et âges, selon le type de travail<br />
% déscolarisation<br />
% déscolarisation<br />
80,0<br />
70,0<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
80,0<br />
70,0<br />
60,0<br />
50,0<br />
40,0<br />
30,0<br />
20,0<br />
10,0<br />
0,0<br />
Garçons<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Ages<br />
Travailleurs domestiques familiaux (>=15h) Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Filles<br />
6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17<br />
Ages<br />
Travailleurs domestiques familiaux (>=15h) Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
379
Les raisons de l’abandon scolaire peuvent aider à expliquer les différentes tendances par sexe<br />
et type de travail. En général, la déscolarisation, pour les deux sexes, a pour cause surtout des<br />
problèmes personnels : soit l’enfant n’aime pas l’école, soit il a des problèmes d’adaptation ou<br />
de performance. Mais le manque d’argent, qui est associé à un problème de type familial, est<br />
aussi parmi les raisons les plus importantes. En effet, ce sont les trois motifs les plus fréquents<br />
de l’abandon scolaire. Or, l’importance de chaque cause est variable selon le sexe d’Ego et le<br />
type de travail réalisé.<br />
<strong>La</strong> situation des travailleurs domestiques familiaux présente des particularités très marquées<br />
selon le sexe. Chez les garçons, la raison la plus importante reste le manque d’intérêt pour les<br />
études, mais la proportion (38,9%) est notablement plus faible que pour les travailleurs<br />
extradomestiques (62% chez les travailleurs familiaux et 58% chez les non familiaux).<br />
Ensuite, ce sont des mauvais résultats scolaires ou des problèmes d’adaptation au système<br />
scolaire qui motivent la déscolarisation (16,6%). Le manque d’argent pour payer l’école<br />
représente la troisième cause. D’autres motifs, qui peuvent s’avérer de type<br />
temporaire, comme une maladie ou un accident (4,1%), ainsi que la migration familiale de<br />
travail (2,8%), ont des pourcentages plus élevés que dans les autres types de travail. Chez les<br />
filles, la principale cause est aussi le manque d’intérêt pour les études (40,4%). Ensuite, c’est<br />
le manque d’argent pour payer l’école qui est assez important (23,4%). Un peu plus loin, les<br />
mauvais résultats et les problèmes d’adaptation au système scolaire sont à la base de la<br />
déscolarisation chez les filles (10,7%). Les grossesses et les unions présentent une proportion<br />
plus élevée que dans les autres groupes de travailleurs, même si elle reste faible (3,5%) ; de<br />
même que le manque des personnes du ménage pour faire les tâches domestiques et s’occuper<br />
d’autres membres (2,9%) (Tableau 36).<br />
Chez les travailleurs extradomestiques familiaux, la plupart ont abandonné l’école pour des<br />
raisons personnelles, notamment parce qu’ils n’aiment pas étudier (62,4% chez les garçons et<br />
58,4% chez les filles), les problèmes économiques familiaux perdant de l’importance<br />
(Tableau 36). Ceci suppose que ce sont plutôt les enfants qui décident de quitter l’école de<br />
leur plein gré, avec une grande liberté, et que les parents jouent un rôle assez discret, en les<br />
laissant s’investir dans le travail familial, plutôt que de continuer leurs études. Apparemment,<br />
il s’agit d’un abandon définitif. Or, étant donné que ce sont les parents qui répondent à<br />
l’enquête, il est difficile de savoir si les réponses correspondent à ce que pense l’enfant<br />
380
concerné ou seulement le parent, qui en l’occurrence est l’employeur ou le conjoint de<br />
l’employeur.<br />
Enfin, les travailleurs extradomestiques non familiaux présentent les pourcentages les plus<br />
importants d’EAJ non scolarisés. Chez les filles, la déscolarisation est moins liée à des<br />
problèmes individuels en comparaison avec les autres types de travailleurs, même si le<br />
désintérêt pour l’école reste la raison principale (35,7%) ; par contre, les problèmes de type<br />
familial, comme le manque d’argent pour payer l’école (28,7%) prennent de l’importance.<br />
Malgré la forte tendance à éloigner les filles du monde du travail extradomestique non<br />
familial, en cas d’une situation familiale (économique) délicate, elles travailleront. Chez les<br />
garçons, 70% sont déscolarisés à cause de problèmes personnels, notamment parce qu’ils<br />
n’aiment pas étudier (58,4%) ou parce qu’ils ont eu des mauvais résultats ou une mauvaise<br />
conduite (8,9%). Et 13,2% parce que leur famille n’avait pas d’argent pour payer l’école.<br />
Globalement, nous pouvons dire que la déscolarisation est souvent liée à des problèmes<br />
économiques familiaux, lesquels ne sont pas forcément associés à une situation de pauvreté<br />
(Tableau 36). Par exemple, au cas où il n’y a pas d’argent pour payer l’école, nous avons déjà<br />
signalé que l’offre scolaire après l’enseignement obligatoire est limitée, alors la suite des<br />
études demande parfois d’inscrire les EAJ en école privée, une dépense qui n’est pas toujours<br />
possible.<br />
De ces résultats, nous pouvons supposer qu’une partie importante de ces enfants ne<br />
retourneront pas à l’école. Selon les données du MTI, chez les enfants travailleurs actuels, un<br />
éventuel abandon du travail n’aurait pas forcément des effets positifs sur la scolarisation des<br />
enfants : chez ceux qui sont scolarisés, 4,5% ne pourraient pas continuer l'école ; par contre,<br />
chez ceux qui sont déscolarisés, seulement 6,5% retourneraient à l’école. Dans ce sens, Knaul<br />
(2000, cité in Mier y Terán et Rabell, 2004) a montré que même s’il existe une grande<br />
mobilité des enfants entre leurs activités, lorsque l’enfant travaille de manière exclusive le<br />
retour à l’école est peu fréquent.<br />
381
Tableau 36. Répartition (%) de la population urbaine de 6 à 17 ans qui ne fréquente pas l’école,<br />
selon les raisons de déscolarisation par type de travail, pour les deux sexes<br />
382<br />
Raisons de déscolarisation<br />
Garçons<br />
Total : non<br />
scolarisés 3<br />
Domestique<br />
familial 4<br />
Type de travail<br />
Extradomestique<br />
familial<br />
Extradomestique<br />
non familial<br />
Associées à l’offre<br />
L’école est loin 1,0 0,8 0,1 0,8<br />
Autres 1 1,8 0,7 0,4 2,5<br />
Individuelles<br />
Il (elle) a redoublé l’année ou a été<br />
expulsé(e) ou suspendu(e)<br />
13,2 16,6 16,5 8,9<br />
Il (elle) n’aime pas étudier 47,2 38,7 62,4 58,4<br />
L’école n’est pas utile pour le futur 0,1 0,4 0,0 0,2<br />
Maladie ou accident 3,1 4,1 0,9 0,7<br />
Mariage ou union 0,6 0,2 0,0 0,9<br />
Handicap physique ou mental<br />
Familiales<br />
2,8 0,4 0,7 0,4<br />
Il n’y avait pas d’argent pour payer l’école 13,2 15,8 8,1 13,2<br />
Il était nécessaire d’apporter de l’argent à la<br />
maison<br />
2,7 0,7 1,2 4,8<br />
Il n’y avait personne d'autre pour faire les 0,3 1,4 0,3 0,1<br />
tâches domestiques 2<br />
Le père ou le tuteur ne le permet pas 0,3 0,2 0,2 0,2<br />
Migration familiale de travail 1,0 2,8 0,7 0,0<br />
Autres 12,7 17,3 8,4 8,9<br />
Total %<br />
N<br />
Raisons de déscolarisation<br />
100,0<br />
(503 305)<br />
Filles<br />
Total :<br />
non<br />
scolarisés 3<br />
100,0<br />
(48 706)<br />
Domestique<br />
familial 4<br />
100,0<br />
(53 337)<br />
Type de travail<br />
Extradomestique<br />
familial<br />
100,0<br />
(220 923)<br />
Extradomestique<br />
non familial<br />
Associées à l’offre<br />
L’école est loin 1,3 1,1 0,0 0,0<br />
Autres 1 1,5 0,2 1,0 1,9<br />
Individuelles<br />
Il (elle) a redoublé l’année ou a été<br />
expulsé(e) ou suspendu(e)<br />
10,8 10,7 13,5 8,8<br />
Il (elle) n’aime pas étudier 35,1 40,4 58,4 35,7<br />
L’école n’est pas utile pour le futur 0,1 0,0 0,0 0,1<br />
Maladie ou accident 2,6 1,5 0,0 0,7<br />
Grossesse, mariage ou union 1,9 3,5 0,8 1,6<br />
Handicap physique ou mental<br />
Familiales<br />
3,5 0,8 0,3 0,1<br />
Il n’y avait pas d’argent pour payer l’école 21,5 23,4 13,2 28,7<br />
Il était nécessaire d’apporter de l’argent à la<br />
maison<br />
2,0 1,2 0,4 3,9<br />
Il n’y avait personne d'autre pour faire les 1,7 2,9 0,4 0,4<br />
tâches domestiques 2<br />
Le père ou le tuteur ne le permet pas 0,4 0,1 0,0 0,0<br />
Migration familiale de travail 1,3 0,7 0,4 0,3<br />
Autres 16,4 13,5 11,4 17,7<br />
Total %<br />
100,0 100,0<br />
100,0<br />
100,0<br />
N<br />
(382 369) (186 998) (21 792) (89 789)<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).<br />
1/ L’enfant a souffert de discrimination ou de violence dans l’école, ou l'école n'était pas un lieu sûr pour l’enfant.<br />
2/ Inclus les tâches ménagères et la garde d’autres personnes du ménage (malades, enfants, personnes âgées).<br />
3/ Tous les filles déscolarisées, y comprit celles qui ne travaillent pas.<br />
4/ Les travailleurs qui consacrent 15 heures ou plus par semaine au travail.
Par ailleurs, nous allons observer la déscolarisation selon le temps consacré aux différents<br />
types de travail par sexe. Il faut seulement signaler, pour avoir un repère, que parmi<br />
l’ensemble d’EAJ (travailleurs et non travailleurs), la déscolarisation atteint 7% (8% chez les<br />
garçons et 6% chez les filles), un pourcentage qui s’éloigne de celui qui s’observe chez les<br />
travailleurs à mesure que le temps de travail augmente (Graphique 24). Ainsi, sans aucun<br />
doute, la déscolarisation a une relation directe avec le temps de travail, même si le sens de la<br />
causalité ne peut pas être déterminé : dans quels cas est-ce le travail qui est à l’origine de la<br />
déscolarisation et dans quels cas est-ce la déscolarisation qui est à l’origine de la mise au<br />
travail ? Nos données ne nous permettent pas de répondre à une telle question, mais avec<br />
certitude, nous savons que les deux sens se présentent. Or, des différences existent selon le<br />
type de travail et le sexe d’Ego.<br />
Chez les garçons, la déscolarisation des travailleurs extradomestiques non familiaux est en<br />
général la plus élevée, pour tous les temps de travail (Graphique 24). Elle arrive à 85% chez<br />
ceux qui travaillent 40 heures hebdomadaires et plus, soit à plein temps. Ensuite, c’est le<br />
travail extradomestique familial qui atteint 77% chez les travailleurs à plein temps ; puis ce<br />
sont les travailleurs domestiques familiaux, dont la déscolarisation arrive à 20% entre 15 et 39<br />
heures hebdomadaires. Pour les garçons qui travaillent plus de 39 heures, peu nombreux, les<br />
résultats ne sont pas représentatifs, et donc ignorés sur le graphique. Or, il faut dire que parmi<br />
les travailleurs qui ont les semaines de travail les plus courtes (de 8 à 14 heures),<br />
indépendamment du type de travail, le niveau de déscolarisation n’est guère différent de celui<br />
de l’ensemble de garçons, lequel atteint 8% (qui concerne les enfants travailleurs et non<br />
travailleurs) ; et même les travailleurs extradomestiques familiaux présentent une<br />
déscolarisation assez faible (1%). Ainsi, il existe une tendance croissante de déscolarisation<br />
associée au temps de travail, sauf pour le travail domestique familial qui reste presque au<br />
même niveau à partir de 15 heures.<br />
D’ailleurs, chez les filles, la relation entre temps de travail et niveau de déscolarisation est<br />
plus nette pour les trois types de travail, avec une tendance progressive à la hausse ; mais les<br />
pourcentages sont en général moins élevés que chez les garçons. L’abandon scolaire le plus<br />
important est observé chez les travailleuses à plein temps : 77% parmi les extradomestiques<br />
non familiaux, 62% parmi les travailleurs domestiques familiaux ; et 49% parmi les<br />
travailleurs extradomestiques familiaux. Par contre, les travailleuses des trois groupes qui ont<br />
la semaine de travail la plus courte ont une déscolarisation assez proche, qui ne dépasse pas<br />
383
7%, où les travailleuses domestiques familiales l’emportent (Graphique 24), en présentant des<br />
niveaux de déscolarisation toujours supérieurs à ceux des travailleuses extradomestiques<br />
familiales. Sauf pour celles qui travaillent à plein temps, les travailleuses domestiques<br />
familiales présentent aussi une déscolarisation plus importante que les travailleuses<br />
extradomestiques non familiales, une situation presque inverse à celle des garçons.<br />
Graphique 24. Proportion (%) des EAJ déscolarisés par sexe, selon le type et le temps de travail<br />
384<br />
% déscolarisation<br />
% déscolarisation<br />
90<br />
80<br />
70<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
90<br />
80<br />
70<br />
60<br />
50<br />
40<br />
30<br />
20<br />
10<br />
0<br />
Garçons<br />
De 8 à 14h De 15 à 19h De 20 à 39h 40h et plus<br />
Temps du travail hebdomadaire<br />
Travailleurs domestiques familiaux<br />
Travailleurs extradomestiques familiaux<br />
Travailleurs extradomestiques non familiaux<br />
Filles<br />
De 8 à 14h De 15 à 19h De 20 à 39h 40h et plus<br />
Temps du travail hebdomadaire<br />
Travailleuses domestiques familiales<br />
Travailleuses extradomestiques familiales<br />
Travailleuses extradomestiques non familiales<br />
Source : MTI-ENOE, 2007 (élaboration propre).
A l’évidence, la déscolarisation est en relation directe avec le type de travail et avec le sexe de<br />
l’enfant, en plus du temps consacré au travail. Car, pour une même période de travail, la<br />
déscolarisation n’est pas semblable pour les filles et pour les garçons, et moins encore selon le<br />
type de travail. Ainsi, un travail sporadique, en termes du temps consacré par semaine, est<br />
compatible avec la scolarisation. Or, c’est le travail extradomestique familial qui semble avoir<br />
les meilleures qualités pour permettre la combinaison. Car, comme le confirment les<br />
expériences sur le terrain, il s’agit d’un travail souvent très flexible, qui demande peu<br />
d’engagement de la part des enfants. Par exemple, lorsque le lieu de travail est comme une<br />
extension de la vie familiale, où, entre autres, l’on peut travailler et réaliser d’autres activités<br />
parallèlement, comme raconte Felipe, âgé de 14 ans, à propos de son expérience lorsqu’il<br />
travaillait pour sa mère dans une petite « épicerie » placée dans un coin du salon, chez eux. Il<br />
a travaillé dans cette affaire de 9 à 13 ans d’âge :<br />
« Je faisais là mes devoirs (en s’occupant de l’épicerie). Nous vendions, mais il n’y avait pas beaucoup<br />
de gens (clients), de temps en temps venaient les gens. » 458<br />
Or, ce type de travail se fait souvent aussi comme une forme de jeu ou de distraction, à<br />
l’initiative de l’enfant lui-même, qui peut sans problème accomplir son rôle principal d’élève.<br />
Alors que l’accomplissement du travail domestique familial relève d’un engagement moral<br />
qui touche directement le bien-être familial et qui demande la réalisation de tâches bien<br />
précises, nécessaires, et parfois impossibles à reporter. L’enfant y est plus occupé par son<br />
travail, le temps pour les devoirs scolaires étant plus limité, peut-être secondaire. De même, le<br />
travail extradomestique non familial peut être moins flexible, car il s’agit d’une tierce<br />
personne étrangère au ménage, même si l’engagement est informel. En effet, d’une certaine<br />
manière, l’employeur compte sur le travail de l’enfant, et peut l’interrompre à tout moment<br />
s’il n’est plus satisfait, ce qui serait vécu comme un échec pour l’enfant qui a besoin ou envie<br />
de travailler, qui essayera de faire de son mieux pour garder son travail.<br />
Ainsi, face à certaines conditions particulières, le partage entre scolarité et travail se fait<br />
moins aisément. Et bien entendu, plus l’enfant travaille, moins il a du temps pour étudier, et<br />
s’il n’étudie pas, il a tout le temps pour se consacrer au travail. De manière que les enfants qui<br />
458 « Hacía ahí la tarea. Sí vendíamos y todo, pero no había mucha gente, de repente venía la gente. »<br />
385
travaillent à plein temps sont pour la plupart déscolarisés, de gré ou de force. Ceux qui ont<br />
quitté l’école définitivement chercheront une place plutôt comme travailleurs<br />
extradomestiques non familiaux, en quête de conditions d’emploi plus avantageuses et<br />
propices au commencement d’une « carrière professionnelle ». Cependant, cette tendance<br />
touche moins les filles, qui restent encore confinées plutôt à la sphère familiale, notamment<br />
dans le domaine domestique.<br />
Conclusions<br />
Le travail des enfants continue en partie parce que dans les faits, cette pratique ne semble pas<br />
toujours nuire à la vie des enfants. Certains enfants travailleurs peuvent vivre cette expérience<br />
plutôt de manière positive, sans négliger que ceux qui sont obligés de travailler, pour des<br />
raisons d’urgence ou ceux qui sont exploités, doivent avoir un tout autre regard à ce propos.<br />
Mais en général, le travail des enfants a des aspects positifs et négatifs. Et ce sont justement<br />
ces aspects qui nous avons voulu approcher en analysant les conséquences.<br />
Grâce à la disponibilité des données qualitatives, nous avons pu aborder le point sur les<br />
conséquences du travail domestique familial (un sujet impossible à traiter avec les<br />
informations du MTI), ce qui représente un progrès dans la connaissance de ce monde. De<br />
plus, les données qualitatives ont permis d’élargir nos analyses basées sur les données<br />
quantitatives dans le cas des enfants travailleurs extradomestiques. Ce qui confirme la valeur<br />
d’une démarche basée sur ces deux approches complémentaires.<br />
Avec les restrictions que méritent nos résultats à propos des conséquences du travail<br />
domestique familial, étant donné qu’ils proviennent d’un seul cas d’étude, tout d’abord, nous<br />
avons trouvé que les conséquences de ce type de travail peuvent peser lourd sur le bien-être<br />
général de l’enfant, lorsqu’il assume complètement la responsabilité du travail domestique<br />
familial. Et pis encore, si l’enfant continue ses études. Dans la pratique, les enfants se trouvent<br />
alors face à une double journée de travail, en considérant la scolarisation comme une forme de<br />
travail, vu la charge physique et émotionnelle demandée. Le travail domestique familial est<br />
une activité fatigante et peu valorisée, supportée par nécessité, et vécue plutôt d'une manière<br />
positive et avec abnégation, grâce aux sentiments de solidarité familiale et de fierté qui en<br />
découlent. Or, nous n’avons pas d’information sur le vécu des enfants travailleurs<br />
386
domestiques familiaux qui sont déscolarisés, ni de ceux qui partagent une telle charge avec<br />
d’autres enfants de la fratrie, par exemple.<br />
Par rapport au travail extradomestique, nous avons trouvé qu’il existe de multiples préjugés,<br />
certains étant exacts, d’autres plutôt des mythes. Les résultats quantitatifs, appuyés par les<br />
expériences des enfants interviewés, montrent que la plupart des enfants travailleurs ne sont<br />
pas exposés à des conditions qui mettent en risque leur développement. Certes, des cas où les<br />
enfants subissent des problèmes à cause du travail existent, mais ils restent rares par rapport à<br />
la masse de travailleurs. Les plaintes les plus courantes étant les maux aux dos et les douleurs<br />
musculaires. Or, des différences s’observent entre travailleurs extradomestiques familiaux et<br />
non familiaux, les premiers présentant moins de problèmes que les deuxièmes. D’ailleurs, des<br />
différences s’observent aussi selon le sexe et l’âge, les garçons et les plus âgés étant<br />
davantage touchés par les problèmes de santé à cause du travail.<br />
Par ailleurs, en général, un éventuel abandon du travail n’aurait pas de conséquences<br />
importantes sur la vie des enfants ou celle de la famille. Évidemment, l'abandon du travail<br />
pourrait bénéficier à certains, qui pourraient aller à l’école par exemple, mais les cas restent<br />
rares. Une partie non négligeable serait plutôt affectée négativement, soit personnellement :<br />
déscolarisation, impossibilité d’accomplir des souhaits personnels (voyager, sortir, acheter des<br />
articles superflus, mais chers à eux), ou même une perte de leur indépendance ; soit en termes<br />
d’un préjudice pour l’économie familiale.<br />
Au sujet du lien entre travail et déscolarisation, nous trouvons qu’il existe une relation qui est<br />
forte, mais qui ne peut pas être interprétée systématiquement en termes de causalité, étant<br />
donné la nature de nos données. <strong>La</strong> relation prend de l'importance avec le temps de travail.<br />
Ainsi, parmi les enfants travailleurs la déscolarisation est plus importante que chez les non<br />
travailleurs, et à mesure que les enfants consacrent plus de temps au travail la déscolarisation<br />
augmente nettement. Or, parfois la déscolarisation est la cause du travail, par exemple,<br />
lorsque les enfants ne trouvent pas de place dans l’école à leur convenance, ou lorsqu’ils ont<br />
des problèmes d’apprentissage ou de discipline et sont donc obligés de sortir du système<br />
éducatif. Mais parfois la déscolarisation est la conséquence de l’investissement dans un<br />
travail. Il s’agit d’une relation assez complexe, où même la scolarité peut être continuée grâce<br />
aux gains obtenus par la réalisation d’un travail à temps partiel. Une chose est claire, dans les<br />
387
conditions du système scolaire mexicain, la scolarisation et le travail ne sont pas forcément<br />
opposés.<br />
D’ailleurs, à la lumière de nos résultats, le temps investi dans le travail n’est pas l’unique<br />
facteur lié à la déscolarisation, il est important aussi de considérer le type de travail réalisé, et<br />
qui le réalise : une fille ou un garçon, ainsi qu’un enfant, un adolescent ou un jeune. Les<br />
conséquences du travail semblent particulières à chaque condition, ce qui confirme la<br />
nécessité de traiter les enfants travailleurs comme un groupe hétérogène, qui doit se<br />
différencier selon les activités réalisées, mais aussi selon les caractéristiques des enfants eux-<br />
mêmes, vu l’inégalité de genre et de génération qui domine le monde des enfants travailleurs.<br />
388
CONCLUSION GÉNÉRALE<br />
De nos jours, dans les grandes villes du Mexique, la plupart des enfants sont avant tout des<br />
écoliers, comme prévu par l’idée moderne de l’enfance, qui domine la scène internationale et<br />
nationale. Néanmoins, pour une partie non négligeable d’enfants âgés de 6 à 17 ans, le travail,<br />
domestique ou extradomestique, a trouvé une place dans leur vie quotidienne. En effet, dès un<br />
jeune âge, certains enfants réalisent des activités diverses afin d’accomplir des « projets »<br />
familiaux ou personnels, par choix ou par contrainte.<br />
Au-delà des chiffres toujours incertains dans ce domaine, nous avons constaté la complexité<br />
et l’hétérogénéité qui dominent le monde des enfants travailleurs. Ces constats semblent<br />
actuellement banaux, mais souvent oubliés au moment d’étudier et de traiter cette population.<br />
L’un des apports de notre recherche s’est justement inscrit dans l’effort de respecter cette<br />
diversité, sans pour autant prétendre être exhaustifs, en réalisant des analyses distinctes selon<br />
le type d’activité (extradomestique ou domestique) et le lien de parenté de l’enfant travailleur<br />
avec son employeur (familial ou non).<br />
Même si le type d’activité est un classement plutôt ordinaire, nous avons proposé des critères<br />
particuliers pour l’élaboration de nos catégories, afin de mieux traiter notre population<br />
d’étude. Ce classement a montré sa pertinence, quant à la reconnaissance d’une partie des<br />
EAJ travailleurs souvent négligés, comme ceux qui s’occupent des tâches ménagères et<br />
d’autres personnes de la famille, notamment lorsque le temps de travail est inférieur à 15<br />
heures hebdomadaires ; ou ceux qui réalisent des activités extradomestiques dites marginales,<br />
qui sont exclus des indicateurs proposés par l’INEGI. Ce sont des EAJ qui dans les faits<br />
investissent fréquemment du temps, de l’énergie et parfois de l’argent dans la réalisation de<br />
leur travail, et qui grâce à leur participation rendent une aide, plus ou moins importante, à leur<br />
famille, directement ou indirectement, en épargnant aux parents certaines tâches ménagères<br />
indispensables au bon fonctionnement de la famille, ou l’embauche d’un salarié, ou encore,<br />
certaines dépenses pour les enfants (habillement, loisirs...).<br />
Quant au deuxième classement qui concerne le lien de parenté, il représente une approche tout<br />
à fait originale, surgie à partir de résultats, de réflexions, d’expériences et d’hypothèses,<br />
rassemblés en plusieurs études réalisées dans des contextes différents, un peu partout dans le<br />
389
monde. Ces études tentent, d’une part, de revendiquer l’importance de la participation des<br />
enfants à l’intérieur du noyau familial, souvent non reconnue comme une forme de travail,<br />
parce que noyée dans la multitude des activités familiales ; et, d’autre part, elles questionnent<br />
la bienveillance naturelle de la famille, à travers l’exemple des différentes formes d’abus sur<br />
les enfants dans le sein familial lui-même. Notre intérêt étant surtout de connaître l’effet du<br />
lien de parenté entre l’employeur et l’enfant sur la participation des enfants au travail, nous<br />
avons prouvé qu’en fait, il s’agit de deux mondes différents, dans la pratique et dans les<br />
représentations sociales. Bien que le milieu familial offre une majeure sécurité aux enfants, il<br />
n’exclut pas les abus envers eux. Mais, à ce propos, ce n’est apparemment pas une mauvaise<br />
volonté de la part des parents qui est à l’origine de ces excès au sein du ménage, parce qu’ils<br />
se trouvent parfois piégés par des événements indésirables et imprévisibles, dont la<br />
complexité restreint les solutions.<br />
Tout d’abord, nous avons prouvé que la composition et l'étendue de chacun des trois types de<br />
travail analysés sont distinctes. Ensuite, que les causes, les conditions et les processus<br />
d’entrée dans le monde du travail, ses conséquences, et même la perception sur les activités<br />
que les enfants réalisent ont tous des spécificités, selon le type de travail et le lien de parenté<br />
avec l’employeur. D'où la nécessité de traiter les enfants travailleurs d’une manière<br />
différentielle et contextuelle.<br />
D’ailleurs, notre choix d’utiliser la combinaison d’une approche qualitative et d’une autre<br />
quantitative s’est avéré très pertinent pour avoir un regard global sur le travail des enfants, car<br />
les limites de chaque approche se sont affaiblies au contact de l’autre. D’une part, l’existence<br />
d’une source de données spéciale, intéressante et solide a rendu possible l’analyse des divers<br />
aspects du travail des enfants : raisons, conditions de travail, conséquences. Et la possibilité<br />
de lier ces données à d’autres contenant l’information sur les autres membres du ménage,<br />
notamment les parents d’Ego, a permis aussi la réalisation des analyses relationnelles entre<br />
deux niveaux essentiels pour l’étude de notre sujet : individuel et familial. D’autre part, même<br />
si nos analyses qualitatives restent ponctuelles, l’information sur le vécu et la vision des<br />
enfants a été inestimable pour avoir des idées à propos du processus de mise au travail<br />
précoce et du processus de sa continuation, et d’autres aspects qui sont impossibles à déceler à<br />
partir seulement de données statistiques ; des aspects rarement abordés dans les études sur le<br />
sujet. Faire des enfants l’une des sources d’information pour notre étude a alors été<br />
fondamental, enrichissant et révélateur. Or, cela n’empêche pas de reconnaître les limites de<br />
390
notre travail de terrain, et donc la nécessité de continuer dans ce sens, en élargissant l’analyse<br />
à d’autres contextes peu touchés, comme celui des classes moyennes, où les enfants<br />
travailleurs ne manquent pas, et celui du milieu rural, où le travail des enfants est encore plus<br />
fréquent que dans les villes et revêt d’autres conditions. De même qu’il faut encore suivre<br />
l’approfondissement de cas concrets, à travers un plus grand nombre d’entretiens, comme<br />
pour les travailleurs domestiques familiaux, qui manquent d’information. Par ailleurs, il faut<br />
réussir à recueillir l’information au cours des enquêtes officielles à travers les enfants eux-<br />
mêmes, pour tenter de minimiser les réponses faussées et les biais qui résultent du fait<br />
d'interviewer les adultes (les parents) sur les activités des enfants.<br />
A la lumière de nos résultats, les enfants travailleurs sont loin de se conformer à l’image tant<br />
diffusée de « victimes pauvres » ou de « pauvres victimes », même si ces cas existent bel et<br />
bien. Dans ce sens, il est important de souligner ce que nous avons observé : le travail<br />
accompli des fonctions diverses dans la vie des EAJ urbains. L'entrée précoce au travail et sa<br />
continuation sont favorisées par des raisons de tous genres : économiques, formatives, de<br />
socialisation, de transmission, de solidarité, d'organisation familiale, et même ludiques. Or,<br />
les EAJ ne sont pas toujours obligés de travailler ; le travail est parfois aussi le résultat d’une<br />
décision qui peut survenir à l’initiative de l’enfant, par lui-même, ou bien par l’intermédiaire<br />
de quelqu’un d’autre qui lui aura donné l’exemple, ou son conseil. C’est pourquoi nous<br />
soutenons que le travail des EAJ urbains s’inscrit comme une pratique entre contrainte et<br />
choix.<br />
Comme les causes qui poussent les enfants au travail sont assez diverses, leurs conditions de<br />
travail le sont encore : à plein temps ou de temps en temps, sans ou avec un horaire fixe, avec<br />
rémunération ou non... Pour certains, les conditions de travail peuvent représenter un vrai<br />
problème pour leur santé physique et mentale, pour d’autres, elles ne semblent pas être un<br />
frein à leur bon développement. Les conséquences du travail des enfants sont donc aussi<br />
variées, dépendant des conditions dans lesquelles les enfants œuvrent, du type de travail qu'ils<br />
réalisent, du lien de parenté avec l’employeur, ainsi que des raisons qui en sont à l’origine.<br />
Dans une dimension moins pratique, grâce aux récits des enfants travailleurs que nous avons<br />
eus l’occasion d’interviewer, nous avons confirmé que le travail est source de différents<br />
sentiments chez les enfants concernés, qui vont de la soumission et l’abnégation à<br />
l’autonomie et l’indépendance. Certes, tous n’ont pas une expérience négative de leur travail,<br />
391
mais le travail n’est pas toujours un bonheur. En général, ils se sentent fiers, parce que, de gré<br />
ou de force, ils contribuent de manière dynamique à l’accomplissement d’objectifs personnels<br />
ou familiaux, plus ou moins importants. Cependant, il s’agit d’un orgueil parfois nourri par<br />
l’infortune, sorte d’attitude positive qui aide les enfants concernés à mieux vivre leur<br />
quotidien. Ce qui est tout à fait admirable à leur jeune âge, parce qu’avec un grand sens de<br />
dignité, ils préfèrent être traités comme des acteurs, des protagonistes, plutôt que comme des<br />
victimes, notamment lorsqu’ils se trouvent dans une situation difficilement réversible.<br />
Or, nous avons confirmé avec nos deux approches que certaines conditions structurelles,<br />
familiales et personnelles peuvent être propices au travail des enfants. En effet, il s’agit d’une<br />
pratique qui se développe grâce à un ensemble de conditions à trois niveaux. Ainsi, au niveau<br />
macrosocioéconomique, nous pouvons parler de divers aspects. En termes juridiques, bien<br />
que le cadre légal national en matière de travail dispose de restrictions sur l’emploi des<br />
enfants, en suivant les consignes internationales de lutte contre le travail des enfants, ces<br />
restrictions sont plutôt ambiguës et d’application limitée, en permettant, dans les faits, la<br />
participation des enfants à certaines activités. Ainsi, l’on trouve par exemple une importante<br />
participation (économique ou non économique) des enfants dans le domaine familial, un<br />
domaine privé qui est exclu du cadre légal. Un autre espace où les enfants trouvent souvent<br />
une place est celui du secteur informel, qui est très développé en milieu urbain, et qui<br />
fonctionne déjà en dehors de la loi. Enfin, il faut reconnaître que l’existence de lois ne garantit<br />
pas leur respect, et certains enfants travaillent illégalement, malgré les interdits, avec la<br />
complicité, explicite ou implicite, de tous les acteurs : enfants, parents, employeurs, collègues,<br />
gouvernement, inspecteurs, clients.<br />
Cependant, les tendances du travail des enfants selon l’âge laissent voir que les contraintes<br />
légales servent effectivement d’obstacle au travail extradomestique des enfants, notamment en<br />
dehors du milieu familial. Car c’est justement à partir de 14 ans, l’âge légal pour travailler,<br />
que les enfants s’intègrent plus massivement au monde du travail. Dans ce sens, le système<br />
éducatif joue aussi un rôle fondamental. Même si nous ne pouvons pas parler d’une<br />
opposition systématique entre scolarité et travail, il est vrai que l’instruction gratuite et<br />
obligatoire jusqu’à 14 ans sert de frein à la mise au travail avant cet âge-là. Mais, cela<br />
n’empêche pas son existence, car le temps périscolaire est suffisamment long pour que les<br />
enfants partagent, plus ou moins aisément, l’école avec d’autres activités, dont le travail. A<br />
partir du moment où l’école perd son statut d’obligation et de gratuité, de multiples raisons<br />
392
contribuent à la forte déscolarisation des enfants. D’une part, une offre scolaire publique<br />
restreinte en termes qualitatifs et quantitatifs ; d’autre part, le désintérêt personnel ou familial<br />
pour la poursuite des études, ainsi que des contraintes personnelles ou familiales de divers<br />
genres. De manière qu’à 14 ans, le travail devient une « option » légitime et légale (sous<br />
certaines conditions) pour les enfants, qui à cet âge-là, semblent avoir une grande marge de<br />
décision en ce qui concerne leur vie. En l’occurrence, nous avons trouvé une importante<br />
déscolarisation des EAJ qui abandonnent l’école, même pendant la période obligatoire, par<br />
manque d’intérêt personnel ou à cause de mauvais résultats, une situation qui demanderait un<br />
approfondissement, d’une part, de la qualité et de la pertinence du système éducatif au<br />
Mexique, car l’école n’arrive pas toujours à convaincre la population de sa valeur, et manque<br />
souvent à son rôle de moyen d’intégration sociale. D’autre part, un examen du rôle des<br />
parents, qui apparemment ont parfois du mal à persuader leurs enfants de l’importance d’une<br />
formation professionnelle. Ces deux aspects sont étroitement liés et semblent plongés dans un<br />
cercle vicieux.<br />
Néanmoins, les systèmes éducatif et juridique, qui représentent deux moyens pour repousser<br />
le moment d’entrée des enfants au travail formel ou exclusif, ne suffisent pas pour maîtriser<br />
un phénomène qui est multidimensionnel. Malgré les efforts dans ces deux domaines, les<br />
conditions actuelles du marché du travail permettent la participation des enfants, légalement<br />
ou illégalement. Par exemple, les Conventions internationales de lutte contre le travail des<br />
enfants, 459 ainsi que la plupart des programmes internationaux et nationaux de lutte contre la<br />
pauvreté (lesquels visent indirectement l’éradication du travail des enfants par la<br />
scolarisation), manquent d’une vision objective sur le sujet. En restant dans l’ombre<br />
d’opinions ou de théories obsolètes, qui supposaient, d’une part, l’opposition entre<br />
scolarisation et travail, avec le travail pour cause de la déscolarisation, et d’autre part la<br />
pauvreté comme cause univoque du travail, 460 ils se sont avérés inefficaces à lutter contre le<br />
travail des enfants.<br />
459<br />
Par exemple la Convention 138 sur l’âge minimum du travail, et la Convention 182 sur les pires formes de<br />
travail des enfants de l’OIT.<br />
460<br />
Comme les Programmes gouvernementaux : PROGRESA et OPORTUNIDADES au Mexique, dont les<br />
objectifs ont été de soutenir les familles pauvres, à travers des allocations spécifiques, pour garantir la scolarité<br />
des enfants et ainsi éviter l’abandon scolaire et le travail des enfants. Ou le Programme Millénaire pour le<br />
Développement de l’ONU, prétendant élargir l’offre scolaire publique dans les pays en développement, au moins<br />
au niveau du primaire, afin de garantir une place en école à tout enfant.<br />
393
Depuis quelques années, l’on sait que la réussite de la scolarisation basique universelle, 461<br />
bien qu’un objectif inestimable, n’est pas en contradiction systématique avec la persistance du<br />
travail des enfants, de même que la pauvreté n’est pas l’unique motivation pour la mise au<br />
travail précoce. C’est pourquoi, peu à peu, les nouvelles préoccupations se concentrent sur<br />
certains groupes d’enfants travailleurs que l’on croit en danger, exclus de leurs droits les plus<br />
essentiels, selon les préceptes de la CIDE 1989, laissant le reste des travailleurs, pourtant les<br />
plus nombreux, un peu à l’écart. Au Mexique, les enfants des rues continuent d’être la<br />
principale cible, et actuellement, ce sont les enfants travailleurs journaliers agricoles, les<br />
enfants piégés dans les réseaux des narcotrafiquants et de prostitution, qui font l’objet<br />
d’attention spéciale. Cependant, il faut reconnaître que malgré une position officielle,<br />
politique et sociale, qui condamne le travail des enfants et qui a mis en marche divers<br />
instruments de lutte contre le travail des enfants, dans la pratique, la société mexicaine tolère<br />
grosso modo cette activité sous certaines conditions, qui supposent le respect du « bon »<br />
développement de l’enfant. Le rejet se concentre sur les enfants qui travaillent dans des<br />
conditions d’exploitation ou périlleuses, plus que sur le travail en lui-même. L’idée selon<br />
laquelle le travail ennoblit est encore présente, et sert souvent de justification à la participation<br />
active des enfants. Cet environnement artificiel et confus, où la tolérance et le refus se<br />
côtoient, a contribué à l’état actuel de la situation, où les enfants trouvent « facilement » une<br />
place pour travailler, mais dans une position défavorable. Ils sont censés être protégés en tant<br />
qu’enfants, mais ne le sont pas toujours en tant que travailleurs, comme signale Liebel (2003).<br />
Or, les enfants travailleurs extradomestiques non familiaux, au même titre que les adultes,<br />
souffrent en général de la précarité et de la flexibilité du marché du travail national. Lorsque<br />
l’on y rentre dans des conditions désavantageuses, sans qualifications et sans expérience, les<br />
conditions de travail sont assez mauvaises. Mais évidemment, leur qualité de « mineurs », et<br />
en situation parfois illégale les place davantage en position de faiblesse, où ils peuvent être<br />
plus facilement l’objet de multiples abus. Nonobstant, ils se plaignent rarement, en se<br />
contentant d’une rémunération quelconque (s’il y en a), ou d’une distraction, d’une formation,<br />
d’une activité qui peut leur offrir un peu d’« empowerment » au sein de la famille ou de la<br />
communauté. Il semble qu’ils se rendent compte qu’ils ont intégré un milieu censé être celui<br />
des adultes, et donc, en tant qu’intrus, ils y restent plutôt discrets et soumis. En effet, ils ont le<br />
461 Il faut dire que la qualité de l’éducation n’est guère mise dans la cible, les objectifs se concentrant sur le<br />
nombre d’inscriptions.<br />
394
sentiment premier que le travail ennoblit, à n’importe quel âge, mais ce sont la position et le<br />
discours officiels qui les condamnent et qui les dénigrent. Dans certains groupes assez étendus<br />
de la population, on a toujours eu l’habitude de voir ou d’exercer cette pratique<br />
quotidiennement, et l'on grandit familiarisé avec elle. Alors, le travail des enfants n’est plus<br />
l’objet de scandale ou de refus, voire d’attention spéciale, sauf si des injustices ou des dangers<br />
sont observés, et notamment si le travail est la cause de la déscolarisation.<br />
Quant au niveau familial, à travers les analyses bivariées et multivariées, nous avons<br />
corroboré que le travail des enfants persiste par la combinaison de diverses conditions<br />
relatives à l’environnement familial. <strong>La</strong> vie et les activités des enfants sont liées aux<br />
conditions sociales, économiques, culturelles et démographiques du ménage. Et certaines<br />
situations familiales peuvent favoriser le travail des enfants. Or, il faut souligner que notre<br />
initiative d’aborder l’environnement familial à travers les caractéristiques du couple parental,<br />
ensemble et de manière individuelle (chef de ménage et conjoint du chef/père et mère), s’est<br />
avérée très positive. Dans les études sur le sujet, l’on trouve d’habitude une approche de la<br />
famille à partir seulement des caractéristiques du chef de ménage, négligeant le rôle du<br />
conjoint. Nous avons eu l’occasion de montrer qu’en général, il existe un effet différentiel de<br />
chacun des parents sur le façonnement de l’environnement familial, et sur la vie des enfants,<br />
même si nous avons aussi trouvé qu’effectivement, tout ce qui concerne le chef influe plus sur<br />
la famille que ce qui concerne le conjoint, une conséquence directe du rôle secondaire des<br />
femmes (qui représentent la plupart des conjoints) dans le ménage et dans la société. A la<br />
lumière de nos analyses, l’influence des diverses caractéristiques familiales dépend du type de<br />
travail, et nous allons rappeler brièvement les résultats les plus notables.<br />
Bien que la réalisation de tâches domestiques au sein du ménage fasse partie de la vie<br />
quotidienne de la plupart des EAJ, comme une forme de coopération familiale, voire comme<br />
une obligation infantile, ou simplement comme une activité formative, pour certains cette<br />
activité devient une vraie forme de travail, voire d’exploitation. Cette activité est réalisée au<br />
sein du ménage, au bénéfice de la famille, et sans rémunération versée aux enfants concernés,<br />
soit les enfants travailleurs domestiques familiaux. Ces enfants sont contraints de travailler<br />
souvent à cause d’un problème familial qui demande, explicitement ou implicitement, leur<br />
participation ; en l’occurrence, nous avons trouvé des situations comme l’abandon de l’un des<br />
parents, des problèmes économiques, le travail intensif des deux parents, et des attitudes<br />
irresponsables des parents envers leurs enfants. Mais, d’autres causes peuvent être à l’origine<br />
395
d’un tel investissement de la part des EAJ, car le travail précoce dépend d’une série de<br />
facteurs simultanés, et non d’un seul événement, bien qu’une situation spéciale puisse être le<br />
déclencheur.<br />
A ce propos, nous avons prouvé l’effet de certaines conditions familiales qui peuvent<br />
favoriser la participation des EAJ comme travailleurs domestiques familiaux, dont la plus<br />
importante est la présence de nombreux jeunes enfants (de moins de 6 ans). Dans certaines<br />
familles, la garde de ceux-ci devient un investissement de tous les membres, surtout à la<br />
charge des EAJ. D’ailleurs, la composition du couple parental et le nombre de femmes adultes<br />
dans le ménage sont aussi deux facteurs de risque pour ce type de travail. En l’occurrence,<br />
nous trouvons que les EAJ remplacent souvent l’absence temporaire (travail) ou permanente<br />
(séparation) des femmes adultes dans la famille, tandis que les pères restent dans leur rôle<br />
principal de pourvoyeurs, à la marge de toute responsabilité du travail domestique. Tandis que<br />
si la mère est seule en charge de la famille, elle et les EAJ (notamment les filles) partagent le<br />
travail domestique, et rentrent tous dans une logique de double journée de travail : les mères<br />
comme femmes au foyer (travailleuses domestiques familiales) et travailleuses<br />
extradomestiques, et les EAJ comme élèves et travailleurs domestiques familiaux, car la<br />
plupart des EAJ continuent leurs études. Or, la responsabilité du travail domestique incombe<br />
principalement à l’aîné parmi les EAJ de la fratrie, et de préférence aux filles. Mais,<br />
l’investissement des EAJ comme travailleurs domestiques familiaux dépend aussi de la<br />
position socioéconomique du ménage. Evidemment, les ménages les plus favorisés se<br />
serviront moins du travail des enfants, en ayant la possibilité d’employer une tierce personne<br />
pour un tel besoin. Mais dans le cas des filles, car les garçons sont en général épargnés par ce<br />
problème, peu importe la situation socioéconomique du ménage, de sorte que la précarité<br />
familiale touche différemment filles et garçons.<br />
Quant aux travailleurs extradomestiques, des différences sont avérées selon le lien de parenté,<br />
mais une seule et unique condition reste essentielle à la participation des EAJ dans les deux<br />
cas : la composition du couple parental. En effet, la monoparentalité est la condition qui<br />
favorise le plus le travail extradomestique des enfants, filles et garçons. L’absence de l’un des<br />
parents peut précipiter donc la mise au travail des EAJ. Il faut souligner maintenant les<br />
principales différences selon le lien de parenté. Parmi les travailleurs extradomestiques non<br />
familiaux, on observe que le niveau de scolarité du conjoint du chef de ménage (très<br />
probablement la mère d’Ego) est de grande importance, tandis que son activité est sans<br />
396
intérêt. Des aspects comme le rang qu’occupe Ego parmi sa fratrie âgée de moins de 18 ans et<br />
la position socioéconomique familiale (approchée à travers l’activité du chef de ménage) ont<br />
également un effet, mais il est plutôt discret. Par contre, dans le cas des travailleurs<br />
extradomestiques familiaux, la position socioéconomique familiale est fondamentale, ainsi<br />
que la condition d’activité du conjoint du chef de ménage ; tandis que la scolarité du conjoint<br />
et le rang d’Ego restent secondaires. Nous avons ici trouvé que l’activité du chef de ménage et<br />
l’activité du conjoint, expliquaient l’offre de travail. Ainsi, lorsque les parents travaillent dans<br />
les branches du commerce ou de l’agriculture, là où le travail familial est habituel, voire<br />
nécessaire, les EAJ ont un risque majeur de travailler. Et en regardant de plus près cette<br />
situation, nous trouvons aussi des différences selon ce que fait chacun des parents. Par<br />
exemple, les risques de travailler ne sont pas égaux pour un enfant dont c’est la mère qui<br />
travaille dans le commerce, et pour celui dont c’est le père qui est commerçant, ni pour celui<br />
dont ce sont les deux parents. D’où l’importance de différencier le rôle de chacun des<br />
membres du couple parental.<br />
Enfin, au niveau individuel, nous avons vérifié l’importance de l’âge et du sexe sur la<br />
participation des EAJ, et nos résultats démontrent que leur effet est différentiel selon chaque<br />
type de travail. L’intensité et le calendrier du travail extradomestique non familial sont plus<br />
liés à ces deux conditions, car il s’agit d’un milieu fortement dominé par les relations de<br />
genres et de générations traditionnelles et inéquitables, ainsi que profondément déterminé par<br />
les conditions structurelles, contrairement au travail extradomestique familial, qui dépend<br />
moins des particularités des EAJ et des conditions structurelles, et plutôt de l’activité des<br />
parents, en termes d’offre d’emploi. Quant au travail domestique familial, l’âge et le sexe des<br />
EAJ sont aussi importants, parce que c’est un milieu aussi soumis aux inégalités de genres et<br />
de générations, et dans ce cas l’environnement familial importe le plus. Le classement dans<br />
trois groupes d’âges, bien qu’encore large, s’est avéré aussi essentiel pour la qualité de nos<br />
analyses. Un résultat que nous tenions à accentuer, quant au sexe des enfants, est la tendance<br />
d’un lien sexué d’embauche, qui sert à reproduire parmi les enfants travailleurs les inégalités<br />
de genres qui dominent le monde du travail des adultes, et qu’ils pourraient perpétuer à<br />
l’avenir, ce qui serait un obstacle surtout pour le développement des filles. Mais, nous<br />
pensons que la vie des personnes n’est pas toujours déterminée par les expériences de<br />
l’enfance, bien qu’elles aient un impact sur l’avenir, et que la plus grande scolarisation des<br />
filles, ainsi que les avancements en matière d’équité de genres dans la société mexicaine<br />
pourraient atténuer les disparités que subissent les enfants dès leur jeune âge. Néanmoins, les<br />
397
possibles implications d’une telle situation sur la vie des enfants, à court et à long terme,<br />
demanderaient d’un plus grand approfondissement, car nous avons à peine touché le sujet, et<br />
nos résultats à ce propos restent limités.<br />
Par ailleurs, dans de nombreux cas, la mise au travail précoce répond à une stratégie<br />
personnelle face à une contrainte économique qui limite les possibilités d’acquisition des<br />
biens superflus, mais peut-être trop chers aux enfants, dans la construction de leur identité et<br />
l’acceptation par leurs pairs. Le travail peut être donc un moyen important de socialisation et<br />
de meilleure estime de soi. Et à ce propos, le rôle du travail comme un moyen d’intégration<br />
sociale et d’empowerment pour les enfants vaut la peine d’être approfondi, une approche à<br />
l’opposé de la vision moderne occidentale de l’enfance, qui pose le travail comme un<br />
problème dans la vie des enfants. Dans ce sens, il est aussi nécessaire d’analyser le rôle des<br />
médias par rapport aux besoins de consommation des enfants, de plus en plus excessifs et<br />
chers : des téléphones portables, des jeux vidéo, des jouets sophistiqués, qui les poussent très<br />
souvent au travail rémunéré, pour parvenir à leurs désirs individuels. Et ainsi, il faut réfléchir<br />
au rôle des enfants, en tant que consommateurs/producteurs avec des particularités propres,<br />
dans l’économie nationale et mondiale.<br />
Afin d’illustrer et de résumer de manière générale les résultats de nos modèles, nous<br />
élaborons deux tableaux pour comparer l’ordre d’importance de chaque variable sélectionnée<br />
par type de travail, selon le sexe d’Ego (Tableau 37).<br />
398
Tableau 37. L’ordre d’importance des variables sélectionnées dans le modèle.<br />
Travail domestique familial selon le temps de travail et le sexe d’Ego<br />
Travail domestique familial (hebdomadaire)<br />
Variables<br />
Plus de 7 heures 15 heures et plus<br />
Garçons Filles Garçons Filles<br />
Age d’Ego 1 1 2 1<br />
Rang d’Ego 6 5 6 5<br />
Nombre de jeunes enfants 3 2 1 2<br />
D’autres garçons de 6 à 17 ans --- 5 --- 6<br />
D’autres filles de 6 à 17 ans --- 7 --- ---<br />
Nombre de femmes adultes 5 6 4 4<br />
Composition du couple 2 3 3 3<br />
Condition d’activité du conjoint<br />
du chef de ménage<br />
4 5 5 6<br />
Position socioéconomique<br />
familiale<br />
5 4 5 5<br />
Travail extradomestique selon le lien de parenté et le sexe d’Ego<br />
Travail extradomestique<br />
Variables<br />
Non familial Familial<br />
Garçons Filles Garçons Filles<br />
Age d’Ego 1 1 3 4<br />
Taille du ménage --- 6 --- ---<br />
Nombre de moins de 18 ans 6 7 7 ---<br />
Rang d’Ego 5 6 6 ---<br />
Composition du couple 2 2 1 1<br />
Niveau de scolarité du conjoint du<br />
chef de ménage<br />
3 3 5 5<br />
Condition d’activité du conjoint<br />
du chef de ménage<br />
--- 5 4 2<br />
Position<br />
familiale<br />
socioéconomique<br />
4 4 2 3<br />
--- Variable no significative.<br />
Il nous reste juste à souligner la réactivité des EAJ face aux contraintes imposées par leur<br />
entourage. Certes, tous les EAJ ne sont pas confrontés aux mêmes problèmes, options,<br />
besoins, inquiétudes, limites, soutiens, projets, etc. ; et tous les EAJ n'ont pas la même<br />
capacité, volonté et condition pour y répondre ; mais, pour ceux dont le travail fait partie de<br />
leur vie, de gré ou de force, nous ne pouvons qu’être reconnaissants. Leur contribution,<br />
presque toujours oubliée, fait évoluer leur vie, celle de leur famille et de leur communauté<br />
vers une direction particulière selon les cas. Et, leur participation n’est pas invariablement<br />
soumise à des effets négatifs. Cependant, cette reconnaissance ne doit pas faire oublier qu’en<br />
participant, les enfants sont parfois l’objet d’abus en tous genres, de la part de différents<br />
acteurs, parfois les parents eux-mêmes. Et vu que le travail des enfants fait partie du temps de<br />
la globalisation, il est tout à fait pertinent de réfléchir sur leur droit au travail et sur la<br />
nécessité d’encadrer le travail familial, toujours dans l’esprit de chercher le bénéfice des<br />
399
enfants, et en respectant leurs autres droits. Mais cela demande de la volonté à tous les agents<br />
concernés : Etat, employeurs, familles, enfants, clients, ce qui rend plus difficile la tâche.<br />
C’est un sujet intéressant qui échappe aux objectifs de cette recherche, deux questions qui<br />
n’ont rien d’anodin, sur lesquelles les discussions sont plutôt inexistantes dans l’agenda<br />
national, bien que présentes depuis quelques années dans d’autres pays, comme le Pérou et la<br />
Bolivie. 462<br />
Perspectives de recherche et de politiques publiques futures.<br />
L’expérience de cette étude nous permet de souligner que les enfants travailleurs représentent<br />
un groupe de la population qui demande encore des efforts pour mieux les connaître et les<br />
protéger, s’il y a lieu. Il s’agit d’un sujet peu abordé scientifiquement, notamment par les<br />
démographes, et pourtant un terrain d’études vaste et complexe, qui réclame une attention<br />
plus ample dans tous les domaines : théorique, méthodologique, conceptuel et analytique.<br />
D’ailleurs, dans le terrain de l’action, une mise à jour des programmes internationaux et<br />
nationaux d’ordre officiel s’impose, car ils sont parfois devenus obsolètes, inefficaces et<br />
incongrus. Ils exigent donc une révision et un réajustement sur la base des études récentes sur<br />
la réalité des enfants travailleurs.<br />
En matière de recherche, tout d’abord, il existe un fort besoin de créer des indicateurs et des<br />
définitions solides et plus appropriés à la problématique, et de les rendre comparables en<br />
termes temporels et spatiaux, afin d’avoir une continuité dans les analyses nationales et<br />
internationales, et ainsi de pouvoir élaborer des programmes plus efficaces et bien ciblés, pour<br />
améliorer les conditions de développement des enfants, et notamment des enfants travailleurs.<br />
De manière spéciale, il faut aborder le cas des enfants travailleurs domestiques familiaux,<br />
dont l’étude manque d’information et d’outils, même s’il faut admettre que sa reconnaissance<br />
officielle comme l’une des formes du travail des enfants est, d’ores et déjà, un énorme<br />
progrès.<br />
En termes analytiques, nous pensons que de prochaines recherches pourraient être entreprises<br />
en suivant notamment deux nouvelles considérations. Premièrement, l’inclusion du temps de<br />
travail (heures) comme critère d’analyse, car l’étude de l’ensemble des travailleurs reste trop<br />
462 Voir par exemple le site web de l’Institut de formation pour les éducateurs de jeunes, adolescents et enfants<br />
travailleurs de l’Amérique latine et des Caraïbes, IFEJANT. Disponible sur : .<br />
400
large pour rendre compte de l’hétérogénéité des cas. Etant donné qu’il s’agit d’une activité<br />
fréquemment secondaire dans la vie des enfants, le temps devient un aspect fondamental. Un<br />
tel classement permettrait de mieux apprendre la complexité de cette pratique : les raisons, les<br />
conditions et les conséquences. Nous sommes confrontés à des situations différentes lorsque<br />
l’on parle des enfants qui travaillent à mi-temps, à plein temps, à caractère saisonnier ou<br />
sporadique, par exemple. Nous l’avons à peine corroboré avec les résultats du dernier chapitre<br />
sur la relation entre déscolarisation et travail. Deuxièmement, la nécessité d’aborder le sujet<br />
sous une perspective longitudinale, pour tenter de répondre aux questions qui sont<br />
inabordables à travers une approche transversale et pour compléter ce que l’on sait déjà sur les<br />
enfants travailleurs. Appuyés sur ce type de sources, nous pourrions, par exemple, vérifier<br />
statistiquement des résultats que nous avons obtenus grâce à nos données qualitatives, les<br />
solidifier, en plus d’étudier les dynamiques familiales et les transformations qui s’opèrent au<br />
sein de la société, pour tenter de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent les enfants<br />
vers le travail. Des études de ce type, réalisées avec des enquêtes sociodémographiques<br />
rétrospectives élaborées spécialement pour l’étude des enfants en Afrique, ont montré déjà la<br />
valeur d’une approche longitudinale (Antoine et al., 2007 ; Kobiané et Marcoux, 2007). Au<br />
Mexique, la préoccupation de produire de l’information concernant le travail des enfants est<br />
assez récente, et les rares sources disponibles sont transversales. Pourtant, l’application de la<br />
première et unique enquête sociodémographique rétrospective nationale réalisée en 1998<br />
(EDER), qui est le commencement d’un projet censé avoir de la continuité, ouvre la porte aux<br />
approches biographiques de l’étude sur le travail des enfants au Mexique. Or, évidemment,<br />
ces deux propositions représentent seulement une partie des possibilités d’étude qu’offre un<br />
sujet aussi complexe (naguère négligé dans le monde académique), mais elles nous semblent<br />
d’un intérêt spécialement pratique.<br />
En matière de politiques publiques, la scolarisation, malgré ses défaillances, reste encore le<br />
meilleur moyen pour les enfants d’arriver à l’âge adulte dans des conditions optimales pour<br />
mieux se placer sur le marché du travail. Mais, selon nos résultats, il ne suffit pas de finir les<br />
niveaux obligatoires, car la scolarité reste faible, il faut faire encore des efforts pour offrir aux<br />
enfants une formation de qualité, et la possibilité de poursuivre leurs études au-delà des 9 ans<br />
obligatoires actuels. Car nous avons prouvé, à travers le niveau scolaire du couple parental,<br />
que la participation des enfants au travail extradomestique ne change guère entre les familles<br />
dont les parents sont sans scolarité et les familles dont les parents en ont 9 ans. A ce propos, il<br />
serait pertinent de réaliser une évaluation de l’impact de l’élévation de la scolarité obligatoire<br />
401
de 6 à 9 ans, laquelle a été imposée à peine en 1993, sur les divers aspects du travail des<br />
enfants : intensité, calendrier, caractéristiques, et donc, connaître de manière plus solide le<br />
rôle de la scolarisation sur le présent et l’avenir des enfants. Dans ce sens, étant donné que<br />
scolarité et travail ne sont pas toujours opposés, nous soutenons que l’éradication du travail<br />
des enfants ne doit pas être au centre de la discussion, mais c'est la manière de garder les<br />
enfants (travailleurs ou non travailleurs) le plus longtemps possible dans le système éducatif<br />
qui doit être au centre des préoccupations. D’ailleurs, le système juridique est un autre pilier<br />
de la lutte contre le travail précoce, et l’existence de restrictions légales semble freiner le<br />
développement du travail des enfants ; pourtant, il faut reconnaître que dans un pays comme<br />
le Mexique (où les lois sont souvent transgressées), l’importance des lois quant à la<br />
diminution du travail des enfants est ambiguë. C'est pourquoi il serait aussi souhaitable<br />
d’évaluer l’effet qu’a la législation sur le développement du travail des enfants dans la réalité.<br />
Et de rendre le cadre juridique en matière de travail des enfants plus efficace et plus approprié<br />
pour lutter contre les abus envers les enfants, en cherchant avant tout le bien-être de ceux-ci.<br />
Parce que, peut-être, comme jadis au Mexique, la pénalisation de l’embauche des enfants dans<br />
le marché du travail formel a servi seulement à les déplacer vers le secteur informel, mais pas<br />
à les dissuader de travailler (Sosenski, 2010), au détriment de leurs conditions de travail.<br />
Par ailleurs, en ce qui concerne le bien-être des enfants travailleurs, il est nécessaire<br />
d’accepter que tous les enfants travailleurs ne représentent pas un problème social, et donc,<br />
que les programmes d’éradication du « travail des enfants » sont peu efficaces. Pour les<br />
rendre plus féconds, il faudrait prendre en compte deux aspects, à nos yeux indispensables.<br />
D’une part, on doit tenter de cibler les enfants prioritaires et les regrouper théoriquement,<br />
comme l’OIT l’a fait dernièrement avec les enfants soldats, les enfants des rues, et les enfants<br />
travailleurs en service domestique pour une tierce personne, par exemple. Un travail qui a été<br />
accompli au Mexique seulement à propos des enfants des rues, déjà à la tête des<br />
préoccupations nationales dans ce domaine. Cependant, les autres enfants travailleurs ont été<br />
oubliés, comme ceux dans les champs de culture intensive qui travaillent dans des conditions<br />
pénibles, ou ceux qui travaillent dans la prostitution, dont la situation est très délicate. Chaque<br />
groupe nécessite une attention spéciale, ce qui semble banal, et pourtant plutôt ignoré par les<br />
diverses instances chargées de l’enfance. Or, ce travail demande une approche locale,<br />
régionale ou par Etat, étant donné les différences territoriales qui dominent dans le pays. A ce<br />
propos, il faut prendre en compte la réalité sociale et économique de chaque lieu, et donc<br />
repérer les groupes d’enfants travailleurs en difficulté dans chaque contexte, parce qu’ils ne<br />
402
sont pas les mêmes dans les régions agricoles, industrielles, touristiques… D’autre part, il y a<br />
un vrai besoin d’élaborer des programmes sociaux en prenant en compte les enfants<br />
concernés, les protagonistes. Il faut s’approcher d’eux, dès que possible, afin de connaître<br />
leurs besoins, leur entourage et la manière dont ils souhaiteraient être aidés, et ainsi,<br />
ensemble, réfléchir à des solutions pour améliorer leur vie.<br />
Certes, le travail des enfants a des aspects inacceptables qu’on ne peut ni justifier ni cacher,<br />
mais cela n’implique pas de renoncer à reconnaître un autre visage de cette problématique, un<br />
visage négligé, qui montre une enfance solidaire, responsable, entrepreneuse et engagée, entre<br />
elle et avec son entourage. Cette enfance est active et réactive et elle ne reste pas toujours<br />
immobile face aux vicissitudes quotidiennes. Ceci nous force à continuer de réfléchir sur ce<br />
qu’est l’enfance et sur sa place dans la société, en plus de continuer les recherches sur les<br />
enfants travailleurs, leurs familles et les politiques sociales.<br />
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Tableau des abréviations employées (auteurs)<br />
Abréviation Nom de l’organisme<br />
BANXICO Banco de México<br />
CLADEHLT Comisión latinoamericana por los derechos y libertades de los trabajadores (Caracas)<br />
CONAPO Consejo Nacional de Población (Mexico)<br />
DIF Sistema para el desarrollo integral de la familia (Mexico)<br />
INEGI Instituto nacional de estadística, geografía e informática (Aguascalientes, Mexique)<br />
IPEC Programme international pour l’abolition du travail des enfants<br />
OIT Organisation Internacionale du Travail<br />
PNUD Programme des nations unies pour le développement<br />
SAT<br />
Sistema de administración tributaria. Secretaría de hacienda y crédito público<br />
(Mexico).<br />
SEDESOL Mexique. Secretaría de desarrollo social<br />
SEP Mexique. Secretaría de educación pública<br />
SNIIM<br />
Sistema nacional de información e integración de mercados. Secretaría de Economía<br />
(Mexico)<br />
STPS Mexique. Secretaría de trabajo y previsión social (Mexico)<br />
UNICEF Fonds des nations unies pour l’enfance
ANNEXES<br />
425
426
I.1. Extraits de la Loi fédérale du travail<br />
ANNEXE I. Information Générale<br />
TITULO QUINTO BIS<br />
Trabajo de los Menores<br />
Artículo 173.- El trabajo de los mayores de catorce años y menores de dieciséis queda sujeto a vigilancia y<br />
protección especiales de la Inspección del Trabajo.<br />
Artículo 174.- Los mayores de catorce y menores de dieciséis años deberán obtener un certificado médico<br />
que acredite su aptitud para el trabajo y someterse a los exámenes médicos que periódicamente ordene la<br />
Inspección del Trabajo . Sin el requisito del certificado, ningún patrón podrá utilizar sus servicios.<br />
Artículo 175.- Queda prohibida la utilización del trabajo de los menores:<br />
I. De dieciséis años, en:<br />
a) Expendios de bebidas embriagantes de consumo inmediato.<br />
b) Trabajos susceptibles de afectar su moralidad o sus buenas costumbres.<br />
c) Trabajos ambulantes, salvo autorización especial de la Inspección de Trabajo.<br />
d) Trabajos subterráneos o submarinos.<br />
e) <strong>La</strong>bores peligrosas o insalubres.<br />
f) Trabajos superiores a sus fuerzas y los que puedan impedir o retardar su desarrollo físico normal.<br />
g) Establecimientos no industriales después de las diez de la noche.<br />
h) Los demás que determinen las leyes.<br />
II. De dieciocho años, en:<br />
Trabajos nocturnos industriales.<br />
Artículo 176.- <strong>La</strong>s labores peligrosas o insalubres a que se refiere el artículo anterior, son aquellas que, por<br />
la naturaleza del trabajo, por las condiciones físicas, químicas o biológicas del medio en que se presta, o<br />
por la composición de la materia prima que se utiliza, son capaces de actuar sobre la vida, el desarrollo y la<br />
salud física y mental de los menores. Los reglamentos que se expidan determinarán los trabajos que queden<br />
comprendidos en la anterior definición.<br />
Artículo 177.- <strong>La</strong> jornada de trabajo de los menores de dieciséis años no podrá exceder de seis horas<br />
diarias y deberán dividirse en períodos máximos de tres horas. Entre los distintos períodos de la jornada,<br />
disfrutarán de reposos de una hora por lo menos.<br />
Artículo 178.- Queda prohibida la utilización del trabajo de los menores de dieciséis años en horas<br />
extraordinarias y en los días domingos y de descanso obligatorio. En caso de violación de esta prohibición,<br />
las horas extraordinarias se pagarán con un doscientos por ciento más del salario que corresponda a las<br />
horas de la jornada, y el salario de los días domingos y de descanso obligatorio, de conformidad con lo<br />
dispuesto en los artículos 73 y 75.<br />
Artículo 179.- Los menores de dieciséis años disfrutarán de un período anual de vacaciones pagadas de<br />
dieciocho días laborables, por lo menos.<br />
Artículo 180.- Los patrones que tengan a su servicio menores de dieciséis años están obligados a:<br />
I. Exigir que se les exhiban los certificados médicos que acrediten que están aptos para el trabajo;<br />
II. Llevar un registro de inspección especial, con indicación de la fecha de su nacimiento, clase de trabajo,<br />
horario, salario y demás condiciones generales de trabajo;<br />
III. Distribuir el trabajo a fin de que dispongan del tiempo necesario para cumplir sus programas escolares;<br />
IV. Proporcionarles capacitación y adiestramiento en los términos de esta Ley; y,<br />
V. Proporcionar a las autoridades del trabajo los informes que soliciten.<br />
TITULO SEXTO<br />
Trabajos Especiales<br />
CAPITULO XV<br />
Industria familiar<br />
Artículo 351.- Son talleres familiares aquellos en los que exclusivamente trabajan los cónyuges, sus<br />
ascendientes, descendientes y pupilos.<br />
Artículo 352.- No se aplican a los talleres familiares las disposiciones de esta Ley, con excepción de las<br />
normas relativas a higiene y seguridad.<br />
Artículo 353.- <strong>La</strong> Inspección del Trabajo vigilará el cumplimiento de las normas a que se refiere el artículo<br />
anterior..<br />
Source : Ley Federal del trabajo. http://www.diputados.gob.mx/LeyesBiblio/pdf/125.pdf<br />
427
I.2. Groupes d’activité professionnelle<br />
428<br />
Groupes Activité professionnelle<br />
Classe de services<br />
Travailleurs non manuels en<br />
activités routinières<br />
Cadres, gérants et directeurs de haut niveau dans les secteurs public et<br />
privé, professeurs du troisième cycle. 463<br />
Directeurs en seconde dans les secteurs public ou privé, techniciens,<br />
professeurs non du troisième cycle, artistes et sportifs, travailleurs en<br />
activités routinières dans les bureaux (secrétaires, comptables, etc.),<br />
agents immobiliers et d’assurances. 464<br />
Travailleurs du commerce Travailleurs en activités commerciales en général (commerce formel) 465<br />
Travailleurs spécialisés<br />
Travailleurs non spécialisés<br />
Superviseurs dans l’industrie, opérateurs de machine fixe, artisans,<br />
chauffeurs et d’autres conducteurs de véhicules, ouvriers spécialisés. 466<br />
Vendeurs ambulants, travailleurs en services personnels, travailleurs en<br />
service domestique, travailleurs en services de sécurité, aides,<br />
apprentis d’artisan, ouvriers non spécialisés, travailleurs non spécialisés<br />
du bâtiment. 467<br />
Travailleurs agricoles Travailleurs en activités agricoles en général. 468<br />
Source : Solís et Cortés, 2009.<br />
Les six groupes d’activité ont été obtenus à partir de méthodes statistiques bivariées<br />
(pourcentages, moyennes, coefficients de variation et écart interquartile) et multivariées<br />
(l’analyse en composantes principales) à partir de trois variables : le niveau de scolarité du<br />
chef de ménage, le niveau de revenu mensuel du ménage et l’actif disponible dans le ménage<br />
(29 articles ont été choisis : petits et gros électroménagers, véhicules, ordinateur et<br />
périphériques, climatiseurs).<br />
463<br />
Profesionistas; gerentes y directivos de alto nivel en los sectores público y privado; profesores universitarios.<br />
464<br />
Directivos de nivel medio en el sector público y privado; técnicos; maestros de nivel inferior al universitario;<br />
artistas y deportistas; trabajadores de rutina en oficinas (archivistas, secretarios, etc.). Agentes de ventas en<br />
seguros o bienes raíces.<br />
465<br />
Trabajadores en actividades comerciales en general (comercios establecidos).<br />
466<br />
Supervisores en la industria; operadores de maquinaria; artesanos; choferes y otros conductores de vehículos;<br />
obreros especializados.<br />
467<br />
Vendedores ambulantes; trabajadores en servicios personales; trabajadores en servicios domésticos;<br />
trabajadores en servicios de seguridad; peones; ayudantes; aprendices de artesano; obreros no especializados;<br />
trabajadores no especializados en la construcción.<br />
468<br />
Trabajadores en actividades agrícolas en general.
ANNEXE II. Les instruments de travail<br />
429
II.1. Travail de terrain<br />
L’entretien collectif<br />
GRILLE DE LECTURE DES ENTRETIENS COLLECTIFS<br />
Infancia y escolaridad<br />
¿Se consideran niños? ¿Por qué?<br />
¿Qué otra diferencia hay entre los niños y los jóvenes o los adultos?<br />
¿Qué actividades hacen las niñas y los niños?<br />
¿Hasta qué año deben estudiar las niñas y los niños? ¿Por qué?<br />
¿Qué pasaría si se estudia sólo hasta la secundaria?<br />
¿Conocen a alguien que haya dejado de estudiar, qué pasa cuando los niños dejan de estudiar?<br />
¿Qué les gustaría ser cuando sean adultos? ¿Por qué?<br />
Actividades familiares<br />
¿Quién vive con ustedes?<br />
¿Quién o quiénes hacen el quehacer en la casa?<br />
¿Como cuántas horas al día le dedican al quehacer?<br />
¿Todos los hermanos hacen quehacer?<br />
¿Su mamá participa? ¿Su papá participa?<br />
¿Quién prepara la comida en casa? ¿Quién la sirve?<br />
Cuando alguien se enferma en su casa ¿quién lo cuida?<br />
¿Quién cuida a los hermanos más chicos?<br />
¿Qué cosas hacen con su mamá?<br />
¿Y con su papá?<br />
¿Con sus hermanos?<br />
¿Su papá qué hace?<br />
El trabajo en la familia<br />
¿Su mamá trabaja?<br />
¿Cuánto tiempo trabaja?<br />
¿Qué piensan de que su mamá trabaje?<br />
¿Hay alguien más en su familia que podría trabajar? ¿Por qué no lo hace?<br />
¿Cuándo es el mejor momento para comenzar a trabajar? ¿Por qué?<br />
¿Cuándo les gustaría empezar a trabajar? ¿Por qué?<br />
¿Para qué sirve trabajar?<br />
¿Alguna vez han trabajado?<br />
¿Quién decidió que trabajaran?<br />
¿Trabajan nada más en vacaciones o también cuando están en la escuela?<br />
¿El trabajo les afecta en la escuela?<br />
¿Qué hacen con el dinero que les pagan?<br />
Para los que no han trabajado ¿si pudieran trabajar les gustaría?<br />
¿En qué les gustaría trabajar ahorita?<br />
¿Alguien más trabaja con algún amigo o pariente?<br />
¿Qué opinan sobre el trabajo con los papás?<br />
Percepción sobre el trabajo infantil<br />
Qué opinan sobre :<br />
Los otros niños que trabajan.<br />
Los niños que trabajan en la calle.<br />
Los cerillos.<br />
Los que cuidan a sus hermanos.<br />
430
Le questionnaire appliqué lors des entretiens collectifs<br />
Cuestionario sociodemográfico<br />
Fecha : _______________________ Hora : __________<br />
Nombre: ____________________________________________ Edad: _________<br />
Dirección: ___________________________________________________________<br />
Ocupación: __________________________________________________________<br />
Fecha de Nacimiento: _________________________ Sexo: __________________<br />
Escolaridad: __________________________________________________________<br />
L’entretien individuel<br />
Le questionnaire de renseignements généraux<br />
Fecha: ____________ Hora:____<br />
Datos generales<br />
Nombre:_________________ Edad:______ Sexo: ______ Escolaridad: ___________________<br />
Lugar de nacimiento: _____________________ Año de nacimiento: __________<br />
Ocupaciones: _________________________________________________________________<br />
Religión: _______________ Personas en el hogar: ____________<br />
No. de hermanos: ___________ Orden de nacimiento: _______<br />
Datos sobre las personas de su hogar:<br />
Parentesco Edad Sexo Escolaridad Ocupaciones<br />
1________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
2________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
3________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
4________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
5________________ _____ _____ _____________________ _________________________<br />
6________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
7________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
8________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
9________________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
10_______________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
11_______________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
12_______________ _____ _____ _________________________ ____________________<br />
13_______________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
14_______________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
15_______________ _____ _____ _________________________ _____________________<br />
Observaciones:<br />
431
Grille de lecture de l’entretien individuel<br />
Infancia y escolaridad<br />
¿Te consideras un niño(a)? ¿Por qué?<br />
¿Qué diferencia a los niños de otras personas?<br />
¿Qué actividades hacen los niños y las niñas?<br />
¿Hasta cuándo deben estudiar las niñas?<br />
¿Y los niños?<br />
¿Qué has visto que sucede cuando las niñas o los niños dejan de ir a la escuela? ¿A qué se dedican o qué pasa<br />
con ellos?<br />
¿A ti qué te gustaría hacer cuando seas adulto?<br />
¿Por qué?<br />
<strong>La</strong>s actividades familiares<br />
Tu papá ¿hace trabajo doméstico? ¿qué hace? ¿cada cuándo?<br />
¿Tu mamá?<br />
¿Tú?<br />
¿Tus hermanos?<br />
¿Los otros miembros de la familia?<br />
¿Por qué X no hace trabajo doméstico?<br />
¿Quién prepara la comida? ¿Quién la sirve? Y cuando no está X ¿quién lo hace?<br />
Cuando alguien se enferma en tu casa ¿quién lo cuida?<br />
¿Quién cuida a los niños más pequeños? (darles de comer, cambiarlos, bañarlos)<br />
¿A qué edad las niñas pueden cocinar? lavar trastes, planchar, lavar ropa, cuidar a los enfermos, cuidar a los<br />
hermanos menores.<br />
¿Y los niños?<br />
¿Qué actividades haces con tu mamá?<br />
¿Y con tu papá?<br />
¿Y con tus hermanos?<br />
¿Qué otras acividades hace tu papá?<br />
¿Tu mamá?<br />
¿Tú?<br />
¿Tus hermanos?<br />
¿Los otros miembros de la familia?<br />
El trabajo en la familia<br />
¿Quién de la casa trabaja?<br />
¿En qué trabaja? ¿Dónde trabaja? ¿Le pagan? ¿Cuánto tiempo dedica?<br />
¿Qué piensas de que tu mamá trabaje / se quede en casa a hacer el quehacer?<br />
¿Qué piensas de que tu papá trabaje?<br />
¿Quién más de la familia podría trabajar? ¿Por qué no lo hace? ¿Quién lo mantiene?<br />
¿Para qué sirve trabajar? ¿Cuáles son los beneficios?<br />
El trabajo infantil<br />
¿Alguna vez has trabajado? ¿En qué? ¿Dónde? ¿Con quién? ¿Cuánto tiempo?<br />
¿Qué hacías? ¿Quién te enseñó?<br />
¿A qué edad iniciaste la primera vez? ¿Quién te dijo de ese trabajo?<br />
¿Te pagaban? ¿Qué hacías con el dinero?<br />
¿Quién decidió que trabajaras y por qué?<br />
¿Y estudiabas al mismo tiempo? ¿Tu trabajo afectó en tu rendimiento escolar?<br />
¿Afectó en tu salud?<br />
¿Te gustó trabajar?<br />
¿Qué te decían tus papás de que trabajaras?<br />
432
Si tuvieras la posibilidad de no trabajar ¿te gustaría dejar de hacerlo? / Si tuvieras la posiblidad de trabajar ¿ te<br />
gustaría trabajar?<br />
¿Alguno de tus hermanos trabajó cuando era niño? ¿A qué edad inició la primera vez? ¿Dónde? ¿Con quién?<br />
¿Cuánto tiempo? ¿Qué hacía?<br />
<strong>La</strong> percepción sobre el trabajo infantil<br />
¿Qué opinas sobre las niñas y los niños que trabajan en algún negocio o taller con sus papás?<br />
¿Qué opinas de los niños y las niñas que trabajan en la calle vendiendo cosas o limpiando parabrisas, por<br />
ejemplo? ¿Qué sientes ante estos niños? ¿Por qué crees que trabajan?<br />
¿Qué piensas del trabajo de las niñas y los niños que trabajan como “cerillos” en los supermercados?<br />
¿Qué piensas de los niños y de las niñas que tienen que cuidar a sus hermanos o que tienen que hacer el<br />
quehacer de la casa y la comida?<br />
¿Cuándo piensas que es el mejor momento o la mejor edad para comenzar a trabajar?<br />
¿Por qué?<br />
A ti ¿cuándo te gustaría comenzar a trabajar? ¿Por qué?<br />
Algunas personas piensan que todas las niñas y los niños deben tener el derecho a trabajar si así lo desean o si<br />
lo necesitan, y que entonces deberían crearse leyes especiales para proteger a los niños que trabajan ¿qué opinas<br />
de esto?<br />
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II.2. Les questionnaires de l’ENOE et du MTI 2007<br />
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ANNEXE III. Présentation des interviewés<br />
Les enfants sont présentés dans l’ordre dans lequel ils ont été interrogés :<br />
1. Juan<br />
2. Gloria<br />
3. Mariana<br />
4. María<br />
ENTRETIEN 1<br />
5. Pedro<br />
6. Felipe<br />
7. Karen<br />
8. Carlos<br />
Juan (non travailleur, mais avec expérience professionnelle)<br />
Garçon de 12 ans en 6e année de primaria (école privée).<br />
9. Sandra<br />
10. Alejandro<br />
11. Alicia<br />
12. Claudia<br />
Depuis l’âge de 10 ou 11 ans, il travaille les après-midi, s’il a envie, dans l’atelier de dessin<br />
publicitaire que son oncle possède chez eux. Quand son père vivait avec eux, il l’aidait à vendre des<br />
poulets rôtis les samedis. Il avait environ 11 ans à ce moment-là. Il n’a jamais été rémunéré.<br />
Il voudrait embrasser la carrière de son oncle.<br />
Contexte familial<br />
Ménage élargi monoparental de 8 membres. Ses parents séparés, Juan vit avec sa mère, sa sœur<br />
cadette (9 ans), ses grands-parents maternels, ainsi que son oncle, la femme de ce dernier et sa<br />
cousine âgée de 9 mois. Ils habitent la maison des grands-parents. Sa mère (32 ans) est employée dans<br />
une entreprise privée, elle a fini une formation universitaire. Son grand-père (53 ans) est propriétaire<br />
de l’épicerie dans laquelle il travaille, située au rez-de-chaussée de la maison. Sa grand-mère (54 ans)<br />
est standardiste. Son oncle (29 ans) et sa tante possèdent l’équivalent d’un baccalauréat professionnel.<br />
Ils travaillent dans un petit atelier de publicité dont ils sont propriétaires. Les enfants ne voient guère<br />
leur père. Les femmes de la famille sont responsables des tâches ménagères et des repas, les hommes<br />
et les enfants n’y participant pas. Du lundi au vendredi, les enfants vont manger avec leur grand-mère<br />
paternelle, qui habite aussi dans le quartier.<br />
Sa famille est l’une des plus aisées du quartier.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Juan a participé à un entretien collectif avant son entretien individuel.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est tenue chez lui, dans le salon, où sa tante travaillait face à un ordinateur dans l’autre<br />
coin de la grande habitation. Le téléphone sonnait souvent et sa tante conversait beaucoup, mais à<br />
voix basse. Sa sœur était présente lors de l’entretien, mais silencieuse.<br />
455
Nous avons tenté de le mettre à l’aise, car il semblait très anxieux. Il bougeait souvent dans la chaise<br />
giratoire où il était assis. Il a répondu de manière assez succincte à toutes les questions, répondant<br />
parfois juste : « non », « oui » ou « je ne sais pas ». L’entretien a duré 26 minutes.<br />
ENTRETIEN 2<br />
Gloria (non travailleuse)<br />
Fille âgée de 10 ans en 5e année de primaria (école privée).<br />
Elle n’a jamais eu d’expérience de travail.<br />
Elle participe parfois aux tâches ménagères. Lorsque son père et sa mère travaillent, elle s’occupe de<br />
son frère cadet : elle l’aide à faire ses devoirs scolaires, ils regardent la télévision et jouent ensemble.<br />
Elle pratique la danse hawaïenne comme loisir, et souhaiterait être chef de cuisine.<br />
Contexte familial<br />
Ménage nucléaire biparental de 4 membres. Gloria a un frère cadet (âgé de 5 ans) scolarisé. Son père<br />
(34 ans) est vendeur indépendant de voitures d’occasion. Il va chercher des voitures américaines<br />
d’occasion au nord du pays pour les vendre à Mexico dans un marché public spécialisé. Et il est aussi<br />
machetero indépendant (pelleteur). Sa mère (29 ans) est vendeuse, employée à plein temps chez un<br />
opticien. Ses parents ne sont pas allés plus loin que l’enseignement obligatoire. Les enfants passent<br />
plus de temps avec leur père qui travaille surtout les week-ends. Le reste du temps, celui-ci bricole et<br />
fait de la mécanique. Sa mère est responsable des tâches ménagères et de la préparation des repas,<br />
mais le père participe de façon assez régulière au travail domestique. Ses deux parents sont impliqués<br />
dans la surveillance et l'attention aux enfants.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Elle a participé à un entretien collectif après l’entretien individuel.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est déroulée chez ses parents, dans la cuisine. Sa mère était absente et son père<br />
bricolait dans la cour. Son frère présent perturbait nos échanges ignorant les remontrances de Gloria.<br />
Il a fallu de notre intervention pour qu’il aille jouer ailleurs finalement. Anxieuse, elle s’est détendue<br />
peu à peu, répondant de façon concrète aux questions. L’interview a duré 41 minutes.<br />
ENTRETIEN 3<br />
Mariana (non travailleuse)<br />
Fille âgée de 7 ans en 2e année de primaria (école publique).<br />
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Elle n’a jamais eu d’expérience de travail. En plus de l’école, elle suit les cours de soutien scolaire<br />
qui propose le centre social du quartier.<br />
Elle participe toujours aux tâches ménagères et s’occupe parfois de sa plus jeune sœur.<br />
Elle voudrait être professeur de mathématiques.<br />
Contexte familial<br />
Ménage nucléaire biparental de 8 membres. Les frères de Mariana ont 15 et 12 ans et les sœurs 18, 9<br />
et 2 ans. Son père (49 ans) est maçon et souffre d’alcoolisme. Sa mère (44 ans) travaille avec sa tante<br />
qui place un local improvisé pour vendre de tacos dans l’une des rues du quartier. Elle y travaille<br />
toute la journée des jeudis et vendredis. Trois matinées par semaine, elle travaille comme aide à<br />
domicile. Ses parents ne sont allés que jusqu’en fin de primaria. Sa sœur aînée suit une formation<br />
d’esthéticienne et travaille aussi comme baby-sitter chez une famille voisine. Ses frères scolarisés<br />
travaillent parfois les samedis avec leur père. Ils sont rémunérés. Prêt à quitter l’école, le frère aîné<br />
souhaite rejoindre leurs cousins aux Etats-Unis dans le but de trouver un emploi. Sa plus jeune sœur<br />
reste toujours à la maison et l’autre est écolière. Quand sa mère ne peut pas s’occuper des tâches<br />
ménagères et de la préparation des repas, c’est sa sœur aînée qui en a la responsabilité (elle est<br />
comme une deuxième mère pour les filles), ou éventuellement, une de leurs tantes voisine. En leur<br />
absence, les autres enfants partagent les taches ménagères et s’occupent de la benjamine. Son père,<br />
peu impliqué dans les corvées ménagères ne participe pas plus à la surveillance des enfants. Les filles<br />
sont souvent frappées par leurs frères, malgré la désapprobation des parents.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Invitée à participer à un entretien collectif, après l’entretien individuel, elle a oublié le rendez-vous.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est déroulée chez ses parents, dans la cuisine. Il y avait beaucoup de bruit (de la<br />
musique) à l’extérieur. Nous y étions seules, mais de temps en temps un enfant passait près de nous,<br />
mais sans nous déranger. Les parents étaient absents, et elle devait s’occuper de sa petite sœur qui<br />
jouait dans la cour. Au milieu des échanges, elle m’a demandé de faire une pause pour s’assurer que<br />
sa sœur allait bien. Elle aimait discuter, expliquer. Elle avait l’air décontractée. Elle en a profité pour<br />
nous faire part des soucis rencontrés avec ses frères et ses professeurs. L’interview a duré 1 heure et 5<br />
minutes.<br />
ENTRETIEN 4<br />
María (travailleuse extradomestique familiale)<br />
Fille de 9 ans, en 3e année de primaria (école publique).<br />
457
Avant d’aller à l’école, elle travaille les matinées des jeudis et vendredis avec sa grand-mère<br />
maternelle dans un local improvisé dans le quartier. Elle s’occupe de mettre la nourriture commandée<br />
dans les sacs, de servir les sodas, de nettoyer les assiettes et de rendre la monnaie. Elle y passe<br />
environ deux heures chaque jour. Elle n’est pas rémunérée.<br />
Elle repasse son propre linge, et aide parfois à préparer les repas ou faire le ménage. S’il le faut, elle<br />
réchauffe son repas avant d’aller à l’école.<br />
Elle assiste à l’atelier de soutien scolaire et pratique aussi la danse hawaïenne dans le centre social du<br />
quartier.<br />
Elle voudrait être professeur de danse hawaïenne, maîtresse d’école élémentaire ou médecin.<br />
Contexte familial<br />
Ménage élargi non parental de 7 personnes. Ses parents séparés, María vit chez ses grands-parents<br />
maternels (qui elle appelle papa et maman) depuis quelques années, loin des problèmes de drogue de<br />
ses parents. Dans le ménage, il y a aussi deux oncles (dont un est marié), et une cousine. Son grand-<br />
père (54 ans) est propriétaire et chauffeur d’un camion-benne. Il est travailleur indépendant. Sa grand-<br />
mère (52 ans) est responsable d’un commerce informelle, employée à domicile chez une personne<br />
âgée et chargée de l’église locale (salariée). Sa grand-mère et sa grand-tante placent leur local<br />
informel toute la journée les jeudis et vendredis dans l’une des rues du quartier. Elles vendent des<br />
tacos. Parfois, ses grands-parents vendent des aliments qu’ils préparent face à leur maison. L’un de<br />
ses oncles (29 ans) est machetero et l’autre (20 ans) est chauffeur de taxi et machetero. Sa tante (23<br />
ans) a cessé de travailler pour s’occuper de son nouveau-née. María a une sœur cadette (7 ans) qui<br />
habite avec sa mère et son nouvel ami dans le même quartier. Sa mère et sa grand-mère ne s’adressent<br />
plus la parole. Les adultes du ménage sont allés jusqu’à la secundaria, sauf les grands-parents qui ont<br />
juste fini la primaria. Sa grand-mère est responsable du ménage et des repas, mais si elle ne peut pas<br />
le faire, quelqu’un d’autre s’en charge. Cependant, les tâches ménagères sont une affaire des femmes.<br />
Toutefois, son grand-père les effectue s’il y a vraiment besoin.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Invitée à participer à un entretien collectif après l’entretien individuel, elle a également oublié le<br />
rendez-vous. <strong>La</strong> première date fixée pour l’entretien individuel a été annulée à la dernière minute par<br />
sa grand-mère.<br />
<strong>La</strong> rencontre a eu lieu chez ses grands-parents, dans la cuisine. Nous étions seules. Les autres<br />
personnes vaquaient à leurs occupations dans la maison. Personne ne nous a dérangées. Mais, il y<br />
avait de la musique très forte à l’extérieur. Elle s’est montrée à tout moment décontractée, mais<br />
timide.<br />
L’entretien a duré 42 minutes.<br />
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ENTRETIEN 5<br />
Pedro (non travailleur, mais avec expérience professionnelle)<br />
Garçon âgé de 8 ans, en 2e année de primaria (école publique).<br />
Il travaille occasionnellement avec son père. Il a commencé à accompagner son père au travail<br />
environ à l’âge de 4 ans. Au début, il jouait seulement, mais depuis presque un an, il a commencé à<br />
utiliser la pelle pour débarrasser le camion-benne ou déplacer les pierres. Il fait ce qu’il peut. Il<br />
accompagne son père au travail quand il en a envie, mais toujours après avoir finit ses devoirs<br />
scolaires. Il est rémunéré par son père. A l’âge de 7 ans, il a travaillé comme cireur de chaussures<br />
pour des parents et des voisins, sur la suggestion de son grand-père qui était cireur et lui a tout acheté.<br />
Pedro travaillait à la maison. Ses parents l’aidaient parfois. Il avait ses tarifs : la paire de chaussures<br />
50 cents d’euro et les bottes 1 euro. Avec regret, il a arrêté ce travail car il n’avait plus de cire, son<br />
grand-père ne voulant plus l’en fournir.<br />
Il voudrait être architecte ou médecin.<br />
Contexte familial<br />
Ménage élargi biparental de 5 membres. Pedro est enfant unique. Son père (26 ans) est pelleteur<br />
(machetero) et chauffeur d’un camion-benne qui appartient à son oncle. Il travaille quand il y a du<br />
travail. Il est allé jusqu’à la secundaria. Sa mère (26 ans) est femme au foyer et étudiante au lycée. Il<br />
vit chez ses grands-parents maternels. Son grand-père est chef de maintenance électrique dans une<br />
entreprise privée. Sa grand-mère est standardiste dans une entreprise privée également. Tous les<br />
adultes, sauf son grand-père, participent au travail domestique et à la préparation des repas.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Il a participé à un entretien collectif après l’entretien individuel.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est tenue chez ses grands-parents, dans la salle à manger. Nous étions seuls. Sa mère<br />
était dans une pièce au fond de la cour de la maison. Pedro semblait tranquille, il a répondu<br />
concrètement aux questions. Il n’y a pas eu de dérangement pendant l’entretien qui a duré 53 minutes.<br />
ENTRETIEN 6<br />
Felipe (travailleur extradomestique non familial)<br />
Garçon de 14 ans en 1ère année de secundaria (école publique).<br />
Il a commencé à travailler à 8 ans aidant son oncle forgeur. Il donnait les outils à son oncle, les<br />
nettoyait et les rangeait. Il a travaillé pendant une année tous les après-midi, sans horaire fixe. Le<br />
459
matin il étudiait. Comme il avait une faible rémunération (2 euros par jour) et que le métier<br />
l’ennuyait, il a quitté son emploi pour se consacrer à l’école et travailler chez lui, avec sa mère et son<br />
frère, à vendre des sucreries et des sodas, sans revenu. A environ 13 ans, il a commencé à travailler<br />
avec son parrain comme serrurier. Il a appris le métier. Il a travaillé plus d’un an. Il a débuté à 17<br />
euros par semaine, pour finir à 27 euros. Il travaillait les après-midi du lundi au samedi. Ses parents,<br />
inquiets de l’addiction à l’alcool de son parrain l’ont poussé à quitter son travail. De plus, son emploi<br />
du temps scolaire a changé, il allait à l’école l’après-midi. Peu après, il a trouvé un travail les week-<br />
ends dans une taquería (restaurant spécialisé dans la vente de tacos) grâce à une connaissance. Il<br />
effectue près de huit heures par jour, et est rémunéré 7 euros par jour. De plus, il vient de trouver un<br />
travail avec un ami charpentier pour les vacances d’été.<br />
Il voudrait être mécanicien.<br />
Contexte familial<br />
Ménage nucléaire biparental de 5 personnes (Felipe ne connaît pas l’âge de ses parents). Il a deux<br />
frères aînés (20 et 16 ans). Le plus âgé étudie au lycée et est employé dans un cinéma. Il a toujours<br />
travaillé et étudié simultanément depuis d’âge de 13 ans. L’autre frère, élève en secundaria, il n’a<br />
jamais travaillé en dehors de la maison. Son père, après avoir été policier, travaille comme maçon<br />
depuis 4 mois. Il n’est pas allé au-delà de la primaria. Sa mère est femme de ménage et femme au<br />
foyer. Elle a suivit le cursus scolaire obligatoire. Sa mère prépare le repas, ou parfois une tante leur<br />
apporte. Les parents et le cadet de ses frères s’occupent du ménage. Quand ils étaient plus jeunes,<br />
l’aîné, environ âgé de 11 ans, s’occupait d’eux, les parents travaillant toute la journée. Il les douchait,<br />
préparait les repas, les amenait à l’école... Les trois enfants étaient responsables des tâches<br />
ménagères. Pendant cinq ans, sa mère, son frère et lui vendaient des sodas et des sucreries à la<br />
maison. Il y a un an qu’ils ont cessé cette activité.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Invité à participer à un entretien collectif après l’entretien individuel, il n’a pu se joindre à nous, car il<br />
travaillait à la date prévue pour la réunion.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est tenue dans le salon de la maison. Felipe semblait à l’aise, parlant doucement et<br />
répondant concrètement aux questions, sans oublier de nous faire part de ses expériences et<br />
anecdotes. L’entretien a duré 1 heure.<br />
ENTRETIEN 7<br />
Karen (travailleuse domestique familiale)<br />
Fille de 14 ans en 2e année de secundaria (école publique).<br />
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Depuis des années, elle s’occupe de sa sœur et de son frère cadets. Elle participe aux tâches<br />
ménagères, sauf la préparation des repas, et partage avec son père la responsabilité des cadets.<br />
Elle voudrait être pédiatre.<br />
Contexte familial<br />
Famille élargie monoparentale de 7 membres. Ses parents séparés depuis trois ans, la fratrie ne<br />
fréquente plus la mère. Karen a un frère de 10 ans et une sœur de 8 ans, écoliers. Les enfants ont vécu<br />
quelque temps chez leur mère, mais depuis 6 mois, ils habitent avec leur père (33 ans) qui est<br />
mécanicien, employé dans un garage privé de motos. Il a réussi son bac. Il travaille presque toute la<br />
journée du lundi au vendredi, et les samedi matin. Il est souvent en déplacement en province. Ils<br />
vivent dans un studio aménagé dans la maison de la grand-mère paternelle, où habitent aussi son<br />
oncle et sa tante (frère et sœur du père). <strong>La</strong> grand-mère (64 ans), femme au foyer, prépare le repas<br />
pour tous, et fait la plupart des tâches ménagères. L’oncle (30 ans) travaille comme baby-sitter et<br />
comme artisan indépendant, en plus, il est bénévole dans le centre social du quartier. Il a arrêté ses<br />
études après deux ans d’université. <strong>La</strong> tante (20 ans) est vendeuse, salariée dans une boutique. Elle est<br />
allée jusqu’au lycée. Les week-ends, tous aident la grand-mère à faire le ménage.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Elle a participé à un entretien collectif après l’entretien personnel.<br />
<strong>La</strong> rencontre a eu lieu chez elle, dans la salle à manger, où nous étions seules, la grand-mère était<br />
dans la cuisine en train de préparer les repas. Plus tard, elle est sortie de la maison. Nous n’avons pas<br />
été dérangées.<br />
Au début, elle était un peu nerveuse, mais peu à peu, elle s’est montrée plus à l’aise. Elle aimait parler<br />
et donner des exemples, profitant de l’entretien pour nous faire part des problèmes avec sa mère.<br />
L’entretien a duré 1 heure et 34 minutes.<br />
ENTRETIEN 8<br />
Carlos (non travailleur, mais avec expérience professionnelle)<br />
Garçon de 14 ans en 3e année de secundaria (école publique).<br />
Cette année, il a commencé à travailler avec son père. Il l’aide à nettoyer les distributeurs de petits<br />
ours en peluche installés dans divers centres commerciaux. Il travaille plus ou moins tous les trois<br />
jours pendant les vacances, certains week-ends en période scolaire, environ cinq heures par jour. Il est<br />
rémunéré 7 euros par semaine, peu importe le temps travaillé.<br />
Généralement, il lave la vaisselle après les repas.<br />
Il voudrait être médecin.<br />
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Contexte familial<br />
Famille nucléaire biparentale de 4 personnes. Carlos a une sœur âgée de 10 ans, écolière. Son père<br />
(34 ans) est chargé de l’entretien des distributeurs de petits ours en peluche. Il est allé jusqu’au lycée.<br />
Sa mère (35 ans) femme au foyer n’est pas allée au-delà de la secundaria, n’a jamais travaillé après<br />
son mariage. Elle est l’unique responsable des tâches ménagères et des repas. Les enfants s’occupent<br />
de leurs affaires. Le père ne participe pas aux corvées ménagères.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Après son refus de participer aux entretiens collectifs, nous l’avons proposé un entretien individuel<br />
qu’il a accepté.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est déroulée chez ses parents, dans le salon. Nous étions seuls. Sa mère et sa sœur<br />
lavaient le linge dans la cour de la maison. Carlos répondait de façon assez brève et à voix basse. Il<br />
avait l’air anxieux. Personne ne nous a dérangés lors de l’entretien qui a duré 35 minutes.<br />
ENTRETIEN 9<br />
Sandra (travailleuse extradomestique familiale et non familiale)<br />
Fille de 12 ans en 6e année de primaria (école publique).<br />
Depuis l’âge de 9 ans, elle travaille tous les soirs sans revenu, avec sa mère dans un local improvisé<br />
du quartier. De plus, sa grand-mère la paie pour laver un comal (poêle très plate, épaisse et grande) 15<br />
jours par mois.<br />
Elle partage le travail ménager avec ses frères, et lave le linge avec sa mère. Depuis l’âge de 9 ou 10<br />
ans elle cuisine de temps en temps.<br />
Elle voudrait être médecin ou infirmière.<br />
Contexte familial<br />
Famille nucléaire biparentale de 5 membres. Sandra a deux frères (10 et 8 ans) écoliers, et une sœur<br />
aînée de 18 ans qui ne vit plus chez eux, mariée et mère d’un enfant de 2 ans. Son père (40 ans) est<br />
fonctionnaire, il a suivi une formation universitaire. Sa mère (40 ans), femme au foyer et<br />
commerçante informelle, est allée jusqu’à la secundaria. Toutes les soirées, sauf les dimanches, sa<br />
mère installe son local improvisé face à leur maison dans la rue, où elle vend des hamburgers et des<br />
frites, à côté de sa grand-mère, qui est aussi commerçante informelle, et vend également des aliments.<br />
Les trois enfants s’occupent des tâches ménagères avec leur mère. Quant elle ne peut pas cuisiner,<br />
chaque enfant prépare son propre repas. Son père participe à la préparation des repas et lave la<br />
vaisselle, mais seulement les week-ends.<br />
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Déroulement de l’entretien<br />
Elle a participé à un entretien collectif avant l’entretien individuel.<br />
<strong>La</strong> rencontre s’est déroulée chez elle, dans la salle à manger. Nous étions seules, les parents<br />
travaillent et les frères jouent dans la rue. Personne ne nous a dérangés. Elle s’est montrée à l’aise,<br />
mais timide. Elle parlait en voix basse.<br />
L’entretien a duré 37 minutes.<br />
ENTRETIEN 10<br />
Alejandro (travailleur extradomestique non familial)<br />
Garçon de 14 ans en 1ère année de secundaria (école publique).<br />
Depuis l’âge de 8 ans, pendant les périodes scolaires, il travaille une heure par soirée dans une<br />
épicerie du quartier. Pendant les vacances, il travaille environ quatre heures par jour, avec le même<br />
employeur, qui en plus de l’épicerie, loue des machines de jeux vidéo et des aires des jeux gonflables.<br />
Depuis l’âge de 7 ou 8 ans, sa mère lui a appris à préparer certains plats.<br />
Sa famille est l’une des plus pauvres du quartier.<br />
Il voudrait être avocat.<br />
Contexte familial<br />
Famille nucléaire biparentale de 5 personnes. Alejandro a un frère de 12 ans et une sœur de 10 ans,<br />
écoliers. Son beau-père (65 ans), gardien de nuit, vient d’épouser sa mère (35 ans), femme au foyer.<br />
Tous les deux ont été peu scolarisés. Les enfants et leur beau-père participent parfois aux tâches<br />
ménagères, mais la mère fait la plus grande partie du travail.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Il a participé à un entretien collectif avant l’entretien individuel.<br />
<strong>La</strong> rencontre a eu lieu dans la cour du centre social du quartier, car il ne nous a pas proposé de le faire<br />
chez ses parents. Nous nous sommes installés dans un coin tranquille, où de temps en temps des<br />
personnes passaient, sans nous déranger. Quelques minutes après avoir commencé l’entretien, un<br />
camion-poubelle a stationné à côté du centre social pour ramasser les poubelles. Il y a eu alors trop de<br />
bruit pendant quelques minutes. Lors de l’entretien, Alejandro avait l’air détendu, mais s’est montré<br />
timide et peu bavard.<br />
L’entretien a duré 30 minutes.<br />
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ENTRETIEN 11<br />
Alicia (travailleuse extradomestique non familiale)<br />
Fille de 11 ans en 6e année de primaria (école publique).<br />
Elle a commencé à travailler dans le petit restaurant de sa tante à l’âge de 9 ans, pendant les vacances<br />
d’été. Elle y allait tous les matins, du lundi au vendredi, 4 heures en moyenne. Sa tante lui payait 7<br />
euros par semaine. Elle assistait sa tante dans la préparation de plats et était aussi serveuse.<br />
Depuis un an, elle travaille encore avec sa tante comme serveuse, cette fois tous les après-midi, du<br />
lundi au vendredi, après l’école. Elle n’est plus payée par sa tante, mais reçoit des pourboires de la<br />
part des clients (ce qui est une coutume au Mexique) et déjeune sur place.<br />
Comme elle aime cuisiner, les week-ends, elle prépare parfois le petit-déjeuner pour sa famille. Elle<br />
lave de temps en temps son linge.<br />
Elle voudrait être chef de cuisine, vétérinaire ou médecin.<br />
Contexte familial<br />
Famille nucléaire biparentale de 3 personnes. Elle est fille unique. Son père (33 ans), forgeur est<br />
employé dans un petit atelier. Sa mère (33 ans) est femme au foyer. Ses parents ne sont pas allés plus<br />
loin que la secundaria. Ils habitent une maison construite dans une propriété familiale, où les autres<br />
frères et sœurs du père ont aussi leur logement. Sa mère est chargée des tâches ménagères et des<br />
repas, mais les week-ends, Alicia et son père y participent aussi un peu. Sa mère ne travaille pas parce<br />
qu’elle veut s’occuper d’Alicia.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
<strong>La</strong> rencontre a eu lieu chez ses parents, dans le salon. Nous étions seules, sa mère était sortie et son<br />
père travaillait. Au début de l’entretien, elle a avoué être nerveuse car intimidée. Toutefois, elle s’est<br />
vite détendue, a beaucoup parlé et argumenté ses propos, a partagé quelques anecdotes.<br />
L’entretien a duré 1 heure et 10 minutes.<br />
ENTRETIEN 12<br />
Claudia (travailleuse extradomestique familiale)<br />
Fille de 9 ans en 3e année de primaria (école publique)<br />
Elle travaille de manière irrégulière dans l’épicerie familiale. Tous les jours, elle ou son frère<br />
s’occupe du magasin lorsque la mère doit préparer les repas, faire le ménage ou se reposer. Elle y va<br />
aussi lorsqu’elle n’a rien à faire d’autre et qu’elle s’ennuie. Elle y va depuis les 7 ans. Elle s’occupe<br />
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de l’épicerie, même si elle ne connaît pas les prix des articles, elle se débrouille. Elle n’est pas<br />
rémunérée.<br />
Elle lave parfois son linge ou les chaussettes de toute la famille, et d’habitude elle balaye la maison.<br />
Elle voudrait être médecin ou infirmière.<br />
Contexte familial<br />
Ménage nucléaire biparental de 4 personnes. Claudia a un frère aîné âgé de 10 ans, écolier, qui<br />
travaille aussi parfois avec sa mère. Son père (36 ans) loue des machines de jeux vidéo et des aires de<br />
jeux gonflables. Il est travailleur indépendant. Il n’est pas allé au-delà de la primaria. Sa mère (29<br />
ans) est femme au foyer. Elle n’est pas allée au-delà de la secundaria. Ces parents s’occupent d’une<br />
épicerie, propriété de son grand-père maternel, qui se trouve dans la cour de la maison. Elle est<br />
ouverte 7 jours sur 7, de 7 h à 22 h. Son père et son frère ne participent jamais aux tâches ménagères,<br />
ni à la préparation des repas.<br />
Déroulement de l’entretien<br />
Elle a participé à un entretien collectif avant l’entretien individuel.<br />
<strong>La</strong> rencontre a eu lieu dans notre voiture, car il pleuvait, et sa mère ne nous a pas proposé de nous<br />
accueillir chez elle. <strong>La</strong> pluie s’est arrêtée quelques minutes après, et certains enfants sortis jouer dans<br />
la rue où nous étions garés, se sont approchés de la voiture, en distrayant Claudia. Il nous a donc fallu<br />
intervenir pour leur demander de nous laisser tranquilles un moment. Mais elle était inquiète et<br />
regardait les enfants jouer. Elle répondait de façon brève et en voix basse. L’entretien a duré une<br />
demi-heure.<br />
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