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L’un des tableaux les plus impressionnants de<br />
l’exposition du musée d’Orsay, « les Trois Sorcières<br />
», est signé du Suisse Johann Heinrich<br />
Füssli.<br />
Nous sommes là, debout, et<br />
plus ou moins dans une position confortable,<br />
nous regardons. Nous regardons,<br />
nous dit-on, le goût du romantique<br />
noir à l’œuvre et ses avatars, dans<br />
ce que nous sommes censés int<strong>erp</strong>réter,<br />
comme une essentielle évidence,<br />
comme ne pouvant nous échapper, le<br />
« se-montrant-de-soi-même » du bizarre.<br />
L’on nous dit qu’il y a, là, de l’irrationnel,<br />
du fantastique, du surréaliste, que<br />
nous voyons, là, en tant qu’elle se donne<br />
à voir comme telle, et qu’elle ne<br />
p<strong>eu</strong>t que nous laisser sans voix. Esquissons<br />
un battement de cil, juste ce qu’il<br />
faut pour rafraîchir l’œil.<br />
Et p<strong>eu</strong>t-être aussi pour mi<strong>eu</strong>x écouter<br />
la voix de ses peintures qui nous parlent<br />
du bizarre. On ne présente plus le<br />
bizarre, nous dit cette voix qui cherche<br />
à se faire oublier, à nous faire<br />
oublier qu’elle est une voix et que nous<br />
l’écoutons nous parler. La voix nous dit<br />
surtout d’ouvrir les y<strong>eu</strong>x, de garder les<br />
y<strong>eu</strong>x ouverts et donc d’éviter ce que<br />
nous avons déjà fait, à savoir de battre<br />
des cils. C’est à voir, nous dit-elle…<br />
Mais observons tous ces monuments du<br />
Cauchemar de Füssli<br />
noir un instant, ce qui est frappant<br />
dans cette exquise exposition du musée<br />
d’Orsay, c’est : est-ce que ces<br />
peintres avaient-ils du génie ou du<br />
talent ? <strong>Le</strong> talent, c’est le don qu’on<br />
gouverne. <strong>Le</strong> génie c’est le don par<br />
lequel on est gouverné. <strong>Le</strong> génie est<br />
inné, le talent acquis. <strong>Le</strong> premier jaillit<br />
dès l’adolescence, le second ne s’affirme<br />
que dans la maturité.<br />
<strong>Le</strong> premier s’abr<strong>eu</strong>ve à l’irrationnel, le<br />
second garde mesure en toute circonstance.<br />
Goya, Ernst, Blake, Géricault,<br />
Munch, Hugo, Füssli, Magritte ont du<br />
génie. <strong>Le</strong> génie les habite, les possède,<br />
les violente, parfois les torture, pour<br />
qu’ils aillent au bout d’<strong>eu</strong>x-mêmes,<br />
voire au-delà de l<strong>eu</strong>rs forces. Delacroix,<br />
Moreau, Dali, Redon, C.G. Friedrich,<br />
Bonnard, ont du talent. Ils possèdent<br />
l<strong>eu</strong>r talent, ils le dominent, ils<br />
le dirigent, ils l’organisent. On ne dira<br />
jamais d’un génie qu’il est « olympien ».<br />
Si on v<strong>eu</strong>t recourir à une métaphore,<br />
on le comparera à un volcan en éruption,<br />
un Vésuve permanent.<br />
<strong>Le</strong> génie n’est pas supéri<strong>eu</strong>r au talent.<br />
La Mort et le fossoy<strong>eu</strong>r, Carlos Schwabe<br />
<strong>Le</strong> grand sabbat d’Orsay ...<br />
<strong>Le</strong> talent est quelque fois supéri<strong>eu</strong>r au<br />
génie. Moins lâche, moins bavard, plus<br />
exigeant, plus strict. <strong>Le</strong> talent se donne<br />
tout entier dans l’acte de se montrer.<br />
<strong>Le</strong> génie s’entoure de mystère<br />
et, dans le mystère, quel qu’il soit, il y<br />
a de l’épate, un risque de trompe-œil<br />
et de mensonge. <strong>Le</strong> génie p<strong>eu</strong>t tricher,<br />
le talent jamais.<br />
Un autre nom pour « talent » serait<br />
« classique » (idée de sagesse, de mesure),<br />
et, pour « génie »,<br />
« romantique » (idée de folie, d’embardé<br />
dans le n’importe quoi).<br />
Bien sûr, j<strong>eu</strong>ne, on préfère le génie.<br />
Dans l’âge mûr, le talent. Il arrive que<br />
le talent s’impose comme référence<br />
suprême… Mais pour savoir si vous<br />
êtes un ange de j<strong>eu</strong>nesse ou un archange<br />
de vieillesse je vous invite à<br />
vous délecter dans cette exposition<br />
fort sympathique et fantastique de<br />
tableaux, de statues, ainsi que de<br />
films expressionnistes tous d’une rare<br />
beauté… à voir et à revoir sans modération…<br />
Duvocelle, Crâne aux y<strong>eu</strong>x exorbités<br />
Bus L'ange 24, du 63, bizarre. 68, 69, 73, <strong>Le</strong> 83, romantisme 84, 94 noir de Goya à Max Ernst<br />
5 mars - 9 juin 2013<br />
Musée d'Orsay, 62, rue de Lille, 75343 Paris Cedex 07<br />
Métro 12 Solferino<br />
RER C Musée d'Orsay<br />
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