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N° 380 - Du 1 er au 7 juin 2013<br />
10<br />
VACANCES<br />
LES ALGERIENS DE FRANCE<br />
On prépare déjà <strong>le</strong>s valises pour l’été<br />
Pour beaucoup,<br />
c’est «voir la baie<br />
d’<strong>Alger</strong> et mourir», ou<br />
encore «<strong>le</strong>s montagnes<br />
du Djurdjura sont <strong>le</strong>s<br />
sommets du monde».<br />
Pour d’autres, «rien ne<br />
vaut <strong>le</strong> front de mer à<br />
Oran», alors que certains<br />
vous diront : «Il<br />
n’y a pas plus beau que<br />
la déesse Constantine».<br />
D’autres encore vous<br />
assurent qu’«on peut se<br />
vanter devant <strong>le</strong> monde<br />
entier si on a<br />
dégusté un bon thé dans<br />
l’immensité du Sahara».<br />
Beaucoup ne <strong>le</strong> savent<br />
peut-être pas, mais <strong>le</strong> retour<br />
des «émigrés» algériens<br />
de France ou d’ail<strong>le</strong>urs,<br />
n’est pas une partie de plaisir,<br />
mais surtout un parcours du<br />
<strong>com</strong>battant. Mais malgré <strong>le</strong>s difficultés<br />
du voyage, ils seront au<br />
rendez-vous avec <strong>le</strong>ur Algérie<br />
dans quelques semaines. Et ce<br />
n’est pas demain qu’ils risquent<br />
de changer d’avis pour al<strong>le</strong>r passer<br />
des vacances ail<strong>le</strong>urs. Mais il<br />
ne s’agit pas seu<strong>le</strong>ment de vacances,<br />
c’est surtout un retour<br />
aux sources.<br />
Ce retour au «b<strong>le</strong>d» est vécu<br />
avec beaucoup de nostalgie, de<br />
joie mais aussi de stress. Un<br />
cocktail qui se prépare dès <strong>le</strong><br />
mois de juin pour <strong>le</strong> grand voyage<br />
au pays des ancêtres.<br />
Dans un mois à peine, <strong>le</strong>s Algériens<br />
résidant à l'étranger vont<br />
revenir au pays. Un retour aux<br />
sources donc <strong>com</strong>me ils <strong>le</strong> font<br />
depuis des années. La famil<strong>le</strong>,<br />
«el-houma», <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, la mer, <strong>le</strong>s<br />
montagnes, <strong>le</strong> désert... tout sera<br />
là, <strong>com</strong>me une excuse, <strong>com</strong>me<br />
une raison pour se remémorer un<br />
passé lointain, si lointain parfois<br />
qu'il fait perdre <strong>le</strong>s repères.<br />
Dans quelques semaines donc,<br />
<strong>le</strong>s aéroports et <strong>le</strong>s ports d’Algérie<br />
vont vivre l’effervescence du<br />
retour de ceux qui sont partis il y<br />
a un an, dix ans ou depuis des<br />
lustres. Ils arriveront de France,<br />
mais aussi d’Ang<strong>le</strong>terre, d’Italie,<br />
des Emirats Arabes Unis, du Qatar,<br />
et même des Etats-Unis<br />
d'Amérique ou du Canada.<br />
Nostalgie oblige, ces Algériens<br />
ne vivent que pour ces moments<br />
de retour, ces moments de bonheur.<br />
La majorité de la <strong>com</strong>munauté<br />
algérienne installée à l'étranger<br />
vit en France. Les Algériens de<br />
France sont à deux heures seu<strong>le</strong>ment,<br />
voire une heure, d'<strong>Alger</strong><br />
ou des autres grandes vil<strong>le</strong>s du<br />
pays, et pourtant on dirait qu'ils<br />
sont à des années-lumière de là<br />
où ils sont nés, de là où ils ont<br />
vécu. «C'est diffici<strong>le</strong> d'expliquer<br />
cet état d'esprit, dira Adel, pâtissier<br />
à Paris. Aujourd'hui, il y a<br />
toutes <strong>le</strong>s techniques de <strong>com</strong>munication<br />
à portée de main, on<br />
peut avoir des nouvel<strong>le</strong>s plus faci<strong>le</strong>ment,<br />
voir et discuter avec<br />
<strong>le</strong>s parents et <strong>le</strong>s amis, mais rien<br />
n'y fait, et rien ne <strong>com</strong>pense <strong>le</strong><br />
manque du pays et de la «familiya».<br />
Adel est agent de sécurité dans<br />
une grande surface. Sa petite famil<strong>le</strong><br />
(sa femme et ses deux fils)<br />
et lui étaient en Algérie l'année<br />
dernière <strong>com</strong>me ils ont l'habitude<br />
de <strong>le</strong> faire maintenant depuis<br />
une dizaine d'années. L'été dernier,<br />
une question posée par son<br />
fils de 10 ans l'avait laissé sans<br />
voix : «Dis papa, pourquoi on<br />
m'appel<strong>le</strong> l'émigré ici en Algérie<br />
et quand je suis en France on dit<br />
que je suis étranger ?». Adel<br />
s'est étalé dans l'explication et<br />
l'argumentation, mais apparemment<br />
l'enfant n'a pas été<br />
convaincu par la dissertation du<br />
père.<br />
Comme Adel, il y en a des milliers,<br />
et <strong>com</strong>me son fils qui pose<br />
des questions pertinentes, il y en<br />
a éga<strong>le</strong>ment des milliers. Samy,<br />
collégien, 14 ans, est né en France.<br />
Il réside avec ses parents à<br />
Paris, il est un peu plus critique.<br />
«C'est vrai que j'aime bien al<strong>le</strong>r<br />
en Algérie l'été, avoue-t-il, mais<br />
c’est un peu l’anarchie. Quand<br />
je demande à mes parents des<br />
explications, ils me répondent :<br />
c’est ça l’Algérie et el<strong>le</strong> ne peut<br />
être bel<strong>le</strong> que <strong>com</strong>me ça. Moi je<br />
rigo<strong>le</strong>».<br />
Ce qui rend Samy critique et<br />
amusé en même temps, ce sont<br />
tous ces évènements qui gravitent<br />
autour du voyage. Ses parents<br />
<strong>com</strong>mencent à mettre de<br />
l’argent de côté à partir du mois<br />
de septembre, ils réservent sans<br />
tarder dès que la <strong>com</strong>pagnie Air<br />
Algérie ouvre <strong>le</strong> bal des réservations.<br />
Mars, avril, <strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts sont<br />
déjà dans la poche. Acheter <strong>le</strong><br />
bil<strong>le</strong>t plus tôt, veut dire qu’il sera<br />
payé moins cher, attendre mai ou<br />
juin, ce sera plus coûteux, et<br />
peut-être même qu’il n’y aura<br />
plus de places disponib<strong>le</strong>s.<br />
Kamel, <strong>le</strong> père de Samy, est<br />
<strong>com</strong>merçant. Il gagne bien sa<br />
vie, et pourtant il doit faire des<br />
<strong>com</strong>ptes. «J’ai appris à vivre<br />
avec ça. Dès <strong>le</strong> retour d’Algérie<br />
en août, on <strong>com</strong>mence à penser<br />
au prochain voyage. Ma famil<strong>le</strong><br />
est <strong>com</strong>posée de cinq personnes<br />
et <strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts coûtent 2 000 euros,<br />
ce qui n’est pas donné. De plus,<br />
j’achète <strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts plus tôt pour<br />
<strong>le</strong>s payer moins cher, et bien que<br />
<strong>le</strong> service proposé ne soit pas à<br />
la hauteur, et que <strong>le</strong> retard des<br />
vols soit devenu une vilaine habitude,<br />
moi, je ne peux pas me<br />
permettre une autre <strong>com</strong>pagnie»<br />
Les retards, l’accueil à l’aéroport,<br />
la pagail<strong>le</strong> à la récupération<br />
des bagages agacent <strong>le</strong> petit<br />
Adel. «A la fin du voyage, je suis<br />
exténué, explique-t-il. Le retard,<br />
je peux <strong>le</strong> <strong>com</strong>prendre une fois,<br />
mais pas tout <strong>le</strong> temps. Je ne<br />
<strong>com</strong>prends pas aussi <strong>le</strong>s douaniers<br />
qui ne répondent même pas<br />
au bonjour et qui ne sourient pas<br />
aux voyageurs. Je dis à mes parents<br />
que je pense qu’ils ne sont<br />
pas contents de nous voir, nous<br />
<strong>le</strong>s immigrés».<br />
Le sentiment de l’ado<strong>le</strong>scent<br />
n’est pas anodin. Les adultes<br />
font <strong>le</strong> même constat, mais ils relativisent,<br />
<strong>com</strong>me <strong>le</strong> fait <strong>le</strong> père<br />
de Adel: «Arrête, tu te fais des<br />
idées mon fils, ils sont gentils<br />
nos douaniers, ils sont simp<strong>le</strong>ment<br />
fatigués…<strong>com</strong>me nous».<br />
Prendre <strong>le</strong> bateau à la place de<br />
l’avion ne change rien à la donne,<br />
c’est peut-être pire. Certains<br />
avouent même que sur <strong>le</strong>s quais<br />
d’Algérie, <strong>le</strong> calvaire de l’été est<br />
des plus insupportab<strong>le</strong>, avec des<br />
attentes qui peuvent durer jusqu’à<br />
4 heures. Inimaginab<strong>le</strong> et<br />
irréel quand on est coincé dans <strong>le</strong><br />
bateau avec enfants et bagages.<br />
Ma<strong>le</strong>k, médecin à Marseil<strong>le</strong>,<br />
préfère <strong>le</strong> voyage en bateau.<br />
Avec sa femme et ses 3 enfants,<br />
ils se rendent chaque mois<br />
d’août en Algérie depuis des années.<br />
Karima, sa femme, éga<strong>le</strong>ment<br />
médecin, ne cache pas son<br />
stress : «Comme à l’accoutumée,<br />
à quelques semaines du voyage,<br />
j’appréhende. Nous allons faire<br />
quelques kilomètres en voiture,<br />
puis on prend <strong>le</strong> bateau vers <strong>Alger</strong>,<br />
la traversée sera bel<strong>le</strong>, bien<br />
que <strong>le</strong> service laisse à désirer. Ce<br />
qui me tourmente à chaque fois,<br />
c’est cette fi<strong>le</strong> d’attente pénib<strong>le</strong><br />
et interminab<strong>le</strong> qui dure des fois<br />
des heures. C’est inadmissib<strong>le</strong> et<br />
in<strong>com</strong>préhensib<strong>le</strong>». Kamel, son<br />
mari, enchaîne : «C’est vrai que<br />
ce n’est pas agréab<strong>le</strong> ce que<br />
nous vivons à l’arrivée, mais je<br />
conso<strong>le</strong> tout <strong>le</strong> monde en <strong>le</strong>ur di-<br />
sant que ce n’est que quelques<br />
heures et que tout rentrera dans<br />
l’ordre après». Il préfère rappe<strong>le</strong>r<br />
à tous que ce qui <strong>com</strong>pte, ce<br />
sontt <strong>le</strong>s bons moments qu’ils<br />
vont passer ensemb<strong>le</strong> avec la famil<strong>le</strong><br />
et à la plage.<br />
Depuis 3 ans, <strong>le</strong>s congés d’été<br />
coïncident avec <strong>le</strong> Ramadhan.<br />
Une bel<strong>le</strong> opportunité pour <strong>le</strong>s<br />
Algériens de France de vivre cet<br />
événement religieux, social et<br />
culturel dans <strong>le</strong> pays. Pour certains,<br />
<strong>le</strong>s goûts, <strong>le</strong>s saveurs et <strong>le</strong>s<br />
festivités de ce mois, ils <strong>le</strong>s ont<br />
perdus depuis quelques années.<br />
Ils étaient pour la plupart obligés<br />
de passer <strong>le</strong> Ramadhan loin des<br />
<strong>le</strong>urs.<br />
L’opportunité est là, et nos émigrés<br />
sont bien décidés à en profiter.<br />
Cette année encore, et ce<br />
aussi sera <strong>le</strong> cas dans quelques<br />
années, <strong>le</strong> Ramadhan se conjuguera<br />
à l’été. Pour certains, <strong>le</strong><br />
congé, c’est pendant <strong>le</strong> Ramadhan,<br />
ils seront en Algérie pour en<br />
profiter p<strong>le</strong>inement, mais pour<br />
beaucoup d’autres famil<strong>le</strong>s l’arrivée<br />
au b<strong>le</strong>d est prévue à la fin<br />
du mois de juil<strong>le</strong>t. Ce sont <strong>le</strong>s<br />
plus chanceux, puisqu’ils vont<br />
vivre <strong>le</strong>s derniers jours du mois<br />
sacré, <strong>le</strong>s jours de l’Aïd, avant de<br />
profiter du so<strong>le</strong>il et de la mer<br />
plus tard.<br />
C’est <strong>le</strong> cas de Farid, boucher à<br />
Lyon, avec sa femme et sa fil<strong>le</strong><br />
de 8 ans. Il a hâte d’al<strong>le</strong>r voir sa<br />
mère, sa famil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s amis du<br />
quartier. L’enfant d’Hussein-<br />
Dey a prévu d’être en Algérie la<br />
dernière semaine du Ramadhan<br />
en s’arrangeant pour fermer boutique<br />
durant tout <strong>le</strong> mois d’août.<br />
«Rien au monde ne me fera rater<br />
<strong>le</strong>s bel<strong>le</strong>s soirées de ce mois, <strong>le</strong>s<br />
agréab<strong>le</strong>s jours de l’Aïd et merveil<strong>le</strong>uses<br />
échappées à la<br />
plage», lance-t-il, nostalgique.<br />
Dalila, sa femme, souhaite se<br />
rendre dans son petit village de<br />
Kabylie. «Une virée là-bas nous<br />
fera à tous <strong>le</strong>s trois beaucoup de<br />
bien. La cha<strong>le</strong>ur humaine de ma<br />
famil<strong>le</strong> et des habitants de mon<br />
village nous fera oublier la froideur<br />
d’ici».<br />
C’est incroyab<strong>le</strong> <strong>com</strong>me la nostalgie<br />
l’emporte sur <strong>le</strong>s désagréments<br />
d’avant, pendant et après<br />
<strong>le</strong> voyage. Une histoire des plus<br />
insensées est arrivée à une famil<strong>le</strong><br />
qui réside à Bordeaux. A travers<br />
une agence (ce qui permet<br />
de payer <strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts sur quatre<br />
fois), Rachid, intérimaire dans <strong>le</strong><br />
bâtiment, réserve et achète cinq<br />
bil<strong>le</strong>ts sur un vol pour <strong>le</strong> début<br />
du mois d’août avec la <strong>com</strong>pagnie<br />
Aig<strong>le</strong> Azur pour lui, sa femme<br />
et ses trois enfants. Pour ce<br />
vol Bordeaux-<strong>Alger</strong>, al<strong>le</strong>r-retour,<br />
il doit débourser 1800 euros<br />
sur 4 mois à l’agence. Nous<br />
sommes au mois de mars quand<br />
une chargée de clientè<strong>le</strong> de cette<br />
dernière <strong>le</strong> contacte et l’informe<br />
que la <strong>com</strong>pagnie a annulé ses<br />
vols à partir de Bordeaux. Rachid<br />
et sa femme tombent des<br />
nues. «Aig<strong>le</strong> Azur avait encaissé<br />
la totalité de la somme de<br />
l’agence, qui s’est démenée pour<br />
reprendre son argent, expliquet-il.<br />
J’ai contacté la <strong>com</strong>pagnie<br />
qui n’a pas trouvé mieux que de<br />
me proposer de faire <strong>le</strong> voyage à<br />
partir de Toulouse, avec, tenezvous<br />
bien, un supplément. Le<br />
dossier a traîné et l’agence n’a<br />
pu récupérer son argent<br />
qu’après moult tractations».<br />
Mais <strong>le</strong> problème n’était pas définitivement<br />
réglé, puisqu’il fallait<br />
trouver une autre <strong>com</strong>pagnie,<br />
et bien entendu, ce sera Air<br />
Algérie.<br />
Au bout du fil un chargé de<br />
clientè<strong>le</strong> va être à la limite de<br />
l’inso<strong>le</strong>nce avec l’agence<br />
«Ah!…, réplique-t-il, c’est <strong>le</strong>s<br />
rescapés d’Aig<strong>le</strong> Azur ?». Naziha,<br />
la femme de Rachid, reste<br />
sobre et relativise : «J’ai calmé<br />
mon mari, et nous avons acheté<br />
<strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts avec 200 euros de<br />
plus. Nous serons incha Allah à<br />
<strong>Alger</strong> cet été».<br />
Les histoires de ce genre sont<br />
nombreuses, mais jamais ces<br />
émigrés n’ont renoncé à revenir<br />
chaque été au b<strong>le</strong>d. La nostalgie,<br />
<strong>le</strong>s souvenirs, la famil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s<br />
amis résistent à tout. L’amour du<br />
pays est si grand qu’il ne peut<br />
plier devant un vol souvent retard,<br />
ou devant un douanier au<br />
visage fermé, ou dans la soute<br />
étouffante d’un bateau qui a accosté<br />
depuis des heures.<br />
Rien n’y fait, <strong>le</strong>s Algériens de<br />
France vont dépasser tout cela<br />
cette année encore, et viendront<br />
en masse <strong>com</strong>me d’habitude, et<br />
<strong>le</strong>s enfants algériens de France<br />
ava<strong>le</strong>ront encore une fois avec<br />
amertume la fameuse réplique :<br />
«C’est un émigré !», et à <strong>le</strong>ur retour,<br />
ils absorberont avec dou<strong>le</strong>ur<br />
l’insupportab<strong>le</strong> stigmatisation<br />
: «C’est un étranger !».<br />
Fayçal Charif<br />
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