La tentative de rachat d'Orangina par Coca-Cola - Cerna

Cerna, Centre d'économie industrielle
Ecole nationale supérieure des mines de Paris
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La tentative de rachat d’Orangina par Coca-Cola
Ibrahima Diedhiou - Amaury Engel - Gildas Joudain de Muizon
Janvier 2000
Ce travail a été réalisé dans le cadre de l’enseignement d’économie industrielle
à l’Ecole des Mines de Paris.

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S o m m a i r e
Introduction 3
1. Analyse des stratégies des entreprises concernées par la fusion Coca-Cola / Orangina 4
1.1. Présentation des groupes Coca-Cola et Pernod-Ricard 4
1.2. Historique de la place d'Orangina dans la stratégie de Pernod-Ricard 5
1.3. Le rachat d'Orangina par Coca-Cola 8
2. Le marché pertinent et l'analyse des concentrations 11
2.1. Les procédures de contrôle des concentrations 11
2.2. Le marché pertinent 12
3. Les avis rendus par le conseil de la concurrence 15
3.1. Le premier avis du conseil de la concurrence 16
3.2. La seconde proposition de Coca-Cola et l'avis définitif du conseil de la concurrence 19
Conclusion 20
Bibliographie 21
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I n t r o d u c t i o n
Ce document a pour ambition d’apporter des éléments de réponses à deux questions
concernant la tentative de rachat d’Orangina par Coca-Cola :
Quels intérêts économiques des groupes Pernod-Ricard et Coca-Cola justifiaient
la volonté du premier de vendre Orangina et celle du second de se porter
acquéreur ?
Pourquoi le ministre de l’Economie n’a-t-il pas autorisé cette opération ?
Nous verrons donc d’abord quelles sont les stratégies économiques des groupes impliqués
dans l’opération afin de mieux comprendre leurs intérêts économiques. Puis, nous parlerons
du concept fondamental de marché pertinent dont la définition, dans notre cas, est à
l’origine des avis rendus par le Conseil de la Concurrence. Enfin, nous détaillerons les
analyses économiques du Conseil de la Concurrence qui expliquent ses avis négatifs.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous présentons ici un historique sommaire de l’affaire :
17 décembre 1997 : Coca-Cola et Pernod-Ricard signent une lettre d’intention pour la
cession d’Orangina au groupe américain
22 décembre 1997 : Les deux groupes annoncent officiellement la transaction.
17 mars 1997 : L’opération est notifiée au ministre de l’Economie.
7 mai 1997 : Le ministre saisit le Conseil de la Concurrence.
29 juillet 1997 : Le conseil rend un avis négatif.
17 septembre 1997 : Le ministre refuse l’opération.
Automne 1998 : Coca-Cola saisit le Conseil d’Etat en recours pour excès de pouvoir du
ministre de l’Economie.
9 avril 1999 : Le Conseil d’Etat rejette le recours présenté par Coca-Cola.
4 juin 1999 : Coca-Cola notifie définitivement sa nouvelle offre.
24 novembre 1999 : Après un deuxième avis négatif de Conseil de la Concurrence, le
ministre classe définitivement le projet.
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1 . A n a l y s e d e s s t r a t é g i e s d e s
e n t r e p r i s e s c o n c e r n é e s p a r l a
f u s i o n C o c a - C o l a / O r a n g i n a
Pour comprendre les récents événements concernant l'éventuel rachat de l'entreprise
Orangina par Coca-Cola, il faut tout d'abord connaître les entreprises principalement
intéressées, c'est-à-dire Pernod-Ricard et Orangina en étudiant tout d'abord la situation
actuelle des entreprises puis on reviendra sur l'historique de leur développement afin de bien
comprendre leurs motivations dans cette opération de rachat.
1.1. Présentation des groupes Coca-Cola et Pernod-Ricard
Coca-Cola
La société américaine The Coca-Cola Company (TCCC) est le premier fournisseur mondial
de concentrés et de sirops servant à produire des boissons gazeuses sans alcool (BGSA). Elle
est présente dans près de deux cents pays et détient quatre des cinq boissons sans alcool les
plus vendues dans le monde. Le chiffre d'affaires total de l'entreprise est de 18,5 milliards de
dollars soit 110 milliards de francs pour un revenu net de 3,49 milliards de dollars. Il
provient essentiellement de la vente des concentrés puisque la société s'est progressivement
désengagée de ses activités d'embouteillage et de distribution de boissons.
TCCC est présente en France par l'intermédiaire de deux filiales à 100% : la société Varoise
de Concentrés, qui produit des concentrés destinés aux embouteilleurs et la société Coca-
Cola Service France, dont l'activité consiste à fournir divers services à ces mêmes
embouteilleurs (contrôle de la qualité des boissons, études de marché, commercialisation et
promotion des produits).
A partir de 1986, TCCC a commencé à regrouper ses activités d'embouteillage et de
distribution aux Etats-Unis au sein d'une nouvelle filiale, Coca-Cola Enterprises (CCE), dont
elle a ouvert 51% du capital au public. Au début des années 90, CCE a fusionné avec le
groupe d'embouteillage Johnston, premier embouteilleur indépendant de TCCC aux Etats-
Unis. Entre 1993 et 1996, CCE a successivement acquis les activités d'embouteillage de
TCCC aux Pays-Bas, en Belgique et en France. Enfin, en 1997, elle a acquis auprès de du
groupe britannique Cadbury-Schweppes et de TCCC la totalité du capital de la société
Amalgamated Beverages GB, qui assure l'embouteillage et la distribution en Grande-Bretagne
des boissons commercialisées sous les marques appartenant aux deux groupes cités ci-dessus.
CCE, qui est actuellement détenue à près de 45% par TCCC, a réalisé en 1996 un chiffre
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d'affaires consolidé de 47 milliards de francs. Elle possède en France une filiale Coca-Cola
Entreprise SA qui lui appartient à 100% et qui embouteille exclusivement des boissons sous
marques de TCCC (Coca-Cola, Sprite et Fanta). Elle est présente sur la majorité du territoire
français.
Pernod-Ricard
La société Pernod-Ricard SA, qui a réalisé en 1996 un chiffre d'affaires consolidé de 16,8
milliards de francs, dont environ 6,4 milliards de francs en France, est la société mère du
groupe Pernod-Ricard. Par l'intermédiaire des différentes sociétés qui la composent, ce
groupe produit et distribue des boissons alcoolisées (spiritueux anisés et amers, whiskies,
eaux-de-vie, alcools blancs, liqueurs,...) et des boissons rafraîchissantes sans alcool (boissons
gazeuses, boissons pour enfants, sirops et concentrés de fruits). Les marques les plus notoires
du groupe sont : Ricard, Pernod, Pastis 51, Clan Campbell et Orangina.
Le groupe réalise 52% de son chiffre d'affaires dans les boissons non alcoolisées ; sans
Orangina ce chiffre descendra à 48 %.
1.2. Historique de la place d'Orangina dans la stratégie de Pernod-Ricard
L'acquisition d'Orangina par Pernod-Ricard
La société Pernod-Ricard SA a été créée en 1975 et a résulté de la fusion sous l'ère
Giscardienne de deux entreprises familiales rivales Pernod et Ricard.
Cette entreprise a tout de suite tenté de trouver les meilleures stratégies de développement.
Le groupe a continué l'exploitation des boissons alcoolisées. En effet, le marché de l'alcool
est un marché privilégié en France car on y réalise des marges colossales résultantes
d'accords entre le petit nombre d'acteurs et la distribution qui gagne peu d'argent sur les
spiritueux.
Cependant le groupe restait assez réduit et il a fallu trouver des secteurs de développement.
Ainsi, dès le début, il y eut une division du groupe entre le secteur des alcools et des sans-
alcools. En effet, Pernod-Ricard a eu l'intuition que le marché de l'alcool allait peu à peu
diminuer au profit des boissons non-alcoolisées, ce qui s'avéra exacte en terme de
consommation par habitant. Le groupe appliqua une politique opportuniste : son métier
consistait à racheter pour des sommes modestes des entreprises de produits locaux (exemple
: entreprise de spiritueux en Arménie) puis après en profitaient pour amener toutes leurs
marques dans les pays concernés. Dans le sans-alcool, ils sont présents grâce à Pampryl dès
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le début du groupe.
Le marché des BGSA (boissons gazeuses sans alcool) est un marché particulier. Comme nous
l'avons dit dans la présentation de Coca-Cola, il existe deux métiers : les grandes entreprises
fabriquent du sirop et vendent ce sirop à des embouteilleurs. La grande majorité de la marge
se fait sur la vente de sirop (c'est la richesse et le savoir-faire indispensables de ces
entreprises avec des formules chimiques secrètes). Par exemple, Coca-Cola vend son sirop
aux embouteilleurs et participe à la moitié des dépenses de marketing du produit, s'occupe du
contrôle de la qualité et des droits d'utilisation de la marque.
En 1980, commence à naître l'intérêt de Pernod-Ricard pour Orangina. L'entreprise
Orangina a deux propriétaires : M. Beton qui possède les droits de la marque dans les pays
francophones (Maghreb où est née la marque, suisse, France...) et une holding du
Liechtenstein qui lui avait acheté les droits de la marque pour le reste du monde. La holding
va alors proposer ses parts à Pernod-Ricard qui l'achète pour une bouchée de pain. Ensuite,
Pernod-Ricard va proposer d'acheter le restant de la marque à M. Beton qui va d'abord
refuser. Cependant, Pernod-Ricard va utiliser une stratégie de lobbying sur M. Beton pour
obtenir le rachat d'Orangina. En achetant les parts à l'étranger, Pernod-Ricard a développé
un système d'embouteillage d'Orangina dans toute l'Europe. Ainsi, ils vont produire de
l'Orangina à l'étranger et par l'intermédiaire de distributeurs étrangers, ils vont vendre en
France en faisant baisser les prix énormément ce qui va petit à petit éliminer M. Beton du
marché. Il va finir par vendre ses parts à Orangina contre 2% du capital de Pernod-Ricard ce
qui équivaut à 250 millions de francs.
Nous avons donc vu que Pernod-Ricard a tout fait pour acheter Orangina, cette opération
semblait en accord avec l'orientation stratégique du groupe (essor dans les boissons sans
alcool). Cependant, 15 ans plus tard, Pernod-Ricard va vouloir vendre Orangina : quels sont
les motifs de cette décision ?
Le développement d'Orangina au sein de Pernod-Ricard sans avenir
Il est clair que Pernod-Ricard fait une très bonne affaire en rachetant Orangina. Grâce aux
bénéfices d'environ 80 millions de francs par an, ils font un retour sur investissements en 3
ans.
Néanmoins, le marché des boissons gazeuses est un marché à part : il est le seul marché de
grande consommation avec celui des couches culottes où une entreprise, en l’occurrence
Coca-Cola, détient plus de 50% des parts de marché mondial. Si on ajoute à cela Pepsi qui
possède 20% du marché et Schweppes 7%, plus des trois quarts du marché n'est détenu que
par 3 groupes. Pendant les années 80, la situation du marché va énormément changer car la
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politique d'embouteillage des grands groupes évolue. Ainsi, à l'époque du rachat d'Orangina,
2/3 du Coca-Cola produit en France l'était par des embouteilleurs indépendants qui
produisaient également d'autres boissons comme l'Orangina et ceci était également vrai dans
tout le reste de l'Europe. Ne cessant de se développer, la firme Coca-Cola décide alors de
racheter progressivement en Europe tous ses embouteilleurs. Leur politique consiste alors à
interdire à ces embouteilleurs de produire autres choses que du Coca-Cola. D'ailleurs, Coca-
Cola et Pernod-Ricard sont en procès en 1990 pour savoir qui doit récupérer les franchises.
Finalement, ne voulant investir dans l'embouteillage à l'étranger, Pernod-Ricard laisse filer
les franchises à ses principales concurrents puisque Pepsi et Schweppes vont
progressivement suivre la politique de Coca-Cola. Pour pouvoir s'installer dans les marchés
étrangers, Orangina se voit refuser par les meilleurs embouteilleurs qui appartiennent aux
trois grands groupes internationaux ; ils vont devoir s'adresser à des producteurs locaux pas
forcément incompétents mais en position de faiblesse évidente par rapport aux
multinationales.
On se rend compte que la position d'Orangina est préoccupante, Pernod-Ricard ne peut rien
faire face à ses principaux concurrents. Ce phénomène a été amplifié par le fait que Pernod-
Ricard s'est montré incompétent dans la gestion d'entreprises de soft-drinks. Ils n'ont pas
compris qu'il fallait investir beaucoup plus, ils se sont contentés de regarder la valeur
récupérée très intéressante sur un franc investi ce qui a entraîné un investissement modeste
pour un très bon retour (ils se sont contentés de récupérer les résultats annuels de
l'entreprise). Du point de vue du marketing, ils n'ont lancé un programme digne de ce nom
que très récemment (lancement d'Orangina rouge utilisé pour séduire les jeunes grâce à un
plus fort sponsoring sportif, au lancement d'une marque de sportswear sans oublier la
publicité constante dans les médias).
Pour faire face à cette situation, Pernod-Ricard décide alors de rechercher des alliances avec
ses concurrents. Un accord va avoir lieu en 1995 entre Orangina et Pepsi, Orangina va
devenir franchisé Pepsi en France (c'est ce qui est à l'origine d'un des problèmes soulignés par
Pepsi au cas où Coca-Cola rachète Orangina). Cependant, les discussions avec Pepsi ne vont
pas plus loin, l'entreprise américaine est mal au point face à l'hégémonie Coca-Cola et ils ne
croient pas en un développement international d'Orangina. Schweppes n'ayant pas de
partenaires sérieux sur le plan international, il n'y aura aucun accord industriel
supplémentaire.
En 1996, le développement d'Orangina par Pernod-Ricard semble au point mort, le
développement international est impossible pour les raisons indiquées plus haut et en
France, l'entreprise se porte bien mais stagne (chiffre d'affaires de 1,4 milliards de francs
avec un résultat avant impôt de 200 millions de francs). Pourtant Pernod-Ricard n'est
toujours pas vendeur, ils croient encore en l'essor international d'Orangina alors qu'il
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apparaît clair que, sur le long terme, Orangina tout seul n'est pas viable et ne peut rien faire
contre Coca-Cola. Qu'est-ce qui va faire progressivement changer l'avis des dirigeants de
Pernod-Ricard ?
1.3. Le rachat d'Orangina par Coca-Cola
Vers la vente d'Orangina...
La situation de Pernod-Ricard est plus qu’embarrassante : alors que le CAC 40 ne fait
qu'augmenter ces dernières années, le titre Pernod-Ricard, lui, suit le rythme inverse et
décroît régulièrement. Il y a une nécessité absolue de remonter le capital de l'entreprise. Or,
Pernod-Ricard est une entreprise qui a toujours refuser de s'endetter (ce qui n'est pas une
bonne chose car elle ne peut pas bénéficier de l'effet de levier de la dette) et pour pouvoir se
développer à bon escient, il apparaît clair qu'elle a besoin de l'argent d'une éventuelle vente
d'Orangina.
Pour évaluer la meilleure stratégie pour l'entreprise et ses actionnaires, Pernod-Ricard fait
faire un audit à Morgan Stanley pour savoir ce qu'ils doivent faire dans l'immédiat. Les
réponses de l'audit sont simples: Pernod-Ricard doit se concentrer sur ses métiers de base,
c'est-à-dire acheter de grosses marques de spiritueux (ils ont prouvé leur savoir-faire par le
passé) et surtout vendre Orangina. Il est clair qu'en se concentrant sur un secteur bien connu,
un groupe peut faire fonctionner une économie de réseau ; en multipliant les produits à
vendre on amortit ainsi les frais fixes.
Le marché des spiritueux est dominé par une dizaine d'acteurs mondiaux dont Pernod-Ricard
est le cinquième mondial. Le groupe veut donc s’internationaliser dans les vins et spiritueux.
Pernod-Ricard aimerait bien effectuer un rapprochement avec le groupe britannique Allied
Domecq qui détient entre autres les marques relativement connues suivantes : whisky
Ballantine's, gin Beefeater et téquila Sauza. Ce groupe vient de se séparer de son activité
distribution et a redessiné son capital autour des spiritueux dont il est le numéro deux
mondial derrière son compatriote Diageo. Pour l'acquérir, Pernod-Ricard devra débourser
quelque 4 milliards de livres soit 41,36 milliards de francs. Même si le montant ne peut être
couvert par la vente d'Orangina, la vente d Orangina ajoutée à la vente récente de la boisson
chocolatée Yoo-Hoo permettra de lever 10 milliards de francs d'emprunts. Il resterait alors
l'éventualité d'un montage avec des partenaires financiers ou encore l'hypothèse d'un
échange de capital. Une interview récente de Thierry Jacquillat, DG de Pernod-Ricard dans
le Monde exprime bien cela :
"- Avez-vous un besoin urgent de la vente d’Orangina pour financer une fusion ou
une acquisition d'envergure ?
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- Si nous avions eu cet argent il y a deux ans, nous serions déjà pas mal avancés
dans notre stratégie de recentrage. Pernod-Ricard a un noyau stable familial qui
contrôle la majorité des votes. Nous avons su préserver notre indépendance. Nous ne
sommes pas menacés. Cela dit, avoir 100% d'une petite société, ce n'est pas la même
chose que d'avoir 50% d'une société un peu plus grande et encore moins que d'avoir
10% d'une société énorme. Quand vous avez 10 ou 20% d'une énorme société, vous
êtes quand même l'actionnaire de référence. Donc, tout est possible."
Coca-Cola : le repreneur le plus offrant
Suite à l'audit de Morgan Stanley, Pernod-Ricard envoie à tous les repreneurs potentiels un
dossier de rachat d'Orangina. Le groupe a besoin de cash, il finit par vendre ses actifs. Il n'y a
pas de prix fixé : la vente se fera au plus offrant.
Analysons la situation de Coca-Cola à l'époque de la mise en vente d'Orangina. Coca-Cola
est donc comme nous l'avons dit maintes fois un groupe archi-dominant dans le secteur des
boissons gazeuses. L'ancien président meurt en 1997 et son successeur, Doug Ivester prend
les rennes de l'entreprise avec, bien sûr, une exigence de résultats à court-terme. Il faut
savoir que la boisson Coca-Cola est à un niveau de plafonnement en consommation par
habitant un peu partout dans le monde (à titre d'exemple, la consommation annuel par
habitant au Mexique est de 200 litres par habitant : on voit mal comment ce chiffre pourra
croître encore longtemps). La politique de développement de l'entreprise s'est tout d'abord
fait par la reprise d'embouteilleurs franchisés qui produisaient des boissons du groupe, ce que
nous avons déjà évoqué. Puis, peu à peu, également sous la contrainte des actionnaires qui
veulent voir sans cesse le groupe s'étendre, TCCC se met à procéder à des acquisitions
d'entreprises d'eaux minérales (qui sont maintenant leurs principaux concurrents) ou des
entreprises de soda à fort potentiel.
Or, il n'y a pas de doute possible, pour TCCC, Orangina est une marque à très gros potentiel.
Elle sait que les problèmes d'Orangina ne viennent que de l'embouteillage qui ne pouvait se
faire dans de bonnes conditions à l'époque de Pernod-Ricard. Elle sait aussi qu'Orangina a de
très gros atouts : des produits grand-public et de plus en plus variés, un nom international
(Orangina contient le son orange qui a la même traduction dans un grand nombre de pays),
un concept moderne avec un logo attrayant et la particularité de la bouteille. Pour ces
différentes raisons, Coca-Cola est conscient de la valeur de la marque Orangina : d'ailleurs,
TCCC va être capable de faire augmenter la production d'Orangina de manière conséquente.
Ainsi, elle justifie simplement son intérêt pour Orangina en disant que les volumes
d'Orangina à l'international peuvent monter de 150 millions de litres à 600 millions de
litres. Il suffit pour l'atteindre de détenir seulement 1% du marché américain ce qui
représente 480 millions de litres. Or la firme d'Atlanta prévoit de lancer la marque en
priorité aux Etats-Unis, au Japon et au Brésil, 3 pays qui compteront sûrement de nombreux
consommateurs d'Orangina.
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La conséquence de cet intérêt profond de TCCC est que TCCC va proposer le rachat
d'Orangina pour une somme très importante : 5 milliards de francs. Cette somme n'était pas
du tout attendue par le groupe Pernod-Ricard puisque la vraie valeur de l'entreprise serait
plutôt de 1,5 milliards de francs (cette agréable surprise est à l'origine du comportement de
Pernod-Ricard qui a tout fait pour que l'affaire se conclu, le bénéfice d'Orangina n'est que de
120 millions après-impôt, on ne trouve de telles propositions actuellement que dans le
secteur Internet). Cependant, cette somme était justifiée pour Coca-Cola parce qu'Orangina
a un grand avenir devant lui et c'est aussi un moyen d'écarter ses concurrents, surtout Pepsi
qui n'a pas pu s'aligner sur la somme offerte par TCCC.
Pepsi aurait-il pu racheté Orangina ?
Les rapports entre Orangina et Pepsi sont relativement ambigus et très difficiles à analyser.
Tout d'abord, il existe des relations non négligeables entre les deux parties puisque les
intérêts français de Pepsi dans les boissons sont bâtis sur les liens avec Orangina depuis
1993. Au début, Pepsi-Cola n'a pas souhaité étendre la relation, qui n'avait lieu que sur le
hors-domicile, à la totalité du marché. En 1997, les événements s'accélérant et la pression
de Coca-Cola devenant de plus en plus forte, Pepsi a proposé d'étendre cette relation à la
totalité du marché. Cependant, Pernod-Ricard va alors dire non : ils ne sont pas du tout
satisfaits de la gestion de l'entreprise par Pepsi-Cola. En effet, Pepsi devait s'occuper de
distribuer Orangina dans un grand marché en Europe, l'Allemagne, au bout de deux ans ils
vendaient moins d'Orangina que l'ancienne structure d'importation. En 1996, Pepsi a
proposé de s occuper du secteur italien, en 1996, seuls Orangina vendait 9,1 millions de
litres d Orangina alors qu'un an plus tard le volume avec Pepsi était tombé à 6,5 millions.
De toute manière, Pepsi n'a jamais cru au vrai potentiel d'Orangina. Suite à la proposition de
Morgan Stanley de rachat d'Orangina, Pepsi a mis six mois pour donner sa proposition
contre une semaine pour Coca-Cola, les sommes proposées par Pepsi n'ont jamais dépassé 3
milliards de francs : tout ceci montre le manque d'intérêt de Pepsi pour Orangina.
Si Pepsi ne voulait pas vraiment Orangina, le groupe veut par contre à tout prix empêché
qu'Orangina n'aille aux mains de Coca-Cola. De toute manière, même s'il l'avait voulu, cela
n'aurait rien changé vu les capacités de Coca-Cola à surenchérir.
Conséquence du refus du conseil de la concurrence
Bien sûr, pour Orangina, ce refus est une catastrophe : tous les cadres qui ont conscience que
l'avenir de l'entreprise passait par Coca-Cola sont abattus par la nouvelle. Les salariés qui
avaient eu des assurances du point de vue social partagent le même sentiment.
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Pernod-Ricard va être privé de 5 milliards de francs, cela est donc une très mauvaise
nouvelle d'autant plus que le cours de l'action chute. Les perspectives du groupe
s'assombrissent : on parle maintenant O.P.A. inamicale de la part de ses concurrents. Il est
possible qu'Orangina soit introduit en bourse (ce qui ne rapportera que la vraie valeur de
l'entreprise, c'est-à-dire 1,5 milliards de francs) ou que Coca-Cola achète les droits
d'Orangina pour le monde hormis la France sans toutefois payer 5 milliards de francs.
Quant à Coca-Cola, cette décision pose de grands problèmes : c'est une des raisons qui a
poussé Douglas Ivester à la démission après dix trimestres où les résultats du groupe ont été
peu convaincants.
2 . L e m a r c h é p e r t i n e n t e t
l ' a n a l y s e d e s c o n c e n t r a t i o n s
La délimitation de ce que l’on nomme marché pertinent est une phase essentielle de
l’analyse de la concurrence menée lors d’une fusion ou lorsqu’il y a possibilité d’abus de
position dominante. Elle est la première étape de l’analyse d’une fusion et aussi l’un des
éléments décisifs de la décision administrative ou judiciaire.
2.1. Les procédures de contrôle des concentrations
Le contrôle des concentrations relève en droit américain de trois textes : l’article 1 du
Sherman Act, l’article 5 du FTC Act et surtout l’article 7 du Clayton Act, qui vise les fusions
susceptibles de restreindre la concurrence de façon substantielle ou tendant à créer un
monopole.
En France, le contrôle des concentrations est resté, après l’adoption de l’ordonnance du 1 er
décembre 1986, de la compétence du ministre de l’Economie et n’as pas été transféré à
l’autorité indépendante qu’est le Conseil de la concurrence. Cependant, le ministre de
l’Economie peut solliciter l’avis du Conseil de la concurrence lorsqu’il est saisi d’une
concentration comme dans le cas du projet d’acquisition d’Orangina. Le ministre de
l’Economie dispose d’un délai de deux mois à compter du dépôt de la notification d’une
concentration pour donner un avis. Passé ce délai, il est réputé avoir implicitement
approuvé l’opération dans les conditions notifiées. Ce délai est porté à six mois lorsqu’il
décide de saisir le Conseil de la concurrence pour avis.
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Les étapes successives du contrôle d’une fusion sont :
• Définition du marché pertinent.
• Identification des entreprises susceptibles de rentrer sur le marché pertinent.
• Calcul des parts de marché et mesure de la concentration avant et après la fusion sur le
marché pertinent.
• Examen du caractère anticoncurrentiel de la fusion :
2.2. Le marché pertinent
• Si la fusion ne pose pas de problème, fin de la procédure.
• Si la fusion peut être anticoncurrentielle :
• Evaluation de la réduction de la concurrence.
• Analyse de l’entrée.
• Gains d’efficacité.
• Prise en compte des actifs amenés à disparaître de toute façon.
Historiquement, le terme marché pertinent est apparu en 1948, dans la fusion "Columbia
Steel ". Son utilisation s’est très largement répandue depuis et est devenue incontournable
dans la quasi-totalité des procédures de contrôle des concentrations.
Même si l’approche américaine du marché pertinent est assez différente de celle française,
elle converge cependant vers les mêmes critères de délimitation.
Les définitions du marché pertinent dans le droit français sont très proches de celles en
termes de produits et en termes géographiques données par le projet Merger Guidelines de la
DG IV de la Commission Européenne :
"Le marché pertinent en termes de produits comprend tous les produits et/ou
services considérés comme interchangeables ou substituables par le
consommateur, en raison des caractéristiques des produits, de leurs prix et de leur
usage habituel" et "Le marché pertinent géographique comprend les zones dans
lesquelles les entreprises concernées concourent à l’offre et à la demande de
produits ou services, dans lesquelles les conditions de concurrence sont
suffisamment homogènes et qui peuvent être distinguées des zones voisines par des
différences sensibles des conditions de concurrence".
Ces définitions mettent l’accent sur la demande plus que sur l’offre. Cependant elles
indiquent que trois éléments majeurs concourent à la définition du marché pertinent : les
substitutions de demande, les substitutions d’offre et la concurrence potentielle (c’est-à-dire
l’arrivée éventuelle de nouveaux entrants sur le marché).
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La définition du marché pertinent pour l’analyse d’une concentration n’est pas nécessaire
pour juger de l’atteinte à la concurrence. En effet, le règlement du 21 décembre 1989 et
l’ordonnance du 1 er décembre 1986 visent les concentrations qui "créent ou renforcent une
position dominante". Or de nombreux arrêts et décisions ont confirmé que l’on entend par
position dominante une position qui fournit à l’entreprise la possibilité d’un comportement
indépendant de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. Le marché pertinent
n’est pas a priori nécessaire pour voir si une entreprise se comporte de façon indépendante
de ses clients. En revanche, pour juger des contraintes liées aux concurrents, le marché
pertinent peut être utile.
En fait, le marché pertinent n’est vraiment nécessaire, en droit français, que pour délimiter
une sorte de zone franche dans laquelle on n’examinera pas la fusion : si les entreprises
fusionnantes et celles qui leur sont économiquement liées pèsent moins de 25% des marchés
pertinents de leurs produits et ne dépassent pas un seuil donné de chiffre d’affaires, elles ne
risquent aucune procédure à leur encontre.
Ainsi, la délimitation du marché pertinent n’est, en théorie pas obligatoire pour analyser
une fusion. En pratique, cependant, en droit français, la définition du marché pertinent
intervient obligatoirement dans l’analyse d’une fusion afin de vérifier que la fusion ne se
situe pas dans une zone franche qui la mettrait à l’abri d’une intervention publique. Ce n’est
toutefois pas son seul intérêt : en effet, les parts de marché des entreprises, que l’on peut
calculer après avoir défini le marché pertinent, sont utilisées comme un indice parmi
d’autres d’un pouvoir de domination éventuel.
Aux Etats-Unis, le Département de la Justice publie des Merger Guidelines qui décrivent le
processus d’analyse des fusions et le rôle du marché pertinent.
Dans la pratique, les Guidelines conseillent d’envisager une hausse uniforme de 5% pendant
un an du prix de tous les produits supposés appartenir au marché pertinent. Si cette hausse
n’est pas rentable, c’est a priori qu’il y a eu des fuites de demande vers d’autres produits.
C’est donc qu’il existe des produits laissés en dehors du marché supposé mais qui sont
néanmoins de bons substituts aux produits du marché. Le meilleur de ces bons substituts
extérieurs doit alors être intégré au marché supposé, et il faut recommencer le test de la
hausse des 5%. Dès que le marché présumé englobe suffisamment de produits pour qu’il n’y
ait plus, à l’extérieur, de bons substituts, il est réputé former le marché pertinent.
La délimitation du marché pertinent se fait donc de manière itérative en faisant des
simulations. Pour réaliser ces simulations, il est nécessaire d’avoir des estimations des
élasticités croisées ou plus généralement de la fonction de demande.
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A ce stade de l’analyse de la concentration, les autorités de la concurrence tendent à
favoriser une définition plus étroite du marché, ce qui resserre le contrôle de la fusion, alors
que les entreprises fusionnantes ont au contraire tout intérêt à élargir au maximum le
marché pertinent afin de paraître le moins concentrées possibles.
Cet enjeu est clairement apparu dans le projet d’acquisition de Orangina. En effet la société
TCCC, dans son dossier de notification du 17 mars 1998 au ministre de l’Economie et des
Finances, déclare que le marché pertinent sur lequel les boissons produites par Coca-Cola et
Orangina sont concurrentes est "au minimum celui des boissons rafraîchissantes sans alcool",
comprenant notamment l’eau du robinet, les eaux embouteillées, les jus de fruits, etc.
TCCC ajoute que, même en retenant l’existence d’un marché distinct des boissons au goût
de cola comme l’a fait le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 96-D-67 du 29
octobre 1996 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Coca-Cola Beverages,
"l’exclusion des colas devrait conduire à définir un marché comprenant à tout le moins
toutes les autres boissons rafraîchissantes sans alcool".
Ces affirmations de la société TCCC sont basées sur une étude intitulée "Définition du
marché pertinent d’Orangina et Fanta Orange en France" réalisée par le Princeton
Economic Group et basée sur la méthode de la corrélation des prix appliquée aux boissons
gazeuses sans alcool au goût d’orange et à d’autres catégories de boissons rafraîchissantes
sans alcool. Cette étude repose sur l’idée selon laquelle, si le coefficient de corrélation entre
les prix des boissons de marque "Orangina" et les prix d’une autre boisson est supérieur au
coefficient de corrélation entre les prix de deux boissons qui sont incontestablement
sustituables, les boissons de marque Orangina et cette autre boisson sont alors substituables
entre elles et appartiennent au même marché. Selon la société TCCC cette étude établirait
que le marché pertinent comprend à tout le moins la plupart des boissons gazeuses sans
alcool autres que les colas, mais également les boissons plates aux fruits, les jus de fruits et
les nectars ainsi que les boissons de l’effort, de telle sorte que sur le marché pertinent, la part
des volumes vendus par Coca-Cola passerait approximativement de 5,9% à 15,8% en cas
d’acquisition d’Orangina. Cette étude suggère aussi que le thé glacé pourrait également être
inclus dans le marché pertinent et que la part des volumes vendus par Coca-Cola passerait,
en cas de réalisation de l’opération, de 5,8% à 15,1%.
Cependant, le Conseil de la concurrence, se basant sur :
• la décision du 22 juillet 1992 relative à la concentration Nestlé /Perrier dans laquelle la
Commission des Communautés Européennes a délimité un marché spécifique des eaux de
source embouteillées, plates, gazeuses ou aromatisées ;
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• la décision du 22 janvier 1997, relative à la concentration Coca-Cola/Amalgamated
Beverages GB, et celle du 11 septembre 1997, relative à la concentration The Coca-Cola
Company/Carlsberg, dans lesquelles la Commission des Communautés Européennes a
reconnu que les boissons gazeuses non alcoolisées pouvaient être distinguées des autres
types de boissons (jus de fruits, produits laitiers, eaux, etc.) en raison de leurs
caractéristiques, de leurs prix et de l’usage auquel elles sont destinées ;
• une étude de M. C. Montet, professeur à l’Université de Montpellier, qui établit, en
utilisant des séries de variations de prix désaisonnalisées, que la corrélation entre les
boissons gazeuses sans alcool au goût d’orange et les boissons plates aux fruits est très
faible, ce qui incite à considérer qu’elles appartiennent à des marchés distincts ;
• des réserves quant à la méthodologie suivie par le Princeton Economic Group et aux
résultats d’une étude de la société Secodip visant à démontrer la sustituabilité entre la
boisson Orangina et les jus de fruits, les nectars, l’eau en bouteille ;
a considéré dans son avis du 29 juillet 1998 que le marché pertinent des produits concernés
par le projet d’acquisition d’Orangina est celui des boissons gazeuses sans alcool autres
que les colas.
La société TCCC n’a donc pas réussi à élargir au maximum le marché pertinent afin de
placer son projet d’acquisition dans une zone franche qui le mettrait à l’abri d’une
intervention publique. De plus une analyse plus poussée a amené le Conseil de la concurrence
à diviser le marché des boissons gazeuses en deux parties, ce que nous analyserons dans la
partie suivante.
3 . L e s a v i s r e n d u s p a r l e
c o n s e i l d e l a c o n c u r r e n c e
L’avis du conseil de la concurrence a été sollicité une première fois par le ministre de
l’économie, des finances et de l’industrie le 7 mai 1998. Nous allons étudier d’abord les
raisons qui ont conduit le conseil de la concurrence à rendre le 29 juillet 1998, après étude du
dossier, un avis négatif :
" [ le conseil de la concurrence ] est d'avis que le projet de concentration soumis à
[son] examen n'est pas de nature à apporter au progrès économique une contribution
suffisante pour compenser les risques d'atteinte à la concurrence qu'il comporte sur le
marché des boissons gazeuses sans alcool autres que les colas destinées à la
consommation hors foyer "
Ensuite, nous verrons que Coca-Cola va déposer une nouvelle proposition le 4 juin 1999 qui
sera étudié à nouveau par le conseil de la concurrence lequel confirmera son premier avis,
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estimant que les modifications apportées par Coca-Cola n'étaient pas suffisantes.
3.1. Le premier avis du conseil de la concurrence
La légitimité
L'article 39 de l'ordonnance du 1 er décembre 1986 définit la concentration : « la
concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de
propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d'une entreprise
ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou un groupe d'entreprises
d'exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs entreprises une influence
déterminante ».
L'accord signé entre les sociétés Pernod-Ricard SA et The Coca-Cola Compagny et notifié
au ministre de l'économie le 17 mars 1998, prévoit la vente de la marque "Orangina" ainsi
que des unités industrielles correspondantes. A l'issue de cette opération, The Coca-Cola
Compagny aurait détenu tous les actifs industriels relatifs aux boissons de marque "Orangina"
ainsi que les droits de propriété intellectuels et commerciaux. Il s'agit donc bien d'un projet
de concentration.
L'article 38 de l'ordonnance du 1 er décembre 1986 précise qu'une opération de concentration
ne peut être soumise à l'avis du Conseil de la concurrence que "lorsque les entreprises qui
sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont réalisé
ensemble plus de 25% des ventes achats ou autres transactions sur un marché national de
biens, produits ou services substituables".
Comme nous l'avons étudié au paragraphe 2, nous ne revenons pas sur les caractéristiques du
marché des BGSA. Nous rappelons que le conseil de la concurrence a défini le marché
pertinent sur lequel les boissons produites par Coca-Cola et Orangina sont concurrentes
comme celui des boissons gazeuses n'ayant pas le goût de cola.
Sur ce marché, en 1996, dernière année pour laquelle le Conseil disposait des données
complètes, Orangina détenait une part de 38% tandis que le groupe Coca-Cola détenait une
part de 22% sur ce même marché. Aux termes de l'accord Coca-Cola détiendrait alors 60%
du marché considéré.
Ainsi, il est légitime que le Conseil de la concurrence examine le dossier.
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Les effets de l'opération sur la concurrence
La réflexion menée sur le sujet par le conseil de la concurrence a abouti à la division du
marché des BGSA autres que les colas en deux : d'une part il y a le marché des boissons
destinées à être consommées à domicile, d'autre part, il y a le marché des boissons destinés à
la consommation hors domicile. Nous allons voir pourquoi le conseil de la concurrence
établit une distinction entre ces deux marchés et quelles caractéristiques des ces marchés le
conduit à rendre des avis opposés sur les risques d'atteintes à la concurrence.
On entend par marché des boissons destinées à la consommation à domicile, l'ensemble des
boissons vendues par les distributeurs (magasins, supermarchés…). Sur ce marché, Coca-Cola
détiendra après rachat d'Orangina près de 30% de parts de marché et sera le premier
fournisseur du marché. De plus, le groupe détiendra des marques de forte notoriété telles que
"Coca-Cola" et "Orangina" ce qui le fera apparaître comme incontournable vis-à-vis des
distributeurs. D'une manière générale, on peut supposer que la détention par un même
opérateur de plusieurs marques de forte notoriété présentes sur des marchés connexes est
susceptible de lui procurer des avantages par rapport à la concurrence.
Cependant, il se trouve que les distributeurs ont acquis, de par leur taille, un pouvoir
important de négociation et qu'il leur est aisé de recourir à d'autres fournisseurs. De plus, ils
ont intérêt à présenter un éventail de marques le plus large possible : en effet, l'attractivité
de leurs magasins en dépend, n'étant par ailleurs pas limité du point de vue place puisque
disposant de rayons pouvant accueillir un grand nombre de produits. Multiplier le nombre de
marques proposées permet de plus d'être en contact avec plusieurs fournisseurs différents, ce
qui confère au distributeur un plus grand pouvoir de négociation.
Ainsi, le rachat d'Orangina par Coca-Cola « n'est pas de nature ni à conférer au groupe
Coca-Cola une position dominante, ni à porter atteinte à la concurrence sur ce marché ».
En ce que concerne le marché des BGSA autres que les colas destinées à la consommation
hors foyer, la situation est très différente. Ce marché est constitué de l'ensemble des
boissons vendues à des grossistes approvisionnant les restaurants, les cafés ou les hôtels ainsi
que celles achetées par les chaînes de restauration rapide ou les entreprises de distribution
automatique, qui sont des acheteurs de dimension nationale. Nous avons vu que sur le marché
des boissons destinées à la consommation à domicile Coca-Cola serait le premier
fournisseur. Sur le marché de la consommation hors domicile, la domination de Coca-Cola
serait plus forte puisque le groupe détiendrait 60% du marché et qu'il n'y a pas d'autre
intervenant ayant une position vraiment significative (le groupe "Cadbury-Schweppes"
détient 8% du marché, le groupe "Pepsi-Cola" 2,4%). Par ailleurs, sur le marché des BGSA
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au goût de cola, Coca-Cola détient 89% du marché.
Il apparaît donc nettement que le groupe Coca-Cola aurait une position très fortement
dominante sur le marché et nous allons voir que, à la différence du marché de consommation
à domicile, les clients n'ont pas la possibilité de s'approvisionner auprès de d'un grand
nombre de fournisseurs. En effet, ils ont des contraintes d'espace qui les conduisent à ne
proposer qu'une seule famille de BGSA comportant un cola, un gazeux au goût d'orange et un
gazeux clair et on comprend qu'il est plus commode de favoriser un fournisseur proposant
ces trois produits. De plus certains produits ayant acquis de la notoriété vont apparaître
comme incontournables puisqu'ils sont l'objet d'une demande soutenue de la part des
consommateurs.
L'accès au marché des BGSA destinées à la consommation hors domicile constitue un enjeu
crucial pour le jeu de la concurrence. En effet, ce marché représente près du quart de
l'ensemble des ventes de BGSA. De plus, c'est dans ces lieux que se prennent les habitudes de
consommation. Ainsi est-il important pour un fournisseur de BGSA d'être distribué hors
domicile car cela permet une mise en avant de ses produits et, si le produit connaît un
certain succès, les distributeurs alimentaires tiendront à le faire figurer sur leurs étalages.
Sur ce secteur, Pepsi-Cola et Coca-Cola sont en concurrence directe. Chacun de ces groupes
cherche à promouvoir ses marques afin d'assurer leur notoriété et de devenir incontournable.
Le rachat d'Orangina par Coca-Cola pose un problème : en effet, Orangina est distribué par
Pepsi-Cola, ce qui permet au groupe de proposer une gamme comportant une boisson au
goût de Cola (Pepsi-Cola), un gazeux clair (Seven-Up) et un gazeux au goût d'orange
(Orangina). Cette capacité à proposer une telle gamme conditionne le choix des distributeur,
qui excluront une compagnie ne pouvant la proposer. Le groupe Coca-Cola dispose déjà de
cet éventail (Coca-Cola, Sprite et Fanta). Après le rachat d'Orangina, Coca-Cola disposera
d'une gamme comportant deux boissons jugées incontournables par les distributeurs, à savoir
Coca-Cola et Orangina (dont la notoriété est beaucoup plus grande que Fanta) et Pepsi-Cola
ne disposant plus d'une gamme complète, se verra exclure du marché. Comme le troisième
acteur du marché, le groupe Cadbury-Schweppes a choisi une stratégie de "niche" en
proposant des boissons spécifiques ne se positionnant pas directement sur le même segment
que celles de Coca-Cola et de Pepsi-Cola, il apparaît que le rachat d'Orangina par Coca-Cola
risque de restreindre fortement la concurrence sur l'ensemble du marché des BGSA.
Le progrès économique apporté par l'opération
Par ailleurs, l'article 41 de l'ordonnance du 1 er décembre 1986 prévoit que « le conseil de la
concurrence apprécie si […] la concentration apporte au progrès économique une
contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le conseil tient
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compte également de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence
international ».
Le groupe Coca-Cola affirme que l'opération « aura des effets positifs sur la concurrence, en
renforçant l'assise du groupe Pernod Ricard et en donnant à Orangina le bénéfice d'un
réseau de distribution étendu et solidement implanté dans tous les pays du monde ». Les
perspectives d'internationalisation qu'offrait Coca-Cola à Orangina auraient eu un impact
positif pour l'économie française en particulier sur les exportations et sur l'emploi.
Cependant, la société Coca-Cola, si elle a affirmé son désir de promouvoir Orangina à
l'étranger, n'a pas fait d'études sérieuses sur le sujet : il s'agit d'une déclaration d'intention
mais pas d'un progrès certain apporté par l'opération. Quant au groupe Pernod-Ricard, si le
prix offert par Coca-Cola est certainement le meilleur que Pernod-Ricard pouvait espérer, et
permettra au groupe de se recentrer sur ses activités dans les spiritueux en procédant à des
acquisitions, cet avantage pour Pernod-Ricard ne peut être considéré comme un progrès
économique pour la collectivité.
3.2. La seconde proposition de Coca-Cola et l'avis définitif du conseil de la concurrence
Suite à l'avis négatif rendu par le conseil de la concurrence le 29 juillet 1998, Coca-Cola va
élaborer une nouvelle proposition qui sera notifiée au ministère des finances le 4 juin 1999.
Coca-Cola accepte de ne pas se charger de la distribution des boissons de marque Orangina,
en France sur le marché e la consommation hors domicile. Le groupe octroie une licence
exclusive à un tiers indépendant pour la commercialisation d'Orangina pour dix ans. C'est la
société Pampryl, filiale à 100% du groupe Pernod-Ricard, qui s'en chargerait. Ceci répond au
problème soulevé par le conseil de la concurrence car cela permettrait à Pepsi-Cola de
continuer à travailler avec Orangina et le groupe aurait dix ans pour se préparer à
l'opération.
Cependant, après une nouvelle délibération du conseil de la concurrence, la proposition de
Coca-Cola a été jugée insuffisante. En effet, le conseil de la concurrence a estimé que de tels
engagements risquaient d'aboutir "à un coordination de comportements entre Coca-Cola et
le licencié et donc de porter atteinte au libre jeu de la concurrence".
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C o n c l u s i o n
Les pertes engendrés par cette affaire sont importantes : Pernod-Ricard perd plus de 3
milliards de francs (différence entre ce qu’aurait été prêt à payer Coca-Cola et la valeur
réelle d’Orangina), et son extension dans le domaine des spiritueux est compromis ; Coca-
Cola perd le potentiel de développement international d’Orangina ; l’Etat français perd
l’impôt sur les plus-values (2 milliards de francs environ). Seul Pepsi semble sortir vainqueur
de l’affaire, car il ne sera pas tout de suite évincé du marché français mais ses relations avec
Pernod-Ricard se sont beaucoup détériorées. Il serait intéressant de comparer ces pertes au
bénéfice retiré du maintien de la concurrence sur le marché concerné pour les
consommateurs.
Les enjeux de l’opération étaient grands pour les différents acteurs, en témoignent le
lobbying actif qu’ils ont mené. De plus on peut penser que les critères économiques
n’expliquent pas seuls la décision du ministre : l’affaire a pu prendre une dimension
politique non négligeable (volonté de marquer l’indépendance française à la veille du
sommet de Seatle ?).
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B i b l i o g r a p h i e
Sur le rachat d'Orangina par Coca-Cola :
. Site Internet du Conseil de la concurrence : http://www.finances.gouv.fr
. Site Yahoo actualité : http://fr.news.yahoo.com
. Dossiers de presse édités par Coca-Cola France.
. Articles de presse divers et variés ( les Echos, la Tribune, le Monde, etc.).
Sur le thème plus général de marché pertinent et de réglementation de la concurrence :
. ENSAE – Séminaire "Concurrence et réglementation" – 5 ème séance – Le marché pertinent
– Jérôme Philippe.
. Les Echos – 27 novembre 1998 – La régulation de la concurrence en Europe – Bernard
Geneste et Olivia Davidson.
. Entretien avec M. Laurent Fournier, ancien responsable du développement international
d’Orangina (réalisé le 3 décembre 1999 à Paris).
Cerna, Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris 21