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Pour un libéralisme<br />
responsab<strong>le</strong><br />
Le dividende du travail :<br />
participation<br />
ou redistribution ?<br />
P.04<br />
Ils entreprennent<br />
Michel Meunier<br />
Professionnaliser <strong>le</strong>s<br />
métiers de surveillance<br />
P.10<br />
Entretien<br />
Daniel Cohen<br />
L’économie<br />
contre la société ?<br />
Dirigeant<br />
P.26<br />
DOSSIER<br />
Un <strong>au</strong>tre regard sur l’entreprise<br />
“ POUR LA SUCCESSION DES ENTREPRISES FAMILIALES,<br />
<strong>le</strong>s patrons se partagent en deux catégories : ceux qui croient que <strong>le</strong> génie<br />
est héréditaire et ceux qui n'ont pas d'enfants. ”<br />
Yvon Gattaz<br />
JANVIER 2007 N°71<br />
PME À VENDRE,<br />
ENTREPRISES<br />
À REPRENDRE ?
sommairewww.cjd.net<br />
04<br />
Pour un libéralisme<br />
responsab<strong>le</strong><br />
Le dividende du travail :<br />
PARTICIPATION<br />
OU REDISTRIBUTION ?<br />
05<br />
Le point de vue de<br />
Thomas Ch<strong>au</strong>dron<br />
L’HOMME<br />
EST CAPITAL<br />
06<br />
D’accord/Pas d’accord<br />
08<br />
Ils bougent<br />
FAUT-IL<br />
ENCADRER LES<br />
RÉMUNÉRATIONS<br />
DES PATRONS ?<br />
Raphaël Denis<br />
UN LIVRE<br />
COMME TOILE DE FOND<br />
Dirigeant UN AUTRE REGARD SUR L’ENTREPRISE<br />
10<br />
Ils entreprennent<br />
Michel Meunier<br />
PROFESSIONNALISER<br />
LES MÉTIERS<br />
DE LA SURVEILLANCE<br />
12<br />
Ils innovent<br />
La Charte d’apprentissage,<br />
POUR DÉVELOPPER L’EMPLOI<br />
25<br />
Le journal de<br />
Cl<strong>au</strong>de-Jean<br />
Desvignes<br />
LE THON, C’EST BON!<br />
26<br />
Entretien<br />
28<br />
Veil<strong>le</strong><br />
De l’innovation<br />
À TOUT PRIX<br />
DANIEL COHEN<br />
L’économie<br />
CONTRE LA<br />
SOCIÉTÉ?<br />
14<br />
Dossier<br />
QUESTIONS : P.15<br />
Un marché porteur<br />
pour <strong>le</strong>s années à venir<br />
STRATÉGIE P.16<br />
Le choix du cœur<br />
ou de la raison ?<br />
PSYCHOLOGIE P.18<br />
Une affaire de séduction<br />
MÉTHODE P.21<br />
La reprise ne s’improvise pas<br />
CONCLUSION : P.24<br />
Une alchimie humaine<br />
29<br />
Futurs<br />
30<br />
La Chronique<br />
du changement<br />
19, avenue George V 75 008 Paris. Tél. : 01 53 23 92 50. Fax : 01 40 70 15 66. DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Sylvain Breuzard. RÉDACTEUR EN CHEF : Bruno Tilliette.<br />
COMITÉ DE RÉDACTION : Michè<strong>le</strong> Buinet, Nathalie Crouzet, Louise Guerre. DOCUMENTATION : Isabel<strong>le</strong> Poulain. ILLUSTRATIONS : Pierre Nenny. CRÉDIT<br />
PHOTOS : XXXX. CREATION ET RÉALISATION : A CONSEIL Paris www.aconseil.fr . RÉGIE PUBLICITAIRE : EDC Régie - L<strong>au</strong>rence Ang<strong>le</strong>ys,<br />
Tél. : 01 41 49 66 77. Fax : 01 41 49 66 79. Magazine bimestriel <strong>au</strong> prix unitaire de 9 €. Abonnement France 1 an : 54 €, 2 ans : 99 €, étranger 1 an : 61 €, 2 ans : 110 €. Abonnements<br />
multip<strong>le</strong>s France 1 an : 37,35 € pour <strong>le</strong> 2 e abonnement, 26,68 € pour <strong>le</strong> 3 e et <strong>le</strong>s suivants. COMMISSION PARITAIRE : 0310 T 82880. ISSN : 02948241. IMPRIMERIE : MONTLIGEON,<br />
61 400 La Chapel<strong>le</strong>-Montligeon. DÉPÔT LÉGAL : 1 e trimestre 2007.<br />
ANNONCEURS : GSC (page 2), ANACT (page 7), DIRIGEANT (page 9), MV4 PARUNION (page 31), RÉUNICA (page 32).<br />
PME À VENDRE,<br />
ENTREPRISES<br />
À REVENDRE ?<br />
CRISE CLIMATIQUE : l’économie<br />
s’empare de la question<br />
• CIGALE US, FOURMI CHINOISE,<br />
cocktail explosif ?<br />
HUBERT LANDIER<br />
Vous avez dit<br />
« DIALOGUE SOCIAL » ?
04<br />
Pour un libéralisme<br />
responsab<strong>le</strong><br />
Le dividende du travail:<br />
PARTICIPATION<br />
OU REDISTRIBUTION?<br />
PAR LA RÉDACTION<br />
Il n’est pas sûr que <strong>le</strong> dividende du travail tel qu’il est inst<strong>au</strong>ré par la récente loi<br />
sur la participation incite réel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s salariés à participer à la gestion de <strong>le</strong>ur entreprise.<br />
U ne occasion ratée ? Une de<br />
plus ? Ne soyons pas trop sévères<br />
avec <strong>le</strong> projet de loi pour « <strong>le</strong><br />
développement de la participation<br />
et de l’actionnariat salarié » qui vient<br />
d’être adopté par <strong>le</strong> sénat en novembre<br />
dernier. La participation et l’épargne<br />
salaria<strong>le</strong> représentent un enjeu<br />
économique considérab<strong>le</strong> dans notre<br />
pays. El<strong>le</strong>s sont un moyen d’associer<br />
<strong>le</strong> capital et <strong>le</strong> travail et donc de<br />
rééquilibrer <strong>le</strong>s résultats des entreprises<br />
<strong>au</strong> profit des salariés, alors<br />
que ceux-ci ont plutôt penché du<br />
côté de la rémunération du capital,<br />
ces dernières années.<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
Au-delà d’une meil<strong>le</strong>ure répartition des<br />
bénéfices, qu’el<strong>le</strong> veut favoriser, la loi<br />
s’inscrit <strong>au</strong>ssi dans l’esprit de ce que<br />
souhaitait <strong>le</strong> général de G<strong>au</strong>l<strong>le</strong>, qui a<br />
lancé <strong>le</strong> processus, dès <strong>le</strong>s années<br />
soixante : <strong>le</strong> renforcement de la participation<br />
des salariés <strong>au</strong> capital. Et surtout,<br />
el<strong>le</strong> est censée rendre <strong>le</strong> dispositif<br />
de la participation plus accessib<strong>le</strong><br />
<strong>au</strong>x PME, ce qui était plus que nécessaire.<br />
En effet, seu<strong>le</strong>ment un salarié<br />
sur deux, soit huit millions de personnes,<br />
bénéficie actuel<strong>le</strong>ment d’un<br />
accord de participation et un sur trois<br />
est affilié à un plan d’épargne d’entreprise.<br />
Et c’est bien entendu dans <strong>le</strong>s<br />
PME que se trouve la grande majorité<br />
des oubliés de la participation, notamment<br />
en raison des effets de seuils (el<strong>le</strong><br />
n’est obligatoire qu’à partir de 50 salariés)<br />
et des contraintes de mise en<br />
œuvre.<br />
UNE SIMPLIFICATION<br />
EN DEMI-TEINTE<br />
La nouvel<strong>le</strong> loi lève-t-el<strong>le</strong> ces difficultés<br />
pour <strong>le</strong>s petites entreprises ? La<br />
mise en place de la participation était<br />
déjà relativement simp<strong>le</strong>, plus simp<strong>le</strong><br />
d’ail<strong>le</strong>urs qu’un accord d’intéressement.<br />
El<strong>le</strong> relève d’une règ<strong>le</strong> de calcul<br />
un peu ardue 1 mais que toute personne<br />
qui s’occupe de la paie est en<br />
mesure d’appliquer. Et, si el<strong>le</strong>s n’y<br />
étaient pas obligées, <strong>le</strong>s PME de moins<br />
de 50 personnes avaient tout loisir de<br />
signer des accords de participation.<br />
Combien l’on fait ? Très peu. Et pourquoi<br />
<strong>le</strong> feraient-el<strong>le</strong>s maintenant, dès<br />
lors qu’el<strong>le</strong>s n’y sont toujours pas obligées<br />
? La possibilité de formu<strong>le</strong>s dérogatoires<br />
(c’est-à-dire de définir ses<br />
propres modes de calculs) seront-el<strong>le</strong>s<br />
suffisantes pour que <strong>le</strong>s chefs d’entreprises<br />
s’engagent et que tous <strong>le</strong>s<br />
salariés bénéficient de la participation<br />
? C’est d’<strong>au</strong>tant moins sûr que ces<br />
derniers eux-mêmes ne comprennent<br />
pas toujours ce qu’el<strong>le</strong> signifie et en<br />
quoi <strong>le</strong>ur travail quotidien va améliorer<br />
son montant, surtout que ces revenus<br />
sont bloqués pour cinq ans. On<br />
<strong>au</strong>rait pu, par exemp<strong>le</strong>, fusionner participation<br />
et intéressement, en capitalisant<br />
sur <strong>le</strong>s intérêts de chaque système,<br />
et proposer un dispositif plus
immédiatement accessib<strong>le</strong> <strong>au</strong>x salariés.<br />
Le législateur n’a pas su simplifier<br />
jusqu’<strong>au</strong> bout.<br />
LE CADEAU DU PATRON<br />
Pourtant, <strong>au</strong> regard du libéralisme responsab<strong>le</strong><br />
que nous défendons, il y a<br />
plus ennuyeux. Dès son artic<strong>le</strong> 1, la<br />
loi contrevient à l’esprit de participation<br />
qu’el<strong>le</strong> prône en même temps qu’à<br />
notre vision de la responsabilité. « Afin<br />
de favoriser <strong>le</strong> développement de la<br />
participation et de l’actionnariat salarié<br />
est créé un dividende du travail »,<br />
énonce cet artic<strong>le</strong>. Ce qui se traduit<br />
notamment par la possibilité de distribution<br />
d’actions gratuites <strong>au</strong>x salariés<br />
ou encore d’une prime allant<br />
jusqu’à 1 000 euros, et ceci, <strong>au</strong> bon<br />
vouloir du dirigeant ou du conseil d’administration.<br />
La participation et l’intéressement reposent,<br />
en principe, sur un accord entre<br />
<strong>le</strong>s parties qui <strong>le</strong>s engagent sur <strong>le</strong> résultat.<br />
Les primes sont versées contractuel<strong>le</strong>ment<br />
en fonction de l’atteinte ou<br />
du dépassement des objectifs. Ainsi<br />
participation et intéressement peuventils<br />
être utilisés comme des outils de<br />
motivation qui s’articu<strong>le</strong>nt sur la stratégie<br />
de l’entreprise et qui permettent<br />
<strong>au</strong>x salariés et à la direction de se<br />
retrouver sur des objectifs communs.<br />
Ils donnent un sens <strong>au</strong> travail et impliquent<br />
concrètement <strong>le</strong> salarié dans la<br />
gestion de l’entreprise.<br />
Peut-on en dire <strong>au</strong>tant du dividende<br />
du travail ? En l’état actuel, il apparaît<br />
plutôt comme une sorte de cade<strong>au</strong><br />
dont <strong>le</strong> chef d’entreprise ou <strong>le</strong> conseil<br />
d’administration pourraient décider<br />
selon <strong>le</strong>ur humeur dans la mesure où<br />
il ne fait pas l’objet d’un accord spécifique.<br />
La participation, nous semb<strong>le</strong>t-il,<br />
se dénature en simp<strong>le</strong> redistribution<br />
à l’égard d’un salarié passif qui ne<br />
fera pas <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong> résultat de son<br />
propre travail. Celui-ci prendra vite ce<br />
« dividende » comme une sorte de 13 e<br />
ou 14 e mois et comprendra mal qu’il<br />
puisse diminuer, voire disparaître d’une<br />
année sur l’<strong>au</strong>tre. Cela ne lui apprendra<br />
pas à se sentir coresponsab<strong>le</strong> de la<br />
bonne marche de l’entreprise.<br />
LE BEURRE<br />
ET L’ARGENT DU BEURRE<br />
La loi franchit encore une étape dans<br />
la déresponsabilisation, lorsqu’el<strong>le</strong> offre<br />
la possibilité de rég<strong>le</strong>r ce dividende<br />
sous forme d’actions gratuites. Par définition,<br />
dans une économie de marché,<br />
l’action correspond à un investissement,<br />
<strong>au</strong> doub<strong>le</strong> sens du terme, financier<br />
et personnel: on investit son argent<br />
parce qu’on souhaite la réussite de<br />
l’entreprise et qu’on y croit, surtout<br />
quand il s’agit de PME, éloignées des<br />
spéculations boursières.<br />
Les Français, on l’a déjà souligné dans<br />
ces colonnes 2 , ont un rapport paradoxal<br />
avec <strong>le</strong> libéralisme économique:<br />
ils en veu<strong>le</strong>nt tous <strong>le</strong>s avantages liés à<br />
la liberté et <strong>au</strong>x facilités qu’il procure,<br />
mais pas <strong>le</strong>s inconvénients qui <strong>le</strong>s obligent<br />
à faire face, justement, à <strong>le</strong>ur responsabilité.<br />
Avec la distribution d’actions<br />
gratuites, ils <strong>au</strong>ront <strong>le</strong> beurre,<br />
l’argent du beurre et <strong>le</strong> sourire du<br />
patron, sans bourse délier, sans <strong>au</strong>cun<br />
engagement personnel. Il n’est pas sûr<br />
que ça <strong>le</strong>s aide à mieux comprendre <strong>le</strong><br />
fonctionnement de l’économie de marché<br />
alors même que l’on se plaint de<br />
<strong>le</strong>ur méconnaissance en la matière,<br />
par rapport <strong>au</strong>x citoyens des <strong>au</strong>tres<br />
pays développés. Même <strong>au</strong> loto, on ne<br />
gagne pas d’argent sans investir un<br />
minimum…<br />
En mettant en avant ce genre de partage<br />
un peu démagogique, nos responsab<strong>le</strong>s<br />
politiques donnent l’impression<br />
qu’ils partagent surtout la<br />
désinvolture économique de la plupart<br />
de nos concitoyens. Plus ennuyeux :<br />
ils finissent par accoucher d’un texte<br />
qui risque d’al<strong>le</strong>r à l’encontre de <strong>le</strong>urs<br />
louab<strong>le</strong>s intentions initia<strong>le</strong>s : faire participer<br />
<strong>le</strong>s salariés à la gestion de <strong>le</strong>ur<br />
entreprise.<br />
1 Une formu<strong>le</strong> comptab<strong>le</strong> minimum est<br />
prévue par la loi : R = 0,5 X (B-5 % C)<br />
X (S/VA). R = réserve spécia<strong>le</strong> de participation,<br />
B = bénéfice net, C = capit<strong>au</strong>x<br />
propres, S = salaires, VA = va<strong>le</strong>ur<br />
ajoutée. (Source : www.servicepublic.fr)<br />
2 Cf. Dirigeant n° 67<br />
Le point de vue de<br />
Thomas Ch<strong>au</strong>dron,<br />
Président national du <strong>CJD</strong><br />
L’HOMME<br />
EST CAPITAL<br />
Au <strong>CJD</strong>, nous sommes bien évidemment favorab<strong>le</strong>s<br />
à l’élargissement du système de la participation à<br />
toutes <strong>le</strong>s entreprises et nous <strong>le</strong> disons depuis<br />
longtemps. Cela nous paraît re<strong>le</strong>ver d’une élémentaire<br />
équité. Nous refusons que s’inst<strong>au</strong>rent, de fait, des<br />
inégalités croissantes entre <strong>le</strong>s avantages soci<strong>au</strong>x<br />
accordés <strong>au</strong>x salariés des grands groupes et à ceux<br />
des PME, parce que nombre de dispositifs lég<strong>au</strong>x sont<br />
d’abord pensés pour <strong>le</strong>s grandes entreprises et plus<br />
faci<strong>le</strong>ment applicab<strong>le</strong>s par el<strong>le</strong>s. Ce n’est pas juste<br />
pour nos collaborateurs et ce n’est pas une bonne<br />
chose pour l’attractivité de nos entreprises.<br />
Dans la loi qui vient d’être votée, nous nous<br />
réjouissons éga<strong>le</strong>ment de voir apparaître des mesures<br />
directement inspirées des suggestions de notre<br />
mouvement. Par exemp<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> introduit la possibilité<br />
d’utiliser <strong>le</strong> critère de projet dans <strong>le</strong>s accords<br />
d’intéressement pour un groupe de salariés travaillant<br />
ensemb<strong>le</strong> sur un projet transversal à l’entreprise. Ou<br />
encore, el<strong>le</strong> permet enfin <strong>au</strong>x salariés de groupements<br />
d’employeurs de bénéficier de la participation et de<br />
l’intéressement. Portées par <strong>le</strong> <strong>CJD</strong>, ces idées passent<br />
donc dans <strong>le</strong>s actes.<br />
Il reste qu’à notre sens, la loi n’a pas tranché entre <strong>le</strong>s<br />
deux grandes « philosophies » de la participation<br />
(comme <strong>le</strong> montre l’artic<strong>le</strong> ci-contre). D’un côté, une<br />
simp<strong>le</strong> redistribution d’une partie des résultats <strong>au</strong>x<br />
salariés et un encouragement à l’épargne<br />
d’investissement. De l’<strong>au</strong>tre, un véritab<strong>le</strong> partage des<br />
fruits de la croissance lié à la performance globa<strong>le</strong> de<br />
l’entreprise. La loi en reste largement à un principe<br />
redistributif, sous forme de rémunération différée. Pour<br />
<strong>le</strong> salarié, cet argent tombe un peu du ciel. Et cela<br />
devient vite un acquis, comme <strong>le</strong> 13 e mois ou la RTT.<br />
Or, il nous semb<strong>le</strong> que l’enjeu est <strong>au</strong>jourd’hui<br />
d’associer be<strong>au</strong>coup plus <strong>le</strong>s collaborateurs à la bonne<br />
marche de l’entreprise: c’est <strong>le</strong> sens même du mot<br />
participation. Les dispositifs actuels, par <strong>le</strong>ur<br />
<strong>au</strong>tomatisme, ne <strong>le</strong>ur permettent pas vraiment de<br />
prendre conscience de la relation entre <strong>le</strong>ur implication<br />
dans l’entreprise et la réussite de cel<strong>le</strong>-ci. Pourtant,<br />
dans une économie de la connaissance et du service,<br />
l’homme est <strong>le</strong> premier capital de l’entreprise. C’est la<br />
reconnaissance de cette réalité qui justifie <strong>le</strong> principe<br />
de la participation.<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
05
D’accord / Pas d’accord<br />
FAUT-IL ENCADRER<br />
LES REMUNERATIONS<br />
DES PATRONS ?<br />
UNE GRILLE<br />
DE RÉFÉRENCE<br />
Je suis scandalisé de voir certains<br />
patrons salariés, c’est-àdire<br />
qui n’ont pas pris <strong>le</strong> risque<br />
de la création, agir pour<br />
<strong>le</strong>ur salaire selon des logiques<br />
financières qui <strong>le</strong>ur assurent<br />
un retour sur investissement<br />
très rapide et protégé, et qui<br />
s’octroient des revenus faramineux<br />
quand bien même <strong>le</strong>s<br />
résultats de l’entreprise sont<br />
en baisse. Pour moi, ce sont<br />
des financiers et non des<br />
entrepreneurs. Pour un véritab<strong>le</strong><br />
entrepreneur, l’argent<br />
n’est qu’un outil qui marque la<br />
réussite, mais l’important, la<br />
motivation de base est de<br />
créer, de développer, de<br />
construire, d’avoir la liberté<br />
d’entreprendre.<br />
Il f<strong>au</strong>t distinguer cependant<br />
<strong>le</strong>s dirigeants de grandes<br />
entreprises et <strong>le</strong>s patrons de<br />
PME, dont <strong>le</strong>s montants de<br />
revenus n’ont rien à voir. La<br />
difficulté pour un patron de<br />
PME, c’est de fixer <strong>le</strong> montant<br />
de sa rémunération.<br />
Au <strong>CJD</strong>, nous nous étions<br />
posé un certain nombre de<br />
questions en commission:<br />
quel t<strong>au</strong>x horaire pour <strong>le</strong><br />
patron? Notre politique de<br />
06<br />
OLIVIER<br />
DOMINIKOWSKI<br />
(<strong>CJD</strong> Artois)<br />
ODICE,<br />
Conseil et RH,<br />
9 salariés<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
rémunération peut-el<strong>le</strong> être<br />
comprise par nos collaborateurs<br />
(valorisation depuis la<br />
création d’entreprise à<br />
<strong>au</strong>jourd’hui) d’<strong>au</strong>tant que<br />
nous ne disposons pas de la<br />
même couverture socia<strong>le</strong>?<br />
La meil<strong>le</strong>ure manière d’aborder<br />
<strong>le</strong> sujet nous paraissait de<br />
nous demander à quel salaire<br />
on emb<strong>au</strong>cherait une personne<br />
pour faire notre job si<br />
on passait une annonce? Mais<br />
nous n’avons jamais trouvé<br />
d’étalon de salaire, d’<strong>au</strong>tant<br />
qu’il f<strong>au</strong>t faire la distinction<br />
entre la rémunération fixe, <strong>le</strong>s<br />
primes, <strong>le</strong>s dividendes et <strong>le</strong>s<br />
avantages en nature.<br />
Il manque vraiment pour <strong>le</strong>s<br />
dirigeants de PME des indicateurs,<br />
des repères en fonction<br />
du nombre de personnes à<br />
encadrer et de la masse salaria<strong>le</strong>.<br />
Je crois qu’il f<strong>au</strong>drait<br />
construire cet outil avec des<br />
fourchettes h<strong>au</strong>te et basse.<br />
Pour <strong>le</strong>s collaborateurs, il<br />
existe des gril<strong>le</strong>s de référence,<br />
pourquoi pas pour nous?<br />
RÉSUMÉ<br />
Le salaire des patrons fait<br />
souvent débat. Nous avons tous en<br />
mémoire quelques dérives qui font scanda<strong>le</strong><br />
et rejaillissent de manière très négative sur<br />
l’image de la profession dans l’opinion.<br />
Mais comment faire ? Plutôt que de<br />
trancher, <strong>le</strong>s patrons du <strong>CJD</strong> préfèrent<br />
chercher à mieux poser <strong>le</strong> problème.<br />
ON CONFOND<br />
TROP DE CHOSES<br />
Le sujet prête à polémique, car<br />
on confond trop de choses<br />
dans la rémunération des<br />
patrons. Il f<strong>au</strong>t d'abord faire la<br />
distinction entre <strong>le</strong> revenu du<br />
travail qui devrait correspondre,<br />
pour <strong>le</strong> patron comme<br />
pour ses collaborateurs, à un<br />
prix de marché pour des entreprises<br />
analogues, et la rémunération<br />
du capital investi par<br />
<strong>le</strong> patron et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres actionnaires.<br />
Ceci correspond d'ail<strong>le</strong>urs à ce<br />
que disait <strong>le</strong> <strong>CJD</strong>, dans L’entreprise<br />
<strong>au</strong> XXI e sièc<strong>le</strong>,<br />
publiée en 1996. On y<br />
proposait une idée<br />
de « salaire maximum<br />
» pour <strong>le</strong><br />
patron en laissant<br />
libre <strong>le</strong> revenu<br />
global. Il était<br />
même suggéré <strong>au</strong>x<br />
actionnaires de décider<br />
d’attribuer, sur <strong>le</strong>urs<br />
propres dividendes, un revenu<br />
complémentaire à un chef<br />
d’entreprise à h<strong>au</strong>teur de ce<br />
qu’ils estiment nécessaire pour<br />
<strong>le</strong> garder.<br />
Quand j’ai repris mon entreprise,<br />
mes actionnaires financiers<br />
m'ont fixé un salaire<br />
maximum (que d’ail<strong>le</strong>urs, je<br />
n’ai toujours pas pris!), mais<br />
m’ont toujours laissé libre sur<br />
la politique de dividendes de<br />
l’entreprise. Ce distinguo me<br />
paraît sain.<br />
Une des questions qu’il f<strong>au</strong>drait<br />
poser pour bien aborder<br />
<strong>le</strong> sujet de la rémunération des<br />
patrons, est éga<strong>le</strong>ment la gestion<br />
des avantages en nature<br />
sous toutes ses formes, nombre<br />
de patrons de PME, « natu-<br />
PAR MICHÈLE BUINET<br />
rel<strong>le</strong>ment non JD », faisant une<br />
confusion entre <strong>le</strong>ur patrimoine<br />
personnel et celui de<br />
l’entreprise. Ce comportement<br />
transpire toujours et est généra<strong>le</strong>ment<br />
bien mal perçu.<br />
Au-delà de la réalité des chiffres,<br />
la perception des salariés<br />
pose <strong>au</strong>ssi problème, car bon<br />
nombre ont tendance à penser<br />
que <strong>le</strong> patron « se gave » sur<br />
<strong>le</strong>ur dos. J’ai un copain qui<br />
dirige une agence de communication<br />
et qui a, après une<br />
bonne année, distribué des<br />
primes importantes à ses sala-<br />
FRÉDÉRIC<br />
CHAPUT<br />
(<strong>CJD</strong> Landes)<br />
WILDCAT,<br />
Fabrication d’emballages,<br />
60 salariés<br />
riés, tous persuadés<br />
qu’il avait dû s’en attribuer <strong>le</strong><br />
centup<strong>le</strong>, alors qu’il <strong>le</strong>ur avait<br />
tout attribué.<br />
De la même manière, j’ai repris<br />
l’entreprise il y a dix ans à un<br />
patron qui traversait l’atelier<br />
en b<strong>le</strong>u de travail et tout dans<br />
l’entreprise, dans sa mise,<br />
dans <strong>le</strong>s conditions de travail,<br />
semblait crier misère. Il était<br />
pour cela extrêmement bien<br />
perçu par <strong>le</strong> personnel. Il s’octroyait<br />
un salaire de 1,3 million<br />
de francs et de très confortab<strong>le</strong>s<br />
dividendes.<br />
Cette histoire de rémunération<br />
renvoie donc à un sentiment<br />
de justice, extrêmement<br />
diffici<strong>le</strong> à appréhender et pas<br />
toujours en phase avec la réalité.
Ils bougent<br />
Raphaël Denis<br />
UN LIVRE COMME<br />
TOILE DE FOND<br />
Un livre pour raconter l’aventure de l’entreprise et rendre<br />
hommage à ses collaborateurs : Raphaël Denis l’a fait.<br />
’ entreprise Toi<strong>le</strong>s de<br />
« L Mayenne étonne be<strong>au</strong>coup<br />
dans sa région : sa longévité, sa<br />
résistance sur un secteur texti<strong>le</strong> qui<br />
a perdu en France 97 % de ses<br />
emplois depuis 1980, ses tissus de<br />
décoration résistants, <strong>le</strong> village harmonieux<br />
qui a grandi <strong>au</strong>tour d'el<strong>le</strong> »,<br />
explique avec un intérêt toujours passionné<br />
Raphaël Denis. Il est l’un des<br />
trois jeunes directeurs actuels, et a<br />
l’honneur de faire partie de la septième<br />
génération des Denis.<br />
À cette occasion, une envie lui est<br />
venue, rendre hommage à tous ces<br />
hommes et femmes qui ont pris part<br />
à cette aventure depuis <strong>le</strong>s origines :<br />
« Près de trois mil<strong>le</strong> ouvrières et<br />
ouvriers, dont certains dans la cha<strong>le</strong>ur,<br />
la poussière et/ou <strong>le</strong> bruit, ont<br />
filé, ourdi, cardé, épluché, battu,<br />
bobiné, dévidé, encollé, paré, noué,<br />
tissé, encantré1 , rentré, imprimé,<br />
gravé, picoté, empaqueté, teint,<br />
blanchi, g<strong>au</strong>fré, calandré, moiré,<br />
apprêté, nopé2… pendant de longues<br />
années ; six générations de<br />
patrons, inventeurs de machines,<br />
architectes et penseurs de la question<br />
socia<strong>le</strong>, impliqués dans la vie<br />
publique : sénateurs, députés, maires,<br />
mais <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong>s contremaîtres,<br />
équipés d’un savoir-faire important. »<br />
LES LEÇONS<br />
DE L’EXPÉRIENCE<br />
C’est ainsi qu’en juin 2006, un magnifique<br />
ouvrage sur l’entreprise a vu<br />
<strong>le</strong> jour : « Tissu topique - Toi<strong>le</strong>s de<br />
Mayenne à Fontaine-Daniel depuis<br />
1806 ». Il est <strong>le</strong> fruit d’un travail en<br />
équipe de deux ans, <strong>au</strong>quel ont parti-<br />
08<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
cipé une historienne, un photographe<br />
graphiste al<strong>le</strong>mand, une historienne<br />
de l'art, un écrivain du Mans, une<br />
archiviste sonore et un peintre.<br />
Raphaël, principal instigateur de ce<br />
livre, a eu une véritab<strong>le</strong> conscience<br />
d'une histoire socia<strong>le</strong> et architectura<strong>le</strong><br />
passionnante et singulière. Le 25 juin<br />
dernier, Le Journal du Dimanche titrait<br />
un artic<strong>le</strong> sur Toi<strong>le</strong>s de Mayenne: «Un<br />
village ouvrier <strong>au</strong> charme fou ». Le<br />
dirigeant de Toi<strong>le</strong>s de Mayenne explique<br />
que par ce livre, l’entreprise a<br />
appris à mieux se connaître. « Étudier<br />
<strong>le</strong> passé doit être un bon moyen<br />
d’échapper à une image trop immobi<strong>le</strong><br />
qui masque la comp<strong>le</strong>xité. Il<br />
semb<strong>le</strong> qu’un regard sur son passé<br />
soit uti<strong>le</strong> à une entreprise lorsqu’il lui<br />
montre <strong>le</strong>s métamorphoses (comme<br />
par exemp<strong>le</strong> la fin de la filature, l’arrivée<br />
de la teinturerie, <strong>le</strong>s nouve<strong>au</strong>x<br />
métiers à tisser…), <strong>le</strong>s tensions, <strong>le</strong>s<br />
renouvel<strong>le</strong>ments qui l’ont conduite<br />
là où el<strong>le</strong> est. Une démarche historique<br />
doit avoir la vertu de montrer<br />
comment certaines pratiques<br />
<strong>au</strong>jourd’hui obsolètes ont eu hier tout<br />
<strong>le</strong>ur sens et <strong>le</strong>ur efficacité. L’intérêt<br />
d’un travail historique est éga<strong>le</strong>ment<br />
d’étudier finement l’évolution des<br />
produits et des marchés, des savoirfaire<br />
et des différentes ressources<br />
(fournisseurs, techniques, financements,<br />
etc.). L’entreprise a “une culture”,<br />
des rituels, des signes qui sont<br />
un ciment pour <strong>le</strong>s différentes parties<br />
qui la composent. Ces va<strong>le</strong>urs<br />
sont un héritage qui s’est constitué<br />
<strong>au</strong> cours du temps, <strong>au</strong> fil des expériences<br />
passées. L’histoire permet<br />
d’évoquer ces va<strong>le</strong>urs, d’en restituer<br />
PAR RAPHAËLE FONSAGRIVES<br />
Raphaël Denis (<strong>au</strong> centre) JD de la Mayenne<br />
40 ans<br />
Dirigeant de Toi<strong>le</strong>s de Mayenne<br />
130 salariés<br />
10 millions de CA<br />
Pour en<br />
savoir plus<br />
Tissu topique<br />
-Toi<strong>le</strong>s de Mayenne<br />
à Fontaine-Daniel<br />
depuis 1806,<br />
Éditions Gallimard,<br />
juin 2006<br />
la genèse. Certains pensent <strong>au</strong>ssi<br />
que l’histoire n’est vraiment uti<strong>le</strong> à<br />
une entreprise que lorsqu’el<strong>le</strong> aide à<br />
mieux comprendre la nécessité d’innover.<br />
»<br />
L’ÂME DE LA RÉGION<br />
Mais par<strong>le</strong>r d’une entreprise c’est <strong>au</strong>ssi<br />
raconter <strong>au</strong>x habitants de la Mayenne,<br />
des Pays de la Loire, voire de la France<br />
et d’<strong>au</strong>tres pays où <strong>le</strong>s Toi<strong>le</strong>s de<br />
Mayenne sont représentées, une épopée<br />
texti<strong>le</strong> ; évoquer certaines clés de<br />
la résistance dans la durée et <strong>le</strong> refus<br />
de la délocalisation tout en conservant<br />
une tail<strong>le</strong> humaine, dans un contexte<br />
récent de forte disparition des emplois<br />
du texti<strong>le</strong> en France (- 95 % entre 1980<br />
et 2004). Ce n’est pas sans une certaine<br />
émotion que Raphaël rappel<strong>le</strong><br />
que « <strong>le</strong> Conseil Régional des Pays<br />
de la Loire a utilisé Toi<strong>le</strong>s de<br />
Mayenne pour sa campagne de<br />
communication <strong>au</strong> printemps 2000,<br />
en tant que l’un des représentants<br />
de l’« âme » de la Région ».<br />
1 Encantrer : mettre <strong>le</strong>s bobines sur <strong>le</strong>s<br />
cantres pour pouvoir tirer/ourdir <strong>le</strong>s fils<br />
et <strong>le</strong>s disposer dans <strong>le</strong> bon ordre.<br />
2 Noper : éplucher <strong>le</strong>s fils indésirab<strong>le</strong>s<br />
sur <strong>le</strong> tissu.
Dirigeant<br />
Un <strong>au</strong>tre regard sur l’entreprise<br />
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<strong>au</strong>jourd’hui à Dirigeant<br />
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<strong>le</strong> nouve<strong>au</strong><br />
DIRIGEANT<br />
« Dirigeant est un magazine à l’image des jeunes entrepreneurs.<br />
Avec sa maquette aérée, vivante et tout en cou<strong>le</strong>urs,<br />
il délivre une in<strong>format</strong>ion que vous ne trouverez pas ail<strong>le</strong>urs. »<br />
<strong>le</strong> magazine<br />
des jeunes dirigea<br />
d’entreprise !
10<br />
Ils entreprennent<br />
Michel Meunier<br />
PROFESSIONNALISER LES<br />
METIERS DE SURVEILLANCE<br />
Le 31 août 2007, Michel Meunier quittera L’Européenne de surveillance, qu’il a<br />
créée en 1992, et qu’il vient de vendre <strong>au</strong> groupe Vigimark pour avoir <strong>le</strong>s fonds<br />
nécessaires à la réalisation d’un nouve<strong>au</strong> projet : la création d’une entreprise de<br />
<strong>format</strong>ion <strong>au</strong>x métiers de la sécurité1 . Retour sur une entreprise qui, à bien des<br />
égards, a révolutionné la gestion et <strong>le</strong> management dans <strong>le</strong> secteur.<br />
Voilà un secteur en p<strong>le</strong>ine forme et<br />
une profession en p<strong>le</strong>ine expansion.<br />
On recrute dans <strong>le</strong>s métiers de la<br />
sécurité et du gardiennage depuis des<br />
années et ce n’est pas fini ! 120 000<br />
emplois <strong>au</strong>jourd’hui et une prévision<br />
de 250 000 dans <strong>le</strong>s dix ans qui viennent,<br />
selon <strong>le</strong> syndicat national des<br />
entreprises de sécurité (SNES).<br />
L’activité a explosé à mesure que l’État<br />
se désengageait (en 1995, la loi Pasqua<br />
reconnaît <strong>au</strong>x entreprises privées<br />
la possibilité de réaliser une mission<br />
régalienne de l’État : « la sécurité » ; en<br />
1997, la sécurité aéroportuaire est<br />
transférée de la police des frontières<br />
vers des entreprises privées). S’ajoute<br />
à cela un sentiment d’insécurité grandissant<br />
qui multiplie <strong>le</strong>s recours à du<br />
personnel ad hoc, même pour dans un<br />
cadre familial : quasiment plus de<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
mariages ou de baptêmes sans surveillance<br />
des parkings et des véhicu<strong>le</strong>s !<br />
Enfin, dernier élément explicatif : l’externalisation<br />
par <strong>le</strong>s entreprises de ce<br />
qui n’est pas <strong>le</strong>ur cœur de métier et<br />
la sous-traitance à des entreprises<br />
spécialisées des missions d’accueil,<br />
de filtrage des entrées, de remise de<br />
badges…<br />
UN RECRUTEMENT<br />
STRATÉGIQUE<br />
Dans ce contexte et face à une population<br />
peu qualifiée, <strong>le</strong> principal défi de<br />
L’Européenne de surveillance consiste<br />
à recruter et à fidéliser ses salariés.<br />
C’est pourquoi el<strong>le</strong> a mis en place un<br />
process de recrutement très poussé,<br />
qui, s’il est coûteux en temps passé et<br />
énergie, lui a permis de réduire <strong>le</strong> turn<br />
over de 120 % à 20 %.<br />
Michel Meunier<br />
PAR MICHÈLE BUINET<br />
Pour <strong>le</strong> recrutement, l’entreprise mise<br />
donc sur la proximité et sur tous <strong>le</strong>s<br />
can<strong>au</strong>x à sa disposition : l’ANPE, <strong>le</strong>s<br />
missions loca<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s radios, <strong>le</strong>s journ<strong>au</strong>x…<br />
El<strong>le</strong> reçoit ainsi 100 à 200 CV<br />
par mois qu’el<strong>le</strong> trie, selon une fiche<br />
type, pour valider <strong>le</strong>s prérequis du<br />
métier: 18 ans, <strong>le</strong> permis, un véhicu<strong>le</strong>.<br />
Les candidats retenus sont invités à<br />
venir remplir une fiche signalétique qui<br />
<strong>le</strong>s interroge sur <strong>le</strong>ur connaissance du<br />
métier et vérifie ainsi la véracité du CV.<br />
Vient ensuite un rendez-vous avec la<br />
direction des ressources humaines qui<br />
fait l’entretien, informe sur la charte<br />
qualité de l’entreprise et valide <strong>le</strong>s candidatures.<br />
Avant d’être emb<strong>au</strong>ché, <strong>le</strong> candidat<br />
retenu bénéficie d’un modu<strong>le</strong> de <strong>format</strong>ion<br />
d’une journée qui a trait à la<br />
découverte de l’entreprise (ses métiers,<br />
<strong>le</strong> client, <strong>le</strong> fonctionnement, la qualité…)<br />
et clôturera définitivement <strong>le</strong><br />
processus d’emb<strong>au</strong>che.<br />
Mais ce n’est pas tout. Après la période<br />
d’essai, <strong>le</strong> nouvel emb<strong>au</strong>ché, <strong>au</strong>-delà<br />
de son accompagnement par un tuteur,<br />
s’entretient à nouve<strong>au</strong> avec la DRH<br />
pour faire un bilan.<br />
Chaque personne exclue du proces-<br />
Entreprise<br />
L’EUROPÉENNE<br />
DE SURVEILLANCE<br />
• Entreprise créée en 1992<br />
• 300 salariés<br />
• 13 % de femmes<br />
• Chiffre d’affaires : 8,3 M €<br />
• Âge moyen des salariés 34 ans<br />
• 45 000 heures de prestations<br />
mensuel<strong>le</strong>s
DES MÉTIERS TRÈS ENCADRÉS<br />
Les métiers de la sécurité (incendie, lutte contre la spoliation,<br />
vidéosurveillance, conducteur de chiens, contrô<strong>le</strong> d’accès)<br />
sont très règ<strong>le</strong>mentés. Chaque agent doit bénéficier d’un<br />
agrément préfectoral, c’est-à-dire d’une vérification par <strong>le</strong>s<br />
services de l’État sur <strong>le</strong> fichier central des casiers judiciaires,<br />
sans <strong>le</strong>quel il ne peut être emb<strong>au</strong>ché. Chaque année,<br />
l’entreprise doit renvoyer la liste de ses salariés déjà déclarée<br />
pour que l’enquête <strong>le</strong>s concernant soit mise à jour.<br />
sus de recrutement, à quel que stade<br />
que ce soit, se <strong>le</strong> verra notifier par courrier<br />
avec une explication sur des critères<br />
précis qui ont fait que sa candidature<br />
n’a pas été retenue. Michel<br />
Meunier veil<strong>le</strong>, en effet, à ce que <strong>le</strong><br />
processus ne soit pas discriminant.<br />
Il a d’ail<strong>le</strong>urs be<strong>au</strong>coup travaillé <strong>le</strong> sujet<br />
avec l’association Face, en faisant<br />
appel à un imam quand il s’agissait de<br />
convaincre des salariés de religion<br />
musulmane de ne pas interrompre <strong>le</strong>ur<br />
surveillance <strong>au</strong>x heures de prière. Il se<br />
bat <strong>au</strong>jourd’hui <strong>au</strong>près du Conseil<br />
Général de l’Oise pour diriger vers <strong>le</strong>s<br />
métiers d’hôtesses de sécurité des femmes<br />
en grande difficulté (la population<br />
la plus précaire en France étant cel<strong>le</strong><br />
des jeunes femmes à la tête de famil<strong>le</strong>s<br />
monoparenta<strong>le</strong>s).<br />
UNE PLATEFORME<br />
D’INFORMATION COMPLÈTE<br />
Michel Meunier a <strong>au</strong>ssi modernisé <strong>le</strong><br />
métier en mettant à la disposition des<br />
agents des outils qui <strong>le</strong>ur facilitent la<br />
vie et rompent <strong>le</strong>ur iso<strong>le</strong>ment tout en<br />
améliorant grandement la col<strong>le</strong>cte d’in<strong>format</strong>ions<br />
dans l’entreprise.<br />
Depuis 1999, chaque site sécurisé 24<br />
heures sur 24 est doté d’un ordinateur<br />
qui permet une main courante in<strong>format</strong>ique,<br />
c’est-à-dire une saisie plus<br />
rapide que sur un carnet des entrées<br />
dans l’entreprise, des <strong>numéro</strong>s des<br />
véhicu<strong>le</strong>s, etc. Outre que l’agent évite<br />
<strong>le</strong>s redondances de saisie, l’entreprise<br />
peut col<strong>le</strong>cter des tab<strong>le</strong><strong>au</strong>x de bord qui<br />
sont transmis <strong>au</strong> client. Cette année,<br />
<strong>le</strong>s ordinateurs viennent d’être remplacés<br />
par des outils plus simp<strong>le</strong>s, antitache,<br />
antichocs… et dernière innovation,<br />
<strong>le</strong>s données sont envoyées sur<br />
un serveur où <strong>le</strong> client, n’importe où<br />
INNOVATION<br />
dans <strong>le</strong> monde, peut récupérer cel<strong>le</strong>s<br />
relatives <strong>au</strong>x entrées/sorties de son<br />
entreprise ou vérifier l’activité du poste<br />
de sécurité.<br />
S’y est ajouté un extranet dédié <strong>au</strong>x<br />
métiers de la sécurité, où <strong>le</strong> personnel<br />
peut consulter ses plannings, ses éléments<br />
de rémunération, faire des<br />
demandes de congés, échanger entre<br />
agents et où <strong>le</strong>s clients ont loisir de<br />
consulter <strong>le</strong>s devis, <strong>le</strong>s agents affectés<br />
à <strong>le</strong>ur service avec <strong>le</strong>ur photo et qualification,<br />
<strong>le</strong>s factures…<br />
C’est <strong>au</strong> <strong>CJD</strong> que Michel Meunier dit<br />
avoir glané ces idées qui font de L’Européenne<br />
de surveillance une entreprise<br />
en avance dans son secteur.<br />
« J’ai découvert l’importance de la<br />
<strong>format</strong>ion et de l’investissement dans<br />
<strong>le</strong>s hommes, cela a changé ma façon<br />
de fonctionner », raconte Michel Meunier.<br />
L’entreprise <strong>au</strong>jourd’hui n’emb<strong>au</strong>che<br />
qu’en CDI et à temps comp<strong>le</strong>t :<br />
« C’est <strong>le</strong> minimum quand <strong>le</strong>s salaires<br />
sont juste <strong>au</strong>-dessus du Smic »,<br />
et favorise la progression interne (il y a<br />
un chef de poste pour cinq agents).<br />
Certifiée Iso 9 001 version 2, el<strong>le</strong> allie<br />
la qualité et la performance à l’amélioration<br />
des conditions de travail et à la<br />
promotion socia<strong>le</strong> de ces collaborateurs.<br />
Une démarche encore trop rare<br />
dans <strong>le</strong> secteur.<br />
1 Voir <strong>au</strong>ssi l’interview de Michel Meunier<br />
dans <strong>le</strong> dossier sur <strong>le</strong>s reprises<br />
d’entreprise, rubrique Méthode.<br />
GAËTAN DE SAINTE MARIE<br />
(<strong>CJD</strong> LYON)<br />
PME CENTRALE : L’ENTREPRISE<br />
ET LE CHERCHEUR<br />
Quand une entreprise, centra<strong>le</strong><br />
d’achat de PME sur des produits<br />
non stratégiques rencontre un<br />
chercheur du CNRS spécialisé<br />
sur <strong>le</strong>s groupements d’entreprises,<br />
ça fait… une synergie extraordinaire.<br />
Créée il y a cinq ans par Gaëtan<br />
de Sainte Marie, PME Centra<strong>le</strong> s’est<br />
positionnée sur la centralisation<br />
d’achats de produits dits « non<br />
stratégiques », c’est-à-dire qui ne<br />
rentrent pas dans <strong>le</strong> prix de revient<br />
du chantier, avec pour premiers<br />
adhérents des entreprises de BTP<br />
de la région, soucieuses de faire<br />
des économies d’échel<strong>le</strong>. El<strong>le</strong><br />
achète ainsi pour el<strong>le</strong>s services<br />
génér<strong>au</strong>x (téléphone, fournitures…),<br />
véhicu<strong>le</strong>s (location longue durée,<br />
carburants…), <strong>le</strong>s consommab<strong>le</strong>s<br />
(location de matériel, vêtements<br />
de travail…)…<br />
Au hasard de la publication d’un<br />
artic<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> journal de la CCI,<br />
Gaëtan de Sainte Marie fait la<br />
connaissance de Michel Auvolat,<br />
chercheur <strong>au</strong> CNRS travaillant<br />
depuis des années sur <strong>le</strong>s<br />
groupements d’employeurs et <strong>le</strong>s<br />
centra<strong>le</strong>s d’achat. Une rencontre<br />
mutuel<strong>le</strong>ment fructueuse.<br />
Le chercheur, ravi de l’occasion<br />
de voir une réalisation concrète<br />
de ses trav<strong>au</strong>x, s’est passionné pour<br />
<strong>le</strong> projet de cette entreprise et a<br />
imaginé <strong>le</strong> process pour permettre<br />
de faire y adhérer des TPE,<br />
notamment des artisans. Le chef<br />
d’entreprise a pu étendre son rayon<br />
d’action <strong>au</strong>-delà dès ses adhérents<br />
habituels. PME Centra<strong>le</strong> compte<br />
<strong>au</strong>jourd’hui 730 membres<br />
(qui totalisent 11 000 salariés et<br />
plus de 1 milliard d’euros de chiffre<br />
d’affaires). El<strong>le</strong> a généré, en 2005,<br />
10 millions d’euros d’achat et en<br />
prévoit 15 pour 2006.<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
11
12<br />
Ils innovent<br />
otre mission est de trouver des<br />
«Nremplaçants pour nos adhérents<br />
agriculteurs, essentiel<strong>le</strong>ment dans<br />
l’é<strong>le</strong>vage laitier ou porcin, lorsqu’ils ne<br />
peuvent s’occuper de <strong>le</strong>ur exploitation,<br />
en raison de maladie, d’accident ou<br />
lors de vacances. Nous employons<br />
l’équiva<strong>le</strong>nt de 110 salariés à temps<br />
p<strong>le</strong>in qui occupent des postes de techniciens<br />
agrico<strong>le</strong>s spécialisés, aptes à<br />
prendre <strong>le</strong> relais sur un é<strong>le</strong>vage.<br />
Nous comptons dans nos effectifs<br />
douze apprentis, âgés en moyenne de<br />
19 ans. Ils préparent des bacs professionnels<br />
ou des BTS agrico<strong>le</strong>s. Parallè<strong>le</strong>ment<br />
nous emb<strong>au</strong>chons chaque<br />
année trois à quatre jeunes en contrat<br />
de professionnalisation.<br />
Tous <strong>le</strong>s apprentis ont un tuteur salarié<br />
de Seremor. Ils disposent éga<strong>le</strong>ment<br />
d’un maître de stage, agriculteur,<br />
qui assure <strong>le</strong> transfert de son savoirfaire<br />
sur son exploitation. Il se charge<br />
ainsi de <strong>le</strong>ur apprendre <strong>le</strong> métier de<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
façon très pratique. Après plusieurs<br />
mois d’accompagnement, ils interviennent<br />
lors de missions de remplacement<br />
pour <strong>le</strong>s confronter à la réalité.<br />
Le bilan que nous en tirons est extrêmement<br />
positif. C’est pour nous l’occasion<br />
de proposer un parcours de <strong>format</strong>ion<br />
original et efficace, d’attirer des<br />
jeunes urbains en <strong>le</strong>ur apportant une<br />
réel<strong>le</strong> expérience pratique de nos<br />
métiers. Ce cursus amène <strong>le</strong> jeune à<br />
être réel<strong>le</strong>ment opérationnel et à avoir<br />
p<strong>le</strong>inement confiance en ses propres<br />
capacités. Il permet de prendre des<br />
initiatives, de gagner en <strong>au</strong>tonomie et<br />
d’être capab<strong>le</strong> de piloter une exploitation<br />
agrico<strong>le</strong>.<br />
PAR NATHALIE CROUZET<br />
La Charte d’apprentissage,<br />
POUR DEVELOPPER L’EMPLOI<br />
La Seremor est une PME morbihannaise du secteur agrico<strong>le</strong> qui accueil<strong>le</strong> et forme des apprentis depuis<br />
1997. Ils composent 10 % de son effectif. El<strong>le</strong> est signataire de la Charte de l’apprentissage développée<br />
par Henri Lachmann, Président du Conseil de Surveillance de Schneider E<strong>le</strong>ctric. Michel Lechapelain,<br />
dirigeant de la Seremor, explique tout l’intérêt de l’apprentissage.<br />
Entreprise<br />
SEREMOR<br />
• Michel Lechapelain, directeur,<br />
membre du <strong>CJD</strong> de Vannes<br />
• Groupement d’employeurs<br />
agrico<strong>le</strong> à vocation de<br />
remplacement sur <strong>le</strong><br />
département du Morbihan<br />
• 2 700 adhérents<br />
• 110 salariés<br />
Crédit photo : Claire Le Clève, Terra, Rédaction du Morbihan<br />
ATTIRER LES JEUNES VERS<br />
LES MÉTIERS AGRICOLES<br />
Nous souhaitons développer l’accès<br />
à nos métiers par l’alternance<br />
(apprentissage et contrat de professionnalisation).<br />
Le secteur de l’agriculture<br />
en Bretagne a besoin de préparer<br />
et recruter de nouve<strong>au</strong>x<br />
salariés. 10 000 emplois qualifiés et<br />
durab<strong>le</strong>s sont à pourvoir <strong>au</strong> cours des<br />
cinq prochaines années. Les viviers<br />
traditionnels pour recruter sont en<br />
déclin, <strong>le</strong> secteur doit impérativement<br />
s’ouvrir vers de nouve<strong>au</strong>x publics.<br />
Les acteurs économiques en agriculture<br />
sont pour l’essentiel des TPE pour<br />
<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s la fonction d’employeur et<br />
ses risques sont des freins à l’emb<strong>au</strong>
che. Notre entreprise a l’originalité<br />
d’avoir <strong>le</strong> statut juridique de groupement<br />
d’employeurs et son métier est<br />
la gestion de ressources humaines.<br />
Notre souci premier est d’anticiper <strong>le</strong>s<br />
recrutements, former et accompagner<br />
dans la durée ses salariés et indirectement<br />
contribuer à satisfaire <strong>le</strong>s besoins<br />
en compétences de la filière agrico<strong>le</strong><br />
de la région.<br />
UN DISPOSITIF<br />
À DÉVELOPPER<br />
Signer la charte nationa<strong>le</strong> de l’apprentissage<br />
(cf. encadré), c’est faire reconnaître<br />
<strong>le</strong> travail réalisé et communiquer<br />
sur l’importance et l’urgence de développer<br />
de tel<strong>le</strong>s filières. L’alternance<br />
permet de constituer un vivier de compétences<br />
pour <strong>le</strong>s entreprises et pour<br />
<strong>le</strong> jeune, c’est un accès plus serein et<br />
plus rapide à l’emploi.<br />
Un jeune qui suit une <strong>format</strong>ion par<br />
apprentissage dans <strong>le</strong> cadre d’un groupement<br />
d’employeurs sera amené à<br />
découvrir et maîtriser son futur métier<br />
à partir d’expériences <strong>au</strong> sein d’entreprises<br />
différentes. L’avantage de cette<br />
situation est de lui offrir une plus large<br />
ouverture d’esprit et l’amener à intégrer<br />
la mobilité comme une réalité de<br />
la vie professionnel<strong>le</strong>. Ces expériences<br />
multip<strong>le</strong>s seront des atouts dans son<br />
parcours professionnel.<br />
Je souhaite que <strong>le</strong>s entreprises intègrent<br />
plus largement l’alternance dans<br />
<strong>le</strong>urs méthodes de recrutement et d’acquisition<br />
de compétences. Et plus particulièrement<br />
que <strong>le</strong>s groupements<br />
d’employeurs jouent un rô<strong>le</strong> accru dans<br />
l’emb<strong>au</strong>che d’apprentis, afin de <strong>le</strong>s<br />
mettre en <strong>format</strong>ion chez nos propres<br />
adhérents. Les grandes entreprises<br />
peuvent accompagner <strong>le</strong>urs sous-traitants<br />
dans l’accueil et la <strong>format</strong>ion des<br />
apprentis. Des structures comme Seremor<br />
sont en mesure de <strong>le</strong> faire avec<br />
<strong>le</strong>urs adhérents, dans <strong>le</strong> souci d’une<br />
démarche de qualité vis-à-vis du jeune.<br />
Le groupement assurerait <strong>le</strong>s fonctions<br />
de maître d’apprentissage, la paye, <strong>le</strong>s<br />
fonctions de RH, la médiation et <strong>le</strong> lien<br />
entre <strong>le</strong> CFA, l’entreprise, et <strong>le</strong> jeune.<br />
Le tutorat serait confié à l’adhérent. »<br />
L’apprentissage<br />
chez Seremor<br />
Pour <strong>le</strong>s 4 dernières<br />
promotions, soit 22 jeunes :<br />
• 17 sont allés <strong>au</strong> terme<br />
de <strong>le</strong>ur contrat<br />
d’apprentissage<br />
• 7 ont signé un CDI<br />
• 7 ont signé un CDD<br />
• 3 poursuivent une<br />
nouvel<strong>le</strong> <strong>format</strong>ion<br />
La plupart ont <strong>le</strong> projet<br />
de devenir agriculteur !<br />
LA CHARTE DE L’APPRENTISSAGE<br />
L’apprentissage est une réponse moderne et adaptée pour la <strong>format</strong>ion et la qualification<br />
des jeunes. Fondé sur <strong>le</strong> transfert de compétences par <strong>le</strong> tutorat et <strong>le</strong>s maîtres d’apprentissage,<br />
il offre <strong>au</strong>x jeunes un itinéraire garanti pour acquérir tout à la fois connaissances<br />
théoriques et aptitudes pratiques pour maîtriser un métier, pour comprendre l’entreprise,<br />
acquérir <strong>le</strong>s savoir-faire et savoir-être indispensab<strong>le</strong>s et accroître <strong>le</strong>urs aptitudes à être plus<br />
rapidement intégrés. C’est déjà un contrat de travail. Les plus de 1 000 entreprises qui ont<br />
adopté cette Charte s’engagent ensemb<strong>le</strong> à :<br />
1. Accueillir des<br />
apprentis et élèves<br />
suivant une <strong>format</strong>ion<br />
en alternance, fil<strong>le</strong>s<br />
et garçons, de tous<br />
nive<strong>au</strong>x afin de <strong>le</strong>ur<br />
permettre d’acquérir<br />
<strong>le</strong>s qualifications<br />
nécessaires à l’emploi.<br />
2. Accroître <strong>le</strong> nombre<br />
d’apprentis en<br />
2 ans en cohérence<br />
avec la tail<strong>le</strong> de notre<br />
entreprise.<br />
AIDER LES JEUNES À DÉCIDER<br />
DE LEUR ORIENTATION<br />
3. Respecter, lors<br />
du recrutement des<br />
apprentis, la diversité<br />
de la société française,<br />
et notamment<br />
sa diversité culturel<strong>le</strong><br />
et ethnique, ceci <strong>au</strong>x<br />
différents nive<strong>au</strong>x de<br />
qualification.<br />
4. Valoriser l’engagement<br />
des tuteurs et<br />
<strong>le</strong>s accompagner par<br />
la <strong>format</strong>ion.<br />
5. Associer <strong>le</strong>s<br />
collaborateurs et<br />
<strong>le</strong>s partenaires<br />
soci<strong>au</strong>x <strong>au</strong>x enjeux<br />
de l’apprentissage.<br />
6. Organiser chaque<br />
année une action de<br />
valorisation de<br />
l’apprentissage avec<br />
<strong>le</strong>s différentes parties<br />
intéressées (collaborateurs,<br />
enseignants,<br />
jeunes et famil<strong>le</strong>s).<br />
7. Accroître <strong>le</strong>s collaborations<br />
entre organismes<br />
de <strong>format</strong>ion<br />
et entreprises afin<br />
d’améliorer la qualification<br />
des jeunes.<br />
INNOVATION<br />
Depuis 2000, la Semaine Éco<strong>le</strong>-Entreprise multiplie<br />
<strong>le</strong>s rencontres pour établir et renforcer <strong>le</strong> dialogue entre<br />
<strong>le</strong> monde économique et <strong>le</strong> monde de l'éducation<br />
mais <strong>au</strong>ssi initier <strong>le</strong>s jeunes à l'esprit d'entreprendre.<br />
Cette opération est menée conjointement par <strong>le</strong> Medef<br />
et l’Éducation Nationa<strong>le</strong>. L’association Jeunesse<br />
et Entreprise et <strong>le</strong> <strong>CJD</strong> y sont associés.<br />
128 000 élèves, 15 900 enseignants et 9 800 dirigeants<br />
d'entreprise ont participé à la dernière édition.<br />
Afin de prolonger ce partage d’expériences, et d’aider<br />
<strong>le</strong>s dirigeants tout <strong>au</strong> long de l’année dans <strong>le</strong>urs<br />
démarches de rapprochement Éco<strong>le</strong> - Entreprise,<br />
une « mal<strong>le</strong>tte numérique » capitalise des outils et des<br />
guides méthodologiques proposés par <strong>le</strong>s différents<br />
partenaires de l’opération.<br />
www.eco<strong>le</strong>-et-entreprise.fr<br />
8. Mettre à disposition,<br />
chaque année,<br />
un bilan de nos<br />
actions en faveur<br />
du développement<br />
de l’apprentissage :<br />
nombre d’apprentis,<br />
résultats <strong>au</strong>x examens,<br />
emb<strong>au</strong>ches.<br />
www.chartedelapprentissage.com<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
13
14<br />
Dossier<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
« Pour la succession des<br />
entreprises familia<strong>le</strong>s,<br />
<strong>le</strong>s patrons se partagent en<br />
deux catégories: ceux<br />
qui croient que <strong>le</strong> génie est<br />
héréditaire et ceux qui<br />
n'ont pas d'enfants.»<br />
Yvon Gattaz,<br />
ancien président du Cnpf,<br />
dans un entretien accordé à France culture<br />
PME À VENDRE,<br />
ENTREPRISES<br />
À REPRENDRE ?<br />
VIEILLISSEMENT DES CHEFS D’ENTREPRISE, PHÉNOMÈNE DE CONCENTRATION DES PME<br />
en microgroupes : dans <strong>le</strong>s 15 ans qui viennent, de plus en plus d’entreprises vont changer de main.<br />
Ces transmissions représentent un enjeu économique important en termes d’emploi et de maintien du<br />
tissu économique de notre pays. Mais, il n’est pas si faci<strong>le</strong> de trouver la « bonne » entreprise à reprendre.<br />
Pour réussir, <strong>le</strong> dirigeant repreneur doit en particulier être attentif <strong>au</strong>x dimensions psychologiques<br />
et humaines qui accompagnent sa décision de rachat.
QUESTIONS<br />
PAR BRUNO TILLIETTE<br />
Un marché porteur<br />
POUR LES ANNÉES À VENIR<br />
Comme <strong>le</strong> reste de la population, <strong>le</strong>s chefs<br />
d’entreprise n’échappent pas <strong>au</strong> vieillissement<br />
général. Et la retraite existe <strong>au</strong>ssi pour<br />
eux. Un tiers des patrons a plus de 50 ans.<br />
Un nombre important d’entreprises est donc<br />
appelé à changer de propriétaire dans <strong>le</strong>s 15 ans à<br />
venir: entre 700000 et 900000, selon <strong>le</strong>s estimations.<br />
C’est un enjeu économique considérab<strong>le</strong> tant en termes<br />
d’emplois, que de maintien de l’activité et d’aménagement<br />
du territoire.<br />
Le chiffre exact des transmissions est diffici<strong>le</strong> à évaluer,<br />
notamment parce qu’el<strong>le</strong>s ne font pas toutes l’objet<br />
d’une déclaration <strong>au</strong> Centre de formalité des entreprises<br />
(CFE). Oséo 1 estime que <strong>le</strong> nombre de reprises<br />
d’entreprises est actuel<strong>le</strong>ment de 60 000 chaque<br />
année : 50 000 transmissions de micro-entreprises<br />
(moins de 10 salariés), 5000 de petites (10 à 50 salariés)<br />
et 500 de moyennes (50 à 250 salariés), l’ensemb<strong>le</strong><br />
représentant plus 300000 emplois. À noter que<br />
sur 100 chefs d’entreprise, 60 <strong>le</strong> sont devenus par création,<br />
31 par rachat, et seu<strong>le</strong>ment 7 par héritage: la<br />
transmission par succession est en baisse constante.<br />
UN PHÉNOMÈNE DE CONCENTRATION<br />
À ce premier phénomène, s’ajoute celui de la concentration<br />
qui apparaît, pour <strong>le</strong>s PME <strong>au</strong>ssi, comme une<br />
évolution structurel<strong>le</strong> du marché. Pour el<strong>le</strong>s, comme<br />
pour <strong>le</strong>s grands groupes, <strong>le</strong> rachat d’une <strong>au</strong>tre entreprise<br />
correspond <strong>le</strong> plus souvent à une stratégie de<br />
croissance externe qui présente l’avantage d’être<br />
plus rapide qu’un développement interne. Dans 76 %<br />
des cas, il s’agit d’acquérir de nouvel<strong>le</strong>s parts de<br />
marché, dans 17 %, de se diversifier. L’Insee observe<br />
ainsi depuis 1990 un accroissement important du nombre<br />
de microgroupes de la tail<strong>le</strong> d’une PME. Selon cet<br />
institut, en 1998, une PME sur huit appartenait à un<br />
microgroupe, contre cinq fois moins en 1990.<br />
Autre élément intéressant, <strong>le</strong> rajeunissement des<br />
repreneurs, qui s’accompagne d’une baisse globa<strong>le</strong><br />
des apports personnels dans <strong>le</strong>s montages financiers.<br />
Ceux-ci ont <strong>au</strong>jourd’hui <strong>au</strong>tour de 40 ans. Ils<br />
sont, en général, expérimentés et possèdent un<br />
nive<strong>au</strong> é<strong>le</strong>vé de <strong>format</strong>ion.<br />
TROUVER LA « BONNE » ENTREPRISE<br />
La reprise d’entreprises apparaît donc comme un marché<br />
« porteur » dans <strong>le</strong>s années qui viennent, avec<br />
une offre importante et une demande ouverte. Mais<br />
une entreprise, évidemment, ne s’achète pas comme<br />
un pack de petits-suisses ou une voiture. Si l’on ne<br />
peut qu’encourager <strong>le</strong>s dirigeants à regarder vers ces<br />
opportunités de croissance rapide pour <strong>le</strong> bien même<br />
de notre économie, il f<strong>au</strong>t <strong>au</strong>ssi <strong>le</strong>s mettre en garde<br />
contre des achats trop faci<strong>le</strong>s qui se révé<strong>le</strong>ront forts<br />
coûteux, f<strong>au</strong>te d’avoir bien préparé <strong>le</strong> projet de reprise.<br />
Et <strong>le</strong>s difficultés ne sont pas toujours où on <strong>le</strong>s imagine.<br />
El<strong>le</strong>s tiennent essentiel<strong>le</strong>ment, d’une part, à<br />
l’adéquation entre l’offre et la demande, et d’<strong>au</strong>tre<br />
part, <strong>au</strong>x rapports entre offreurs et demandeurs.<br />
Dans ce dossier, nous nous sommes volontairement<br />
placés du côté du repreneur, puisque <strong>le</strong>s jeunes dirigeants<br />
se situent plutôt potentiel<strong>le</strong>ment dans ce<br />
camp. Le premier problème, pour qui veut faire de la<br />
croissance externe, est de trouver la « bonne » entreprise<br />
à acquérir. Et d’abord de définir ce que veut<br />
dire « bonne » du point de vue de sa stratégie. Mais<br />
surtout de savoir où et comment chercher parmi <strong>le</strong>s<br />
milliers de possibilités qui s’offrent à lui, sur tout <strong>le</strong><br />
territoire et même <strong>au</strong> simp<strong>le</strong> nive<strong>au</strong> d’une région. À<br />
cet égard, <strong>le</strong> développement d’internet et de sites<br />
spécialisés sur la transmission d’entreprise peut<br />
grandement lui faciliter la tâche, <strong>au</strong> moins pour <strong>le</strong>s<br />
premières approches. C’est un peu comme <strong>le</strong>s sites<br />
de rencontre pour célibataires : ils permettent de<br />
sé<strong>le</strong>ctionner un premier profil.<br />
Mais après, <strong>le</strong> plus dur reste à faire, il f<strong>au</strong>t se plaire…<br />
Tous nos interlocuteurs soulignent, dans ce dossier,<br />
l’importance de la relation de confiance qui doit s’établir<br />
entre <strong>le</strong> vendeur et l’acheteur. Cette dimension<br />
psychologique conditionne pour une grande part la<br />
réussite de la reprise, parce que l’entreprise reste<br />
avant tout une aventure plus humaine que technique<br />
ou financière. Ce qui est plutôt rassurant.<br />
1 Les chiffres<br />
donnés ici sont<br />
issus du rapport<br />
Oséo bdpme sur<br />
« La transmission des<br />
petites et moyennes<br />
entreprises », 2006,<br />
téléchargeab<strong>le</strong> sur<br />
www.oseo.fr..<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
15
16<br />
Dossier<br />
STRATÉGIE<br />
Le choix du cœur<br />
OU DE LA RAISON ?<br />
Le repreneur a ses raisons… que la raison ne doit pas ignorer. Avant de se lancer dans<br />
cette aventure, l’élaboration d’un projet de reprise lui permettra d’éclairer ses choix.<br />
Pour en<br />
savoir plus<br />
> Agence Pour la Création<br />
d’Entreprises (Apce)<br />
14 rue Delambre, 75014<br />
Paris, Tél. 01 42 18 58 58,<br />
www.apce.com<br />
> Act In Business<br />
Annuaire de sites portant<br />
sur la création et la<br />
reprise d’entreprise,<br />
www.actinbusiness.com<br />
> www.robertpapin.com<br />
> FORCES, société<br />
proposant des modu<strong>le</strong>s<br />
d’<strong>au</strong>to<strong>format</strong>ion pour<br />
créer, développer<br />
ou reprendre<br />
une entreprise : www.forces.fr<br />
Derrière tout entrepreneur, un repreneur sommeil<strong>le</strong>.<br />
Le désir de croître constitue un<br />
réf<strong>le</strong>xe naturel de la part de tout individu<br />
possédant déjà une affaire. Et l’acquisition<br />
d’une seconde société peut satisfaire cette<br />
aspiration légitime. Seu<strong>le</strong>ment, <strong>au</strong> moment de signer<br />
un accord de reprise, <strong>le</strong> chef d’entreprise est seul.<br />
Il est maître de sa décision, laquel<strong>le</strong> entraînera quoi<br />
qu’il arrive des conséquences importantes sur son<br />
activité et sa vie privée. En amont, l’élaboration de<br />
son projet de reprise lui <strong>au</strong>ra permis d’évaluer ces<br />
deux facettes complémentaires: <strong>le</strong> choix humain et<br />
<strong>le</strong> choix stratégique. Car une acquisition décou<strong>le</strong><br />
<strong>au</strong>tant du premier que du second.<br />
QUELLES MOTIVATIONS HUMAINES ?<br />
Le choix humain, tout d’abord. Le candidat potentiel<br />
à la reprise doit, à un moment ou un <strong>au</strong>tre, faire<br />
<strong>le</strong> point à ce sujet. Que recherche-t-il ? Gagner une<br />
plus large reconnaissance? Re<strong>le</strong>ver un nouve<strong>au</strong> défi?<br />
Au-delà de ses motivations propres, il lui appartient<br />
de bien identifier <strong>le</strong>s atouts qui seront nécessaires<br />
pour cette opération. Sur ce plan, attention: un repreneur<br />
n’est pas un créateur. Comme <strong>le</strong> souligne Robert<br />
Papin, professeur à HEC, dans son ouvrage Stratégie<br />
pour la création d’entreprise – Création, reprise,<br />
développement 1 , <strong>le</strong> chef d’entreprise candidat à un<br />
rachat doit faire appel à des compétences <strong>au</strong>tres que<br />
cel<strong>le</strong>s qu’il met en œuvre habituel<strong>le</strong>ment : « Alors<br />
qu’un créateur peut maîtriser parfaitement son projet,<br />
<strong>le</strong> candidat à la reprise lui, dispose rarement de<br />
toutes <strong>le</strong>s in<strong>format</strong>ions dont il a besoin pour prendre<br />
ses décisions. Il lui f<strong>au</strong>t donc pallier cet inconvénient<br />
par un bon esprit d’analyse. » En acquérant<br />
une société, il entre en effet dans un monde qui lui<br />
est inconnu, avec ses comptes, ses clients et fournisseurs,<br />
mais <strong>au</strong>ssi sa culture, ses salariés et ses<br />
rapports soci<strong>au</strong>x. Tous ces éléments laissent à penser<br />
qu’il existe une profonde différence entre <strong>le</strong> créa-<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
PAR DIDIER LE GORREC<br />
teur et <strong>le</strong> repreneur: alors que <strong>le</strong> premier est un défricheur,<br />
<strong>le</strong> second doit avant tout présenter <strong>le</strong>s qualités<br />
d’un manager. « La reprise exige du nouve<strong>au</strong> dirigeant<br />
qu’il soit capab<strong>le</strong> de décider et de s’imposer<br />
rapidement », reprend Robert Papin. Ses qualités doivent<br />
<strong>au</strong>ssi être en lien avec l’entreprise el<strong>le</strong>-même…<br />
et avec ses problèmes : faib<strong>le</strong>sse d’organisation,<br />
difficultés techniques, carence en marketing, etc.<br />
IDENTIFIER SON PROJET À LONG TERME<br />
Second vo<strong>le</strong>t: <strong>le</strong> choix stratégique. Il est bien entendu<br />
primordial. Le repreneur a tout intérêt à distinguer<br />
ce qui relève de la motivation immédiate de ce qui<br />
détermine ses objectifs à plus long terme, tous ces<br />
points devant bien sûr être compatib<strong>le</strong>s. Ainsi,<br />
l’Agence pour la création d’entreprises distingue-tel<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong> « détonateur » et <strong>le</strong> « projet » lui-même (cf.<br />
encadré). Identifier toutes ces motivations constitue<br />
une étape indispensab<strong>le</strong> avant de définir une cib<strong>le</strong>.<br />
Le candidat à la reprise doit en en effet déterminer<br />
un certain nombre de critères : activité souhaitée,<br />
tail<strong>le</strong> et localisation de l’entreprise, potentialités de<br />
cette dernière, fourchette du prix de cession, modalités<br />
de la reprise. Ces critères sont à mettre en perspective<br />
avec sa propre capacité d’investissement,<br />
mais <strong>au</strong>ssi de management (tail<strong>le</strong> de l’entreprise).<br />
Enfin, la question doit être posée de reprendre une<br />
entreprise en bonne santé… ou en difficulté. Dans<br />
<strong>le</strong> premier cas, Robert Papin identifie deux défis à<br />
re<strong>le</strong>ver : réussir à intégrer <strong>le</strong> savoir et l’expérience<br />
du vendeur, sur <strong>le</strong>squels repose l’affaire à racheter ;<br />
déce<strong>le</strong>r l’éventuel<strong>le</strong> obso<strong>le</strong>scence des équipements,<br />
que pourraient cacher <strong>le</strong>s finances saines de l’entreprise.<br />
« Certaines sociétés faisant des profits disposent<br />
de matériels usés ou dépassés, précise-t-il.<br />
Il f<strong>au</strong>dra donc financer des besoins que <strong>le</strong>s crédits<br />
fournisseurs et <strong>le</strong>s bénéfices prévisib<strong>le</strong>s ne suffiront<br />
pas à couvrir. »<br />
Dans <strong>le</strong> cas d’une entreprise en difficulté, la prudence
doit plus que jamais être de mise. Ce type de rachat<br />
est souvent perçu comme peu coûteux, voire réduit<br />
« à l’euro symbolique ». Dans l’immense majorité<br />
des cas, il n’en est rien. Les fonds à mobiliser doivent<br />
comprendre <strong>le</strong> coût de rachat et celui nécessaire à<br />
la restructuration de l’affaire. Lucide, Robert Papin<br />
prévient : « Même si <strong>le</strong> repreneur dispose des sommes<br />
nécessaires pour couvrir <strong>le</strong>s échéances à court<br />
terme, rien ne dit que ces sommes suffiront, car <strong>le</strong>s<br />
anciens patrons et <strong>le</strong>s salariés <strong>au</strong>ront probab<strong>le</strong>ment<br />
minimisé <strong>le</strong>s problèmes, <strong>le</strong>s premiers pour échapper<br />
à <strong>le</strong>urs responsabilités, <strong>le</strong>s seconds pour éviter de<br />
perdre <strong>le</strong>ur situation. » À l’heure du « go-no go » (« j’y<br />
vais, j’y vais pas »), quand <strong>le</strong> repreneur est seul face<br />
à son choix, ces considérations pèsent de tout <strong>le</strong>ur<br />
poids.<br />
1 Dunod, 2005<br />
REPRENDRE POUR ATTEINDRE LA TAILLE CRITIQUE<br />
Entretien avec<br />
Bernard Caroff,<br />
JD de Bretagne<br />
Quel<strong>le</strong> est votre activité et quel<strong>le</strong><br />
entreprise avez-vous rachetée ?<br />
Rattaché <strong>au</strong> groupement coopératif<br />
Savéol, j’exploite, dans <strong>le</strong> cadre de ma<br />
Sarl Saint-Eloi, une production de<br />
tomates h<strong>au</strong>t de gamme sur 40 000 m2 de serres, dans <strong>le</strong> Finistère, avec un<br />
statut de GAEC1 . Mon entreprise réalise<br />
2,5 M € de CA et emploie 20 personnes<br />
en hiver, mais 50 en été. Cel<strong>le</strong> que nous<br />
rachetons exerce exactement la même<br />
activité, sur 2 hectares seu<strong>le</strong>ment.<br />
Les motifs de votre rachat ?<br />
Tout d’abord l’opportunité. Cette<br />
entreprise de très bonne qualité était<br />
vendue 30 % en dessous de sa va<strong>le</strong>ur<br />
du fait qu’il y a peu de repreneurs dans<br />
notre profession. Ensuite, nous sommes<br />
confrontés à des <strong>au</strong>gmentations de<br />
charges très é<strong>le</strong>vées, en main-d’œuvre<br />
et énergie, et <strong>le</strong> rachat constitue l’une<br />
des solutions pour <strong>le</strong>s baisser. Par<br />
ail<strong>le</strong>urs, contrairement à la plupart des<br />
entreprises de notre secteur, nous avons<br />
misé sur un encadrement de qualité,<br />
avec une impulsion RH <strong>au</strong>tour de la<br />
<strong>format</strong>ion. Nous avons de bons<br />
managers qui nous ont fait comprendre<br />
qu’une absence d’évolution <strong>le</strong>s inciterait<br />
à partir. Quatrième raison, enfin : la<br />
recherche de la tail<strong>le</strong> critique. C’est<br />
notre premier rachat mais certainement<br />
pas <strong>le</strong> dernier.<br />
Et si cette occasion ne s’était pas<br />
présentée ?<br />
Nous <strong>au</strong>rions sans doute évalué<br />
d’<strong>au</strong>tres opportunités, même si cel<strong>le</strong>-ci<br />
était particulièrement intéressante.<br />
J’ajoute que nous avons pris <strong>le</strong> temps<br />
d’étudier <strong>le</strong> dossier pendant trois mois.<br />
Sur six banques contactées, trois ont<br />
répondu « banco ». Il y a un risque,<br />
mais il y en <strong>au</strong>rait éga<strong>le</strong>ment un à ne<br />
pas être en mouvement.<br />
1 Groupement agrico<strong>le</strong> d’exploitation<br />
en commun<br />
REPRENDRE, POUR QUOI FAIRE ?<br />
L’Agence pour la création<br />
d’entreprises<br />
(Apce) incite <strong>le</strong> repreneur<br />
à distinguer deux<br />
types de motivations<br />
stratégiques. D’une<br />
part, <strong>le</strong>s motivations<br />
« manœuvrières », qui<br />
correspondent à l’idée<br />
que la reprise répond<br />
à un besoin précis de<br />
l’entreprise existante :<br />
<strong>au</strong>gmenter sa capacité<br />
de production ou ses<br />
parts de marché, accéder<br />
à un savoir-faire ou<br />
à un marché en parti-<br />
culier, diversifier ses<br />
activités, etc. D’<strong>au</strong>tre<br />
part, <strong>le</strong>s objectifs de<br />
fond du porteur de projet.<br />
Il s’agira pour lui<br />
de bien déterminer s’il<br />
souhaite, par exemp<strong>le</strong>,<br />
reprendre une entreprise<br />
de manière progressive.<br />
Il peut alors<br />
acquérir la majorité de<br />
gestion dès <strong>le</strong> départ<br />
(ou plus tard), en négociant<br />
une promesse de<br />
cession du solde des<br />
titres à une date déterminée.<br />
À lui, éga<strong>le</strong>ment,<br />
de savoir s’il<br />
souhaite reprendre une<br />
entreprise pour la développer<br />
et la conserver<br />
ou, <strong>au</strong> contraire, pour<br />
TÉMOIGNAGE<br />
la revendre rapidement<br />
en réalisant une plusvalue<br />
permettant de<br />
rebondir sur d’<strong>au</strong>tres<br />
projets. Enfin, il peut<br />
<strong>au</strong>ssi avoir pour objectif<br />
de se constituer un<br />
capital afin de s’assurer<br />
une indépendance<br />
financière <strong>au</strong> moment<br />
de la retraite…<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
17
18<br />
Dossier<br />
1 Jacques-Antoine<br />
Malarewicz a publié,<br />
en 2006, <strong>au</strong>x Éditions<br />
Village Mondial,<br />
Affaires de famil<strong>le</strong>s,<br />
comment <strong>le</strong>s<br />
entreprises familia<strong>le</strong>s<br />
gèrent <strong>le</strong>ur mutation<br />
et <strong>le</strong>ur succession.<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
PSYCHOLOGIE<br />
Une affaire<br />
DE SÉDUCTION<br />
Dirigeant : Quel<strong>le</strong> doit être la première préoccupation<br />
du repreneur ?<br />
Jacques-Antoine<br />
Malarewicz : Il doit<br />
détecter si <strong>le</strong> vendeur<br />
est réel<strong>le</strong>ment motivé<br />
et obtenir très tôt des<br />
précisions sur son<br />
projet de cession, son<br />
historique et <strong>le</strong>s interférences<br />
éventuel<strong>le</strong>s.<br />
Chaque type de motivation<br />
(retraite, nouve<strong>au</strong><br />
projet, absence<br />
de successeur, diffi-<br />
cultésprofessionnel<strong>le</strong>s ou personnel<strong>le</strong>s…)<br />
peut en effet modifier<br />
<strong>le</strong> contexte de négociation. De nombreuses reprises<br />
échouent par une incompréhension de la psychologie<br />
du cédant. Ce dernier ne vend pas un bien immobilier<br />
mais plutôt une partie de lui-même. L’aspect<br />
relationnel et affectif dans la négociation apparaît, très<br />
souvent, comme déterminant. Si une entreprise l’intéresse,<br />
<strong>le</strong> repreneur doit séduire <strong>le</strong> cédant potentiel<br />
qui très souvent recrute son successeur <strong>au</strong>tant<br />
qu’il vend son entreprise.<br />
D. : Le repreneur doit-il rencontrer d’<strong>au</strong>tres<br />
acteurs ?<br />
J.-A. M. : De nombreuses personnes peuvent avoir<br />
une influence sur <strong>le</strong> cédant. Dans <strong>le</strong> cadre d’une<br />
entreprise familia<strong>le</strong>, l’acheteur doit avoir une idée<br />
précise du fonctionnement de la famil<strong>le</strong> puisque, très<br />
souvent, il y a dans la société un prolongement de la<br />
culture familia<strong>le</strong>. Le projet de vente peut provoquer<br />
PAR ISABELLE CHATAIN<br />
Reprendre une entreprise nécessite l’établissement d’un compromis entre <strong>le</strong>s contraintes,<br />
<strong>le</strong>s motivations et <strong>le</strong>s objectifs respectifs du cédant et du repreneur. Un exercice parfois long,<br />
entre 12 et 18 mois en moyenne, et toujours délicat pour l’acquéreur, comme l’explique<br />
Jacques-Antoine Malarewicz1 , psychiatre, consultant en entreprise et spécialiste<br />
de l’approche systémique.<br />
Jacques-Antoine<br />
Malarewicz<br />
des rancœurs et des ressentiments. En conséquence,<br />
l’acheteur doit rencontrer très tôt <strong>le</strong>s membres de la<br />
famil<strong>le</strong> du dirigeant et s’enquérir de <strong>le</strong>urs intentions.<br />
Envisagent-ils par exemp<strong>le</strong>, de rester dans l’entreprise<br />
? Il devra éga<strong>le</strong>ment rencontrer <strong>le</strong>s collaborateurs<br />
influents et à chaque occasion amener <strong>le</strong> cédant<br />
à évoquer <strong>le</strong>urs rô<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs compétences, <strong>le</strong>urs fonctions<br />
et <strong>le</strong>ur adhésion éventuel<strong>le</strong> <strong>au</strong> projet de cession.<br />
Le repreneur doit obtenir de bonnes in<strong>format</strong>ions<br />
et acheter l’entreprise pour ce qu’el<strong>le</strong> est.<br />
Lorsqu’il est confronté à un fonctionnement assez<br />
paternaliste, il va devoir se mou<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> fonctionnement<br />
familial sans être de la famil<strong>le</strong> et parfois, il<br />
reproduira <strong>le</strong> même schéma en substituant sa propre<br />
famil<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> de son prédécesseur.<br />
D. : De ce feeling entre <strong>le</strong> cédant, son entourage<br />
et l’acheteur peut dépendre la pérennité de<br />
l’entreprise ?<br />
J.-A. M.: La structure familia<strong>le</strong> a tendance à élargir ce<br />
mode de fonctionnement <strong>au</strong>x clients, <strong>au</strong>x fournisseurs…<br />
Les relations seront souvent très affectives,<br />
basées sur l’ancienneté et la loy<strong>au</strong>té. Toute la difficulté<br />
pour <strong>le</strong> repreneur sera de faire perdurer ce lien.<br />
Au-delà, celui qui a créé ou reçu par voie de succession<br />
l’entreprise ne peut pas être insensib<strong>le</strong> à son<br />
développement et à sa pérennité. Parfois la raison<br />
socia<strong>le</strong> correspond <strong>au</strong> patronyme du dirigeant. Parfois<br />
éga<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s salariés sont devenus de véritab<strong>le</strong>s<br />
compagnons et la poursuite de <strong>le</strong>urs contrats de<br />
travail peut représenter pour <strong>le</strong> cédant, une priorité<br />
quasi absolue. Ceux qui ont réussi <strong>le</strong>ur reprise d’entreprise<br />
sont ceux qui ont fait de <strong>le</strong>ur vendeur un allié.
SÉPARATION OU RUPTURE ?<br />
Entretien avec<br />
Rolande Chabert<br />
Céder son entreprise<br />
est pour <strong>le</strong> dirigeant<br />
concerné, soit une<br />
séparation soit une<br />
rupture. « Trop souvent,<br />
<strong>le</strong> dirigeant agit<br />
comme s’il n’existait<br />
pas d’échéance,<br />
comme s’il était éternel,<br />
se plaçant ainsi,<br />
en situation de déni.<br />
Or, constate Rolande<br />
Chabert 1 , si <strong>le</strong> cédant<br />
a intégré l’idée de<br />
passage de relais, la<br />
transmission quoique<br />
toujours douloureuse,<br />
sera une séparation<br />
à l’image de toutes<br />
cel<strong>le</strong>s qui ponctuent<br />
notre vie et non pas<br />
une rupture. Dans <strong>le</strong><br />
cas d’une séparation,<br />
<strong>le</strong>s liens affectifs sont<br />
transformés mais non<br />
rompus. En revanche,<br />
lorsque l’intéressé<br />
tarde à organiser sa<br />
transmission, la prise<br />
de relais mal préparée<br />
sera forcée, bruta<strong>le</strong>,<br />
vio<strong>le</strong>nte. Dans ce cas,<br />
il s’agira d’une véritab<strong>le</strong><br />
rupture, voire d’une<br />
fracture et <strong>le</strong> cédant<br />
éprouvera alors <strong>le</strong><br />
sentiment d’une perte<br />
profonde. Il f<strong>au</strong>t donc<br />
préparer cette cession<br />
pour atténuer la<br />
souffrance. La question<br />
que <strong>le</strong> cédant doit<br />
pouvoir se poser est<br />
cel<strong>le</strong> de l’après :<br />
qu’est-ce que je vais<br />
faire de ma vie ? Il y a<br />
quelque chose qui se<br />
termine et quelque<br />
chose qui recommence<br />
; <strong>le</strong> cédant doit<br />
clore pour mieux<br />
ouvrir. Pour cela, se<br />
pencher sur <strong>le</strong>s étapes<br />
essentiel<strong>le</strong>s de son<br />
passé, peut l’amener à<br />
déce<strong>le</strong>r un fil conducteur<br />
et lui permettre de<br />
donner du sens à son<br />
futur. Cette étape est<br />
essentiel<strong>le</strong> pour son<br />
devenir propre et celui<br />
de l’entreprise qui<br />
entame, avec <strong>le</strong> repreneur,<br />
un nouve<strong>au</strong> chapitre<br />
de son existence.<br />
Si cet après n’existe<br />
pas à ses yeux, la rupture<br />
sera d’<strong>au</strong>tant plus<br />
intolérab<strong>le</strong>. De plus,<br />
n’oublions pas que,<br />
même si cette préparation<br />
psychologique<br />
a été effectuée,<br />
<strong>le</strong> cédant va perdre<br />
son statut de chef<br />
d’entreprise, des liens<br />
soci<strong>au</strong>x, parfois<br />
un nive<strong>au</strong> de vie et<br />
sûrement une forme<br />
de pouvoir. Identifier<br />
ces objets de perte<br />
et <strong>le</strong>ur fonction dans<br />
sa vie, peut l’aider à<br />
redéfinir de nouve<strong>au</strong>x<br />
repères et à ne pas se<br />
perdre lui-même dans<br />
cette opération. »<br />
1 Rolande Chabert est<br />
consultante et a publié,<br />
en 2005, <strong>au</strong>x Éditions<br />
Village Mondial,<br />
Transmission<br />
d’entreprise, optimiser<br />
la prise de relais.<br />
Rolande Chabert<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
19
20<br />
Dossier<br />
Bon à savoir<br />
Le rése<strong>au</strong> des éco<strong>le</strong>s de<br />
managers, animé par<br />
l’Assemblée des chambres<br />
françaises de commerce<br />
et d’industrie, propose<br />
un programme comp<strong>le</strong>t<br />
de <strong>format</strong>ion<br />
et d’accompagnement à<br />
l’intention des repreneurs<br />
de PME/PMI<br />
www.rese<strong>au</strong>-edm.com<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
DONNER DU SENS AU RACHAT<br />
Entretien avec Jean-Michel Lehembre,<br />
JD de Lil<strong>le</strong><br />
L’esprit de conquête a toujours été <strong>au</strong> cœur<br />
de la stratégie d’entreprise de Jean-Michel<br />
Lehembre, fondateur, il y a près de 30 ans,<br />
de CVP1 . En trois décennies, il a racheté deux<br />
sociétés et poursuit des négociations en vue<br />
d’une troisième reprise.<br />
Trouver une entreprise à vendre n’est pas<br />
chose aisée, car <strong>le</strong>s dirigeants concernés<br />
se taisent par peur d’effrayer <strong>le</strong>ur personnel,<br />
<strong>le</strong>urs clients, <strong>le</strong>urs fournisseurs… Du coup,<br />
Jean-Michel Lehembre fait systématiquement<br />
fonctionner son rése<strong>au</strong>. « J’informe mes clients,<br />
mes fournisseurs, mes collaborateurs, mes<br />
amis… en prenant soin de préciser que je<br />
n’achèterai pas dans n’importe quel<strong>le</strong>s<br />
conditions et à n’importe quel prix. Ce bouche<br />
à oreil<strong>le</strong> m’a permis soit d’être contacté par<br />
des chefs d’entreprise, soit d’en approcher<br />
d’<strong>au</strong>tres. Selon moi, lorsque l’on envisage un<br />
rachat, il f<strong>au</strong>t d’abord déterminer si la société<br />
convoitée entre dans la cib<strong>le</strong> fixée <strong>au</strong> moins<br />
à 75 %.<br />
Ensuite, il est indispensab<strong>le</strong> de connaître <strong>le</strong>s<br />
motivations du vendeur et de déterminer<br />
pourquoi il n’existe pas de solution de reprise<br />
en interne, ou de reprise familia<strong>le</strong>, lorsque des<br />
membres de la famil<strong>le</strong> travail<strong>le</strong>nt dans la<br />
société. Il est éga<strong>le</strong>ment nécessaire d’identifier<br />
ce que compte faire ensuite, <strong>le</strong> cédant. En ce<br />
domaine, ce dernier est souvent confus. Il a<br />
mis du temps et de l’énergie dans l’entreprise ;<br />
il vend sa chose, son enfant et va éprouver un<br />
vide affectif. Très souvent, il n’a pas conscience<br />
qu’il va changer de statut.<br />
Enfin, il ne f<strong>au</strong>t jamais oublier que l’entreprise<br />
est avant tout constituée d’Hommes. Il est donc<br />
essentiel de savoir si <strong>le</strong>s personnes occupant<br />
PSYCHOLOGIE<br />
Jean-Michel Lehembre<br />
PAR ISABELLE CHATAIN<br />
TÉMOIGNAGE<br />
<strong>le</strong>s postes clés comptent poursuivre <strong>le</strong>ur<br />
mission, une fois <strong>le</strong> rachat effectué. Avec<br />
l’<strong>au</strong>torisation du vendeur, on peut <strong>le</strong>s<br />
interroger ; cette <strong>au</strong>torisation est d’ail<strong>le</strong>urs, si<br />
el<strong>le</strong> est donnée, un gage important de<br />
confiance. Comprendre <strong>le</strong> fonctionnement de<br />
l’entreprise que l’on envisage de racheter,<br />
travail<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong>s éléments de compétence et<br />
col<strong>le</strong>cter <strong>le</strong>s in<strong>format</strong>ions constituant l’identité<br />
de la société est un exercice fondamental. En<br />
expliquant la stratégie que l’on poursuit, on<br />
donne du sens à son rachat tout en rassurant<br />
<strong>le</strong> personnel concerné. »<br />
1 Créée en 1979, Vattac devenue CVP, est une<br />
entreprise de packaging qui compte 25 personnes.<br />
Implantée à Linsel<strong>le</strong>s dans la banlieue lilloise, la<br />
société a réalisé en 2005 un CA de 8 millions<br />
d’euros.
La reprise<br />
NE S’IMPROVISE PAS<br />
f<strong>au</strong>t éviter deux écueils: chercher tout<br />
et n'importe quoi ou, à l'inverse, chercher<br />
une aiguil<strong>le</strong> dans une botte de<br />
foin », estime Gil<strong>le</strong>s Lecointre qui en “Il<br />
est à la 4e réédition de son livre La<br />
transmission en pratique1 . Pour avoir vu défi<strong>le</strong>r des<br />
milliers de repreneurs depuis 20 ans dans <strong>le</strong> cabinet<br />
Intercessio qu'il a créé et qui reçoit 200 mandats<br />
de cédants par an, il sait reconnaître, à <strong>le</strong>ur<br />
ténacité et à <strong>le</strong>ur enthousiasme, <strong>le</strong>s 10 % de candidats<br />
qui arriveront jusqu'<strong>au</strong> bout d'une reprise.<br />
« La cib<strong>le</strong> idéa<strong>le</strong> n'existe pas, considère-t-il. Il f<strong>au</strong>t<br />
avoir un ciblage large et ne pas se limiter à sa région<br />
ou à un montant de CA donné. Les entrepreneurs<br />
qui réussissent sont ceux qui ont une volonté à toute<br />
épreuve et une capacité à décider. L'important est<br />
d'accrocher un cédant ». Trouver la per<strong>le</strong> rare peut<br />
prendre du temps sur un « marché opaque, très<br />
éclaté et très peu professionnalisé », selon lui.<br />
L'HOMME-ORCHESTRE DE L'ENTREPRISE<br />
Certains font appel pour <strong>le</strong>s aider dans <strong>le</strong>ur quête<br />
à des associations comme CRA (Cédants et repreneurs<br />
d’affaires) qui a 31 antennes loca<strong>le</strong>s, à des<br />
clubs d'entreprises des Arts et Métiers ou encore à<br />
des cabinets conseils spécialisés en acquisition<br />
d'entreprises qui se chargent ensuite de l'évaluation,<br />
du diagnostic et de la négociation. Spécialiste<br />
de la transmission d'entreprises à Oséo (voir encadré),<br />
Marcel Deruy a rédigé <strong>le</strong>s conseils figurant sur<br />
<strong>le</strong> site de l’agence : « Ils décrivent étape par étape<br />
<strong>le</strong> cheminement du repreneur qui dure de 12 à 18<br />
mois en moyenne. Devenir l'homme-orchestre de l'en-<br />
MÉTHODE<br />
Comment trouver la bonne entreprise à racheter ? Ce n’est parce qu’il y a<br />
de plus en plus d’entreprises à reprendre qu’il est faci<strong>le</strong> de trouver cel<strong>le</strong><br />
qui convient à sa stratégie. Tout dépend des opportunités. Le succès d'une<br />
reprise dépend avant tout des qualités humaines du dirigeant et de sa<br />
capacité à arbitrer.<br />
PAR THÉRÈSE BOUVERET<br />
Gil<strong>le</strong>s Lecointre<br />
treprise ne s'improvise pas. Nous conseillons <strong>au</strong>x<br />
cadres de faire partie d'un club d'entrepreneurs et<br />
de suivre des <strong>format</strong>ions, soit dans des éco<strong>le</strong>s de<br />
commerce, soit à l'Institut de transmission d'Entreprise<br />
à l'ESSEC, soit à HEC qui a mis <strong>au</strong> point une <strong>format</strong>ion<br />
-accompagnement à la reprise avec <strong>le</strong> cabinet<br />
Leroy Consultants ».<br />
En revanche, pour un dirigeant de PME qui veut<br />
atteindre plus vite la tail<strong>le</strong> critique par croissance<br />
externe dans <strong>le</strong> même métier - une situation qui se<br />
produit de plus en plus souvent 2 - « <strong>le</strong> rachat se fait<br />
généra<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> même secteur par l'environnement<br />
naturel. Le repreneur entend par<strong>le</strong>r d'une<br />
Marcel Deruy<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007 21
22<br />
Dossier<br />
Pour en<br />
savoir plus<br />
> CCI :<br />
www.semaphore.cci.fr<br />
> « 5 jours<br />
pour reprendre » :<br />
www.passer<strong>le</strong>relais.ccip.fr<br />
> FUSACQ (place de<br />
marché Internet en ligne<br />
dédiée à la reprise /<br />
transmission d'entreprises) :<br />
www.fusacq.com<br />
> CRA (Cédants et<br />
repreneurs d'affaires) :<br />
www.cra.asso.fr<br />
> Rése<strong>au</strong> Entreprendre :<br />
www.rese<strong>au</strong>-entreprendre.org<br />
> AFPA : www.afpa.fr<br />
> Clubs d'investissement et<br />
sociétés de capital-risque :<br />
France Angels :<br />
www.franceangels.org<br />
Clubs Ciga<strong>le</strong>s :<br />
www.ciga<strong>le</strong>s.asso.fr<br />
offre de reprise par <strong>le</strong> bouche à oreil<strong>le</strong> ou encore il est<br />
approché par <strong>le</strong> cédant lui-même qui connaît son<br />
état d'esprit », poursuit Marcel Deruy.<br />
NE PAS « ZAPPER » LES AUDITS<br />
Dans tous <strong>le</strong>s cas, après avoir identifié une affaire<br />
à reprendre et rencontré <strong>le</strong> cédant, des <strong>au</strong>dits sont<br />
indispensab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> plan juridique, économique,<br />
environnemental et surtout social, afin de mieux<br />
négocier l'achat et se prémunir contre <strong>le</strong>s m<strong>au</strong>vaises<br />
surprises. Un <strong>au</strong>dit du personnel par un cabinet<br />
de ressources humaines est fortement recommandé<br />
pour faire <strong>le</strong> point sur la gestion des<br />
35 heures, la situation des retraites, <strong>le</strong> turnover des<br />
salariés, l'absentéisme, etc. « La plupart du temps<br />
<strong>le</strong> repreneur bute sur des problèmes de culture d'entreprise<br />
et de comportement », indique Marcel Deruy.<br />
Après avoir évalué l'entreprise à racheter, reste à<br />
établir un plan de reprise et à négocier la cession.<br />
« L'entrepreneur peut se faire accompagner pour rédiger<br />
<strong>le</strong> protoco<strong>le</strong> d'accord juridique par un juriste ou<br />
pour évaluer <strong>le</strong>s comptes par un expert-comptab<strong>le</strong> »,<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
Michel Meunier<br />
MÉTHODE<br />
RIEN DE MEILLEUR<br />
QUE L'APPRENTISSAGE SUR LE TERRAIN.<br />
PAR THÉRÈSE BOUVERET<br />
TÉMOIGNAGE<br />
Entretien avec Michel Meunier, JD région Picardie<br />
La reprise peut se faire très vite pour saisir une opportunité, surtout quand<br />
on est déjà chef d'entreprise. En juil<strong>le</strong>t 2006, j'ai repris une société <strong>au</strong> bord<br />
du dépôt de bilan. Je connaissais <strong>le</strong> dirigeant qui travaillait dans <strong>le</strong> même<br />
secteur d'activité : la surveillance de qualité. Il n'y avait pas de temps à perdre.<br />
J'ai signé l'acte de rachat bien que je ne possède plus qu'un tiers de<br />
l'Européenne de Surveillance que j'ai créée en 1992. En effet, je l'ai cédée sur<br />
trois ans <strong>au</strong> groupe Vigimark pour financer mon projet de création d'un centre de <strong>format</strong>ion dans <strong>le</strong><br />
domaine de la surveillance. Grâce à l'appui du groupe, je n'ai pas eu de problème de financement.<br />
Je n'ai fait appel à <strong>au</strong>cun accompagnement, s<strong>au</strong>f pour la partie juridique.<br />
Rien de meil<strong>le</strong>ur que l'apprentissage sur <strong>le</strong> terrain.<br />
Je dirige Vigimark Optima, dont <strong>le</strong> siège est près de Be<strong>au</strong>vais dans l'Oise et la nouvel<strong>le</strong> agence<br />
à Paris (8e ). Nous sommes passés de 120 à 330 salariés en une journée, ce qui exige une refonte<br />
complète de l'organisation. Depuis 4 mois, nous nous heurtons à la planification de l'outil<br />
in<strong>format</strong>ique, <strong>au</strong> virement des salaires, à la reprise de la gestion des clients de l'entreprise rachetée<br />
(délais de paiement).<br />
La période de transition est dure pour <strong>le</strong> précédent dirigeant qui a été obligé de céder son<br />
entreprise parce qu'il y était acculé. Sur <strong>le</strong> plan social, nous devons rég<strong>le</strong>r la question de la<br />
représentation syndica<strong>le</strong> (délégués du personnel et du CE). Chaque entreprise a sa culture,<br />
sa va<strong>le</strong>ur. C'est avant tout une histoire d'hommes.<br />
conseil<strong>le</strong> Gil<strong>le</strong>s Lecointre qui a mis <strong>au</strong> point <strong>le</strong> logiciel<br />
d'évaluation Va<strong>le</strong>ntin. Selon lui <strong>le</strong> repreneur, s'il<br />
est un véritab<strong>le</strong> entrepreneur, doit pouvoir rédiger<br />
lui-même <strong>le</strong> plan de reprise qui servira à convaincre<br />
<strong>au</strong>ssi bien <strong>le</strong> cédant que <strong>le</strong>s banques ou <strong>le</strong>s partenaires<br />
financiers de sa capacité à reprendre l'affaire<br />
et de la rentabilité de l'opération. « À lui<br />
d'assumer <strong>le</strong>s risques. Ensuite, il doit faire preuve<br />
d'une capacité de rebondir dans la négociation avec<br />
<strong>le</strong> cédant. Là encore il f<strong>au</strong>t discuter et accepter de ne<br />
pas tout obtenir ».<br />
1 Gil<strong>le</strong>s Lecointre est l'<strong>au</strong>teur chez Gualino Éditeur de trois<br />
ouvrages : La transmission d'entreprise en pratique, J'évalue<br />
mon entreprise et La PME : entreprise de l'avenir.<br />
2 Selon l'étude Oséo, La transmission des PME (31 mai 2005),<br />
76 % dans <strong>le</strong> même secteur, 17 % par diversification et 5 % par<br />
intégration vertica<strong>le</strong>. Les chiffres de l'Insee montrent que<br />
depuis <strong>le</strong>s années 1990, une PME sur 8 appartient à un microgroupe.
Le portail fédérateur des acteurs<br />
de la transmission d'entreprises<br />
d'Oséo donne accès à plus de<br />
7 000 opportunités de cessions<br />
(mentionnant CA, prix de cession<br />
et effectifs de l'entreprise). Oséo<br />
(ex-Bdpme) qui a accompagné<br />
40 000 projets de reprise sur <strong>le</strong><br />
plan financier depuis 20 ans,<br />
contrô<strong>le</strong> la fiabilité des annonces<br />
mises en ligne par <strong>le</strong>s six partenaires<br />
qui ont signé sa charte de<br />
qualité : <strong>le</strong>s Chambres de Commerce<br />
et d'Industrie (Transcommerce<br />
et C-cib<strong>le</strong>), la Fédération<br />
Française du Bâtiment (Batiportail),<br />
la Fédération des Industries<br />
NORD :<br />
6 rue de la Poste - BP 289<br />
59 055 ROUBAIX Cedex 1<br />
Tél. : 33 (0)3 20 81 98 40<br />
c.de<strong>le</strong>dal<strong>le</strong>@de<strong>le</strong>dal<strong>le</strong>.com (membre du <strong>CJD</strong>)<br />
OSÉO, BOURSE NATIONALE DE LA TRANSMISSION<br />
Mécaniques (Mecanet), la Chambre<br />
des Métiers et de l'Artisanat<br />
(BNOA), la FUSACQ et Cédants<br />
et Repreneurs d'Affaires.<br />
Un repreneur qui recherche<br />
une entreprise ciblée par région<br />
et par secteur d'activité peut<br />
déposer un profil sur <strong>le</strong> site et<br />
sera a<strong>le</strong>rté par courriel des offres<br />
correspondantes.<br />
Oséo est éga<strong>le</strong>ment spécialisé<br />
dans la partie financement et<br />
propose <strong>le</strong> contrat de développement<br />
transmission qui s'appuie<br />
sur Oséo Sofaris et couvre 40 à<br />
70 % du risque sans c<strong>au</strong>tion. Ou<br />
encore <strong>le</strong> contrat de développement<br />
transmission,<br />
en partenariat avec Oséo Région,<br />
un prêt sur deux ans assorti d'un<br />
différé de remboursement bancaire<br />
d'un montant de 40 000<br />
à 240 000 euros destiné <strong>au</strong>x<br />
reprises dans l'industrie ou <strong>le</strong>s<br />
services. Ils viennent compléter<br />
<strong>le</strong>s prêts bancaires. L'apport<br />
personnel du repreneur étant<br />
en moyenne de 20 % du total.<br />
Deux sites :<br />
www.oseo.fr<br />
www.reprise-entreprise.oseo.fr<br />
ILE-DE-FRANCE :<br />
120 Champs-Élysées<br />
75 008 PARIS<br />
Tél. : 33 (0)1 45 61 16 14<br />
www.de<strong>le</strong>dal<strong>le</strong>.com<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007 23
24<br />
Dossier<br />
je viens de racheter une<br />
boîte… ». Cette petite phrase, lâchée<br />
dans une réunion de patrons, valorise<br />
toujours celui qui la prononce.<br />
“Tiens,<br />
Un peu comme quand, dans une<br />
conversation de salon, quelqu’un par<strong>le</strong> du dernier 4X4<br />
qu’il vient d’acquérir. Les regards admiratifs se tournent<br />
vers celui qui l’a fait. Mais, si on peut acheter une<br />
grosse voiture pour flatter son propre ego, il f<strong>au</strong>t se<br />
méfier de cette motivation, souvent inconsciente, pour<br />
procéder à une acquisition. Être toujours plus gros,<br />
plus puissant, être <strong>le</strong> <strong>le</strong>ader sur son marché, <strong>le</strong> premier.<br />
L’air du temps nous y pousse, en y apportant des<br />
justifications rationnel<strong>le</strong>s : tail<strong>le</strong> critique, économie<br />
d’échel<strong>le</strong>, synergies, lutte contre la concurrence…<br />
Pourtant, la majorité des fusions et acquisitions sont<br />
loin d’être des succès et posent souvent plus de problèmes<br />
qu’el<strong>le</strong>s ne permettent d’en résoudre.<br />
CONCLUSION<br />
PAR SYLVAIN BREUZARD<br />
Une alchimie HUMAINE<br />
NE PAS SURESTIMER<br />
LES AVANTAGES ATTENDUS<br />
Pour éviter la dérive des ego et mettre toutes <strong>le</strong>s chances<br />
de son côté, la première question à se poser,<br />
lorsqu’on envisage un rachat, est peut-être cel<strong>le</strong>-ci:<br />
« Pourquoi suis-je <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur acquéreur potentiel? »<br />
Pourquoi moi et mon entreprise, plutôt qu’une <strong>au</strong>tre?<br />
De cette position modeste et réaliste, il sera plus faci<strong>le</strong><br />
d’analyser avec la distance nécessaire <strong>le</strong> bien fondé du<br />
rachat, en s’en tenant à deux principes fondament<strong>au</strong>x:<br />
un principe stratégique (pour quoi faire?) et un principe<br />
pratique (comment faire pour que ça réussisse?).<br />
D’abord, donc, <strong>le</strong> « pourquoi? ». S’agit-il de renforcer une<br />
offre, de l’élargir, d’intégrer des compétences rares, de<br />
développer des moyens de recherche, de mieux se<br />
confronter à la concurrence? Dans tous ces cas, l’opération<br />
va-t-el<strong>le</strong> vraiment donner des atouts complémentaires<br />
à la nouvel<strong>le</strong> entité pour qu’el<strong>le</strong> crée de la va<strong>le</strong>ur?<br />
Et à quel<strong>le</strong> échéance? On se souvient de l’échec de la<br />
fusion, en 2001, entre <strong>le</strong>s laboratoires pharmaceutiques<br />
Bio Mérieux et Pierre Fabre. Le rapprochement semblait<br />
cohérent. En fait, il est apparu très vite que cela<br />
ne correspondait pas à une réel<strong>le</strong> logique industriel<strong>le</strong><br />
bénéfique pour <strong>le</strong>s deux entreprises. Peut-être <strong>le</strong>s deux<br />
partenaires avaient-ils eu tendance à surestimer <strong>le</strong>s<br />
avantages qu’ils pensaient tirer de <strong>le</strong>ur accord, comme<br />
cela arrive souvent dans l’enthousiasme du débat?<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
ÊTRE ATTENTIF<br />
AUX DIFFÉRENCES CULTURELLES<br />
Une stratégie, en effet, peut être bonne sur <strong>le</strong> papier.<br />
Mais <strong>le</strong> vrai problème, dans ce genre d’affaire, est bien<br />
celui du « comment? ». La nouvel<strong>le</strong> entreprise, évidemment,<br />
n’est jamais la somme des deux précédentes.<br />
La fusion relève moins des mathématiques abstraites<br />
que de l’alchimie humaine. C’est cette dernière<br />
qui, à mon sens, devrait surtout focaliser l’attention<br />
du dirigeant acquéreur. Car c’est dans <strong>le</strong>s différences<br />
culturel<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong>s deux entreprises que résident souvent<br />
<strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s c<strong>au</strong>ses de blocage. Il f<strong>au</strong>t dès <strong>le</strong><br />
départ analyser ces différences pour évaluer <strong>le</strong>ur compatibilité<br />
et envisager la manière dont l’intégration<br />
pourra se faire efficacement. Les salariés des deux<br />
entités seront capab<strong>le</strong>s de coopérer et <strong>le</strong>s services de<br />
se coordonner si chacun comprend <strong>le</strong>s enjeux et voit<br />
ce qu’il va y gagner. Cela est particulièrement vrai<br />
pour l’encadrement qui est souvent <strong>le</strong> plus inquiet, car<br />
il s’interroge sur la répartition future des responsabilités<br />
et sur <strong>le</strong>s probab<strong>le</strong>s « optimisations » d’effectifs.<br />
METTRE L’HOMME AU CENTRE<br />
Mettre la question des ressources humaines <strong>au</strong> centre<br />
de la réussite d’une opération de fusion acquisition<br />
peut semb<strong>le</strong>r inhabituel, voire handicapant pour <strong>le</strong> bon<br />
dérou<strong>le</strong>ment des négociations qui, pense-t-on couramment,<br />
nécessite un certain « secret ». Pourtant, il f<strong>au</strong>t<br />
avoir en tête qu’une entreprise v<strong>au</strong>t <strong>au</strong>jourd’hui <strong>au</strong>tant<br />
et même plus par ses hommes que par son capital<br />
financier, son chiffre d’affaires ou ses infrastructures.<br />
Dans notre économie moderne, la plus-value repose<br />
désormais essentiel<strong>le</strong>ment sur la conception et la commercialisation<br />
des produits 1 . À quoi servira de racheter<br />
une entreprise, si l’on n’a pas la garantie que <strong>le</strong>s<br />
commerci<strong>au</strong>x ne vont pas en partir avec <strong>le</strong>urs clients,<br />
ou que <strong>le</strong>s développeurs de services et de produits ne<br />
vont pas al<strong>le</strong>r rapidement vendre <strong>le</strong>ur créativité et <strong>le</strong>ur<br />
savoir-faire ail<strong>le</strong>urs, parce qu’ils ne se sentiront pas à<br />
<strong>le</strong>ur place dans <strong>le</strong> nouve<strong>au</strong> groupe? Si, comme nous <strong>le</strong><br />
pensons <strong>au</strong> <strong>CJD</strong>, l’homme est capital, c’est d’abord ce<br />
capital-là que <strong>le</strong> dirigeant doit privilégier quand il<br />
songe à faire de la croissance externe.<br />
1 Comme <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> clairement Daniel Cohen dans l’entretien<br />
qu’il nous a accordé dans ce <strong>numéro</strong>.
LE JOURNAL DE<br />
CLAUDE-JEAN DESVIGNES<br />
Le thon, c’est bon !<br />
MARDI 28 NOVEMBRE 2006<br />
Nous approchons de la fin de<br />
l’année et donc du bilan. J’ai<br />
presque honte dans cette époque<br />
où il est de bon ton de se<br />
plaindre. Mais je pense qu’une<br />
fois encore, Pakéo ne sera pas<br />
loin d’une croissance à deux<br />
chiffres. Tout va bien, alors ?<br />
Oui, s<strong>au</strong>f que… comme tout<br />
rou<strong>le</strong> tout seul dedans, je<br />
prends <strong>le</strong> temps de m’intéresser<br />
à ce qui se passe dehors.<br />
Là, ça va plutôt mal. Je ne<br />
par<strong>le</strong> pas des conflits en tous<br />
genres qui alimentent <strong>le</strong>s<br />
chroniques et <strong>le</strong>s cimetières.<br />
Les bras m’en tombent d’impuissance.<br />
Non, je reste dans<br />
la sphère économique. Et, en<br />
écoutant <strong>le</strong>s in<strong>format</strong>ions, je<br />
ne vois qu’impasses et contradictions…<br />
POULE AUX ŒUFS D’OR<br />
Il est de bon ton de se plaindre,<br />
disais-je. Justement, ce<br />
matin il est question de thon,<br />
sur <strong>le</strong> fil RSS de Libé… Il est<br />
loin <strong>le</strong> temps où une publicité<br />
nous enjoignait de manger de<br />
ce poisson avec un slogan<br />
digne de Marcel B<strong>le</strong>ustein-<br />
Blanchet (l’inoubliab<strong>le</strong> inventeur<br />
de Dubo, Dubon, Dubonnet,<br />
mais surtout père fondateur<br />
de Publicis) : « Le thon,<br />
c’est bon ! ». Une pub pas<br />
sophistiquée, mais efficace,<br />
sans doute, parce qu’<strong>au</strong>jourd’hui<br />
on mange trop de<br />
thon, surtout du thon rouge<br />
de Méditerranée. Donc la<br />
Commission internationa<strong>le</strong> de<br />
conservation des thonidés de<br />
l'Atlantique (Cicta) – ça existe,<br />
et apparemment ça déborde<br />
sur la Méditerranée – a décidé<br />
de baisser <strong>le</strong>s quotas de pêche<br />
de ce rutilant scombridé (c’est<br />
son nom de famil<strong>le</strong>). Pas<br />
assez, pour <strong>le</strong>s défenseurs de<br />
la nature, be<strong>au</strong>coup trop pour<br />
<strong>le</strong>s pêcheurs. C’est la lutte<br />
désormais bana<strong>le</strong>, si ce n’est<br />
fina<strong>le</strong>, entre écologie et économie.<br />
Que faire, Nicolas<br />
(Hulot, pas l’<strong>au</strong>tre)? D’un côté<br />
la disparition d’un travail, de<br />
l’<strong>au</strong>tre la disparition d’une<br />
espèce. (Et moi, je ne vais plus<br />
pouvoir mettre <strong>le</strong> thon en<br />
boîte, j’exigerai une compensation<br />
!)<br />
Quand même, si on raisonne<br />
un peu, si <strong>le</strong> thon disparaît par<br />
surpêche, <strong>le</strong>s pêcheurs disparaîtront<br />
<strong>au</strong>ssi. Sont-ils à ce<br />
point dans <strong>le</strong> court terme et<br />
la survie qu’ils soient obligés<br />
de manger la pou<strong>le</strong> <strong>au</strong>x œufs<br />
d’or, sans lui laisser <strong>le</strong> temps<br />
de pondre ? C’est rien que du<br />
bon sens, me semb<strong>le</strong>-t-il, mais<br />
apparemment ce n’est plus la<br />
chose du monde la mieux partagée,<br />
mon vieux Descartes.<br />
HÉRONS GARDE-BŒUFS<br />
La grande b<strong>le</strong>ue, toujours.<br />
Hier, on se baignait à Nice.<br />
L’<strong>au</strong>tomne <strong>le</strong> plus ch<strong>au</strong>d<br />
depuis 1950. Les plagistes<br />
sont contents, ils ont eu deux<br />
mois de rab. L’année prochaine,<br />
s’il fait froid plus tôt,<br />
ils pourront dire que <strong>le</strong>ur chiffre<br />
d’affaires a baissé et<br />
demander une prime de m<strong>au</strong>vais<br />
temps. Pour l’instant,<br />
comme il fait encore bien<br />
doux, <strong>le</strong>s hérons garde-bœufs<br />
sont restés dans <strong>le</strong> Jura alors<br />
qu’ils devraient être en<br />
Camargue. Est-ce que <strong>le</strong>s t<strong>au</strong>re<strong>au</strong>x<br />
camarguais sont fâchés<br />
de ne pas être gardés par ces<br />
échassiers, qui <strong>le</strong>ur picorent<br />
<strong>le</strong>s larves sur <strong>le</strong> dos? Peut-être<br />
vont-ils être parasités et faire<br />
de m<strong>au</strong>vais combattants<br />
d’arènes. Les manadiers vont<br />
être ruinés ! On <strong>le</strong>ur donnera<br />
une prime de vache, <strong>le</strong>s deux<br />
oreil<strong>le</strong>s et la queue.<br />
Nous, pendant ce temps, on<br />
ch<strong>au</strong>ffe moins, on fait des économies<br />
d’énergie. C’est bon<br />
pour <strong>le</strong> porte-monnaie et pour<br />
<strong>le</strong> climat. Y a-t-on pensé? Estce<br />
que <strong>le</strong>s climatologues, qui<br />
nous prédisent <strong>le</strong> réch<strong>au</strong>ffement<br />
de la planète, en tiennent<br />
compte dans <strong>le</strong>urs calculs ?<br />
S’il fait moins froid,on<br />
consomme moins d’énergies<br />
fossi<strong>le</strong>s, on rejette moins de<br />
gaz à effet de serre, donc on<br />
élève moins la température du<br />
globe, donc el<strong>le</strong> se refroidit, et<br />
alors on remettra <strong>le</strong> ch<strong>au</strong>ffage<br />
à fond… Je me demande si ce<br />
n’est pas moi qui suis en surch<strong>au</strong>ffe.<br />
Au fait, que va-t-on<br />
faire pour ces p<strong>au</strong>vres ch<strong>au</strong>ffagistes<br />
qui ne vont plus avoir<br />
de travail, si ça continue<br />
comme ça ? Il f<strong>au</strong>dra <strong>le</strong>s<br />
indemniser…<br />
ET SCOMBRIDÉ VOLANT<br />
En attendant, on <strong>au</strong>ra moins<br />
besoin d’al<strong>le</strong>r chercher du<br />
so<strong>le</strong>il d’hiver dans <strong>le</strong>s pays<br />
lointains. Donc moins de<br />
déplacements intempestifs<br />
troueurs d’ozone et gazeurs<br />
d’atmosphère. Air France y at-el<strong>le</strong><br />
réfléchi, qui lance, ces<br />
jours-ci, à grand bruit, sa compagnie<br />
à bas prix ? 50 euros<br />
pour al<strong>le</strong>r en Égypte ou <strong>au</strong><br />
Maroc. Tout cela est-il bien<br />
cohérent ? F<strong>au</strong>t-il continuer à<br />
démocratiser à tout prix (c’est<br />
<strong>le</strong> cas de <strong>le</strong> dire) <strong>le</strong> transport<br />
aérien qui est un des plus polluants<br />
? Mais <strong>au</strong> nom de quoi<br />
priverait-on <strong>le</strong>s plus modestes<br />
de voyager, de déverser<br />
<strong>le</strong>ur part de CO 2 dans l’atmosphère<br />
? Et de payer des taxes<br />
d’aéroport qui sont désormais<br />
plus chères que <strong>le</strong> prix du bil<strong>le</strong>t.<br />
Il f<strong>au</strong>t bien <strong>au</strong>ssi songer à<br />
rentabiliser l’A380, ce gros<br />
thon volant.<br />
Et mes 10 % de croissance,<br />
est-ce vraiment raisonnab<strong>le</strong> ?<br />
Ne serait-il pas plus responsab<strong>le</strong><br />
de ra<strong>le</strong>ntir? Mais est-ce<br />
à moi de donner <strong>le</strong> thon, <strong>le</strong><br />
ton, veux-je dire ?<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007 25
Trois <strong>le</strong>çons sur la<br />
société post-industriel<strong>le</strong><br />
Daniel Cohen,<br />
(Coll. La République<br />
des idées, Seuil, 2006)<br />
26<br />
Entretien<br />
L’économie<br />
CONTRE LA SOCIÉTÉ ?<br />
La société post-industriel<strong>le</strong> consacre <strong>le</strong> divorce entre l’économique et <strong>le</strong> social,<br />
entre la production et la protection. Dans son dernier ouvrage, Trois <strong>le</strong>çons sur<br />
la société post-industriel<strong>le</strong>, Daniel Cohen montre que <strong>le</strong> grand défi de nos sociétés<br />
modernes sera justement de recréer du lien social en dehors de l’économique.<br />
ENTRETIEN AVEC<br />
DANIEL COHEN<br />
Daniel Cohen est professeur<br />
de sciences économiques<br />
à l’Éco<strong>le</strong> norma<strong>le</strong><br />
supérieure et directeur du<br />
Centre pour la recherche<br />
économique et ses applications<br />
(CEPREMAP). Il<br />
est éga<strong>le</strong>ment membre du<br />
Conseil d’analyse économique<br />
<strong>au</strong>près du Premier<br />
ministre et éditorialiste <strong>au</strong><br />
Monde.<br />
Dirigeant : Selon vous, il y a bien<br />
une « nouvel<strong>le</strong> économie » qui se<br />
différencie nettement <strong>au</strong>jourd’hui de<br />
l’économie industriel<strong>le</strong> du sièc<strong>le</strong> passé.<br />
Quel<strong>le</strong>s en sont <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s caractéristiques<br />
?<br />
Daniel Cohen: Ce que j’appel<strong>le</strong> « société<br />
et économie post-industriel<strong>le</strong>s » repose<br />
sur la conjonction de deux formes économiques<br />
de nature différente. La première,<br />
c’est l’économie de service qui<br />
met <strong>le</strong>s personnes face à face, dans<br />
une relation directe : <strong>le</strong> coiffeur et son<br />
client, <strong>le</strong> médecin et son patient. El<strong>le</strong><br />
a toujours existé, mais el<strong>le</strong> devient <strong>le</strong><br />
centre de nombreuses activités.<br />
La seconde, c’est l’économie de l’immatériel<br />
où ce qui compte, c’est <strong>le</strong><br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
Crédit photo : P. Matsas-Opa<strong>le</strong><br />
concept de l’objet, plus que l’objet<br />
lui-même.<br />
L’industrie pharmaceutique est l’exemp<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong> plus représentatif de cette<br />
conjonction des deux systèmes. À un<br />
bout, el<strong>le</strong> tient de l’économie immatériel<strong>le</strong>:<br />
recherche et découverte de nouvel<strong>le</strong>s<br />
molécu<strong>le</strong>s. A l’<strong>au</strong>tre bout, el<strong>le</strong><br />
dépend de l’économie de service, <strong>au</strong><br />
travers du médecin et de la prescription<br />
des médicaments. Les deux termes,<br />
à la fois indépendants et complémentaires<br />
l’un de l’<strong>au</strong>tre, sont<br />
essentiels. Au milieu, la fabrication des<br />
médicaments eux-mêmes n’a plus<br />
d’importance stratégique. N’importe<br />
qui ou presque peut la réaliser pour<br />
un coût très faib<strong>le</strong>.<br />
PAR BRUNO TILLIETTE<br />
D.: Mais économie de l’immatériel ne<br />
veut pas dire, comme on a tendance à <strong>le</strong><br />
croire, que <strong>le</strong>s objets vont disparaître?<br />
D. C. : Non. Cela signifie simp<strong>le</strong>ment<br />
que l’étape de la fabrication se fait de<br />
plus en plus faci<strong>le</strong>ment, à moindre coût<br />
et partout dans <strong>le</strong> monde. En volume,<br />
<strong>le</strong> t<strong>au</strong>x de croissance de l’activité industriel<strong>le</strong><br />
reste parallè<strong>le</strong> à celui de l’activité<br />
tout court. Par contre, sa part se<br />
réduit en emploi et en va<strong>le</strong>ur.<br />
Au contraire, ce qui reste désormais<br />
porteur d’emploi et de va<strong>le</strong>ur, ce sont<br />
<strong>le</strong>s deux bouts de la chaîne: la conception<br />
du produit et sa prescription, qui<br />
inclut tous <strong>le</strong>s services en lien avec<br />
ce bien.<br />
La fabrication tend, donc, à devenir<br />
économiquement inessentiel<strong>le</strong>. Et <strong>le</strong><br />
commerce international suit la même<br />
pente. On n’échange plus, comme <strong>au</strong><br />
XIX e sièc<strong>le</strong>, des matières premières<br />
contre des produits fabriqués ou,<br />
comme <strong>au</strong> XX e sièc<strong>le</strong>, des produits<br />
industriels clés en main entre eux.<br />
Aujourd’hui, <strong>le</strong>s échanges portent sur<br />
<strong>le</strong>s étapes de la chaîne de fabrication :<br />
conception, fabrication, prescription.<br />
Dans <strong>le</strong> texti<strong>le</strong>, par exemp<strong>le</strong>, ce partage<br />
est particulièrement clair. Les<br />
vêtements sont fabriqués en Chine.<br />
Mais <strong>le</strong>s marques, <strong>le</strong>s designs et la<br />
commercialisation sont faits chez<br />
nous. Il est f<strong>au</strong>x de dire que nous<br />
abandonnons <strong>le</strong> texti<strong>le</strong>. Nous gardons<br />
<strong>le</strong>s deux bouts de la chaîne, <strong>le</strong>s plus<br />
rentab<strong>le</strong>s. L’enjeu du commerce international<br />
est bien de s’accaparer <strong>le</strong>s<br />
segments <strong>le</strong>s plus rémunérateurs.
D. : Pourtant, nous avons l’impression<br />
que, dans cette réorganisation<br />
économique, nous sommes socia<strong>le</strong>ment<br />
perdants ?<br />
D. C.: C’est tout <strong>le</strong> problème. La société<br />
industriel<strong>le</strong> avait trouvé <strong>le</strong> moyen d’intégrer<br />
toutes <strong>le</strong>s classes socia<strong>le</strong>s <strong>au</strong>tour<br />
de l’usine. El<strong>le</strong> liait <strong>le</strong> mode de protection<br />
<strong>au</strong> mode de production. Au travers<br />
du taylorisme, puis surtout du fordisme,<br />
chacun trouvait son intérêt à<br />
participer solidairement à la chaîne de<br />
fabrication.<br />
Mais, à partir du moment où l’on cherche<br />
à externaliser <strong>le</strong>s activités <strong>le</strong>s moins<br />
rentab<strong>le</strong>s, on externalise <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs<br />
qui vont avec. Chacun doit faire la<br />
preuve de son efficacité socia<strong>le</strong>. Notre<br />
difficulté est de continuer à faire société<br />
dans un système économique qui n’est<br />
plus un facteur d’identité et d’intégration<br />
socia<strong>le</strong>s. Il y a encore des ouvriers,<br />
mais y a-t-il encore une classe ouvrière<br />
se revendiquant comme tel<strong>le</strong>? La nouvel<strong>le</strong><br />
économie ne façonne plus la<br />
société comme <strong>le</strong> faisait l’économie<br />
industriel<strong>le</strong>.<br />
D.: F<strong>au</strong>t-il s’en réjouir ou <strong>le</strong> déplorer?<br />
Car, <strong>au</strong> fond, était-ce une bonne chose<br />
que l’économie forge la société ?<br />
D. C. : Ce n’est pas à un économiste de<br />
dire si c’est bien ou mal. Remarquons<br />
simp<strong>le</strong>ment que la société industriel<strong>le</strong><br />
était el<strong>le</strong>-même combattue de l’intérieur<br />
et de l’extérieur, et que la produc-<br />
tivité fordiste s’essoufflait fortement<br />
sans parvenir à se régénérer. On a la<br />
nostalgie du lien social qu’el<strong>le</strong> apportait,<br />
mais on oublie que c’était <strong>au</strong> prix<br />
d’une certaine aliénation et d’un travail<br />
répétitif où on devait laisser son<br />
cerve<strong>au</strong> <strong>au</strong> vestiaire. Mai 68 est évidemment<br />
la figure centra<strong>le</strong> de cette<br />
contestation. La jeunesse, be<strong>au</strong>coup<br />
plus scolarisée qu’<strong>au</strong> début du sièc<strong>le</strong>,<br />
abhorre ce monde hiérarchique fait de<br />
petits chefs soumis <strong>au</strong>x grands chefs.<br />
La critique libertaire soixante-huitarde<br />
est d’abord cel<strong>le</strong> du monde industriel<br />
dans sa pesanteur.<br />
D. : Si l’économique et <strong>le</strong> social ne<br />
sont plus liés « naturel<strong>le</strong>ment », n’estil<br />
pas un peu utopique, comme souhaite<br />
<strong>le</strong> <strong>CJD</strong>, de continuer à vouloir mettre <strong>le</strong><br />
premier <strong>au</strong> service du second ?<br />
D. C. : Ce lien, en effet, ne peut plus<br />
provenir que d’une exigence socia<strong>le</strong> et<br />
mora<strong>le</strong> extérieure à l’entreprise. Avant,<br />
dans la société industriel<strong>le</strong>, un patron<br />
avait intérêt à être « vertueux » du fait<br />
des règ<strong>le</strong>s économiques, où chacun<br />
avait besoin des <strong>au</strong>tres pour réussir.<br />
Aujourd’hui, cela relève d’un certain<br />
volontarisme et d’une vision à long<br />
terme. À court terme, <strong>le</strong> social n’est<br />
pas payant et l’intérêt est d’externaliser<br />
<strong>le</strong> plus possib<strong>le</strong> tout ce qui n’est pas<br />
rentab<strong>le</strong>. C’est la solution que <strong>le</strong> système<br />
économique a trouvée pour se<br />
redonner un nouve<strong>au</strong> souff<strong>le</strong> et rega-<br />
Du même<br />
<strong>au</strong>teur<br />
Richesse du monde,<br />
p<strong>au</strong>vreté des nations,<br />
Flammarion,<br />
« Champs », 1998<br />
Nos Temps modernes,<br />
Flammarion,<br />
« Champs », 2002<br />
La Mondialisation et<br />
ses ennemis, Hachette<br />
« Pluriel », 2005<br />
gner en productivité. Ce n’est pas en soi<br />
condamnab<strong>le</strong>, car cela permet d’innover<br />
et de créer de nouvel<strong>le</strong>s richesses.<br />
Mais, en contrepartie, évidemment, on<br />
ne doit pas se désintéresser du destin<br />
des gens. Le problème, en France et en<br />
Europe, c’est que nous tardons à prendre<br />
la mesure des changements et à<br />
nous mettre en ordre de marche pour<br />
tirer profit des règ<strong>le</strong>s de la nouvel<strong>le</strong><br />
économie.<br />
D. : Quel<strong>le</strong> est alors, la responsabilité<br />
des chefs d’entreprise « vertueux » pour<br />
aider notre société à affronter ces<br />
règ<strong>le</strong>s, sans trop de casse socia<strong>le</strong> ?<br />
D. C. : Leur première responsabilité,<br />
me semb<strong>le</strong>-t-il, est d’assurer à <strong>le</strong>urs<br />
salariés – en particulier ceux qui sont<br />
« externalisab<strong>le</strong>s » - une meil<strong>le</strong>ure <strong>format</strong>ion<br />
professionnel<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s amener<br />
vers <strong>le</strong> bon bout de la chaîne économique<br />
que j’évoquais plus h<strong>au</strong>t, celui<br />
de la conception des produits. Et pour<br />
favoriser <strong>le</strong>ur mobilité professionnel<strong>le</strong>,<br />
puisqu’ils ne peuvent plus <strong>le</strong>ur assurer<br />
un emploi à vie.<br />
Leur deuxième grande responsabilité<br />
– toujours pour se trouver <strong>au</strong> bon bout<br />
de la chaîne - est de développer l’innovation,<br />
notamment en inst<strong>au</strong>rant des<br />
partenariats avec <strong>le</strong>s institutions de<br />
recherche. À cet égard, nos universités<br />
ont un sérieux effort à faire pour<br />
rivaliser avec <strong>le</strong>s universités américaines.<br />
Cel<strong>le</strong>s-ci sont des vrais lieux de<br />
production de connaissances - la<br />
matière première de notre XXI e sièc<strong>le</strong><br />
- et el<strong>le</strong>s sont suffisamment fortes pour<br />
discuter de puissance à puissance<br />
avec <strong>le</strong> reste de la société, politique ou<br />
économique. Il f<strong>au</strong>t que <strong>le</strong>s nôtres<br />
soient plus <strong>au</strong>tonomes et mieux financées,<br />
pourquoi pas par des subventions<br />
privées.<br />
D.: Êtes-vous optimiste sur notre capacité<br />
à rattraper <strong>le</strong> train de la nouvel<strong>le</strong><br />
économie ?<br />
D. C. : En réalité, toute une partie de<br />
notre économie a déjà pris ce train. Et<br />
<strong>le</strong> reste suivra, bon an, mal an. La vraie<br />
question reste cel<strong>le</strong> du divorce entre<br />
l’économique et <strong>le</strong> social. Ce n’est pas<br />
tant l’économie qui souffre que la<br />
société qui ne se comprend plus el<strong>le</strong>même.<br />
Nos institutions sont à réinventer<br />
pour nous aider à recréer du<br />
lien social et à retrouver un nouvel<br />
équilibre.<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
27
Loïc Cherel est un patron globe-trotter. De rencontres en contacts<br />
d’affaires, il a fait de Data-Pixel près d’Annecy (74), une jeune PME<br />
prometteuse. Voir <strong>le</strong> monde lui donne d’<strong>au</strong>tres idées d’expansion.<br />
Dirigeant : Vous êtes l<strong>au</strong>réat national<br />
du concours Ta<strong>le</strong>nts 1 2006 de la création<br />
d'entreprise, catégorie Développement.<br />
À quoi veil<strong>le</strong>z-vous en tant que<br />
jeune dirigeant ?<br />
Loïc Cherel : Au « time to market », à<br />
l’adéquation <strong>au</strong> marché des technologies<br />
d'avant-garde. C’est mon domaine<br />
depuis l’université. La rencontre d’enseignants<br />
chercheurs m’a be<strong>au</strong>coup<br />
influencé. Après cinq ans d'activité, je<br />
viens de créer une filia<strong>le</strong> de Data-Pixel,<br />
RX Solutions, avec un statut de JEI -<br />
jeune entreprise innovante, pour répondre<br />
<strong>au</strong>x besoins croissants des contrô<strong>le</strong>s<br />
qualité en milieux industriels et<br />
<strong>au</strong>tres (muséographie…). Des opérations<br />
de recherche sont menées. Nous<br />
utilisons <strong>le</strong>s technologies à rayons X<br />
issues du domaine médical. Les solutions<br />
mises en œuvre donnent une cartographie<br />
en 3D de l'intérieur des objets<br />
(contrô<strong>le</strong> non destructif).<br />
D.: Quel était votre projet d'entreprise<br />
à vos débuts en mai 2001 ?<br />
L. C. : J'ai lancé Data-Pixel, seul, mais<br />
en portage pendant quinze mois par<br />
l’entreprise de mon père, artisan. Le<br />
marché industriel du contrô<strong>le</strong> des fibres<br />
optiques pour <strong>le</strong>s télécoms était alors<br />
très porteur. J’ai d’abord ciblé la Suisse,<br />
toute proche… L’Anvar (groupe Oséo)<br />
est intervenu dans un 2 e temps afin de<br />
soutenir des projets de R&D. Ce fut<br />
<strong>au</strong>ssi l’occasion, grâce à ses veil<strong>le</strong>urs,<br />
de m’informer sur des offres de partenariats<br />
technologiques en Europe.<br />
Aujourd’hui, nous proposons une<br />
gamme d'instruments de mesure de<br />
h<strong>au</strong>te précision (
Futurs<br />
En comparaison, la<br />
Grande Dépression de<br />
1929 n’<strong>au</strong>ra été qu’un<br />
petit entraînement : du fait<br />
du changement climatique,<br />
la production économique<br />
risque à terme de<br />
chuter de 20 %… C’est en<br />
tout cas ce que prévoit Sir<br />
Nicolas Stern, ancien économiste<br />
à la Banque Mondia<strong>le</strong>,<br />
dans un rapport<br />
rédigé à la demande de<br />
Gordon Brown, futur premier<br />
ministre britannique.<br />
Le laisser-faire n’est donc<br />
plus de mise, et Nicolas<br />
PAR NATHALIE CROUZET, LOUISE GUERRE ET ANDRÉ-YVES PORTNOFF<br />
EN PARTENARIAT AVEC<br />
Stern estime que <strong>le</strong> coût<br />
de la lutte engagée dès<br />
maintenant contre la<br />
concentration des gaz à<br />
effet de serre ne correspondrait<br />
qu’à 1 % du PIB<br />
mondial, une pail<strong>le</strong> comparativement<br />
à l’inaction :<br />
10 % du PIB mondial en<br />
2100, et 3 à 4 fois plus<br />
dans <strong>le</strong>s pays p<strong>au</strong>vres.<br />
Dans ces zones-là, <strong>le</strong>s<br />
catastrophes seront amplifiées,<br />
entraînant des<br />
déplacements gigantesques<br />
de population, des<br />
conflits majeurs, des com-<br />
www.futurib<strong>le</strong>s.com<br />
CRISE CLIMATIQUE :<br />
l’économie s’empare de la question<br />
bats pour survivre…<br />
Cette affirmation prend à<br />
contre courant l’état d’esprit<br />
ambiant : ce n’est pas<br />
agir qui coûtera cher à<br />
l’économie, c’est ne pas<br />
agir qui risque de la faire<br />
s’effondrer. Plus de 200<br />
vil<strong>le</strong>s américaines ont<br />
signé l’accord de Kyoto,<br />
la Grande-Bretagne<br />
prend une longueur<br />
d’avance avec ce<br />
rapport : la présidence<br />
américaine risque de se<br />
trouver de plus en plus<br />
isolée sur la scène inter-<br />
nationa<strong>le</strong>, alors<br />
que Al Gore, ancien<br />
vice-président américain,<br />
vient de sortir son film<br />
Une vérité qui dérange,<br />
fruit de son combat<br />
depuis 15 ans pour lutter<br />
contre <strong>le</strong> réch<strong>au</strong>ffement<br />
de la planète. Pour ceux<br />
qui ont besoin de chiffres<br />
et de démonstrations<br />
pour être convaincus,<br />
c’est imparab<strong>le</strong>.<br />
CIGALE US, FOURMI CHINOISE,<br />
cocktail explosif ?<br />
Situation sans précédent<br />
historique, la principa<strong>le</strong><br />
puissance économique<br />
compense une dette extérieure,<br />
un déficit commercial<br />
croissants et une épargne<br />
médiocre en attirant<br />
10 % de l’épargne mondia<strong>le</strong>.<br />
Des États, chinois et<br />
japonais en tête, financent<br />
une bonne part du déficit<br />
de la balance courante<br />
américaine en achetant<br />
des obligations du Trésor<br />
américain. Pour Char<strong>le</strong>s de<br />
Granrut, la dynamique de<br />
l’endettement des États-<br />
Unis illustre l’influence<br />
grandissante de la sphère<br />
financière sur l’économie<br />
« réel<strong>le</strong> » et si <strong>le</strong>s nombreuses<br />
études du phénomène<br />
divergent sur son<br />
analyse, el<strong>le</strong>s reconnaissent<br />
qu’il ne peut continuer<br />
longtemps. Mais on<br />
ne voit pas très bien comment<br />
<strong>le</strong>s États-Unis, qui<br />
risquent d’y perdre <strong>le</strong>ur<br />
<strong>le</strong>adership mondial, peuvent<br />
en sortir. Au contraire,<br />
la Chine qui se protège des<br />
capit<strong>au</strong>x spéculatifs a une<br />
balance des paiements largement<br />
excédentaire. Ses<br />
réserves de change dépassent<br />
<strong>le</strong>s 1 000 milliards de<br />
dollars, dont <strong>le</strong> tiers en<br />
bons du Trésor américain.<br />
D’où une interdépendance:<br />
la Chine pourrait faire<br />
s’écrou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> dollar en retirant<br />
ses investissements<br />
mais el<strong>le</strong> y perdrait gros et<br />
la grande distribution<br />
comme <strong>le</strong>s consommateurs<br />
américains profitent<br />
des bas prix des fournisseurs<br />
chinois. Mais, note<br />
Philippe Delalande, la<br />
Chine depuis 2005 a<br />
décidé de créer des groupes<br />
chinois d’envergure<br />
mondia<strong>le</strong> en rachetant des<br />
entreprises, en particulier<br />
pour réduire la dépendance<br />
en énergie et<br />
matières premières.<br />
MG Rover, un pétrolier<br />
canadien comme plus de<br />
400 PME de la mécanique<br />
al<strong>le</strong>mande sont passés<br />
sous contrô<strong>le</strong> de la Chine<br />
communiste ! Si trop d’OPA<br />
visent des groupes<br />
majeurs occident<strong>au</strong>x, <strong>le</strong>s<br />
réactions américaines peuvent<br />
être bruta<strong>le</strong>s. Voire<br />
militaires comme l’a<br />
écrit Jean-François<br />
Susbiel<strong>le</strong> dans<br />
Chine-Usa, la guerre<br />
programmée.<br />
Futurib<strong>le</strong>s,<br />
décembre 2006.<br />
2/3<br />
des 20-25 ans souhaitent créer <strong>le</strong>ur<br />
propre entreprise. Un chiffre à mettre<br />
en rapport avec <strong>le</strong>s 62 % d’entre eux<br />
qui, selon un sondage Ipsos / La<br />
Tribune, ne font pas confiance <strong>au</strong>x<br />
entreprises pour <strong>le</strong>ur garantir carrière<br />
et rémunération à la h<strong>au</strong>teur de <strong>le</strong>urs<br />
aspirations. Pourtant, 78 % de ces<br />
jeunes sont confiants pour <strong>le</strong>ur avenir<br />
et plus optimistes que <strong>le</strong> reste de la<br />
population vis-à-vis de la<br />
mondialisation.<br />
Futurib<strong>le</strong>s, décembre 2006<br />
UNE NOUVELLE<br />
INTERNATIONALE<br />
Novembre 2006, à Vienne,<br />
<strong>le</strong> syndicalisme mondial<br />
affiche sa volonté de dépasser<br />
<strong>le</strong>s clivages historiques<br />
et fonde une nouvel<strong>le</strong> confédération<br />
qui veil<strong>le</strong>ra à la<br />
prise en compte des problématiques<br />
socia<strong>le</strong>s pour une<br />
mondialisation plus solidaire.<br />
Fera-t-il <strong>le</strong> poids face<br />
<strong>au</strong>x grandes institutions<br />
internationa<strong>le</strong>s comme<br />
l’ONU ou <strong>le</strong> BIT ? À suivre…<br />
REGARDER VIBRER<br />
LA TERRE<br />
www.breathingearth.net :<br />
ce site nous donne à voir en<br />
direct, ou presque, <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong><br />
de la vie humaine sur notre<br />
planète et <strong>le</strong>s effets de nos<br />
activités. Des points rouges<br />
et verts clignotent pays par<br />
pays, pour annoncer naissances<br />
et décès en temps<br />
réel (celui de la connexion)<br />
en fonction des dernières<br />
statistiques démographiques.<br />
Le site simu<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong>s émissions de CO 2<br />
de chaque pays qui s’embrase<br />
sous nos yeux. Un<br />
rythme effréné d’accroissement<br />
des populations et de<br />
ponction dans <strong>le</strong>s ressources<br />
naturel<strong>le</strong>s… À la fois<br />
émouvant et effrayant !<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
29
30<br />
La Chronique<br />
du changement<br />
Vous avez dit<br />
« DIALOGUE SOCIAL » ?<br />
Le mot s’éta<strong>le</strong> dans toute la presse :<br />
« dialogue social ». En France, pour<br />
dialoguer, il f<strong>au</strong>t un texte de loi. On imagine<br />
tout de suite une discussion cha<strong>le</strong>ureuse,<br />
qui va permettre <strong>au</strong>x patrons<br />
et <strong>au</strong>x représentants du personnel,<br />
forts du soutien de <strong>le</strong>urs mandants, de<br />
se mettre d’accord sur <strong>le</strong>s grands axes<br />
d’un avenir commun. Illusion. La réalité,<br />
malheureusement, est complètement<br />
différente.<br />
LOIN DE LA RÉALITÉ<br />
Me voici pour quelques jours dans cette<br />
entreprise où de diffici<strong>le</strong>s négociations<br />
s’éternisent depuis près d’un an. Des<br />
enjeux lourds, pour la Direction comme<br />
pour <strong>le</strong>s salariés. Des rebondissements.<br />
Une grève. Je dois interroger <strong>le</strong>s salariés<br />
sur ce qu’ils en pensent. Première<br />
surprise: la plupart d’entre eux ne sont<br />
même pas <strong>au</strong> courant ; un comptab<strong>le</strong><br />
a appris qu’il y avait eu un mouvement<br />
de grève en regardant <strong>le</strong> journal de<br />
France 3. Quant à ceux qui ont entendu<br />
Hubert Landier est consultant <strong>au</strong> sein<br />
du Rése<strong>au</strong> Syneo et directeur de la<br />
News<strong>le</strong>tter Management social.<br />
Il a publié de nombreux ouvrages sur<br />
l’entreprise, et récemment : Divorce à<br />
la française, <strong>au</strong>x Editions Dunod.<br />
DIRIGEANT N°71 • JANVIER 2007<br />
par<strong>le</strong>r de la « négo », ils savent tout<br />
juste quel en est <strong>le</strong> thème ; et ils sont à<br />
peu près incapab<strong>le</strong>s de dire pourquoi<br />
certains syndicats sont « pour » tandis<br />
que d’<strong>au</strong>tres sont « contre » <strong>le</strong> projet<br />
qui <strong>le</strong>ur a été présenté.<br />
Et ensuite, vous vou<strong>le</strong>z par<strong>le</strong>r de « dialogue<br />
social »? Voilà à quoi je pense en<br />
écoutant ces hommes politiques, ces<br />
dirigeants patron<strong>au</strong>x et syndic<strong>au</strong>x disserter<br />
à propos des vertus du dialogue<br />
social. Ils ne semb<strong>le</strong>nt pas se rendre<br />
compte à quel point, <strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s <strong>au</strong>tres,<br />
ils sont loin, très loin, des préoccupations<br />
de ceux <strong>au</strong> nom desquels ils s’expriment.<br />
INTÉRÊTS DE BOUTIQUES<br />
Représentatifs de qui ? De quoi ? Que<br />
faire pour que <strong>le</strong>s représentants du personnel<br />
représentent <strong>au</strong>tre chose qu’une<br />
superstructure (comme <strong>au</strong>rait dit Marx)<br />
<strong>au</strong>tosuffisante, installée dans la tranquil<strong>le</strong><br />
gestion de ses « prérogatives » ?<br />
Je ne vois pas d’<strong>au</strong>tre réponse que <strong>le</strong>s<br />
obliger à en passer par des é<strong>le</strong>ctions.<br />
C’est ce qui a été proposé par <strong>le</strong> Rapport<br />
Hadas-Lebel. L’idée pouvait paraître<br />
simp<strong>le</strong> : fonder la représentativité<br />
syndica<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s suffrages de <strong>le</strong>urs<br />
mandants et non sur une décision du<br />
conseil d’État figeant l’échiquier syndical<br />
dans l’état où il était il y a exactement<br />
quarante ans. Oui, mais ça remettrait<br />
en c<strong>au</strong>se des intérêts de boutique.<br />
Certaines organisations minoritaires y<br />
perdraient des droits qui outrepassent<br />
la réalité de <strong>le</strong>ur influence. Certains dirigeants<br />
patron<strong>au</strong>x se disent qu’ils ne<br />
pourront plus se contenter, selon <strong>le</strong>ur<br />
conception du dialogue social, de la<br />
signature d’organisations <strong>au</strong>ssi minoritaires<br />
que consentantes. Et donc, <strong>au</strong><br />
Conseil économique et social, ils <strong>au</strong>ront<br />
tout fait pour défendre <strong>le</strong> statu quo.<br />
S’ils obtiennent fina<strong>le</strong>ment gain de c<strong>au</strong>se,<br />
<strong>le</strong> dialogue social restera ce qu’il est<br />
<strong>au</strong>jourd’hui devenu: un f<strong>au</strong>x-semblant.<br />
PAR HUBERT LANDIER<br />
D’un côté, ce qui se trame dans la Ga<strong>le</strong>rie<br />
des glaces, de l’<strong>au</strong>tre ce qui se dit<br />
dans la Sal<strong>le</strong> du jeu de p<strong>au</strong>me. Dans la<br />
Ga<strong>le</strong>rie des glaces, on se par<strong>le</strong> entre<br />
« partenaires soci<strong>au</strong>x » bien é<strong>le</strong>vés, qui<br />
se connaissent de longue date, avec <strong>le</strong>ur<br />
tas de petits secrets et <strong>le</strong>urs jeux de rô<strong>le</strong>s<br />
bien réglés. Et qui s’imaginent qu’ils<br />
représentent <strong>le</strong> « pays réel ».<br />
AVANTAGES PERSONNELS<br />
Le problème, c’est que, dans <strong>le</strong>s entreprises,<br />
ça se passe tout à fait différemment.<br />
Les syndicats ? Soyons sérieux.<br />
Comme me <strong>le</strong> disait un fraiseur P3 dans<br />
une usine métallurgique réputée pour<br />
ses frasques socia<strong>le</strong>s à répétition depuis<br />
un sièc<strong>le</strong> <strong>au</strong> moins : « Les syndicats,<br />
ça intéresse la Direction, pas <strong>le</strong>s<br />
ouvriers. » Ou un jeune ingénieur dans<br />
une entreprise high tech : « On <strong>le</strong>s<br />
entend be<strong>au</strong>coup, mais on ne <strong>le</strong>s<br />
voit guère. » Le syndicalisme n’est plus<br />
ce que nous avons connu. Les militants<br />
qui se battaient pour <strong>le</strong>urs camarades<br />
de travail, en vue d’un avenir meil<strong>le</strong>ur,<br />
sont partis à la retraite. Ils ont été souvent<br />
remplacés par des opportunistes,<br />
qui ont d’abord vu dans <strong>le</strong>ur mandat<br />
<strong>le</strong>s avantages personnels qu’ils pouvaient<br />
en tirer. C’est ça, la réalité.<br />
Les représentants des salariés doivent<br />
exprimer <strong>le</strong> point de vue de <strong>le</strong>urs mandants.<br />
Ils doivent donc s’expliquer avec<br />
eux. Le dialogue social, tel qu’il a été<br />
confisqué par <strong>le</strong>s bure<strong>au</strong>crates, <strong>le</strong>s<br />
notab<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s rentiers, doit laisser place<br />
à une expression réel<strong>le</strong>ment démocratique.<br />
De nouve<strong>au</strong>x venus doivent s’y<br />
investir. Des règ<strong>le</strong>s du jeu équitab<strong>le</strong>s,<br />
garantissant un maximum de transparence,<br />
doivent être inventées, quitte à<br />
faire s<strong>au</strong>ter quelques Bastil<strong>le</strong>s. Les jeunes<br />
ont cessé de se reconnaître dans<br />
ce jeu de dupes. Ils veu<strong>le</strong>nt se faire<br />
entendre et, de toute façon, d’une<br />
manière ou d’une <strong>au</strong>tre, ils <strong>le</strong> feront.