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Auguste MABRU - Musée français du pétrole

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Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

(9) AUGUSTE <strong>MABRU</strong> (1780-1853)<br />

___________________________________________________________________________<br />

CHAPITRE I<br />

Un Auvergnat en Alsace <strong>du</strong> Nord<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru a été appelé au Pechelbronn en 1812 par Marie Joseph Achille Le Bel, dont il<br />

était le neveu, d’abord pour remettre au clair les comptes de la mine et de la manufacture, puis<br />

pour remplacer complètement à partir <strong>du</strong> 1 er janvier 1815 le directeur des travaux, Jean André<br />

Geynet. Deux mois plus tard, le 6 mars 1815, les conjoints Geynet <strong>du</strong>rent ainsi renoncer à leur<br />

moitié sur le domaine <strong>du</strong> Pechelbronn, qu’il leur fallut d'ailleurs quitter dans la huitaine. En<br />

venant en Alsace, <strong>Auguste</strong> Mabru <strong>du</strong>t se séparer de l’impressionnante collection de géologie<br />

volcanique qu’il avait patiemment accumulée dans son Auvergne natale, mais il s'investit<br />

pleinement dans l'exploitation des graisses d’asphalte. Dès le 3 mai 1815, il épousait la dernière<br />

sœur de la femme de son oncle, et en 1821 il se liait avec Jean-Baptiste Dieudonné Boussingault,<br />

alors jeune directeur de la mine d’asphalte voisine de Lobsann. Comme ancien élève de<br />

l’Ecole de mines de St-Etienne, celui-ci était un autre passionné de volcanologie.<br />

Le second fils de Marie-Anne Charlotte Le Bel<br />

Antoine Mabru, dit <strong>Auguste</strong>, était le second fils de Marie-Anne Charlotte Le Bel, la sœur<br />

aînée de Marie Joseph Achille Le Bel (1) (2). Il était né à Clermont-Ferrand le 29 juillet 1780<br />

et doit être considéré comme un Auvergnat de souche, puisque son père Claude-Alexis<br />

Mabru, président trésorier général de France pour la généralité d’Auvergne, puis juge au<br />

tribunal <strong>du</strong> district de Clermont-Ferrand, l'était aussi et que lui-même passa toutes ses jeunes<br />

années à Clermont-Ferrand ou dans sa banlieue de Romagnat, où les Mabru avaient leur<br />

campagne.<br />

Enfant, il s’était laissé envoûter par le Montrognon, à quatre kilomètres au sud de Clermont,<br />

remarquable par ses ruines médiévales et les traces des anciennes éruptions volcaniques. Il est<br />

adolescent quand éclate la Révolution, dont ses parents seront d’ardents partisans. Il participe<br />

ainsi à de nombreuses fêtes républicaines, où il dansa de tout son saoul. Il eut également sa<br />

part dans la confection d’un aérostat, qui emporta dans les airs un flot de guirlandes et d’inscriptions<br />

patriotiques (1).<br />

A l’exemple de son frère aîné Claude, futur colonel d’artillerie des armées napoléoniennes,<br />

il voulut entrer dans la nouvelle Ecole Polytechnique à Paris. Mais la dépense, un peu lourde<br />

pour leur train de vie, obligea ses parents à réclamer leur part de l’héritage <strong>du</strong> Pechelbronn.<br />

Claude avait réussi les examens d’entrée sans difficulté et sortira de l’Ecole avec le grade de<br />

lieutenant. <strong>Auguste</strong>, par contre, fut moins heureux. Après un premier échec, il se représenta au<br />

concours d’entrée. En septembre 1799, son père lui écrit de Clermont-Ferrand pour lui dire<br />

qu'il s'attristait de son silence, d’autant qu’il devinait qu’il ne préparait pas son examen comme<br />

il faudrait. Il l’invite donc « à ne plus être si négligent à l’avenir ». Il le supplie de « ne<br />

pas faire l’imbécile » comme l’année précédente et de tâcher de surmonter sa timidité.


L’année suivante, le 29 mai 1800, son père croit devoir le stimuler une nouvelle fois. « Ton<br />

frère (Claude), écrit-il, ne doute pas un instant que tu ne sois admis aux prochains examens.<br />

Tu dois être pénétré de la nécessité de réussir pour éviter la peine naturelle de voir ta jeunesse<br />

infructueuse et d’être obligé de faire comme conscrit un service militaire qui te mettrait<br />

dans le cas, peut-être, d’oublier ce que tu as déjà appris. Il faut donc t’armer de patience et<br />

te nourrir de l’espoir que tu seras plus heureux dans cette circonstance que tu ne l’as été<br />

dans les précédentes. » D’autre part, si <strong>Auguste</strong> avait besoin de leçons particulières de soutien,<br />

il devait savoir que son grand-père paternel était disposé à les financer.<br />

Nouvelle lettre <strong>du</strong> père, de la même veine, le 11 août 1800 : « Ne te décourage pas. Les<br />

injustices, dont tu as été la victime au dernier examen, ne doivent en aucune manière arrêter<br />

tes efforts ». Pour donner le change, <strong>Auguste</strong> dit alors vouloir s’orienter vers la marine, et non<br />

pas vers l’artillerie comme son frère Claude, ou vers d’autres applications alors proposées par<br />

l’Ecole, telles que les ponts et chaussées ou les mines.<br />

Mais c’était peine per<strong>du</strong>e. <strong>Auguste</strong> ne réussira pas l’examen d’entrée. Il doit donc revenir à<br />

Clermont-Ferrand la tête basse pour ensuite occuper auprès de son grand-père veuf et de son<br />

père le rôle peu enviable de « bon à tout faire ». Il doit assurer leur intendance, s’occuper de<br />

leurs cultures…<br />

Aux alentours d’août 1800, sa mère se rend une nouvelle fois en Alsace (avec ses deux plus<br />

jeunes enfants Adèle et Paul cette fois), afin d’y régler définitivement sa sortie de l’indivision<br />

<strong>du</strong> Pechelbronn. Claude-Alexis, le père d’<strong>Auguste</strong>, les rejoindra à Strasbourg au début <strong>du</strong><br />

mois de mars 1801. <strong>Auguste</strong>, lui, resta à Clermont-Ferrand auprès de son grand-père. C’est<br />

l’époque justement où il conçoit quelque espoir de mariage avec une jeune personne <strong>du</strong> voisinage,<br />

dont « la famille a toujours joui de l’estime publique » et qui y donnait déjà son consen-<br />

tement. De Strasbourg, son père lui écrit le 4 mars 1801 pour lui dire combien cette heureuse<br />

perspective le réjouissait. Mais ce projet échoua lui aussi.<br />

Son père trouvera ensuite la mort le 30 octobre 1801 en revenant de Strasbourg, avec Adèle<br />

et Paul, dans un accident qu’il fit avec une voiture et des chevaux qu’il avait achetés pour ce<br />

voyage. <strong>Auguste</strong> se consacre alors entièrement aux soins de son grand-père et de ses proprié-<br />

tés. A la conscription, il tire un mauvais numéro. Mais heureusement, la fortune de l’aïeul<br />

permit d’acheter un remplaçant (1).<br />

Sa seule distraction est alors la minéralogie. Une passion qu’il partage avec Benoît Mones-<br />

tier, qui épousera sa sœur Adèle. Ensemble, ils montent une collection, qu’un contemporain<br />

présente comme l’une des deux plus fameuses collections minéralogiques de Clermont-<br />

Ferrand, avec ses « nombreux échantillons bien choisis, bien faits, bien déterminés » (3). Au<br />

demeurant, pour mieux le garder auprès de lui, son grand-père lui a fait construire, sur ses<br />

propriétés de Romagnat, un laboratoire pour ses expériences.<br />

Après le décès <strong>du</strong> grand-père<br />

Ce grand-père décédera finalement en 1808, à l’âge de 85 ans. Mais dans son testament<br />

olographe <strong>du</strong> 1 er mars 1806, il n’avait point oublié son petit-fils <strong>Auguste</strong>. Puisque celui-ci<br />

avait « employé tout son temps et ses soins près de (lui) et pour (s)es biens », il voulut qu’il<br />

jouisse « à peu près de la même fortune que son frère aîné » Claude, le colonel d’artillerie. Il


lui légua donc « par préciput et avantage sur son frère » le bâtiment-laboratoire qu’il lui avait<br />

fait construire à Romagnat et qui consistait en « trois cuvages voûtés, qui se communiquent<br />

l’un à l’autre, un laboratoire de chimie, chambre, grenier au-dessus, une serre pour les pots<br />

et les caisses à fleurs, et un grenier au-dessus », avec un petit jardin qui est au-devant <strong>du</strong>dit<br />

bâtiment et le droit de prendre de l’eau sur la con<strong>du</strong>ite de la fontaine. Il lui légua aussi tout le<br />

mobilier se trouvant dans ce bâtiment, « à l’exception des caisses et pots à fleurs » qui<br />

devaient être partagés à égalité avec Claude.<br />

Dernière disposition enfin, non moins essentielle, <strong>du</strong> grand-père, qui avait toujours eu le<br />

souci de la droiture morale : « J’invite mes deux héritiers (Claude et <strong>Auguste</strong>) d’être bien unis<br />

ensemble, de conserver le peu de propriété que je leur laisse, de la bien surveiller et entretenir<br />

comme je crois d’avoir fait jusque à ce moment, d’être économes, ni glorieux et de ne pas<br />

contracter des dettes s’ils désirent devenir heureux. » Dans ce testament, le grand-père fait<br />

aussi le rappel des principaux papiers de famille (titres et contrats de mariage). Il récapitule<br />

d’autre part « la filiation et la généalogie » de sa famille, pour être plus sûr de les relayer à sa<br />

descendance, car il craignait que « lesdits titres se perdent, s’égarent ou soient incendiés par<br />

des événements inatten<strong>du</strong>s. »<br />

A la suite de ce décès, <strong>Auguste</strong> resta encore quatre années seul sur les propriétés grandpaternelles.<br />

Puis vers le 22 septembre 1812, il décide avec son frère Claude de partager une<br />

partie des biens dont ils avaient hérités. L’immeuble de la rue des Petits Gras au centre de<br />

Clermont-Ferrand et la moitié des eaux de Las Sagnas échurent ainsi à <strong>Auguste</strong>, pendant que<br />

Claude se réservait le domaine de Romagnat.<br />

C’est ce moment que choisit l’oncle Marie Joseph Achille Le Bel pour appeler <strong>Auguste</strong> au<br />

Pechelbronn. <strong>Auguste</strong> va alors quitter sa province natale pour toujours (à l’exception d’un<br />

bref retour en novembre 1814). Mais il eut soin de prendre avec lui les plus précieuses reliques<br />

familiales : une copie <strong>du</strong> testament olographe de son grand-père ainsi que les huit lettres<br />

que son père lui avait adressées lorsqu’il tentait d’entrer à Polytechnique, de même que les<br />

trois lettres que celui-ci lui avait écrites au début de 1801 depuis Strasbourg.<br />

Tout l’esprit de ses aïeux s’y trouvait exposé. Et sans doute, <strong>Auguste</strong> n’a-t-il pas manqué,<br />

tout au long de ses années alsaciennes, d’y jeter parfois un regard ému, surtout lorsqu’il lui<br />

fallut surmonter ses propres difficultés, qui, nous le verrons, ne manqueront pas. Ces papiers,<br />

son fils Henri <strong>Auguste</strong> les emporta à son tour avec lui, lorsqu’il quitta l’Alsace en 1871 pour<br />

ne pas devenir allemand. Ils resteront dans la famille jusqu’à nos jours. C’est ainsi que M.<br />

André Mabru-Colson (Choisy-le-Roi) put en donner copie à l’historienne des Mabru, Mme<br />

Liliane Godat-Chanimbaud, qui les a repro<strong>du</strong>ites dans son ouvrage sur <strong>Auguste</strong> (1).<br />

L’homme de la dernière chance<br />

Nous ignorons à quel moment précis <strong>Auguste</strong> vint s’installer en Alsace <strong>du</strong> Nord. Celui-ci se<br />

ne donne en effet que la date approximative de 1812, lorsqu’au détour d’un rapport daté <strong>du</strong> 28<br />

septembre 1816 au Pechelbronn, il lâche cette confidence : « depuis quatre ans que je dirige<br />

l’établissement de M. Lebel… » (4). Marie Joseph Achille Le Bel, le frère de sa mère, dira-t-il<br />

plus tard, « m’a fait venir auprès de lui travailler à l’édification de sa fortune, lui qui alors<br />

n’avait que des dettes. Il m’a fait des promesses verbales très avantageuses » (5).


<strong>Auguste</strong> était alors dans sa 32 e année. Tout porte à croire qu’il fut l’homme de la dernière<br />

chance. Car l’établissement <strong>du</strong> Pechelbronn était alors assez mal en point. Jean André Geynet<br />

en dirigeait les travaux depuis août 1794, époque de son mariage avec Anne Antoinette Rosalie,<br />

l’autre sœur de Marie Joseph Achille Le Bel. Mais ce fils d’un boulanger de Wissembourg,<br />

qui n’avait été auparavant qu’un simple agent (fonctionnaire) <strong>du</strong> district de cette ville,<br />

n’avait aucune expérience entrepreneuriale ni minière. Il menait ses affaires de façon assez<br />

routinière, sans réussir à conserver les débouchés militaires obtenus sous la Convention. Vers<br />

1806, précise <strong>Auguste</strong> Mabru, Marie Joseph Achille Le Bel <strong>du</strong>t ainsi vendre « pour 60 000<br />

francs de biens patrimoniaux pour parer à la ruine prochaine de cette usine » (4).<br />

Nous n'avons pas retrouvé la trace notariée de cette cession de 60 000 francs. Seule nous est connue la<br />

vente le 20 décembre 1805, par les héritiers Le Bel (Marie Joseph Achille Le Bel et Jean André Geynet),<br />

pour 30 000 francs, de ce qui restait <strong>du</strong> bien-fonds de Schoenenbourg, que leur avait légué Antoine Le<br />

Bel. Il s'agissait de 23 hectares de prairies et d'un hectare de bois et forêts, qui furent cédés au banquier<br />

strasbourgeois Bernard Frédéric Türckheim, a priori pour couvrir les dépenses de la construction <strong>du</strong><br />

« château » <strong>du</strong> Pechelbronn (6).<br />

Sur la période qui a précédé son arrivée, <strong>Auguste</strong> a laissé plusieurs commentaires. On<br />

apprend ainsi que son oncle ne pouvait descendre dans les puits de mine et qu’il « s’en<br />

rapportait à la personne chargée de sa confiance. Trop confiant, il a laissé la chose principale<br />

en des mains inhabiles et souvent peu fidèles » (4). Les déclarations faites au Service des<br />

mines étaient d’autre part « grossièrement fautives et remplies de choses hasardées et impossibles.<br />

Elles avaient été faites par un homme, qui n’ayant jamais su observer et tenir aucun<br />

compte en règle, compromettait chaque jour les intérêts <strong>du</strong> Sr Lebel par son ignorance et ses<br />

infidélités » (7). De toute évidence, ces allusions désignent Jean André Geynet.<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru écrit encore : « Cette maison et cet établissement (étaient) mal administrés.<br />

Des biens de grande valeur ont été ven<strong>du</strong>s pour solder des dettes qu’on aurait dû éviter. Les<br />

Juifs venaient porter le prêt de la semaine pour les ouvriers » (8).<br />

Au surplus, le bruit s’était répan<strong>du</strong> que la fabrication des graisses d’asphalte <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

avait cessé et que celles-ci étaient par conséquent devenues introuvables dans le commerce.<br />

Marie Joseph Achille Le Bel <strong>du</strong>t alors insérer dans le Supplément au Courrier de Strasbourg<br />

<strong>du</strong> dimanche 7 juillet 1811 un petit entrefilet en langue allemande, affirmant que cette rumeur<br />

était infondée et que les graisses <strong>du</strong> Pechelbronn étaient au contraire disponibles en larges<br />

quantités et de la meilleure qualité, contrairement aux graisses frelatées, mêlées de résine de<br />

pin, que livraient ses contrefacteurs (9).<br />

Rapidement indispensable<br />

En se montrant appliqué et dévoué, <strong>Auguste</strong> sut rapidement se rendre indispensable. Dès<br />

l’année 1813, il se charge des déclarations administratives (4). Il ne tarde donc pas à être<br />

nommé à la direction des travaux souterrains, à la place de Jean André Geynet. « Mon père<br />

s’attacha M. <strong>Auguste</strong> Mabru, son neveu, comme directeur des mines, en 1814 », écrit, sans<br />

autre précision, Louis Frédéric Achille, le fils de Marie Joseph Achille (10).<br />

Marie Joseph Achille Le Bel avait d’autant plus besoin d’<strong>Auguste</strong> Mabru, qu’il n’avait luimême,<br />

ainsi que le rapporte son neveu, « jamais fait d’études en histoire naturelle » et qu’il<br />

était « étranger à celles de la minéralogie et de la géologie » (8).


<strong>Auguste</strong> se trouva donc au Pechelbronn, lorsqu’en août 1814 Claude Mabru, son frère aîné,<br />

vint y faire étape à son retour de captivité en Russie. Mais en novembre <strong>Auguste</strong> part en<br />

Auvergne et ne peut donc assister à la visite annuelle de l'ingénieur des mines départemental.<br />

On le retrouve le 14 décembre 1814 chez le notaire Taché de Clermont-Ferrand, où il charge<br />

son frère Claude d’administrer en son nom les biens, qui lui avaient été attribués lors <strong>du</strong><br />

partage <strong>du</strong> 22 septembre 1812. Ces biens, d’origine paternelle, consistait en la maison de la<br />

rue des Petits Gras dans le centre de Clermont-Ferrand ainsi qu’en deux petits corps de logis,<br />

« le tout joignant et comprenant l’emplacement <strong>du</strong> ci-devant cimetière des pères de la<br />

Charité, à Clermont, quartier <strong>du</strong> Taureau, près la Pyramide » (11). Dans cette procuration,<br />

Claude remplaçait le beau-frère Benoît Monestier ainsi qu’à un certain Delaune, qu'<strong>Auguste</strong><br />

avait désignés à Clermont-Ferrand le 27 juin 1814.<br />

Cela voudrait donc dire qu'<strong>Auguste</strong> avait fait deux fois de suite, au cours de la même année,<br />

le voyage de Clermont-Ferrand. Peut-être même à son deuxième voyage a-t-il accompagné<br />

Claude à Paris, où celui-ci devait à tout prix régulariser sa situation militaire (puisqu'on l'y<br />

croyait mort depuis 1812), avant de le suivre jusqu’en Auvergne ?<br />

Marie Joseph Achille Le Bel, cependant, ne consentira à lui faire un contrat d’embauche en<br />

bonne et <strong>du</strong>e forme qu’en date <strong>du</strong> 1 er janvier 1815. Pour la direction de la mine, il lui promit<br />

alors sa vie <strong>du</strong>rant des gages de 4 000 francs par an, le bois nécessaire à son ménage ainsi<br />

« qu’un logement convenable », au Pechelbronn même, ce qui faisait un revenu annuel total<br />

de 4 500 francs, en augmentation de 1 500 francs par rapport à son revenu de 1813 (5).<br />

Les Geynet sommés de déguerpir<br />

Tout alla ensuite très vite. De février à avril 1815, Marie Joseph Achille Le Bel est associé à<br />

la liquidation, par le notaire Lentz fils de Wissembourg, de la succession de ses beauxparents,<br />

Jean Daniel Kraus et Rosine Barbe Zwickert, décédés à la fin de 1811 et de 1814<br />

respectivement. Leurs propriétés de la banlieue de Wissembourg furent alors réparties en six<br />

lots équivalents, puisque ils avaient eu quatre filles et deux fils. Ces lots furent ensuite tirés au<br />

sort le 27 février. Salomé Kraus, épouse Le Bel, eut le troisième, constitué de 36 ares 63<br />

centiares de vignes, de 39 ares 97 centiares de prairies et de quatre lopins de terre arable de 61<br />

ares 51 centiares au total. Puis, le 19 avril suivant, Salomé Kraus, épouse Le Bel, se vit encore<br />

attribuer la somme de 14 839 francs, correspondant au sixième de la valeur des effets mobiliers<br />

de cette double succession (12) (13).<br />

Rosine (ou Rosette), la dernière des sœurs Kraus, encore mineure, eut elle aussi ses parts<br />

d’un sixième. Mais l’enchaînement des circonstances a alors voulu qu’elle soit promise à<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru, le nouveau directeur des mines et usines <strong>du</strong> Pechelbronn. Il fallait donc que<br />

Jean André Geynet et son épouse Rosalie Le Bel quittent la grande maison <strong>du</strong> Pechelbronn au<br />

plus vite, afin de faire de la place aux futurs conjoints. Ce qui fut arrangé le 6 mars 1815, en<br />

plein milieu de la liquidation de la succession Kraus, devant le même notaire Lentz fils de<br />

Wissembourg.<br />

Ce jour-là, Marie Joseph Achille Le Bel rachetait en effet aux conjoints Geynet la moitié<br />

qu’ils possédaient <strong>du</strong> domaine, de la mine et de la manufacture <strong>du</strong> Pechelbronn. Moitié évaluée<br />

à la somme de 100 000 francs, et dont Achille paya 28 000 francs avant la passation <strong>du</strong><br />

contrat de rachat. Il paya comptant les 72 000 francs restants tout de suite après, à la vue <strong>du</strong><br />

notaire, mais sous la forme de « différents effets de commerce », sans autre précision.


Marie Joseph Achille devenait ainsi le seul et unique possesseur <strong>du</strong> domaine, puisque les<br />

époux Mabru de Clermont-Ferrand avaient renoncé gratuitement à leur propre tiers quinze ans<br />

auparavant le 9 messidor an IX (28 juin 1801). Les conjoints Geynet ne gardaient que « les<br />

effets mobiliers et meubles meublants à eux propres », qu’ils avaient dans leurs appartements<br />

de la maison commune <strong>du</strong> Pechelbronn. Et ils avaient sept jours pour déguerpir, soit jusqu’au<br />

13 mars (12). Ils s’établiront comme marchands de bois dans l’ancien château de Hanau-<br />

Lichtenberg à Woerth-sur-Sauer, le chef-lieu <strong>du</strong> canton, dont relève Lampertsloch.<br />

Le mariage<br />

Deux mois plus tard, le 2 mai 1815, donc en plein milieu des Cent Jours, <strong>Auguste</strong> Mabru et<br />

Rosette Barbe Kraus signaient à Wissembourg leurs propres « conventions matrimoniales »<br />

par devant le même notaire Lentz fils, en présence toute la tribu réunie. Etaient en effet<br />

présents, comme témoins et cosignataires, les conjoints Le Bel <strong>du</strong> Pechelbronn, les deux<br />

frères de Rosette (Daniel et Philippe Kraus) ainsi que ses deux autres sœurs, Henriette et<br />

Louise, avec leur mari, MM. Louis Westercamp, notaire à Wissembourg, et Nicolas Henri<br />

Piché, chevalier de la Légion d’honneur et capitaine retiré à Wissembourg. Même Marie Anne<br />

Charlotte Le Bel, la mère d’<strong>Auguste</strong>, bien qu’âgée de cinquante ans et veuve depuis octobre<br />

1801, avait fait le voyage (ce sera son dernier péri-ple en Alsace) depuis Clermont-Ferrand.<br />

Mais de conjoints Geynet, point, signe d’une rupture définitive (13).<br />

Pour leurs conventions matrimoniales, les futurs conjoints Mabru se placèrent sous le régime<br />

de la communauté de biens ré<strong>du</strong>ite aux acquêts. Tous les biens, meubles et immeubles,<br />

qu’ils apportaient restaient donc leur propriété en propre. <strong>Auguste</strong>, lui, apportait différents<br />

mobiliers évalués à 3 000 francs, une bibliothèque d’une valeur de 3 500 francs, diverses<br />

rentes se montant à 7 312 francs ainsi que ses propriétés à Clermont-Ferrand, dont la maison<br />

de la rue des Petits-Gras, d’une valeur de 13 812 francs.<br />

Rosette, elle, apportait en dot 290 mètres de toiles de différentes qualités (puisque son père<br />

avait été marchand de draps à Wissembourg), cinq pièces de mousseline elles aussi de différentes<br />

qualités, dix-huit nappes unies et damassées, soixante-dix serviettes en partie unies, en<br />

partie damassées, dix-neuf essuie-mains, onze taies d’oreiller et de traversin, treize draps de<br />

lit, dix-huit kilogrammes de fil, douze grands et petits rideaux, une montre en or, deux couverts<br />

d’argent, deux glaces, une taie de plumeau en taffetas cramoisi, trois chandeliers, une<br />

armoire en bois de sapin peint à l’huile en couleur bleu de perle, une commode couverte d’un<br />

marbre noir, un piano forte, une guitare, six chaises, une table de nuit avec un marbre noir, un<br />

lavoir, deux rideaux de mousseline avec garniture, et enfin un lit complet composé d’un bois<br />

de lit en bois de noyer, de deux matelas, d’un rouleau, d’un oreiller, d’un plumeau, d’une<br />

couverture de coton piquée, d’une autre de laine tricotée et d’une autre en piqué blanc,<br />

lesquels objets valaient bien 3 352 francs.<br />

Et puisque son père faisait également négoce d’alcools, Rosette apportait d’autre part 2 024<br />

litres de vin blanc et rouge de l’année 1811, d’une valeur de 1 690 francs, cinquante litres<br />

d’eau-de-vie de Cognac d’une valeur de 150 francs ainsi que pour 250 francs de tonneaux « et<br />

autres petits objets ».<br />

En argent, Rosette apportait encore 3 700 francs pour sa part dans la maison paternelle<br />

échue à ses deux frères Daniel et Philippe Kraus ; 3 220 francs en souscriptions ; 4 280 francs


pour sa part dans deux autres maisons et granges laissées à ses deux frères ; 4 280 francs pour<br />

sa part dans les dettes actives de ses parents ; et pour finir 848 francs en argent comptant, soit<br />

un apport total de 19 851 francs.<br />

Rosette, enfin, apportait son sixième des terres agricoles héritées le 27 février précédent de<br />

ses parents, dans les bans de Wissembourg et environs :<br />

− 18 ares 90 centiares de vignes au canton Finstergass ;<br />

− 16 ares 40 centiares de vignes au canton Schweigener Weg ;<br />

− 23 ares 62 centiares de prés au canton Heugel, ban de Schweighoffen ;<br />

− 37 ares 90 centiares de prés au canton Hinterweiler, entre la chapelle et la Lauter ;<br />

− 44 ares 11 centiares de terre arable au canton Vierthurmen ;<br />

− 26 ares 39 centiares, plus 18 ares 53 centiares de terre arable au canton Rosenacker ;<br />

− et enfin 4 ares 42 centiares de vergers au canton Steinbachhohl. Ce qui au total, comparé à<br />

l’apport d’<strong>Auguste</strong>, était loin d’être négligeable (12).<br />

Encore en 1839, <strong>Auguste</strong> pourra ainsi fonder sa fortune sur neuf terrains dans le ban de<br />

Wissembourg, d’une valeur totale de 7 365 francs, à savoir : trois pièces de terre au canton in<br />

der Flohbeis, cinq pièces de terre aux cantons Hohenacker, im Bergacker et im Bockler ainsi<br />

qu’un pré au canton Hinterweiler (5). Ce sont ceux que lui avait apportés son épouse.<br />

Enfin, dernières dispositions nuptiales : en cas de décès de l’un des conjoints, et s’ils sont<br />

restés sans enfants, la moitié des biens et fortune <strong>du</strong> défunt devait aller au survivant, éventuellement<br />

en usufruit. Mais s’ils ont des enfants et descendants, tous les biens et fortune <strong>du</strong><br />

défunt devaient aller au survivant pendant la <strong>du</strong>rée de son veuvage. Enfin, si <strong>Auguste</strong> devait<br />

décéder le premier, son épouse Rosette devait continuer de verser à sa belle-mère sa vie<br />

<strong>du</strong>rant, sur la fortune laissée par son époux, la somme de 375 francs par an, qui est la moitié<br />

de la somme de 750 francs qu’<strong>Auguste</strong> s’était engagé à verser à sa mère, à l’exemple de son<br />

frère Claude Mabru, par l’acte passé devant le notaire Sarray de Clermont-Ferrand le 28<br />

nivôse an XII (19 janvier 1804) (13).<br />

Le mariage proprement dit eut lieu le lendemain 3 mai 1815 à Wissembourg (1). Ainsi<br />

donc, <strong>Auguste</strong> Mabru était-il désormais non plus seulement le neveu de son patron, mais<br />

également son beau-frère, dont il n’était d’ailleurs le cadet que de neuf ans. Autre paradoxe :<br />

lui qui était né de parents très francs-maçons, il avait épousé une jeune fille d’é<strong>du</strong>cation très<br />

protestante.<br />

Le couple aura néanmoins très vite deux enfants : Marie Augustine Félicie Rosette, née le<br />

17 février 1816 au Pechelbronn, qui aura son oncle, le colonel d’artillerie Claude Mabru, pour<br />

parrain, mais qui sera élevée suivant l’usage <strong>du</strong> temps dans la confession de sa mère ; puis<br />

Henri <strong>Auguste</strong>, né le 27 septembre 1818 au Pechelbronn, qui sera élevé dans celle de son père<br />

(13). Pour son baptême, le lendemain, par le curé Kehren de Goersdorf, Henri <strong>Auguste</strong> aura<br />

pour parrain Nicolas Henri Piché, de Wissembourg, « ci-devant capitaine en quarantaine au<br />

régiment de ligne et membre de la Légion d’honneur », et pour marraine Clémentine Mabru,<br />

épouse de Claude Mabru, membre de la Légion d’honneur, alors en garnison à Strasbourg<br />

(14).<br />

Le 8 décembre 1815, <strong>Auguste</strong> Mabru apparaît également comme témoin de la naissance de<br />

Marie Salomé Alexandrine Adèle Le Bel, qui sera l’unique fille survivante de Marie Joseph<br />

Achille (14). <strong>Auguste</strong>, enfin, put profiter des avances de son oncle et beau-frère. « Il m’a fait<br />

divers prêts d’argent avec intérêt à 6 % annuellement capitalisés. L’effectif prêté dans le<br />

cours d’environ vingt années est de 26 500 francs. Les intérêts ont formé 13 500 francs. Total


: 40 000 francs, dont il m’a fait la remise en 1830. Ma promesse de lui faire rentrer ces<br />

valeurs par mon in<strong>du</strong>strie s’est heureusement réalisée par le succès d’expérience et de<br />

travaux, dont il ressentira toujours l’influence » (8).<br />

Rapports et contre-rapports<br />

Pour autant, le Pechelbronn n’était pas encore tiré d’affaire. L’Empire napoléonien s’était<br />

effondré et les provinces <strong>du</strong> nord-est <strong>du</strong>rent subir deux occupations successives par les<br />

troupes de la coalition russo-prusso-autrichienne. La propriété <strong>du</strong> Pechelbronn fut « entièrement<br />

pillée » (4). Des ouvriers <strong>du</strong>rent être renvoyés. Trois chevaux, affectés au service de<br />

l’usine, furent enlevés par les réquisitions de l’envahisseur. Un quatrième mourut (7). «<br />

Encore en 1815, ajoute <strong>Auguste</strong> Mabru, le crédit <strong>du</strong> Sr Le Bel était tel que, chez les banquiers<br />

de Strasbourg, sa signature avait besoin de celle des membres de sa famille pour être<br />

acceptée » (8).<br />

Au surplus, les services fiscaux <strong>français</strong> continuaient de considérer l’exploitation <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

comme largement bénéficiaire, bien qu’elle ne l’était plus de toute évidence. Pour<br />

l’année 1814, le pro<strong>du</strong>it net imposable avait ainsi été estimé à 17 984 francs, alors que, selon<br />

les calculs d’<strong>Auguste</strong>, l’entreprise avait en réalité fait une perte de 5 982,27 francs. Pour<br />

l’année 1815, elle aurait pu être exemptée de toute imposition, si elle avait présenté à temps<br />

l’état de ses pertes <strong>du</strong>es à l’invasion. Mais ayant omis de le faire, elle fut taxée d’office.<br />

Il était temps de redresser la barre. <strong>Auguste</strong> entreprit alors de vérifier les comptes depuis<br />

1812, année des premières impositions. Ce qui le convainquit que l’ingénieur des mines <strong>du</strong><br />

Bas-Rhin, profitant d’une gestion trop longtemps approximative, avait pris l’habitude de<br />

surestimer les revenus tout en sous-estimant les dépenses. Il en vient ainsi à réclamer pour<br />

l’année 1815 un remboursement de 594,84 francs, sur une imposition (redevance annuelle)<br />

qui avait été établie à 1 039,51 francs. Il demanda aussi que l’abonnement annuel de la mine<br />

soit fixé à 500 francs pour une première période de cinq ans.<br />

Pour les besoins de son argumentation, <strong>Auguste</strong> rédigea, le soir, à la lueur de la chandelle,<br />

de très longs rapports et contre-rapports, démontrant point par point et au centime près les<br />

erreurs de calcul de l’ingénieur des mines. Rapports dont trois exemplaires sont heureusement<br />

conservés aux archives <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Pechelbronn. Ce travail ne fut pas vain, car<br />

<strong>Auguste</strong> finit par obtenir un arbitrage d’experts. Celui-ci opposa Valentin Haas, directeur des<br />

forges De Dietrich, l’expert qu’il avait choisi, à Nicolas Marie Tirant de Bury, maire de<br />

Soultz-sous-Forêts, qui était l’expert désigné par les pouvoirs publics. Résultat : la préfecture<br />

<strong>du</strong> Bas-Rhin accepta de fixer le pro<strong>du</strong>it net imposable de 1814 à 8 510 francs, au lieu de<br />

20 000, et de ré<strong>du</strong>ire également celui de 1815. Peu après, l’établissement <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

obtiendra également d’être assujetti à un abonnement annuel de 500 francs pour un revenu net<br />

imposable moyen de 10 000 francs (15).<br />

Péripéties qu’<strong>Auguste</strong>, dans ses notes, résume en ces termes : « Depuis que je dirige cette<br />

mine, on n’a jamais eu égard aux déclarations annuelles des pro<strong>du</strong>its nets imposables que<br />

j’ai faites. Les pertes éprouvées par deux invasions de notre territoire n’ont obtenu aucune<br />

considération. Les vexations augmentant sans cesse, j’ai rompu un silence qui nous devenait<br />

chaque jour plus préjudiciable. Je demandai une expertise contre la surtaxe de la redevance<br />

de 1814 (…). Des erreurs de calcul de l’ingénieur en 1815 complétaient la chose. Comme<br />

l’établissement était en perte, je ne pus supporter l’arbitraire de l’imposition d’un pro<strong>du</strong>it de


17 984 francs fixé par l’ingénieur. J’obtins donc d’être enten<strong>du</strong> le 26 août 1817 devant M. le<br />

préfet, le comité d’évaluation, le directeur des contributions et M. Voltz (l’ingénieur des<br />

mines <strong>du</strong> Bas-Rhin). Je leur démontrai clairement que M. Voltz, entraîné par trop de zèle,<br />

avait commis une erreur de 15 673,80 francs sur 17 984 francs au préjudice de M. Le Bel. Il<br />

en est résulté qu’on m’a accordé pour cinq années un abonnement de 500 francs par an<br />

finissant en 1821 inclusivement » (16).<br />

L’ami de Jean-Baptiste Boussingault<br />

A partir de 1815, <strong>Auguste</strong> porta donc le titre de « directeur des travaux souterrains », de<br />

« directeur de la mine » ou encore de « directeur des mines de Pechelbronn ». Il s’y faisait<br />

appeler Antoine, car c’était son véritable prénom d’état civil, <strong>Auguste</strong> n’étant qu’une<br />

convenance familiale.<br />

Ainsi était-il devenu l’alter ego de Jean-Baptiste Boussingault, futur membre de l’Institut et<br />

de l’Académie des Sciences, qui en janvier 1821, à l’âge de 19 ans, était venu diriger la mine<br />

d’asphalte voisine de Lobsann, à sa sortie de la nouvelle Ecole des mines de St-Etienne. Les<br />

deux hommes n’avaient pas tardé à faire connaissance et ne manquèrent pas de sympathiser,<br />

si bien que Jean-Baptiste Boussingault mentionne <strong>Auguste</strong> Mabru dans ses « Mémoires ».<br />

C’est un homme « instruit », écrit-il de lui. « Il possédait une collection de minerais très<br />

intéressante et connaissait bien la géologie de l’Auvergne. Nous parlions souvent cratères. »<br />

Boussingault, cependant, ne restera à Lobsann que six mois. En juin 1821, il quittait déjà<br />

l’Alsace pour se joindre à une mission scientifique en Amérique latine, où il séjournera jusqu’en<br />

1833. Une dernière fois, avant son départ, il alla coucher au Pechelbronn et le lendemain,<br />

c’est <strong>Auguste</strong> qui le raccompagna à Lobsann (17).<br />

Boussingault ne reviendra dans nos contrées qu’en 1834. Le 7 janvier 1835, à l’âge de 33<br />

ans, il épousera à Kutzenhausen Marie Salomé Alexandrine Adèle, 19 ans, l’unique fille<br />

survivante de Marie Joseph Achille Le Bel. <strong>Auguste</strong>, qui avait déjà été témoin de la naissance<br />

de l’épousée, fut aussi l’un des témoins de son mariage.<br />

A noter qu’en 1815 <strong>Auguste</strong> avait également eu la visite au Pechelbronn d’une vieille<br />

connaissance de son frère Claude, le général d’artillerie baron Boulart, qui sera directeur de<br />

l’Ecole d’artillerie de Strasbourg de 1816 à 1830. A vrai dire, le général Boulart était passé<br />

chez Nicolas Marie Tirant de Bury, autre vétéran de l’artillerie napoléonienne, qui, s’étant<br />

associé à Rosentritt pour la ferme de la saline de Soultz-sous-Forêts, avait fini par devenir le<br />

maire de la localité. Mais c’est la société <strong>du</strong> Pechelbronn que le général baron Boulart préféra.<br />

« A Soultz, raconte-t-il dans ses Mémoires, M. Tirant de Bury, ex-capitaine d’artillerie,<br />

homme riche, m’offrit une maison agréable et un joli logement. De ce dernier endroit, j’allai<br />

plusieurs fois visiter, à une lieue de là, à Beckelbrünn, l’établissement de MM. Le Bel et<br />

Mabru, où l’on exploite des mines de bitume. Je connaissais ces messieurs, l’un comme frère,<br />

l’autre comme oncle <strong>du</strong> chef de bataillon Mabru. Ce voisinage me fut chose agréable,<br />

d’autant plus que je trouvais dans ces messieurs conformité d’opinion avec moi et que, dans<br />

les tristes circonstances où nous étions, c’est se soulager que de pouvoir s’épancher » (18).<br />

La différence d'accueil s'explique aisément. Nicolas Marie Tirant-Bury, maire de Soultz<br />

depuis le 1er décembre 1812, s'était rallié, avec le préfet <strong>du</strong> Bas-Rhin Lezay-Marnesia, aux


Bourbons dès les premiers jours de la Restauration en avril 1814, alors que les Le Bel étaient<br />

restés des nostalgiques de l'Empire.<br />

Tenté par le château Geiger de Soultz<br />

Sans doute <strong>Auguste</strong> Mabru s’efforça-t-il de se constituer un patrimoine. Mais nous n’en<br />

avons pas encore retrouvé la trace dans les minutes notariales locales. Nous savons seulement<br />

que le 8 octobre 1817 il se montra à Soultz-sous-Forêts aux enchères publiques des effets<br />

mobiliers laissés par feu Christophe Gouy, ancien copropriétaire des mines d’asphalte voisines<br />

de Lobsann. Il y fit l’acquisition de trois petits pots en faïence, de trois vases en faïence,<br />

d’un plat à café, d’une table, d’un pot de fer, d’une tourtière, d’une casserole, d’une petite<br />

chaîne, de six verres, d’une bergère, d’une glace, d’une plaque de cuivre, de deux tableaux<br />

(qu’il paya onze francs), de quatre autres tableaux, de quatre cahiers de petites gravures, de<br />

livres en tous genres ainsi que de vingt-sept volumes de musique (19).<br />

Le 1 er avril 1826, à 9 heures <strong>du</strong> matin, comme simple « propriétaire demeurant à Bechelbronn<br />

» (sic), <strong>Auguste</strong> Mabru avait ensuite fait procéder à la vente aux enchères, « en la<br />

maison de la poste aux chevaux » à Soultz, de 42 lots de bois de chauffage de hêtre et de 9<br />

lots de fagots provenant de la forêt <strong>du</strong> Kirchspiel de Soultz, canton Ebenheid, à l’entrée est<br />

Lobsann, qui lui rapporteront la somme de 1 400 francs (20).<br />

Le 23 février 1828, par devant le notaire Müntz de Soultz, <strong>Auguste</strong> Mabru révoque ensuite<br />

« formellement tous les testaments qu’il a pu avoir fait à ce jour sans aucune exception, afin<br />

qu’ils soient considérés comme non avenus » (ABR : 7E56.1/154). Quel événement a pu<br />

motiver cette décision ? Quels ont été ces testaments et où ont-ils été consignés ? Nous n’en<br />

savons strictement rien. Disons simplement que Marie Joseph Achille Le Bel avait lui aussi<br />

révoqué, chez le même notaire, « tout testament qu’il (a pu) avoir fait ». Mais c’était cinq ans<br />

plus tôt, le 25 juillet 1823 (21).<br />

Puis, le 26 août 1829, <strong>Auguste</strong> s’est mis sur les rangs pour acquérir l’ancienne résidence <strong>du</strong><br />

bailli Geiger à Soultz (l’actuel presbytère catholique), dont le propriétaire, Nicolas Marie<br />

Tirant de Bury, maire <strong>du</strong> bourg, venait de décéder. Il s’était d’autant plus enhardi dans cette<br />

enchère qu’il avait touché l’année précédente la moitié <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it de la vente, par son frère<br />

Claude, des sources familiales de Romagnat près de Clermont-Ferrand (1). Il voulut acquérir<br />

la totalité de la propriété Geiger, autrement dit le « château » avec ses dépendances immédiates<br />

(grange, écuries, étables à vaches, ré<strong>du</strong>its à porcs, remises, pressoir, maison de portier,<br />

distillerie, buanderie et puits à pompe) d’une superficie de 26 ares 50 centiares, ainsi que les 5<br />

ha 50 ares 78 centiares de jardins potagers, qui s’étendaient à l'arrière.<br />

L’ensemble avait été estimé à 37 500 francs. <strong>Auguste</strong> fut le premier à surenchérir à 38 800<br />

francs, c’est dire s’il était intéressé. Mais il fut contré de cent en cent francs par le percepteur<br />

Mansuy de Soultz jusqu’à atteindre la cote de 39 100 francs. C’est alors qu’intervint un<br />

troisième compétiteur, le Sr Charles Henri Kauffmann, juge d’instruction au tribunal civil de<br />

première instance de Belfort, pendant que Mansuy renonçait. Il y eut encore pendant quelque<br />

temps un match Mabru-Kauffmann, que ce dernier, toujours plus audacieux, remporta finalement<br />

avec une mise de 40 000 francs (22). Ainsi donc, le directeur des mines et usines <strong>du</strong><br />

Pechelbronn laissa-t-il échapper une magnifique maison de maître, qui aurait dépassé en éclat<br />

celle de ses oncle et cousins. Mais sans doute était-elle réellement au-dessus de ses<br />

possibilités.


La vie publique<br />

Jean André Geynet, son prédécesseur, avait été nommé au début de 1795 aux fonctions de<br />

premier membre <strong>du</strong> Conseil général de l’administration <strong>du</strong> district de Wissembourg. Ce qu’il<br />

avait <strong>du</strong> refuser de crainte de négliger le Pechelbronn (5). Jean André Geynet fut aussi nommé<br />

maire de Lampertsloch à la fin <strong>du</strong> Premier Empire. Mais rien de tout cela chez <strong>Auguste</strong><br />

Mabru, qui n’exerça aucun mandat public local, puisqu’il n’était pas de souche alsacienne.<br />

Nous savons seulement qu’au début de 1822 Frédéric Dournay, le nouveau propriétaire des<br />

mines de Lobsann, le choisit comme expert pour fixer l’indemnité annuelle qu’il devait payer<br />

pour son établissement aux communes propriétaires de la forêt <strong>du</strong> Kirchspiel. Nicolas Marie<br />

Tirant de Bury, le maire de Soultz, avait pris de son côté Georges Müntz, le receveur de la<br />

fabrique protestante. Mais redoutant que leurs avis soient difficiles à départager, <strong>Auguste</strong><br />

Mabru conseilla à Frédéric Dournay de demander au sous-préfet de Wissembourg de désigner<br />

un troisième expert. Celui-ci proposa M. Haas, le directeur des forges de Dietrich déjà<br />

mentionné, ou à son défaut le receveur des contributions de Wissembourg. Cette redevance<br />

annuelle sera finalement fixée au terme moyen de 47,67 francs, que Frédéric Dournay accepta<br />

d’arrondir à 48 francs (23).<br />

Valentin Haas, le directeur des Forges <strong>du</strong> Bas-Rhin (de Dietrich) (1766-1833), apparaît ainsi pour la<br />

seconde fois comme expert-arbitre des différends miniers locaux. N’étant pas concurrent, il faut en réalité<br />

le considérer comme un intime des exploitants <strong>du</strong> Pechelbronn. Ceux-ci lui commandaient les chaudières<br />

de fonte dont ils pouvaient avoir besoin, et lui-même ne manquait pour ainsi dire jamais de les visiter<br />

lorsqu’il partait de Zinswiller, son lieu de résidence, inspecter ses minières de fer de Schwabwiller et de<br />

Lampertsloch. A l’aller comme au retour, le Pechelbronn était en effet sur son chemin. Mais Valentin<br />

Haas aimait aussi faire étape (dîner, souper et /ou dormir, selon les circonstances) chez le pharmacien de<br />

Soultz, Frédéric Musculus, son ancien compagnon des guerres de Vendée.<br />

Si l’on en croit son journal, c’est en septembre 1815 que Valentin Haas avait été choisi la première fois,<br />

comme expert par Marie Joseph Achille Le Bel dans le différend qui l'opposait à l’ingénieur des mines<br />

départemental Calmelet sur l’établissement <strong>du</strong> montant de la redevance proportionnelle annuelle. Le 20<br />

septembre 1816, au retour de Schwabwiller, il dîna donc au Pechelbronn et en discuta « longuement »<br />

avec <strong>Auguste</strong> Mabru. Il fera cette expertise le 26 suivant. Le 29, Marie Joseph Achille lui fit parvenir à<br />

Zinswiller le procès-verbal d’expertise. Il rectifia ce qu’il y trouva d’inexact, puis le renvoya à son<br />

expéditeur.<br />

Le 3 janvier 1817, en se rendant à sa minière de Schwabwiller, Valentin Haas repasse au Pechelbronn<br />

pour remettre un paquet à <strong>Auguste</strong> Mabru, mais celui-ci était absent. Le 26 août 1817, il rejoint <strong>Auguste</strong><br />

au Pechelbronn pour se rendre ensuite à la Préfecture de Strasbourg et participer avec lui au comité<br />

devant fixer le revenu des mines <strong>du</strong> Bas-Rhin. Le 13 mars 1821, il retrouve <strong>Auguste</strong> chez le pharmacien<br />

Musculus de Soultz, car ils ont tous deux été désignés comme experts pour établir le montant des frais<br />

d’extraction de la houille que la mine de Lobsann était tenue de livrer à la saline de Soultz. L’après-midi,<br />

ils en signaient le procès-verbal, puis Valentin Haas s’en retourna à Zinswiller. Le surlendemain 15, il<br />

revient au Pechelbronn déjeuner avec Marie Joseph Achille Le Bel et <strong>Auguste</strong> Mabru avant de monter<br />

avec eux à la mine de Lobsann, où ils retrouvèrent Georges Müntz, le troisième expert.<br />

Le 16 novembre 1822, par contre, c’est <strong>Auguste</strong> Mabru qui se rend chez Valentin Haas à Zinswiller<br />

pour lui commander « un vase à couler » et lui « donner les explications nécessaires ». Le 27 juillet 1823,<br />

<strong>Auguste</strong> assiste à un bal chez les de Dietrich. Le journal de Valentin Haas avait été très partiellement<br />

repro<strong>du</strong>it par la Revue d’Alsace en 1926. En 2001, Hélène Fillet, qui est sa descendante par sa fille<br />

Henriette (1804-1883) et enseignante à Montmorillon (86), se mit en tête d’en retrouver le manuscrit<br />

original. Elle écrivit à tous les Haas de Strasbourg. La réponse vint de Heidi Haas, qui dit le posséder.<br />

Elle lui en adressa une photocopie de 323 pages, que Hélène Fillet ressaisit sur son ordinateur avant de<br />

nous en adresser une copie électronique (24).


En mars 1836, <strong>Auguste</strong> Mabru fut aussi désigné d’office par le tribunal civil de Wissembourg<br />

pour expertiser une maison <strong>du</strong> village voisin d’Oberkutzenhausen (25). ©<br />

Jean-Claude Streicher (novembre 2007)<br />

NOTES :<br />

(1) Liliane Godat-Chanimbaud : « Ces Auvergnats oubliés qui firent la France et préparèrent l’Europe, tome II,<br />

Antoine (<strong>Auguste</strong>) Mabru, les Le Bel et l’exploitation <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> en Alsace », auto-édition, 63580 St-Etienne-sur-<br />

Usson, mars 2004, 351 pages) (liliane.godat@libertysurf.fr).<br />

(2) Jean-Claude Streicher : « Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn, 6. Marie-Anne Charlotte Le Bel<br />

(1778-1848) ».<br />

(3) Lacoste : « Lettres minéralogiques et géologiques sur les volcans d’Auvergne », écrites à l’occasion d’un<br />

voyage fait en 1804, Impr. De Landriot, 1805, p. 316. Cité par Liliane Godat (1).<br />

(4) « Dires de M. A. Mabru, directeur de la mine de Bechelbronn par suite de l’expertise <strong>du</strong> 26 septembre<br />

1816 », Bechelbronn, le 28 septembre 1816. Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Pechelbronn, très aimablement<br />

communiqués par Daniel Rodier, des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(5) AN : F14 8142.<br />

(6) (ABR : 7E57.12/9).<br />

(7) « Observations de M. A. Mabru sur la redevance proportionnelle de la mine de <strong>pétrole</strong> de Bechelbronn<br />

(exercice 1815) », Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>, Merkwiller-Pechelbronn, très aimablement communiquées par<br />

Daniel Rodier des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(8) AN : F14 8142, « Observations par A. Mabru sur la demande en opposition <strong>du</strong> 13 mai 1839 formée par<br />

Fréd. Wolf d’Oberbetschdorf ».<br />

(9) Référence très aimablement communiquée par M. Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(10) Louis Frédéric Achille Le Bel (1807-1867) : « Traitements des sables asphaltiques <strong>du</strong> Pechelbronn », note<br />

manuscrite datée <strong>du</strong> 15 décembre 1859, conservée au <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Pechelbronn, très aimablement<br />

communiquée par M. Daniel Rodier des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(11) ABR : 7E69.1/40.<br />

(12) ABR : 7E67.1/84.<br />

(13) ABR : 7E67.1/85.<br />

(14) D’après les « Actus baptismales Lampertsloch, 1816-1889 », renseignement très aimablement communiqué<br />

par M. René Schellmanns, Lampertsloch.<br />

(15) AN : F14 4050.<br />

(16) Notes d’<strong>Auguste</strong> Mabru « analogues à celles prises par M. l’ingénieur aux époques de ses tournées pour<br />

l’inspection », Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>, Merkwiller-Pechelbronn, très aimablement communiquées par M.<br />

Daniel Rodier des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(17) Jean Baptiste Boussingault : « Mémoires », tome I, Paris 1892.<br />

(18) « Mémoires (1792-1815) <strong>du</strong> général d’artillerie baron Boulart », Tallandier, Paris, 1992, p. 342.<br />

(19) ABR : 7E56.1/92, référence très aimablement communiquée par Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(20) ABR: 7E56.1/140.<br />

(21) ABR : 7E56.1/124.<br />

(22) ABR : 7E56.1/163, référence très aimablement communiquée par Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(23) ABR : 414D910.<br />

(24) Nous l'avons mis en ligne sur : http://membres.lycos.fr/daney/pech5.htm<br />

(25) ABR : U956.


L'im m e u b l e <strong>du</strong> 4-6 rue des Petits Gra s, dan s le centr e de Cler m o n t- Ferra n d, dont Au g u s t e Ma b r u<br />

avait hérité en 1808, au déc è s de son gra n d- père (photo JC S, août 2006).


Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

(9) AUGUSTE <strong>MABRU</strong> (1780-1853)<br />

___________________________________________________________________________<br />

CHAPITRE II<br />

Le maître des sondages<br />

Dès l'été 1813, <strong>Auguste</strong> Mabru prend en mains la direction des sondages. Il démarre son premier<br />

forage le 19 juillet et lui donne par conséquent le n° 1 dans son nouveau registre. Cette numérotation<br />

l'a fait considérer comme le premier sondage pétrolier jamais réalisé dans la concession de<br />

Pechelbronn, et par voie d'extension comme le premier sondage pétrolier au monde. C'est<br />

évidemment faux, l'emploi de tarières à bras étant attesté au Pechelbronn dès 1750. <strong>Auguste</strong> fera<br />

procéder au total à une soixantaine de sondages. A partir de 1826, il dispose même de deux sondes,<br />

qu'il met en oeuvre conjointement. Par quatre fois, il dirigea jusqu'à 7 sondages au cours de la même<br />

année, et six fois il dépassera la profondeur de 60 mètres. En 1821, puis de nouveau en 1828, il<br />

explore le sous-sol de Soultz-sous-Forêts. Sinon, ses explorations se concentrent dans le<br />

Niederwald, le Grosswald et les terrains situés à l'arrière <strong>du</strong> domaine <strong>du</strong> Pechelbronn, où elles sont<br />

effectivement les plus fructueuses. C'est donc dans ces terrains qu'il va ouvrir les puits <strong>Auguste</strong> (en<br />

1822), Adèle (en 1833) et Glückauf (en 1838).<br />

Fabrication d'un faux<br />

Le 19 juillet 1813, <strong>Auguste</strong> Mabru se conforme à la nouvelle réglementation minière en<br />

commençant, dans un « carnet », un registre des sondages, a priori le premier <strong>du</strong> genre à<br />

Pechelbronn. Ce carnet sera ensuite retranscrit après 1870 dans un registre grand format, toujours<br />

conservé par le <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

<strong>Auguste</strong> a ouvert ce registre à cette date avec un sondage auquel il donne évidemment le numéro<br />

1. Ce qui l'a fait considérer comme le premier sondage jamais réalisé dans la concession de<br />

Pechelbronn, et par extension comme le premier sondage pétrolier jamais réalisé dans le monde !<br />

L'affirmation est bien sûr totalement infondée. Une fois de plus, on voit que de pseudo historiens<br />

sont parfaitement capables de fabriquer de faux historiques, rapidement adoptés comme des vérités<br />

historiques. Deuxième extrapolation trop hâtive : ce premier sondage <strong>du</strong> 19 juillet 1813 a été<br />

reconstitué, panonceaux et grillages à l'appui, à l'initiative de Patrick Reeb par les soins de<br />

l'Association des amis <strong>du</strong> musée <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Merkwiller-Pechelbronn, beaucoup trop au nord et<br />

beaucoup trop à l'intérieur de la forêt <strong>du</strong> Grosswald. Sa localisation sur la carte de randonnée 3814<br />

ET de l'Institut géographique national est donc elle aussi inexacte.<br />

Ce sondage n'a pu être exécuté qu'au moyen d'une tarière à bras. Et il n'est en aucun cas, au<br />

Pechelbronn, le premier <strong>du</strong> genre, car l'emploi des tarières à bras y est prouvé dès le début de<br />

l'exploitation minière. L'inventaire dressé le 28 février 1750 par le notaire de Woerth de tous les<br />

outils et ustensiles laissés à la garde de l'inspecteur Koehler et <strong>du</strong> garde-magasin Guérard<br />

mentionne ainsi la présence « dans le premier hangar », d' « une tarière à sonder consistante en 14<br />

pièces y compris la clé » (1).<br />

La tarière est alors un instrument tout à fait courant et absolument indispensable de la panoplie de<br />

l'exploitant minier. Elle sert à déterminer la marche des filons et le meilleur emplacement pour les<br />

puits, pour peu que ces filons n'évoluent pas à trop grande profondeur, ni dans des terrains rocheux.


Ce qui était le cas des nappes de sables bitumineux <strong>du</strong> Pechelbronn.<br />

La tarière à bras était donc également utilisée par les exploitants de la saline voisine de Soultz-sous-Forêts<br />

pour la recherche de nouvelles sources salées souterraines. En 1745, la Chancellerie de Bouxwiller met ainsi à la<br />

disposition des frères Kruel la sonde seigneuriale (« herrschaftlicher Bohrer »), alors constituée d'un Bohrer et<br />

de deux Meissel, pour leur permettre de fouiller le canton Taublochwinkel de Kutzenhausen. Cette sonde venait<br />

alors d'être réparée aux forges de Dietrich <strong>du</strong> Jaegerthal.<br />

En 1751, le serrurier May de Soultz-sous-Forêts livre encore aux frères Kruel des tiges (Gestang) pour leur<br />

sonde (« Grundbohrer »). Le forgeron Jakob Sauerkopf met en outre à leur disposition un nouveau trépan (« ein<br />

neuer Grundbohrer ») de 6 pouces de largeur. Au total, 6 longues tiges et une petite tige sont alors livrées aux<br />

frères Kruel pour leur nouvelle campagne de sondages au Taubloch.<br />

En 1757, les frères Kruel indiquent qu'ils utilisent quotidiennement une sonde de mineur (« Bergfohrer »)<br />

d'une valeur de 200 florins. Mais deux hommes ne suffisent pas à la transporter. Il faut un chariot (2) (3).<br />

Dans son Traité asphaltique de 1769, Etienne François Saget, le garde-magasin d'Antoine Le Bel, explique<br />

qu'il utilisait la tarière à bras avec une boussole et qu'il pouvait atteindre une profondeur de 15 pieds, soit 45 m<br />

environ. Mais les « boudins » qu'il remontait avaient l'inconvénient de ne jamais donner d'indications très<br />

précises.<br />

« Chaque fois que la tarière rentre dans la terre, explique-t-il, elle prend à la fois des différents filons. Il est<br />

par conséquent impossible d'en reconnaître la qualité ni de savoir à quelle profondeur ils se trouvent. Lors<br />

même que l'on découvre un filon par le moyen de la tarière que l'on voit être bon, on ignore cependant sa<br />

naissance et souvent n'est plus qu'un bouillon. On fait construire un puisard. Arrivé sur le filon, qui n'est souvent<br />

que très sauvage, on ouvre des galeries et après bien des dépenses on en est pour se retenir avec perte, le filon<br />

se coupe et se perd de tout côté » (4).<br />

A son tour, l'inventaire dressé le 11 février 1762, après la prise de participation d'Antoine Le Bel dans<br />

l'exploitation, mentionne l'outil de sondage alors utilisé. Il s'agit d'« une tarière de fer composée de douze pièces<br />

avec trois clefs » (5). Elle avait donc été changée entre temps, puisque dix ans auparavant elle était constituée de<br />

14 pièces, dont une clé.<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru disposera de deux sondes à partir de 1825, qu'il employait le plus souvent en même temps. En<br />

décembre 1838, il nous apprend qu'elles ne pouvaient se transporter que sur des chariots tirés par quatre chevaux,<br />

tant leurs éléments métalliques étaient lourds et encombrants (6).<br />

En 1843, Louis Frédéric Achille Le Bel prête l'une de ses sondes de mineur à Georges Mûntz, que le tribunal<br />

de Wissembourg venait de nommer expert dans une contestation opposant un cultivateur de Surbourg à trois<br />

fouilleurs de fer <strong>du</strong> village. Le premier accusait en effet les seconds d'avoir débordé dans son champ. Georges<br />

Müntz se servit donc de la sonde pour déterminer si les pyrites de fer se prolongeaient effectivement chez ce<br />

cultivateur. Il pratiqua cinq trous verticaux d'environ 12 m de profondeur, les deux premiers dans le centre de<br />

« l'affaissement », les trois autres en-dehors, dans le champ <strong>du</strong> plaignant (7).<br />

L'inventaire après-décès dressé en octobre 1867 des biens laissés par Louis Frédéric Achille Le Bel confirme<br />

l'existence de deux sondes, mais en donne une description plus complète. La première se composait d'une chèvre<br />

de sondage avec cabane, de 6 tarières, de 5 ciseaux à tétons, d'un ciseau sans téton, de 3 langues de serpent, d'une<br />

cloche, d'un tire-bourre, d'une caracole, de 2 cylindres à soupape, de 2 têtes de sonde, de 7 petites barres à<br />

emmanchement, de 9 bouts de barres coupées, d'une poulie, de 4 pièces pour attacher les sondes au câble, de 4<br />

tourne-à-gauche, de 3 fourches support de sonde, de 4 arbres de poulie, d'un manche à ouverture carrée au<br />

milieu, d'un tire-sonde, d'un crochet pour battre et de 20 barres de sonde, le tout estimé à une valeur de 1 036<br />

francs.<br />

La deuxième sonde était pour sa part composée d'une chèvre de sondage sans cabane, de 2 tuyaux de sonde, de<br />

2 treuils, de 4 tarières, d'une grande tarière, d'une langue de serpent, de 2 ciseaux à téton, d'un ciseau sans téton,<br />

de 2 ciseaux à croix, d'un ciseau carré, d'un ciseau à chanfrein, d'un alésoir, d'une cloche à queue, d'un tirebourre,<br />

d'une cloche à vis, de 2 têtes de sonde, de 3 tire-sonde (Toben), de 2 poulies, de 4 tourne-à-gauche, d'un<br />

crochet pour battre, d'une fourche support de sonde de 4 petites barres à emmanchement et de 17 barres de<br />

sonde, le tout estimé à la valeur de 621,60 francs. Il s'y ajoutait des outils de sonde réformés, estimés à 520<br />

francs (8).


Dans le Grosswald<br />

Le sondage n° 1 <strong>du</strong> 19 juillet 1813 n'avait donc rien d'historique et ne présente aucune nouveauté<br />

technologique fondamentale. Il indique seulement le début, dans l'exploitation de Pechelbronn,<br />

d'une consignation plus rigoureuse des forages exploratoires et de leurs résultats. Cette<br />

consignation, souvent accompagnée d'un petit croquis de situation, devait éviter de revenir sonder<br />

aux mêmes emplacements et aider à déterminer les nouvelles campagnes de sondages en fonction<br />

des résultats des sondages précédents.<br />

Ce sondage n° 1 a été entrepris dans la forêt <strong>du</strong> Grosswald, sur le côté est <strong>du</strong> chemin con<strong>du</strong>isant<br />

d'Oberkutzenhausen au Marienbronn, en avant des nappes de sables bitumineux alors exploitées à<br />

partir <strong>du</strong> puits Marie-Louise, ouvert au 1er avril 1810. On voulait donc s'assurer que ces couches se<br />

prolongent jusque là. Mais il n'en fut rien. Le sondage <strong>du</strong>ra 29 jours, jusqu'au 12 août suivant, et fut<br />

poussé jusqu'à 42,2 m de profondeur. Il ne révéla aucun indice pétrolier et fut arrêté « dans une<br />

glaise grise bleue très <strong>du</strong>re ». Alors absent, <strong>Auguste</strong> Mabru n'avait pu assister à son avancement<br />

pendant les trois premières semaines.<br />

Mais il lança dans la foulée deux autres sondages, dans le prolongement <strong>du</strong> premier. Le n° 2<br />

débuta le 12 août 1813, date de l'arrêt <strong>du</strong> n° 1, et <strong>du</strong>ra jusqu'au 8 septembre suivant, date à laquelle<br />

fut commencé le sondage n° 3. Cet enchaînement prouve qu'<strong>Auguste</strong> Mabru ne disposait alors que<br />

d'une seule tarière à bras.<br />

Le sondage n° 2 descendit jusqu'à 36,38 m et trouva <strong>du</strong> « minerai pas très gras ». Le sondage n°<br />

3, lui, descendit à 35,245 m, mais sans trouver de minerai « qui mérite l'exploitation ». Le 25<br />

septembre, ses ouvriers avaient d'ailleurs <strong>du</strong> être affectés à d'autres travaux et quand ils revinrent,<br />

leur trou de sonde s'était bouché, motivant son abandon.<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru lance ensuite 7 sondages (n° 4 à 10) dans la forêt <strong>du</strong> Niederwald. Mais les trois<br />

premiers, menés en juillet 1818, ont seulement pour but de rechercher de l'eau susceptible<br />

d'alimenter une fontaine à la ferme-château <strong>du</strong> Pechelbronn. Ils ne descendirent donc pas au-delà<br />

d'une profondeur de 10,7 m, car sinon cette eau n'aurait plus pu être con<strong>du</strong>ite jusqu'à pied d'oeuvre.<br />

Ils ne trouvèrent hélas ni eau, ni bitume.<br />

Les sondages suivants descendirent jusqu'à 55,22 m, 52,65 m, 51 m, 59,28 m et 59,28 m<br />

respectivement. L'emplacement <strong>du</strong> n° 7 fut déterminé « d'après l'assurance donnée par M. Mabru<br />

qu'une pareille recherche avait été faite antérieurement à peu près au même endroit et qu'elle<br />

pro<strong>du</strong>it <strong>du</strong> minerai ». Mais on ne trouva rien, comme d'ailleurs au sondage n° 8.<br />

Le sondage n° 9, commencé le 10 septembre 1829 à midi à 60 m <strong>du</strong> précédent et cessé le 15<br />

octobre suivant à midi, trouva par contre <strong>du</strong> minerai. « Mais les détails n'en ont pas été remis par<br />

M. Mabru », note le registre des travaux.<br />

Le n° 10 fut commencé dans le Niederwald le 26 juin 1820 à midi et <strong>du</strong>ra jusqu'au 5 août à<br />

minuit. A 12 m, il trouva <strong>du</strong> sable un peu bitumineux ; à 17 m : <strong>du</strong> sable bitumineux avec des<br />

pyrites de fer ; à 20 m : <strong>du</strong> sable gris légèrement bitumineux ; à 23 m : <strong>du</strong> sable un peu bitumineux ;<br />

à 25 m : <strong>du</strong> sable bitumineux ; à 31 m : <strong>du</strong> minerai peu gras ; à 38 m : <strong>du</strong> sable fin un peu<br />

bitumineux ; à 49 m : de l'argile brune alternant avec un peu de minerai ; et à 52 m : de l'argile<br />

schisteuse avec un peu de minerai. Bref, on n'avait trouvé aucun minerai exploitable.<br />

Deux autres sondages furent également menés dans le canton Krummel de Kutzenhausen, pour<br />

trouver de l'eau dont la ferme-château avait besoin pour sa consommation quotidienne. Le premier


(n° 11), <strong>du</strong> 7 au 11 août 1820, à l'est <strong>du</strong> chemin de Merkwiller à Lobsann, descendit jusqu'à 13,96<br />

m de profondeur ; le deuxième (n° 12), dans le prolongement <strong>du</strong> précédent, <strong>du</strong> 12 au 14 août,<br />

jusqu'à 11,70 m de profondeur. Il trouva de l'eau à 1,30 m de la surface <strong>du</strong> sol.<br />

Forages en plein Soultz<br />

En 1821, <strong>Auguste</strong> entreprend pour la première fois dans l'histoire <strong>du</strong> Pechelbronn des sondages<br />

en-dehors <strong>du</strong> périmètre immédiat de l'ancienne source <strong>du</strong> Baechel-Bronn. Il procéda à cinq forages<br />

jusqu’à une profondeur de 26 m dans le cœur même de la bourgade de Soultz-sous-Forêts, autour<br />

<strong>du</strong> bureau de poste actuel ainsi que devant l’église catholique (dans la propriété par conséquent <strong>du</strong><br />

maire de la localité, Nicolas Marie Tirant de Bury). Selon toute apparence, il comptait retrouver les<br />

lits bitumineux, qui depuis la saline étaient supposés se prolonger sous la localité. Curieusement,<br />

ces cinq sondages ne sont pas enregistrés dans le registre conservés par le <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

<strong>Auguste</strong> en a néanmoins laissé deux plans de situation, que Paul de Chambrier a insérés dans son<br />

« Historique de Péchelbronn ». Quoique non totalement infructueux, ces sondages ne permirent<br />

aucune mise en exploitation (9).<br />

<strong>Auguste</strong> reviendra à Soultz-sous-Forêts sept années plus tard, en 1828, pour y procéder à quatre<br />

autres sondages, cette fois répertoriés dans le grand registre conservé par le <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

Le premier, n° 38, fut commencé le 24 juin et terminé le 30 juillet en bor<strong>du</strong>re <strong>du</strong> canton<br />

Taublochwinkel, à l'extrémité d'une pièce de terre appartenant à Jacques Scheib de Soultz. Il<br />

descendit jusqu'à 64,15 m de profondeur, mais resta totalement infructueux.<br />

Le deuxième, n° 39, fut lancé <strong>du</strong> 12 juillet au 26 août 1828, face à la Rohrmatt <strong>du</strong> ban de<br />

Kutzenhausen, dans une prairie qui devait ultérieurement échouer à Jean Baptiste Boussingault. Au<br />

bout d'un mois et treize jours, il atteignit la profondeur de 54,05 m, mais sans traverser la moindre<br />

couche bitumineuse.<br />

Le troisième, n° 41, <strong>du</strong>ra <strong>du</strong> 30 juillet au 15 septembre 1828. Il fut entrepris à l'angle <strong>du</strong> vieux<br />

cimetière de Soultz, sur le côté gauche de la grand-route de Wissembourg. Bien que descen<strong>du</strong><br />

jusqu'à 62,74 m, il ne découvrit lui aussi aucun indice.<br />

Le quatrième et dernier sondage soultzois, n° 42, fut lancé <strong>du</strong> 15 septembre au 4 octobre 1828 à<br />

l'arrière de la résidence <strong>du</strong> maire Nicolas Marie Tirant de Bury, donc derrière le presbytère<br />

catholique actuel, dans la moitié est de l'ancien jardin <strong>du</strong> curé. Il se contenta de descendre à 34,94 m<br />

de profondeur en 19 jours de travaux et fut aussi infructueux que les trois précédents.<br />

Les forages n° 38 et 39 étaient concomitants. Mais ce n'était pas la première fois. Déjà, <strong>du</strong> 22 août<br />

au 14 septembre 1826, <strong>Auguste</strong> avait mené deux sondages en même temps dans le canton in den<br />

Lohren de Kutzenhausen, preuve qu'il disposait désormais de deux sondes, de capacité équivalente,<br />

puisque ces sondages <strong>du</strong> canton in den Lohren descendirent jusqu'à 42,36 et 43,2 m de profondeur<br />

respectivement. Ceux-ci seront suivis en 1828 de deux autres sondages concomitants, « derrière<br />

Merkwiller », puis dans toutes les autres campagnes de sondages. Deux sondes coexisteront<br />

effectivement au Pechelbronn, jusqu'au décès de Louis Frédéric Achille Le Bel en 1867, dont<br />

l'inventaire après décès énumère en effet deux systèmes complets de sondes, un grand et un petit.<br />

Les autres sondages<br />

Jusqu'à sa rupture avec les Le Bel en 1838, <strong>Auguste</strong> procéda encore à 38 sondages répertoriés,


tous dans la périphérie <strong>du</strong> Pechelbronn. Nous les récapitulerons par cantons.<br />

Dans la forêt <strong>du</strong> Niederwald :<br />

− sondage n° 13, <strong>du</strong> 14 août au 20 septembre 1820, jusqu'à 63,66 m de profondeur. Il traversa 17<br />

couches de minerai ;<br />

− sondage n° 22, <strong>du</strong> 22 juillet au 25 août 1825, jusqu'à 46,85 m de profondeur. Il traversa 7<br />

couches de minerai ;<br />

− sondage n° 50, près <strong>du</strong> puits Adèle, à partir <strong>du</strong> 20 juin 1833, jusqu'à 41,98 m de profondeur. Il a<br />

traversé 2 couches de minerai, dont un « très bon » à 39,14 m, de 1,79 m de profondeur ;<br />

− sondage n° 51, près <strong>du</strong> puits Adèle, <strong>du</strong> 25 juin au 9 juillet 1833, jusqu'à 48,07 m de profondeur.<br />

Il a traversé 5 couches de minerai ;<br />

− sondage n° 52, près <strong>du</strong> puits Adèle, <strong>du</strong> 3 au 10 juillet 1833, jusqu'à 29,28 m de profondeur. A<br />

25,17 m, il rencontra une couche de minerai qualifié de « bon » ;<br />

− sondage n° 53, près <strong>du</strong> puits Adèle, <strong>du</strong> 10 à 24 juillet 1833, jusqu'à 42,22 m de profondeur.<br />

Dans le canton Lohren :<br />

− sondage n° 14, <strong>du</strong> 16 août au 23 septembre 1820, jusqu'à 47,10 m de profondeur. Il traversa 6<br />

couches de minerai ;<br />

− sondage n° 15, <strong>du</strong> 20 septembre au 14 octobre 1820, jusqu'à 36,7 m de profondeur. Il traversa 3<br />

couches de minerai ;<br />

− sondage n° 16, <strong>du</strong> 23 septembre au 25 octobre 1820, jusqu'à 33,62 m de profondeur. Il traversa<br />

deux couches de minerai ;<br />

− sondage n° 27, <strong>du</strong> 28 juillet au 23 août 1826, jusqu'à 44,82 m de profondeur. Il traversa 4<br />

couches de minerai, dont une, à 37,43 m, d'un minerai gras de 40 cm d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 28, <strong>du</strong> 22 août au 14 septembre 1826, jusqu'à 42,36 m d'épaisseur. Il rencontra 3<br />

couches de minerai ;<br />

− sondage n° 29, <strong>du</strong> 23 août au 14 septembre 1826, jusqu'à 43,6 m de profondeur. Il rencontra<br />

pareillement 3 couches de minerai ;<br />

Dans la forêt <strong>du</strong> Grosswald :<br />

− sondage n° 17, <strong>du</strong> 18 juin au 5 août 1824, jusqu'à 52,78 m de profondeur. Il traversa 5 couches<br />

de minerai maigre ;<br />

− sondage n° 18, <strong>du</strong> 6 août au 17 septembre 1824, jusqu'à 53,6 m de profondeur ;<br />

− sondage n° 26, <strong>du</strong> 4 au 28 juillet 1826, jusqu'à 40,55 m de profondeur. Il rencontra à 37,95 m un<br />

minerai extrêmement gras de 1,65 m d'épaisseur ;<br />

Dans le canton Siegen :<br />

− sondage n° 19, <strong>du</strong> 11 au 28 mai 1825, jusqu'à 41,58 m de profondeur. Il traversa 6 couches de<br />

minerai, dont deux présentaient un « assez bon odorant » ;<br />

− sondage n° 20, <strong>du</strong> 30 mai au 5 juillet 1825, jusqu'à 46,77 m de profondeur. Il traversa 9 couches<br />

de minerai peu bitumineux. Mais à 39 m, il rencontra un minerai « très noir et très gras » de<br />

3,35 m d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 21, <strong>du</strong> 6 au 23 juillet 1825, jusqu'à 40,76 m. Il traversa 5 couches de minerai, dont, à<br />

40,72 m, un minerai qualifié de « bon » de 16 cm d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 23, <strong>du</strong> 23 juillet au 2 août 1825, jusqu'à 30,26 m de profondeur. Il traversa 2 couches<br />

de minerai ;<br />

− sondage n° 24, <strong>du</strong> 2 au 25 août 1825, jusqu'à 30,37 m de profondeur. Il traversa 3 couches de<br />

minerai ;<br />

− sondage n° 25, <strong>du</strong> 14 août au 20 septembre 1825, jusqu'à 42,87 m de profondeur. Il traversa 3<br />

couches de minerai, dont une à 33,29 m constituée d'un minerai très gras et très noir de 1,14 m<br />

d'épaisseur ;


Dans le canton Reitling :<br />

- sondage n° 40, <strong>du</strong> 26 août au 17 septembre 1828, sur le terrain de Georges Eichenlaub, jusqu'à<br />

62,74 m de profondeur, infructueux ;<br />

Autour <strong>du</strong> Pechelbronn :<br />

− sondage n° 30, sur la prairie à l'ouest <strong>du</strong> laboratoire, <strong>du</strong> 11 au 29 juillet 1826, jusqu'à 37,68 m de<br />

profondeur. Son trou de sondage se trouvait 3 m plus bas que la première marche de la cave <strong>du</strong><br />

château Le Bel. Il traversa 9 couches de minerai ;<br />

− sondage n° 31, dans la même prairie, <strong>du</strong> 29 juillet au 22 août 1826, jusqu'à 48,26 m de<br />

profondeur. Il traversa 4 couches de minerai ;<br />

− sondage n° 43, près <strong>du</strong> puits Marie-Louise, <strong>du</strong> 27 juillet au 11 septembre 1829, jusqu'à 57,82 m<br />

de profondeur, infructueux ;<br />

− sondage n° 45, dans le verger derrière le laboratoire, <strong>du</strong> 2 au 12 juin 1833, jusqu'à 37,68 m de<br />

profondeur. A 16,24 m, il rencontra un minerai de 1,33 m d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 47, dans le verger derrière le laboratoire, <strong>du</strong> 12 au 20 juin 1833, jusqu'à 34,54 m de<br />

profondeur. Il a traversé 6 couches de minerai ;<br />

Dans d'autres cantons :<br />

− sondage n° 32, dans un champ de M. Mengès, à Oberkutzenhausen, <strong>du</strong> 4 septembre au 4<br />

octobre 1826, jusqu'à 48,72 m de profondeur. Il traversa 4 couches de minerai ;<br />

− sondage n° 33, derrière Merkwiller, canton Mittelallmend, <strong>du</strong> 18 juin au 13 août 1827, jusqu'à<br />

58,36 m de profondeur. A 48,45 m, il rencontra un minerai « très odorant » de 2,25 m<br />

d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 34, derrière Merkwiller, <strong>du</strong> 19 juin au 17 août 1827, jusqu'à 64,8 m de profondeur,<br />

mais resté infructueux,<br />

− sondage n° 35, à Preuschdorf, sur le chemin de Lampertsloch à Preuschdorf, <strong>du</strong> 14 août au 8<br />

octobre 1827, jusqu'à 64,37 m de profondeur, infructueux ;<br />

− sondages n° 36 et 37, dans la forêt dite Rebgarten à Kutzenhausen, <strong>du</strong> 19 mai au 11 juillet 1828<br />

et <strong>du</strong> 20 mai au 24 juin 1828, jusqu'à 64,8 m et 39,63 m de profondeur respectivement ;<br />

− sondage n° 44, sur le ban de Lampertsloch, <strong>du</strong> 1er au 11 juin 1833, jusqu'à 40,6 m de<br />

profondeur. A 19,16 m, il rencontra « un minerai très gras », de 1,14 m d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 46, sur le ban de Lampertsloch, <strong>du</strong> 11 au 15 juin 1833, jusqu'à 28,72 m de<br />

profondeur. A 15,91 m, il rencontra un minerai « très gras » de 1,35 m d'épaisseur ;<br />

− sondage n° 48, sur le ban de Lampertsloch, <strong>du</strong> 16 au 19 juin 1833, jusqu'à 18,51 m de<br />

profondeur. Il a traversé deux couches de minerai ;<br />

− sondage n° 49, sur le ban de Lampertsloch, <strong>du</strong> 19 au 22 juin 1833, jusqu'à 20,43 m de<br />

profondeur. Il n'a traversé qu'une couche de minerai ;<br />

− sondage n° 54, canton Gabelacker à Kutzenhausen , <strong>du</strong> 11 au 28 juillet 1833, jusqu'à 36,54 m de<br />

profondeur. A 30,31 m, il rencontra un minerai de 5,63 m d'épaisseur.<br />

Analyse statistique<br />

De 1813 jusqu'à sa rupture avec les Le Bel en 1838, <strong>Auguste</strong> Mabru procéda donc à 54 sondages<br />

répertoriés (59, si l'on y ajoute les 5 sondages non répertoriés effectués en 1821 à Soultz). Ses<br />

campagnes ont été irrégulières. Elles se concentrent sur les années 1813, 1818-1821, 1824-1829 et<br />

1833. Celle de 1833 a été la plus active avec 11 sondages. Les cantons les plus sondés sont : les<br />

abords <strong>du</strong> laboratoire (4 sondages), le Grosswald (6 Sondages), le Niederwald (9 sondages) et le<br />

groupe de cantons situés entre le domaine <strong>du</strong> Pechelbronn et le Grosswald (Krummel, in den<br />

Lohren, Reitling, Siegen) avec 18 sondages.<br />

Cinq sondages ont pu être poussés au-delà de 60 m de profondeur :


− le n° 13, en août-septembre 1820, dans le Niederwald, à 63,66 m ;<br />

− le n° 34, en juin-août 1827, derrière Merkwiller, à 64,8 m ;<br />

− le n° 35, en août-octobre 1827, sur le ban de Preuschdorf, à 64,37 m ;<br />

− le n° 36, en mai-juillet 1828, dans le Rebgarten de Kutzenhausen, à 64,8 m ;<br />

− le n° 38, en juin-juillet 1828, au Taublochwinckel, à 64,15 m ;<br />

− et le n° 41,en juillet-septembre 1828, près <strong>du</strong> vieux cimetière de Soultz, à 62,74 m.<br />

38 sondages sur 59 ont révélé une présence de bitume sous la forme d'une à neuf couches plus ou<br />

moins denses. Les plus fructueux se sont trouvés dans le Niederwald, autour et à l'arrière <strong>du</strong><br />

Pechelbronn, en direction <strong>du</strong> Grosswald. C'est donc dans cette dernière direction qu'<strong>Auguste</strong> Mabru<br />

développa l'exploitation. Il ouvrira les puits <strong>Auguste</strong> en 1822, Adèle en 1833 et Glückauf en 1838.<br />

Le nombre de sondages par années<br />

années nombre de sondages cantons<br />

1813 3 3 Grosswald<br />

1814<br />

1815<br />

1816<br />

1817<br />

1818 4, dont 3 de recherche d'eau 4 Niederwald<br />

1819 2 2 Niederwald<br />

1820 7 2 Niederwald, 2 Krummel, 3 Lohren<br />

1821 5 5 Soultz-sous-Forêts<br />

1822<br />

1823<br />

1824 2 2 Grosswald<br />

1825 7 6 Siegen, 1 Niederwald<br />

1826 7 1 Grosswald, 3 Lohren, 2 près <strong>du</strong> laboratoire, 1<br />

Oberkutzenhausen<br />

1827 3 2 Merkwiller, 1 Preuschdorf<br />

1828 7 2 Rebgarten, 1 Taublochwinkel, 1 Rohrmatt, 1<br />

Reitling, 2 bourg de Soultz<br />

1829 1 1 près <strong>du</strong> puits Marie-Louise<br />

1830<br />

1831<br />

1832<br />

1833 11 4 Lampertsloch, 2 près <strong>du</strong> laboratoire, 4 près <strong>du</strong><br />

puits Adèle, 1 Gabelacker


Les Allemands sondaient plus profond<br />

La profondeur des sondages<br />

tranches nombre<br />

moins de 30 m 8<br />

de 30 à 40 m 12<br />

de 40 à 50 m 18<br />

de 50 à 60 m 9<br />

plus de 60 m 6<br />

Le premier sondage <strong>du</strong> Pechelbronn à dépasser la profondeur de 60 m est le n° 13, entrepris dans<br />

le Niederwald <strong>du</strong> 14 août au 20 septembre 1820. Il descendit jusqu'à 63,66 m et traversa pas moins<br />

de 17 couches de minerai. Cette profondeur ne sera dépassée qu'en 1827 et 1828, mais d'un mètre<br />

seulement, avec les sondages n° 34 et 36, qui atteignirent en effet tous deux 64,8 m.<br />

Mais à la même époque, les Allemands descendaient bien plus bas, grâce sans doute à des sondes<br />

d'un acier bien plus <strong>du</strong>r. Dès 1816, un certain Bilfinger découvrit ainsi à Jagstfeld près de<br />

Heilbronn, au terme d'un forage qui <strong>du</strong>ra quatre ans, un gisement de sel gemme à 142 m de<br />

profondeur. Ce qui eut pour effet de déclencher dans la région une véritable fièvre de l'or blanc,<br />

d'autant que trois principautés venaient y confluer, chacune désireuse d'augmenter les revenus<br />

qu'elle tirait de l'impôt sur le sel.<br />

En 1818, le Hofrat Glemp retrouva ainsi le gisement à 134 m de profondeur, après 298 jours de<br />

forage. En 1819, le Salineninspektor Amsler fora jusqu'à 205 m, mais sans le retrouver, ayant été<br />

trop au nord. L'année suivante, par contre, il le retrouva à 140,3 m, après 227 jours de forage.<br />

Puis en 1822, c'est au tour de Georges Chrétien Rosentritt, l'ancien directeur de la saline de<br />

Soultz-sous-Forêts puis de la mine d'asphalte de Lobsann, d'entrer dans la compétition, puisqu'il<br />

était originaire de Bad Dürkheim. Il se mit au service <strong>du</strong> grand <strong>du</strong>c de Bade, en association avec le<br />

mécanicien Johann Ott. A Rappenau, ils découvrent à 175,08 m de profondeur, après 6 mois et 18<br />

jours de forage, une eau salée de 28° de salure, qui sera à l'origine de la saline, puis de<br />

l'établissement thermal de Bad Rappenau.<br />

A les en croire, Rosentritt et Ott avaient alors été les premiers à employer, à l'abri d'un Bohrhaus,<br />

le sondierende Bohrsystem, qui consiste à forer d'abord un orifice de 8,7 cm de diamètre, puis à<br />

l'élargir à 15,5 cm après la découverte des saumures. Dans la foulée, ils procédèrent à quatre autres<br />

sondages de 183,45 m, 187,05 m, 204,56 m et 214,55 m de profondeur respectivement (10).<br />

Sous la Restauration, Pechelbronn n'était donc pas vraiment à la pointe des techniques de<br />

sondage. ©<br />

Jean-Claude Streicher (octobre 2008)


NOTES :<br />

(1) ABR : 6E40 II/100, référence très aimablement communiquée par M. Jean-Marie Klipfel, Gunstett.<br />

(2) ABR : E2188, E3551 et E3553.<br />

(3) Jean-Claude Streicher : « Les deux puits salées annexes de la saline de Soultz-sous-Forêts, 1ère partie », L'Outre<br />

Forêt, n° 117, 1er trim. 2002, p. 53-60.<br />

(4) « Traité asphaltique... », BNUS : Manuscrits 3662.<br />

(5) ABR : 6E40.2/100.<br />

(6) AN : F14 8142.<br />

(7) ABR : U957.<br />

(8) ABR : 7E67.2/163.<br />

(9) Jean-Claude Streicher : « Le <strong>pétrole</strong> à Soultz après Rosentritt », in L’Outre-Forêt n° 105, 1 er trim. 1999, p. 15-20.<br />

(10) Jean-Claude Streicher : « Les dernières années de Georges-Chrétien Rosentritt », L'Outre-Forêt, n° 114,2e trim.<br />

2001, p.33-42.


Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

(9) AUGUSTE <strong>MABRU</strong> (1780-1853)<br />

___________________________________________________________________________<br />

CHAPITRE III<br />

Les travaux à la mine<br />

Avec <strong>Auguste</strong> Mabru, Pechelbronn sort enfin des improvisations et des tâtonnements. L’évolution<br />

se fait sous la contrainte, car l’établissement se met à recevoir la visite, au moins annuelle,<br />

de l’ingénieur des mines départemental, qui, tout en donnant des conseils d’amélioration, réclame<br />

des comptes précis pour la fixation de l'impôt. Cet ingénieur dressa donc année après année<br />

des rapports assez bien détaillés, qui nous renseignent sur les progrès réalisés et les difficultés<br />

rencontrées. Parallèlement, <strong>Auguste</strong> a tenu son propre journal (heureusement conservé), pour<br />

pouvoir contester à l’occasion les notations de son visiteur. Ce double regard nous donne ainsi,<br />

pour la première fois, un suivi des travaux quasiment au jour le jour. Le système d’extraction par<br />

deux puits communicants est poursuivi. Un nouveau puits, dit <strong>Auguste</strong>, est ouvert en 1822, ce<br />

qui entraîne début 1825 la fermeture <strong>du</strong> puits Marie-Louise. Ce puits <strong>Auguste</strong> s’effondre début<br />

1836, mais pour être aussitôt remplacé par un nouveau puits. L’aérage des galeries est amélioré<br />

en 1827 au moyen d’une cheminée « à la liégeoise », et l’exploitation par galeries remblayables<br />

semble la règle à partir de 1829.<br />

La situation en 1812<br />

Mais d’abord dans quelle situation se trouvait la mine <strong>du</strong> Pechelbronn à l’arrivée d’<strong>Auguste</strong><br />

Mabru ? Nous pouvons le dire avec précision grâce aux rapports annuels de visite, que les<br />

ingénieurs des mines <strong>du</strong> département <strong>du</strong> Bas-Rhin ont dressé à partir de 1812 justement, sur<br />

de grands formulaires pré-imprimés conservés aux Archives Nationales à Paris (1).<br />

Par chance, ces rapports se doublent de notes qu’<strong>Auguste</strong> Mabru a rédigées de 1813 à 1837,<br />

parallèlement à ces visites, pour pouvoir s’assurer que les ingénieurs des mines, dont il avait<br />

tendance à se méfier, ne déforment pas ses propos. Ces notes sont par contre conservées au<br />

<strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Merkwiller-Pechelbronn et il n’en manque que les années 1820-1825.<br />

Elles y sont conservées, non pas sous leur forme originale (a priori per<strong>du</strong>e), mais sous forme<br />

dactylographiée, ayant été anonymement retranscrites à une époque difficile à déterminer.<br />

Elles montrent qu’<strong>Auguste</strong> Mabru tenait à assister personnellement à ces visites d’inspection,<br />

sauf en novembre 1814, où il s'était ren<strong>du</strong> en Auvergne.<br />

Nous savons ainsi que la mine <strong>du</strong> Pechelbronn était constituée en 1812 de deux puits, situés<br />

vers Oberkutzenhausen et servant tout à la fois à l’extraction <strong>du</strong> minerai, à l’épuisement des<br />

eaux d’infiltration et à l’aérage des galeries. Chacun d’entre eux était doté d’une machine à<br />

molettes, actionnée par des chevaux et employant un câble d’une centaine de mètres de<br />

longueur et de deux pouces de diamètre. Machines à molettes que Joseph Achille Le Bel<br />

s’était préoccupé de mettre en place à partir de janvier 1802 (2).


En 1812, le premier puits, dit André-Achille ou vieux puits, avait 42 m de profondeur et un<br />

volume de 218 m3. Le second, dit Marie-Louise (sans doute en l’honneur de l’héritière des<br />

Habsbourg-Lorraine, épousée par Napoléon I er en 1810), encore appelé puits neuf, descendait<br />

à 57 m pour un volume de 296 m3. Ils étaient reliés entre eux par une « galerie principale de<br />

roulage et de communication » longue de 213 m et d’un volume de 703 m3, que doublait en<br />

partie une galerie d’aérage « accompagnante » de 129 m de longueur et de 426 m3 de<br />

volume.<br />

De cette dernière galerie, partait une galerie de recherche de 45 m de longueur pour un<br />

volume de 149 m3. Et <strong>du</strong> puits Marie-Louise, une autre galerie d’aérage, longue de 81 m pour<br />

un volume de 267 m3, ainsi qu’une galerie de recherche et d’exploitation de 61 m de longueur<br />

pour un volume de 201 m3. Les trois galeries d’exploitation proprement dites (ou tailles) se<br />

trouvaient alors entre les deux puits. Elles étaient parallèles et longues chacune de 18 m, ce<br />

qui faisait ensemble une longueur de 54 m pour un volume de 178 m3. Ainsi donc, les puits et<br />

les galeries de la mine <strong>du</strong> Pechelbronn avaient-ils en 1812 un volume total de 2 438 m3.<br />

Peu de choses avaient changé par rapport aux descriptions publiées par Philippe Frédéric de<br />

Dietrich en 1789. « La mine de <strong>pétrole</strong> dite de Bechelbrunn, écrit l’ingénieur des mines en<br />

chef Calmelet en 1812, s’exploite dans un ban de sable quartzeux peu cohérent, auquel est<br />

agglutiné <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> liquide brun noirâtre. La couche est presque horizontale, mais<br />

l’exploitation ne peut avoir lieu que pendant huit mois de l’année, parce que la circulation de<br />

l’air n’est pas suffisamment établie dans les travaux pour permettre d’y travailler dans les<br />

temps chauds. »<br />

Deux maîtres mineurs et une douzaine de mineurs se relayaient alors jour et nuit dans les<br />

sous-sols, par poste de douze heures, sauf pendant la coupure des grandes chaleurs et à<br />

l’exception des jours de fête, où le travail était arrêté douze heures. Les mineurs gagnaient<br />

0,90 franc par jour et pouvaient être tenus de travailler la nuit <strong>du</strong> samedi au dimanche, de<br />

minuit à six heures <strong>du</strong> matin. Comme le voulait la tradition, ils profitaient alors d’une surpaye<br />

d’une demi journée. Chacune des trois tailles occupait un mineur. Ils y avançaient de 4 pieds<br />

et demi par jour en moyenne. Ces tailles avaient six pieds de haut (1,90 m), alors que la<br />

couche de sable bitumineux ne faisait que deux pieds et demi d’épaisseur en moyenne (0,80<br />

m). Au total, les mineurs pouvaient alors creuser plus de 450 m de galeries par an. Ils<br />

comblaient la taille épuisée avec les déblais de la taille suivante, pour ne pas avoir à les<br />

remonter à la surface.<br />

La mine employait également une douzaine de brouetteurs, pour amener le minerai jusqu’au<br />

bas des puits d’extraction ; trois verseurs de tonnes, qui versaient les eaux d’infiltration dans<br />

des chenaux pour les faire arriver jusqu’au bas des puits d’épuisement ; deux déchargeurs au<br />

haut des puits et quatre valets de machines aux « baritels à chevaux ». Ces vingt-un<br />

manœuvres étaient payés 0,80 franc par journée de douze heures et se remplaçaient les uns les<br />

autres en fonction des besoins <strong>du</strong> moment (1).<br />

Comment améliorer l’aérage ?<br />

A y regarder de plus près, la mine n’était cependant pas exempte de défauts. « L’exploitation<br />

n’est pas aussi régulière qu’elle pourrait l’être, constate l’ingénieur des mines Calmelet<br />

le 6 octobre 1813. On perd inutilement beaucoup de bois dans les galeries de recherche. »


L’aérage des galeries souterraines demandait d’autre part à être amélioré. En 1814, note<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru, « on a percé dans le roc une galerie d’aérage de 42 m sur 3 ½ pieds de largeur<br />

et 6 pieds de haut ». Mais celle-ci <strong>du</strong>t rester sans effet, car lors de sa visite de septembre<br />

1816, l’aspirant Ch. de Gargan, qui faisait alors les fonctions d’ingénieur des mines dans le<br />

département <strong>du</strong> Bas-Rhin, recommandera de créer un courant d’air artificiel par d’autres<br />

moyens.<br />

Comme il y avait sur chaque puits un fourneau pour la cuisine des ouvriers, explique-t-il, il<br />

était possible de faire communiquer le cendrier d’un de ces fourneaux avec le fonds <strong>du</strong> puits<br />

attenant au moyen d’une con<strong>du</strong>ite de bois. Cela suffirait à créer un mouvement d’air pendant<br />

les quatre heures où les fourneaux sont allumés.<br />

Le 21 juillet 1818, toutefois, lors de sa visite annuelle, Voltz, le nouvel ingénieur des mines<br />

départemental, complimente <strong>Auguste</strong> Mabru pour ses méthodes d’exploitation. Il a trouvé<br />

« les nombreux boisages de la mine en général bien entretenus et les travaux aussi bien con<strong>du</strong>its<br />

que le permet la disposition vicieuse des premiers travaux. »<br />

L’ordinaire des mineurs a, de plus, été amélioré : une chambre avec un grand poêle à terre a<br />

été aménagée au-dessus <strong>du</strong> puits de passage, où les ouvriers sortant de la mine pouvaient cuire<br />

leurs aliments avec <strong>du</strong> bois de chauffage, qui leur était fourni gratuitement. « Cette disposition,<br />

note Voltz, a ce grand avantage, que pendant la saison froide les mineurs, qui sortent<br />

tout en sueur <strong>du</strong> puits, se retirent dans cette chambre chauffée pour se préparer leurs<br />

aliments et évitent par là l’inconvénient très grave des refroidissements trop violents et trop<br />

fréquents, lesquels pro<strong>du</strong>isent toujours des maladies, qui dans bien des cas sont un grand<br />

fléau pour les ouvriers des mines. »<br />

Seuls petits reproches : l’ingénieur des mines trouve que « les tailles pourraient très souvent<br />

avoir moins de hauteur, ce qui con<strong>du</strong>irait à une économie de bois d’étais ». Voltz regrette<br />

aussi de n’avoir pas pu vérifier le registre de contrôle, « parce que les ouvriers de la mine<br />

n’y sont pas inscrits au moment de leur descente dans les puits ». Il trouve enfin « trop vague<br />

» le journal de la mine, que l’exploitant devait obligatoirement rédiger en application <strong>du</strong><br />

décret <strong>du</strong> 3 janvier 1813 (1).<br />

<strong>Auguste</strong> obligé de tenir un journal de la mine<br />

Ces commentaires de l’ingénieur des mines paraissent anodins. En réalité, cette inspection<br />

de 1818 s’est plutôt mal passée. L’ingénieur Voltz s’était montré d’une humeur exécrable<br />

pour se venger d’avoir été contesté dans ses calculs d’imposition. « M. Voltz, écrit <strong>Auguste</strong><br />

dans ses notes, m’a témoigné beaucoup de mauvaise humeur. J’avais cru devoir en attribuer<br />

la cause à l’indisposition, dont il était alors atteint. J’étais entièrement détrompé lorsque j’ai<br />

vu les chicanes qu’il m’a faites et la manière dont il a cherché à me faire tomber en faute<br />

relativement au contrôle des ouvriers. Outre cela, M. l’ingénieur a préten<strong>du</strong> m’assujettir à<br />

des formalités particulières pour la tenue <strong>du</strong> journal de mine. Je l’ai refusé net, parce que je<br />

ne connais que la loi, tandis que M. l’ingénieur ne connaît que les instructions qu’il reçoit et<br />

qui ne nous sont point obligatoires. Il est difficile de comprendre comment cette année on a<br />

trouvé mauvais et blâmé amèrement ce que jusque là on avait applaudi. Cependant rien<br />

n’était changé » (3).


L’incident donne l’occasion à <strong>Auguste</strong> d’exprimer ce qu’il pensait de ce corps d’inspecteurs<br />

créé par Napoléon. « En examinant les lois et décrets impériaux sur les mines, écrit-il, on<br />

connaîtra l’empressement qu’ont eu MM. les ingénieurs des mines à faire leur cour à Bonaparte<br />

pour lui procurer de l’argent, à défaut de ne pouvoir lui procurer des hommes. Dès<br />

lors, ils ont cessé de porter un véritable intérêt aux établissements et sont devenus de simples<br />

financiers à nos dépens. Ces Messieurs étaient placés entre le gouvernement et nous, non<br />

pour nous protéger, mais pour empêcher souvent nos plaintes de parvenir. Ils ne pouvaient<br />

donc se rendre recommandables qu’en proportion directe des impôts qu’ils prélevaient sur<br />

les concessionnaires. Leur empressement et la secrète exécution de leurs principes fiscaux<br />

leur ont valu le titre de corporation. On dit alors pour la première fois le Corps impérial des<br />

mines. La vanité était satisfaite au préjudice de nos intérêts (…). Il fallait ou se laisser<br />

annuellement écraser ou encourir sa disgrâce. Mon choix n’a point été douteux » (3).<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru finira quand même par tenir son journal, que le <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> a<br />

heureusement conservé. Mais il ne le démarra que le 29 septembre 1819, puisque jusqu’à<br />

cette date il n’a « remarqué aucune circonstance qui puisse offrir un intérêt particulier, tant<br />

sous les rapports géologiques, météorologiques que tous les autres ». Ce 29 septembre, en<br />

effet, il se pro<strong>du</strong>isit un événement qui ne pouvait pas ne pas être consigné : « les galeries et<br />

les puits (s'étaient alors) remplis d’une telle quantité de gaz acide carbonique que la combustion<br />

des lampes a cessé. Les travaux ont donc été suspen<strong>du</strong>s jusqu’à nouvel ordre » (5).<br />

L’ingénieur des mines Voltz arriva ensuite le 10 octobre 1819, à trois heures de l’aprèsmidi.<br />

« Il était plus traitable que l’année précédente», constate <strong>Auguste</strong> dans son cahier de<br />

notes personnelles, qui croit enfin la « conciliation complète ». Mais « le gaz carbonique<br />

régnait toujours dans les souterrains », peut-on lire dans son journal réglementaire. Les deux<br />

hommes n’ont donc pu descendre dans les puits. Le lendemain matin 11 octobre, l’ingénieur<br />

Voltz tenta de retirer le gaz par le puits Marie-Louise en y suspendant « un fort réchaud »<br />

qu’<strong>Auguste</strong> avait fait construire et qu’il fit alimenter pendant deux heures avec <strong>du</strong> bois. « Le<br />

gaz, raconte-t-il, a effectivement un peu remonté et on pouvait descendre jusqu’au bas (de<br />

l’autre) puits, tandis qu’avant les lampes n’y brûlaient qu’à moitié. » Mais quelques heures<br />

après l’extinction <strong>du</strong> réchaud, les choses revinrent en leur état antérieur.<br />

Voltz repartit le même jour, vers quatre heures après midi. C’est donc seul qu’<strong>Auguste</strong> fit<br />

répéter la même opération le lendemain 12 octobre, à cinq heures <strong>du</strong> matin, « espérant que la<br />

température étant plus basse, elle serait plus favorable au résultat atten<strong>du</strong> ». Mais il n’obtint<br />

aucune amélioration. Il ne restait donc plus qu’à attendre que les gaz se dissipent d’euxmêmes.<br />

L’amélioration ne vint qu’à partir <strong>du</strong> 16 octobre. « Le gaz acide carbonique, note <strong>Auguste</strong><br />

dans son journal, commençait à être refoulé par le haut <strong>du</strong> puits Marie-Louise et par suite la<br />

combustion (des lampes) devenait possible à des distances plus profondes dans l’autre puits.<br />

Pendant les 17, 18 et 19 octobre, le gaz continuait à être très sensiblement poussé de ce<br />

dernier puits au premier et presque toutes les galeries étaient libres. Le 20 au matin, enfin, il<br />

s’est opéré un dernier effort. La dernière quantité <strong>du</strong> gaz acide carbonique ne formait plus<br />

qu’une colonne de peu d’épaisseur, qui n’était plus en équilibre avec l’air atmosphérique <strong>du</strong><br />

puits André-Achille. Elle a été chassée avec force et suivie d’un énorme jet de vapeur, qui est<br />

monté subitement jusqu’au toit. Dès le 22, j’ai fait entrer dans les galeries pour y épuiser les<br />

eaux. »<br />

Cet épuisement <strong>du</strong>ra jusqu’au soir <strong>du</strong> 4 novembre 1819. Mais en beaucoup d’endroits, la<br />

stagnation « des eaux fétides, hydrosulfurées et noirâtres » avait amolli les parois des galeries.


« Il en est résulté divers légers affaissements et beaucoup de cadres de boisage brisés ». Il<br />

fallut donc remplacer ces cadres brisés et nettoyer les galeries, ce qui fut terminé le 11 novembre<br />

(1).<br />

Le 12, les travaux d’exploitation purent enfin reprendre. <strong>Auguste</strong> fit alors continuer une<br />

grande galerie dans la glaise et des argiles de différentes couleurs (bleuâtres, jaunes et un peu<br />

brunes), parallèlement et au sud de la direction de la couche de minerai. Cette galerie, explique-t-il,<br />

« doit remplacer une partie de celle existante lorsqu’on exploitera le minerai qu’elle<br />

traverse, ce qui la détruira » (5).<br />

Observations géologiques<br />

De son côté, à l’occasion de cette visite de septembre 1819, Voltz avait noté que le gîte en<br />

exploitation serait complètement épuisé en 1822 ou 1823. Dès 1819, on avait donc commencé<br />

à faire des sondages pour en découvrir un autre. L’année suivante, on pouvait se rassurer.<br />

« La certitude de (l’) existence (d’un nouveau gisement) est acquise, écrit Voltz le 19 juillet.<br />

On cherche maintenant à reconnaître son allure et sa puissance ». A la fin, on sut qu’il<br />

s’étendait « à la même profondeur, à peu de distance de l’autre et dans une allure parallèle »<br />

(1).<br />

Le reste <strong>du</strong> journal d’<strong>Auguste</strong> Mabru est rempli d’observations géologiques. Le 2 janvier<br />

1820, il note que le toit <strong>du</strong> minerai est devenu si « mol » qu’il faut une quantité énorme de<br />

bois d’étançon pour prévenir les accidents. Le 19 février, il signale qu’il y a eu « un éboule-<br />

ment dans une partie exploitée, suivi d’une assez grande quantité d’eau. Les paysans pensent<br />

que ses effets, joints à ceux d’éboulements antérieurs, sont sensibles à la surface <strong>du</strong> sol. »<br />

Le 27 février 1820, <strong>Auguste</strong> rapporte qu’une galerie a rencontré une couche de schiste noir<br />

de peu de largeur, qui était déjà apparue plusieurs fois au cours de l’exploitation. D’où cette<br />

remarque : « lorsqu’une grande surface de cette couche de schiste est en contact avec l’air et<br />

l’eau des galeries, il se dégage une quantité considérable de gaz hydrogène sulfuré, qui<br />

s’enflamme avec détonation. D’anciens travaux ont été abandonnés pour cette raison, il y a<br />

environ vingt ans. »<br />

Le 16 mars suivant, <strong>Auguste</strong> signale que le minerai exploité au nord <strong>du</strong> puits Marie-Louise<br />

a pour toit une couche de grès calcaire extrêmement <strong>du</strong>r, rencontrée pour la première fois. Le<br />

8 mai, il trouve « quelques noyaux noirâtres, qu(’il a) bientôt reconnus être <strong>du</strong> lignite. Il y en<br />

avait au plus quatre à cinq, dont le plus gros était de la grosseur <strong>du</strong> puits. Etant isolés dans<br />

l’argile bleue, ils offraient une particularité très intéressante : celle de prendre en quelque<br />

sorte la formation de minéral ». Mais dans l’ensemble, les faits saillants sont rares. « Peu<br />

d’exploitations, écrit <strong>Auguste</strong>, sont aussi uniformes et présentent moins d’accidents que celleci.<br />

»<br />

Le 24 juillet 1820, nouvelle alerte au gaz, comme chaque année à pareille époque. « L’air a<br />

subitement été vicié dans les souterrains. La combustion des lampes a cessé et dès ce moment<br />

les travaux ont été abandonnés. » <strong>Auguste</strong> en profite pour procéder en surface à cinq sondages.<br />

Les galeries ne redeviendront accessibles qu’à partir <strong>du</strong> 2 octobre. A nouveau, il faut les<br />

épuiser. Le 7 novembre, est commencée une galerie de recherche pour reconnaître le nouveau<br />

gisement découvert par les sondages. Elle le retrouvera près <strong>du</strong> chargeoir sud <strong>du</strong> puits André-


Achille. Le 25 novembre, les mineurs rencontrent une couche inclinée d’un schiste noirâtre<br />

argileux, renfermant des coquillages bivalves, semblant appartenir à la moule marine.<br />

Le 6 mars 1821, <strong>Auguste</strong> note : « jusqu’ici il n’y a eu ni accident, ni éboulement. Les eaux<br />

ont été considérables et une multitude de bois a été renouvelée cette année. Le travail des<br />

trois tailles est simple et toujours le même ». Le 25 mars, il écrit : « l’eau est très abondante<br />

et retarde beaucoup les travaux, à cause de leur épuisement ».<br />

En juillet, <strong>Auguste</strong> fait établir une galerie de communication avec le nouveau puits, pour<br />

l’aérage. Elle est terminée le 11. Résultat : pour la première fois, la combustion des lampes<br />

n’est pas interrompue à la fin <strong>du</strong> mois d’août. Le 7 septembre, néanmoins, à 9 heures <strong>du</strong> soir,<br />

les lampes à huile s’éteignent au fond des galeries. « La formation <strong>du</strong> gaz acide carbonique,<br />

écrit <strong>Auguste</strong>, a été si prompte que le fourneau <strong>du</strong> puits André-Achille n’a pu le retirer. Le<br />

lendemain matin, les puits et les galeries étaient si pleins de gaz, qu’une lampe s’éteignait à<br />

l’entrée <strong>du</strong> puits André-Achille et au 4 e échelon de l’autre puits. »<br />

Une fois de plus, il fallut attendre que « les souterrains se purifient » d’eux-mêmes. Ce qui<br />

se réalisa le 2 octobre. L’épuisement des eaux <strong>du</strong>ra jusqu’au 17 octobre, date à laquelle les<br />

travaux d’exploitation purent enfin reprendre. L’année suivante, en 1822, l’interruption des<br />

travaux <strong>du</strong>e aux gaz <strong>du</strong>ra <strong>du</strong> 13 juillet jusqu’au 7 octobre, qui est aussi la date d’arrêt <strong>du</strong><br />

journal (5).<br />

Ouverture <strong>du</strong> puits <strong>Auguste</strong><br />

Cette année 1822 a été cependant été marquée par plusieurs autres initiatives. Au printemps,<br />

<strong>Auguste</strong> avait ainsi fait entreprendre le fonçage d’un nouveau puits afin de faciliter l’épuisement<br />

des eaux et l’aérage des galeries <strong>du</strong> nouveau gisement. Il lui donnera le nom d’<strong>Auguste</strong>,<br />

en hommage à sa propre personne sans doute, puisque c'était son premier puits. Ce puits fut<br />

placé en-dehors <strong>du</strong> nouveau gîte, mais tout près de la limite de celui-ci. Début août, il avait<br />

déjà une profondeur de 32 m pour un volume de 200 m3.<br />

En juillet, <strong>Auguste</strong> trouve également le temps de prendre les eaux à Baden, sur la rive droite<br />

<strong>du</strong> Rhin, pour y « noyer des douleurs qui l’inquiétaient sérieusement », alors que son frère<br />

Claude lui avait au contraire recommandé de « venir respirer l’air <strong>du</strong> pays natal ». C’est aussi<br />

l’époque où <strong>Auguste</strong> cherche, après plusieurs essais, à mettre en activité une fabrique d’encres<br />

d’imprimerie, tirant parti des propriétés colorantes <strong>du</strong> noir de fumée <strong>du</strong> bitume. Toujours<br />

selon son frère Claude, il allait aussi « se livrer à une troisième et grande spéculation pour<br />

laquelle une compagnie paraît mettre en ses mains comme Directeur une somme considérable<br />

». Ce qui l’obligera d’ailleurs à faire un voyage à Paris, sans autre précision (6).<br />

En même temps, <strong>Auguste</strong> se souciait d’améliorer les cuissons de raffinage <strong>du</strong> Pechelbronn.<br />

« Les procédés actuels sont très défectueux et ces améliorations auraient dû être faites depuis<br />

longtemps », écrit Voltz le 1 er août 1822.<br />

En décembre 1823, le jour de la visite annuelle de l’ingénieur des mines, le nouveau puits<br />

<strong>Auguste</strong> affiche une profondeur de 50 m pour un volume de 400 m3. Il fut lui aussi pourvu<br />

d’une machine à molettes. Mais le puits Marie-Louise continuait de le surpasser avec une<br />

profondeur de 54 m et un volume de 520 m3. A cette date, une galerie de 90 m de longueur et<br />

de 180 m3 de volume partait déjà <strong>du</strong> puits <strong>Auguste</strong> en direction <strong>du</strong> puits André-Achille,


pendant que <strong>du</strong> puits André-Achille une autre galerie allait à sa rencontre, longue de 95 m<br />

pour un volume de 190 m3.<br />

Le puits André-Achille continuait de servir à l’extraction. On décida donc d’y relier les<br />

tailles <strong>du</strong> nouveau puits <strong>Auguste</strong> au moyen d’une galerie de roulage, en pente uniforme, d'un<br />

mètre de large et de 1,70 m de haut, permettant l’emploi de « grands » chariots. Une nouvelle<br />

méthode d’exploitation est alors mise en œuvre, sans doute de concert avec l’ingénieur des<br />

mines. « De 40 m en 40 m, écrit l’ingénieur Voltz, on fera de petites galeries de traverse, qui<br />

arriveront dans le gîte et seront poussées jusqu’à sa limite opposée. Là, on établira alors des<br />

tailles suivant le système actuel et on exploitera de chaque côté de la traverse un massif de 20<br />

m de longueur, en revenant sur les pas. De cette façon, on aura une exploitation fort régulière<br />

et on évitera tous les inconvénients de l’ancienne exploitation, où les galeries de roulage<br />

étaient en grande partie dans le gîte et suivaient les inégalités de son mur, en sorte que le<br />

roulage ne pouvait se faire que par brouettes, qu’il fallait puiser l’eau à différentes reprises<br />

dans la galerie de roulage et que l’entretien des boisages était fort coûteux par suite de la<br />

pression énorme qu’exerçait le toit dans le voisinage des travaux d’exploitation. »<br />

La nouvelle galerie d’allongement est achevée à l’automne 1824. Longue de 410 m pour un<br />

volume de 850 m3, elle a été « con<strong>du</strong>ite régulièrement en ligne droite », précise l’ingénieur<br />

Voltz. On voulut qu’elle soit parallèle au gîte et légèrement en contrebas afin de faciliter<br />

l’extraction. Mais le gîte fut plus irrégulier que prévu, si bien que la galerie vint par moments<br />

le traverser et le surplomber. Cette partie, selon Voltz, devait donc être exploitée en dernier.<br />

L’ancien puits d’épuisement Marie-Louise put être supprimé au début 1825, le nouveau<br />

puits <strong>Auguste</strong> le remplaçant « avec avantage ». Mais en septembre, lors de sa visite annuelle,<br />

Voltz n’a pu visiter les travaux souterrains, la mine étant à nouveau « remplie de gaz carbonique<br />

». « Les travaux d’exploitation chôment depuis deux mois, précise-t-il. Depuis longtemps,<br />

il n’était arrivé une interruption aussi longue ». D’ordinaire, l’interruption de l’été ne <strong>du</strong>rait<br />

qu’un mois. Selon Voltz, on pourrait facilement y remédier « en disposant au puits <strong>Auguste</strong> le<br />

passage des échelles en rayon surmonté d’une cheminée et en plantant en bas une sorte d’aérage<br />

pour que le courant d’air n’entre que dans ce rayon et non dans le compartiment de<br />

tonnes. »<br />

Une fois n’est pas coutume : l’année suivante, le 16 octobre 1826, Voltz complimente le<br />

mode d’exploitation, qui est « très bien enten<strong>du</strong> et très bien exécuté. Il permet de tout exploiter,<br />

mais il fait consommer beaucoup de bois d’étançonnage, inconvénient que l’on ne saurait<br />

éviter sans tomber dans des inconvénients plus graves encore, soit en faisant perdre beaucoup<br />

de minerai, soit en augmentant l’affluence des eaux, soit en compromettant la sûreté des<br />

ouvriers » (1).<br />

L’aérage enfin réglé<br />

Seul l’aérage continuait de poser problème. Voltz propose alors une nouvelle solution :<br />

« placer sur un des puits le plus élevé une cheminée à la liégeoise sur un burtel, qui descendrait<br />

jusqu’au-dessous <strong>du</strong> niveau de l’orifice de l’autre puits et empêcherait l’aérage de<br />

sortir par le puits même. On serait alors certain de pouvoir travailler en tout temps dans la<br />

mine en ayant soin d’allumer le tocfeu pendant les grandes chaleurs de l’été ».


Au printemps 1827, Marie Joseph Achille Le Bel consentit enfin à suivre cette recommandation.<br />

On plaça une cheminée d’aérage avec un tocfeu auprès de l’un des puits. « Ce travail,<br />

explique Voltz, a procuré sur le champ un excellent aérage, qui n’est plus interrompu pendant<br />

les temps lourds et chauds de l’été. » Il devrait augmenter la pro<strong>du</strong>ction de la mine de<br />

20 %, puisque l’interruption <strong>du</strong>rait un à deux mois de l’année. Lors de sa visite suivante, le 31<br />

juillet 1828, Voltz put effectivement constater que grâce à cet aménagement, « l’extraction de<br />

1827 a été plus considérable que celle des années précédentes ».<br />

Le 28 juin 1829, Voltz donne à nouveau une description <strong>du</strong> gisement et des méthodes d’extraction<br />

: « Les gîtes qui font l’objet de l’exploitation sont des amas stratéiformes d’un sable<br />

pénétré de <strong>pétrole</strong>, qui sont subordonnés dans un terrain argilo-marneux appartenant aux<br />

molasses. Ces gîtes sont presque horizontaux, ont une puissance qui varie ordinairement de 1<br />

m à 1,70 et va parfois jusqu’à 4 m vers leurs bords. La puissance et la richesse en bitume<br />

diminue gra<strong>du</strong>ellement. La forme de ces gîtes est ordinairement très allongée. Elle a une longueur<br />

de 800 à 1 000 m et une largeur de 50 à 100 m. Le mur et le toit sont argilo-marneux et<br />

n’ont guère de solidité, surtout quand ils sont humides. Leur forme est on<strong>du</strong>lée. Ces faits ont<br />

engagé à faire la galerie principale de chaque exploitation en-dehors <strong>du</strong> gîte, que l’on reconnaît<br />

d’abord au moyen de sondages. Ces galeries offrent plus de solidité et permettent d’enlever<br />

tout le minerai à la fois.<br />

« L’exploitation s’effectue au moyen de galeries d’allongement que l’on perce dans le gîte<br />

même et d’où l’on fait partir à droite et à gauche des galeries d’exploitation (Streben), larges<br />

de 1,30 m. Entre deux Streben, on laisse un pilier large de 1,30 m (2,60 m en 1834), qu’on<br />

enlève après que les Streben sont exploitées et en revenant sur ses pas. On remblaie alors<br />

autant que les matériaux disponibles le permettent et retire le boisage tant que faire se peut.<br />

Mais comme le toit a peu de solidité, on en perd toujours. Les travaux sont toujours combinés<br />

de façon à ce que les galeries de recherche qui donnent les remblais fournissent assez de<br />

déblais pour les excavations pro<strong>du</strong>ites par l’exploitation. »<br />

Louis Frédéric Achille, le fils de Marie Joseph Achille Le Bel, rentra alors de l’Ecole des<br />

mines de St-Etienne. Il en revenait avec des airs de supériorité et des conceptions très arrêtées,<br />

à l'opposé des procédés empiriques qu'<strong>Auguste</strong> Mabru avait suivi jusqu'ici. « A mon retour en<br />

septembre 1829 de l’Ecole des mines de St-Etienne, écrit ainsi le jeune héritier, alors âgé de<br />

22 ans, j’ai éprouvé un sentiment pénible en ne trouvant aucune comptabilité pour la mine et<br />

pour le traitement <strong>du</strong> minerai. J’ai prié M. Mabru d’établir un état des dépenses de la mine<br />

dès le commencement de sa direction. Les états ont été arrêtés sur l’ordre de mon père, dit-il,<br />

qui lui a défen<strong>du</strong> d’en faire la continuation. Je n’ai pu m’expliquer pourquoi mon père a fait<br />

anéantir ces états. Si cela était par défiance de M. Mabru, il a eu tort. M. Mabru connaissait<br />

parfaitement les bénéfices, qui ont été réalisés » (4).<br />

Le puits <strong>Auguste</strong> s'effondre<br />

A partir de 1832, toutefois, les couches bitumineuses s'appauvrissent, devenant de plus en<br />

plus argileuses. En août 1834, selon l’ingénieur Voltz, les mêmes volumes ne donnent plus<br />

que 15 à 18 quintaux métriques de graisse, voire 14 à 16, contre 20 à 25 quintaux auparavant.<br />

L’année suivante, la fabrication des graisses doit être suspen<strong>du</strong>e pendant cinq mois, les ventes<br />

ayant de surcroît fortement diminué. « Les travaux de la mine ont été continué, mais un peu<br />

plus faiblement, note Voltz le 8 octobre 1836. Ils ont été portés principalement sur des


travaux préparatoires. L’extraction des sables bitumineux n’a jamais été arrêtée », surtout<br />

que l’on avait retrouvé des parties <strong>du</strong> gîte plus pro<strong>du</strong>ctives.<br />

Puis le 17 décembre 1836, le puits <strong>Auguste</strong> vint à s’écrouler. Ce fut heureusement à un<br />

moment où les mineurs n’étaient pas dans les galeries. Bien enten<strong>du</strong>, « les eaux d’infiltration<br />

envahirent alors les travaux, qu’il fallut abandonner, car le puits <strong>Auguste</strong> servait à<br />

l’épuisement. » Sans se décourager, on restaura le puits effondré et l’on se mit à foncer à<br />

partir <strong>du</strong> 17 février suivant, à 41 m au nord-est, un nouveau puits, dit puits Adèle. Celui-ci<br />

tenait a priori son nom d'Adèle, la fille de Marie Joseph Achille Le Bel, qui le 7 janvier 1835<br />

avait épousé Jean Baptiste Boussingault.<br />

« Quand le puits <strong>Auguste</strong> fut achevé, précise l’ingénieur Voltz, on établit par le moyen d’un<br />

trou de sonde une communication avec les galeries. Aussitôt les eaux firent irruption et<br />

s’élevèrent de 5,30 m dans le fond <strong>du</strong> nouveau puits. Depuis ce moment, on s’occupe de<br />

l’épuisement et l’on obtient par 48 heures un abaissement de niveau de 2 décimètres, qui fait<br />

espérer la mise à sec pour la fin <strong>du</strong> mois d’août prochain » (1). Cette subite abondance d'eau<br />

eut cependant son côté bénéfique : elle allait pouvoir pallier le manque d'eau dont souffraient<br />

les cuissons de lavage, puisque l'usine <strong>du</strong> Pechelbronn ne se trouvait pas à proximité d'un<br />

cours d'eau. Pour tout dire, elle allait enfin permettre des cuissons plus régulières (7).<br />

Mais c'était la dernière visite de l’ingénieur des mines Voltz. Nommé inspecteur général, il<br />

partit pour Paris début mars 1837. Dans le Bas-Rhin, il fut remplacé par un certain M. de<br />

Billy (3).<br />

La situation de la mine en 1837<br />

Ainsi donc, entre 1815 et 1837, dernière année pleine avant sa rupture avec les Le Bel,<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru avait-il ouvert deux puisards, les puits <strong>Auguste</strong> et Adèle. Mais en 1837, le<br />

puits André-Achille était toujours en usage. Profond alors de 38 m pour un volume de 205<br />

m3, il servait exclusivement à remonter le minerai à la surface. Le puits <strong>Auguste</strong> restauré,<br />

servait pour sa part à l'épuisement. Il était profond de 54 m pour un volume de 324 m3.<br />

Le nouveau puits Adèle, encore en chantier, avait le 23 juillet 1837 une profondeur de 22 m,<br />

pour un volume de 256 m3, avant d’atteindre l’année suivante ses dimensions définitives de<br />

32 m de profondeur pour un volume de 256 m3.<br />

Quant au réseau de galeries souterraines, il s’étendait en 1837 sur 1 705 m de longueur pour<br />

un volume total de 3 108 m3 (contre 2 438 m3 en 1812). On pouvait distinguer :<br />

- une galerie communiquant dans la galerie d’allongement de 52 m (102 m3) ;<br />

- une galerie d’allongement vers le sud-ouest de 313 m (465 m3) ;<br />

- une galerie d’aérage de 270 m (50 m3) ;<br />

- trois traverses faisant ensemble 42 m (128 m3) ;<br />

- une galerie d’allongement vers le nord-est de 208 m (420 m3)<br />

- la suite de la galerie d’allongement vers le nord-est de 213 m (426 m3) ;<br />

- une galerie de traverse de 24 m (40 m3)<br />

- une galerie d’allongement vers la veine supérieure de 283 m (550 m3)<br />

- trois traverses d’aérage faisant ensemble 80 m (140 m3)<br />

- une taille de 15 m (50 m3) ;<br />

- une galerie d’allongement passant sous le puits Adèle de 128 m (260 m3)


- une galerie d’allongement parallèle à la précédente de 17 m (357 m3)<br />

- et deux traverses d’airage faisant ensemble 60 m (120 m3).<br />

En 1837, l’entreprise employait deux maîtres-mineurs, treize mineurs, une soixantaine de<br />

manœuvres et huit chevaux, soit des chiffres sensiblement équivalents à ceux de 1812, mais<br />

pour un revenu imposable tendanciellement en baisse (voir notre tableau récapitulatif à la fin<br />

<strong>du</strong> chapitre III). ©<br />

Jean-Claude Streicher (novembre 2007)<br />

NOTES :<br />

(1) AN : F14 4050.<br />

(2) AN : F14 8142.<br />

(3) Notes d’<strong>Auguste</strong> Mabru « analogues à celles prises par M. l’ingénieur aux époques de ses tournées pour<br />

l’inspection », Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>, Merkwiller-Pechelbronn, , très aimablement communiqués par M.<br />

Daniel Rodier, vice-président de l'Ass. des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(4) Louis Frédéric Achille Le Bel (1807-1867) : « Traitements des sables asphaltiques <strong>du</strong> Pechelbronn », note<br />

manuscrite datée <strong>du</strong> 15 décembre 1859, Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>, Merkwiller-Pechelbronn, très aimablement<br />

communiquée par M. Daniel Rodier, vice-président de l'Ass. des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(5) Journal d’<strong>Auguste</strong> Mabru, directeur des travaux souterrains de la mine de <strong>pétrole</strong> de Bechelbronn (29<br />

septembre 1819-7 octobre 1822), Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Merkwiller-Pechelbronn, très aimablement<br />

communiqué par M. Daniel Rodier, vice-président de l'Ass. des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(6) Liliane Godat-Chanimbaud : « Ces Auvergnats oubliés qui firent la France et préparèrent l’Europe, tome II,<br />

Antoine (<strong>Auguste</strong>) Mabru, les Le Bel et l’exploitation <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> en Alsace », auto-édition, 63580 St-Etienne-sur-<br />

Usson, mars 2004, 351 pages) (liliane.godat@libertysurf.fr).<br />

(7) Note de Louis Frédéric Achille Le Bel sur les traitements des sables asphaltiques <strong>du</strong> Pechelbronn, <strong>du</strong> 15<br />

décembre 1859, Arch. des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Merkwiller-Pechelbronn, très aimablement<br />

communiquée par M. Daniel Rodier, vice-président).


Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

(9) AUGUSTE <strong>MABRU</strong> (1780-1853)<br />

___________________________________________________________________________<br />

CHAPITRE IV<br />

Les travaux à l’usine<br />

En arrivant au Pechelbronn en 1812, <strong>Auguste</strong> Mabru avait trouvé dans le bâtiment de cuisson<br />

et de raffinage une situation inchangée depuis de longues années. Poussé par l’ingénieur départemental<br />

des mines, il cherche à en améliorer le rendement, en particulier à obtenir une séparation<br />

complète des graisses d’asphalte de leurs parties terreuses. Il essaya un lavage des écu-<br />

mes à l’eau froide. Mais c’est finalement le lavage à l’eau bouillante, copié de la mine d’asphalte<br />

voisine de Lobsann, sur une suggestion de Louis Frédéric Achille Le Bel, qui s’avéra plus efficace.<br />

<strong>Auguste</strong> testa également un fourneau dit Chaussenot, constitué de chaudières trouées en<br />

tôle. Mais ce fut une autre déception. A force, il lui fallut céder, sur cette partie, ses prérogatives<br />

à Louis Frédéric Achille, l'héritier de la dynastie. A noter également, la livraison en 1828 d'une<br />

chaudière défectueuse par les usines Gouille des environs de Besançon, ainsi que la baisse des<br />

ventes en 1823-1824, 1831 et 1835.<br />

La situation en 1812<br />

En surface, la manufacture <strong>du</strong> Pechelbronn s’organisait autour <strong>du</strong> « laboratoire », autrement<br />

dit <strong>du</strong> bâtiment qui abritait les installations de cuisson, de raffinage et de distillation. En 1812,<br />

lors de l’arrivée d’<strong>Auguste</strong> Mabru, celles-ci étaient constituées de cinq fourneaux de séparation<br />

de huit chaudières chacun, de deux fourneaux de raffinage et d’un fourneau avec alambic<br />

pour la fabrication de l’huile de <strong>pétrole</strong>.<br />

A portée de main, il y avait un magasin, où l’on entreposait les graisses pro<strong>du</strong>ites, la réserve<br />

de ferraille et les tonneaux. Il s’y ajoutait deux ateliers : celui des forgerons et celui <strong>du</strong> charron<br />

et <strong>du</strong> tonnelier. Le charron s’occupait à assembler les brouettes utilisées dans les galeries<br />

et le tonnelier à fabriquer les tonnelets servant au conditionnement des graisses. Il y avait<br />

aussi un magasin pour les ouvriers, une écurie, un magasin pour la houille (mais que la forge<br />

était seule à utiliser) ainsi qu’un magasin pour les fourrages.<br />

Le « laboratoire » employait alors quatorze ouvriers, dont six écumeurs, et ce pendant toute<br />

l’année. Ils procédaient à près de 5 600 cuissons par an de 56 kg de minerai chacune en moyenne.<br />

Sous les petites chaudières, ils brûlaient par an quelque 28 000 fagots représentant la<br />

valeur de 560 stères de bois de hêtre à 9,50 francs le stère. Et sous les chaudières de raffinage,<br />

une cinquantaine de stères de bois de hêtre. De manière générale, il fallait plus d’un stère et<br />

demi de bois pour obtenir un quintal métrique de graisse raffinée. Les cuissons <strong>du</strong>raient en<br />

effet de quatre jours et demi à cinq jours et ne pouvaient être interrompues le dimanche.<br />

Encore ne s’agit-il ici que de valeurs faisant la moyenne entre deux affirmations divergentes.<br />

Lors de l’inspection de mai 1817, <strong>Auguste</strong> Mabru note ainsi la phrase suivante : « M. Le


Bel a déclaré verbalement qu’il fallait trois à quatre jours pour un raffinage et moi j’ai<br />

déclaré cinq à six jours, et même sept en hiver ».<br />

En 1812, deux palefreniers s’occupaient des chevaux, au nombre de treize. Neuf de ces<br />

chevaux se relayaient aux deux machines à molettes. Les quatre derniers servaient à déverser<br />

les sables dégraissés sur un terrain vague, situé de l’autre côté <strong>du</strong> chemin de Lampertsloch,<br />

« en descendant vers la prairie dite Eselsveit » (mot à mot : la pâture des ânes). Ces quatre<br />

chevaux servaient aussi à faire les approvisionnements en nouvelles chaudières, en câbles…<br />

Ainsi donc, la mine et manufacture <strong>du</strong> Pechelbronn occupait-elle, au total, en 1812, 66<br />

ouvriers 300 jours par an.<br />

Comme on travaillait jour et nuit sans discontinuer, on avait besoin pour s’éclairer d’une<br />

soixantaine de lampes à huile (dont 45 dans les souterrains), qui consommaient au total<br />

quelque dix-huit hectolitres d’huile par an. Quant à la forge, elle consommait 300 francs de<br />

houille de Sarrebruck par an, achetée à des marchands forains 6 francs le quintal métrique.<br />

Comme antérieurement à 1789, on continuait de pro<strong>du</strong>ire deux espèces de graisses : la<br />

graisse claire et la graisse épaisse, dont la composition n’avait pas varié. Cette dernière était<br />

faite « avec <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> mêlé de cendres lessivées, de sel gris et d’une espèce de savon dit<br />

animal ». Les proportions étaient alors les suivantes : 80 % de graisse claire et 20 % ou plus<br />

de savon animal, « fabriqué avec <strong>du</strong> suif, des cendres lessivées et <strong>du</strong> sel gris ».<br />

Mais il faut savoir que le sable bitumineux ne donnait alors que 3,5 % de graisse. En dépit<br />

de cette pauvreté, la mine semblait prometteuse et mériter tous les soins des pouvoirs publics.<br />

Marie Joseph Achille Le Bel, le concessionnaire, n’exprimait que deux souhaits : que les<br />

messageries nationales et l’artillerie se remettent à consommer ses pro<strong>du</strong>its comme ce fut le<br />

cas sous la Révolution et le Directoire et que les forêts nationales lui fournissent <strong>du</strong> bois à prix<br />

réglé comme au temps des princes de Hesse-Darmstadt (1) (2).<br />

Un raffinage difficile à perfectionner<br />

Comme en sous-sol, <strong>Auguste</strong> Mabru était constamment poussé par les ingénieurs de mines<br />

départementaux à améliorer le rendement des procédés de surface. Mais les améliorations<br />

qu’il avait envisagées en 1822 n’ont pas été concluantes, si bien que l’ingénieur des mines<br />

Voltz donne le 16 juillet 1830 une description de l’usine toujours très voisine de celle publiée<br />

par Philippe Frédéric de Dietrich en 1789.<br />

« L’extraction de bitume, dit-il, se fait dans des chaudières en fonte de la capacité de deux<br />

pieds cubes environ, placées dans un fourneau que l’on chauffe avec <strong>du</strong> bois. On y met le<br />

sable bitumineux et de l’eau qu’on fait bouillir. En même temps, on remue le sable qui laisse<br />

dégager la graisse, laquelle vient nager à la surface de l’eau, d’où elle est enlevée avec un<br />

écumoire. Le <strong>pétrole</strong> brut est encore entremêlé de parties aqueuses et de parties terreuses.<br />

Pour le purifier ou raffiner, on le chauffe dans de grandes chaudières en fonte surmontées<br />

d’un grand cylindre vertical en maçonnerie. Il se boursoufle très fort et l’eau s’évapore et les<br />

terres se précipitent au fond » (1).<br />

L’échec des améliorations tentées par <strong>Auguste</strong> Mabru aura pour résultat que Marie Joseph<br />

Achille Le Bel, puis son fils Louis Frédéric Achille prennent ensuite la main sur les opérations<br />

de cuisson et de séparation. Ils confirmaient ainsi leur peu d’intérêt pour les travaux


souterrains, dans lesquels ils préféraient cantonner <strong>Auguste</strong>, qui y ruinera par conséquent sa<br />

santé.<br />

La chaudière défectueuse<br />

Le 22 avril 1828, Marie Joseph Achille Le Bel se fait ainsi livrer par le voiturier strasbourgeois<br />

Martin Hartmann la première des deux chaudières en fonte de fer neuves qu’il avait<br />

commandées en août 1827, non plus aux forges De Dietrich de Zinswiller, mais aux usines de<br />

Gouille, près de Besançon, que dirigeaient alors MM. Saint et Emonin. C’était une pièce assez<br />

impressionnante d’un diamètre intérieur de 7 pieds 6 pouces (soit plus de 2 m), d’une<br />

profondeur au centre de 4 pieds (1,20 m) et d’un poids de 2 510 kg !<br />

Manque de chance, dès le premier coup d’œil elle s’avéra fort défectueuse. Sans attendre,<br />

Marie Joseph Achille voulut en démontrer le défaut par l’expérimentation. Il fit monter la<br />

chaudière sur un socle de maçonnerie, en tête de la rangée, à gauche de son « laboratoire »,<br />

en entrant par la grande porte donnant sur la cour. Il la fit remplir d’eau et vit que cette eau<br />

« coulait dans le foyer ». Puis il pria le juge de paix <strong>du</strong> canton de Woerth de nommer des<br />

experts pour vérifier le fait et évaluer les dommages et intérêts auxquels il pouvait prétendre.<br />

Pour cette expertise, le juge de paix nomma Pierre Gobaut, le fermier de la saline voisine de<br />

Soultz-sous-Forêts, ainsi que Pierre Joseph Girard, le directeur des mines de Lobsann. Le 22<br />

mai suivant, ceux-ci établirent le constat suivant : « toute la surface intérieure (de la chaudière)<br />

et celle extérieure ostensible ne présentent pas de surfaces unies, mais bien une suite<br />

infinie de marbrures, dont la majeure partie des grands joints sont bouchés avec <strong>du</strong> mastic.<br />

Toutes les surfaces <strong>du</strong> vase sont (de plus) couvertes d’une forte couche de goudron ».<br />

Nos deux experts poussèrent le scrupule jusqu’à monter dans la chaudière. Ils purent alors<br />

« enlever sans beaucoup d’efforts avec un ciseau de fer plusieurs portions <strong>du</strong> mastic, en<br />

masses même assez considérables. Il était facile d’opérer de même, ajoutent-ils, sur presque<br />

toutes les fissures ainsi mastiquées ». Ils en ont conclu « que cette chaudière était réellement<br />

très défectueuse et hors de service. » Ils estimèrent que MM. Saint et Emonin pouvaient être<br />

tenus de rembourser au propriétaire <strong>du</strong> Pechelbronn la somme de 1 380,05 francs pour le prix<br />

de l’ustensile, non compris 301,95 francs de frais de port, 18,50 francs de frais d’enlèvement<br />

<strong>du</strong> goudron et 378 francs de frais de maçonnerie, soit 2 078,50 francs au total.<br />

Mais plutôt que de réclamer cette somme, ils recommandèrent à Marie Joseph Achille Le<br />

Bel de se faire livrer par MM. Saint et Emonin la deuxième chaudière dans le mois qui suivait<br />

ainsi qu’une chaudière de remplacement dans un délai de six semaines au plus tard. Ces deux<br />

chaudières, insistent les experts, devaient être livrées telles qu’elles sortent <strong>du</strong> moulage. On<br />

n’en ôterait que le sable y adhérant et les inégalités saillantes de la fonte. Faute de remplir ces<br />

conditions, les in<strong>du</strong>striels bisontins seraient alors effectivement passibles de dommages et<br />

intérêts pour le chômage qui en aura résulté au Pechelbronn (3).<br />

Marie Joseph Achille Le Bel, en tout cas, bloqua le paiement de la lettre de change qu’il<br />

avait souscrite pour un montant de 1 642 francs en paiement de cette chaudière. Ce qui eut<br />

pour résultat que le Sr Brétillot et Cie, négociant à Besançon, l’assigna devant le tribunal de<br />

première instance de Wissembourg, afin qu’il soit condamné, même par corps, à payer cette<br />

somme de 1 642 francs. L’affaire fut évoquée à l’audience <strong>du</strong> 26 septembre 1828, puis à celle<br />

<strong>du</strong> 7 novembre, où elle fut encore reportée à huitaine (4). Reste à retrouver le jugement final.


Deuxième lavage à l’eau bouillante<br />

En rentrant en septembre 1829 de l'Ecole des mines de Saint-Etienne, Louis Frédéric<br />

Achille s'était penché, comme l'a vu dans le chapitre précédent, sur la comptabilité qu'<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru tenait de la mine et <strong>du</strong> traitement <strong>du</strong> minerai et la trouva très insuffisante.<br />

Mais il reconsidéra également les procédés de lavage et de raffinage.<br />

« De 1815 à 1830, observe-t-il, on n’a apporté aucun changement dans le traitement <strong>du</strong><br />

minerai. En 1830, j’ai vu qu’il y avait de grandes améliorations à faire et j’ai demandé au<br />

directeur (<strong>Auguste</strong> Mabru) qu’il s’occupât essentiellement <strong>du</strong> traitement <strong>du</strong> minerai. On voit<br />

par les états de 1830 et 1831 que M. Mabru n’était pas au courant de ce qui se passait au<br />

laboratoire. Les intérêts de mon père étaient gravement compromis par le traitement d’un<br />

minerai argileux. »<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru avait bien fait un essai « pour recueillir des écumes moins chargées d’argile<br />

et de sable ». Celui-ci a consisté « à refroidir la masse en ébullition par l’eau froide, après<br />

avoir enlevé les premières écumes ». L'essai a <strong>du</strong>ré quelque temps, mais il fallut se rendre à<br />

l'évidence qu'il n'apportait aucun progrès. « Une grande quantité de graisse était (quand<br />

même) rejetée avec les sables ». On revint donc à l'ancien procédé.<br />

Louis Frédéric Achille essaya alors l'eau bouillante. « J’ai tenté, raconte-t-il, un lavage<br />

analogue à l’eau bouillante sur les écumes brutes en utilisant les deux dernières chaudières<br />

(…). Ce principe de laver les écumes dans de l’eau bien bouillante fut reconnu bon avec le<br />

renouvellement de l’eau. »<br />

Mais ce nouveau procédé amena à revoir la conception des chaudières. C'est ainsi qu'<strong>Auguste</strong><br />

Mabru expérimenta en 1832 un fourneau dit Chaussenot « avec des chaudières en<br />

tôle ». Il voulait, explique Louis Frédéric Achille, traiter le minerai « dans des chaudières<br />

trouées en tôle, suspen<strong>du</strong>es dans des chaudières en tôle ». L’opération consistait, poursuit<br />

Louis Frédéric Achille, « à remuer le minerai distribué sur la surface horizontale d’une<br />

chaudière en tôle par un râteau muni de dents en fer, auquel on imprimait à la main un<br />

mouvement d’avant en arrière, et à recueillir les écumes, en les poussant par une planche,<br />

prenant exactement la largeur de la chaudière, d’une extrémité vers l’autre, d’où elles<br />

devaient s’écouler dans un réservoir, par un bec établi sur toute la largeur de la chaudière ne<br />

dépassant pas le niveau de l’eau. »<br />

« Mais on n’a pas pu se servir <strong>du</strong> râteau, résume Louis Frédéric Achille. Il fallait trop de<br />

forces. Le minerai s’accumulait sur les deux extrémités de la chaudière. On n’a pu recueillir<br />

les écumes que très incomplètement » (5). Ce test ne fut donc pas non plus concluant.<br />

Nouvelles chaudières<br />

Heureusement, Louis Frédéric Achille Le Bel finit par trouver la solution. « J’ai reconnu,<br />

dit-il, qu’on pouvait augmenter <strong>du</strong> double la quantité <strong>du</strong> minerai traité jusqu’alors dans les<br />

chaudières en fonte avec une bonne ébullition. Chaque chaudière recevait un pied cube de<br />

mine. J’ai fait doubler la charge. Cet avantage, joint à celui des chaudières de lavage, dont<br />

une devait être établie à chaque fourneau, avec renouvellement des eaux, m’a fait espérer un


traitement avantageux pour les minerais très argileux, qui s’est réalisé en 1834. »<br />

Mais il fallut ajouter « un nombre double de cuves en bois pour le dépôt des écumes<br />

brutes ». Et Louis Frédéric Achille Le Bel de poursuivre : « J’ai fait disposer quatre<br />

chaudières de dépôt vis-à-vis des anciennes. En donnant aux graisses brutes le temps<br />

nécessaire pour abandonner l’eau qu’on soutire, j’ai éliminé une grande quantité d’eau<br />

fournie en perte aux raffinages. Les con<strong>du</strong>its ont été supprimés. Les écumes sont transportées<br />

aux chaudières de raffinage dans des donnes, en caisses contenant 60 kg. »<br />

Ainsi donc, grâce à un bon lavage des écumes à l’eau bouillante et à un dépôt préalable plus<br />

long des graisses brutes, le résultat est-il sensiblement meilleur en 1835. Un fourneau de dix<br />

chaudières fut alors construit, dont les deux chaudières sur le devant étaient réservées au<br />

lavage. « La cheminée a été exhaussée. Des réservoirs de 250 litres, fermés par des<br />

couvercles en tôle, ont été (installés) au sortir de la chaleur <strong>du</strong> fourneau. Alimentés par des<br />

pompes, ils ont fourni, par des robinets, l’eau chaude aux dernières chaudières <strong>du</strong> fourneau<br />

pour faciliter leur ébullition »<br />

« Par cette disposition, les lavages ont été améliorés, mais les résultats que l’on voulait<br />

obtenir par une bonne ébullition des dernières chaudières n’a pas eu lieu. La mauvaise<br />

volonté des ouvriers, la vapeur des caisses en tôle, qui n’étaient pas fermées hermétiquement<br />

dans les cheminées, mais avant toutes ces raisons un défaut de construction <strong>du</strong> fourneau<br />

n’ont pas permis de réaliser les espérances qu’on s’était faites. On supprima les réservoirs<br />

d’eau chaude dans les cheminées. »<br />

On construisit une cheminée plus large pour deux fourneaux de raffinage. <strong>Auguste</strong> fit encore<br />

le projet de creuser un bassin à l’angle de la forêt de Lampertsloch près de la route. Et Louis<br />

Frédéric Achille Le Bel tenta de fournir le minerai au fourneau de départ au moyen de<br />

« wagons roulant sur un petit chemin de fer ». Mais cet essai n’a pas non plus réussi (5).<br />

Le 8 octobre 1836, l’ingénieur Voltz pouvait ainsi résumer la situation en ces quelques<br />

lignes, hélas trop laconiques : « Les fourneaux de première cuite, dit-il, ont maintenant huit<br />

chaudières chacun au lieu de six qu’ils avaient anciennement. Le feu y est plus rétréci que<br />

par le passé. La chaleur de la cheminée est employée à chauffer l’eau qui alimente les huit<br />

chaudières » (1).<br />

Double riposte aux importations<br />

En 1812, les débouchés étaient les mêmes qu’avant 1789. La graisse claire, explique<br />

l’ingénieur des mines, « sert au graissage des essieux en fer des roues de machines et de<br />

voitures ». Elle était alors surtout ven<strong>du</strong>e à Strasbourg et Lyon, mais elle continuait de se<br />

heurter à la concurrence des graisses contrefaites à base de résine de pin.<br />

Cette concurrence s'exacerba vers 1821 avec l'importation d'outre-Rhin « de graisses<br />

falsifiées avec de la résine et <strong>du</strong> goudron qui n'ont pas les mêmes propriétés que le <strong>pétrole</strong>,<br />

mais que l'on vend souvent sous cette dénomination, ce qui par leur bas prix empêche M.<br />

Lebel de soutenir la concurrence ».<br />

Marie Joseph Achille y réagit de deux façons. En mai 1821, il réclama que le tarif des<br />

douanes « sur les graisses non dénommées » soit multiplié par quatre, de 5 francs les cent<br />

kilogrammes à 20 francs. L'administration, bien sûr, fit la sourde oreille et trouva comme


excuse « qu'il aurait fallu que pour faire apprécier sa demande, M. Lebel indiquât la valeur<br />

<strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> pur et celle de la graisse falsifiée. Il ne l'a pas fait et l'on ne peut que laisser au<br />

Conseil des manufactures à juger s'il est nécessaire de donner suite à cet objet » (6).<br />

L'autre riposte consista pour Marie Joseph Achille Le Bel à éditer et à diffuser une afficheréclame,<br />

signée de son nom, expliquant comment distinguer les vraies graisses des fausses.<br />

« La graisse d’asphalte de Bechelbronn (sic), détaille-t-il, est d’un beau noir uni, sans<br />

mélange d’aucun corps étranger. Elle a la consistance d’un miel épais. Elle a une légère<br />

odeur asphaltique, qui est loin d’être désagréable. Elle ne laisse point de croûtes ou de<br />

dépôts, ainsi que le font les autres graisses à mesure qu’elles s’usent. »<br />

A l’inverse, « la graisse contrefaite est d’un noir terne. Elle est une composition de dépôts<br />

d’huiles ou vieilles graisses, mêlées avec des crasses provenant de la purification des résines<br />

de pin et goudrons, peut-être même une légère quantité d’huile de térébenthine pour<br />

l’entretenir momentanément malléable. D’où il résulte qu’après un certain frottement, les<br />

huiles ou graisses ayant été usées, il ne reste que la résine et le goudron, qui empâtent le<br />

mouvement au lieu de l’aider. Cette contrefaçon est facile à reconnaître. »<br />

Toute personne intéressée à faire le débit des authentiques graisses d’asphalte de Bechelbronn<br />

pouvait d’adresser par courrier au propriétaire de la manufacture. Mais les habitants de<br />

Strasbourg et des environs pouvaient également se les procurer auprès de quatre détaillants : J.<br />

D. Kammener, maître bordier vis à vis de la Douane, Philippe Hummel au 30 rue <strong>du</strong> Faubourg<br />

de pierres, Amédée Besson au 18 place Dauphine ainsi que Frédéric Bosé, qui tenait à la fois<br />

boutique au 3 rue <strong>du</strong> Faubourg de Saverne et 18 rue <strong>du</strong> Faubourg Blanc (2).<br />

Le texte de cette affichette a été repro<strong>du</strong>it par Paul de Chambrier dans son « Historique de<br />

Péchelbronn » de 1919, puis en 2003 par le Dr Henri Franck dans la revue L'Outre-Forêt n°<br />

123, page 18, mais sans faire le lien avec l'importation des graisses falsifiées d'outre-Rhin, ni<br />

avec la demande d'augmentation par quatre des taxes douanières, que tous deux ignoraient.<br />

Pechelbronn contraint de ré<strong>du</strong>ire ses tarifs<br />

En 1823-1824, les ventes continuent de baisser d'autant que les Le Bel doivent également<br />

affronter la concurrence des nouvelles fabriques qui se sont établies dans les départements<br />

voisins et dans les environs de Lyon et qui pro<strong>du</strong>isent soit des graisses végétales, soit d’autres<br />

graisses par distillation de la houille. Pechelbronn se voit donc contraint de ré<strong>du</strong>ire ses propres<br />

tarifs. Le prix <strong>du</strong> quintal métrique passe ainsi de 80 à 74 francs. Mais heureusement la qualité<br />

de la graisse de Pechelbronn continue de l’emporter « de beaucoup » sur celle de ses<br />

concurrentes.<br />

L’ingénieur des mines Voltz le confirme en 1830. Le <strong>pétrole</strong> de Pechelbronn, dit-il, est<br />

« plus inaltérable que la graisse de voiture ordinaire et d’un meilleur usage ». Il était alors<br />

employé au graissage des roues de voitures et des mécaniques en général. Outre l’Alsace et<br />

Lyon, un troisième débouché est alors mentionné : la Lorraine.<br />

Mais au début de 1831 le commerce des graisses commence à pâtir de « la stagnation<br />

générale des affaires ». Et en 1834, dans son ouvrage intitulé « Nouvelles expériences sur le<br />

frottement faites à Metz en 1832 », le capitaine d'artillerie Arthur Morin en vient à contester<br />

radicalement, page 40, les qualités lubrifiantes de la graisse d'asphalte <strong>du</strong> Bechelbronn.


« Cette substance, écrit-il, est visqueuse, d'un brun rougeâtre et ressemble beaucoup à un<br />

sirop de mélasse très épais. Les résultats des expériences relatives à cet en<strong>du</strong>it montrent que<br />

le frottement reste encore, dans ce cas, indépendant de la vitesse, puisque tous les mouvements<br />

accélérés l'ont été uniformément. Il ne paraît pas que pour adoucir le frottement des<br />

bois et des métaux, cet en<strong>du</strong>it soit préférable à ceux que l'on emploie ordinairement et je dois<br />

ajouter que quand les surfaces n'en sont plus abondamment pourvues la résistance augmente<br />

rapidement et obtient promptement une valeur presque égale à celle que l'on a trouvé<br />

lorsqu'il n'y avait pas <strong>du</strong> tout d'en<strong>du</strong>it. »<br />

En juillet 1831, les travaux à la mine et à l’usine doivent donc être ré<strong>du</strong>its de moitié. Nouvelle<br />

rechute en 1835, au point que la fabrication des graisses doit être suspen<strong>du</strong>e pendant<br />

près de cinq mois, pendant que les travaux de la mine ne sont poursuivis qu’au ralenti, en se<br />

con-centrant sur les tâches préparatoires. En octobre 1836, cependant, les affaires reprennent<br />

leur cours normal et un nouveau débouché est signalé : le goudronnage des câbles et des<br />

cordages. « Les demandes sont (même) plus fortes que les années précédentes » (1). ©<br />

Jean-Claude Streicher (novembre 2007)<br />

NOTES :<br />

(1) AN : F14 4050.<br />

(2) Arch. <strong>du</strong> musée <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> de Merkwiller-Pechelbronn.<br />

(3) ABR : U2212, référence très aimablement communiquée par M. Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(4) ABR : U1000.<br />

(5) Louis Frédéric Achille Le Bel (1807-1867) : « Traitements des sables asphaltiques <strong>du</strong> Pechelbronn », note<br />

manuscrite datée <strong>du</strong> 15 décembre 1859, Arch. <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>, Merkwiller-Pechelbronn, très aimablement<br />

communiquée par M. Daniel Rodier, vice-président de l'Ass. des Amis <strong>du</strong> <strong>Musée</strong> <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong>.<br />

(6) AN : F12 2475.


Les chiffres de pro<strong>du</strong>ction de la période Mabru<br />

Pro<strong>du</strong>ction<br />

Années de graisse en<br />

quintaux<br />

1812 952 qtx gr. claire<br />

25 qtx gr. épais.<br />

Prix de vente<br />

<strong>du</strong> quintal<br />

de graisse<br />

Nombre<br />

d’ouvriers<br />

mine + usine<br />

Bénéfice net<br />

imposable<br />

76 18 900 F*<br />

1813 1102 qtx gr. claire gr. claire : 74 F<br />

gr. épaisse : 90F<br />

76 22 636 F*<br />

1814 995 qtx gr. claire 74 F 61 17 984 F*<br />

1815 765 qtx gr. claire 61 10 845 F*<br />

1816 895 qtx 64 8 976 F (Voltz)<br />

4 621 F (Le Bel)<br />

1817 832 qtx 64<br />

1818 850 qtx 64<br />

1819 775 qtx 73<br />

1820 780 qtx 70 12 030 F<br />

1821 760 qtx 80 10 766 F<br />

1822 720 qtx 80 F 67 10 052 F<br />

1823 710 qtx 74 F 67 8 596 F<br />

1824 893 qtx 67 8 952 F<br />

1825 821 qtx 69 F 67 10 544 F<br />

1826 810 qtx 70 F 67 9 934 F<br />

1827 960 qtx 70,70 F 67 12 128 F<br />

1828 842 qtx 70,70 F 80 11 785 F<br />

1829 780 qtx 71 F 82 9 041 F<br />

1830 592 qtx 71 F 48 5 910 F<br />

1831 710 qtx 80 F 98 8 118 F<br />

1832 820 qtx 80 F 133 10 103 F<br />

1833 750 qtx 80 F 134 6 150 F<br />

1834 750 qtx 80 F 80 7 170 F<br />

1835 460 qtx 82 F 70 - 3 620 F<br />

1836 840 qtx 80 F 124 8 600 F<br />

1837 825 qtx 80 F non indiqué 7 597 F<br />

* Chiffres contestés par <strong>Auguste</strong> Mabru (d’après AN : F14 4050)


Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

(9) AUGUSTE <strong>MABRU</strong> (1780-1853)<br />

___________________________________________________________________________<br />

CHAPITRE V<br />

L’atelier des noirs d'imprimerie<br />

Selon toute probabilité, <strong>Auguste</strong> Mabru a été le premier en Europe à avoir eu l'idée de fabriquer <strong>du</strong><br />

noir d'imprimerie à partir <strong>du</strong> noir de fumée de bitume, en lieu et place <strong>du</strong> noir de fumée de résine<br />

utilisé jusque là. Il testa longuement son procédé à partir de 1821, puis monta son propre atelier de<br />

fabrication au Pechelbronn même. Il présenta des échantillons de ses fabrications aux expositions<br />

in<strong>du</strong>strielles de Paris et de Mulhouse et fournit les deux principaux imprimeurs strasbourgeois,<br />

Simon fils et Gustave Silbermann. Un procès fait à des rouliers nous apprend qu'il livrait également<br />

des imprimeurs de Nice et de Lausanne. Après sa brouille avec les Le Bel père et fils en 1838,<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru installe son atelier de noir d'imprimerie rue Entenlach à Haguenau. Son fils Henri<br />

poursuivra les fabrications jusqu'à la guerre de 1870. De nos jours, la plupart des pigments noirs<br />

d'imprimerie sont d'origine pétrolière.<br />

Voltz, premier témoin<br />

Pendant qu’il dirigeait la mine et l’usine <strong>du</strong> Pechelbronn, <strong>Auguste</strong> Mabru eut également l'idée de<br />

fabriquer <strong>du</strong> noir d'imprimerie à partir <strong>du</strong> noir de fumée de bitume. Il pourrait même être le premier<br />

au monde à y avoir pensé, car le procédé n'est mentionné nulle part avant lui, à notre connaissance.<br />

C'était de toute évidence une idée d'avenir, puisqu'à en croire la fiche toxicologique n° 264 de<br />

l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité), 95 % des pigments noirs utilisés aujourd'hui<br />

dans les encres d'imprimerie, de lithographie, de typographie et de photographie sont des noirs de<br />

carbone obtenus par combustion incomplète de rési<strong>du</strong>s pétroliers lourds.<br />

L'idée de ce procédé est mentionnée pour la première fois en 1821 par Voltz, l’ingénieur des<br />

mines <strong>du</strong> département <strong>du</strong> Bas-Rhin. Le 9 août, à l’occasion de son inspection annuelle, celui-ci<br />

indique en effet : « on a fait dans le cours de cette année des essais nombreux pour employer le<br />

<strong>pétrole</strong> dans la fabrication <strong>du</strong> noir d’imprimerie. Ces essais paraissent avoir con<strong>du</strong>it à un résultat<br />

avantageux ». C’était à un moment où, au Pechelbronn, l’on se préparait « à faire des améliorations<br />

notables dans l’usine » (1).<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru n'a pas manqué d'en répandre la nouvelle auprès de ses proches. Il écrit à son frère<br />

Claude, le colonel d’artillerie, qu’il « va mettre en activité sa fabrique d’encres d’imprimerie ». A<br />

son tour, celui-ci met au courant leur beau-frère Benoît Monestier, de Romagnat près de Clermont-<br />

Ferrand, dans une lettre datée <strong>du</strong> 24 juillet 1822 (2).<br />

A l’occasion de son inspection annuelle suivante, le même Voltz ajoute le 1 er août 1822 : « Il<br />

paraît que l’on pourrait employer très avantageusement le <strong>pétrole</strong> à la fabrication de l’encre<br />

d’imprimerie et M. Lebel se propose d’établir une fabrique de cette encre, où il emploiera le<br />

<strong>pétrole</strong> » (1). Cette fabrication fut lancée dans l’un des bâtiments <strong>du</strong> domaine <strong>du</strong> Pechelbronn, selon<br />

toute probabilité dans une annexe <strong>du</strong> bâtiment de cuisson. L'érudit franc-maçon strasbourgeois<br />

Frédéric Piton, auteur de « Strasbourg illustré » dit l'avoir visitée en 1834, mais sans en faire de<br />

commentaire particulier (3).<br />

Nous n'avons pas, hélas, le détail <strong>du</strong> procédé. Mais il faut supposer qu'il comprenait une


pro<strong>du</strong>ction de noir de fumée de bitume et une autre d'huile de lin, qui sont en effet les deux<br />

éléments constitutifs <strong>du</strong> noir d'imprimerie. Ce dernier était ensuite conditionné dans des barils et a<br />

donc profité de l'atelier de tonnellerie <strong>du</strong> Pechelbronn, qui fournissait les conteneurs de la graisse<br />

d'asphalte. Du temps d'Antoine Le Bel, le Pechelbronn possédait d'ailleurs déjà « un pressoir pour<br />

l'huilerie avec sa chaudière, meule et ustensiles », si l'on en croit l'inventaire <strong>du</strong> 19 mai 1789<br />

(ABE : 6E40.2/115).<br />

Les anciens procédés<br />

Avant Antoine Mabru, et <strong>du</strong> moins en Europe, aucun <strong>pétrole</strong>, ni pro<strong>du</strong>it dérivé bitumineux<br />

n’entrait dans la composition des encres d’imprimerie. Si l’on en croit le Dictionnaire universel de<br />

commerce de 1727, celles-ci étaient alors « un composé de térébenthine, d’huile de noix et de noir<br />

de fumée, ré<strong>du</strong>it par la cuisson et le broiement en une espèce de pâte liquide, à peu près semblable<br />

à de la bouillie un peu épaisse ». Et le meilleur noir de fumée que recommandait l’ouvrage était<br />

« celui provenant de la vapeur de la résine brûlée » (4).


L'Encyclopédie méthodique de 1784, précise à l'article « Imprimerie » que l'on obtenait le noir de<br />

fumée alors employé dans les encres d'imprimerie en brûlant de la poix-résine dans des « sacs à<br />

noir ». La fumée se déposait sur les parois internes de ces sacs. On la faisait tomber « en frappant<br />

avec des baquettes sur toutes les faces externes ». On la ramassait et on la mêlait avec le vernis pour<br />

former « une bouillie épaisse » (5).<br />

Ce vernis était de l'huile de lin ou de noix cuite. Le Dictionnaire de la conversation et de la<br />

lecture de 1854 décrit le procédé de cuisson de cette huile : « On met dans une marmite en fonte,<br />

contenant je suppose 25 litres, 8 à 10 kg d'huile de lin bien dégraissée et ren<strong>du</strong>e siccative par la<br />

litharge. On ferme hermétiquement cette marmite avec son couvercle. On la pose sur un trépied et<br />

on chauffe par degrés. Aussitôt que l'huile bout, on achève de dégraisser par des tranches de pain<br />

brûlé, des oignons brûlés, etc. Ensuite, on pousse vivement le feu jusqu'à ce que l'huile commence à<br />

se décomposer et fumer. Alors, on l'allume avec une papillote. On ne peut prescrire la <strong>du</strong>rée de<br />

brûlage. Il faut que l'huile ait éprouvé un commencement de carbonisation. Alors, on retire la<br />

marmite de dessus le feu. C'est ce vernis qui, broyé avec <strong>du</strong> noir de fumée, léger pour la<br />

lithographie, plus lourd pour l'impression en lettres, constitue les encres d'imprimerie ordinaire et<br />

de lithographie. »<br />

Pour l'impression en taille douce, le noir était d'une espèce différente. Il est composé, poursuit le<br />

Dictionnaire de la conversation et de la lecture « de noir d'os et de noir de lie de vin brûlée ». On<br />

employait également <strong>du</strong> « noir de Francfort », que l'on disait être fait avec de jeunes branches de<br />

vigne (6).<br />

Le Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de 1857 désigne pour sa part l'encre<br />

utilisée pour la taille douce sous le nom de « noir d'Allemagne ». Celui-ci était fait « avec de la lie<br />

de vin, les noyaux de pêche, l'ivoire et l'os, le tout brûlé et calciné, ensuite lavé et porphyrisé ». On<br />

faisait aussi <strong>du</strong> noir d'impression avec <strong>du</strong> sang sec et des déchets de corne soumis à une forte<br />

chaleur et traités par la potasse (7).<br />

Ce n'est que dans le Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’in<strong>du</strong>strie et des arts<br />

in<strong>du</strong>striels de 1887 que nous avons trouvé la première mention de noir de fumée « obtenu par la<br />

combustion <strong>du</strong> goudron, <strong>du</strong> naphte, de la résine, etc. », puis mêlé à de l'huile de lin<br />

« convenablement préparée ». « Dans certains cas, complète l'ouvrage, on ajout(ait) diverses<br />

espèces de charbons finement pulvérisées » (8).<br />

Aux expositions de Paris et de Mulhouse<br />

La petite fabrique d'<strong>Auguste</strong> Mabru sut rapidement asseoir sa réputation. Jean Frédéric<br />

Aufschlager la mentionne ainsi dans sa « Nouvelle description historique et topographique des<br />

deux départements <strong>du</strong> Rhin » de 1826. Il indique qu'elle est établie « à Pechelbronn depuis peu »<br />

(9).<br />

En 1827, <strong>Auguste</strong> Mabru en présente des échantillons à la grande Exposition publique des<br />

pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie <strong>français</strong>e (la septième depuis 1798), qui s'était tenue au palais <strong>du</strong> Louvre à<br />

Paris. Il y remporta une mention honorable dans la catégorie « Encre », derrière les Parisiens<br />

Cavaignac et Beaulès. Déjà distingués en 1823, ces derniers fabriquaient « de très bonne encre pour<br />

l'impression » et avaient également publié « le moyen de faire de bons rouleaux d'imprimerie avec<br />

un mélange de colle forte et de mélasse ». Avec Mabru, le jury entendait récompenser « une belle<br />

série d'encres d'imprimerie » ainsi que des procédés « assez économiques », qui devaient<br />

« permettre de les livrer au commerce au-dessous <strong>du</strong> cours ».


En exposant à Paris, <strong>Auguste</strong> suivait l'exemple donné avant lui par Félix Sébastien Alexandre<br />

Dournay, le propriétaire des mines d'asphalte voisines de Lobsann. Celui-ci avait en effet participé à<br />

l'édition de 1823 de la même manifestation et y avait même remporté une médaille de bronze dans<br />

la catégorie « Bitumes » (10). Cette médaille de bronze lui avait été ré-attribuée à l'exposition de<br />

1827, puis de nouveau à celle de 1834 (11).<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru, « de Bechelbronn » (sic), participe ensuite à la première et seule exposition des<br />

pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie spécifiquement alsacienne que la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse (SIM) a<br />

organisée en mai 1836 « dans les vastes salles de son local ». Il y présente un catalogue très étoffé<br />

de pro<strong>du</strong>its composé de « noirs calcinés, vernis et encres d'impression pour la typographie et la<br />

lithographie » ainsi que des « crayons et encres lithographiques et autographiques ».


Le siège de la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse.<br />

Les organisateurs avaient d'abord été un peu soupçonneux à l'égard de ce nouveau venu, mais<br />

finirent quand même par lui consacrer une notice flatteuse. « Chaque établissement, écrivent-ils,<br />

chaque imprimeur ou dessinateur a ses habitudes et souvent ses préjugés. Telle encre que l'un<br />

trouve parfaite ne convient pas à l'autre et souvent l'habitude qu'on a de se servir d'un pro<strong>du</strong>it,<br />

même inférieur, fait qu'on le préfère à d'autres mieux préparés. Il est donc impossible de dire telle<br />

encre, tel crayon est le meilleur. Mais ce que nous pouvons assurer, c'est qu'on peut compter sur de<br />

bons résultats en employant les pro<strong>du</strong>its de M. Mabru. Tout ce qui sort de ses mains est préparé<br />

avec soi et avec une connaissance parfaite des matières qu'il traite. »<br />

<strong>Auguste</strong> est même en mesure d'exposer à Mulhouse plusieurs affiches « imprimées en très gros<br />

caractères » avec ses encres par Gustave Silbermann, le plus gros imprimeur strasbourgeois, qu'il<br />

comptait donc désormais parmi ses clients. Ces affiches, poursuit la notice de la SIM, « offrent le<br />

plus beau noir sans qu'on s'aperçoive autour des lettres cette auréole jaune, signe caractéristique<br />

des mauvaises encres. Et pourtant, elles étaient tirées depuis assez longtemps pour que l'huile mal<br />

cuite eût pu s'infiltrer dans le papier. » <strong>Auguste</strong> exhiba également des impressions lithographiques<br />

tout aussi irréprochables, qui avaient été réalisées avec les mêmes encres par Eugène Simon fils,<br />

autre grand imprimeur et chromolithographe strasbourgeois.<br />

Les rapporteurs de la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse testèrent aussi les crayons et les encres<br />

lithograhiques et autographiques de notre exposant. « Les épreuves, écrivent-ils, ont repro<strong>du</strong>it<br />

exactement l'effet que présentaient les planches lithographiques. » (12).<br />

En 1836, à l'époque de cette exposition mémorable, l'imprimeur Gustave Rodolphe Henri Silbermann était<br />

âgé de 35 ans. Il avait pris la direction des ateliers familiaux, 2, place St-Thomas à Strasbourg, en 1823, année de<br />

la mort de son père, après s'être formé pendant deux ans à l'impression en couleur chez Firmin-Didot à Paris. Il<br />

passe pour avoir fait faire à la typographie des progrès importants, notamment dans la chromolithographie.<br />

« Savant et intelligent praticien, il est véritablement le père de la polychromie », peut-on ainsi lire à son propos<br />

dans « Le Bibliographe alsacien, gazette littéraire, historique et artistique » <strong>du</strong> 25 septembre 1862.<br />

A partir de 1828, il est le gérant et le propriétaire avec sa mère <strong>du</strong> Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin/Nieder-rheinischer<br />

Kurier, qu'il transforme en journal quotidien en 1831. Il est aussi propriétaire des Affiches de Strasbourg et<br />

imprime le bimensuel protestant Der Missions Freund, la Revue de théologie protestante, l'Evangelisches


Sonntagsblatt, le Journal de la Société d'horticulture <strong>du</strong> Bas-Rhin, le Bulletin de la Société d'agriculture et des<br />

quatre comices <strong>du</strong> Bas-Rhin, la Gazette médicale de Strasbourg, la Revue d'hydrologie médicale, le Bulletin des<br />

sciences naturelles, la Revue entomologique, L'Illustration de Bade, journal littéraire et artistique de la forêt-<br />

Noire et de la vallée <strong>du</strong> Rhin, l'almanach Der Hinkende Bote am Rhein...<br />

Pendant deux ans, de 1848 à 1850, Silbermann imprima également Erckmann et Chatrian. De ses presses,<br />

sortirent enfin plusieurs ouvrages d'art d'éditeurs parisiens, ainsi qu'un magnifique « Album typographique » en<br />

couleur, qu'il édita à ses frais en 1840 pour l'érection de la statue de Gutenberg à Strasbourg, dont il se voulait le<br />

digne héritier. Pendant longtemps, Hetzel, l'éditeur de Jules Verne, a été son représentant à Paris pour ses travaux<br />

d'impression.<br />

Franc-maçon et libéral, Gustave Silbermann a eu une vie publique débordante. Il siège au Conseil municipal de<br />

Strasbourg à partir de 1840. Il est secrétaire <strong>du</strong> consistoire de St-Thomas, collectionneur de coléoptères,<br />

directeur <strong>du</strong> Muséum d'histoire naturelle de la ville, fondateur de la Société des sciences naturelles locale,<br />

membre de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace, trésorier <strong>du</strong> 10e Congrès<br />

scientifique de France organisé en septembre-octobre 1842 à Strasbourg, médaille d'or à l'Exposition in<strong>du</strong>strielle<br />

de Paris de 1844, chevalier de la Légion d'honneur...<br />

Il s'est trouvé impliqué dans une affaire qui fit grand bruit. Avec l'avocat strasbourgeois Marie-Louis<br />

Liechtenberger et Jules Charles Boersch, le rédacteur en chef <strong>du</strong> Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin, il fonda la Société <strong>du</strong><br />

Bas-Rhin contre l'impôt des boissons et <strong>du</strong> sel. Liechtenberger en rédigea l'argumentaire, que Silbermann<br />

imprima sur ses presses et dont Boersch publia de larges extraits dans Le Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin. Les trois<br />

hommes furent donc assignés en justice en même temps, Silbermann étant même accusé deux fois comme<br />

imprimeur des deux écrits incriminés. Mais la Cour d'assise <strong>du</strong> Bas-Rhin finit par prononcer le non-lieu le 20<br />

mars 1834 (13).<br />

En 1839, l'imprimerie Silbermann comptait près de soixante ouvriers, dix presses et une mécanique. A la fin <strong>du</strong><br />

Second Empire, ses effectifs atteignent la centaine de personnes. Mais elle est ven<strong>du</strong>e en 1872 à Gustave<br />

Fischbach, pendant que le Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin fut cédé dès 1870 à un imprimeur badois. Gustave Silbermann<br />

se retire alors à Paris, auprès de sa fille. Il y décède le 13 juin 1876, à l'âge de 75 ans (14) (15).<br />

Quant à Simon fils, il s'agit de Frédéric Emile Simon (1805-1886), fils <strong>du</strong> graveur Frédéric Sigismond Simon<br />

(1777-1849), qui avait fondé son imprimerie lithographique en 1829, 14, rue <strong>du</strong> Dôme à Strasbourg. Frédéric<br />

Emile la dirigea seul à partir de 1832 et y développa la chromolithographie à partir de 1836. Il imprima, entre<br />

autres, la carte de 1834 <strong>du</strong> cours <strong>du</strong> Rhin de Bâle à Lauterbourg pour l'administration des Ponts et chaussées, les<br />

oeuvres de Théophile Schuler et d'Arnold, des planches d'ouvrages scientifiques ainsi que le « Strasbourg<br />

illustré » de Frédéric Piton (14).<br />

L o g o t y p e d e l'i m p ri m e ri e S il b e r m a n, à la q u e ll e A u g u s t e M a b r u f o u r nit d e s e n c r e s p o u r a ffi c h e s.<br />

Livraisons à Nice et Marseille


Il semblerait qu'<strong>Auguste</strong> ait également présenté ses pro<strong>du</strong>its à l'exposition in<strong>du</strong>strielle qui s'est<br />

tenue en juin 1840 pendant trois semaines au Palais Rohan à Strasbourg, à l'occasion de<br />

l'inauguration de la statue de Gutenberg. Frédéric Piton, qui en rend compte dans son « Strasbourg<br />

illustré », énumère en effet <strong>du</strong> « noir d'imprimeur (et) de l'asphalte » (16).<br />

Mais <strong>Auguste</strong> Mabru sut aussi conquérir des clients bien au-delà des frontières régionales. Le 18<br />

novembre 1837, il confia ainsi aux commissionnaires de roulage strasbourgeois Edouard et Albert<br />

Dreyfuss un baril d’encre d’imprimerie pesant 64 kg et demi, qui devait être expédié en trente-deux<br />

jours au Sr Mistrallet, commissionnaire de roulage à Marseille. Celui-ci à son tour devait le faire<br />

parvenir à une société typographique à Nice. Le 20 décembre suivant, <strong>Auguste</strong> Mabru remit encore<br />

aux Srs Dreyfuss deux autres barils <strong>du</strong> même type, qui devaient être livrés dans un délai de seize<br />

jours aux Srs Ducloux, imprimeurs à Lausanne.<br />

Ces deux livraisons, hélas, connurent des ratés. La première, prétend <strong>Auguste</strong>, ne serait jamais<br />

arrivée à destination. Quant à la seconde, elle n’arriva à Lausanne qu’en août 1838, soit avec huit<br />

mois de retard. <strong>Auguste</strong> assigna donc les Srs Dreyfuss en justice et exigea d’être remboursé de la<br />

valeur <strong>du</strong> baril expédié à Nice, et d’être dédommagé de 500 francs pour le retard <strong>du</strong> second envoi.<br />

Le contentieux, fort révélateur des circuits de distribution de l’époque, fut examiné par le tribunal<br />

de commerce de Strasbourg le 25 janvier 1839. Au cours de l’audience, les Srs Dreyfuss<br />

s’estimèrent hors de cause, puisqu’ils avaient remis de suite le baril destiné à Nice aux transporteurs<br />

strasbourgeois Andreÿ et Kuhn et qu’ils avaient également fait parvenir en temps utile à la maison<br />

Bely de Lyon les deux autres barils destinés à Lausanne.<br />

Quant aux Srs Andreÿ et Kuhn, ils soutinrent qu’ils avaient rempli leur engagement en faisant<br />

remettre dans le délai ordinaire aux Srs Descours et Récamier de Lyon le baril destiné à Nice. Le Sr<br />

Bely, enfin, déclara que les deux barils dont l’expédition partielle lui avait été confiée furent remis à<br />

leur destinataire de Lausanne, qui les a acceptés sans réclamation et qui depuis a soldé le prix de la<br />

fourniture.<br />

Le tribunal décida finalement de prescrire la plainte d’<strong>Auguste</strong> et de le condamner aux dépens : à<br />

17,25 francs envers les Srs Dreyfuss, à 9,25 francs envers les Srs Andreÿ et Kuhn, à 3,75 francs<br />

envers le Sr Bely, à 12,45 francs envers les Srs Descours et Récamier, et à 4,25 francs envers les Srs<br />

Arnoux et Martial Veyrat, commissions de roulage à Valence (17).<br />

Le contentieux, heureusement, ne mit pas l'entreprise en péril. En 1841, la valeur de sa « fabrique<br />

de pro<strong>du</strong>its propres à la typographie » (bâtiments, machines, ustensiles, matières premières et<br />

procédés) sera estimée à 40 000 francs (18).<br />

<strong>Auguste</strong> s’installe à Haguenau<br />

Entre-temps, <strong>Auguste</strong> Mabru s'était brouillé avec les Le Bel père et fils. Dès le 23 juin 1839, il est<br />

signalé comme « propriétaire demeurant à Merkwiller ». Il avait donc quitté le château <strong>du</strong><br />

Pechelbronn pour s’installer provisoirement dans le village. Deux ans plus tard, le 1 er mai 1841, il<br />

est domicilié rue Entenlach (rue de la mare aux canards), dans l’ancien quartier paysan intra-muros<br />

de Haguenau (la rue Entenlach relie la Tour des Chevaliers à la Porte de Wissembourg). Il y avait<br />

également transféré sa petite fabrique d’encres pour impression et lithographie.<br />

Nous ignorons la provenance <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> qu'il utilisa alors, car l'emploi <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> qu'il exploitait<br />

dans sa concession de Schwabwiller n'est mentionné que pour l'année 1844 (19). En juillet 1852,


par contre, <strong>Auguste</strong> demanda à pouvoir installer sur sa propriété d’Haguenau « une petite machine à<br />

vapeur de la force de trois chevaux » (20).<br />

Son fils Henri <strong>Auguste</strong> Mabru continuera la fabrication. Son atelier comptera deux salariés de<br />

1856 à 1863, puis trois de 1864 jusqu’à la guerre de 1870, avec même une pointe de quatre salariés<br />

au quatrième trimestre 1867. Il quittera l’Alsace en 1872 comme « optant » pour se fixer avec son<br />

épouse Léonie (née Colson à Nancy) à Choisy-le-Roi, dans la banlieue parisienne. Ses enfants<br />

seront les seuls à continuer le nom jusqu’à nos jours (21). ©<br />

Jean-Claude Streicher (août 2008)<br />

NOTES :<br />

(1) AN : F14 4050.<br />

(2) Liliane Godat-Chanimbaud : « Ces Auvergnats oubliés qui firent la France et préparèrent l’Europe, tome II,<br />

Antoine (<strong>Auguste</strong>) Mabru, les Le Bel et l’exploitation <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> en Alsace », auto-édition, 63580 St-Etienne-sur-Usson,<br />

mars 2004, 351 pages) (liliane.godat@libertysurf.fr).<br />

(3) Frédéric Piton : « Mon voyage à travers l’Outre-Forêt », in L’Outre-Forêt n° 2, juin 1973.<br />

(4) Savary des Brûlons : « Dictionnaire universel de commerce », t. 1, article Encre d’imprimerie, p. 102, Ed.<br />

d’Amsterdam 1726.<br />

(5) Encyclopédie méthodique, article « Imprimerie », t. 3, Paris, 1784.<br />

(6) Dictionnaire de la conversation et de la lecture, 2e édition, t. 8, article « Encre », Paris 1854.<br />

(7) Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts, de Marie Nicolas Bouillet, 3e éditon, Paris, 1857, article<br />

« Noir ».<br />

(8) E.O. Lami : « Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’in<strong>du</strong>strie et des arts in<strong>du</strong>striels », Paris, 1887.<br />

(9) Jean Frédéric Aufschlager : « L'Alsace, nouvelle description historique et topographique des deux départements <strong>du</strong><br />

Rhin », Strasbourg, 1826, t. 2, p. 434.<br />

(10) « Exposition publique des pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie <strong>français</strong>e, Rapport <strong>du</strong> jury central sur les pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie<br />

<strong>français</strong>e », Paris, 1827, BNF.<br />

(11) « Rapport <strong>du</strong> jury central sur les pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie <strong>français</strong>e exposée en 1834 par le baron Charles Dupin,<br />

membre de l'Institut, rapporteur général et vice-président <strong>du</strong> jury central ».<br />

(12) « Rapports sur l'exposition des pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie alsacienne, organisée par la Société in<strong>du</strong>strielle de<br />

Mulhouse en mai 1836 », Bulletin de la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse, n° 45, p. 381.<br />

(13) « Prozess des Vereins des Niederrheines gegen die Auflage der Getränke und des Salzes, enthaltend die<br />

vollständige Vertheidigung der Bürger Liechtenberger, Börsch und Silbermann und die Rede des Advokaten Martin,<br />

verhandelt vor dem Assisengericht des Niederrheins », imprimé par G. Silbermann.<br />

(14) Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne.<br />

(15) Jean-Pierre Kintz : « Journaux politiques et journalistes strasbourgeois sous le Second Empire, 1852-1870 », Libr.<br />

Istra, Strasbourg, 1974, 166 p.<br />

(16) Frédéric Piton : « Strasbourg illustré », p. 124, Strasbourg, 1855.<br />

(17) ABR : U2313, n° 198, référence très aimablement communiquée par M. Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(18) AN : F14 8142.<br />

(19) AN : F14 4051.<br />

(21) Arch. mun. de Haguenau : Df1, référence très aimablement communiquée par Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(21) Renseignements très aimablement communiqués par Liliane Godat-Chanimbaud, auteure des biographies de<br />

Claude et Antoine Mabru.


Les pionniers de l’or noir <strong>du</strong> Pechelbronn<br />

(9) AUGUSTE <strong>MABRU</strong> (1780-1853)<br />

___________________________________________________________________________<br />

CHAPITRE V<br />

L’atelier des noirs d'imprimerie<br />

Selon toute probabilité, <strong>Auguste</strong> Mabru a été le premier en Europe à avoir eu l'idée de fabriquer <strong>du</strong><br />

noir d'imprimerie à partir <strong>du</strong> noir de fumée de bitume, en lieu et place <strong>du</strong> noir de fumée de résine<br />

utilisé jusque là. Il testa longuement son procédé à partir de 1821, puis monta son propre atelier de<br />

fabrication au Pechelbronn même. Il présenta des échantillons de ses fabrications aux expositions<br />

in<strong>du</strong>strielles de Paris et de Mulhouse et fournit les deux principaux imprimeurs strasbourgeois,<br />

Simon fils et Gustave Silbermann. Un procès fait à des rouliers nous apprend qu'il livrait également<br />

des imprimeurs de Nice et de Lausanne. Après sa brouille avec les Le Bel père et fils en 1838,<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru installe son atelier de noir d'imprimerie rue Entenlach à Haguenau. Son fils Henri<br />

poursuivra les fabrications jusqu'à la guerre de 1870. De nos jours, la plupart des pigments noirs<br />

d'imprimerie sont d'origine pétrolière.<br />

Voltz, premier témoin<br />

Pendant qu’il dirigeait la mine et l’usine <strong>du</strong> Pechelbronn, <strong>Auguste</strong> Mabru eut également l'idée de<br />

fabriquer <strong>du</strong> noir d'imprimerie à partir <strong>du</strong> noir de fumée de bitume. Il pourrait même être le premier<br />

au monde à y avoir pensé, car le procédé n'est mentionné nulle part avant lui, à notre connaissance.<br />

C'était de toute évidence une idée d'avenir, puisqu'à en croire la fiche toxicologique n° 264 de<br />

l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité), 95 % des pigments noirs utilisés aujourd'hui<br />

dans les encres d'imprimerie, de lithographie, de typographie et de photographie sont des noirs de<br />

carbone obtenus par combustion incomplète de rési<strong>du</strong>s pétroliers lourds.<br />

L'idée de ce procédé est mentionnée pour la première fois en 1821 par Voltz, l’ingénieur des<br />

mines <strong>du</strong> département <strong>du</strong> Bas-Rhin. Le 9 août, à l’occasion de son inspection annuelle, celui-ci<br />

indique en effet : « on a fait dans le cours de cette année des essais nombreux pour employer le<br />

<strong>pétrole</strong> dans la fabrication <strong>du</strong> noir d’imprimerie. Ces essais paraissent avoir con<strong>du</strong>it à un résultat<br />

avantageux ». C’était à un moment où, au Pechelbronn, l’on se préparait « à faire des améliorations<br />

notables dans l’usine » (1).<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru n'a pas manqué d'en répandre la nouvelle auprès de ses proches. Il écrit à son frère<br />

Claude, le colonel d’artillerie, qu’il « va mettre en activité sa fabrique d’encres d’imprimerie ». A<br />

son tour, celui-ci met au courant leur beau-frère Benoît Monestier, de Romagnat près de Clermont-<br />

Ferrand, dans une lettre datée <strong>du</strong> 24 juillet 1822 (2).<br />

A l’occasion de son inspection annuelle suivante, le même Voltz ajoute le 1 er août 1822 : « Il<br />

paraît que l’on pourrait employer très avantageusement le <strong>pétrole</strong> à la fabrication de l’encre<br />

d’imprimerie et M. Lebel se propose d’établir une fabrique de cette encre, où il emploiera le<br />

<strong>pétrole</strong> » (1). Cette fabrication fut lancée dans l’un des bâtiments <strong>du</strong> domaine <strong>du</strong> Pechelbronn, selon<br />

toute probabilité dans une annexe <strong>du</strong> bâtiment de cuisson. L'érudit franc-maçon strasbourgeois<br />

Frédéric Piton, auteur de « Strasbourg illustré » dit l'avoir visitée en 1834, mais sans en faire de<br />

commentaire particulier (3).<br />

Nous n'avons pas, hélas, le détail <strong>du</strong> procédé. Mais il faut supposer qu'il comprenait une


pro<strong>du</strong>ction de noir de fumée de bitume et une autre d'huile de lin, qui sont en effet les deux<br />

éléments constitutifs <strong>du</strong> noir d'imprimerie. Ce dernier était ensuite conditionné dans des barils et a<br />

donc profité de l'atelier de tonnellerie <strong>du</strong> Pechelbronn, qui fournissait les conteneurs de la graisse<br />

d'asphalte. Du temps d'Antoine Le Bel, le Pechelbronn possédait d'ailleurs déjà « un pressoir pour<br />

l'huilerie avec sa chaudière, meule et ustensiles », si l'on en croit l'inventaire <strong>du</strong> 19 mai 1789<br />

(ABE : 6E40.2/115).<br />

Les anciens procédés<br />

Avant Antoine Mabru, et <strong>du</strong> moins en Europe, aucun <strong>pétrole</strong>, ni pro<strong>du</strong>it dérivé bitumineux<br />

n’entrait dans la composition des encres d’imprimerie. Si l’on en croit le Dictionnaire universel de<br />

commerce de 1727, celles-ci étaient alors « un composé de térébenthine, d’huile de noix et de noir<br />

de fumée, ré<strong>du</strong>it par la cuisson et le broiement en une espèce de pâte liquide, à peu près semblable<br />

à de la bouillie un peu épaisse ». Et le meilleur noir de fumée que recommandait l’ouvrage était<br />

« celui provenant de la vapeur de la résine brûlée » (4).


L'Encyclopédie méthodique de 1784, précise à l'article « Imprimerie » que l'on obtenait le noir de<br />

fumée alors employé dans les encres d'imprimerie en brûlant de la poix-résine dans des « sacs à<br />

noir ». La fumée se déposait sur les parois internes de ces sacs. On la faisait tomber « en frappant<br />

avec des baquettes sur toutes les faces externes ». On la ramassait et on la mêlait avec le vernis pour<br />

former « une bouillie épaisse » (5).<br />

Ce vernis était de l'huile de lin ou de noix cuite. Le Dictionnaire de la conversation et de la<br />

lecture de 1854 décrit le procédé de cuisson de cette huile : « On met dans une marmite en fonte,<br />

contenant je suppose 25 litres, 8 à 10 kg d'huile de lin bien dégraissée et ren<strong>du</strong>e siccative par la<br />

litharge. On ferme hermétiquement cette marmite avec son couvercle. On la pose sur un trépied et<br />

on chauffe par degrés. Aussitôt que l'huile bout, on achève de dégraisser par des tranches de pain<br />

brûlé, des oignons brûlés, etc. Ensuite, on pousse vivement le feu jusqu'à ce que l'huile commence à<br />

se décomposer et fumer. Alors, on l'allume avec une papillote. On ne peut prescrire la <strong>du</strong>rée de<br />

brûlage. Il faut que l'huile ait éprouvé un commencement de carbonisation. Alors, on retire la<br />

marmite de dessus le feu. C'est ce vernis qui, broyé avec <strong>du</strong> noir de fumée, léger pour la<br />

lithographie, plus lourd pour l'impression en lettres, constitue les encres d'imprimerie ordinaire et<br />

de lithographie. »<br />

Pour l'impression en taille douce, le noir était d'une espèce différente. Il est composé, poursuit le<br />

Dictionnaire de la conversation et de la lecture « de noir d'os et de noir de lie de vin brûlée ». On<br />

employait également <strong>du</strong> « noir de Francfort », que l'on disait être fait avec de jeunes branches de<br />

vigne (6).<br />

Le Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de 1857 désigne pour sa part l'encre<br />

utilisée pour la taille douce sous le nom de « noir d'Allemagne ». Celui-ci était fait « avec de la lie<br />

de vin, les noyaux de pêche, l'ivoire et l'os, le tout brûlé et calciné, ensuite lavé et porphyrisé ». On<br />

faisait aussi <strong>du</strong> noir d'impression avec <strong>du</strong> sang sec et des déchets de corne soumis à une forte<br />

chaleur et traités par la potasse (7).<br />

Ce n'est que dans le Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’in<strong>du</strong>strie et des arts<br />

in<strong>du</strong>striels de 1887 que nous avons trouvé la première mention de noir de fumée « obtenu par la<br />

combustion <strong>du</strong> goudron, <strong>du</strong> naphte, de la résine, etc. », puis mêlé à de l'huile de lin<br />

« convenablement préparée ». « Dans certains cas, complète l'ouvrage, on ajout(ait) diverses<br />

espèces de charbons finement pulvérisées » (8).<br />

Aux expositions de Paris et de Mulhouse<br />

La petite fabrique d'<strong>Auguste</strong> Mabru sut rapidement asseoir sa réputation. Jean Frédéric<br />

Aufschlager la mentionne ainsi dans sa « Nouvelle description historique et topographique des<br />

deux départements <strong>du</strong> Rhin » de 1826. Il indique qu'elle est établie « à Pechelbronn depuis peu »<br />

(9).<br />

En 1827, <strong>Auguste</strong> Mabru en présente des échantillons à la grande Exposition publique des<br />

pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie <strong>français</strong>e (la septième depuis 1798), qui s'était tenue au palais <strong>du</strong> Louvre à<br />

Paris. Il y remporta une mention honorable dans la catégorie « Encre », derrière les Parisiens<br />

Cavaignac et Beaulès. Déjà distingués en 1823, ces derniers fabriquaient « de très bonne encre pour<br />

l'impression » et avaient également publié « le moyen de faire de bons rouleaux d'imprimerie avec<br />

un mélange de colle forte et de mélasse ». Avec Mabru, le jury entendait récompenser « une belle<br />

série d'encres d'imprimerie » ainsi que des procédés « assez économiques », qui devaient<br />

« permettre de les livrer au commerce au-dessous <strong>du</strong> cours ».


En exposant à Paris, <strong>Auguste</strong> suivait l'exemple donné avant lui par Félix Sébastien Alexandre<br />

Dournay, le propriétaire des mines d'asphalte voisines de Lobsann. Celui-ci avait en effet participé à<br />

l'édition de 1823 de la même manifestation et y avait même remporté une médaille de bronze dans<br />

la catégorie « Bitumes » (10). Cette médaille de bronze lui avait été ré-attribuée à l'exposition de<br />

1827, puis de nouveau à celle de 1834 (11).<br />

<strong>Auguste</strong> Mabru, « de Bechelbronn » (sic), participe ensuite à la première et seule exposition des<br />

pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie spécifiquement alsacienne que la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse (SIM) a<br />

organisée en mai 1836 « dans les vastes salles de son local ». Il y présente un catalogue très étoffé<br />

de pro<strong>du</strong>its composé de « noirs calcinés, vernis et encres d'impression pour la typographie et la<br />

lithographie » ainsi que des « crayons et encres lithographiques et autographiques ».


Le siège de la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse.<br />

Les organisateurs avaient d'abord été un peu soupçonneux à l'égard de ce nouveau venu, mais<br />

finirent quand même par lui consacrer une notice flatteuse. « Chaque établissement, écrivent-ils,<br />

chaque imprimeur ou dessinateur a ses habitudes et souvent ses préjugés. Telle encre que l'un<br />

trouve parfaite ne convient pas à l'autre et souvent l'habitude qu'on a de se servir d'un pro<strong>du</strong>it,<br />

même inférieur, fait qu'on le préfère à d'autres mieux préparés. Il est donc impossible de dire telle<br />

encre, tel crayon est le meilleur. Mais ce que nous pouvons assurer, c'est qu'on peut compter sur de<br />

bons résultats en employant les pro<strong>du</strong>its de M. Mabru. Tout ce qui sort de ses mains est préparé<br />

avec soi et avec une connaissance parfaite des matières qu'il traite. »<br />

<strong>Auguste</strong> est même en mesure d'exposer à Mulhouse plusieurs affiches « imprimées en très gros<br />

caractères » avec ses encres par Gustave Silbermann, le plus gros imprimeur strasbourgeois, qu'il<br />

comptait donc désormais parmi ses clients. Ces affiches, poursuit la notice de la SIM, « offrent le<br />

plus beau noir sans qu'on s'aperçoive autour des lettres cette auréole jaune, signe caractéristique<br />

des mauvaises encres. Et pourtant, elles étaient tirées depuis assez longtemps pour que l'huile mal<br />

cuite eût pu s'infiltrer dans le papier. » <strong>Auguste</strong> exhiba également des impressions lithographiques<br />

tout aussi irréprochables, qui avaient été réalisées avec les mêmes encres par Eugène Simon fils,<br />

autre grand imprimeur et chromolithographe strasbourgeois.<br />

Les rapporteurs de la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse testèrent aussi les crayons et les encres<br />

lithograhiques et autographiques de notre exposant. « Les épreuves, écrivent-ils, ont repro<strong>du</strong>it<br />

exactement l'effet que présentaient les planches lithographiques. » (12).<br />

En 1836, à l'époque de cette exposition mémorable, l'imprimeur Gustave Rodolphe Henri Silbermann était<br />

âgé de 35 ans. Il avait pris la direction des ateliers familiaux, 2, place St-Thomas à Strasbourg, en 1823, année de<br />

la mort de son père, après s'être formé pendant deux ans à l'impression en couleur chez Firmin-Didot à Paris. Il<br />

passe pour avoir fait faire à la typographie des progrès importants, notamment dans la chromolithographie.<br />

« Savant et intelligent praticien, il est véritablement le père de la polychromie », peut-on ainsi lire à son propos<br />

dans « Le Bibliographe alsacien, gazette littéraire, historique et artistique » <strong>du</strong> 25 septembre 1862.<br />

A partir de 1828, il est le gérant et le propriétaire avec sa mère <strong>du</strong> Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin/Nieder-rheinischer<br />

Kurier, qu'il transforme en journal quotidien en 1831. Il est aussi propriétaire des Affiches de Strasbourg et<br />

imprime le bimensuel protestant Der Missions Freund, la Revue de théologie protestante, l'Evangelisches


Sonntagsblatt, le Journal de la Société d'horticulture <strong>du</strong> Bas-Rhin, le Bulletin de la Société d'agriculture et des<br />

quatre comices <strong>du</strong> Bas-Rhin, la Gazette médicale de Strasbourg, la Revue d'hydrologie médicale, le Bulletin des<br />

sciences naturelles, la Revue entomologique, L'Illustration de Bade, journal littéraire et artistique de la forêt-<br />

Noire et de la vallée <strong>du</strong> Rhin, l'almanach Der Hinkende Bote am Rhein...<br />

Pendant deux ans, de 1848 à 1850, Silbermann imprima également Erckmann et Chatrian. De ses presses,<br />

sortirent enfin plusieurs ouvrages d'art d'éditeurs parisiens, ainsi qu'un magnifique « Album typographique » en<br />

couleur, qu'il édita à ses frais en 1840 pour l'érection de la statue de Gutenberg à Strasbourg, dont il se voulait le<br />

digne héritier. Pendant longtemps, Hetzel, l'éditeur de Jules Verne, a été son représentant à Paris pour ses travaux<br />

d'impression.<br />

Franc-maçon et libéral, Gustave Silbermann a eu une vie publique débordante. Il siège au Conseil municipal de<br />

Strasbourg à partir de 1840. Il est secrétaire <strong>du</strong> consistoire de St-Thomas, collectionneur de coléoptères,<br />

directeur <strong>du</strong> Muséum d'histoire naturelle de la ville, fondateur de la Société des sciences naturelles locale,<br />

membre de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace, trésorier <strong>du</strong> 10e Congrès<br />

scientifique de France organisé en septembre-octobre 1842 à Strasbourg, médaille d'or à l'Exposition in<strong>du</strong>strielle<br />

de Paris de 1844, chevalier de la Légion d'honneur...<br />

Il s'est trouvé impliqué dans une affaire qui fit grand bruit. Avec l'avocat strasbourgeois Marie-Louis<br />

Liechtenberger et Jules Charles Boersch, le rédacteur en chef <strong>du</strong> Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin, il fonda la Société <strong>du</strong><br />

Bas-Rhin contre l'impôt des boissons et <strong>du</strong> sel. Liechtenberger en rédigea l'argumentaire, que Silbermann<br />

imprima sur ses presses et dont Boersch publia de larges extraits dans Le Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin. Les trois<br />

hommes furent donc assignés en justice en même temps, Silbermann étant même accusé deux fois comme<br />

imprimeur des deux écrits incriminés. Mais la Cour d'assise <strong>du</strong> Bas-Rhin finit par prononcer le non-lieu le 20<br />

mars 1834 (13).<br />

En 1839, l'imprimerie Silbermann comptait près de soixante ouvriers, dix presses et une mécanique. A la fin <strong>du</strong><br />

Second Empire, ses effectifs atteignent la centaine de personnes. Mais elle est ven<strong>du</strong>e en 1872 à Gustave<br />

Fischbach, pendant que le Courrier <strong>du</strong> Bas-Rhin fut cédé dès 1870 à un imprimeur badois. Gustave Silbermann<br />

se retire alors à Paris, auprès de sa fille. Il y décède le 13 juin 1876, à l'âge de 75 ans (14) (15).<br />

Quant à Simon fils, il s'agit de Frédéric Emile Simon (1805-1886), fils <strong>du</strong> graveur Frédéric Sigismond Simon<br />

(1777-1849), qui avait fondé son imprimerie lithographique en 1829, 14, rue <strong>du</strong> Dôme à Strasbourg. Frédéric<br />

Emile la dirigea seul à partir de 1832 et y développa la chromolithographie à partir de 1836. Il imprima, entre<br />

autres, la carte de 1834 <strong>du</strong> cours <strong>du</strong> Rhin de Bâle à Lauterbourg pour l'administration des Ponts et chaussées, les<br />

oeuvres de Théophile Schuler et d'Arnold, des planches d'ouvrages scientifiques ainsi que le « Strasbourg<br />

illustré » de Frédéric Piton (14).<br />

L o g o t y p e d e l'i m p ri m e ri e S il b e r m a n, à la q u e ll e A u g u s t e M a b r u f o u r nit d e s e n c r e s p o u r a ffi c h e s.<br />

Livraisons à Nice et Marseille


Il semblerait qu'<strong>Auguste</strong> ait également présenté ses pro<strong>du</strong>its à l'exposition in<strong>du</strong>strielle qui s'est<br />

tenue en juin 1840 pendant trois semaines au Palais Rohan à Strasbourg, à l'occasion de<br />

l'inauguration de la statue de Gutenberg. Frédéric Piton, qui en rend compte dans son « Strasbourg<br />

illustré », énumère en effet <strong>du</strong> « noir d'imprimeur (et) de l'asphalte » (16).<br />

Mais <strong>Auguste</strong> Mabru sut aussi conquérir des clients bien au-delà des frontières régionales. Le 18<br />

novembre 1837, il confia ainsi aux commissionnaires de roulage strasbourgeois Edouard et Albert<br />

Dreyfuss un baril d’encre d’imprimerie pesant 64 kg et demi, qui devait être expédié en trente-deux<br />

jours au Sr Mistrallet, commissionnaire de roulage à Marseille. Celui-ci à son tour devait le faire<br />

parvenir à une société typographique à Nice. Le 20 décembre suivant, <strong>Auguste</strong> Mabru remit encore<br />

aux Srs Dreyfuss deux autres barils <strong>du</strong> même type, qui devaient être livrés dans un délai de seize<br />

jours aux Srs Ducloux, imprimeurs à Lausanne.<br />

Ces deux livraisons, hélas, connurent des ratés. La première, prétend <strong>Auguste</strong>, ne serait jamais<br />

arrivée à destination. Quant à la seconde, elle n’arriva à Lausanne qu’en août 1838, soit avec huit<br />

mois de retard. <strong>Auguste</strong> assigna donc les Srs Dreyfuss en justice et exigea d’être remboursé de la<br />

valeur <strong>du</strong> baril expédié à Nice, et d’être dédommagé de 500 francs pour le retard <strong>du</strong> second envoi.<br />

Le contentieux, fort révélateur des circuits de distribution de l’époque, fut examiné par le tribunal<br />

de commerce de Strasbourg le 25 janvier 1839. Au cours de l’audience, les Srs Dreyfuss<br />

s’estimèrent hors de cause, puisqu’ils avaient remis de suite le baril destiné à Nice aux transporteurs<br />

strasbourgeois Andreÿ et Kuhn et qu’ils avaient également fait parvenir en temps utile à la maison<br />

Bely de Lyon les deux autres barils destinés à Lausanne.<br />

Quant aux Srs Andreÿ et Kuhn, ils soutinrent qu’ils avaient rempli leur engagement en faisant<br />

remettre dans le délai ordinaire aux Srs Descours et Récamier de Lyon le baril destiné à Nice. Le Sr<br />

Bely, enfin, déclara que les deux barils dont l’expédition partielle lui avait été confiée furent remis à<br />

leur destinataire de Lausanne, qui les a acceptés sans réclamation et qui depuis a soldé le prix de la<br />

fourniture.<br />

Le tribunal décida finalement de prescrire la plainte d’<strong>Auguste</strong> et de le condamner aux dépens : à<br />

17,25 francs envers les Srs Dreyfuss, à 9,25 francs envers les Srs Andreÿ et Kuhn, à 3,75 francs<br />

envers le Sr Bely, à 12,45 francs envers les Srs Descours et Récamier, et à 4,25 francs envers les Srs<br />

Arnoux et Martial Veyrat, commissions de roulage à Valence (17).<br />

Le contentieux, heureusement, ne mit pas l'entreprise en péril. En 1841, la valeur de sa « fabrique<br />

de pro<strong>du</strong>its propres à la typographie » (bâtiments, machines, ustensiles, matières premières et<br />

procédés) sera estimée à 40 000 francs (18).<br />

<strong>Auguste</strong> s’installe à Haguenau<br />

Entre-temps, <strong>Auguste</strong> Mabru s'était brouillé avec les Le Bel père et fils. Dès le 23 juin 1839, il est<br />

signalé comme « propriétaire demeurant à Merkwiller ». Il avait donc quitté le château <strong>du</strong><br />

Pechelbronn pour s’installer provisoirement dans le village. Deux ans plus tard, le 1 er mai 1841, il<br />

est domicilié rue Entenlach (rue de la mare aux canards), dans l’ancien quartier paysan intra-muros<br />

de Haguenau (la rue Entenlach relie la Tour des Chevaliers à la Porte de Wissembourg). Il y avait<br />

également transféré sa petite fabrique d’encres pour impression et lithographie.<br />

Nous ignorons la provenance <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> qu'il utilisa alors, car l'emploi <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> qu'il exploitait<br />

dans sa concession de Schwabwiller n'est mentionné que pour l'année 1844 (19). En juillet 1852,


par contre, <strong>Auguste</strong> demanda à pouvoir installer sur sa propriété d’Haguenau « une petite machine à<br />

vapeur de la force de trois chevaux » (20).<br />

Son fils Henri <strong>Auguste</strong> Mabru continuera la fabrication. Son atelier comptera deux salariés de<br />

1856 à 1863, puis trois de 1864 jusqu’à la guerre de 1870, avec même une pointe de quatre salariés<br />

au quatrième trimestre 1867. Il quittera l’Alsace en 1872 comme « optant » pour se fixer avec son<br />

épouse Léonie (née Colson à Nancy) à Choisy-le-Roi, dans la banlieue parisienne. Ses enfants<br />

seront les seuls à continuer le nom jusqu’à nos jours (21). ©<br />

Jean-Claude Streicher (août 2008)<br />

NOTES :<br />

(1) AN : F14 4050.<br />

(2) Liliane Godat-Chanimbaud : « Ces Auvergnats oubliés qui firent la France et préparèrent l’Europe, tome II,<br />

Antoine (<strong>Auguste</strong>) Mabru, les Le Bel et l’exploitation <strong>du</strong> <strong>pétrole</strong> en Alsace », auto-édition, 63580 St-Etienne-sur-Usson,<br />

mars 2004, 351 pages) (liliane.godat@libertysurf.fr).<br />

(3) Frédéric Piton : « Mon voyage à travers l’Outre-Forêt », in L’Outre-Forêt n° 2, juin 1973.<br />

(4) Savary des Brûlons : « Dictionnaire universel de commerce », t. 1, article Encre d’imprimerie, p. 102, Ed.<br />

d’Amsterdam 1726.<br />

(5) Encyclopédie méthodique, article « Imprimerie », t. 3, Paris, 1784.<br />

(6) Dictionnaire de la conversation et de la lecture, 2e édition, t. 8, article « Encre », Paris 1854.<br />

(7) Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts, de Marie Nicolas Bouillet, 3e éditon, Paris, 1857, article<br />

« Noir ».<br />

(8) E.O. Lami : « Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’in<strong>du</strong>strie et des arts in<strong>du</strong>striels », Paris, 1887.<br />

(9) Jean Frédéric Aufschlager : « L'Alsace, nouvelle description historique et topographique des deux départements <strong>du</strong><br />

Rhin », Strasbourg, 1826, t. 2, p. 434.<br />

(10) « Exposition publique des pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie <strong>français</strong>e, Rapport <strong>du</strong> jury central sur les pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie<br />

<strong>français</strong>e », Paris, 1827, BNF.<br />

(11) « Rapport <strong>du</strong> jury central sur les pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie <strong>français</strong>e exposée en 1834 par le baron Charles Dupin,<br />

membre de l'Institut, rapporteur général et vice-président <strong>du</strong> jury central ».<br />

(12) « Rapports sur l'exposition des pro<strong>du</strong>its de l'in<strong>du</strong>strie alsacienne, organisée par la Société in<strong>du</strong>strielle de<br />

Mulhouse en mai 1836 », Bulletin de la Société in<strong>du</strong>strielle de Mulhouse, n° 45, p. 381.<br />

(13) « Prozess des Vereins des Niederrheines gegen die Auflage der Getränke und des Salzes, enthaltend die<br />

vollständige Vertheidigung der Bürger Liechtenberger, Börsch und Silbermann und die Rede des Advokaten Martin,<br />

verhandelt vor dem Assisengericht des Niederrheins », imprimé par G. Silbermann.<br />

(14) Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne.<br />

(15) Jean-Pierre Kintz : « Journaux politiques et journalistes strasbourgeois sous le Second Empire, 1852-1870 », Libr.<br />

Istra, Strasbourg, 1974, 166 p.<br />

(16) Frédéric Piton : « Strasbourg illustré », p. 124, Strasbourg, 1855.<br />

(17) ABR : U2313, n° 198, référence très aimablement communiquée par M. Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(18) AN : F14 8142.<br />

(19) AN : F14 4051.<br />

(21) Arch. mun. de Haguenau : Df1, référence très aimablement communiquée par Jean Vogt, Strasbourg.<br />

(21) Renseignements très aimablement communiqués par Liliane Godat-Chanimbaud, auteure des biographies de<br />

Claude et Antoine Mabru.

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