Gribouillages méditatifs - Serge Renaudie
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C’est certainement une des places les plus particulières du monde, incurvée, dont la cuvette descend en pente vers la falaise de briques du<br />
Palazzo Pubblico, bordée de bâtiments tous également rouges dont les balcons et les moindres fenêtres ont été aujourd’hui investis par la foule.<br />
Une foule dense, de bonne humeur, et bon enfant, occupe également le moindre recoin du Campo. C’est l’attente, certains sont arrivés depuis<br />
l’après midi, on s’installe, on se retrouve, on s’appelle, on se cherche, puis on patiente pendant quelques heures. Scandé par le rythme continu de<br />
la cloche du haut campanile qui surplombe la place de sa colonne de briques, progressivement les contradas défilent lentement autour de la place<br />
en manœuvrant leurs grands drapeaux aux dessins impressionnants et colorés, qu’ils lancent en l’air et rattrapent avec une élégance fortement<br />
appréciée du public qui applaudit à chaque fois. On agite les foulards emblazonnés en signe de reconnaissance, c’est comme mille feux soudains<br />
qui frétillent dans l’air au-dessus des têtes qui sautillent également. Puis survient, après 2 heures de procession sous les clameurs des trompettes,<br />
le carroccio, char tiré par 4 bœufs blancs et accompagné de cavaliers en armure, affublés de heaumes décorés d’armoiries en volume : l’épée, le<br />
serpent, la marmotte, la couronne de laurier, le lion, un coq, etc…<br />
Le départ est imminent, un coup de canon a fait se regrouper en partie haute les cavaliers qui peinent à rester dans l’ordre dans lequel ils ont<br />
été appelés tant les chevaux sont surexcités et incapables de ne pas se déplacer dans tous les sens, virevoltant et se poussant sous les demandes<br />
insistantes du micro. Cette excitation se communique au public qui s’est levé comme un seul corps dès l’arrivée des cavaliers. Il suffit qu’enfin<br />
les chevaux acceptent que la disposition énoncée soit respectée et la course commencera. Chacun souhaite l’ordre pour la délivrance. La voie, au<br />
micro, qui rappelle à l’ordre énerve parce qu’elle dit la frustration de l’attente. « Onda, Porcospino, Tore… no Tore torna… » « Onda, Porcospino,<br />
Tore, Tartaruga… Onda torna davanti… ». L’excitation est à son comble. Puis, sait-on pourquoi, les chevaux parviennent à se mettre dans<br />
l’ordre, les uns contre les autres, comme une masse traversée de soubresauts terrifiants. La voie donne le départ immédiatement alors que le<br />
public s’attend encore à une remise en ordre, les chevaux explosent, ils se projettent en avant et déjà se dessinent les différences, les cavaliers<br />
cravachent, leurs couleurs tourbillonnent autour de la place, le public exulte, survolté, les plus petits sautent pour tout voir, les enfants sont portés<br />
à bout de bras, les visages de plus de mille spectateurs exaltés tournent avec les chevaux, on crie, on trépigne, on rit aussi d’un bonheur enflammé…<br />
un tour, deux tours et déjà tout a changé, le premier s’est perdu dans les barrières, c’est le cavalier Tore qui devance les autres, le mot est<br />
sur toutes les lèvres : « TOOOORRRRRRREEEEEE !!!! ». Le troisième tour passe et c’est bien lui qui emporte la course. Elle n’aura pas duré 3<br />
mn. Seulement ce minuscule laps de temps et on a le sentiment d’avoir vécu des heures de fièvre. La fulgurance de l’événement a transformé le<br />
temps qui s’écoula si lentement auparavant, on est heureux d’avoir attendu. On se regarde, on rit, on voudrait embrasser tout le monde. Quelles<br />
merveilleuses minutes, quelles merveilleuses heures d’attente récompensées au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer ou espérer. Nous sommes<br />
heureux d’être vivants, là, tous ensemble. La foule s’est précipitée vers les chevaux encore tout à leur course, on souhaiterait tous y être et les<br />
embrasser, pour les serrer forts dans nos bras de foule. Puis on reste là encore éblouis, encore frémissants…. Le public se déverse dans les rues<br />
creusées comme des canyons, comme une manifestation joyeuse disant ce plaisir d’être ensemble pour assister à cet acte héroïque que chacun<br />
s’accapare. Les sourires remplacent progressivement les marques d’exaltation sous les drapeaux et les superbes lampadaires décorés des armoiries<br />
de chaque quartier.<br />
Siena, quelle ville merveilleuse qui réussit à travers les siècles à conserver cet événement collectif, longuement préparé pendant l’année, chaque<br />
quartier entraînant ses habitants, trouvant une place pour chaque âge, pour chaque compétence, du maniement des drapeaux au défilé à cheval en