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Gribouillages méditatifs - Serge Renaudie

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Il suffit de peu de gestes mais il faut ces gestes là, juste toucher le papier du bout des poils pour que la couleur s’y attache sans manque ni excès, le<br />

geste du milieu. Un tour du poignet et de la main avec l’avant-bras forment le rond, le ferme, l’arrête ou en continue le glissement. Les courbes se<br />

superposent, mêlant leurs couleurs, leurs transparences, leurs nuances. Le geste se précise, s’automatise - mais pas tout à fait car l’attention ne peut<br />

pas être relâchée.<br />

Je ne sais pas quoi peindre d’autres quand je me retire seul, sans rien à reproduire, devant un papier ou une toile. C’est ainsi, les cercles reviennent<br />

comme seul geste possible pour moi, comme d’embrasser des deux bras, comme de rassembler… on peut toujours trouver des raisons.<br />

Quand je visite, en août 1981, la Chapelle dei Pazzi, à Florence, attribuée pour la plus grande part à Filipo Brunelleschi, la présence des cercles me<br />

prend la tête dans un ensemble qui, Renaissance oblige, aurait dû être le panégyrique de l’orthogonalité. Je suis fasciné par les cercles de Filipo,<br />

ceux des arcs, ceux d’entre les arcs, ceux de la coupole principale, de l’autel ou encore des fenêtres mais également par les cercles secrets qui rabattent<br />

les diagonales pour construire les proportions et la concision de l’édifice. Quand je découvris cette Chapelle toute en ronds j’avais encore en mémoire<br />

ces cercles fous de Bruce Nauman, exposés au Kröller Müller en avril-mai 1981, des cercles qui étaient posés au sol, de 3 à 4 m de diagonale,<br />

réalisés en fibres de verre et en plâtre, plus ou moins peints, associant les moulages et les éléments moulés, par fragments de cercles, posés sur des<br />

cales en bois ou suspendus dans l’air, combinés par trois, devenant autant de grands arcs embrassant le vide qui s’y coulait.<br />

Les cercles, de partout, m’entourent comme les arcades de Bologna où je reviens. J’y flâne refaisant les pas déjà des milliards de fois engagés,<br />

avec toujours la même émotion. Bologna c’est « ma ville », celle où je me suis ouvert à l’âge adulte. Ses « portici » qui construisent ses rues ont<br />

construit une part importante de ma sensibilité. C’est là que je me suis exercé à dessiner, c’est là que j’ai appris la ville, à y déambuler tous les sens<br />

alertés. J’y étais venu voici bien plus de 30 ans et celle qui m’y attira n’habite plus à la même adresse et son téléphone a changé. Je m’attends à ce<br />

qu’elle surgisse d’entre deux colonnes, petite et rousse, sautillant avec un sac trop lourd en bandoulière et les lunettes de travers. Je vis beaucoup de<br />

rousses, bien plus que jamais je n’en remarquais avant, mais aucune ne s’arrêta en disant : « <strong>Serge</strong> !?! » avec ce gazouillement dans le « ge » qui m’a<br />

toujours ému. J’interrogeais la personne qui occupait l’ancien appartement ; elle me donna une vague indication : via Castiglione. Nous explorons<br />

une petite rue et cherchons avidement un nom aux portes mais nous ne trouvons rien. J’abandonne, c’est peut-être mieux ainsi, je n’ai rien trouvé sur<br />

internet ni sur les pagine bianche, laissons faire le destin. J’emmène les enfants dans le cloître Santo Stefano aux culées épaisses liant les arches par<br />

deux grâce à un banc soutenant à son centre une colonne courte et large. Je les entraîne dans les tours et les détours de cette ville infinie qui tient ses<br />

perspectives dans le corps même de ses bâtiments, par l’enfilement de ses arches et de ses colonnes. Ville courbe, ville ronde….<br />

Au bout de notre course hasardeuse, nous aboutissons sur une grande rue aux arcades majestueuses, la chaussée, en contrebas du sol de ces palais<br />

qui la bordent, dégage un parapet où se reposer. Un panneau indique « Via Castiglione », je m’étais trompé et nous avions enquêtée via Castigliore…<br />

Les enfants sont émoustillés, ils commencent à courir de porche en porche ; cette rue traverse de nord en sud la ville et les bâtiments sont<br />

innombrables. Je les préviens mais ils n’y attachent aucune importance et ils ont raison. A la troisième porte le nom est là. Plus tard quand je sonnerai<br />

j’entendrais le « <strong>Serge</strong> ! » que j’espérais. De cette soirée adorable que nous passâmes avec son mari et sa grande fille, je sortais avec le sentiment<br />

d’avoir enfin fermé un rond, un de mes innombrables ronds. Celle qui m’avais attaché à l’Italie était heureuse et merveilleusement bien entourée. Je<br />

bouclais mon voyage qui de Nicola m’avait ramené à Bologna. Nous pouvions rentrer. Nous reviendrons pour d’autres ronds.

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