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Nathan le Sage - Théâtre de la Commune

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Fraternité<br />

Et puis, plus abstraite et plus allégorique, il y a <strong>la</strong> parabo<strong>le</strong> <strong>de</strong>s trois anneaux qui, entre trois frères,<br />

abolit <strong>le</strong> droit d’aînesse et instaure un principe d’égalité <strong>de</strong> l’amour paternel, en rupture avec <strong>la</strong><br />

tradition hiérarchique <strong>de</strong> l’âge et <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance – cel<strong>le</strong>, orageuse et conflictuel<strong>le</strong>, <strong>de</strong><br />

Caïn et d’Abel, d’Esaü et <strong>de</strong> Jacob. Derrière <strong>le</strong>s trois frères, il faut voir évi<strong>de</strong>mment <strong>le</strong>s trois<br />

religions monothéistes – judaïsme, christianisme, is<strong>la</strong>m –, <strong>le</strong>ur ordre chronologique d’apparition<br />

dans l’Histoire, ainsi que <strong>le</strong>urs trois représentants dans <strong>la</strong> pièce : <strong>Nathan</strong>, <strong>le</strong> Templier et <strong>le</strong> Sultan.<br />

Que <strong>le</strong> chiffre trois soit aussi celui du triang<strong>le</strong> maçonnique ne fait qu’ajouter au troub<strong>le</strong> et à <strong>la</strong><br />

comp<strong>le</strong>xité : Lessing, lui-même franc-maçon, était bien p<strong>la</strong>cé pour savoir que par initiation – rituel<br />

<strong>de</strong> mort et <strong>de</strong> résurrection – non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s maçons <strong>de</strong>viennent frères d’obédience, mais que <strong>le</strong>ur<br />

fraternité s’étend à l’humanité tout entière, au sens où quelques années plus tard <strong>le</strong>s<br />

révolutionnaires français <strong>de</strong> 1789 imposeront comme signe <strong>de</strong> ralliement <strong>le</strong>ur « Salut et<br />

fraternité ! » et où, quelques décennies encore plus tard, sous <strong>la</strong> III e République, <strong>le</strong>s monuments<br />

officiels se pareront <strong>de</strong> <strong>la</strong> fameuse tria<strong>de</strong> « Liberté, Égalité, Fraternité »… Au titre <strong>de</strong>s intuitions<br />

pré-révolutionnaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce, on peut d’ail<strong>le</strong>urs remarquer que, par équiva<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> fonction, <strong>le</strong>s<br />

trois protagonistes incarnent à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés divers <strong>le</strong>s trois ordres <strong>de</strong> <strong>la</strong> vieil<strong>le</strong> société européenne<br />

d’Ancien Régime : <strong>le</strong> Sultan Sa<strong>la</strong>din et <strong>le</strong> Templier se partageant <strong>le</strong> pouvoir politique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nob<strong>le</strong>sse et l’autorité religieuse du c<strong>le</strong>rgé ; <strong>Nathan</strong>, quant à lui, tiers exclu, en tant que marchand, se<br />

voyant réduit aux tâches qui incombent au peup<strong>le</strong>, à <strong>la</strong> bourgeoisie, au Tiers État – <strong>le</strong> travail et <strong>la</strong><br />

production <strong>de</strong>s richesses.<br />

Tous frères<br />

Le tab<strong>le</strong>au sera comp<strong>le</strong>t quand on aura enfin ajouté à cette foisonnante déclinaison <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraternité<br />

<strong>le</strong> rô<strong>le</strong> joué par <strong>le</strong> frère <strong>la</strong>i (= <strong>la</strong>ïc) ou frère convers, celui sans qui il n’y aurait pas d’histoire<br />

puisque c’est lui qui, dix-huit ans auparavant, avait confié Recha aux bons soins <strong>de</strong> <strong>Nathan</strong>, pas<br />

plus que <strong>de</strong> dénouement puisque c’est éga<strong>le</strong>ment lui qui, par <strong>le</strong> livre annoté en persan <strong>de</strong> <strong>la</strong> main <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur père, apporte <strong>la</strong> preuve que Recha et <strong>le</strong> Templier sont bien frère et sœur. En tant que <strong>la</strong>ïc ou<br />

convers, plus qu’à un ordre ou à un quelconque couvent, ce frère est par ses activités temporel<strong>le</strong>s et<br />

par son travail séculier, plus proche <strong>de</strong> <strong>Nathan</strong> et <strong>de</strong> l’humanité tout entière que d’une stricte<br />

appartenance monastique. Encore une fois Lessing é<strong>la</strong>rgit <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> fraternité : ni strictement<br />

familial ni strictement conventuel, <strong>le</strong> sens du mot « frère » s’étend chez lui comme chez <strong>le</strong>s<br />

« frères-maçons » au genre humain et à l’universel. Lessing, comme programmé dès <strong>le</strong> baptême par<br />

ses <strong>de</strong>ux prénoms – Gotthold, <strong>le</strong> chrétien, <strong>le</strong> gothique, et Ephraïm, l’hébreu, <strong>le</strong> biblique – passe<br />

ainsi par <strong>le</strong>s métaphores biologique, généalogique et familia<strong>le</strong> pour mieux accé<strong>de</strong>r aux concepts <strong>de</strong><br />

tolérance et <strong>de</strong> réconciliation – <strong>de</strong> vivre ensemb<strong>le</strong>, dirait-on aujourd’hui –, sa manière à lui<br />

d’affirmer que « tous <strong>le</strong>s hommes sont frères », et pas seu<strong>le</strong>ment « en notre Seigneur Jésus Christ ».<br />

Yannic Mancel<br />

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