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devoir incipit - Le blog de Jocelyne Vilmin

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Devoir type EAF<br />

Objet d’étu<strong>de</strong> : le roman et ses personnages<br />

Corpus :<br />

Texte 1 : Denis Di<strong>de</strong>rot (1713-1784), Jacques le fataliste (publié en 1796), <strong>incipit</strong><br />

Texte 2 : Madame <strong>de</strong> Staël (1766 - 1817), Corinne ou l'Italie (1807)<br />

Texte 3 : Honoré <strong>de</strong> Balzac (1799-1850), Ferragus, chef <strong>de</strong>s Dévorants (1833)<br />

Texte 4 – Jean-Marie-Gustave <strong>Le</strong> Clézio (né en 1940 ), Désert (1983), <strong>incipit</strong><br />

Question : Après avoir défini la forme <strong>de</strong> chaque <strong>incipit</strong>, vous monterez comment les auteurs cherchent à susciter l’intérêt<br />

du lecteur dès les premières pages <strong>de</strong> leur œuvre.<br />

Travaux d’écriture :<br />

Commentaire : vous commenterez le texte <strong>de</strong> Balzac (texte 3)<br />

Dissertation : La seule fonction du personnage <strong>de</strong> roman est-elle <strong>de</strong> refléter la société dans laquelle il vit ?<br />

Vous répondrez en vous appuyant sur les textes du corpus et sur d’autres œuvres que vous avez lues ou étudiées.<br />

Écriture d’invention : Vous écrirez un début <strong>de</strong> roman dont l’action se passe <strong>de</strong> nos jours. Vous accompagnerez cet <strong>incipit</strong><br />

d’un texte<br />

- qui raconte très brièvement l’intrigue <strong>de</strong> votre roman<br />

- qui explique en quoi votre <strong>incipit</strong> peut séduire le lecteur<br />

- qui explique le choix que vous avez fait entre <strong>incipit</strong> statique, progressif, dynamique ou suspensif<br />

Texte 1 : Denis Di<strong>de</strong>rot (1713-1784), Jacques le fataliste (publié en 1796)<br />

Multipliant les rebondissements invraisemblables, tout comme les interruptions du narrateur, ce roman met en scène <strong>de</strong>ux<br />

personnages, un valet et son maître, qui chevauchent plus ou moins paisiblement sur <strong>de</strong>s routes, vers une <strong>de</strong>stination qui<br />

restera inconnue, s'arrêtent dans <strong>de</strong>s auberges, <strong>de</strong>visent à bâtons rompus : questions philosophiques, souvenirs intimes,<br />

anecdotes…<br />

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Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le mon<strong>de</strong>. Comment s'appelaient-ils ? Que vous<br />

importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils<br />

? <strong>Le</strong> maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive <strong>de</strong> bien et <strong>de</strong> mal icibas<br />

était écrit là-haut.<br />

LE MAÎTRE. - C'est un grand mot que cela.<br />

JACQUES. - Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d'un fusil avait son billet.<br />

LE MAÎTRE. - Et il avait raison...<br />

Après une courte pause, Jacques s'écria : « Que le diable emporte le cabaretier et son cabaret !<br />

LE MAÎTRE. - Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n'est pas chrétien.<br />

JACQUES. - C'est que, tandis que je m'enivre <strong>de</strong> son mauvais vin, j'oublie <strong>de</strong> mener nos chevaux à<br />

l'abreuvoir. Mon père s'en aperçoit ; il se fâche. Je hoche <strong>de</strong> la tête ; il prend un bâton et m'en frotte un peu<br />

durement les épaules. Un régiment passait pour aller au camp <strong>de</strong>vant Fontenoy ; <strong>de</strong> dépit je m'enrôle. Nous arrivons<br />

; la bataille se donne...<br />

LE MAÎTRE. - Et tu reçois la balle à ton adresse.<br />

JACQUES. - Vous l'avez <strong>de</strong>viné ; un coup <strong>de</strong> feu au genou ; et Dieu sait les bonnes et mauvaises aventures<br />

amenées par ce coup <strong>de</strong> feu. Elles se tiennent ni plus ni moins que les chaînons d'une gourmette. Sans ce coup <strong>de</strong><br />

feu, par exemple, je crois que je n'aurais été amoureux <strong>de</strong> ma vie, ni boiteux.<br />

LE MAÎTRE. - Tu as donc été amoureux ?<br />

JACQUES. – Si je l’ai été !<br />

LE MAÎTRE. - Et cela par un coup <strong>de</strong> feu ?<br />

JACQUES. - Par un coup <strong>de</strong> feu.<br />

LE MAÎTRE. - Tu ne m'en as jamais dit un mot.<br />

JACQUES. - Je le crois bien.<br />

LE MAÎTRE. - Et pourquoi cela ?<br />

JACQUES. - C'est que cela ne pouvait être dit ni plus tôt ni plus tard.<br />

LE MAÎTRE. - Et le moment d'apprendre ces amours est-il venu ?<br />

JACQUES. - Qui le sait ?<br />

LE MAÎTRE. - À tout hasard, commence toujours... »<br />

Jacques commença l'histoire <strong>de</strong> ses amours. C'était l'après-dînée : il faisait un temps lourd ; son maître<br />

s'endormit. La nuit les surprit au milieu <strong>de</strong>s champs ; les voilà fourvoyés. Voilà le maître dans une colère terrible et<br />

tombant à grands coups <strong>de</strong> fouet sur son valet, et le pauvre diable disant à chaque coup : «Celui-là était<br />

apparemment encore écrit là-haut... »<br />

Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi <strong>de</strong> vous faire attendre un an,<br />

<strong>de</strong>ux ans, trois ans, le récit <strong>de</strong>s amours <strong>de</strong> Jacques, en le séparant <strong>de</strong> son maître et en leur faisant courir à chacun<br />

tous les hasards qu'il me plairait. Qu'est-ce qui m'empêcherait <strong>de</strong> marier le maître et <strong>de</strong> le faire cocu ? d'embarquer<br />

Jacques pour les îles ? d'y conduire son maître ? <strong>de</strong> les ramener tous les <strong>de</strong>ux en France sur le même vaisseau ? Qu'il<br />

est facile <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s contes ! Mais ils en seront quittes l'un et l'autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce délai.<br />

L’aube du jour parut. <strong>Le</strong>s voilà remontés sur leurs bêtes et poursuivant leur chemin. - Et où allaient-ils ? -<br />

Voilà la secon<strong>de</strong> fois que vous me faites cette question, et la secon<strong>de</strong> fois que je vous réponds : Qu'est-ce que cela<br />

vous fait ? Si j'entame le sujet <strong>de</strong> leur voyage, adieu les amours <strong>de</strong> Jacques... Ils allèrent quelque temps en silence.<br />

Lorsque chacun fut un peu remis <strong>de</strong> son chagrin, le maître dit à son valet : « Eh bien, Jacques, où en étions-nous <strong>de</strong><br />

tes amours ?


Texte 2 : Madame <strong>de</strong> Staël (1766 - 1817), Corinne ou l'Italie (1807)<br />

Ce roman met en scène Corinne, mi-Italienne mi-Anglaise, poétesse et artiste, qui gui<strong>de</strong> le lord écossais, Oswald, dont<br />

elle s'est éprise, à travers les splen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l’Italie. <strong>Le</strong> roman se déroule à travers les paysages et les villes <strong>de</strong> l'Italie,<br />

choisies et décrites en fonction <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong>s héros : naissance <strong>de</strong> l'amour à Rome, épanouissement en Campanie sous<br />

la menace du volcan, mélancolie à Venise, mort <strong>de</strong> l'héroïne abandonnée dans la ru<strong>de</strong> Florence.<br />

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Chapitre premier<br />

Oswald lord Nelvil, pair d'Écosse, partit d' Édimbourg pour se rendre en Italie pendant l'hiver <strong>de</strong> 1794 à 1795. Il avait<br />

une figure noble et belle, beaucoup d'esprit, un grand nom, une fortune indépendante ; mais sa santé était altérée<br />

par un profond sentiment <strong>de</strong> peine, et les mé<strong>de</strong>cins, craignant que sa poitrine ne fût attaquée, lui avaient ordonné<br />

l'air du midi. Il suivit leurs conseils, bien qu'il mît peu d'intérêt à la conservation <strong>de</strong> ses jours. Il espérait du moins<br />

trouver quelque distraction dans la diversité <strong>de</strong>s objets qu'il allait voir. La plus intime <strong>de</strong> toutes les douleurs, la perte<br />

d'un père, était la cause <strong>de</strong> sa maladie ; <strong>de</strong>s circonstances cruelles, <strong>de</strong>s remords inspirés par <strong>de</strong>s scrupules délicats<br />

aigrissaient encore ses regrets, et l'imagination y mêlait ses fantômes. Quand on souffre, on se persua<strong>de</strong> aisément<br />

que l'on est coupable, et les violents chagrins portent le trouble jusques dans la conscience. À vingt-cinq ans il était<br />

découragé <strong>de</strong> la vie ; son esprit jugeait tout d' avance, et sa sensibilité blessée ne goûtait plus les illusions du coeur.<br />

Personne ne se montrait plus que lui complaisant et dévoué pour ses amis quand il pouvait leur rendre service, mais<br />

rien ne lui causait un sentiment <strong>de</strong> plaisir, pas même le bien qu'il faisait ; il sacrifiait sans cesse et facilement ses<br />

goûts à ceux d'autrui ; mais on ne pouvait expliquer par la générosité seule cette abnégation absolue <strong>de</strong> tout égoïsme<br />

; et l'on <strong>de</strong>vait souvent l'attribuer au genre <strong>de</strong> tristesse qui ne lui permettait plus <strong>de</strong> s'intéresser à son propre sort.<br />

<strong>Le</strong>s indifférents jouissaient <strong>de</strong> ce caractère, et le trouvaient plein <strong>de</strong> grâces et <strong>de</strong> charmes ; mais quand on l'aimait,<br />

on sentait qu'il s'occupait du bonheur <strong>de</strong>s autres comme un homme qui n'en espérait pas pour lui-même ; et l'on était<br />

presque affligé <strong>de</strong> ce bonheur qu'il donnait sans qu'on pût le lui rendre. Il avait cependant un caractère mobile,<br />

sensible et passionné ; il réunissait tout ce qui peut entraîner les autres et soi-même : mais le malheur et le repentir<br />

l'avaient rendu timi<strong>de</strong> envers la <strong>de</strong>stinée : il croyait la désarmer en n'exigeant rien d'elle. Il espérait trouver dans le<br />

strict attachement à tous ses <strong><strong>de</strong>voir</strong>s, et dans le renoncement aux jouissances vives, une garantie contre les peines<br />

qui déchirent l'âme ; ce qu'il avait éprouvé lui faisait peur, et rien ne lui paraissait valoir dans ce mon<strong>de</strong> la chance <strong>de</strong><br />

ces peines : mais quand on est capable <strong>de</strong> les ressentir, quel est le genre <strong>de</strong> vie qui peut en mettre à l' abri ? Lord<br />

Nelvil se flattait <strong>de</strong> quitter l'Écosse sans regret, puisqu'il y restait sans plaisir ; mais ce n'est pas ainsi qu'est faite la<br />

funeste imagination <strong>de</strong>s âmes sensibles: il ne se doutait pas <strong>de</strong>s liens qui l'attachaient aux lieux qui lui faisaient le<br />

plus <strong>de</strong> mal, à l'habitation <strong>de</strong> son père. Il y avait dans cette habitation <strong>de</strong>s chambres, <strong>de</strong>s places dont il ne pouvait<br />

approcher sans frémir : et cependant quand il se résolut à s'en éloigner, il se sentit plus seul encore. Quelque chose<br />

d'ari<strong>de</strong> s'empara <strong>de</strong> son coeur ; il n'était plus le maître <strong>de</strong> verser <strong>de</strong>s larmes quand il souffrait ; il ne pouvait plus faire<br />

renaître ces petites circonstances locales qui l'attendrissaient profondément ; ses souvenirs n'avaient plus rien <strong>de</strong><br />

vivant, ils n'étaient plus en relation avec les objets qui l' environnaient ; il ne pensait pas moins à celui qu'il regrettait,<br />

mais il parvenait plus difficilement à se retracer sa présence.<br />

Texte 3 : Honoré <strong>de</strong> Balzac (1799-1850), Ferragus, chef <strong>de</strong>s Dévorants (1833), extrait <strong>de</strong> l’<strong>incipit</strong><br />

Ce roman est une histoire d’amour tragique mais aussi un véritable roman policier au cours duquel <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s<br />

s’opposent : celui <strong>de</strong> la bourgeoisie et <strong>de</strong>s vestiges <strong>de</strong> la noblesse du siècle passé, et celui du peuple parisien. <strong>Le</strong> héros en est<br />

Ferragus, ancien entrepreneur du bâtiment, <strong>de</strong> son vrai nom Gratien Bourignard, forçat évadé, ancien Compagnon, chef <strong>de</strong><br />

son Ordre mystérieux.<br />

<strong>Le</strong> roman s’ouvre sur une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Paris. Ce passage succè<strong>de</strong> à une évocation <strong>de</strong>s rues <strong>de</strong> Paris.<br />

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Ces observations, incompréhensibles au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Paris, seront sans doute saisies par ces hommes d'étu<strong>de</strong><br />

et <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong> poésie et <strong>de</strong> plaisir qui savent récolter, en flânant dans Paris, la masse <strong>de</strong> jouissances flottantes, à<br />

toute heure, entre ses murailles ; par ceux pour lesquels Paris est le plus délicieux <strong>de</strong>s monstres : là, jolie femme ;<br />

plus loin, vieux et pauvre ; ici, tout neuf comme la monnaie d'un nouveau règne ; dans ce coin, élégant comme une<br />

femme à la mo<strong>de</strong>. Monstre complet d'ailleurs ! Ses greniers, espèce <strong>de</strong> tête pleine <strong>de</strong> science et <strong>de</strong> génie, ses<br />

premiers étages, estomacs heureux ; ses boutiques, véritables pieds ; <strong>de</strong> là partent tous les trotteurs, tous les<br />

affairés.<br />

Eh ! quelle vie toujours active a le monstre ? À peine le <strong>de</strong>rnier frétillement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières voitures <strong>de</strong> bal<br />

cesse-t-il au coeur que déjà ses bras se remuent aux Barrières, et il se secoue lentement. Toutes les portes bâillent,<br />

tournent sur leurs gonds, comme les membranes d'un grand homard, invisiblement manoeuvrées par trente mille<br />

hommes ou femmes, dont chacune ou chacun vit dans six pieds carrés, y possè<strong>de</strong> une cuisine, un atelier, un lit, <strong>de</strong>s<br />

enfants, un jardin, n'y voit pas clair, et doit tout voir. Insensiblement les articulations craquent, le mouvement se<br />

communique, la rue parle. À midi, tout est vivant, les cheminées fument, le monstre mange ; puis il rugit, puis ses<br />

mille pattes s'agitent. Beau spectacle !<br />

Mais, ô Paris ! qui n'a pas admiré tes sombres paysages, tes échappées <strong>de</strong> lumière, tes culs-<strong>de</strong>-sac<br />

profonds et silencieux ; qui n'a pas entendu tes murmures, entre minuit et <strong>de</strong>ux heures du matin, ne connaît encore<br />

rien <strong>de</strong> ta vraie poésie, ni <strong>de</strong> tes bizarres et larges contrastes. Il est un petit nombre d'amateurs, <strong>de</strong> gens qui ne<br />

marchent jamais en écervelés, qui dégustent leur Paris, qui en possè<strong>de</strong>nt si bien la physionomie qu'ils y voient une<br />

verrue, un bouton, une rougeur. Pour les autres, Paris est toujours cette monstrueuse merveille, étonnant<br />

assemblage <strong>de</strong> mouvements, <strong>de</strong> machines et <strong>de</strong> pensées, la ville aux cent mille romans, la tête du mon<strong>de</strong>. Mais,<br />

pour ceux-là, Paris est triste ou gai, laid ou beau, vivant ou mort ; pour eux, Paris est une créature ; chaque<br />

homme, chaque fraction <strong>de</strong> maison est un lobe du tissu cellulaire <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> courtisane <strong>de</strong> laquelle ils<br />

connaissent parfaitement la tête, le coeur et les moeurs fantasques.


Texte 4 – Jean-Marie-Gustave <strong>Le</strong> Clézio (né en 1940 ), Désert (1983)<br />

Ce roman <strong>de</strong> Jean-Marie <strong>Le</strong> Clézio se compose <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux récits qui alternent et se succè<strong>de</strong>nt. L'un se déroule dans le désert. Il<br />

évoque la migration <strong>de</strong>s «hommes bleus» chassés du Rio <strong>de</strong> Oro dans les premières années du XXe siècle par les soldats<br />

français.<br />

<strong>Le</strong> second récit est l’histoire <strong>de</strong> Lalla, lointaine <strong>de</strong>scendante par sa mère <strong>de</strong> ces tribus décimées, qui résiste aussi à sa façon<br />

aux artifices <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne<br />

Saguiet el Hamra, hiver 1909 – 1910<br />

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Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet <strong>de</strong> la dune, à <strong>de</strong>mi cachés par la brume <strong>de</strong> sable que leurs<br />

pieds soulevaient. <strong>Le</strong>ntement ils sont <strong>de</strong>scendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête <strong>de</strong> la<br />

caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux <strong>de</strong> laine, leurs visages masqués par le voile bleu.<br />

Avec eux marchaient <strong>de</strong>ux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. <strong>Le</strong>s<br />

femmes fermaient la marche. C’étaient <strong>de</strong>s silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau <strong>de</strong><br />

leurs bras et <strong>de</strong> leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d’indigo.<br />

Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regar<strong>de</strong>r où ils allaient. <strong>Le</strong> vent soufflait continûment,<br />

le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. <strong>Le</strong> sable fuyait autour d’eux, entre les pattes <strong>de</strong>s chameaux, fouettait le<br />

visage <strong>de</strong>s femmes qui rabattaient la toile bleue sur leurs yeux. <strong>Le</strong>s jeunes enfants couraient, les bébés pleuraient,<br />

enroulés dans la toile bleue sur le dos <strong>de</strong> leur mère. <strong>Le</strong>s chameaux grommelaient, éternuaient. Personne ne savait où<br />

on allait.<br />

<strong>Le</strong> soleil était encore haut dans le ciel nu, le vent emportait les bruits et les o<strong>de</strong>urs. La sueur coulait lentement<br />

sur le visage <strong>de</strong>s voyageurs, et leur peau sombre avait pris le reflet <strong>de</strong> l’indigo, sur leurs joues, sur leurs bras, le long<br />

<strong>de</strong> leurs jambes. <strong>Le</strong>s tatouages bleus sur le front <strong>de</strong>s femmes brillaient comme <strong>de</strong>s scarabées. <strong>Le</strong>s yeux noirs, pareils à<br />

<strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> métal, regardaient à peine l’étendue <strong>de</strong> sable, cherchaient la trace <strong>de</strong> la piste entre les vagues <strong>de</strong>s<br />

dunes.<br />

Il n’y avait rien d’autre sur la terre, rien, ni personne. Ils étaient nés du désert, aucun autre chemin ne pouvait<br />

les conduire. Ils ne disaient rien. Ils ne voulaient rien. <strong>Le</strong> vent passait sur eux, à travers eux, comme s’il n’y avait<br />

personne sur les dunes. Ils marchaient <strong>de</strong>puis la première aube, sans s’arrêter, la fatigue et la soif les enveloppaient<br />

comme une gangue. La sécheresse avait durci leurs lèvres et leur langue. La faim les rongeait. Ils n’auraient pas pu<br />

parler. Ils étaient <strong>de</strong>venus, <strong>de</strong>puis si longtemps, muets comme le désert, pleins <strong>de</strong> lumière quand le soleil brûle au<br />

centre du ciel vi<strong>de</strong>, et glacés <strong>de</strong> la nuit aux étoiles figées.<br />

Ils continuaient à <strong>de</strong>scendre lentement la pente vers le fond <strong>de</strong> la vallée, en zigzaguant quand le sable<br />

s’éboulait sous leurs pieds. <strong>Le</strong>s hommes choisissaient sans regar<strong>de</strong>r l’endroit où leurs pieds allaient se poser. C’était<br />

comme s’ils cheminaient sur <strong>de</strong>s traces invisibles qui les conduisaient vers l’autre bout <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong>, vers la nuit. Un<br />

seul d’entre eux portait un fusil, une carabine à pierre au long canon <strong>de</strong> bronze noirci. Il la portait sur sa poitrine, serrée<br />

entre ses <strong>de</strong>ux bras, le canon dirigé vers le haut comme la hampe d’un drapeau. Ses frères marchaient à côté <strong>de</strong> lui,<br />

enveloppés dans leurs manteaux, un peu courbés en avant sous le poids <strong>de</strong> leurs far<strong>de</strong>aux. Sous leurs manteaux, leurs<br />

habits bleus étaient en lambeaux, déchirés par les épines, usés par le sable. Derrière le troupeau exténué, Nour, le fils<br />

<strong>de</strong> l’homme au fusil, marchait <strong>de</strong>vant sa mère et ses sœurs. Son visage était sombre, noirci par le soleil, mais ses yeux<br />

brillaient, et la lumière <strong>de</strong> son regard était presque surnaturelle.<br />

Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, <strong>de</strong> la lumière, <strong>de</strong> la nuit. Ils étaient apparus, comme<br />

dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la<br />

dureté <strong>de</strong> l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les<br />

nuits froi<strong>de</strong>s, les lueurs <strong>de</strong> la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les<br />

vagues <strong>de</strong> sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière <strong>de</strong> leur<br />

regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique <strong>de</strong> leurs yeux.<br />

Devoir sur les <strong>incipit</strong> - corrigé<br />

Après avoir défini la forme <strong>de</strong> chaque <strong>incipit</strong>, vous monterez comment les auteurs cherchent à susciter l’intérêt du lecteur dès<br />

les premières pages <strong>de</strong> leur œuvre.<br />

<strong>Le</strong> corpus se compose <strong>de</strong> quatre textes appartenant à <strong>de</strong>s époques différentes : le premier est l’<strong>incipit</strong> <strong>de</strong> Jacques le<br />

fataliste, roman <strong>de</strong> Denis Di<strong>de</strong>rot, célèbre philosophe <strong>de</strong>s Lumières, le second est celui <strong>de</strong> Corinne ou l’Italie, roman <strong>de</strong> Mme<br />

<strong>de</strong> Staël, contemporaine <strong>de</strong> Chateaubriand et comme lui, un <strong>de</strong>s premiers auteurs romantiques français, le troisième est<br />

extrait du début <strong>de</strong> Ferragus, chef <strong>de</strong>s Dévorants, œuvre <strong>de</strong> Balzac, auteur réaliste, dont les romans <strong>de</strong> La Comédie humaine<br />

décrivent la société française sous la Restauration et enfin le <strong>de</strong>rnier est l’<strong>incipit</strong> <strong>de</strong> Désert, roman <strong>de</strong> Jean-Marie-Gustave <strong>Le</strong><br />

Clézio, auteur contemporain et prix Nobel <strong>de</strong> littérature en 2008. Chacun <strong>de</strong> ces <strong>incipit</strong> tente <strong>de</strong> séduire le lecteur en utilisant<br />

pourtant <strong>de</strong>s procédés divers.<br />

Pour commencer leur roman, ces auteurs choisissent <strong>de</strong>s manières différentes pour entrer dans la fiction. Ainsi,<br />

Balzac, comme dans la plupart <strong>de</strong> ses romans, introduit l’univers romanesque par un <strong>incipit</strong> statique, une <strong>de</strong>scription. Ici, il<br />

s’agit <strong>de</strong> Paris, ville où se situe l’action <strong>de</strong> Ferragus. On ne saura rien <strong>de</strong> l’intrigue mais le décor est planté : Paris, ville<br />

monstrueuse et envoûtante. Deux textes sont <strong>de</strong>s <strong>incipit</strong> progressifs : au fil <strong>de</strong>s premières lignes, le lecteur en apprend un<br />

peu plus du ou <strong>de</strong>s personnages dont on imagine qu’ils seront les héros <strong>de</strong>s romans. Il s’agit du début <strong>de</strong> Corinne ou l’Italie<br />

<strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Staël où le lecteur fait connaissance avec Lord Nelvil et entre progressivement dans son histoire et sa<br />

personnalité. De même, Désert commence par l’entrée en scène <strong>de</strong>s personnages dont on apprend ou <strong>de</strong>vine peu à peu qui<br />

ils sont et pourquoi ils sont là bien que par certains aspects, cet <strong>incipit</strong> puisse être aussi qualifié <strong>de</strong> suspensif car le mystère<br />

est entretenu. Enfin, les premières pages <strong>de</strong> Jacques le fataliste déroutent le lecteur, c’est un <strong>incipit</strong> suspensif qui ne répond<br />

pas aux attentes : on ne saura rien du lieu, <strong>de</strong> l’époque et même les personnages restent énigmatiques. Dans ce corpus<br />

manque donc un type : l’<strong>incipit</strong> dynamique ou « in medias res » comme ceux <strong>de</strong> L’Assommoir <strong>de</strong> Zola ou <strong>de</strong> La Condition<br />

humaine <strong>de</strong> Malraux.


L’intérêt du lecteur est tout d’abord suscité par cette entrée dans la fiction, plus ou moins informative, plus ou moins<br />

dynamique. Certains textes regorgent d’information, comme ceux <strong>de</strong> Balzac ou <strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Staël pourtant l’un et l’autre ne<br />

poursuivent pas le même but.<br />

Balzac dresse une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Paris aussi minutieuse qu’attrayante : le réalisme <strong>de</strong> l’auteur transparaît quand<br />

sont évoqués les lieux <strong>de</strong> la ville : « Ses greniers […], ses premiers étages[…], ses boutiques » ou ses activités la nuit « le<br />

<strong>de</strong>rnier frétillement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières voitures <strong>de</strong> bal », au petit matin « ses bras se remuent aux Barrières », « À midi, tout est<br />

vivant, les cheminées fument » ou encore ses habitants « trente mille hommes ou femmes, dont chacune ou chacun vit dans<br />

six pieds carrés, y possè<strong>de</strong> une cuisine, un atelier, un lit, <strong>de</strong>s enfants, un jardin ». Cependant, l’intérêt principal <strong>de</strong> cette<br />

<strong>de</strong>scription ne rési<strong>de</strong> pas dans son réalisme mais par l’image complexe qui est donnée <strong>de</strong> la ville. <strong>Le</strong>s personnifications et<br />

métaphores abon<strong>de</strong>nt ; tantôt Paris est comparé par ses habitations à un être vivant possédant une « tête pleine <strong>de</strong> science<br />

et <strong>de</strong> génie », <strong>de</strong>s « estomacs », <strong>de</strong> « véritables pieds » ; tantôt il apparaît comme une « jolie femme », « élégant comme<br />

une femme à la mo<strong>de</strong> » dont on entend les « murmures » et qui a la séduction d’une « gran<strong>de</strong> courtisane » dont les amants<br />

« connaissent parfaitement la tête, le coeur et les moeurs fantasques » ; tantôt c’est l’aspect monstrueux <strong>de</strong> la ville qui est<br />

souligné, dans le second paragraphe, par la métaphore filée du homard dont voici les principaux termes : « ses bras se<br />

remuent […] il se secoue lentement. […]les membranes d'un grand homard […] les articulations craquent [..]le monstre<br />

mange ; puis il rugit, puis ses mille pattes s'agitent ». De plus, le caractère paradoxal <strong>de</strong> la ville est marqué par les oxymores<br />

« le plus délicieux <strong>de</strong>s monstres », « cette monstrueuse merveille » que seul peut apprécier un « petit nombre d'amateurs »,<br />

<strong>de</strong>s « hommes d'étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong> poésie et <strong>de</strong> plaisir ». Balzac attire donc le lecteur en plantant le décor <strong>de</strong> l’intrigue :<br />

si la ville présente ces caractères contradictoires : séduction et monstruosité, l’intrigue ne peut que s’insérer dans cette<br />

thématique que le titre du roman souligne déjà : que sont donc ces « Dévorants » dont le nom connote l’avidité ? Qui est ce<br />

Ferragus au nom peu commun ? Enfin Balzac suscite l’intérêt du lecteur en retardant l’entrée en scène <strong>de</strong>s personnages.<br />

Au contraire, le roman <strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Staël s’ouvre sur la présentation d’un personnage, lord Oswald Nelvil. C’est un<br />

portrait tout à fait positif : non seulement, cet homme est noble, c’est un lord mais il a « une figure noble et belle, beaucoup<br />

d'esprit, un grand nom, une fortune indépendante », il est jeune « vingt-cinq ans ». Dès la première ligne, on sait aussi que<br />

cet homme se rend en Italie, cadre du roman comme l’indique le titre. L’intérêt <strong>de</strong> cette page rési<strong>de</strong> dans le portrait<br />

psychologique du personnage : c’est un être qui souffre. <strong>Le</strong> champ lexical <strong>de</strong> la souffrance est présent dans tout le texte :<br />

« profond sentiment <strong>de</strong> peine », « La plus intime <strong>de</strong> toutes les douleurs », « découragé <strong>de</strong> la vie », « sensibilité blessée »,<br />

« tristesse », « les peines qui déchirent l'âme ». Il attire ainsi la compassion du lecteur d’autant plus que cette souffrance est<br />

due à la perte d’un être cher, son père. <strong>Le</strong> lecteur ne peut donc que considérer positivement la peine <strong>de</strong> ce personnage dont<br />

l’amour filial est à ce point exacerbé et dont le respect <strong>de</strong>s valeurs est souligné par l’expression « strict attachement à tous<br />

ses <strong><strong>de</strong>voir</strong>s ». D’autre part, le portrait qui nous en est fait met en évi<strong>de</strong>nce la profon<strong>de</strong> générosité <strong>de</strong> cet être qui ne<br />

s’appesantit pas sur sa souffrance pour penser aux autres : il se montre « complaisant et dévoué pour ses amis », « il<br />

sacrifiait sans cesse et facilement ses goûts à ceux d'autrui » ; l’expression hyperbolique « cette abnégation absolue <strong>de</strong> tout<br />

égoïsme » souligne son profond désintéressement. En outre, c’est un être extrêmement sensible et désespéré : la vie, « la<br />

conservation <strong>de</strong> ses jours », lui semble sans intérêt, il a renoncé « aux jouissances vives », il n’attend rien d’autre <strong>de</strong> ce<br />

voyage en Italie que <strong>de</strong> « trouver quelque distraction dans la diversité <strong>de</strong>s objets qu'il allait voir ». C’est donc un personnage<br />

noble dans toute l’acception du terme qui nous est ici présenté et pour lequel le lecteur peut ressentir admiration et<br />

compassion. Cette première page crée aussi un horizon d’attente : ce voyage permettra-t-il au personnage <strong>de</strong> guérir sa<br />

mélancolie, trait caractéristique du héros romantique ? Pour quelle raison ce personnage, animé <strong>de</strong> « scrupules délicats »,<br />

éprouve-t-il un tel sentiment <strong>de</strong> culpabilité envers la mort <strong>de</strong> son père ? quels sont ces « remords » ? pourquoi « le repentir »<br />

l’habite ? Enfin Mme <strong>de</strong> Staël, comme Balzac, suscite l’intérêt du lecteur en retardant l’entrée en scène du personnage<br />

éponyme : si Owvald Nelvil nous est présenté, Corinne non qui gar<strong>de</strong> ainsi, pour l’instant, tout son mystère. De plus, puisque<br />

le roman commence par mettre en scène lord Nelvil, le lecteur ne peut qu’attendre avec curiosité une rencontre avec<br />

Corinne.<br />

<strong>Le</strong>s débuts <strong>de</strong> Désert et <strong>de</strong> Jacques le fataliste comportent quelques points communs : certes, les personnages sont<br />

présents mais l’un et l’autre <strong>incipit</strong> déroutent le lecteur par les questions qu’ils suscitent, par leur originalité.<br />

Désert commence par l’énoncé d’un lieu et d’une date : « Saguiet el Hamra, hiver 1909 – 1910 » suscitant ainsi un<br />

effet <strong>de</strong> réel que rien pourtant ensuite ne vient confirmer. D’ailleurs, pour le lecteur commun, ce lieu et cette date n’évoquent<br />

rien <strong>de</strong> précis. La suite <strong>de</strong> l’<strong>incipit</strong> confirme le titre : nous sommes bien dans le désert dont le champ lexical est récurrent :<br />

« au sommet <strong>de</strong> la dune », « la brume <strong>de</strong> sable » et les nombreuses occurrences du mot « sable », « la piste », « <strong>de</strong>ux ou<br />

trois dromadaires », « le vent du désert » et les multiples reprises <strong>de</strong>s mots « vent » et « désert » , « <strong>Le</strong> soleil », terme lui<br />

aussi souvent repris. Ainsi le cadre et ses conditions météorologiques sont présentés : un cadre ari<strong>de</strong> et les difficultés qui<br />

s’ensuivent. Quant aux personnages, nous en faisons connaissance d’une manière déconcertante : le point <strong>de</strong> vue est<br />

majoritairement externe, nous ne savons d’eux que ce qu’un témoin peut en voir ou entendre, c’est-à-dire la composition et<br />

l’organisation du groupe, leur aspect, leur déplacement et leurs gestes, les bruits. Qui sont-ils précisément ? on ne le sait. On<br />

peut <strong>de</strong>viner par leur habillement « le voile bleu », « les voiles d’indigo », « la toile bleue », « le reflet <strong>de</strong> l’indigo » que ce<br />

sont <strong>de</strong>s Touaregs, ceux que l’on nomme traditionnellement « les hommes bleus » à cause <strong>de</strong> leurs vêtements teints avec <strong>de</strong><br />

l’indigo qui décolore sur leur peau. Dans la première partie du texte, rien ne vient différencier l’un <strong>de</strong> l’autre, ils sont désignés<br />

soit par le pronom « ils », soit par le groupe auquel ils appartiennent : « les hommes », « les femmes », « les jeunes<br />

enfants », « les bébés ». Ce n’est que dans la <strong>de</strong>uxième partie du texte que le point <strong>de</strong> vue change, <strong>de</strong>vient omniscient et par<br />

cela nous apprend davantage : leur origine « Ils étaient nés du désert », leur manque <strong>de</strong> désir « Ils ne voulaient rien », leur<br />

proche passé « Ils marchaient <strong>de</strong>puis la première aube », leurs sensations « La faim les rongeait ». pour autant, le lecteur ne<br />

connaîtra rien <strong>de</strong> plus précis. Dans cette <strong>de</strong>uxième partie du texte, un personnage se détache du groupe : il est nommé<br />

« Nour », ses attaches familiales sont désignées : « le fils <strong>de</strong> l’homme au fusil », « sa mère et ses sœurs ». <strong>Le</strong> lecteur peut<br />

supposer qu’il aura un rôle plus important que les autres dans la suite du récit mais cette première page n’en dit pas plus. Se<br />

dégage donc <strong>de</strong> ce passage une atmosphère mystérieuse et une tonalité poétique, voire mythique, qui peut susciter l’intérêt<br />

du lecteur, curieux d’en savoir davantage sur ces êtres et ce décor énigmatiques.<br />

L’<strong>incipit</strong> <strong>de</strong> Jacques le fataliste surprend lui aussi le lecteur pour <strong>de</strong>s raisons diverses. La disposition d’une partie du<br />

texte fait penser à une pièce <strong>de</strong> théâtre : les noms <strong>de</strong>s personnages précè<strong>de</strong>nt leurs paroles qui ne sont donc pas intégrées<br />

dans le récit comme il est d’usage dans un roman. Quant à ces personnages, nous n’en saurons que bien peu : l’un s’appelle<br />

Jacques, l’autre est son maître mais le narrateur refuse <strong>de</strong> nous en dire davantage. C’est une autre particularité <strong>de</strong> cet <strong>incipit</strong>.<br />

<strong>Le</strong> narrateur-auteur ne cesse d’intervenir non seulement pour commenter l’action mais surtout pour commenter l’écriture<br />

d’un roman en train <strong>de</strong> s’écrire et pour décourager les attentes du lecteur auquel il s’adresse directement. Si on reprend ce<br />

que tout lecteur est en droit d’attendre d’un début <strong>de</strong> roman, on ne peut que constater qu’il restera sur sa faim. <strong>Le</strong> nom <strong>de</strong>s<br />

personnages ? « Que vous importe ? » Pourquoi sont-ils ensemble ? « Par hasard ». Où vont-ils ? « Est-ce que l'on sait où


l'on va ? », « Qu'est-ce que cela vous fait ? ». <strong>Le</strong> contenu du passage est pour le moins déconcertant, l’accent étant mis par<br />

le narrateur sur les paroles <strong>de</strong>s protagonistes alors qu’ils évoquent d’une manière très générale le <strong>de</strong>stin, paroles qui<br />

renvoient au titre du roman Jacques le fataliste, paroles qui semblent annoncer le récit <strong>de</strong>s amours <strong>de</strong> Jacques mais on n’en<br />

saura rien : ce récit est simplement évoqué : « Jacques commença l'histoire <strong>de</strong> ses amours. C'était l'après-dînée : il faisait un<br />

temps lourd ; son maître s'endormit. » Puis le narrateur reprenant la parole imagine plusieurs hypothèses à la suite <strong>de</strong> son<br />

récit, finalement abandonnées. Cet <strong>incipit</strong> qui ne nous apprend donc rien <strong>de</strong>s personnages, du cadre spatio-temporel et <strong>de</strong><br />

l’intrigue est donc le plus déroutant <strong>de</strong>s quatre proposés dans le corpus et c’est cette originalité qui peut amuser le lecteur, le<br />

séduire et l’inciter à poursuivre la lecture.<br />

Ces quatre textes proposent donc chacun une entrée dans l’univers romanesque <strong>de</strong>s auteurs très différente l’une <strong>de</strong><br />

l’autre. Si le but commun <strong>de</strong>s <strong>incipit</strong> est <strong>de</strong> séduire le lecteur, les démarches sont multiples : Balzac plonge son lecteur dans<br />

l’atmosphère inquiétante et attirante du cadre <strong>de</strong> son roman, Mme <strong>de</strong> Staël met en scène un personnage susceptible <strong>de</strong><br />

capter la sympathie du lecteur par sa profon<strong>de</strong> sensibilité, <strong>Le</strong> Clézio suscite la curiosité en jouant sur le mystère entourant<br />

<strong>de</strong>s personnages énigmatiques et Di<strong>de</strong>rot s’amuse avec son lecteur en le déconcertant.<br />

Commentaire du texte <strong>de</strong> Balzac - plan possible<br />

Introduction :<br />

1 -<br />

ou : a) Balzac : présentation <strong>de</strong> l’écrivain et <strong>de</strong> La Comédie humaine<br />

ou : b) amorce sur les fonctions <strong>de</strong> l’<strong>incipit</strong> et définition <strong>de</strong> l’incioit<br />

2 - présentation <strong>de</strong> l’extrait : un <strong>incipit</strong> statique, une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Paris qui ouvre le roman Ferragus, <strong>de</strong>scription tout à la<br />

fois réaliste et imagée<br />

3 - annonce du plan : Cet extrait propose une vision complexe <strong>de</strong> la capitale. Dans un premier temps, nous observerons que<br />

les informations sur l’aspect <strong>de</strong> la ville sont nombreuses, puis nous verrons que Paris est représentée comme un lieu<br />

extraordinaire au sens propre du mot et enfin que cette page crée une atmosphère particulière, suscitant ainsi l’intérêt du<br />

lecteur.<br />

I - Un <strong>incipit</strong> informatif<br />

a) une <strong>de</strong>scription réaliste : les lieux, les gens, les bâtiments<br />

b) une ville labyrinthique : les phrases longues et complexes<br />

c) interaction <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong> la ville : phrases où lieux et caractéristiques humaines sont reliés<br />

II - une ville extraordinaire<br />

a) les atouts <strong>de</strong> Paris : termes valorisants, personnification ; une ville d’influence : les périphrases<br />

b) la ville appréciée <strong>de</strong>s initiés, dont le narrateur<br />

c) la tonalité lyrique : présence du narrateur, apostrophe lyrique, ponctuation<br />

III - Un cadre énigmatique<br />

a) le lieu <strong>de</strong>s contrastes : oxymore, antithèses<br />

b) une ville monstrueuse, séduction et répulsion, registre fantastique : métaphores, comparaisons…<br />

c) un horizon d’attente : un cadre énigmatique où les personnages du roman sont pour encore absents<br />

Conclusion :<br />

Cette <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Paris joue un rôle <strong>de</strong>scriptif : elle met en évi<strong>de</strong>nce différents aspects <strong>de</strong> la capitale mais ce passage fait<br />

aussi <strong>de</strong> la capitale une ville fascinante et monstrueuse qui ne délivre ses secrets qu’aux initiés, dont le narrateur dont on<br />

perçoit l’admiration tandis que l’absence <strong>de</strong> personnages crée l’attente du lecteur.<br />

Ce passage obéit à une <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong>s débuts <strong>de</strong> roman : créer un horizon d’attente. Si Balzac choisit une entrée en<br />

matière statique, bien d’autres manières sont possibles ainsi Zola privilégie fréquemment un début in medias res alors que<br />

d’autres auteurs comme Di<strong>de</strong>rot dans Jacques et le fataliste préfèrent déstabiliser le lecteur en imaginant <strong>de</strong>s <strong>incipit</strong><br />

suspensifs.<br />

Dissertation : plan<br />

I - la tâche du romancier, quand il crée <strong>de</strong>s personnages, peut consister avant tout à refléter la société dans laquelle il vit<br />

A - le projet <strong>de</strong> peinture <strong>de</strong> la société les courants réaliste et naturaliste<br />

- conception dominante <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième partie du XIXe siècle<br />

- le personnage <strong>de</strong>vient alors un con<strong>de</strong>nsé <strong>de</strong>s caractères <strong>de</strong> son groupe social ou <strong>de</strong> la société dans laquelle il vit<br />

- en conséquence le romancier s’appuie sur le réel pour créer ses personnages<br />

ex Zola et les différents milieux sociaux ou Balzac<br />

B - Par quels moyens le personnage <strong>de</strong> roman peut-il refléter la société ?<br />

- par la <strong>de</strong>scription détaillée et réaliste <strong>de</strong>s personnages : physionomie, détails anatomiques, précision dans la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s<br />

vêtements, qui ancre le personnage dans le réel et une classe sociale : Mme <strong>de</strong> Staël, Mme <strong>de</strong> Lafayette<br />

- par l’appui sur les événements et les personnages historiques qui reflètent l’atmosphère d’une époque : Malraux, Mme <strong>de</strong><br />

Lafayette ; sur <strong>de</strong>s faits divers qui donnent une idée <strong>de</strong> la vie d’une époque : Madame Bovary, <strong>Le</strong> Rouge et le Noir<br />

un personnage dont les actes et le pensées sont au moins en partie déterminés par la documentation<br />

- par l’insertion dans un milieu et une société largement décrits : Zola<br />

C - Pourquoi le personnage <strong>de</strong> roman doit-il refléter la société dans laquelle il vit ?<br />

- pour témoigner d’une société : Balzac, Rastignac et la figure <strong>de</strong> l’ambitieux<br />

- pour créer l’illusion <strong>de</strong> la réalité et permettre ainsi l’i<strong>de</strong>ntification et l’intérêt : romans policiers<br />

- pour agir sur le réel, le roman engagé : Malraux, Camus


II - mais le personnage peut avoir d’autres fonctions<br />

A - satisfaire un certain besoin <strong>de</strong> rêve et d’évasion<br />

- héros idéalisés : romans <strong>de</strong> chevalerie, Mme <strong>de</strong> Lafayette<br />

- le personnage merveilleux : Tolkien<br />

- personnages irréalistes : Kafka, Calvino, Süskind<br />

B - Refléter l’être humain<br />

- faire accé<strong>de</strong>r à la connaissance du cœur humain : La Peste, La Comédie humaine<br />

- les relations entre les hommes<br />

- les conflits intérieurs<br />

C - incarner une idée

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