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devoir incipit - Le blog de Jocelyne Vilmin

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L’intérêt du lecteur est tout d’abord suscité par cette entrée dans la fiction, plus ou moins informative, plus ou moins<br />

dynamique. Certains textes regorgent d’information, comme ceux <strong>de</strong> Balzac ou <strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Staël pourtant l’un et l’autre ne<br />

poursuivent pas le même but.<br />

Balzac dresse une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> Paris aussi minutieuse qu’attrayante : le réalisme <strong>de</strong> l’auteur transparaît quand<br />

sont évoqués les lieux <strong>de</strong> la ville : « Ses greniers […], ses premiers étages[…], ses boutiques » ou ses activités la nuit « le<br />

<strong>de</strong>rnier frétillement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières voitures <strong>de</strong> bal », au petit matin « ses bras se remuent aux Barrières », « À midi, tout est<br />

vivant, les cheminées fument » ou encore ses habitants « trente mille hommes ou femmes, dont chacune ou chacun vit dans<br />

six pieds carrés, y possè<strong>de</strong> une cuisine, un atelier, un lit, <strong>de</strong>s enfants, un jardin ». Cependant, l’intérêt principal <strong>de</strong> cette<br />

<strong>de</strong>scription ne rési<strong>de</strong> pas dans son réalisme mais par l’image complexe qui est donnée <strong>de</strong> la ville. <strong>Le</strong>s personnifications et<br />

métaphores abon<strong>de</strong>nt ; tantôt Paris est comparé par ses habitations à un être vivant possédant une « tête pleine <strong>de</strong> science<br />

et <strong>de</strong> génie », <strong>de</strong>s « estomacs », <strong>de</strong> « véritables pieds » ; tantôt il apparaît comme une « jolie femme », « élégant comme<br />

une femme à la mo<strong>de</strong> » dont on entend les « murmures » et qui a la séduction d’une « gran<strong>de</strong> courtisane » dont les amants<br />

« connaissent parfaitement la tête, le coeur et les moeurs fantasques » ; tantôt c’est l’aspect monstrueux <strong>de</strong> la ville qui est<br />

souligné, dans le second paragraphe, par la métaphore filée du homard dont voici les principaux termes : « ses bras se<br />

remuent […] il se secoue lentement. […]les membranes d'un grand homard […] les articulations craquent [..]le monstre<br />

mange ; puis il rugit, puis ses mille pattes s'agitent ». De plus, le caractère paradoxal <strong>de</strong> la ville est marqué par les oxymores<br />

« le plus délicieux <strong>de</strong>s monstres », « cette monstrueuse merveille » que seul peut apprécier un « petit nombre d'amateurs »,<br />

<strong>de</strong>s « hommes d'étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong> poésie et <strong>de</strong> plaisir ». Balzac attire donc le lecteur en plantant le décor <strong>de</strong> l’intrigue :<br />

si la ville présente ces caractères contradictoires : séduction et monstruosité, l’intrigue ne peut que s’insérer dans cette<br />

thématique que le titre du roman souligne déjà : que sont donc ces « Dévorants » dont le nom connote l’avidité ? Qui est ce<br />

Ferragus au nom peu commun ? Enfin Balzac suscite l’intérêt du lecteur en retardant l’entrée en scène <strong>de</strong>s personnages.<br />

Au contraire, le roman <strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Staël s’ouvre sur la présentation d’un personnage, lord Oswald Nelvil. C’est un<br />

portrait tout à fait positif : non seulement, cet homme est noble, c’est un lord mais il a « une figure noble et belle, beaucoup<br />

d'esprit, un grand nom, une fortune indépendante », il est jeune « vingt-cinq ans ». Dès la première ligne, on sait aussi que<br />

cet homme se rend en Italie, cadre du roman comme l’indique le titre. L’intérêt <strong>de</strong> cette page rési<strong>de</strong> dans le portrait<br />

psychologique du personnage : c’est un être qui souffre. <strong>Le</strong> champ lexical <strong>de</strong> la souffrance est présent dans tout le texte :<br />

« profond sentiment <strong>de</strong> peine », « La plus intime <strong>de</strong> toutes les douleurs », « découragé <strong>de</strong> la vie », « sensibilité blessée »,<br />

« tristesse », « les peines qui déchirent l'âme ». Il attire ainsi la compassion du lecteur d’autant plus que cette souffrance est<br />

due à la perte d’un être cher, son père. <strong>Le</strong> lecteur ne peut donc que considérer positivement la peine <strong>de</strong> ce personnage dont<br />

l’amour filial est à ce point exacerbé et dont le respect <strong>de</strong>s valeurs est souligné par l’expression « strict attachement à tous<br />

ses <strong><strong>de</strong>voir</strong>s ». D’autre part, le portrait qui nous en est fait met en évi<strong>de</strong>nce la profon<strong>de</strong> générosité <strong>de</strong> cet être qui ne<br />

s’appesantit pas sur sa souffrance pour penser aux autres : il se montre « complaisant et dévoué pour ses amis », « il<br />

sacrifiait sans cesse et facilement ses goûts à ceux d'autrui » ; l’expression hyperbolique « cette abnégation absolue <strong>de</strong> tout<br />

égoïsme » souligne son profond désintéressement. En outre, c’est un être extrêmement sensible et désespéré : la vie, « la<br />

conservation <strong>de</strong> ses jours », lui semble sans intérêt, il a renoncé « aux jouissances vives », il n’attend rien d’autre <strong>de</strong> ce<br />

voyage en Italie que <strong>de</strong> « trouver quelque distraction dans la diversité <strong>de</strong>s objets qu'il allait voir ». C’est donc un personnage<br />

noble dans toute l’acception du terme qui nous est ici présenté et pour lequel le lecteur peut ressentir admiration et<br />

compassion. Cette première page crée aussi un horizon d’attente : ce voyage permettra-t-il au personnage <strong>de</strong> guérir sa<br />

mélancolie, trait caractéristique du héros romantique ? Pour quelle raison ce personnage, animé <strong>de</strong> « scrupules délicats »,<br />

éprouve-t-il un tel sentiment <strong>de</strong> culpabilité envers la mort <strong>de</strong> son père ? quels sont ces « remords » ? pourquoi « le repentir »<br />

l’habite ? Enfin Mme <strong>de</strong> Staël, comme Balzac, suscite l’intérêt du lecteur en retardant l’entrée en scène du personnage<br />

éponyme : si Owvald Nelvil nous est présenté, Corinne non qui gar<strong>de</strong> ainsi, pour l’instant, tout son mystère. De plus, puisque<br />

le roman commence par mettre en scène lord Nelvil, le lecteur ne peut qu’attendre avec curiosité une rencontre avec<br />

Corinne.<br />

<strong>Le</strong>s débuts <strong>de</strong> Désert et <strong>de</strong> Jacques le fataliste comportent quelques points communs : certes, les personnages sont<br />

présents mais l’un et l’autre <strong>incipit</strong> déroutent le lecteur par les questions qu’ils suscitent, par leur originalité.<br />

Désert commence par l’énoncé d’un lieu et d’une date : « Saguiet el Hamra, hiver 1909 – 1910 » suscitant ainsi un<br />

effet <strong>de</strong> réel que rien pourtant ensuite ne vient confirmer. D’ailleurs, pour le lecteur commun, ce lieu et cette date n’évoquent<br />

rien <strong>de</strong> précis. La suite <strong>de</strong> l’<strong>incipit</strong> confirme le titre : nous sommes bien dans le désert dont le champ lexical est récurrent :<br />

« au sommet <strong>de</strong> la dune », « la brume <strong>de</strong> sable » et les nombreuses occurrences du mot « sable », « la piste », « <strong>de</strong>ux ou<br />

trois dromadaires », « le vent du désert » et les multiples reprises <strong>de</strong>s mots « vent » et « désert » , « <strong>Le</strong> soleil », terme lui<br />

aussi souvent repris. Ainsi le cadre et ses conditions météorologiques sont présentés : un cadre ari<strong>de</strong> et les difficultés qui<br />

s’ensuivent. Quant aux personnages, nous en faisons connaissance d’une manière déconcertante : le point <strong>de</strong> vue est<br />

majoritairement externe, nous ne savons d’eux que ce qu’un témoin peut en voir ou entendre, c’est-à-dire la composition et<br />

l’organisation du groupe, leur aspect, leur déplacement et leurs gestes, les bruits. Qui sont-ils précisément ? on ne le sait. On<br />

peut <strong>de</strong>viner par leur habillement « le voile bleu », « les voiles d’indigo », « la toile bleue », « le reflet <strong>de</strong> l’indigo » que ce<br />

sont <strong>de</strong>s Touaregs, ceux que l’on nomme traditionnellement « les hommes bleus » à cause <strong>de</strong> leurs vêtements teints avec <strong>de</strong><br />

l’indigo qui décolore sur leur peau. Dans la première partie du texte, rien ne vient différencier l’un <strong>de</strong> l’autre, ils sont désignés<br />

soit par le pronom « ils », soit par le groupe auquel ils appartiennent : « les hommes », « les femmes », « les jeunes<br />

enfants », « les bébés ». Ce n’est que dans la <strong>de</strong>uxième partie du texte que le point <strong>de</strong> vue change, <strong>de</strong>vient omniscient et par<br />

cela nous apprend davantage : leur origine « Ils étaient nés du désert », leur manque <strong>de</strong> désir « Ils ne voulaient rien », leur<br />

proche passé « Ils marchaient <strong>de</strong>puis la première aube », leurs sensations « La faim les rongeait ». pour autant, le lecteur ne<br />

connaîtra rien <strong>de</strong> plus précis. Dans cette <strong>de</strong>uxième partie du texte, un personnage se détache du groupe : il est nommé<br />

« Nour », ses attaches familiales sont désignées : « le fils <strong>de</strong> l’homme au fusil », « sa mère et ses sœurs ». <strong>Le</strong> lecteur peut<br />

supposer qu’il aura un rôle plus important que les autres dans la suite du récit mais cette première page n’en dit pas plus. Se<br />

dégage donc <strong>de</strong> ce passage une atmosphère mystérieuse et une tonalité poétique, voire mythique, qui peut susciter l’intérêt<br />

du lecteur, curieux d’en savoir davantage sur ces êtres et ce décor énigmatiques.<br />

L’<strong>incipit</strong> <strong>de</strong> Jacques le fataliste surprend lui aussi le lecteur pour <strong>de</strong>s raisons diverses. La disposition d’une partie du<br />

texte fait penser à une pièce <strong>de</strong> théâtre : les noms <strong>de</strong>s personnages précè<strong>de</strong>nt leurs paroles qui ne sont donc pas intégrées<br />

dans le récit comme il est d’usage dans un roman. Quant à ces personnages, nous n’en saurons que bien peu : l’un s’appelle<br />

Jacques, l’autre est son maître mais le narrateur refuse <strong>de</strong> nous en dire davantage. C’est une autre particularité <strong>de</strong> cet <strong>incipit</strong>.<br />

<strong>Le</strong> narrateur-auteur ne cesse d’intervenir non seulement pour commenter l’action mais surtout pour commenter l’écriture<br />

d’un roman en train <strong>de</strong> s’écrire et pour décourager les attentes du lecteur auquel il s’adresse directement. Si on reprend ce<br />

que tout lecteur est en droit d’attendre d’un début <strong>de</strong> roman, on ne peut que constater qu’il restera sur sa faim. <strong>Le</strong> nom <strong>de</strong>s<br />

personnages ? « Que vous importe ? » Pourquoi sont-ils ensemble ? « Par hasard ». Où vont-ils ? « Est-ce que l'on sait où

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