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devoir incipit - Le blog de Jocelyne Vilmin

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Texte 4 – Jean-Marie-Gustave <strong>Le</strong> Clézio (né en 1940 ), Désert (1983)<br />

Ce roman <strong>de</strong> Jean-Marie <strong>Le</strong> Clézio se compose <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux récits qui alternent et se succè<strong>de</strong>nt. L'un se déroule dans le désert. Il<br />

évoque la migration <strong>de</strong>s «hommes bleus» chassés du Rio <strong>de</strong> Oro dans les premières années du XXe siècle par les soldats<br />

français.<br />

<strong>Le</strong> second récit est l’histoire <strong>de</strong> Lalla, lointaine <strong>de</strong>scendante par sa mère <strong>de</strong> ces tribus décimées, qui résiste aussi à sa façon<br />

aux artifices <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne<br />

Saguiet el Hamra, hiver 1909 – 1910<br />

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Ils sont apparus, comme dans un rêve, au sommet <strong>de</strong> la dune, à <strong>de</strong>mi cachés par la brume <strong>de</strong> sable que leurs<br />

pieds soulevaient. <strong>Le</strong>ntement ils sont <strong>de</strong>scendus dans la vallée, en suivant la piste presque invisible. En tête <strong>de</strong> la<br />

caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux <strong>de</strong> laine, leurs visages masqués par le voile bleu.<br />

Avec eux marchaient <strong>de</strong>ux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. <strong>Le</strong>s<br />

femmes fermaient la marche. C’étaient <strong>de</strong>s silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau <strong>de</strong><br />

leurs bras et <strong>de</strong> leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d’indigo.<br />

Ils marchaient sans bruit dans le sable, lentement, sans regar<strong>de</strong>r où ils allaient. <strong>Le</strong> vent soufflait continûment,<br />

le vent du désert, chaud le jour, froid la nuit. <strong>Le</strong> sable fuyait autour d’eux, entre les pattes <strong>de</strong>s chameaux, fouettait le<br />

visage <strong>de</strong>s femmes qui rabattaient la toile bleue sur leurs yeux. <strong>Le</strong>s jeunes enfants couraient, les bébés pleuraient,<br />

enroulés dans la toile bleue sur le dos <strong>de</strong> leur mère. <strong>Le</strong>s chameaux grommelaient, éternuaient. Personne ne savait où<br />

on allait.<br />

<strong>Le</strong> soleil était encore haut dans le ciel nu, le vent emportait les bruits et les o<strong>de</strong>urs. La sueur coulait lentement<br />

sur le visage <strong>de</strong>s voyageurs, et leur peau sombre avait pris le reflet <strong>de</strong> l’indigo, sur leurs joues, sur leurs bras, le long<br />

<strong>de</strong> leurs jambes. <strong>Le</strong>s tatouages bleus sur le front <strong>de</strong>s femmes brillaient comme <strong>de</strong>s scarabées. <strong>Le</strong>s yeux noirs, pareils à<br />

<strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> métal, regardaient à peine l’étendue <strong>de</strong> sable, cherchaient la trace <strong>de</strong> la piste entre les vagues <strong>de</strong>s<br />

dunes.<br />

Il n’y avait rien d’autre sur la terre, rien, ni personne. Ils étaient nés du désert, aucun autre chemin ne pouvait<br />

les conduire. Ils ne disaient rien. Ils ne voulaient rien. <strong>Le</strong> vent passait sur eux, à travers eux, comme s’il n’y avait<br />

personne sur les dunes. Ils marchaient <strong>de</strong>puis la première aube, sans s’arrêter, la fatigue et la soif les enveloppaient<br />

comme une gangue. La sécheresse avait durci leurs lèvres et leur langue. La faim les rongeait. Ils n’auraient pas pu<br />

parler. Ils étaient <strong>de</strong>venus, <strong>de</strong>puis si longtemps, muets comme le désert, pleins <strong>de</strong> lumière quand le soleil brûle au<br />

centre du ciel vi<strong>de</strong>, et glacés <strong>de</strong> la nuit aux étoiles figées.<br />

Ils continuaient à <strong>de</strong>scendre lentement la pente vers le fond <strong>de</strong> la vallée, en zigzaguant quand le sable<br />

s’éboulait sous leurs pieds. <strong>Le</strong>s hommes choisissaient sans regar<strong>de</strong>r l’endroit où leurs pieds allaient se poser. C’était<br />

comme s’ils cheminaient sur <strong>de</strong>s traces invisibles qui les conduisaient vers l’autre bout <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong>, vers la nuit. Un<br />

seul d’entre eux portait un fusil, une carabine à pierre au long canon <strong>de</strong> bronze noirci. Il la portait sur sa poitrine, serrée<br />

entre ses <strong>de</strong>ux bras, le canon dirigé vers le haut comme la hampe d’un drapeau. Ses frères marchaient à côté <strong>de</strong> lui,<br />

enveloppés dans leurs manteaux, un peu courbés en avant sous le poids <strong>de</strong> leurs far<strong>de</strong>aux. Sous leurs manteaux, leurs<br />

habits bleus étaient en lambeaux, déchirés par les épines, usés par le sable. Derrière le troupeau exténué, Nour, le fils<br />

<strong>de</strong> l’homme au fusil, marchait <strong>de</strong>vant sa mère et ses sœurs. Son visage était sombre, noirci par le soleil, mais ses yeux<br />

brillaient, et la lumière <strong>de</strong> son regard était presque surnaturelle.<br />

Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, <strong>de</strong> la lumière, <strong>de</strong> la nuit. Ils étaient apparus, comme<br />

dans un rêve, en haut d’une dune, comme s’ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu’ils avaient dans leurs membres la<br />

dureté <strong>de</strong> l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les<br />

nuits froi<strong>de</strong>s, les lueurs <strong>de</strong> la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les<br />

vagues <strong>de</strong> sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière <strong>de</strong> leur<br />

regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique <strong>de</strong> leurs yeux.<br />

Devoir sur les <strong>incipit</strong> - corrigé<br />

Après avoir défini la forme <strong>de</strong> chaque <strong>incipit</strong>, vous monterez comment les auteurs cherchent à susciter l’intérêt du lecteur dès<br />

les premières pages <strong>de</strong> leur œuvre.<br />

<strong>Le</strong> corpus se compose <strong>de</strong> quatre textes appartenant à <strong>de</strong>s époques différentes : le premier est l’<strong>incipit</strong> <strong>de</strong> Jacques le<br />

fataliste, roman <strong>de</strong> Denis Di<strong>de</strong>rot, célèbre philosophe <strong>de</strong>s Lumières, le second est celui <strong>de</strong> Corinne ou l’Italie, roman <strong>de</strong> Mme<br />

<strong>de</strong> Staël, contemporaine <strong>de</strong> Chateaubriand et comme lui, un <strong>de</strong>s premiers auteurs romantiques français, le troisième est<br />

extrait du début <strong>de</strong> Ferragus, chef <strong>de</strong>s Dévorants, œuvre <strong>de</strong> Balzac, auteur réaliste, dont les romans <strong>de</strong> La Comédie humaine<br />

décrivent la société française sous la Restauration et enfin le <strong>de</strong>rnier est l’<strong>incipit</strong> <strong>de</strong> Désert, roman <strong>de</strong> Jean-Marie-Gustave <strong>Le</strong><br />

Clézio, auteur contemporain et prix Nobel <strong>de</strong> littérature en 2008. Chacun <strong>de</strong> ces <strong>incipit</strong> tente <strong>de</strong> séduire le lecteur en utilisant<br />

pourtant <strong>de</strong>s procédés divers.<br />

Pour commencer leur roman, ces auteurs choisissent <strong>de</strong>s manières différentes pour entrer dans la fiction. Ainsi,<br />

Balzac, comme dans la plupart <strong>de</strong> ses romans, introduit l’univers romanesque par un <strong>incipit</strong> statique, une <strong>de</strong>scription. Ici, il<br />

s’agit <strong>de</strong> Paris, ville où se situe l’action <strong>de</strong> Ferragus. On ne saura rien <strong>de</strong> l’intrigue mais le décor est planté : Paris, ville<br />

monstrueuse et envoûtante. Deux textes sont <strong>de</strong>s <strong>incipit</strong> progressifs : au fil <strong>de</strong>s premières lignes, le lecteur en apprend un<br />

peu plus du ou <strong>de</strong>s personnages dont on imagine qu’ils seront les héros <strong>de</strong>s romans. Il s’agit du début <strong>de</strong> Corinne ou l’Italie<br />

<strong>de</strong> Mme <strong>de</strong> Staël où le lecteur fait connaissance avec Lord Nelvil et entre progressivement dans son histoire et sa<br />

personnalité. De même, Désert commence par l’entrée en scène <strong>de</strong>s personnages dont on apprend ou <strong>de</strong>vine peu à peu qui<br />

ils sont et pourquoi ils sont là bien que par certains aspects, cet <strong>incipit</strong> puisse être aussi qualifié <strong>de</strong> suspensif car le mystère<br />

est entretenu. Enfin, les premières pages <strong>de</strong> Jacques le fataliste déroutent le lecteur, c’est un <strong>incipit</strong> suspensif qui ne répond<br />

pas aux attentes : on ne saura rien du lieu, <strong>de</strong> l’époque et même les personnages restent énigmatiques. Dans ce corpus<br />

manque donc un type : l’<strong>incipit</strong> dynamique ou « in medias res » comme ceux <strong>de</strong> L’Assommoir <strong>de</strong> Zola ou <strong>de</strong> La Condition<br />

humaine <strong>de</strong> Malraux.

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