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LE TEMPS ET LE PROCES CIVIL I - Université Toulouse 1 Capitole ...

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<strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> <strong>ET</strong> <strong>LE</strong> <strong>PROCES</strong> <strong>CIVIL</strong><br />

par Soraya AMRANI-MEKKI<br />

Chargée de travaux dirigés à l'<strong>Université</strong> de Paris I - Panthéon Sorbonne (vacataire),<br />

Conférencière à l'Institut des Etudes Judiciaires de l'université de Paris I - Panthéon Sorbonne,<br />

Chargée de cours à l'Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d'Economie Agricole (I.H.E.D.R.E.A.),<br />

Secrétaire de rédaction du Dictionnaire de la justice aux éditions P.U.F.<br />

date de soutenance : 20 décembre 2000<br />

lieu de soutenance : <strong>Université</strong> de Paris I - Panthéon Sorbonne<br />

directeur de recherche : M. CADI<strong>ET</strong> Loïc, Professeur à l'<strong>Université</strong> Paris I (Panthéon - Sorbonne)<br />

membres du jury : M. COULON Jean-Marie, Premier Président de la Cour d'appel de Paris ; Mme<br />

GIUDICELLI-DELAGE Geneviève, Professeur à l'<strong>Université</strong> Paris I (Panthéon - Sorbonne) ; Mme NIBOY<strong>ET</strong><br />

Marie-Laure, Professeur à l'<strong>Université</strong> Paris X (Nanterre) ; Mme FRISON-ROCHE Marie-Anne, Professeur à<br />

l'<strong>Université</strong> Paris IX (Dauphine)<br />

PREMIERE PARTIE : <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> DE LA PROCEDURE<br />

I — La réglementation du temps de la procédure<br />

A — La réglementation du temps de l'action<br />

1) Les délais relatifs à la recevabilité de l'action<br />

2) L'interruption des délais par l'exercice de l'action<br />

B — La réglementation du temps de l'instance<br />

1) Les délais de procédure<br />

2) La chronologie des actes<br />

II — La régulation du temps de la procédure<br />

A — La régulation séparée du temps de la procédure<br />

1) La régulation du temps réservée aux parties<br />

2) La régulation du temps réservée au juge<br />

B — La régulation conjointe du temps de la procédure<br />

1) Le temps de la coopération<br />

2) Le temps de la négociation<br />

DEUXIEME PARTIE : <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> DU LITIGE<br />

I — L'évolution du litige au cours du procès<br />

A — L'évolution subjective du litige<br />

1) L'évolution du litige et les parties<br />

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Le temps et le procès civil<br />

2) L'évolution du litige et le juge<br />

B — L'évolution objective du litige<br />

1) Les conflits de normes substantielles au sens strict<br />

2) Les conflits des normes substantielles au sens large<br />

II — L'adaptation de la procédure au litige<br />

A — L'adaptation structurelle de la procédure au litige<br />

1) L'exemple de l'adaptation de la procédure aux procédures collectives<br />

2) L'exemple de l'adaptation de la procédure au contentieux du divorce<br />

B — L'adaptation conjoncturelle de la procédure au litige<br />

1) L'atténuation des droits de la défense<br />

2) Le recul des droits de la défense<br />

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* *<br />

*<br />

Les notions de temps et de procès civil sont consubstantielles. Le procès civil vient étymologiquement du<br />

terme procedere qui signifie aller en avant. Il est fait de temps, en est pétri et produit lui-même son propre<br />

temps.<br />

L'étude du temps et du procès civil peut être menée sous deux axes différents. Le premier consiste à partir<br />

de la notion de temps pour la confronter au procès civil. Il s'agit alors de perfectionner l'étude de la notion de<br />

temps à travers ses manifestations processuelles. Tel n'a pas été notre propos. C'est un second axe que nous<br />

avons choisi de suivre. Notre objet premier de recherche est le procès civil. L'idée est de procéder à une analyse<br />

des interactions du temps et du procès civil afin de donner une image plus juste de la durée des procédures et de<br />

proposer, le cas échéant, des remèdes aux lenteurs supposées. Ce faisant, la notion de temps pourra être mieux<br />

perçue.<br />

Le temps est une fiction très utile en droit processuel. Le procès civil arrête parfois le cours du temps<br />

"concret" (point de départ des intérêts moratoires, application de la loi dans le temps). Il va même jusqu'à<br />

remonter le temps (rétroactivité). Il est tantôt protecteur (délais d'attente), tantôt sanctionnateur (délai de<br />

péremption, de caducité). Il est non seulement utilisé pour déterminer le déroulement du procès (chronologie<br />

des actes de procédure) mais il est aussi et surtout un objectif en soi. Le temps est, en effet, une finalité du<br />

procès civil à travers l'exigence d'une durée raisonnable des procédures pour un procès équitable 1 . Le temps<br />

apparaît également, de façon flagrante, comme une notion malléable qui permet un renforcement des pouvoirs<br />

du juge à travers les qualificatifs qui lui sont attribués : temps utile, temps suffisant, temps raisonnable (...).<br />

Face à cette diversité des rapports du temps au procès civil, il est apparu nécessaire, pour en appréhender<br />

tous les aspects, de mener l'étude en deux étapes qui correspondent aux deux composantes du procès civil. Il<br />

s'agit, d'une part, de la procédure, aspect formel du procès et, d'autre part, du litige, aspect matériel du procès,<br />

qui tous deux attestent des rapports au temps distincts qu'il convient d'étudier successivement.<br />

PREMIERE PARTIE : <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> DE LA PROCEDURE<br />

La procédure produit son propre temps qui est marqué par "le passage d'une réglementation à une régulation".<br />

1 art 6 § 1 Conv. E.D.H.<br />

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I — La réglementation du temps de la procédure<br />

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Soraya AMRANI-MEKKI<br />

"Le temps de la procédure" révèle la nécessité d'un encadrement de l'activité des parties. Malgré une procédure,<br />

en théorie, de type accusatoire, il est apparu nécessaire dès le début du XX ème siècle de faire face à l'explosion<br />

du contentieux. Il a donc fallu réglementer la procédure en imposant un encadrement temporel afin d'éviter<br />

l'encombrement des juridictions et l'utilisation de manœuvres dilatoires. Cette réglementation est indispensable,<br />

non seulement dans l'intérêt du service public de la justice qui doit assurer son efficacité, mais également dans<br />

celui de la protection des droits des parties. Une procédure trop longue risque de conduire à la négation des<br />

droits substantiels. Une décision tardive est souvent synonyme d'une solution inefficace. Le déroulement de la<br />

procédure est donc réglementé afin de délimiter la liberté des parties, que ce soit dans l'exercice de l'action ou<br />

dans la conduite de l'instance.<br />

A — La réglementation du temps de l'action<br />

L'action en justice est une notion qui n'a été théorisée en France qu'à la fin du XIX ème siècle. La première<br />

conception de l'action en justice niait son autonomie par rapport au droit substantiel, assimilant le droit et<br />

l'action en justice. Cette doctrine est parfaitement exposée dans la célèbre formule de Demolombe pour qui<br />

l'action, "c'est le droit mis en mouvement, c'est le droit à l'état d'action au lieu d'être à l'état de repos, le droit à<br />

l'état de guerre au lieu d'être à l'état de paix". Elle fait référence à la procédure romaine où le droit était la<br />

condition de l'action, "pas de droit pas d'action", à moins de bénéficier de formules délivrées par le préteur.<br />

Cette conception ne reconnaissait pas d'autonomie au procès civil qui, considéré comme un accident, n'était dès<br />

lors que peu étudié. Le procès civil ne constituait pas un milieu social particulier. Dépourvu d'autonomie, il ne<br />

pouvait développer un temps qui lui était propre. Cette théorie est aujourd'hui largement critiquée car, si elle a<br />

le mérite de souligner l'importance de l'action en justice par rapport au droit, elle va trop loin en les confondant.<br />

Il faut un droit pour agir, mais l'action en justice sert justement à la reconnaissance d'un droit. En outre, il existe<br />

des droits sans action, les obligations naturelles et des actions sans droit dans l'hypothèse, par exemple, d'une<br />

action du Ministère public pour faire respecter l'ordre juridique. Le nouveau Code de procédure civile a adopté<br />

la théorie développée par H. Motulsky. Pour cet auteur, l'action est "la faculté d'obtenir du juge une décision sur<br />

le fond de la prétention à lui soumise". Cette formule est reprise par l'article 30 N.C.P.C. qui dispose que<br />

"l'action est le droit pour l'auteur d'une prétention de la soumettre au juge afin qu'il la dise bien ou mal fondée".<br />

L'action est un droit subjectif processuel, selon les termes de H. Motulsky, dont la fonction est la protection du<br />

droit subjectif substantiel. L'autonomie ainsi consacrée de l'action en justice révèle l'existence de réels droits<br />

processuels à côté des droits substantiels.<br />

1) Les délais relatifs à la recevabilité de l'action<br />

"La réglementation du temps de l'action" poursuit plusieurs objectifs. Elle vise, tout d'abord, à inciter les<br />

parties à agir pour obtenir une protection de leurs droits et actions. Ce temps imposé est, en théorie, plus ou<br />

moins rigide selon qu'il revêt la forme d'un délai de prescription ou d'un délai de forclusion. Ce dernier est<br />

censé être plus rigoureux. Néanmoins, en pratique, la distinction est malaisée. Aucun des critères de distinction<br />

proposés ne résiste à l'analyse. Le critère du texte aurait été le plus simple. La seule référence à la déchéance<br />

impliquerait la qualification de forclusion. Cependant, la jurisprudence a parfois déduit de la mention de<br />

déchéance le régime des délais de prescription en admettant une cause de suspension2 . Le critère téléologique<br />

est, quant à lui, inapplicable car il suppose de deviner l'esprit du législateur lorsqu'il institue un délai. Le délai<br />

imposé "en haine du droit" selon les termes du Doyen Carbonnier, serait un délai de forclusion. Le critère de la<br />

rigueur du régime appliqué au délai ne peut pas non plus s'appliquer car il inverse les termes du débat. C'est la<br />

nature du délai qui doit commander son régime et non l'inverse. En outre, la rigueur supposée du délai de<br />

forclusion ne se vérifie pas car certaines causes de suspension notamment lui sont applicables. La jurisprudence<br />

semble même, très curieusement, tirer la qualité de délai de forclusion de la possibilité pour les parties d'en<br />

aménager le cours3 . Enfin, ces deux types de délais sont soumis aux mêmes règles de computation4 , de conflits<br />

2 A.P., 14 janvier 1977.<br />

3 Civ. 2, 14 octobre 1987.<br />

4 art. 641, N.C.P.C.


Le temps et le procès civil<br />

de lois dans l'espace et à une sanction identique, la fin de non recevoir. Le juge n'a d'ailleurs pas l'obligation de<br />

relever d'office la fin de non recevoir tirée de la forclusion qui est pourtant jugée plus sévère. Il aurait de fait<br />

beaucoup de mal à l'identifier.<br />

Les délais de prescription et de forclusion sont issus d'une même philosophie. Ils incitent les parties à agir et<br />

tentent d'éviter l'encombrement des juridictions. La distinction entre les délais de prescription et de forclusion<br />

se fait principalement par l'objet sur lequel ils portent. Alors que la prescription porte sur le droit subjectif<br />

substantiel, la forclusion porte sur le droit subjectif processuel d'agir en justice. Quelle que soit la conception<br />

que l'on adopte de la prescription (processuelle ou substantielle), il apparaît en pratique que le droit et l'action<br />

sont anéantis par l'écoulement du délai. L'autonomie de la forclusion n'apparaît d'ailleurs que lorsqu'un droit<br />

d'agir est attribué en dehors de tout droit substantiel corrélatif. La dualité des délais doit donc être remise en<br />

cause.<br />

2) L'interruption des délais par l'exercice de l'action<br />

Le temps imposé pour agir permet d'éviter l'encombrement des juridictions d'affaires dont les parties<br />

semblent se désintéresser. Il résulte alors, dans sa détermination et dans sa sanction, d'un équilibre entre les<br />

intérêts privés des parties et l'intérêt du service public de la justice. Concernant le possible exercice d'une action<br />

en justice, il implique la prise en compte à la fois du droit substantiel et du droit processuel puisque l'action a<br />

un caractère hybride. Elle se situe à la charnière du temps juridique et du temps judiciaire.<br />

La réglementation du temps de l'action vise également à éviter l'instrumentalisation de la justice. L'exercice<br />

de l'action en justice interrompt les délais. Il ne faut dès lors pas que son exercice soit uniquement motivé par la<br />

volonté de contredire le fondement des délais. Le droit impose donc des conditions à leur interruption. En<br />

outre, il remet en cause l'effet interruptif dès lors que les parties manifestent leur absence de volonté de voir<br />

résoudre le litige. C'est le cas dans les hypothèses prévues à l'article 2247 C. civ., notamment lorsqu'il y a<br />

péremption d'instance, c'est-à-dire une inactivité des parties au procès pendant une durée de deux ans. La<br />

caducité, quant à elle, permet d'inciter les parties à enrôler leur demande en justice dans un certain délai devant<br />

le tribunal de grande instance (4 mois) ou devant la Cour d'appel (2 mois). Alors même que cette hypothèse<br />

n'était pas prévue dans l'article 2247 C. civ. qui paraissait poser une liste limitative, la jurisprudence considère<br />

qu'elle remet également en cause l'effet interruptif de prescription de la demande en justice5 . Le délai de<br />

caducité et celui de péremption poursuivent ici une même finalité qui est d'inciter les parties à agir tout en<br />

évitant qu'elles n'utilisent le procès qu'à des fins dilatoires. Le délai de caducité est très efficace pour éviter les<br />

assignations dites conservatoires dont l'unique objet est d'interrompre la prescription. Il devrait être étendu<br />

devant le Tribunal d'instance et le Tribunal de commerce où des délais pour enrôler sont prévus mais dépourvus<br />

de toute sanction. Aucune raison ne justifie l'absence de caducité devant ces juridictions.<br />

Cette réglementation du temps de l'action ne peut pourtant se passer de tempéraments légaux. L'adage quae<br />

temporalia est d'un secours important en la matière. Toutefois, il subit aujourd'hui une évolution<br />

jurisprudentielle qui tend à en nier le fondement. En effet, la jurisprudence récente admet qu'il peut produire un<br />

effet rétroactif dans l'hypothèse d'un contrat à exécution successive ayant fait l'objet d'un début d'exécution6 . La<br />

différence avec l'action en nullité devient alors illusoire. Il est donc souhaitable que l'application de cet adage<br />

revienne à ses limites originelles. La jurisprudence a d'ailleurs fait un pas en arrière en rejetant l'effet rétroactif<br />

dès lors qu'il y a eu un début d'exécution7 . Ce tempérament imposé objectivement afin d'assouplir la rigueur des<br />

délais reste cependant insuffisant face à l'adaptation nécessaire aux circonstances concrètes de l'affaire.<br />

Le temps imposé pour l'exercice d'une action en justice reflète des choix de politique juridique et<br />

processuelle. Il résulte d'un équilibre opéré entre différents intérêts en présence qui relèvent tant du droit<br />

substantiel que du droit processuel.<br />

B — La réglementation du temps de l'instance<br />

La réglementation du temps de l'instance poursuit une même logique. Elle vise à inciter les parties à agir pour<br />

5 A.P., 3 avril 1987.<br />

6 Civ. 1, 16 juillet 1998, 30 novembre 1998.<br />

7 Civ. 1, 1 er décembre 1998, 9 novembre 1999.<br />

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Soraya AMRANI-MEKKI<br />

éviter l'encombrement des juridictions. Cependant, parce que la machine judiciaire est en marche, les impératifs<br />

en présence changent.<br />

L'instance est le second élément de la procédure. Elle peut faire l'objet de deux acceptions. Elle est, d'abord,<br />

une situation particulière des parties : le rapport juridique d'instance. Elle est également une suite d'actes allant<br />

de la demande en justice au jugement ou autres formes d'extinction de l'instance (transaction, désistement).<br />

L'instance est très proche des définitions du procès lorsqu'il est conçu de façon purement formelle. Pour les<br />

distinguer, il aurait fallu avoir une conception autonome du procès civil, ce qui faisait défaut. Les textes du<br />

nouveau Code de procédure civile semblent également nourrir la confusion. L'article 4 N.C.P.C. parle d'acte<br />

introductif d'instance, comme si l'instance équivalait au procès. De même, l'article 53 N.C.P.C. dispose que la<br />

demande "introduit l'instance". Le terme procès n'est, en fait, employé tel quel, que relativement aux principes<br />

directeurs du procès qui, s'ils émanent des dispositions liminaires du Code, ne sont pas nommément désignés.<br />

Une définition précise de la notion d'instance est primordiale pour déterminer certains aspects de la<br />

réglementation du temps de la procédure telle que, par exemple, la recevabilité du pourvoi immédiat. Celui-ci<br />

n'est recevable qu'à l'encontre d'une décision ayant mis fin à l'instance 8 . Tout dépend donc de la notion<br />

d'instance retenue. Après une divergence entre les Chambres de la Cour de cassation, son Assemblée plénière a<br />

jugé, le 2 novembre 1990 que la décision du premier président en référé "met fin à l'instance autonome<br />

introduite devant ce magistrat". Ce faisant, elle affirme l'autonomie des instances de référé et au fond. Le<br />

procès se compose d'instances distinctes qui peuvent se développer parallèlement sur un même litige.<br />

La jurisprudence a également eu à se pencher sur la notion d'instance en matière d'application de la loi dans<br />

le temps. Les termes de procès et d'instance y sont pris pour synonymes par le législateur, ce qui pose<br />

problème. L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans l'arrêt Encel du 3 avril 1962, a consacré la<br />

distinction et, partant, l'autonomie de la première instance par rapport à l'instance d'appel. Il existe également,<br />

en effet, des instances qui se succèdent dans le temps et qui font toutes partie d'un même procès civil. C'est<br />

l'identité de litige qui les relie entre elles.<br />

L'instance n'est qu'une phase du procès civil. L'article 1 er N.C.P.C. précise que l'instance s'éteint par un<br />

jugement. Or, il peut y avoir l'exercice d'une voie de recours qui fait perdurer le procès civil. De plus, l'article<br />

385 al. 2 N.C.P.C. dispose que : "(...) la constatation de l'extinction de l'instance et du désistement de la<br />

juridiction ne met pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs".<br />

Une instance nouvelle peut être engagée malgré l'extinction d'une première. Au contraire, un nouveau procès ne<br />

peut succéder à un premier, identique, qui a pris fin car il y a autorité de la chose jugée 9 . Il y a là une marque de<br />

la différence entre le processuel et le substantiel. L'instance n'est que formelle, elle est l'aspect formaliste du<br />

procès. Ne touchant que la forme, elle peut être recommencée tant que les conditions de l'action sont réunies.<br />

Au contraire, le procès est plus que la forme, il comprend aussi le fond du droit, sa fin marque l'extinction de<br />

l'action 10 . Il ne pourrait donc être recommencé.<br />

1) Les délais de procédure<br />

La réglementation du temps de l'instance permet d'imposer un équilibre entre, d'une part, la nécessité de<br />

respecter les droits de la défense et, d'autre part, le souci d'efficacité du service public de la justice. Elle<br />

s'impose, tout d'abord, par le biais des délais de procédure. Ceux-ci incitent les parties à accomplir les actes de<br />

procédure, à conduire l'instance. Ils évitent ainsi les manœuvres dilatoires et l'encombrement des juridictions<br />

avec des affaires dont les parties se désintéressent. Leurs sanctions peuvent être sévères. Ainsi, la péremption<br />

peut-elle remettre en cause l'effet interruptif de prescription et, par un effet boule-de-neige, éteindre le droit<br />

substantiel lui-même. La computation des délais de procédure a donc une importance extrême. Le délai de<br />

péremption est interrompu par des actes de procédure qui doivent produire une réelle impulsion processuelle,<br />

démontrer la volonté d'aller jusqu'à la décision. La jurisprudence n'est cependant pas toujours très cohérente car<br />

elle refuse cet effet interruptif à des actes qui montrent pourtant la volonté de résoudre le conflit. Ainsi, tout<br />

effet interruptif du délai est refusé au retrait du rôle, récemment consacré à l'article 382 N.C.P.C. Ce retrait du<br />

8 art. 607, N.C.P.C.<br />

9 identité de parties, d'objet et de cause : art. 1351 C. civ.<br />

10 art. 122, N.C.P.C.


Le temps et le procès civil<br />

rôle a pour objet d'ouvrir une phase temporelle où les parties peuvent tenter de remédier à leur conflit par voie<br />

de conciliation. C'est dans cette optique que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation l'avait découvert le 24<br />

novembre 1989, parlant alors de radiation conventionnelle. Cependant, la loi ne dit rien quant à ses effets sur le<br />

délai de péremption. La jurisprudence, l'assimilant à une radiation, refuse qu'elle produise aucun effet sur ce<br />

dernier. Il en résulte que la faveur n'est pas donnée à la conciliation. Les parties subissent le risque d'une<br />

péremption alors qu'elles tentent de négocier. L'instance n'est pas la chose des parties qui doivent respecter le<br />

cadre légal où elles évoluent. Certes, la péremption doit être requise par une partie, ce qui réintroduit un aspect<br />

accusatoire. Cependant, cette disposition n'est pas suffisante car, face à une négociation qui impose des<br />

concessions mutuelles, il est plus aisé d'invoquer une péremption, surtout lorsqu'elle remet en cause le droit<br />

substantiel lui-même. Il faut admettre l'effet sinon interruptif, du moins suspensif, du retrait du rôle sur le délai<br />

de péremption. Par ailleurs, puisque ce délai n'est pas d'ordre public, à défaut de pouvoir du juge de le relever<br />

d'office, les parties doivent pouvoir en aménager le cours. Il doit être possible pour les parties de suspendre ou<br />

d'interrompre conventionnellement ce délai.<br />

En outre, la jurisprudence admet parfois la péremption alors même que les parties attendaient le renvoi du<br />

dossier devant la juridiction compétente par le greffe en vertu de l'article 97 N.C.P.C. Elles n'avaient donc<br />

aucune diligence à accomplir 11 . Dans une hypothèse similaire, un arrêt avait décidé de façon très peu orthodoxe,<br />

mais équitable, que les parties pouvaient elles-mêmes porter l'affaire devant la juridiction compétente. Cette<br />

solution avait pour but d'éviter que la prescription du droit ne soit acquise à l'encontre de parties qui ne<br />

pouvaient inciter le greffe à plus de diligences 12 . Il est nécessaire de redonner une cohérence à la computation<br />

du délai de péremption. S'il est nécessaire de démontrer la volonté de résoudre le conflit, il faut apprécier<br />

concrètement la situation. Ainsi, il ne faut pas obliger les parties à des "gesticulations formelles" selon les<br />

termes de M. R. PERROT, notamment si elles attendent légitimement le renvoi de leur affaire ou le dépôt d'un<br />

rapport d'expertise et qu'elles n'ont concrètement aucune diligence à opérer.<br />

2) La chronologie des actes<br />

La réglementation du temps de l'instance se fait également par une chronologie imposée aux actes.<br />

L'objectif poursuivi consiste à rythmer le cours de l'instance en évitant qu'elle ne soit suspendue, voire éteinte,<br />

du seul fait d'une intention dilatoire. Il y a dès lors un moment pour invoquer un moyen de défense ou pour<br />

exercer une voie de recours qui dépend de l'importance de la décision prise ou du moyen invoqué. Il est fixé par<br />

la loi qui prend en compte les différents intérêts en jeu. Cette chronologie implique que le temps devient un<br />

enjeu de la qualification. La jurisprudence est parfois tentée par un choix téléologique de la sanction. Il est, en<br />

effet, plus aisé d'appliquer une nullité de fond qui peut être invoquée en tout état de cause qu'une nullité de<br />

forme qui ne peut l'être qu'avant toute fin de non recevoir ou moyen de défense. Ces problèmes de qualification<br />

proviennent essentiellement du fait que la jurisprudence estime en principe que la liste des irrégularités de fond<br />

est limitative13 . Ainsi, des vices graves ne sont-ils sanctionnés que par une nullité de forme. Pour redonner un<br />

peu de cohérence à l'usage de ces sanctions, il faut admettre que sont sanctionnées par une nullité de fond<br />

toutes les irrégularités visées à l'article 117 N.C.P.C. ainsi que toutes les violations des principes fondamentaux.<br />

Dans une optique d'accélération de la procédure par l'effacement du temps superflu, purement matériel, il<br />

faut aussi favoriser le développement de l'usage des nouveaux moyens de télécommunication. Il est souhaitable<br />

que la jurisprudence civile admette l'exercice d'actions en justice ou de recours par voie de télécopie.<br />

Aujourd'hui, elle n'en admet l'usage que pour les échanges de conclusions, invoquant la sécurité juridique.<br />

Cependant, comme en matière de preuve, il faut considérer que l'intervention du juge suffit à assurer la fiabilité<br />

de ces nouvelles technologies. La reconnaissance et l'utilisation de ces nouveaux modes de télécommunication<br />

permettraient, d'ailleurs, de se passer des délais de distance qui perdraient dès lors leur justification.<br />

Enfin, l'utilisation de certaines sanctions peut être perfectionnée. Il est, par exemple, souhaitable que le juge<br />

applique de façon plus stricte les sanctions pour action abusive ou dilatoire. Ces sanctions sont prévues à<br />

l'article 32-1 N.C.P.C., c'est-à-dire dans les dispositions liminaires du Code qui s'imposent à toutes les<br />

11 Civ. 2, 6 juillet 2000.<br />

12 Com. 2 juillet 1996.<br />

13 Civ. 2, 30 novembre 1977.<br />

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procédures, devant toutes les juridictions. Il faut en faire un usage plus important et admettre qu'elles<br />

s'appliquent également à l'instance. Il s'agit alors de sanctionner, non plus l'action en justice elle-même, mais<br />

son exercice au cours de l'instance. On pourrait alors condamner à une amende et à des dommages et intérêts<br />

une partie qui utilise de manière abusive ou dilatoire son action.<br />

Cette réglementation du temps de la procédure, même assouplie par des tempéraments légaux, est<br />

insuffisante. Elle reste trop éloignée des cas d'espèce et participe au sentiment d'insatisfaction des justiciables.<br />

II — La régulation du temps de la procédure<br />

"La nécessité d'une régulation" du temps de la procédure par les acteurs du procès s'est imposée. La<br />

détermination du temps de la procédure ne doit plus uniquement provenir "d'en haut", mais faire l'objet d'une<br />

adaptation par le bas. Le déclin du légicentrisme souligné par de nombreux auteurs est également remarquable<br />

en procédure civile. C'est la régulation, au sens strict, qui se substitut ou s'ajoute à la réglementation. Celle-ci<br />

suppose l'intervention d'une autorité supérieure, en l'occurrence, le législateur, qui intervient pour poser un<br />

cadre légal au déroulement de la procédure. Cette réglementation marque ses limites car elle n'est pas<br />

suffisamment adaptée aux situations concrètes. Le terme de régulation au sens strict apparaît alors. Il manifeste<br />

le souci d'établir un équilibre concret dans une situation donnée, par le biais cette fois-ci d'une autorité "d'en<br />

bas". Ce terme est principalement utilisé en matière économique et concerne la régulation opérée par les<br />

Autorités administratives indépendantes qui succède à la réglementation légale. Il peut, à notre sens, être<br />

utilement transposé à la procédure civile qui est régulée par les parties qui conduisent l'instance et de façon plus<br />

novatrice par le juge.<br />

A — La régulation séparée du temps de la procédure<br />

1) La régulation du temps réservée aux parties<br />

Certaines phases de la procédure sont exclusivement régulées par les parties. Il en est ainsi de la phase de<br />

déclenchement de la procédure par la formulation et l'enrôlement de la demande en justice. Le juge, à défaut<br />

d'être encore saisi, ne peut y intervenir. Il est en effet établi que le juge est saisi par l'enrôlement, à moins que la<br />

demande en justice ne le saisisse directement. C'est le cas si la demande est faite par déclaration verbale ou par<br />

une présentation volontaire au greffe. Seule la loi encadre cette phase à travers le délai de caducité. La<br />

régulation de cette durée se fait notamment par le choix de la forme de la demande en justice. Globalement,<br />

l'assignation nécessite une mise en place du procès plus longue puisqu'elle requiert le concours d'un huissier de<br />

justice, mais elle garantit la sécurité juridique. Au contraire, la déclaration au greffe, par exemple, est plus<br />

rapide mais pose des problèmes de date.<br />

Parallèlement, les parties régulent exclusivement le temps de la procédure lorsque le juge est dessaisi. Il<br />

faut toutefois souligner que le fait de retirer l'affaire du rôle n'implique pas en soi que le juge soit dessaisi.<br />

Ainsi, lorsque le juge radie l'affaire 14 , l'affaire est retirée du rôle mais le juge demeure saisi. Il en est de même<br />

en cas de retrait du rôle conventionnel 15 ou de retrait du rôle devant la Cour de cassation 16 . La machine<br />

judiciaire est toujours en éveil. Pour preuve, le délai de péremption continue à courir, ce qui suppose que la<br />

juridiction est toujours encombrée de l'affaire. En fait, il faut distinguer le répertoire général de la juridiction<br />

auquel l'affaire reste enrôlée et le répertoire spécial de la formation de jugement d'où l'affaire est réellement<br />

retirée. Cette distinction entre ces deux rôles explique que l'affaire puisse être retirée du rôle sans dessaisir le<br />

juge.<br />

Lorsque le juge est dessaisi, les parties sont seules à déterminer le temps de la notification des décisions et<br />

de l'exercice des voies de recours qui en découlent. Ceux-ci ne peuvent commencer à courir que du jour de la<br />

notification de la décision. Or, celle-ci est le plus souvent opérée par les parties qui, de ce fait, peuvent faire<br />

perdurer le droit au recours. Si le juge ne peut intervenir, la loi a néanmoins posé un garde-fou. Si le jugement<br />

n'est pas notifié dans un délai de deux ans, la partie qui a comparu ne peut plus exercer de voie de recours 17 .<br />

14 art. 381, N.C.P.C.<br />

15 art. 382, N.C.P.C.<br />

16 art. 1009-1, N.C.P.C.<br />

17 art 528-1, N.C.P.C.


Le temps et le procès civil<br />

Ce sont encore les parties qui déterminent le délai d'exécution des décisions de justice qui, selon la Cour<br />

européenne des droits de l'homme, doit être pris en compte dans la computation du délai raisonnable 18 . La<br />

diligence des parties dans l'exécution des décisions de justice est donc un élément de la durée raisonnable des<br />

procédures. Afin d'inciter les parties à s'exécuter, le nouveau Code de procédure civile dispose en son article<br />

1009-1 que l'affaire est retirée du rôle au cas où le demandeur au pourvoi n'a pas exécuté la décision de dernier<br />

ressort. Cette disposition est une mesure efficace qui n'est pas contraire au droit au recours. Elle réserve en effet<br />

l'hypothèse où l'exécution entraînerait des conséquences manifestement excessives 19 . En outre, elle incite les<br />

parties à s'exécuter tout en évitant l'instrumentalisation de la justice.<br />

Durant l'instance même, les parties peuvent déterminer seules le temps de la procédure lorsqu'il y a une<br />

cause de suspension ou d'interruption d'instance, malgré la présence toujours constante d'un encadrement<br />

objectif par la loi. Si l'événement interruptif ne dépend pas toujours de leur volonté, la durée de celle-ci dépend<br />

d'elles. Il appartient aux parties de reprendre l'instance. Cependant, le fait que la machine judiciaire soit en éveil<br />

induit une sorte de "liberté surveillée" des parties. Dans l'hypothèse où elles ne reprendraient pas l'instance, le<br />

juge, qui ne peut les y contraindre, peut radier l'affaire de son rôle. Cette radiation a notamment pour effet de<br />

faire courir à nouveau le délai de péremption. Cela confirme l'idée que, si les parties conduisent l'instance,<br />

celle-ci n'est pas à leur libre disposition. En ce sens, il conviendrait de circonscrire le principe dispositif à la<br />

seule matière litigieuse. L'instance n'est pas la chose des parties.<br />

2) La régulation du temps réservée au juge<br />

De façon plus notable dans une procédure en théorie accusatoire, certaines phases de la procédure sont<br />

réservées à la seule régulation du juge. Il s'agit des hypothèses de sursis à statuer. Lorsque le sursis est<br />

facultatif, le juge prend la décision de suspendre l'instance mais également d'en abréger ou d'en allonger la<br />

durée. Lorsque le sursis est obligatoire, le juge en apprécie les conditions. Surtout, le temps de la suspension<br />

dépend le plus souvent du temps que mettra un juge à rendre sa décision qui s'impose au civil ou son avis sur<br />

renvoi préjudiciel.<br />

La régulation du temps de l'instance se fait également exclusivement par le juge dès lors que l'affaire est<br />

mise en état puisque les droits de la défense ont été satisfaits. Preuve en est que les notes en délibéré sont<br />

prohibées20 et que seul le juge peut les provoquer pour rétablir le contradictoire. Il ne reste plus que le temps du<br />

délibéré, de la rédaction, puis du prononcé de la décision. Cette phase temporelle doit faire l'objet d'une<br />

attention particulière car les droits de la défense n'étant plus directement en cause, il convient d'en accélérer au<br />

maximum le cours. L'obligation de prendre des conclusions récapitulatives est déjà une avancée car elle facilite<br />

et accélère par là même le travail du juge. Ce dernier n'a plus à relire tous les jeux de conclusions et deviner<br />

quel est le dernier état des moyens et des prétentions. Il faut également favoriser l'usage des bases de données<br />

informatiques et des systèmes d'aide à la décision qui sont et doivent demeurer une aide au juge et surtout pas<br />

un substitut. En ce sens, le système expert qui tend à "juger sans le juge" va trop loin. Il ne peut faire office de<br />

juge car il ne peut pas apprécier la règle, déterminer la hiérarchie des règles entre elles, les adapter aux<br />

évolutions de la société.<br />

Le plus souvent, le temps de la procédure résulte d'une régulation conjointe des parties car elles conduisent<br />

l'instance alors que le juge veille à son bon déroulement.<br />

B — La régulation conjointe du temps de la procédure<br />

1) Le temps de la coopération<br />

La part la plus importante du temps de la procédure est celle de la mise en état de l'affaire qui résulte d'une<br />

activité combinée des parties et du juge. L'intervention du juge y est remarquable. Non seulement il encadre<br />

l'activité des parties, veillant au bon déroulement de l'instance, mais il la dirige parfois. Pour ce faire, il impose<br />

des délais de procédure, sanctionne l'inaction des parties (radiation), procède à des injonctions (...). Il évite<br />

d'éventuelles manœuvres dilatoires par une utilisation à bon escient du temps de la procédure. Son intervention<br />

18 C.E.D.H., Hornsby c/ Grèce, 19 mars 1997.<br />

19 Cass. ord., 2 février 2000.<br />

20 art 445, N.C.P.C.<br />

DDDDrrrrooooiiiitttt ééééccccrrrriiiitttt nnnn°°°°2222----2222000000002222<br />

33334444


DDDDrrrrooooiiiitttt ééééccccrrrriiiitttt nnnn°°°°2222----2222000000002222<br />

33335555<br />

Soraya AMRANI-MEKKI<br />

a l'avantage d'être souple et adaptée, principalement du fait de l'usage des notions à contenu variable (temps<br />

utile, suffisant, raisonnable). A cet égard, il faut souhaiter la généralisation de l'utilisation du raisonnable,<br />

standard juridique qui permet une prise en compte de l'intérêt des parties et du service public de la justice. Il<br />

permet une parfaite adaptation du temps de la procédure à l'espèce. Il est clair que le principe dispositif ne<br />

s'applique pas au déroulement de la procédure.<br />

Malgré cette coopération des différents acteurs de la procédure, le temps est toujours sujet à critiques et les<br />

justiciables ont tôt fait de se plaindre des lenteurs du service public de la justice. Il apparaît cependant qu'il faut<br />

mettre à mal le mythe de la lenteur des procédures. Non seulement, celle-ci n'est pas confirmée dans toutes les<br />

procédures mais, en outre, les lenteurs n'ont souvent pour but que de permettre une utile protection des droits de<br />

la défense. Le temps de la procédure résulte principalement de l'activité des parties, même si elles ont tendance<br />

à se focaliser sur l'intervention du juge, jugée intolérable pour certains partisans d'une procédure purement<br />

accusatoire. Les parties ne doivent donc pas, comme le souligne la jurisprudence de la Cour européenne des<br />

droits de l'homme, se plaindre des lenteurs qu'elles occasionnent. L'appréciation du délai raisonnable des<br />

procédures se fait in globo et in concreto et la durée, bien qu'importante, ne sera pas jugée déraisonnable si elle<br />

provient de l'inaction des parties 21 .<br />

Lorsque la durée de la procédure est déraisonnable, elle doit donner lieu à une sanction efficace. Un procès<br />

trop lent se traduit par des décisions inefficaces, dépourvues d'intérêt. Ce constat rejaillit sur l'image de la<br />

justice qui perd alors la confiance des justiciables, élément essentiel à son autorité. Il faut considérer que la<br />

durée déraisonnable de la procédure est constitutive d'un déni de justice pour permettre sa sanction. Juger<br />

tardivement doit correspondre à une absence de jugement. En outre, il convient de faciliter l'engagement de la<br />

responsabilité du service public de la justice en ne requérant pas une faute lourde mais uniquement une faute<br />

simple. C'est ce vers quoi se dirige la Cour de cassation qui a récemment redéfini de façon très souple la faute<br />

lourde. Autrefois considérée comme celle tellement grossière qu'un juge normalement soucieux de ses devoirs<br />

n'aurait pu la commettre, elle devient "toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant<br />

l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi" 22 .<br />

Afin d'améliorer le temps de la procédure, certaines réformes sont envisageables mais qui n'ont rien de<br />

novateur et qui portent bien plus sur l'organisation judiciaire que sur la pure procédure. L'accélération de la<br />

procédure proprement dite dépend pour une large part de l'utilisation par le juge des pouvoirs qui lui sont<br />

conférés. Or, l'inaction constatée en pratique des juges provient d'un manque de moyens. Il convient donc<br />

essentiellement de fournir plus de moyens humains et matériels à la justice. L'ouverture des concours de<br />

recrutement exceptionnels de magistrats y répond en partie. Il faut également ouvrir les postes des autres<br />

acteurs du procès civil (fonctionnaires des services judiciaires, greffiers...). Le recours à l'informatique doit être<br />

privilégié, ce qui implique des dépenses en matériel et en formation professionnelle.<br />

2) Le temps de la négociation<br />

Il faut souligner également que la durée des procédures n'est pas faite que de dilatoire et de temps<br />

administratif superflu. Elle résulte principalement de la nécessaire protection des droits de la défense et du<br />

temps de la réflexion du juge. C'est plus largement la perception du temps de la procédure qu'ont les acteurs du<br />

procès qui importe. La solution d'une parfaite adéquation du temps de la procédure aux différents impératifs qui<br />

s'y rejoignent est une négociation du temps de la procédure. Un temps négocié est un temps auquel tous les<br />

acteurs du procès ont participé mais, surtout, un temps prévisible qui permet une meilleure acceptation et<br />

perception du temps de la procédure. La "négociation" est utile à chaque stade de la procédure car elle améliore<br />

sa durée. Elle permet de renouveler l'image de la justice. Il faut que la juridiction ne soit pas seulement un lieu<br />

d'affrontement mais aussi et surtout un lieu de discussion et de réconciliation.<br />

La consécration du retrait du rôle conventionnel par le décret du 28 décembre 1998 est en ce sens une<br />

avancée. Il permet aux parties de décider d'un commun accord d'une suspension d'instance. Elles négocient<br />

cette "pause" durant le procès, ce qui justifie qu'elles acceptent d'autant mieux la durée qui en découle. Un<br />

accord des parties pour confier la compétence à une juridiction, pour renoncer à la voie d'appel ou encore<br />

21 C.E.D.H., Demeuland c/ Allemagne, 29 mai 1986.<br />

22 A.P., 23 février 2001.


Le temps et le procès civil<br />

délimiter l'objet du litige sont autant de manifestations de volonté permettant une meilleure acceptation du<br />

temps allongé de la procédure.<br />

Aujourd'hui, les parties peuvent aller plus loin en déterminant à l'avance le déroulement de la procédure. Le<br />

juge est alors également partie à cet accord puisqu'il doit gérer son rôle. Il s'agit des calendriers de procédure ou<br />

contrats de procédure par lesquels le cheminement de l'affaire est prédéterminé par la fixation conventionnelle<br />

du déroulement de la procédure. La durée du procès est alors prévue donc mieux acceptée. Il est notable à cet<br />

égard que la durée moyenne des procédures est identique devant le Tribunal de grande instance lorsqu'il s'agit<br />

d'une procédure ordinaire ou d'une procédure fixée par contrat de procédure. En outre, il convient de préciser<br />

que la nature de ce contrat de procédure pose problèmes. Certes, elle ne bénéficie pas d'une force obligatoire<br />

stricto sensu. Néanmoins, le juge peut sans doute sanctionner le non-respect du contrat en en tirant toutes les<br />

conséquences comme le lui permet l'article 11 N.C.P.C. ou en radiant l'affaire de son rôle. Le terme contrat est<br />

utilisé afin d'insister sur la négociation qui l'a fait naître, même s'il faut admettre qu'il n'est pas du même genre<br />

que le contrat de droit civil, du fait du milieu dans lequel il intervient.<br />

Ces contrats séduisent beaucoup. C'est pourquoi ils font aujourd'hui l'objet d'une négociation collective.<br />

Ainsi, devant la Cour d'appel de Paris, un protocole a t-il été négocié en matière de droit du travail entre le<br />

greffe de la juridiction et la Chambre des avoués. Ce dernier est d'autant plus remarquable qu'il inclut le souci<br />

de célérité en introduisant l'article 910 N.C.P.C. dans la procédure prédéterminée.<br />

L'étude du temps de la procédure révèle le passage d'une réglementation à une régulation. Il en ressort l'idée<br />

essentielle que la perception et la réception du temps par les parties au procès importent bien plus que sa durée<br />

mathématique. Cependant, il ne s'agit là que de l'aspect formel du procès civil qui doit, en outre, tenir compte<br />

de sa matière, le litige.<br />

DEUXIEME PARTIE : <strong>LE</strong> <strong>TEMPS</strong> DU LITIGE<br />

Le temps du procès ne résulte pas uniquement de règles processuelles. Le procès doit régler un litige. Celui-ci<br />

est également pris comme synonyme du procès. Il en est la matière. Il en forme la substance sans s'y identifier.<br />

De la même façon que le procès ne peut s'assimiler à son aspect formel, l'instance, il ne peut être assimilé à son<br />

aspect matériel, le litige. Il est les deux à la fois.<br />

Selon le "Vocabulaire juridique", le litige est le "différend porté devant un tribunal et devenu matière du<br />

procès, une fois saisie la justice". Le différend est un conflit qui oppose des personnes juridiques. Pour être<br />

digne d'intérêt, il doit être d'ordre juridique ou juridiquement relevant. Le différend est l'opposition de<br />

prétentions sur un droit qui peut donc être réglé par le Droit. Il n'est pourtant pas encore juridicisé car il peut y<br />

avoir une transaction ou tout autre mode de règlement conventionnel des différends. Pour donner lieu à un<br />

procès civil, le différend doit se muer en litige. La matière litigieuse est définie par les parties qui en ont, selon<br />

l'article 4 N.C.P.C., la maîtrise (principe dispositif). En ce sens, le litige peut être pris pour synonyme d'objet du<br />

procès civil. D'ailleurs, il est fait référence, indistinctement, à l'immutabilité de l'objet ou à l'immutabilité du<br />

litige. Objet du procès, il en est donc la matière, le contenu. F. Carnelutti avait synthétisé cette idée en<br />

considérant qu'il y a entre le procès et le litige le même rapport qu'entre le contenant et le contenu. Le litige fait<br />

le lien entre les instances successives. Il évolue mais demeure quelles que soient les différentes instances car,<br />

en l'absence de litige, il n'y a plus de procès. C'est pourquoi la transaction, l'acquiescement et le désistement<br />

d'action éteignent l'instance et mettent un terme définitif au procès, anéantissant l'action en justice 23 .<br />

L'étude du temps du litige atteste à la fois d'une nécessaire évolution de la matière litigieuse et d'une<br />

adaptation des règles de procédure à cette substance.<br />

I — L'évolution du litige au cours du procès<br />

"La matière litigieuse impose le rythme des procédures". Le temps est évolutif et ne se réduit pas à l'instant de<br />

la demande en justice. La matière litigieuse est une matière vivante qui ne peut se figer au début du procès. La<br />

procédure doit donc intégrer les évolutions du litige.<br />

A — L'évolution subjective du litige<br />

23 art. 384, N.C.P.C.<br />

DDDDrrrrooooiiiitttt ééééccccrrrriiiitttt nnnn°°°°2222----2222000000002222<br />

33336666


DDDDrrrrooooiiiitttt ééééccccrrrriiiitttt nnnn°°°°2222----2222000000002222<br />

33337777<br />

Soraya AMRANI-MEKKI<br />

Cette mutabilité du litige peut, d'abord, être subjective. Elle résulte alors de l'activité des parties et du juge.<br />

1) L'évolution du litige et les parties<br />

Les parties font évoluer le litige au cours du procès en apportant de nouveaux faits, de nouveaux<br />

fondements juridiques, de nouvelles preuves, en faisant intervenir des tiers à l'instance. Il existe des limites à<br />

cette évolution par le biais, notamment de la clôture de la mise en état ou de la prohibition des demandes<br />

nouvelles en appel. Toutefois, ces limites ne sont pas infranchissables car le respect des droits de la défense les<br />

repousse (notes en délibéré, demandes reconventionnelles en appel). Quant à la condition de lien suffisant, elle<br />

n'est pas d'ordre public et les parties peuvent y renoncer. Il apparaît nettement que le principe d'immutabilité du<br />

litige laisse place à un principe de mutabilité contrôlée du litige. La prise en compte de l'évolution du litige,<br />

dans les limites nécessaires d'une unité substantielle de celui-ci, permet en effet d'éviter de nouveaux procès et<br />

de vider le contentieux une fois pour toutes.<br />

2) L'évolution du litige et le juge<br />

L'évolution du litige provient également du juge qui, ce faisant, remplit son office et ne fait nullement<br />

preuve d'arbitraire. Le juge n'est plus un simple automate qui rend des décisions. Il participe à la manifestation<br />

de la vérité. Malgré le principe dispositif, le juge intervient dans la détermination de la matière litigieuse en<br />

provoquant de nouveaux faits, en exigeant de nouvelles preuves ou en relevant d'office un moyen de droit. Il<br />

peut faire intervenir des tiers, directement pour déclarer le jugement commun ou indirectement en demandant<br />

aux parties de les mettre en cause. Or, en appel, faire intervenir un tiers suppose de lui retirer un degré de<br />

juridiction. Cela est concevable si le tiers intervient de lui-même. Lorsqu'il est mis en cause, c'est le principe de<br />

double degré de juridiction qui, n'étant pas à valeur constitutionnelle, est bafoué. La volonté de vider le<br />

contentieux est ici plus forte.<br />

Ces évolutions du litige marquent le renouveau de l'appel qui, voie de réformation, est réellement devenu<br />

une voie d'achèvement du litige. En pratique, la première instance n'est souvent qu'un "galop d'essai", ce qui est<br />

regrettable au regard de la durée des procédures. En ce sens, la proposition faite par M. le premier Président J.-<br />

M. Coulon de généraliser l'exécution provisoire en première instance mérite d'être consacrée. Elle permet<br />

d'éviter l'effet suspensif de l'appel et donc de décourager des plaideurs mués par un esprit dilatoire. Il convient<br />

également de prôner une utilisation de la requête conjointe. Cette forme de demande en justice combine de<br />

nombreux avantages. Elle délimite l'objet du litige afin d'éviter l'extension à outrance de la matière litigieuse.<br />

Elle peut comporter la mission pour le juge de statuer en amiable compositeur, ce qui permet une justice plus<br />

équitable, libérée du carcan juridique et concurrençant directement l'arbitrage. Elle peut aussi être combinée<br />

avec une renonciation à la voie d'appel, ce qui raccourcit la durée du procès. Les parties peuvent également lier<br />

le juge par les qualifications de fait et de droit qu'elles prédéterminent. Ce rôle du juge renouvelé doit être<br />

encouragé car il renouvelle l'image de la justice aux yeux des justiciables. En ce sens, la restriction posée par la<br />

condition de litige né ne se justifie pas. L'intervention du juge doit suffire à garantir les droits des parties sans<br />

qu'il soit besoin d'attendre la naissance du litige. Celui-ci est souvent trop récent, insuffisamment déterminé,<br />

pour permettre une réelle négociation des parties quant aux modalités de son traitement.<br />

Le pouvoir régulateur du juge permet aussi de tempérer la durée du procès en prenant en compte celle-ci<br />

dans le prononcé de sa solution. La détermination des intérêts moratoires ou du point de départ des effets du<br />

jugement lui permet de prendre en compte l'évolution du litige et, plus largement, la durée du procès. Ainsi,<br />

pour ne pas faire peser sur une partie le poids de la durée du procès, le juge a t-il tendance à fixer le point de<br />

départ des intérêts moratoires au jour de la demande en justice. La loi lui permet une certaine souplesse dans la<br />

fixation (dommages et intérêts, capitalisation des intérêts...). Quant à l'application dans le temps des effets du<br />

jugement, elle ne peut pas reposer sur la distinction dépassée des jugements déclaratifs et constitutifs. La<br />

décision de justice n'est pas soumise au principe de non-rétroactivité. Elle a tendance à s'appliquer dès le jour<br />

du droit reconnu afin de renforcer son effectivité et d'éviter les recours dilatoires dont le seul but serait de<br />

repousser l'efficacité des droits. Dans le cas particulier où le droit nécessite une mise en demeure, c'est alors la<br />

demande en justice qui servira de point de départ.<br />

C'est également la prise en compte de la durée du procès qui incite le juge à tenter de concilier les parties,<br />

directement ou non. L'accord met fin au conflit, il évite le procès ou y met un terme prématurément. A cet


Le temps et le procès civil<br />

égard, les dispositions issues des réformes de 1998 montrent la faveur accordée aux voies non judiciaires de<br />

règlement des litiges. La transaction extrajudiciaire peut, en effet, bénéficier de l'aide judiciaire. Elle peut<br />

surtout faire l'objet d'une homologation du juge requise par une seule partie 24 . L'objectif est de désencombrer les<br />

juridictions tout en reconnaissant la force des accords conclus. Cependant, à défaut de précision quant au rôle<br />

du juge, il est à craindre des abus car une seule partie peut, à l'insu de l'autre, requérir cette homologation. Il<br />

faut donc admettre que le juge a un contrôle minimum à opérer sur le contenu de la transaction (existence de<br />

concessions réciproques).<br />

Le temps du procès civil est également affecté lorsque l'évolution du litige ne résulte pas de ses<br />

protagonistes mais provient d'une intervention objective du législateur.<br />

B — L'évolution objective du litige<br />

1) Le conflit de normes substantielles au sens strict<br />

La mutabilité du litige est, ensuite, objective lorsqu'elle résulte d'un changement de législation. Le litige<br />

évolue en raison d'un changement de normes substantielles. Ce changement doit être intégré dans le cours du<br />

procès civil. Il est toujours censé être un progrès législatif et permet de traiter pareillement les justiciables. Il<br />

révèle encore une fois que la matière litigieuse est une matière vivante qui évolue. Le temps du procès est<br />

évolutif ou continu. Il ne peut se figer au risque de n'être plus synchronisé avec la situation concrète.<br />

Cependant, l'intégration des normes nouvelles dans le cours du procès pose de nombreux problèmes. Le plus<br />

important est qu'elle fait peser le poids de la durée du procès sur le demandeur. Il peut ainsi se voir dénier un<br />

droit dont il pouvait bénéficier au jour de sa demande en justice. Le procès n'intègre pas, à la manière d'un<br />

contrat, la loi du jour de sa naissance. De plus, l'intégration des normes nouvelles engendre une possible<br />

évolution du litige par l'exercice de la voie d'appel. Si les prétentions nouvelles y sont prohibées, les nouveaux<br />

fondements y sont accueillis, ce qui renforce la conception de la voie d'appel comme voie d'achèvement du<br />

litige.<br />

L'application des évolutions législatives doit prendre en compte les règles de procédure. Il faut combiner les<br />

impératifs substantiels et processuels pour déterminer l'applicabilité de la loi nouvelle. Cette dernière doit<br />

s'appliquer en cours de première instance ou d'instance d'appel où elle est néanmoins limitée par la prohibition<br />

des demandes nouvelles. Comme moyen nouveau, elle doit être admise 25 . En revanche, si elle implique une<br />

demande nouvelle, elle doit être rejetée, à moins qu'elle ne constitue une demande reconventionnelle 26 . La loi<br />

nouvelle ne doit pas s'appliquer lors d'une instance de cassation car la Cour de cassation juge la décision rendue<br />

qui ne pouvait, de fait, tenir compte de la loi nouvelle. Il en est de même lors d'un appel sur renvoi après<br />

cassation car une fiction veut que l'on se situe au moment du premier appel pour statuer. La nature des voies de<br />

recours est donc aussi une limite à la loi nouvelle.<br />

En outre, le principe semble acquis que les lois de procédure sont toujours applicables immédiatement. Ce<br />

faisant, il y a négation des actes processuels qui ont pu être passés et lesdites lois produisent un effet rétroactif.<br />

Par exemple, l'application du décret du 28 décembre 1998 requiert la prise de conclusions récapitulatives<br />

devant le Tribunal de grande instance et la Cour d'appel. Il fixe la date d'entrée en vigueur de ses dispositions<br />

au 1 er mars 1999. A cette date, et dans l'hypothèse où des conclusions récapitulatives n'ont pas été prises, toutes<br />

les prétentions et tous les moyens non repris sont présumés abandonnés. Des actes valablement faits au regard<br />

de la loi en vigueur au moment où ils ont été pris sont privés d'effet par une loi postérieure. C'est pourquoi les<br />

règles d'application de la loi dans le temps doivent prendre en compte les actes de procédure comme elles<br />

prennent en considération par ailleurs les actes juridiques. Elles doivent également tenir compte des<br />

particularités liées à la procédure. Ainsi, dans l'exemple mentionné, il est important de déterminer s'il y a eu ou<br />

non une clôture de la mise en état. Si c'est le cas, comme le souligne M. L. Cadiet, il ne faudrait pas appliquer<br />

l'exigence de conclusions récapitulatives alors qu'elles seraient envisageables dans l'hypothèse inverse. Comme<br />

l'a démontré par ailleurs J. Heron, il ne faut pas prendre le procès civil de façon globale mais tenir compte de<br />

24 art. 1441-4, N.C.P.C.<br />

25 art 564 et 565, N.C.P.C.<br />

26 art 567, N.C.P.C.<br />

DDDDrrrrooooiiiitttt ééééccccrrrriiiitttt nnnn°°°°2222----2222000000002222<br />

33338888


ses éléments constitutifs.<br />

2) Les conflits de normes substantielles au sens large<br />

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Parfois, l'évolution touche à des normes de nature plus complexe. Il peut s'agir, tout d'abord, de normes misubstantielles<br />

mi-processuelles. Il apparaît alors que, lorsque le caractère processuel est le plus accentué,<br />

l'application immédiate de la loi permet d'éviter des litiges ou, au contraire, de susciter sa prolongation par<br />

l'exercice de voies de recours. Au contraire, le caractère plus substantiel permet le plus souvent la survie de la<br />

loi ancienne et empêche de perturber le cours du traitement du litige. L'analyse montre un caractère hybride des<br />

lois relatives à l'action en justice et à la preuve qui doit conduire à une ventilation des solutions. Il convient<br />

alors de déterminer avec quel domaine, substantiel ou processuel, une condition pour agir ou une règle de<br />

preuve a les liens les plus étroits. Pour illustration, la loi modifiant la condition d'intérêt né et actuel se rattache<br />

plus directement à la procédure car le souci premier est d'éviter l'encombrement des juridictions.<br />

Il peut s'agir, ensuite, de normes jurisprudentielles qui, pour n'être pas des règles de droit au sens strict,<br />

influencent notablement les décisions de justice. Puisqu'elles ne sont pas des règles juridiques, elles ne sont pas<br />

soumises au principe de non-rétroactivité. Elles peuvent donc s'appliquer à des instances en cours en première<br />

instance, en appel, voire en cassation. Cette application rétroactive de la jurisprudence paraît de prime abord<br />

dangereuse. En fait, elle pose surtout des problèmes d'interprétation de la jurisprudence, de prévisibilité des<br />

revirements et d'une éventuelle responsabilité. Certaines propositions telles que le revirement en blanc ou la<br />

publication de positions dissidentes ont été proposées mais n'apportent pas l'adhésion. En fait, il faut admettre<br />

l'application de la nouvelle jurisprudence en première instance et en instance d'appel où elle est censée être un<br />

progrès et ne faire qu'interpréter le droit, non le créer. Quant à l'espèce occasion du revirement, c'est à la<br />

sagesse du juge qu'il convient de s'en remettre pour assouplir les conséquences malheureuses pour le plaideur<br />

qui avait formé pourvoi et croyait être alors "dans son bon droit".<br />

L'évolution du litige influence sensiblement le déroulement du procès. Plus largement, c'est son contenu<br />

même qui impose une adaptation des règles processuelles.<br />

II — L'adaptation de la procédure au litige<br />

Le procès civil permet de consacrer des droits substantiels. Même en refusant de le qualifier de droit second et<br />

servile, il reste qu'il est et demeure un droit sanctionnateur. Son déroulement dépend étroitement de ce qu'il a<br />

pour mission de sanctionner. Le temps du procès civil est parfois dominé par le temps de sa substance qui lui<br />

impose son rythme, et parfois même, ses règles. Cette prise en compte de la matière litigieuse implique "une<br />

adaptation structurelle et conjoncturelle des règles de procédure".<br />

A — L'adaptation structurelle de la procédure au litige<br />

"L'adaptation structurelle" permet une synchronisation du temps et de la matière litigieuse. Il convient, par<br />

exemple, de ne pas être en retard dans le règlement des procédures collectives, mais de ne pas être en avance<br />

dans le traitement du contentieux du divorce. Des procédures particulières se développent, dérogeant aux règles<br />

de procédures ordinaires et imposant un temps singulier. Dès lors, il s'opère un passage d'une procédure<br />

standardisée à des procédures spécialisées, adaptées à une catégorie de litige.<br />

1) L'exemple de l'adaptation de la procédure aux procédures collectives<br />

En ce qui concerne les procédures collectives, il est remarquable que les règles et les notions de procédure y<br />

sont bousculées. Ce contentieux est mi subjectif mi-objectif. Il met en jeu des intérêts privés tout en devant<br />

trouver une solution à un litige objectif. La notion d'instance, par exemple, devient plus floue. Sa délimitation<br />

dans le temps est malaisée et plusieurs instances de premier degré se succèdent ou coexistent pour une même<br />

fin. Le juge devient un juge spécialisé, expérimenté pour un type de contentieux donné. Il a des fonctions<br />

multiples au point d'être considéré comme étant "à géométrie variable". Il prend des mesures d'administration<br />

judiciaire, des décisions susceptibles d'appel ou d'opposition devant la formation collégiale de la juridiction.<br />

Les règles de procédure sont bousculées et les conséquences quant au temps du traitement du litige se<br />

ressentent principalement quant à l'efficacité des décisions de justice, à leurs effets et aux voies de recours.<br />

Le souci de célérité devient essentiel car il est une composante de la réussite du redressement judiciaire des<br />

entreprises. Aussi, les voies de recours y sont-elles limitées soit au regard de la personne qui peut exercer un


Le temps et le procès civil<br />

recours, soit au regard de la décision susceptible de recours. Elles l'ont été de façon tellement importante que<br />

l'appel nullité est devenu indispensable pour assurer le respect des droits de la défense. Néanmoins, il doit<br />

rester une exception et ne pas se transformer en un recours ordinaire au risque de nier la politique menée. Il faut<br />

considérer qu'il n'opère pas d'effet dévolutif.<br />

De plus, il est de principe que les décisions sont exécutoires de plein droit à titre provisoire. Elles ne<br />

subissent pas d'effet suspensif, ce qui renforce leur efficacité. Le principe de l'effet suspensif est renversé. De<br />

même, alors que le premier Président de la Cour d'appel ne peut en principe pas arrêter l'exécution provisoire<br />

des décisions qui sont exécutoires de plein droit, il recouvre ici cette faculté. Ces dispositions illustrent<br />

parfaitement la balance opérée entre le souci d'efficacité et le nécessaire respect des droits de la défense qui<br />

réapparaît dans un second temps.<br />

2) L'exemple de l'adaptation de la procédure au contentieux du divorce<br />

Quant au contentieux du divorce, il nécessite au contraire un ralentissement de la procédure afin de<br />

permettre la réconciliation, d'apaiser les rancœurs. Il s'agit là encore d'un choix politique qui tend à privilégier<br />

la stabilité de la famille. C'est pourquoi des délais d'attente y sont imposés qu'il s'agisse de la tentative préalable<br />

de conciliation27 ou du délai d'attente de six mois imposé dans le divorce par requête conjointe28 . De plus, le<br />

pourvoi acquiert dans ce contentieux un effet suspensif qu'il n'a pas en principe. Le temps de l'urgence n'y est<br />

toutefois pas absent car le juge aux affaires familiales fait également office de juge des référés et peut prendre<br />

des mesures urgentes29 . Le contentieux du divorce révèle surtout une gestion du texte adaptée, aux mesures de<br />

l'affaire. Le juge aux affaires familiales est un juge de la durée qui peut être saisi à nouveau pour remettre en<br />

cause ce qu'il a jugé. Il n'est jamais définitivement dessaisi ; il reste en alerte. Ses décisions peuvent toujours<br />

être adaptées au regard de l'évolution de la situation.<br />

B — L'adaptation conjoncturelle de la procédure au litige<br />

1) L'atténuation des droits de la défense<br />

L'adaptation structurelle reste mesurée. Elle est définie pour une catégorie de litige en particulier. La<br />

volonté de donner une efficacité grandissante aux décisions de justice amène de nos jours à une prolifération de<br />

procédures "d'efficacité", guidées par un souci de célérité, qui perturbent au plus haut point la chronologie<br />

processuelle. Les droits de la défense sont parfois relégués au second plan. Cette volonté de célérité, si elle est<br />

sous-jacente à toutes les procédures, devient alors le souci premier et la procédure se "moule" aux circonstances<br />

qui entourent le litige. L'adaptation ne se fait plus alors au regard de la structure du litige, mais de sa<br />

conjoncture. Il s'agit alors d'une "adaptation conjoncturelle".<br />

Il se crée des procédures plus ou moins rapides selon l'urgence, l'extrême urgence, le péril ou encore la<br />

simplicité de l'affaire. La procédure peut être à jour fixe, à bref délai, suivre un circuit court, moyen ou long<br />

selon le nombre de conférences nécessaires. Il peut y avoir une exécution provisoire de la décision de première<br />

instance afin d'éviter l'appel. Cette multitude de voies processuelles est dangereuse car elle se fait aux dépens<br />

du respect des droits de la défense et s'attaque aux effets plutôt qu'aux causes des lenteurs du procès. Elle<br />

retarde les procédures "ordinaires". En outre, ces procédures rapides sont victimes de leur propre succès car<br />

elles sont elles-mêmes encombrées. Cette justice à plusieurs vitesses doit être contenue dans certaines limites<br />

afin de ne pas dénigrer l'institution même de la justice. Il n'est donc pas souhaitable de créer une nouvelle<br />

procédure, spécialisée pour le traitement des affaires simples et urgentes, comme cela a pu être proposé.<br />

Les procédures de référé sont, certes, efficaces et utiles. Leur développement récent en droit administratif<br />

en atteste. Néanmoins leur succès risque de les dénaturer. De provisoires, elles deviennent de facto des<br />

procédures définitives. Il en est ainsi notamment des référés provisions qui permettent d'obtenir jusqu'au 100%<br />

de la créance si la totalité de son quantum n'est pas sérieusement contestable. Pareil effet pratique doit être évité<br />

car il se fait aux dépens des droits de la défense. Il convient d'imposer un délai de caducité dans lequel les<br />

parties devraient agir au fond. La caducité aurait pour effet de remettre en cause l'effet interruptif de la<br />

27 art 1108, N.C.P.C.<br />

28 art. 230 al. 3, C. civ.<br />

29 art. 257, C. civ.<br />

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prescription. Elle aurait la même finalité que celle sanctionnant le défaut d'enrôlement d'une demande en<br />

justice, à savoir d'éviter l'instrumentalisation de la justice.<br />

2) Le recul des droits de la défense<br />

Cette adaptation conjoncturelle peut également conduire à un recul des droits de la défense, ce qui est plus<br />

délicat. Les procédures sur requête ou injonction relèguent au second plan le principe du contradictoire. Ces<br />

procédures renforcent l'efficacité des procédures mais leur multiplication est dangereuse. Leur prolifération<br />

révèle la création de nombreuses voies, plus ou moins rapides selon les circonstances et qui utilisent parfois<br />

l'imperium du juge comme une menace pour inciter l'adversaire à s'exécuter. Il en est ainsi des procédures<br />

d'injonction qui retardent le respect des droits de la défense. Si les injonctions de payer sont efficaces, elles sont<br />

dangereuses et il n'est pas opportun d'en généraliser l'utilisation. Les injonctions de faire sont, quant à elles, en<br />

pratique un échec et pourraient être supprimées.<br />

L'étude du temps et du procès civil montre une constante recherche d'un temps "sur mesure", adapté aux<br />

situations concrètes des parties au cours de l'instance et à la matière litigieuse. A l'heure de l'harmonisation<br />

européenne, le problème devient plus aigu car les règles sont différentes et la perception du temps diffère d'un<br />

pays à l'autre. L'harmonisation dans l'optique de concilier le temps et le procès pour réconcilier les justiciables<br />

avec leur justice est ainsi l'enjeu de demain.

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