Fiche pédagogique de "Combat de nègre et de

Dans la nuit africaine
Il régnait l’autre soir une touffeur étrange, oppressante, [dans la
salle de spectacle]… Cette moiteur au goût métallique, au parfum
de meurtre, on la doit au formidable Combat de nègre et de chiens
de Bernard-Marie Koltès, orchestré par Michel Wright et la compagnie
Concass. Le premier choc vient de la scénographie : (…)
un arbre sculpté de larges cordes entremêlées, dont les bouts, en
forme de branches, échouent en autant de nœuds coulants.
Irrémédiablement, l’âpre saveur du Strange Fruit de Billie Holiday
nous revient aux lèvres. Belle entrée en matière pour cette nuit africaine
au cours de laquelle Alboury, un Noir, viendra chercher, sur
le chantier d’une entreprise française, le cadavre de son frère tué
par Cal, jeune ingénieur blanc qui maîtrise mal ses « nerfs ». Il ne
sait pas que le corps de son frère a été jeté dans les égouts. Pour
gagner du temps, Horn, le chef de chantier, tente d’amadouer
Alboury. Pour couronner le tout, Léone, jeune Parisienne dénichée
par Horn en vue d’un mariage, débarque au beau milieu de ce
fiasco. Elle ne sera pas indifférente au ténébreux Alboury.
Koltès a écrit cette fable déconcertante à son retour d’Afrique. Parti
rendre visite à des amis sur un chantier public en pleine brousse,
il y avait découvert une petite communauté repliée sur elle-même,
entourée de barbelés et de miradors. L’auteur a accouché de
cette histoire de sujétion ancestrale et de peau, dénonciation du
« mal blanc ». On sent dans la mise en scène de Michel Wright
une volonté d’éviter toute tricherie, de faire confiance à l’écriture
brute de Koltès. Sous son aile, les quatre comédiens endossent
sans pathos leurs personnages rudes. Littéralement possédé,
comme hors de lui, Samuel Seynave [Cal]… Face à lui, Marc Zinga
tient aussi sacrément la route, dans une colère plus retenue, un
jeu plus opaque mais tout aussi dense en Alboury. Yves Claessens
[Horn] porte sa part de tension à bout de bras en boss bourru mais
impuissant (sexuellement). Enfin, Anna Cervinka [qui sera remplacée
dans le rôle de Léone à Charleroi – ndlr], errant dans un état
second de bout en bout, épaissit encore l’effet d’étrangeté qui pare
ce spectacle envoûtant, ces ténèbres lumineuses.
(D’après Catherine Makereel, Le Soir, 2 juin 2009)
Au cœur des ténèbres
(…) Il y a [dans la pièce] la persistance du colonialisme, à travers
le point de départ du Noir venant sur le chantier demander le corps
de son frère. Mais ce n’est pas une pièce sur la négritude, Koltès
le dit lui-même. Certes, Léone, à la fin de la pièce, change, elle
rejoint l’espace des Noirs, l’espace des condamnés. Elle, la
blanche, inscrit sur son visage les marques tribales pour manifester
un attachement définitif, un refus de l’Europe et du monde des
nantis. Mais Koltès ne conte pas cela de façon militante. Pour lui,
l’humanité se divise en races différentes prises dans une confrontation
irrémédiable. Combat entre chiens et chats ! L’humour est
désespéré et la poésie, si forte, nourrie d’étrangeté (…) Combat
de nègre et de chiens… est un conte fantastique, qui se passe dans
une nuit. La nuit du théâtre, la nuit de l’Afrique, la nuit d’un lieu perdu.
Des personnages se cherchent dans les ténèbres. Pour une rencontre
avec l’invisible et avec l’autre. C’est un théâtre de la frontière,
de l’obscurité de l’être humain. C’est un théâtre mythologique,
d’une mythologie de la nuit…
(D’après Jacques Nichet, metteur en scène et directeur de théâtre,
dans Le Magazine Littéraire, février 2001)
Par la Compagnie Concass
Mise en scène : Michel Wright
Avec : Yves Claessens, Mathilde Rault, Samuel
Seynave, Marc Zinga
Scénographie : Nixon Fernandes
© Nixon Fernandes
Extrait
Alboury : Moi, j’attends qu’on me rende mon frère ; c’est pour cela
que je suis là. Horn : Enfin, expliquez-moi. Pourquoi tenez-vous tant
à le récupérer ? (…)
Alboury : Souvent, les petites gens veulent une petite chose, très
simple ; mais cette petite chose, ils la veulent ; rien ne les détournera
de leur idée ; et ils se feraient tuer pour elle ; et même quand
on les aura tués, même morts, ils la voudraient encore.
Horn : Qui était-il Alboury, et vous, qui êtes-vous ?
Alboury : Il y a très longtemps, je dis à mon frère : je sens que j’ai
froid ; il me dit : c’est qu’il y a un petit nuage entre le soleil et toi ; je
lui dis : est-ce possible que ce petit nuage me fasse geler alors que
tout autour de moi, les gens transpirent et le soleil les brûle ? Mon
frère me dit : moi aussi, je gèle ; nous nous sommes donc réchauffés
ensemble. (…)
C’est pourquoi je viens réclamer le corps de mon frère que l’on nous
a arraché, parce que son absence a brisé cette proximité qui nous
permet de nous tenir au chaud, parce que, même mort, nous avons
besoin de sa chaleur pour nous réchauffer, et il a besoin de la nôtre
pour lui garder la sienne.
Horn : Il est difficile de se comprendre, monsieur. Je crois que,
quelque effort que l’on fasse, il sera toujours difficile de cohabiter.
Propositions pédagogiques / Partenariat
- Jeudi 3 mars à 10h à l’Eden : rencontre pédagogique
préalable avec des membres de la Compagnie Concass
Inscription indispensable
- Mercredi 16 mars, après la représentation de 20h30 à
l’Eden : rencontre avec la Compagnie Concass
- Animations envisageables en classe ou dans les
associations
- Références bibliographiques : Combat de nègre et de
chiens, Editions de Minuit, 1989 ; La fuite à cheval très
loin dans la ville (roman), Editions de Minuit, 1984 ; etc.
- Voir aussi la rubrique Portraits d’auteurs dans ce dossier
EDEN
14 au 19 mars 2011 à 20h30
Tarif : 12 € - Abonnement : 8 €
Groupes : 9 €
Durée : 2h20
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