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La persistance des images - Ciné-ressources

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Directeur de la collection<br />

Dominique Païni.<br />

Cet ouvrage constitue le volume V <strong>des</strong> catalogues de tirages,<br />

sauvegar<strong>des</strong> et restaurations de la <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

Remerciements à<br />

Bernard Bastide, Bernard Eisenschitz, Jean-Pierre Flingou,<br />

Foulques de Jouvenel, Antonia Fontanillas, Francis <strong>La</strong>cassin,<br />

Roland <strong>La</strong>courbe, Jean-Louis Leutrat, Éric Le Roy, <strong>La</strong>urent Mannoni,<br />

Nicolas Offenstadt, Anna Petitova, Vincente Ricart,<br />

Stéphanie Salmon, Yuri Tsivian.<br />

Academy of Motion Picture Arts and Sciences (Beverly Hills,<br />

Michael Friend), American Muséum of the Moving Image<br />

(New York, Richard Koszarski), la Bibliothèque de l'Arsenal<br />

(Département <strong>des</strong> Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de<br />

France, Emmanuelle Toulet), Bibliothèque de l'image-Filmothèque<br />

(Paris, <strong>La</strong>urent Billia), Cinegraph (Hambourg), <strong>Ciné</strong>mathèque royale<br />

de Belgique (Gabrielle Claes, Sabine Lenk, Marianne Thys), Cineteca<br />

del Comune di Bologna (Gian Luca Farinelli), Cineteca del Friuli<br />

(Lorenzo Codelli), <strong>Ciné</strong>mathèque municipale de Luxembourg,<br />

Filmoteca Espanola (Madrid, Catherine Gautier), Lobster Films,<br />

Musée d'Orsay, National Film and Télévision Archive (Londres,<br />

Jane Hockings), Ôsterreichisches Filmarchiv (Vienne, Joseph Gloger),<br />

Ôsterreichisches Filmmuseum (Vienne), Pathé Télévision, Projet<br />

Lumière, Service <strong>des</strong> Archives du Film (CNC, Michelle Aubert),<br />

Société <strong>des</strong> auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Stiftung<br />

Deutsche Kinematek (Berlin, Walter Seidler).<br />

© Chaque auteur pour sa contribution. <strong>Ciné</strong>mathèque française pour<br />

l'ensemble -1996.<br />

ISBN 2-900596-17-3<br />

LA PERSISTANCE<br />

DES<br />

IMAGES<br />

TIRAGES, SAUVEGARDES ET RESTAURATIONS<br />

DANS LA COLLECTION FILMS<br />

DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE<br />

Textes de<br />

Philippe Arnaud, Jacques Aumont, Antoine de Baecque, Bernard<br />

Bastide, Joâo Bénard da Costa, Bernard Bénoliel, Alain Bergala,<br />

Emmanuelle Berthault, Jean-Claude Biette, Pierre Billard, Patrick<br />

Brion, Jean-Claude Carrière, Raymond Chirat, Gabrielle Claes,<br />

Alain Corneau, Edgardo Cozarinsky, Paola Cristalli, Jean Douchet,<br />

Hervé Dumont, Jacques Durand, Bernard Eisenschitz, Gian Luca<br />

Farinelli, Alain Fleischer, Michel Frizot, Philippe Garnier, Pierre<br />

Gras, François Guérif, Michael Henry, Jean-Pierre Jeancolas, Jean-<br />

Pierre Jackson, Claudine Kaufmann, Josette Khannibal, Francis<br />

<strong>La</strong>cassin, Roland <strong>La</strong>courbe, François <strong>La</strong>ffort, Jean-Marc <strong>La</strong>lanne,<br />

Henri <strong>La</strong>nglois, Sabine Lenk, Éric Le Roy, Jean-Louis Leutrat, Joël<br />

Magny, <strong>La</strong>urent Mannoni, Michel Marie, Bernard Martinand, Alain<br />

Masson, Luc Moullet, Jacqueline Nacache, Yousry Nasrallah, Hubert<br />

Niogret, Dominique Païni, Jean-Michel Palmier, Jean-François<br />

Rauger, Jean Rouch, Michel Roudevitch, Jean Roy, Charles Tesson,<br />

Marianne Thys, Paul Vecchiali, Jean Tulard, Édouard Waintrop.<br />

Secrétaire de rédaction, génériques et résumés : Bernard Bénoliel.<br />

Édition : Philippe Arnaud.<br />

Photogrammes réalisés par Stéphane Dabrowski.<br />

<strong>La</strong>bo-photo : Daniel Keryzaouen.<br />

Rédacteur en chef : Bernard Martinand.<br />

Visions et enregistrements <strong>des</strong> films : <strong>La</strong>ure Bouissou.<br />

L'ensemble du département de la collection films<br />

de la <strong>Ciné</strong>mathèque française<br />

a participé à l'élaboration de ce livre :<br />

Bernard Bénoliel, Emmanuelle Berthault, <strong>La</strong>ure Bouissou,<br />

Pascal Briant, Olivier Dehaut, Vincente Duchel,<br />

Jean-Philippe Jonchères, Claudine Kaufmann, François <strong>La</strong>ffort,<br />

Guy Lemaître, Bernard Martinand, Hélène Masingue,<br />

Hervé Pichard, Thierry Zaragoza.<br />

9600430002<br />

Qnéméèque hnçaise


William S. Hart<br />

The Cold Deck<br />

(1917).<br />

RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />

Dominique Païni<br />

Il fut un temps où restaurer les films ne constituait pas un acte autonome. Pour les fondateurs <strong>des</strong> premières cinémathèques,<br />

il convenait, avant toute autre chose, de retrouver du matériel, les copies de certains films fondamentaux devenus déjà mythiques :<br />

ceux de Stroheim, Borzage, Murnau, Renoir, Feuillade, Méliès... surtout le cinéma muet, détruit dans l'indifférence générale <strong>des</strong><br />

premières années trente.<br />

DE LA PROGRAMMATION À LA PRÉSERVATION<br />

Il faut sans cesse revenir à ce fait : la collection films de la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française a été commencée pour retrouver, sauver<br />

et préserver l'art du muet. Des pans considérables <strong>des</strong> trente<br />

premières années du cinéma étaient déjà sinistrés, détruits ou<br />

perdus. Il ne s'agissait donc pas, en 1936, d'entreprendre une<br />

campagne systématique de sauvegarde et de reconstitution de<br />

matériels connus, localisés et menacés du fait de leur instabilité<br />

chimique. Il s'agissait d'enquêter, de fouiller, de détourner<br />

de la « fonte », de retrouver <strong>des</strong> copies, afin de les montrer pour<br />

évaluer <strong>des</strong> œuvres constitutives de l'histoire d'un art connue<br />

de manière encore très lacunaire. Le fait de conserver les films<br />

dans les meilleures conditions possibles en découla. C'est donc<br />

prioritairement l'urgence de revoir ou même de découvrir les<br />

films, pour fonder une histoire, qui engendra la collection. <strong>La</strong><br />

mission de ciné-club de « répertoire » (comme le décrivent les<br />

statuts initiaux de la <strong>Ciné</strong>mathèque) précéda celle d'archivé,<br />

même si les deux activités se confondirent très rapidement. Et<br />

lorsqu'on s'interroge sur les raisons de la présence précoce de<br />

certains films dans les collections commencées par <strong>La</strong>nglois, il<br />

faudrait probablement se référer plus souvent à ses programmations.<br />

Dans les années trente, pour mémoriser, il fallait prioritairement<br />

montrer les films, les décrire, dresser <strong>des</strong> inventaires<br />

par noms de cinéastes, repérer les gran<strong>des</strong> pério<strong>des</strong> pour tenter<br />

de comprendre les transformations esthétiques et économiques.<br />

On ne pouvait envisager la création d'une collection<br />

de films et sa préservation qu'après l'avoir évaluée en visionnant.<br />

Rappelons que Jean Mitry fit partie de l'équipe fondatrice<br />

de la <strong>Ciné</strong>mathèque française et qu'il commença ainsi ses travaux<br />

d'historien. Georges Sadoul fréquenta la FIAF et il intervint<br />

dans les problèmes de sauvegarde <strong>des</strong> films d'une manière<br />

fervente. Depuis longtemps, il se préoccupait de l'accès aux<br />

films oubliés, perdus, menacés de <strong>des</strong>truction comme l'atteste<br />

son article : « Fahrenheit 1951. Faut-il détruire tous les films anciens<br />

parce qu'ils sont inflammables ? » paru dans les Cahiers<br />

du cinéma, n° 184 (novembre 1966).<br />

EXISTE-T-IL UN « GOÛT LANGLOIS » ?<br />

Durant ces cinq dernières années de restaurations, de tirages<br />

et de sauvegar<strong>des</strong>, une idée est devenue obsédante : comment<br />

définir cette collection de films ? Relève-t-elle d'un goût<br />

particulier au point de <strong>des</strong>siner une sorte d'autoportrait esthétique<br />

d'Henri <strong>La</strong>nglois ? Comment se distingue-t-elle <strong>des</strong> autres<br />

gran<strong>des</strong> collections (Bruxelles, Prague, Moscou, Londres...)<br />

ou comment reflète-t-elle les critères relativement communs<br />

aux archives qui furent créées, en même temps, au milieu <strong>des</strong><br />

années trente ? Autrement dit, lorsqu'il a été décidé en 1991 de<br />

réorienter notre politique de préservation, c'était avec un fantasme,<br />

sinon une illusion absolue : reprendre la collection, comme<br />

<strong>des</strong> héritiers reprennent celle de leurs parents. Accentuer<br />

les tendances d'acquisition, ne pas continuer <strong>des</strong> enrichissements<br />

pour <strong>des</strong> auteurs ou <strong>des</strong> écoles nationales peu représentés,<br />

mieux cerner un hypothétique « goût <strong>La</strong>nglois »... Nous<br />

nous sommes vite aperçus que c'était utopique. En premier lieu,<br />

parce qu'il est impossible de réfléchir sur une collection qui<br />

connut, comme toutes les collections du monde, <strong>des</strong> sinistres<br />

et <strong>des</strong> pertes irrémédiables. En second lieu, <strong>La</strong>nglois conservait<br />

tout. Et on mesure encore aujourd'hui qu'il serait en effet absurde<br />

de choisir entre l'acquisition volontaire et le dépôt de circonstance.<br />

En tout état de cause, comment prévoir aujourd'hui<br />

ce qui comptera demain, entre telle acquisition désirée et tel<br />

dépôt non recherché ? Rien ne laisse supposer a priori que la<br />

particulière représentativité du cinéma allemand <strong>des</strong> années<br />

vingt, au-delà <strong>des</strong> seuls monuments de l'expressionnisme, relève<br />

d'un choix délibéré. Cela peut provenir d'un dépôt dont<br />

l'arrivée à la <strong>Ciné</strong>mathèque ne dépendit pas du parti pris esthétique<br />

de son fondateur mais découla peut-être <strong>des</strong> hasards,<br />

faillite d'une société de distribution française (ce qui expliquerait<br />

les intertitres français dans de nombreux cas) ou autre circonstance<br />

sans préméditation muséologique. L'histoire de cette<br />

collection, comme celle de beaucoup d'autres, résulte d'urgences,<br />

d'anarchies commerciales et d'aléas corporatistes.<br />

Mais avant tout, <strong>des</strong> urgences. Pas de repentir possible dans<br />

les années trente, si un film échappait à la vigilance collection-


6 - RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />

neuse. Il passait à la broyeuse puis à la fonte. Il fallait tout<br />

prendre et trier ensuite. Le cinéma sonore mit à peine deux ou<br />

trois années à s'installer, à investir artistiquement, techniquement,<br />

industriellement et architecturalement. Les producteurs<br />

se débarrassèrent fréquemment de ce qui les encombrait, en<br />

l'occurence les copies du cinéma muet. <strong>La</strong> dimension artistique<br />

de ce cinéma n'étant reconnue que minoritairement, il n'y avait<br />

donc pas de plus-value symbolique à retirer pour la profession<br />

(au contraire, voir aujourd'hui la gestion « morale » et quelquefois<br />

vaniteuse que font les producteurs contemporains de<br />

leur catalogue).<br />

L'urgence donc. Ainsi, en 1959, lorsque les laboratoires reçurent<br />

l'ordre de ne plus conserver le matériel « nitrate », ce fut<br />

un véritable débordement. Marie Epstein a souvent évoqué le<br />

souvenir de ces camions qui déversèrent <strong>des</strong> tonnes de négatifs<br />

devant un <strong>La</strong>nglois impuissant à mettre en œuvre immédiatement<br />

un plan d'identification et de sauvegarde (inventaire<br />

détaillé et transfert sur support « safety » acétate).<br />

Dégager de ces accumulations successives et désordonnées,<br />

une logique d'acquisition, <strong>des</strong> partis pris d'enrichissement<br />

complémentaires, <strong>des</strong> choix qui conjuguent l'importance historique<br />

et le goût, relevait donc d'un idéal auquel nous aurions<br />

volontiers voulu nous référer pour le continuer.<br />

Au terme de ces cinq années, ce projet, bien qu'en partie irréalisable,<br />

ne fut pourtant pas sans intérêt. Il nous fit agir. Car<br />

s'il n'était pas possible de dégager, à proprement parler, un<br />

« goût <strong>La</strong>nglois », la collection, telle qu'elle nous parvint n'en<br />

était pas moins fascinante et ses deux traits spécifiques indéniables<br />

étaient (sont encore !) d'une part, sa représentativité internationale,<br />

et d'autre part, son absence de hiérarchie datée : en<br />

d'autres termes, <strong>des</strong> films du monde entier préservés en dehors<br />

de toute soumission au goût qui prévalait à l'époque de leur<br />

entrée dans la collection. C'est cette diversité que nous nous<br />

sommes efforcés de continuer par les choix de tirage, de sauvegarde<br />

et de restauration détaillés dans ce catalogue.<br />

Cependant, si <strong>La</strong>nglois n'était pas maître de la composition<br />

de sa collection et gardait tout, il a en revanche orienté délibérément<br />

ses choix de sauvegarde, menant dans ce domaine une<br />

politique volontariste. Il est même possible que les limites économiques<br />

auxquelles il s'est heurté toute sa vie aient accentué<br />

de façon caricaturale ce « goût ». Plus de moyens financiers l'auraient<br />

peut-être amené à élargir le champ de ses préférences, à<br />

diluer son « sectarisme ». <strong>La</strong> sur-représentation du cinéma américain,<br />

de l'avant-garde <strong>des</strong> années vingt, les tirages systématiques<br />

<strong>des</strong> films de Perret, Jasset, Chomon, Feuillade en sont<br />

une conséquence. Cela est si vrai qu'une bonne connaissance<br />

<strong>des</strong> collections permet de deviner une sauvegarde ou un tirage<br />

de <strong>La</strong>nglois. En voici un exemple récent : il ne subsistait que le<br />

négatif nitrate de Balançoires, film avant-gardiste de Noël Renard<br />

(1928). Or, en visionnant ce matériel, nous avons pensé<br />

que c'était un film dans le « goût <strong>La</strong>nglois ». Une recherche dans<br />

les anciens fichiers nous a appris qu'il en avait effectivement<br />

tiré en 1964 une copie safety dont nous n'avons plus trace \ En<br />

fait, cette cinéphilie, d'abord particulière à <strong>La</strong>nglois, est devenue<br />

le goût dominant, donc plus difficile à détecter aujourd'hui.<br />

RESTAURER QUOI ?<br />

Aujourd'hui, restaurer est devenu un mot suremployé en<br />

toute occasion dans les langages officiels, comme si notre<br />

époque était emportée dans une frénésie d'effacement du<br />

temps, par l'accumulation notariale <strong>des</strong> vestiges d'un passé<br />

préapocalyptique, par la panique compulsive devant l'oubli,<br />

vers la perspective postmoderne de tout recycler et de tout répéter.<br />

Bref, tout sauver avant la catastrophe. Mais l'expression,<br />

restaurer les films, n'était pas évidente avant le début <strong>des</strong> années<br />

quatre-vingt. Quelle invraisemblable entreprise appliquée<br />

à un divertissement de petite vertu ! Car enfin, <strong>des</strong> produits de<br />

la duplication industrielle et commerciale méritaient-ils la compassion<br />

restauratrice ? Les copies de films ne sont après tout<br />

que <strong>des</strong> produits résiduels, déchets de la productivité et de la<br />

reproductibilité du loisir industrialisé 2 .<br />

Je crois que l'on a oublié, en 1996, ce saut mental qu'il fallut<br />

accomplir pour intégrer l'évidence de la restauration <strong>des</strong><br />

films. <strong>La</strong>nglois dupliquait <strong>des</strong> copies, mais je pense qu'il n'envisagea<br />

jamais de restaurer un film au sens où nous l'entendons<br />

aujourd'hui : reconstituer un montage pour retrouver une narration,<br />

restituer un rythme, <strong>des</strong> teintages ou <strong>des</strong> virages colorés<br />

proches de ceux qu'on imagine avoir « enchanté » les copies<br />

d'époque... Et ce ne sont pas seulement <strong>des</strong> raisons économiques<br />

qui l'en empêchèrent ; mais l'attitude « archéologique<br />

» n'était pas encore advenue idéologiquement et artistiquement<br />

pour l'art du film. <strong>La</strong>nglois dupliqua les films pour<br />

être montrés, dans l'état où ils étaient empruntés ou trouvés.<br />

Et cela explique que certains films, figurant dans le présent catalogue,<br />

aient bénéficié d'une restauration deux ou trois dizaines<br />

d'années après leur première duplication dont la finalité<br />

n'était pas la préservation, mais la programmation, à partir<br />

d'un matériel peut-être à jamais disparu depuis. En un sens,<br />

les cinémathèques furent les premiers musées habilités (ce ne<br />

fut pas si simple !) ou du moins, dont la mission obligeait à produire<br />

<strong>des</strong> copies, <strong>des</strong> « faux », sans le souci de les maquiller en<br />

originaux. Et pour cause, la notion « d'original cinématographique<br />

» n'ayant guère de sens : même le négatif est dénué de<br />

stabilité assurée et d'unicité originelle. De surcroît, les cinémathèques<br />

se sont bâties avec une finalité de conservation d'objets<br />

- les films - dont ce n'était pas la vocation de durer. Pour<br />

ces premiers temps <strong>des</strong> archives cinématographiques, il s'agissait<br />

de prolonger l'existence de ce qui subsistait. Alors que depuis<br />

une quinzaine d'années, la restauration <strong>des</strong> films est devenue<br />

une activité spécifique, indépendante de la programmation<br />

et de l'enrichissement proprement dit, qui consiste à accroître<br />

les collections au fur et à mesure de la production<br />

contemporaine. L'autonomie de l'activité de restauration<br />

n'était donc pas évidente et en fait, n'a jamais été véritablement<br />

réfléchie.<br />

QU'EST-CE QUE LA RESTAURATION ?<br />

En 1963, est publié en Italie, un ouvrage peu connu en France<br />

hors <strong>des</strong> milieux de l'histoire de l'art, important en regard du<br />

travail entrepris par les cinémathèques : Teoria del restauro de<br />

Cesare Brandi 3 .<br />

Cesare Brandi fonda l'Institut central de restauration de Florence<br />

à la fin <strong>des</strong> années trente, et publia plusieurs étu<strong>des</strong> d'histoire<br />

de l'art très spécialisées. Ce livre ne concerne pas la restauration<br />

cinématographique, mais il est à ma connaissance, la<br />

seule tentative de réflexion théorique sur l'acte de restaurer.<br />

Brandi en propose la définition suivante : « <strong>La</strong> restauration<br />

constitue le moment méthodologique de reconnaissance de<br />

l'œuvre d'art, dans sa consistance physique et dans sa double<br />

polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission au<br />

futur \ »<br />

Je suis frappé, dans cette définition, par la primauté donnée<br />

à la reconnaissance de l'œuvre d'art. Si nous appliquons<br />

cette définition à la restauration cinématographique, cela reviendrait<br />

à dire alors, que celle-ci, considérée comme une activité<br />

autonome, ne serait intervenue qu'au terme d'une évolution<br />

conduisant à reconnaître le film comme œuvre d'art.<br />

Brandi précise que « si on est parvenu à reconnaître le lien<br />

indissoluble qui unit la restauration et l'œuvre d'art, c'est que<br />

l'œuvre d'art conditionne la restauration et non pas l'inverse.<br />

Mais nous avons vu que pour l'œuvre d'art la reconnaissance<br />

comme telle est essentielle et que c'est à partir de là qu'il y a retour<br />

de l'œuvre d'art dans le monde. Le lien entre l'œuvre d'art<br />

et la restauration s'établit grâce à l'acte de reconnaissance, et<br />

continuera par la suite à se développer mais trouve ses prémisses<br />

et ses conditions dans cet acte même ». Il rappelle enfin,<br />

en empruntant à John Dewey, que pour qu'il y ait œuvre d'art<br />

reconnue, il faut que l'œuvre potentielle soit vécue à travers<br />

une expérience individuelle, recréée chaque fois qu'elle est expérimentée<br />

esthétiquement (je souligne). Sinon, conclut Brandi,<br />

l'œuvre d'art n'existe qu'en tant qu'elle subsiste.<br />

Ce qui m'intéresse chez Cesare Brandi, c'est bien entendu<br />

la proximité de ses remarques avec le développement de la<br />

conscience restauratrice en matière d'art du film. Car il aura<br />

fallu également cette ténacité programmatrice, véritable expérimentation<br />

esthétique vécue par les pionniers <strong>des</strong> cinémathèques,<br />

imposant ainsi « l'artisticité » du cinéma, pour qu'enfin la restauration<br />

<strong>des</strong> films existe aujourd'hui comme une activité autonome.<br />

RESTAURER, CRITIQUER<br />

On peut décrire aujourd'hui les principales étapes de la restauration<br />

cinématographique :<br />

- <strong>des</strong> années trente aux années soixante-dix, la duplication<br />

<strong>des</strong> copies pour les projeter, prolonge l'existence de ce qui subsiste.<br />

Le souci de ne plus dépendre <strong>des</strong> autres archives pour sa<br />

programmation, incita <strong>La</strong>nglois à réaliser <strong>des</strong> contretypes à partir<br />

<strong>des</strong> copies qui lui passaient entre les mains. Pour <strong>des</strong> raisons<br />

RESTAURER, CONSERVER, MONTRER - 7<br />

aisées à deviner, les contretypes s'opéraient en cachette, les prêteurs<br />

ayants droit ou les autres archives étant le plus souvent<br />

tenus dans l'ignorance de cette pratique. Cela explique le goût<br />

du secret, sinon la légendaire paranoïa de <strong>La</strong>nglois : une partie<br />

considérable de la collection dût être, pendant une période<br />

assez longue, « illégale ». Entre les copies détournées de la <strong>des</strong>truction<br />

et celles contretypées, l'inventaire de la collection était<br />

difficilement communicable. <strong>La</strong> reconnaissance du rôle <strong>des</strong> cinémathèques<br />

(et leur utilité soudaine pour satisfaire <strong>des</strong> appétits<br />

commerciaux liés à la demande croissante <strong>des</strong> programmateurs<br />

télévisuels) n'avait pas encore encouragé <strong>des</strong> relations<br />

de confiance et d'intérêt réciproque avec les ayants droit. Désormais,<br />

<strong>des</strong> conventions sont signées avec beaucoup d'entre<br />

eux. Quant à l'Etat, il était encore loin de privilégier, comme<br />

ces dix dernières années, une politique patrimoniale dans le domaine<br />

audiovisuel en général.<br />

- dans les années soixante-dix, les premières gran<strong>des</strong> restaurations<br />

« scientifiques » sont entreprises « individuellement<br />

» par <strong>des</strong> historiens tel Kevin Brownlow {Napoléon de<br />

Gance par exemple). Souvent, ces initiatives provenaient également<br />

de directeurs de cinémathèques très spécialisés et parfois<br />

heureusement « monomaniaques »... Ainsi, faut-il saluer l'entêtement<br />

d'un admirateur de <strong>La</strong>ng et de Murnau, Enno Patalas,<br />

qui mène depuis les années soixante <strong>des</strong> recherches approfondies<br />

sur quelques films-clés du cinéma allemand et reprend inlassablement<br />

<strong>des</strong> travaux de restauration pour tenter de restituer<br />

les versions les plus proches <strong>des</strong> intentions de leur auteur.<br />

<strong>La</strong> cinéphilie française, formée dans l'indifférence philologique<br />

de <strong>La</strong>nglois, n'engendra pas <strong>des</strong> entreprises comparables.<br />

- en 1990, est lancé en France le « plan Nitrate », politique<br />

patrimoniale de sauvegarde systématique <strong>des</strong> <strong>images</strong> animées,<br />

grâce à <strong>des</strong> fonds publics, et coordonné par le Centre national<br />

de la cinématographie. À raison d'un million de mètres par an,<br />

l'objectif global est de reporter 15 millions de mètres de pellicule<br />

nitrate sur safety en 15 ans, de 1990 à 2005. Depuis le début<br />

de ce plan, toutes archives françaises confondues (<strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, Service <strong>des</strong> archives du film, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

de Toulouse), ce sont environ 5500 titres (dont 1000 films Lumière)<br />

qui ont été sauvegardés ou restaurés.<br />

En Europe, <strong>des</strong> politiques allant dans le même sens se sont<br />

développées sur fonds privés ou publics, nationaux ou locaux,<br />

dans <strong>des</strong> proportions moins importantes, notamment au<br />

Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie.<br />

- depuis 1991, <strong>des</strong> reconstitutions comparées ou « restaurations<br />

scientifiques » de films oubliés, résultats de la collaboration<br />

européenne <strong>des</strong> archives de films dans le cadre du plan<br />

1 Sur Balançoires, voir page 234.<br />

2 Walter Benjamin : « À la différence de ce qui se passe en littérature ou en peinture,<br />

la technique de reproduction n'est pas, pour le film, une simple condition<br />

extérieure qui en permettrait la diffusion massive ; sa technique de production<br />

fonde directement sa technique de reproduction. Elle ne permet pas seulement,<br />

de la façon la plus immédiate, la diffusion massive du film, elle l'exige. » L'œuvre<br />

d'art, in L'Homme, le langage et la culture. Gonthier-Denoël, Paris 1971, p.148.<br />

3 Einaudi, Turin, 1976.<br />

* Les trois premiers chapitres du livre de Brandi ont été traduits par Gilles A. Tiberghien<br />

dans la revue Recherches poïétiques, n° 3, hiver 1995.


8 - RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />

dit « Projet Lumière », ont été accomplies (950 titres ont été sauvegardés<br />

ou restaurés dans le cadre de ce projet).<br />

<strong>La</strong> période suivante, la nôtre, devrait d'une part privilégier<br />

l'approfondissement et la diffusion de la connaissance de<br />

chaque collection. Le présent catalogue est une première contribution.<br />

D'autre part, cette période à venir devrait permettre de<br />

découvrir les conséquences critiques de la restauration <strong>des</strong><br />

films. Car les films « retrouvés et restaurés » - expression qui<br />

qualifie dorénavant plusieurs manifestations et rencontres internationales<br />

de cinémathèques - participent d'une seconde<br />

mise en circulation historique <strong>des</strong> films, de leur seconde vie artistique<br />

et économique (les télévisions achètent parfois) qui les<br />

inscrit dans un processus de réactualisation et de réévaluation<br />

critique. Ce phénomène ne pouvait pas apparaître lors de la première<br />

période de sauvegarde <strong>des</strong> films dans les années trente<br />

et dans l'après-guerre. L'état d'ailleurs souvent excellent de ces<br />

tirages (voir par exemple, ceux, sublimes, <strong>des</strong> films Lumière<br />

par les laboratoires Boyer jamais égalés), excluait pourtant une<br />

véritable diffusion réévaluante, du fait <strong>des</strong> parties manquantes,<br />

de l'incertitude de l'ordre narratif <strong>des</strong> bobines ou de l'absence<br />

fréquente <strong>des</strong> intertitres. En revanche, la qualité <strong>des</strong> reconstitutions<br />

narratives contemporaines, l'attention portée aux tirages,<br />

autorisent aujourd'hui un point de vue critique renouvelé<br />

sur les films préservés. A ce propos justement, Cesare<br />

Brandi affirmait encore : « Même la restauration est critique,<br />

même la disposition d'une œuvre dans un musée et jusqu'à<br />

l'éclairage, le fond sur lequel l'œuvre, un tableau ou n'importe<br />

quelle œuvre plastique, sera exposée à la culture publique et<br />

de ce fait assurée de sa transmission au futur. » C'est l'autre<br />

ambition du présent catalogue que de susciter la programmation<br />

<strong>des</strong> films récemment restaurés et de contribuer ainsi à leur<br />

transmission critique au futur.<br />

QUE RESTAURE-T-ON ?<br />

Le texte de Claudine Kaufmann et de Bernard Martinand,<br />

« Sauver l'éphémère », évoque <strong>des</strong> cas concrets. Ceux-ci forment<br />

une sorte de panorama exemplaire <strong>des</strong> questions posées<br />

par la restauration <strong>des</strong> films.<br />

Tentons de généraliser.<br />

En premier lieu, que restaure-t-on ? Avant tout un matériel,<br />

et non pas, peut-être l'essentiel en termes « archéologiques » :<br />

les conditions spectatorielles de sa représentation originelle. Et<br />

c'est une illusion de supposer que l'on peut restituer le vécu<br />

initial de la relation imaginaire qu'est avant tout l'art cinématographique.<br />

Si chaque monolithe de Carnac put être déterré et<br />

redressé, l'authenticité de leur alignement actuel demeure incertain.<br />

Mais c'est pourtant cet alignement qui constitue leur<br />

horizon de sens. Irrémédiablement, le « site » initial du film -<br />

architectural, culturel, économique, technique... - est détruit.<br />

<strong>La</strong> partition musicale originale réinterprétée, les lambris dorés<br />

et l'atmosphère imitée d'après les rites de la séance cinémato-<br />

graphique <strong>des</strong> temps passés n'y feront rien. Une part non négligeable<br />

du comparable horizon de sens d'un film n'est pas<br />

restituable. Comme l'a dit Benedeto Croce : « Toute l'histoire<br />

est contemporaine. » C'est en cela que le film restauré est né-<br />

cessairement un film critiqué.<br />

En second lieu, la couleur est-elle devenue une nouvelle et<br />

inévitable exigence ? 5 .<br />

Cette question n'est pas spécifique à la restauration cinématographique.<br />

Depuis de nombreuses années, les historiens<br />

de l'art s'intéressent, par exemple, à la polychromie de la sculpture<br />

au Moyen Âge du fait <strong>des</strong> progrès considérables de la macrophotographie<br />

dans les laboratoires de restauration. Longtemps,<br />

il n'avait pas été observé que la couleur pouvait, à la fin<br />

du Moyen Âge, souligner un contour ou accentuer un relief.<br />

Jusqu'au siècle dernier, les sculptures étaient traditionnellement<br />

entretenues selon leur coloration originale. Puis cela a<br />

cessé. Roland Recht rappelait ces points d'histoire de la restauration<br />

en 1993 6, à l'occasion du débat autour de la rénovation<br />

de la façade de la cathédrale d'Amiens. Il évoquait les<br />

conséquences pour l'interprétation et l'évaluation esthétique<br />

selon que la statuaire est hiératiquement blanche ou très « kitschement<br />

» bariolée. Dans le même article, Recht citait cette<br />

considération de Thomas de Quincey à propos <strong>des</strong> Grecs : « Les<br />

Anciens séparèrent beaucoup moins qu'on ne se le figure dans<br />

leurs travaux, le plaisir <strong>des</strong> yeux et celui de l'esprit : c'est-à-dire<br />

que la richesse, la variété et la beauté <strong>des</strong> matières, qui sont la<br />

parure <strong>des</strong> ouvrages de l'art, furent chez eux bien plus intimement<br />

réunies qu'on ne le pense au beau intrinsèque... ». Il en<br />

fut de même pour les artistes au Moyen Âge, concluait Recht.<br />

J'ajoute qu'il en fut ainsi pour les plus grands cinéastes du<br />

muet que la cinéphilie a parfois tirés un peu trop du seul côté<br />

de l'esprit.<br />

<strong>La</strong> couleur demeure aujourd'hui la recherche prioritaire<br />

pour la restauration contemporaine <strong>des</strong> films, car elle a un rôle<br />

essentiel pour faire saisir la dimension romanesque et sentimentale<br />

du cinéma muet, y compris pour <strong>des</strong> œuvres majeures<br />

de Murnau ou de Griffith par exemple. Le teintage ou le virage<br />

d'origine récemment retrouvés, ont littéralement fait redécouvrir<br />

certains films de ces cinéastes 7 . <strong>La</strong> couleur du muet, lorsqu'elle<br />

est restituée, manifeste la « force de l'imagerie et l'urgence<br />

de l'expression » comme l'a démontré de Kuyper, et a<br />

contribué ces dernières années à réévaluer la véritable mesure<br />

plastique et dramaturgique de la mise en scène de certains réa-<br />

5 Eric de Kuyper a traité ce point capital dans son texte « <strong>La</strong> couleur du muet »<br />

dans la Couleur en cinéma, sous la direction de Jacques Aumont, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française - Mazzotta, Paris, 1995.<br />

6 Libération, 19 janvier 1993.<br />

7 Cf. la restauration très récente du Faust de Murnau. Le film est comme rééclairé<br />

de l'intérieur de l'image. Des séquences entières prennent un sens inédit : en particulier<br />

la scène de la nuit sous la neige plutôt minorée jusqu'alors. C'est tout le<br />

film qui remonte en importance dans l'œuvre de Murnau. Ce qui mènerait à penser<br />

que la lumière du muet n'a été, jusqu'à ce jour, qu'une convention contingente<br />

qui découlait de l'état médiocre de la majorité <strong>des</strong> tirages qui nous sont<br />

parvenus. Ce constat était parfois déjà fait lorsqu'on comparait une copie nitrate<br />

et un tirage de sauvegarde du même film. Mais la plupart du temps, nous nous<br />

y résignions.<br />

RESTAURER, CONSERVER, MONTRER - 9<br />

Léonce Perret<br />

Le Chrysanthème rouge<br />

(1911).


10 - RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />

lisateurs oubliés : Léonce Perret, Alfred Machin, Segundo de<br />

Chomôn entre autres.<br />

Ce qui est vrai du « site » du film l'est également de sa couleur.<br />

Mais quelle(s) couleur(s) ? Quelles conventions d'utilisation,<br />

surtout lorsque les copies retrouvées sont incomplètement<br />

colorées ? Ces conventions qui associent <strong>des</strong> couleurs à <strong>des</strong> moments<br />

de la journée, par exemple, sont-elles si intangibles qu'on<br />

a bien voulu l'affirmer un peu trop rapidement ? Quels effets<br />

de récit restituons-nous en décidant de reproduire le teintage<br />

ou le virage de telle séquence ? <strong>La</strong> couleur, elle aussi, est critique.<br />

En troisième lieu, faut-il redonner l'illusion de l'œuvre intacte<br />

? Que doit-on garder de l'intervention restauratrice ? <strong>La</strong><br />

restauration, le simple tirage ou la laborieuse reconstitution<br />

d'un montage narratif, ne donnent à voir que « vraisemblablement<br />

», ou « probablement » ce que fut le film. Mais qui le saura<br />

jamais ? À condition même que la mémoire humaine puisse<br />

donner <strong>des</strong> gages, les témoins du cinéma muet ont tous quasiment<br />

disparu.<br />

Les intertitres sont à eux seuls un champ d'interrogation et<br />

de débat. Fréquemment, ils manquent dans les copies anciennes.<br />

Incontestablement, le goût et les critères de lisibilité -<br />

optiques et dramarurgiques - contemporains, marquent de manière<br />

sensible la réception d'un film dont les intertitres ont été<br />

recomposés. Comme la couleur ou la musique d'accompagnement,<br />

l'intertitre peut accentuer, ou non, la continuité narrative,<br />

souligner, aider, détourner ou réduire l'efficacité de la mise<br />

en scène. Pourquoi ne pas s'autoriser à comparer certains « mo<strong>des</strong>tes<br />

» travaux actuellement accomplis en matière d'intertitrage<br />

au « noble » cas du bras de l'antique <strong>La</strong>ocoon, restauré,<br />

complété et continué, dans le goût du XVI e siècle, par l'artiste<br />

restaurateur maniériste Montorsoli. Cela ne me semble pas excessif.<br />

Car qui sait si <strong>des</strong> films remontés et intertitrés ne sont<br />

pas ainsi réévalués « vers le haut », grâce à la plus grande perméabilité<br />

et au synchronisme avec le goût contemporain vers<br />

lesquels tendent le remontage et l'intertitrage refait. Poser la<br />

question, c'est y répondre positivement. Et pourquoi pas ? Il<br />

faut s'interroger en effet sur le retour de l'intérêt à l'égard de<br />

certains moments de l'histoire du cinéma méprisés pendant de<br />

longues décennies. Par exemple, une certaine hystérie « rock »<br />

et « opératique » a probablement favorisé et marqué notre révision<br />

récente du cinéma italien <strong>des</strong> années dix et de ses dive.<br />

En 1996, la <strong>Ciné</strong>mathèque de Bologne est parvenue à obtenir<br />

un nouveau tirage d'une exceptionnelle copie colorée de Rapsodia<br />

satanica, interprété par Lyda Borelli (Nino Oxilia, 1915).<br />

Serions-nous si sensibles aux élans passionnels, aux démences<br />

de chagrin exprimés par la Borelli au moyen de véritables<br />

épreuves corporelles dont de spectaculaires « arcs hystériques<br />

», si nos goûts en matière de spectacle, le théâtre musical<br />

en particulier de ces dernières années de Carmelo Bene à<br />

Pina Bausch, n'avaient pas évolué vers l'excès, parallèlement à<br />

la redécouverte du symbolisme pictural ? Le travail accompli<br />

sur ce film mineur, du point de vue de l'histoire esthétique du<br />

cinéma, n'aurait probablement pas trouvé une telle légitimité.<br />

Mais revenons à la question <strong>des</strong> intertitres. Recomposés,<br />

lorsque l'original est perdu, ils auraient plutôt tendance à fluidifier<br />

le récit alors que tout porte à croire, au contraire, que la<br />

discontinuité narrative n'était pas crainte au temps du muet,<br />

comme elle le sera du début du sonore aux années cinquante.<br />

<strong>La</strong> rédaction nouvelle <strong>des</strong> intertitres doit, en tout état de cause,<br />

être mentionnée comme telle au générique <strong>des</strong> films restaurés.<br />

Dans d'autres cas, l'intertitrage peut accentuer au contraire<br />

la discontinuité : le texte remplace les parties manquantes non<br />

retrouvées d'un film. Ce sont d'autres questions qui apparaissent<br />

alors : à partir de quel degré de complétude - ou d'incomplétude<br />

- un film est-il considéré comme restauré. Le mot<br />

même, convient-il dans certains cas de films très fragmentaires,<br />

tels que dans le présent catalogue, le Friquet (Maurice Tourneur,<br />

1913) ou Protéa (Victorin Jasset, 1913) ? Il serait intéressant de<br />

trouver un mot mieux adapté pour désigner cet art d'accommoder<br />

les fragments, les ruines 8 . Dans ces cas, les intertitres<br />

jouent un rôle de remplacement, véritables équivalents de la<br />

résine évocatrice en sculpture ou du trattegio, de la surface hachurée,<br />

qui intègre les espaces effacés et l'iconographie intacte<br />

d'une fresque picturale.<br />

Au cinéma, il ne peut y avoir de malentendu sur l'intervention<br />

du restaurateur dans les cas de reconstitution dramaturgique<br />

au moyen de prothèses scripturales. Mais parfois, le<br />

restaurateur peut être conduit, au contraire, à rendre le plus invisible<br />

possible son intervention, y compris dans la rédaction<br />

<strong>des</strong> intertitres, poussé par le souci de servir l'évidence fictionnelle<br />

de l'œuvre ou par le désir de donner l'illusion de l'œuvre<br />

originale, donc dans les deux cas, de tromper.<br />

Chaque film est un cas particulier. Certains intertitres gagnent<br />

à l'allégement d'un point de vue quantitatif et d'un point<br />

de vue... stylistique.<br />

Enfin, on a dit souvent que ce qui séparait une réparation<br />

d'une restauration, résidait dans le retour ou non à « la présence<br />

authentique ». Mais qu'est-ce que la présence authentique<br />

pour un film ? Qu'est-ce qu'un matériel original, quand<br />

on connaît la multiplication <strong>des</strong> versions dues aux exigences<br />

d'adaptation pour les cultures nationales ou régionales au sein<br />

d'une même nation, aux contraintes commerciales, aux soumissions<br />

<strong>des</strong> censures de tous ordres. Il n'est pas rare que plusieurs<br />

montages-négatifs aient été réalisés pour un même film<br />

(D'Intolérance à Ballet mécanique et à la Roue) et même deux tournages<br />

(la Femme et le Pantin, la version de Jacques de Baroncelli,<br />

voir page 90). Il est légitime que le débat demeure en ce qui<br />

concerne la « version originale » : celle voulue par l'auteur (l'intention<br />

d'art est privilégiée) ou celle que l'histoire <strong>des</strong> arts du<br />

spectacle valide aux yeux de son juge esthétique et commercial<br />

primordial, le public.<br />

De surcroît, beaucoup de films bénéficient de la jouvence<br />

restauratrice à partir d'un matériel positif, d'une copie dont on<br />

sait qu'elle fait partie de nombreuses autres différentes, exigées<br />

par la commercialisation. Comment peut-on, dans ces conditions<br />

aussi particulières dans l'histoire <strong>des</strong> arts, prendre en<br />

çprnpte la notion d'original ?<br />

'Au-delà <strong>des</strong> seuls films d'artistes légendairement retouchés<br />

plusieurs fois, tels que Ballet mécanique ou Anémie <strong>Ciné</strong>ma par<br />

Fernand Léger et Marcel Duchamp, tout le cinéma relève, par<br />

sa nature reproductible, de cette dissolution, de cet éloignement<br />

d'une origine authentique. Et restaurer un film, c'est ne pas cesser<br />

au fond, de continuer ce qui fonde, contradictoirement en<br />

apparence, son « artisticité », soit la duplication. Plutôt que de<br />

revenir à un état originel, à un état fantasmatique d'avant<br />

l'usure, plutôt que d'intervenir sur un matériau dont on devrait<br />

effacer les marques du temps, restaurer un film c'est accroître<br />

l'éloignement de l'original si tant est qu'un matériel puisse se<br />

prévaloir de ce statut. Conserver c'est copier. Au fond, le cinéma<br />

est apparu sous la forme que nous lui connaissons à une<br />

époque où la copie architecturale se pratiquait en mettant au<br />

carré la signification étymologique du mot monument, moyen<br />

de mémoire. Le Musée <strong>des</strong> monuments français a ainsi dupliqué<br />

au XIX e siècle <strong>des</strong> éléments d'architecture et <strong>des</strong> fresques<br />

dans leur état du moment et dont les originaux sont perdus depuis.<br />

Les références pour l'histoire monumentale sont donc <strong>des</strong><br />

copies.<br />

Préserver, c'est donc démultiplier la dégradation - on choi-<br />

Toutes les issues sont - gardées. Pour pouvoir<br />

sortir, les deux complices mettent le feu à l'appartement<br />

et se déguisent en pompiers. Probant de l'intervention<br />

<strong>des</strong> soldats du feu, ils cjuittent tranquillement le lieu de<br />

leurs exploits.<br />

<strong>La</strong> disparition du traité entraîne une mobilisation<br />

policière considérable, avec perquisitions et interroga-<br />

toires. Un policier repère la maison où se cachent deux<br />

suspects... Pris par surprise, Protéa et L'Anguille se<br />

laissent ligoter sur un lit. Le policier court cnercher du<br />

renfort.<br />

RESTAURER, CONSERVER, MONTRER - 11<br />

sit rarement le matériel de référence à partir duquel la sauvegarde<br />

ou la restauration vont être accomplies - et c'est privilégier<br />

ce que le temps lègue comme version « dominante » de<br />

l'œuvre. Si l'original authentique pour le cinéma est absolument<br />

étranger à l'unicité, il réside alors dans l'inventaire <strong>des</strong><br />

versions, l'inventaire <strong>des</strong> copies qui incarnent un film dès sa<br />

première diffusion, c'est-à-dire son origine artistique et économique.<br />

<strong>La</strong> dissémination est constitutive de l'origine de l'œuvre<br />

cinématographique et détermine sa restauration. Voir plus<br />

haut, les réflexions de Cesare Brandi.<br />

C'est la matière de l'art cinématographique qui implique que<br />

la restauration <strong>des</strong> films consiste à refabriquer <strong>des</strong> originaux<br />

(nouveaux négatifs ou contretypes) à partir de copies positives<br />

retrouvées. Eternel et inattendu retour de la notion toute relative<br />

d'original à l'ère de la paradoxale mais bien réelle dématérialisation<br />

conservatrice, la technologie numérique.<br />

" « Un moderne art <strong>des</strong> ruines », Dominique Païni, in <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 9, automnehiver<br />

1996.<br />

Victorin Jasset<br />

Protéa (1913)<br />

Extrait d'un<br />

déroulant reconstitué.


King Vidor<br />

The Family Honor (1920)<br />

Roscoe Karns (au milieu).<br />

SAUVER L'ÉPHÉMÈRE<br />

Claudine Kaufmann et Bernard Martinand<br />

Sauver les films en danger pour ensuite les projeter, fait partie <strong>des</strong> missions prioritaires d'une cinémathèque. Le travail de sauvegarde<br />

<strong>des</strong> films, mal connu, comporte en fait trois opérations distinctes : tirage, sauvegarde, restauration. Un tirage est un simple<br />

report d'une pellicule ancienne sur une neuve. Au terme de ce travail strictement de laboratoire, le film est en principe projetable.<br />

<strong>La</strong> sauvegarde s'effectue la plupart du temps à partir d'un support nitrate, mais parfois acétate ; elle est souvent réalisée en<br />

prévision d'une restauration. C'est l'établissement d'une ou deux nouvelles matrices « safety ». <strong>La</strong> matrice est l'élément de conservation<br />

qui permet de tirer de nouvelles copies.<br />

<strong>La</strong> restauration, dans le cas du cinéma muet, peut aller de la rédaction de nouveaux intertitres jusqu'à une recréation totale,<br />

en partant de diverses copies existantes comparées pour repérer les plans manquants.<br />

Les restaurations relèvent de décisions partiellement subjectives, puisqu'elles impliquent un goût, auxquelles s'ajoutent <strong>des</strong><br />

critères de rareté dans l'histoire du cinéma. En ce sens, chaque restauration est un cas particulier. Notre logique est la remise à<br />

jour d'une collection, qui résulte de choix. Cette collection est également constituée avec les dépôts <strong>des</strong> films sur support nitrate<br />

effectués à partir de 1959, les laboratoires français ayant alors reçu l'interdiction de stocker ce support, facilement inflammable<br />

Résultat de ces contingences et conséquence du goût de <strong>La</strong>nglois, le cinéma américain est très largement représenté dans les collections.<br />

Notre méthode est artisanale, et intégrée au « plan Nitrate », créé en 1990 et coordonné par le Centre national de la cinématographie.<br />

Celui-ci a pour but essentiel de sauvegarder tout le matériel nitrate déposé dans les archives nationales en effectuant <strong>des</strong><br />

reports sur support « safety ». Il durera probablement une quinzaine d'années, jusqu'au transfert de tous les films.<br />

UN PEU D'HISTOIRE<br />

Pour <strong>des</strong> raisons financières, Henri <strong>La</strong>nglois n'a pas fait de<br />

restaurations à proprement parler. Mais quand il décidait une<br />

sauvegarde, la pertinence de ses choix est facilement vérifiable.<br />

Le Friquet par exemple, le premier film de Maurice Tourneur<br />

(1913), récemment restauré, avait fait l'objet d'une intervention<br />

de sa part. L'intégralité du matériel nitrate dont il disposait<br />

pour ce film, malheureusement déjà incomplet à l'époque, avait<br />

été sauvegardé.<br />

<strong>La</strong>nglois a privilégié les films muets : il avait fondé la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

dans ce but, et parce que ce cinéma était encore relativement<br />

proche au début <strong>des</strong> années trente. Léonce Perret,<br />

Maurice Tourneur, Emile Cohl sont ainsi devenus <strong>des</strong> cinéastes<br />

classiques. Mais il est notable que <strong>La</strong>nglois ne procédait pas à<br />

<strong>des</strong> sauvegar<strong>des</strong> par maison de production, Gaumont, Pathé,<br />

Eclair par exemple. Un autre pan sauvegardé fut le cinéma<br />

d'avant-garde <strong>des</strong> années vingt, français, allemand ou américain,<br />

de Richter à Chomette ou Epstein.<br />

Dans les années soixante, <strong>La</strong>nglois avait bénéficié de<br />

moyens financiers pour tirer <strong>des</strong> films (une sorte de « plan Nitrate<br />

» avant la lettre). Ceux-ci ne venaient pas tous <strong>des</strong> collections<br />

de la <strong>Ciné</strong>mathèque, mais d'emprunts à <strong>des</strong> archives<br />

étrangères (États-Unis, Suisse, etc.), à l'usage de la programmation.<br />

À partir de copies 35 mm, il établissait <strong>des</strong> contretypes 2 ,<br />

et en tirait ce qu'on appelait à cette époque un négatif 32 mm,<br />

permettant le tirage de deux copies 16 mm. En outre, cela facilitait<br />

les projections en province. Mais les copies 16 mm s'abîment<br />

plus vite à l'usage. C'est pourquoi depuis deux ou trois<br />

ans, grâce à ces contretypes, nous avons retiré <strong>des</strong> copies 35 mm<br />

(Geschlecht in FesselnlChaînes de Dieterle, Chicago de Frank<br />

Urson, Sunrisell'Aurore de Murnau, etc.). Un travail similaire<br />

est effectué aujourd'hui à partir de contretypes nitrate afin de<br />

redécouvrir certains films dans toute leur splendeur originale,<br />

comme Greed (les Rapaces) de Stroheim ou Underworld (les Nuits<br />

de Chicago) de Sternberg.<br />

Nous effectuons aussi <strong>des</strong> tirages de films qui existent dans<br />

d'autres archives, en fonction de leur importance dans l'his-<br />

1<br />

Le nitrate, comme matériau <strong>des</strong> films, avait été interdit en 1952. À partir de cette<br />

date, tous les films ont été réalisés sur support safety.<br />

2<br />

Les « contretypes-<strong>La</strong>nglois » étaient tirés de copies empruntées à l'extérieur,<br />

mais sur un certain nombre de films, français en grande majorité, il a eu accès au<br />

matériel négatif d'origine et a alors tiré <strong>des</strong> positifs, ce qui explique la très grande<br />

proportion de films étrangers contretypés et ne reflète qu'imparfaitement ses<br />

choix de sauvegarde.


14 - SAUVER L'ÉPHÉMÈRE<br />

toire du cinéma, afin d'assurer leur projection régulière dans<br />

les programmes de la <strong>Ciné</strong>mathèque, ou de compléter l'œuvre<br />

de cinéastes déjà bien représentés dans nos collections.<br />

Tirages, sauvegar<strong>des</strong> et restaurations découlent d'un inventaire<br />

qui s'accomplit dans les locaux du fort de Saint-Cyr, à<br />

l'ouest de Paris. C'est un travail lent, obscur et ingrat, mais qui<br />

depuis douze ans a permis de « découvrir » <strong>des</strong> films.<br />

<strong>La</strong> décision d'inventaire a été prise par la direction de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

en 1983, pour identifier tout le matériel, y compris<br />

négatif. Les personnes qui ouvrent les boîtes devaient aussi établir<br />

les fiches documentaires et identifier les films si besoin. A<br />

l'époque, ce n'était pas la méthode de la plupart <strong>des</strong> autres archives.<br />

D'un côté il y avait en effet la recherche documentaire<br />

perçue comme noble, et de l'autre la vérification technique,<br />

considérée comme une activité manuelle peu gratifiante : relevés<br />

de génériques et diagnostic technique. Dans cette division<br />

du travail, les documentalistes ne visionnaient pas systématiquement<br />

les films, d'où de nombreuses erreurs.<br />

A partir d'un fichier manuscrit confus et approximatif, l'inventaire<br />

a commencé logiquement à partir de la lettre A : visionnage<br />

<strong>des</strong> films, appréciation de leur état physique, vérification<br />

ou établissement de l'information, etc. En 1996, cet inventaire<br />

est parvenu à la lettre }, sans s'interdire <strong>des</strong> incursions<br />

dans les lettres suivantes. Les nouveaux dépôts de films ont été<br />

inclus dans l'inventaire au fur et à mesure de leur arrivée, pour<br />

éviter de devoir recommencer ce travail dans cinquante ans.<br />

L'ARCHIVISTE COMME ENQUÊTEUR<br />

Les premières découvertes ont démontré l'efficacité de cette<br />

méthode. Par exemple, en 1986, une bobine a été trouvée au<br />

titre le Chancelier qui n'était pas un titre de camouflage comme<br />

une légende aurait pu le faire croire. C'était un titre de tournage<br />

ou titre secondaire. Le Chancelier ne se trouvait dans aucune<br />

filmographie, l'autre titre inscrit sur le générique, Beby<br />

inaugure, non plus. Il suffisait cependant de lire que le film était<br />

de Robert Bresson pour comprendre qu'il s'agissait d'un second<br />

titre de son premier film, Affaires publiques. Les titres d'exploitation<br />

de nombreux films variaient par ailleurs d'une province<br />

à une autre. Le film de Pabst, Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs<br />

mystérieuses), aurait été exploité en Alsace sous le titre<br />

Éternel Mystère, auquel il a été retrouvé.<br />

Souvent, les films muets étrangers se présentent sous leur<br />

titre français d'exploitation. Il faut alors faire <strong>des</strong> recherches<br />

pour les rapporter à leur titre d'origine. Situation fréquente :<br />

The Cold Deck, de William Hart (1917), découvert sous le titre<br />

Grand Frère, ou The Matinée Idol, de Frank Capra (1928), appelé<br />

en France Bessie à Broadway. Ces titres d'époque sont maintenant<br />

oubliés, et aucun index ne les répertorie. Avant même le<br />

visionnage du film, Bessie à Broadway a été identifié comme un<br />

film de Capra, grâce au lien établi entre la « Bessie » du titre<br />

français et l'actrice Bessie Love, très populaire en France dans<br />

les années vingt. Il faut donc se garder d'une certaine raideur<br />

archiviste qui regarde uniquement dans la documentation du<br />

pays producteur. Quand l'Honneur du nom a été découvert dans<br />

une copie positive en cinq bobines de 300 mètres chacune, penser<br />

à un obscur mélodrame était une hypothèse possible, mais<br />

pas à The Family Honor de King Vidor, dont la plupart <strong>des</strong> filmographies<br />

donnaient pour titre français une traduction litté-<br />

rale, l'Honneur de la famille.<br />

Le matériel, pour les films muets, parvient la plupart du<br />

temps sous la forme de petits rouleaux de négatif, sans générique<br />

ni intertitres, puisque d'une longueur d'environ vingt<br />

mètres, ils étaient tirés un par un. Une copie positive muette<br />

n'était jamais tirée sur sa longueur, mais faisait l'objet de nombreuses<br />

collures. Les intertitres, qui ne subsistent pratiquement<br />

jamais, étaient montés copie par copie, sur les positifs euxmêmes.<br />

Dans la plupart <strong>des</strong> cas, posséder le matériel négatif<br />

exclut de détenir l'intertitrage et le générique. En l'absence de<br />

ces sources d'information, l'identification requiert <strong>des</strong> connaissances<br />

extra-cinématographiques pour déterminer l'année et le<br />

pays de tournage. Les arts décoratifs et la mode sont d'une aide<br />

précieuse, les fenêtres à guillotine, par exemple, sont anglosaxonnes,<br />

les poignées de porte ron<strong>des</strong> sont américaines. Toute<br />

inscription est mise à contribution : calendriers, affiches, journaux,<br />

devantures de magasin, etc.<br />

L'identification <strong>des</strong> acteurs est bien sûr utile. Par exemple,<br />

dans The Cold Deck reconnaître William Hart a été décisif.<br />

D'autre part, les pellicules Kodak sont codées selon leur année<br />

de production. Mais malheureusement, la pellicule d'origine<br />

nous parvient rarement : le matériel est français, dépourvu de<br />

datation. Dans <strong>des</strong> cas heureux, les plaques minéralogiques <strong>des</strong><br />

voitures américaines peuvent fournir d'excellents renseignements,<br />

puisqu'elles changent annuellement avec l'indication<br />

du millésime. Evidemment, le style de mise en scène permet<br />

aussi de dater : un film titré l'Aiglon, et pour lequel <strong>des</strong> sources<br />

indiquaient une production de 1908, après visionnage, ne pouvait<br />

être de cette année-là. Le scénario ressemblait à la version<br />

sonore de l'Agonie <strong>des</strong> aigles (Roger Richebé, 1933). C'était en<br />

fait une bobine muette d'une version de 1921 de Dominique<br />

Bernard-Deschamps. Dans ce cas, le découpage, la variété <strong>des</strong><br />

axes, permit de dire qu'il s'agissait d'un film beaucoup plus tardif.<br />

Finalement l'important, d'un point de vue archivistique,<br />

est d'être le premier spectateur du film que l'on inventorie, en<br />

dehors de tout préjugé historique.<br />

DE LA VIE DU NITRATE<br />

A terme, le support nitrate est condamné à se décomposer,<br />

mais sa durée de vie, contrairement à une idée reçue, n'est pas<br />

mécaniquement liée à l'âge. Il est faux qu'elle soit de cinquante<br />

ans, comme il est faux qu'il soit sujet à <strong>des</strong> combustions spontanées.<br />

Si cela était vrai, que resterait-il aujourd'hui <strong>des</strong> négatifs<br />

Lumière ? Ils ont pourtant victorieusement traversé le siècle,<br />

en restant d'une étonnante « verdeur ». C'est plutôt dans la relation<br />

étroite qui a toujours existé entre la production cinématographique<br />

et ses conditions économiques qu'il faut chercher<br />

les causes de bien <strong>des</strong> disparitions.<br />

Le cinéma muet, surtout celui <strong>des</strong> années dix, lorsqu'il n'a<br />

pas été victime de <strong>des</strong>tructions volontaires, s'est plutôt bien<br />

conservé, produit d'une époque prospère où le matériel bénéficiait,<br />

au développement et au tirage, de soins attentifs et coûteux.<br />

<strong>La</strong> dépression <strong>des</strong> années trente a impliqué une production<br />

à plus bas prix, et les films <strong>des</strong> premières années du cinéma<br />

sonore nous arrivent souvent dans un triste état - les ban<strong>des</strong>son<br />

plus encore que l'image. L'histoire se répète pendant l'Occupation,<br />

car les priorités économiques sont ailleurs.<br />

Les conditions de stockage sont également déterminantes,<br />

quelle que soit la période de production considérée, bien plus<br />

que l'âge de la pellicule.<br />

DÉTOUR LEXICAL<br />

Dans le cadre du « plan Nitrate », il est nécessaire de sauver<br />

un certain nombre de mètres de films (environ 200 000<br />

mètres). Cette entreprise de sauvegarde consiste à établir <strong>des</strong><br />

internégatifs ou contretypes, <strong>des</strong> interpositifs ou « marrons »<br />

et <strong>des</strong> copies positives avec projection systématique de la copie<br />

neuve afin de valider le travail du laboratoire 3 . Les métho<strong>des</strong><br />

de sauvegarde d'un film sont finalement comparables à celles<br />

utilisées pour la reproduction d'une photographie - par un<br />

amateur : d'un négatif original développé, on tire une photo<br />

positive (ou plus) ; on peut aussi recopier ce négatif (par<br />

exemple s'il commence à s'user) sur une nouvelle matrice, et<br />

retirer d'autres photos.<br />

Le terme de copie restaurée, utilisé y compris par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, est en fait impropre. Il induit un travail sur<br />

une ancienne copie dont les perforations sont endommagées,<br />

ou les collures trop fragiles et qu'on restaure comme un tableau<br />

ancien, ou une tapisserie trouée d'Aubusson. Une fois réparée<br />

par <strong>des</strong> petites mains adroites, cette copie serait projetée,<br />

comme le tableau est exposé. En fait, restaurer un film, c'est travailler<br />

sur <strong>des</strong> éléments préalablement sauvegardés.<br />

A la différence d'un tirage, la finalité d'une sauvegarde (et<br />

d'une restauration) est la constitution de matrices neuves qui<br />

vont permettre le tirage de copies (pour projection ou consultation)<br />

et éventuellement la reproduction de nouvelles matrices<br />

de seconde génération, en cas d'usure ou d'accident de ce matériel.<br />

A partir <strong>des</strong> négatifs <strong>des</strong> films muets (sans intertitres), la<br />

sauvegarde consiste à établir un interpositif, indispensable au<br />

tirage d'une copie de vision (ou d'une copie de travail si le film<br />

est prévu en restauration), afin de toujours donner la chance<br />

aux films d'être vus, même sans intertitres. Dans le cas d'un<br />

film sonore, quel que soit le matériel négatif d'origine, on sauvegarde<br />

en établissant une seule matrice et une copie, car il y a<br />

rarement nécessité de restauration. Dans tous les cas, le nitrate<br />

est toujours gardé, sauf bien sûr en cas de décomposition, qui<br />

oblige à son incinération.<br />

<strong>La</strong> vision <strong>des</strong> nouvelles copies en projection permet aussi<br />

de mieux apprécier certains films, et d'en décider éventuellement<br />

la restauration.<br />

CINQ FILMS, CINQ VERSIONS ORIGINALES<br />

DE LA RESTAURATION<br />

SAUVER L'ÉPHÉMÈRE- 15<br />

Chaque restauration est un cas particulier. Dans celui de Geheimnisvolle<br />

Tiefe, le film de Pabst, l'inventaire a permis de retrouver<br />

une copie d'exploitation en allemand, sous-titrée français,<br />

et une version originale sans sous-titres. Sur la première<br />

copie, le générique était en décomposition mais, dès la première<br />

bobine visionnée, malgré l'ignorance de l'auteur, le film parut<br />

exceptionnel. Il aurait de toute façon, même sans être identifié,<br />

été restauré. Par chance, les deux copies étaient en bobines de<br />

600 mètres, et non de 300 comme c'est l'habitude pour le nitrate.<br />

Elles avaient été enroulées l'une par le début, l'autre par<br />

la fin. Les parties qui étaient décomposées dans une copie,<br />

étaient en bon état dans l'autre. <strong>La</strong> fusion <strong>des</strong> deux copies devait<br />

aboutir à une copie projetable. Mais avant de procéder à<br />

ce travail, il était indispensable de savoir si ce film existait dans<br />

une autre archive. Bernard Eisenschitz a indiqué que le film<br />

n'existait plus nulle part. Production indépendante autrichienne<br />

de 1949, il avait été projeté à Venise la même année,<br />

dans l'indifférence la plus totale, puis avait sombré dans l'oubli.<br />

Henri Colpi a apporté son savoir-faire de monteur pour<br />

mêler les deux éléments de départ et parvenir à une unité de<br />

matériau à la projection. Faire appel à Henri Colpi, qui avait<br />

déjà fait le montage de l'Hirondelle et la Mésange en 1983 4 n'était<br />

pas un hasard, car il faut considérer la restauration comme du<br />

montage. Parfois, c'est le regard d'un cinéaste contemporain<br />

qui est sollicité, par exemple Alain Fleischer pour Un tournage<br />

à la campagne.<br />

L'hommage à Jean Renoir rendu par le Festival de Cannes<br />

en 1994, a été l'occasion de sortir tout le matériel que nous<br />

conservions (dont 110 boîtes indiquées comme chutes de la Partie<br />

de campagne et restées dans leur conditionnement d'origine).<br />

Tout le monde savait que ce matériel était là, mais il restait négligé.<br />

A contrario du print the legend fordien, il a été décidé de<br />

se confronter à la réalité de ces séquences, fussent-elles décevantes.<br />

Or il y avait tous les négatifs <strong>des</strong> rushes non utilisés par<br />

Marguerite Renoir quand elle a fait le montage en 1946, et deux<br />

bobines d'essais d'acteurs, le tout enbon état. Il est possible que<br />

Pierre Braunberger ait voulu garder ce matériel au cas où Renoir,<br />

en revenant <strong>des</strong> États-Unis, veuille refaire le montage. Il<br />

a demandé aux laboratoires Éclair de déposer ce matériel à la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque en 1962. Il a fallu retrouver la continuité du tournage<br />

en partant de A jusqu'à S, car ce sont <strong>des</strong> lettres, et non<br />

5 Les critères de validation sont : que le copie ne soit ni « laiteuse » (manque de<br />

contrastes), ni charbonneuse (excès de contrastes), tout en tenant compte cependant<br />

de l'état du matériel au départ.<br />

4 Les six heures de rushes de l'Hirondelle et la Mésange se trouvaient dans un blockhaus<br />

en province. Ce film d'Antoine, refusé par le distributeur, avait surpris par<br />

son caractère documentaire. Il était donc resté à l'état de rushes. <strong>La</strong>nglois en ignorait<br />

sans doute l'existence, sinon il en aurait sûrement effectué une sauvegarde :<br />

son admiration pour Antoine est connue. Mais il n'avait probablement pas une<br />

vision complète de sa collection, car il a été submergé dans les années soixante<br />

par un raz de marée de matériel, à cause de l'interdiction faite aux laboratoires<br />

de stocker le nitrate, et il était aussi mobilisé par l'installation au palais de Chaillot.<br />

On sous-estime souvent le facteur financier, et Henri <strong>La</strong>nglois, qui disposait de<br />

peu de moyens, n'a jamais pu entreprendre un inventaire.


16 - SAUVER L'ÉPHÉMÈRE<br />

Roberto Rossellini<br />

India, Matri Buhmi<br />

(1959).<br />

comme c'est l'habitude <strong>des</strong> chiffres, qui identifient les séquences<br />

et qui sont inscrites sur les claps. L'image et le son<br />

étaient séparés, il a donc fallu les réunir, écouter les négatifsson<br />

afin d'entendre la lettre à laquelle ils correspondaient. Un<br />

premier montage a été ensuite effectué, dans la continuité chronologique<br />

du scénario, soit plus de quatre heures. Alain Fleischer<br />

en a réalisé une version d'une heure et demie. <strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

a en outre fait une sauvegarde de l'ensemble du matériel,<br />

consultable pour les chercheurs sur un support vidéo.<br />

Le Friquet (1913) est apparu sous son bon titre. C'était un négatif<br />

nitrate en très mauvais état. Il n'existait dans aucune autre<br />

archive. Le matériel positif que <strong>La</strong>nglois avait tiré du négatif<br />

nitrate, déjà incomplet dans les années soixante, a été également<br />

retrouvé. Mais depuis, le négatif s'était dégradé. Il a fallu<br />

repartir de cette copie tirée par <strong>La</strong>nglois (un très beau tirage<br />

<strong>des</strong> laboratoires Boyer), plus complet que ce qui reste actuellement<br />

du négatif, puis une autre boîte a été retrouvée au titre le<br />

Briquet. Le matériel de <strong>La</strong>nglois a été contretypé et a servi de<br />

copie-travail. Il ne manque désormais qu'un quart du film. Sabine<br />

Lenk s'est procurée le roman de Gyp et la pièce de Willy.<br />

<strong>La</strong> reconstitution de l'intertitrage fut assez compliquée. Un scénario<br />

de la version américaine, où les noms <strong>des</strong> personnages<br />

étaient changés, a cependant aidé à sa rédaction.<br />

Les mauvais films ont souvent besoin d'intertitrage. Au<br />

contraire, dans le cas du film de Tourneur, les plans transmettent<br />

une large part <strong>des</strong> enjeux dramatiques. <strong>La</strong> place <strong>des</strong> intertitres<br />

peut être repérée par un faux raccord évident entre deux<br />

plans. Une fois rédigés, ils sont envoyés au laboratoire pour<br />

choisir un graphisme de caractères et les tirer sur un support<br />

film. Les intertitres que l'on recrée ne doivent pas forcément<br />

tenter d'imiter le langage de l'époque, ni le moderniser. En revanche,<br />

il faut parfois alléger un intertitrage surabondant. Dans<br />

le cas de la Lutte pour la vie, (Leprince-Zecca, 1914), le scénario<br />

et l'intertitrage d'origine ont été retrouvés à la bibliothèque de<br />

l'Arsenal, mais la masse <strong>des</strong> intertitres très moralisateurs alourdissait<br />

les plans et donnait plus à lire qu'à voir. Outre qu'il est<br />

impossible de s'abstraire de sa propre époque, la détermination<br />

de ce qui vaut comme la version originale, pour le cinéma<br />

muet, est souvent problématique car à l'époque de la sortie <strong>des</strong><br />

films, les versions pouvaient varier. Les films nous parviennent<br />

souvent dans <strong>des</strong> états lacunaires, en plusieurs versions différentes,<br />

avec parfois <strong>des</strong> montages contradictoires. Mais jamais<br />

une image n'est enlevée lors d'une restauration.<br />

The Cold Deck est arrivé à l'inventaire sous le titre Grand<br />

Frère. Aux États-Unis et ailleurs, le film était considéré comme<br />

perdu. Il a donc été décidé de le restaurer. Pour l'intertitrage,<br />

il n'existait que <strong>des</strong> flash-titles, c'est-à-dire l'intertitre écrit sur<br />

une seule image, en anglais. Mais cette image était parfois grattée,<br />

pour être recouverte par d'autres indications. Ce qui était<br />

encore lisible a été relevé. Aux États-Unis, Richard Koszarski a<br />

retrouvé le scénario d'avant tournage, pourvu d'intertitres plus<br />

développés que les textes <strong>des</strong> flash-titles, prouvant donc qu'ils<br />

avaient été retravaillés et allégés après le tournage. Les textes<br />

anglais ont ensuite été traduits en français sur le même carton,<br />

pour obtenir une copie bilingue.<br />

RETOUR VERS LE FUTUR<br />

SAUVER L'ÉPHÉMÈRE-17<br />

<strong>La</strong> restauration de films plus récents, ou d'autres datant au<br />

contraire d'avant le début du siècle, pose <strong>des</strong> problèmes techniques<br />

particuliers qui nécessitent un recours aux nouvelles<br />

technologies.<br />

Roberto Rossellini avait donné à Henri <strong>La</strong>nglois la seule<br />

copie de la version française d'India, version qu'il considérait<br />

comme l'originale et qui fut celle présentée au Festival de<br />

Cannes en mai 1959. Cette copie, perdue puis retrouvée, perdait<br />

cette fois ses couleurs qui viraient toutes au rouge. Grâce<br />

aux compétences techniques acquises par le laboratoire Neyrac-Films,<br />

une restitution au plus proche <strong>des</strong> couleurs d'origine<br />

a pu être menée à terme. De même le son, qui était étouffé, a<br />

été éclairci et rendu de nouveau très audible.<br />

De la même façon, au début <strong>des</strong> années soixante-dix, Youssef<br />

Chahine avait remis à <strong>La</strong>nglois l'unique copie 70 mm du<br />

seul film coproduit par l'Égypte et l'URSS, An-Nil Oual Hayat<br />

(Un jour, le Nil). Pour <strong>des</strong> raisons politiques, le film fut censuré<br />

et Chahine obligé de le remonter, de rajouter <strong>des</strong> scènes et <strong>des</strong><br />

personnages, de changer le titre. Si bien que la première version<br />

donnée à la <strong>Ciné</strong>mathèque, la seule valable aux yeux du<br />

réalisateur, n'avait jamais été vue. Il a donc fallu passer du format<br />

70 mm, inexploitable à l'heure actuelle, à un format scope<br />

35 mm. Grâce au même laboratoire que pour India, cette<br />

prouesse technique a été réalisée. Aujourd'hui, et pour la première<br />

fois, An-Nil Oual Hayat est un film visible.<br />

<strong>La</strong> question du format et de son report sur pellicule 35 mm<br />

s'est reposée avec acuité pour parvenir à restaurer et montrer<br />

les films chronophotographiques d'Étienne-Jules Marey (1890-<br />

1900). A l'origine, ces « films » scientifiques, soit quatre cents<br />

négatifs nitrate d'un format variant entre 58 mm et 90 mm,<br />

d'une longueur comprise entre 80 cm et 1 mètre, et dont la finalité<br />

première n'était pas de servir pour une projection, ont<br />

été donnés à la <strong>Ciné</strong>mathèque par Lucien Bull, un élève de<br />

Marey. <strong>La</strong> restauration procède image par image : chacune est<br />

numérisée point par point, puis recopiée intégralement sur<br />

bande magnétique. Chaque secteur de cette image est ensuite<br />

traité avec une précision millimétrique : dérayage, stabilisation<br />

de l'image, harmonisation de l'éclairage, restauration <strong>des</strong> parties<br />

abîmées par prélèvement dans une image « saine » d'une<br />

partie équivalente. Ainsi, peut-on « reconstruire » un bout de<br />

mur manquant ou rendre son museau à un cheval... Bien sûr,<br />

ce type nouveau de restauration qui ne connaît pas de limites,<br />

doit impérativement s'en fixer pour ne pas basculer dans la représentation<br />

virtuelle. À terme (la restauration est en cours),<br />

ces ban<strong>des</strong> seront reportées sur une pellicule 35 mm et projetées.<br />

Ce sont quelques exemples de cette vie mal connue <strong>des</strong><br />

films, avant qu'ils soient rendus à la lumière <strong>des</strong> projecteurs et<br />

aux regards <strong>des</strong> spectateurs contemporains. À cette restitution,<br />

il faut ajouter une évaluation historique et critique, nécessaire<br />

à la mise en perspective de ces films et à l'exercice du goût, sans<br />

lesquels cette restitution relèverait de la piété : telle est l'ambition<br />

<strong>des</strong> films et <strong>des</strong> textes ici réunis.


AVERTISSEMENT<br />

Les noms et informations en romain dans les<br />

génériques proviennent chaque fois de la copie<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française. L'italique désigne une<br />

ou <strong>des</strong> sources documentaires extérieures à la<br />

copie et dont les références sont mentionnées<br />

dans la bibliographie générale. Si une<br />

documentation particulière a aussi été utilisée,<br />

ses références apparaissent au bas du relevé du<br />

générique.<br />

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE<br />

Henri Bousquet : Catalogue Pathé, <strong>des</strong> années<br />

1896 à 1914 ; 1907-1909 (H. Bousquet, 1993),<br />

1910-1911 (idem, 1994), 1912-1914 (idem,<br />

1995).<br />

Raymond Chirat, Éric Le Roy : Catalogue <strong>des</strong><br />

films français de fiction 1908-1918,<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française, 1995.<br />

Raymond Chirat : Catalogue <strong>des</strong> films français<br />

de long métrage,'films de fiction ; 1919-1929<br />

(<strong>Ciné</strong>mathèque de Toulouse, 1984), 1929-<br />

1939 (<strong>Ciné</strong>mathèque royale de Belgique,<br />

1981), 1940-1950 (<strong>Ciné</strong>mathèque municipale<br />

de Luxembourg, 1981).<br />

<strong>La</strong> Saison cinématographique : 1945-1947 (la<br />

Revue du <strong>Ciné</strong>ma, 1983), 1948-1949 (idem,<br />

1984), 1950-1951 (idem, 1985).<br />

The American Film Institute Catalog, feature<br />

films : 1911-1920 (University of California<br />

Press, 1988), 1921-1930 (R.R. Bowker<br />

Company, 1971), 1931-1940 (University of<br />

California Press, 1993).<br />

The Motion Picture Guide, Cinebooks,<br />

Chicago, 1985.<br />

ABRÉVIATIONS<br />

Real. : Réalisation.<br />

Prod. : Production (producteur).<br />

Dir. de prod. : Directeur de production.<br />

Prod. ass. : Producteur associé.<br />

Adapt. : Adaptation.<br />

Se. : Scénario.<br />

Dial. : Dialogues.<br />

Asst. réal. : Assistant réalisation.<br />

Dir. ph. : Direction de la photographie.<br />

Dir. art. : Direction artistique.<br />

Dec. : Décors.<br />

Cost. : Costumes.<br />

Maq. : Maquillage.<br />

Mont. : Montage.<br />

Mus. : Musique.<br />

Int. : Interprétation.<br />

Date de sortie (première projection publique<br />

dans le pays d'origine).<br />

Métrage, minutage copie Cf. (vitesse de<br />

projection conseillée).<br />

Doc. : Documentation.<br />

ETIENNE-JULES MAREY<br />

FILMS CHRONOPHOTOGRAPHIQUES<br />

1890-1900 - Etienne-Jules Marey<br />

Réal. : Etienne-Jules Marey, Georges Demeny, Félix<br />

Regnault, Lucien Bull, Pierre Noguès, Maxime Guérin-<br />

Catelain. Principaux lieux de tournage : Station<br />

physiologique, École de loinville, Naples. Noir et<br />

blanc. Doc. : Remerciements à <strong>La</strong>urent Mannoni.<br />

Restauration numérique et report sur pellicule<br />

35 mm de quatre cents négatifs originaux<br />

sur celluloïd Eastman ou Balagny, au<br />

format variant entre 58 mm et 90 mm. Liste<br />

<strong>des</strong> sujets par catégorie (les catégories ont été<br />

déterminées par Lucien Bull) : Homme (41),<br />

Homme athlète (42), Homme cycliste (10),<br />

Homme. Mouvements divers (30), Homme.<br />

Escrime (7), Homme. Jeux divers (10),<br />

Homme. Mouvements <strong>des</strong> membres (18),<br />

Homme nègre (44), Homme parlant (5),<br />

Homme soldat (6), Âne (4), Chat (11), Cheval<br />

(75), Chèvre (6), Chien (17), Insecte (10),<br />

<strong>La</strong>pin (32), Mouton (17), Oiseau (6), Poisson<br />

(3), Poule (6).<br />

LES RELIQUES EN ROULEAUX<br />

On les appelle films, ce qui sous-entend<br />

films de cinéma, tandis que les photographes<br />

parlent aussi de leur « film »<br />

(un rouleau pelliculaire progressivement<br />

déroulé dans la boîte noire). Mais peu importe<br />

après tout à quelle vitesse se succèdent<br />

les impressions d'<strong>images</strong> sur la<br />

bande. Car les films de Marey sont cela<br />

avant tout : une suite d'<strong>images</strong> sur une<br />

surface qui se dévide ; et un objet singulier<br />

qui n'est ni le film de cinéma, ni le film<br />

de photographe - d'un statut intermédiaire,<br />

comme transitoire entre ces deux<br />

états qui n'existent pas vraiment comme<br />

tels dans cet objet (le fixe et l'animable).<br />

C'est une étape, disent les historiens,<br />

mais aussi un cul de sac de l'illumination<br />

technique. Car chaque innovation du dispositif<br />

de production génère ses propres<br />

délimitations, ses irréductibilités, et ses<br />

impossibilités d'adaptation. Un dispositif<br />

technique tel que celui de la « chronophotographie<br />

sur pellicule mobile » de<br />

Marey (1889) reste exclusif, isolé, univoque<br />

et incompatible même avec les systèmes<br />

les plus proches. Et si le dispositif<br />

n'est pas entériné, ou s'il devient rapidement<br />

caduc, il sera désormais impossible<br />

de retraiter les <strong>images</strong> produites, dans les<br />

conditions initialement prévues. C'est ce<br />

qui se produit avec les « films » de Marey<br />

comme avec tant d'artefacts du précinéma<br />

: privés de leurs racines, de leur<br />

matrice, et orphelins de leur devenir. Un<br />

contenu extensif et potentiel, mais sans<br />

contenant exploitable.<br />

Pourtant, l'invention chronophotographique<br />

de Marey est une invention<br />

décisive, une avancée qui commande<br />

toutes les autres. <strong>La</strong> bande pelliculaire<br />

qui se déplace par sacca<strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> peut<br />

passer pour une idée simple, mais ne devient<br />

une évidence qu'a posteriori, lorsqu'on<br />

constate qu'elle est de l'ordre du<br />

possible et qu'elle « fonctionne ». Mais<br />

dès lors, elle est aussi soumise au désaveu<br />

inscrit dans l'inéluctable progrès <strong>des</strong><br />

innovations. Les poubelles de l'histoire<br />

ÉTIENNE-1ULES MAREY - 21<br />

<strong>des</strong> techniques (et <strong>des</strong> musées) débordent<br />

de solutions de génie qui n'eurent qu'un<br />

temps, celui d'une idée non-viable selon<br />

les lois de la génétique industrielle et du<br />

développement <strong>des</strong> systèmes.<br />

Une chronophotographie de Marey<br />

reste donc un objet spécifique inadaptable<br />

à d'autres systèmes de visionnement<br />

(et notamment à cette monstruosité<br />

de lisibilité factice que l'on appelle le cinématographe<br />

: ni sa mécanique de précision<br />

ni son esprit de suite ne sont en<br />

phase avec un système-Marey). Son inadéquation<br />

à d'autres modalités mécaniques<br />

se double ici d'une défiance de<br />

l'intention : Marey prétendait que « la<br />

projection ne pouvait rien lui apprendre<br />

de plus que l'analyse attentive du cliché »<br />

(Lucien Bull, 1954).<br />

Un « film chronophotographique » de<br />

1892 ne peut donc être consulté (abordé,<br />

lu, entériné, scruté, analysé) que par différents<br />

mo<strong>des</strong> de visionnement, potentiellement<br />

licites en 1892 :<br />

- en décalquant les formes sur du papier<br />

transparent et en superposant les<br />

calques (une forme de parfaite permanence<br />

rétinienne),<br />

- en rassemblant pêle-mêle ces formes<br />

sur un seul <strong>des</strong>sin (l'improbable<br />

combinaison du mille-pattes et de l'éventail),<br />

- en les observant au ralenti (en accéléré)<br />

dans un zootrope (la forme la plus<br />

heuristique de projection animée),<br />

- ou enfin (si l'on y tient vraiment) en<br />

les projetant avec un bec Auer sur une<br />

surface restreinte - ce qu'admettait<br />

Marey, à la rigueur. De toutes ces solutions,<br />

celle que nous attendons parce que<br />

nous sommes modernes (c'est-à-dire inféodés<br />

au cinéma) - la dernière - est la<br />

moins agréable, la moins utile et la moins<br />

bénéfique - donc la moins légitime - aux<br />

yeux de son inventeur. Il y aurait donc<br />

lieu d'en restaurer les modalités initiales.<br />

Un enregistrement est aussi (l'étymologie<br />

le valide) un registre d'expérience,<br />

un livre de comptes auquel on accède<br />

page par page, image par image, serait-


22 - FRANCE<br />

ce dans le désordre - un jeu de cartes que<br />

l'on abat dans l'attente d'en tirer le joker,<br />

cette image dans laquelle on verra autre<br />

chose (et si l'on projetait le film, la chose<br />

ne serait plus qu'une image subliminale).<br />

Restaurer, ce devrait être aussi rétablir<br />

une intégrité, une dignité de l'objet<br />

technique ; redonner une aura, c'est-àdire<br />

étendre la souveraineté de l'image,<br />

accroître ses pouvoirs. Et il y a chez<br />

Marey une recherche systématique du<br />

pouvoir voir qui demande à être restaurée...<br />

Le système-Marey consiste à produire<br />

<strong>des</strong> <strong>images</strong> à forte concentration<br />

d'information sur <strong>des</strong> sujets aussi inexplorés<br />

que peu attendus, constituant un<br />

vocabulaire de base du mouvement-ensoi,<br />

la stratigraphie méticuleuse d'une archéologie<br />

de ce-qui-bouge. Toutes délicatesses<br />

à exhumer, qui disparaîtraient<br />

dans une projection de type cinématographique.<br />

Restaurer ces films, c'est en<br />

conserver toutes les strates, tous les niveaux<br />

ouverts sur un traitement à venir,<br />

et redistribuer les modalités de visionnement<br />

(<strong>images</strong> isolées, planche de l'ensemble<br />

<strong>des</strong> vues, défilement à vitesse variable,<br />

projection), telles que Marey les<br />

aurait appréciées.<br />

Si l'on me permet un souvenir, ce<br />

pourrait être un « rêve fait à Boulogne » :<br />

il m'est arrivé, en 1976 sans doute, d'avoir<br />

accès - dans l'enceinte de l'Institut Marey<br />

du Bois de Boulogne - à l'ancien bureau<br />

de Lucien Bull, élève du maître. Ce bureau<br />

était resté inoccupé, et fermé à clé,<br />

les chercheurs du Collège de France qui<br />

avaient investi l'établissement le considérant<br />

comme zone neutre et protégée. Je<br />

dus cette faveur à l'intérêt paradoxal (et<br />

déplacé) que je portais aux travaux de<br />

l'ancêtre... Je pus m'asseoir dans le fauteuil<br />

de Bull et je vis bien vite alors, derrière<br />

moi, le meuble de classement à tiroirs<br />

plats, que je reconnus comme celui<br />

qui avait contenu les fameux films de<br />

Marey. Ces tiroirs étaient maintenant<br />

vi<strong>des</strong>, mais je les connaissais par une pho-<br />

tographie parue dans France-Illustration.<br />

C'était alors le seul indice pour moi, de<br />

l'existence de ces films et de leur survie<br />

(un temps, au moins), à un moment où<br />

on en avait perdu la trace. Surtout, j'avais<br />

pu lire les titres manuscrits bien visibles,<br />

inscrits sur les bagues de papier qui entouraient<br />

ces rouleaux serrés : « Homme<br />

nu lançant une roue », « main flexion et<br />

extension », « main ouverte puis fermée<br />

», « parole », « gestes » qui résonnaient<br />

étrangement pour moi dans ce<br />

contexte <strong>des</strong> années soixante-dix qui mêlait<br />

le body art et la sémiologie, l'image de<br />

soi et la séquence photographique... Je ne<br />

pouvais donc qu'en rêver les <strong>images</strong> au<br />

vu de ces indications sommaires.<br />

J'avais également supposé que ces<br />

films puissent avoir quitté leurs alvéoles<br />

pour rejoindre la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />

à l'occasion d'un don que fit Lucien<br />

Bull. Ils ne devaient y être retrouvés et répertoriés<br />

qu'en 1987. Les voir n'est donc<br />

plus du domaine du rêve, mais une prérogative<br />

de la conjoncture technologique<br />

qui pourrait restaurer ces films dans un<br />

état de visibilité (entre le fixe et l'animable)<br />

conforme aux intentions et à l'esprit<br />

de l'inventeur (i.e. sans les transformer<br />

d'autorité en un cinéma primitif).<br />

Les films chronophotographiques de<br />

Marey sont formés d'une bande de celluloïd<br />

transparent à laquelle adhère une<br />

couche de gélatino-bromure d'argent,<br />

d'environ 80 centimètres à 1 mètre de<br />

long, de 9 centimètres de large. Ils comportent<br />

en moyenne une quinzaine<br />

d'<strong>images</strong> non équidistantes, d'exposition<br />

lumineuse, obtenus à <strong>des</strong> vitesses variables,<br />

dans un chronophotographe à<br />

pellicule mobile (Marey en breveta plusieurs<br />

modèles de 1890 à 1898). Mais du<br />

fait de la rétraction de la gélatine, ces<br />

ban<strong>des</strong> ont une tendance naturelle à s'enrouler<br />

sur elles-mêmes pour former un<br />

rouleau qui ne peut être étalé au risque<br />

de le rompre. Tels qu'ils ont traversé le<br />

siècle, les films de Marey sont <strong>des</strong> rouleaux<br />

compacts de la taille d'un cigare,<br />

ÉTIENNE-JULES MAREY - 23<br />

« bagués » d'une feuille de papier sur laquelle<br />

une main de clerc avait inscrit le<br />

« sujet » comme on l'aurait fait <strong>des</strong> chapitres<br />

d'un précieux Traité (ce qu'ils sont<br />

aussi assurément). Dans leur compacité<br />

têtue à ne pas se révéler, ces rouleaux sont<br />

désormais à conserver comme <strong>des</strong> objets<br />

de croyance dont le contenu réel nous est<br />

inaccessible, d'antiques actes de foi, <strong>des</strong><br />

objets d'un âge nouveau dans lesquels le<br />

temps de chaque pose se replie sur luimême,<br />

en une spirale d'<strong>images</strong> pressée<br />

par leur force d'attraction.<br />

Il y a donc urgence à les restaurer, autrement<br />

dit à leur redonner vie et vue<br />

dans le même mouvement.<br />

Michel Frizot<br />

<strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française a coproduit en 1995 Préambule<br />

au cinématographe : Étienne-Jules Marey, une<br />

réalisation de Jean-Dominique <strong>La</strong>joux, avec un commentaire<br />

écrit par Michel Frizot (ndlr).


24- FRANCE<br />

SECUNDO DE CHOMON<br />

EL HADA PRIMAVERA<br />

LA FÉE PRINTEMPS<br />

1902 - Segundo de Chomôn<br />

Réal. : Segundo de Chomôn (Espagne).<br />

Effets spéciaux : Segundo de Chomôn. Une deuxième<br />

version de la Fée printemps a été tournée par Segundo<br />

de Chomôn, chez Pathé, en 1906.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 65 m., 4 mn (à 16 i/s).<br />

Couleurs (pochoir). Doc. : Juan Gabriel Tharrats : Los<br />

500 films de Segundo de Chomôn, Zaragoza, 1988.<br />

Henri Bousquet, Riccardo Redi : Pathé Frères, 1896-<br />

1906, Quaderni di cinéma, 1992.<br />

L'hiver. Un couple vivant dans la forêt<br />

recueille une vieille femme transie qui, subitement,<br />

se transforme en fée. Elle demande à ses<br />

bienfaiteurs leur souhait le plus cher. Un enfant<br />

? Elle arrête l'hiver, fait venir le printemps,<br />

cueille un bouquet qu'elle offre à la<br />

femme et disparaît. Deux beaux bébés émergent<br />

<strong>des</strong> fleurs.<br />

ALADIN<br />

OU LA LAMPE MERVEILLEUSE<br />

1906-Albert Capellani<br />

Réal. : Albert Capellani. Prod. : Pathé.<br />

Auteur : d'après un <strong>des</strong> Contes <strong>des</strong> Mille et Une Nuits.<br />

Dir. ph. : Segundo de Chomôn.<br />

Effets spéciaux : Segundo de Chomôn. Déc. : Hugues<br />

<strong>La</strong>urent. Métrage, minutage copie Cf. : 201 m., 11 mn<br />

(à 16 i/s). Intertitres français. Couleurs (pochoir).<br />

Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />

Aladin,fils d'un pauvre tailleur, aime la<br />

fille du sultan. Or, un sorcier l'envoie un jour<br />

au centre de la terre d'où le brave garçon ramène<br />

une lampe contenant un génie exauçant<br />

tous les vœux. Riche désormais, Aladin<br />

épouse la princesse. Mais le sorcier dérobe<br />

l'objet magique et revoilà notre homme aussi<br />

pauvre qu'avant. Finalement, il retrouve le<br />

voleur, le poignarde, récupère sa lampe et sa<br />

femme.<br />

LES DES MAGIQUES<br />

1907 ou 1908 - Segundo de Chomôn<br />

Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />

Dir. ph. : Segundo de Chomôn.<br />

Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 137 m., 7 mn (à 16 i/s).<br />

Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />

Sur une scène, suite d'apparitions et disparitions<br />

de personnages, transformations,<br />

multiplications autour de la figure centrale<br />

d'un dé à jouer. Un prestidigitateur orchestre<br />

<strong>des</strong> compositions avec ces cubes numérotés et<br />

finit lui-même par disparaître dans l'un<br />

d'entre eux avant de revenir saluer.<br />

LA LEGENDE DU FANTOME<br />

1908 - Segundo de Chomôn<br />

Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />

Se. : Segundo de Chomôn. Dir. ph. : Segundo de<br />

Chomôn. Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 288 m., 16 mn (à 16<br />

i/s). Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op.<br />

cit.<br />

Dans un cimetière, une jeune femme rencontre<br />

un fantôme qui lui demande d'aller<br />

chez Satan et de ramener une bouteille de vie.<br />

Accompagnée de quelques soldats revenus<br />

d'entre les morts, et à bord d'un étrange véhicule,<br />

elle <strong>des</strong>cend dans les entrailles de la<br />

terre. Une lutte féroce s'engage avec <strong>des</strong> diablotins<br />

pyrotechniciens. Seule rescapée de<br />

cette expédition infernale, la vaillante guerrière<br />

entame une remontée. Après une visite<br />

fort poétique <strong>des</strong> fonds marins, elle tend enfin<br />

l'elixir à celui qui l'attend. Alors, le fantôme<br />

redevient le prince qu'il était. Tout se termine<br />

au ciel par un mariage.<br />

CAUCHEMAR ET DOUX REVE<br />

1908 - Segundo de Chomôn<br />

Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />

Se. : Segundo de Chomôn. Dir. ph. : Segundo de<br />

Chomôn. Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />

Int. : julienne Mathieu.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 97 m., 5 mn (à 16 i/s).<br />

Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />

Une courtisane s'endort sur un banc au<br />

bord d'un étang. Un mauvais génie vien t peupler<br />

son sommeil d'un cauchemar ; elle est<br />

torturée par <strong>des</strong> nains dans une antre infernale<br />

où coule une rivière de diamants. Mais<br />

une bonne fée se penche sur la jeune fille endormie<br />

et lui insuffle le doux rêve d'être aimée<br />

par un galant homme. Au réveil, elle réalise<br />

que le rêve n'est pas la réalité; celui qui lui<br />

baise la main n'est qu'un vieux grigou.<br />

TRANSFORMATIONS<br />

AMUSANTES<br />

1908 ou 1909 - Segundo de Chomôn<br />

Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />

Se. : Segundo de Chomôn. Dir. ph. : Segundo de<br />

Chomôn. Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />

Int. : France Mathieu.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 95 m., 5 mn (à 16 i/s).<br />

Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />

Une magicienne met le feu à divers figurines<br />

et petits objets. Ils brûlent, se consument<br />

et, de leurs cendres, naissent d'autres<br />

formes par une sorte de combustion à l'envers.<br />

Puis, la jeune femme évolue dans unjardin<br />

féérique, peuplé de jolies créatures avant<br />

qu'un rideau de fumée ne recouvre le tout.<br />

SECUNDO DE CHOMÔN - 25<br />

El Hada Primavera<br />

(la Fée Printemps)<br />

Aladin ou la <strong>La</strong>mpe<br />

merveilleuse


26 - FRANCE<br />

UN FEU D'ARTIFICES<br />

Un génie bossu et débonnaire surgit<br />

d'un nuage de fumée, une jeune femme<br />

romanesque rêve à <strong>des</strong> tortures infernales,<br />

une bonne fée arrête la neige et fait<br />

éclore une floraison printanière...<br />

Segundo de Chomôn travaille du<br />

début du siècle à 1929 sur environ cinq<br />

cents films ; opérateur, réalisateur, scénariste<br />

ou créateur d'effets spéciaux, il est<br />

avant tout homme de spectacle, en ces<br />

temps reculés où le cinématographe ne<br />

fait pas encore « du cinéma ». Né en 1871<br />

à Teruel (Espagne), Chomôn appartient<br />

à ce XIX e siècle qui recycla, pour le meilleur<br />

et pour le pire, toutes les époques antérieures,<br />

jusqu'à ce que ces emprunts hétéroclites<br />

deviennent son style propre.<br />

Pour Chomôn, il s'agit de créer du merveilleux,<br />

et tous les moyens sont bons. Il<br />

utilise indifféremment dans le même film<br />

les machineries scéniques issues du théâtre<br />

et les possibilités inexplorées offertes<br />

par le cinéma. Le squelette volant, les<br />

transformations de l'héroïne en guerrière,<br />

ou du fantôme en Prince charmant,<br />

dans la Légende du fantôme, doivent leur<br />

efficacité à la technique nouvelle ; mais la<br />

longue visite <strong>des</strong> fonds marins s'effectue<br />

par une succession de levers de rideau<br />

sur <strong>des</strong> décors aquatiques, qui donne<br />

l'illusion de l'écoulement du temps. Dans<br />

les Dés magiques, le prestidigitateur se<br />

trouve carrément sur scène, souriant à un<br />

public absent. <strong>La</strong> caméra filme en plan<br />

fixe, depuis le fauteuil d'orchestre. L'espace<br />

scénique est le lieu de convention assumé,<br />

et les artifices <strong>des</strong> raccords, loin de<br />

chercher à établir une durée cinématographique,<br />

sont utilisés pour que coïncident<br />

le temps du film et le temps du numéro,<br />

dans un illusoire plan-séquence.<br />

<strong>Ciné</strong>ma et théâtre traités en égaux ! Le<br />

cinéphile traditionnel, voyeur individualiste,<br />

est souvent hermétique aux plaisirs<br />

de la scène, le poids de cette réalité qui se<br />

construit devant lui l'ennuie et l'oppresse,<br />

parfois jusqu'au malaise. Cet inconfort<br />

le rend sévère à l'égard du cinéma<br />

primitif, qui n'avait certes pas ces préoccupations,<br />

et l'archiviste collecteur de<br />

faits est ici plus à son affaire que le fétichiste<br />

collectionneur d'<strong>images</strong>.<br />

Les trucages sont encore rudimentaires<br />

: substitution, inversion <strong>des</strong> mouvements,<br />

surimpressions, mais leur simplicité<br />

seule n'explique pas la distance<br />

presque infranchissable qui s'est établie<br />

entre ces films et nous. Pour le public de<br />

la fin du XX e siècle, les effets spéciaux servent<br />

à la création « d'authentiques » univers<br />

fictifs, l'imaginaire doit être visuellement<br />

crédible, et les anticipations les<br />

plus improbables constituent aussi <strong>des</strong><br />

documentaires sur un futur inventé. En<br />

1945 déjà, le féerique de la Belle et la Bête<br />

était « réaliste ». Or Chomôn ou ses rivaux<br />

ne cherchaient pas à « faire vrai »,<br />

et le souci d'économie ou l'indulgence<br />

d'un public facilement conquis n'expliquent<br />

pas tout. Aladin, coiffé d'un<br />

étrange chapeau de concierge parisien,<br />

cherche la princesse dans une ville orientale<br />

inspirée <strong>des</strong> gravures du XIX e siècle ;<br />

les vases d'où jaillissent les pièces d'or<br />

sont traités en grisaille, et les contours incertains<br />

<strong>des</strong> couleurs au pochoir accentuent<br />

plus qu'ils ne combattent l'aplat de<br />

l'image. Dans la Légende du fantôme, la nature<br />

est reproduite sans souci de trompel'œil,<br />

les fleurs sortent du plancher,<br />

rai<strong>des</strong> et disciplinées, et pas un pétale ne<br />

bouge.<br />

Parfois le film obtient une permission<br />

de sortie <strong>des</strong> studios : la rêveuse de Cauchemar<br />

et doux rêve s'endort dans le cadre<br />

bucolique d'un jardin au bord d'un<br />

étang. Ailleurs, montées sur <strong>des</strong> chars,<br />

<strong>des</strong> guerrières échappées de l'enfer nous<br />

promènent en forêt (la Légende du fantôme).<br />

<strong>La</strong> séquence est longue, et sans<br />

autre événement que les passages répétés<br />

de demoiselles souriantes traversant<br />

le champ de la caméra ; la quête difficile<br />

de l'élixir de vie prend ainsi <strong>des</strong> allures<br />

de corso fleuri, mais le décor naturel<br />

reste... un décor. Il arrive que le cinéma<br />

surgisse <strong>des</strong> enfers, où le mouvement <strong>des</strong><br />

flammes sculpte <strong>des</strong> profondeurs plus<br />

mystérieuses que les grottes en cartonpâte<br />

peuplées de diablotins inoffensifs.<br />

Guerrière héroïque, courtisane alanguie,<br />

princesse orientale, la Femme est souveraine,<br />

c'est elle l'attraction principale <strong>des</strong><br />

films de Chomôn. Là où sa présence n'est<br />

pas indispensable, elle rusera pour s'imposer<br />

malgré tout, travestie en magicien,<br />

en Prince charmant ou en soldat. Elément<br />

décoratif inévitable <strong>des</strong> apothéoses, elle<br />

naît <strong>des</strong> parterres de fleurs ou du fond de<br />

la mer. Le spectateur espérait l'incarnation<br />

<strong>des</strong> créatures sinueuses de Mucha :<br />

il regarde, dubitatif et amusé, ces danseuses<br />

rebondies et maladroites qui faisaient<br />

sans doute rêver ses ancêtres.<br />

Transformations amusantes est heureusement<br />

soulagé de leurs charmes pesants ;<br />

Chomôn est un pyrotechnicien, et ici<br />

comme dans la plupart de ses films, apparitions<br />

et disparitions, créations et <strong>des</strong>tructions<br />

s'opèrent dans les flammes ou<br />

la fumée.<br />

Le cinéma, invention du XIX e siècle,<br />

distraction <strong>des</strong>tinée aux classes populaires,<br />

ignore encore le modernisme artistique,<br />

et même l'environnement esthétique<br />

de son temps. D'où ce paradoxe ici,<br />

d'un art nouveau aux références exclusivement<br />

anciennes. On n'attend pas Majorelle<br />

chez les frères Pathé, et Chomôn<br />

s'est résolument tourné vers le passé<br />

pour y trouver l'inspiration. Contes <strong>des</strong><br />

Mille et Une Nuits, roman gothique anglais,<br />

fantaisie XVIII e siècle, les scénarios<br />

prétextes à féerie se déroulent dans <strong>des</strong><br />

décors qui rappellent Viollet-le-Duc ou le<br />

goût forain pour la « Rocaille » industrielle.<br />

Pourtant dans cette auberge espagnole,<br />

le spectateur trouve finalement<br />

son compte. D'abord, le plaisir de Chomôn<br />

à inventer ses films est communicatif,<br />

ainsi que son humour, présent dans<br />

les histoires les plus linéaires. <strong>La</strong> fée Printemps<br />

exauce le vœu du pauvre bûcheron<br />

: il voulait un enfant ? Sa femme en<br />

aura deux ! Le couple misérable n'en demandait<br />

sans doute pas tant... Une plaisante<br />

spontanéité parcourt le cinéma de<br />

Chomôn. Les personnages de la commedia<br />

delTarte, les pioupious ou les muscadins<br />

s'échappent du dé magique, mais,<br />

une fois dehors, ne savent pas trop quoi<br />

faire ; un pas de danse et quelques acrobaties<br />

improvisées occupent alors le<br />

temps jusqu'au prochain trucage, l'or-<br />

donnance rigoureusement géométrique<br />

<strong>des</strong> dés à jouer s'achevant, elle, dans un<br />

joyeux effondrement.<br />

Chomôn, expérimentateur audacieux,<br />

passera difficilement le cap du XX e siècle.<br />

Après la Première Guerre mondiale, sa<br />

conception du merveilleux ne résistera<br />

SECUNDO DE CHOMÔN - 27<br />

pas à l'accélération de l'Histoire. Il mourra<br />

en 1929, à l'aube d'une nouvelle révolution<br />

cinématographique.<br />

De gauche à droite et<br />

de haut en bas :<br />

les Dés magiques,<br />

la Légende du fantôme,<br />

Cauchemar et Doux<br />

Rêves,<br />

Tranformations<br />

amusantes.<br />

Claudine Kaufmann


28 - FRANCE<br />

VICTORIN JASSET<br />

L'ÉTREINTE DE LA STATUE<br />

1908 - Victorin Jasset<br />

Réal. : Victorin jasset. Prod. : Éclair.<br />

Commentaire satirique (années trente) : Michel-<br />

Maurice Lévy, dit Bétove. Date de sortie : 25 août<br />

1908. Métrage, minutage copie Cf. : 165 m., 9 mn (à<br />

16 i/s) et 6 mn (à 24 i/s). Noir et blanc.<br />

Un sculpteur taille une femme de pierre.<br />

Un couple lui rend visite et l'homme tombe<br />

en arrêt devant la création de l'artiste. Seul<br />

avec la belle immobile, il lui déclare une flamme<br />

ardente. Sa compagne, qui a découvert<br />

l'étrange obsession, est au désespoir et veut<br />

se jeter dans la rivière quand une vieille<br />

femme un peu sorcière lui propose son aide.<br />

D'une formule magique, elle incarne la statue.<br />

Mais au moment où son amoureux veut<br />

l'étreindre, elle le serre si fort qu'il tombe inanimé.<br />

Ayant recouvré ses esprits, il jure à<br />

celle qui l'aime qu'on ne l'y reprendra plus.<br />

<strong>La</strong> statue a repris sa place et sa pose minérale.<br />

De retour, le sculpteur se remet au travail.<br />

LE BOUFFON<br />

1909 - Victorin Jasset<br />

Réal. : Victoria jasset. Prod. : Éclair.<br />

Commentaire satirique (années trente) : Michel-<br />

Maurice Lévy, dit Bétove. Int. : Henri Gouget, Teddy.<br />

Date de sortie : 17 avril 1909.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 261 m., 14 mn (à 16<br />

i/s) et 10 mn (à 24 i/s). Noir et blanc.<br />

Le bouffon a une très jolie fille. Or, le roi<br />

en tend profiter de la belle et la fait enlever. Les<br />

gar<strong>des</strong> jettent au cachot le père qui tentait de<br />

s'interposer. Mais la jeune fille qui a résisté<br />

tant qu'elle pouvait, s'effondre et meurt.<br />

Bientôt, le bouffon, libéré, ourdit une sombre<br />

vengeance. Après une première tentative<br />

manquée, il commande à une sorcière un poison<br />

qu'il mélange au vin du roi. Il assiste à<br />

l'agonie, puis jette le corps dans un étang. Le<br />

bouffon est vengé.<br />

VICTORIN MASO<br />

Ce sont de toute évidence, les premiers<br />

pas de Victorin Jasset chez Eclair.<br />

Cette société, fondée en mai 1907, ne<br />

connaîtra pas vraiment de production<br />

notable durant sa première année d'existence.<br />

C'est probablement l'arrivée du<br />

créateur de Protéa qui enclenche une véritable<br />

politique dans ce domaine. Comme<br />

on le sait, c'est l'invention d'un genre<br />

et d'un personnage, les aventures du détective<br />

Nick Carter, qui va lancer en 1908<br />

la société et le metteur en scène-producteur.<br />

Aussi est-on en droit de s'interroger<br />

sur l'authentique paternité de l'E trein te de<br />

la statue, très idyllique histoire dix-huitièmiste<br />

et pygmalionesque. Nous avons<br />

peine à croire en effet, que Jasset se préoccupait<br />

d'aimables rêves en costumes<br />

alors qu'il devait travailler intensément à<br />

l'adaptation cinématographique <strong>des</strong> aventures<br />

feuilletonesques du « roi <strong>des</strong> détectives<br />

». Mais pourquoi pas ? Les ban<strong>des</strong><br />

de cette époque sont courtes, les collaborateurs<br />

nombreux et peut-être le tournage<br />

a-t-il eu lieu lors de la première partie<br />

de 1908 (le premier Nick Carter est réalisé<br />

pendant l'été de cette année-là).<br />

Mais surtout, l'Etreinte de la statue<br />

s'inscrit dans une tradition féerique que<br />

probablement Jasset voulait ne pas répéter<br />

en venant chez Eclair. Méliès, Segundo<br />

de Chomôn et plus tard Gaston<br />

Velle (et encore plus tard Cocteau et<br />

Greenaway !) ont utilisé ce thème <strong>des</strong> statues<br />

qui s'animent, ces allers et retours<br />

optiques et mythologiques entre l'inanimé<br />

marmoréen et l'animé cinématographique.<br />

Iconographie idéale pour<br />

mettre précocement à l'épreuve les vertus<br />

oniriques de la cinégénie en prenant<br />

prétexte d'une histoire de possession<br />

amoureuse. Dans Song of Songs (le Cantique<br />

<strong>des</strong> cantiques, 1933), Rouben Mamoulian<br />

utilisera Marlene Dietrich pour<br />

de comparables ambiguïtés entre le corps<br />

sculpté et le corps réel. C'est donc moins<br />

qu'un thème, plutôt une imagerie, qui<br />

trouvera au XIX e siècle <strong>des</strong> occasions<br />

multiples de s'incarner en fantasmes érotico-symbolistes.<br />

Ces extraits de la Vénus<br />

à la fourrure de Sacher-Masoch (1870),<br />

sont ainsi frappants tant ils paraissent se<br />

confondre avec certains tableaux du film<br />

de Jasset.<br />

« Au fond, la belle femme là-haut<br />

m'intéresse fort peu, car je suis amoureux<br />

d'une autre, amoureux et malheureux,<br />

bien plus que le chevalier de Toggenburg<br />

ou bien le chevalier <strong>des</strong> Grieux, car celle<br />

que j'aime est en pierre. Dans le jardin,<br />

dans ce petit enclos sauvage, se trouve un<br />

adorable petit pré où paissent pacifiquement<br />

quelques chevreuils apprivoisés.<br />

Au milieu de ce pré s'élève la statue d'une<br />

Vénus en pierre ; l'original se trouve, je<br />

crois, à Florence ; cette Vénus est la<br />

femme la plus belle que j'ai jamais vue de<br />

ma vie (...) Il suffit de dire que cette Vénus<br />

est belle, et que je l'aime passionnément,<br />

maladivement, follement (...) Parfois, je<br />

rends visite de nuit à ma froide et cruelle<br />

bien-aimée, je me mets à genoux devant<br />

elle, le visage collé à la froide pierre qui<br />

porte ses pieds, et je fais acte d'adoration.<br />

Une fois, en revenant de ma dévotion<br />

nocturne, (...) je crus que la belle femme<br />

de marbre, prise de pitié pour moi, s'était<br />

rendue vivante pour me suivre (...) j'aperçois<br />

Vénus, la belle femme de pierre, mais<br />

non, la vraie déesse de l'amour au sang<br />

chaud et au pouls vivant, assise devant<br />

moi sur un banc de pierre. Oui, elle m'est<br />

devenue vivante, comme cette statue qui,<br />

pour son maître, se mit à respirer (...) ses<br />

lèvres sont déjà rouges et ses joues prennent<br />

<strong>des</strong> couleurs et de ses yeux deux diaboliques<br />

rayons verts me pénètrent, et<br />

voici qu'elle rit. »<br />

« Tableaux » en effet. C'est dans Protéa<br />

que l'on devine la conquête d'une plus<br />

grande fluidité narrative et moins de rigidité<br />

dans l'interprétation <strong>des</strong> acteurs.<br />

Les plans extérieurs de jardin n'en<br />

sont pas moins élégants. Guère avare<br />

d'espace filmé, Jasset inverse <strong>des</strong> conventions<br />

déjà fortement ancrées : il met en<br />

scène l'obsession dans <strong>des</strong> décors réels et<br />

la vie raisonnable est au contraire filmée<br />

en décors extravagants. Hormis son substrat<br />

littéraire et mythologique, cette inversion<br />

est l'intérêt principal du film.<br />

Le Bouffon, attribué à Jasset (mais<br />

peut-être s'agit-il du film de Gérard<br />

Bourgeois, le Bouffon du roi, réalisé aussi<br />

en 1909), est plus conventionnel encore<br />

dans le cinéma <strong>des</strong> premiers temps. Il est<br />

même relativement tardif par plusieurs<br />

aspects : toiles peintes, plans-tableaux,<br />

interprétation grossière <strong>des</strong> acteurs, thème<br />

moyenâgeux et féerique convenu...<br />

Néanmoins au terme du film, un curieux<br />

effet se produit. Le méchant roi responsable<br />

de la mort de la belle, sombre<br />

dans un apparent abattement qui attire la<br />

sympathie. Le personnage du père vengeur<br />

ne sort pas très grandi de cette bouffonnerie<br />

tragique et burlesquement médiévale.<br />

Encore très marqué par la pantomime,<br />

le dernier plan filmé sur un étang<br />

est pourtant beau, digne d'un petit maître<br />

de la peinture « troubadour ». Ces deux<br />

films de Jasset pâtissent d'une invraisemblable<br />

sonorisation satirique <strong>des</strong> années<br />

trente (grâce à laquelle, paradoxalement,<br />

ces films sont parvenus jusqu'à<br />

nous), mêlant une partition improvisée<br />

au piano et d'effarants commentaires ou<br />

borborygmes potaches.<br />

Dominique Païni<br />

En haut : l'Étreinte de la<br />

statue. En bas : le Bouffon.<br />

VICTORIN JASSET-29


L'Hôtel du silence.<br />

30 - FRANCE<br />

EMILE COHL<br />

L'HOTEL DU SILENCE<br />

1908 - Émile Cohl<br />

Réal. : Émile Cohl. Prod. : Gaumont. Se. : Émile Cohl.<br />

Date de sortie : 12 octobre 1908.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 223 m., 11 mn (à 18<br />

i/s). Noir et blanc.<br />

Un voyageur entre dans un hôtel qui semble<br />

inhabité. Mais voilà qu'une table s'avance<br />

vers lui,quele registre s'ouvre et quel 'homme<br />

se retrouve la plume à la main. Une fois dans<br />

sa chambre, les déplacements d'objets et autres<br />

phénomènes bizarres continuent. A-t-il<br />

faim ? Aussitôt, une table toute servie apparaît,<br />

sortie du plancher, mais disparaît ensuite.<br />

Il se déshabille pour se coucher et ses affaires<br />

se rangent toutes seules. À peine dans<br />

son lit, il en est éjecté. Ébouillanté par le café,<br />

littéralement douché quand il veut faire un<br />

brin de toilette, son bonheur mécanique tourne<br />

au cauchemar. Furieux, il quitte les lieux<br />

non sans quelques nouveaux déboires et à la<br />

réception une note longue comme le bras l'attend.<br />

Pour échapper à cet hôtel pas comme les<br />

autres, il devra payer le prix fort sans oublier<br />

le pourboire...<br />

LE COTTAGE HANTE<br />

1913<br />

Prod. : Pathé-Nizza. Date de sortie : 6 juin 1913.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 95 m., 5 mn (à 18 i/s).<br />

Générique reconstitué. Noir et blanc.<br />

Un cambrioleur veut pénétrer dans une<br />

villa inhabitée. Mais il a compté sans la résistance<br />

<strong>des</strong> éléments. Les grilles s'élèvent, le<br />

mur d'enceinte s'écroule sur l'infortuné, le<br />

portail bascule, les volets donnent <strong>des</strong> claques,<br />

un pot de fleurs lui tombe sur la tête. A l'intérieur,<br />

le supplice continue ; les objets sont<br />

déchaînés. Dans la cave, il est bourré de coups,<br />

enfoncé dans un tonneau, arrosé, finalement<br />

tracté par une grande pince à l'étage supérieur.<br />

Cette fois, une table et une chaise s'écrasent<br />

sous son poids, un tabouret le monte au<br />

plafond et le fait traverser. Au grenier, suite<br />

<strong>des</strong> sévices : coups de poings, coups de feu, fumigènes.<br />

Finalement, l'intrus s'expulse par<br />

la fenêtre et s'empale au sol sur une planche<br />

à clous. Deux policiers qui passaient par là<br />

l'escortent en riant au commissariat.<br />

BALAIS MECANIQUES<br />

Quinzième titre répertorié (catégorie<br />

film à trucs) dans la filmographie d'Emile<br />

Cohl, huis clos en trois actes et deux tableaux<br />

filmés frontalement, en plan général,<br />

l'Hôtel du silence se déroule comme<br />

sur une scène de théâtre. Le client solitaire<br />

n'a d'emblée pour tout interlocuteur<br />

qu'un encrier et une plume d'oie sollicitant<br />

son paraphe dans le bureau de réception.<br />

Sa valise, glissant sur le sol, lui<br />

indique le chemin de sa chambre. A peine<br />

a-t-il retiré son manteau, déposé sa canne<br />

et son chapeau, que son gilet échappe au<br />

contrôle de notre bourgeois barbu bientôt<br />

en butte à d'intempestives embardées<br />

du mobilier.<br />

Cette aimable pantomime, mettant<br />

aux prises un unique interprète (de chair<br />

et d'os) avec d'imprévisibles ustensiles<br />

s'offrant puis se dérobant à sa convoitise,<br />

annonce en quelque sorte les péripéties<br />

d'un Acte sans paroles de Samuel Beckett,<br />

ou ressemble à une ébauche de chaussetrapes<br />

chaplinesques (un cobaye humain<br />

exposé aux délices télécommandés <strong>des</strong><br />

Temps Modernes). En amont de sa création,<br />

cette bande comique s'origine dans<br />

un XIX e siècle machinique encore frais et<br />

déjà saisi en son temps dans sa drôlerie<br />

et son inquiétante puissance par Jules<br />

Verne \ Mais elle se rattache plus directement<br />

aux sortilèges de The Haunted<br />

Hôtel (l'Hôtel hanté), réalisé un an auparavant<br />

par l'Américain Stuart Blackton 2 ,<br />

voire à El Hôtel Electrico (l'Hôtel électrique)<br />

datant de 1905 et dû à un autre pionnier,<br />

le Catalan Segundo de Chomôn. Cette<br />

courte bande n'en atteste pas moins de la<br />

polyvalence du père du « Fantoche ».<br />

Tout à la fois scénariste, truqueur et opérateur<br />

chez Gaumont, ce réalisateur à<br />

part entière pouvait également se charger<br />

du développement de la pellicule.<br />

Comme un écho au film de Cohl, le Cottage<br />

hanté reproduit et reconduit la situation<br />

(tragi-) comique d'un homme seul<br />

dans un lieu clos, habité par ses objets et<br />

hostile, à laquelle s'ajoute une inversion<br />

qui renforce l'identité : cette fois, la difficulté<br />

n'est plus d'en sortir mais d'y entrer !<br />

Multipliant à plaisir les mésaventures<br />

d'un fringant monte-en-l'air (un pro de<br />

la cambriole, la boîte à outils en bandoulière),<br />

cette farce de la maison Pathé est<br />

très représentative d'un divertissement<br />

encore forain, combinant allègrement les<br />

bastonna<strong>des</strong> et turlupina<strong>des</strong> <strong>des</strong> bateleurs<br />

de tréteaux à la magie du trucage<br />

(la reconstruction en accéléré d'une muraille<br />

obtenue par tirage inversé au labo).<br />

Ne parvenant pas à crocheter la serrure<br />

d'un attirant pavillon de banlieue, notre<br />

casse-cou intrépide progresse dans son<br />

exploration <strong>des</strong> lieux en dépit de divers<br />

phénomènes dissuasifs : une succession<br />

de traquenards le plus souvent enregistrés<br />

en direct, au moyen de divers accessoires<br />

et praticables (reliés à <strong>des</strong> dispositifs<br />

mécanisés manipulés hors champ).<br />

Cette guignolade non dénuée de cruauté<br />

(le délinquant de plus en plus mal en<br />

point étant finalement embarqué par <strong>des</strong><br />

représentants goguenards de la maréchaussée)<br />

n'est pas sans parenté avec certaines<br />

transes plus contemporaines de<br />

l'humour <strong>des</strong>troy dans le jeune cinéma<br />

français. Avec parfois un surcroît de férocité<br />

aux dépens d'un infortuné héros<br />

(même pas délinquant, seulement en<br />

quête de logement), entraîné dans un Corridor<br />

infernal par d'infâmes tauliers 3 ...<br />

Michel Roudevitch<br />

1 «... il saute rapidement hors du lit, et pénètre dans<br />

son habilleuse mécanique. Deux minutes après, sans<br />

qu'il eût recours à l'aide d'un valet de chambre, la<br />

machine le déposait, lavé, coiffé, chaussé, vêtu et boutonné<br />

du haut en bas, sur le seuil de ses bureaux »<br />

Qules Verne : la Journée d'un journaliste américain en<br />

2889, in Hier et Demain).<br />

2 Cohl en élucida les mystères (« one turn, one picture<br />

») pour les techniciens de Gaumont, lors de la<br />

présentation du film à Paris en 1907.<br />

3 Le Corridor d'Alain Robak et d'autres courts métrages<br />

ont été distribués en salles sous le label Adrénaline<br />

(1989).


Suzanne Grandais<br />

LE CHRYSANTHEME ROUGE<br />

1911 - Léonce Perret<br />

Réal. : Léonce Perret. Prod. : Gaumont. Int. : Suzanne<br />

Grandais (Miss Suzie), Léonce Perret.<br />

Date de sortie : 16 février 1912.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 273 m., 15 mn (à 16<br />

i/s). Générique et intertitres français reconstitués. Noir<br />

et blanc, un plan colorié.<br />

Une jeune femme indépendante est courtisée<br />

par deux hommes. Elle promet son cœur<br />

à celui qui lui offrira le plus beau bouquet de<br />

fleurs. Et voilà les deux rivaux dévalisant les<br />

fleuristes de Paris et revenant les bras chargés.<br />

<strong>La</strong> coquette est sensible à cet hommage<br />

rendu à sa beauté mais reste intouchable. Elle<br />

avoue n'aimer que les chrysanthèmes. Les<br />

prétendants repartent en quête de ce nouveau<br />

sésame et se présentent cette fois avec les préférées<br />

de la belle. Mais ce sont les rouges<br />

qu'elle affectionne... L'un <strong>des</strong> deux soupirants<br />

se précipite à l'extérieur mais l'autre<br />

reste, prend un chrysanthème blanc et s'ouvre<br />

la veine du poignet pour le tein ter de son sang.<br />

Subjuguée par cet acte fou, la jeune femme est<br />

conquise. Elle le soigne. À son retour, le rival<br />

malheureux constate sa défaite. Bon perdant<br />

et galant homme, il se retire.<br />

MARGUERITES<br />

ET CHRYSANTHÈMES<br />

1911. Le cinéma est dans « l'enfance de<br />

l'art ». Moment de candeur (supposée),<br />

d'ignorance (feinte) <strong>des</strong> références culturelles,<br />

et de spontanéité (calculée) parfois<br />

<strong>des</strong>tructrice. Cela est vrai pour les films les<br />

plus inventifs. Pour le reste, <strong>des</strong> acteurs,<br />

souvent médiocres, évoluent sans grâce<br />

entre un inévitable buffet Henri II et une<br />

table à laquelle on craint de les voir s'asseoir,<br />

car c'est l'annonce presque certaine<br />

de l'écriture d'une interminable lettre,<br />

unique moyen de faire progresser un récit<br />

corseté de morale bourgeoise. Ou bien ce<br />

sont de pesantes reconstitutions historiques,<br />

où <strong>des</strong> Cléopâtre trop en chair séduisent<br />

<strong>des</strong> Marc Antoine au physique de<br />

sous-préfet, le tout sur fond de toile peinte.<br />

Ou encore <strong>des</strong> comiques, troupiers ou<br />

non, s'efforçant, à grand renfort de grimaces,<br />

de rendre le public complice de<br />

leurs facéties graveleuses.<br />

Mais dans ce qui est déjà à l'époque le<br />

grenier du pire bric-à-brac XIX e siècle,<br />

vont naître <strong>des</strong> films rares, annonciateurs<br />

de subtilités à venir : le Chrysanthème rouge<br />

est de ceux-là.<br />

Le film de Léonce Perret est d'abord<br />

un petit manifeste symboliste ironique et<br />

léger. L'assimilation de la Femme à la<br />

Fleur, thème de prédilection, revient constamment.<br />

Lorsque l'héroïne de ce petit<br />

film Gaumont (la firme à la marguerite)<br />

reçoit ses bouquets, les plans généraux<br />

sont, à chaque brassée, entrecoupés de<br />

gros plans de l'actrice humant leur parfum.<br />

Ces gros plans nous permettent d'admirer<br />

autant de tableaux de Suzanne<br />

Grandais, petite Mélisande à la coiffure<br />

moyenâgeuse, et de mieux comprendre<br />

l'amour qu'elle sait inspirer. <strong>La</strong> fleuriste<br />

dans sa boutique est presque happée par<br />

l'amoncellement de fleurs en arrière-plan<br />

et finit par se confondre avec elles. Autre<br />

référence symboliste : lorsque l'un <strong>des</strong><br />

prétendants va acheter ses bouquets, il<br />

passe devant une colonne Morris sur laquelle<br />

on peut voir l'affiche d'un spectacle<br />

d'Isadora Duncan.<br />

Le sujet du film est le lien fatidique<br />

entre le sang et l'amour mais, loin <strong>des</strong> morbidités<br />

fin de siècle, l'aimable marivaudage<br />

ne fait qu'... effleurer la tragédie. Cependant,<br />

le mélange <strong>des</strong> genres ne se pratiquait<br />

guère alors, et, dans la scène du sacrifice,<br />

la brutale rupture de ton a dû en<br />

surprendre plus d'un - elle nous surprend<br />

encore.<br />

Le grand talent de Léonce Perret est de<br />

ne pas se contenter de dresser un inventaire<br />

<strong>des</strong> thèmes symbolistes à usage purement<br />

décoratif, mais de toujours rendre<br />

ces thèmes moteurs de l'histoire. Son regard<br />

sur un mouvement artistique déjà<br />

sur le déclin est quelque peu nostalgique,<br />

mais il sait utiliser pour son propos <strong>des</strong><br />

moyens qui sont davantage ceux d'un<br />

pionnier que d'un esthète décadent.<br />

Le scénario reprend la structure conventionnelle<br />

<strong>des</strong> contes de fées : une princesse<br />

exigeante qu'il faut conquérir et,<br />

pour les prétendants, trois épreuves, de<br />

plus en plus difficiles à accomplir. Le récit<br />

est fluide, les plans s'enchaînent sans la<br />

nécessité d'un intertitrage lourdement explicatif<br />

ou utilisé comme cache-misère de<br />

raccords approximatifs. C'est l'héroïne<br />

elle-même, d'ailleurs, qui donne le ton :<br />

aux deux hommes qui espéraient la séduire<br />

par <strong>des</strong> déclarations ampoulées, elle<br />

impose silence... et action.<br />

Suzanne Grandais, actrice à la silhouette<br />

inhabituelle, joue un type de femme<br />

bien éloigné <strong>des</strong> poncifs de l'époque :<br />

elle vit seule, sait ce qu'elle veut, décide et<br />

ne subit pas, ce qui n'exclut pas douceur<br />

et compassion. Léonce Perret nous la<br />

montre au début du film fumant avec<br />

grâce une cigarette, symbole de son émancipation<br />

et accessoire cinématographique<br />

promis à un bel avenir.<br />

Suprême élégance : le réalisateur s'est<br />

réservé le rôle du prétendant évincé, coupable<br />

de manquer, non de générosité,<br />

mais plutôt d'imagination. C'est un reproche<br />

qu'on ne saurait adresser à Léonce<br />

Perret.<br />

Claudine Kaufmann


N1CK WINTER ET LES AS DE TREFLE<br />

1913 - Paul Garbagni<br />

Réal. : Paul Garbagni. Prod. : Pathé. Se. : Maurice<br />

André Maître. Int. : Georges Vinter alias Paul Pinvert<br />

(Nick Winter). Date de sortie : 20 mai 1913.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 400 m., 19 mn (à 18<br />

i/s). Noir et blanc.<br />

Le Club <strong>des</strong> As de trèfle, association de<br />

malfaiteurs, a juré la perte de son grand ennemi,<br />

Nick Winter. Deux d'entre eux, grimés<br />

et méconnaissables, s'introduisent sous un<br />

prétexte fallacieux chez le célèbre détective,<br />

soudain le ceinturent et, d'une piqûre au cou,<br />

lui inoculent la rage. Rire dément, bave, convulsions,<br />

l'infortuné est conduit dans cet état<br />

à l'hôpital où une autre injection le sauve in<br />

extremis. Remis, le fin limier se lance sur la<br />

piste de ses agresseurs qui passe d'abord par<br />

un décor de ruines, lieu de rendez-vous <strong>des</strong><br />

brigands, puis par un cabaret où il entre déguisé.<br />

Peine perdue. Il est immédiatement démasqué<br />

pour avoir négligé un détail : il n'a<br />

pas un trèfle tatoué sur l'avant-bras, jeté dans<br />

une cave où l'eau monte, attaché à un pilier,<br />

il va périr noyé. Alors Nick Winter libère un<br />

bras, allume sa pipe et en tire de gran<strong>des</strong> bouffées<br />

qui montent jusqu'au plafond et alertent<br />

la police, prévenue précédemment par le prudent<br />

détective. À l'ultime moment, il est dé-<br />

livré.<br />

GENDARMES ET VOLEURS<br />

On se moque seulement de ce qui<br />

compte, c'est bien connu. Du succès de la<br />

série Nick Carter, le roi <strong>des</strong> détectives, lancée<br />

par Victorin Jasset en 1908, vont naître<br />

plusieurs imitations parodiques. Chez<br />

Eclipse, la série Arthème Dupin s'en prend<br />

au mythe d'Arsène Lupin. Chez Pathé, au<br />

lieu de tourner en ridicule l'inspecteur<br />

Ganimard - ce que le gentleman cambrioleur<br />

fait très bien lui-même -, on s'en<br />

prend explicitement au personnage popularisé<br />

par Jasset avec Nick Winter<br />

l'adroit détective.<br />

Depuis son apparition sous ce titre, le<br />

5 août 1910, le rival facétieux inspire une<br />

trentaine de ban<strong>des</strong> jusqu'en juin 1914.<br />

Le tout forme, à l'origine, une série comique<br />

tout comme Rigadin, Calino, Patouiïlard<br />

ou Bébé ; la seule différence étant<br />

que le héros exerce (avec plus ou moins<br />

de maladresse) la profession de détective.<br />

Les titres <strong>des</strong> premières ban<strong>des</strong> sont<br />

significatifs : Nick Winter et le perroquet de<br />

Mlle Durand, Dick Johnson le voleur gentleman<br />

contre Nick Winter, le Pickpocket mystifié.<br />

L'adroit détective va d'ailleurs se<br />

mesurer à d'autres vedettes comiques de<br />

Pathé : Max Linder contre Nick Winter ou<br />

Little Moritz élève de Nick Winter.<br />

Ces ban<strong>des</strong> d'environ un quart d'heure<br />

(souvent mises en scène par Paul Garbagni<br />

d'après <strong>des</strong> auteurs anonymes ou<br />

divers) procèdent d'un comique épais.<br />

Avec une gueule de bouledogue, flanquée<br />

de deux côtelettes noires et d'une<br />

moustache à la Groucho, un chapeau<br />

melon vissé sur le crâne et <strong>des</strong> croquenots,<br />

le héros, à quatre pattes, témoignait<br />

de son flair et brandissait une loupe dé-<br />

mesurée...<br />

En 1912, à partir de la Résurrection de<br />

Nick Winter, le personnage change et devient<br />

sérieux. Comme si une entente était<br />

conclue entre le cambrioleur et le défenseur<br />

de l'ordre, Arthème Dupin devient<br />

Arthème tout court ; il cesse de se référer<br />

à Arsène Lupin et à un contexte policier<br />

pour sacrifier à un comique classique.<br />

Nick Winter cesse de provoquer pour devenir<br />

le héros d'une véritable série policière<br />

et un détective respectable si l'on en<br />

juge par une pipe à la Sherlock Holmes,<br />

par le sérieux <strong>des</strong> titres (Plus fort que Sherlock<br />

Holmes, Nick Winter et le mystère de la<br />

Tamise) et par l'augmentation de la durée.<br />

Elle atteint cinquante cinq minutes dans<br />

Nick Winter et l'homme au masque (juin<br />

1914).<br />

De l'humour originel de la série, il<br />

reste quelques traces dans Nick Winter et<br />

les As de trèfle. Les bandits ont l'idée d'inoculer<br />

au détective... la rage, au lieu d'un<br />

poison plus expéditif mais plus banal. À<br />

peine guéri, le héros s'introduit, déguisé<br />

en mendiant, dans leur repaire et s'étonne<br />

d'être démasqué aussitôt. Un loubard<br />

imposant retrousse alors sa manche et<br />

met sous le nez du détective un biceps volumineux<br />

tatoué d'un as de trèfle, symbole<br />

de reconnaissance entre les membres<br />

de cette confrérie du Mal. D'insidieux,<br />

l'humour devient presque burlesque<br />

dans la scène finale. Nick est jeté<br />

dans une cave qui se remplit d'eau. Juste<br />

avant qu'elle n'atteigne son menton, il<br />

parvient à allumer sa pipe... aussi active<br />

qu'une cheminée de locomotive. Les<br />

bouffées de fumée passent par les interstices<br />

de la trappe, alertent la police ve-<br />

nue à sa recherche et le sauvent !<br />

Ici rien de comparable, bien sûr, aux<br />

performances de Jasset (Zigomar, Balaoo,<br />

Protéa) ou de Feuillade (Fantômas, les<br />

Vampires). Mais une mise en scène alerte,<br />

une photographie soulignant la poésie<br />

<strong>des</strong> extérieurs, permet à Nick Winter de<br />

rivaliser avec les petites séries qui foisonnent<br />

dans le sillage de Nick Carter : Nat<br />

Pinkerton, Main de fer, Dick Turpin, Barnet<br />

Parker, Harry Wilson...<br />

L'interprète de Nick Winter est en<br />

même temps celui de la série Fouinard. En<br />

1920-1921, avec la complicité de Garbagni,<br />

il tentera de ressusciter « l'adroit détective<br />

» dans trois films d'une heure (le<br />

Secret d'Argeville, le Dossier 33, le Coffret<br />

d'Agathe) et un sériai en dix épiso<strong>des</strong>, Nick<br />

Winter et ses aventures. Disparu <strong>des</strong><br />

écrans, mais non du milieu cinématographique,<br />

l'ex-acteur poursuit jusque vers<br />

1935 une carrière d'assistant-réalisateur<br />

sous le nom de... Nick Winter. Le personnage<br />

avait obsédé l'interprète au<br />

point que Jean-Louis Bouquet, qui le côtoya<br />

à la Société <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans, était<br />

persuadé qu'il utilisait son véritable étatcivil.<br />

Henri Debain m'a affirmé, et je l'ai<br />

cru, qu'il s'appelait Georges Vinter ou<br />

Winter. Pour Georges Sadoul, il s'agissait<br />

d'un ancien agent de police du nom de<br />

Léon Durac. Le recensement de 1936 révèle<br />

qu'au domicile annoncé par Nick<br />

Winter dans les annuaires professionnels<br />

résidait un « cinématographiste » nommé<br />

Paul Pinvert : après quatre-vingts ans<br />

de « suspense », Nick Winter a livré son<br />

dernier secret.<br />

Francis <strong>La</strong>cassin


36 - FRANCE<br />

PROTÉA<br />

1913 -Victorin Jasset<br />

Réal. : Victorin Jasset. Prod. : Éclair. Se. : Victorin<br />

Jasset. Dir. ph. : Lucien Andriot. Int. : Josette Andriot<br />

(Protéa), Lucien Bataille (l'Anguille), Charles Krauss (le<br />

baron de Nyborg), Henri Gouget (M. de Robertsau),<br />

Jacques Feyder. Date de sortie : 5 septembre 1913.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 857 m., 38 mn<br />

(à 20 i/s). Génériques et intertitres français reconstitués<br />

(Francis <strong>La</strong>cassin). Noir et blanc. Doc. : Jacques<br />

Deslan<strong>des</strong> : Anthologie du cinéma, vol. 9, L'Avant-<br />

Scène, 1976.<br />

Un traité d'alliance a été signé entre deux<br />

grands États européens voisins, la Celtie et la<br />

Slavonie. L'Empire de Messénie charge l'espionne<br />

Protéa de voler le document. Secondée<br />

par l'Anguille, un acrobate hors pair, elle part<br />

pour la Celtie. Mais l'ambassadeur de Slavonie<br />

dépêche le comte de Varallo afin de la retarder.<br />

Peine perdue. Dans l'Orient Express,<br />

à la faveur d'un habile déguisement et d'un<br />

tour de passe-passe, elle fait arrêter le comte<br />

pour contrebande et poursuit sa mission. Par<br />

deux fois, elle et l'Anguille échouent à subtiliser<br />

le traité au ministre <strong>des</strong> Affaires étrangères<br />

de Celtie, M. de Robertsau. Mais la troisième<br />

est la bonne. Le plénipotentiaire donne<br />

un bal et nos deux intrépi<strong>des</strong> s'invitent, l'une<br />

déguisée en musicienne tzigane, l'autre en<br />

valet. Aïe ! Le comte de Varallo, fraîchement<br />

libéré, la reconnaît. Nouveau déguisement et<br />

fuite avec le document en poche. Pour arriver<br />

incognito jusqu'à la frontière, ils se joignent<br />

à une ménagerie ambulante, Protéa en dompteuse<br />

de lions tandis que l'Anguille fait le<br />

singe. Mais l'aubergiste du « Pigeon doré »<br />

identifie la belle et prévient l'ambassadeur de<br />

Celtie qui, illico, délègue Max, son meilleur<br />

policier. Sentant le danger, Protéa a mis le documen<br />

t sous la garde de la lionne Sadie ! Max<br />

est quitte pour la peur de sa vie et les deux insaisissables<br />

se sauvent par la cave, leurs adversaires<br />

aux trousses. Au terme d'une âpre<br />

poursuite, Protéa saute en vélo au-<strong>des</strong>sus<br />

d'un pont enflammes. <strong>La</strong> frontière est à portée<br />

de main. Un ultime déguisement et les<br />

deux complices remettent enfin au préfet de<br />

police de Messénie le document tant convoité.<br />

Protéa et l'Anguille ont bien mérité de la Pa-<br />

trie.<br />

MÉTAMORPHOSES<br />

Avant-dernière réalisation de Jasset<br />

(mort treize jours avant sa présentation<br />

corporative), Protéa est devenu le filmphare<br />

de l'œuvre à peu près entièrement<br />

engloutie de ce réalisateur. Film mythique<br />

aussi : si toutes les histoires du cinéma<br />

en parlent, personne ne peut se flatter<br />

de l'avoir vu depuis trois quarts de<br />

siècle. Qu'il s'agisse <strong>des</strong> fragments projetés<br />

vers 1950, à la <strong>Ciné</strong>mathèque de l'avenue<br />

de Messine, ou de copies plus ou<br />

moins incomplètes exhumées depuis, on<br />

se trouvait chaque fois en présence de<br />

l'une ou l'autre <strong>des</strong> quatre suites données<br />

à l'œuvre de Jasset, jusqu'en 1919, par<br />

quelques trois metteurs en scène : Joseph<br />

Faivre, Gérard Bourgeois, Jean Joseph<br />

Renaud.<br />

Au printemps de 1995, <strong>des</strong> fragments<br />

inconnus et de facture différente ont été<br />

décelés à la <strong>Ciné</strong>mathèque française parmi<br />

ce qui s'est révélé être le sériai de Bourgeois,<br />

Protéa et les mystères du château de<br />

Malmort. Ils provenaient, enfin, du film<br />

introuvable de Jasset, et ont permis de le<br />

reconstituer sinon dans son intégralité du<br />

moins dans une continuité suffisante<br />

pour en attester les qualités. Un scénario<br />

détaillé, paru en 1914 à New York dans<br />

The Moving Picture World, a servi de base<br />

à la restauration et aux résumés (intégrés<br />

sous forme de déroulants) <strong>des</strong> quatre<br />

scènes manquantes : environ un quart<br />

d'heure de film.<br />

Produit, puis distribué par Éclair en<br />

septembre 1913, Protéa constitue l'apothéose<br />

(et le chant du cygne) d'une actrice<br />

vouée jusqu'ici par Jasset à <strong>des</strong> emplois<br />

marquants mais trop furtifs pour lui<br />

conférer le statut de star dont elle allait se<br />

révéler digne. Le succès du premier Protéa<br />

est dû autant au génie de Jasset qu'à<br />

la personnalité de la jeune femme en la-<br />

quelle il s'est incarné.<br />

Josette Andriot (1886-1942) n'avait<br />

certes pas le profil de la «jeune première<br />

» d'avant la première guerre. Engagée<br />

en 1910 par Jasset pour ses quali-<br />

tés de cavalière, elle se révéla selon les opportunités<br />

championne de natation et<br />

acrobate intrépide, avant de faire la<br />

preuve d'une disponibilité illimitée dans<br />

le personnage de Protéa. Celui-ci bouleversait<br />

la tradition de l'aventure qui -<br />

roman ou cinéma - s'exprimait d'ordinaire<br />

à travers un héros masculin. Une<br />

novation dont le mérite revient incontestablement<br />

à Jasset, même si Feuillade la<br />

perfectionnera dans les Vampires. Elle va<br />

féconder la thématique du film d'action.<br />

Les Américains retiendront la leçon :<br />

dans les sériais lancés, dès 1915, à la<br />

conquête de la France, ils donneront toujours<br />

le premier rôle à une femme : Pearl<br />

White, Ruth Roland, Helen Holmes, Juanita<br />

Hansen... Mais au contraire de Pearl<br />

White, la « reine <strong>des</strong> sériais » qu'elle<br />

précède de deux ans, Josette Andriot ne<br />

laissait à aucune doublure le soin d'exécuter<br />

ses casca<strong>des</strong>...<br />

Protéa est donc, en 1913, la première<br />

aventurière du cinéma muet. Trois ans<br />

avant que Mata Hari et Marthe Richard<br />

ne se révèlent dans la réalité, elle est la<br />

première espionne, la première héroïne<br />

de ce qu'on n'appelle pas encore le « film<br />

d'espionnage » mais le « film patriotique<br />

». C'est une Mata Hari qui, en plus<br />

de savoir danser, aurait appris à dompter<br />

<strong>des</strong> fauves et à se jeter d'un étage dans<br />

une voiture lancée, une Marthe Richard<br />

qui, en plus de savoir piloter un avion,<br />

aurait appris à sauter à bicyclette par <strong>des</strong>sus<br />

un pont en flammes.<br />

Protéa est aussi une espionne capable<br />

de jouer avec conviction une foule de personnages.<br />

Pour s'emparer d'un traité secret<br />

liguant deux puissances contre une<br />

troisième, elle interprète une douzaine de<br />

rôles <strong>des</strong> deux sexes. Femme d'affaires<br />

dans le Cabinet du préfet de police de<br />

Messénie quand il lui confie sa mission ;<br />

femme du monde sous deux visages différents<br />

dans l'Orient Express pour s'emparer<br />

<strong>des</strong> papiers diplomatiques du comte<br />

de Varallo ; acrobate cambrioleuse lors<br />

d'un raid nocturne au ministère <strong>des</strong> Affaires<br />

étrangères de Celtie ; vieille dame<br />

venue présenter une supplique au ministre<br />

; aide de camp ; violoniste tzigane<br />

au cours d'un grand bal ; « épouse » de<br />

l'ambassadeur d'Albanie préalablement<br />

bâillonné ; incendiaire, puis pompier ;<br />

dompteuse de lions dans une ménagerie<br />

foraine ; paysanne ; officier de Celtie plus<br />

vraie que nature, cette dernière incarnation<br />

lui permettant enfin de regagner la<br />

Messénie, son point de départ.<br />

Métamorphoses dictées par le désir<br />

d'abuser l'adversaire ou de s'échapper<br />

sous son nez, elles entraînent autant de<br />

rebondissements toujours transformés à<br />

son avantage, avec l'aide il est vrai de son<br />

fidèle complice et assistant : l'Anguille.<br />

Comme ce surnom le laisse entendre, le<br />

rôle ne peut être tenu que par un acrobate.<br />

C'est Lucien Bataille, transfuge de<br />

la bande <strong>des</strong> « Pouittes » chez Gaumont.<br />

Leur chef, Jean Durand, avait fait de Bataille<br />

la vedette de la série Zigoto. Il l'avait<br />

quittée pour aller chez Éclair, interpréter<br />

le rôle de l'homme-singe dans le Balaoo<br />

de Jasset. Dans Protéa, il joue un cambrioleur<br />

repenti qui met ses anciens talents<br />

au service de l'espionne, c'est-à-dire<br />

du Bon Droit, du Bien, de la Justice...<br />

Protéa est en effet l'incarnation du<br />

principe métaphysique de Justice, le recours<br />

suprême auquel on s'adresse,<br />

quand l'honneur chancelle, quand la loi<br />

opprime, quand la justice humaine défaille,<br />

quand tout a échoué, quand le pire<br />

peut arriver. Espionne engagée par la<br />

Messénie, mais pas espionne pour la<br />

Messénie : espionne pour la paix. Si elle<br />

a accepté de s'emparer du traité secret,<br />

c'est parce qu'il risque de détruire l'équilibre<br />

précaire <strong>des</strong> Balkans et constitue<br />

donc une menace pour l'Europe. Hélas,<br />

son équipée héroïque et sportive n'a accordé<br />

qu'un an de sursis à l'Europe !<br />

1914!..<br />

Dans le sillage du prototype de Jasset,<br />

Éclair allait lancer quatre nouvelles<br />

aventures de Protéa. En 1914 : l'Auto Infernale<br />

(réal. : Joseph Faivre) ; en 1915, la<br />

Course à la mort (Faivre ou Bourgeois) ; en<br />

1917, les Mystères du château de Malmort<br />

(six épiso<strong>des</strong> réalisés par Gérard Bourgeois)<br />

; en 1919, l'Intervention de Protéa ou<br />

Protéa intervient (Jean Joseph Renaud). Le<br />

retrait définitif de Josette Andriot et la déconfiture<br />

d'Éclair mirent fin à une série<br />

qui aurait pu faire une concurrence redoutable<br />

aux Fantômas et autres Vampires<br />

de Feuillade, si elle avait été poursuivie<br />

par son initiateur. Les continuateurs de<br />

Jasset étaient loin d'égaler son art narratif<br />

et son sens aigu du gag. Dans leurs<br />

films lents, longs, laborieux, l'histoire se<br />

traîne et le gag est souvent plaqué.<br />

<strong>La</strong> mise en scène de Jasset est remarquable<br />

par l'économie du récit. Comme<br />

plus tard dans la bande <strong>des</strong>sinée, l'élimination<br />

<strong>des</strong> temps morts transforme l'histoire<br />

en une succession rapide de temps<br />

forts. Une action souvent en déclenche<br />

une autre, dans un jaillissement spontané<br />

et perpétuel. Protéa assomme un cycliste<br />

de belle manière, enfourche sa machine,<br />

prend son élan et saute au-<strong>des</strong>sus d'un<br />

pont en flammes. Encore sur la lancée de<br />

son exploit, elle voit l'Anguille tomber<br />

d'un arbre sur le cadre et, sans même<br />

compromettre son équilibre, continuer<br />

avec elle comme passager en second !<br />

Il n'y a décidément qu'un seul fleuron<br />

à arracher à la couronne de Jasset : ce<br />

n'est pas lui, mais Faivre (ou Bourgeois)<br />

qui fit revêtir à Josette Andriot, et de<br />

façon chaste, le collant noir auquel Musidora<br />

allait donner dans les Vampires une<br />

connotation érotique.<br />

Avec Protéa, Jasset terminait en<br />

beauté une carrière cinématographique<br />

dense, brève... et tardive. Né en 1862, il<br />

avait quarante trois ans quand Alice Guy<br />

l'engagea en 1905 chez Gaumont pour diriger<br />

les scènes de foule de sa Vie du<br />

Christ. Auparavant, il avait été peintre en<br />

éventails, décorateur de théâtre, affichiste,<br />

créateur de costumes que sa<br />

femme exécutait. Après quelques films,<br />

Léon Gaumont mit fin à sa présence rue<br />

de la Villette, sur plainte de la mère d'une<br />

jeune figurante. Sans ce dérapage, Alice<br />

Guy n'aurait pas engagé Feuillade, et<br />

c'est Jasset qu'elle aurait proposé pour la<br />

PROTÉA - 37<br />

remplacer à son départ pour l'Amérique<br />

en 1907.<br />

Si sa mort n'avait laissé le champ libre<br />

à Fantômas et aux Vampires, c'est peut-être<br />

l'auteur de Protéa qui aurait endigué l'invasion<br />

<strong>des</strong> sériais américains et se serait<br />

révélé comme le maître du film à épiso<strong>des</strong><br />

en France...<br />

Francis <strong>La</strong>cassin<br />

1 Sur Pearl White, voir Pearl ofthe Armylle Courrier de<br />

Washington (Edward José, 1916), page 163.<br />

| Xr.<br />

! I S : * *%%m<br />

m<br />

En haut :<br />

Lucien Bataille (au centre).<br />

En bas :<br />

Lucien Bataille,<br />

Josette Andriot.


38 - FRANCE<br />

LE FRIQUET<br />

1913- Maurice Tourneur<br />

Réal. : Maurice Tourneur. Prod. : ACAD pour Éclair.<br />

Auteur : Willy, d'après sa pièce, tirée du roman<br />

homonyme de Gyp. Adapt. : Maurice Tourneur.<br />

Int. : Polaire (Le Friquet), Henry Roussell (le comte<br />

Hubert de Ganges), César (Le Mafflu), Dubosc<br />

(Charley, le piqueur), Renée Sylvaire, Gilbert Dalleu,<br />

Émile (le chauffeur du comte).<br />

Date de sortie : 19 janvier 1914].<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 620 m., 27 mn<br />

(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc. Doc. : Remerciements à Sabine Lenk.<br />

Au cours d'une promenade, le Mafflu recueille<br />

une petite fille abandonnée qu'il baptise<br />

« le Friquet ». Clown de profession, le<br />

Mafflu élève l'enfant dans un petit cirque et<br />

lui apprend le métier. Après <strong>des</strong> années, le Friquet<br />

est devenue une écuyère et une trapéziste<br />

accomplie. Mais le directeur lui inflige toutes<br />

les corvées et un jour, épuisée, elle fait une<br />

chute pendant son numéro. Alertépar le Mafflu,<br />

le maire du bourg, Hubert de Ganges, arrache<br />

la jeune femme à cette vie de peine en<br />

l'hébergeant chez lui. Au château, elle découvre<br />

le luxe. Et dès le lendemain matin, elle<br />

s'illustre en maîtrisant dans le grand jardin<br />

un cheval échappé de l'écurie. Mais Charley,<br />

le piqueur anglais, tenu pour responsable et<br />

congédié, jure de se venger. Le Friquet<br />

s'éprend de son bienfaiteur. Hélas, Hubert<br />

aime sa cousine. Le Friquet, déjà en butte aux<br />

avances du banquier Claparon, est au désespoir.<br />

Le Mafflu l'aide à fuir une situation devenue<br />

intenable. Ils sont bientôt engagés dans<br />

un cirque parisien. Mais Charley est là aussi<br />

et pour couronner le tout, Claparon reparaît.<br />

Celui-ci, avec la complicité de celui-là, s'introduit<br />

dans la loge du Friquet. Il essaie<br />

d'abuser d'elle. Un couteau à la main, elle le<br />

repousse. Éprouvée, Le Friquet retourne sous<br />

le chapiteau et reçoit le coup de grâce en<br />

voyant, du haut de son trapèze, Hubert de<br />

Ganges et sa cousine venus au spectacle. Elle<br />

saisit la barre, se balance et se jette dans le<br />

vide. Au sol, elle agonise, entourée de son<br />

chien, du Mafflu et d'Hubert, son malheu-<br />

reux bienfaiteur.<br />

POLAIRE EN LIBERTÉ<br />

Les origines du Friquet ne sont pas encore<br />

suffisamment éclairées. Les sources<br />

contemporaines se montrent bien pauvres.<br />

En outre, le scénario n'a pas été retrouvé.<br />

Néanmoins, il n'y a pas de doute<br />

sur l'auteur du film : dans deux entretiens,<br />

Maurice Tourneur a reconnu l'enfant<br />

1.<br />

<strong>La</strong> « genèse » n'est pas longue à raconter<br />

: douze ans avant la sortie du film<br />

de Tourneur, en 1901, paraît un roman de<br />

Gyp intitulé le Friquet. Bien que nombre<br />

de romans de cet écrivain soient encore<br />

disponibles chez les bouquinistes, le Friquet<br />

est presque introuvable aujourd'hui.<br />

Cette disparition est peut-être due à l'antisémitisme<br />

de Gyp, soit la comtesse de<br />

Martel de Janville. Un exemple, parmi<br />

d'autres, de la bouche même du Friquet :<br />

« ... mais y a pas besoin d'être Lorraine<br />

pour détester les youtres... y a qu'à être<br />

propre ! ».<br />

<strong>La</strong> France de 1901 étant divisée par<br />

l'affaire Dreyfus, cet antisémitisme déclaré<br />

n'empêche pas (explique ?) le succès<br />

du roman. Ce succès attire l'attention<br />

du monde théâtral. Une pièce en quatre<br />

actes, épurée de sa violence antijuive, est<br />

créée et jouée pour la première fois le 1 er<br />

octobre 1904 au théâtre du Gymnase à<br />

Paris. Son auteur s'appelle Henri Gauthier-Villars<br />

dit Willy. Il a été aidé par sa<br />

femme Colette, Armory et Luvey 2 . Willy<br />

assure aussi la mise en scène, temporairement<br />

remplacé par Gyp qui dirige les<br />

comédiens en son absence. Polaire, l'amie<br />

de Willy et de Colette, incarne le rôle principal.<br />

<strong>La</strong> pièce est fortement applaudie et<br />

représentée une centaine de fois (jusqu'en<br />

décembre 1904). Une nouvelle<br />

mise en scène du Friquet à Bruxelles au<br />

printemps de l'année 1913 attire également<br />

beaucoup de spectateurs. Andrée<br />

Mielly, une jeune parente de Willy, joue<br />

à la place de Polaire 3 . Éventuellemnt inspirée<br />

par la bonne fortune de la reprise,<br />

la société Éclair décide de porter l'histoire<br />

de la petite écuyère à l'écran. Le rôle re-<br />

vient naturellement à Polaire et elle le<br />

joue devant la caméra avec autant d'aisance<br />

que, semble t-il, sur la scène 4 .<br />

Comme la plupart <strong>des</strong> films à cette<br />

époque, le Friquet a probablement été<br />

tourné en une semaine et pendant l'été, à<br />

en juger d'après les prises de vues en extérieurs.<br />

Le résultat est un moyen métrage<br />

qui respecte la division en quatre<br />

actes de la pièce. Il sort entre novembre<br />

1913 et avril 1914 dans plusieurs pays, en<br />

commençant par l'Allemagne, le pays le<br />

plus consommateur de films en Europe.<br />

En janvier 1914, il est projeté à Paris.<br />

Quatre mois plus tard, on le présente aux<br />

Américains (en trois bobines, ce qui pourrait<br />

correspondre à trois actes).<br />

Bien que les chiffres manquent, le succès<br />

public du film aux États-Unis est probable.<br />

Polaire, rendue populaire par sa<br />

tournée triomphale quelques années auparavant<br />

sous le surnom de la femme « la<br />

plus moche » du monde, est annoncée<br />

cette fois-ci à grand renfort d'exotisme :<br />

« SHE wears a pearl ring in her nose »,<br />

« SHE is the most eccentric artist appearing<br />

on the screen today » (The Motion Picture<br />

News, 4 avril 1914). Le renom de l'artiste<br />

est tel en Europe que le film suscite<br />

sans doute une pareille curiosité. Cependant<br />

en Allemagne, le public ne voit<br />

qu'une version censurée : sont coupés la<br />

tentative de viol du Friquet dans sa loge,<br />

sa chute du trapèze ainsi que le transport<br />

de la mourante vers les coulisses. En Autriche,<br />

le film est entièrement interdit aux<br />

enfants.<br />

L'importance esthétique du Friquet,<br />

au vu <strong>des</strong> scènes retrouvées et restaurées,<br />

est considérable. Les marques d'auteur<br />

de Tourneur - la fluidité du montage et<br />

l'utilisation de la profondeur de champ<br />

tant admirées par l'historien Richard<br />

Koszarski 5 - sont déjà visibles dans cette<br />

œuvre <strong>des</strong> débuts. <strong>La</strong> fluidité du Friquet<br />

a été remarquée par les contemporains<br />

du film et la critique américaine souligne<br />

tout de suite l'absence totale de scènes superflues<br />

et la limpidité de la narration.<br />

Quant à la profondeur de champ, Tour-<br />

neur l'utilise habilement dans les plans<br />

tournés en extérieurs où les allées et venues<br />

<strong>des</strong> personnages s'effectuent principalement<br />

dans l'axe de la caméra. En<br />

revanche, à l'intérieur, les acteurs jouent<br />

et se tiennent encore - à quelques plans<br />

près - perpendiculairement à l'objectif.<br />

Bien qu'il débute, Tourneur maîtrise déjà<br />

les co<strong>des</strong> stylistiques de son époque : par<br />

exemple, la division de l'espace par un<br />

élément (ici un arbre séparant le Friquet<br />

du couple qu'elle observe en cachette) ou<br />

la vue en contre-plongée d'une scène<br />

jouée sur un trapèze qui rappelle les mélodrames<br />

danois tels De Pire Djaevle I les<br />

Quatre Diables (Robert Dinesen et Alfred<br />

Lind, 1911) ou Dodsspring til Hestfra Cirkuskuplen<br />

I Sous la Coupole du cirque (Eduard<br />

Schnedler-Sorensen, 1912). Il maîtrise<br />

également la prolongation optique<br />

d'un espace confiné, par alignement <strong>des</strong><br />

acteurs <strong>des</strong>sinant ainsi une oblique<br />

fuyant par le fond de l'image (les adieux<br />

du Friquet, les artistes dans les coulisses<br />

du cirque). Mais Tourneur va plus loin<br />

que ses contemporains dans l'organisation/manipulation<br />

de l'espace : il répartit<br />

ses acteurs aux quatre coins d'un<br />

grand jardin, un terrain ainsi agrandi par<br />

le fond et élargi d'autant par les mouvements<br />

d'une caméra qui va tantôt vers la<br />

droite tantôt vers la gauche pour suivre,<br />

dans la lumière du matin, le déplacement<br />

imprévisible d'un cheval échappé de son<br />

enclos. De même dans la scène de la fuite<br />

du Friquet et du Mafflu, les deux personnages<br />

sont au loin, leurs silhouettes<br />

encadrées par l'embrasure d'une porte.<br />

Ainsi, Tourneur ose faire jouer une action<br />

tout au fond du champ, un champ limité<br />

par l'encadrement qui focalise le regard<br />

sur les acteurs.<br />

L'œuvre est encore remarquable pour<br />

ces plans dans lesquels Maurice Tourneur<br />

nous donne par moments une vision<br />

<strong>des</strong> choses qui se distingue nettement de<br />

l'esthétique d'avant-guerre. Tout à coup,<br />

les plans d'ensemble et américains sont<br />

interrompus par un plan rapproché, inséré<br />

plus pour la beauté de la vue qu'à<br />

<strong>des</strong> fins narratives. Mais le moment le<br />

plus émouvant et le plus moderne du film<br />

est le plan du Friquet et du Mafflu devant<br />

leur roulotte, garée sur un vaste terrain<br />

vague limité tout au fond par les bâtiments<br />

d'une agglomération industrielle<br />

qui disparaissent dans une sorte de<br />

brume matinale. Vingt ans après, le réalisme<br />

poétique ne saura guère faire plus<br />

beau.<br />

Sabine Lenk<br />

Remerciements à <strong>La</strong>urent Billia, Éric Le Roy et M.<br />

Foulques de Jouvenel.<br />

LE FRIQUET-39<br />

1 Cf. l'interview dans Pour vous, 26 mai 1932, cité<br />

d'après Éric Le Roy, « Maurice Tourneur, " le grand<br />

français du cinéma " », in : Griffithiana, n° 47, mars<br />

1993, p. 49. <strong>La</strong> seconde interview (de 1956) se trouve<br />

dans les dossiers du Fonds Commission de ta recherche<br />

historique - BIFI/Coll. <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

1 François Caradec : Feu Willy. Avec et sans Colette, Carrère,<br />

Paris, 1984, p. 166.<br />

3 F. Caradec : Feu Willy, ibid, p. 166-167.<br />

' Cf. Michel Georges-Michel : « Polaire devant Polaire<br />

», in : Gil-Blas, cité d'après Film-Revue, n° 4, 26<br />

janvier 1914, p. 13.<br />

5 Cf. son article « Maurice Tourneur, the First of the<br />

Visual Stylises » (1973), cité d'après Paolo Cherchi<br />

Usai et Lorenzo Codelli, Sulla via di Hollywood 1911-<br />

1920/Thepath toHollywood 1911-1920, Pordenone : Le<br />

Giornate del <strong>Ciné</strong>ma Muto, Biblioteca de Tlmmagine,<br />

1988, p. 296-317.<br />

César (le clown).<br />

Polaire.<br />

Henry Roussel (accroupi).


40 - FRANCE<br />

GERMINAL<br />

1913- Albert Capellani<br />

Réal. : Albert Capellani. Prod. : SCACL<br />

Auteur : Émile Zola, d'après son roman homonyme.<br />

Adapt. : Albert Capellani. Dir. ph. : Louis Forestier,<br />

Karémine Mérobian, Pierre Trimbach. Déc. : Henri<br />

Ménessier, Vallé, Pasquier. Int. : Henry Krauss<br />

(Étienne <strong>La</strong>ntier), jean Jacquinet (Chaval), Paul<br />

Escoffier (Négrel), Dharsay (Souvarine), Sylvie<br />

(Catherine), Mévisto Aîné (Le Maheu), Albert Bras<br />

(Hennebeau), Marc Gérard (Bonnemort), Max<br />

Charlier, Cécile Guyon (Cécile Hennebeau), jeanne<br />

Cheirel (<strong>La</strong> Maheude). Date de sortie : 3 octobre<br />

1913. Métrage, minutage copie Cf. : 3017 m.,<br />

147 mn (à 18 i/s). Générique et intertitres français<br />

reconstitués. Noir et blanc.<br />

Ouvrier au chômage, Étienne <strong>La</strong>ntier<br />

trouve finalement un emploi aux mines de<br />

charbon de Montsou. Il travaille avec la fille<br />

du Maheu, Catherine, qu'il prend d'abord<br />

pour un garçon. D'emblée, Chaval, l'amant<br />

de la jeune fille, affiche son hostilité au nouveau<br />

venu. <strong>La</strong> direction a décidé de baisser le<br />

prix de la berline ; mécontentement <strong>des</strong> mineurs.<br />

Étienne prend pension chez les Maheu<br />

et Catherine, à contrecœur, part vivre chez<br />

Chaval qui l'a épousée. Lors de la paye de<br />

quinzaine, la grogne monte, Étienne prend la<br />

tête du mouvement naissant, la grève est votée.<br />

Mais après quinze jours chômés, c'est la<br />

famine dans le coron. Seul Chaval, bien vu du<br />

directeur, ne manque de rien et reprend même<br />

le travail avec quelques autres. Les grévistes<br />

veulent lui faire la peau sur le carreau de la<br />

mine. Fou de rage, il donne à la direction les<br />

noms <strong>des</strong> meneurs. Alerté, le préfet envoie la<br />

gendarmerie et même la troupe, Étienne se<br />

cache pour ne pas être arrêté, le Maheu tombe<br />

sous les balles. Dans l'affrontement, la fille du<br />

directeur a laissé la vie. Deux jours plus tard,<br />

Étienne sort de son trou, le travail a repris et<br />

lui-même re<strong>des</strong>cend au fond. Mais Souvarine,<br />

un ouvrier anarchiste, sabote les installations<br />

et le paye de sa vie. L'eau s'engouffre dans les<br />

galeries, c'est la catastrophe. Chaval (tué par<br />

Étienne), Catherine et son frère périssent sous<br />

la terre. Seul Étienne est extrait vivant de la<br />

mine et épuisé, tombe dans les bras de l'ingénieur<br />

Négrel. Rétabli, il quitte la pauvre Maheude<br />

et cette région de malheurs en espérant<br />

<strong>des</strong> temps meilleurs.<br />

À CIEL OUVERT<br />

À relire les historiens généralistes du<br />

cinéma, il est clair qu'aucun d'eux n'a vu,<br />

ni d'ailleurs pu voir Germinal, ni Georges<br />

Sadoul, ni Jean Mitry, ni René Jeanne et<br />

Charles Ford. Ils se contentent tous<br />

d'évoquer le titre dans la liste <strong>des</strong> adaptations<br />

littéraires réalisées par Albert Capellani<br />

pour la SCAGL que celui-ci dirige<br />

jusqu'à son départ pour les Etats-Unis.<br />

Capellani tourne Germinal à partir de<br />

février 1913, quelques semaines seulement<br />

après la sortie triomphale <strong>des</strong> Misérables<br />

en quatre parties. Le film sort la<br />

semaine du 3 au 9 octobre 1913 dans<br />

quatre salles à Paris : l'Omnia Pathé, le<br />

Kinérama Pathé, le Paris <strong>Ciné</strong> et le Cirque<br />

d'hiver. Il ne semble pas avoir été redistribué<br />

après 1918, sans doute en raison du<br />

contexte sociopolitique d'union nationale,<br />

postérieur à la guerre. D'où sa disparition<br />

complète dans la tradition de<br />

l'historiographie classique du cinéma.<br />

<strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française a miracu-<br />

leusement conservé le négatif original. Il<br />

s'agit donc d'une véritable résurrection<br />

du film, maillon majeur dans la généalogie<br />

du « réalisme français », résurrection<br />

qui amène à remettre en cause de nombreux<br />

aspects du prétendu « archaïsme »<br />

du cinéma français <strong>des</strong> premières années<br />

dix. Par rapport aux Misérables, où le tournage<br />

en studio prédomine encore nettement<br />

ainsi que le cadrage frontal, Germinal<br />

marque un bond en avant spectaculaire,<br />

un saut qualitatif.<br />

En 1913, le roman de Zola, qui date<br />

de 1885, est encore très proche. Il est rapidement<br />

devenu mythique et connaît un<br />

succès exceptionnel. Son action se déroule<br />

dans la dernière période du Second<br />

Empire, en 1865, au moment de l'expédition<br />

du Mexique. Le film de Capellani<br />

situe l'action dans les années républicaines.<br />

Au moment fort de la grève, le<br />

propriétaire de la mine téléphone au préfet<br />

du Nord afin que celui-ci envoie la<br />

troupe. Les uniformes <strong>des</strong> soldats et <strong>des</strong><br />

gendarmes à cheval permettent de situer<br />

la fiction dans la période contemporaine<br />

au tournage du film. Capellani évite ainsi<br />

la reconstitution historique et inscrit directement<br />

l'action du film dans le présent<br />

du spectateur <strong>des</strong> années dix, ou tout au<br />

moins dans son passé immédiatement<br />

proche.<br />

L'adaptationreste fidèle à la structure<br />

narrative du roman original, mais elle<br />

procède aussi par condensation, déplacement,<br />

transposition et élagage systématique<br />

<strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> latéraux et <strong>des</strong> personnages<br />

secondaires. Ainsi, l'épicier<br />

Maigrat dont la castration par les manifestants<br />

avait si fortement marqué Eisenstein,<br />

disparaît dans le film. Chez Zola<br />

seulement, Cécile la fille d'une famille<br />

bourgeoise est étranglée par le vieux<br />

Bonnemort quand chez Capellani, pour<br />

le coup c'est la fille du directeur qui meurt<br />

sous les balles, en contrepoint de la mort<br />

du Maheu pendant la répression de la<br />

manifestation. Autre différence très remarquable<br />

: dans le film, l'anarchiste<br />

Souvarine meurt en tombant dans le vide<br />

après son sabotage. Dans le roman, il partait<br />

dans la nuit une fois son attentat<br />

réussi. C'est qu'entre 1885 et 1913, les<br />

anarcho-syndicalistes ont fait parler<br />

d'eux et « la bande à Bonnot » n'est décimée<br />

qu'en... 1912. En revanche, chez Zola<br />

comme chez Capellani, l'ingénieur et<br />

l'ouvrier tombent dans les bras l'un de<br />

l'autre et s'étreignent après le coup de grisou.<br />

Thea von Harbou s'est-elle souvenue<br />

de cet épilogue en écrivant celui de<br />

Metropolis ?<br />

Le film est réalisé pour l'essentiel en<br />

plein pays minier, à Auchel, près de Béthune.<br />

Ce tournage hors studio est décisif<br />

et bouleverse les co<strong>des</strong> esthétiques antérieurs.<br />

Toutes les séquences d'extérieurs<br />

sont filmées en décor naturel repéré<br />

sur place : l'atelier de métallurgie où<br />

l'on découvre <strong>La</strong>ntier au début du film,<br />

les routes qu'il traverse, les rues <strong>des</strong> corons,<br />

les plans en surface de la mine avec<br />

ses pylônes et ses berlines.<br />

Le parti pris de cadrage privilégie le<br />

plan large provoquant une certaine am-<br />

plitude spatiale et une très forte inscription<br />

<strong>des</strong> protagonistes dans le décor.<br />

L'opérateur Louis Forestier donne l'impression<br />

de redécouvrir la « profondeur<br />

de champ primitive » en privilégiant<br />

l'éclairage diurne, saisi au moment de sa<br />

luminosité la plus éclatante. Sont ainsi remarquables<br />

les longs plans qui cadrent<br />

les actions suivantes :<br />

- l'arrivée de <strong>La</strong>ntier près de la mine<br />

et son dialogue avec le père Bonnemort<br />

pendant que l'arrière champ révèle l'incessant<br />

trafic aérien <strong>des</strong> bennes,<br />

- la propagation de l'appel à la grève<br />

filmé en plan général qui montre une<br />

large place du coron traversée en deux<br />

mouvements par un groupe de grévistes,<br />

- la rue du coron cadrée en perpendiculaire<br />

avec deux zones de lumière<br />

lorsque <strong>La</strong>ntier rencontre Catherine qui<br />

cherche à dissimuler les victuailles qu'elle<br />

ramène chez son époux Chaval,<br />

- les plans d'affrontements violents<br />

lors de l'intervention de la gendarmerie<br />

équestre, pour ne citer que les moments<br />

les plus spectaculaires et visuels du film.<br />

Mais cette mise en valeur <strong>des</strong> espaces<br />

naturels va de pair avec un soin tout particulier<br />

dans la construction et l'utilisation<br />

<strong>des</strong> décors. À de rares exceptions<br />

près, notamment lors du sabotage du<br />

puits par Souvarine, Germinal est un <strong>des</strong><br />

premiers films français qui dépasse complètement<br />

l'effet « toile peinte » si caractéristique<br />

du cinéma <strong>des</strong> premiers temps,<br />

plus encore <strong>des</strong> films Pathé. L'économie<br />

<strong>des</strong> décors s'harmonise à la logique <strong>des</strong><br />

lieux : les intérieurs <strong>des</strong> mineurs sont <strong>des</strong><br />

cubes identiques les uns aux autres comme<br />

ils le sont dans la pratique sociale, et<br />

il suffit à Capellani de changer deux ou<br />

trois meubles pour que l'on passe de la<br />

maison <strong>des</strong> Maheu à celle de Chaval.<br />

<strong>La</strong> reconstitution <strong>des</strong> puits, <strong>des</strong> galeries,<br />

<strong>des</strong> zones d'extraction du charbon<br />

avec ses poutres et ses échafaudages précaires<br />

utilise au mieux les limites de la<br />

technique du décor cinématographique<br />

en 1913. Mais l'effet d'authenticité est<br />

plus encore produit par la gestuelle <strong>des</strong><br />

acteurs, leur déplacement dans ces galeries<br />

souterraines où ils doivent se plier et<br />

contourner les obstacles. Cette présence<br />

physique <strong>des</strong> acteurs et la parfaite intégration<br />

<strong>des</strong> professionnels tels Henry<br />

Krauss, Jacquinet, Mévisto Aîné et Mlle<br />

Sylvie dans la collectivité <strong>des</strong> figurants<br />

locaux est autant produite par le talent<br />

<strong>des</strong> interprètes, la sobriété que leur impose<br />

le réalisateur que par la mise en<br />

place <strong>des</strong> groupes dans l'espace. Germinal<br />

montre pour l'une <strong>des</strong> premières fois<br />

à l'écran le trajet <strong>des</strong> foules prolétaires se<br />

dirigeant vers la mine avec un rythme<br />

bien particulier fait de lenteur, de solidarité<br />

ouvrière et de détermination.<br />

Plus précisément, il faut saluer les<br />

performances d'Henry Krauss, qui incarne<br />

un <strong>La</strong>ntier massif et bourru, d'une<br />

présence corporelle rare, et de la jeune<br />

Sylvie offrant une silhouette étonnante à<br />

la frêle mais très déterminée Catherine.<br />

Capellani a peut être su, mieux encore<br />

que Zola, représenter l'alliance contradictoire<br />

de pudeur ouvrière et de ru<strong>des</strong>se<br />

maladroite dans l'expression <strong>des</strong> sentiments<br />

personnels de ses personnages.<br />

L'idylle ébauchée entre <strong>La</strong>ntier et Catherine<br />

échappe ainsi à toute mièvrerie, par<br />

exemple lors du très beau passage où ils<br />

se retrouvent dans la rue, au moment le<br />

plus tendu de la grève, et n'échangent<br />

qu'un furtif baiser. Plus encore, la confrontation<br />

<strong>des</strong> deux personnages dans les<br />

scènes de galerie souterraine est d'une<br />

grande force : moment de la découverte<br />

de la coiffure féminine au début du récit<br />

lorsque Catherine partage son cassecroûte<br />

avec <strong>La</strong>ntier ; moment de la mort<br />

lente, au côté du cadavre de Chaval lors<br />

de l'inondation et de la catastrophe du<br />

Voreux.<br />

Albert Capellani est certainement le<br />

grand réalisateur méconnu du cinéma<br />

français <strong>des</strong> années dix.<br />

Michel Marie


42 - FRANCE<br />

LA LUTTE POUR LA VIE<br />

1914 - Ferdinand Zecca<br />

Réal. : Ferdinand Zecca, René Leprince. Prod. : Pathé<br />

Frères. Se. : Pierre Decourcelle. Dir. ph. : Julien<br />

Ringel. Int. : René Alexandre (Jean Morin), Gabriel<br />

Signoret (Jacques Préval), Louis Ravet (Migaut fils),<br />

Devalence (Migaut père), Gabrielle Robinne (Mlle<br />

Préval), Simone Mareix (la fille de Migaut), Carmen de<br />

Raisy ou Deraisy (la mendiante). Date de sortie : 20<br />

février 1914. Métrage, minutage copie Cf. : 1424 m.,<br />

69 mn (à 18 i/s). Générique et intertitres français<br />

reconstitués. Noir et blanc. Ce film a été restauré avec<br />

le concours du Département <strong>des</strong> Arts du spectacle de<br />

la Bibliothèque nationale de France.<br />

Jean Morin, <strong>des</strong>sinateur industriel dans<br />

une usine nantaise, est injustement licencié<br />

par son supérieur et empêché de retrouver du<br />

travail. Déclassé et démoralisé, Jean quitte la<br />

ville. Il vient à passer près d'un champ quand<br />

un vieux paysan, harassé par le labour, s'effondre.<br />

Il le sauve. Une fois remis, le père Migaut<br />

embauche cet étranger vigoureux pour<br />

les travaux <strong>des</strong> champs, puis le nomme chef<br />

<strong>des</strong> batteurs. Pour se débarrasser de l'intrus,<br />

ses deux fils trafiquent la moissonneuse et accusent<br />

Jean qui doit partir une nouvelle fois.<br />

En route, il échange ses habits épuisés contre<br />

ceux, moins fatigués, d'un épouvantail. Direction<br />

la capitale. Il y arrive un matin, affamé.<br />

Gare de Lyon, il a l'idée de suivre en<br />

courant une voiture à cheval et son passager<br />

à travers tout Paris. <strong>La</strong> voiture s'immobilise<br />

enfin place d'Iéna et Jean est là qui se propose<br />

de porter les lour<strong>des</strong> malles du voyageur jusqu'à<br />

son appartement. On lui donne quelques<br />

pièces pour sa peine et il achète du pain. Il fait<br />

tous les métiers : vendeur de journaux à la<br />

criée, <strong>des</strong>sinateur à même les trottoirs. Un<br />

jour, il ramasse un portefeuille et le rapporte<br />

à son propriétaire, Jacques Préval, directeur<br />

<strong>des</strong> filatures d'Auteuil. En remerciement, il<br />

est engagé. Un incendie se déclare à l'usine et<br />

Jean sauve <strong>des</strong> flammes la fille de Préval. Reconnaissante<br />

et aimante, elle l'épouse avec la<br />

bénédiction paternelle. Son mari la conduira<br />

comme en pèlerinage jusqu'à Vépouvantail,<br />

dernier signe d'un passé heureusement révolu.<br />

LA TRAVERSÉE DE PARIS<br />

Répertorié par la publicité maison<br />

d'époque comme la huitième série <strong>des</strong><br />

« Scènes dramatiques », la Lutte pour la vie<br />

n'aurait pu - n'aurait dû - être qu'un titre<br />

de plus dans l'abondante production de<br />

la société Pathé, alors à son apogée. Vu<br />

aujourd'hui, le film passionne comme appartenant<br />

à un de ces interrègnes de<br />

l'Histoire où l'ancien n'est plus et le nouveau<br />

reste à venir. Déjà long métrage<br />

mais sans que toutes les leçons aient encore<br />

été tirées de l'allongement de la<br />

durée, bon spécimen d'un cinéma français<br />

qui triomphe sur la scène mondiale<br />

mais qui va sombrer six mois plus tard,<br />

la Lutte pour la vie est exemplaire à la fois<br />

du savoir-faire Pathé et de ses limites.<br />

Quand le film est tourné, courant<br />

1913, la société Films Pathé Frères vient<br />

d'engranger un bénéfice de plus de sept<br />

millions de francs pour l'exercice écoulé.<br />

L'argent est là, la notoriété également :<br />

Charles Pathé est nommé chevalier de la<br />

Légion d'honneur. Pourtant, il n'est plus<br />

possible de se contenter <strong>des</strong> courtes<br />

ban<strong>des</strong> qui ont assuré si longtemps la fortune<br />

de la firme. Le monde change et les<br />

cartes sont redistribuées. De Berlin, Erich<br />

Pommer rachète la majorité du capital<br />

d'Éclair. <strong>La</strong> Dekage arrache à Gaumont<br />

Suzanne Grandais et Yvette Andreyor.<br />

<strong>La</strong> société Lux est dissoute et Méliès à la<br />

veille de la faillite. Les superproductions<br />

emportent l'adhésion du public : en<br />

France, les Misérables de Capellani (3500<br />

mètres, quatre époques, cent tableaux,<br />

dix parties), puis Germinal du même<br />

(3000 mètres) et les Fantômas de<br />

Feuillade ; en Italie, Quo Vadis ? de Guazzoni<br />

(2250 mètres) et Gli ultimi giorni di<br />

Pompei I les Derniers Jours de Pompei de Caserini<br />

(presque 2000 mètres). Cabiria est<br />

en tournage et aux États-Unis, The Birth<br />

ofa Nation en préparation.<br />

C'est donc tout naturellement sous la<br />

forme d'un film long qu'est mis en chantier<br />

la Lutte pour la vie, remake d'une première<br />

version déjà produite par Zecca<br />

pour Pathé en 1907. Le prolifique Ferdinand<br />

Zecca, homme à tout faire de Pathé<br />

et spécialiste <strong>des</strong> drames réalistes, après<br />

s'être consacré uniquement à la production<br />

de 1909 à 1911, s'est remis à la réalisation<br />

pour ces « Scènes de la vie cruelle »<br />

- réponse aux « Scènes de la vie réelle »<br />

de Feuillade - qui durent de 1912 à 1914.<br />

Il abandonnera ensuite le métier pour se<br />

consacrer uniquement à <strong>des</strong> tâches administratives<br />

(équipement de studios à<br />

Berlin, direction de la filiale de Pathé aux<br />

États-Unis). A ses côtés, René Leprince<br />

fait ses débuts dans cette série. Il poursuivra<br />

toute sa carrière chez Pathé, sans<br />

coup d'éclat mais sans faille.<br />

Il y a une réelle ambition dans la Lutte<br />

pour la vie, mais aussi <strong>des</strong> timidités. D'un<br />

côté, un travail soigné et convaincant, <strong>des</strong><br />

morceaux de bravoure comme la scène<br />

de l'incendie une distribution homogène<br />

même si le jeu <strong>des</strong> comédiens est<br />

éloigné du goût actuel : ils nous paraissent<br />

peu expressifs alors que justement,<br />

dans un souci du réalisme, ils fuient<br />

l'emphase, péché mignon <strong>des</strong> acteurs<br />

venus du théâtre en un temps où il était<br />

de bon ton de souligner l'effet. De l'autre,<br />

l'intrigue sent malgré tout sa série. Ainsi,<br />

le scénario de cette « étude sociale en<br />

quatre parties » repose sur les ficelles les<br />

plus grosses. Dans la première partie,<br />

Jean est injustement renvoyé de l'usine<br />

par son supérieur pour cause de rivalité<br />

amoureuse. Dans la deuxième, il est<br />

chassé tout aussi injustement de la ferme<br />

où il est employé. Il ne devra son salut<br />

professionnel, à Paris, qu'à la découverte<br />

sur un trottoir du portefeuille généreusement<br />

garni du directeur-propriétaire<br />

<strong>des</strong> filatures d'Auteuil et se fera remarquer<br />

de la fille du dit directeur en la sauvant<br />

<strong>des</strong> flammes d'un incendie ! Inutile<br />

d'ironiser sur les coups de force nécessaires<br />

pour parvenir à une fin heureuse<br />

qui, s'ils impliquent l'honnêteté et la<br />

droiture du héros, relèvent autant de<br />

l'étude sociale que les gains à la loterie.<br />

Nous sommes là dans les ressorts exploités<br />

jusqu'au tréfonds du bon vieux<br />

mélodrame, formule éprouvée sur laquelle<br />

Pathé a d'ailleurs fondé son succès<br />

auprès d'un public amateur de romans à<br />

trois sous.<br />

En fait, ce que nous admirons n'est<br />

pas le sujet mais sa stricte mise en scène.<br />

Non le maniement de l'échelle <strong>des</strong> plans<br />

ou le montage, timorés par comparaison<br />

avec ce qui commence à poindre ici ou là<br />

au même moment, mais le soin porté à la<br />

composition de chaque image. Faute de<br />

jouer de l'émotion et de la dynamique<br />

que peut apporter l'usage du gros plan<br />

(aucun ne mérite cette appellation), Zecca<br />

et Leprince se rattrapent étonnamment<br />

sur le traitement <strong>des</strong> plans d'ensemble.<br />

Prenons le premier plan du film. Un mouvement<br />

de groupe (l'entrée dans l'usine<br />

nantaise, qui évoque la sortie d'une autre<br />

usine) crée la mise en condition dynamique<br />

qui va aboutir à la poignée de main<br />

devant être mise en valeur. Le deuxième.<br />

Le groupe se dirige vers la pointeuse puis<br />

s'éloigne par l'escalier : les réalisateurs<br />

René Alexandre (au milieu).<br />

ont l'habileté d'ouvrir sur un figurant qui<br />

effectue le trajet en sens inverse. Le troisième.<br />

Dans l'atelier, une femme debout<br />

immobile souligne l'utilisation de la profondeur<br />

de champ tandis qu'un employé<br />

passe latéralement. Le quatrième, dans la<br />

cour de l'usine. Cette fois, c'est une charrette<br />

attelée, puis un cycliste qui passent<br />

au loin avant qu'un léger recadrage ne<br />

nous ramène sur les protagonistes. Il y a<br />

dans ces plans, et dans beaucoup d'autres,<br />

comme une inscription et une rétention<br />

à la fois d'une profondeur qui ne demande<br />

qu'à trouver sa voie et finalement,<br />

s'imposer. Au fur et à mesure, un désir<br />

de veduta travaille les plans, les taraude,<br />

les mine, comme pour percer, puis déchirer<br />

l'effet « toile peinte » ou « plan-tableau<br />

» et atteindre par la perspective à<br />

la vie telle qu'elle est, à un naturalisme<br />

qui coulerait à flot et trouve son point<br />

d'orgue dans la scène de traversée de<br />

Paris en calèche ; une scène où les digues<br />

de la perception semblent rompues, libé-<br />

LA LUTTE POUR LA VIE-43<br />

rant la vision jusqu'à un infini idéal : la<br />

reproductibilité absolue de la réalité, un<br />

réalisme « intégral ».<br />

Stupéfiante traversée documentaire<br />

de Paris. Soudain, la caméra prend <strong>des</strong><br />

ailes, épouse le mouvement du héros en<br />

train de courir derrière un fiacre, nous entraîne<br />

de la gare de Lyon à l'Étoile via la<br />

Bastille, la République, les Grands Boulevards,<br />

l'Opéra, la Madeleine et les<br />

Champs-Élysées. Treize ans avant Berlin,<br />

die Symphonie einer Grosstadt (Symphonie<br />

d'une grande ville), le cœur d'une métropole<br />

se met à battre. C'est très beau.<br />

Jean Roy<br />

1 L'incendie d'un bâtiment est vu depuis la pièce d'en<br />

face, la caméra fixant le dos de Jean en train de regarder<br />

à travers la fenêtre. <strong>La</strong> valeur du plan est dans<br />

l'empilement horizontal de strates de réalité et dans<br />

la distance focale à son objet. Renoir ne procédera pas<br />

autrement dans la Chienne.<br />

René Alexandre (de dos).


44 - FRANCE<br />

LA COMMUNE<br />

1914-Armand Guerra<br />

Réal. : Armand Guerra. Prod. : Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple.<br />

Se. : Lucien Descaves. Int. : Armand Guerra<br />

(Adolphe Thiers et le général Lecomte).<br />

Date de sortie : 28 mars 1914.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 457 m., 22 mn<br />

(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc. Ce film a été restauré avec le concours<br />

de l'historien Nicolas Offenstadt.<br />

Après la défaite de Sedan et la chute du<br />

Second Empire, Adolphe Thiers a été nommé<br />

chef de l'exécutif À Paris, la révolte populaire<br />

est imminente. Le 18 mars 1871, Thiers<br />

convoque le général Lecomte et lui ordonne<br />

de retirer les canons conservés par la Garde<br />

nationale. Or, au même moment, rue <strong>des</strong><br />

Martyrs, un garde national reconnaît un <strong>des</strong><br />

chefs de la répression de juin 1848, le général<br />

Thomas. <strong>La</strong> foule s'ajoute aux soldats et tous<br />

s'emparent de lui. Sur le chemin de la butte<br />

Montmartre, ils rencontrent les troupes de<br />

Lecomte et c'est la fraternisation, crosses en<br />

l'air. Malgré une tentative du comité central<br />

de la Garde nationale pour s'interposer, Lecomte<br />

et Thomas seront exécutés. Apprenant<br />

que Paris s'est soulevé, Thiers s'enfuit à Versailles.<br />

A la suite <strong>des</strong> élections municipales,<br />

la Commune de Paris est proclamée à l'Hôtel<br />

de ville le 28 mars 1871. Quelque quarante<br />

ans plus tard, d'anciens combattants de la<br />

Commune sont réunis devant le Louvre pour<br />

une photo souvenir. On reconnaît Zéphyrin<br />

Camélinat, Jean Allemane et Nathalie Lemel.<br />

Au dernier plan, une inscription sur un drapeau<br />

: « Vive la Commune ! ».<br />

LES DÉBUTS<br />

DU CINÉMA MILITANT<br />

<strong>La</strong> découverte récente, dans les collections<br />

de la <strong>Ciné</strong>mathèque française, du<br />

film la Commune (et aussi de quelques<br />

fragments du Vieux Docker, 1914), constitue<br />

un événement pour les historiens du<br />

cinéma et <strong>des</strong> sciences sociales. Pouvaiton<br />

espérer revoir un jour sur les écrans<br />

les films produits par le <strong>Ciné</strong>ma du<br />

Peuple, cette minuscule société à la durée<br />

de vie très courte (octobre 1913-août<br />

1914), au mode de fonctionnement mo<strong>des</strong>te<br />

et artisanal, et dont les fondateurs,<br />

étrangers à l'industrie cinématographique,<br />

furent tous <strong>des</strong> libertaires passionnés<br />

? Henri <strong>La</strong>nglois en retrouva pourtant<br />

quelques rouleaux non identifiés,<br />

non montés, sans intertitres : à l'heure actuelle,<br />

ce sont les seules traces <strong>des</strong> débuts<br />

du cinéma social et militant, d'un « cinéma<br />

réalisé par le peuple pour le peuple<br />

lui-même », comme le voudront plus<br />

tard les réalisateurs du Front populaire.<br />

Jamais un film <strong>des</strong> premiers temps n' a<br />

eu autant besoin d'explications, semblet-il.<br />

Cette œuvre, par son côté naïf et malhabile,<br />

son ton neutre et incertain, par<br />

certaines <strong>images</strong> d'une beauté saisissante<br />

aussi, est extrêmement déroutante pour<br />

le spectateur qui n'en connaît pas la ge-<br />

nèse.<br />

C'est le 28 octobre 1913 qu'est créée la<br />

« Société coopérative à capital et personnel<br />

variables Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple » t .<br />

Les premiers souscripteurs sont Yves Bidament,<br />

militant syndicaliste <strong>des</strong> chemins<br />

de fer, incarcéré un temps en 1910 ;<br />

Robert Guérard, chansonnier ; Paul Benoist,<br />

cordonnier ; Gustave Cauvin, futur<br />

directeur de l'Office régional du cinéma<br />

éducateur de Lyon 2 ; Félix Chevalier,<br />

coiffeur ; Henriette Tilly, mécanicienne ;<br />

et Camille <strong>La</strong>isant, qui se dit littérateur.<br />

À eux tous, ils apportent cent soixantequinze<br />

francs, mais le capital social est<br />

fixé à la somme de mille francs. À la même<br />

époque, la société Pathé possède un capital<br />

de trente millions de francs.<br />

Le comité de création du <strong>Ciné</strong>ma du<br />

Peuple est en fait beaucoup plus large. Sébastien<br />

Faure, fondateur du journal le Libertaire,<br />

Marcel Martinet, Pierre Martin,<br />

Émile Rousset et d'autres encore sont<br />

venus soutenir l'entreprise. <strong>La</strong> dominante<br />

du groupe est principalement libertaire<br />

mais, comme le souligne Tangui<br />

Perron dans une excellente étude 3 , « il<br />

existait de nombreuses passerelles entre<br />

anarchistes, socialistes et syndicalistes<br />

révolutionnaires ».<br />

Le programme d'action du <strong>Ciné</strong>ma<br />

du Peuple est publié avant même la création<br />

officielle de la société, le 13 septembre<br />

1913 : « Notre but est de faire<br />

nous-mêmes nos films, de chercher dans<br />

l'histoire, dans la vie de chaque jour, dans<br />

les drames du travail, <strong>des</strong> sujets scéniques<br />

qui compenseront heureusement<br />

les films orduriers servis chaque soir au<br />

public ouvrier (...) De toutes nos forces<br />

nous combattrons l'alcool, comme nous<br />

combattrons la guerre, le chauvinisme<br />

stupide, la morale bourgeoise et inepte<br />

". » Depuis longtemps, les libertaires<br />

rêvent de « moraliser » - c'est leur propre<br />

expression - le cinéma, de modifier aussi<br />

l'image de l'ouvrier alcoolique qui se retrouve<br />

dans bon nombre de drames sociaux<br />

produits par Pathé, Gaumont ou<br />

Éclair.<br />

Le 18 janvier 1914, le <strong>Ciné</strong>ma du<br />

Peuple peut enfin présenter, à la salle <strong>des</strong><br />

sociétés savantes de la rue Danton à Paris,<br />

son premier film, les Misères de l'aiguille,<br />

interprété par Musidora et réalisé par Armand<br />

Guerra, auparavant employé chez<br />

Éclair. Selon le témoignage de Guerra 5 ,<br />

cette première bande a été réalisée dans<br />

les studios de la société Lux, ce qui est<br />

peut-être le cas également pour la Commune.<br />

Une fête est organisée à l'occasion<br />

de la présentation du film, en présence de<br />

Lucien Descaves qui fait une conférence<br />

sur le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple, et de Marguerite<br />

Greyval, actrice du Théâtre Antoine,<br />

qui déclame <strong>des</strong> poèmes. Cependant, la<br />

projection est gâchée par le manque de<br />

luminosité de l'appareil. Les <strong>images</strong>, trop<br />

45


46 - FRANCE<br />

sombres, sont tout de même commentées<br />

par Charles Marck, de la CGT.<br />

Cette première présentation est importante,<br />

car s'y retrouvent les deux principaux<br />

intervenants du film la Commune,<br />

Lucien Descaves, écrivain libertaire et<br />

communard, auteur de Ronge-Maille<br />

Vainqueur, et l'Espagnol Armand Guerra,<br />

de son vrai nom José Maria Estivalis-<br />

Calvo, dont la carrière cinématographique<br />

se poursuivra en Russie, en Allemagne<br />

puis en Espagne jusqu'aux années<br />

trente. <strong>La</strong> présence de Marguerite Greyval,<br />

qui jouera dans certains films du <strong>Ciné</strong>ma<br />

du Peuple, est elle aussi révélatrice<br />

: Antoine, le patron du Théâtre-<br />

Libre, avait <strong>des</strong> amis dans le milieu anarchiste.<br />

Autre indication précieuse : les<br />

vues sont commentées par un bonimenteur<br />

issu du milieu syndical.<br />

Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple produira<br />

d'autres films en 1914 : les Obsèques du citoyen<br />

Francis de Pressensé, Victime <strong>des</strong> exploiteurs,<br />

l'Hiver, plaisir <strong>des</strong> riches, souffrance<br />

<strong>des</strong> pauvres, etc. Ce sont de vigoureuses<br />

dénonciations du capitalisme et<br />

du patronat, si l'on en croit les journaux<br />

et les titres mêmes de ces films.<br />

Le samedi 28 mars 1914 (le choix de<br />

la date est symbolique : la Commune de<br />

Paris avait été proclamée le 28 mars 1871 ),<br />

le Palais <strong>des</strong> Fêtes du 199 rue Saint-Martin<br />

à Paris est loué par le <strong>Ciné</strong>ma du<br />

Peuple pour une « grande fête populaire<br />

», et sont projetés Victime <strong>des</strong> exploiteurs,<br />

le Vieux Docker et enfin la Commune,<br />

sans doute le film le plus ambitieux de la<br />

société. Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple avait l'intention<br />

de consacrer une suite à cette histoire<br />

de la Commune, mais la guerre empêcha<br />

toute autre réalisation.<br />

C'est encore Armand Guerra qui réalise<br />

la Commune, assisté pour le scénario<br />

de Lucien Descaves ; Guerra joue deux<br />

rôles, semble-t-il, celui de Thiers et de Lecomte<br />

6 . Le film est un curieux mélange<br />

d'archaïsmes et d'audaces cinématographiques.<br />

Les scènes d'intérieurs, par<br />

exemple, sont toujours bouchées par <strong>des</strong><br />

décors de toile peinte assez maladroits<br />

(mais encore en vigueur dans un grand<br />

nombre de films <strong>des</strong> années dix). En revanche,<br />

les vues de plein air se distinguent<br />

toutes par une perspective très profonde,<br />

de beaux plans représentant <strong>des</strong><br />

rues, <strong>des</strong> murs en ruine ou <strong>des</strong> terrains<br />

vagues. Cette volonté de tourner dehors<br />

évoque les futurs films d'Antoine.<br />

Lorsque Thiers s'enfuit à Versailles après<br />

avoir fébrilement fait le tri dans ses papiers,<br />

nous trouvons de nouveau un très<br />

beau plan en extérieurs, avec une perspective<br />

assez profonde. En outre, la caméra<br />

suit en panoramique Thiers qui<br />

monte dans sa calèche. Ce même désir de<br />

veduta se retrouve dans une scène précédant<br />

l'exécution de Lecomte et Thomas,<br />

filmée en extérieur. Un soldat sur un cheval<br />

blanc arrive de très loin, parti du fond<br />

d'une rue extrêmement longue. Il arrivera<br />

trop tard pour s'interposer.<br />

Un détail curieux révèle une maladresse<br />

de réalisation étonnante, ou alors<br />

une volonté de mise en scène expressionniste<br />

(mais cela paraît peu probable) :<br />

après leur arrestation, un gros plan<br />

montre les visages de Lecomte et Thomas,<br />

grimés d'une façon extraordinairement<br />

outrancière. Les ri<strong>des</strong> sont soulignées<br />

à coup d'épais traits noirs, ils ont<br />

sous les yeux <strong>des</strong> lignes plus claires,<br />

peintes avec une grossièreté d'exécution<br />

évidente.<br />

À la fin du film, la salle de l'Hôtel de<br />

ville où est proclamée la Commune de<br />

Paris, est en fait une pièce tendue de toile<br />

peinte dans laquelle huit comédiens discutent<br />

avec passion autour d'une table.<br />

Les derniers plans, documentaires, sont<br />

assez émouvants : un groupe de l'Association<br />

fraternelle <strong>des</strong> anciens combattants<br />

de la Commune, réuni devant le<br />

Louvre, où sont reconnaissables Zéphyrin<br />

Camélinat, Jean Allemane, Nathalie<br />

Lemel ; le mur du square Gambetta au<br />

Père <strong>La</strong>chaise ; enfin un drapeau avec<br />

l'inscription « Vive la Commune ! ».<br />

Le film de Guerra est donc une œuvre<br />

naïve, maladroite, très mal interprétée,<br />

pleine d'amateurisme malgré les belles<br />

scènes en extérieurs et les efforts pour ouvrir<br />

la profondeur de champ. Guerra a essayé<br />

de raconter en plans alternés les préparatifs<br />

de l'exécution de Lecomte et<br />

Thomas, et la course à cheval du soldat<br />

dépêché pour la stopper. Mais cet essai<br />

de montage n'est pas nouveau en 1914, et<br />

fait par exemple piètre figure à côté d'un<br />

film américain d'une maîtrise extraordinaire,<br />

Suspense de Phillips Smalley, réalisé<br />

un an plus tôt.<br />

L'amateurisme de la Commune s'explique<br />

sans doute par le manque de métier<br />

du jeune réalisateur, et aussi par l'absence<br />

évidente de moyens financiers. Les<br />

décors sont pauvres et les figurants peu<br />

nombreux. Ces maladresses de mise en<br />

scène se retrouvent dans certains films de<br />

petites maisons de production (les<br />

œuvres de la Maison de la Bonne Presse,<br />

pour prendre un exemple dans le camp<br />

adverse, ne sont pas non plus <strong>des</strong> miracles<br />

de réalisation !).<br />

Le scénario de la Commune n'est évidemment<br />

pas très fidèle à la réalité historique<br />

; les lieux géographiques ne sont<br />

pas respectés non plus. Mais le point le<br />

plus troublant, et le plus difficile à éclairer<br />

est celui-ci : pourquoi le ton du film<br />

est-il si neutre, si peu « engagé », si<br />

consensuel ? Alors que les autres films du<br />

<strong>Ciné</strong>ma du Peuple semblent tous teintés<br />

de vives revendications sociales, le propos<br />

de la Commune reste étrangement timide,<br />

sans véritable parti pris. Pendant<br />

toute la projection du film, et avant que<br />

n'intervienne le dernier plan avec le drapeau,<br />

le spectateur non averti a bien du<br />

mal à dire dans quel camp penche<br />

Guerra, celui <strong>des</strong> Communards ou <strong>des</strong><br />

Versaillais ? Lecomte et Thomas ne paraissent<br />

pas précisément antipathiques,<br />

Thiers non plus. Enfin, l'épisode historique<br />

choisi (l'exécution <strong>des</strong> deux généraux)<br />

ne plaide pas vraiment en faveur<br />

<strong>des</strong> insurgés.<br />

Pour tenter de répondre à cette<br />

énigme, il faut d'abord rappeler que le<br />

film a été retrouvé sans ses cartons d'origine<br />

7 . Le travail effectué pour établir le<br />

texte <strong>des</strong> nouveaux intertitres a sans<br />

doute été très délicat : Claudine Kaufmann,<br />

la restauratrice du film, aurait pu<br />

écrire un texte procommunard pour relever<br />

le sens <strong>des</strong> <strong>images</strong>, mais cela auraitil<br />

correspondu à la volonté de Guerra et<br />

du <strong>Ciné</strong>ma du Peuple ? Nous ne le pensons<br />

pas. Un texte « engagé » aurait aussi<br />

probablement souligné encore plus la<br />

neutralité du scénario et le jeu non manichéen<br />

<strong>des</strong> acteurs. Il a donc été choisi<br />

d'établir <strong>des</strong> intertitres très sobres qui se<br />

bornent à restituer le contexte historique<br />

de la Commune. Il ne faut pas oublier non<br />

plus que les films du <strong>Ciné</strong>ma du Peuple<br />

étaient projetés avec les commentaires<br />

d'un bonimenteur. Son rôle était de raconter<br />

l'histoire, de souligner l'action, de<br />

donner un sens plus fort aux <strong>images</strong> :<br />

peut-être était-il aussi chargé, dans ce cas<br />

précis, d'orienter politiquement le film.<br />

Une autre explication pourrait être la<br />

volonté du <strong>Ciné</strong>ma du Peuple d'élargir<br />

son audience. Les premiers films réalisés<br />

n'avaient été projetés que devant<br />

quelques poignées de militants, et en de<br />

rares occasions. Or nous savons que la<br />

Commune a connu une diffusion plus<br />

large, notamment à l'étranger. Le <strong>Ciné</strong>ma<br />

du Peuple rêvait-il de s'introduire dans<br />

les réseaux de distribution classique de<br />

l'époque (Pathé par exemple) ? Il aurait<br />

alors été nécessaire de produire un film<br />

au ton relativement sage. Cette hypothèse<br />

est rendue plausible grâce au témoignage<br />

de Guerra, qui parle de la Commune<br />

comme devant être « pour tout public<br />

sans distinction de classes sociales ou<br />

d'idéologies ». Et un texte publié par les<br />

Temps nouveaux du 14 mars 1914 insiste<br />

même sur l'aspect neutre du film : « Point<br />

n'est besoin de dramatiser quand il s'agit<br />

de la Commune... Les faits sont suffisants...<br />

(Ils) sont assez dramatiques sans<br />

rien y ajouter de fictif. »<br />

Mais ce désir évident de ne pas heurter<br />

le spectateur, de ne pas prendre parti,<br />

va se retourner contre le <strong>Ciné</strong>ma du<br />

Peuple. Après tout cette firme avait une<br />

réelle ambition sociale, une véritable idée<br />

nouvelle à exploiter. Les militants syndicalistes<br />

ou libertaires qui assistaient à la<br />

projection de ce film ne pouvaient être<br />

que déçus, même si les vues étaient renforcées<br />

par le commentaire d'un bonimenteur,<br />

ou si les intertitres originaux<br />

étaient rédigés avec plus de virulence.<br />

Cette déception apparaît très clairement<br />

parmi les militants d'Amsterdam, où le<br />

film fut projeté 8 . Le bonimenteur, Domela<br />

Nieuwenhuis, fondateur d'un parti anarcho-syndicaliste,<br />

n'arriva même pas à<br />

hausser les <strong>images</strong> par son discours : « <strong>La</strong><br />

salle fut pleine, et les spectateurs furent<br />

préparés au film avec de la musique et les<br />

chanteurs de la Voix du Peuple. Mais le<br />

film fut une déception, il est lacunaire et<br />

incomplet comme document historique.<br />

Par exemple, Thiers (le criminel selon<br />

Nieuwenhuis) à son bureau : il essaye de<br />

regarder d'une manière méchante et<br />

donne <strong>des</strong> ordres au général, qui ressemble<br />

beaucoup à un policier ordinaire<br />

(...) Après le film, il y avait une atmosphère<br />

de déception dans la salle. Avec<br />

un film tellement amateur, même un public<br />

d'ouvriers enthousiastes et ardents<br />

ne peut pas être satisfait. Nous ne pensons<br />

pas que cette soirée aura une grande<br />

influence au point de vue de la propagande.<br />

» Voilà qui est net et contredit les<br />

souvenirs de Guerra publiés dans Popular-Film<br />

en 1935 : « la Commune fut chaleureusement<br />

accueilli », « le <strong>Ciné</strong>ma du<br />

Peuple acquit une popularité extraordinaire<br />

» - cette dernière phrase étant fortement<br />

exagérée.<br />

Sans doute, le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple a-til<br />

fait fausse route en renonçant à sa première<br />

vocation libertaire et sociale, en essayant<br />

d'imiter le Film d'Art ou les<br />

drames historiques de Pathé. Toujours<br />

est-il que cette généreuse entreprise, balayée<br />

par la déclaration de guerre, ouvre<br />

la voie au futur cinéma du Front populaire,<br />

au cinéma ouvrier et militant. <strong>La</strong><br />

Commune, avec toutes ses imperfections,<br />

constitue une étape importante dans<br />

l'histoire d'un cinéma qui se voulait porteur<br />

d'espoir et de courage pour la classe<br />

LA COMMUNE - 47<br />

ouvrière. Ce film nous apparaît aujourd'hui<br />

inférieur à sa mission, mais peutêtre<br />

n'a-t-il pas encore livré tous ses secrets.<br />

<strong>La</strong>urent Mannoni<br />

1 <strong>La</strong>urent Mannoni, « 28 octobre 1913 : création de la<br />

société Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple », 1895, numéro hors<br />

série « L'année 1913 en France », Paris, AFRHC, octobre<br />

1993.<br />

1 Voir Raymond Borde, Charles Perrin : les Offices du<br />

cinéma éducateur et la survivance du muet, Lyon, PUL,<br />

1992.<br />

3 Tangui Perron : « Le contrepoison est entre vos<br />

mains, camara<strong>des</strong>. CGT et cinéma au début du<br />

siècle », le Mouvement social, n° 172, juillet-septembre<br />

1995.<br />

4 Le Libertaire, 13 septembre 1913.<br />

5 Armand Guerra : « Algo sobre la Cooperativa<br />

U.C.CE. », Popular-Film, mars-avril 1935.<br />

6 Selon Antonia Fontanillas (lettre à Bernard Bénoliel,<br />

25 novembre 1995).<br />

7 Un autre film restauré par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />

l'Aurore de la révolution russe, réalisé en Russie<br />

à peu près la même année que la Commune, pose le<br />

problème identique du sens politique à donner à cette<br />

œuvre ambiguë en l'absence de Tintertitrage d'origine.<br />

Sur l'Aurore de la révolution russe, voir le texte de<br />

Charles Tesson, page 151.<br />

! Renseignements aimablement communiqués par<br />

Ivo Blom (article extrait du quotidien Nieuws van de<br />

Dag) et traduits par Bregtje <strong>La</strong>meris.


LE FEU<br />

Circa 1919<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1074 m., 47 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Montage de documents tournés par <strong>des</strong><br />

opérateurs <strong>des</strong> armées pendant les combats de<br />

la Guerre 1914-1918.1) <strong>La</strong> mobilisation à la<br />

gare de l'Est. 2) L'exode <strong>des</strong> populations <strong>des</strong><br />

régions envahies. 3) <strong>La</strong> guerre navale, le blocus<br />

maritime contre VAllemagne, le travail<br />

<strong>des</strong> sous-marins. 4) Sur le front terrestre :<br />

mouvements de troupes, installation d'une<br />

batterie. Les tranchées, les assauts, les tirs de<br />

barrage, le feu, la boue. 5) Les chars en campagne.<br />

6) Une attaque allemande. Les soldats<br />

sortent <strong>des</strong> tranchées. Les lance-flammes, les<br />

gaz. L'envahisseur est repoussé, la contre-attaque<br />

victorieuse. Des prisonniers, <strong>des</strong> blessés<br />

et <strong>des</strong> morts. 7) Les soldats français à<br />

l'honneur : le poilu est un héros.<br />

LE GRAND ÉCART<br />

Indiquant d'emblée son ambition de<br />

« décrire la vie quotidienne dans l'horreur<br />

<strong>des</strong> tranchées », le Feu ne tient visiblement<br />

pas sa promesse. <strong>La</strong> propagande<br />

se cache sous ce carton trompeur. Car de<br />

l'horreur <strong>des</strong> tranchées, on ne verra rien<br />

ou presque, par défaut, parfois quelques<br />

cadavres tombés au sol dans la brume<br />

d'une attaque matinale. En revanche, les<br />

manœuvres d'encerclement et l'assaut<br />

<strong>des</strong> poilus, le dévouement de ce « mur<br />

vivant » qui protège de l'agression la<br />

terre de France, la reddition massive <strong>des</strong><br />

soldats allemands, tout cela est rendu à<br />

l'écran de façon détaillée. Ce souci du détail<br />

rassérénant est encore accentué lorsque<br />

le Feu se penche sur la puissance matérielle<br />

de l'armée française. Non seulement<br />

ses hommes mais ses machines : canons,<br />

bateaux, sous-marins. Un long développement<br />

est consacré à l'efficacité et<br />

à la technologie imparable de ces derniers,<br />

sans doute parce que la nouveauté<br />

du « requin cuirassé » est plus impressionnante<br />

que la survie, quasi infilmable,<br />

<strong>des</strong> hommes enterrés dans leurs tran-<br />

chées.<br />

C'est autour de cette idée que tourne<br />

finalement le Feu, qu'il tourne en rond devrait-on<br />

dire : comment filmer une guerre<br />

où coexistent les technologies les plus<br />

disparates ? Les effets de contraste sont<br />

ainsi saisissants entre les cuirassés blindés,<br />

les sous-marins nouveaux, les canons<br />

déjà sophistiqués, l'utilisation <strong>des</strong><br />

gaz de combat, d'une part, et la présence<br />

d'hommes davantage écrasés que protégés<br />

par leur équipement, visiblement attachés<br />

aux manières et moyens anciens<br />

de la guerre, bateaux à voiles, ânes, charrettes<br />

à chevaux... Lorsque le moderne<br />

rencontre l'ancien, les conséquences sont<br />

dévastatrices pour l'humain, et le cinéma<br />

l'enregistre de façon impitoyable, comme<br />

un effet de modernité terrifiant : bateaux<br />

qui sombrent en quelques secon<strong>des</strong>, obus<br />

qui volatilisent <strong>des</strong> charrettes, gaz qui déciment<br />

la piétaille. Mais cela apparaît à<br />

49<br />

l'écran par défaut, tout en étant criant de<br />

vérité, puisque tous les efforts <strong>des</strong> opérateurs<br />

et <strong>des</strong> monteurs, comme ceux <strong>des</strong><br />

cartons de commentaire, consistent au<br />

contraire à glorifier l'action et la bravoure<br />

<strong>des</strong> hommes ou à privilégier le caractère<br />

protecteur <strong>des</strong> machines. Ce que l'on voit<br />

sur l'écran, c'est la terrible entrée <strong>des</strong><br />

hommes dans l'ère moderne de la guerre<br />

<strong>des</strong>tructrice ; ce que voudrait nous faire<br />

croire le film, c'est à l'éternelle bravoure<br />

<strong>des</strong> armées françaises. Dans cet écart<br />

abyssal, réside l'intérêt du Feu.<br />

Antoine de Baecque<br />

î^our mettre<br />

i / ^^èy^ileur batterie en<br />

iction.les friîz<br />

pataugent" dans<br />

la boue-.


50 - FRANCE<br />

TRAVAIL<br />

(version courte)<br />

1919-Henri Pouctal<br />

Réal. : Henri Pouctal. Prod. : Le Film d'Art (Vandal et<br />

Delac). Auteur : Émile Zola, d'après son roman<br />

homonyme. Adapt. : Henri Pouctal. Dir. ph. : Dubois,<br />

Schaeffer, <strong>La</strong>umann, Guérin, Louis Chaix.<br />

Déc. : Bertin. Int. : Léon Mathot (Luc Froment), Marc<br />

Gérard (Martial Jordan), Andrée Lionel (Sœurette),<br />

Davesnes (Morfain), Raphaël Duflos-Sociétaire de la<br />

Comédie-Française (Delaveau), Jean Peyrière<br />

(Boisgelin), Raymond Fabre (Bonnaire), Camille Bert<br />

(Ragu), Bosman (Bourron), Sabine Lenoir (<strong>La</strong> Toupe),<br />

Henriette Gautier (<strong>La</strong> Babette Bourron), Huguette<br />

Duflos-de la Comédie-Française (Josine), Fabien<br />

Haziza (Nanet), Gilbert Dalleu (Jérôme Qurignon),<br />

Raymond (Dacheux), Simone Damaury-de la<br />

Comédie-Française (Mme Mitaine), Mildey (Petit-Da),<br />

Mlle Belle (Ma-Bleue), Claude Mérelle (Fernande<br />

Delaveau), la petite Simone Genevois (Nise<br />

Delaveau), Juliette Clarens (Suzanne Boisgelin), Lily<br />

Boston (Paul Boisgelin), Jacques Robert (Nanet adulte),<br />

Andrée Brabant (Nise adulte). Date de sortie : 16<br />

janvier 1920 (version longue). Métrage, minutage<br />

copie Cf. : 3249 m., 142 mn (à 20 i/s). Générique et<br />

intertitres français reconstitués. Couleurs (teintages).<br />

— Ce n'est pas vous que je<br />

veux rendre plus riche, ce sont<br />

les déshérités, les travailleurs.<br />

<strong>La</strong> juste et heureuse société de<br />

demain n'est que dans une nouvelle<br />

organisation du travail.<br />

Eh bien! c'est cela que je veux<br />

tenter ici en associant le capital,<br />

le travail et le talent.<br />

Ingénieur, connaissant aussi le travail<br />

manuel, scandalisé par la misère ouvrière,<br />

Luc Froment se rend au haut-fourneau de la<br />

Crêcherie, à la demande de Martial Jordan, le<br />

directeur. Celui-ci veut vendre l'installation<br />

à Delaveau qui dirige l'Abîme, les aciéries<br />

concurrentes pourtant affaiblies par deux<br />

mois de grève. Luc voit la faim <strong>des</strong> femmes et<br />

<strong>des</strong> enfants, l'alcoolisme <strong>des</strong> hommes et constate<br />

l'existence de deux mon<strong>des</strong> parallèles. Le<br />

monde <strong>des</strong> riches avec les Delaveau, Boisgelin<br />

le propriétaire de l'Abîme, sa femme Suzanne,<br />

une grande philanthrope, Jérôme Qurignon,<br />

le fondateur aujourd'hui paralysé et<br />

muet. Le monde <strong>des</strong> pauvres : Bourron l'ouvrier,<br />

Bonnaire le maître puddleur, sa femme<br />

<strong>La</strong> Toupe et son beau-frère, le violent Ragu,<br />

enfin Nanet et sa sœur aînée, la jolie Josine,<br />

compagne malheureuse de Ragu. Luc convainc<br />

Jordan défaire de la Crêcherie une sorte<br />

de laboratoire social, un creuset alliant le capital<br />

et le travail. Bientôt, Bonnaire, Ragu,<br />

Bourron travaillent à l'usine nouvelle tandis<br />

que les familles vivent heureuses dans une cité<br />

propre. Au cours d'un procès intenté à la Crêcherie<br />

par une coalition d'intérêts allant du<br />

boucher à Boisgelin, Luc dit sa « foi dans la<br />

grande aurore qui se lève ». À peine acquitté,<br />

il doit faire face à la fronde de ses ouvriers qui,<br />

l'un après l'autre, retournent à l'Abîme. Luc<br />

et Josine deviennent amants ; elle lui donnera<br />

un garçon. Ragu poignarde son rival qui<br />

en réchappe. Boisgelin ruine son entreprise<br />

pour vivre dans le luxe et entretenir sa maîtresse,<br />

la femme de Delaveau. Ce dernier découvrant<br />

l'adultère, met le feu à son bureau,<br />

jette l'infidèle dans les flammes et reste dans<br />

la fournaise. L'incendie gagne les bâtiments<br />

et bientôt l'Abîme n'est plus que ruines. Des<br />

années passent : la Crêcherie est une réussite,<br />

tous rayonnent de bonheur, le progrès est<br />

en marche. C'est le dernier jour avant la retraite<br />

pour Morfain, le vieux maître fondeur.<br />

Devant tout le monde, il se jette dans l'acier<br />

en fusion et finit tel « Vulcain enchaîné à sa<br />

forge ».<br />

LE FILM ET LE CINEMA<br />

Des Quatre Évangiles de Zola, écrits à<br />

la fin de sa vie, seuls les deux premiers<br />

furent terminés : Fécondité, en 1899, et<br />

Travail, en 1901. Vérité resta inachevé, et<br />

Justice, à l'état de projet, quand survint,<br />

par asphyxie, la mort de Zola en 1902. Le<br />

projet de ces évangiles est de tracer l'édification<br />

d'une société nouvelle, avec les<br />

quatre fils (Luc, Mathieu, Marc et Jean)<br />

de Pierre et Marie Froment. Dans une<br />

ébauche préparatoire à la rédaction de<br />

ces évangiles, Zola écrivait : « C'est la<br />

conclusion naturelle de toute mon<br />

œuvre, après la longue constatation de la<br />

réalité, une prolongation dans demain et<br />

d'une façon logique, de mon amour de la<br />

force et de la santé, de la fécondité et du<br />

travail, mon besoin latent de justice, éclatant<br />

enfin (...) Je suis content surtout de<br />

pouvoir changer ma manière, de pouvoir<br />

me livrer à tout mon lyrisme et à toute<br />

mon imagination ». Zola, dans ce codicille<br />

massif aux Rougon-Macquart, était<br />

animé d'une ambition tolstoïenne d'éducateur<br />

ou de chef spirituel, comme le note<br />

son biographe, Frederick Brown. Ecrit<br />

entre le 15 mars 1900 et le 6 février 1901,<br />

Travail fut chroniqué, à sa sortie, par Jaurès,<br />

qui fit l'éloge de ce que la « révolution<br />

sociale avait trouvé son poète », tout<br />

en regrettant que l'action de la coopérative<br />

soit isolée, dans le roman, du mouvement<br />

politique d'ensemble. Un banquet<br />

fut organisé en l'honneur du livre,<br />

le 9 juin 1901, par <strong>des</strong> disciples de Fourier.<br />

Travail, le livre, est grevé par une<br />

lourdeur monomane démonstratrice, et<br />

une vision très naïvement puritaine <strong>des</strong><br />

plaisirs corrupteurs où s'abandonne la<br />

bourgeoisie. Le secret d'une alliance antérieure<br />

entre <strong>des</strong> personnages psychologiquement<br />

transluci<strong>des</strong> mais sièges<br />

d'une énergie pulsionnelle et une investigation<br />

dont les Carnets d'enquête donnent<br />

la mesure, paraît ici littérairement<br />

perdu.<br />

De 1901 à 1919, la distance est chronologiquement<br />

courte, mais historiquement<br />

capitale. Parmi les enfants d'une<br />

guerre d'élites criminelles, par populations<br />

interposées, la révolution de 1917<br />

est bien sûr la coupure. Entre autres<br />

conséquences, le mouvement de Jaurès<br />

s'en trouvera scindé. Ceci seul suffit à accentuer,<br />

dans le film, une intention réconciliatrice,<br />

déjà patente chez Zola. Le<br />

film que Pouctal a tiré du livre brasse lui<br />

aussi une ample matière d'événements.<br />

C'est même sa première caractéristique<br />

frappante, de faire s'entrecroiser autant<br />

de personnages, c'est-à-dire de rivaliser<br />

avec la puissance romanesque dont c'est<br />

une <strong>des</strong> composantes. Malgré ses inten-<br />

tions fidèles (ou à cause d'elles, c'est le cinéma<br />

qui métamorphose le matériau),<br />

Travail, qui s'ouvre sur un portrait de<br />

Zola et se ferme sur celui de Pouctal assis<br />

à un bureau et écrivant, est un emprunt<br />

réussi : la rivalité qui n'avait pas lieu<br />

d'être s'est métamorphosée en alchimie<br />

positive.<br />

Il en existe deux versions, longue et<br />

courte, conservées par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française. <strong>La</strong> longue fut exploitée en six<br />

parties, les deux derniers épiso<strong>des</strong> étant<br />

regroupés, au cours du mois de janvier<br />

1920. C'est la version courte qui fait l'objet<br />

de cette restauration. Cependant, signalons<br />

rapidement comment le passage<br />

de l'une à l'autre s'est opéré. Il ne s'est<br />

pas agi de raccourcir les plans sur la<br />

durée entière, mais d'enlever totalement<br />

<strong>des</strong> fragments narratifs annexes à l'histoire<br />

centrale : dans la présentation du<br />

vieux Bauclair, au début du film, un épisode<br />

absent de la version courte concerne<br />

Mme Fauchard, avant les femmes entre<br />

elles, parlant <strong>des</strong> difficultés de la grève.<br />

Un peu plus tard, c'est à l'intérieur du cabaret<br />

qu'apparaît le père Lunot, recueilli<br />

par son gendre Bonnaire, uniquement<br />

dans la version longue.<br />

Ainsi s'accentue cette coupe sociale<br />

qu'est le film. Certes, un personnage central,<br />

Jacques Froment (Léon Mathot), assure<br />

le lien entre les milieux sociaux traversés,<br />

mais parfois il disparaît, sans que<br />

la narration en souffre, et le récit n'est pas<br />

placé sous son regard. Il est possible<br />

qu'une telle pression quasi arithmétique<br />

ait joué positivement sur les parti pris du<br />

film : la nécessité de tenir ainsi de nombreuses<br />

<strong>des</strong>tinées, impliquant une sobriété<br />

dans leur traitement et, par contrecoup,<br />

une large expulsion du pathos dans<br />

le jeu. Les ouvriers travaillent, boivent<br />

dans les cabarets où les bouteilles peuplent<br />

les tables, et les bourgeois, ces<br />

plantes domestiques dans <strong>des</strong> décors pétrifiés<br />

(c'est l'époque qui le veut), sont saisis<br />

ailleurs que dans le registre seul de<br />

l'âme. Une certaine quantité d'action<br />

comprimée expulse tendanciellement<br />

toute rhétorique psychologique. Ce que<br />

Delluc soulignait déjà, dans un texte du<br />

5 janvier 1920, de Comoedia illustré: ils<br />

« interprètent brillamment cette symphonie<br />

cinématographique dont le protagoniste<br />

n'est rien moins que le labeur<br />

humain. Le cinéma dépasse la prose, par<br />

bonheur. Le tumulte essoufflé d'Emile<br />

Zola disparaît dans la netteté radieuse de<br />

la photogénie ». Curieusement, si l'on excepte<br />

la part datée du jeu d'Huguette Duflos<br />

(Josine), la pathétisation se retrouve<br />

dans les cartons : « Etait-ce donc en Messie<br />

qu'une force ignorée le faisait tomber<br />

dans ce coin de labeur et de misère ? »<br />

De même, le tournage dans <strong>des</strong> lieux<br />

réels imprime au film <strong>des</strong> passages de nature<br />

quasiment documentaires, comme<br />

l'extérieur et l'intérieur <strong>des</strong> aciéries de<br />

l'Abîme : lent panoramique de droite à<br />

gauche, découvrant en surplomb l'étendue<br />

<strong>des</strong> hangars, les plans <strong>des</strong> fours teintés<br />

en rouge, le trajet métallurgique mécanisé<br />

du tréfilage et l'agitation phosporescente<br />

<strong>des</strong> filsd'acier enfusion, « les laitiers<br />

» ; mais aussi, dans le vieux Bauclair,<br />

les rues étroites et très lumineuses, teintées,<br />

où jouent les enfants dans une exactitude<br />

solaire <strong>des</strong> matières qui excède la<br />

fonction purement narrative. Plus tard<br />

encore, <strong>des</strong> plans rougeoyants de l'usine<br />

en font un inferno ou un Pompei industriel.<br />

Devant la boucherie où deux carcasses<br />

de bœuf retournées pendent, présence<br />

massive et écorchée, le commerçant,<br />

sanglé dans sa blouse, regarde ; un<br />

enfant est là qui observe ces vian<strong>des</strong> : le<br />

plan est déjà en lui-même frappant, à<br />

cause de cette violence, aujourd'hui masquée,<br />

de nos nécessités carnivores ; et la<br />

frontalité lui donne une valeur de tableau<br />

brut : bien sûr, cette viande a une connotation<br />

naturaliste, mais surtout elle est filmée<br />

comme une fascination que partage<br />

cet enfant, puisqu'il vient l'observer, sans<br />

qu'on sache si cette curiosité est mise en<br />

scène ou spontanée.<br />

Le passage de l'individuel au collectif<br />

est maîtrisé, grâce à l'usage de l'échelle<br />

<strong>des</strong> plans qui sont la signification presque<br />

TRAVAIL-51<br />

immédiate de ce changement. Et, comme<br />

<strong>des</strong> plans larges donnent une situation à<br />

un lieu, les bâtiments de la crèche par<br />

exemple, les raccords dans l'axe, qui sont<br />

une figure récurrente, modulent ces passages.<br />

Parfois, un travelling arrière assez<br />

lent découvre, d'un personnage (Delaveau)<br />

son environnement. C'est un film<br />

de cadre, plus que d'opposition, au sens<br />

où le champ-contrechamp, ici inconnu,<br />

redistribue alternativement les personnages<br />

: dans la bagarre avec Ragu, c'est<br />

la fenêtre illuminée d'éclairs qui fait le<br />

plan alternant ; quand on parle, dans Travail,<br />

c'est dans le même plan ; ou alors<br />

c'est un personnage qui appelle le horschamp.<br />

Le film se plie, comme dans l'incendie,<br />

à l'impératif simple de son postulat<br />

réaliste et vient vérifier par le filmage,<br />

le feu. L'articulation entre le détail<br />

et son ensemble a parfois une maladresse<br />

dans la collure où se datent les plans<br />

larges, quand Luc par exemple vient regarder<br />

Josine et leur enfant, dans une vue<br />

en plongée, suivi par un plan de la pièce<br />

plus évidemment inerte, même si c'est<br />

une succession inverse qui serait plus attendue<br />

(cet enchaînement garde une<br />

sorte de fragilité transitoire entre la soumission<br />

<strong>des</strong>criptive, parfois passive <strong>des</strong><br />

plans larges et la valeur dynamique et<br />

isolante du découpage, comme dans cet<br />

insert d'un coup de pied complice<br />

échangé sous une table entre deux ouvriers<br />

qui chambrent Fouchard sur la réalité<br />

de leur salaire à la coopérative). <strong>La</strong> fin<br />

donne à l'usage <strong>des</strong> teintages une valeur<br />

dramatique majorée par la mise en scène.<br />

Quand Morfain, le vieil ouvrier qui a découvert<br />

un nouveau filon salvateur, va<br />

prendre sa retraite et effectue sa dernière<br />

coulée, Luc, on le comprend à un plan sur<br />

son visage avant le carton, pressent<br />

quelque chose. Une plongée dans l'architecture<br />

métallique du gueulard le<br />

montre gravir les marches, suivi par un<br />

panoramique ascensionnel d'accompagnement.<br />

Une belle succession de plans<br />

bleus et rouges accompagne le saut mortel<br />

de Morfain dans le foyer du gueulard,


52 - FRANCE<br />

laissant Luc impuissant : ici, dans ces variations<br />

chromatiques, passe la distance<br />

qui, malgré ses efforts, sépare Luc de la<br />

réalité ouvrière. Et en dépit du carton indiquant<br />

que Morfain est ce « Vulcain enchaîné<br />

à sa forge, ennemi aveugle de tout<br />

ce qui le libérait », le sentiment éprouvé<br />

est plutôt celui du corps ouvrier broyé<br />

par l'industrie, du grand vampirisme<br />

mortel de la production, venant ainsi corriger,<br />

ou plutôt complexifier ce que le<br />

récit détient de réconciliation trop idéo-<br />

logique.<br />

Associer « capital, travail et talent »,<br />

c'est l'utopie de Luc, dont le phalanstère<br />

est la réalisation. Le film, certainement, la<br />

partage, et c'est sa limite. Mais le réalisme<br />

<strong>des</strong> « décors » contribue à mesurer la distance<br />

incompatible entre les classes, un<br />

peu comme si, dans Travail, le cinéma<br />

était plus fort que les présupposés idéo-<br />

logiques du film.<br />

Philippe Arnaud<br />

Léon<br />

Mathot<br />

Fabien<br />

Haziza.


54 - FRANCE 55<br />

Camille Bert<br />

Camille Bert,<br />

Jean Lorette.<br />

HACELDAMA<br />

ou le Prix du sang<br />

1919 - Julien Duvivier<br />

Réal. : Julien Duvivier. Prod. : Burdigala Film (Julien<br />

Duvivier). Se. : Julien Duvivier. Dir. ph. : Gaston<br />

Aron, Julien Duvivier. Mont. : Julien Duvivier.<br />

Int. : Séverin Mars (<strong>La</strong>ndry Smith), Camille Bert (Bill<br />

Stanley), Jean Lorette (Jean Didier), Pierre <strong>La</strong>urel<br />

(Pierre Didier), Susy Lilé (Minnie Pestrat), Yvonne<br />

Brionne (Kate Lockwood).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1551 m., 75 mn<br />

(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués<br />

(Hubert Niogret). Noir et blanc.<br />

<strong>La</strong>ndry Smith, un homme secret, vit avec<br />

sa pupille Minnie au fin fond de la Corrèze.<br />

Kate Lockwood, la servante, fait venir Bill<br />

Stanley, un gaucho mexicain particulièrement<br />

sadique, pour liquider le maître <strong>des</strong> lieux<br />

et mettre la main sur son magot. Bill arrive<br />

dans la région en même temps qu'un nommé<br />

Jean Didier, dont le père s'est autrefois suicidé<br />

par la faute de <strong>La</strong>ndry. Le jeune homme<br />

s'éprend rapidement de Minnie, la sauve <strong>des</strong><br />

griffes du brutal gaucho et ne tarde pas à être<br />

l'hôte de son ennemi juré. Un soir, il entre<br />

dans le bureau de <strong>La</strong>ndry, lui avoue sa véritable<br />

identité et l'assomme avec un chandelier.<br />

Au même moment, Bill pénètre dans la<br />

chambre de Minnie, l'enlève et s'enfuit en voiture.<br />

À moto, Jean se lance à leur poursuite.<br />

Il les rattrape et parvient à balancer Bill dans<br />

un torrent. Revenu à lui, <strong>La</strong>ndry raconte : il<br />

a été l'amant de la femme de Pierre Didier,<br />

qui s'est donné la mort en découvrant l'adultère.<br />

Et Jean est le fils de <strong>La</strong>ndry ! <strong>La</strong>issant<br />

les amants à leur avenir radieux, le coupable<br />

part pour un exil qui durera toute sa vie : ainsi<br />

est payé le prix du sang (« Haceldama ») qui<br />

coula autrefois.<br />

LES INVENTIONS<br />

D'UN DÉBUTANT<br />

Le jeune cinéaste inexpérimenté de 23<br />

ans qui réalise Haceldama en 1919, avec<br />

une équipe technique réduite au minimum,<br />

et assure lui-même les principaux<br />

postes (auteur du scénario, il partage la<br />

prise de vues avec un opérateur de l'armée<br />

qui vient d'être démobilisé, effectue<br />

le montage, et apparemment organise la<br />

production), semble presque tout<br />

connaître d'un exercice qu'il n'a approché<br />

jusque-là que d'assez loin. Régisseur<br />

d'Antoine et de quelques autres réalisateurs<br />

français travaillant pour la même<br />

société de production, Julien Duvivier a<br />

exercé un métier qui est loin de l'assistanat<br />

tel qu'il se pratique dans le cinéma<br />

contemporain, et qui doit beaucoup plus<br />

à la tradition théâtrale dont il est issu et<br />

qu'il chérit, où le régisseur est un organisateur<br />

de l'intendance.<br />

Haceldama n'a en tout cas plus rien de<br />

la théâtralité qui a imprégné le cinéma<br />

primitif français disparu avec la Première<br />

Guerre mondiale. Au croisement de plusieurs<br />

traditions françaises et étrangères,<br />

Haceldama est l'héritier de William Hart<br />

(la silhouette du « Gaucho », improbable<br />

mexicain qui ressemble beaucoup plus à<br />

un cow-boy <strong>des</strong> Etats-Unis ; les coups de<br />

revolver en gros plan et face à la caméra ;<br />

la bagarre très physique dans l'auberge),<br />

du sériai français <strong>des</strong> années dix (une narration<br />

qui vaut plus par ses rebondissements<br />

et retournements que par son déroulement<br />

global), et d'une tradition<br />

française naissante <strong>des</strong> tournages en extérieurs,<br />

après avoir si longtemps utilisé<br />

les toiles peintes puis les décors construits<br />

en volume dans les premiers studios<br />

cinématographiques (d'où la réputation<br />

d'Haceldama d'être un « western<br />

corrézien »). Le film est aussi à cheval<br />

entre deux époques quant à la direction<br />

d'acteurs : Séverin Mars, sa « vedette »,<br />

n'a jamais quitté le cinéma primitif et devait<br />

sans doute être assez incontrôlable<br />

pour le jeune cinéaste, tandis que Jean Lo-<br />

rette, Susy Lilé qui forment le jeune<br />

couple amoureux dans l'intrigue, appartiennent<br />

déjà au cinéma moderne.<br />

Le plus étonnant d'Haceldama, c'est le<br />

parallélisme <strong>des</strong> récits (les Deux Destinées<br />

est d'ailleurs le titre de la première <strong>des</strong><br />

quatre parties du film) mis en œuvre dans<br />

un montage qui passe d'un récit à l'autre,<br />

et parfois les entrecroise pour que se rencontrent<br />

les personnages avec une fluidité<br />

et une liberté remarquables parce<br />

que sans systématisme. Le découpage,<br />

auquel le montage sait donner le bon<br />

tempo, multiplie les changements de<br />

plans (champs et contrechamps, mais<br />

aussi raccords dans l'axe, retournements)<br />

et sait jouer <strong>des</strong> contrastes entre gros<br />

plans et plans larges, entre plans à hauteur<br />

d'homme et en plongée (les séquences<br />

de la ballade en voiture de la<br />

jeune femme et la bagarre entre Camille<br />

Bert-le Gaucho et Jean Lorette sont très<br />

représentatives de cette conception).<br />

Mais un jeu de regards simplement en<br />

champ-contrechamp sait aussi traduire<br />

très finement l'émotion d'une rencontre<br />

entre deux jeunes gens.<br />

L'invention stylistique d'Haceldama,<br />

plus que l'élaboration d'un sujet chargé<br />

de conventions, est la preuve déjà chez le<br />

jeune cinéaste Julien Duvivier d'un souci<br />

d'offrir au spectateur une dramaturgie<br />

riche et tendue, le montage incisif d'un<br />

découpage inventif qui sollicite en permanence<br />

l'attention sur <strong>des</strong> personnages<br />

constamment mis en situation dans leur<br />

environnement. Toutes qualités qu'au fil<br />

d'une carrière qui se terminera quarantehuit<br />

ans plus tard, Julien Duvivier ne cessera<br />

de développer, film après film, sans<br />

souci déclaré d'être un auteur, mais avec<br />

la passion de son métier.<br />

Hubert Niogret


LUITZ-MORAT<br />

LES CINQ GENTLEMEN<br />

MAUDITS<br />

1920 - Luitz-Morat, Pierre Régnier<br />

Réal. : Luitz-Morat, Pierre Régnier. Prod. : Films Luitz-<br />

Morat. Auteur : André Reuze, d'après sa nouvelle<br />

homonyme. Dir. ph. : Franck Daniau-Johnston.<br />

Déc. : Francis Jourdain. Tournage en Tunisie.<br />

Int. : André Luguet (Yves Le Guérantec), Luitz-Morat<br />

(Luitz Kaladjian), Yvonne Devigne (Jacqueline<br />

Delviaz), Pierre Régnier (<strong>La</strong>wson), Aïscha Mabrouka<br />

(la marchande d'amulettes), Si Ahmed Ben Abdallah<br />

(le mendiant), Ledrument, ]ean de Merly, Lully.<br />

Date de sortie : 3 septembre 1920.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1332 m., 58 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : Remerciements à Éric Le Roy.<br />

Fils d'un riche armateur breton, Yves<br />

s'apprête à embarquer pour l'Orient. Dans<br />

une fumerie d'opium sur la Riviera, il rencontre<br />

Luitz, soi-disant le fils du banquier de<br />

Constantinople. Le jour suivant, Yvesretrouve<br />

Luitz accompagné d'un ami, monsieur<br />

<strong>La</strong>wson. Les trois oisifs décident défaire une<br />

excursion en Afrique du Nord. Sur le bateau,<br />

Yves a la bonne surprise de revoir la jolie Jacqueline,<br />

une amie de fraîche date en route vers<br />

le Sud Tunisien. Le trio est maintenant à<br />

Tunis, à la terrasse d'un grand hôtel où Luitz<br />

tombe sur deux vieux camara<strong>des</strong>, Midlock et<br />

Madolini. Au cours d'une visite <strong>des</strong> souks, les<br />

cinq gentlemen manquent de respect à une<br />

marchande d'amulettes. Alors, un mendiant<br />

leur prédit qu'ils mourront l'un après l'autre<br />

avant que la lune ne soit ronde. Et la malédiction<br />

s'accomplit : le premier, Midlock, périt<br />

noyé. Puis, <strong>La</strong>wson décède d'une conges-<br />

tion foudroyante. À son tour, Madolini est retrouvé<br />

avec un poignard dans le dos. Luitz est<br />

censé être le quatrième sur la liste. Un matin,<br />

il manque de se brûler la cervelle et avoue à<br />

l'ami qui a retenu son bras la raison de son<br />

geste : il est criblé de dettes de jeu. Yves lui<br />

signe un papier valant quatre cents mille<br />

francs. Le lendemain, Luitz a disparu mais<br />

dans une rue de Tunis, Yves suit la silhouette<br />

familière de... Madolini qui le conduit au repaire<br />

<strong>des</strong> truands. Personne n 'est mort et tous<br />

appartiennent à une association de malfaiteurs,<br />

du mendiant à Luitz, le cerveau du<br />

groupe. Yves revient avec la police. <strong>La</strong> lettre<br />

de créances est récupérée, la bande arrêtée,<br />

sauf le chef qui parvient à s'enfuir. Mais<br />

qu'importe, Jacqueline est là et Yves l'embrasse.<br />

LE JUIF ERRANT<br />

1926-Luitz-Morat<br />

Réal. : Luitz-Morat. Prod. : Société <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans.<br />

Direction artistique : Louis Nalpas. Auteur : Eugène<br />

Sue, d'après son roman homonyme, et la pièce de<br />

D'Ennery, Eugène Sue, Prosper Dinaux. Se. : Jean-<br />

Louis Bouquet. Dir. ph. : Raoul Aubourdier,<br />

Mérobian, André Reybas, Georges Daret, Maurice<br />

Arnou. Intérieurs tournés aux studios <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans,<br />

à Joinville. Extérieurs à Paris. Int. : Gabriel Gabrio<br />

(Dagobert), André Marnay (Ahasvérus, le Juif errant),<br />

Jean Peyrière (le Christ/Rennepont), Jeanne Helbling<br />

(Adrienne de Cardoville), Suzanne Delmas (<strong>La</strong><br />

Mayeux), Charlotte Barbier-Krauss (Françoise),<br />

Maurice Schutz (d'Aigrigny), Antonin Artaud<br />

(Gringalet), Sylvio de Pedrelli (Djalma), Georges<br />

Bernier (Couche-Tout-Nu), Suzanne Hiss, Jeanne Pen<br />

(Rose et Blanche Simon), Jean Devalde (l'Abbé<br />

Gabriel), Fournez-Goffard (Rodin), Louis Alibert<br />

(Agricol), Génia Dora (Rebecca), Claude Mérelle (la<br />

baronne de Saint-Dizier), Simone Mareuil (Céphise),<br />

Jane Méa (Mme Grivois), Adine Bertin (l'amie<br />

d'Adrienne), Rose Mai, Stella Dargis, Jane Pierson,<br />

Adolphe Candé (le docteur Baleinier), Raoul<br />

Chennevières (Eleazar), Bouchard (le baron Tripeau),<br />

Fernand Mailly (Morock), Jacques Cabelli. Chapitre<br />

un : « Les Ardents ». Chapitre deux : « Monsieur<br />

Rodin ». Chapitre trois : « Le 13 février ». Chapitre<br />

quatre : « Le justicier ». Date de sortie : 24 décembre<br />

192b. Métrage, minutage copie Cf. : 7695 m.,<br />

336 mn (à 20 i/s). Générique et intertitres français<br />

reconstitués. Couleurs (teintages). Ce film a été<br />

restauré dans le cadre du « Projet Lumière », avec le<br />

concours de la Cineteca del Comune di Bologna.<br />

Remerciements au Département <strong>des</strong> Arts du Spectacle<br />

de la Bibliothèque Nationale de France, à la société<br />

Pathé. Doc. : The Lumière Project-The European Film<br />

Archives at the Crossroads, edited by Catherine A.<br />

Surowiec, 1996.<br />

57<br />

Coupable d'avoir insultéle Christ au Calvaire,<br />

Ahasvérus est devenu pour l'éternitéle<br />

Juif errant. Le 13 février 1682, au cours d'une<br />

nuit de pogrom dans le ghetto de Varsovie,<br />

Marins Rennepont, un Français marié à une<br />

Juive polonaise, est assassiné par les membres<br />

d'une société secrète nommée « Les Ardents<br />

». Son enfant est sauvé par Ahasvérus<br />

et la volonté écrite du mort (à ouvrir dans cent<br />

cinquante ans) déposée chez un notaire. 1832.<br />

Les Ardents, toujours actifs, veulent spolier<br />

les héritiers de la fortune colossale de Rennepont<br />

en les empêchant d'être présents à l'ouverture<br />

du testament, le 13 février. Les chefs,<br />

d'Aigrigny et Rodin, secondés par deux auxiliaires,<br />

Morock et Gringalet, kidnappent, jettent<br />

en prison ou internent en asile tous les<br />

<strong>des</strong>cendants : l'excentrique Adrienne de Cardoville,<br />

les deux sœurs Rose et Blanche<br />

Simon, pourtant protégées par le robuste Dagobert,<br />

Jacques Rennepont alias Couche-<br />

Tout-Nu, le prince Djalma. Quant au dernier,<br />

l'abbé Gabriel, la secte l'a choisi comme<br />

unique bénéficiaire de l'héritage, pour récupérer<br />

ensuite le magot. Mais Ahasvérus<br />

veille, et le jour dit, tous réapparaissent, délivrés.<br />

Adrienne épousera Djalma, tandis que<br />

partout règne la félicité. Rodin meurt du choléra<br />

et le Juif errant reprend sa marche millénaire.


58 - FRANCE<br />

OMBRES ET TOILES PEINTES<br />

Aujourd'hui oublié, Luitz-Morat (1884-<br />

1929), de son vrai nom Maurice Louis Radiguet,<br />

a pourtant été l'auteur d'une<br />

œuvre dense (presque vingt titres en dix<br />

ans) qui suscita à l'époque l'engouement<br />

de la presse et du public. <strong>La</strong> vision actuelle<br />

<strong>des</strong> Cinq Gentlemen maudits et du<br />

Juif errant permet de situer un cinéaste<br />

parfois ambitieux, mais n'ayant pas les<br />

moyens de ses ambitions, incapable le<br />

plus souvent de faire coincider intention<br />

et exécution.<br />

Il débute dans la médecine, avant de<br />

se consacrer à la photographie et au<br />

théâtre. <strong>La</strong> mise en scène et l'interprétation,<br />

chez Gaumont en 1914, lui apportent<br />

un début de notoriété cinématographique.<br />

Louis Feuillade, Henri Fescourt<br />

sont alors ses mentors. Mais c'est après la<br />

guerre qu'il se lance véritablement en<br />

fondant sa société de production.<br />

Anticipant la mode exotique et coloniale<br />

qui se développera au cinéma dans<br />

les années suivantes, les Cinq Gentlemen<br />

maudits repose sur une intrigue d'une<br />

minceur infime mais exposée de telle manière<br />

qu'elle apparaît complexe. Le cinéaste<br />

a exploité un langage qui mêle<br />

flash-backs et surimpressions, décors naturels,<br />

<strong>images</strong> documentaires et scènes<br />

d'intérieurs réalisées en studio. De fait, le<br />

film qui en a résulté, s'il a pu plaire en<br />

1920 (principalement en raison <strong>des</strong> plans<br />

tournés avec la population locale), n'est<br />

plus de nos jours qu'une œuvre bancale<br />

et hétéroclite, Luitz-Morat n'ayant pas su<br />

homogénéiser la fiction et le documentaire<br />

Par ailleurs, la prédiction (« Mektoub<br />

: c'était écrit ! ») qui scande le film<br />

devient vite répétitive et l'issue aisément<br />

devinée. Cependant, la version courte<br />

sauvegardée par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />

issue d'une copie d'époque, précipite<br />

la narration et accumule les ellipses,<br />

conférant au film une modernité accidentelle<br />

et... non négligeable.<br />

Les Cinq Gentlemen maudits (que Julien<br />

Duvivier adaptera à son tour en 1931) est<br />

aussi l'un de ces nombreux films <strong>des</strong> années<br />

vingt à porter la marque du travail<br />

artisanal. Adaptée, produite, mise en scène<br />

et interprétée par Luitz-Morat, cette<br />

œuvrette révèle son côté bricolé (que le<br />

Juif errant n'a pas conservé) : une absence<br />

de rigueur dans la forme (faux raccords),<br />

une mise en scène peu inventive (intérieurs<br />

anonymes, mouvements d'appareils<br />

inexistants), un tournage dans l'urgence<br />

et, au final, un désir (manqué)<br />

d'originalité ; car sans doute, y avait-il,<br />

via cette histoire d'arnaqueurs et d'arnaqué,<br />

l'ambition de dire que le cinéma est<br />

un art illusionniste, rien que <strong>des</strong> ombres<br />

sur une toile (en l'occurence la voile d'un<br />

bateau), un marché de dupes où l'artiste<br />

obtient de celui qu'il trompe, le spectateur,<br />

sa rémunération. Et à la fin, Luitz-<br />

Morat lui-même, dans le rôle du chef de<br />

la bande, prélève soixante mille francs<br />

sur le butin pour, dit-il, ses « frais d'imagination<br />

». Autrement dit, sa rémunération<br />

de scénariste. C'est dire que d'une<br />

certaine manière, les Cinq Gentlemen maudits<br />

renseigne très directement sur l'histoire<br />

de son tournage, de sa production<br />

et pose une question importante pour le<br />

cinéma français <strong>des</strong> années vingt : comment<br />

un cinéaste pouvait-il travailler<br />

indépendamment <strong>des</strong> grands produc-<br />

teurs ?<br />

En 1926, Luitz-Morat réalise le Juif errant,<br />

produit par la Société <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans-Films<br />

de France, preuve qu'en six<br />

ans il a intégré le système et répondu à la<br />

question ci-<strong>des</strong>sus. Cette adaptation du<br />

roman d'Eugène Sue démontre aussi que,<br />

s'il a conservé quelques centres d'intérêt,<br />

le cinéaste n'a pas progressé vers une invention<br />

formelle malgré l'ampleur <strong>des</strong><br />

moyens. En effet, le film colle au roman<br />

et se statufie dans un style commun, sans<br />

innovation. Malgré quelques scènes traitées<br />

avec plus d'audace (le carnaval, le<br />

brillant et nerveux plan-séquence d'une<br />

poursuite à cheval au second épisode),<br />

quelques effets bien venus (surimpressions,<br />

gros plans, plongées, contre-plongées),<br />

l'ensemble <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> se can-<br />

tonne à une mise à plat du livre. Des plans<br />

employant un cache pour donner l'illusion<br />

d'un format qui ressemble au futur<br />

cinémascope surgissent parfois, excentriques,<br />

sans doute inspirés du Napoléon<br />

d'Abel Gance, tourné l'année précédente.<br />

Quant aux apparitions récurrentes du<br />

Juif errant, elles renforcent cette sensation<br />

de pesanteur, comme si Luitz-Morat<br />

était incapable de faire avancer la narration<br />

et ne connaissait pas l'ellipse dont<br />

l'usage était courant, y compris dans la<br />

Cité foudroyée, un de ses précédents films 2 .<br />

Malgré <strong>des</strong> teintages magnifiques, la scène<br />

biblique du prologue est à cet égard<br />

d'un surrané sans équivalent : les toiles<br />

peintes en guise de décor, les costumes et<br />

l'absence de rythme nous relèguent vingt<br />

ans en arrière, dans l'immobilisme <strong>des</strong><br />

premières années du cinéma. Donc, un<br />

film sans grande envergure, qui n'a appris<br />

aucune <strong>des</strong> leçons du cinéma américain<br />

distribué en France depuis les Cinq<br />

Gentlemen maudits, et dont il faut quand<br />

même retenir l'interprétation d'Antonin<br />

Artaud et le goût réaffirmé de Luitz-<br />

Morat pour les sociétés secrètes (ici « Les<br />

Ardents ») et les complots. Une petite singularité<br />

pour un cinéaste qui en était par<br />

ailleurs assez largement dépourvu.<br />

Éric Le Roy<br />

1 Certains plans n'appartiennent d'ailleurs pas au<br />

film, probablement issus d'un documentaire antérieur.<br />

2 <strong>La</strong> Cité foudroyée, 1924, d'après un roman d'André<br />

Reuze. Film sauvegardé par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />

d'après une copie d'époque, 1527 mètres, noir<br />

et blanc.<br />

ANDRÉ ANTOINE<br />

LA TERRE<br />

1921 - André Antoine<br />

Réal. : André Antoine. Prod. : SCAGL<br />

Auteur : Émile Zola, d'après son roman homonyme.<br />

Adapt. : André Antoine. Asst. réal. : Georges Denola,<br />

Julien Duvivier. Dir. ph. : René Guichard, René<br />

Gaveau, Léonce-Henry Burel (?), Paul Castanet.<br />

Int. : Armand Bour (Le père Fouan), René Alexandre<br />

(Jean, dit Caporal), Germaine Rouer (Françoise), Jean<br />

Hervé (Louis, dit Buteau), Milo (Hyacinthe, dit Jésus-<br />

Christ), Berthe Bovy (<strong>La</strong> Trouille), Jeanne Briey (Lise),<br />

Jeanne Grumbach (<strong>La</strong> Cognette), Émile Desjardins (le<br />

berger), Max Charlier (Bécu), René Hiéronimus<br />

(Nénesse), Armand Numès, Léon Malavier.<br />

Date de sortie : 30 septembre 1921.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2117 m., 92 mn<br />

(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc. Doc. : « Antoine cinéaste », 1895,<br />

n° 8-9, AFRHC, 1990.<br />

Jean est un solide gaillard qui cherche à s'employer<br />

aux champs. En chemin, il fait la<br />

connaissance de Françoise, la nièce du père<br />

Fouan. Celui-ci, trop vieux pour une terre<br />

trop dure, décide de partager de son vivant<br />

ses biens entre ses trois enfants : Louis dit Buteau,<br />

Hyacinthe et Fanny. À charge en retour<br />

pour les héritiers de subvenir aux besoins du<br />

vieux et de sa femme. Françoise, elle, vit avec<br />

sa sœur Lise. Jean lui propose de l'épouser dès<br />

qu'elle sera majeure. Or, Buteau se met avec<br />

Lise après lui avoir fait un enfant mais surtout<br />

pour son argent, s'installe chez les deux<br />

femmes et essaye plusieurs fois de culbuter<br />

Françoise. Un jour de moisson, elle le repousse<br />

et peu après, se donne à Jean qu 'elle<br />

épouse le jour de ses vingt et un ans. Or, ce<br />

dernier exige la part d'héritage de sa femme,<br />

soit les vignes et la maison. Buteau et Lise<br />

sont expulsés par les gendarmes. Les deux<br />

sœurs se haïssent désormais. Le père Fouan,<br />

devenu veuf, va chez l'un puis l'autre de ses<br />

enfants qui s'acquittent tous très mal de leurs<br />

devoirs envers lui. Un jour de travail aux<br />

champs, Lise se bat avec Françoise en présence<br />

de Buteau et la pousse sur sa faux. Blessée<br />

mortellement, la jeune femme succombe, sans<br />

dire à son mari le nom <strong>des</strong> coupables. À sa<br />

mort, Jean se retrouve sans toit. Abandonné<br />

de tous, transi, ruiné et à bout de forces, le<br />

vieux Fouan meurt.<br />

L'ARLÉSIENNE<br />

1922 - André Antoine<br />

Réal. : André Antoine. Prod. : Société d'éditions<br />

cinématographiques. Auteur : Alphonse Daudet,<br />

d'après sa nouvelle homonyme. Adapt. : André<br />

Antoine. Asst. réal. : Georges Denola.<br />

Dir. ph. : Léonce-Henry Burel, Trimbach.<br />

Régisseur : André-Paul Antoine. Int. : Lucienne Bréval<br />

(Rose Marnai), Gabriel de Gravone (Frédéri), Léon<br />

Malavier (Francet Marnai), Louis Ravet (le berger<br />

Balthazar), Le petit Fleury (Janet, dit L'innocent),<br />

Berthe Jalabert (<strong>La</strong> Renaude), Maggy Deliac (Vivette),<br />

Marthe Fabris (L'Arlésienne), Jacquinet (Patron Marc),<br />

Batréau (L'Équipage), Charles de Rochefort (le gardian<br />

Mitifio). Date de sortie : 24 novembre 1922.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1730 m., 69 mn<br />

(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : « Antoine cinéaste » : op. cit.<br />

<strong>La</strong> Camargue. Rose Marnai, veuve de bonne<br />

heure, dirige la ferme du Castelet avec l'aide<br />

du joyeux Frédéri, son fils aîné. Un dimanche<br />

à Arles, le jeune homme retrouve la jolie Vivette,<br />

secrètement amoureuse de lui. Il croise<br />

aussi deux fois une inconnue qui l'impressionne<br />

fortement. Au point qu'il revient sur<br />

les lieux le lendemain et fait connaissance<br />

avec la belle. Renseignements pris par l'oncle<br />

Marc sur la famille, Frédéri est décidé à épouser<br />

son artésienne, blessant sans le vouloir Vivette<br />

qui souffre dans l'ombre. À l'approche<br />

du mariage, le gardian Mitifio révèle, lettres<br />

à l'appui, que l'artésienne est sa maîtresse depuis<br />

deux ans. Pendant plusieurs jours, Frédéri<br />

se morfond, inconsolable. Hanté par<br />

l'idée du suicide, il repousse violemment Vivette<br />

qui a osé lui avouer son amour. Finale-<br />

ment, il se ravise et, plus pour les siens que<br />

pour lui, se résout à un mariage de raison.<br />

Mais le soir <strong>des</strong> fiançailles, il imagine celle<br />

qu'il adore emportée par le cheval du gardian.<br />

Torturépar cette vision, il se jette dans le vide,<br />

semant la désolation au Castelet. Le berger<br />

Balthazar avait raison : on peut mourir<br />

d'amour.<br />

LE NATURALISME IN VIVO<br />

On connaît maintenant, depuis l'achèvement<br />

<strong>des</strong> travaux de restauration par<br />

la <strong>Ciné</strong>mathèque française sous l'impulsion<br />

de Philippe Esnault le numéro spécial<br />

de 1895 consacré à ses écrits sur le cinéma<br />

et l'accueil réservé à ses films lors<br />

de leur sortie 2 , l'œuvre et le projet cinématographique<br />

d'André Antoine. On<br />

sait aussi quel rôle les uns et les autres<br />

veulent lui faire jouer : chaînon manquant<br />

entre Lumière et Renoir ; figure de proue<br />

retrouvée d'une école réaliste à réhabiliter<br />

face à l'« impressionnisme » de Delluc<br />

et Epstein et au lyrisme de Gance ;<br />

« naturaliste » au sens étroit et trivial du<br />

terme.<br />

Quel que soit l'intérêt de ces discours,<br />

la vision <strong>des</strong> deux derniers films terminés<br />

par Antoine, la Terre (1921) et VArtésienne<br />

(1922) - puisque l'Hirondelle et la<br />

Mésange, tourné en 1920, fut monté par<br />

Henri Colpi en 1984 - incite plus simplement<br />

à examiner les deux œuvres à l'aune<br />

du naturalisme cinématographique 3 et à<br />

les soumettre au crible <strong>des</strong> exigences<br />

mêmes d'Antoine.<br />

Les deux films se rapprochent dans sa<br />

filmographie par d'autres motifs que la<br />

seule chronologie. D'abord, parce qu'il<br />

s'agit d'adaptations de deux œuvres célèbres<br />

du naturalisme littéraire. Antoine<br />

amène au cinéma la Terre de Zola, fondateur,<br />

chef de file et théoricien du naturalisme,<br />

dont il avait déjà proposé en 1902<br />

l'adaptation théâtrale, et Daudet, disciple<br />

de Zola. Le déterminisme naturaliste<br />

conduit ainsi le personnage principal <strong>des</strong><br />

59


deux films à sa perte. Dans la Terre, le père<br />

Fouan parcourt seul l'étendue <strong>des</strong><br />

champs glacés, où il mourra car ses enfants<br />

se sont appropriés son héritage sans<br />

prendre soin de lui. Dans l'Arlésienne,<br />

Frédéri, torturé par la jalousie amoureuse,<br />

se suicide le soir de l'annonce d'un<br />

mariage de raison qu'il a accepté dans<br />

l'intérêt de sa famille. À cet égard, la logique<br />

de l'Arlésienne est plus humaine<br />

que sociale, alors que la Terre essaye au<br />

contraire de mettre en lumière les mécanismes<br />

économiques qui sous-tendent<br />

les affrontements familiaux menant à<br />

l'abandon du père Fouan. Ensuite, par la<br />

figure du berger, commune aux deux<br />

titres, qui illustre a contrario une façon<br />

d'échapper à l'emballement social et<br />

amoureux. C'est lui qui peut, parce qu'il<br />

se situe matériellement et moralement à<br />

l'écart du monde <strong>des</strong> hommes auquel il<br />

a renoncé, croiser le personnage principal<br />

dans ses derniers instants et désigner<br />

les causes de sa chute. Enfin, par la localisation<br />

très précise <strong>des</strong> intrigues : la région<br />

de Cloyes près de Chartres pour le<br />

roman de Zola ; Arles pour Daudet. Antoine,<br />

metteur en scène de théâtre, devait,<br />

malgré le soin qu'il y apportait, se contenter<br />

de décors de toile et de bois ; cinéaste,<br />

il amènera la caméra sur les lieux de son<br />

action au risque du pittoresque.<br />

En effet, ce souci maniaque de détails<br />

réalistes, dans l'acception la plus simplificatrice<br />

du naturalisme, risque de faire<br />

mal juger, et trop rapidement, Antoine.<br />

Certes, les deux films comptent ce qu'il<br />

faut de moutons, de dindons, de vaches<br />

en chaleur, de gardians à cheval et de fanfare<br />

de la Saint Eloi pour payer un juste<br />

tribut à l'image d'une réalité que depuis<br />

les origines, en héritier de la lanterne magique,<br />

le cinéma donne à voir. Mais cette<br />

part du naturalisme ne doit pas masquer,<br />

au-delà de cette adjonction de vrais quartiers<br />

de viande et de véritables animaux<br />

sur pied, son véritable objectif : établir<br />

par la fiction les lois d'un comportement<br />

humain. Grâce au cinéma, Antoine se voit<br />

offrir la possibilité de confronter les per-<br />

sonnages de son intrigue à la réalité <strong>des</strong><br />

lieux, <strong>des</strong> animaux, <strong>des</strong> maisons, <strong>des</strong><br />

actes quotidiens. En cela, le cinéma est<br />

bien l'instrument par excellence du naturaliste.<br />

Il n'y est plus question d'expérience<br />

in vitro, dans l'éprouvette du romancier<br />

ou sur la scène du théâtre, mais<br />

in vivo dans les paysages réels que parcourt<br />

l'homme objet de la fiction.<br />

Dans cette confrontation, Antoine déçoit<br />

parfois. Les actes sont trop peu nombreux,<br />

notamment dans l'Arlésienne, ou<br />

bien trop brefs et servant trop ostensiblement<br />

à une mise en situation vériste<br />

(voir, par exemple, la scène où Frédéri<br />

charge la charrette de foin, et, pour la<br />

Terre, le métrage <strong>des</strong> champs après le partage).<br />

Prisonnier d'une intrigue complexe,<br />

Antoine ne peut trouver le temps<br />

d'une plénitude <strong>des</strong> gestes, comme il<br />

pourra le faire avec les quatre protagonistes<br />

de l'Hirondelle et la Mésange.<br />

<strong>La</strong> force d'Antoine, en revanche, se<br />

manifeste pleinement dans l'utilisation<br />

de l'espace, particulièrement dans la<br />

Terre. Les champs pourraient n'y être<br />

qu'un décor naturel derrière les acteurs :<br />

ils servent de fondement à la scénographie.<br />

Les acteurs s'y rejoignent (la rencontre<br />

initiale de Fouan, Jean et Françoise),<br />

les parcourent (l'errance finale),<br />

s'y opposent en prenant chacun possession<br />

de leur portion de terre (les conflits<br />

entre Buteau, Lise, Jean et Françoise). <strong>La</strong><br />

mise en scène tire parti <strong>des</strong> arbres, <strong>des</strong><br />

haies, <strong>des</strong> meules de foin qui fourniront<br />

cachettes, écrans, obstacles naturels à<br />

l'action, alors qu'à d'autres instants c'est<br />

l'étendue dénudée <strong>des</strong> champs jusqu'à<br />

l'horizon qui s'étagera derrière les personnages.<br />

<strong>La</strong> structuration réussie de ces<br />

espaces par les regards donne alors, dans<br />

les meilleures séquences, toute sa force<br />

centrifuge au cadre, lors de la moisson<br />

durant laquelle Françoise s'abandonne à<br />

Jean ou lorsque Buteau et Lise viennent<br />

menacer Françoise en se découpant à<br />

contre-jour sur la surface du champ. Dans<br />

l'Arlésienne, le plan très général qui montre<br />

l'affrontement de Frédéri et Mitifio,<br />

ANDRÉ ANTOINE - 61<br />

absorbés par la farandole qui surgit du<br />

fond du cadre, joue lui de cette relation<br />

entre un espace peuplé par la multitude<br />

indifférente et le drame individuel.<br />

Dans ses plus beaux moments, Antoine<br />

s'éloigne de ce qui est encore le jeu<br />

trop chargé <strong>des</strong> comédiens, même lorsque<br />

leur caricature, comme celle de Hyacinthe<br />

et sa fille dans la Terre, est inventive,<br />

ou de la simple mise en situation de<br />

l'intrigue et de ses titres, notamment dans<br />

l'Arlésienne remanié par un producteur<br />

mécontent d'un premier montage. Il peut<br />

donner à voir le vent soufflant dans les<br />

jupes de ces paysannes ou le visage de<br />

Françoise/ Germaine Rouer, les cheveux<br />

dénoués, allongée dans le foin quelques<br />

instants après le départ de Jean avec qui<br />

elle vient de faire l'amour. Alors le système<br />

naturaliste qui paraît si bien s'appliquer<br />

au cinéma, bute sur l'apparence<br />

de ce qui est filmé. L'artiste ne manie plus<br />

les mots ; il ne confie plus le soin d'incarner<br />

ses personnages à <strong>des</strong> acteurs.<br />

Dans le même instant, Antoine fait enregistrer<br />

par la caméra l'objet de l'expérience<br />

en science humaine et la photogénie<br />

d'un moment du tournage auquel sa<br />

reproductibilité accorde une singularité<br />

infime. Son cinéma, enfant désiré du naturalisme<br />

et <strong>des</strong>tiné à dépasser le théâtre<br />

« imitation de la nature », ricoche sur le<br />

concret du modèle vivant.<br />

Pierre Gras<br />

1 « André Antoine, réparation d'un oubli », par Philippe<br />

Esnault in Restaurations et tirages de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, tome IV, <strong>Ciné</strong>mathèque française,1989.<br />

! 1895, n° 8-9, « Antoine cinéaste », par Emmanuelle<br />

Toulet, Éric Le Roy, Philippe Marcerou et <strong>La</strong>urent<br />

Mannoni, 1990 ; et aussi Dossier Antoine, Positif,<br />

n° 358, décembre 1990.<br />

3 « Le Naturalisme au cinéma », Conférences du Collège<br />

d'histoire de l'art cinématographique, n° 7, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, printemps 1994.


62 - FRANCE<br />

SOLEIL ET OMBRE<br />

SOL Y SOMBRA<br />

1922 - Musidora, Jacques <strong>La</strong>sseyne<br />

Réal. : Musidora, Jacques <strong>La</strong>sseyne. Prod. : Société<br />

<strong>des</strong> Films Musidora. Auteur : Ernesta Stern, d'après sa<br />

nouvelle l'Espagnole. Adapt. : Musidora.<br />

Dir. ph. : Franck Daniau-Johnston. Mont. : Nini<br />

Bonnefoy. Tournage à Tolède et Ecija. Int. : Musidora<br />

(Juana/I'étrangère), Antonio Canero (Jarana, le torero),<br />

Paul Vermoyal (l'antiquaire), Simone Cynthia, Miguel<br />

Sanchez. Date de sortie : 20 juillet 1922 (Madrid),<br />

6 octobre 1922 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 828 m., 40 mn<br />

(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués<br />

(Christine <strong>La</strong>urent). Noir et blanc. Doc. : Francis<br />

<strong>La</strong>cassin : Anthologie du cinéma, vol. 6, L'Avant-<br />

Scène, 1971.<br />

L'Espagne. Une cartomancienne prédit<br />

l'amour à Juana, servante d'auberge. Justement<br />

Jarana, un jeune torero, l'appelle. Elle<br />

accourt et ne voit pas la vieille femme retourner<br />

la carte suivante : la mort ! Mais pour<br />

l'instant, l'amant offre à son élue un beau<br />

châle blanc acheté chez l'antiquaire bossu. Arrive<br />

en ville une étrangère, aussi blonde que<br />

Juana est brune. Elle fait du charme à Jarana<br />

qui n'y est pas insensible. De dépit, Juana<br />

enlève son châle blanc et remet le noir. Le lendemain<br />

à la plaza, c'est à la nouvelle venue<br />

que le torero rend hommage, ignorant celle<br />

qui jusque-là avait eu les faveurs de son cœur.<br />

Dans l'arène, il triomphe et part avec sa nouvelle<br />

conquête. Juana a suivi les amants jusqu'à<br />

la « tienta ». Un jeune taureau la charge<br />

et la renverse. Seul le bossu qui l'a accompagnée,<br />

fiévreusement amoureux de Juana, lui<br />

vient en aide tandis que l'autre la dédaigne.<br />

Convalescence. <strong>La</strong> semaine suivante, le matador<br />

succombe à un coup de corne. Juana,<br />

folle de rage et de douleur, poignarde mortellement<br />

l'étrangère, sous les yeux du bossu qui<br />

conduit la meurtrière au couvent.<br />

LA BRUNE BRÛLANTE<br />

Soleil et Ombre, film produit, réalisé,<br />

interprété par Musidora et tourné en 1922<br />

à Tolède en Castille et à Ecija en Andalousie,<br />

porte son projet d'inversion jusque<br />

dans son titre. Quelle inversion ?<br />

Celle de Musidora l'actrice dont le personnage<br />

de femme vampire séduisante,<br />

cruelle, érotique et venimeuse se déplaçait<br />

comme un scorpion dans les films de<br />

Feuillade et sur <strong>des</strong> <strong>images</strong> grises comme<br />

la cendre <strong>des</strong> cigares <strong>des</strong> méchants financiers<br />

de Judex. Dans Soleil et Ombre,<br />

Musidora retourne comme un gant noir<br />

et blanc son personnage troublant d'Irma<br />

Vep et s'enferme dans celui de Juana, la<br />

fiancée naïve, pure, humble et passionnée<br />

de Jarana, le torero d'avenir joué par<br />

le cordouan Antonio Canero, fameux torero<br />

à cheval dont Musidora était tombée<br />

amoureuse l'année précédente.<br />

L'amour, l'Espagne, la corrida, la belle<br />

étrangère blonde, coquette et riche<br />

qu'elle interprète également dans un curieux<br />

dédoublement l'infidélité, la jalousie,<br />

les yeux derrière les éventails, la<br />

rivale « puntillée », poignardée comme<br />

un taureau, le soleil sur les lames <strong>des</strong> couteaux,<br />

le sang, la rédemption par la religion,<br />

aucun poncif ne manquait pour que<br />

la nouvelle l'Espagnole d'Ernesta Stern<br />

n'accouche à l'écran d'un de ces films de<br />

pacotille où l'excès de couleur locale coule<br />

sous son béton de fanfreluches l'intensité<br />

silencieuse et nue de l'Espagne en général,<br />

de la tauromachie en particulier et,<br />

plus encore, la gravité cordouane. Or,<br />

non. <strong>La</strong> sobriété elliptique de la réalisation<br />

et la densité rigoureuse <strong>des</strong> <strong>images</strong><br />

donnent à ce Soleil et Ombre la sévérité<br />

étrange et comme endeuillée <strong>des</strong> peintures<br />

du cordouan Julio Romero de Torres,<br />

ami de Canero, et qui peindra d'ailleurs<br />

Musidora, toile achetée par le Musée<br />

national de Buenos Aires. A quoi attribuer<br />

cette absence de complaisance et ce<br />

refus du pittoresque qui fait honneur à<br />

celle à qui André Breton avait un jour<br />

lancé un bouquet de roses rouges ? Sans<br />

doute à la force de sa passion pour l'Espagne<br />

découverte en 1921 à l'occasion du<br />

tournage de Pour Don Carlos, à son sentiment<br />

amoureux pour Canero et à son<br />

coup de foudre pour la corrida qu'elle défendra,<br />

en France, y compris dans <strong>des</strong> articles<br />

de journaux. L'Espagne où elle<br />

vivra jusqu'en 1926, et à l'inverse de celle<br />

« décrite par nos littérateurs français »,lui<br />

est apparue comme « étonnante de gravité,<br />

de sobriété, de grandeur ». <strong>La</strong> personnalité<br />

de Canero a du également jouer<br />

dans cette vision. A cette époque, le torero<br />

de Cordoue vient de recentrer, vers plus<br />

de classicisme et de sobriété, l'art de toréer<br />

à cheval en s'inspirant de l'élégante<br />

efficacité de la tauromachie du « campo »,<br />

dans les pâturages. On en aperçoit un remarquable<br />

mais bref échantillon dans le<br />

film lorsque Jarana, à cheval, conduit un<br />

taureau avec sa « garrocha », sa longue<br />

pique en bois. Mais Musidora, qui en portait<br />

le pressentiment avec son pseudonyme<br />

trouvé dans un texte de l'hispanophile<br />

Théophile Gautier, avait peut-être<br />

déjà eu vent de l'Espagne et <strong>des</strong> corridas<br />

grâce à Feuillade, « aficionado » s'il en fut<br />

et prolifique écrivain taurin 2 . On ajoutera,<br />

pour donner au pressentiment la part<br />

d'ombre qui lui revient dans toute création,<br />

que la mort cinématographique de<br />

Jarana / Canero annonce, de peu de jours,<br />

celle, pour de vrai, du torero Granero tué<br />

en mai 1922 à Madrid d'un coup de corne<br />

dans l'œil par le taureau « Sans-Souci ».<br />

Quant à Canero, qui avait déjà reçu l'extrême<br />

onction pour une cornade en 1917,<br />

il se laissera finalement séduire par une<br />

comtesse russe...<br />

Jacques Durand<br />

1 Peut-être faut-il chercher dans l'amour de Musidora<br />

pour Canero la raison de son dédoublement, de ce<br />

rôle à deux tètes, la même à la fois fiancée rejetée et<br />

femme fatale. Elle aurait été trop éprise de lui pour<br />

le partager avec une autre, même à l'écran. En se donnant<br />

les deux rôles, elle se donne forcément le beau<br />

rôle et l'encercle dans son désir...<br />

2 Louis Feuillade : Chroniques taurines, 1899-1907, édition<br />

établie par Bernard Bastide, <strong>Ciné</strong>-Sud, 1988.<br />

Louis Feuillade : Mémoires d'un toréador français, édition<br />

établie par Bernard Bastide, Union <strong>des</strong> bibliophiles<br />

taurins de France, 1995.<br />

SOLEIL ET OMBRE - 63


L'EMPIRE DU DIAMANT<br />

1922 - Léonce Perret<br />

Réal. : Léonce Perret. Prod. : Le Film Léonce Perret.<br />

Auteur : Valentin Mandelstamm, d'après son roman.<br />

Adapt. : Léonce Perret. Dir. ph. : René Guissart.<br />

Int. : Lucy Fox (Michelle Versigny), Ruth Hunter (Miss<br />

Hopkins), Léon Mathot (Graves), Jacques Volnys<br />

(Trazi), Robert Elliot (Jérôme Versigny), Henry G. Sell<br />

(Paul Bernac), Fernand Mailly (le baron de <strong>La</strong>mbri),<br />

<strong>La</strong>urent Morlas (Andersen), Marcel Levesque<br />

(l'huissier Pigeon), Charles de Rochefort (le juge),<br />

Louis Monfils. Date de sortie : 7 juillet 1922.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1265 m., 51 mn<br />

(à 22 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc.<br />

Président d'une compagnie de diamants à<br />

New York, Jérôme Versigny vient en France<br />

pour démanteler un trafic défausses pierres.<br />

Il voyage avec sa fille Michelle et son futur<br />

gendre. Versigny soupçonne Graves, le président<br />

de la Diamond Trust de Londres, toujours<br />

flanqué de son fidèle secrétaire, l'inquiétant<br />

Trazi. Soupçons confirmés par les<br />

confidences du chimiste Andersen, l'inventeur<br />

du diamant artificiel, qui lui remet la formule<br />

secrète de sa découverte. Après un détour<br />

par la côte d'Azur, direction Paris. Graves<br />

enlève Versigny sur le pont <strong>des</strong> Arts, Trazi<br />

kidnappe Andersen à son hôtel et le baron<br />

de <strong>La</strong>mbri, beau-frère félon de Versigny à la<br />

solde <strong>des</strong> trafiquants, vole la formule. Le lendemain,<br />

les journaux titrent sur l'assassinat<br />

mystérieux de... Graves, le roi du diamant !<br />

Toujours très actif, Trazi étrangle le baron,<br />

maquille son crime en suicide et s'empare de<br />

la formule. Dans la foulée, il tente d'occire<br />

Andersen qui en réchappe de justesse. Michelle,<br />

bonne fille, s'inquiète de la disparition<br />

de son père. Son fiancé, détective pour la cir-<br />

constance, retrouve la trace de Trazi et le file<br />

jusqu 'au château de l'île aux mouettes... Bientôt,<br />

le repaire est cerné par la police et le criminel<br />

arrêté. À Paris, chez le juge d'instruction,<br />

Trazi est accusé <strong>des</strong> meurtres de Graves,<br />

du baron et d'une tentative d'assassinat sur<br />

la personne d'Andersen. L'ordre rétabli, Versigny<br />

et les deux tourtereaux embarquent<br />

pour l'Amérique.<br />

BEAUTÉ DES MARGES<br />

Ce film recèle certaines contradictions.<br />

Il s'agit d'un ouvrage visiblement<br />

assez coûteux, tourné dans de multiples<br />

régions - Paris, côte méditerranéenne,<br />

etc.. - avec de nombreuses séquences,<br />

dans <strong>des</strong> lieux de tournage très divers. Et<br />

en même temps, on a l'impression d'un<br />

tournage fauché (le trucage du moulin à<br />

vent qui finit sous les flammes est très<br />

faible) et fort rapide. Ainsi, certaines séquences,<br />

au début, comportent <strong>des</strong> raccords<br />

dans l'axe sur les personnages,<br />

mais, par la suite, il n'y a plus que <strong>des</strong><br />

plans-séquences assez frustrants : il arrive<br />

que les protagonistes soient concentrés<br />

dans un tiers du champ, laissant<br />

beaucoup de place vide en haut et de<br />

l'autre côté. Tout cela ne permet nullement<br />

de s'intéresser ou de s'identifier à<br />

un personnage. Une bagarre commence,<br />

et les acteurs, se jetant l'un sur l'autre, se<br />

mettent presque totalement hors champ<br />

dans le feu de l'action. Visiblement, Perret<br />

ne leur a pas demandé de recommencer.<br />

Il est fort possible que tout le film ait<br />

été tourné sur le principe « un plan, une<br />

prise » faute de temps plus que d'argent.<br />

L'Empire du diamant est totalement absorbé<br />

par la mécanique accélérée de son<br />

histoire policière, avec ambiances à coups<br />

de fumées de cigares, et les originalités<br />

du résultat ne peuvent se situer qu'en dehors<br />

ou en marge du sujet, de l'intrigue<br />

et <strong>des</strong> personnages. Ainsi, on constate un<br />

réel effort pour bien insérer tout ce qui est<br />

titres ou intertitres dans le courant <strong>des</strong><br />

<strong>images</strong>. Le générique lui-même est al-<br />

terné avec <strong>des</strong> plans pleins de spontanéité,<br />

mais sans référence évidente à l'action<br />

future, et qui constituent peut-être le<br />

logo <strong>des</strong> Productions Léonce Perret ou du<br />

distributeur. Chaque fois qu'un intertitre<br />

annonce un personnage et le nom de son<br />

acteur, sa photo apparaît sur la gauche de<br />

l'écran, juste avant que l'acteur en mouvement<br />

ne fasse son apparition. De même,<br />

les intertitres évoquant le déroulement<br />

de l'histoire sont souvent placés<br />

dans un coin de l'image de l'intrigue filmée<br />

et parfois, on ne sait même plus à<br />

force d'intégration de l'un à l'autre s'il<br />

s'agit d'un intertitre ou d'une enseigne<br />

filmée...<br />

À noter aussi, <strong>des</strong> recherches intéressantes<br />

sur les caches : aux iris traditionnels,<br />

s'ajoutent de faux iris, justifiés en<br />

principe par les courbures de la végétation<br />

filmée ou <strong>des</strong> rideaux noirs. Il y a<br />

même une sorte de cache en forme de losange.<br />

On remarque encore <strong>des</strong> inserts de<br />

détail ou <strong>des</strong> gros plans étranges : un œil<br />

seul curieusement cadré par exemple.<br />

Ces surfaces réduites subites détonnent<br />

dans ce film de plans très généraux.<br />

On sent que Perret s'est amusé en se<br />

livrant à de pareilles expériences. Mais<br />

tout cela ne va pas très loin. Le seul élément<br />

positif qui se situe vraiment à l'intérieur<br />

du film demeure la composition<br />

de Marcel Levesque, toujours plein de<br />

truculence, ici dans le rôle de l'huissier<br />

Pigeon.<br />

65<br />

Luc Moullet


66 - FRANCE<br />

Pauline<br />

Carton.<br />

AUJOURDHUI,<br />

M r JANVIER 2024.<br />

®©CD<br />

LES ÉTRENNES À TRAVERS LES ÂGES<br />

1923 - Pière Colombier<br />

Ëntaiôie<br />

mise en scène<br />

Fi In) 6aûn)ont.<br />

Réal. : Pière (Pierre) Colombier. Prod. : Film<br />

Gaumont. Dir. ph. : Lucas. Dessins animés : Lortac.<br />

Int. : Madeleine Guitty (Maman Artémice), Pauline<br />

Carton (Mme Pluche), Alice Tissot (Estelle Tardiveau),<br />

|ean Sky (M. Pluche), Dolly Davis (Melle Ginette).<br />

Date de sortie : 1 1 janvier 1924.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 666 m., 29 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : Hebdo Film.<br />

Aujourd'hui, tout le monde est gentil avec M.<br />

Pluche : sa concierge, sa femme et même sa<br />

belle-mère ! Forcément, le bonhomme se pose<br />

<strong>des</strong> questions et trouve la réponse en regardant<br />

le calendrier : 30 décembre 1923, bientôt<br />

le Nouvel An. Toute cette gentillesse n 'est<br />

qu'une incitation à mettre la main dans le<br />

porte-monnaie. Il fait d'abord les magasins<br />

puis un rêve en <strong>des</strong>sins animés. Le voilà au<br />

paradis, à l'âge de pierre ensuite, au temps <strong>des</strong><br />

pharaons, de César, <strong>des</strong> Croisa<strong>des</strong>, sous Louis<br />

XIV et même en 2024 ; chaque fois il est question<br />

<strong>des</strong> cadeaux du 1"janvier, chaque fois la<br />

femme, d'Ève à Cléopâtre, est déçue et aurait<br />

préféré autre chose. Au réveil, Pluche est décidé<br />

à en finir avec cette dictature et le jour<br />

dit, offre à chacune <strong>des</strong> trois femmes une boîte<br />

de chocolats qu'elles commencent par s'offrir<br />

entre elles avant de la lui rendre fort mécontentes.<br />

Il les donne finalement à sa jolie manucure<br />

et fait au moins une heureuse.<br />

QUI VEUT LA PEAU<br />

DE MONSIEUR PLUCHE?<br />

Cette bande en deux bobines sur l'art<br />

et la manière d'embobiner en période festive<br />

(outre sa chère moitié) belle-maman<br />

et la bignole de son immeuble, afin de badiner<br />

plus gaiement parmi d'autres représentantes<br />

de la gent féminine, ne se signale<br />

ni par son excès de libertinage<br />

(d'un bon bourgeois durant les folles années<br />

vingt), ni par son innovation dans la<br />

mise en scène.<br />

Le plantureux monsieur Pluche (le<br />

personnage principal appréhendé sur le<br />

vif) se complaît plus volontiers dans un<br />

salon de manucure, s'abandonnant aux<br />

bons soins d'accortes praticiennes, qu'il<br />

ne s'attarde devant les boutiques <strong>des</strong><br />

joailliers, avant de regagner son quartier<br />

résidentiel (on aperçoit l'Arc de Triomphe<br />

à deux pas de ses pénates) et de se<br />

soumettre au fatal face-à-face avec la<br />

concierge (Alice Tissot au chignon revêche),<br />

une fois franchie la grille de son immeuble.<br />

Puis tête-à-tête avec madame<br />

Pluche : Pauline Carton déjà telle qu'en<br />

elle-même, régnant sur une soubrette<br />

coiffée comme Bécassine et doublée de sa<br />

digne génitrice (une opulente belle-mère<br />

pouponnant son petit chien).<br />

Le déroulement très linéaire de l'intrigue<br />

- panachée d'intermè<strong>des</strong> en <strong>des</strong>sins<br />

animés - privilégie la gestuelle et les<br />

mimiques (moult grimaces) <strong>des</strong> différents<br />

interprètes saisis en une succession<br />

de plans fixes, rapprochés, champs-contrechamps,<br />

s'enchaînant les uns aux<br />

autres. Le fait de combiner séquences<br />

<strong>des</strong>sinées et vues réelles, en alternance<br />

avec les cartons dialogués enregistrés au<br />

banc-titre, était déjà couramment pratiqué<br />

à l'époque, tant en Europe qu'outre-<br />

Atlantique (où les sentiers buissonniers<br />

du burlesque rencontrèrent les trajectoires<br />

<strong>des</strong> cartoonistes bien avant la relance<br />

Roger Rabbit). Déjà catalogué au répertoire<br />

de la comédie légère pour avoir<br />

signé quelques ban<strong>des</strong> chez Gaumont,<br />

Pière (ou Pierre) Colombier, qui fut <strong>des</strong>-<br />

sinateur à ses débuts, et s'essaya dans la<br />

caricature, jugea sans doute plus aisé - et<br />

moins coûteux - d'évoquer les bisbilles<br />

bibliques, les péplums antiques et les<br />

fastes futuristes en quelques découpages<br />

sommairement animés, plutôt que de les<br />

reconstituer en studio. Ces compositions<br />

ciné-graphiques sur le thème du couple<br />

(farcies de clins d'œil anachroniques) demeurent<br />

très proches <strong>des</strong> <strong>des</strong>sins légendés<br />

<strong>des</strong> journaux amusants, truffés de calembours<br />

bien de chez nous (calembredaines<br />

dignes de l'Almanach Vermot).<br />

En fait, ces scènes de la vie parisienne,<br />

mi-rêvées mi-vécues, sont contemporaines<br />

du Pans qui dort de René Clair, lequel<br />

sut mieux dynamiser les <strong>images</strong> en plongeant<br />

ses interprètes dans un sommeil<br />

hypnotique. Ce catalyseur du septième<br />

art eut d'ailleurs recours (avec plus de<br />

subtilité) aux procédés du banc-titre dans<br />

le Voyage imaginaire (1925).<br />

Pour réaliser les séquences animées<br />

(en cartons découpés) de son film, Pière<br />

Colombier s'adressa à un autre graphiste,<br />

Robert Collard dit Lortac. Ce contemporain<br />

d'Emile Cohl (s'orientant principalement<br />

dans le domaine publicitaire) fera<br />

une carrière aussi longue et fructueuse<br />

commercialement parlant, se prolongeant<br />

du muet au parlant, que le prolifique<br />

amuseur Colombier.<br />

67<br />

Michel Roudevitch


68 - FRANCE<br />

LA BELLE NIVERNAISE<br />

1923 - Jean Epstein<br />

Réal. : Jean Epstein. Auteur : Alphonse Daudet,<br />

d'après sa nouvelle homonyme. Adapt. : Jean Epstein.<br />

Asst. réal. : RenéAlinat. Dir. ph. : Paul Guichard,<br />

Léon Donnot. Mont. : Jean Epstein, René Atinat.<br />

Décors au studio <strong>des</strong> Vignerons à Vincennes.<br />

Extérieurs sur la Seine entre Paris et Rouen et à<br />

Vincennes. Int. : Blanche Montel (Clara), Maurice<br />

Touzé (Victor), ,/ean-David Evremond (Maugendre),<br />

Max Bonnet (L'Équipage), Pierre Hot (le père<br />

Louveau), Mme <strong>La</strong>croix (la mère Louveau), Roger<br />

Chantai, Pierre Ramelot, Georges Charlia.<br />

Date de sortie : 5 janvier 1924.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1569 m., 77 mn<br />

(à 18 i/s). Intertitres français et espagnols. Noir et<br />

blanc.<br />

<strong>La</strong> Seine, une péniche (<strong>La</strong> Belle Nivernaise) ;<br />

le père Louveau fait escale à Paris pour débarquer<br />

son chargement. Le soir après la transaction,<br />

il ramasse dans la rue un gosse abandonné<br />

et le ramène à bord... au grand dam de<br />

sa femme et de l'équipage, le second du bateau,<br />

mais pour le plus grand plaisir de sa<br />

jeune enfant Clara. Dix années passent. Victor,<br />

l'enfant trouvé, tient ferme la barre. Clara<br />

aussi agrandi et les deux adolescents s'aiment<br />

au fil de l'eau ou dans une salle de cinéma<br />

quand à l'occasion ils vont à terre. Mais la<br />

préfecture de police a fini par retrouver l'identité<br />

du vrai père : c'est Maugendre, le fournisseur<br />

en bois de Louveau ! Après bien <strong>des</strong><br />

hésitations du marinier et un accident évité<br />

de justesse où l'horrible L'Équipage trouve la<br />

mort, Victor quitte le bateau et Clara. Son géniteur<br />

qui veut faire son bien l'envoie au lycée.<br />

Mélancolie <strong>des</strong> amants séparés. Victor a de la<br />

fièvre et délire. Maugendre le rend à sa famille<br />

adoptive et offre au jeune couple une nouvelle<br />

« Belle Nivernaise » baptisée par monsieur le<br />

curé.<br />

LA MACHINE D'UNIVERS<br />

Le film appartient à la veine fluviale<br />

du cinéma français, de l'Hirondelle et la<br />

Mésange à l'Atalante en passant par la Fille<br />

de l'eau. Tourné en 1924 dans <strong>des</strong> extérieurs<br />

réels, la Seine à Paris, à Rouen, c'est<br />

l'adaptation d'une nouvelle homonyme<br />

d'Alphonse Daudet, lue par Epstein dans<br />

son adolescence, déclinant un motif au<br />

fond sentimental qui n'est pas l'intérêt<br />

principal du film, lequel comporte d'ailleurs<br />

assez peu de psychologie, ou alors<br />

comme souvent chez Epstein, sous une<br />

forme élémentaire, c'est-à-dire <strong>des</strong> sentiments<br />

premiers, facilement identifiables,<br />

et qui peuvent être rapportés à <strong>des</strong> états<br />

matériels du monde. « Je crois que l'âge<br />

du cinéma kaléidoscope est passé. Le cinéma<br />

doit désormais être appelé : la photographie<br />

<strong>des</strong> illusions du cœur, c'est-àdire<br />

: de la pensée qu'il enregistre à travers<br />

les corps, amplifie, et parfois crée où<br />

elle n'était pas '. »<br />

C'est un petit univers séparé, suspendu<br />

sur l'eau, où la terre défile, arbre,<br />

nuage ou ciel, dans <strong>des</strong> travellings latéraux.<br />

C'est aussi la marque de l'univers<br />

epsteinien, cet entremonde avec sa part<br />

proprement documentaire, berges de la<br />

Seine, ponts entraperçus avec leurs autobus,<br />

salle de cinéma avec l'affiche de Chaplin<br />

(et l'histoire de cet enfant trouvé et<br />

recueilli peut évoquer celle du Kid).<br />

« Pour moi, le plus grand acteur, la plus<br />

forte personnalité que j'ai connu intimement<br />

est la Seine, de Paris à Rouen '. » <strong>La</strong><br />

matière <strong>des</strong> paysages se fond avec les visages<br />

parfois ; c'est celui pensif de Victor,<br />

sur lequel apparaît une traînée d'eau, en<br />

un atmosphérisme très doux de la surimpression,<br />

jusqu'à de brefs grisés qui<br />

paraissent composés de poussières. Ce<br />

sont les plans leitmotive pendant la bagarre,<br />

sur la péniche qui dérive, sans direction,<br />

le gouvernail ivre, le partage <strong>des</strong><br />

eaux par l'écluse, en une obsession naissante<br />

de ponctuation qui s'affranchit partiellement<br />

du récit. C'est le gros plan irruptif,<br />

moins raccordé aux plans précé-<br />

dents d'ensemble sur les protagonistes,<br />

où le marinier fait <strong>des</strong> avances pressantes<br />

à Clara, et qui surgit suivant un axe brisé<br />

dans le raccord. C'est, dans l'infirmerie<br />

où Victor est alité, le panoramique ascensionnel<br />

qui passe de son visage inquiet<br />

à la reproduction du tableau de Léonard,<br />

puis le raccord qui va du visage du<br />

tableau à celui de Victor, qui se lève vers<br />

la caméra, la surimpression du visage de<br />

Clara sur celui du tableau ; enfin cette<br />

ronde circulaire de feuillage sur une surface<br />

d'eau, par <strong>des</strong>sus le visage de la<br />

jeune fille.<br />

Moments de fusion avec le récit, où la<br />

sensation impose sa figuration, comme<br />

dans ce panoramique rapide sur les visages<br />

qui observent Victor, l'enfant trouvé,<br />

en un bref vertige. Sans doute, la Belle<br />

Nivernaise n' atteint pas à cette véhémence<br />

d'associations dont, ailleurs, Epstein fera<br />

sa marque. Mais travellings et panoramiques,<br />

par exemple, qui sont bien sûr<br />

les figures <strong>des</strong>criptives fondatrices, acquièrent<br />

une valeur quasi-liquide qui<br />

s'accorde au défilement aquatique. Les<br />

plans rapprochés, en particulier de visages,<br />

détiennent un relief, une densité<br />

photographique qui en exaspère les détails.<br />

Victor, dans la cour de l'école, regarde<br />

une carte : survient la mer, sur laquelle<br />

apparaît une fumée de bateau à vapeur<br />

et, sous ces surimpressions, surgissent<br />

Clara et lui-même, avant de revenir<br />

au visage de Victor : stratigraphie d'<strong>images</strong><br />

où ces nappes de visible figurent directement<br />

<strong>des</strong> associations mentales. Les<br />

stries de lumière filtrée par les lattes <strong>des</strong><br />

volets, tombant sur les visages à l'intérieur<br />

de la péniche, au moment de la bagarre<br />

entre Victor et le marinier, zèbrent<br />

le visible : l'éclairage vise plus à la transfiguration<br />

de cette matière de visage, qu' à<br />

un quelconque appui dramaturgique lumineux.<br />

Le drame est dans la photogénie,<br />

une certaine manière de composer les<br />

affects avec du figuratif matériel : en cela,<br />

la Belle Nivernaise est un film absolument<br />

dans la droite ligne <strong>des</strong> préoccupations<br />

d'Epstein. A travers la Seine, la péniche,<br />

ce qui est recherché, même d'une manière<br />

mineure par rapport à Finis terrae par<br />

exemple, c'est un certain englobement<br />

<strong>des</strong> personnes par le monde, une majoration<br />

de cette immersion parfois quasi<br />

météorologique, qui agrandit la région<br />

<strong>des</strong> sentiments et l'ouvre à <strong>des</strong> résonances<br />

de terre ou de ciel. <strong>La</strong> « machine<br />

à confesser les âmes », comme Epstein<br />

appela le cinéma, est aussi une machine<br />

d'univers.<br />

Philippe Arnaud<br />

1 Jean Epstein : Écrits sur le cinéma, T. 1, Seghers, 1974,<br />

p. 60.


70 - FRANCE<br />

Nène,<br />

Gaston Modot<br />

(à droite).<br />

Sandra Milowanoff<br />

(à gauche).<br />

Duel,<br />

Gabriel Gabrio.<br />

JACQUES DE BARONCELLI<br />

NÈNE<br />

1923 - Jacques de Baroncelli<br />

Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Baroncelli Films.<br />

Auteur : Ernest Pérochon, d'après son roman<br />

homonyme. Adapt. : Jacques de Baroncelli.<br />

Asst. réal. : Henri Chomette. Dir. ph. : Louis Chaix.<br />

Int. : Sandra Milowanoff (Nène), France Dhélia<br />

(Violette), Lélé Delaroche (<strong>La</strong>lie), Noémie Seize,<br />

Edmond Van Daële (Corbier), François Viguier<br />

(Boisseriot), Gaston Modot (Jean Cuirassier), Jean<br />

Provost (Paul), Abel Sovet, Jaque Christiani.<br />

Date de sortie : 4 avril 1924.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1665 m., 82 mn<br />

(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Couleurs (teintages).<br />

À la campagne. Nène est la servante dévouée<br />

de monsieur Corbier, jeune veuf propriétaire<br />

de la ferme <strong>des</strong> Moulinettes. Surtout,<br />

elle voue une véritable passion aux deux jeunes<br />

enfants de la maison, Jo et sa sœur <strong>La</strong>lie.<br />

Seul Boisseriot, un valet torve et concupiscent,<br />

trouble parfois le calme bonheur de Nène<br />

teinté d'un peu de mélancolie. Au village voisin,<br />

habite Violette, une jolie couturière courtisée<br />

par Jean, le frère de Nène. Mais un jour<br />

d'été qu'on bat le blé chez Corbier, Jean se<br />

prend un bras dans la machine par la faute de<br />

Boisseriot. Bien décidée à ne pas épouser un<br />

manchot, Violette se laisse convaincre par<br />

Boisseriot défaire du charme à Corbier. Loin<br />

d'y être insensible, le maître <strong>des</strong> Moulinettes<br />

ne tarde pas à la vouloir, oubliant son intention<br />

d'épouser Nène. Justement, Violette ne<br />

consent au mariage qu'à la condition du départ<br />

de la servante. Toujours mal intentionné,<br />

Boisseriot informe Jean, désormais épris de<br />

boisson, de l'imminence de l'union. Alertée,<br />

Nène devra faire barrage de tout son corps et<br />

son cœur pour empêcher son frère de commettre<br />

l'irréparable et le convaincre de quitter<br />

le pays. Elle-même plie bagage pendant que<br />

la nouvelle maîtresse de maison s'installe et<br />

révèle vite un caractère tyrannique. Persuadée<br />

que <strong>La</strong>lie et Jo ne l'aiment plus, la servante<br />

se jette dans la rivière. Corbier l'en sort inanimée<br />

et ce sont les appels <strong>des</strong> petits qui la<br />

ramènent à la vie. Enfin, le maître ouvre les<br />

yeux et répudie Violette. Il épousera Nène.<br />

DUEL<br />

1927 - Jacques de Baroncelli<br />

Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Société <strong>des</strong><br />

<strong>Ciné</strong>romans-Films de France. Auteur : René Jeanne,<br />

d'après son roman homonyme. Adapt. : Jacques de<br />

Baroncelli. Asst. réal. : Abel Sovet. Dir. ph. : Louis<br />

Chaix. Déc. : Robert Gys. Int. : Mady Christian (Mary<br />

Darcey), Andrée Standard (Mme Debresle), Lucienne<br />

Parizet, Janine Borelli, Jane Thierry, Sarah Clèves,<br />

Gabriel Gabrio (Debresle), Jean Murât (Jean Peyrane),<br />

Henri Rudeaux (le commissaire), Marcel Doret,<br />

Georges Despaux. Date de sortie : 24 février 1928.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1934 m., 84 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Couleurs (teintages).<br />

Un coup de feu ! Madame Debresle s'est<br />

donné la mort parce que son amant allait la<br />

quitter pour une autre. Le mari, un ancien as<br />

de 14-18 devenu fabricant d'avions, trouve<br />

dans le sac de la défunte une lettre de l'amant<br />

et un nom : Jean Peyrane. Jean, grand aviateur<br />

de la guerre et grand séducteur de l'aprèsguerre,<br />

est amoureux pour l'heure de Mary,<br />

une jolie veuve milliardaire. Celle-ci, libre et<br />

désœuvrée, lui propose de le rejoindre par bateau<br />

à Biskra, première escale de son raid aérien<br />

au-<strong>des</strong>sus du Sahara. Pendant la croisière,<br />

elle fait la connaissance du sombre Debresle<br />

et, sous le charme, lui raconte qu'elle<br />

va rejoindre le célèbre Jean Peyrane ! À l'atterrissage,<br />

Jean retrouve Mary et apprend de<br />

sa Compagnie qu'il aura un passager jusqu'à<br />

Tamanrasset, un certain Debert... Alors<br />

qu'ils survolent le désert, Debresle sort une<br />

arme et oblige son pilote à se poser. Là, il tire<br />

dans le réservoir, se découvre et provoque un<br />

duel inhabituel : Us devront traverser à pied<br />

le désert en suivant <strong>des</strong> directions opposées.<br />

Au bout d'un mois, l'un puis l'autre réapparaissent,<br />

exténués mais vivants. De retour à<br />

Paris, Jean veut épouser Mary, qui refuse par<br />

amour pour Debresle. Fou de rage, il déboule<br />

chez son rival, à son tour le défie en un duel<br />

aérien au-<strong>des</strong>sus du Bourget et dans le ciel,<br />

se laisse abattre.<br />

JE SERAI SEULE APRÈS MINUIT<br />

1931 - Jacques de Baroncelli<br />

Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Adolphe Osso.<br />

Auteur : Albert Jean, d'après sa pièce homonyme.<br />

Adapt. : Pierre Gille-Véber, Georges H. Clouzot.<br />

Dir. ph. : Louis Chaix. Asst. ph. : Janvier.<br />

Déc. : Robert Gys. Mus. : Georges Van Parys, Philippe<br />

Parés. Lyrics : Serge Véber (édition Francis Salabert).<br />

Administrateur : Georges Bernier. Enregistré par<br />

Monsieur Bugnon sur procédé Western Electric dans<br />

les studios Braunberger-Richebé à Billancourt.<br />

Int. : Mireille Perrey (Monique), Pierre Bertin-<br />

Sociétaire de la Comédie-Française (Michel), Saint-<br />

Ober (le pépiniériste), Barencey (le marinier), Kerly (le<br />

Monsieur pressé), Velsa (le militaire), Goupil (le<br />

pêcheur), Bever (le petit employé), Maurice Rémy (le<br />

cambrioleur), Roger Blum (le mari), Vanah-Yami (la<br />

femme de chambre). Date de sortie : 20 novembre<br />

1931. Métrage, minutage copie Cf. : 1553 m., 57 mn.<br />

Noir et blanc. Doc. : Remerciements à Bernard<br />

Bastide.<br />

À Paris, dans une belle maison, un couple<br />

se crêpe le chignon. Dans l'appartement d'en<br />

face, Michel chante l'amour. Depuis six ans,<br />

il aime justement Monique, la femme d'à côté<br />

et lui fait la cour sans succès. Or, Monique<br />

veut se venger de son mari volage ; elle achète<br />

tous les ballons du marchand et attache sa<br />

carte à chacun avec l'inscription : « Je serai<br />

seule après minuit. » Les ballons s'envolent<br />

et, au gré du vent, désignent un pêcheur à la<br />

ligne, un homme d'affaires pressé, un employé<br />

du ministère de l'air, un marinier jovial, un<br />

soldat en faction, un saxophoniste étranger,<br />

un pépiniériste un peu hébété et... Michel. Minuit<br />

sonne et les invités arrivent. Les présentations<br />

faites, Monique leur annonce<br />

qu'elle passera la nuit avec l'un d'entre eux.<br />

Mais quand le nom de son voisin sort du chapeau,<br />

elle refuse d'être son lot et s'enferme<br />

dans sa chambre avec... un cambrioleur entré<br />

par la fenêtre. Finalement, de guerre lasse ou<br />

manu militari, tous partent, même le voleur<br />

auquel Michel a donné sa propre adresse pour<br />

s'en débarrasser. Enfin, Monique s'abandonne<br />

à son plus fidèle prétendant pendant<br />

que dans la rue, <strong>des</strong> hommes affluent par dizaines<br />

un ballon à la main...<br />

71


72 - FRANCE<br />

JACQUES L'ÉCLECTIQUE<br />

Un boulimique. C'est ainsi qu'aimait<br />

à se définir Jacques de Baroncelli qui, à<br />

l'heure <strong>des</strong> bilans, confessait la bagatelle<br />

de quatre-vingt et un films, réalisés entre<br />

1915 et 1947. Effectuer un prélèvement<br />

dans cette filmographie pléthorique où<br />

dominent quand même adaptations littéraires<br />

et drames de la mer, revient à<br />

confirmer le jugement autobiographique.<br />

Entre un drame paysan, un film<br />

« mondain et d'aventures » et une comédie<br />

musicale, il n'y a pas d'autre lien<br />

qu'une même curiosité tous azimuts, que<br />

l'appétit insatiable d'un artisan amoureux<br />

de son métier.<br />

Nène appartient à la veine naturaliste<br />

de Baroncelli, cette même veine qui<br />

compte aussi Ramuntcho (1918) et Pêcheur<br />

d'Islande (1924). L'œuvre, toute empreinte<br />

de la poésie rustique du quotidien,<br />

plonge ses racines dans une tradition<br />

française de romans paysans (Sand,<br />

Maupassant). Mais elle est transcendée<br />

par une dimension cosmique qui rappelle<br />

le grand cinéma suédois du début<br />

<strong>des</strong> années vingt.<br />

Dans l'héritage français, Baroncelli<br />

puise une géographie (la Vendée), un<br />

décor qui est plus qu'un simple paysage<br />

et vibre aux accents du drame. Il puise<br />

aussi un temps, rythmé par les travaux<br />

de la ferme et le cycle <strong>des</strong> saisons. C'est<br />

le temps de la moisson et du battage <strong>des</strong><br />

blés, <strong>des</strong> volailles que l'on engraisse et<br />

<strong>des</strong> moutons que l'on rentre à la bergerie.<br />

Dans ce tableau champêtre, il inscrit<br />

une famille ou ce qui en tient lieu : Corbier,<br />

paysan resté veuf avec ses deux enfants<br />

et Nène, la servante. Nène - superbe<br />

Sandra Milowanoff au visage d'icône -<br />

c'est le sentiment maternel exalté jusqu'au<br />

sublime ; c'est le pendant féminin<br />

du Père Goriot, porté à l'écran deux ans<br />

plus tôt par Baroncelli. Autour d'eux,<br />

gravitent <strong>des</strong> personnages esclaves de<br />

leurs passions : amours frustrés, liens du<br />

sang et conflits d'intérêt mènent ainsi la<br />

danse.<br />

Du cinéma suédois, le réalisateur<br />

semble avoir retenu la dimension « élémentaire<br />

» et poétique. Le feu qui brûle<br />

dans l'âtre est le point autour duquel s'organise<br />

la famille matriarcale ; il est aussi<br />

la punition s'abattant sur la petite <strong>La</strong>lie<br />

qui a enfreint l'interdit. L'eau, en revanche,<br />

appartient au règne féminin.<br />

Nène qui sauve Jo de la noyade, le réconforte<br />

et le soigne, trouve ainsi l'occasion<br />

d'exprimer son sentiment maternel<br />

et un désir d'enfantement. Belle scène où<br />

le_concret et le symbolique se mêlent. Et<br />

quand, à la fin du film, la solide paysanne<br />

se jette dans la rivière par désespoir, c'est<br />

Corbier qui vient la sauver (à la différence<br />

du roman où elle meurt) et choisit pour<br />

femme celle que ses enfants ont choisie<br />

pour mère.<br />

Avec Duel, Baroncelli retourne à<br />

l'univers viril qu'il affectionne tout particulièrement.<br />

Un grand nombre de ses<br />

films sont en effet peuplés de héros militaires<br />

- indifféremment marins, fantassins<br />

ou aviateurs - porteurs <strong>des</strong> valeurs<br />

de devoir, de courage et d'abnégation à<br />

un tel degré de pureté qu'ils nous paraissent<br />

peu crédibles aujourd'hui. Deux<br />

ans avant Wings de William Wellman, il<br />

s'attache à la figure de deux aviateurs qui<br />

- à cause d'une femme, bien sûr - se dressent<br />

en rivaux et s'affrontent au final dans<br />

un combat singulier. Bien vite, le cinéaste<br />

délaisse l'intrigue amoureuse pour mieux<br />

s'attacher à opposer deux tempéraments<br />

d'exception que les contingences divisent,<br />

alors qu'un même idéal les anime.<br />

Entre les deux rivaux en amour, il y a un<br />

peu de cette connivence de classe qui<br />

unira l'officier français à l'officier allemand<br />

dans la Grande Illusion.<br />

Le premier, Jean Peyrane, est le Dr Jekyll-Mr<br />

Hyde <strong>des</strong> airs. D'un côté il est<br />

l'aviateur valeureux qui, de traversée en<br />

raid, fait reculer les limites de l'impossible.<br />

De l'autre, il est ce mondain à la vie<br />

privée dissolue dont on a coutume de<br />

dire : « Il s'élève... en montant. » A travers<br />

lui, Baroncelli brosse le portrait de<br />

toute une génération de jeunes gens qui,<br />

démobilisés après la guerre de 14-18, eurent<br />

bien du mal à trouver leur place dans<br />

une société transformée en profondeur.<br />

Un thème qui lui tenait à cœur au point<br />

qu'il lui consacrera un autre film, Cessez<br />

le feu ! (1934).<br />

Le second, Debresle, fut lui aussi aviateur,<br />

avant de devenir un homme d'affaires<br />

prospère. Et tout, de son tour de<br />

taille à son intérieur cossu, en passant par<br />

son air suffisant, traduit sa réussite sociale.<br />

Dieu lui-même ayant refusé de départager<br />

les deux hommes dans une première<br />

épreuve - style « naufragé volontaire<br />

dans le Sahara » - ils décident de<br />

s'affronter en un combat aérien. Un combat<br />

qui est non seulement le climax du scénario<br />

et une prouesse technique de la réalisation,<br />

mais apparaît aussi, a posteriori,<br />

comme la seule justification du film tout<br />

entier (toute la publicité fut d'ailleurs<br />

faite autour de cette seule séquence).<br />

]e serai seule après minuit est un film<br />

léger, une comédie sur l'adultère, que<br />

l'onne s'attendait pas, a priori, à dénicher<br />

dans la filmographie de Baroncelli. Mais<br />

nous sommes au début du parlant et le<br />

cinéaste cherche ses marques dans un<br />

paysage cinématographique totalement<br />

bouleversé. Après l'échec cuisant de l'Arlésienne<br />

(1930) et le succès mondial du<br />

Rêve (1931), il va s'essayer à un genre qui<br />

a fait la réputation de René Clair, son ancien<br />

assistant : la comédie musicale à la<br />

française.<br />

Pour ce coup d'essai, il a mis toutes<br />

les chances de son côté : la pièce adaptée<br />

a triomphé à la Comédie-Caumartin,<br />

Pierre Bertin, l'acteur principal, est un<br />

vieux routier du genre (il fut l'interprète<br />

à l'écran de l'Amour chante et Faubourg<br />

Montmartre) et les mélodies sont signées<br />

Parés et Van Parys, les compositeurs du<br />

Million.<br />

L'argument est puéril : pour se venger<br />

d'un mari brutal et volage, une<br />

femme décide de se trouver un amant en<br />

lâchant <strong>des</strong> ballons portant le message<br />

« Je serai seule après minuit ». Les « victimes<br />

», comme touchées par la grâce,<br />

sont toutes saisies dans leur activité quotidienne<br />

: le pêcheur la ligne à la main, le<br />

militaire en faction, le monsieur pressé<br />

bouclant sa valise... Et tous, comme<br />

échappés d'un film de Jacques Demy,<br />

poussent la chansonnette pour se présenter,<br />

offrant un plan en coupe de la société<br />

française, de ses métiers et de ses<br />

uniformes. Car, au-delà de la comédie enlevée<br />

qui trouve bien vite son rythme allègre<br />

et son ton bon enfant, c'est le portrait<br />

de la France <strong>des</strong> années trente qui<br />

nous apparaît. Une France qui est encore<br />

celle <strong>des</strong> petits métiers (vendeurs de ballons,<br />

raccommodeurs de porcelaine,<br />

etc.), mais déjà celle <strong>des</strong> hommes d'affaires<br />

pressés ; une France qui sait se divertir<br />

et découvre le jazz.<br />

« Ils sont beaux ? » demande la jeune<br />

femme avant de découvrir ses nombreux<br />

prétendants. « Ils sont variés » lui répond<br />

sa femme de chambre. « Varié », c'est<br />

bien le maître mot de ce sympathique divertissement,<br />

le mot-clé aussi d'une filmographie<br />

faisant feu de tout bois.<br />

Bernard Bastide<br />

JACQUES DE BARONCELLI - 73<br />

Je serai seule après minuit, Mireille Perrey.


74 - FRANCE<br />

Sessue Hayakawa.<br />

J'AI TUE !<br />

1924-Roger Lion<br />

Réal. : Roger Lion. Prod. : Les Films Thyra (Richard<br />

Pierre Bodin). Se. : Roger Lion. Asst. réal. : Miss<br />

Frances Guihan. Dir. ph. : Maurice Desfassiaux,<br />

Castagnet, Segundo de Chomôn.<br />

Effets spéciaux : Segundo de Chomôn. Déc. : E. B.<br />

Donatien. Int. : Sessue Hayakawa (Hidéo), Huguette<br />

Duflos (Huguette), MaxMaxudian (le professeur<br />

Dumontal), Maurice Sigrist (Gérard), Pierre Daltour<br />

(Vérian), Denise Legeay (la « baronne de Calix »),<br />

Jules de Spoly (le « comte Ricardo »), André Volbert<br />

(le commissaire de police), Maurice Luguet (le<br />

Président). Date de sortie : 8 novembre 1924.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2052 m., 90 mn<br />

(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Couleurs (teintages). Doc. : Juan Gabriel Tharrats : Los<br />

500 films de Segundo de Chomôn, Zaragoza, 1988.<br />

Orientaliste réputé, le professeur Dumontal<br />

habite une belle demeure à Neuilly<br />

avec sa jeune femme, Huguette, et leur enfant<br />

Gérard. Un jour, le professeur reconnaît Hidéo,<br />

son ami antiquaire de Tokyo, accusé à<br />

tort d'un vol. Il s'en porte garant. Le jeune<br />

homme rend visite à son bienfaiteur et raconte<br />

sa tragique histoire : comment sa ville fut ravagée<br />

par un tremblement de terre, comment,<br />

seul rescapé de sa famille, il s'est embarqué<br />

pour l'Europe, comment il se fit dévaliser lors<br />

d'une escale à Anvers et comment il échoua à<br />

Paris. Dumontal l'engage comme collaborateur.<br />

Mais Huguette est la cible d'un chantage<br />

; Vérian, un ancien amant, a gardé <strong>des</strong><br />

lettres qu'il menace de produire. Dévoué,<br />

Hidéo essaye d'intervenir en menaçant Vérian<br />

et sa complice, la soi-disant baronne de<br />

Calix, de les dénoncer et de les faire jeter en<br />

prison. Mais rien n'y fait et lors d'une soirée<br />

chez les Dumontal, Vérian est là. Il poursuit<br />

la maîtresse de maison jusque dans sa chambre.<br />

Entre le mari qui se bat avec l'intrus.<br />

Mais fragile du cœur, il s'effondre. Vérian<br />

s'enfuit en menaçant Huguette. Hidéo entre<br />

et c'est lui qui est arrêté. Le jeune homme s'accuse<br />

aux Assises d'un crime qu'il n'a pas commis.<br />

Quand Vérian comparaît, sa victime n'y<br />

tient plus et le désigne comme le vrai coupable.<br />

Celui-ci avoue à son tour mais menace<br />

de tout dévoiler. Hidéo se jette sur lui et l'audience<br />

se termine en pugilat. Épilogue : Huguette<br />

reste seule avec son enfant, Hidéo a repris<br />

le bateau pour un autre ailleurs.<br />

UN MONDE DE MONDANITÉS<br />

Roger Lion est un cinéaste en activité<br />

dès le début <strong>des</strong> années dix. Les sujets<br />

qu'il privilégie relèvent fréquemment de<br />

la romance sentimentale. Décédé en 1934,<br />

il ne laisse pas d'œuvres particulièrement<br />

marquantes. On peut retenir sa version<br />

du Chasseur de chez Maxim's (1926) et justement<br />

J'ai tué !<br />

A quoi tient le fait que ce film, malgré<br />

son sujet très conventionnel, capte l'attention<br />

et aiguise la curiosité pour son dénouement<br />

?<br />

En premier lieu, quelques vues extérieures<br />

de Paris sont assez plaisantes. Par<br />

exemple, cet aperçu <strong>des</strong> rues Montmartroises<br />

ou ces plans du musée Galliéra<br />

dans la perspective de l'actuelle avenue<br />

Pierre 1 er de Serbie qui découvrent un Palais<br />

du Trocadéro dans son architecture<br />

initiale, avant l'exposition de 1937. Surtout,<br />

le surgissement dans la fiction<br />

d'<strong>images</strong> documentaires du tremblement<br />

de terre survenu au Japon en 1923<br />

crée un effet de réel saisissant et presque<br />

fatal à ce drame mondain qui, par contrecoup,<br />

paraît encore plus hors du monde.<br />

En second lieu, les décors de Donatien<br />

dégagent un évident goût <strong>des</strong> années<br />

vingt pour un exotisme revisité par les<br />

arts-déco, et pourraient servir à la mise<br />

en scène d'une mélancolie proche de Victor<br />

Segalen. Sessue Hayakawa accentue<br />

« ce sentiment du divers » dans une mise<br />

en scène très théâtralement « à la française<br />

». Il contribue beaucoup au petit intérêt<br />

du spectateur contemporain. Dénué<br />

<strong>des</strong> pauses et du maquillage <strong>des</strong> séducteurs<br />

<strong>des</strong> années folles, il a une présence<br />

physique qui irradie parfois <strong>des</strong> plans<br />

« plombés ». L'ultime séquence du procès<br />

le montre d'ailleurs bondissant de<br />

manière très spectaculaire à travers la<br />

salle d'audience pour étrangler le maître<br />

chanteur : un saut digne de Fairbanks !<br />

Comparé à Huguette Duflos (qui n'a pas<br />

encore toutes ses rondeurs de la fin de la<br />

décennie), à Max Maxudian (le mari,<br />

sosie de Sacha Guitry en peignoir dans la<br />

première séquence) et à Pierre Daltour<br />

(aux sourcils <strong>des</strong>sinés sur une face de<br />

neige), Hayakawa allège l'ordonnance<br />

pesante de la mise en scène.<br />

Enfin, quelques numéros de cabaret<br />

offrent un inventaire <strong>des</strong> exotismes au<br />

goût du jour : Polynésie, Espagne, Russie.<br />

Décors, Hayakawa, numéros de cabaret,<br />

grands jardins, hôtels particuliers<br />

somptueux et une langueur générale, colorent<br />

le film d'une certaine atmosphère<br />

décadente proche d'univers situés entre<br />

Paul Bourget et Huysmans.<br />

Le film est assez recherché visuellement<br />

: les mousselines transparentes<br />

d'Huguette Duflos rivalisent avec les jets<br />

d'eau <strong>des</strong> jardins à la française. Démonstration<br />

ostentatoire du « bon goût » du cinéaste,<br />

qui réussit plus légèrement la séquence<br />

décisive de la fête où alternent le<br />

bal et le quiproquo criminel. Le corps<br />

d'Hayakawa dynamise et rythme la scène.<br />

Cela dit, la réalisation de ce sujet mondain<br />

est nettement plus proche de la préciosité<br />

un peu affectée de L'Herbier que<br />

<strong>des</strong> expérimentations plastiques d'Epstein.<br />

Dominique Païni<br />

75


76 - FRANCE<br />

SOUVENIRS DE L'EXPEDITION CITROEN<br />

CENTRE-AFRIQUE<br />

2 e Mission. Haardt, Audouin-Dubreuil.<br />

1924-1925-Léon Poirier<br />

Réal. : [Léon Poirier].<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1943 m., 94 mn<br />

(à 18 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

<strong>La</strong> deuxième mission de l'expédition Citroën<br />

en Centre-Afrique traverse le continent<br />

noir dans son entier, de la côte algérienne à<br />

Madagascar (une partie de l'expédition pousse<br />

même jusqu'au Cap). Les principales étapes<br />

sont le lac Tchad, Bangui, Stanleyville, le lac<br />

Albert, le lac Victoria, le Mozambique. Les<br />

cinq voitures et autochenilles ont pour nom<br />

« Le scarabée d'or », « Le croissant d'argent »,<br />

« <strong>La</strong>blanche colombe », « Le Centaure », « Le<br />

soleil en marche ». Au cours de leur périple,<br />

les « missionnaires » traversent les rivières et<br />

les fleuves en pirogue, en bateau ou sur <strong>des</strong><br />

bacs improvisés, les déserts, brousses, forêts<br />

et villages ; ils rencontrent les populations,<br />

<strong>des</strong> autorités indigènes et coloniales ; ils sablent<br />

le Champagne le 11 novembre lors d'une<br />

halte ; ils font face à <strong>des</strong> avaries mécaniques,<br />

à <strong>des</strong> accidents même ; ils voient <strong>des</strong> pêcheurs,<br />

un passeur, un feu de brousse ; au hasard de<br />

la route, ils observent <strong>des</strong> termitières géantes,<br />

chassent le caïman, l'antilope, le sanglier, les<br />

papillons... Partis le 20 octobre 1924, ils parviennent<br />

à Tananarive le 26 juin 1925. C'est<br />

l'heure du retour sur le continent européen ;<br />

déjà la côte africaine s'éloigne, déjà la France<br />

est en vue.<br />

UN DÉFILÉ DANS LA BROUSSE<br />

<strong>La</strong> Croisière noire... J'ai vu ce film pour<br />

la première fois à Alger (à l'opéra, avec<br />

orchestre), à l'âge de dix ans... Et s'il n'a<br />

pas suscité chez moi la même émotion<br />

que le Nanook de Flaherty, qui est le premier<br />

film que j'ai vu de ma vie (à Brest,<br />

rue de Siam, en 1923, j'avais six ans), ces<br />

deux films restent associés à mon enfance.<br />

Pendant <strong>des</strong> années, je me suis endormi<br />

comme les petits chiens de Nanook,<br />

et pendant mon adolescence, je n' ai<br />

circulé, en rêve, qu'en autochenilles.<br />

J'ai revu ces deux films cent fois, dans<br />

toutes les versions, mais j'ai très vite<br />

choisi les copies muettes 35 mm à 16 ou<br />

18 <strong>images</strong> par seconde, à côté <strong>des</strong>quelles<br />

les copies accélérées, « musiquées » et<br />

commentées par un speaker grandiloquent,<br />

deviennent pour Nanook un « opéra<br />

comique » et pour la Croisière noire, une<br />

épopée de militaires fanfarons, ridi-<br />

cules...<br />

Alors, merci à la <strong>Ciné</strong>mathèque de<br />

m'avoir fait découvrir cette copie du<br />

« journal de route » de la Croisière noire,<br />

muette, à 18 <strong>images</strong> par seconde, belle<br />

comme les premières architectures de Le<br />

Corbusier (la Ville radieuse) et drôle comme<br />

The Secret Life ofWalter Mitty (Norman<br />

Z. McLeod, avec Danny Kaye, 1947).<br />

Car ces précurseurs du futur rallye<br />

« Paris-Dakar » (de sinistre mémoire) apparaissent<br />

tout au long du Journal en très<br />

élégantes tenues de brousse. Jacques<br />

Wolgensinger, le père de la 2 CV, vient<br />

de me le confirmer : le gentleman Georges-Marie<br />

Haardt avait choisi l'élégance<br />

tropicale britannique en commandant les<br />

meilleures tenues chez les « Colonial outfitters<br />

» de Londres, tout près de Regent<br />

Street, d'où ne pouvaient que venir ces<br />

pantalons jodhpurs, ces bush smocs (blouses<br />

de brousse, modèle <strong>des</strong> tenues de<br />

Montgomery et Wavell pendant la campagne<br />

de Lybie en 1941-1942), ces shorts<br />

de grande longueur arrivant juste au<strong>des</strong>sus<br />

du genou, ces chemises légères<br />

aux manches diversement retroussées<br />

(seul Haardt a le chic naturel de les relever<br />

sur l'avant-bras sans dépasser le<br />

coude), ces houseaux (bottes à lacets intérieurs<br />

facilitant l'enfilage) qui seraient<br />

plutôt de chez Hermès... Mais pour le<br />

soir, les mosquitos boots de daim venaient<br />

évidemment de Londres... En revanche,<br />

la sellerie était française et les fauteuils<br />

pliants comme les lits de camp avaient été<br />

préparés spécialement par Louis Vuitton...<br />

Enfin, les casques coloniaux étaient<br />

<strong>des</strong> topee réglementaires <strong>des</strong> administrateurs<br />

britanniques mais jamais <strong>des</strong> pithhelmet,<br />

casques en moelle de sureau,<br />

venus de l'armée <strong>des</strong> In<strong>des</strong>... Ces casques<br />

resteront vissés sur la tête <strong>des</strong> voyageurs<br />

pour éviter dès le lever du jour l'insolation<br />

foudroyante. Personne, en revanche,<br />

ne portera de lunettes de soleil : ce n'est<br />

pas encore le temps <strong>des</strong> Ray Ban...<br />

A une escale de brousse à palmiers rôniers,<br />

à l'ombre légère d'un acacia albida,<br />

Alexandre Iacovleff, le peintre russe (à<br />

qui Citroën a fait obtenir la nationalité<br />

française juste avant le départ), nous a<br />

laissé un tableau de l'expédition où les<br />

nouveaux croisés posent auprès de leurs<br />

autochenilles « sellées, bridées, prêtes à<br />

partir », avant de s'élancer vers de nouvelles<br />

aventures... Ce tableau est pour<br />

moi une image arrêtée d'un pouvoir extraordinaire<br />

: elle déclenche chez l'artiste<br />

qui se peint lui-même (selon la tradition<br />

italienne) un admirable petit sourire<br />

complice. Après s'être fait ainsi « tirer le<br />

portrait », ils vont s'élancer sur <strong>des</strong> routes<br />

de plus en plus incertaines, en procession,<br />

chacun dans sa petite 10 chevaux,<br />

décapotée à jamais, sans pare-brise et<br />

sans garde-boue (on bricolera de temps<br />

en temps <strong>des</strong> garde-boue en bois pour<br />

éviter d'arriver tout crotté chez le district<br />

commissioner qui ne plaisante pas avec<br />

l'étiquette).<br />

Leur chef, Haardt, et son adjoint,<br />

Louis Audouin-Dubreuil, sont tous deux<br />

<strong>des</strong> ingénieurs, <strong>des</strong> « chevaliers d'industrie<br />

», directeurs <strong>des</strong> usines Citroën, à qui<br />

leur patron André, tel l'infant Enrique le<br />

Navigateur, a confié la conduite de ces<br />

nouvelles caravelles parties à la découverte<br />

de continents perdus...<br />

Ce « journal de route » nous en compte<br />

les merveilleuses aventures : nouvelles<br />

traversées de « fleuves impassibles »,<br />

nouveaux déserts ou nouvelles forêts,<br />

nouvelles rencontres d'hommes et de<br />

femmes inconnus et interloqués comme<br />

cette jeune beauté Mangbetou qui, à la fin<br />

de la pose, pouffe de rire.<br />

Car pour moi, la plus grande qualité<br />

de ce Journal, c'est de ne jamais se prendre<br />

au sérieux.<br />

Salut de brousse ! les voyageurs et<br />

merci pour l'inoubliable ballet <strong>des</strong> casques<br />

coloniaux.<br />

Jean Rouch<br />

F<br />

SOUVENIRS DE L'EXPÉDITION CITROËN - 77<br />

m


78 - FRANCE<br />

LES AVENTURES DE ROBERT MAC Al RE<br />

1925 - Jean Epstein<br />

Réal. : Jean Epstein. Prod. : Films Albatros.<br />

Auteurs : Benjamin Antier, Saint-Amand, Paulyanthe,<br />

d'après leur pièce l'Auberge <strong>des</strong> Adrets. Se. : Charles<br />

Vayre. Textes : Raoul Ploquin. Dir. ph. : Paul<br />

Guichard, Jehan Fouquet, Nicolas Roudakoff.<br />

Déc. : Jean Mercier, Georges Geffroy, <strong>La</strong>zare<br />

Meerson. Tournage à Saint-Pierre de Chartreuse, à<br />

Grenoble (extérieurs) et au studio de Montreuil.<br />

Int. : Jean Angelo (Robert Macaire), Suzanne<br />

Bianchetti (Louise de Sermèze), Marquisette Bosky<br />

(Jeanne), Lou Davy (Victoire), Maximilienne Max (la<br />

fermière), Mademoiselle Niblia (Eugénie Mouffetard),<br />

Alex Allin (Bertrand), Camille Bardou (le brigadier<br />

Verduron), Nino Costantini (René de Sermèze), Sacha<br />

Dulong (le marquis de Sermèze), François Viguier<br />

(Cassignol), Jean-Pierre Stock, Jules de Spoly (Jules de<br />

Spoky au générique). Première aventure : « Une<br />

étrange nuit à la ferme de Sermèze ». Deuxième<br />

aventure : « Le bal tragique ». Troisième aventure :<br />

« Le rendez-vous fatal ». Quatrième aventure : « <strong>La</strong><br />

fille du bandit ». Cinquième et dernière <strong>des</strong> aventures<br />

de Robert Macaire. Date de sortie : 7 / décembre<br />

1925. Métrage, minutage copie Cf. : 4079 m.,<br />

161 mn (à 22 i/s). Générique et intertitres français<br />

reconstitués. Noir et blanc. Doc. : François Albera :<br />

Albatros, <strong>des</strong> Russes à Paris, 1919-1929,<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta, 1995.<br />

L'an de grâce 1825. Bandits de grand chemin,<br />

Robert Macaire et son fidèle compagnon<br />

Bertrand errent sur les routes de France à l'affût<br />

d'une occasion. Sans distinction, ils volent<br />

un riche propriétaire et une fermière crédule.<br />

Mais Robert sauve aussi une jeune<br />

femme en détresse, en l'occurence Louise de<br />

Sermèze, la fille du marquis de la région. Au<br />

château, il se fait passer pour le vicomte de la<br />

Tour Macaire. Le soir du bal donné en son<br />

honneur, le lieu est encerclé par les gendarmes.<br />

Avec l'aide de Louise, éperdument<br />

amoureuse de son sauveur, Robert s'enfuit<br />

par un couloir secret. Peu de temps après, non<br />

sans avoir en chemin volé une voleuse afin de<br />

subvenir à ses besoins, le bandit revient en cachette<br />

auprès de Louise. Ce retour est découvert<br />

et cette fois les deux escrocs sont jetés en<br />

prison. Dix-sept années ont passé ; <strong>des</strong> années<br />

passées à l'ombre, puis à essayer de filouter<br />

<strong>des</strong> pigeons et à se faire escroquer à leur<br />

tour, la prison encore et la liberté enfin. C'est<br />

le temps <strong>des</strong> regrets, le regret du temps et <strong>des</strong><br />

amours perdus. Louise est morte. Mais voilà<br />

que sur sa tombe, une jeune fille prie et on ju-<br />

rerait Louise elle même ! Non, ce n'est pas un<br />

fantôme mais Jeanne, la fille de la défunte,<br />

l'enfant du « péché ». Comme sa mère il y a<br />

longtemps, elle aime secrètement un garçon<br />

sans fortune. Alors, comme pour s'amender<br />

et se venger du passé, Robert va travailler à<br />

cette union. Avec Bertrand, il monte à Paris<br />

pour retrouver un ancien associé indélicat,<br />

Cassignol devenu « baron de Signol ». Grâce<br />

à un stratagème original, ils ont gain de cause<br />

et repartent riches vers la province. Le bonheur<br />

de Jeanne est assuré et les deux amis,<br />

vaille que vaille, reprennent la route.<br />

« PHOTOGÉNIE<br />

DE L'IMPONDÉRABLE »<br />

Le personnage de Robert Macaire apparaît<br />

en 1823, dans l'Auberge <strong>des</strong> Adrets,<br />

pièce écrite par Benjamin Antier, Saint-<br />

Amand et Paulyanthe (trois pseudonymes),<br />

et il est incarné par Frédérick<br />

Lemaître qui en fait son personnage fétiche,<br />

l'interprétant dans un sens bouffon<br />

et insolent jusqu'à l'interdiction de la<br />

pièce, à tel point qu'il peut en être considéré<br />

comme le créateur. En 1833 paru<br />

l'Auberge <strong>des</strong> Adrets, manuscrit de Robert<br />

Macaire trouvé dans la poche de son ami Bertrand,<br />

roman élargissant les frasques du<br />

personnage, qui réapparaît en 1834 au<br />

théâtre sous le titre de Robert Macaire, toujours<br />

interprété par Lemaître. Sa <strong>des</strong>tinée<br />

est ensuite considérable, et Macaire est<br />

repris par les caricaturistes, ainsi que<br />

dans de nombreuses oeuvres. De ses avatars,<br />

Flaubert considérait qu'ils étaient<br />

aussi multiples que ceux de Don Juan.<br />

Frédérick Lemaître deviendra lui aussi<br />

un personnage, assomption légitime,<br />

dans les Enfants du paradis, joué par Pierre<br />

Brasseur.<br />

<strong>La</strong>nglois tenait les Aventures de Robert<br />

Macaire, le film d'Epstein, pour un classique<br />

qui avait su recréer l'atmosphère<br />

romantique. Lors d'une projection du<br />

film à Cannes en 1956, pour un hommage<br />

à Epstein, en présence d'Abel Gance, de<br />

Jean Cocteau, de Van Parys, <strong>La</strong>nglois té-<br />

moigna que le film parut surprenant et<br />

attachant. Film à épiso<strong>des</strong>, son charme<br />

frappe toujours, une manière de tenir une<br />

croyance désinvolte aux péripéties de<br />

l'histoire, et de la faire traverser par deux<br />

complices, Jean Angelo (Macaire, avec<br />

son air parfois pré-Brasseurien) et son<br />

valet, Bertrand (Alex Allin), ambulants<br />

sans attaches - et le film se termine sur<br />

les deux compères disparaissant derrière<br />

un talus, en route vers de nouvelles péripéties.<br />

Il y a un romanesque de l'affublement,<br />

du déguisement, <strong>des</strong> supercheries<br />

identitaires, une fausse voyante, un placard<br />

où enfermer le baron de Signol chez<br />

qui, pendant la fête, un « sorcier » anglais<br />

effectue <strong>des</strong> tours de physique et de somnanbulisme,<br />

<strong>des</strong> décors plâtrés et sphynxés,<br />

un grand-guignol de la mesmérisation<br />

ainsi, bien sûr, qu'une issue heureuse<br />

apportée aux amours de Jeanne de Sermèze<br />

et de <strong>La</strong> Ferté par les deux complices.<br />

On reconnaîtra, à ce matériau narratif<br />

sommairement évoqué, une tradition<br />

feuilletonesque traitée de manière<br />

heureuse, assez sûre de ses tours pour les<br />

pratiquer avec une bonhomie amusée<br />

telle qu'elle est visible dans le plan par<br />

<strong>des</strong> sourires dont il devient indistinct et<br />

d'ailleurs sans importance de savoir s'ils<br />

appartiennent aux acteurs ou aux personnages.<br />

Parfois, le film frôle le burlesque,<br />

comme dans cette même fête,<br />

avec son début de désordre, et la manière<br />

impertinente avec laquelle le baron est<br />

jeté dans un placard, plus près d'une<br />

consistance de sac que d'un corps. Les insolences<br />

elles-mêmes du film, et cette manière<br />

de jouer avec la crédulité sociale<br />

sont, littéralement, charmantes. Et ce<br />

charme se redistribue en postures, en mimiques,<br />

en attitu<strong>des</strong> expressives libérées<br />

d'une pression dramatique quelconque,<br />

dans une sorte de légèreté. C'est leur<br />

vertu, et l'aire de jeu du film. C'est aussi<br />

une variante mineure de cette « photogénie<br />

de l'impondérable » par laquelle<br />

Epstein qualifiait le cinéma.<br />

Des plans larges découpent un espace<br />

cohérent, où les surimpressions sont plus<br />

signifiantes (les trois gendarmes du rêve<br />

de Bertrand) que vraiment impressionnistes.<br />

Une manière de laisser de l'air autour<br />

<strong>des</strong> personnages par les cadres, particulièrement<br />

en extérieur, donne un sentiment<br />

physique de l'espace qui, avec la<br />

netteté solaire de la lumière, parachève<br />

un sentiment optique <strong>des</strong> matières, de la<br />

pierre, <strong>des</strong> tissus. L'art de disposer dans<br />

le plan les objets témoigne d'un soin pour<br />

lequel <strong>La</strong>nglois avait questionné Epstein<br />

: « Est-ce Mercier ou Meerson qui<br />

ont su placer avec un tel raffinement les<br />

chaises, les accessoires dans le décor du<br />

pavillon d'été ? » « Ce n'est pas le décorateur<br />

qui pose les chaises, c'est moi. On<br />

est obligé de poser les chaises par rapport<br />

à l'objectif pour que rien ne se déséquilibre<br />

» C'est aussi ce goût du détail qui<br />

fait de Macaire une attestation du « langage<br />

cinématographique (qui) est prodigieusement<br />

concret, direct, brutal et vivant<br />

» 2.<br />

Philippe Arnaud<br />

1 Henri <strong>La</strong>nglois : Trois cents ans de cinéma, Cahiers du<br />

cinéma-<strong>Ciné</strong>mathèque française-FEMIS, 1986.<br />

! Jean Epstein : Écrits sur le cinéma, 1.1, Seghers, 1974,<br />

p. 60.<br />

LES AVENTURES DE ROBERT MACAIRE - 79<br />

Alex Allin<br />

Jean Angelo.<br />

Camille<br />

Bardou.


80 - FRANCE<br />

DESTIN<br />

1927 - Dimitri Kirsanoff<br />

Réal. : Dimitri Kirsanoff. Prod. : Dimitri Kirsanoff.<br />

Se. : Dimitri Kirsanoff. Dit. ph. : Willy Faktorovitch,<br />

Robert Lugeon. Int. : Nadia Sibirskaïa (Liliane), A.<br />

Stesenko (la fiancée d'André), Georgette Mussey,<br />

Christenson (le père de Liliane), Guy Belmone (André<br />

Verlin), Georges Roland. Date de sortie : 10 février<br />

1928. Métrage, minutage copie Cf. : 1579 m., 62 mn<br />

(à 22 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc. Générique et quelques plans teintés.<br />

Liliane est une enfant heureuse et gaie. Armand<br />

est l'amant de sa mère. Un soir, tard,<br />

le mari surgit de la nuit, tire sa fille du lit et<br />

sous ses yeux, abat sa mère et l'intrus. Des<br />

années plus tard : le père vit avec Liliane dans<br />

un taudis et se demande sans cesse si cette<br />

jeune fille un peu malingre est de lui ou le<br />

fruit d'un amour adultère. Elle, vit dans la<br />

terreur. Dans la rue, un inconnu qui semble<br />

la reconnaître lui laisse sa carte : « Armand<br />

Vallier ». Peu après, son père n'y tient plus<br />

(« Bâtarde, je te hais ! ») et la chasse. Elle erre<br />

longtemps ; au comble de la fatigue, elle s'évanouit<br />

dans le hall d'un bel immeuble. André<br />

Verlin, un romancier, la recueille mais au réveil<br />

le lendemain, elle a disparu. Nouvelle errance,<br />

l'horreur d'un asile de nuit. Sans recours,<br />

elle retourne chez l'écrivain. Survient<br />

alors la fiancée d'André qui gifle l'inconnue<br />

et rompt sur le champ. André et Liliane se<br />

sont mariés. Bonheur, épanouissement de Liliane.<br />

Une lettre anonyme adressée au mari<br />

accuse son épouse d'une liaison avec un<br />

nommé Armand. Au début, l'amour l'emporte<br />

sur le doute dans le cœur d'André. Mais<br />

un soir, il interprète mal une absence de sa<br />

femme partie au chevet d'Armand mourant<br />

et il s'absente de Paris pendant <strong>des</strong> mois. C'est<br />

dans la solitude qu'elle met au monde leur enfant.<br />

Au retour de son mari, elle garde le secret<br />

sur son passé et lui, pardonne sans savoir.<br />

Cinq ans après, Noël : la joie est de retour<br />

dans le foyer.<br />

IMAGE ET SON<br />

« Les meurtres, c'est un travail de mise<br />

en scène à part » D'où l'hypothèse<br />

que ce moment particulier <strong>des</strong> films soit<br />

le critère pour distinguer à coup sûr le<br />

faux cinéaste du vrai. Voir bien sûr les<br />

deux inévitables, Hitchcock et <strong>La</strong>ng, dont<br />

l'implacabilité d'une réalisation toujours<br />

préméditée a imité et sublimé la mise en<br />

scène du crime parfait. Voir aussi Nobody<br />

(1921) ou Chicago (1927), ici même 2 . Voir<br />

encore la scène qui ouvre pratiquement<br />

Destin : un montage court, violent, sadique<br />

même, une vitesse qui laisse le spectateur<br />

à peine installé, pantois, incertain<br />

de ce qu'il a vu, un meurtre silencieux<br />

(1927) où le choc <strong>des</strong> plans fait entendre<br />

les détonations, une exécution découpée<br />

comme du Eisenstein 3 . Surtout, ce crime<br />

inaugural et déclencheur du récit, cette<br />

scène traumatique digne de Marnie, par<br />

son montage éclaté, préfigure l'éclatement<br />

<strong>des</strong> <strong>des</strong>tins qu'elle provoque.<br />

Dans Destin, la figuration précède<br />

systématiquement l'énonciation ; autrement<br />

dit, le plan est l'avant-garde d'une<br />

information toujours à venir et délivrée<br />

alors d'une manière classique : un carton<br />

explicatif, pour le coup redondant, imitatif<br />

d'une forme qui l'a devancé, un doublon<br />

en quelque sorte où le signe répète<br />

le sens, où l'or redevient plomb et la poésie<br />

prosaïque. D'ailleurs, la préfiguration<br />

est tellement liée à l'art de Kirsanoff (et<br />

au cinéma muet conscient de lui-même)<br />

qu'il réalise Ménilmontant, un an avant<br />

Destin, sans la béquille d'un seul intertitre.<br />

Un seul exemple pris dans Destin, le<br />

plus beau. Liliane et André sont enlacés<br />

à l'arrière d'un petit bateau à moteur qui<br />

file sur la mer. Au plan suivant, l'eau défile<br />

en vaguelettes serrées le long de la<br />

coque. Bel effet rétinien qu'on se dit un<br />

peu gratuit. Troisième plan : retour sur le<br />

bateau où elle et lui s'embrassent. Quatrième<br />

plan : Kirsanoff filme encore l'eau,<br />

mais cette fois la ligne d'écume que laisse<br />

l'embarcation derrière elle, un sillon<br />

d'eau blanche qui <strong>des</strong>sine en s'élargissant<br />

la traine d'une mariée. Le plan anticipe<br />

une donnée du récit, en fait antérieure<br />

mais « ellipsée » (le mariage), qui<br />

deviendra explicite plus tard ; une lettre,<br />

plus un carton confirmeront ce que le<br />

spectateur sait déjà, ou doit déjà savoir<br />

s'il a fait son travail de regarder. Benjamin<br />

Fondane, poète surréaliste et scénariste<br />

de Rapt, le premier film sonore que<br />

Kirsanoff réalisera en Suisse en 1933, écrivait<br />

en 1929 que le film muet avait su<br />

« créer un langage mimique parfait » exigeant<br />

du spectateur « une sorte de collaboration,<br />

ce minimum de sommeil, d'engourdissement<br />

nécessaire, pour que fût<br />

balayé le décor du signe et que prît forme<br />

à sa place le réel du rêve » 4 . Pour y parvenir,<br />

Kirsanoff ne laisse pas un plan au<br />

hasard de sa composition naturelle et fait<br />

de ses idées d'abord <strong>des</strong> <strong>images</strong>, ensuite<br />

<strong>des</strong> mots (éventuellement).<br />

Forcément, ses personnages sont à<br />

l'unisson. Avant de le quitter sans espoir<br />

de retour, Liliane veut laisser une lettre à<br />

celui qu'elle suppose être son père. Assise<br />

devant sa feuille comme une écolière,<br />

la plume à la bouche, elle sèche, incapable<br />

de trouver les mots pour le dire. Une<br />

goutte d'encre, lasse d'attendre sans<br />

doute, s'échappe et tombe de tout son<br />

poids sur la surface blanche. Cette tache<br />

d'encre qui ressemble - comme deux<br />

gouttes d'eau - à une goutte de sang (à<br />

tel point que, trompé par le cadrage, j'ai<br />

cru la première fois qu'elle saignait du<br />

nez) dit mieux que la meilleure littérature<br />

ce que la jeune fille voulait écrire : son<br />

doute fondamental et insoluble sur ses<br />

origines. Cette « lettre », vierge de tout<br />

signe et seulement réceptacle d'un langage<br />

formel, c'est l'écran idéal de Kirsanoff,<br />

son manifeste esthétique.<br />

Si, par les vertus conjuguées du montage,<br />

de la préfiguration, de la surimpression,<br />

du flou, du fondu, de l'ellipse,<br />

du raccord dans l'axe, du dédoublement<br />

d'image (tout ça est dans Destin), si donc<br />

le muet peut tout, s'il est ce langage mimique<br />

parfait, s'il est déjà un art total<br />

quand il lui manque encore la parole,<br />

alors le cinéma muet est sonore. Dans Destin,<br />

voir c'est aussi entendre (« l'œil écoute<br />

» écrivait Claudel) : une chaise tomber,<br />

les portes, les fenêtres et les gifles claquer,<br />

un poing s'abattre sur la table, une assiette<br />

voler en éclats, un cri, un klaxon,<br />

etc. En contrepoint, Liliane (bouleversante<br />

Nadia Sibirskaïa), bâtarde immaculée,<br />

pleure sans un bruit, ravale en silence<br />

une douleur que ses grands yeux<br />

trahissent, et avance dans sa vie de misère<br />

bouche fermée. Benjamin Fondane<br />

encore (et dont on se dit à le lire qu'il devait<br />

inévitablement travailler avec Kirsanoff),<br />

en 1933 : « Nous vivons dans un<br />

monde renversé. Quelques années à peine<br />

nous séparent de ces temps où les<br />

trains, les sirènes <strong>des</strong> bateaux, les tempêtes,<br />

l'homme même, étaient muets.<br />

Seuls les sourds n'entendaient pas ces figures<br />

vertigineuses qui mettaient l'onde<br />

sonore en un tel état d'ébullition, de<br />

transe, qu'elle en sortait comme purifiée,<br />

exsangue, aphone, ayant touché par dilatation<br />

à son extrême pôle panique, le silence.<br />

Pour n'être que mental, le son manquait-il<br />

d'être réel ? En tout cas, il ne manquait<br />

pas d'être ! » Kirsanoff aussi, comme<br />

tant d'autres (Chaplin parmi les plus<br />

grands), a vécu le passage au parlant<br />

comme une tragédie, un moment d'involution<br />

artistique qui voua l'art muet au<br />

mutisme. Pour Dimitri Kirsanoff, cinéaste<br />

audiovisuel, le cinéma muet était sonore,<br />

et le parlant a surtout créé un grand<br />

silence <strong>des</strong> formes.<br />

Bernard Bénoliel<br />

1 Claire Denis, interviewée sur J'ai pas sommeil, dans<br />

les Cahiers du cinéma, n° 479/480, mai 1994.<br />

2 Sur Nobody, l'article de Philippe Arnaud, page 170.<br />

Sur Chicago, celui de Dominique Païni, page 181.<br />

3 Les films muets de Dimitri Kirsanoff (1899-1957),<br />

russe émigré à Paris en 1923, figure marginale et méconnue<br />

du cinéma français, sont esthétiquement plus<br />

proches <strong>des</strong> russes rouges d'Union soviétique que<br />

<strong>des</strong> russes blancs de Montreuil. Quant à ses récits, ils<br />

sont un mélange entre un tragique d'Europe centrale<br />

et le mélodrame à la Griffith.<br />

1 Benjamin Fondane : Écrits pour le cinéma, Plasma,<br />

1984.<br />

DESTIN - 81


82 - FRANCE<br />

De dos : François Rozet.<br />

Ombre à gauche :<br />

André Nicolle.<br />

Ombre à droite :<br />

Renée Héribel.<br />

MINUIT... PLACE PIGALLE<br />

1927-René Hervil<br />

Réal. : René Hervil. Prod. : International Standard Film<br />

Cie. Auteur : Maurice Dekobra, d'après son roman<br />

homonyme. Adapt. : Jacques de Baroncelli.<br />

Asst. réal. : RenéMoreau. Dir. ph. : Jacques<br />

Monteran, Georges Lucas. Asst. opérateur : Le<br />

Brument, Lepage. Déc. : Jaquelux. Int. : Nicolas<br />

Rimsky (Prosper), Renée Héribel (Suzy), François<br />

Rozet (le comte de Varitza), André Nicolle (M.<br />

Wulfing), Fernand Fabre, Suzy Pierson, Mona Lyls,<br />

Andrée Vernon, Princesse Diana Kotchaki, Alexandre<br />

Mihalesco, Tardif, Léon <strong>La</strong>rive, Darblay, Jean<br />

Donnery, Jean Gérard. Date de sortie : 30 novembre<br />

1928. Métrage, minutage copie Cf. : 2480 m., 98 mn<br />

(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Minuit, place Pigalle. Au Flamant rose,<br />

Prosper, maître d'hôtel stylé et d'expérience,<br />

prend sa retraite à la fin du service. Au petit<br />

matin, il abandonne le monde bruyant qu'il<br />

a servi pendant <strong>des</strong> années pour sa calme maison<br />

dans le Var. Mais à la campagne, Prosper<br />

n'oublie pas les folles nuits au cabaret.<br />

Après la mort de sa femme, il passe quelques<br />

jours dans la capitale et, bien sûr, retourne au<br />

Flamant rose, mais en client cette fois. Un<br />

soir, puis tous les soirs. Lui qui était si discret,<br />

devient extravagant, dépense sans compter<br />

et succombe au démon de midi. En quelques<br />

semaines, il est ruiné. Et s'il continue à<br />

venir, c'est désormais pour faire la plonge, observant<br />

la salle par un petit trou dans le mur<br />

de la cuisine. Un soir, Prosper reconnaît parmi<br />

les clients le riche et beau comte de Varitza<br />

accompagné de Suzy, un jeune mannequin<br />

vertueux qu'il a toujours protégé et considéré<br />

comme sa fille. Il supplie le comte de ne pas la<br />

déshonorer. En souvenir d'un ancien engagement<br />

sur l'honneur, et parce qu'il aime la<br />

jeune femme, le comte décide d'exaucer ce<br />

vœu. Deux mois plus tard, le couple annonce<br />

son union à Prosper qui pleure de joie.<br />

UN FILM DANS L'ENTRE-DEUX<br />

Le titre semble annoncer un film noir,<br />

un polar français dans le Pigalle de<br />

l'entre-deux-guerres, avec mauvais garçons<br />

à casquettes, flics infiltrés dans le milieu,<br />

barmans indicateurs de police, filles<br />

de joie gouailleuses et souteneurs armés,<br />

projets de casse chez un grand bijoutier<br />

ou de braquage d'un casino. Il n'en est<br />

rien. Nous sommes parmi la faune désarmée<br />

(désarmante) d'un noctambulisme<br />

parisien élégant, fortuné, insouciant, frivole,<br />

fêtard, noceur et, en quelque sorte :<br />

innocent. D'une innocence qui ne va pas<br />

sans ses légers écarts à la morale, prétextes<br />

à leçons moralisatrices. Dans un<br />

univers cosmopolite, les aristocrates hongrois<br />

et les maîtres d'hôtel français se côtoient<br />

et respectent les mêmes co<strong>des</strong><br />

d'honneur. Les prostituées y ont du savoir-vivre<br />

et de l'entregent, et lorsque<br />

l'une d'elle rend un petit service câlin<br />

d'une nuit à un vieil ami, elle exclut la<br />

question d'argent et remplace le cadeau<br />

convenu en billets de banque par un autre<br />

improvisé devant la vitrine d'un fourreur.<br />

Le film est compris dans un vaste<br />

entre-deux : entre deux guerres (et donc<br />

entre deux époques), entre deux cultures<br />

(personnages empruntés aux stéréotypes<br />

<strong>des</strong> littératures populaires d'Europe Centrale<br />

autant que du Paris <strong>des</strong> Années<br />

folles), entre deux mon<strong>des</strong> (celui de la fortune<br />

et celui qui tente d'en grappiller les<br />

miettes), entre deux pério<strong>des</strong> de la vie<br />

d'un personnage (la prospérité et la déchéance),<br />

entre deux états du cinéma (le<br />

primitif et le parlant)...<br />

Le personnage principal, Prosper (un<br />

prénom-programme : réussite et honnêteté),<br />

est maître d'hôtel dans un élégant<br />

cabaret-restaurant, le Flamant rose (non<br />

loin du Moulin-Rouge), où il règne en<br />

maître <strong>des</strong> cérémonies avec beaucoup de<br />

style et de métier. Il est interprété par<br />

l'émouvant Nicolas Rimsky, qui donne<br />

au personnage une qualité d'humanité<br />

nostalgique et une allure qui semblent<br />

venues d'ailleurs que <strong>des</strong> bords de la<br />

Seine. Le film commence quand la carrière<br />

de Prosper s'achève : nous le voyons<br />

dans ses œuvres et à son apogée, à l'occasion<br />

de ce qu'il dit lui-même être une<br />

représentation de retraite. <strong>La</strong> retraite arrive<br />

en effet, repos bien mérité dans une jolie<br />

maison sur la Côte d'Azur. <strong>La</strong> riviera<br />

française est alors vue comme midi avec<br />

tout ce qui dans ce midi s'oppose au minuit<br />

parisien : soleil, paysages et jardinage,<br />

calme, solitude et pittoresque local.<br />

Les rencontres dans un bistrot provincial<br />

et provençal sont l'occasion d'épater facilement<br />

un public de trois ou quatre<br />

autres vieux retraités avec <strong>des</strong> souvenirs<br />

(et parfois <strong>des</strong> visites) qui surgissent de<br />

la nuit parisienne. Mais la bonhomie et la<br />

béatitude du repli dans les sites d'une civilisation<br />

solaire archaïque, qu'illustre le<br />

passage, sur la route pierreuse, d'un<br />

vieillard avec son bourricot presque siciliens,<br />

finissent par lasser et tournent à<br />

l'exaspération. Le midi devient vite déprimant,<br />

sorte de paradis fade où le soleil<br />

brille pour rien, alors que même son<br />

absence est génératrice de vie, d'agitation<br />

et d'émotions, dans le minuit <strong>des</strong> villes.<br />

On le comprend, le film va adopter<br />

une ligne scénarique qui se rattache au<br />

goût de l'époque pour les personnages à<br />

vies multiples. Mais ici, la vie surprenante<br />

d'un personnage sans mystère<br />

n'est pas la face cachée d'une double vie<br />

(Docteur Jekill et Mister Hyde), mais une<br />

deuxième vie, une vie nouvelle après la<br />

vie qui semblait jouée, et même une troisième<br />

vie si l'on considère l'épisode de la<br />

retraite. Devenu veuf, Prosper se dégoûte<br />

vite de l'alanguissement méditerranéen<br />

et ne résiste plus à l'appel d'un retour sur<br />

les lieux de sa vie d'antan. Remontée du<br />

midi vers minuit. L'ex-maître d'hôtel en<br />

chef revient dans l'établissement dont il<br />

fut l'employé de plus haut rang, d'abord<br />

comme un client solitaire, discret et mo<strong>des</strong>te,<br />

puis bientôt grisé, fastueux et naïf<br />

seigneur d'un moment, intempestif donneur<br />

de leçons, flambant sa galette de retraité<br />

en régalant la société au Champagne<br />

pour se faire enfin reconnaître l'égal de<br />

83


84 - FRANCE<br />

ceux dont il fut le larbin favori. Mais alors<br />

qu'il était princier dans son rôle de serviteur,<br />

Prosper est un parvenu dans son<br />

rôle de prince. On ne triche pas avec les<br />

règles <strong>des</strong> classes sociales et de l'argent :<br />

la ruine et la déchéance sont vite là. S'il<br />

est la victime <strong>des</strong> femmes (mais raisonnablement,<br />

et dans <strong>des</strong> proportions bien<br />

moindres que le pauvre professeur Unrat<br />

de l'Ange bleu), il l'est plus encore de luimême,<br />

d'un lui-même rêvé, devenu caricature<br />

<strong>des</strong> modèles que lui fournissent<br />

ses anciens clients pour qui la vie est faite<br />

de dépense (chez les riches, la dépense est<br />

nécessaire à l'économie, chez les pauvres<br />

elle épuise les économies...). Commence<br />

alors un quatrième épisode de vie, toujours<br />

au Flamant rose, puisque le retour<br />

sur les lieux de la vie passée ne pouvait<br />

être qu'un retour définitif, un piège fatal :<br />

y connaître le fond après avoir été au<br />

sommet, un plongeon qui le conduit jusqu'à<br />

la plonge. Malgré tout, et du fond de<br />

sa déchéance, que le délabrement physique<br />

accuse, Prosper (que plus personne<br />

n'appelle par ce prénom, comme s'il ne<br />

convenait plus) reste le défenseur de la<br />

morale, c'est-à-dire, évidemment, d'une<br />

orpheline : une sorte de fille adoptive,<br />

trop joli et trop honnête mannequin chez<br />

un grand couturier (nous sommes bien à<br />

Paris) qui aimerait la convaincre de se dévêtir<br />

dans <strong>des</strong> spectacles privés, et jusqu'au<br />

plus privé de tous... <strong>La</strong> jeune beauté<br />

est faussement sauvée du couturier parisien<br />

par le comte hongrois séducteur,<br />

puis vraiment sauvée du comte hongrois<br />

séducteur par Prosper, à qui le comte<br />

avait jadis signé sur une carte de visite la<br />

reconnaissance d'une dette morale. A <strong>des</strong><br />

années de distance, le remboursement<br />

sera moral tout autant : au lieu de gâcher<br />

la vie de la jeune fille, le comte hongrois<br />

l'épouse. Finalement, Prosper triomphe<br />

à sa façon, dans une sorte de réhabilitation<br />

où son crédit d'antan se vérifie en<br />

monnaie d'aujourd'hui.<br />

<strong>La</strong> mise en scène cinématographique<br />

est riche en trouvailles qui, par moment,<br />

font croire à du grand cinéma : un or-<br />

chestre de jazzmen noirs filmé en une<br />

suite de brefs fondus enchaînés où les attitu<strong>des</strong><br />

<strong>des</strong> musiciens changent à peine<br />

(brèves ellipses, fondus enchaînés pour<br />

rien, qui semblent animer de simples photos<br />

fixes alors qu'ils figent en instants successifs<br />

<strong>des</strong> <strong>images</strong> animées), un superbe<br />

travelling suspendu (façon Abel Gance)<br />

au-<strong>des</strong>sus d'une longue table de banquet,<br />

un jeu d'ouverture et de fermeture de rideaux<br />

qui organise l'espace et active la<br />

profondeur de champ, un plan de danseuse<br />

sur une balançoire au-<strong>des</strong>sus d'une<br />

tablée de noceurs, filmé par une caméra<br />

placée sur une autre balançoire, dont le<br />

mouvement est à peine décalé, une scène<br />

dramatique de harcèlement sexuel (déjà),<br />

joliment tournée en ombres chinoises<br />

derrière une verrière, dans un décor et<br />

<strong>des</strong> lumières qui font penser à Marcel<br />

L'Herbier, un gros plan sur une bouteille<br />

de Champagne derrière laquelle apparaît<br />

la tête de Prosper, un instant éclipsé par<br />

le symbole de son faste éphémère, tandis<br />

que la caméra, qui semble fuir cette<br />

image, s'éloigne en un travelling arrière<br />

rapide, une belle surimpression d'une<br />

poupée, effigie masculine, et du personnage<br />

réel, et jusqu'au clin d'œil très hollywoodien<br />

d'une fille légère qui, à l'aide<br />

du carton blanc d'un menu, cache à la caméra<br />

qu'elle regarde, le baiser de sa copine<br />

à un homme du monde...<br />

Etrangement, toutes ces inventions<br />

de mise-en-scène et de filmage (et d'autres)<br />

restent détachées du film et comme<br />

appartenant au film qu'aurait pu faire le<br />

même cinéaste avec un autre scénario,<br />

dans d'autres circonstances de production,<br />

etc. : preuves constantes de dépassement<br />

d'un projet par son réalisateur<br />

qui, ainsi, à la fois va plus loin et peutêtre<br />

un peu à côté. Ces surfaces détachées<br />

du film, sont détachées d'un film tout en<br />

surfaces, c'est-à-dire superficiel là où il se<br />

croit profond, naïf lorsqu'il démontre et<br />

fait la leçon (de morale notamment). Ici,<br />

le cinéma ne donne de vraie leçon que de<br />

cinéma : comment filmer, comment mettre<br />

en <strong>images</strong> (en <strong>images</strong> encore muettes,<br />

mais déjà toutes frémissantes du son dont<br />

on croit entendre l'arrivée au loin : de ce<br />

point de vue, le film est typique d'un état<br />

présonore du cinéma où tout est déjà là,<br />

à l'image, pour que le son éclate, y compris<br />

l'orchestre noir <strong>des</strong> années vingt au<br />

grand complet). Tout le film est en quelque<br />

sorte comme ces couvertures de romans<br />

de gare (dont ceux de Maurice Dekobra<br />

seraient l'excellence) qui, à la surface<br />

du livre, en sont déjà plus que l'illustration<br />

puisque, sous la couverture, le<br />

livre ne s'enfonce dans aucune dimension<br />

nouvelle : suite de surfaces répétées<br />

de page en page, jusqu'à la dernière que<br />

l'on atteint sans qu'aucune profondeur<br />

ait été creusée. Tout au long <strong>des</strong> séquences,<br />

le film produit <strong>des</strong> <strong>images</strong> souvent<br />

intéressantes, mais dans lesquelles<br />

il ne fait que s'illustrer lui-même, se refléter<br />

lui-même, avec un certain luxe. Dès<br />

lors, et comme cela se produit souvent, y<br />

compris avec <strong>des</strong> films de plus grande valeur,<br />

l'intérêt se déplace et derrière la fiction<br />

filmée, c'est une certaine réalité documentaire<br />

qui émeut ou fascine : plans<br />

de Paris la nuit, et décors d'une boîte de<br />

nuit <strong>des</strong> années vingt, <strong>images</strong> de la Côte<br />

d'Azur d'avant les congés payés... Car,<br />

au-delà de la mauvaise littérature dont<br />

bien <strong>des</strong> scénarios sont faits, et souvent à<br />

travers elle, le cinéma regarde le monde<br />

dont le scénario croit parler, distribuant<br />

<strong>des</strong> rôles et <strong>des</strong> histoires à <strong>des</strong> êtres et<br />

dans <strong>des</strong> lieux que le cinéma soumet finalement<br />

à sa voyance propre, perçant les<br />

surfaces de cette pauvre littérature toujours<br />

prête à s'adapter comme pour livrer<br />

passage : Maurice Dekobra adapté par<br />

Jacques de Baroncelli, à l'époque où la littérature<br />

inadaptable est faite par Proust,<br />

Kafka, Joyce. Bien sûr, si René Hervil<br />

n'est ni Fritz <strong>La</strong>ng, ni Pabst, ni Murnau,<br />

ni Stroheim, ce n'est pas seulement à<br />

cause du scénario, mais ce n'est pas seulement<br />

non plus à cause de son moindre<br />

génie personnel : c'est toute la culture<br />

française de l'image qui, à cette époque,<br />

produit un langage moins inventif,<br />

moins moderne qu'à Berlin, à Vienne ou<br />

à Moscou. Dans ces autres capitales de<br />

l'Europe de l'entre-deux-guerres, la peinture,<br />

la sculpture, l'architecture, la photographie,<br />

ont déjà atteint <strong>des</strong> formes, et<br />

ont donc déjà produit <strong>des</strong> relations<br />

forme / fond propres à inspirer le cinéma<br />

contre la littérature et le théâtre, alors<br />

qu'à Paris (et à quelques exceptions près :<br />

Cocteau, Gance, L'Herbier, etc.), le cinéma<br />

adapte <strong>des</strong> livres, sans avoir encore<br />

trouvé dans l'histoire de l'art contemporain,<br />

issu <strong>des</strong> <strong>images</strong> les plus anciennes,<br />

les bases d'un langage nouveau, les surfaces<br />

nouvelles de la profondeur.<br />

Alain Fleischer<br />

Nicolas<br />

Rimsky.<br />

MINUIT... PLACE PIGALLE - 85


86 - FRANCE<br />

HARMONIES DE PARIS<br />

1928 - Lucie Derain<br />

Réal. : Lucie Derain. Prod. : Films Albatros. Se. : Lucie<br />

Derain. Dir. ph. : Nicolas Roudakoff.<br />

Date de sortie : 77 mai 1929 (avec la Tour, de René<br />

Clair). Métrage, minutage copie Cf. : 577 m., 23 mn<br />

(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : François Albera : Albatros, <strong>des</strong> Russes à Paris,<br />

1919-1929, <strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta, 1995.<br />

Un avion survole Paris et décharge ses<br />

touristes. Notre-Dame. Le métro aérien. Au<br />

gré <strong>des</strong> carrefours, <strong>des</strong> circulations piétonnes<br />

et automobiles, par la route ou par le fleuve,<br />

l'ancien Paris et le moderne, la pierre et l'acier,<br />

se croisent, se mêlent et vivent ensemble. Voilà<br />

l'Arc de Triomphe et l'Étoile, la Madeleine<br />

et l'Opéra Garnier. Aux portes de la ville, les<br />

marchés regorgent. Les musiciens et les chanteurs<br />

sont dans les rues. Voilà les rues borgnes<br />

et les boulevards d'Haussmann, les Invali<strong>des</strong>,<br />

la tour Eiffel et la place de la Concorde. A<br />

Montparnasse, la foule est aux terrasses. Les<br />

magasins de luxe et les galeries d'art ouvrent<br />

leurs portes. Les ouvriers travaillent dans les<br />

usines ou sur les quais de la Seine à décharger<br />

le bois, le sable et le charbon. Les petits<br />

métiers : bouquiniste, rémouleur, rempailleuse.<br />

Paris la nuit : Mistinguett au Moulin-<br />

Rouge, les lumières <strong>des</strong> fêtes for aines, Pigalle.<br />

Le jour, c'est Paris au fil de l'eau, c'est l'harmonie<br />

de ses jardins publics, c'est un visage<br />

de femme.<br />

SUIVEZ LE GUIDE!<br />

« Le visage <strong>des</strong> villes est fait de visages<br />

innombrables, dont l'effrayante<br />

complexité attire et repousse. » C'est aux<br />

Etats-Unis qu'a été inventé l'urbanisme<br />

moderne, mais ce sont les Allemands qui<br />

l'acclimatèrent en Europe, et c'est en Allemagne,<br />

au carrefour du modernisme et<br />

de l'expressionnisme, qu'est née cette<br />

idée que la ville est une personnalité,<br />

qu'elle a une physionomie, un caractère,<br />

ou si l'on y tient, une âme. Découvrir pareille<br />

idée depuis une capitale qui n'avait<br />

connu que le simpliste urbanisme haussmannien<br />

(trouer le tissu urbain, par de<br />

grands axes qui l'aèrent et en évacuent la<br />

puanteur populaire, avec ses miasmes et<br />

ses périls révolutionnaires), ne pouvait<br />

mener qu'à la caricature, ou alors au<br />

vague, à l'atmosphérique.<br />

Aussi bien, s'il s'est trouvé en cinéma<br />

« <strong>des</strong> hommes inspirés par la grandeur<br />

<strong>des</strong> villes pour peindre sur la toile les reflets<br />

mouvants de la vie <strong>des</strong> capitales »,<br />

ce fut avant tout en terrain allemand, avec<br />

Berlin, die Symphonie einer Grosstadt {Symphonie<br />

d'une grande ville), qui « a voulu, a<br />

essayé d'exprimer tous les aspects d'une<br />

grande ville ». De la symphonie aux<br />

simples harmonies, il est tentant de poursuivre<br />

le parallèle esquissé par Lucie Derain<br />

elle-même et de voir dans son petit<br />

film une sorte d'esquisse du grand film<br />

que Ruttmann ferait l'année suivante, ou<br />

plus justement, sa réduction (comme le<br />

piano ou le quatuor <strong>des</strong> caf conc' lisaient<br />

<strong>des</strong> partitions réduites <strong>des</strong> versions orchestrales<br />

classiques).<br />

« Tout y est : travailleurs se rendant<br />

au labeur, usines, puis bureaux, puis<br />

commerces de luxe. Les oisifs faisant du<br />

cheval au Bois... » Cela, c'est le programme<br />

idéal - mais que le film Harmonies de<br />

Paris ne tient qu'au prix de beaucoup de<br />

légèreté, voire de futilité. Le Travail, annoncé<br />

par un carton en capitales, n'y déborde<br />

pas la dimension d'une petite capsule<br />

inoffensive, d'à peine plus d'une minute,<br />

sans jamais montrer d'autre tra-<br />

vailleur que celui qui œuvre seul : l'artisan,<br />

le petit commerçant, le marinier. Le<br />

travail, ce sont les lignes de téléphone, les<br />

gazomètres, les billes de bois chargées<br />

sur un chariot, le sable ou le gravier au<br />

Point-du-Jour, et plus emblématiquement<br />

encore, la surimpression de roues<br />

et d'engrenages sur le net graphisme de<br />

voies ferrées : tout le bric-à-brac moderne<br />

et avant-gardiste, repris à peu de frais<br />

parce qu'il est photogénique, que la photographie<br />

l'a d'ailleurs familiarisé à l'œil,<br />

et qu'illustrer ainsi le travail ne demande<br />

pas que l'on quitte le journalisme de<br />

mode.<br />

Juste avant la brève séquence consacrée<br />

au travail, on trouve l'Élégance (autre<br />

carton, en capitales aussi) : les oisifs<br />

faisant, justement, du cheval au Bois, les<br />

vitrines de fourrures et de vêtements<br />

chics. Juste après le travail, une autre séquence<br />

obligée, celle du « nocturne », le<br />

Moulin-Rouge, le Pigall's (si !), menant<br />

sans erreur aux Halles la nuit, au petit<br />

jour sur les Tuileries, enchaînant sur un<br />

carton qui dit seulement : « <strong>La</strong> douceur<br />

de vivre. » Le Paris qui nous est montré,<br />

sans doute n'oublie aucune <strong>des</strong> cartes<br />

postales obligées, même pas celle de<br />

« faubourgs » ici scrupuleusement cantonnés<br />

aux gran<strong>des</strong> rues commerçantes,<br />

près de la République et <strong>des</strong> Grands Boulevards.<br />

Aucun monument ne manque à<br />

l'appel, et les rues elles-mêmes, filmées<br />

comme <strong>des</strong> perspectives, dans l'axe, deviennent<br />

de plats monuments (on n'échappe<br />

pas aux Champs-Elysées, abusivement<br />

quoique banalement baptisés « perspective<br />

incomparable ») - à moins que, filmées<br />

depuis Notre-Dame, elles ne deviennent<br />

le lacis de vieilles rues si pittoresques<br />

qui fait que « partout à Paris surgit<br />

le passé ».<br />

Si les <strong>images</strong> sont convenues, jusque<br />

dans leur pseudo-modernisme (outre les<br />

plans de machines, voir le cliché, déjà rebattu<br />

en 1928, de la plongée verticale sur<br />

le carrefour, avec ses pavés et ses rails de<br />

tramway luisants), si leur enchaînement<br />

est livré à une rhétorique à deux sous, à<br />

qui tout cela s'adresse-t-il ? En ouvrant<br />

son film sur le train qui amène les travailleurs<br />

de banlieue à Berlin, Ruttmann<br />

donnera une réponse volontariste ; Lucie<br />

Derain, aimablement, nous donne aussi<br />

sa réponse, mais ce n'est pas la même. Les<br />

premiers plans du film sont pour montrer<br />

<strong>des</strong> avions de lignes régulières (réservés<br />

à l'époque aux touristes de luxe) ;<br />

on en voit <strong>des</strong>cendre <strong>des</strong> bourgeois dans<br />

leurs uniformes d'alors, si laids et ridicules<br />

qu'on prend pitié et leur pardonne<br />

presque d'être venus salir une ville, en y<br />

transportant leur regard stéréotypé, leur<br />

capacité à ne rien regarder, à détruire, à<br />

repartir sans avoir su où ils étaient. Quarante<br />

ans plus tard, Tati dira la vérité sur<br />

ce tourisme, dans Playtime. Lucie Derain,<br />

elle, semble surtout regretter de ne pas<br />

être arrivée avec leur avion : elle fait de<br />

son mieux pour faire comme si.<br />

Jacques Aumont<br />

1 Toutes les citations entre guillemets sont tirées de<br />

son article « <strong>La</strong> ville au cinéma », <strong>Ciné</strong>magazine, 22 février<br />

1929.<br />

HARMONIES DE PARIS - 87


LA FEMME ET LE PANTIN<br />

1928 - Jacques de Baroncelli<br />

Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Société <strong>des</strong><br />

<strong>Ciné</strong>romans-Films de France. Auteur : Pierre Louys,<br />

d'après son roman homonyme, et Pierre Frondaie,<br />

d'après sa pièce. Asst. réal. : Charles Barrois.<br />

Dir. ph. : Louis Chaix. Déc. : Robert Gys.<br />

Partition musicale : Georges Van Parys, Philippe<br />

Parés, Ed. <strong>La</strong>vagne. Int. : Conchita Monténégro<br />

(Conchita Perez), Raymond Destac (don Mateo Diaz),<br />

Andrée Canti (la mère de Conchita), Henri Lévêque<br />

(André Stévenol), Jean Dalbe (Morenito).<br />

Date de sortie : 31 mai 1929. Métrage, minutage<br />

copie Cf. : 2256 m., 110 mn (à 18 i/s). Générique et<br />

intertitres français reconstitués (Jean-Claude Carrière).<br />

Noir et blanc. Ce film a été restauré avec le concours<br />

de la Société <strong>des</strong> auteurs et compositeurs dramatiques<br />

(SACD), l'Ôsterreichisches Filmmuseum (Vienne), le<br />

Service <strong>des</strong> Archives du Film (CNC).<br />

Cette nuit là, le train pour Séville est sans<br />

cesse ralenti par une neige abondante. Pour<br />

tromper son ennui, don Mateo Diaz, séducteur<br />

fortuné, traverse les wagons jusqu'aux classes<br />

populaires. Là, il intervient dans une bagarre<br />

de femmes et fait ainsi la connaissance de l'ardente<br />

Conchita Perez. Plusieurs mois s'écoulent.<br />

Une nuit d'été, don Mateo donne une fête<br />

dans ses jardins. Conchita s'est glissée parmi<br />

les invités. Elle lui donne un baiser, son adresse<br />

et s'enfuit. Le lendemain, et bientôt tous les lendemains,<br />

il frappe à sa porte. Chaque fois, elle<br />

le tient à distance et promet de se donner... demain.<br />

Un jour, il l'achète à sa mère et sur le<br />

champ, elle quitte la ville. Pendant <strong>des</strong> mois,<br />

son souvenir obsède Mateo. À son retour, le<br />

même jeu reprend. Elle disparaît encore et réapparaît<br />

à Cadix. Elle est danseuse de flamenco<br />

dans un baile. Dès le premier regard, Mateo<br />

est repris mais Morenito, un jeune et beau garçon<br />

de Séville, est là aussi. Surtout, il croit devenir<br />

fou en découvrant que son Artésienne<br />

danse parfois nue pour quelques amateurs<br />

étrangers. Sa première idée est de l'étrangler.<br />

Finalement, il la ramène à Séville, la couvre de<br />

bijoux et lui offre un palacio. Un soir, elle le<br />

convoque et le laisse à l'entrée du patio, derrière<br />

une grille en fer forgé. Elle danse devant<br />

lui, puis part au bras de Morenito. Au matin,<br />

elle a le cran de lui rendre visite. Il la roue de<br />

coups. Elle promet d'être à lui. Un an passe.<br />

Don Mateo est à Paris, il se dit guéri mais va<br />

voir Conchita danser au Sevilla.<br />

FEMME OU DÉMON ?<br />

Jacques de Baroncelli, en 1928, adapte<br />

un roman célèbre de Pierre Louys, lequel<br />

est mort depuis trois ans. Baroncelli s'inspire<br />

également, nous dit le générique,<br />

d'une pièce de théâtre de Pierre Frondaie,<br />

elle aussi adaptée de Pierre Louys. Cette<br />

pièce semble aujourd'hui oubliée. Tout<br />

indique qu'elle restait fidèle au récit original.<br />

Ce récit nous montre un Espagnol<br />

riche et aimé <strong>des</strong> femmes, don Mateo, qui<br />

se laisse prendre au jeu subtil et provocant<br />

d'une jeune fille. Il la veut à tout prix,<br />

elle persiste à l'éviter. Il devient un pantin<br />

entre ses mains et connaît toutes les<br />

nuances du doute, de la jalousie, du<br />

désespoir et de la fureur.<br />

Ce qui frappe d'abord, dans le film de<br />

Baroncelli, c'est l'abandon de l'aspect<br />

« fin de siècle ». Le film est résolument<br />

contemporain-l'histoire n'est-elle pas de<br />

tous les âges ? - ce qui permet au décorateur<br />

Robert Gys d'interpréter l'Andalousie<br />

à sa manière, en laissant apparaître<br />

ici et là quelques éléments espagnols.<br />

Cette manière est majestueuse. A <strong>des</strong>sein<br />

sans doute, le personnage de don Mateo<br />

a été enrichi. Il habite à Séville un palais<br />

magnifique, où il donne <strong>des</strong> fêtes versaillaises.<br />

Devant lui, les bijoutiers se<br />

courbent jusqu'à terre. Son personnel,<br />

très abondant, porte livrée. Quant aux colonnes<br />

torses de son lit - ce lieu où toutes<br />

les femmes, sauf une, rêveraient de se retrouver<br />

- elles sont si élevées qu'elles<br />

semblent se perdre dans la brume <strong>des</strong><br />

hauts plafonds.<br />

Stylisation qui reste malgré tout prudente,<br />

car elle doit accueillir quelques décors<br />

naturels - <strong>des</strong> ruelles, le port de<br />

Cadix - sans que cette réalité paraisse<br />

choquante, ou inadaptée.<br />

Très élaborée, la photographie de<br />

Louis Chaix nous propose un film très<br />

noir et très blanc - à commencer par le<br />

train fonçant dans la neige. <strong>La</strong> caméra<br />

reste pratiquement toujours en plan fixe,<br />

exceptés deux ou trois panoramiques qui<br />

sont plutôt <strong>des</strong> recadrages. Le mouvement<br />

d'un train, ou d'un bateau, apporte<br />

les seuls travellings. Tout est ici concentré<br />

sur le plan, et chaque image, minutieusement<br />

cadrée et étudiée, offre tout l'arsenal<br />

du « langage muet » : fondus, surimpressions,<br />

souvenirs visibles, avec<br />

quelques idées étonnantes comme celle de<br />

Conchita dansant au fond d'une bouteille.<br />

Nombreux sont aussi les éléments<br />

qui, dans l'image, paraissent souligner la<br />

situation <strong>des</strong> personnages. Conchita est<br />

ainsi souvent séparée de la main, et même<br />

du regard, de don Mateo : par un rideau,<br />

un store, une porte, une grille, même si<br />

l'on cherche vainement dans le film la fameuse<br />

scène du livre où Conchita paraît<br />

se donner, vient dans le lit de Mateo, mais<br />

portant sous sa jupe une culotte en cuir<br />

si savamment nouée qu'elle en devient<br />

inextricable. Bunuel tournera cet épisode<br />

en 1977. En 1928, c'était sans doute inconcevable.<br />

L'histoire elle-même, malgré quelques<br />

adoucissements, semble plus « moderne<br />

» que le modèle, pour employer un<br />

mot <strong>des</strong> années vingt. On dirait bien que<br />

les auteurs du film ont lu Proust, et qu'il<br />

y a du Swann dans ce Mateo, qu'interprète<br />

Raymond Destac avec beaucoup de<br />

vraisemblance et d'élégance.<br />

Au lieu de présenter Conchita comme<br />

une femme simplement fatale et pernicieuse,<br />

« la pire femme qui fût jamais »<br />

(comme Mateo l'appelle dans le roman),<br />

une approche assez différente est ici offerte.<br />

Le film commence bien avec une<br />

« animation » du tableau de Goya où<br />

quatre femmes font sauter un pantin masculin<br />

dans un drap (animation qui réapparaîtra<br />

au dernier plan), mais il est clair,<br />

assez vite, que voici une jeune fille pauvre,<br />

sans espoir de fortune, avec sa beauté<br />

pour tout capital. En face d'elle se dresse<br />

un homme riche, très riche même, qui<br />

croit pouvoir tout obtenir et s'étonne<br />

d'être repoussé. Le conflit est simple et<br />

classique, à deux cheveux du mélodrame.<br />

Mais en reprenant les mêmes situations<br />

que dans le livre (les visites à la mère, les<br />

1)9


90 - FRANCE<br />

petits cadeaux, la photo du jeune cousin),<br />

Baroncelli nous montre comme une chose<br />

normale, et pour ainsi dire justifiée, que<br />

Conchita mente à Mateo, qu'elle se joue<br />

de lui, qu'elle esquive ses avances têtues,<br />

qu'elle lui tende <strong>des</strong> pièges féminins,<br />

qu'elle l'enveloppe peu à peu - assez rapidement,<br />

d'ailleurs - dans un filet de<br />

semi-vérités d'où il ne se sortira pas.<br />

Autrement dit : elle nous est presque<br />

sympathique, elle combat dans le fond<br />

pour son indépendance, pour son identité,<br />

et avec les armes qui sont les siennes,<br />

les seules que la société où elle vit lui<br />

donne le droit d'utiliser.<br />

Tout, en elle, ne se réduit pas au calcul.<br />

<strong>La</strong> preuve : elle s'en va vraiment au<br />

milieu de l'histoire, elle quitte Séville, et<br />

c'est par hasard que Mateo la retrouve à<br />

Cadix, où elle danse nue devant <strong>des</strong> touristes<br />

ébahis.<br />

De même, Baroncelli réduit à un<br />

simple rôle de confident, presque de figurant,<br />

le personnage d'André, l'ami français<br />

de Mateo, qui joue un rôle primordial<br />

dans le livre : il y est en effet, dès le début,<br />

menacé par la même femme, et c'est pour<br />

le mettre en garde (mais en vain) que<br />

Mateo lui raconte sa triste histoire.<br />

C'est tout le problème de l'adaptation<br />

de la Femme et le Pantin : comment sauver<br />

le personnage de la femme, comment ne<br />

pas faire d'elle une simple petite pute (ce<br />

qui par contrecoup ferait de Mateo un<br />

vrai crétin), et comment lui éviter de tomber,<br />

à l'opposé, dans une sorte d'hystérisme<br />

incohérent, obsessionnel, qui refuserait<br />

l'évidence au nom d'une virginité<br />

qui dans le film, contrairement au livre,<br />

est passée sous silence.<br />

Délivrée d'un excès de noirceur et de<br />

duplicité, très finement interprétée par la<br />

désirable Conchita Monténégro, qui portait<br />

le prénom du rôle, le personnage de<br />

la jeune femme apparaît ainsi complexe,<br />

insaisissable, avec de brusques joies,<br />

presque enfantines, et de surprenants<br />

passages de mélancolie. Tout le film repose<br />

sur l'ambiguïté de cette image presque<br />

perpétuellement souriante, qu'ob-<br />

serve avec fascination le très sérieux don<br />

Mateo. Les autres personnages, même la<br />

mère (très importante dans le roman),<br />

disparaissent au profit de ce pas de deux<br />

entre le regard et le sourire.<br />

Il est clair que, dans la première partie,<br />

l'histoire va vite. Elle va vite parce<br />

qu'elle n'est pas encore passionnante,<br />

parce que nous n'en sommes qu'aux préliminaires.<br />

Les auteurs du film ont hâte<br />

d'en arriver aux trois gran<strong>des</strong> scènes de<br />

la deuxième partie : d'abord celle de la<br />

danse devant les touristes, si érotique que<br />

Mateo, là encore voyeur, hésite un moment<br />

(pour notre bonheur) avant d'interrompre<br />

le spectacle.<br />

Vient ensuite la fameuse scène de la<br />

grille, image de la plus totale frustration.<br />

Non seulement Conchita refuse à Mateo<br />

de le laisser entrer dans la maison qu'il<br />

vient d'acheter pour elle, mais elle le nargue,<br />

l'humilie, l'insulte, et va jusqu'à faire<br />

l'amour avec un jeune amant, dans le jardin,<br />

de l'autre côté de la grille où Mateo<br />

se fait saigner les mains. Ici, dans le film,<br />

la scène se développe largement. Le metteur<br />

en scène prend tout son temps. Rien<br />

n'y manque.<br />

Vient enfin la scène qu'on peut appeler<br />

du châtiment. Elle se passe le lendemain<br />

matin. Conchita arrive paisiblement<br />

chez Mateo, toujours souriante, et lui dit :<br />

« J'étais venue voir si tu étais mort. » S'ensuit<br />

une punition infligée par l'homme,<br />

aussi violente que dérisoire, car au fond<br />

elle ne changera rien. Bunuel y ajoutera<br />

l'image forte d'une clé, que Conchita, à<br />

genoux, le visage ensanglanté, tend à<br />

l'homme qui enfin la frappe.<br />

<strong>La</strong> fin se situe dans l'inévitable décor<br />

de boîte de nuit de ces années-là, mais<br />

reste assez semblable à celle du livre. Les<br />

personnages, malgré le temps qui passe,<br />

restent les mêmes. Leur relation n'a pas<br />

de fin. Mateo ne sera jamais délivré de<br />

Conchita - et vice-versa. L'histoire, ainsi,<br />

pourra recommencer, avec d'autres acteurs,<br />

dans d'autres films.<br />

Jean-Claude Carrière<br />

LA FEMME ET LE PANTIN OU :<br />

POURQUOI RESTAURER<br />

LA VERSION ÉTRANGÈRE<br />

D'UN FILM FRANÇAIS ?<br />

L'existence, pour un même film, de<br />

multiples versions, est fréquente jusqu'à<br />

l'arrivée du cinéma sonore. À partir de<br />

1930, et jusqu'à la généralisation du doublage<br />

quelques années plus tard, certaines<br />

productions se tournent encore en<br />

deux versions, principalement entre la<br />

France et l'Allemagne. Techniciens, acteurs,<br />

réalisateurs changent ou demeurent,<br />

panachant les génériques de part et<br />

d'autre du Rhin, au gré de leur faculté<br />

d'adaptation ou de leur popularité.<br />

Au début <strong>des</strong> années dix, les différences<br />

portent essentiellement sur les durées<br />

- version longue ou version courte<br />

selon les besoins de l'exploitation (par<br />

exemple les deux Travail d'Henri Pouctal).<br />

Parfois aussi, la maison de production<br />

ressort le même film quelques années<br />

plus tard, paré d'un nouveau titre,<br />

misant sur la mémoire défaillante d'un<br />

public candide (la Lutte pour la vie de Ferdinand<br />

Zecca et René Leprince, distribué<br />

en 1914, sera rebaptisé par la suite Histoire<br />

de Jean Morin).<br />

À mesure que les films allongent, la<br />

psychologie <strong>des</strong> personnages se complexifie,<br />

le spectateur grandit en même<br />

temps que le spectacle, et chaque pays exploite<br />

une version adaptée aux spécificités<br />

culturelles de son public. Les intertitres<br />

sont traduits, parfois de manière<br />

fantaisiste - et même jusqu'au contresens -,<br />

les noms sont changés, le montage bousculé,<br />

les audaces, jugées inacceptables,<br />

censurées. Le film subit, en silence, toutes<br />

ces manipulations, peu coûteuses et techniquement<br />

faciles.<br />

Les réalisateurs tournent eux-mêmes,<br />

sans états d'âme, les versions <strong>des</strong>tinées à<br />

l'étranger, utilisant plusieurs caméras ou<br />

privilégiant les meilleures prises pour la<br />

version d'origine.<br />

Il ne reste souvent qu'une trace écrite<br />

de ces différentes versions mais, si tout le<br />

matériel a survécu, il est de tradition de<br />

restaurer le film tel qu'il a été exploité -<br />

on le suppose - par le pays producteur.<br />

Lorsque la <strong>Ciné</strong>mathèque française<br />

découvre dans ses collections un négatif<br />

nitrate sans intertitres du film de Jacques<br />

de Baroncelli, la Femme et le Pantin, rien<br />

n'indique qu'il s'agisse de la version <strong>des</strong>tinée<br />

à l'étranger, et l'œuvre, répondant<br />

aux critères du Plan Nitrate, est sauvegardée.<br />

Des recherches sont entreprises<br />

pour évaluer la nécessité d'une restauration<br />

: l'Ôsterreichisches Filmmuseum fait<br />

parvenir l'intertitrage allemand et le Service<br />

<strong>des</strong> Archives du film prête son<br />

propre matériel, sur pellicule safety et<br />

comportant <strong>des</strong>flash-titles français, défini<br />

comme version pour la France.<br />

Cette possibilité, rarement offerte, de<br />

comparer les différents tournages d'un<br />

film, conduit à une décision inhabituelle :<br />

c'est la version appelée désormais « pour<br />

l'étranger » qui sera prioritairement restaurée,<br />

car la vision simultanée <strong>des</strong> deux<br />

copies sur table de montage double écran<br />

conclut en sa faveur.<br />

<strong>La</strong> caméra, placée plus loin <strong>des</strong> acteurs,<br />

filme en légère plongée, entretenant<br />

au fil <strong>des</strong> séquences une sensation<br />

de déséquilibre et de distance, à la longue<br />

plus inquiétante, que le tournage sagement<br />

frontal de la version française.<br />

Il est banal de penser que plus un film<br />

est long, mieux il répond à la volonté de<br />

son réalisateur, et la restauration tient<br />

compte, à juste titre, de cette évidence,<br />

d'autant que les exemples, parfois dramatiques,<br />

abondent (Greed I les Rapaces de<br />

Stroheim est le plus célèbre). Mais si la<br />

version étrangère de la Femme et le Pantin<br />

est plus courte, cela n'est pas à cause de<br />

coupures injustifiables mais parce qu'elle<br />

va plus vite. Ce sont les acteurs qui gagnent<br />

ce temps, précipitant le mouvement<br />

à l'intérieur <strong>des</strong> plans, emmenés<br />

par un réalisateur peut-être heureusement<br />

pressé. Leur jeu nerveux dynamise<br />

le film, en particulier les nombreuses<br />

scènes de flamenco. Le montage épouse<br />

la direction d'acteurs : les raccords, res-<br />

serrés, se font souvent « dans le mouvement<br />

», et même le pesant don Mateo va<br />

prestement d'un plan à l'autre sans s'arrêter<br />

« à la collure », sans figer sa position<br />

jusqu'à la dernière seconde. Le film<br />

gagne ainsi en rythme et en légèreté, semblant<br />

se plier aux humeurs capricieuses<br />

de son héroïne.<br />

Certains plans ont été supprimés à<br />

l'époque, mais ils ne manquent pas, au<br />

contraire : lors de la première rencontre<br />

entre Conchita et don Mateo, la version<br />

française se termine par deux gros plans<br />

insistants dont le spectateur n'a nul besoin<br />

pour comprendre que désormais<br />

leurs <strong>des</strong>tins sont scellés.<br />

Parfois, la variation <strong>des</strong> plans utilisés,<br />

sans prouver la supériorité d'un montage<br />

sur l'autre, enrichit simplement l'histoire<br />

du tournage, et si l'image de Conchita se<br />

surimpressionne sur fond de palmiers<br />

plutôt que de ruelles étroites, l'obsession<br />

de don Mateo, errant de Séville à Cadix,<br />

possède la même intensité d'une version<br />

à l'autre.<br />

Cette tentative de démonstration ne<br />

serait qu'argutie d'archiviste si cette plus<br />

grande fadeur de réalisation dans la version<br />

française n'aboutissait en fin de<br />

compte et en fin de film à un affadissement<br />

semblable du roman de Pierre<br />

Louys ; Conchita, danseuse au cabaret<br />

Sevilla à Paris, séduit sans mal un client.<br />

Le même soir, don Mateo voulant se persuader<br />

qu'il est guéri de sa passion, décide,<br />

en se rendant au Sevilla, de se soumettre<br />

à l'épreuve d'une rencontre. Mais<br />

désespéré par le manège qui continue devant<br />

lui, il écrit un billet à Conchita : « Ma<br />

Conchita,reviens(...)Signé :donMateo. »<br />

Elle lit le billet, puis le lance à sa nouvelle<br />

conquête, qui le parcourt et le déchire<br />

avec désinvolture.<br />

Dans la version étrangère, la scène<br />

entre le client et Conchita avant l'arrivée<br />

de don Mateo a été supprimée, et c'est luimême<br />

qui, par sa seule présence, nécessaire<br />

et suffisante, provoque le besoin de<br />

séduction de Conchita et sa propre souffrance.<br />

Surcroît de perversité, le billet<br />

LA FEMME ET LE PANTIN - 91<br />

qu'écrit don Mateo (traduit de l'intertitrage<br />

autrichien) est une demande anonyme<br />

de rendez-vous. Le client qui le reçoit<br />

de Conchita le croit écrit par elle et<br />

pour lui. Ainsi, de victime pitoyable, don<br />

Mateo devient le messager complice de<br />

la femme qui le torture.<br />

<strong>La</strong> version française s'achève réellement<br />

: le pantin métaphorique se disloque<br />

sur le sol après une ultime envolée,<br />

bénéficiant d'un charitable coup de grâce<br />

qui lui est cruellement refusé dans la version<br />

restaurée par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />

où, à l'image du pantin rebondissant<br />

sans fin, son supplice continuera<br />

pour l'éternité.<br />

Claudine Kaufmann<br />

Conchita<br />

Monténégro.


92 - FRANCE<br />

ASILE DE NUIT<br />

1929 - Maurice Champreux, Robert Beaudoin<br />

Réal. : Maurice Champreux, Robert Beaudoin.<br />

Prod. : Gaumont, Franco-Film, Aubert. Auteur : Max<br />

Maurey. Son : Maurice Carrouet. Mont. : jacques<br />

Désagneaux. Int. : Gabriel Signoret (Haps), Cauroy<br />

(Ma Soupe), Georges Saillard (le directeur).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 872 m., 32 mn. Noir et<br />

blanc. Doc. : Raymond Chirat, Jean-Claude Romer :<br />

Catalogue ; courts métrages français de fiction 1929-<br />

1950, Mémoires de cinéma, 1996.<br />

Paris, le soir. Un clochard est allongé sur<br />

un banc. Pour échapper au contrôle d'un<br />

agent de police en faction, il entre à l'asile de<br />

nuit qui se trouve sur le trottoir d'en face. Le<br />

directeur, peu aimable, rechigne à accepter un<br />

énergumène aussi sale, à l'élocution particulière<br />

et répondant au curieux nom de Haps<br />

mais, finalement, s'y résout et va au café d'en<br />

face. Reste Haps avec le père Ma soupe, l'homme<br />

à tout faire de l'asile qui brosse un portrait<br />

peu ragoûtant de son patron, seulement<br />

intéressé par le calcul <strong>des</strong> points de sa retraite<br />

de fonctionnaire. Justement, celui-ci revient<br />

bouleversé : un collègue a été révoqué à la suite<br />

de l'enquête d'un journaliste déguisé en<br />

clochard. Alors, le directeur se demande si ce<br />

Haps, justement, n'aurait pas en fait sa carte<br />

de presse. Changeant radicalement d'attitude,<br />

il est aux petits soins avec lui tout en essayant<br />

de découvrir sa véritable identité. Le<br />

clochard, lui, n'en revient pas de tant de générosité<br />

et, hilare, conclut que le directeur<br />

doit être saoul pour être aussi gentil.<br />

Gabriel Signoret.<br />

AU THÉÂTRE CE SOIR<br />

Haps, le clochard d'Asile de nuit, n'est<br />

ni l'ancêtre de Boudu, ni celui d'Archimède.<br />

Vagabond opportuniste, il ne songe<br />

qu'à l'essentiel : dormir, manger, et fuir<br />

la maréchaussée. En cette époque politiquement<br />

incorrecte, les futurs SDF fournissaient<br />

une imagerie dont les pocha<strong>des</strong><br />

populaires pouvaient encore, sans scrupules,<br />

faire leurs choux gras... Quelques<br />

années plus tard, aux Etats-Unis, un cinéma<br />

déjà doté d'ambitions sociales mettrait<br />

en scène les Américains affamés par<br />

la crise ; rien de tel dans cette petite farce,<br />

dont la brièveté satirique ne fait pas dans<br />

la nuance : tous les fonctionnaires sont<br />

<strong>des</strong> tire-au-flanc planqués, tous les journalistes<br />

<strong>des</strong> crapules aux stratagèmes<br />

ignobles. Les ficelles sont très grosses,<br />

mais il s'agit d'un film de première partie<br />

comme en ont fait éclore par centaines<br />

les débuts du parlant, un lever de rideau<br />

burlesque sans prétention, et qui vise surtout<br />

à mettre en valeur le numéro d'un<br />

fantaisiste connu du public, Gabriel Signoret.<br />

Le jeu de celui-ci - fondé sur la<br />

lenteur, la réaction retardée, la prononciation<br />

traînante -, sa grimace figée sur le<br />

visage comme sur le masque d'un histrion,<br />

nous laissent imaginer que cet acteur<br />

de théâtre ne changeait pas sa technique<br />

d'un iota lorsqu'il passait de la<br />

scène à l'écran. Ici, il oppose une inertie<br />

roublarde aux criailleries du directeur<br />

comme à ses bonnes grâces. Le comique<br />

naît donc du face-à-face physique <strong>des</strong><br />

deux personnages - le directeur voûté<br />

dans une éternelle posture de père Fouettard,<br />

le clochard tassé, hébété, et toujours<br />

prêt à la reculade. Entre ces silhouettes<br />

grotesques, le père Ma Soupe est le seul<br />

à composer une figure à peu près humaine,<br />

philosophe bon enfant qui distille<br />

ses aphorismes et, mine de rien, tire les<br />

ficelles <strong>des</strong> pantins qui l'entourent.<br />

A l'image du jeu <strong>des</strong> acteurs, structure<br />

et mise en scène ne cachent pas leur<br />

caractère théâtral. Un seul lieu, le bureau<br />

du directeur, est le cadre <strong>des</strong> scènes dia-<br />

loguées ; celles-ci, lentes et copieuses,<br />

émaillées d'apartés, isolent le plus souvent<br />

deux personnages en tête-à-tête, et<br />

ne sont aérées que par deux courtes pantomimes<br />

: le prologue, qui évoque la rue<br />

à la manière stylisée d'un décor de carton-pâte,<br />

et le bref épisode du dortoir.<br />

L'échelle <strong>des</strong> plans, bien sûr, est très peu<br />

variée, et l'on devine en outre que la prise<br />

de son - inévitablement médiocre - est<br />

pour beaucoup dans l'aspect figé de l'ensemble.<br />

Maurice Champreux (gendre et<br />

collaborateur de Feuillade) évoque sans<br />

enthousiasme la période où, chez Gaumont,<br />

il « essuyait les plâtres » du parlant<br />

: comme beaucoup alors, il pensait<br />

que « c'était la négation du cinéma » '. Il<br />

y a pourtant ici, dans les rares occasions<br />

où la caméra se rapproche de l'un <strong>des</strong> personnages,<br />

une utilisation de la voix hors<br />

champ intéressante pour un film de cette<br />

époque. Dans l'ensemble, Asile de nuit use<br />

autant que possible <strong>des</strong> <strong>ressources</strong> du<br />

son ; les effets comiques reposent largement<br />

sur la voix et le débit <strong>des</strong> trois acteurs,<br />

ainsi que sur la reproduction de<br />

certains bruits incongrus, aussi prosaïques<br />

que réalistes, qui défient la bienséance<br />

- comme la chasse d'eau d'On<br />

purge bébé. Un grand plaisir, sans doute,<br />

pour les spectateurs <strong>des</strong> premiers films<br />

sonores ; et pour nous, un témoignage<br />

dont l'intérêt dépasse heureusement les<br />

pitreries de Monsieur Signoret.<br />

Jacqueline Nacache<br />

1 Entretien de Francis <strong>La</strong>cassin avec Maurice Cham-<br />

preux, dans <strong>Ciné</strong>ma 61, n° 55.<br />

DANS LA BROUSSE ANNAMITE<br />

1931-1934-André Sauvage<br />

BROUSST<br />

ANNAMITE<br />

Réal. : André Sauvage. Dir. ph. : Léon Morizet.<br />

Son : Carrère, William Sivel. Mont. : Léon Poirier,<br />

Mauricelaubert. Mus. : J.E. Szyfer.<br />

Commentaire : Léon Poirier. Date de sortie : [1934].<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 667 m., 24 mn. Noir et<br />

blanc.<br />

Des femmes puisent l'eau à la rivière. Au<br />

village, « les gongs résonnent en l'honneur<br />

<strong>des</strong> étrangers ». Nous sommes dans les régions<br />

montagneuses del'Annam, aux confins<br />

du <strong>La</strong>os. Les femmes dansent et, tandis que<br />

tombe le soir, tous prennent leur ration d'une<br />

boisson alcoolisée. Les éléphants se prélassent<br />

dans la rivière après une journée de travail en<br />

forêt. Dans les régions centrales de l'Annam,<br />

vivent les Moï, une autre peuplade. Scène de<br />

construction d'une maison, puis scènes de<br />

pêche au filet, à la nasse, à l'arbalète. Les hommes<br />

avancent sur <strong>des</strong> pirogues, les femmes,<br />

dans l'eau, rabattent le poisson et les enfants,<br />

un peu plus loin, jouent. Et le soir venu, ce<br />

sont les buffles qui s'immergent dans le lac<br />

paisible.<br />

UN DEBRIS DU REVE BRISE<br />

D'ANDRÉ SAUVAGE<br />

Comme la plupart <strong>des</strong> équipiers de la<br />

Croisière noire (1924-1925) et de la Croisière<br />

jaune (1931-1932), André Sauvage fait<br />

partie de la génération <strong>des</strong> enfants perdus<br />

de la guerre de 1914-1918, de ceux qui<br />

firent de Paris la capitale de l'art, de la<br />

poésie, du cinéma, avant-garde turbulente<br />

du « plutôt la vie », où tout était possible<br />

pendant ce bref entracte séparant<br />

deux guerres mondiales.<br />

<strong>La</strong> Croisière noire avait réveillé le « goût<br />

de Tailleurs », <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> découvertes,<br />

<strong>des</strong> raids automobiles, et Citroën et ses<br />

complices ingénieurs décidèrent de recommencer<br />

d'ouest en est ce qu'ils avaient<br />

réussi du nord au sud... Mais la vingtaine<br />

<strong>des</strong> aventuriers d'Afrique Noire devint<br />

une quarantaine de pilotes, de mécaniciens,<br />

de chercheurs, de philosophes.<br />

Pathé-Natan choisit André Sauvage plutôt<br />

que Léon Poirier comme réalisateur<br />

de ce film épopée, mais aussi ces chercheurs<br />

ou artistes qui, de Teilhard de<br />

Chardin à l'enseigne de vaisseau Point,<br />

herborisaient, paléontologisaient, archéologiseaient<br />

à Pékin en attendant les alpinistes<br />

de l'Himalaya. Les seuls de la<br />

première croisière à participer à la seconde<br />

furent Georges-Marie Haardt, son<br />

adjoint Audouin-Dubreuil et le peintre<br />

Alexandre Iacovleff.<br />

Mais le voyage s'acheva dans le<br />

drame : seigneurs de la guerre, coupeurs<br />

de têtes... et les onze survivants du nouveau<br />

voyage de Marco Polo de la Méditerranée<br />

au Pacifique se retrouvèrent privés<br />

de leur chef, Georges-Marie Haardt,<br />

mourant un peu mystérieusement à l'hôpital<br />

de Hong Kong. Une autre mort endeuillera<br />

la Croisière jaune ; le lieutenant<br />

de vaisseau Victor Point se suicida pour<br />

l'actrice Alice Cocéa. Les anciens de la<br />

Croisière se mobilisèrent quand elle réapparut<br />

au théâtre, venant soir après soir<br />

crier : « Point ! Point ! » jusqu'à l'arrêt de<br />

la pièce... Entre ces deux événements tragiques,<br />

le joyeux alpiniste cinéaste André<br />

Sauvage dit « le môme Dédé » décide<br />

d'utiliser caméras et pellicules et, avec ses<br />

compagnons Léon Morizet et Georges<br />

Specht, les preneurs de son Carrère et<br />

Sivel, découvre et filme la tendre vie quotidienne<br />

de l'Annam et du pays Moi.<br />

<strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française a sauvé ce<br />

film perdu, l'un <strong>des</strong> premiers documentaires<br />

en 35 mm sonore (son synchrone)<br />

dont André Sauvage avait découvert les<br />

performances au cours du voyage<br />

(danses de Mongolie ou, plus prosaïquement,<br />

la « lettre » filmée de « bon anniversaire<br />

» adressée par Haardt à Citroën).<br />

Aussi, après l'éblouissement <strong>des</strong><br />

femmes laotiennes à la rivière, après l'alcool<br />

partagé à la paille, après l'arrivée tonitruante<br />

<strong>des</strong> éléphants, c'est, en pays<br />

Moï, les pêches miraculeuses d'autres<br />

jeunes femmes et de jeunes piroguiers,<br />

tandis que les enfants jouent dans l'eau.<br />

Alors retentissent les gongs et les tambours,<br />

et c'est un grand moment précieux<br />

de l'un <strong>des</strong> premiers documents synchrone<br />

d'ethnomusicologie, au montage<br />

duquel participa le musicien de l'Atalante,<br />

Maurice Jaubert...<br />

À propos de la Croisière jaune, Philippe<br />

Esnault rappelle : « Une première projection<br />

publique a lieu le 30 novembre<br />

1932 à la Sorbonne ; c'est un succès »<br />

Mais la suite est sinistre. Léon Poirier<br />

ayant fini Caïn à Madagascar, et Verdun,<br />

souvenirs d'Histoire, va reprendre à son<br />

compte les films de la deuxième croisière.<br />

Citroën, légataire universel de Haardt<br />

qui disposait d'un droit de supervision<br />

du matériel, envoie le cinéaste saisir à<br />

Joinville le film en montage (25 novembre<br />

1933). Poirier reprend tout de la Croisière<br />

jaune : le montage, la sonorisation, la musique...<br />

Esnault fait ainsi le bilan <strong>des</strong> dégâts<br />

: « À travers la réduction artisanale<br />

de Poirier, la beauté captive <strong>des</strong> paysages,<br />

<strong>des</strong> matières et <strong>des</strong> chairs (certaines<br />

contre-plongées sont parmi les<br />

plus belles sculptures vivantes que le cinéma<br />

ait produites), on pressent l'œuvre<br />

qu'un cinéaste inspiré comme Sauvage<br />

pouvait mener à terme. »<br />

93


94 - FRANCE<br />

<strong>La</strong> première de ce film martyrisé a<br />

lieu, bien sûr, à l'Opéra de Paris le 18 mars<br />

1934, mais l'équipe de cinéastes ne vint<br />

pas. Léon Poirier récupère aussi Dans la<br />

brousse annamite, en refait le montage, en<br />

écrit le commentaire et peut, ainsi, figurer<br />

au générique comme coréalisateur<br />

avec André Sauvage... Ainsi s'achève<br />

dans le gâchis ce qui aurait pu être l'une<br />

<strong>des</strong> plus belles aventures de « chasseurs<br />

d'<strong>images</strong> et de sons » du siècle. Bien sûr,<br />

Sauvage ne s'en remit pas. Avec le musicien<br />

Maurice Jaubert et Saint Exupéry, il<br />

a l'espoir de filmer une nouvelle « croisière<br />

jaune aérienne », mais cela n'aboutit<br />

qu'à Courrier d'Asie (1939), documentaire<br />

d'Air France...<br />

En 1937, je rencontrais en Pays Dogon<br />

la fille d'Audouin-Dubreuil qui me parla<br />

d'André Sauvage, vivant retiré dans une<br />

ferme près d'Houdan. Je lui téléphonai à<br />

mon retour. Il me donna rendez-vous<br />

pour inventorier ses trésors, <strong>des</strong> dizaines<br />

de bobines nitrate... Je dus repartir pour<br />

l'Afrique. En juin 1975, j'appris par sa fille<br />

qu'il venait de mourir. Alors, c'est à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

de reprendre aujourd'hui ce<br />

sauvetage de trésors oubliés.<br />

1 Philippe Esnault :<br />

n° 112, juillet 1985.<br />

Jean Rouch<br />

« Sauvages », <strong>Ciné</strong>matographe,<br />

UN REGARD SAUVAGE<br />

Au fil quotidien de l'inventaire <strong>des</strong><br />

collections films de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, je rencontre souvent <strong>des</strong> documentaires<br />

muets <strong>des</strong> années vingt aux<br />

titres parlants : l'Industrie de la soie en<br />

Annam, Dalat, station climatique, De Saigon<br />

vers Hanoïpar les chemins de fer indochinois,<br />

etc. <strong>La</strong> France, puissance coloniale sûre<br />

d'elle-même et dominatrice, aime visiblement<br />

se filmer, à l'extérieur de ses<br />

frontières et encore chez elle. Toutes ces<br />

ban<strong>des</strong> vantent les réalisations de la métropole,<br />

ses dépenses d'équipements en<br />

ponts et chaussées, sa rentabilisation <strong>des</strong><br />

matières premières locales qui, sans son<br />

savoir-faire, resteraient inexploitées. Tout<br />

cela est bien connu, ce regard narcissique<br />

et supérieur. Bien connu aussi le fait que<br />

l'autochtone apparaît toujours dans ces<br />

œuvrettes de propagande comme un<br />

étranger chez lui, un figurant dont on fait<br />

le bonheur, au détour d'un plan, au hasard<br />

d'un regard-caméra domestiqué,<br />

comme force de travail essentiellement<br />

ou en situation folklorique. Ignorant<br />

toute trace d'une présence française filmable,<br />

Dans la brousse annamite s'intéresse<br />

résolument au hors-champ habituel<br />

<strong>des</strong> autres documentaires et propose,<br />

sinon un autre regard, au moins un essai<br />

d'un autre point de vue sur une même<br />

réalité. André Sauvage filme <strong>des</strong> habitants,<br />

non pas en situation de rendement,<br />

mais à un rytrime qui veut respecter le<br />

leur. Du coup le film, très peu scénarisé,<br />

tourné à la sauvette en marge de la Croisière<br />

jaune, a le goût <strong>des</strong> paradis perdus<br />

et se pare <strong>des</strong> séductions de la lenteur.<br />

Sauvage filme aussi frontalement<br />

ceux qui généralement font décor, comme<br />

on dit faire tapisserie. Mais très souvent,<br />

il cadre <strong>des</strong> Annamites de face et en<br />

pied, avec parfois même un double raccord<br />

dans l'axe qui s'arrête aux yeux. Dès<br />

lors, le frontal vire visiblement à l'affrontement<br />

(muet). Si Sauvage prend pour sujets<br />

ceux qui d'ordinaire sont objets, du<br />

coup - et d'instinct - les sujets semblent<br />

revendiquer un droit à l'intégrité corporelle<br />

et adressent plusieurs fois à la caméra<br />

un regard qui ne trompe pas et ressemble<br />

à un retour à l'envoyeur : un regard<br />

chargé, seule arme à disposition<br />

pour répondre à la violence ontologique<br />

d'un enregistrement non désiré. Le contrechamp<br />

d'un regard dans le plan dit<br />

une résistance à être vu, il dépasse de loin<br />

le coup d'oeil curieux à la drôle de machine<br />

enregistreuse et n'est pas non plus<br />

le signe d'une docilité inquiète aux indications<br />

de posture de l'opérateur, encore<br />

DANS LA BROUSSE ANNAMITE - 95


96 - FRANCE<br />

moins une désignation, pour le coup<br />

d'une modernité sauvage, de « l'instance<br />

d'énonciation dans le film ». Filmés différemment,<br />

ces humains réagissent différemment,<br />

ce qui laisse imaginer ou fantasmer<br />

la violence de la rétention <strong>des</strong><br />

corps dans les autres documentaires<br />

d'époque. Dans ces plans de regards<br />

passe un désir de n'être pas filmé, le désir<br />

aussi d'un regard qui soit le miroir du<br />

voyeur (c'est moi que ce regard finit par<br />

regarder, comme dans un duel de Sergio<br />

Leone). C'est ce double désir qui trouvera<br />

sa pleine réalisation dans une scène de<br />

Professione : reporter (Michelangelo Antonioni,<br />

1974). Jack Nicholson, caméra à<br />

l'épaule, interroge un sorcier africain qui,<br />

en guise de réponse, retourne l'engin<br />

comme un boomerang et le filme à son<br />

tour, filme le désarroi du filmeur à être<br />

filmé. En 1931, année de Tabu, année du<br />

film de Léon Poirier tourné à Madagascar,<br />

Gain, aventures <strong>des</strong> mers exotiques,<br />

année aussi de l'Exposition coloniale de<br />

Paris, le cinéma français, et ce n'est pas<br />

une surprise malgré la tentative de Sauvage<br />

de filmer l'Autre autrement a encore<br />

à trouver la bonne distance.<br />

Dans la brousse annamite paraît originer<br />

malgré lui le reproche systématique<br />

d'entomologie qui sera fait par la suite à<br />

tout cinéaste-éthnographe et que résume<br />

très bien le « Tu nous regar<strong>des</strong> comme<br />

<strong>des</strong> insectes » de Sembène Ousmane à<br />

Jean Rouch. Très loin du cinéma-vérité et<br />

de ses ambiguïtés inévitables, Dans la<br />

brousse annamite, avec son mode d'interpellation<br />

inattendu, témoigne de la naissance<br />

d'un conflit de regards, fondateur<br />

d'une nouvelle cinématographie, et qui<br />

aboutit aujourd'hui, entre autres, à Souleymane<br />

Cissé 2 . Avec le temps en effet,<br />

ce regard va se politiser et se transformer<br />

en une lutte pour l'accession à la mise en<br />

scène et à l'Indépendance, dans les deux<br />

cas à une autre image de soi. Autrement<br />

dit, le regard <strong>des</strong> Annamites à Sauvage<br />

est un regard qui voit loin dans le siècle.<br />

Bernard Bénoliel<br />

1 II faut dire aussi que les tripatouillages de Léon Poirier<br />

en 1934 (postsynchronisation et commentaires,<br />

comme pour la Croisière jaune) n'aident pas non plus<br />

les <strong>images</strong>, pourtant superbement cadrées et éclairées.<br />

2 « L'Afrique devrait former elle-même <strong>des</strong> cinéastes,<br />

car ce n'est qu'avec <strong>des</strong> cinéastes africains que le reste<br />

du monde comprendra l'Afrique » (Souleymane<br />

Cissé, au moment de Waati, dans les Cahiers du cinéma,<br />

n° 492, juin 1995). L'affirmation est emblématique,<br />

elle est aussi contestable...<br />

LES VIGNES DU SEIGNEUR<br />

1932-René Hervil<br />

Réal. : René Hervil. Prod. : Les établissements Jacques<br />

Haïk. Auteur : Robert de Fiers, Francis de Croisset,<br />

d'après leur pièce homonyme. Se. : Pierre Maudru.<br />

Dial. : Francis de Croisset. Asst. (réal. ?) : Jacques<br />

Houssin, Junker. Dir. ph. : PaulCoteret, Albert<br />

Duverger. Son : A. Dugne, Henri AH iot<br />

(enregistrement <strong>Ciné</strong>vox-Jacques Haïk). Déc. : jean<br />

d'Eaubonne. Dir. art. : André Dugès. Mont. : Madame<br />

Wurtzer. Mus. : Louis Masson (éditée par la Société<br />

<strong>des</strong> Éditions <strong>Ciné</strong>phoniques). Film réalisé aux studios<br />

jacques Haïk à Courbevoie. Int. : Victor Boucher<br />

(Henri Lévrier), Simone Cerdan (Gisèle), Maximiliène<br />

Max (Aline), Jacqueline Made (Yvonne), Mady Berry<br />

(Valentine Bourgeon), Victor Garland (Jack), Léon<br />

Malavier (Jean), Jean Dax (Hubert). Date de sortie : 23<br />

septembre 1932. Métrage, minutage copie Cf. : 2718<br />

m., 99 mn. Noir et blanc.<br />

Madame Valentine Bourgeon, maîtresse<br />

femme, a pris sa décision : puisque cet empoté<br />

d'Hubert est l'amant très officiel de sa fille Gisèle<br />

et n'est pas pressé de régulariser la situation,<br />

c'est sa deuxième fille qu'il faudra<br />

marier. Justement, toute fraîche et pimpante,<br />

Yvonne arrive aujourd'hui à Paris après <strong>des</strong><br />

années passées en Angleterre afin d'y recevoir<br />

une vraie éducation. Madame Bourgeon a<br />

même un bon parti en vue : Henri Lévrier,<br />

grand amid 'Hubert et homme du monde mais<br />

réputé aussi pour son amour de la boisson.<br />

Or, quand celui-ci rend visite à la famille,<br />

c'est à Gisèle qu'il déclare sa flamme dans le<br />

plus grand secret. Elle, lasse de son « mari »,<br />

le prend pour amant. Toute la famille est au<br />

bord de la mer, y compris Henri qui maintenant<br />

exaspère Gisèle au point qu'elle rompt.<br />

Sans rien dire, Yvonne s'est éprise d'Henri.<br />

Un jour, il tombe à l'eau tout habillé et pour<br />

se réchauffer, lui qui nebuvaitplus, avale cinq<br />

whiskies et un cognac. Sous l'emprise de l'alcool,<br />

il avoue à Hubert qu'il couche avec Gisèle<br />

et qu'il serait désespéré si son grand ami<br />

venait un jour à l'apprendre... Une fois dégrisé,<br />

il trouve les mots pour convaincre Hubert<br />

qu 'il a dit n 'importe quoi et tout finit non<br />

par un mais deux mariages, Hubert avec Gisèle,<br />

Henri avec Yvonne.<br />

LA GUEULE DE BOIS<br />

1932 : depuis trois ans déjà le parlant<br />

s'égosille sur les écrans français. On peut<br />

considérer que les problèmes techniques<br />

qui affligeaient les premières productions<br />

sonores sont définitivement maîtrisés,<br />

mais on ne s'en doute guère en regardant<br />

de nos jours le film de René Hervil.<br />

Caméra impotente, découpage abrupt,<br />

déplacements ataxiques <strong>des</strong> acteurs accablent<br />

la donnée à la fois anodine et démodée<br />

<strong>des</strong> trois actes créés avec éclat en<br />

janvier 1923.<br />

Dans <strong>des</strong> décors qui marient avec<br />

bonheur le nickel chromé et les miroirs<br />

limpi<strong>des</strong>, les bibelots d'époque et les panneaux<br />

laqués, <strong>des</strong> oisifs qui s'ennuient à<br />

ne rien faire devisent à perdre haleine de<br />

choses futiles. Comédie de boudoir dont<br />

le sel s'est évaporé : les soucis de respectabilité<br />

de l'énergique madame Bourgeon<br />

qui songe à caser honorablement ses<br />

filles soutiendraient médiocrement l'action<br />

si les auteurs, boulevardiers avisés,<br />

n'avaient pratiqué un « coup du milieu »<br />

(c'est bien le terme) à propos d'un alcoolique<br />

récidiviste révélant à son meilleur<br />

ami sous l'effet du whisky l'infortune<br />

conjugale dont il le gratifie.<br />

C'est cette fameuse scène de l'ivresse<br />

qui fit le succès de la pièce. Abondamment<br />

diffusée, elle lança dans l'aventure<br />

cinématographique Victor Boucher, comédien<br />

discret, dont le naturel efficace<br />

puisait ses <strong>ressources</strong> dans l'humour<br />

pincé. Au théâtre, ce même Victor Boucher<br />

avait eu la chance d'avoir comme<br />

partenaires <strong>des</strong> comédiens éblouissants :<br />

Jeanne Cheirel, sorte de Denise Grey<br />

plantureuse et André Lefaur, solennel et<br />

pontifiant. Dans le film, il fait cavalier<br />

seul et s'évertue de façon méritoire.<br />

Mady Berry, bonne actrice, est trop marquée<br />

par ses nombreux rôles de cuisinière<br />

et semble toujours prête à servir le pot au<br />

feu. Quant à Jean Dax, il alourdit les<br />

scènes en jouant au ralenti. Le feu d'artifice<br />

escompté est sérieusement trempé.<br />

De plus, le morceau de bravoure que<br />

l'on connaît par cœur n'arrive plus à<br />

égayer. On admire la virtuosité de Victor<br />

Boucher, acteur rare dans tous les sens du<br />

terme, car sa filmographie est d'une élégante<br />

minceur, le meilleur de ses films<br />

restant Ils étaient neuf célibataires. Ce n'est<br />

pas une grande découverte : Sacha Guitry<br />

savait mieux employer que René Hervil<br />

ceux qu'il aimait et respectait.<br />

97<br />

Raymond Chirat<br />

Maximiliène Max.


98 - FRANCE<br />

SI J'ÉTAIS LE PATRON<br />

1934-Richard Portier<br />

Réal. : Richard Pottier. Prod. : Para-Film.<br />

Dir. de prod. : Oscar Dancigers. Adapt. : René Pujol.<br />

Se. : André Cerf. Dial. : René Pujol, jacques Prévert.<br />

Asst. réal. : André Cerf, Maurice Vaccarino.<br />

Dir. ph. : Jean Bachelet. Son : ]ean Lecocq.<br />

Déc. : Claude Bouxin. Mont. : Pierre Méguérian.<br />

Mus. : Henri Poussigue. Lyrics : Louis Poterat (éditions<br />

Écho). Un film réalisé dans les studios Pathé-Natan à<br />

Joinville-le-Pont. Système Marconi. Int. : Fernand<br />

Gravey (Henri Janvier), Max Dearly (Maubert), Charles<br />

Deschamps (Sainclair), Madeleine Guitty (Mme<br />

Pichu), Pierre Palau (Archibald Torrington), Pierre<br />

<strong>La</strong>rquey (Jules), Georges Vitray (M. Leroy), Jane<br />

Pierson (une actionnaire), Claire Gérard (Mme<br />

Villiers), André Dubosc, Huchet (les actionnaires),<br />

Anthony Gildès (M. Triangle), Pierre Darteuil (Villiers),<br />

Christian Argentin (Sicaud), Jean Gobet, Mireille Balin<br />

(Marcelle), Magdeleine Bérubet, Lucien Walter.<br />

Date de sortie : 25 octobre 1934.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2844 m., 103 mn. Noir<br />

et blanc. Doc. : Pour Vous, n° 310.<br />

Ouvrier à la chaîne dans une usine automobile,<br />

Henri Janvier a inventé à ses heures<br />

perdues un silencieux qui doit le rendre riche.<br />

À l'usine, l'ingénieur Sainclair travaille sur<br />

un procédé équivalent, mais sa trente neuvième<br />

expérience se révèle, comme les précédentes,<br />

désastreuse. Henri essaye de faire connaître<br />

son invention à la direction, mais loin<br />

de l'écouter, Leroy, le patron, veut virer celui<br />

qu'il prend, à la suite d'un quiproquo, pour<br />

un meneur. En conseil d'administration, le<br />

même Leroy annonce à ses actionnaires catastrophés<br />

que l'entreprise est au bord de la<br />

faillite, à moins d'un miracle. En attendant,<br />

il fait appel à la générosité de Maubert, viceprésident<br />

et premier actionnaire, mais aussi<br />

excentrique incontrôlable. <strong>La</strong> preuve, à la fête<br />

organisée par les ouvriers, il sympathise avec<br />

Henri, fait la bombe toute la nuit avec lui et<br />

au matin, prenant au mot le jeune fanfaron,<br />

en fait le nouveau patron ! Henri se réveille<br />

dans le bureau du directeur. Passé un légitime<br />

moment de surprise, aidé de Marcelle, la<br />

secrétaire qu'il aime et qui l'aime, il se met au<br />

boulot. Et c'est une révolution : projet d'une<br />

nouvelle grille <strong>des</strong> salaires, licenciement minute<br />

du traître qui vendait les secrets de la<br />

maison à la concurrence et musique dans les<br />

ateliers ! Enfin, quand débarque de Chicago<br />

Archibald Torrington, richissime businessman,<br />

il lui vend son invention au prix fort et<br />

sauve l'usine. Et vive le patron !<br />

DÉJÀ PRÉVERT<br />

Ce premier film réalisé en France par<br />

Richard Pottier, tout frais arrivé d'Allemagne<br />

dans la grande vague d'émigrés<br />

qui suit la prise du pouvoir par Adolf Hitler<br />

(Pottier était-il, dans cette vague, un<br />

réfugié antinazi ? Sa longue collaboration<br />

avec la Continental du Dr Greven,<br />

cinq films entre 1941 et 1944, permet d'en<br />

douter, mais ce n'est pas ici le lieu d'en<br />

débattre), s'inscrit dans la phase aléatoire<br />

<strong>des</strong> premières années trente. <strong>La</strong> production<br />

est atomisée, aventureuse. Les génériques<br />

sont imprécis, les informations<br />

fournies par la presse professionnelle<br />

douteuses. Pour une bonne moitié <strong>des</strong><br />

films distribués avant 1935, il est difficile<br />

de saisir qui est, non pas l'auteur, mais le<br />

véritable maître d'œuvre. Autour de quoi<br />

(de qui) s'est monté le film. En 1934, il n'y<br />

a plus de grosse structure de production<br />

qui mettrait sa marque sur une ligne de<br />

films.<br />

L'atout commercial de Si j'étais le patron<br />

est sans aucun doute Max Dearly.<br />

Comédien typé, populaire, familier <strong>des</strong><br />

rôles de bourgeois atrabilaire, de financier<br />

imprévisible (la même année dans le<br />

Dernier Milliardaire de René Clair, l'année<br />

suivante dans Un oiseau rare, de nouveau<br />

dirigé par Pottier). Le scénario est taillé à<br />

sa mesure par André Cerf, mais Cerf en<br />

est-il vraiment l'auteur ? En 1980, Si j'étais<br />

le patron avait été projeté à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

de Luxembourg, où il semblait acquis<br />

que le scénario original était arrivé<br />

d'Allemagne avec Pottier et que Cerf<br />

n'en avait été que l'adaptateur. Il faut remarquer<br />

qu'André Cerf, entré en cinéma<br />

dans le cercle de Renoir (assistant et acteur<br />

secondaire dans Nana ou Tire au<br />

flanc), puis adaptateur, dialoguiste ou assistant<br />

de L'Herbier notamment, et après<br />

la guerre réalisateur de quatre films, n'a<br />

jamais écrit de scénario original. De plus,<br />

le scénario de Si j'étais le patron est à rapprocher<br />

de celui de <strong>La</strong> crise est finie tourné<br />

la même année par Robert Siodmak : influencé<br />

par la comédie américaine, via<br />

Berlin.<br />

L'effet Prévert, enfin, un Prévert qui<br />

travaille le détail (le mot) mais n'a pas la<br />

maîtrise de la structure, apporte le ton<br />

sarcastique, l'acidité et la tendresse, qui<br />

naturalisent le produit. Les spectateurs<br />

de 1934 voyaient un film français plus<br />

libre et plus allègre que le tout venant de<br />

la production nationale. Mais comme<br />

dans la quasi-totalité <strong>des</strong> films français<br />

du temps, le rapport entre les scènes tournées<br />

en extérieur et celles enregistrées en<br />

studio est difficile. Un exemple : la lumière<br />

solaire sur les ouvriers qui cassent<br />

la croûte dans la cour de l'usine, saisis en<br />

plan d'ensemble, et le raccord douloureux<br />

avec les gros plans dialogués qui sui-<br />

vent, filmés en air raréfié.<br />

Si j'étais le patron n'est évidemment<br />

pas un film de lutte <strong>des</strong> classes. Les choses<br />

se passent et se résolvent de personne à<br />

personne. Le fabricant <strong>des</strong> automobiles<br />

Leroy est nul, ses administrateurs sont<br />

<strong>des</strong> crétins, les ouvriers sont bien braves.<br />

Face à la crise émergent un financier atypique<br />

et un ouvrier dont le génie mécanique<br />

(aux premiers ans du cinéma parlant,<br />

il invente un silencieux... Prévert :<br />

« On entendrait voler un talon de chèque<br />

») le place d'emblée au-<strong>des</strong>sus de la<br />

masse. L'alcool, la bière de l'un et le<br />

whisky de l'autre, l'improbable amitié,<br />

l'amour bien sûr (Mireille Balin est jolie),<br />

et un deus ex machina opportunément arrivé<br />

de Chicago, remettent la chaîne en<br />

mouvement. Elle reste une chaîne : l'ordre<br />

capitaliste et sa hiérarchie ne sont pas<br />

mis en cause. Prévert n'a pas encore pris<br />

ses marques (celles du groupe Octobre)<br />

au cinéma. Il y a un fossé entre les banderilles<br />

qu'il plante dans le dos de l'entreprise<br />

Leroy et, un an après, sa charge<br />

qui fait imploser l'imprimerie <strong>des</strong> Publications<br />

populaires (la maison Batala,<br />

dans le Crime de monsieur <strong>La</strong>nge) avant sa<br />

transformation en coopérative. Il est clair<br />

que pour Si j'étais le patron, Prévert n'a pu<br />

qu'épicer de sa verve un scénario qu'il ne<br />

contrôlait pas.<br />

Jean-Pierre Jeancolas<br />

1 Voir le Bulletin mensuel de la <strong>Ciné</strong>mathèque Municipale<br />

de Luxembourg, n° 1, septembre 1980, page 26.<br />

SI J'ÉTAIS LE PATRON - 99<br />

Fernand Gravey<br />

(au centre).


100-FRANCE<br />

ARLETTE ET SES PAPAS<br />

1934 - Henry Roussel!<br />

Réal. : Henry Roussell. Prod. : Pathé-Natan.<br />

Auteur : Georges Beer, Louis Verneuil, d'après leur<br />

pièce Avril. Se. : Henry Roussell. Dial. : Georges Beer,<br />

Louis Verneuil. Asst. : Edouard Lepage.<br />

Dir. ph. : Raymond Agnel, Lefebvre. Son : Robert<br />

Teisseire. Déc. : GuyrJeGastyne, Lucien Aguettand.<br />

Mus. : Marcel Pollet. Enregistrement sonore par<br />

procédé RCA. Photophone. Production réalisée dans<br />

les studios sonores Pathé-Natan àJoinville-le-Pont.<br />

Int. : Max Dearly (Alexandre Mérové), Jules Berry<br />

(Pierre de Pérignon), Renée Saint-Cyr (Ariette), Pierre<br />

Stéphen (Lecouturier), Christiane Delyne (Nadine de<br />

Montespan), Pierre Butin (Amédée Pépin), Suzanne<br />

Dantès (Gabrielle Mérové), Robert Clermont<br />

(François), Christian Argentin (le professeur), Lucien<br />

Pardiès, Adrienne Trinkel. Date de sortie : 13<br />

septembre 1934. Métrage, minutage copie Cf. : 2917<br />

m., 106 mn. Noir et blanc. Doc. : Pour Vous, n° 304.<br />

Remerciements à Jean-Pierre Flingou.<br />

Le 11 novembre 1918, c'est l'armistice.<br />

C'est aussi le jour où Ariette vient au monde.<br />

Son père, Alexandre Mérové, est un hurluberlu<br />

et sa mère, Gabrielle, a un amant, un<br />

aviateur qui croit à tort être le vrai géniteur<br />

de la petite. 1934 : Ariette est devenue une<br />

jeune fille délicieuse et insouciante. Mais Gabrielle,<br />

une nouvelle fois ruinée par son époux,<br />

appelle son vieil et riche amant, histoire de lui<br />

rappeler ses devoirs « paternels ». Il s'ensuit<br />

une série de quiproquos jusqu'à l'annonce du<br />

mariage d'Ariette et de Pierre ; celui-ci a imaginé<br />

cette situation pour faire de sa fille naturelle<br />

sa légataire universelle sans éveiller<br />

les soupçons de Mérové. Bien sûr, il devra divorcer<br />

très vite et la remarier a un autre en<br />

l'ayant doté. Mais Ariette ne veut plus rester<br />

vierge ; devant l'attitude fuyante de son mari<br />

quand vient le soir, ellepasse de l'étonnement<br />

à la colère et le voyage de noces sur la côte<br />

d'Azur est un fiasco. De retour à Paris, Pierre<br />

résiste de plus en plus mal au charme de sa<br />

jeune épouse et passe finalement une nuit avec<br />

elle. Au matin, véritable conseil de famille au<br />

pied du lit et chacun apprend quelque chose :<br />

Pierre qu'il n'est pas le papa d'Ariette (elle<br />

est bien la fille de son père), Mérové qu'il est<br />

trompé depuis vingt ans, Gabrielle que son<br />

mari justement a passéla nuit avec l'ancienne<br />

maîtresse de Pierre. Tout s'arrange, l'union<br />

n 'est pas incestueuse. Nouveau voyage de noces,<br />

réussi celui-là.<br />

DÉLICES DU BOULEVARD<br />

Vif, charmant, sensible, Ariette et ses<br />

papas transcende les clichés qu'annoncent<br />

titre et générique. Le scénario intègre<br />

subtilement les attributs du vaudeville<br />

(mari cocu, paternité aléatoire, quiproquos<br />

simples, doubles, inversés) à la progression<br />

allègre d'une comédie où l'expression<br />

juste <strong>des</strong> sentiments n'est jamais<br />

bridée par la mécanique du rire. Solennel<br />

mari trompé aux négoces calamiteux,<br />

Alexandre est aussi un compagnon joyeux<br />

et généreux, effleuré mais non écrasé par<br />

le ridicule. Séducteur effronté et impétueux,<br />

Pierre demeure un homme aux<br />

sentiments sincères qui s'empêtre dans sa<br />

propre loyauté.<br />

Auteur d'Avril, la pièce d'origine, le<br />

prolifique Louis Verneuil (associé ici à<br />

Georges Beer) en est déjà à sa quinzième<br />

adaptation cinématographique, depuis<br />

cinq ans que le cinéma parle. Attentif aux<br />

scandales de l'époque, le gendre de Feydeau<br />

n'oublie pas l'affaire Stavisky (1933-<br />

1934), et glisse quelques répliques de circonstance<br />

sur de douteux trafics. Signer<br />

une comédie « hors du temps » n'empêche<br />

pas de garder un œil ouvert sur la<br />

vie politique. <strong>La</strong> mise en scène, elle, relève<br />

le double défi de faire oublier le<br />

théâtre et de faire passer avec délicatesse<br />

une situation scabreuse. Le « théâtre<br />

filmé » vole en éclats dès la première séquence<br />

de l'accouchement. Fascination<br />

du couple Mérové pour la caricaturale<br />

clinique Royal-Palace (et ses chaises à<br />

porteurs), démêlés d'Alexandre avec la<br />

chute du mark en ce 11 novembre 1918,<br />

chassé-croisé auprès de l'accouchée d'un<br />

mari heureux mais ruiné et d'un amant<br />

revenu du front en quatrième vitesse<br />

pour accueillir un bébé qui n'est pas le<br />

sien : l'imbroglio se noue à un rythme trépidant<br />

dont la comédie hollywoodienne<br />

n'a pas le monopole. Mais pour une explication<br />

sérieuse de Pierre avec son ami<br />

d'enfance, la caméra s'installe en plan<br />

fixe pendant cent quarante secon<strong>des</strong>,<br />

avec d'infimes recadrages latéraux qui<br />

s'adaptent aux gestes <strong>des</strong> comédiens. Un<br />

joli gag visuel pour les deux nuits en<br />

wagon-lit ou une séance délurée d'ombres<br />

chinoises pour la vraie nuit de noces<br />

d'Ariette manifestent un tempo et une<br />

imagination proprement cinématographiques.<br />

C'est un peu inattendu de la part<br />

d'Henry Roussell. Cet ancien acteur de<br />

théâtre, puis du muet (le Friquet de Maurice<br />

Tourneur, 1913), passé à la réalisation<br />

en 1918, cometteur en scène avec Cari<br />

Froelich de la première production parlante<br />

franco-allemande, <strong>La</strong> nuit est à nous<br />

(1929), donne avec Ariette et ses papas son<br />

meilleur film.<br />

Max Dearly et Jules Berry, ces deux<br />

piliers du théâtre de boulevard, s'entendent<br />

comme larrons en foire, mais en<br />

contenant toute surenchère expressive.<br />

Leur performance mérite de faire référence<br />

plutôt que celle, plus connue, de<br />

l'Habit vert (1937). Renée Saint-Cyr est entrée<br />

en cinéma deux ans plus tôt. Son jeu,<br />

d'une exceptionnelle fraîcheur, est comparable<br />

à celui que Danielle Darrieux est<br />

en train d'imposer. Elle n'y sera pas fidèle<br />

longtemps.<br />

Trop méconnu, Ariette et ses papas mérite<br />

de figurer, pour sa verve et sa maîtrise,<br />

parmi les chefs-d'œuvre du « cinéma<br />

de boulevard ».<br />

Pierre Billard<br />

Renée Saint-Cyr, Jules Berry.<br />

LA SONNETTE D'ALARME<br />

1935 - Christian-Jaque<br />

Réal. : Christian-Jaque. Prod. : Sigma.<br />

Dir. de prod. : jean-Pierre Frogerais. Auteur : Maurice<br />

Hennequin, Romain Coolus, d'après leur pièce<br />

homonyme. Adapt. : Suzette Desty, Albert Depondt.<br />

Asst. réal. : François Carron. Dir. ph. : Georges<br />

Benoit, Louis Page. Son : Jacques Vacher. Déc. : Henri<br />

Ménessier, René Renoux. Mont. : André Versein.<br />

Mus. : John Ellsworth, Willy Stower. Lyrics de Max<br />

Blot (éditions musicales Vog). Enregistré aux studios<br />

Paramount, sur procédé Western Electric. Int. : Jean<br />

Murât (Bobby), Josette Day (Geneviève), Marguerite<br />

Pierry (Mlle Clémence), Pierre Stéphen (Gaston<br />

Lizolle), Le Gallo (Emile Lepinchois), Marcel Vidal<br />

(Chanteroy), Argentin (le professeur Bodart), Charles<br />

Lemontier (Ludovic), Nita Raya, Piérade (le<br />

vétérinaire), Christiane Delyne (Simone Bridac),<br />

Arnaudy (Paginot). Date de sortie : 7 juin 1935.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2081 m., 76 mn. Noir<br />

et blanc.<br />

Bobby, quadragénaire séduisant, est un<br />

affichiste de talent et un fêtard invétéré. Simone<br />

Bridac, mariée à un ministre, est sa maîtresse<br />

de jour depuis cinq ans. Un soir de bombe<br />

dans un cabaret de Montmartre, il est frappé<br />

d'une attaque de goutte. Rien degravemais<br />

pour obliger son amant à lever le pied, Simone<br />

convainc son médecin de diagnostiquer un<br />

état sérieux et de prescrire un radical changement<br />

de mode de vie. Elle télégraphie aussi<br />

à la famille de Bobby, une famille de province<br />

composée d'une excentrique et d'un jeune<br />

couple : Gaston, perdu dans l'étude d'une langue<br />

très rare, et Geneviève qui s'ennuie. Tous<br />

débarquent et s'installent bruyamment. Geneviève<br />

et Bobby sympathisent quand même,<br />

visitent le Louvre, se promènent dans Paris.<br />

Mais la jeune femme apprend par une indiscrétion<br />

la liaison entre Simone et son oncle.<br />

Dans le même temps, celui-ci essaye - en vain<br />

semble-t-il - d'ouvrir les yeux de Gaston sur<br />

l'état de son mariage. Finalement, tous se retrouvent<br />

dans la Lune, une boîte de nuit à la<br />

mode. Geneviève et Bobby qui se sont avoués<br />

leur amour sont sur le point de fuir ensemble<br />

quand Gaston débarque, enfin conscient du<br />

danger et fou amoureux de sa femme. Touché,<br />

Bobby s'éclipse et laisse le mari et la femme<br />

renouer <strong>des</strong> liens un peu distendus.<br />

SUPPLICES DU BOULEVARD<br />

Pour supporter le film de Christian-<br />

Jaque, il faut se persuader avant tout que<br />

le réalisateur faisait flèche de tout bois, en<br />

1935, et ciblait de poudreux vaudevilles.<br />

Il choisit ainsi la Sonnette d'alarme qui<br />

avait bercé dix ans auparavant les digestions<br />

<strong>des</strong> habitués du théâtre de l'Athénée<br />

et pouvait se contenter d'un léger<br />

coup de plumeau.<br />

Le film tourné en huit jours étale son<br />

intrigue sur trois mois et la concentre en<br />

trois décors. L'action se mord la queue<br />

puisque partie d'un dancing, elle aboutit<br />

à un autre en ne se privant pas d'assaisonner<br />

au gros sel la donnée initiale. Les<br />

bons mots pleuvent autant que les pataquès.<br />

Citons par exemple cet ordre intimé<br />

au domestique de service : « Parlez à la<br />

troisième personne ! » A quoi le larbin rétorque<br />

: « Mais on n'est que deux. » Fautil<br />

croire que la salle entière s'esclaffait ?<br />

Les charmes très discrets de la sage<br />

comédie de Maurice Hennequin et Romain<br />

Coolus étaient déjà éventés lors de<br />

leur mise en boîte. Il ne reste aujourd'hui<br />

que la carcasse vermoulue d'une petite<br />

aventure. Les adaptateurs pour la stimuler<br />

n'ont épargné ni les allusions égrillar<strong>des</strong>,<br />

ni les ombres chinoises supposées<br />

suggestives, ni les quiproquos antédiluviens.<br />

Ainsi se télescopent sans retenue<br />

aucune une provinciale de haut mérite<br />

qui lance son bonnet par <strong>des</strong>sus le Moulin-Rouge,<br />

un pique-assiette seul à s'amuser<br />

de sa fonction de tapeur, un pharma-<br />

101<br />

cien rimaillant à sa bien-aimée <strong>des</strong> vers<br />

de mirliton, un universitaire imbécile qui<br />

ne parle que le tagal, sans oublier le fameux<br />

valet de chambre prodigue en<br />

aphorismes.<br />

Christian-Jaque se fiche du tiers comme<br />

du quart. Il se borne à soigner ses enchaînements<br />

et passe en douceur <strong>des</strong><br />

grands boulevards parisiens aux mornes<br />

rues de Bidache-sur-Adour (ah vaudeville,<br />

quand tu nous tiens !). Il fignole un<br />

générique où les acteurs se présentent sérieux,<br />

puis hilares. Les spectateurs, eux,<br />

font l'inverse : d'abord allègres, ils deviennent<br />

moroses.<br />

<strong>La</strong> troupe n'est pas homogène. Les<br />

uns : Jean Murât, Josette Day, Christiane<br />

Delyne défendent la comédie de nos arrières<br />

grand-mères. Les autres, Marguerite<br />

Pierry, Arnaudy, Pierre Stéphen foncent<br />

dans le débridé et le strient : ils y perdent<br />

plus qu'ils n'y gagnent.<br />

Le titre du film est à lui seul un avertissement.<br />

Sonnette d'alarme = danger.<br />

<strong>La</strong> catastrophe était à redouter.<br />

Jean Murât.<br />

Raymond Chirat


102 - FRANCE<br />

L'ÉCOLE DES VIERGES<br />

1935-Pierre Weill<br />

Réal. : Pierre Weill. Prod. : Pelleyrius Bianco-Film.<br />

Auteur : Paul Murio, d'après sa comédie musicale.<br />

Dial. : Jacques de Bénac. Asst. réal. : R. Leboursier.<br />

Dir. ph. : Georges Million, Georges Goudard.<br />

Son : Jacques Hawadier. Déc. : J.R. Quignon.<br />

Cost. : Géo Ratton. Mus. : Raymond Wraskoff.<br />

Exécutée par l'orchestre Fred Adison. Réalisé au<br />

studio de la place Clichy. Int. : André Roanne (André),<br />

Dolly Davis (Nicole), René Ferté (René), Monique<br />

Rolland (Monique), Nino Costantini (Ernest), Wanda<br />

Warrel (Gisèle), Renée Dennsy, René Navarre,<br />

Yvonne Rozille, Pierre Juvenet, Rachel Devirys.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1995 m., 73 mn. Noir<br />

et blanc.<br />

Émoi au Pensionnat <strong>des</strong> fleurs. L'inspecteur<br />

d'Académie visite la classe <strong>des</strong> jeunes<br />

filles. Or, loin de savoir l'histoire de France,<br />

elles connaissent par cœur leur histoire du cinéma,<br />

chacune ayant dans son cahier la photo<br />

de son idole : Henri Garât, Maurice Chevalier,<br />

Greta Garbo, Janet Gaynor, Jean Harlow,<br />

Joan Crawford, etc. Heureusement, l'école est<br />

finie. Avec son amie Gisèle, Monique prend<br />

le train pour le Midi, direction la maison de<br />

son riche cousin André et de sa femme Nicole.<br />

Elle retrouve aussi le beau René, l'ami du ménage.<br />

Quant à leur voisin, c'est Ernest, farfelu<br />

timide et neveu de la directrice du pensionnat.<br />

Tout ce petit monde s'ébroue et se<br />

croise; Nicole soupçonne son mari d'avoir<br />

une aventure et jure de le tromper avec René,<br />

ravi de la tournure <strong>des</strong> événements. Gisèle a<br />

un faible pour Ernest qui en pince pour Monique,<br />

elle même éprise de René. Un jour,<br />

André s'absente pour affaires. Le soir même,<br />

son ami s'apprête à rejoindre la maîtresse de<br />

maison dans son lit et Ernest, complètement<br />

saoul, passe par la fenêtre de la chambre de<br />

Monique et lui déclare sa flamme en caleçon<br />

et haut-de-forme. Mais le mari rentre à l'improviste.<br />

Flairant l'adultère, il met la maison<br />

en révolution. Amants sur le balcon ou dans<br />

l'armoire, poursuites dans les couloirs. Le lendemain<br />

matin, André et Nicole sont à nouveau<br />

unis, Monique et René s'aiment et se le<br />

disent. Quant à Ernest, organisateur d'une<br />

revue chantée et dansée au profit de l'Association<br />

<strong>des</strong> célibataires involontaires, il se<br />

console en coulisses dans les bras de Gisèle.<br />

LA LIGNE DE DÉMARCATION<br />

Il n'est question d'école que le temps<br />

de partir en vacances, et de vierges, jamais<br />

: le titre n'est là que pour répondre<br />

à l'École <strong>des</strong> cocottes, réalisé la même année<br />

par Pierre Colombier. <strong>La</strong> revue d'un petit<br />

casino de plage, montée à la fin du film,<br />

définit bien le film tout entier : entreprise<br />

de circonstance, fauchée et à demi amateur.<br />

L'intrigue, médiocre, est sauvée,<br />

bien malgré elle par le niveau d'absurdité<br />

qu'elle parvient à atteindre. Dans cette<br />

morne plaine, deux petits pics : le tumulte<br />

d'une classe de lycéennes passionnées<br />

de cinéma, qui se partagent entre<br />

fans de Maurice Chevalier et fans d'Henri<br />

Garât, et une course poursuite à travers<br />

chambres et couloirs d'une villa, dans la<br />

tradition fondatrice du vaudeville.<br />

Œuvre négligeable sur le plan qualitatif,<br />

l'Ecole <strong>des</strong> vierges est néanmoins significatif<br />

d'une période qui voit d'une<br />

part la liquidation de l'héritage du muet<br />

et d'autre part, la prégnance et la montée<br />

du modèle américain. L'étrange et brève<br />

carrière du réalisateur le situe au carrefour<br />

de ces deux phénomènes. Né en<br />

1906, Pierre Weill s'occupe du titrage de<br />

films muets et crée la revue <strong>Ciné</strong>ma, s'essaye<br />

à la réalisation (deux films muets),<br />

puis, à l'avènement du parlant, part pour<br />

Hollywood travailler sur les versions<br />

françaises <strong>des</strong> films américains (1929-<br />

1931). De retour en France, il tourne cinq<br />

films parlants entre 1932 et 1936 avant de<br />

se consacrer à la publicité pour le compte<br />

de sociétés américaines. Il sera, après la<br />

guerre, le chef de la publicité <strong>des</strong> Artistes<br />

associés en France.<br />

<strong>La</strong> distribution de l'École <strong>des</strong> vierges,<br />

film en principe sur la jeunesse, témoigne<br />

d'une fidélité obsolète à l'époque du<br />

muet, révolue depuis cinq ans. Têtes d'affiche,<br />

André Roanne et Dolly Davis<br />

l'étaient déjà en 1921 (Roanne dans l'Atlantide<br />

de Feyder). Ils ont tourné plus de<br />

quarante films muets, dont huit ensemble.<br />

René Navarre fut l'un <strong>des</strong> comédiens<br />

préférés de Feuillade, René Ferté de<br />

Jean Epstein et Rachel Devirys (vingtcinq<br />

films muets) jouait dans le Vidocq en<br />

dix épiso<strong>des</strong> de Jean Kemm (1922)<br />

comme Dolly Davis et René Navarre...<br />

Pierre Weill, c'est certain, est resté bloqué<br />

sur la ligne de démarcation muet-parlant.<br />

A ceci près que sa cohabitation avec le cinéma<br />

américain lui a inoculé quelques<br />

virus hollywoodiens. Ainsi voit-on l'École<br />

<strong>des</strong> vierges balancer sans cesse entre<br />

la tradition franchouillarde du théâtre de<br />

boulevard et la tentation incongrue du<br />

burlesque (le personnage d'Ernest, sa<br />

gestuelle, ses lunettes à la Harold Lloyd)<br />

et de la comédie musicale. Celle-ci donne<br />

son ton au film dans sa partie initiale avec<br />

les scènes chantées <strong>des</strong> étudiantes amoureuses<br />

de ciné et dans sa partie finale (le<br />

spectacle monté au casino). <strong>La</strong> ringardise<br />

de l'exécution souligne l'absurdité de<br />

l'ambition. Reste ce bel exemple de télescopage<br />

radical entre le cinéma d'avanthier<br />

et le rêve d'un musical à la française.<br />

De gauche à droite<br />

et de haut en bas :<br />

Nino Costantini,<br />

René Ferté,<br />

Monique Rolland,<br />

Wanda Warrel.<br />

Pierre Billard<br />

COMTESSE HACHISCH<br />

Circa J 935<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1657 m., 61 mn. Noir<br />

et blanc.<br />

Le capitaine Mario, dit Droit devant, est<br />

un vieux loup de mer, bourlingueur de première,<br />

contrebandier professionnel. Il est très<br />

occupé à éviter les gar<strong>des</strong>-côtes et à mater la<br />

révolte d'un équipage cosmopolite. Mais c'est<br />

un péril bien plus grand qui l'attend dans le<br />

port de Nice : une femme, demi-mondaine, la<br />

comtesse Hachisch, flanquée de son acolyte,<br />

Drug. Tous deux projettent d'utiliser la goélette<br />

de Mario afin de transporter de la drogue.<br />

Pour convaincre le farouche capitaine, la comtesse<br />

déploie ses charmes vénéneux et au moment<br />

propice lui fait fumer une cigarette de<br />

marijuana aux effets stupéfiants. Intermède :<br />

petit aperçu « documentaire » sur les louches<br />

trafics dans les milieux mondains. Un marché<br />

est finalement conclu avec le fier Mario.<br />

<strong>La</strong> goélette repart vers la Grèce. Mais pendant<br />

la traversée, une embarcation s'approche :<br />

c'est la comtesse. Elle est en fuite, les autres<br />

coffrés par les douaniers. On (?) les a dénoncés.<br />

Un navire de guerre qui passait par Va<br />

coule le bateau et le corps de Mario finit à<br />

l'eau.<br />

« Hachisch : Ne pas<br />

confondre avec " hachis " qui<br />

se fait avec de la viande, et qui<br />

ne provoque aucune extase<br />

voluptueuse ».<br />

Gustave Flaubert,<br />

Dictionnaire <strong>des</strong> idées reçues.<br />

LE BATEAU IVRE<br />

De ce film on ne sait rien, et il n'a sans<br />

doute jamais été exploité, le titre même<br />

provenant de celui qui était indiqué sur<br />

les boîtes, corroboré par le dialogue, bien<br />

que sur un clap oublié au début d'un plan<br />

on puisse lire : Algéria. Il est possible de<br />

supposer qu'il est l'œuvre d'un Ed Wood<br />

français, avec la même sensation de bricolage<br />

désespéré dans la facture, et de<br />

sottise abyssale dans les contenus. Une<br />

mode récente, trace de cette déformation<br />

particulière à la cinéphilie, érige périodiquement<br />

d'absur<strong>des</strong> réévaluations en tonitruantes<br />

découvertes : Ed Wood est<br />

donc passé pour une sorte de cinéaste<br />

maudit. Il est sans doute heureux que la<br />

Comtesse Hachisch n'ait pas de réalisateur<br />

connu, pour ne pas élargir la notoriété de<br />

ce film au-delà du cercle étroit <strong>des</strong> cinémathécaires.<br />

En ce sens, ce film est en-deça de l'évaluation.<br />

Seul le chef opérateur, profitant<br />

d'extérieurs lumineux sur la Côte d'Azur,<br />

paraît savoir faire le point. L'histoire se<br />

résume en quelques lignes, et une désinvolture<br />

narrative qui ne doit rien au dandysme,<br />

confère aux signaux de l'action<br />

une allure de morse effondré, à laquelle<br />

la lenteur prédicative de la diction ajoute<br />

un effet tétanisant - la prédication s'adressant<br />

d'abord à l'acteur lui-même, qui paraît<br />

ainsi devoir se convaincre du sens<br />

pourtant très simple de ses répliques.<br />

Parfois même, une posture s'arrache à<br />

l'action, et devient absurdément le fanal<br />

pétrifié d'un jeu frappé de coma : l'Annamite,<br />

pendant la révolte de la goélette,<br />

tient une hachette à la main, mais reste<br />

immobile, comme si l'usage de cet appendice<br />

lui était inconnu. Suivant la comtesse,<br />

deux douaniers montent un escalier,<br />

puis marchent le long d'un mur plaqués,<br />

en s'aidant de leur main, comme s'il<br />

pouvaient ainsi dissimuler leur présence<br />

: ce comportement, qui est un cliché gestuel<br />

de pleine nuit, devient, filmé comme<br />

il l'est en pleine lumière, une irrésistible<br />

aberration. Le capitaine Mario, alias Droit<br />

103<br />

devant, tassé sur lui-même dans son ciré,<br />

massif fœtus imperméabilisé, prend en<br />

pleine figure une vague : c'est quelqu'un<br />

hors champ, dont l'ombre se projette<br />

dans le plan, et qui lance un seau d'eau<br />

alors que la mer est absolument plate.<br />

Depuis Flaubert, on sait qu'à un certain<br />

degré la bêtise devient fascinante. Ici,<br />

la constance de ce registre qui outrepasse<br />

le prévisible, donne aux objets une espèce<br />

de grandeur sobre, d'impassibilité supérieure,<br />

de netteté d'action inconnue ailleurs<br />

: la Peugeot entrant dans un plan<br />

avec son brillant d'épure métallique,<br />

alors que, quand le commandant Mario<br />

réfléchit, il est la proie d'un effort démesuré,<br />

d'une constipation mentale sans résolution<br />

possible où s'enfonce un authentique<br />

désespoir que la moindre pensée<br />

soit à ce point inaccessible.<br />

L'honnêteté oblige à dire qu'une intention<br />

apparaît dans le film, d'avertir sur<br />

les dangers du hachisch, dont l'usage habituel<br />

conduirait à la folie, comme essayent<br />

de le montrer ces <strong>images</strong> de délire,<br />

après la fumette de Mario. Je crains cependant<br />

que cette intention n'ait pas été<br />

confrontée avec l'usage simple de ce stupéfiant<br />

: la lenteur de certains plans interminables,<br />

comme celui de la goélette<br />

sortant du port, font plutôt penser à une<br />

ingestion d'opium. Parfois, le film figure<br />

une sorte de pittoresque décomposé,<br />

l'homme maniéré que le capitaine envoie<br />

promener, le chapeau de paille de la comtesse,<br />

ou le Noir, le Nord-Africain et l'Annamite<br />

montrés avec un primitivisme<br />

folklorique gênant. Dans ce naufrage, ce<br />

sont les seules vélléités stylistiques détectables.<br />

Accomplies, elles assureraient<br />

le classement du film dans une triste tradition<br />

française. L'intérêt paradoxal<br />

vient ici du ratage de ce qui ne mériterait<br />

pas d'être réussi : dans cet écart, surgit<br />

parfois un comique puissant, au-delà de<br />

tous les critères en usage.<br />

Philippe Arnaud


UNE PARTIE DE CAMPAGNE.<br />

1936-Jean Renoir<br />

UNE PARTIE DE CAMPAGNE<br />

ESSAIS ACTEURS<br />

1936-1994-Jean Renoir<br />

Réal. : ]ean Renoir. Mont. : Claudine Kaufmann.<br />

Mus. : loseph Kosma.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 413 m., 15 mn. Noir et<br />

blanc.<br />

Essais d'acteurs en prévision du tournage<br />

du film Une partie de campagne. Le 25 juin<br />

1936, passent devant la caméra : Georges<br />

Darnoux, Sylvia Bataille, les deux ensemble,<br />

puis elle seule, Jane Marken, André Gabriello,<br />

Paul Temps, Sylvia Bataille encore et encore,<br />

Jean Renoir, Bataille et Darnoux, Sylvia Bataille<br />

toujours, Darnoux enfin. Les Essais<br />

continuent et s'achèvent par un montage <strong>des</strong><br />

différentes prises (datées du 17 juillet 1936)<br />

de la scène du baiser dans Une partie de<br />

campagne.<br />

UN TOURNAGE À LA CAMPAGNE<br />

(27 juin 1936-15 août 1936)<br />

1936-1994-Jean Renoir<br />

Réal. : Jean Renoir. Mont. : Alain Fleischer.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2435 m., 89 mn. Noir<br />

et blanc.<br />

À la demande de Pierre Braunberger, le<br />

producteur du film, Marguerite Houllé a<br />

monté Une partie de campagne, tourné en<br />

1936 et sorti le 8 mai 1946. Un tournage à<br />

la campagne est un choix effectué dans le<br />

matériel tourné mais non utilisé pour le film<br />

(chutes, doubles, prises inédites).<br />

RENOIR, TOUT SIMPLEMENT<br />

Très logiquement, comme tout cinéaste,<br />

Renoir dans les Essais fait tourner<br />

les acteurs, de gauche à droite puis de<br />

droite à gauche : cette séance d'anthropométrie<br />

sert à révéler les meilleurs<br />

angles du visage de l'acteur et sa manière<br />

de recevoir, de capter la lumière. Pourtant,<br />

il les remet aussi au contact du<br />

monde, les y immerge, les y fait réagir, et<br />

cherche à intégrer la lumière naturelle à<br />

celle du film. Le visage de Sylvia Bataille<br />

en particulier est traité sur fond plutôt<br />

sombre, pour qu'il réfléchisse mieux la<br />

lumière, devienne source lumineuse. Renoir<br />

laisse de l'air autour de ses acteurs,<br />

et les contre-plongées, position de caméra<br />

qu'il affectionne chaque fois qu'il<br />

veut transcender, idéaliser ses personnages<br />

ou manifester leur aspiration à la<br />

sublimation, accentuent cet effet. Ce qu'il<br />

cherche à filmer, c'est non la personne en<br />

mouvement, le comédien, mais ce qu'il y<br />

a derrière, devant, en lui et hors de lui. Il<br />

vise à saisir la vie de la vie. Et c'est visible<br />

dans ces essais, qui apparemment ne sont<br />

que <strong>des</strong> essais de contrôle.<br />

Avec Un tournage à la campagne, se vérifie<br />

que le film achevé commence à l'arrivée<br />

à la campagne, et non par le voyage<br />

depuis Paris, début de la nouvelle de<br />

Maupassant. Des plans tournés qui respectaient<br />

la nouvelle de l'écrivain sont<br />

ainsi abandonnés, certains un peu plats,<br />

la charrette, l'homme sur le vélocipède,<br />

les enfants avec les animaux sauvages.<br />

Décision de Renoir, alors aux Etats-Unis,<br />

ou de la monteuse ? Cet abandon donne<br />

judicieusement, dès le début actuel du<br />

film, l'allure d'un théâtre ambulant. <strong>La</strong><br />

charrette déverse ses comédiens ringards<br />

sur une autre scène, dans un décor qui<br />

n'est pas le leur, où l'on peut improviser<br />

librement. Le génie de Renoir est de<br />

construire <strong>des</strong> plans où les lignes ne sont<br />

jamais frontales - tout un jeu d'obliques<br />

qui ne figent jamais, serpentines ou sinusoïdales<br />

- et de faire que jamais un cadre<br />

ne soit fini, qu'il conserve une part d'in-<br />

105<br />

achevé, une capacité de surgissement,<br />

d'entrées et de sorties par la caméra, le<br />

fond, la droite, la gauche. Tout fait surprise,<br />

même un goulot de bouteille qui<br />

surgit au premier plan, à l'occasion d'un<br />

contrechamp. Le cadre sert non pas à piéger<br />

le monde mais à le capturer en flagrant<br />

délit de surprise. C'est le « comme<br />

si » de Renoir, comme si la caméra n'était<br />

pas là, comme si il n'y avait pas de travail,<br />

en quoi consiste précisément tout<br />

son travail. Les acteurs y trouvent leur liberté,<br />

à travers le filmage d'une espèce de<br />

vibration ou, pour utiliser une expression<br />

de Renoir, d'« air du temps », sensation<br />

qu'il est le seul cinéaste à procurer. Attentif<br />

dans la direction d'acteurs, il ne<br />

laisse pas passer une seule faute, mais ce<br />

qui lui importe, c'est d'obtenir ce ton faux<br />

d'artifice théâtral qui, mêlé à un dialogue<br />

direct, sonne comme la vérité. S'il est vrai<br />

qu'on ne filme qu'une idée et plus généralement<br />

la pensée, Renoir fonde son cinéma<br />

sur la formule skakespearienne.<br />

Nous sommes dans le monde comme s'il<br />

était une scène, en train d'y jouer un rôle<br />

qui est quelquefois, mais rarement, notre<br />

rôle. Improvisation apparente, spontanéité<br />

apparente, vérité apparente : telle<br />

est la vie, où toute vérité est vraie à un<br />

instant, et mensonge à l'autre ; elle est<br />

comme l'eau qui court ou la pluie qui<br />

tombe.<br />

Le personnage d'Henriette détient<br />

une vérité de l'être, que les autres n'ont<br />

plus. A la différence de la nouvelle de<br />

Maupassant, tous les autres personnages<br />

sont plus ou moins dans l'« avoir », elle<br />

est simplement dans l'« être », elle aura<br />

la révélation de la plénitude de l'être.<br />

Mais c'est ce qui la perdra, car elle est la<br />

plus innocente, et ne pouvant jamais<br />

« avoir », elle sera totalement « eue ».<br />

D'où une invention permanente pour<br />

donner un sentiment de faux laisser-aller.<br />

Pour être parti de Feydeau, de Flaubert,<br />

puis de Maupassant, Renoir est très intéressé<br />

alors à travailler la bêtise, les idées<br />

reçues, le sottisier. Le personnage d'Anatole,<br />

et le couple qu'il forme avec M. Du-


106 - FRANCE<br />

four, inspiré de <strong>La</strong>urel et Hardy, est caricatural,<br />

car il est à l'opposé d'Henriette :<br />

c'est l'absolue insensibilité contre la pure<br />

sensibilité. <strong>La</strong> grossièreté, le manque<br />

d'imagination est ce qui attend Henriette<br />

: la vie terne, petite-bourgeoise du<br />

XIX e siècle, pour cette jeune femme qui,<br />

« bien habillée est une princesse ». Cette<br />

princesse va être cantonnée, remise, réduite<br />

à la boutique.<br />

Chez Renoir, les gradations entre le<br />

jeu <strong>des</strong> comédiens est capital. Il y a le jeu<br />

profond, et le jeu accentué, extériorisé,<br />

extrait de l'acteur. C'est particulièrement<br />

perceptible entre Brunius (Rodolphe) et<br />

Darnoux (Henri). Brunius, en tant que<br />

pur jouisseur, est lui aussi caricatural,<br />

mais en fait plus vrai que son compagnon.<br />

Lui au moins ne ment pas sur son<br />

désir. Il est plus sincère et plus honnête<br />

que le personnage d'Henri qui, à la fin du<br />

film, avec ses cheveux gominés, ses yeux<br />

de « merlan frit » ne sait que regretter. Renoir<br />

est sur lui d'une terrible méchanceté.<br />

Ce personnage comprend qu'il vaut<br />

mieux ne pas comprendre et se réfugier<br />

dans un sentimentalisme facile, béat et<br />

petit-bourgeois. Les canotiers impressionnistes<br />

seront donc regardés sous<br />

l'angle sociologique, car Renoir à l'époque<br />

est très attentif aux rapports <strong>des</strong><br />

classes sociales. Ces gens d'une relative<br />

aisance vont - voyez comme ils détestent<br />

le débarquement <strong>des</strong> parisiens - jusqu'à<br />

s'approprier le monde, les arbres, les animaux,<br />

le ciel, sans y prêter la moindre attention<br />

(ce qui n'est pas chez Maupassant).<br />

Chez Renoir, le rapport à la nature qui<br />

semble si important dans ce film, renvoie<br />

toujours — il l'a de multiples fois dit, redit<br />

et écrit - à la notion de culture. Il s'agit ici<br />

de la culture impressionniste, c'est-à-dire<br />

de la société bourgeoise au début de la IIP<br />

République qui veut profiter de son acquis<br />

et de son aisance (les canotiers). Mais<br />

elle demeure attachée à ses valeurs de<br />

base : le travail, la famille, l'épargne, la<br />

privation (les Dufour). <strong>La</strong> nature devient<br />

le lieu de l'aspiration à l'idée du bonheur.<br />

<strong>La</strong> morale bourgeoise n'y résiste pas, corset<br />

que l'on désire délacer.<br />

Car dans son souci de réalisme, Renoir<br />

refuse la hiérarchie que le christianisme,<br />

et même auparavant Aristote ou<br />

la virtu romaine, ont fixé. Ce classement<br />

exige que domine le sentiment, que se<br />

manifeste à un degré moindre la sensibilité,<br />

que soit contrôlée l'émotion et surtout<br />

ravalée au plus bas la sensation afin<br />

d'occulter la sexualité. Renoir, à l'inverse,<br />

revient à la conception matérialiste<br />

grecque, au précepte épicurien : base,<br />

chez lui, de toute affectivité, le sexe. Il<br />

donne existence, épanouit l'être, lui procure<br />

sa plénitude.<br />

D'où la scène magnifique dans Une<br />

partie de campagne quand Henriette<br />

s'abandonne après avoir résisté à son<br />

amant et se découvre (le regard et l'oiseau)<br />

en symbiose avec l'univers : dans<br />

une communion cosmique. Pendant un<br />

instant nous ressentons que passe et déferle<br />

en elle la gamme entière de l'affectivité.<br />

Jamais dans toute l'histoire du cinéma,<br />

l'amour, le phénomène physique<br />

de l'amour et son idéalisation sentimentalisante,<br />

n'a été filmé avec autant de<br />

force, de simplicité, d'évidence. L'être est<br />

remué. Et l'on est bouleversé. Car la<br />

contradiction entre vie et existence se manifeste<br />

entièrement ici. C'est un grand<br />

mouvement rythmique, respiratoire, entre<br />

ordre et désordre. L'ordre, l'univers<br />

existant, empêche de vivre ; le désordre<br />

dyonisiaque est la pulsion profonde qui<br />

pousse irrésistiblement à vivre.<br />

Le drame d'Henriette est d'être trop<br />

spectatrice, trop obéissante à l'ordre du<br />

monde, et de ne pouvoir y devenir actrice.<br />

En ce sens, Une partie de campagne<br />

est un grand film sur le spectateur, qui<br />

cherche à éprouver intensément, violemment,<br />

<strong>des</strong> émotions fortes qui l'entraînent<br />

à subir plus qu'à agir. <strong>La</strong> scène<br />

d'amour reprend l'oiseau à The Wedding<br />

March (la Symphonie nuptiale), jusqu'à la<br />

position d'Henriette qui retrouve celle de<br />

ZaSu Pitts. Mais là où Stroheim a pour<br />

matière l'idéalisation et la désillusion de<br />

l'amour, chez Renoir le rapport sexuel et<br />

amoureux est obligé de passer par la<br />

contemplation du monde. Cette idée est<br />

déjà chez Maupassant, qui met pourtant<br />

l'accent sur le chant de l'oiseau, alors que<br />

pour Renoir c'est la vision. Dans les Essais<br />

(bien que ces plans proviennent <strong>des</strong><br />

rushes), ce qu'il veut obtenir avec ces gros<br />

plans de baisers est très visible. Ils pourraient<br />

être à la limite de l'obscène et sont<br />

pourtant magnifiques. Il cherche comment<br />

cadrer, très serré pour que crâne et<br />

menton disparaissent hors cadre. L'essentiel<br />

- il y a une dizaine d'essais de<br />

grosseurs différentes - est d'attraper l'œil<br />

d'Henriette, dans le coin en haut et à<br />

gauche de l'écran, pour mieux donner le<br />

sentiment de perdition et d'intensité<br />

grave. Ce qui est important est que la caméra<br />

voit l'œil qui regarde vers l'extérieur,<br />

alors que tout est ressenti de l'intérieur.<br />

Un plan pour Renoir, à la différence<br />

de tous les autres cinéastes, n'est pas un<br />

lieu de passage obligatoire, aboutissement<br />

de ce qui a eu lieu et qui, au sens<br />

narratif, permet de continuer. C'est le<br />

moment qui importe. Le temps n'est plus<br />

tout à fait de l'espace, c'est l'air de ce moment,l'«<br />

airdutemps ». Un plan n'est pas<br />

non plus image : de ce point de vue, Renoir<br />

revient involontairement à l'origine<br />

du cinéma, avec le cadre-tableau. L'élément<br />

capital de sa mise en scène, c'est la<br />

fenêtre, et en son absence, c'est par<br />

exemple le paysage qui est pris dans un<br />

cadre-tableau, mais pas dans un sens pictural.<br />

Renoir revient à la « vue » de Lumière,<br />

qui n'a pas besoin d'avant et<br />

d'après, qui vit toute seule. L'enchaînement<br />

<strong>des</strong> prises dans Un tournage à la campagne<br />

le fait apparaître : les plans se succèdent<br />

et la narration se fait, mais chaque<br />

plan a sa vie propre. Par exemple ce plan<br />

d'arrivée de la charrette de foin, qui n'est<br />

plus dans le film terminé car il était sans<br />

utilité narrative, était un moment pour<br />

faire sentir l'été, la fenaison, le travail ;<br />

comme les curés qui passent, ou les enfants<br />

qui regardent par <strong>des</strong>sus le mur.<br />

En ce sens Renoir est le cinéaste le plus<br />

Lumière de cette époque. C'est pourquoi<br />

sans doute, dans le film d'Éric Rohmer<br />

avec <strong>La</strong>nglois sur Lumière, Renoir n'a<br />

rien à dire : c'est au fond trop proche de<br />

lui. <strong>La</strong> notion de plan appartient à Fritz<br />

<strong>La</strong>ng ; Renoir se contente de la vue. Une<br />

vue construite, d'où tout peut surgir, et<br />

qu'il est le seul à avoir travaillé de cette<br />

manière. Quelques films plus académiques<br />

comme Madame Bovary ou les Basfonds<br />

jouent plus le cadre fixe, donc le<br />

plan, et Renoir s'y révèle moins à l'aise.<br />

Chez lui, il faut que ça bascule tout le<br />

temps, comme on bouscule les filles,<br />

comme dans les plans de balançoires.<br />

<strong>La</strong> beauté chez Renoir est le contraire<br />

de celle d'Hollywood. C'est l'ordinaire,<br />

au sein duquel se découvre la véritable<br />

beauté : Sylvia Bataille a <strong>des</strong> traits qui<br />

pourraient être quelconque, mais un je ne<br />

sais quoi anime le tout, sourire qui brille,<br />

sourire dans le regard, lèvre qui se relève<br />

légèrement, manifestant la sensibilité où<br />

la comédienne est comme une pellicule.<br />

Beaucoup de cinéastes, à commencer par<br />

Bresson, ont voulu filmer de l'âme. Renoir<br />

ne la filme pas, il filme de l'être. Il<br />

prend ses acteurs au plus plat, et aucune<br />

femme n'est une très belle femme. Gabin<br />

lui-même est pris pour son côté ordinaire,<br />

sa grandeur vient de l'intérieur. Son<br />

choix d'acteurs a pour critère la capacité<br />

à manifester la vie. Il extrait d'eux une espèce<br />

de théâtre personnel comme, chez<br />

Sylvia Bataille, son ingénuité séduisante,<br />

apte à attirer les hommes, parfaitement<br />

troublante et violemment érotique. L'érotisme<br />

subtil, d'une perversité savante,<br />

d'Une partie de campagne vient de ce travail<br />

sur la fausse ingénue qu'est Sylvia<br />

Bataille, par rapport à la vraie innocente<br />

qu'est Henriette. Mais celle-ci est responsable<br />

de la sensualité qu'elle émet<br />

sans le savoir. C'est pourquoi la scène<br />

érotique a une telle intensité : Renoir est<br />

un tactile. Tout chez lui passe par la sensualité,<br />

l'épiderme, l'étoffe, un mouvement<br />

de cou, un relevé de tête. Tous les<br />

êtres sont d'abord préhensibles. Les personnages<br />

de boutiquiers ne sont pas trai-<br />

tés comme l'aurait fait un René Clair, ridicules<br />

d'emblée, avaricieux, mesquins,<br />

etc.. Mais Renoir fait du père et de la<br />

mère, pourtant étriqués, <strong>des</strong> personnages<br />

qui eux aussi aspirent à la jouissance, qui<br />

ne respectent les règles sociales que pour<br />

la convention, pour qui la morale est celle<br />

du plaisir. M. et Mme Dufour ne manquent<br />

pas de beauté et après Henriette,<br />

ils sont les personnages sympathiques,<br />

UNE PARTIE DE CAMPAGNE - 107<br />

bien avant Rodolphe et Henri. Ridicule et<br />

odieux, incapable de vivre et même<br />

d'exister, Anatole ne mérite qu'un rire<br />

vengeur. Reste la pauvre grand-mère,<br />

personnage exclu du jeu et de la scène.<br />

Renoir oblige ses personnages à vivre, à<br />

exister par rapport aux conventions sociales,<br />

donc en dehors <strong>des</strong> conventions<br />

dramaturgiques.<br />

Jean Douchet<br />

Un tournage<br />

à la campagne,<br />

Jean Renoir,<br />

Alain Renon.


108-FRANCE<br />

RAMUNTCHO<br />

1938 - René Barbéris<br />

Réal. : René Barbéris. Prod. : Réalisations d'art<br />

cinématographique (RAC). Dir. de prod. : Pierre<br />

Chichério, Raymond Blondy. Auteur : Pierre Loti,<br />

d'après son roman homonyme. Adapt. : Emile Allard,<br />

René Barbéris. Asst. réal. : Chahine. Dir. ph. : Nicolas<br />

Toporkoff. Seconds opérateurs : Daniel Chacun,<br />

Alekan. Ai<strong>des</strong> opérateurs : Pierre Montazel, Martin.<br />

Son : Michel Picot. Déc. : Eugène Lourié.<br />

Asst. déc. : Natek. Cost. : Josette <strong>La</strong>urier.<br />

Mont. : HenriTaverna. Asst. mont. : Kavel.<br />

Mus. : Marceau Van-Hoorebèke (éditions Lucien<br />

Viard). Chants interprétés par Euskadi'Ko Abesbatza.<br />

Chœur Basque d'Eresoinka. Régie générale : P.<br />

Blondy. Régie de plateau : Alex <strong>La</strong>urier.<br />

Régie d'extérieurs : Fontenelle. Script : Paule Boutaut.<br />

Accessoiriste : Léo Frémédy. Tirage CM. Film.<br />

Intérieurs tournés aux Studios de la Seine.<br />

Enregistrement sonore. Système SIS. Procédés<br />

Charollais-Picot. Int. : Françoise Rosay (Dolores<br />

Detcharry), Madeleine Ozeray (Gracieuse), Louis<br />

Jouvet (Itchoua), Line Noro (Franchita), RenéGénin (le<br />

curé), Odile Rameau (Pantchika), Jean Brochard<br />

(Boulinguet), Paul Cambo (Ramuntcho Etchezar),<br />

Raymone, Gabrielle Fontan (Pilar), Blanche Denège,<br />

Suzanne Nivette, Jean Heuzé, Poussard, Tony Murcie<br />

(Marcos), Georges Saillard, Nino Costantini (le<br />

brigadier), jear? Témerson (Salaberry), jacques Erwin<br />

(Arrotchkoa), Allamon (Florentino). Date de sortie : 2<br />

mars 1938. Métrage, minutage copie Cf. : 2506 m.,<br />

92 mn. Noir et blanc.<br />

Après une longue absence, Franchita revient<br />

au Pays basque avec un enfant naturel :<br />

Ramuntcho. Les années passent, le petit garçon<br />

est devenu un beau jeune homme. Champion<br />

à la pelote le jour, contrebandier la nuit<br />

sous les ordres du fier Itchoua, il aime Gracieuse<br />

qui le lui rend bien. Mais Dolores, la<br />

mère de la jeune fille, refuse catégoriquement<br />

de la marier à ce « bâtard » et voit davantage<br />

le chef <strong>des</strong> douaniers dans le rôle du gendre.<br />

Celui-ci, repoussé par Gracieuse, comprend<br />

que Ramuntcho est un gêneur. Un soir, il organise<br />

une opération d'envergure contre les<br />

contrebandiers, tire sur son rival et manque<br />

de le tuer. Le lendemain, la tension n'est pas<br />

retombée ; sur les conseils d'Itchoua, le jeune<br />

homme devance l'appel pour échapper à la justice<br />

et part en Indochine. Une fois seule, face<br />

à sa mère qui l'a promise au brigadier, il ne<br />

reste à Gracieuse que le couvent pour ne pas<br />

faillir à son serment de fidélité. De Saigon, le<br />

caporal Ramuntcho écrit <strong>des</strong> lettres et <strong>des</strong><br />

lettres, mais toutes sont bloquées par les religieuses<br />

sur ordre de Dolores. Après <strong>des</strong> mois<br />

de fièvre, Ramuntcho revient pour trouver sa<br />

mère mourante et délirante. Itchoua l'informe<br />

que son ennemi a été muté et que son amour<br />

a pris le voile. Qu'importe, il veut la revoir,<br />

serait-ce la dernière fois. Au couvent, tout<br />

semble perdu ; Gracieuse est devenue sœur<br />

Marie-Angélique. Mais après la rencontre,<br />

elle s'évanouit. Alors, la Mère supérieure, devant<br />

tant de souffrance, la délie de ses voeux<br />

et la rend au monde et à Ramuntcho.<br />

MARÉCHAL, NOUS VOILÀ !<br />

Nous sommes bien au Pays basque,<br />

bérets et espadrilles garantis, mais à revoir<br />

aujourd'hui Ramuntcho on se demande<br />

si le film date de 1938 ou de 1942.<br />

Avec quatre ans d'avance, toute la province<br />

maréchaliste s'anime déjà. René<br />

Barbéris a multiplié les clichés folkloriques,<br />

les a photographiés amoureusement,<br />

les a échantillonnés de la chistera<br />

à la contrebande, enrobant l'une comme<br />

l'autre de chœurs et de danses. Sans oublier<br />

monsieur le Curé qui va se multi-<br />

plier sur les écrans de l'Occupation, ruisselant<br />

de bonhomie et distribuant finement<br />

ses bénédictions. René Génin, acteur<br />

de composition rompu à toutes les<br />

gymnastiques, revêt avec la soutane les<br />

conventions de son rôle, y compris celle<br />

d'amateur de pelote (basque).<br />

Hormis la fin heureuse, plaquée à la<br />

va-vite sur les dernières <strong>images</strong>, le récit ne<br />

ménage guère de surprises. Le roman de<br />

Loti ne compte pas parmi ses meilleurs.<br />

L'intrigue fluette chemine à la faveur <strong>des</strong><br />

contre-jours, <strong>des</strong> couchers de soleil, <strong>des</strong><br />

rayons de lune. Elle s'astreint à la politique<br />

<strong>des</strong> compensations. Le chef <strong>des</strong> douaniers<br />

est antipathique mais son adjoint est un<br />

gabelou bon enfant. <strong>La</strong> mère de Gracieuse<br />

est une teigne, celle de Ramuntcho un<br />

ange. Les gars du pays - tous contrebandiers<br />

- étalent leur solidarité, leur camaraderie,<br />

leur attachement au terroir et si<br />

l'on chante beaucoup, on pleure aussi.<br />

Mais ce ne sont pas encore ces larmes de<br />

contrition qui couleront abondamment au<br />

temps du Maréchal, seulement <strong>des</strong> sanglots<br />

de désespoir que provoquent la consomption<br />

et l'effroi de la mort.<br />

Un <strong>des</strong> personnages réfléchissant aux<br />

embûches qui accablent les amoureux<br />

décrète que « si la contrebande est une<br />

chose, le couvent en est une autre ». Forte<br />

parole. C'est pourtant la Mère supérieure<br />

si melliflue dans ses propos qui libérera<br />

Gracieuse. Le livre et la pièce de théâtre<br />

offraient une conclusion plus cruelle<br />

mais fidèle à la mélancolie de l'écrivain.<br />

Cette Gracieuse qui devient sœur<br />

Marie-Angélique est, en dépit de son obstination,<br />

le parangon de toutes les vertus.<br />

Madeleine Ozeray est supportable dans<br />

ce personnage diaphane, ce qui est méritoire.<br />

Paul Cambo, béret conquérant, sourire<br />

éclatant, affiche la beauté de la race.<br />

Françoise Rosay parle plus que pointu.<br />

Line Noro a le mouchoir pathétique et<br />

Jouvet émet discrètement quelques lieux<br />

communs et s'amuse in petto à <strong>des</strong>siner à<br />

gros traits un contrebandier retors dans<br />

un décor d'opéra-comique.<br />

Raymond Chirat<br />

LETTRES D'AMOUR<br />

1942-Claude Autant-<strong>La</strong>ra<br />

Réal. : Claude Autant-<strong>La</strong>ra. Prod. : Synops (Roland<br />

Tuai). Dir. de prod. : Dominique Drouin.<br />

Auteur : Henry Aurenche, d'après sa nouvelle.<br />

Adapt. : Maurice Blondeau. Se. : Jean Aurenche.<br />

Dial. : Jean Aurenche. Asst. réal. : Ghislaine Auboin,<br />

Frédéric Liotier. Dir. ph. : Philippe Agostini.<br />

Son : René Louge. Déc. : Robert Dumesnil, d'après<br />

<strong>des</strong> maquettes de Jacques Krauss. Cost. : Christian<br />

Dior. Mont. : Yvonne Martin. Mus. : Maurice Yvain.<br />

Photographies : Rémy Duval. Tourné aux studios<br />

Radio-<strong>Ciné</strong>ma. Enregistrement sonore Radio-<strong>Ciné</strong>ma<br />

(système Cottet). Licence Tobis-Klangfilm.<br />

Int. : Odette Joyeux (Zélie Fontaine), François Périer<br />

(François du Portai), julien Carette (Loriquet, le maître<br />

à danser), André Alerme (le marquis de Longevialle),<br />

Jean Debucourt-Sociétaire de la Comédie-Française<br />

(Napoléon III), Jean Parédès (Désiré Ledru), Robert<br />

Vattier (Maître Bourbousson), Louis Salou (M. de<br />

Mortemort), Jacqueline Champi (Marinette), Ariane<br />

Muratore (Charlotte), Huguette Donga, Gilles Quéant<br />

(le fou de la danse), Yves Deniaud (le maire), Georges<br />

Pally (Daronne), lean-Pierre Kérien (le postillon),<br />

Martial Rèbe (le président), Robert Arnoux (M. de la<br />

Jacquerie), Simone Renant (Hortense de la Jacquerie),<br />

Germaine Stainval, Henri de Livry, Henri Farty,<br />

Eugène Yvernès, Géo Forster. Date de sortie : 23<br />

décembre 1942. Métrage, minutage copie Cf. : 2506<br />

m., 92 mn. Noir et blanc.<br />

1855. Napoléon III est de passage dans la<br />

petite ville d'Argenson, déchirée par une lutte<br />

intestine entre la Société (les aristos) et la<br />

Boutique. Zélie Fontaine, jolie veuve et maîtresse<br />

<strong>des</strong> postes impériales, use de son charmant<br />

minois pour que l'empereur fasse nommer<br />

l'avocat Ledru au poste de substitut de la<br />

région. C'est que le marquis de Longevialle<br />

intente un procès à la vertu de la veuve. En<br />

effet, Zélie a accepté de recevoir à son nom, et<br />

jusque-là en secret, les jolies lettres d'amour<br />

que « le Hérisson », en fait François du Portai,<br />

employé au ministère de la justice, envoie<br />

depuis un an à Hortense, la femme du préfet<br />

d'Argenson et membre de la Société. Or, c'est<br />

François qui obtient le poste de substitut et<br />

débarque au grand émoi de sa dame de cœur<br />

qui rompt sur le champ par peur du scandale.<br />

François, appartenant pourtant à la Société,<br />

prend fait et cause pour Zélie au cours du procès.<br />

Ils sympathisent et lui se dit en secret que<br />

les lettres étaient finalement bien adressées.<br />

Un bal se prépare et le marquis engage un<br />

maître à danser pour qu'il apprenne à la seule<br />

Société le « quadrille <strong>des</strong> lanciers ». <strong>La</strong> Boutique<br />

fera tapisserie et ce sera bienfait ! Zélie,<br />

découvrant l'affaire, oblige l'infortuné professeur<br />

à enseigner toute une nuit les bons pas<br />

à ses amis et le soir du bal, c'est la Société qui<br />

est bien marrie. Mais Zélie apprend aussi, par<br />

une indiscrétion perfide d'Hortense, que<br />

François est le Hérisson. Furieuse d'abord,<br />

elle le sauve ensuite d'un dernier piège du<br />

marquis et, enfin, danse avec lui.<br />

LA GUÉGUERRE DES MONDES<br />

Situé entre le Mariage de Chiffon et<br />

Douce, Lettres d'amour se rattache au<br />

même style désuet et précieux mis à la<br />

mode sous l'Occupation par Autant-<br />

<strong>La</strong>ra. Pas un flon-flon, pas une dentelle,<br />

pas une lampe avec abat-jour ne font défaut.<br />

Mais, contrairement aux œuvres qui<br />

l'encadrent, Lettres d'amour ne fut pas un<br />

grand succès ou du moins disparut très<br />

vite au point de devenir un film rare, dif-<br />

109<br />

ficile à voir, comme oublié dans la filmographie<br />

d'Autant-<strong>La</strong>ra.<br />

Peut-être est-ce parce que, avant<br />

Douce et plus que Douce, il s'agit d'une<br />

œuvre sinon au vitriol du moins où, dans<br />

le genre doux-amer, l'amertume sociale<br />

l'emporte sur la douceur d'une réconciliation<br />

finale <strong>des</strong> classes par le mariage.<br />

En apparence, un film dont l'intrigue<br />

se situe loin dans le temps. Le Second Empire<br />

évoque <strong>des</strong> bals où <strong>des</strong> dames en crinolines<br />

se laissent entraîner dans <strong>des</strong><br />

quadrilles endiablés par <strong>des</strong> messieurs<br />

moustachus et barbichus. L'ordre moral<br />

règne : Flaubert et Baudelaire sont condamnés.<br />

Ici nous sommes à Argenson,<br />

une préfecture très convenable. Mais la<br />

façade de moralité dissimule bien <strong>des</strong><br />

perversions et l'adultère succède vite au<br />

marivaudage. Madame la préfète, Hortense<br />

de la Jacquerie, a un amant, François<br />

du Portai qui lui adresse de Paris, via<br />

la maîtresse de poste, mademoiselle Zélie<br />

Fontaine (elle sera bientôt ruinée par le<br />

chemin de fer), <strong>des</strong> lettres brûlantes. Un<br />

préfet trompé, même s'il s'agit d'un préfet<br />

de Napoléon III, c'est déjà beaucoup<br />

en 1942 !<br />

Mais le film va plus loin. Il oppose « la<br />

Boutique », le monde du commerce, à « la<br />

Société », le clan aristocratique, celui qui<br />

ne travaille pas. L'opposition sociale<br />

entre ces deux mon<strong>des</strong> est féroce, soulignée<br />

par un dialogue incisif de Jean Aurenche.<br />

Une classe montante parce que<br />

sérieuse et travailleuse, la bourgeoisie de<br />

province, face à une autre classe dont l'oisiveté<br />

et la futilité précipitent la ruine, la<br />

noblesse. <strong>La</strong> méchanceté d'Aurenche fait<br />

merveille, mettant en lumière les tares,<br />

les préjugés et le conformisme <strong>des</strong> notables<br />

de province. Le trait est souvent<br />

cruel.<br />

Comment le parallèle entre le Second<br />

Empire et Vichy, qui fut lui aussi très clanique,<br />

haineux et moralisateur, ne sauterait-il<br />

pas aux yeux avec le recul du<br />

temps ? On s'est trop laissé prendre à la<br />

reconstitution d'une époque (par ailleurs<br />

soignée), à la beauté <strong>des</strong> <strong>images</strong> de


Philippe Agostini, à la magnifique scène du bal où les deux milieux s'affrontent par<br />

quadrille de lanciers interposé, à l'interprétation réjouissante d'Odette Joyeux, de<br />

François Périer et de Simone Renant, sans oublier Jean Debucourt qui compose un<br />

Napoléon III plein de bonhomie et Louis Salou en aristocrate plus vrai que nature.<br />

En réalité, Lettres d'amour qu'il faut redécouvrir est un film subversif. <strong>La</strong> romance<br />

sentimentale n'y dissimule pas la satire sociale.<br />

Jean Tulard<br />

Simone Renant,<br />

André Alerme.<br />

LE CAVALIER DE CROIX MORT<br />

(UNE AVENTURE DE VIDOCQ)<br />

1947 - Lucien Ganier-Raymond<br />

Réal. : Lucien Ganier-Raymond. Prod. : Simoun Films<br />

(Charles de Grenier). Auteur : Albert |ean, d'après son<br />

roman le Vinaigre <strong>des</strong> quatre voleurs. Adapt. : Pierre<br />

<strong>La</strong>roche, Lucien Ganier-Raymond, Charles de Grenier.<br />

Dial. : Pierre <strong>La</strong>roche. Asst. réal. : Cariven.<br />

Dir. ph. : Maurice Pecqueux. Opérateur : )ean <strong>La</strong>llier.<br />

Asst. op. : Delpuech. Photographie : Le Fauconnier.<br />

Son : Jacques Hawadier. Déc. : Roland Quignon.<br />

Asst. déc. : Moreau. Maquettiste : Alex.<br />

Cost. : Noeppel. Maq. : Chanteau, Ralph.<br />

Mont. : Monique <strong>La</strong>combe. Asst. mont. : Jacqueline<br />

Bultez. Mus. : Henri Verdun. Régie générale : Mottet.<br />

Régie d'extérieurs : Mangin. Script : Charlotte<br />

Bardonnet. Ce film a été tourné aux studios de<br />

Boulogne. Procédé optiphone. <strong>La</strong>boratoires LCM à<br />

Montreuil. Int. : Madeleine Robinson (Elisabeth<br />

d'Anthar), Henri Nassiet (Vidocq), Yves Vincent<br />

(Simon de Chabre), Simone Valère (Lucile), Jean d'Yd<br />

(M. de Prabalaire), Pierre Sergeol (Le Boulanger),<br />

Suzanne Dantès (Mme de Prabalaire), Katherine Kath<br />

(Sandrine), Gaston Modot (Vallier), Georges Paulais (le<br />

préfet), Pierre Duncan, Cadex, Forget (le juge<br />

d'instruction), Lucien Arnaud, Jean Dacre, Em;7e<br />

Tramond (le bijoutier), Méry, Léon Barry (le<br />

commissaire), Desclos, Pinxon, Tirmond, Philippe<br />

Derevel, Jean Diener, Julien Lee, Durieux, Franck<br />

Villard (François d'Anthar), André Valmy (Coco-<br />

<strong>La</strong>tour). Date de sortie : 14 avril 1948.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2321 m., 85 mn. Noir<br />

et blanc.<br />

<strong>La</strong> campagne française à l'époque de la Restauration.<br />

Le baron François d'Anthar prend<br />

congé d'Elisabeth, son épouse, le temps d'un<br />

voyage. Mais à la nuit tombée, il revient en cachette<br />

et fait feu sur une ombre dans le parc,<br />

blessant Simon de Chabre. Dans le seul but de<br />

sauver le mariage et l'honneur d'Elisabeth, sa<br />

sœur cadette Lucile prend la faute à son compte<br />

et dit que le galant venait pour elle. <strong>La</strong> voilà<br />

fiancée sur le champ afin d'imposer silence aux<br />

mauvaises langues. Arrive dans la région le célèbre<br />

Vidocq, décidé à en finir avec « les chauffeurs<br />

», ces détrousseurs qui grillent les pieds<br />

de leurs victimes. Il a même un de ses hommes<br />

dans la bande, son ami Coco-<strong>La</strong>tour, dont il se<br />

méfie tant il intrigue et ambitionne. Elisabeth,<br />

furieuse contre son amant qui n'a plus d'yeux<br />

que pour Lucile, se lie au chef <strong>des</strong> chauffeurs<br />

dit le Boulanger. Qu'il enlève François (pour<br />

compromettre Simon) et sa fortune est faite !<br />

Mais lors de l'échauffourée, le mari est tué. Vidocq<br />

enquête et Elisabeth accuse Simon qui ne<br />

se défend pas. Entre-temps, le Boulanger a démasqué<br />

Coco et l'élimine à la façon <strong>des</strong> chauffeurs.<br />

Un soir, à la propriété, Vidocq, déguisé<br />

en Boulanger, recueille la confession de l'intrigante.<br />

Surgit alors le vrai brigand qui tire et<br />

la tue. Il est maîtrisé et sa bande décimée. Simon<br />

est libre, libre d'aimer Lucile... un jour, le jour<br />

où le temps aura fait son œuvre et effacé un peu<br />

le souvenir <strong>des</strong> morts.<br />

VIDOCQ OU L'ÉTERNEL RETOUR<br />

Le film sortit aussi sous le titre Une<br />

aventure de Vidocq. Mais le célèbre bagnard<br />

n'en est pas le personnage central,<br />

plutôt une sorte de deus ex machina.<br />

Ce n'était pas sa première apparition<br />

à l'écran. En 1922, Jean Kemm, s'inspirant<br />

d'un roman d'Arthur Bernède, les Enfants<br />

du soleil, avait conté la lutte de Vidocq<br />

contre une association de malfaiteurs.<br />

René Navarre, précédemment interprète<br />

de Fantômas, y tenait le rôle-titre. En 1938,<br />

Vidocq reparut sous les traits d'André<br />

Brûlé (qui avait été Arsène Lupin au<br />

théâtre) dans un Vidocq de Jacques Daroy,<br />

plus fidèle à l'histoire du fameux forçat<br />

devenu chef de la brigade de sûreté de la<br />

préfecture de police.<br />

Notons encore l'apparition de Vidocq<br />

dans l'étonnant A Scandai in Paris (1946),<br />

de Douglas Sirk : George Sanders transforme<br />

le personnage en un aventurier<br />

nonchalant et ironique.<br />

Quatrième Vidocq connu à l'écran,<br />

Henri Nassiet n'a pas, dans le Cavalier de<br />

Croix Mort, l'envergure de ses prédécesseurs,<br />

mais il est plus proche physiquement<br />

de l'original, si l'on en croit les<br />

quelques portraits qui ont été conservés<br />

du fin limier. Il y aura ensuite, n'emportant<br />

guère l'adhésion, Bernard Noël et<br />

Claude Brasseur dans un feuilleton télévisé,<br />

la Vie aventureuse de Vidocq, dans les<br />

années soixante-dix.<br />

Le film de Ganier-Raymond, réalisateur<br />

français méconnu, auteur précédemment<br />

du Père Serge, n'est pas dépourvu<br />

de charme. S'inspirant d'un<br />

roman du polygraphe Albert Jean, le Vinaigre<br />

<strong>des</strong> quatre voleurs (nom de la potion<br />

que le docteur Dornier prescrivit à Vidocq<br />

peu avant sa mort, le 11 mai 1857),<br />

il met en scène une intrigue amoureuse<br />

banale débouchant sur une histoire de<br />

brigands bien contée.<br />

Plus à l'aise au bagne ou dans les tapis<br />

francs de la capitale qu'en milieu rural,<br />

Vidocq eut aussi à combattre les « chauffeurs<br />

» de province. C'est ainsi qu'il<br />

opéra dans le Santerre, en 1819, à la demande<br />

du préfet de la Somme. Le Cavalier<br />

de Croix Mort qui le montre aux prises<br />

avec les chauffeurs d'Elisabeth d'Anthar,<br />

n'est donc nullement invraisemblable<br />

sur le plan historique et la reconstitution<br />

de la vie provinciale sous la Restauration<br />

est particulièrement réussie. Enfin, le personnage<br />

de Coco-<strong>La</strong>tour que campe avec<br />

brio André Valmy a réellement existé.<br />

Rien à dire <strong>des</strong> dialogues de Pierre <strong>La</strong>roche.<br />

N'y cherchons aucune allusion à<br />

une actualité contemporaine du film que<br />

pourrait suggérer la présence d'un forçat<br />

devenu policier. Il ne s'agit que d'un film<br />

à costumes, assez semblable aux adaptations<br />

de Balzac lors de l'époque de l'Occupation,<br />

encore proche. Même si le trajet<br />

de Vidocq peut faire songer, mutatis<br />

mutandis, à <strong>La</strong>font, ce gangster devenu<br />

agent de la Gestapo, rue <strong>La</strong>uriston...<br />

Auteur déjà d'un très attachant Père<br />

Serge, avec Ariane Borg et Marcel Herrand,<br />

Ganier-Raymond n'a pas poursuivi,<br />

après ce deuxième film, une carrière<br />

qui s'annonçait prometteuse. On<br />

peut le déplorer.<br />

111<br />

Jean Tulard


112-FRANCE<br />

AU ROYAUME DES CIEUX<br />

1949 - Julien Duvivier<br />

Réal. : Julien Duvivier. Prod. : Regina. Avec le<br />

concours de la SIBIS. Dir. de prod. : Arys Nissotti,<br />

Pierre O'Connell. Adapt. : Julien Duvivier.<br />

Se. original : Julien Duvivier. Dial. : Henri Jeanson.<br />

Premier asst. réal. : Jean Claude Huisman.<br />

Deuxième asst. réal. : Jacques Plante.<br />

Asst. stagiaire : Michel Roman. Dir. ph. : Victor<br />

Armenise. Opérateur : Walter Wotitz.<br />

Asst. opérateur : Jacques Robin.<br />

Deuxième asst. opérateur : Michel Bouyer.<br />

Son : Pierre Bertrand. Déc. : René Moulaert.<br />

Mont. : Marthe Poncin. Asste. monteuse : Pierrette<br />

Delbut. Administrateur de prod. : Louis de Masure.<br />

Régisseur général : Georges Testard.<br />

Maquilleur : Serge Groffe. Photographe : Guy Rebilly.<br />

Script girl : Denise Morlot. Tourné à Paris Studios<br />

<strong>Ciné</strong>ma à Billancourt-Seine sur Western Electric. Effets<br />

sonores de Jacques Carrère. <strong>La</strong>boratoires LTC Saint-<br />

Cloud. Int. : Serge Reggiani (Pierre), Jean Davy (le<br />

curé Antonin), Monique Mélinand (Mlle Guérande),<br />

Suzy Prim (Mlle Chamblas), Christiane Lénier (Dédée),<br />

Anne Saint Jean (Maria), Nadine Basile (Gaby), Liliane<br />

Maigné (Margot), Colette Deréal (Lucienne), Nicole<br />

Besnard (Anna), Liliane Leroger (Rosa), Renée Cosima<br />

(Camille), Sylvie Serliac (Henriette), Ludmila Hols<br />

(Clarisse), Juliette Gréco (Rachel), Jeanine Villars<br />

(Marcelle), Thérèse Flore, Violette Salva (Adèle),<br />

Caroline Carlotti (Fernande), Suzanne Bernard, Ketty<br />

Albertini (Paulette), Jacqueline Brouckere (Irma),<br />

Yvette Pieuchot, Florence Luchaire Qulie), Joëlle Robin<br />

(Suzy), Lyne Carrel, Claude Mandel, Paule Andral<br />

(Mme Bardin), Jeanne Morlet (Mme Rubini), Lily<br />

Mounet (Mme Maupin), Georgina Tisel (Mlle<br />

Vendenesse), Éva Morlot (Mme Dulot), Andrée Tainsy<br />

(la fille de cuisine), Mathilde Casa<strong>des</strong>us (Noémie<br />

Barattier), Max Dalban (Barattier), Jacques Reynier (le<br />

brigadier), Louis Florencie, Paul Faivre (les<br />

gendarmes), Henri Coutet (Garrat), Monique Lénier,<br />

Sophie Leclair, Monique Gérard, jeanne Daury,<br />

Françoise Adam, Irène Daniel, Marie-Hélène Bailly,<br />

Sandrine, Georgette Stéphan, Zaura llami, Catherine<br />

Le Couey, Annette, Nadine Bellaigue, Hélène Rémy,<br />

Mireille Colussi, Maurice Salabert, Mireille Asti.<br />

Date de sortie : 30 septembre 1949.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2980 m., 108 mn. Noir<br />

et blanc. Doc. : Remerciements à Jean-Pierre Flingou.<br />

C'est l'hiver à la Maison de Haute-Mère,<br />

un centre d'éducation pour jeunes délinquantes.<br />

Soudain, la directrice s'effondre dans<br />

son bureau, victime d'une attaque. Immédiatement,<br />

son assistante depuis vingt ans, Mademoiselle<br />

Chamblas, femme autoritaire et<br />

frustrée, prend sa place.. Sans raison, elle met<br />

Maria, une nouvelle venue, au cachot. Mais<br />

Maria s'en moque. Elle se réchauffe en pensant<br />

à Pierre qui a promis de la délivrer. Les<br />

nouvelles consignes achèvent de transformer<br />

le lieu en prison : on ferme les portes, le soir<br />

on lâche le chien Goliath, on met <strong>des</strong> filles en<br />

cellule. Parmi le personnel, seule la jeune mademoiselle<br />

Guérande se révolte contre ces métho<strong>des</strong>.<br />

Les filles elles, avec à leur tête Gaby<br />

la gouailleuse et Dédée la balafrée, entament<br />

une grève de la faim. Comme chaque année<br />

dans la région, le fleuve monte et menace de<br />

déborder. Les punitions s'accumulent. Par<br />

Margot, une môme qui fait régulièrement le<br />

mur, Pierre, éperdu d'amour, fait passer un<br />

mot à Maria. Enfin il lui apparaît au lavoir,<br />

venu par un passage dérobé et promet de la<br />

faire évader le lendemain, jour de Noël. Au<br />

matin, l'eau a encore monté. Sur son initiative,<br />

Guérande emmène en barque toutes les<br />

adolescentes à l'église. Brusquement, le fleuve<br />

romptladigueetl'eauentreen trombes. Dans<br />

lapanique, Pierre enlève Maria. Unepensionnaire<br />

nihiliste se suicide. Les amants sont en<br />

fuite, les gendarmes à leurs trousses. De retour<br />

au Centre, les filles se révoltent et saccagent<br />

les locaux. Pour échapper à la meute,<br />

Chamblas s'enfuit et Goliath manque la dévorer.<br />

C'est Guérande qui lui succède finalement.<br />

Traversant <strong>des</strong> terres inondées, Pierre<br />

porte Maria vers leur bonheur.<br />

L'AMOUR D'UNE FEMME<br />

Il est fort rare que les films de Julien<br />

Duvivier s'enroulent autour d'un personnage<br />

féminin. Citons : Maria Chapdelaine,<br />

trop à l'écoute <strong>des</strong> hommes et<br />

<strong>des</strong> traditions, affadie par le jeu naturaliste<br />

de Madeleine Renaud ; Christine<br />

Surgère dans Un carnet de bal, banalisée<br />

par l'excessive sophistication de Marie<br />

Bell ; Marie-Octobre, nuancée et grandie<br />

par Danielle Darrieux. Ces deux dernières,<br />

prisonnières du scénario, sont<br />

trop inscrites dans une rigueur dirigiste.<br />

<strong>La</strong> mère et la fille de Voici le temps <strong>des</strong> assassins,<br />

survoltées par la sublime Lucienne<br />

Bogaert et l'impitoyable Danielle<br />

Delorme, sont les seules sans doute à posséder<br />

la même détermination que les<br />

héros masculins chers à Duvivier. Mais<br />

elles sont noircies à l'extrême et, de ce fait,<br />

sont plus emblématiques que vivantes.<br />

L'héroïne de Au royaume <strong>des</strong> deux,<br />

Maria, est donc unique dans l'œuvre de<br />

l'auteur à être habitée par une ténacité à<br />

ne jamais douter de son <strong>des</strong>tin. On peut<br />

curieusement la rapprocher d'autres personnages<br />

féminins chez <strong>des</strong> auteurs a<br />

priori loins <strong>des</strong> préoccupations de Duvivier<br />

: l'éthérée tante Aurore, jouée par<br />

Jeanne Provost (Monsieur Coccinelle, Bernard<br />

Deschamps, 1938), Mimi la Bossue<br />

(Pattes blanches, Jean Grémillon, 1948) ou<br />

encore l'incroyable Lola-Aimée (Jacques<br />

Demy, 1960).<br />

Ici, la fonction de ce personnage est<br />

plus complexe : Maria s'oppose, naturellement,<br />

aux « conventions collectives ».<br />

Autodéfense, revendications, luttes pour<br />

le pouvoir, directes ou insidieuses, répression,<br />

sont évacuées, « noyées » dans<br />

le flux de cet amour indéniable dont la<br />

niaiserie apparente va se transformer au<br />

long du film en une sorte de foi supérieure.<br />

C'est par son entêtement à aimer<br />

que la petite Maria déjoue les conflits, et<br />

par la force d'une inertie qui n'est jamais<br />

ressentie comme étant d'essence divine.<br />

L'idée même d'un Dieu, aussi indéfini<br />

soit-il, ou de Justice, aussi impartiale<br />

qu'elle puisse se prétendre, devient superfétatoire<br />

en face d'un sentiment aussi<br />

inéluctable, aussi « emmuré » qui ne se<br />

nourrit ni de doute ni d'espérance...<br />

Comme souvent, Duvivier travaille dans<br />

le concret, loin du formalisme et de tout<br />

mysticisme. Matérialiste inspiré et irréconciliable,<br />

ce n'est que par la mise en<br />

scène qu'il accrédite, caresse ou magnifie<br />

Maria.<br />

Autour d'elle, les co<strong>des</strong> s'affolent, défendent<br />

leurs stratégies dans la violence,<br />

utilisent <strong>des</strong> lieux communs, la caricature<br />

même, pour échapper à l'érosion. Rien<br />

n'y fait : un sourire de Maria et leur révolte<br />

paraît vaine, démodée, dérisoire.<br />

Toute la modernité du film est là : ne<br />

pas chercher à éviter les conventions, les<br />

intégrer à l'aventure comme ingrédients<br />

d'une dialectique. Non pas celle, scolaire,<br />

classique et surexploitée, de la dramaturgie<br />

qui consiste à opposer <strong>des</strong> personnages<br />

de fonctions équivalentes et à faire<br />

jouer le pour et le contre face à leurs actes<br />

ou à leurs discours, apparente objectivité<br />

qui n'est qu'un leurre, ou si l'on veut, un<br />

piège de lecture... Je parle ici d'une autre<br />

dialectique, celle qui malmène les certitu<strong>des</strong><br />

par <strong>des</strong> propositions de symboles<br />

(l'inondation, fléau divin, menace extérieure<br />

semblant s'allier aux conflits internes<br />

pour mieux accabler l'héroïne,<br />

n'est jamais tragique, seulement agréable<br />

à regarder), qui les malmène aussi par<br />

une direction d'acteurs efficace mais<br />

souple, par un découpage allègre, rythmé<br />

sans excès, par de subtils contrastes<br />

de lumière, par la mise en scène donc.<br />

Tant et si bien que Duvivier rejoint, et<br />

c'est la seule fois dans sa carrière, la manière<br />

d'un Jean Grémillon...<br />

Ni hasard, ni Providence !<br />

Après 1939, vingt ans de galère ont<br />

submergé le cinéma français, dont la superbe<br />

insolence avait jusque-là nargué le<br />

classicisme américain, jouant la poésie<br />

contre la grammaire, la ferveur et l'adhésion<br />

contre la maîtrise. Les années de<br />

guerre que l'on se plaît, ici et là, à revaloriser,<br />

ont été en fait aussi noires en cinéma<br />

qu'en politique. L'absence sur nos<br />

écrans <strong>des</strong> films américains a permis aux<br />

cinéastes français de disposer de moyens<br />

financiers plus confortables : figurations<br />

importantes, costumes soignés, décors<br />

riches... Quelques préoccupations sociales,<br />

sans nuances, une sournoise « résistance<br />

» aux idées dominantes ont encore<br />

accru l'illusion... d'optique !<br />

Mais le cinéma, l'écriture...<br />

Pour faire « professionnel », on ne<br />

nous épargnait ni les ouvertures-fermetures<br />

<strong>des</strong> portes, ni les montées d'escaliers<br />

en vraie grandeur, ni le cisèlement<br />

psychologique... L'ellipse n'avait plus<br />

droit de cité. En se disciplinant, la mise<br />

en scène donnait un avant-goût de ce<br />

« prémâché » qui fait aujourd'hui la<br />

gloire de notre télévision. Au coin les<br />

mauvais élèves ! Ceux qui avaient pourtant<br />

réjoui les spectateurs dans les années<br />

trente en truffant d'anomalies les beaux<br />

films <strong>des</strong> samedis soirs. Du coup, dans<br />

cette débauche de « politiquement corrects<br />

» (attention, on y revient) les vrais<br />

auteurs se distinguaient mieux, de la<br />

même façon qu'ils avaient pu être repérés<br />

aux Etats-Unis du temps <strong>des</strong> producteurs<br />

impérialistes.<br />

Deux exemples, selon moi antinomiques<br />

: le saccage de cet académisme en<br />

vogue par une ascèse apparente (Robert<br />

Bresson) et une sorte d'application dans<br />

la mise en service de ce même académisme,<br />

application émouvante mais application<br />

tout de même (Jacques Becker).<br />

A l'opposé, Jean Cocteau dont l'impertinence<br />

royale et l'invention galopante<br />

se gaussaient naturellement <strong>des</strong><br />

règles, et, au bout du compte, Julien Duvivier<br />

à la noirceur sertie dans une technique<br />

impeccable mais prégnante, défiaient<br />

l'art officiel, préparant sans s'en<br />

douter la révolution <strong>des</strong> années soixante...<br />

Et, bien sûr, Jean Grémillon... Acceptant,<br />

de gré ou de force, les contraintes de<br />

la production et/ou du star-system, il est<br />

parvenu à les « réduire », on pourrait<br />

dire, par excès de zèle ! Il puisait, à se couler<br />

dans le moule, un surcroît de liberté<br />

qui lui permettait d'émasculer les co<strong>des</strong><br />

en les surexposant.<br />

Je pense donc que c'est dans le droit<br />

fil, inconscient, de cette idéologie ou de<br />

cette pratique, que se situe Au royaume <strong>des</strong><br />

deux. <strong>La</strong> fermeté de la mise en <strong>images</strong><br />

prolonge la dialectique évoquée plus<br />

haut dans le sens où elle empêche la dilution<br />

et la contamination.<br />

Ballotée dans l'inconséquence <strong>des</strong><br />

conflits, la sceptique et réjouissante madame<br />

Rubini, délicieusement interprétée<br />

par Jeanne Morlet, se porte garante de la<br />

bonne santé du film. Elle est peut-être le<br />

porte-parole de Duvivier...<br />

Une rétrospective <strong>des</strong> films de Julien<br />

AU ROYAUME DES CIEUX - 113<br />

Duvivier, véritable auteur de films, maltraité<br />

à droite comme à gauche (sans allusion<br />

politique, encore que...) parce que<br />

solitaire et têtu, nous autoriserait certainement<br />

de nouvelles lectures de l'œuvre<br />

et nous confirmerait dans le sentiment<br />

qu'il fut l'un de ces rares grands réalisateurs<br />

à avoir vécu farouchement dans<br />

l'amour du cinéma.<br />

Paul Vecchiali<br />

Suzanne Cloutier,<br />

Serge Reggiani.


114- FRANCE<br />

AUTANT EN EMPORTE L'HISTOIRE...<br />

(LA VIE PRIVÉE D'HITLER ET D'EVA BRAUN)<br />

1949 - Jacques Willemetz<br />

Réal. : Jacques Willemetz. Prod. : Production<br />

Olympic, les films Jacques Willemetz. Mont. : Jacques<br />

Willemetz, Victor Grizelin. Mus. : Edward Craig.<br />

Avec : Adolph Hitler, Hermann Goering, Paul Joseph<br />

Goebbels, Joachim von Ribbentrop, Julius Streicher,<br />

Heinrich Himmler, Benito Mussolini, Galeazzo Ciano,<br />

Eva Braun. Sous le haut patronage du Comité d'action<br />

et de la Fédération nationale <strong>des</strong> déportés et internés<br />

de la Résistance. Réalisé avec le concours <strong>des</strong><br />

Services cinématographiques alliés sous la haute<br />

direction de Jean Marin.<br />

Collaboration technique : Robert Gross, <strong>La</strong>wrence<br />

Glesnes, Jean Oser, Victor Grizelin, Duguet.<br />

Commentaire : Jean Marin. Enregistrement Fiat-Film.<br />

Date de sortie : 6 janvier 1950.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1891 m., 69 mn. Noir<br />

et blanc.<br />

Une phrase d'Hitler en surimpression sur<br />

<strong>des</strong> <strong>images</strong> de Berlin en ruines : « Nous bâtissons<br />

pour mille ans. » Images de désolation<br />

et <strong>images</strong> de Berchtesgaden, le repaire du Ftihrer<br />

en Bavière. Images du procès de Nuremberg<br />

: Goering, Ribbentrop, Keitel, Streicher,<br />

tous plaident non coupables. Mais les <strong>images</strong><br />

accusent : Rotterdam en flammes, fours crématoires,<br />

exécutions et cadavres dans les<br />

camps de la mort.<br />

Dans les années vingt en Allemagne, l'ascension<br />

d'Hitler : « L'éternel militarisme allemand<br />

a découvert son nouvel instrument. »<br />

1933 : il est chancelier du « IV' Reich » (sic).<br />

Défilés au flambeau et bûchers de livres. Hitler<br />

et Eva Braun, sa compagne, au repos dans<br />

les montagnes de Bavière. <strong>La</strong> puissance industrielle<br />

germanique tourne à plein régime<br />

et prépare la guerre. Montage alterné entre la<br />

puissance nazie (occupation de la Rhénanie)<br />

et les escapa<strong>des</strong> entre amis à Berchtesgaden.<br />

Scènes de la vie conjugale. Mai 1940 : la<br />

France attaquée, la France en fuite, la France<br />

allemande. Souffrances et pénuries de la<br />

guerre, plaisirs et abondance de Berchtesgaden.<br />

Premiers bombardements sur l'Allemagne<br />

pendant que Rome est ville ouverte.<br />

Même le « nid de l'aigle » finit par être pilonné.<br />

L'Allemagne n'est que décombres. Elle<br />

signe la capitulation. Les peuples libérés sont<br />

en joie.<br />

HISTOIRES PARALLÈLES<br />

Comme l'indiquent le titre et le soustitre<br />

de ce documentaire réalisé par les<br />

services cinématographiques alliés, il<br />

s'agit de croiser la grande histoire avec la<br />

petite, pour démontrer comment « l'éternel<br />

militarisme allemand » s'est nourri <strong>des</strong><br />

mœurs hypocrites et dissolues <strong>des</strong> dignitaires<br />

nazis pour façonner le mal absolu.<br />

Le lien entre ces deux lectures est établi<br />

par la voix du commentaire qui tire la<br />

leçon de l'histoire sur un ton moralisateur,<br />

reprenant avec délice le chapelet <strong>des</strong><br />

poncifs antigermaniques. Ce film de propagande<br />

se place donc d'emblée sous les<br />

auspices de l'histoire, et surtout de son<br />

explication au peuple qui vient de sortir,<br />

encore sans doute un peu déboussolé, du<br />

second conflit mondial : l'ambition est<br />

clairement pédagogique et le ton, comme<br />

le montage <strong>des</strong> plans, visent essentiellement<br />

à confirmer les responsabilités et les<br />

fautes de l'Allemagne afin de justifier les<br />

sanctions prises contre les chefs nazis lors<br />

du procès de Nuremberg. Le premier intérêt<br />

de ce film réside donc dans ce<br />

contexte particulier : la question de la culpabilité<br />

<strong>des</strong> responsables nazis semblait<br />

se poser dans l'après-guerre, leur punition<br />

n'allait pas de soi, et Autant en emporte<br />

l'Histoire... est d'abord une justification<br />

de l'épuration et un appel à la sévérité<br />

<strong>des</strong> juges.<br />

Quant aux arguments déployés dans<br />

ce film, ils n'ont que peu d'intérêt historique.<br />

Le portrait de l'Allemagne gagnée<br />

par la fièvre du nazisme, emportée par<br />

son orgueil militariste, fascinée par les<br />

para<strong>des</strong> et les défilés, enivrée par ses victoires<br />

puis punie par la défaite, est un<br />

classique <strong>des</strong> manuels d'histoire aprèsguerre.<br />

En revanche, le croisement de ce<br />

récit convenu avec la chronique psychologique<br />

et scandaleuse de la vie privée du<br />

couple Adolf Hitler-Eva Braun est intéressante,<br />

car la propagande mobilise à cet<br />

instant les ressorts de l'imagerie et de la<br />

narration typiquement hollywoodiens.<br />

On perçoit alors combien a dû compter la<br />

115<br />

mythologie du cinéma américain réapparaissant<br />

sur les écrans français après<br />

plusieurs années d'interdiction. Le générique<br />

du film présente par exemple, avec<br />

beaucoup d'ironie, Adolf Hitler et Eva<br />

Braun comme les « stars » de sa distribution,<br />

parodiant ainsi, son titre aidant, le<br />

plus grand succès commercial du cinéma<br />

mondial. De même, sur une musique de<br />

superproduction, la croix gammée est détournée<br />

et semble se transformer en un<br />

sigle de major hollywoodienne (à la manière<br />

de la Century-Fox).<br />

Enfin, les documents intimes saisis<br />

dans le chalet de Berchtesgaden, montrant<br />

les jeux, les promena<strong>des</strong>, les baigna<strong>des</strong>,<br />

les réceptions mondaines d'Eva<br />

Braun et de son entourage, documents<br />

largement utilisés dans le film, sont d'un<br />

intérêt évident. L'insouciance de ce<br />

groupe d'amis en vacances dans les montagnes<br />

de Bavière est sidérant, alors que<br />

le monde est à feu et à sang, et ces ban<strong>des</strong><br />

filmées, sans doute en 16 mm, l'enregistrent<br />

tout à fait directement, sans détour,<br />

sans pudeur, comme un petit film amateur<br />

à <strong>des</strong>tination absolument privée.<br />

L'idée d'intégrer ces ban<strong>des</strong> de vie intime<br />

dans le montage d'un film d'histoire est<br />

tout à fait étonnante, gâchée ici par le ton<br />

pédagogique et moralisateur du coïnmentaire,<br />

mais annonce en quelque sorte<br />

un procédé de narration que le cinéma<br />

moderne développera souvent au cours<br />

<strong>des</strong> années soixante.<br />

Antoine de Baecque


116- FRANCE<br />

MATISSE<br />

1950- Frédéric Rossif<br />

Réal. : Frédéric Rossif. Métrage, minutage copie 16<br />

mm Cf. : 85 m., 8 mn. Muet. Couleurs.<br />

Le peintre Henri Matisse au travail. À<br />

l'aide de grands ciseaux, il découpe <strong>des</strong> formes<br />

dans <strong>des</strong> papiers en couleurs. Il indique à ses<br />

assistantes, avec une longue tige en bois, <strong>des</strong><br />

emplacements pour ses découpages qui, au<br />

mur, finissent par composer un ensemble et<br />

ressembler à une chasuble, ou à un feu d'ar-<br />

tifice.<br />

MATISSE AUX MAINS D'ARGENT<br />

Je ne peux m'empêcher de considérer<br />

les <strong>images</strong> de ce film, tourné par Frédéric<br />

Rossif à la demande d'Henri <strong>La</strong>nglois<br />

- étonnante demande - comme si je les<br />

avais tournées moi-même : peut-être<br />

parce que ces <strong>images</strong> restent en quelque<br />

sorte anonymes (pas de générique), silencieuses,<br />

discrètes, disponibles, comme<br />

inachevées, fragment de film abandonné,<br />

ouvert à toute ultérieure appropriation.<br />

Peut-être aussi parce que j'ai<br />

tourné, et semblablement abandonné,<br />

<strong>des</strong> <strong>images</strong> semblables sur <strong>des</strong> artistes<br />

contemporains : Klossowski, Boltanski...<br />

Et je ne peux m'empêcher d'écrire ce texte<br />

comme s'il devait aller à la rencontre de<br />

ces <strong>images</strong> muettes pour se joindre à elles,<br />

les accompagner.<br />

Ici le cinéma est intimidé par la peinture,<br />

et les <strong>images</strong> du film sont intimidées<br />

par les <strong>images</strong> du tableau. Le cinéaste est<br />

intimidé par le peintre. Le peintre est si<br />

massivement présent, et si massivement<br />

indifférent à la caméra, il est si massivement<br />

tourné vers le tableau - et non vers<br />

l'objectif, même indirectement, c'est-àdire<br />

par aucune de ces manières détournées<br />

dont use la coquetterie - le peintre<br />

est si massivement illuminé par l'image<br />

qu'il fait naître, que le cinéma n'éclaire<br />

rien, ne cadre rien, est seulement toléré<br />

comme regard d'une image lointaine, différée,<br />

improbable, sur une image présente,<br />

immédiate, incontestable.<br />

Ici le cinéma est comme tenu à distance,<br />

et dans cette mise de côté il en est<br />

réduit à une maladresse primitive - celle<br />

du cinéma primitif - latérale, celle que lui<br />

désigne la maladresse géniale, frontale,<br />

du peintre qui impose sa mesure, son<br />

point de vue. Matisse est seul a pouvoir<br />

contempler son tableau frontalement, il<br />

occupe seul et massivement cette position<br />

du regard de face. Comme Klossowski,<br />

comme Boltanski, Matisse est<br />

maladroit, de cette maladresse qui n'est<br />

qu'une ruse de l'art, émancipé <strong>des</strong> règles<br />

du savoir-faire. Et le cinéma ne peut faire<br />

ni plus ni mieux qu'occuper cette place<br />

désignée de la maladresse latérale,<br />

puisque toute autre place serait déplacée.<br />

Dans cette maladresse, dans cet incertain<br />

inaboutissement - plus encore que dans<br />

son inachèvement certain - le petit bout<br />

de film non monté de Frédéric Rossif est<br />

juste. Car avec ses grands ciseaux, c'est<br />

Matisse qui coupe et qui monte. Avec ses<br />

grands ciseaux perdus dans un labyrinthe<br />

de papier, Matisse découpe le tracé<br />

de formes végétales, et de ce découpage<br />

lui seul sait ce qui va tomber et ce qui va<br />

rester, ce que la coupe aura enclos et ce<br />

qu'elle aura exclu, lui seul connaît le plan<br />

qui séparera le positif du négatif. Avec<br />

ses grands ciseaux, et ces feuilles de papier<br />

mou qui lui tombent sur les genoux<br />

comme les feuilles d'une végétation alanguie,<br />

Matisse semble empoté, gauche,<br />

mi-ours savant, mi-grand singe à l'apprentissage,<br />

dont l'attention est massivement<br />

captée par cet exercice d'école maternelle,<br />

par ce retour au tâtonnement de<br />

la forme. On a l'impression que Matisse<br />

ne va pas s'en sortir, que le découpage va<br />

échouer, malgré ses efforts et malgré sa<br />

concentration. En fait, son attention est<br />

massivement tournée vers cette ligne du<br />

précipice dont ses grands ciseaux découpent<br />

le bord : ne pas rater un certain flou<br />

contre l'implacable netteté de la coupe,<br />

ne pas rater un certain ratage, ne pas sombrer<br />

dans une forme trop formée : de la<br />

forme, trouver le tremblement. Matisse<br />

utilise <strong>des</strong> outils qui ne sont pas ceux du<br />

peintre et de sa maîtrise : il a troqué les<br />

pinceaux et les pigments pâteux pour les<br />

ciseaux et les aplats uniformément colorés<br />

du papier. Découper du papier de<br />

couleur : entre peindre et <strong>des</strong>siner ? Et<br />

puis, la couleur ainsi prélevée à même<br />

son support, l'appliquer et la coller sur le<br />

support du tableau, de la peinture. <strong>La</strong> caméra<br />

assiste, presque gênée, à ce découpage,<br />

à ce collage, à ce bricolage. Et le cinéaste,<br />

lui, ne coupe rien, ne colle rien.<br />

C'est le peintre, c'est Matisse qui tient les<br />

ciseaux et la colle, et le film reste mo<strong>des</strong>tement<br />

en deçà de la coupe, de la collure,<br />

du montage : quelques plans hésitants,<br />

aux mouvements indécis, d'une caméra<br />

tenue à la main, et qui a renoncé au trépied<br />

puisque le peintre lui-même a renoncé<br />

au chevalet, et qui éclaire son sujet<br />

à la lampe de poche puisque le peintre<br />

lui-même a renoncé aux nuances <strong>des</strong> couleurs<br />

miscibles, de la lumière blanche dé-<br />

composée.<br />

Nous ne sommes même pas dans le<br />

décor rituel d'un atelier d'artiste, mais<br />

simplement dans un appartement bourgeois,<br />

avec un petit bout de mur serré<br />

entre deux portes. L'artiste est massivement<br />

installé dans ce qui doit être un fauteuil<br />

en osier, armé de ses grands ciseaux<br />

et d'une longue baguette de maître<br />

d'école avec laquelle il pointe, sans quitter<br />

son siège, la place que la forme en papier<br />

découpé doit occuper dans la composition<br />

établie sur le pan de mur, entre<br />

les deux portes. C'est alors qu'interviennent<br />

successivement deux femmes, l'une<br />

et l'autre belles, la brune au visage énigmatique,<br />

tragique, nocturne, et la blonde<br />

solaire, rayonnant par la nudité <strong>des</strong><br />

épaules et du dos que cernent quelques<br />

mèches de cheveux dorés et une élégante<br />

robe d'été. Ces deux femmes ne sont pas<br />

là pour la caméra, elles ne sont pas là pour<br />

le cinéma, le cinéaste n'a sur elles aucun<br />

pouvoir et d'ailleurs elles l'ignorent. Elles<br />

sont là pour le peintre, pour l'artiste,<br />

toutes à lui et d'une beauté luxueuse<br />

puisqu'inutile : elles ne sont pas ses modèles,<br />

elles sont les mains gracieuses qui,<br />

presque chorégraphiquement, portent<br />

au mur les formes de la composition. Ces<br />

deux femmes évoluent, silencieusement<br />

programmées par le désir du peintre:<br />

elles n'appartiennent qu'à lui, à son désir<br />

de peindre et, sinon de peindre <strong>des</strong> femmes,<br />

du moins de peindre à travers elles,<br />

grâce à elles, peut-être pour elles. Les<br />

deux femmes reçoivent et portent physiquement<br />

jusqu'au mur-écran, les formes,<br />

les <strong>images</strong> que le peintre, ainsi, projette.<br />

Le tableau devient une projection dont<br />

les femmes sont les vecteurs. Elles gravitent<br />

autour de l'astre massif qu'est le<br />

peintre, en même temps qu'elles en sont<br />

comme le rayonnement. Les deux femmes<br />

bouleversent, par surprise, le statut<br />

<strong>des</strong> <strong>images</strong> du cinéma : comme si Ava<br />

Gardner et Rita Hay worth passaient gracieusement,<br />

pour faire plaisir à Konrad<br />

Lorenz, dans un documentaire sur la vie<br />

<strong>des</strong> abeilles.<br />

On voit enfin qu'avec ses moyens<br />

d'ordre magique, le tableau s'accomplit.<br />

Du haut de sa plénitude plastique, esthétique,<br />

expressive, il laisse à ses pieds le<br />

film, témoin d'un transfert de formes,<br />

d'un voyage de couleurs, d'une projection<br />

de lumière, il laisse le film inachevé,<br />

le souffle coupé. « Coupé ! » semble penser<br />

Matisse avec ses grands ciseaux, ses<br />

mains d'argent maintenant au repos,<br />

considérant sa composition en papier découpé.<br />

« Coupez ! » a entendu intuitivement<br />

la caméra, qui aussitôt s'arrête.<br />

Alain Fleischer


120 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />

DURFEN WIR SCHWEIGEN ?<br />

LE BAISER MORTEL<br />

1926-Richard Oswald<br />

Réal. : Richard Oswald. Prod. : Nero-Film GmbH<br />

(Richard Oswald, Heinrich Nebenzahl). Se. : Richard<br />

Oswald. Dir. ph. : Gustav Ucicky, Eduard von<br />

Borsody. Dec. : Heinrich Richter. Int. : Walter RiIla<br />

(Louis Rocard/Georg Mauthner), Conrad Veidt (Jean<br />

Verner/Pau/ Hartwig), Mary Parker (Colette<br />

Pierson/ieon/e Pierson), Elga Brink (l'assistante), Fritz<br />

Kortner (un médecin), john Cottowt (son assistant),<br />

Henry de Vries (Henry Pierson), Maria West (la jeune<br />

femme), Frida Richard (la vieille femme), Ernst<br />

<strong>La</strong>skowski (le jeune homme), Maria Forescu (une<br />

patiente), F/se Plessner (une autre patiente), Betty<br />

Astor (Inge), Ernst Verebes (Gerd), Albert Paulig (le<br />

serveur), Ernst Stammer (l'aubergiste), Bella Pollini (la<br />

danseuse). Date de sortie : 6 avril 1926.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1256 m., 50 mn.<br />

(à 22 i/s). Générique reconstitué. Intertitres français.<br />

Noir et blanc. Doc. : Remerciements à Bernard<br />

Eisenschitz.<br />

Louis Rocard est un jeune médecin, spécialiste<br />

de l'étude et de la guérison de la syphilis.<br />

« Son ami, le peintre Jean Verner, faisait<br />

poser plus d'une jolie fille dans son atelier,<br />

mais était loin d'être lui-même un modèle.<br />

» Au point qu'il séduit même Colette,<br />

pourtant fiancée à Louis. Peu après, Jean<br />

passe un examen prénuptial et Louis décèle le<br />

tréponème, microbe de la syphilis. L'ennemi<br />

est dans le sang ! Contre l'avis du scientifique,<br />

après avoir consulté un charlatan et certain<br />

d'être valide, Jean épouse Colette. Cinq<br />

ans ont passé, et les deux « amis »nesevoient<br />

plus depuis longtemps. Louis s'est marié avec<br />

sa fidèle collaboratrice qui lui a donné un beau<br />

garçon, Marcel. Jean, lui, a repris ses habitu<strong>des</strong><br />

de célibataire, Colette a une santé très<br />

fragile et leur fille, Gabrielle, est mal en point.<br />

Une nuit, la mère se résout à appeler Louis<br />

qui révèle l'étendue <strong>des</strong> dégâts. Il sauve l'enfant<br />

après un traitement dans son dispensaire.<br />

Mais il est trop tard pour Colette. Honteux<br />

et repentant, Jean écrit à Louis pour qu 'il<br />

recueille Gabrielle tandis qu'il disparaîtra à<br />

jamais. Quinze ans s'écoulent. Le peintre est<br />

devenu une épave et, un jour, s'écroule dans<br />

la rue. Sur son lit d'hôpital, il demande le docteur<br />

Rocard, qui vient avec Gabrielle. Avant<br />

de mourir, le débauché la serre dans ses bras<br />

et apprend qu'elle est fiancée à Marcel.<br />

ACTEURS ET TREPONEMES<br />

Les titres <strong>des</strong> films reflètent et conditionnent<br />

la manière dont ils sont montrés<br />

: en France, le film de Richard Oswald<br />

Diirfen wir Schweigen ? (« Avonsnous<br />

le droit de nous taire ? ») est rebaptisé<br />

le Baiser mortel. Le métrage donne une<br />

seconde indication : il est de 1256 mètres<br />

pour cette version française restaurée, de<br />

2686 dans la version que la censure allemande,<br />

connue pour sa dureté en matières<br />

sexuelles, avait autorisée au public<br />

adulte. Le Bun<strong>des</strong>archiv de Coblence<br />

conserve un élément d'un métrage<br />

intermédiaire - 1849 mètres - avec <strong>des</strong><br />

intertitres russes, ce qui indique une distribution<br />

en Union soviétique, dans une<br />

autre version encore, bien sûr. On assiste<br />

ici à une véritable réécriture par ce que<br />

l'époque appelait l'« adaptation » et<br />

l'« édition » : la conformation d'un film à<br />

ce que les distributeurs, aidés par la censure<br />

ou prévenant celle-ci, jugeaient être<br />

les besoins, goûts et connaissances du public<br />

local (François Albéra a clairement<br />

cerné ce phénomène à propos <strong>des</strong> diverses<br />

copies de l'Appel de la vie I Frauennot<br />

- Frauengliick [1929], d'Édouard<br />

Tissé 1 ). Autre forme d'acculturation, les<br />

noms <strong>des</strong> personnages : Paul Hartwig<br />

(Conrad Veidt) est devenu Jean Verner,<br />

le Dr Mauthner (Walter Rilla) le Dr Louis<br />

Rocard, etc. Il n'y avait pas de raison pour<br />

qu'un tel film s'identifie comme allemand<br />

: quelques plans où Conrad Veidt<br />

erre dans les rues de Berlin, clochardisé<br />

comme Michel Simon à la fin de la<br />

Chienne, sont visiblement raccourcis, car<br />

ils risquaient d'identifier le lieu de tournage.<br />

<strong>La</strong> nationalité européenne, c'est-àdire<br />

une non-nationalité, était de rigueur<br />

dans ces années vingt finissant.<br />

Richard Oswald n'était pas seulement<br />

un réalisateur prolifique, qui tourna<br />

entre deux et onze longs métrages par<br />

an de 1914 à 1933, mais aussi un producteur<br />

considérable. Il a touché à tous les<br />

genres, de l'opérette (Im weissen Ross/ /<br />

l'Auberge du cheval blanc, 1926) au grand<br />

spectacle historique (<strong>La</strong>dy Hamilton<br />

[1921], Cagliostro [1929], reconstitué par<br />

la <strong>Ciné</strong>mathèque française) en passant<br />

par le film à thèse (Dreyfus, 1930) et<br />

l'adaptation littéraire (Ibsen, Wedekind).<br />

Il en est deux en particulier où il a innové :<br />

le fantastique, pour lequel il est mieux<br />

connu en France (avec les deux versions<br />

de Unheimliche Geschichten [1919 et 1932]<br />

et le remake sonore d'Air aune / Mandragore,<br />

1930) ; et YAufklàrungsfilm, film<br />

« d'éducation sexuelle », genre qu'il<br />

inaugura pendant la guerre mondiale (Es<br />

werde Licht I Que la lumière soit, 1917) et<br />

qui s'épanouit à la suite de la défaite, dans<br />

une période où la censure avait disparu<br />

pour un temps, avec par exemple Anders<br />

als die Anderen (1919) et Dos gelbe Haus I<br />

Prostitution (1919), deux « œuvres cinématographiques<br />

d'hygiène sociale »,<br />

comme l'indique leur sous-titre. D'un<br />

côté, Oswald obtenait <strong>des</strong> cautions scientifiques,<br />

comme celle du Dr Magnus Hirschfeld,<br />

pionnier d'une approche scientifique<br />

et libérée de la sexualité, et d'institutions<br />

comme la Àrztliche Gesellschaft fur<br />

Sexualwissenschaft ; de l'autre, son succès<br />

public était dû au caractère aguichant <strong>des</strong><br />

sujets. Curieusement, lorsque Veit Harlan<br />

aborda le thème de l'homosexualité<br />

dans l'Allemagne occidentale d'aprèsguerre,<br />

le réalisateur du Juif Siiss correspondit<br />

avec l'auteur juif émigré d'Anders<br />

als die Anderen, premier film sur l'homosexualité<br />

(le titre choisi par Harlan, Anders<br />

als du und ich, est un rappel direct du<br />

film d'Oswald).<br />

Réalisateur, Oswald a moins de talent<br />

que comme entrepreneur. <strong>La</strong> qualité<br />

technique de ses films est certaine et ses<br />

acteurs de premier ordre. Conrad Veidt<br />

est celui avec lequel il a le plus fréquemment<br />

travaillé. C'est donc celui-ci - une<br />

<strong>des</strong> rares vedettes internationales dans<br />

l'Europe du muet - qui est au centre de<br />

Diirfen wir Schweigen. Le film reprend,<br />

après un hiatus de quelques années, le<br />

genre de Y Aufklàrungsfilm, et revient au<br />

sujet du premier, Es werde Licht : les maladies<br />

vénériennes. Le schéma ne varie<br />

guère et se retrouvera en 1931 dans Feind<br />

im Blut (l'Ennemi dans le sang), de Walter<br />

Ruttmann, comme dans les courts métrages<br />

de vulgarisation abordant le<br />

sujet 2 . Quand les conventions narratives<br />

ne sont plus soutenues par la logistique<br />

d'un grand studio - ou par la cohérence<br />

du montage d'origine, dans le cas de cette<br />

version française -, il ne reste qu'un document<br />

sur l'époque. Oswald se moquant<br />

d'avoir un style, les seuls moments<br />

d'intensité appartiennent soit au documentaire<br />

- un gros plan sur un tréponème<br />

vu au microscope, un dispensaire -, soit<br />

aux comédiens, laissés à eux-mêmes :<br />

Conrad Veidt en premier lieu, mais aussi<br />

Fritz Kortner et John Gottowt, qui introduisent<br />

<strong>des</strong> intermè<strong>des</strong> expressionnisants<br />

dans un récit qui s'affirme réaliste.<br />

Bernard Eisenschitz<br />

1 François Albéra : « l'Appel de la vie », catalogue Cine'Mémoire<br />

1993. Sur le film d'Édouard Tissé, voir<br />

aussi page 153.<br />

2 On a pu en voir un choix, programmé par Thierry<br />

Lefebvre dans <strong>Ciné</strong>Mémoire 1993 (« Le cinéma<br />

contre la syphilis »).<br />

Sources :<br />

Helga Belach et Wolfgang Jacobsen (éd.), Richard Oswald,<br />

Régisseur und Produzent, Ein CineGraph Buch,<br />

Edition text + kritik, Munich 1990.<br />

Remerciements à Walther Seidler, Stiftung Deutsche<br />

Kinemathek, Berlin.


122 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />

LIEBE<br />

LA DUCHESSE DE LANGEAIS (HISTOIRE DES TREIZE)<br />

1927-Paul Czinner<br />

Réal. : Paul Czinner. Prod. : Elisabeth Bergner-Film<br />

der Phoebus-Film AG, Berlin. Auteur : Honoré de<br />

Balzac, d'après son roman la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais.<br />

Adapt. : Paul Czinner. Dir. ph. : Arpad Viragh, Adolf<br />

Schlasy. Dec. : Hermann Warm, Ferdinand Bellan.<br />

Cost. : lise Fehling. Int. : Elisabeth Bergner (la<br />

duchesse de <strong>La</strong>ngeais), Hans Rehmann (le marquis<br />

Armand de Montriveau), Agnes Esterhazy (la comtesse<br />

Serezy), Elza Temary (la comtesse Fontaine), Olga<br />

Engl (la vieille princesse), Else Heller (l'abbesse), Paul<br />

Otto (le marquis de Ronquerolles), Nicolai Wassiljeff<br />

(le jeune prince), Arthur Kraussneck, Leopold von<br />

Ledebur (le duc de Navarra), jaro Fùrth (le duc de<br />

Grandlieu), Hans Conrady (le moine), Karl Platen (le<br />

domestique). Date de sortie : 24 janvier 1927.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2433 m., 107 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : Remerciements à Bernard Eisenschitz.<br />

Grande séductrice parisienne au temps de<br />

la Restauration, la duchesse de <strong>La</strong>ngeais est<br />

une femme du monde qui, à sa guise, fait et<br />

défait la mode. Un soir de bal, elle avise un<br />

nouveau venu, le marquis de Montriveau, réputé<br />

fier et indomptable. Aussitôt, elle déploie<br />

l'éventail de ses charmes et en quelques jours,<br />

en fait son pantin. Pendant <strong>des</strong> mois, elle<br />

exaspère, sans jamais le combler, le désir du<br />

marquis, amoureux pour la première fois. Si<br />

bien qu'un jour, il la brutalise, puis disparaît.<br />

Son absence prolongée fait mieux que sa présence<br />

: elle rend la duchesse amoureuse. Désormais,<br />

les rôles sont inversés et le marquis<br />

fait endurer à l'intrigante ce qu'il a souffert,<br />

et d'autres hommes avant lui. Seule dans son<br />

hôtel particulier, cloîtrée pendant <strong>des</strong> jours,<br />

vivant dans l'espoir d'une visite, elle écrit <strong>des</strong><br />

lettres passionnées qui restent lettres mortes,<br />

jamais même décachetées. Elle lui fait savoir<br />

qu 'elle entrera au couvent s'il ne la sauve pas.<br />

Mais Montriveau arrive trop tard. Cinq années<br />

s'écoulent. Un jour, dans un cloître, il<br />

retrouve celle qui est devenue la sœur Thérèse<br />

et ne peut la voir et lui parler qu'à travers une<br />

grille. Une nuit, il revient accompagné, pour<br />

l'enlever. Dans sa cellule, elle repose, les<br />

mains jointes. Il tombe à genoux devant ce<br />

corps sans vie, tandis que résonne la messe<br />

<strong>des</strong> morts.<br />

LA COMÉDIENNE, LE MARI<br />

ET PAS DE BALZAC<br />

Le 24 janvier 1927 au cinéma Capitol<br />

de Berlin, la première de Liebe, « d'après<br />

Balzac, avec Elisabeth Bergner, scénario<br />

et réalisation Paul Czinner », commence<br />

exceptionnellement à dix heures du soir<br />

en raison de l'engagement de la comédienne,<br />

qui joue au Theater in der Koniggràter-Strasse.<br />

<strong>La</strong> première de Metropolis<br />

a eu lieu quinze jours plus tôt ; dans un<br />

mois, la Grève et la Mère confirmeront<br />

l'immense impact du Russenfilm, le cinéma<br />

soviétique.<br />

Herbert Jhering, un <strong>des</strong> bons critiques<br />

de théâtre et de cinéma de la république<br />

de Weimar, note le lendemain dans le Berliner<br />

Bôrsen-Courier : « Le vice radical est<br />

une erreur de format. Bergner n'est pas<br />

une interprète faite pour les gran<strong>des</strong><br />

dames de la société napoléonienne (...) Le<br />

scénario de Paul Czinner est maladroit. Il<br />

semble fournir dans la première partie un<br />

rôle pour Pola Negri, dans la seconde<br />

pour Lillian Gish. »<br />

L'émotion provoquée par l'apparition<br />

d'Elisabeth Bergner dans son vrai<br />

premier film, Nju (1924), tenait à son naturel,<br />

à sa répugnance pour le maquillage,<br />

à sa vivacité androgyne. Paul Rotha<br />

écrivait, à propos de ce film : « L'essence<br />

de la simplification du récit, <strong>des</strong> émotions<br />

humaines s'affrontant sans que <strong>des</strong> digressions<br />

ne viennent les troubler (...)<br />

était là ; Czinner a saisi l'interaction <strong>des</strong><br />

pensées. » Après ce début, le cinéma ne<br />

semble pas avoir vraiment rendu compte<br />

de la fascination exercée par Bergner, généralement<br />

considérée comme une meilleure<br />

comédienne de théâtre, malgré les<br />

semi réussites de ses deux premiers parlants,<br />

Ariane (1931) et Der tràumende<br />

Mund (Mélo, 1932), à la.dramaturgie contrôlée<br />

par Cari Mayer.<br />

L'explication se trouve sans doute<br />

dans le fait qu'elle a travaillé avec un seul<br />

réalisateur. Bergner a été amenée au cinéma<br />

par Paul Czinner, plus tard devenu<br />

son mari, qui a dirigé tous ses films en vedette,<br />

de 1924 (Nju) à 1939 (Stolen Life, en<br />

Angleterre) - et a d'ailleurs lui-même<br />

tourné peu d'autres films intéressants (à<br />

l'exception d'un mélodrame britannique<br />

avec Pola Negri, The Woman He Scorned).<br />

Le manque d'intérêt de la comédienne<br />

pour le cinéma, ou peut-être pour toute<br />

une carrière traversée comme une somnambule,<br />

se reflète dans son autobiographie,<br />

beau témoignage sur l'amour d'une<br />

vie, mais information médiocre sur le<br />

théâtre, sans parler du cinéma. Dans le<br />

livre comme dans ses autres déclarations,<br />

elle affirme s'être reposée de tout sur<br />

Czinner, rassurée par la confiance et l'admiration<br />

que lui témoignaient <strong>des</strong> écrivains<br />

comme Arthur Schnitzler ou<br />

George Bernard Shaw. Tout le mérite <strong>des</strong><br />

films, à l'en croire, revient au réalisateur.<br />

Ainsi de Liebe. Czinner est allé chercher<br />

la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais pour cette première<br />

production de la firme Elisabeth<br />

Bergner-Film. L'intrigue du bref roman<br />

central de l'Histoire <strong>des</strong> treize est linéaire.<br />

Mais, pas plus que l'adaptation américaine<br />

dirigée par Frank Lloyd au service<br />

de Norma Talmadge (The Eternal Flame,<br />

1922) ou le « film de Jean Giraudoux réalisé<br />

par Jacques de Baroncelli » en 1941,<br />

celui-ci ne s'ouvre sur l'épilogue, alors<br />

que Balzac commence par l'intrusion de<br />

Montriveau dans le couvent. Jhering est<br />

déprimé par cette conclusion, comme par<br />

toute la mise en scène : « Avons-nous besoin,<br />

pour voir Elisabeth Bergner au cinéma,<br />

de ces <strong>images</strong> de la nonne reniant<br />

sa foi ? De cette mascarade lointaine,<br />

jouée par <strong>des</strong> acteurs dont la plupart ne<br />

sait porter ni un costume, ni une perruque<br />

? » En effet, les seuls moments cu-<br />

Hans Rehmann<br />

rieux sont ceux où les péripéties balzaciennes<br />

coïncident avec quelques <strong>images</strong><br />

fortes de l'« écran démoniaque » : enlèvement<br />

au cours d'une fête, intrusion finale<br />

dans le couvent. <strong>La</strong> comédienne, privée<br />

de la possibilité de gambader et de<br />

jouer les femmes-enfants, est figée d'un<br />

bout à l'autre. Jhering apprécie cependant<br />

la deuxième partie, « un monologue<br />

mimique de l'abandon et du désespoir de<br />

l'amour. Elisabeth Bergner se retrouve<br />

(..) Elle peut jouer sans la troupe. » En<br />

effet, un de ses plus grands succès devait<br />

être au cinéma, sur scène et sur disque,<br />

Fràulein Else, d'après un monologue intérieur<br />

d'Arthur Schnitzler. <strong>La</strong> conclusion<br />

du critique est sévère : « M. Czinner<br />

est un incapable. »<br />

De cette deuxième partie, il ne reste<br />

pas grand-chose dans la version distribuée<br />

en France, très réduite par rapport<br />

à celle passée par la censure allemande<br />

(2697 mètres ; le Bun<strong>des</strong>archiv a un élé-<br />

LIEBE-123<br />

ment de tirage de 2246 mètres, avec intertitres<br />

tchèques). Peut-être pour justifier<br />

la sortie de ce troisième film d'Elisabeth<br />

Bergner, le plus faible à cette date,<br />

l'adaptation souligne son origine balzacienne<br />

(référence littéraire déjà centrale<br />

pour la critique de cinéma française) : le<br />

film est rebaptisé Histoire <strong>des</strong> treize, ce que<br />

rien n'explique, les intertitres sont composés<br />

à partir de phrases du roman.<br />

Bernard Eisenschitz<br />

Sources :<br />

Herbert Jhering, Der Bergner-Film, in Berliner Borsen-<br />

Courier, 25 janvier 1927, repris in Von Reinhardt bis<br />

Brecht, Vol. 2, Aufbau-Verlag, Berlin (RDA) 1959.<br />

Elisabeth Bergner, in Exil. Sechs Schauspieler aus Deutschland,<br />

Stiftung Deutsche Kinemathek, Berlin<br />

(Ouest), 1983.<br />

Elisabeth Bergner, Bewundert viel und vielgescholten...,<br />

C. Bertelsmann Verlag, Munich, 1978.<br />

Remerciements à Walther Seidler, Stiftung Deutsche<br />

Kinemathek, Berlin.<br />

Elisabeth Bergner


124 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />

EVA IN SEIDE<br />

EVE TOUTE NUE<br />

1928-Cari Boese<br />

Réal. : Cari Boese. Prod. : Cari Boese-Film GmbH.<br />

Dir. de prod. : Karl Sander. Auteur : Ernst Klein,<br />

d'après son roman Nuttchen. Se. : Luise Heilborn-<br />

Kôrbitz, Cari Boese. Dir. ph. : Karl Hasselmann.<br />

Déc. : Karl Machus. Studios : National-Film Atelier.<br />

Int. : Lissi Arna (Hélène Armont), Walter RiIla (Pierre<br />

Dautour), Margarete Kupfer (Anna), Max Maximilian<br />

(Rader, dit « Coco »), Cari Walther Meyer, Gerhard<br />

Dammann, Kurt Vespermann, Leopold von Ledebur<br />

(M. Dur), Charles François Kasch, Alexander Murski<br />

(Sir lames Reed), Alfred Graening, Olga Limburg,<br />

Ekkehard Arendt. Date de sortie : 14 août 1928,<br />

décembre 1929 (Paris). Métrage, minutage copie Cf. :<br />

2624 m., 95 mn (à 24 i/s). Générique reconstitué.<br />

Intertitres français. Noir et blanc. Doc. : Gerhard<br />

<strong>La</strong>mprecht : Deutsche Stummfilme 1927-1931,<br />

Deutsche Kinemathek Berlin, s.d. <strong>Ciné</strong>journal,<br />

n° 1060, 20 décembre 1929.<br />

Trempée, affamée, Hélène Armont bat le<br />

pavé en attendant Alfred qui n'arrive pas.<br />

Passe un inconnu qui la remarque, la ramène<br />

chez elle et la nourrit. L'homme s'appelle<br />

Pierre Dautour, il est docteur ès lettres. Amusé<br />

par Hélène, déjà séduit, il s'engage à transformer<br />

cette fille de la rue en la femme la plus<br />

courtisée de la haute société, simplement en<br />

maquillant les apparences. Dès le lendemain,<br />

on l'habille, on la chausse, on la coiffe à crédit,<br />

on la déplace en voiture de location. Elle :<br />

« Qui paiera les factures ? » Lui : « L'avenir<br />

! » Suivie d'Anna, son ancienne logeuse<br />

promue camériste, et accompagnée par son<br />

bon ami Pierre, secrètement amoureux d'elle,<br />

Hélène (d'Armont désormais) <strong>des</strong>cend dans<br />

un grand hôtel de Berlin. Un affairiste d'envergure<br />

la remarque. À Paris, elle plait à Sir<br />

James Reed. Resté à Berlin, Pierre a commencé<br />

un roman racontant l'histoire d'Hélène.<br />

Pendant ce temps, les prétendants la<br />

couvrent de cadeaux et d'argent mais elle, ne<br />

pense qu'à son « découvreur ». Elle finit par<br />

lui télégraphier de la rejoindre. Il accourt mais<br />

reste distant. Monte-Carlo : malgré la diligence<br />

de ses chevaliers servants, la jeune femme<br />

s'ennuie au casino, la tête prise dans ses<br />

souvenirs. Pierre a fini son livre et trouvé un<br />

titre : « Ève dans la soie ». De retour à Berlin,<br />

un titre de princesse en poche, elle découvre<br />

le roman et décide d'y ajouter une fin<br />

de son cru en donnant à l'auteur ce baiser si<br />

longtemps différé.<br />

LA FOURRURE D'EVE<br />

Il est toujours passionnant de découvrir<br />

à quoi ressemblait la production<br />

commerciale d'une époque, et d'un pays,<br />

dont l'histoire a surtout retenu les chefsd'œuvre.<br />

Après les éclats de l'expressionnisme<br />

et du Kammerspiel, et pendant<br />

le temps même où les cinéastes allemands<br />

s'engagent sur la voie d'un réalisme<br />

puissant, que sort-il donc, couramment,<br />

<strong>des</strong> studios de la UFA ? A en croire<br />

Siegfried Kracauer, le « sens du film »<br />

connaît un « étrange affaiblissement » ;<br />

l'influence d'Hollywood n'est pas uniquement<br />

responsable de ce relatif déclin,<br />

mais elle n'y est pas non plus étrangère.<br />

Car nous sommes en 1928 : les compagnies<br />

hollywoodiennes ont largement<br />

entamé leur expansion dans une Allemagne<br />

remise de l'inflation, suscitant<br />

d'ailleurs aussitôt <strong>des</strong> mesures de protection<br />

de la production nationale. Mais<br />

quel quota, quelle mesure économique<br />

peut lutter contre la fascination qu'exerce<br />

un modèle dominant ? Voilà qu'Hollywood<br />

inspire la production même lorsqu'elle<br />

est allemande '. <strong>La</strong> ressemblance<br />

est voulue, pas toujours atteinte : c'est<br />

dans cet écart que se trouve le charme un<br />

peu naïf, un peu bancal, d'Eva in Seide<br />

(Ève toute nue).<br />

Cari Boese occupe, dans le cinéma allemand,<br />

la place typique d'un cinéaste<br />

commercial : prolifique (plus de cent cinquante<br />

films), durable (sa filmographie<br />

s'étend de 1919 à 1957), et capable apparemment<br />

de s'adapter à <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> très<br />

différentes du cinéma et de l'histoire.<br />

Sans génie lui-même, il croisa la route de<br />

quelques grands : Paul Wegener, avec<br />

qui il réalisa le deuxième Golem en 1920 2 ;<br />

Lupu Pick, qu'il dirigea dans ce qui fut<br />

certainement sa tentative la plus ambitieuse,<br />

Die Letzte Groschke von Berlin (le<br />

Dernier Fiacre de Berlin, 1926). On crut le<br />

film de Lupu Pick, ce qui plaide en sa faveur,<br />

même si la critique s'accorde à n'y<br />

voir qu'une pâle imitation d'un Kammerspiel<br />

déjà dénaturé.<br />

Est-il utile de démontrer qu'Eva in<br />

Seide, pour sa part, tend de toutes ses<br />

forces vers la comédie américaine ? Hollywood<br />

a donné le ton depuis longtemps,<br />

avec les comédies mondaines tournées<br />

par DeMille entre 1918 et 1925, avec A<br />

Woman of Paris (l'Opinion publique, 1923)<br />

de Chaplin, et avec, bien sûr, le travail<br />

d'un autre Allemand qui réussit, lui,<br />

outre-Atlantique : en 1928, Ernst Lubitsch<br />

a déjà réalisé pour la toute jeune<br />

Warner quelques chefs-d'œuvre muets<br />

d'esprit satirique. Or, Eva in Seide ne cache<br />

pas ses origines, avec son sujet léger,<br />

sa structure théâtrale, ses costumes luxueux,<br />

son atmosphère étouffante de comédie<br />

d'intérieur qui vous promène de<br />

chambrette en palace, de restaurant en<br />

bijouterie, de Paris à Monte-Carlo. Légèreté,<br />

luxe et évasion : voilà qui nous met<br />

aux antipo<strong>des</strong> du réalisme <strong>des</strong> Pabst (encore<br />

qu'Eva ait avec Loulou une parenté<br />

lointaine), Jutzi et autres Siodmak.<br />

Cette Eva-là a cependant quelque difficulté<br />

à passer pour made in Hollywood.<br />

On comprend du coup pourquoi Lubitsch,<br />

alors même qu'il avait déjà peaufiné<br />

son talent en Allemagne, n'a vraiment<br />

triomphé dans la comédie sophistiquée<br />

qu'aux États-Unis : c'est que l'esprit<br />

du genre est profondément opposé, en<br />

tous points, à la manière allemande. Et<br />

peut-être est-ce tant mieux ; car ce que<br />

nous avons là, c'est un objet hybride et<br />

singulier, à mi-chemin entre Die Austernprinzessin<br />

(la Princesse aux huîtres, 1919) et<br />

Design for Living (Sérénade à trois, 1933),<br />

une comédie internationale dont les très<br />

germaniques personnages flirtent, non<br />

sans mal, avec la frivolité européenne<br />

telle que la voient les Américains.<br />

Passons sur le scénario inspiré d'un<br />

roman à succès, énième variation sur un<br />

thème de répertoire : Galatée est cette fois<br />

ramassée sur le pavé berlinois par un<br />

Pygmalion romancier. Passons sur les acteurs<br />

: si Lissi Arna - visage rond et silhouette<br />

bien plantée - manque d'une<br />

souhaitable évanescence, Walter Rilla est<br />

plus convaincant dans le rôle d'un per-<br />

sonnage dont l'art est de savoir s'effacer.<br />

Tout l'intérêt de ce conte social est<br />

donc dans son traitement. Chaque scène<br />

est longue, se développant en plans insistants<br />

: malgré la réussite très ambiguë<br />

d'Hélène (promue mondaine ou demimondaine<br />

?), on ne manie pas ici, ou fort<br />

peu, l'art de l'allusion, du sous-entendu<br />

et de l'ellipse. Qu'Hélène apparaisse, grelottante<br />

sous son parapluie, et la caméra<br />

la décline sur tous les plans. Hélène<br />

meurt de faim, Pierre la nourrit, et c'est<br />

la base d'un épisode richement détaillé,<br />

où les personnages s'abandonnent aux<br />

délices de la charcuterie et aux vapeurs<br />

de l'alcool. Le réalisme ne serait-il pas,<br />

après tout, plus près qu'on ne pense ?<br />

Conte de fées ou pas, c'est un cinéma qui<br />

ignore la magie : voyez ce manteau de<br />

fourrure, dont l'entrée dans l'action est si<br />

soigneusement préparée, justifiée, commentée.<br />

<strong>La</strong> fourrure, signe tout-puissant<br />

de la métamorphose d'Hélène, éblouit<br />

tous ceux qui regardent la femme, et<br />

confère à celle-ci une sorte de solennité<br />

maladroite. Hélène, contrairement à ses<br />

cousines américaines, n'a pas droit à la<br />

désinvolture ; elle fait <strong>des</strong> gaffes, mais n'a<br />

pas la souplesse, la gouaille boulevardière<br />

et élégante <strong>des</strong> héroïnes de comédie.<br />

Elle est comme asservie à la façade<br />

impeccable de sa toilette, parce que la satire<br />

brutale du propos implique que l'habit<br />

fait complètement le moine, et que les<br />

hommes, trop bêtes, ne croient qu'aux<br />

apparences.<br />

L'essentiel du comique du personnage<br />

est donc reporté sur son double grotesque,<br />

Anna, à laquelle l'excellente Margarete<br />

Kupfer (vue notamment dans les<br />

Lubitsch allemands) prête ses yeux<br />

ronds, ses manières brusques et ses soucis<br />

prosaïques. Anna a sur la situation un<br />

avis aussi borné que répétitif : selon elle<br />

Pierre est, et sera toujours, « complètement<br />

maboul ». Ce schématisme <strong>des</strong> personnages<br />

secondaires (suffisant pour<br />

prouver à quel point le modèle hollywoodien<br />

est peu et mal intégré), contribue<br />

à la stylisation excessive de l'en-<br />

semble : ils composent une galerie de stéréotypes<br />

- le commerçant, le milliardaire,<br />

le prince ruiné - universellement guidés<br />

par le désir et l'intérêt. Entre ces rangées<br />

de statues grimaçantes, Pierre et Hélène<br />

parviennent, eux, à rester humains ; l'art<br />

de la nuance, si propre à la comédie sophistiquée,<br />

n'est pas dans l'écriture, ni<br />

dans les décors, ni dans le développement<br />

de l'intrigue ; mais elle émerge dans<br />

les regards, les expressions, les gestes délicats<br />

<strong>des</strong> deux jeunes gens, que la caméra<br />

prend parfois au piège avec une inhabituelle<br />

finesse.<br />

Le son eût-il simplifié la tâche de Cari<br />

Boese ? Eva in Seide a, en effet, ce côté un<br />

peu ingrat de certains films de la fin du<br />

muet, où le sens plastique s'égare déjà un<br />

peu, où les manies du théâtre figent le cinéma,<br />

où tout enfin est prévu pour la parole<br />

alors qu'elle reste encore la grande<br />

absente. On préfère pourtant le film tel<br />

qu'il est, silencieux, entretenant le<br />

trouble de sa nature, comme Pierre le<br />

trouble de ses intentions à l'égard d'Hélène.<br />

Car les films qui vacillent entre les<br />

époques, les univers, les styles et les zones<br />

d'influence, ont toujours quelque<br />

chose de rare et d'émouvant.<br />

Jacqueline Nacache<br />

1 Siegfried Kracauer écrit : « Dans la mesure où Hollywood<br />

semblait avoir découvert le secret de plaire<br />

à tout le monde, les producteurs allemands rêvaient<br />

d'imiter ce qu'ils pensaient être la véritable manière<br />

hollywoodienne » (De Caligari à Hitler, Flammarion,<br />

1987, p. 150).<br />

2 On peut lire dans l'Écran démoniaque de Lotte H. Eisner<br />

(Appendice III) un texte de Boese racontant sa<br />

contribution aux trucages du Golem.


126 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />

GESCHLECHT IN FESSELN<br />

CHAÎNES<br />

1928-Wilhelm Dieterle<br />

Réal. : Wilhelm Dieterle. Prod. : Léo Meyer, Essem-<br />

Film GmbH (Berlin). Auteurs : Franz Hôllering,<br />

d'après son étude et Karl Plâttner, d'après sa<br />

documentation. Se. : Herbert juttke, Georg C. Klaren.<br />

Dir. ph. : Walter Robert <strong>La</strong>ch. Son : Fritz Brunn.<br />

Déc. : Max Knaake, Fritz Maurischat. Maq. : Paul<br />

Dannenberg. Int. : Mary Johnson (Hélène Sommer),<br />

Wilhelm Dieterle (Franz Sommer), GunnarToInaes<br />

(Rodolphe Steinau), Paul Henckels, Hans Heinrich<br />

von Twardowsky, Gerd Briese, Hugo Werner Kahle,<br />

Karl Goeth, Friedrich Kurth, Arthur Duarte, Anton<br />

Pointner. Date de sortie : 24 octobre 1928, août 1929<br />

(Paris). Métrage, minutage copie Cf. : 2020 m., 88 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : Hervé Dumont : William Dieterle. Antifascismo<br />

y compromiso romântico, Festival internacional de<br />

Cine de San Sebastiân-Filmoteca Espanola, 1994.<br />

Franz Sommer, récemment marié à la<br />

jolie Hélène, est un jeune ingénieur en quête<br />

d'un premier travail. Hélène trouve - au<br />

grand émoi de son époux - un petit emploi<br />

dans un restaurant. Or un soir, un client fait<br />

<strong>des</strong> avances à la jeune femme. Franz intervient<br />

; bagarre, l'autre tombe en arrière et se<br />

blesse grièvement à la tête. Franz est arrêté.<br />

Placé en prévention, il rencontre là un très<br />

riche industriel, Rodolphe Steinau. Libérépeu<br />

après, celui-ci promet de s'occuper d'Hélène.<br />

Aussitôt dit... Il offre à la jeune femme un emploi<br />

dans ses bureaux. Le blessé décède. Franz<br />

est condamné à trois ans de prison. Ils sont<br />

quatre dans une cellule. <strong>La</strong> nuit, Franz étreint<br />

Hélène en rêve, le jour, un détenu sculpte avec<br />

de la mie de pain un corps de femme qu'il caresse.<br />

Le même, peu après, tentera de se suicider<br />

et y parviendra finalement. Hélène, déprimée,<br />

travaille, veillée par Steinau et les<br />

jours passent comme <strong>des</strong> années, trois années<br />

d'attente, de désirs impossibles, de misère. Un<br />

soir, poursuivie dans toute la maison par<br />

l'image de son mari, elle s'enfuit et finit chez<br />

Steinau. Elle se donne à lui en pensant à<br />

Franz. Un nouveau détenu dans la cellule<br />

éprouve une attirance physique pour Franz.<br />

Finalement, il est libre. Mais dans le taxi qui<br />

les ramène, les époux sont silencieux, comme<br />

épuisés. À la maison, il s'effondre quand elle<br />

confesse son secret. À bout de forces, Franz<br />

ouvre le gaz. Hélène choisit de mourir avec<br />

lui.<br />

CELUI PAR QUI<br />

LE SCANDALE ARRIVE<br />

Geschlecht in Fesseln (littér. : « Sexe en<br />

chaînes ») du jeune Wilhelm Dieterle - il<br />

s'agit de sa cinquième réalisation - milite<br />

en faveur d'une réforme pénitentiaire,<br />

car « ce ne sont pas les hommes qui sont<br />

mauvais, mais leurs lois qui sont fausses<br />

et brutales, ce sont elles qui nous jettent<br />

sans pitié dans l'abîme ! » (intertitre censuré).<br />

L'œuvre relate les affres sexuelles<br />

<strong>des</strong> prisonniers de droit commun avec<br />

une franchise et une délicatesse alors inhabituelles.<br />

Soutenu par la Ligue <strong>des</strong><br />

droits de l'homme (qui parraine l'entreprise),<br />

Dieterle a obtenu l'autorisation exceptionnelle<br />

de tourner à l'intérieur du<br />

pénitencier de Berlin-Moabit, à la Lehrterstrasse<br />

(été 1928). Le cinéaste décrit<br />

minutieusement l'univers carcéral, la<br />

monotonie <strong>des</strong> bricolages et menues occupations,<br />

la ronde dans la cour, l'ennui<br />

et la sempiternelle promiscuité en cellule.<br />

<strong>La</strong> nuit, panoramique sur les quatre reclus<br />

tourmentés par leur imagination,<br />

leurs désirs sexuels, leurs frustrations, les<br />

dérivatifs et les rêves. « Pourquoi nous<br />

laisse-t-on manger, boire, dormir, mais<br />

pas « cela » ? » se révolte l'un d'eux qui a<br />

même vu un camarade s'émasculer afin<br />

de pouvoir trouver le sommeil (scène<br />

censurée). À la sortie de prison, trois ans<br />

plus tard, les Sommer s'enferment dans<br />

un silence tourmenté. Le taxi qui les ramène<br />

à la maison affiche « libre », renvoi<br />

cynique et insistant à une « liberté » dont<br />

Franz ne sait plus que faire. Ne parvenant<br />

pas à y croire (comme Dreyfus dans The<br />

Life of Emile Zola, dix ans plus tard), l'exbagnard<br />

entre et sort, rentre et ressort de<br />

l'appartement : la porte n'est vraiment<br />

pas verrouillée ! Anéantis par la culpabilité<br />

et la honte, les époux se suicident au<br />

gaz, main dans la main. Gros plan <strong>des</strong><br />

deux visages rapprochés par la mort.<br />

Dans la version allemande, un entrefilet<br />

de journal relate la tragédie de deux êtres<br />

humains que les lois ont rendus coupables<br />

l'un envers l'autre.<br />

Toutefois, ce qui commence comme<br />

un document saisissant sur un pays miné<br />

par l'insécurité et le chômage, dans la<br />

meilleure tradition du cinéma réaliste allemand<br />

(Phil Jutzi, Abschied de Siodmak),<br />

dérape progressivement dans le mélodramatique<br />

et détruit la crédibilité de la<br />

démonstration. Car sans vouloir minimiser<br />

les privations sexuelles <strong>des</strong> détenus,<br />

on peut dire que les dimensions qu'elles<br />

acquièrent dans ce récit semblent quelque<br />

peu disproportionnées, comparées<br />

au lot d'injustices qui accablent la société<br />

à l'extérieur <strong>des</strong> prisons (sans parler <strong>des</strong><br />

monstruosités qui se préparent dans le<br />

pays même). Le sort <strong>des</strong> Sommer, « définitivement<br />

souillés » par trois ans de séparation,<br />

relève plus de la faiblesse de caractère<br />

que d'une fatalité objective. Désigné<br />

comme un « perdant », Franz ne peut<br />

être vraiment représentatif, mais au mieux<br />

un cas déplorable : l'argumentation<br />

de Dieterle semble ici avoir été aveuglée<br />

par sa sentimentalité. Cela dit, Geschlecht<br />

in Fesseln reste un témoignage précieux<br />

sur la mentalité de l'époque. Dieterle (qui<br />

joue lui-même avec gravité et émotion) y<br />

traite ouvertement de la dépression, de<br />

l'humiliation de l'individu, de la rapacité<br />

<strong>des</strong> possédants, enfin et surtout du suicide<br />

et de l'homosexualité, sans condamnation<br />

morale ni hypocrisie dans le regard,<br />

ce qui est déjà peu banal (en 1940,<br />

il abordera un autre sujet tabou, la syphilis,<br />

dans Dr. Ehrlich's Magic Bullet).<br />

Aujourd'hui, son film frappe surtout par<br />

sa mise en scène, son sens du cadrage, sa<br />

concision dramatique. Le réalisateur cadre<br />

serré pour augmenter le sentiment de<br />

claustrophobie, accumule les gros plans<br />

ou plans rapprochés, se permet quelques<br />

compositions hardies et <strong>des</strong> enchaînements<br />

en surimpression à la Vertov ou<br />

Ruttmann. Des panoramiques répétés en<br />

aller-retour entre deux personnages (Hélène-Steinau,<br />

Franz-le détenu homosexuel)<br />

expriment l'inavouable, le désir<br />

subconscient. Les scènes d'intimité très<br />

intenses, traduisant l'attachement amoureux<br />

du couple au début du film, témoi-<br />

gnent d'un talent cinématographique en<br />

gestation, certes, mais réel.<br />

Couvert d'éloges par la presse, qualifié<br />

même de « rayon de lumière dans les<br />

ténèbres réactionnaires du temps » *, Geschlecht<br />

in Fesseln obtient la prime à la qualité<br />

(« Prâdikat : besonders wertvoll »),<br />

mais suscite de sérieux remous politiques.<br />

Le gouvernement de Bavière demande<br />

vainement à Berlin l'interdiction<br />

du film qui mettrait en péril l'ordre et la<br />

morale publics. Plusieurs passages sont<br />

censurés et ont disparu <strong>des</strong> copies encore<br />

existantes : notamment la visite du beaupère<br />

au début (un industriel insensible à<br />

la misère de son temps), toute l'intervention<br />

de Steinau auprès d'un député afin<br />

d'obtenir un adoucissement de la loi<br />

(« on dépense <strong>des</strong> millions pour la protection<br />

<strong>des</strong> animaux et presque rien pour<br />

la réhabilitation de l'homme »), <strong>des</strong> plans<br />

plus explicites sur l'homosexualité, enfin<br />

divers intertitres dénonçant les priva-<br />

tions du pénitencier comme un « simple<br />

acte de vengeance de la société ». <strong>La</strong> distribution<br />

mondiale est assurée par la<br />

Nero, mais l'œuvre bannie dans de nombreux<br />

pays. À Paris, Chaînes provoque un<br />

tollé (août 1929). Ayant tenu le rôle d'un<br />

révolutionnaire dans Die Weber I les Tisserands<br />

(Friedrich Zelnik, 1927), Dieterle<br />

n'est pas dans les bons papiers de la<br />

droite (le public parisien chantait l'Internationale<br />

dans les salles). Chaînes s'attire<br />

les foudres de l'Ami du peuple, le journal<br />

de Coty, qui exige la saisie de ce « spectacle<br />

pornographique où l'on voit la naissance<br />

<strong>des</strong> passions les plus sales (...) <strong>La</strong><br />

Ligue <strong>des</strong> droits de l'homme a patronné<br />

ce film en Suisse et en Allemagne : qu'elle<br />

sévisse de ce côté ou de l'autre du Rhin,<br />

la Ligue défend automatiquement les<br />

agents de la démoralisation, ainsi que<br />

toutes les entreprises qui tendent à accélérer<br />

le processus de démoralisation d'un<br />

pays » 2 . <strong>La</strong> préfecture de police pari-<br />

GESCHLECHT IN FESSELN - 127<br />

sienne obéit sur-le-champ, ce qui provoque<br />

l'ire de la gauche. Le film ressortira<br />

toutefois en décembre et récoltera un<br />

beau succès (onze semaines d'exclusivité,<br />

en dépit de la nouvelle concurrence<br />

du parlant). L'écho international de ce<br />

film progressiste encourage le jeune Dieterle<br />

dans la voie du film à message sociopolitique<br />

: cette même année, il aborde une<br />

biographie « scandaleuse » de Louis II<br />

de Bavière qui lui vaut la haine <strong>des</strong> nazis.<br />

Ce ne sont là que les premiers jalons<br />

d'une carrière politiquement très engagée<br />

: ami de Brecht, résolument antifasciste,<br />

Dieterle sera réduit au silence par<br />

les McCarthystes du Hollywood d'aprèsguerre.<br />

Hervé Dumont<br />

1 Welt am Montag (Berlin), 24 octobre 1928.<br />

2 L'Ami du peuple (Paris), 10 décembre 1929.


128 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />

DAS STAHLTIER<br />

L'ANIMAL D'ACIER<br />

1935 - Willy Zielke<br />

Stahltier<br />

- L'ANIMAL D'ACIER<br />

Réal. : Willy Zielke. Prod. : Deutsche Reichsbahn.<br />

Se. : Willy Zielke. Dir. ph. : Willy Zielke, Hubs Flôter.<br />

Mus. : Peter Kreuder. Int. : Aribert Mog (Klaassen), les<br />

ouvriers de l'atelier de réparation de Munich-<br />

Freimann, la S 3/6 (la locomotive). Le film est interdit<br />

par la commission de contrôle de Berlin, le 25 juillet<br />

1935. Une version réduite (42 minutes) sort en 1954.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2051 m., 75 mn.<br />

Version originale sous-titrée en français. Noir et blanc.<br />

Doc. : Martin Loiperdinger : « L'histoire de l'Animal<br />

d'acier», <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 5, printemps 1994.<br />

Le jour se lève sur une ville d'Allemagne.<br />

Les ouvriers entrent dans l'usine où l'ingénieur<br />

Klaassen n'a pas fermé l'œil. Toute la<br />

nuit, il a pensé, calculé et <strong>des</strong>siné les plans<br />

d'une nouvelle locomotive. L'usine tourne<br />

maintenant à plein régime, peu à peu le projet<br />

prend forme et enfin, « l'animal d'acier »<br />

paraît, rutilant. Klaassen prend l'air et part<br />

à la rencontre de l'équipe de triage. Il regarde<br />

travailler ces ouvriers rompus au métier, les<br />

gêne un peu, finalement sympathise avec eux.<br />

Plus tard, il leur raconte l'histoire, parfois<br />

tragique, <strong>des</strong> inventeurs du chemin de fer : en<br />

1813, la révolte <strong>des</strong> paysans de Caston Hill<br />

contre les géomètres calculant un chemin<br />

pour leur machine infernale; l'explosion mortelle<br />

du drôle d'engin de James Waters en<br />

1812. Après la pose <strong>des</strong> rails, c'est la pause ;<br />

l'ingénieur et les ouvriers se baignent dans<br />

un étang. <strong>La</strong> classe reprend avec la valeureuse<br />

Puffing Billy d'un autre ingénieur anglais ;<br />

l'invention du français Cugnot (1770) qui<br />

finit sa course dans une maison ; Stephenson<br />

et sa Rocket faisant un mort le jour de l'inauguration<br />

de la ligne Liverpool-Manchester<br />

(1830) ; enfin, l'évocation de l'Aigle, le premier<br />

train allemand qui reliait, il y a cent ans<br />

exactement, Nuremberg à Fiirth. Comme<br />

pour fêter cet anniversaire, l'ingénieur lance<br />

sa nouvelle machine sur les rails jusqu'à atteindre,<br />

dans l'harmonie de toutes les parties<br />

de « l'animal », sa pleine vitesse. Après cet<br />

essai réussi, Klaassen et l'un <strong>des</strong> ouvriers se<br />

retrouvent, fument une cigarette et se séparent,<br />

un peu tristes.<br />

MAÎTRESSE MÉCANIQUE<br />

Longtemps invisible, plus tard faiblement<br />

diffusé dans une version mutilée,<br />

Das Stahltier (l'Animal d'acier) appartient<br />

à cette catégorie de films autour <strong>des</strong>quels<br />

une légende prend corps, légende<br />

alimentée par l'inaccessibilité même de<br />

l'œuvre autant que par les entraves, souvent<br />

inexpliquées, qu'elle a subi. Le caractère<br />

exceptionnel du film dans son<br />

contexte historique et le <strong>des</strong>tin malheureux<br />

du cinéaste ne sont pas étrangers à<br />

sa légende. Le fait que, dans ses Mémoires,<br />

pourtant d'une fiabilité mitigée,<br />

Leni Riefenstahl se défende d'avoir été<br />

pour quelque chose dans l'internement<br />

de Willy Zielke en asile psychiatrique -<br />

séjour pendant lequel il aurait été châtré,<br />

selon les lois d'eugénisme nationales-socialistes<br />

- contribue à entourer d'un mystère<br />

troublant le nom du cinéaste et la réputation<br />

de son unique long métrage.<br />

À l'origine, Das Stahltier était un film<br />

de commande <strong>des</strong> chemins de fer du<br />

Reich, ce qu'aujourd'hui, en France, on<br />

appellerait « un film institutionnel ».<br />

Tout ce qu'on peut savoir <strong>des</strong> circonstances<br />

de sa production ainsi que <strong>des</strong><br />

multiples querelles de pouvoir ayant entraîné<br />

son interdiction, et vingt ans plus<br />

tard sa résurgence tronquée, a été exposé,<br />

avec une minutie donnant le vertige, par<br />

Martin Loiperdinger dans « L'histoire de<br />

l'Animal d'acier » (<strong>Ciné</strong>mathèque, n° 5, printemps<br />

1994). Dans le même volume, une<br />

étude de Dominique Païni (« L'Animal<br />

d'acier et la nouvelle vision ») relie le film<br />

à la formation et l'activité de Zielke<br />

comme photographe, dans le contexte de<br />

la Neue Sachlichkeit (« Nouvelle Objectivité<br />

»). Les deux auteurs soulignent l'isolement<br />

du film dans le cinéma du Troisième<br />

Reich.<br />

Rappelons brièvement que, enthousiastes<br />

devant les premières séquences<br />

tournées par Zielke, les commanditaires<br />

du film avaient rallongé le devis pour en<br />

faire un long métrage, tout en laissant le<br />

cinéaste en liberté. Terminé, Das Stahltier<br />

s'avère inacceptable pour l'Allemagne de<br />

1935. Une raison évidente est d'ordre politique<br />

: une place trop importante y est<br />

faite aux ingénieurs anglais précurseurs<br />

du chemin de fer. Une autre raison, plus<br />

subtile, relèverait du langage cinématographique,<br />

du formalisme effréné du<br />

film : appliqué au monde du travail, esthétisé<br />

certes mais sans idéalisation idéologique,<br />

il acquiert une boursouflure<br />

troublante. Selon Loiperdinger, ce trouble<br />

aurait survécu au national-socialisme,<br />

jusqu'à inspirer les coupures faites au<br />

film en 1954 en République fédérale allemande,<br />

par la nouvelle administration<br />

<strong>des</strong> chemins de fer, au moment de sa distribution<br />

tardive.<br />

Tel qu'il apparaît soixante ans après<br />

sa réalisation, Das Stahltier frappe par ses<br />

aspects obsessionnels. Les recherches de<br />

langage s'éclipsent devant l'irruption<br />

violente, dans une démarche qui se veut<br />

didactique, commémorative, d'une pulsion<br />

érotique déclenchée d'abord par la<br />

machine, ensuite par la vie de ceux qui la<br />

servent. Pour aborder ce qui peut avoir<br />

dérangé dans Das Stahltier, il faut tout<br />

d'abord délaisser les épiso<strong>des</strong> historiques,<br />

évocations sur le mode du tableau<br />

vivant, dont les ellipses semblent plutôt<br />

dissimuler <strong>des</strong> infirmités de production<br />

qu'être le fruit d'une stratégie narrative.<br />

C'est dans son présent, en 1935, qu'on<br />

trouve l'origine du malaise.<br />

L'ingénieur décrit la locomotive comme<br />

une créature vivante, dont il compare<br />

les parties et leurs fonctions à celles d'un


130 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />

corps. Ses rapports avec elle sont empreints<br />

d'une intensité amoureuse : soins<br />

qu'il lui prodigue, moments qu'il cherche<br />

à passer seul avec elle, rendez-vous secrets<br />

interrompus par <strong>des</strong> ouvriers la fréquentant<br />

sous un tout autre jour, celui de<br />

la vie pratique. L'animal d'acier existe<br />

donc comme un objet de désir dans l'imaginaire<br />

de celui qui l'approche à partir<br />

d'une connaissance intellectuelle, et aussi<br />

dans la réalité non transposée de ceux<br />

dont elle habite le quotidien. Les rapports<br />

de l'ingénieur avec les ouvriers apprendront<br />

quelque chose à l'un et aux autres,<br />

selon le schéma de la poignée de mains<br />

finale entre Capital et Travail dans Metropolis<br />

de Thea von Harbou et Fritz <strong>La</strong>ng.<br />

Dominique Païni remarque, dans<br />

l'essai mentionné, qu'il n'y a pas d'érotisation<br />

picturale dans les portraits <strong>des</strong> travailleurs<br />

faits par Zielke, comme chez<br />

d'autres photographes de l'époque. Un<br />

érotisme diffus, pourtant, imprègne par<br />

moments les contacts de l'ingénieur et<br />

<strong>des</strong> ouvriers, qui l'acceptent graduellement<br />

parmi eux. Certains repères du parcours<br />

initiatique trouvent dans le film<br />

une réincarnation, loin <strong>des</strong> récits d'aventures<br />

ou de guerre où un « jeune » est<br />

adopté par <strong>des</strong> « pros » mais toujours<br />

dans l'éthologie de « l'amitié virile ». Une<br />

baignade dans un lac scelle cette acceptation<br />

de l'individu cultivé au sein du<br />

groupe prolétaire<br />

Sauf que... Dans ce mariage de la main<br />

et du cerveau, idéologiquement irréprochable<br />

pour l'Allemagne de 1935 comme<br />

pour celle de 1954, il n'y a que <strong>des</strong> aspirants-maris.<br />

<strong>La</strong> fiancée, elle, trône sur<br />

eux, leur échappe à tous. Dans la splendeur<br />

métallique de ses rugissements et<br />

fumées, c'est une maîtresse exigeante et<br />

boudeuse, à ajouter à l'inventaire dressé<br />

par Mario Praz <strong>des</strong> « belles dames sans<br />

merci » chères à l'imaginaire décadent 2 .<br />

Cette matière reste, comme il se doit,<br />

tacite, donc particulièrement puissante,<br />

surtout parce qu'elle s'insinue dans les<br />

fissures <strong>des</strong> recherches de cadrage et de<br />

montage menées par Zielke. À l'intersec-<br />

tion de Walter Ruttmann et de Dziga Vertov,<br />

son travail est loin, très loin <strong>des</strong> ferveurs<br />

hellénisantes de Leni Riefenstahl.<br />

Il évoque <strong>des</strong> artistes comme Balla, Carrà,<br />

Boccioni et Prampolini. Jamais Arno Breker.<br />

D'ailleurs, le futurisme pictural et<br />

poétique est une clé du film, autant que<br />

la « nouvelle objectivité ». Il relève de cet<br />

engouement pour une modernité faite de<br />

technique, de machines, de mouvement<br />

et de vitesse, longtemps classé comme<br />

une manifestation de l'élan vers l'irrationnel<br />

censé avoir nourri le national-socialisme,<br />

donc opposé à un rationalisme<br />

« progressiste », « de gauche ». Comme<br />

d'autres dichotomies cherchant à dissiper<br />

les coïncidences fâcheuses entre idéologies<br />

rivales, cette perception éclaire peu<br />

le terreau très mélangé <strong>des</strong> avant-gar<strong>des</strong><br />

esthétiques et politiques (aussi peu que,<br />

par exemple, les revendications contraires<br />

du mythe de « l'homme nouveau<br />

», créature appelée de leurs vœux<br />

par <strong>des</strong> docteurs Frankenstein aussi disparates<br />

que Lénine, Hitler, Pétain ou<br />

Fidel Castro). En fait, l'ivresse de la « modernité<br />

» semble avoir été commune à<br />

tous les mouvements marqués par le futurisme<br />

: un éventail touchant aussi bien<br />

le vorticisme anglais que les premières<br />

avant-gar<strong>des</strong> russes.<br />

Si Das Stahltier reste une curiosité plutôt<br />

qu'une réussite, les raisons ne sont<br />

que trop évidentes. Tout art aime à se mesurer,<br />

à buter contre les limites de son langage.<br />

Le cinéma muet avait su bâtir un<br />

système narratif d'une admirable subtilité<br />

parce que débarrassé du lest naturaliste<br />

que tout dialogue véhicule. Le sonore,<br />

Bresson l'a toujours signalé, a surtout<br />

inventé le silence. Le peintre,<br />

confronté à la représentation du mouvement,<br />

a inventé <strong>des</strong> agencements de réfractions,<br />

répétitions et superpositions de<br />

formes : voici l'enjeu, et les meilleures<br />

réussites <strong>des</strong> futuristes. <strong>La</strong> captation du<br />

mouvement est l'essence même du cinéma,<br />

donc son élaboration n'a de sens<br />

que quand elle relève le défi de l'immo-<br />

DAS STAHLTIER - 131<br />

bilité. Ainsi, les rythmes de Das Stahltier<br />

sont brillants, mais c'est la chevelure<br />

d'une femme morte, d'abord étalée, ensuite<br />

pendante sur le bord d'un pont levé<br />

qui reste, dans Octobre d'Eisenstein, un<br />

grand moment de cinéma.<br />

Edgardo Cozarinsky<br />

1 Autres lacs, autres baigna<strong>des</strong> : le comédien Aribert<br />

Mog, qui incarne l'ingénieur, avait joué l'amant<br />

d'Hedy Kiesler, plus tard <strong>La</strong>marr, dans Extase de Machaty...<br />

2 Mario Praz : <strong>La</strong> carne, la morte e il iiavolo nella litte-<br />

ratura romantica, 1930.


132 - EUROPE - AUTRICHE<br />

WEGE DES SCHRECKENS<br />

JUSQU'AU CRIME<br />

1921 - Michael Kertesz (Michael Curtiz)<br />

Réal. : Michael (Mihtly) Kertesz. Prod. : Sascha<br />

Filmindustrie AG, Wien (Alexander « Sascha »<br />

Kolowrat). Se. : Fred Wallace. Dir. ph. : Gustav<br />

Ucicky. Opérateur : C. Hiller. Déc. : Julius Borsody,<br />

Arthur Berger. Int. : Lucy Doraine (Maud Hartley),<br />

Alfons Fryland (William Stephenson), Max Devrient<br />

(James Stephenson), Paul Askons (Thomas Racton),<br />

Mathilde Danneger (Gabrielle Racton), Jean Ducret<br />

Date de sortie : / / novembre 1921.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1730 m., 76 mn<br />

(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc. Ce film a été restauré dans le cadre du<br />

« Projet Lumière », avec le concours de la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque municipale de Luxembourg,<br />

l'Ôsterreichisches Filmarchiv (Vienne). Remerciements<br />

à la National Film and Télévision Archive (Londres).<br />

Doc. : CineGraph, Lieferung 5, « Gustav Ucicky ».<br />

Film Kurier, Samstag, 19 août 1922. Michael Curtiz,<br />

Un ungherese a Hollywood, a cura di Orio Caldiron,<br />

<strong>La</strong> Meridiana Editori, Roma, 1992.<br />

Les usines Stephenson et Racton rivalisent<br />

d'importance. Un mariage est prévu entre<br />

le fils Stephenson, William, et la fille Racton,<br />

Gabrielle. Mais William remarque Maud<br />

Hartley, cousine éloignée, servante et souffredouleur<br />

<strong>des</strong> Racton. Les fiançailles sont rompues,<br />

Maud est chassée. Elle trouve un emploi<br />

à l'usine Stephenson et devient vite la secrétaire<br />

de William. Mais un soir, Harry, le<br />

frère de Maud et bon à rien, tue un policier.<br />

Il se réfugie chez sa sœur, et William, trompé<br />

par une ombre chinoise, pense qu'elle a un<br />

amant. Le lendemain, quand le coffre <strong>des</strong> Stephenson<br />

est vide, c'est Maud qu'on accuse et<br />

répudie. Le train qui la ramène chez sa mère<br />

prend feu et les secours l'extirpent inanimée<br />

de la carcasse brûlante. À l'hôpital, elle délire.<br />

Harry, pris de remords, rend l'argent qu'il a<br />

volé à William. Celui-ci cherche la jeune femme<br />

toute une année et la retrouve dans un<br />

grand hôtel en femme du monde. Elle raconte :<br />

guérie, elle apprend que sa maman est morte.<br />

Seule, fuyant le monde de la prostitution, elle<br />

devient par le plus grand <strong>des</strong> hasards une<br />

mondaine, menant la vie d'une débauchée et<br />

s'adonnant aux stupéfiants. Le lendemain de<br />

ce récit, Harry, traquépar la police, heurte...<br />

la voiture de William et Maud, enfin réunis.<br />

Il mourra sous les balles de la police après une<br />

course-poursuite jusqu'au sommet d'une<br />

cheminée d'usine.<br />

KERTESZ AVANT CURTIZ<br />

Lors de la République hongroise <strong>des</strong><br />

conseils (mars-août 1919), le futur Michael<br />

Curtiz a siégé au « conseil artistique<br />

» qui planifiait la production nationalisée<br />

en avril, et tourné un court film<br />

résolument révolutionnaire : Jôn az ôcsém<br />

! (Mon frère arrive, conservé). Il y mettait<br />

sans doute aussi peu d'engagement<br />

personnel que bien plus tard dans Mission<br />

to Moscou/, qui devait valoir <strong>des</strong> ennuis<br />

à Jack Warner. Invité en mai 1919<br />

avec son épouse et vedette Lucy Doraine<br />

par Sascha Kolowrat, il tourne pour celuici<br />

quatorze films en Autriche, puis trois<br />

en Allemagne, avant de commencer en<br />

1926 sa carrière américaine et ses vingthuit<br />

ans chez Warner Bros.<br />

Comme en Allemagne, le lendemain<br />

de la Première Guerre mondiale et les débuts<br />

de la république voient l'épanouissement<br />

du cinéma autrichien. <strong>La</strong> production<br />

atteint son record absolu en 1919<br />

et 1920 avec cent trente et cent quarante<br />

longs métrages. Deux firmes tentent de<br />

conquérir les marchés étrangers par le gigantisme<br />

: la Vita, qui construit de grands<br />

studios, et surtout la Sascha-Film, fondée<br />

en 1912 par Alexander (« Sascha ») Kolowrat,<br />

qui triomphe grâce aux Hongrois<br />

Mihâly Kertész et Sandor Korda.<br />

Dans le Hollywood Mitteleuropa de<br />

la Sascha, Michael (désormais) Kertesz<br />

fabrique <strong>des</strong> produits internationaux.<br />

Pour Wege <strong>des</strong> Schreckens, le scénariste <strong>La</strong>dislaus<br />

(<strong>La</strong>szlo) Vajda prend un pseudonyme<br />

anglosaxon, comme sont anglosaxons<br />

les personnages (la critique du<br />

Film-Kurier mentionne la photographie<br />

de « C. Hiller » ; peut-être un autre pseudonyme<br />

pour l'opérateur, et futur réalisateur,<br />

Gustav Ucicky). L'action se passe<br />

en Grande-Bretagne, avec un détour par<br />

la Suisse pour exploiter les paysages autrichiens.<br />

Le mot d'ordre est : faire feu de<br />

tout bois. Pas un décor naturel qui ne soit<br />

exploité. Quant aux décors construits<br />

(par les excellents Julius Borsody et Arthur<br />

Berger), ils doivent signifier l'opu-<br />

lence, le rêve anglo-saxon du monde entier.<br />

Le sujet et le scénario (Vajda a siégé,<br />

lui aussi, au conseil artistique du cinéma<br />

hongrois) sont parmi les plus désuets et<br />

les plus bêtes qu'on puisse imaginer. <strong>La</strong><br />

pauvreté vertueuse, représentée par l'héroïne,<br />

trouve sa place dans les alliances<br />

industrielles, au prix d'un passage par la<br />

galanterie et du sacrifice d'un mauvais<br />

frère. Les acteurs, Lucy Doraine en tête,<br />

sont tout aussi médiocres. De tout cela,<br />

Kertesz se moque ; il tournera <strong>des</strong> scripts<br />

encore pires aux États-Unis. Aucune tentative<br />

de donner une épaisseur psychologique<br />

par son découpage, comme le<br />

font en 1921 les trois grands Allemands,<br />

ses contemporains. Pas de rimes internes,<br />

de construction bouclée, d'expression<br />

plastique : il exécute une stricte illustration<br />

du scénario. Si on pense à Lubitsch,<br />

c'est pour remarquer qu'ici, aucun parti<br />

n'est tiré d'un dîner où le héros masculin<br />

s'intéresse plus à la femme de service<br />

qu'à sa fiancée en titre. Le pool de secrétaires<br />

est certainement un rappel de la<br />

Princesse aux huîtres, mais tout grotesque,<br />

tout excès en est absent, il ne sert qu'à<br />

montrer le pouvoir de l'argent (anglosaxon<br />

chez Lubitsch aussi). Ce qui<br />

compte ici, c'est que chaque péripétie soit<br />

vivifiée par un décor ou un angle inattendu.<br />

Que fait donc Kertesz de ses personnages<br />

inexistants, de ses cabotins ? Il<br />

les fait entrer dans le champ et en sortir,<br />

se déplacer les uns par rapport aux<br />

autres. Il joue d'une variété de cadrages<br />

rare pour l'époque, passant constamment,<br />

sans transition, du gros plan à <strong>des</strong><br />

ensembles mettant en valeur le décor. Les<br />

inserts sont aussi significatifs et intégrés<br />

dans le récit que les épiso<strong>des</strong> sensationnels.<br />

Kertesz excelle dans les cassures du<br />

récit, comme la coupe brutale par laquelle<br />

il abandonne l'héroïne pour s'intéresser<br />

au mauvais frère avec sa mère (qu'elle<br />

soit accentuée ou non par une lacune du<br />

matériel retrouvé, elle est dans la logique<br />

du récit). Parfaitement à l'aise dans ce<br />

type de développement, il se permet<br />

même trois petits flash-backs - certes conformes<br />

aux règles du mélodrame -, allant<br />

jusqu'à introduire à l'intérieur de l'un<br />

d'eux un flash-back d'un plan unique (la<br />

mère morte). Ce procédé narratif, qui culminera<br />

dans Passage to Marseilles (la plus<br />

grande imbrication de retours en arrière<br />

du cinéma américain classique, les frères<br />

Mankiewicz exceptés), lui est plus naturel<br />

qu'à la plupart de ses collègues, ceux<br />

qui deviendront avec lui les maîtres du<br />

cinéma d'action hollywoodien.<br />

Ce film où la seule règle est d'éviter<br />

tout temps mort a pour clous spectaculaires<br />

deux séquences d'action très réussies<br />

: un accident de train et la poursuite<br />

finale, se terminant au sommet d'une cheminée<br />

d'usine que la police fait sauter à<br />

la grenade, solution économique pour en<br />

déloger le frère traqué. Elles sont les<br />

signes d'une ambition éternelle du cinéma<br />

européen : concurrencer Hollywood<br />

sur son propre terrain. Les émigrés<br />

apporteront à l'Amérique le raffinement<br />

d'une technique autonome, ils y trouveront<br />

le besoin d'un enracinement même<br />

de pure forme, même pour les histoires<br />

les plus farfelues. L'année suivante, la Sascha-Film<br />

remportait avec le film suivant<br />

de Kertesz son plus grand succès international<br />

: Sodom und Gomorrha, qui devait<br />

servir de carte de visite au cinéaste pour<br />

traverser l'Atlantique. À juger par ce qui<br />

est conservé de ce grand spectacle - dans<br />

un état de complétude très inférieur,<br />

semble-t-il, à ce film-ci -, il est nettement<br />

moins intéressant et moins annonciateur<br />

du futur Curtiz que Wege <strong>des</strong> Schreckens .<br />

Sources :<br />

Bernard Eisenschitz<br />

« <strong>La</strong>byrinth <strong>des</strong> Grauens », in Film Kurier, Samstag,<br />

19. août 1922.<br />

(Remerciements à CineGraph, Hambourg)<br />

WEGE DES SCHRECKENS-133<br />

Lucy Doraine.


134 - EU ROPE - AUTRICH E<br />

GEHEIMNISVOLLE TIEFE<br />

PROFONDEURS MYSTÉRIEUSES<br />

1949-Georg Wilhelm Pabst<br />

Réal. : Georg Wilhelm Pabst. Prod. : Pabst-Kiba-<br />

Filmproduktion (J.A. Hùbler-Kahla).<br />

Dir. de prod. : Georg Reuther, J.W. Beyer.<br />

Auteur : Trude Pabst. Se. : Trude Pabst, Walter von<br />

Hollander. Asst. réal. : Walter Meiners.<br />

Dir. ph. : Hans Schneeberger. Cameraman : Helmuth<br />

Fischer-Ashley. Opérateur : Jakob Pal le. Son : Hans<br />

Riedl, Alfred Norkus. Dec. : Werner Schlichting,<br />

Isabell Ploberger. Conception <strong>des</strong> costumes : W.F.<br />

Adlmuller. Costumes : Stone & Blyth (Wien/Vienne).<br />

Conseiller pour les costumes : Elfriede Czerny.<br />

Conception <strong>des</strong> masques : Gustav Wukits, Rudolf<br />

Ohlschmidt, Hilde Hnilitschka. Mont. : Anna<br />

Hôllering. Mus. : Prof. Alois Melichar, Roland Cowa.<br />

Script : Nina Kadane. Int. : lise Werner (Cornelia),<br />

Paul Hubschmid (le professeur Ben Wittich), Stefan<br />

Skodler (Robert Roy), Maria Eis, Elfe Gerhart,<br />

Hermann Thimig, Ulrich Bettac, Otto Schmôle, Robert<br />

Tessen, Franz Eichberger, Harry Leyn, Helly Servy,<br />

Eugen Preis, joseph Fischer, Joséphine Berghofer,<br />

Gaby Philipp. Texte de présentation : « Nous<br />

appartenons à la race qui aspire à passer <strong>des</strong> ténèbres<br />

à la lumière » (Goethe). Date de sortie : avr/7 1951<br />

(Alsace). Métrage, minutage copie Cf. : 2780 m.,<br />

102 mn. Version originale sous-titrée en français. Noir<br />

et blanc. Doc. : ]ean-François Rauger : « Un Pabst<br />

retrouvé », <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 2, novembre 1992.<br />

Fiancée du professeur Ben Wittich, chimiste<br />

de métier et spéléologue par passion,<br />

Cornelia ne partage pas ce goût <strong>des</strong> profondeurs<br />

mystérieuses ; lors d'une exploration,<br />

elle préfère attendre à l'entrée de la grotte. Négligée<br />

par cet homme entièrement dévoué à la<br />

recherche, et courtisée par Robert Roy, un très<br />

riche industriel, elle s'abandonne avec ce dernier<br />

aux plaisirs de la vie mondaine. À la suite<br />

d'une violente dispute avec Ben, la jeune femme<br />

se réfugie auprès de Robert et accepte sa<br />

demande en mariage. Mais passé le voyage de<br />

noces et la satisfaction d'habiter une somptueuse<br />

demeure, Cornelia s'ennuie. Surtout,<br />

elle découvre la vraie nature d'un mari avant<br />

tout préoccupé de la rentabilité de son « investissement<br />

», sa femme ayant pour unique<br />

raison d'être de le représenter avantageusement<br />

en société. Au sortir d'un rêve exprimant<br />

son désarroi et son sentiment d'avoir<br />

fait fausse route, Cornelia se rapproche de<br />

Ben. Et quand celui-ci est porté disparu au<br />

cours d'une de ses expéditions, elle se précipite<br />

à son secours et le rejoint au fond de la<br />

grotte, au mépris de son ancienne peur. À<br />

l'extérieur, les secours, menés par Robert,<br />

sont impuissants à leur venir en aide. Ensemble,<br />

les amants trouvent un passage vers<br />

l'air libre et, unis pour toujours, regardent un<br />

horizon dégagé.<br />

PRISONS GLACÉES<br />

Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs mystérieuses)<br />

est le seul film réalisé par G.W.<br />

Pabst, après son retour en Autriche,<br />

parmi les quatre que produisit l'éphémère<br />

Pabst-Kiba-Filmproduktion. Retenu<br />

officiellement pour représenter l'Autriche<br />

au Festival de Venise en 1949, ce<br />

film, longtemps considéré comme perdu,<br />

semble avoir été peu diffusé et connut un<br />

succès commercial <strong>des</strong> plus limités. Souvent<br />

mentionné dans les monographies<br />

consacrées à Pabst, il est parfois difficile<br />

d'en retrouver la trame dans les résumés<br />

fantaisistes qu'elles en donnent.<br />

Il serait vain assurément d'y chercher<br />

un éclairage nouveau sur l'ensemble de<br />

la carrière du cinéaste, son évolution politique,<br />

si controversée à la suite de son<br />

retour en Allemagne, sur les films qu'il<br />

tourna sous le IIP Reich ou même ses productions<br />

d'après-guerre. Mais n'y voir<br />

qu'une comédie dramatique aussi idéaliste<br />

que sentimentale, serait tout aussi<br />

exagéré. Déjà parce que l'on retrouve<br />

dans ce film assez déroutant nombre de<br />

thèmes au cœur de l'œuvre de Pabst. Il<br />

contraste avec ses autres réalisations au<br />

lendemain de la guerre, qui portent le<br />

plus souvent sur <strong>des</strong> sujets d'actualité :<br />

Der Prozess I le Procès (1947), Der Letzte Akt<br />

I la Fin d'Hitler (1955), Es Geschah am 20.<br />

Juli I C'est arrivé le 20 juillet (1955), et dans<br />

lesquels on est toujours tenté de voir un<br />

essai d'autojustification politique. Geheimnisvolle<br />

Tiefe n'appartient pas plus<br />

aux grands films <strong>des</strong> années vingt et<br />

trente du réalisateur. Mais il offre un foisonnement<br />

d'interrogations et propose<br />

une vision plus contrastée du dernier<br />

135<br />

Pabst. Drame psychologique, mélodrame,<br />

comédie dramatique : on est bien en<br />

peine de préciser à quel genre exactement<br />

se rattache ce film, dont l'intrigue sentimentale,<br />

souvent assez naïve, s'insère<br />

entre deux <strong>des</strong>centes dans les profondeurs<br />

de la terre, <strong>des</strong>centes allégoriques<br />

qui donnent au film une dimension presque<br />

métaphysique.<br />

Sa première originalité est peut-être<br />

d'être entièrement conçu du point de vue<br />

d'une femme, Cornelia (lise Werner, vedette<br />

<strong>des</strong> comédies alleman<strong>des</strong> <strong>des</strong> années<br />

quarante, rendue célèbre par Wunschkonzert<br />

I l'Épreuve du temps), qui en<br />

demeure l'unique héroïne et dont l'évolution<br />

<strong>des</strong> sentiments détermine toute action.<br />

Ce sont ses élans de révolte, ses déceptions<br />

amoureuses, son impression<br />

constante d'être trahie ou méprisée par<br />

l'égoïsme de deux hommes, mais aussi<br />

son courage et son sens du sacrifice qui<br />

provoquent les péripéties du film et ceci<br />

ne saurait étonner de la part de celui qui<br />

réalisa Die Buchse der Pandora (Loulou) et<br />

Das Tagebuch einer Verlorenen (Journal<br />

d'une fille perdue). Son visage en gros<br />

plans successifs, reflété par les miroirs,<br />

aux traits immobiles, ne cesse d'apparaître<br />

et de disparaître de manière presque<br />

angoissante. Par son silence, l'interrogation<br />

muette de ses yeux, il ponctue<br />

tous les moments dramatiques de Geheimnisvolle<br />

Tiefe. Personnage secret, angoissé,<br />

aspirant autant au partage d'un<br />

véritable amour qu'à une vie équilibrée,<br />

Cornelia est sans cesse confrontée à <strong>des</strong><br />

univers, à <strong>des</strong> situations, d'un rare manichéisme.<br />

Ces oppositions, parfois naïves<br />

dans leur traduction esthétique, laissent<br />

une empreinte profonde sur l'ensemble<br />

du film : entre deux hommes, Cornelia<br />

risquera de devenir cet oiseau pris dans<br />

la glace, que l'on découvre dès les premières<br />

<strong>images</strong>.<br />

Celui qu'elle aime et s'apprête à<br />

épouser, le docteur Ben Wittich, biologiste<br />

et chimiste, est, lui, entièrement prisonnier<br />

de sa passion : la recherche scientifique<br />

la plus désintéressée. Refusant de


136 - EUROPE - AUTRICHE<br />

prendre <strong>des</strong> brevets sur ses découvertes,<br />

il se satisfait d'un salaire mo<strong>des</strong>te qui lui<br />

permet de réaliser son unique rêve : <strong>des</strong>cendre<br />

dans les profondeurs abyssales de<br />

la terre, explorer d'étranges grottes que<br />

jouxtent de véritables palais de glace et<br />

habitées, à l'époque du quaternaire, par<br />

<strong>des</strong> hommes préhistoriques. <strong>La</strong> glace se<br />

fait ici miroir - thème obsédant du film.<br />

Si l'oiseau gelé semble préfigurer le <strong>des</strong>tin<br />

de Cornelia, ce n'est que prisonnier de<br />

la muraille de glace et face à une mort apparemment<br />

certaine que le docteur Wittich,<br />

en découvrant au fond de la grotte<br />

les restes d'un homme préhistorique, a le<br />

sentiment d'échapper à sa propre solitude.<br />

Dès le début du film, l'ambivalence<br />

qu'éprouve Cornelia à l'égard de la passion<br />

de l'homme qu'elle aime, est clairement<br />

mise en évidence par Pabst à l'aide<br />

de quelques plans très composés, tandis<br />

qu'elle l'accompagne au cours d'une première<br />

<strong>des</strong>cente dans la grotte. Fascinée<br />

par la beauté presque féerique de cette architecture<br />

de stalagmites et de stalactites,<br />

la succession de roches glissantes et<br />

d'étendues glacées, elle en perçoit immédiatement<br />

le danger : cet univers souterrain<br />

exerce sur Ben une telle fascination,<br />

qu'il l'emporte sur leur amour.<br />

Au plan esthétique, la première représentation<br />

de ces profondeurs mystérieuses<br />

est une incontestable réussite de<br />

Pabst. Même si certaines prises de vue de<br />

ces décors gelés ne sont pas sans évoquer<br />

le film qu'il réalisa en 1929, Die Weisse<br />

Hôlle vom Piz-Palù (Prisonniers de la montagne),<br />

d'après un scénario de l'inévitable<br />

Arnold Franck, coréalisateur d'une œuvre<br />

qui comptait Leni Riefenstahl parmi<br />

ses interprètes. Les deux films sont<br />

d'ailleurs tournés avec le même opérateur,<br />

Hans Schneeberger. Avec son<br />

amoncellement de blocs en équilibre instable,<br />

ses concrétions de pierres et de<br />

glace, l'étroitesse de ses passages, cet univers<br />

cryptique reconstitué par Pabst suggère<br />

une impression d'intense fragilité,<br />

d'insolite poésie, rappelant certains as-<br />

pects <strong>des</strong> décors de Der Schatz I le Trésor<br />

(1923), son premier film encore influencé<br />

par l'expressionnisme, et du Golem (Paul<br />

Wegener, 1920).<br />

Cet espace clos du monde <strong>des</strong> cavernes,<br />

Ben paraît le recréer en permanence<br />

autour de lui. Il vit parmi <strong>des</strong> alignements<br />

de crânes et d'ossements qui<br />

font ressembler son habitation à un<br />

musée de paléontologie où Cornelia semble<br />

se demander si elle a vraiment sa<br />

place, autrement que momifiée. A l'opposé<br />

de Ben, prisonnier de son idéalisme,<br />

de ses rêves et d'une pulsion de mort,<br />

Roy, l'une de ses relations, incarne l'homme<br />

d'affaires sans scrupules, le matérialiste<br />

qui ne connaît que le pouvoir de l'argent.<br />

Il jalouse et méprise le savant qui<br />

refuse de lui vendre les brevets de ses découvertes,<br />

il convoite sa future femme.<br />

Les manœuvres de séduction de l'affairiste<br />

permettent à Pabst de camper les<br />

oppositions entre les deux univers. Quand<br />

Cornelia et Ben sont conviés à <strong>des</strong> fêtes<br />

où régnent la richesse et la vulgarité, la<br />

musique tonitruante contraste avec le silence<br />

du monde souterrain, l'horizontalité<br />

du parc et du plan d'eau s'opposent<br />

à la verticalité de la grotte. L'univers de<br />

Roy est uniquement dominé par le luxe<br />

le plus ostentatoire et l'argent. Une fois<br />

mariés, Cornelia n'est pour lui qu'un trophée<br />

dont il expose la beauté comme un<br />

symbole parmi d'autres de sa réussite.<br />

L'appartement devient le décor de somptueuses<br />

soirées où l'on ne demande à<br />

l'épouse que de briller, d'éblouir, à la manière<br />

de ces parures somptueuses que<br />

Roy lui offre... après qu'elle a signé un papier<br />

reconnaissant à son mari l'entière<br />

propriété <strong>des</strong> bijoux en cas de divorce. Ici<br />

encore, Pabst construit de nombreuses<br />

séquences sur les mêmes jeux d'oppositions.<br />

A l'espace clos <strong>des</strong> grottes et au sentiment<br />

d'étouffement que suggère le logement<br />

de Ben correspond l'espace de<br />

Roy : une maison immense, aux vastes<br />

pièces luxueusement meublées, avec <strong>des</strong><br />

baies vitrées d'où l'on découvre la ville.<br />

Aux échelles étroites sur lesquelles Ben<br />

entraîne Cornelia dans son monde du silence,<br />

répond le majestueux escalier en<br />

marbre...<br />

Cornelia prend vite conscience du<br />

vide qui domine cet univers factice. Elle<br />

s'y sent de plus en plus étrangère, certaine<br />

d'être considérée comme un simple<br />

objet, un moyen pour parvenir à <strong>des</strong> fins :<br />

après l'avoir humiliée avec les bijoux,<br />

Roy n'hésitera pas à l'envoyer chez Ben<br />

pour tenter de le persuader de vendre un<br />

brevet. Dans le décor bourgeois de Roy,<br />

Cornelia a encore plus le sentiment d'étouffer<br />

que dans le monde souterrain.<br />

Son angoisse croissante, sa tristesse,<br />

Pabst les exprime par <strong>des</strong> gros plans successifs<br />

de son visage, presque immobile,<br />

ou par son reflet incertain dans les luxueux<br />

miroirs.<br />

L'appel vers une autre vie - comme<br />

son amour persistant pour Ben Wittich -<br />

se manifesteront à Cornelia à travers un<br />

rêve. Cette séquence onirique demeure<br />

au plan esthétique l'une <strong>des</strong> plus belles<br />

réussites du film. On y retrouve sans<br />

aucun doute l'inspiration qui permit à<br />

Pabst de réaliser en 1926 Geheimnisse einer<br />

Seele (les Mystères d'une âme), l'un <strong>des</strong> premiers<br />

films influencés par les théories de<br />

Freud. L'inconscient de la jeune femme<br />

est ici traduit par une surprenante architecture<br />

onirique où se mêlent la violence<br />

<strong>des</strong> clairs-obscurs, les effets de surimpression<br />

et de dédoublement, <strong>des</strong> paysages<br />

dans le brouillard et la brume, qui<br />

semblent parfois se confondre avec le<br />

monde <strong>des</strong> cavernes. Des figures insolites<br />

surgissent : une procession qui rappelle<br />

celle <strong>des</strong> mendiants de Die Dreigroschenoper<br />

(l'Opéra de auat'sous), un vieil homme,<br />

gardien de la lumière, qui semble indiquer<br />

à Cornelia le chemin à suivre : à<br />

travers le miroir.<br />

L'idéalisme sentimental de la fin (« Je<br />

ne peux pas y croire. Que notre vie est<br />

belle » s'écrient les rescapés de la caverne<br />

contemplant la campagne ensoleillée)<br />

symbolise le film tout entier avec ses faiblesses<br />

et aussi ses moments de grâce.<br />

Tourné en 1949, il ne porte aucune trace<br />

de l'époque : on n'est guère surpris que<br />

Pabst en ait conçu l'idée - le scénario est<br />

cosigné par sa femme Trude Pabst et Walter<br />

von Hollander - en 1942. Cette opposition<br />

radicale entre deux types de caractères,<br />

deux visions du monde, l'idéalisme<br />

et le matérialisme, le pouvoir de la foi<br />

d'un homme contre le pouvoir de l'argent<br />

d'un autre, n'aurait pas forcément<br />

déplu à l'époque. En même temps, s'il est<br />

facile de reprocher à Pabst <strong>des</strong> excès de<br />

naïveté, <strong>des</strong> dialogues souvent peu élaborés,<br />

<strong>des</strong> oppositions caricaturales, on<br />

ne peut nier la beauté de son évocation<br />

d'un monde souterrain et hallucinant,<br />

cette magie <strong>des</strong> lumières avec laquelle il<br />

semble renouer parfois. Et rien que dans<br />

la manière de filmer ces pauvres chan-<br />

GEHEIMNISVOLLE TIEFE - 137<br />

delles, au fond de la grotte, incapables<br />

d'en dissiper les ténèbres, on retrouve<br />

quelque chose du Pabst <strong>des</strong> années vingt<br />

et trente, comme si la liberté dont il bénéficiait<br />

dans la réalisation de ce film lui<br />

permettait de revenir à ses motifs esthétiques<br />

les plus personnels.<br />

Jean-Michel Palmier


LE CARILLON DE LA LIBERTE<br />

(Tragédie lyrique)<br />

1931 - Gaston Roudès<br />

Réal. : Gaston Roudès. Prod. : Sybil-Film.<br />

Auteur : Arnaud Wullus-Rudiger, d'après son livret<br />

homonyme. Dir. ph. : S. Hugo. Son : M. Gérardot.<br />

Mus. : Arthur Prévost.<br />

Technique musicale et montage sonore : E. Crégut.<br />

Procédé d'enregistrement G.I. Kraemer. Licence<br />

Thomson-Houston. Int. : Andrée <strong>La</strong>fayette (Nora<br />

Sigrid, châtelaine d'Islande), Jacques Maury (Jacques<br />

Vleminx, peintre flamand), Madeleine Bréville (Louise<br />

Liégeois), M. Charley Sov (Pierre Van Brussel),<br />

N. Dolne (l'islandais Grimnir). Date de sortie : 22<br />

décembre 1931. Métrage, minutage copie Cf. : 1598<br />

m., 70 mn. Version originale (langue française). Noir<br />

et blanc. Doc. : Remerciements à Marianne Thys.<br />

Le peintre flamand Jacques Vleminx travaille<br />

et demeure au château de la belle Nora<br />

Sigrid. L'artiste et la châtelaine s'aiment. Jacques<br />

reçoit une lettre de son père, carillonneur<br />

de la ville d'Anvers : la neutralité de la<br />

Belgique a été violée ! Aux armes ! Nora tente<br />

de retenir son amour mais les cloches du village<br />

sonnent comme un rappel du devoir.<br />

1914 : Anvers est bombardée. Le fils du carillonneur,<br />

blessé, monte au sommet de la cathédrale<br />

et, dans le bruit et la fureur, fait résonner<br />

toutes les cloches au son de la Brabançonne,<br />

l'hymne national. Cette musique miraculeuse<br />

rend l'espoir aux militaires et aux<br />

civils. 1919 : le président du comité réunissant<br />

les représentants <strong>des</strong> neuf provinces de<br />

Belgique annonce que Bruxelles aura bientôt<br />

un carillon où chaque pays d'Europe sera représentépar<br />

une cloche. L'honneur d'animer<br />

l'instrument reviendra au héros d'Anvers, le<br />

sergent Vleminx. Depuis la fin de la guerre,<br />

Jacques a épousé Louise Liégeois, une Wallonne.<br />

Nora reparaît et avec elle, les souvenirs.<br />

Elle rappelle à l'artiste leur projet de la<br />

peindre en walkyrie. Louise est inquiète de<br />

cette intrusion et un jour,n'y tenant plus, pénètre<br />

dans l'atelier et chasse l'importune<br />

avant de s'évanouir. À la fonderie, les cloches<br />

du carillon sont prêtes. Depuis le départ de<br />

Nora, Jacques est « entêté » et à la veille du<br />

grand jour, disparaît. Au petit matin, il arrive<br />

au château où la Belle l'attendait. Mais<br />

bientôt, sonnent les cloches comme un reproche.<br />

Alors, Jacques s'enfuit. Nora fait lâcher<br />

les chiens sur le fugitif et les rappelle au dernier<br />

moment. Les mains ensanglantées par les<br />

crocs, le sonneur roule à tombeau ouvert. À<br />

l'heure dite, sa femme à ses côtés, il fait retentir<br />

dans toute la ville le carillon de la liberté.<br />

UN CARREFOUR DE LÉGENDES<br />

Une bonne centaine d'années après<br />

l'indépendance de la Belgique, le Français<br />

Gaston Roudès débarque pour rehausser<br />

d'un éclat supplémentaire les<br />

festivités du centenaire déjà célébré par<br />

certains de ses collègues belges. En 1930,<br />

Émile-Georges De Meyst avait réalisé la<br />

Brabançonne et Paul Flon, la Flamme du<br />

souvenir, deux films parmi les plus significatifs<br />

de cette commémoration.<br />

Il devait cette invitation à Arnaud<br />

Wullus-Rudiger, éminent homme de lettres<br />

belge, auteur de nombreux articles à<br />

propos <strong>des</strong> relations germano-belges, et<br />

qui avait consacré deux années à l'écriture<br />

d'un scénario qui se voulait idéal<br />

dans son exaltation du peuple belge et de<br />

son passé. En France, Roudès avait gagné<br />

très discrètement ses galons de réalisateur<br />

avec quelques dizaines de films, notamment<br />

pour la compagnie Eclipse,<br />

parmi lesquels la série de westerns Arizona<br />

Bill fut peut-être la plus connue.<br />

Le script du Carillon de la liberté avait<br />

pour ambition d'égaler la légende, et<br />

Wullus-Rudiger avait puisé tout simplement<br />

son inspiration chez Goethe ! Le<br />

récit <strong>des</strong> noces de Faust avec Hélène de<br />

Troie et l'union symbolique <strong>des</strong> cultures<br />

germanique et gréco-romaine furent transposés<br />

dans le contexte séculaire belge de<br />

la cohabitation de deux différentes cultures,<br />

germanique et latine. Du mariage<br />

goethéen naquit Euphorion, un enfant<br />

pour le moins extraordinaire, doté de<br />

force, d'adresse et de beauté. Vue sous<br />

l'angle belge, cette alliance mythique<br />

entre Flamands et Wallons ne pouvait<br />

que déboucher sur un avenir fécond.<br />

Dans le film, la persévérance <strong>des</strong> deux<br />

peuples triomphera, via l'apothéose ca-<br />

139<br />

rillonnée, avec l'amour céleste de Jacques<br />

et de Louise.<br />

Avec une telle résonance, les deux<br />

hommes purent compter sur une collaboration<br />

active <strong>des</strong> autorités. Les lieux les<br />

plus pittoresques du paysage belge furent<br />

systématiquement répertoriés, de<br />

même tous les sites historiques de Gand<br />

à Anvers et de Bruxelles à Liège avec,<br />

comme point d'accroché visuelle, le majestueux<br />

château de Haar - situé non loin<br />

de l'embouchure du Rhin. Le corps de<br />

ballet du Théâtre royal de la Monnaie fut<br />

mis à disposition et le compositeur Arthur<br />

Prévost écrivit une partition <strong>des</strong>tinée<br />

à contribuer à la magnificence du<br />

film. Le casting était composé d'un choix<br />

de comédiens issus <strong>des</strong> meilleures compagnies<br />

françaises : Andrée <strong>La</strong>fayette,<br />

Jacques Maury (du Chemin du paradis) et<br />

Madeleine Bréville. <strong>La</strong> presse suivit de<br />

près le tournage, et le Carillon de la liberté<br />

ne pouvait que devenir le plus grand film<br />

sonore belge. <strong>La</strong> première eut lieu dans<br />

une <strong>des</strong> plus prestigieuses salles de la capitale<br />

en la présence du roi Albert 1 er .<br />

Il est difficile de faire abstraction de<br />

la symbolique chargée de Wullus-Rudiger<br />

dans laquelle, par ailleurs, le film<br />

semble s'abîmer. Et malgré les annonces<br />

lyriques d'une presse plus que bienveillante,<br />

le Carillon de la liberté ne figure<br />

guère plus d'une semaine à l'affiche. Les<br />

spectateurs belges ne semblaient pas sensibles<br />

à cet idéal d'une solidarité très métaphoriquement<br />

sollicitée : plus de soixante<br />

années après la sortie du film, sa<br />

lecture apparaît comme définitivement<br />

utopique. Mais le film est conforme à son<br />

contexte historique (commémoration du<br />

centenaire de l'indépendance et séquelles<br />

interminables de la Première Guerre<br />

mondiale, qui inspirèrent <strong>des</strong> dizaines de<br />

films patriotiques) et témoigne certainement<br />

de l'audace financière et de l'ambition<br />

d'un homme, Wullus-Rudiger, dont<br />

la foi en l'avenir de son pays était inébranlable.<br />

Marianne Thys, Gabrielle Claes


140 - EUROPE - GRANDE-BRETAGNE<br />

THE CLOCK STRIKES EIGHT<br />

L'EXÉCUTION EST POUR 8 HEURES<br />

(Séries : APPOINTMENT WITH FEAR)<br />

(Série : UN RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR)<br />

1946-Ronald Haines<br />

Réal. : Ronald Haines. Prod. : British Foundation<br />

Pictures Ltd. (Ronald Haines). Adaptation d'un<br />

scénario radiophonique original de John Dixon (sic)<br />

Carr, en accord avec la BBC. Se. : Barbara Noble, Ray<br />

[Roy) Clark. Dir. ph. : Stanley Clinton. Dec. : Jean<br />

(John) Haines. Maq. : Harry Davis. Mont. : Ronald<br />

Haines. Asste. mont. : Dorothy Stimson.<br />

Mus. : Georges Tzipine. Int. : Mary Shaw (Hélène<br />

Barthe/He/en Barton), Geoffrey Derris (le gouverneur<br />

de la prison), Frederick Morant (le docteur Alleric<br />

Hurst), Peter Lilley (Herbert Gale), Milicent Wolfet<br />

Mona Wynne (Mrs. Parsons et Mrs. Stevens, les deux<br />

gardiennes), Valentine Dyall (le narrateur).<br />

Date de sortie : /'u/7/et 1946.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 695 m., 25 mn. Version<br />

originale. Noir et blanc. Doc. : Remerciements à<br />

Roland <strong>La</strong>courbe.<br />

Il est six heures du matin à la prison de<br />

Maidhurst et Helen Barton attend son exécution.<br />

Elle va être pendue pour l'assassinat,<br />

six mois plus tôt, de son fiancé Philip Gale.<br />

Durant tout son procès, Helen ne s'est souvenue<br />

de rien et c'est le témoignage accablant<br />

d'Herbert, le frère de la victime, qui a décidé<br />

de son sort : il a affirmé avoir vu la jeune femme<br />

tirer sur son fiancé alors qu'il avait les bras<br />

en l'air. Mais, à deux heures de son exécution,<br />

Helen qui a soudainement retrouvé la<br />

mémoire, affirme au directeur de la prison<br />

qu'elle n'a pas tué Philip ! Troublé, le directeur<br />

appelle à l'aide son vieil ami le psychiatre<br />

Alleric Hurst qui se rend immédiatement à la<br />

prison. Il se fait résumer l'affaire par son interlocuteur.<br />

Celui-ci fait un récit détaillé <strong>des</strong><br />

événements tels qu 'ils ont été décrits par Herbert<br />

Gale et conclut par ce détail significatif:<br />

la blessure mortelle était en parfaite continuité<br />

avec les trous faits par la balle dans la<br />

veste et le gilet de la victime à tel point qu'on<br />

pouvait passer un crayon au travers... C'est<br />

ce détail qui va innocenter Helen Barton !<br />

Hurst convoque Herbert Gale. Il l'oblige à endosser<br />

la veste et le gilet de son frère assassiné<br />

et prouve ainsi qu'il a menti en prétendant<br />

qu'Helen a tiré sur Philip alors qu'il<br />

avait les bras levés : si la victime avait été dans<br />

cette position, le trou dans la veste aurait été<br />

fait dix centimètres plus haut... Huit heures<br />

sonnent. Herbert est perdu, Helen est libre.<br />

RENDEZ-VOUS MANQUÉ<br />

Durant longtemps, Appointment With<br />

Fear a été considéré comme perdu : même<br />

le British Film Institute, pourtant attentif<br />

à la conservation du patrimoine britannique,<br />

n'en possède pas de copie et a été<br />

incapable d'en localiser une. Jusqu'à ce<br />

qu'en 1994 on découvre à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française deux courts métrages<br />

qui en constituent la première et la seconde<br />

partie. Ce qui veut dire que les trois<br />

parties qui le composaient ont été distribuées<br />

en France en compléments de programme,<br />

alors que le long métrage sous<br />

son titre original a toujours été officiellement<br />

considéré comme inédit dans notre<br />

pays.<br />

The Clock Strikes Eight I l'Exécution est<br />

pour 8 heures est la première partie d'Appointment<br />

With Fear, film à sketches inspiré<br />

d'une série radiophonique du même<br />

titre diffusée à la BBC durant la guerre et<br />

très populaire à l'époque. Célèbre auteur<br />

de romans policiers, John Dickson Carr<br />

(1906-1977) en avait été l'un <strong>des</strong> principaux<br />

artisans. Le film était donc adapté<br />

de trois de ses histoires les plus fameuses<br />

: 1) The Clock Strikes Eight, pièce<br />

radiophonique diffusée àlaBBClel8mai<br />

1944. 2) The Gong Cried Murder (le Gong<br />

trahit le meurtrier), pièce radiophonique<br />

diffusée à la BBC le 14 décembre 1944. 3)<br />

The House in Rue Rapp, film qui demeure<br />

actuellement invisible.<br />

The Clock Strikes Eight adapte assez fidèlement<br />

The Hangman Won't Wait, une<br />

pièce déjà diffusée en 1943 sur CBS, ellemême<br />

bâtie sur un gimmick qui trouve sa<br />

source dans l'authentique affaire du<br />

meurtre du cinéaste William Desmond<br />

Taylor à Hollywood en 1922, et dont John<br />

Dickson Carr avait pris connaissance au<br />

début <strong>des</strong> années trente, lorsqu'il lisait<br />

énormément de comptes rendus concernant<br />

les crimes célèbres (le trou fait dans<br />

son gilet par la balle qui avait tué le cinéaste<br />

prouvait qu'il avait les bras levés<br />

lorsqu'on avait tiré sur lui, confirmant la<br />

thèse du crime commis par un rôdeur).<br />

Seul détail qui diffère : l'enquêteur génial<br />

qui sauvera in extremis l'infortunée Helen<br />

Barton n'est plus le célèbre Gideon Fell,<br />

limier prestigieux mis en scène par l'auteur<br />

dans plus de vingt romans, mais un<br />

psychiatre inventé pour la circonstance,<br />

figure presqu'inévitable du film noir hollywoodien<br />

à la même époque. Mais si<br />

l'astuce sur laquelle repose toute l'intrigue<br />

peut faire illusion dans un court résumé<br />

et si la pièce radiophonique ellemême<br />

comportait, selon les témoignages,<br />

une bonne dose de suspense, il n'en est<br />

pas de même pour ce court métrage totalement<br />

insipide. Les comédiens complètement<br />

inconnus n'ont aucune présence<br />

et aucune conviction : on dirait une<br />

troupe d'amateurs. L'héroïne qui incarne<br />

Helen Barton possède un physique pour<br />

le moins revêche, et passe difficilement<br />

pour une douce fiancée accusée à tort.<br />

Quant à la mise en <strong>images</strong>, elle est statique<br />

et sans relief. On se croirait revenu<br />

au temps <strong>des</strong> premiers balbutiements du<br />

cinéma sonore : chacun parle à son tour<br />

en prenant soin de ne pas couper la parole<br />

à son interlocuteur et la caméra de-<br />

meure désespérément fixe, laissant les acteurs<br />

se mouvoir dans un champ limité<br />

sans jamais se permettre le moindre recadrage.<br />

Un incunable, certes. Mais une<br />

pièce rare qui n'a d'intérêt que pour les<br />

passionnés de Carr, soucieux de découvrir<br />

à quel point le cinéma et la télévision<br />

ont maltraité l'un <strong>des</strong> écrivains de mystère<br />

les plus imaginatifs du siècle.<br />

Le film est précédé par un court planséquence<br />

d'introduction : un lent pano-<br />

ramique dans une pièce finissant par<br />

montrer de dos dans l'ombre un personnage<br />

penché sur un bureau. <strong>La</strong> caméra<br />

s'attarde sur différents objets dont une reproduction<br />

miniature de la Vénus de<br />

Milo, un sablier, un crâne à la mâchoire<br />

ouverte et un réveil, tandis que se fait entendre<br />

la voix lugubre de Valentine Dyall<br />

(« The Man in Black »). Il n'est pas impensable<br />

que cette courte introduction ait<br />

inspiré six ans plus tard le début similaire<br />

THE CLOCK STRIKES EIGHT - 141<br />

du premier épisode de la série du Colonel<br />

March où le chef du D-3 (Boris Karloff<br />

en personne) présentait au public différents<br />

objets de sa collection privée symbolisant<br />

un crime. Il semble bien que le<br />

crâne à la mâchoire ouverte du présent<br />

film soit le même que celui entrevu dans<br />

ce premier épisode de la célèbre série télévisée...<br />

Roland <strong>La</strong>courbe


142 - EUROPE - ITALIE<br />

Gino Cervi,<br />

Luisa Ferida.<br />

■Hli , ■ -'-—, ■ 1 ' '■ " ■*<br />

L'ARGINE<br />

1938-Corrado D'Errico<br />

Réal. : Corrado D'Errico. Prod. : Scalera Film, C.<br />

Consorzio Adriatico. Dir. de prod. : Santé Bonaldo.<br />

Auteur : Rino Alessi, d'après son drame homonyme.<br />

Adapt. : Ettore M. Margadonna. Se. : Ettore M.<br />

Margadonna, Giacinto Solito. Asst. réal. : Giacinto<br />

Solito. Dir. ph. : Vaclav Vich. Photographies : A.<br />

Pesce. Effets spéciaux : Angelo <strong>La</strong>urenti.<br />

Son : Giuseppe Caracciolo. Dec. : Salvo D'Angelo,<br />

Carlo Enrico Rava. Cost. : Carlo Enrico Rava.<br />

Mont. : Giacinto Solito. Mus. : Francesco Balilla<br />

Pratella. Direction musicale : Ugo Giacomozzi.<br />

Musique de jazz : Antonio Badiali.<br />

Chansons : Amedeo Escobar, interprétées par le Trio<br />

Lescano. Danses exécutées par le couple Moresi sur<br />

une musique de F.B. Pratella.<br />

Organisation générale : Mario Sequi. Tourné aux<br />

établissements Titanus Farnesina. Enregistrement<br />

sonore Tecnostampa de Vincenzo Genesi. Int. : Luisa<br />

Ferida (Sina), Gino Cervi (Zvanî), Guglielmo Sinaz<br />

(John), Rubi Dalma (Maria, l'étrangère), Olga Capri<br />

(Tuda), Luigi Almirante (« il maestrino »), Gemma<br />

Bolognesi (Olga), Roberto Pasetti (« Vendetta »), Anna<br />

Valpreda, Adelmo Cocco, Renato Navarrini, Vasco<br />

Creti, Pietro Beldi, Carlo Romano, Renato Malavasi,<br />

Amina Pirani Maggi, Edda Soligo.<br />

Date du visa de censure : 21 août 1938.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2460 m., 90 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc. Doc. : Roberto Chiti,<br />

Enrico <strong>La</strong>ncia : Dizionario del cinéma italiano : i film,<br />

vol. 1 dal 1930 al 1944, Gremese editore, 1993.<br />

Remerciements à Gian Luca Farinelli.<br />

<strong>La</strong> plaine du Pô, là où le fleuve <strong>des</strong>cend<br />

vers la mer. Zvani est un jeune passeur. Tuda,<br />

sa mère, veuve et patronne d'un vino e cucina<br />

local, rêve d'un riche mariagepour son fils.<br />

Sina est la jeune fille, belle et pauvre, qu'il<br />

aime et qui l'aime. Un soir, à la suite d'un accident<br />

de voiture, une élégante femme de la<br />

ville entre en scène. Une nuit de flatteries sophistiquées<br />

suffira à faire perdre la tête à<br />

Zvanî. Le lendemain matin, la belle étrangère<br />

a disparu. Le sang du jeune passeur ne fait<br />

qu'un tour et il abandonne son village, sa<br />

mère et sa fiancée. Piégé par les charmes de<br />

l'inconnue, il est parti pour Rome. Un an plus<br />

tard, il est toujours dans la capitale et mène<br />

une vie dure ; il joue de l'accordéon dans un<br />

cabaret de luxe, habillé en gaucho. <strong>La</strong> belle réapparaît<br />

parmi les clients d'un soir et c'est la<br />

désillusion : leur rencontre ne fut, pour elle,<br />

qu'une fugace aventure campagnarde. Les<br />

sentiments de Sina, en revanche, s'avèrent<br />

plus tenaces. Elle a eu entre-temps un fils de<br />

Zvanî, qui n'en a jamais rien su. Elle décide<br />

donc de se rendre à Rome pour reprendre son<br />

homme. Après avoir fait la paix, ils fêtent leur<br />

retour sur les rives du fleuve.<br />

LA DIGUE ET LE DÉSIR<br />

Corrado D'Errico avait réalisé Stramilano<br />

en 1929, documentaire et fantaisie<br />

urbaine complètement hors norme dans<br />

le panorama italien, variante futuriste<br />

<strong>des</strong> symphonies pour gran<strong>des</strong> villes de<br />

Ruttmann, Vertov et Cavalcanti. Vers la<br />

fin <strong>des</strong> années trente, après une consistante<br />

série de comédies et de drames coloniaux<br />

de guerre, il semble que son cinéma<br />

ne conserve aucune trace de cette<br />

expérimentation. Même la cité « rutilante<br />

» se réduit ici au graphisme oblique<br />

d'une unique enseigne lumineuse. Le<br />

reste n'est que gestion conventionnelle<br />

d'espaces intérieurs, d'un ordinaire style<br />

déco. Les intérieurs, avec de fortes connotations<br />

théâtrales, dominent également la<br />

partie du film qui se déroule au bord du<br />

Pô. L'Argine commence par <strong>des</strong> voiles qui<br />

glissent sur le fleuve, <strong>des</strong> panoramiques<br />

ruraux, de longs champs avec <strong>des</strong> arbres<br />

en perspective, sans oublier l'iconographie<br />

classique et édifiante du travail (les<br />

bœufs, les charrues, les charrettes à foin).<br />

Mais bien vite, le récit tend à s'enfermer<br />

entre les murs de l'auberge. <strong>La</strong> digue<br />

(« l'argine ») représente clairement la<br />

discrimination symbolique et morale<br />

entre la campagne et la ville. L'idée d'un<br />

« récit du fleuve » s'impose donc, sans<br />

toutefois réussir à se développer vraiment.<br />

Ce sous-genre sera pratiqué par la<br />

suite principalement par le cinéma italien<br />

post-néo-réaliste (Il mulino del Po I le Moulin<br />

du Pô d'Alberto <strong>La</strong>ttuada en 1949, <strong>La</strong><br />

donna delfiume I la Fille du fleuve de Mario<br />

Soldati en 1955 ou les Don Camillo de Julien<br />

Duvivier et Carminé Gallone).<br />

<strong>La</strong> fixité <strong>des</strong> conventions théâtrales<br />

n'empêche pas le film de trouver ailleurs<br />

143<br />

ses motifs d'intérêts. Idéologiquement,<br />

ce petit récit, avec son exaltation <strong>des</strong> valeurs<br />

simples et fortes du monde rural,<br />

est en parfaite syntonie avec l'esthétique<br />

populiste du régime fasciste. Mais c'est<br />

peut-être pour cette raison que le récit<br />

peut se concéder une certaine désinvolture,<br />

du point de vue de la morale. <strong>La</strong><br />

belle Sina (Luisa Ferida, première star du<br />

cinéma italien <strong>des</strong> années trente, liane<br />

sensuelle même quand la connotation de<br />

fond se réfère au contraire à l'innocence<br />

séduite) est définie comme « sauvage » et<br />

« gitane ». A un certain moment, il est<br />

même dit de Sina qu'elle suit Zvanî<br />

comme une « chienne affamée » (de mâles,<br />

naturellement). Mais sa liberté sexuelle<br />

(n'oublions pas qu'elle est fillemère)<br />

ne l'empêche pas au moment crucial<br />

d'être protégée et défendue par ses<br />

compatriotes. Et Tuda se place au premier<br />

rang : « Tu es son épouse, devant<br />

Dieu et les hommes. » <strong>La</strong> mère du fugitif<br />

prononce cette sentence comme une justification<br />

péremptoire et païenne ; une<br />

mère capable de bien d'autres impudences<br />

et qui peut par la suite confesser<br />

tranquillement : « Quand il s'échappait<br />

chaque nuit pour te rejoindre, au fond de<br />

mon cœur je t'enviais »... Le jeune Gino<br />

Cervi, excellent dans son abandon innocent<br />

et un peu engourdi, au charme féminin<br />

et évidemment beaucoup moins<br />

convaincant dans ses prétentions de séducteur,<br />

finira plus tard de payer ses<br />

dettes de fugitif dans LTna romantica avventura<br />

de Mario Camerini (1940), film<br />

dans lequel il incarne un personnage populaire<br />

analogue. Ce sera alors son tour<br />

de subir la fuite de la bien-aimée vers le<br />

monde scintillant <strong>des</strong> riches.<br />

Paola Cristalli, Gian Luca Farinelli


144-EUROPE-ITALIE<br />

COLPI Dl TIMONE<br />

1942 -Gennaro Righelli<br />

Réal. : Gennaro Righelli. Prod. : Lux Film.<br />

Dir. de prod. : Fabio Franchini. Auteur : Enzo <strong>La</strong><br />

Rosa, d'après sa comédie homonyme. Se. : Gennaro<br />

Righelli, Gilberto Govi, Ettore M. Margadonna, Enzo<br />

<strong>La</strong> Rosa, Alessandro De Stefani.<br />

Premier asst. réal. : Gennaro Balistrieri.<br />

Deuxième asst. réal. : V. Zumaglino. Dir. ph. : Mario<br />

Albertel I i. Son : Venanzio Lisca. Déc. : Gastone<br />

Medin, Gino Brosio. Cost. : Bianca Emanuele.<br />

Mont. : Duilio A. Lucarelli. Mus. : Felice Montagnini.<br />

Organisation générale : Valentino Brosio.<br />

Inspecteur de production : Romolo <strong>La</strong>urenti.<br />

Secrétaire de production : Sandro Prato. Tourné à<br />

Cinecittà-Rome. Enregistrement R.C.A. Int. : Gilberto<br />

Govi (Giovanni Bevilacqua), Dina Sassoli (Paola),<br />

Elena Altieri (Joie Precordi), Amelia Chellini (Alfonsina<br />

Martinelli), Marisa Vernati (Lola Martinelli), Amelia<br />

Fancelli (Teresa), Alberto Capozzi (Vincenzo<br />

Longoni), Cesare Bettarini (Felice Precordi), Armando<br />

Migliari (l'avocat Baratti), Giuseppe Porelli (Andréa<br />

Valente), Elio Steiner (Filippo), Nino Marchesini,<br />

Augusto Marcacci, Giuliana Pitti, Nino Eller, Aristide<br />

Baghetti, Vasco Creti, Stefano Sibaldi, Aristide<br />

Garbini, Mario Brizzolari. Date de sortie : 2 décembre<br />

1942. Métrage, minutage copie Cf. : 2681 m., 97 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc. Doc. : Roberto Chiti,<br />

Enrico <strong>La</strong>ncia : Dizionario del cinéma italiano : i film,<br />

vol. 1 dal 1930 al 1944, Gremese editore, 1993.<br />

Remerciements à Gian Luca Farinelli.<br />

 cause d'un coup de barre reçu en pleine<br />

poitrine, un vieux loup de mer génois, bourru<br />

et honnête, se voit diagnostiquer un anévrisme<br />

à l'aorte qui lui laisse peu de mois à vivre.<br />

Après avoir noyé dans l'alcool sa première détresse,<br />

le commandant Giovanni Bevilacqua<br />

décide de s'offrir ce qu'il s'était toujours refusé<br />

: le plaisir de la vérité. Proclamant haut<br />

et fort les choses qu'il sait, il secoue l'hypocrite<br />

société bourgeoise entre Gênes et Camo-<br />

gli à coup de révélations sur les intrigues, les<br />

escroqueries <strong>des</strong> administrateurs et les liaisons<br />

adultères de haut bord. Il trouve également<br />

le moyen de libérer Filippo, son frère, de<br />

la fourbe demoiselle qui l'avait séduit et voulait<br />

se faire épouser. Pour le réconcilier bien<br />

évidemment avec la belle et brave fille qui<br />

l'aime vraiment. Quand il s'avérera que le<br />

diagnostic était une erreur due à un échange<br />

de radiographies, la vérité aura déjà fait son<br />

chemin, avec tous les effets bénéfiques que cela<br />

implique.<br />

L'ACCENT DE LA VÉRITÉ<br />

Début cinématographique de Gilberto<br />

Govi, acteur comique génois à la<br />

glorieuse carrière théâtrale, Colpi di timone<br />

s'orchestre autour d'une série d'espaces<br />

définis et envahis par l'inflexion locale<br />

de sa voix et par son habile gestualité.<br />

Gennaro Righelli, fort de son expérience<br />

dans la direction d'acteurs, mûrie<br />

non seulement à la Cines mais également<br />

au sein du cinéma allemand <strong>des</strong> années<br />

vingt (au service de Fritz Kortner et de<br />

Paul Wegener, d'Ivan Mosjoukine et de<br />

Lil Dagover), confirme sa capacité particulièrement<br />

fluide à s'adapter aux différentes<br />

couleurs et aux registres de la récitation<br />

dialectale, capacité qu'il avait<br />

déjà su gérer au mieux dans les films interprétés<br />

par le sicilien Angelo Musco.<br />

Il plane comme l'ombre de Pirandello<br />

sur cette histoire d'un vieux commandant<br />

à qui la conscience d'avoir peu de<br />

temps à vivre concède le luxe de la liberté<br />

de parole. L'aspiration à la vérité croise<br />

la farce. Le « pouvoir tout dire » est en<br />

réalité la libre circulation du commérage,<br />

utilisé comme une arme pour révéler la<br />

vulgarité bourgeoise. Mais Giovanni Bevilacqua<br />

aura un <strong>des</strong>tin plus rocambolesque<br />

(le duel final, évité in extremis) et<br />

bien moins dramatique que le héros pirandellien<br />

de Berretto a sonagli. Dans ce<br />

cas aussi, l'idée reste dans l'air que la vérité,<br />

pour ne pas devenir une condamna-<br />

145<br />

tion sans appel, ne peut exister que temporairement.<br />

En fait, avec Colpi di timone on prend<br />

acte de la fin d'un genre, le cinéma <strong>des</strong> téléphones<br />

blancs, et de la représentation<br />

tabulée d'une classe sociale : la riche<br />

bourgeoisie, qui n'est plus ici légère et futile,<br />

mais bien lourde, cynique et tricheuse.<br />

A la logique d'escroquerie <strong>des</strong><br />

nouveaux armateurs s'oppose l'éthique<br />

rude et honnête du marin qui s'est fait<br />

tout seul (parcourue d'allusions humoristiques<br />

à l'avarice que la tradition attribue<br />

bien volontiers aux génois). Nous<br />

sommes encore dans un cinéma en quelque<br />

sorte « de régime » mais en cours<br />

d'effritement. <strong>La</strong> recherche, haletante ou<br />

mélancolique, <strong>des</strong> héros prend le pas sur<br />

le populisme débonnaire <strong>des</strong> années<br />

trente. Avec sa mer et ses navires, le commandant<br />

Bevilacqua devient quasiment<br />

un correspondant tragicomique d'un <strong>des</strong><br />

Uomini sul fondo I S.O.S. 103 de De Robertis<br />

(1941). Il faut noter, et surtout apprécier,<br />

la virtuosité du comédien Govi<br />

(et la maîtrise avec laquelle l'accompagne<br />

Righelli) pour passer de la réplique sournoise<br />

à l'intensité dramatique <strong>des</strong> vraies<br />

larmes.<br />

Paola Cristalli, Gian Luca Farinelli


146 - EUROPE - ITALIE<br />

INDIA, MATRI BHUMI<br />

INDE, TERRE MÈRE<br />

1957-1959-Roberto Rossellini<br />

Réal. : Roberto Rossellini. Prod. : Aniene Films, Union<br />

générale cinématographique, avec l'aide de l'Indian<br />

Films Development (Jean Bhownagari).<br />

Prod. ass. : Roberto Rossellini. Auteur : Roberto<br />

Rossellini. Se. : Roberto Rossellini, Sonali Senroy Das<br />

Gupta, Fereydoun Hoveyda. Asst. réal. : Giovanni<br />

(Tinto) Brass, Jean Herman. Dir. ph. : Aldo Tonti.<br />

Assts. opérateur : Giorgio Tonti, Prem. Mont. : Cesare<br />

Cavagna. Mus. : Philippe Arthuys. Asst. mus. :<br />

Christian Hackspill. Musique traditionnelle de l'Inde<br />

recueillie par Alain Danielou et éditée par Ducretet-<br />

Thomson. Commentaire version française : Jean<br />

L'Hote. Pellicule : Gevaert (Gevacolor), Ferrania<br />

(Ferrania-color), Kodak (Kodachrome).<br />

<strong>La</strong>boratoire : Tecnostampa-Rome. Int. : Les<br />

interprètes, tous non professionnels, ont été choisis sur<br />

le lieu même de l'action.<br />

Texte de présentation : « Cette copie de India est la<br />

version française du film de Roberto Rossellini<br />

présentée au Festival de Cannes le 9 mai 1959. Cette<br />

copie n'avait jamais été retrouvée. En fait, elle avait<br />

été confiée par Henri <strong>La</strong>nglois à Jeanne Severini,<br />

veuve du peintre Gino Severini. Son petit-fils Sandro<br />

et sa femme Jennifer, alertés par leur grand-mère,<br />

quelques mois avant sa mort, ont retrouvé cette copie<br />

intégrale et l'ont déposée à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française. <strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française tient à remercier<br />

les familles Severini et Franchina pour ce sauvetage<br />

d'une copie réputée perdue ». Date de sortie : 9 mai<br />

1959 (Cannes, version française), 12 mars 1960<br />

(Milan, version italienne).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2605 m., 95 mn.<br />

Version française. Couleurs. Doc. : Roberto Rossellini,<br />

sous la direction de Alain Bergala et Jean Narboni,<br />

Cahiers du cinéma-la <strong>Ciné</strong>mathèque française, 1990.<br />

Images de Bombay, « porte d'entrée de<br />

l'Inde ». L'Inde, c'est aussi une multitude de<br />

villages. Dans l'un d'eux, un mahout (conducteur<br />

d'éléphant) raconte son travail dans<br />

la forêt et, après le labeur, le rituel quotidien<br />

du bain de l'animal dans la rivière. Des marionnettistes<br />

ambulants sont arrivés au village.<br />

Le narrateur s'éprend d'une <strong>des</strong> jeunes<br />

artistes. C'est aussi la saison <strong>des</strong> amours pour<br />

les éléphants. Dix mois plus tard, la femme et<br />

l'éléphante du mahout sont enceintes.<br />

Pour dompter les crues provoquées par la<br />

mousson, un barrage coupe désormais le fleuve<br />

Mahanadi. Le narrateur, un <strong>des</strong> trente cinq<br />

mille ouvriers du chantier, parcourt une dernière<br />

fois la gigantesque réalisation qui a causé<br />

la mort de soixante quinze hommes, dont<br />

son frère. Il prend un bain rituel dans le lac<br />

artificiel et, le lendemain, part vers un autre<br />

travail avec sa femme et leur enfant, né pendant<br />

la construction.<br />

<strong>La</strong> jungle. Le narrateur, âgé de quatrevingts<br />

ans, y vit avec sa femme une vie contemplative.<br />

Scènes quotidiennes. Un jour, <strong>des</strong><br />

prospecteurs de fer arrivent et le bruit du forage<br />

fait déguerpir tous les animaux de la<br />

jungle. Le tigre, affamé, s'en prend à l'homme.<br />

Un matin, le vieillard se lève avant les chasseurs<br />

et allume un grand feu pour faire fuir<br />

le fauve vers d'autres terrains de chasse.<br />

Sous un soleil écrasant, un homme et son<br />

singe savant se rendent à la fête d'un village.<br />

Mais en chemin, l'homme meurt. Le petit singe<br />

éloigne un temps les vautours, puis va jusqu'au<br />

village où il fait son numéro sans savoir<br />

que faire <strong>des</strong> pièces qu'on lui lance. Il est<br />

recueilli par un nouveau maître. C'est la fin<br />

du voyage; nouvelles <strong>images</strong> défoules urbaines,<br />

un dernier plan sur un vol d'oiseaux.<br />

VIVRE SA VIE<br />

Le voyage en Inde de 1956-1957 procède,<br />

pour Rossellini, d'un double mouvement.<br />

Depuis deux ans (son dernier<br />

film est Angstl la Peur, en 1954), il traverse<br />

un moment de crise généralisée : séparation<br />

d'avec Ingrid Bergman, échecs publics<br />

et attaques critiques répétés qui menacent<br />

sa carrière de cinéaste en Italie,<br />

doutes sur sa capacité à renouveler son<br />

inspiration dans une Europe qui lui<br />

semble spirituellement essoufflée. Il part<br />

en Inde à la rencontre d'un véritable<br />

continent d'altérité où il espère raviver sa<br />

curiosité, son désir de comprendre et de<br />

filmer, sa vitalité. Cette rencontre avec la<br />

« Terre mère » va dépasser ses espérances<br />

: il en sort totalement enthousiaste, régénéré,<br />

pétillant d'idées et porteur d'un<br />

grand projet de cinéma et de télévision<br />

qui va devenir celui de sa quatrième et<br />

dernière vie de cinéaste. Mais dans ce<br />

pays inconnu - il semble en avoir été surpris<br />

lui-même - le choc de l'altérité s'ac-<br />

compagne d'un mouvement en retour,<br />

autoanalytique, où c'est une part de luimême<br />

et de son passé qu'il retrouve :« Ce<br />

pays si différent de l'Italie, c'est un peu<br />

ma maison paternelle vers laquelle on revient<br />

pour Noël : j'ai eu l'impression de<br />

retrouver Naples 1 ». « N'était-ce pas là,<br />

peut-être, un retour, physiquement, à<br />

l'extraordinaire atmosphère dans laquelle<br />

nous vivions en Italie de 1944 à<br />

1946, alors que étions comme <strong>des</strong> enfants<br />

lancés à la découverte de la vie 2 ?» Ce retour<br />

n'est pas régressif-sombre, ce sont<br />

<strong>des</strong> retrouvailles avec la fraîcheur <strong>des</strong><br />

perceptions dans l'enfance, la vivacité<br />

<strong>des</strong> sensations liées à toutes les gran<strong>des</strong><br />

premières fois <strong>des</strong> découvertes de la vie.<br />

Le film est travaillé par ces deux mouvements<br />

: un mouvement vers le monde<br />

indien (où Rossellini s'émerveille comme<br />

un enfant de l'altérité du monde, de la nature,<br />

<strong>des</strong> animaux) ; le mouvement de retour<br />

sur soi d'un homme mûr - il vient<br />

d'avoir cinquante ans - qui accomplit le<br />

travail de deuil d'une vie antérieure par<br />

le truchement de ce pays où il croit retrouver<br />

ses « vraies » origines de « drapé<br />

» romain. Ainsi que les vertus conjointes<br />

de la paresse active, de la contemplation<br />

méditative et de la tolérance qu'il<br />

dénie aux civilisations « cousues » et activistes.<br />

Pour les lier, Rossellini invente un<br />

tressage inédit depuis que l'on fait <strong>des</strong><br />

films, comme s'il avait trouvé en Inde la<br />

formule qui ne devait servir qu'une fois,<br />

et dont ce film unique porte aujourd'hui<br />

encore l'émotion perdue.<br />

On peut aussi appeler ce double mouvement<br />

à l'intérieur cl'lndia : documentaire<br />

et fiction.<br />

On sait que Rossellini a commencé<br />

par filmer en 16 mm (avec deux caméras,<br />

une muette et une sonore, sur pellicules<br />

couleur Ferrania et Kodak, entre décembre<br />

1956 et mars 1957) <strong>des</strong> heures de<br />

plans documentaires sur sa découverte<br />

de l'Inde, à la fois repérages pour le grand<br />

film et matériaux pour les futures émissions<br />

de télévision 3 . Puis entre mars et<br />

juin 1957, il tourne en 35 mm (sur pellicule<br />

Gevaert) les quatre histoires d'India,<br />

inspirées de faits-divers, et dont Rossellini<br />

dit qu'elles sont « probables et ne proviennent<br />

pas seulement de l'imagination » 4 .<br />

Plus tard, au montage, il intégrera aux<br />

plans tournés directement en 35 mm <strong>des</strong><br />

plans documentaires 16 mm gonflés,<br />

pour la plupart <strong>des</strong> plans d'animaux sauvages<br />

: tigres, vautours, singes.<br />

Chaque fois qu'il parle de ces deux<br />

tournages, il insiste sur le fait qu'avec le<br />

documentaire en 16 mm, il a retrouvé un<br />

plaisir perdu, l'enfance de son art : « Aujourd'hui,<br />

dit-il en 1958, je suis un vieux<br />

du cinéma. L'amusement d'être derrière<br />

la caméra est fini pour moi. Pourtant, je<br />

puis vous dire qu'avec le 16 mm je me<br />

suis amusé 5 ». On le voit même, sur certaines<br />

photos de ce premier tournage, filmer<br />

directement lui-même à la petite<br />

Paillard, sans l'aide d'Aldo Tonti. « Lorsque<br />

je tournais le film proprement dit,<br />

avoue-t-il, je m'amusais moins 6 . » C'est<br />

que la fiction du « grand » film, même<br />

considérablement allégée, même fragmentaire,<br />

même fondée sur <strong>des</strong> faits-divers,<br />

le ramène à lui-même et à ce difficile<br />

passage dans sa vie d'homme.<br />

Tout a été dit sur ce film de l'après Ingrid<br />

Bergman, sauf peut-être à quel point<br />

les quatre épiso<strong>des</strong> sont autant de variations<br />

sur un même sentiment précis, celui<br />

de la mélancolie après une séparation<br />

pourtant rationnellement nécessaire et<br />

inévitable. Rossellini dit en 1959 que dans<br />

ce film, contrairement à ceux de la période<br />

précédente, la fiction ne naît pas<br />

d'un conflit. C'est effectivement du travail<br />

de deuil d'après l'affrontement,<br />

quand la rupture est consommée, dont<br />

nous parlent en sourdine les quatre mouvements.<br />

Le premier épisode se clôt sur le départ<br />

de la jeune épousée du mahout qui<br />

quitte son mari pour aller accoucher chez<br />

sa mère car celui-ci a trop à faire avec son<br />

éléphant (dont il est à la fois le maître et<br />

le serviteur) pour s'occuper d'elle. Dans


148 - EUROPE - ITALIE<br />

le deuxième épisode, le couple qui vit depuis<br />

<strong>des</strong> années sur ce site du barrage où<br />

est né leur enfant, éprouve dans une mélancolie<br />

douloureuse ce moment où il<br />

leur faut quitter la région, maintenant<br />

que le chantier est terminé. L'homme fait<br />

une dernière promenade méditative<br />

dans ces lieux où il abandonne une partie<br />

de sa vie. Le vieil homme du troisième<br />

épisode met volontairement le feu à la<br />

forêt pour que « son » tigre échappe à la<br />

battue. Il l'éloigné du même coup définitivement<br />

de lui. L'animal, familier au<br />

vieillard contemplatif, est devenu mangeur<br />

d'homme à la suite d'un déséquilibre<br />

écologique provoqué par la cupidité<br />

<strong>des</strong> hommes. Dans le dernier épisode, le<br />

singe savant doit abandonner son maître<br />

aux vautours, dans le désert où il est mort<br />

d'un coup de chaleur. « Alors, dit Rossellini,<br />

le pauvre singe qui n'est plus un<br />

singe ni un homme, éprouve le besoin<br />

d'aller à la fois chez les singes et chez les<br />

hommes, de retourner en arrière et d'aller<br />

en avant. C'est bien là le drame qui est<br />

notre drame à tous 7. »<br />

L'aveu est fait : India n'est pas un film<br />

aussi non-autobiographique que Rossellini<br />

n'a cessé de le proclamer. Sa rencontre<br />

avec ce pays lui permet de résoudre<br />

cette contradiction qu'il lui faut à<br />

la fois retourner en arrière (la fiction) et<br />

aller en avant (le documentaire comme<br />

rencontre, émerveillement, découverte)<br />

pour recommencer à vivre et à filmer.<br />

Alain Bergala<br />

1<br />

« Le pays <strong>des</strong> hommes drapés vu par un homme<br />

cousu », entretien avec François Tranchant et J.-M.<br />

Vérité, <strong>Ciné</strong>ma 59, mai 1959.<br />

2 Déclaration de Roberto Rossellini à la radio, mai<br />

1960.<br />

3<br />

À partir de ce matériel tourné en 16 mm, Rossellini<br />

a réalisé deux séries de dix épiso<strong>des</strong> pour la télévision,<br />

qui ont été diffusées en noir et blanc en France<br />

et en Italie. En France, l'ai fait un beau voyage était présentée<br />

par Étienne <strong>La</strong>lou. En Italie, l'ïndia vista da Rossellini<br />

était présentée par Marco Cesarini Sforza.<br />

4 Présentation télévisée, réalisée pour TORTF en 1962,<br />

en vue d'un cycle jamais programmé, Roberto Rossellini,<br />

Cahiers du cinéma- la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />

1990.<br />

5 « Comment sauver le cinéma », entretien avec<br />

André Bazin et Jacques Rivette, France-Observateur,<br />

n° 413,10 avril 1958.<br />

6 « Le cinéma, la télévision, la technique », entretien<br />

avec Roberto Rossellini, France-Observateur, n° 442,<br />

23 octobre 1958.<br />

' « Entretien avec Roberto Rossellini », par Fereydoun<br />

Hoveyda et Jacques Rivette, Cahiers du cinéma,<br />

n° 94, avril 1959.<br />

LA MORT AUX TROUSSES<br />

I<br />

Avant sa sortie, le film était connu<br />

sous le titre India 57, puis, avec tous les<br />

retards et péripéties du tournage, comme<br />

India 58. Beaucoup de commentateurs, se<br />

souvenant de Germania, anno zéro (Allemagne,<br />

année zéro), d'Europa 51 ou de l'épisode<br />

d'Amori di mezzo secolo nommé Napoli<br />

43, se sont fixés sur cette date, voulant<br />

y voir la griffe d'un Rossellini toujours<br />

soucieux de préciser l'époque, de situer<br />

exactement, dans le temps, certains<br />

films phares. Mais la version présentée à<br />

Cannes le 9 mai 1959 s'affirme surtout<br />

comme intemporelle, le film, dès le générique,<br />

reculant dans le temps de<br />

quelques milliers d'années (musique et<br />

bas-reliefs d'un temple) et sous-titré<br />

Mère-Terre, indiquant un retour aux<br />

sources qui fait de l'Inde notre origine à<br />

tous, le berceau commun. Nous sommes<br />

dans l'universel, pas dans le particulier,<br />

parmi les dieux, hors du temps ou, au<br />

moins, hors de notre temps. Pourtant,<br />

l'action commence dans les années cinquante,<br />

à l'époque du séjour de Rossellini,<br />

parti là-bas le 8 décembre 1956.<br />

Certes, l'idée de son voyage est née de<br />

l'impression profonde que lui a laissée sa<br />

rencontre avec Nehru, à Londres en 1956,<br />

elle-même le renvoyant à cette autre qu'il<br />

eut vingt-cinq ans auparavant avec Gandhi.<br />

Sans doute, comme l'a écrit à l'époque<br />

Jean Herman, son assistant, voulait-il<br />

voir de près cette vitalité dont l'Inde avait<br />

fait preuve depuis 1947. Mais il voulait<br />

surtout sentir la vitalité intérieure de « ce<br />

pays-éléphant qui s'agenouille aux bords<br />

de la vie et de la mort » selon ses propres<br />

mots, de ce pays où la vie métaphysique<br />

ne se sépare pas de la vie matérielle. Dans<br />

son fameux entretien d'avril 1959 avec<br />

Hoveyda et Rivette pour les Cahiers du cinéma<br />

(n° 94) : « Ce que j'ai tâché d'exprimer<br />

c'est le sentiment donné par l'Inde,<br />

c'est la chaleur intérieure <strong>des</strong> gens de<br />

l'Inde. J'ai essayé, si je puis dire sans ridicule,<br />

de rendre poétiquement mes sensations<br />

de reporter. »<br />

II<br />

On a vu, à l'époque, dans India, avec<br />

sa structure en épiso<strong>des</strong>, un retour à<br />

Paisà, une sorte d'apogée du « réalisme<br />

extérieur », du trop célèbre : « Les choses<br />

sont là. Pourquoi les manipuler ? ». En<br />

fait, il était déjà didactique, il voulait déjà<br />

utiliser le cinéma comme un moyen d'enseignement.<br />

India, vu aujourd'hui, c'est<br />

beaucoup moins l'aboutissement du Rossellini<br />

<strong>des</strong> années 1945-1955 que l'annonciation<br />

<strong>des</strong> films « informatifs » de la période<br />

finale, de l'Età delferro I l'Âge du fer<br />

et de la Prise du pouvoir par Louis XIV jusqu'à<br />

Il Messialle Messie (1964-1975). Ce<br />

n'est pas un hasard si en parlant d'India,<br />

il a dit : « L'important ce sont les idées,<br />

non les <strong>images</strong>. »<br />

Dans l'entretien de 1959 : « Toute<br />

mon entreprise indienne a été pour moi<br />

une sorte d'étude pour un projet plus<br />

vaste que j'ai déjà mis sur pied (...) Tâcher<br />

de faire connaître <strong>des</strong> choses, répandre<br />

<strong>des</strong> idées, faire soupçonner qu'il y a autre<br />

chose dans le monde. » Et dans l'entretien<br />

avec les Cahiers de juillet 1963<br />

(n° 145), celui où il attaque Jean Rouch et<br />

le cinéma-vérité, il annonce que ce qu'il<br />

fera à l'avenir « n'entrera en aucune manière<br />

dans le cadre habituel du cinéma.<br />

Je me propose de tourner un certain<br />

nombre de choses qui auront une valeur<br />

surtout didactique : je crois qu'il faut en<br />

venir là, lorsqu'on est tombé si bas ». Et<br />

plus loin : « Je me propose d'être non pas<br />

un artiste, mais un pédagogue. » Ces propos<br />

sont un trousseau de clés pour India,<br />

premier pas pour faire connaître aux<br />

hommes « le sixième du genre humain »,<br />

premier pas pour lutter contre ce qu'il a<br />

appelé « l'invasion verticale <strong>des</strong> Barbares<br />

». India, c'est la préface à l'éducation<br />

intégrale qu'il a prôné dans un ouvrage de<br />

1976. Le conducteur d'éléphants, le jeune<br />

ingénieur du barrage, le vieillard au tigre<br />

et le singe antropomorphe sont déjà <strong>des</strong><br />

maîtres, dont les leçons annoncent celles<br />

de Saint Paul, de Socrate, de Pascal, de<br />

Saint Augustin, de Léon Battista Alberti,<br />

de Descartes et, tout à la fin, de Comenius.<br />

Est-ce par hasard que dans l'œuvre<br />

où il revient sur la mappe de Comenius<br />

(Utopia Autopsia), il donne comme exemple<br />

de l'image impérissable, l'image de<br />

l'éléphant ?<br />

III<br />

<strong>La</strong> crise généralisée vécue par Rossellini<br />

dans les années 1955-1957 ressemblait<br />

à celle <strong>des</strong> années 1949-1951. Dans<br />

les deux pério<strong>des</strong>, il retrouve sa peur du<br />

collectif, d'un monde qui, de la guerre<br />

froide à la crise de Suez ou Budapest, lui<br />

semblait pouvoir s'engloutir à chaque<br />

instant dans une nouvelle guerre mondiale.<br />

Nous savons, par les Mémoires<br />

d'Ingrid Bergman, comment Rossellini a<br />

vécu l'année 1956, ne voulant pas lâcher<br />

les siens, persuadé de l'imminence d'un<br />

conflit et de la fin de notre civilisation. Et<br />

il n'est pas surprenant finalement que son<br />

dernier film avec Ingrid Bergman s'appelle<br />

la Peur (Angst, 1954). Peter Brunette,<br />

tout en avertissant contre les excès de l'interprétation<br />

autobiographique, a bien vu<br />

que Rossellini dramatisait dans ce film sa<br />

propre insécurité et ses problèmes personnels.<br />

« Le diable est entré dans cette<br />

maison» dit la vieille gouvernante à<br />

Irène (Ingrid Bergman), dans Angst. Malgré<br />

les apparences, le diable est aussi à<br />

l'œuvre dans India. Si, comme il l'a reconnu<br />

ensuite lui-même, ses films avec<br />

Bergman étaient autobiographiques, à<br />

mon avis, d'une façon beaucoup plus elliptique,<br />

India continue de l'être, surtout<br />

aux épiso<strong>des</strong> <strong>des</strong> éléphants, du tigre et du<br />

singe. En y repensant bien, ils ne contiennent<br />

pas seulement <strong>des</strong> leçons de tolérance<br />

et d'harmonie, mais témoignent<br />

aussi d'une peur. <strong>La</strong> peur du changement,<br />

de la mort.<br />

IV<br />

Dans l'entretien de 1959, Rivette et<br />

Hoveyda interrogent le maître sur les raisons<br />

qui l'ont conduit à placer l'épisode<br />

du singe en dernier. En effet, il était un<br />

peu déroutant de voir le film de l'acceptation,<br />

le film de « la création du monde »<br />

(Godard) se terminer par l'une <strong>des</strong> histoires<br />

les plus amères et les plus angoissantes<br />

de toute l'œuvre de Rossellini. <strong>La</strong><br />

nature est la plus désolée de tout le film,<br />

avec un arbre <strong>des</strong>séché, l'orage de chaleur,<br />

un ciel d'acier et la terre fendue.<br />

Même les vaches plongées dans l'eau<br />

donnent un sentiment d'angoisse et de<br />

mort, tout le contraire du bain <strong>des</strong> éléphants<br />

dans le premier épisode - le plus<br />

solaire et le plus heureux -, tandis que la<br />

scène se termine par le triomphe <strong>des</strong> vautours.<br />

Quant au singe domestiqué, « pauvre<br />

singe qui n'est plus un singe ni un<br />

homme », Rossellini montre sa détresse<br />

et sa solitude. Paria de la nature et paria<br />

de la culture, le pauvre singe est comme<br />

un héros de Borges : il a perdu sa place.<br />

Il est la réponse accablante à la dernière<br />

question du vieillard à l'épisode précédent<br />

: « Le monde n'est-il pas assez grand<br />

pour tous ? » Visiblement, non.<br />

V<br />

Après le prologue documentaire - qui<br />

n'est pas, à mon avis, du Rossellini le plus<br />

inspiré -, la fiction vient au film, non au<br />

début du premier récit mais seulement à<br />

l'intérieur de celui-ci. Ce passage - quand<br />

le narrateur se subjectivise et le verbe se<br />

fait chair dans le corps du conducteur<br />

INDIA, MATRI BHUMI - 149<br />

d'éléphants - est un <strong>des</strong> prodiges de la<br />

narration rossellinienne, parce qu'il annule<br />

ipso facto la frontière entre les genres.<br />

Le célèbre - et si beau - bain <strong>des</strong> éléphants<br />

est déjà de la fiction tout en restant documentaire,<br />

comme l'arrivée de la troupe<br />

<strong>des</strong> marionnettistes, la présence de la jeune<br />

fille et les amours parallèles <strong>des</strong> hommes<br />

et <strong>des</strong> bêtes. Mais c'est sur une séparation<br />

que cette histoire se termine et,<br />

sous <strong>des</strong> formes différentes, c'est sur <strong>des</strong><br />

séparations que tous les récits se ferment.<br />

Quand l'ingénieur se sépare de son œuvre<br />

(le barrage), c'est le long plan fixe de<br />

sa baignade, justement célébré comme un<br />

<strong>des</strong> moments suprêmes de l'art rossellinien.<br />

Quand le vieillard met le feu à la<br />

forêt, il pousse le tigre à aller vivre ailleurs,<br />

loin <strong>des</strong> hommes, loin de lui. Alors,<br />

je suis enclin finalement à voir India<br />

comme un adieu au monde (à l'idée de<br />

monde qui a formé Rossellini et l'humanisme<br />

de notre culture) plutôt que<br />

comme « la création du monde ». Et depuis<br />

Jahvé, on ne créé que <strong>des</strong> mon<strong>des</strong> à<br />

notre image et similitude. India n'est pas<br />

un film sur l'Inde, India est un autoportrait<br />

de Rossellini.<br />

Joâo Bénard da Costa


150 - EUROPE - RUSSIE<br />

L'Aurore de la<br />

révolution russe.<br />

À gauche :<br />

Rokovye Briîîianty.<br />

À droite :<br />

l'Aurore de la<br />

révolution russe.<br />

RUSSIE 1913<br />

ROKOVYE BRILLIANTY<br />

LES DIAMANTS MAUDITS<br />

1913 -Maximilien Garry<br />

Réal. : Maximilien Garry. Prod. : Pathé-Rouss.<br />

Auteur : Jack London, d'après sa nouvelle lustMeat.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 414 m., 18 mn<br />

(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc.<br />

Un antiquaire prospère vient défaire une<br />

bonne affaire mais son employé a observé par<br />

le trou de la serrure la transaction. Le soir, le<br />

marchand se couche et enferme les bijoux.<br />

L'employéa prévenu son complice qui pénètre<br />

dans la chambre, force le meuble et étrangle<br />

le propriétaire réveillé par le bruit, tandis que<br />

l'autre fait le gué dans la rue. De retour chez<br />

eux, le butin leur fait oublier le crime et suscite<br />

une convoitise irrépressible. Bientôt, ils<br />

se surveillent, épient chaque geste, dorment<br />

d'un œil. Le lendemain, l'un sort en prenant<br />

soin d'enfermer l'autre. À son retour, il verse<br />

sans être vu du poison dans le café de son désormais<br />

ennemi, sans voir que l'autre a fait<br />

de même avec sa tasse. Ils meurent tous les<br />

deux dans d'horribles convulsions.<br />

L'AURORE DE LA<br />

RÉVOLUTION RUSSE<br />

Circa 1913<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 863 m., 38 mn<br />

(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />

Noir et blanc. Ces deux films ont été restaurés avec le<br />

concours de la Cineteca del Friuli (Lorenzo Codelli),<br />

Yuri Tsivian.<br />

L'ingénieur Ivan Petrovitch, marié, deux<br />

jeunes enfants, se rend un soir à une réunion<br />

politique, sans voir qu'il est suivi. À la réunion,<br />

le sort le désigne pour accomplir l'acte<br />

qui servira la cause de la Révolution. À son<br />

retour, il charge un revolver et brûle <strong>des</strong> papiers.<br />

Le lendemain, il est dans la rue, attendant<br />

le passage en voiture à cheval d'un offi-<br />

ciel. Mais au moment où il s'élance, il est maîtrisé<br />

par deux hommes et conduit à la police<br />

tsariste. Il est condamné à être déporté pour<br />

la vie en Sibérie. Dans la neige, une cohorte<br />

de prisonniers avance péniblement vers le lieu<br />

de détention. Certains meurent en chemin.<br />

Ivan croupit six ans dans sa cellule, rongé par<br />

la tuberculose. Tortures et corvées sont le quotidien<br />

du bagne. Ivan s'évade finalement. En<br />

chemin, un vieil homme le recueille dans sa<br />

maison. Plein de gratitude, il se signe et reprend<br />

sa route. À la maison, il est devenu un<br />

étranger pour ses enfants. Une lettre lui demande<br />

de respecter son serment politique. Il<br />

fabrique une bombe qu'il jette dans le bureau<br />

d'un militaire. Arrêté, de nouveau enfermé,<br />

condamné à mort, son recours en grâce rejeté,<br />

vieilli et malade, il se pend dans sa cellule.<br />

LE SPECTATEUR DE L'HISTOIRE<br />

À l'exception du premier plan de Rokovye<br />

brillianty (les Diamants maudits) dont<br />

la mise en place ingénieuse condense<br />

trois niveaux d'espace en un seul, opérant<br />

une substantielle économie de décor<br />

digne d'un film B en permettant à plusieurs<br />

personnages de se croiser dans le<br />

réduit d'un seul plan (le bureau de l'antiquaire<br />

en haut et au fond, le tableau<br />

qu'achète un client, le miroir à ses côtés<br />

qui inscrit le hors champ dans le champ),<br />

le reste est un morne défilé de gesticulations<br />

sur fond de décors platement filmés.<br />

Le récit, adapté d'une nouvelle de<br />

Jack London, JustMeat, a sa morale (le vol<br />

ne paie pas) même si les fautifs, le voleur<br />

et son complice, l'employé de l'antiquaire,<br />

ne sont pas punis par la loi mais<br />

victimes, dans une sorte d'ersatz préstroheimien,<br />

celui de Greed (les Rapaces),<br />

de leur refus de se partager le butin. Autant<br />

la mimique est l'art du muet, qui<br />

touche au sublime quand il s'agit de Chaplin<br />

- en ouverture de The Circus, elle résume<br />

quinze pages de scénario en trente<br />

secon<strong>des</strong> - autant elle est son fossoyeur,<br />

le temps aidant. <strong>La</strong> séquence du vol, avec<br />

l'employé faisant le guet devant la porte<br />

d'entrée, s'achève par le réveil de l'antiquaire<br />

surprenant son voleur. Le retour<br />

du voleur avec le butin laisse supposer<br />

que l'histoire s'est mal terminée pour<br />

l'autre. Malheureusement, une mimique<br />

lourde (l'étranglement) écrase l'ellipse,<br />

privant le spectateur de l'ambiguïté<br />

d'une action suspendue à son sommet.<br />

De même, les intentions criminelles de<br />

l'employé vis-à-vis du voleur sont mimées<br />

à l'avance, à grand renfort de gestes<br />

frisant le ridicule (poison versé, convulsions),<br />

de telle sorte que l'issue finale, sur<br />

le plan de l'action, est la confirmation redondante<br />

de cette illustration mimique<br />

qui l'a précédée. Le style, dosage entre la<br />

mise en scène proprement dite et le jeu<br />

<strong>des</strong> acteurs, est moins l'expression d'une<br />

volonté artistique que le miroir de l'idée<br />

que le cinéaste se fait de la compréhension<br />

de son travail par le spectateur. Manifestement,<br />

le réalisateur de Rokovye<br />

brillianty place la barre très bas.<br />

Deux choses à ajouter sur ces Rokovye<br />

brillianty. <strong>La</strong> première est une information<br />

involontaire sur les conditions de<br />

tournage. Dans le décor de chambre-bureau<br />

où s'effectue la transaction, on devine<br />

par la fenêtre l'animation de la ville,<br />

avec ses piétons qui passent et ses véhicules.<br />

En supposant que le réalisateur n'a<br />

pas eu les moyens de reconstituer une<br />

ville en studio pour une visibilité aussi<br />

dérisoire et inutile à la mise en scène, on<br />

en déduit que le plan a été tourné dans<br />

un appartement aménagé pour la circonstance.<br />

<strong>La</strong> seconde concerne le moment<br />

où l'employé surveille l'antiquaire<br />

par le trou de la serrure. Moment de<br />

voyeurisme à rajouter à la liste, fort<br />

longue, de situations similaires dans le cinéma<br />

de l'époque. Si le style est l'idée que<br />

le cinéaste se fait de son spectateur, cette<br />

situation narrative est moins l'expression<br />

d'une volonté scénaristique (le genre policier)<br />

que l'émanation directe d'un étonnement<br />

premier, celui du spectateur face<br />

au dispositif cinématographique, dont il<br />

n'est pas encore revenu. C'est en filmant<br />

151


152 - EUROPE - RUSSIE<br />

le spectateur (voir sans être vu) ou en fantasmant<br />

son degré de compréhension de<br />

l'histoire que le cinéma se constitue en<br />

cherchant ses marques, avec plus ou<br />

moins de bonheur.<br />

Plus passionnant en revanche est<br />

l'Aurore de la révolution russe, même si on<br />

ignore la visée réelle de ce genre de film<br />

dans son contexte de production. S'agitil,<br />

aux alentours de 1913, d'un appel à<br />

prendre les armes et à faire la révolution<br />

à travers le récit exemplaire d'un militant<br />

qui sacrifie sa vie et sa famille au service<br />

de son idéal (hypothèse la plus vraisemblable)<br />

ou de décourager quiconque de se<br />

livrer à une telle entreprise suicidaire, le<br />

héros devenant la victime d'un comité révolutionnaire<br />

impitoyable qui exige que<br />

son serment soit tenu ? Généralement, on<br />

célèbre les martyrs de la Révolution après<br />

qu'elle ait eu lieu. Le Cuirassé Potemkine<br />

est un bon exemple de cette commémoration<br />

officielle qui aime remonter dans<br />

le passé pour fêter la victoire en marche<br />

(dans le film), une fois installée (le<br />

contexte de production). Là, on rend honneur<br />

aux martyrs avant la victoire. Cette<br />

inversion fait toute l'originalité de ce curieux<br />

film, plutôt attachant. Le moment<br />

le plus fort est celui où l'ingénieur terroriste,<br />

après avoir raté son attentat, est déporté<br />

dans un bagne en Sibérie par les<br />

forces tsaristes. Étonnant comme le recul,<br />

en 1996, fait voir autrement ces plans de<br />

prisonniers déblayant la neige à la pelle,<br />

de telle sorte qu'ils résonnent aujourd'hui<br />

comme <strong>des</strong> <strong>images</strong> d'archives qui<br />

n'ont que trop manqué au moment <strong>des</strong><br />

purges staliniennes. Cela, on a fini par le<br />

voir mais trop tard, grâce aux caméras de<br />

la télévision. En voyant dans un film de<br />

fiction de 1913 (trop tôt par conséquent)<br />

les <strong>images</strong> de ce révolutionnaire déporté,<br />

dans un bagne où la torture sévit (le prisonnier<br />

flagellé), on se dit que d'autres<br />

comme lui ont eu réellement un parcours<br />

identique après, même si le cinéma de fiction<br />

d'alors s'est bien gardé de le montrer.<br />

<strong>La</strong> qualité de l'Aurore de la révolution<br />

russe ne se limite pas à cet intérêt documentaire,<br />

à sa faculté, involontaire, d'anticipation.<br />

L'impact du film est renforcé<br />

par le jeu <strong>des</strong> acteurs. Contrairement aux<br />

mimiques outrancières de Rokovye brillianty,<br />

tous jouent juste, à commencer par<br />

l'ingénieur. Cette extrême sobriété dans<br />

la gestuelle en dépit de la distance <strong>des</strong> visages<br />

dans le plan, traverse bien le temps,<br />

même si elle est quelque peu contrariée<br />

par la longue étreinte de la femme quand<br />

son mari part effectuer sa première mission,<br />

moment contrebalancé par la réaction<br />

<strong>des</strong> deux petits enfants dans le plan<br />

qui se chuchotent à l'oreille et commentent<br />

l'attitude de leurs parents, superbe<br />

détail qui sauve le tableau de l'emphase.<br />

Toutes les scènes de famille, fort belles,<br />

peu artificielles, font penser à une chronique<br />

intimiste. Le documentaire, là<br />

aussi. À partir du principe du plan fixe<br />

sur une toile de fond de décor, le film révèle<br />

un vrai sens de la composition. Personnages<br />

décentrés (la mère assise sur le<br />

canapé), groupe de personnages sur un<br />

côté (la famille à table), laissant une zone<br />

de décor faussement inactive, toujours<br />

habitée. Le réalisateur utilise avec habileté<br />

le principe théâtral d'un décor à<br />

double fond : la visite à la prison avec la<br />

famille au premier plan à droite et le prisonnier,<br />

de l'autre côté de la double vitre<br />

à gauche, l'attentat à l'explosif avec la<br />

porte qui s'ouvre, révélant une scène seconde<br />

au cœur de la scène première. Dispositif<br />

de la double scène en profondeur<br />

que Dreyer utilisera systématiquement<br />

dans Gertrud (1964), sans doute en souvenir<br />

<strong>des</strong> films vus à l'époque de ses débuts.<br />

Le plus beau plan du film est celui<br />

où l'ingénieur, après avoir brûlé dans son<br />

bureau <strong>des</strong> papiers le compromettant, rejoint<br />

sa famille à table. Il tient à refermer<br />

la porte derrière lui, soucieux de ne pas<br />

mélanger l'espace politique (les amis<br />

qu'il reçoit) et sa vie privée. Sans trop savoir<br />

s'il s'agit d'un accident de tournage<br />

ou d'une volonté du réalisateur, la porte<br />

du bureau, mal fermée, s'ouvre derrière<br />

l'ingénieur, à son insu. Il croit être pleinement<br />

avec sa femme et ses enfants tandis<br />

que le spectateur voit que l'autre espace,<br />

qu'il pense avoir laissé derrière lui,<br />

est toujours omniprésent, et qu'il finira<br />

même par envahir le salon et les détruire<br />

eux aussi. Beau moment de scénographie<br />

pure où un incident anodin, celui d'une<br />

porte mal fermée qui dévoile une portion<br />

d'espace, exprime le drame vécu par les<br />

personnages. Loin du théâtre mortifié et<br />

mortifiant, cet instant signe la présence<br />

d'un vrai film.<br />

Charles Tesson<br />

L'APPEL DE LA VIE<br />

(FRAUENNOT - FRAUENGLÛCK)<br />

1929 - Édouard Tissé<br />

Réal. : Édouard Tissé. Supervision : Serguei M.<br />

Eisenstein. Prod. : Praesens-Film AG, Zurich<br />

(<strong>La</strong>zar Wechsler). Se. : Grigori Alexandrov.<br />

Asst. réal. : Grigori Alexandrov. Dir. ph. : Emil Berna,<br />

Edouard Tissé. Ass. ph. : Harry Ringger.<br />

Mont. : Édouard Tissé, <strong>La</strong>zar Wechsler, Serguei M.<br />

Eisenstein. Conseil médical : Dr. Rudolf Waltraut.<br />

Intérieurs tournés à la clinique gynécologique de<br />

l'Université de Zurich. Extérieurs tournés à Zurich et<br />

dans les environs. Int. : johannes Steiner et <strong>des</strong><br />

comédiens demeurés anonymes.<br />

Date de sortie : 21 mars 1930. Métrage, minutage<br />

copie Cf. : 1505 m., 60 minutes (à 22 i/s). Intertitres<br />

français. Noir et blanc. Doc. : François Albera :<br />

« l'Appel de la vie », catalogue <strong>Ciné</strong>Mémoire 1993.<br />

Hervé Dumont : Histoire du cinéma suisse,<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque suisse, 1987.<br />

Chaque année en Europe, le nombre <strong>des</strong><br />

avortements clan<strong>des</strong>tins ne cesse d'augmenter.<br />

« Les causes ? ».<br />

Anonyme dansl'agitationindifférente d'une<br />

grande ville, une femme avance péniblement.<br />

Elle a un mari, trois enfants, un quatrième<br />

dans son ventre. Épuisée, elle s'asseoit sur <strong>des</strong><br />

marches de pierre mais au souvenir <strong>des</strong> siens,<br />

de la table vide, de la faim, se remet en marche.<br />

Une autre, plus jeune, plus libre. Un<br />

homme l'approche. Ils partent ensemble.<br />

<strong>La</strong> première femme arrive devant une<br />

sombre maison et entre. <strong>La</strong> nuit est tombée.<br />

Dans un café, l'homme et la jeune femme.<br />

Champagne. Elle refuse, il insiste, elle accepte.<br />

Les verres se succèdent. À l'aube, le<br />

couple sort d'un hôtel.<br />

<strong>La</strong> mère est revenue au foyer, souffrante.<br />

Hémorragie. À l'hôpital, les infirmières pratiquent<br />

une transfusion.<br />

Une autre femme encore : enjouée, elle rejoint<br />

son mari sur un chantier à l'heure du<br />

déjeuner. <strong>La</strong> pause : les machines s'arrêtent.<br />

Elle lui dit à l'oreille qu'elle attend un enfant.<br />

Il met son oreille sur le ventre de sa compagne.<br />

Les machines redémarrent. L'homme remonte<br />

sur son échafaudage. Une fausse manœuvre.<br />

Il bascule dans le vide sous les yeux de sa femme.<br />

Elle porte la main à son ventre.<br />

<strong>La</strong> deuxième femme aussi est enceinte et<br />

son amant d'un soir ne l'aidera pas. Elle aussi<br />

aura recours à « la faiseuse d'anges ». Chez<br />

Tavorteuse, aucune hygiène. Dans les hôpitaux,<br />

un « maximum de moyens, un maxi-<br />

mum de conscience ». Plans documentaires<br />

sur la propreté clinique. D'un côté, une table<br />

d'opération moderne, de l'autre un étal. <strong>La</strong><br />

jeune femme s'évanouit. Utérus perforé. Des<br />

schémas détaillent l'infection <strong>des</strong> organes. À<br />

terme, la mort.<br />

Dans un hôpital, on se prépare à un accouchement<br />

difficile. Plans documentaires<br />

d'une césarienne réussie. D'ordinaire, les délivrances<br />

sont plus simples et les cliniques<br />

suisses peuvent s'enorgueillir d'avoir de<br />

beaux bébés. Celui-ci attend ses parents qui<br />

l'emportent dans le monde.<br />

LE QUOTIDIEN, LA GRANDE VILLE<br />

ET LE PROGRÈS<br />

Ce film, on le sait, est l'une <strong>des</strong> traces<br />

(et la plus importante sur pellicule) du<br />

voyage en Europe capitaliste de trois citoyens<br />

soviétiques, à la fin de Tannée<br />

1929. Or, que peuvent faire <strong>des</strong> citoyens<br />

soviétiques conscients, organisés et convaincus,<br />

parcourant les pays du luxe et<br />

de la décadence bourgeois ? Ils peuvent,<br />

incontestablement, filmer la décadence,<br />

en y ajoutant une ironie sirupeuse et ambiguë,<br />

et cela donne Romance sentimentale,<br />

le film de Grigori Alexandrov « supervisé<br />

par Eisenstein ». Ils peuvent aussi faire<br />

un travail plus directement militant, fustigeant<br />

ouvertement l'idéologie bourgeoise<br />

sous son aspect répressif et régressif,<br />

et cela peut donner l'Appel de la<br />

vie, le film d'Edouard Tissé... « supervisé<br />

par Eisenstein ».<br />

Films de circonstance, films gagnepain,<br />

films sans véritable auteur ? Sans<br />

doute tout cela, et à coup sûr le mystère<br />

planera toujours sur la part exacte dans<br />

l'un et l'autre film du plus célèbre <strong>des</strong><br />

trois Russes, quand bien même, dans l'un<br />

et dans l'autre, sa signature est apposée,<br />

aussi lisible qu'un nez au milieu d'une figure,<br />

qu'un gros plan au milieu d'une<br />

scène, qu'une caricature de bourgeois au<br />

milieu du peuple, qu'un cadrage tendu<br />

et vivant au milieu d'une séquence.<br />

153<br />

Le scénario de l'Appel de la vie est plus<br />

que rudimentaire. Des femmes enceintes<br />

sont contraintes par la malchance, par<br />

leur imprudence ou leur bêtise, en tout<br />

cas par leur pauvreté, à renoncer à l'enfant<br />

qu'elles portent : misères de femmes.<br />

D'autres, au contraire, donnent naissance<br />

à leurs enfants dans l'environnement<br />

propre et sûr de cliniques modernes :<br />

bonheurs de femmes. Deux parties nettement<br />

opposées, que le titre allemand -<br />

lors de la ressortie du film en 1936, dans<br />

une version transformée 1 et sonorisée -<br />

annonce clairement : Frauennot, Frauengliick.<br />

Comme la lumineuse, l'éclatante<br />

clinique de la fin, cette structure en diptyque<br />

est limpide, propre, sans bavure ni<br />

déchet : oui, camara<strong>des</strong>, le bonheur peut<br />

racheter la misère, la supprimer ; les<br />

femmes peuvent tranquillement confier<br />

aux hommes leur bonheur de femme -<br />

pourvu qu'ils soient médecins accoucheurs.<br />

Comment filmer cela ? <strong>La</strong> réponse,<br />

prévisible et, en un sens, elle aussi banale,<br />

est pourtant passionnante. Sur ce canevas<br />

à peu près sans consistance réelle (la<br />

preuve : tout le monde y trouva à redire,<br />

et tout le monde aussi y trouva son<br />

compte, puisque cela put s'accommoder<br />

de discours contradictoires), le groupe<br />

dirigé par Tissé broda <strong>des</strong> variations, en<br />

retraçant trois thèmes qui étaient alors au<br />

cœur <strong>des</strong> préoccupations du cinéma d'art<br />

et du cinéma d'essai en Europe : la vie<br />

quotidienne (le bytovoié russe) et en particulier<br />

le travail ; la grande ville ; le progrès<br />

technologique conçu comme progrès<br />

tout court.<br />

Des trois, le thème de la ville était<br />

alors le plus international. Les grands<br />

films de ville venaient d'être montrés (il<br />

est quasi certain que Tissé et Eisenstein<br />

avaient vu Berlin, die Symphonie einer<br />

GrosstadtlSymphonie d'une grande ville, à<br />

défaut d'avoir pu connaître l'Homme à la<br />

caméra), et l'Appel de la vie en reprend certains<br />

principes. <strong>La</strong> ville y apparaît comme<br />

la conjonction, ou peut-être seulement la<br />

juxtaposition, de trois facteurs : l'habitat


154 - EUROPE - SUISSE<br />

1<br />

'* 1<br />

- ruelles ombreuses, qui seraient charmantes<br />

si elles n'étaient sinistres : au<br />

bout, invariablement, demeure l'avorteuse,<br />

tapie dans sa toile invisible ; la circulation<br />

- et les plans sur les automobiles,<br />

les tramways, les agents, les piétons,<br />

l'agitation tranquille <strong>des</strong> rues de Zurich<br />

mettent excellemment en valeur l'art de<br />

cadrage tranchant que Tissé avait pu apprendre<br />

en Russie, et dont ils prouvent à<br />

quel degré il l'avait assimilé ; enfin, l'anonymat<br />

de la pierre - et ce sont les plans,<br />

eux aussi très beaux, cadrés et « éclairés »<br />

avec une grande justesse expressive (à laquelle<br />

la copie réalisée à partir du nitrate<br />

rend justice), sur les places, les monuments,<br />

les paysages urbains, lorsqu'on<br />

n'a plus besoin de savoir que <strong>des</strong> hommes<br />

les traversent ou les regardent (voir,<br />

remarquables, les quelques plans de tombée<br />

du jour sur le lac).<br />

Dans leur filmage <strong>des</strong> deux autres<br />

thèmes, Tissé et son groupe se montrent<br />

également maîtres <strong>des</strong> moyens fondamentaux<br />

du cinéma, depuis l'inscription<br />

de formes graphiques simples dans le<br />

cadre jusqu'aux combinaisons de montage,<br />

en passant par la construction de<br />

cette « cellule » de montage qu'est le cadrage.<br />

Soient les nombreux plans, à l'enthousiasme<br />

glaçant, de la longue partie<br />

finale qui prêche l'accouchement médicalisé<br />

(qui le prêche à outrance, jugerions-nous,<br />

après que sont passées plusieurs<br />

mo<strong>des</strong> et plusieurs idéologies du<br />

corps). Comment mieux les caractériser<br />

qu'en les rapprochant <strong>des</strong> plans, tout<br />

aussi enthousiastes et a posteriori effrayants,<br />

du sovkhoze modèle de la Ligne générale<br />

? On y prenait pour <strong>des</strong> chirurgiens<br />

blousés et masqués de blanc ce qui n'était<br />

qu'un bataillon de vachers new look : ici,<br />

ce sont de vrais chirurgiens qui prennent<br />

l'allure d'atroces techniciens, toujours<br />

blancs et toujours masqués, entre Frankenstein<br />

et l'homme invisible ; mais c'est<br />

la même proximité aux appareils, innombrables,<br />

luisants, modernistes, aussi<br />

incongrus par leur <strong>des</strong>ign daté que les outils<br />

de charcutage obstétrique du Dead<br />

Ringers (Faux-Semblants, 1988) de Cronenberg.<br />

Idéologème brut : le progrès, la<br />

sécurité, et forcément aussi la beauté moderne,<br />

sont incarnés par l'appareil - simplement<br />

parce qu'il est net et brillant.<br />

Nous connaissons le refrain, mais le couplet<br />

de Tissé lui va comme un gant de<br />

latex prophylactique.<br />

Reste le plus réussi et le plus touchant<br />

: le « quotidien », c'est-à-dire tout<br />

ce qui ressortit au document, et aussi tout<br />

le typage, ici admirable, du moins dans<br />

la première partie. Si le corps médical<br />

n'est qu'un agglomérat indifférencié et<br />

tristement fonctionnel, dont on peine infiniment<br />

à penser qu'il est du côté de la<br />

vie, le peuple est figuré par <strong>des</strong> visages,<br />

par <strong>des</strong> corps tous émouvants, tous<br />

beaux, et l'un au moins - celui de la mère<br />

de famille nombreuse - parfaitement sublime.<br />

<strong>La</strong> tentation est grande de voir<br />

dans certains de ces plans, plus qu'ailleurs,<br />

la patte du maître : le père de famille,<br />

avec sa tête à la Hodler, comme, symétriquement,<br />

le séducteur graveleux<br />

(qui, lui, fait bien plutôt penser à Dix, à<br />

Beckmann ou Permeke) ne sont-ils pas<br />

<strong>des</strong> types comme Octobre les avait accumulés,<br />

comme les leçons au VGIK <strong>des</strong> années<br />

trente les théoriseront ? Et la famille<br />

pauvre dans sa sinistre pièce unique<br />

n'est-elle pas filmée exactement - cadrages,<br />

montage opposant le pair et l'impair,<br />

jeu sur le plus-que-gros plan -<br />

comme le fut la tribu vaguement incestueuse<br />

dans Tizba noire de la Ligne générale<br />

? Tissé n'était pas un novice lorsqu'il<br />

connut Eisenstein, et par lui, c'est aussi<br />

un peu ou beaucoup du cinéma suédois<br />

qui « sous-vient ». Et il ne faut pas oublier<br />

qu'en 1929, le cinéma allemand avait déjà<br />

produit ses chefs-d'œuvre réalistes, que<br />

chacun avait pu voir. Mais la touche eisensteinienne<br />

est insistante, et la version<br />

française, en cela définitivement supérieure<br />

à l'autre, a su en conserver l'empreinte<br />

fugitive et profonde, avec ces<br />

deux ou trois plans sur une statuette de<br />

femme 1900, qui répondent au répugnant<br />

sourire du séducteur lorsqu'il déchire le<br />

L'APPEL DE LA VIE-155<br />

portrait de la jeune fille - comme la statuette<br />

de Bonaparte redoublait et expliquait<br />

Kérenski dans Octobre.<br />

Avec ces plans, avec la tranquille<br />

beauté qui émane de ces visages jusque<br />

dans le malheur qu'ils jouent, le film<br />

avoue son propos réel : le bonheur - <strong>des</strong><br />

femmes mais aussi bien <strong>des</strong> hommes avec<br />

elles - ce n'est pas d'un progrès sans extase<br />

qu'il faut l'attendre, maisbien du jeu,<br />

si douteux soit-il, <strong>des</strong> passions humaines.<br />

Jacques Aumont<br />

1 <strong>La</strong> version suisse de 1936 en effet n'est pas, contrairement<br />

à ce qu'on a parfois dit, un simple remontage<br />

de la version de 1929, mais un immonde tripatouillage.<br />

L'épisode de la jeune fille et du noceur y<br />

est remplacé par un épisode de séduction infiniment<br />

plus discret (on montre juste le séducteur entrevoyant<br />

sa victime alors qu'elle monte dans un tram),<br />

avec d'autres acteurs, au typage plus anodin, et<br />

d'autres décors, très anonymes ; la scène chez l'avorteuse<br />

a été refaite elle aussi, et imite caricaturalement<br />

les cadrages de Tissé ; une longue scène parlante, affreusement<br />

« édifiante », est ajoutée, entre la jeune<br />

fille et un gynécologue qui lui fait la leçon - pour finalement<br />

se laver les mains de son affaire ; la scène<br />

où se prend la décision de la césarienne est devenue<br />

parlante, et on y retrouve ce nouveau gynécologue<br />

et son cabinet (donc un autre décor que celui de<br />

Tissé). Outre l'impossibilité stylistique d'assigner ce<br />

matériel plat et statique aux Russes, le fait que les acteurs<br />

en soient vus dans <strong>des</strong> scènes parlantes oblige<br />

à conclure qu'il a été réalisé ultérieurement par un<br />

autre cinéaste (peut-être Emil Berna, qui avait été primitivement<br />

pressenti par le producteur ?).


Youssef Chahine<br />

An-Nil Oual Hayat<br />

(1968).<br />

ÉGYPTE


158 - ÉGYPTE<br />

AN-NIL OUAL HAYAT<br />

UN JOUR, LE NIL<br />

1968-Youssef Chahh.e<br />

Réal. : Youssef Chahine. Prod. : Cairofilm (Waghi<br />

Ryad), Mosfilm (Konstantin Stenikson).<br />

Supervision Cairofilm : Youssef Chahine.<br />

Assistants à la production : Vladimir Simakov, Salch<br />

Fawzi. Se. : N. Figourovski, A. El-Charkawi, Y.<br />

Chahine. Dir. ph. : A. Chelenkov, Tchen-You-<strong>La</strong>n.<br />

Son : S. Minervine, H. El-Touni.<br />

Conseillers artistiques : Evgueni Svitdetelev, Raouf<br />

Abdelmagid. Cost. : Nadedja Bouzina, Kheiri El Felfel.<br />

Mont. : Rachida Abdelsalâm. Mus. : Aram<br />

Khatchatourian. Pellicule Sovcolor. Int. : Salah<br />

Zulfikar, Igor Vladimirov, Imâd Hamdi, Vladimir<br />

Ivachov, Seif-Eddine, Youri Kamerny, Mahida Salem,<br />

Valentina Khoutsenko, Hocine Ismaël, Svetalna Igoun,<br />

Abdelamig Barâka, Mohamed Morched, Mabrouka,<br />

Tewfik Eddeken, Zouzou Madi, Inna Fiodorova.<br />

Date de sortie : Sorti, puis censuré en 1968, An-Nil<br />

Oual Hayat est ressorti en 1972, avec un montage et<br />

un titre différents.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2991 m., 109 mn.<br />

Version originale sous-titrée en français. Couleurs.<br />

15 mai 1964, Assouan en Egypte. Après<br />

deux ans d'un travail titanesque, l'ancien<br />

cours du Nil va être fermé et l'inauguration<br />

du Grand Barrage ouvrir une nouvelle ère en<br />

même temps qu'inonder définitivement <strong>des</strong><br />

terres ancestrales. En ce jour mémorable, Barrak,<br />

adolescent nubien, et Nikolaï, ingénieur<br />

de Leningrad, deviennent amis. Saâd et Alik<br />

se remémorent les heures noires de la construction.<br />

Zoïa, la femme d'Alik, se rappelle<br />

d'avoir tout quitté pour suivre celui qui, aujourd'hui,<br />

la délaisse. Après l'explosion qui<br />

ouvre le nouveau lit du fleuve, Platonov, le<br />

chef de chantier côté soviétique, évoque son<br />

enfance sur les rives de la Volga. Zoïa décide<br />

de rentrer à Moscou. Seul, Alik se souvient<br />

de la bataille de Stalingrad, quand il avait dixneuf<br />

ans et découvrait l'amour et la mort.<br />

Yahia, un ouvrier, en fait journaliste au lourd<br />

passé politique, demande la main de Nadia à<br />

son père, Mahmoud, le maître d'oeuvre côté<br />

égyptien. Malgré sa pétition, Barrak ne peut<br />

empêcher le départ de Nikolaï, arrivé en fin de<br />

contrat. Zoïa revient auprès d'Alik. Mahmoud<br />

charge maître Fahmi de convoyer par<br />

le fleuve une énorme turbine arrivée à Alexandrie.<br />

Nadia, le cœur serré, repousse Yahia qui<br />

regarde passer la turbine sur le Nil.<br />

UN FLEUVE D'AMOUR<br />

Il faut vraiment une cinémathèque<br />

pour vous balancer à la figure les preuves<br />

claires et précises que le monde n'a pas<br />

toujours été ce qu'il est, et que les gens<br />

n'ont pas toujours pensé comme ils pensent<br />

aujourd'hui. Heureusement.<br />

L'histoire singulière <strong>des</strong> deux versions<br />

d'An-Nil Oual Hayat I Un jour, le Nil<br />

(l'une de 1968, celle de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, et l'autre de 1972) est révélatrice<br />

à plus d'un titre. Entre autre, que les<br />

gens et le monde ne pensaient pas comme<br />

dans ce film. Ils étaient aussi sots et pusillanimes<br />

que les gens d'aujourd'hui,<br />

mais il y avait un cinéaste qui essayait de<br />

croire aux mythes et qui a fait un très beau<br />

film. Heureusement.<br />

An-Nil Oual Hayat, première et dernière<br />

coproduction égypto-soviétique, a<br />

été interdit par la censure <strong>des</strong> deux pays,<br />

et Chahine s'est trouvé en train de refaire<br />

tout le film avec un nouveau scénario et<br />

de nouveaux acteurs. Le deuxième, rebaptisé<br />

An-Nass Ouel Nil I Ces gens du Nil,<br />

est un film que Chahine renie aujourd'hui.<br />

Le négatif de la première version<br />

a été charcuté, on s'est servi librement de<br />

tous les plans qui pouvaient convenir à<br />

la seconde version, et du coup, un film a<br />

disparu. Chahine dit qu'il ne voulait pas<br />

que cette première coproduction finisse<br />

en scandale.<br />

Par un hasard totalement explicable,<br />

la seule copie positive (70 mm et son stéréophonique)<br />

de la première version, la<br />

seule valable aux yeux de Chahine, s'est<br />

trouvée à la <strong>Ciné</strong>mathèque française \<br />

Pendant <strong>des</strong> années, quand on abordait<br />

avec Chahine le sujet d'An-Nass Ouel Nil,<br />

il disait qu'il fallait voir le vrai film et non<br />

pas « cette chose qu'on m'a obligé à fai-<br />

re ».<br />

Qu'est-ce qu'on pouvait bien reprocher<br />

à la première version ? Eh bien,<br />

avant tout d'être un vrai film, du vrai cinéma<br />

et non pas l'objet-symbole d'une<br />

entente diplomatique. Chahine est un<br />

grand naïf. Heureusement.<br />

Et puis, cette idée folle de donner les<br />

rôles principaux dans une « Histoire officielle<br />

» aux victimes de cette Histoire :<br />

les Nubiens.<br />

Il faut dire que toute la joie de filmer<br />

un grand moment de l'histoire récente de<br />

l'Egypte ne cache pas la tristesse profonde<br />

<strong>des</strong> histoires racontées dans ce récit<br />

complexe de <strong>des</strong>tins qui s'enchevêtrent.<br />

D'abord, c'est l'histoire de Barrak, le<br />

jeune Nubien qui n'a pas réussi à se faire<br />

admettre à l'université et qui choisit de<br />

travailler sur le chantier du Haut Barrage.<br />

Tout de suite, les vieux de sa tribu lui demandent<br />

s'il compte participer à la <strong>des</strong>truction<br />

de leur village. Car tout le monde<br />

sait, et le film ne le cache pas, que le Haut<br />

Barrage va détruire les anciens villages<br />

de la Nubie.<br />

Triste histoire que celle de la Nubie.<br />

Et Chahine ne se gêne pas pour raconter<br />

cette sublime tristesse, de l'exode <strong>des</strong> villageois<br />

jusqu'au voyage à dos d'âne du<br />

vieux grand-père qui, devant Abou Simbel,<br />

se demande pourquoi leurs maisons<br />

n'ont pas elles aussi été transportées. Résigné,<br />

il constate que déménager toutes<br />

les habitations de son village était pourtant<br />

plus facile que déplacer une seule<br />

pierre de ce temple. Suit un plan du nouveau<br />

village. Et un vieux de s'écrier :<br />

« C'est une caserne ! », avant d'ajouter<br />

tout de même : « Que Dieu nous préserve<br />

le président Nasser ! » Et ça rend la chose<br />

encore plus triste.<br />

Barrak donc, le jeune et beau Barrak,<br />

veut être le dernier à avoir nagé dans le<br />

vieux Nil. Nikolaï, le jeune ingénieur<br />

russe, est pris par la même envie et<br />

comme deux affluents d'un même fleuve,<br />

ils se rejoignent dans l'eau. D'ailleurs,<br />

Barrak et Nikolaï sans se connaître encore,<br />

se ressemblent déjà. Nikolaï s'élance<br />

vers sa mère pour l'embrasser à Leningrad<br />

et c'est Barrak, dans un contrechamp<br />

en Nubie, qui finit le geste. Ainsi<br />

les deux veulent être les derniers à s'être<br />

baigné dans l'ancien Nil. Commence<br />

alors une amitié que Chahine filme comme<br />

une histoire d'amour. Une nuit, Bar-<br />

rak attend Nikolaï devant sa porte et lui<br />

dit quelque chose dans le genre « Nous<br />

construirons le socialisme ensemble... »<br />

Et ils se regardent avec un tel désir.<br />

Après le désir, encore la tristesse. Barrak<br />

apprend que Nikolaï va partir. Il se<br />

démène pour faire circuler une pétition à<br />

tous les ouvriers d'Assouan afin d'obtenir<br />

une prolongation du contrat, monte<br />

au sommet <strong>des</strong> grues cueillir la signature<br />

d'un homme perché là-haut dans sa cabine,<br />

affronte la direction. Et quand tout<br />

ça n'aura servi à rien, Chahine montre encore<br />

Barrak seul devant le torrent, déchirant<br />

sa « lettre d'amour » et jetant les<br />

morceaux de papier dans le fleuve. Barrak<br />

fera ses adieux à son ami, en complet<br />

veston et accompagné de tous les ouvriers<br />

nubiens du chantier venus en charrette<br />

les escorter jusqu'à la gare. C'est si<br />

beau et si poignant qu'on se demande si<br />

Chahine savait qu'en 1968, en pleine défaite<br />

politique et militaire du nasserisme,<br />

il ne fallait pas s'amuser à raconter <strong>des</strong><br />

émotions vraies.<br />

Ecoutez encore la tristissime histoire<br />

de Zoya et d'Alik. Zoya quitte travail, famille<br />

et patrie par amour pour ce jeune<br />

ingénieur et se retrouve à Assouan à<br />

contempler un ravissant coucher de soleil<br />

et à tricoter entourée de dix matrones.<br />

Et Alik ? Il rentre chaque soir épuisé et ne<br />

fait plus l'amour avec Zoya. Elle n'en<br />

peut plus, le quitte, revient finalement et<br />

lui prépare son dîner. Et c'est tout.<br />

Du côté <strong>des</strong> bourgeois, ce n'est pas<br />

plus gai. Le premier plan du film montre<br />

Yahia sortant d'un bordel. Plus tard, on<br />

comprendra qu'il s'agissait bien d'un bordel<br />

et que Yahia n'est pas un vrai ouvrier<br />

mais un écrivain engagé, fatigué par <strong>des</strong><br />

années de militantisme. À cause de ce<br />

passé et de cette fatigue, la jeune fille de<br />

bonne famille dont il tombe amoureux, et<br />

qui l'aime, le quitte finalement. Parce<br />

qu'elle ne veut pas d'un homme usé.<br />

Bien sûr qu'il fallait à tout prix interdire<br />

ce film.<br />

À la manière <strong>des</strong> ouvriers déroutant<br />

le Nil, Chahine a, comme d'habitude,<br />

dévié une commande pour en faire un<br />

film personnel. Il a transformé un matériel<br />

diplomatique en un matériau poétique<br />

et lyrique. Et tout le temps du film,<br />

cette question lancinante : d'où lui vient<br />

cette énergie ? Bien sûr, il y a le Mythe.<br />

« Nous changerons le cours de l'Histoire<br />

comme nous avons changé le cours du<br />

plus grand fleuve du monde ». Ce genre<br />

de sentiment, ça fait toujours un film. Et<br />

il est visible que Chahine y croyait... voulait<br />

désespérément y croire... parce qu'il<br />

voyait que tout allait de travers. Il voyait<br />

la bureaucratie, l'insensibilité, le mépris<br />

de l'individu et la corruption cachée derrière<br />

les slogans. Il finit son film sur une<br />

note terrible : un petit cireur de chaussures<br />

joue au funambule sur le parapet<br />

d'un pont pendant qu'un bateau transportant<br />

une énorme turbine avance vers<br />

Assouan. Le petit cireur profitera-t-il jamais<br />

du Haut Barrage ?<br />

AN-NIL OUAL HAYAT - 159<br />

Bizarrement (j'ai presque envie de<br />

dire « chahinement »), le sentiment que<br />

laisse le film n'est pas du tout lugubre. Ce<br />

serait comme une chanson d'Edith Piaf<br />

sur fond d'histoire contemporaine héroïque.<br />

« Moi j'essuie les verres... » près<br />

du Haut Barrage !<br />

Par moments, il est difficile de savoir<br />

dans quelle langue est ce film étrange. <strong>La</strong><br />

réponse se trouve dans l'histoire de ce<br />

traducteur omniprésent dans le film, totalement<br />

incapable de traduire un mot<br />

d'une langue à l'autre et de toute façon<br />

parfaitement décalé puisque tout le<br />

monde se comprend, car les gens dans ce<br />

film parlent la langue du cœur et c'est<br />

très, très beau.<br />

Yousry Nasrallah<br />

1 Au début <strong>des</strong> années soixante-dix, c'est Youssef<br />

Chahine qui avait donné cette copie à Henri <strong>La</strong>nglois<br />

(ndlr).


King Vidor<br />

The Family Honor<br />

(1920).<br />

ÉTATS-UNIS


162-ÉTATS-UNIS<br />

I<br />

I<br />

PEARL OF THE ARMY<br />

LE COURRIER DE WASHINGTON<br />

1916 - Edward José<br />

Réal. : Edward ]osé (les derniers épiso<strong>des</strong> ont été<br />

réalisés par George B. Seitz). Prod. : Astra Film Corp.<br />

pour Pathé. Auteur : Guy W. McConnell, d'après son<br />

récit homonyme. Se. : George fi. Seitz. Int. : Pearl<br />

White (Pearl Dare), Ralph Kellard, Léon Bary, Warner<br />

Oland, Mary Wayne, Théodore Friebus, W.T.<br />

Carleton, Floyd Buckley, joe Cuny. Chapitre un :<br />

« The Traitor ». Chapitre deux : « Found Guilty ».<br />

Chapitre trois : « The Silent Menace ». Chapitre<br />

quatre : « War Clouds ». Chapitre cinq : « Somewhere<br />

in Crenada ». Chapitre six : « Major Brent's Perfidy ».<br />

Chapitre sept : « Stars and Stripes ». Chapitre huit :<br />

« International Diplomacy ». Chapitre neuf : « The<br />

Monroe Doctrine ». Chapitre dix : « The Silent Army ».<br />

Chapitre onze : « A Million Volunteers ». Chapitre<br />

douze : « The Foreign Alliance ». Chapitre treize :<br />

« Modem Buccaneers ». Chapitre quatorze : « The<br />

Flag Despoiler ». Chapitre quinze : « The ColoneTs<br />

Ordely ». Date de sortie : [du 9 décembre 1916 au 31<br />

mars 1917]. Métrage, minutage copie Cf. : 4699 m.,<br />

187 mn (à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Doc. : Einar <strong>La</strong>uritzen, Gunnar Lundquist : American<br />

Film-Index, Film-Index, 1984. Jean Mitry :<br />

Filmographie universelle, t. IV, page 176.<br />

Remerciements à Francis <strong>La</strong>cassin.<br />

Depuis 1914, le monde est en guerre.<br />

L'Amérique se prépare à entrer dans le conflit<br />

mais doit d'abord mener sur son sol une première<br />

bataille contre l'espionnage étranger.<br />

Terrible ennemi connu sous le nom de « la<br />

Menace silencieuse », avec à sa tête un chef<br />

cruel et toujours masqué. Chargé par l'étatmajor<br />

en chef de transporter en secret le plan<br />

<strong>des</strong> défenses du canal de Panama, le capitaine<br />

Ralph Paine se fait voler le précieux document<br />

et, peu après, est accusé du meurtre de l'ambassadeur<br />

de la république de Guarani, autant<br />

de forfaits commis en fait par la Menace<br />

silencieuse. Alors, Miss Pearl Dare, la fille du<br />

général, va se démener sans compter, se battre<br />

comme un homme sans se départir de son élégance<br />

naturelle, affronter tous les périls pour<br />

retrouver le document, innocenter Paine, par<br />

ailleurs son fiancé, et sauver son pays d'un<br />

projet d'invasion. <strong>La</strong> belle Pearl réalise finalement<br />

tous ses objectifs. Le chef de la Menace<br />

silencieuse était le major Brent, en fait un<br />

nommé Muller, ex-officier de l'armée allemande<br />

reconverti dans l'espionnage, incarnation<br />

du « génie de traîtrise de la race allemande<br />

». Il se suicide d'une balle dans la tête.<br />

Pearl a sauvé l'Amérique.<br />

LA GRANDE MENACE<br />

Les surréalistes l'appelaient Perle Vite.<br />

Joli surnom pour l'héroïne charmante et<br />

active dont la blondeur fragile est livrée<br />

à d'infâmes coquins pendant six années<br />

et huit sériais : les Exploits d'Elaine, les<br />

Mystères de New York, le Masque aux dents<br />

blanches, le Courrier de Washington, <strong>La</strong> reine<br />

s'ennuie, la Maison de la haine, Par amour,<br />

Par la force et par la ruse.<br />

Pendant cent cinquante-sept épiso<strong>des</strong>,<br />

Pearl White se retrouve : dans un ballon<br />

fou, dans un avion aux ailes sciées,<br />

dans un bateau ou un sous-marin qui<br />

coule, dans un train qui déraille, dans une<br />

maison en flammes, et j'en passe. On la<br />

noie, on l'asphyxie, on l'enterre vivante,<br />

on la livre à <strong>des</strong> crocodiles, à une scie électrique<br />

et même à <strong>des</strong> indiens farouches !<br />

Chaque fois, elle en réchappe, mo<strong>des</strong>te,<br />

victorieuse, promise à un mariage, sans<br />

un accroc à son tailleur strict, sans que<br />

soit compromis l'équilibre sur ses cheveux<br />

d'or du petit chapeau ou du béret<br />

noir qui fit chavirer les cœurs dès sa première<br />

apparition en France. C'était en<br />

1915 dans les Mystères de New York, un<br />

triomphe égal à celui connu au siècle précédent<br />

par les Mystères de Paris.<br />

Né d'un mariage entre le vieux roman<br />

feuilleton et le cinéma, le sériai américain<br />

subjugue les foules autant par ses inventions<br />

délirantes que par sa formule : un<br />

long récit découpé en épiso<strong>des</strong> hebdomadaires<br />

laissant chaque fois l'héroïne<br />

face à un grand péril, doublé d'un feuilleton<br />

publié simultanément par un journal<br />

quotidien. À l'habileté de la formule<br />

s'ajoute le charisme de l'héroïne, en l'occurence<br />

l'une <strong>des</strong> premières « stars » et<br />

peut-être la plus célèbre de toutes à son<br />

époque. D'un sériai à l'autre, de 1914 à<br />

1919, Pearl White a incarné, imperturbable,<br />

l'américaine fraîche et bien portante,<br />

élégante et sportive, un mélange<br />

d'innocence et de pugnacité lui permettant<br />

de rétablir chaque fois une situation<br />

que les représentants du sexe dit fort<br />

avaient laissé filer... Un rôle inédit à une<br />

163<br />

époque où le roman d'aventures était un<br />

genre masculin. Aussi, jusqu'au jour où<br />

Helen Holmes et Ruth Roland, venues du<br />

cirque et acrobates, la détrônèrent, elle<br />

fut la reine <strong>des</strong> sériais.<br />

Rompant avec les longues enquêtes<br />

policières <strong>des</strong> précédents films, Pearl of<br />

the Army (le Courrier de Washington) se révèle<br />

être de façon originale un film d'espionnage<br />

dénonçant (déjà !) l'ennemi de<br />

l'intérieur chargé de voler les plans de<br />

mobilisation <strong>des</strong> forces américaines. Fille<br />

d'un général en chef d'état-major, fiancée<br />

à un officier injustement accusé d'avoir<br />

dérobé ces plans, Pearl Dare était bien<br />

placée pour contrer « la Menace Silencieuse<br />

»... et pour préparer les bonnes<br />

âmes d'outre-Atlantique à la prochaine<br />

intervention militaire en Europe.<br />

En dehors d'un déraillement de train<br />

et d'un naufrage, l'action comporte peu<br />

d'éclats, comme si la nouveauté fournie<br />

par le contexte militaire avait suffi à satisfaire<br />

l'imagination <strong>des</strong> scénaristes. Imagination<br />

fatiguée : pour tenir jusqu'au<br />

dixième épisode, on fait arracher à Pearl<br />

la cagoule du chef espion, démasquant<br />

ainsi le jardinier du général. Mais il avoue,<br />

dans l'épisode suivant, avoir pris le déguisement<br />

du vrai chef pour lui permettre<br />

de s'enfuir. <strong>La</strong> même supercherie sera utilisée<br />

tour à tour par l'ordonnance et le secrétaire<br />

du général jusqu'à la révélation<br />

ultime. Ajoutons que le médaillon contenant<br />

les plans de la mobilisation est sans<br />

cesse volé, repris, perdu, retrouvé... Et<br />

l'on ne pourra pas donner absolument<br />

tort à Louis Feuillade, reprochant au serial<br />

américain de mettre en scène <strong>des</strong><br />

« fantoches trépidants se disputant un<br />

objet d'épisode en épisode, à la faveur<br />

d'extravagantes aventures ».<br />

— Vite...<br />

suivez ce taxi I<br />

Francis <strong>La</strong>cassin


164 - ÉTATS-UNIS<br />

THE COLD DECK<br />

GRAND FRÈRE<br />

1917-William S. Hart<br />

Réal. : William S. Hart. Prod. : Triangle Kay-Bee<br />

(Thomas H. Ince). Auteur :).G. Hawks. Se. : J.G.<br />

Hawks. Dir. ph. : Joe August. Dir. art. : Robert<br />

Brunton, G. Harold Percival. Int. : William S. Hart<br />

(« On the Level » Leigh), Mildred Harris (Alice Leigh),<br />

Edwin N. Wallock (« Black Jack » Hurley), Aima<br />

Rubens (Coralie Mendoza), Sylvia Bremer (Rose<br />

<strong>La</strong>rkins), Charles O. Rush (« Ace » Hutton), Joe Knight<br />

(le chef de la milice). Date de sortie : novembre 1917.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1120 m., 55 mn<br />

(à 18 i/s). Générique et intertitres français et anglais<br />

reconstitués. Noir et blanc. Ce film a été restauré avec<br />

le concours de la Cineteca del Friuli (Lorenzo<br />

Codelli), l'Academy of Motion Picture Arts and<br />

Sciences, Beverly Hills (Michael Friend), l'American<br />

Muséum of the Moving Image, New York (Richard<br />

Koszarski).<br />

<strong>La</strong> Californie vers 1860, dans un camp de<br />

chercheurs d'or. « Level » Leigh, joueur de<br />

cartes professionnel, voit arriver par la diligence<br />

sa jeune sœur Alice, épuisée par son<br />

long voyage depuis la Virginie. Immédiatement,<br />

il la prend sous son aile protectrice. À<br />

peine remise, il l'emmène se reposer dans les<br />

montagnes, pas loin du camp de « Hellandgone<br />

». Au bar de la ville, Leigh rencontre Coralie<br />

l'entraîneuse, « la malédiction <strong>des</strong> hommes<br />

qui l'ont aimée », et se heurte à un vaurien<br />

« Black Jack » Hurley. Peu de temps<br />

après, ce dernier importune Rose <strong>La</strong>rkins, la<br />

fille du convoyeur. « Level » Leigh le corrige<br />

très sévèrement. Mais Coralie, amoureuse de<br />

Leigh, est jalouse de l'attention qu'il porte à<br />

la gentille Rose. Le soir même au saloon, elle<br />

conspire contre lui et aide un joueur à le ruiner.<br />

L'état de santé d'Alice se dégrade. Ruiné,<br />

acculé, son grand frère attaque la diligence.<br />

Échange de coups de feu. Dans l'action,<br />

« Black Jack » abat Silent <strong>La</strong>rkins d'une balle<br />

dans le dos, mais Leigh est convaincu d'être<br />

le meurtrier. Alice est morte. Au désespoir, il<br />

se livre et va être pendu. « Black Jack » vient<br />

le narguer en prison et, éclatant d'un rire diabolique,<br />

se vante d'être le vrai coupable. Leigh<br />

écarte les barreaux de sa cellule, saute sur un<br />

cheval, échappe à ses poursuivants, retrouve<br />

l'or volé et s'empare du tueur. De retour au<br />

camp, il le livre au chef de la milice qui, en<br />

échange, lui demande de rester parmi eux.<br />

Rose se tiendra à ses côtés. Coralie, elle, est<br />

sommée de quitter la ville.<br />

LE GRAND JEU<br />

The Cold Deck (Grand Frère en France<br />

et sous ce titre dans les écrits de Louis Delluc)<br />

est l'acmé du « système Ince » et un<br />

joyau du western, même si, en 1917, le<br />

genre n'a pas encore vraiment pris<br />

consistance. Hart, réalisateur et acteur<br />

principal (comme Eastwood), joue ici de<br />

sa caméra comme d'une arme de précision,<br />

soignant tous les détails et prouvant<br />

ainsi qu'il est conscient <strong>des</strong> possibilités de<br />

son art.<br />

Quand il réalise The Cold Deck, William<br />

S. Hart n'en est plus à son coup d'essai<br />

et, désormais, peaufine ses motifs. Il<br />

renoue encore une fois avec l'atmosphère<br />

<strong>des</strong> romans d'aventure du début du siècle<br />

et leurs héros qui n'ont qu'une parole<br />

(ou préfèrent rester silencieux, mettant<br />

parfois en péril leur existence avec une<br />

obstination qui étonne) tandis que de frêles<br />

jeunes femmes traversent innocemment<br />

ce monde de perdition dominé par<br />

une justice immanente, longtemps muette<br />

mais éloquente en dernière instance.<br />

C'est que la partie, comme toujours, se<br />

joue entre le Ciel et l'Enfer. Ainsi, quand<br />

son personnage, « Level » Leigh, met enfin<br />

la main sur le meurtrier, il ne manque<br />

pas de lui signaler sa <strong>des</strong>tination : « Tu as<br />

rendez-vous avec le Diable, Black Jack, et<br />

je ne voudrais pas le décevoir ! ». De<br />

même, le nom du camp minier est « Hellandgone<br />

», ce qui se lit « hell and gone ».<br />

En arrivant littéralement en enfer, « Level<br />

» Leigh touche le fond. Il invoque<br />

alors la divinité qui lui indique un chemin<br />

très détourné pour gagner son Salut.<br />

Ce chemin « tordu » est figuré par une<br />

branche d'arbre coudée qui traverse le<br />

champ au premier plan alors qu'au-<strong>des</strong>sous,<br />

à l'horizon, passe la diligence<br />

Les signes d'élévation sont d'une limpidité<br />

biblique : la chute d'abord, puis le<br />

dénuement (Leigh se débarrassant de sa<br />

fortune en achetant le calme dans le saloon<br />

où se repose sa soeur ; seul le silence<br />

est d'or...), enfin l'ascension/régénération<br />

achevée avec la phrase du chef <strong>des</strong><br />

Vigilants : « Your place is up there on the<br />

hill », c'est-à-dire là où sa sœur est enterrée.<br />

Et si la foi soulève les montagnes, ici<br />

elle donne au héros la force de plier les<br />

barres de fer. Il en place une autour du<br />

cou de Black Jack qui vient d'insulter une<br />

jeune femme. Comme un écho, il attaque<br />

la diligence au lieu-dit Horseshoe Bend,<br />

« la courbe du fer à cheval », et c'est là<br />

que le <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> personnages prend un<br />

tour fatal. Hart construit donc en partie<br />

son film autour de figures géométriques<br />

et de signes.The Cold Deck s'achève sur<br />

l'image d'une croix et commence pratiquement<br />

par celle de deux croix figurant<br />

sur un tapis indien au mur du saloon. Les<br />

grands réalisateurs se remarquent à l'attention<br />

portée au moindre détail et à leur<br />

inscription dans un ensemble.<br />

Avec un même soin infini, Hart cisèle<br />

son personnage. On le nomme « Level »,<br />

raccourci de l'expression « On the level »,<br />

ce qui signifie « le Régulier ». Son appartenance<br />

au Sud est signifiée par son<br />

double prénom : Jefferson Breckinridge<br />

2 . Il est « la brebis galeuse (« the black<br />

sheep ») d'une vieille famille de Virginie,<br />

alliant la courtoisie de son Sud natal à la<br />

hardiesse de l'Ouest » 3 . « Level » Leigh<br />

offre autant de visages que de situations :<br />

l'aristocrate du passé, à présent joueur de<br />

profession et l'homme de l'Ouest prompt<br />

à dégainer, capable d'attaquer une diligence,<br />

de sauter sur son cheval et de galoper<br />

à bride abattue, rôle que les situations<br />

d'urgence l'amènent à adopter naturellement.<br />

Chacune <strong>des</strong> facettes du personnage<br />

est signalée par une physionomie<br />

et <strong>des</strong> gestes : l'aristocrate courtois<br />

devant les femmes sait sourire, le joueur<br />

figé sur son siège garde un masque,<br />

l'homme d'action fait travailler tout son<br />

corps et adopte <strong>des</strong> postures familières<br />

qui réapparaissent de film en film et dont<br />

les photographies gardent le souvenir.<br />

Ses tenues vestimentaires aussi sont soignées<br />

et variées. Si c'est l'heure du poker,<br />

il arbore le chapeau haut de forme, la chemise<br />

à jabot, la lavallière et le gilet à pois.<br />

Qu'il attaque la diligence, il revêt alors<br />

l'habit du Californien (chapeau plat,<br />

veste mexicaine). Le réalisateur n'oublie<br />

pas non plus de mettre une grosse bague<br />

à la main gauche de son personnage, souvenir<br />

probable d'un état antérieur. Enfin,<br />

Hart joue sur les mots et leur double sens<br />

pour ne pas figer son héros dans le carcan<br />

d'une psychologie sommaire ; certes,<br />

Leigh est un black sheep mais la noirceur<br />

désigne plutôt une action précise (Leigh<br />

alias le Black Rider qui attaque les diligences)<br />

ou le caractère d'un villain (Black<br />

Jack). De même, il est un joueur professionnel<br />

et sa froideur en la circonstance<br />

est un impératif catégorique mais « the<br />

cold deck » ne le désigne pas et renvoie à<br />

l'art de tricher, un art dont il est la victime<br />

4 . À propos d'un autre film de Hart<br />

de 1916, The Return ofDraw Egan, Jacques<br />

Lourcelles, dans son Dictionnaire, a<br />

écrit : « Dès cette époque primitive du<br />

western, et au moins dans <strong>des</strong> films<br />

adultes comme celui-ci, le manichéisme<br />

traditionnel du genre est beaucoup plus<br />

un manichéisme de valeurs que de personnages.<br />

<strong>La</strong> frontière entre le Bien et le<br />

Mal est nette, celle entre les bons et les<br />

méchants l'est beaucoup moins ».<br />

Hart était connu en France comme<br />

« Rio Jim, l'homme aux yeux clairs ».<br />

C'est l'usage <strong>des</strong> gros plans qui a forgé ce<br />

slogan. En mai 1917, dans Motion Picture<br />

Magazine, Hart écrivait : « Lorsqu'un acteur<br />

ressent les émotions du personnage<br />

qu'il interprète, le gros plan est d'un appoint<br />

inestimable. S'il s'agit d'une scène<br />

dramatique, au cours de laquelle le personnage<br />

se trouve soumis à une tension<br />

mentale très forte et que la mobilité d'expression<br />

du visage de l'acteur est capable<br />

de transmettre cette émotion aux spectateurs,<br />

j'affirme que, en dépit de toutes les<br />

règles qui prétendent le contraire, la scène<br />

exige que soit introduit un plan de coupe<br />

rapide qui soit un gros plan du visage de<br />

l'acteur. » The Cold Deck offre effectivement<br />

plusieurs exemples de cet usage du<br />

gros plan, notamment Level Leigh au<br />

chevet de sa sœur levant vers la caméra<br />

un visage au bord <strong>des</strong> larmes. Surtout,<br />

Hart ne limite pas la technique du gros<br />

plan aux visages ; il étend cette trouvaille<br />

encore jeune aux mains chaque fois que<br />

l'intrigue le demande (la bagarre, la partie<br />

de cartes) si bien qu'à voir tout ce qui<br />

circule, s'échange et passe sous la table,<br />

tout ce que <strong>des</strong> mains peuvent faire, on<br />

pense parfois au Pickpocket de Bresson...<br />

Telle était l'aura particulière de Hart, et<br />

telle elle demeure : il propose un personnage<br />

tout d'un bloc et changeant, un visage<br />

reconnaissable entre tous, pivot autour duquel<br />

les postures et les émotions tournoient<br />

en s'échangeant les unes les autres. Nous<br />

sommes bien devant un monde livré essentiellement<br />

aux émotions et l'humanité<br />

de l'écran est plus légère que la nôtre. Béla<br />

Balàzs notait un lyrisme du gros plan, et la<br />

tristesse du visage de Garbo. On peut en<br />

dire autant de Hart (ou de Keaton). Ils sont<br />

<strong>des</strong> beautés souffrantes.<br />

Jean-Louis Leutrat<br />

1 Le personnage de Tumbleweeds I le Fils de la prairie<br />

(1925), le dernier film de Hart, apparaît à cheval sous<br />

un arbre dans un plan-vignette dont Ford saura retenir<br />

la leçon (par exemple, au début de Rio Grande,<br />

1950).<br />

2 Soit les noms du troisième président, Jefferson, et<br />

d'un vice-président <strong>des</strong> États-Unis, Breckinridge,<br />

tous deux sudistes. Les films de la Triangle s'étaient<br />

donnés pour mission de réhabiliter les Sudistes aux<br />

yeux du public américain.<br />

3 Le romancier Owen Wister dans The Virginian créa<br />

au début du siècle un héros qui eut une longue suite,<br />

virginien et cowboy, mêlant les qualités aristocratiques<br />

de l'un à l'énergie de l'autre. À noter qu'Hatfield<br />

(John Carradine) dans Stagecoach / la Chevauchée<br />

fantastique (1939) de John Ford est aussi un aristocrate<br />

déchu devenu joueur, que le voyage de la frêle jeune<br />

fille en provenance de Virginie est un classique (The<br />

Cold Deck, The Silent Man, The Wind, Stagecoach), que<br />

l'expulsion par la diligence de la femme de « mauvaise<br />

vie » dans The Cold Deck annonce celle de Dallas<br />

au début de Stagecoach, situation reprise par Anthony<br />

Mann dans Winchester '73, etc..<br />

4 L'expression-titre désigne dans le vocabulaire de<br />

l'Ouest un jeu de cartes truqué ou le fait d'introduire<br />

un jeu truqué dans une partie.<br />

THE COLD DECK - 165<br />

En haut : William S. Hart.<br />

En bas :<br />

De gauche à droite : Sylvia<br />

Bremer, William S. Hart,<br />

Edwin N. Wallockk (encordé).


THE FAMILY HONOR<br />

L'HONNEUR DU NOM<br />

1920 - King Vidor<br />

Réal. : King Vidor. Prod. : King Vidor Productions.<br />

Auteur : )ohn Booth Harrower. Se. : William Parker.<br />

Dir. ph. : Ira H. Morgan. Int. : Florence Vidor<br />

(Margaret Tucker/8ever/y Tucker), Roscoe Karns<br />

(Albert/Da/), Ben Alexander (Jean/i/tf/e Ben), Charles<br />

Meredith (Paul Curan/Mer/e Curran), George Nichols<br />

(le maire), John P. Lockney (Félix), Willis Marks<br />

(Dobbs), Harold Goodwin (le commis).<br />

Date de sortie : 15 mars 1920.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1595 m., 70 mn<br />

(à 20 i/s). Intertitres français. Copie teintée. Doc. : <strong>La</strong><br />

grande parafa. Il cinéma di King Vidor, Lindau, 1994.<br />

Depuis la mort du père, les derniers membres<br />

d'une famille du Sud sont tombés dans<br />

la gêne. Aussi, la gentille Margaret et le petit<br />

Jean attendent-ils avec impatience leur frère<br />

aîné, Albert, de retour de l'université. Dès son<br />

arrivée, « le sauveur » en prend à ses aises et<br />

affiche un air frondeur.<br />

Comme tous les dimanches, Paul Curan,<br />

le fils du maire, bon garçon un peu gauche,<br />

rend visite à Margaret. Albert lui, s'en va voir<br />

monsieur Félix, le propriétaire de la salle de<br />

jeux de l'endroit et déballe un paquet contenant<br />

une roulette de casino. Il est engagé comme<br />

croupier. Mais l'Association deprotection<br />

de la morale menace de faire fermer l'établissement<br />

par les autorités. Contre un bon <strong>des</strong>sous<br />

de table, le maire assure Félix de sa protection<br />

et censure peu après dans la gazette<br />

locale un article de son fils favorable à la saisie<br />

de la salle.<br />

Faisant fi de ses résolutions d'un soir, Albert<br />

retourne sans cesse au jeu. Après avoir<br />

empêché un cambriolage chez les Tucker, Paul<br />

se rend au tripot pour préven ir Albert de l'imminence<br />

d'une opération de police. Il retrouve<br />

là Margaret essayant toujours de raisonner<br />

son frère. A cette occasion, Paul apprend que<br />

son père est corrompu. À l'arrivée <strong>des</strong> forces<br />

de l'ordre, c'est la débandade. Félix tue un policier<br />

mais c'est Albert qui est pris en chasse<br />

et finalement arrêté. Paul a une violente altercation<br />

avec son père. Procès d'Albert. Un<br />

Noir dans l'assistance se lève : il a vu Félix<br />

s'enfuir après le coup de feu. Le vrai meurtrier<br />

sort une arme, il est maîtrisé, il avoue.<br />

A peine acquitté, Albert court littéralement<br />

faire amende honorable. Paul et Margaret se<br />

fiancent.<br />

LES LUMIÈRES DU SUD<br />

King Vidor est bien le cinéaste du<br />

deep-south dans sa contradiction la plus<br />

belle et la plus cruelle : nostalgie de sa<br />

grandeur passée, mais conscience aiguë<br />

de l'inactualité irrémédiable de ses valeurs<br />

morales. En 1920, il filme donc en<br />

« direct » son univers familier au moment<br />

même où il va disparaître, faisant<br />

apparaître à chaque plan son amour <strong>des</strong><br />

lumières qui caressent sensuellement<br />

tous ses décors.<br />

<strong>La</strong> vision de The Family Honor I l'Honneur<br />

du nom est un éblouissement : le Sud<br />

est là, presque documentaire, et donc tout<br />

Vidor est déjà là. Personnages dévorés<br />

par leurs démons intérieurs, figures engluées<br />

dans leur environnement social et<br />

qui tentent de s'en extraire, souffle épique,<br />

sens de la démesure... et mépris <strong>des</strong><br />

pouvoirs, tous irrémédiablement corrompus.<br />

<strong>La</strong> mise en scène est déjà très large,<br />

très physique, les personnages échappent<br />

au naturalisme bien que, paradoxalement,<br />

le jeu <strong>des</strong> acteurs, très réaliste, ne<br />

cherche jamais l'effet grandiose (on parle<br />

dans ce film muet exactement comme s'il<br />

était sonore). Quand l'action déferle, elle<br />

est déjà brutale et violente et s'ordonne<br />

selon différents rythmes musicaux, utilisant<br />

avec jouissance le fonctionnement<br />

magique de la copie teintée : intérieur-jourchaud-jaune,<br />

extérieur-nuit-froid-bleu... Le<br />

teintage était de la pure mise en scène à<br />

cette époque-là.<br />

Gran<strong>des</strong> maisons ruinées, motifponctuation<br />

<strong>des</strong> barrières de bois, allées<br />

sous les grands arbres, porches vi<strong>des</strong>, tripots<br />

de province bien-pensante, toutes<br />

ces choses que nous n'avons vu par la<br />

suite que reconstituées procurent ici le<br />

frisson de l'identité, l'approche la plus intime<br />

possible <strong>des</strong> racines personnelles de<br />

King Vidor et donc de tout un pan du cinéma<br />

américain (le couple : frénésie-puritanisme).<br />

Enfin, dernier point : la communauté<br />

afro-américaine est bien présente dans ce<br />

167<br />

film, très « visible », sans l'once d'une caricature,<br />

et pourtant :1920 L.C'estmême<br />

par le témoignage d'un de ses membres<br />

que la vérité éclate et que justice est faite...<br />

Vidor ne fait que commencer de nous<br />

étonner !<br />

PLUS SUDISTE<br />

QU'AMÉRICAIN, VIDOR<br />

Alain Corneau<br />

Un jugement de l'historien et critique<br />

américain Andrew Sarris continue de<br />

planer sur l'œuvre de King Vidor : « Il a<br />

créé plus de grands moments que de<br />

grands films, à la différence <strong>des</strong> autres<br />

réalisateurs de sa stature. » Aussi peu<br />

exact que soit ce jugement, si l'on ne se<br />

contente pas <strong>des</strong> films les plus connus de<br />

Vidor, c'est un peu le cas de The Family<br />

Honor (l'Honneur du nom, 1920), aujourd'hui<br />

le plus ancien long métrage disponible<br />

de King Vidor, sa cinquième réalisation<br />

et le premier film produit par les<br />

éphémères King W. Vidor Productions.<br />

<strong>La</strong> facture en est très classiquement griffithienne,<br />

plus proche du cinéaste de la<br />

Biograph que de Birth of a Nation ou Intolérance,<br />

dont le décor domine Hollywood<br />

lorsque Vidor y débarque en 1915 et sur<br />

lequel il est figurant, observant avec intérêt<br />

le travail du maître. Proche aussi <strong>des</strong><br />

films que Griffith lui-même réalise après<br />

l'échec financier à'Intolérance. Notons<br />

que Vidor n'a jamais hésité, dans ses débuts,<br />

à s'inspirer <strong>des</strong> maîtres et à emprunter<br />

aux divers réalisateurs de l'époque,<br />

sujets et styles. The Jack-Knife Man<br />

(1920) n'est pas sans relations avec le<br />

Chaplin du Kid (alors en tournage et qui<br />

sortira six mois plus tard) et The Champ<br />

(le Champion, 1931) est plus qu'un hommage<br />

au même film. Ce qui est proprement<br />

vidorien, c'est le lyrisme échevelé -<br />

et drolatique - de la scène finale : à peine<br />

son acquittement prononcé, Albert Tucker,<br />

en plein tribunal, avise une fenêtre et<br />

l'enjambe, à la stupéfaction générale.<br />

Celui dont l'innocence vient d'être re-


168-ÉTATS-UNIS<br />

connue semble prendre la fuite. Soucieux<br />

de « racheter sa conduite passée », Albert<br />

délaisse le jeu pour le travail et se précipite<br />

(au sens propre du terme, souligné<br />

par un léger accéléré) chez le commerçant<br />

qui lui avait autrefois proposé un emploi<br />

pour racheter les dettes de la famille. Ce<br />

type de finale peut se retrouver à la même<br />

époque chez Ince, DeMille, Henry King<br />

et Griffith lui-même, mais sa rupture totale<br />

avec le reste du film, son caractère irrationnel<br />

sont spécifiques à Vidor (annonçant<br />

les célèbres scènes finales de The<br />

Big Parade, Hallelujah, Our Daily Bread,<br />

Duel in the Sun, Ruby Gentry...). Une <strong>des</strong><br />

explications de cette figure, dans The Family<br />

Honor, tient à l'évidence au rôle de<br />

la Christian Science dont le Motion Picture<br />

News du 8 mai 1920 relevait l'influence<br />

dans cette chute qui défiait la logique. Les<br />

quatre premiers longs métrages de Vidor<br />

ont été produits par la Brentwood Film<br />

Corp., association de médecins et dentistes<br />

adeptes de la Christian Science.<br />

Plus que le christianisme ou le puritanisme<br />

dont on affuble avec désinvolture<br />

l'œuvre de Vidor, cette philosophie religieuse,<br />

spécifiquement américaine et<br />

d'origine féminine (créée par Mary Baker<br />

Eddy dans le Massachusetts), optimiste<br />

et vaguement panthéiste, se caractérise,<br />

entre autres, par le rejet de l'attitude<br />

scientifique : Dieu inspire tout être et toute<br />

chose. L'homme est le vecteur de<br />

l'énergie naturelle et divine et sa plus<br />

grande faute est de gaspiller cette énergie.<br />

Et c'est bien d'énergie qu'il s'agit<br />

dans cette course finale vers le travail,<br />

renforcée par le physique veule et mou,<br />

le jeu apathique (jusque-là) de l'acteur<br />

Roscoe Karns. The Family Honor est une<br />

<strong>des</strong> multiples versions vidoriennes de la<br />

parabole du fils prodigue, qu'on s'est plu<br />

à mettre à jour dans Hallelujah (exégèses<br />

de Henri Agel, entre autres), mais qui se<br />

retrouve dans maints films, particulièrement<br />

<strong>des</strong> débuts, comme Love Never Dies<br />

(1921), parfois sous la forme inattendue<br />

de la « fille prodigue » (Poor Relations,<br />

1919 ; Conquering the Woman, 1922). Al-<br />

bert est coupable, certes, corrompu ici par<br />

le jeu et l'argent facile et non par une<br />

« tentatrice », mais le péché est la voie<br />

vers la rédemption : sans tentation, sans<br />

chute, pas de manifestation de la vertu<br />

propre à chacun, pas de lutte contre le<br />

mal, pas de salut... L'aventure d'Albert<br />

Tucker n'est pas tragique, à lui de trouver<br />

en lui-même ses propres <strong>ressources</strong><br />

et la vie (la société, le <strong>des</strong>tin) lui sourira.<br />

Aide-toi...<br />

Moins surprenant, parce que déjà<br />

plus moderne dans le récit et l'écriture,<br />

parce que non totalement inconnu, est<br />

Wild Oranges (Capricciosa, 1924). À l'inévitable<br />

succession plan général/plan<br />

rapproché de The Family Honor, <strong>des</strong>tinée<br />

à présenter chaque personnage dans son<br />

contexte, succède une grammaire cinématographique<br />

beaucoup plus libre et inventive.<br />

Si la séquence d'ouverture -<br />

mort de l'épouse de John Voolfolk - se<br />

rattache encore à une imagerie griffithienne,<br />

la suite est d'un découpage<br />

beaucoup plus moderne qui fait songer à<br />

Hawks, même par-delà le physique de<br />

l'acteur Frank Mayo, qui succéda à James<br />

Kirkwood (blessé au début du tournage<br />

mais dont la silhouette figure dans<br />

quelques plans généraux) : l'habillement<br />

et la fonction de John évoquent irrésistiblement<br />

le Harry Morgan/Humphrey<br />

Bogart du To Have and Have Not (le Port<br />

de l'angoisse) de Hawks. <strong>La</strong> réalisation sur<br />

les lieux de l'action (en Floride), déjà rare<br />

en 1924, illustre le titre énigmatique de<br />

l'autobiographie de Vidor : A Tree is a Tree<br />

(un arbre est un arbre) : un arbre de Floride<br />

n'est pas un arbre de Griffith Park<br />

(au contraire de ce que prétendait un producteur<br />

médiocre). L'aspect cosmique,<br />

élémentaire (au sens bachelardien du<br />

terme), peu présent dans The Family Honor<br />

(à l'exception du fleuve), est ici essentiel.<br />

L'eau, la terre, le feu, mais aussi et<br />

surtout la nature sauvage, l'animalité,<br />

vue à travers la férocité <strong>des</strong> crocodiles et<br />

l'agressivité du chien à l'égard du colosse<br />

Nicolas, échantillon d'humanité ramené<br />

à quelques sentiments essentiels : peur,<br />

force, violence, désir... Frappe ici le personnage<br />

féminin, à Tencontre de bien <strong>des</strong><br />

idées reçues sur la tentatrice vidorienne<br />

telle qu'elle apparaît à travers quelques<br />

films (Duel in the Sun, Beyond the Forest -<br />

la Garce en français -, Ruby Gentry, etc.).<br />

Déjà la Margaret (Florence Vidor) de The<br />

Family Honor, film débarrassé de toute allusion<br />

sexuelle, se révélait à la fois maternelle,<br />

à l'égard de ses deux frères, et<br />

décidée, risquant même son honneur<br />

pour Albert. Millie, ici, se délivre de la<br />

peur (dont son grand-père Harry Stope<br />

est l'image vivante) en découvrant le<br />

plaisir, métaphorisé par l'enivrement de<br />

la promenade en bateau. Au moment ultime,<br />

c'est elle qui tient la barre avec fermeté,<br />

permettant de franchir les récifs et<br />

de voguer vers la liberté. C'est également<br />

elle qui permet à John d'échapper au souvenir<br />

traumatisant de l'accident de sa<br />

première épouse. <strong>La</strong> femme est double :<br />

en accord avec les éléments, mais dans le<br />

même temps, ouverte au progrès et à la<br />

civilisation, <strong>des</strong>tination du couple au dernier<br />

plan.<br />

Wild Oranges prolonge et nuance la<br />

thématique générale de The Family Honor<br />

: Albert revenait de l'Université perverti<br />

et devait se replonger dans son pays<br />

natal (du Sud) pour retrouver énergie et<br />

goût du bien. John (dont le bateau se<br />

nomme fort justement « Yankee ») retrouve<br />

espoir et amour de la vie (<strong>des</strong> femmes)<br />

en séjournant dans une île du Sud,<br />

plus primitive que nature. C'est une <strong>des</strong><br />

singularités que présente le cinéma de<br />

King Vidor : plus américain qu'hollywoodien<br />

(et cinéaste indépendant le plus<br />

souvent possible), plus texan et sudiste<br />

qu'américain, convaincu que c'est la vertu<br />

individuelle qui fonde la nation et non<br />

l'inverse, jusqu'à affirmer que « seule la<br />

puissance de l'expression individuelle<br />

peut continuer à justifier le cinéma ».<br />

Joël Magny<br />

Documentation complémentaire : Raymond Durgnat,<br />

Scott Simmon : King Vidor American, University<br />

of California Press, 1988.<br />

WILD ORANGES<br />

CAPRICCIOSA<br />

1924-King Vidor<br />

Réal. : King Vidor. Prod. : Goldwyn Pictures.<br />

Auteur : Joseph Hergesheimer, d'après son roman<br />

homonyme. Se. : King Vidor. Dir. ph. : )ohn W. Boyle.<br />

Dir. art. : Cedric Gibbons. Cost. : Sophie Wachner.<br />

Mont. : luneMathis. Int. : Virginia Valli (Millie/Ne///e<br />

5(ope), Frank Mayo et lames Kirkwood (John<br />

Voolfolk/iohn Woolfolk), Ford Sterling (Halvard/Pau/<br />

Halvard), Nigel De Brulier (Harry Stope/Lichfield<br />

Stope), Charles A. Post (Nicolas/feacn Nicholas).<br />

Date de sortie : 20 janvier 1924.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1784 m., 87 mn<br />

(à 18 i/s). Intertitres français. Copie teintée. Doc. : <strong>La</strong><br />

grande parata. Il cinéma di King Vidor, Lindau, 1994.<br />

Depuis la mort accidentelle de sa femme,<br />

John Voolfolk est inconsolable. À bord de son<br />

voilier, il erre sur l'océan avec pour seul compagnon,<br />

Halvard son matelot. Un jour, non<br />

loin <strong>des</strong> côtes de Floride, ils découvrent une<br />

île sauvage. Là, dans une maison encerclée par<br />

la faune et la flore, vivent un vieillard apeuré,<br />

Harry Stope, sa petite-fille Millie et Nicolas,<br />

un colosse évadé d'un bagne, idiot redouté <strong>des</strong><br />

Stope ayant fait son royaume <strong>des</strong> bois et <strong>des</strong><br />

marécages. Aux abords de la demeure, John<br />

rencontre Millie. D'abord effrayée, elle est<br />

très vite fascinée par cet homme venu du monde<br />

civilisé. Mais Nicolas chasse John et Halvard<br />

de l'île. De part et d'autre, on échange<br />

<strong>des</strong> menaces. Le lendemain, Millie fait un tour<br />

en bateau et éprouve le goût du large jusqu'à<br />

l'enivrement. Au retour, Nicolas l'attend sur<br />

la plage mais John le corrige durement. Peu<br />

après, la brute demande sa main à la jeune<br />

femme terrorisée. De son côté, John a appareillé<br />

pour tenter de maîtriser son trouble<br />

amoureux naissant. Au final, il fait demi-tour<br />

et le bateau reparaît dans la baie. Dans la nuit,<br />

dans le vent, il marche vers la maison. Nicolas<br />

a tué le grand-père et attaché Millie sur<br />

son lit. Longuement, les deux hommes se battent<br />

comme <strong>des</strong> bêtes féroces. John et Millie<br />

parviennent à s'enfuir et, avec l'aide d'Halvard,<br />

à embarquer. Le feu a pris dans le salon,<br />

bientôt toute la maison est enflammes. Nicolas<br />

poursuit les fugitifs et, du ponton, tire sur<br />

eux. Le chien <strong>des</strong> Stope casse sa chaîne et se<br />

rue, tous crocs dehors, sur Nicolas qui tombe<br />

a l'eau et coule. Passée une barre, rien n'empeche<br />

plus les amants de voguer vers la haute<br />

mer et la civilisation.<br />

LES OMBRES DU SUD<br />

Ruby Gentry ! Ruby Gentry !... Pour le<br />

bayou bien sûr, mais aussi et surtout pour<br />

cette nuit noire enveloppant chacun <strong>des</strong><br />

personnages, celle de Faulkner (ou de Jim<br />

Thompson !) incarnée dans la brute-enfant<br />

qui, après chaque violence, se met à<br />

pleurer à chau<strong>des</strong> larmes. Dans Wild<br />

Oranges I Capricciosa il n'y a que <strong>des</strong> fantômes,<br />

mais <strong>des</strong> fantômes passionnés.<br />

Frank Mayo est le Hollandais volant du<br />

deep-south. Dans une séquence de trucages<br />

sublimes, il réinvente littéralement<br />

Virginia Valli au moment précis où luimême<br />

allait disparaître dans le néant nocturne<br />

d'un départ sans retour. Le grandpère,<br />

véritable mort-vivant d'un passé<br />

condamné... Leitmotiv lancinant du chien<br />

qui tire sur sa chaîne, animal d'apocalypse...<br />

Une île absente <strong>des</strong> cartes, une<br />

maison qui n'existe plus... Eau-ciel-terrearbres...<br />

on ne sait plus ; en tout cas, le sol<br />

s'est depuis longtemps dérobé, immergé<br />

et peuplé de hor<strong>des</strong> de crocodiles.<br />

Quand enfin, après de longues séquences<br />

d'asphyxie ou de perversions sadiques,<br />

la <strong>des</strong>truction approche, nous<br />

sommes prêts à toutes les violences, tous<br />

169<br />

les flamboiements baroques (le rouge de<br />

l'incendie !), toutes les brutalités pour en<br />

finir avec ce monde vermoulu. Pour devenir<br />

<strong>des</strong> hommes vivants et libres, devons<br />

nous repasser par cette bestialité ?<br />

Il semble que Vidor se soit souvent posé<br />

cette question.<br />

<strong>La</strong> mise en scène montre avec soin,<br />

minutie même, comment ce monde figé<br />

dans ses secrets, en catatonie, évanoui debout,<br />

va céder à l'appel d'air de la liberté.<br />

Dans le grand salon mortifère de la maison<br />

vermoulue, quand on ouvre la fenêtre,<br />

le vent s'engouffre, les napperons<br />

volent, les bibelots tombent, il n'y a plus<br />

qu'à craquer l'allumette.<br />

Avec Wild Oranges, Vidor est déjà un<br />

auteur « fantastique » : après les araignées<br />

de la grande maison, voici les rats<br />

et les chouettes. De même, la remise où<br />

les amants se réfugient (Cedric Gibbons<br />

!) est un mwsf. En 1924, Vidor avait<br />

déjà fait griller le réalisme au feu du baroque<br />

qui le dévorera toute son œuvre<br />

durant... Le vieux rocking-chair vide se balance<br />

seul sous le porche dévasté-<br />

Alain Corneau<br />

Virginia Valli,<br />

Frank Mayo.


170-ÉTATS-UNIS<br />

NOBODY<br />

LE DOUZIÈME JURÉ<br />

1921 - Roland West<br />

Réal. : Roland West. Prod. : Roland West Productions<br />

(Roland West). Auteur : Roland West. Se. : Charles H.<br />

Smith, Roland West. Asst. réal. : joseph Rothman.<br />

Dir. ph. : Harry Fischbeck. Int. : Jewel Carmen<br />

(Édith/t/rr/e Mrs. Smith), William Davidson (John<br />

Rossmore), Kenneth Harlan (Jack Smith/Torn Smith),<br />

Florence Billings (Rita Fallon/Mrs. Fallon), j. Herbert<br />

Frank (James Hedges/Hedges), Grâce Studitord (Mrs.<br />

Rossmore), George Fawcett (Hiram Swanzey), Lionel<br />

Pape (Noron Ailsworth), Henry Sedley (le secrétaire de<br />

Rossmore), Ida Darling (Mrs. Van Cleek), Charles<br />

Wellesley (Clyde Durand), William De Grasse (le<br />

skipper de Rossmore), Riley Hatch (The « Grouch »<br />

Juror). Date de sortie : 23 juin i 921 (copyright).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1584 m., 73 mn<br />

(à 19 i/s). Intertitres français reconstitués. Noir et<br />

blanc.<br />

New York. John Rossmore, richissime<br />

banquier, a été assassiné à coups de revolver.<br />

Son ancien maître d'hôtel, James Hedges, est<br />

accusé et, en ce moment même, le jury délibère.<br />

Tous votent sa condamnation. Tous sauf<br />

un. Alors, le douzième juré se lève et raconte<br />

son histoire. Six mois auparavant, le banquier<br />

Rossmore, en instance de divorce, est en villégiature<br />

à Palm Beach. De leur côté, Jack<br />

Smith, mo<strong>des</strong>te employé de commerce à New<br />

York, et sa jeune épouse Edith, s'installent<br />

pour <strong>des</strong> vacances heureuses. Le soir, au Casino,<br />

Rossmore remarque Édith. Habilement,<br />

Rita Fallon, une « amie » du banquier, joue<br />

les entremetteuses. Peu après, quand Jack est<br />

rappelé d'urgence par son patron, Rita manigance<br />

pour que sa femme reste. Cinq jours<br />

plus tard, Édith est rapatriée, en état de choc<br />

et retombée en enfance. D'après le récit de<br />

Rita, elle aurait fait une chute à bord du yacht<br />

de Rossmore à cause d'une mer démontée.<br />

Convalescence. Un soir de pluie, Edith sort...<br />

Au retour de son mari, elle est déjà au lit et<br />

revit dans son sommeil la scène traumatique :<br />

elle est sur le bateau, la mer est calme. Au dîner,<br />

ses « amis » la forcent à boire et quand<br />

elle s'effondre sur la table, Rossmore l'emporte...<br />

Jack sort de la chambre un pistolet à<br />

la main. Retour au procès. Il dit encore que le<br />

<strong>des</strong>tin l'a nommé juré et qu'il n'a pas eu le<br />

temps d'être le meurtrier : en chemin, il a appris<br />

la mort de Rossmore par les journaux !<br />

Chez lui, il remarque le manteau trempé de<br />

sa femme. Comme dans un rêve, elle lui raconte<br />

être entrée discrètement au domicile du<br />

banquier grâce à une cléqu'ïl lui avait donné.<br />

Là, elle voit Hedges menacer Rossmore d'une<br />

arme pour obtenir l'argent de son faux témoignage<br />

lors du procès en divorce. Quand il<br />

sort, Edith apparaît. Rossmore la serre dans<br />

ses bras, elle tire. Persuadée de raconter un<br />

cauchemar, elle est confortée dans cette idée<br />

par Jack. Le jury acquitte Hedges et s'engage<br />

« sous serment à ne jamais dévoiler la tragique<br />

aventure survenue à l'épouse du douzième<br />

juré ».<br />

FUMIGATIONS DU CRIME<br />

Nobody (le Douzième Juré) frappe par<br />

sa construction enchâssée. Chacun <strong>des</strong><br />

neufs changements de temps contribue,<br />

en passant du procès à l'histoire antérieure,<br />

à progresser autour du secret que<br />

la fin révèle. Le temps narratif y est soumis<br />

à une double anamnèse : celle du<br />

mari qui, de membre du jury devient témoin<br />

principal, rejoint par nappes l'événement<br />

criminel, permettant d'innocenter<br />

le maître d'hôtel soupçonné à tort.<br />

Celle de sa femme où, à l'intérieur même<br />

de ces retours en arrière, s'inscrit la<br />

connaissance altérée, jusqu'à ne pouvoir<br />

se souvenir qu'à travers la protection onirique<br />

: sur la peau du rêve, <strong>des</strong>quame le<br />

crime. Le film se compose ainsi de relais<br />

qui feuillètent le temps, non comme <strong>des</strong><br />

pages qu'on tournerait, mais comme <strong>des</strong><br />

strates qu'on traverserait. Cette histoire<br />

est un voyage, mais plus qu'à Palm<br />

Beach, il conduit aux migrations du<br />

temps, repasse par un même moment<br />

pour le présenter autrement. <strong>La</strong> salle à<br />

manger du yacht tangue, dans le récit de<br />

Mrs Fallon, pour attester la tempête qui<br />

causerait l'amnésie d'Edith ; mais la même<br />

pièce, vue à travers la remémoration<br />

de celle-ci, reste immobile : à distance<br />

dans le film, apparaît un usage trompeur<br />

du plan, lui-même rapporté au statut de<br />

la narration. L'usage du retour en arrière<br />

n'est donc pas simplement illustratif ou<br />

utilitaire ; mais à la fois lacunaire et équivoque<br />

: on y excède largement les poncifs<br />

d'époque sur l'histoire qui n'était qu'un<br />

rêve, d'ailleurs ici ingénieusement retournés,<br />

puisque c'est le rêve qui devient<br />

conservatoire de la réalité. De cette<br />

construction vient cependant une gêne<br />

initiale du film, la lenteur relative avec laquelle<br />

les éléments de l'histoire s'exposent<br />

pour entrer en interaction : il y faut<br />

la première <strong>des</strong> trois bobines. Une collection<br />

d'objets, photo déchirée, médaillon,<br />

clé, morceau de journal assure une<br />

continuité indicielle à la progression du<br />

récit.<br />

Cette construction amène aussi à rapprocher<br />

deux scènes importantes dans<br />

l'enchaînement causal : le meurtre et<br />

l'acte sexuel. Le meurtre sera figuré, dans<br />

la scène du rêve raconté par Édith. Figuration<br />

étonnante, qui émane du plan<br />

comme une poussière onirique, une altération<br />

de poudre. <strong>La</strong> fumée qui s'élève<br />

dans le plan américain du dos de Rossmore,<br />

le banquier, quand il s'approche<br />

d'Edith, extatique et perdue, n'a pas de<br />

cause visible. Cette espèce de suspension<br />

émet une frappe inconnue, un désordre<br />

ininterprétable, une panique de matières<br />

qui infiltre énigmatiquement le plan,<br />

comme si elle accompagnait le vacillement<br />

de Rossmore reculant, avant de<br />

s'asseoir dans un fauteuil, quand on peut<br />

alors voir le sang sur son gilet et Édith,<br />

de dos, un revolver à la main. Ce sont les<br />

plus beaux plans du film, parfois moins<br />

inspiré. Du visible incertain, se propage<br />

une sorte d'ébranlement de la perception<br />

: l'effet se manifeste avant la cause.<br />

Une rétention du cadre opère cette déhiscence,<br />

d'où sort cette fuite provisoire<br />

de l'intelligibilité. Le meurtre n'est accessible<br />

à Édith que par le rêve, et cette<br />

précaution induit une sorte de nature criminelle<br />

du rêve. De l'angélisme, de l'innocence<br />

dont le visage de Jewel Carmen<br />

est pourvu, de cette crysalide naïve sort<br />

une hébétude de meurtrière amnésique.<br />

Et le film protège le personnage, qui ne<br />

rejoindra jamais la connaissance de son<br />

acte.<br />

L'autre scène majeure n'est que supposée.<br />

Dans les interstices du film, elle<br />

hante : c'est une hypothèse appelée par<br />

le moment ou ivre, Édith est emportée<br />

par Rossmore. Son viol probable est<br />

l'autre face inassimilable du scénario<br />

pour elle : ces deux scènes dont elle est<br />

préservée sont liées par un même éloignement<br />

de la conscience. Et les jurés,<br />

c'est la fin du film, promettent de ne jamais<br />

révéler son histoire. Roland West<br />

(1887-1952), qui est aussi l'auteur de l'histoire,<br />

a su construire cette résonance propagée<br />

du sexe au crime. Ancien acteur de<br />

théâtre, il fut un réalisateur assez rare, se<br />

produisant le plus souvent lui-même :<br />

The Bat, (l'Oiseau de nuit, 1926, toujours<br />

avec Jewel Carmel) montré dans le cadre<br />

de <strong>Ciné</strong>Mémoire, présentait un virtuose<br />

du crime, grimpant les faça<strong>des</strong> et pourvu<br />

d'une cape, où il n'est pas difficile d'identifier<br />

un ancêtre de Batman. Il en fit en<br />

1930 une version parlante, The Bat Whispers,<br />

après avoir, en 1925, fait tourner Lon<br />

Chaney dans The Monster.<br />

Philippe Arnaud<br />

En haut :<br />

Jewel Carmen<br />

William Davidson.


172-ETATS-UNIS<br />

Jean<br />

Hersholt.<br />

GREED<br />

LES RAPACES<br />

1924 - Erich von Stroheim<br />

Réal. : Erich von Stroheim. Prod. : Metro-Goldwyn-<br />

Mayer Corporation. Auteur : Frank Norris, d'après son<br />

roman McTeague ; a Story of San Francisco.<br />

Adapt. : June Mathis, Erich von Stroheim. Se. : June<br />

Mathis, Erich von Stroheim. Asst. réal. : Eddy<br />

Sowders, Louis Cermonprez. Dir. ph. : Ben F.<br />

Reynolds, William H. Daniels, Ernest B. Schoedsack.<br />

Dir. art. : Cedric Gibbons, Richard Day.<br />

Mont. : Joseph W. Farnham, Erich von Stroheim, Rex<br />

Ingram, june Mathis. Int. : ZaSu Pitts (Trina Sieppe),<br />

Gibson Gowland (McTeague), Jean Hersholt (Marcus<br />

Schouler), Dale Fuller (Maria), Tempe Pigott (la mère<br />

de McTeague), Sylvia Ashton (« Mommer » Sieppe),<br />

Chester Conklin (« Popper » Sieppe), Joan Standing<br />

(Selina), Erich von Ritzau (le dentiste ambulant), Hugh<br />

I. McCauley (le photographe).<br />

Date de sortie : 26 janvier 1925. Métrage, minutage<br />

copie Cf. : 3053 m., 133 mn (à 20 i/s). Intertitres<br />

anglais. Noir et blanc.<br />

Ancien chercheur d'or, dentiste formé sur<br />

le tas, McTeague, un colosse aux cheveux<br />

bouclés et aux colères ataviques, ouvre un cabinet<br />

à San Francisco. Son copain Marcus lui<br />

présente sa petite amie, Trina Sieppe, frêle<br />

jeune femme qu'il désire bientôt comme un<br />

fou. Il ouvre son cœur à Marcus qui, beau<br />

joueur, lui cède la place. Le soir <strong>des</strong> fiançailles,<br />

Trina apprend qu'elle a gagné cinq mille dollars<br />

à la loterie, grâce au billet que lui a vendu<br />

Maria, la bonne de McTeague. Marcus se<br />

mord les doigts d'avoir été si chevaleresque.<br />

Un mois plus tard, le mariage est célébré tandis<br />

que, dans la rue, passe un corbillard. Trina<br />

se révèle au quotidien d'une avarice maladive.<br />

Sur dénonciation de Marcus, qui s'est empressé<br />

de quitter la ville, l'Ordre <strong>des</strong> dentistes<br />

interdit à McTeague de continuer à exercer<br />

sans diplôme. À dater de ce jour, le couple<br />

sombre dans la déchéance et la violence, Trina<br />

refusant toujours de lâcher un sou. Riches, ils<br />

vivent dans la misère. Un soir, McTeague<br />

étrangle sa femme et emporte le pactole. Il<br />

quitte la ville et s'enfonce dans la vallée de la<br />

Mort, bientôt rejoint par Marcus qui est tombé<br />

sur l'avis de recherche et s'est lancé à sa<br />

poursuite. Sous le feu du soleil, coupés du<br />

reste du monde, les deux hommes luttent à<br />

mort pour cinq mille dollars. McTeague tue<br />

Marcus mais se découvre attaché à lui par <strong>des</strong><br />

menottes. Assis près du cadavre, son or à ses<br />

côtés, il attend la fin.<br />

BIGGERTHAN LIFE'<br />

Greed (les Rapaces) marque le point<br />

culminant du cinéma américain, comme<br />

bientôt le Cuirassé Potemkine va marquer<br />

le point culminant du cinéma soviétique.<br />

Dans ce film, où « ce pamphlétaire<br />

avait assemblé toutes les violences et toutes<br />

les brutalités », où« l'avidité et l'âpreté<br />

dominent », où « nous assistons à la<br />

lente décomposition <strong>des</strong> êtres sous l'action<br />

de l'avarice et de la passion de l'argent<br />

», où « un romantisme sauvage donne<br />

au dénouement une grandeur épique<br />

», où « pour la première fois le cinéma<br />

s'enrichit de toutes les <strong>ressources</strong><br />

du roman », Erich von Stroheim avait<br />

voulu persuader le spectateur que tout ce<br />

qu'il voyait était réel, il avait fui le studio<br />

et planté sa caméra dans les lieux mêmes<br />

de l'action, dans les rues de San Francisco,<br />

au centre du désert de la mort, dans<br />

les chambres étroites <strong>des</strong> maisons de rapport<br />

à étages de l'Amérique du XIX e siècle,<br />

dans les taudis, dans les cabanes.<br />

Il avait choisi ses acteurs parmi les figurants,<br />

les petits rôles, ceux que l'on ne<br />

voyait jamais à l'écran, préférant les types<br />

physiques à l'acteur accompli que l'on ne<br />

peut subjuguer, façonner à sa guise, ZaSu<br />

Pitts exceptée, qui sera, grâce à lui, la plus<br />

grande tragédienne de l'écran.<br />

Von Stroheim, comme Griffith, comme<br />

Poudovkine, est l'homme <strong>des</strong> éternelles<br />

répétitions pendant lesquelles, durant<br />

<strong>des</strong> heures, à force de répéter, l'acteur<br />

accablé de fatigue, se dépersonnalise<br />

et devient un médium sur lequel il agit.<br />

Hélas, les temps de The Birth of a Nation,<br />

d'Intolérance étaient passés. Seul,<br />

Chaplin pouvait et peut encore se permettre<br />

d'être lui-même.<br />

Stroheim avait conçu un film qu'il<br />

était encore nécessaire de projeter en épiso<strong>des</strong>,<br />

formule qui était alors à la base du<br />

commerce cinématographique en Europe,<br />

mais qui était déjà périmée à Hollywood.<br />

Le film à épiso<strong>des</strong> seul pouvait lui<br />

permettre de décrire à loisir. Et pour la<br />

première fois dans son histoire, Holly-<br />

173<br />

wood mutila une œuvre prototype, sans<br />

considération de sa valeur artistique parce<br />

qu'elle n'entrait pas dans les normes<br />

de production. Jusqu'alors, on y avait<br />

toujours respecté le génie et, tandis qu'à<br />

Paris, Fescourt réalisait sur plusieurs milliers<br />

de mètres la deuxième adaptation cinématographique<br />

<strong>des</strong> Misérables, Stroheim<br />

dut abandonner son œuvre aux ciseaux<br />

<strong>des</strong> monteurs.<br />

Il s'agit là d'un tournant dans l'histoire<br />

du cinéma. Une époque s'achève,<br />

celle <strong>des</strong> pionniers.<br />

Grâce à leur œuvre, le cinéma s'est organisé<br />

sur <strong>des</strong> bases industrielles. On doit<br />

se plier à certaines données ou renoncer.<br />

Henri <strong>La</strong>nglois<br />

(in 300 années de cinématographie,<br />

60 ans de cinéma,<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française, 1955).<br />

1 Le titre a été ajouté pour cette édition.


174-ÉTATS-UNIS<br />

BRAVEHEART<br />

BARRIÈRE DES RACES<br />

1925 -Alan Haie<br />

Réal. : Alan Haie. Prod. : <strong>Ciné</strong>ma Corporation of<br />

America (Cecil B. DeMille). Auteur : William<br />

Churchill DeMille, d'après sa pièce Strongheart.<br />

Adapt. : Mary O'Hara. Dir. ph. : Faxon M. Dean.<br />

Int. : Rod <strong>La</strong>Rocque (Cœur-Loyal/Braveheart), Lillian<br />

Rich (Dorothy Nelson), Arthur Housman (Frank<br />

Nelson), Tyrone Power, Sr. (Aigle <strong>des</strong> cîmes/Sfand/ng<br />

Rode), Henry Victor (Sam Harris), Sally Rand (Sally<br />

Vernon), Kenneth Gibson (Ralph Thorne), Robert<br />

E<strong>des</strong>on (Hobart Nelson), Frank Hagney (Ki-Yote), Jean<br />

Acker (Sky-Arrow). Date de sortie : 27 décembre<br />

1925 (USA). Métrage, minutage copie Cf. : 1340 m.,<br />

53 mn (à 22 i/s). Générique reconstitué. Intertitres<br />

français. Noir et blanc. Doc. : Moving Picture World,<br />

vol. 78, 23 janvier 1926. Remerciements à jean-Louis<br />

Leutrat.<br />

Dorothy Nelson, la fille du « Roi du saumon<br />

», fait une chute de cheval. Elle est recueillie<br />

-par Cœur-Loyal, un indien Yakima,<br />

fils du chef de la tribu. Il prend soin d'elle et<br />

la rend aux siens, indemne. Le lendemain,<br />

Dorothy est envoyée par son père à New York.<br />

Pendant ce temps, la Compagnie Nelson<br />

conteste aux Indiens un droit de pêche pourtant<br />

reconnu par traité. <strong>La</strong> haine entre les<br />

deux camps est à fleur de peau. Trois ans plus<br />

tard : Cœur-Loyal étudie le droit à Strathmore,<br />

un&université de la côte Est, pour défendre<br />

les intérêts <strong>des</strong> indiens Yakima contre<br />

la Compagnie. Étudiant brillant, il est aussi<br />

le meilleur de l'équipe de football. Au hasard<br />

d'un jour, il rencontre Dorothy dans la rue ;<br />

les deux amis se revoient à une fête et<br />

s'avouent un amour qu'ils savent impossible.<br />

À l'université, il y a aussi Frank, le frère de<br />

Dorothy. Endetté jusqu'au cou, il trahit son<br />

équipe et donne au camp adverse la tactique<br />

prévue pour le grand match. Sévèrement<br />

mené au score, Strathmore l'emporte sur le fil<br />

mais après la rencontre, c'est Cœur-Loyal que<br />

le comité accuse de trahison. Exclu par les<br />

Blancs, il est aussi rejeté par les siens. Il défend<br />

néanmoins leurs droits devant la cour<br />

suprême et obtient gain decause. Emmenépar<br />

l'ambitieux Ki-Yote, les Yakima sont sur le<br />

sentier de la guerre. Ils enlèvent Nelson et sa<br />

fille et l'armée va intervenir. Alors, Cœur-<br />

Loyal arrive à bride abattue, annonce aux Indiens<br />

le triomphe de leurs droits, délivre Dorothy<br />

<strong>des</strong> griffes de Ki-Yote, affronte son rival<br />

dans un combat à mains nues et le livre aux<br />

autorités militaires. <strong>La</strong>vé aussi de l'accusation<br />

de tricherie par une lettre tombée à pic<br />

du directeur de l'université, Cœur-Loyal devient<br />

le chef <strong>des</strong> Yakima. Il lui reste à oublier<br />

celle qu'il aimait et qui l'aimait, oublier un<br />

sentiment empêché par la barrière <strong>des</strong> races.<br />

LE CŒUR NET<br />

J'ai vu deux fois Braveheart (Barrière <strong>des</strong><br />

races), un intervalle d'une vingtaine d'années<br />

séparant les deux visions. <strong>La</strong> première<br />

s'était produite à Hollywood chez<br />

un collectionneur de films très connu, aujourd'hui<br />

disparu, David Bradley. <strong>La</strong> restauration<br />

de la copie française par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française a été l'occasion de<br />

la seconde. Ces retrouvailles n'ont pas apporté<br />

de révélation, tout au plus une impression<br />

de reconnaissance avec, bien sûr,<br />

la vérification que, d'un film, on oublie<br />

beaucoup. J'avais pris <strong>des</strong> notes à la première<br />

vision. J'ai surtout confronté ces<br />

notes à la version française restaurée.<br />

Le sujet de ce film de 1925 comporte<br />

deux dimensions dont l'une recouvre<br />

l'autre, comme toujours dans le cinéma<br />

hollywoodien : au versant sentimental<br />

(dominant) répond l'économique, ici les<br />

droits de pêche <strong>des</strong> Indiens du Nord-<br />

Ouest. Aborder la question indienne par<br />

ce biais est original. Il n'est pas exceptionnel<br />

en revanche que <strong>des</strong> films (ou <strong>des</strong><br />

ouvrages de littérature) <strong>des</strong> années vingt<br />

parlent <strong>des</strong> Indiens avec sympathie<br />

D'ailleurs, l'homme rouge venait de se<br />

voir accorder la possibilité (honneur tardif,<br />

mais insigne) de devenir citoyen<br />

américain. Toutefois, acquérir cette qualité,<br />

selon les films, n'entraînait pas la totalité<br />

<strong>des</strong> droits qu'elle semble supposer.<br />

<strong>La</strong> résolution de l'intrigue amoureuse qui<br />

se noue dans Braveheart, comme dans The<br />

Vanishing American, entre un Indien et<br />

une femme blanche, est tout à fait prévisible<br />

: la barrière <strong>des</strong> races est infranchissable<br />

et l'Indien est d'autant plus noble<br />

qu'il reconnaît l'existence de cette barrière,<br />

l'accepte et renonce à son amour 2 .<br />

Braveheart est une adaptation d'une<br />

pièce de théâtre de William Churchill<br />

DeMille nommée Strongheart qui connut<br />

un certain succès. Lorsque Cecil Blount<br />

DeMille quitta <strong>La</strong>sky pour fonder son<br />

propre studio à Culver City, William rejoignit<br />

son frère en 1925 comme réalisateur<br />

et producteur associé. Il semble qu'il<br />

n'ait pas apprécié l'adaptation qui fut<br />

faite de son œuvre. Dans une conférence<br />

de mai 1929 à T« University of Southern<br />

California », il rappela un moment très<br />

intense de sa pièce pendant lequel l'acteur<br />

Robert E<strong>des</strong>on, dans le rôle de l'Indien,<br />

tourna le dos à la salle, laissant le<br />

soin à celle-ci d'interpréter à sa guise ce<br />

dos inexpressif ; à la question qui lui fut<br />

ensuite posée sur la manière dont cette situation<br />

avait été traitée à l'écran, il répondit<br />

sans chaleur : « Le film était différent.<br />

On ne peut même pas dire qu'il était<br />

proche de la pièce. Je pense qu'ils ne se<br />

sont pas servis de cette situation 3 . »<br />

Le réalisateur Alan Haie, pour qui<br />

Braveheart fut apparemment la première<br />

mise en scène, tourna pour Cecil B. De-<br />

Mille The Wedding Song (1925), Risky Business<br />

(1926), Rubber Tires (1927). L'acteur<br />

Rod <strong>La</strong>Rocque interprétait le rôle du<br />

mauvais frère dans la partie contemporaine<br />

de The Ten Commandments (1923).<br />

Quant à Lillian Rich (une habituée <strong>des</strong><br />

films sur l'Ouest), elle tint le rôle principal<br />

dans un film tourné en 1924 par<br />

DeMille lui-même, The Golden Bed. Robert<br />

E<strong>des</strong>on apparut dans The Ten Commandments<br />

et dans The Golden Bed, mais aussi<br />

dans The Volga Boatmen (les Bateliers de la<br />

Volga, 1926). Bref, Braveheart est bien,<br />

malgré les réserves de William, un produit<br />

du clan DeMille.<br />

Ce seven reeler (« sept bobines ») ne se<br />

présente pas comme une œuvre cinématographique<br />

majeure, mais vaut pour son<br />

triple témoignage : sur la société américaine,<br />

sur une époque de Hollywood et<br />

sur le western au milieu <strong>des</strong> années vingt.<br />

Si le film peut être qualifié de « Western<br />

Melodrama », il peut l'être tout autant de<br />

« Romantic Drama », de « Drama of the<br />

Red Man », de « Story of the Indian of<br />

Today »... Il appartient en effet à un genre<br />

en train de se constituer (le western) et à<br />

un autre qui va disparaître, et dont Devil's<br />

Doorway (la Porte du diable) d'Anthony<br />

Mann représente en 1950 une résurgence.<br />

Il s'agit de films dont les personnages<br />

principaux sont <strong>des</strong> Indiens et qui<br />

hésitent au bord du sujet politique. Tell<br />

Them Willie Boy Is Hère d'Abraham Polonsky<br />

(1969) en sera d'une certaine manière<br />

la version radicale. Braveheart<br />

montre également que l'action dans les<br />

films sur l'Ouest d'alors était souvent<br />

contemporaine de l'époque de leur tournage.<br />

Le western ne deviendra majoritairement<br />

un genre historique que par la<br />

suite.<br />

Il y a quelques jolies idées de mise en<br />

scène dans ce film. Par exemple, celles signifiant<br />

les attentions réciproques <strong>des</strong><br />

personnages principaux l'un pour l'autre.<br />

<strong>La</strong> femme blanche se poudre, détail<br />

manifestant qu'elle considère cet Indien<br />

qu'elle vient juste de rencontrer comme<br />

un homme. Lui, organise à son intention<br />

un lit de branchages dans la forêt et,<br />

quand elle dort, la borde ; de sa main, le<br />

matin, il protège le visage de la jeune<br />

femme <strong>des</strong> rayons du soleil pour que la<br />

lumière ne la réveille pas. De même, le<br />

thème du cœur contenu dans le nom du<br />

personnage principal (traduit en français<br />

par Cœur-Loyal) est rappelé de plusieurs<br />

manières. Par le geste de la main de l'Indien<br />

à partir de la poitrine signifiant :<br />

mon cœur vole vers toi. Braveheart écrit<br />

aussi un livre sur ceux de sa race, un livre<br />

présenté dans la vitrine d'un libraire<br />

(« Harts » Bookstore) ornée d'une guirlande<br />

de cœurs. Les divers cadrages montrent<br />

les interprétations que l'on peut<br />

donner de cette chaîne sentimentale : elle<br />

relie d'abord Braveheart à Dorothy, mais<br />

encore Braveheart à son peuple ; les deux<br />

figures sur la couverture du livre (un Indien<br />

et un footballeur), dont Tune se<br />

trouve à un moment à gauche du champ<br />

et l'autre à droite, montrent que ce cœur<br />

est aussi partagé, tiraillé dans deux di-<br />

rections irréductiblement opposées. Et<br />

dans l'enlacement qui le réunit une dernière<br />

fois, le couple au final <strong>des</strong>sinera la<br />

forme d'un cœur.<br />

<strong>La</strong> copie française reconstituée comporte<br />

<strong>des</strong> manques assez importants si on<br />

la compare à celle teintée que possédait<br />

David Bradley. Certains sont négligeables<br />

pour la compréhension générale.<br />

Lors du match de football, lorsque le score<br />

de l'Université de Strathmore augmente,<br />

les cris de la foule sont retranscrits à<br />

plusieurs reprises dans la copie américaine<br />

(il s'agit du nom de Braveheart ; on<br />

a le même effet dans Battling Butler I le<br />

Dernier Round de Buster Keaton lors du<br />

combat de boxe). S'il s'agit d'un effet rhétorique<br />

propre au cinéma muet (la représentation<br />

du sport à l'écran et les sons<br />

donnés à imaginer), d'autres absences<br />

sont plus dommageables à l'enchaînement<br />

<strong>des</strong> faits. Au début du film, un<br />

conflit entre Blancs et Indiens se produit :<br />

un Indien est tué, son corps est porté en<br />

procession. Suit une réunion nocturne du<br />

Conseil au cours de laquelle intervient le<br />

medicine man interprété par Chief Ni Po<br />

Strongheart. C'est alors que la décision<br />

est prise d'envoyer un jeune Indien à<br />

l'école pour apprendre la loi <strong>des</strong> Blancs<br />

et que Braveheart est choisi. Cette séquence,<br />

incomplète, n'est guère compréhensible<br />

dans la version française. Autre<br />

exemple : le Conseil <strong>des</strong> Indiens condamne<br />

Braveheart à porter une marque<br />

sur la poitrine, puis tout le monde lui<br />

tourne le dos. <strong>La</strong> scène du « marquage » 4<br />

est absente de la copie restaurée où Ton<br />

passe sans carton explicatif du Conseil<br />

<strong>des</strong> Indiens à la scène du tribunal où Braveheart<br />

défend les droits de son peuple.<br />

Le détail de la marque, en revanche, surgit<br />

(sans qu'on puisse le comprendre) à<br />

la faveur du geste du chef de la tribu écartant<br />

la chemise de son fils juste avant de<br />

déclarer qu'il lui cède la place et son titre.<br />

Indépendamment de ces différences<br />

et manques, il est intéressant d'avoir<br />

accès à Tintertitrage français d'époque et<br />

il doit sûrement exister d'autres copies<br />

BRAVEHEART - 175<br />

que les deux ici confrontées. Il y aurait intérêt<br />

pour l'historien, et les restaurateurs,<br />

à les comparer et à en tirer les conclusions<br />

nécessaires.<br />

Jean-Louis Leutrat<br />

1 Par exemple, The Vanishing American I la Race qui<br />

meurt (1925) de George B. Seitz ou Redskin (1928) de<br />

Victor Schertzinger. Un film de 1927, Red Clay d'Ernst<br />

<strong>La</strong>emmle, reprend plusieurs <strong>des</strong> thèmes de Braveheart.<br />

2 Ce renoncement peut revêtir une forme radicale : la<br />

mort. Le thème de la barrière entre les races est banal.<br />

Banale également, la situation narrative de l'Indien<br />

qui, à l'université, devient footballeur.<br />

3 Introduction to the Photoplay, a National Film Society<br />

Publication, 1977, p. 314. L'acteur Robert E<strong>des</strong>on joue<br />

le rôle du père de l'héroïne dans le film.<br />

4 Le « marquage » est une problématique importante<br />

pour le genre. De même, les footballeurs avant le<br />

match conviennent de signaux, établissant un pont<br />

avec l'univers <strong>des</strong> Indiens, qui en est abondamment<br />

peuplé.<br />

Rod <strong>La</strong> Rocque, Lillian Rich.


176 - ÉTATS-UNIS<br />

UNDERWORLD<br />

LES NUITS DE CHICAGO<br />

1927 - Josef von Sternberg<br />

Réal. : Josef von Sternberg. Prod. : Paramount Famous<br />

<strong>La</strong>sky Corporation (Hector Turnbull). Prod. ass. : B.P.<br />

Schulberg. Auteur : Ben Hecht. Adapt. : Charles<br />

Furthmann. Se. : Robert N. Lee. Textes : George<br />

Marion, Jr. Dir. ph. : Bert Glennon. Dir. art. : Hans<br />

Dreier. Mont. : E. Lloyd Sheldon. Int. : Clive Brook<br />

(Rolls Royce), Evelyn Brent (Feathers), George<br />

Bancroft (Bull Weed), Fred Kohler (Buck Mulligan),<br />

Helen Lynch (la petite amie de Mulligan), <strong>La</strong>rry<br />

Semon (Slippy Lewis), Jerry Mandy (Paloma), Karl<br />

Morse (High Collar Sam). Date de sortie : 29 octobre<br />

1927. Métrage, minutage copie Cf. : 2239 m., 89 mn<br />

(à 22 i/s). Intertitres anglais. Noir et blanc.<br />

Gangster intrépide, Bull Weed est le roi<br />

<strong>des</strong> bas-fonds avec sa force herculéenne et son<br />

rire de stentor. À sa manière, il tient à sa compagne,<br />

Feathers, et, pour elle, n'hésite pas à<br />

cambrioler une bijouterie en plein jour. Et<br />

puis, il y a « Rolls Royce », surnommé aussi<br />

« Professeur », un clochard lettré qu'il a pris<br />

sous son aile et remis en selle. Hors les forces<br />

de l'ordre, Bull n'a qu'un ennemi déclaré:<br />

Buck Mulligan, une brute qui lorgne Feathers.<br />

Entre elle justement et Rolls Royce,<br />

naît malgré eux une attirance irrépressible. À<br />

la soirée annuelle de la pègre, Bull dépense<br />

sans compter pour que la cote de sa pouliche<br />

grimpe au tableau <strong>des</strong> filles en compétition<br />

pour le titre de reine d'un soir. Mais tard dans<br />

la nuit, il est ivre mort. Son rival attire Feathers<br />

dans un coin. Alors Bull surgit, l'écume<br />

aux lèvres. Buck s'enfuit par une fenêtre, se<br />

réfugie dans son magasin et là, tombe sous les<br />

balles de son poursuivant. Procès. Bull découvre<br />

qu'il n'est pas au-<strong>des</strong>sus de la loi. Il<br />

sera pendu. À la veille de l'exécution, Rolls<br />

Royce et Feathers imaginent un instant fuir<br />

ensemble. Mais leur loyauté envers Bull les<br />

en empêche. Or, celui-ci s'évade par ses propres<br />

moyens tandis que le plan du Professeur<br />

pour l'en sortir échoue. Réfugié dans son repaire,<br />

hagard et furieux, Bull va et vient, indécis.<br />

Entre Feathers : il l'étrangle et va la<br />

tuer quand la police cerne l'endroit. <strong>La</strong> fusillade<br />

est intense. Blessé, Rolls Royce les a rejoints<br />

par une porte dérobée. Face à cette déclaration<br />

d'amitié, touché aussi par la pureté<br />

de leur amour, Bull oublie sa rancœur, favorise<br />

la fuite <strong>des</strong> amants et se livre aux gardiens<br />

de l'ordre, transfiguré et en paix.<br />

L'HEURE SUPRÊME<br />

Il y aurait deux gran<strong>des</strong> figures de récits<br />

sternbergiens : la chute et l'ascension.<br />

Sternberg n'a peut-être jamais filmé autre<br />

chose qu'une double trajectoire, de la surface<br />

aux bas-fonds et son contraire. Le<br />

monde et l'underworld. Dans les premiers,<br />

les personnages n'en finissent pas<br />

d'être tirés vers le bas, généralement<br />

parce qu'ils succombent à <strong>des</strong> désirs immédiats<br />

(de Der Blaue Engel I l'Ange Bleu<br />

à The ShanghaïGesture). Dans les seconds,<br />

ceux qui <strong>des</strong>sinent au contraire <strong>des</strong> spirales<br />

ascendantes, les personnages traversent<br />

le vice, le mal, mais une prise de<br />

conscience les fait se redresser. C'est le<br />

cas par exemple de Blonde Venus (qui voit<br />

Marlene, repentante, revenir aux charmes<br />

de la middle class après s'être grisée<br />

de la richesse) et aussi bien sûr d'Underworld<br />

I les Nuits de Chicago. Bull, l'homme<br />

qui défie les lois et domine la mafia, va<br />

apprendre à renoncer à la volonté de<br />

puissance et à l'instinct de possession,<br />

jusqu'à accepter de laisser partir sa petite<br />

amie avec un autre. Rolls Royce, l'homme<br />

de lettres déchu jusqu'à la clochardisation,<br />

va retrouver le sens de l'honneur et<br />

se déprendra de l'alcoolisme. Quant à<br />

Feathers, la poule de luxe vénale, qui suit<br />

le premier homme lui offrant <strong>des</strong> bijoux,<br />

elle fera l'expérience du sentiment amoureux.<br />

Il s'agit donc d'une triple rédemption.<br />

Chacun au contact de l'autre, à<br />

l'épreuve de son regard, se révèle à luimême.<br />

Le caractère abrupt et décapant de<br />

cette rencontre de l'Autre trouve une<br />

forme vraiment éloquente dès l'ouverture<br />

du film. Un premier regard en<br />

champ-contrechamp entre Bull et Rolls<br />

Royce et une explosion retentit en arrièreplan.<br />

Dès lors, il est clair qu'après ce fulgurant<br />

échange, leur vie va également<br />

voler en éclat.<br />

Cette remontée vers la surface passe<br />

avant tout par le langage. Ce n'est pas un<br />

<strong>des</strong> moindres paradoxes d'Underworld,<br />

film muet, d'être un grand film sur la parole,<br />

presque une comédie de langage.<br />

Tout est déclenché par un mot de travers :<br />

Bull craint que Rolls Royce ne le dénonce<br />

et il le traite à la fois de feignasse et de balance.<br />

Ce à quoi Rolls Royce répond vertement<br />

qu'il est peut-être un fainéant<br />

mais certainement pas un délateur. Il<br />

n'aura de cesse de prouver qu'il n'est en<br />

fait ni l'un ni l'autre. Si on ne sait pas ce<br />

qui a mené Rolls Royce à cette déchéance,<br />

on devine néanmoins ce que fut sa vie. Il<br />

a lu <strong>des</strong> livres (« He lïkes to read »<br />

s'étonne Bull), il sait beaucoup de choses.<br />

Il est dans la maîtrise du langage alors<br />

que Bull le subit. Dans la ville, une enseigne<br />

publicitaire brille de mille feux :<br />

« The city is y ours ». Ce slogan, programmatique<br />

d'une société capitaliste en<br />

plein essor, Bull, pure création de cette<br />

société-là, le prend au pied de la lettre ; il<br />

en a fait sa devise. Rolls Royce lui fait<br />

comprendre la vanité de ce projet, le<br />

forme à ne pas croire les lettres d'or qui<br />

miroitent sur les vitrines de la ville.<br />

Mieux, il lui apprend à manipuler le langage<br />

et à se jouer <strong>des</strong> signes. Le rival de<br />

Bull porte toujours une fleur à sa boutonnière<br />

? Rolls Royce souffle à Bull qu'il<br />

lui suffirait d'en déposer une sur le lieu<br />

de son dernier méfait pour que la police<br />

suspecte l'autre gangster. Il lui enseigne<br />

la rhétorique ; il lui apprend à signifier.<br />

Dans Underworld, les signes sont partout ;<br />

chacun en joue à sa guise. Les noms <strong>des</strong><br />

personnages sont eux-mêmes saturés de<br />

signification : Bull (le taureau) pour le<br />

gangster brutal et tout-puissant - mais<br />

qui fonce toujours tête baissée et trop<br />

vite ; Feathers pour la fille qui s'habille<br />

toujours avec <strong>des</strong> plumes - et le signe va<br />

parfois plus vite que ce qu'il signifie, devenant<br />

alors indice, lorsque Rolls Royce<br />

trouve une plume de Feathers avant de<br />

la découvrir en chair et en os ; et enfin<br />

Rolls Royce, pour cet étrange clochard<br />

lettré, qui se présente par cette phrase si<br />

poétique : « I'm a Rolls Royce for silence ».<br />

Mais rien ne sert de manipuler les<br />

signes, si à un moment ou un autre un<br />

peu de sens ne surgit. A l'issue de beaucoup<br />

de rebondissements et de malen-<br />

tendus, Bull apprécie à sa juste valeur le<br />

geste de Rolls Royce qu'il prenait pour un<br />

traître. Dès lors, il renonce à posséder<br />

(jusque-là son exclusif rapport au monde)<br />

et accepte son trépas. Au policier qui<br />

lui demande à la fin à quoi a servi son évasion<br />

si ce n'est à retarder son exécution<br />

d'une heure, il répond, désormais maître<br />

<strong>des</strong> mots et de leurs sens, qu'il a davantage<br />

appris dans cette heure que dans<br />

toute sa vie. S'éclaire alors le sens de ce<br />

premier plan, jusque-là obscur : un fondu<br />

entre deux horloges, un cadran en gros<br />

plan et un clocher filmé en pied. Deux<br />

lignes de temps qui se juxtaposent et se<br />

rejoignent. À la fois hétérogènes et réunies.<br />

Une heure d'intense expérience du<br />

monde contre toute une vie à en ignorer<br />

la signification. Rolls Royce avait dès le<br />

début diagnostiqué ce hiatus temporel en<br />

comparant Bull à Attila et en déplorant<br />

qu'il soit né deux mille ans trop tard. Il<br />

n'a fait finalement que remettre les pendules<br />

à l'heure.<br />

<strong>La</strong> force d'Underworld ne tient pas<br />

seulement à l'intelligence avec laquelle<br />

Sternberg campe <strong>des</strong> personnages d'une<br />

remarquable densité et à la subtilité avec<br />

laquelle il <strong>des</strong>sine le mouvement de leur<br />

prise de conscience. Underworld est aussi,<br />

bien sûr, un grand film de styliste, d'un<br />

raffinement visuel éblouissant, qui porte<br />

a un point de maîtrise incomparable la<br />

langue naissante du film de genre. C'est<br />

un film-mouvement, qui file avec une superbe<br />

fluidité et un parfait équilibre :<br />

entre les gros plans et les scènes de foule,<br />

l'action et l'intimisme, la nervosité de certaines<br />

scènes (un hold-up en cinq plans<br />

de gestes et d'objets) et la langueur<br />

d'autres scènes à deux personnages... On<br />

a beaucoup dit d'Underworld qu'il fut à la<br />

source de la mode du film de gangsters<br />

qui déferla sur le cinéma américain <strong>des</strong><br />

années trente et dont Scarface serait l'emblème.<br />

Hawks ne s'est d'ailleurs visiblement<br />

jamais remis du film puisque, dans<br />

Rio Bravo trente ans plus tard, il refit la<br />

scène de l'ivrogne et du crachoir et, on le<br />

sait, donna le doux nom de Feathers à<br />

Angie Dickinson ! Il est assez beau que<br />

Sternberg ait créé l'archétype absolument<br />

parfait d'un cinéma (celui du film<br />

classique, de T image-mouvement...) mais<br />

laissa à un autre (en l'occurence Hawks)<br />

le soin de s'engouffrer dans la brèche.<br />

Lui, passera assez vite à autre chose, avec<br />

<strong>des</strong> films toujours plus abstraits. <strong>La</strong> luxuriance<br />

baroque de la scène du bal <strong>des</strong><br />

gangsters deviendra bientôt la matière<br />

même du cinéma de Sternberg, au détriment<br />

de la dramaturgie (de plus en plus<br />

ténue ou anecdotique). Les décors ne<br />

vont pas tarder à manger les corps et les<br />

lumières à irradier le figuré. Et c'est peutêtre<br />

de savoir que Sternberg consacrera<br />

par la suite tout son talent à désarticuler<br />

le modèle parfait dont il a été le créateur<br />

qui rend aujourd'hui cet Underworld si<br />

précieux et particulier dans son œuvre.<br />

Jean-Marc <strong>La</strong>lanne


178-ÉTATS-UNIS<br />

AFTER MIDNIGHT<br />

L'HOMME DE LA NUIT<br />

1927-Monta Bell<br />

Réal. : Monta Bell. Prod. : Metro-Goldwyn-Mayer<br />

Pictures. Auteur : Monta Bell. Se. : Lorna Moon.<br />

Dir. ph. : Percy Hilburn. Dir. art. : Cedric Gibbons,<br />

Richard Day. Cost. : René Hubert. Mont. : Blanche<br />

Sewell. Int. : Norma Shearer (Mary Young), Gwen Lee<br />

(Maizie), <strong>La</strong>wrence Gray (Joe Miller), Eddie Sturgis<br />

(Red Smith), Philip Sleeman (Gus Van Gundy).<br />

Date de sortie: 20 août! 927.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1846 m., 68 mn<br />

(à 24 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

New York, midi. Mary et sa sœur Maizie<br />

se lèvent. Maizie, la blonde, est une fétarde<br />

insouciante, une vraie cigale, danseuse de revue<br />

la nuit. Mary, la brune, est la fourmi :<br />

elle économise chaque sou gagné en vendant<br />

<strong>des</strong> cigarettes dans un night club. Mary est<br />

seule et attend son heure pour entrer dans la<br />

danse de l'amour. Un soir après minuit, au<br />

coin d'une rue déserte, un voyou essaye de lui<br />

extorquer dix dollars. Elle l'assomme et, bonne<br />

fille, le soigne. Il s'appelle Joe et désormais,<br />

Joe a en tête celle qui l'a assommé. Au bout<br />

d'une semaine, ils font <strong>des</strong> projets d'avenir.<br />

Enfin, à force de privations, Mary est parvenue<br />

à épargner mille dollars. Mais déçue par<br />

Joe qu'elle croit, à tort, retombé dans ses anciens<br />

travers, sidérée de constater que sa sœur<br />

a ramassé la même somme en une nuit, elle<br />

s'offre à son tour de belles toilettes et s'affiche<br />

au bras d'un gigolo. Lors d'une fête, elle boit<br />

beaucoup et Maizie décide de la reconduire.<br />

Mais par la faute de Mary, leur voiture finit<br />

dans le ravin. Maizie meurt dans l'accident.<br />

De retour chez elle, Mary trouve Joe, complètement<br />

saoul, qui essaye de la violer. Elle<br />

fond en larmes. Au petit matin, elle tombe sur<br />

le bon de mille dollars de sa sœur. Avec cet<br />

argent, les amants peuvent espérer commencer<br />

une nouvelle vie.<br />

LES SŒURS DE LA NUIT<br />

Cascade de fondus enchaînés : <strong>des</strong><br />

musiciens jouent du jazz tard dans la<br />

nuit, puis les premiers métros du matin<br />

traversent New York. <strong>La</strong> métropole par<br />

excellence s'éveille, se met au rythme<br />

d'une journée de travail.<br />

Un réveil-matin sonne à midi. <strong>La</strong> caméra<br />

de Monta Bell cadre le plancher<br />

entre deux lits. Deux paires de pieds s'y<br />

posent, cherchent leurs pantoufles. Celle<br />

de droite enfile <strong>des</strong> savates toutes<br />

simples, celle de gauche <strong>des</strong> brodequins<br />

fantaisie. Cette séquence au rythme allègre<br />

livre avec naturel au spectateur<br />

quelques informations d'importance.<br />

Primo, les héroïnes de l'Homme de la nuit<br />

se lèvent tard. Secundo, l'une est mo<strong>des</strong>te<br />

et sérieuse, un peu austère même, l'autre<br />

plus sophistiquée et aguicheuse. Ce que<br />

nous vérifierons tout à loisir quand Maizie,<br />

la viveuse en fanfreluches, dira son<br />

désir d'échapper à sa condition en se<br />

jouant <strong>des</strong> hommes pendant que sa sœur<br />

Mary, la vendeuse de cigarettes, l'honnête<br />

employée, ne fait que <strong>des</strong> rêves à sa<br />

portée (du moins le croit-elle). Tertio, le<br />

titre français, sans être faux - il y a bien<br />

un homme, Joe Miller (joué par <strong>La</strong>wrence<br />

Gray), qui surgit de la nuit, mais c'est un<br />

second couteau - ne vaut pas le titre original,<br />

After Midnight.<br />

Information subsidiaire mais pas secondaire<br />

: en ces quelques plans rapi<strong>des</strong>,<br />

Monta Bell, cet ami de Charles Spencer<br />

Chaplin, démontre qu'il est un de ces<br />

bons cinéastes du muet qui avaient l'art<br />

de bricoler <strong>des</strong> raccourcis, de filer <strong>des</strong> métaphores,<br />

d'enchaîner les ellipses et d'émettre<br />

toutes autres sortes de suggestions<br />

cinégraphiques. Il semble même<br />

parfois étonné, dépassé, pris de court par<br />

sa propre capacité à faire avancer son<br />

récit à une vitesse quasi lubitschienne.<br />

D'où sa fâcheuse tendance à freiner, à répéter<br />

son propos comme s'il n'en croyait<br />

pas ses yeux, comme s'il voulait meubler<br />

les espaces-temps qu'il a lui-même créés.<br />

Ce n'est pas grave. Bell bégaie avec talent.<br />

Il y a chez lui un plaisir si évident à inventer<br />

<strong>des</strong> figures libres, une telle ivresse<br />

que son défaut d'élocution cinématographique<br />

peut même passer pour une pulsion<br />

baroque.<br />

En fait, After Midnight peut se résumer<br />

tout entier à une alternance d'audacesetde<br />

retenues, véritable suite de dérapages<br />

contrôlés. Le film égratigne ainsi<br />

le système économique de son pays, à<br />

l'origine <strong>des</strong> inégalités sociales visibles<br />

dans le récit, un système où certain(e)s<br />

gagnent en une nuit ce que d'autres mettent<br />

une vie à économiser. Dans la même<br />

lignée, Bell satirise un mode de vie qui fabrique<br />

du rêve (voir la scène où les deux<br />

amants salivent devant les objets en vitrine,<br />

à la fois exposés à tous les regards<br />

et inaccessibles). <strong>La</strong> fin, brutale pour le<br />

coup, de ce rêve américain, c'est l'accident<br />

de voiture, retour tragique à la réalité.<br />

Pour autant, After Midnight n'est pas<br />

Underworld, réalisé la même année, où la<br />

fameuse enseigne lumineuse (« The World<br />

is Yours ») disait plus violemment, plus<br />

politiquement, que l'Amérique est responsable<br />

<strong>des</strong> errances et <strong>des</strong> crimes<br />

qu'elle condamne.<br />

Monta Bell est un observateur parfois<br />

cruel, souvent drôle, de la faune nocturne<br />

de la ville (s'est-il souvenu d'avoir monté<br />

A Woman of Paris I l'Opinion publique, quatre<br />

ans plus tôt ?). Il nous réjouit quand il<br />

met en scène l'atmosphère du cabaret<br />

chic où travaillent les deux sœurs, Tune<br />

à vendre ses cigarettes et l'autre à marchander<br />

ses charmes. Il se régale quand<br />

il brosse les portraits de patachons effondrés,<br />

noceurs balafrés à l'œil mauvais,<br />

gandins guindés, gigolos pâlots, poules<br />

plus ou moins vulgaires et plus ou moins<br />

édentées. Il exulte littéralement en décrivant<br />

TEureka Social Club, antre moins<br />

huppée, bouge enfumé, où <strong>des</strong> marlous<br />

à gueule de travers et <strong>des</strong> putes au regard<br />

détruit défient la Prohibition en s'envoyant<br />

<strong>des</strong> mignonnettes d'alcools divers.<br />

Mais attention tout de même ! Il y a<br />

<strong>des</strong> limites que la Métro Goldwyn de<br />

monsieur Mayer ne peut se permettre de<br />

dépasser. Nous ne sommes ni dans un<br />

Stroheim, ni dans un Wellman, un <strong>La</strong><br />

Cava muet avec W.C. Fields ou une production<br />

Warner du début <strong>des</strong> années<br />

trente. Le réalisme demeure ici corseté<br />

dans le puritanisme maison. Dans le<br />

« bon goût » de Louis B. Mayer qui n'était<br />

que son conformisme en béton armé.<br />

Les folies sont aussi limitées par la<br />

personnalité de la vedette du film, Norma<br />

Shearer, qui vient d'épouser Irving<br />

Thalberg, le jeune nabab de la MGM. On<br />

veut bien, si l'histoire le réclame absolument,<br />

voir madame Thalberg verser dans<br />

la luxure, mais avec modération et pas<br />

trop longtemps. Elle est pourtant étonnante,<br />

Norma la bourgeoise, dans After<br />

Midnight. Nettement moins godiche,<br />

moins sinistrement digne qu'à son habitude.<br />

Tout à fait à son aise dans le personnage<br />

de Mary la sage, elle devient carrément<br />

surprenante dans le rôle de Mary<br />

la dévergondée, quand elle boit ses cocktails<br />

les uns derrière les autres et perd la<br />

tête. Elle dégage alors une sensualité inédite<br />

et pour un peu, ressemblerait à<br />

Irène Dunne dans un film de McCarey.<br />

Signalons enfin qu'After Midnight recèle<br />

deux étrangetés, deux anachronismes<br />

: deux zooms optiques qui donnent<br />

à ce film de 1927 un petit air années soixante-dix.<br />

Le premier zoom isole Mary,<br />

seule au fond de son cabaret, derrière une<br />

foule qui danse avec plus d'énergie que<br />

de grâce. Artifice optique étrange et un<br />

peu redondant puisqu'un rai de lumière<br />

baignant le visage de Mary a déjà fait le<br />

travail de séparer l'héroïne de son environnement.<br />

Le second survient au moment<br />

de l'accident de voiture. Dans les<br />

deux cas, Monta Bell désigne visiblement<br />

un moment de vérité du récit, quand la<br />

comédie se retire, fugitivement d'abord,<br />

durablement à la fin, et cède la place au<br />

drame.<br />

Édouard Waintrop<br />

AFTER MIDNIGHT- 179<br />

Norma Shearer.


CHICAGO<br />

1927-Frank Urson<br />

Réal. : Frank Urson. Prod. : DeMille Pictures.<br />

Prod. exécutif : E. O. Gurney. Auteur : Maurine<br />

Watkins, d'après son roman homonyme.<br />

Adapt. : Lenore J. Coffee. Se. : Lenore J. Coffee. Asst.<br />

réal. : Roy Burns. Dir. ph. : J. Peverell Marley.<br />

Dir. art. : Mitchell Leisen. Cost. : Adrian.<br />

Mont. : Anne Bauchens. Int. : Phyllis Haver (Roxie<br />

Hait), Victor Varconi (Amos Hait), Eugène Pallette<br />

(Casley), Robert E<strong>des</strong>on (Maître Flynn), Victoria<br />

Bradford (Katie), Clarence Burton (l'officier de police),<br />

Warner Richmond (le district attorney), T. Roy Barnes<br />

(le journaliste), Sidney D'Albrook (le photographe),<br />

Otto Lederer (Meyer, l'associé d'Amos), Julia Faye<br />

(Velma), May Robson. Date de sortie : 4 mars 1928.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1348 m., 53 mn<br />

(à 22 i/s). Générique reconstitué. Intertitres français.<br />

Noir et blanc.<br />

Mo<strong>des</strong>te buraliste, Amos Hart est riche...<br />

riche de son amour pour son épouse, la pimpante<br />

Roxie Hart. Mais Roxie n 'aime quel'argent.<br />

Ce matin là, après avoir servi le petit déjeuner<br />

et ramassé les vêtements de sa femme<br />

(sans trouver sa deuxième jarretière), Amos<br />

part à son travail. Peu après, Roxie reçoit son<br />

amant chez elle. Or, celui-ci, las de l'entretenir,<br />

est venu pour la quitter. Il la bouscule en<br />

sortant. Sans réfléchir, elle tire sur lui et le<br />

tue. A son mari, elle dit que c'était un cambrioleur.<br />

Mais Amos reconnaît un client du<br />

jour pressé justement d'aller se débarrasser<br />

de sa « bien aimée » et trouve dans une <strong>des</strong><br />

poches du mort la jarretière manquante... <strong>La</strong><br />

police, un juge et un journaliste sont sur le<br />

lieu du crime. Le juge espère de cette affaire<br />

qu'elle le rendra enfin célèbre et le journaliste<br />

promet à Roxie de faire d'elle la plus jolie<br />

meurtrière de Chicago, photo dans le journal<br />

à l'appui ! Trahi mais toujours amoureux,<br />

Amos se démène pour éviter la pendaison à sa<br />

femme et engage au prix fort un avocat célèbre,<br />

cupide et retors. Aux assises, Roxie joue<br />

la petite fille modèle, fond en larmes et le jury<br />

avec elle. Elle est acquittée et fêtée. Seul son<br />

mari ne participe pas à la liesse. De retour à<br />

la maison, il jette au feu l'argent qu'il avait<br />

volé pour la sauver et elle se brûle presque les<br />

doigts à essayer de le récupérer. Il la met à la<br />

porte et saccage dans l'appartement tout ce<br />

qui lui rappelle Roxie.<br />

UN DRÔLE DE POLAR<br />

Sans doute Chicago de Frank Urson<br />

est un petit film, une quasi « série B », qui<br />

transpire la rapidité de réalisation. En<br />

même temps, de Mitchell Leisen pour les<br />

décors à Adrian pour les costumes et De<br />

Mille pour la production, les collaborations<br />

sont prestigieuses. De plus, il nous<br />

importe à la mesure du fait que peu de<br />

films subsistent aujourd'hui de ce cinéaste.<br />

Le film est tourné dans trois décors<br />

seulement : l'appartement qui ouvre et<br />

clôt le film par deux longues séquences,<br />

une courte scène dans la prison, la salle<br />

d'audience du procès.<br />

Ce n'est pas un <strong>des</strong> moindres mérites<br />

du film que de savoir rebondir à partir de<br />

ces seuls décors habités par de nombreux<br />

seconds rôles. <strong>La</strong> galerie de figurants comiques<br />

pendant le procès est de ce point<br />

de vue particulièrement hilarante.<br />

Par certains aspects, le style d'Urson<br />

s'apparente au Capra <strong>des</strong> mêmes années<br />

: rapidité du montage et jeu dynamique<br />

de Phyllis Haver (qui rappelle<br />

celui de Bessie Love dans The Matinée Idol,<br />

en plus garce). Mais Urson construit <strong>des</strong><br />

personnages dont la drôlerie n'excède<br />

pas la recette, sinon le stéréotype qui exclut<br />

toute émotion.<br />

Roxie Hart est incarnée avec une<br />

grande énergie par Phyllis Haver. Son<br />

personnage d'obsédée par l'argent est<br />

crédible, même dans une certaine hystérie.<br />

Si dans la séquence du procès, son jeu<br />

n'échappe pas à la caricature, il n'empêche<br />

que son impertinence et son dynamitage<br />

<strong>des</strong> symboles garantissant la loi et<br />

la vérité sont plutôt réjouissants : clin<br />

d'ceil en prononçant le « je le jure » et signe<br />

racoleur de la main vers le président<br />

lors du serment pour accompagner le<br />

même « je le jure ». Le film s'effondrerait<br />

probablement si Phyllis Haver n'avait<br />

pas ce tonus, et cette joliesse blonde platine<br />

qui ajoute à son image de jeune<br />

femme futile, la traîtrise et le cynisme intéressés.<br />

De ce point de vue, le film ne<br />

181<br />

manque pas d'audace (involontaire ?).<br />

Cette manière de mêler la criminalité et<br />

le comique (le premier meurtre puis le second<br />

théâtral au tribunal), la belle scène<br />

de tentative de sauvetage <strong>des</strong> billets de<br />

banque qui brûlent, l'absence de happy<br />

end reconciliateur (la fille s'en va seule<br />

dans la nuit pendant que le mari entreprend<br />

la <strong>des</strong>truction du « Home sweet<br />

home ») font de Chicago un petit film singulier<br />

qui retient par certains excès. Ce<br />

n'était pas rare à cette époque. Cette période<br />

présonore est un <strong>des</strong> moments les<br />

plus inventifs et les plus brillants d'Hollywood.<br />

Combien de cinéastes oubliés<br />

aujourd'hui sont dignes d'une véritable<br />

réévaluation, tels Monta Bell ou Herbert<br />

Brenon, réalisateurs de films météores<br />

encore à l'abri de certaines contraintes<br />

académiques ultérieures.<br />

Toute la première séquence est particulièrement<br />

brillante, symptomatique de<br />

cette capacité d'inventivité soudaine et<br />

imprévisible. D'abord, les scènes de séduction<br />

puis de violence entre Roxie et<br />

son amant, ensuite cette trouvaille, avant<br />

Hawks (Scarface), Tuttle (This Gunfor Hire<br />

I Tueur à gages), Ulmer (Détour) et <strong>La</strong>ng<br />

(Ministry of Fear I Espions sur la Tamise),<br />

qui consiste à ce qu'un meurtre s'opère à<br />

travers une porte.<br />

Ici, c'est une porte, doublée d'un miroir,<br />

qui reçoit l'impact et cache aux yeux<br />

du spectateur la chute du corps dont<br />

seule une main crispée <strong>des</strong>cend lentement<br />

dans l'embrasure. Le ton du film est<br />

dans cette séquence qui mêle la terreur<br />

de Roxie incrédule et son jeu comique :<br />

elle encourage par <strong>des</strong> mimiques burlesques<br />

la remontée de la main de la victime<br />

irrémédiablement inerte. Le seul découpage<br />

de cette scène suffit à prouver<br />

qu'Urson, sans être un grand cinéaste,<br />

faisait partie de cette cohorte efficace<br />

d'artisans hollywoodiens qui avaient assimilé<br />

l'essentiel de ce que le muet pouvait<br />

dire.<br />

Dominique Païni


Charles Farrell.<br />

THE RIVER<br />

LA FEMME AU CORBEAU<br />

1928-Frank Borzage<br />

Réal. : Frank Borzage. Prod. : Fox Film Corp.(Sol M.<br />

Wurtzel). Auteur : Tristram Tupper, d'après son roman<br />

homonyme. Adapt. : Philip Klein, Dwight Cummings,<br />

Edmund Goulding, Asst. réal. : Lew Borzage.<br />

Dir. ph. : Ernest Palmer. Effets spéciaux : Fred W.<br />

Sersen. Dir. art. : Harry Oliver. Mont. : Barney Wolf.<br />

Mus. : Maurice Baron, Hugo Riesenfeld.<br />

Direction musicale : Ernô Râpée.<br />

Conseiller technique : Tristram Tupper. Int. : Charles<br />

Farrell (Allen John Pender), Mary Duncan (Rosalee),<br />

Ivan Linow (Sam Thompson), Margaret Mann (la<br />

veuve Thompson), Alfredo Sabato (Marsdon), Bert<br />

Woodruff (le meunier). Texte de présentation : « C'est<br />

dans les archives de la 20th Century-Fox que William<br />

K. Everson et Alex Cordon ont découvert l'unique<br />

copie de The River (la Femme au corbeau), le film<br />

mythique que Frank Borzage réalisa en 1928. Le film<br />

ne subsiste qu'à l'état de fragment : il manque le<br />

début, deux séquences intermédiaires et la dernière<br />

bobine. <strong>La</strong> reconstitution qui suit donne une idée de<br />

l'ensemble de l'intrigue. Elle a été faite à partir de<br />

photographies provenant de la collection personnelle<br />

de Borzage et du scénario original déposé à la UCLA,<br />

Los Angeles ». Date de sortie : 22 décembre 1928.<br />

Métrage, minutage copie 16 mm Cf. : 606 m., 55 mn.<br />

Intertitres français et anglais pour la présentation et les<br />

parties manquantes, intertitres anglais dans le film.<br />

Noir et blanc. Montage <strong>des</strong> parties manquantes et<br />

intertitres : Hervé Dumont. Coordination et<br />

production Jacqueline Dumont. Une reconstitution<br />

présentée par la <strong>Ciné</strong>mathèque française (Paris) et la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque suisse (<strong>La</strong>usanne). Doc. : Hervé<br />

Dumont : Frank Borzage. Sarastro à Hollywood,<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta, 1993.<br />

L'été, dans les Rocheuses. Le jeune Allen<br />

John Pender a construit une péniche pour voir<br />

le monde et <strong>des</strong>cend la rivière jusqu'à la mer.<br />

À l'automne, il est bloqué à la hauteur d'un<br />

barrage en construction où un drame vient de<br />

se produire : Marsdon, le chef de chantier, a<br />

tué un ingénieur qui convoitait sa maîtresse,<br />

la belle et intrigante Rosalee. Le meurtrier est<br />

arrêté et Sam, un colosse sourd et muet, s'est<br />

juré de venger la victime. Peu de temps après,<br />

le camp se vide de sa population jusqu'au retour<br />

<strong>des</strong> beaux jours. Avec le corbeau de son<br />

amant pour seul compagnon, Rosalee s'ennuie<br />

quand passe Allen John se baignant nu<br />

dans la rivière. Tout ahuri de cette rencontre,<br />

le jeune homme ratera tous les trains pour la<br />

ville y compris le dernier avant le printemps.<br />

C'est l'hiver. Gauche et novice, Allen ]ohn est<br />

sans cesse déconcerté par cette femme d'ex-<br />

périence, surprise à son tour et secrètement<br />

bouleversée de tant d'innocence. Un soir, leur<br />

attirance semble irrésistible mais le corbeau<br />

de Marsdon veille et au comble de la frustration,<br />

Rosalee ferme sa porte à celui qui lui a<br />

ouvert son cœur. Hors de lui, il saisit une<br />

hache et frappe les arbres comme s'il voulait<br />

abattre une forêt. Torse nu et en nage, il cogne<br />

pendant que tombe la neige. Le lendemain<br />

matin, Sam trouve Allen John inanimé dans<br />

sa péniche et le porte jusque chez Rosalee.<br />

Malgré leurs efforts, il reste inconscient.<br />

Alors en désespoir de cause, elle se couche sur<br />

lui et le ramène à la vie. Elle lui avoue son<br />

amour. Le printemps : Marsdon, échappé de<br />

prison, vient reprendre son bien. Il assomme<br />

son rival avec une bûche. Rosalee s'enfuit et<br />

plonge dans la rivière. Sam surgit et étrangle<br />

Marsdon tandis qu'Allen John, revenu à lui,<br />

arrache l'aimée au tourbillon qui allait l'engloutir.<br />

Il l'installe dans sa cabine et largue<br />

les amarres. Le colosse se lave les mains dans<br />

la rivière et regarde la péniche <strong>des</strong>cendre vers<br />

la mer.<br />

DÉSIRS HUMAINS<br />

Non seulement The River (la Femme au<br />

corbeau) s'inscrit parfaitement au sein de<br />

cette fertile période que fut pour Borzage<br />

la fin du muet, mais sans doute, si l'on<br />

pouvait juger du film dans son intégralité,<br />

pourrait-on même l'estimer supérieur<br />

à Seventh Heaven (l'Heure suprême,<br />

1927), Street Angel (l'Ange de la rue, 1927)<br />

et Lucky Star (l'Isolé, 1929). Je n'ai pas ici<br />

envie d'écrire après d'autres que The<br />

River est probablement, à l'égal de Sunrise<br />

(l'Aurore), un « sommet de l'art muet »,<br />

parce qu'il me semble que ces personnages<br />

parlent : je ne fais pas ici allusion<br />

aux efforts de sonorisation qui accompagnèrent<br />

ce film à sa sortie, comme ce fut<br />

souvent le cas à la toute fin <strong>des</strong> années<br />

vingt ; je n'ironise pas non plus sur le fait<br />

que deux <strong>des</strong> personnages secondaires<br />

décisifs soient un sourd-muet (le géant<br />

débonnaire interprété par Ivan Linow), et<br />

183<br />

un corbeau qui n'a d'éloquent que son silence.<br />

Mais Charles Farrell et Mary Duncan,<br />

eux, parlent avec leurs corps, leurs<br />

gestes, leurs visages, leurs regards ;<br />

doués de la parole, ils n'auraient pas dit<br />

un mot de plus. The River, ou du moins<br />

ce que nous en voyons, est donc un sommet<br />

de cinéma tout court ; il confirme<br />

pour qui en douterait encore que Borzage<br />

était au meilleur de son talent dans le lyrisme,<br />

le Kammerspiel, et la peinture émue<br />

<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> passions.<br />

Sommet d'illusion d'abord, puisque<br />

ce rude paysage du Nord fut bâti de<br />

toutes pièces en Californie, et que le froid<br />

de la neige artificielle vous perce pourtant<br />

jusqu'aux os. Il n'est pas rare que la<br />

convention hollywoodienne, qui fuit la<br />

réalité de toutes ses forces pour en tailler<br />

une autre à la mesure de ses fables, obtienne<br />

<strong>des</strong> effets d'autant plus riches<br />

qu'ils piétinent toute vraisemblance.<br />

Somptueux, le décor semble n'avoir été<br />

mis en place que pour enchâsser les précieux<br />

épiso<strong>des</strong> intimistes qui se déroulent<br />

dans la cabane de Rosalee : ce logement<br />

rudimentaire, exposé à tous les<br />

vents, est pourtant filmé et éclairé de telle<br />

façon qu'il isole le couple du reste du<br />

monde, jouant ainsi pleinement le rôle de<br />

« septième ciel » qu'avait la chambrette<br />

de Seventh Heaven.<br />

Au début du film tel qu'il subsiste, un<br />

homme a été tué, un autre est en passe<br />

d'être jugé, non sans s'être assuré que sa<br />

maîtresse l'attendrait, et le barrage ferme<br />

pour l'hiver. Un beau plan sur les ouvriers<br />

qui s'éloignent en colonne, migrant<br />

vers un hiver moins rude, et ce sera tout<br />

pour le contexte et l'observation sociale :<br />

le Borzage de The River n'est pas encore,<br />

tant s'en faut, celui de Man's Castle (Ceux<br />

de la zone, 1933) ou de The Big City (la<br />

Grande Ville, 1937). Mais Charles Farrell<br />

n'est pas Spencer Tracy. C'est un Allen<br />

John clair, svelte et juvénile, qui exprime<br />

sa jeunesse par une agitation fiévreuse et<br />

inutile : il s'approche <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> pour le<br />

plaisir de ne pas y tomber, cherche à<br />

prendre <strong>des</strong> trains qu'il manque réguliè-


184-ÉTATS-UNIS<br />

Charles Farrell.<br />

Charles Farrell,<br />

Mary Duncan.<br />

rement, apporte à sa belle <strong>des</strong> cadeaux<br />

dont elle n'a que faire, et voudrait en vain<br />

couper la forêt tout entière pour réchauffer<br />

l'ingrate.<br />

Dès la première rencontre <strong>des</strong> héros,<br />

l'apparition superbement incongrue de<br />

Rosalee nous stupéfie. Habillée de pied<br />

en cap, lourdement maquillée, chaussée<br />

d'escarpins de ville, elle est pourtant<br />

posée sur son rocher, au bord de la rivière,<br />

comme une mélancolique sirène.<br />

Immobilité d'icône ? De mannequin ? De<br />

photo de star ? Ou les trois à la fois ? Elle<br />

est l'artifice et la convention même, face<br />

à Allen John nu dans la rivière, symbole<br />

de la virginité sauvage, enfant que la nature<br />

baptise dans une eau infiniment<br />

pure, et du reste obsédé par la propreté<br />

(« Celui qui en sort vivant doit se sentir<br />

propre », dit-il en parlant <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong>). Il<br />

faut la pseudo-naïveté de la représentation<br />

hollywoodienne à ses débuts (une<br />

star féminine doit être impeccable en<br />

toutes circonstances) pour obtenir <strong>des</strong><br />

contrastes visuels de cette force.<br />

À partir de ce premier contact tout en<br />

violentes oppositions, la structure générale<br />

du récit - pour autant qu'on puisse<br />

en juger d'après ces fragments - sera celle<br />

d'un échange : la hiératique Rosalee apprendra<br />

peu à peu à bouger, à acquérir<br />

un mouvement de plus en plus humain,<br />

tandis qu'Allen John, après une dernière<br />

explosion d'inutile frénésie, sera enfin<br />

contraint à l'immobilité sur son lit de malade.<br />

Lorsque Rosalee se couche à ses<br />

côtés pour le réchauffer et le ressusciter,<br />

l'image est d'autant plus belle qu'ils sont<br />

enfin à égalité, immobiles, apaisés - une<br />

image qui, bien au-delà de la métaphore<br />

sexuelle, suggère une union essentielle et<br />

fondatrice. Tel le couple <strong>des</strong> origines, ils<br />

rejouent dans leur Eden glacé un mythe<br />

merveilleusement humanisé par le réalisme<br />

<strong>des</strong> détails et la justesse de l'observation.<br />

Si le renversement est si subtil et indiscutable<br />

- chacun se rendant en somme<br />

à la personnalité de l'autre - c'est qu'il<br />

s'est lentement négocié à travers les<br />

scènes centrales de séduction, dans lesquelles<br />

la femme fatale et le jeune homme<br />

candide confrontent leurs différences : la<br />

taille d'abord, mais surtout l'opposition<br />

entre la brutalité rieuse d'Allen John et<br />

les attitu<strong>des</strong> ondoyantes et lascives d'une<br />

Rosalee uniquement préoccupée d'amour.<br />

Le marivaudage de toute cette première<br />

partie évoque, à vrai dire, <strong>des</strong> genres plus<br />

légers que le mélodrame. Le thème <strong>des</strong><br />

minauderies amoureuses au milieu <strong>des</strong><br />

neiges n'est pas tout à fait étranger à la<br />

romantic comedy (on le trouve, traité de<br />

toute autre façon, dans Two Faced Woman<br />

I la Femme aux deux visages et à la fin de<br />

The Awful Truth I Cette sacrée vérité ) ; et<br />

Borzage lui-même, sous l'égide de Lubitsch,<br />

déclinera de nouveau le motif du<br />

couple vamp / ingénu dans la plus avouée<br />

<strong>des</strong> comédies sophistiquées, Désire. Du<br />

désir, il est déjà ici question sans relâche.<br />

Et l'on ne peut que se féliciter qu'en 1929,<br />

le futur code Hays en soit à la forme encore<br />

assez inoffensive <strong>des</strong> recommandations<br />

(Don't and Be Carefuls '). Eût-il été<br />

plus virulent, comme ce fut le cas un peu<br />

plus tard, qu'il eût certainement taillé<br />

dans ces jeux voluptueux et suggestifs,<br />

où Rosalee cherche par tous les moyens<br />

à toucher Allen John, à émouvoir sa chair.<br />

Ce en quoi il aurait eu tort, bien sûr ; car<br />

le badinage a ici d'autres enjeux que la<br />

consommation toujours suggérée, toujours<br />

repoussée, de l'acte sexuel.<br />

Rosalee, en effet, a commencé par dire<br />

à son compagnon imprévu qu'elle ne<br />

voulait plus entendre parler du sexe masculin,<br />

mais que lui « ne comptait pas ». Il<br />

faudra donc à Allen John toute la durée<br />

du film pour sortir de ce néant et se constituer<br />

en tant qu'homme : l'épreuve physique<br />

surhumaine (abattre les arbres<br />

dans la forêt), frôler la mort, sauver celle<br />

qu'il aime, l'arracher à celui qui la harcèle.<br />

C'est évidemment une initiation, un<br />

film d'apprentissage qui a ceci d'original<br />

qu'il ne comporte aucune dimension sociale,<br />

puisque la société humaine, incarnée<br />

surtout par Marsdon et son procès,<br />

est marquée par l'absence et en tout cas<br />

THE RIVER-185<br />

par <strong>des</strong> signes très négatifs. C'est aussi un<br />

double apprentissage : Rosalee découvre<br />

la tendresse, la pureté et l'émotion, Allen<br />

John s'éveille à la souffrance et à la colère.<br />

Pour que ces deux <strong>images</strong> opposées de<br />

l'humanité se rejoignent enfin, il faut<br />

quatre saisons, soit un cycle complet de<br />

la nature. Sous le signe du fleuve qui, de<br />

sa source à la mer, représente tout le cours<br />

de la vie, le film de Borzage mêle le symbolique<br />

et le réaliste, l'humour et le<br />

drame, la solennité du mythe et la vérité<br />

<strong>des</strong> désirs humains.<br />

Jacqueline Nacache<br />

1 « À ne pas faire et à surveiller », ensemble de mesures<br />

morales prises en 1927 par la Motion Pictures<br />

Producers and Distributors of America, organisme d'autocontrôlé<br />

de la production hollywoodienne créé depuis<br />

1922. Le Code de production en tant que tel, établi<br />

en 1930, ne sera véritablement appliqué qu'à partir<br />

de 1934 - année au cours de laquelle un film de<br />

Borzage, Man's Castle, fera partie d'une liste de titres<br />

mis à l'index par <strong>des</strong> organisations catholiques militant<br />

pour un cinéma plus « propre » (deaner pictures).


186 - ÉTATS-UNIS<br />

Bessie Love,<br />

Johnnie Walker.<br />

THE MATINEE IDOL<br />

BESSIE À BROADWAY<br />

1928-Frank Capra<br />

Réal. : Frank Capra. Prod. : Columbia Pictures (Harry<br />

Cohn). Auteur : Robert Lord, d'après son récit Come<br />

FJack to Aaron. Adapt. : Elmer Harris. Se. : Peter<br />

Milne. Asst. réal. : Eugène De Rue. Dir. ph. : Phillip<br />

Tannura. Dir. art. : Robert E. Lee. Mont. : Arthur<br />

Roberts. Int. : Bessie Love (Bessie Bolivar/C/nger<br />

Bolivar), Johnnie Walker (Don Wilson-Harry Mann),<br />

Lionel Belmore (le colonel jaspar Bolivar), Ernest<br />

Hilliard (Arnold Wingate), Sidney D'Albrook<br />

(]. Madison Wilberforce), David Mir (Eric Barrymaine).<br />

Date de sortie : 14 mars 1928.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 1575 m., 66 mn<br />

(à 21 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Don Wilson est une vedette de Broadway.<br />

Mais fatigué de son rôle de chanteur « noir »<br />

à la Al Jolson, il se met au vert avec quelques<br />

amis. À la suite d'un quiproquo dans un petit<br />

bled, Don qui a dit s'appeler Harry Mann, est<br />

engagé au pied levépar Bessie Bolivar, la fille<br />

du directeur d'un théâtre ambulant. Le voilà<br />

inclus dans un spectacle jouant avec conviction<br />

un épisode de la guerre de Sécession. Le<br />

public du coin est captivé, seuls les New-Yorkais<br />

rient à gorge déployée de tant d'amateurisme.<br />

L'un d'eux,patron d'unerevue, al'idée<br />

de faire venir la troupe à Broadway, pressentant<br />

un grand succès... comique. Affaire conclue.<br />

De retour à New York, Don continue de<br />

masquer sa vraie identité tout en essayant de<br />

séduire Bessie. Le soir de la première, Harry<br />

est introuvable et son « double », grimé en<br />

Noir, se propose pour le remplacer. Avant la<br />

fin du premier acte, la salle n'en peut plus de<br />

rire. Furieuse, Bessie quitte la scène et sort<br />

sous une pluie battante. Don veut la retenir,<br />

mais la pluie le démaquille. <strong>La</strong> jeune femme<br />

comprend qu'elle a été le jouet d'un homme<br />

et d'une ville. <strong>La</strong> troupe a maintenant repris<br />

contact avec la province plus indulgente. Don<br />

vient faire amende honorable. Bessie lui pardonne<br />

et l'engage à vie.<br />

LA VOIE ROYALE DE LA COMÉDIE<br />

Pressé d'en arriver à ses triomphes,<br />

Frank Capra ne consacrera à The Matinée<br />

Idol (Bessie à Broadway) qu'une brève mention<br />

dans son autobiographie. Fable mo<strong>des</strong>te<br />

sans doute, mais singulièrement attachante,<br />

c'est l'un <strong>des</strong> sept longs métrages<br />

que le cinéaste tourne coup sur<br />

coup (à la cadence d'un toutes les six semaines<br />

! ) au cours de l'année 1928 ; le dernier<br />

de la série sera Submarine, son premier<br />

film sonore et sa première production<br />

d'envergure. L'ascension du jeune<br />

Capra au sein de l'usine Columbia a beau<br />

être méthodique, il fait encore ses gammes<br />

sur <strong>des</strong> sujets imposés. Il est loin de<br />

se douter qu'il sera bientôt en mesure de<br />

damer le pion à Harry Cohn en imposant<br />

son nom « au-<strong>des</strong>sus du titre ».<br />

En regard <strong>des</strong> chefs-d'œuvre de la<br />

maturité, ces travaux d'apprenti sont<br />

d'humbles brouillons. Mais une veine<br />

personnelle s'y fait jour. Dans cet apologue<br />

qu'est The Matinée Idol, on perçoit<br />

les frustrations d'un cinéaste ambitieux<br />

qui ronge son frein et désespère peut-être<br />

d'atteindre le sommet qu'il s'est fixé.<br />

Ainsi ses protagonistes sont-ils <strong>des</strong> baladins<br />

pour lesquels le succès se mesure<br />

avant tout aux applaudissements. Naïf<br />

ou sophistiqué, le public a toujours raison<br />

: que ce soit sous les feux de la rampe<br />

à Broadway ou sur les tréteaux d'un<br />

bourg campagnard, seul compte son divertissement.<br />

L'art pour l'art n'a pas droit<br />

de cité. À <strong>des</strong> titres divers, comme Capra<br />

lui-même, les acteurs principaux sont<br />

tous les trois bridés dans leurs velléités<br />

« culturelles » : Don Wilson (Johnnie Walker)<br />

a beau être une vedette, il en est réduit<br />

à faire le pitre dans un minstrel show ;<br />

Ginger (Bessie Love), la jeune première,<br />

doit se consacrer à l'intendance de la<br />

troupe plutôt qu'à son répertoire ; le colonel<br />

Bolivar, qui jadis jouait du Shakespeare,<br />

s'est reporté sur de poussiéreux<br />

mélodrames inspirés par la guerre de Sécession.<br />

Les temps sont si durs que<br />

l'ombre de la Dépression paraît déjà<br />

187<br />

peser sur le petit monde du show-business.<br />

Le ressort de la comédie est, comme<br />

souvent chez Capra, une supercherie.<br />

Une imposture semblable à celle qui lui<br />

valut ses débuts de cinéaste. Par jeu, dans<br />

un bled de campagne, l'étoile de Broadway<br />

se fait passer pour un amateur et se<br />

retrouve engagé comme figurant dans la<br />

troupe <strong>des</strong> Bolivar Players (symétriquement,<br />

Capra s'était fait passer pour un<br />

professionnel et avait convaincu l'acteur<br />

shakespearien Walter Montague de lui<br />

confier sa première réalisation, The Ballad<br />

ofFultah Fisher's Boarding Housé). D'emblée,<br />

le maquillage est désigné comme le<br />

symbole autant que l'instrument de la<br />

tromperie. A New York, Don se grimait<br />

en chanteur noir ; dans la loge provinciale,<br />

il se fait une tête de clown blanc. À<br />

la revue « nègre » répond un mélo sudiste<br />

qui pourrait être un épisode de Birth<br />

of a Nation revu et corrigé par Harold<br />

Lloyd ou Buster Keaton. Lorsqu'un unique<br />

figurant est censé représenter toute<br />

une armée, Capra emprunte au Why<br />

Worry ? de Lloyd l'idée du râtelier de<br />

baïonnettes qui suggère le passage d'un<br />

régiment derrière un mur. Des flocons de<br />

neige artificielle aux déguisements du bal<br />

masqué, tous les accessoires <strong>des</strong> gags<br />

sont associés à une « mise en scène ».<br />

Quand Don change de tenue en un tournemain<br />

derrière un paravent et réussit à<br />

berner sa partenaire en réapparaissant<br />

avec un loup sur le visage, la brillante<br />

chorégraphie de Capra confirme son sens<br />

du timing comme sa connaissance de la<br />

commedia dell'arte.<br />

Comme il se doit dans une fable de<br />

Capra, <strong>des</strong> campagnards ingénus sont les<br />

victimes de cyniques citadins. Invités par<br />

les amis de Don à se produire à New<br />

York, les Bolivar Players tombent dans<br />

un piège. En se prêtant au canular, le<br />

héros joue ici le double rôle qui sera plus<br />

tard, dans Mr. Deeds et Mr. Smith, dévolu<br />

à l'héroïne, Jean Arthur. À cause de cette<br />

duplicité, Ginger va être « crucifiée » par<br />

le public blasé de Broadway. <strong>La</strong> représentation<br />

sabotée tourne au jeu de mas-


188-ÉTATS-UNIS<br />

sacre. Don ose faire son entrée en scène<br />

avec <strong>des</strong> skis aux pieds ! « Vous ne voyez<br />

pas que c'est un drame ! » proteste Ginger,<br />

sans pouvoir endiguer les rires. C'est<br />

le triomphe... du comique involontaire,<br />

forme la plus humiliante du succès ! <strong>La</strong><br />

plaisanterie cesse d'être drôle quand, au<br />

milieu de l'hilarité générale, le malheureux<br />

Bolivar, en larmes, quitte la salle.<br />

Tout d'un coup, par un de ces changements<br />

de registre dont le cinéaste a le secret,<br />

la comédie vire, en effet, au drame...<br />

<strong>La</strong> pluie, qui toujours chez Capra participe<br />

de l'émotion, est ici, pour la première<br />

fois, providentielle. C'est elle qui<br />

force l'imposteur à tomber le masque. En<br />

faisant couler son maquillage, elle dissipe<br />

les faux-semblants, met fin aux quiproquos<br />

et permet au couple de se former.<br />

Car in fine, Don choisit la voie du cœur :<br />

il sacrifie une carrière lucrative pour rejoindre<br />

l'ingénue qu'il a si cruellement<br />

dupée. Son retour à la province et à la<br />

tente <strong>des</strong> saltimbanques est davantage<br />

qu'un mea culpa ; en se convertissant à la<br />

convivialité loufoque de la troupe itinérante,<br />

il accomplit une sorte de libération.<br />

Retour au naturel, sinon à la nature. Plutôt<br />

que les snobs de Broadway, Don choisit<br />

de divertir l'Amérique profonde, fûtce<br />

en « détournant » <strong>des</strong> spectacles plutôt<br />

vieillots. Gageons qu'avec Ginger<br />

pour partenaire, il saura les raviver et les<br />

rajeunir. <strong>La</strong> morale ? Avant de faire rire<br />

ou pleurer, il faut se trouver soi-même.<br />

Les paradoxes de la réussite ont toujours<br />

inspiré à Capra une profonde - et<br />

féconde - anxiété. Tous ses récits tournent<br />

peu ou prou, littéralement ou métaphoriquement,<br />

autour du succès et de ses<br />

revers : compromis, servitu<strong>des</strong>, trahisons,<br />

impostures... Le bonheur serait-il<br />

donc dans le dénuement, ainsi que le suggère<br />

The Matinée Idol ? Pour sa part, le cinéaste<br />

s'est bien gardé de sacrifier sa carrière<br />

hollywoodienne : « J'épousais la<br />

prostituée », avouera-t-il dans ses mémoires<br />

en évoquant le contrat qui le liait<br />

à la Columbia. On le reconnaît bien, néanmoins,<br />

dans les pirouettes de The Matinée<br />

Idol. L'ex-gagman de Mack Sennett n'a,<br />

pour le moment du moins, d'autre préoccupation<br />

que de divertir : « Amusez la<br />

foule et elle acceptera pratiquement<br />

n'importe quoi ! » <strong>La</strong> voie royale, c'est la<br />

comédie, qui dégonfle prétentions et conventions,<br />

celles <strong>des</strong> revues musicales à la<br />

mode comme celles <strong>des</strong> mélos passés de<br />

mode.<br />

L'Art avec une majuscule peut attendre.<br />

Pour volatiliser les contradictions<br />

de la vie, rien de tel que l'éclat de rire. Et<br />

pour se mettre à l'unisson du pays profond,<br />

rien ne vaut le slapstick. Aux literati<br />

et intellectuels de la ville, Capra préférera<br />

toujours les clowns et rimailleurs de province.<br />

En définitive, pour l'homme de<br />

spectacle, metteur en scène ou matinée<br />

idol, il n'y a pas de règles, ni de genres<br />

plus « nobles » que d'autres, seulement<br />

<strong>des</strong> péchés... « et le péché capital, c'est<br />

l'ennui ! ».<br />

Michael Henry<br />

LE CONTRAT DU SIÈCLE<br />

Chaque film est un contrat passé entre<br />

ceux qui le font et ceux qui le voient. Et<br />

même si le cinéma dit moderne a bouleversé<br />

plus d'une fois cette simple réciprocité,<br />

elle reste vraie et indispensable.<br />

Dans le cas de Frank Capra, loin d'être<br />

implicite, ce contrat était tout bonnement<br />

explicite. Ainsi, ses œuvres les plus célèbres<br />

prennent-elles régulièrement le<br />

spectateur à témoin et le font juge et partie.<br />

Il lui est même arrivé de faire de ce<br />

contrat, lui qui n'en avait pas en 1928<br />

pour travailler à la Columbia du terrible<br />

Harry Cohn, le sujet principal d'un film :<br />

c'est le cas et l'exemplarité de The Matinée<br />

Idol. Si bien que dans ce qu'elle dit déjà<br />

<strong>des</strong> émotions, de l'acteur, du public et du<br />

spectacle, cette œuvre de la fin du muet<br />

est comme l'avant-scène du show « capraien<br />

» à venir et la justification presque<br />

théorique de tout un System.<br />

Comme souvent chez Capra, et ici<br />

comme en amorce, The Matinée Idol est un<br />

double voyage initiatique : d'abord, celui<br />

de la troupe innocente quittant la calme<br />

province pour Broadway et sa rampe à<br />

risques. Et parallèlement, en sens inverse<br />

et en solitaire, celui de Don Wilson, acteur<br />

en crise. Un personnage qui met tout<br />

le film à être juste lui-même, utilisant un<br />

nom d'emprunt en fonction <strong>des</strong> circonstances,<br />

sans cesse dissimulé derrière un<br />

maquillage, un loup ou un paravent, si<br />

bien qu'il est toujours double : quand il a<br />

son vrai visage, son identité est fausse et<br />

quand il est lui-même, il avance masqué.<br />

Pas étonnant qu'il finisse par organiser<br />

un bal costumé 1 ! Déjà, Capra s'insurge<br />

contre une société en miroirs et lui oppose<br />

Bessie, caractère tout d'une pièce,<br />

sans double fond ni fond de teint, présenté<br />

au début du film en un gros plan<br />

très simple : pour Capra, le visage est la<br />

vérité d'un être (visages <strong>des</strong> acteurs, visages<br />

de spectateurs au spectacle). Déjà,<br />

il est l'ennemi d'un double langage, d'un<br />

double jeu, ennemi de la duplicité, du cynisme,<br />

de l'intellectualisme snob qui distancie<br />

et refroidit. C'est que le morceau<br />

de bravoure de The Matinée Idol est une<br />

même pièce de théâtre jouée deux fois ;<br />

la première représentation ravit un public<br />

de province et, bien sûr, c'est à lui que<br />

le film donne raison. Avec ses réactions<br />

immédiates, son empathie spontanée, le<br />

spectateur est en phase avec le spectacle<br />

et entretient avec les acteurs, qui le lui<br />

rendent bien, une relation d'amour. Flirtant<br />

avec le populisme (l'idée n'est pas<br />

loin que le spectateur serait le vrai metteur<br />

en scène <strong>des</strong> films qu'on lui montre),<br />

Capra pose alors cette relation comme la<br />

base d'un rapport non névrotique au<br />

spectacle, lieu privilégié d'une catharsis<br />

légitime qui, en retour, légitime la représentation<br />

et « l'éternisé ». C'est comme le<br />

champ-contrechamp : l'un n'existe pas<br />

sans l'autre, ils sont collés tels <strong>des</strong> frères<br />

siamois. Ce sont donc bien les New-Yorkais<br />

et leur sens critique (assimilé à un dédoublement<br />

de la personnalité) qui sont<br />

dans l'erreur. Alors, la première fois, la<br />

pièce est filmée d'assez près pour que le<br />

cadre épouse les contours du cube scénique,<br />

et la deuxième fois, prise de beaucoup<br />

plus loin, avec l'orchestre et le public<br />

en amorce du cadre, et une fois même<br />

vue du plafond 2 . D'une représentation à<br />

l'autre, le principe d'adhésion ne tient<br />

plus et le spectacle s'effondre.<br />

<strong>La</strong> relation d'exception entre les spectateurs<br />

et la représentation/projection<br />

fonde le cinéma non seulement comme<br />

art mais aussi comme institution. Si bien<br />

que le film de Capra, à l'époque charnière<br />

et inquiète du passage au parlant, énonce<br />

la règle numéro un sur laquelle repose et<br />

va reposer plus encore pendant trente ans<br />

tout le « studio System ». Cette règle est<br />

un accord idéal, un pacte de rêve, rêve de<br />

fusion (exit la rampe !), entre la scène et<br />

la salle, entre chaque film et son public :<br />

une règle si belle qu'on jurerait la version<br />

cinématographique du « rêve américain<br />

» (le melting-pot enfin accompli, et du<br />

côté de Capra-l'immigrant son accepta-<br />

tion par l'Amérique). Une règle tellement<br />

fondamentale qu'elle dépasse Frank Capra<br />

et qu'elle est, au même moment et régulièrement<br />

après, répétée par d'autres ;<br />

par King Vidor par exemple, en 1928 encore,<br />

dans Show People (Mirages). Quelques<br />

années plus tard, deux scènes de<br />

Sylvia Scarlett (George Cukor, 1935) et<br />

surtout Preston Sturges dans Sullivan's<br />

Travels I les Voyages de Sullivan (1941) réaffirmeront<br />

avec force que le public a raison<br />

de croire à la belle illusion, qu'il est<br />

juste de (faire) rire et de (faire) pleurer devant<br />

une image. En 1953 seulement 3 , à<br />

l'époque charnière et inquiète d'une passation<br />

<strong>des</strong> pouvoirs entre cinéma et télévision,<br />

Minnelli dans The Band Wagon<br />

(Tous en scène) pressentira que quelque<br />

chose de ce rapport de confiance est en<br />

train de changer irrémédiablement et<br />

commencera à fermer la marche de la<br />

longue cohorte <strong>des</strong> cinéastes classiques.<br />

Bernard Bénoliel<br />

THE MATINEE IDOL-189<br />

1 « Pensez-vous encore, que l'usage <strong>des</strong> masques soit<br />

approuvé de Dieu ? Je vous le demande. S'il défend<br />

toute sorte de simulacre, combien plus défendra-t-il<br />

qu'on défigure son image ? Non, non : l'auteur de la<br />

vérité ne saurait approuver rien de faux. Il regarde<br />

comme une espèce d'adultère tout ce qu'on réforme<br />

dans son ouvrage » (Tertullien : Traités sur l'ornement<br />

<strong>des</strong> femmes, les spectacles, le baptême et la patience, 200<br />

après J.-C, cité dans les Cahiers de me'diologie, n° 1,<br />

1996, p. 291-292). À la fin de The Matinée Idol, la pluie<br />

qui, plus encore que démaquille et démasque, lave<br />

littéralement l'acteur est bien sûr une eau lustrale déversée<br />

par « l'auteur de la vérité ».<br />

2 Sur ce plan pris du plafond, et pour d'autres<br />

exemples de différences, voir Dominique Païni :<br />

« The Matinée Idol de Frank Capra ou la loi de la<br />

foule », <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 6, automne 1994.<br />

3 1953 est « l'année-déclic » pour Alain Bergala, celle<br />

où « aux États-Unis, les cinéastes scénarisent la fin<br />

d'unétatdu cinéma et du public ». 1953 est aussi l'année<br />

que retient King Vidor dans son autobiographie<br />

pour marquer « la fin d'une époque et la naissance<br />

d'une autre ».


190 - ÉTATS-UNIS<br />

The Man Who <strong>La</strong>ughs,<br />

Conrad Veidt.<br />

The Man Who <strong>La</strong>ughs,<br />

Olga Baclanova.<br />

PAUL LENI<br />

THE MAN WHO LAUGHS<br />

L'HOMME QUI RIT<br />

1927 -Paul Leni<br />

Réal. : Paul Leni. Prod. : Universal Pictures (Pau/<br />

Kohner). Auteur : Victor Hugo, d'après son roman<br />

homonyme. Adapt. : Charles E. Whittaker, Marion<br />

Ward, MayMcLean. Se. : ). Grubb Alexander. « Story<br />

supervision » : Docteur Bela Sekely. Dir. ph. : Gilbert<br />

Warrenton. Dir. art. : Charles D. Hall, Joseph Wright,<br />

Thomas E. O'Neill. Cost. : David Cox, Vera West.<br />

Mont. : Maurice Pivar, Edward Cahn.<br />

Conseiller technique : Professeur R.H. Newlands.<br />

Int. : Mary Philbin (Dea), Conrad Veidt (Gwynplaine),<br />

Brandon Hurst (Barkilphedro), Cesare Gravina (Ursus),<br />

Olga Baclanova (la duchesse Josiane), Joséphine<br />

Crowell (la reine Anne), George Siegmann (le docteur<br />

Hardquanonne), Sam De Grasse (le roi Sacques II),<br />

Stuart Holmes (Lord Dirry-Moir), Nick De Ruiz<br />

(Wapentake), Edgar Norton (le grand Chancelier),<br />

Torben Meyer (l'espion), julius Molnar, Jr.<br />

(Gwynplaine enfant), Charles Pufty (l'aubergiste),<br />

Frank Puglia, Jack Goodrich (les clowns), Carmen<br />

Costello (la mère de Dea), Zimbo (Homo le loup).<br />

Date de sortie : 4 novembre 1928.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2922 m., 116 mn<br />

(à 22 i/s). Intertitres italiens. Noir et blanc.<br />

L'Angleterre de la fin du XVII' siècle. Le<br />

roi Jacques II fait exécuter son ennemi Lord<br />

Clancharlie et vend son jeune fils Gwynplaine<br />

aux Comprachicos, marchands d'enfants rendus<br />

monstrueux. Après avoir été défiguré -<br />

la bouche fendue d'un rictus permanent -<br />

puis abandonné, le jeune garçon sauve du<br />

froid un bébé aveugle, Dea. Tous deux sont<br />

recueillis par Ursus, un forain philosophe vivant<br />

dans une roulotte en compagnie d'Homo<br />

le loup. Les années ont passé. Gwynplaine,<br />

baptisé« L'homme qui rit », est désormais un<br />

célèbre comédien ambulant, amoureux en secret<br />

de la belle et douce Dea. Grâce au docteur<br />

Hardquanonne, un maître chanteur sont il se<br />

débarrasse, le bouffon Barkilphedro - âme<br />

damnée de Jacques II, à présent au service de<br />

la reine Anne - découvre l'ascendance noble<br />

de Gwynplaine. Afin de soumettre sa sœur la<br />

duchesse Josiane, la reine décide de rétablir<br />

« L'homme qui rit » dans ses droits et de le<br />

marier à celle-ci. Lors de son investiture à la<br />

Chambre <strong>des</strong> Lords, Gwynplaine renonce à<br />

son titre, dénonce la tyrannie aristocratique,<br />

plaide pour la liberté et s'enfuit. Il rejoint<br />

Ursus et Dea, bannis d'Angleterre et sur le<br />

point d'embarquer. Barkilphedro et ses sbires<br />

tentent de l'en empêcher, mais Homo se rue<br />

sur le bouffon, qui périt noyé.<br />

THELAST WARNING<br />

LE DERNIER AVERTISSEMENT<br />

1928-Paul Leni<br />

Réal. : Paul Leni. Prod. : Universal Pictures (Cari<br />

<strong>La</strong>emmle). Auteur : Thomas F. Fallon, d'après The <strong>La</strong>st<br />

Warning ; a Melodrama in Three Acts et Wadsworth<br />

Camp, House of Fear. Adapt. : Alfred A. Cohn, Robert<br />

F. Hill, l-G. Hawks. Se. : Alfred A. Cohn. Dir. ph. : Hal<br />

Mohr. Dir. art. : Charles D. Hall. Mont. : Robert<br />

Carliste. Int. : <strong>La</strong>ura <strong>La</strong> Plante (Doris), Montague Love<br />

(McHugh), Roy D'Arcy (Carlton), Margaret Livingston<br />

(Evalinda), lohn Boles (Qualie), BurrMcIntosh (josiah),<br />

MackSwain (Robert), BertRoach (Mike), Carrie<br />

Daumery (Barbara), Slim Summerville (Tommy),<br />

Torben Meyer (Gene), D'Arcy Corrigan (Woodford),<br />

Bud Phelps, Charles K. French, Francisco Maran, Ella<br />

McKenzie, Fred Kelsey, Tom O'Brien, Harry Northrup.<br />

Date de sortie : 6 janvier 1929.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2137 m., 85 mn<br />

(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />

Broadway, la nuit. Coup de théâtre au<br />

« Woodford theater » / Sur scène, John Woodford<br />

est tombé raide, comme foudroyé. <strong>La</strong> police<br />

interroge : les propriétaires du théâtre, les<br />

frères Bunce, le metteur en scène, les acteurs<br />

Harvey Carlton et Doris Terry, enfin Mike<br />

Brody le régisseur. Whodunit ?. Et puis, où<br />

est donc passé le corps du mort ?! Trois ans<br />

plus tard, « la maison du mystère » rouvre<br />

ses portes. Tous les acteurs de la tragédie se<br />

retrouvent en ce lieu, plus un certain Mc-<br />

Hugh qui a loué la salle et décidé de faire rejouer<br />

la pièce par ses créateurs. Mais Woodford<br />

en personne (!) a envoyé aux Bunce un<br />

télégramme d'avertissement. Et en effet, les<br />

signes d'une présence surnaturelle, hostile à<br />

la représentation, se multiplient; les uns et<br />

les autres sont mis en danger, par un décor<br />

qui tombe, une trappe qui s'ouvre, une fumée<br />

étrange. Tout le monde a <strong>des</strong> visions, entend<br />

<strong>des</strong> bruits, <strong>des</strong> pas... Carlton disparaît puis<br />

reparaît, en piteux état. Les soupçons pèsent<br />

sur Doris, d'autant qu'on découvre un couloir<br />

secret reliant sa loge à celle du mort (-vivant<br />

?). Le soir de la première, au moment de<br />

la scène fatale, le décor soudain change et la<br />

police monte sur scène. Dans le coffre de l'horloge<br />

: un homme à l'étrange figure qui monte<br />

dans les cintres. On le maîtrise finalement et<br />

McHugh lui arrache son masque : Mike, le régisseur,<br />

qui accuse le frère cadet <strong>des</strong> Bunce de<br />

s'être débarrassé de Woodford pour faire couler<br />

le théâtre et racheter les actions à bas prix !<br />

Tout le reste, les mystères, les disparitions,<br />

n'était que de la mise en scène pour éloigner<br />

les curieux de la vérité. À Broadway, la frénésie<br />

continue.<br />

191


192 - ÉTATS-UNIS<br />

LE SPECTRE<br />

DU SPECTACLE PERMANENT<br />

Les néons de Broadway scintillant<br />

dans la nuit (The hast Warning/le Dernier<br />

Avertissement), une roulotte de forain dans<br />

un paysage de campagne (The Man Who<br />

<strong>La</strong>ughs I l'Homme qui rit), rares sont les extérieurs<br />

dans les deux derniers films de<br />

la trop brève carrière américaine de Paul<br />

Leni (1885-1929), commencée en 1927<br />

grâce au succès de Das Wachsfigurenkabinett<br />

(le Cabinet <strong>des</strong> figures de cire, 1924).<br />

Dans The <strong>La</strong>st Warning, un acteur meurt<br />

sur scène, pendant la représentation de la<br />

pièce le Piège. Un policier, en se faisant<br />

passer pour un metteur en scène, convoque<br />

les acteurs et le personnel pour les répétitions<br />

de la même pièce, convaincu,<br />

lors de la première, que le moment fatidique<br />

à l'acteur, d'être rejoué en présence<br />

de tous les protagonistes, dévoilera la vérité<br />

sur ce crime. A partir d'une intrigue<br />

associant policier et fantastique, à la manière<br />

<strong>des</strong> récits de John Dickson Carr (le<br />

cadavre disparaît, son fantôme lance <strong>des</strong><br />

avertissements pour que la pièce ne soit<br />

pas rejouée), le film est une réflexion sur<br />

le jeu. <strong>La</strong> vérité vient moins <strong>des</strong> coulisses<br />

(une machinerie dissimulée dans le horschamp)<br />

que d'un lent cheminement <strong>des</strong><br />

personnages vers une représentation au<br />

carré où les acteurs, à la perspective de<br />

doubler un moment de théâtre à l'identique,<br />

craignent d'être pris à leur propre<br />

piège. Moment de vérité où il s'agit de<br />

faire la lumière sur le crime (le candélabre<br />

fatal), à l'instant voulu : le corps dissimulé<br />

dans l'horloge. Le décor de théâtre<br />

de The <strong>La</strong>st Warning où se concentre toute<br />

l'action devient une réalité cinématographique.<br />

Si le décor fait peur, au point de<br />

devenir une figure animée, vivante, c'est<br />

au travail de la caméra, à ses cadres et à<br />

ses mouvements, qu'il doit ce sentiment<br />

d'inquiétude qu'il engendre. Le cinéma<br />

de Paul Leni est le maillon essentiel entre<br />

le fantastique <strong>des</strong> années vingt (l'expressionnisme<br />

allemand) et le fantastique<br />

hollywoodien du début du parlant : The<br />

Old Dark House de Whale par exemple,<br />

bien plus représentatif par son style, son<br />

utilisation de la caméra, que le statique et<br />

théâtral The Black Cat d'Ulmer. Dans The<br />

<strong>La</strong>st Warning, c'est l'ordinaire du théâtre<br />

qui provoque le malaise. Une caméra sur<br />

une plate-forme qui remonte au niveau<br />

de la scène donne le vertige, tandis qu'un<br />

brusque lâcher de rideau, tel un couperet<br />

de guillotine suscite, pour le spectateur,<br />

l'angoisse de sa disparition. Bien avant<br />

l'innovation technologique du steadycam<br />

et de la louma qui vont modifier le visage<br />

du fantastique <strong>des</strong> années quatre-vingt,<br />

aussi bien chez Argento que chez Carpenter<br />

(le travelling subjectif haletant de<br />

l'assassin qui rôde), Leni fait de la caméra<br />

la source et le lieu de l'émotion cinématographique,<br />

plus heureux lorsqu'il s'agit<br />

de déclencher la peur que le rire. Au lieu<br />

d'assigner à la caméra le point de vue du<br />

fantôme qui rôde, partout et nulle part, le<br />

cinéaste transforme chaque mouvement<br />

en chambre d'écho du rythme cardiaque<br />

du spectateur. Le travelling avant vers la<br />

foule au balcon lors de la mort de l'acteur<br />

sur scène, ajouté à celui vers la porte fermée<br />

de sa loge, traduisent cette accélération<br />

tout en l'incitant. Là se situe la virtuosité<br />

parfaitement maîtrisée de Paul<br />

Leni pour qui la direction de spectateur,<br />

au sens où Hitchcock l'entendait, est inséparable<br />

du travail concret de la caméra.<br />

Autant The <strong>La</strong>st Warning est un film<br />

sur la vampirisation <strong>des</strong> puissances occultes<br />

du théâtre par le biais de l'instrument<br />

cinématographique, autant The Man<br />

Who <strong>La</strong>ughs, superbe adaptation du roman<br />

de Victor Hugo, est un film sur le<br />

jeu, indépendamment du cinéma (le<br />

spectacle de foire) et à cause de lui : la mimique<br />

comme point limite d'expression<br />

pour l'acteur dans l'art du muet. Seul ce<br />

cinéma peut rendre compte de la tragédie<br />

de Gwynplaine, « l'homme qui rit »,<br />

condamné à se produire sur scène suite à<br />

une mutilation qui déforme son visage,<br />

fendu par une grimace de la bouche qui<br />

évoque un immense éclat de rire. Si le rictus<br />

déformant trahit dans le cinéma muet<br />

une émotion du personnage, au sens<br />

d'exprimer un sentiment, de le rendre visible,<br />

le film de Paul Leni rend caduque<br />

cette loi. <strong>La</strong> crispation qui afflige le visage<br />

de « l'homme qui rit » dénature la véritable<br />

émotion qu'il ressent, se révélant incapable<br />

d'incarner en surface une palette<br />

de sentiments au gré <strong>des</strong> situations. <strong>La</strong><br />

mimique prostrée, fossilisée dans une<br />

rhétorique on ne peut plus sommaire,<br />

support canonique de l'expressivité de<br />

l'acteur dans le cinéma muet, devient un<br />

art du masque, un injuste mensonge plaqué<br />

sur le visage de l'acteur au crédit du<br />

personnage, impuissant à véhiculer l'intériorité<br />

de l'être, empêchant cette vérité<br />

de comparaître. D'ailleurs, Conrad Veidt<br />

déclara à l'époque : « J'ai joué le rôle avec<br />

mes yeux. » On devine que la voix du personnage<br />

de Gwynplaine, inaudible, est<br />

aussi ce qui peut trahir une émotion authentique,<br />

contrepoint permanent au discours<br />

trompeur du visage. De même la<br />

Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer dénude<br />

le visage et halluciné la voix et sa respiration<br />

sous les palpitations de peau, de<br />

même, par l'art du masque, celui du<br />

théâtre grec, Paul Leni filme la présence<br />

vivante de la voix, suggère sa capacité à<br />

exprimer <strong>des</strong> sentiments, indépendamment<br />

d'un visage-rictus qu'elle rend obsolète,<br />

appelant une autre manière de<br />

jouer, au-delà d'un grotesque tendu à son<br />

point limite. Le rire permanent qui défigure<br />

Gwynplaine est le théâtre d'un art<br />

du jeu, son ultime spasme, que l'arrivée<br />

du parlant va anéantir.<br />

Gwynplaine, interprété par Conrad<br />

Veidt, est un personnage monstrueux<br />

sans que la difformité physique soit le<br />

sujet du film. Ce qui intéresse Leni, tout<br />

comme un peu plus tard Browning dans<br />

Freaks, est le regard <strong>des</strong> autres sur elle. Le<br />

calvaire du personnage, son drame, vient<br />

du fait que sa difformité fait de lui l'objet<br />

d'un spectacle permanent, auquel il lui<br />

est impossible d'échapper. Le moment<br />

où « l'homme qui rit » confie à Dea, la<br />

jeune femme aveugle qu'il aime, son intention<br />

de l'épouser tout en étant surpris<br />

en cachette par <strong>des</strong> enfants qui se moquent<br />

de lui au vu de son visage, fait du<br />

personnage l'équivalent d'un clown<br />

triste qui n'aurait plus la possibilité de se<br />

démaquiller. Autre vampirisation, celle<br />

du paraître scénique sans espoir de retour<br />

à l'être d'origine qu'il masque et finit<br />

par détruire, dans un monde où la frontière<br />

entre le personnage sur scène et<br />

l'homme dans la vie est définitivement<br />

ruinée. Idée relancée, dans une version<br />

plus optimiste, par ce moment superbe<br />

où la troupe, pour pallier l'absence de<br />

« l'homme qui rit » qu'on croit mort,<br />

mime le spectacle pour les oreilles de<br />

Dea, l'aveugle qui croit toujours à sa présence.<br />

Autour de Gwynplaine, il y a une figure<br />

paternelle bienveillante, Ursus (le<br />

formidable Cesare Gravina, acteur fétiche<br />

de Stroheim) et deux femmes. <strong>La</strong><br />

douce et angélique Dea (Mary Philbin),<br />

tout droit sortie du registre <strong>des</strong> soeurs<br />

Gish dans Orphans of the Storm/les Deux<br />

Orphelines, et l'inoubliable duchesse Josiane<br />

(Olga Baclanova), sommet d'érotisme<br />

à rendre jaloux le Stroheim de<br />

Queen Kelly. <strong>La</strong> scène du bain, le moment<br />

où elle ouvre son vêtement, aussitôt cachée<br />

par la cape de « l'homme qui rit », le<br />

désordre de la fête foraine (les mains <strong>des</strong><br />

hommes sur son corps, la jupe au vent sur<br />

un manège, sa façon de se déshabiller<br />

dans le carrosse) confirment cette hypothèse<br />

: le sens du spectacle, celui de la démesure<br />

visuelle (décors, foule, figurants)<br />

a souvent pour corollaire chez certains cinéastes<br />

(Stroheim, Intolérance de Griffith)<br />

la propension à dénuder les corps <strong>des</strong><br />

femmes. Pour beaucoup, Olga Baclanova<br />

(1899-1974) est l'actrice d'un dernier rôle,<br />

celui de Freaks où, en Cléopâtre, elle feint<br />

d'aimer le nain Hans pour lui soutirer de<br />

l'argent. Dans The Man Who <strong>La</strong>ughs, elle<br />

est attirée sexuellement par la monstruosité<br />

de Gwynplaine (ce rôle a-t-il influencé<br />

Browning pour lui attribuer celui<br />

de Freaks ?) et le moment où elle tente de<br />

1 embrasser, avec une maladresse évidente<br />

et visible en raison du manque de<br />

souplesse <strong>des</strong> lèvres de l'homme, dégage<br />

une force incroyable. De même la scène<br />

de leur rencontre au spectacle, subtil dispositif,<br />

entre la duchesse au fond et Dea,<br />

dissimulée derrière la toile de fond du<br />

décor et révélée à l'issue du spectacle.<br />

L'érotisme à distance entre Gwynplaine<br />

sur scène et la duchesse Josiane se fonde<br />

sur un échange de gestes complémentaires,<br />

entre elle qui dissimule ses yeux<br />

avec son masque et lui sa bouche avec sa<br />

cape. De l'œil à la bouche en passant par<br />

la main, le circuit du désir est mis en<br />

place. Tout spectaculaire que le film soit,<br />

de la manière la plus impressionnante,<br />

cette ivresse carnavalesque s'achève le<br />

plus souvent dans le spectacle d'une<br />

PAUL LENI - 193<br />

main. Celles du fantôme qui grattent<br />

dans The <strong>La</strong>st Warning, celles de l'aveugle<br />

dans The Man Who <strong>La</strong>ughs. Bouche de<br />

Gwynplaine qui, aussi démesurée soitelle,<br />

ne sera jamais assez grande pour répondre<br />

aux lèvres d'une femme. Ainsi le<br />

plan, en dernière instance, est-il une surface<br />

de pur toucher (la main et la surface<br />

du corps ou de la toile) ou une surface<br />

trouée : la bouche comme orifice, miroir<br />

déformant de l'envie toute puissante<br />

qu'elle inspire. C'est à partir de là que la<br />

spirale du carnavalesque puise sa véritable<br />

énergie pour nous entraîner dans<br />

son tourbillon incessant.<br />

Charles Tesson


194 - ÉTATS-UNIS<br />

THE LONE DEFENDER<br />

1930-Richard Thorpe<br />

Réal. : Richard Thorpe. Prod. : Mascot Pictures.<br />

Se. : William Burt, Ben Cohn. Dial. : William Burt,<br />

Ben Cohn. Dir. ph. : Ernest Miller. Mont. : Fred Baine.<br />

Enregistré sur « Disney Recording System ». Powers<br />

Cinephone, système sonore. Int. : Rin-Tin-Tin (Rinty),<br />

Walter Miller (Ramon), June Marlowe (Dolores<br />

Valdez), Joseph Swickard (Juan Valdez), Buzz Barton<br />

(Buzz), Lee Shumway (Amos Harkey), Julia Bejarano<br />

(« The duenna »), <strong>La</strong>fe McKee (le shérif Billings),<br />

Arthur Morrison (Limpy), Frank <strong>La</strong>nning (Burke),<br />

Robert Kortman Qenkins), Victor Metzetti (Red), Otto<br />

Metzetti (Butch), Bob Irwin, Arthur Metzeth, Billy<br />

McGowan. Chapitre un : « The Mystery of the<br />

Désert ». Chapitre deux : « The Fugitive ». Chapitre<br />

trois : « Jaws of Péril ». Chapitre quatre : « Trapped ».<br />

Chapitre cinq : « Circle of Death ». Chapitre six :<br />

« Surrounded by the <strong>La</strong>w ». Chapitre sept : « The<br />

Ghost Speaks ». Chapitre huit : « The Brink of<br />

Destruction ». Chapitre neuf : « The Avalanche ».<br />

Chapitre dix : « Fury of the Désert ». Chapitre onze :<br />

« Cornered ». Chapitre douze : « Vindicated ».<br />

Date de sortie : Distribué en 1930, le sériai The Lone<br />

Defender est ressorti en 1934 dans une version<br />

abrégée (un long métrage en six bobines).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 5222 m., 190 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

Amos Harkey, chef d'une bande de brigands<br />

patibulaires, un personnage ambigu<br />

qui dit s'appeler Ramon, un bandit de grand<br />

chemin connu comme le Cactus Kid... Tous<br />

tournent autour d'une jeune femme, Dolores<br />

Valdez, et de la montre de son père défunt qui<br />

contient, gravé dans son boîtier, un plan pour<br />

accéder à une mine d'or non déclarée. Entourée<br />

de vilains, sans cesse en passe d'être piétinée<br />

par une horde de chevaux sauvages, de<br />

brûler vive dans une maison en flammes ou<br />

de périr sous un éboulis de roches, Dolores<br />

fait face ', avec l'aide de l'actif Ramon qui se<br />

révèle un gentil, d'un jeune garçon nommé<br />

Buzz,. du vieux shérif et du fidèle Rinty, le<br />

chien de la famille. Sans cesse, la montre<br />

change de main, tous les murs ont <strong>des</strong> oreilles<br />

et les fenêtres <strong>des</strong> yeux. Les chevauchées succèdent<br />

aux poursuites, les coups de feu et les<br />

bagarres sont légion, <strong>des</strong> tempêtes de sable<br />

s'en mêlent, Rinty se démène et fait <strong>des</strong> miracles.<br />

Mille fois, la bonne cause semble perdue<br />

surtout quand, la mine découverte, Amos<br />

Harkey arrive le premier au bureau d'enregistrement.<br />

Mais Rinty démasque le meurtrier<br />

du vieux Valdez, un homme de main<br />

d'Harkey, lui-même se révélant le fameux<br />

Cactus Kid recherché par toutes les polices.<br />

« Ramon » peut enfin tomber le masque : il<br />

est un agent du département de la justice américaine<br />

et Buzz est son associé ! Dolores est<br />

contente, elle a récupéré sa mine.<br />

GALOPS D'ESSAI<br />

Richard Thorpe a trente quatre ans<br />

lorsqu'il tourne The Lone Defender, en<br />

1930. Il ne s'agit pourtant pas réellement<br />

d'une œuvre de jeunesse puisque le futur<br />

auteur d'Ivanhoe et de Night Must Fall a<br />

plus de soixante films à son actif, depuis<br />

ses débuts en 1924 !<br />

C'est donc un jeune vétéran de la série<br />

B, et notamment du western, qui met en<br />

scène ici son cinquième sériai pour Mascot<br />

Pictures. Thorpe vient déjà de signer<br />

Vultures of the Sea (1928), The Vanishing<br />

West (1928), The Fatal Warning (1929) et<br />

King of the Kongo (1929) dans lequel il dirigeait<br />

Walter Miller, son interprète de<br />

The Lone Defender.<br />

Thorpe affronte une succession de<br />

handicaps : le passage du muet au parlant,<br />

une distribution médiocre, la présence<br />

du chien Rin-Tin-Tin, alors âgé de<br />

quatorze ans - il mourra deux ans plus<br />

tard - et surtout le style même du sériai.<br />

Autant Republic Pictures parvint à la<br />

fin <strong>des</strong> années trente et dans les années<br />

quarante à donner au genre un certain<br />

style grâce à <strong>des</strong> cinéastes tels que William<br />

Witney ou John English et à la présence<br />

d'une équipe exceptionnelle de cascadeurs<br />

survoltés et plus téméraires les<br />

uns que les autres, autant les autres compagnies<br />

furent la plupart du temps victimes<br />

de cette construction factice qui accumulait<br />

les dangers pour mieux permettre<br />

au héros d'y échapper la semaine<br />

d'après.<br />

Dans la tradition du genre, The Lone<br />

Defender ajoute les fausses fins les unes aux<br />

autres, les principaux protagonistes étant<br />

menacés par tous les périls possibles, de<br />

toutes les chutes imaginables jusqu'à un<br />

invraisemblable produit <strong>des</strong>tiné d'ordinaire<br />

à éliminer les taupes et qui risque<br />

cette fois d'asphyxier nos héros.<br />

A peine le spectateur est-il persuadé<br />

d'avoir vu Rinty, Ramon ou Dolores dans<br />

<strong>des</strong> situations inextricables que l'épisode<br />

suivant lui révèle - bien avant Hitchcock<br />

et quelques autres - le pouvoir fallacieux<br />

que peut avoir l'image de cinéma. Il n'est<br />

pourtant pas question de s'interroger ici<br />

sur les rapports entre la vérité et les apparences<br />

et The Lone Defender est avant<br />

tout <strong>des</strong>tiné à mettre en valeur les<br />

prouesses - réelles - de Rin-Tin-Tin et de<br />

ses doublures et à démasquer à la fin du<br />

douzième épisode celui que l'on recherche<br />

sous le nom de The Cactus Kid.<br />

Au lieu de n'être qu'un sériai de série,<br />

bâclé par un habitué du genre, The Lone<br />

Defender bénéficie - comme King of the<br />

Wild réalisé par Thorpe la même année -<br />

de la conviction et de l'efficacité de son<br />

metteur en scène. Comme si Richard<br />

Thorpe avait fini par se prendre luimême<br />

au jeu, entremêlant les péripéties<br />

les plus insensées les unes aux autres,<br />

abandonnant provisoirement un personnage<br />

pour le retrouver quelques minutes<br />

plus tard et déjouant avec un certain plaisir<br />

le labyrinthe de l'intrigue. Que The<br />

Lone Defender ne possède pas le génie <strong>des</strong><br />

œuvres maîtresses de Thorpe est une évidence.<br />

C'est un film de compromis entre<br />

d'une part un genre aux conventions immuables<br />

et de l'autre un cinéaste qui, film<br />

après film, apprend son métier, passant<br />

du western au drame de mœurs, de<br />

l'aventure africaine à la comédie sophistiquée.<br />

Ce ne sera que cinq ans plus tard, en<br />

arrivant à la Metro-Goldwyn-Mayer et en<br />

réalisant aussitôt deux films aussi intéressants<br />

que Lflsf ofthe Pagans et The Voice<br />

ofBugle Ann, que Richard Thorpe pourra<br />

laisser éclater sa maîtrise et son talent. Bénéficiant<br />

alors de la meilleure équipe<br />

technique d'Hollywood, il saura devenir<br />

l'un <strong>des</strong> cinéastes les plus talentueux de<br />

la firme du lion.<br />

Pour l'heure, le chemin est encore long de The Lone Defender à Vengeance Valley<br />

(1951) , superbe western crépusculaire à redécouvrir, et jusqu'à The Prisoner ofZenda<br />

(1952) ou Ail the Brothers Were Valiant (1953), joyaux du cinéma d'aventures...<br />

Patrick Brion<br />

THE LONE DEFENDER-


196-ÉTATS-UNIS<br />

TALENT AUCTION<br />

1938 - Milton Schwarzwald<br />

MILTON SCHWARZWALD<br />

Réal. : Milton Schwarzwald. Prod. : Nu-Atlas<br />

Productions. Dir. ph. : <strong>La</strong>rry Williams.<br />

Dir. art. : William Saulter. Son : A. Dillinger.<br />

Mus. : Jack Schaindlin. Direction musicale : Josef<br />

Gershenson. Int. : Irène Beasely, the Merry Macs, The<br />

Five Reillys, Paul Robinson, Bobby Bernard.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 470 m., 17 mn. Version<br />

originale. Noir et blanc.<br />

Une vente aux enchères de numéros musicaux<br />

chantés ou dansés. Dans l'ordre déliassage<br />

: les Merry Macs, danseurs et chanteurs<br />

émérites, Paul Robinson et ses harmonicas de<br />

différentes tailles, une danseuse contorsionniste,<br />

les Five Reillys (trois garçons, deux<br />

filles), <strong>des</strong> chanteuses-danseuses de mambo.<br />

LA PETITE PARADE<br />

Ce court métrage est doté d'un script<br />

qu'il serait aventureux de qualifier d'ambitieux.<br />

L'histoire est en effet peu complexe<br />

: une vente aux enchères permet de<br />

montrer <strong>des</strong> numéros de music-hall, un<br />

enchérisseur étant supposé faire une offre<br />

pour acquérir le spectacle. Bref, c'est<br />

un sympathique fourre-tout.<br />

On y admire, avec une indulgence<br />

qu'il faut bien qualifier de coupable, une<br />

« brunette quatorze carats » entourée de<br />

trois « boys » justifiant assez laborieusement<br />

l'appellation de « chantants », un<br />

orchestre qui interprète un démarquage<br />

de Figer Rag en se levant toutes les quatre<br />

mesures ce qui, dans le cas d'un morceau<br />

ultra-rapide comme celui-là, fait davantage<br />

songer à la gymnastique suédoise<br />

qu'à Duke Ellington, un groupe de danseurs<br />

acrobatiques par ailleurs fort éloignés<br />

<strong>des</strong> prodiges du jitterbug et du lindy<br />

hop du Savoy de Harlem, et puis encore<br />

un octet apparemment enthousiaste de<br />

skiffle américano-tyrolien offrant en apothéose<br />

un solo de pipeau accompagné de<br />

percussions à la cuiller. À cet instant précis,<br />

le vertige nous prend ; non que le numéro<br />

soit ébouriffant, mais quatre plans<br />

au lieu de l'unique plan habituel créent<br />

une accélération presque insoutenable.<br />

Mentionnons encore ce joueur d'harmonicas<br />

qui, au sens littéral, exécute Figer<br />

Rag sur de multiples instruments qu'il<br />

sort successivement de son habit, ce qui<br />

l'empêche sans doute de swinguer autrement<br />

qu'un fer à souder, et cette danseuse<br />

au pelvis fantasmatique mêlant habilement<br />

la danse classique et la contorsion<br />

gymnique.<br />

Puis, c'est l'exotisme le plus déroutant<br />

avec deux duettistes mexicaines<br />

chantantes nous révélant que « leur sombrero<br />

est un ami », et un groupe à la Xavier<br />

Cugat, manifestement kitsch, mais<br />

indubitablement entraînant.<br />

Sans déflorer la chute de cette prenante<br />

histoire, il convient de signaler<br />

qu'aucune enchère ne permettra au spectacle<br />

d'être acheté.<br />

On s'étonne.<br />

Jean-Pierre Jackson<br />

FRED ASTAIRE<br />

SECOND CHORUS<br />

SWING ROMANCE<br />

1940-H.C. Porter<br />

Réal. : H.C. (Henry Codman) Potter.<br />

Prod. : Paramount Pictures {Boris Morros, Robert<br />

Stillman). Prod. ass. : Fred Astaire. Auteur : Frank<br />

Cavett, d'après son histoire originale. Se. : Elaine<br />

Ryan, lan McLellan Hunter, Johnny Mercer.<br />

Asst. réal. : Edward Montague. Dir. ph. : Theodor<br />

Sparkuhl. Son : William Wilmarth. Dir. art. : Boris<br />

Leven. Déc. : Howard Bristol. Cost. : Helen Taylor.<br />

Mont. : Jade Dennis. Mus. : Artie Shaw.<br />

Chansons : Johnny Mercer, Hal Borne, Bernard<br />

Hanighen, Artie Shaw. Chorégraphie : Hermès Pan.<br />

Fred Astaire est doublé à la trompette par Bobby<br />

Hackett et Burgess Meredith par Billy Butterfield.<br />

Int. : Fred Astaire (Danny O'Neill), Paulette Goddard<br />

(Ellen Miller), Artie Shaw (lui-même, avec son<br />

orchestre), Charles Butterworth (Mr. Chisolm), Burgess<br />

Meredith (Hank Taylor), Frank Melton (Stu), Jimmy<br />

Conlon (Mr. Dunn), Adia Kuznetzoff (Boris), Mickael<br />

Visarroff (Serga'i), Joseph Marievsky (Ivan).<br />

Date de sortie : 3 juin 1941,9 avril 1947 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2286 m., 84 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

Deux amis trompettistes, Danny O'Neill<br />

et Hank Taylor, en plus d'être rivaux sur<br />

scène, en pincent dans les coulisses pour Ellen<br />

Miller, leur jolie imprésario, qui se démène<br />

pour eux et décroche <strong>des</strong> contrats. Tant et si<br />

bien qu'à leur sortie de l'université le grand<br />

Artie Shaw en personne veut les entendre.<br />

Mais il n'écoute rien de la double prestation<br />

et c'est Ellen qu'il engage comme secrétaire.<br />

À New York, elle obtient de son patron une<br />

vraie audition pour ses deux amis. Mais plus<br />

que jamais en compétition, chacun sabote la<br />

chance de l'autre. Virés, ils survivent de leur<br />

art et continuent de tourner autour d'Ellen,<br />

au point défaire fuir le gentil monsieur Chisolm,<br />

accessoirement mécène du prochain<br />

concert d'Artie... Conscient de son erreur,<br />

Danny promet de tout arranger. Ce qu 'il fait,<br />

réussissant même, avec la complicité involontaire<br />

de Hank, à apparaître seul sur scène<br />

dans un numéro de chef d'orchestre dansant.<br />

Aux applaudissements du public, s'ajoutent<br />

ceux d'Ellen, conquise.<br />

HOLIDAY INN<br />

L'AMOUR CHANTE ET DANSE<br />

1942-Mark Sandrich<br />

Réal. : Mark Sandrich. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Mark Sandrich). Auteur : Irving Berlin. Adapt. : Elmer<br />

Rice. Se. : Claude Binyon. Dir. ph. : David Abel,<br />

A.S.C. Son : Earl Hayman, John Cope. Dir. art. : Hans<br />

Dreier, Roland Anderson. Cost. : Edith Head.<br />

Maq. : Wally Westmore. Mont. : Ellsworth Hoagland.<br />

Paroles et musiques : Irving Berlin.<br />

Direction musicale : Robert Emmett Dolan.<br />

Assistant musique : Arthur Franklin.<br />

Arrangements vocaux : Joseph Lilley.<br />

Arrangements spéciaux : Bob Crosby's Band.<br />

Chorégraphie : Danny Dare. Voix chantée de<br />

Marjorie Reynolds : Martha Mears. Int. : Bing Crosby<br />

(Jim Hardy), Fred Astaire (Ted Hanover), Marjorie<br />

Reynolds (Linda Mason), Virginia Dale (Lila Dixon),<br />

Walter Abel (Danny Reed), Louise Beavers (Mamie),<br />

Irving Bacon (Gus), Marek Windheim (François),<br />

James Bell (Dunbar), John Gallaudet (Parker), Shelby<br />

Bacon (Vanderbilt), Joan Arnold (Daphne), Léon<br />

Belasco (le propriétaire du magasin de fleurs), Harry<br />

Barris (le chef d'orchestre), Judith Gibson (la fille aux<br />

cigarettes), Katharine Booth (la fille du vestiaire).<br />

Date de sortie : 17 juin 1942, 7 mai 1947 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2749 m., 100 mn.<br />

Version originale sous titrée en français. Noir et blanc.<br />

New York, un 24 décembre. Trois artistes,<br />

Jim, Ted, Lila, chantent et dansent ensemble<br />

dans un club. Fatigué d'une vie itinérante,<br />

rêvant de vraies vacances, Jim a décidé<br />

d'épouser Lila et de devenir fermier. <strong>La</strong> jeune<br />

femme, loin dépenser àsa retraite, veut continuer<br />

à danser avec Ted. Aussi part-il seul<br />

dans le Connecticut. Un an s'écoule durant<br />

lequel Jim découvre les joies et surtout les<br />

peines du travail à la campagne. Il a alors<br />

197<br />

l'idée de convertir sa ferme en auberge, l'Holiday<br />

Inn, ouverte seulement les jours de fêtes<br />

nationales. Il sonne le rappel de ses amis -<br />

sans succès - et demande à Danny, son exmanager,<br />

de lui envoyer <strong>des</strong> vedettes. Pour se<br />

débarrasser de Linda, une vendeuse de fleurs<br />

désireuse de brûler les planches, celui-ci lui<br />

donne l'adresse de l'Holiday Inn. Or, Jim lui<br />

trouve du talent (du charme aussi) et l'engage.<br />

L'auberge ouvre le 31 décembre. Au même<br />

moment, Lila part au Texas épouser un<br />

millionnaire et Ted, complètement ivre, file<br />

dans le Connecticut. À l'auberge, il danse à<br />

merveille avec Linda mais le lendemain il est<br />

incapable de se souvenir de son visage. Accompagné<br />

de Danny, il revient à chaque ouverturepour<br />

retrouver sapartenaire d'un soir<br />

tandis que Jim s'ingénie à la leur cacher. Les<br />

spectacles suivent le calendrier : les anniversaires<br />

de Lincoln et de Washington, la Saint-<br />

Valentin, le jour de l'Indépendance, Thanksgiving...<br />

Ted et son manager ont finalement<br />

identifiéla danseuse mystère. Furieuse contre<br />

Jim de son manque de confiance en elle, Linda<br />

part pour Hollywood tourner un film avec<br />

Ted intitulé... Holiday Inn. Jim reste seul<br />

avec ses souvenirs et ses regrets. Mais il apprend<br />

que le couple à l'écran va le devenir<br />

aussi à la ville. <strong>La</strong> veille du mariage qui est<br />

aussi le soir de Noël, il déboule sur le plateau<br />

de tournage et ramène Linda en Nouvelle-Angleterre.<br />

Le 31, l'auberge rouvre avec Ted en<br />

invité d'honneur. Lila est revenue pour danser<br />

avec lui et, sur la scène, les couples se forment<br />

enfin.<br />

ASTAIRE EN DEUX TEMPS<br />

(ET TROIS MOUVEMENTS)<br />

A la veille de la guerre, la comédie<br />

musicale traverse une crise, où il y va de<br />

sa définition même. Les studios qui<br />

avaient le mieux contribué à l'organisation<br />

de ses formules de base, MGM, RKO,<br />

Warner, semblent s'en désintéresser et<br />

n'y remportent aucun succès décisif. Difficultés<br />

financières ? Hésitation devant la<br />

couleur ? Diminution de la production ?


198- ÉTATS-UNIS<br />

Ces causes sont occasionnelles. Le péril<br />

touche le rapport fragile entre l'élément<br />

spectaculaire et le déroulement dramatique<br />

qui le supporte. Fabriqués à la hâte<br />

par Fox ou Universal, de multiples ouvrages<br />

à bon marché prennent prétexte<br />

de la vie étudiante ou <strong>des</strong> émissions de<br />

radio pour aligner <strong>des</strong> numéros parfois<br />

médiocres, sans songer à les justifier dans<br />

l'intrigue ou la thématique de l'œuvre. Le<br />

principe de l'énumération brillante, qui<br />

est le propre de la revue, se trouve ainsi<br />

maladroitement confondu avec celui <strong>des</strong><br />

ingénieuses imbrications du musical et<br />

du narratif, dont les films d'Astaire et<br />

Rogers avaient établi le type. Une inflation<br />

caricaturale dévalue le modèle, une<br />

légion de vedettes bizarres, patineuse ou<br />

enfants prodiges, menace de ravaler le talent<br />

du danseur au rang de l'épate.<br />

Entre sa période RKO et sa période<br />

MGM, la carrière d'Astaire connut donc<br />

quelques incertitu<strong>des</strong>. Second Chorus (Swing<br />

Romance) n'en témoigne que trop. Le film<br />

emprunte aux banales bluettes <strong>des</strong> campus.<br />

L'acteur y renoue avec l'emploi comique<br />

qui lui avait valu, vingt ans plus<br />

tôt, tant de succès à la scène : c'est au prix<br />

du romanesque que comportaient ses<br />

duos avec Ginger Rogers. Il n'a guère que<br />

deux occasions de manifester son génie<br />

de danseur. Dig It, où il entraîne Paulette<br />

Goddard, gracieuse, hésitante, à la délicatesse<br />

d'un amour commençant : l'entrelacs<br />

<strong>des</strong> paroles et du chant, puis de la<br />

danse, l'orchestre passant au second plan<br />

pour laisser place au pas de deux, les<br />

gestes simples et un peu vagues, le va-etvient<br />

latéral de la caméra qui élargit l'espace.<br />

Un style timide mais frais. C'est<br />

aussi une jolie invention, dans une autre<br />

scène, que d'avoir permis à Astaire de<br />

chanter en coulisses pour le seul bénéfice<br />

de Paulette Goddard, mais sur la mélodie<br />

qu'interprètent les musiciens d'Artie<br />

Shaw dans la salle, musiciens aperçus<br />

derrière la vitre d'une porte battante. En<br />

revanche, même quand Astaire au finale<br />

conduit l'orchestre en dansant, le réalisateur<br />

n'a pas su épouser le bel ordre mé-<br />

canique de cette formation, qui est la véritable<br />

vedette.<br />

Astaire, qui a toujours défendu le film<br />

malgré son insuccès, disait avoir été attiré<br />

par son aspect « jazz » ; mais lorsque<br />

son personnage fait <strong>des</strong> couacs, ses fautes<br />

évoquent les « notes chinoises » de Dizzy<br />

Gillespie. L'ouvrage se <strong>des</strong>tinait au jeune<br />

public, avide de voir les orchestres qu'il<br />

entendait à la radio : cela explique la<br />

scène comique la mieux venue, où Astaire,<br />

étudiant attardé, se réjouit de son<br />

échec à l'examen qui l'assure de demeurer<br />

trompettiste à l'université. Somme<br />

toute, les longueurs de la comédie font regretter<br />

qu'un numéro où Hermès Pan<br />

dansait en fantôme avec Astaire n'ait pas<br />

été retenu dans le montage définitif.<br />

Si Second Chorus menaçait d'engloutir<br />

Astaire dans le tout-venant du musical<br />

plébéien, la vigueur de sa construction,<br />

l'élégance de sa réalisation, les treize chansons<br />

d'Irving Berlin, la richesse du sujet<br />

font de Holiday Inn (L'amour chante et danse)<br />

une comédie musicale brillante ; il n'y<br />

manque qu'une chorégraphie plus inventive.<br />

<strong>La</strong> présence de Bing Crosby, dont le<br />

danseur n'est ici que le faire-valoir, autorisait<br />

un budget important ; elle n'était pas<br />

sans danger pour Astaire, comme l'a noté<br />

Yann Tobin (Positif, n° 295), mais celle de<br />

Mark Sandrich pouvait le rassurer.<br />

Or, l'opposition entre Crosby et Astaire,<br />

que traduit leur rivalité sentimentale,<br />

s'avère fructueuse. Elle figure l'antagonisme<br />

du chant et de la danse, et aussi<br />

l'antithèse entre loisir campagnard et activité<br />

débordante ; donc, la contradiction<br />

entre ces valeurs capitales du musical que<br />

sont le dynamisme et la nonchalance. Reprise<br />

à l'épilogue, la chanson initiale<br />

apaise les conflits qu'elle avait posés en inversant<br />

les rôles entre danseur et chanteur,<br />

rivaux en amour sur scène comme<br />

dans la vie. Le rapport entre l'élément musical<br />

et le récit qu'il interrompt fait donc<br />

l'objet d'un traitement global et réfléchi.<br />

Berlin souhaitait célébrer les fêtes du<br />

calendrier par autant de chansons. Cette<br />

structure est établie par une séquence de<br />

montage, que Crosby accompagne en<br />

voix off (<strong>La</strong>zy), tandis que son personnage<br />

subit au fil <strong>des</strong> mois les avanies de<br />

la vie paysanne. Un ou deux numéros<br />

illustreront les jours fériés, avec régularité.<br />

Voilà une temporalité cyclique :<br />

l'histoire commence à Noël et se termine,<br />

deux années plus tard, au Nouvel An.<br />

Le film confronte aussi temps naturel<br />

et temps historique. À la chanson-calendrier<br />

répond, autre séquence de montage,<br />

l'évocation de l'armée américaine', avec<br />

Song ofPreedom : au fond de la scène; <strong>des</strong>troyers<br />

et bombardiers défilent sur un<br />

écran, contrepoint paradoxal à la voix<br />

suave de Crosby. Aux travellings enchaînés<br />

qui suivent la promenade champêtre<br />

(Easter Parade) s'oppose le découpage<br />

d'Abraham où, dans un bel espace unanimiste,<br />

la scène s'accroit du proscenium,<br />

de la salle, de la cuisine, les contrechamps<br />

entrant dans le jeu. L'illustration <strong>des</strong> saisons<br />

alterne avec celle <strong>des</strong> héros américains,<br />

Lincoln ou Roosevelt, l'anniversaire<br />

de Washington ne donnant lieu qu'à<br />

une parodie sur un rythme qui croise menuet<br />

etjitterbug de façon que le heurt <strong>des</strong><br />

tempos résume le conflit <strong>des</strong> temporalités.<br />

Mais ces dernières finissent par s'harmoniser<br />

dans la composition d'ensemble.<br />

<strong>La</strong> mise en scène souligne la variété <strong>des</strong><br />

numéros musicaux et de leurs fonctions.<br />

Spectacle, répétition, expression spontanée<br />

: que d'ingénieux mélanges ! Un traitement<br />

raffiné de l'espace en accentue le<br />

relief. Quand Crosby chante White Christmas<br />

à sa belle, Sandrich insère une prise<br />

oblique parmi les plans de face, afin de<br />

nimber ces deux visages dans un halo, expression<br />

de l'élément magique que suscite<br />

la musique. Pour Holiday Inn, la chanson,<br />

à mi-chemin entre le théâtre et la vie, il<br />

filme en premier plan une frise continue<br />

de silhouettes à contre-jour : ces spectateurs<br />

sont les clients de l'auberge, derrière<br />

lesquels le maître de maison et sa compagne<br />

s'affairent en chantant. Dans la cohue<br />

<strong>des</strong> figurants, les couples égarent<br />

notre perception, lorsque Astaire, ivre,<br />

danse avec Marjorie Reynolds, se donnant<br />

involontairement en spectacle (dans ses<br />

Mémoires, il déclare avoir bu quelques<br />

whiskies pour se préparer à cette séquence,<br />

d'une chorégraphie décevante).<br />

Be Careful, It's My Heart, incluant et excluant<br />

tour à tour Crosby au piano, livre<br />

toute la piste, merveilleuse étendue, au<br />

seul couple <strong>des</strong> danseurs, saisi par <strong>des</strong><br />

mouvements planants, libéré par un élargissement<br />

soudain du champ, jusqu'au<br />

moment cruel où Astaire déchire un cœur<br />

de papier qui enfermait sa silhouette : une<br />

répétition de chant dirigée par Crosby s'est<br />

ainsi vue transformée en expression vive<br />

et spontanée de l'amour, le danseur enlevant<br />

la chanteuse dans son élan inattendu.<br />

Le meilleur numéro reste pourtant celui<br />

du 4 juillet, où le virtuose, sur scène, accompagne<br />

sa danse du fracas <strong>des</strong> pétards<br />

qui figurent successivement les effets, les<br />

causes, le soutien rythmique de ses gestes.<br />

Après une dernière séquence de montage,<br />

pastiche et synthèse <strong>des</strong> Astaire-Rogers,<br />

une reprise de White Christmas, lors<br />

d'un tournage à Hollywood, réunit enfin<br />

les deux amants, dans un décor identique<br />

à « l'authentique » Holiday Inn : la vraie<br />

caméra joue à cache-cache avec l'appareil<br />

fictif du plateau et avec l'amoureux mi-<br />

raculeusement réapparu, pour souligner<br />

ce que ce bonheur doit au cinéma. Cette<br />

mise en abîme est si exacte qu'elle semble<br />

englober tout le film et que le finale flotte<br />

hors de l'histoire.<br />

Etonnante parade de formes, Holiday<br />

Inn, film hivernal où le blanc <strong>des</strong> décors<br />

se marie à la neige, « prépare en secret le<br />

printemps » du musical ; oubliant Second<br />

Chorus, on songe déjà à certaines réussites<br />

de la MGM : Easter Parade (la Parade du<br />

printemps, Charles Walters, 1948), The<br />

Barkleys of Broadway (Entrons dans la danse,<br />

encore Walters, 1949). Le film de Sandrich<br />

est pourtant daté : tout en soutenant<br />

le moral de l'Amérique en guerre, il<br />

se souvient d'un aimable passé. <strong>La</strong> citation<br />

qu'en fait Marcel Ophuls dans<br />

Veille'es d'armes (1994) est donc aussi bien<br />

venue que malicieuse.<br />

Alain Masson<br />

FRED ASTAIRE-199<br />

Second Chorus,<br />

Paulette Goddard,<br />

Fred Astaire.


200-ÉTATS-UNIS<br />

Two Years Before the<br />

Mast, Alan <strong>La</strong>dd.<br />

NAUMACHIE<br />

RULERS OF THE SEA<br />

LES MAÎTRES DE LA MER<br />

1939-Frank Lloyd<br />

Réal. : Frank Lloyd. Prod. : Paramount Pictures (Frank<br />

Lloyd). Prod. ass. : Lou Smith. Auteurs et se. : Talbot<br />

Jennings, Frank Cavett, Richard Collins.<br />

Asst. réal. : William Tummel. Dir. ph. : Theodor<br />

Sparkuhl, A.S.C. Effets spéciaux : Cordon jennings,<br />

A.S.C. Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />

Photographie en mer : Archie Stout. Son : Harold<br />

Lewis, Walter Oberst. Dir. art. : Hans Dreier, John<br />

Goodman. Déc. : A. E. Freudeman. Mont. : Paul<br />

Weatherwax. Mus. : Richard Hageman. Int. : Douglas<br />

Fairbanks, Jr.* (David Gillespie), Margaret Lockwood*<br />

(Mary Shaw), Will Fyffe* (John Shaw), George<br />

Bancroft (le capitaine Oliver), Montague Love<br />

(Malcolm Grant), Vaughan Glaser (Junius Smith),<br />

David Torrence (Donald Fenton), Lester Matthews (le<br />

lieutenant Roberts), Alec Craig (le contremaître),<br />

Barlowe Borland (le magistrat), Wilson Benge<br />

(Campbell), Harry Allen (Murdock), Barry Macollum<br />

(Miller), Denis d'Aubrun (Premier officier Lewis),<br />

David Clyde (Evans), Charles McAvoy (O'Brien), Alan<br />

<strong>La</strong>dd (Colin Farrell), <strong>La</strong>wrence Grant (Mr. Negley),<br />

John Power, William Haade, Mike Driscoll, Mary<br />

Gordon, Lionel Pape. * « By arrangement with<br />

Gainsborough Pictures (1928) Limited ». Le film est<br />

dédié à la marine marchande dans le monde et à ses<br />

pionniers dont la fiction est inspirée.<br />

Date de sortie : 17 novembre 1939.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2640 m., 96 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

Au XIX' siècle en Ecosse. David Gillespie,<br />

second à bord du schooner le Falcon, démissionne<br />

à l'arrivée pour protester contre<br />

l'attitude du capitaine Oliver, obsédé par le<br />

record de traversée au détriment de la sécu-<br />

rité <strong>des</strong> hommes. Mais peu importe à l'armateur<br />

la mort de deux marins tant que le profit<br />

est là, et la vitesse <strong>des</strong> vents est la condition<br />

du profit. David, désœuvré, rencontre<br />

dans une taverne John Shaw, un <strong>des</strong> ingénieurs<br />

du Dog Star, le bateau à vapeur qui vient d'être<br />

inauguré dans le port. John convainc David<br />

que le monde est entré dans une ère nouvelle.<br />

Sous le regard inquiet de Mary, la fille de<br />

Shaw, ils construisent alors le modèle réduit<br />

d'un moteur révolutionnaire. Les financiers<br />

ne se pressant pas à la porte, David emporte<br />

les plans à Londres... où il manque mourir de<br />

faim quand, enfin, un homme d'affaires s'intéresse<br />

au projet. David fait venir le père et la<br />

fille et dans l'enthousiasme, les deux associés<br />

construisent leur navire. Mais une nuit, par<br />

la faute de John qui a trop bu, le hangar brûle<br />

et la concurrence qui pointe son nez ne laisse<br />

pas le temps de recommencer. De retour en<br />

Ecosse, David a l'idée défaire la traversée de<br />

l'Atlantique avec le Dog Star, moyennant<br />

quelques améliorations au moteur. Le28 mars<br />

1838, le navire appareille avec à son bord<br />

David, John et... Mary. <strong>La</strong> réussite est menacée<br />

par le manque de charbon et le Falcon qui<br />

les talonne. Une avarie blesse grièvement<br />

John et freine la marche en avant. Le Falcon<br />

les rattrape. In extremis, David empêche une<br />

mutinerie et répare. Le Dog Star repasse devant<br />

et arrive en tête à New York. John bénit<br />

l'union de David et Mary et meurt, heureux<br />

d'avoir réalisé son rêve.<br />

TWO YEARS BEFORE THE MAST<br />

RÉVOLTE À BORD<br />

1946 - John Farrow<br />

Réal. : John Farrow. Prod. : Paramount Pictures (Seton<br />

I. Miller). Auteur : Richard Henry Dana, Jr., d'après<br />

son récit. Se. : Seton I. Miller, George Bruce.<br />

Asst. réal. : Joseph C. Youngerman. Dir. ph. : Ernest<br />

<strong>La</strong>szlo, ASC. Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC,<br />

Dev Jennings, ASC. Effets photographiques : Farciot<br />

Edouart, ASC. Son : Earl Hayman, Walter Oberst.<br />

Dir. art. : Hans Dreier, Franz Bachelin. Déc. : Bertram<br />

Granger. Cost. : Dorothy O'Hara. Maq. : Wally<br />

Westmore. Mont. : Eda Warren. Mus. : Victor Young.<br />

Conseiller technique : Capitaine Fred F. El lis BMM<br />

201<br />

(ret.). Int. : Alan <strong>La</strong>dd (Charles Stewart), Brian Donlevy<br />

(Richard Henry Dana), William Bendix (Amazeen),<br />

Barry Fitzgerald (Dooley), Howard da Silva (le<br />

capitaine Thompson), Esther Fernandez (Maria<br />

Dominguez), Albert Dekker (Brown), Luis Van Rooten<br />

(Foster), Darryl Hickman (Sam Hooper), Roman<br />

Bohnen (Macklin), Ray Collins (Mr. Stewart),<br />

Théodore Newton (Hayes), Tom Powers (Bellamer),<br />

James Burke (Carrick), Frank Faylen (Hansen), Duncan<br />

Renaldo, Kathleen Lockhart, Rosa Rey, Pedro de<br />

Cordoba. Le film est dédié aux hommes de la marine<br />

marchande ayant servi leur pays en temps de paix<br />

comme en temps de guerre. Date de sortie : 28 août<br />

1946, 24 septembre 1947 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2670 m., 98 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

En 1834, le navire marchand le Pilgrim,<br />

venu de Californie en cent trente jours seulement,<br />

entre dans le port de Boston. Monsieur<br />

Stewart, l'armateur, se frotte les mains. Et peu<br />

importe que le terrible capitaine Thompson,<br />

aidé de son second Amazeen et de Foster, un<br />

marin sadique, ait fait régner la terreur pendant<br />

la traversée. Le brick repartira dès qu'un<br />

nouvel équipage aura été recruté. Or, le propre<br />

fils de l'armateur, Charles, un fêtard qui<br />

s'encanaille dans les tavernes du port, est assommé<br />

et embarqué de force comme tous les<br />

autres. Seul un nommé Richard Dana se porte<br />

volontaire. Commence un voyage qui durera<br />

presque deux ans. Deux ans de malheur. Dans<br />

son journal de bord, Dana, en fait le frère d'un<br />

marin mort récemment sur le Pilgrim, note la<br />

malnutrition, les corvées, les mises aux fers,<br />

compte les coups de fouet et les morts, toute<br />

une vie de galériens à peine égayée par la présence<br />

incongrue d'une femme très vite amoureuse<br />

de Charles. Thompson ayant interdit de<br />

faire escale, les provisions s'épuisent et le scorbut<br />

fait <strong>des</strong> ravages. Le petit Sam Hooper, le<br />

plus jeune de tous, manque d'y passer. Brown,<br />

un marin, tue Foster sous les yeux d'Amazeen<br />

qui ne ledénoncepas. Charles se mutine. Maîtrisé,<br />

il risque la pendaison à l'arrivée. Dans<br />

la nuit, Dana et les autres tentent de quitter<br />

le navire. Le capitaine abat Amazeen qui avait<br />

plongé pour les rejoindre. Brown et Thompson<br />

s'entretuent. Dana et Charles persuadent


202 - ÉTATS-UNIS<br />

les mutins de ramener le bateau à Boston.<br />

Dana publie son journal. Lors du procès, ils<br />

ont gain de cause et une loi du gouvernement<br />

fonde les droits <strong>des</strong> marins de la marine marchande<br />

d'Amérique.<br />

LA MÉMOIRE DE L'EAU<br />

Sept ans séparent Rulers ofthe Sea I les<br />

Maîtres de la mer de Frank Lloyd (1939) de<br />

Two Years Before the Mast I Révolte à bord<br />

de John Farrow (1946). Sept ans qui ont<br />

suffi, sans doute, à dévier vraisemblablement<br />

de façon inconsciente le regard de<br />

ces deux films guidés pourtant par un<br />

projet a priori identique. L'intérêt <strong>des</strong> œuvres<br />

réalisées par <strong>des</strong> cinéastes moyens<br />

est souvent que l'on y distingue l'idéologie<br />

à l'état chimiquement pur, débarrassée<br />

<strong>des</strong> scories de l'art et <strong>des</strong> doutes qui<br />

sont la marque <strong>des</strong> grands auteurs. L'objectif<br />

symbolique contenu dans le scénario<br />

<strong>des</strong> deux films est le même : comment<br />

concilier l'exigence d'un progrès technique<br />

favorisant l'expansion maximum<br />

de la productivité avec le respect <strong>des</strong><br />

droits <strong>des</strong> individus ? L'humanisme hollywoodien<br />

fonctionne ici à plein régime<br />

et dévoile sa nature profonde : exalter<br />

l'homme pour favoriser la reproduction<br />

docile de la force de travail. Rulers of the<br />

Sea et Two Years Before the Mast sont <strong>des</strong><br />

o<strong>des</strong> à la gloire de la marine marchande<br />

au XIX e siècle, soit l'apologie de l'outil<br />

principal de l'impérialisme commercial<br />

de l'Amérique. Ici, la quête de l'espace<br />

doit s'appuyer sur la maîtrise de la vitesse.<br />

Le scénario de Rulers of the Sea s'emploie<br />

ainsi à démontrer la supériorité de<br />

la propulsion à la vapeur sur celle <strong>des</strong> bateaux<br />

à voile. Elle est associée au progrès<br />

<strong>des</strong> conditions de travail qui sont, bien<br />

entendu, épouvantables à l'intérieur <strong>des</strong><br />

navires fonctionnant seulement à la vitesse<br />

du vent. Les aléas de l'énergie éolienne<br />

imposeraient, en effet, une surexploitation<br />

du travail humain qui se traduit<br />

par la mort de deux marins au début<br />

du film. Réalisé par un cinéaste hollywoodien<br />

surestimé qui a longtemps<br />

traîné la réputation d'être un spécialiste<br />

de l'aventure maritime (The Sea Hawk, The<br />

Eagle ofthe Sea, Mutiny on the Bounty), le<br />

film relève d'une tradition épique très<br />

forte dans le cinéma américain <strong>des</strong> années<br />

trente. Two Years Before the Mast de<br />

John Farrow est l'adaptation d'un livre<br />

écrit par Richard Henry Dana. Un <strong>des</strong><br />

personnages du film incarne d'ailleurs le<br />

romancier, journaliste inscrit dans l'équipage<br />

d'un navire marchand afin de témoigner<br />

<strong>des</strong> mauvais traitements dont<br />

sont victimes les marins. Une mutinerie<br />

suivie d'un procès fonderont, ainsi que<br />

l'annonce un carton à la fin du film, une<br />

réglementation sociale, un code du droit<br />

<strong>des</strong> marins de la marine marchande. Le<br />

film de Farrow pourtant se distingue in-<br />

discutablement du film de Frank Lloyd.<br />

Le filmage y <strong>des</strong>sine un rapport différent<br />

à la technique. Lorsque les mouvements<br />

de caméra survolent l'imposant décor<br />

constitué par le navire marchand, ils en<br />

soulignent une certaine monumentalité<br />

terrifiante. <strong>La</strong> machine ici devient ontologiquement<br />

extérieure à l'homme, écrasante.<br />

Uniquement soulignée par les parti<br />

pris de mise en scène, une telle dimension<br />

singularise le film et en tempère inconsciemment<br />

la vision triomphaliste.<br />

Two Years Before the Mast peut être vu<br />

comme un symptôme, sans doute involontaire<br />

du changement de regard, conséquence<br />

<strong>des</strong> catastrophes majeures du siècle<br />

qui ont induit un rapport nouveau<br />

entre l'homme et la rationalité technique.<br />

Jean-François Rauger<br />

THIS GUN FOR HIRE<br />

TUEUR À GAGES<br />

1942-Frank Tuttle<br />

Réal. : Frank Tuttle. Prod. : Paramount Pictures.<br />

Prod. ass. : Richard Blumenthal. Auteur : Graham<br />

Greene, d'après son roman A Gun for Sale.<br />

Se. : Albert Maltz, William Riley Burnett.<br />

Dir. ph. : John Seitz, ASC. Effets spéciaux : William<br />

Pereira, Gordon Jennings, ASC, Farciot Edouart, ASC.<br />

Son : Phillip Wisdom, John Cope. Dir. art. : Hans<br />

Dreier, Robert Usher. « Miss <strong>La</strong>ke's Gowns » : Edith<br />

Head. Maq. : Wally Westmore. Mont. : Archie<br />

Marshek. Mus. : David Buttolph. Chansons : Frank<br />

Loesser (paroles), Jacques Press (musique). Voix<br />

chantée de Veronica <strong>La</strong>ke : Martha Mears.<br />

Int. : Veronica <strong>La</strong>ke (Ellen Graham), Robert Preston<br />

(Michael Crâne), <strong>La</strong>ird Cregar (Willard Gates), Tully<br />

Marshall (Alvin Brewster), Marc <strong>La</strong>wrence (Tommy),<br />

Olin Howlin (Blair Fletcher), Roger Imhof (le sénateur<br />

Burnett), Pamela Blake (Annie), Alan <strong>La</strong>dd (Philip<br />

Raven), Frank Ferguson (Albert Baker), Victor Kilian<br />

(Drew), Patricia Farr (Ruby), Harry Shannon (Steve<br />

Finnerty), Charles C. Wilson (le capitaine de police),<br />

Mikhail Rasumny (Slukey), Bernadene Hayes (la<br />

secrétaire d'Albert Baker), Mary Davenport (la<br />

vendeuse), Chester Clute (le gérant de la maison de<br />

rapport), Charles Arnt (le couturier), Earle Dewey (Mr.<br />

Collins), Clem Bevans (le rémouleur), Lynda Grey (la<br />

secrétaire de Gates), Virita Campbell (la petite fille),<br />

lames Farley, Emmett Vogan, Virginia Farmer, Harry<br />

Hayden, Tim Ryan, Yvonne De Carlo.<br />

Date de sortie : 18 mai 1942, 15 janvier 1947 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2211 m., 81 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

San Francisco. Un tueur. Signes particuliers<br />

: violent, pas bavard, une malformation<br />

au poignet, n'aime que les chats, prend plaisir<br />

à tuer. Pour l'heure, il abat un maître chanteur<br />

et sa « secrétaire », emporte une formule<br />

secrète. Dans l'escalier, il épargne une enfant<br />

infirme. Raven, c'est son nom, donne la formule<br />

à un intermédiaire, Willard Gates, et<br />

touche son argent. Ellen Graham, chanteuse<br />

et illusionniste, est engagée par le même Gates<br />

pour se produire dans son Neptune Club à<br />

Los Angeles. En fait, elle est pilotée par le sénateur<br />

Burnett pour remonter jusqu'au patron<br />

de Gates, un agent de l'étranger. Raven<br />

découvre qu'il a étépayéavec <strong>des</strong> billets volés<br />

dont les numéros ont été donnés à la police<br />

par... Gates. Traqué, il échappe habilement au<br />

lieutenant Crâne, le flic chargéde l'affaire, par<br />

ailleurs fiancé d'Ellen. Dans le train pour Los<br />

Angeles, celle-ci voyage par hasard avec Raven<br />

qui l'utilise à l'arrivée pour échapper aux<br />

policiers. Elle parvient à filer au moment où<br />

il va la liquider. À Los Angeles aussi, Gates<br />

se rend auprès de Brewster, le patron de la<br />

Nitro Chimical Corporation, un vieillard paralysé<br />

et tyrannique. Persuadé qu'Ellen est<br />

liée au tueur qui veut sa peau, Gates l'attire<br />

un soir chez lui et la laisse aux mains de son<br />

sadique serviteur. Raven la libère mais, au<br />

club, ils tombent sur Crâne. Course-poursuite.<br />

<strong>La</strong> jeune femme sème <strong>des</strong> cartes à jouer<br />

sur son chemin. Us se planquent dans une<br />

usine h gaz. Pendant la nuit, le tueur raconte<br />

son histoire; ils sont bien sur la même affaire,<br />

pas pour les mêmes raisons. Il raconte aussi<br />

son dark past, un souvenir d'enfance traumatisant.<br />

Au matin, il s'enfuit en promettant<br />

de lui livrer toute la clique. Il parvient jusqu'au<br />

bureau du vieux et le force à signer une<br />

confession. <strong>La</strong> police cerne le lieu. Brewster<br />

meurt d'une attaque, Raven tue Gates, Crâne<br />

tue Raven qui l'épargne. Fin d'un tueur.<br />

Ellen épousera son flic.<br />

UN SI DOUX VISAGE<br />

Tourné fin 1941 (les prises commencent<br />

en octobre, soit deux mois avant<br />

Pearl Harbour), This Gun for Hire (Tueur<br />

à gages) a souvent été affilié aux fictions<br />

de propagande produites par Hollywood,<br />

alors mobilisée contre les nazis qui<br />

sabotent la démocratie. Et, dans l'Encyclopédie<br />

du film noir \ Robert Porfirio critique<br />

le film, notamment parce que son<br />

« côté propagandiste a mal vieilli «.Pourtant,<br />

aujourd'hui, le scénario frappe plutôt<br />

par son aspect subversif. Le tueur, individualiste<br />

forcené, n'agit jamais par patriotisme,<br />

mais uniquement par désir de<br />

vengeance. Et son seul souci, avant de<br />

mourir, est de savoir s'il n'a pas été trahi<br />

par la femme qui a sa confiance (et qu'il<br />

a auparavant essayé de tuer). Elle-même,<br />

en mission pour le FBI, refuse de le livrer,<br />

et fait passer sa sympathie (plus ou moins<br />

amoureuse) avant son devoir. Quant au<br />

traître, il s'agit d'un capitaliste bon teint,<br />

le manitou d'un consortium chimique.<br />

203<br />

Qu'il soit vieux, paralysé et tyrannique<br />

avec ses employés ne fait qu'enfoncer le<br />

clou : ce mort-vivant n'hésite pas au nom<br />

de la sainte loi du profit (et c'est la seule<br />

motivation que lui accordent les scénaristes)<br />

à vendre à l'étranger <strong>des</strong> armes qui<br />

faucheront la jeunesse de la nation. Son<br />

factotum travaille dans l'industrie du<br />

spectacle. Façon de dénoncer, cinquante<br />

ans avant James Ellroy et son American<br />

Tabloid, les liens entre le show-business,<br />

le gangstérisme et la politique.<br />

Vision manichéenne ? Ce serait ignorer<br />

la personnalité <strong>des</strong> scénaristes, qui ont<br />

très librement adapté le roman de Graham<br />

Greene : William Riley Burnett, vilipendeur<br />

du crime organisé (Little Caesar<br />

I le Petit César) et chantre <strong>des</strong> <strong>des</strong>perados<br />

solitaires (High Sierra I la Grande Évasion,<br />

The Asphalt jungle I Quand la ville dort), et<br />

Albert Maltz, militant communiste qui<br />

deviendra plus tard l'un <strong>des</strong> « Dix de<br />

Hollywood ». Ce serait aussi ignorer<br />

Frank Tuttle, cinéaste oublié (notamment<br />

dans les éditions successives de Vingt,<br />

Trente et Cinquante Ans de cinéma américain),<br />

responsable de la première adaptation<br />

de The Glass Key/la Clé de verre de Dashiell<br />

Hammett en 1935, avec George Raft<br />

(celui-ci déclara à Jon Tuska, dans The Détective<br />

in Hollywood 2 : « J'ai failli avoir <strong>des</strong><br />

ennuis à cause de ce film, car Frank et sa<br />

femme étaient <strong>des</strong> communistes »), et qui<br />

(selon Tuska) « s'était forgé une réputation<br />

considérable à Paramount jusqu'à ce<br />

que la commission sur les activités antiaméricaines<br />

le stigmatise comme subversif<br />

après la Seconde Guerre mondiale<br />

et qu'il soit confiné dans un emploi d'arf<br />

director ». Après 1946 en effet, Tuttle ne<br />

tourne que cinq films, dont le Traqué, en<br />

France, avec Simone Signoret, et Hell on<br />

Frisco Bay (Colère noire), film qu'il dut, en<br />

1955, à l'amitié d'Alan <strong>La</strong>dd, et tiré d'un<br />

roman de William Mac Givern, auteur<br />

qui se revendiquait de « gauche », et que<br />

Fritz <strong>La</strong>ng avait déjà adapté pour The Big<br />

Heat (Règlement de comptes).<br />

Si This Gun for Hire pêche par quelques<br />

détails (les coïncidences qui amè-


nent les personnages à se croiser, la façon<br />

dont le tueur échappe aux policiers à la<br />

<strong>des</strong>cente du train), il reste remarquable<br />

par son tempo, l'utilisation <strong>des</strong> lieux (la<br />

chambre du tueur, l'escalier et la cabine<br />

téléphonique de la pension de famille,<br />

l'usine déserte, le siège du consortium<br />

avec ses employés portant <strong>des</strong> masques<br />

à gaz), l'atmosphère nocturne (servie par<br />

la photo de John Seitz) et sa galerie un<br />

peu monstrueuse de personnages torturés<br />

: l'industriel (Tully Marshall) qui<br />

« fait penser à une sorte de docteur Mabuse<br />

parcheminé, cloué dans sa chaise<br />

roulante et qui produit, en parlant, un terrible<br />

chuchotement rauque » (Porfirio,<br />

op. cit.) ; l'imprésario (<strong>La</strong>ird Cregar),<br />

massif et doucereux, aimant les femmes,<br />

les chocolats à la menthe et terrifié par la<br />

violence ; son homme de main (Marc <strong>La</strong>wrence),<br />

sadique ricanant ; le tueur enfin,<br />

d'une belle complexité. Nommé Raven<br />

(« le corbeau »), sans doute en hommage<br />

à Edgar Allan Poe, il ne laisse filtrer<br />

presque aucune émotion et paraît d'autant<br />

plus implacable qu'il est prêt à tuer<br />

<strong>des</strong> « innocent bystanders » : la « secrétaire<br />

» du maître chanteur, la magicienne,<br />

et même la petite paralytique dans l'escalier,<br />

épargnée peut-être par empathie<br />

(lui aussi est affligé d'une déformation au<br />

poignet, lui aussi a eu une enfance malheureuse),<br />

mais surtout parce que ce<br />

tueur, qui jouit quand il fait feu, sait reconnaître<br />

chez l'autre ce qu'il a perdu<br />

pour lui-même, cette denrée si rare en ces<br />

temps barbares, l'innocence. Vu sous cet<br />

angle, le choix d'Alan <strong>La</strong>dd est remarquable.<br />

« Sa mince silhouette, son visage<br />

d'enfant trop sage aux yeux clairs, aux<br />

traits doux et effacés, paraissent surgis<br />

d'un autre monde, après les tueurs énormes<br />

et brutaux qui peuplaient les films<br />

de gangsters d'avant-guerre. Seule i'inexpression<br />

du visage dans les situations<br />

tendues, révèle chez cet ange déchu, une<br />

inhumaine et redoutable frigidité », écrivaient<br />

Raymond Borde et Etienne Chaumeton<br />

dans leur Panorama du film noir<br />

américain.<br />

Ce tueur est intéressant pour deux<br />

autres raisons : il est le premier d'une<br />

série de professionnels qui ne se contentent<br />

pas de leur rôle d'exécutant et veulent<br />

comprendre pourquoi on les paie. Vu<br />

leur métier, qui exige discrétion et anonymat,<br />

cette recherche de la vérité, ce passage<br />

de l'ombre à la lumière équivaut à<br />

un suicide (ou à une rédemption par la<br />

mort). Ils le savent et l'acceptent, tel Lee<br />

Marvin dans The Killers (À bout portant)<br />

de Don Siegel (1964). Raven a un passé<br />

psychanalytiquement chargé, si bien que<br />

le film annonce également les gran<strong>des</strong><br />

œuvres de « psychologie criminelle ».<br />

Enfin, ce tueur impassible au visage<br />

d'ange a engendré une mythologie de solitaires<br />

qui a nourri non seulement le cinéma<br />

américain, mais aussi le cinéma européen.<br />

Alain Delon et son serin dans le<br />

Samouraï de Jean-Pierre Melville (1967)<br />

vient en droite ligne d'Alan <strong>La</strong>dd nourissant<br />

son chat au début de This Gun for<br />

Hire, et les séquences d'ouverture <strong>des</strong><br />

deux films ont, dans la construction et<br />

l'utilisation du décor, <strong>des</strong> similitu<strong>des</strong> flagrantes.<br />

François Guérif<br />

1 Robert Porfirio : Encyclopédie du film noir, Rivages,<br />

1987.<br />

1 Jon Tuska : The Détective in Hollywood, Doubleday,<br />

1978.<br />

ALAN LADD :<br />

VEDETTE À GAGES<br />

« And introducing Alan <strong>La</strong>dd », clame<br />

le générique de This Gun for Hire (Tueur<br />

à gages), alors que <strong>La</strong>dd traînait son<br />

sourire d'aimable blondinet autour <strong>des</strong><br />

studios depuis cinq ans et avait fait <strong>des</strong><br />

apparitions dans une douzaine de films<br />

(dont une en marin dans une production<br />

Paramount, Rulers of the Sea I les Maîtres<br />

de la mer). Mais pour une fois, le générique<br />

ne ment pas : si Veronica <strong>La</strong>ke et Robert<br />

Preston en sont nominalement les ve-<br />

THIS GUN FOR HIRE-205<br />

dettes, <strong>La</strong>dd est la seule raison du succès<br />

retentissant remporté par le film de Frank<br />

Tuttle. <strong>La</strong> direction de Paramount le sait<br />

d'ailleurs fort bien, qui n'attend pas la<br />

sortie du film en mai 1942 pour mettre à<br />

nouveau <strong>La</strong>dd en face de <strong>La</strong>ke dans The<br />

Glass Key. Il est donc parfaitement justifié<br />

de consacrer presque entièrement ces<br />

pages sur les débuts d'Alan <strong>La</strong>dd à ce<br />

film, puisqu'il résume à lui tout seul le<br />

« phénomène <strong>La</strong>dd » - un phénomène à<br />

la fois fortuit et manufacturé.<br />

Le déclic ne se serait sans doute jamais<br />

produit si <strong>La</strong>dd n'avait été managé<br />

par Sue Caroll, ancienne actrice devenue<br />

agent qui avait de précieux contacts à la<br />

Paramount (dont Bing Crosby et son<br />

épouse), et qui de plus était tombée amoureuse<br />

de son jeune client ; elle allait être<br />

Mme Alan <strong>La</strong>dd avant que This Gun for<br />

Hire ne sorte sur les écrans un an plus<br />

tard. Caroll avait très tôt entendu dire que<br />

Tuttle cherchait un inconnu pour jouer le<br />

Raven du roman de Graham Greene, un<br />

jeune tueur à gages avec un bec de lièvre.<br />

Un inconnu qui devait aussi être de<br />

courte stature puisque le film aurait Veronica<br />

<strong>La</strong>ke comme vedette. Ironiquement,<br />

pour quelqu'un dont la carrière est<br />

souvent réduite à une série d'histoires de<br />

petits bancs ou d'actrices faisant leur possible<br />

pour se rapetisser, <strong>La</strong>dd doit peutêtre<br />

sa chance à un rôle doublement taillé<br />

sur mesures : la sienne comme acteur<br />

(froideur, impassibilité), mais aussi celle<br />

de <strong>La</strong>ke (un mètre cinquante en talons<br />

hauts). Initialement rejeté par Tuttle comme<br />

« trop avenant pour jouer Raven »,<br />

<strong>La</strong>dd avait instantanément convaincu<br />

non seulement le réalisateur mais aussi la<br />

direction du studio avec son bout d'essai,<br />

soit une scène en face de Robert Preston,<br />

un moment pressenti pour Raven mais<br />

jugé trop grand et qui finira par jouer le<br />

policier.<br />

Pour Tuttle aussi, ce film semble avoir<br />

été particulier : de façon peu caractéristique<br />

<strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de studio, il travaille<br />

avec Albert Maltz sur le tout premier traitement,<br />

dans lequel il est déjà décidé de


206-ÉTATS-UNIS<br />

This Gun for Hire.<br />

donner à Raven une infirmité différente.<br />

Pour une fois, il ne s'agit pas de ménager<br />

une vedette ou un investissement du studio.<br />

Dans une note de travail inhabituellement<br />

développée pour une première<br />

mouture, Maltz et Tuttle expliquent leur<br />

décision par le récent succès de Joan<br />

Crawford jouant une femme défigurée<br />

dans un film MGM, A Woman's Face (Il<br />

était une fois, 1941). Au lieu d'un bec de<br />

lièvre, Raven aura donc un poignet disloqué,<br />

symbole d'impuissance et indice<br />

de l'emprise de la psychanalyse sur le<br />

film noir dès les débuts du genre. Tuttle<br />

avait aussi collé <strong>des</strong> photos de repérages<br />

à ce stade précoce du travail, autre<br />

preuve que le film lui tenait particulièrement<br />

à cœur : on peut le voir tout de blanc<br />

vêtu devant plusieurs vues d'un même<br />

endroit de Los Angeles, l'ancienne gare<br />

sur Santa Fe Avenue : un bâtiment à démolir,<br />

un wagon abandonné, et surtout<br />

le pont de bois au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> voies qui<br />

offrira au réalisateur une scène de poursuite<br />

<strong>des</strong> plus saisissantes.<br />

<strong>La</strong>dd et <strong>La</strong>ke. <strong>La</strong>ke et <strong>La</strong>dd. Une combinaison<br />

imbattable, le glamour de poche,<br />

le couple aux dents serrées, qui faisait<br />

oublier le patriotisme de circonstance<br />

de This Gun for Hire (eux et l'épatant <strong>La</strong>ird<br />

Cregar). Pendant plusieurs années, il suffira<br />

à la Paramount de les mettre ensemble<br />

dans le premier film venu (The<br />

Glass Key, The Blue Dahlia, Saigon) pour<br />

s assurer d'un succès. Mais on oublie souvent<br />

que durant ces années il suffisait au<br />

studio de mettre <strong>La</strong>dd dans n'importe<br />

quoi, en face de n'importe qui, pour faire<br />

recette : les critiques ont beau se plaindre<br />

que <strong>La</strong>dd soit trop dur en toubib dans<br />

AndNow Tomorrow (Le bonheur est pour dema<br />

>n), et que Loretta Young soit trop<br />

moche, le film fait tout de même un malheur<br />

'.<br />

dern Screen. Rareté suprême pour une vedette<br />

mâle : <strong>La</strong>dd sur une couverture faisait<br />

vendre. Ni Sinatra, ni Presley, ni Elizabeth<br />

Taylor ne bénéficieront d'autant<br />

de presse au cours <strong>des</strong> années. Guère<br />

étonnant que George Delacorte et Irving<br />

Mannheimer, respectivement propriétaires<br />

de Modem Screen et Photoplay, les<br />

deux principaux fan-magazines du pays,<br />

aient compté parmi les intimes du couple<br />

<strong>La</strong>dd. Avec sa coopération, on escamotera<br />

tout un pan de sa vie : sa première<br />

femme et même son premier fils (Alan Jr.,<br />

futur nabab de studio), l'âge et les quatre<br />

mariages précédents de Sue Caroll. Cette<br />

collaboration au mensonge et <strong>des</strong> démons<br />

encore plus privés comme sa mère<br />

alcoolique se suicidant à la mort aux rats,<br />

expliquent sans doute sa déchéance, son<br />

propre alcoolisme et son suicide probable<br />

(à Palm Spring en 1964). Et aussi pourquoi<br />

<strong>La</strong>dd semblait exceller dans les rôles<br />

masos - punching-ball favori de William<br />

Bendix, fouettable jusqu'à plus soif dans<br />

Two Years Before the Mast (Révolte à bord),<br />

ALAN LADD - 207<br />

humilié et à deux doigts d'être dégradé<br />

dans Beyond Glory (Retour sans espoir),<br />

deux films tournés sous la férule de ce<br />

grand catholique et sadique devant l'Éternel,<br />

John Farrow.<br />

<strong>La</strong>dd n'était pas mauvais acteur,<br />

ayant appris très tôt à ne pas sortir de ses<br />

limites. Sa voix était son meilleur atout<br />

(Welles, un connaisseur, la privilégie à la<br />

fin de Citizen Kane). Pour Raymond<br />

Chandler, qui a écrit deux films pour lui,<br />

il incarnait « l'idée que se font les petits<br />

garçons d'un dur à cuir ». C'est sans<br />

doute pour ça qu'il est si efficace dans<br />

Shane (l'Homme <strong>des</strong> vallées perdues, 1952).<br />

Ce n'est pas tant qu'il avait l'air d'un imposteur,<br />

mais plutôt qu'il était persuadé<br />

d'en être un. C'est là le drame et la peur<br />

qui couvent derrière le calme plat de ces<br />

yeux placi<strong>des</strong> ; l'élément humain qui<br />

rend si durable cet exemple type de la star<br />

synthétique.<br />

Philippe Garnier<br />

1 And Now Tomorrow a été sauvegardé par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française en 1993, voir page 233 (ndlr).<br />

On a toujours dit que la caméra l'aim<br />

ait, tout comme les fans. C'est vrai, mais<br />

c est<br />

aussi parce que le couple <strong>La</strong>dd, le<br />

studio et les magazines faisaient ce qu'il<br />

fallait<br />

pour. Rien qu'en 1943, <strong>La</strong>dd a figure<br />

seize fois en douze numéros de Mo- Beyond Glory.


208- ETATS-UNIS<br />

Richard<br />

Lyon,<br />

Gail<br />

Russel.<br />

THE UNSEEN<br />

L'INVISIBLE MEURTRIER<br />

1944-Lewis Allen<br />

Réal. : Lewis Allen. Prod. : Paramount Pictures (John<br />

Houseman). Auteur : Ethel Lina White, d'après son<br />

roman Fier Heart in hier Throat Adapt. : Hagar Wilde,<br />

Ken Englund. Se. : Hagar Wilde, Raymond Chandler.<br />

Dir. ph. : John F. Seitz, A.S.C. Son : Wallace Nogle,<br />

John Cope. Dir. art. : Hans Dreier, Earl Hedrick.<br />

Déc. : George Sawley. Cost. : Dorothy O'Hara.<br />

Maq. : Wally Westmore. Mont. : Doane Harrison.<br />

Mus. : ErnstToch. Int. : Joël McCrea (David Fielding),<br />

Gail Russell (Elizabeth Howard), Herbert Marshall<br />

(le docteur Charles Evans), Phyllis Brooks (Maxine),<br />

Isobel Elsom (Marian Tygarth), Norman Lloyd (Jasper<br />

Goodwin), Mikhail Rasumny (Chester), Elisabeth<br />

Risdon (Mrs Norris), Tom Tully (Sullivan), Nona<br />

Griffith (Ellen), Richard Lyon (Barnaby), Victoria<br />

Horne, Mary Field. Date de sortie : 21 février 1945,<br />

7 décembre 1949 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2215 m., 80 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

Une femme a été étranglée dans Salem<br />

Alley... -pas loin d'une étrange demeure londonienne,<br />

fermée après l'assassinat de son<br />

propriétaire, il y a douze ans. Le lendemain,<br />

Elizabeth Howard, la nouvelle gouvernante,<br />

sonne à la porte de la maison d'à côté et se présente<br />

au maître <strong>des</strong> lieux, David Fielding,<br />

père de deux jeunes enfants, Ellen et Barnaby.<br />

D'emblée, elle se heurte à la froideur de David,<br />

personnage énigmacique, soupçonné plusieurs<br />

années auparavant de la mort de sa femme,<br />

et à l'hostilité de Barnaby au comportement<br />

intrigant. Seuls la petite Ellen et le docteur<br />

Evans, l'ami de la famille, lui manifestent<br />

de la sympathie. Elle fait aussi connaissance<br />

de Marian Tygarth, la veuve de la maison<br />

« hantée ». Un soir, <strong>des</strong> bruits et de la lumière<br />

s'échappent justement de là-bas. C'est<br />

l'assassin, revenu sur les lieux du crime pour<br />

effacer d'ultimes traces ! <strong>La</strong> veuve le reconnaît<br />

mais il l'abat. David intervient et démasque...<br />

le docteur Evans, assassin douze ans<br />

auparavant d'un mari par amour d'une femme<br />

qui l'avait ensuite repoussé. Apprenant<br />

que la maison allait rouvrir, il avait essayé de<br />

détourner les soupçons de la police sur David<br />

et s'était servi du fils comme « passeur », via<br />

Maxine, l'ancienne gouvernante qu'il a tué<br />

aussi... David et Elizabeth vont pouvoir s'aimer.<br />

LA PARAMOUNT DANS LE NOIR<br />

Lorsqu'il arriva à la Paramount en<br />

1944, le producteur John Houseman<br />

n'avait encore jamais produit de long métrage.<br />

Tout le monde, y compris le patron<br />

du studio Buddy DeSylva, lui conseilla<br />

de faire pour ses débuts un petit film sans<br />

problèmes, et de fait, The Unseen (l'Invisible<br />

meurtrier) est véritablement du tout<br />

cuit, produit typique du système de studio.<br />

Un an auparavant, Paramount avait<br />

sorti The Uninvited (la Falaise mystérieuse),<br />

mo<strong>des</strong>te film qui marquait les débuts de<br />

pas mal de monde et qui avait connu un<br />

succès complètement inattendu. Charles<br />

Brackett, fraîchement séparé de Billy Wilder,<br />

avait produit et joué à fond la carte<br />

anglaise que semblait réclamer cette histoire<br />

de maison hantée, prenant Donald<br />

Crisp et Ray Milland pour vedettes, et<br />

confiant la réalisation à un homme de<br />

théâtre britannique, Lewis Allen, dont<br />

c'était le premier film. Le succès public<br />

remporté par la nouvelle venue Gail Russell<br />

n'était pas la moindre surprise pour<br />

Paramount, qui près d'un an plus tard remettait<br />

le couvert avec les mêmes ingrédients<br />

: un faiblard « thriller gothique »<br />

par l'auteur de The <strong>La</strong>dy Vanishes, Gail<br />

Russell, Lewis Allen et un producteur débutant.<br />

Dans ses Mémoires *, Houseman admet<br />

qu'il avait accepté tous les choix du<br />

studio, jusqu'à celui de la scénariste Ha-<br />

209<br />

gar Wilde. « Grande névrosée prisée <strong>des</strong><br />

magazines féminins, elle avait de l'esprit,<br />

<strong>des</strong> caniches et <strong>des</strong> migraines, insistait<br />

pour travailler chez elle, mais avait<br />

l'avantage d'écrire vite » (elle a aussi collaboré<br />

avec Hawks sur Bringing up Baby<br />

I l'Impossible Monsieur Bébé et 1 Was a Maie<br />

War Bride I Allez coucher ailleurs). Raymond<br />

Chandler ne s'est penché que trois<br />

semaines sur le script, et on serait bien en<br />

peine de détecter sa patte, à part peut-être<br />

dans les répliques les plus cassantes prêtées<br />

à Joël McCrea. Houseman, qui n'aimait<br />

pas les façons m'as-tu-vu de Lewis<br />

Allen, reconnaît volontiers que celui-ci a<br />

tout de même tiré le maximum du matériau<br />

frelaté qu'on lui avait confié. <strong>La</strong> photographie<br />

du grand John F. Seitz (collaborateur<br />

favori de Wilder et Preston<br />

Sturges) est sans doute la seule audace du<br />

film : elle laisse souvent le spectateur<br />

dans le noir absolu, armé d'une seule<br />

lampe de poche ou d'une allumette. C'est<br />

ce que ce même spectateur ressent parfois<br />

à essayer de suivre l'intrigue et ses<br />

fausses pistes de convention.<br />

Bizarrement, le jeu somnambulique<br />

de Gail Russell et sa beauté éteinte fonctionnent<br />

ici très bien, sa placidité étant<br />

préférable aux hystéries qui sont la<br />

norme pour les films de ce genre. L'ennui<br />

évident que McCrea et Herbert Marshall<br />

ne prennent pas la peine de dissimuler<br />

est pareillement efficace. Les deux<br />

enfants, dans <strong>des</strong> rôles malheureusement<br />

cruciaux, sont impossibles comme il est<br />

d'usage dans les films Paramount : la<br />

fillette exaspérante de minauderie, le<br />

gamin mauvais comme pas permis ; il ne<br />

profite même pas de son physique de jockey<br />

teigneux, ni de son pédigree : c'est<br />

qu'il était lui aussi produit de studio, fils<br />

de l'ancien couple vedette Paramount,<br />

Bebe Daniels et Ben Lyon.<br />

Philippe Garnier<br />

1 Front Row Center, Simon & Schuster, 1979.


210 - ÉTATS-UNIS<br />

LOVE LETTERS<br />

LE POIDS D'UN MENSONGE<br />

1944-William Dieterle<br />

«B wmx m HAL WAIUS mmmm, me<br />

Réal. : William Dieterle. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Hal B. Wallis). Auteur : Chris Massie, d'après son<br />

roman Pity My Simplicity. Se. : Ayn Rand.<br />

Asst. réal. : Richard McWhorter. Dir. ph. : Lee<br />

Garmes, ASC. Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC.<br />

Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />

Son : Don McKay, Don Johnson. Dir. art. : Hans<br />

Dreier, Roland Anderson. Déc. : Ray Moyer.<br />

Cost. : Edith Head. Maq. : Wally Westmore.<br />

Mont. : Anne Bauchens. Mus. : Victor Young.<br />

Chanson : Victor Young, Edward Heyman.<br />

Direction <strong>des</strong> dialogues : Victor Stoloff.<br />

Conseiller technique : Geoffrey Steele, Lieut. RARO.<br />

The Royal Dragoons. Int. : Jennifer Jones*<br />

(Singleton/Victoria Morland), Joseph Cotten* (Alan<br />

Quinton), Ann Richards (Dilly Carson), Cecil Kellaway<br />

(Mack), Gladys Cooper (Béatrice Remington), Anita<br />

Louise (Helen Wentworth), Robert Sully (Roger<br />

Morland), Reginald Denny (l'avocat de la défense),<br />

Ernest Cossart (l'archevêque), Byron Barr (Derek<br />

Quinton), Lumsden Hare (Mr. Quinton), James<br />

Millican (Jim Connings), Winifred Harris (Mrs.<br />

Quinton), Ethel May Halls (l'épouse de l'archevêque),<br />

lan Wolfe (le vicaire), Matthew Boulton (le juge),<br />

David Clyde (le facteur), Louise Currie (Claire Floey),<br />

Alec Craig (Dodd), Mary Field (l'infirmière), Arthur<br />

Hohl (Jupp), Conrad Binyon (le garçon dans la<br />

bibliothèque), Nina Borget, George Humbert,<br />

Constance Purdy, Anthony Marsh, Ottola Nesmith,<br />

Catherine Craig, Helena Crant, Connie Léon, Harry<br />

Allen, Virginia Doffy, Rence Dupuis, Marjorie<br />

Raymond. * « Artists by arrangement with David O.<br />

Selznick ». Date de sortie : 26 août 1945, 30 mai<br />

1947 (Paris). Métrage, minutage copie Cf. : 2763 m.,<br />

101 mn. Version originale. Noir et blanc.<br />

Doc. : Hervé Dumont : William Dieterle. Antifascismo<br />

y compromiso romântico, Festival internacional de<br />

Cine de San Sebastiân-Filmoteca Espanola, 1994.<br />

Quelque part sur le front en Italie. L'officier<br />

britannique Alan Quinton, romantique<br />

introverti, écrit pour un autre plus fruste,<br />

Roger Morland, <strong>des</strong> lettres d'amour à une inconnue<br />

nommée Victoria, amoureuse <strong>des</strong> lettres<br />

et de son auteur présumé. Bientôt, Roger<br />

rentre en Angleterre, épouse Victoria et<br />

meurt peu après ! Blessé, choqué par les horreurs<br />

de la guerre, Alan retourne vivre dans<br />

le village de son enfance, dans l'Essex, près<br />

de l'endroit aussi où Victoria recevait « ses »<br />

lettres. <strong>La</strong> veille de son départ, il rencontre la<br />

belle et énigmatique Singleton et son amie,<br />

Dilly Carson, qui semble en savoir long sur...<br />

Victoria. Plus tard, elle lui racontera l'invraisemblable<br />

vérité : Singleton est Victoria<br />

Morland, amnésique depuis la nuit où Dilly<br />

l'a trouvée, absente à elle-même, près du corps<br />

de son mari, la robe en sang, un couteau à la<br />

main. À quelques mètres, Béatrice, sa mère<br />

adoptive, gisait, paralysée et muette. Alan repart<br />

en pliant sous le poids de sa responsabilité.<br />

Mais chez lui, il trouve Singleton. Elle<br />

l'aime et veut lui faire oublier cette Victoria<br />

qu'il recherche désespérément. Ils se marient<br />

très vite. Leur bonheur n'est entaché que par<br />

les lapsus de la jeune femme, ses réminiscences<br />

floues, ses efforts constants pour se<br />

souvenir, sa peur du facteur, sa terreur du<br />

rouge. Profitant d'une absence d'Alan, elle va<br />

interroger Béatrice (qui a recouvré la parole)<br />

à propos de Victoria. Béatrice raconte et Singleton<br />

se souvient. Flash-back : un soir où il<br />

avait bu, Roger lance à sa femme qu'il n'a jamais<br />

écrit les lettres responsables de leur<br />

union. Il lafrappe, Béatrice le poignarde. Alan<br />

a écouté ce récit. Il confesse être l'auteur <strong>des</strong><br />

lettres. Victoria se love dans ses bras.<br />

LA GRIFFE DU PASSÉ<br />

Comme Random Harvest (Prisonniers<br />

du passé, 1942) de Mervyn LeRoy, Love<br />

Letters (le Poids d'un mensonge) mêle les<br />

énigmes de l'amnésie au romantisme le<br />

plus échevelé. Mais à l'opposé de l'œuvre<br />

académique de LeRoy, Love Letters visualise<br />

son thème - la hantise d'un visage<br />

inconnu, la recherche d'une mémoire<br />

perdue, la quête de l'identité - moyen-<br />

nant <strong>des</strong> <strong>images</strong> proprement crépusculaires.<br />

<strong>La</strong> reconstitution stylisée de la<br />

campagne anglaise en studio (tournage<br />

du 23 octobre au 23 décembre 1944 à la<br />

Paramount) permet à Dieterle de jouer ad<br />

libitum avec un ciel sans soleil, véritable<br />

chape de plomb, avec <strong>des</strong> intérieurs de<br />

chaumières à peine éclairés, pour retrouver<br />

l'expressionnisme larvé de The Devil<br />

and Daniel Webster ou de The Hunchback of<br />

Notre-Dame.<br />

Le ton incantatoire <strong>des</strong> lettres d'Alan,<br />

ce Cyrano moderne, a subjugué la fragile<br />

Victoria au point de détruire indirectement<br />

et son ménage, et sa mémoire. Rongé<br />

par la culpabilité et hanté par le souvenir<br />

de sa « victime » amnésique, l'exofficier<br />

(lui-même ébranlé par les expériences<br />

au front) tente désespérément de<br />

se réconcilier avec le présent. Cette double<br />

obsession d'un fantôme chez Alan et<br />

Victoria/Singleton, ce handicap écrasant<br />

d'un vécu que l'un fuit et l'autre recherche,<br />

ces plaies de l'âme, le cinéaste<br />

germanique les traduit en priorité par<br />

l'organisation <strong>des</strong> plans : ses ciels nuageux<br />

sont perpétuellement envahis de<br />

branches d'arbres tortueuses, de troncs<br />

de chênes mutilés, de silhouettes oppressantes<br />

quand baisse le jour. Les intérieurs<br />

rustiques sont cadrés de telle sorte<br />

que poutres, escaliers, meubles, forment<br />

<strong>des</strong> obstacles, enserrent les protagonistes<br />

dans un espace fermé (souvent filmé en<br />

légère contre-plongée), un univers baroque<br />

et menaçant où chaque objet se fait<br />

rappel du passé : Alan ayant épousé Singleton,<br />

<strong>des</strong> bribes de mémoire refont peu<br />

à peu surface, un prénom, la peur panique<br />

du facteur, une écriture connue,<br />

<strong>des</strong> framboises rouge sang, un tissu de<br />

signes qui rappelle les procédés hitchcockiens<br />

de Spellbound I la Maison du Dr<br />

Edwar<strong>des</strong> (film achevé trois mois plus tôt,<br />

mais sorti en salle deux mois après le Dieterle)<br />

et de Marnie vingt ans plus tard.<br />

Love Letters, avec son climat violemment<br />

insolite, ses compositions visuelles flamboyantes,<br />

sa texture lumineuse et délicate,<br />

son thème et son traitement ultra-<br />

romantiques se situe entre le fantastique<br />

et le film noir à prétention psychanalytique<br />

tant prisé dans les années quarante.<br />

Défiant avec superbe toute vraisemblance,<br />

Dieterle confère au visage de<br />

Jennifer Jones une qualité d'étrange irréalité<br />

qui annonce déjà l'onirique Portrait<br />

of Jennie (où l'on retrouvera à nouveau<br />

les deux vedettes et le chef opérateur<br />

de Love Letters). Ajoutons pour<br />

l'anecdote qu'il s'agit d'une production<br />

Hal Wallis supervisée par l'envahissant<br />

David O. Selznick, de plus en plus épris<br />

de sa jeune protégée. Pour la preview à Pasadena,<br />

le nabab amoureux commet le sacrilège<br />

suprême, qui devrait cependant<br />

lui valoir la sainteté au paradis <strong>des</strong> cinéphiles<br />

: il fait racheter tous les stocks de<br />

popeorn de la salle afin que le public puisse<br />

admirer sa Jennifer adorée sans faire<br />

de bruit !<br />

Hervé Dumont<br />

1 Singleton s'est enfuie de Londres et a rejoint Alan à<br />

la campagne. Elle casse un talon, il la porte et s'installe<br />

avec elle dans un chariot pour la reconduire à la<br />

gare. D'un plan d'ensemble, Dieterle passe à un gros<br />

plan de la chaussure au talon brisé, sa caméra caresse<br />

la jambe de Singleton, monte jusqu'aux épaules pour<br />

révéler deux corps enlacés : instant fulgurant qui annonce<br />

toute la sensualité de Duel in the Sun (le film<br />

de King Vidor auquel Dieterle participa sans être crédité).<br />

LOVE LETTERS - 211<br />

En haut, à gauche :<br />

Jennifer Jones.<br />

En haut, à droite :<br />

Joseph Cotten.


212-ÉTATS-UNIS<br />

Victor Mc<strong>La</strong>glen.<br />

WHISTLE STOP<br />

TRAGIQUE RENDEZ-VOUS<br />

1946 - Léonide Moguy<br />

Réal. : Léonide Moguy. Prod. : Nero-Film (Seymour<br />

Nebenzal). Prod. ass. : Philip Yordan. Auteur : Maritta<br />

M. Wolff, d'après son roman homonyme.<br />

Adapt. : Philip Yordan. Asst. réal. : Milton Carter.<br />

Dir. ph. : Russell Metty, A.S.C. Dir. art. : Rudi Feld,<br />

George Van Marier. Déc. : Alfred Kegeris.<br />

Mont. : Gregg Tallas. Mus. : Dimitri Tiomkin.<br />

Effets spéciaux : R.O. Binger. Chorégraphie : Jack<br />

Crosby. Int. : George Raft (Kenny), Ava Gardner<br />

(Mary), Victor Mc<strong>La</strong>glen (Gitlo), ]orga Curtright (Fran),<br />

Tom Conway (Lew Lentz), Jane Nigh (Josie), Florence<br />

Bâtes (Molly Veech), Charles Drake (Ernie), Charles<br />

Judels (Sam Veech), Carmel Myers (Estelle), Jimmy<br />

Ames (le bonimenteur). Date de sortie : 9 janvier<br />

1946, 4 août 1948 (Paris). Métrage, minutage copie<br />

Cf. : 2327 m., 85 mn. Version originale. Noir et blanc.<br />

Après deux années passées à Chicago, la<br />

très belle Mary prend le train et rentre chez<br />

elle, une petite ville de province. Elle revient<br />

pour Kenny, son amour d'antan, un joueur<br />

de cartes invétéré qu'elle n'avait pu convaincre<br />

de la suivre. Cette fois, elle espère le<br />

changer. Dès qu'ils sont en présence, ils tombent<br />

dans les bras l'un de l'autre mais se disputent<br />

aussi. Alors, Mary fréquente Lew<br />

Lentz, propriétaire fortunéd'unebotte,leFlamingo,<br />

et ennemi juré de Kenny. Gitlo, le barman<br />

du Flamingo, propose à Kenny d'éliminer<br />

Lentz pour lui voler l'argent qu'il porte<br />

régulièrement en train jusqu'à Détroit. Le<br />

soir de la fête foraine, Fran, l'ex-amie de<br />

Kenny éconduite depuis le retour de Mary,<br />

fait une chute mortelle. Dans le même temps,<br />

Lentz se rend à la gare mais Mary a compris<br />

ce qui se trame et retarde suffisamment l'homme<br />

qu 'elle aime pour que le plan échoue. Après<br />

une nouvelle séparation, les deux amants se<br />

retrouvent et lui, décidé à ne plus gâcher ses<br />

chances, trouve même un travail. Le jour du<br />

mariage de sa sœur, il accepte de passer au<br />

Flamingo, sur les conseils d'un Gitlo manipulé,<br />

pour enterrer la hache de guerre avec<br />

Lentz. Celui-ci a abattu son homme de main<br />

et prévenu la police dans le but défaire porter<br />

le chapeau à son rival. Blessé par balle pendant<br />

sa fuite, Kenny se réfugie à Détroit chez<br />

une amie de Gitlo. Ce dernier revient la nuit<br />

pour prévenir Mary et, furieux d'avoir été<br />

trahi, va à l'appartement de Lentz... qui l'attend<br />

une arme à la main. Les deux hommes<br />

s'entretuent mais Gitlo a encore la force d'appeler<br />

la police pour innocenter son ami. Mary<br />

rejoint Kenny à Détroit et pour la vie.<br />

DEUX EUROPÉENS<br />

À HOLLYWOOD<br />

Comme beaucoup de films « à l'européenne<br />

» faits par <strong>des</strong> exilés à Hollywood<br />

pendant la guerre, Whistle Stop I<br />

Tragique Rendez-Vous est plus une curiosité<br />

qu'une réussite. Œuvre de circonstance<br />

donc, qui demande qu'on parle<br />

plus <strong>des</strong> différents talents jetés dans le<br />

même sac que du film lui-même. Qui restera<br />

tout de même dans les histoires du<br />

cinéma comme étant le premier film où<br />

Ava Gardner a tenu la vedette ; elle végétait<br />

jusqu'alors à la Métro comme starlette,<br />

et, accessoirement, comme épouse<br />

de Mickey Rooney, le petit coq du studio.<br />

Comprenant sans doute que M (M le<br />

Maudit), Das Testament <strong>des</strong> Dr. Mabuse (le<br />

Testament du docteur Mabuse), Menschen<br />

am Sonntag (les Hommes le dimanche), Die<br />

Biichse der Pandora (Loulou), Die Dreigroschenoper<br />

(l'Opéra de quat'sous) ou Mayerling<br />

n'allaient pas forcément lui valoir<br />

plus de considération de la part <strong>des</strong> studios,<br />

le producteur Seymour Nebenzal<br />

préféra naviguer seul au lieu de se mettre<br />

à leur remorque. Il n'avait pas son pareil<br />

pour persuader les studios de lui prêter<br />

leurs vedettes en herbe ; pour son second<br />

film américain, il avait réussi à emprunter<br />

Linda Darnell à Zanuck, tout en faisant<br />

travailler Douglas Sirk (Summer<br />

Storm I l'Aveu, 1944). De même, il a monté<br />

Whistle Stop avec de vrais arguments de<br />

producteur, achetant pour très peu d'argent<br />

le titre d'un roman de Maritta M.<br />

Wolff qui avait connu un succès de scandale<br />

peu auparavant et même gagné un<br />

prix littéraire. Sauvage histoire d'inceste<br />

et de prostitution, le livre était réputé infilmable<br />

pour raisons de censure. Nebenzal<br />

se faisait fort de transformer l'histoire<br />

en quelque chose de complètement<br />

213<br />

différent, ne gardant que le titre comme<br />

seul appât commercial, à part Ava Gardner<br />

dans le rôle de la femme fatale. Philip<br />

Yordan était l'homme tout trouvé<br />

pour dénaturer le roman de manière acceptable,<br />

sinon franchement folichonne.<br />

Il faisait généralement ça en cinq jours,<br />

contre un tiers <strong>des</strong> profits.<br />

D'où ce curieux film noir mâtiné<br />

à'americana, avec Raft et Mc<strong>La</strong>glen qui<br />

jouent aux cartes chez le barbier ou picolent<br />

dans <strong>des</strong> roadhouses de cambrousse ;<br />

improbable tempête qui couve dans le<br />

petit bled d'Ashbury, où le train ne s'arrête<br />

que si le garde-barrière lui fait signe<br />

(whistle stop, c'est ça). Pour satisfaire le<br />

Breen Office, ce bon à rien de Kenny ne<br />

peut plus être le frère de Mary, juste son<br />

ancien jules, et Mary doit expliquer son<br />

vison comme un « cadeau » après deux<br />

ans de grande vie à Chicago. De toute<br />

façon, le choix de Raft pour jouer Kenny<br />

rend toute plausibilité illusoire : même<br />

avec ses cheveux teints, il pourrait aisément<br />

être son père. L'aimable Léonide<br />

Moguy, émigré russe catalogué français<br />

à Hollywood qui avait fait deux films très<br />

atmosphériques avec Corinne Luchaire<br />

dans les années trente (Je t'attendrai et Prison<br />

sans barreaux), s'acharne ici à donner<br />

un rythme et quelques effets « européens<br />

» (la musique qui chuinte et ne<br />

tourne pas à la bonne vitesse sur une scène<br />

chaotique) à ce qui reste tout de même<br />

« un lourd mélodrame sordide » comme<br />

le qualifia en son temps le critique du magazine<br />

Sunset.<br />

Philippe Garnier


214-ÉTATS-UNIS<br />

BEYOND GLORY<br />

RETOUR SANS ESPOIR<br />

1948-John Farrow<br />

Réal. : John Farrow. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Robert Fellows). Se. : Jonathan <strong>La</strong>timer, Charles<br />

Marquis Warren, William Wister Haines.<br />

Asst. réal. : William H. Coleman. Dir. ph. : John F.<br />

Seitz. Effets photographiques : Farciot Edouart.<br />

Son : Hugo Crenzbach, Walter Oberst. Dir. art. : Hans<br />

Dreier, Franz Bachelin. Dec. : Sam Corner, Ray<br />

Moyer. Cost. : Edith Head. Maq. : Wally Westmore.<br />

Mont. : Eda Warren. Mus. : Victor Young. Int. : Alan<br />

<strong>La</strong>dd (Cadet « Rocky » Gilman), Donna Reed (Ann<br />

Daniels), George Macready (le général en chef Bond),<br />

George Coulouris (Lew Proctor), Harold Vermilyea<br />

(Raymond Denmore, Sr.), Henry Travers (Pop<br />

Dewing), Luis Van Rooten (le docteur White), Tom<br />

Neal (le capitaine Harry Daniels), Conrad janis<br />

(Raymond Denmore, jr.), Margaret Field (Cora), Paul<br />

Lees (Miller), Dick Hogan (Cadet Sgt. Eddie Loughlin),<br />

Audie Murphy (Thomas), Géraldine Wall (Mrs.<br />

Daniels), Charles Evans (Mr. Julian), Russell Wade<br />

(Jensen), Vincent Donahue Qohn Craig), Steve<br />

Pendleton (le général Presscott), Harlan Tucker (le<br />

colonel Stoddard), Sean McClory (Barney), le général<br />

Eisenhower (lui-même). Le film est dédié aux corps de<br />

Cadets de l'Académie militaire de West Point.<br />

Date de sortie : 16 juin 1948, 3 août 1951 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2255 m., 82 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc.<br />

Le sergent « Rocky » Gilman, Cadet à<br />

West Point, comparaît devant une commission<br />

d'enquête. L'attorney Proctor l'accuse de<br />

violence à l'égard d'une jeune recrue, Raymond<br />

Denmore Jr, aujourd'hui le plaignant.<br />

Denmore évoque sa formation, les brima<strong>des</strong><br />

de son supérieur et, selon lui, ses abus d'autorité.<br />

Le lendemain, le général en chef de<br />

l'école rappelle la nécessité de jauger la valeur<br />

<strong>des</strong> hommes avant et non pendant un conflit,<br />

tandis que le cadet Loughlin se souvient de<br />

Rocky comme d'un modèle d'obéissance. A<br />

son tour, Rocky se raconte : pendant la guerre,<br />

il sert sous les ordres du capitaine Daniels,<br />

devenu son ami. Mais lors d'un combat à<br />

Tunis, Daniels est tué et Rocky, longtemps<br />

délirant à l'hôpital, refuse une décoration à sa<br />

sortie. De retour à New York, il erre, incapable<br />

de se réinsérer. Il se présen te devan t la femme<br />

de Daniels et, peu après, entre à West<br />

Point. Alors, l'attorney appelle à témoigner<br />

le docteur Craig, le médecin à Tunis : il a entendu<br />

une fois Rocky, sous l'effet de narcoleptiques,<br />

s'accuser de la mort de son camarade<br />

! Et le lendemain, Rocky confirme l'accusation<br />

! À ce moment, son père intervient<br />

et produit à son tour deux témoins : la fiancée<br />

de son fils qui n 'est autre qu 'Ann Daniels.<br />

Elle se remémore leur rencontre, le complexe<br />

de culpabilité de Rocky. Puis, vient le témoignage<br />

du psychanalyste en poste à Tunis au<br />

moment <strong>des</strong> faits, le docteur White qui réintroduit<br />

à son tour Loughlin, présent lors de<br />

la tragique bataille : Rocky aurait dû protéger<br />

l'avance de Daniels, mais une explosion<br />

l'a laissé inanimé. Depuis, il se sent coupable,<br />

ne se souvenant pas d'avoir été inconscient.<br />

Rocky, comme tant d'autres, est bien un héros<br />

méconnu et Denmore est débouté de sa plainte.<br />

Au final, le général Eisenhower en personne<br />

prononce un discours à West Point sur<br />

l'Amérique, «forteresse de la liberté ».<br />

LE RETOUR DU SOLDAT<br />

Si Beyond Glory (Retour sans espoir) se<br />

remarque dans la filmographie plutôt<br />

quelconque de John Farrow, c'est sans<br />

doute parce qu'il condense plusieurs<br />

genres hollywoodiens. <strong>La</strong> construction<br />

éclatée du récit, constitué d'une succession<br />

de retours en arrière, empile ainsi<br />

différentes conventions appartenant au<br />

suspense juridique, au film de guerre, au<br />

drame psychanalytique. Beyond Glory se<br />

distingue donc d'abord par la façon dont<br />

il superpose divers éléments hétérogènes.<br />

L'ouverture et surtout la conclusion<br />

du film (Eisenhower en personne fait<br />

un discours devant les élèves de West<br />

Point) ne laissent planer aucun doute sur<br />

ses intentions idéologiques. Il s'agit de<br />

faire l'apologie de la célèbre école d'officiers<br />

et de ses métho<strong>des</strong> fondées sur un<br />

système hiérarchique drastique et sur<br />

l'intégration d'un principe de soumission<br />

généralisé. L'effacement de l'individu<br />

par un système d'assujettissement<br />

collectif est-il compatible avec le projet<br />

démocratique inscrit dans les principes<br />

fondamentaux de l'Amérique ? <strong>La</strong> réponse,<br />

bien sûr, ne fera aucun doute dans<br />

le film standard de Farrow où West Point<br />

est présenté littéralement comme la « forteresse<br />

de la démocratie ». <strong>La</strong> formation<br />

<strong>des</strong> défenseurs de celle-ci transcende<br />

ainsi immanquablement les vexations<br />

nécessaires qui sont le quotidien d'une<br />

école où « les mois d'attente sont parfois<br />

traversés de minutes de bonheur ». L'accusation<br />

de brima<strong>des</strong> exercées sur un<br />

élève par le personnage d'Alan <strong>La</strong>dd va<br />

déclencher l'aveu d'un traumatisme subi<br />

durant les combats. Est-il coupable d'une<br />

lâcheté ayant causé la mort d'un de ses<br />

camara<strong>des</strong> ? Le témoignage d'un médecin<br />

mettant à jour la névrose du héros, le<br />

dédouanera in fine. John Farrow est, sans<br />

aucun doute, moins à l'aise qu'un Raoul<br />

Walsh qui, avec un matériau tout aussi<br />

hétérogène, réussira quelques années<br />

plus tard Glory Alley (la Ruelle du péché).<br />

C'est vers le milieu du récit, en tout cas,<br />

que Beyond Glory prend sa dimension la<br />

plus convaincante. Lorsque le héros, vétéran<br />

<strong>des</strong> combats de la Seconde Guerre<br />

mondiale revient chez lui et déclare : « Je<br />

suis rentré à New York et j'ai eu l'impression<br />

que les choses allaient désormais<br />

être différentes », il souligne l'impossibilité<br />

de participer à l'enivrement<br />

généralisé <strong>des</strong> festivités de la victoire, de<br />

s'intégrer à la liesse ambiante poisseuse<br />

et un peu veule. <strong>La</strong> mise en scène, les dé-<br />

cors, la lumière décrivent assez durement<br />

une atmosphère sinistre et dépressive. <strong>La</strong><br />

profondeur de champ <strong>des</strong>sine par moments<br />

le fossé qui sépare la réalité de sa<br />

signification, la vérité de tout réconfort<br />

imaginaire. Le comportement du personnage<br />

introduit là l'idée d'un deuil insoluble<br />

pour les survivants <strong>des</strong> combats<br />

et la sensation d'un irrémédiable gâchis<br />

humain hante cette partie du film. Un<br />

pessimisme évident attribuable à la par-<br />

BEYOND GLORY - 215<br />

ticipation de Jonathan <strong>La</strong>timer à l'écriture<br />

du scénario et dont le titre français<br />

rend bien compte, marque ainsi furtivement<br />

Beyond Glory, malgré son volontarisme<br />

idéologique.<br />

Jean-François Rauger<br />

1 Écrivain célèbre de romans noirs. Il a collaboré aux<br />

scénarios de plusieurs films de John Farrow.<br />

Alan <strong>La</strong>dd.


216 - ÉTATS-UNIS<br />

MITCHELL LEISEN<br />

KITTY<br />

LA DUCHESSE DES BAS-FONDS<br />

1944 - Mitchell Leisen<br />

Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Karl Tunberg). Auteur : Rosamund Marshall, d'après<br />

son roman. Se. : Darrell Ware, Karl Tunberg.<br />

Dir. ph. : Daniel L. Fapp. Effets spéciaux : Gordon<br />

Jennings. Effets photographiques : Farciot Edouart.<br />

Son : Don McKay, Don lohnson. Dir. art. : Fians<br />

Dreier, Walter Tyler.<br />

Décors et costumes <strong>des</strong>sinés par Raoul Pêne du Bois.<br />

Cost. : Madame Karinska. Maq. : Wally Westmore.<br />

Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor Young.<br />

Chorégraphie : Billy Daniels.<br />

Conseiller technique : Hilda Grenier. Int. : Paulette<br />

Goddard (Kitty), Ray Milland (Sir Hugh Marcy), Patrie<br />

Knowles (Brett Harwood, comte de Carstairs),<br />

Reginald Owen (le duc de Malmunster), Cecil<br />

Kellaway (Thomas Gainsborough), Constance Collier<br />

(<strong>La</strong>dy Susan Dowitt), Dennis Hoey (lonathan Selby),<br />

Sara Allgood (la vieille Meg), Eric Blore (Dobson),<br />

Gordon Richards (Sir Joshua Reynolds), Michael Dyne<br />

(le Prince de Galles), Edgar Norton (le comte de<br />

Campton), Patricia Cameron (Elaine Carlisle), Percival<br />

Vivian (le docteur Holt), Mary Gordon (Nanny), Anita<br />

Bolster (Nullens), Heather Wilde (Lil), Charles<br />

Coleman (le majordome), Mae Clark (Molly).<br />

Date de sortie : 16 octobre 1945, 13 mai 1947 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2381 m., 88 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />

Chierichetti : Mitchell Leisen : Hollywood director,<br />

Photoventures Press, 1995.<br />

Les bas-fonds de Londres, 1783. Employée<br />

par la vieille Meg, la jolie Kitty se prostitue.<br />

Un jour qu'elle traîne dans les beaux<br />

quartiers, elle chaparde à un « aristo » ses<br />

chaussures. Celui-ci, loin de la faire arrêter,<br />

l'introduit chez lui, la débarbouille et la peint.<br />

Il s'appelle Thomas Gainsborough. À l'atelier,<br />

Kitty rencontre Sir Hugh Marcy, un<br />

noble désargenté qui la prend à son service.<br />

Lors d'une exposition, le portrait de la belle<br />

inconnue attire tous les regards, et Hugh<br />

commence à entrevoir le parti à tirer de la notoriété<br />

de sa servante. Il dit la connaître, promet<br />

une rencontre au puissant duc de Malmunster<br />

et s'échine dès lors à faire de cette<br />

souillon une princesse. Mais pour éponger les<br />

dettes de Hugh qu'elle aime en secret, Kitty<br />

épouse un riche quincaillier. Celui-ci ne tarde<br />

pas à découvrir que sa femme est une voleuse.<br />

Un soir, il la bat ; une servante fracasse le crâne<br />

du maître avec un tisonnier avant de se<br />

jeter du haut d'un escalier. Voilà Kitty riche,<br />

veuve et... enceinte. Présentée enfin au vieux<br />

duc, elle l'épouse illico, et bientôt lui promet<br />

un héritier. Le soir de l'accouchement, bouleversé,<br />

épuisé par les centaines de marches de<br />

son palais, le duc s'effondre. Voilà Kitty très<br />

riche, encore veuve et mère du petit duc de<br />

Malmunster. Brett, comte de Carstairs, la<br />

courtise et très vite propose le mariage. Hugh,<br />

enfin amoureux et sentant le danger, exhibe<br />

la vieille Meg qui déballe le passé. Con tre touteattente,<br />

Brett ne change pas d'avis. Vaincu,<br />

Hugh se retire. Mais Kitty dévale les escaliers<br />

et se jette dans ses bras.<br />

TO EACH HIS OWN<br />

À CHACUN SON DESTIN<br />

1945 - Mitchell Leisen<br />

Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Charles Brackett). Auteur : Charles Brackett.<br />

Se. : Charles Brackett, Jacques Thery. Dir. ph. : Daniel<br />

L. Fapp, ASC. Effets spéciaux : Gordon jennings, ASC.<br />

Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />

Son : Don McKay, John Cope. Dir. art. : Hans Dreier,<br />

Roland Anderson. Déc. : Sam Corner, James M.<br />

Walters. Cost. : Edith Head. Maq. : Wally Westmore.<br />

Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor Young.<br />

Int. : Olivia De Havilland (Miss josephine Norris),<br />

Mary Anderson (Corinna Piersen), Roland Culver (Lord<br />

Desham), Phillip Terry (Alex Piersen), Bill Goodwin<br />

(Mac Tilton), Virginia Welles (Liz Lorimer), Victoria<br />

Home (Daisy Gingras), Griff Barnett (Mr. Norris),<br />

Aima Macrorie (Belle Ingham), Bill Ward (Gregory, à<br />

l'âge de cinq ans), Frank Faylen (Babe), Willard<br />

Robertson (le docteur Hunt), Arthur Loft (Mr. Clinton),<br />

Virginia Farmer (Mrs. Clinton), Doris Lloyd (Miss<br />

Pringle), Clyde Cook (Mr. Harkett), Ida Moore (Miss<br />

Clafin), Mary Young (Mrs. Nix), John Lund (le<br />

capitaine Bart Cosgrove/Gregory Piersen).<br />

Texte de présentation : « The most mysterious<br />

mysteries are people, and usually people who don't<br />

seem mysterious at ail ». Date de sortie : 12 mars<br />

1946, 5 novembre 1947 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 3328 m., 122 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />

Chierichetti : op. cit.<br />

<strong>La</strong> veille du jour de l'an, dans Londres<br />

bombardé, Josephine Norris, une américaine<br />

d'une cinquantaine d'années, sympathise<br />

avec Lord Desham, tant il semble lui aussi<br />

porter le poids d'un passé sinistré. Elle le laisse<br />

en plan quand elle apprend que l'officier<br />

Gregory Piersen arrive par le train du soir. A<br />

la gare, Josephine se souvient de l'autre guerre,<br />

de ce temps où elle était une jolie jeune fille<br />

rêvant à l'amour dans une petite ville de province.<br />

Éprise d'un aviateur de passage qui<br />

meurt au front, elle se retrouve enceinte et,<br />

après une grossesse courageuse, fille-mère.<br />

Inquiète du qu'en-dira-t-on, elle imagine<br />

d'abandonner le bébé pour l'adopter ensuite,<br />

quand elle est prise de vitesse par un couple<br />

d'amis en mal d'enfant. Celui que Josephine<br />

attend à la gare est cet enfant devenu grand,<br />

son enfant. Empêchée de le récupérer par la<br />

mère adoptive, décidée à se battre, repoussant<br />

toutes les deman<strong>des</strong> en mariage, Josephine<br />

part à New York et fait fortune dans les cosmétiques.<br />

Gregory a cinq ans maintenant et<br />

elle a le pouvoir désormais de le racheter à ses<br />

parents adoptifs ruinés. Mais il n 'est pas heureux<br />

dans sa nouvelle maison. De peur qu'il<br />

haïsse sa « tante », elle le rend à sa famille et<br />

s'exile à Londres. Le train entre en gare. Elle<br />

le reconnaît immédiatement. Lui est plus préoccupé<br />

de retrouver sa fiancée que défaire la<br />

conversation à celle qu'il croit une parente<br />

éloignée. Une fois de plus, Josephine se tient<br />

en retrait, mais confesse son secret à Lord Desham<br />

qui organise alors une petite mise en<br />

scène au terme de laquelle Gregory se retrouve<br />

marié et, enfin, informé sur ses origines.<br />

GOLDEN EARRINGS<br />

LES ANNEAUX D'OR<br />

1946-Mitchell Leisen<br />

Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Harry Tugend). Auteur : Yolanda Fol<strong>des</strong>, d'après son<br />

roman. Se. : Abraham Polonsky, Frank Butler, Helen<br />

Deutsch. Asst. réal. : johnny Coonan.<br />

Dir. ph. : Daniel L. Fapp, ASC.<br />

Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC.<br />

Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />

Son : Don McKay, Walter Oberst. Dir. art. : Hans<br />

Dreier, john Meehan. Déc. : Sam Corner, Grâce<br />

Gregory. Cost. : Mary Kay Dodson. Maq. : Wally<br />

Westmore. Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor<br />

Young. Chanson « Golden Earrings » : Jay Livingston,<br />

Ray Evans (paroles), Victor Young (musique).<br />

Assistant musique : Phil Boutelje. Chorégraphie : Billy<br />

Daniels. Int. : Ray Milland (le colonel Ralph<br />

Denistoun), Marlene Dietrich (Lydia), Murvyn Vye<br />

(Zoltan), Bruce Lester (Byrd), Dennis Hoey (Hoff),<br />

Quentin Reynolds (lui-même), Reinhold Schunzel (le<br />

professeur Otto Krosigk), Ivan Triesault (le major<br />

Reimann), Hermine Sterler (Greta Krosigk), Eric<br />

Feldary (Zweig), Gisela Werbiseck, <strong>La</strong>rry Simms, Hans<br />

Von Morhart, Louise Colombet. Date de sortie : 27<br />

août 1947, 17 septembre 1948 (Paris).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2590 m., 95 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />

Chierichetti : op. cit.<br />

Londres, automne 1946. Le colonel Ralph<br />

Denistoun (signeparticulier : les oreillespercées)<br />

reçoit un petit colis contenant deux anneaux<br />

d'or. Aussitôt, il quitte son hôtel. Dans<br />

l'avion, il raconte son histoire à Reynolds, un<br />

ancien correspondant de guerre américain.<br />

Avant le début <strong>des</strong> hostilités, l'officier Byrd<br />

et lui-même étaient en Allemagne, envoyés<br />

par les services secrets anglais pour entrer en<br />

contact avec un scientifique détenteur de la<br />

formule d'un gaz très nocif. Mais ils sont faits<br />

prisonniers par les nazis. Ils s'évadent et,<br />

dans la nuit, se séparent pour augmenter<br />

leurs chances. Avançant en pays hostile,<br />

Ralph rencontre Lydia, une gitane. Il a l'idée<br />

de voyager avec elle, déguisé en gitan (les<br />

boucles d'oreilles !). D'abord sur ses gar<strong>des</strong>,<br />

il tombe peu à peu sous le charme ensorceleur<br />

de la diseuse de bonne aventure. Ils traversent<br />

ainsi une grande partie de l'Allemagne,<br />

à la barbe de l'ennemi. Un soir, ils arrivent<br />

au camp de Zoltan, le chef <strong>des</strong> gitans, avec lequel<br />

Ralph se bat avant de sympathiser. Peu<br />

à peu, Ralph se transforme et n'est plus tout<br />

à fait un « gadjo » : il devine les pensées de<br />

Lydia et, quand il retrouve Byrd, lit dans la<br />

main de son ami qu'il va mourir. Ce qui arrive.<br />

Il trouve la maison du professeur. Les<br />

nazis sont là aussi. Avec l'aide de Zoltan et<br />

de Lydia, il obtient quand même la formule<br />

au moment précis où la guerre est annoncée<br />

à la radio. Lydia l'a aidé à quitter le territoire<br />

allemand et maintenant, six ans après, il vole<br />

vers elle.<br />

SONG OF SURRENDER<br />

1948-Mitchell Leisen<br />

Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />

(Richard Maibaum). Auteur : Ruth McKenney, Richard<br />

Bransten. Se. : Richard Maibaum. Asst. réal. : lohn<br />

Coonan. Dir. ph. : Daniel L. Fapp, ASC.<br />

Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC.<br />

MITCHELL LEISEN-217<br />

Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />

Son : Don McKay, John Cope. Dir. art. : Hans Dreier,<br />

Henry Bumstead. Déc. : Sam Corner, Ray Moyer.<br />

Cost. : Mary Kay Dodson. Maq. : Wally Westmore.<br />

Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor Young.<br />

Chanson « Song of Surrender » : Jay Livingston, Ray<br />

Evans (paroles), Victor Young (musique). Chantée par<br />

Buddy Clark. Sérénade de Schubert, chantée par<br />

Richard Tucker (« Metropolitan Opéra Company »).<br />

Una furtiva lagrima, O Paradiso, O sole mio, <strong>La</strong><br />

donna è mobile, par Enrico Caruso.<br />

Direction <strong>des</strong> dialogues : Phyllis Loughton.<br />

Int. : Wanda Hendrix (Abigail Hunt), Claude Rains<br />

(Elisha Hunt), MacDonald Carey (Bruce Eldridge),<br />

Andréa King (Phyllis Cantwell), Henry Hull (Deacon<br />

Parry), Elizabeth Patterson (Mrs. Beecham), Art Smith<br />

(Mr. Willis), john Beal (Dubois), Eva Gabor (la<br />

comtesse Marina), Dan Tobin (Clyde Atherton),<br />

Nicholas Joy (le général Seckle), Peter Miles (Simon<br />

Beecham), Ray Walker (le commissaire-priseur), Gigi<br />

Perreau (Faith Beecham), Ray Bennett (Mr. Beecham),<br />

Clancy Cooper (Mr. Toorance), Georgia Backus (Mrs.<br />

Parry). Date de sortie : 28 octobre 1949.<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2537 m., 93 mn.<br />

Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />

Chierichetti : op. cit.<br />

<strong>La</strong> Nouvelle Angleterre, 1906. Conservateur<br />

d'un musée, paroissien austère aux<br />

principes stricts, Elisha Hunt a épousé Abigail,<br />

une femme beaucoup plus jeune que lui,<br />

presqu'une gamine. Bruce Eldridge, un dilettante<br />

de la classe aisée new yorkaise, rencontre<br />

fortuitement le couple. Il est séduit par<br />

cette enfant sauvage, innocente, ignorant<br />

tout <strong>des</strong> plaisirs du monde et dévouée au<br />

maître du logis. À une vente aux enchères où<br />

son mari l'a laissée aller seule, Abigail acquiert,<br />

un peu par hasard, et au grand dam<br />

<strong>des</strong> défenseurs de la décence, un gramophone<br />

! De retour à la maison, elle met un disque<br />

et « rencontre » Caruso. Mais Elisha ne<br />

l'entend pas de cette oreille. Elle cache la machine<br />

diabolique dans une grotte, et en l'absence<br />

de son mari, écoute cette musique qui<br />

fait vibrer en elle une corde inconnue. Séduite<br />

par cette atmosphère nouvelle, elle se laisse<br />

embrasser par Bruce qui l'a rejointe. Le soir<br />

suivant, il l'emmène au bal. Mais quand<br />

sonne minuit, elle renonce aux lumières de la<br />

ville, au Champagne, à la valse, à son amant


218-ÉTATS-UNIS<br />

et retourne à son quotidien. Pourtant, elle cache<br />

difficilement sa tristesse et Elisha, de retour,<br />

comprend ce qui a changé. Le lendemain<br />

à la messe, il monte en chaire et se déchaîne.<br />

Il désigne publiquement sa femme comme pécheresse<br />

et la chasse. Hors d'elle, elle part à<br />

New York retrouver Bruce qui quitte sur le<br />

champ Phyllis, sa fiéleuse fiancée. Ensemble,<br />

ils retournent à la maison d'Elisha et le voient<br />

très mal en point. Abigail choisit de rester à<br />

ses côtés. Peu après, il meurt d'une attaque.<br />

Et un jour, une musique familière s'échappe<br />

de la grotte. Elle court vers son amour.<br />

LUMIÈRES DANS L'OMBRE<br />

Parce qu'il débuta comme décorateur,<br />

Mitchell Leisen (1898-1972) passe<br />

pour un cinéaste décoratif. Idée toute<br />

faite, idée mal faite, selon laquelle il n'y<br />

aurait à ce compte de films alimentaires<br />

que ceux réalisés par <strong>des</strong> metteurs en<br />

scène ayant débuté comme responsable<br />

de la cantine.<br />

Fils d'un brasseur de bière du Michigan,<br />

Leisen fait <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> d'architecture<br />

et commence comme protégé de Cecil B.<br />

DeMille, pour qui il s'occupe, de 1919 à<br />

1932, non seulement <strong>des</strong> décors, mais<br />

aussi <strong>des</strong> costumes. Il travaille avec Frank<br />

Urson (Chicago), Ernst Lubitsch, Allan<br />

Dwan, Raoul Walsh, avant de coréaliser<br />

deux films avec Stuart Walker. Il devient<br />

un <strong>des</strong> piliers de la Paramount pour laquelle<br />

il va tourner trente cinq films de<br />

1933 à 1951. <strong>La</strong> plupart sont assez difficiles<br />

à voir aujourd'hui. On connaît surtout<br />

Murder at The Vanities (1934), agréable<br />

thriller dont certaines « trouvailles »<br />

de mise en scène sont épatantes et qui a<br />

le bon goût de présenter l'orchestre de<br />

Duke Ellington ; Easy Living (1937), une<br />

charmante comédie écrite par Preston<br />

Sturges où Jean Arthur fait <strong>des</strong> étincelles ;<br />

Midnight/la Baronne de minuit (1939), écrit<br />

par le tandem Wilder-Brackett, où Leisen<br />

est sans doute le plus proche de Lubitsch ;<br />

Remember the Night (1940) où le couple<br />

Barbara Stanwyck-Fred McMurray ma-<br />

gnifie un superbe script de Preston<br />

Sturges.<br />

C'est avec <strong>La</strong>dy in the Dark I les Nuits<br />

ensorcelées (1944) - dont le titre original<br />

pourrait symboliser la partie la plus intime<br />

de son œuvre - que Mitchell Leisen<br />

cesse d'être un cinéaste de genre pour injecter<br />

<strong>des</strong> éléments plus personnels, parfois<br />

lourds et hétérogènes, à l'intérieur<br />

<strong>des</strong> mélodrames et comédies que la Paramount<br />

lui fait tourner.<br />

L'exemple de Kitty I la Duchesse <strong>des</strong><br />

bas-fonds (1945) est assez symptomatique<br />

du tournant opéré. Il fait partie <strong>des</strong> films<br />

« à costumes » tournés par Leisen après<br />

la guerre. L'histoire commence dans les<br />

taudis de Londres sous le règne de<br />

George III, c'est-à-dire près de cent ans<br />

après l'intrigue de Forever Amber I Ambre<br />

(Otto Preminger, 1947). On plonge au<br />

cœur de cette société anglaise de la fin du<br />

XVIII e siècle, où les Lumières cheminent<br />

lentement depuis l'Ecosse, la capitale<br />

étant livrée à la pourriture sociale et du<br />

même coup au joyeux cynisme qui forment<br />

le fond du roman picaresque anglais<br />

et l'axe du scénario de ce film. <strong>La</strong><br />

duplicité, le faux-amour, les chassés-croisés<br />

sentimentaux calculés, la pénombre<br />

propre à Leisen opèrent autour d'un<br />

thème central : l'argent. Lors de la première<br />

scène dramatique du film, magnifiquement<br />

photographiée et mise en<br />

scène, le mari de Kitty est assassiné pour<br />

que ne soit pas révélé un vol de soixantequinze<br />

livres sterling. Les liaisons, les<br />

mariages, les décès sont <strong>des</strong> instruments<br />

au service de l'argent. Ce qui est non-dit<br />

sentimental ailleurs chez Leisen, est ici<br />

dissimulation et calcul. Le mystère de<br />

l'être moyèn ou de basse extraction n'est<br />

plus ici le produit de ses conditions<br />

d'existence mais l'occasion de son ascension<br />

sociale. Mitchell Leisen donne avec<br />

Kitty une variation cynique et souvent<br />

brillante de sa prédilection pour la réalité<br />

cachée <strong>des</strong> êtres et les méandres équivoques<br />

de la passion.<br />

Il est même arrivé que la possibilité<br />

d'un traitement personnel de la théma-<br />

tique d'un film ne lui apparaisse pas immédiatement<br />

et lui semble tout d'abord<br />

inexistante, comme ce fut le cas avec To<br />

Each His Own IÀ chacun son <strong>des</strong>tin (1946).<br />

On sait que Mitchell Leisen ne s'est que<br />

peu à peu enthousiasmé pour cette histoire<br />

dans la tradition du war melodrama,<br />

en particulier suite aux affrontements les<br />

premières semaines avec le scénariste<br />

Charles Brackett. Il s'agit pourtant d'un<br />

sujet typiquement « leisenien », nécessitant<br />

un traitement en flash-back et mettant<br />

au cœur de l'intrigue l'histoire « secrète<br />

» d'une femme d'origine mo<strong>des</strong>te<br />

(son père tient un drugstore) qui devient<br />

successivement femme d'affaires et mère<br />

solitaire et renfermée. Le film est, à n'en<br />

pas douter, réalisé du point de vue de<br />

cette femme, admirablement interprétée<br />

en finesse et en retenue par Olivia de Havilland.<br />

Le prologue, en forme d'hommage à<br />

tous les « John Doe » de la terre, affirme<br />

clairement la thématique et l'ambition du<br />

film qui peuvent se comprendre comme<br />

celles du cinéma de Mitchell Leisen dans<br />

ses plus gran<strong>des</strong> réussites : « Les mystères<br />

les plus mystérieux, ce sont les gens<br />

et, d'habitude, les gens qui ne semblent<br />

pas du tout mystérieux. » Le spectateur<br />

est ainsi constamment sollicité pour en<br />

apprendre plus sur les personnages que<br />

les personnages n'en savent eux-mêmes.<br />

Leisen traite avec goût, lyrisme et discrétion<br />

les moments-clés où l'information<br />

est donnée aux spectateurs, car il s'agit<br />

dans ces moments de l'essence même de<br />

son talent particulier et de son intérêt<br />

pour l'histoire qu'il raconte. Voir par<br />

exemple la scène du verre de lait par laquelle<br />

nous apprenons que Miss Norris<br />

est enceinte, ou la scène finale de la révélation<br />

de son identité à son fils. To Each<br />

His Own semblait au départ un fardeau à<br />

Mitchell Leisen. À l'arrivée, il s'agit pourtant<br />

d'un de ses films les plus achevés et<br />

sans doute un <strong>des</strong> plus personnels.<br />

Il lui est cependant arrivé de ne pas<br />

pouvoir réellement transfigurer ou même<br />

infléchir le matériau dont il disposait,<br />

En haut :<br />

Kitty,<br />

Ray Milland, Paulette Goddard.<br />

En bas :<br />

Golden Earrings,<br />

Marlene Dietrich, Ray Milland.<br />

MITCHELL LEISEN - 219


220 - ÉTATS-UNIS<br />

En haut :<br />

To Each His Own,<br />

Olivia De Haviland, John Lund.<br />

En bas :<br />

Song of Surrender,<br />

Wanda Hendrix.<br />

comme ce fut le cas avec Golden Earrings<br />

I les Anneaux d'or (1947). Improbable histoire<br />

d'espionnage, le film est pourtant<br />

construit, comme souvent chez Leisen,<br />

sur un flash-back exposant les circonstances<br />

qui ont conduit Ray Milland à<br />

avoir les oreilles percées. Mais le talent<br />

du metteur en scène n'est pas à son affaire<br />

avec <strong>des</strong> héros, ni avec une guerre<br />

mondiale. Il ne s'intéresse visiblement<br />

pas à son intrigue, hormis lors de la scène,<br />

la meilleure du film, où le savant qui détient<br />

une formule de la plus haute importance<br />

parvient à la transmettre à Ray<br />

Milland, déguisé en tsigane, au nez et à<br />

la barbe <strong>des</strong> nazis en emportant l'adhésion<br />

complice du spectateur. L'intrigue<br />

proprement politique et d'espionnage est<br />

traitée de façon quasi somnambulique.<br />

Le film est entièrement legato, statique et<br />

bavard, englué pour finir dans une musique<br />

hollywoodo-tsigane sirupeuse du<br />

pire effet. Golden Earrings est cependant<br />

un film intéressant, en ce qu'il suggère les<br />

limites de l'univers auquel Mitchell Leisen<br />

peut apporter un talent par ailleurs<br />

remarquable. Mais il faut bien le reconnaître<br />

: Golden Earrings n'est pas Cloak and<br />

Dagger (1946). <strong>La</strong> comparaison <strong>des</strong> deux<br />

films, construits sur un schéma assez voisin,<br />

permettrait sans doute d'affiner les<br />

caractéristiques <strong>des</strong> univers respectifs de<br />

Fritz <strong>La</strong>ng et de Mitchell Leisen, et de la<br />

personnalisation du matériau narratif<br />

qu'ils manipulent.<br />

Leisen, brillant réalisateur d'avantguerre,<br />

bénéficia de l'aide de scénaristes<br />

aussi inventifs que Preston Sturges, Billy<br />

Wilder et Charles Brackett. En 1941, il a<br />

travaillé sur <strong>des</strong> scripts de Richard Maibaum<br />

pour I Wanted Wings (l'Escadrille <strong>des</strong><br />

jeunes) et Hold Back the Dawn (la Porte d'or)<br />

et c'est à nouveau Maibaum qui écrit le<br />

scénario étrange et fort de Song of Surrender<br />

(1948).<br />

Ce film représente sans doute la mise<br />

en œuvre la plus aboutie du goût de Mitchell<br />

Leisen pour la pénombre <strong>des</strong> sentiments,<br />

souvent symbolisée par la pénombre<br />

même <strong>des</strong> décors. Leisen décrit<br />

avec minutie et élégance les tourments<br />

<strong>des</strong> passions chez <strong>des</strong> êtres humbles et<br />

apparemment simples, dissimulés au sein<br />

d'une société puissamment policée et farouchement<br />

obscurantiste, ici la Nouvelle<br />

Angleterre blanche et protestante<br />

du début du siècle.<br />

Le travail de son directeur de la photo<br />

et complice, Daniel L. Fapp, est comme<br />

d'habitude essentiel au style de Leisen. Il<br />

lui permet de donner un équivalent immédiat,<br />

palpable, au clair-obscur <strong>des</strong> sentiments<br />

qui habitent le personnage féminin<br />

principal dont c'est, une fois encore,<br />

le point de vue qui structure la narration.<br />

<strong>La</strong> souplesse <strong>des</strong> travellings, la composition<br />

travaillée de cette région qui se<br />

trouve à la jonction <strong>des</strong> ombres et <strong>des</strong> lumières,<br />

évoquent de façon révélatrice les<br />

tonalités ambiguës de son univers psychologique.<br />

Il y a au fond peu de cinéastes<br />

dont l'univers plastique résume, symbolise<br />

et enrichit l'univers émotionnel. Mitchell<br />

Leisen est de ces cinéastes-là dans<br />

ses meilleurs films. Song of Surrender en<br />

fait partie et, à ce titre, s'impose comme<br />

une œuvre à redécouvrir.<br />

On peut regretter que la collaboration<br />

avec Maibaum ne se poursuive pas après<br />

No Man of Her Ownlles Chaînes du <strong>des</strong>tin<br />

(1950), remarquable film noir d'après<br />

William Irish. Les deux hommes se détestent.<br />

Tout les oppose : Maibaum est un<br />

hétérosexuel de gauche qui vient du<br />

théâtre à tendance sociale, Leisen est un<br />

homosexuel capricieux et raffiné, indifférent<br />

à la politique. De l'alliance de ces<br />

deux mon<strong>des</strong> auraient pu naître de grands<br />

films, mais le <strong>des</strong>tin en a décidé autre-<br />

ment.<br />

Dire : « Au fond, le cinéma intéressait<br />

peu ce dilettante » 1 relève de la diffamation,<br />

qui n'est pas poursuivie en matière<br />

artistique. Sous réserve d'inventaire 2 ,<br />

Mitchell Leisen a réalisé en quinze ans au<br />

moins six films qui témoignent d'un réel<br />

engagement esthétique et d'un indiscutable<br />

talent de metteur en scène. Si l'on<br />

veut bien considérer que « le style, c'est<br />

l'homme », Leisen est un <strong>des</strong> réalisateurs<br />

MITCHELL LEISEN - 221<br />

les plus personnels de l'usine hollywoodienne,<br />

parvenant à infléchir les scénarios<br />

les plus rebattus vers un entre chien<br />

et loup psychologique et sentimental<br />

souvent en concordance avec une splendeur<br />

esthétique qu'on ne lui dénie jamais.<br />

En 1951, il quitte la Paramount. Il a<br />

cinquante-trois ans. Il fait six films pour<br />

trois studios différents. <strong>La</strong> télévision, le<br />

rock and roll, les drive-in, la science-fiction,<br />

le hula-hoop vont débouler. En 1957,<br />

il ne peut plus tourner que pour la télévision,<br />

à l'exception du catastrophique<br />

Spree dix ans plus tard. Il n'a ni l'âge ni<br />

les dispositions pour Corman et Arkoff ;<br />

il n'a pas non plus le goût du combat pour<br />

le cinéma indépendant. Il faut bien vivre,<br />

et les studios eux-mêmes souffrent. Ce<br />

professionnel averti et passionné par le<br />

cinéma et son esthétique retourne alors à<br />

ses premières amours : les costumes et la<br />

décoration.<br />

Le fait est qu'après 1950 et la séparation<br />

d'avec Maibaum, Mitchell Leisen n'a<br />

hélas plus retrouvé cette aptitude particulière,<br />

magnifiant chacune de ses réussites<br />

et génératrice d'émotion - la matière<br />

même dont sont faits les films -, à peindre<br />

<strong>des</strong> personnages ordinaires, et singulièrement<br />

<strong>des</strong> femmes, torturés simultanément<br />

par la recherche d'étincelles de vie<br />

et la crainte de l'embrasement.<br />

Jean-Pierre Jackson<br />

1 Jean Tulard : Dictionnaire <strong>des</strong> réalisateurs, Robert <strong>La</strong>ffont,<br />

1982 et 1992.<br />

2<br />

Ce « dilettante » réalisa vingt-huit films en dix-sept<br />

ans, entre 1933 et 1950, sur lesquels il assura, souvent<br />

non crédité, la coécriture du scénario, la supervision<br />

<strong>des</strong> costumes et <strong>des</strong> décors, et quelquefois la production.<br />

Beaucoup de ces films sont très difficiles à<br />

voir aujourd'hui. Cette situation pourrait, au vu <strong>des</strong><br />

titres sauvegardés par la <strong>Ciné</strong>mathèque française (en<br />

particulier Kitty, Song of Surrender et To Each His<br />

Own), réserver de réelles surprises, rendant ridicule<br />

un jugement péremptoire de nature psychologique<br />

non basé sur une vraie consultation <strong>des</strong> œuvres.


Beyond Glory<br />

(John Farrow,<br />

1948).<br />

222 - ÉTATS-UNIS<br />

PARAMOUNT<br />

En 1973, pour le soixantième anniversaire<br />

de la Paramount, la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française rendait hommage au<br />

fondateur du studio. À cette occasion,<br />

Henri <strong>La</strong>nglois a écrit le texte que nous<br />

reproduisons ici.<br />

L'ŒUVRE D'ADOLPH ZUKOR<br />

En 1912, la guerre <strong>des</strong> brevets bloquait<br />

l'avenir du cinéma américain.<br />

Traqués par les huissiers, fuyant vers<br />

l'Ouest, face à la Biograph et à la Vitagraph,<br />

et surtout face au film d'art européen<br />

qui dominait le marché, les indépendants<br />

étaient de véritables outlaws,<br />

méprisés de l'industrie régulière.<br />

C'est ainsi que Zukor mit fin à cette<br />

situation d'ilotes, en associant à la production<br />

indépendante le nom prestigieux<br />

de Sarah Bernhardt. Ce fut Elisabeth Reine<br />

d'Angleterre I Queen Elizabeth de Louis<br />

Mercanton qui marqua l'avènement du<br />

cinéma américain tel qu'il nous est<br />

connu.<br />

Dès 1913, Mary Pickford a choisi<br />

Zukor, et Broadway a émigré à Hollywood<br />

avec Cecil B. DeMille. Les derniers<br />

films du grand pionnier de la Biograph,<br />

Edwin S. Porter, sont <strong>des</strong> films Famous<br />

Players, c'est-à-dire Paramount.<br />

Associé à Jesse <strong>La</strong>sky, Adolph Zukor,<br />

d'abord inquiet du gigantisme de Griffith,<br />

en tire la leçon devant le triomphe de<br />

The Birth ofa Nation. Il est mûr pour faire<br />

de la Paramount le pivot principal de<br />

l'Hollywood naissant.<br />

Bientôt, Maurice Tourneur va apporter<br />

son concours et renouveler les liens<br />

entre l'art cinématographique français et<br />

la Paramount.<br />

Bientôt, tout le <strong>des</strong>tin du cinéma français<br />

va se trouver modifié par l'apparition<br />

à Paris de The Cheat (Forfaiture). C'est<br />

ainsi que le renouveau du cinéma fran-<br />

çais a pour origine la vision d'un film de<br />

Cecil B. DeMille.<br />

À la fin de la Triangle, Thomas H.<br />

Ince, Douglas Fairbanks, William S. Hart<br />

vont se replier sur la Paramount, avant<br />

de retrouver un deuxième souffle.<br />

James Cruze va s'y révéler et c'est<br />

vers Zukor que se tourne Valentino.<br />

Entre-temps, Cecil B. DeMille, avec Wallace<br />

Reid et Gloria Swanson, vont transférer<br />

sur le Pacifique notre Comédie <strong>des</strong><br />

Boulevards. Alfred Savoir, Yves Mirande<br />

verront leurs œuvres portées à l'écran et<br />

habillées par Erté et Paul Iribe, dans ce<br />

qui maintenant s'appelle Paramount, à<br />

New York comme à Paris, où s'est constituée<br />

la Paramount française en 1921.<br />

Louis Mercanton y mettra en scène<br />

Réjane (Miarka, la fille à l'ourse I Gipsy Passion),<br />

Henry Roussell y fera débuter Raquel<br />

Meller, et Gloria Swanson y viendra<br />

tourner, sous la direction de Léonce Perret,<br />

à Fontainebleau, Madame Sans-Gêne.<br />

1923 verra The Covered Wagon (la Caravane<br />

vers l'Ouest) et The Ten Commandments.<br />

Puis, quand DeMille quittera la Paramount<br />

pour devenir son seul producteur,<br />

Zukor n'hésitera pas à le remplacer<br />

par Griffith.<br />

Venus d'Allemagne, Lubitsch et Pola<br />

Negri passent, à leur tour, à la Paramount,<br />

et Forbidden Paradise va marquer<br />

le joint à nouveau entre l'art européen et<br />

l'art américain.<br />

Mais c'est l'avènement de Sternberg,<br />

avec Underworld (les Nuits de Chicago), qui<br />

va marquer le cinéma américain pour<br />

plus d'une décade.<br />

C'est aussi la participation de la Paramount<br />

à la création de Variété qui<br />

marque la maturité du cinéma muet.<br />

Ce sont Emil Jannings et Mauritz Stiller<br />

qui rejoignent la famille Paramount.<br />

Dans un autre domaine, ce sont les<br />

grands documentaires, encore inégalés :<br />

Grass de Schoedsack et Cooper, Moana de<br />

Robert Flaherty, Tabu de Murnau. Finalement,<br />

le dernier chef-d'œuvre d'Erich<br />

von Stroheim : The Wedding March I la<br />

Symphonie nuptiale.<br />

C'est aussi à la Paramount qu'on doit<br />

Louise Brooks et W.C. Fields, et cette série<br />

de comédies mises en scène par Malcolm<br />

St Clair, avec Adolphe Menjou et Bebe<br />

Daniels.<br />

Ce sont les premières actualités sonores<br />

et l'avènement du parlant.<br />

<strong>La</strong> venue de Maurice Chevalier, Ver<br />

Blaue Engel, avec Marlene Dietrich, et la<br />

grande époque de ce qu'on appelait alors<br />

l'opérette filmée.<br />

C'est le renouvellement total du cinéma<br />

burlesque américain par les Marx<br />

Brothers et toute la grande série <strong>des</strong> burlesques<br />

Paramount.<br />

C'est, enfin, Mae West.<br />

À Paris, les studios Paramount, à<br />

Saint-Maurice, sont au centre de toute la<br />

production européenne. On y tourne en<br />

anglais, en français, en espagnol, en suédois,<br />

en allemand, Marins de Pagnol et<br />

toute une série de films d'après Marcel<br />

Achard, Yves Mirande et Alfred Savoir.<br />

Et puis, c'est le réveil du génie de<br />

Cecil B. DeMille, les grands westerns signés<br />

de lui et de King Vidor, l'avènement<br />

de Hathaway, le renouvellement de la<br />

comédie américaine par Preston Sturges<br />

et, après la guerre, Billy Wilder, William<br />

Wyler.<br />

Tandis qu'à l'opposé, Hitchcock, qui<br />

a rejoint la Paramount, ajoute à son alchimie,<br />

la couleur, et fait de Vertigo<br />

(Sueurs froi<strong>des</strong>) une <strong>des</strong> œuvres les plus<br />

essentielles du cinéma.<br />

Ce sont les ultimes créations de Cecil<br />

B. DeMille, superproductions où il retrouve<br />

tout son souffle, et qui s'achèvent<br />

sur The Ten Commandments.<br />

C'est la fin d'une époque, celle <strong>des</strong><br />

films <strong>des</strong>tinés à l'enthousiasme <strong>des</strong> masses,<br />

jusqu'aux pays les plus éloignés de<br />

notre civilisation.<br />

Mais ces productions, par lesquelles<br />

la Paramount essaye de rompre les maléfices<br />

qui cernent l'avenir du cinéma, de<br />

dominer le problème que pose l'avènement<br />

de la télévision, de faire face à ce qui<br />

risque de compromettre l'ampleur et<br />

l'audience de l'art cinématographique,<br />

sont dépassées par la profondeur d'une<br />

crise, qui n'est pas celle de l'art cinématographique,<br />

mais celle de toute une civilisation,<br />

et ces films marquent la fin<br />

d'une époque, comme Elisabeth reine<br />

d'Angleterre en a marqué l'avènement.<br />

Le génie de Zukor consiste à ne pas<br />

s'obstiner. Il fit face à l'inconnu, à cette<br />

mutation dont on ressentait les effets,<br />

sans en trouver, sinon la raison, du moins<br />

la solution.<br />

C'est ainsi que la Paramount, dans le<br />

noir où se débattaient le cinéma professionnel<br />

et la grande industrie cinématographique,<br />

se rallia d'instinct à la solution<br />

qui allait lui permettre de renouveler<br />

son <strong>des</strong>tin et de retrouver sa vigueur.<br />

Toute entreprise nouvelle est due à<br />

<strong>des</strong> pionniers, à <strong>des</strong> novateurs, à la jeunesse,<br />

puis, l'entreprise mise sur rail,<br />

avance et grandit par la force même de<br />

son existence, de son organisation, de son<br />

acquis, de sa professionnalité, la succession<br />

du fondateur ne posant aucun problème,<br />

se faisant naturellement par passation<br />

de pouvoir, par succession de<br />

connaissances : Eastman mort, Kodak continue,<br />

prospère, se développe.<br />

PARAMOUNT - 223<br />

Il en est tout autrement d'une entreprise<br />

liée à la création artistique. C'est<br />

une question qui dépasse le savoir, qui<br />

exige l'instinct, <strong>des</strong> dons, <strong>des</strong> audaces,<br />

une vitalité, un médium avec le public.<br />

C'est pour avoir su confier les <strong>des</strong>tins<br />

de la Paramount à <strong>des</strong> hommes, comme<br />

lui pragmatiques, mais jeunes et par là<br />

plus en contact avec les réalités du devenir,<br />

que Zukor a maintenu la Paramount.<br />

C'est ce qui lui a permis de trouver les<br />

films qui pouvaient toucher les nouvelles<br />

générations de spectateurs et répondre à<br />

ce qu'elles attendaient du cinéma.<br />

Pourquoi s'en étonner d'un homme<br />

qui, parti du néant, ne cessa au cours de<br />

son existence, de considérer que la popularité<br />

du cinéma ne pouvait se maintenir<br />

que dans une action sans cesse renouvelée,<br />

dans une marche en avant, jamais<br />

interrompue, et dont le pragmatisme<br />

a toujours fait passer l'évolution<br />

avant tout confort.<br />

Un homme capable de passer du Nickel<br />

Odeon aux palaces cinématographiques,<br />

<strong>des</strong> budgets timi<strong>des</strong> <strong>des</strong> premiers<br />

films aux dépenses nécessaires à la<br />

réalisation <strong>des</strong> films les plus ambitieux,<br />

qui n'a cessé de s'intéresser au devenir<br />

du cinéma, qui voulut le doter de la quatrième<br />

dimension, qui n'a hésité ni devant<br />

la polyphonie, ni devant la couleur,<br />

et qui comprit que ses successeurs devaient<br />

être comme lui, non <strong>des</strong> continuateurs,<br />

mais <strong>des</strong> novateurs.<br />

Henri <strong>La</strong>nglois


224-ÉTATS-UNIS<br />

Francisco Reiguera (Don Quichotte) - Akim Tamiroff (Sancho Pança).<br />

DON QUIXOTE<br />

DON QUICHOTTE<br />

(inachevé)<br />

1957-1972 -Orson Welles<br />

Réal. : Orson Welles. Prod. : Oscar Dancigers, Orson<br />

Welles. Dir. de prod. : Alessandro Tasca di Cuto.<br />

Auteur : Miguel de Cervantes, d'après son roman<br />

homonyme. Se. : Orson Welles. Asst. réal. : juan Luis<br />

Bunuel. Asst. réal./Scripte : Paola Mori, Mauro<br />

Bonanni, Maurizio Lucidi. Dir. ph. : jack Draper.<br />

Asst. ph. : Orson Welles, Giorgio Tonti, Ricardo<br />

Navarete. Mont, (partiel) : Orson Welles, Renzo<br />

Lucidi, Mauro Bonanni. Extérieurs tournés au Mexique<br />

(Puebla, Tepozlan, Texcoco, Rio Frfo, Mexico), en<br />

Espagne (Pampelune, Séville), en Italie (Rome,<br />

Manziana, Civitavecchia) et ailleurs. Int. : Francisco<br />

Reiguera (Don Quichotte), Akim Tamiroff (Sancho<br />

Pança), Patty McCormack (une jeune fille et Dulcie),<br />

Orson Welles (lui-même et le narrateur).<br />

Métrage, minutage copie Cf. : 2185 m., 80 mn.<br />

Version originale (nombreuses parties muettes). Noir<br />

et blanc. Doc. : Moi, Orson Welles. Entretiens avec<br />

Peter Bogdanovich, préface et notes de Jonathan<br />

Rosenbaum, Belfond, 1993. Cahiers du cinéma, horssérie<br />

: Orson Welles, 1986. Juan Cobos : Orson<br />

Welles, Espana como obsesiôn, Valence, 1993.<br />

Quelques épiso<strong>des</strong> <strong>des</strong> aventures du chevalier<br />

Don Quichotte de la Manche et de Sancho<br />

Pança, son fidèle écuyer, dans l'Espagne<br />

contemporaine du tournage du film.<br />

OU IL APPARAÎT<br />

QUE LES AVENTURES<br />

DU QUICHOTTE CONTINUENT<br />

Don Quixote de Welles fut annoncé si<br />

souvent qu'ironiquement il proposait<br />

lui-même de l'appeler When Are You<br />

Going to Finish Don Quixote ? Une copie<br />

de travail en a été déposée à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

par Oja Kodar, qui fut son actrice<br />

entre autres dans F for Pake. Une partie<br />

seulement, peut-être un tiers, du matériel<br />

est sonorisé, sans aucun générique, certaines<br />

scènes sont séparées par <strong>des</strong> blancs ;<br />

l'ensemble pourtant est passionnant. Ces<br />

ruines d'un film sont somptueuses, et<br />

quelque chose du <strong>des</strong>sin d'ensemble y est<br />

sensible, comme une radiation. Le terme<br />

n'est pas hasardeux, puisque le film, c'est<br />

la raison donnée souvent de son inachèvement,<br />

devait se terminer par une explosion<br />

atomique. Il faut remonter d'une<br />

part à l'intérêt que Welles portait à Cervantès,<br />

et le relier à un personnage<br />

comme Falstaff : fréquence de l'innocence<br />

dans l'œuvre de Welles. D'autre part,<br />

au goût qu'il avait de l'Espagne : on se<br />

souvient que, dans la Dame de Shanghaï,<br />

le personnage joué par Welles lui-même,<br />

Michaël O'Hara, est un ancien de la guerre<br />

d'Espagne, du côté républicain ; ensuite,<br />

qu'il y fit un premier voyage, à dixsept<br />

ans, en Andalousie où, dit-il, il attrapa<br />

le virus de la corrida, visible dans<br />

ce film, ainsi que dans Spain, the Bullfight<br />

(Corrida à Madrid) qui lui, a été terminé en<br />

1955. En 1964, dans un entretien repris<br />

dans les Cahiers du cinéma, Welles dit que<br />

Don Quixote est presque terminé, qu'il ne<br />

lui manque plus que trois semaines de<br />

tournage. « Ce qui m'inquiète, c'est le<br />

lancement. Je sais que ce film ne plaira à<br />

personne. Ce sera un film excécré. J'ai besoin<br />

d'obtenir un grand succès avant de<br />

le mettre en circulation. » L'idée qu'il se<br />

fait <strong>des</strong> deux personnages principaux est,<br />

selon lui, la même que celle de Cervantès.<br />

Le film était au départ, semble-t-il, un<br />

programme d'une demi-heure pour la télévision,<br />

à la demande de Frank Sinatra<br />

225<br />

pour son programme hebdomadaire sur<br />

ABC agrandi à cause de l'intérêt que<br />

Welles portait au sujet. « Don Quichotte a<br />

été tourné par une équipe de six personnes.<br />

Ma femme (Paola) était scriptgirl,<br />

le chauffeur déplaçait les lampes, je<br />

dirigeais, j'étais éclairagiste et opérateur<br />

en second. C'est seulement à travers la caméra<br />

qu'on peut avoir l'œil à tout. » En<br />

1982, à Bill Krorrn, il déclare que « avec la<br />

libération de l'Espagne, la démocratie<br />

fragile, le tourisme, Don Quichotte et<br />

Sancho Pança se sont plutôt évaporés »,<br />

et qu'« il faut maintenant parcourir de<br />

gran<strong>des</strong> étendues avant de trouver ces<br />

deux hommes qu'autrefois on apercevait<br />

facilement à l'horizon ». Le film est alors<br />

qualifié d'essai, et de méditation. Au témoignage<br />

d'Oja Kodar, en 1985, Welles<br />

espérait toujours, à la fin de sa vie, faire<br />

quelque chose de ce matériel. Le tournage<br />

est bien sûr étalé sur plusieurs années,<br />

après avoir commencé enaoûtl955,<br />

et subit, en 1969, un coup terrible avec la<br />

mort de Francisco Reiguera, l'acteur<br />

mexicain qui incarnait Don Quichotte. Il<br />

sera entrecoupé par les autres projets de<br />

films, et les rôles plus ou moins alimentaires<br />

qui permettaient à Welles réalisateur<br />

de se financer.<br />

Une partie du matériel aujourd'hui<br />

sauvegardé par la <strong>Ciné</strong>mathèque a été<br />

montré à Cannes, en 1986, lors d'un hommage<br />

à Welles. Dans une scène d'ouverture<br />

qui n'existe pas dans la copie de travail<br />

conservée, Welles, dans son propre<br />

rôle, devait raconter en huit minutes l'histoire<br />

de Don Quichotte à une petite fille<br />

jouée par Patty McCormack. Selon Peter<br />

Cowie, une autre idée qui ne fut jamais<br />

tournée, pour ouvrir le film, aurait été de<br />

faire arriver un invité habillé en Don Quichotte<br />

dans un vaste bal masqué, qui se<br />

serait révélé être Don Quichotte lui-même<br />

- scène qui fait irrésistiblement penser au<br />

bal dans Arkadin. Enfin, à Peter Bogdanovich,<br />

Welles dit être intéressé par l'idée de<br />

ces vieilles vertus qu'incarnent aussi bien<br />

Falsatf f que Don Quichotte, « bien qu'elles<br />

semblent toujours nous parler, en toute


226-ÉTATS-UNIS<br />

logique elles sont désespérément à côté<br />

de la plaque ». Voilà provisoirement un<br />

état <strong>des</strong> renseignements sur ce film. Dans<br />

cette copie ne figure pas la scène tournée<br />

dans une salle de cinéma, version wellesienne<br />

du combat avec les Maures. Bien<br />

sûr, la complexité temporelle du tournage<br />

appellera d'autres précisions, et nul doute<br />

même que quelques mythomanes n'ajouteront,<br />

à cette saga, <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> inventés.<br />

On imprimera alors, pourquoi pas, la<br />

légende.<br />

Venons-en à ce matériel sauvegardé<br />

par la <strong>Ciné</strong>mathèque. Ce bout-à-bout est<br />

bien sûr parfois elliptique, souvent muet,<br />

lacunaire, et fonctionne par reconstitution<br />

partielle pour le spectateur. <strong>La</strong> première<br />

chose frappante, c'est l'omniprésence,<br />

et parfois presque la seule présence<br />

de Don Quichotte et Sancho Pança.<br />

À certains moments, le film fait penser<br />

aux prêches véhéments du Christ, tels<br />

qu'ils sont montrés par Pasolini dans<br />

II vagenlo secondo Matteo (l'Évangile selon<br />

saint Matthieu) : plus de contrechamp,<br />

c'est-à-dire l'énigme ou la disparition de<br />

tout auditoire, une pure pulsion élocutrice<br />

s'emparant alors de ces personnages.<br />

Plus tard, dans un plan très sombre,<br />

au milieu d'ajoncs remués par le<br />

vent, Don Quichotte parle, le visage tourné<br />

vers le ciel : il est difficile à ce momentlà<br />

de ne pas penser à Johannès, dans la<br />

lande d'Ordet, nouveau Christ que personne<br />

ne croit. Car Don Quichotte est<br />

d'abord une sorte de prédicant ; il importe<br />

peu, finalement, qu'on n'entende<br />

pas souvent ce qu'il dit. Déclamant, monté<br />

à l'envers sur Rossinante, avec un fond<br />

de citadelle, un raccord dans l'axe en arrière<br />

dévoile à retardement son public :<br />

un troupeau de vaches. Dans un paysage<br />

brûlé, désertique, Don Quichotte avec<br />

son casque, sorte de plat à barbe retourné<br />

sur sa maigreur d'ascète illuminé, est<br />

suivi par Sancho Pança, qui peine à simplement<br />

monter sur son âne. Dans un<br />

passage sonorisé, le maître, anachorète<br />

sans armure, assis sur une plate-forme en<br />

bois, émacié, l'air mélancolique, les yeux<br />

cernés, avec une barbe Hô-Chi-Minhienne<br />

et comme au stade du rebut, dialogue<br />

avec son valet : « They say I'm mad, Sancho<br />

». Le passage de l'un à l'autre s'effectue<br />

par un changement d'axe retourné<br />

à 180°, dans une sorte d'opposition filmique<br />

brutale ; Sancho, lui, est le plus<br />

souvent pris entre les bois de cet échafaudage.<br />

Le plus étonnant est que leurs<br />

deux voix soient doublées par Welles,<br />

avec une légère inflexion tonale qui n'est<br />

pas un déguisement, quand on passe de<br />

l'un à l'autre : la création acoustique de<br />

cette voix à deux corps, cette scission<br />

monstrueuse enveloppée dans cette diction<br />

laryngite et réverbérante fabrique un<br />

continuum vocal sur ces antagonismes<br />

d'axes, une conscience unique ainsi matérialisée.<br />

Ce Don Quichotte prédicant,<br />

saisi par une passion hypocondre, se lève<br />

ailleurs dans un mouvement de harangue<br />

muette ; ou, à cheval, l'air presque<br />

hagard comme s'il titubait, se détache sur<br />

un fond de nuages : la photo, dans ses raffinements<br />

de gris, a l'air bunuelienne et<br />

parfois, sur <strong>des</strong> accidents de surface, armures<br />

ou murs grêlés, en fait une lèpre :<br />

est-ce tout à fait un hasard si l'on pense à<br />

Simon del <strong>des</strong>ierto, cet autre stylite dont la<br />

monture est une colonne ? C'est parfois<br />

un rameau sec, une allure décharnée de<br />

potence végétale parmi <strong>des</strong> branches<br />

d'arbres dénudées, quand il dit à Sancho :<br />

« So, you're leaving me ? », le regard dur,<br />

lumineux et atrabilaire.<br />

« There is the mystery of innocence.<br />

And we are ail of us in charge of that, you<br />

know. » C'est ce qu'il dit dans l'entretien<br />

filmé, dont il n'existe que le champ. À ce<br />

mystère, il faut ajouter un anachronisme<br />

constitutionnel, qu'accentue seulement<br />

les passages dans l'Espagne contemporaine<br />

du tournage : c'est l'expulsé d'une<br />

époque avec laquelle il n'a jamais coïncidé,<br />

l'errant d'un monde qu'il ne rejoindra<br />

pas. Plus encore, il apparaît comme<br />

une uchronie, qui est au temps ce que<br />

l'utopie est à l'espace. Dans un plan décadré,<br />

Don Quichotte en armure avec sa<br />

lance, debout à droite, probablement<br />

monté sur un praticable hors champ, se<br />

découpe, vigie oblique sur un fond de ciel<br />

à moitié strié par <strong>des</strong> nuages ; mais ce ciel<br />

est comme la surface d'une toile, ou d'un<br />

fond océan. Au déséquilibre d'une posture<br />

encore déformée par le grand angle,<br />

s'ajoute une étrangeté <strong>des</strong> matières, ce<br />

ciel tactile qui est son seul enveloppement<br />

: un peu comme s'il se tenait alors<br />

en déséquilibre sur sa propre étoffe de<br />

chimères. Puis le voici qui surgit et surprend<br />

Sancho dansant, dans l'axe de la<br />

caméra, devant un groupe d'enfants à<br />

béret assis contre l'angle d'une maison.<br />

Cavalier, l'air sévère et condamnant cet<br />

abandon histrion devant l'applaudissement<br />

<strong>des</strong> enfants, le Quichotte arrache<br />

Sancho à cette distraction, qui le suit, disparaît<br />

derrière un mur, réapparaît pour<br />

bouffonner une dernière fois.<br />

De nombreuses contre-plongées montent<br />

vers Don Quichotte, suffisamment<br />

accentuées pour que le regard parte suivant<br />

un axe perditif et que l'espèce de<br />

maintien grandiloquent, hautain et sans<br />

<strong>des</strong>tinataire souvent qu'il arbore devienne<br />

un égarement, souligné par ces paupières<br />

lour<strong>des</strong>, sous lesquelles les yeux<br />

montent regarder trop haut pour que la<br />

direction de cette pose soit humaine.<br />

C'est la rencontre de deux axes : le premier<br />

est celui de la caméra, le deuxième,<br />

du regard : ils se croisent environ à 90°,<br />

et produisent cette dislocation diagonale.<br />

Dans un ossuaire automobile, casse<br />

d'habitacles rouillés et entassés, Don Quichotte<br />

assis se fait bander la tête par Sancho<br />

: il en naît une curieuse communion<br />

de ferraille entre ces carcasses de voiture<br />

et le thorax métallique de l'armure : sorte<br />

de héros trouvé dans une décharge, ce<br />

personnage fildeférisé, au visage <strong>des</strong>siné<br />

par Le Greco, est enfoncé dans cette quincaillerie<br />

du rebut dont il fait partie. Welles<br />

lui-même a indiqué que « Le Greco est<br />

sans aucun doute le peintre de Don Quichotte.<br />

Le Chevalier à la triste figure a été<br />

portraituré littéralement <strong>des</strong> centaines de<br />

fois dans les toiles de ce peintre » 2 , tandis<br />

que Goya serait celui de Sancho.<br />

Puis c'est dans une ville qu'ils entrent<br />

: la caméra dans une rue les délaisse,<br />

et monte au-<strong>des</strong>sus d'une porte d'entrée,<br />

décorée d'une mosaïque : le motif central<br />

est un Don Quichotte à cheval, suivi de<br />

Sancho. Des personnes sont maintenant<br />

massées, qui le saluent. Devant une école,<br />

c'est un enthousiasme d'enfants qui les<br />

accompagne. Cette euphorie, pourtant,<br />

trouve son avers. Au sommet d'un bâtiment,<br />

dans un bidon, Don Quichotte se<br />

lave : derrière lui, dans son dos, une enseigne<br />

est dressée : c'est une publicité<br />

pour une bière, qui porte son nom. Les<br />

mythes finissent ainsi dans la dérision<br />

d'une imagerie, la prose propagandiste<br />

marchande. Isolé, du sparadrap en croix<br />

sur le crâne, Don Quichotte pourrait être<br />

un nouveau Diogène : mais qui, sur ce<br />

toit, passerait qu'il pourrait souverainement<br />

écarter pour profiter du soleil ?<br />

Sur les plans muets, les plus nombreux<br />

donc, le jeu d'Akim Tamiroff et<br />

Francisco Reiguera acquiert une valeur<br />

de pantomime : la démonstration, par les<br />

gestes ou le visage, d'une expression, excède<br />

même cette signification : ils deviennent<br />

comme <strong>des</strong> sémaphores, émettant<br />

dans le silence. L'index pointé, im-<br />

pérativement levé vers le ciel, assis ou debout,<br />

est une figure de base de la gestuelle<br />

quichottienne, un Don Quichotte maniaco-dépressif,<br />

passant par <strong>des</strong> phases<br />

catatoniques. Certains plans sont dignes,<br />

dans leur composition, d'Othello : le Quichotte,<br />

visage ravagé, torse nu, et qui se<br />

jette sur la tête le contenu liquide de son<br />

casque ; derrière lui, un pont de bois, où<br />

Sancho, montagne sanglée de tissu, pêche<br />

avec une branche entre les bois de la<br />

passerelle, sur un fond de ciel : trois strates<br />

de visibles dans le même plan. D'autres<br />

font penser à Falstaff, la bataille : le<br />

Quichotte attaquant à la lance <strong>des</strong> moutons,<br />

et lui-même bombardé de loin par<br />

de probables bergers avec <strong>des</strong> cailloux, finissant<br />

à terre, armuré, et ce sont les moutons<br />

qui jouent à saute-Quichotte. À mêm<br />

e le sol, pour majorer le ciel ou en forte<br />

Plongée, la caméra donne souvent un<br />

sentiment physique désaxé. D'autres encore,<br />

à If's AU True : dans la féria où arrivent<br />

Quichotte et Sancho, cette foule à<br />

banderolle, qui pourrait aussi venir de<br />

Spain, the bullfight, on retrouve l'amateur<br />

de transes collectives, Sancho enseveli<br />

sous la foule, puis errant en chapeau à la<br />

terrasse d'un café, courant derrière une<br />

Mercédès dans une procession de carnaval.<br />

Il y a encore les restes du voyage dans<br />

la lune, Sancho qui achète un télescope,<br />

et s'installe plus haut pour voir dans le<br />

ciel, s'abritant ensuite dans le triangle<br />

formé par l'enseigne où est écrit : « Quiere<br />

usted ver la luna », indiquant du doigt,<br />

d'un air déprimé, à un passant qui vient<br />

de jeter une pièce dans une boîte en fer,<br />

le télescope placé dans son dos. Il est bien<br />

sûr touchant que le film, dans ses morceaux<br />

subsistants, s'accorde à ce fracas<br />

venu de ses deux héros : un peu comme<br />

si, pérégrinant avec eux, il lui avait fallu<br />

partager leurs chimères et en acquitter<br />

l'impossibilité.<br />

Rien pourtant, avec Welles, n'est tout<br />

à fait achevé : il faudrait maintenant comparer<br />

précisément ce matériel avec la version<br />

montée par Jésus Franco, et projetée<br />

à Séville, au cours de l'Exposition universelle<br />

de 1992, ainsi qu'à Cannes en<br />

1993. Sommairement, indiquons que<br />

cette copie semble plus complète que<br />

celle de la <strong>Ciné</strong>mathèque, qu'elle est<br />

aussi dotée d'un doublage intégral en espagnol,<br />

supprimant le son wellesien,<br />

ainsi que d'une musique de Daniel J.<br />

Whit, musicien habituel de Jess Franco,<br />

deux ajouts particulièrement contesta-<br />

bles. Il y a aussi ce que conserve, à Madrid,<br />

la Filmoteca espahola, environ quarante<br />

minutes montées et doublées par<br />

Welles ; enfin la pellicule que détient à<br />

Rome Mauro Bonanni, qui fut un <strong>des</strong> assistants<br />

et l'un <strong>des</strong> monteurs de Welles<br />

pour ce film 3 .<br />

Philippe Arnaud<br />

DON QUIXOTE-227<br />

1 Cf. : Orson Welles, Esvana como obsesiôn, Volumen II,<br />

par Juan Cobos, Ediciones Document Filmoteca,<br />

1993. On trouvera dans ce livre deux chapitres consacrés<br />

à Don Quixote, dont le tournage a commencé au<br />

Mexique le 25 juillet 1957, à travers entre autres documents,<br />

<strong>des</strong> notes et <strong>des</strong> correspondances de Welles.<br />

Des tests avaient été tournés en Espagne, l'été 1955,<br />

avec Mischa Auer, qui sera remplacé par Francisco<br />

Reiguera.<br />

2 Op. Cit., p. 41.<br />

J Ces derniers renseignements sont extraits de la chronologie<br />

très détaillée publiée dans Moi, Orson Welles.<br />

Entretiens avec Peter Bogdanovich. Préface et notes de<br />

Jonathan Rosenbaum, Belfond, 1993.<br />

Francisco Reiguera.<br />

Akim Tamiroff.


230 - CANADA<br />

PARLONS CINEMA<br />

(« Les anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois »)<br />

1976-1977 - Harry Fischbach<br />

Réal. : Harry Fischbach. Prod. : TVOntario.<br />

Chargé de prod. : Anthony Robinow.<br />

Asst. réal. : Carole Kelly. Dir. ph. : Michel Deloire,<br />

Claude Lichtenberg, Yves Pouffary, Alain Pillet.<br />

Eclairage : Jacques Vigier. Son : Harald Maury, Patrick<br />

Wittwer. Ré-enregistrement : Len Abbott.<br />

Mont. : Alan Collins, Marcus Manton.<br />

Pré-montage : Christine Aya, Akiko Tsuda.<br />

Régie générale : Michael Browne.<br />

Documentation : Janine Bazin. Avec : Henri <strong>La</strong>nglois,<br />

François Truffaut, Alexandre Trauner, Pierre Kast, Éric<br />

Rohmer, André S. <strong>La</strong>barthe, Harry Fischbach.<br />

Métrage, minutage copie 16 mm Cf. : 2816 m.,<br />

258 mn. Couleurs.<br />

Henri <strong>La</strong>nglois, fondateur et directeur de<br />

la <strong>Ciné</strong>mathèque française, est interviewé dans<br />

son musée du Palais de Chaillot et parle cinéma.<br />

1) <strong>La</strong> jeunesse au pouvoir. <strong>La</strong> Nouvelle<br />

Vague : H.L. évoque la situation corporatiste<br />

du cinéma français avant l'explosion de la NV<br />

et l'avènement de nouvelles règles du jeu.<br />

2) Le cinéma de demain. Charles Chaplin :<br />

Chaplin est le plus grand et les dix meilleurs<br />

films du monde sont dix films de Chaplin.<br />

3) L'Italie et le néo-réalisme. Roberto Rossellini<br />

: à la différence de Visconti, Fellini ou<br />

De Sica, Rossellini est le seul cinéaste pleinement<br />

qualifiable de néo-réaliste.<br />

4) D'une révolution à la révolution. Eisenstein<br />

: S.M. Eisenstein est « le Michel-<br />

Ange du cinéma ». H.L. parle aussi de Vertov<br />

et relève la coïncidence entre la sortie d'Intolérance<br />

en 1917 et le grand soir en Russie<br />

(d'une révolution à l'autre).<br />

5) Un enfant fait joujou. Georges Méliès :<br />

Méliès, un éternel enfant dont le plus beau<br />

jouet était le cinéma. H.L. parle aussi <strong>des</strong> liens<br />

entre théâtre et cinéma primitif.<br />

6) Le cinéma en liberté. Warhol, Godard :<br />

deux cinéastes refusant la perfection du plan<br />

ou du travelling au nom de sa vérité, deux expérimentateurs,<br />

deux hommes hors et contre<br />

le système.<br />

7) Le métier de producteur. De Pathé à<br />

Ponti, de Zecca à Zanuck : produire est un<br />

métier et un bon producteur est ungrandprofessionnel.<br />

H.L. parle de l'empire Pathé.<br />

8) <strong>La</strong> jeunese n'a pas d'âge. Fritz <strong>La</strong>ng :<br />

génie de Fritz <strong>La</strong>ng. M. le Maudit, l'intermède<br />

français, sa miraculeuse adaptation aux<br />

États-Unis (Fury), sa passion pour la justice,<br />

visible jusque dans Das Indische Grabmal<br />

fie Tombeau Hindou), son éternelle jeunesse.<br />

9) <strong>Ciné</strong>ma profane et professionnel. Hollywood<br />

et Oscar : Hollywood est au sommet<br />

de la perfection technique et en panne de génies<br />

parce que, contrairement à ses débuts, il<br />

est aujourd'hui coupé de la rue, là où il trouvait<br />

avant Gloria Swanson et Fatty.<br />

10) Comment résoudre une crise sans relief<br />

et sans cinémascope. David Wark Griffith<br />

: Griffith a jeté les bases de Hollywood<br />

avec The Birth of a Nation, sa révolution du<br />

langage a sorti le cinéma d'une crise, il a inventé<br />

une profondeur et donné du relief. En<br />

1977, H.L. dit que le cinéma attend son nouveau<br />

Griffith.<br />

11) Un cinéma attardé donne naissance<br />

à une révolution moderne. Robert Wiene et<br />

Caligari : survient Caligari, triomphe de l'artifice<br />

assumé, avènement d'un cinéma scientifique<br />

où tout est calculé, prévu, maîtrisé, sans<br />

aucune improvisation. L'expressionnisme influencera<br />

les décors, les lumières mais aussi<br />

les métho<strong>des</strong> de travail hollywoodiennes (les<br />

plans <strong>des</strong>sinés).<br />

12) Al Jolson chante, René Clair fait chanter.<br />

Du muet au parlant : en France, l'avènement<br />

du sonore est surtout!'avènement du parlant.<br />

Rôle de René Clair à ce moment charnière.<br />

13) Entre Vichy et la Résistance. Le cinéma<br />

de l'Occupation : partout, le cinéma<br />

entre dans la guerre comme une arme. En<br />

France, pays occupé, le cinéma reste hors de<br />

la guerre et fait comme si elle n'avait pas lieu.<br />

Ce cinéma de l'apparence tourne le dos à la<br />

réalité et filme une fin de société (les Enfants<br />

du paradis) quand il n'est pas du côté <strong>des</strong><br />

vainqueurs (les Visiteurs du soir ; « Le<br />

Moyen Âge, c'est ce que les Allemands voulaient<br />

»). Côté Résistance, Lumière d'été de<br />

Grémillon : « Il y a quelque chose de pourri<br />

dans le royaume du Danemark. »<br />

14) Le renouveau du cinéma français. Prévert,<br />

Carné, Gabin : la parole de Prévert est<br />

fondatrice du cinéma de Carné, du dialogue se<br />

déduit la mise en scène et leurs films échappent<br />

à ce son <strong>des</strong> débuts du parlant, à cette<br />

« eau de vaisselle ». L'autre fondateur et ci-<br />

ment de cette période, c'est Gabin qui «fait »<br />

Duvivier avant d'aller vers Carné et Renoir.<br />

15) Jean Renoir vu par H.L. : il y a deux<br />

Renoir, le Renoir libre (la Nuit du carrefour)<br />

et le Renoir diplomate (les Bas-Fonds)<br />

qui compense et supporte le Renoir libre. Son<br />

chef-d'œuvre fait l'union <strong>des</strong> deux Renoir<br />

même si au box office, la Règle du jeu c'esf<br />

Intolérance. François Truffaut parle de la<br />

Règle du jeu, puis long extrait de Renoir :<br />

le patron de Rivette (« <strong>Ciné</strong>astes de notre<br />

temps »).<br />

16) Le début du cinéma moderne. Charles<br />

Pathé : le cinéma a été fait par <strong>des</strong> analphabètes<br />

et <strong>des</strong> demi-analphabètes comme Charles<br />

Pathé. Son empire et ses ramifications ont<br />

préfiguré Hollywood.<br />

17) Parlons cinéma. Avec Alexandre<br />

Trauner : Trauner parle de son métier, de <strong>La</strong>zare<br />

Meerson, de Paris et de ses décors pour<br />

Carné, de son travail sous l'Occupation.<br />

18) [Jean Vigo] : l'Atalante est un film<br />

hors de « l'industrie régulière », un film mutilé<br />

par les technocrates de Gaumont. Vigo a<br />

accompli le miracle alchimique de l'unité de<br />

l'image et du son et il a emporté son secret.<br />

19) ? : Gabin, dans les films de Carné et<br />

Prévert, était Vanti-citoyen, c'est-à-dire le<br />

futur résistant avec son code personnel <strong>des</strong><br />

valeurs. Au même moment, l'URSS et les<br />

États-Unis (Capra) formaient <strong>des</strong> citoyens.<br />

20) Henri <strong>La</strong>nglois est mort. Réactions :<br />

discours de Pierre Kast au Festival de Cannes,<br />

propos d'Eric Rohmer.<br />

21) H.L. évoque « l'affaire <strong>La</strong>nglois », le<br />

système <strong>des</strong> dépôts sur lequel repose la <strong>Ciné</strong>mathèque,<br />

ceux qui l'ont aidé et l'aident<br />

(Mary Meerson, Lotte H. Eisner, Germaine<br />

Dulac, Marie Epstein, Jean Grémillon, Léon<br />

Mathot, Jean Te<strong>des</strong>co), sa carrière avortée de<br />

cinéaste, Jean Vigo encore,le financement ori-<br />

ginal <strong>des</strong> films français dans les années trente,<br />

l'état de dispersion <strong>des</strong> collections après la<br />

guerre, la sauvegarde <strong>des</strong> affiches, photos, livres,<br />

décors, les expositions, son musée, le<br />

manque de personnel en 1976, la programmation<br />

quotidienne, les mouvements defilms,<br />

les tirages... Il parle de l'avenir et de la nécessité<br />

vitale pour la <strong>Ciné</strong>mathèque française<br />

de conserver son indépendance.<br />

TOUT SE LIE<br />

SUR UN AUTRE PLAN<br />

Parlons cinéma ou les Anticours d'Henri<br />

<strong>La</strong>nglois sont constitués d'un ensemble de<br />

courts films ou plus exactement de chapitres.<br />

Chaque chapitre est consacré à un<br />

cinéaste ou bien à une période charnière<br />

significative de tel ou tel pays et de tel ou<br />

tel style, ou bien à un groupe d'hommes<br />

dont l'action fut, à un moment, décisive<br />

pour le cours du cinéma. Oui, le cours du<br />

cinéma, pas le cours de cinéma. Dans<br />

chaque chapitre en effet, Henri <strong>La</strong>nglois<br />

nous fait moins visiter le Musée qu'il a<br />

créé, qu'il ne déambule dans l'Histoire du<br />

cinéma, comme si le décor derrière lui<br />

était indifférent ou plutôt comme s'il<br />

s'agissait d'une antichambre énigmatique<br />

menant à une chambre qui raconterait<br />

autant d'histoires merveilleuses<br />

qu'il y a de films à y projeter. Or non seulement<br />

le décor, mais l'enregistrement<br />

même de ce que dit <strong>La</strong>nglois est privé de<br />

solennité. Il marche, s'assied n'importe<br />

où, change de place, glisse d'un espace à<br />

un autre. C'est tout juste si la caméra ne<br />

se verrait pas dans le champ tombant nez<br />

à nez avec les preneurs de son. Le fini du<br />

travail d'enregistrement ou le léché de la<br />

présentation n'ont pas lieu d'être : <strong>La</strong>nglois<br />

parle, il faut le suivre, c'est tout.<br />

Qu'il y ait <strong>des</strong> extraits de films inclus dans<br />

ces chapitres rappelle l'ancienneté déjà<br />

de ce travail - 1976-1977 -, une époque<br />

où les extraits prennent un aspect vieillot,<br />

aujourd'hui où l'on se sert régulièrement<br />

de cassettes pour revoir <strong>des</strong> passages de<br />

films.<br />

<strong>La</strong>nglois parle ici de ce qu'il a trouvé.<br />

Et ce qu'il a trouvé, c'est à peu près tout<br />

du cinéma, en tout cas l'essentiel. Son entreprise<br />

héroïque de sauver le plus grand<br />

nombre possible de copies de films, de les<br />

mettre à l'abri du temps <strong>des</strong>tructeur, <strong>des</strong><br />

mauvaises conditions de conservation,<br />

de l'indifférence <strong>des</strong> maisons de production,<br />

de la volonté de faire disparaître, ou<br />

du désir de détruire, a créé chez lui, outre<br />

un sens vigilant de la précarité <strong>des</strong> cho-<br />

ses, une familiarité aiguë avec les films,<br />

avec leur matière, leur éclat lumineux,<br />

leur perte d'éclat, avec le rythme du déroulement<br />

d'une bobine, le flot <strong>des</strong> <strong>images</strong><br />

qui remplissent une minute de temps<br />

de projection, avec les crépitements <strong>des</strong><br />

premières pistes sonores, les solennels<br />

bruitages <strong>des</strong> débuts, l'affinement continu<br />

<strong>des</strong> voix, la position spatiale de la<br />

musique derrière les voix ou devant les<br />

lointains, l'évolution de l'emploi de la<br />

couleur jusqu'à son altération progressive<br />

dans le temps. Cette familiarité est<br />

une connaissance d'abord physique <strong>des</strong><br />

films.<br />

<strong>La</strong>nglois, au sortir de la guerre, a<br />

prouvé aux cinéastes, en sauvant leurs<br />

films, qu'ils existaient comme témoins et<br />

comme artistes de ce terrible XX e siècle si<br />

prompt à cataloguer les populations, les<br />

nations et les races, et eux, qui ne savaient<br />

pas tout à fait qu'ils étaient en train de<br />

créer l'art moderne par excellence, <strong>La</strong>nglois<br />

leur en a fait prendre conscience en<br />

leur donnant un recul soudain : celui de<br />

pouvoir montrer tranquillement et régulièrement<br />

leurs films. Lorsqu'on écoute<br />

<strong>La</strong>nglois parler ici par exemple de Fritz<br />

<strong>La</strong>ng ou de Jean Renoir, on doit l'écouter<br />

en sachant que c'est lui qui a donné à ces<br />

cinéastes une légitimité que ni les succès<br />

publics ni les échecs, ni les jugements critiques<br />

ordinaires <strong>des</strong> journaux d'époque<br />

si vite démonétisés, ni les histoires du cinéma<br />

vouées à l'exhaustivité objective<br />

n'ont été capables de leur donner. Légitimité<br />

qui, à un moment du siècle, a surpris<br />

et étonné tout le monde, à commencer<br />

par les cinéastes eux-mêmes qui<br />

n'avaient comme guide de leur travail<br />

que le succès et la gloire ou leur absence,<br />

et bien souvent leur déclin (même Griffith,<br />

même Chaplin). On sait qu'il a été<br />

aussi le père spirituel <strong>des</strong> cinéastes de la<br />

Nouvelle Vague, non seulement par sa<br />

parole et par son acte de montrer <strong>des</strong> films<br />

et souvent <strong>des</strong> œuvres intégrales, mais<br />

aussi parce qu'il sentait qu'un fil invisible<br />

de cinéma passait <strong>des</strong> cinéastes d'autrefois<br />

à ceux qui venaient maintenant.<br />

PARLONS CINÉMA - 231<br />

Parler cinéma, pour <strong>La</strong>nglois, comme<br />

ce film nous le restitue, cela consistait à<br />

faire découvrir à autrui ce qu'il avait<br />

trouvé lui-même en mettant de l'ordre<br />

dans cette immensité de films dont une<br />

bonne partie était oubliée ou tout simplement<br />

inconnue : que le <strong>Ciné</strong>ma a enregistré<br />

son siècle, qu'il est à la fois Art et<br />

Histoire.<br />

Ce qui apparaît dans cet ensemble<br />

mo<strong>des</strong>te et déambulatoire d'« anticours »,<br />

c'est le caractère toujours essentiel de ses<br />

jugements esthétiques énoncés avec un<br />

sourire d'évidence comme si <strong>La</strong>nglois<br />

sortait d'un foulard la colombe de la vérité<br />

sur chaque cinéaste, sur chaque mouvement<br />

de cinéma, sur chaque film qu'il<br />

évoque. Il lance autant d'idées justes ou<br />

de trouvailles simples qu'il est possible<br />

d'en saisir au vol (dire <strong>des</strong> Enfants du paradis<br />

que c'est « le testament de Paris »,<br />

c'est aller au-delà du jugement esthétique<br />

tout en ne l'empêchant pas) et tient à dire<br />

à qui l'écoute : je ne peux pas expliquer,<br />

les gens doivent comprendre.<br />

Avec une pensée propre à déstabiliser<br />

les dictionnaires et les idées reçues,<br />

<strong>La</strong>nglois nourrit ces anticours d'observations<br />

synthétiques qui sont bien moins<br />

<strong>des</strong> conclusions que <strong>des</strong> points de départ<br />

engageant à chercher personnellement et<br />

à lire non seulement les films eux-mêmes<br />

mais ce qu'il y a autour et qui traverse<br />

sans cesse les films : le désordre humain<br />

et l'ordre du monde. C'est ce qui lui permet<br />

de répondre en toute tranquilité à la<br />

question qu'il se pose lui-même : quels<br />

sont les dix meilleurs films du monde ?<br />

(et non pas comme cela s'est fait récemment<br />

: les dix films les plus importants -<br />

chose qui n'engage la responsabilité de<br />

personne). « Les dix meilleurs films du<br />

monde sont dix films de Chaplin. »<br />

Dans chacun de ces anticours, il y a<br />

quatre ou cinq phrases dont on pourrait<br />

faire les plus fertiles sujets de méditations<br />

ou de dissertations ou même, puisqu'on<br />

ne peut s'en passer, de travaux universitaires.


232 - CANADA<br />

Exemples :<br />

- Fritz <strong>La</strong>ng ou la jeunesse qui n'a pas d'âge : l'homme qui<br />

croit en la justice.<br />

- Rossellini c'est la vie, De Sica les êtres humains. Ou encore :<br />

Rossellini souffre pour lui-même, non par lui-même.<br />

- Godard est dans le vrai système, qui est la vie. Ou encore<br />

mieux : un cinéma qui n'a pas peur de rater quelque chose et de<br />

le montrer quand même.<br />

Il n'y a pas d'antisèches pour les anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois.<br />

Jean-Claude Biette<br />

Cette liste alphabétique sert aussi d'index<br />

<strong>des</strong> titres pour l'ensemble de l'ouvrage. Le<br />

caractère gras couvrant la totalité d'un film<br />

signifie qu'il est l'objet d'un traitement<br />

approfondi dans les parties précédentes,<br />

avec indication de la page.<br />

Certains titres, datant d'avant 1992 et ne<br />

figurant pas dans les précédents catalogues<br />

(Restaurations et tirages de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, 1.1 à IV, de 1986 à 1989), ont été<br />

intégrés à cette liste.<br />

LÉGENDE DES ABRÉVIATIONS<br />

UTILISÉES<br />

Mat. d'orig. : Matériel d'origine ou de<br />

départ. Cet élément peut être sur support<br />

nitrate ou support acétate (le « safety »), en<br />

négatif ou en positif.<br />

Mat. de conserv. : Matériel de conservation.<br />

Report en laboratoire du matériel d'origine<br />

sur une pellicule de sécurité, le safety, pour<br />

constituer de nouvelles matrices<br />

(« marrons », contretypes) servant à tirer <strong>des</strong><br />

copies de présentation ou <strong>des</strong> « copies<br />

travail » en vue d'une restauration.<br />

Tirage : Opération strictement de<br />

laboratoire, il s'agit du tirage d'une copie<br />

standard à partir d'un élément de<br />

conservation plus ancien.<br />

Sauv. : Sauvegarde. C'est l'opération qui<br />

A.<br />

A BEDROOM BLUNDER.<br />

<strong>La</strong> Chambre numéro 23.<br />

États-Unis, Eddie Cline, 1917. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Flash-titles français et anglais. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(566 m.).<br />

À CÔTÉ DU BONHEUR.<br />

États -Unis, circa 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (261 m.).<br />

L'AFFAIRE DE LA RUE DE<br />

LOURCINE.<br />

France, Marcel Dumont, 1932. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1994. CP (1015 m.).<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ET RESTAURÉS<br />

PAR LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE (1992-1996).<br />

consiste à établir de nouvelles matrices, à<br />

partir d'un matériel d'origine le plus souvent<br />

nitrate, mais parfois acétate (le vieux safety<br />

ou safety d'époque). Au terme de l'opération,<br />

la copie est immédiatement projetable ou, au<br />

contraire, prépare et demande une<br />

restauration.<br />

Rest. : Restauration. Dans tous les cas, qu'il<br />

s'agisse de rétablir ou de recréer<br />

l'intertitrage pour un film muet, de mixer un<br />

son pour un film parlant, de reconstituer<br />

l'ordre narratif <strong>des</strong> plans, la restauration est<br />

une opération qui relève du montage.<br />

Sur ces trois notions, tirage, sauvegarde,<br />

restauration, lire aussi les textes :<br />

« Restaurer, conserver, montrer » et « Sauver<br />

l'éphémère ».<br />

NIM : Négatif Image Muet.<br />

NSN : Négatif Son (optique).<br />

PSN : Positif Son (optique).<br />

NTI : Négatif Titres.<br />

PIM : Positif Intermédiaire Muet (« marron »<br />

image, muet).<br />

PIC : Positif Intermédiaire Combiné<br />

(« marron » image et son).<br />

CTN : Contretype Négatif image seule (noir<br />

et blanc).<br />

CTS : Contretype négatif Son seul.<br />

CTC : Contretype Combiné image et son<br />

(noir et blanc).<br />

ITN : Internégatif (contretype couleurs).<br />

MAG : son Magnétique.<br />

.../S : Safety.<br />

AFTER MIDNIGHT.<br />

L'Homme de la nuit.<br />

États-Unis, Monta Bell, 1927. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Rest. en 1996. CP (1846 m.).<br />

Voir page 178.<br />

ALADIN OU LA LAMPE<br />

MERVEILLEUSE.<br />

France, Albert Capellani, 1906. Mat. d'orig. :<br />

PMU (incomplet). Intertitres français. Mat.<br />

de conserv. : CTN. Sauv. en 1995. CP<br />

(201 m.). Voir page 24.<br />

L'AMOUR NOIR ET BLANC.<br />

France, <strong>La</strong>dislas Starevitch, 1923. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Rest. en 1995. CP (442 m.).<br />

PMU : Positif Muet.<br />

CEX : Copie d'Exploitation sonore.<br />

BAN : Bande-Annonce (exploitation).<br />

CP : Copie de présentation. C'est la copie de<br />

projection, muette ou sonore.<br />

CTra : Copie Travail. Désigne une copie sans<br />

intertitres (avec parfois <strong>des</strong> flash-titles), sans<br />

générique, parfois montée dans le désordre<br />

et pouvant contenir encore la trace <strong>des</strong><br />

amorces de plan provenant du matériel<br />

d'origine. Une copie travail peut cumuler<br />

tout ou partie de ces manques et « défauts ».<br />

Elle est visible en l'état pour <strong>des</strong> travaux de<br />

recherches, mais nécessite une restauration<br />

pour devenir copie de présentation.<br />

Flash-titles : les intertitres d'un film muet<br />

réduits chacun à la longueur d'une ou deux<br />

<strong>images</strong>.<br />

VO : Version Originale.<br />

VOSTF : Version Originale Sous-Titrée en<br />

Français.<br />

m. : mètres. Tous les métrages correspondent<br />

à un format 35 millimètres, sauf indication<br />

contraire (16 mm).<br />

circa : indique que la date du film est une<br />

approximation, établie après recherche et<br />

déduction.<br />

Quand il est connu, le nom du réalisateur est<br />

mentionné ci-<strong>des</strong>sous. Sinon, il est remplacé,<br />

chaque fois que possible, par le nom de la maison<br />

de production.<br />

Quand les films étrangers sont dépourvus de titre<br />

original, c'est que celui-ci est inconnu.<br />

LES AMOURS DE BLANCHE-NEIGE.<br />

France, Edouard Wieser, 1946. Mat. d'orig. :<br />

PIC, CTN-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />

conserv. : CTC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(2353 m.), CP-BAN (92 m.).<br />

AND NOW TOMORROW.<br />

Le bonheur est pour demain.<br />

États-Unis, Irving Pichel, 1944. Mat. d'orig. :<br />

PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />

1993. CP (2339 m.).<br />

A NIGHT IN THE SHOW.<br />

Chariot au music-hall.<br />

États-Unis, Charlie Chaplin, 1915. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres anglais. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1994. CP (468 m.).


234 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

AN INDIAN'S GRATITUDE.<br />

<strong>La</strong> Gratitude du chef indien.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1910. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1995. CTra (225 m.).<br />

AN-NIL OU AL HAYAT.<br />

Un jour, le Nil.<br />

Égypte-URSS, Youssef Chahine, 1968. Mat.<br />

d'orig. : CEX VO 70 mm. Mat. de conserv. :<br />

CTN, CTS. Rest. en 1996. CP 35 mm,<br />

<strong>Ciné</strong>mascope (2991 m., VOSTF). Voir page 158.<br />

L'ANTRE DE LA SORCIÈRE.<br />

France, Segundo de Chomôn, 1906 ou 1909.<br />

Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (116 m.).<br />

L'APPEL DE LA VIE.<br />

Frauennot - Frauengliick.<br />

Suisse, Édouard Tissé, 1929. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Sauv. en 1993. CP (1505 m.).<br />

Voir page 153.<br />

L'APPEL DU SANG.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1994. CTra (275m.).<br />

ARE WAITRESSES SAFE ?<br />

Les Déboires de Philomène.<br />

États-Unis, Victor Heerman, 1917. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Flash-titles anglais. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(505 m.).<br />

L'ARGENT QUI TUE.<br />

France, Georges Denola, 1919. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1995. CTra (1001 m.).<br />

L'ARGINE.<br />

Italie, Corrado D'Errico, 1938. Mat. d'orig. :<br />

PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />

1993. CP (2460 m.). Voir page 143.<br />

THE ARIZONA WHIRLWIND.<br />

États-Unis, William James Craft, 1927. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Flash-titles anglais. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(1029 m.).<br />

L'ARLÉSIENNE.<br />

France, André Antoine, 1922. Mat. d'orig. :<br />

PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1990. CP (1730 m.).<br />

Voir page 59.<br />

ARLETTE ET SES PAPAS.<br />

France, Henry Roussell, 1934. Mat. d'orig. :<br />

CEX. Mat. de conserv. : PIC, CTS. Sauv. en<br />

1992. CP (2917 m.). Voir page 100.<br />

A SHOCKING NIGHT.<br />

États-Unis, Eddie Lyons et Lee Moran, 1921.<br />

Mat. d'orig. : PMU (incomplet). Intertitres<br />

anglais. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />

1993. CP (204 m.).<br />

ASILE DE NUIT.<br />

France, Maurice Champreux et Robert<br />

Beaudoin, 1929. Mat. d'orig. : NIM, NSN.<br />

Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1993. CP<br />

(872 m.).Voir page 92.<br />

A TERRIBLE DISCOVERY.<br />

États-Unis, David Wark Griffith, 1911. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN / S. Tirage en<br />

1994. CP (269m.).<br />

À TRAVERS PARIS.<br />

France, Lucien Rigaux et Christian<br />

Chamborant, 1940. Mat. d'orig. : NIM, NSN.<br />

Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1993. CP<br />

(793 m.).<br />

L'AURORE DE LA RÉVOLUTION<br />

RUSSE.<br />

Russie, circa 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />

Rest. en 1995. CP (863 m.). Voir page 151.<br />

AU ROYAUME DES CIEUX.<br />

France, Julien Duvivier, 1949. Mat. d'orig. :<br />

CTC, CTC-BAN. Mat. de conserv. : PIC,<br />

PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP (2980 m.),<br />

CP-BAN (92 m.). Voir page 112.<br />

AUTANT EN EMPORTE<br />

L'HISTOIRE...<br />

France, Jacques Willemetz, 1949. Mat.<br />

d'orig. : CTC, NSN, CTN-BAN, NSN-BAN.<br />

Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en<br />

1994. CP (1891 m.), CP-BAN (59 m.).<br />

Voir page 115.<br />

AUTOUR DE LA COUSINE BETTE.<br />

France, Max de Rieux, 1927. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Sauv. en 1993. CP (559 m.).<br />

Seulement précédé dans le cinéma français<br />

par les making of (tournage sur le tournage)<br />

de la Roue et de Napoléon, ce Autour de la<br />

Cousine Bette sera suivi à son tour par un<br />

Autour de l'Argent en 1929, reportage de Jean<br />

Dréville sur le film de Marcel L'Herbier. Il<br />

faut dire que le mystérieux Max de Rieux se<br />

trouve en bonne compagnie entre les « deux<br />

grands » du cinéma français : Abel Gance et<br />

L'Herbier. Et cette adaptation du roman<br />

d'Honoré de Balzac, la Cousine Bette, devait<br />

justifier à ses yeux un témoignage sur son<br />

travail de réalisateur. Son parcours dans le<br />

cinéma fut par ailleurs <strong>des</strong> plus curieux.<br />

Réalisateur de trois films muets, la Grande<br />

Amie (1926), la Cousine Bette (1927), J'ai l'noir<br />

ou le suicide de Dranem (1928), Max de Rieux,<br />

très actif au cours de ces années vingt, fut<br />

aussi acteur, en particulier dans les Grands<br />

d'Henri Fescourt, en compagnie d'un<br />

figurant nommé Jacques Prévert.<br />

Autour de la Cousine Bette est un témoignage<br />

de première main sur le film, nous<br />

renseignant sur son casting, en particulier le<br />

moment du choix entre deux actrices pour le<br />

rôle-titre, et montrant quelques prises de<br />

vues en extérieurs. Le film contient aussi une<br />

présentation à la presse cinématographique<br />

(<strong>Ciné</strong>magazine) <strong>des</strong> acteurs en costumes<br />

d'époque et sur une scène de théâtre, le<br />

making of devenant alors bande-annonce du<br />

film et avouant son ambition<br />

promotionnelle.<br />

De 1930 à 1932, il réalisera quatre films de<br />

première partie (dont un étonnant la Terrible<br />

Aventure du docteur Faust, sauvegardé par la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française, version revue et<br />

corrigée de la célèbre légende de Goethe par<br />

une troupe de Guignol lyonnais. Le résultat<br />

est parfaitement surprenant de voir<br />

Guignol / Faust faire la cour à Marguerite en<br />

parlant un pur patois lyonnais.<br />

Décidément, Max de Rieux était bien un<br />

diable d'homme...<br />

B.M.<br />

LES AVENTURES DE ROBERT<br />

MACAIRE.<br />

France, Jean Epstein, 1925. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1992. CP<br />

(4079 m.). Voir page 78.<br />

LES AVENTURES D'UNE<br />

VAGABONDE.<br />

États-Unis, circa 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (1094 m.).<br />

B.<br />

BACHELOR BRIDES.<br />

États-Unis, William K. Howard, 1926. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres anglais. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (1823 m.).<br />

BALANÇOIRES.<br />

France, Noël Renard, 1928. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NTL Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(580 m.).<br />

Au cours d'une fête foraine, un fakir endort<br />

un couple de jeunes gens et les fait voyager<br />

dans un monde triste et endeuillé. Au réveil,<br />

la fête leur paraît plus belle que jamais.<br />

Balançoires est une petite perle dans le<br />

cinéma « parallèle » français <strong>des</strong> années<br />

vingt. Son prétexte narratif, philosophicoprédicateur,<br />

rappelle le Paris qui dort de René<br />

Clair (1923), dans lequel on trouve un<br />

comparable enchantement à opposer une<br />

vision optimiste du monde à l'avenir obscur.<br />

Dans les deux cas, l'immobilité ou le<br />

ralentissement sont <strong>des</strong> occasions de jouer<br />

avec les effets perceptifs de la cinégénie.<br />

Chez René Clair, un savant est le<br />

responsable de l'évasion du monde<br />

ordinaire. Noël Renard choisit un fakir.<br />

Cependant, l'accompagnement <strong>des</strong><br />

personnages engendre peu de familiarité<br />

psychologique. L'intérêt du cinéaste et de<br />

son équipe (dont le jeune Christian-Jaque)<br />

est ailleurs ; dans la partie documentaire et<br />

expérimentale. <strong>La</strong> fête foraine offre à la fois,<br />

un décor et un motif pour d'exceptionnelles<br />

visions modernistes. <strong>La</strong> Tour Eiffel de Paris<br />

qui dort trouve son équivalent dans les<br />

« montagnes russes » et les nombreux autres<br />

manèges invitant à se projeter dans les airs.<br />

Mais dans Balançoires, la virtuosité optique<br />

profite d'une double illusion perspectiviste :<br />

les architectures métalliques et leur vitesse<br />

de rotation ou de traversée. Le film<br />

enregistre une vélocité du regard et c'est<br />

avant tout la performance de l'utilisation<br />

d'une foule comme matériau plastique qui<br />

retient l'intérêt aujourd'hui. Les chapeaux<br />

melons sont majoritaires et évoquent<br />

irrésistiblement ceux tournoyants du<br />

Vormittagsspuk de Hans Richter (1928). Le<br />

rythme du montage est endiablé et fondé sur<br />

l'alternance de régimes de vitesse conjugués<br />

aux motifs : visages en gros plan, manèges<br />

en folie, baraques foraines, plans rapprochés<br />

de pieds ou autres détails corporels cadrés<br />

dans la foule, contre-plongées acrobatiques,<br />

plein cadre d'une mer de couvre-chefs, etc.<br />

<strong>La</strong> naïveté de la fable finale éclaire les<br />

raisons pour lesquelles le film n'a jamais été<br />

retenu comme un chef-d'œuvre du cinéma<br />

constructiviste ou simplement d'avantgarde.<br />

Pourtant, bien qu'un projet théorique<br />

soit en effet absent, on ne peut plus<br />

désormais ignorer ce film. Il est un très bel<br />

exemple de la « Nouvelle Vision » de cette<br />

fin <strong>des</strong> années vingt.<br />

D.P.<br />

BALLO AL CASTELLO.<br />

Italie, Max Neufeld, 1939. Mat. d'orig. : PIC<br />

VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1993.<br />

c P(2180m).<br />

LE BARON MYSTÈRE.<br />

France, Maurice Challiot, 1918. Mat. d'orig. :<br />

(incomplet). Intertitres français et<br />

flamands. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />

1993. CP (2355 m.).<br />

THE BATTLE OF THE SEXES.<br />

L'Éternel Problème.<br />

États-Unis, David Wark Griffith, 1928. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1994. CP (2385 m.).<br />

BEFORE THE PUBLIC.<br />

États-Unis, Charles Parrott, 1922. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S (manque la<br />

fin). Intertitres anglais. Tirage en 1995.<br />

CP (478 m.).<br />

LA BELLE NIVERNAISE.<br />

France, Jean Epstein, 1923. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : CTN/S. Intertitres français et<br />

espagnols. Rest. en 1994. CP (1569 m.).<br />

Voir page 68.<br />

BEYOND GLORY - Retour sans espoir.<br />

Etats-Unis, John Farrow, 1948. Mat. d'orig. :<br />

CTC VO, PIC-BAN VO. Mat. de conserv. :<br />

PIC, CTC-BAN. Sauv. en 1993. CP (2255 m.),<br />

CP-BAN (58 m.). Voir page 214.<br />

BLANCHISSERIE ÉLECTRIQUE.<br />

France, Pathé-Nizza, 1912. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (98 m.).<br />

Pris le matin, rendus le soir : les ballots de<br />

linge quittent la maison, glissent allègrement<br />

sur les trottoirs et montent dans la voiture<br />

qui les conduit à la blanchisserie électrique.<br />

Là, sans intervention humaine, le linge est<br />

lavé, séché et repassé. Mais le progrès a ses<br />

limites...<br />

Les scènes à trucs sont innombrables dans<br />

les années dix. Blanchisserie électrique est un<br />

exemple parfait de ce cinéma à l'état pur. Le<br />

film se concentre sur l'abondance et la<br />

perfection encore artisanale <strong>des</strong> trucages,<br />

faisant l'économie de la narration souvent<br />

pesante du cinéma primitif. Le plaisir du<br />

spectateur d'aujourd'hui, blasé devant les<br />

effets spéciaux qui émerveillaient son<br />

ancêtre, vient sans doute du décalage,<br />

imprévisible en 1912, entre les miracles<br />

d'automatisation que permet la Fée<br />

Électricité (à grand renfort de roues crantées)<br />

et la désuétude <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> employées.<br />

Les battoirs en bois, dignes de Gervaise,<br />

frappent le linge qui est ensuite empilé dans<br />

de gracieuses corbeilles en osier, puis<br />

suspendu à de simples cor<strong>des</strong>. Les<br />

contraintes du trucage image par image<br />

obligent à vider les rues de tout élément<br />

humain ou en mouvement, et la voiture sans<br />

conducteur traverse une ville anormalement<br />

déserte et involontairement inquiétante. Le<br />

gag final nous ramène au « goût » 1900 : le<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 235<br />

viril ouvrier a-t-il réellement besoin<br />

d'essayer les <strong>des</strong>sous en dentelle de sa<br />

voisine pour s'apercevoir de l'erreur de<br />

livraison ? C.K.<br />

DER BLAUE BRIEF.<br />

Allemagne, Walter Schmidthàssler, circa<br />

1912. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres<br />

allemands. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />

1993. CP (1220 m.).<br />

BLESSURE D'AMOUR.<br />

France, Pathé, 1916. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(1209 m.).<br />

LE BONHEUR PERDU.<br />

France, S.C.A.G.L., 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM. Intertitres français.<br />

Rest. en 1996. CP (728 m).<br />

LA BONNE HÔTESSE.<br />

France, Georges Monca, 1918. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1994. CTra (957 m.).<br />

LE BOUFFON.<br />

France, Victorin Jasset, 1909, sonorisé en<br />

1934. Mat. d'orig. : CEX. Mat. de conserv. :<br />

CTC. Sauv. en 1994. CP (261 m.). Voir page 28.<br />

BRAVEHEART - Barrière <strong>des</strong> races.<br />

États-Unis, Alan Haie, 1925. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Rest. en 1993. CP (1340 m.).<br />

Voir page 174.<br />

DIE BÛCHSE DER PANDORA.<br />

Loulou.<br />

Allemagne, Georg Wilhelm Pabst, 1928. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Rest. en 1995. CP (2977 m.).<br />

c.<br />

LA CAISSIÈRE DE GRÛNEBAUM &<br />

CIE.<br />

Allemagne, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (352 m.).<br />

CAJUS JULIUS CAESAR - Jules César.<br />

Italie, Enrico Guazzoni, 1914. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />

Tirage en 1996. CP (1253 m.).<br />

LE CALUMET DE LA PAIX.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (306 m.).


236 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

LE CALVAIRE DE L'USURIER.<br />

Russie, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />

Rest. en 1995. CP (553 m.).<br />

LE CAMÉE.<br />

États-Unis, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (254 m.).<br />

Une jeune Indienne est amoureuse d'un<br />

peintre blanc et marié. <strong>La</strong> mère de l'Indienne<br />

remarque que sa fille et l'épouse de l'artiste<br />

possèdent le même camée. Sa boule de<br />

cristal lui révèle que les deux femmes sont<br />

deux sœurs séparées dans leur enfance par<br />

un naufrage. Pendant ce temps, l'Indienne,<br />

jalouse, emmène la femme du peintre et la<br />

précipite dans le vide. Elle apprend trop tard<br />

la vérité. Mais la victime est toujours vivante<br />

et, sauvée, peut se consoler dans les bras de<br />

son mari, tandis que l'Indienne, agitée de<br />

sentiments contradictoires, s'éloigne.<br />

Malgré les apparences, l'histoire du Camée<br />

n'est pas exceptionnellement alambiquée<br />

pour un film court <strong>des</strong> armées dix. Et puis<br />

l'invraisemblable appartient au cinéma, alors<br />

pourquoi ne pas en abuser ? Ce qui distingue<br />

l'intrigue du Camée de dizaines de drames<br />

mondains ou bourgeois, c'est qu'elle se<br />

déroule en pleine nature, dans une société<br />

mixte, où se côtoient en toute quiétude<br />

Indiens et Blancs. On devine cette proximité<br />

dans les scènes de vie quotidienne en arrièreplan,<br />

ce qui confère au film un certain<br />

dynamisme, et sans doute aussi pour un<br />

public français, un réel dépaysement.<br />

Comme souvent, le plan de fin est<br />

interminable et dénoue traditionnellement<br />

les fils du récit : la vérité éclate, l'Indienne<br />

s'éloigne en vertu de la barrière <strong>des</strong> races, les<br />

époux se retrouvent. Mais quelques plans<br />

très brefs, comme celui de la chute en ombre<br />

chinoise, ou ceux sur la victime encore<br />

vivante et sursautante, tâche claire sur les<br />

broussailles sombres, ou encore la lutte<br />

violente entre les deux sœurs, parviennent à<br />

faire oublier les quelques longueurs de ce joli<br />

drame de l'Ouest.<br />

E.B.<br />

LE CAMELOT DE PARIS.<br />

France, André Heuzé, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (918 m.).<br />

CAPRICE DE BOYARD.<br />

Russie, circa 1911. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(160 m.).<br />

LE CARILLON DE LA LIBERTÉ.<br />

Belgique, Gaston Roudès, 1931. Mat.<br />

d'orig. : NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1993. CP (1598 m.). Voir page 139.<br />

CARLOS UND ELISABETH.<br />

EINE HERRSCHERTRÂGODIE.<br />

Sous l'Inquisition.<br />

Allemagne, Richard Oswald, 1924. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

français. Tirage en 1994. CP (3126 m.).<br />

LE CARREFOUR DES ENFANTS<br />

PERDUS.<br />

France, Léo Joannon, 1943. Mat. d'orig. : PIC.<br />

Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994. CP<br />

(2774 m.).<br />

LE CAUCHEMAR DE RIGADIN.<br />

France, Georges Monca, 1913. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Sauv. en 1994. CP (207 m.).<br />

CAUCHEMAR ET DOUX RÊVE.<br />

France, Segundo de Chomôn, 1908. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (97 m.). Voir page 24.<br />

LE CAVALIER DE CROIX MORT<br />

(ou UNE AVENTURE DE VIDOCQ).<br />

France, Lucien Ganier-Raymond, 1947. Mat.<br />

d'orig. : PIC. Mat. de conserv. : CTC. Sauv.<br />

en 1993. CP (2321 m.). Voir page 111.<br />

LE CAVALIER DE MINUIT.<br />

France, Maurice Charmeroy et René Alinat,<br />

1924. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1319 m.).<br />

CE PAUVRE CHÉRI.<br />

France, Jean Kemm, 1923. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (1519 m.).<br />

CE QUE FEMME VEUT...<br />

France, [Fernand Rivers, 1917]. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1994. CTra (567 m.).<br />

LA CHAMBRE DE LA BONNE.<br />

France, Pathé, 1918. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(304 m.).<br />

LA CHAMBRE DU RAPIN.<br />

France, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(266 m.).<br />

LE CHÂTEAU DE LA DERNIÈRE<br />

CHANCE.<br />

France, Jean-Paul Paulin, 1946. Mat. d'orig. :<br />

CTN-BAN, NSN-BAN. Mat. de conserv. :<br />

PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP-BAN (88 m.).<br />

LE CHAT ET LA SOURIS.<br />

France, Rozier-Beaumont, 1933. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1994. CP (1014 m.).<br />

LE CHEMIN D'ERNOA.<br />

France, Louis Delluc, 1921. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : CTN/S. Intertitres français. Tirage<br />

en 1990. CP (1135 m.).<br />

LE CHEMIN DU CRIME.<br />

France, Georges Denola, 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (224 m.).<br />

LA CHEVAUCHÉE SANGLANTE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (283 m.).<br />

CHEZ MA TANTE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (264 m.).<br />

CHICAGO.<br />

États-Unis, Frank Urson, 1927. Mat. d'orig.<br />

et de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />

Tirage en 1994. CP (1348 m.). Voir page 181.<br />

LE CHRYSANTHÈME ROUGE.<br />

France, Léonce Perret, 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1994. CP<br />

(273 m.). Voir page 33.<br />

LES CINQ GENTLEMEN MAUDITS.<br />

France, Luitz-Morat et Pierre Régnier, 1920.<br />

Mat. d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat.<br />

de conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP<br />

(1332 m.). Voir page 57.<br />

CLEOPATRA.<br />

États-Unis, Charles Gaskill, 1912. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1994. CP (1577 m.).<br />

CLÉOPÂTRE.<br />

France, Ferdinand Zecca et Henri Andréani,<br />

1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en 1996.<br />

CP (346 m).<br />

THE CLOCK STRIKES EIGHT.<br />

L'Exécution est pour 8 heures.<br />

Grande-Bretagne, Ronald Haines, 1946.<br />

Mat. d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1994. CP (695 m.). Voir page 140.<br />

LA CLOSERIE DES GENÊTS.<br />

France, Adrien Caillard, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (734 m.).<br />

LE CLUB DES ÉLÉGANTS.<br />

France, René Leprince, 1912. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (454 m.).<br />

LE CŒUR BRISÉ.<br />

Russie, Jacob Protazanov, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (363 m.).<br />

CŒUR DE FEMME.<br />

France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />

1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en 1996.<br />

CP (1008 m.).<br />

CŒUR DE SOLDAT.<br />

France, Pathé, 1915. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CTra<br />

(1002 m.).<br />

LE CŒUR DE VIOLETTE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1994. CTra (281 m.).<br />

CŒUR D'UN CHIEN.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1994. CTra (277 m.).<br />

LE CŒUR D'UNE GOSSE<br />

(LES LIONS).<br />

France, Emile Chautard, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (253 m.).<br />

LE CŒUR ÉBLOUI.<br />

France, Jean Vallée, 1938. Mat. d'orig. : NIM,<br />

NSN, NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />

conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(2270 m.), CP-BAN (123 m.).<br />

THE COLD DECK - Grand frère.<br />

États-Unis, William S. Hart, 1917. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Flash-titles anglais. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Intertitres français et<br />

anglais. Rest. en 1995. CP (1120 m.).<br />

Voir page 164.<br />

LA COLLE FORTE DE TITI.<br />

France, Roméo Bosetti, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (150 m.).<br />

LE COLLIER DE LA DANSEUSE.<br />

France, René Leprince, 1912. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1996. CP (579 m).<br />

LE COLLIER DE LA REINE.<br />

France, Gaston Ravel, 1929. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN (extrait). Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1992. CP (23 m).<br />

LE COLLIER DE L'INTRIGANTE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (221 m.).<br />

COLPI DI TIMONE.<br />

Italie, Gennaro Righelli, 1942. Mat. d'orig. :<br />

PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />

1993. CP (2681 m.). Voir page 145.<br />

LA COMMUNE.<br />

France, Armand Guerra, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />

(457 m.). Voir page 45.<br />

LE COMTE DE MONTE-CRISTO<br />

(première partie).<br />

France, Robert Vernay, 1942. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1995. CP (2723 m.).<br />

LE COMTE DE MONTE-CRISTO<br />

(deuxième partie).<br />

France, Robert Vernay, 1942. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1995. CP (2539 m.).<br />

COMTESSE HACHISCH.<br />

France, circa 1935. Mat. d'orig. : PMU-Tra,<br />

PSN-Tra. Mat. de conserv. : CTN, NSN.<br />

Sauv. en 1993. CP (1657 m.). Voir page 103.<br />

CONCOURS CAPITAINE DE<br />

CASTILLE.<br />

France, 1948. Mat. d'orig. : CTN, NSN. Mat.<br />

de conserv. : PIC. Sauv. en 1994. CP (35 m.).<br />

CONSCIENCE.<br />

France, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(484 m.).<br />

LES CONSÉQUENCES D'UN PARI.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (246 m.).<br />

CONVERSION D'ANONA.<br />

États-Unis, circa 1910. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (272 m.).<br />

LA CONVERSION DU JOUEUR.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (230 m.).<br />

CORA LA CUISINIÈRE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 237<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1994. CTra (269 m.).<br />

CORRIDA MOUVEMENTÉE.<br />

France, Roméo Bosetti, 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (126 m.).<br />

LE COTTAGE HANTÉ.<br />

France, Pathé-Nizza, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Rest. en<br />

1994. CP (95 m.). Voir page 30.<br />

COURSE À L'ABÎME.<br />

Allemagne, circa 1917. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CTra (933 m.).<br />

LA COURSE AU BONHEUR.<br />

France, Pathé, 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(416 m.).<br />

LA COURSE AU FLAMBEAU.<br />

France, Luitz-Morat, 1925. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français et flamands. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (1553 m.).<br />

THE COURTSHIP OF MILES<br />

STANDISH.<br />

États-Unis, James A. Fitzpatrick, circa 1920.<br />

Mat. d'orig. et de conserv. : CTN/S.<br />

Intertitres anglais. Tirage en 1995. CP<br />

(1589 m.).<br />

CRIME DES GITANES.<br />

États-Unis, circa 1908. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CTra (264 m.).<br />

LE CRIME DU BOUIF.<br />

France, André Cerf, 1951. Mat. d'orig. : NIM,<br />

NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1995.<br />

CP (2807 m.).<br />

CRIME D'UN PÈRE.<br />

France, Pathé, 1911. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(202 m.).<br />

CROOKED BANKERS.<br />

Indélicatesse de banquier.<br />

États-Unis, Pathé Play, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (277 m.).<br />

LE CURÉ DE SAINT-AMOUR.<br />

France, Émile Couzinet, 1952. Mat. d'orig. :<br />

10 NIM/S, 10 NSN/S, NIM-BAN/S, NSN-<br />

BAN/S. Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN.<br />

Tirage en 1995. CP (2432 m.), CP-BAN<br />

(156 m.).


Henryk Szaro,<br />

Dzieje Grzechu (1933).<br />

Galaor l'intrépide<br />

(ca 1920).<br />

Henri Fescourt,<br />

les Grands (1924).<br />

Jacques Prévert<br />

(au centre, avec<br />

<strong>des</strong> lunettes).<br />

D.<br />

DADDY LONG LEGS.<br />

Papa longues jambes.<br />

États-Unis, Alfred Santell, 1931. Mat. d'orig. :<br />

CTN, NSN VO (incomplet). Mat. de<br />

conserv. : PIC. Sauv. en 1993. [CP] (955 m.).<br />

DAISY'S MISTAKE.<br />

Les Espiègleries de Daisy.<br />

États-Unis, Joseph A. Golden, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (284 m.).<br />

Jeune fille turbulente et hardie, Daisy<br />

« emprunte » la voiture de son père et se<br />

déguise en chauffeur de taxi. Elle entraîne<br />

son premier client dans une folle équipée,<br />

mais elle est arrêtée par la police et<br />

démasquée. Son jeune passager est tombé<br />

amoureux d'elle ; le père de Daisy<br />

désapprouve cette liaison et envoie sa fille en<br />

pension. Bien décidée à ne pas se laisser<br />

enfermer, Daisy sonne l'alarme et rejoint son<br />

bien-aimé sous les yeux rageurs et<br />

impuissants de la surveillante qu'elle a<br />

enfermé à sa place.<br />

Quelques temps avant les sériais qui vont la<br />

rendre mondialement célèbre, Pearl White<br />

interprète une Daisy digne de Pauline ou<br />

Elaine, ses futurs grands rôles. Vive,<br />

espiègle, imprévisible et dégourdie, jeune en<br />

un mot, elle en est la petite sœur, la partie<br />

encore enfantine. Pourtant, le film contient<br />

certaines scènes « pour adultes » : les jeunes<br />

filles du pensionnat en chemise de nuit et les<br />

cheveux dénoués, l'incarcération un peu<br />

sadique de Daisy dans un cachot de luxe.<br />

Même son travestissement en homme revêt<br />

un caractère légèrement trouble, ce côté<br />

masculin séduisant son jeune passager. Tout<br />

cela se déroule sans temps mort, à un rythme<br />

enlevé, dans le but avoué de distraire.<br />

Héroïne mode in USA, Daisy a quand même<br />

un air de ressemblance avec ses cousines<br />

françaises Caroline, Gribouillette ou<br />

Léontine, avec peut-être la grâce et surtout<br />

l'exotisme en plus.<br />

E.B.<br />

DALILA.<br />

France, SCAGL, 1916. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995.<br />

CTra (713 m.).<br />

LA DAME EN NOIR.<br />

France, [André Heuzé, 1913]. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (1188 m.).<br />

LA DANSE DU FEU.<br />

France, Segundo de Chomôn, 1909. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (60 m.).<br />

LA DANSE HÉROÏQUE.<br />

France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />

1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1305 m.).<br />

DANS LA BROUSSE ANNAMITE.<br />

France, André Sauvage, 1931-1934. Mat.<br />

d'orig. : CTN, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1994. CP (667 m.). Voir page 93.<br />

DANS LE GOUFFRE.<br />

France, Pierre Bressol, 1916. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (1028 m.).<br />

DANS LES MAINS DES ESPIONS.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (860 m.).<br />

DARK BUFFALO OU LA FLÈCHE DU<br />

DÉFI.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (202 m.).<br />

LA DATE FIXÉE.<br />

France, S.C.A.G.L., 1916. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (923 m.).<br />

DAVID HARUM.<br />

États-Unis, Allan Dwan, 1915. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />

Tirage en 1994. CP (1387 m.).<br />

DÉCEPTION.<br />

France, Pathé, 1917. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(556 m.).<br />

DE LA FENÊTRE DE L'AVOCAT.<br />

États-Unis, circa 1911. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (258 m.).<br />

DE L'AMOUR À LA HAINE.<br />

États-Unis, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM<br />

(incomplet). Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (283 m.).<br />

LE DÉSERTEUR.<br />

France, Pathé, 1906. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : CTN/S. Intertitres français. Rest.<br />

en 1996. CP (176 m.).<br />

LES DÉS MAGIQUES.<br />

France, Segundo de Chomôn, 1907 ou 1908.<br />

Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 239<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (137 m.).<br />

Voir page 24.<br />

DESTIN.<br />

France, Dimitri Kirsanoff, 1927. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1992. CP<br />

(1579 m.). Voir page 80.<br />

LE DESTIN D'UN ROI.<br />

Grande-Bretagne, A.E. Coleby, 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1994. CTra (750 m.).<br />

DESTIN TRAGIQUE.<br />

France, Victorin Jasset, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (263 m.).<br />

DETECTIVE CRAIG'S COUP.<br />

États-Unis, Donald Mackenzie, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM (incomplet). Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1035 m.).<br />

DEUX AMOURS.<br />

France, Charles Burguet, 1917. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (976 m.).<br />

DEUX BONS COPAINS.<br />

France, Abel Jacquin, 1931. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1993. CP (681 m.).<br />

LES DEUX ENFANTS.<br />

France, Ravissant Film, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (687 m.).<br />

DEUX FAUTEUILS POUR<br />

LTMPÉRIUM.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />

d'orig. : NIM (incomplet). Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (252 m.).<br />

LES DEUX FORÇATS.<br />

États-Unis, circa 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (263 m.).<br />

DEUX MARIS, DEUX FEMMES, UN<br />

COMMISSAIRE.<br />

France, Pathé, 1916. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (326 m.).<br />

LES DEUX MÈRES.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (541 m.).<br />

LES DEUX ORPHELINS.<br />

États-Unis, circa 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CTra (277 m.).


240 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

LES DEUX PAILLASSON.<br />

France, Lucien Nonguet, 1919. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1993. CTra (709 m.).<br />

LES DEUX PETITS JÉSUS.<br />

France, Georges Denola, 1909. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (286 m.).<br />

LES DEUX VANTARDS.<br />

France, Paul <strong>La</strong>ndrin, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (187 m.).<br />

DÉVOUEMENT D'ÂME<br />

GÉNÉREUSE.<br />

États-Unis, circa 1911. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (288 m.).<br />

LE DÉVOUEMENT DE L'ESCLAVE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (204 m.).<br />

LE DÉVOUEMENT DE STARLIGHT.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (227 m.).<br />

DÉVOUEMENT D'INDIEN.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (312 m.).<br />

DER DIAMANTEN MACHER.<br />

Allemagne, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(1195 m.).<br />

LE DIAMANT NOIR.<br />

Belgique, Alfred Machin, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Sauv. en 1993 et Rest. par<br />

la <strong>Ciné</strong>mathèque royale de Belgique. CP<br />

(914 m.).<br />

LE DIAMANT VERT.<br />

France, Pierre Marodon, 1922. Mat. d'orig. :<br />

PMU (incomplet). Intertitres français. Mat.<br />

de conserv. : CTN. Rest. en 1995. CP<br />

(10850 m.).<br />

DIARY OF A CHAMBERMAID.<br />

Le Journal d'une femme de chambre.<br />

États-Unis, Jean Renoir, 1946. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : 9 CTC/S VO. Tirage en 1993.<br />

CP (2376 m.).<br />

DISILLUSIONE ! - Le Cœur et la Raison.<br />

Italie, Film d'Arte Italiana/Série d'Art Pathé<br />

Frères, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CTra<br />

(519 m.).<br />

IL DISINGANNO DI PIERROT.<br />

<strong>La</strong> Désillusion de Pierrot.<br />

Italie, Ugo Falena, 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (583 m.).<br />

DIS QU'T'ES MÉDECIN<br />

OU LA DOUBLE CURE.<br />

France, 1905. Mat. d'orig. : PMU. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CP (222m.).<br />

DOCUMENTS SECRETS.<br />

France, Léo Joannon, 1940. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />

conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(2056 m.), CP-BAN (117 m.).<br />

DON QUIXOTE - Don Quichotte<br />

(inachevé).<br />

États-Unis, Orson Welles, 1957-1972. Mat.<br />

d'orig. : PMU-Tra, MAG-Tra. Mat. de<br />

conserv. : CTN, NSN. Sauv. en 1996. CP<br />

(2185 m.). Voir page 225.<br />

DORIAN'S DIVORCE.<br />

États-Unis, Oscar A.C. Lund, 1916. Mat.<br />

d'orig. : NIM, NTL Intertitres et flash-titles<br />

anglais. Mat. de conserv. : PIM, PIM Titres.<br />

Sauv. en 1993. CTra (1129 m.).<br />

LE DOUBLE CHEMIN.<br />

Grande-Bretagne, Britannia Film, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (609 m.).<br />

LE DOUBLE DIVORCE.<br />

France, Pathé, 1915. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(283 m.).<br />

LA DOUBLE EXISTENCE DU<br />

DOCTEUR MORART.<br />

France, Jacques Grétillat, 1919. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1993. CTra (531 m.).<br />

LA DOULEUR D'AIMER.<br />

France, Georges Denola, 1912. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (866 m.).<br />

DOURO FAINA FLUVIAL.<br />

Portugal, Manoel de Oliveira, 1929-1931.<br />

Mat. d'orig. et de conserv. : 2 CTC/S<br />

(musique). Tirage en 1995. CP (503 m.).<br />

LA DRAGONNE D'OR.<br />

France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995. CTra<br />

(982 m.).<br />

DRAMA NA VOLGUE.<br />

Un drame sur la Volga.<br />

Russie, Nicolas <strong>La</strong>rine, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1994. CTra (932 m.).<br />

DRAME DE L'AVARICE.<br />

Russie, circa 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(268 m.).<br />

DREAM GIRL.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1947. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1993. [CP] (2330 m.).<br />

DUEL.<br />

France, Jacques de Baroncelli, 1927. Mat.<br />

d'orig. : PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : ITN. Rest. en 1991. CP (1934 m.).<br />

Voir page 71.<br />

DÛRFEN WIR SCHWEIGEN ?<br />

Le Baiser mortel.<br />

Allemagne, Richard Oswald, 1926. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Rest. en 1993. CP (1256 m.).<br />

Voir page 120.<br />

DZIEJE GRZECHU.<br />

Histoire d'un péché.<br />

Pologne, Henryk Szaro, 1933. Mat. d'orig. :<br />

CEX VO (incomplet). Mat. de conserv. : CTC.<br />

Sauv. en 1996. CP (1726 m.).<br />

Ewa, jeune fille timide et pieuse, tombe<br />

amoureuse de Lukasz, un homme marié.<br />

Afin d'obtenir le divorce, il quitte Varsovie<br />

pour Rome. Ewa apprend qu'il a été arrêté et<br />

emprisonné. Enceinte, elle est chassée par sa<br />

famille, puis noie l'enfant qu'elle a mis au<br />

monde. Victime d'un chantage qui l'oblige à<br />

tuer le comte Szczerbiec, protecteur<br />

bienveillant, elle sombre dans la prostitution.<br />

Lukasz, enfin libéré, a épousé une héritière.<br />

Ewa, complice terrorisée du gangster<br />

Pochron et de sa bande, participe à un<br />

cambriolage chez son ancien amant et meurt<br />

en lui sauvant la vie.<br />

Dzieje Grzechu est tiré d'un roman de Stefan<br />

Zeromski paru en 1908 (Walerian<br />

Borowczyk en signera une autre adaptation<br />

en 1975). L'action du film a été déplacée au<br />

début <strong>des</strong> années trente ; il se dépouille ainsi<br />

de toute facilité décorative et prive le<br />

spectateur de la confortable distanciation<br />

d'une reconstitution historique. <strong>La</strong> mise en<br />

scène, sous haute influence du cinéma<br />

allemand, renforce l'enfermement <strong>des</strong> héros<br />

pathétiques de ce mélodrame plus que noir.<br />

Confessionnal, prison, meublé sordide,<br />

wagon de train... L'étouffement contamine<br />

jusqu'au casino et aux hôtels de luxe, et le<br />

plaisir n'y est pas gai. L'histoire se déroule<br />

entièrement de nuit. Les acteurs, coincés par<br />

une caméra qui les cadre de très près, le<br />

visage parfois barré d'ombres portées, sont<br />

éclairés à contre-jour. Mais ce halo, qui<br />

nimbait d'irréalité le cinéma <strong>des</strong> années<br />

vingt, les arrache ici à grand-peine à<br />

l'obscurité menaçante qui les cerne. <strong>La</strong><br />

lumière n'a souvent aucune source logique<br />

dans le décor, et rarement la critique<br />

implicite d'une réalité sociale a été éclairée<br />

avec autant d'artifice.<br />

L'état lacunaire de la copie nitrate retrouvée<br />

dans les collections, et les dommages qu'elle<br />

a subis, rendent la narration chaotique et<br />

parfois incompréhensible. <strong>La</strong> suite<br />

ininterrompue <strong>des</strong> dégradations infligées à<br />

Ewa, rongée par une décomposition qui n'a<br />

rien d'imaginaire, accentue le sentiment<br />

qu'une fatalité aveugle écrase l'héroïne.<br />

Infanticide, prostituée, meurtrière, et<br />

pourtant innocente, Ewa est la triste héritière<br />

d'une lignée de femmes fatales à ellesmêmes,<br />

sublimées par la littérature et le<br />

cinéma d'Europe centrale, et dont<br />

l'archétype est Loulou. Victime <strong>des</strong>tinée au<br />

sacrifice, elle a le même mouvement de<br />

soumission - la tête inclinée en arrière, la<br />

gorge offerte - que ce soit à l'étreinte de<br />

l'amant, à la menace du couteau, ou à la<br />

mort qui la délivre. Cette symbolique du jeu<br />

de l'actrice s'accompagne de métaphores<br />

visuelles parfois paroxystiques. Le corps<br />

déchiré de la femme qui accouche devient<br />

une banquise disloquée, et c'est dans ces<br />

glaces à la dérive qu'Ewa ira noyer son<br />

enfant. Naissance, érotisme et mort se<br />

confondent dans la même pénombre. Ce film<br />

désespéré, parfois morbide, sort en 1933.<br />

Commence alors l'histoire d'un péché d'une<br />

toute autre envergure. Dix ans plus tard, le<br />

réalisateur Henryk Szaro meurt fusillé dans<br />

le ghetto de Varsovie.<br />

E.<br />

C.K.<br />

L'ÉCOLE DES VIERGES.<br />

France, Pierre Weill, 1935. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1993. CP (1995 m.). Voir page 102.<br />

ELLE VEUT FAIRE DU CINÉMA.<br />

France, Henry Wulschleger, 1930. Mat.<br />

d'orig. : NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1993. CP (1113 m.).<br />

L'EMPIRE DU DIAMANT.<br />

France-États-Unis, Léonce Perret, 1922. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM.<br />

Intertitres français. Rest. en 1989. CP<br />

(1265 m.). Voir page 65.<br />

EN DÉTRESSE.<br />

France, Henri Pouctal, 1918. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1994. CTra (893 m.).<br />

ERDGEIST-Loulou.<br />

Allemagne, Leopold Jessner, 1923. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1995. CP (815 m.).<br />

ERZHERZOG JOHANN.<br />

L'Archiduc Jean.<br />

Autriche, Max Neufeld, 1928. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Sauv. en 1993. CP (1954 m.).<br />

ESTHER.<br />

France, Henri Andréani, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1994. CTra (646 m.).<br />

ÉTERNEL AMOUR.<br />

France, Albert Capellani, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1996. CP (881 m.).<br />

ÉTERNELLE SÉPARATION.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (277 m.).<br />

ET L'ON REVIENT TOUJOURS.<br />

France, Fernand Rivers, 1916. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (685 m.).<br />

L'ÉTOILE DU GÉNIE.<br />

France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />

1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en 1996.<br />

CP (1027 m).<br />

L'ÉTREINTE DE LA STATUE.<br />

France, Victorin Jasset, 1908, sonorisé en 1934.<br />

Mat. d'orig. : CEX. Mat. de conserv. : CTC.<br />

Sauv. en 1992. CP (165 m.). Voir page 28.<br />

LES ÉTRENNES À TRAVERS LES<br />

ÂGES.<br />

France, Pierre Colombier, 1923. Mat.<br />

d'orig. : NIM, NTL Intertitres français. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP<br />

(666 m.). Voir page 67.<br />

EVA IN SEIDE - Ève Toute Nue.<br />

Allemagne, Cari Boese, 1928. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Sauv. en 1993. CP (2624 m.).<br />

Voir page 124.<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 241<br />

L'EXCUSE D'UN CRIME.<br />

États-Unis ou Grande-Bretagne, circa 1918.<br />

Mat. d'orig. : NIM (incomplet). Flash-titles<br />

anglais. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv.<br />

en 1996. CTra (187 m.).<br />

L'EXEMPLE.<br />

France, Pathé, 1918. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(432 m.).<br />

F.<br />

FACE À LA MORT.<br />

France, Gérard Bourgeois, 1924. Mat. d'orig. :<br />

PMU (manque la fin). Intertitres français.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995.<br />

CP (3424 m.).<br />

FALBALAS (Essais Micheline Presle).<br />

France, Jacques Becker, 1944. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1994. CP (32 m.).<br />

FALSE PROPHET - Le Faux Prophète.<br />

États-Unis, James W. Horne, 1916. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (974 m.).<br />

THE FAMILY HONOR.<br />

L'Honneur du nom.<br />

États-Unis, King Vidor, 1920. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Rest. en 1995. CP (1595 m.).<br />

Voir page 167.<br />

IL FANTASMA DELLA MORTE.<br />

Italie, Giuseppe Guarino, 1945. Mat. d'orig. :<br />

PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />

1994. CP (2089 m.).<br />

LE FAUX TÉLÉGRAMME.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (825 m.).<br />

THE FAVORITE SON.<br />

États-Unis, Francis Ford, 1913. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN / S. Intertitres anglais.<br />

Tirage en 1994. CP (491m.).<br />

1861. Bill et Jim, deux frères amoureux de la<br />

même femme, s'engagent dans l'armée de<br />

l'Union et luttent contre les confédérés.<br />

L'aîné, Bill, a promis de protéger son cadet,<br />

le fils chéri. Son dévouement sera<br />

exemplaire.<br />

Réalisé par Francis Ford (le grand frère de<br />

John), The Favorite Son est l'anti-Abel et Caïn,<br />

le geste sublime d'un aîné, et au-delà une


242 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

exaltation au sens large et biblique de la<br />

fraternité en pleine guerre fratricide entre le<br />

Nord et le Sud. Ce qui se répète, c'est encore<br />

l'histoire de la Genèse qui racontait déjà, et<br />

pour les siècles <strong>des</strong> siècles, le drame <strong>des</strong><br />

hommes entre eux. Ce que veut le film, c'est<br />

inciter à la réconciliation après la déchirure,<br />

en rappelant par l'exemple que le tronc de<br />

l'arbre est commun à tous. The Favorite Son,<br />

en quelques centaines de mètres, mêle ainsi<br />

l'amour et la haine, la paix et la guerre,<br />

l'intime et l'épique, l'individuel et le<br />

collectif, le premier terme éclairant le second<br />

de son utopie humaniste et chrétienne. On<br />

reste stupéfait que cette capacité si souvent<br />

décrite - et à juste titre - du cinéma<br />

américain à se coltiner avec son histoire<br />

récente, et parfois immédiate, s'exerce déjà à<br />

ce degré de maturité dans un « deux<br />

bobines » de 1913.<br />

LA FEMME ET LE PANTIN.<br />

France, Jacques de Baroncelli, 1928. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1994. CP<br />

(2256 m.). Voir page 89.<br />

B.B.<br />

LA FEMME INCONNUE.<br />

France, Gaston Ravel, 1916. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1994. CTra (1308 m.).<br />

FEU !<br />

France, Jacques de Baroncelli, 1926. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (22 m.). Il s'agit d'une<br />

seconde fin, dite fin « heureuse ».<br />

LE FEU.<br />

France, circa 1919. Mat. d'orig. : PMU.<br />

Intertitres français. Mat. de conserv. : CTN.<br />

Sauv. en 1993. CP (1074 m.). Voir page 48.<br />

LA FIGLIA DEL MARE.<br />

<strong>La</strong> Fille <strong>des</strong> flots.<br />

Italie, Ugo Falena, 1917. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (1116 m.).<br />

LA FILLE BIEN GARDÉE.<br />

France, Louis Feuillade, 1923. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1995. CTra (728 m.).<br />

LA FILLE DU ROI POUM-POUM.<br />

France, [Pathé], 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (133 m.).<br />

FILMS<br />

CHRONOPHOTOGRAPHIQUES<br />

D'ÉTIENNE-JULES MAREY.<br />

France, 1890-1900. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Matrice : Digital Audio Tape. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Rest. numérique en 1996.<br />

CP. Voir page 21.<br />

FLIRT DANGEREUX.<br />

France, René Leprince, 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (212 m.).<br />

FOUR SONS - Les Quatre Fils.<br />

États-Unis, John Ford, 1928. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres portugais.<br />

Tirage en 1994. CP (2636 m.).<br />

LE FRIQUET.<br />

France, Maurice Tourneur, 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM, PMU/S (incomplet). Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />

Rest. en 1995. CP (620 m.). Voir page 38.<br />

THE FUGITIVE.<br />

États-Unis, Reginald Barker, 1916. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1995. CP (563 m.).<br />

G.<br />

GALAOR L'INTRÉPIDE.<br />

Italie, circa 1920. Mat. d'orig. : PMU.<br />

Intertitres français. Mat. de conserv. : CTN.<br />

Sauv. en 1996. CP (1225 m.).<br />

GARDIENS DE PHARE.<br />

France, Jean Grémillon, 1929. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />

Tirage en 1995. CP (1645 m.).<br />

GEHEIMNISVOLLE TIEFE.<br />

Profondeurs Mystérieuses.<br />

Autriche, Georg Wilhelm Pabst, 1949. Mat.<br />

d'orig. : CEX VOSTF, CEX VO. Mat. de<br />

conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1993. CP<br />

(2780 m., VOSTF). Voir page 135.<br />

LA GÉNÉROSITÉ DU FORÇAT.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Mat. de conserv. : CTN. Sauv.<br />

en 1996. CTra (258 m.).<br />

GENEVIÈVE PRISE À SON PROPRE<br />

PIÈGE.<br />

France, circa 1920. Mat. d'orig. : NIM-rushes.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (466 m.).<br />

[LE GENTIL COIFFEUR].<br />

France, (film inachevé ?), circa 1918. Mat.<br />

d'orig. : PMU rushes. Mat. de conserv. : PIM<br />

rushes, CTN rushes. Sauv. en 1996. CTra<br />

(89 m.).<br />

GERMINAL.<br />

France, Albert Capellani, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM. Intertitres<br />

français. Rest. en 1986. CP (3017 m.).<br />

Voir page 40.<br />

GESCHLECHT IN FESSELN - Chaînes.<br />

Allemagne, Wilhelm Dieterle, 1928. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1994. CP (2020 m.).<br />

Voir page 126.<br />

I GIARDINI D'ARMIDA.<br />

Italie, Maurizio Rava, 1921. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (1474 m.).<br />

THE GODDESS OF SAGEBRUSH<br />

GULCH.<br />

États-Unis, David Wark Griffith, 1912. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN / S. Tirage en<br />

1995. CTra (277 m.).<br />

GOLDEN EARRINGS.<br />

Les Anneaux d'or.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1946. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO, PIC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : CTC, CTC-BAN. Sauv. en 1993.<br />

CP (2590 m.), CP-BAN (70 m.). Voir page 217.<br />

GOLD MADNESS - <strong>La</strong> Folie de l'or.<br />

États-Unis, Robert T. Thornby, 1923. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Flash-titles français. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(1148 m.).<br />

GOLGOTHA.<br />

France, Julien Duvivier, 1935. Mat. d'orig. :<br />

CTC. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1994.<br />

CP (2639 m.).<br />

LE GOUMIER.<br />

France, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(415 m.).<br />

LE GRAND CRIME DU PETIT<br />

TONIO.<br />

France, Pierre Bressol, 1916. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (363 m.).<br />

LA GRANDE RIVALE.<br />

France, Louis Paglieri, 1919. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1995. CTra (2825 m.).<br />

LES GRANDS.<br />

France, Henri Fescourt, 1924. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP (1547 m.).<br />

LES GRANDS.<br />

France, Félix Gandéra et Robert Bibal, 1936.<br />

Mat. d'orig. : PIC. Mat. de conserv. : CTC.<br />

Sauv. en 1992. CP (2341 m.).<br />

GRAS S : A NATION'S BATTLE FOR<br />

LIFE - L'Exode.<br />

États-Unis, Merian C. Cooper et Ernest B.<br />

Schoedsack, 1925. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : CTN/S. Intertitres anglais. Tirage<br />

en 1995. CP (962 m.).<br />

THE GREAT LOVER.<br />

Don Juan de l'Atlantique.<br />

États-Unis, Alexander Hall, 1949. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(2118 m.), CP-BAN (79 m.).<br />

GREED - Les Rapaces.<br />

Etats-Unis, Erich von Stroheim, 1924. Mat.<br />

d'orig. : CTN. Intertitres anglais. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP<br />

(3053 m.). Voir page 173.<br />

LA GRÈVE.<br />

[Grande-Bretagne], circa 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (289 m.).<br />

LES GRIFFES DE LA MORT.<br />

Allemagne, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(1355 m.).<br />

LA GUERRE DES GOSSES.<br />

France, Jacques Daroy et Eugène Deslaw,<br />

1936. Mat. d'orig. : PIC. Mat. de conserv. :<br />

CTC. Sauv. en 1994. CP (2326 m.).<br />

LA GUERRE DU FEU.<br />

France, Georges Denola, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (457 m.).<br />

H.<br />

LES HABITS NOIRS.<br />

France, Daniel Riche, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (1480 m.).<br />

HACELDAMA OU le Prix du sang.<br />

France, Julien Duvivier, 1919. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Flash-titles français. Mat. de<br />

conserv. : PIM. Intertitres français. Rest. en<br />

1996. CP (1551 m.). Voir page 55.<br />

EL HADA PRIMAVERA.<br />

<strong>La</strong> Fée Printemps.<br />

Espagne, Segundo de Chomôn, 1902. Mat.<br />

d'orig. : (extérieur). Mat. de conserv. : ITN.<br />

Rest. en 1989. CP (65 m.). Voir page 24.<br />

LE HÂLEUR.<br />

France, Léonce Perret, 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1996. CP<br />

(220 m.).<br />

Un hâleur et sa jeune épouse embarquent à<br />

bord de leur péniche pour le voyage de la<br />

vie. Mais le bonheur ne durera pas. Le soir<br />

<strong>des</strong> noces, au cours d'une promenade, la<br />

mariée meurt brusquement, laissant son<br />

mari désespéré.<br />

L'histoire, très simple, est entièrement filmée<br />

en extérieurs, mais cette source habituelle de<br />

naturalisme ou de réalisme est ici détournée<br />

par l'absence de repères géographiques ou<br />

temporels : les acteurs, vêtus du costume<br />

traditionnel hollandais, évoluent dans un<br />

décor escarpé, probablement méridional.<br />

Encore une fois, au-delà de l'anecdote, les<br />

références visuelles ou thématiques chères à<br />

Léonce Perret - le conte de fées ou le<br />

symbolisme - construisent le film. <strong>La</strong> nature<br />

omniprésente devient l'élément essentiel de<br />

chaque plan. D'abord amie et complice du<br />

bonheur, elle offre généreusement les fleurs<br />

qui décorent la noce, l'eau qui permet au<br />

couple de subsister, et les arbres pour abriter<br />

leurs amours. Puis la comédie sentimentale<br />

vire brutalement au drame de la fatalité.<br />

Comme la petite sirène d'Andersen, la jeune<br />

femme meurt d'avoir voulu aborder la terre<br />

ferme, et le baiser de l'époux amoureux<br />

devient l'instrument du crime. Tous les<br />

signes de la joie d'aimer et de travailler<br />

s'inversent dans une symétrie de cadrage<br />

presque totale. Les arbres protecteurs<br />

deviennent <strong>des</strong> masses sombres, écrasantes,<br />

et semblent précipiter la course du<br />

malheureux qui porte le corps de sa bienaimée.<br />

Les fleurs du mariage servent<br />

désormais de linceul à la morte dans un plan<br />

qui rappelle la Mort d'Ophélie, de Millais. Le<br />

harnais qui enchaîne le hâleur à sa péniche<br />

est maintenant un instrument de torture, et<br />

tandis qu'il tire péniblement l'immense<br />

cercueil, l'eau semble lui résister<br />

cruellement.<br />

HARMONIES DE PARIS.<br />

France, Lucie Derain, 1928. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />

Tirage en 1995. CP (577 m.). Voir page 86.<br />

C.K.<br />

HATTA MARI.<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 243<br />

États-Unis, Babe Stafford, 1932. Mat. d'orig. :<br />

CTN, CTS VO Mat. de conserv. : PIC. Sauv.<br />

en 1996. CP (536 m.).<br />

HEART OF A BANDIT.<br />

Coeur de bandit.<br />

États-Unis, Biograph, 1915. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (245 m.).<br />

LES HERBES FOLLES.<br />

États-Unis, circa 1919. Mat. d'orig. : PMU.<br />

Intertitres français. Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CP (746 m.).<br />

L'HÉRITAGE CONVOITÉ.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (721 m.).<br />

L'HÉRITAGE DE L'ONCLE.<br />

France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(128 m.).<br />

L'HÉRITAGE MANQUÉ.<br />

France, Georges Monca, 1910. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (140 m.).<br />

HEROES OF THE MINE.<br />

Grande-Bretagne, George Pearson, 1913.<br />

Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (944 m.).<br />

L'HÉROÏSME DU DOCTEUR.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (247 m.).<br />

LE HÉROS DE MARSEILLE.<br />

France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(53 m.).<br />

L'HEURE SINCÈRE.<br />

France, René Plaissetty, 1917. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (820 m.).<br />

HIER ET AUJOURD'HUI.<br />

France, Dominique Bernard-Deschamps,<br />

1918. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra (693 m.).<br />

HOLIDAY INN.<br />

L'amour chante et danse.<br />

États-Unis, Mark Sandrich, 1942. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />

Sauv. en 1993. CP (2749 m, VOSTF.).<br />

Voir page 197.


L'HOMME À L'HISPANO.<br />

France, Julien Duvivier, 1926. Mat. d'orig. :<br />

PMU, NIM, NIM-BAN. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN, PIM-BAN, CTN-BAN. Intertitres<br />

français. Rest. en 1995. CP (2801 m.),<br />

CP-BAN (79 m.).<br />

L'HOMME AUX GANTS BLANCS.<br />

France, Albert Capellani, 1908. Mat. d'orig. :<br />

PMU (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (177 m.).<br />

L'HOMME MYSTÉRIEUX.<br />

France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(131 m.).<br />

LES HOMMES-SANDWICHS.<br />

France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(113 m.).<br />

HONNEUR D'ARTISTE.<br />

France, Jean Kemm, 1917. Mat. d'orig. : NIM<br />

(incomplet). Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (595 m.).<br />

L'HONNEUR D'UNE JAPONAISE.<br />

Russie, le Film Russe, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (318 m.).<br />

L'HÔTEL DU SILENCE.<br />

France, Emile Cohl, 1908. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />

1986. CP (223m.). Voir page 30.<br />

LE HUSSARD.<br />

France, René Plaissetty, 1917. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (530 m.).<br />

L'HYDRE D'EAU DOUCE.<br />

France, [Pathé], circa 1912. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1995. CP (64 m.).<br />

I.<br />

IDLE HANDS - Le Dragon d'or.<br />

États-Unis, Frank Reicher, 1921. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Flash-titles français. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1175 m.).<br />

IDYLLE BRISÉE.<br />

Etats-Unis, Pathé-Exchange, circa 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (287 m.).<br />

IL FAUT QUE JEUNESSE SE PASSE.<br />

France, Pathé, 1915. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(359 m.).<br />

L'ÎLOT DÉSERT.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (271 m.).<br />

INDIA, MATRI BHUMI.<br />

Inde, terre mère.<br />

Italie-France-Inde, Roberto Rossellini,<br />

1957-1959. Mat. d'orig. : CEX V Française.<br />

Mat. de conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1996.<br />

CP (2605 m.). Voir page 146.<br />

L'INDIEN MAGNANIME.<br />

États-Unis, [Pathé-Exchange], 1915. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (256 m.).<br />

L'INDIENNE D'ARIZONA.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (251 m.).<br />

L'INDIENNE KO-TO-SHO SE<br />

MODERNISE.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (167 m.).<br />

L'INFIDÈLE.<br />

France, René Leprince, 1912. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (292 m.).<br />

L'INGÉNIEUX RÉPARATEUR DE<br />

FAÏENCE.<br />

France, Pathé, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(124 m.).<br />

L'INSPECTEUR DES BECS DE GAZ.<br />

France, S.C.A.G.L., 1909. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (247 m.).<br />

L'INSTINCT.<br />

France, Henri Pouctal, 1916. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (1239 m.).<br />

J-<br />

J'AI TUÉ !<br />

France, Roger Lion, 1924. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM. Intertitres français.<br />

Rest. en 1990. CP (2052 m.). Voir page 75.<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 245<br />

JE MEURS OÙ JE M'ATTACHE.<br />

[France], circa 1911. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(184 m.).<br />

JE SERAI SEULE APRÈS MINUIT.<br />

France, Jacques de Baroncelli, 1931. Mat.<br />

d'orig. : NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN.<br />

Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en<br />

1995. CP (1553 m.), CP-BAN (139 m.).<br />

Voir page 71.<br />

LE JUIF ERRANT.<br />

France, Luitz-Morat, 1926. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : CTN. Intertitres<br />

français. Rest. en 1996. CP (7695 m.).<br />

Voir page 57.<br />

DER JUNGE MED ARDUS - Gloire<br />

Autriche, Michael Kertesz (Michael Curtiz),<br />

1923. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres français.<br />

Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en 1996. CP<br />

(2419 m.).<br />

K.<br />

KITTY - <strong>La</strong> Duchesse <strong>des</strong> bas-fonds.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1944. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />

Sauv. en 1993. CP (2381 m.). Voir page 216.<br />

DIE KÔNIGIN VON<br />

MOULIN-ROUGE.<br />

<strong>La</strong> Duchesse <strong>des</strong> Folies-Bergère.<br />

Allemagne, Robert Wiene, 1926. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1993. CTra (1461 m.).<br />

KOURSITSKA ASSIA.<br />

L'Etudiante Assia.<br />

Russie, Kai Hansen, 1913. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CTra (472 m.).<br />

L.<br />

IL LADRO DI VENEZIA.<br />

Le Voleur de Venise.<br />

Italie-États-Unis, John Brahm, 1949. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO (anglais). Mat. de conserv. :<br />

PIC. Sauv. en 1994. CP (2956 m.).<br />

THE LAST OF THE INGRAMS.<br />

États-Unis, Walter Edwards, 1917. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1995. CP (1310 m.).


246 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

THE LAST WARNING.<br />

Le Dernier Avertissement.<br />

États-Unis, Paul Leni, 1928. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />

Tirage en 1994. CP (2137 m.). Voir page 191.<br />

LA LÉGENDE DU FANTÔME.<br />

France, Segundo de Chomdn, 1908. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (288 m.). Voir page 24.<br />

LÉONTINE GARDE LA MAISON.<br />

France, Roméo Bosetti, 1911. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1996. CTra (145 m.).<br />

LETTRES D'AMOUR.<br />

France, Claude Autant-<strong>La</strong>ra, 1942. Mat.<br />

d'orig. : PIC. Mat. de conserv. : CTC. Sauv.<br />

en 1994. CP (2506 m.). Voir page 109.<br />

LIEBE - <strong>La</strong> Duchesse de <strong>La</strong>ngeais.<br />

Allemagne, Paul Czinner, 1927. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (2433 m.).<br />

Voir page 122.<br />

LITTLE PAL - Drame en Alaska.<br />

États-Unis, James Kirkwood, 1915. Mat.<br />

d'orig. : CTN. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : PIM. Sauv. en 1994. CP (1065 m.).<br />

Little Pal vérifie la bonification quasi<br />

mécanique qu'un paysage de neige apporte à<br />

un film (la Symphonie pastorale étant la seule<br />

exception notable). Commençant sa carrière<br />

avec Griffith, James Kirkwood en a emporté<br />

ici les matériaux d'un mélodrame, amours<br />

contrariés, victimisation sociale, et happy<br />

ending, ainsi que Mary Pickford. <strong>La</strong> linéarité<br />

narrative, sous la profusion <strong>des</strong> cartons, n'y<br />

dépasse pas l'illustration honnête de leurs<br />

contenus. <strong>La</strong> frontalité récurrente <strong>des</strong> plans<br />

d'ensemble dans les intérieurs donne une<br />

datation qui possède une sorte de charme<br />

primitif, mais le plus intéressant reste Mary<br />

Pickford, la permanence étrangement<br />

indienne sur son visage, accentuée peut-être<br />

par le bonnet de fourrure, son allure<br />

enfantinement boudeuse parfois, cette<br />

manière d'absorber en elle le malheur<br />

comme la probabilité d'un <strong>des</strong>tin. L'allure<br />

hostile et interrogative avec laquelle elle<br />

regarde pour la première fois la femme de<br />

Grandon incarne avec conviction une<br />

incubation intime de la scène, qu'elle seule<br />

élève à l'offrande tangible dans le plan d'une<br />

affection unique, bien que double : stupeur<br />

et aversion mêlées. C'est sa traversée du<br />

film, avec son entêtement secret, qui en est le<br />

chiffre le plus mémorable.<br />

Ph.A.<br />

THE LONE DEFENDER.<br />

États-Unis, Richard Thorpe, 1930. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(5222 m.), CP-BAN (150 m.). Voir page 194.<br />

LOVE - Anna Karénine.<br />

États-Unis, Edmund Goulding, 1927. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1994. CP (2237 m.).<br />

LOVE LETTERS.<br />

Le Poids d'un mensonge.<br />

États-Unis, William Dieterle, 1944. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : CTC, PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP<br />

(2763 m.), CP-BAN (75 m.). Voir page 210.<br />

LUCRÈCE.<br />

France, Léo Joannon, 1943. Mat. d'orig. : PIC.<br />

Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994. CP<br />

(2644 m.).<br />

LA LUTTE POUR LA VIE.<br />

France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />

1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en<br />

1994. CP (1424 m.). Voir page 42.<br />

M.<br />

MADAME DU BARRY.<br />

Allemagne, Ernst Lubitsch, 1919. Mat. d'orig.<br />

et de conserv. : CTN/S (manque le<br />

générique). Intertitres français. Tirage en<br />

1994. CP (2536 m.).<br />

MADEMOISELLE X.<br />

France, Pierre Billon, 1944. Mat. d'orig. :<br />

NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de conserv. :<br />

PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP-BAN (107 m.).<br />

LE MAÎTRE DE FORGES.<br />

France, Fernand Rivers, 1947. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN, NTI-<br />

BAN. Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN.<br />

Sauv. en 1995. CP (2216 m.), CP-BAN<br />

(63 m.).<br />

THE MAKING OF BRONCHO BILLY.<br />

États-Unis, [G.M. Anderson], circa 1909. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1995. CP (237 m.).<br />

THE MAN WHO LAUGHS.<br />

L'Homme qui rit.<br />

États-Unis, Paul Leni, 1927. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres italiens.<br />

Tirage en 1995. CP (2922 m.). Voir page 191.<br />

MARQUE RÉVÉLATRICE.<br />

États-Unis, circa 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CTra (301 m.).<br />

THE MATINEE IDOL.<br />

Bessie à Broadway.<br />

États-Unis, Frank Capra, 1928. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Rest. en 1994. CP (1575 m.).<br />

Voir page 187<br />

MATISSE.<br />

France, Frédéric Rossif, 1950. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : ITN/S 16 mm. Tirage en 1995.<br />

CP (85 m.). Voir page 116.<br />

LA MEILLEURE MAÎTRESSE.<br />

France, René Hervil, 1929. Mat. d'orig. : NIM<br />

(incomplet). Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (539 m.).<br />

LE MENEUR DE JOIES.<br />

France, Charles Burguet, 1929. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NIM-BAN. Flash-titles français et<br />

anglais. Mat. de conserv. : PIM, CTN, PIM-<br />

BAN, CTN-BAN. Sauv. en 1995. CTra (1820<br />

m.), CTra-BAN (77 m.).<br />

MÉPHISTO.<br />

France, Henri Debain et Nick Winter, 1930.<br />

Mat. d'orig. : CTC (incomplet). Mat. de<br />

conserv. : PIC. Sauv. en 1994. CP (349 m.).<br />

MÉTAMORPHOSE.<br />

France, Tony Lekain, 1923. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1996. CP (637 m.).<br />

Eugénie, personne au tempérament délicat,<br />

s'enfuit du sordide cabaret que tient sa mère.<br />

Aidée par un hasard providentiel, elle<br />

devient mannequin dans une maison de<br />

couture <strong>des</strong> Champs-Élysées. Maurice<br />

<strong>La</strong>croix, jeune peintre à la mode, s'éprend<br />

d'elle en la voyant défiler. Pour l'épouser, il<br />

quittera sans regret une maîtresse<br />

envahissante.<br />

« Film <strong>des</strong> élégances parisiennes », dit la<br />

publicité de l'époque, et c'est bien de cela<br />

dont il s'agit. Cette histoire improbable<br />

d'une Cendrillon moderne vaut surtout<br />

comme document sur la mode. <strong>La</strong> vie<br />

quotidienne d'une maison de couture, de la<br />

cabine d'essayage aux salons de réception,<br />

est filmée en décors naturels : un somptueux<br />

hôtel particulier où se retrouve une clientèle<br />

féminine caricaturée avec indulgence.<br />

Eugénie, devenue Nicole, au visage doux et<br />

irrégulier, ne ferait sans doute pas de nos<br />

jours une carrière aussi rapide. L air<br />

mélancolique, elle adopte <strong>des</strong> poses à la Erte<br />

pour présenter ses robes informes créées,<br />

semble-t-il, pour effacer hanches, taille et<br />

poitrine, métamorphosant le corps de la<br />

femme en colonne de temple grec. Mais les<br />

gros plans restituent heureusement la<br />

somptuosité <strong>des</strong> matières, le luxe <strong>des</strong><br />

broderies, et la spectatrice d'aujourd'hui, très<br />

vite transformée en cliente potentielle, oublie<br />

le commentaire sans appel - « C'est<br />

importable ! » - qui lui vient tout d'abord à<br />

l'esprit, pour regretter <strong>des</strong> raffinements<br />

disparus.<br />

Le récit est mené avec un laisser-aller bon<br />

enfant qui en fait le charme. Paris se réduit à<br />

une suite d'émouvants lieux communs<br />

touristiques, et les badauds s'arrêtent avec<br />

simplicité pour regarder la caméra.<br />

Cependant, il ne faudrait pas conclure à<br />

l'amateurisme. Les scènes dans le cabaret<br />

témoignent d'un réalisme soigné et les<br />

acteurs bien typés campent <strong>des</strong> apaches très<br />

crédibles. Sans doute lassé du sujet et<br />

abandonnant définitivement tout effort de<br />

vraisemblance, Tony Lekain plaque en<br />

clôture du film une longue scène de danse<br />

professionnelle. L'intrusion de ce couple<br />

déséquilibre la construction. Maladresse du<br />

cinéaste ou spontanéité assumée, on ne sait.<br />

Elle laisse en tout cas le spectateur<br />

agréablement surpris par tant de<br />

désinvolture.<br />

C. K.<br />

MÉTAMORPHOSES D'UN FIANCÉ.<br />

France, Pathé, 1906. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : CTN/S (extrait). Intertitres<br />

français. Tirage en 1996. CP (29 m.).<br />

MIDLAND S AT PLAY AND AT<br />

WORK.<br />

Grande-Bretagne, Douglas Hickox, 1963.<br />

Mat. d'orig. : CEX VO. Mat. de conserv. :<br />

CTC. Sauv. en 1996. CP (546 m.).<br />

C'était un film oublié. Réalisé techniquement<br />

par Douglas Hickox, les photos sont d'Henri<br />

Cartier-Bresson. Certaines d'entre elles, ou<br />

d'autres appartenant à cette série, ont sans<br />

doute été déjà vues hors de ce film réalisé au<br />

« banc-titre ». L'intérêt est plus encore dans<br />

les mouvements internes qui visitent chaque<br />

composition. Comme si, en plus de<br />

l'intervention photographique dont le<br />

résultat habituellement publié sur papier<br />

reserve toujours une énigme, le spectateur<br />

était conduit par l'oeil même du photographe<br />

qui « Ht » ses propres clichés et en accentue<br />

les traits humoristiques et plastiques. Les<br />

Midlands ont à coup sûr beaucoup changé<br />

depuis les années soixante. Le film est<br />

devenu une chronique sociale révolue. Mais<br />

il demeure le témoignage didactique d'un<br />

immense artiste sur ses intentions.<br />

D. P.<br />

MIMÉTISME.<br />

France, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995. CP<br />

(129 m.).<br />

MINOR'S DESTINY.<br />

Le Destin du mineur.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM (incomplet). Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (457 m.).<br />

MINUIT... PLACE PIGALLE.<br />

France, René Hervil, 1927. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Sauv. en 1994. CP (2480 m.).<br />

Voir page 83.<br />

MONSIEUR BONIFACE AIME LES<br />

PETITS PIEDS.<br />

France, Pathé, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />

(263 m.).<br />

MONSIEUR DOUMEL DANS SES<br />

HISTOIRES MARSEILLAISES.<br />

France, Société Française <strong>des</strong> Filmparlants,<br />

circa 1930. Mat. d'orig. : NIM, NSN. Mat. de<br />

conserv. : PIC. Sauv. en 1996. CP (201 m.).<br />

MONSIEUR LE DIRECTEUR.<br />

France, Georges Monca, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1993. CTra (615 m.).<br />

N.<br />

NANA.<br />

France, Jean Renoir, 1925. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : PIM/S. Intertitres français. Tirage<br />

en 1994. CP (2885 m.).<br />

NAPOLEON AUF ST. HELENA.<br />

Napoléon à Sainte-Hélène.<br />

Allemagne, Lupu Pick, 1929. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />

Tirage en 1995. CP (2123 m.).<br />

THE NARROW TRAIL - Révélation.<br />

États-Unis, William S. Hart et <strong>La</strong>mbert<br />

Hillyer, 1917. Mat. d'orig. et de conserv. :<br />

CTN/S. Flash-titles anglais. Tirage en 1995.<br />

CTra (1139 m.).<br />

Épris l'un de l'autre, le bandit « Ice »<br />

Harding et la jeune Betty rêvent d'une<br />

existence harmonieuse, chacun ignorant les<br />

activités malhonnêtes de l'autre. Quand il la<br />

retrouve entraîneuse à San Francisco, il la<br />

rejette violemment, mais lui avoue ensuite<br />

son passé de hors-la-loi. Après avoir<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS -247<br />

remporté une course de chevaux, Ice<br />

commencera avec Betty une nouvelle vie.<br />

Quatre-vingts ans après, même dans un<br />

mo<strong>des</strong>te « two réels » comme celui-ci, le<br />

talent de William S. Hart (ici associé à<br />

<strong>La</strong>mbert Hillyer) continue de surprendre sur<br />

bien <strong>des</strong> plans. Comme devant The Cold<br />

Deck, on ne peut qu'être ébahi par l'audace<br />

<strong>des</strong> cadrages, séduit par la nervosité du<br />

montage, touché par le lyrisme unissant<br />

l'homme et la nature sublimée, conquis par<br />

l'élégance de la mise en scène. Hart nous<br />

étonne encore avec une scène de bagarre<br />

étonnamment longue et réaliste, une<br />

séquence semi-anachronique qui montre le<br />

héros de tant de westerns transplanté dans<br />

une ville moderne - et donc hostile - et enfin<br />

un dénouement immoral, qui voit le bandit<br />

empocher la prime de la course, désarmer le<br />

shérif et partir avec l'héroïne. Le code Hays<br />

ne sévissait pas encore.<br />

Tout en rejetant les clichés, le cinéaste<br />

reprend à son compte <strong>des</strong> thèmes classiques.<br />

Pour emprunter la piste étroite de<br />

l'honnêteté, le couple doit fuir San Francisco<br />

- ville sans loi, symbole de corruption - et se<br />

réfugier dans la montagne bienveillante,<br />

chacun ayant trouvé grâce à l'autre<br />

l'occasion de la rédemption et la volonté de<br />

l'accomplir.<br />

Hart sait aussi ne pas ménager son<br />

personnage. Dans la scène du bouge, il<br />

prend le risque de paraître injuste (n'étant<br />

pas lui-même un enfant de choeur, il<br />

condamne la malheureuse entraîneuse !),<br />

mais ne tarde pas à implorer humblement<br />

son pardon. Tantôt minéral, tantôt lunaire,<br />

son beau visage exprime avec la même<br />

conviction la dureté de l'homme de l'Ouest<br />

(capable de risquer sa vie pour défendre<br />

celle de son cheval), la noblesse du<br />

gentleman ou le désespoir de l'amoureux<br />

transi.<br />

William S. Hart ? Un homme de cœur, bien<br />

sûr. Et aussi un grand cinéaste, un <strong>des</strong><br />

premiers. William S(eptième) Hart, en<br />

somme.<br />

NÈNE.<br />

F.L.<br />

France, Jacques de Baroncelli, 1923. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1990. CP<br />

(1665 m.). Voir page 71.<br />

NICK WINTER ET LES AS DE<br />

TRÈFLE.<br />

France, Paul Garbagni, 1913. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv.<br />

en 1993. CTra (400 m.). Voir page 34.<br />

NOAH'S ARK - L'Arche de Noé.<br />

États-Unis, Michael Curtiz, 1928. Mat. d'orig.


248 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

et de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />

Tirage en 1994. CP (2116 m.).<br />

NOBODY - Le Douzième Juré.<br />

États-Unis, Roland West, 1921. Mat. d'orig. :<br />

CTN. Flash-titles français. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />

Rest. en 1992. CP (1584 m.). Voir page 170.<br />

LA NUIT DU ONZE SEPTEMBRE.<br />

France, Dominique Bernard-Deschamps,<br />

1919. Mat. d'orig. : PMU (incomplet).<br />

Intertitres français et anglais. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1994. CP (957 m.).<br />

0.<br />

ON PURGE BÉBÉ.<br />

France, Jean Renoir, 1931. Mat. d'orig. :<br />

PIC/S, CTC/S (combinés). Mat. de conserv. :<br />

CTS. Sauv. en 1994. CP (1324 m.).<br />

P.<br />

PARIS GIRLS.<br />

France, Henry Roussell, 1929. Mat. d'orig. :<br />

NIM (version courte), flash-titles anglais,<br />

NIM (version longue), NIM-chutes. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN, PIM, CTN, PIM-chutes,<br />

CTN-chutes. Sauv. en 1994. CTra-version<br />

courte (1524 m.), CTra-version longue<br />

(2466 m.), chutes (894 m.).<br />

PARLONS CINÉMA<br />

(« les Anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois »).<br />

Canada, Harry Fischbach, 1976-1977. Mat.<br />

d'orig. : CEX/S 16 mm. Mat. de conserv. :<br />

ITN, NSN. Sauv. en 1994. CP (2816 m.).<br />

Voir page 230.<br />

PEARL OF THE ARMY.<br />

Le Courrier de Washington.<br />

États-Unis, Edward José, 1916. Mat. d'orig. :<br />

PMU (incomplet). Intertitres français. Mat.<br />

de conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP<br />

(4699 m.). Voir page 163.<br />

LE PÈRE GORIOT.<br />

France, Jacques de Baroncelli, 1921. Mat.<br />

d'orig. : PMU (incomplet). Intertitres<br />

français. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv.<br />

en 1995. CP (1160 m.).<br />

LA PETITE CHOCOLATIÈRE.<br />

France, René Hervil, 1927. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Flash-titles français. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1820 m.).<br />

LE POISON DE L'HUMANITÉ.<br />

France, Victorin Jasset et Émile Chautard,<br />

1911. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres français.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CP (854 m.).<br />

THE POWER OF THE PRESS.<br />

[<strong>La</strong> Puissance de l'argent].<br />

États-Unis, Van Dyke Brooke, 1909. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1995. CP (293 m.).<br />

PRACTICALLY YOURS.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1944. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1994. CP (2452 m.).<br />

LE PRIX DU SILENCE.<br />

États-Unis, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (271 m.).<br />

PROTÉA.<br />

France, Victorin Jasset, 1913. Mat. d'orig. :<br />

PIM/S (incomplet). Mat. de conserv. : CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />

(857 m.). Voir page 36.<br />

LE PUITS DE JACOB.<br />

France, Edward José, 1925. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Flash-titles français. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Sauv. en 1995. CTra (2492 m.).<br />

R.<br />

RAMUNTCHO.<br />

France, René Barbéris, 1938. Mat. d'orig. :<br />

CEX (<strong>Ciné</strong>mathèque française et<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque suisse). Sauv. en 1994. CP<br />

(2506 m.). Voir page 108.<br />

RED RIDERS OF CANADA.<br />

Le Canoé" noir.<br />

États-Unis, Robert De <strong>La</strong>cy, 1928. Mat.<br />

d'orig. : PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1996. CP (1916 m.).<br />

THE RIVER - <strong>La</strong> Femme au corbeau.<br />

États-Unis, Frank Borzage, 1928. Mat.<br />

d'orig. : CEX (musique). Mat. de conserv. :<br />

(<strong>Ciné</strong>mathèque suisse). Intertitres français<br />

et anglais. Co-rest. en 1993. CP 16mm<br />

(606 m.). Voir page 183.<br />

ROKOVYE BRILLIANTY.<br />

Les Diamants maudits.<br />

Russie, Maximilien Garry, 1913. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />

(414 m.). Voir page 151.<br />

ROMAN S KONTRABASOM.<br />

<strong>La</strong> Contrebasse de Konescoff.<br />

Russie, Kai Hansen, 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />

CTra (195 m.).<br />

LA ROUTE ENCHANTÉE.<br />

France, Pierre Caron, 1938. Mat. d'orig. :<br />

CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1995.<br />

CP (2377 m.).<br />

RULER OF THE ROAD.<br />

L'Heure du pardon.<br />

États-Unis, E.C. Ward, 1918. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (445 m.).<br />

RULERS OF THE SEA.<br />

Les Maîtres de la mer.<br />

États-Unis, Frank Lloyd, 1939. Mat. d'orig. :<br />

CTC VO, PIC VO (combinés). Mat. de<br />

conserv. : PIC, CTC. Sauv. en 1994. CP<br />

(2640 m.). Voir page 201.<br />

S.<br />

SECOND CHORUS - Swing Romance.<br />

États-Unis, Henry Codman Potter, 1940.<br />

Mat. d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. :<br />

PIC. Sauv. en 1994. CP (2286 m.).<br />

Voir page 197.<br />

THE SECRET FORMULA.<br />

Formule secrète.<br />

États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (561 m.).<br />

SEPT HOMMES, UNE FEMME...<br />

France, Yves Mirande, 1936. Mat. d'orig. :<br />

CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994.<br />

CP (2328 m.).<br />

Une très riche veuve rassemble en son<br />

château sept prétendants et les juge à leurs<br />

actes et paroles. Elle épousera son ami<br />

d'enfance, un aristocrate ruiné qui n'en veut<br />

pourtant pas à son argent.<br />

Interrogé sur la genèse de la Règle du jeu<br />

(1939), Renoir citait volontiers Beaumarchais,<br />

Mariveaux, Musset, Molière (« Quitte à<br />

prendre <strong>des</strong> maîtres, il vaut mieux les<br />

prendre grands »), jamais... Yves Mirande. A<br />

voir Sept hommes, une femme, nanar aussi<br />

épouvantable qu'exemplaire de la<br />

médiocrité cinématographique française <strong>des</strong><br />

années trente, difficile pourtant d'éviter la<br />

comparaison, comparaison étant bien sur<br />

injurieux pour Renoir tant les deux films<br />

(l'un est à peine un objet<br />

cinématographique) sont à <strong>des</strong> années-<br />

Lumière l'un de l'autre. Comparaison<br />

prouvant au moins qu'au cinéma le matériau<br />

de base (le sujet) n'est rien, que sa mise en<br />

scène est tout. Alors, dans le film de<br />

Mirande, il y a déjà le château et la<br />

châtelaine, le grand couloir qui distribue les<br />

chambres d'hôtes (ligne de fuite potentielle<br />

pour le regard, mais optiquement ignorée),<br />

le monde <strong>des</strong> maîtres et celui <strong>des</strong> valets, le<br />

repas en cuisine <strong>des</strong> domestiques, la scène<br />

de chasse avec ses lapins et ses jeunes<br />

rabatteurs. Mais tout ce qui enchante la Règle<br />

du jeu, ici désole : la chasse n'est là que pour<br />

distraire et décorer, les personnages, tous<br />

sans exception, sont <strong>des</strong> caricatures sans une<br />

once d'humanité. Surtout, les uns et les<br />

autres ne se mêlent ni ne s'emmêlent, chacun<br />

figé dans un hiératisme qui doit plus à un<br />

découpage et une direction d'acteurs<br />

aléatoires qu'à une soudaine tentative de<br />

figurer le maintien d'une classe. Jamais, en<br />

un mot, la vie n'effleure ce marivaudage<br />

sans profondeur d'aucune sorte.<br />

En fait, l'intrigue de Sept hommes... ressemble<br />

elle-même à un autre film de 1931, Je serai<br />

seule après minuit (voir page 71). C'est dire<br />

évidemment que Renoir n'a pas copié sur<br />

Mirande (simplement, reconduction de<br />

situations et d'un habitas ontologiquement<br />

bourgeois) ; c'est dire aussi que la Règle du<br />

jeu est au cinéma le seul chef-d'œuvre,<br />

Guitry excepté, de cette pauvre veine<br />

boulevardière française qu'on rêverait<br />

frappée d'aphasie. Avec les mêmes<br />

ingrédients que les autres sur la table, Renoir<br />

le Chef sert un plat unique.<br />

SI J'ÉTAIS LE PATRON.<br />

B.B.<br />

France, Richard Pottier, 1934. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN (extérieur). Mat. de conserv. :<br />

PIC, CTC, CTS. Rest. en 1995. CP (2844 m.).<br />

Voir page 98.<br />

SMOULDERING FIRES.<br />

<strong>La</strong> Femme de quarante ans.<br />

États-Unis, Clarence Brown, 1925. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S (manque le<br />

générique). Intertitres italiens. Tirage en<br />

1994. CP (1520 m.).<br />

SOLEIL ET OMBRE.<br />

France, Musidora et Jacques <strong>La</strong>sseyne, 1922.<br />

Mat. d'orig. : PMU. Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />

(828 m.). Voir page 62.<br />

SONG OF SURRENDER.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1948. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO, PIC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : PIC, CTC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(2537 m.), CP-BAN (65 m.). Voir page 217.<br />

LA SONNETTE D'ALARME.<br />

France, Christian-Jaque, 1935. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />

conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP<br />

(2081 m.), CP-BAN (78 m.). Voir page 101.<br />

THE SON OF THE SHEIK.<br />

Le Fils du sheik.<br />

États-Unis, George Fitzmaurice, 1926. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

français. Tirage en 1995. CP (1870 m.).<br />

SO THIS IS PARIS.<br />

Les Surprises de la T.S.F.<br />

États-Unis, Ernst Lubitsch, 1926. Mat. d'orig.<br />

et de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />

Tirage en 1995. CP (1608 m.).<br />

SOUS LE CIEL DE PARIS.<br />

France, Julien Duvivier, 1950. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1995. CP (3207 m.).<br />

THE SOUTHERNER - L'Homme du Sud.<br />

États-Unis, Jean Renoir, 1945. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTC/S VO. Tirage en 1993. CP<br />

(2456 m.).<br />

SOUVENIRS DE L'EXPÉDITION<br />

CITROËN CENTRE-AFRIQUE.<br />

France, [Léon Poirier], 1924-1925. Mat.<br />

d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (1943 m.).<br />

Voir page 76.<br />

SPLENDORE E DECADENZA!<br />

Grandeur et Déchéance.<br />

Italie, Film d'Arte Italiana, 1914. Mat.<br />

d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Sauv. en 1996. CTra (851 m.).<br />

Production de la Film d'Arte Italiana de<br />

1914, Splendore e decadenza, sauvegarde d'un<br />

négatif sans générique ni intertitres, est<br />

l'histoire d'un aristocrate, Pietro di Veio, qui<br />

devenu acteur du cinématographe, tombe<br />

amoureux d'une jeune partenaire dont il<br />

comprend l'infidélité par un billet, au<br />

moment d'entrer en scène. Après s'être<br />

contenu, il tue la jeune femme d'un coup<br />

d'épée sur le tournage. À vrai dire, la<br />

compréhension du film est très largement<br />

facilitée par le compte rendu qui en est<br />

reproduit dans le Catalogue Pathé, <strong>des</strong> années<br />

1896 à 1914 d'Henri Bousquet. Filmé en<br />

plans longs, le plus souvent frontalement,<br />

Splendore e decadenza présente l'intérêt de<br />

montrer <strong>des</strong> scènes en tournage. Dans l'axe<br />

de la caméra, avec le projecteur qui s'allume,<br />

toute une animation, un désordre d'acteurs<br />

et de techniciens vient dans le champ, avant<br />

la prise et le réglage, finalement débonnaire,<br />

<strong>des</strong> plans se fait avec une communication<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 249<br />

par gestes. Le tournage du baiser filmé en<br />

plan large, de loin, sans ponctuation d'une<br />

échelle plus rapprochée, et englobant une<br />

partie de l'équipe, avec sur le côté gauche<br />

une cloison, finit par prendre une allure<br />

paralytique positive, dans cette insistance<br />

fixe à laisser la pantomime répéter sa<br />

rhétorique : c'est cette partie documentaire,<br />

un peu comme si le film se filmait lui-même,<br />

avec le dernier plan plus court du passage à<br />

l'acte spadassin qui animent un film par<br />

ailleurs rythmiquement lent. Ph.A.<br />

DAS STAHLTIER - L'Animal d'acier.<br />

Allemagne, Willy Zielke, 1935. Mat.<br />

d'orig. : CEX VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />

Rest. en 1993. CP (2051 m., VOSTF).<br />

Voir page 128.<br />

STREET SCENE.<br />

États-Unis, King Vidor, 1931. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTC/S VO. Tirage en 1995. CP<br />

(2145 m.).<br />

THE STREETS OF ILLUSION.<br />

Le Cœur sur la main.<br />

États-Unis, William Parke, 1917. Mat.<br />

d'orig. : NIM (incomplet). Flash-titles anglais.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />

CTra (969 m.).<br />

STÙRMFLUT - Dans la tourmente.<br />

Autriche, Cari Froelich, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1993. CTra (837 m.).<br />

SULLIVAN'S TRAVELS.<br />

Les Voyages de Sullivan.<br />

États-Unis, Preston Starges, 1941. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO, PIC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : CTC, CTC-BAN. Sauv. en 1994. CP<br />

(2470 m.), CP-BAN (49 m.).<br />

SUNRISE - L'Aurore.<br />

États-Unis, Friedrich Wilhelm Murnau, 1927.<br />

Mat. d'orig. et de conserv. : CTN/S.<br />

Intertitres anglais. Tirage en 1994. CP (2563 m.).<br />

SUR UN AIR DE CHARLESTON.<br />

France, Jean Renoir, 1926. Mat. d'orig. et de<br />

conserv. : CTN/S (manque le générique).<br />

Tirage en 1994. CP (468 m.).<br />

T.<br />

TARE A LETTER, DARLING.<br />

Mon secrétaire travaille la nuit.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1942. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />

Sauv. en 1994. CP (2533 m.).


250 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />

TALENT AUCTION.<br />

États-Unis, Milton Schwarzwald, 1938. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1994. CP (470 m.). Voir page 196.<br />

TARTARIN SUR LES ALPES.<br />

France, Henry Vorins, 1920. Mat. d'orig. :<br />

PMU, PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995. CP<br />

(3011 m.).<br />

LA TERRE.<br />

France, André Antoine, 1921. Mat. d'orig. :<br />

(extérieur). Mat. de conserv. : CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1990. CP<br />

(2117 m.). Voir page 59.<br />

LA TERRIBLE AVENTURE DU<br />

DOCTEUR FAUST.<br />

France, Max de Rieux, 1931. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1996. CP (587 m.).<br />

THAT BRENNAN GIRL.<br />

Une fille perdue.<br />

États-Unis, Alfred Santell, 1946. Mat. d'orig. :<br />

CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de conserv. :<br />

PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1996. CP (2591 m.),<br />

CP-BAN (62 m.).<br />

THIS GUN FOR HIRE - Tueur à gages.<br />

États-Unis, Frank Tuttle, 1942. Mat. d'orig. :<br />

CTC VO. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1994. CP (2211 m.). Voir page 203.<br />

TO EACH HIS OWN.<br />

À chacun son <strong>des</strong>tin.<br />

États-Unis, Mitchell Leisen, 1945. Mat.<br />

d'orig. : PIC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : CTC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(3328 m.), CP-BAN (86 m.). Voir page 216.<br />

TOL'ABLE DAVID.<br />

États-Unis, Henry King, 1921. Mat. d'orig. et<br />

de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />

Tirage en 1995. CP (2136 m.).<br />

TOUS LES DEUX.<br />

France, Louis Cuny, 1948. Mat. d'orig. : PIC.<br />

Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1995. CP<br />

(2603 m.).<br />

TOUT VA TRÈS BIEN, MADAME LA<br />

MARQUISE.<br />

France, Henry Wulschleger, 1936. Mat.<br />

d'orig. : NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1995. CP (2466 m.).<br />

TRANSFORMATIONS<br />

AMUSANTES.<br />

France, Segundo de Chomôn, 1908 ou 1909.<br />

Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1994. CTra (95 m.).<br />

Voir page 24.<br />

TRAVAIL (version courte).<br />

France, Henri Pouctal, 1919. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />

Intertitres français. Rest. en 1992. CP<br />

(3249 m.). Voir page 50.<br />

TWIN KIDDIES - Deux rayons de soleil.<br />

États-Unis, Henry King, 1916. Mat. d'orig. :<br />

NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />

1995. CTra (794 m.).<br />

TWO YEARS BEFORE THE MAST.<br />

Révolte à bord.<br />

États-Unis, John Farrow, 1946. Mat. d'orig. :<br />

PIC VO, CTC VO (combinés), CTC-BAN<br />

VO. Mat. de conserv. : PIC, CTC, PIC-BAN.<br />

Sauv. en 1994. CP (2670 m.), CP-BAN<br />

(68 m.). Voir page 201.<br />

THE TYPHOON - L'Honneur japonais.<br />

États-Unis, Reginald Barker, 1914. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1995. CP (1143 m.).<br />

u.<br />

ULTIMO CANTO - Le Dernier Chant.<br />

Italie, 1917. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres<br />

français. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />

1993. CP (859 m.).<br />

UN CONCOURS DE BEAUTÉ.<br />

France, Alain Saint-Ogan, 1934. Mat. d'orig. :<br />

CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1993.<br />

CP (208 m.).<br />

THE UNDER-PUP - Les Petites Pestes.<br />

États-Unis, Richard Wallace, 1939. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />

conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />

(2412 m.), CP-BAN (55 m.).<br />

UNDERWORLD - Les Nuits de Chicago.<br />

États-Unis, Josef von Sternberg, 1927. Mat.<br />

d'orig. : CTN. Intertitres anglais. Mat. de<br />

conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP<br />

(2239 m.). Voir page 176.<br />

UN DRAME DANS LES AIRS.<br />

France, Gaston Velle, 1905. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en 1994<br />

CP (47 m.).<br />

UNE DATE À RETENIR.<br />

France, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />

de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />

(182 m.).<br />

UNE HEUREUSE MÉPRISE.<br />

France, Eclectic, 1916. Mat. d'orig. : NIM.<br />

Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />

CTra (235 m.).<br />

UNE PARTIE DE CAMPAGNE.<br />

France, Jean Renoir, 1936. Mat. d'orig. : NIMrushes,<br />

NSN-rushes. Mat. de conserv. : PIM,<br />

MAC Sauv. en 1994. Matériel de visionnage<br />

(environ quatre heures).<br />

UNE PARTIE DE CAMPAGNE ;<br />

ESSAIS ACTEURS.<br />

France, Jean Renoir,1936-1994. Mat. d'orig. :<br />

PMU, NIM rushes, PSN (musique). Mat. de<br />

conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1994. CP<br />

(413 m.). Voir page 105.<br />

UN MEURTRE A ÉTÉ COMMIS !<br />

France, Claude Orval, 1937. Mat. d'orig. :<br />

NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />

1995. CP(2187 m.).<br />

Un meurtre est effectivement commis, rue<br />

Massena, à Paris. L'inspecteur principal<br />

Doirel (Maurice <strong>La</strong>grenée) enquête dans<br />

l'immeuble bourgeois où la victime vivait<br />

avec un domestique. Ce dernier, retrouvé<br />

ligoté, est rapidement confondu. Il donne<br />

aux enquêteurs une piste qui mène à un<br />

mouchard, un hôtel minable, un bouge<br />

nommé la Boule d'argent où officie Clara la<br />

chanteuse (Florelle), et finalement au<br />

« Joyeux », l'assassin.<br />

Le film commence comme un documentaire<br />

sur une enquête de police, l'inspecteur est<br />

accompagné par un journaliste de l'Aurore et<br />

par une concierge conforme (Milly Mathis).<br />

Dans une deuxième partie, l'inspecteur<br />

devient un personnage secondaire, le<br />

scénario s'intéresse plus au « milieu » et à la<br />

Boule d'argent. <strong>La</strong> mise en scène reste plate,<br />

les éclairages catastrophiques. Claude Orval,<br />

écrivain prolifique pour le Grand Guignol,<br />

n'a aucun sens du rythme, de l'ambiguïté,<br />

du suspense. Seule Florelle, qui a du métier,<br />

sauve les deux scènes où elle chante un<br />

tango résigné : « Il faut accepter la vie... »<br />

J.-PJ-<br />

THE UNSEEN - L'Invisible Meurtrier.<br />

États-Unis, Lewis Allen, 1944. Mat. d'orig. :<br />

PIC VO, PIC-BAN VO. Mat. de conserv. :<br />

CTC, CTC-BAN. Sauv. en 1994. CP (2215<br />

m.), CP-BAN (53 m.). Voir page 209.<br />

UN TOURNAGE À LA CAMPAGNE.<br />

France, Jean Renoir, 1936-1994. Mat.<br />

d'orig. : NIM-rushes, NSN-rushes. Mat. de<br />

conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1994. CP<br />

(2435 m.). Voir page 105.<br />

V.<br />

LE VIEUX DOCKER.<br />

France, Armand Guerra, 1914. Mat. d'orig. :<br />

NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />

CTN. Sauv. en 1996. CTra (100 m.).<br />

LES VIGNES DU SEIGNEUR.<br />

France, René Hervil, 1932. Mat. d'orig. :<br />

CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994.<br />

CP (2718 m.). Voir page 97.<br />

w.<br />

WEGE DES SCHRECKENS.<br />

Jusqu'au crime.<br />

Autriche, Michael Kertesz (Michael Curtiz),<br />

1921. Mat. d'orig. : NIM. Flash-titles<br />

français et allemands. Mat. de conserv. :<br />

PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en<br />

1996. CP (1730 m.). Voir page 132.<br />

WHAT PRICE GLORY.<br />

Au service de la gloire.<br />

États-Unis, Raoul Walsh, 1926. Mat. d'orig.<br />

et de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />

Tirage en 1994. CP (3277 m.).<br />

WHISTLE STOP - Tragique rendez-vous.<br />

États-Unis, Léonide Moguy, 1946. Mat.<br />

d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />

Sauv. en 1994. CP (2327 m.). Voir page 213.<br />

WILD ORANGES - Capricciosa.<br />

États-Unis, King Vidor, 1924. Mat. d'orig. :<br />

PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />

CTN. Rest. en 1993. CP (1784 m.).<br />

Voir page 169.<br />

WINGS-Les Ailes.<br />

États-Unis, William A. Wellman, 1929. Mat.<br />

d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />

anglais. Tirage en 1994. CP (3788 m.).<br />

z.<br />

ZHONGHUA NÛ'ER - Filles de Chine.<br />

Chine, Ling Zifeng et Zhai Qiang, 1949. Mat.<br />

d'orig. : CEX VOSTF et flamand. Mat. de<br />

conserv. : CTC. Sauv. en 1996. CP (2216 m.,<br />

VOSTF et flamand).<br />

Le 18 septembre 1931, les Japonais<br />

envahissent le nord de la Chine. Tchang-Kaï-<br />

Chek donne l'ordre de repli aux troupes<br />

chinoises, trente millions d'habitants se<br />

trouvent alors sous un régime d'occupation.<br />

Le commentaire d'ouverture, outre ces<br />

renseignements, précise que l'inévitable<br />

président Mao (le film est tourné en 1949,<br />

année de l'entrée <strong>des</strong> communistes à Pékin)<br />

proposa de chasser l'envahisseur et de<br />

récupérer les territoires perdus. Zhonghua<br />

Nu'er raconte les combats <strong>des</strong> partisans, en<br />

deux parties. <strong>La</strong> première expose<br />

l'évacuation d'un village <strong>des</strong>tiné à être<br />

incendié par les Japonais, et l'intervention<br />

armée d'un groupe de partisans. <strong>La</strong><br />

deuxième, qui se déroule après juillet 1937,<br />

quand l'invasion japonaise s'est étendue,<br />

raconte jusqu'à leur mort dans un fleuve, la<br />

<strong>des</strong>tinée d'un groupe de miliciennes<br />

traquées après avoir attaqué un convoi<br />

ferroviaire ennemi. Bien sûr, le film paye son<br />

tribut aux impératifs idéologiques, du chant<br />

« Le peuple est éternel » aux sentences<br />

typiques de la sagesse <strong>des</strong> nations : « Que<br />

serait le bonheur s'il n'y avait pas le<br />

malheur », de l'habitant harangué qui<br />

clame : « <strong>La</strong> liberté, ça se mérite » aux<br />

groupes <strong>des</strong> femmes poursuivies qui se<br />

défendent aux cris de : « Vive le parti <strong>des</strong><br />

travailleurs », et jusqu'aux contre-plongées<br />

sur <strong>des</strong> visages tendus par la volonté<br />

combattante. Pourtant, Zhonghua Nu'er est<br />

parfois meilleur que cette obligation. D'une<br />

manière frappante, la guerre est vue du côté<br />

chinois, et les envahisseurs japonais ne sont<br />

au mieux que <strong>des</strong> figurants de l'action,<br />

quand elle implique la proximité physique,<br />

soldat poignardé ou bataillon qui poursuit<br />

FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 251<br />

les femmes. Cette dissymétrie, outre qu'elle<br />

permet d'échapper à de prévisibles portraits,<br />

donne au film un angle d'aveuglement<br />

positif, en se refusant la facilité<br />

démonstrative du contrechamp adverse. Elle<br />

permet sans doute d'atteindre à une vérité<br />

pragmatique de cette guerre de partisans où<br />

l'affrontement, même à <strong>des</strong> distances de<br />

regard, garde une dimension abstraite<br />

donnée par ce statut de l'ennemi, simple<br />

silhouette dans le visible. Certes, cette<br />

privation est ambiguë, puisqu'aussi bien elle<br />

retire à ces soldats japonais toute<br />

individualisation : mais il est frappant que<br />

ne s'y substitue pas leur figuration<br />

dépréciatrice. Ils sont l'ennemi, et leur cause<br />

est injuste : cela suffit, qui ne réclame pas au<br />

film un typage excédentaire. <strong>La</strong> guerre ellemême<br />

n'est pas continue : elle a ses pauses,<br />

chants et danses, ses ravitaillements en mil<br />

par les paysans (on y reconnaît, bien sûr, une<br />

illustration <strong>des</strong> thèses maoïstes sur la guerre<br />

populaire), ce traîneau halé en panoramique<br />

sur une vaste étendue désertique, qui<br />

excède, lui, les seules nécessités du<br />

didactisme politique. Les paroxysmes <strong>des</strong><br />

combats, la fin épique <strong>des</strong> femmes mourant<br />

volontairement parmi les tourbillons du<br />

fleuve dans une apothéose attendue de leur<br />

sacrifice, n'ont pas absorbé toute la<br />

représentation et parfois, c'est dans la quasi<br />

obscurité que le film risque la clan<strong>des</strong>tinité<br />

de ses personnages. Le découpage, à la<br />

faveur métallique du pont ferroviaire, atteint<br />

à une netteté figurative presque<br />

géométrique, partisan rampant sur l'énorme<br />

poutrelle boulonnée pour poser l'explosif.<br />

Réalisé par Ling Zifeng et Zhai Qiang,<br />

Zhonghua Nu'er maintient, dans une œuvre<br />

glorificatrice, quelques moments de cinéma.<br />

J.K.<br />

Les notes ont été rédigées par Philippe Arnaud,<br />

Bernard Bénoliel, Emmanuelle Berthault, Jean-<br />

Pierre Jeancolas, Claudine Kaufmann, Josette<br />

Khannibal, François <strong>La</strong>ffort, Bernard Martinand,<br />

Dominique Païni.


Claude Orval<br />

Un meurtre a été commis !<br />

(1937).<br />

Alinat, René : le Cavalier de minuit, 236.<br />

Allen, Lewis : The Unseen (l'Invisible<br />

Meurtrier), 209, 250.<br />

Anderson, G.M. : The Making of Broncho Billy,<br />

246.<br />

Andréani, Henri : Cléopâtre, 236. Esther, 241.<br />

Antoine, André : l'Artésienne, 59, 234. <strong>La</strong><br />

Terre, 59, 250.<br />

Autant-<strong>La</strong>ra, Claude : Lettres d'amour, 109,<br />

246.<br />

Barbéris, René : Ramuntcho, 108, 248.<br />

Barker, Reginald : The Fugitive, 242. The<br />

Typhoon (l'Honneur japonais), 250.<br />

Baroncelli, Jacques de : Duel, 71, 240. <strong>La</strong><br />

Femme et le Pantin, 89, 242. Feu !, 242. ]e serai<br />

seule après minuit, 71, 245. Nène, 71, 247. Le<br />

Père Goriot, 248.<br />

Beaudoin, Robert : Asile de nuit, 92, 234.<br />

Becker, Jacques : Falbalas (Essais Micheline<br />

Presle), 241.<br />

Bell, Monta : After Midnight (l'Homme de la<br />

nuit), 178, 233.<br />

Bernard-Deschamps, Dominique : Hier et<br />

Aujourd'hui, 243. <strong>La</strong> Nuit du onze septembre,<br />

248.<br />

Bibal, Robert : les Grands, 243.<br />

Billon, Pierre : Mademoiselle X, 246.<br />

Boese, Cari : Eva in Seide (Ève toute nue), 124,<br />

241.<br />

Borzage, Frank : The River (la Femme au<br />

corbeau), 183, 248.<br />

Bosetti, Roméo : la Colle forte de Titi, 237.<br />

Corrida mouvementée, 237. Léontine garde la<br />

maison, 246.<br />

Bourgeois, Gérard : Face à la Mort, 241.<br />

Brahm, John : Il ladro di Venezia (le Voleur de<br />

Venise), 245.<br />

Bressol, Pierre : Dans le gouffre, 239. Le Grand<br />

Crime du petit Tonio, 242.<br />

Brooke, Van Dyke : The Power ofthe Press (la<br />

Puissance de l'argent), 248.<br />

Brown, Clarence : Smouldering Pires (la<br />

Femme de quarante ans), 249.<br />

Burguet, Charles : Deux amours, 239. Le<br />

Meneur de joies, 246.<br />

Caillard, Adrien : la Closerie <strong>des</strong> genêts, 236.<br />

Capellani, Albert : Aladin ou la <strong>La</strong>mpe<br />

merveilleuse, 24, 233. Étemel Amour, 241.<br />

Germinal, 40, 242. L'Homme aux gants blancs,<br />

245.<br />

Capra, Frank : The Matinée Idol (Bessie à<br />

Broadway), 187, 246.<br />

Caron, Pierre : la Route enchantée, 248.<br />

INDEX DES RÉALISATEURS<br />

Cerf, André : le Crime du bouifl 237.<br />

Chahine, Youssef : An-Nil Oual Hayat (Un<br />

jour, le Nil), 158, 234.<br />

Challiot, Maurice : le Baron mystère, 235.<br />

Chamborant, Christian : À travers Paris, 234.<br />

Champreux, Maurice : Asile de nuit, 92, 234.<br />

Chaplin, Charlie : A Night in the Show<br />

(Chariot au Music-Hall), 233.<br />

Charmeroy, Maurice : le Cavalier de minuit,<br />

236.<br />

Chautard, Émile : le Cœur d'une gosse (Les<br />

lions), 237. Le Poison de l'humanité, 248.<br />

Chomôn, Segundo de : l'Antre de la sorcière,<br />

234. Cauchemar et Doux Rêve, 24, 236. <strong>La</strong><br />

Danse du feu, 239. Les Dés magiques, 24, 239. El<br />

hada primavera (la Fée Printemps), 24, 243. <strong>La</strong><br />

Légende du fantôme, 24, 246. Transformations<br />

amusantes, 24, 250.<br />

Christian-Jaque : la Sonnette d'alarme, 101,<br />

249.<br />

Cline, Eddie : A Bedroom Blunder (la Chambre<br />

numéro 23), 233.<br />

Cohl, Émile : l'Hôtel du silence, 30, 245.<br />

Coleby, A.E. : le Destin d'un roi, 239.<br />

Colombier, Pierre : les Étrennes à travers les<br />

âges, 67, 241.<br />

Cooper, Merian C. : Grass : A Nation's Battle<br />

for Life (l'Exode), 243.<br />

Couzinet, Émile : le Curé de Saint-Amour, 237.<br />

Craft, William James : The Arizona Whirlwind,<br />

234.<br />

Cuny, Louis : Tous les deux, 250.<br />

Curtiz, Michael : Noah's Ark (l'Arche de Noé),<br />

247.<br />

Czinner, Paul : Liebe (la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais),<br />

122, 246.<br />

Daroy, Jacques : la Guerre <strong>des</strong> gosses, 243.<br />

Debain, Henri : Méphisto, 246.<br />

De <strong>La</strong>cy, Robert : Red Riders of Canada (le<br />

Canoë noir), 248.<br />

Delluc, Louis : le Chemin d'Ernoa, 236.<br />

Denola, Georges : l'Argent qui tue, 234. Le<br />

Chemin du crime, 236. Les Deux Petits Jésus,<br />

240. <strong>La</strong> Douleur d'aimer, 240. <strong>La</strong> Guerre du feu,<br />

243.<br />

Derain, Lucie : Harmonies de Paris, 86, 243.<br />

D'Errico, Corrado : L'argine, 143, 234<br />

Deslaw, Eugène : la Guerre <strong>des</strong> gosses, 243.<br />

Dieterle, Wilhelm : Geschlecht in Fesseln<br />

(Chaînes), 126, 242.<br />

Dieterle, William : Love Letters (le Poids d'un<br />

mensonge), 210, 246.<br />

Dumont, Marcel : l'Affaire de la rue de<br />

Lourcine, 233.<br />

Duvivier, Julien : Au royaume <strong>des</strong> deux, 112,<br />

234. Golgotha, 242. Haceldama, 55, 243.<br />

L'Homme à l'Hispano, 245. Sous le ciel de Paris,<br />

249.<br />

Dwan, Allan : David Harum, 239.<br />

Edwards, Walter : The <strong>La</strong>st ofthe Ingrams,<br />

245.<br />

Epstein, Jean : les Aventures de Robert Macaire,<br />

78, 234. <strong>La</strong> Belle Nivernaise, 68, 235.<br />

Falena, Ugo : Il disinganno di Pierrot (la<br />

Désillusion de Pierrot), 240. <strong>La</strong>figlia del mare (la<br />

Fille <strong>des</strong> flots), 242.<br />

Farrow, John : Beyond Glory (Retour sans<br />

espoir), 214, 235. Two Years Before the Mast<br />

(Révolte à bord), 201, 250.<br />

Fescourt, Henri : les Grands, 243.<br />

Feuillade, Louis : la Fille bien gardée, 242.<br />

Fischbach, Harry : Parlons cinéma (« les<br />

Anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois »), 230, 248.<br />

Fitzmaurice, George : The Son ofthe Sheik (le<br />

Fils du Sheik), 249.<br />

Fitzpatrick, James A. : The Courtship of Miles<br />

Standish, 237.<br />

Ford, Francis : The Favorite Son, 241.<br />

Ford, John : Four Sons (les Quatre Fils), 242.<br />

Froelich, Cari : Stùrmflut (Dans la Tourmente),<br />

249.<br />

Gandéra, Félix : les Grands, 243.<br />

Ganier-Raymond, Lucien : le Cavalier de Croix<br />

Mort, 111, 236.<br />

Garbagni, Paul : Nick Winter et les As de trèfle,<br />

34, 247.<br />

Garry, Maximilien : Rokovye brillianty (les<br />

Diamants maudits), 151, 248.<br />

Gaskill, Charles : Cleopatra, 236.<br />

Golden, Joseph A. : Daisy's Mistake (les<br />

Espiègleries de Daisy), 239.<br />

Goulding, Edmund : Love (Anna Karénine),<br />

246.<br />

Grémillon, Jean : Gardiens de phare, 242.<br />

Grétillat, Jacques : la Double Existence du<br />

docteur Morart, 240.<br />

Griffith, David Wark : A Terrible Discovery,<br />

234. The Battle ofthe Sexes (l'Éternel Problème),<br />

235. The God<strong>des</strong>s of Sagebrush Gulch, 242.<br />

Guarino, Giuseppe : Il fantasma délia morte,<br />

241.<br />

Guazzoni, Enrico : Cajus Julius Caesar (Jules<br />

César), 235.<br />

Guerra, Armand : la Commune, 45, 237. Le<br />

Vieux Docker, 251.


254 - INDEX DES RÉALISATEURS<br />

Haines, Ronald : The Clock Strikes Eight<br />

(L'exécution est pour 8 heures), 140, 236.<br />

Haie, Alan : Braveheart (Barrière <strong>des</strong> races),<br />

174, 235.<br />

Hall, Alexander : The Great Lover (Don Juan de<br />

l'Atlantique), 243.<br />

Hansen, Kai : Koursitska Assia (l'Étudiante<br />

Assia), 245. Roman s Kontrabasom (la<br />

Contrebasse de Konescoff), 248.<br />

Hart, William S. : The Cold Deck (Grand Frère),<br />

164, 237. The Narrow Trail (Révélation), 247.<br />

Heerman, Victor : Are Waitresses Safe ? (les<br />

Déboires de Philomène), 234.<br />

Hervil, René : la Meilleure Maîtresse, 246.<br />

Minuit... place Pigalle, 83, 247. <strong>La</strong> Petite<br />

Chocolatière, 248. Les Vignes du Seigneur, 97,<br />

251.<br />

Heuzé, André : le Camelot de Paris, 236. <strong>La</strong><br />

Dame en noir, 239.<br />

Hickox, Douglas : Midlands at Play and at<br />

Work, 247.<br />

Hillyer, <strong>La</strong>mbert : The Narrow Trail<br />

(Révélation), 247.<br />

Horne, James W. : False Prophet (le Faux<br />

Prophète), 241.<br />

Howard, William K. : Bachelor Bri<strong>des</strong>, 234.<br />

Jacquin, Abel : Deux bons copains, 239.<br />

Jasset, Victorin : le Bouffon, 28, 235. Destin<br />

tragique, 239. L'Étreinte de la statue, 28, 241. Le<br />

Poison de l'humanité, 248. Protéa, 36, 248.<br />

Jessner, Leopold : Erdgeist (Loulou), 241.<br />

Joannon, Léo : le Carrefour <strong>des</strong> enfants perdus,<br />

236. Documents secrets, 240. Lucrèce, 246.<br />

José, Edward : Pearl of the Army (le Courrier de<br />

Washington), 163, 248. Le Puits de Jacob, 248.<br />

Kemm, Jean : Ce pauvre chéri, 236. Honneur<br />

d'artiste, 245.<br />

Kertesz, Michael (Curtiz, Michael) : Der<br />

Junge Medardus (Gloire), 245. Wege <strong>des</strong><br />

Schreckens (Jusqu'au crime), 132, 251.<br />

King, Henry : Tol'able David, 250. Twin<br />

Kiddies (Deux rayons de soleil), 250.<br />

Kirkwood, James : Little Pal (Drame en<br />

Alaska), 246.<br />

Kirsanoff, Dimitri : Destin, 80, 239.<br />

<strong>La</strong>ndrin, Paul : les Deux Vantards, 240.<br />

<strong>La</strong>rine, Nicolas : Drama na Volgue (Un drame<br />

sur la Volga), 240.<br />

<strong>La</strong>sseyne, Jacques : Soleil et Ombre, 62, 249.<br />

Leisen, Mitchell : Dream Girl, 240. Golden<br />

Earrings (les Anneaux d'or), 217, 242. Kitty (la<br />

Duchesse <strong>des</strong> bas-fonds), 216, 245. Practically<br />

Yours, 248. Song ofSurrender, 217, 249. Take a<br />

Letter, Darling (Mon secrétaire travaille la nuit),<br />

249. To Each His Own (À chacun son <strong>des</strong>tin),<br />

216, 250.<br />

Lekain, Tony : Métamorphose, 246.<br />

Leni, Paul : The <strong>La</strong>st Warning (le Dernier<br />

Avertissement), 191, 246. The Man Who <strong>La</strong>ughs<br />

(L'homme qui rit), 191, 246.<br />

Leprince, René : le Club <strong>des</strong> élégants, 237.<br />

Cœur de femme, 237. Le Collier de la danseuse,<br />

237. <strong>La</strong> Danse héroïque, 239. L'Étoile du génie,<br />

241. Flirt dangereux, 242. L'Infidèle, 245. <strong>La</strong><br />

Lutte pour la vie, 42, 246.<br />

Lion, Roger : J'ai tué.', 75, 245.<br />

Lloyd, Frank : Rulers of the Sea (les Maîtres de<br />

la mer), 201,248.<br />

Lubitsch, Ernst : Madame du Barry, 246. So<br />

This is Paris (les Surprises de la T.S.F.), 249.<br />

Luitz-Morat : les Cinq Gentlemen maudits, 57,<br />

236. <strong>La</strong> Course au flambeau, 237. Le Juif errant,<br />

57, 245.<br />

Lund, Oscar A.C. : Dorian's Divorce, 240.<br />

Lupu Pick : Napoléon aufSt. Helena (Napoléon<br />

à Ste Hélène), 247.<br />

Lyons, Eddie : A Shocking Night, 234.<br />

Machin, Alfred : le Diamant noir, 240.<br />

Mackenzie, Donald : Détective Craig's Coup,<br />

239.<br />

Marey, Étienne-Jules : F;7ms<br />

chronophotographiques, 21, 242.<br />

Marodon, Pierre : le Diamant vert, 240.<br />

Mirande, Yves : Sept hommes, une femme...,<br />

248.<br />

Moguy, Léonide : Whistle Stop (Tragique<br />

rendez-vous), 213, 251.<br />

Monca, Georges : la Bonne Hôtesse, 235. Le<br />

Cauchemar de Rigadin, 236. L'Héritage manqué,<br />

243. Monsieur le Directeur, 247.<br />

Moran, Lee : A Shocking Night, 234.<br />

Murnau, Friedrich Wilhelm : Sunrise<br />

(l'Aurore), 249.<br />

Musidora : Soleil et Ombre, 62, 249.<br />

Neufeld, Max : Ballo al castello, 235. Erzherzog<br />

Johann (l'Archiduc Jean), 241.<br />

Nonguet, Lucien : les Deux Paillasson, 240.<br />

Oliveira, Manoel de : Douro Faina Fluvial,<br />

240.<br />

Orval, Claude : Un meurtre a été commis .', 250.<br />

Oswald, Richard : Car/os und Elisabeth - Fine<br />

Herrschertrdgodie (Sous l'Inquisition), 236.<br />

Dùrfen Wir Schweigen ? (le Baiser mortel), 120,<br />

240.<br />

Pabst, Georg Wilhelm : Die Biichse der<br />

Pandora (Loulou), 235. Geheimnisvolle Tiefe<br />

(Profondeurs mystérieuses), 135, 242.<br />

Paglieri, Louis : la Grande Rivale, 242.<br />

Parke, William : The Streets of Illusion (le Cœur<br />

sur la main), 249.<br />

Parrott, Charles : Before the Public, 235.<br />

Paulin, Jean-Paul : le Château de la dernière<br />

chance, 236.<br />

Pearson, George : Heroes ofthe Mine, 243.<br />

Perret, Léonce : le Chrysanthème rouge, 33,<br />

236. L'Empire du diamant, 65, 241. Le Hâleur<br />

243.<br />

Pichel, Irving : And Now Tomorrow (Le<br />

bonheur est pour demain), 233.<br />

Plaissetty, René : l'Heure sincère, 243. Le<br />

Hussard, 245.<br />

Poirier, Léon : Souvenirs de l'expédition Citroën<br />

Centre-Afrique, 76, 249.<br />

Potter, Henry Codman : Second Chorus<br />

(Swing Romance), 197, 248.<br />

Pottier, Richard : Si j'étais le Patron, 98, 249.<br />

Pouctal, Henri : En détresse, 241. L'Instinct,<br />

245. Travail, 50, 250.<br />

Protazanov, Jacob : le Cœur brisé, 237.<br />

Qiang, Zhai : Zhonghua Nii'er (Filles de Chine),<br />

251.<br />

Rava, Maurizio : I giardini d'Armida, 242.<br />

Ravel, Gaston : le Collier de la reine, 237. <strong>La</strong><br />

Femme inconnue, 242.<br />

Régnier, Pierre : les Cinq Gentlemen maudits,<br />

57, 236.<br />

Reicher, Frank : Idle Hands (le Dragon d'or),<br />

245.<br />

Renard, Noël : Balançoires, 234.<br />

Renoir, Jean : Diary of a Chambermaid (le<br />

Journal d'une femme de chambré), 240. Nana,<br />

247. On purge bébé, 248. The Southerner<br />

(l'Homme du Sud), 249. Sur un Air de<br />

charleston, 249. Une partie de campagne, 250.<br />

Une partie de campagne ; Essais acteurs, 105,<br />

250. Un tournage à la campagne, 105, 250.<br />

Riche, Daniel : les Habits noirs, 243.<br />

Rieux, Max de : Autour de la cousine Bette,<br />

234. <strong>La</strong> Terrible Aventure du docteur Faust, 250.<br />

Rigaux, Lucien : À travers Paris, 234.<br />

Righelli, Gennaro : Colpi di timone, 145, 237.<br />

Rivers, Fernand : Ce que femme veut..., 236. Et<br />

l'on revient toujours, 241. Le Maître de forges,<br />

246.<br />

Rossellini, Roberto : India, Matri Bhumi (Inde,<br />

terre mère), 146, 245.<br />

Rossif, Frédéric : Matisse, 116, 246.<br />

Roudès, Gaston : le Carillon de la liberté, 139,<br />

236.<br />

Roussell, Henry : Ariette et ses papas, 100,234.<br />

Paris Girls, 248.<br />

Rozier-Beaumont : le Chat et la Souris, 236.<br />

Saint-Ogan, Alain : Un concours de beauté,<br />

250.<br />

Sandrich, Mark : Holiday Inn (L'amour chante<br />

et danse), 197, 243.<br />

Santell, Alfred : Daddy Long Legs (Papa<br />

longues jambes), 239. That Brennan Girl (Une<br />

fille perdue), 250.<br />

Sauvage, André : Dans la brousse annamite,<br />

93,239.<br />

Schmidthàssler, Walter : Der Blaue Brief, 235.<br />

Schoedsack, Ernest B. : Grass : A Nation's<br />

Battle for Life (l'Exode), 243.<br />

Schwarzwald, Milton : Talent Auction, 196,<br />

250.<br />

Stafford, Babe : Hat ta Mari, 243.<br />

Starevitch, <strong>La</strong>dislas : l'Amour noir et blanc,<br />

233.<br />

Sternberg, Josef von : Underworld (les Nuits de<br />

Chicago), 176, 250.<br />

Stroheim, Erich von : Greed (les Rapaces), 173,<br />

243.<br />

Sturges, Preston : Sullivan's Travels (les<br />

Voyages de Sullivan), 249.<br />

Szaro, Henryk : Dzieje Grzechu (Histoire d'un<br />

péché), 240.<br />

Thornby, Robert T. : Gold Madness (la Folie de<br />

l'or), 242.<br />

Thorpe, Richard : The Lone Defender, 194, 246.<br />

Tissé, Edouard : l'Appel de la vie (Frauennot -<br />

Frauenglùck), 153, 234.<br />

Tourneur, Maurice : le Friquet, 38, 242.<br />

Tuttle, Frank : This Gunfor Hire (Tueur à<br />

gages), 203, 250.<br />

Urson, Frank : Chicago, 181, 236.<br />

Vallée, Jean : le Cœur ébloui, 237.<br />

Velle, Gaston : Un drame dans les airs, 250.<br />

Vernay, Robert : le Comte de Monte-Cristo,<br />

237.<br />

Vidor, King : The Family Honor (l'Honneur du<br />

nom), 167, 241. Street Scène, 249. Wild Oranges<br />

(Capricciosa), 169, 251.<br />

Vorins, Henry : Tartarin sur les Alpes, 250.<br />

Wallace, Richard : The Under-Pup (les Petites<br />

Pestes), 250.<br />

Walsh, Raoul : What Price Glory (Au service de<br />

la gloire), 251.<br />

Ward, E.C. : Ruler ofthe Roaà {l'Heure du<br />

pardon), 248.<br />

Weill, Pierre : l'École <strong>des</strong> vierges, 102, 241.<br />

Welles, Orson : Don Quixote (Don Quichotte),<br />

225, 240.<br />

Wellman, William A. : Wings (les Ailes), 251.<br />

West, Roland : Nobody (le Douzième Juré), 170,<br />

248.<br />

Wiene, Robert : die Kônigin von Moulin-Rouge<br />

(la Duchesse <strong>des</strong> Folies-Bergère), 245.<br />

Wieser, Édouard : les Amours de Blanche-<br />

Neige, 233.<br />

Willemetz, Jacques : Autant en emporte<br />

l'Histoire..., 115, 234.<br />

Winter, Nick : Méphisto, 246.<br />

Wulschleger, Henry : Elle veut faire du cinéma,<br />

241. Tout va très bien, madame la marquise, 250.<br />

Zecca, Ferdinand : Cléopâtre, 236. Cœur de<br />

femme, 237. <strong>La</strong> Danse héroïque, 239. L'Étoile du<br />

génie, 241. <strong>La</strong> Lutte pour la Vie, 42, 246.<br />

Zielke, Willy : das Stahltier (l'Animal d'acier),<br />

128, 249.<br />

Zifeng, Ling : Zhonghua Nu'er (Filles de<br />

Chine), 251.<br />

TITRES SANS RÉALISATEURS IDENTIFIÉS<br />

À côté du bonheur, 233.<br />

An Indian's Gratitude (la Gratitude du chef<br />

indien), 234.<br />

Appel du sang (U), 234.<br />

Aurore de la révolution russe (L'), 151, 234.<br />

Aventures d'une vagabonde (Les), 234.<br />

Blanchisserie électrique, 235.<br />

Blessure d'amour, 235.<br />

Bonheur perdu (Le), 235.<br />

Caissière de Grunebaum & Cie (<strong>La</strong>), 235.<br />

Calumet de la paix (Le), 235.<br />

Calvaire de l'usurier (Le), 236.<br />

Camée (Le), 236.<br />

Caprice de boyard, 236.<br />

Chambre de la bonne (<strong>La</strong>), 236.<br />

Chambre du rapin (<strong>La</strong>), 236.<br />

Chevauchée sanglante (<strong>La</strong>), 236.<br />

Chez ma tante, 236.<br />

Cœur de soldat, 237.<br />

Cœur de Violette (U), 237.<br />

Cœur d'un chien, 237.<br />

Collier de l'intrigante (Le), 237.<br />

Comtesse Hachisch, 103, 237.<br />

Concours Capitaine de Castille, 237.<br />

Conscience, 237.<br />

Conséquences d'un pari (Les), 237.<br />

Conversion d'Anona, 237.<br />

Conversion du joueur (<strong>La</strong>), 237.<br />

Cora la cuisinière, 237.<br />

Cottage hanté (Le), 30, 237.<br />

Course à l'abîme, 237.<br />

Course au bonheur (<strong>La</strong>), 237.<br />

Crime <strong>des</strong> gitanes, 237.<br />

Crime d'un père, 237.<br />

Crooked Bankers (Indélicatesse de banquier), 237.<br />

Dalila, 239.<br />

Dans les mains <strong>des</strong> espions, 239.<br />

Dark Buffalo ou la Flèche du défi, 239.<br />

Date fixée (<strong>La</strong>), 239.<br />

Déception, 239.<br />

De la fenêtre de l'avocat, 239.<br />

De l'amour à la haine, 239.<br />

Déserteur (Le), 239.<br />

Deux enfants (Les), 239.<br />

Deux fauteuils pour l'Impérium, 239.<br />

Deux Forçats (Les), 239.<br />

Deux maris, deux femmes, un commissaire, 239.<br />

Deux Mères (Les), 239.<br />

Deux Orphelins (Les), 239.<br />

Dévouement d'âme généreuse, 240.<br />

Dévouement de l'esclave (Le), 240.<br />

Dévouement de Starlight (Le), 240.<br />

Dévouement d'Indien, 240.<br />

Diamanten Mâcher (Der), 240.<br />

Disillusione ! (le Cœur et la Raison), 240.<br />

Dis qu't'es Médecin ou la Double Cure, 240.<br />

Double Chemin (Le), 240.<br />

Double Divorce (Le), 240.<br />

Dragonne d'or (<strong>La</strong>), 240.<br />

Drame de l'avarice, 240.<br />

Éternelle Séparation, 241.<br />

Excuse d'un crime (L'), 241.<br />

Exemple (V), 241.<br />

Faux Télégramme (Le), 241.<br />

Feu (Le), 49, 242.<br />

Fille du roi Poum-Poum (<strong>La</strong>), 242.<br />

INDEX DES RÉALISATEURS - 255<br />

Galaor l'Intrépide, 242.<br />

Générosité du forçat (<strong>La</strong>), 242.<br />

Geneviève prise à son propre piège, 242.<br />

Gentil Coiffeur (Le), 242.<br />

Goumier (Le), 242.<br />

Grève (<strong>La</strong>), 243.<br />

Griffes de la mort (Les), 243.<br />

Heart of a Bandit (Cœur de bandit), 243.<br />

Herbes folles (Les), 243.<br />

Héritage convoité (L'), 243.<br />

Héritage de l'oncle (L'), 243.<br />

Héroïsme du docteur (L'), 243.<br />

Héros de Marseille (Le), 243.<br />

Homme mystérieux (L'), 245.<br />

Hommes-Sandwichs (Les), 245.<br />

Honneur d'une Japonaise (L'), 245.<br />

Hydre d'eau douce (L'), 245.<br />

Idylle brisée, 245.<br />

Il faut que jeunesse se passe, 245.<br />

Ilot désert (L'), 245.<br />

Indien magnanime (L'), 245.<br />

Indienne d'Arizona (L'), 245.<br />

Indienne Ko-To-Sho se modernise (L'), 245.<br />

Ingénieux Réparateur de faïence (L'), 245.<br />

Inspecteur <strong>des</strong> becs de gaz (L'), 245.<br />

Je meurs où je m'attache, 245.<br />

Marque révélatrice, 246.<br />

Métamorphoses d'un fiancé, 247.<br />

Mimétisme, 247.<br />

Minor's Destiny (le Destin du mineur), 247.<br />

Monsieur Boniface aime les petits pieds, 247.<br />

Monsieur Doumel dans ses histoires<br />

marseillaises, 247.<br />

Prix du silence (Le), 248.<br />

Secret Formula (The) (Formule Secrète), 248.<br />

Splendore e decadenza (Grandeur et Déchéance),<br />

249.<br />

Ultimo canto (le Dernier Chant), 250.<br />

Une date à retenir, 250.<br />

Une heureuse méprise, 250.


William S. Hart et<br />

<strong>La</strong>mbert Hillyer.<br />

The Narrow Trail,<br />

(1917).<br />

Philippe Arnaud<br />

Responsable <strong>des</strong> éditions à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, enseignant à Paris VIII, auteur<br />

d'un essai sur : Robert Bresson (Cahiers du<br />

cinéma).<br />

Jacques Aumont<br />

Enseignant à Paris III, auteur de nombreux<br />

essais sur le cinéma, dont un ouvrage réalisé<br />

sous sa direction : la Couleur en cinéma,<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta<br />

Antoine de Baecque<br />

Historien <strong>des</strong> pratiques culturelles, critique<br />

aux Cahiers du cinéma, revue dont il a écrit<br />

l'histoire.<br />

Bernard Bastide<br />

Editeur, a réuni et présenté : Jacques de<br />

Baroncelli : Écrits sur le cinéma, suivi de<br />

Mémoires, Institut Jean Vigo.<br />

Joâo Bénard da Costa<br />

Directeur de la Cinemateca portuguesa.<br />

Bernard Bénoliel<br />

Documentaliste au département de la<br />

Collection films de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française.<br />

Alain Bergala<br />

Critique, enseignant à Rennes II et cinéaste<br />

(Faux-fuyants, Où que tu sois, Cesare Pavese).<br />

Emmanuelle Berthault<br />

Documentaliste au département de la<br />

Collection films de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française.<br />

Jean-Claude Biette<br />

Critique, membre du comité de rédaction de<br />

Trafic, cinéaste (le Théâtre <strong>des</strong> matières, Loin de<br />

Manhattan, le Complexe de Toulon).<br />

Pierre Billard<br />

Critique au Point, auteur de : l'Âge classique<br />

du cinéma français. Du cinéma parlant à la<br />

Nouvelle Vague, Flammarion.<br />

Patrick Brion<br />

Historien du cinéma, programmateur du<br />

<strong>Ciné</strong>ma de minuit sur France 3.<br />

Jean-Claude Carrière<br />

Ecrivain, auteur dramatique, scénariste. Il a<br />

travaillé avec de nombreux cinéastes (Luis<br />

NOTICES BIOGRAPHIQUES<br />

Bunuel, Louis Malle, Jean-Luc Godard, Peter<br />

Brook...).<br />

Raymond Chirat<br />

Historien du cinéma français.<br />

Gabrielle Claes<br />

Directrice de la <strong>Ciné</strong>mathèque royale de<br />

Belgique.<br />

Alain Corneau<br />

<strong>Ciné</strong>aste (Série noire, Tous les matins du monde,<br />

le Nouveau Mondé).<br />

Edgardo Cozarinsky<br />

Écrivain, cinéaste (la Guerre d'un seul homme,<br />

Citizen <strong>La</strong>nglois, le Violon de Rothschild).<br />

Paola Cristalli<br />

Responsable <strong>des</strong> éditions à la Cineteca del<br />

comune di Bologna, critique de cinéma à II<br />

resto del Carlino (Bologne).<br />

Jean Douchet<br />

Historien et critique de cinéma (l'Art<br />

d'aimer), cinéaste (<strong>La</strong> serva amorosa).<br />

Hervé Dumont<br />

Historien du cinéma, directeur de la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque suisse, auteur de<br />

monographies sur : Robert Siodmak<br />

(Ramsay), Frank Borzage (<strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française-Mazzotta), William Dieterle<br />

(Filmoteca Espaftola).<br />

Jacques Durand<br />

Journaliste à Libération, auteur d'un essai sur<br />

la tauromachie (Humbles et Phénomènes,<br />

Verdier).<br />

Bernard Eisenschitz<br />

Traducteur, historien du cinéma, auteur<br />

entre autres d'une biographie de Nicholas<br />

Ray : Roman américain. Les vies de Nicholas<br />

Ray, Christian Bourgois éditeur.<br />

Gian Luca Farinelli<br />

Directeur de la Cineteca del comune di<br />

Bologna.<br />

Alain Fleischer<br />

Écrivain, plasticien, photographe et cinéaste<br />

(Dehors-Dedans, Zoo Zéro, Rome Roméo).<br />

Michel Frizot<br />

Historien de la photographie, a dirigé la<br />

Nouvelle histoire de la photographie, Bordas.<br />

Philippe Garnier<br />

Journaliste à Libération, traducteur, auteur<br />

d'une biographie de David Goodis (la Vie en<br />

noir et blanc, Le Seuil) et d'un livre sur<br />

« quelques écrivains à Hollywood » (Honni<br />

soit qui Malibu, Grasset).<br />

Pierre Gras<br />

Administrateur de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française.<br />

François Guérif<br />

Critique de cinéma, éditeur de romans<br />

(Rivages-thriller, Rivages-noir).<br />

Michael Henry<br />

Critique à Positif, correspondant de la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française aux États-Unis.<br />

Jean-Pierre Jackson<br />

Distributeur, auteur d'ouvrages sur la<br />

science-fiction et le sériai américain (la Suite<br />

au prochain épisode..., Yellow Now, ).<br />

Jean-Pierre Jeancolas<br />

Historien du cinéma français, critique à<br />

Positif.<br />

Claudine Kaufmann<br />

Chargée d'inventaire et de restauration à la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

Josette Khannibal<br />

Expert typographe aux éditions de la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

Francis <strong>La</strong>cassin<br />

Éditeur, historien du roman populaire (À la<br />

recherche de l'Empire caché. Mythologie du<br />

roman populaire, Julliard), de la bande<br />

<strong>des</strong>sinée et <strong>des</strong> pionniers du cinéma (Pour<br />

une contre-histoire du cinéma, Institut<br />

Lumière-Actes Sud).<br />

Roland <strong>La</strong>courbe<br />

Historien du cinéma, auteur d'un livre sur le<br />

cinéma d'espionnage (Henri Veyrier), et de :<br />

John Dickson Carr, Scribe du miracle (à paraître<br />

chez Ancrage, printemps).<br />

François <strong>La</strong>ffort<br />

Responsable <strong>des</strong> nouveaux dépôts films à la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française.


258 - NOTICES BIOGRAPHIQUES<br />

Jean-Marc <strong>La</strong>lanne<br />

Critique aux Cahiers du cinéma.<br />

Henri <strong>La</strong>nglois<br />

Fondateur en 1936 de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française, qu'il a dirigé jusqu'à sa mort en<br />

1977.<br />

Sabine Lenk<br />

Historienne du cinéma, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

royale de Belgique.<br />

Eric Le Roy<br />

Chef du département programmation <strong>des</strong><br />

restaurations et accès aux collections aux<br />

Archives du film du Centre national de la<br />

cinématographie.<br />

Jean-Louis Leutrat<br />

Enseignant, président de l'Université<br />

Paris III, historien du western, auteur entre<br />

autres de : Vie <strong>des</strong> fantômes, Cahiers du<br />

cinéma.<br />

Joël Magny<br />

Critique aux Cahiers du cinéma, auteur entre<br />

autres de monographies sur : Maurice Pialat<br />

(Cahiers du cinéma, ) et Claude Chabrol<br />

(idem).<br />

<strong>La</strong>urent Mannoni<br />

Historien et collectionneur, responsable <strong>des</strong><br />

appareils à la <strong>Ciné</strong>mathèque française dont il<br />

a publié le catalogue raisonné (le Mouvement<br />

continué, <strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta),<br />

auteur de : le Grand art de la lumière et de<br />

l'ombre, archéologie du cinéma, Nathan.<br />

Michel Marie<br />

Historien du cinéma, enseignant à Paris III,<br />

coauteur de : l'Esthétique du film (Nathan).<br />

Bernard Martinand<br />

Directeur de la collection films de la<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

Alain Masson<br />

Critique à Positif, a dirigé : Hollywood 1927-<br />

1941, la propagande par les rêves ou le triomphe<br />

du modèle américain, (Autrement), auteur<br />

d'un ouvrage sur la comédie musicale<br />

(Stock), et récemment : le Récit au cinéma,<br />

Cahiers du cinéma.<br />

Luc Moullet<br />

Critique, producteur, acteur et cinéaste<br />

(Brigitte et Brigitte, les Sièges de l'Alcazar,<br />

Parpaillon).<br />

Jacqueline Nacache<br />

Enseignante à Paris X, auteur de : le Film<br />

hollywoodien classique, Nathan.<br />

Yousry Nasrallah<br />

Réalisateur égyptien (Mercédès, Vols d'été),<br />

proche collaborateur de Youssef Chahine.<br />

Hubert Niogret<br />

Critique à Positif, producteur, prépare un<br />

livre sur Julien Duvivier.<br />

Dominique Païni<br />

Directeur de la <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

Jean-Michel Palmier<br />

Professeur d'esthétique à l'université de<br />

Paris I, germaniste.<br />

Jean-François Rauger<br />

Critique (le Monde, Cahiers du cinéma),<br />

programmateur de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />

française.<br />

Jean Rouch<br />

Ethnographe, cinéaste (Moi, un Noir, la<br />

Pyramide humaine, Bac ou Mariage).<br />

Michel Roudevitch<br />

Critique de cinéma à Libération, spécialiste<br />

du cinéma d'animation.<br />

Jean Roy<br />

Critique de cinéma à l'Humanité,<br />

organisateur de la Semaine de la critique<br />

(Festival de Cannes).<br />

Charles Tesson<br />

Enseignant à Paris III, critique aux Cahiers du<br />

cinéma, auteur d'essais sur : Satyajit Ray<br />

(Cahiers du cinéma) et Luis Bunuel (idem, ).<br />

Marianne Thys<br />

Documentaliste à la <strong>Ciné</strong>mathèque royale de<br />

Belgique.<br />

Jean Tulard<br />

Historien, auteur du Guide <strong>des</strong> films,<br />

Bouquins, <strong>La</strong>ffont.<br />

Paul Vecchiali<br />

<strong>Ciné</strong>aste (la Machine, Corps à cœur, En haut <strong>des</strong><br />

marches).<br />

Edouard Waintrop<br />

Critique de cinéma et grand reporter à<br />

Libération.<br />

Restaurer, conserver, montrer par Dominique Païni p. 5<br />

Sauver l'éphémère par Claudine Kaufmann et<br />

Bernard Martinand p. 13<br />

FRANCE<br />

Étienne-Jules Marey, films chronophotographiques p. 21<br />

Segundo de Chomôn p. 24<br />

Victorin Jasset p. 28<br />

Émile Cohl p. 30<br />

Le Chrysanthème rouge p. 33<br />

Nick Winter et les As de trèfle p. 34<br />

Protéa p. 36<br />

Le Friquet p. 36<br />

Germinal p. 40<br />

<strong>La</strong> Lutte pour la vie p. 42<br />

<strong>La</strong> Commune p. 45<br />

Le Feu .' : p. 49<br />

Travail p. 50<br />

Haceldama ou le Prix du sang p. 55<br />

Luitz-Morat p. 57<br />

André Antoine p. 59<br />

Soleil et Ombre (Sol y Sombra) p. 62<br />

L'Empire du diamant p. 65<br />

Les Étrennes à travers les âges p. 67<br />

<strong>La</strong> Belle Nivernaise p. 68<br />

Jacques de Baroncelli p. 71<br />

J'ai tué ! p. 75<br />

Souvenirs de l'expédition Citroën Centre-Afrique p. 76<br />

Les Aventures de Robert Macaire p. 78<br />

Destin p. 80<br />

Minuit... place Pigalle p. 83<br />

Harmonies de Paris p. 86<br />

<strong>La</strong> Femme et le Pantin p. 89<br />

Asile de nuit p. 92<br />

Dans la brousse annamite p. 93<br />

Les Vignes du Seigneur p. 97<br />

Si j'étais le patron p. 98<br />

Ariette et ses papas p. 100<br />

<strong>La</strong> Sonnette d'alarme p. 101<br />

L'École <strong>des</strong> vierges p. 102<br />

Comtesse Hachisch p. 103<br />

Une partie de campagne p. 105<br />

Ramuntcho _ p. 108<br />

Lettres d'amour p. 109<br />

Le Cavalier de Croix Mort p. 111<br />

Au royaume <strong>des</strong> cieux P-112<br />

Autant en emporte l'Histoire P- H5<br />

Matisse p. 116<br />

EUROPE<br />

Diirfen wir schweigen ? (le Baiser mortel) P-120<br />

TABLE DES MATIÈRES<br />

Liebe (la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais) p. 122<br />

Eva in Seide (Ève toute nue) p. 124<br />

Geschlecht in Fesseln (Chaînes) p. 126<br />

Das Stahltier (l'Animal d'acier) p. 128<br />

Wege <strong>des</strong> Schreckens (Jusqu'au crime) p. 132<br />

Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs mystérieuses) p. 135<br />

Le Carillon de la liberté p. 139<br />

The Clock Strikes Eight (L'Exécution est pour 8 heures) p. 140<br />

L'argine p. 143<br />

Colpi di timone p. 145<br />

India, Matri Bhumi (Inde, terre mère) p. 146<br />

Russie, 1913 , p. 151<br />

L'Appel de la vie (Frauennot-Frauenglùck) p. 153<br />

ÉGYPTE<br />

An-Nil Oual Hayat (Un jour, le Nil) p. 158<br />

ÉTATS-UNIS<br />

Pearl of the Army (le Courrier de Washington) p. 163<br />

The Cold Deck (Grand Frère) p. 164<br />

The Family Honor (l'Honneur du nom) p. 167<br />

Wild Oranges (Capricciosa) p. 169<br />

Nobody (le Douzième Juré) p. 170<br />

Greed (les Rapaces) p. 173<br />

Braveheart (Barrière <strong>des</strong> races) p. 174<br />

Underworld (les Nuits de Chicago) p. 176<br />

After Midnight (l'Homme de la nuit) p. 178<br />

Chicago p. 181<br />

The River (la Femme au corbeau) p. 183<br />

The Matinée Idol (Bessie à Broadway) p. 187<br />

Paul Leni p. 191<br />

The Lone Defender p. 194<br />

Talent Auction p. 196<br />

Fred Astaire P-197<br />

Naumachie P- 201<br />

This Gun for Hire (Tueur à gages) p. 203<br />

The Unseen (l'Invisible Meurtrier) p. 209<br />

Love Letters (le Poids d'un mensonge) p. 210<br />

Whistle Stop (Tragique Rendez-vous) p. 213<br />

Beyond Glory (Retour sans espoir) p. 214<br />

Mitchell Leisen p. 216<br />

Paramount P- 222<br />

Don Quixote (Don Quichotte) p. 225<br />

CANADA<br />

Parlons cinéma P- 230<br />

Films tirés, sauvegardés et restaurés<br />

par la <strong>Ciné</strong>mathèque française (1992-1996) p. 233<br />

Index <strong>des</strong> réalisateurs P- 253<br />

Notices biographiques p. 257


Crédit photographique : <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />

Conception graphique, mise en page : Guy Jungblut, Alain Maes / Yellow Now.<br />

Photocomposition : Anne-Marie Vervinckt.<br />

Photogravure : Eurogam.<br />

Impression : Raymond Vervinckt.<br />

1996<br />

En couverture :<br />

Orson Welles, Don Quixote, 1957-1972.<br />

© qa Kodar.<br />

<strong>Ciné</strong>mathèque française, 29, rue du Colisée, 75008 Paris.<br />

Diffusion : Hazan, 35-37, rue de Seine, 75006 Paris.


Maurice Tourneur (le Friquet, 1913), William S. Hart (TheCold Deck, 1917), Georg Wilhelm Pabst<br />

(Profondeurs mystérieuses, 1949), mais aussi Jean Renoir, Julien Duvivier, Frank Capra, Jacques de<br />

Baroncelli, mais aussi <strong>des</strong> raretés comme l'Aurore de la révolution russe (circa 1913) ou la Commune<br />

d'Armand Guerra (1914). Tous ces films, <strong>des</strong> plus connus aux plus oubliés, sont issus de la collection<br />

soixantenaire de la <strong>Ciné</strong>mathèque française. Une annexe donne la liste exhaustive de tous les films<br />

sauvés par la <strong>Ciné</strong>mathèque française depuis cinq ans. Sauvegardés, tirés ou restaurés, voici un choix<br />

d'une centaine d'entre eux. Chaque titre retenu s'accompagne d'un générique, d'un résumé détaillé,<br />

d'un texte critique contemporain et de nombreux photogrammes. Ce travail d'édition permet de les<br />

remettre en perspective, car ces films, dont certains étaient considérés comme disparus, sont le fil qui<br />

contribue à recoudre le manteau déchiré de l'art cinématographique mondial.<br />

Avec <strong>des</strong> textes de<br />

Philippe Arnaud, Jacques Aumont, Antoine de Baeçque, Bernard Bastide,<br />

Joâo Bénard da Costa, Bernard Bénoliel, Alain Bergala, Emmanuelle Berthault, Jean-Claude Biette,<br />

Pierre Billard, Patrick Brion, Jean-Claude Carrière, Raymond Chirat, Gabrielle Claes Alain Corneau,<br />

Edgardo Cozarinsky, Paola Cristalli, Jean Douchet, Hervé Dumont, Jacques Durand,<br />

Bernard Eisenschitz, Gian Luca Farinelli, Alain Fleischer, Michel Frizot, Philippe Garnier,<br />

Pierre Gras, François Guérif, Michael Henry, Jean-Pierre Jeancolas, Jean-Pierre Jackson,<br />

Claudine Kaufmann, Josette Khannibal, Francis <strong>La</strong>cassin, Roland <strong>La</strong>courbe, François <strong>La</strong>ffort,<br />

Jean-Marc <strong>La</strong>lanne, Henri <strong>La</strong>nglois, Sabine Lenk, Éric Le Roy, lean-Louis Leutrat, Joël Magny,<br />

<strong>La</strong>urent Mannoni, Michel Marie, Bernard Martinand, Alain Masson, Luc. Moullet,<br />

Jacqueline Nacache, Yousry Nasrallah. Hubert Niogret, Dominique Païni, Jean-Michel Palmier,<br />

Jean-François Rauger, Jean Rouch, Michel Roudevitch, Jean Roy, Charles Tesson, Marianne Thys,<br />

Paul Vecchiali, Jean Tulard, Édouard Waintrop.<br />

ISBN 2-900596-17-3<br />

782900"596173"<br />

240 francs<br />

CNG

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