La persistance des images - Ciné-ressources
La persistance des images - Ciné-ressources
La persistance des images - Ciné-ressources
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Directeur de la collection<br />
Dominique Païni.<br />
Cet ouvrage constitue le volume V <strong>des</strong> catalogues de tirages,<br />
sauvegar<strong>des</strong> et restaurations de la <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
Remerciements à<br />
Bernard Bastide, Bernard Eisenschitz, Jean-Pierre Flingou,<br />
Foulques de Jouvenel, Antonia Fontanillas, Francis <strong>La</strong>cassin,<br />
Roland <strong>La</strong>courbe, Jean-Louis Leutrat, Éric Le Roy, <strong>La</strong>urent Mannoni,<br />
Nicolas Offenstadt, Anna Petitova, Vincente Ricart,<br />
Stéphanie Salmon, Yuri Tsivian.<br />
Academy of Motion Picture Arts and Sciences (Beverly Hills,<br />
Michael Friend), American Muséum of the Moving Image<br />
(New York, Richard Koszarski), la Bibliothèque de l'Arsenal<br />
(Département <strong>des</strong> Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de<br />
France, Emmanuelle Toulet), Bibliothèque de l'image-Filmothèque<br />
(Paris, <strong>La</strong>urent Billia), Cinegraph (Hambourg), <strong>Ciné</strong>mathèque royale<br />
de Belgique (Gabrielle Claes, Sabine Lenk, Marianne Thys), Cineteca<br />
del Comune di Bologna (Gian Luca Farinelli), Cineteca del Friuli<br />
(Lorenzo Codelli), <strong>Ciné</strong>mathèque municipale de Luxembourg,<br />
Filmoteca Espanola (Madrid, Catherine Gautier), Lobster Films,<br />
Musée d'Orsay, National Film and Télévision Archive (Londres,<br />
Jane Hockings), Ôsterreichisches Filmarchiv (Vienne, Joseph Gloger),<br />
Ôsterreichisches Filmmuseum (Vienne), Pathé Télévision, Projet<br />
Lumière, Service <strong>des</strong> Archives du Film (CNC, Michelle Aubert),<br />
Société <strong>des</strong> auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Stiftung<br />
Deutsche Kinematek (Berlin, Walter Seidler).<br />
© Chaque auteur pour sa contribution. <strong>Ciné</strong>mathèque française pour<br />
l'ensemble -1996.<br />
ISBN 2-900596-17-3<br />
LA PERSISTANCE<br />
DES<br />
IMAGES<br />
TIRAGES, SAUVEGARDES ET RESTAURATIONS<br />
DANS LA COLLECTION FILMS<br />
DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE<br />
Textes de<br />
Philippe Arnaud, Jacques Aumont, Antoine de Baecque, Bernard<br />
Bastide, Joâo Bénard da Costa, Bernard Bénoliel, Alain Bergala,<br />
Emmanuelle Berthault, Jean-Claude Biette, Pierre Billard, Patrick<br />
Brion, Jean-Claude Carrière, Raymond Chirat, Gabrielle Claes,<br />
Alain Corneau, Edgardo Cozarinsky, Paola Cristalli, Jean Douchet,<br />
Hervé Dumont, Jacques Durand, Bernard Eisenschitz, Gian Luca<br />
Farinelli, Alain Fleischer, Michel Frizot, Philippe Garnier, Pierre<br />
Gras, François Guérif, Michael Henry, Jean-Pierre Jeancolas, Jean-<br />
Pierre Jackson, Claudine Kaufmann, Josette Khannibal, Francis<br />
<strong>La</strong>cassin, Roland <strong>La</strong>courbe, François <strong>La</strong>ffort, Jean-Marc <strong>La</strong>lanne,<br />
Henri <strong>La</strong>nglois, Sabine Lenk, Éric Le Roy, Jean-Louis Leutrat, Joël<br />
Magny, <strong>La</strong>urent Mannoni, Michel Marie, Bernard Martinand, Alain<br />
Masson, Luc Moullet, Jacqueline Nacache, Yousry Nasrallah, Hubert<br />
Niogret, Dominique Païni, Jean-Michel Palmier, Jean-François<br />
Rauger, Jean Rouch, Michel Roudevitch, Jean Roy, Charles Tesson,<br />
Marianne Thys, Paul Vecchiali, Jean Tulard, Édouard Waintrop.<br />
Secrétaire de rédaction, génériques et résumés : Bernard Bénoliel.<br />
Édition : Philippe Arnaud.<br />
Photogrammes réalisés par Stéphane Dabrowski.<br />
<strong>La</strong>bo-photo : Daniel Keryzaouen.<br />
Rédacteur en chef : Bernard Martinand.<br />
Visions et enregistrements <strong>des</strong> films : <strong>La</strong>ure Bouissou.<br />
L'ensemble du département de la collection films<br />
de la <strong>Ciné</strong>mathèque française<br />
a participé à l'élaboration de ce livre :<br />
Bernard Bénoliel, Emmanuelle Berthault, <strong>La</strong>ure Bouissou,<br />
Pascal Briant, Olivier Dehaut, Vincente Duchel,<br />
Jean-Philippe Jonchères, Claudine Kaufmann, François <strong>La</strong>ffort,<br />
Guy Lemaître, Bernard Martinand, Hélène Masingue,<br />
Hervé Pichard, Thierry Zaragoza.<br />
9600430002<br />
Qnéméèque hnçaise
William S. Hart<br />
The Cold Deck<br />
(1917).<br />
RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />
Dominique Païni<br />
Il fut un temps où restaurer les films ne constituait pas un acte autonome. Pour les fondateurs <strong>des</strong> premières cinémathèques,<br />
il convenait, avant toute autre chose, de retrouver du matériel, les copies de certains films fondamentaux devenus déjà mythiques :<br />
ceux de Stroheim, Borzage, Murnau, Renoir, Feuillade, Méliès... surtout le cinéma muet, détruit dans l'indifférence générale <strong>des</strong><br />
premières années trente.<br />
DE LA PROGRAMMATION À LA PRÉSERVATION<br />
Il faut sans cesse revenir à ce fait : la collection films de la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française a été commencée pour retrouver, sauver<br />
et préserver l'art du muet. Des pans considérables <strong>des</strong> trente<br />
premières années du cinéma étaient déjà sinistrés, détruits ou<br />
perdus. Il ne s'agissait donc pas, en 1936, d'entreprendre une<br />
campagne systématique de sauvegarde et de reconstitution de<br />
matériels connus, localisés et menacés du fait de leur instabilité<br />
chimique. Il s'agissait d'enquêter, de fouiller, de détourner<br />
de la « fonte », de retrouver <strong>des</strong> copies, afin de les montrer pour<br />
évaluer <strong>des</strong> œuvres constitutives de l'histoire d'un art connue<br />
de manière encore très lacunaire. Le fait de conserver les films<br />
dans les meilleures conditions possibles en découla. C'est donc<br />
prioritairement l'urgence de revoir ou même de découvrir les<br />
films, pour fonder une histoire, qui engendra la collection. <strong>La</strong><br />
mission de ciné-club de « répertoire » (comme le décrivent les<br />
statuts initiaux de la <strong>Ciné</strong>mathèque) précéda celle d'archivé,<br />
même si les deux activités se confondirent très rapidement. Et<br />
lorsqu'on s'interroge sur les raisons de la présence précoce de<br />
certains films dans les collections commencées par <strong>La</strong>nglois, il<br />
faudrait probablement se référer plus souvent à ses programmations.<br />
Dans les années trente, pour mémoriser, il fallait prioritairement<br />
montrer les films, les décrire, dresser <strong>des</strong> inventaires<br />
par noms de cinéastes, repérer les gran<strong>des</strong> pério<strong>des</strong> pour tenter<br />
de comprendre les transformations esthétiques et économiques.<br />
On ne pouvait envisager la création d'une collection<br />
de films et sa préservation qu'après l'avoir évaluée en visionnant.<br />
Rappelons que Jean Mitry fit partie de l'équipe fondatrice<br />
de la <strong>Ciné</strong>mathèque française et qu'il commença ainsi ses travaux<br />
d'historien. Georges Sadoul fréquenta la FIAF et il intervint<br />
dans les problèmes de sauvegarde <strong>des</strong> films d'une manière<br />
fervente. Depuis longtemps, il se préoccupait de l'accès aux<br />
films oubliés, perdus, menacés de <strong>des</strong>truction comme l'atteste<br />
son article : « Fahrenheit 1951. Faut-il détruire tous les films anciens<br />
parce qu'ils sont inflammables ? » paru dans les Cahiers<br />
du cinéma, n° 184 (novembre 1966).<br />
EXISTE-T-IL UN « GOÛT LANGLOIS » ?<br />
Durant ces cinq dernières années de restaurations, de tirages<br />
et de sauvegar<strong>des</strong>, une idée est devenue obsédante : comment<br />
définir cette collection de films ? Relève-t-elle d'un goût<br />
particulier au point de <strong>des</strong>siner une sorte d'autoportrait esthétique<br />
d'Henri <strong>La</strong>nglois ? Comment se distingue-t-elle <strong>des</strong> autres<br />
gran<strong>des</strong> collections (Bruxelles, Prague, Moscou, Londres...)<br />
ou comment reflète-t-elle les critères relativement communs<br />
aux archives qui furent créées, en même temps, au milieu <strong>des</strong><br />
années trente ? Autrement dit, lorsqu'il a été décidé en 1991 de<br />
réorienter notre politique de préservation, c'était avec un fantasme,<br />
sinon une illusion absolue : reprendre la collection, comme<br />
<strong>des</strong> héritiers reprennent celle de leurs parents. Accentuer<br />
les tendances d'acquisition, ne pas continuer <strong>des</strong> enrichissements<br />
pour <strong>des</strong> auteurs ou <strong>des</strong> écoles nationales peu représentés,<br />
mieux cerner un hypothétique « goût <strong>La</strong>nglois »... Nous<br />
nous sommes vite aperçus que c'était utopique. En premier lieu,<br />
parce qu'il est impossible de réfléchir sur une collection qui<br />
connut, comme toutes les collections du monde, <strong>des</strong> sinistres<br />
et <strong>des</strong> pertes irrémédiables. En second lieu, <strong>La</strong>nglois conservait<br />
tout. Et on mesure encore aujourd'hui qu'il serait en effet absurde<br />
de choisir entre l'acquisition volontaire et le dépôt de circonstance.<br />
En tout état de cause, comment prévoir aujourd'hui<br />
ce qui comptera demain, entre telle acquisition désirée et tel<br />
dépôt non recherché ? Rien ne laisse supposer a priori que la<br />
particulière représentativité du cinéma allemand <strong>des</strong> années<br />
vingt, au-delà <strong>des</strong> seuls monuments de l'expressionnisme, relève<br />
d'un choix délibéré. Cela peut provenir d'un dépôt dont<br />
l'arrivée à la <strong>Ciné</strong>mathèque ne dépendit pas du parti pris esthétique<br />
de son fondateur mais découla peut-être <strong>des</strong> hasards,<br />
faillite d'une société de distribution française (ce qui expliquerait<br />
les intertitres français dans de nombreux cas) ou autre circonstance<br />
sans préméditation muséologique. L'histoire de cette<br />
collection, comme celle de beaucoup d'autres, résulte d'urgences,<br />
d'anarchies commerciales et d'aléas corporatistes.<br />
Mais avant tout, <strong>des</strong> urgences. Pas de repentir possible dans<br />
les années trente, si un film échappait à la vigilance collection-
6 - RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />
neuse. Il passait à la broyeuse puis à la fonte. Il fallait tout<br />
prendre et trier ensuite. Le cinéma sonore mit à peine deux ou<br />
trois années à s'installer, à investir artistiquement, techniquement,<br />
industriellement et architecturalement. Les producteurs<br />
se débarrassèrent fréquemment de ce qui les encombrait, en<br />
l'occurence les copies du cinéma muet. <strong>La</strong> dimension artistique<br />
de ce cinéma n'étant reconnue que minoritairement, il n'y avait<br />
donc pas de plus-value symbolique à retirer pour la profession<br />
(au contraire, voir aujourd'hui la gestion « morale » et quelquefois<br />
vaniteuse que font les producteurs contemporains de<br />
leur catalogue).<br />
L'urgence donc. Ainsi, en 1959, lorsque les laboratoires reçurent<br />
l'ordre de ne plus conserver le matériel « nitrate », ce fut<br />
un véritable débordement. Marie Epstein a souvent évoqué le<br />
souvenir de ces camions qui déversèrent <strong>des</strong> tonnes de négatifs<br />
devant un <strong>La</strong>nglois impuissant à mettre en œuvre immédiatement<br />
un plan d'identification et de sauvegarde (inventaire<br />
détaillé et transfert sur support « safety » acétate).<br />
Dégager de ces accumulations successives et désordonnées,<br />
une logique d'acquisition, <strong>des</strong> partis pris d'enrichissement<br />
complémentaires, <strong>des</strong> choix qui conjuguent l'importance historique<br />
et le goût, relevait donc d'un idéal auquel nous aurions<br />
volontiers voulu nous référer pour le continuer.<br />
Au terme de ces cinq années, ce projet, bien qu'en partie irréalisable,<br />
ne fut pourtant pas sans intérêt. Il nous fit agir. Car<br />
s'il n'était pas possible de dégager, à proprement parler, un<br />
« goût <strong>La</strong>nglois », la collection, telle qu'elle nous parvint n'en<br />
était pas moins fascinante et ses deux traits spécifiques indéniables<br />
étaient (sont encore !) d'une part, sa représentativité internationale,<br />
et d'autre part, son absence de hiérarchie datée : en<br />
d'autres termes, <strong>des</strong> films du monde entier préservés en dehors<br />
de toute soumission au goût qui prévalait à l'époque de leur<br />
entrée dans la collection. C'est cette diversité que nous nous<br />
sommes efforcés de continuer par les choix de tirage, de sauvegarde<br />
et de restauration détaillés dans ce catalogue.<br />
Cependant, si <strong>La</strong>nglois n'était pas maître de la composition<br />
de sa collection et gardait tout, il a en revanche orienté délibérément<br />
ses choix de sauvegarde, menant dans ce domaine une<br />
politique volontariste. Il est même possible que les limites économiques<br />
auxquelles il s'est heurté toute sa vie aient accentué<br />
de façon caricaturale ce « goût ». Plus de moyens financiers l'auraient<br />
peut-être amené à élargir le champ de ses préférences, à<br />
diluer son « sectarisme ». <strong>La</strong> sur-représentation du cinéma américain,<br />
de l'avant-garde <strong>des</strong> années vingt, les tirages systématiques<br />
<strong>des</strong> films de Perret, Jasset, Chomon, Feuillade en sont<br />
une conséquence. Cela est si vrai qu'une bonne connaissance<br />
<strong>des</strong> collections permet de deviner une sauvegarde ou un tirage<br />
de <strong>La</strong>nglois. En voici un exemple récent : il ne subsistait que le<br />
négatif nitrate de Balançoires, film avant-gardiste de Noël Renard<br />
(1928). Or, en visionnant ce matériel, nous avons pensé<br />
que c'était un film dans le « goût <strong>La</strong>nglois ». Une recherche dans<br />
les anciens fichiers nous a appris qu'il en avait effectivement<br />
tiré en 1964 une copie safety dont nous n'avons plus trace \ En<br />
fait, cette cinéphilie, d'abord particulière à <strong>La</strong>nglois, est devenue<br />
le goût dominant, donc plus difficile à détecter aujourd'hui.<br />
RESTAURER QUOI ?<br />
Aujourd'hui, restaurer est devenu un mot suremployé en<br />
toute occasion dans les langages officiels, comme si notre<br />
époque était emportée dans une frénésie d'effacement du<br />
temps, par l'accumulation notariale <strong>des</strong> vestiges d'un passé<br />
préapocalyptique, par la panique compulsive devant l'oubli,<br />
vers la perspective postmoderne de tout recycler et de tout répéter.<br />
Bref, tout sauver avant la catastrophe. Mais l'expression,<br />
restaurer les films, n'était pas évidente avant le début <strong>des</strong> années<br />
quatre-vingt. Quelle invraisemblable entreprise appliquée<br />
à un divertissement de petite vertu ! Car enfin, <strong>des</strong> produits de<br />
la duplication industrielle et commerciale méritaient-ils la compassion<br />
restauratrice ? Les copies de films ne sont après tout<br />
que <strong>des</strong> produits résiduels, déchets de la productivité et de la<br />
reproductibilité du loisir industrialisé 2 .<br />
Je crois que l'on a oublié, en 1996, ce saut mental qu'il fallut<br />
accomplir pour intégrer l'évidence de la restauration <strong>des</strong><br />
films. <strong>La</strong>nglois dupliquait <strong>des</strong> copies, mais je pense qu'il n'envisagea<br />
jamais de restaurer un film au sens où nous l'entendons<br />
aujourd'hui : reconstituer un montage pour retrouver une narration,<br />
restituer un rythme, <strong>des</strong> teintages ou <strong>des</strong> virages colorés<br />
proches de ceux qu'on imagine avoir « enchanté » les copies<br />
d'époque... Et ce ne sont pas seulement <strong>des</strong> raisons économiques<br />
qui l'en empêchèrent ; mais l'attitude « archéologique<br />
» n'était pas encore advenue idéologiquement et artistiquement<br />
pour l'art du film. <strong>La</strong>nglois dupliqua les films pour<br />
être montrés, dans l'état où ils étaient empruntés ou trouvés.<br />
Et cela explique que certains films, figurant dans le présent catalogue,<br />
aient bénéficié d'une restauration deux ou trois dizaines<br />
d'années après leur première duplication dont la finalité<br />
n'était pas la préservation, mais la programmation, à partir<br />
d'un matériel peut-être à jamais disparu depuis. En un sens,<br />
les cinémathèques furent les premiers musées habilités (ce ne<br />
fut pas si simple !) ou du moins, dont la mission obligeait à produire<br />
<strong>des</strong> copies, <strong>des</strong> « faux », sans le souci de les maquiller en<br />
originaux. Et pour cause, la notion « d'original cinématographique<br />
» n'ayant guère de sens : même le négatif est dénué de<br />
stabilité assurée et d'unicité originelle. De surcroît, les cinémathèques<br />
se sont bâties avec une finalité de conservation d'objets<br />
- les films - dont ce n'était pas la vocation de durer. Pour<br />
ces premiers temps <strong>des</strong> archives cinématographiques, il s'agissait<br />
de prolonger l'existence de ce qui subsistait. Alors que depuis<br />
une quinzaine d'années, la restauration <strong>des</strong> films est devenue<br />
une activité spécifique, indépendante de la programmation<br />
et de l'enrichissement proprement dit, qui consiste à accroître<br />
les collections au fur et à mesure de la production<br />
contemporaine. L'autonomie de l'activité de restauration<br />
n'était donc pas évidente et en fait, n'a jamais été véritablement<br />
réfléchie.<br />
QU'EST-CE QUE LA RESTAURATION ?<br />
En 1963, est publié en Italie, un ouvrage peu connu en France<br />
hors <strong>des</strong> milieux de l'histoire de l'art, important en regard du<br />
travail entrepris par les cinémathèques : Teoria del restauro de<br />
Cesare Brandi 3 .<br />
Cesare Brandi fonda l'Institut central de restauration de Florence<br />
à la fin <strong>des</strong> années trente, et publia plusieurs étu<strong>des</strong> d'histoire<br />
de l'art très spécialisées. Ce livre ne concerne pas la restauration<br />
cinématographique, mais il est à ma connaissance, la<br />
seule tentative de réflexion théorique sur l'acte de restaurer.<br />
Brandi en propose la définition suivante : « <strong>La</strong> restauration<br />
constitue le moment méthodologique de reconnaissance de<br />
l'œuvre d'art, dans sa consistance physique et dans sa double<br />
polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission au<br />
futur \ »<br />
Je suis frappé, dans cette définition, par la primauté donnée<br />
à la reconnaissance de l'œuvre d'art. Si nous appliquons<br />
cette définition à la restauration cinématographique, cela reviendrait<br />
à dire alors, que celle-ci, considérée comme une activité<br />
autonome, ne serait intervenue qu'au terme d'une évolution<br />
conduisant à reconnaître le film comme œuvre d'art.<br />
Brandi précise que « si on est parvenu à reconnaître le lien<br />
indissoluble qui unit la restauration et l'œuvre d'art, c'est que<br />
l'œuvre d'art conditionne la restauration et non pas l'inverse.<br />
Mais nous avons vu que pour l'œuvre d'art la reconnaissance<br />
comme telle est essentielle et que c'est à partir de là qu'il y a retour<br />
de l'œuvre d'art dans le monde. Le lien entre l'œuvre d'art<br />
et la restauration s'établit grâce à l'acte de reconnaissance, et<br />
continuera par la suite à se développer mais trouve ses prémisses<br />
et ses conditions dans cet acte même ». Il rappelle enfin,<br />
en empruntant à John Dewey, que pour qu'il y ait œuvre d'art<br />
reconnue, il faut que l'œuvre potentielle soit vécue à travers<br />
une expérience individuelle, recréée chaque fois qu'elle est expérimentée<br />
esthétiquement (je souligne). Sinon, conclut Brandi,<br />
l'œuvre d'art n'existe qu'en tant qu'elle subsiste.<br />
Ce qui m'intéresse chez Cesare Brandi, c'est bien entendu<br />
la proximité de ses remarques avec le développement de la<br />
conscience restauratrice en matière d'art du film. Car il aura<br />
fallu également cette ténacité programmatrice, véritable expérimentation<br />
esthétique vécue par les pionniers <strong>des</strong> cinémathèques,<br />
imposant ainsi « l'artisticité » du cinéma, pour qu'enfin la restauration<br />
<strong>des</strong> films existe aujourd'hui comme une activité autonome.<br />
RESTAURER, CRITIQUER<br />
On peut décrire aujourd'hui les principales étapes de la restauration<br />
cinématographique :<br />
- <strong>des</strong> années trente aux années soixante-dix, la duplication<br />
<strong>des</strong> copies pour les projeter, prolonge l'existence de ce qui subsiste.<br />
Le souci de ne plus dépendre <strong>des</strong> autres archives pour sa<br />
programmation, incita <strong>La</strong>nglois à réaliser <strong>des</strong> contretypes à partir<br />
<strong>des</strong> copies qui lui passaient entre les mains. Pour <strong>des</strong> raisons<br />
RESTAURER, CONSERVER, MONTRER - 7<br />
aisées à deviner, les contretypes s'opéraient en cachette, les prêteurs<br />
ayants droit ou les autres archives étant le plus souvent<br />
tenus dans l'ignorance de cette pratique. Cela explique le goût<br />
du secret, sinon la légendaire paranoïa de <strong>La</strong>nglois : une partie<br />
considérable de la collection dût être, pendant une période<br />
assez longue, « illégale ». Entre les copies détournées de la <strong>des</strong>truction<br />
et celles contretypées, l'inventaire de la collection était<br />
difficilement communicable. <strong>La</strong> reconnaissance du rôle <strong>des</strong> cinémathèques<br />
(et leur utilité soudaine pour satisfaire <strong>des</strong> appétits<br />
commerciaux liés à la demande croissante <strong>des</strong> programmateurs<br />
télévisuels) n'avait pas encore encouragé <strong>des</strong> relations<br />
de confiance et d'intérêt réciproque avec les ayants droit. Désormais,<br />
<strong>des</strong> conventions sont signées avec beaucoup d'entre<br />
eux. Quant à l'Etat, il était encore loin de privilégier, comme<br />
ces dix dernières années, une politique patrimoniale dans le domaine<br />
audiovisuel en général.<br />
- dans les années soixante-dix, les premières gran<strong>des</strong> restaurations<br />
« scientifiques » sont entreprises « individuellement<br />
» par <strong>des</strong> historiens tel Kevin Brownlow {Napoléon de<br />
Gance par exemple). Souvent, ces initiatives provenaient également<br />
de directeurs de cinémathèques très spécialisés et parfois<br />
heureusement « monomaniaques »... Ainsi, faut-il saluer l'entêtement<br />
d'un admirateur de <strong>La</strong>ng et de Murnau, Enno Patalas,<br />
qui mène depuis les années soixante <strong>des</strong> recherches approfondies<br />
sur quelques films-clés du cinéma allemand et reprend inlassablement<br />
<strong>des</strong> travaux de restauration pour tenter de restituer<br />
les versions les plus proches <strong>des</strong> intentions de leur auteur.<br />
<strong>La</strong> cinéphilie française, formée dans l'indifférence philologique<br />
de <strong>La</strong>nglois, n'engendra pas <strong>des</strong> entreprises comparables.<br />
- en 1990, est lancé en France le « plan Nitrate », politique<br />
patrimoniale de sauvegarde systématique <strong>des</strong> <strong>images</strong> animées,<br />
grâce à <strong>des</strong> fonds publics, et coordonné par le Centre national<br />
de la cinématographie. À raison d'un million de mètres par an,<br />
l'objectif global est de reporter 15 millions de mètres de pellicule<br />
nitrate sur safety en 15 ans, de 1990 à 2005. Depuis le début<br />
de ce plan, toutes archives françaises confondues (<strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, Service <strong>des</strong> archives du film, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
de Toulouse), ce sont environ 5500 titres (dont 1000 films Lumière)<br />
qui ont été sauvegardés ou restaurés.<br />
En Europe, <strong>des</strong> politiques allant dans le même sens se sont<br />
développées sur fonds privés ou publics, nationaux ou locaux,<br />
dans <strong>des</strong> proportions moins importantes, notamment au<br />
Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie.<br />
- depuis 1991, <strong>des</strong> reconstitutions comparées ou « restaurations<br />
scientifiques » de films oubliés, résultats de la collaboration<br />
européenne <strong>des</strong> archives de films dans le cadre du plan<br />
1 Sur Balançoires, voir page 234.<br />
2 Walter Benjamin : « À la différence de ce qui se passe en littérature ou en peinture,<br />
la technique de reproduction n'est pas, pour le film, une simple condition<br />
extérieure qui en permettrait la diffusion massive ; sa technique de production<br />
fonde directement sa technique de reproduction. Elle ne permet pas seulement,<br />
de la façon la plus immédiate, la diffusion massive du film, elle l'exige. » L'œuvre<br />
d'art, in L'Homme, le langage et la culture. Gonthier-Denoël, Paris 1971, p.148.<br />
3 Einaudi, Turin, 1976.<br />
* Les trois premiers chapitres du livre de Brandi ont été traduits par Gilles A. Tiberghien<br />
dans la revue Recherches poïétiques, n° 3, hiver 1995.
8 - RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />
dit « Projet Lumière », ont été accomplies (950 titres ont été sauvegardés<br />
ou restaurés dans le cadre de ce projet).<br />
<strong>La</strong> période suivante, la nôtre, devrait d'une part privilégier<br />
l'approfondissement et la diffusion de la connaissance de<br />
chaque collection. Le présent catalogue est une première contribution.<br />
D'autre part, cette période à venir devrait permettre de<br />
découvrir les conséquences critiques de la restauration <strong>des</strong><br />
films. Car les films « retrouvés et restaurés » - expression qui<br />
qualifie dorénavant plusieurs manifestations et rencontres internationales<br />
de cinémathèques - participent d'une seconde<br />
mise en circulation historique <strong>des</strong> films, de leur seconde vie artistique<br />
et économique (les télévisions achètent parfois) qui les<br />
inscrit dans un processus de réactualisation et de réévaluation<br />
critique. Ce phénomène ne pouvait pas apparaître lors de la première<br />
période de sauvegarde <strong>des</strong> films dans les années trente<br />
et dans l'après-guerre. L'état d'ailleurs souvent excellent de ces<br />
tirages (voir par exemple, ceux, sublimes, <strong>des</strong> films Lumière<br />
par les laboratoires Boyer jamais égalés), excluait pourtant une<br />
véritable diffusion réévaluante, du fait <strong>des</strong> parties manquantes,<br />
de l'incertitude de l'ordre narratif <strong>des</strong> bobines ou de l'absence<br />
fréquente <strong>des</strong> intertitres. En revanche, la qualité <strong>des</strong> reconstitutions<br />
narratives contemporaines, l'attention portée aux tirages,<br />
autorisent aujourd'hui un point de vue critique renouvelé<br />
sur les films préservés. A ce propos justement, Cesare<br />
Brandi affirmait encore : « Même la restauration est critique,<br />
même la disposition d'une œuvre dans un musée et jusqu'à<br />
l'éclairage, le fond sur lequel l'œuvre, un tableau ou n'importe<br />
quelle œuvre plastique, sera exposée à la culture publique et<br />
de ce fait assurée de sa transmission au futur. » C'est l'autre<br />
ambition du présent catalogue que de susciter la programmation<br />
<strong>des</strong> films récemment restaurés et de contribuer ainsi à leur<br />
transmission critique au futur.<br />
QUE RESTAURE-T-ON ?<br />
Le texte de Claudine Kaufmann et de Bernard Martinand,<br />
« Sauver l'éphémère », évoque <strong>des</strong> cas concrets. Ceux-ci forment<br />
une sorte de panorama exemplaire <strong>des</strong> questions posées<br />
par la restauration <strong>des</strong> films.<br />
Tentons de généraliser.<br />
En premier lieu, que restaure-t-on ? Avant tout un matériel,<br />
et non pas, peut-être l'essentiel en termes « archéologiques » :<br />
les conditions spectatorielles de sa représentation originelle. Et<br />
c'est une illusion de supposer que l'on peut restituer le vécu<br />
initial de la relation imaginaire qu'est avant tout l'art cinématographique.<br />
Si chaque monolithe de Carnac put être déterré et<br />
redressé, l'authenticité de leur alignement actuel demeure incertain.<br />
Mais c'est pourtant cet alignement qui constitue leur<br />
horizon de sens. Irrémédiablement, le « site » initial du film -<br />
architectural, culturel, économique, technique... - est détruit.<br />
<strong>La</strong> partition musicale originale réinterprétée, les lambris dorés<br />
et l'atmosphère imitée d'après les rites de la séance cinémato-<br />
graphique <strong>des</strong> temps passés n'y feront rien. Une part non négligeable<br />
du comparable horizon de sens d'un film n'est pas<br />
restituable. Comme l'a dit Benedeto Croce : « Toute l'histoire<br />
est contemporaine. » C'est en cela que le film restauré est né-<br />
cessairement un film critiqué.<br />
En second lieu, la couleur est-elle devenue une nouvelle et<br />
inévitable exigence ? 5 .<br />
Cette question n'est pas spécifique à la restauration cinématographique.<br />
Depuis de nombreuses années, les historiens<br />
de l'art s'intéressent, par exemple, à la polychromie de la sculpture<br />
au Moyen Âge du fait <strong>des</strong> progrès considérables de la macrophotographie<br />
dans les laboratoires de restauration. Longtemps,<br />
il n'avait pas été observé que la couleur pouvait, à la fin<br />
du Moyen Âge, souligner un contour ou accentuer un relief.<br />
Jusqu'au siècle dernier, les sculptures étaient traditionnellement<br />
entretenues selon leur coloration originale. Puis cela a<br />
cessé. Roland Recht rappelait ces points d'histoire de la restauration<br />
en 1993 6, à l'occasion du débat autour de la rénovation<br />
de la façade de la cathédrale d'Amiens. Il évoquait les<br />
conséquences pour l'interprétation et l'évaluation esthétique<br />
selon que la statuaire est hiératiquement blanche ou très « kitschement<br />
» bariolée. Dans le même article, Recht citait cette<br />
considération de Thomas de Quincey à propos <strong>des</strong> Grecs : « Les<br />
Anciens séparèrent beaucoup moins qu'on ne se le figure dans<br />
leurs travaux, le plaisir <strong>des</strong> yeux et celui de l'esprit : c'est-à-dire<br />
que la richesse, la variété et la beauté <strong>des</strong> matières, qui sont la<br />
parure <strong>des</strong> ouvrages de l'art, furent chez eux bien plus intimement<br />
réunies qu'on ne le pense au beau intrinsèque... ». Il en<br />
fut de même pour les artistes au Moyen Âge, concluait Recht.<br />
J'ajoute qu'il en fut ainsi pour les plus grands cinéastes du<br />
muet que la cinéphilie a parfois tirés un peu trop du seul côté<br />
de l'esprit.<br />
<strong>La</strong> couleur demeure aujourd'hui la recherche prioritaire<br />
pour la restauration contemporaine <strong>des</strong> films, car elle a un rôle<br />
essentiel pour faire saisir la dimension romanesque et sentimentale<br />
du cinéma muet, y compris pour <strong>des</strong> œuvres majeures<br />
de Murnau ou de Griffith par exemple. Le teintage ou le virage<br />
d'origine récemment retrouvés, ont littéralement fait redécouvrir<br />
certains films de ces cinéastes 7 . <strong>La</strong> couleur du muet, lorsqu'elle<br />
est restituée, manifeste la « force de l'imagerie et l'urgence<br />
de l'expression » comme l'a démontré de Kuyper, et a<br />
contribué ces dernières années à réévaluer la véritable mesure<br />
plastique et dramaturgique de la mise en scène de certains réa-<br />
5 Eric de Kuyper a traité ce point capital dans son texte « <strong>La</strong> couleur du muet »<br />
dans la Couleur en cinéma, sous la direction de Jacques Aumont, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française - Mazzotta, Paris, 1995.<br />
6 Libération, 19 janvier 1993.<br />
7 Cf. la restauration très récente du Faust de Murnau. Le film est comme rééclairé<br />
de l'intérieur de l'image. Des séquences entières prennent un sens inédit : en particulier<br />
la scène de la nuit sous la neige plutôt minorée jusqu'alors. C'est tout le<br />
film qui remonte en importance dans l'œuvre de Murnau. Ce qui mènerait à penser<br />
que la lumière du muet n'a été, jusqu'à ce jour, qu'une convention contingente<br />
qui découlait de l'état médiocre de la majorité <strong>des</strong> tirages qui nous sont<br />
parvenus. Ce constat était parfois déjà fait lorsqu'on comparait une copie nitrate<br />
et un tirage de sauvegarde du même film. Mais la plupart du temps, nous nous<br />
y résignions.<br />
RESTAURER, CONSERVER, MONTRER - 9<br />
Léonce Perret<br />
Le Chrysanthème rouge<br />
(1911).
10 - RESTAURER, CONSERVER, MONTRER<br />
lisateurs oubliés : Léonce Perret, Alfred Machin, Segundo de<br />
Chomôn entre autres.<br />
Ce qui est vrai du « site » du film l'est également de sa couleur.<br />
Mais quelle(s) couleur(s) ? Quelles conventions d'utilisation,<br />
surtout lorsque les copies retrouvées sont incomplètement<br />
colorées ? Ces conventions qui associent <strong>des</strong> couleurs à <strong>des</strong> moments<br />
de la journée, par exemple, sont-elles si intangibles qu'on<br />
a bien voulu l'affirmer un peu trop rapidement ? Quels effets<br />
de récit restituons-nous en décidant de reproduire le teintage<br />
ou le virage de telle séquence ? <strong>La</strong> couleur, elle aussi, est critique.<br />
En troisième lieu, faut-il redonner l'illusion de l'œuvre intacte<br />
? Que doit-on garder de l'intervention restauratrice ? <strong>La</strong><br />
restauration, le simple tirage ou la laborieuse reconstitution<br />
d'un montage narratif, ne donnent à voir que « vraisemblablement<br />
», ou « probablement » ce que fut le film. Mais qui le saura<br />
jamais ? À condition même que la mémoire humaine puisse<br />
donner <strong>des</strong> gages, les témoins du cinéma muet ont tous quasiment<br />
disparu.<br />
Les intertitres sont à eux seuls un champ d'interrogation et<br />
de débat. Fréquemment, ils manquent dans les copies anciennes.<br />
Incontestablement, le goût et les critères de lisibilité -<br />
optiques et dramarurgiques - contemporains, marquent de manière<br />
sensible la réception d'un film dont les intertitres ont été<br />
recomposés. Comme la couleur ou la musique d'accompagnement,<br />
l'intertitre peut accentuer, ou non, la continuité narrative,<br />
souligner, aider, détourner ou réduire l'efficacité de la mise<br />
en scène. Pourquoi ne pas s'autoriser à comparer certains « mo<strong>des</strong>tes<br />
» travaux actuellement accomplis en matière d'intertitrage<br />
au « noble » cas du bras de l'antique <strong>La</strong>ocoon, restauré,<br />
complété et continué, dans le goût du XVI e siècle, par l'artiste<br />
restaurateur maniériste Montorsoli. Cela ne me semble pas excessif.<br />
Car qui sait si <strong>des</strong> films remontés et intertitrés ne sont<br />
pas ainsi réévalués « vers le haut », grâce à la plus grande perméabilité<br />
et au synchronisme avec le goût contemporain vers<br />
lesquels tendent le remontage et l'intertitrage refait. Poser la<br />
question, c'est y répondre positivement. Et pourquoi pas ? Il<br />
faut s'interroger en effet sur le retour de l'intérêt à l'égard de<br />
certains moments de l'histoire du cinéma méprisés pendant de<br />
longues décennies. Par exemple, une certaine hystérie « rock »<br />
et « opératique » a probablement favorisé et marqué notre révision<br />
récente du cinéma italien <strong>des</strong> années dix et de ses dive.<br />
En 1996, la <strong>Ciné</strong>mathèque de Bologne est parvenue à obtenir<br />
un nouveau tirage d'une exceptionnelle copie colorée de Rapsodia<br />
satanica, interprété par Lyda Borelli (Nino Oxilia, 1915).<br />
Serions-nous si sensibles aux élans passionnels, aux démences<br />
de chagrin exprimés par la Borelli au moyen de véritables<br />
épreuves corporelles dont de spectaculaires « arcs hystériques<br />
», si nos goûts en matière de spectacle, le théâtre musical<br />
en particulier de ces dernières années de Carmelo Bene à<br />
Pina Bausch, n'avaient pas évolué vers l'excès, parallèlement à<br />
la redécouverte du symbolisme pictural ? Le travail accompli<br />
sur ce film mineur, du point de vue de l'histoire esthétique du<br />
cinéma, n'aurait probablement pas trouvé une telle légitimité.<br />
Mais revenons à la question <strong>des</strong> intertitres. Recomposés,<br />
lorsque l'original est perdu, ils auraient plutôt tendance à fluidifier<br />
le récit alors que tout porte à croire, au contraire, que la<br />
discontinuité narrative n'était pas crainte au temps du muet,<br />
comme elle le sera du début du sonore aux années cinquante.<br />
<strong>La</strong> rédaction nouvelle <strong>des</strong> intertitres doit, en tout état de cause,<br />
être mentionnée comme telle au générique <strong>des</strong> films restaurés.<br />
Dans d'autres cas, l'intertitrage peut accentuer au contraire<br />
la discontinuité : le texte remplace les parties manquantes non<br />
retrouvées d'un film. Ce sont d'autres questions qui apparaissent<br />
alors : à partir de quel degré de complétude - ou d'incomplétude<br />
- un film est-il considéré comme restauré. Le mot<br />
même, convient-il dans certains cas de films très fragmentaires,<br />
tels que dans le présent catalogue, le Friquet (Maurice Tourneur,<br />
1913) ou Protéa (Victorin Jasset, 1913) ? Il serait intéressant de<br />
trouver un mot mieux adapté pour désigner cet art d'accommoder<br />
les fragments, les ruines 8 . Dans ces cas, les intertitres<br />
jouent un rôle de remplacement, véritables équivalents de la<br />
résine évocatrice en sculpture ou du trattegio, de la surface hachurée,<br />
qui intègre les espaces effacés et l'iconographie intacte<br />
d'une fresque picturale.<br />
Au cinéma, il ne peut y avoir de malentendu sur l'intervention<br />
du restaurateur dans les cas de reconstitution dramaturgique<br />
au moyen de prothèses scripturales. Mais parfois, le<br />
restaurateur peut être conduit, au contraire, à rendre le plus invisible<br />
possible son intervention, y compris dans la rédaction<br />
<strong>des</strong> intertitres, poussé par le souci de servir l'évidence fictionnelle<br />
de l'œuvre ou par le désir de donner l'illusion de l'œuvre<br />
originale, donc dans les deux cas, de tromper.<br />
Chaque film est un cas particulier. Certains intertitres gagnent<br />
à l'allégement d'un point de vue quantitatif et d'un point<br />
de vue... stylistique.<br />
Enfin, on a dit souvent que ce qui séparait une réparation<br />
d'une restauration, résidait dans le retour ou non à « la présence<br />
authentique ». Mais qu'est-ce que la présence authentique<br />
pour un film ? Qu'est-ce qu'un matériel original, quand<br />
on connaît la multiplication <strong>des</strong> versions dues aux exigences<br />
d'adaptation pour les cultures nationales ou régionales au sein<br />
d'une même nation, aux contraintes commerciales, aux soumissions<br />
<strong>des</strong> censures de tous ordres. Il n'est pas rare que plusieurs<br />
montages-négatifs aient été réalisés pour un même film<br />
(D'Intolérance à Ballet mécanique et à la Roue) et même deux tournages<br />
(la Femme et le Pantin, la version de Jacques de Baroncelli,<br />
voir page 90). Il est légitime que le débat demeure en ce qui<br />
concerne la « version originale » : celle voulue par l'auteur (l'intention<br />
d'art est privilégiée) ou celle que l'histoire <strong>des</strong> arts du<br />
spectacle valide aux yeux de son juge esthétique et commercial<br />
primordial, le public.<br />
De surcroît, beaucoup de films bénéficient de la jouvence<br />
restauratrice à partir d'un matériel positif, d'une copie dont on<br />
sait qu'elle fait partie de nombreuses autres différentes, exigées<br />
par la commercialisation. Comment peut-on, dans ces conditions<br />
aussi particulières dans l'histoire <strong>des</strong> arts, prendre en<br />
çprnpte la notion d'original ?<br />
'Au-delà <strong>des</strong> seuls films d'artistes légendairement retouchés<br />
plusieurs fois, tels que Ballet mécanique ou Anémie <strong>Ciné</strong>ma par<br />
Fernand Léger et Marcel Duchamp, tout le cinéma relève, par<br />
sa nature reproductible, de cette dissolution, de cet éloignement<br />
d'une origine authentique. Et restaurer un film, c'est ne pas cesser<br />
au fond, de continuer ce qui fonde, contradictoirement en<br />
apparence, son « artisticité », soit la duplication. Plutôt que de<br />
revenir à un état originel, à un état fantasmatique d'avant<br />
l'usure, plutôt que d'intervenir sur un matériau dont on devrait<br />
effacer les marques du temps, restaurer un film c'est accroître<br />
l'éloignement de l'original si tant est qu'un matériel puisse se<br />
prévaloir de ce statut. Conserver c'est copier. Au fond, le cinéma<br />
est apparu sous la forme que nous lui connaissons à une<br />
époque où la copie architecturale se pratiquait en mettant au<br />
carré la signification étymologique du mot monument, moyen<br />
de mémoire. Le Musée <strong>des</strong> monuments français a ainsi dupliqué<br />
au XIX e siècle <strong>des</strong> éléments d'architecture et <strong>des</strong> fresques<br />
dans leur état du moment et dont les originaux sont perdus depuis.<br />
Les références pour l'histoire monumentale sont donc <strong>des</strong><br />
copies.<br />
Préserver, c'est donc démultiplier la dégradation - on choi-<br />
Toutes les issues sont - gardées. Pour pouvoir<br />
sortir, les deux complices mettent le feu à l'appartement<br />
et se déguisent en pompiers. Probant de l'intervention<br />
<strong>des</strong> soldats du feu, ils cjuittent tranquillement le lieu de<br />
leurs exploits.<br />
<strong>La</strong> disparition du traité entraîne une mobilisation<br />
policière considérable, avec perquisitions et interroga-<br />
toires. Un policier repère la maison où se cachent deux<br />
suspects... Pris par surprise, Protéa et L'Anguille se<br />
laissent ligoter sur un lit. Le policier court cnercher du<br />
renfort.<br />
RESTAURER, CONSERVER, MONTRER - 11<br />
sit rarement le matériel de référence à partir duquel la sauvegarde<br />
ou la restauration vont être accomplies - et c'est privilégier<br />
ce que le temps lègue comme version « dominante » de<br />
l'œuvre. Si l'original authentique pour le cinéma est absolument<br />
étranger à l'unicité, il réside alors dans l'inventaire <strong>des</strong><br />
versions, l'inventaire <strong>des</strong> copies qui incarnent un film dès sa<br />
première diffusion, c'est-à-dire son origine artistique et économique.<br />
<strong>La</strong> dissémination est constitutive de l'origine de l'œuvre<br />
cinématographique et détermine sa restauration. Voir plus<br />
haut, les réflexions de Cesare Brandi.<br />
C'est la matière de l'art cinématographique qui implique que<br />
la restauration <strong>des</strong> films consiste à refabriquer <strong>des</strong> originaux<br />
(nouveaux négatifs ou contretypes) à partir de copies positives<br />
retrouvées. Eternel et inattendu retour de la notion toute relative<br />
d'original à l'ère de la paradoxale mais bien réelle dématérialisation<br />
conservatrice, la technologie numérique.<br />
" « Un moderne art <strong>des</strong> ruines », Dominique Païni, in <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 9, automnehiver<br />
1996.<br />
Victorin Jasset<br />
Protéa (1913)<br />
Extrait d'un<br />
déroulant reconstitué.
King Vidor<br />
The Family Honor (1920)<br />
Roscoe Karns (au milieu).<br />
SAUVER L'ÉPHÉMÈRE<br />
Claudine Kaufmann et Bernard Martinand<br />
Sauver les films en danger pour ensuite les projeter, fait partie <strong>des</strong> missions prioritaires d'une cinémathèque. Le travail de sauvegarde<br />
<strong>des</strong> films, mal connu, comporte en fait trois opérations distinctes : tirage, sauvegarde, restauration. Un tirage est un simple<br />
report d'une pellicule ancienne sur une neuve. Au terme de ce travail strictement de laboratoire, le film est en principe projetable.<br />
<strong>La</strong> sauvegarde s'effectue la plupart du temps à partir d'un support nitrate, mais parfois acétate ; elle est souvent réalisée en<br />
prévision d'une restauration. C'est l'établissement d'une ou deux nouvelles matrices « safety ». <strong>La</strong> matrice est l'élément de conservation<br />
qui permet de tirer de nouvelles copies.<br />
<strong>La</strong> restauration, dans le cas du cinéma muet, peut aller de la rédaction de nouveaux intertitres jusqu'à une recréation totale,<br />
en partant de diverses copies existantes comparées pour repérer les plans manquants.<br />
Les restaurations relèvent de décisions partiellement subjectives, puisqu'elles impliquent un goût, auxquelles s'ajoutent <strong>des</strong><br />
critères de rareté dans l'histoire du cinéma. En ce sens, chaque restauration est un cas particulier. Notre logique est la remise à<br />
jour d'une collection, qui résulte de choix. Cette collection est également constituée avec les dépôts <strong>des</strong> films sur support nitrate<br />
effectués à partir de 1959, les laboratoires français ayant alors reçu l'interdiction de stocker ce support, facilement inflammable<br />
Résultat de ces contingences et conséquence du goût de <strong>La</strong>nglois, le cinéma américain est très largement représenté dans les collections.<br />
Notre méthode est artisanale, et intégrée au « plan Nitrate », créé en 1990 et coordonné par le Centre national de la cinématographie.<br />
Celui-ci a pour but essentiel de sauvegarder tout le matériel nitrate déposé dans les archives nationales en effectuant <strong>des</strong><br />
reports sur support « safety ». Il durera probablement une quinzaine d'années, jusqu'au transfert de tous les films.<br />
UN PEU D'HISTOIRE<br />
Pour <strong>des</strong> raisons financières, Henri <strong>La</strong>nglois n'a pas fait de<br />
restaurations à proprement parler. Mais quand il décidait une<br />
sauvegarde, la pertinence de ses choix est facilement vérifiable.<br />
Le Friquet par exemple, le premier film de Maurice Tourneur<br />
(1913), récemment restauré, avait fait l'objet d'une intervention<br />
de sa part. L'intégralité du matériel nitrate dont il disposait<br />
pour ce film, malheureusement déjà incomplet à l'époque, avait<br />
été sauvegardé.<br />
<strong>La</strong>nglois a privilégié les films muets : il avait fondé la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
dans ce but, et parce que ce cinéma était encore relativement<br />
proche au début <strong>des</strong> années trente. Léonce Perret,<br />
Maurice Tourneur, Emile Cohl sont ainsi devenus <strong>des</strong> cinéastes<br />
classiques. Mais il est notable que <strong>La</strong>nglois ne procédait pas à<br />
<strong>des</strong> sauvegar<strong>des</strong> par maison de production, Gaumont, Pathé,<br />
Eclair par exemple. Un autre pan sauvegardé fut le cinéma<br />
d'avant-garde <strong>des</strong> années vingt, français, allemand ou américain,<br />
de Richter à Chomette ou Epstein.<br />
Dans les années soixante, <strong>La</strong>nglois avait bénéficié de<br />
moyens financiers pour tirer <strong>des</strong> films (une sorte de « plan Nitrate<br />
» avant la lettre). Ceux-ci ne venaient pas tous <strong>des</strong> collections<br />
de la <strong>Ciné</strong>mathèque, mais d'emprunts à <strong>des</strong> archives<br />
étrangères (États-Unis, Suisse, etc.), à l'usage de la programmation.<br />
À partir de copies 35 mm, il établissait <strong>des</strong> contretypes 2 ,<br />
et en tirait ce qu'on appelait à cette époque un négatif 32 mm,<br />
permettant le tirage de deux copies 16 mm. En outre, cela facilitait<br />
les projections en province. Mais les copies 16 mm s'abîment<br />
plus vite à l'usage. C'est pourquoi depuis deux ou trois<br />
ans, grâce à ces contretypes, nous avons retiré <strong>des</strong> copies 35 mm<br />
(Geschlecht in FesselnlChaînes de Dieterle, Chicago de Frank<br />
Urson, Sunrisell'Aurore de Murnau, etc.). Un travail similaire<br />
est effectué aujourd'hui à partir de contretypes nitrate afin de<br />
redécouvrir certains films dans toute leur splendeur originale,<br />
comme Greed (les Rapaces) de Stroheim ou Underworld (les Nuits<br />
de Chicago) de Sternberg.<br />
Nous effectuons aussi <strong>des</strong> tirages de films qui existent dans<br />
d'autres archives, en fonction de leur importance dans l'his-<br />
1<br />
Le nitrate, comme matériau <strong>des</strong> films, avait été interdit en 1952. À partir de cette<br />
date, tous les films ont été réalisés sur support safety.<br />
2<br />
Les « contretypes-<strong>La</strong>nglois » étaient tirés de copies empruntées à l'extérieur,<br />
mais sur un certain nombre de films, français en grande majorité, il a eu accès au<br />
matériel négatif d'origine et a alors tiré <strong>des</strong> positifs, ce qui explique la très grande<br />
proportion de films étrangers contretypés et ne reflète qu'imparfaitement ses<br />
choix de sauvegarde.
14 - SAUVER L'ÉPHÉMÈRE<br />
toire du cinéma, afin d'assurer leur projection régulière dans<br />
les programmes de la <strong>Ciné</strong>mathèque, ou de compléter l'œuvre<br />
de cinéastes déjà bien représentés dans nos collections.<br />
Tirages, sauvegar<strong>des</strong> et restaurations découlent d'un inventaire<br />
qui s'accomplit dans les locaux du fort de Saint-Cyr, à<br />
l'ouest de Paris. C'est un travail lent, obscur et ingrat, mais qui<br />
depuis douze ans a permis de « découvrir » <strong>des</strong> films.<br />
<strong>La</strong> décision d'inventaire a été prise par la direction de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
en 1983, pour identifier tout le matériel, y compris<br />
négatif. Les personnes qui ouvrent les boîtes devaient aussi établir<br />
les fiches documentaires et identifier les films si besoin. A<br />
l'époque, ce n'était pas la méthode de la plupart <strong>des</strong> autres archives.<br />
D'un côté il y avait en effet la recherche documentaire<br />
perçue comme noble, et de l'autre la vérification technique,<br />
considérée comme une activité manuelle peu gratifiante : relevés<br />
de génériques et diagnostic technique. Dans cette division<br />
du travail, les documentalistes ne visionnaient pas systématiquement<br />
les films, d'où de nombreuses erreurs.<br />
A partir d'un fichier manuscrit confus et approximatif, l'inventaire<br />
a commencé logiquement à partir de la lettre A : visionnage<br />
<strong>des</strong> films, appréciation de leur état physique, vérification<br />
ou établissement de l'information, etc. En 1996, cet inventaire<br />
est parvenu à la lettre }, sans s'interdire <strong>des</strong> incursions<br />
dans les lettres suivantes. Les nouveaux dépôts de films ont été<br />
inclus dans l'inventaire au fur et à mesure de leur arrivée, pour<br />
éviter de devoir recommencer ce travail dans cinquante ans.<br />
L'ARCHIVISTE COMME ENQUÊTEUR<br />
Les premières découvertes ont démontré l'efficacité de cette<br />
méthode. Par exemple, en 1986, une bobine a été trouvée au<br />
titre le Chancelier qui n'était pas un titre de camouflage comme<br />
une légende aurait pu le faire croire. C'était un titre de tournage<br />
ou titre secondaire. Le Chancelier ne se trouvait dans aucune<br />
filmographie, l'autre titre inscrit sur le générique, Beby<br />
inaugure, non plus. Il suffisait cependant de lire que le film était<br />
de Robert Bresson pour comprendre qu'il s'agissait d'un second<br />
titre de son premier film, Affaires publiques. Les titres d'exploitation<br />
de nombreux films variaient par ailleurs d'une province<br />
à une autre. Le film de Pabst, Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs<br />
mystérieuses), aurait été exploité en Alsace sous le titre<br />
Éternel Mystère, auquel il a été retrouvé.<br />
Souvent, les films muets étrangers se présentent sous leur<br />
titre français d'exploitation. Il faut alors faire <strong>des</strong> recherches<br />
pour les rapporter à leur titre d'origine. Situation fréquente :<br />
The Cold Deck, de William Hart (1917), découvert sous le titre<br />
Grand Frère, ou The Matinée Idol, de Frank Capra (1928), appelé<br />
en France Bessie à Broadway. Ces titres d'époque sont maintenant<br />
oubliés, et aucun index ne les répertorie. Avant même le<br />
visionnage du film, Bessie à Broadway a été identifié comme un<br />
film de Capra, grâce au lien établi entre la « Bessie » du titre<br />
français et l'actrice Bessie Love, très populaire en France dans<br />
les années vingt. Il faut donc se garder d'une certaine raideur<br />
archiviste qui regarde uniquement dans la documentation du<br />
pays producteur. Quand l'Honneur du nom a été découvert dans<br />
une copie positive en cinq bobines de 300 mètres chacune, penser<br />
à un obscur mélodrame était une hypothèse possible, mais<br />
pas à The Family Honor de King Vidor, dont la plupart <strong>des</strong> filmographies<br />
donnaient pour titre français une traduction litté-<br />
rale, l'Honneur de la famille.<br />
Le matériel, pour les films muets, parvient la plupart du<br />
temps sous la forme de petits rouleaux de négatif, sans générique<br />
ni intertitres, puisque d'une longueur d'environ vingt<br />
mètres, ils étaient tirés un par un. Une copie positive muette<br />
n'était jamais tirée sur sa longueur, mais faisait l'objet de nombreuses<br />
collures. Les intertitres, qui ne subsistent pratiquement<br />
jamais, étaient montés copie par copie, sur les positifs euxmêmes.<br />
Dans la plupart <strong>des</strong> cas, posséder le matériel négatif<br />
exclut de détenir l'intertitrage et le générique. En l'absence de<br />
ces sources d'information, l'identification requiert <strong>des</strong> connaissances<br />
extra-cinématographiques pour déterminer l'année et le<br />
pays de tournage. Les arts décoratifs et la mode sont d'une aide<br />
précieuse, les fenêtres à guillotine, par exemple, sont anglosaxonnes,<br />
les poignées de porte ron<strong>des</strong> sont américaines. Toute<br />
inscription est mise à contribution : calendriers, affiches, journaux,<br />
devantures de magasin, etc.<br />
L'identification <strong>des</strong> acteurs est bien sûr utile. Par exemple,<br />
dans The Cold Deck reconnaître William Hart a été décisif.<br />
D'autre part, les pellicules Kodak sont codées selon leur année<br />
de production. Mais malheureusement, la pellicule d'origine<br />
nous parvient rarement : le matériel est français, dépourvu de<br />
datation. Dans <strong>des</strong> cas heureux, les plaques minéralogiques <strong>des</strong><br />
voitures américaines peuvent fournir d'excellents renseignements,<br />
puisqu'elles changent annuellement avec l'indication<br />
du millésime. Evidemment, le style de mise en scène permet<br />
aussi de dater : un film titré l'Aiglon, et pour lequel <strong>des</strong> sources<br />
indiquaient une production de 1908, après visionnage, ne pouvait<br />
être de cette année-là. Le scénario ressemblait à la version<br />
sonore de l'Agonie <strong>des</strong> aigles (Roger Richebé, 1933). C'était en<br />
fait une bobine muette d'une version de 1921 de Dominique<br />
Bernard-Deschamps. Dans ce cas, le découpage, la variété <strong>des</strong><br />
axes, permit de dire qu'il s'agissait d'un film beaucoup plus tardif.<br />
Finalement l'important, d'un point de vue archivistique,<br />
est d'être le premier spectateur du film que l'on inventorie, en<br />
dehors de tout préjugé historique.<br />
DE LA VIE DU NITRATE<br />
A terme, le support nitrate est condamné à se décomposer,<br />
mais sa durée de vie, contrairement à une idée reçue, n'est pas<br />
mécaniquement liée à l'âge. Il est faux qu'elle soit de cinquante<br />
ans, comme il est faux qu'il soit sujet à <strong>des</strong> combustions spontanées.<br />
Si cela était vrai, que resterait-il aujourd'hui <strong>des</strong> négatifs<br />
Lumière ? Ils ont pourtant victorieusement traversé le siècle,<br />
en restant d'une étonnante « verdeur ». C'est plutôt dans la relation<br />
étroite qui a toujours existé entre la production cinématographique<br />
et ses conditions économiques qu'il faut chercher<br />
les causes de bien <strong>des</strong> disparitions.<br />
Le cinéma muet, surtout celui <strong>des</strong> années dix, lorsqu'il n'a<br />
pas été victime de <strong>des</strong>tructions volontaires, s'est plutôt bien<br />
conservé, produit d'une époque prospère où le matériel bénéficiait,<br />
au développement et au tirage, de soins attentifs et coûteux.<br />
<strong>La</strong> dépression <strong>des</strong> années trente a impliqué une production<br />
à plus bas prix, et les films <strong>des</strong> premières années du cinéma<br />
sonore nous arrivent souvent dans un triste état - les ban<strong>des</strong>son<br />
plus encore que l'image. L'histoire se répète pendant l'Occupation,<br />
car les priorités économiques sont ailleurs.<br />
Les conditions de stockage sont également déterminantes,<br />
quelle que soit la période de production considérée, bien plus<br />
que l'âge de la pellicule.<br />
DÉTOUR LEXICAL<br />
Dans le cadre du « plan Nitrate », il est nécessaire de sauver<br />
un certain nombre de mètres de films (environ 200 000<br />
mètres). Cette entreprise de sauvegarde consiste à établir <strong>des</strong><br />
internégatifs ou contretypes, <strong>des</strong> interpositifs ou « marrons »<br />
et <strong>des</strong> copies positives avec projection systématique de la copie<br />
neuve afin de valider le travail du laboratoire 3 . Les métho<strong>des</strong><br />
de sauvegarde d'un film sont finalement comparables à celles<br />
utilisées pour la reproduction d'une photographie - par un<br />
amateur : d'un négatif original développé, on tire une photo<br />
positive (ou plus) ; on peut aussi recopier ce négatif (par<br />
exemple s'il commence à s'user) sur une nouvelle matrice, et<br />
retirer d'autres photos.<br />
Le terme de copie restaurée, utilisé y compris par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, est en fait impropre. Il induit un travail sur<br />
une ancienne copie dont les perforations sont endommagées,<br />
ou les collures trop fragiles et qu'on restaure comme un tableau<br />
ancien, ou une tapisserie trouée d'Aubusson. Une fois réparée<br />
par <strong>des</strong> petites mains adroites, cette copie serait projetée,<br />
comme le tableau est exposé. En fait, restaurer un film, c'est travailler<br />
sur <strong>des</strong> éléments préalablement sauvegardés.<br />
A la différence d'un tirage, la finalité d'une sauvegarde (et<br />
d'une restauration) est la constitution de matrices neuves qui<br />
vont permettre le tirage de copies (pour projection ou consultation)<br />
et éventuellement la reproduction de nouvelles matrices<br />
de seconde génération, en cas d'usure ou d'accident de ce matériel.<br />
A partir <strong>des</strong> négatifs <strong>des</strong> films muets (sans intertitres), la<br />
sauvegarde consiste à établir un interpositif, indispensable au<br />
tirage d'une copie de vision (ou d'une copie de travail si le film<br />
est prévu en restauration), afin de toujours donner la chance<br />
aux films d'être vus, même sans intertitres. Dans le cas d'un<br />
film sonore, quel que soit le matériel négatif d'origine, on sauvegarde<br />
en établissant une seule matrice et une copie, car il y a<br />
rarement nécessité de restauration. Dans tous les cas, le nitrate<br />
est toujours gardé, sauf bien sûr en cas de décomposition, qui<br />
oblige à son incinération.<br />
<strong>La</strong> vision <strong>des</strong> nouvelles copies en projection permet aussi<br />
de mieux apprécier certains films, et d'en décider éventuellement<br />
la restauration.<br />
CINQ FILMS, CINQ VERSIONS ORIGINALES<br />
DE LA RESTAURATION<br />
SAUVER L'ÉPHÉMÈRE- 15<br />
Chaque restauration est un cas particulier. Dans celui de Geheimnisvolle<br />
Tiefe, le film de Pabst, l'inventaire a permis de retrouver<br />
une copie d'exploitation en allemand, sous-titrée français,<br />
et une version originale sans sous-titres. Sur la première<br />
copie, le générique était en décomposition mais, dès la première<br />
bobine visionnée, malgré l'ignorance de l'auteur, le film parut<br />
exceptionnel. Il aurait de toute façon, même sans être identifié,<br />
été restauré. Par chance, les deux copies étaient en bobines de<br />
600 mètres, et non de 300 comme c'est l'habitude pour le nitrate.<br />
Elles avaient été enroulées l'une par le début, l'autre par<br />
la fin. Les parties qui étaient décomposées dans une copie,<br />
étaient en bon état dans l'autre. <strong>La</strong> fusion <strong>des</strong> deux copies devait<br />
aboutir à une copie projetable. Mais avant de procéder à<br />
ce travail, il était indispensable de savoir si ce film existait dans<br />
une autre archive. Bernard Eisenschitz a indiqué que le film<br />
n'existait plus nulle part. Production indépendante autrichienne<br />
de 1949, il avait été projeté à Venise la même année,<br />
dans l'indifférence la plus totale, puis avait sombré dans l'oubli.<br />
Henri Colpi a apporté son savoir-faire de monteur pour<br />
mêler les deux éléments de départ et parvenir à une unité de<br />
matériau à la projection. Faire appel à Henri Colpi, qui avait<br />
déjà fait le montage de l'Hirondelle et la Mésange en 1983 4 n'était<br />
pas un hasard, car il faut considérer la restauration comme du<br />
montage. Parfois, c'est le regard d'un cinéaste contemporain<br />
qui est sollicité, par exemple Alain Fleischer pour Un tournage<br />
à la campagne.<br />
L'hommage à Jean Renoir rendu par le Festival de Cannes<br />
en 1994, a été l'occasion de sortir tout le matériel que nous<br />
conservions (dont 110 boîtes indiquées comme chutes de la Partie<br />
de campagne et restées dans leur conditionnement d'origine).<br />
Tout le monde savait que ce matériel était là, mais il restait négligé.<br />
A contrario du print the legend fordien, il a été décidé de<br />
se confronter à la réalité de ces séquences, fussent-elles décevantes.<br />
Or il y avait tous les négatifs <strong>des</strong> rushes non utilisés par<br />
Marguerite Renoir quand elle a fait le montage en 1946, et deux<br />
bobines d'essais d'acteurs, le tout enbon état. Il est possible que<br />
Pierre Braunberger ait voulu garder ce matériel au cas où Renoir,<br />
en revenant <strong>des</strong> États-Unis, veuille refaire le montage. Il<br />
a demandé aux laboratoires Éclair de déposer ce matériel à la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque en 1962. Il a fallu retrouver la continuité du tournage<br />
en partant de A jusqu'à S, car ce sont <strong>des</strong> lettres, et non<br />
5 Les critères de validation sont : que le copie ne soit ni « laiteuse » (manque de<br />
contrastes), ni charbonneuse (excès de contrastes), tout en tenant compte cependant<br />
de l'état du matériel au départ.<br />
4 Les six heures de rushes de l'Hirondelle et la Mésange se trouvaient dans un blockhaus<br />
en province. Ce film d'Antoine, refusé par le distributeur, avait surpris par<br />
son caractère documentaire. Il était donc resté à l'état de rushes. <strong>La</strong>nglois en ignorait<br />
sans doute l'existence, sinon il en aurait sûrement effectué une sauvegarde :<br />
son admiration pour Antoine est connue. Mais il n'avait probablement pas une<br />
vision complète de sa collection, car il a été submergé dans les années soixante<br />
par un raz de marée de matériel, à cause de l'interdiction faite aux laboratoires<br />
de stocker le nitrate, et il était aussi mobilisé par l'installation au palais de Chaillot.<br />
On sous-estime souvent le facteur financier, et Henri <strong>La</strong>nglois, qui disposait de<br />
peu de moyens, n'a jamais pu entreprendre un inventaire.
16 - SAUVER L'ÉPHÉMÈRE<br />
Roberto Rossellini<br />
India, Matri Buhmi<br />
(1959).<br />
comme c'est l'habitude <strong>des</strong> chiffres, qui identifient les séquences<br />
et qui sont inscrites sur les claps. L'image et le son<br />
étaient séparés, il a donc fallu les réunir, écouter les négatifsson<br />
afin d'entendre la lettre à laquelle ils correspondaient. Un<br />
premier montage a été ensuite effectué, dans la continuité chronologique<br />
du scénario, soit plus de quatre heures. Alain Fleischer<br />
en a réalisé une version d'une heure et demie. <strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
a en outre fait une sauvegarde de l'ensemble du matériel,<br />
consultable pour les chercheurs sur un support vidéo.<br />
Le Friquet (1913) est apparu sous son bon titre. C'était un négatif<br />
nitrate en très mauvais état. Il n'existait dans aucune autre<br />
archive. Le matériel positif que <strong>La</strong>nglois avait tiré du négatif<br />
nitrate, déjà incomplet dans les années soixante, a été également<br />
retrouvé. Mais depuis, le négatif s'était dégradé. Il a fallu<br />
repartir de cette copie tirée par <strong>La</strong>nglois (un très beau tirage<br />
<strong>des</strong> laboratoires Boyer), plus complet que ce qui reste actuellement<br />
du négatif, puis une autre boîte a été retrouvée au titre le<br />
Briquet. Le matériel de <strong>La</strong>nglois a été contretypé et a servi de<br />
copie-travail. Il ne manque désormais qu'un quart du film. Sabine<br />
Lenk s'est procurée le roman de Gyp et la pièce de Willy.<br />
<strong>La</strong> reconstitution de l'intertitrage fut assez compliquée. Un scénario<br />
de la version américaine, où les noms <strong>des</strong> personnages<br />
étaient changés, a cependant aidé à sa rédaction.<br />
Les mauvais films ont souvent besoin d'intertitrage. Au<br />
contraire, dans le cas du film de Tourneur, les plans transmettent<br />
une large part <strong>des</strong> enjeux dramatiques. <strong>La</strong> place <strong>des</strong> intertitres<br />
peut être repérée par un faux raccord évident entre deux<br />
plans. Une fois rédigés, ils sont envoyés au laboratoire pour<br />
choisir un graphisme de caractères et les tirer sur un support<br />
film. Les intertitres que l'on recrée ne doivent pas forcément<br />
tenter d'imiter le langage de l'époque, ni le moderniser. En revanche,<br />
il faut parfois alléger un intertitrage surabondant. Dans<br />
le cas de la Lutte pour la vie, (Leprince-Zecca, 1914), le scénario<br />
et l'intertitrage d'origine ont été retrouvés à la bibliothèque de<br />
l'Arsenal, mais la masse <strong>des</strong> intertitres très moralisateurs alourdissait<br />
les plans et donnait plus à lire qu'à voir. Outre qu'il est<br />
impossible de s'abstraire de sa propre époque, la détermination<br />
de ce qui vaut comme la version originale, pour le cinéma<br />
muet, est souvent problématique car à l'époque de la sortie <strong>des</strong><br />
films, les versions pouvaient varier. Les films nous parviennent<br />
souvent dans <strong>des</strong> états lacunaires, en plusieurs versions différentes,<br />
avec parfois <strong>des</strong> montages contradictoires. Mais jamais<br />
une image n'est enlevée lors d'une restauration.<br />
The Cold Deck est arrivé à l'inventaire sous le titre Grand<br />
Frère. Aux États-Unis et ailleurs, le film était considéré comme<br />
perdu. Il a donc été décidé de le restaurer. Pour l'intertitrage,<br />
il n'existait que <strong>des</strong> flash-titles, c'est-à-dire l'intertitre écrit sur<br />
une seule image, en anglais. Mais cette image était parfois grattée,<br />
pour être recouverte par d'autres indications. Ce qui était<br />
encore lisible a été relevé. Aux États-Unis, Richard Koszarski a<br />
retrouvé le scénario d'avant tournage, pourvu d'intertitres plus<br />
développés que les textes <strong>des</strong> flash-titles, prouvant donc qu'ils<br />
avaient été retravaillés et allégés après le tournage. Les textes<br />
anglais ont ensuite été traduits en français sur le même carton,<br />
pour obtenir une copie bilingue.<br />
RETOUR VERS LE FUTUR<br />
SAUVER L'ÉPHÉMÈRE-17<br />
<strong>La</strong> restauration de films plus récents, ou d'autres datant au<br />
contraire d'avant le début du siècle, pose <strong>des</strong> problèmes techniques<br />
particuliers qui nécessitent un recours aux nouvelles<br />
technologies.<br />
Roberto Rossellini avait donné à Henri <strong>La</strong>nglois la seule<br />
copie de la version française d'India, version qu'il considérait<br />
comme l'originale et qui fut celle présentée au Festival de<br />
Cannes en mai 1959. Cette copie, perdue puis retrouvée, perdait<br />
cette fois ses couleurs qui viraient toutes au rouge. Grâce<br />
aux compétences techniques acquises par le laboratoire Neyrac-Films,<br />
une restitution au plus proche <strong>des</strong> couleurs d'origine<br />
a pu être menée à terme. De même le son, qui était étouffé, a<br />
été éclairci et rendu de nouveau très audible.<br />
De la même façon, au début <strong>des</strong> années soixante-dix, Youssef<br />
Chahine avait remis à <strong>La</strong>nglois l'unique copie 70 mm du<br />
seul film coproduit par l'Égypte et l'URSS, An-Nil Oual Hayat<br />
(Un jour, le Nil). Pour <strong>des</strong> raisons politiques, le film fut censuré<br />
et Chahine obligé de le remonter, de rajouter <strong>des</strong> scènes et <strong>des</strong><br />
personnages, de changer le titre. Si bien que la première version<br />
donnée à la <strong>Ciné</strong>mathèque, la seule valable aux yeux du<br />
réalisateur, n'avait jamais été vue. Il a donc fallu passer du format<br />
70 mm, inexploitable à l'heure actuelle, à un format scope<br />
35 mm. Grâce au même laboratoire que pour India, cette<br />
prouesse technique a été réalisée. Aujourd'hui, et pour la première<br />
fois, An-Nil Oual Hayat est un film visible.<br />
<strong>La</strong> question du format et de son report sur pellicule 35 mm<br />
s'est reposée avec acuité pour parvenir à restaurer et montrer<br />
les films chronophotographiques d'Étienne-Jules Marey (1890-<br />
1900). A l'origine, ces « films » scientifiques, soit quatre cents<br />
négatifs nitrate d'un format variant entre 58 mm et 90 mm,<br />
d'une longueur comprise entre 80 cm et 1 mètre, et dont la finalité<br />
première n'était pas de servir pour une projection, ont<br />
été donnés à la <strong>Ciné</strong>mathèque par Lucien Bull, un élève de<br />
Marey. <strong>La</strong> restauration procède image par image : chacune est<br />
numérisée point par point, puis recopiée intégralement sur<br />
bande magnétique. Chaque secteur de cette image est ensuite<br />
traité avec une précision millimétrique : dérayage, stabilisation<br />
de l'image, harmonisation de l'éclairage, restauration <strong>des</strong> parties<br />
abîmées par prélèvement dans une image « saine » d'une<br />
partie équivalente. Ainsi, peut-on « reconstruire » un bout de<br />
mur manquant ou rendre son museau à un cheval... Bien sûr,<br />
ce type nouveau de restauration qui ne connaît pas de limites,<br />
doit impérativement s'en fixer pour ne pas basculer dans la représentation<br />
virtuelle. À terme (la restauration est en cours),<br />
ces ban<strong>des</strong> seront reportées sur une pellicule 35 mm et projetées.<br />
Ce sont quelques exemples de cette vie mal connue <strong>des</strong><br />
films, avant qu'ils soient rendus à la lumière <strong>des</strong> projecteurs et<br />
aux regards <strong>des</strong> spectateurs contemporains. À cette restitution,<br />
il faut ajouter une évaluation historique et critique, nécessaire<br />
à la mise en perspective de ces films et à l'exercice du goût, sans<br />
lesquels cette restitution relèverait de la piété : telle est l'ambition<br />
<strong>des</strong> films et <strong>des</strong> textes ici réunis.
AVERTISSEMENT<br />
Les noms et informations en romain dans les<br />
génériques proviennent chaque fois de la copie<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française. L'italique désigne une<br />
ou <strong>des</strong> sources documentaires extérieures à la<br />
copie et dont les références sont mentionnées<br />
dans la bibliographie générale. Si une<br />
documentation particulière a aussi été utilisée,<br />
ses références apparaissent au bas du relevé du<br />
générique.<br />
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE<br />
Henri Bousquet : Catalogue Pathé, <strong>des</strong> années<br />
1896 à 1914 ; 1907-1909 (H. Bousquet, 1993),<br />
1910-1911 (idem, 1994), 1912-1914 (idem,<br />
1995).<br />
Raymond Chirat, Éric Le Roy : Catalogue <strong>des</strong><br />
films français de fiction 1908-1918,<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française, 1995.<br />
Raymond Chirat : Catalogue <strong>des</strong> films français<br />
de long métrage,'films de fiction ; 1919-1929<br />
(<strong>Ciné</strong>mathèque de Toulouse, 1984), 1929-<br />
1939 (<strong>Ciné</strong>mathèque royale de Belgique,<br />
1981), 1940-1950 (<strong>Ciné</strong>mathèque municipale<br />
de Luxembourg, 1981).<br />
<strong>La</strong> Saison cinématographique : 1945-1947 (la<br />
Revue du <strong>Ciné</strong>ma, 1983), 1948-1949 (idem,<br />
1984), 1950-1951 (idem, 1985).<br />
The American Film Institute Catalog, feature<br />
films : 1911-1920 (University of California<br />
Press, 1988), 1921-1930 (R.R. Bowker<br />
Company, 1971), 1931-1940 (University of<br />
California Press, 1993).<br />
The Motion Picture Guide, Cinebooks,<br />
Chicago, 1985.<br />
ABRÉVIATIONS<br />
Real. : Réalisation.<br />
Prod. : Production (producteur).<br />
Dir. de prod. : Directeur de production.<br />
Prod. ass. : Producteur associé.<br />
Adapt. : Adaptation.<br />
Se. : Scénario.<br />
Dial. : Dialogues.<br />
Asst. réal. : Assistant réalisation.<br />
Dir. ph. : Direction de la photographie.<br />
Dir. art. : Direction artistique.<br />
Dec. : Décors.<br />
Cost. : Costumes.<br />
Maq. : Maquillage.<br />
Mont. : Montage.<br />
Mus. : Musique.<br />
Int. : Interprétation.<br />
Date de sortie (première projection publique<br />
dans le pays d'origine).<br />
Métrage, minutage copie Cf. (vitesse de<br />
projection conseillée).<br />
Doc. : Documentation.<br />
ETIENNE-JULES MAREY<br />
FILMS CHRONOPHOTOGRAPHIQUES<br />
1890-1900 - Etienne-Jules Marey<br />
Réal. : Etienne-Jules Marey, Georges Demeny, Félix<br />
Regnault, Lucien Bull, Pierre Noguès, Maxime Guérin-<br />
Catelain. Principaux lieux de tournage : Station<br />
physiologique, École de loinville, Naples. Noir et<br />
blanc. Doc. : Remerciements à <strong>La</strong>urent Mannoni.<br />
Restauration numérique et report sur pellicule<br />
35 mm de quatre cents négatifs originaux<br />
sur celluloïd Eastman ou Balagny, au<br />
format variant entre 58 mm et 90 mm. Liste<br />
<strong>des</strong> sujets par catégorie (les catégories ont été<br />
déterminées par Lucien Bull) : Homme (41),<br />
Homme athlète (42), Homme cycliste (10),<br />
Homme. Mouvements divers (30), Homme.<br />
Escrime (7), Homme. Jeux divers (10),<br />
Homme. Mouvements <strong>des</strong> membres (18),<br />
Homme nègre (44), Homme parlant (5),<br />
Homme soldat (6), Âne (4), Chat (11), Cheval<br />
(75), Chèvre (6), Chien (17), Insecte (10),<br />
<strong>La</strong>pin (32), Mouton (17), Oiseau (6), Poisson<br />
(3), Poule (6).<br />
LES RELIQUES EN ROULEAUX<br />
On les appelle films, ce qui sous-entend<br />
films de cinéma, tandis que les photographes<br />
parlent aussi de leur « film »<br />
(un rouleau pelliculaire progressivement<br />
déroulé dans la boîte noire). Mais peu importe<br />
après tout à quelle vitesse se succèdent<br />
les impressions d'<strong>images</strong> sur la<br />
bande. Car les films de Marey sont cela<br />
avant tout : une suite d'<strong>images</strong> sur une<br />
surface qui se dévide ; et un objet singulier<br />
qui n'est ni le film de cinéma, ni le film<br />
de photographe - d'un statut intermédiaire,<br />
comme transitoire entre ces deux<br />
états qui n'existent pas vraiment comme<br />
tels dans cet objet (le fixe et l'animable).<br />
C'est une étape, disent les historiens,<br />
mais aussi un cul de sac de l'illumination<br />
technique. Car chaque innovation du dispositif<br />
de production génère ses propres<br />
délimitations, ses irréductibilités, et ses<br />
impossibilités d'adaptation. Un dispositif<br />
technique tel que celui de la « chronophotographie<br />
sur pellicule mobile » de<br />
Marey (1889) reste exclusif, isolé, univoque<br />
et incompatible même avec les systèmes<br />
les plus proches. Et si le dispositif<br />
n'est pas entériné, ou s'il devient rapidement<br />
caduc, il sera désormais impossible<br />
de retraiter les <strong>images</strong> produites, dans les<br />
conditions initialement prévues. C'est ce<br />
qui se produit avec les « films » de Marey<br />
comme avec tant d'artefacts du précinéma<br />
: privés de leurs racines, de leur<br />
matrice, et orphelins de leur devenir. Un<br />
contenu extensif et potentiel, mais sans<br />
contenant exploitable.<br />
Pourtant, l'invention chronophotographique<br />
de Marey est une invention<br />
décisive, une avancée qui commande<br />
toutes les autres. <strong>La</strong> bande pelliculaire<br />
qui se déplace par sacca<strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> peut<br />
passer pour une idée simple, mais ne devient<br />
une évidence qu'a posteriori, lorsqu'on<br />
constate qu'elle est de l'ordre du<br />
possible et qu'elle « fonctionne ». Mais<br />
dès lors, elle est aussi soumise au désaveu<br />
inscrit dans l'inéluctable progrès <strong>des</strong><br />
innovations. Les poubelles de l'histoire<br />
ÉTIENNE-1ULES MAREY - 21<br />
<strong>des</strong> techniques (et <strong>des</strong> musées) débordent<br />
de solutions de génie qui n'eurent qu'un<br />
temps, celui d'une idée non-viable selon<br />
les lois de la génétique industrielle et du<br />
développement <strong>des</strong> systèmes.<br />
Une chronophotographie de Marey<br />
reste donc un objet spécifique inadaptable<br />
à d'autres systèmes de visionnement<br />
(et notamment à cette monstruosité<br />
de lisibilité factice que l'on appelle le cinématographe<br />
: ni sa mécanique de précision<br />
ni son esprit de suite ne sont en<br />
phase avec un système-Marey). Son inadéquation<br />
à d'autres modalités mécaniques<br />
se double ici d'une défiance de<br />
l'intention : Marey prétendait que « la<br />
projection ne pouvait rien lui apprendre<br />
de plus que l'analyse attentive du cliché »<br />
(Lucien Bull, 1954).<br />
Un « film chronophotographique » de<br />
1892 ne peut donc être consulté (abordé,<br />
lu, entériné, scruté, analysé) que par différents<br />
mo<strong>des</strong> de visionnement, potentiellement<br />
licites en 1892 :<br />
- en décalquant les formes sur du papier<br />
transparent et en superposant les<br />
calques (une forme de parfaite permanence<br />
rétinienne),<br />
- en rassemblant pêle-mêle ces formes<br />
sur un seul <strong>des</strong>sin (l'improbable<br />
combinaison du mille-pattes et de l'éventail),<br />
- en les observant au ralenti (en accéléré)<br />
dans un zootrope (la forme la plus<br />
heuristique de projection animée),<br />
- ou enfin (si l'on y tient vraiment) en<br />
les projetant avec un bec Auer sur une<br />
surface restreinte - ce qu'admettait<br />
Marey, à la rigueur. De toutes ces solutions,<br />
celle que nous attendons parce que<br />
nous sommes modernes (c'est-à-dire inféodés<br />
au cinéma) - la dernière - est la<br />
moins agréable, la moins utile et la moins<br />
bénéfique - donc la moins légitime - aux<br />
yeux de son inventeur. Il y aurait donc<br />
lieu d'en restaurer les modalités initiales.<br />
Un enregistrement est aussi (l'étymologie<br />
le valide) un registre d'expérience,<br />
un livre de comptes auquel on accède<br />
page par page, image par image, serait-
22 - FRANCE<br />
ce dans le désordre - un jeu de cartes que<br />
l'on abat dans l'attente d'en tirer le joker,<br />
cette image dans laquelle on verra autre<br />
chose (et si l'on projetait le film, la chose<br />
ne serait plus qu'une image subliminale).<br />
Restaurer, ce devrait être aussi rétablir<br />
une intégrité, une dignité de l'objet<br />
technique ; redonner une aura, c'est-àdire<br />
étendre la souveraineté de l'image,<br />
accroître ses pouvoirs. Et il y a chez<br />
Marey une recherche systématique du<br />
pouvoir voir qui demande à être restaurée...<br />
Le système-Marey consiste à produire<br />
<strong>des</strong> <strong>images</strong> à forte concentration<br />
d'information sur <strong>des</strong> sujets aussi inexplorés<br />
que peu attendus, constituant un<br />
vocabulaire de base du mouvement-ensoi,<br />
la stratigraphie méticuleuse d'une archéologie<br />
de ce-qui-bouge. Toutes délicatesses<br />
à exhumer, qui disparaîtraient<br />
dans une projection de type cinématographique.<br />
Restaurer ces films, c'est en<br />
conserver toutes les strates, tous les niveaux<br />
ouverts sur un traitement à venir,<br />
et redistribuer les modalités de visionnement<br />
(<strong>images</strong> isolées, planche de l'ensemble<br />
<strong>des</strong> vues, défilement à vitesse variable,<br />
projection), telles que Marey les<br />
aurait appréciées.<br />
Si l'on me permet un souvenir, ce<br />
pourrait être un « rêve fait à Boulogne » :<br />
il m'est arrivé, en 1976 sans doute, d'avoir<br />
accès - dans l'enceinte de l'Institut Marey<br />
du Bois de Boulogne - à l'ancien bureau<br />
de Lucien Bull, élève du maître. Ce bureau<br />
était resté inoccupé, et fermé à clé,<br />
les chercheurs du Collège de France qui<br />
avaient investi l'établissement le considérant<br />
comme zone neutre et protégée. Je<br />
dus cette faveur à l'intérêt paradoxal (et<br />
déplacé) que je portais aux travaux de<br />
l'ancêtre... Je pus m'asseoir dans le fauteuil<br />
de Bull et je vis bien vite alors, derrière<br />
moi, le meuble de classement à tiroirs<br />
plats, que je reconnus comme celui<br />
qui avait contenu les fameux films de<br />
Marey. Ces tiroirs étaient maintenant<br />
vi<strong>des</strong>, mais je les connaissais par une pho-<br />
tographie parue dans France-Illustration.<br />
C'était alors le seul indice pour moi, de<br />
l'existence de ces films et de leur survie<br />
(un temps, au moins), à un moment où<br />
on en avait perdu la trace. Surtout, j'avais<br />
pu lire les titres manuscrits bien visibles,<br />
inscrits sur les bagues de papier qui entouraient<br />
ces rouleaux serrés : « Homme<br />
nu lançant une roue », « main flexion et<br />
extension », « main ouverte puis fermée<br />
», « parole », « gestes » qui résonnaient<br />
étrangement pour moi dans ce<br />
contexte <strong>des</strong> années soixante-dix qui mêlait<br />
le body art et la sémiologie, l'image de<br />
soi et la séquence photographique... Je ne<br />
pouvais donc qu'en rêver les <strong>images</strong> au<br />
vu de ces indications sommaires.<br />
J'avais également supposé que ces<br />
films puissent avoir quitté leurs alvéoles<br />
pour rejoindre la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />
à l'occasion d'un don que fit Lucien<br />
Bull. Ils ne devaient y être retrouvés et répertoriés<br />
qu'en 1987. Les voir n'est donc<br />
plus du domaine du rêve, mais une prérogative<br />
de la conjoncture technologique<br />
qui pourrait restaurer ces films dans un<br />
état de visibilité (entre le fixe et l'animable)<br />
conforme aux intentions et à l'esprit<br />
de l'inventeur (i.e. sans les transformer<br />
d'autorité en un cinéma primitif).<br />
Les films chronophotographiques de<br />
Marey sont formés d'une bande de celluloïd<br />
transparent à laquelle adhère une<br />
couche de gélatino-bromure d'argent,<br />
d'environ 80 centimètres à 1 mètre de<br />
long, de 9 centimètres de large. Ils comportent<br />
en moyenne une quinzaine<br />
d'<strong>images</strong> non équidistantes, d'exposition<br />
lumineuse, obtenus à <strong>des</strong> vitesses variables,<br />
dans un chronophotographe à<br />
pellicule mobile (Marey en breveta plusieurs<br />
modèles de 1890 à 1898). Mais du<br />
fait de la rétraction de la gélatine, ces<br />
ban<strong>des</strong> ont une tendance naturelle à s'enrouler<br />
sur elles-mêmes pour former un<br />
rouleau qui ne peut être étalé au risque<br />
de le rompre. Tels qu'ils ont traversé le<br />
siècle, les films de Marey sont <strong>des</strong> rouleaux<br />
compacts de la taille d'un cigare,<br />
ÉTIENNE-JULES MAREY - 23<br />
« bagués » d'une feuille de papier sur laquelle<br />
une main de clerc avait inscrit le<br />
« sujet » comme on l'aurait fait <strong>des</strong> chapitres<br />
d'un précieux Traité (ce qu'ils sont<br />
aussi assurément). Dans leur compacité<br />
têtue à ne pas se révéler, ces rouleaux sont<br />
désormais à conserver comme <strong>des</strong> objets<br />
de croyance dont le contenu réel nous est<br />
inaccessible, d'antiques actes de foi, <strong>des</strong><br />
objets d'un âge nouveau dans lesquels le<br />
temps de chaque pose se replie sur luimême,<br />
en une spirale d'<strong>images</strong> pressée<br />
par leur force d'attraction.<br />
Il y a donc urgence à les restaurer, autrement<br />
dit à leur redonner vie et vue<br />
dans le même mouvement.<br />
Michel Frizot<br />
<strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française a coproduit en 1995 Préambule<br />
au cinématographe : Étienne-Jules Marey, une<br />
réalisation de Jean-Dominique <strong>La</strong>joux, avec un commentaire<br />
écrit par Michel Frizot (ndlr).
24- FRANCE<br />
SECUNDO DE CHOMON<br />
EL HADA PRIMAVERA<br />
LA FÉE PRINTEMPS<br />
1902 - Segundo de Chomôn<br />
Réal. : Segundo de Chomôn (Espagne).<br />
Effets spéciaux : Segundo de Chomôn. Une deuxième<br />
version de la Fée printemps a été tournée par Segundo<br />
de Chomôn, chez Pathé, en 1906.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 65 m., 4 mn (à 16 i/s).<br />
Couleurs (pochoir). Doc. : Juan Gabriel Tharrats : Los<br />
500 films de Segundo de Chomôn, Zaragoza, 1988.<br />
Henri Bousquet, Riccardo Redi : Pathé Frères, 1896-<br />
1906, Quaderni di cinéma, 1992.<br />
L'hiver. Un couple vivant dans la forêt<br />
recueille une vieille femme transie qui, subitement,<br />
se transforme en fée. Elle demande à ses<br />
bienfaiteurs leur souhait le plus cher. Un enfant<br />
? Elle arrête l'hiver, fait venir le printemps,<br />
cueille un bouquet qu'elle offre à la<br />
femme et disparaît. Deux beaux bébés émergent<br />
<strong>des</strong> fleurs.<br />
ALADIN<br />
OU LA LAMPE MERVEILLEUSE<br />
1906-Albert Capellani<br />
Réal. : Albert Capellani. Prod. : Pathé.<br />
Auteur : d'après un <strong>des</strong> Contes <strong>des</strong> Mille et Une Nuits.<br />
Dir. ph. : Segundo de Chomôn.<br />
Effets spéciaux : Segundo de Chomôn. Déc. : Hugues<br />
<strong>La</strong>urent. Métrage, minutage copie Cf. : 201 m., 11 mn<br />
(à 16 i/s). Intertitres français. Couleurs (pochoir).<br />
Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />
Aladin,fils d'un pauvre tailleur, aime la<br />
fille du sultan. Or, un sorcier l'envoie un jour<br />
au centre de la terre d'où le brave garçon ramène<br />
une lampe contenant un génie exauçant<br />
tous les vœux. Riche désormais, Aladin<br />
épouse la princesse. Mais le sorcier dérobe<br />
l'objet magique et revoilà notre homme aussi<br />
pauvre qu'avant. Finalement, il retrouve le<br />
voleur, le poignarde, récupère sa lampe et sa<br />
femme.<br />
LES DES MAGIQUES<br />
1907 ou 1908 - Segundo de Chomôn<br />
Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />
Dir. ph. : Segundo de Chomôn.<br />
Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 137 m., 7 mn (à 16 i/s).<br />
Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />
Sur une scène, suite d'apparitions et disparitions<br />
de personnages, transformations,<br />
multiplications autour de la figure centrale<br />
d'un dé à jouer. Un prestidigitateur orchestre<br />
<strong>des</strong> compositions avec ces cubes numérotés et<br />
finit lui-même par disparaître dans l'un<br />
d'entre eux avant de revenir saluer.<br />
LA LEGENDE DU FANTOME<br />
1908 - Segundo de Chomôn<br />
Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />
Se. : Segundo de Chomôn. Dir. ph. : Segundo de<br />
Chomôn. Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 288 m., 16 mn (à 16<br />
i/s). Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op.<br />
cit.<br />
Dans un cimetière, une jeune femme rencontre<br />
un fantôme qui lui demande d'aller<br />
chez Satan et de ramener une bouteille de vie.<br />
Accompagnée de quelques soldats revenus<br />
d'entre les morts, et à bord d'un étrange véhicule,<br />
elle <strong>des</strong>cend dans les entrailles de la<br />
terre. Une lutte féroce s'engage avec <strong>des</strong> diablotins<br />
pyrotechniciens. Seule rescapée de<br />
cette expédition infernale, la vaillante guerrière<br />
entame une remontée. Après une visite<br />
fort poétique <strong>des</strong> fonds marins, elle tend enfin<br />
l'elixir à celui qui l'attend. Alors, le fantôme<br />
redevient le prince qu'il était. Tout se termine<br />
au ciel par un mariage.<br />
CAUCHEMAR ET DOUX REVE<br />
1908 - Segundo de Chomôn<br />
Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />
Se. : Segundo de Chomôn. Dir. ph. : Segundo de<br />
Chomôn. Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />
Int. : julienne Mathieu.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 97 m., 5 mn (à 16 i/s).<br />
Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />
Une courtisane s'endort sur un banc au<br />
bord d'un étang. Un mauvais génie vien t peupler<br />
son sommeil d'un cauchemar ; elle est<br />
torturée par <strong>des</strong> nains dans une antre infernale<br />
où coule une rivière de diamants. Mais<br />
une bonne fée se penche sur la jeune fille endormie<br />
et lui insuffle le doux rêve d'être aimée<br />
par un galant homme. Au réveil, elle réalise<br />
que le rêve n'est pas la réalité; celui qui lui<br />
baise la main n'est qu'un vieux grigou.<br />
TRANSFORMATIONS<br />
AMUSANTES<br />
1908 ou 1909 - Segundo de Chomôn<br />
Réal. : Segundo de Chomôn. Prod. : Pathé.<br />
Se. : Segundo de Chomôn. Dir. ph. : Segundo de<br />
Chomôn. Effets spéciaux : Segundo de Chomôn.<br />
Int. : France Mathieu.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 95 m., 5 mn (à 16 i/s).<br />
Noir et blanc. Doc. : Juan Gabriel Tharrats : op. cit.<br />
Une magicienne met le feu à divers figurines<br />
et petits objets. Ils brûlent, se consument<br />
et, de leurs cendres, naissent d'autres<br />
formes par une sorte de combustion à l'envers.<br />
Puis, la jeune femme évolue dans unjardin<br />
féérique, peuplé de jolies créatures avant<br />
qu'un rideau de fumée ne recouvre le tout.<br />
SECUNDO DE CHOMÔN - 25<br />
El Hada Primavera<br />
(la Fée Printemps)<br />
Aladin ou la <strong>La</strong>mpe<br />
merveilleuse
26 - FRANCE<br />
UN FEU D'ARTIFICES<br />
Un génie bossu et débonnaire surgit<br />
d'un nuage de fumée, une jeune femme<br />
romanesque rêve à <strong>des</strong> tortures infernales,<br />
une bonne fée arrête la neige et fait<br />
éclore une floraison printanière...<br />
Segundo de Chomôn travaille du<br />
début du siècle à 1929 sur environ cinq<br />
cents films ; opérateur, réalisateur, scénariste<br />
ou créateur d'effets spéciaux, il est<br />
avant tout homme de spectacle, en ces<br />
temps reculés où le cinématographe ne<br />
fait pas encore « du cinéma ». Né en 1871<br />
à Teruel (Espagne), Chomôn appartient<br />
à ce XIX e siècle qui recycla, pour le meilleur<br />
et pour le pire, toutes les époques antérieures,<br />
jusqu'à ce que ces emprunts hétéroclites<br />
deviennent son style propre.<br />
Pour Chomôn, il s'agit de créer du merveilleux,<br />
et tous les moyens sont bons. Il<br />
utilise indifféremment dans le même film<br />
les machineries scéniques issues du théâtre<br />
et les possibilités inexplorées offertes<br />
par le cinéma. Le squelette volant, les<br />
transformations de l'héroïne en guerrière,<br />
ou du fantôme en Prince charmant,<br />
dans la Légende du fantôme, doivent leur<br />
efficacité à la technique nouvelle ; mais la<br />
longue visite <strong>des</strong> fonds marins s'effectue<br />
par une succession de levers de rideau<br />
sur <strong>des</strong> décors aquatiques, qui donne<br />
l'illusion de l'écoulement du temps. Dans<br />
les Dés magiques, le prestidigitateur se<br />
trouve carrément sur scène, souriant à un<br />
public absent. <strong>La</strong> caméra filme en plan<br />
fixe, depuis le fauteuil d'orchestre. L'espace<br />
scénique est le lieu de convention assumé,<br />
et les artifices <strong>des</strong> raccords, loin de<br />
chercher à établir une durée cinématographique,<br />
sont utilisés pour que coïncident<br />
le temps du film et le temps du numéro,<br />
dans un illusoire plan-séquence.<br />
<strong>Ciné</strong>ma et théâtre traités en égaux ! Le<br />
cinéphile traditionnel, voyeur individualiste,<br />
est souvent hermétique aux plaisirs<br />
de la scène, le poids de cette réalité qui se<br />
construit devant lui l'ennuie et l'oppresse,<br />
parfois jusqu'au malaise. Cet inconfort<br />
le rend sévère à l'égard du cinéma<br />
primitif, qui n'avait certes pas ces préoccupations,<br />
et l'archiviste collecteur de<br />
faits est ici plus à son affaire que le fétichiste<br />
collectionneur d'<strong>images</strong>.<br />
Les trucages sont encore rudimentaires<br />
: substitution, inversion <strong>des</strong> mouvements,<br />
surimpressions, mais leur simplicité<br />
seule n'explique pas la distance<br />
presque infranchissable qui s'est établie<br />
entre ces films et nous. Pour le public de<br />
la fin du XX e siècle, les effets spéciaux servent<br />
à la création « d'authentiques » univers<br />
fictifs, l'imaginaire doit être visuellement<br />
crédible, et les anticipations les<br />
plus improbables constituent aussi <strong>des</strong><br />
documentaires sur un futur inventé. En<br />
1945 déjà, le féerique de la Belle et la Bête<br />
était « réaliste ». Or Chomôn ou ses rivaux<br />
ne cherchaient pas à « faire vrai »,<br />
et le souci d'économie ou l'indulgence<br />
d'un public facilement conquis n'expliquent<br />
pas tout. Aladin, coiffé d'un<br />
étrange chapeau de concierge parisien,<br />
cherche la princesse dans une ville orientale<br />
inspirée <strong>des</strong> gravures du XIX e siècle ;<br />
les vases d'où jaillissent les pièces d'or<br />
sont traités en grisaille, et les contours incertains<br />
<strong>des</strong> couleurs au pochoir accentuent<br />
plus qu'ils ne combattent l'aplat de<br />
l'image. Dans la Légende du fantôme, la nature<br />
est reproduite sans souci de trompel'œil,<br />
les fleurs sortent du plancher,<br />
rai<strong>des</strong> et disciplinées, et pas un pétale ne<br />
bouge.<br />
Parfois le film obtient une permission<br />
de sortie <strong>des</strong> studios : la rêveuse de Cauchemar<br />
et doux rêve s'endort dans le cadre<br />
bucolique d'un jardin au bord d'un<br />
étang. Ailleurs, montées sur <strong>des</strong> chars,<br />
<strong>des</strong> guerrières échappées de l'enfer nous<br />
promènent en forêt (la Légende du fantôme).<br />
<strong>La</strong> séquence est longue, et sans<br />
autre événement que les passages répétés<br />
de demoiselles souriantes traversant<br />
le champ de la caméra ; la quête difficile<br />
de l'élixir de vie prend ainsi <strong>des</strong> allures<br />
de corso fleuri, mais le décor naturel<br />
reste... un décor. Il arrive que le cinéma<br />
surgisse <strong>des</strong> enfers, où le mouvement <strong>des</strong><br />
flammes sculpte <strong>des</strong> profondeurs plus<br />
mystérieuses que les grottes en cartonpâte<br />
peuplées de diablotins inoffensifs.<br />
Guerrière héroïque, courtisane alanguie,<br />
princesse orientale, la Femme est souveraine,<br />
c'est elle l'attraction principale <strong>des</strong><br />
films de Chomôn. Là où sa présence n'est<br />
pas indispensable, elle rusera pour s'imposer<br />
malgré tout, travestie en magicien,<br />
en Prince charmant ou en soldat. Elément<br />
décoratif inévitable <strong>des</strong> apothéoses, elle<br />
naît <strong>des</strong> parterres de fleurs ou du fond de<br />
la mer. Le spectateur espérait l'incarnation<br />
<strong>des</strong> créatures sinueuses de Mucha :<br />
il regarde, dubitatif et amusé, ces danseuses<br />
rebondies et maladroites qui faisaient<br />
sans doute rêver ses ancêtres.<br />
Transformations amusantes est heureusement<br />
soulagé de leurs charmes pesants ;<br />
Chomôn est un pyrotechnicien, et ici<br />
comme dans la plupart de ses films, apparitions<br />
et disparitions, créations et <strong>des</strong>tructions<br />
s'opèrent dans les flammes ou<br />
la fumée.<br />
Le cinéma, invention du XIX e siècle,<br />
distraction <strong>des</strong>tinée aux classes populaires,<br />
ignore encore le modernisme artistique,<br />
et même l'environnement esthétique<br />
de son temps. D'où ce paradoxe ici,<br />
d'un art nouveau aux références exclusivement<br />
anciennes. On n'attend pas Majorelle<br />
chez les frères Pathé, et Chomôn<br />
s'est résolument tourné vers le passé<br />
pour y trouver l'inspiration. Contes <strong>des</strong><br />
Mille et Une Nuits, roman gothique anglais,<br />
fantaisie XVIII e siècle, les scénarios<br />
prétextes à féerie se déroulent dans <strong>des</strong><br />
décors qui rappellent Viollet-le-Duc ou le<br />
goût forain pour la « Rocaille » industrielle.<br />
Pourtant dans cette auberge espagnole,<br />
le spectateur trouve finalement<br />
son compte. D'abord, le plaisir de Chomôn<br />
à inventer ses films est communicatif,<br />
ainsi que son humour, présent dans<br />
les histoires les plus linéaires. <strong>La</strong> fée Printemps<br />
exauce le vœu du pauvre bûcheron<br />
: il voulait un enfant ? Sa femme en<br />
aura deux ! Le couple misérable n'en demandait<br />
sans doute pas tant... Une plaisante<br />
spontanéité parcourt le cinéma de<br />
Chomôn. Les personnages de la commedia<br />
delTarte, les pioupious ou les muscadins<br />
s'échappent du dé magique, mais,<br />
une fois dehors, ne savent pas trop quoi<br />
faire ; un pas de danse et quelques acrobaties<br />
improvisées occupent alors le<br />
temps jusqu'au prochain trucage, l'or-<br />
donnance rigoureusement géométrique<br />
<strong>des</strong> dés à jouer s'achevant, elle, dans un<br />
joyeux effondrement.<br />
Chomôn, expérimentateur audacieux,<br />
passera difficilement le cap du XX e siècle.<br />
Après la Première Guerre mondiale, sa<br />
conception du merveilleux ne résistera<br />
SECUNDO DE CHOMÔN - 27<br />
pas à l'accélération de l'Histoire. Il mourra<br />
en 1929, à l'aube d'une nouvelle révolution<br />
cinématographique.<br />
De gauche à droite et<br />
de haut en bas :<br />
les Dés magiques,<br />
la Légende du fantôme,<br />
Cauchemar et Doux<br />
Rêves,<br />
Tranformations<br />
amusantes.<br />
Claudine Kaufmann
28 - FRANCE<br />
VICTORIN JASSET<br />
L'ÉTREINTE DE LA STATUE<br />
1908 - Victorin Jasset<br />
Réal. : Victorin jasset. Prod. : Éclair.<br />
Commentaire satirique (années trente) : Michel-<br />
Maurice Lévy, dit Bétove. Date de sortie : 25 août<br />
1908. Métrage, minutage copie Cf. : 165 m., 9 mn (à<br />
16 i/s) et 6 mn (à 24 i/s). Noir et blanc.<br />
Un sculpteur taille une femme de pierre.<br />
Un couple lui rend visite et l'homme tombe<br />
en arrêt devant la création de l'artiste. Seul<br />
avec la belle immobile, il lui déclare une flamme<br />
ardente. Sa compagne, qui a découvert<br />
l'étrange obsession, est au désespoir et veut<br />
se jeter dans la rivière quand une vieille<br />
femme un peu sorcière lui propose son aide.<br />
D'une formule magique, elle incarne la statue.<br />
Mais au moment où son amoureux veut<br />
l'étreindre, elle le serre si fort qu'il tombe inanimé.<br />
Ayant recouvré ses esprits, il jure à<br />
celle qui l'aime qu'on ne l'y reprendra plus.<br />
<strong>La</strong> statue a repris sa place et sa pose minérale.<br />
De retour, le sculpteur se remet au travail.<br />
LE BOUFFON<br />
1909 - Victorin Jasset<br />
Réal. : Victoria jasset. Prod. : Éclair.<br />
Commentaire satirique (années trente) : Michel-<br />
Maurice Lévy, dit Bétove. Int. : Henri Gouget, Teddy.<br />
Date de sortie : 17 avril 1909.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 261 m., 14 mn (à 16<br />
i/s) et 10 mn (à 24 i/s). Noir et blanc.<br />
Le bouffon a une très jolie fille. Or, le roi<br />
en tend profiter de la belle et la fait enlever. Les<br />
gar<strong>des</strong> jettent au cachot le père qui tentait de<br />
s'interposer. Mais la jeune fille qui a résisté<br />
tant qu'elle pouvait, s'effondre et meurt.<br />
Bientôt, le bouffon, libéré, ourdit une sombre<br />
vengeance. Après une première tentative<br />
manquée, il commande à une sorcière un poison<br />
qu'il mélange au vin du roi. Il assiste à<br />
l'agonie, puis jette le corps dans un étang. Le<br />
bouffon est vengé.<br />
VICTORIN MASO<br />
Ce sont de toute évidence, les premiers<br />
pas de Victorin Jasset chez Eclair.<br />
Cette société, fondée en mai 1907, ne<br />
connaîtra pas vraiment de production<br />
notable durant sa première année d'existence.<br />
C'est probablement l'arrivée du<br />
créateur de Protéa qui enclenche une véritable<br />
politique dans ce domaine. Comme<br />
on le sait, c'est l'invention d'un genre<br />
et d'un personnage, les aventures du détective<br />
Nick Carter, qui va lancer en 1908<br />
la société et le metteur en scène-producteur.<br />
Aussi est-on en droit de s'interroger<br />
sur l'authentique paternité de l'E trein te de<br />
la statue, très idyllique histoire dix-huitièmiste<br />
et pygmalionesque. Nous avons<br />
peine à croire en effet, que Jasset se préoccupait<br />
d'aimables rêves en costumes<br />
alors qu'il devait travailler intensément à<br />
l'adaptation cinématographique <strong>des</strong> aventures<br />
feuilletonesques du « roi <strong>des</strong> détectives<br />
». Mais pourquoi pas ? Les ban<strong>des</strong><br />
de cette époque sont courtes, les collaborateurs<br />
nombreux et peut-être le tournage<br />
a-t-il eu lieu lors de la première partie<br />
de 1908 (le premier Nick Carter est réalisé<br />
pendant l'été de cette année-là).<br />
Mais surtout, l'Etreinte de la statue<br />
s'inscrit dans une tradition féerique que<br />
probablement Jasset voulait ne pas répéter<br />
en venant chez Eclair. Méliès, Segundo<br />
de Chomôn et plus tard Gaston<br />
Velle (et encore plus tard Cocteau et<br />
Greenaway !) ont utilisé ce thème <strong>des</strong> statues<br />
qui s'animent, ces allers et retours<br />
optiques et mythologiques entre l'inanimé<br />
marmoréen et l'animé cinématographique.<br />
Iconographie idéale pour<br />
mettre précocement à l'épreuve les vertus<br />
oniriques de la cinégénie en prenant<br />
prétexte d'une histoire de possession<br />
amoureuse. Dans Song of Songs (le Cantique<br />
<strong>des</strong> cantiques, 1933), Rouben Mamoulian<br />
utilisera Marlene Dietrich pour<br />
de comparables ambiguïtés entre le corps<br />
sculpté et le corps réel. C'est donc moins<br />
qu'un thème, plutôt une imagerie, qui<br />
trouvera au XIX e siècle <strong>des</strong> occasions<br />
multiples de s'incarner en fantasmes érotico-symbolistes.<br />
Ces extraits de la Vénus<br />
à la fourrure de Sacher-Masoch (1870),<br />
sont ainsi frappants tant ils paraissent se<br />
confondre avec certains tableaux du film<br />
de Jasset.<br />
« Au fond, la belle femme là-haut<br />
m'intéresse fort peu, car je suis amoureux<br />
d'une autre, amoureux et malheureux,<br />
bien plus que le chevalier de Toggenburg<br />
ou bien le chevalier <strong>des</strong> Grieux, car celle<br />
que j'aime est en pierre. Dans le jardin,<br />
dans ce petit enclos sauvage, se trouve un<br />
adorable petit pré où paissent pacifiquement<br />
quelques chevreuils apprivoisés.<br />
Au milieu de ce pré s'élève la statue d'une<br />
Vénus en pierre ; l'original se trouve, je<br />
crois, à Florence ; cette Vénus est la<br />
femme la plus belle que j'ai jamais vue de<br />
ma vie (...) Il suffit de dire que cette Vénus<br />
est belle, et que je l'aime passionnément,<br />
maladivement, follement (...) Parfois, je<br />
rends visite de nuit à ma froide et cruelle<br />
bien-aimée, je me mets à genoux devant<br />
elle, le visage collé à la froide pierre qui<br />
porte ses pieds, et je fais acte d'adoration.<br />
Une fois, en revenant de ma dévotion<br />
nocturne, (...) je crus que la belle femme<br />
de marbre, prise de pitié pour moi, s'était<br />
rendue vivante pour me suivre (...) j'aperçois<br />
Vénus, la belle femme de pierre, mais<br />
non, la vraie déesse de l'amour au sang<br />
chaud et au pouls vivant, assise devant<br />
moi sur un banc de pierre. Oui, elle m'est<br />
devenue vivante, comme cette statue qui,<br />
pour son maître, se mit à respirer (...) ses<br />
lèvres sont déjà rouges et ses joues prennent<br />
<strong>des</strong> couleurs et de ses yeux deux diaboliques<br />
rayons verts me pénètrent, et<br />
voici qu'elle rit. »<br />
« Tableaux » en effet. C'est dans Protéa<br />
que l'on devine la conquête d'une plus<br />
grande fluidité narrative et moins de rigidité<br />
dans l'interprétation <strong>des</strong> acteurs.<br />
Les plans extérieurs de jardin n'en<br />
sont pas moins élégants. Guère avare<br />
d'espace filmé, Jasset inverse <strong>des</strong> conventions<br />
déjà fortement ancrées : il met en<br />
scène l'obsession dans <strong>des</strong> décors réels et<br />
la vie raisonnable est au contraire filmée<br />
en décors extravagants. Hormis son substrat<br />
littéraire et mythologique, cette inversion<br />
est l'intérêt principal du film.<br />
Le Bouffon, attribué à Jasset (mais<br />
peut-être s'agit-il du film de Gérard<br />
Bourgeois, le Bouffon du roi, réalisé aussi<br />
en 1909), est plus conventionnel encore<br />
dans le cinéma <strong>des</strong> premiers temps. Il est<br />
même relativement tardif par plusieurs<br />
aspects : toiles peintes, plans-tableaux,<br />
interprétation grossière <strong>des</strong> acteurs, thème<br />
moyenâgeux et féerique convenu...<br />
Néanmoins au terme du film, un curieux<br />
effet se produit. Le méchant roi responsable<br />
de la mort de la belle, sombre<br />
dans un apparent abattement qui attire la<br />
sympathie. Le personnage du père vengeur<br />
ne sort pas très grandi de cette bouffonnerie<br />
tragique et burlesquement médiévale.<br />
Encore très marqué par la pantomime,<br />
le dernier plan filmé sur un étang<br />
est pourtant beau, digne d'un petit maître<br />
de la peinture « troubadour ». Ces deux<br />
films de Jasset pâtissent d'une invraisemblable<br />
sonorisation satirique <strong>des</strong> années<br />
trente (grâce à laquelle, paradoxalement,<br />
ces films sont parvenus jusqu'à<br />
nous), mêlant une partition improvisée<br />
au piano et d'effarants commentaires ou<br />
borborygmes potaches.<br />
Dominique Païni<br />
En haut : l'Étreinte de la<br />
statue. En bas : le Bouffon.<br />
VICTORIN JASSET-29
L'Hôtel du silence.<br />
30 - FRANCE<br />
EMILE COHL<br />
L'HOTEL DU SILENCE<br />
1908 - Émile Cohl<br />
Réal. : Émile Cohl. Prod. : Gaumont. Se. : Émile Cohl.<br />
Date de sortie : 12 octobre 1908.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 223 m., 11 mn (à 18<br />
i/s). Noir et blanc.<br />
Un voyageur entre dans un hôtel qui semble<br />
inhabité. Mais voilà qu'une table s'avance<br />
vers lui,quele registre s'ouvre et quel 'homme<br />
se retrouve la plume à la main. Une fois dans<br />
sa chambre, les déplacements d'objets et autres<br />
phénomènes bizarres continuent. A-t-il<br />
faim ? Aussitôt, une table toute servie apparaît,<br />
sortie du plancher, mais disparaît ensuite.<br />
Il se déshabille pour se coucher et ses affaires<br />
se rangent toutes seules. À peine dans<br />
son lit, il en est éjecté. Ébouillanté par le café,<br />
littéralement douché quand il veut faire un<br />
brin de toilette, son bonheur mécanique tourne<br />
au cauchemar. Furieux, il quitte les lieux<br />
non sans quelques nouveaux déboires et à la<br />
réception une note longue comme le bras l'attend.<br />
Pour échapper à cet hôtel pas comme les<br />
autres, il devra payer le prix fort sans oublier<br />
le pourboire...<br />
LE COTTAGE HANTE<br />
1913<br />
Prod. : Pathé-Nizza. Date de sortie : 6 juin 1913.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 95 m., 5 mn (à 18 i/s).<br />
Générique reconstitué. Noir et blanc.<br />
Un cambrioleur veut pénétrer dans une<br />
villa inhabitée. Mais il a compté sans la résistance<br />
<strong>des</strong> éléments. Les grilles s'élèvent, le<br />
mur d'enceinte s'écroule sur l'infortuné, le<br />
portail bascule, les volets donnent <strong>des</strong> claques,<br />
un pot de fleurs lui tombe sur la tête. A l'intérieur,<br />
le supplice continue ; les objets sont<br />
déchaînés. Dans la cave, il est bourré de coups,<br />
enfoncé dans un tonneau, arrosé, finalement<br />
tracté par une grande pince à l'étage supérieur.<br />
Cette fois, une table et une chaise s'écrasent<br />
sous son poids, un tabouret le monte au<br />
plafond et le fait traverser. Au grenier, suite<br />
<strong>des</strong> sévices : coups de poings, coups de feu, fumigènes.<br />
Finalement, l'intrus s'expulse par<br />
la fenêtre et s'empale au sol sur une planche<br />
à clous. Deux policiers qui passaient par là<br />
l'escortent en riant au commissariat.<br />
BALAIS MECANIQUES<br />
Quinzième titre répertorié (catégorie<br />
film à trucs) dans la filmographie d'Emile<br />
Cohl, huis clos en trois actes et deux tableaux<br />
filmés frontalement, en plan général,<br />
l'Hôtel du silence se déroule comme<br />
sur une scène de théâtre. Le client solitaire<br />
n'a d'emblée pour tout interlocuteur<br />
qu'un encrier et une plume d'oie sollicitant<br />
son paraphe dans le bureau de réception.<br />
Sa valise, glissant sur le sol, lui<br />
indique le chemin de sa chambre. A peine<br />
a-t-il retiré son manteau, déposé sa canne<br />
et son chapeau, que son gilet échappe au<br />
contrôle de notre bourgeois barbu bientôt<br />
en butte à d'intempestives embardées<br />
du mobilier.<br />
Cette aimable pantomime, mettant<br />
aux prises un unique interprète (de chair<br />
et d'os) avec d'imprévisibles ustensiles<br />
s'offrant puis se dérobant à sa convoitise,<br />
annonce en quelque sorte les péripéties<br />
d'un Acte sans paroles de Samuel Beckett,<br />
ou ressemble à une ébauche de chaussetrapes<br />
chaplinesques (un cobaye humain<br />
exposé aux délices télécommandés <strong>des</strong><br />
Temps Modernes). En amont de sa création,<br />
cette bande comique s'origine dans<br />
un XIX e siècle machinique encore frais et<br />
déjà saisi en son temps dans sa drôlerie<br />
et son inquiétante puissance par Jules<br />
Verne \ Mais elle se rattache plus directement<br />
aux sortilèges de The Haunted<br />
Hôtel (l'Hôtel hanté), réalisé un an auparavant<br />
par l'Américain Stuart Blackton 2 ,<br />
voire à El Hôtel Electrico (l'Hôtel électrique)<br />
datant de 1905 et dû à un autre pionnier,<br />
le Catalan Segundo de Chomôn. Cette<br />
courte bande n'en atteste pas moins de la<br />
polyvalence du père du « Fantoche ».<br />
Tout à la fois scénariste, truqueur et opérateur<br />
chez Gaumont, ce réalisateur à<br />
part entière pouvait également se charger<br />
du développement de la pellicule.<br />
Comme un écho au film de Cohl, le Cottage<br />
hanté reproduit et reconduit la situation<br />
(tragi-) comique d'un homme seul<br />
dans un lieu clos, habité par ses objets et<br />
hostile, à laquelle s'ajoute une inversion<br />
qui renforce l'identité : cette fois, la difficulté<br />
n'est plus d'en sortir mais d'y entrer !<br />
Multipliant à plaisir les mésaventures<br />
d'un fringant monte-en-l'air (un pro de<br />
la cambriole, la boîte à outils en bandoulière),<br />
cette farce de la maison Pathé est<br />
très représentative d'un divertissement<br />
encore forain, combinant allègrement les<br />
bastonna<strong>des</strong> et turlupina<strong>des</strong> <strong>des</strong> bateleurs<br />
de tréteaux à la magie du trucage<br />
(la reconstruction en accéléré d'une muraille<br />
obtenue par tirage inversé au labo).<br />
Ne parvenant pas à crocheter la serrure<br />
d'un attirant pavillon de banlieue, notre<br />
casse-cou intrépide progresse dans son<br />
exploration <strong>des</strong> lieux en dépit de divers<br />
phénomènes dissuasifs : une succession<br />
de traquenards le plus souvent enregistrés<br />
en direct, au moyen de divers accessoires<br />
et praticables (reliés à <strong>des</strong> dispositifs<br />
mécanisés manipulés hors champ).<br />
Cette guignolade non dénuée de cruauté<br />
(le délinquant de plus en plus mal en<br />
point étant finalement embarqué par <strong>des</strong><br />
représentants goguenards de la maréchaussée)<br />
n'est pas sans parenté avec certaines<br />
transes plus contemporaines de<br />
l'humour <strong>des</strong>troy dans le jeune cinéma<br />
français. Avec parfois un surcroît de férocité<br />
aux dépens d'un infortuné héros<br />
(même pas délinquant, seulement en<br />
quête de logement), entraîné dans un Corridor<br />
infernal par d'infâmes tauliers 3 ...<br />
Michel Roudevitch<br />
1 «... il saute rapidement hors du lit, et pénètre dans<br />
son habilleuse mécanique. Deux minutes après, sans<br />
qu'il eût recours à l'aide d'un valet de chambre, la<br />
machine le déposait, lavé, coiffé, chaussé, vêtu et boutonné<br />
du haut en bas, sur le seuil de ses bureaux »<br />
Qules Verne : la Journée d'un journaliste américain en<br />
2889, in Hier et Demain).<br />
2 Cohl en élucida les mystères (« one turn, one picture<br />
») pour les techniciens de Gaumont, lors de la<br />
présentation du film à Paris en 1907.<br />
3 Le Corridor d'Alain Robak et d'autres courts métrages<br />
ont été distribués en salles sous le label Adrénaline<br />
(1989).
Suzanne Grandais<br />
LE CHRYSANTHEME ROUGE<br />
1911 - Léonce Perret<br />
Réal. : Léonce Perret. Prod. : Gaumont. Int. : Suzanne<br />
Grandais (Miss Suzie), Léonce Perret.<br />
Date de sortie : 16 février 1912.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 273 m., 15 mn (à 16<br />
i/s). Générique et intertitres français reconstitués. Noir<br />
et blanc, un plan colorié.<br />
Une jeune femme indépendante est courtisée<br />
par deux hommes. Elle promet son cœur<br />
à celui qui lui offrira le plus beau bouquet de<br />
fleurs. Et voilà les deux rivaux dévalisant les<br />
fleuristes de Paris et revenant les bras chargés.<br />
<strong>La</strong> coquette est sensible à cet hommage<br />
rendu à sa beauté mais reste intouchable. Elle<br />
avoue n'aimer que les chrysanthèmes. Les<br />
prétendants repartent en quête de ce nouveau<br />
sésame et se présentent cette fois avec les préférées<br />
de la belle. Mais ce sont les rouges<br />
qu'elle affectionne... L'un <strong>des</strong> deux soupirants<br />
se précipite à l'extérieur mais l'autre<br />
reste, prend un chrysanthème blanc et s'ouvre<br />
la veine du poignet pour le tein ter de son sang.<br />
Subjuguée par cet acte fou, la jeune femme est<br />
conquise. Elle le soigne. À son retour, le rival<br />
malheureux constate sa défaite. Bon perdant<br />
et galant homme, il se retire.<br />
MARGUERITES<br />
ET CHRYSANTHÈMES<br />
1911. Le cinéma est dans « l'enfance de<br />
l'art ». Moment de candeur (supposée),<br />
d'ignorance (feinte) <strong>des</strong> références culturelles,<br />
et de spontanéité (calculée) parfois<br />
<strong>des</strong>tructrice. Cela est vrai pour les films les<br />
plus inventifs. Pour le reste, <strong>des</strong> acteurs,<br />
souvent médiocres, évoluent sans grâce<br />
entre un inévitable buffet Henri II et une<br />
table à laquelle on craint de les voir s'asseoir,<br />
car c'est l'annonce presque certaine<br />
de l'écriture d'une interminable lettre,<br />
unique moyen de faire progresser un récit<br />
corseté de morale bourgeoise. Ou bien ce<br />
sont de pesantes reconstitutions historiques,<br />
où <strong>des</strong> Cléopâtre trop en chair séduisent<br />
<strong>des</strong> Marc Antoine au physique de<br />
sous-préfet, le tout sur fond de toile peinte.<br />
Ou encore <strong>des</strong> comiques, troupiers ou<br />
non, s'efforçant, à grand renfort de grimaces,<br />
de rendre le public complice de<br />
leurs facéties graveleuses.<br />
Mais dans ce qui est déjà à l'époque le<br />
grenier du pire bric-à-brac XIX e siècle,<br />
vont naître <strong>des</strong> films rares, annonciateurs<br />
de subtilités à venir : le Chrysanthème rouge<br />
est de ceux-là.<br />
Le film de Léonce Perret est d'abord<br />
un petit manifeste symboliste ironique et<br />
léger. L'assimilation de la Femme à la<br />
Fleur, thème de prédilection, revient constamment.<br />
Lorsque l'héroïne de ce petit<br />
film Gaumont (la firme à la marguerite)<br />
reçoit ses bouquets, les plans généraux<br />
sont, à chaque brassée, entrecoupés de<br />
gros plans de l'actrice humant leur parfum.<br />
Ces gros plans nous permettent d'admirer<br />
autant de tableaux de Suzanne<br />
Grandais, petite Mélisande à la coiffure<br />
moyenâgeuse, et de mieux comprendre<br />
l'amour qu'elle sait inspirer. <strong>La</strong> fleuriste<br />
dans sa boutique est presque happée par<br />
l'amoncellement de fleurs en arrière-plan<br />
et finit par se confondre avec elles. Autre<br />
référence symboliste : lorsque l'un <strong>des</strong><br />
prétendants va acheter ses bouquets, il<br />
passe devant une colonne Morris sur laquelle<br />
on peut voir l'affiche d'un spectacle<br />
d'Isadora Duncan.<br />
Le sujet du film est le lien fatidique<br />
entre le sang et l'amour mais, loin <strong>des</strong> morbidités<br />
fin de siècle, l'aimable marivaudage<br />
ne fait qu'... effleurer la tragédie. Cependant,<br />
le mélange <strong>des</strong> genres ne se pratiquait<br />
guère alors, et, dans la scène du sacrifice,<br />
la brutale rupture de ton a dû en<br />
surprendre plus d'un - elle nous surprend<br />
encore.<br />
Le grand talent de Léonce Perret est de<br />
ne pas se contenter de dresser un inventaire<br />
<strong>des</strong> thèmes symbolistes à usage purement<br />
décoratif, mais de toujours rendre<br />
ces thèmes moteurs de l'histoire. Son regard<br />
sur un mouvement artistique déjà<br />
sur le déclin est quelque peu nostalgique,<br />
mais il sait utiliser pour son propos <strong>des</strong><br />
moyens qui sont davantage ceux d'un<br />
pionnier que d'un esthète décadent.<br />
Le scénario reprend la structure conventionnelle<br />
<strong>des</strong> contes de fées : une princesse<br />
exigeante qu'il faut conquérir et,<br />
pour les prétendants, trois épreuves, de<br />
plus en plus difficiles à accomplir. Le récit<br />
est fluide, les plans s'enchaînent sans la<br />
nécessité d'un intertitrage lourdement explicatif<br />
ou utilisé comme cache-misère de<br />
raccords approximatifs. C'est l'héroïne<br />
elle-même, d'ailleurs, qui donne le ton :<br />
aux deux hommes qui espéraient la séduire<br />
par <strong>des</strong> déclarations ampoulées, elle<br />
impose silence... et action.<br />
Suzanne Grandais, actrice à la silhouette<br />
inhabituelle, joue un type de femme<br />
bien éloigné <strong>des</strong> poncifs de l'époque :<br />
elle vit seule, sait ce qu'elle veut, décide et<br />
ne subit pas, ce qui n'exclut pas douceur<br />
et compassion. Léonce Perret nous la<br />
montre au début du film fumant avec<br />
grâce une cigarette, symbole de son émancipation<br />
et accessoire cinématographique<br />
promis à un bel avenir.<br />
Suprême élégance : le réalisateur s'est<br />
réservé le rôle du prétendant évincé, coupable<br />
de manquer, non de générosité,<br />
mais plutôt d'imagination. C'est un reproche<br />
qu'on ne saurait adresser à Léonce<br />
Perret.<br />
Claudine Kaufmann
N1CK WINTER ET LES AS DE TREFLE<br />
1913 - Paul Garbagni<br />
Réal. : Paul Garbagni. Prod. : Pathé. Se. : Maurice<br />
André Maître. Int. : Georges Vinter alias Paul Pinvert<br />
(Nick Winter). Date de sortie : 20 mai 1913.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 400 m., 19 mn (à 18<br />
i/s). Noir et blanc.<br />
Le Club <strong>des</strong> As de trèfle, association de<br />
malfaiteurs, a juré la perte de son grand ennemi,<br />
Nick Winter. Deux d'entre eux, grimés<br />
et méconnaissables, s'introduisent sous un<br />
prétexte fallacieux chez le célèbre détective,<br />
soudain le ceinturent et, d'une piqûre au cou,<br />
lui inoculent la rage. Rire dément, bave, convulsions,<br />
l'infortuné est conduit dans cet état<br />
à l'hôpital où une autre injection le sauve in<br />
extremis. Remis, le fin limier se lance sur la<br />
piste de ses agresseurs qui passe d'abord par<br />
un décor de ruines, lieu de rendez-vous <strong>des</strong><br />
brigands, puis par un cabaret où il entre déguisé.<br />
Peine perdue. Il est immédiatement démasqué<br />
pour avoir négligé un détail : il n'a<br />
pas un trèfle tatoué sur l'avant-bras, jeté dans<br />
une cave où l'eau monte, attaché à un pilier,<br />
il va périr noyé. Alors Nick Winter libère un<br />
bras, allume sa pipe et en tire de gran<strong>des</strong> bouffées<br />
qui montent jusqu'au plafond et alertent<br />
la police, prévenue précédemment par le prudent<br />
détective. À l'ultime moment, il est dé-<br />
livré.<br />
GENDARMES ET VOLEURS<br />
On se moque seulement de ce qui<br />
compte, c'est bien connu. Du succès de la<br />
série Nick Carter, le roi <strong>des</strong> détectives, lancée<br />
par Victorin Jasset en 1908, vont naître<br />
plusieurs imitations parodiques. Chez<br />
Eclipse, la série Arthème Dupin s'en prend<br />
au mythe d'Arsène Lupin. Chez Pathé, au<br />
lieu de tourner en ridicule l'inspecteur<br />
Ganimard - ce que le gentleman cambrioleur<br />
fait très bien lui-même -, on s'en<br />
prend explicitement au personnage popularisé<br />
par Jasset avec Nick Winter<br />
l'adroit détective.<br />
Depuis son apparition sous ce titre, le<br />
5 août 1910, le rival facétieux inspire une<br />
trentaine de ban<strong>des</strong> jusqu'en juin 1914.<br />
Le tout forme, à l'origine, une série comique<br />
tout comme Rigadin, Calino, Patouiïlard<br />
ou Bébé ; la seule différence étant<br />
que le héros exerce (avec plus ou moins<br />
de maladresse) la profession de détective.<br />
Les titres <strong>des</strong> premières ban<strong>des</strong> sont<br />
significatifs : Nick Winter et le perroquet de<br />
Mlle Durand, Dick Johnson le voleur gentleman<br />
contre Nick Winter, le Pickpocket mystifié.<br />
L'adroit détective va d'ailleurs se<br />
mesurer à d'autres vedettes comiques de<br />
Pathé : Max Linder contre Nick Winter ou<br />
Little Moritz élève de Nick Winter.<br />
Ces ban<strong>des</strong> d'environ un quart d'heure<br />
(souvent mises en scène par Paul Garbagni<br />
d'après <strong>des</strong> auteurs anonymes ou<br />
divers) procèdent d'un comique épais.<br />
Avec une gueule de bouledogue, flanquée<br />
de deux côtelettes noires et d'une<br />
moustache à la Groucho, un chapeau<br />
melon vissé sur le crâne et <strong>des</strong> croquenots,<br />
le héros, à quatre pattes, témoignait<br />
de son flair et brandissait une loupe dé-<br />
mesurée...<br />
En 1912, à partir de la Résurrection de<br />
Nick Winter, le personnage change et devient<br />
sérieux. Comme si une entente était<br />
conclue entre le cambrioleur et le défenseur<br />
de l'ordre, Arthème Dupin devient<br />
Arthème tout court ; il cesse de se référer<br />
à Arsène Lupin et à un contexte policier<br />
pour sacrifier à un comique classique.<br />
Nick Winter cesse de provoquer pour devenir<br />
le héros d'une véritable série policière<br />
et un détective respectable si l'on en<br />
juge par une pipe à la Sherlock Holmes,<br />
par le sérieux <strong>des</strong> titres (Plus fort que Sherlock<br />
Holmes, Nick Winter et le mystère de la<br />
Tamise) et par l'augmentation de la durée.<br />
Elle atteint cinquante cinq minutes dans<br />
Nick Winter et l'homme au masque (juin<br />
1914).<br />
De l'humour originel de la série, il<br />
reste quelques traces dans Nick Winter et<br />
les As de trèfle. Les bandits ont l'idée d'inoculer<br />
au détective... la rage, au lieu d'un<br />
poison plus expéditif mais plus banal. À<br />
peine guéri, le héros s'introduit, déguisé<br />
en mendiant, dans leur repaire et s'étonne<br />
d'être démasqué aussitôt. Un loubard<br />
imposant retrousse alors sa manche et<br />
met sous le nez du détective un biceps volumineux<br />
tatoué d'un as de trèfle, symbole<br />
de reconnaissance entre les membres<br />
de cette confrérie du Mal. D'insidieux,<br />
l'humour devient presque burlesque<br />
dans la scène finale. Nick est jeté<br />
dans une cave qui se remplit d'eau. Juste<br />
avant qu'elle n'atteigne son menton, il<br />
parvient à allumer sa pipe... aussi active<br />
qu'une cheminée de locomotive. Les<br />
bouffées de fumée passent par les interstices<br />
de la trappe, alertent la police ve-<br />
nue à sa recherche et le sauvent !<br />
Ici rien de comparable, bien sûr, aux<br />
performances de Jasset (Zigomar, Balaoo,<br />
Protéa) ou de Feuillade (Fantômas, les<br />
Vampires). Mais une mise en scène alerte,<br />
une photographie soulignant la poésie<br />
<strong>des</strong> extérieurs, permet à Nick Winter de<br />
rivaliser avec les petites séries qui foisonnent<br />
dans le sillage de Nick Carter : Nat<br />
Pinkerton, Main de fer, Dick Turpin, Barnet<br />
Parker, Harry Wilson...<br />
L'interprète de Nick Winter est en<br />
même temps celui de la série Fouinard. En<br />
1920-1921, avec la complicité de Garbagni,<br />
il tentera de ressusciter « l'adroit détective<br />
» dans trois films d'une heure (le<br />
Secret d'Argeville, le Dossier 33, le Coffret<br />
d'Agathe) et un sériai en dix épiso<strong>des</strong>, Nick<br />
Winter et ses aventures. Disparu <strong>des</strong><br />
écrans, mais non du milieu cinématographique,<br />
l'ex-acteur poursuit jusque vers<br />
1935 une carrière d'assistant-réalisateur<br />
sous le nom de... Nick Winter. Le personnage<br />
avait obsédé l'interprète au<br />
point que Jean-Louis Bouquet, qui le côtoya<br />
à la Société <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans, était<br />
persuadé qu'il utilisait son véritable étatcivil.<br />
Henri Debain m'a affirmé, et je l'ai<br />
cru, qu'il s'appelait Georges Vinter ou<br />
Winter. Pour Georges Sadoul, il s'agissait<br />
d'un ancien agent de police du nom de<br />
Léon Durac. Le recensement de 1936 révèle<br />
qu'au domicile annoncé par Nick<br />
Winter dans les annuaires professionnels<br />
résidait un « cinématographiste » nommé<br />
Paul Pinvert : après quatre-vingts ans<br />
de « suspense », Nick Winter a livré son<br />
dernier secret.<br />
Francis <strong>La</strong>cassin
36 - FRANCE<br />
PROTÉA<br />
1913 -Victorin Jasset<br />
Réal. : Victorin Jasset. Prod. : Éclair. Se. : Victorin<br />
Jasset. Dir. ph. : Lucien Andriot. Int. : Josette Andriot<br />
(Protéa), Lucien Bataille (l'Anguille), Charles Krauss (le<br />
baron de Nyborg), Henri Gouget (M. de Robertsau),<br />
Jacques Feyder. Date de sortie : 5 septembre 1913.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 857 m., 38 mn<br />
(à 20 i/s). Génériques et intertitres français reconstitués<br />
(Francis <strong>La</strong>cassin). Noir et blanc. Doc. : Jacques<br />
Deslan<strong>des</strong> : Anthologie du cinéma, vol. 9, L'Avant-<br />
Scène, 1976.<br />
Un traité d'alliance a été signé entre deux<br />
grands États européens voisins, la Celtie et la<br />
Slavonie. L'Empire de Messénie charge l'espionne<br />
Protéa de voler le document. Secondée<br />
par l'Anguille, un acrobate hors pair, elle part<br />
pour la Celtie. Mais l'ambassadeur de Slavonie<br />
dépêche le comte de Varallo afin de la retarder.<br />
Peine perdue. Dans l'Orient Express,<br />
à la faveur d'un habile déguisement et d'un<br />
tour de passe-passe, elle fait arrêter le comte<br />
pour contrebande et poursuit sa mission. Par<br />
deux fois, elle et l'Anguille échouent à subtiliser<br />
le traité au ministre <strong>des</strong> Affaires étrangères<br />
de Celtie, M. de Robertsau. Mais la troisième<br />
est la bonne. Le plénipotentiaire donne<br />
un bal et nos deux intrépi<strong>des</strong> s'invitent, l'une<br />
déguisée en musicienne tzigane, l'autre en<br />
valet. Aïe ! Le comte de Varallo, fraîchement<br />
libéré, la reconnaît. Nouveau déguisement et<br />
fuite avec le document en poche. Pour arriver<br />
incognito jusqu'à la frontière, ils se joignent<br />
à une ménagerie ambulante, Protéa en dompteuse<br />
de lions tandis que l'Anguille fait le<br />
singe. Mais l'aubergiste du « Pigeon doré »<br />
identifie la belle et prévient l'ambassadeur de<br />
Celtie qui, illico, délègue Max, son meilleur<br />
policier. Sentant le danger, Protéa a mis le documen<br />
t sous la garde de la lionne Sadie ! Max<br />
est quitte pour la peur de sa vie et les deux insaisissables<br />
se sauvent par la cave, leurs adversaires<br />
aux trousses. Au terme d'une âpre<br />
poursuite, Protéa saute en vélo au-<strong>des</strong>sus<br />
d'un pont enflammes. <strong>La</strong> frontière est à portée<br />
de main. Un ultime déguisement et les<br />
deux complices remettent enfin au préfet de<br />
police de Messénie le document tant convoité.<br />
Protéa et l'Anguille ont bien mérité de la Pa-<br />
trie.<br />
MÉTAMORPHOSES<br />
Avant-dernière réalisation de Jasset<br />
(mort treize jours avant sa présentation<br />
corporative), Protéa est devenu le filmphare<br />
de l'œuvre à peu près entièrement<br />
engloutie de ce réalisateur. Film mythique<br />
aussi : si toutes les histoires du cinéma<br />
en parlent, personne ne peut se flatter<br />
de l'avoir vu depuis trois quarts de<br />
siècle. Qu'il s'agisse <strong>des</strong> fragments projetés<br />
vers 1950, à la <strong>Ciné</strong>mathèque de l'avenue<br />
de Messine, ou de copies plus ou<br />
moins incomplètes exhumées depuis, on<br />
se trouvait chaque fois en présence de<br />
l'une ou l'autre <strong>des</strong> quatre suites données<br />
à l'œuvre de Jasset, jusqu'en 1919, par<br />
quelques trois metteurs en scène : Joseph<br />
Faivre, Gérard Bourgeois, Jean Joseph<br />
Renaud.<br />
Au printemps de 1995, <strong>des</strong> fragments<br />
inconnus et de facture différente ont été<br />
décelés à la <strong>Ciné</strong>mathèque française parmi<br />
ce qui s'est révélé être le sériai de Bourgeois,<br />
Protéa et les mystères du château de<br />
Malmort. Ils provenaient, enfin, du film<br />
introuvable de Jasset, et ont permis de le<br />
reconstituer sinon dans son intégralité du<br />
moins dans une continuité suffisante<br />
pour en attester les qualités. Un scénario<br />
détaillé, paru en 1914 à New York dans<br />
The Moving Picture World, a servi de base<br />
à la restauration et aux résumés (intégrés<br />
sous forme de déroulants) <strong>des</strong> quatre<br />
scènes manquantes : environ un quart<br />
d'heure de film.<br />
Produit, puis distribué par Éclair en<br />
septembre 1913, Protéa constitue l'apothéose<br />
(et le chant du cygne) d'une actrice<br />
vouée jusqu'ici par Jasset à <strong>des</strong> emplois<br />
marquants mais trop furtifs pour lui<br />
conférer le statut de star dont elle allait se<br />
révéler digne. Le succès du premier Protéa<br />
est dû autant au génie de Jasset qu'à<br />
la personnalité de la jeune femme en la-<br />
quelle il s'est incarné.<br />
Josette Andriot (1886-1942) n'avait<br />
certes pas le profil de la «jeune première<br />
» d'avant la première guerre. Engagée<br />
en 1910 par Jasset pour ses quali-<br />
tés de cavalière, elle se révéla selon les opportunités<br />
championne de natation et<br />
acrobate intrépide, avant de faire la<br />
preuve d'une disponibilité illimitée dans<br />
le personnage de Protéa. Celui-ci bouleversait<br />
la tradition de l'aventure qui -<br />
roman ou cinéma - s'exprimait d'ordinaire<br />
à travers un héros masculin. Une<br />
novation dont le mérite revient incontestablement<br />
à Jasset, même si Feuillade la<br />
perfectionnera dans les Vampires. Elle va<br />
féconder la thématique du film d'action.<br />
Les Américains retiendront la leçon :<br />
dans les sériais lancés, dès 1915, à la<br />
conquête de la France, ils donneront toujours<br />
le premier rôle à une femme : Pearl<br />
White, Ruth Roland, Helen Holmes, Juanita<br />
Hansen... Mais au contraire de Pearl<br />
White, la « reine <strong>des</strong> sériais » qu'elle<br />
précède de deux ans, Josette Andriot ne<br />
laissait à aucune doublure le soin d'exécuter<br />
ses casca<strong>des</strong>...<br />
Protéa est donc, en 1913, la première<br />
aventurière du cinéma muet. Trois ans<br />
avant que Mata Hari et Marthe Richard<br />
ne se révèlent dans la réalité, elle est la<br />
première espionne, la première héroïne<br />
de ce qu'on n'appelle pas encore le « film<br />
d'espionnage » mais le « film patriotique<br />
». C'est une Mata Hari qui, en plus<br />
de savoir danser, aurait appris à dompter<br />
<strong>des</strong> fauves et à se jeter d'un étage dans<br />
une voiture lancée, une Marthe Richard<br />
qui, en plus de savoir piloter un avion,<br />
aurait appris à sauter à bicyclette par <strong>des</strong>sus<br />
un pont en flammes.<br />
Protéa est aussi une espionne capable<br />
de jouer avec conviction une foule de personnages.<br />
Pour s'emparer d'un traité secret<br />
liguant deux puissances contre une<br />
troisième, elle interprète une douzaine de<br />
rôles <strong>des</strong> deux sexes. Femme d'affaires<br />
dans le Cabinet du préfet de police de<br />
Messénie quand il lui confie sa mission ;<br />
femme du monde sous deux visages différents<br />
dans l'Orient Express pour s'emparer<br />
<strong>des</strong> papiers diplomatiques du comte<br />
de Varallo ; acrobate cambrioleuse lors<br />
d'un raid nocturne au ministère <strong>des</strong> Affaires<br />
étrangères de Celtie ; vieille dame<br />
venue présenter une supplique au ministre<br />
; aide de camp ; violoniste tzigane<br />
au cours d'un grand bal ; « épouse » de<br />
l'ambassadeur d'Albanie préalablement<br />
bâillonné ; incendiaire, puis pompier ;<br />
dompteuse de lions dans une ménagerie<br />
foraine ; paysanne ; officier de Celtie plus<br />
vraie que nature, cette dernière incarnation<br />
lui permettant enfin de regagner la<br />
Messénie, son point de départ.<br />
Métamorphoses dictées par le désir<br />
d'abuser l'adversaire ou de s'échapper<br />
sous son nez, elles entraînent autant de<br />
rebondissements toujours transformés à<br />
son avantage, avec l'aide il est vrai de son<br />
fidèle complice et assistant : l'Anguille.<br />
Comme ce surnom le laisse entendre, le<br />
rôle ne peut être tenu que par un acrobate.<br />
C'est Lucien Bataille, transfuge de<br />
la bande <strong>des</strong> « Pouittes » chez Gaumont.<br />
Leur chef, Jean Durand, avait fait de Bataille<br />
la vedette de la série Zigoto. Il l'avait<br />
quittée pour aller chez Éclair, interpréter<br />
le rôle de l'homme-singe dans le Balaoo<br />
de Jasset. Dans Protéa, il joue un cambrioleur<br />
repenti qui met ses anciens talents<br />
au service de l'espionne, c'est-à-dire<br />
du Bon Droit, du Bien, de la Justice...<br />
Protéa est en effet l'incarnation du<br />
principe métaphysique de Justice, le recours<br />
suprême auquel on s'adresse,<br />
quand l'honneur chancelle, quand la loi<br />
opprime, quand la justice humaine défaille,<br />
quand tout a échoué, quand le pire<br />
peut arriver. Espionne engagée par la<br />
Messénie, mais pas espionne pour la<br />
Messénie : espionne pour la paix. Si elle<br />
a accepté de s'emparer du traité secret,<br />
c'est parce qu'il risque de détruire l'équilibre<br />
précaire <strong>des</strong> Balkans et constitue<br />
donc une menace pour l'Europe. Hélas,<br />
son équipée héroïque et sportive n'a accordé<br />
qu'un an de sursis à l'Europe !<br />
1914!..<br />
Dans le sillage du prototype de Jasset,<br />
Éclair allait lancer quatre nouvelles<br />
aventures de Protéa. En 1914 : l'Auto Infernale<br />
(réal. : Joseph Faivre) ; en 1915, la<br />
Course à la mort (Faivre ou Bourgeois) ; en<br />
1917, les Mystères du château de Malmort<br />
(six épiso<strong>des</strong> réalisés par Gérard Bourgeois)<br />
; en 1919, l'Intervention de Protéa ou<br />
Protéa intervient (Jean Joseph Renaud). Le<br />
retrait définitif de Josette Andriot et la déconfiture<br />
d'Éclair mirent fin à une série<br />
qui aurait pu faire une concurrence redoutable<br />
aux Fantômas et autres Vampires<br />
de Feuillade, si elle avait été poursuivie<br />
par son initiateur. Les continuateurs de<br />
Jasset étaient loin d'égaler son art narratif<br />
et son sens aigu du gag. Dans leurs<br />
films lents, longs, laborieux, l'histoire se<br />
traîne et le gag est souvent plaqué.<br />
<strong>La</strong> mise en scène de Jasset est remarquable<br />
par l'économie du récit. Comme<br />
plus tard dans la bande <strong>des</strong>sinée, l'élimination<br />
<strong>des</strong> temps morts transforme l'histoire<br />
en une succession rapide de temps<br />
forts. Une action souvent en déclenche<br />
une autre, dans un jaillissement spontané<br />
et perpétuel. Protéa assomme un cycliste<br />
de belle manière, enfourche sa machine,<br />
prend son élan et saute au-<strong>des</strong>sus d'un<br />
pont en flammes. Encore sur la lancée de<br />
son exploit, elle voit l'Anguille tomber<br />
d'un arbre sur le cadre et, sans même<br />
compromettre son équilibre, continuer<br />
avec elle comme passager en second !<br />
Il n'y a décidément qu'un seul fleuron<br />
à arracher à la couronne de Jasset : ce<br />
n'est pas lui, mais Faivre (ou Bourgeois)<br />
qui fit revêtir à Josette Andriot, et de<br />
façon chaste, le collant noir auquel Musidora<br />
allait donner dans les Vampires une<br />
connotation érotique.<br />
Avec Protéa, Jasset terminait en<br />
beauté une carrière cinématographique<br />
dense, brève... et tardive. Né en 1862, il<br />
avait quarante trois ans quand Alice Guy<br />
l'engagea en 1905 chez Gaumont pour diriger<br />
les scènes de foule de sa Vie du<br />
Christ. Auparavant, il avait été peintre en<br />
éventails, décorateur de théâtre, affichiste,<br />
créateur de costumes que sa<br />
femme exécutait. Après quelques films,<br />
Léon Gaumont mit fin à sa présence rue<br />
de la Villette, sur plainte de la mère d'une<br />
jeune figurante. Sans ce dérapage, Alice<br />
Guy n'aurait pas engagé Feuillade, et<br />
c'est Jasset qu'elle aurait proposé pour la<br />
PROTÉA - 37<br />
remplacer à son départ pour l'Amérique<br />
en 1907.<br />
Si sa mort n'avait laissé le champ libre<br />
à Fantômas et aux Vampires, c'est peut-être<br />
l'auteur de Protéa qui aurait endigué l'invasion<br />
<strong>des</strong> sériais américains et se serait<br />
révélé comme le maître du film à épiso<strong>des</strong><br />
en France...<br />
Francis <strong>La</strong>cassin<br />
1 Sur Pearl White, voir Pearl ofthe Armylle Courrier de<br />
Washington (Edward José, 1916), page 163.<br />
| Xr.<br />
! I S : * *%%m<br />
m<br />
En haut :<br />
Lucien Bataille (au centre).<br />
En bas :<br />
Lucien Bataille,<br />
Josette Andriot.
38 - FRANCE<br />
LE FRIQUET<br />
1913- Maurice Tourneur<br />
Réal. : Maurice Tourneur. Prod. : ACAD pour Éclair.<br />
Auteur : Willy, d'après sa pièce, tirée du roman<br />
homonyme de Gyp. Adapt. : Maurice Tourneur.<br />
Int. : Polaire (Le Friquet), Henry Roussell (le comte<br />
Hubert de Ganges), César (Le Mafflu), Dubosc<br />
(Charley, le piqueur), Renée Sylvaire, Gilbert Dalleu,<br />
Émile (le chauffeur du comte).<br />
Date de sortie : 19 janvier 1914].<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 620 m., 27 mn<br />
(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc. Doc. : Remerciements à Sabine Lenk.<br />
Au cours d'une promenade, le Mafflu recueille<br />
une petite fille abandonnée qu'il baptise<br />
« le Friquet ». Clown de profession, le<br />
Mafflu élève l'enfant dans un petit cirque et<br />
lui apprend le métier. Après <strong>des</strong> années, le Friquet<br />
est devenue une écuyère et une trapéziste<br />
accomplie. Mais le directeur lui inflige toutes<br />
les corvées et un jour, épuisée, elle fait une<br />
chute pendant son numéro. Alertépar le Mafflu,<br />
le maire du bourg, Hubert de Ganges, arrache<br />
la jeune femme à cette vie de peine en<br />
l'hébergeant chez lui. Au château, elle découvre<br />
le luxe. Et dès le lendemain matin, elle<br />
s'illustre en maîtrisant dans le grand jardin<br />
un cheval échappé de l'écurie. Mais Charley,<br />
le piqueur anglais, tenu pour responsable et<br />
congédié, jure de se venger. Le Friquet<br />
s'éprend de son bienfaiteur. Hélas, Hubert<br />
aime sa cousine. Le Friquet, déjà en butte aux<br />
avances du banquier Claparon, est au désespoir.<br />
Le Mafflu l'aide à fuir une situation devenue<br />
intenable. Ils sont bientôt engagés dans<br />
un cirque parisien. Mais Charley est là aussi<br />
et pour couronner le tout, Claparon reparaît.<br />
Celui-ci, avec la complicité de celui-là, s'introduit<br />
dans la loge du Friquet. Il essaie<br />
d'abuser d'elle. Un couteau à la main, elle le<br />
repousse. Éprouvée, Le Friquet retourne sous<br />
le chapiteau et reçoit le coup de grâce en<br />
voyant, du haut de son trapèze, Hubert de<br />
Ganges et sa cousine venus au spectacle. Elle<br />
saisit la barre, se balance et se jette dans le<br />
vide. Au sol, elle agonise, entourée de son<br />
chien, du Mafflu et d'Hubert, son malheu-<br />
reux bienfaiteur.<br />
POLAIRE EN LIBERTÉ<br />
Les origines du Friquet ne sont pas encore<br />
suffisamment éclairées. Les sources<br />
contemporaines se montrent bien pauvres.<br />
En outre, le scénario n'a pas été retrouvé.<br />
Néanmoins, il n'y a pas de doute<br />
sur l'auteur du film : dans deux entretiens,<br />
Maurice Tourneur a reconnu l'enfant<br />
1.<br />
<strong>La</strong> « genèse » n'est pas longue à raconter<br />
: douze ans avant la sortie du film<br />
de Tourneur, en 1901, paraît un roman de<br />
Gyp intitulé le Friquet. Bien que nombre<br />
de romans de cet écrivain soient encore<br />
disponibles chez les bouquinistes, le Friquet<br />
est presque introuvable aujourd'hui.<br />
Cette disparition est peut-être due à l'antisémitisme<br />
de Gyp, soit la comtesse de<br />
Martel de Janville. Un exemple, parmi<br />
d'autres, de la bouche même du Friquet :<br />
« ... mais y a pas besoin d'être Lorraine<br />
pour détester les youtres... y a qu'à être<br />
propre ! ».<br />
<strong>La</strong> France de 1901 étant divisée par<br />
l'affaire Dreyfus, cet antisémitisme déclaré<br />
n'empêche pas (explique ?) le succès<br />
du roman. Ce succès attire l'attention<br />
du monde théâtral. Une pièce en quatre<br />
actes, épurée de sa violence antijuive, est<br />
créée et jouée pour la première fois le 1 er<br />
octobre 1904 au théâtre du Gymnase à<br />
Paris. Son auteur s'appelle Henri Gauthier-Villars<br />
dit Willy. Il a été aidé par sa<br />
femme Colette, Armory et Luvey 2 . Willy<br />
assure aussi la mise en scène, temporairement<br />
remplacé par Gyp qui dirige les<br />
comédiens en son absence. Polaire, l'amie<br />
de Willy et de Colette, incarne le rôle principal.<br />
<strong>La</strong> pièce est fortement applaudie et<br />
représentée une centaine de fois (jusqu'en<br />
décembre 1904). Une nouvelle<br />
mise en scène du Friquet à Bruxelles au<br />
printemps de l'année 1913 attire également<br />
beaucoup de spectateurs. Andrée<br />
Mielly, une jeune parente de Willy, joue<br />
à la place de Polaire 3 . Éventuellemnt inspirée<br />
par la bonne fortune de la reprise,<br />
la société Éclair décide de porter l'histoire<br />
de la petite écuyère à l'écran. Le rôle re-<br />
vient naturellement à Polaire et elle le<br />
joue devant la caméra avec autant d'aisance<br />
que, semble t-il, sur la scène 4 .<br />
Comme la plupart <strong>des</strong> films à cette<br />
époque, le Friquet a probablement été<br />
tourné en une semaine et pendant l'été, à<br />
en juger d'après les prises de vues en extérieurs.<br />
Le résultat est un moyen métrage<br />
qui respecte la division en quatre<br />
actes de la pièce. Il sort entre novembre<br />
1913 et avril 1914 dans plusieurs pays, en<br />
commençant par l'Allemagne, le pays le<br />
plus consommateur de films en Europe.<br />
En janvier 1914, il est projeté à Paris.<br />
Quatre mois plus tard, on le présente aux<br />
Américains (en trois bobines, ce qui pourrait<br />
correspondre à trois actes).<br />
Bien que les chiffres manquent, le succès<br />
public du film aux États-Unis est probable.<br />
Polaire, rendue populaire par sa<br />
tournée triomphale quelques années auparavant<br />
sous le surnom de la femme « la<br />
plus moche » du monde, est annoncée<br />
cette fois-ci à grand renfort d'exotisme :<br />
« SHE wears a pearl ring in her nose »,<br />
« SHE is the most eccentric artist appearing<br />
on the screen today » (The Motion Picture<br />
News, 4 avril 1914). Le renom de l'artiste<br />
est tel en Europe que le film suscite<br />
sans doute une pareille curiosité. Cependant<br />
en Allemagne, le public ne voit<br />
qu'une version censurée : sont coupés la<br />
tentative de viol du Friquet dans sa loge,<br />
sa chute du trapèze ainsi que le transport<br />
de la mourante vers les coulisses. En Autriche,<br />
le film est entièrement interdit aux<br />
enfants.<br />
L'importance esthétique du Friquet,<br />
au vu <strong>des</strong> scènes retrouvées et restaurées,<br />
est considérable. Les marques d'auteur<br />
de Tourneur - la fluidité du montage et<br />
l'utilisation de la profondeur de champ<br />
tant admirées par l'historien Richard<br />
Koszarski 5 - sont déjà visibles dans cette<br />
œuvre <strong>des</strong> débuts. <strong>La</strong> fluidité du Friquet<br />
a été remarquée par les contemporains<br />
du film et la critique américaine souligne<br />
tout de suite l'absence totale de scènes superflues<br />
et la limpidité de la narration.<br />
Quant à la profondeur de champ, Tour-<br />
neur l'utilise habilement dans les plans<br />
tournés en extérieurs où les allées et venues<br />
<strong>des</strong> personnages s'effectuent principalement<br />
dans l'axe de la caméra. En<br />
revanche, à l'intérieur, les acteurs jouent<br />
et se tiennent encore - à quelques plans<br />
près - perpendiculairement à l'objectif.<br />
Bien qu'il débute, Tourneur maîtrise déjà<br />
les co<strong>des</strong> stylistiques de son époque : par<br />
exemple, la division de l'espace par un<br />
élément (ici un arbre séparant le Friquet<br />
du couple qu'elle observe en cachette) ou<br />
la vue en contre-plongée d'une scène<br />
jouée sur un trapèze qui rappelle les mélodrames<br />
danois tels De Pire Djaevle I les<br />
Quatre Diables (Robert Dinesen et Alfred<br />
Lind, 1911) ou Dodsspring til Hestfra Cirkuskuplen<br />
I Sous la Coupole du cirque (Eduard<br />
Schnedler-Sorensen, 1912). Il maîtrise<br />
également la prolongation optique<br />
d'un espace confiné, par alignement <strong>des</strong><br />
acteurs <strong>des</strong>sinant ainsi une oblique<br />
fuyant par le fond de l'image (les adieux<br />
du Friquet, les artistes dans les coulisses<br />
du cirque). Mais Tourneur va plus loin<br />
que ses contemporains dans l'organisation/manipulation<br />
de l'espace : il répartit<br />
ses acteurs aux quatre coins d'un<br />
grand jardin, un terrain ainsi agrandi par<br />
le fond et élargi d'autant par les mouvements<br />
d'une caméra qui va tantôt vers la<br />
droite tantôt vers la gauche pour suivre,<br />
dans la lumière du matin, le déplacement<br />
imprévisible d'un cheval échappé de son<br />
enclos. De même dans la scène de la fuite<br />
du Friquet et du Mafflu, les deux personnages<br />
sont au loin, leurs silhouettes<br />
encadrées par l'embrasure d'une porte.<br />
Ainsi, Tourneur ose faire jouer une action<br />
tout au fond du champ, un champ limité<br />
par l'encadrement qui focalise le regard<br />
sur les acteurs.<br />
L'œuvre est encore remarquable pour<br />
ces plans dans lesquels Maurice Tourneur<br />
nous donne par moments une vision<br />
<strong>des</strong> choses qui se distingue nettement de<br />
l'esthétique d'avant-guerre. Tout à coup,<br />
les plans d'ensemble et américains sont<br />
interrompus par un plan rapproché, inséré<br />
plus pour la beauté de la vue qu'à<br />
<strong>des</strong> fins narratives. Mais le moment le<br />
plus émouvant et le plus moderne du film<br />
est le plan du Friquet et du Mafflu devant<br />
leur roulotte, garée sur un vaste terrain<br />
vague limité tout au fond par les bâtiments<br />
d'une agglomération industrielle<br />
qui disparaissent dans une sorte de<br />
brume matinale. Vingt ans après, le réalisme<br />
poétique ne saura guère faire plus<br />
beau.<br />
Sabine Lenk<br />
Remerciements à <strong>La</strong>urent Billia, Éric Le Roy et M.<br />
Foulques de Jouvenel.<br />
LE FRIQUET-39<br />
1 Cf. l'interview dans Pour vous, 26 mai 1932, cité<br />
d'après Éric Le Roy, « Maurice Tourneur, " le grand<br />
français du cinéma " », in : Griffithiana, n° 47, mars<br />
1993, p. 49. <strong>La</strong> seconde interview (de 1956) se trouve<br />
dans les dossiers du Fonds Commission de ta recherche<br />
historique - BIFI/Coll. <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
1 François Caradec : Feu Willy. Avec et sans Colette, Carrère,<br />
Paris, 1984, p. 166.<br />
3 F. Caradec : Feu Willy, ibid, p. 166-167.<br />
' Cf. Michel Georges-Michel : « Polaire devant Polaire<br />
», in : Gil-Blas, cité d'après Film-Revue, n° 4, 26<br />
janvier 1914, p. 13.<br />
5 Cf. son article « Maurice Tourneur, the First of the<br />
Visual Stylises » (1973), cité d'après Paolo Cherchi<br />
Usai et Lorenzo Codelli, Sulla via di Hollywood 1911-<br />
1920/Thepath toHollywood 1911-1920, Pordenone : Le<br />
Giornate del <strong>Ciné</strong>ma Muto, Biblioteca de Tlmmagine,<br />
1988, p. 296-317.<br />
César (le clown).<br />
Polaire.<br />
Henry Roussel (accroupi).
40 - FRANCE<br />
GERMINAL<br />
1913- Albert Capellani<br />
Réal. : Albert Capellani. Prod. : SCACL<br />
Auteur : Émile Zola, d'après son roman homonyme.<br />
Adapt. : Albert Capellani. Dir. ph. : Louis Forestier,<br />
Karémine Mérobian, Pierre Trimbach. Déc. : Henri<br />
Ménessier, Vallé, Pasquier. Int. : Henry Krauss<br />
(Étienne <strong>La</strong>ntier), jean Jacquinet (Chaval), Paul<br />
Escoffier (Négrel), Dharsay (Souvarine), Sylvie<br />
(Catherine), Mévisto Aîné (Le Maheu), Albert Bras<br />
(Hennebeau), Marc Gérard (Bonnemort), Max<br />
Charlier, Cécile Guyon (Cécile Hennebeau), jeanne<br />
Cheirel (<strong>La</strong> Maheude). Date de sortie : 3 octobre<br />
1913. Métrage, minutage copie Cf. : 3017 m.,<br />
147 mn (à 18 i/s). Générique et intertitres français<br />
reconstitués. Noir et blanc.<br />
Ouvrier au chômage, Étienne <strong>La</strong>ntier<br />
trouve finalement un emploi aux mines de<br />
charbon de Montsou. Il travaille avec la fille<br />
du Maheu, Catherine, qu'il prend d'abord<br />
pour un garçon. D'emblée, Chaval, l'amant<br />
de la jeune fille, affiche son hostilité au nouveau<br />
venu. <strong>La</strong> direction a décidé de baisser le<br />
prix de la berline ; mécontentement <strong>des</strong> mineurs.<br />
Étienne prend pension chez les Maheu<br />
et Catherine, à contrecœur, part vivre chez<br />
Chaval qui l'a épousée. Lors de la paye de<br />
quinzaine, la grogne monte, Étienne prend la<br />
tête du mouvement naissant, la grève est votée.<br />
Mais après quinze jours chômés, c'est la<br />
famine dans le coron. Seul Chaval, bien vu du<br />
directeur, ne manque de rien et reprend même<br />
le travail avec quelques autres. Les grévistes<br />
veulent lui faire la peau sur le carreau de la<br />
mine. Fou de rage, il donne à la direction les<br />
noms <strong>des</strong> meneurs. Alerté, le préfet envoie la<br />
gendarmerie et même la troupe, Étienne se<br />
cache pour ne pas être arrêté, le Maheu tombe<br />
sous les balles. Dans l'affrontement, la fille du<br />
directeur a laissé la vie. Deux jours plus tard,<br />
Étienne sort de son trou, le travail a repris et<br />
lui-même re<strong>des</strong>cend au fond. Mais Souvarine,<br />
un ouvrier anarchiste, sabote les installations<br />
et le paye de sa vie. L'eau s'engouffre dans les<br />
galeries, c'est la catastrophe. Chaval (tué par<br />
Étienne), Catherine et son frère périssent sous<br />
la terre. Seul Étienne est extrait vivant de la<br />
mine et épuisé, tombe dans les bras de l'ingénieur<br />
Négrel. Rétabli, il quitte la pauvre Maheude<br />
et cette région de malheurs en espérant<br />
<strong>des</strong> temps meilleurs.<br />
À CIEL OUVERT<br />
À relire les historiens généralistes du<br />
cinéma, il est clair qu'aucun d'eux n'a vu,<br />
ni d'ailleurs pu voir Germinal, ni Georges<br />
Sadoul, ni Jean Mitry, ni René Jeanne et<br />
Charles Ford. Ils se contentent tous<br />
d'évoquer le titre dans la liste <strong>des</strong> adaptations<br />
littéraires réalisées par Albert Capellani<br />
pour la SCAGL que celui-ci dirige<br />
jusqu'à son départ pour les Etats-Unis.<br />
Capellani tourne Germinal à partir de<br />
février 1913, quelques semaines seulement<br />
après la sortie triomphale <strong>des</strong> Misérables<br />
en quatre parties. Le film sort la<br />
semaine du 3 au 9 octobre 1913 dans<br />
quatre salles à Paris : l'Omnia Pathé, le<br />
Kinérama Pathé, le Paris <strong>Ciné</strong> et le Cirque<br />
d'hiver. Il ne semble pas avoir été redistribué<br />
après 1918, sans doute en raison du<br />
contexte sociopolitique d'union nationale,<br />
postérieur à la guerre. D'où sa disparition<br />
complète dans la tradition de<br />
l'historiographie classique du cinéma.<br />
<strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française a miracu-<br />
leusement conservé le négatif original. Il<br />
s'agit donc d'une véritable résurrection<br />
du film, maillon majeur dans la généalogie<br />
du « réalisme français », résurrection<br />
qui amène à remettre en cause de nombreux<br />
aspects du prétendu « archaïsme »<br />
du cinéma français <strong>des</strong> premières années<br />
dix. Par rapport aux Misérables, où le tournage<br />
en studio prédomine encore nettement<br />
ainsi que le cadrage frontal, Germinal<br />
marque un bond en avant spectaculaire,<br />
un saut qualitatif.<br />
En 1913, le roman de Zola, qui date<br />
de 1885, est encore très proche. Il est rapidement<br />
devenu mythique et connaît un<br />
succès exceptionnel. Son action se déroule<br />
dans la dernière période du Second<br />
Empire, en 1865, au moment de l'expédition<br />
du Mexique. Le film de Capellani<br />
situe l'action dans les années républicaines.<br />
Au moment fort de la grève, le<br />
propriétaire de la mine téléphone au préfet<br />
du Nord afin que celui-ci envoie la<br />
troupe. Les uniformes <strong>des</strong> soldats et <strong>des</strong><br />
gendarmes à cheval permettent de situer<br />
la fiction dans la période contemporaine<br />
au tournage du film. Capellani évite ainsi<br />
la reconstitution historique et inscrit directement<br />
l'action du film dans le présent<br />
du spectateur <strong>des</strong> années dix, ou tout au<br />
moins dans son passé immédiatement<br />
proche.<br />
L'adaptationreste fidèle à la structure<br />
narrative du roman original, mais elle<br />
procède aussi par condensation, déplacement,<br />
transposition et élagage systématique<br />
<strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> latéraux et <strong>des</strong> personnages<br />
secondaires. Ainsi, l'épicier<br />
Maigrat dont la castration par les manifestants<br />
avait si fortement marqué Eisenstein,<br />
disparaît dans le film. Chez Zola<br />
seulement, Cécile la fille d'une famille<br />
bourgeoise est étranglée par le vieux<br />
Bonnemort quand chez Capellani, pour<br />
le coup c'est la fille du directeur qui meurt<br />
sous les balles, en contrepoint de la mort<br />
du Maheu pendant la répression de la<br />
manifestation. Autre différence très remarquable<br />
: dans le film, l'anarchiste<br />
Souvarine meurt en tombant dans le vide<br />
après son sabotage. Dans le roman, il partait<br />
dans la nuit une fois son attentat<br />
réussi. C'est qu'entre 1885 et 1913, les<br />
anarcho-syndicalistes ont fait parler<br />
d'eux et « la bande à Bonnot » n'est décimée<br />
qu'en... 1912. En revanche, chez Zola<br />
comme chez Capellani, l'ingénieur et<br />
l'ouvrier tombent dans les bras l'un de<br />
l'autre et s'étreignent après le coup de grisou.<br />
Thea von Harbou s'est-elle souvenue<br />
de cet épilogue en écrivant celui de<br />
Metropolis ?<br />
Le film est réalisé pour l'essentiel en<br />
plein pays minier, à Auchel, près de Béthune.<br />
Ce tournage hors studio est décisif<br />
et bouleverse les co<strong>des</strong> esthétiques antérieurs.<br />
Toutes les séquences d'extérieurs<br />
sont filmées en décor naturel repéré<br />
sur place : l'atelier de métallurgie où<br />
l'on découvre <strong>La</strong>ntier au début du film,<br />
les routes qu'il traverse, les rues <strong>des</strong> corons,<br />
les plans en surface de la mine avec<br />
ses pylônes et ses berlines.<br />
Le parti pris de cadrage privilégie le<br />
plan large provoquant une certaine am-<br />
plitude spatiale et une très forte inscription<br />
<strong>des</strong> protagonistes dans le décor.<br />
L'opérateur Louis Forestier donne l'impression<br />
de redécouvrir la « profondeur<br />
de champ primitive » en privilégiant<br />
l'éclairage diurne, saisi au moment de sa<br />
luminosité la plus éclatante. Sont ainsi remarquables<br />
les longs plans qui cadrent<br />
les actions suivantes :<br />
- l'arrivée de <strong>La</strong>ntier près de la mine<br />
et son dialogue avec le père Bonnemort<br />
pendant que l'arrière champ révèle l'incessant<br />
trafic aérien <strong>des</strong> bennes,<br />
- la propagation de l'appel à la grève<br />
filmé en plan général qui montre une<br />
large place du coron traversée en deux<br />
mouvements par un groupe de grévistes,<br />
- la rue du coron cadrée en perpendiculaire<br />
avec deux zones de lumière<br />
lorsque <strong>La</strong>ntier rencontre Catherine qui<br />
cherche à dissimuler les victuailles qu'elle<br />
ramène chez son époux Chaval,<br />
- les plans d'affrontements violents<br />
lors de l'intervention de la gendarmerie<br />
équestre, pour ne citer que les moments<br />
les plus spectaculaires et visuels du film.<br />
Mais cette mise en valeur <strong>des</strong> espaces<br />
naturels va de pair avec un soin tout particulier<br />
dans la construction et l'utilisation<br />
<strong>des</strong> décors. À de rares exceptions<br />
près, notamment lors du sabotage du<br />
puits par Souvarine, Germinal est un <strong>des</strong><br />
premiers films français qui dépasse complètement<br />
l'effet « toile peinte » si caractéristique<br />
du cinéma <strong>des</strong> premiers temps,<br />
plus encore <strong>des</strong> films Pathé. L'économie<br />
<strong>des</strong> décors s'harmonise à la logique <strong>des</strong><br />
lieux : les intérieurs <strong>des</strong> mineurs sont <strong>des</strong><br />
cubes identiques les uns aux autres comme<br />
ils le sont dans la pratique sociale, et<br />
il suffit à Capellani de changer deux ou<br />
trois meubles pour que l'on passe de la<br />
maison <strong>des</strong> Maheu à celle de Chaval.<br />
<strong>La</strong> reconstitution <strong>des</strong> puits, <strong>des</strong> galeries,<br />
<strong>des</strong> zones d'extraction du charbon<br />
avec ses poutres et ses échafaudages précaires<br />
utilise au mieux les limites de la<br />
technique du décor cinématographique<br />
en 1913. Mais l'effet d'authenticité est<br />
plus encore produit par la gestuelle <strong>des</strong><br />
acteurs, leur déplacement dans ces galeries<br />
souterraines où ils doivent se plier et<br />
contourner les obstacles. Cette présence<br />
physique <strong>des</strong> acteurs et la parfaite intégration<br />
<strong>des</strong> professionnels tels Henry<br />
Krauss, Jacquinet, Mévisto Aîné et Mlle<br />
Sylvie dans la collectivité <strong>des</strong> figurants<br />
locaux est autant produite par le talent<br />
<strong>des</strong> interprètes, la sobriété que leur impose<br />
le réalisateur que par la mise en<br />
place <strong>des</strong> groupes dans l'espace. Germinal<br />
montre pour l'une <strong>des</strong> premières fois<br />
à l'écran le trajet <strong>des</strong> foules prolétaires se<br />
dirigeant vers la mine avec un rythme<br />
bien particulier fait de lenteur, de solidarité<br />
ouvrière et de détermination.<br />
Plus précisément, il faut saluer les<br />
performances d'Henry Krauss, qui incarne<br />
un <strong>La</strong>ntier massif et bourru, d'une<br />
présence corporelle rare, et de la jeune<br />
Sylvie offrant une silhouette étonnante à<br />
la frêle mais très déterminée Catherine.<br />
Capellani a peut être su, mieux encore<br />
que Zola, représenter l'alliance contradictoire<br />
de pudeur ouvrière et de ru<strong>des</strong>se<br />
maladroite dans l'expression <strong>des</strong> sentiments<br />
personnels de ses personnages.<br />
L'idylle ébauchée entre <strong>La</strong>ntier et Catherine<br />
échappe ainsi à toute mièvrerie, par<br />
exemple lors du très beau passage où ils<br />
se retrouvent dans la rue, au moment le<br />
plus tendu de la grève, et n'échangent<br />
qu'un furtif baiser. Plus encore, la confrontation<br />
<strong>des</strong> deux personnages dans les<br />
scènes de galerie souterraine est d'une<br />
grande force : moment de la découverte<br />
de la coiffure féminine au début du récit<br />
lorsque Catherine partage son cassecroûte<br />
avec <strong>La</strong>ntier ; moment de la mort<br />
lente, au côté du cadavre de Chaval lors<br />
de l'inondation et de la catastrophe du<br />
Voreux.<br />
Albert Capellani est certainement le<br />
grand réalisateur méconnu du cinéma<br />
français <strong>des</strong> années dix.<br />
Michel Marie
42 - FRANCE<br />
LA LUTTE POUR LA VIE<br />
1914 - Ferdinand Zecca<br />
Réal. : Ferdinand Zecca, René Leprince. Prod. : Pathé<br />
Frères. Se. : Pierre Decourcelle. Dir. ph. : Julien<br />
Ringel. Int. : René Alexandre (Jean Morin), Gabriel<br />
Signoret (Jacques Préval), Louis Ravet (Migaut fils),<br />
Devalence (Migaut père), Gabrielle Robinne (Mlle<br />
Préval), Simone Mareix (la fille de Migaut), Carmen de<br />
Raisy ou Deraisy (la mendiante). Date de sortie : 20<br />
février 1914. Métrage, minutage copie Cf. : 1424 m.,<br />
69 mn (à 18 i/s). Générique et intertitres français<br />
reconstitués. Noir et blanc. Ce film a été restauré avec<br />
le concours du Département <strong>des</strong> Arts du spectacle de<br />
la Bibliothèque nationale de France.<br />
Jean Morin, <strong>des</strong>sinateur industriel dans<br />
une usine nantaise, est injustement licencié<br />
par son supérieur et empêché de retrouver du<br />
travail. Déclassé et démoralisé, Jean quitte la<br />
ville. Il vient à passer près d'un champ quand<br />
un vieux paysan, harassé par le labour, s'effondre.<br />
Il le sauve. Une fois remis, le père Migaut<br />
embauche cet étranger vigoureux pour<br />
les travaux <strong>des</strong> champs, puis le nomme chef<br />
<strong>des</strong> batteurs. Pour se débarrasser de l'intrus,<br />
ses deux fils trafiquent la moissonneuse et accusent<br />
Jean qui doit partir une nouvelle fois.<br />
En route, il échange ses habits épuisés contre<br />
ceux, moins fatigués, d'un épouvantail. Direction<br />
la capitale. Il y arrive un matin, affamé.<br />
Gare de Lyon, il a l'idée de suivre en<br />
courant une voiture à cheval et son passager<br />
à travers tout Paris. <strong>La</strong> voiture s'immobilise<br />
enfin place d'Iéna et Jean est là qui se propose<br />
de porter les lour<strong>des</strong> malles du voyageur jusqu'à<br />
son appartement. On lui donne quelques<br />
pièces pour sa peine et il achète du pain. Il fait<br />
tous les métiers : vendeur de journaux à la<br />
criée, <strong>des</strong>sinateur à même les trottoirs. Un<br />
jour, il ramasse un portefeuille et le rapporte<br />
à son propriétaire, Jacques Préval, directeur<br />
<strong>des</strong> filatures d'Auteuil. En remerciement, il<br />
est engagé. Un incendie se déclare à l'usine et<br />
Jean sauve <strong>des</strong> flammes la fille de Préval. Reconnaissante<br />
et aimante, elle l'épouse avec la<br />
bénédiction paternelle. Son mari la conduira<br />
comme en pèlerinage jusqu'à Vépouvantail,<br />
dernier signe d'un passé heureusement révolu.<br />
LA TRAVERSÉE DE PARIS<br />
Répertorié par la publicité maison<br />
d'époque comme la huitième série <strong>des</strong><br />
« Scènes dramatiques », la Lutte pour la vie<br />
n'aurait pu - n'aurait dû - être qu'un titre<br />
de plus dans l'abondante production de<br />
la société Pathé, alors à son apogée. Vu<br />
aujourd'hui, le film passionne comme appartenant<br />
à un de ces interrègnes de<br />
l'Histoire où l'ancien n'est plus et le nouveau<br />
reste à venir. Déjà long métrage<br />
mais sans que toutes les leçons aient encore<br />
été tirées de l'allongement de la<br />
durée, bon spécimen d'un cinéma français<br />
qui triomphe sur la scène mondiale<br />
mais qui va sombrer six mois plus tard,<br />
la Lutte pour la vie est exemplaire à la fois<br />
du savoir-faire Pathé et de ses limites.<br />
Quand le film est tourné, courant<br />
1913, la société Films Pathé Frères vient<br />
d'engranger un bénéfice de plus de sept<br />
millions de francs pour l'exercice écoulé.<br />
L'argent est là, la notoriété également :<br />
Charles Pathé est nommé chevalier de la<br />
Légion d'honneur. Pourtant, il n'est plus<br />
possible de se contenter <strong>des</strong> courtes<br />
ban<strong>des</strong> qui ont assuré si longtemps la fortune<br />
de la firme. Le monde change et les<br />
cartes sont redistribuées. De Berlin, Erich<br />
Pommer rachète la majorité du capital<br />
d'Éclair. <strong>La</strong> Dekage arrache à Gaumont<br />
Suzanne Grandais et Yvette Andreyor.<br />
<strong>La</strong> société Lux est dissoute et Méliès à la<br />
veille de la faillite. Les superproductions<br />
emportent l'adhésion du public : en<br />
France, les Misérables de Capellani (3500<br />
mètres, quatre époques, cent tableaux,<br />
dix parties), puis Germinal du même<br />
(3000 mètres) et les Fantômas de<br />
Feuillade ; en Italie, Quo Vadis ? de Guazzoni<br />
(2250 mètres) et Gli ultimi giorni di<br />
Pompei I les Derniers Jours de Pompei de Caserini<br />
(presque 2000 mètres). Cabiria est<br />
en tournage et aux États-Unis, The Birth<br />
ofa Nation en préparation.<br />
C'est donc tout naturellement sous la<br />
forme d'un film long qu'est mis en chantier<br />
la Lutte pour la vie, remake d'une première<br />
version déjà produite par Zecca<br />
pour Pathé en 1907. Le prolifique Ferdinand<br />
Zecca, homme à tout faire de Pathé<br />
et spécialiste <strong>des</strong> drames réalistes, après<br />
s'être consacré uniquement à la production<br />
de 1909 à 1911, s'est remis à la réalisation<br />
pour ces « Scènes de la vie cruelle »<br />
- réponse aux « Scènes de la vie réelle »<br />
de Feuillade - qui durent de 1912 à 1914.<br />
Il abandonnera ensuite le métier pour se<br />
consacrer uniquement à <strong>des</strong> tâches administratives<br />
(équipement de studios à<br />
Berlin, direction de la filiale de Pathé aux<br />
États-Unis). A ses côtés, René Leprince<br />
fait ses débuts dans cette série. Il poursuivra<br />
toute sa carrière chez Pathé, sans<br />
coup d'éclat mais sans faille.<br />
Il y a une réelle ambition dans la Lutte<br />
pour la vie, mais aussi <strong>des</strong> timidités. D'un<br />
côté, un travail soigné et convaincant, <strong>des</strong><br />
morceaux de bravoure comme la scène<br />
de l'incendie une distribution homogène<br />
même si le jeu <strong>des</strong> comédiens est<br />
éloigné du goût actuel : ils nous paraissent<br />
peu expressifs alors que justement,<br />
dans un souci du réalisme, ils fuient<br />
l'emphase, péché mignon <strong>des</strong> acteurs<br />
venus du théâtre en un temps où il était<br />
de bon ton de souligner l'effet. De l'autre,<br />
l'intrigue sent malgré tout sa série. Ainsi,<br />
le scénario de cette « étude sociale en<br />
quatre parties » repose sur les ficelles les<br />
plus grosses. Dans la première partie,<br />
Jean est injustement renvoyé de l'usine<br />
par son supérieur pour cause de rivalité<br />
amoureuse. Dans la deuxième, il est<br />
chassé tout aussi injustement de la ferme<br />
où il est employé. Il ne devra son salut<br />
professionnel, à Paris, qu'à la découverte<br />
sur un trottoir du portefeuille généreusement<br />
garni du directeur-propriétaire<br />
<strong>des</strong> filatures d'Auteuil et se fera remarquer<br />
de la fille du dit directeur en la sauvant<br />
<strong>des</strong> flammes d'un incendie ! Inutile<br />
d'ironiser sur les coups de force nécessaires<br />
pour parvenir à une fin heureuse<br />
qui, s'ils impliquent l'honnêteté et la<br />
droiture du héros, relèvent autant de<br />
l'étude sociale que les gains à la loterie.<br />
Nous sommes là dans les ressorts exploités<br />
jusqu'au tréfonds du bon vieux<br />
mélodrame, formule éprouvée sur laquelle<br />
Pathé a d'ailleurs fondé son succès<br />
auprès d'un public amateur de romans à<br />
trois sous.<br />
En fait, ce que nous admirons n'est<br />
pas le sujet mais sa stricte mise en scène.<br />
Non le maniement de l'échelle <strong>des</strong> plans<br />
ou le montage, timorés par comparaison<br />
avec ce qui commence à poindre ici ou là<br />
au même moment, mais le soin porté à la<br />
composition de chaque image. Faute de<br />
jouer de l'émotion et de la dynamique<br />
que peut apporter l'usage du gros plan<br />
(aucun ne mérite cette appellation), Zecca<br />
et Leprince se rattrapent étonnamment<br />
sur le traitement <strong>des</strong> plans d'ensemble.<br />
Prenons le premier plan du film. Un mouvement<br />
de groupe (l'entrée dans l'usine<br />
nantaise, qui évoque la sortie d'une autre<br />
usine) crée la mise en condition dynamique<br />
qui va aboutir à la poignée de main<br />
devant être mise en valeur. Le deuxième.<br />
Le groupe se dirige vers la pointeuse puis<br />
s'éloigne par l'escalier : les réalisateurs<br />
René Alexandre (au milieu).<br />
ont l'habileté d'ouvrir sur un figurant qui<br />
effectue le trajet en sens inverse. Le troisième.<br />
Dans l'atelier, une femme debout<br />
immobile souligne l'utilisation de la profondeur<br />
de champ tandis qu'un employé<br />
passe latéralement. Le quatrième, dans la<br />
cour de l'usine. Cette fois, c'est une charrette<br />
attelée, puis un cycliste qui passent<br />
au loin avant qu'un léger recadrage ne<br />
nous ramène sur les protagonistes. Il y a<br />
dans ces plans, et dans beaucoup d'autres,<br />
comme une inscription et une rétention<br />
à la fois d'une profondeur qui ne demande<br />
qu'à trouver sa voie et finalement,<br />
s'imposer. Au fur et à mesure, un désir<br />
de veduta travaille les plans, les taraude,<br />
les mine, comme pour percer, puis déchirer<br />
l'effet « toile peinte » ou « plan-tableau<br />
» et atteindre par la perspective à<br />
la vie telle qu'elle est, à un naturalisme<br />
qui coulerait à flot et trouve son point<br />
d'orgue dans la scène de traversée de<br />
Paris en calèche ; une scène où les digues<br />
de la perception semblent rompues, libé-<br />
LA LUTTE POUR LA VIE-43<br />
rant la vision jusqu'à un infini idéal : la<br />
reproductibilité absolue de la réalité, un<br />
réalisme « intégral ».<br />
Stupéfiante traversée documentaire<br />
de Paris. Soudain, la caméra prend <strong>des</strong><br />
ailes, épouse le mouvement du héros en<br />
train de courir derrière un fiacre, nous entraîne<br />
de la gare de Lyon à l'Étoile via la<br />
Bastille, la République, les Grands Boulevards,<br />
l'Opéra, la Madeleine et les<br />
Champs-Élysées. Treize ans avant Berlin,<br />
die Symphonie einer Grosstadt (Symphonie<br />
d'une grande ville), le cœur d'une métropole<br />
se met à battre. C'est très beau.<br />
Jean Roy<br />
1 L'incendie d'un bâtiment est vu depuis la pièce d'en<br />
face, la caméra fixant le dos de Jean en train de regarder<br />
à travers la fenêtre. <strong>La</strong> valeur du plan est dans<br />
l'empilement horizontal de strates de réalité et dans<br />
la distance focale à son objet. Renoir ne procédera pas<br />
autrement dans la Chienne.<br />
René Alexandre (de dos).
44 - FRANCE<br />
LA COMMUNE<br />
1914-Armand Guerra<br />
Réal. : Armand Guerra. Prod. : Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple.<br />
Se. : Lucien Descaves. Int. : Armand Guerra<br />
(Adolphe Thiers et le général Lecomte).<br />
Date de sortie : 28 mars 1914.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 457 m., 22 mn<br />
(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc. Ce film a été restauré avec le concours<br />
de l'historien Nicolas Offenstadt.<br />
Après la défaite de Sedan et la chute du<br />
Second Empire, Adolphe Thiers a été nommé<br />
chef de l'exécutif À Paris, la révolte populaire<br />
est imminente. Le 18 mars 1871, Thiers<br />
convoque le général Lecomte et lui ordonne<br />
de retirer les canons conservés par la Garde<br />
nationale. Or, au même moment, rue <strong>des</strong><br />
Martyrs, un garde national reconnaît un <strong>des</strong><br />
chefs de la répression de juin 1848, le général<br />
Thomas. <strong>La</strong> foule s'ajoute aux soldats et tous<br />
s'emparent de lui. Sur le chemin de la butte<br />
Montmartre, ils rencontrent les troupes de<br />
Lecomte et c'est la fraternisation, crosses en<br />
l'air. Malgré une tentative du comité central<br />
de la Garde nationale pour s'interposer, Lecomte<br />
et Thomas seront exécutés. Apprenant<br />
que Paris s'est soulevé, Thiers s'enfuit à Versailles.<br />
A la suite <strong>des</strong> élections municipales,<br />
la Commune de Paris est proclamée à l'Hôtel<br />
de ville le 28 mars 1871. Quelque quarante<br />
ans plus tard, d'anciens combattants de la<br />
Commune sont réunis devant le Louvre pour<br />
une photo souvenir. On reconnaît Zéphyrin<br />
Camélinat, Jean Allemane et Nathalie Lemel.<br />
Au dernier plan, une inscription sur un drapeau<br />
: « Vive la Commune ! ».<br />
LES DÉBUTS<br />
DU CINÉMA MILITANT<br />
<strong>La</strong> découverte récente, dans les collections<br />
de la <strong>Ciné</strong>mathèque française, du<br />
film la Commune (et aussi de quelques<br />
fragments du Vieux Docker, 1914), constitue<br />
un événement pour les historiens du<br />
cinéma et <strong>des</strong> sciences sociales. Pouvaiton<br />
espérer revoir un jour sur les écrans<br />
les films produits par le <strong>Ciné</strong>ma du<br />
Peuple, cette minuscule société à la durée<br />
de vie très courte (octobre 1913-août<br />
1914), au mode de fonctionnement mo<strong>des</strong>te<br />
et artisanal, et dont les fondateurs,<br />
étrangers à l'industrie cinématographique,<br />
furent tous <strong>des</strong> libertaires passionnés<br />
? Henri <strong>La</strong>nglois en retrouva pourtant<br />
quelques rouleaux non identifiés,<br />
non montés, sans intertitres : à l'heure actuelle,<br />
ce sont les seules traces <strong>des</strong> débuts<br />
du cinéma social et militant, d'un « cinéma<br />
réalisé par le peuple pour le peuple<br />
lui-même », comme le voudront plus<br />
tard les réalisateurs du Front populaire.<br />
Jamais un film <strong>des</strong> premiers temps n' a<br />
eu autant besoin d'explications, semblet-il.<br />
Cette œuvre, par son côté naïf et malhabile,<br />
son ton neutre et incertain, par<br />
certaines <strong>images</strong> d'une beauté saisissante<br />
aussi, est extrêmement déroutante pour<br />
le spectateur qui n'en connaît pas la ge-<br />
nèse.<br />
C'est le 28 octobre 1913 qu'est créée la<br />
« Société coopérative à capital et personnel<br />
variables Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple » t .<br />
Les premiers souscripteurs sont Yves Bidament,<br />
militant syndicaliste <strong>des</strong> chemins<br />
de fer, incarcéré un temps en 1910 ;<br />
Robert Guérard, chansonnier ; Paul Benoist,<br />
cordonnier ; Gustave Cauvin, futur<br />
directeur de l'Office régional du cinéma<br />
éducateur de Lyon 2 ; Félix Chevalier,<br />
coiffeur ; Henriette Tilly, mécanicienne ;<br />
et Camille <strong>La</strong>isant, qui se dit littérateur.<br />
À eux tous, ils apportent cent soixantequinze<br />
francs, mais le capital social est<br />
fixé à la somme de mille francs. À la même<br />
époque, la société Pathé possède un capital<br />
de trente millions de francs.<br />
Le comité de création du <strong>Ciné</strong>ma du<br />
Peuple est en fait beaucoup plus large. Sébastien<br />
Faure, fondateur du journal le Libertaire,<br />
Marcel Martinet, Pierre Martin,<br />
Émile Rousset et d'autres encore sont<br />
venus soutenir l'entreprise. <strong>La</strong> dominante<br />
du groupe est principalement libertaire<br />
mais, comme le souligne Tangui<br />
Perron dans une excellente étude 3 , « il<br />
existait de nombreuses passerelles entre<br />
anarchistes, socialistes et syndicalistes<br />
révolutionnaires ».<br />
Le programme d'action du <strong>Ciné</strong>ma<br />
du Peuple est publié avant même la création<br />
officielle de la société, le 13 septembre<br />
1913 : « Notre but est de faire<br />
nous-mêmes nos films, de chercher dans<br />
l'histoire, dans la vie de chaque jour, dans<br />
les drames du travail, <strong>des</strong> sujets scéniques<br />
qui compenseront heureusement<br />
les films orduriers servis chaque soir au<br />
public ouvrier (...) De toutes nos forces<br />
nous combattrons l'alcool, comme nous<br />
combattrons la guerre, le chauvinisme<br />
stupide, la morale bourgeoise et inepte<br />
". » Depuis longtemps, les libertaires<br />
rêvent de « moraliser » - c'est leur propre<br />
expression - le cinéma, de modifier aussi<br />
l'image de l'ouvrier alcoolique qui se retrouve<br />
dans bon nombre de drames sociaux<br />
produits par Pathé, Gaumont ou<br />
Éclair.<br />
Le 18 janvier 1914, le <strong>Ciné</strong>ma du<br />
Peuple peut enfin présenter, à la salle <strong>des</strong><br />
sociétés savantes de la rue Danton à Paris,<br />
son premier film, les Misères de l'aiguille,<br />
interprété par Musidora et réalisé par Armand<br />
Guerra, auparavant employé chez<br />
Éclair. Selon le témoignage de Guerra 5 ,<br />
cette première bande a été réalisée dans<br />
les studios de la société Lux, ce qui est<br />
peut-être le cas également pour la Commune.<br />
Une fête est organisée à l'occasion<br />
de la présentation du film, en présence de<br />
Lucien Descaves qui fait une conférence<br />
sur le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple, et de Marguerite<br />
Greyval, actrice du Théâtre Antoine,<br />
qui déclame <strong>des</strong> poèmes. Cependant, la<br />
projection est gâchée par le manque de<br />
luminosité de l'appareil. Les <strong>images</strong>, trop<br />
45
46 - FRANCE<br />
sombres, sont tout de même commentées<br />
par Charles Marck, de la CGT.<br />
Cette première présentation est importante,<br />
car s'y retrouvent les deux principaux<br />
intervenants du film la Commune,<br />
Lucien Descaves, écrivain libertaire et<br />
communard, auteur de Ronge-Maille<br />
Vainqueur, et l'Espagnol Armand Guerra,<br />
de son vrai nom José Maria Estivalis-<br />
Calvo, dont la carrière cinématographique<br />
se poursuivra en Russie, en Allemagne<br />
puis en Espagne jusqu'aux années<br />
trente. <strong>La</strong> présence de Marguerite Greyval,<br />
qui jouera dans certains films du <strong>Ciné</strong>ma<br />
du Peuple, est elle aussi révélatrice<br />
: Antoine, le patron du Théâtre-<br />
Libre, avait <strong>des</strong> amis dans le milieu anarchiste.<br />
Autre indication précieuse : les<br />
vues sont commentées par un bonimenteur<br />
issu du milieu syndical.<br />
Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple produira<br />
d'autres films en 1914 : les Obsèques du citoyen<br />
Francis de Pressensé, Victime <strong>des</strong> exploiteurs,<br />
l'Hiver, plaisir <strong>des</strong> riches, souffrance<br />
<strong>des</strong> pauvres, etc. Ce sont de vigoureuses<br />
dénonciations du capitalisme et<br />
du patronat, si l'on en croit les journaux<br />
et les titres mêmes de ces films.<br />
Le samedi 28 mars 1914 (le choix de<br />
la date est symbolique : la Commune de<br />
Paris avait été proclamée le 28 mars 1871 ),<br />
le Palais <strong>des</strong> Fêtes du 199 rue Saint-Martin<br />
à Paris est loué par le <strong>Ciné</strong>ma du<br />
Peuple pour une « grande fête populaire<br />
», et sont projetés Victime <strong>des</strong> exploiteurs,<br />
le Vieux Docker et enfin la Commune,<br />
sans doute le film le plus ambitieux de la<br />
société. Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple avait l'intention<br />
de consacrer une suite à cette histoire<br />
de la Commune, mais la guerre empêcha<br />
toute autre réalisation.<br />
C'est encore Armand Guerra qui réalise<br />
la Commune, assisté pour le scénario<br />
de Lucien Descaves ; Guerra joue deux<br />
rôles, semble-t-il, celui de Thiers et de Lecomte<br />
6 . Le film est un curieux mélange<br />
d'archaïsmes et d'audaces cinématographiques.<br />
Les scènes d'intérieurs, par<br />
exemple, sont toujours bouchées par <strong>des</strong><br />
décors de toile peinte assez maladroits<br />
(mais encore en vigueur dans un grand<br />
nombre de films <strong>des</strong> années dix). En revanche,<br />
les vues de plein air se distinguent<br />
toutes par une perspective très profonde,<br />
de beaux plans représentant <strong>des</strong><br />
rues, <strong>des</strong> murs en ruine ou <strong>des</strong> terrains<br />
vagues. Cette volonté de tourner dehors<br />
évoque les futurs films d'Antoine.<br />
Lorsque Thiers s'enfuit à Versailles après<br />
avoir fébrilement fait le tri dans ses papiers,<br />
nous trouvons de nouveau un très<br />
beau plan en extérieurs, avec une perspective<br />
assez profonde. En outre, la caméra<br />
suit en panoramique Thiers qui<br />
monte dans sa calèche. Ce même désir de<br />
veduta se retrouve dans une scène précédant<br />
l'exécution de Lecomte et Thomas,<br />
filmée en extérieur. Un soldat sur un cheval<br />
blanc arrive de très loin, parti du fond<br />
d'une rue extrêmement longue. Il arrivera<br />
trop tard pour s'interposer.<br />
Un détail curieux révèle une maladresse<br />
de réalisation étonnante, ou alors<br />
une volonté de mise en scène expressionniste<br />
(mais cela paraît peu probable) :<br />
après leur arrestation, un gros plan<br />
montre les visages de Lecomte et Thomas,<br />
grimés d'une façon extraordinairement<br />
outrancière. Les ri<strong>des</strong> sont soulignées<br />
à coup d'épais traits noirs, ils ont<br />
sous les yeux <strong>des</strong> lignes plus claires,<br />
peintes avec une grossièreté d'exécution<br />
évidente.<br />
À la fin du film, la salle de l'Hôtel de<br />
ville où est proclamée la Commune de<br />
Paris, est en fait une pièce tendue de toile<br />
peinte dans laquelle huit comédiens discutent<br />
avec passion autour d'une table.<br />
Les derniers plans, documentaires, sont<br />
assez émouvants : un groupe de l'Association<br />
fraternelle <strong>des</strong> anciens combattants<br />
de la Commune, réuni devant le<br />
Louvre, où sont reconnaissables Zéphyrin<br />
Camélinat, Jean Allemane, Nathalie<br />
Lemel ; le mur du square Gambetta au<br />
Père <strong>La</strong>chaise ; enfin un drapeau avec<br />
l'inscription « Vive la Commune ! ».<br />
Le film de Guerra est donc une œuvre<br />
naïve, maladroite, très mal interprétée,<br />
pleine d'amateurisme malgré les belles<br />
scènes en extérieurs et les efforts pour ouvrir<br />
la profondeur de champ. Guerra a essayé<br />
de raconter en plans alternés les préparatifs<br />
de l'exécution de Lecomte et<br />
Thomas, et la course à cheval du soldat<br />
dépêché pour la stopper. Mais cet essai<br />
de montage n'est pas nouveau en 1914, et<br />
fait par exemple piètre figure à côté d'un<br />
film américain d'une maîtrise extraordinaire,<br />
Suspense de Phillips Smalley, réalisé<br />
un an plus tôt.<br />
L'amateurisme de la Commune s'explique<br />
sans doute par le manque de métier<br />
du jeune réalisateur, et aussi par l'absence<br />
évidente de moyens financiers. Les<br />
décors sont pauvres et les figurants peu<br />
nombreux. Ces maladresses de mise en<br />
scène se retrouvent dans certains films de<br />
petites maisons de production (les<br />
œuvres de la Maison de la Bonne Presse,<br />
pour prendre un exemple dans le camp<br />
adverse, ne sont pas non plus <strong>des</strong> miracles<br />
de réalisation !).<br />
Le scénario de la Commune n'est évidemment<br />
pas très fidèle à la réalité historique<br />
; les lieux géographiques ne sont<br />
pas respectés non plus. Mais le point le<br />
plus troublant, et le plus difficile à éclairer<br />
est celui-ci : pourquoi le ton du film<br />
est-il si neutre, si peu « engagé », si<br />
consensuel ? Alors que les autres films du<br />
<strong>Ciné</strong>ma du Peuple semblent tous teintés<br />
de vives revendications sociales, le propos<br />
de la Commune reste étrangement timide,<br />
sans véritable parti pris. Pendant<br />
toute la projection du film, et avant que<br />
n'intervienne le dernier plan avec le drapeau,<br />
le spectateur non averti a bien du<br />
mal à dire dans quel camp penche<br />
Guerra, celui <strong>des</strong> Communards ou <strong>des</strong><br />
Versaillais ? Lecomte et Thomas ne paraissent<br />
pas précisément antipathiques,<br />
Thiers non plus. Enfin, l'épisode historique<br />
choisi (l'exécution <strong>des</strong> deux généraux)<br />
ne plaide pas vraiment en faveur<br />
<strong>des</strong> insurgés.<br />
Pour tenter de répondre à cette<br />
énigme, il faut d'abord rappeler que le<br />
film a été retrouvé sans ses cartons d'origine<br />
7 . Le travail effectué pour établir le<br />
texte <strong>des</strong> nouveaux intertitres a sans<br />
doute été très délicat : Claudine Kaufmann,<br />
la restauratrice du film, aurait pu<br />
écrire un texte procommunard pour relever<br />
le sens <strong>des</strong> <strong>images</strong>, mais cela auraitil<br />
correspondu à la volonté de Guerra et<br />
du <strong>Ciné</strong>ma du Peuple ? Nous ne le pensons<br />
pas. Un texte « engagé » aurait aussi<br />
probablement souligné encore plus la<br />
neutralité du scénario et le jeu non manichéen<br />
<strong>des</strong> acteurs. Il a donc été choisi<br />
d'établir <strong>des</strong> intertitres très sobres qui se<br />
bornent à restituer le contexte historique<br />
de la Commune. Il ne faut pas oublier non<br />
plus que les films du <strong>Ciné</strong>ma du Peuple<br />
étaient projetés avec les commentaires<br />
d'un bonimenteur. Son rôle était de raconter<br />
l'histoire, de souligner l'action, de<br />
donner un sens plus fort aux <strong>images</strong> :<br />
peut-être était-il aussi chargé, dans ce cas<br />
précis, d'orienter politiquement le film.<br />
Une autre explication pourrait être la<br />
volonté du <strong>Ciné</strong>ma du Peuple d'élargir<br />
son audience. Les premiers films réalisés<br />
n'avaient été projetés que devant<br />
quelques poignées de militants, et en de<br />
rares occasions. Or nous savons que la<br />
Commune a connu une diffusion plus<br />
large, notamment à l'étranger. Le <strong>Ciné</strong>ma<br />
du Peuple rêvait-il de s'introduire dans<br />
les réseaux de distribution classique de<br />
l'époque (Pathé par exemple) ? Il aurait<br />
alors été nécessaire de produire un film<br />
au ton relativement sage. Cette hypothèse<br />
est rendue plausible grâce au témoignage<br />
de Guerra, qui parle de la Commune<br />
comme devant être « pour tout public<br />
sans distinction de classes sociales ou<br />
d'idéologies ». Et un texte publié par les<br />
Temps nouveaux du 14 mars 1914 insiste<br />
même sur l'aspect neutre du film : « Point<br />
n'est besoin de dramatiser quand il s'agit<br />
de la Commune... Les faits sont suffisants...<br />
(Ils) sont assez dramatiques sans<br />
rien y ajouter de fictif. »<br />
Mais ce désir évident de ne pas heurter<br />
le spectateur, de ne pas prendre parti,<br />
va se retourner contre le <strong>Ciné</strong>ma du<br />
Peuple. Après tout cette firme avait une<br />
réelle ambition sociale, une véritable idée<br />
nouvelle à exploiter. Les militants syndicalistes<br />
ou libertaires qui assistaient à la<br />
projection de ce film ne pouvaient être<br />
que déçus, même si les vues étaient renforcées<br />
par le commentaire d'un bonimenteur,<br />
ou si les intertitres originaux<br />
étaient rédigés avec plus de virulence.<br />
Cette déception apparaît très clairement<br />
parmi les militants d'Amsterdam, où le<br />
film fut projeté 8 . Le bonimenteur, Domela<br />
Nieuwenhuis, fondateur d'un parti anarcho-syndicaliste,<br />
n'arriva même pas à<br />
hausser les <strong>images</strong> par son discours : « <strong>La</strong><br />
salle fut pleine, et les spectateurs furent<br />
préparés au film avec de la musique et les<br />
chanteurs de la Voix du Peuple. Mais le<br />
film fut une déception, il est lacunaire et<br />
incomplet comme document historique.<br />
Par exemple, Thiers (le criminel selon<br />
Nieuwenhuis) à son bureau : il essaye de<br />
regarder d'une manière méchante et<br />
donne <strong>des</strong> ordres au général, qui ressemble<br />
beaucoup à un policier ordinaire<br />
(...) Après le film, il y avait une atmosphère<br />
de déception dans la salle. Avec<br />
un film tellement amateur, même un public<br />
d'ouvriers enthousiastes et ardents<br />
ne peut pas être satisfait. Nous ne pensons<br />
pas que cette soirée aura une grande<br />
influence au point de vue de la propagande.<br />
» Voilà qui est net et contredit les<br />
souvenirs de Guerra publiés dans Popular-Film<br />
en 1935 : « la Commune fut chaleureusement<br />
accueilli », « le <strong>Ciné</strong>ma du<br />
Peuple acquit une popularité extraordinaire<br />
» - cette dernière phrase étant fortement<br />
exagérée.<br />
Sans doute, le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple a-til<br />
fait fausse route en renonçant à sa première<br />
vocation libertaire et sociale, en essayant<br />
d'imiter le Film d'Art ou les<br />
drames historiques de Pathé. Toujours<br />
est-il que cette généreuse entreprise, balayée<br />
par la déclaration de guerre, ouvre<br />
la voie au futur cinéma du Front populaire,<br />
au cinéma ouvrier et militant. <strong>La</strong><br />
Commune, avec toutes ses imperfections,<br />
constitue une étape importante dans<br />
l'histoire d'un cinéma qui se voulait porteur<br />
d'espoir et de courage pour la classe<br />
LA COMMUNE - 47<br />
ouvrière. Ce film nous apparaît aujourd'hui<br />
inférieur à sa mission, mais peutêtre<br />
n'a-t-il pas encore livré tous ses secrets.<br />
<strong>La</strong>urent Mannoni<br />
1 <strong>La</strong>urent Mannoni, « 28 octobre 1913 : création de la<br />
société Le <strong>Ciné</strong>ma du Peuple », 1895, numéro hors<br />
série « L'année 1913 en France », Paris, AFRHC, octobre<br />
1993.<br />
1 Voir Raymond Borde, Charles Perrin : les Offices du<br />
cinéma éducateur et la survivance du muet, Lyon, PUL,<br />
1992.<br />
3 Tangui Perron : « Le contrepoison est entre vos<br />
mains, camara<strong>des</strong>. CGT et cinéma au début du<br />
siècle », le Mouvement social, n° 172, juillet-septembre<br />
1995.<br />
4 Le Libertaire, 13 septembre 1913.<br />
5 Armand Guerra : « Algo sobre la Cooperativa<br />
U.C.CE. », Popular-Film, mars-avril 1935.<br />
6 Selon Antonia Fontanillas (lettre à Bernard Bénoliel,<br />
25 novembre 1995).<br />
7 Un autre film restauré par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />
l'Aurore de la révolution russe, réalisé en Russie<br />
à peu près la même année que la Commune, pose le<br />
problème identique du sens politique à donner à cette<br />
œuvre ambiguë en l'absence de Tintertitrage d'origine.<br />
Sur l'Aurore de la révolution russe, voir le texte de<br />
Charles Tesson, page 151.<br />
! Renseignements aimablement communiqués par<br />
Ivo Blom (article extrait du quotidien Nieuws van de<br />
Dag) et traduits par Bregtje <strong>La</strong>meris.
LE FEU<br />
Circa 1919<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1074 m., 47 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Montage de documents tournés par <strong>des</strong><br />
opérateurs <strong>des</strong> armées pendant les combats de<br />
la Guerre 1914-1918.1) <strong>La</strong> mobilisation à la<br />
gare de l'Est. 2) L'exode <strong>des</strong> populations <strong>des</strong><br />
régions envahies. 3) <strong>La</strong> guerre navale, le blocus<br />
maritime contre VAllemagne, le travail<br />
<strong>des</strong> sous-marins. 4) Sur le front terrestre :<br />
mouvements de troupes, installation d'une<br />
batterie. Les tranchées, les assauts, les tirs de<br />
barrage, le feu, la boue. 5) Les chars en campagne.<br />
6) Une attaque allemande. Les soldats<br />
sortent <strong>des</strong> tranchées. Les lance-flammes, les<br />
gaz. L'envahisseur est repoussé, la contre-attaque<br />
victorieuse. Des prisonniers, <strong>des</strong> blessés<br />
et <strong>des</strong> morts. 7) Les soldats français à<br />
l'honneur : le poilu est un héros.<br />
LE GRAND ÉCART<br />
Indiquant d'emblée son ambition de<br />
« décrire la vie quotidienne dans l'horreur<br />
<strong>des</strong> tranchées », le Feu ne tient visiblement<br />
pas sa promesse. <strong>La</strong> propagande<br />
se cache sous ce carton trompeur. Car de<br />
l'horreur <strong>des</strong> tranchées, on ne verra rien<br />
ou presque, par défaut, parfois quelques<br />
cadavres tombés au sol dans la brume<br />
d'une attaque matinale. En revanche, les<br />
manœuvres d'encerclement et l'assaut<br />
<strong>des</strong> poilus, le dévouement de ce « mur<br />
vivant » qui protège de l'agression la<br />
terre de France, la reddition massive <strong>des</strong><br />
soldats allemands, tout cela est rendu à<br />
l'écran de façon détaillée. Ce souci du détail<br />
rassérénant est encore accentué lorsque<br />
le Feu se penche sur la puissance matérielle<br />
de l'armée française. Non seulement<br />
ses hommes mais ses machines : canons,<br />
bateaux, sous-marins. Un long développement<br />
est consacré à l'efficacité et<br />
à la technologie imparable de ces derniers,<br />
sans doute parce que la nouveauté<br />
du « requin cuirassé » est plus impressionnante<br />
que la survie, quasi infilmable,<br />
<strong>des</strong> hommes enterrés dans leurs tran-<br />
chées.<br />
C'est autour de cette idée que tourne<br />
finalement le Feu, qu'il tourne en rond devrait-on<br />
dire : comment filmer une guerre<br />
où coexistent les technologies les plus<br />
disparates ? Les effets de contraste sont<br />
ainsi saisissants entre les cuirassés blindés,<br />
les sous-marins nouveaux, les canons<br />
déjà sophistiqués, l'utilisation <strong>des</strong><br />
gaz de combat, d'une part, et la présence<br />
d'hommes davantage écrasés que protégés<br />
par leur équipement, visiblement attachés<br />
aux manières et moyens anciens<br />
de la guerre, bateaux à voiles, ânes, charrettes<br />
à chevaux... Lorsque le moderne<br />
rencontre l'ancien, les conséquences sont<br />
dévastatrices pour l'humain, et le cinéma<br />
l'enregistre de façon impitoyable, comme<br />
un effet de modernité terrifiant : bateaux<br />
qui sombrent en quelques secon<strong>des</strong>, obus<br />
qui volatilisent <strong>des</strong> charrettes, gaz qui déciment<br />
la piétaille. Mais cela apparaît à<br />
49<br />
l'écran par défaut, tout en étant criant de<br />
vérité, puisque tous les efforts <strong>des</strong> opérateurs<br />
et <strong>des</strong> monteurs, comme ceux <strong>des</strong><br />
cartons de commentaire, consistent au<br />
contraire à glorifier l'action et la bravoure<br />
<strong>des</strong> hommes ou à privilégier le caractère<br />
protecteur <strong>des</strong> machines. Ce que l'on voit<br />
sur l'écran, c'est la terrible entrée <strong>des</strong><br />
hommes dans l'ère moderne de la guerre<br />
<strong>des</strong>tructrice ; ce que voudrait nous faire<br />
croire le film, c'est à l'éternelle bravoure<br />
<strong>des</strong> armées françaises. Dans cet écart<br />
abyssal, réside l'intérêt du Feu.<br />
Antoine de Baecque<br />
î^our mettre<br />
i / ^^èy^ileur batterie en<br />
iction.les friîz<br />
pataugent" dans<br />
la boue-.
50 - FRANCE<br />
TRAVAIL<br />
(version courte)<br />
1919-Henri Pouctal<br />
Réal. : Henri Pouctal. Prod. : Le Film d'Art (Vandal et<br />
Delac). Auteur : Émile Zola, d'après son roman<br />
homonyme. Adapt. : Henri Pouctal. Dir. ph. : Dubois,<br />
Schaeffer, <strong>La</strong>umann, Guérin, Louis Chaix.<br />
Déc. : Bertin. Int. : Léon Mathot (Luc Froment), Marc<br />
Gérard (Martial Jordan), Andrée Lionel (Sœurette),<br />
Davesnes (Morfain), Raphaël Duflos-Sociétaire de la<br />
Comédie-Française (Delaveau), Jean Peyrière<br />
(Boisgelin), Raymond Fabre (Bonnaire), Camille Bert<br />
(Ragu), Bosman (Bourron), Sabine Lenoir (<strong>La</strong> Toupe),<br />
Henriette Gautier (<strong>La</strong> Babette Bourron), Huguette<br />
Duflos-de la Comédie-Française (Josine), Fabien<br />
Haziza (Nanet), Gilbert Dalleu (Jérôme Qurignon),<br />
Raymond (Dacheux), Simone Damaury-de la<br />
Comédie-Française (Mme Mitaine), Mildey (Petit-Da),<br />
Mlle Belle (Ma-Bleue), Claude Mérelle (Fernande<br />
Delaveau), la petite Simone Genevois (Nise<br />
Delaveau), Juliette Clarens (Suzanne Boisgelin), Lily<br />
Boston (Paul Boisgelin), Jacques Robert (Nanet adulte),<br />
Andrée Brabant (Nise adulte). Date de sortie : 16<br />
janvier 1920 (version longue). Métrage, minutage<br />
copie Cf. : 3249 m., 142 mn (à 20 i/s). Générique et<br />
intertitres français reconstitués. Couleurs (teintages).<br />
— Ce n'est pas vous que je<br />
veux rendre plus riche, ce sont<br />
les déshérités, les travailleurs.<br />
<strong>La</strong> juste et heureuse société de<br />
demain n'est que dans une nouvelle<br />
organisation du travail.<br />
Eh bien! c'est cela que je veux<br />
tenter ici en associant le capital,<br />
le travail et le talent.<br />
Ingénieur, connaissant aussi le travail<br />
manuel, scandalisé par la misère ouvrière,<br />
Luc Froment se rend au haut-fourneau de la<br />
Crêcherie, à la demande de Martial Jordan, le<br />
directeur. Celui-ci veut vendre l'installation<br />
à Delaveau qui dirige l'Abîme, les aciéries<br />
concurrentes pourtant affaiblies par deux<br />
mois de grève. Luc voit la faim <strong>des</strong> femmes et<br />
<strong>des</strong> enfants, l'alcoolisme <strong>des</strong> hommes et constate<br />
l'existence de deux mon<strong>des</strong> parallèles. Le<br />
monde <strong>des</strong> riches avec les Delaveau, Boisgelin<br />
le propriétaire de l'Abîme, sa femme Suzanne,<br />
une grande philanthrope, Jérôme Qurignon,<br />
le fondateur aujourd'hui paralysé et<br />
muet. Le monde <strong>des</strong> pauvres : Bourron l'ouvrier,<br />
Bonnaire le maître puddleur, sa femme<br />
<strong>La</strong> Toupe et son beau-frère, le violent Ragu,<br />
enfin Nanet et sa sœur aînée, la jolie Josine,<br />
compagne malheureuse de Ragu. Luc convainc<br />
Jordan défaire de la Crêcherie une sorte<br />
de laboratoire social, un creuset alliant le capital<br />
et le travail. Bientôt, Bonnaire, Ragu,<br />
Bourron travaillent à l'usine nouvelle tandis<br />
que les familles vivent heureuses dans une cité<br />
propre. Au cours d'un procès intenté à la Crêcherie<br />
par une coalition d'intérêts allant du<br />
boucher à Boisgelin, Luc dit sa « foi dans la<br />
grande aurore qui se lève ». À peine acquitté,<br />
il doit faire face à la fronde de ses ouvriers qui,<br />
l'un après l'autre, retournent à l'Abîme. Luc<br />
et Josine deviennent amants ; elle lui donnera<br />
un garçon. Ragu poignarde son rival qui<br />
en réchappe. Boisgelin ruine son entreprise<br />
pour vivre dans le luxe et entretenir sa maîtresse,<br />
la femme de Delaveau. Ce dernier découvrant<br />
l'adultère, met le feu à son bureau,<br />
jette l'infidèle dans les flammes et reste dans<br />
la fournaise. L'incendie gagne les bâtiments<br />
et bientôt l'Abîme n'est plus que ruines. Des<br />
années passent : la Crêcherie est une réussite,<br />
tous rayonnent de bonheur, le progrès est<br />
en marche. C'est le dernier jour avant la retraite<br />
pour Morfain, le vieux maître fondeur.<br />
Devant tout le monde, il se jette dans l'acier<br />
en fusion et finit tel « Vulcain enchaîné à sa<br />
forge ».<br />
LE FILM ET LE CINEMA<br />
Des Quatre Évangiles de Zola, écrits à<br />
la fin de sa vie, seuls les deux premiers<br />
furent terminés : Fécondité, en 1899, et<br />
Travail, en 1901. Vérité resta inachevé, et<br />
Justice, à l'état de projet, quand survint,<br />
par asphyxie, la mort de Zola en 1902. Le<br />
projet de ces évangiles est de tracer l'édification<br />
d'une société nouvelle, avec les<br />
quatre fils (Luc, Mathieu, Marc et Jean)<br />
de Pierre et Marie Froment. Dans une<br />
ébauche préparatoire à la rédaction de<br />
ces évangiles, Zola écrivait : « C'est la<br />
conclusion naturelle de toute mon<br />
œuvre, après la longue constatation de la<br />
réalité, une prolongation dans demain et<br />
d'une façon logique, de mon amour de la<br />
force et de la santé, de la fécondité et du<br />
travail, mon besoin latent de justice, éclatant<br />
enfin (...) Je suis content surtout de<br />
pouvoir changer ma manière, de pouvoir<br />
me livrer à tout mon lyrisme et à toute<br />
mon imagination ». Zola, dans ce codicille<br />
massif aux Rougon-Macquart, était<br />
animé d'une ambition tolstoïenne d'éducateur<br />
ou de chef spirituel, comme le note<br />
son biographe, Frederick Brown. Ecrit<br />
entre le 15 mars 1900 et le 6 février 1901,<br />
Travail fut chroniqué, à sa sortie, par Jaurès,<br />
qui fit l'éloge de ce que la « révolution<br />
sociale avait trouvé son poète », tout<br />
en regrettant que l'action de la coopérative<br />
soit isolée, dans le roman, du mouvement<br />
politique d'ensemble. Un banquet<br />
fut organisé en l'honneur du livre,<br />
le 9 juin 1901, par <strong>des</strong> disciples de Fourier.<br />
Travail, le livre, est grevé par une<br />
lourdeur monomane démonstratrice, et<br />
une vision très naïvement puritaine <strong>des</strong><br />
plaisirs corrupteurs où s'abandonne la<br />
bourgeoisie. Le secret d'une alliance antérieure<br />
entre <strong>des</strong> personnages psychologiquement<br />
transluci<strong>des</strong> mais sièges<br />
d'une énergie pulsionnelle et une investigation<br />
dont les Carnets d'enquête donnent<br />
la mesure, paraît ici littérairement<br />
perdu.<br />
De 1901 à 1919, la distance est chronologiquement<br />
courte, mais historiquement<br />
capitale. Parmi les enfants d'une<br />
guerre d'élites criminelles, par populations<br />
interposées, la révolution de 1917<br />
est bien sûr la coupure. Entre autres<br />
conséquences, le mouvement de Jaurès<br />
s'en trouvera scindé. Ceci seul suffit à accentuer,<br />
dans le film, une intention réconciliatrice,<br />
déjà patente chez Zola. Le<br />
film que Pouctal a tiré du livre brasse lui<br />
aussi une ample matière d'événements.<br />
C'est même sa première caractéristique<br />
frappante, de faire s'entrecroiser autant<br />
de personnages, c'est-à-dire de rivaliser<br />
avec la puissance romanesque dont c'est<br />
une <strong>des</strong> composantes. Malgré ses inten-<br />
tions fidèles (ou à cause d'elles, c'est le cinéma<br />
qui métamorphose le matériau),<br />
Travail, qui s'ouvre sur un portrait de<br />
Zola et se ferme sur celui de Pouctal assis<br />
à un bureau et écrivant, est un emprunt<br />
réussi : la rivalité qui n'avait pas lieu<br />
d'être s'est métamorphosée en alchimie<br />
positive.<br />
Il en existe deux versions, longue et<br />
courte, conservées par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française. <strong>La</strong> longue fut exploitée en six<br />
parties, les deux derniers épiso<strong>des</strong> étant<br />
regroupés, au cours du mois de janvier<br />
1920. C'est la version courte qui fait l'objet<br />
de cette restauration. Cependant, signalons<br />
rapidement comment le passage<br />
de l'une à l'autre s'est opéré. Il ne s'est<br />
pas agi de raccourcir les plans sur la<br />
durée entière, mais d'enlever totalement<br />
<strong>des</strong> fragments narratifs annexes à l'histoire<br />
centrale : dans la présentation du<br />
vieux Bauclair, au début du film, un épisode<br />
absent de la version courte concerne<br />
Mme Fauchard, avant les femmes entre<br />
elles, parlant <strong>des</strong> difficultés de la grève.<br />
Un peu plus tard, c'est à l'intérieur du cabaret<br />
qu'apparaît le père Lunot, recueilli<br />
par son gendre Bonnaire, uniquement<br />
dans la version longue.<br />
Ainsi s'accentue cette coupe sociale<br />
qu'est le film. Certes, un personnage central,<br />
Jacques Froment (Léon Mathot), assure<br />
le lien entre les milieux sociaux traversés,<br />
mais parfois il disparaît, sans que<br />
la narration en souffre, et le récit n'est pas<br />
placé sous son regard. Il est possible<br />
qu'une telle pression quasi arithmétique<br />
ait joué positivement sur les parti pris du<br />
film : la nécessité de tenir ainsi de nombreuses<br />
<strong>des</strong>tinées, impliquant une sobriété<br />
dans leur traitement et, par contrecoup,<br />
une large expulsion du pathos dans<br />
le jeu. Les ouvriers travaillent, boivent<br />
dans les cabarets où les bouteilles peuplent<br />
les tables, et les bourgeois, ces<br />
plantes domestiques dans <strong>des</strong> décors pétrifiés<br />
(c'est l'époque qui le veut), sont saisis<br />
ailleurs que dans le registre seul de<br />
l'âme. Une certaine quantité d'action<br />
comprimée expulse tendanciellement<br />
toute rhétorique psychologique. Ce que<br />
Delluc soulignait déjà, dans un texte du<br />
5 janvier 1920, de Comoedia illustré: ils<br />
« interprètent brillamment cette symphonie<br />
cinématographique dont le protagoniste<br />
n'est rien moins que le labeur<br />
humain. Le cinéma dépasse la prose, par<br />
bonheur. Le tumulte essoufflé d'Emile<br />
Zola disparaît dans la netteté radieuse de<br />
la photogénie ». Curieusement, si l'on excepte<br />
la part datée du jeu d'Huguette Duflos<br />
(Josine), la pathétisation se retrouve<br />
dans les cartons : « Etait-ce donc en Messie<br />
qu'une force ignorée le faisait tomber<br />
dans ce coin de labeur et de misère ? »<br />
De même, le tournage dans <strong>des</strong> lieux<br />
réels imprime au film <strong>des</strong> passages de nature<br />
quasiment documentaires, comme<br />
l'extérieur et l'intérieur <strong>des</strong> aciéries de<br />
l'Abîme : lent panoramique de droite à<br />
gauche, découvrant en surplomb l'étendue<br />
<strong>des</strong> hangars, les plans <strong>des</strong> fours teintés<br />
en rouge, le trajet métallurgique mécanisé<br />
du tréfilage et l'agitation phosporescente<br />
<strong>des</strong> filsd'acier enfusion, « les laitiers<br />
» ; mais aussi, dans le vieux Bauclair,<br />
les rues étroites et très lumineuses, teintées,<br />
où jouent les enfants dans une exactitude<br />
solaire <strong>des</strong> matières qui excède la<br />
fonction purement narrative. Plus tard<br />
encore, <strong>des</strong> plans rougeoyants de l'usine<br />
en font un inferno ou un Pompei industriel.<br />
Devant la boucherie où deux carcasses<br />
de bœuf retournées pendent, présence<br />
massive et écorchée, le commerçant,<br />
sanglé dans sa blouse, regarde ; un<br />
enfant est là qui observe ces vian<strong>des</strong> : le<br />
plan est déjà en lui-même frappant, à<br />
cause de cette violence, aujourd'hui masquée,<br />
de nos nécessités carnivores ; et la<br />
frontalité lui donne une valeur de tableau<br />
brut : bien sûr, cette viande a une connotation<br />
naturaliste, mais surtout elle est filmée<br />
comme une fascination que partage<br />
cet enfant, puisqu'il vient l'observer, sans<br />
qu'on sache si cette curiosité est mise en<br />
scène ou spontanée.<br />
Le passage de l'individuel au collectif<br />
est maîtrisé, grâce à l'usage de l'échelle<br />
<strong>des</strong> plans qui sont la signification presque<br />
TRAVAIL-51<br />
immédiate de ce changement. Et, comme<br />
<strong>des</strong> plans larges donnent une situation à<br />
un lieu, les bâtiments de la crèche par<br />
exemple, les raccords dans l'axe, qui sont<br />
une figure récurrente, modulent ces passages.<br />
Parfois, un travelling arrière assez<br />
lent découvre, d'un personnage (Delaveau)<br />
son environnement. C'est un film<br />
de cadre, plus que d'opposition, au sens<br />
où le champ-contrechamp, ici inconnu,<br />
redistribue alternativement les personnages<br />
: dans la bagarre avec Ragu, c'est<br />
la fenêtre illuminée d'éclairs qui fait le<br />
plan alternant ; quand on parle, dans Travail,<br />
c'est dans le même plan ; ou alors<br />
c'est un personnage qui appelle le horschamp.<br />
Le film se plie, comme dans l'incendie,<br />
à l'impératif simple de son postulat<br />
réaliste et vient vérifier par le filmage,<br />
le feu. L'articulation entre le détail<br />
et son ensemble a parfois une maladresse<br />
dans la collure où se datent les plans<br />
larges, quand Luc par exemple vient regarder<br />
Josine et leur enfant, dans une vue<br />
en plongée, suivi par un plan de la pièce<br />
plus évidemment inerte, même si c'est<br />
une succession inverse qui serait plus attendue<br />
(cet enchaînement garde une<br />
sorte de fragilité transitoire entre la soumission<br />
<strong>des</strong>criptive, parfois passive <strong>des</strong><br />
plans larges et la valeur dynamique et<br />
isolante du découpage, comme dans cet<br />
insert d'un coup de pied complice<br />
échangé sous une table entre deux ouvriers<br />
qui chambrent Fouchard sur la réalité<br />
de leur salaire à la coopérative). <strong>La</strong> fin<br />
donne à l'usage <strong>des</strong> teintages une valeur<br />
dramatique majorée par la mise en scène.<br />
Quand Morfain, le vieil ouvrier qui a découvert<br />
un nouveau filon salvateur, va<br />
prendre sa retraite et effectue sa dernière<br />
coulée, Luc, on le comprend à un plan sur<br />
son visage avant le carton, pressent<br />
quelque chose. Une plongée dans l'architecture<br />
métallique du gueulard le<br />
montre gravir les marches, suivi par un<br />
panoramique ascensionnel d'accompagnement.<br />
Une belle succession de plans<br />
bleus et rouges accompagne le saut mortel<br />
de Morfain dans le foyer du gueulard,
52 - FRANCE<br />
laissant Luc impuissant : ici, dans ces variations<br />
chromatiques, passe la distance<br />
qui, malgré ses efforts, sépare Luc de la<br />
réalité ouvrière. Et en dépit du carton indiquant<br />
que Morfain est ce « Vulcain enchaîné<br />
à sa forge, ennemi aveugle de tout<br />
ce qui le libérait », le sentiment éprouvé<br />
est plutôt celui du corps ouvrier broyé<br />
par l'industrie, du grand vampirisme<br />
mortel de la production, venant ainsi corriger,<br />
ou plutôt complexifier ce que le<br />
récit détient de réconciliation trop idéo-<br />
logique.<br />
Associer « capital, travail et talent »,<br />
c'est l'utopie de Luc, dont le phalanstère<br />
est la réalisation. Le film, certainement, la<br />
partage, et c'est sa limite. Mais le réalisme<br />
<strong>des</strong> « décors » contribue à mesurer la distance<br />
incompatible entre les classes, un<br />
peu comme si, dans Travail, le cinéma<br />
était plus fort que les présupposés idéo-<br />
logiques du film.<br />
Philippe Arnaud<br />
Léon<br />
Mathot<br />
Fabien<br />
Haziza.
54 - FRANCE 55<br />
Camille Bert<br />
Camille Bert,<br />
Jean Lorette.<br />
HACELDAMA<br />
ou le Prix du sang<br />
1919 - Julien Duvivier<br />
Réal. : Julien Duvivier. Prod. : Burdigala Film (Julien<br />
Duvivier). Se. : Julien Duvivier. Dir. ph. : Gaston<br />
Aron, Julien Duvivier. Mont. : Julien Duvivier.<br />
Int. : Séverin Mars (<strong>La</strong>ndry Smith), Camille Bert (Bill<br />
Stanley), Jean Lorette (Jean Didier), Pierre <strong>La</strong>urel<br />
(Pierre Didier), Susy Lilé (Minnie Pestrat), Yvonne<br />
Brionne (Kate Lockwood).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1551 m., 75 mn<br />
(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués<br />
(Hubert Niogret). Noir et blanc.<br />
<strong>La</strong>ndry Smith, un homme secret, vit avec<br />
sa pupille Minnie au fin fond de la Corrèze.<br />
Kate Lockwood, la servante, fait venir Bill<br />
Stanley, un gaucho mexicain particulièrement<br />
sadique, pour liquider le maître <strong>des</strong> lieux<br />
et mettre la main sur son magot. Bill arrive<br />
dans la région en même temps qu'un nommé<br />
Jean Didier, dont le père s'est autrefois suicidé<br />
par la faute de <strong>La</strong>ndry. Le jeune homme<br />
s'éprend rapidement de Minnie, la sauve <strong>des</strong><br />
griffes du brutal gaucho et ne tarde pas à être<br />
l'hôte de son ennemi juré. Un soir, il entre<br />
dans le bureau de <strong>La</strong>ndry, lui avoue sa véritable<br />
identité et l'assomme avec un chandelier.<br />
Au même moment, Bill pénètre dans la<br />
chambre de Minnie, l'enlève et s'enfuit en voiture.<br />
À moto, Jean se lance à leur poursuite.<br />
Il les rattrape et parvient à balancer Bill dans<br />
un torrent. Revenu à lui, <strong>La</strong>ndry raconte : il<br />
a été l'amant de la femme de Pierre Didier,<br />
qui s'est donné la mort en découvrant l'adultère.<br />
Et Jean est le fils de <strong>La</strong>ndry ! <strong>La</strong>issant<br />
les amants à leur avenir radieux, le coupable<br />
part pour un exil qui durera toute sa vie : ainsi<br />
est payé le prix du sang (« Haceldama ») qui<br />
coula autrefois.<br />
LES INVENTIONS<br />
D'UN DÉBUTANT<br />
Le jeune cinéaste inexpérimenté de 23<br />
ans qui réalise Haceldama en 1919, avec<br />
une équipe technique réduite au minimum,<br />
et assure lui-même les principaux<br />
postes (auteur du scénario, il partage la<br />
prise de vues avec un opérateur de l'armée<br />
qui vient d'être démobilisé, effectue<br />
le montage, et apparemment organise la<br />
production), semble presque tout<br />
connaître d'un exercice qu'il n'a approché<br />
jusque-là que d'assez loin. Régisseur<br />
d'Antoine et de quelques autres réalisateurs<br />
français travaillant pour la même<br />
société de production, Julien Duvivier a<br />
exercé un métier qui est loin de l'assistanat<br />
tel qu'il se pratique dans le cinéma<br />
contemporain, et qui doit beaucoup plus<br />
à la tradition théâtrale dont il est issu et<br />
qu'il chérit, où le régisseur est un organisateur<br />
de l'intendance.<br />
Haceldama n'a en tout cas plus rien de<br />
la théâtralité qui a imprégné le cinéma<br />
primitif français disparu avec la Première<br />
Guerre mondiale. Au croisement de plusieurs<br />
traditions françaises et étrangères,<br />
Haceldama est l'héritier de William Hart<br />
(la silhouette du « Gaucho », improbable<br />
mexicain qui ressemble beaucoup plus à<br />
un cow-boy <strong>des</strong> Etats-Unis ; les coups de<br />
revolver en gros plan et face à la caméra ;<br />
la bagarre très physique dans l'auberge),<br />
du sériai français <strong>des</strong> années dix (une narration<br />
qui vaut plus par ses rebondissements<br />
et retournements que par son déroulement<br />
global), et d'une tradition<br />
française naissante <strong>des</strong> tournages en extérieurs,<br />
après avoir si longtemps utilisé<br />
les toiles peintes puis les décors construits<br />
en volume dans les premiers studios<br />
cinématographiques (d'où la réputation<br />
d'Haceldama d'être un « western<br />
corrézien »). Le film est aussi à cheval<br />
entre deux époques quant à la direction<br />
d'acteurs : Séverin Mars, sa « vedette »,<br />
n'a jamais quitté le cinéma primitif et devait<br />
sans doute être assez incontrôlable<br />
pour le jeune cinéaste, tandis que Jean Lo-<br />
rette, Susy Lilé qui forment le jeune<br />
couple amoureux dans l'intrigue, appartiennent<br />
déjà au cinéma moderne.<br />
Le plus étonnant d'Haceldama, c'est le<br />
parallélisme <strong>des</strong> récits (les Deux Destinées<br />
est d'ailleurs le titre de la première <strong>des</strong><br />
quatre parties du film) mis en œuvre dans<br />
un montage qui passe d'un récit à l'autre,<br />
et parfois les entrecroise pour que se rencontrent<br />
les personnages avec une fluidité<br />
et une liberté remarquables parce<br />
que sans systématisme. Le découpage,<br />
auquel le montage sait donner le bon<br />
tempo, multiplie les changements de<br />
plans (champs et contrechamps, mais<br />
aussi raccords dans l'axe, retournements)<br />
et sait jouer <strong>des</strong> contrastes entre gros<br />
plans et plans larges, entre plans à hauteur<br />
d'homme et en plongée (les séquences<br />
de la ballade en voiture de la<br />
jeune femme et la bagarre entre Camille<br />
Bert-le Gaucho et Jean Lorette sont très<br />
représentatives de cette conception).<br />
Mais un jeu de regards simplement en<br />
champ-contrechamp sait aussi traduire<br />
très finement l'émotion d'une rencontre<br />
entre deux jeunes gens.<br />
L'invention stylistique d'Haceldama,<br />
plus que l'élaboration d'un sujet chargé<br />
de conventions, est la preuve déjà chez le<br />
jeune cinéaste Julien Duvivier d'un souci<br />
d'offrir au spectateur une dramaturgie<br />
riche et tendue, le montage incisif d'un<br />
découpage inventif qui sollicite en permanence<br />
l'attention sur <strong>des</strong> personnages<br />
constamment mis en situation dans leur<br />
environnement. Toutes qualités qu'au fil<br />
d'une carrière qui se terminera quarantehuit<br />
ans plus tard, Julien Duvivier ne cessera<br />
de développer, film après film, sans<br />
souci déclaré d'être un auteur, mais avec<br />
la passion de son métier.<br />
Hubert Niogret
LUITZ-MORAT<br />
LES CINQ GENTLEMEN<br />
MAUDITS<br />
1920 - Luitz-Morat, Pierre Régnier<br />
Réal. : Luitz-Morat, Pierre Régnier. Prod. : Films Luitz-<br />
Morat. Auteur : André Reuze, d'après sa nouvelle<br />
homonyme. Dir. ph. : Franck Daniau-Johnston.<br />
Déc. : Francis Jourdain. Tournage en Tunisie.<br />
Int. : André Luguet (Yves Le Guérantec), Luitz-Morat<br />
(Luitz Kaladjian), Yvonne Devigne (Jacqueline<br />
Delviaz), Pierre Régnier (<strong>La</strong>wson), Aïscha Mabrouka<br />
(la marchande d'amulettes), Si Ahmed Ben Abdallah<br />
(le mendiant), Ledrument, ]ean de Merly, Lully.<br />
Date de sortie : 3 septembre 1920.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1332 m., 58 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : Remerciements à Éric Le Roy.<br />
Fils d'un riche armateur breton, Yves<br />
s'apprête à embarquer pour l'Orient. Dans<br />
une fumerie d'opium sur la Riviera, il rencontre<br />
Luitz, soi-disant le fils du banquier de<br />
Constantinople. Le jour suivant, Yvesretrouve<br />
Luitz accompagné d'un ami, monsieur<br />
<strong>La</strong>wson. Les trois oisifs décident défaire une<br />
excursion en Afrique du Nord. Sur le bateau,<br />
Yves a la bonne surprise de revoir la jolie Jacqueline,<br />
une amie de fraîche date en route vers<br />
le Sud Tunisien. Le trio est maintenant à<br />
Tunis, à la terrasse d'un grand hôtel où Luitz<br />
tombe sur deux vieux camara<strong>des</strong>, Midlock et<br />
Madolini. Au cours d'une visite <strong>des</strong> souks, les<br />
cinq gentlemen manquent de respect à une<br />
marchande d'amulettes. Alors, un mendiant<br />
leur prédit qu'ils mourront l'un après l'autre<br />
avant que la lune ne soit ronde. Et la malédiction<br />
s'accomplit : le premier, Midlock, périt<br />
noyé. Puis, <strong>La</strong>wson décède d'une conges-<br />
tion foudroyante. À son tour, Madolini est retrouvé<br />
avec un poignard dans le dos. Luitz est<br />
censé être le quatrième sur la liste. Un matin,<br />
il manque de se brûler la cervelle et avoue à<br />
l'ami qui a retenu son bras la raison de son<br />
geste : il est criblé de dettes de jeu. Yves lui<br />
signe un papier valant quatre cents mille<br />
francs. Le lendemain, Luitz a disparu mais<br />
dans une rue de Tunis, Yves suit la silhouette<br />
familière de... Madolini qui le conduit au repaire<br />
<strong>des</strong> truands. Personne n 'est mort et tous<br />
appartiennent à une association de malfaiteurs,<br />
du mendiant à Luitz, le cerveau du<br />
groupe. Yves revient avec la police. <strong>La</strong> lettre<br />
de créances est récupérée, la bande arrêtée,<br />
sauf le chef qui parvient à s'enfuir. Mais<br />
qu'importe, Jacqueline est là et Yves l'embrasse.<br />
LE JUIF ERRANT<br />
1926-Luitz-Morat<br />
Réal. : Luitz-Morat. Prod. : Société <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans.<br />
Direction artistique : Louis Nalpas. Auteur : Eugène<br />
Sue, d'après son roman homonyme, et la pièce de<br />
D'Ennery, Eugène Sue, Prosper Dinaux. Se. : Jean-<br />
Louis Bouquet. Dir. ph. : Raoul Aubourdier,<br />
Mérobian, André Reybas, Georges Daret, Maurice<br />
Arnou. Intérieurs tournés aux studios <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans,<br />
à Joinville. Extérieurs à Paris. Int. : Gabriel Gabrio<br />
(Dagobert), André Marnay (Ahasvérus, le Juif errant),<br />
Jean Peyrière (le Christ/Rennepont), Jeanne Helbling<br />
(Adrienne de Cardoville), Suzanne Delmas (<strong>La</strong><br />
Mayeux), Charlotte Barbier-Krauss (Françoise),<br />
Maurice Schutz (d'Aigrigny), Antonin Artaud<br />
(Gringalet), Sylvio de Pedrelli (Djalma), Georges<br />
Bernier (Couche-Tout-Nu), Suzanne Hiss, Jeanne Pen<br />
(Rose et Blanche Simon), Jean Devalde (l'Abbé<br />
Gabriel), Fournez-Goffard (Rodin), Louis Alibert<br />
(Agricol), Génia Dora (Rebecca), Claude Mérelle (la<br />
baronne de Saint-Dizier), Simone Mareuil (Céphise),<br />
Jane Méa (Mme Grivois), Adine Bertin (l'amie<br />
d'Adrienne), Rose Mai, Stella Dargis, Jane Pierson,<br />
Adolphe Candé (le docteur Baleinier), Raoul<br />
Chennevières (Eleazar), Bouchard (le baron Tripeau),<br />
Fernand Mailly (Morock), Jacques Cabelli. Chapitre<br />
un : « Les Ardents ». Chapitre deux : « Monsieur<br />
Rodin ». Chapitre trois : « Le 13 février ». Chapitre<br />
quatre : « Le justicier ». Date de sortie : 24 décembre<br />
192b. Métrage, minutage copie Cf. : 7695 m.,<br />
336 mn (à 20 i/s). Générique et intertitres français<br />
reconstitués. Couleurs (teintages). Ce film a été<br />
restauré dans le cadre du « Projet Lumière », avec le<br />
concours de la Cineteca del Comune di Bologna.<br />
Remerciements au Département <strong>des</strong> Arts du Spectacle<br />
de la Bibliothèque Nationale de France, à la société<br />
Pathé. Doc. : The Lumière Project-The European Film<br />
Archives at the Crossroads, edited by Catherine A.<br />
Surowiec, 1996.<br />
57<br />
Coupable d'avoir insultéle Christ au Calvaire,<br />
Ahasvérus est devenu pour l'éternitéle<br />
Juif errant. Le 13 février 1682, au cours d'une<br />
nuit de pogrom dans le ghetto de Varsovie,<br />
Marins Rennepont, un Français marié à une<br />
Juive polonaise, est assassiné par les membres<br />
d'une société secrète nommée « Les Ardents<br />
». Son enfant est sauvé par Ahasvérus<br />
et la volonté écrite du mort (à ouvrir dans cent<br />
cinquante ans) déposée chez un notaire. 1832.<br />
Les Ardents, toujours actifs, veulent spolier<br />
les héritiers de la fortune colossale de Rennepont<br />
en les empêchant d'être présents à l'ouverture<br />
du testament, le 13 février. Les chefs,<br />
d'Aigrigny et Rodin, secondés par deux auxiliaires,<br />
Morock et Gringalet, kidnappent, jettent<br />
en prison ou internent en asile tous les<br />
<strong>des</strong>cendants : l'excentrique Adrienne de Cardoville,<br />
les deux sœurs Rose et Blanche<br />
Simon, pourtant protégées par le robuste Dagobert,<br />
Jacques Rennepont alias Couche-<br />
Tout-Nu, le prince Djalma. Quant au dernier,<br />
l'abbé Gabriel, la secte l'a choisi comme<br />
unique bénéficiaire de l'héritage, pour récupérer<br />
ensuite le magot. Mais Ahasvérus<br />
veille, et le jour dit, tous réapparaissent, délivrés.<br />
Adrienne épousera Djalma, tandis que<br />
partout règne la félicité. Rodin meurt du choléra<br />
et le Juif errant reprend sa marche millénaire.
58 - FRANCE<br />
OMBRES ET TOILES PEINTES<br />
Aujourd'hui oublié, Luitz-Morat (1884-<br />
1929), de son vrai nom Maurice Louis Radiguet,<br />
a pourtant été l'auteur d'une<br />
œuvre dense (presque vingt titres en dix<br />
ans) qui suscita à l'époque l'engouement<br />
de la presse et du public. <strong>La</strong> vision actuelle<br />
<strong>des</strong> Cinq Gentlemen maudits et du<br />
Juif errant permet de situer un cinéaste<br />
parfois ambitieux, mais n'ayant pas les<br />
moyens de ses ambitions, incapable le<br />
plus souvent de faire coincider intention<br />
et exécution.<br />
Il débute dans la médecine, avant de<br />
se consacrer à la photographie et au<br />
théâtre. <strong>La</strong> mise en scène et l'interprétation,<br />
chez Gaumont en 1914, lui apportent<br />
un début de notoriété cinématographique.<br />
Louis Feuillade, Henri Fescourt<br />
sont alors ses mentors. Mais c'est après la<br />
guerre qu'il se lance véritablement en<br />
fondant sa société de production.<br />
Anticipant la mode exotique et coloniale<br />
qui se développera au cinéma dans<br />
les années suivantes, les Cinq Gentlemen<br />
maudits repose sur une intrigue d'une<br />
minceur infime mais exposée de telle manière<br />
qu'elle apparaît complexe. Le cinéaste<br />
a exploité un langage qui mêle<br />
flash-backs et surimpressions, décors naturels,<br />
<strong>images</strong> documentaires et scènes<br />
d'intérieurs réalisées en studio. De fait, le<br />
film qui en a résulté, s'il a pu plaire en<br />
1920 (principalement en raison <strong>des</strong> plans<br />
tournés avec la population locale), n'est<br />
plus de nos jours qu'une œuvre bancale<br />
et hétéroclite, Luitz-Morat n'ayant pas su<br />
homogénéiser la fiction et le documentaire<br />
Par ailleurs, la prédiction (« Mektoub<br />
: c'était écrit ! ») qui scande le film<br />
devient vite répétitive et l'issue aisément<br />
devinée. Cependant, la version courte<br />
sauvegardée par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />
issue d'une copie d'époque, précipite<br />
la narration et accumule les ellipses,<br />
conférant au film une modernité accidentelle<br />
et... non négligeable.<br />
Les Cinq Gentlemen maudits (que Julien<br />
Duvivier adaptera à son tour en 1931) est<br />
aussi l'un de ces nombreux films <strong>des</strong> années<br />
vingt à porter la marque du travail<br />
artisanal. Adaptée, produite, mise en scène<br />
et interprétée par Luitz-Morat, cette<br />
œuvrette révèle son côté bricolé (que le<br />
Juif errant n'a pas conservé) : une absence<br />
de rigueur dans la forme (faux raccords),<br />
une mise en scène peu inventive (intérieurs<br />
anonymes, mouvements d'appareils<br />
inexistants), un tournage dans l'urgence<br />
et, au final, un désir (manqué)<br />
d'originalité ; car sans doute, y avait-il,<br />
via cette histoire d'arnaqueurs et d'arnaqué,<br />
l'ambition de dire que le cinéma est<br />
un art illusionniste, rien que <strong>des</strong> ombres<br />
sur une toile (en l'occurence la voile d'un<br />
bateau), un marché de dupes où l'artiste<br />
obtient de celui qu'il trompe, le spectateur,<br />
sa rémunération. Et à la fin, Luitz-<br />
Morat lui-même, dans le rôle du chef de<br />
la bande, prélève soixante mille francs<br />
sur le butin pour, dit-il, ses « frais d'imagination<br />
». Autrement dit, sa rémunération<br />
de scénariste. C'est dire que d'une<br />
certaine manière, les Cinq Gentlemen maudits<br />
renseigne très directement sur l'histoire<br />
de son tournage, de sa production<br />
et pose une question importante pour le<br />
cinéma français <strong>des</strong> années vingt : comment<br />
un cinéaste pouvait-il travailler<br />
indépendamment <strong>des</strong> grands produc-<br />
teurs ?<br />
En 1926, Luitz-Morat réalise le Juif errant,<br />
produit par la Société <strong>des</strong> <strong>Ciné</strong>romans-Films<br />
de France, preuve qu'en six<br />
ans il a intégré le système et répondu à la<br />
question ci-<strong>des</strong>sus. Cette adaptation du<br />
roman d'Eugène Sue démontre aussi que,<br />
s'il a conservé quelques centres d'intérêt,<br />
le cinéaste n'a pas progressé vers une invention<br />
formelle malgré l'ampleur <strong>des</strong><br />
moyens. En effet, le film colle au roman<br />
et se statufie dans un style commun, sans<br />
innovation. Malgré quelques scènes traitées<br />
avec plus d'audace (le carnaval, le<br />
brillant et nerveux plan-séquence d'une<br />
poursuite à cheval au second épisode),<br />
quelques effets bien venus (surimpressions,<br />
gros plans, plongées, contre-plongées),<br />
l'ensemble <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> se can-<br />
tonne à une mise à plat du livre. Des plans<br />
employant un cache pour donner l'illusion<br />
d'un format qui ressemble au futur<br />
cinémascope surgissent parfois, excentriques,<br />
sans doute inspirés du Napoléon<br />
d'Abel Gance, tourné l'année précédente.<br />
Quant aux apparitions récurrentes du<br />
Juif errant, elles renforcent cette sensation<br />
de pesanteur, comme si Luitz-Morat<br />
était incapable de faire avancer la narration<br />
et ne connaissait pas l'ellipse dont<br />
l'usage était courant, y compris dans la<br />
Cité foudroyée, un de ses précédents films 2 .<br />
Malgré <strong>des</strong> teintages magnifiques, la scène<br />
biblique du prologue est à cet égard<br />
d'un surrané sans équivalent : les toiles<br />
peintes en guise de décor, les costumes et<br />
l'absence de rythme nous relèguent vingt<br />
ans en arrière, dans l'immobilisme <strong>des</strong><br />
premières années du cinéma. Donc, un<br />
film sans grande envergure, qui n'a appris<br />
aucune <strong>des</strong> leçons du cinéma américain<br />
distribué en France depuis les Cinq<br />
Gentlemen maudits, et dont il faut quand<br />
même retenir l'interprétation d'Antonin<br />
Artaud et le goût réaffirmé de Luitz-<br />
Morat pour les sociétés secrètes (ici « Les<br />
Ardents ») et les complots. Une petite singularité<br />
pour un cinéaste qui en était par<br />
ailleurs assez largement dépourvu.<br />
Éric Le Roy<br />
1 Certains plans n'appartiennent d'ailleurs pas au<br />
film, probablement issus d'un documentaire antérieur.<br />
2 <strong>La</strong> Cité foudroyée, 1924, d'après un roman d'André<br />
Reuze. Film sauvegardé par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />
d'après une copie d'époque, 1527 mètres, noir<br />
et blanc.<br />
ANDRÉ ANTOINE<br />
LA TERRE<br />
1921 - André Antoine<br />
Réal. : André Antoine. Prod. : SCAGL<br />
Auteur : Émile Zola, d'après son roman homonyme.<br />
Adapt. : André Antoine. Asst. réal. : Georges Denola,<br />
Julien Duvivier. Dir. ph. : René Guichard, René<br />
Gaveau, Léonce-Henry Burel (?), Paul Castanet.<br />
Int. : Armand Bour (Le père Fouan), René Alexandre<br />
(Jean, dit Caporal), Germaine Rouer (Françoise), Jean<br />
Hervé (Louis, dit Buteau), Milo (Hyacinthe, dit Jésus-<br />
Christ), Berthe Bovy (<strong>La</strong> Trouille), Jeanne Briey (Lise),<br />
Jeanne Grumbach (<strong>La</strong> Cognette), Émile Desjardins (le<br />
berger), Max Charlier (Bécu), René Hiéronimus<br />
(Nénesse), Armand Numès, Léon Malavier.<br />
Date de sortie : 30 septembre 1921.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2117 m., 92 mn<br />
(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc. Doc. : « Antoine cinéaste », 1895,<br />
n° 8-9, AFRHC, 1990.<br />
Jean est un solide gaillard qui cherche à s'employer<br />
aux champs. En chemin, il fait la<br />
connaissance de Françoise, la nièce du père<br />
Fouan. Celui-ci, trop vieux pour une terre<br />
trop dure, décide de partager de son vivant<br />
ses biens entre ses trois enfants : Louis dit Buteau,<br />
Hyacinthe et Fanny. À charge en retour<br />
pour les héritiers de subvenir aux besoins du<br />
vieux et de sa femme. Françoise, elle, vit avec<br />
sa sœur Lise. Jean lui propose de l'épouser dès<br />
qu'elle sera majeure. Or, Buteau se met avec<br />
Lise après lui avoir fait un enfant mais surtout<br />
pour son argent, s'installe chez les deux<br />
femmes et essaye plusieurs fois de culbuter<br />
Françoise. Un jour de moisson, elle le repousse<br />
et peu après, se donne à Jean qu 'elle<br />
épouse le jour de ses vingt et un ans. Or, ce<br />
dernier exige la part d'héritage de sa femme,<br />
soit les vignes et la maison. Buteau et Lise<br />
sont expulsés par les gendarmes. Les deux<br />
sœurs se haïssent désormais. Le père Fouan,<br />
devenu veuf, va chez l'un puis l'autre de ses<br />
enfants qui s'acquittent tous très mal de leurs<br />
devoirs envers lui. Un jour de travail aux<br />
champs, Lise se bat avec Françoise en présence<br />
de Buteau et la pousse sur sa faux. Blessée<br />
mortellement, la jeune femme succombe, sans<br />
dire à son mari le nom <strong>des</strong> coupables. À sa<br />
mort, Jean se retrouve sans toit. Abandonné<br />
de tous, transi, ruiné et à bout de forces, le<br />
vieux Fouan meurt.<br />
L'ARLÉSIENNE<br />
1922 - André Antoine<br />
Réal. : André Antoine. Prod. : Société d'éditions<br />
cinématographiques. Auteur : Alphonse Daudet,<br />
d'après sa nouvelle homonyme. Adapt. : André<br />
Antoine. Asst. réal. : Georges Denola.<br />
Dir. ph. : Léonce-Henry Burel, Trimbach.<br />
Régisseur : André-Paul Antoine. Int. : Lucienne Bréval<br />
(Rose Marnai), Gabriel de Gravone (Frédéri), Léon<br />
Malavier (Francet Marnai), Louis Ravet (le berger<br />
Balthazar), Le petit Fleury (Janet, dit L'innocent),<br />
Berthe Jalabert (<strong>La</strong> Renaude), Maggy Deliac (Vivette),<br />
Marthe Fabris (L'Arlésienne), Jacquinet (Patron Marc),<br />
Batréau (L'Équipage), Charles de Rochefort (le gardian<br />
Mitifio). Date de sortie : 24 novembre 1922.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1730 m., 69 mn<br />
(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : « Antoine cinéaste » : op. cit.<br />
<strong>La</strong> Camargue. Rose Marnai, veuve de bonne<br />
heure, dirige la ferme du Castelet avec l'aide<br />
du joyeux Frédéri, son fils aîné. Un dimanche<br />
à Arles, le jeune homme retrouve la jolie Vivette,<br />
secrètement amoureuse de lui. Il croise<br />
aussi deux fois une inconnue qui l'impressionne<br />
fortement. Au point qu'il revient sur<br />
les lieux le lendemain et fait connaissance<br />
avec la belle. Renseignements pris par l'oncle<br />
Marc sur la famille, Frédéri est décidé à épouser<br />
son artésienne, blessant sans le vouloir Vivette<br />
qui souffre dans l'ombre. À l'approche<br />
du mariage, le gardian Mitifio révèle, lettres<br />
à l'appui, que l'artésienne est sa maîtresse depuis<br />
deux ans. Pendant plusieurs jours, Frédéri<br />
se morfond, inconsolable. Hanté par<br />
l'idée du suicide, il repousse violemment Vivette<br />
qui a osé lui avouer son amour. Finale-<br />
ment, il se ravise et, plus pour les siens que<br />
pour lui, se résout à un mariage de raison.<br />
Mais le soir <strong>des</strong> fiançailles, il imagine celle<br />
qu'il adore emportée par le cheval du gardian.<br />
Torturépar cette vision, il se jette dans le vide,<br />
semant la désolation au Castelet. Le berger<br />
Balthazar avait raison : on peut mourir<br />
d'amour.<br />
LE NATURALISME IN VIVO<br />
On connaît maintenant, depuis l'achèvement<br />
<strong>des</strong> travaux de restauration par<br />
la <strong>Ciné</strong>mathèque française sous l'impulsion<br />
de Philippe Esnault le numéro spécial<br />
de 1895 consacré à ses écrits sur le cinéma<br />
et l'accueil réservé à ses films lors<br />
de leur sortie 2 , l'œuvre et le projet cinématographique<br />
d'André Antoine. On<br />
sait aussi quel rôle les uns et les autres<br />
veulent lui faire jouer : chaînon manquant<br />
entre Lumière et Renoir ; figure de proue<br />
retrouvée d'une école réaliste à réhabiliter<br />
face à l'« impressionnisme » de Delluc<br />
et Epstein et au lyrisme de Gance ;<br />
« naturaliste » au sens étroit et trivial du<br />
terme.<br />
Quel que soit l'intérêt de ces discours,<br />
la vision <strong>des</strong> deux derniers films terminés<br />
par Antoine, la Terre (1921) et VArtésienne<br />
(1922) - puisque l'Hirondelle et la<br />
Mésange, tourné en 1920, fut monté par<br />
Henri Colpi en 1984 - incite plus simplement<br />
à examiner les deux œuvres à l'aune<br />
du naturalisme cinématographique 3 et à<br />
les soumettre au crible <strong>des</strong> exigences<br />
mêmes d'Antoine.<br />
Les deux films se rapprochent dans sa<br />
filmographie par d'autres motifs que la<br />
seule chronologie. D'abord, parce qu'il<br />
s'agit d'adaptations de deux œuvres célèbres<br />
du naturalisme littéraire. Antoine<br />
amène au cinéma la Terre de Zola, fondateur,<br />
chef de file et théoricien du naturalisme,<br />
dont il avait déjà proposé en 1902<br />
l'adaptation théâtrale, et Daudet, disciple<br />
de Zola. Le déterminisme naturaliste<br />
conduit ainsi le personnage principal <strong>des</strong><br />
59
deux films à sa perte. Dans la Terre, le père<br />
Fouan parcourt seul l'étendue <strong>des</strong><br />
champs glacés, où il mourra car ses enfants<br />
se sont appropriés son héritage sans<br />
prendre soin de lui. Dans l'Arlésienne,<br />
Frédéri, torturé par la jalousie amoureuse,<br />
se suicide le soir de l'annonce d'un<br />
mariage de raison qu'il a accepté dans<br />
l'intérêt de sa famille. À cet égard, la logique<br />
de l'Arlésienne est plus humaine<br />
que sociale, alors que la Terre essaye au<br />
contraire de mettre en lumière les mécanismes<br />
économiques qui sous-tendent<br />
les affrontements familiaux menant à<br />
l'abandon du père Fouan. Ensuite, par la<br />
figure du berger, commune aux deux<br />
titres, qui illustre a contrario une façon<br />
d'échapper à l'emballement social et<br />
amoureux. C'est lui qui peut, parce qu'il<br />
se situe matériellement et moralement à<br />
l'écart du monde <strong>des</strong> hommes auquel il<br />
a renoncé, croiser le personnage principal<br />
dans ses derniers instants et désigner<br />
les causes de sa chute. Enfin, par la localisation<br />
très précise <strong>des</strong> intrigues : la région<br />
de Cloyes près de Chartres pour le<br />
roman de Zola ; Arles pour Daudet. Antoine,<br />
metteur en scène de théâtre, devait,<br />
malgré le soin qu'il y apportait, se contenter<br />
de décors de toile et de bois ; cinéaste,<br />
il amènera la caméra sur les lieux de son<br />
action au risque du pittoresque.<br />
En effet, ce souci maniaque de détails<br />
réalistes, dans l'acception la plus simplificatrice<br />
du naturalisme, risque de faire<br />
mal juger, et trop rapidement, Antoine.<br />
Certes, les deux films comptent ce qu'il<br />
faut de moutons, de dindons, de vaches<br />
en chaleur, de gardians à cheval et de fanfare<br />
de la Saint Eloi pour payer un juste<br />
tribut à l'image d'une réalité que depuis<br />
les origines, en héritier de la lanterne magique,<br />
le cinéma donne à voir. Mais cette<br />
part du naturalisme ne doit pas masquer,<br />
au-delà de cette adjonction de vrais quartiers<br />
de viande et de véritables animaux<br />
sur pied, son véritable objectif : établir<br />
par la fiction les lois d'un comportement<br />
humain. Grâce au cinéma, Antoine se voit<br />
offrir la possibilité de confronter les per-<br />
sonnages de son intrigue à la réalité <strong>des</strong><br />
lieux, <strong>des</strong> animaux, <strong>des</strong> maisons, <strong>des</strong><br />
actes quotidiens. En cela, le cinéma est<br />
bien l'instrument par excellence du naturaliste.<br />
Il n'y est plus question d'expérience<br />
in vitro, dans l'éprouvette du romancier<br />
ou sur la scène du théâtre, mais<br />
in vivo dans les paysages réels que parcourt<br />
l'homme objet de la fiction.<br />
Dans cette confrontation, Antoine déçoit<br />
parfois. Les actes sont trop peu nombreux,<br />
notamment dans l'Arlésienne, ou<br />
bien trop brefs et servant trop ostensiblement<br />
à une mise en situation vériste<br />
(voir, par exemple, la scène où Frédéri<br />
charge la charrette de foin, et, pour la<br />
Terre, le métrage <strong>des</strong> champs après le partage).<br />
Prisonnier d'une intrigue complexe,<br />
Antoine ne peut trouver le temps<br />
d'une plénitude <strong>des</strong> gestes, comme il<br />
pourra le faire avec les quatre protagonistes<br />
de l'Hirondelle et la Mésange.<br />
<strong>La</strong> force d'Antoine, en revanche, se<br />
manifeste pleinement dans l'utilisation<br />
de l'espace, particulièrement dans la<br />
Terre. Les champs pourraient n'y être<br />
qu'un décor naturel derrière les acteurs :<br />
ils servent de fondement à la scénographie.<br />
Les acteurs s'y rejoignent (la rencontre<br />
initiale de Fouan, Jean et Françoise),<br />
les parcourent (l'errance finale),<br />
s'y opposent en prenant chacun possession<br />
de leur portion de terre (les conflits<br />
entre Buteau, Lise, Jean et Françoise). <strong>La</strong><br />
mise en scène tire parti <strong>des</strong> arbres, <strong>des</strong><br />
haies, <strong>des</strong> meules de foin qui fourniront<br />
cachettes, écrans, obstacles naturels à<br />
l'action, alors qu'à d'autres instants c'est<br />
l'étendue dénudée <strong>des</strong> champs jusqu'à<br />
l'horizon qui s'étagera derrière les personnages.<br />
<strong>La</strong> structuration réussie de ces<br />
espaces par les regards donne alors, dans<br />
les meilleures séquences, toute sa force<br />
centrifuge au cadre, lors de la moisson<br />
durant laquelle Françoise s'abandonne à<br />
Jean ou lorsque Buteau et Lise viennent<br />
menacer Françoise en se découpant à<br />
contre-jour sur la surface du champ. Dans<br />
l'Arlésienne, le plan très général qui montre<br />
l'affrontement de Frédéri et Mitifio,<br />
ANDRÉ ANTOINE - 61<br />
absorbés par la farandole qui surgit du<br />
fond du cadre, joue lui de cette relation<br />
entre un espace peuplé par la multitude<br />
indifférente et le drame individuel.<br />
Dans ses plus beaux moments, Antoine<br />
s'éloigne de ce qui est encore le jeu<br />
trop chargé <strong>des</strong> comédiens, même lorsque<br />
leur caricature, comme celle de Hyacinthe<br />
et sa fille dans la Terre, est inventive,<br />
ou de la simple mise en situation de<br />
l'intrigue et de ses titres, notamment dans<br />
l'Arlésienne remanié par un producteur<br />
mécontent d'un premier montage. Il peut<br />
donner à voir le vent soufflant dans les<br />
jupes de ces paysannes ou le visage de<br />
Françoise/ Germaine Rouer, les cheveux<br />
dénoués, allongée dans le foin quelques<br />
instants après le départ de Jean avec qui<br />
elle vient de faire l'amour. Alors le système<br />
naturaliste qui paraît si bien s'appliquer<br />
au cinéma, bute sur l'apparence<br />
de ce qui est filmé. L'artiste ne manie plus<br />
les mots ; il ne confie plus le soin d'incarner<br />
ses personnages à <strong>des</strong> acteurs.<br />
Dans le même instant, Antoine fait enregistrer<br />
par la caméra l'objet de l'expérience<br />
en science humaine et la photogénie<br />
d'un moment du tournage auquel sa<br />
reproductibilité accorde une singularité<br />
infime. Son cinéma, enfant désiré du naturalisme<br />
et <strong>des</strong>tiné à dépasser le théâtre<br />
« imitation de la nature », ricoche sur le<br />
concret du modèle vivant.<br />
Pierre Gras<br />
1 « André Antoine, réparation d'un oubli », par Philippe<br />
Esnault in Restaurations et tirages de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, tome IV, <strong>Ciné</strong>mathèque française,1989.<br />
! 1895, n° 8-9, « Antoine cinéaste », par Emmanuelle<br />
Toulet, Éric Le Roy, Philippe Marcerou et <strong>La</strong>urent<br />
Mannoni, 1990 ; et aussi Dossier Antoine, Positif,<br />
n° 358, décembre 1990.<br />
3 « Le Naturalisme au cinéma », Conférences du Collège<br />
d'histoire de l'art cinématographique, n° 7, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, printemps 1994.
62 - FRANCE<br />
SOLEIL ET OMBRE<br />
SOL Y SOMBRA<br />
1922 - Musidora, Jacques <strong>La</strong>sseyne<br />
Réal. : Musidora, Jacques <strong>La</strong>sseyne. Prod. : Société<br />
<strong>des</strong> Films Musidora. Auteur : Ernesta Stern, d'après sa<br />
nouvelle l'Espagnole. Adapt. : Musidora.<br />
Dir. ph. : Franck Daniau-Johnston. Mont. : Nini<br />
Bonnefoy. Tournage à Tolède et Ecija. Int. : Musidora<br />
(Juana/I'étrangère), Antonio Canero (Jarana, le torero),<br />
Paul Vermoyal (l'antiquaire), Simone Cynthia, Miguel<br />
Sanchez. Date de sortie : 20 juillet 1922 (Madrid),<br />
6 octobre 1922 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 828 m., 40 mn<br />
(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués<br />
(Christine <strong>La</strong>urent). Noir et blanc. Doc. : Francis<br />
<strong>La</strong>cassin : Anthologie du cinéma, vol. 6, L'Avant-<br />
Scène, 1971.<br />
L'Espagne. Une cartomancienne prédit<br />
l'amour à Juana, servante d'auberge. Justement<br />
Jarana, un jeune torero, l'appelle. Elle<br />
accourt et ne voit pas la vieille femme retourner<br />
la carte suivante : la mort ! Mais pour<br />
l'instant, l'amant offre à son élue un beau<br />
châle blanc acheté chez l'antiquaire bossu. Arrive<br />
en ville une étrangère, aussi blonde que<br />
Juana est brune. Elle fait du charme à Jarana<br />
qui n'y est pas insensible. De dépit, Juana<br />
enlève son châle blanc et remet le noir. Le lendemain<br />
à la plaza, c'est à la nouvelle venue<br />
que le torero rend hommage, ignorant celle<br />
qui jusque-là avait eu les faveurs de son cœur.<br />
Dans l'arène, il triomphe et part avec sa nouvelle<br />
conquête. Juana a suivi les amants jusqu'à<br />
la « tienta ». Un jeune taureau la charge<br />
et la renverse. Seul le bossu qui l'a accompagnée,<br />
fiévreusement amoureux de Juana, lui<br />
vient en aide tandis que l'autre la dédaigne.<br />
Convalescence. <strong>La</strong> semaine suivante, le matador<br />
succombe à un coup de corne. Juana,<br />
folle de rage et de douleur, poignarde mortellement<br />
l'étrangère, sous les yeux du bossu qui<br />
conduit la meurtrière au couvent.<br />
LA BRUNE BRÛLANTE<br />
Soleil et Ombre, film produit, réalisé,<br />
interprété par Musidora et tourné en 1922<br />
à Tolède en Castille et à Ecija en Andalousie,<br />
porte son projet d'inversion jusque<br />
dans son titre. Quelle inversion ?<br />
Celle de Musidora l'actrice dont le personnage<br />
de femme vampire séduisante,<br />
cruelle, érotique et venimeuse se déplaçait<br />
comme un scorpion dans les films de<br />
Feuillade et sur <strong>des</strong> <strong>images</strong> grises comme<br />
la cendre <strong>des</strong> cigares <strong>des</strong> méchants financiers<br />
de Judex. Dans Soleil et Ombre,<br />
Musidora retourne comme un gant noir<br />
et blanc son personnage troublant d'Irma<br />
Vep et s'enferme dans celui de Juana, la<br />
fiancée naïve, pure, humble et passionnée<br />
de Jarana, le torero d'avenir joué par<br />
le cordouan Antonio Canero, fameux torero<br />
à cheval dont Musidora était tombée<br />
amoureuse l'année précédente.<br />
L'amour, l'Espagne, la corrida, la belle<br />
étrangère blonde, coquette et riche<br />
qu'elle interprète également dans un curieux<br />
dédoublement l'infidélité, la jalousie,<br />
les yeux derrière les éventails, la<br />
rivale « puntillée », poignardée comme<br />
un taureau, le soleil sur les lames <strong>des</strong> couteaux,<br />
le sang, la rédemption par la religion,<br />
aucun poncif ne manquait pour que<br />
la nouvelle l'Espagnole d'Ernesta Stern<br />
n'accouche à l'écran d'un de ces films de<br />
pacotille où l'excès de couleur locale coule<br />
sous son béton de fanfreluches l'intensité<br />
silencieuse et nue de l'Espagne en général,<br />
de la tauromachie en particulier et,<br />
plus encore, la gravité cordouane. Or,<br />
non. <strong>La</strong> sobriété elliptique de la réalisation<br />
et la densité rigoureuse <strong>des</strong> <strong>images</strong><br />
donnent à ce Soleil et Ombre la sévérité<br />
étrange et comme endeuillée <strong>des</strong> peintures<br />
du cordouan Julio Romero de Torres,<br />
ami de Canero, et qui peindra d'ailleurs<br />
Musidora, toile achetée par le Musée<br />
national de Buenos Aires. A quoi attribuer<br />
cette absence de complaisance et ce<br />
refus du pittoresque qui fait honneur à<br />
celle à qui André Breton avait un jour<br />
lancé un bouquet de roses rouges ? Sans<br />
doute à la force de sa passion pour l'Espagne<br />
découverte en 1921 à l'occasion du<br />
tournage de Pour Don Carlos, à son sentiment<br />
amoureux pour Canero et à son<br />
coup de foudre pour la corrida qu'elle défendra,<br />
en France, y compris dans <strong>des</strong> articles<br />
de journaux. L'Espagne où elle<br />
vivra jusqu'en 1926, et à l'inverse de celle<br />
« décrite par nos littérateurs français »,lui<br />
est apparue comme « étonnante de gravité,<br />
de sobriété, de grandeur ». <strong>La</strong> personnalité<br />
de Canero a du également jouer<br />
dans cette vision. A cette époque, le torero<br />
de Cordoue vient de recentrer, vers plus<br />
de classicisme et de sobriété, l'art de toréer<br />
à cheval en s'inspirant de l'élégante<br />
efficacité de la tauromachie du « campo »,<br />
dans les pâturages. On en aperçoit un remarquable<br />
mais bref échantillon dans le<br />
film lorsque Jarana, à cheval, conduit un<br />
taureau avec sa « garrocha », sa longue<br />
pique en bois. Mais Musidora, qui en portait<br />
le pressentiment avec son pseudonyme<br />
trouvé dans un texte de l'hispanophile<br />
Théophile Gautier, avait peut-être<br />
déjà eu vent de l'Espagne et <strong>des</strong> corridas<br />
grâce à Feuillade, « aficionado » s'il en fut<br />
et prolifique écrivain taurin 2 . On ajoutera,<br />
pour donner au pressentiment la part<br />
d'ombre qui lui revient dans toute création,<br />
que la mort cinématographique de<br />
Jarana / Canero annonce, de peu de jours,<br />
celle, pour de vrai, du torero Granero tué<br />
en mai 1922 à Madrid d'un coup de corne<br />
dans l'œil par le taureau « Sans-Souci ».<br />
Quant à Canero, qui avait déjà reçu l'extrême<br />
onction pour une cornade en 1917,<br />
il se laissera finalement séduire par une<br />
comtesse russe...<br />
Jacques Durand<br />
1 Peut-être faut-il chercher dans l'amour de Musidora<br />
pour Canero la raison de son dédoublement, de ce<br />
rôle à deux tètes, la même à la fois fiancée rejetée et<br />
femme fatale. Elle aurait été trop éprise de lui pour<br />
le partager avec une autre, même à l'écran. En se donnant<br />
les deux rôles, elle se donne forcément le beau<br />
rôle et l'encercle dans son désir...<br />
2 Louis Feuillade : Chroniques taurines, 1899-1907, édition<br />
établie par Bernard Bastide, <strong>Ciné</strong>-Sud, 1988.<br />
Louis Feuillade : Mémoires d'un toréador français, édition<br />
établie par Bernard Bastide, Union <strong>des</strong> bibliophiles<br />
taurins de France, 1995.<br />
SOLEIL ET OMBRE - 63
L'EMPIRE DU DIAMANT<br />
1922 - Léonce Perret<br />
Réal. : Léonce Perret. Prod. : Le Film Léonce Perret.<br />
Auteur : Valentin Mandelstamm, d'après son roman.<br />
Adapt. : Léonce Perret. Dir. ph. : René Guissart.<br />
Int. : Lucy Fox (Michelle Versigny), Ruth Hunter (Miss<br />
Hopkins), Léon Mathot (Graves), Jacques Volnys<br />
(Trazi), Robert Elliot (Jérôme Versigny), Henry G. Sell<br />
(Paul Bernac), Fernand Mailly (le baron de <strong>La</strong>mbri),<br />
<strong>La</strong>urent Morlas (Andersen), Marcel Levesque<br />
(l'huissier Pigeon), Charles de Rochefort (le juge),<br />
Louis Monfils. Date de sortie : 7 juillet 1922.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1265 m., 51 mn<br />
(à 22 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc.<br />
Président d'une compagnie de diamants à<br />
New York, Jérôme Versigny vient en France<br />
pour démanteler un trafic défausses pierres.<br />
Il voyage avec sa fille Michelle et son futur<br />
gendre. Versigny soupçonne Graves, le président<br />
de la Diamond Trust de Londres, toujours<br />
flanqué de son fidèle secrétaire, l'inquiétant<br />
Trazi. Soupçons confirmés par les<br />
confidences du chimiste Andersen, l'inventeur<br />
du diamant artificiel, qui lui remet la formule<br />
secrète de sa découverte. Après un détour<br />
par la côte d'Azur, direction Paris. Graves<br />
enlève Versigny sur le pont <strong>des</strong> Arts, Trazi<br />
kidnappe Andersen à son hôtel et le baron<br />
de <strong>La</strong>mbri, beau-frère félon de Versigny à la<br />
solde <strong>des</strong> trafiquants, vole la formule. Le lendemain,<br />
les journaux titrent sur l'assassinat<br />
mystérieux de... Graves, le roi du diamant !<br />
Toujours très actif, Trazi étrangle le baron,<br />
maquille son crime en suicide et s'empare de<br />
la formule. Dans la foulée, il tente d'occire<br />
Andersen qui en réchappe de justesse. Michelle,<br />
bonne fille, s'inquiète de la disparition<br />
de son père. Son fiancé, détective pour la cir-<br />
constance, retrouve la trace de Trazi et le file<br />
jusqu 'au château de l'île aux mouettes... Bientôt,<br />
le repaire est cerné par la police et le criminel<br />
arrêté. À Paris, chez le juge d'instruction,<br />
Trazi est accusé <strong>des</strong> meurtres de Graves,<br />
du baron et d'une tentative d'assassinat sur<br />
la personne d'Andersen. L'ordre rétabli, Versigny<br />
et les deux tourtereaux embarquent<br />
pour l'Amérique.<br />
BEAUTÉ DES MARGES<br />
Ce film recèle certaines contradictions.<br />
Il s'agit d'un ouvrage visiblement<br />
assez coûteux, tourné dans de multiples<br />
régions - Paris, côte méditerranéenne,<br />
etc.. - avec de nombreuses séquences,<br />
dans <strong>des</strong> lieux de tournage très divers. Et<br />
en même temps, on a l'impression d'un<br />
tournage fauché (le trucage du moulin à<br />
vent qui finit sous les flammes est très<br />
faible) et fort rapide. Ainsi, certaines séquences,<br />
au début, comportent <strong>des</strong> raccords<br />
dans l'axe sur les personnages,<br />
mais, par la suite, il n'y a plus que <strong>des</strong><br />
plans-séquences assez frustrants : il arrive<br />
que les protagonistes soient concentrés<br />
dans un tiers du champ, laissant<br />
beaucoup de place vide en haut et de<br />
l'autre côté. Tout cela ne permet nullement<br />
de s'intéresser ou de s'identifier à<br />
un personnage. Une bagarre commence,<br />
et les acteurs, se jetant l'un sur l'autre, se<br />
mettent presque totalement hors champ<br />
dans le feu de l'action. Visiblement, Perret<br />
ne leur a pas demandé de recommencer.<br />
Il est fort possible que tout le film ait<br />
été tourné sur le principe « un plan, une<br />
prise » faute de temps plus que d'argent.<br />
L'Empire du diamant est totalement absorbé<br />
par la mécanique accélérée de son<br />
histoire policière, avec ambiances à coups<br />
de fumées de cigares, et les originalités<br />
du résultat ne peuvent se situer qu'en dehors<br />
ou en marge du sujet, de l'intrigue<br />
et <strong>des</strong> personnages. Ainsi, on constate un<br />
réel effort pour bien insérer tout ce qui est<br />
titres ou intertitres dans le courant <strong>des</strong><br />
<strong>images</strong>. Le générique lui-même est al-<br />
terné avec <strong>des</strong> plans pleins de spontanéité,<br />
mais sans référence évidente à l'action<br />
future, et qui constituent peut-être le<br />
logo <strong>des</strong> Productions Léonce Perret ou du<br />
distributeur. Chaque fois qu'un intertitre<br />
annonce un personnage et le nom de son<br />
acteur, sa photo apparaît sur la gauche de<br />
l'écran, juste avant que l'acteur en mouvement<br />
ne fasse son apparition. De même,<br />
les intertitres évoquant le déroulement<br />
de l'histoire sont souvent placés<br />
dans un coin de l'image de l'intrigue filmée<br />
et parfois, on ne sait même plus à<br />
force d'intégration de l'un à l'autre s'il<br />
s'agit d'un intertitre ou d'une enseigne<br />
filmée...<br />
À noter aussi, <strong>des</strong> recherches intéressantes<br />
sur les caches : aux iris traditionnels,<br />
s'ajoutent de faux iris, justifiés en<br />
principe par les courbures de la végétation<br />
filmée ou <strong>des</strong> rideaux noirs. Il y a<br />
même une sorte de cache en forme de losange.<br />
On remarque encore <strong>des</strong> inserts de<br />
détail ou <strong>des</strong> gros plans étranges : un œil<br />
seul curieusement cadré par exemple.<br />
Ces surfaces réduites subites détonnent<br />
dans ce film de plans très généraux.<br />
On sent que Perret s'est amusé en se<br />
livrant à de pareilles expériences. Mais<br />
tout cela ne va pas très loin. Le seul élément<br />
positif qui se situe vraiment à l'intérieur<br />
du film demeure la composition<br />
de Marcel Levesque, toujours plein de<br />
truculence, ici dans le rôle de l'huissier<br />
Pigeon.<br />
65<br />
Luc Moullet
66 - FRANCE<br />
Pauline<br />
Carton.<br />
AUJOURDHUI,<br />
M r JANVIER 2024.<br />
®©CD<br />
LES ÉTRENNES À TRAVERS LES ÂGES<br />
1923 - Pière Colombier<br />
Ëntaiôie<br />
mise en scène<br />
Fi In) 6aûn)ont.<br />
Réal. : Pière (Pierre) Colombier. Prod. : Film<br />
Gaumont. Dir. ph. : Lucas. Dessins animés : Lortac.<br />
Int. : Madeleine Guitty (Maman Artémice), Pauline<br />
Carton (Mme Pluche), Alice Tissot (Estelle Tardiveau),<br />
|ean Sky (M. Pluche), Dolly Davis (Melle Ginette).<br />
Date de sortie : 1 1 janvier 1924.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 666 m., 29 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : Hebdo Film.<br />
Aujourd'hui, tout le monde est gentil avec M.<br />
Pluche : sa concierge, sa femme et même sa<br />
belle-mère ! Forcément, le bonhomme se pose<br />
<strong>des</strong> questions et trouve la réponse en regardant<br />
le calendrier : 30 décembre 1923, bientôt<br />
le Nouvel An. Toute cette gentillesse n 'est<br />
qu'une incitation à mettre la main dans le<br />
porte-monnaie. Il fait d'abord les magasins<br />
puis un rêve en <strong>des</strong>sins animés. Le voilà au<br />
paradis, à l'âge de pierre ensuite, au temps <strong>des</strong><br />
pharaons, de César, <strong>des</strong> Croisa<strong>des</strong>, sous Louis<br />
XIV et même en 2024 ; chaque fois il est question<br />
<strong>des</strong> cadeaux du 1"janvier, chaque fois la<br />
femme, d'Ève à Cléopâtre, est déçue et aurait<br />
préféré autre chose. Au réveil, Pluche est décidé<br />
à en finir avec cette dictature et le jour<br />
dit, offre à chacune <strong>des</strong> trois femmes une boîte<br />
de chocolats qu'elles commencent par s'offrir<br />
entre elles avant de la lui rendre fort mécontentes.<br />
Il les donne finalement à sa jolie manucure<br />
et fait au moins une heureuse.<br />
QUI VEUT LA PEAU<br />
DE MONSIEUR PLUCHE?<br />
Cette bande en deux bobines sur l'art<br />
et la manière d'embobiner en période festive<br />
(outre sa chère moitié) belle-maman<br />
et la bignole de son immeuble, afin de badiner<br />
plus gaiement parmi d'autres représentantes<br />
de la gent féminine, ne se signale<br />
ni par son excès de libertinage<br />
(d'un bon bourgeois durant les folles années<br />
vingt), ni par son innovation dans la<br />
mise en scène.<br />
Le plantureux monsieur Pluche (le<br />
personnage principal appréhendé sur le<br />
vif) se complaît plus volontiers dans un<br />
salon de manucure, s'abandonnant aux<br />
bons soins d'accortes praticiennes, qu'il<br />
ne s'attarde devant les boutiques <strong>des</strong><br />
joailliers, avant de regagner son quartier<br />
résidentiel (on aperçoit l'Arc de Triomphe<br />
à deux pas de ses pénates) et de se<br />
soumettre au fatal face-à-face avec la<br />
concierge (Alice Tissot au chignon revêche),<br />
une fois franchie la grille de son immeuble.<br />
Puis tête-à-tête avec madame<br />
Pluche : Pauline Carton déjà telle qu'en<br />
elle-même, régnant sur une soubrette<br />
coiffée comme Bécassine et doublée de sa<br />
digne génitrice (une opulente belle-mère<br />
pouponnant son petit chien).<br />
Le déroulement très linéaire de l'intrigue<br />
- panachée d'intermè<strong>des</strong> en <strong>des</strong>sins<br />
animés - privilégie la gestuelle et les<br />
mimiques (moult grimaces) <strong>des</strong> différents<br />
interprètes saisis en une succession<br />
de plans fixes, rapprochés, champs-contrechamps,<br />
s'enchaînant les uns aux<br />
autres. Le fait de combiner séquences<br />
<strong>des</strong>sinées et vues réelles, en alternance<br />
avec les cartons dialogués enregistrés au<br />
banc-titre, était déjà couramment pratiqué<br />
à l'époque, tant en Europe qu'outre-<br />
Atlantique (où les sentiers buissonniers<br />
du burlesque rencontrèrent les trajectoires<br />
<strong>des</strong> cartoonistes bien avant la relance<br />
Roger Rabbit). Déjà catalogué au répertoire<br />
de la comédie légère pour avoir<br />
signé quelques ban<strong>des</strong> chez Gaumont,<br />
Pière (ou Pierre) Colombier, qui fut <strong>des</strong>-<br />
sinateur à ses débuts, et s'essaya dans la<br />
caricature, jugea sans doute plus aisé - et<br />
moins coûteux - d'évoquer les bisbilles<br />
bibliques, les péplums antiques et les<br />
fastes futuristes en quelques découpages<br />
sommairement animés, plutôt que de les<br />
reconstituer en studio. Ces compositions<br />
ciné-graphiques sur le thème du couple<br />
(farcies de clins d'œil anachroniques) demeurent<br />
très proches <strong>des</strong> <strong>des</strong>sins légendés<br />
<strong>des</strong> journaux amusants, truffés de calembours<br />
bien de chez nous (calembredaines<br />
dignes de l'Almanach Vermot).<br />
En fait, ces scènes de la vie parisienne,<br />
mi-rêvées mi-vécues, sont contemporaines<br />
du Pans qui dort de René Clair, lequel<br />
sut mieux dynamiser les <strong>images</strong> en plongeant<br />
ses interprètes dans un sommeil<br />
hypnotique. Ce catalyseur du septième<br />
art eut d'ailleurs recours (avec plus de<br />
subtilité) aux procédés du banc-titre dans<br />
le Voyage imaginaire (1925).<br />
Pour réaliser les séquences animées<br />
(en cartons découpés) de son film, Pière<br />
Colombier s'adressa à un autre graphiste,<br />
Robert Collard dit Lortac. Ce contemporain<br />
d'Emile Cohl (s'orientant principalement<br />
dans le domaine publicitaire) fera<br />
une carrière aussi longue et fructueuse<br />
commercialement parlant, se prolongeant<br />
du muet au parlant, que le prolifique<br />
amuseur Colombier.<br />
67<br />
Michel Roudevitch
68 - FRANCE<br />
LA BELLE NIVERNAISE<br />
1923 - Jean Epstein<br />
Réal. : Jean Epstein. Auteur : Alphonse Daudet,<br />
d'après sa nouvelle homonyme. Adapt. : Jean Epstein.<br />
Asst. réal. : RenéAlinat. Dir. ph. : Paul Guichard,<br />
Léon Donnot. Mont. : Jean Epstein, René Atinat.<br />
Décors au studio <strong>des</strong> Vignerons à Vincennes.<br />
Extérieurs sur la Seine entre Paris et Rouen et à<br />
Vincennes. Int. : Blanche Montel (Clara), Maurice<br />
Touzé (Victor), ,/ean-David Evremond (Maugendre),<br />
Max Bonnet (L'Équipage), Pierre Hot (le père<br />
Louveau), Mme <strong>La</strong>croix (la mère Louveau), Roger<br />
Chantai, Pierre Ramelot, Georges Charlia.<br />
Date de sortie : 5 janvier 1924.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1569 m., 77 mn<br />
(à 18 i/s). Intertitres français et espagnols. Noir et<br />
blanc.<br />
<strong>La</strong> Seine, une péniche (<strong>La</strong> Belle Nivernaise) ;<br />
le père Louveau fait escale à Paris pour débarquer<br />
son chargement. Le soir après la transaction,<br />
il ramasse dans la rue un gosse abandonné<br />
et le ramène à bord... au grand dam de<br />
sa femme et de l'équipage, le second du bateau,<br />
mais pour le plus grand plaisir de sa<br />
jeune enfant Clara. Dix années passent. Victor,<br />
l'enfant trouvé, tient ferme la barre. Clara<br />
aussi agrandi et les deux adolescents s'aiment<br />
au fil de l'eau ou dans une salle de cinéma<br />
quand à l'occasion ils vont à terre. Mais la<br />
préfecture de police a fini par retrouver l'identité<br />
du vrai père : c'est Maugendre, le fournisseur<br />
en bois de Louveau ! Après bien <strong>des</strong><br />
hésitations du marinier et un accident évité<br />
de justesse où l'horrible L'Équipage trouve la<br />
mort, Victor quitte le bateau et Clara. Son géniteur<br />
qui veut faire son bien l'envoie au lycée.<br />
Mélancolie <strong>des</strong> amants séparés. Victor a de la<br />
fièvre et délire. Maugendre le rend à sa famille<br />
adoptive et offre au jeune couple une nouvelle<br />
« Belle Nivernaise » baptisée par monsieur le<br />
curé.<br />
LA MACHINE D'UNIVERS<br />
Le film appartient à la veine fluviale<br />
du cinéma français, de l'Hirondelle et la<br />
Mésange à l'Atalante en passant par la Fille<br />
de l'eau. Tourné en 1924 dans <strong>des</strong> extérieurs<br />
réels, la Seine à Paris, à Rouen, c'est<br />
l'adaptation d'une nouvelle homonyme<br />
d'Alphonse Daudet, lue par Epstein dans<br />
son adolescence, déclinant un motif au<br />
fond sentimental qui n'est pas l'intérêt<br />
principal du film, lequel comporte d'ailleurs<br />
assez peu de psychologie, ou alors<br />
comme souvent chez Epstein, sous une<br />
forme élémentaire, c'est-à-dire <strong>des</strong> sentiments<br />
premiers, facilement identifiables,<br />
et qui peuvent être rapportés à <strong>des</strong> états<br />
matériels du monde. « Je crois que l'âge<br />
du cinéma kaléidoscope est passé. Le cinéma<br />
doit désormais être appelé : la photographie<br />
<strong>des</strong> illusions du cœur, c'est-àdire<br />
: de la pensée qu'il enregistre à travers<br />
les corps, amplifie, et parfois crée où<br />
elle n'était pas '. »<br />
C'est un petit univers séparé, suspendu<br />
sur l'eau, où la terre défile, arbre,<br />
nuage ou ciel, dans <strong>des</strong> travellings latéraux.<br />
C'est aussi la marque de l'univers<br />
epsteinien, cet entremonde avec sa part<br />
proprement documentaire, berges de la<br />
Seine, ponts entraperçus avec leurs autobus,<br />
salle de cinéma avec l'affiche de Chaplin<br />
(et l'histoire de cet enfant trouvé et<br />
recueilli peut évoquer celle du Kid).<br />
« Pour moi, le plus grand acteur, la plus<br />
forte personnalité que j'ai connu intimement<br />
est la Seine, de Paris à Rouen '. » <strong>La</strong><br />
matière <strong>des</strong> paysages se fond avec les visages<br />
parfois ; c'est celui pensif de Victor,<br />
sur lequel apparaît une traînée d'eau, en<br />
un atmosphérisme très doux de la surimpression,<br />
jusqu'à de brefs grisés qui<br />
paraissent composés de poussières. Ce<br />
sont les plans leitmotive pendant la bagarre,<br />
sur la péniche qui dérive, sans direction,<br />
le gouvernail ivre, le partage <strong>des</strong><br />
eaux par l'écluse, en une obsession naissante<br />
de ponctuation qui s'affranchit partiellement<br />
du récit. C'est le gros plan irruptif,<br />
moins raccordé aux plans précé-<br />
dents d'ensemble sur les protagonistes,<br />
où le marinier fait <strong>des</strong> avances pressantes<br />
à Clara, et qui surgit suivant un axe brisé<br />
dans le raccord. C'est, dans l'infirmerie<br />
où Victor est alité, le panoramique ascensionnel<br />
qui passe de son visage inquiet<br />
à la reproduction du tableau de Léonard,<br />
puis le raccord qui va du visage du<br />
tableau à celui de Victor, qui se lève vers<br />
la caméra, la surimpression du visage de<br />
Clara sur celui du tableau ; enfin cette<br />
ronde circulaire de feuillage sur une surface<br />
d'eau, par <strong>des</strong>sus le visage de la<br />
jeune fille.<br />
Moments de fusion avec le récit, où la<br />
sensation impose sa figuration, comme<br />
dans ce panoramique rapide sur les visages<br />
qui observent Victor, l'enfant trouvé,<br />
en un bref vertige. Sans doute, la Belle<br />
Nivernaise n' atteint pas à cette véhémence<br />
d'associations dont, ailleurs, Epstein fera<br />
sa marque. Mais travellings et panoramiques,<br />
par exemple, qui sont bien sûr<br />
les figures <strong>des</strong>criptives fondatrices, acquièrent<br />
une valeur quasi-liquide qui<br />
s'accorde au défilement aquatique. Les<br />
plans rapprochés, en particulier de visages,<br />
détiennent un relief, une densité<br />
photographique qui en exaspère les détails.<br />
Victor, dans la cour de l'école, regarde<br />
une carte : survient la mer, sur laquelle<br />
apparaît une fumée de bateau à vapeur<br />
et, sous ces surimpressions, surgissent<br />
Clara et lui-même, avant de revenir<br />
au visage de Victor : stratigraphie d'<strong>images</strong><br />
où ces nappes de visible figurent directement<br />
<strong>des</strong> associations mentales. Les<br />
stries de lumière filtrée par les lattes <strong>des</strong><br />
volets, tombant sur les visages à l'intérieur<br />
de la péniche, au moment de la bagarre<br />
entre Victor et le marinier, zèbrent<br />
le visible : l'éclairage vise plus à la transfiguration<br />
de cette matière de visage, qu' à<br />
un quelconque appui dramaturgique lumineux.<br />
Le drame est dans la photogénie,<br />
une certaine manière de composer les<br />
affects avec du figuratif matériel : en cela,<br />
la Belle Nivernaise est un film absolument<br />
dans la droite ligne <strong>des</strong> préoccupations<br />
d'Epstein. A travers la Seine, la péniche,<br />
ce qui est recherché, même d'une manière<br />
mineure par rapport à Finis terrae par<br />
exemple, c'est un certain englobement<br />
<strong>des</strong> personnes par le monde, une majoration<br />
de cette immersion parfois quasi<br />
météorologique, qui agrandit la région<br />
<strong>des</strong> sentiments et l'ouvre à <strong>des</strong> résonances<br />
de terre ou de ciel. <strong>La</strong> « machine<br />
à confesser les âmes », comme Epstein<br />
appela le cinéma, est aussi une machine<br />
d'univers.<br />
Philippe Arnaud<br />
1 Jean Epstein : Écrits sur le cinéma, T. 1, Seghers, 1974,<br />
p. 60.
70 - FRANCE<br />
Nène,<br />
Gaston Modot<br />
(à droite).<br />
Sandra Milowanoff<br />
(à gauche).<br />
Duel,<br />
Gabriel Gabrio.<br />
JACQUES DE BARONCELLI<br />
NÈNE<br />
1923 - Jacques de Baroncelli<br />
Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Baroncelli Films.<br />
Auteur : Ernest Pérochon, d'après son roman<br />
homonyme. Adapt. : Jacques de Baroncelli.<br />
Asst. réal. : Henri Chomette. Dir. ph. : Louis Chaix.<br />
Int. : Sandra Milowanoff (Nène), France Dhélia<br />
(Violette), Lélé Delaroche (<strong>La</strong>lie), Noémie Seize,<br />
Edmond Van Daële (Corbier), François Viguier<br />
(Boisseriot), Gaston Modot (Jean Cuirassier), Jean<br />
Provost (Paul), Abel Sovet, Jaque Christiani.<br />
Date de sortie : 4 avril 1924.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1665 m., 82 mn<br />
(à 18 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Couleurs (teintages).<br />
À la campagne. Nène est la servante dévouée<br />
de monsieur Corbier, jeune veuf propriétaire<br />
de la ferme <strong>des</strong> Moulinettes. Surtout,<br />
elle voue une véritable passion aux deux jeunes<br />
enfants de la maison, Jo et sa sœur <strong>La</strong>lie.<br />
Seul Boisseriot, un valet torve et concupiscent,<br />
trouble parfois le calme bonheur de Nène<br />
teinté d'un peu de mélancolie. Au village voisin,<br />
habite Violette, une jolie couturière courtisée<br />
par Jean, le frère de Nène. Mais un jour<br />
d'été qu'on bat le blé chez Corbier, Jean se<br />
prend un bras dans la machine par la faute de<br />
Boisseriot. Bien décidée à ne pas épouser un<br />
manchot, Violette se laisse convaincre par<br />
Boisseriot défaire du charme à Corbier. Loin<br />
d'y être insensible, le maître <strong>des</strong> Moulinettes<br />
ne tarde pas à la vouloir, oubliant son intention<br />
d'épouser Nène. Justement, Violette ne<br />
consent au mariage qu'à la condition du départ<br />
de la servante. Toujours mal intentionné,<br />
Boisseriot informe Jean, désormais épris de<br />
boisson, de l'imminence de l'union. Alertée,<br />
Nène devra faire barrage de tout son corps et<br />
son cœur pour empêcher son frère de commettre<br />
l'irréparable et le convaincre de quitter<br />
le pays. Elle-même plie bagage pendant que<br />
la nouvelle maîtresse de maison s'installe et<br />
révèle vite un caractère tyrannique. Persuadée<br />
que <strong>La</strong>lie et Jo ne l'aiment plus, la servante<br />
se jette dans la rivière. Corbier l'en sort inanimée<br />
et ce sont les appels <strong>des</strong> petits qui la<br />
ramènent à la vie. Enfin, le maître ouvre les<br />
yeux et répudie Violette. Il épousera Nène.<br />
DUEL<br />
1927 - Jacques de Baroncelli<br />
Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Société <strong>des</strong><br />
<strong>Ciné</strong>romans-Films de France. Auteur : René Jeanne,<br />
d'après son roman homonyme. Adapt. : Jacques de<br />
Baroncelli. Asst. réal. : Abel Sovet. Dir. ph. : Louis<br />
Chaix. Déc. : Robert Gys. Int. : Mady Christian (Mary<br />
Darcey), Andrée Standard (Mme Debresle), Lucienne<br />
Parizet, Janine Borelli, Jane Thierry, Sarah Clèves,<br />
Gabriel Gabrio (Debresle), Jean Murât (Jean Peyrane),<br />
Henri Rudeaux (le commissaire), Marcel Doret,<br />
Georges Despaux. Date de sortie : 24 février 1928.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1934 m., 84 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Couleurs (teintages).<br />
Un coup de feu ! Madame Debresle s'est<br />
donné la mort parce que son amant allait la<br />
quitter pour une autre. Le mari, un ancien as<br />
de 14-18 devenu fabricant d'avions, trouve<br />
dans le sac de la défunte une lettre de l'amant<br />
et un nom : Jean Peyrane. Jean, grand aviateur<br />
de la guerre et grand séducteur de l'aprèsguerre,<br />
est amoureux pour l'heure de Mary,<br />
une jolie veuve milliardaire. Celle-ci, libre et<br />
désœuvrée, lui propose de le rejoindre par bateau<br />
à Biskra, première escale de son raid aérien<br />
au-<strong>des</strong>sus du Sahara. Pendant la croisière,<br />
elle fait la connaissance du sombre Debresle<br />
et, sous le charme, lui raconte qu'elle<br />
va rejoindre le célèbre Jean Peyrane ! À l'atterrissage,<br />
Jean retrouve Mary et apprend de<br />
sa Compagnie qu'il aura un passager jusqu'à<br />
Tamanrasset, un certain Debert... Alors<br />
qu'ils survolent le désert, Debresle sort une<br />
arme et oblige son pilote à se poser. Là, il tire<br />
dans le réservoir, se découvre et provoque un<br />
duel inhabituel : Us devront traverser à pied<br />
le désert en suivant <strong>des</strong> directions opposées.<br />
Au bout d'un mois, l'un puis l'autre réapparaissent,<br />
exténués mais vivants. De retour à<br />
Paris, Jean veut épouser Mary, qui refuse par<br />
amour pour Debresle. Fou de rage, il déboule<br />
chez son rival, à son tour le défie en un duel<br />
aérien au-<strong>des</strong>sus du Bourget et dans le ciel,<br />
se laisse abattre.<br />
JE SERAI SEULE APRÈS MINUIT<br />
1931 - Jacques de Baroncelli<br />
Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Adolphe Osso.<br />
Auteur : Albert Jean, d'après sa pièce homonyme.<br />
Adapt. : Pierre Gille-Véber, Georges H. Clouzot.<br />
Dir. ph. : Louis Chaix. Asst. ph. : Janvier.<br />
Déc. : Robert Gys. Mus. : Georges Van Parys, Philippe<br />
Parés. Lyrics : Serge Véber (édition Francis Salabert).<br />
Administrateur : Georges Bernier. Enregistré par<br />
Monsieur Bugnon sur procédé Western Electric dans<br />
les studios Braunberger-Richebé à Billancourt.<br />
Int. : Mireille Perrey (Monique), Pierre Bertin-<br />
Sociétaire de la Comédie-Française (Michel), Saint-<br />
Ober (le pépiniériste), Barencey (le marinier), Kerly (le<br />
Monsieur pressé), Velsa (le militaire), Goupil (le<br />
pêcheur), Bever (le petit employé), Maurice Rémy (le<br />
cambrioleur), Roger Blum (le mari), Vanah-Yami (la<br />
femme de chambre). Date de sortie : 20 novembre<br />
1931. Métrage, minutage copie Cf. : 1553 m., 57 mn.<br />
Noir et blanc. Doc. : Remerciements à Bernard<br />
Bastide.<br />
À Paris, dans une belle maison, un couple<br />
se crêpe le chignon. Dans l'appartement d'en<br />
face, Michel chante l'amour. Depuis six ans,<br />
il aime justement Monique, la femme d'à côté<br />
et lui fait la cour sans succès. Or, Monique<br />
veut se venger de son mari volage ; elle achète<br />
tous les ballons du marchand et attache sa<br />
carte à chacun avec l'inscription : « Je serai<br />
seule après minuit. » Les ballons s'envolent<br />
et, au gré du vent, désignent un pêcheur à la<br />
ligne, un homme d'affaires pressé, un employé<br />
du ministère de l'air, un marinier jovial, un<br />
soldat en faction, un saxophoniste étranger,<br />
un pépiniériste un peu hébété et... Michel. Minuit<br />
sonne et les invités arrivent. Les présentations<br />
faites, Monique leur annonce<br />
qu'elle passera la nuit avec l'un d'entre eux.<br />
Mais quand le nom de son voisin sort du chapeau,<br />
elle refuse d'être son lot et s'enferme<br />
dans sa chambre avec... un cambrioleur entré<br />
par la fenêtre. Finalement, de guerre lasse ou<br />
manu militari, tous partent, même le voleur<br />
auquel Michel a donné sa propre adresse pour<br />
s'en débarrasser. Enfin, Monique s'abandonne<br />
à son plus fidèle prétendant pendant<br />
que dans la rue, <strong>des</strong> hommes affluent par dizaines<br />
un ballon à la main...<br />
71
72 - FRANCE<br />
JACQUES L'ÉCLECTIQUE<br />
Un boulimique. C'est ainsi qu'aimait<br />
à se définir Jacques de Baroncelli qui, à<br />
l'heure <strong>des</strong> bilans, confessait la bagatelle<br />
de quatre-vingt et un films, réalisés entre<br />
1915 et 1947. Effectuer un prélèvement<br />
dans cette filmographie pléthorique où<br />
dominent quand même adaptations littéraires<br />
et drames de la mer, revient à<br />
confirmer le jugement autobiographique.<br />
Entre un drame paysan, un film<br />
« mondain et d'aventures » et une comédie<br />
musicale, il n'y a pas d'autre lien<br />
qu'une même curiosité tous azimuts, que<br />
l'appétit insatiable d'un artisan amoureux<br />
de son métier.<br />
Nène appartient à la veine naturaliste<br />
de Baroncelli, cette même veine qui<br />
compte aussi Ramuntcho (1918) et Pêcheur<br />
d'Islande (1924). L'œuvre, toute empreinte<br />
de la poésie rustique du quotidien,<br />
plonge ses racines dans une tradition<br />
française de romans paysans (Sand,<br />
Maupassant). Mais elle est transcendée<br />
par une dimension cosmique qui rappelle<br />
le grand cinéma suédois du début<br />
<strong>des</strong> années vingt.<br />
Dans l'héritage français, Baroncelli<br />
puise une géographie (la Vendée), un<br />
décor qui est plus qu'un simple paysage<br />
et vibre aux accents du drame. Il puise<br />
aussi un temps, rythmé par les travaux<br />
de la ferme et le cycle <strong>des</strong> saisons. C'est<br />
le temps de la moisson et du battage <strong>des</strong><br />
blés, <strong>des</strong> volailles que l'on engraisse et<br />
<strong>des</strong> moutons que l'on rentre à la bergerie.<br />
Dans ce tableau champêtre, il inscrit<br />
une famille ou ce qui en tient lieu : Corbier,<br />
paysan resté veuf avec ses deux enfants<br />
et Nène, la servante. Nène - superbe<br />
Sandra Milowanoff au visage d'icône -<br />
c'est le sentiment maternel exalté jusqu'au<br />
sublime ; c'est le pendant féminin<br />
du Père Goriot, porté à l'écran deux ans<br />
plus tôt par Baroncelli. Autour d'eux,<br />
gravitent <strong>des</strong> personnages esclaves de<br />
leurs passions : amours frustrés, liens du<br />
sang et conflits d'intérêt mènent ainsi la<br />
danse.<br />
Du cinéma suédois, le réalisateur<br />
semble avoir retenu la dimension « élémentaire<br />
» et poétique. Le feu qui brûle<br />
dans l'âtre est le point autour duquel s'organise<br />
la famille matriarcale ; il est aussi<br />
la punition s'abattant sur la petite <strong>La</strong>lie<br />
qui a enfreint l'interdit. L'eau, en revanche,<br />
appartient au règne féminin.<br />
Nène qui sauve Jo de la noyade, le réconforte<br />
et le soigne, trouve ainsi l'occasion<br />
d'exprimer son sentiment maternel<br />
et un désir d'enfantement. Belle scène où<br />
le_concret et le symbolique se mêlent. Et<br />
quand, à la fin du film, la solide paysanne<br />
se jette dans la rivière par désespoir, c'est<br />
Corbier qui vient la sauver (à la différence<br />
du roman où elle meurt) et choisit pour<br />
femme celle que ses enfants ont choisie<br />
pour mère.<br />
Avec Duel, Baroncelli retourne à<br />
l'univers viril qu'il affectionne tout particulièrement.<br />
Un grand nombre de ses<br />
films sont en effet peuplés de héros militaires<br />
- indifféremment marins, fantassins<br />
ou aviateurs - porteurs <strong>des</strong> valeurs<br />
de devoir, de courage et d'abnégation à<br />
un tel degré de pureté qu'ils nous paraissent<br />
peu crédibles aujourd'hui. Deux<br />
ans avant Wings de William Wellman, il<br />
s'attache à la figure de deux aviateurs qui<br />
- à cause d'une femme, bien sûr - se dressent<br />
en rivaux et s'affrontent au final dans<br />
un combat singulier. Bien vite, le cinéaste<br />
délaisse l'intrigue amoureuse pour mieux<br />
s'attacher à opposer deux tempéraments<br />
d'exception que les contingences divisent,<br />
alors qu'un même idéal les anime.<br />
Entre les deux rivaux en amour, il y a un<br />
peu de cette connivence de classe qui<br />
unira l'officier français à l'officier allemand<br />
dans la Grande Illusion.<br />
Le premier, Jean Peyrane, est le Dr Jekyll-Mr<br />
Hyde <strong>des</strong> airs. D'un côté il est<br />
l'aviateur valeureux qui, de traversée en<br />
raid, fait reculer les limites de l'impossible.<br />
De l'autre, il est ce mondain à la vie<br />
privée dissolue dont on a coutume de<br />
dire : « Il s'élève... en montant. » A travers<br />
lui, Baroncelli brosse le portrait de<br />
toute une génération de jeunes gens qui,<br />
démobilisés après la guerre de 14-18, eurent<br />
bien du mal à trouver leur place dans<br />
une société transformée en profondeur.<br />
Un thème qui lui tenait à cœur au point<br />
qu'il lui consacrera un autre film, Cessez<br />
le feu ! (1934).<br />
Le second, Debresle, fut lui aussi aviateur,<br />
avant de devenir un homme d'affaires<br />
prospère. Et tout, de son tour de<br />
taille à son intérieur cossu, en passant par<br />
son air suffisant, traduit sa réussite sociale.<br />
Dieu lui-même ayant refusé de départager<br />
les deux hommes dans une première<br />
épreuve - style « naufragé volontaire<br />
dans le Sahara » - ils décident de<br />
s'affronter en un combat aérien. Un combat<br />
qui est non seulement le climax du scénario<br />
et une prouesse technique de la réalisation,<br />
mais apparaît aussi, a posteriori,<br />
comme la seule justification du film tout<br />
entier (toute la publicité fut d'ailleurs<br />
faite autour de cette seule séquence).<br />
]e serai seule après minuit est un film<br />
léger, une comédie sur l'adultère, que<br />
l'onne s'attendait pas, a priori, à dénicher<br />
dans la filmographie de Baroncelli. Mais<br />
nous sommes au début du parlant et le<br />
cinéaste cherche ses marques dans un<br />
paysage cinématographique totalement<br />
bouleversé. Après l'échec cuisant de l'Arlésienne<br />
(1930) et le succès mondial du<br />
Rêve (1931), il va s'essayer à un genre qui<br />
a fait la réputation de René Clair, son ancien<br />
assistant : la comédie musicale à la<br />
française.<br />
Pour ce coup d'essai, il a mis toutes<br />
les chances de son côté : la pièce adaptée<br />
a triomphé à la Comédie-Caumartin,<br />
Pierre Bertin, l'acteur principal, est un<br />
vieux routier du genre (il fut l'interprète<br />
à l'écran de l'Amour chante et Faubourg<br />
Montmartre) et les mélodies sont signées<br />
Parés et Van Parys, les compositeurs du<br />
Million.<br />
L'argument est puéril : pour se venger<br />
d'un mari brutal et volage, une<br />
femme décide de se trouver un amant en<br />
lâchant <strong>des</strong> ballons portant le message<br />
« Je serai seule après minuit ». Les « victimes<br />
», comme touchées par la grâce,<br />
sont toutes saisies dans leur activité quotidienne<br />
: le pêcheur la ligne à la main, le<br />
militaire en faction, le monsieur pressé<br />
bouclant sa valise... Et tous, comme<br />
échappés d'un film de Jacques Demy,<br />
poussent la chansonnette pour se présenter,<br />
offrant un plan en coupe de la société<br />
française, de ses métiers et de ses<br />
uniformes. Car, au-delà de la comédie enlevée<br />
qui trouve bien vite son rythme allègre<br />
et son ton bon enfant, c'est le portrait<br />
de la France <strong>des</strong> années trente qui<br />
nous apparaît. Une France qui est encore<br />
celle <strong>des</strong> petits métiers (vendeurs de ballons,<br />
raccommodeurs de porcelaine,<br />
etc.), mais déjà celle <strong>des</strong> hommes d'affaires<br />
pressés ; une France qui sait se divertir<br />
et découvre le jazz.<br />
« Ils sont beaux ? » demande la jeune<br />
femme avant de découvrir ses nombreux<br />
prétendants. « Ils sont variés » lui répond<br />
sa femme de chambre. « Varié », c'est<br />
bien le maître mot de ce sympathique divertissement,<br />
le mot-clé aussi d'une filmographie<br />
faisant feu de tout bois.<br />
Bernard Bastide<br />
JACQUES DE BARONCELLI - 73<br />
Je serai seule après minuit, Mireille Perrey.
74 - FRANCE<br />
Sessue Hayakawa.<br />
J'AI TUE !<br />
1924-Roger Lion<br />
Réal. : Roger Lion. Prod. : Les Films Thyra (Richard<br />
Pierre Bodin). Se. : Roger Lion. Asst. réal. : Miss<br />
Frances Guihan. Dir. ph. : Maurice Desfassiaux,<br />
Castagnet, Segundo de Chomôn.<br />
Effets spéciaux : Segundo de Chomôn. Déc. : E. B.<br />
Donatien. Int. : Sessue Hayakawa (Hidéo), Huguette<br />
Duflos (Huguette), MaxMaxudian (le professeur<br />
Dumontal), Maurice Sigrist (Gérard), Pierre Daltour<br />
(Vérian), Denise Legeay (la « baronne de Calix »),<br />
Jules de Spoly (le « comte Ricardo »), André Volbert<br />
(le commissaire de police), Maurice Luguet (le<br />
Président). Date de sortie : 8 novembre 1924.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2052 m., 90 mn<br />
(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Couleurs (teintages). Doc. : Juan Gabriel Tharrats : Los<br />
500 films de Segundo de Chomôn, Zaragoza, 1988.<br />
Orientaliste réputé, le professeur Dumontal<br />
habite une belle demeure à Neuilly<br />
avec sa jeune femme, Huguette, et leur enfant<br />
Gérard. Un jour, le professeur reconnaît Hidéo,<br />
son ami antiquaire de Tokyo, accusé à<br />
tort d'un vol. Il s'en porte garant. Le jeune<br />
homme rend visite à son bienfaiteur et raconte<br />
sa tragique histoire : comment sa ville fut ravagée<br />
par un tremblement de terre, comment,<br />
seul rescapé de sa famille, il s'est embarqué<br />
pour l'Europe, comment il se fit dévaliser lors<br />
d'une escale à Anvers et comment il échoua à<br />
Paris. Dumontal l'engage comme collaborateur.<br />
Mais Huguette est la cible d'un chantage<br />
; Vérian, un ancien amant, a gardé <strong>des</strong><br />
lettres qu'il menace de produire. Dévoué,<br />
Hidéo essaye d'intervenir en menaçant Vérian<br />
et sa complice, la soi-disant baronne de<br />
Calix, de les dénoncer et de les faire jeter en<br />
prison. Mais rien n'y fait et lors d'une soirée<br />
chez les Dumontal, Vérian est là. Il poursuit<br />
la maîtresse de maison jusque dans sa chambre.<br />
Entre le mari qui se bat avec l'intrus.<br />
Mais fragile du cœur, il s'effondre. Vérian<br />
s'enfuit en menaçant Huguette. Hidéo entre<br />
et c'est lui qui est arrêté. Le jeune homme s'accuse<br />
aux Assises d'un crime qu'il n'a pas commis.<br />
Quand Vérian comparaît, sa victime n'y<br />
tient plus et le désigne comme le vrai coupable.<br />
Celui-ci avoue à son tour mais menace<br />
de tout dévoiler. Hidéo se jette sur lui et l'audience<br />
se termine en pugilat. Épilogue : Huguette<br />
reste seule avec son enfant, Hidéo a repris<br />
le bateau pour un autre ailleurs.<br />
UN MONDE DE MONDANITÉS<br />
Roger Lion est un cinéaste en activité<br />
dès le début <strong>des</strong> années dix. Les sujets<br />
qu'il privilégie relèvent fréquemment de<br />
la romance sentimentale. Décédé en 1934,<br />
il ne laisse pas d'œuvres particulièrement<br />
marquantes. On peut retenir sa version<br />
du Chasseur de chez Maxim's (1926) et justement<br />
J'ai tué !<br />
A quoi tient le fait que ce film, malgré<br />
son sujet très conventionnel, capte l'attention<br />
et aiguise la curiosité pour son dénouement<br />
?<br />
En premier lieu, quelques vues extérieures<br />
de Paris sont assez plaisantes. Par<br />
exemple, cet aperçu <strong>des</strong> rues Montmartroises<br />
ou ces plans du musée Galliéra<br />
dans la perspective de l'actuelle avenue<br />
Pierre 1 er de Serbie qui découvrent un Palais<br />
du Trocadéro dans son architecture<br />
initiale, avant l'exposition de 1937. Surtout,<br />
le surgissement dans la fiction<br />
d'<strong>images</strong> documentaires du tremblement<br />
de terre survenu au Japon en 1923<br />
crée un effet de réel saisissant et presque<br />
fatal à ce drame mondain qui, par contrecoup,<br />
paraît encore plus hors du monde.<br />
En second lieu, les décors de Donatien<br />
dégagent un évident goût <strong>des</strong> années<br />
vingt pour un exotisme revisité par les<br />
arts-déco, et pourraient servir à la mise<br />
en scène d'une mélancolie proche de Victor<br />
Segalen. Sessue Hayakawa accentue<br />
« ce sentiment du divers » dans une mise<br />
en scène très théâtralement « à la française<br />
». Il contribue beaucoup au petit intérêt<br />
du spectateur contemporain. Dénué<br />
<strong>des</strong> pauses et du maquillage <strong>des</strong> séducteurs<br />
<strong>des</strong> années folles, il a une présence<br />
physique qui irradie parfois <strong>des</strong> plans<br />
« plombés ». L'ultime séquence du procès<br />
le montre d'ailleurs bondissant de<br />
manière très spectaculaire à travers la<br />
salle d'audience pour étrangler le maître<br />
chanteur : un saut digne de Fairbanks !<br />
Comparé à Huguette Duflos (qui n'a pas<br />
encore toutes ses rondeurs de la fin de la<br />
décennie), à Max Maxudian (le mari,<br />
sosie de Sacha Guitry en peignoir dans la<br />
première séquence) et à Pierre Daltour<br />
(aux sourcils <strong>des</strong>sinés sur une face de<br />
neige), Hayakawa allège l'ordonnance<br />
pesante de la mise en scène.<br />
Enfin, quelques numéros de cabaret<br />
offrent un inventaire <strong>des</strong> exotismes au<br />
goût du jour : Polynésie, Espagne, Russie.<br />
Décors, Hayakawa, numéros de cabaret,<br />
grands jardins, hôtels particuliers<br />
somptueux et une langueur générale, colorent<br />
le film d'une certaine atmosphère<br />
décadente proche d'univers situés entre<br />
Paul Bourget et Huysmans.<br />
Le film est assez recherché visuellement<br />
: les mousselines transparentes<br />
d'Huguette Duflos rivalisent avec les jets<br />
d'eau <strong>des</strong> jardins à la française. Démonstration<br />
ostentatoire du « bon goût » du cinéaste,<br />
qui réussit plus légèrement la séquence<br />
décisive de la fête où alternent le<br />
bal et le quiproquo criminel. Le corps<br />
d'Hayakawa dynamise et rythme la scène.<br />
Cela dit, la réalisation de ce sujet mondain<br />
est nettement plus proche de la préciosité<br />
un peu affectée de L'Herbier que<br />
<strong>des</strong> expérimentations plastiques d'Epstein.<br />
Dominique Païni<br />
75
76 - FRANCE<br />
SOUVENIRS DE L'EXPEDITION CITROEN<br />
CENTRE-AFRIQUE<br />
2 e Mission. Haardt, Audouin-Dubreuil.<br />
1924-1925-Léon Poirier<br />
Réal. : [Léon Poirier].<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1943 m., 94 mn<br />
(à 18 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
<strong>La</strong> deuxième mission de l'expédition Citroën<br />
en Centre-Afrique traverse le continent<br />
noir dans son entier, de la côte algérienne à<br />
Madagascar (une partie de l'expédition pousse<br />
même jusqu'au Cap). Les principales étapes<br />
sont le lac Tchad, Bangui, Stanleyville, le lac<br />
Albert, le lac Victoria, le Mozambique. Les<br />
cinq voitures et autochenilles ont pour nom<br />
« Le scarabée d'or », « Le croissant d'argent »,<br />
« <strong>La</strong>blanche colombe », « Le Centaure », « Le<br />
soleil en marche ». Au cours de leur périple,<br />
les « missionnaires » traversent les rivières et<br />
les fleuves en pirogue, en bateau ou sur <strong>des</strong><br />
bacs improvisés, les déserts, brousses, forêts<br />
et villages ; ils rencontrent les populations,<br />
<strong>des</strong> autorités indigènes et coloniales ; ils sablent<br />
le Champagne le 11 novembre lors d'une<br />
halte ; ils font face à <strong>des</strong> avaries mécaniques,<br />
à <strong>des</strong> accidents même ; ils voient <strong>des</strong> pêcheurs,<br />
un passeur, un feu de brousse ; au hasard de<br />
la route, ils observent <strong>des</strong> termitières géantes,<br />
chassent le caïman, l'antilope, le sanglier, les<br />
papillons... Partis le 20 octobre 1924, ils parviennent<br />
à Tananarive le 26 juin 1925. C'est<br />
l'heure du retour sur le continent européen ;<br />
déjà la côte africaine s'éloigne, déjà la France<br />
est en vue.<br />
UN DÉFILÉ DANS LA BROUSSE<br />
<strong>La</strong> Croisière noire... J'ai vu ce film pour<br />
la première fois à Alger (à l'opéra, avec<br />
orchestre), à l'âge de dix ans... Et s'il n'a<br />
pas suscité chez moi la même émotion<br />
que le Nanook de Flaherty, qui est le premier<br />
film que j'ai vu de ma vie (à Brest,<br />
rue de Siam, en 1923, j'avais six ans), ces<br />
deux films restent associés à mon enfance.<br />
Pendant <strong>des</strong> années, je me suis endormi<br />
comme les petits chiens de Nanook,<br />
et pendant mon adolescence, je n' ai<br />
circulé, en rêve, qu'en autochenilles.<br />
J'ai revu ces deux films cent fois, dans<br />
toutes les versions, mais j'ai très vite<br />
choisi les copies muettes 35 mm à 16 ou<br />
18 <strong>images</strong> par seconde, à côté <strong>des</strong>quelles<br />
les copies accélérées, « musiquées » et<br />
commentées par un speaker grandiloquent,<br />
deviennent pour Nanook un « opéra<br />
comique » et pour la Croisière noire, une<br />
épopée de militaires fanfarons, ridi-<br />
cules...<br />
Alors, merci à la <strong>Ciné</strong>mathèque de<br />
m'avoir fait découvrir cette copie du<br />
« journal de route » de la Croisière noire,<br />
muette, à 18 <strong>images</strong> par seconde, belle<br />
comme les premières architectures de Le<br />
Corbusier (la Ville radieuse) et drôle comme<br />
The Secret Life ofWalter Mitty (Norman<br />
Z. McLeod, avec Danny Kaye, 1947).<br />
Car ces précurseurs du futur rallye<br />
« Paris-Dakar » (de sinistre mémoire) apparaissent<br />
tout au long du Journal en très<br />
élégantes tenues de brousse. Jacques<br />
Wolgensinger, le père de la 2 CV, vient<br />
de me le confirmer : le gentleman Georges-Marie<br />
Haardt avait choisi l'élégance<br />
tropicale britannique en commandant les<br />
meilleures tenues chez les « Colonial outfitters<br />
» de Londres, tout près de Regent<br />
Street, d'où ne pouvaient que venir ces<br />
pantalons jodhpurs, ces bush smocs (blouses<br />
de brousse, modèle <strong>des</strong> tenues de<br />
Montgomery et Wavell pendant la campagne<br />
de Lybie en 1941-1942), ces shorts<br />
de grande longueur arrivant juste au<strong>des</strong>sus<br />
du genou, ces chemises légères<br />
aux manches diversement retroussées<br />
(seul Haardt a le chic naturel de les relever<br />
sur l'avant-bras sans dépasser le<br />
coude), ces houseaux (bottes à lacets intérieurs<br />
facilitant l'enfilage) qui seraient<br />
plutôt de chez Hermès... Mais pour le<br />
soir, les mosquitos boots de daim venaient<br />
évidemment de Londres... En revanche,<br />
la sellerie était française et les fauteuils<br />
pliants comme les lits de camp avaient été<br />
préparés spécialement par Louis Vuitton...<br />
Enfin, les casques coloniaux étaient<br />
<strong>des</strong> topee réglementaires <strong>des</strong> administrateurs<br />
britanniques mais jamais <strong>des</strong> pithhelmet,<br />
casques en moelle de sureau,<br />
venus de l'armée <strong>des</strong> In<strong>des</strong>... Ces casques<br />
resteront vissés sur la tête <strong>des</strong> voyageurs<br />
pour éviter dès le lever du jour l'insolation<br />
foudroyante. Personne, en revanche,<br />
ne portera de lunettes de soleil : ce n'est<br />
pas encore le temps <strong>des</strong> Ray Ban...<br />
A une escale de brousse à palmiers rôniers,<br />
à l'ombre légère d'un acacia albida,<br />
Alexandre Iacovleff, le peintre russe (à<br />
qui Citroën a fait obtenir la nationalité<br />
française juste avant le départ), nous a<br />
laissé un tableau de l'expédition où les<br />
nouveaux croisés posent auprès de leurs<br />
autochenilles « sellées, bridées, prêtes à<br />
partir », avant de s'élancer vers de nouvelles<br />
aventures... Ce tableau est pour<br />
moi une image arrêtée d'un pouvoir extraordinaire<br />
: elle déclenche chez l'artiste<br />
qui se peint lui-même (selon la tradition<br />
italienne) un admirable petit sourire<br />
complice. Après s'être fait ainsi « tirer le<br />
portrait », ils vont s'élancer sur <strong>des</strong> routes<br />
de plus en plus incertaines, en procession,<br />
chacun dans sa petite 10 chevaux,<br />
décapotée à jamais, sans pare-brise et<br />
sans garde-boue (on bricolera de temps<br />
en temps <strong>des</strong> garde-boue en bois pour<br />
éviter d'arriver tout crotté chez le district<br />
commissioner qui ne plaisante pas avec<br />
l'étiquette).<br />
Leur chef, Haardt, et son adjoint,<br />
Louis Audouin-Dubreuil, sont tous deux<br />
<strong>des</strong> ingénieurs, <strong>des</strong> « chevaliers d'industrie<br />
», directeurs <strong>des</strong> usines Citroën, à qui<br />
leur patron André, tel l'infant Enrique le<br />
Navigateur, a confié la conduite de ces<br />
nouvelles caravelles parties à la découverte<br />
de continents perdus...<br />
Ce « journal de route » nous en compte<br />
les merveilleuses aventures : nouvelles<br />
traversées de « fleuves impassibles »,<br />
nouveaux déserts ou nouvelles forêts,<br />
nouvelles rencontres d'hommes et de<br />
femmes inconnus et interloqués comme<br />
cette jeune beauté Mangbetou qui, à la fin<br />
de la pose, pouffe de rire.<br />
Car pour moi, la plus grande qualité<br />
de ce Journal, c'est de ne jamais se prendre<br />
au sérieux.<br />
Salut de brousse ! les voyageurs et<br />
merci pour l'inoubliable ballet <strong>des</strong> casques<br />
coloniaux.<br />
Jean Rouch<br />
F<br />
SOUVENIRS DE L'EXPÉDITION CITROËN - 77<br />
m
78 - FRANCE<br />
LES AVENTURES DE ROBERT MAC Al RE<br />
1925 - Jean Epstein<br />
Réal. : Jean Epstein. Prod. : Films Albatros.<br />
Auteurs : Benjamin Antier, Saint-Amand, Paulyanthe,<br />
d'après leur pièce l'Auberge <strong>des</strong> Adrets. Se. : Charles<br />
Vayre. Textes : Raoul Ploquin. Dir. ph. : Paul<br />
Guichard, Jehan Fouquet, Nicolas Roudakoff.<br />
Déc. : Jean Mercier, Georges Geffroy, <strong>La</strong>zare<br />
Meerson. Tournage à Saint-Pierre de Chartreuse, à<br />
Grenoble (extérieurs) et au studio de Montreuil.<br />
Int. : Jean Angelo (Robert Macaire), Suzanne<br />
Bianchetti (Louise de Sermèze), Marquisette Bosky<br />
(Jeanne), Lou Davy (Victoire), Maximilienne Max (la<br />
fermière), Mademoiselle Niblia (Eugénie Mouffetard),<br />
Alex Allin (Bertrand), Camille Bardou (le brigadier<br />
Verduron), Nino Costantini (René de Sermèze), Sacha<br />
Dulong (le marquis de Sermèze), François Viguier<br />
(Cassignol), Jean-Pierre Stock, Jules de Spoly (Jules de<br />
Spoky au générique). Première aventure : « Une<br />
étrange nuit à la ferme de Sermèze ». Deuxième<br />
aventure : « Le bal tragique ». Troisième aventure :<br />
« Le rendez-vous fatal ». Quatrième aventure : « <strong>La</strong><br />
fille du bandit ». Cinquième et dernière <strong>des</strong> aventures<br />
de Robert Macaire. Date de sortie : 7 / décembre<br />
1925. Métrage, minutage copie Cf. : 4079 m.,<br />
161 mn (à 22 i/s). Générique et intertitres français<br />
reconstitués. Noir et blanc. Doc. : François Albera :<br />
Albatros, <strong>des</strong> Russes à Paris, 1919-1929,<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta, 1995.<br />
L'an de grâce 1825. Bandits de grand chemin,<br />
Robert Macaire et son fidèle compagnon<br />
Bertrand errent sur les routes de France à l'affût<br />
d'une occasion. Sans distinction, ils volent<br />
un riche propriétaire et une fermière crédule.<br />
Mais Robert sauve aussi une jeune<br />
femme en détresse, en l'occurence Louise de<br />
Sermèze, la fille du marquis de la région. Au<br />
château, il se fait passer pour le vicomte de la<br />
Tour Macaire. Le soir du bal donné en son<br />
honneur, le lieu est encerclé par les gendarmes.<br />
Avec l'aide de Louise, éperdument<br />
amoureuse de son sauveur, Robert s'enfuit<br />
par un couloir secret. Peu de temps après, non<br />
sans avoir en chemin volé une voleuse afin de<br />
subvenir à ses besoins, le bandit revient en cachette<br />
auprès de Louise. Ce retour est découvert<br />
et cette fois les deux escrocs sont jetés en<br />
prison. Dix-sept années ont passé ; <strong>des</strong> années<br />
passées à l'ombre, puis à essayer de filouter<br />
<strong>des</strong> pigeons et à se faire escroquer à leur<br />
tour, la prison encore et la liberté enfin. C'est<br />
le temps <strong>des</strong> regrets, le regret du temps et <strong>des</strong><br />
amours perdus. Louise est morte. Mais voilà<br />
que sur sa tombe, une jeune fille prie et on ju-<br />
rerait Louise elle même ! Non, ce n'est pas un<br />
fantôme mais Jeanne, la fille de la défunte,<br />
l'enfant du « péché ». Comme sa mère il y a<br />
longtemps, elle aime secrètement un garçon<br />
sans fortune. Alors, comme pour s'amender<br />
et se venger du passé, Robert va travailler à<br />
cette union. Avec Bertrand, il monte à Paris<br />
pour retrouver un ancien associé indélicat,<br />
Cassignol devenu « baron de Signol ». Grâce<br />
à un stratagème original, ils ont gain de cause<br />
et repartent riches vers la province. Le bonheur<br />
de Jeanne est assuré et les deux amis,<br />
vaille que vaille, reprennent la route.<br />
« PHOTOGÉNIE<br />
DE L'IMPONDÉRABLE »<br />
Le personnage de Robert Macaire apparaît<br />
en 1823, dans l'Auberge <strong>des</strong> Adrets,<br />
pièce écrite par Benjamin Antier, Saint-<br />
Amand et Paulyanthe (trois pseudonymes),<br />
et il est incarné par Frédérick<br />
Lemaître qui en fait son personnage fétiche,<br />
l'interprétant dans un sens bouffon<br />
et insolent jusqu'à l'interdiction de la<br />
pièce, à tel point qu'il peut en être considéré<br />
comme le créateur. En 1833 paru<br />
l'Auberge <strong>des</strong> Adrets, manuscrit de Robert<br />
Macaire trouvé dans la poche de son ami Bertrand,<br />
roman élargissant les frasques du<br />
personnage, qui réapparaît en 1834 au<br />
théâtre sous le titre de Robert Macaire, toujours<br />
interprété par Lemaître. Sa <strong>des</strong>tinée<br />
est ensuite considérable, et Macaire est<br />
repris par les caricaturistes, ainsi que<br />
dans de nombreuses oeuvres. De ses avatars,<br />
Flaubert considérait qu'ils étaient<br />
aussi multiples que ceux de Don Juan.<br />
Frédérick Lemaître deviendra lui aussi<br />
un personnage, assomption légitime,<br />
dans les Enfants du paradis, joué par Pierre<br />
Brasseur.<br />
<strong>La</strong>nglois tenait les Aventures de Robert<br />
Macaire, le film d'Epstein, pour un classique<br />
qui avait su recréer l'atmosphère<br />
romantique. Lors d'une projection du<br />
film à Cannes en 1956, pour un hommage<br />
à Epstein, en présence d'Abel Gance, de<br />
Jean Cocteau, de Van Parys, <strong>La</strong>nglois té-<br />
moigna que le film parut surprenant et<br />
attachant. Film à épiso<strong>des</strong>, son charme<br />
frappe toujours, une manière de tenir une<br />
croyance désinvolte aux péripéties de<br />
l'histoire, et de la faire traverser par deux<br />
complices, Jean Angelo (Macaire, avec<br />
son air parfois pré-Brasseurien) et son<br />
valet, Bertrand (Alex Allin), ambulants<br />
sans attaches - et le film se termine sur<br />
les deux compères disparaissant derrière<br />
un talus, en route vers de nouvelles péripéties.<br />
Il y a un romanesque de l'affublement,<br />
du déguisement, <strong>des</strong> supercheries<br />
identitaires, une fausse voyante, un placard<br />
où enfermer le baron de Signol chez<br />
qui, pendant la fête, un « sorcier » anglais<br />
effectue <strong>des</strong> tours de physique et de somnanbulisme,<br />
<strong>des</strong> décors plâtrés et sphynxés,<br />
un grand-guignol de la mesmérisation<br />
ainsi, bien sûr, qu'une issue heureuse<br />
apportée aux amours de Jeanne de Sermèze<br />
et de <strong>La</strong> Ferté par les deux complices.<br />
On reconnaîtra, à ce matériau narratif<br />
sommairement évoqué, une tradition<br />
feuilletonesque traitée de manière<br />
heureuse, assez sûre de ses tours pour les<br />
pratiquer avec une bonhomie amusée<br />
telle qu'elle est visible dans le plan par<br />
<strong>des</strong> sourires dont il devient indistinct et<br />
d'ailleurs sans importance de savoir s'ils<br />
appartiennent aux acteurs ou aux personnages.<br />
Parfois, le film frôle le burlesque,<br />
comme dans cette même fête,<br />
avec son début de désordre, et la manière<br />
impertinente avec laquelle le baron est<br />
jeté dans un placard, plus près d'une<br />
consistance de sac que d'un corps. Les insolences<br />
elles-mêmes du film, et cette manière<br />
de jouer avec la crédulité sociale<br />
sont, littéralement, charmantes. Et ce<br />
charme se redistribue en postures, en mimiques,<br />
en attitu<strong>des</strong> expressives libérées<br />
d'une pression dramatique quelconque,<br />
dans une sorte de légèreté. C'est leur<br />
vertu, et l'aire de jeu du film. C'est aussi<br />
une variante mineure de cette « photogénie<br />
de l'impondérable » par laquelle<br />
Epstein qualifiait le cinéma.<br />
Des plans larges découpent un espace<br />
cohérent, où les surimpressions sont plus<br />
signifiantes (les trois gendarmes du rêve<br />
de Bertrand) que vraiment impressionnistes.<br />
Une manière de laisser de l'air autour<br />
<strong>des</strong> personnages par les cadres, particulièrement<br />
en extérieur, donne un sentiment<br />
physique de l'espace qui, avec la<br />
netteté solaire de la lumière, parachève<br />
un sentiment optique <strong>des</strong> matières, de la<br />
pierre, <strong>des</strong> tissus. L'art de disposer dans<br />
le plan les objets témoigne d'un soin pour<br />
lequel <strong>La</strong>nglois avait questionné Epstein<br />
: « Est-ce Mercier ou Meerson qui<br />
ont su placer avec un tel raffinement les<br />
chaises, les accessoires dans le décor du<br />
pavillon d'été ? » « Ce n'est pas le décorateur<br />
qui pose les chaises, c'est moi. On<br />
est obligé de poser les chaises par rapport<br />
à l'objectif pour que rien ne se déséquilibre<br />
» C'est aussi ce goût du détail qui<br />
fait de Macaire une attestation du « langage<br />
cinématographique (qui) est prodigieusement<br />
concret, direct, brutal et vivant<br />
» 2.<br />
Philippe Arnaud<br />
1 Henri <strong>La</strong>nglois : Trois cents ans de cinéma, Cahiers du<br />
cinéma-<strong>Ciné</strong>mathèque française-FEMIS, 1986.<br />
! Jean Epstein : Écrits sur le cinéma, 1.1, Seghers, 1974,<br />
p. 60.<br />
LES AVENTURES DE ROBERT MACAIRE - 79<br />
Alex Allin<br />
Jean Angelo.<br />
Camille<br />
Bardou.
80 - FRANCE<br />
DESTIN<br />
1927 - Dimitri Kirsanoff<br />
Réal. : Dimitri Kirsanoff. Prod. : Dimitri Kirsanoff.<br />
Se. : Dimitri Kirsanoff. Dit. ph. : Willy Faktorovitch,<br />
Robert Lugeon. Int. : Nadia Sibirskaïa (Liliane), A.<br />
Stesenko (la fiancée d'André), Georgette Mussey,<br />
Christenson (le père de Liliane), Guy Belmone (André<br />
Verlin), Georges Roland. Date de sortie : 10 février<br />
1928. Métrage, minutage copie Cf. : 1579 m., 62 mn<br />
(à 22 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc. Générique et quelques plans teintés.<br />
Liliane est une enfant heureuse et gaie. Armand<br />
est l'amant de sa mère. Un soir, tard,<br />
le mari surgit de la nuit, tire sa fille du lit et<br />
sous ses yeux, abat sa mère et l'intrus. Des<br />
années plus tard : le père vit avec Liliane dans<br />
un taudis et se demande sans cesse si cette<br />
jeune fille un peu malingre est de lui ou le<br />
fruit d'un amour adultère. Elle, vit dans la<br />
terreur. Dans la rue, un inconnu qui semble<br />
la reconnaître lui laisse sa carte : « Armand<br />
Vallier ». Peu après, son père n'y tient plus<br />
(« Bâtarde, je te hais ! ») et la chasse. Elle erre<br />
longtemps ; au comble de la fatigue, elle s'évanouit<br />
dans le hall d'un bel immeuble. André<br />
Verlin, un romancier, la recueille mais au réveil<br />
le lendemain, elle a disparu. Nouvelle errance,<br />
l'horreur d'un asile de nuit. Sans recours,<br />
elle retourne chez l'écrivain. Survient<br />
alors la fiancée d'André qui gifle l'inconnue<br />
et rompt sur le champ. André et Liliane se<br />
sont mariés. Bonheur, épanouissement de Liliane.<br />
Une lettre anonyme adressée au mari<br />
accuse son épouse d'une liaison avec un<br />
nommé Armand. Au début, l'amour l'emporte<br />
sur le doute dans le cœur d'André. Mais<br />
un soir, il interprète mal une absence de sa<br />
femme partie au chevet d'Armand mourant<br />
et il s'absente de Paris pendant <strong>des</strong> mois. C'est<br />
dans la solitude qu'elle met au monde leur enfant.<br />
Au retour de son mari, elle garde le secret<br />
sur son passé et lui, pardonne sans savoir.<br />
Cinq ans après, Noël : la joie est de retour<br />
dans le foyer.<br />
IMAGE ET SON<br />
« Les meurtres, c'est un travail de mise<br />
en scène à part » D'où l'hypothèse<br />
que ce moment particulier <strong>des</strong> films soit<br />
le critère pour distinguer à coup sûr le<br />
faux cinéaste du vrai. Voir bien sûr les<br />
deux inévitables, Hitchcock et <strong>La</strong>ng, dont<br />
l'implacabilité d'une réalisation toujours<br />
préméditée a imité et sublimé la mise en<br />
scène du crime parfait. Voir aussi Nobody<br />
(1921) ou Chicago (1927), ici même 2 . Voir<br />
encore la scène qui ouvre pratiquement<br />
Destin : un montage court, violent, sadique<br />
même, une vitesse qui laisse le spectateur<br />
à peine installé, pantois, incertain<br />
de ce qu'il a vu, un meurtre silencieux<br />
(1927) où le choc <strong>des</strong> plans fait entendre<br />
les détonations, une exécution découpée<br />
comme du Eisenstein 3 . Surtout, ce crime<br />
inaugural et déclencheur du récit, cette<br />
scène traumatique digne de Marnie, par<br />
son montage éclaté, préfigure l'éclatement<br />
<strong>des</strong> <strong>des</strong>tins qu'elle provoque.<br />
Dans Destin, la figuration précède<br />
systématiquement l'énonciation ; autrement<br />
dit, le plan est l'avant-garde d'une<br />
information toujours à venir et délivrée<br />
alors d'une manière classique : un carton<br />
explicatif, pour le coup redondant, imitatif<br />
d'une forme qui l'a devancé, un doublon<br />
en quelque sorte où le signe répète<br />
le sens, où l'or redevient plomb et la poésie<br />
prosaïque. D'ailleurs, la préfiguration<br />
est tellement liée à l'art de Kirsanoff (et<br />
au cinéma muet conscient de lui-même)<br />
qu'il réalise Ménilmontant, un an avant<br />
Destin, sans la béquille d'un seul intertitre.<br />
Un seul exemple pris dans Destin, le<br />
plus beau. Liliane et André sont enlacés<br />
à l'arrière d'un petit bateau à moteur qui<br />
file sur la mer. Au plan suivant, l'eau défile<br />
en vaguelettes serrées le long de la<br />
coque. Bel effet rétinien qu'on se dit un<br />
peu gratuit. Troisième plan : retour sur le<br />
bateau où elle et lui s'embrassent. Quatrième<br />
plan : Kirsanoff filme encore l'eau,<br />
mais cette fois la ligne d'écume que laisse<br />
l'embarcation derrière elle, un sillon<br />
d'eau blanche qui <strong>des</strong>sine en s'élargissant<br />
la traine d'une mariée. Le plan anticipe<br />
une donnée du récit, en fait antérieure<br />
mais « ellipsée » (le mariage), qui<br />
deviendra explicite plus tard ; une lettre,<br />
plus un carton confirmeront ce que le<br />
spectateur sait déjà, ou doit déjà savoir<br />
s'il a fait son travail de regarder. Benjamin<br />
Fondane, poète surréaliste et scénariste<br />
de Rapt, le premier film sonore que<br />
Kirsanoff réalisera en Suisse en 1933, écrivait<br />
en 1929 que le film muet avait su<br />
« créer un langage mimique parfait » exigeant<br />
du spectateur « une sorte de collaboration,<br />
ce minimum de sommeil, d'engourdissement<br />
nécessaire, pour que fût<br />
balayé le décor du signe et que prît forme<br />
à sa place le réel du rêve » 4 . Pour y parvenir,<br />
Kirsanoff ne laisse pas un plan au<br />
hasard de sa composition naturelle et fait<br />
de ses idées d'abord <strong>des</strong> <strong>images</strong>, ensuite<br />
<strong>des</strong> mots (éventuellement).<br />
Forcément, ses personnages sont à<br />
l'unisson. Avant de le quitter sans espoir<br />
de retour, Liliane veut laisser une lettre à<br />
celui qu'elle suppose être son père. Assise<br />
devant sa feuille comme une écolière,<br />
la plume à la bouche, elle sèche, incapable<br />
de trouver les mots pour le dire. Une<br />
goutte d'encre, lasse d'attendre sans<br />
doute, s'échappe et tombe de tout son<br />
poids sur la surface blanche. Cette tache<br />
d'encre qui ressemble - comme deux<br />
gouttes d'eau - à une goutte de sang (à<br />
tel point que, trompé par le cadrage, j'ai<br />
cru la première fois qu'elle saignait du<br />
nez) dit mieux que la meilleure littérature<br />
ce que la jeune fille voulait écrire : son<br />
doute fondamental et insoluble sur ses<br />
origines. Cette « lettre », vierge de tout<br />
signe et seulement réceptacle d'un langage<br />
formel, c'est l'écran idéal de Kirsanoff,<br />
son manifeste esthétique.<br />
Si, par les vertus conjuguées du montage,<br />
de la préfiguration, de la surimpression,<br />
du flou, du fondu, de l'ellipse,<br />
du raccord dans l'axe, du dédoublement<br />
d'image (tout ça est dans Destin), si donc<br />
le muet peut tout, s'il est ce langage mimique<br />
parfait, s'il est déjà un art total<br />
quand il lui manque encore la parole,<br />
alors le cinéma muet est sonore. Dans Destin,<br />
voir c'est aussi entendre (« l'œil écoute<br />
» écrivait Claudel) : une chaise tomber,<br />
les portes, les fenêtres et les gifles claquer,<br />
un poing s'abattre sur la table, une assiette<br />
voler en éclats, un cri, un klaxon,<br />
etc. En contrepoint, Liliane (bouleversante<br />
Nadia Sibirskaïa), bâtarde immaculée,<br />
pleure sans un bruit, ravale en silence<br />
une douleur que ses grands yeux<br />
trahissent, et avance dans sa vie de misère<br />
bouche fermée. Benjamin Fondane<br />
encore (et dont on se dit à le lire qu'il devait<br />
inévitablement travailler avec Kirsanoff),<br />
en 1933 : « Nous vivons dans un<br />
monde renversé. Quelques années à peine<br />
nous séparent de ces temps où les<br />
trains, les sirènes <strong>des</strong> bateaux, les tempêtes,<br />
l'homme même, étaient muets.<br />
Seuls les sourds n'entendaient pas ces figures<br />
vertigineuses qui mettaient l'onde<br />
sonore en un tel état d'ébullition, de<br />
transe, qu'elle en sortait comme purifiée,<br />
exsangue, aphone, ayant touché par dilatation<br />
à son extrême pôle panique, le silence.<br />
Pour n'être que mental, le son manquait-il<br />
d'être réel ? En tout cas, il ne manquait<br />
pas d'être ! » Kirsanoff aussi, comme<br />
tant d'autres (Chaplin parmi les plus<br />
grands), a vécu le passage au parlant<br />
comme une tragédie, un moment d'involution<br />
artistique qui voua l'art muet au<br />
mutisme. Pour Dimitri Kirsanoff, cinéaste<br />
audiovisuel, le cinéma muet était sonore,<br />
et le parlant a surtout créé un grand<br />
silence <strong>des</strong> formes.<br />
Bernard Bénoliel<br />
1 Claire Denis, interviewée sur J'ai pas sommeil, dans<br />
les Cahiers du cinéma, n° 479/480, mai 1994.<br />
2 Sur Nobody, l'article de Philippe Arnaud, page 170.<br />
Sur Chicago, celui de Dominique Païni, page 181.<br />
3 Les films muets de Dimitri Kirsanoff (1899-1957),<br />
russe émigré à Paris en 1923, figure marginale et méconnue<br />
du cinéma français, sont esthétiquement plus<br />
proches <strong>des</strong> russes rouges d'Union soviétique que<br />
<strong>des</strong> russes blancs de Montreuil. Quant à ses récits, ils<br />
sont un mélange entre un tragique d'Europe centrale<br />
et le mélodrame à la Griffith.<br />
1 Benjamin Fondane : Écrits pour le cinéma, Plasma,<br />
1984.<br />
DESTIN - 81
82 - FRANCE<br />
De dos : François Rozet.<br />
Ombre à gauche :<br />
André Nicolle.<br />
Ombre à droite :<br />
Renée Héribel.<br />
MINUIT... PLACE PIGALLE<br />
1927-René Hervil<br />
Réal. : René Hervil. Prod. : International Standard Film<br />
Cie. Auteur : Maurice Dekobra, d'après son roman<br />
homonyme. Adapt. : Jacques de Baroncelli.<br />
Asst. réal. : RenéMoreau. Dir. ph. : Jacques<br />
Monteran, Georges Lucas. Asst. opérateur : Le<br />
Brument, Lepage. Déc. : Jaquelux. Int. : Nicolas<br />
Rimsky (Prosper), Renée Héribel (Suzy), François<br />
Rozet (le comte de Varitza), André Nicolle (M.<br />
Wulfing), Fernand Fabre, Suzy Pierson, Mona Lyls,<br />
Andrée Vernon, Princesse Diana Kotchaki, Alexandre<br />
Mihalesco, Tardif, Léon <strong>La</strong>rive, Darblay, Jean<br />
Donnery, Jean Gérard. Date de sortie : 30 novembre<br />
1928. Métrage, minutage copie Cf. : 2480 m., 98 mn<br />
(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Minuit, place Pigalle. Au Flamant rose,<br />
Prosper, maître d'hôtel stylé et d'expérience,<br />
prend sa retraite à la fin du service. Au petit<br />
matin, il abandonne le monde bruyant qu'il<br />
a servi pendant <strong>des</strong> années pour sa calme maison<br />
dans le Var. Mais à la campagne, Prosper<br />
n'oublie pas les folles nuits au cabaret.<br />
Après la mort de sa femme, il passe quelques<br />
jours dans la capitale et, bien sûr, retourne au<br />
Flamant rose, mais en client cette fois. Un<br />
soir, puis tous les soirs. Lui qui était si discret,<br />
devient extravagant, dépense sans compter<br />
et succombe au démon de midi. En quelques<br />
semaines, il est ruiné. Et s'il continue à<br />
venir, c'est désormais pour faire la plonge, observant<br />
la salle par un petit trou dans le mur<br />
de la cuisine. Un soir, Prosper reconnaît parmi<br />
les clients le riche et beau comte de Varitza<br />
accompagné de Suzy, un jeune mannequin<br />
vertueux qu'il a toujours protégé et considéré<br />
comme sa fille. Il supplie le comte de ne pas la<br />
déshonorer. En souvenir d'un ancien engagement<br />
sur l'honneur, et parce qu'il aime la<br />
jeune femme, le comte décide d'exaucer ce<br />
vœu. Deux mois plus tard, le couple annonce<br />
son union à Prosper qui pleure de joie.<br />
UN FILM DANS L'ENTRE-DEUX<br />
Le titre semble annoncer un film noir,<br />
un polar français dans le Pigalle de<br />
l'entre-deux-guerres, avec mauvais garçons<br />
à casquettes, flics infiltrés dans le milieu,<br />
barmans indicateurs de police, filles<br />
de joie gouailleuses et souteneurs armés,<br />
projets de casse chez un grand bijoutier<br />
ou de braquage d'un casino. Il n'en est<br />
rien. Nous sommes parmi la faune désarmée<br />
(désarmante) d'un noctambulisme<br />
parisien élégant, fortuné, insouciant, frivole,<br />
fêtard, noceur et, en quelque sorte :<br />
innocent. D'une innocence qui ne va pas<br />
sans ses légers écarts à la morale, prétextes<br />
à leçons moralisatrices. Dans un<br />
univers cosmopolite, les aristocrates hongrois<br />
et les maîtres d'hôtel français se côtoient<br />
et respectent les mêmes co<strong>des</strong><br />
d'honneur. Les prostituées y ont du savoir-vivre<br />
et de l'entregent, et lorsque<br />
l'une d'elle rend un petit service câlin<br />
d'une nuit à un vieil ami, elle exclut la<br />
question d'argent et remplace le cadeau<br />
convenu en billets de banque par un autre<br />
improvisé devant la vitrine d'un fourreur.<br />
Le film est compris dans un vaste<br />
entre-deux : entre deux guerres (et donc<br />
entre deux époques), entre deux cultures<br />
(personnages empruntés aux stéréotypes<br />
<strong>des</strong> littératures populaires d'Europe Centrale<br />
autant que du Paris <strong>des</strong> Années<br />
folles), entre deux mon<strong>des</strong> (celui de la fortune<br />
et celui qui tente d'en grappiller les<br />
miettes), entre deux pério<strong>des</strong> de la vie<br />
d'un personnage (la prospérité et la déchéance),<br />
entre deux états du cinéma (le<br />
primitif et le parlant)...<br />
Le personnage principal, Prosper (un<br />
prénom-programme : réussite et honnêteté),<br />
est maître d'hôtel dans un élégant<br />
cabaret-restaurant, le Flamant rose (non<br />
loin du Moulin-Rouge), où il règne en<br />
maître <strong>des</strong> cérémonies avec beaucoup de<br />
style et de métier. Il est interprété par<br />
l'émouvant Nicolas Rimsky, qui donne<br />
au personnage une qualité d'humanité<br />
nostalgique et une allure qui semblent<br />
venues d'ailleurs que <strong>des</strong> bords de la<br />
Seine. Le film commence quand la carrière<br />
de Prosper s'achève : nous le voyons<br />
dans ses œuvres et à son apogée, à l'occasion<br />
de ce qu'il dit lui-même être une<br />
représentation de retraite. <strong>La</strong> retraite arrive<br />
en effet, repos bien mérité dans une jolie<br />
maison sur la Côte d'Azur. <strong>La</strong> riviera<br />
française est alors vue comme midi avec<br />
tout ce qui dans ce midi s'oppose au minuit<br />
parisien : soleil, paysages et jardinage,<br />
calme, solitude et pittoresque local.<br />
Les rencontres dans un bistrot provincial<br />
et provençal sont l'occasion d'épater facilement<br />
un public de trois ou quatre<br />
autres vieux retraités avec <strong>des</strong> souvenirs<br />
(et parfois <strong>des</strong> visites) qui surgissent de<br />
la nuit parisienne. Mais la bonhomie et la<br />
béatitude du repli dans les sites d'une civilisation<br />
solaire archaïque, qu'illustre le<br />
passage, sur la route pierreuse, d'un<br />
vieillard avec son bourricot presque siciliens,<br />
finissent par lasser et tournent à<br />
l'exaspération. Le midi devient vite déprimant,<br />
sorte de paradis fade où le soleil<br />
brille pour rien, alors que même son<br />
absence est génératrice de vie, d'agitation<br />
et d'émotions, dans le minuit <strong>des</strong> villes.<br />
On le comprend, le film va adopter<br />
une ligne scénarique qui se rattache au<br />
goût de l'époque pour les personnages à<br />
vies multiples. Mais ici, la vie surprenante<br />
d'un personnage sans mystère<br />
n'est pas la face cachée d'une double vie<br />
(Docteur Jekill et Mister Hyde), mais une<br />
deuxième vie, une vie nouvelle après la<br />
vie qui semblait jouée, et même une troisième<br />
vie si l'on considère l'épisode de la<br />
retraite. Devenu veuf, Prosper se dégoûte<br />
vite de l'alanguissement méditerranéen<br />
et ne résiste plus à l'appel d'un retour sur<br />
les lieux de sa vie d'antan. Remontée du<br />
midi vers minuit. L'ex-maître d'hôtel en<br />
chef revient dans l'établissement dont il<br />
fut l'employé de plus haut rang, d'abord<br />
comme un client solitaire, discret et mo<strong>des</strong>te,<br />
puis bientôt grisé, fastueux et naïf<br />
seigneur d'un moment, intempestif donneur<br />
de leçons, flambant sa galette de retraité<br />
en régalant la société au Champagne<br />
pour se faire enfin reconnaître l'égal de<br />
83
84 - FRANCE<br />
ceux dont il fut le larbin favori. Mais alors<br />
qu'il était princier dans son rôle de serviteur,<br />
Prosper est un parvenu dans son<br />
rôle de prince. On ne triche pas avec les<br />
règles <strong>des</strong> classes sociales et de l'argent :<br />
la ruine et la déchéance sont vite là. S'il<br />
est la victime <strong>des</strong> femmes (mais raisonnablement,<br />
et dans <strong>des</strong> proportions bien<br />
moindres que le pauvre professeur Unrat<br />
de l'Ange bleu), il l'est plus encore de luimême,<br />
d'un lui-même rêvé, devenu caricature<br />
<strong>des</strong> modèles que lui fournissent<br />
ses anciens clients pour qui la vie est faite<br />
de dépense (chez les riches, la dépense est<br />
nécessaire à l'économie, chez les pauvres<br />
elle épuise les économies...). Commence<br />
alors un quatrième épisode de vie, toujours<br />
au Flamant rose, puisque le retour<br />
sur les lieux de la vie passée ne pouvait<br />
être qu'un retour définitif, un piège fatal :<br />
y connaître le fond après avoir été au<br />
sommet, un plongeon qui le conduit jusqu'à<br />
la plonge. Malgré tout, et du fond de<br />
sa déchéance, que le délabrement physique<br />
accuse, Prosper (que plus personne<br />
n'appelle par ce prénom, comme s'il ne<br />
convenait plus) reste le défenseur de la<br />
morale, c'est-à-dire, évidemment, d'une<br />
orpheline : une sorte de fille adoptive,<br />
trop joli et trop honnête mannequin chez<br />
un grand couturier (nous sommes bien à<br />
Paris) qui aimerait la convaincre de se dévêtir<br />
dans <strong>des</strong> spectacles privés, et jusqu'au<br />
plus privé de tous... <strong>La</strong> jeune beauté<br />
est faussement sauvée du couturier parisien<br />
par le comte hongrois séducteur,<br />
puis vraiment sauvée du comte hongrois<br />
séducteur par Prosper, à qui le comte<br />
avait jadis signé sur une carte de visite la<br />
reconnaissance d'une dette morale. A <strong>des</strong><br />
années de distance, le remboursement<br />
sera moral tout autant : au lieu de gâcher<br />
la vie de la jeune fille, le comte hongrois<br />
l'épouse. Finalement, Prosper triomphe<br />
à sa façon, dans une sorte de réhabilitation<br />
où son crédit d'antan se vérifie en<br />
monnaie d'aujourd'hui.<br />
<strong>La</strong> mise en scène cinématographique<br />
est riche en trouvailles qui, par moment,<br />
font croire à du grand cinéma : un or-<br />
chestre de jazzmen noirs filmé en une<br />
suite de brefs fondus enchaînés où les attitu<strong>des</strong><br />
<strong>des</strong> musiciens changent à peine<br />
(brèves ellipses, fondus enchaînés pour<br />
rien, qui semblent animer de simples photos<br />
fixes alors qu'ils figent en instants successifs<br />
<strong>des</strong> <strong>images</strong> animées), un superbe<br />
travelling suspendu (façon Abel Gance)<br />
au-<strong>des</strong>sus d'une longue table de banquet,<br />
un jeu d'ouverture et de fermeture de rideaux<br />
qui organise l'espace et active la<br />
profondeur de champ, un plan de danseuse<br />
sur une balançoire au-<strong>des</strong>sus d'une<br />
tablée de noceurs, filmé par une caméra<br />
placée sur une autre balançoire, dont le<br />
mouvement est à peine décalé, une scène<br />
dramatique de harcèlement sexuel (déjà),<br />
joliment tournée en ombres chinoises<br />
derrière une verrière, dans un décor et<br />
<strong>des</strong> lumières qui font penser à Marcel<br />
L'Herbier, un gros plan sur une bouteille<br />
de Champagne derrière laquelle apparaît<br />
la tête de Prosper, un instant éclipsé par<br />
le symbole de son faste éphémère, tandis<br />
que la caméra, qui semble fuir cette<br />
image, s'éloigne en un travelling arrière<br />
rapide, une belle surimpression d'une<br />
poupée, effigie masculine, et du personnage<br />
réel, et jusqu'au clin d'œil très hollywoodien<br />
d'une fille légère qui, à l'aide<br />
du carton blanc d'un menu, cache à la caméra<br />
qu'elle regarde, le baiser de sa copine<br />
à un homme du monde...<br />
Etrangement, toutes ces inventions<br />
de mise-en-scène et de filmage (et d'autres)<br />
restent détachées du film et comme<br />
appartenant au film qu'aurait pu faire le<br />
même cinéaste avec un autre scénario,<br />
dans d'autres circonstances de production,<br />
etc. : preuves constantes de dépassement<br />
d'un projet par son réalisateur<br />
qui, ainsi, à la fois va plus loin et peutêtre<br />
un peu à côté. Ces surfaces détachées<br />
du film, sont détachées d'un film tout en<br />
surfaces, c'est-à-dire superficiel là où il se<br />
croit profond, naïf lorsqu'il démontre et<br />
fait la leçon (de morale notamment). Ici,<br />
le cinéma ne donne de vraie leçon que de<br />
cinéma : comment filmer, comment mettre<br />
en <strong>images</strong> (en <strong>images</strong> encore muettes,<br />
mais déjà toutes frémissantes du son dont<br />
on croit entendre l'arrivée au loin : de ce<br />
point de vue, le film est typique d'un état<br />
présonore du cinéma où tout est déjà là,<br />
à l'image, pour que le son éclate, y compris<br />
l'orchestre noir <strong>des</strong> années vingt au<br />
grand complet). Tout le film est en quelque<br />
sorte comme ces couvertures de romans<br />
de gare (dont ceux de Maurice Dekobra<br />
seraient l'excellence) qui, à la surface<br />
du livre, en sont déjà plus que l'illustration<br />
puisque, sous la couverture, le<br />
livre ne s'enfonce dans aucune dimension<br />
nouvelle : suite de surfaces répétées<br />
de page en page, jusqu'à la dernière que<br />
l'on atteint sans qu'aucune profondeur<br />
ait été creusée. Tout au long <strong>des</strong> séquences,<br />
le film produit <strong>des</strong> <strong>images</strong> souvent<br />
intéressantes, mais dans lesquelles<br />
il ne fait que s'illustrer lui-même, se refléter<br />
lui-même, avec un certain luxe. Dès<br />
lors, et comme cela se produit souvent, y<br />
compris avec <strong>des</strong> films de plus grande valeur,<br />
l'intérêt se déplace et derrière la fiction<br />
filmée, c'est une certaine réalité documentaire<br />
qui émeut ou fascine : plans<br />
de Paris la nuit, et décors d'une boîte de<br />
nuit <strong>des</strong> années vingt, <strong>images</strong> de la Côte<br />
d'Azur d'avant les congés payés... Car,<br />
au-delà de la mauvaise littérature dont<br />
bien <strong>des</strong> scénarios sont faits, et souvent à<br />
travers elle, le cinéma regarde le monde<br />
dont le scénario croit parler, distribuant<br />
<strong>des</strong> rôles et <strong>des</strong> histoires à <strong>des</strong> êtres et<br />
dans <strong>des</strong> lieux que le cinéma soumet finalement<br />
à sa voyance propre, perçant les<br />
surfaces de cette pauvre littérature toujours<br />
prête à s'adapter comme pour livrer<br />
passage : Maurice Dekobra adapté par<br />
Jacques de Baroncelli, à l'époque où la littérature<br />
inadaptable est faite par Proust,<br />
Kafka, Joyce. Bien sûr, si René Hervil<br />
n'est ni Fritz <strong>La</strong>ng, ni Pabst, ni Murnau,<br />
ni Stroheim, ce n'est pas seulement à<br />
cause du scénario, mais ce n'est pas seulement<br />
non plus à cause de son moindre<br />
génie personnel : c'est toute la culture<br />
française de l'image qui, à cette époque,<br />
produit un langage moins inventif,<br />
moins moderne qu'à Berlin, à Vienne ou<br />
à Moscou. Dans ces autres capitales de<br />
l'Europe de l'entre-deux-guerres, la peinture,<br />
la sculpture, l'architecture, la photographie,<br />
ont déjà atteint <strong>des</strong> formes, et<br />
ont donc déjà produit <strong>des</strong> relations<br />
forme / fond propres à inspirer le cinéma<br />
contre la littérature et le théâtre, alors<br />
qu'à Paris (et à quelques exceptions près :<br />
Cocteau, Gance, L'Herbier, etc.), le cinéma<br />
adapte <strong>des</strong> livres, sans avoir encore<br />
trouvé dans l'histoire de l'art contemporain,<br />
issu <strong>des</strong> <strong>images</strong> les plus anciennes,<br />
les bases d'un langage nouveau, les surfaces<br />
nouvelles de la profondeur.<br />
Alain Fleischer<br />
Nicolas<br />
Rimsky.<br />
MINUIT... PLACE PIGALLE - 85
86 - FRANCE<br />
HARMONIES DE PARIS<br />
1928 - Lucie Derain<br />
Réal. : Lucie Derain. Prod. : Films Albatros. Se. : Lucie<br />
Derain. Dir. ph. : Nicolas Roudakoff.<br />
Date de sortie : 77 mai 1929 (avec la Tour, de René<br />
Clair). Métrage, minutage copie Cf. : 577 m., 23 mn<br />
(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : François Albera : Albatros, <strong>des</strong> Russes à Paris,<br />
1919-1929, <strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta, 1995.<br />
Un avion survole Paris et décharge ses<br />
touristes. Notre-Dame. Le métro aérien. Au<br />
gré <strong>des</strong> carrefours, <strong>des</strong> circulations piétonnes<br />
et automobiles, par la route ou par le fleuve,<br />
l'ancien Paris et le moderne, la pierre et l'acier,<br />
se croisent, se mêlent et vivent ensemble. Voilà<br />
l'Arc de Triomphe et l'Étoile, la Madeleine<br />
et l'Opéra Garnier. Aux portes de la ville, les<br />
marchés regorgent. Les musiciens et les chanteurs<br />
sont dans les rues. Voilà les rues borgnes<br />
et les boulevards d'Haussmann, les Invali<strong>des</strong>,<br />
la tour Eiffel et la place de la Concorde. A<br />
Montparnasse, la foule est aux terrasses. Les<br />
magasins de luxe et les galeries d'art ouvrent<br />
leurs portes. Les ouvriers travaillent dans les<br />
usines ou sur les quais de la Seine à décharger<br />
le bois, le sable et le charbon. Les petits<br />
métiers : bouquiniste, rémouleur, rempailleuse.<br />
Paris la nuit : Mistinguett au Moulin-<br />
Rouge, les lumières <strong>des</strong> fêtes for aines, Pigalle.<br />
Le jour, c'est Paris au fil de l'eau, c'est l'harmonie<br />
de ses jardins publics, c'est un visage<br />
de femme.<br />
SUIVEZ LE GUIDE!<br />
« Le visage <strong>des</strong> villes est fait de visages<br />
innombrables, dont l'effrayante<br />
complexité attire et repousse. » C'est aux<br />
Etats-Unis qu'a été inventé l'urbanisme<br />
moderne, mais ce sont les Allemands qui<br />
l'acclimatèrent en Europe, et c'est en Allemagne,<br />
au carrefour du modernisme et<br />
de l'expressionnisme, qu'est née cette<br />
idée que la ville est une personnalité,<br />
qu'elle a une physionomie, un caractère,<br />
ou si l'on y tient, une âme. Découvrir pareille<br />
idée depuis une capitale qui n'avait<br />
connu que le simpliste urbanisme haussmannien<br />
(trouer le tissu urbain, par de<br />
grands axes qui l'aèrent et en évacuent la<br />
puanteur populaire, avec ses miasmes et<br />
ses périls révolutionnaires), ne pouvait<br />
mener qu'à la caricature, ou alors au<br />
vague, à l'atmosphérique.<br />
Aussi bien, s'il s'est trouvé en cinéma<br />
« <strong>des</strong> hommes inspirés par la grandeur<br />
<strong>des</strong> villes pour peindre sur la toile les reflets<br />
mouvants de la vie <strong>des</strong> capitales »,<br />
ce fut avant tout en terrain allemand, avec<br />
Berlin, die Symphonie einer Grosstadt {Symphonie<br />
d'une grande ville), qui « a voulu, a<br />
essayé d'exprimer tous les aspects d'une<br />
grande ville ». De la symphonie aux<br />
simples harmonies, il est tentant de poursuivre<br />
le parallèle esquissé par Lucie Derain<br />
elle-même et de voir dans son petit<br />
film une sorte d'esquisse du grand film<br />
que Ruttmann ferait l'année suivante, ou<br />
plus justement, sa réduction (comme le<br />
piano ou le quatuor <strong>des</strong> caf conc' lisaient<br />
<strong>des</strong> partitions réduites <strong>des</strong> versions orchestrales<br />
classiques).<br />
« Tout y est : travailleurs se rendant<br />
au labeur, usines, puis bureaux, puis<br />
commerces de luxe. Les oisifs faisant du<br />
cheval au Bois... » Cela, c'est le programme<br />
idéal - mais que le film Harmonies de<br />
Paris ne tient qu'au prix de beaucoup de<br />
légèreté, voire de futilité. Le Travail, annoncé<br />
par un carton en capitales, n'y déborde<br />
pas la dimension d'une petite capsule<br />
inoffensive, d'à peine plus d'une minute,<br />
sans jamais montrer d'autre tra-<br />
vailleur que celui qui œuvre seul : l'artisan,<br />
le petit commerçant, le marinier. Le<br />
travail, ce sont les lignes de téléphone, les<br />
gazomètres, les billes de bois chargées<br />
sur un chariot, le sable ou le gravier au<br />
Point-du-Jour, et plus emblématiquement<br />
encore, la surimpression de roues<br />
et d'engrenages sur le net graphisme de<br />
voies ferrées : tout le bric-à-brac moderne<br />
et avant-gardiste, repris à peu de frais<br />
parce qu'il est photogénique, que la photographie<br />
l'a d'ailleurs familiarisé à l'œil,<br />
et qu'illustrer ainsi le travail ne demande<br />
pas que l'on quitte le journalisme de<br />
mode.<br />
Juste avant la brève séquence consacrée<br />
au travail, on trouve l'Élégance (autre<br />
carton, en capitales aussi) : les oisifs<br />
faisant, justement, du cheval au Bois, les<br />
vitrines de fourrures et de vêtements<br />
chics. Juste après le travail, une autre séquence<br />
obligée, celle du « nocturne », le<br />
Moulin-Rouge, le Pigall's (si !), menant<br />
sans erreur aux Halles la nuit, au petit<br />
jour sur les Tuileries, enchaînant sur un<br />
carton qui dit seulement : « <strong>La</strong> douceur<br />
de vivre. » Le Paris qui nous est montré,<br />
sans doute n'oublie aucune <strong>des</strong> cartes<br />
postales obligées, même pas celle de<br />
« faubourgs » ici scrupuleusement cantonnés<br />
aux gran<strong>des</strong> rues commerçantes,<br />
près de la République et <strong>des</strong> Grands Boulevards.<br />
Aucun monument ne manque à<br />
l'appel, et les rues elles-mêmes, filmées<br />
comme <strong>des</strong> perspectives, dans l'axe, deviennent<br />
de plats monuments (on n'échappe<br />
pas aux Champs-Elysées, abusivement<br />
quoique banalement baptisés « perspective<br />
incomparable ») - à moins que, filmées<br />
depuis Notre-Dame, elles ne deviennent<br />
le lacis de vieilles rues si pittoresques<br />
qui fait que « partout à Paris surgit<br />
le passé ».<br />
Si les <strong>images</strong> sont convenues, jusque<br />
dans leur pseudo-modernisme (outre les<br />
plans de machines, voir le cliché, déjà rebattu<br />
en 1928, de la plongée verticale sur<br />
le carrefour, avec ses pavés et ses rails de<br />
tramway luisants), si leur enchaînement<br />
est livré à une rhétorique à deux sous, à<br />
qui tout cela s'adresse-t-il ? En ouvrant<br />
son film sur le train qui amène les travailleurs<br />
de banlieue à Berlin, Ruttmann<br />
donnera une réponse volontariste ; Lucie<br />
Derain, aimablement, nous donne aussi<br />
sa réponse, mais ce n'est pas la même. Les<br />
premiers plans du film sont pour montrer<br />
<strong>des</strong> avions de lignes régulières (réservés<br />
à l'époque aux touristes de luxe) ;<br />
on en voit <strong>des</strong>cendre <strong>des</strong> bourgeois dans<br />
leurs uniformes d'alors, si laids et ridicules<br />
qu'on prend pitié et leur pardonne<br />
presque d'être venus salir une ville, en y<br />
transportant leur regard stéréotypé, leur<br />
capacité à ne rien regarder, à détruire, à<br />
repartir sans avoir su où ils étaient. Quarante<br />
ans plus tard, Tati dira la vérité sur<br />
ce tourisme, dans Playtime. Lucie Derain,<br />
elle, semble surtout regretter de ne pas<br />
être arrivée avec leur avion : elle fait de<br />
son mieux pour faire comme si.<br />
Jacques Aumont<br />
1 Toutes les citations entre guillemets sont tirées de<br />
son article « <strong>La</strong> ville au cinéma », <strong>Ciné</strong>magazine, 22 février<br />
1929.<br />
HARMONIES DE PARIS - 87
LA FEMME ET LE PANTIN<br />
1928 - Jacques de Baroncelli<br />
Réal. : Jacques de Baroncelli. Prod. : Société <strong>des</strong><br />
<strong>Ciné</strong>romans-Films de France. Auteur : Pierre Louys,<br />
d'après son roman homonyme, et Pierre Frondaie,<br />
d'après sa pièce. Asst. réal. : Charles Barrois.<br />
Dir. ph. : Louis Chaix. Déc. : Robert Gys.<br />
Partition musicale : Georges Van Parys, Philippe<br />
Parés, Ed. <strong>La</strong>vagne. Int. : Conchita Monténégro<br />
(Conchita Perez), Raymond Destac (don Mateo Diaz),<br />
Andrée Canti (la mère de Conchita), Henri Lévêque<br />
(André Stévenol), Jean Dalbe (Morenito).<br />
Date de sortie : 31 mai 1929. Métrage, minutage<br />
copie Cf. : 2256 m., 110 mn (à 18 i/s). Générique et<br />
intertitres français reconstitués (Jean-Claude Carrière).<br />
Noir et blanc. Ce film a été restauré avec le concours<br />
de la Société <strong>des</strong> auteurs et compositeurs dramatiques<br />
(SACD), l'Ôsterreichisches Filmmuseum (Vienne), le<br />
Service <strong>des</strong> Archives du Film (CNC).<br />
Cette nuit là, le train pour Séville est sans<br />
cesse ralenti par une neige abondante. Pour<br />
tromper son ennui, don Mateo Diaz, séducteur<br />
fortuné, traverse les wagons jusqu'aux classes<br />
populaires. Là, il intervient dans une bagarre<br />
de femmes et fait ainsi la connaissance de l'ardente<br />
Conchita Perez. Plusieurs mois s'écoulent.<br />
Une nuit d'été, don Mateo donne une fête<br />
dans ses jardins. Conchita s'est glissée parmi<br />
les invités. Elle lui donne un baiser, son adresse<br />
et s'enfuit. Le lendemain, et bientôt tous les lendemains,<br />
il frappe à sa porte. Chaque fois, elle<br />
le tient à distance et promet de se donner... demain.<br />
Un jour, il l'achète à sa mère et sur le<br />
champ, elle quitte la ville. Pendant <strong>des</strong> mois,<br />
son souvenir obsède Mateo. À son retour, le<br />
même jeu reprend. Elle disparaît encore et réapparaît<br />
à Cadix. Elle est danseuse de flamenco<br />
dans un baile. Dès le premier regard, Mateo<br />
est repris mais Morenito, un jeune et beau garçon<br />
de Séville, est là aussi. Surtout, il croit devenir<br />
fou en découvrant que son Artésienne<br />
danse parfois nue pour quelques amateurs<br />
étrangers. Sa première idée est de l'étrangler.<br />
Finalement, il la ramène à Séville, la couvre de<br />
bijoux et lui offre un palacio. Un soir, elle le<br />
convoque et le laisse à l'entrée du patio, derrière<br />
une grille en fer forgé. Elle danse devant<br />
lui, puis part au bras de Morenito. Au matin,<br />
elle a le cran de lui rendre visite. Il la roue de<br />
coups. Elle promet d'être à lui. Un an passe.<br />
Don Mateo est à Paris, il se dit guéri mais va<br />
voir Conchita danser au Sevilla.<br />
FEMME OU DÉMON ?<br />
Jacques de Baroncelli, en 1928, adapte<br />
un roman célèbre de Pierre Louys, lequel<br />
est mort depuis trois ans. Baroncelli s'inspire<br />
également, nous dit le générique,<br />
d'une pièce de théâtre de Pierre Frondaie,<br />
elle aussi adaptée de Pierre Louys. Cette<br />
pièce semble aujourd'hui oubliée. Tout<br />
indique qu'elle restait fidèle au récit original.<br />
Ce récit nous montre un Espagnol<br />
riche et aimé <strong>des</strong> femmes, don Mateo, qui<br />
se laisse prendre au jeu subtil et provocant<br />
d'une jeune fille. Il la veut à tout prix,<br />
elle persiste à l'éviter. Il devient un pantin<br />
entre ses mains et connaît toutes les<br />
nuances du doute, de la jalousie, du<br />
désespoir et de la fureur.<br />
Ce qui frappe d'abord, dans le film de<br />
Baroncelli, c'est l'abandon de l'aspect<br />
« fin de siècle ». Le film est résolument<br />
contemporain-l'histoire n'est-elle pas de<br />
tous les âges ? - ce qui permet au décorateur<br />
Robert Gys d'interpréter l'Andalousie<br />
à sa manière, en laissant apparaître<br />
ici et là quelques éléments espagnols.<br />
Cette manière est majestueuse. A <strong>des</strong>sein<br />
sans doute, le personnage de don Mateo<br />
a été enrichi. Il habite à Séville un palais<br />
magnifique, où il donne <strong>des</strong> fêtes versaillaises.<br />
Devant lui, les bijoutiers se<br />
courbent jusqu'à terre. Son personnel,<br />
très abondant, porte livrée. Quant aux colonnes<br />
torses de son lit - ce lieu où toutes<br />
les femmes, sauf une, rêveraient de se retrouver<br />
- elles sont si élevées qu'elles<br />
semblent se perdre dans la brume <strong>des</strong><br />
hauts plafonds.<br />
Stylisation qui reste malgré tout prudente,<br />
car elle doit accueillir quelques décors<br />
naturels - <strong>des</strong> ruelles, le port de<br />
Cadix - sans que cette réalité paraisse<br />
choquante, ou inadaptée.<br />
Très élaborée, la photographie de<br />
Louis Chaix nous propose un film très<br />
noir et très blanc - à commencer par le<br />
train fonçant dans la neige. <strong>La</strong> caméra<br />
reste pratiquement toujours en plan fixe,<br />
exceptés deux ou trois panoramiques qui<br />
sont plutôt <strong>des</strong> recadrages. Le mouvement<br />
d'un train, ou d'un bateau, apporte<br />
les seuls travellings. Tout est ici concentré<br />
sur le plan, et chaque image, minutieusement<br />
cadrée et étudiée, offre tout l'arsenal<br />
du « langage muet » : fondus, surimpressions,<br />
souvenirs visibles, avec<br />
quelques idées étonnantes comme celle de<br />
Conchita dansant au fond d'une bouteille.<br />
Nombreux sont aussi les éléments<br />
qui, dans l'image, paraissent souligner la<br />
situation <strong>des</strong> personnages. Conchita est<br />
ainsi souvent séparée de la main, et même<br />
du regard, de don Mateo : par un rideau,<br />
un store, une porte, une grille, même si<br />
l'on cherche vainement dans le film la fameuse<br />
scène du livre où Conchita paraît<br />
se donner, vient dans le lit de Mateo, mais<br />
portant sous sa jupe une culotte en cuir<br />
si savamment nouée qu'elle en devient<br />
inextricable. Bunuel tournera cet épisode<br />
en 1977. En 1928, c'était sans doute inconcevable.<br />
L'histoire elle-même, malgré quelques<br />
adoucissements, semble plus « moderne<br />
» que le modèle, pour employer un<br />
mot <strong>des</strong> années vingt. On dirait bien que<br />
les auteurs du film ont lu Proust, et qu'il<br />
y a du Swann dans ce Mateo, qu'interprète<br />
Raymond Destac avec beaucoup de<br />
vraisemblance et d'élégance.<br />
Au lieu de présenter Conchita comme<br />
une femme simplement fatale et pernicieuse,<br />
« la pire femme qui fût jamais »<br />
(comme Mateo l'appelle dans le roman),<br />
une approche assez différente est ici offerte.<br />
Le film commence bien avec une<br />
« animation » du tableau de Goya où<br />
quatre femmes font sauter un pantin masculin<br />
dans un drap (animation qui réapparaîtra<br />
au dernier plan), mais il est clair,<br />
assez vite, que voici une jeune fille pauvre,<br />
sans espoir de fortune, avec sa beauté<br />
pour tout capital. En face d'elle se dresse<br />
un homme riche, très riche même, qui<br />
croit pouvoir tout obtenir et s'étonne<br />
d'être repoussé. Le conflit est simple et<br />
classique, à deux cheveux du mélodrame.<br />
Mais en reprenant les mêmes situations<br />
que dans le livre (les visites à la mère, les<br />
1)9
90 - FRANCE<br />
petits cadeaux, la photo du jeune cousin),<br />
Baroncelli nous montre comme une chose<br />
normale, et pour ainsi dire justifiée, que<br />
Conchita mente à Mateo, qu'elle se joue<br />
de lui, qu'elle esquive ses avances têtues,<br />
qu'elle lui tende <strong>des</strong> pièges féminins,<br />
qu'elle l'enveloppe peu à peu - assez rapidement,<br />
d'ailleurs - dans un filet de<br />
semi-vérités d'où il ne se sortira pas.<br />
Autrement dit : elle nous est presque<br />
sympathique, elle combat dans le fond<br />
pour son indépendance, pour son identité,<br />
et avec les armes qui sont les siennes,<br />
les seules que la société où elle vit lui<br />
donne le droit d'utiliser.<br />
Tout, en elle, ne se réduit pas au calcul.<br />
<strong>La</strong> preuve : elle s'en va vraiment au<br />
milieu de l'histoire, elle quitte Séville, et<br />
c'est par hasard que Mateo la retrouve à<br />
Cadix, où elle danse nue devant <strong>des</strong> touristes<br />
ébahis.<br />
De même, Baroncelli réduit à un<br />
simple rôle de confident, presque de figurant,<br />
le personnage d'André, l'ami français<br />
de Mateo, qui joue un rôle primordial<br />
dans le livre : il y est en effet, dès le début,<br />
menacé par la même femme, et c'est pour<br />
le mettre en garde (mais en vain) que<br />
Mateo lui raconte sa triste histoire.<br />
C'est tout le problème de l'adaptation<br />
de la Femme et le Pantin : comment sauver<br />
le personnage de la femme, comment ne<br />
pas faire d'elle une simple petite pute (ce<br />
qui par contrecoup ferait de Mateo un<br />
vrai crétin), et comment lui éviter de tomber,<br />
à l'opposé, dans une sorte d'hystérisme<br />
incohérent, obsessionnel, qui refuserait<br />
l'évidence au nom d'une virginité<br />
qui dans le film, contrairement au livre,<br />
est passée sous silence.<br />
Délivrée d'un excès de noirceur et de<br />
duplicité, très finement interprétée par la<br />
désirable Conchita Monténégro, qui portait<br />
le prénom du rôle, le personnage de<br />
la jeune femme apparaît ainsi complexe,<br />
insaisissable, avec de brusques joies,<br />
presque enfantines, et de surprenants<br />
passages de mélancolie. Tout le film repose<br />
sur l'ambiguïté de cette image presque<br />
perpétuellement souriante, qu'ob-<br />
serve avec fascination le très sérieux don<br />
Mateo. Les autres personnages, même la<br />
mère (très importante dans le roman),<br />
disparaissent au profit de ce pas de deux<br />
entre le regard et le sourire.<br />
Il est clair que, dans la première partie,<br />
l'histoire va vite. Elle va vite parce<br />
qu'elle n'est pas encore passionnante,<br />
parce que nous n'en sommes qu'aux préliminaires.<br />
Les auteurs du film ont hâte<br />
d'en arriver aux trois gran<strong>des</strong> scènes de<br />
la deuxième partie : d'abord celle de la<br />
danse devant les touristes, si érotique que<br />
Mateo, là encore voyeur, hésite un moment<br />
(pour notre bonheur) avant d'interrompre<br />
le spectacle.<br />
Vient ensuite la fameuse scène de la<br />
grille, image de la plus totale frustration.<br />
Non seulement Conchita refuse à Mateo<br />
de le laisser entrer dans la maison qu'il<br />
vient d'acheter pour elle, mais elle le nargue,<br />
l'humilie, l'insulte, et va jusqu'à faire<br />
l'amour avec un jeune amant, dans le jardin,<br />
de l'autre côté de la grille où Mateo<br />
se fait saigner les mains. Ici, dans le film,<br />
la scène se développe largement. Le metteur<br />
en scène prend tout son temps. Rien<br />
n'y manque.<br />
Vient enfin la scène qu'on peut appeler<br />
du châtiment. Elle se passe le lendemain<br />
matin. Conchita arrive paisiblement<br />
chez Mateo, toujours souriante, et lui dit :<br />
« J'étais venue voir si tu étais mort. » S'ensuit<br />
une punition infligée par l'homme,<br />
aussi violente que dérisoire, car au fond<br />
elle ne changera rien. Bunuel y ajoutera<br />
l'image forte d'une clé, que Conchita, à<br />
genoux, le visage ensanglanté, tend à<br />
l'homme qui enfin la frappe.<br />
<strong>La</strong> fin se situe dans l'inévitable décor<br />
de boîte de nuit de ces années-là, mais<br />
reste assez semblable à celle du livre. Les<br />
personnages, malgré le temps qui passe,<br />
restent les mêmes. Leur relation n'a pas<br />
de fin. Mateo ne sera jamais délivré de<br />
Conchita - et vice-versa. L'histoire, ainsi,<br />
pourra recommencer, avec d'autres acteurs,<br />
dans d'autres films.<br />
Jean-Claude Carrière<br />
LA FEMME ET LE PANTIN OU :<br />
POURQUOI RESTAURER<br />
LA VERSION ÉTRANGÈRE<br />
D'UN FILM FRANÇAIS ?<br />
L'existence, pour un même film, de<br />
multiples versions, est fréquente jusqu'à<br />
l'arrivée du cinéma sonore. À partir de<br />
1930, et jusqu'à la généralisation du doublage<br />
quelques années plus tard, certaines<br />
productions se tournent encore en<br />
deux versions, principalement entre la<br />
France et l'Allemagne. Techniciens, acteurs,<br />
réalisateurs changent ou demeurent,<br />
panachant les génériques de part et<br />
d'autre du Rhin, au gré de leur faculté<br />
d'adaptation ou de leur popularité.<br />
Au début <strong>des</strong> années dix, les différences<br />
portent essentiellement sur les durées<br />
- version longue ou version courte<br />
selon les besoins de l'exploitation (par<br />
exemple les deux Travail d'Henri Pouctal).<br />
Parfois aussi, la maison de production<br />
ressort le même film quelques années<br />
plus tard, paré d'un nouveau titre,<br />
misant sur la mémoire défaillante d'un<br />
public candide (la Lutte pour la vie de Ferdinand<br />
Zecca et René Leprince, distribué<br />
en 1914, sera rebaptisé par la suite Histoire<br />
de Jean Morin).<br />
À mesure que les films allongent, la<br />
psychologie <strong>des</strong> personnages se complexifie,<br />
le spectateur grandit en même<br />
temps que le spectacle, et chaque pays exploite<br />
une version adaptée aux spécificités<br />
culturelles de son public. Les intertitres<br />
sont traduits, parfois de manière<br />
fantaisiste - et même jusqu'au contresens -,<br />
les noms sont changés, le montage bousculé,<br />
les audaces, jugées inacceptables,<br />
censurées. Le film subit, en silence, toutes<br />
ces manipulations, peu coûteuses et techniquement<br />
faciles.<br />
Les réalisateurs tournent eux-mêmes,<br />
sans états d'âme, les versions <strong>des</strong>tinées à<br />
l'étranger, utilisant plusieurs caméras ou<br />
privilégiant les meilleures prises pour la<br />
version d'origine.<br />
Il ne reste souvent qu'une trace écrite<br />
de ces différentes versions mais, si tout le<br />
matériel a survécu, il est de tradition de<br />
restaurer le film tel qu'il a été exploité -<br />
on le suppose - par le pays producteur.<br />
Lorsque la <strong>Ciné</strong>mathèque française<br />
découvre dans ses collections un négatif<br />
nitrate sans intertitres du film de Jacques<br />
de Baroncelli, la Femme et le Pantin, rien<br />
n'indique qu'il s'agisse de la version <strong>des</strong>tinée<br />
à l'étranger, et l'œuvre, répondant<br />
aux critères du Plan Nitrate, est sauvegardée.<br />
Des recherches sont entreprises<br />
pour évaluer la nécessité d'une restauration<br />
: l'Ôsterreichisches Filmmuseum fait<br />
parvenir l'intertitrage allemand et le Service<br />
<strong>des</strong> Archives du film prête son<br />
propre matériel, sur pellicule safety et<br />
comportant <strong>des</strong>flash-titles français, défini<br />
comme version pour la France.<br />
Cette possibilité, rarement offerte, de<br />
comparer les différents tournages d'un<br />
film, conduit à une décision inhabituelle :<br />
c'est la version appelée désormais « pour<br />
l'étranger » qui sera prioritairement restaurée,<br />
car la vision simultanée <strong>des</strong> deux<br />
copies sur table de montage double écran<br />
conclut en sa faveur.<br />
<strong>La</strong> caméra, placée plus loin <strong>des</strong> acteurs,<br />
filme en légère plongée, entretenant<br />
au fil <strong>des</strong> séquences une sensation<br />
de déséquilibre et de distance, à la longue<br />
plus inquiétante, que le tournage sagement<br />
frontal de la version française.<br />
Il est banal de penser que plus un film<br />
est long, mieux il répond à la volonté de<br />
son réalisateur, et la restauration tient<br />
compte, à juste titre, de cette évidence,<br />
d'autant que les exemples, parfois dramatiques,<br />
abondent (Greed I les Rapaces de<br />
Stroheim est le plus célèbre). Mais si la<br />
version étrangère de la Femme et le Pantin<br />
est plus courte, cela n'est pas à cause de<br />
coupures injustifiables mais parce qu'elle<br />
va plus vite. Ce sont les acteurs qui gagnent<br />
ce temps, précipitant le mouvement<br />
à l'intérieur <strong>des</strong> plans, emmenés<br />
par un réalisateur peut-être heureusement<br />
pressé. Leur jeu nerveux dynamise<br />
le film, en particulier les nombreuses<br />
scènes de flamenco. Le montage épouse<br />
la direction d'acteurs : les raccords, res-<br />
serrés, se font souvent « dans le mouvement<br />
», et même le pesant don Mateo va<br />
prestement d'un plan à l'autre sans s'arrêter<br />
« à la collure », sans figer sa position<br />
jusqu'à la dernière seconde. Le film<br />
gagne ainsi en rythme et en légèreté, semblant<br />
se plier aux humeurs capricieuses<br />
de son héroïne.<br />
Certains plans ont été supprimés à<br />
l'époque, mais ils ne manquent pas, au<br />
contraire : lors de la première rencontre<br />
entre Conchita et don Mateo, la version<br />
française se termine par deux gros plans<br />
insistants dont le spectateur n'a nul besoin<br />
pour comprendre que désormais<br />
leurs <strong>des</strong>tins sont scellés.<br />
Parfois, la variation <strong>des</strong> plans utilisés,<br />
sans prouver la supériorité d'un montage<br />
sur l'autre, enrichit simplement l'histoire<br />
du tournage, et si l'image de Conchita se<br />
surimpressionne sur fond de palmiers<br />
plutôt que de ruelles étroites, l'obsession<br />
de don Mateo, errant de Séville à Cadix,<br />
possède la même intensité d'une version<br />
à l'autre.<br />
Cette tentative de démonstration ne<br />
serait qu'argutie d'archiviste si cette plus<br />
grande fadeur de réalisation dans la version<br />
française n'aboutissait en fin de<br />
compte et en fin de film à un affadissement<br />
semblable du roman de Pierre<br />
Louys ; Conchita, danseuse au cabaret<br />
Sevilla à Paris, séduit sans mal un client.<br />
Le même soir, don Mateo voulant se persuader<br />
qu'il est guéri de sa passion, décide,<br />
en se rendant au Sevilla, de se soumettre<br />
à l'épreuve d'une rencontre. Mais<br />
désespéré par le manège qui continue devant<br />
lui, il écrit un billet à Conchita : « Ma<br />
Conchita,reviens(...)Signé :donMateo. »<br />
Elle lit le billet, puis le lance à sa nouvelle<br />
conquête, qui le parcourt et le déchire<br />
avec désinvolture.<br />
Dans la version étrangère, la scène<br />
entre le client et Conchita avant l'arrivée<br />
de don Mateo a été supprimée, et c'est luimême<br />
qui, par sa seule présence, nécessaire<br />
et suffisante, provoque le besoin de<br />
séduction de Conchita et sa propre souffrance.<br />
Surcroît de perversité, le billet<br />
LA FEMME ET LE PANTIN - 91<br />
qu'écrit don Mateo (traduit de l'intertitrage<br />
autrichien) est une demande anonyme<br />
de rendez-vous. Le client qui le reçoit<br />
de Conchita le croit écrit par elle et<br />
pour lui. Ainsi, de victime pitoyable, don<br />
Mateo devient le messager complice de<br />
la femme qui le torture.<br />
<strong>La</strong> version française s'achève réellement<br />
: le pantin métaphorique se disloque<br />
sur le sol après une ultime envolée,<br />
bénéficiant d'un charitable coup de grâce<br />
qui lui est cruellement refusé dans la version<br />
restaurée par la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />
où, à l'image du pantin rebondissant<br />
sans fin, son supplice continuera<br />
pour l'éternité.<br />
Claudine Kaufmann<br />
Conchita<br />
Monténégro.
92 - FRANCE<br />
ASILE DE NUIT<br />
1929 - Maurice Champreux, Robert Beaudoin<br />
Réal. : Maurice Champreux, Robert Beaudoin.<br />
Prod. : Gaumont, Franco-Film, Aubert. Auteur : Max<br />
Maurey. Son : Maurice Carrouet. Mont. : jacques<br />
Désagneaux. Int. : Gabriel Signoret (Haps), Cauroy<br />
(Ma Soupe), Georges Saillard (le directeur).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 872 m., 32 mn. Noir et<br />
blanc. Doc. : Raymond Chirat, Jean-Claude Romer :<br />
Catalogue ; courts métrages français de fiction 1929-<br />
1950, Mémoires de cinéma, 1996.<br />
Paris, le soir. Un clochard est allongé sur<br />
un banc. Pour échapper au contrôle d'un<br />
agent de police en faction, il entre à l'asile de<br />
nuit qui se trouve sur le trottoir d'en face. Le<br />
directeur, peu aimable, rechigne à accepter un<br />
énergumène aussi sale, à l'élocution particulière<br />
et répondant au curieux nom de Haps<br />
mais, finalement, s'y résout et va au café d'en<br />
face. Reste Haps avec le père Ma soupe, l'homme<br />
à tout faire de l'asile qui brosse un portrait<br />
peu ragoûtant de son patron, seulement<br />
intéressé par le calcul <strong>des</strong> points de sa retraite<br />
de fonctionnaire. Justement, celui-ci revient<br />
bouleversé : un collègue a été révoqué à la suite<br />
de l'enquête d'un journaliste déguisé en<br />
clochard. Alors, le directeur se demande si ce<br />
Haps, justement, n'aurait pas en fait sa carte<br />
de presse. Changeant radicalement d'attitude,<br />
il est aux petits soins avec lui tout en essayant<br />
de découvrir sa véritable identité. Le<br />
clochard, lui, n'en revient pas de tant de générosité<br />
et, hilare, conclut que le directeur<br />
doit être saoul pour être aussi gentil.<br />
Gabriel Signoret.<br />
AU THÉÂTRE CE SOIR<br />
Haps, le clochard d'Asile de nuit, n'est<br />
ni l'ancêtre de Boudu, ni celui d'Archimède.<br />
Vagabond opportuniste, il ne songe<br />
qu'à l'essentiel : dormir, manger, et fuir<br />
la maréchaussée. En cette époque politiquement<br />
incorrecte, les futurs SDF fournissaient<br />
une imagerie dont les pocha<strong>des</strong><br />
populaires pouvaient encore, sans scrupules,<br />
faire leurs choux gras... Quelques<br />
années plus tard, aux Etats-Unis, un cinéma<br />
déjà doté d'ambitions sociales mettrait<br />
en scène les Américains affamés par<br />
la crise ; rien de tel dans cette petite farce,<br />
dont la brièveté satirique ne fait pas dans<br />
la nuance : tous les fonctionnaires sont<br />
<strong>des</strong> tire-au-flanc planqués, tous les journalistes<br />
<strong>des</strong> crapules aux stratagèmes<br />
ignobles. Les ficelles sont très grosses,<br />
mais il s'agit d'un film de première partie<br />
comme en ont fait éclore par centaines<br />
les débuts du parlant, un lever de rideau<br />
burlesque sans prétention, et qui vise surtout<br />
à mettre en valeur le numéro d'un<br />
fantaisiste connu du public, Gabriel Signoret.<br />
Le jeu de celui-ci - fondé sur la<br />
lenteur, la réaction retardée, la prononciation<br />
traînante -, sa grimace figée sur le<br />
visage comme sur le masque d'un histrion,<br />
nous laissent imaginer que cet acteur<br />
de théâtre ne changeait pas sa technique<br />
d'un iota lorsqu'il passait de la<br />
scène à l'écran. Ici, il oppose une inertie<br />
roublarde aux criailleries du directeur<br />
comme à ses bonnes grâces. Le comique<br />
naît donc du face-à-face physique <strong>des</strong><br />
deux personnages - le directeur voûté<br />
dans une éternelle posture de père Fouettard,<br />
le clochard tassé, hébété, et toujours<br />
prêt à la reculade. Entre ces silhouettes<br />
grotesques, le père Ma Soupe est le seul<br />
à composer une figure à peu près humaine,<br />
philosophe bon enfant qui distille<br />
ses aphorismes et, mine de rien, tire les<br />
ficelles <strong>des</strong> pantins qui l'entourent.<br />
A l'image du jeu <strong>des</strong> acteurs, structure<br />
et mise en scène ne cachent pas leur<br />
caractère théâtral. Un seul lieu, le bureau<br />
du directeur, est le cadre <strong>des</strong> scènes dia-<br />
loguées ; celles-ci, lentes et copieuses,<br />
émaillées d'apartés, isolent le plus souvent<br />
deux personnages en tête-à-tête, et<br />
ne sont aérées que par deux courtes pantomimes<br />
: le prologue, qui évoque la rue<br />
à la manière stylisée d'un décor de carton-pâte,<br />
et le bref épisode du dortoir.<br />
L'échelle <strong>des</strong> plans, bien sûr, est très peu<br />
variée, et l'on devine en outre que la prise<br />
de son - inévitablement médiocre - est<br />
pour beaucoup dans l'aspect figé de l'ensemble.<br />
Maurice Champreux (gendre et<br />
collaborateur de Feuillade) évoque sans<br />
enthousiasme la période où, chez Gaumont,<br />
il « essuyait les plâtres » du parlant<br />
: comme beaucoup alors, il pensait<br />
que « c'était la négation du cinéma » '. Il<br />
y a pourtant ici, dans les rares occasions<br />
où la caméra se rapproche de l'un <strong>des</strong> personnages,<br />
une utilisation de la voix hors<br />
champ intéressante pour un film de cette<br />
époque. Dans l'ensemble, Asile de nuit use<br />
autant que possible <strong>des</strong> <strong>ressources</strong> du<br />
son ; les effets comiques reposent largement<br />
sur la voix et le débit <strong>des</strong> trois acteurs,<br />
ainsi que sur la reproduction de<br />
certains bruits incongrus, aussi prosaïques<br />
que réalistes, qui défient la bienséance<br />
- comme la chasse d'eau d'On<br />
purge bébé. Un grand plaisir, sans doute,<br />
pour les spectateurs <strong>des</strong> premiers films<br />
sonores ; et pour nous, un témoignage<br />
dont l'intérêt dépasse heureusement les<br />
pitreries de Monsieur Signoret.<br />
Jacqueline Nacache<br />
1 Entretien de Francis <strong>La</strong>cassin avec Maurice Cham-<br />
preux, dans <strong>Ciné</strong>ma 61, n° 55.<br />
DANS LA BROUSSE ANNAMITE<br />
1931-1934-André Sauvage<br />
BROUSST<br />
ANNAMITE<br />
Réal. : André Sauvage. Dir. ph. : Léon Morizet.<br />
Son : Carrère, William Sivel. Mont. : Léon Poirier,<br />
Mauricelaubert. Mus. : J.E. Szyfer.<br />
Commentaire : Léon Poirier. Date de sortie : [1934].<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 667 m., 24 mn. Noir et<br />
blanc.<br />
Des femmes puisent l'eau à la rivière. Au<br />
village, « les gongs résonnent en l'honneur<br />
<strong>des</strong> étrangers ». Nous sommes dans les régions<br />
montagneuses del'Annam, aux confins<br />
du <strong>La</strong>os. Les femmes dansent et, tandis que<br />
tombe le soir, tous prennent leur ration d'une<br />
boisson alcoolisée. Les éléphants se prélassent<br />
dans la rivière après une journée de travail en<br />
forêt. Dans les régions centrales de l'Annam,<br />
vivent les Moï, une autre peuplade. Scène de<br />
construction d'une maison, puis scènes de<br />
pêche au filet, à la nasse, à l'arbalète. Les hommes<br />
avancent sur <strong>des</strong> pirogues, les femmes,<br />
dans l'eau, rabattent le poisson et les enfants,<br />
un peu plus loin, jouent. Et le soir venu, ce<br />
sont les buffles qui s'immergent dans le lac<br />
paisible.<br />
UN DEBRIS DU REVE BRISE<br />
D'ANDRÉ SAUVAGE<br />
Comme la plupart <strong>des</strong> équipiers de la<br />
Croisière noire (1924-1925) et de la Croisière<br />
jaune (1931-1932), André Sauvage fait<br />
partie de la génération <strong>des</strong> enfants perdus<br />
de la guerre de 1914-1918, de ceux qui<br />
firent de Paris la capitale de l'art, de la<br />
poésie, du cinéma, avant-garde turbulente<br />
du « plutôt la vie », où tout était possible<br />
pendant ce bref entracte séparant<br />
deux guerres mondiales.<br />
<strong>La</strong> Croisière noire avait réveillé le « goût<br />
de Tailleurs », <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> découvertes,<br />
<strong>des</strong> raids automobiles, et Citroën et ses<br />
complices ingénieurs décidèrent de recommencer<br />
d'ouest en est ce qu'ils avaient<br />
réussi du nord au sud... Mais la vingtaine<br />
<strong>des</strong> aventuriers d'Afrique Noire devint<br />
une quarantaine de pilotes, de mécaniciens,<br />
de chercheurs, de philosophes.<br />
Pathé-Natan choisit André Sauvage plutôt<br />
que Léon Poirier comme réalisateur<br />
de ce film épopée, mais aussi ces chercheurs<br />
ou artistes qui, de Teilhard de<br />
Chardin à l'enseigne de vaisseau Point,<br />
herborisaient, paléontologisaient, archéologiseaient<br />
à Pékin en attendant les alpinistes<br />
de l'Himalaya. Les seuls de la<br />
première croisière à participer à la seconde<br />
furent Georges-Marie Haardt, son<br />
adjoint Audouin-Dubreuil et le peintre<br />
Alexandre Iacovleff.<br />
Mais le voyage s'acheva dans le<br />
drame : seigneurs de la guerre, coupeurs<br />
de têtes... et les onze survivants du nouveau<br />
voyage de Marco Polo de la Méditerranée<br />
au Pacifique se retrouvèrent privés<br />
de leur chef, Georges-Marie Haardt,<br />
mourant un peu mystérieusement à l'hôpital<br />
de Hong Kong. Une autre mort endeuillera<br />
la Croisière jaune ; le lieutenant<br />
de vaisseau Victor Point se suicida pour<br />
l'actrice Alice Cocéa. Les anciens de la<br />
Croisière se mobilisèrent quand elle réapparut<br />
au théâtre, venant soir après soir<br />
crier : « Point ! Point ! » jusqu'à l'arrêt de<br />
la pièce... Entre ces deux événements tragiques,<br />
le joyeux alpiniste cinéaste André<br />
Sauvage dit « le môme Dédé » décide<br />
d'utiliser caméras et pellicules et, avec ses<br />
compagnons Léon Morizet et Georges<br />
Specht, les preneurs de son Carrère et<br />
Sivel, découvre et filme la tendre vie quotidienne<br />
de l'Annam et du pays Moi.<br />
<strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française a sauvé ce<br />
film perdu, l'un <strong>des</strong> premiers documentaires<br />
en 35 mm sonore (son synchrone)<br />
dont André Sauvage avait découvert les<br />
performances au cours du voyage<br />
(danses de Mongolie ou, plus prosaïquement,<br />
la « lettre » filmée de « bon anniversaire<br />
» adressée par Haardt à Citroën).<br />
Aussi, après l'éblouissement <strong>des</strong><br />
femmes laotiennes à la rivière, après l'alcool<br />
partagé à la paille, après l'arrivée tonitruante<br />
<strong>des</strong> éléphants, c'est, en pays<br />
Moï, les pêches miraculeuses d'autres<br />
jeunes femmes et de jeunes piroguiers,<br />
tandis que les enfants jouent dans l'eau.<br />
Alors retentissent les gongs et les tambours,<br />
et c'est un grand moment précieux<br />
de l'un <strong>des</strong> premiers documents synchrone<br />
d'ethnomusicologie, au montage<br />
duquel participa le musicien de l'Atalante,<br />
Maurice Jaubert...<br />
À propos de la Croisière jaune, Philippe<br />
Esnault rappelle : « Une première projection<br />
publique a lieu le 30 novembre<br />
1932 à la Sorbonne ; c'est un succès »<br />
Mais la suite est sinistre. Léon Poirier<br />
ayant fini Caïn à Madagascar, et Verdun,<br />
souvenirs d'Histoire, va reprendre à son<br />
compte les films de la deuxième croisière.<br />
Citroën, légataire universel de Haardt<br />
qui disposait d'un droit de supervision<br />
du matériel, envoie le cinéaste saisir à<br />
Joinville le film en montage (25 novembre<br />
1933). Poirier reprend tout de la Croisière<br />
jaune : le montage, la sonorisation, la musique...<br />
Esnault fait ainsi le bilan <strong>des</strong> dégâts<br />
: « À travers la réduction artisanale<br />
de Poirier, la beauté captive <strong>des</strong> paysages,<br />
<strong>des</strong> matières et <strong>des</strong> chairs (certaines<br />
contre-plongées sont parmi les<br />
plus belles sculptures vivantes que le cinéma<br />
ait produites), on pressent l'œuvre<br />
qu'un cinéaste inspiré comme Sauvage<br />
pouvait mener à terme. »<br />
93
94 - FRANCE<br />
<strong>La</strong> première de ce film martyrisé a<br />
lieu, bien sûr, à l'Opéra de Paris le 18 mars<br />
1934, mais l'équipe de cinéastes ne vint<br />
pas. Léon Poirier récupère aussi Dans la<br />
brousse annamite, en refait le montage, en<br />
écrit le commentaire et peut, ainsi, figurer<br />
au générique comme coréalisateur<br />
avec André Sauvage... Ainsi s'achève<br />
dans le gâchis ce qui aurait pu être l'une<br />
<strong>des</strong> plus belles aventures de « chasseurs<br />
d'<strong>images</strong> et de sons » du siècle. Bien sûr,<br />
Sauvage ne s'en remit pas. Avec le musicien<br />
Maurice Jaubert et Saint Exupéry, il<br />
a l'espoir de filmer une nouvelle « croisière<br />
jaune aérienne », mais cela n'aboutit<br />
qu'à Courrier d'Asie (1939), documentaire<br />
d'Air France...<br />
En 1937, je rencontrais en Pays Dogon<br />
la fille d'Audouin-Dubreuil qui me parla<br />
d'André Sauvage, vivant retiré dans une<br />
ferme près d'Houdan. Je lui téléphonai à<br />
mon retour. Il me donna rendez-vous<br />
pour inventorier ses trésors, <strong>des</strong> dizaines<br />
de bobines nitrate... Je dus repartir pour<br />
l'Afrique. En juin 1975, j'appris par sa fille<br />
qu'il venait de mourir. Alors, c'est à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
de reprendre aujourd'hui ce<br />
sauvetage de trésors oubliés.<br />
1 Philippe Esnault :<br />
n° 112, juillet 1985.<br />
Jean Rouch<br />
« Sauvages », <strong>Ciné</strong>matographe,<br />
UN REGARD SAUVAGE<br />
Au fil quotidien de l'inventaire <strong>des</strong><br />
collections films de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, je rencontre souvent <strong>des</strong> documentaires<br />
muets <strong>des</strong> années vingt aux<br />
titres parlants : l'Industrie de la soie en<br />
Annam, Dalat, station climatique, De Saigon<br />
vers Hanoïpar les chemins de fer indochinois,<br />
etc. <strong>La</strong> France, puissance coloniale sûre<br />
d'elle-même et dominatrice, aime visiblement<br />
se filmer, à l'extérieur de ses<br />
frontières et encore chez elle. Toutes ces<br />
ban<strong>des</strong> vantent les réalisations de la métropole,<br />
ses dépenses d'équipements en<br />
ponts et chaussées, sa rentabilisation <strong>des</strong><br />
matières premières locales qui, sans son<br />
savoir-faire, resteraient inexploitées. Tout<br />
cela est bien connu, ce regard narcissique<br />
et supérieur. Bien connu aussi le fait que<br />
l'autochtone apparaît toujours dans ces<br />
œuvrettes de propagande comme un<br />
étranger chez lui, un figurant dont on fait<br />
le bonheur, au détour d'un plan, au hasard<br />
d'un regard-caméra domestiqué,<br />
comme force de travail essentiellement<br />
ou en situation folklorique. Ignorant<br />
toute trace d'une présence française filmable,<br />
Dans la brousse annamite s'intéresse<br />
résolument au hors-champ habituel<br />
<strong>des</strong> autres documentaires et propose,<br />
sinon un autre regard, au moins un essai<br />
d'un autre point de vue sur une même<br />
réalité. André Sauvage filme <strong>des</strong> habitants,<br />
non pas en situation de rendement,<br />
mais à un rytrime qui veut respecter le<br />
leur. Du coup le film, très peu scénarisé,<br />
tourné à la sauvette en marge de la Croisière<br />
jaune, a le goût <strong>des</strong> paradis perdus<br />
et se pare <strong>des</strong> séductions de la lenteur.<br />
Sauvage filme aussi frontalement<br />
ceux qui généralement font décor, comme<br />
on dit faire tapisserie. Mais très souvent,<br />
il cadre <strong>des</strong> Annamites de face et en<br />
pied, avec parfois même un double raccord<br />
dans l'axe qui s'arrête aux yeux. Dès<br />
lors, le frontal vire visiblement à l'affrontement<br />
(muet). Si Sauvage prend pour sujets<br />
ceux qui d'ordinaire sont objets, du<br />
coup - et d'instinct - les sujets semblent<br />
revendiquer un droit à l'intégrité corporelle<br />
et adressent plusieurs fois à la caméra<br />
un regard qui ne trompe pas et ressemble<br />
à un retour à l'envoyeur : un regard<br />
chargé, seule arme à disposition<br />
pour répondre à la violence ontologique<br />
d'un enregistrement non désiré. Le contrechamp<br />
d'un regard dans le plan dit<br />
une résistance à être vu, il dépasse de loin<br />
le coup d'oeil curieux à la drôle de machine<br />
enregistreuse et n'est pas non plus<br />
le signe d'une docilité inquiète aux indications<br />
de posture de l'opérateur, encore<br />
DANS LA BROUSSE ANNAMITE - 95
96 - FRANCE<br />
moins une désignation, pour le coup<br />
d'une modernité sauvage, de « l'instance<br />
d'énonciation dans le film ». Filmés différemment,<br />
ces humains réagissent différemment,<br />
ce qui laisse imaginer ou fantasmer<br />
la violence de la rétention <strong>des</strong><br />
corps dans les autres documentaires<br />
d'époque. Dans ces plans de regards<br />
passe un désir de n'être pas filmé, le désir<br />
aussi d'un regard qui soit le miroir du<br />
voyeur (c'est moi que ce regard finit par<br />
regarder, comme dans un duel de Sergio<br />
Leone). C'est ce double désir qui trouvera<br />
sa pleine réalisation dans une scène de<br />
Professione : reporter (Michelangelo Antonioni,<br />
1974). Jack Nicholson, caméra à<br />
l'épaule, interroge un sorcier africain qui,<br />
en guise de réponse, retourne l'engin<br />
comme un boomerang et le filme à son<br />
tour, filme le désarroi du filmeur à être<br />
filmé. En 1931, année de Tabu, année du<br />
film de Léon Poirier tourné à Madagascar,<br />
Gain, aventures <strong>des</strong> mers exotiques,<br />
année aussi de l'Exposition coloniale de<br />
Paris, le cinéma français, et ce n'est pas<br />
une surprise malgré la tentative de Sauvage<br />
de filmer l'Autre autrement a encore<br />
à trouver la bonne distance.<br />
Dans la brousse annamite paraît originer<br />
malgré lui le reproche systématique<br />
d'entomologie qui sera fait par la suite à<br />
tout cinéaste-éthnographe et que résume<br />
très bien le « Tu nous regar<strong>des</strong> comme<br />
<strong>des</strong> insectes » de Sembène Ousmane à<br />
Jean Rouch. Très loin du cinéma-vérité et<br />
de ses ambiguïtés inévitables, Dans la<br />
brousse annamite, avec son mode d'interpellation<br />
inattendu, témoigne de la naissance<br />
d'un conflit de regards, fondateur<br />
d'une nouvelle cinématographie, et qui<br />
aboutit aujourd'hui, entre autres, à Souleymane<br />
Cissé 2 . Avec le temps en effet,<br />
ce regard va se politiser et se transformer<br />
en une lutte pour l'accession à la mise en<br />
scène et à l'Indépendance, dans les deux<br />
cas à une autre image de soi. Autrement<br />
dit, le regard <strong>des</strong> Annamites à Sauvage<br />
est un regard qui voit loin dans le siècle.<br />
Bernard Bénoliel<br />
1 II faut dire aussi que les tripatouillages de Léon Poirier<br />
en 1934 (postsynchronisation et commentaires,<br />
comme pour la Croisière jaune) n'aident pas non plus<br />
les <strong>images</strong>, pourtant superbement cadrées et éclairées.<br />
2 « L'Afrique devrait former elle-même <strong>des</strong> cinéastes,<br />
car ce n'est qu'avec <strong>des</strong> cinéastes africains que le reste<br />
du monde comprendra l'Afrique » (Souleymane<br />
Cissé, au moment de Waati, dans les Cahiers du cinéma,<br />
n° 492, juin 1995). L'affirmation est emblématique,<br />
elle est aussi contestable...<br />
LES VIGNES DU SEIGNEUR<br />
1932-René Hervil<br />
Réal. : René Hervil. Prod. : Les établissements Jacques<br />
Haïk. Auteur : Robert de Fiers, Francis de Croisset,<br />
d'après leur pièce homonyme. Se. : Pierre Maudru.<br />
Dial. : Francis de Croisset. Asst. (réal. ?) : Jacques<br />
Houssin, Junker. Dir. ph. : PaulCoteret, Albert<br />
Duverger. Son : A. Dugne, Henri AH iot<br />
(enregistrement <strong>Ciné</strong>vox-Jacques Haïk). Déc. : jean<br />
d'Eaubonne. Dir. art. : André Dugès. Mont. : Madame<br />
Wurtzer. Mus. : Louis Masson (éditée par la Société<br />
<strong>des</strong> Éditions <strong>Ciné</strong>phoniques). Film réalisé aux studios<br />
jacques Haïk à Courbevoie. Int. : Victor Boucher<br />
(Henri Lévrier), Simone Cerdan (Gisèle), Maximiliène<br />
Max (Aline), Jacqueline Made (Yvonne), Mady Berry<br />
(Valentine Bourgeon), Victor Garland (Jack), Léon<br />
Malavier (Jean), Jean Dax (Hubert). Date de sortie : 23<br />
septembre 1932. Métrage, minutage copie Cf. : 2718<br />
m., 99 mn. Noir et blanc.<br />
Madame Valentine Bourgeon, maîtresse<br />
femme, a pris sa décision : puisque cet empoté<br />
d'Hubert est l'amant très officiel de sa fille Gisèle<br />
et n'est pas pressé de régulariser la situation,<br />
c'est sa deuxième fille qu'il faudra<br />
marier. Justement, toute fraîche et pimpante,<br />
Yvonne arrive aujourd'hui à Paris après <strong>des</strong><br />
années passées en Angleterre afin d'y recevoir<br />
une vraie éducation. Madame Bourgeon a<br />
même un bon parti en vue : Henri Lévrier,<br />
grand amid 'Hubert et homme du monde mais<br />
réputé aussi pour son amour de la boisson.<br />
Or, quand celui-ci rend visite à la famille,<br />
c'est à Gisèle qu'il déclare sa flamme dans le<br />
plus grand secret. Elle, lasse de son « mari »,<br />
le prend pour amant. Toute la famille est au<br />
bord de la mer, y compris Henri qui maintenant<br />
exaspère Gisèle au point qu'elle rompt.<br />
Sans rien dire, Yvonne s'est éprise d'Henri.<br />
Un jour, il tombe à l'eau tout habillé et pour<br />
se réchauffer, lui qui nebuvaitplus, avale cinq<br />
whiskies et un cognac. Sous l'emprise de l'alcool,<br />
il avoue à Hubert qu'il couche avec Gisèle<br />
et qu'il serait désespéré si son grand ami<br />
venait un jour à l'apprendre... Une fois dégrisé,<br />
il trouve les mots pour convaincre Hubert<br />
qu 'il a dit n 'importe quoi et tout finit non<br />
par un mais deux mariages, Hubert avec Gisèle,<br />
Henri avec Yvonne.<br />
LA GUEULE DE BOIS<br />
1932 : depuis trois ans déjà le parlant<br />
s'égosille sur les écrans français. On peut<br />
considérer que les problèmes techniques<br />
qui affligeaient les premières productions<br />
sonores sont définitivement maîtrisés,<br />
mais on ne s'en doute guère en regardant<br />
de nos jours le film de René Hervil.<br />
Caméra impotente, découpage abrupt,<br />
déplacements ataxiques <strong>des</strong> acteurs accablent<br />
la donnée à la fois anodine et démodée<br />
<strong>des</strong> trois actes créés avec éclat en<br />
janvier 1923.<br />
Dans <strong>des</strong> décors qui marient avec<br />
bonheur le nickel chromé et les miroirs<br />
limpi<strong>des</strong>, les bibelots d'époque et les panneaux<br />
laqués, <strong>des</strong> oisifs qui s'ennuient à<br />
ne rien faire devisent à perdre haleine de<br />
choses futiles. Comédie de boudoir dont<br />
le sel s'est évaporé : les soucis de respectabilité<br />
de l'énergique madame Bourgeon<br />
qui songe à caser honorablement ses<br />
filles soutiendraient médiocrement l'action<br />
si les auteurs, boulevardiers avisés,<br />
n'avaient pratiqué un « coup du milieu »<br />
(c'est bien le terme) à propos d'un alcoolique<br />
récidiviste révélant à son meilleur<br />
ami sous l'effet du whisky l'infortune<br />
conjugale dont il le gratifie.<br />
C'est cette fameuse scène de l'ivresse<br />
qui fit le succès de la pièce. Abondamment<br />
diffusée, elle lança dans l'aventure<br />
cinématographique Victor Boucher, comédien<br />
discret, dont le naturel efficace<br />
puisait ses <strong>ressources</strong> dans l'humour<br />
pincé. Au théâtre, ce même Victor Boucher<br />
avait eu la chance d'avoir comme<br />
partenaires <strong>des</strong> comédiens éblouissants :<br />
Jeanne Cheirel, sorte de Denise Grey<br />
plantureuse et André Lefaur, solennel et<br />
pontifiant. Dans le film, il fait cavalier<br />
seul et s'évertue de façon méritoire.<br />
Mady Berry, bonne actrice, est trop marquée<br />
par ses nombreux rôles de cuisinière<br />
et semble toujours prête à servir le pot au<br />
feu. Quant à Jean Dax, il alourdit les<br />
scènes en jouant au ralenti. Le feu d'artifice<br />
escompté est sérieusement trempé.<br />
De plus, le morceau de bravoure que<br />
l'on connaît par cœur n'arrive plus à<br />
égayer. On admire la virtuosité de Victor<br />
Boucher, acteur rare dans tous les sens du<br />
terme, car sa filmographie est d'une élégante<br />
minceur, le meilleur de ses films<br />
restant Ils étaient neuf célibataires. Ce n'est<br />
pas une grande découverte : Sacha Guitry<br />
savait mieux employer que René Hervil<br />
ceux qu'il aimait et respectait.<br />
97<br />
Raymond Chirat<br />
Maximiliène Max.
98 - FRANCE<br />
SI J'ÉTAIS LE PATRON<br />
1934-Richard Portier<br />
Réal. : Richard Pottier. Prod. : Para-Film.<br />
Dir. de prod. : Oscar Dancigers. Adapt. : René Pujol.<br />
Se. : André Cerf. Dial. : René Pujol, jacques Prévert.<br />
Asst. réal. : André Cerf, Maurice Vaccarino.<br />
Dir. ph. : Jean Bachelet. Son : ]ean Lecocq.<br />
Déc. : Claude Bouxin. Mont. : Pierre Méguérian.<br />
Mus. : Henri Poussigue. Lyrics : Louis Poterat (éditions<br />
Écho). Un film réalisé dans les studios Pathé-Natan à<br />
Joinville-le-Pont. Système Marconi. Int. : Fernand<br />
Gravey (Henri Janvier), Max Dearly (Maubert), Charles<br />
Deschamps (Sainclair), Madeleine Guitty (Mme<br />
Pichu), Pierre Palau (Archibald Torrington), Pierre<br />
<strong>La</strong>rquey (Jules), Georges Vitray (M. Leroy), Jane<br />
Pierson (une actionnaire), Claire Gérard (Mme<br />
Villiers), André Dubosc, Huchet (les actionnaires),<br />
Anthony Gildès (M. Triangle), Pierre Darteuil (Villiers),<br />
Christian Argentin (Sicaud), Jean Gobet, Mireille Balin<br />
(Marcelle), Magdeleine Bérubet, Lucien Walter.<br />
Date de sortie : 25 octobre 1934.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2844 m., 103 mn. Noir<br />
et blanc. Doc. : Pour Vous, n° 310.<br />
Ouvrier à la chaîne dans une usine automobile,<br />
Henri Janvier a inventé à ses heures<br />
perdues un silencieux qui doit le rendre riche.<br />
À l'usine, l'ingénieur Sainclair travaille sur<br />
un procédé équivalent, mais sa trente neuvième<br />
expérience se révèle, comme les précédentes,<br />
désastreuse. Henri essaye de faire connaître<br />
son invention à la direction, mais loin<br />
de l'écouter, Leroy, le patron, veut virer celui<br />
qu'il prend, à la suite d'un quiproquo, pour<br />
un meneur. En conseil d'administration, le<br />
même Leroy annonce à ses actionnaires catastrophés<br />
que l'entreprise est au bord de la<br />
faillite, à moins d'un miracle. En attendant,<br />
il fait appel à la générosité de Maubert, viceprésident<br />
et premier actionnaire, mais aussi<br />
excentrique incontrôlable. <strong>La</strong> preuve, à la fête<br />
organisée par les ouvriers, il sympathise avec<br />
Henri, fait la bombe toute la nuit avec lui et<br />
au matin, prenant au mot le jeune fanfaron,<br />
en fait le nouveau patron ! Henri se réveille<br />
dans le bureau du directeur. Passé un légitime<br />
moment de surprise, aidé de Marcelle, la<br />
secrétaire qu'il aime et qui l'aime, il se met au<br />
boulot. Et c'est une révolution : projet d'une<br />
nouvelle grille <strong>des</strong> salaires, licenciement minute<br />
du traître qui vendait les secrets de la<br />
maison à la concurrence et musique dans les<br />
ateliers ! Enfin, quand débarque de Chicago<br />
Archibald Torrington, richissime businessman,<br />
il lui vend son invention au prix fort et<br />
sauve l'usine. Et vive le patron !<br />
DÉJÀ PRÉVERT<br />
Ce premier film réalisé en France par<br />
Richard Pottier, tout frais arrivé d'Allemagne<br />
dans la grande vague d'émigrés<br />
qui suit la prise du pouvoir par Adolf Hitler<br />
(Pottier était-il, dans cette vague, un<br />
réfugié antinazi ? Sa longue collaboration<br />
avec la Continental du Dr Greven,<br />
cinq films entre 1941 et 1944, permet d'en<br />
douter, mais ce n'est pas ici le lieu d'en<br />
débattre), s'inscrit dans la phase aléatoire<br />
<strong>des</strong> premières années trente. <strong>La</strong> production<br />
est atomisée, aventureuse. Les génériques<br />
sont imprécis, les informations<br />
fournies par la presse professionnelle<br />
douteuses. Pour une bonne moitié <strong>des</strong><br />
films distribués avant 1935, il est difficile<br />
de saisir qui est, non pas l'auteur, mais le<br />
véritable maître d'œuvre. Autour de quoi<br />
(de qui) s'est monté le film. En 1934, il n'y<br />
a plus de grosse structure de production<br />
qui mettrait sa marque sur une ligne de<br />
films.<br />
L'atout commercial de Si j'étais le patron<br />
est sans aucun doute Max Dearly.<br />
Comédien typé, populaire, familier <strong>des</strong><br />
rôles de bourgeois atrabilaire, de financier<br />
imprévisible (la même année dans le<br />
Dernier Milliardaire de René Clair, l'année<br />
suivante dans Un oiseau rare, de nouveau<br />
dirigé par Pottier). Le scénario est taillé à<br />
sa mesure par André Cerf, mais Cerf en<br />
est-il vraiment l'auteur ? En 1980, Si j'étais<br />
le patron avait été projeté à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
de Luxembourg, où il semblait acquis<br />
que le scénario original était arrivé<br />
d'Allemagne avec Pottier et que Cerf<br />
n'en avait été que l'adaptateur. Il faut remarquer<br />
qu'André Cerf, entré en cinéma<br />
dans le cercle de Renoir (assistant et acteur<br />
secondaire dans Nana ou Tire au<br />
flanc), puis adaptateur, dialoguiste ou assistant<br />
de L'Herbier notamment, et après<br />
la guerre réalisateur de quatre films, n'a<br />
jamais écrit de scénario original. De plus,<br />
le scénario de Si j'étais le patron est à rapprocher<br />
de celui de <strong>La</strong> crise est finie tourné<br />
la même année par Robert Siodmak : influencé<br />
par la comédie américaine, via<br />
Berlin.<br />
L'effet Prévert, enfin, un Prévert qui<br />
travaille le détail (le mot) mais n'a pas la<br />
maîtrise de la structure, apporte le ton<br />
sarcastique, l'acidité et la tendresse, qui<br />
naturalisent le produit. Les spectateurs<br />
de 1934 voyaient un film français plus<br />
libre et plus allègre que le tout venant de<br />
la production nationale. Mais comme<br />
dans la quasi-totalité <strong>des</strong> films français<br />
du temps, le rapport entre les scènes tournées<br />
en extérieur et celles enregistrées en<br />
studio est difficile. Un exemple : la lumière<br />
solaire sur les ouvriers qui cassent<br />
la croûte dans la cour de l'usine, saisis en<br />
plan d'ensemble, et le raccord douloureux<br />
avec les gros plans dialogués qui sui-<br />
vent, filmés en air raréfié.<br />
Si j'étais le patron n'est évidemment<br />
pas un film de lutte <strong>des</strong> classes. Les choses<br />
se passent et se résolvent de personne à<br />
personne. Le fabricant <strong>des</strong> automobiles<br />
Leroy est nul, ses administrateurs sont<br />
<strong>des</strong> crétins, les ouvriers sont bien braves.<br />
Face à la crise émergent un financier atypique<br />
et un ouvrier dont le génie mécanique<br />
(aux premiers ans du cinéma parlant,<br />
il invente un silencieux... Prévert :<br />
« On entendrait voler un talon de chèque<br />
») le place d'emblée au-<strong>des</strong>sus de la<br />
masse. L'alcool, la bière de l'un et le<br />
whisky de l'autre, l'improbable amitié,<br />
l'amour bien sûr (Mireille Balin est jolie),<br />
et un deus ex machina opportunément arrivé<br />
de Chicago, remettent la chaîne en<br />
mouvement. Elle reste une chaîne : l'ordre<br />
capitaliste et sa hiérarchie ne sont pas<br />
mis en cause. Prévert n'a pas encore pris<br />
ses marques (celles du groupe Octobre)<br />
au cinéma. Il y a un fossé entre les banderilles<br />
qu'il plante dans le dos de l'entreprise<br />
Leroy et, un an après, sa charge<br />
qui fait imploser l'imprimerie <strong>des</strong> Publications<br />
populaires (la maison Batala,<br />
dans le Crime de monsieur <strong>La</strong>nge) avant sa<br />
transformation en coopérative. Il est clair<br />
que pour Si j'étais le patron, Prévert n'a pu<br />
qu'épicer de sa verve un scénario qu'il ne<br />
contrôlait pas.<br />
Jean-Pierre Jeancolas<br />
1 Voir le Bulletin mensuel de la <strong>Ciné</strong>mathèque Municipale<br />
de Luxembourg, n° 1, septembre 1980, page 26.<br />
SI J'ÉTAIS LE PATRON - 99<br />
Fernand Gravey<br />
(au centre).
100-FRANCE<br />
ARLETTE ET SES PAPAS<br />
1934 - Henry Roussel!<br />
Réal. : Henry Roussell. Prod. : Pathé-Natan.<br />
Auteur : Georges Beer, Louis Verneuil, d'après leur<br />
pièce Avril. Se. : Henry Roussell. Dial. : Georges Beer,<br />
Louis Verneuil. Asst. : Edouard Lepage.<br />
Dir. ph. : Raymond Agnel, Lefebvre. Son : Robert<br />
Teisseire. Déc. : GuyrJeGastyne, Lucien Aguettand.<br />
Mus. : Marcel Pollet. Enregistrement sonore par<br />
procédé RCA. Photophone. Production réalisée dans<br />
les studios sonores Pathé-Natan àJoinville-le-Pont.<br />
Int. : Max Dearly (Alexandre Mérové), Jules Berry<br />
(Pierre de Pérignon), Renée Saint-Cyr (Ariette), Pierre<br />
Stéphen (Lecouturier), Christiane Delyne (Nadine de<br />
Montespan), Pierre Butin (Amédée Pépin), Suzanne<br />
Dantès (Gabrielle Mérové), Robert Clermont<br />
(François), Christian Argentin (le professeur), Lucien<br />
Pardiès, Adrienne Trinkel. Date de sortie : 13<br />
septembre 1934. Métrage, minutage copie Cf. : 2917<br />
m., 106 mn. Noir et blanc. Doc. : Pour Vous, n° 304.<br />
Remerciements à Jean-Pierre Flingou.<br />
Le 11 novembre 1918, c'est l'armistice.<br />
C'est aussi le jour où Ariette vient au monde.<br />
Son père, Alexandre Mérové, est un hurluberlu<br />
et sa mère, Gabrielle, a un amant, un<br />
aviateur qui croit à tort être le vrai géniteur<br />
de la petite. 1934 : Ariette est devenue une<br />
jeune fille délicieuse et insouciante. Mais Gabrielle,<br />
une nouvelle fois ruinée par son époux,<br />
appelle son vieil et riche amant, histoire de lui<br />
rappeler ses devoirs « paternels ». Il s'ensuit<br />
une série de quiproquos jusqu'à l'annonce du<br />
mariage d'Ariette et de Pierre ; celui-ci a imaginé<br />
cette situation pour faire de sa fille naturelle<br />
sa légataire universelle sans éveiller<br />
les soupçons de Mérové. Bien sûr, il devra divorcer<br />
très vite et la remarier a un autre en<br />
l'ayant doté. Mais Ariette ne veut plus rester<br />
vierge ; devant l'attitude fuyante de son mari<br />
quand vient le soir, ellepasse de l'étonnement<br />
à la colère et le voyage de noces sur la côte<br />
d'Azur est un fiasco. De retour à Paris, Pierre<br />
résiste de plus en plus mal au charme de sa<br />
jeune épouse et passe finalement une nuit avec<br />
elle. Au matin, véritable conseil de famille au<br />
pied du lit et chacun apprend quelque chose :<br />
Pierre qu'il n'est pas le papa d'Ariette (elle<br />
est bien la fille de son père), Mérové qu'il est<br />
trompé depuis vingt ans, Gabrielle que son<br />
mari justement a passéla nuit avec l'ancienne<br />
maîtresse de Pierre. Tout s'arrange, l'union<br />
n 'est pas incestueuse. Nouveau voyage de noces,<br />
réussi celui-là.<br />
DÉLICES DU BOULEVARD<br />
Vif, charmant, sensible, Ariette et ses<br />
papas transcende les clichés qu'annoncent<br />
titre et générique. Le scénario intègre<br />
subtilement les attributs du vaudeville<br />
(mari cocu, paternité aléatoire, quiproquos<br />
simples, doubles, inversés) à la progression<br />
allègre d'une comédie où l'expression<br />
juste <strong>des</strong> sentiments n'est jamais<br />
bridée par la mécanique du rire. Solennel<br />
mari trompé aux négoces calamiteux,<br />
Alexandre est aussi un compagnon joyeux<br />
et généreux, effleuré mais non écrasé par<br />
le ridicule. Séducteur effronté et impétueux,<br />
Pierre demeure un homme aux<br />
sentiments sincères qui s'empêtre dans sa<br />
propre loyauté.<br />
Auteur d'Avril, la pièce d'origine, le<br />
prolifique Louis Verneuil (associé ici à<br />
Georges Beer) en est déjà à sa quinzième<br />
adaptation cinématographique, depuis<br />
cinq ans que le cinéma parle. Attentif aux<br />
scandales de l'époque, le gendre de Feydeau<br />
n'oublie pas l'affaire Stavisky (1933-<br />
1934), et glisse quelques répliques de circonstance<br />
sur de douteux trafics. Signer<br />
une comédie « hors du temps » n'empêche<br />
pas de garder un œil ouvert sur la<br />
vie politique. <strong>La</strong> mise en scène, elle, relève<br />
le double défi de faire oublier le<br />
théâtre et de faire passer avec délicatesse<br />
une situation scabreuse. Le « théâtre<br />
filmé » vole en éclats dès la première séquence<br />
de l'accouchement. Fascination<br />
du couple Mérové pour la caricaturale<br />
clinique Royal-Palace (et ses chaises à<br />
porteurs), démêlés d'Alexandre avec la<br />
chute du mark en ce 11 novembre 1918,<br />
chassé-croisé auprès de l'accouchée d'un<br />
mari heureux mais ruiné et d'un amant<br />
revenu du front en quatrième vitesse<br />
pour accueillir un bébé qui n'est pas le<br />
sien : l'imbroglio se noue à un rythme trépidant<br />
dont la comédie hollywoodienne<br />
n'a pas le monopole. Mais pour une explication<br />
sérieuse de Pierre avec son ami<br />
d'enfance, la caméra s'installe en plan<br />
fixe pendant cent quarante secon<strong>des</strong>,<br />
avec d'infimes recadrages latéraux qui<br />
s'adaptent aux gestes <strong>des</strong> comédiens. Un<br />
joli gag visuel pour les deux nuits en<br />
wagon-lit ou une séance délurée d'ombres<br />
chinoises pour la vraie nuit de noces<br />
d'Ariette manifestent un tempo et une<br />
imagination proprement cinématographiques.<br />
C'est un peu inattendu de la part<br />
d'Henry Roussell. Cet ancien acteur de<br />
théâtre, puis du muet (le Friquet de Maurice<br />
Tourneur, 1913), passé à la réalisation<br />
en 1918, cometteur en scène avec Cari<br />
Froelich de la première production parlante<br />
franco-allemande, <strong>La</strong> nuit est à nous<br />
(1929), donne avec Ariette et ses papas son<br />
meilleur film.<br />
Max Dearly et Jules Berry, ces deux<br />
piliers du théâtre de boulevard, s'entendent<br />
comme larrons en foire, mais en<br />
contenant toute surenchère expressive.<br />
Leur performance mérite de faire référence<br />
plutôt que celle, plus connue, de<br />
l'Habit vert (1937). Renée Saint-Cyr est entrée<br />
en cinéma deux ans plus tôt. Son jeu,<br />
d'une exceptionnelle fraîcheur, est comparable<br />
à celui que Danielle Darrieux est<br />
en train d'imposer. Elle n'y sera pas fidèle<br />
longtemps.<br />
Trop méconnu, Ariette et ses papas mérite<br />
de figurer, pour sa verve et sa maîtrise,<br />
parmi les chefs-d'œuvre du « cinéma<br />
de boulevard ».<br />
Pierre Billard<br />
Renée Saint-Cyr, Jules Berry.<br />
LA SONNETTE D'ALARME<br />
1935 - Christian-Jaque<br />
Réal. : Christian-Jaque. Prod. : Sigma.<br />
Dir. de prod. : jean-Pierre Frogerais. Auteur : Maurice<br />
Hennequin, Romain Coolus, d'après leur pièce<br />
homonyme. Adapt. : Suzette Desty, Albert Depondt.<br />
Asst. réal. : François Carron. Dir. ph. : Georges<br />
Benoit, Louis Page. Son : Jacques Vacher. Déc. : Henri<br />
Ménessier, René Renoux. Mont. : André Versein.<br />
Mus. : John Ellsworth, Willy Stower. Lyrics de Max<br />
Blot (éditions musicales Vog). Enregistré aux studios<br />
Paramount, sur procédé Western Electric. Int. : Jean<br />
Murât (Bobby), Josette Day (Geneviève), Marguerite<br />
Pierry (Mlle Clémence), Pierre Stéphen (Gaston<br />
Lizolle), Le Gallo (Emile Lepinchois), Marcel Vidal<br />
(Chanteroy), Argentin (le professeur Bodart), Charles<br />
Lemontier (Ludovic), Nita Raya, Piérade (le<br />
vétérinaire), Christiane Delyne (Simone Bridac),<br />
Arnaudy (Paginot). Date de sortie : 7 juin 1935.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2081 m., 76 mn. Noir<br />
et blanc.<br />
Bobby, quadragénaire séduisant, est un<br />
affichiste de talent et un fêtard invétéré. Simone<br />
Bridac, mariée à un ministre, est sa maîtresse<br />
de jour depuis cinq ans. Un soir de bombe<br />
dans un cabaret de Montmartre, il est frappé<br />
d'une attaque de goutte. Rien degravemais<br />
pour obliger son amant à lever le pied, Simone<br />
convainc son médecin de diagnostiquer un<br />
état sérieux et de prescrire un radical changement<br />
de mode de vie. Elle télégraphie aussi<br />
à la famille de Bobby, une famille de province<br />
composée d'une excentrique et d'un jeune<br />
couple : Gaston, perdu dans l'étude d'une langue<br />
très rare, et Geneviève qui s'ennuie. Tous<br />
débarquent et s'installent bruyamment. Geneviève<br />
et Bobby sympathisent quand même,<br />
visitent le Louvre, se promènent dans Paris.<br />
Mais la jeune femme apprend par une indiscrétion<br />
la liaison entre Simone et son oncle.<br />
Dans le même temps, celui-ci essaye - en vain<br />
semble-t-il - d'ouvrir les yeux de Gaston sur<br />
l'état de son mariage. Finalement, tous se retrouvent<br />
dans la Lune, une boîte de nuit à la<br />
mode. Geneviève et Bobby qui se sont avoués<br />
leur amour sont sur le point de fuir ensemble<br />
quand Gaston débarque, enfin conscient du<br />
danger et fou amoureux de sa femme. Touché,<br />
Bobby s'éclipse et laisse le mari et la femme<br />
renouer <strong>des</strong> liens un peu distendus.<br />
SUPPLICES DU BOULEVARD<br />
Pour supporter le film de Christian-<br />
Jaque, il faut se persuader avant tout que<br />
le réalisateur faisait flèche de tout bois, en<br />
1935, et ciblait de poudreux vaudevilles.<br />
Il choisit ainsi la Sonnette d'alarme qui<br />
avait bercé dix ans auparavant les digestions<br />
<strong>des</strong> habitués du théâtre de l'Athénée<br />
et pouvait se contenter d'un léger<br />
coup de plumeau.<br />
Le film tourné en huit jours étale son<br />
intrigue sur trois mois et la concentre en<br />
trois décors. L'action se mord la queue<br />
puisque partie d'un dancing, elle aboutit<br />
à un autre en ne se privant pas d'assaisonner<br />
au gros sel la donnée initiale. Les<br />
bons mots pleuvent autant que les pataquès.<br />
Citons par exemple cet ordre intimé<br />
au domestique de service : « Parlez à la<br />
troisième personne ! » A quoi le larbin rétorque<br />
: « Mais on n'est que deux. » Fautil<br />
croire que la salle entière s'esclaffait ?<br />
Les charmes très discrets de la sage<br />
comédie de Maurice Hennequin et Romain<br />
Coolus étaient déjà éventés lors de<br />
leur mise en boîte. Il ne reste aujourd'hui<br />
que la carcasse vermoulue d'une petite<br />
aventure. Les adaptateurs pour la stimuler<br />
n'ont épargné ni les allusions égrillar<strong>des</strong>,<br />
ni les ombres chinoises supposées<br />
suggestives, ni les quiproquos antédiluviens.<br />
Ainsi se télescopent sans retenue<br />
aucune une provinciale de haut mérite<br />
qui lance son bonnet par <strong>des</strong>sus le Moulin-Rouge,<br />
un pique-assiette seul à s'amuser<br />
de sa fonction de tapeur, un pharma-<br />
101<br />
cien rimaillant à sa bien-aimée <strong>des</strong> vers<br />
de mirliton, un universitaire imbécile qui<br />
ne parle que le tagal, sans oublier le fameux<br />
valet de chambre prodigue en<br />
aphorismes.<br />
Christian-Jaque se fiche du tiers comme<br />
du quart. Il se borne à soigner ses enchaînements<br />
et passe en douceur <strong>des</strong><br />
grands boulevards parisiens aux mornes<br />
rues de Bidache-sur-Adour (ah vaudeville,<br />
quand tu nous tiens !). Il fignole un<br />
générique où les acteurs se présentent sérieux,<br />
puis hilares. Les spectateurs, eux,<br />
font l'inverse : d'abord allègres, ils deviennent<br />
moroses.<br />
<strong>La</strong> troupe n'est pas homogène. Les<br />
uns : Jean Murât, Josette Day, Christiane<br />
Delyne défendent la comédie de nos arrières<br />
grand-mères. Les autres, Marguerite<br />
Pierry, Arnaudy, Pierre Stéphen foncent<br />
dans le débridé et le strient : ils y perdent<br />
plus qu'ils n'y gagnent.<br />
Le titre du film est à lui seul un avertissement.<br />
Sonnette d'alarme = danger.<br />
<strong>La</strong> catastrophe était à redouter.<br />
Jean Murât.<br />
Raymond Chirat
102 - FRANCE<br />
L'ÉCOLE DES VIERGES<br />
1935-Pierre Weill<br />
Réal. : Pierre Weill. Prod. : Pelleyrius Bianco-Film.<br />
Auteur : Paul Murio, d'après sa comédie musicale.<br />
Dial. : Jacques de Bénac. Asst. réal. : R. Leboursier.<br />
Dir. ph. : Georges Million, Georges Goudard.<br />
Son : Jacques Hawadier. Déc. : J.R. Quignon.<br />
Cost. : Géo Ratton. Mus. : Raymond Wraskoff.<br />
Exécutée par l'orchestre Fred Adison. Réalisé au<br />
studio de la place Clichy. Int. : André Roanne (André),<br />
Dolly Davis (Nicole), René Ferté (René), Monique<br />
Rolland (Monique), Nino Costantini (Ernest), Wanda<br />
Warrel (Gisèle), Renée Dennsy, René Navarre,<br />
Yvonne Rozille, Pierre Juvenet, Rachel Devirys.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1995 m., 73 mn. Noir<br />
et blanc.<br />
Émoi au Pensionnat <strong>des</strong> fleurs. L'inspecteur<br />
d'Académie visite la classe <strong>des</strong> jeunes<br />
filles. Or, loin de savoir l'histoire de France,<br />
elles connaissent par cœur leur histoire du cinéma,<br />
chacune ayant dans son cahier la photo<br />
de son idole : Henri Garât, Maurice Chevalier,<br />
Greta Garbo, Janet Gaynor, Jean Harlow,<br />
Joan Crawford, etc. Heureusement, l'école est<br />
finie. Avec son amie Gisèle, Monique prend<br />
le train pour le Midi, direction la maison de<br />
son riche cousin André et de sa femme Nicole.<br />
Elle retrouve aussi le beau René, l'ami du ménage.<br />
Quant à leur voisin, c'est Ernest, farfelu<br />
timide et neveu de la directrice du pensionnat.<br />
Tout ce petit monde s'ébroue et se<br />
croise; Nicole soupçonne son mari d'avoir<br />
une aventure et jure de le tromper avec René,<br />
ravi de la tournure <strong>des</strong> événements. Gisèle a<br />
un faible pour Ernest qui en pince pour Monique,<br />
elle même éprise de René. Un jour,<br />
André s'absente pour affaires. Le soir même,<br />
son ami s'apprête à rejoindre la maîtresse de<br />
maison dans son lit et Ernest, complètement<br />
saoul, passe par la fenêtre de la chambre de<br />
Monique et lui déclare sa flamme en caleçon<br />
et haut-de-forme. Mais le mari rentre à l'improviste.<br />
Flairant l'adultère, il met la maison<br />
en révolution. Amants sur le balcon ou dans<br />
l'armoire, poursuites dans les couloirs. Le lendemain<br />
matin, André et Nicole sont à nouveau<br />
unis, Monique et René s'aiment et se le<br />
disent. Quant à Ernest, organisateur d'une<br />
revue chantée et dansée au profit de l'Association<br />
<strong>des</strong> célibataires involontaires, il se<br />
console en coulisses dans les bras de Gisèle.<br />
LA LIGNE DE DÉMARCATION<br />
Il n'est question d'école que le temps<br />
de partir en vacances, et de vierges, jamais<br />
: le titre n'est là que pour répondre<br />
à l'École <strong>des</strong> cocottes, réalisé la même année<br />
par Pierre Colombier. <strong>La</strong> revue d'un petit<br />
casino de plage, montée à la fin du film,<br />
définit bien le film tout entier : entreprise<br />
de circonstance, fauchée et à demi amateur.<br />
L'intrigue, médiocre, est sauvée,<br />
bien malgré elle par le niveau d'absurdité<br />
qu'elle parvient à atteindre. Dans cette<br />
morne plaine, deux petits pics : le tumulte<br />
d'une classe de lycéennes passionnées<br />
de cinéma, qui se partagent entre<br />
fans de Maurice Chevalier et fans d'Henri<br />
Garât, et une course poursuite à travers<br />
chambres et couloirs d'une villa, dans la<br />
tradition fondatrice du vaudeville.<br />
Œuvre négligeable sur le plan qualitatif,<br />
l'Ecole <strong>des</strong> vierges est néanmoins significatif<br />
d'une période qui voit d'une<br />
part la liquidation de l'héritage du muet<br />
et d'autre part, la prégnance et la montée<br />
du modèle américain. L'étrange et brève<br />
carrière du réalisateur le situe au carrefour<br />
de ces deux phénomènes. Né en<br />
1906, Pierre Weill s'occupe du titrage de<br />
films muets et crée la revue <strong>Ciné</strong>ma, s'essaye<br />
à la réalisation (deux films muets),<br />
puis, à l'avènement du parlant, part pour<br />
Hollywood travailler sur les versions<br />
françaises <strong>des</strong> films américains (1929-<br />
1931). De retour en France, il tourne cinq<br />
films parlants entre 1932 et 1936 avant de<br />
se consacrer à la publicité pour le compte<br />
de sociétés américaines. Il sera, après la<br />
guerre, le chef de la publicité <strong>des</strong> Artistes<br />
associés en France.<br />
<strong>La</strong> distribution de l'École <strong>des</strong> vierges,<br />
film en principe sur la jeunesse, témoigne<br />
d'une fidélité obsolète à l'époque du<br />
muet, révolue depuis cinq ans. Têtes d'affiche,<br />
André Roanne et Dolly Davis<br />
l'étaient déjà en 1921 (Roanne dans l'Atlantide<br />
de Feyder). Ils ont tourné plus de<br />
quarante films muets, dont huit ensemble.<br />
René Navarre fut l'un <strong>des</strong> comédiens<br />
préférés de Feuillade, René Ferté de<br />
Jean Epstein et Rachel Devirys (vingtcinq<br />
films muets) jouait dans le Vidocq en<br />
dix épiso<strong>des</strong> de Jean Kemm (1922)<br />
comme Dolly Davis et René Navarre...<br />
Pierre Weill, c'est certain, est resté bloqué<br />
sur la ligne de démarcation muet-parlant.<br />
A ceci près que sa cohabitation avec le cinéma<br />
américain lui a inoculé quelques<br />
virus hollywoodiens. Ainsi voit-on l'École<br />
<strong>des</strong> vierges balancer sans cesse entre<br />
la tradition franchouillarde du théâtre de<br />
boulevard et la tentation incongrue du<br />
burlesque (le personnage d'Ernest, sa<br />
gestuelle, ses lunettes à la Harold Lloyd)<br />
et de la comédie musicale. Celle-ci donne<br />
son ton au film dans sa partie initiale avec<br />
les scènes chantées <strong>des</strong> étudiantes amoureuses<br />
de ciné et dans sa partie finale (le<br />
spectacle monté au casino). <strong>La</strong> ringardise<br />
de l'exécution souligne l'absurdité de<br />
l'ambition. Reste ce bel exemple de télescopage<br />
radical entre le cinéma d'avanthier<br />
et le rêve d'un musical à la française.<br />
De gauche à droite<br />
et de haut en bas :<br />
Nino Costantini,<br />
René Ferté,<br />
Monique Rolland,<br />
Wanda Warrel.<br />
Pierre Billard<br />
COMTESSE HACHISCH<br />
Circa J 935<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1657 m., 61 mn. Noir<br />
et blanc.<br />
Le capitaine Mario, dit Droit devant, est<br />
un vieux loup de mer, bourlingueur de première,<br />
contrebandier professionnel. Il est très<br />
occupé à éviter les gar<strong>des</strong>-côtes et à mater la<br />
révolte d'un équipage cosmopolite. Mais c'est<br />
un péril bien plus grand qui l'attend dans le<br />
port de Nice : une femme, demi-mondaine, la<br />
comtesse Hachisch, flanquée de son acolyte,<br />
Drug. Tous deux projettent d'utiliser la goélette<br />
de Mario afin de transporter de la drogue.<br />
Pour convaincre le farouche capitaine, la comtesse<br />
déploie ses charmes vénéneux et au moment<br />
propice lui fait fumer une cigarette de<br />
marijuana aux effets stupéfiants. Intermède :<br />
petit aperçu « documentaire » sur les louches<br />
trafics dans les milieux mondains. Un marché<br />
est finalement conclu avec le fier Mario.<br />
<strong>La</strong> goélette repart vers la Grèce. Mais pendant<br />
la traversée, une embarcation s'approche :<br />
c'est la comtesse. Elle est en fuite, les autres<br />
coffrés par les douaniers. On (?) les a dénoncés.<br />
Un navire de guerre qui passait par Va<br />
coule le bateau et le corps de Mario finit à<br />
l'eau.<br />
« Hachisch : Ne pas<br />
confondre avec " hachis " qui<br />
se fait avec de la viande, et qui<br />
ne provoque aucune extase<br />
voluptueuse ».<br />
Gustave Flaubert,<br />
Dictionnaire <strong>des</strong> idées reçues.<br />
LE BATEAU IVRE<br />
De ce film on ne sait rien, et il n'a sans<br />
doute jamais été exploité, le titre même<br />
provenant de celui qui était indiqué sur<br />
les boîtes, corroboré par le dialogue, bien<br />
que sur un clap oublié au début d'un plan<br />
on puisse lire : Algéria. Il est possible de<br />
supposer qu'il est l'œuvre d'un Ed Wood<br />
français, avec la même sensation de bricolage<br />
désespéré dans la facture, et de<br />
sottise abyssale dans les contenus. Une<br />
mode récente, trace de cette déformation<br />
particulière à la cinéphilie, érige périodiquement<br />
d'absur<strong>des</strong> réévaluations en tonitruantes<br />
découvertes : Ed Wood est<br />
donc passé pour une sorte de cinéaste<br />
maudit. Il est sans doute heureux que la<br />
Comtesse Hachisch n'ait pas de réalisateur<br />
connu, pour ne pas élargir la notoriété de<br />
ce film au-delà du cercle étroit <strong>des</strong> cinémathécaires.<br />
En ce sens, ce film est en-deça de l'évaluation.<br />
Seul le chef opérateur, profitant<br />
d'extérieurs lumineux sur la Côte d'Azur,<br />
paraît savoir faire le point. L'histoire se<br />
résume en quelques lignes, et une désinvolture<br />
narrative qui ne doit rien au dandysme,<br />
confère aux signaux de l'action<br />
une allure de morse effondré, à laquelle<br />
la lenteur prédicative de la diction ajoute<br />
un effet tétanisant - la prédication s'adressant<br />
d'abord à l'acteur lui-même, qui paraît<br />
ainsi devoir se convaincre du sens<br />
pourtant très simple de ses répliques.<br />
Parfois même, une posture s'arrache à<br />
l'action, et devient absurdément le fanal<br />
pétrifié d'un jeu frappé de coma : l'Annamite,<br />
pendant la révolte de la goélette,<br />
tient une hachette à la main, mais reste<br />
immobile, comme si l'usage de cet appendice<br />
lui était inconnu. Suivant la comtesse,<br />
deux douaniers montent un escalier,<br />
puis marchent le long d'un mur plaqués,<br />
en s'aidant de leur main, comme s'il<br />
pouvaient ainsi dissimuler leur présence<br />
: ce comportement, qui est un cliché gestuel<br />
de pleine nuit, devient, filmé comme<br />
il l'est en pleine lumière, une irrésistible<br />
aberration. Le capitaine Mario, alias Droit<br />
103<br />
devant, tassé sur lui-même dans son ciré,<br />
massif fœtus imperméabilisé, prend en<br />
pleine figure une vague : c'est quelqu'un<br />
hors champ, dont l'ombre se projette<br />
dans le plan, et qui lance un seau d'eau<br />
alors que la mer est absolument plate.<br />
Depuis Flaubert, on sait qu'à un certain<br />
degré la bêtise devient fascinante. Ici,<br />
la constance de ce registre qui outrepasse<br />
le prévisible, donne aux objets une espèce<br />
de grandeur sobre, d'impassibilité supérieure,<br />
de netteté d'action inconnue ailleurs<br />
: la Peugeot entrant dans un plan<br />
avec son brillant d'épure métallique,<br />
alors que, quand le commandant Mario<br />
réfléchit, il est la proie d'un effort démesuré,<br />
d'une constipation mentale sans résolution<br />
possible où s'enfonce un authentique<br />
désespoir que la moindre pensée<br />
soit à ce point inaccessible.<br />
L'honnêteté oblige à dire qu'une intention<br />
apparaît dans le film, d'avertir sur<br />
les dangers du hachisch, dont l'usage habituel<br />
conduirait à la folie, comme essayent<br />
de le montrer ces <strong>images</strong> de délire,<br />
après la fumette de Mario. Je crains cependant<br />
que cette intention n'ait pas été<br />
confrontée avec l'usage simple de ce stupéfiant<br />
: la lenteur de certains plans interminables,<br />
comme celui de la goélette<br />
sortant du port, font plutôt penser à une<br />
ingestion d'opium. Parfois, le film figure<br />
une sorte de pittoresque décomposé,<br />
l'homme maniéré que le capitaine envoie<br />
promener, le chapeau de paille de la comtesse,<br />
ou le Noir, le Nord-Africain et l'Annamite<br />
montrés avec un primitivisme<br />
folklorique gênant. Dans ce naufrage, ce<br />
sont les seules vélléités stylistiques détectables.<br />
Accomplies, elles assureraient<br />
le classement du film dans une triste tradition<br />
française. L'intérêt paradoxal<br />
vient ici du ratage de ce qui ne mériterait<br />
pas d'être réussi : dans cet écart, surgit<br />
parfois un comique puissant, au-delà de<br />
tous les critères en usage.<br />
Philippe Arnaud
UNE PARTIE DE CAMPAGNE.<br />
1936-Jean Renoir<br />
UNE PARTIE DE CAMPAGNE<br />
ESSAIS ACTEURS<br />
1936-1994-Jean Renoir<br />
Réal. : ]ean Renoir. Mont. : Claudine Kaufmann.<br />
Mus. : loseph Kosma.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 413 m., 15 mn. Noir et<br />
blanc.<br />
Essais d'acteurs en prévision du tournage<br />
du film Une partie de campagne. Le 25 juin<br />
1936, passent devant la caméra : Georges<br />
Darnoux, Sylvia Bataille, les deux ensemble,<br />
puis elle seule, Jane Marken, André Gabriello,<br />
Paul Temps, Sylvia Bataille encore et encore,<br />
Jean Renoir, Bataille et Darnoux, Sylvia Bataille<br />
toujours, Darnoux enfin. Les Essais<br />
continuent et s'achèvent par un montage <strong>des</strong><br />
différentes prises (datées du 17 juillet 1936)<br />
de la scène du baiser dans Une partie de<br />
campagne.<br />
UN TOURNAGE À LA CAMPAGNE<br />
(27 juin 1936-15 août 1936)<br />
1936-1994-Jean Renoir<br />
Réal. : Jean Renoir. Mont. : Alain Fleischer.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2435 m., 89 mn. Noir<br />
et blanc.<br />
À la demande de Pierre Braunberger, le<br />
producteur du film, Marguerite Houllé a<br />
monté Une partie de campagne, tourné en<br />
1936 et sorti le 8 mai 1946. Un tournage à<br />
la campagne est un choix effectué dans le<br />
matériel tourné mais non utilisé pour le film<br />
(chutes, doubles, prises inédites).<br />
RENOIR, TOUT SIMPLEMENT<br />
Très logiquement, comme tout cinéaste,<br />
Renoir dans les Essais fait tourner<br />
les acteurs, de gauche à droite puis de<br />
droite à gauche : cette séance d'anthropométrie<br />
sert à révéler les meilleurs<br />
angles du visage de l'acteur et sa manière<br />
de recevoir, de capter la lumière. Pourtant,<br />
il les remet aussi au contact du<br />
monde, les y immerge, les y fait réagir, et<br />
cherche à intégrer la lumière naturelle à<br />
celle du film. Le visage de Sylvia Bataille<br />
en particulier est traité sur fond plutôt<br />
sombre, pour qu'il réfléchisse mieux la<br />
lumière, devienne source lumineuse. Renoir<br />
laisse de l'air autour de ses acteurs,<br />
et les contre-plongées, position de caméra<br />
qu'il affectionne chaque fois qu'il<br />
veut transcender, idéaliser ses personnages<br />
ou manifester leur aspiration à la<br />
sublimation, accentuent cet effet. Ce qu'il<br />
cherche à filmer, c'est non la personne en<br />
mouvement, le comédien, mais ce qu'il y<br />
a derrière, devant, en lui et hors de lui. Il<br />
vise à saisir la vie de la vie. Et c'est visible<br />
dans ces essais, qui apparemment ne sont<br />
que <strong>des</strong> essais de contrôle.<br />
Avec Un tournage à la campagne, se vérifie<br />
que le film achevé commence à l'arrivée<br />
à la campagne, et non par le voyage<br />
depuis Paris, début de la nouvelle de<br />
Maupassant. Des plans tournés qui respectaient<br />
la nouvelle de l'écrivain sont<br />
ainsi abandonnés, certains un peu plats,<br />
la charrette, l'homme sur le vélocipède,<br />
les enfants avec les animaux sauvages.<br />
Décision de Renoir, alors aux Etats-Unis,<br />
ou de la monteuse ? Cet abandon donne<br />
judicieusement, dès le début actuel du<br />
film, l'allure d'un théâtre ambulant. <strong>La</strong><br />
charrette déverse ses comédiens ringards<br />
sur une autre scène, dans un décor qui<br />
n'est pas le leur, où l'on peut improviser<br />
librement. Le génie de Renoir est de<br />
construire <strong>des</strong> plans où les lignes ne sont<br />
jamais frontales - tout un jeu d'obliques<br />
qui ne figent jamais, serpentines ou sinusoïdales<br />
- et de faire que jamais un cadre<br />
ne soit fini, qu'il conserve une part d'in-<br />
105<br />
achevé, une capacité de surgissement,<br />
d'entrées et de sorties par la caméra, le<br />
fond, la droite, la gauche. Tout fait surprise,<br />
même un goulot de bouteille qui<br />
surgit au premier plan, à l'occasion d'un<br />
contrechamp. Le cadre sert non pas à piéger<br />
le monde mais à le capturer en flagrant<br />
délit de surprise. C'est le « comme<br />
si » de Renoir, comme si la caméra n'était<br />
pas là, comme si il n'y avait pas de travail,<br />
en quoi consiste précisément tout<br />
son travail. Les acteurs y trouvent leur liberté,<br />
à travers le filmage d'une espèce de<br />
vibration ou, pour utiliser une expression<br />
de Renoir, d'« air du temps », sensation<br />
qu'il est le seul cinéaste à procurer. Attentif<br />
dans la direction d'acteurs, il ne<br />
laisse pas passer une seule faute, mais ce<br />
qui lui importe, c'est d'obtenir ce ton faux<br />
d'artifice théâtral qui, mêlé à un dialogue<br />
direct, sonne comme la vérité. S'il est vrai<br />
qu'on ne filme qu'une idée et plus généralement<br />
la pensée, Renoir fonde son cinéma<br />
sur la formule skakespearienne.<br />
Nous sommes dans le monde comme s'il<br />
était une scène, en train d'y jouer un rôle<br />
qui est quelquefois, mais rarement, notre<br />
rôle. Improvisation apparente, spontanéité<br />
apparente, vérité apparente : telle<br />
est la vie, où toute vérité est vraie à un<br />
instant, et mensonge à l'autre ; elle est<br />
comme l'eau qui court ou la pluie qui<br />
tombe.<br />
Le personnage d'Henriette détient<br />
une vérité de l'être, que les autres n'ont<br />
plus. A la différence de la nouvelle de<br />
Maupassant, tous les autres personnages<br />
sont plus ou moins dans l'« avoir », elle<br />
est simplement dans l'« être », elle aura<br />
la révélation de la plénitude de l'être.<br />
Mais c'est ce qui la perdra, car elle est la<br />
plus innocente, et ne pouvant jamais<br />
« avoir », elle sera totalement « eue ».<br />
D'où une invention permanente pour<br />
donner un sentiment de faux laisser-aller.<br />
Pour être parti de Feydeau, de Flaubert,<br />
puis de Maupassant, Renoir est très intéressé<br />
alors à travailler la bêtise, les idées<br />
reçues, le sottisier. Le personnage d'Anatole,<br />
et le couple qu'il forme avec M. Du-
106 - FRANCE<br />
four, inspiré de <strong>La</strong>urel et Hardy, est caricatural,<br />
car il est à l'opposé d'Henriette :<br />
c'est l'absolue insensibilité contre la pure<br />
sensibilité. <strong>La</strong> grossièreté, le manque<br />
d'imagination est ce qui attend Henriette<br />
: la vie terne, petite-bourgeoise du<br />
XIX e siècle, pour cette jeune femme qui,<br />
« bien habillée est une princesse ». Cette<br />
princesse va être cantonnée, remise, réduite<br />
à la boutique.<br />
Chez Renoir, les gradations entre le<br />
jeu <strong>des</strong> comédiens est capital. Il y a le jeu<br />
profond, et le jeu accentué, extériorisé,<br />
extrait de l'acteur. C'est particulièrement<br />
perceptible entre Brunius (Rodolphe) et<br />
Darnoux (Henri). Brunius, en tant que<br />
pur jouisseur, est lui aussi caricatural,<br />
mais en fait plus vrai que son compagnon.<br />
Lui au moins ne ment pas sur son<br />
désir. Il est plus sincère et plus honnête<br />
que le personnage d'Henri qui, à la fin du<br />
film, avec ses cheveux gominés, ses yeux<br />
de « merlan frit » ne sait que regretter. Renoir<br />
est sur lui d'une terrible méchanceté.<br />
Ce personnage comprend qu'il vaut<br />
mieux ne pas comprendre et se réfugier<br />
dans un sentimentalisme facile, béat et<br />
petit-bourgeois. Les canotiers impressionnistes<br />
seront donc regardés sous<br />
l'angle sociologique, car Renoir à l'époque<br />
est très attentif aux rapports <strong>des</strong><br />
classes sociales. Ces gens d'une relative<br />
aisance vont - voyez comme ils détestent<br />
le débarquement <strong>des</strong> parisiens - jusqu'à<br />
s'approprier le monde, les arbres, les animaux,<br />
le ciel, sans y prêter la moindre attention<br />
(ce qui n'est pas chez Maupassant).<br />
Chez Renoir, le rapport à la nature qui<br />
semble si important dans ce film, renvoie<br />
toujours — il l'a de multiples fois dit, redit<br />
et écrit - à la notion de culture. Il s'agit ici<br />
de la culture impressionniste, c'est-à-dire<br />
de la société bourgeoise au début de la IIP<br />
République qui veut profiter de son acquis<br />
et de son aisance (les canotiers). Mais<br />
elle demeure attachée à ses valeurs de<br />
base : le travail, la famille, l'épargne, la<br />
privation (les Dufour). <strong>La</strong> nature devient<br />
le lieu de l'aspiration à l'idée du bonheur.<br />
<strong>La</strong> morale bourgeoise n'y résiste pas, corset<br />
que l'on désire délacer.<br />
Car dans son souci de réalisme, Renoir<br />
refuse la hiérarchie que le christianisme,<br />
et même auparavant Aristote ou<br />
la virtu romaine, ont fixé. Ce classement<br />
exige que domine le sentiment, que se<br />
manifeste à un degré moindre la sensibilité,<br />
que soit contrôlée l'émotion et surtout<br />
ravalée au plus bas la sensation afin<br />
d'occulter la sexualité. Renoir, à l'inverse,<br />
revient à la conception matérialiste<br />
grecque, au précepte épicurien : base,<br />
chez lui, de toute affectivité, le sexe. Il<br />
donne existence, épanouit l'être, lui procure<br />
sa plénitude.<br />
D'où la scène magnifique dans Une<br />
partie de campagne quand Henriette<br />
s'abandonne après avoir résisté à son<br />
amant et se découvre (le regard et l'oiseau)<br />
en symbiose avec l'univers : dans<br />
une communion cosmique. Pendant un<br />
instant nous ressentons que passe et déferle<br />
en elle la gamme entière de l'affectivité.<br />
Jamais dans toute l'histoire du cinéma,<br />
l'amour, le phénomène physique<br />
de l'amour et son idéalisation sentimentalisante,<br />
n'a été filmé avec autant de<br />
force, de simplicité, d'évidence. L'être est<br />
remué. Et l'on est bouleversé. Car la<br />
contradiction entre vie et existence se manifeste<br />
entièrement ici. C'est un grand<br />
mouvement rythmique, respiratoire, entre<br />
ordre et désordre. L'ordre, l'univers<br />
existant, empêche de vivre ; le désordre<br />
dyonisiaque est la pulsion profonde qui<br />
pousse irrésistiblement à vivre.<br />
Le drame d'Henriette est d'être trop<br />
spectatrice, trop obéissante à l'ordre du<br />
monde, et de ne pouvoir y devenir actrice.<br />
En ce sens, Une partie de campagne<br />
est un grand film sur le spectateur, qui<br />
cherche à éprouver intensément, violemment,<br />
<strong>des</strong> émotions fortes qui l'entraînent<br />
à subir plus qu'à agir. <strong>La</strong> scène<br />
d'amour reprend l'oiseau à The Wedding<br />
March (la Symphonie nuptiale), jusqu'à la<br />
position d'Henriette qui retrouve celle de<br />
ZaSu Pitts. Mais là où Stroheim a pour<br />
matière l'idéalisation et la désillusion de<br />
l'amour, chez Renoir le rapport sexuel et<br />
amoureux est obligé de passer par la<br />
contemplation du monde. Cette idée est<br />
déjà chez Maupassant, qui met pourtant<br />
l'accent sur le chant de l'oiseau, alors que<br />
pour Renoir c'est la vision. Dans les Essais<br />
(bien que ces plans proviennent <strong>des</strong><br />
rushes), ce qu'il veut obtenir avec ces gros<br />
plans de baisers est très visible. Ils pourraient<br />
être à la limite de l'obscène et sont<br />
pourtant magnifiques. Il cherche comment<br />
cadrer, très serré pour que crâne et<br />
menton disparaissent hors cadre. L'essentiel<br />
- il y a une dizaine d'essais de<br />
grosseurs différentes - est d'attraper l'œil<br />
d'Henriette, dans le coin en haut et à<br />
gauche de l'écran, pour mieux donner le<br />
sentiment de perdition et d'intensité<br />
grave. Ce qui est important est que la caméra<br />
voit l'œil qui regarde vers l'extérieur,<br />
alors que tout est ressenti de l'intérieur.<br />
Un plan pour Renoir, à la différence<br />
de tous les autres cinéastes, n'est pas un<br />
lieu de passage obligatoire, aboutissement<br />
de ce qui a eu lieu et qui, au sens<br />
narratif, permet de continuer. C'est le<br />
moment qui importe. Le temps n'est plus<br />
tout à fait de l'espace, c'est l'air de ce moment,l'«<br />
airdutemps ». Un plan n'est pas<br />
non plus image : de ce point de vue, Renoir<br />
revient involontairement à l'origine<br />
du cinéma, avec le cadre-tableau. L'élément<br />
capital de sa mise en scène, c'est la<br />
fenêtre, et en son absence, c'est par<br />
exemple le paysage qui est pris dans un<br />
cadre-tableau, mais pas dans un sens pictural.<br />
Renoir revient à la « vue » de Lumière,<br />
qui n'a pas besoin d'avant et<br />
d'après, qui vit toute seule. L'enchaînement<br />
<strong>des</strong> prises dans Un tournage à la campagne<br />
le fait apparaître : les plans se succèdent<br />
et la narration se fait, mais chaque<br />
plan a sa vie propre. Par exemple ce plan<br />
d'arrivée de la charrette de foin, qui n'est<br />
plus dans le film terminé car il était sans<br />
utilité narrative, était un moment pour<br />
faire sentir l'été, la fenaison, le travail ;<br />
comme les curés qui passent, ou les enfants<br />
qui regardent par <strong>des</strong>sus le mur.<br />
En ce sens Renoir est le cinéaste le plus<br />
Lumière de cette époque. C'est pourquoi<br />
sans doute, dans le film d'Éric Rohmer<br />
avec <strong>La</strong>nglois sur Lumière, Renoir n'a<br />
rien à dire : c'est au fond trop proche de<br />
lui. <strong>La</strong> notion de plan appartient à Fritz<br />
<strong>La</strong>ng ; Renoir se contente de la vue. Une<br />
vue construite, d'où tout peut surgir, et<br />
qu'il est le seul à avoir travaillé de cette<br />
manière. Quelques films plus académiques<br />
comme Madame Bovary ou les Basfonds<br />
jouent plus le cadre fixe, donc le<br />
plan, et Renoir s'y révèle moins à l'aise.<br />
Chez lui, il faut que ça bascule tout le<br />
temps, comme on bouscule les filles,<br />
comme dans les plans de balançoires.<br />
<strong>La</strong> beauté chez Renoir est le contraire<br />
de celle d'Hollywood. C'est l'ordinaire,<br />
au sein duquel se découvre la véritable<br />
beauté : Sylvia Bataille a <strong>des</strong> traits qui<br />
pourraient être quelconque, mais un je ne<br />
sais quoi anime le tout, sourire qui brille,<br />
sourire dans le regard, lèvre qui se relève<br />
légèrement, manifestant la sensibilité où<br />
la comédienne est comme une pellicule.<br />
Beaucoup de cinéastes, à commencer par<br />
Bresson, ont voulu filmer de l'âme. Renoir<br />
ne la filme pas, il filme de l'être. Il<br />
prend ses acteurs au plus plat, et aucune<br />
femme n'est une très belle femme. Gabin<br />
lui-même est pris pour son côté ordinaire,<br />
sa grandeur vient de l'intérieur. Son<br />
choix d'acteurs a pour critère la capacité<br />
à manifester la vie. Il extrait d'eux une espèce<br />
de théâtre personnel comme, chez<br />
Sylvia Bataille, son ingénuité séduisante,<br />
apte à attirer les hommes, parfaitement<br />
troublante et violemment érotique. L'érotisme<br />
subtil, d'une perversité savante,<br />
d'Une partie de campagne vient de ce travail<br />
sur la fausse ingénue qu'est Sylvia<br />
Bataille, par rapport à la vraie innocente<br />
qu'est Henriette. Mais celle-ci est responsable<br />
de la sensualité qu'elle émet<br />
sans le savoir. C'est pourquoi la scène<br />
érotique a une telle intensité : Renoir est<br />
un tactile. Tout chez lui passe par la sensualité,<br />
l'épiderme, l'étoffe, un mouvement<br />
de cou, un relevé de tête. Tous les<br />
êtres sont d'abord préhensibles. Les personnages<br />
de boutiquiers ne sont pas trai-<br />
tés comme l'aurait fait un René Clair, ridicules<br />
d'emblée, avaricieux, mesquins,<br />
etc.. Mais Renoir fait du père et de la<br />
mère, pourtant étriqués, <strong>des</strong> personnages<br />
qui eux aussi aspirent à la jouissance, qui<br />
ne respectent les règles sociales que pour<br />
la convention, pour qui la morale est celle<br />
du plaisir. M. et Mme Dufour ne manquent<br />
pas de beauté et après Henriette,<br />
ils sont les personnages sympathiques,<br />
UNE PARTIE DE CAMPAGNE - 107<br />
bien avant Rodolphe et Henri. Ridicule et<br />
odieux, incapable de vivre et même<br />
d'exister, Anatole ne mérite qu'un rire<br />
vengeur. Reste la pauvre grand-mère,<br />
personnage exclu du jeu et de la scène.<br />
Renoir oblige ses personnages à vivre, à<br />
exister par rapport aux conventions sociales,<br />
donc en dehors <strong>des</strong> conventions<br />
dramaturgiques.<br />
Jean Douchet<br />
Un tournage<br />
à la campagne,<br />
Jean Renoir,<br />
Alain Renon.
108-FRANCE<br />
RAMUNTCHO<br />
1938 - René Barbéris<br />
Réal. : René Barbéris. Prod. : Réalisations d'art<br />
cinématographique (RAC). Dir. de prod. : Pierre<br />
Chichério, Raymond Blondy. Auteur : Pierre Loti,<br />
d'après son roman homonyme. Adapt. : Emile Allard,<br />
René Barbéris. Asst. réal. : Chahine. Dir. ph. : Nicolas<br />
Toporkoff. Seconds opérateurs : Daniel Chacun,<br />
Alekan. Ai<strong>des</strong> opérateurs : Pierre Montazel, Martin.<br />
Son : Michel Picot. Déc. : Eugène Lourié.<br />
Asst. déc. : Natek. Cost. : Josette <strong>La</strong>urier.<br />
Mont. : HenriTaverna. Asst. mont. : Kavel.<br />
Mus. : Marceau Van-Hoorebèke (éditions Lucien<br />
Viard). Chants interprétés par Euskadi'Ko Abesbatza.<br />
Chœur Basque d'Eresoinka. Régie générale : P.<br />
Blondy. Régie de plateau : Alex <strong>La</strong>urier.<br />
Régie d'extérieurs : Fontenelle. Script : Paule Boutaut.<br />
Accessoiriste : Léo Frémédy. Tirage CM. Film.<br />
Intérieurs tournés aux Studios de la Seine.<br />
Enregistrement sonore. Système SIS. Procédés<br />
Charollais-Picot. Int. : Françoise Rosay (Dolores<br />
Detcharry), Madeleine Ozeray (Gracieuse), Louis<br />
Jouvet (Itchoua), Line Noro (Franchita), RenéGénin (le<br />
curé), Odile Rameau (Pantchika), Jean Brochard<br />
(Boulinguet), Paul Cambo (Ramuntcho Etchezar),<br />
Raymone, Gabrielle Fontan (Pilar), Blanche Denège,<br />
Suzanne Nivette, Jean Heuzé, Poussard, Tony Murcie<br />
(Marcos), Georges Saillard, Nino Costantini (le<br />
brigadier), jear? Témerson (Salaberry), jacques Erwin<br />
(Arrotchkoa), Allamon (Florentino). Date de sortie : 2<br />
mars 1938. Métrage, minutage copie Cf. : 2506 m.,<br />
92 mn. Noir et blanc.<br />
Après une longue absence, Franchita revient<br />
au Pays basque avec un enfant naturel :<br />
Ramuntcho. Les années passent, le petit garçon<br />
est devenu un beau jeune homme. Champion<br />
à la pelote le jour, contrebandier la nuit<br />
sous les ordres du fier Itchoua, il aime Gracieuse<br />
qui le lui rend bien. Mais Dolores, la<br />
mère de la jeune fille, refuse catégoriquement<br />
de la marier à ce « bâtard » et voit davantage<br />
le chef <strong>des</strong> douaniers dans le rôle du gendre.<br />
Celui-ci, repoussé par Gracieuse, comprend<br />
que Ramuntcho est un gêneur. Un soir, il organise<br />
une opération d'envergure contre les<br />
contrebandiers, tire sur son rival et manque<br />
de le tuer. Le lendemain, la tension n'est pas<br />
retombée ; sur les conseils d'Itchoua, le jeune<br />
homme devance l'appel pour échapper à la justice<br />
et part en Indochine. Une fois seule, face<br />
à sa mère qui l'a promise au brigadier, il ne<br />
reste à Gracieuse que le couvent pour ne pas<br />
faillir à son serment de fidélité. De Saigon, le<br />
caporal Ramuntcho écrit <strong>des</strong> lettres et <strong>des</strong><br />
lettres, mais toutes sont bloquées par les religieuses<br />
sur ordre de Dolores. Après <strong>des</strong> mois<br />
de fièvre, Ramuntcho revient pour trouver sa<br />
mère mourante et délirante. Itchoua l'informe<br />
que son ennemi a été muté et que son amour<br />
a pris le voile. Qu'importe, il veut la revoir,<br />
serait-ce la dernière fois. Au couvent, tout<br />
semble perdu ; Gracieuse est devenue sœur<br />
Marie-Angélique. Mais après la rencontre,<br />
elle s'évanouit. Alors, la Mère supérieure, devant<br />
tant de souffrance, la délie de ses voeux<br />
et la rend au monde et à Ramuntcho.<br />
MARÉCHAL, NOUS VOILÀ !<br />
Nous sommes bien au Pays basque,<br />
bérets et espadrilles garantis, mais à revoir<br />
aujourd'hui Ramuntcho on se demande<br />
si le film date de 1938 ou de 1942.<br />
Avec quatre ans d'avance, toute la province<br />
maréchaliste s'anime déjà. René<br />
Barbéris a multiplié les clichés folkloriques,<br />
les a photographiés amoureusement,<br />
les a échantillonnés de la chistera<br />
à la contrebande, enrobant l'une comme<br />
l'autre de chœurs et de danses. Sans oublier<br />
monsieur le Curé qui va se multi-<br />
plier sur les écrans de l'Occupation, ruisselant<br />
de bonhomie et distribuant finement<br />
ses bénédictions. René Génin, acteur<br />
de composition rompu à toutes les<br />
gymnastiques, revêt avec la soutane les<br />
conventions de son rôle, y compris celle<br />
d'amateur de pelote (basque).<br />
Hormis la fin heureuse, plaquée à la<br />
va-vite sur les dernières <strong>images</strong>, le récit ne<br />
ménage guère de surprises. Le roman de<br />
Loti ne compte pas parmi ses meilleurs.<br />
L'intrigue fluette chemine à la faveur <strong>des</strong><br />
contre-jours, <strong>des</strong> couchers de soleil, <strong>des</strong><br />
rayons de lune. Elle s'astreint à la politique<br />
<strong>des</strong> compensations. Le chef <strong>des</strong> douaniers<br />
est antipathique mais son adjoint est un<br />
gabelou bon enfant. <strong>La</strong> mère de Gracieuse<br />
est une teigne, celle de Ramuntcho un<br />
ange. Les gars du pays - tous contrebandiers<br />
- étalent leur solidarité, leur camaraderie,<br />
leur attachement au terroir et si<br />
l'on chante beaucoup, on pleure aussi.<br />
Mais ce ne sont pas encore ces larmes de<br />
contrition qui couleront abondamment au<br />
temps du Maréchal, seulement <strong>des</strong> sanglots<br />
de désespoir que provoquent la consomption<br />
et l'effroi de la mort.<br />
Un <strong>des</strong> personnages réfléchissant aux<br />
embûches qui accablent les amoureux<br />
décrète que « si la contrebande est une<br />
chose, le couvent en est une autre ». Forte<br />
parole. C'est pourtant la Mère supérieure<br />
si melliflue dans ses propos qui libérera<br />
Gracieuse. Le livre et la pièce de théâtre<br />
offraient une conclusion plus cruelle<br />
mais fidèle à la mélancolie de l'écrivain.<br />
Cette Gracieuse qui devient sœur<br />
Marie-Angélique est, en dépit de son obstination,<br />
le parangon de toutes les vertus.<br />
Madeleine Ozeray est supportable dans<br />
ce personnage diaphane, ce qui est méritoire.<br />
Paul Cambo, béret conquérant, sourire<br />
éclatant, affiche la beauté de la race.<br />
Françoise Rosay parle plus que pointu.<br />
Line Noro a le mouchoir pathétique et<br />
Jouvet émet discrètement quelques lieux<br />
communs et s'amuse in petto à <strong>des</strong>siner à<br />
gros traits un contrebandier retors dans<br />
un décor d'opéra-comique.<br />
Raymond Chirat<br />
LETTRES D'AMOUR<br />
1942-Claude Autant-<strong>La</strong>ra<br />
Réal. : Claude Autant-<strong>La</strong>ra. Prod. : Synops (Roland<br />
Tuai). Dir. de prod. : Dominique Drouin.<br />
Auteur : Henry Aurenche, d'après sa nouvelle.<br />
Adapt. : Maurice Blondeau. Se. : Jean Aurenche.<br />
Dial. : Jean Aurenche. Asst. réal. : Ghislaine Auboin,<br />
Frédéric Liotier. Dir. ph. : Philippe Agostini.<br />
Son : René Louge. Déc. : Robert Dumesnil, d'après<br />
<strong>des</strong> maquettes de Jacques Krauss. Cost. : Christian<br />
Dior. Mont. : Yvonne Martin. Mus. : Maurice Yvain.<br />
Photographies : Rémy Duval. Tourné aux studios<br />
Radio-<strong>Ciné</strong>ma. Enregistrement sonore Radio-<strong>Ciné</strong>ma<br />
(système Cottet). Licence Tobis-Klangfilm.<br />
Int. : Odette Joyeux (Zélie Fontaine), François Périer<br />
(François du Portai), julien Carette (Loriquet, le maître<br />
à danser), André Alerme (le marquis de Longevialle),<br />
Jean Debucourt-Sociétaire de la Comédie-Française<br />
(Napoléon III), Jean Parédès (Désiré Ledru), Robert<br />
Vattier (Maître Bourbousson), Louis Salou (M. de<br />
Mortemort), Jacqueline Champi (Marinette), Ariane<br />
Muratore (Charlotte), Huguette Donga, Gilles Quéant<br />
(le fou de la danse), Yves Deniaud (le maire), Georges<br />
Pally (Daronne), lean-Pierre Kérien (le postillon),<br />
Martial Rèbe (le président), Robert Arnoux (M. de la<br />
Jacquerie), Simone Renant (Hortense de la Jacquerie),<br />
Germaine Stainval, Henri de Livry, Henri Farty,<br />
Eugène Yvernès, Géo Forster. Date de sortie : 23<br />
décembre 1942. Métrage, minutage copie Cf. : 2506<br />
m., 92 mn. Noir et blanc.<br />
1855. Napoléon III est de passage dans la<br />
petite ville d'Argenson, déchirée par une lutte<br />
intestine entre la Société (les aristos) et la<br />
Boutique. Zélie Fontaine, jolie veuve et maîtresse<br />
<strong>des</strong> postes impériales, use de son charmant<br />
minois pour que l'empereur fasse nommer<br />
l'avocat Ledru au poste de substitut de la<br />
région. C'est que le marquis de Longevialle<br />
intente un procès à la vertu de la veuve. En<br />
effet, Zélie a accepté de recevoir à son nom, et<br />
jusque-là en secret, les jolies lettres d'amour<br />
que « le Hérisson », en fait François du Portai,<br />
employé au ministère de la justice, envoie<br />
depuis un an à Hortense, la femme du préfet<br />
d'Argenson et membre de la Société. Or, c'est<br />
François qui obtient le poste de substitut et<br />
débarque au grand émoi de sa dame de cœur<br />
qui rompt sur le champ par peur du scandale.<br />
François, appartenant pourtant à la Société,<br />
prend fait et cause pour Zélie au cours du procès.<br />
Ils sympathisent et lui se dit en secret que<br />
les lettres étaient finalement bien adressées.<br />
Un bal se prépare et le marquis engage un<br />
maître à danser pour qu'il apprenne à la seule<br />
Société le « quadrille <strong>des</strong> lanciers ». <strong>La</strong> Boutique<br />
fera tapisserie et ce sera bienfait ! Zélie,<br />
découvrant l'affaire, oblige l'infortuné professeur<br />
à enseigner toute une nuit les bons pas<br />
à ses amis et le soir du bal, c'est la Société qui<br />
est bien marrie. Mais Zélie apprend aussi, par<br />
une indiscrétion perfide d'Hortense, que<br />
François est le Hérisson. Furieuse d'abord,<br />
elle le sauve ensuite d'un dernier piège du<br />
marquis et, enfin, danse avec lui.<br />
LA GUÉGUERRE DES MONDES<br />
Situé entre le Mariage de Chiffon et<br />
Douce, Lettres d'amour se rattache au<br />
même style désuet et précieux mis à la<br />
mode sous l'Occupation par Autant-<br />
<strong>La</strong>ra. Pas un flon-flon, pas une dentelle,<br />
pas une lampe avec abat-jour ne font défaut.<br />
Mais, contrairement aux œuvres qui<br />
l'encadrent, Lettres d'amour ne fut pas un<br />
grand succès ou du moins disparut très<br />
vite au point de devenir un film rare, dif-<br />
109<br />
ficile à voir, comme oublié dans la filmographie<br />
d'Autant-<strong>La</strong>ra.<br />
Peut-être est-ce parce que, avant<br />
Douce et plus que Douce, il s'agit d'une<br />
œuvre sinon au vitriol du moins où, dans<br />
le genre doux-amer, l'amertume sociale<br />
l'emporte sur la douceur d'une réconciliation<br />
finale <strong>des</strong> classes par le mariage.<br />
En apparence, un film dont l'intrigue<br />
se situe loin dans le temps. Le Second Empire<br />
évoque <strong>des</strong> bals où <strong>des</strong> dames en crinolines<br />
se laissent entraîner dans <strong>des</strong><br />
quadrilles endiablés par <strong>des</strong> messieurs<br />
moustachus et barbichus. L'ordre moral<br />
règne : Flaubert et Baudelaire sont condamnés.<br />
Ici nous sommes à Argenson,<br />
une préfecture très convenable. Mais la<br />
façade de moralité dissimule bien <strong>des</strong><br />
perversions et l'adultère succède vite au<br />
marivaudage. Madame la préfète, Hortense<br />
de la Jacquerie, a un amant, François<br />
du Portai qui lui adresse de Paris, via<br />
la maîtresse de poste, mademoiselle Zélie<br />
Fontaine (elle sera bientôt ruinée par le<br />
chemin de fer), <strong>des</strong> lettres brûlantes. Un<br />
préfet trompé, même s'il s'agit d'un préfet<br />
de Napoléon III, c'est déjà beaucoup<br />
en 1942 !<br />
Mais le film va plus loin. Il oppose « la<br />
Boutique », le monde du commerce, à « la<br />
Société », le clan aristocratique, celui qui<br />
ne travaille pas. L'opposition sociale<br />
entre ces deux mon<strong>des</strong> est féroce, soulignée<br />
par un dialogue incisif de Jean Aurenche.<br />
Une classe montante parce que<br />
sérieuse et travailleuse, la bourgeoisie de<br />
province, face à une autre classe dont l'oisiveté<br />
et la futilité précipitent la ruine, la<br />
noblesse. <strong>La</strong> méchanceté d'Aurenche fait<br />
merveille, mettant en lumière les tares,<br />
les préjugés et le conformisme <strong>des</strong> notables<br />
de province. Le trait est souvent<br />
cruel.<br />
Comment le parallèle entre le Second<br />
Empire et Vichy, qui fut lui aussi très clanique,<br />
haineux et moralisateur, ne sauterait-il<br />
pas aux yeux avec le recul du<br />
temps ? On s'est trop laissé prendre à la<br />
reconstitution d'une époque (par ailleurs<br />
soignée), à la beauté <strong>des</strong> <strong>images</strong> de
Philippe Agostini, à la magnifique scène du bal où les deux milieux s'affrontent par<br />
quadrille de lanciers interposé, à l'interprétation réjouissante d'Odette Joyeux, de<br />
François Périer et de Simone Renant, sans oublier Jean Debucourt qui compose un<br />
Napoléon III plein de bonhomie et Louis Salou en aristocrate plus vrai que nature.<br />
En réalité, Lettres d'amour qu'il faut redécouvrir est un film subversif. <strong>La</strong> romance<br />
sentimentale n'y dissimule pas la satire sociale.<br />
Jean Tulard<br />
Simone Renant,<br />
André Alerme.<br />
LE CAVALIER DE CROIX MORT<br />
(UNE AVENTURE DE VIDOCQ)<br />
1947 - Lucien Ganier-Raymond<br />
Réal. : Lucien Ganier-Raymond. Prod. : Simoun Films<br />
(Charles de Grenier). Auteur : Albert |ean, d'après son<br />
roman le Vinaigre <strong>des</strong> quatre voleurs. Adapt. : Pierre<br />
<strong>La</strong>roche, Lucien Ganier-Raymond, Charles de Grenier.<br />
Dial. : Pierre <strong>La</strong>roche. Asst. réal. : Cariven.<br />
Dir. ph. : Maurice Pecqueux. Opérateur : )ean <strong>La</strong>llier.<br />
Asst. op. : Delpuech. Photographie : Le Fauconnier.<br />
Son : Jacques Hawadier. Déc. : Roland Quignon.<br />
Asst. déc. : Moreau. Maquettiste : Alex.<br />
Cost. : Noeppel. Maq. : Chanteau, Ralph.<br />
Mont. : Monique <strong>La</strong>combe. Asst. mont. : Jacqueline<br />
Bultez. Mus. : Henri Verdun. Régie générale : Mottet.<br />
Régie d'extérieurs : Mangin. Script : Charlotte<br />
Bardonnet. Ce film a été tourné aux studios de<br />
Boulogne. Procédé optiphone. <strong>La</strong>boratoires LCM à<br />
Montreuil. Int. : Madeleine Robinson (Elisabeth<br />
d'Anthar), Henri Nassiet (Vidocq), Yves Vincent<br />
(Simon de Chabre), Simone Valère (Lucile), Jean d'Yd<br />
(M. de Prabalaire), Pierre Sergeol (Le Boulanger),<br />
Suzanne Dantès (Mme de Prabalaire), Katherine Kath<br />
(Sandrine), Gaston Modot (Vallier), Georges Paulais (le<br />
préfet), Pierre Duncan, Cadex, Forget (le juge<br />
d'instruction), Lucien Arnaud, Jean Dacre, Em;7e<br />
Tramond (le bijoutier), Méry, Léon Barry (le<br />
commissaire), Desclos, Pinxon, Tirmond, Philippe<br />
Derevel, Jean Diener, Julien Lee, Durieux, Franck<br />
Villard (François d'Anthar), André Valmy (Coco-<br />
<strong>La</strong>tour). Date de sortie : 14 avril 1948.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2321 m., 85 mn. Noir<br />
et blanc.<br />
<strong>La</strong> campagne française à l'époque de la Restauration.<br />
Le baron François d'Anthar prend<br />
congé d'Elisabeth, son épouse, le temps d'un<br />
voyage. Mais à la nuit tombée, il revient en cachette<br />
et fait feu sur une ombre dans le parc,<br />
blessant Simon de Chabre. Dans le seul but de<br />
sauver le mariage et l'honneur d'Elisabeth, sa<br />
sœur cadette Lucile prend la faute à son compte<br />
et dit que le galant venait pour elle. <strong>La</strong> voilà<br />
fiancée sur le champ afin d'imposer silence aux<br />
mauvaises langues. Arrive dans la région le célèbre<br />
Vidocq, décidé à en finir avec « les chauffeurs<br />
», ces détrousseurs qui grillent les pieds<br />
de leurs victimes. Il a même un de ses hommes<br />
dans la bande, son ami Coco-<strong>La</strong>tour, dont il se<br />
méfie tant il intrigue et ambitionne. Elisabeth,<br />
furieuse contre son amant qui n'a plus d'yeux<br />
que pour Lucile, se lie au chef <strong>des</strong> chauffeurs<br />
dit le Boulanger. Qu'il enlève François (pour<br />
compromettre Simon) et sa fortune est faite !<br />
Mais lors de l'échauffourée, le mari est tué. Vidocq<br />
enquête et Elisabeth accuse Simon qui ne<br />
se défend pas. Entre-temps, le Boulanger a démasqué<br />
Coco et l'élimine à la façon <strong>des</strong> chauffeurs.<br />
Un soir, à la propriété, Vidocq, déguisé<br />
en Boulanger, recueille la confession de l'intrigante.<br />
Surgit alors le vrai brigand qui tire et<br />
la tue. Il est maîtrisé et sa bande décimée. Simon<br />
est libre, libre d'aimer Lucile... un jour, le jour<br />
où le temps aura fait son œuvre et effacé un peu<br />
le souvenir <strong>des</strong> morts.<br />
VIDOCQ OU L'ÉTERNEL RETOUR<br />
Le film sortit aussi sous le titre Une<br />
aventure de Vidocq. Mais le célèbre bagnard<br />
n'en est pas le personnage central,<br />
plutôt une sorte de deus ex machina.<br />
Ce n'était pas sa première apparition<br />
à l'écran. En 1922, Jean Kemm, s'inspirant<br />
d'un roman d'Arthur Bernède, les Enfants<br />
du soleil, avait conté la lutte de Vidocq<br />
contre une association de malfaiteurs.<br />
René Navarre, précédemment interprète<br />
de Fantômas, y tenait le rôle-titre. En 1938,<br />
Vidocq reparut sous les traits d'André<br />
Brûlé (qui avait été Arsène Lupin au<br />
théâtre) dans un Vidocq de Jacques Daroy,<br />
plus fidèle à l'histoire du fameux forçat<br />
devenu chef de la brigade de sûreté de la<br />
préfecture de police.<br />
Notons encore l'apparition de Vidocq<br />
dans l'étonnant A Scandai in Paris (1946),<br />
de Douglas Sirk : George Sanders transforme<br />
le personnage en un aventurier<br />
nonchalant et ironique.<br />
Quatrième Vidocq connu à l'écran,<br />
Henri Nassiet n'a pas, dans le Cavalier de<br />
Croix Mort, l'envergure de ses prédécesseurs,<br />
mais il est plus proche physiquement<br />
de l'original, si l'on en croit les<br />
quelques portraits qui ont été conservés<br />
du fin limier. Il y aura ensuite, n'emportant<br />
guère l'adhésion, Bernard Noël et<br />
Claude Brasseur dans un feuilleton télévisé,<br />
la Vie aventureuse de Vidocq, dans les<br />
années soixante-dix.<br />
Le film de Ganier-Raymond, réalisateur<br />
français méconnu, auteur précédemment<br />
du Père Serge, n'est pas dépourvu<br />
de charme. S'inspirant d'un<br />
roman du polygraphe Albert Jean, le Vinaigre<br />
<strong>des</strong> quatre voleurs (nom de la potion<br />
que le docteur Dornier prescrivit à Vidocq<br />
peu avant sa mort, le 11 mai 1857),<br />
il met en scène une intrigue amoureuse<br />
banale débouchant sur une histoire de<br />
brigands bien contée.<br />
Plus à l'aise au bagne ou dans les tapis<br />
francs de la capitale qu'en milieu rural,<br />
Vidocq eut aussi à combattre les « chauffeurs<br />
» de province. C'est ainsi qu'il<br />
opéra dans le Santerre, en 1819, à la demande<br />
du préfet de la Somme. Le Cavalier<br />
de Croix Mort qui le montre aux prises<br />
avec les chauffeurs d'Elisabeth d'Anthar,<br />
n'est donc nullement invraisemblable<br />
sur le plan historique et la reconstitution<br />
de la vie provinciale sous la Restauration<br />
est particulièrement réussie. Enfin, le personnage<br />
de Coco-<strong>La</strong>tour que campe avec<br />
brio André Valmy a réellement existé.<br />
Rien à dire <strong>des</strong> dialogues de Pierre <strong>La</strong>roche.<br />
N'y cherchons aucune allusion à<br />
une actualité contemporaine du film que<br />
pourrait suggérer la présence d'un forçat<br />
devenu policier. Il ne s'agit que d'un film<br />
à costumes, assez semblable aux adaptations<br />
de Balzac lors de l'époque de l'Occupation,<br />
encore proche. Même si le trajet<br />
de Vidocq peut faire songer, mutatis<br />
mutandis, à <strong>La</strong>font, ce gangster devenu<br />
agent de la Gestapo, rue <strong>La</strong>uriston...<br />
Auteur déjà d'un très attachant Père<br />
Serge, avec Ariane Borg et Marcel Herrand,<br />
Ganier-Raymond n'a pas poursuivi,<br />
après ce deuxième film, une carrière<br />
qui s'annonçait prometteuse. On<br />
peut le déplorer.<br />
111<br />
Jean Tulard
112-FRANCE<br />
AU ROYAUME DES CIEUX<br />
1949 - Julien Duvivier<br />
Réal. : Julien Duvivier. Prod. : Regina. Avec le<br />
concours de la SIBIS. Dir. de prod. : Arys Nissotti,<br />
Pierre O'Connell. Adapt. : Julien Duvivier.<br />
Se. original : Julien Duvivier. Dial. : Henri Jeanson.<br />
Premier asst. réal. : Jean Claude Huisman.<br />
Deuxième asst. réal. : Jacques Plante.<br />
Asst. stagiaire : Michel Roman. Dir. ph. : Victor<br />
Armenise. Opérateur : Walter Wotitz.<br />
Asst. opérateur : Jacques Robin.<br />
Deuxième asst. opérateur : Michel Bouyer.<br />
Son : Pierre Bertrand. Déc. : René Moulaert.<br />
Mont. : Marthe Poncin. Asste. monteuse : Pierrette<br />
Delbut. Administrateur de prod. : Louis de Masure.<br />
Régisseur général : Georges Testard.<br />
Maquilleur : Serge Groffe. Photographe : Guy Rebilly.<br />
Script girl : Denise Morlot. Tourné à Paris Studios<br />
<strong>Ciné</strong>ma à Billancourt-Seine sur Western Electric. Effets<br />
sonores de Jacques Carrère. <strong>La</strong>boratoires LTC Saint-<br />
Cloud. Int. : Serge Reggiani (Pierre), Jean Davy (le<br />
curé Antonin), Monique Mélinand (Mlle Guérande),<br />
Suzy Prim (Mlle Chamblas), Christiane Lénier (Dédée),<br />
Anne Saint Jean (Maria), Nadine Basile (Gaby), Liliane<br />
Maigné (Margot), Colette Deréal (Lucienne), Nicole<br />
Besnard (Anna), Liliane Leroger (Rosa), Renée Cosima<br />
(Camille), Sylvie Serliac (Henriette), Ludmila Hols<br />
(Clarisse), Juliette Gréco (Rachel), Jeanine Villars<br />
(Marcelle), Thérèse Flore, Violette Salva (Adèle),<br />
Caroline Carlotti (Fernande), Suzanne Bernard, Ketty<br />
Albertini (Paulette), Jacqueline Brouckere (Irma),<br />
Yvette Pieuchot, Florence Luchaire Qulie), Joëlle Robin<br />
(Suzy), Lyne Carrel, Claude Mandel, Paule Andral<br />
(Mme Bardin), Jeanne Morlet (Mme Rubini), Lily<br />
Mounet (Mme Maupin), Georgina Tisel (Mlle<br />
Vendenesse), Éva Morlot (Mme Dulot), Andrée Tainsy<br />
(la fille de cuisine), Mathilde Casa<strong>des</strong>us (Noémie<br />
Barattier), Max Dalban (Barattier), Jacques Reynier (le<br />
brigadier), Louis Florencie, Paul Faivre (les<br />
gendarmes), Henri Coutet (Garrat), Monique Lénier,<br />
Sophie Leclair, Monique Gérard, jeanne Daury,<br />
Françoise Adam, Irène Daniel, Marie-Hélène Bailly,<br />
Sandrine, Georgette Stéphan, Zaura llami, Catherine<br />
Le Couey, Annette, Nadine Bellaigue, Hélène Rémy,<br />
Mireille Colussi, Maurice Salabert, Mireille Asti.<br />
Date de sortie : 30 septembre 1949.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2980 m., 108 mn. Noir<br />
et blanc. Doc. : Remerciements à Jean-Pierre Flingou.<br />
C'est l'hiver à la Maison de Haute-Mère,<br />
un centre d'éducation pour jeunes délinquantes.<br />
Soudain, la directrice s'effondre dans<br />
son bureau, victime d'une attaque. Immédiatement,<br />
son assistante depuis vingt ans, Mademoiselle<br />
Chamblas, femme autoritaire et<br />
frustrée, prend sa place.. Sans raison, elle met<br />
Maria, une nouvelle venue, au cachot. Mais<br />
Maria s'en moque. Elle se réchauffe en pensant<br />
à Pierre qui a promis de la délivrer. Les<br />
nouvelles consignes achèvent de transformer<br />
le lieu en prison : on ferme les portes, le soir<br />
on lâche le chien Goliath, on met <strong>des</strong> filles en<br />
cellule. Parmi le personnel, seule la jeune mademoiselle<br />
Guérande se révolte contre ces métho<strong>des</strong>.<br />
Les filles elles, avec à leur tête Gaby<br />
la gouailleuse et Dédée la balafrée, entament<br />
une grève de la faim. Comme chaque année<br />
dans la région, le fleuve monte et menace de<br />
déborder. Les punitions s'accumulent. Par<br />
Margot, une môme qui fait régulièrement le<br />
mur, Pierre, éperdu d'amour, fait passer un<br />
mot à Maria. Enfin il lui apparaît au lavoir,<br />
venu par un passage dérobé et promet de la<br />
faire évader le lendemain, jour de Noël. Au<br />
matin, l'eau a encore monté. Sur son initiative,<br />
Guérande emmène en barque toutes les<br />
adolescentes à l'église. Brusquement, le fleuve<br />
romptladigueetl'eauentreen trombes. Dans<br />
lapanique, Pierre enlève Maria. Unepensionnaire<br />
nihiliste se suicide. Les amants sont en<br />
fuite, les gendarmes à leurs trousses. De retour<br />
au Centre, les filles se révoltent et saccagent<br />
les locaux. Pour échapper à la meute,<br />
Chamblas s'enfuit et Goliath manque la dévorer.<br />
C'est Guérande qui lui succède finalement.<br />
Traversant <strong>des</strong> terres inondées, Pierre<br />
porte Maria vers leur bonheur.<br />
L'AMOUR D'UNE FEMME<br />
Il est fort rare que les films de Julien<br />
Duvivier s'enroulent autour d'un personnage<br />
féminin. Citons : Maria Chapdelaine,<br />
trop à l'écoute <strong>des</strong> hommes et<br />
<strong>des</strong> traditions, affadie par le jeu naturaliste<br />
de Madeleine Renaud ; Christine<br />
Surgère dans Un carnet de bal, banalisée<br />
par l'excessive sophistication de Marie<br />
Bell ; Marie-Octobre, nuancée et grandie<br />
par Danielle Darrieux. Ces deux dernières,<br />
prisonnières du scénario, sont<br />
trop inscrites dans une rigueur dirigiste.<br />
<strong>La</strong> mère et la fille de Voici le temps <strong>des</strong> assassins,<br />
survoltées par la sublime Lucienne<br />
Bogaert et l'impitoyable Danielle<br />
Delorme, sont les seules sans doute à posséder<br />
la même détermination que les<br />
héros masculins chers à Duvivier. Mais<br />
elles sont noircies à l'extrême et, de ce fait,<br />
sont plus emblématiques que vivantes.<br />
L'héroïne de Au royaume <strong>des</strong> deux,<br />
Maria, est donc unique dans l'œuvre de<br />
l'auteur à être habitée par une ténacité à<br />
ne jamais douter de son <strong>des</strong>tin. On peut<br />
curieusement la rapprocher d'autres personnages<br />
féminins chez <strong>des</strong> auteurs a<br />
priori loins <strong>des</strong> préoccupations de Duvivier<br />
: l'éthérée tante Aurore, jouée par<br />
Jeanne Provost (Monsieur Coccinelle, Bernard<br />
Deschamps, 1938), Mimi la Bossue<br />
(Pattes blanches, Jean Grémillon, 1948) ou<br />
encore l'incroyable Lola-Aimée (Jacques<br />
Demy, 1960).<br />
Ici, la fonction de ce personnage est<br />
plus complexe : Maria s'oppose, naturellement,<br />
aux « conventions collectives ».<br />
Autodéfense, revendications, luttes pour<br />
le pouvoir, directes ou insidieuses, répression,<br />
sont évacuées, « noyées » dans<br />
le flux de cet amour indéniable dont la<br />
niaiserie apparente va se transformer au<br />
long du film en une sorte de foi supérieure.<br />
C'est par son entêtement à aimer<br />
que la petite Maria déjoue les conflits, et<br />
par la force d'une inertie qui n'est jamais<br />
ressentie comme étant d'essence divine.<br />
L'idée même d'un Dieu, aussi indéfini<br />
soit-il, ou de Justice, aussi impartiale<br />
qu'elle puisse se prétendre, devient superfétatoire<br />
en face d'un sentiment aussi<br />
inéluctable, aussi « emmuré » qui ne se<br />
nourrit ni de doute ni d'espérance...<br />
Comme souvent, Duvivier travaille dans<br />
le concret, loin du formalisme et de tout<br />
mysticisme. Matérialiste inspiré et irréconciliable,<br />
ce n'est que par la mise en<br />
scène qu'il accrédite, caresse ou magnifie<br />
Maria.<br />
Autour d'elle, les co<strong>des</strong> s'affolent, défendent<br />
leurs stratégies dans la violence,<br />
utilisent <strong>des</strong> lieux communs, la caricature<br />
même, pour échapper à l'érosion. Rien<br />
n'y fait : un sourire de Maria et leur révolte<br />
paraît vaine, démodée, dérisoire.<br />
Toute la modernité du film est là : ne<br />
pas chercher à éviter les conventions, les<br />
intégrer à l'aventure comme ingrédients<br />
d'une dialectique. Non pas celle, scolaire,<br />
classique et surexploitée, de la dramaturgie<br />
qui consiste à opposer <strong>des</strong> personnages<br />
de fonctions équivalentes et à faire<br />
jouer le pour et le contre face à leurs actes<br />
ou à leurs discours, apparente objectivité<br />
qui n'est qu'un leurre, ou si l'on veut, un<br />
piège de lecture... Je parle ici d'une autre<br />
dialectique, celle qui malmène les certitu<strong>des</strong><br />
par <strong>des</strong> propositions de symboles<br />
(l'inondation, fléau divin, menace extérieure<br />
semblant s'allier aux conflits internes<br />
pour mieux accabler l'héroïne,<br />
n'est jamais tragique, seulement agréable<br />
à regarder), qui les malmène aussi par<br />
une direction d'acteurs efficace mais<br />
souple, par un découpage allègre, rythmé<br />
sans excès, par de subtils contrastes<br />
de lumière, par la mise en scène donc.<br />
Tant et si bien que Duvivier rejoint, et<br />
c'est la seule fois dans sa carrière, la manière<br />
d'un Jean Grémillon...<br />
Ni hasard, ni Providence !<br />
Après 1939, vingt ans de galère ont<br />
submergé le cinéma français, dont la superbe<br />
insolence avait jusque-là nargué le<br />
classicisme américain, jouant la poésie<br />
contre la grammaire, la ferveur et l'adhésion<br />
contre la maîtrise. Les années de<br />
guerre que l'on se plaît, ici et là, à revaloriser,<br />
ont été en fait aussi noires en cinéma<br />
qu'en politique. L'absence sur nos<br />
écrans <strong>des</strong> films américains a permis aux<br />
cinéastes français de disposer de moyens<br />
financiers plus confortables : figurations<br />
importantes, costumes soignés, décors<br />
riches... Quelques préoccupations sociales,<br />
sans nuances, une sournoise « résistance<br />
» aux idées dominantes ont encore<br />
accru l'illusion... d'optique !<br />
Mais le cinéma, l'écriture...<br />
Pour faire « professionnel », on ne<br />
nous épargnait ni les ouvertures-fermetures<br />
<strong>des</strong> portes, ni les montées d'escaliers<br />
en vraie grandeur, ni le cisèlement<br />
psychologique... L'ellipse n'avait plus<br />
droit de cité. En se disciplinant, la mise<br />
en scène donnait un avant-goût de ce<br />
« prémâché » qui fait aujourd'hui la<br />
gloire de notre télévision. Au coin les<br />
mauvais élèves ! Ceux qui avaient pourtant<br />
réjoui les spectateurs dans les années<br />
trente en truffant d'anomalies les beaux<br />
films <strong>des</strong> samedis soirs. Du coup, dans<br />
cette débauche de « politiquement corrects<br />
» (attention, on y revient) les vrais<br />
auteurs se distinguaient mieux, de la<br />
même façon qu'ils avaient pu être repérés<br />
aux Etats-Unis du temps <strong>des</strong> producteurs<br />
impérialistes.<br />
Deux exemples, selon moi antinomiques<br />
: le saccage de cet académisme en<br />
vogue par une ascèse apparente (Robert<br />
Bresson) et une sorte d'application dans<br />
la mise en service de ce même académisme,<br />
application émouvante mais application<br />
tout de même (Jacques Becker).<br />
A l'opposé, Jean Cocteau dont l'impertinence<br />
royale et l'invention galopante<br />
se gaussaient naturellement <strong>des</strong><br />
règles, et, au bout du compte, Julien Duvivier<br />
à la noirceur sertie dans une technique<br />
impeccable mais prégnante, défiaient<br />
l'art officiel, préparant sans s'en<br />
douter la révolution <strong>des</strong> années soixante...<br />
Et, bien sûr, Jean Grémillon... Acceptant,<br />
de gré ou de force, les contraintes de<br />
la production et/ou du star-system, il est<br />
parvenu à les « réduire », on pourrait<br />
dire, par excès de zèle ! Il puisait, à se couler<br />
dans le moule, un surcroît de liberté<br />
qui lui permettait d'émasculer les co<strong>des</strong><br />
en les surexposant.<br />
Je pense donc que c'est dans le droit<br />
fil, inconscient, de cette idéologie ou de<br />
cette pratique, que se situe Au royaume <strong>des</strong><br />
deux. <strong>La</strong> fermeté de la mise en <strong>images</strong><br />
prolonge la dialectique évoquée plus<br />
haut dans le sens où elle empêche la dilution<br />
et la contamination.<br />
Ballotée dans l'inconséquence <strong>des</strong><br />
conflits, la sceptique et réjouissante madame<br />
Rubini, délicieusement interprétée<br />
par Jeanne Morlet, se porte garante de la<br />
bonne santé du film. Elle est peut-être le<br />
porte-parole de Duvivier...<br />
Une rétrospective <strong>des</strong> films de Julien<br />
AU ROYAUME DES CIEUX - 113<br />
Duvivier, véritable auteur de films, maltraité<br />
à droite comme à gauche (sans allusion<br />
politique, encore que...) parce que<br />
solitaire et têtu, nous autoriserait certainement<br />
de nouvelles lectures de l'œuvre<br />
et nous confirmerait dans le sentiment<br />
qu'il fut l'un de ces rares grands réalisateurs<br />
à avoir vécu farouchement dans<br />
l'amour du cinéma.<br />
Paul Vecchiali<br />
Suzanne Cloutier,<br />
Serge Reggiani.
114- FRANCE<br />
AUTANT EN EMPORTE L'HISTOIRE...<br />
(LA VIE PRIVÉE D'HITLER ET D'EVA BRAUN)<br />
1949 - Jacques Willemetz<br />
Réal. : Jacques Willemetz. Prod. : Production<br />
Olympic, les films Jacques Willemetz. Mont. : Jacques<br />
Willemetz, Victor Grizelin. Mus. : Edward Craig.<br />
Avec : Adolph Hitler, Hermann Goering, Paul Joseph<br />
Goebbels, Joachim von Ribbentrop, Julius Streicher,<br />
Heinrich Himmler, Benito Mussolini, Galeazzo Ciano,<br />
Eva Braun. Sous le haut patronage du Comité d'action<br />
et de la Fédération nationale <strong>des</strong> déportés et internés<br />
de la Résistance. Réalisé avec le concours <strong>des</strong><br />
Services cinématographiques alliés sous la haute<br />
direction de Jean Marin.<br />
Collaboration technique : Robert Gross, <strong>La</strong>wrence<br />
Glesnes, Jean Oser, Victor Grizelin, Duguet.<br />
Commentaire : Jean Marin. Enregistrement Fiat-Film.<br />
Date de sortie : 6 janvier 1950.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1891 m., 69 mn. Noir<br />
et blanc.<br />
Une phrase d'Hitler en surimpression sur<br />
<strong>des</strong> <strong>images</strong> de Berlin en ruines : « Nous bâtissons<br />
pour mille ans. » Images de désolation<br />
et <strong>images</strong> de Berchtesgaden, le repaire du Ftihrer<br />
en Bavière. Images du procès de Nuremberg<br />
: Goering, Ribbentrop, Keitel, Streicher,<br />
tous plaident non coupables. Mais les <strong>images</strong><br />
accusent : Rotterdam en flammes, fours crématoires,<br />
exécutions et cadavres dans les<br />
camps de la mort.<br />
Dans les années vingt en Allemagne, l'ascension<br />
d'Hitler : « L'éternel militarisme allemand<br />
a découvert son nouvel instrument. »<br />
1933 : il est chancelier du « IV' Reich » (sic).<br />
Défilés au flambeau et bûchers de livres. Hitler<br />
et Eva Braun, sa compagne, au repos dans<br />
les montagnes de Bavière. <strong>La</strong> puissance industrielle<br />
germanique tourne à plein régime<br />
et prépare la guerre. Montage alterné entre la<br />
puissance nazie (occupation de la Rhénanie)<br />
et les escapa<strong>des</strong> entre amis à Berchtesgaden.<br />
Scènes de la vie conjugale. Mai 1940 : la<br />
France attaquée, la France en fuite, la France<br />
allemande. Souffrances et pénuries de la<br />
guerre, plaisirs et abondance de Berchtesgaden.<br />
Premiers bombardements sur l'Allemagne<br />
pendant que Rome est ville ouverte.<br />
Même le « nid de l'aigle » finit par être pilonné.<br />
L'Allemagne n'est que décombres. Elle<br />
signe la capitulation. Les peuples libérés sont<br />
en joie.<br />
HISTOIRES PARALLÈLES<br />
Comme l'indiquent le titre et le soustitre<br />
de ce documentaire réalisé par les<br />
services cinématographiques alliés, il<br />
s'agit de croiser la grande histoire avec la<br />
petite, pour démontrer comment « l'éternel<br />
militarisme allemand » s'est nourri <strong>des</strong><br />
mœurs hypocrites et dissolues <strong>des</strong> dignitaires<br />
nazis pour façonner le mal absolu.<br />
Le lien entre ces deux lectures est établi<br />
par la voix du commentaire qui tire la<br />
leçon de l'histoire sur un ton moralisateur,<br />
reprenant avec délice le chapelet <strong>des</strong><br />
poncifs antigermaniques. Ce film de propagande<br />
se place donc d'emblée sous les<br />
auspices de l'histoire, et surtout de son<br />
explication au peuple qui vient de sortir,<br />
encore sans doute un peu déboussolé, du<br />
second conflit mondial : l'ambition est<br />
clairement pédagogique et le ton, comme<br />
le montage <strong>des</strong> plans, visent essentiellement<br />
à confirmer les responsabilités et les<br />
fautes de l'Allemagne afin de justifier les<br />
sanctions prises contre les chefs nazis lors<br />
du procès de Nuremberg. Le premier intérêt<br />
de ce film réside donc dans ce<br />
contexte particulier : la question de la culpabilité<br />
<strong>des</strong> responsables nazis semblait<br />
se poser dans l'après-guerre, leur punition<br />
n'allait pas de soi, et Autant en emporte<br />
l'Histoire... est d'abord une justification<br />
de l'épuration et un appel à la sévérité<br />
<strong>des</strong> juges.<br />
Quant aux arguments déployés dans<br />
ce film, ils n'ont que peu d'intérêt historique.<br />
Le portrait de l'Allemagne gagnée<br />
par la fièvre du nazisme, emportée par<br />
son orgueil militariste, fascinée par les<br />
para<strong>des</strong> et les défilés, enivrée par ses victoires<br />
puis punie par la défaite, est un<br />
classique <strong>des</strong> manuels d'histoire aprèsguerre.<br />
En revanche, le croisement de ce<br />
récit convenu avec la chronique psychologique<br />
et scandaleuse de la vie privée du<br />
couple Adolf Hitler-Eva Braun est intéressante,<br />
car la propagande mobilise à cet<br />
instant les ressorts de l'imagerie et de la<br />
narration typiquement hollywoodiens.<br />
On perçoit alors combien a dû compter la<br />
115<br />
mythologie du cinéma américain réapparaissant<br />
sur les écrans français après<br />
plusieurs années d'interdiction. Le générique<br />
du film présente par exemple, avec<br />
beaucoup d'ironie, Adolf Hitler et Eva<br />
Braun comme les « stars » de sa distribution,<br />
parodiant ainsi, son titre aidant, le<br />
plus grand succès commercial du cinéma<br />
mondial. De même, sur une musique de<br />
superproduction, la croix gammée est détournée<br />
et semble se transformer en un<br />
sigle de major hollywoodienne (à la manière<br />
de la Century-Fox).<br />
Enfin, les documents intimes saisis<br />
dans le chalet de Berchtesgaden, montrant<br />
les jeux, les promena<strong>des</strong>, les baigna<strong>des</strong>,<br />
les réceptions mondaines d'Eva<br />
Braun et de son entourage, documents<br />
largement utilisés dans le film, sont d'un<br />
intérêt évident. L'insouciance de ce<br />
groupe d'amis en vacances dans les montagnes<br />
de Bavière est sidérant, alors que<br />
le monde est à feu et à sang, et ces ban<strong>des</strong><br />
filmées, sans doute en 16 mm, l'enregistrent<br />
tout à fait directement, sans détour,<br />
sans pudeur, comme un petit film amateur<br />
à <strong>des</strong>tination absolument privée.<br />
L'idée d'intégrer ces ban<strong>des</strong> de vie intime<br />
dans le montage d'un film d'histoire est<br />
tout à fait étonnante, gâchée ici par le ton<br />
pédagogique et moralisateur du coïnmentaire,<br />
mais annonce en quelque sorte<br />
un procédé de narration que le cinéma<br />
moderne développera souvent au cours<br />
<strong>des</strong> années soixante.<br />
Antoine de Baecque
116- FRANCE<br />
MATISSE<br />
1950- Frédéric Rossif<br />
Réal. : Frédéric Rossif. Métrage, minutage copie 16<br />
mm Cf. : 85 m., 8 mn. Muet. Couleurs.<br />
Le peintre Henri Matisse au travail. À<br />
l'aide de grands ciseaux, il découpe <strong>des</strong> formes<br />
dans <strong>des</strong> papiers en couleurs. Il indique à ses<br />
assistantes, avec une longue tige en bois, <strong>des</strong><br />
emplacements pour ses découpages qui, au<br />
mur, finissent par composer un ensemble et<br />
ressembler à une chasuble, ou à un feu d'ar-<br />
tifice.<br />
MATISSE AUX MAINS D'ARGENT<br />
Je ne peux m'empêcher de considérer<br />
les <strong>images</strong> de ce film, tourné par Frédéric<br />
Rossif à la demande d'Henri <strong>La</strong>nglois<br />
- étonnante demande - comme si je les<br />
avais tournées moi-même : peut-être<br />
parce que ces <strong>images</strong> restent en quelque<br />
sorte anonymes (pas de générique), silencieuses,<br />
discrètes, disponibles, comme<br />
inachevées, fragment de film abandonné,<br />
ouvert à toute ultérieure appropriation.<br />
Peut-être aussi parce que j'ai<br />
tourné, et semblablement abandonné,<br />
<strong>des</strong> <strong>images</strong> semblables sur <strong>des</strong> artistes<br />
contemporains : Klossowski, Boltanski...<br />
Et je ne peux m'empêcher d'écrire ce texte<br />
comme s'il devait aller à la rencontre de<br />
ces <strong>images</strong> muettes pour se joindre à elles,<br />
les accompagner.<br />
Ici le cinéma est intimidé par la peinture,<br />
et les <strong>images</strong> du film sont intimidées<br />
par les <strong>images</strong> du tableau. Le cinéaste est<br />
intimidé par le peintre. Le peintre est si<br />
massivement présent, et si massivement<br />
indifférent à la caméra, il est si massivement<br />
tourné vers le tableau - et non vers<br />
l'objectif, même indirectement, c'est-àdire<br />
par aucune de ces manières détournées<br />
dont use la coquetterie - le peintre<br />
est si massivement illuminé par l'image<br />
qu'il fait naître, que le cinéma n'éclaire<br />
rien, ne cadre rien, est seulement toléré<br />
comme regard d'une image lointaine, différée,<br />
improbable, sur une image présente,<br />
immédiate, incontestable.<br />
Ici le cinéma est comme tenu à distance,<br />
et dans cette mise de côté il en est<br />
réduit à une maladresse primitive - celle<br />
du cinéma primitif - latérale, celle que lui<br />
désigne la maladresse géniale, frontale,<br />
du peintre qui impose sa mesure, son<br />
point de vue. Matisse est seul a pouvoir<br />
contempler son tableau frontalement, il<br />
occupe seul et massivement cette position<br />
du regard de face. Comme Klossowski,<br />
comme Boltanski, Matisse est<br />
maladroit, de cette maladresse qui n'est<br />
qu'une ruse de l'art, émancipé <strong>des</strong> règles<br />
du savoir-faire. Et le cinéma ne peut faire<br />
ni plus ni mieux qu'occuper cette place<br />
désignée de la maladresse latérale,<br />
puisque toute autre place serait déplacée.<br />
Dans cette maladresse, dans cet incertain<br />
inaboutissement - plus encore que dans<br />
son inachèvement certain - le petit bout<br />
de film non monté de Frédéric Rossif est<br />
juste. Car avec ses grands ciseaux, c'est<br />
Matisse qui coupe et qui monte. Avec ses<br />
grands ciseaux perdus dans un labyrinthe<br />
de papier, Matisse découpe le tracé<br />
de formes végétales, et de ce découpage<br />
lui seul sait ce qui va tomber et ce qui va<br />
rester, ce que la coupe aura enclos et ce<br />
qu'elle aura exclu, lui seul connaît le plan<br />
qui séparera le positif du négatif. Avec<br />
ses grands ciseaux, et ces feuilles de papier<br />
mou qui lui tombent sur les genoux<br />
comme les feuilles d'une végétation alanguie,<br />
Matisse semble empoté, gauche,<br />
mi-ours savant, mi-grand singe à l'apprentissage,<br />
dont l'attention est massivement<br />
captée par cet exercice d'école maternelle,<br />
par ce retour au tâtonnement de<br />
la forme. On a l'impression que Matisse<br />
ne va pas s'en sortir, que le découpage va<br />
échouer, malgré ses efforts et malgré sa<br />
concentration. En fait, son attention est<br />
massivement tournée vers cette ligne du<br />
précipice dont ses grands ciseaux découpent<br />
le bord : ne pas rater un certain flou<br />
contre l'implacable netteté de la coupe,<br />
ne pas rater un certain ratage, ne pas sombrer<br />
dans une forme trop formée : de la<br />
forme, trouver le tremblement. Matisse<br />
utilise <strong>des</strong> outils qui ne sont pas ceux du<br />
peintre et de sa maîtrise : il a troqué les<br />
pinceaux et les pigments pâteux pour les<br />
ciseaux et les aplats uniformément colorés<br />
du papier. Découper du papier de<br />
couleur : entre peindre et <strong>des</strong>siner ? Et<br />
puis, la couleur ainsi prélevée à même<br />
son support, l'appliquer et la coller sur le<br />
support du tableau, de la peinture. <strong>La</strong> caméra<br />
assiste, presque gênée, à ce découpage,<br />
à ce collage, à ce bricolage. Et le cinéaste,<br />
lui, ne coupe rien, ne colle rien.<br />
C'est le peintre, c'est Matisse qui tient les<br />
ciseaux et la colle, et le film reste mo<strong>des</strong>tement<br />
en deçà de la coupe, de la collure,<br />
du montage : quelques plans hésitants,<br />
aux mouvements indécis, d'une caméra<br />
tenue à la main, et qui a renoncé au trépied<br />
puisque le peintre lui-même a renoncé<br />
au chevalet, et qui éclaire son sujet<br />
à la lampe de poche puisque le peintre<br />
lui-même a renoncé aux nuances <strong>des</strong> couleurs<br />
miscibles, de la lumière blanche dé-<br />
composée.<br />
Nous ne sommes même pas dans le<br />
décor rituel d'un atelier d'artiste, mais<br />
simplement dans un appartement bourgeois,<br />
avec un petit bout de mur serré<br />
entre deux portes. L'artiste est massivement<br />
installé dans ce qui doit être un fauteuil<br />
en osier, armé de ses grands ciseaux<br />
et d'une longue baguette de maître<br />
d'école avec laquelle il pointe, sans quitter<br />
son siège, la place que la forme en papier<br />
découpé doit occuper dans la composition<br />
établie sur le pan de mur, entre<br />
les deux portes. C'est alors qu'interviennent<br />
successivement deux femmes, l'une<br />
et l'autre belles, la brune au visage énigmatique,<br />
tragique, nocturne, et la blonde<br />
solaire, rayonnant par la nudité <strong>des</strong><br />
épaules et du dos que cernent quelques<br />
mèches de cheveux dorés et une élégante<br />
robe d'été. Ces deux femmes ne sont pas<br />
là pour la caméra, elles ne sont pas là pour<br />
le cinéma, le cinéaste n'a sur elles aucun<br />
pouvoir et d'ailleurs elles l'ignorent. Elles<br />
sont là pour le peintre, pour l'artiste,<br />
toutes à lui et d'une beauté luxueuse<br />
puisqu'inutile : elles ne sont pas ses modèles,<br />
elles sont les mains gracieuses qui,<br />
presque chorégraphiquement, portent<br />
au mur les formes de la composition. Ces<br />
deux femmes évoluent, silencieusement<br />
programmées par le désir du peintre:<br />
elles n'appartiennent qu'à lui, à son désir<br />
de peindre et, sinon de peindre <strong>des</strong> femmes,<br />
du moins de peindre à travers elles,<br />
grâce à elles, peut-être pour elles. Les<br />
deux femmes reçoivent et portent physiquement<br />
jusqu'au mur-écran, les formes,<br />
les <strong>images</strong> que le peintre, ainsi, projette.<br />
Le tableau devient une projection dont<br />
les femmes sont les vecteurs. Elles gravitent<br />
autour de l'astre massif qu'est le<br />
peintre, en même temps qu'elles en sont<br />
comme le rayonnement. Les deux femmes<br />
bouleversent, par surprise, le statut<br />
<strong>des</strong> <strong>images</strong> du cinéma : comme si Ava<br />
Gardner et Rita Hay worth passaient gracieusement,<br />
pour faire plaisir à Konrad<br />
Lorenz, dans un documentaire sur la vie<br />
<strong>des</strong> abeilles.<br />
On voit enfin qu'avec ses moyens<br />
d'ordre magique, le tableau s'accomplit.<br />
Du haut de sa plénitude plastique, esthétique,<br />
expressive, il laisse à ses pieds le<br />
film, témoin d'un transfert de formes,<br />
d'un voyage de couleurs, d'une projection<br />
de lumière, il laisse le film inachevé,<br />
le souffle coupé. « Coupé ! » semble penser<br />
Matisse avec ses grands ciseaux, ses<br />
mains d'argent maintenant au repos,<br />
considérant sa composition en papier découpé.<br />
« Coupez ! » a entendu intuitivement<br />
la caméra, qui aussitôt s'arrête.<br />
Alain Fleischer
120 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />
DURFEN WIR SCHWEIGEN ?<br />
LE BAISER MORTEL<br />
1926-Richard Oswald<br />
Réal. : Richard Oswald. Prod. : Nero-Film GmbH<br />
(Richard Oswald, Heinrich Nebenzahl). Se. : Richard<br />
Oswald. Dir. ph. : Gustav Ucicky, Eduard von<br />
Borsody. Dec. : Heinrich Richter. Int. : Walter RiIla<br />
(Louis Rocard/Georg Mauthner), Conrad Veidt (Jean<br />
Verner/Pau/ Hartwig), Mary Parker (Colette<br />
Pierson/ieon/e Pierson), Elga Brink (l'assistante), Fritz<br />
Kortner (un médecin), john Cottowt (son assistant),<br />
Henry de Vries (Henry Pierson), Maria West (la jeune<br />
femme), Frida Richard (la vieille femme), Ernst<br />
<strong>La</strong>skowski (le jeune homme), Maria Forescu (une<br />
patiente), F/se Plessner (une autre patiente), Betty<br />
Astor (Inge), Ernst Verebes (Gerd), Albert Paulig (le<br />
serveur), Ernst Stammer (l'aubergiste), Bella Pollini (la<br />
danseuse). Date de sortie : 6 avril 1926.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1256 m., 50 mn.<br />
(à 22 i/s). Générique reconstitué. Intertitres français.<br />
Noir et blanc. Doc. : Remerciements à Bernard<br />
Eisenschitz.<br />
Louis Rocard est un jeune médecin, spécialiste<br />
de l'étude et de la guérison de la syphilis.<br />
« Son ami, le peintre Jean Verner, faisait<br />
poser plus d'une jolie fille dans son atelier,<br />
mais était loin d'être lui-même un modèle.<br />
» Au point qu'il séduit même Colette,<br />
pourtant fiancée à Louis. Peu après, Jean<br />
passe un examen prénuptial et Louis décèle le<br />
tréponème, microbe de la syphilis. L'ennemi<br />
est dans le sang ! Contre l'avis du scientifique,<br />
après avoir consulté un charlatan et certain<br />
d'être valide, Jean épouse Colette. Cinq<br />
ans ont passé, et les deux « amis »nesevoient<br />
plus depuis longtemps. Louis s'est marié avec<br />
sa fidèle collaboratrice qui lui a donné un beau<br />
garçon, Marcel. Jean, lui, a repris ses habitu<strong>des</strong><br />
de célibataire, Colette a une santé très<br />
fragile et leur fille, Gabrielle, est mal en point.<br />
Une nuit, la mère se résout à appeler Louis<br />
qui révèle l'étendue <strong>des</strong> dégâts. Il sauve l'enfant<br />
après un traitement dans son dispensaire.<br />
Mais il est trop tard pour Colette. Honteux<br />
et repentant, Jean écrit à Louis pour qu 'il<br />
recueille Gabrielle tandis qu'il disparaîtra à<br />
jamais. Quinze ans s'écoulent. Le peintre est<br />
devenu une épave et, un jour, s'écroule dans<br />
la rue. Sur son lit d'hôpital, il demande le docteur<br />
Rocard, qui vient avec Gabrielle. Avant<br />
de mourir, le débauché la serre dans ses bras<br />
et apprend qu'elle est fiancée à Marcel.<br />
ACTEURS ET TREPONEMES<br />
Les titres <strong>des</strong> films reflètent et conditionnent<br />
la manière dont ils sont montrés<br />
: en France, le film de Richard Oswald<br />
Diirfen wir Schweigen ? (« Avonsnous<br />
le droit de nous taire ? ») est rebaptisé<br />
le Baiser mortel. Le métrage donne une<br />
seconde indication : il est de 1256 mètres<br />
pour cette version française restaurée, de<br />
2686 dans la version que la censure allemande,<br />
connue pour sa dureté en matières<br />
sexuelles, avait autorisée au public<br />
adulte. Le Bun<strong>des</strong>archiv de Coblence<br />
conserve un élément d'un métrage<br />
intermédiaire - 1849 mètres - avec <strong>des</strong><br />
intertitres russes, ce qui indique une distribution<br />
en Union soviétique, dans une<br />
autre version encore, bien sûr. On assiste<br />
ici à une véritable réécriture par ce que<br />
l'époque appelait l'« adaptation » et<br />
l'« édition » : la conformation d'un film à<br />
ce que les distributeurs, aidés par la censure<br />
ou prévenant celle-ci, jugeaient être<br />
les besoins, goûts et connaissances du public<br />
local (François Albéra a clairement<br />
cerné ce phénomène à propos <strong>des</strong> diverses<br />
copies de l'Appel de la vie I Frauennot<br />
- Frauengliick [1929], d'Édouard<br />
Tissé 1 ). Autre forme d'acculturation, les<br />
noms <strong>des</strong> personnages : Paul Hartwig<br />
(Conrad Veidt) est devenu Jean Verner,<br />
le Dr Mauthner (Walter Rilla) le Dr Louis<br />
Rocard, etc. Il n'y avait pas de raison pour<br />
qu'un tel film s'identifie comme allemand<br />
: quelques plans où Conrad Veidt<br />
erre dans les rues de Berlin, clochardisé<br />
comme Michel Simon à la fin de la<br />
Chienne, sont visiblement raccourcis, car<br />
ils risquaient d'identifier le lieu de tournage.<br />
<strong>La</strong> nationalité européenne, c'est-àdire<br />
une non-nationalité, était de rigueur<br />
dans ces années vingt finissant.<br />
Richard Oswald n'était pas seulement<br />
un réalisateur prolifique, qui tourna<br />
entre deux et onze longs métrages par<br />
an de 1914 à 1933, mais aussi un producteur<br />
considérable. Il a touché à tous les<br />
genres, de l'opérette (Im weissen Ross/ /<br />
l'Auberge du cheval blanc, 1926) au grand<br />
spectacle historique (<strong>La</strong>dy Hamilton<br />
[1921], Cagliostro [1929], reconstitué par<br />
la <strong>Ciné</strong>mathèque française) en passant<br />
par le film à thèse (Dreyfus, 1930) et<br />
l'adaptation littéraire (Ibsen, Wedekind).<br />
Il en est deux en particulier où il a innové :<br />
le fantastique, pour lequel il est mieux<br />
connu en France (avec les deux versions<br />
de Unheimliche Geschichten [1919 et 1932]<br />
et le remake sonore d'Air aune / Mandragore,<br />
1930) ; et YAufklàrungsfilm, film<br />
« d'éducation sexuelle », genre qu'il<br />
inaugura pendant la guerre mondiale (Es<br />
werde Licht I Que la lumière soit, 1917) et<br />
qui s'épanouit à la suite de la défaite, dans<br />
une période où la censure avait disparu<br />
pour un temps, avec par exemple Anders<br />
als die Anderen (1919) et Dos gelbe Haus I<br />
Prostitution (1919), deux « œuvres cinématographiques<br />
d'hygiène sociale »,<br />
comme l'indique leur sous-titre. D'un<br />
côté, Oswald obtenait <strong>des</strong> cautions scientifiques,<br />
comme celle du Dr Magnus Hirschfeld,<br />
pionnier d'une approche scientifique<br />
et libérée de la sexualité, et d'institutions<br />
comme la Àrztliche Gesellschaft fur<br />
Sexualwissenschaft ; de l'autre, son succès<br />
public était dû au caractère aguichant <strong>des</strong><br />
sujets. Curieusement, lorsque Veit Harlan<br />
aborda le thème de l'homosexualité<br />
dans l'Allemagne occidentale d'aprèsguerre,<br />
le réalisateur du Juif Siiss correspondit<br />
avec l'auteur juif émigré d'Anders<br />
als die Anderen, premier film sur l'homosexualité<br />
(le titre choisi par Harlan, Anders<br />
als du und ich, est un rappel direct du<br />
film d'Oswald).<br />
Réalisateur, Oswald a moins de talent<br />
que comme entrepreneur. <strong>La</strong> qualité<br />
technique de ses films est certaine et ses<br />
acteurs de premier ordre. Conrad Veidt<br />
est celui avec lequel il a le plus fréquemment<br />
travaillé. C'est donc celui-ci - une<br />
<strong>des</strong> rares vedettes internationales dans<br />
l'Europe du muet - qui est au centre de<br />
Diirfen wir Schweigen. Le film reprend,<br />
après un hiatus de quelques années, le<br />
genre de Y Aufklàrungsfilm, et revient au<br />
sujet du premier, Es werde Licht : les maladies<br />
vénériennes. Le schéma ne varie<br />
guère et se retrouvera en 1931 dans Feind<br />
im Blut (l'Ennemi dans le sang), de Walter<br />
Ruttmann, comme dans les courts métrages<br />
de vulgarisation abordant le<br />
sujet 2 . Quand les conventions narratives<br />
ne sont plus soutenues par la logistique<br />
d'un grand studio - ou par la cohérence<br />
du montage d'origine, dans le cas de cette<br />
version française -, il ne reste qu'un document<br />
sur l'époque. Oswald se moquant<br />
d'avoir un style, les seuls moments<br />
d'intensité appartiennent soit au documentaire<br />
- un gros plan sur un tréponème<br />
vu au microscope, un dispensaire -, soit<br />
aux comédiens, laissés à eux-mêmes :<br />
Conrad Veidt en premier lieu, mais aussi<br />
Fritz Kortner et John Gottowt, qui introduisent<br />
<strong>des</strong> intermè<strong>des</strong> expressionnisants<br />
dans un récit qui s'affirme réaliste.<br />
Bernard Eisenschitz<br />
1 François Albéra : « l'Appel de la vie », catalogue Cine'Mémoire<br />
1993. Sur le film d'Édouard Tissé, voir<br />
aussi page 153.<br />
2 On a pu en voir un choix, programmé par Thierry<br />
Lefebvre dans <strong>Ciné</strong>Mémoire 1993 (« Le cinéma<br />
contre la syphilis »).<br />
Sources :<br />
Helga Belach et Wolfgang Jacobsen (éd.), Richard Oswald,<br />
Régisseur und Produzent, Ein CineGraph Buch,<br />
Edition text + kritik, Munich 1990.<br />
Remerciements à Walther Seidler, Stiftung Deutsche<br />
Kinemathek, Berlin.
122 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />
LIEBE<br />
LA DUCHESSE DE LANGEAIS (HISTOIRE DES TREIZE)<br />
1927-Paul Czinner<br />
Réal. : Paul Czinner. Prod. : Elisabeth Bergner-Film<br />
der Phoebus-Film AG, Berlin. Auteur : Honoré de<br />
Balzac, d'après son roman la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais.<br />
Adapt. : Paul Czinner. Dir. ph. : Arpad Viragh, Adolf<br />
Schlasy. Dec. : Hermann Warm, Ferdinand Bellan.<br />
Cost. : lise Fehling. Int. : Elisabeth Bergner (la<br />
duchesse de <strong>La</strong>ngeais), Hans Rehmann (le marquis<br />
Armand de Montriveau), Agnes Esterhazy (la comtesse<br />
Serezy), Elza Temary (la comtesse Fontaine), Olga<br />
Engl (la vieille princesse), Else Heller (l'abbesse), Paul<br />
Otto (le marquis de Ronquerolles), Nicolai Wassiljeff<br />
(le jeune prince), Arthur Kraussneck, Leopold von<br />
Ledebur (le duc de Navarra), jaro Fùrth (le duc de<br />
Grandlieu), Hans Conrady (le moine), Karl Platen (le<br />
domestique). Date de sortie : 24 janvier 1927.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2433 m., 107 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : Remerciements à Bernard Eisenschitz.<br />
Grande séductrice parisienne au temps de<br />
la Restauration, la duchesse de <strong>La</strong>ngeais est<br />
une femme du monde qui, à sa guise, fait et<br />
défait la mode. Un soir de bal, elle avise un<br />
nouveau venu, le marquis de Montriveau, réputé<br />
fier et indomptable. Aussitôt, elle déploie<br />
l'éventail de ses charmes et en quelques jours,<br />
en fait son pantin. Pendant <strong>des</strong> mois, elle<br />
exaspère, sans jamais le combler, le désir du<br />
marquis, amoureux pour la première fois. Si<br />
bien qu'un jour, il la brutalise, puis disparaît.<br />
Son absence prolongée fait mieux que sa présence<br />
: elle rend la duchesse amoureuse. Désormais,<br />
les rôles sont inversés et le marquis<br />
fait endurer à l'intrigante ce qu'il a souffert,<br />
et d'autres hommes avant lui. Seule dans son<br />
hôtel particulier, cloîtrée pendant <strong>des</strong> jours,<br />
vivant dans l'espoir d'une visite, elle écrit <strong>des</strong><br />
lettres passionnées qui restent lettres mortes,<br />
jamais même décachetées. Elle lui fait savoir<br />
qu 'elle entrera au couvent s'il ne la sauve pas.<br />
Mais Montriveau arrive trop tard. Cinq années<br />
s'écoulent. Un jour, dans un cloître, il<br />
retrouve celle qui est devenue la sœur Thérèse<br />
et ne peut la voir et lui parler qu'à travers une<br />
grille. Une nuit, il revient accompagné, pour<br />
l'enlever. Dans sa cellule, elle repose, les<br />
mains jointes. Il tombe à genoux devant ce<br />
corps sans vie, tandis que résonne la messe<br />
<strong>des</strong> morts.<br />
LA COMÉDIENNE, LE MARI<br />
ET PAS DE BALZAC<br />
Le 24 janvier 1927 au cinéma Capitol<br />
de Berlin, la première de Liebe, « d'après<br />
Balzac, avec Elisabeth Bergner, scénario<br />
et réalisation Paul Czinner », commence<br />
exceptionnellement à dix heures du soir<br />
en raison de l'engagement de la comédienne,<br />
qui joue au Theater in der Koniggràter-Strasse.<br />
<strong>La</strong> première de Metropolis<br />
a eu lieu quinze jours plus tôt ; dans un<br />
mois, la Grève et la Mère confirmeront<br />
l'immense impact du Russenfilm, le cinéma<br />
soviétique.<br />
Herbert Jhering, un <strong>des</strong> bons critiques<br />
de théâtre et de cinéma de la république<br />
de Weimar, note le lendemain dans le Berliner<br />
Bôrsen-Courier : « Le vice radical est<br />
une erreur de format. Bergner n'est pas<br />
une interprète faite pour les gran<strong>des</strong><br />
dames de la société napoléonienne (...) Le<br />
scénario de Paul Czinner est maladroit. Il<br />
semble fournir dans la première partie un<br />
rôle pour Pola Negri, dans la seconde<br />
pour Lillian Gish. »<br />
L'émotion provoquée par l'apparition<br />
d'Elisabeth Bergner dans son vrai<br />
premier film, Nju (1924), tenait à son naturel,<br />
à sa répugnance pour le maquillage,<br />
à sa vivacité androgyne. Paul Rotha<br />
écrivait, à propos de ce film : « L'essence<br />
de la simplification du récit, <strong>des</strong> émotions<br />
humaines s'affrontant sans que <strong>des</strong> digressions<br />
ne viennent les troubler (...)<br />
était là ; Czinner a saisi l'interaction <strong>des</strong><br />
pensées. » Après ce début, le cinéma ne<br />
semble pas avoir vraiment rendu compte<br />
de la fascination exercée par Bergner, généralement<br />
considérée comme une meilleure<br />
comédienne de théâtre, malgré les<br />
semi réussites de ses deux premiers parlants,<br />
Ariane (1931) et Der tràumende<br />
Mund (Mélo, 1932), à la.dramaturgie contrôlée<br />
par Cari Mayer.<br />
L'explication se trouve sans doute<br />
dans le fait qu'elle a travaillé avec un seul<br />
réalisateur. Bergner a été amenée au cinéma<br />
par Paul Czinner, plus tard devenu<br />
son mari, qui a dirigé tous ses films en vedette,<br />
de 1924 (Nju) à 1939 (Stolen Life, en<br />
Angleterre) - et a d'ailleurs lui-même<br />
tourné peu d'autres films intéressants (à<br />
l'exception d'un mélodrame britannique<br />
avec Pola Negri, The Woman He Scorned).<br />
Le manque d'intérêt de la comédienne<br />
pour le cinéma, ou peut-être pour toute<br />
une carrière traversée comme une somnambule,<br />
se reflète dans son autobiographie,<br />
beau témoignage sur l'amour d'une<br />
vie, mais information médiocre sur le<br />
théâtre, sans parler du cinéma. Dans le<br />
livre comme dans ses autres déclarations,<br />
elle affirme s'être reposée de tout sur<br />
Czinner, rassurée par la confiance et l'admiration<br />
que lui témoignaient <strong>des</strong> écrivains<br />
comme Arthur Schnitzler ou<br />
George Bernard Shaw. Tout le mérite <strong>des</strong><br />
films, à l'en croire, revient au réalisateur.<br />
Ainsi de Liebe. Czinner est allé chercher<br />
la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais pour cette première<br />
production de la firme Elisabeth<br />
Bergner-Film. L'intrigue du bref roman<br />
central de l'Histoire <strong>des</strong> treize est linéaire.<br />
Mais, pas plus que l'adaptation américaine<br />
dirigée par Frank Lloyd au service<br />
de Norma Talmadge (The Eternal Flame,<br />
1922) ou le « film de Jean Giraudoux réalisé<br />
par Jacques de Baroncelli » en 1941,<br />
celui-ci ne s'ouvre sur l'épilogue, alors<br />
que Balzac commence par l'intrusion de<br />
Montriveau dans le couvent. Jhering est<br />
déprimé par cette conclusion, comme par<br />
toute la mise en scène : « Avons-nous besoin,<br />
pour voir Elisabeth Bergner au cinéma,<br />
de ces <strong>images</strong> de la nonne reniant<br />
sa foi ? De cette mascarade lointaine,<br />
jouée par <strong>des</strong> acteurs dont la plupart ne<br />
sait porter ni un costume, ni une perruque<br />
? » En effet, les seuls moments cu-<br />
Hans Rehmann<br />
rieux sont ceux où les péripéties balzaciennes<br />
coïncident avec quelques <strong>images</strong><br />
fortes de l'« écran démoniaque » : enlèvement<br />
au cours d'une fête, intrusion finale<br />
dans le couvent. <strong>La</strong> comédienne, privée<br />
de la possibilité de gambader et de<br />
jouer les femmes-enfants, est figée d'un<br />
bout à l'autre. Jhering apprécie cependant<br />
la deuxième partie, « un monologue<br />
mimique de l'abandon et du désespoir de<br />
l'amour. Elisabeth Bergner se retrouve<br />
(..) Elle peut jouer sans la troupe. » En<br />
effet, un de ses plus grands succès devait<br />
être au cinéma, sur scène et sur disque,<br />
Fràulein Else, d'après un monologue intérieur<br />
d'Arthur Schnitzler. <strong>La</strong> conclusion<br />
du critique est sévère : « M. Czinner<br />
est un incapable. »<br />
De cette deuxième partie, il ne reste<br />
pas grand-chose dans la version distribuée<br />
en France, très réduite par rapport<br />
à celle passée par la censure allemande<br />
(2697 mètres ; le Bun<strong>des</strong>archiv a un élé-<br />
LIEBE-123<br />
ment de tirage de 2246 mètres, avec intertitres<br />
tchèques). Peut-être pour justifier<br />
la sortie de ce troisième film d'Elisabeth<br />
Bergner, le plus faible à cette date,<br />
l'adaptation souligne son origine balzacienne<br />
(référence littéraire déjà centrale<br />
pour la critique de cinéma française) : le<br />
film est rebaptisé Histoire <strong>des</strong> treize, ce que<br />
rien n'explique, les intertitres sont composés<br />
à partir de phrases du roman.<br />
Bernard Eisenschitz<br />
Sources :<br />
Herbert Jhering, Der Bergner-Film, in Berliner Borsen-<br />
Courier, 25 janvier 1927, repris in Von Reinhardt bis<br />
Brecht, Vol. 2, Aufbau-Verlag, Berlin (RDA) 1959.<br />
Elisabeth Bergner, in Exil. Sechs Schauspieler aus Deutschland,<br />
Stiftung Deutsche Kinemathek, Berlin<br />
(Ouest), 1983.<br />
Elisabeth Bergner, Bewundert viel und vielgescholten...,<br />
C. Bertelsmann Verlag, Munich, 1978.<br />
Remerciements à Walther Seidler, Stiftung Deutsche<br />
Kinemathek, Berlin.<br />
Elisabeth Bergner
124 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />
EVA IN SEIDE<br />
EVE TOUTE NUE<br />
1928-Cari Boese<br />
Réal. : Cari Boese. Prod. : Cari Boese-Film GmbH.<br />
Dir. de prod. : Karl Sander. Auteur : Ernst Klein,<br />
d'après son roman Nuttchen. Se. : Luise Heilborn-<br />
Kôrbitz, Cari Boese. Dir. ph. : Karl Hasselmann.<br />
Déc. : Karl Machus. Studios : National-Film Atelier.<br />
Int. : Lissi Arna (Hélène Armont), Walter RiIla (Pierre<br />
Dautour), Margarete Kupfer (Anna), Max Maximilian<br />
(Rader, dit « Coco »), Cari Walther Meyer, Gerhard<br />
Dammann, Kurt Vespermann, Leopold von Ledebur<br />
(M. Dur), Charles François Kasch, Alexander Murski<br />
(Sir lames Reed), Alfred Graening, Olga Limburg,<br />
Ekkehard Arendt. Date de sortie : 14 août 1928,<br />
décembre 1929 (Paris). Métrage, minutage copie Cf. :<br />
2624 m., 95 mn (à 24 i/s). Générique reconstitué.<br />
Intertitres français. Noir et blanc. Doc. : Gerhard<br />
<strong>La</strong>mprecht : Deutsche Stummfilme 1927-1931,<br />
Deutsche Kinemathek Berlin, s.d. <strong>Ciné</strong>journal,<br />
n° 1060, 20 décembre 1929.<br />
Trempée, affamée, Hélène Armont bat le<br />
pavé en attendant Alfred qui n'arrive pas.<br />
Passe un inconnu qui la remarque, la ramène<br />
chez elle et la nourrit. L'homme s'appelle<br />
Pierre Dautour, il est docteur ès lettres. Amusé<br />
par Hélène, déjà séduit, il s'engage à transformer<br />
cette fille de la rue en la femme la plus<br />
courtisée de la haute société, simplement en<br />
maquillant les apparences. Dès le lendemain,<br />
on l'habille, on la chausse, on la coiffe à crédit,<br />
on la déplace en voiture de location. Elle :<br />
« Qui paiera les factures ? » Lui : « L'avenir<br />
! » Suivie d'Anna, son ancienne logeuse<br />
promue camériste, et accompagnée par son<br />
bon ami Pierre, secrètement amoureux d'elle,<br />
Hélène (d'Armont désormais) <strong>des</strong>cend dans<br />
un grand hôtel de Berlin. Un affairiste d'envergure<br />
la remarque. À Paris, elle plait à Sir<br />
James Reed. Resté à Berlin, Pierre a commencé<br />
un roman racontant l'histoire d'Hélène.<br />
Pendant ce temps, les prétendants la<br />
couvrent de cadeaux et d'argent mais elle, ne<br />
pense qu'à son « découvreur ». Elle finit par<br />
lui télégraphier de la rejoindre. Il accourt mais<br />
reste distant. Monte-Carlo : malgré la diligence<br />
de ses chevaliers servants, la jeune femme<br />
s'ennuie au casino, la tête prise dans ses<br />
souvenirs. Pierre a fini son livre et trouvé un<br />
titre : « Ève dans la soie ». De retour à Berlin,<br />
un titre de princesse en poche, elle découvre<br />
le roman et décide d'y ajouter une fin<br />
de son cru en donnant à l'auteur ce baiser si<br />
longtemps différé.<br />
LA FOURRURE D'EVE<br />
Il est toujours passionnant de découvrir<br />
à quoi ressemblait la production<br />
commerciale d'une époque, et d'un pays,<br />
dont l'histoire a surtout retenu les chefsd'œuvre.<br />
Après les éclats de l'expressionnisme<br />
et du Kammerspiel, et pendant<br />
le temps même où les cinéastes allemands<br />
s'engagent sur la voie d'un réalisme<br />
puissant, que sort-il donc, couramment,<br />
<strong>des</strong> studios de la UFA ? A en croire<br />
Siegfried Kracauer, le « sens du film »<br />
connaît un « étrange affaiblissement » ;<br />
l'influence d'Hollywood n'est pas uniquement<br />
responsable de ce relatif déclin,<br />
mais elle n'y est pas non plus étrangère.<br />
Car nous sommes en 1928 : les compagnies<br />
hollywoodiennes ont largement<br />
entamé leur expansion dans une Allemagne<br />
remise de l'inflation, suscitant<br />
d'ailleurs aussitôt <strong>des</strong> mesures de protection<br />
de la production nationale. Mais<br />
quel quota, quelle mesure économique<br />
peut lutter contre la fascination qu'exerce<br />
un modèle dominant ? Voilà qu'Hollywood<br />
inspire la production même lorsqu'elle<br />
est allemande '. <strong>La</strong> ressemblance<br />
est voulue, pas toujours atteinte : c'est<br />
dans cet écart que se trouve le charme un<br />
peu naïf, un peu bancal, d'Eva in Seide<br />
(Ève toute nue).<br />
Cari Boese occupe, dans le cinéma allemand,<br />
la place typique d'un cinéaste<br />
commercial : prolifique (plus de cent cinquante<br />
films), durable (sa filmographie<br />
s'étend de 1919 à 1957), et capable apparemment<br />
de s'adapter à <strong>des</strong> pério<strong>des</strong> très<br />
différentes du cinéma et de l'histoire.<br />
Sans génie lui-même, il croisa la route de<br />
quelques grands : Paul Wegener, avec<br />
qui il réalisa le deuxième Golem en 1920 2 ;<br />
Lupu Pick, qu'il dirigea dans ce qui fut<br />
certainement sa tentative la plus ambitieuse,<br />
Die Letzte Groschke von Berlin (le<br />
Dernier Fiacre de Berlin, 1926). On crut le<br />
film de Lupu Pick, ce qui plaide en sa faveur,<br />
même si la critique s'accorde à n'y<br />
voir qu'une pâle imitation d'un Kammerspiel<br />
déjà dénaturé.<br />
Est-il utile de démontrer qu'Eva in<br />
Seide, pour sa part, tend de toutes ses<br />
forces vers la comédie américaine ? Hollywood<br />
a donné le ton depuis longtemps,<br />
avec les comédies mondaines tournées<br />
par DeMille entre 1918 et 1925, avec A<br />
Woman of Paris (l'Opinion publique, 1923)<br />
de Chaplin, et avec, bien sûr, le travail<br />
d'un autre Allemand qui réussit, lui,<br />
outre-Atlantique : en 1928, Ernst Lubitsch<br />
a déjà réalisé pour la toute jeune<br />
Warner quelques chefs-d'œuvre muets<br />
d'esprit satirique. Or, Eva in Seide ne cache<br />
pas ses origines, avec son sujet léger,<br />
sa structure théâtrale, ses costumes luxueux,<br />
son atmosphère étouffante de comédie<br />
d'intérieur qui vous promène de<br />
chambrette en palace, de restaurant en<br />
bijouterie, de Paris à Monte-Carlo. Légèreté,<br />
luxe et évasion : voilà qui nous met<br />
aux antipo<strong>des</strong> du réalisme <strong>des</strong> Pabst (encore<br />
qu'Eva ait avec Loulou une parenté<br />
lointaine), Jutzi et autres Siodmak.<br />
Cette Eva-là a cependant quelque difficulté<br />
à passer pour made in Hollywood.<br />
On comprend du coup pourquoi Lubitsch,<br />
alors même qu'il avait déjà peaufiné<br />
son talent en Allemagne, n'a vraiment<br />
triomphé dans la comédie sophistiquée<br />
qu'aux États-Unis : c'est que l'esprit<br />
du genre est profondément opposé, en<br />
tous points, à la manière allemande. Et<br />
peut-être est-ce tant mieux ; car ce que<br />
nous avons là, c'est un objet hybride et<br />
singulier, à mi-chemin entre Die Austernprinzessin<br />
(la Princesse aux huîtres, 1919) et<br />
Design for Living (Sérénade à trois, 1933),<br />
une comédie internationale dont les très<br />
germaniques personnages flirtent, non<br />
sans mal, avec la frivolité européenne<br />
telle que la voient les Américains.<br />
Passons sur le scénario inspiré d'un<br />
roman à succès, énième variation sur un<br />
thème de répertoire : Galatée est cette fois<br />
ramassée sur le pavé berlinois par un<br />
Pygmalion romancier. Passons sur les acteurs<br />
: si Lissi Arna - visage rond et silhouette<br />
bien plantée - manque d'une<br />
souhaitable évanescence, Walter Rilla est<br />
plus convaincant dans le rôle d'un per-<br />
sonnage dont l'art est de savoir s'effacer.<br />
Tout l'intérêt de ce conte social est<br />
donc dans son traitement. Chaque scène<br />
est longue, se développant en plans insistants<br />
: malgré la réussite très ambiguë<br />
d'Hélène (promue mondaine ou demimondaine<br />
?), on ne manie pas ici, ou fort<br />
peu, l'art de l'allusion, du sous-entendu<br />
et de l'ellipse. Qu'Hélène apparaisse, grelottante<br />
sous son parapluie, et la caméra<br />
la décline sur tous les plans. Hélène<br />
meurt de faim, Pierre la nourrit, et c'est<br />
la base d'un épisode richement détaillé,<br />
où les personnages s'abandonnent aux<br />
délices de la charcuterie et aux vapeurs<br />
de l'alcool. Le réalisme ne serait-il pas,<br />
après tout, plus près qu'on ne pense ?<br />
Conte de fées ou pas, c'est un cinéma qui<br />
ignore la magie : voyez ce manteau de<br />
fourrure, dont l'entrée dans l'action est si<br />
soigneusement préparée, justifiée, commentée.<br />
<strong>La</strong> fourrure, signe tout-puissant<br />
de la métamorphose d'Hélène, éblouit<br />
tous ceux qui regardent la femme, et<br />
confère à celle-ci une sorte de solennité<br />
maladroite. Hélène, contrairement à ses<br />
cousines américaines, n'a pas droit à la<br />
désinvolture ; elle fait <strong>des</strong> gaffes, mais n'a<br />
pas la souplesse, la gouaille boulevardière<br />
et élégante <strong>des</strong> héroïnes de comédie.<br />
Elle est comme asservie à la façade<br />
impeccable de sa toilette, parce que la satire<br />
brutale du propos implique que l'habit<br />
fait complètement le moine, et que les<br />
hommes, trop bêtes, ne croient qu'aux<br />
apparences.<br />
L'essentiel du comique du personnage<br />
est donc reporté sur son double grotesque,<br />
Anna, à laquelle l'excellente Margarete<br />
Kupfer (vue notamment dans les<br />
Lubitsch allemands) prête ses yeux<br />
ronds, ses manières brusques et ses soucis<br />
prosaïques. Anna a sur la situation un<br />
avis aussi borné que répétitif : selon elle<br />
Pierre est, et sera toujours, « complètement<br />
maboul ». Ce schématisme <strong>des</strong> personnages<br />
secondaires (suffisant pour<br />
prouver à quel point le modèle hollywoodien<br />
est peu et mal intégré), contribue<br />
à la stylisation excessive de l'en-<br />
semble : ils composent une galerie de stéréotypes<br />
- le commerçant, le milliardaire,<br />
le prince ruiné - universellement guidés<br />
par le désir et l'intérêt. Entre ces rangées<br />
de statues grimaçantes, Pierre et Hélène<br />
parviennent, eux, à rester humains ; l'art<br />
de la nuance, si propre à la comédie sophistiquée,<br />
n'est pas dans l'écriture, ni<br />
dans les décors, ni dans le développement<br />
de l'intrigue ; mais elle émerge dans<br />
les regards, les expressions, les gestes délicats<br />
<strong>des</strong> deux jeunes gens, que la caméra<br />
prend parfois au piège avec une inhabituelle<br />
finesse.<br />
Le son eût-il simplifié la tâche de Cari<br />
Boese ? Eva in Seide a, en effet, ce côté un<br />
peu ingrat de certains films de la fin du<br />
muet, où le sens plastique s'égare déjà un<br />
peu, où les manies du théâtre figent le cinéma,<br />
où tout enfin est prévu pour la parole<br />
alors qu'elle reste encore la grande<br />
absente. On préfère pourtant le film tel<br />
qu'il est, silencieux, entretenant le<br />
trouble de sa nature, comme Pierre le<br />
trouble de ses intentions à l'égard d'Hélène.<br />
Car les films qui vacillent entre les<br />
époques, les univers, les styles et les zones<br />
d'influence, ont toujours quelque<br />
chose de rare et d'émouvant.<br />
Jacqueline Nacache<br />
1 Siegfried Kracauer écrit : « Dans la mesure où Hollywood<br />
semblait avoir découvert le secret de plaire<br />
à tout le monde, les producteurs allemands rêvaient<br />
d'imiter ce qu'ils pensaient être la véritable manière<br />
hollywoodienne » (De Caligari à Hitler, Flammarion,<br />
1987, p. 150).<br />
2 On peut lire dans l'Écran démoniaque de Lotte H. Eisner<br />
(Appendice III) un texte de Boese racontant sa<br />
contribution aux trucages du Golem.
126 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />
GESCHLECHT IN FESSELN<br />
CHAÎNES<br />
1928-Wilhelm Dieterle<br />
Réal. : Wilhelm Dieterle. Prod. : Léo Meyer, Essem-<br />
Film GmbH (Berlin). Auteurs : Franz Hôllering,<br />
d'après son étude et Karl Plâttner, d'après sa<br />
documentation. Se. : Herbert juttke, Georg C. Klaren.<br />
Dir. ph. : Walter Robert <strong>La</strong>ch. Son : Fritz Brunn.<br />
Déc. : Max Knaake, Fritz Maurischat. Maq. : Paul<br />
Dannenberg. Int. : Mary Johnson (Hélène Sommer),<br />
Wilhelm Dieterle (Franz Sommer), GunnarToInaes<br />
(Rodolphe Steinau), Paul Henckels, Hans Heinrich<br />
von Twardowsky, Gerd Briese, Hugo Werner Kahle,<br />
Karl Goeth, Friedrich Kurth, Arthur Duarte, Anton<br />
Pointner. Date de sortie : 24 octobre 1928, août 1929<br />
(Paris). Métrage, minutage copie Cf. : 2020 m., 88 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : Hervé Dumont : William Dieterle. Antifascismo<br />
y compromiso romântico, Festival internacional de<br />
Cine de San Sebastiân-Filmoteca Espanola, 1994.<br />
Franz Sommer, récemment marié à la<br />
jolie Hélène, est un jeune ingénieur en quête<br />
d'un premier travail. Hélène trouve - au<br />
grand émoi de son époux - un petit emploi<br />
dans un restaurant. Or un soir, un client fait<br />
<strong>des</strong> avances à la jeune femme. Franz intervient<br />
; bagarre, l'autre tombe en arrière et se<br />
blesse grièvement à la tête. Franz est arrêté.<br />
Placé en prévention, il rencontre là un très<br />
riche industriel, Rodolphe Steinau. Libérépeu<br />
après, celui-ci promet de s'occuper d'Hélène.<br />
Aussitôt dit... Il offre à la jeune femme un emploi<br />
dans ses bureaux. Le blessé décède. Franz<br />
est condamné à trois ans de prison. Ils sont<br />
quatre dans une cellule. <strong>La</strong> nuit, Franz étreint<br />
Hélène en rêve, le jour, un détenu sculpte avec<br />
de la mie de pain un corps de femme qu'il caresse.<br />
Le même, peu après, tentera de se suicider<br />
et y parviendra finalement. Hélène, déprimée,<br />
travaille, veillée par Steinau et les<br />
jours passent comme <strong>des</strong> années, trois années<br />
d'attente, de désirs impossibles, de misère. Un<br />
soir, poursuivie dans toute la maison par<br />
l'image de son mari, elle s'enfuit et finit chez<br />
Steinau. Elle se donne à lui en pensant à<br />
Franz. Un nouveau détenu dans la cellule<br />
éprouve une attirance physique pour Franz.<br />
Finalement, il est libre. Mais dans le taxi qui<br />
les ramène, les époux sont silencieux, comme<br />
épuisés. À la maison, il s'effondre quand elle<br />
confesse son secret. À bout de forces, Franz<br />
ouvre le gaz. Hélène choisit de mourir avec<br />
lui.<br />
CELUI PAR QUI<br />
LE SCANDALE ARRIVE<br />
Geschlecht in Fesseln (littér. : « Sexe en<br />
chaînes ») du jeune Wilhelm Dieterle - il<br />
s'agit de sa cinquième réalisation - milite<br />
en faveur d'une réforme pénitentiaire,<br />
car « ce ne sont pas les hommes qui sont<br />
mauvais, mais leurs lois qui sont fausses<br />
et brutales, ce sont elles qui nous jettent<br />
sans pitié dans l'abîme ! » (intertitre censuré).<br />
L'œuvre relate les affres sexuelles<br />
<strong>des</strong> prisonniers de droit commun avec<br />
une franchise et une délicatesse alors inhabituelles.<br />
Soutenu par la Ligue <strong>des</strong><br />
droits de l'homme (qui parraine l'entreprise),<br />
Dieterle a obtenu l'autorisation exceptionnelle<br />
de tourner à l'intérieur du<br />
pénitencier de Berlin-Moabit, à la Lehrterstrasse<br />
(été 1928). Le cinéaste décrit<br />
minutieusement l'univers carcéral, la<br />
monotonie <strong>des</strong> bricolages et menues occupations,<br />
la ronde dans la cour, l'ennui<br />
et la sempiternelle promiscuité en cellule.<br />
<strong>La</strong> nuit, panoramique sur les quatre reclus<br />
tourmentés par leur imagination,<br />
leurs désirs sexuels, leurs frustrations, les<br />
dérivatifs et les rêves. « Pourquoi nous<br />
laisse-t-on manger, boire, dormir, mais<br />
pas « cela » ? » se révolte l'un d'eux qui a<br />
même vu un camarade s'émasculer afin<br />
de pouvoir trouver le sommeil (scène<br />
censurée). À la sortie de prison, trois ans<br />
plus tard, les Sommer s'enferment dans<br />
un silence tourmenté. Le taxi qui les ramène<br />
à la maison affiche « libre », renvoi<br />
cynique et insistant à une « liberté » dont<br />
Franz ne sait plus que faire. Ne parvenant<br />
pas à y croire (comme Dreyfus dans The<br />
Life of Emile Zola, dix ans plus tard), l'exbagnard<br />
entre et sort, rentre et ressort de<br />
l'appartement : la porte n'est vraiment<br />
pas verrouillée ! Anéantis par la culpabilité<br />
et la honte, les époux se suicident au<br />
gaz, main dans la main. Gros plan <strong>des</strong><br />
deux visages rapprochés par la mort.<br />
Dans la version allemande, un entrefilet<br />
de journal relate la tragédie de deux êtres<br />
humains que les lois ont rendus coupables<br />
l'un envers l'autre.<br />
Toutefois, ce qui commence comme<br />
un document saisissant sur un pays miné<br />
par l'insécurité et le chômage, dans la<br />
meilleure tradition du cinéma réaliste allemand<br />
(Phil Jutzi, Abschied de Siodmak),<br />
dérape progressivement dans le mélodramatique<br />
et détruit la crédibilité de la<br />
démonstration. Car sans vouloir minimiser<br />
les privations sexuelles <strong>des</strong> détenus,<br />
on peut dire que les dimensions qu'elles<br />
acquièrent dans ce récit semblent quelque<br />
peu disproportionnées, comparées<br />
au lot d'injustices qui accablent la société<br />
à l'extérieur <strong>des</strong> prisons (sans parler <strong>des</strong><br />
monstruosités qui se préparent dans le<br />
pays même). Le sort <strong>des</strong> Sommer, « définitivement<br />
souillés » par trois ans de séparation,<br />
relève plus de la faiblesse de caractère<br />
que d'une fatalité objective. Désigné<br />
comme un « perdant », Franz ne peut<br />
être vraiment représentatif, mais au mieux<br />
un cas déplorable : l'argumentation<br />
de Dieterle semble ici avoir été aveuglée<br />
par sa sentimentalité. Cela dit, Geschlecht<br />
in Fesseln reste un témoignage précieux<br />
sur la mentalité de l'époque. Dieterle (qui<br />
joue lui-même avec gravité et émotion) y<br />
traite ouvertement de la dépression, de<br />
l'humiliation de l'individu, de la rapacité<br />
<strong>des</strong> possédants, enfin et surtout du suicide<br />
et de l'homosexualité, sans condamnation<br />
morale ni hypocrisie dans le regard,<br />
ce qui est déjà peu banal (en 1940,<br />
il abordera un autre sujet tabou, la syphilis,<br />
dans Dr. Ehrlich's Magic Bullet).<br />
Aujourd'hui, son film frappe surtout par<br />
sa mise en scène, son sens du cadrage, sa<br />
concision dramatique. Le réalisateur cadre<br />
serré pour augmenter le sentiment de<br />
claustrophobie, accumule les gros plans<br />
ou plans rapprochés, se permet quelques<br />
compositions hardies et <strong>des</strong> enchaînements<br />
en surimpression à la Vertov ou<br />
Ruttmann. Des panoramiques répétés en<br />
aller-retour entre deux personnages (Hélène-Steinau,<br />
Franz-le détenu homosexuel)<br />
expriment l'inavouable, le désir<br />
subconscient. Les scènes d'intimité très<br />
intenses, traduisant l'attachement amoureux<br />
du couple au début du film, témoi-<br />
gnent d'un talent cinématographique en<br />
gestation, certes, mais réel.<br />
Couvert d'éloges par la presse, qualifié<br />
même de « rayon de lumière dans les<br />
ténèbres réactionnaires du temps » *, Geschlecht<br />
in Fesseln obtient la prime à la qualité<br />
(« Prâdikat : besonders wertvoll »),<br />
mais suscite de sérieux remous politiques.<br />
Le gouvernement de Bavière demande<br />
vainement à Berlin l'interdiction<br />
du film qui mettrait en péril l'ordre et la<br />
morale publics. Plusieurs passages sont<br />
censurés et ont disparu <strong>des</strong> copies encore<br />
existantes : notamment la visite du beaupère<br />
au début (un industriel insensible à<br />
la misère de son temps), toute l'intervention<br />
de Steinau auprès d'un député afin<br />
d'obtenir un adoucissement de la loi<br />
(« on dépense <strong>des</strong> millions pour la protection<br />
<strong>des</strong> animaux et presque rien pour<br />
la réhabilitation de l'homme »), <strong>des</strong> plans<br />
plus explicites sur l'homosexualité, enfin<br />
divers intertitres dénonçant les priva-<br />
tions du pénitencier comme un « simple<br />
acte de vengeance de la société ». <strong>La</strong> distribution<br />
mondiale est assurée par la<br />
Nero, mais l'œuvre bannie dans de nombreux<br />
pays. À Paris, Chaînes provoque un<br />
tollé (août 1929). Ayant tenu le rôle d'un<br />
révolutionnaire dans Die Weber I les Tisserands<br />
(Friedrich Zelnik, 1927), Dieterle<br />
n'est pas dans les bons papiers de la<br />
droite (le public parisien chantait l'Internationale<br />
dans les salles). Chaînes s'attire<br />
les foudres de l'Ami du peuple, le journal<br />
de Coty, qui exige la saisie de ce « spectacle<br />
pornographique où l'on voit la naissance<br />
<strong>des</strong> passions les plus sales (...) <strong>La</strong><br />
Ligue <strong>des</strong> droits de l'homme a patronné<br />
ce film en Suisse et en Allemagne : qu'elle<br />
sévisse de ce côté ou de l'autre du Rhin,<br />
la Ligue défend automatiquement les<br />
agents de la démoralisation, ainsi que<br />
toutes les entreprises qui tendent à accélérer<br />
le processus de démoralisation d'un<br />
pays » 2 . <strong>La</strong> préfecture de police pari-<br />
GESCHLECHT IN FESSELN - 127<br />
sienne obéit sur-le-champ, ce qui provoque<br />
l'ire de la gauche. Le film ressortira<br />
toutefois en décembre et récoltera un<br />
beau succès (onze semaines d'exclusivité,<br />
en dépit de la nouvelle concurrence<br />
du parlant). L'écho international de ce<br />
film progressiste encourage le jeune Dieterle<br />
dans la voie du film à message sociopolitique<br />
: cette même année, il aborde une<br />
biographie « scandaleuse » de Louis II<br />
de Bavière qui lui vaut la haine <strong>des</strong> nazis.<br />
Ce ne sont là que les premiers jalons<br />
d'une carrière politiquement très engagée<br />
: ami de Brecht, résolument antifasciste,<br />
Dieterle sera réduit au silence par<br />
les McCarthystes du Hollywood d'aprèsguerre.<br />
Hervé Dumont<br />
1 Welt am Montag (Berlin), 24 octobre 1928.<br />
2 L'Ami du peuple (Paris), 10 décembre 1929.
128 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />
DAS STAHLTIER<br />
L'ANIMAL D'ACIER<br />
1935 - Willy Zielke<br />
Stahltier<br />
- L'ANIMAL D'ACIER<br />
Réal. : Willy Zielke. Prod. : Deutsche Reichsbahn.<br />
Se. : Willy Zielke. Dir. ph. : Willy Zielke, Hubs Flôter.<br />
Mus. : Peter Kreuder. Int. : Aribert Mog (Klaassen), les<br />
ouvriers de l'atelier de réparation de Munich-<br />
Freimann, la S 3/6 (la locomotive). Le film est interdit<br />
par la commission de contrôle de Berlin, le 25 juillet<br />
1935. Une version réduite (42 minutes) sort en 1954.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2051 m., 75 mn.<br />
Version originale sous-titrée en français. Noir et blanc.<br />
Doc. : Martin Loiperdinger : « L'histoire de l'Animal<br />
d'acier», <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 5, printemps 1994.<br />
Le jour se lève sur une ville d'Allemagne.<br />
Les ouvriers entrent dans l'usine où l'ingénieur<br />
Klaassen n'a pas fermé l'œil. Toute la<br />
nuit, il a pensé, calculé et <strong>des</strong>siné les plans<br />
d'une nouvelle locomotive. L'usine tourne<br />
maintenant à plein régime, peu à peu le projet<br />
prend forme et enfin, « l'animal d'acier »<br />
paraît, rutilant. Klaassen prend l'air et part<br />
à la rencontre de l'équipe de triage. Il regarde<br />
travailler ces ouvriers rompus au métier, les<br />
gêne un peu, finalement sympathise avec eux.<br />
Plus tard, il leur raconte l'histoire, parfois<br />
tragique, <strong>des</strong> inventeurs du chemin de fer : en<br />
1813, la révolte <strong>des</strong> paysans de Caston Hill<br />
contre les géomètres calculant un chemin<br />
pour leur machine infernale; l'explosion mortelle<br />
du drôle d'engin de James Waters en<br />
1812. Après la pose <strong>des</strong> rails, c'est la pause ;<br />
l'ingénieur et les ouvriers se baignent dans<br />
un étang. <strong>La</strong> classe reprend avec la valeureuse<br />
Puffing Billy d'un autre ingénieur anglais ;<br />
l'invention du français Cugnot (1770) qui<br />
finit sa course dans une maison ; Stephenson<br />
et sa Rocket faisant un mort le jour de l'inauguration<br />
de la ligne Liverpool-Manchester<br />
(1830) ; enfin, l'évocation de l'Aigle, le premier<br />
train allemand qui reliait, il y a cent ans<br />
exactement, Nuremberg à Fiirth. Comme<br />
pour fêter cet anniversaire, l'ingénieur lance<br />
sa nouvelle machine sur les rails jusqu'à atteindre,<br />
dans l'harmonie de toutes les parties<br />
de « l'animal », sa pleine vitesse. Après cet<br />
essai réussi, Klaassen et l'un <strong>des</strong> ouvriers se<br />
retrouvent, fument une cigarette et se séparent,<br />
un peu tristes.<br />
MAÎTRESSE MÉCANIQUE<br />
Longtemps invisible, plus tard faiblement<br />
diffusé dans une version mutilée,<br />
Das Stahltier (l'Animal d'acier) appartient<br />
à cette catégorie de films autour <strong>des</strong>quels<br />
une légende prend corps, légende<br />
alimentée par l'inaccessibilité même de<br />
l'œuvre autant que par les entraves, souvent<br />
inexpliquées, qu'elle a subi. Le caractère<br />
exceptionnel du film dans son<br />
contexte historique et le <strong>des</strong>tin malheureux<br />
du cinéaste ne sont pas étrangers à<br />
sa légende. Le fait que, dans ses Mémoires,<br />
pourtant d'une fiabilité mitigée,<br />
Leni Riefenstahl se défende d'avoir été<br />
pour quelque chose dans l'internement<br />
de Willy Zielke en asile psychiatrique -<br />
séjour pendant lequel il aurait été châtré,<br />
selon les lois d'eugénisme nationales-socialistes<br />
- contribue à entourer d'un mystère<br />
troublant le nom du cinéaste et la réputation<br />
de son unique long métrage.<br />
À l'origine, Das Stahltier était un film<br />
de commande <strong>des</strong> chemins de fer du<br />
Reich, ce qu'aujourd'hui, en France, on<br />
appellerait « un film institutionnel ».<br />
Tout ce qu'on peut savoir <strong>des</strong> circonstances<br />
de sa production ainsi que <strong>des</strong><br />
multiples querelles de pouvoir ayant entraîné<br />
son interdiction, et vingt ans plus<br />
tard sa résurgence tronquée, a été exposé,<br />
avec une minutie donnant le vertige, par<br />
Martin Loiperdinger dans « L'histoire de<br />
l'Animal d'acier » (<strong>Ciné</strong>mathèque, n° 5, printemps<br />
1994). Dans le même volume, une<br />
étude de Dominique Païni (« L'Animal<br />
d'acier et la nouvelle vision ») relie le film<br />
à la formation et l'activité de Zielke<br />
comme photographe, dans le contexte de<br />
la Neue Sachlichkeit (« Nouvelle Objectivité<br />
»). Les deux auteurs soulignent l'isolement<br />
du film dans le cinéma du Troisième<br />
Reich.<br />
Rappelons brièvement que, enthousiastes<br />
devant les premières séquences<br />
tournées par Zielke, les commanditaires<br />
du film avaient rallongé le devis pour en<br />
faire un long métrage, tout en laissant le<br />
cinéaste en liberté. Terminé, Das Stahltier<br />
s'avère inacceptable pour l'Allemagne de<br />
1935. Une raison évidente est d'ordre politique<br />
: une place trop importante y est<br />
faite aux ingénieurs anglais précurseurs<br />
du chemin de fer. Une autre raison, plus<br />
subtile, relèverait du langage cinématographique,<br />
du formalisme effréné du<br />
film : appliqué au monde du travail, esthétisé<br />
certes mais sans idéalisation idéologique,<br />
il acquiert une boursouflure<br />
troublante. Selon Loiperdinger, ce trouble<br />
aurait survécu au national-socialisme,<br />
jusqu'à inspirer les coupures faites au<br />
film en 1954 en République fédérale allemande,<br />
par la nouvelle administration<br />
<strong>des</strong> chemins de fer, au moment de sa distribution<br />
tardive.<br />
Tel qu'il apparaît soixante ans après<br />
sa réalisation, Das Stahltier frappe par ses<br />
aspects obsessionnels. Les recherches de<br />
langage s'éclipsent devant l'irruption<br />
violente, dans une démarche qui se veut<br />
didactique, commémorative, d'une pulsion<br />
érotique déclenchée d'abord par la<br />
machine, ensuite par la vie de ceux qui la<br />
servent. Pour aborder ce qui peut avoir<br />
dérangé dans Das Stahltier, il faut tout<br />
d'abord délaisser les épiso<strong>des</strong> historiques,<br />
évocations sur le mode du tableau<br />
vivant, dont les ellipses semblent plutôt<br />
dissimuler <strong>des</strong> infirmités de production<br />
qu'être le fruit d'une stratégie narrative.<br />
C'est dans son présent, en 1935, qu'on<br />
trouve l'origine du malaise.<br />
L'ingénieur décrit la locomotive comme<br />
une créature vivante, dont il compare<br />
les parties et leurs fonctions à celles d'un
130 - EUROPE - ALLEMAGNE<br />
corps. Ses rapports avec elle sont empreints<br />
d'une intensité amoureuse : soins<br />
qu'il lui prodigue, moments qu'il cherche<br />
à passer seul avec elle, rendez-vous secrets<br />
interrompus par <strong>des</strong> ouvriers la fréquentant<br />
sous un tout autre jour, celui de<br />
la vie pratique. L'animal d'acier existe<br />
donc comme un objet de désir dans l'imaginaire<br />
de celui qui l'approche à partir<br />
d'une connaissance intellectuelle, et aussi<br />
dans la réalité non transposée de ceux<br />
dont elle habite le quotidien. Les rapports<br />
de l'ingénieur avec les ouvriers apprendront<br />
quelque chose à l'un et aux autres,<br />
selon le schéma de la poignée de mains<br />
finale entre Capital et Travail dans Metropolis<br />
de Thea von Harbou et Fritz <strong>La</strong>ng.<br />
Dominique Païni remarque, dans<br />
l'essai mentionné, qu'il n'y a pas d'érotisation<br />
picturale dans les portraits <strong>des</strong> travailleurs<br />
faits par Zielke, comme chez<br />
d'autres photographes de l'époque. Un<br />
érotisme diffus, pourtant, imprègne par<br />
moments les contacts de l'ingénieur et<br />
<strong>des</strong> ouvriers, qui l'acceptent graduellement<br />
parmi eux. Certains repères du parcours<br />
initiatique trouvent dans le film<br />
une réincarnation, loin <strong>des</strong> récits d'aventures<br />
ou de guerre où un « jeune » est<br />
adopté par <strong>des</strong> « pros » mais toujours<br />
dans l'éthologie de « l'amitié virile ». Une<br />
baignade dans un lac scelle cette acceptation<br />
de l'individu cultivé au sein du<br />
groupe prolétaire<br />
Sauf que... Dans ce mariage de la main<br />
et du cerveau, idéologiquement irréprochable<br />
pour l'Allemagne de 1935 comme<br />
pour celle de 1954, il n'y a que <strong>des</strong> aspirants-maris.<br />
<strong>La</strong> fiancée, elle, trône sur<br />
eux, leur échappe à tous. Dans la splendeur<br />
métallique de ses rugissements et<br />
fumées, c'est une maîtresse exigeante et<br />
boudeuse, à ajouter à l'inventaire dressé<br />
par Mario Praz <strong>des</strong> « belles dames sans<br />
merci » chères à l'imaginaire décadent 2 .<br />
Cette matière reste, comme il se doit,<br />
tacite, donc particulièrement puissante,<br />
surtout parce qu'elle s'insinue dans les<br />
fissures <strong>des</strong> recherches de cadrage et de<br />
montage menées par Zielke. À l'intersec-<br />
tion de Walter Ruttmann et de Dziga Vertov,<br />
son travail est loin, très loin <strong>des</strong> ferveurs<br />
hellénisantes de Leni Riefenstahl.<br />
Il évoque <strong>des</strong> artistes comme Balla, Carrà,<br />
Boccioni et Prampolini. Jamais Arno Breker.<br />
D'ailleurs, le futurisme pictural et<br />
poétique est une clé du film, autant que<br />
la « nouvelle objectivité ». Il relève de cet<br />
engouement pour une modernité faite de<br />
technique, de machines, de mouvement<br />
et de vitesse, longtemps classé comme<br />
une manifestation de l'élan vers l'irrationnel<br />
censé avoir nourri le national-socialisme,<br />
donc opposé à un rationalisme<br />
« progressiste », « de gauche ». Comme<br />
d'autres dichotomies cherchant à dissiper<br />
les coïncidences fâcheuses entre idéologies<br />
rivales, cette perception éclaire peu<br />
le terreau très mélangé <strong>des</strong> avant-gar<strong>des</strong><br />
esthétiques et politiques (aussi peu que,<br />
par exemple, les revendications contraires<br />
du mythe de « l'homme nouveau<br />
», créature appelée de leurs vœux<br />
par <strong>des</strong> docteurs Frankenstein aussi disparates<br />
que Lénine, Hitler, Pétain ou<br />
Fidel Castro). En fait, l'ivresse de la « modernité<br />
» semble avoir été commune à<br />
tous les mouvements marqués par le futurisme<br />
: un éventail touchant aussi bien<br />
le vorticisme anglais que les premières<br />
avant-gar<strong>des</strong> russes.<br />
Si Das Stahltier reste une curiosité plutôt<br />
qu'une réussite, les raisons ne sont<br />
que trop évidentes. Tout art aime à se mesurer,<br />
à buter contre les limites de son langage.<br />
Le cinéma muet avait su bâtir un<br />
système narratif d'une admirable subtilité<br />
parce que débarrassé du lest naturaliste<br />
que tout dialogue véhicule. Le sonore,<br />
Bresson l'a toujours signalé, a surtout<br />
inventé le silence. Le peintre,<br />
confronté à la représentation du mouvement,<br />
a inventé <strong>des</strong> agencements de réfractions,<br />
répétitions et superpositions de<br />
formes : voici l'enjeu, et les meilleures<br />
réussites <strong>des</strong> futuristes. <strong>La</strong> captation du<br />
mouvement est l'essence même du cinéma,<br />
donc son élaboration n'a de sens<br />
que quand elle relève le défi de l'immo-<br />
DAS STAHLTIER - 131<br />
bilité. Ainsi, les rythmes de Das Stahltier<br />
sont brillants, mais c'est la chevelure<br />
d'une femme morte, d'abord étalée, ensuite<br />
pendante sur le bord d'un pont levé<br />
qui reste, dans Octobre d'Eisenstein, un<br />
grand moment de cinéma.<br />
Edgardo Cozarinsky<br />
1 Autres lacs, autres baigna<strong>des</strong> : le comédien Aribert<br />
Mog, qui incarne l'ingénieur, avait joué l'amant<br />
d'Hedy Kiesler, plus tard <strong>La</strong>marr, dans Extase de Machaty...<br />
2 Mario Praz : <strong>La</strong> carne, la morte e il iiavolo nella litte-<br />
ratura romantica, 1930.
132 - EUROPE - AUTRICHE<br />
WEGE DES SCHRECKENS<br />
JUSQU'AU CRIME<br />
1921 - Michael Kertesz (Michael Curtiz)<br />
Réal. : Michael (Mihtly) Kertesz. Prod. : Sascha<br />
Filmindustrie AG, Wien (Alexander « Sascha »<br />
Kolowrat). Se. : Fred Wallace. Dir. ph. : Gustav<br />
Ucicky. Opérateur : C. Hiller. Déc. : Julius Borsody,<br />
Arthur Berger. Int. : Lucy Doraine (Maud Hartley),<br />
Alfons Fryland (William Stephenson), Max Devrient<br />
(James Stephenson), Paul Askons (Thomas Racton),<br />
Mathilde Danneger (Gabrielle Racton), Jean Ducret<br />
Date de sortie : / / novembre 1921.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1730 m., 76 mn<br />
(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc. Ce film a été restauré dans le cadre du<br />
« Projet Lumière », avec le concours de la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque municipale de Luxembourg,<br />
l'Ôsterreichisches Filmarchiv (Vienne). Remerciements<br />
à la National Film and Télévision Archive (Londres).<br />
Doc. : CineGraph, Lieferung 5, « Gustav Ucicky ».<br />
Film Kurier, Samstag, 19 août 1922. Michael Curtiz,<br />
Un ungherese a Hollywood, a cura di Orio Caldiron,<br />
<strong>La</strong> Meridiana Editori, Roma, 1992.<br />
Les usines Stephenson et Racton rivalisent<br />
d'importance. Un mariage est prévu entre<br />
le fils Stephenson, William, et la fille Racton,<br />
Gabrielle. Mais William remarque Maud<br />
Hartley, cousine éloignée, servante et souffredouleur<br />
<strong>des</strong> Racton. Les fiançailles sont rompues,<br />
Maud est chassée. Elle trouve un emploi<br />
à l'usine Stephenson et devient vite la secrétaire<br />
de William. Mais un soir, Harry, le<br />
frère de Maud et bon à rien, tue un policier.<br />
Il se réfugie chez sa sœur, et William, trompé<br />
par une ombre chinoise, pense qu'elle a un<br />
amant. Le lendemain, quand le coffre <strong>des</strong> Stephenson<br />
est vide, c'est Maud qu'on accuse et<br />
répudie. Le train qui la ramène chez sa mère<br />
prend feu et les secours l'extirpent inanimée<br />
de la carcasse brûlante. À l'hôpital, elle délire.<br />
Harry, pris de remords, rend l'argent qu'il a<br />
volé à William. Celui-ci cherche la jeune femme<br />
toute une année et la retrouve dans un<br />
grand hôtel en femme du monde. Elle raconte :<br />
guérie, elle apprend que sa maman est morte.<br />
Seule, fuyant le monde de la prostitution, elle<br />
devient par le plus grand <strong>des</strong> hasards une<br />
mondaine, menant la vie d'une débauchée et<br />
s'adonnant aux stupéfiants. Le lendemain de<br />
ce récit, Harry, traquépar la police, heurte...<br />
la voiture de William et Maud, enfin réunis.<br />
Il mourra sous les balles de la police après une<br />
course-poursuite jusqu'au sommet d'une<br />
cheminée d'usine.<br />
KERTESZ AVANT CURTIZ<br />
Lors de la République hongroise <strong>des</strong><br />
conseils (mars-août 1919), le futur Michael<br />
Curtiz a siégé au « conseil artistique<br />
» qui planifiait la production nationalisée<br />
en avril, et tourné un court film<br />
résolument révolutionnaire : Jôn az ôcsém<br />
! (Mon frère arrive, conservé). Il y mettait<br />
sans doute aussi peu d'engagement<br />
personnel que bien plus tard dans Mission<br />
to Moscou/, qui devait valoir <strong>des</strong> ennuis<br />
à Jack Warner. Invité en mai 1919<br />
avec son épouse et vedette Lucy Doraine<br />
par Sascha Kolowrat, il tourne pour celuici<br />
quatorze films en Autriche, puis trois<br />
en Allemagne, avant de commencer en<br />
1926 sa carrière américaine et ses vingthuit<br />
ans chez Warner Bros.<br />
Comme en Allemagne, le lendemain<br />
de la Première Guerre mondiale et les débuts<br />
de la république voient l'épanouissement<br />
du cinéma autrichien. <strong>La</strong> production<br />
atteint son record absolu en 1919<br />
et 1920 avec cent trente et cent quarante<br />
longs métrages. Deux firmes tentent de<br />
conquérir les marchés étrangers par le gigantisme<br />
: la Vita, qui construit de grands<br />
studios, et surtout la Sascha-Film, fondée<br />
en 1912 par Alexander (« Sascha ») Kolowrat,<br />
qui triomphe grâce aux Hongrois<br />
Mihâly Kertész et Sandor Korda.<br />
Dans le Hollywood Mitteleuropa de<br />
la Sascha, Michael (désormais) Kertesz<br />
fabrique <strong>des</strong> produits internationaux.<br />
Pour Wege <strong>des</strong> Schreckens, le scénariste <strong>La</strong>dislaus<br />
(<strong>La</strong>szlo) Vajda prend un pseudonyme<br />
anglosaxon, comme sont anglosaxons<br />
les personnages (la critique du<br />
Film-Kurier mentionne la photographie<br />
de « C. Hiller » ; peut-être un autre pseudonyme<br />
pour l'opérateur, et futur réalisateur,<br />
Gustav Ucicky). L'action se passe<br />
en Grande-Bretagne, avec un détour par<br />
la Suisse pour exploiter les paysages autrichiens.<br />
Le mot d'ordre est : faire feu de<br />
tout bois. Pas un décor naturel qui ne soit<br />
exploité. Quant aux décors construits<br />
(par les excellents Julius Borsody et Arthur<br />
Berger), ils doivent signifier l'opu-<br />
lence, le rêve anglo-saxon du monde entier.<br />
Le sujet et le scénario (Vajda a siégé,<br />
lui aussi, au conseil artistique du cinéma<br />
hongrois) sont parmi les plus désuets et<br />
les plus bêtes qu'on puisse imaginer. <strong>La</strong><br />
pauvreté vertueuse, représentée par l'héroïne,<br />
trouve sa place dans les alliances<br />
industrielles, au prix d'un passage par la<br />
galanterie et du sacrifice d'un mauvais<br />
frère. Les acteurs, Lucy Doraine en tête,<br />
sont tout aussi médiocres. De tout cela,<br />
Kertesz se moque ; il tournera <strong>des</strong> scripts<br />
encore pires aux États-Unis. Aucune tentative<br />
de donner une épaisseur psychologique<br />
par son découpage, comme le<br />
font en 1921 les trois grands Allemands,<br />
ses contemporains. Pas de rimes internes,<br />
de construction bouclée, d'expression<br />
plastique : il exécute une stricte illustration<br />
du scénario. Si on pense à Lubitsch,<br />
c'est pour remarquer qu'ici, aucun parti<br />
n'est tiré d'un dîner où le héros masculin<br />
s'intéresse plus à la femme de service<br />
qu'à sa fiancée en titre. Le pool de secrétaires<br />
est certainement un rappel de la<br />
Princesse aux huîtres, mais tout grotesque,<br />
tout excès en est absent, il ne sert qu'à<br />
montrer le pouvoir de l'argent (anglosaxon<br />
chez Lubitsch aussi). Ce qui<br />
compte ici, c'est que chaque péripétie soit<br />
vivifiée par un décor ou un angle inattendu.<br />
Que fait donc Kertesz de ses personnages<br />
inexistants, de ses cabotins ? Il<br />
les fait entrer dans le champ et en sortir,<br />
se déplacer les uns par rapport aux<br />
autres. Il joue d'une variété de cadrages<br />
rare pour l'époque, passant constamment,<br />
sans transition, du gros plan à <strong>des</strong><br />
ensembles mettant en valeur le décor. Les<br />
inserts sont aussi significatifs et intégrés<br />
dans le récit que les épiso<strong>des</strong> sensationnels.<br />
Kertesz excelle dans les cassures du<br />
récit, comme la coupe brutale par laquelle<br />
il abandonne l'héroïne pour s'intéresser<br />
au mauvais frère avec sa mère (qu'elle<br />
soit accentuée ou non par une lacune du<br />
matériel retrouvé, elle est dans la logique<br />
du récit). Parfaitement à l'aise dans ce<br />
type de développement, il se permet<br />
même trois petits flash-backs - certes conformes<br />
aux règles du mélodrame -, allant<br />
jusqu'à introduire à l'intérieur de l'un<br />
d'eux un flash-back d'un plan unique (la<br />
mère morte). Ce procédé narratif, qui culminera<br />
dans Passage to Marseilles (la plus<br />
grande imbrication de retours en arrière<br />
du cinéma américain classique, les frères<br />
Mankiewicz exceptés), lui est plus naturel<br />
qu'à la plupart de ses collègues, ceux<br />
qui deviendront avec lui les maîtres du<br />
cinéma d'action hollywoodien.<br />
Ce film où la seule règle est d'éviter<br />
tout temps mort a pour clous spectaculaires<br />
deux séquences d'action très réussies<br />
: un accident de train et la poursuite<br />
finale, se terminant au sommet d'une cheminée<br />
d'usine que la police fait sauter à<br />
la grenade, solution économique pour en<br />
déloger le frère traqué. Elles sont les<br />
signes d'une ambition éternelle du cinéma<br />
européen : concurrencer Hollywood<br />
sur son propre terrain. Les émigrés<br />
apporteront à l'Amérique le raffinement<br />
d'une technique autonome, ils y trouveront<br />
le besoin d'un enracinement même<br />
de pure forme, même pour les histoires<br />
les plus farfelues. L'année suivante, la Sascha-Film<br />
remportait avec le film suivant<br />
de Kertesz son plus grand succès international<br />
: Sodom und Gomorrha, qui devait<br />
servir de carte de visite au cinéaste pour<br />
traverser l'Atlantique. À juger par ce qui<br />
est conservé de ce grand spectacle - dans<br />
un état de complétude très inférieur,<br />
semble-t-il, à ce film-ci -, il est nettement<br />
moins intéressant et moins annonciateur<br />
du futur Curtiz que Wege <strong>des</strong> Schreckens .<br />
Sources :<br />
Bernard Eisenschitz<br />
« <strong>La</strong>byrinth <strong>des</strong> Grauens », in Film Kurier, Samstag,<br />
19. août 1922.<br />
(Remerciements à CineGraph, Hambourg)<br />
WEGE DES SCHRECKENS-133<br />
Lucy Doraine.
134 - EU ROPE - AUTRICH E<br />
GEHEIMNISVOLLE TIEFE<br />
PROFONDEURS MYSTÉRIEUSES<br />
1949-Georg Wilhelm Pabst<br />
Réal. : Georg Wilhelm Pabst. Prod. : Pabst-Kiba-<br />
Filmproduktion (J.A. Hùbler-Kahla).<br />
Dir. de prod. : Georg Reuther, J.W. Beyer.<br />
Auteur : Trude Pabst. Se. : Trude Pabst, Walter von<br />
Hollander. Asst. réal. : Walter Meiners.<br />
Dir. ph. : Hans Schneeberger. Cameraman : Helmuth<br />
Fischer-Ashley. Opérateur : Jakob Pal le. Son : Hans<br />
Riedl, Alfred Norkus. Dec. : Werner Schlichting,<br />
Isabell Ploberger. Conception <strong>des</strong> costumes : W.F.<br />
Adlmuller. Costumes : Stone & Blyth (Wien/Vienne).<br />
Conseiller pour les costumes : Elfriede Czerny.<br />
Conception <strong>des</strong> masques : Gustav Wukits, Rudolf<br />
Ohlschmidt, Hilde Hnilitschka. Mont. : Anna<br />
Hôllering. Mus. : Prof. Alois Melichar, Roland Cowa.<br />
Script : Nina Kadane. Int. : lise Werner (Cornelia),<br />
Paul Hubschmid (le professeur Ben Wittich), Stefan<br />
Skodler (Robert Roy), Maria Eis, Elfe Gerhart,<br />
Hermann Thimig, Ulrich Bettac, Otto Schmôle, Robert<br />
Tessen, Franz Eichberger, Harry Leyn, Helly Servy,<br />
Eugen Preis, joseph Fischer, Joséphine Berghofer,<br />
Gaby Philipp. Texte de présentation : « Nous<br />
appartenons à la race qui aspire à passer <strong>des</strong> ténèbres<br />
à la lumière » (Goethe). Date de sortie : avr/7 1951<br />
(Alsace). Métrage, minutage copie Cf. : 2780 m.,<br />
102 mn. Version originale sous-titrée en français. Noir<br />
et blanc. Doc. : ]ean-François Rauger : « Un Pabst<br />
retrouvé », <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 2, novembre 1992.<br />
Fiancée du professeur Ben Wittich, chimiste<br />
de métier et spéléologue par passion,<br />
Cornelia ne partage pas ce goût <strong>des</strong> profondeurs<br />
mystérieuses ; lors d'une exploration,<br />
elle préfère attendre à l'entrée de la grotte. Négligée<br />
par cet homme entièrement dévoué à la<br />
recherche, et courtisée par Robert Roy, un très<br />
riche industriel, elle s'abandonne avec ce dernier<br />
aux plaisirs de la vie mondaine. À la suite<br />
d'une violente dispute avec Ben, la jeune femme<br />
se réfugie auprès de Robert et accepte sa<br />
demande en mariage. Mais passé le voyage de<br />
noces et la satisfaction d'habiter une somptueuse<br />
demeure, Cornelia s'ennuie. Surtout,<br />
elle découvre la vraie nature d'un mari avant<br />
tout préoccupé de la rentabilité de son « investissement<br />
», sa femme ayant pour unique<br />
raison d'être de le représenter avantageusement<br />
en société. Au sortir d'un rêve exprimant<br />
son désarroi et son sentiment d'avoir<br />
fait fausse route, Cornelia se rapproche de<br />
Ben. Et quand celui-ci est porté disparu au<br />
cours d'une de ses expéditions, elle se précipite<br />
à son secours et le rejoint au fond de la<br />
grotte, au mépris de son ancienne peur. À<br />
l'extérieur, les secours, menés par Robert,<br />
sont impuissants à leur venir en aide. Ensemble,<br />
les amants trouvent un passage vers<br />
l'air libre et, unis pour toujours, regardent un<br />
horizon dégagé.<br />
PRISONS GLACÉES<br />
Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs mystérieuses)<br />
est le seul film réalisé par G.W.<br />
Pabst, après son retour en Autriche,<br />
parmi les quatre que produisit l'éphémère<br />
Pabst-Kiba-Filmproduktion. Retenu<br />
officiellement pour représenter l'Autriche<br />
au Festival de Venise en 1949, ce<br />
film, longtemps considéré comme perdu,<br />
semble avoir été peu diffusé et connut un<br />
succès commercial <strong>des</strong> plus limités. Souvent<br />
mentionné dans les monographies<br />
consacrées à Pabst, il est parfois difficile<br />
d'en retrouver la trame dans les résumés<br />
fantaisistes qu'elles en donnent.<br />
Il serait vain assurément d'y chercher<br />
un éclairage nouveau sur l'ensemble de<br />
la carrière du cinéaste, son évolution politique,<br />
si controversée à la suite de son<br />
retour en Allemagne, sur les films qu'il<br />
tourna sous le IIP Reich ou même ses productions<br />
d'après-guerre. Mais n'y voir<br />
qu'une comédie dramatique aussi idéaliste<br />
que sentimentale, serait tout aussi<br />
exagéré. Déjà parce que l'on retrouve<br />
dans ce film assez déroutant nombre de<br />
thèmes au cœur de l'œuvre de Pabst. Il<br />
contraste avec ses autres réalisations au<br />
lendemain de la guerre, qui portent le<br />
plus souvent sur <strong>des</strong> sujets d'actualité :<br />
Der Prozess I le Procès (1947), Der Letzte Akt<br />
I la Fin d'Hitler (1955), Es Geschah am 20.<br />
Juli I C'est arrivé le 20 juillet (1955), et dans<br />
lesquels on est toujours tenté de voir un<br />
essai d'autojustification politique. Geheimnisvolle<br />
Tiefe n'appartient pas plus<br />
aux grands films <strong>des</strong> années vingt et<br />
trente du réalisateur. Mais il offre un foisonnement<br />
d'interrogations et propose<br />
une vision plus contrastée du dernier<br />
135<br />
Pabst. Drame psychologique, mélodrame,<br />
comédie dramatique : on est bien en<br />
peine de préciser à quel genre exactement<br />
se rattache ce film, dont l'intrigue sentimentale,<br />
souvent assez naïve, s'insère<br />
entre deux <strong>des</strong>centes dans les profondeurs<br />
de la terre, <strong>des</strong>centes allégoriques<br />
qui donnent au film une dimension presque<br />
métaphysique.<br />
Sa première originalité est peut-être<br />
d'être entièrement conçu du point de vue<br />
d'une femme, Cornelia (lise Werner, vedette<br />
<strong>des</strong> comédies alleman<strong>des</strong> <strong>des</strong> années<br />
quarante, rendue célèbre par Wunschkonzert<br />
I l'Épreuve du temps), qui en<br />
demeure l'unique héroïne et dont l'évolution<br />
<strong>des</strong> sentiments détermine toute action.<br />
Ce sont ses élans de révolte, ses déceptions<br />
amoureuses, son impression<br />
constante d'être trahie ou méprisée par<br />
l'égoïsme de deux hommes, mais aussi<br />
son courage et son sens du sacrifice qui<br />
provoquent les péripéties du film et ceci<br />
ne saurait étonner de la part de celui qui<br />
réalisa Die Buchse der Pandora (Loulou) et<br />
Das Tagebuch einer Verlorenen (Journal<br />
d'une fille perdue). Son visage en gros<br />
plans successifs, reflété par les miroirs,<br />
aux traits immobiles, ne cesse d'apparaître<br />
et de disparaître de manière presque<br />
angoissante. Par son silence, l'interrogation<br />
muette de ses yeux, il ponctue<br />
tous les moments dramatiques de Geheimnisvolle<br />
Tiefe. Personnage secret, angoissé,<br />
aspirant autant au partage d'un<br />
véritable amour qu'à une vie équilibrée,<br />
Cornelia est sans cesse confrontée à <strong>des</strong><br />
univers, à <strong>des</strong> situations, d'un rare manichéisme.<br />
Ces oppositions, parfois naïves<br />
dans leur traduction esthétique, laissent<br />
une empreinte profonde sur l'ensemble<br />
du film : entre deux hommes, Cornelia<br />
risquera de devenir cet oiseau pris dans<br />
la glace, que l'on découvre dès les premières<br />
<strong>images</strong>.<br />
Celui qu'elle aime et s'apprête à<br />
épouser, le docteur Ben Wittich, biologiste<br />
et chimiste, est, lui, entièrement prisonnier<br />
de sa passion : la recherche scientifique<br />
la plus désintéressée. Refusant de
136 - EUROPE - AUTRICHE<br />
prendre <strong>des</strong> brevets sur ses découvertes,<br />
il se satisfait d'un salaire mo<strong>des</strong>te qui lui<br />
permet de réaliser son unique rêve : <strong>des</strong>cendre<br />
dans les profondeurs abyssales de<br />
la terre, explorer d'étranges grottes que<br />
jouxtent de véritables palais de glace et<br />
habitées, à l'époque du quaternaire, par<br />
<strong>des</strong> hommes préhistoriques. <strong>La</strong> glace se<br />
fait ici miroir - thème obsédant du film.<br />
Si l'oiseau gelé semble préfigurer le <strong>des</strong>tin<br />
de Cornelia, ce n'est que prisonnier de<br />
la muraille de glace et face à une mort apparemment<br />
certaine que le docteur Wittich,<br />
en découvrant au fond de la grotte<br />
les restes d'un homme préhistorique, a le<br />
sentiment d'échapper à sa propre solitude.<br />
Dès le début du film, l'ambivalence<br />
qu'éprouve Cornelia à l'égard de la passion<br />
de l'homme qu'elle aime, est clairement<br />
mise en évidence par Pabst à l'aide<br />
de quelques plans très composés, tandis<br />
qu'elle l'accompagne au cours d'une première<br />
<strong>des</strong>cente dans la grotte. Fascinée<br />
par la beauté presque féerique de cette architecture<br />
de stalagmites et de stalactites,<br />
la succession de roches glissantes et<br />
d'étendues glacées, elle en perçoit immédiatement<br />
le danger : cet univers souterrain<br />
exerce sur Ben une telle fascination,<br />
qu'il l'emporte sur leur amour.<br />
Au plan esthétique, la première représentation<br />
de ces profondeurs mystérieuses<br />
est une incontestable réussite de<br />
Pabst. Même si certaines prises de vue de<br />
ces décors gelés ne sont pas sans évoquer<br />
le film qu'il réalisa en 1929, Die Weisse<br />
Hôlle vom Piz-Palù (Prisonniers de la montagne),<br />
d'après un scénario de l'inévitable<br />
Arnold Franck, coréalisateur d'une œuvre<br />
qui comptait Leni Riefenstahl parmi<br />
ses interprètes. Les deux films sont<br />
d'ailleurs tournés avec le même opérateur,<br />
Hans Schneeberger. Avec son<br />
amoncellement de blocs en équilibre instable,<br />
ses concrétions de pierres et de<br />
glace, l'étroitesse de ses passages, cet univers<br />
cryptique reconstitué par Pabst suggère<br />
une impression d'intense fragilité,<br />
d'insolite poésie, rappelant certains as-<br />
pects <strong>des</strong> décors de Der Schatz I le Trésor<br />
(1923), son premier film encore influencé<br />
par l'expressionnisme, et du Golem (Paul<br />
Wegener, 1920).<br />
Cet espace clos du monde <strong>des</strong> cavernes,<br />
Ben paraît le recréer en permanence<br />
autour de lui. Il vit parmi <strong>des</strong> alignements<br />
de crânes et d'ossements qui<br />
font ressembler son habitation à un<br />
musée de paléontologie où Cornelia semble<br />
se demander si elle a vraiment sa<br />
place, autrement que momifiée. A l'opposé<br />
de Ben, prisonnier de son idéalisme,<br />
de ses rêves et d'une pulsion de mort,<br />
Roy, l'une de ses relations, incarne l'homme<br />
d'affaires sans scrupules, le matérialiste<br />
qui ne connaît que le pouvoir de l'argent.<br />
Il jalouse et méprise le savant qui<br />
refuse de lui vendre les brevets de ses découvertes,<br />
il convoite sa future femme.<br />
Les manœuvres de séduction de l'affairiste<br />
permettent à Pabst de camper les<br />
oppositions entre les deux univers. Quand<br />
Cornelia et Ben sont conviés à <strong>des</strong> fêtes<br />
où régnent la richesse et la vulgarité, la<br />
musique tonitruante contraste avec le silence<br />
du monde souterrain, l'horizontalité<br />
du parc et du plan d'eau s'opposent<br />
à la verticalité de la grotte. L'univers de<br />
Roy est uniquement dominé par le luxe<br />
le plus ostentatoire et l'argent. Une fois<br />
mariés, Cornelia n'est pour lui qu'un trophée<br />
dont il expose la beauté comme un<br />
symbole parmi d'autres de sa réussite.<br />
L'appartement devient le décor de somptueuses<br />
soirées où l'on ne demande à<br />
l'épouse que de briller, d'éblouir, à la manière<br />
de ces parures somptueuses que<br />
Roy lui offre... après qu'elle a signé un papier<br />
reconnaissant à son mari l'entière<br />
propriété <strong>des</strong> bijoux en cas de divorce. Ici<br />
encore, Pabst construit de nombreuses<br />
séquences sur les mêmes jeux d'oppositions.<br />
A l'espace clos <strong>des</strong> grottes et au sentiment<br />
d'étouffement que suggère le logement<br />
de Ben correspond l'espace de<br />
Roy : une maison immense, aux vastes<br />
pièces luxueusement meublées, avec <strong>des</strong><br />
baies vitrées d'où l'on découvre la ville.<br />
Aux échelles étroites sur lesquelles Ben<br />
entraîne Cornelia dans son monde du silence,<br />
répond le majestueux escalier en<br />
marbre...<br />
Cornelia prend vite conscience du<br />
vide qui domine cet univers factice. Elle<br />
s'y sent de plus en plus étrangère, certaine<br />
d'être considérée comme un simple<br />
objet, un moyen pour parvenir à <strong>des</strong> fins :<br />
après l'avoir humiliée avec les bijoux,<br />
Roy n'hésitera pas à l'envoyer chez Ben<br />
pour tenter de le persuader de vendre un<br />
brevet. Dans le décor bourgeois de Roy,<br />
Cornelia a encore plus le sentiment d'étouffer<br />
que dans le monde souterrain.<br />
Son angoisse croissante, sa tristesse,<br />
Pabst les exprime par <strong>des</strong> gros plans successifs<br />
de son visage, presque immobile,<br />
ou par son reflet incertain dans les luxueux<br />
miroirs.<br />
L'appel vers une autre vie - comme<br />
son amour persistant pour Ben Wittich -<br />
se manifesteront à Cornelia à travers un<br />
rêve. Cette séquence onirique demeure<br />
au plan esthétique l'une <strong>des</strong> plus belles<br />
réussites du film. On y retrouve sans<br />
aucun doute l'inspiration qui permit à<br />
Pabst de réaliser en 1926 Geheimnisse einer<br />
Seele (les Mystères d'une âme), l'un <strong>des</strong> premiers<br />
films influencés par les théories de<br />
Freud. L'inconscient de la jeune femme<br />
est ici traduit par une surprenante architecture<br />
onirique où se mêlent la violence<br />
<strong>des</strong> clairs-obscurs, les effets de surimpression<br />
et de dédoublement, <strong>des</strong> paysages<br />
dans le brouillard et la brume, qui<br />
semblent parfois se confondre avec le<br />
monde <strong>des</strong> cavernes. Des figures insolites<br />
surgissent : une procession qui rappelle<br />
celle <strong>des</strong> mendiants de Die Dreigroschenoper<br />
(l'Opéra de auat'sous), un vieil homme,<br />
gardien de la lumière, qui semble indiquer<br />
à Cornelia le chemin à suivre : à<br />
travers le miroir.<br />
L'idéalisme sentimental de la fin (« Je<br />
ne peux pas y croire. Que notre vie est<br />
belle » s'écrient les rescapés de la caverne<br />
contemplant la campagne ensoleillée)<br />
symbolise le film tout entier avec ses faiblesses<br />
et aussi ses moments de grâce.<br />
Tourné en 1949, il ne porte aucune trace<br />
de l'époque : on n'est guère surpris que<br />
Pabst en ait conçu l'idée - le scénario est<br />
cosigné par sa femme Trude Pabst et Walter<br />
von Hollander - en 1942. Cette opposition<br />
radicale entre deux types de caractères,<br />
deux visions du monde, l'idéalisme<br />
et le matérialisme, le pouvoir de la foi<br />
d'un homme contre le pouvoir de l'argent<br />
d'un autre, n'aurait pas forcément<br />
déplu à l'époque. En même temps, s'il est<br />
facile de reprocher à Pabst <strong>des</strong> excès de<br />
naïveté, <strong>des</strong> dialogues souvent peu élaborés,<br />
<strong>des</strong> oppositions caricaturales, on<br />
ne peut nier la beauté de son évocation<br />
d'un monde souterrain et hallucinant,<br />
cette magie <strong>des</strong> lumières avec laquelle il<br />
semble renouer parfois. Et rien que dans<br />
la manière de filmer ces pauvres chan-<br />
GEHEIMNISVOLLE TIEFE - 137<br />
delles, au fond de la grotte, incapables<br />
d'en dissiper les ténèbres, on retrouve<br />
quelque chose du Pabst <strong>des</strong> années vingt<br />
et trente, comme si la liberté dont il bénéficiait<br />
dans la réalisation de ce film lui<br />
permettait de revenir à ses motifs esthétiques<br />
les plus personnels.<br />
Jean-Michel Palmier
LE CARILLON DE LA LIBERTE<br />
(Tragédie lyrique)<br />
1931 - Gaston Roudès<br />
Réal. : Gaston Roudès. Prod. : Sybil-Film.<br />
Auteur : Arnaud Wullus-Rudiger, d'après son livret<br />
homonyme. Dir. ph. : S. Hugo. Son : M. Gérardot.<br />
Mus. : Arthur Prévost.<br />
Technique musicale et montage sonore : E. Crégut.<br />
Procédé d'enregistrement G.I. Kraemer. Licence<br />
Thomson-Houston. Int. : Andrée <strong>La</strong>fayette (Nora<br />
Sigrid, châtelaine d'Islande), Jacques Maury (Jacques<br />
Vleminx, peintre flamand), Madeleine Bréville (Louise<br />
Liégeois), M. Charley Sov (Pierre Van Brussel),<br />
N. Dolne (l'islandais Grimnir). Date de sortie : 22<br />
décembre 1931. Métrage, minutage copie Cf. : 1598<br />
m., 70 mn. Version originale (langue française). Noir<br />
et blanc. Doc. : Remerciements à Marianne Thys.<br />
Le peintre flamand Jacques Vleminx travaille<br />
et demeure au château de la belle Nora<br />
Sigrid. L'artiste et la châtelaine s'aiment. Jacques<br />
reçoit une lettre de son père, carillonneur<br />
de la ville d'Anvers : la neutralité de la<br />
Belgique a été violée ! Aux armes ! Nora tente<br />
de retenir son amour mais les cloches du village<br />
sonnent comme un rappel du devoir.<br />
1914 : Anvers est bombardée. Le fils du carillonneur,<br />
blessé, monte au sommet de la cathédrale<br />
et, dans le bruit et la fureur, fait résonner<br />
toutes les cloches au son de la Brabançonne,<br />
l'hymne national. Cette musique miraculeuse<br />
rend l'espoir aux militaires et aux<br />
civils. 1919 : le président du comité réunissant<br />
les représentants <strong>des</strong> neuf provinces de<br />
Belgique annonce que Bruxelles aura bientôt<br />
un carillon où chaque pays d'Europe sera représentépar<br />
une cloche. L'honneur d'animer<br />
l'instrument reviendra au héros d'Anvers, le<br />
sergent Vleminx. Depuis la fin de la guerre,<br />
Jacques a épousé Louise Liégeois, une Wallonne.<br />
Nora reparaît et avec elle, les souvenirs.<br />
Elle rappelle à l'artiste leur projet de la<br />
peindre en walkyrie. Louise est inquiète de<br />
cette intrusion et un jour,n'y tenant plus, pénètre<br />
dans l'atelier et chasse l'importune<br />
avant de s'évanouir. À la fonderie, les cloches<br />
du carillon sont prêtes. Depuis le départ de<br />
Nora, Jacques est « entêté » et à la veille du<br />
grand jour, disparaît. Au petit matin, il arrive<br />
au château où la Belle l'attendait. Mais<br />
bientôt, sonnent les cloches comme un reproche.<br />
Alors, Jacques s'enfuit. Nora fait lâcher<br />
les chiens sur le fugitif et les rappelle au dernier<br />
moment. Les mains ensanglantées par les<br />
crocs, le sonneur roule à tombeau ouvert. À<br />
l'heure dite, sa femme à ses côtés, il fait retentir<br />
dans toute la ville le carillon de la liberté.<br />
UN CARREFOUR DE LÉGENDES<br />
Une bonne centaine d'années après<br />
l'indépendance de la Belgique, le Français<br />
Gaston Roudès débarque pour rehausser<br />
d'un éclat supplémentaire les<br />
festivités du centenaire déjà célébré par<br />
certains de ses collègues belges. En 1930,<br />
Émile-Georges De Meyst avait réalisé la<br />
Brabançonne et Paul Flon, la Flamme du<br />
souvenir, deux films parmi les plus significatifs<br />
de cette commémoration.<br />
Il devait cette invitation à Arnaud<br />
Wullus-Rudiger, éminent homme de lettres<br />
belge, auteur de nombreux articles à<br />
propos <strong>des</strong> relations germano-belges, et<br />
qui avait consacré deux années à l'écriture<br />
d'un scénario qui se voulait idéal<br />
dans son exaltation du peuple belge et de<br />
son passé. En France, Roudès avait gagné<br />
très discrètement ses galons de réalisateur<br />
avec quelques dizaines de films, notamment<br />
pour la compagnie Eclipse,<br />
parmi lesquels la série de westerns Arizona<br />
Bill fut peut-être la plus connue.<br />
Le script du Carillon de la liberté avait<br />
pour ambition d'égaler la légende, et<br />
Wullus-Rudiger avait puisé tout simplement<br />
son inspiration chez Goethe ! Le<br />
récit <strong>des</strong> noces de Faust avec Hélène de<br />
Troie et l'union symbolique <strong>des</strong> cultures<br />
germanique et gréco-romaine furent transposés<br />
dans le contexte séculaire belge de<br />
la cohabitation de deux différentes cultures,<br />
germanique et latine. Du mariage<br />
goethéen naquit Euphorion, un enfant<br />
pour le moins extraordinaire, doté de<br />
force, d'adresse et de beauté. Vue sous<br />
l'angle belge, cette alliance mythique<br />
entre Flamands et Wallons ne pouvait<br />
que déboucher sur un avenir fécond.<br />
Dans le film, la persévérance <strong>des</strong> deux<br />
peuples triomphera, via l'apothéose ca-<br />
139<br />
rillonnée, avec l'amour céleste de Jacques<br />
et de Louise.<br />
Avec une telle résonance, les deux<br />
hommes purent compter sur une collaboration<br />
active <strong>des</strong> autorités. Les lieux les<br />
plus pittoresques du paysage belge furent<br />
systématiquement répertoriés, de<br />
même tous les sites historiques de Gand<br />
à Anvers et de Bruxelles à Liège avec,<br />
comme point d'accroché visuelle, le majestueux<br />
château de Haar - situé non loin<br />
de l'embouchure du Rhin. Le corps de<br />
ballet du Théâtre royal de la Monnaie fut<br />
mis à disposition et le compositeur Arthur<br />
Prévost écrivit une partition <strong>des</strong>tinée<br />
à contribuer à la magnificence du<br />
film. Le casting était composé d'un choix<br />
de comédiens issus <strong>des</strong> meilleures compagnies<br />
françaises : Andrée <strong>La</strong>fayette,<br />
Jacques Maury (du Chemin du paradis) et<br />
Madeleine Bréville. <strong>La</strong> presse suivit de<br />
près le tournage, et le Carillon de la liberté<br />
ne pouvait que devenir le plus grand film<br />
sonore belge. <strong>La</strong> première eut lieu dans<br />
une <strong>des</strong> plus prestigieuses salles de la capitale<br />
en la présence du roi Albert 1 er .<br />
Il est difficile de faire abstraction de<br />
la symbolique chargée de Wullus-Rudiger<br />
dans laquelle, par ailleurs, le film<br />
semble s'abîmer. Et malgré les annonces<br />
lyriques d'une presse plus que bienveillante,<br />
le Carillon de la liberté ne figure<br />
guère plus d'une semaine à l'affiche. Les<br />
spectateurs belges ne semblaient pas sensibles<br />
à cet idéal d'une solidarité très métaphoriquement<br />
sollicitée : plus de soixante<br />
années après la sortie du film, sa<br />
lecture apparaît comme définitivement<br />
utopique. Mais le film est conforme à son<br />
contexte historique (commémoration du<br />
centenaire de l'indépendance et séquelles<br />
interminables de la Première Guerre<br />
mondiale, qui inspirèrent <strong>des</strong> dizaines de<br />
films patriotiques) et témoigne certainement<br />
de l'audace financière et de l'ambition<br />
d'un homme, Wullus-Rudiger, dont<br />
la foi en l'avenir de son pays était inébranlable.<br />
Marianne Thys, Gabrielle Claes
140 - EUROPE - GRANDE-BRETAGNE<br />
THE CLOCK STRIKES EIGHT<br />
L'EXÉCUTION EST POUR 8 HEURES<br />
(Séries : APPOINTMENT WITH FEAR)<br />
(Série : UN RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR)<br />
1946-Ronald Haines<br />
Réal. : Ronald Haines. Prod. : British Foundation<br />
Pictures Ltd. (Ronald Haines). Adaptation d'un<br />
scénario radiophonique original de John Dixon (sic)<br />
Carr, en accord avec la BBC. Se. : Barbara Noble, Ray<br />
[Roy) Clark. Dir. ph. : Stanley Clinton. Dec. : Jean<br />
(John) Haines. Maq. : Harry Davis. Mont. : Ronald<br />
Haines. Asste. mont. : Dorothy Stimson.<br />
Mus. : Georges Tzipine. Int. : Mary Shaw (Hélène<br />
Barthe/He/en Barton), Geoffrey Derris (le gouverneur<br />
de la prison), Frederick Morant (le docteur Alleric<br />
Hurst), Peter Lilley (Herbert Gale), Milicent Wolfet<br />
Mona Wynne (Mrs. Parsons et Mrs. Stevens, les deux<br />
gardiennes), Valentine Dyall (le narrateur).<br />
Date de sortie : /'u/7/et 1946.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 695 m., 25 mn. Version<br />
originale. Noir et blanc. Doc. : Remerciements à<br />
Roland <strong>La</strong>courbe.<br />
Il est six heures du matin à la prison de<br />
Maidhurst et Helen Barton attend son exécution.<br />
Elle va être pendue pour l'assassinat,<br />
six mois plus tôt, de son fiancé Philip Gale.<br />
Durant tout son procès, Helen ne s'est souvenue<br />
de rien et c'est le témoignage accablant<br />
d'Herbert, le frère de la victime, qui a décidé<br />
de son sort : il a affirmé avoir vu la jeune femme<br />
tirer sur son fiancé alors qu'il avait les bras<br />
en l'air. Mais, à deux heures de son exécution,<br />
Helen qui a soudainement retrouvé la<br />
mémoire, affirme au directeur de la prison<br />
qu'elle n'a pas tué Philip ! Troublé, le directeur<br />
appelle à l'aide son vieil ami le psychiatre<br />
Alleric Hurst qui se rend immédiatement à la<br />
prison. Il se fait résumer l'affaire par son interlocuteur.<br />
Celui-ci fait un récit détaillé <strong>des</strong><br />
événements tels qu 'ils ont été décrits par Herbert<br />
Gale et conclut par ce détail significatif:<br />
la blessure mortelle était en parfaite continuité<br />
avec les trous faits par la balle dans la<br />
veste et le gilet de la victime à tel point qu'on<br />
pouvait passer un crayon au travers... C'est<br />
ce détail qui va innocenter Helen Barton !<br />
Hurst convoque Herbert Gale. Il l'oblige à endosser<br />
la veste et le gilet de son frère assassiné<br />
et prouve ainsi qu'il a menti en prétendant<br />
qu'Helen a tiré sur Philip alors qu'il<br />
avait les bras levés : si la victime avait été dans<br />
cette position, le trou dans la veste aurait été<br />
fait dix centimètres plus haut... Huit heures<br />
sonnent. Herbert est perdu, Helen est libre.<br />
RENDEZ-VOUS MANQUÉ<br />
Durant longtemps, Appointment With<br />
Fear a été considéré comme perdu : même<br />
le British Film Institute, pourtant attentif<br />
à la conservation du patrimoine britannique,<br />
n'en possède pas de copie et a été<br />
incapable d'en localiser une. Jusqu'à ce<br />
qu'en 1994 on découvre à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française deux courts métrages<br />
qui en constituent la première et la seconde<br />
partie. Ce qui veut dire que les trois<br />
parties qui le composaient ont été distribuées<br />
en France en compléments de programme,<br />
alors que le long métrage sous<br />
son titre original a toujours été officiellement<br />
considéré comme inédit dans notre<br />
pays.<br />
The Clock Strikes Eight I l'Exécution est<br />
pour 8 heures est la première partie d'Appointment<br />
With Fear, film à sketches inspiré<br />
d'une série radiophonique du même<br />
titre diffusée à la BBC durant la guerre et<br />
très populaire à l'époque. Célèbre auteur<br />
de romans policiers, John Dickson Carr<br />
(1906-1977) en avait été l'un <strong>des</strong> principaux<br />
artisans. Le film était donc adapté<br />
de trois de ses histoires les plus fameuses<br />
: 1) The Clock Strikes Eight, pièce<br />
radiophonique diffusée àlaBBClel8mai<br />
1944. 2) The Gong Cried Murder (le Gong<br />
trahit le meurtrier), pièce radiophonique<br />
diffusée à la BBC le 14 décembre 1944. 3)<br />
The House in Rue Rapp, film qui demeure<br />
actuellement invisible.<br />
The Clock Strikes Eight adapte assez fidèlement<br />
The Hangman Won't Wait, une<br />
pièce déjà diffusée en 1943 sur CBS, ellemême<br />
bâtie sur un gimmick qui trouve sa<br />
source dans l'authentique affaire du<br />
meurtre du cinéaste William Desmond<br />
Taylor à Hollywood en 1922, et dont John<br />
Dickson Carr avait pris connaissance au<br />
début <strong>des</strong> années trente, lorsqu'il lisait<br />
énormément de comptes rendus concernant<br />
les crimes célèbres (le trou fait dans<br />
son gilet par la balle qui avait tué le cinéaste<br />
prouvait qu'il avait les bras levés<br />
lorsqu'on avait tiré sur lui, confirmant la<br />
thèse du crime commis par un rôdeur).<br />
Seul détail qui diffère : l'enquêteur génial<br />
qui sauvera in extremis l'infortunée Helen<br />
Barton n'est plus le célèbre Gideon Fell,<br />
limier prestigieux mis en scène par l'auteur<br />
dans plus de vingt romans, mais un<br />
psychiatre inventé pour la circonstance,<br />
figure presqu'inévitable du film noir hollywoodien<br />
à la même époque. Mais si<br />
l'astuce sur laquelle repose toute l'intrigue<br />
peut faire illusion dans un court résumé<br />
et si la pièce radiophonique ellemême<br />
comportait, selon les témoignages,<br />
une bonne dose de suspense, il n'en est<br />
pas de même pour ce court métrage totalement<br />
insipide. Les comédiens complètement<br />
inconnus n'ont aucune présence<br />
et aucune conviction : on dirait une<br />
troupe d'amateurs. L'héroïne qui incarne<br />
Helen Barton possède un physique pour<br />
le moins revêche, et passe difficilement<br />
pour une douce fiancée accusée à tort.<br />
Quant à la mise en <strong>images</strong>, elle est statique<br />
et sans relief. On se croirait revenu<br />
au temps <strong>des</strong> premiers balbutiements du<br />
cinéma sonore : chacun parle à son tour<br />
en prenant soin de ne pas couper la parole<br />
à son interlocuteur et la caméra de-<br />
meure désespérément fixe, laissant les acteurs<br />
se mouvoir dans un champ limité<br />
sans jamais se permettre le moindre recadrage.<br />
Un incunable, certes. Mais une<br />
pièce rare qui n'a d'intérêt que pour les<br />
passionnés de Carr, soucieux de découvrir<br />
à quel point le cinéma et la télévision<br />
ont maltraité l'un <strong>des</strong> écrivains de mystère<br />
les plus imaginatifs du siècle.<br />
Le film est précédé par un court planséquence<br />
d'introduction : un lent pano-<br />
ramique dans une pièce finissant par<br />
montrer de dos dans l'ombre un personnage<br />
penché sur un bureau. <strong>La</strong> caméra<br />
s'attarde sur différents objets dont une reproduction<br />
miniature de la Vénus de<br />
Milo, un sablier, un crâne à la mâchoire<br />
ouverte et un réveil, tandis que se fait entendre<br />
la voix lugubre de Valentine Dyall<br />
(« The Man in Black »). Il n'est pas impensable<br />
que cette courte introduction ait<br />
inspiré six ans plus tard le début similaire<br />
THE CLOCK STRIKES EIGHT - 141<br />
du premier épisode de la série du Colonel<br />
March où le chef du D-3 (Boris Karloff<br />
en personne) présentait au public différents<br />
objets de sa collection privée symbolisant<br />
un crime. Il semble bien que le<br />
crâne à la mâchoire ouverte du présent<br />
film soit le même que celui entrevu dans<br />
ce premier épisode de la célèbre série télévisée...<br />
Roland <strong>La</strong>courbe
142 - EUROPE - ITALIE<br />
Gino Cervi,<br />
Luisa Ferida.<br />
■Hli , ■ -'-—, ■ 1 ' '■ " ■*<br />
L'ARGINE<br />
1938-Corrado D'Errico<br />
Réal. : Corrado D'Errico. Prod. : Scalera Film, C.<br />
Consorzio Adriatico. Dir. de prod. : Santé Bonaldo.<br />
Auteur : Rino Alessi, d'après son drame homonyme.<br />
Adapt. : Ettore M. Margadonna. Se. : Ettore M.<br />
Margadonna, Giacinto Solito. Asst. réal. : Giacinto<br />
Solito. Dir. ph. : Vaclav Vich. Photographies : A.<br />
Pesce. Effets spéciaux : Angelo <strong>La</strong>urenti.<br />
Son : Giuseppe Caracciolo. Dec. : Salvo D'Angelo,<br />
Carlo Enrico Rava. Cost. : Carlo Enrico Rava.<br />
Mont. : Giacinto Solito. Mus. : Francesco Balilla<br />
Pratella. Direction musicale : Ugo Giacomozzi.<br />
Musique de jazz : Antonio Badiali.<br />
Chansons : Amedeo Escobar, interprétées par le Trio<br />
Lescano. Danses exécutées par le couple Moresi sur<br />
une musique de F.B. Pratella.<br />
Organisation générale : Mario Sequi. Tourné aux<br />
établissements Titanus Farnesina. Enregistrement<br />
sonore Tecnostampa de Vincenzo Genesi. Int. : Luisa<br />
Ferida (Sina), Gino Cervi (Zvanî), Guglielmo Sinaz<br />
(John), Rubi Dalma (Maria, l'étrangère), Olga Capri<br />
(Tuda), Luigi Almirante (« il maestrino »), Gemma<br />
Bolognesi (Olga), Roberto Pasetti (« Vendetta »), Anna<br />
Valpreda, Adelmo Cocco, Renato Navarrini, Vasco<br />
Creti, Pietro Beldi, Carlo Romano, Renato Malavasi,<br />
Amina Pirani Maggi, Edda Soligo.<br />
Date du visa de censure : 21 août 1938.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2460 m., 90 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc. Doc. : Roberto Chiti,<br />
Enrico <strong>La</strong>ncia : Dizionario del cinéma italiano : i film,<br />
vol. 1 dal 1930 al 1944, Gremese editore, 1993.<br />
Remerciements à Gian Luca Farinelli.<br />
<strong>La</strong> plaine du Pô, là où le fleuve <strong>des</strong>cend<br />
vers la mer. Zvani est un jeune passeur. Tuda,<br />
sa mère, veuve et patronne d'un vino e cucina<br />
local, rêve d'un riche mariagepour son fils.<br />
Sina est la jeune fille, belle et pauvre, qu'il<br />
aime et qui l'aime. Un soir, à la suite d'un accident<br />
de voiture, une élégante femme de la<br />
ville entre en scène. Une nuit de flatteries sophistiquées<br />
suffira à faire perdre la tête à<br />
Zvanî. Le lendemain matin, la belle étrangère<br />
a disparu. Le sang du jeune passeur ne fait<br />
qu'un tour et il abandonne son village, sa<br />
mère et sa fiancée. Piégé par les charmes de<br />
l'inconnue, il est parti pour Rome. Un an plus<br />
tard, il est toujours dans la capitale et mène<br />
une vie dure ; il joue de l'accordéon dans un<br />
cabaret de luxe, habillé en gaucho. <strong>La</strong> belle réapparaît<br />
parmi les clients d'un soir et c'est la<br />
désillusion : leur rencontre ne fut, pour elle,<br />
qu'une fugace aventure campagnarde. Les<br />
sentiments de Sina, en revanche, s'avèrent<br />
plus tenaces. Elle a eu entre-temps un fils de<br />
Zvanî, qui n'en a jamais rien su. Elle décide<br />
donc de se rendre à Rome pour reprendre son<br />
homme. Après avoir fait la paix, ils fêtent leur<br />
retour sur les rives du fleuve.<br />
LA DIGUE ET LE DÉSIR<br />
Corrado D'Errico avait réalisé Stramilano<br />
en 1929, documentaire et fantaisie<br />
urbaine complètement hors norme dans<br />
le panorama italien, variante futuriste<br />
<strong>des</strong> symphonies pour gran<strong>des</strong> villes de<br />
Ruttmann, Vertov et Cavalcanti. Vers la<br />
fin <strong>des</strong> années trente, après une consistante<br />
série de comédies et de drames coloniaux<br />
de guerre, il semble que son cinéma<br />
ne conserve aucune trace de cette<br />
expérimentation. Même la cité « rutilante<br />
» se réduit ici au graphisme oblique<br />
d'une unique enseigne lumineuse. Le<br />
reste n'est que gestion conventionnelle<br />
d'espaces intérieurs, d'un ordinaire style<br />
déco. Les intérieurs, avec de fortes connotations<br />
théâtrales, dominent également la<br />
partie du film qui se déroule au bord du<br />
Pô. L'Argine commence par <strong>des</strong> voiles qui<br />
glissent sur le fleuve, <strong>des</strong> panoramiques<br />
ruraux, de longs champs avec <strong>des</strong> arbres<br />
en perspective, sans oublier l'iconographie<br />
classique et édifiante du travail (les<br />
bœufs, les charrues, les charrettes à foin).<br />
Mais bien vite, le récit tend à s'enfermer<br />
entre les murs de l'auberge. <strong>La</strong> digue<br />
(« l'argine ») représente clairement la<br />
discrimination symbolique et morale<br />
entre la campagne et la ville. L'idée d'un<br />
« récit du fleuve » s'impose donc, sans<br />
toutefois réussir à se développer vraiment.<br />
Ce sous-genre sera pratiqué par la<br />
suite principalement par le cinéma italien<br />
post-néo-réaliste (Il mulino del Po I le Moulin<br />
du Pô d'Alberto <strong>La</strong>ttuada en 1949, <strong>La</strong><br />
donna delfiume I la Fille du fleuve de Mario<br />
Soldati en 1955 ou les Don Camillo de Julien<br />
Duvivier et Carminé Gallone).<br />
<strong>La</strong> fixité <strong>des</strong> conventions théâtrales<br />
n'empêche pas le film de trouver ailleurs<br />
143<br />
ses motifs d'intérêts. Idéologiquement,<br />
ce petit récit, avec son exaltation <strong>des</strong> valeurs<br />
simples et fortes du monde rural,<br />
est en parfaite syntonie avec l'esthétique<br />
populiste du régime fasciste. Mais c'est<br />
peut-être pour cette raison que le récit<br />
peut se concéder une certaine désinvolture,<br />
du point de vue de la morale. <strong>La</strong><br />
belle Sina (Luisa Ferida, première star du<br />
cinéma italien <strong>des</strong> années trente, liane<br />
sensuelle même quand la connotation de<br />
fond se réfère au contraire à l'innocence<br />
séduite) est définie comme « sauvage » et<br />
« gitane ». A un certain moment, il est<br />
même dit de Sina qu'elle suit Zvanî<br />
comme une « chienne affamée » (de mâles,<br />
naturellement). Mais sa liberté sexuelle<br />
(n'oublions pas qu'elle est fillemère)<br />
ne l'empêche pas au moment crucial<br />
d'être protégée et défendue par ses<br />
compatriotes. Et Tuda se place au premier<br />
rang : « Tu es son épouse, devant<br />
Dieu et les hommes. » <strong>La</strong> mère du fugitif<br />
prononce cette sentence comme une justification<br />
péremptoire et païenne ; une<br />
mère capable de bien d'autres impudences<br />
et qui peut par la suite confesser<br />
tranquillement : « Quand il s'échappait<br />
chaque nuit pour te rejoindre, au fond de<br />
mon cœur je t'enviais »... Le jeune Gino<br />
Cervi, excellent dans son abandon innocent<br />
et un peu engourdi, au charme féminin<br />
et évidemment beaucoup moins<br />
convaincant dans ses prétentions de séducteur,<br />
finira plus tard de payer ses<br />
dettes de fugitif dans LTna romantica avventura<br />
de Mario Camerini (1940), film<br />
dans lequel il incarne un personnage populaire<br />
analogue. Ce sera alors son tour<br />
de subir la fuite de la bien-aimée vers le<br />
monde scintillant <strong>des</strong> riches.<br />
Paola Cristalli, Gian Luca Farinelli
144-EUROPE-ITALIE<br />
COLPI Dl TIMONE<br />
1942 -Gennaro Righelli<br />
Réal. : Gennaro Righelli. Prod. : Lux Film.<br />
Dir. de prod. : Fabio Franchini. Auteur : Enzo <strong>La</strong><br />
Rosa, d'après sa comédie homonyme. Se. : Gennaro<br />
Righelli, Gilberto Govi, Ettore M. Margadonna, Enzo<br />
<strong>La</strong> Rosa, Alessandro De Stefani.<br />
Premier asst. réal. : Gennaro Balistrieri.<br />
Deuxième asst. réal. : V. Zumaglino. Dir. ph. : Mario<br />
Albertel I i. Son : Venanzio Lisca. Déc. : Gastone<br />
Medin, Gino Brosio. Cost. : Bianca Emanuele.<br />
Mont. : Duilio A. Lucarelli. Mus. : Felice Montagnini.<br />
Organisation générale : Valentino Brosio.<br />
Inspecteur de production : Romolo <strong>La</strong>urenti.<br />
Secrétaire de production : Sandro Prato. Tourné à<br />
Cinecittà-Rome. Enregistrement R.C.A. Int. : Gilberto<br />
Govi (Giovanni Bevilacqua), Dina Sassoli (Paola),<br />
Elena Altieri (Joie Precordi), Amelia Chellini (Alfonsina<br />
Martinelli), Marisa Vernati (Lola Martinelli), Amelia<br />
Fancelli (Teresa), Alberto Capozzi (Vincenzo<br />
Longoni), Cesare Bettarini (Felice Precordi), Armando<br />
Migliari (l'avocat Baratti), Giuseppe Porelli (Andréa<br />
Valente), Elio Steiner (Filippo), Nino Marchesini,<br />
Augusto Marcacci, Giuliana Pitti, Nino Eller, Aristide<br />
Baghetti, Vasco Creti, Stefano Sibaldi, Aristide<br />
Garbini, Mario Brizzolari. Date de sortie : 2 décembre<br />
1942. Métrage, minutage copie Cf. : 2681 m., 97 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc. Doc. : Roberto Chiti,<br />
Enrico <strong>La</strong>ncia : Dizionario del cinéma italiano : i film,<br />
vol. 1 dal 1930 al 1944, Gremese editore, 1993.<br />
Remerciements à Gian Luca Farinelli.<br />
 cause d'un coup de barre reçu en pleine<br />
poitrine, un vieux loup de mer génois, bourru<br />
et honnête, se voit diagnostiquer un anévrisme<br />
à l'aorte qui lui laisse peu de mois à vivre.<br />
Après avoir noyé dans l'alcool sa première détresse,<br />
le commandant Giovanni Bevilacqua<br />
décide de s'offrir ce qu'il s'était toujours refusé<br />
: le plaisir de la vérité. Proclamant haut<br />
et fort les choses qu'il sait, il secoue l'hypocrite<br />
société bourgeoise entre Gênes et Camo-<br />
gli à coup de révélations sur les intrigues, les<br />
escroqueries <strong>des</strong> administrateurs et les liaisons<br />
adultères de haut bord. Il trouve également<br />
le moyen de libérer Filippo, son frère, de<br />
la fourbe demoiselle qui l'avait séduit et voulait<br />
se faire épouser. Pour le réconcilier bien<br />
évidemment avec la belle et brave fille qui<br />
l'aime vraiment. Quand il s'avérera que le<br />
diagnostic était une erreur due à un échange<br />
de radiographies, la vérité aura déjà fait son<br />
chemin, avec tous les effets bénéfiques que cela<br />
implique.<br />
L'ACCENT DE LA VÉRITÉ<br />
Début cinématographique de Gilberto<br />
Govi, acteur comique génois à la<br />
glorieuse carrière théâtrale, Colpi di timone<br />
s'orchestre autour d'une série d'espaces<br />
définis et envahis par l'inflexion locale<br />
de sa voix et par son habile gestualité.<br />
Gennaro Righelli, fort de son expérience<br />
dans la direction d'acteurs, mûrie<br />
non seulement à la Cines mais également<br />
au sein du cinéma allemand <strong>des</strong> années<br />
vingt (au service de Fritz Kortner et de<br />
Paul Wegener, d'Ivan Mosjoukine et de<br />
Lil Dagover), confirme sa capacité particulièrement<br />
fluide à s'adapter aux différentes<br />
couleurs et aux registres de la récitation<br />
dialectale, capacité qu'il avait<br />
déjà su gérer au mieux dans les films interprétés<br />
par le sicilien Angelo Musco.<br />
Il plane comme l'ombre de Pirandello<br />
sur cette histoire d'un vieux commandant<br />
à qui la conscience d'avoir peu de<br />
temps à vivre concède le luxe de la liberté<br />
de parole. L'aspiration à la vérité croise<br />
la farce. Le « pouvoir tout dire » est en<br />
réalité la libre circulation du commérage,<br />
utilisé comme une arme pour révéler la<br />
vulgarité bourgeoise. Mais Giovanni Bevilacqua<br />
aura un <strong>des</strong>tin plus rocambolesque<br />
(le duel final, évité in extremis) et<br />
bien moins dramatique que le héros pirandellien<br />
de Berretto a sonagli. Dans ce<br />
cas aussi, l'idée reste dans l'air que la vérité,<br />
pour ne pas devenir une condamna-<br />
145<br />
tion sans appel, ne peut exister que temporairement.<br />
En fait, avec Colpi di timone on prend<br />
acte de la fin d'un genre, le cinéma <strong>des</strong> téléphones<br />
blancs, et de la représentation<br />
tabulée d'une classe sociale : la riche<br />
bourgeoisie, qui n'est plus ici légère et futile,<br />
mais bien lourde, cynique et tricheuse.<br />
A la logique d'escroquerie <strong>des</strong><br />
nouveaux armateurs s'oppose l'éthique<br />
rude et honnête du marin qui s'est fait<br />
tout seul (parcourue d'allusions humoristiques<br />
à l'avarice que la tradition attribue<br />
bien volontiers aux génois). Nous<br />
sommes encore dans un cinéma en quelque<br />
sorte « de régime » mais en cours<br />
d'effritement. <strong>La</strong> recherche, haletante ou<br />
mélancolique, <strong>des</strong> héros prend le pas sur<br />
le populisme débonnaire <strong>des</strong> années<br />
trente. Avec sa mer et ses navires, le commandant<br />
Bevilacqua devient quasiment<br />
un correspondant tragicomique d'un <strong>des</strong><br />
Uomini sul fondo I S.O.S. 103 de De Robertis<br />
(1941). Il faut noter, et surtout apprécier,<br />
la virtuosité du comédien Govi<br />
(et la maîtrise avec laquelle l'accompagne<br />
Righelli) pour passer de la réplique sournoise<br />
à l'intensité dramatique <strong>des</strong> vraies<br />
larmes.<br />
Paola Cristalli, Gian Luca Farinelli
146 - EUROPE - ITALIE<br />
INDIA, MATRI BHUMI<br />
INDE, TERRE MÈRE<br />
1957-1959-Roberto Rossellini<br />
Réal. : Roberto Rossellini. Prod. : Aniene Films, Union<br />
générale cinématographique, avec l'aide de l'Indian<br />
Films Development (Jean Bhownagari).<br />
Prod. ass. : Roberto Rossellini. Auteur : Roberto<br />
Rossellini. Se. : Roberto Rossellini, Sonali Senroy Das<br />
Gupta, Fereydoun Hoveyda. Asst. réal. : Giovanni<br />
(Tinto) Brass, Jean Herman. Dir. ph. : Aldo Tonti.<br />
Assts. opérateur : Giorgio Tonti, Prem. Mont. : Cesare<br />
Cavagna. Mus. : Philippe Arthuys. Asst. mus. :<br />
Christian Hackspill. Musique traditionnelle de l'Inde<br />
recueillie par Alain Danielou et éditée par Ducretet-<br />
Thomson. Commentaire version française : Jean<br />
L'Hote. Pellicule : Gevaert (Gevacolor), Ferrania<br />
(Ferrania-color), Kodak (Kodachrome).<br />
<strong>La</strong>boratoire : Tecnostampa-Rome. Int. : Les<br />
interprètes, tous non professionnels, ont été choisis sur<br />
le lieu même de l'action.<br />
Texte de présentation : « Cette copie de India est la<br />
version française du film de Roberto Rossellini<br />
présentée au Festival de Cannes le 9 mai 1959. Cette<br />
copie n'avait jamais été retrouvée. En fait, elle avait<br />
été confiée par Henri <strong>La</strong>nglois à Jeanne Severini,<br />
veuve du peintre Gino Severini. Son petit-fils Sandro<br />
et sa femme Jennifer, alertés par leur grand-mère,<br />
quelques mois avant sa mort, ont retrouvé cette copie<br />
intégrale et l'ont déposée à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française. <strong>La</strong> <strong>Ciné</strong>mathèque française tient à remercier<br />
les familles Severini et Franchina pour ce sauvetage<br />
d'une copie réputée perdue ». Date de sortie : 9 mai<br />
1959 (Cannes, version française), 12 mars 1960<br />
(Milan, version italienne).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2605 m., 95 mn.<br />
Version française. Couleurs. Doc. : Roberto Rossellini,<br />
sous la direction de Alain Bergala et Jean Narboni,<br />
Cahiers du cinéma-la <strong>Ciné</strong>mathèque française, 1990.<br />
Images de Bombay, « porte d'entrée de<br />
l'Inde ». L'Inde, c'est aussi une multitude de<br />
villages. Dans l'un d'eux, un mahout (conducteur<br />
d'éléphant) raconte son travail dans<br />
la forêt et, après le labeur, le rituel quotidien<br />
du bain de l'animal dans la rivière. Des marionnettistes<br />
ambulants sont arrivés au village.<br />
Le narrateur s'éprend d'une <strong>des</strong> jeunes<br />
artistes. C'est aussi la saison <strong>des</strong> amours pour<br />
les éléphants. Dix mois plus tard, la femme et<br />
l'éléphante du mahout sont enceintes.<br />
Pour dompter les crues provoquées par la<br />
mousson, un barrage coupe désormais le fleuve<br />
Mahanadi. Le narrateur, un <strong>des</strong> trente cinq<br />
mille ouvriers du chantier, parcourt une dernière<br />
fois la gigantesque réalisation qui a causé<br />
la mort de soixante quinze hommes, dont<br />
son frère. Il prend un bain rituel dans le lac<br />
artificiel et, le lendemain, part vers un autre<br />
travail avec sa femme et leur enfant, né pendant<br />
la construction.<br />
<strong>La</strong> jungle. Le narrateur, âgé de quatrevingts<br />
ans, y vit avec sa femme une vie contemplative.<br />
Scènes quotidiennes. Un jour, <strong>des</strong><br />
prospecteurs de fer arrivent et le bruit du forage<br />
fait déguerpir tous les animaux de la<br />
jungle. Le tigre, affamé, s'en prend à l'homme.<br />
Un matin, le vieillard se lève avant les chasseurs<br />
et allume un grand feu pour faire fuir<br />
le fauve vers d'autres terrains de chasse.<br />
Sous un soleil écrasant, un homme et son<br />
singe savant se rendent à la fête d'un village.<br />
Mais en chemin, l'homme meurt. Le petit singe<br />
éloigne un temps les vautours, puis va jusqu'au<br />
village où il fait son numéro sans savoir<br />
que faire <strong>des</strong> pièces qu'on lui lance. Il est<br />
recueilli par un nouveau maître. C'est la fin<br />
du voyage; nouvelles <strong>images</strong> défoules urbaines,<br />
un dernier plan sur un vol d'oiseaux.<br />
VIVRE SA VIE<br />
Le voyage en Inde de 1956-1957 procède,<br />
pour Rossellini, d'un double mouvement.<br />
Depuis deux ans (son dernier<br />
film est Angstl la Peur, en 1954), il traverse<br />
un moment de crise généralisée : séparation<br />
d'avec Ingrid Bergman, échecs publics<br />
et attaques critiques répétés qui menacent<br />
sa carrière de cinéaste en Italie,<br />
doutes sur sa capacité à renouveler son<br />
inspiration dans une Europe qui lui<br />
semble spirituellement essoufflée. Il part<br />
en Inde à la rencontre d'un véritable<br />
continent d'altérité où il espère raviver sa<br />
curiosité, son désir de comprendre et de<br />
filmer, sa vitalité. Cette rencontre avec la<br />
« Terre mère » va dépasser ses espérances<br />
: il en sort totalement enthousiaste, régénéré,<br />
pétillant d'idées et porteur d'un<br />
grand projet de cinéma et de télévision<br />
qui va devenir celui de sa quatrième et<br />
dernière vie de cinéaste. Mais dans ce<br />
pays inconnu - il semble en avoir été surpris<br />
lui-même - le choc de l'altérité s'ac-<br />
compagne d'un mouvement en retour,<br />
autoanalytique, où c'est une part de luimême<br />
et de son passé qu'il retrouve :« Ce<br />
pays si différent de l'Italie, c'est un peu<br />
ma maison paternelle vers laquelle on revient<br />
pour Noël : j'ai eu l'impression de<br />
retrouver Naples 1 ». « N'était-ce pas là,<br />
peut-être, un retour, physiquement, à<br />
l'extraordinaire atmosphère dans laquelle<br />
nous vivions en Italie de 1944 à<br />
1946, alors que étions comme <strong>des</strong> enfants<br />
lancés à la découverte de la vie 2 ?» Ce retour<br />
n'est pas régressif-sombre, ce sont<br />
<strong>des</strong> retrouvailles avec la fraîcheur <strong>des</strong><br />
perceptions dans l'enfance, la vivacité<br />
<strong>des</strong> sensations liées à toutes les gran<strong>des</strong><br />
premières fois <strong>des</strong> découvertes de la vie.<br />
Le film est travaillé par ces deux mouvements<br />
: un mouvement vers le monde<br />
indien (où Rossellini s'émerveille comme<br />
un enfant de l'altérité du monde, de la nature,<br />
<strong>des</strong> animaux) ; le mouvement de retour<br />
sur soi d'un homme mûr - il vient<br />
d'avoir cinquante ans - qui accomplit le<br />
travail de deuil d'une vie antérieure par<br />
le truchement de ce pays où il croit retrouver<br />
ses « vraies » origines de « drapé<br />
» romain. Ainsi que les vertus conjointes<br />
de la paresse active, de la contemplation<br />
méditative et de la tolérance qu'il<br />
dénie aux civilisations « cousues » et activistes.<br />
Pour les lier, Rossellini invente un<br />
tressage inédit depuis que l'on fait <strong>des</strong><br />
films, comme s'il avait trouvé en Inde la<br />
formule qui ne devait servir qu'une fois,<br />
et dont ce film unique porte aujourd'hui<br />
encore l'émotion perdue.<br />
On peut aussi appeler ce double mouvement<br />
à l'intérieur cl'lndia : documentaire<br />
et fiction.<br />
On sait que Rossellini a commencé<br />
par filmer en 16 mm (avec deux caméras,<br />
une muette et une sonore, sur pellicules<br />
couleur Ferrania et Kodak, entre décembre<br />
1956 et mars 1957) <strong>des</strong> heures de<br />
plans documentaires sur sa découverte<br />
de l'Inde, à la fois repérages pour le grand<br />
film et matériaux pour les futures émissions<br />
de télévision 3 . Puis entre mars et<br />
juin 1957, il tourne en 35 mm (sur pellicule<br />
Gevaert) les quatre histoires d'India,<br />
inspirées de faits-divers, et dont Rossellini<br />
dit qu'elles sont « probables et ne proviennent<br />
pas seulement de l'imagination » 4 .<br />
Plus tard, au montage, il intégrera aux<br />
plans tournés directement en 35 mm <strong>des</strong><br />
plans documentaires 16 mm gonflés,<br />
pour la plupart <strong>des</strong> plans d'animaux sauvages<br />
: tigres, vautours, singes.<br />
Chaque fois qu'il parle de ces deux<br />
tournages, il insiste sur le fait qu'avec le<br />
documentaire en 16 mm, il a retrouvé un<br />
plaisir perdu, l'enfance de son art : « Aujourd'hui,<br />
dit-il en 1958, je suis un vieux<br />
du cinéma. L'amusement d'être derrière<br />
la caméra est fini pour moi. Pourtant, je<br />
puis vous dire qu'avec le 16 mm je me<br />
suis amusé 5 ». On le voit même, sur certaines<br />
photos de ce premier tournage, filmer<br />
directement lui-même à la petite<br />
Paillard, sans l'aide d'Aldo Tonti. « Lorsque<br />
je tournais le film proprement dit,<br />
avoue-t-il, je m'amusais moins 6 . » C'est<br />
que la fiction du « grand » film, même<br />
considérablement allégée, même fragmentaire,<br />
même fondée sur <strong>des</strong> faits-divers,<br />
le ramène à lui-même et à ce difficile<br />
passage dans sa vie d'homme.<br />
Tout a été dit sur ce film de l'après Ingrid<br />
Bergman, sauf peut-être à quel point<br />
les quatre épiso<strong>des</strong> sont autant de variations<br />
sur un même sentiment précis, celui<br />
de la mélancolie après une séparation<br />
pourtant rationnellement nécessaire et<br />
inévitable. Rossellini dit en 1959 que dans<br />
ce film, contrairement à ceux de la période<br />
précédente, la fiction ne naît pas<br />
d'un conflit. C'est effectivement du travail<br />
de deuil d'après l'affrontement,<br />
quand la rupture est consommée, dont<br />
nous parlent en sourdine les quatre mouvements.<br />
Le premier épisode se clôt sur le départ<br />
de la jeune épousée du mahout qui<br />
quitte son mari pour aller accoucher chez<br />
sa mère car celui-ci a trop à faire avec son<br />
éléphant (dont il est à la fois le maître et<br />
le serviteur) pour s'occuper d'elle. Dans
148 - EUROPE - ITALIE<br />
le deuxième épisode, le couple qui vit depuis<br />
<strong>des</strong> années sur ce site du barrage où<br />
est né leur enfant, éprouve dans une mélancolie<br />
douloureuse ce moment où il<br />
leur faut quitter la région, maintenant<br />
que le chantier est terminé. L'homme fait<br />
une dernière promenade méditative<br />
dans ces lieux où il abandonne une partie<br />
de sa vie. Le vieil homme du troisième<br />
épisode met volontairement le feu à la<br />
forêt pour que « son » tigre échappe à la<br />
battue. Il l'éloigné du même coup définitivement<br />
de lui. L'animal, familier au<br />
vieillard contemplatif, est devenu mangeur<br />
d'homme à la suite d'un déséquilibre<br />
écologique provoqué par la cupidité<br />
<strong>des</strong> hommes. Dans le dernier épisode, le<br />
singe savant doit abandonner son maître<br />
aux vautours, dans le désert où il est mort<br />
d'un coup de chaleur. « Alors, dit Rossellini,<br />
le pauvre singe qui n'est plus un<br />
singe ni un homme, éprouve le besoin<br />
d'aller à la fois chez les singes et chez les<br />
hommes, de retourner en arrière et d'aller<br />
en avant. C'est bien là le drame qui est<br />
notre drame à tous 7. »<br />
L'aveu est fait : India n'est pas un film<br />
aussi non-autobiographique que Rossellini<br />
n'a cessé de le proclamer. Sa rencontre<br />
avec ce pays lui permet de résoudre<br />
cette contradiction qu'il lui faut à<br />
la fois retourner en arrière (la fiction) et<br />
aller en avant (le documentaire comme<br />
rencontre, émerveillement, découverte)<br />
pour recommencer à vivre et à filmer.<br />
Alain Bergala<br />
1<br />
« Le pays <strong>des</strong> hommes drapés vu par un homme<br />
cousu », entretien avec François Tranchant et J.-M.<br />
Vérité, <strong>Ciné</strong>ma 59, mai 1959.<br />
2 Déclaration de Roberto Rossellini à la radio, mai<br />
1960.<br />
3<br />
À partir de ce matériel tourné en 16 mm, Rossellini<br />
a réalisé deux séries de dix épiso<strong>des</strong> pour la télévision,<br />
qui ont été diffusées en noir et blanc en France<br />
et en Italie. En France, l'ai fait un beau voyage était présentée<br />
par Étienne <strong>La</strong>lou. En Italie, l'ïndia vista da Rossellini<br />
était présentée par Marco Cesarini Sforza.<br />
4 Présentation télévisée, réalisée pour TORTF en 1962,<br />
en vue d'un cycle jamais programmé, Roberto Rossellini,<br />
Cahiers du cinéma- la <strong>Ciné</strong>mathèque française,<br />
1990.<br />
5 « Comment sauver le cinéma », entretien avec<br />
André Bazin et Jacques Rivette, France-Observateur,<br />
n° 413,10 avril 1958.<br />
6 « Le cinéma, la télévision, la technique », entretien<br />
avec Roberto Rossellini, France-Observateur, n° 442,<br />
23 octobre 1958.<br />
' « Entretien avec Roberto Rossellini », par Fereydoun<br />
Hoveyda et Jacques Rivette, Cahiers du cinéma,<br />
n° 94, avril 1959.<br />
LA MORT AUX TROUSSES<br />
I<br />
Avant sa sortie, le film était connu<br />
sous le titre India 57, puis, avec tous les<br />
retards et péripéties du tournage, comme<br />
India 58. Beaucoup de commentateurs, se<br />
souvenant de Germania, anno zéro (Allemagne,<br />
année zéro), d'Europa 51 ou de l'épisode<br />
d'Amori di mezzo secolo nommé Napoli<br />
43, se sont fixés sur cette date, voulant<br />
y voir la griffe d'un Rossellini toujours<br />
soucieux de préciser l'époque, de situer<br />
exactement, dans le temps, certains<br />
films phares. Mais la version présentée à<br />
Cannes le 9 mai 1959 s'affirme surtout<br />
comme intemporelle, le film, dès le générique,<br />
reculant dans le temps de<br />
quelques milliers d'années (musique et<br />
bas-reliefs d'un temple) et sous-titré<br />
Mère-Terre, indiquant un retour aux<br />
sources qui fait de l'Inde notre origine à<br />
tous, le berceau commun. Nous sommes<br />
dans l'universel, pas dans le particulier,<br />
parmi les dieux, hors du temps ou, au<br />
moins, hors de notre temps. Pourtant,<br />
l'action commence dans les années cinquante,<br />
à l'époque du séjour de Rossellini,<br />
parti là-bas le 8 décembre 1956.<br />
Certes, l'idée de son voyage est née de<br />
l'impression profonde que lui a laissée sa<br />
rencontre avec Nehru, à Londres en 1956,<br />
elle-même le renvoyant à cette autre qu'il<br />
eut vingt-cinq ans auparavant avec Gandhi.<br />
Sans doute, comme l'a écrit à l'époque<br />
Jean Herman, son assistant, voulait-il<br />
voir de près cette vitalité dont l'Inde avait<br />
fait preuve depuis 1947. Mais il voulait<br />
surtout sentir la vitalité intérieure de « ce<br />
pays-éléphant qui s'agenouille aux bords<br />
de la vie et de la mort » selon ses propres<br />
mots, de ce pays où la vie métaphysique<br />
ne se sépare pas de la vie matérielle. Dans<br />
son fameux entretien d'avril 1959 avec<br />
Hoveyda et Rivette pour les Cahiers du cinéma<br />
(n° 94) : « Ce que j'ai tâché d'exprimer<br />
c'est le sentiment donné par l'Inde,<br />
c'est la chaleur intérieure <strong>des</strong> gens de<br />
l'Inde. J'ai essayé, si je puis dire sans ridicule,<br />
de rendre poétiquement mes sensations<br />
de reporter. »<br />
II<br />
On a vu, à l'époque, dans India, avec<br />
sa structure en épiso<strong>des</strong>, un retour à<br />
Paisà, une sorte d'apogée du « réalisme<br />
extérieur », du trop célèbre : « Les choses<br />
sont là. Pourquoi les manipuler ? ». En<br />
fait, il était déjà didactique, il voulait déjà<br />
utiliser le cinéma comme un moyen d'enseignement.<br />
India, vu aujourd'hui, c'est<br />
beaucoup moins l'aboutissement du Rossellini<br />
<strong>des</strong> années 1945-1955 que l'annonciation<br />
<strong>des</strong> films « informatifs » de la période<br />
finale, de l'Età delferro I l'Âge du fer<br />
et de la Prise du pouvoir par Louis XIV jusqu'à<br />
Il Messialle Messie (1964-1975). Ce<br />
n'est pas un hasard si en parlant d'India,<br />
il a dit : « L'important ce sont les idées,<br />
non les <strong>images</strong>. »<br />
Dans l'entretien de 1959 : « Toute<br />
mon entreprise indienne a été pour moi<br />
une sorte d'étude pour un projet plus<br />
vaste que j'ai déjà mis sur pied (...) Tâcher<br />
de faire connaître <strong>des</strong> choses, répandre<br />
<strong>des</strong> idées, faire soupçonner qu'il y a autre<br />
chose dans le monde. » Et dans l'entretien<br />
avec les Cahiers de juillet 1963<br />
(n° 145), celui où il attaque Jean Rouch et<br />
le cinéma-vérité, il annonce que ce qu'il<br />
fera à l'avenir « n'entrera en aucune manière<br />
dans le cadre habituel du cinéma.<br />
Je me propose de tourner un certain<br />
nombre de choses qui auront une valeur<br />
surtout didactique : je crois qu'il faut en<br />
venir là, lorsqu'on est tombé si bas ». Et<br />
plus loin : « Je me propose d'être non pas<br />
un artiste, mais un pédagogue. » Ces propos<br />
sont un trousseau de clés pour India,<br />
premier pas pour faire connaître aux<br />
hommes « le sixième du genre humain »,<br />
premier pas pour lutter contre ce qu'il a<br />
appelé « l'invasion verticale <strong>des</strong> Barbares<br />
». India, c'est la préface à l'éducation<br />
intégrale qu'il a prôné dans un ouvrage de<br />
1976. Le conducteur d'éléphants, le jeune<br />
ingénieur du barrage, le vieillard au tigre<br />
et le singe antropomorphe sont déjà <strong>des</strong><br />
maîtres, dont les leçons annoncent celles<br />
de Saint Paul, de Socrate, de Pascal, de<br />
Saint Augustin, de Léon Battista Alberti,<br />
de Descartes et, tout à la fin, de Comenius.<br />
Est-ce par hasard que dans l'œuvre<br />
où il revient sur la mappe de Comenius<br />
(Utopia Autopsia), il donne comme exemple<br />
de l'image impérissable, l'image de<br />
l'éléphant ?<br />
III<br />
<strong>La</strong> crise généralisée vécue par Rossellini<br />
dans les années 1955-1957 ressemblait<br />
à celle <strong>des</strong> années 1949-1951. Dans<br />
les deux pério<strong>des</strong>, il retrouve sa peur du<br />
collectif, d'un monde qui, de la guerre<br />
froide à la crise de Suez ou Budapest, lui<br />
semblait pouvoir s'engloutir à chaque<br />
instant dans une nouvelle guerre mondiale.<br />
Nous savons, par les Mémoires<br />
d'Ingrid Bergman, comment Rossellini a<br />
vécu l'année 1956, ne voulant pas lâcher<br />
les siens, persuadé de l'imminence d'un<br />
conflit et de la fin de notre civilisation. Et<br />
il n'est pas surprenant finalement que son<br />
dernier film avec Ingrid Bergman s'appelle<br />
la Peur (Angst, 1954). Peter Brunette,<br />
tout en avertissant contre les excès de l'interprétation<br />
autobiographique, a bien vu<br />
que Rossellini dramatisait dans ce film sa<br />
propre insécurité et ses problèmes personnels.<br />
« Le diable est entré dans cette<br />
maison» dit la vieille gouvernante à<br />
Irène (Ingrid Bergman), dans Angst. Malgré<br />
les apparences, le diable est aussi à<br />
l'œuvre dans India. Si, comme il l'a reconnu<br />
ensuite lui-même, ses films avec<br />
Bergman étaient autobiographiques, à<br />
mon avis, d'une façon beaucoup plus elliptique,<br />
India continue de l'être, surtout<br />
aux épiso<strong>des</strong> <strong>des</strong> éléphants, du tigre et du<br />
singe. En y repensant bien, ils ne contiennent<br />
pas seulement <strong>des</strong> leçons de tolérance<br />
et d'harmonie, mais témoignent<br />
aussi d'une peur. <strong>La</strong> peur du changement,<br />
de la mort.<br />
IV<br />
Dans l'entretien de 1959, Rivette et<br />
Hoveyda interrogent le maître sur les raisons<br />
qui l'ont conduit à placer l'épisode<br />
du singe en dernier. En effet, il était un<br />
peu déroutant de voir le film de l'acceptation,<br />
le film de « la création du monde »<br />
(Godard) se terminer par l'une <strong>des</strong> histoires<br />
les plus amères et les plus angoissantes<br />
de toute l'œuvre de Rossellini. <strong>La</strong><br />
nature est la plus désolée de tout le film,<br />
avec un arbre <strong>des</strong>séché, l'orage de chaleur,<br />
un ciel d'acier et la terre fendue.<br />
Même les vaches plongées dans l'eau<br />
donnent un sentiment d'angoisse et de<br />
mort, tout le contraire du bain <strong>des</strong> éléphants<br />
dans le premier épisode - le plus<br />
solaire et le plus heureux -, tandis que la<br />
scène se termine par le triomphe <strong>des</strong> vautours.<br />
Quant au singe domestiqué, « pauvre<br />
singe qui n'est plus un singe ni un<br />
homme », Rossellini montre sa détresse<br />
et sa solitude. Paria de la nature et paria<br />
de la culture, le pauvre singe est comme<br />
un héros de Borges : il a perdu sa place.<br />
Il est la réponse accablante à la dernière<br />
question du vieillard à l'épisode précédent<br />
: « Le monde n'est-il pas assez grand<br />
pour tous ? » Visiblement, non.<br />
V<br />
Après le prologue documentaire - qui<br />
n'est pas, à mon avis, du Rossellini le plus<br />
inspiré -, la fiction vient au film, non au<br />
début du premier récit mais seulement à<br />
l'intérieur de celui-ci. Ce passage - quand<br />
le narrateur se subjectivise et le verbe se<br />
fait chair dans le corps du conducteur<br />
INDIA, MATRI BHUMI - 149<br />
d'éléphants - est un <strong>des</strong> prodiges de la<br />
narration rossellinienne, parce qu'il annule<br />
ipso facto la frontière entre les genres.<br />
Le célèbre - et si beau - bain <strong>des</strong> éléphants<br />
est déjà de la fiction tout en restant documentaire,<br />
comme l'arrivée de la troupe<br />
<strong>des</strong> marionnettistes, la présence de la jeune<br />
fille et les amours parallèles <strong>des</strong> hommes<br />
et <strong>des</strong> bêtes. Mais c'est sur une séparation<br />
que cette histoire se termine et,<br />
sous <strong>des</strong> formes différentes, c'est sur <strong>des</strong><br />
séparations que tous les récits se ferment.<br />
Quand l'ingénieur se sépare de son œuvre<br />
(le barrage), c'est le long plan fixe de<br />
sa baignade, justement célébré comme un<br />
<strong>des</strong> moments suprêmes de l'art rossellinien.<br />
Quand le vieillard met le feu à la<br />
forêt, il pousse le tigre à aller vivre ailleurs,<br />
loin <strong>des</strong> hommes, loin de lui. Alors,<br />
je suis enclin finalement à voir India<br />
comme un adieu au monde (à l'idée de<br />
monde qui a formé Rossellini et l'humanisme<br />
de notre culture) plutôt que<br />
comme « la création du monde ». Et depuis<br />
Jahvé, on ne créé que <strong>des</strong> mon<strong>des</strong> à<br />
notre image et similitude. India n'est pas<br />
un film sur l'Inde, India est un autoportrait<br />
de Rossellini.<br />
Joâo Bénard da Costa
150 - EUROPE - RUSSIE<br />
L'Aurore de la<br />
révolution russe.<br />
À gauche :<br />
Rokovye Briîîianty.<br />
À droite :<br />
l'Aurore de la<br />
révolution russe.<br />
RUSSIE 1913<br />
ROKOVYE BRILLIANTY<br />
LES DIAMANTS MAUDITS<br />
1913 -Maximilien Garry<br />
Réal. : Maximilien Garry. Prod. : Pathé-Rouss.<br />
Auteur : Jack London, d'après sa nouvelle lustMeat.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 414 m., 18 mn<br />
(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc.<br />
Un antiquaire prospère vient défaire une<br />
bonne affaire mais son employé a observé par<br />
le trou de la serrure la transaction. Le soir, le<br />
marchand se couche et enferme les bijoux.<br />
L'employéa prévenu son complice qui pénètre<br />
dans la chambre, force le meuble et étrangle<br />
le propriétaire réveillé par le bruit, tandis que<br />
l'autre fait le gué dans la rue. De retour chez<br />
eux, le butin leur fait oublier le crime et suscite<br />
une convoitise irrépressible. Bientôt, ils<br />
se surveillent, épient chaque geste, dorment<br />
d'un œil. Le lendemain, l'un sort en prenant<br />
soin d'enfermer l'autre. À son retour, il verse<br />
sans être vu du poison dans le café de son désormais<br />
ennemi, sans voir que l'autre a fait<br />
de même avec sa tasse. Ils meurent tous les<br />
deux dans d'horribles convulsions.<br />
L'AURORE DE LA<br />
RÉVOLUTION RUSSE<br />
Circa 1913<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 863 m., 38 mn<br />
(à 20 i/s). Générique et intertitres français reconstitués.<br />
Noir et blanc. Ces deux films ont été restaurés avec le<br />
concours de la Cineteca del Friuli (Lorenzo Codelli),<br />
Yuri Tsivian.<br />
L'ingénieur Ivan Petrovitch, marié, deux<br />
jeunes enfants, se rend un soir à une réunion<br />
politique, sans voir qu'il est suivi. À la réunion,<br />
le sort le désigne pour accomplir l'acte<br />
qui servira la cause de la Révolution. À son<br />
retour, il charge un revolver et brûle <strong>des</strong> papiers.<br />
Le lendemain, il est dans la rue, attendant<br />
le passage en voiture à cheval d'un offi-<br />
ciel. Mais au moment où il s'élance, il est maîtrisé<br />
par deux hommes et conduit à la police<br />
tsariste. Il est condamné à être déporté pour<br />
la vie en Sibérie. Dans la neige, une cohorte<br />
de prisonniers avance péniblement vers le lieu<br />
de détention. Certains meurent en chemin.<br />
Ivan croupit six ans dans sa cellule, rongé par<br />
la tuberculose. Tortures et corvées sont le quotidien<br />
du bagne. Ivan s'évade finalement. En<br />
chemin, un vieil homme le recueille dans sa<br />
maison. Plein de gratitude, il se signe et reprend<br />
sa route. À la maison, il est devenu un<br />
étranger pour ses enfants. Une lettre lui demande<br />
de respecter son serment politique. Il<br />
fabrique une bombe qu'il jette dans le bureau<br />
d'un militaire. Arrêté, de nouveau enfermé,<br />
condamné à mort, son recours en grâce rejeté,<br />
vieilli et malade, il se pend dans sa cellule.<br />
LE SPECTATEUR DE L'HISTOIRE<br />
À l'exception du premier plan de Rokovye<br />
brillianty (les Diamants maudits) dont<br />
la mise en place ingénieuse condense<br />
trois niveaux d'espace en un seul, opérant<br />
une substantielle économie de décor<br />
digne d'un film B en permettant à plusieurs<br />
personnages de se croiser dans le<br />
réduit d'un seul plan (le bureau de l'antiquaire<br />
en haut et au fond, le tableau<br />
qu'achète un client, le miroir à ses côtés<br />
qui inscrit le hors champ dans le champ),<br />
le reste est un morne défilé de gesticulations<br />
sur fond de décors platement filmés.<br />
Le récit, adapté d'une nouvelle de<br />
Jack London, JustMeat, a sa morale (le vol<br />
ne paie pas) même si les fautifs, le voleur<br />
et son complice, l'employé de l'antiquaire,<br />
ne sont pas punis par la loi mais<br />
victimes, dans une sorte d'ersatz préstroheimien,<br />
celui de Greed (les Rapaces),<br />
de leur refus de se partager le butin. Autant<br />
la mimique est l'art du muet, qui<br />
touche au sublime quand il s'agit de Chaplin<br />
- en ouverture de The Circus, elle résume<br />
quinze pages de scénario en trente<br />
secon<strong>des</strong> - autant elle est son fossoyeur,<br />
le temps aidant. <strong>La</strong> séquence du vol, avec<br />
l'employé faisant le guet devant la porte<br />
d'entrée, s'achève par le réveil de l'antiquaire<br />
surprenant son voleur. Le retour<br />
du voleur avec le butin laisse supposer<br />
que l'histoire s'est mal terminée pour<br />
l'autre. Malheureusement, une mimique<br />
lourde (l'étranglement) écrase l'ellipse,<br />
privant le spectateur de l'ambiguïté<br />
d'une action suspendue à son sommet.<br />
De même, les intentions criminelles de<br />
l'employé vis-à-vis du voleur sont mimées<br />
à l'avance, à grand renfort de gestes<br />
frisant le ridicule (poison versé, convulsions),<br />
de telle sorte que l'issue finale, sur<br />
le plan de l'action, est la confirmation redondante<br />
de cette illustration mimique<br />
qui l'a précédée. Le style, dosage entre la<br />
mise en scène proprement dite et le jeu<br />
<strong>des</strong> acteurs, est moins l'expression d'une<br />
volonté artistique que le miroir de l'idée<br />
que le cinéaste se fait de la compréhension<br />
de son travail par le spectateur. Manifestement,<br />
le réalisateur de Rokovye<br />
brillianty place la barre très bas.<br />
Deux choses à ajouter sur ces Rokovye<br />
brillianty. <strong>La</strong> première est une information<br />
involontaire sur les conditions de<br />
tournage. Dans le décor de chambre-bureau<br />
où s'effectue la transaction, on devine<br />
par la fenêtre l'animation de la ville,<br />
avec ses piétons qui passent et ses véhicules.<br />
En supposant que le réalisateur n'a<br />
pas eu les moyens de reconstituer une<br />
ville en studio pour une visibilité aussi<br />
dérisoire et inutile à la mise en scène, on<br />
en déduit que le plan a été tourné dans<br />
un appartement aménagé pour la circonstance.<br />
<strong>La</strong> seconde concerne le moment<br />
où l'employé surveille l'antiquaire<br />
par le trou de la serrure. Moment de<br />
voyeurisme à rajouter à la liste, fort<br />
longue, de situations similaires dans le cinéma<br />
de l'époque. Si le style est l'idée que<br />
le cinéaste se fait de son spectateur, cette<br />
situation narrative est moins l'expression<br />
d'une volonté scénaristique (le genre policier)<br />
que l'émanation directe d'un étonnement<br />
premier, celui du spectateur face<br />
au dispositif cinématographique, dont il<br />
n'est pas encore revenu. C'est en filmant<br />
151
152 - EUROPE - RUSSIE<br />
le spectateur (voir sans être vu) ou en fantasmant<br />
son degré de compréhension de<br />
l'histoire que le cinéma se constitue en<br />
cherchant ses marques, avec plus ou<br />
moins de bonheur.<br />
Plus passionnant en revanche est<br />
l'Aurore de la révolution russe, même si on<br />
ignore la visée réelle de ce genre de film<br />
dans son contexte de production. S'agitil,<br />
aux alentours de 1913, d'un appel à<br />
prendre les armes et à faire la révolution<br />
à travers le récit exemplaire d'un militant<br />
qui sacrifie sa vie et sa famille au service<br />
de son idéal (hypothèse la plus vraisemblable)<br />
ou de décourager quiconque de se<br />
livrer à une telle entreprise suicidaire, le<br />
héros devenant la victime d'un comité révolutionnaire<br />
impitoyable qui exige que<br />
son serment soit tenu ? Généralement, on<br />
célèbre les martyrs de la Révolution après<br />
qu'elle ait eu lieu. Le Cuirassé Potemkine<br />
est un bon exemple de cette commémoration<br />
officielle qui aime remonter dans<br />
le passé pour fêter la victoire en marche<br />
(dans le film), une fois installée (le<br />
contexte de production). Là, on rend honneur<br />
aux martyrs avant la victoire. Cette<br />
inversion fait toute l'originalité de ce curieux<br />
film, plutôt attachant. Le moment<br />
le plus fort est celui où l'ingénieur terroriste,<br />
après avoir raté son attentat, est déporté<br />
dans un bagne en Sibérie par les<br />
forces tsaristes. Étonnant comme le recul,<br />
en 1996, fait voir autrement ces plans de<br />
prisonniers déblayant la neige à la pelle,<br />
de telle sorte qu'ils résonnent aujourd'hui<br />
comme <strong>des</strong> <strong>images</strong> d'archives qui<br />
n'ont que trop manqué au moment <strong>des</strong><br />
purges staliniennes. Cela, on a fini par le<br />
voir mais trop tard, grâce aux caméras de<br />
la télévision. En voyant dans un film de<br />
fiction de 1913 (trop tôt par conséquent)<br />
les <strong>images</strong> de ce révolutionnaire déporté,<br />
dans un bagne où la torture sévit (le prisonnier<br />
flagellé), on se dit que d'autres<br />
comme lui ont eu réellement un parcours<br />
identique après, même si le cinéma de fiction<br />
d'alors s'est bien gardé de le montrer.<br />
<strong>La</strong> qualité de l'Aurore de la révolution<br />
russe ne se limite pas à cet intérêt documentaire,<br />
à sa faculté, involontaire, d'anticipation.<br />
L'impact du film est renforcé<br />
par le jeu <strong>des</strong> acteurs. Contrairement aux<br />
mimiques outrancières de Rokovye brillianty,<br />
tous jouent juste, à commencer par<br />
l'ingénieur. Cette extrême sobriété dans<br />
la gestuelle en dépit de la distance <strong>des</strong> visages<br />
dans le plan, traverse bien le temps,<br />
même si elle est quelque peu contrariée<br />
par la longue étreinte de la femme quand<br />
son mari part effectuer sa première mission,<br />
moment contrebalancé par la réaction<br />
<strong>des</strong> deux petits enfants dans le plan<br />
qui se chuchotent à l'oreille et commentent<br />
l'attitude de leurs parents, superbe<br />
détail qui sauve le tableau de l'emphase.<br />
Toutes les scènes de famille, fort belles,<br />
peu artificielles, font penser à une chronique<br />
intimiste. Le documentaire, là<br />
aussi. À partir du principe du plan fixe<br />
sur une toile de fond de décor, le film révèle<br />
un vrai sens de la composition. Personnages<br />
décentrés (la mère assise sur le<br />
canapé), groupe de personnages sur un<br />
côté (la famille à table), laissant une zone<br />
de décor faussement inactive, toujours<br />
habitée. Le réalisateur utilise avec habileté<br />
le principe théâtral d'un décor à<br />
double fond : la visite à la prison avec la<br />
famille au premier plan à droite et le prisonnier,<br />
de l'autre côté de la double vitre<br />
à gauche, l'attentat à l'explosif avec la<br />
porte qui s'ouvre, révélant une scène seconde<br />
au cœur de la scène première. Dispositif<br />
de la double scène en profondeur<br />
que Dreyer utilisera systématiquement<br />
dans Gertrud (1964), sans doute en souvenir<br />
<strong>des</strong> films vus à l'époque de ses débuts.<br />
Le plus beau plan du film est celui<br />
où l'ingénieur, après avoir brûlé dans son<br />
bureau <strong>des</strong> papiers le compromettant, rejoint<br />
sa famille à table. Il tient à refermer<br />
la porte derrière lui, soucieux de ne pas<br />
mélanger l'espace politique (les amis<br />
qu'il reçoit) et sa vie privée. Sans trop savoir<br />
s'il s'agit d'un accident de tournage<br />
ou d'une volonté du réalisateur, la porte<br />
du bureau, mal fermée, s'ouvre derrière<br />
l'ingénieur, à son insu. Il croit être pleinement<br />
avec sa femme et ses enfants tandis<br />
que le spectateur voit que l'autre espace,<br />
qu'il pense avoir laissé derrière lui,<br />
est toujours omniprésent, et qu'il finira<br />
même par envahir le salon et les détruire<br />
eux aussi. Beau moment de scénographie<br />
pure où un incident anodin, celui d'une<br />
porte mal fermée qui dévoile une portion<br />
d'espace, exprime le drame vécu par les<br />
personnages. Loin du théâtre mortifié et<br />
mortifiant, cet instant signe la présence<br />
d'un vrai film.<br />
Charles Tesson<br />
L'APPEL DE LA VIE<br />
(FRAUENNOT - FRAUENGLÛCK)<br />
1929 - Édouard Tissé<br />
Réal. : Édouard Tissé. Supervision : Serguei M.<br />
Eisenstein. Prod. : Praesens-Film AG, Zurich<br />
(<strong>La</strong>zar Wechsler). Se. : Grigori Alexandrov.<br />
Asst. réal. : Grigori Alexandrov. Dir. ph. : Emil Berna,<br />
Edouard Tissé. Ass. ph. : Harry Ringger.<br />
Mont. : Édouard Tissé, <strong>La</strong>zar Wechsler, Serguei M.<br />
Eisenstein. Conseil médical : Dr. Rudolf Waltraut.<br />
Intérieurs tournés à la clinique gynécologique de<br />
l'Université de Zurich. Extérieurs tournés à Zurich et<br />
dans les environs. Int. : johannes Steiner et <strong>des</strong><br />
comédiens demeurés anonymes.<br />
Date de sortie : 21 mars 1930. Métrage, minutage<br />
copie Cf. : 1505 m., 60 minutes (à 22 i/s). Intertitres<br />
français. Noir et blanc. Doc. : François Albera :<br />
« l'Appel de la vie », catalogue <strong>Ciné</strong>Mémoire 1993.<br />
Hervé Dumont : Histoire du cinéma suisse,<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque suisse, 1987.<br />
Chaque année en Europe, le nombre <strong>des</strong><br />
avortements clan<strong>des</strong>tins ne cesse d'augmenter.<br />
« Les causes ? ».<br />
Anonyme dansl'agitationindifférente d'une<br />
grande ville, une femme avance péniblement.<br />
Elle a un mari, trois enfants, un quatrième<br />
dans son ventre. Épuisée, elle s'asseoit sur <strong>des</strong><br />
marches de pierre mais au souvenir <strong>des</strong> siens,<br />
de la table vide, de la faim, se remet en marche.<br />
Une autre, plus jeune, plus libre. Un<br />
homme l'approche. Ils partent ensemble.<br />
<strong>La</strong> première femme arrive devant une<br />
sombre maison et entre. <strong>La</strong> nuit est tombée.<br />
Dans un café, l'homme et la jeune femme.<br />
Champagne. Elle refuse, il insiste, elle accepte.<br />
Les verres se succèdent. À l'aube, le<br />
couple sort d'un hôtel.<br />
<strong>La</strong> mère est revenue au foyer, souffrante.<br />
Hémorragie. À l'hôpital, les infirmières pratiquent<br />
une transfusion.<br />
Une autre femme encore : enjouée, elle rejoint<br />
son mari sur un chantier à l'heure du<br />
déjeuner. <strong>La</strong> pause : les machines s'arrêtent.<br />
Elle lui dit à l'oreille qu'elle attend un enfant.<br />
Il met son oreille sur le ventre de sa compagne.<br />
Les machines redémarrent. L'homme remonte<br />
sur son échafaudage. Une fausse manœuvre.<br />
Il bascule dans le vide sous les yeux de sa femme.<br />
Elle porte la main à son ventre.<br />
<strong>La</strong> deuxième femme aussi est enceinte et<br />
son amant d'un soir ne l'aidera pas. Elle aussi<br />
aura recours à « la faiseuse d'anges ». Chez<br />
Tavorteuse, aucune hygiène. Dans les hôpitaux,<br />
un « maximum de moyens, un maxi-<br />
mum de conscience ». Plans documentaires<br />
sur la propreté clinique. D'un côté, une table<br />
d'opération moderne, de l'autre un étal. <strong>La</strong><br />
jeune femme s'évanouit. Utérus perforé. Des<br />
schémas détaillent l'infection <strong>des</strong> organes. À<br />
terme, la mort.<br />
Dans un hôpital, on se prépare à un accouchement<br />
difficile. Plans documentaires<br />
d'une césarienne réussie. D'ordinaire, les délivrances<br />
sont plus simples et les cliniques<br />
suisses peuvent s'enorgueillir d'avoir de<br />
beaux bébés. Celui-ci attend ses parents qui<br />
l'emportent dans le monde.<br />
LE QUOTIDIEN, LA GRANDE VILLE<br />
ET LE PROGRÈS<br />
Ce film, on le sait, est l'une <strong>des</strong> traces<br />
(et la plus importante sur pellicule) du<br />
voyage en Europe capitaliste de trois citoyens<br />
soviétiques, à la fin de Tannée<br />
1929. Or, que peuvent faire <strong>des</strong> citoyens<br />
soviétiques conscients, organisés et convaincus,<br />
parcourant les pays du luxe et<br />
de la décadence bourgeois ? Ils peuvent,<br />
incontestablement, filmer la décadence,<br />
en y ajoutant une ironie sirupeuse et ambiguë,<br />
et cela donne Romance sentimentale,<br />
le film de Grigori Alexandrov « supervisé<br />
par Eisenstein ». Ils peuvent aussi faire<br />
un travail plus directement militant, fustigeant<br />
ouvertement l'idéologie bourgeoise<br />
sous son aspect répressif et régressif,<br />
et cela peut donner l'Appel de la<br />
vie, le film d'Edouard Tissé... « supervisé<br />
par Eisenstein ».<br />
Films de circonstance, films gagnepain,<br />
films sans véritable auteur ? Sans<br />
doute tout cela, et à coup sûr le mystère<br />
planera toujours sur la part exacte dans<br />
l'un et l'autre film du plus célèbre <strong>des</strong><br />
trois Russes, quand bien même, dans l'un<br />
et dans l'autre, sa signature est apposée,<br />
aussi lisible qu'un nez au milieu d'une figure,<br />
qu'un gros plan au milieu d'une<br />
scène, qu'une caricature de bourgeois au<br />
milieu du peuple, qu'un cadrage tendu<br />
et vivant au milieu d'une séquence.<br />
153<br />
Le scénario de l'Appel de la vie est plus<br />
que rudimentaire. Des femmes enceintes<br />
sont contraintes par la malchance, par<br />
leur imprudence ou leur bêtise, en tout<br />
cas par leur pauvreté, à renoncer à l'enfant<br />
qu'elles portent : misères de femmes.<br />
D'autres, au contraire, donnent naissance<br />
à leurs enfants dans l'environnement<br />
propre et sûr de cliniques modernes :<br />
bonheurs de femmes. Deux parties nettement<br />
opposées, que le titre allemand -<br />
lors de la ressortie du film en 1936, dans<br />
une version transformée 1 et sonorisée -<br />
annonce clairement : Frauennot, Frauengliick.<br />
Comme la lumineuse, l'éclatante<br />
clinique de la fin, cette structure en diptyque<br />
est limpide, propre, sans bavure ni<br />
déchet : oui, camara<strong>des</strong>, le bonheur peut<br />
racheter la misère, la supprimer ; les<br />
femmes peuvent tranquillement confier<br />
aux hommes leur bonheur de femme -<br />
pourvu qu'ils soient médecins accoucheurs.<br />
Comment filmer cela ? <strong>La</strong> réponse,<br />
prévisible et, en un sens, elle aussi banale,<br />
est pourtant passionnante. Sur ce canevas<br />
à peu près sans consistance réelle (la<br />
preuve : tout le monde y trouva à redire,<br />
et tout le monde aussi y trouva son<br />
compte, puisque cela put s'accommoder<br />
de discours contradictoires), le groupe<br />
dirigé par Tissé broda <strong>des</strong> variations, en<br />
retraçant trois thèmes qui étaient alors au<br />
cœur <strong>des</strong> préoccupations du cinéma d'art<br />
et du cinéma d'essai en Europe : la vie<br />
quotidienne (le bytovoié russe) et en particulier<br />
le travail ; la grande ville ; le progrès<br />
technologique conçu comme progrès<br />
tout court.<br />
Des trois, le thème de la ville était<br />
alors le plus international. Les grands<br />
films de ville venaient d'être montrés (il<br />
est quasi certain que Tissé et Eisenstein<br />
avaient vu Berlin, die Symphonie einer<br />
GrosstadtlSymphonie d'une grande ville, à<br />
défaut d'avoir pu connaître l'Homme à la<br />
caméra), et l'Appel de la vie en reprend certains<br />
principes. <strong>La</strong> ville y apparaît comme<br />
la conjonction, ou peut-être seulement la<br />
juxtaposition, de trois facteurs : l'habitat
154 - EUROPE - SUISSE<br />
1<br />
'* 1<br />
- ruelles ombreuses, qui seraient charmantes<br />
si elles n'étaient sinistres : au<br />
bout, invariablement, demeure l'avorteuse,<br />
tapie dans sa toile invisible ; la circulation<br />
- et les plans sur les automobiles,<br />
les tramways, les agents, les piétons,<br />
l'agitation tranquille <strong>des</strong> rues de Zurich<br />
mettent excellemment en valeur l'art de<br />
cadrage tranchant que Tissé avait pu apprendre<br />
en Russie, et dont ils prouvent à<br />
quel degré il l'avait assimilé ; enfin, l'anonymat<br />
de la pierre - et ce sont les plans,<br />
eux aussi très beaux, cadrés et « éclairés »<br />
avec une grande justesse expressive (à laquelle<br />
la copie réalisée à partir du nitrate<br />
rend justice), sur les places, les monuments,<br />
les paysages urbains, lorsqu'on<br />
n'a plus besoin de savoir que <strong>des</strong> hommes<br />
les traversent ou les regardent (voir,<br />
remarquables, les quelques plans de tombée<br />
du jour sur le lac).<br />
Dans leur filmage <strong>des</strong> deux autres<br />
thèmes, Tissé et son groupe se montrent<br />
également maîtres <strong>des</strong> moyens fondamentaux<br />
du cinéma, depuis l'inscription<br />
de formes graphiques simples dans le<br />
cadre jusqu'aux combinaisons de montage,<br />
en passant par la construction de<br />
cette « cellule » de montage qu'est le cadrage.<br />
Soient les nombreux plans, à l'enthousiasme<br />
glaçant, de la longue partie<br />
finale qui prêche l'accouchement médicalisé<br />
(qui le prêche à outrance, jugerions-nous,<br />
après que sont passées plusieurs<br />
mo<strong>des</strong> et plusieurs idéologies du<br />
corps). Comment mieux les caractériser<br />
qu'en les rapprochant <strong>des</strong> plans, tout<br />
aussi enthousiastes et a posteriori effrayants,<br />
du sovkhoze modèle de la Ligne générale<br />
? On y prenait pour <strong>des</strong> chirurgiens<br />
blousés et masqués de blanc ce qui n'était<br />
qu'un bataillon de vachers new look : ici,<br />
ce sont de vrais chirurgiens qui prennent<br />
l'allure d'atroces techniciens, toujours<br />
blancs et toujours masqués, entre Frankenstein<br />
et l'homme invisible ; mais c'est<br />
la même proximité aux appareils, innombrables,<br />
luisants, modernistes, aussi<br />
incongrus par leur <strong>des</strong>ign daté que les outils<br />
de charcutage obstétrique du Dead<br />
Ringers (Faux-Semblants, 1988) de Cronenberg.<br />
Idéologème brut : le progrès, la<br />
sécurité, et forcément aussi la beauté moderne,<br />
sont incarnés par l'appareil - simplement<br />
parce qu'il est net et brillant.<br />
Nous connaissons le refrain, mais le couplet<br />
de Tissé lui va comme un gant de<br />
latex prophylactique.<br />
Reste le plus réussi et le plus touchant<br />
: le « quotidien », c'est-à-dire tout<br />
ce qui ressortit au document, et aussi tout<br />
le typage, ici admirable, du moins dans<br />
la première partie. Si le corps médical<br />
n'est qu'un agglomérat indifférencié et<br />
tristement fonctionnel, dont on peine infiniment<br />
à penser qu'il est du côté de la<br />
vie, le peuple est figuré par <strong>des</strong> visages,<br />
par <strong>des</strong> corps tous émouvants, tous<br />
beaux, et l'un au moins - celui de la mère<br />
de famille nombreuse - parfaitement sublime.<br />
<strong>La</strong> tentation est grande de voir<br />
dans certains de ces plans, plus qu'ailleurs,<br />
la patte du maître : le père de famille,<br />
avec sa tête à la Hodler, comme, symétriquement,<br />
le séducteur graveleux<br />
(qui, lui, fait bien plutôt penser à Dix, à<br />
Beckmann ou Permeke) ne sont-ils pas<br />
<strong>des</strong> types comme Octobre les avait accumulés,<br />
comme les leçons au VGIK <strong>des</strong> années<br />
trente les théoriseront ? Et la famille<br />
pauvre dans sa sinistre pièce unique<br />
n'est-elle pas filmée exactement - cadrages,<br />
montage opposant le pair et l'impair,<br />
jeu sur le plus-que-gros plan -<br />
comme le fut la tribu vaguement incestueuse<br />
dans Tizba noire de la Ligne générale<br />
? Tissé n'était pas un novice lorsqu'il<br />
connut Eisenstein, et par lui, c'est aussi<br />
un peu ou beaucoup du cinéma suédois<br />
qui « sous-vient ». Et il ne faut pas oublier<br />
qu'en 1929, le cinéma allemand avait déjà<br />
produit ses chefs-d'œuvre réalistes, que<br />
chacun avait pu voir. Mais la touche eisensteinienne<br />
est insistante, et la version<br />
française, en cela définitivement supérieure<br />
à l'autre, a su en conserver l'empreinte<br />
fugitive et profonde, avec ces<br />
deux ou trois plans sur une statuette de<br />
femme 1900, qui répondent au répugnant<br />
sourire du séducteur lorsqu'il déchire le<br />
L'APPEL DE LA VIE-155<br />
portrait de la jeune fille - comme la statuette<br />
de Bonaparte redoublait et expliquait<br />
Kérenski dans Octobre.<br />
Avec ces plans, avec la tranquille<br />
beauté qui émane de ces visages jusque<br />
dans le malheur qu'ils jouent, le film<br />
avoue son propos réel : le bonheur - <strong>des</strong><br />
femmes mais aussi bien <strong>des</strong> hommes avec<br />
elles - ce n'est pas d'un progrès sans extase<br />
qu'il faut l'attendre, maisbien du jeu,<br />
si douteux soit-il, <strong>des</strong> passions humaines.<br />
Jacques Aumont<br />
1 <strong>La</strong> version suisse de 1936 en effet n'est pas, contrairement<br />
à ce qu'on a parfois dit, un simple remontage<br />
de la version de 1929, mais un immonde tripatouillage.<br />
L'épisode de la jeune fille et du noceur y<br />
est remplacé par un épisode de séduction infiniment<br />
plus discret (on montre juste le séducteur entrevoyant<br />
sa victime alors qu'elle monte dans un tram),<br />
avec d'autres acteurs, au typage plus anodin, et<br />
d'autres décors, très anonymes ; la scène chez l'avorteuse<br />
a été refaite elle aussi, et imite caricaturalement<br />
les cadrages de Tissé ; une longue scène parlante, affreusement<br />
« édifiante », est ajoutée, entre la jeune<br />
fille et un gynécologue qui lui fait la leçon - pour finalement<br />
se laver les mains de son affaire ; la scène<br />
où se prend la décision de la césarienne est devenue<br />
parlante, et on y retrouve ce nouveau gynécologue<br />
et son cabinet (donc un autre décor que celui de<br />
Tissé). Outre l'impossibilité stylistique d'assigner ce<br />
matériel plat et statique aux Russes, le fait que les acteurs<br />
en soient vus dans <strong>des</strong> scènes parlantes oblige<br />
à conclure qu'il a été réalisé ultérieurement par un<br />
autre cinéaste (peut-être Emil Berna, qui avait été primitivement<br />
pressenti par le producteur ?).
Youssef Chahine<br />
An-Nil Oual Hayat<br />
(1968).<br />
ÉGYPTE
158 - ÉGYPTE<br />
AN-NIL OUAL HAYAT<br />
UN JOUR, LE NIL<br />
1968-Youssef Chahh.e<br />
Réal. : Youssef Chahine. Prod. : Cairofilm (Waghi<br />
Ryad), Mosfilm (Konstantin Stenikson).<br />
Supervision Cairofilm : Youssef Chahine.<br />
Assistants à la production : Vladimir Simakov, Salch<br />
Fawzi. Se. : N. Figourovski, A. El-Charkawi, Y.<br />
Chahine. Dir. ph. : A. Chelenkov, Tchen-You-<strong>La</strong>n.<br />
Son : S. Minervine, H. El-Touni.<br />
Conseillers artistiques : Evgueni Svitdetelev, Raouf<br />
Abdelmagid. Cost. : Nadedja Bouzina, Kheiri El Felfel.<br />
Mont. : Rachida Abdelsalâm. Mus. : Aram<br />
Khatchatourian. Pellicule Sovcolor. Int. : Salah<br />
Zulfikar, Igor Vladimirov, Imâd Hamdi, Vladimir<br />
Ivachov, Seif-Eddine, Youri Kamerny, Mahida Salem,<br />
Valentina Khoutsenko, Hocine Ismaël, Svetalna Igoun,<br />
Abdelamig Barâka, Mohamed Morched, Mabrouka,<br />
Tewfik Eddeken, Zouzou Madi, Inna Fiodorova.<br />
Date de sortie : Sorti, puis censuré en 1968, An-Nil<br />
Oual Hayat est ressorti en 1972, avec un montage et<br />
un titre différents.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2991 m., 109 mn.<br />
Version originale sous-titrée en français. Couleurs.<br />
15 mai 1964, Assouan en Egypte. Après<br />
deux ans d'un travail titanesque, l'ancien<br />
cours du Nil va être fermé et l'inauguration<br />
du Grand Barrage ouvrir une nouvelle ère en<br />
même temps qu'inonder définitivement <strong>des</strong><br />
terres ancestrales. En ce jour mémorable, Barrak,<br />
adolescent nubien, et Nikolaï, ingénieur<br />
de Leningrad, deviennent amis. Saâd et Alik<br />
se remémorent les heures noires de la construction.<br />
Zoïa, la femme d'Alik, se rappelle<br />
d'avoir tout quitté pour suivre celui qui, aujourd'hui,<br />
la délaisse. Après l'explosion qui<br />
ouvre le nouveau lit du fleuve, Platonov, le<br />
chef de chantier côté soviétique, évoque son<br />
enfance sur les rives de la Volga. Zoïa décide<br />
de rentrer à Moscou. Seul, Alik se souvient<br />
de la bataille de Stalingrad, quand il avait dixneuf<br />
ans et découvrait l'amour et la mort.<br />
Yahia, un ouvrier, en fait journaliste au lourd<br />
passé politique, demande la main de Nadia à<br />
son père, Mahmoud, le maître d'oeuvre côté<br />
égyptien. Malgré sa pétition, Barrak ne peut<br />
empêcher le départ de Nikolaï, arrivé en fin de<br />
contrat. Zoïa revient auprès d'Alik. Mahmoud<br />
charge maître Fahmi de convoyer par<br />
le fleuve une énorme turbine arrivée à Alexandrie.<br />
Nadia, le cœur serré, repousse Yahia qui<br />
regarde passer la turbine sur le Nil.<br />
UN FLEUVE D'AMOUR<br />
Il faut vraiment une cinémathèque<br />
pour vous balancer à la figure les preuves<br />
claires et précises que le monde n'a pas<br />
toujours été ce qu'il est, et que les gens<br />
n'ont pas toujours pensé comme ils pensent<br />
aujourd'hui. Heureusement.<br />
L'histoire singulière <strong>des</strong> deux versions<br />
d'An-Nil Oual Hayat I Un jour, le Nil<br />
(l'une de 1968, celle de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, et l'autre de 1972) est révélatrice<br />
à plus d'un titre. Entre autre, que les<br />
gens et le monde ne pensaient pas comme<br />
dans ce film. Ils étaient aussi sots et pusillanimes<br />
que les gens d'aujourd'hui,<br />
mais il y avait un cinéaste qui essayait de<br />
croire aux mythes et qui a fait un très beau<br />
film. Heureusement.<br />
An-Nil Oual Hayat, première et dernière<br />
coproduction égypto-soviétique, a<br />
été interdit par la censure <strong>des</strong> deux pays,<br />
et Chahine s'est trouvé en train de refaire<br />
tout le film avec un nouveau scénario et<br />
de nouveaux acteurs. Le deuxième, rebaptisé<br />
An-Nass Ouel Nil I Ces gens du Nil,<br />
est un film que Chahine renie aujourd'hui.<br />
Le négatif de la première version<br />
a été charcuté, on s'est servi librement de<br />
tous les plans qui pouvaient convenir à<br />
la seconde version, et du coup, un film a<br />
disparu. Chahine dit qu'il ne voulait pas<br />
que cette première coproduction finisse<br />
en scandale.<br />
Par un hasard totalement explicable,<br />
la seule copie positive (70 mm et son stéréophonique)<br />
de la première version, la<br />
seule valable aux yeux de Chahine, s'est<br />
trouvée à la <strong>Ciné</strong>mathèque française \<br />
Pendant <strong>des</strong> années, quand on abordait<br />
avec Chahine le sujet d'An-Nass Ouel Nil,<br />
il disait qu'il fallait voir le vrai film et non<br />
pas « cette chose qu'on m'a obligé à fai-<br />
re ».<br />
Qu'est-ce qu'on pouvait bien reprocher<br />
à la première version ? Eh bien,<br />
avant tout d'être un vrai film, du vrai cinéma<br />
et non pas l'objet-symbole d'une<br />
entente diplomatique. Chahine est un<br />
grand naïf. Heureusement.<br />
Et puis, cette idée folle de donner les<br />
rôles principaux dans une « Histoire officielle<br />
» aux victimes de cette Histoire :<br />
les Nubiens.<br />
Il faut dire que toute la joie de filmer<br />
un grand moment de l'histoire récente de<br />
l'Egypte ne cache pas la tristesse profonde<br />
<strong>des</strong> histoires racontées dans ce récit<br />
complexe de <strong>des</strong>tins qui s'enchevêtrent.<br />
D'abord, c'est l'histoire de Barrak, le<br />
jeune Nubien qui n'a pas réussi à se faire<br />
admettre à l'université et qui choisit de<br />
travailler sur le chantier du Haut Barrage.<br />
Tout de suite, les vieux de sa tribu lui demandent<br />
s'il compte participer à la <strong>des</strong>truction<br />
de leur village. Car tout le monde<br />
sait, et le film ne le cache pas, que le Haut<br />
Barrage va détruire les anciens villages<br />
de la Nubie.<br />
Triste histoire que celle de la Nubie.<br />
Et Chahine ne se gêne pas pour raconter<br />
cette sublime tristesse, de l'exode <strong>des</strong> villageois<br />
jusqu'au voyage à dos d'âne du<br />
vieux grand-père qui, devant Abou Simbel,<br />
se demande pourquoi leurs maisons<br />
n'ont pas elles aussi été transportées. Résigné,<br />
il constate que déménager toutes<br />
les habitations de son village était pourtant<br />
plus facile que déplacer une seule<br />
pierre de ce temple. Suit un plan du nouveau<br />
village. Et un vieux de s'écrier :<br />
« C'est une caserne ! », avant d'ajouter<br />
tout de même : « Que Dieu nous préserve<br />
le président Nasser ! » Et ça rend la chose<br />
encore plus triste.<br />
Barrak donc, le jeune et beau Barrak,<br />
veut être le dernier à avoir nagé dans le<br />
vieux Nil. Nikolaï, le jeune ingénieur<br />
russe, est pris par la même envie et<br />
comme deux affluents d'un même fleuve,<br />
ils se rejoignent dans l'eau. D'ailleurs,<br />
Barrak et Nikolaï sans se connaître encore,<br />
se ressemblent déjà. Nikolaï s'élance<br />
vers sa mère pour l'embrasser à Leningrad<br />
et c'est Barrak, dans un contrechamp<br />
en Nubie, qui finit le geste. Ainsi<br />
les deux veulent être les derniers à s'être<br />
baigné dans l'ancien Nil. Commence<br />
alors une amitié que Chahine filme comme<br />
une histoire d'amour. Une nuit, Bar-<br />
rak attend Nikolaï devant sa porte et lui<br />
dit quelque chose dans le genre « Nous<br />
construirons le socialisme ensemble... »<br />
Et ils se regardent avec un tel désir.<br />
Après le désir, encore la tristesse. Barrak<br />
apprend que Nikolaï va partir. Il se<br />
démène pour faire circuler une pétition à<br />
tous les ouvriers d'Assouan afin d'obtenir<br />
une prolongation du contrat, monte<br />
au sommet <strong>des</strong> grues cueillir la signature<br />
d'un homme perché là-haut dans sa cabine,<br />
affronte la direction. Et quand tout<br />
ça n'aura servi à rien, Chahine montre encore<br />
Barrak seul devant le torrent, déchirant<br />
sa « lettre d'amour » et jetant les<br />
morceaux de papier dans le fleuve. Barrak<br />
fera ses adieux à son ami, en complet<br />
veston et accompagné de tous les ouvriers<br />
nubiens du chantier venus en charrette<br />
les escorter jusqu'à la gare. C'est si<br />
beau et si poignant qu'on se demande si<br />
Chahine savait qu'en 1968, en pleine défaite<br />
politique et militaire du nasserisme,<br />
il ne fallait pas s'amuser à raconter <strong>des</strong><br />
émotions vraies.<br />
Ecoutez encore la tristissime histoire<br />
de Zoya et d'Alik. Zoya quitte travail, famille<br />
et patrie par amour pour ce jeune<br />
ingénieur et se retrouve à Assouan à<br />
contempler un ravissant coucher de soleil<br />
et à tricoter entourée de dix matrones.<br />
Et Alik ? Il rentre chaque soir épuisé et ne<br />
fait plus l'amour avec Zoya. Elle n'en<br />
peut plus, le quitte, revient finalement et<br />
lui prépare son dîner. Et c'est tout.<br />
Du côté <strong>des</strong> bourgeois, ce n'est pas<br />
plus gai. Le premier plan du film montre<br />
Yahia sortant d'un bordel. Plus tard, on<br />
comprendra qu'il s'agissait bien d'un bordel<br />
et que Yahia n'est pas un vrai ouvrier<br />
mais un écrivain engagé, fatigué par <strong>des</strong><br />
années de militantisme. À cause de ce<br />
passé et de cette fatigue, la jeune fille de<br />
bonne famille dont il tombe amoureux, et<br />
qui l'aime, le quitte finalement. Parce<br />
qu'elle ne veut pas d'un homme usé.<br />
Bien sûr qu'il fallait à tout prix interdire<br />
ce film.<br />
À la manière <strong>des</strong> ouvriers déroutant<br />
le Nil, Chahine a, comme d'habitude,<br />
dévié une commande pour en faire un<br />
film personnel. Il a transformé un matériel<br />
diplomatique en un matériau poétique<br />
et lyrique. Et tout le temps du film,<br />
cette question lancinante : d'où lui vient<br />
cette énergie ? Bien sûr, il y a le Mythe.<br />
« Nous changerons le cours de l'Histoire<br />
comme nous avons changé le cours du<br />
plus grand fleuve du monde ». Ce genre<br />
de sentiment, ça fait toujours un film. Et<br />
il est visible que Chahine y croyait... voulait<br />
désespérément y croire... parce qu'il<br />
voyait que tout allait de travers. Il voyait<br />
la bureaucratie, l'insensibilité, le mépris<br />
de l'individu et la corruption cachée derrière<br />
les slogans. Il finit son film sur une<br />
note terrible : un petit cireur de chaussures<br />
joue au funambule sur le parapet<br />
d'un pont pendant qu'un bateau transportant<br />
une énorme turbine avance vers<br />
Assouan. Le petit cireur profitera-t-il jamais<br />
du Haut Barrage ?<br />
AN-NIL OUAL HAYAT - 159<br />
Bizarrement (j'ai presque envie de<br />
dire « chahinement »), le sentiment que<br />
laisse le film n'est pas du tout lugubre. Ce<br />
serait comme une chanson d'Edith Piaf<br />
sur fond d'histoire contemporaine héroïque.<br />
« Moi j'essuie les verres... » près<br />
du Haut Barrage !<br />
Par moments, il est difficile de savoir<br />
dans quelle langue est ce film étrange. <strong>La</strong><br />
réponse se trouve dans l'histoire de ce<br />
traducteur omniprésent dans le film, totalement<br />
incapable de traduire un mot<br />
d'une langue à l'autre et de toute façon<br />
parfaitement décalé puisque tout le<br />
monde se comprend, car les gens dans ce<br />
film parlent la langue du cœur et c'est<br />
très, très beau.<br />
Yousry Nasrallah<br />
1 Au début <strong>des</strong> années soixante-dix, c'est Youssef<br />
Chahine qui avait donné cette copie à Henri <strong>La</strong>nglois<br />
(ndlr).
King Vidor<br />
The Family Honor<br />
(1920).<br />
ÉTATS-UNIS
162-ÉTATS-UNIS<br />
I<br />
I<br />
PEARL OF THE ARMY<br />
LE COURRIER DE WASHINGTON<br />
1916 - Edward José<br />
Réal. : Edward ]osé (les derniers épiso<strong>des</strong> ont été<br />
réalisés par George B. Seitz). Prod. : Astra Film Corp.<br />
pour Pathé. Auteur : Guy W. McConnell, d'après son<br />
récit homonyme. Se. : George fi. Seitz. Int. : Pearl<br />
White (Pearl Dare), Ralph Kellard, Léon Bary, Warner<br />
Oland, Mary Wayne, Théodore Friebus, W.T.<br />
Carleton, Floyd Buckley, joe Cuny. Chapitre un :<br />
« The Traitor ». Chapitre deux : « Found Guilty ».<br />
Chapitre trois : « The Silent Menace ». Chapitre<br />
quatre : « War Clouds ». Chapitre cinq : « Somewhere<br />
in Crenada ». Chapitre six : « Major Brent's Perfidy ».<br />
Chapitre sept : « Stars and Stripes ». Chapitre huit :<br />
« International Diplomacy ». Chapitre neuf : « The<br />
Monroe Doctrine ». Chapitre dix : « The Silent Army ».<br />
Chapitre onze : « A Million Volunteers ». Chapitre<br />
douze : « The Foreign Alliance ». Chapitre treize :<br />
« Modem Buccaneers ». Chapitre quatorze : « The<br />
Flag Despoiler ». Chapitre quinze : « The ColoneTs<br />
Ordely ». Date de sortie : [du 9 décembre 1916 au 31<br />
mars 1917]. Métrage, minutage copie Cf. : 4699 m.,<br />
187 mn (à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Doc. : Einar <strong>La</strong>uritzen, Gunnar Lundquist : American<br />
Film-Index, Film-Index, 1984. Jean Mitry :<br />
Filmographie universelle, t. IV, page 176.<br />
Remerciements à Francis <strong>La</strong>cassin.<br />
Depuis 1914, le monde est en guerre.<br />
L'Amérique se prépare à entrer dans le conflit<br />
mais doit d'abord mener sur son sol une première<br />
bataille contre l'espionnage étranger.<br />
Terrible ennemi connu sous le nom de « la<br />
Menace silencieuse », avec à sa tête un chef<br />
cruel et toujours masqué. Chargé par l'étatmajor<br />
en chef de transporter en secret le plan<br />
<strong>des</strong> défenses du canal de Panama, le capitaine<br />
Ralph Paine se fait voler le précieux document<br />
et, peu après, est accusé du meurtre de l'ambassadeur<br />
de la république de Guarani, autant<br />
de forfaits commis en fait par la Menace<br />
silencieuse. Alors, Miss Pearl Dare, la fille du<br />
général, va se démener sans compter, se battre<br />
comme un homme sans se départir de son élégance<br />
naturelle, affronter tous les périls pour<br />
retrouver le document, innocenter Paine, par<br />
ailleurs son fiancé, et sauver son pays d'un<br />
projet d'invasion. <strong>La</strong> belle Pearl réalise finalement<br />
tous ses objectifs. Le chef de la Menace<br />
silencieuse était le major Brent, en fait un<br />
nommé Muller, ex-officier de l'armée allemande<br />
reconverti dans l'espionnage, incarnation<br />
du « génie de traîtrise de la race allemande<br />
». Il se suicide d'une balle dans la tête.<br />
Pearl a sauvé l'Amérique.<br />
LA GRANDE MENACE<br />
Les surréalistes l'appelaient Perle Vite.<br />
Joli surnom pour l'héroïne charmante et<br />
active dont la blondeur fragile est livrée<br />
à d'infâmes coquins pendant six années<br />
et huit sériais : les Exploits d'Elaine, les<br />
Mystères de New York, le Masque aux dents<br />
blanches, le Courrier de Washington, <strong>La</strong> reine<br />
s'ennuie, la Maison de la haine, Par amour,<br />
Par la force et par la ruse.<br />
Pendant cent cinquante-sept épiso<strong>des</strong>,<br />
Pearl White se retrouve : dans un ballon<br />
fou, dans un avion aux ailes sciées,<br />
dans un bateau ou un sous-marin qui<br />
coule, dans un train qui déraille, dans une<br />
maison en flammes, et j'en passe. On la<br />
noie, on l'asphyxie, on l'enterre vivante,<br />
on la livre à <strong>des</strong> crocodiles, à une scie électrique<br />
et même à <strong>des</strong> indiens farouches !<br />
Chaque fois, elle en réchappe, mo<strong>des</strong>te,<br />
victorieuse, promise à un mariage, sans<br />
un accroc à son tailleur strict, sans que<br />
soit compromis l'équilibre sur ses cheveux<br />
d'or du petit chapeau ou du béret<br />
noir qui fit chavirer les cœurs dès sa première<br />
apparition en France. C'était en<br />
1915 dans les Mystères de New York, un<br />
triomphe égal à celui connu au siècle précédent<br />
par les Mystères de Paris.<br />
Né d'un mariage entre le vieux roman<br />
feuilleton et le cinéma, le sériai américain<br />
subjugue les foules autant par ses inventions<br />
délirantes que par sa formule : un<br />
long récit découpé en épiso<strong>des</strong> hebdomadaires<br />
laissant chaque fois l'héroïne<br />
face à un grand péril, doublé d'un feuilleton<br />
publié simultanément par un journal<br />
quotidien. À l'habileté de la formule<br />
s'ajoute le charisme de l'héroïne, en l'occurence<br />
l'une <strong>des</strong> premières « stars » et<br />
peut-être la plus célèbre de toutes à son<br />
époque. D'un sériai à l'autre, de 1914 à<br />
1919, Pearl White a incarné, imperturbable,<br />
l'américaine fraîche et bien portante,<br />
élégante et sportive, un mélange<br />
d'innocence et de pugnacité lui permettant<br />
de rétablir chaque fois une situation<br />
que les représentants du sexe dit fort<br />
avaient laissé filer... Un rôle inédit à une<br />
163<br />
époque où le roman d'aventures était un<br />
genre masculin. Aussi, jusqu'au jour où<br />
Helen Holmes et Ruth Roland, venues du<br />
cirque et acrobates, la détrônèrent, elle<br />
fut la reine <strong>des</strong> sériais.<br />
Rompant avec les longues enquêtes<br />
policières <strong>des</strong> précédents films, Pearl of<br />
the Army (le Courrier de Washington) se révèle<br />
être de façon originale un film d'espionnage<br />
dénonçant (déjà !) l'ennemi de<br />
l'intérieur chargé de voler les plans de<br />
mobilisation <strong>des</strong> forces américaines. Fille<br />
d'un général en chef d'état-major, fiancée<br />
à un officier injustement accusé d'avoir<br />
dérobé ces plans, Pearl Dare était bien<br />
placée pour contrer « la Menace Silencieuse<br />
»... et pour préparer les bonnes<br />
âmes d'outre-Atlantique à la prochaine<br />
intervention militaire en Europe.<br />
En dehors d'un déraillement de train<br />
et d'un naufrage, l'action comporte peu<br />
d'éclats, comme si la nouveauté fournie<br />
par le contexte militaire avait suffi à satisfaire<br />
l'imagination <strong>des</strong> scénaristes. Imagination<br />
fatiguée : pour tenir jusqu'au<br />
dixième épisode, on fait arracher à Pearl<br />
la cagoule du chef espion, démasquant<br />
ainsi le jardinier du général. Mais il avoue,<br />
dans l'épisode suivant, avoir pris le déguisement<br />
du vrai chef pour lui permettre<br />
de s'enfuir. <strong>La</strong> même supercherie sera utilisée<br />
tour à tour par l'ordonnance et le secrétaire<br />
du général jusqu'à la révélation<br />
ultime. Ajoutons que le médaillon contenant<br />
les plans de la mobilisation est sans<br />
cesse volé, repris, perdu, retrouvé... Et<br />
l'on ne pourra pas donner absolument<br />
tort à Louis Feuillade, reprochant au serial<br />
américain de mettre en scène <strong>des</strong><br />
« fantoches trépidants se disputant un<br />
objet d'épisode en épisode, à la faveur<br />
d'extravagantes aventures ».<br />
— Vite...<br />
suivez ce taxi I<br />
Francis <strong>La</strong>cassin
164 - ÉTATS-UNIS<br />
THE COLD DECK<br />
GRAND FRÈRE<br />
1917-William S. Hart<br />
Réal. : William S. Hart. Prod. : Triangle Kay-Bee<br />
(Thomas H. Ince). Auteur :).G. Hawks. Se. : J.G.<br />
Hawks. Dir. ph. : Joe August. Dir. art. : Robert<br />
Brunton, G. Harold Percival. Int. : William S. Hart<br />
(« On the Level » Leigh), Mildred Harris (Alice Leigh),<br />
Edwin N. Wallock (« Black Jack » Hurley), Aima<br />
Rubens (Coralie Mendoza), Sylvia Bremer (Rose<br />
<strong>La</strong>rkins), Charles O. Rush (« Ace » Hutton), Joe Knight<br />
(le chef de la milice). Date de sortie : novembre 1917.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1120 m., 55 mn<br />
(à 18 i/s). Générique et intertitres français et anglais<br />
reconstitués. Noir et blanc. Ce film a été restauré avec<br />
le concours de la Cineteca del Friuli (Lorenzo<br />
Codelli), l'Academy of Motion Picture Arts and<br />
Sciences, Beverly Hills (Michael Friend), l'American<br />
Muséum of the Moving Image, New York (Richard<br />
Koszarski).<br />
<strong>La</strong> Californie vers 1860, dans un camp de<br />
chercheurs d'or. « Level » Leigh, joueur de<br />
cartes professionnel, voit arriver par la diligence<br />
sa jeune sœur Alice, épuisée par son<br />
long voyage depuis la Virginie. Immédiatement,<br />
il la prend sous son aile protectrice. À<br />
peine remise, il l'emmène se reposer dans les<br />
montagnes, pas loin du camp de « Hellandgone<br />
». Au bar de la ville, Leigh rencontre Coralie<br />
l'entraîneuse, « la malédiction <strong>des</strong> hommes<br />
qui l'ont aimée », et se heurte à un vaurien<br />
« Black Jack » Hurley. Peu de temps<br />
après, ce dernier importune Rose <strong>La</strong>rkins, la<br />
fille du convoyeur. « Level » Leigh le corrige<br />
très sévèrement. Mais Coralie, amoureuse de<br />
Leigh, est jalouse de l'attention qu'il porte à<br />
la gentille Rose. Le soir même au saloon, elle<br />
conspire contre lui et aide un joueur à le ruiner.<br />
L'état de santé d'Alice se dégrade. Ruiné,<br />
acculé, son grand frère attaque la diligence.<br />
Échange de coups de feu. Dans l'action,<br />
« Black Jack » abat Silent <strong>La</strong>rkins d'une balle<br />
dans le dos, mais Leigh est convaincu d'être<br />
le meurtrier. Alice est morte. Au désespoir, il<br />
se livre et va être pendu. « Black Jack » vient<br />
le narguer en prison et, éclatant d'un rire diabolique,<br />
se vante d'être le vrai coupable. Leigh<br />
écarte les barreaux de sa cellule, saute sur un<br />
cheval, échappe à ses poursuivants, retrouve<br />
l'or volé et s'empare du tueur. De retour au<br />
camp, il le livre au chef de la milice qui, en<br />
échange, lui demande de rester parmi eux.<br />
Rose se tiendra à ses côtés. Coralie, elle, est<br />
sommée de quitter la ville.<br />
LE GRAND JEU<br />
The Cold Deck (Grand Frère en France<br />
et sous ce titre dans les écrits de Louis Delluc)<br />
est l'acmé du « système Ince » et un<br />
joyau du western, même si, en 1917, le<br />
genre n'a pas encore vraiment pris<br />
consistance. Hart, réalisateur et acteur<br />
principal (comme Eastwood), joue ici de<br />
sa caméra comme d'une arme de précision,<br />
soignant tous les détails et prouvant<br />
ainsi qu'il est conscient <strong>des</strong> possibilités de<br />
son art.<br />
Quand il réalise The Cold Deck, William<br />
S. Hart n'en est plus à son coup d'essai<br />
et, désormais, peaufine ses motifs. Il<br />
renoue encore une fois avec l'atmosphère<br />
<strong>des</strong> romans d'aventure du début du siècle<br />
et leurs héros qui n'ont qu'une parole<br />
(ou préfèrent rester silencieux, mettant<br />
parfois en péril leur existence avec une<br />
obstination qui étonne) tandis que de frêles<br />
jeunes femmes traversent innocemment<br />
ce monde de perdition dominé par<br />
une justice immanente, longtemps muette<br />
mais éloquente en dernière instance.<br />
C'est que la partie, comme toujours, se<br />
joue entre le Ciel et l'Enfer. Ainsi, quand<br />
son personnage, « Level » Leigh, met enfin<br />
la main sur le meurtrier, il ne manque<br />
pas de lui signaler sa <strong>des</strong>tination : « Tu as<br />
rendez-vous avec le Diable, Black Jack, et<br />
je ne voudrais pas le décevoir ! ». De<br />
même, le nom du camp minier est « Hellandgone<br />
», ce qui se lit « hell and gone ».<br />
En arrivant littéralement en enfer, « Level<br />
» Leigh touche le fond. Il invoque<br />
alors la divinité qui lui indique un chemin<br />
très détourné pour gagner son Salut.<br />
Ce chemin « tordu » est figuré par une<br />
branche d'arbre coudée qui traverse le<br />
champ au premier plan alors qu'au-<strong>des</strong>sous,<br />
à l'horizon, passe la diligence<br />
Les signes d'élévation sont d'une limpidité<br />
biblique : la chute d'abord, puis le<br />
dénuement (Leigh se débarrassant de sa<br />
fortune en achetant le calme dans le saloon<br />
où se repose sa soeur ; seul le silence<br />
est d'or...), enfin l'ascension/régénération<br />
achevée avec la phrase du chef <strong>des</strong><br />
Vigilants : « Your place is up there on the<br />
hill », c'est-à-dire là où sa sœur est enterrée.<br />
Et si la foi soulève les montagnes, ici<br />
elle donne au héros la force de plier les<br />
barres de fer. Il en place une autour du<br />
cou de Black Jack qui vient d'insulter une<br />
jeune femme. Comme un écho, il attaque<br />
la diligence au lieu-dit Horseshoe Bend,<br />
« la courbe du fer à cheval », et c'est là<br />
que le <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> personnages prend un<br />
tour fatal. Hart construit donc en partie<br />
son film autour de figures géométriques<br />
et de signes.The Cold Deck s'achève sur<br />
l'image d'une croix et commence pratiquement<br />
par celle de deux croix figurant<br />
sur un tapis indien au mur du saloon. Les<br />
grands réalisateurs se remarquent à l'attention<br />
portée au moindre détail et à leur<br />
inscription dans un ensemble.<br />
Avec un même soin infini, Hart cisèle<br />
son personnage. On le nomme « Level »,<br />
raccourci de l'expression « On the level »,<br />
ce qui signifie « le Régulier ». Son appartenance<br />
au Sud est signifiée par son<br />
double prénom : Jefferson Breckinridge<br />
2 . Il est « la brebis galeuse (« the black<br />
sheep ») d'une vieille famille de Virginie,<br />
alliant la courtoisie de son Sud natal à la<br />
hardiesse de l'Ouest » 3 . « Level » Leigh<br />
offre autant de visages que de situations :<br />
l'aristocrate du passé, à présent joueur de<br />
profession et l'homme de l'Ouest prompt<br />
à dégainer, capable d'attaquer une diligence,<br />
de sauter sur son cheval et de galoper<br />
à bride abattue, rôle que les situations<br />
d'urgence l'amènent à adopter naturellement.<br />
Chacune <strong>des</strong> facettes du personnage<br />
est signalée par une physionomie<br />
et <strong>des</strong> gestes : l'aristocrate courtois<br />
devant les femmes sait sourire, le joueur<br />
figé sur son siège garde un masque,<br />
l'homme d'action fait travailler tout son<br />
corps et adopte <strong>des</strong> postures familières<br />
qui réapparaissent de film en film et dont<br />
les photographies gardent le souvenir.<br />
Ses tenues vestimentaires aussi sont soignées<br />
et variées. Si c'est l'heure du poker,<br />
il arbore le chapeau haut de forme, la chemise<br />
à jabot, la lavallière et le gilet à pois.<br />
Qu'il attaque la diligence, il revêt alors<br />
l'habit du Californien (chapeau plat,<br />
veste mexicaine). Le réalisateur n'oublie<br />
pas non plus de mettre une grosse bague<br />
à la main gauche de son personnage, souvenir<br />
probable d'un état antérieur. Enfin,<br />
Hart joue sur les mots et leur double sens<br />
pour ne pas figer son héros dans le carcan<br />
d'une psychologie sommaire ; certes,<br />
Leigh est un black sheep mais la noirceur<br />
désigne plutôt une action précise (Leigh<br />
alias le Black Rider qui attaque les diligences)<br />
ou le caractère d'un villain (Black<br />
Jack). De même, il est un joueur professionnel<br />
et sa froideur en la circonstance<br />
est un impératif catégorique mais « the<br />
cold deck » ne le désigne pas et renvoie à<br />
l'art de tricher, un art dont il est la victime<br />
4 . À propos d'un autre film de Hart<br />
de 1916, The Return ofDraw Egan, Jacques<br />
Lourcelles, dans son Dictionnaire, a<br />
écrit : « Dès cette époque primitive du<br />
western, et au moins dans <strong>des</strong> films<br />
adultes comme celui-ci, le manichéisme<br />
traditionnel du genre est beaucoup plus<br />
un manichéisme de valeurs que de personnages.<br />
<strong>La</strong> frontière entre le Bien et le<br />
Mal est nette, celle entre les bons et les<br />
méchants l'est beaucoup moins ».<br />
Hart était connu en France comme<br />
« Rio Jim, l'homme aux yeux clairs ».<br />
C'est l'usage <strong>des</strong> gros plans qui a forgé ce<br />
slogan. En mai 1917, dans Motion Picture<br />
Magazine, Hart écrivait : « Lorsqu'un acteur<br />
ressent les émotions du personnage<br />
qu'il interprète, le gros plan est d'un appoint<br />
inestimable. S'il s'agit d'une scène<br />
dramatique, au cours de laquelle le personnage<br />
se trouve soumis à une tension<br />
mentale très forte et que la mobilité d'expression<br />
du visage de l'acteur est capable<br />
de transmettre cette émotion aux spectateurs,<br />
j'affirme que, en dépit de toutes les<br />
règles qui prétendent le contraire, la scène<br />
exige que soit introduit un plan de coupe<br />
rapide qui soit un gros plan du visage de<br />
l'acteur. » The Cold Deck offre effectivement<br />
plusieurs exemples de cet usage du<br />
gros plan, notamment Level Leigh au<br />
chevet de sa sœur levant vers la caméra<br />
un visage au bord <strong>des</strong> larmes. Surtout,<br />
Hart ne limite pas la technique du gros<br />
plan aux visages ; il étend cette trouvaille<br />
encore jeune aux mains chaque fois que<br />
l'intrigue le demande (la bagarre, la partie<br />
de cartes) si bien qu'à voir tout ce qui<br />
circule, s'échange et passe sous la table,<br />
tout ce que <strong>des</strong> mains peuvent faire, on<br />
pense parfois au Pickpocket de Bresson...<br />
Telle était l'aura particulière de Hart, et<br />
telle elle demeure : il propose un personnage<br />
tout d'un bloc et changeant, un visage<br />
reconnaissable entre tous, pivot autour duquel<br />
les postures et les émotions tournoient<br />
en s'échangeant les unes les autres. Nous<br />
sommes bien devant un monde livré essentiellement<br />
aux émotions et l'humanité<br />
de l'écran est plus légère que la nôtre. Béla<br />
Balàzs notait un lyrisme du gros plan, et la<br />
tristesse du visage de Garbo. On peut en<br />
dire autant de Hart (ou de Keaton). Ils sont<br />
<strong>des</strong> beautés souffrantes.<br />
Jean-Louis Leutrat<br />
1 Le personnage de Tumbleweeds I le Fils de la prairie<br />
(1925), le dernier film de Hart, apparaît à cheval sous<br />
un arbre dans un plan-vignette dont Ford saura retenir<br />
la leçon (par exemple, au début de Rio Grande,<br />
1950).<br />
2 Soit les noms du troisième président, Jefferson, et<br />
d'un vice-président <strong>des</strong> États-Unis, Breckinridge,<br />
tous deux sudistes. Les films de la Triangle s'étaient<br />
donnés pour mission de réhabiliter les Sudistes aux<br />
yeux du public américain.<br />
3 Le romancier Owen Wister dans The Virginian créa<br />
au début du siècle un héros qui eut une longue suite,<br />
virginien et cowboy, mêlant les qualités aristocratiques<br />
de l'un à l'énergie de l'autre. À noter qu'Hatfield<br />
(John Carradine) dans Stagecoach / la Chevauchée<br />
fantastique (1939) de John Ford est aussi un aristocrate<br />
déchu devenu joueur, que le voyage de la frêle jeune<br />
fille en provenance de Virginie est un classique (The<br />
Cold Deck, The Silent Man, The Wind, Stagecoach), que<br />
l'expulsion par la diligence de la femme de « mauvaise<br />
vie » dans The Cold Deck annonce celle de Dallas<br />
au début de Stagecoach, situation reprise par Anthony<br />
Mann dans Winchester '73, etc..<br />
4 L'expression-titre désigne dans le vocabulaire de<br />
l'Ouest un jeu de cartes truqué ou le fait d'introduire<br />
un jeu truqué dans une partie.<br />
THE COLD DECK - 165<br />
En haut : William S. Hart.<br />
En bas :<br />
De gauche à droite : Sylvia<br />
Bremer, William S. Hart,<br />
Edwin N. Wallockk (encordé).
THE FAMILY HONOR<br />
L'HONNEUR DU NOM<br />
1920 - King Vidor<br />
Réal. : King Vidor. Prod. : King Vidor Productions.<br />
Auteur : )ohn Booth Harrower. Se. : William Parker.<br />
Dir. ph. : Ira H. Morgan. Int. : Florence Vidor<br />
(Margaret Tucker/8ever/y Tucker), Roscoe Karns<br />
(Albert/Da/), Ben Alexander (Jean/i/tf/e Ben), Charles<br />
Meredith (Paul Curan/Mer/e Curran), George Nichols<br />
(le maire), John P. Lockney (Félix), Willis Marks<br />
(Dobbs), Harold Goodwin (le commis).<br />
Date de sortie : 15 mars 1920.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1595 m., 70 mn<br />
(à 20 i/s). Intertitres français. Copie teintée. Doc. : <strong>La</strong><br />
grande parafa. Il cinéma di King Vidor, Lindau, 1994.<br />
Depuis la mort du père, les derniers membres<br />
d'une famille du Sud sont tombés dans<br />
la gêne. Aussi, la gentille Margaret et le petit<br />
Jean attendent-ils avec impatience leur frère<br />
aîné, Albert, de retour de l'université. Dès son<br />
arrivée, « le sauveur » en prend à ses aises et<br />
affiche un air frondeur.<br />
Comme tous les dimanches, Paul Curan,<br />
le fils du maire, bon garçon un peu gauche,<br />
rend visite à Margaret. Albert lui, s'en va voir<br />
monsieur Félix, le propriétaire de la salle de<br />
jeux de l'endroit et déballe un paquet contenant<br />
une roulette de casino. Il est engagé comme<br />
croupier. Mais l'Association deprotection<br />
de la morale menace de faire fermer l'établissement<br />
par les autorités. Contre un bon <strong>des</strong>sous<br />
de table, le maire assure Félix de sa protection<br />
et censure peu après dans la gazette<br />
locale un article de son fils favorable à la saisie<br />
de la salle.<br />
Faisant fi de ses résolutions d'un soir, Albert<br />
retourne sans cesse au jeu. Après avoir<br />
empêché un cambriolage chez les Tucker, Paul<br />
se rend au tripot pour préven ir Albert de l'imminence<br />
d'une opération de police. Il retrouve<br />
là Margaret essayant toujours de raisonner<br />
son frère. A cette occasion, Paul apprend que<br />
son père est corrompu. À l'arrivée <strong>des</strong> forces<br />
de l'ordre, c'est la débandade. Félix tue un policier<br />
mais c'est Albert qui est pris en chasse<br />
et finalement arrêté. Paul a une violente altercation<br />
avec son père. Procès d'Albert. Un<br />
Noir dans l'assistance se lève : il a vu Félix<br />
s'enfuir après le coup de feu. Le vrai meurtrier<br />
sort une arme, il est maîtrisé, il avoue.<br />
A peine acquitté, Albert court littéralement<br />
faire amende honorable. Paul et Margaret se<br />
fiancent.<br />
LES LUMIÈRES DU SUD<br />
King Vidor est bien le cinéaste du<br />
deep-south dans sa contradiction la plus<br />
belle et la plus cruelle : nostalgie de sa<br />
grandeur passée, mais conscience aiguë<br />
de l'inactualité irrémédiable de ses valeurs<br />
morales. En 1920, il filme donc en<br />
« direct » son univers familier au moment<br />
même où il va disparaître, faisant<br />
apparaître à chaque plan son amour <strong>des</strong><br />
lumières qui caressent sensuellement<br />
tous ses décors.<br />
<strong>La</strong> vision de The Family Honor I l'Honneur<br />
du nom est un éblouissement : le Sud<br />
est là, presque documentaire, et donc tout<br />
Vidor est déjà là. Personnages dévorés<br />
par leurs démons intérieurs, figures engluées<br />
dans leur environnement social et<br />
qui tentent de s'en extraire, souffle épique,<br />
sens de la démesure... et mépris <strong>des</strong><br />
pouvoirs, tous irrémédiablement corrompus.<br />
<strong>La</strong> mise en scène est déjà très large,<br />
très physique, les personnages échappent<br />
au naturalisme bien que, paradoxalement,<br />
le jeu <strong>des</strong> acteurs, très réaliste, ne<br />
cherche jamais l'effet grandiose (on parle<br />
dans ce film muet exactement comme s'il<br />
était sonore). Quand l'action déferle, elle<br />
est déjà brutale et violente et s'ordonne<br />
selon différents rythmes musicaux, utilisant<br />
avec jouissance le fonctionnement<br />
magique de la copie teintée : intérieur-jourchaud-jaune,<br />
extérieur-nuit-froid-bleu... Le<br />
teintage était de la pure mise en scène à<br />
cette époque-là.<br />
Gran<strong>des</strong> maisons ruinées, motifponctuation<br />
<strong>des</strong> barrières de bois, allées<br />
sous les grands arbres, porches vi<strong>des</strong>, tripots<br />
de province bien-pensante, toutes<br />
ces choses que nous n'avons vu par la<br />
suite que reconstituées procurent ici le<br />
frisson de l'identité, l'approche la plus intime<br />
possible <strong>des</strong> racines personnelles de<br />
King Vidor et donc de tout un pan du cinéma<br />
américain (le couple : frénésie-puritanisme).<br />
Enfin, dernier point : la communauté<br />
afro-américaine est bien présente dans ce<br />
167<br />
film, très « visible », sans l'once d'une caricature,<br />
et pourtant :1920 L.C'estmême<br />
par le témoignage d'un de ses membres<br />
que la vérité éclate et que justice est faite...<br />
Vidor ne fait que commencer de nous<br />
étonner !<br />
PLUS SUDISTE<br />
QU'AMÉRICAIN, VIDOR<br />
Alain Corneau<br />
Un jugement de l'historien et critique<br />
américain Andrew Sarris continue de<br />
planer sur l'œuvre de King Vidor : « Il a<br />
créé plus de grands moments que de<br />
grands films, à la différence <strong>des</strong> autres<br />
réalisateurs de sa stature. » Aussi peu<br />
exact que soit ce jugement, si l'on ne se<br />
contente pas <strong>des</strong> films les plus connus de<br />
Vidor, c'est un peu le cas de The Family<br />
Honor (l'Honneur du nom, 1920), aujourd'hui<br />
le plus ancien long métrage disponible<br />
de King Vidor, sa cinquième réalisation<br />
et le premier film produit par les<br />
éphémères King W. Vidor Productions.<br />
<strong>La</strong> facture en est très classiquement griffithienne,<br />
plus proche du cinéaste de la<br />
Biograph que de Birth of a Nation ou Intolérance,<br />
dont le décor domine Hollywood<br />
lorsque Vidor y débarque en 1915 et sur<br />
lequel il est figurant, observant avec intérêt<br />
le travail du maître. Proche aussi <strong>des</strong><br />
films que Griffith lui-même réalise après<br />
l'échec financier à'Intolérance. Notons<br />
que Vidor n'a jamais hésité, dans ses débuts,<br />
à s'inspirer <strong>des</strong> maîtres et à emprunter<br />
aux divers réalisateurs de l'époque,<br />
sujets et styles. The Jack-Knife Man<br />
(1920) n'est pas sans relations avec le<br />
Chaplin du Kid (alors en tournage et qui<br />
sortira six mois plus tard) et The Champ<br />
(le Champion, 1931) est plus qu'un hommage<br />
au même film. Ce qui est proprement<br />
vidorien, c'est le lyrisme échevelé -<br />
et drolatique - de la scène finale : à peine<br />
son acquittement prononcé, Albert Tucker,<br />
en plein tribunal, avise une fenêtre et<br />
l'enjambe, à la stupéfaction générale.<br />
Celui dont l'innocence vient d'être re-
168-ÉTATS-UNIS<br />
connue semble prendre la fuite. Soucieux<br />
de « racheter sa conduite passée », Albert<br />
délaisse le jeu pour le travail et se précipite<br />
(au sens propre du terme, souligné<br />
par un léger accéléré) chez le commerçant<br />
qui lui avait autrefois proposé un emploi<br />
pour racheter les dettes de la famille. Ce<br />
type de finale peut se retrouver à la même<br />
époque chez Ince, DeMille, Henry King<br />
et Griffith lui-même, mais sa rupture totale<br />
avec le reste du film, son caractère irrationnel<br />
sont spécifiques à Vidor (annonçant<br />
les célèbres scènes finales de The<br />
Big Parade, Hallelujah, Our Daily Bread,<br />
Duel in the Sun, Ruby Gentry...). Une <strong>des</strong><br />
explications de cette figure, dans The Family<br />
Honor, tient à l'évidence au rôle de<br />
la Christian Science dont le Motion Picture<br />
News du 8 mai 1920 relevait l'influence<br />
dans cette chute qui défiait la logique. Les<br />
quatre premiers longs métrages de Vidor<br />
ont été produits par la Brentwood Film<br />
Corp., association de médecins et dentistes<br />
adeptes de la Christian Science.<br />
Plus que le christianisme ou le puritanisme<br />
dont on affuble avec désinvolture<br />
l'œuvre de Vidor, cette philosophie religieuse,<br />
spécifiquement américaine et<br />
d'origine féminine (créée par Mary Baker<br />
Eddy dans le Massachusetts), optimiste<br />
et vaguement panthéiste, se caractérise,<br />
entre autres, par le rejet de l'attitude<br />
scientifique : Dieu inspire tout être et toute<br />
chose. L'homme est le vecteur de<br />
l'énergie naturelle et divine et sa plus<br />
grande faute est de gaspiller cette énergie.<br />
Et c'est bien d'énergie qu'il s'agit<br />
dans cette course finale vers le travail,<br />
renforcée par le physique veule et mou,<br />
le jeu apathique (jusque-là) de l'acteur<br />
Roscoe Karns. The Family Honor est une<br />
<strong>des</strong> multiples versions vidoriennes de la<br />
parabole du fils prodigue, qu'on s'est plu<br />
à mettre à jour dans Hallelujah (exégèses<br />
de Henri Agel, entre autres), mais qui se<br />
retrouve dans maints films, particulièrement<br />
<strong>des</strong> débuts, comme Love Never Dies<br />
(1921), parfois sous la forme inattendue<br />
de la « fille prodigue » (Poor Relations,<br />
1919 ; Conquering the Woman, 1922). Al-<br />
bert est coupable, certes, corrompu ici par<br />
le jeu et l'argent facile et non par une<br />
« tentatrice », mais le péché est la voie<br />
vers la rédemption : sans tentation, sans<br />
chute, pas de manifestation de la vertu<br />
propre à chacun, pas de lutte contre le<br />
mal, pas de salut... L'aventure d'Albert<br />
Tucker n'est pas tragique, à lui de trouver<br />
en lui-même ses propres <strong>ressources</strong><br />
et la vie (la société, le <strong>des</strong>tin) lui sourira.<br />
Aide-toi...<br />
Moins surprenant, parce que déjà<br />
plus moderne dans le récit et l'écriture,<br />
parce que non totalement inconnu, est<br />
Wild Oranges (Capricciosa, 1924). À l'inévitable<br />
succession plan général/plan<br />
rapproché de The Family Honor, <strong>des</strong>tinée<br />
à présenter chaque personnage dans son<br />
contexte, succède une grammaire cinématographique<br />
beaucoup plus libre et inventive.<br />
Si la séquence d'ouverture -<br />
mort de l'épouse de John Voolfolk - se<br />
rattache encore à une imagerie griffithienne,<br />
la suite est d'un découpage<br />
beaucoup plus moderne qui fait songer à<br />
Hawks, même par-delà le physique de<br />
l'acteur Frank Mayo, qui succéda à James<br />
Kirkwood (blessé au début du tournage<br />
mais dont la silhouette figure dans<br />
quelques plans généraux) : l'habillement<br />
et la fonction de John évoquent irrésistiblement<br />
le Harry Morgan/Humphrey<br />
Bogart du To Have and Have Not (le Port<br />
de l'angoisse) de Hawks. <strong>La</strong> réalisation sur<br />
les lieux de l'action (en Floride), déjà rare<br />
en 1924, illustre le titre énigmatique de<br />
l'autobiographie de Vidor : A Tree is a Tree<br />
(un arbre est un arbre) : un arbre de Floride<br />
n'est pas un arbre de Griffith Park<br />
(au contraire de ce que prétendait un producteur<br />
médiocre). L'aspect cosmique,<br />
élémentaire (au sens bachelardien du<br />
terme), peu présent dans The Family Honor<br />
(à l'exception du fleuve), est ici essentiel.<br />
L'eau, la terre, le feu, mais aussi et<br />
surtout la nature sauvage, l'animalité,<br />
vue à travers la férocité <strong>des</strong> crocodiles et<br />
l'agressivité du chien à l'égard du colosse<br />
Nicolas, échantillon d'humanité ramené<br />
à quelques sentiments essentiels : peur,<br />
force, violence, désir... Frappe ici le personnage<br />
féminin, à Tencontre de bien <strong>des</strong><br />
idées reçues sur la tentatrice vidorienne<br />
telle qu'elle apparaît à travers quelques<br />
films (Duel in the Sun, Beyond the Forest -<br />
la Garce en français -, Ruby Gentry, etc.).<br />
Déjà la Margaret (Florence Vidor) de The<br />
Family Honor, film débarrassé de toute allusion<br />
sexuelle, se révélait à la fois maternelle,<br />
à l'égard de ses deux frères, et<br />
décidée, risquant même son honneur<br />
pour Albert. Millie, ici, se délivre de la<br />
peur (dont son grand-père Harry Stope<br />
est l'image vivante) en découvrant le<br />
plaisir, métaphorisé par l'enivrement de<br />
la promenade en bateau. Au moment ultime,<br />
c'est elle qui tient la barre avec fermeté,<br />
permettant de franchir les récifs et<br />
de voguer vers la liberté. C'est également<br />
elle qui permet à John d'échapper au souvenir<br />
traumatisant de l'accident de sa<br />
première épouse. <strong>La</strong> femme est double :<br />
en accord avec les éléments, mais dans le<br />
même temps, ouverte au progrès et à la<br />
civilisation, <strong>des</strong>tination du couple au dernier<br />
plan.<br />
Wild Oranges prolonge et nuance la<br />
thématique générale de The Family Honor<br />
: Albert revenait de l'Université perverti<br />
et devait se replonger dans son pays<br />
natal (du Sud) pour retrouver énergie et<br />
goût du bien. John (dont le bateau se<br />
nomme fort justement « Yankee ») retrouve<br />
espoir et amour de la vie (<strong>des</strong> femmes)<br />
en séjournant dans une île du Sud,<br />
plus primitive que nature. C'est une <strong>des</strong><br />
singularités que présente le cinéma de<br />
King Vidor : plus américain qu'hollywoodien<br />
(et cinéaste indépendant le plus<br />
souvent possible), plus texan et sudiste<br />
qu'américain, convaincu que c'est la vertu<br />
individuelle qui fonde la nation et non<br />
l'inverse, jusqu'à affirmer que « seule la<br />
puissance de l'expression individuelle<br />
peut continuer à justifier le cinéma ».<br />
Joël Magny<br />
Documentation complémentaire : Raymond Durgnat,<br />
Scott Simmon : King Vidor American, University<br />
of California Press, 1988.<br />
WILD ORANGES<br />
CAPRICCIOSA<br />
1924-King Vidor<br />
Réal. : King Vidor. Prod. : Goldwyn Pictures.<br />
Auteur : Joseph Hergesheimer, d'après son roman<br />
homonyme. Se. : King Vidor. Dir. ph. : )ohn W. Boyle.<br />
Dir. art. : Cedric Gibbons. Cost. : Sophie Wachner.<br />
Mont. : luneMathis. Int. : Virginia Valli (Millie/Ne///e<br />
5(ope), Frank Mayo et lames Kirkwood (John<br />
Voolfolk/iohn Woolfolk), Ford Sterling (Halvard/Pau/<br />
Halvard), Nigel De Brulier (Harry Stope/Lichfield<br />
Stope), Charles A. Post (Nicolas/feacn Nicholas).<br />
Date de sortie : 20 janvier 1924.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1784 m., 87 mn<br />
(à 18 i/s). Intertitres français. Copie teintée. Doc. : <strong>La</strong><br />
grande parata. Il cinéma di King Vidor, Lindau, 1994.<br />
Depuis la mort accidentelle de sa femme,<br />
John Voolfolk est inconsolable. À bord de son<br />
voilier, il erre sur l'océan avec pour seul compagnon,<br />
Halvard son matelot. Un jour, non<br />
loin <strong>des</strong> côtes de Floride, ils découvrent une<br />
île sauvage. Là, dans une maison encerclée par<br />
la faune et la flore, vivent un vieillard apeuré,<br />
Harry Stope, sa petite-fille Millie et Nicolas,<br />
un colosse évadé d'un bagne, idiot redouté <strong>des</strong><br />
Stope ayant fait son royaume <strong>des</strong> bois et <strong>des</strong><br />
marécages. Aux abords de la demeure, John<br />
rencontre Millie. D'abord effrayée, elle est<br />
très vite fascinée par cet homme venu du monde<br />
civilisé. Mais Nicolas chasse John et Halvard<br />
de l'île. De part et d'autre, on échange<br />
<strong>des</strong> menaces. Le lendemain, Millie fait un tour<br />
en bateau et éprouve le goût du large jusqu'à<br />
l'enivrement. Au retour, Nicolas l'attend sur<br />
la plage mais John le corrige durement. Peu<br />
après, la brute demande sa main à la jeune<br />
femme terrorisée. De son côté, John a appareillé<br />
pour tenter de maîtriser son trouble<br />
amoureux naissant. Au final, il fait demi-tour<br />
et le bateau reparaît dans la baie. Dans la nuit,<br />
dans le vent, il marche vers la maison. Nicolas<br />
a tué le grand-père et attaché Millie sur<br />
son lit. Longuement, les deux hommes se battent<br />
comme <strong>des</strong> bêtes féroces. John et Millie<br />
parviennent à s'enfuir et, avec l'aide d'Halvard,<br />
à embarquer. Le feu a pris dans le salon,<br />
bientôt toute la maison est enflammes. Nicolas<br />
poursuit les fugitifs et, du ponton, tire sur<br />
eux. Le chien <strong>des</strong> Stope casse sa chaîne et se<br />
rue, tous crocs dehors, sur Nicolas qui tombe<br />
a l'eau et coule. Passée une barre, rien n'empeche<br />
plus les amants de voguer vers la haute<br />
mer et la civilisation.<br />
LES OMBRES DU SUD<br />
Ruby Gentry ! Ruby Gentry !... Pour le<br />
bayou bien sûr, mais aussi et surtout pour<br />
cette nuit noire enveloppant chacun <strong>des</strong><br />
personnages, celle de Faulkner (ou de Jim<br />
Thompson !) incarnée dans la brute-enfant<br />
qui, après chaque violence, se met à<br />
pleurer à chau<strong>des</strong> larmes. Dans Wild<br />
Oranges I Capricciosa il n'y a que <strong>des</strong> fantômes,<br />
mais <strong>des</strong> fantômes passionnés.<br />
Frank Mayo est le Hollandais volant du<br />
deep-south. Dans une séquence de trucages<br />
sublimes, il réinvente littéralement<br />
Virginia Valli au moment précis où luimême<br />
allait disparaître dans le néant nocturne<br />
d'un départ sans retour. Le grandpère,<br />
véritable mort-vivant d'un passé<br />
condamné... Leitmotiv lancinant du chien<br />
qui tire sur sa chaîne, animal d'apocalypse...<br />
Une île absente <strong>des</strong> cartes, une<br />
maison qui n'existe plus... Eau-ciel-terrearbres...<br />
on ne sait plus ; en tout cas, le sol<br />
s'est depuis longtemps dérobé, immergé<br />
et peuplé de hor<strong>des</strong> de crocodiles.<br />
Quand enfin, après de longues séquences<br />
d'asphyxie ou de perversions sadiques,<br />
la <strong>des</strong>truction approche, nous<br />
sommes prêts à toutes les violences, tous<br />
169<br />
les flamboiements baroques (le rouge de<br />
l'incendie !), toutes les brutalités pour en<br />
finir avec ce monde vermoulu. Pour devenir<br />
<strong>des</strong> hommes vivants et libres, devons<br />
nous repasser par cette bestialité ?<br />
Il semble que Vidor se soit souvent posé<br />
cette question.<br />
<strong>La</strong> mise en scène montre avec soin,<br />
minutie même, comment ce monde figé<br />
dans ses secrets, en catatonie, évanoui debout,<br />
va céder à l'appel d'air de la liberté.<br />
Dans le grand salon mortifère de la maison<br />
vermoulue, quand on ouvre la fenêtre,<br />
le vent s'engouffre, les napperons<br />
volent, les bibelots tombent, il n'y a plus<br />
qu'à craquer l'allumette.<br />
Avec Wild Oranges, Vidor est déjà un<br />
auteur « fantastique » : après les araignées<br />
de la grande maison, voici les rats<br />
et les chouettes. De même, la remise où<br />
les amants se réfugient (Cedric Gibbons<br />
!) est un mwsf. En 1924, Vidor avait<br />
déjà fait griller le réalisme au feu du baroque<br />
qui le dévorera toute son œuvre<br />
durant... Le vieux rocking-chair vide se balance<br />
seul sous le porche dévasté-<br />
Alain Corneau<br />
Virginia Valli,<br />
Frank Mayo.
170-ÉTATS-UNIS<br />
NOBODY<br />
LE DOUZIÈME JURÉ<br />
1921 - Roland West<br />
Réal. : Roland West. Prod. : Roland West Productions<br />
(Roland West). Auteur : Roland West. Se. : Charles H.<br />
Smith, Roland West. Asst. réal. : joseph Rothman.<br />
Dir. ph. : Harry Fischbeck. Int. : Jewel Carmen<br />
(Édith/t/rr/e Mrs. Smith), William Davidson (John<br />
Rossmore), Kenneth Harlan (Jack Smith/Torn Smith),<br />
Florence Billings (Rita Fallon/Mrs. Fallon), j. Herbert<br />
Frank (James Hedges/Hedges), Grâce Studitord (Mrs.<br />
Rossmore), George Fawcett (Hiram Swanzey), Lionel<br />
Pape (Noron Ailsworth), Henry Sedley (le secrétaire de<br />
Rossmore), Ida Darling (Mrs. Van Cleek), Charles<br />
Wellesley (Clyde Durand), William De Grasse (le<br />
skipper de Rossmore), Riley Hatch (The « Grouch »<br />
Juror). Date de sortie : 23 juin i 921 (copyright).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1584 m., 73 mn<br />
(à 19 i/s). Intertitres français reconstitués. Noir et<br />
blanc.<br />
New York. John Rossmore, richissime<br />
banquier, a été assassiné à coups de revolver.<br />
Son ancien maître d'hôtel, James Hedges, est<br />
accusé et, en ce moment même, le jury délibère.<br />
Tous votent sa condamnation. Tous sauf<br />
un. Alors, le douzième juré se lève et raconte<br />
son histoire. Six mois auparavant, le banquier<br />
Rossmore, en instance de divorce, est en villégiature<br />
à Palm Beach. De leur côté, Jack<br />
Smith, mo<strong>des</strong>te employé de commerce à New<br />
York, et sa jeune épouse Edith, s'installent<br />
pour <strong>des</strong> vacances heureuses. Le soir, au Casino,<br />
Rossmore remarque Édith. Habilement,<br />
Rita Fallon, une « amie » du banquier, joue<br />
les entremetteuses. Peu après, quand Jack est<br />
rappelé d'urgence par son patron, Rita manigance<br />
pour que sa femme reste. Cinq jours<br />
plus tard, Édith est rapatriée, en état de choc<br />
et retombée en enfance. D'après le récit de<br />
Rita, elle aurait fait une chute à bord du yacht<br />
de Rossmore à cause d'une mer démontée.<br />
Convalescence. Un soir de pluie, Edith sort...<br />
Au retour de son mari, elle est déjà au lit et<br />
revit dans son sommeil la scène traumatique :<br />
elle est sur le bateau, la mer est calme. Au dîner,<br />
ses « amis » la forcent à boire et quand<br />
elle s'effondre sur la table, Rossmore l'emporte...<br />
Jack sort de la chambre un pistolet à<br />
la main. Retour au procès. Il dit encore que le<br />
<strong>des</strong>tin l'a nommé juré et qu'il n'a pas eu le<br />
temps d'être le meurtrier : en chemin, il a appris<br />
la mort de Rossmore par les journaux !<br />
Chez lui, il remarque le manteau trempé de<br />
sa femme. Comme dans un rêve, elle lui raconte<br />
être entrée discrètement au domicile du<br />
banquier grâce à une cléqu'ïl lui avait donné.<br />
Là, elle voit Hedges menacer Rossmore d'une<br />
arme pour obtenir l'argent de son faux témoignage<br />
lors du procès en divorce. Quand il<br />
sort, Edith apparaît. Rossmore la serre dans<br />
ses bras, elle tire. Persuadée de raconter un<br />
cauchemar, elle est confortée dans cette idée<br />
par Jack. Le jury acquitte Hedges et s'engage<br />
« sous serment à ne jamais dévoiler la tragique<br />
aventure survenue à l'épouse du douzième<br />
juré ».<br />
FUMIGATIONS DU CRIME<br />
Nobody (le Douzième Juré) frappe par<br />
sa construction enchâssée. Chacun <strong>des</strong><br />
neufs changements de temps contribue,<br />
en passant du procès à l'histoire antérieure,<br />
à progresser autour du secret que<br />
la fin révèle. Le temps narratif y est soumis<br />
à une double anamnèse : celle du<br />
mari qui, de membre du jury devient témoin<br />
principal, rejoint par nappes l'événement<br />
criminel, permettant d'innocenter<br />
le maître d'hôtel soupçonné à tort.<br />
Celle de sa femme où, à l'intérieur même<br />
de ces retours en arrière, s'inscrit la<br />
connaissance altérée, jusqu'à ne pouvoir<br />
se souvenir qu'à travers la protection onirique<br />
: sur la peau du rêve, <strong>des</strong>quame le<br />
crime. Le film se compose ainsi de relais<br />
qui feuillètent le temps, non comme <strong>des</strong><br />
pages qu'on tournerait, mais comme <strong>des</strong><br />
strates qu'on traverserait. Cette histoire<br />
est un voyage, mais plus qu'à Palm<br />
Beach, il conduit aux migrations du<br />
temps, repasse par un même moment<br />
pour le présenter autrement. <strong>La</strong> salle à<br />
manger du yacht tangue, dans le récit de<br />
Mrs Fallon, pour attester la tempête qui<br />
causerait l'amnésie d'Edith ; mais la même<br />
pièce, vue à travers la remémoration<br />
de celle-ci, reste immobile : à distance<br />
dans le film, apparaît un usage trompeur<br />
du plan, lui-même rapporté au statut de<br />
la narration. L'usage du retour en arrière<br />
n'est donc pas simplement illustratif ou<br />
utilitaire ; mais à la fois lacunaire et équivoque<br />
: on y excède largement les poncifs<br />
d'époque sur l'histoire qui n'était qu'un<br />
rêve, d'ailleurs ici ingénieusement retournés,<br />
puisque c'est le rêve qui devient<br />
conservatoire de la réalité. De cette<br />
construction vient cependant une gêne<br />
initiale du film, la lenteur relative avec laquelle<br />
les éléments de l'histoire s'exposent<br />
pour entrer en interaction : il y faut<br />
la première <strong>des</strong> trois bobines. Une collection<br />
d'objets, photo déchirée, médaillon,<br />
clé, morceau de journal assure une<br />
continuité indicielle à la progression du<br />
récit.<br />
Cette construction amène aussi à rapprocher<br />
deux scènes importantes dans<br />
l'enchaînement causal : le meurtre et<br />
l'acte sexuel. Le meurtre sera figuré, dans<br />
la scène du rêve raconté par Édith. Figuration<br />
étonnante, qui émane du plan<br />
comme une poussière onirique, une altération<br />
de poudre. <strong>La</strong> fumée qui s'élève<br />
dans le plan américain du dos de Rossmore,<br />
le banquier, quand il s'approche<br />
d'Edith, extatique et perdue, n'a pas de<br />
cause visible. Cette espèce de suspension<br />
émet une frappe inconnue, un désordre<br />
ininterprétable, une panique de matières<br />
qui infiltre énigmatiquement le plan,<br />
comme si elle accompagnait le vacillement<br />
de Rossmore reculant, avant de<br />
s'asseoir dans un fauteuil, quand on peut<br />
alors voir le sang sur son gilet et Édith,<br />
de dos, un revolver à la main. Ce sont les<br />
plus beaux plans du film, parfois moins<br />
inspiré. Du visible incertain, se propage<br />
une sorte d'ébranlement de la perception<br />
: l'effet se manifeste avant la cause.<br />
Une rétention du cadre opère cette déhiscence,<br />
d'où sort cette fuite provisoire<br />
de l'intelligibilité. Le meurtre n'est accessible<br />
à Édith que par le rêve, et cette<br />
précaution induit une sorte de nature criminelle<br />
du rêve. De l'angélisme, de l'innocence<br />
dont le visage de Jewel Carmen<br />
est pourvu, de cette crysalide naïve sort<br />
une hébétude de meurtrière amnésique.<br />
Et le film protège le personnage, qui ne<br />
rejoindra jamais la connaissance de son<br />
acte.<br />
L'autre scène majeure n'est que supposée.<br />
Dans les interstices du film, elle<br />
hante : c'est une hypothèse appelée par<br />
le moment ou ivre, Édith est emportée<br />
par Rossmore. Son viol probable est<br />
l'autre face inassimilable du scénario<br />
pour elle : ces deux scènes dont elle est<br />
préservée sont liées par un même éloignement<br />
de la conscience. Et les jurés,<br />
c'est la fin du film, promettent de ne jamais<br />
révéler son histoire. Roland West<br />
(1887-1952), qui est aussi l'auteur de l'histoire,<br />
a su construire cette résonance propagée<br />
du sexe au crime. Ancien acteur de<br />
théâtre, il fut un réalisateur assez rare, se<br />
produisant le plus souvent lui-même :<br />
The Bat, (l'Oiseau de nuit, 1926, toujours<br />
avec Jewel Carmel) montré dans le cadre<br />
de <strong>Ciné</strong>Mémoire, présentait un virtuose<br />
du crime, grimpant les faça<strong>des</strong> et pourvu<br />
d'une cape, où il n'est pas difficile d'identifier<br />
un ancêtre de Batman. Il en fit en<br />
1930 une version parlante, The Bat Whispers,<br />
après avoir, en 1925, fait tourner Lon<br />
Chaney dans The Monster.<br />
Philippe Arnaud<br />
En haut :<br />
Jewel Carmen<br />
William Davidson.
172-ETATS-UNIS<br />
Jean<br />
Hersholt.<br />
GREED<br />
LES RAPACES<br />
1924 - Erich von Stroheim<br />
Réal. : Erich von Stroheim. Prod. : Metro-Goldwyn-<br />
Mayer Corporation. Auteur : Frank Norris, d'après son<br />
roman McTeague ; a Story of San Francisco.<br />
Adapt. : June Mathis, Erich von Stroheim. Se. : June<br />
Mathis, Erich von Stroheim. Asst. réal. : Eddy<br />
Sowders, Louis Cermonprez. Dir. ph. : Ben F.<br />
Reynolds, William H. Daniels, Ernest B. Schoedsack.<br />
Dir. art. : Cedric Gibbons, Richard Day.<br />
Mont. : Joseph W. Farnham, Erich von Stroheim, Rex<br />
Ingram, june Mathis. Int. : ZaSu Pitts (Trina Sieppe),<br />
Gibson Gowland (McTeague), Jean Hersholt (Marcus<br />
Schouler), Dale Fuller (Maria), Tempe Pigott (la mère<br />
de McTeague), Sylvia Ashton (« Mommer » Sieppe),<br />
Chester Conklin (« Popper » Sieppe), Joan Standing<br />
(Selina), Erich von Ritzau (le dentiste ambulant), Hugh<br />
I. McCauley (le photographe).<br />
Date de sortie : 26 janvier 1925. Métrage, minutage<br />
copie Cf. : 3053 m., 133 mn (à 20 i/s). Intertitres<br />
anglais. Noir et blanc.<br />
Ancien chercheur d'or, dentiste formé sur<br />
le tas, McTeague, un colosse aux cheveux<br />
bouclés et aux colères ataviques, ouvre un cabinet<br />
à San Francisco. Son copain Marcus lui<br />
présente sa petite amie, Trina Sieppe, frêle<br />
jeune femme qu'il désire bientôt comme un<br />
fou. Il ouvre son cœur à Marcus qui, beau<br />
joueur, lui cède la place. Le soir <strong>des</strong> fiançailles,<br />
Trina apprend qu'elle a gagné cinq mille dollars<br />
à la loterie, grâce au billet que lui a vendu<br />
Maria, la bonne de McTeague. Marcus se<br />
mord les doigts d'avoir été si chevaleresque.<br />
Un mois plus tard, le mariage est célébré tandis<br />
que, dans la rue, passe un corbillard. Trina<br />
se révèle au quotidien d'une avarice maladive.<br />
Sur dénonciation de Marcus, qui s'est empressé<br />
de quitter la ville, l'Ordre <strong>des</strong> dentistes<br />
interdit à McTeague de continuer à exercer<br />
sans diplôme. À dater de ce jour, le couple<br />
sombre dans la déchéance et la violence, Trina<br />
refusant toujours de lâcher un sou. Riches, ils<br />
vivent dans la misère. Un soir, McTeague<br />
étrangle sa femme et emporte le pactole. Il<br />
quitte la ville et s'enfonce dans la vallée de la<br />
Mort, bientôt rejoint par Marcus qui est tombé<br />
sur l'avis de recherche et s'est lancé à sa<br />
poursuite. Sous le feu du soleil, coupés du<br />
reste du monde, les deux hommes luttent à<br />
mort pour cinq mille dollars. McTeague tue<br />
Marcus mais se découvre attaché à lui par <strong>des</strong><br />
menottes. Assis près du cadavre, son or à ses<br />
côtés, il attend la fin.<br />
BIGGERTHAN LIFE'<br />
Greed (les Rapaces) marque le point<br />
culminant du cinéma américain, comme<br />
bientôt le Cuirassé Potemkine va marquer<br />
le point culminant du cinéma soviétique.<br />
Dans ce film, où « ce pamphlétaire<br />
avait assemblé toutes les violences et toutes<br />
les brutalités », où« l'avidité et l'âpreté<br />
dominent », où « nous assistons à la<br />
lente décomposition <strong>des</strong> êtres sous l'action<br />
de l'avarice et de la passion de l'argent<br />
», où « un romantisme sauvage donne<br />
au dénouement une grandeur épique<br />
», où « pour la première fois le cinéma<br />
s'enrichit de toutes les <strong>ressources</strong><br />
du roman », Erich von Stroheim avait<br />
voulu persuader le spectateur que tout ce<br />
qu'il voyait était réel, il avait fui le studio<br />
et planté sa caméra dans les lieux mêmes<br />
de l'action, dans les rues de San Francisco,<br />
au centre du désert de la mort, dans<br />
les chambres étroites <strong>des</strong> maisons de rapport<br />
à étages de l'Amérique du XIX e siècle,<br />
dans les taudis, dans les cabanes.<br />
Il avait choisi ses acteurs parmi les figurants,<br />
les petits rôles, ceux que l'on ne<br />
voyait jamais à l'écran, préférant les types<br />
physiques à l'acteur accompli que l'on ne<br />
peut subjuguer, façonner à sa guise, ZaSu<br />
Pitts exceptée, qui sera, grâce à lui, la plus<br />
grande tragédienne de l'écran.<br />
Von Stroheim, comme Griffith, comme<br />
Poudovkine, est l'homme <strong>des</strong> éternelles<br />
répétitions pendant lesquelles, durant<br />
<strong>des</strong> heures, à force de répéter, l'acteur<br />
accablé de fatigue, se dépersonnalise<br />
et devient un médium sur lequel il agit.<br />
Hélas, les temps de The Birth of a Nation,<br />
d'Intolérance étaient passés. Seul,<br />
Chaplin pouvait et peut encore se permettre<br />
d'être lui-même.<br />
Stroheim avait conçu un film qu'il<br />
était encore nécessaire de projeter en épiso<strong>des</strong>,<br />
formule qui était alors à la base du<br />
commerce cinématographique en Europe,<br />
mais qui était déjà périmée à Hollywood.<br />
Le film à épiso<strong>des</strong> seul pouvait lui<br />
permettre de décrire à loisir. Et pour la<br />
première fois dans son histoire, Holly-<br />
173<br />
wood mutila une œuvre prototype, sans<br />
considération de sa valeur artistique parce<br />
qu'elle n'entrait pas dans les normes<br />
de production. Jusqu'alors, on y avait<br />
toujours respecté le génie et, tandis qu'à<br />
Paris, Fescourt réalisait sur plusieurs milliers<br />
de mètres la deuxième adaptation cinématographique<br />
<strong>des</strong> Misérables, Stroheim<br />
dut abandonner son œuvre aux ciseaux<br />
<strong>des</strong> monteurs.<br />
Il s'agit là d'un tournant dans l'histoire<br />
du cinéma. Une époque s'achève,<br />
celle <strong>des</strong> pionniers.<br />
Grâce à leur œuvre, le cinéma s'est organisé<br />
sur <strong>des</strong> bases industrielles. On doit<br />
se plier à certaines données ou renoncer.<br />
Henri <strong>La</strong>nglois<br />
(in 300 années de cinématographie,<br />
60 ans de cinéma,<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française, 1955).<br />
1 Le titre a été ajouté pour cette édition.
174-ÉTATS-UNIS<br />
BRAVEHEART<br />
BARRIÈRE DES RACES<br />
1925 -Alan Haie<br />
Réal. : Alan Haie. Prod. : <strong>Ciné</strong>ma Corporation of<br />
America (Cecil B. DeMille). Auteur : William<br />
Churchill DeMille, d'après sa pièce Strongheart.<br />
Adapt. : Mary O'Hara. Dir. ph. : Faxon M. Dean.<br />
Int. : Rod <strong>La</strong>Rocque (Cœur-Loyal/Braveheart), Lillian<br />
Rich (Dorothy Nelson), Arthur Housman (Frank<br />
Nelson), Tyrone Power, Sr. (Aigle <strong>des</strong> cîmes/Sfand/ng<br />
Rode), Henry Victor (Sam Harris), Sally Rand (Sally<br />
Vernon), Kenneth Gibson (Ralph Thorne), Robert<br />
E<strong>des</strong>on (Hobart Nelson), Frank Hagney (Ki-Yote), Jean<br />
Acker (Sky-Arrow). Date de sortie : 27 décembre<br />
1925 (USA). Métrage, minutage copie Cf. : 1340 m.,<br />
53 mn (à 22 i/s). Générique reconstitué. Intertitres<br />
français. Noir et blanc. Doc. : Moving Picture World,<br />
vol. 78, 23 janvier 1926. Remerciements à jean-Louis<br />
Leutrat.<br />
Dorothy Nelson, la fille du « Roi du saumon<br />
», fait une chute de cheval. Elle est recueillie<br />
-par Cœur-Loyal, un indien Yakima,<br />
fils du chef de la tribu. Il prend soin d'elle et<br />
la rend aux siens, indemne. Le lendemain,<br />
Dorothy est envoyée par son père à New York.<br />
Pendant ce temps, la Compagnie Nelson<br />
conteste aux Indiens un droit de pêche pourtant<br />
reconnu par traité. <strong>La</strong> haine entre les<br />
deux camps est à fleur de peau. Trois ans plus<br />
tard : Cœur-Loyal étudie le droit à Strathmore,<br />
un&université de la côte Est, pour défendre<br />
les intérêts <strong>des</strong> indiens Yakima contre<br />
la Compagnie. Étudiant brillant, il est aussi<br />
le meilleur de l'équipe de football. Au hasard<br />
d'un jour, il rencontre Dorothy dans la rue ;<br />
les deux amis se revoient à une fête et<br />
s'avouent un amour qu'ils savent impossible.<br />
À l'université, il y a aussi Frank, le frère de<br />
Dorothy. Endetté jusqu'au cou, il trahit son<br />
équipe et donne au camp adverse la tactique<br />
prévue pour le grand match. Sévèrement<br />
mené au score, Strathmore l'emporte sur le fil<br />
mais après la rencontre, c'est Cœur-Loyal que<br />
le comité accuse de trahison. Exclu par les<br />
Blancs, il est aussi rejeté par les siens. Il défend<br />
néanmoins leurs droits devant la cour<br />
suprême et obtient gain decause. Emmenépar<br />
l'ambitieux Ki-Yote, les Yakima sont sur le<br />
sentier de la guerre. Ils enlèvent Nelson et sa<br />
fille et l'armée va intervenir. Alors, Cœur-<br />
Loyal arrive à bride abattue, annonce aux Indiens<br />
le triomphe de leurs droits, délivre Dorothy<br />
<strong>des</strong> griffes de Ki-Yote, affronte son rival<br />
dans un combat à mains nues et le livre aux<br />
autorités militaires. <strong>La</strong>vé aussi de l'accusation<br />
de tricherie par une lettre tombée à pic<br />
du directeur de l'université, Cœur-Loyal devient<br />
le chef <strong>des</strong> Yakima. Il lui reste à oublier<br />
celle qu'il aimait et qui l'aimait, oublier un<br />
sentiment empêché par la barrière <strong>des</strong> races.<br />
LE CŒUR NET<br />
J'ai vu deux fois Braveheart (Barrière <strong>des</strong><br />
races), un intervalle d'une vingtaine d'années<br />
séparant les deux visions. <strong>La</strong> première<br />
s'était produite à Hollywood chez<br />
un collectionneur de films très connu, aujourd'hui<br />
disparu, David Bradley. <strong>La</strong> restauration<br />
de la copie française par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française a été l'occasion de<br />
la seconde. Ces retrouvailles n'ont pas apporté<br />
de révélation, tout au plus une impression<br />
de reconnaissance avec, bien sûr,<br />
la vérification que, d'un film, on oublie<br />
beaucoup. J'avais pris <strong>des</strong> notes à la première<br />
vision. J'ai surtout confronté ces<br />
notes à la version française restaurée.<br />
Le sujet de ce film de 1925 comporte<br />
deux dimensions dont l'une recouvre<br />
l'autre, comme toujours dans le cinéma<br />
hollywoodien : au versant sentimental<br />
(dominant) répond l'économique, ici les<br />
droits de pêche <strong>des</strong> Indiens du Nord-<br />
Ouest. Aborder la question indienne par<br />
ce biais est original. Il n'est pas exceptionnel<br />
en revanche que <strong>des</strong> films (ou <strong>des</strong><br />
ouvrages de littérature) <strong>des</strong> années vingt<br />
parlent <strong>des</strong> Indiens avec sympathie<br />
D'ailleurs, l'homme rouge venait de se<br />
voir accorder la possibilité (honneur tardif,<br />
mais insigne) de devenir citoyen<br />
américain. Toutefois, acquérir cette qualité,<br />
selon les films, n'entraînait pas la totalité<br />
<strong>des</strong> droits qu'elle semble supposer.<br />
<strong>La</strong> résolution de l'intrigue amoureuse qui<br />
se noue dans Braveheart, comme dans The<br />
Vanishing American, entre un Indien et<br />
une femme blanche, est tout à fait prévisible<br />
: la barrière <strong>des</strong> races est infranchissable<br />
et l'Indien est d'autant plus noble<br />
qu'il reconnaît l'existence de cette barrière,<br />
l'accepte et renonce à son amour 2 .<br />
Braveheart est une adaptation d'une<br />
pièce de théâtre de William Churchill<br />
DeMille nommée Strongheart qui connut<br />
un certain succès. Lorsque Cecil Blount<br />
DeMille quitta <strong>La</strong>sky pour fonder son<br />
propre studio à Culver City, William rejoignit<br />
son frère en 1925 comme réalisateur<br />
et producteur associé. Il semble qu'il<br />
n'ait pas apprécié l'adaptation qui fut<br />
faite de son œuvre. Dans une conférence<br />
de mai 1929 à T« University of Southern<br />
California », il rappela un moment très<br />
intense de sa pièce pendant lequel l'acteur<br />
Robert E<strong>des</strong>on, dans le rôle de l'Indien,<br />
tourna le dos à la salle, laissant le<br />
soin à celle-ci d'interpréter à sa guise ce<br />
dos inexpressif ; à la question qui lui fut<br />
ensuite posée sur la manière dont cette situation<br />
avait été traitée à l'écran, il répondit<br />
sans chaleur : « Le film était différent.<br />
On ne peut même pas dire qu'il était<br />
proche de la pièce. Je pense qu'ils ne se<br />
sont pas servis de cette situation 3 . »<br />
Le réalisateur Alan Haie, pour qui<br />
Braveheart fut apparemment la première<br />
mise en scène, tourna pour Cecil B. De-<br />
Mille The Wedding Song (1925), Risky Business<br />
(1926), Rubber Tires (1927). L'acteur<br />
Rod <strong>La</strong>Rocque interprétait le rôle du<br />
mauvais frère dans la partie contemporaine<br />
de The Ten Commandments (1923).<br />
Quant à Lillian Rich (une habituée <strong>des</strong><br />
films sur l'Ouest), elle tint le rôle principal<br />
dans un film tourné en 1924 par<br />
DeMille lui-même, The Golden Bed. Robert<br />
E<strong>des</strong>on apparut dans The Ten Commandments<br />
et dans The Golden Bed, mais aussi<br />
dans The Volga Boatmen (les Bateliers de la<br />
Volga, 1926). Bref, Braveheart est bien,<br />
malgré les réserves de William, un produit<br />
du clan DeMille.<br />
Ce seven reeler (« sept bobines ») ne se<br />
présente pas comme une œuvre cinématographique<br />
majeure, mais vaut pour son<br />
triple témoignage : sur la société américaine,<br />
sur une époque de Hollywood et<br />
sur le western au milieu <strong>des</strong> années vingt.<br />
Si le film peut être qualifié de « Western<br />
Melodrama », il peut l'être tout autant de<br />
« Romantic Drama », de « Drama of the<br />
Red Man », de « Story of the Indian of<br />
Today »... Il appartient en effet à un genre<br />
en train de se constituer (le western) et à<br />
un autre qui va disparaître, et dont Devil's<br />
Doorway (la Porte du diable) d'Anthony<br />
Mann représente en 1950 une résurgence.<br />
Il s'agit de films dont les personnages<br />
principaux sont <strong>des</strong> Indiens et qui<br />
hésitent au bord du sujet politique. Tell<br />
Them Willie Boy Is Hère d'Abraham Polonsky<br />
(1969) en sera d'une certaine manière<br />
la version radicale. Braveheart<br />
montre également que l'action dans les<br />
films sur l'Ouest d'alors était souvent<br />
contemporaine de l'époque de leur tournage.<br />
Le western ne deviendra majoritairement<br />
un genre historique que par la<br />
suite.<br />
Il y a quelques jolies idées de mise en<br />
scène dans ce film. Par exemple, celles signifiant<br />
les attentions réciproques <strong>des</strong><br />
personnages principaux l'un pour l'autre.<br />
<strong>La</strong> femme blanche se poudre, détail<br />
manifestant qu'elle considère cet Indien<br />
qu'elle vient juste de rencontrer comme<br />
un homme. Lui, organise à son intention<br />
un lit de branchages dans la forêt et,<br />
quand elle dort, la borde ; de sa main, le<br />
matin, il protège le visage de la jeune<br />
femme <strong>des</strong> rayons du soleil pour que la<br />
lumière ne la réveille pas. De même, le<br />
thème du cœur contenu dans le nom du<br />
personnage principal (traduit en français<br />
par Cœur-Loyal) est rappelé de plusieurs<br />
manières. Par le geste de la main de l'Indien<br />
à partir de la poitrine signifiant :<br />
mon cœur vole vers toi. Braveheart écrit<br />
aussi un livre sur ceux de sa race, un livre<br />
présenté dans la vitrine d'un libraire<br />
(« Harts » Bookstore) ornée d'une guirlande<br />
de cœurs. Les divers cadrages montrent<br />
les interprétations que l'on peut<br />
donner de cette chaîne sentimentale : elle<br />
relie d'abord Braveheart à Dorothy, mais<br />
encore Braveheart à son peuple ; les deux<br />
figures sur la couverture du livre (un Indien<br />
et un footballeur), dont Tune se<br />
trouve à un moment à gauche du champ<br />
et l'autre à droite, montrent que ce cœur<br />
est aussi partagé, tiraillé dans deux di-<br />
rections irréductiblement opposées. Et<br />
dans l'enlacement qui le réunit une dernière<br />
fois, le couple au final <strong>des</strong>sinera la<br />
forme d'un cœur.<br />
<strong>La</strong> copie française reconstituée comporte<br />
<strong>des</strong> manques assez importants si on<br />
la compare à celle teintée que possédait<br />
David Bradley. Certains sont négligeables<br />
pour la compréhension générale.<br />
Lors du match de football, lorsque le score<br />
de l'Université de Strathmore augmente,<br />
les cris de la foule sont retranscrits à<br />
plusieurs reprises dans la copie américaine<br />
(il s'agit du nom de Braveheart ; on<br />
a le même effet dans Battling Butler I le<br />
Dernier Round de Buster Keaton lors du<br />
combat de boxe). S'il s'agit d'un effet rhétorique<br />
propre au cinéma muet (la représentation<br />
du sport à l'écran et les sons<br />
donnés à imaginer), d'autres absences<br />
sont plus dommageables à l'enchaînement<br />
<strong>des</strong> faits. Au début du film, un<br />
conflit entre Blancs et Indiens se produit :<br />
un Indien est tué, son corps est porté en<br />
procession. Suit une réunion nocturne du<br />
Conseil au cours de laquelle intervient le<br />
medicine man interprété par Chief Ni Po<br />
Strongheart. C'est alors que la décision<br />
est prise d'envoyer un jeune Indien à<br />
l'école pour apprendre la loi <strong>des</strong> Blancs<br />
et que Braveheart est choisi. Cette séquence,<br />
incomplète, n'est guère compréhensible<br />
dans la version française. Autre<br />
exemple : le Conseil <strong>des</strong> Indiens condamne<br />
Braveheart à porter une marque<br />
sur la poitrine, puis tout le monde lui<br />
tourne le dos. <strong>La</strong> scène du « marquage » 4<br />
est absente de la copie restaurée où Ton<br />
passe sans carton explicatif du Conseil<br />
<strong>des</strong> Indiens à la scène du tribunal où Braveheart<br />
défend les droits de son peuple.<br />
Le détail de la marque, en revanche, surgit<br />
(sans qu'on puisse le comprendre) à<br />
la faveur du geste du chef de la tribu écartant<br />
la chemise de son fils juste avant de<br />
déclarer qu'il lui cède la place et son titre.<br />
Indépendamment de ces différences<br />
et manques, il est intéressant d'avoir<br />
accès à Tintertitrage français d'époque et<br />
il doit sûrement exister d'autres copies<br />
BRAVEHEART - 175<br />
que les deux ici confrontées. Il y aurait intérêt<br />
pour l'historien, et les restaurateurs,<br />
à les comparer et à en tirer les conclusions<br />
nécessaires.<br />
Jean-Louis Leutrat<br />
1 Par exemple, The Vanishing American I la Race qui<br />
meurt (1925) de George B. Seitz ou Redskin (1928) de<br />
Victor Schertzinger. Un film de 1927, Red Clay d'Ernst<br />
<strong>La</strong>emmle, reprend plusieurs <strong>des</strong> thèmes de Braveheart.<br />
2 Ce renoncement peut revêtir une forme radicale : la<br />
mort. Le thème de la barrière entre les races est banal.<br />
Banale également, la situation narrative de l'Indien<br />
qui, à l'université, devient footballeur.<br />
3 Introduction to the Photoplay, a National Film Society<br />
Publication, 1977, p. 314. L'acteur Robert E<strong>des</strong>on joue<br />
le rôle du père de l'héroïne dans le film.<br />
4 Le « marquage » est une problématique importante<br />
pour le genre. De même, les footballeurs avant le<br />
match conviennent de signaux, établissant un pont<br />
avec l'univers <strong>des</strong> Indiens, qui en est abondamment<br />
peuplé.<br />
Rod <strong>La</strong> Rocque, Lillian Rich.
176 - ÉTATS-UNIS<br />
UNDERWORLD<br />
LES NUITS DE CHICAGO<br />
1927 - Josef von Sternberg<br />
Réal. : Josef von Sternberg. Prod. : Paramount Famous<br />
<strong>La</strong>sky Corporation (Hector Turnbull). Prod. ass. : B.P.<br />
Schulberg. Auteur : Ben Hecht. Adapt. : Charles<br />
Furthmann. Se. : Robert N. Lee. Textes : George<br />
Marion, Jr. Dir. ph. : Bert Glennon. Dir. art. : Hans<br />
Dreier. Mont. : E. Lloyd Sheldon. Int. : Clive Brook<br />
(Rolls Royce), Evelyn Brent (Feathers), George<br />
Bancroft (Bull Weed), Fred Kohler (Buck Mulligan),<br />
Helen Lynch (la petite amie de Mulligan), <strong>La</strong>rry<br />
Semon (Slippy Lewis), Jerry Mandy (Paloma), Karl<br />
Morse (High Collar Sam). Date de sortie : 29 octobre<br />
1927. Métrage, minutage copie Cf. : 2239 m., 89 mn<br />
(à 22 i/s). Intertitres anglais. Noir et blanc.<br />
Gangster intrépide, Bull Weed est le roi<br />
<strong>des</strong> bas-fonds avec sa force herculéenne et son<br />
rire de stentor. À sa manière, il tient à sa compagne,<br />
Feathers, et, pour elle, n'hésite pas à<br />
cambrioler une bijouterie en plein jour. Et<br />
puis, il y a « Rolls Royce », surnommé aussi<br />
« Professeur », un clochard lettré qu'il a pris<br />
sous son aile et remis en selle. Hors les forces<br />
de l'ordre, Bull n'a qu'un ennemi déclaré:<br />
Buck Mulligan, une brute qui lorgne Feathers.<br />
Entre elle justement et Rolls Royce,<br />
naît malgré eux une attirance irrépressible. À<br />
la soirée annuelle de la pègre, Bull dépense<br />
sans compter pour que la cote de sa pouliche<br />
grimpe au tableau <strong>des</strong> filles en compétition<br />
pour le titre de reine d'un soir. Mais tard dans<br />
la nuit, il est ivre mort. Son rival attire Feathers<br />
dans un coin. Alors Bull surgit, l'écume<br />
aux lèvres. Buck s'enfuit par une fenêtre, se<br />
réfugie dans son magasin et là, tombe sous les<br />
balles de son poursuivant. Procès. Bull découvre<br />
qu'il n'est pas au-<strong>des</strong>sus de la loi. Il<br />
sera pendu. À la veille de l'exécution, Rolls<br />
Royce et Feathers imaginent un instant fuir<br />
ensemble. Mais leur loyauté envers Bull les<br />
en empêche. Or, celui-ci s'évade par ses propres<br />
moyens tandis que le plan du Professeur<br />
pour l'en sortir échoue. Réfugié dans son repaire,<br />
hagard et furieux, Bull va et vient, indécis.<br />
Entre Feathers : il l'étrangle et va la<br />
tuer quand la police cerne l'endroit. <strong>La</strong> fusillade<br />
est intense. Blessé, Rolls Royce les a rejoints<br />
par une porte dérobée. Face à cette déclaration<br />
d'amitié, touché aussi par la pureté<br />
de leur amour, Bull oublie sa rancœur, favorise<br />
la fuite <strong>des</strong> amants et se livre aux gardiens<br />
de l'ordre, transfiguré et en paix.<br />
L'HEURE SUPRÊME<br />
Il y aurait deux gran<strong>des</strong> figures de récits<br />
sternbergiens : la chute et l'ascension.<br />
Sternberg n'a peut-être jamais filmé autre<br />
chose qu'une double trajectoire, de la surface<br />
aux bas-fonds et son contraire. Le<br />
monde et l'underworld. Dans les premiers,<br />
les personnages n'en finissent pas<br />
d'être tirés vers le bas, généralement<br />
parce qu'ils succombent à <strong>des</strong> désirs immédiats<br />
(de Der Blaue Engel I l'Ange Bleu<br />
à The ShanghaïGesture). Dans les seconds,<br />
ceux qui <strong>des</strong>sinent au contraire <strong>des</strong> spirales<br />
ascendantes, les personnages traversent<br />
le vice, le mal, mais une prise de<br />
conscience les fait se redresser. C'est le<br />
cas par exemple de Blonde Venus (qui voit<br />
Marlene, repentante, revenir aux charmes<br />
de la middle class après s'être grisée<br />
de la richesse) et aussi bien sûr d'Underworld<br />
I les Nuits de Chicago. Bull, l'homme<br />
qui défie les lois et domine la mafia, va<br />
apprendre à renoncer à la volonté de<br />
puissance et à l'instinct de possession,<br />
jusqu'à accepter de laisser partir sa petite<br />
amie avec un autre. Rolls Royce, l'homme<br />
de lettres déchu jusqu'à la clochardisation,<br />
va retrouver le sens de l'honneur et<br />
se déprendra de l'alcoolisme. Quant à<br />
Feathers, la poule de luxe vénale, qui suit<br />
le premier homme lui offrant <strong>des</strong> bijoux,<br />
elle fera l'expérience du sentiment amoureux.<br />
Il s'agit donc d'une triple rédemption.<br />
Chacun au contact de l'autre, à<br />
l'épreuve de son regard, se révèle à luimême.<br />
Le caractère abrupt et décapant de<br />
cette rencontre de l'Autre trouve une<br />
forme vraiment éloquente dès l'ouverture<br />
du film. Un premier regard en<br />
champ-contrechamp entre Bull et Rolls<br />
Royce et une explosion retentit en arrièreplan.<br />
Dès lors, il est clair qu'après ce fulgurant<br />
échange, leur vie va également<br />
voler en éclat.<br />
Cette remontée vers la surface passe<br />
avant tout par le langage. Ce n'est pas un<br />
<strong>des</strong> moindres paradoxes d'Underworld,<br />
film muet, d'être un grand film sur la parole,<br />
presque une comédie de langage.<br />
Tout est déclenché par un mot de travers :<br />
Bull craint que Rolls Royce ne le dénonce<br />
et il le traite à la fois de feignasse et de balance.<br />
Ce à quoi Rolls Royce répond vertement<br />
qu'il est peut-être un fainéant<br />
mais certainement pas un délateur. Il<br />
n'aura de cesse de prouver qu'il n'est en<br />
fait ni l'un ni l'autre. Si on ne sait pas ce<br />
qui a mené Rolls Royce à cette déchéance,<br />
on devine néanmoins ce que fut sa vie. Il<br />
a lu <strong>des</strong> livres (« He lïkes to read »<br />
s'étonne Bull), il sait beaucoup de choses.<br />
Il est dans la maîtrise du langage alors<br />
que Bull le subit. Dans la ville, une enseigne<br />
publicitaire brille de mille feux :<br />
« The city is y ours ». Ce slogan, programmatique<br />
d'une société capitaliste en<br />
plein essor, Bull, pure création de cette<br />
société-là, le prend au pied de la lettre ; il<br />
en a fait sa devise. Rolls Royce lui fait<br />
comprendre la vanité de ce projet, le<br />
forme à ne pas croire les lettres d'or qui<br />
miroitent sur les vitrines de la ville.<br />
Mieux, il lui apprend à manipuler le langage<br />
et à se jouer <strong>des</strong> signes. Le rival de<br />
Bull porte toujours une fleur à sa boutonnière<br />
? Rolls Royce souffle à Bull qu'il<br />
lui suffirait d'en déposer une sur le lieu<br />
de son dernier méfait pour que la police<br />
suspecte l'autre gangster. Il lui enseigne<br />
la rhétorique ; il lui apprend à signifier.<br />
Dans Underworld, les signes sont partout ;<br />
chacun en joue à sa guise. Les noms <strong>des</strong><br />
personnages sont eux-mêmes saturés de<br />
signification : Bull (le taureau) pour le<br />
gangster brutal et tout-puissant - mais<br />
qui fonce toujours tête baissée et trop<br />
vite ; Feathers pour la fille qui s'habille<br />
toujours avec <strong>des</strong> plumes - et le signe va<br />
parfois plus vite que ce qu'il signifie, devenant<br />
alors indice, lorsque Rolls Royce<br />
trouve une plume de Feathers avant de<br />
la découvrir en chair et en os ; et enfin<br />
Rolls Royce, pour cet étrange clochard<br />
lettré, qui se présente par cette phrase si<br />
poétique : « I'm a Rolls Royce for silence ».<br />
Mais rien ne sert de manipuler les<br />
signes, si à un moment ou un autre un<br />
peu de sens ne surgit. A l'issue de beaucoup<br />
de rebondissements et de malen-<br />
tendus, Bull apprécie à sa juste valeur le<br />
geste de Rolls Royce qu'il prenait pour un<br />
traître. Dès lors, il renonce à posséder<br />
(jusque-là son exclusif rapport au monde)<br />
et accepte son trépas. Au policier qui<br />
lui demande à la fin à quoi a servi son évasion<br />
si ce n'est à retarder son exécution<br />
d'une heure, il répond, désormais maître<br />
<strong>des</strong> mots et de leurs sens, qu'il a davantage<br />
appris dans cette heure que dans<br />
toute sa vie. S'éclaire alors le sens de ce<br />
premier plan, jusque-là obscur : un fondu<br />
entre deux horloges, un cadran en gros<br />
plan et un clocher filmé en pied. Deux<br />
lignes de temps qui se juxtaposent et se<br />
rejoignent. À la fois hétérogènes et réunies.<br />
Une heure d'intense expérience du<br />
monde contre toute une vie à en ignorer<br />
la signification. Rolls Royce avait dès le<br />
début diagnostiqué ce hiatus temporel en<br />
comparant Bull à Attila et en déplorant<br />
qu'il soit né deux mille ans trop tard. Il<br />
n'a fait finalement que remettre les pendules<br />
à l'heure.<br />
<strong>La</strong> force d'Underworld ne tient pas<br />
seulement à l'intelligence avec laquelle<br />
Sternberg campe <strong>des</strong> personnages d'une<br />
remarquable densité et à la subtilité avec<br />
laquelle il <strong>des</strong>sine le mouvement de leur<br />
prise de conscience. Underworld est aussi,<br />
bien sûr, un grand film de styliste, d'un<br />
raffinement visuel éblouissant, qui porte<br />
a un point de maîtrise incomparable la<br />
langue naissante du film de genre. C'est<br />
un film-mouvement, qui file avec une superbe<br />
fluidité et un parfait équilibre :<br />
entre les gros plans et les scènes de foule,<br />
l'action et l'intimisme, la nervosité de certaines<br />
scènes (un hold-up en cinq plans<br />
de gestes et d'objets) et la langueur<br />
d'autres scènes à deux personnages... On<br />
a beaucoup dit d'Underworld qu'il fut à la<br />
source de la mode du film de gangsters<br />
qui déferla sur le cinéma américain <strong>des</strong><br />
années trente et dont Scarface serait l'emblème.<br />
Hawks ne s'est d'ailleurs visiblement<br />
jamais remis du film puisque, dans<br />
Rio Bravo trente ans plus tard, il refit la<br />
scène de l'ivrogne et du crachoir et, on le<br />
sait, donna le doux nom de Feathers à<br />
Angie Dickinson ! Il est assez beau que<br />
Sternberg ait créé l'archétype absolument<br />
parfait d'un cinéma (celui du film<br />
classique, de T image-mouvement...) mais<br />
laissa à un autre (en l'occurence Hawks)<br />
le soin de s'engouffrer dans la brèche.<br />
Lui, passera assez vite à autre chose, avec<br />
<strong>des</strong> films toujours plus abstraits. <strong>La</strong> luxuriance<br />
baroque de la scène du bal <strong>des</strong><br />
gangsters deviendra bientôt la matière<br />
même du cinéma de Sternberg, au détriment<br />
de la dramaturgie (de plus en plus<br />
ténue ou anecdotique). Les décors ne<br />
vont pas tarder à manger les corps et les<br />
lumières à irradier le figuré. Et c'est peutêtre<br />
de savoir que Sternberg consacrera<br />
par la suite tout son talent à désarticuler<br />
le modèle parfait dont il a été le créateur<br />
qui rend aujourd'hui cet Underworld si<br />
précieux et particulier dans son œuvre.<br />
Jean-Marc <strong>La</strong>lanne
178-ÉTATS-UNIS<br />
AFTER MIDNIGHT<br />
L'HOMME DE LA NUIT<br />
1927-Monta Bell<br />
Réal. : Monta Bell. Prod. : Metro-Goldwyn-Mayer<br />
Pictures. Auteur : Monta Bell. Se. : Lorna Moon.<br />
Dir. ph. : Percy Hilburn. Dir. art. : Cedric Gibbons,<br />
Richard Day. Cost. : René Hubert. Mont. : Blanche<br />
Sewell. Int. : Norma Shearer (Mary Young), Gwen Lee<br />
(Maizie), <strong>La</strong>wrence Gray (Joe Miller), Eddie Sturgis<br />
(Red Smith), Philip Sleeman (Gus Van Gundy).<br />
Date de sortie: 20 août! 927.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1846 m., 68 mn<br />
(à 24 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
New York, midi. Mary et sa sœur Maizie<br />
se lèvent. Maizie, la blonde, est une fétarde<br />
insouciante, une vraie cigale, danseuse de revue<br />
la nuit. Mary, la brune, est la fourmi :<br />
elle économise chaque sou gagné en vendant<br />
<strong>des</strong> cigarettes dans un night club. Mary est<br />
seule et attend son heure pour entrer dans la<br />
danse de l'amour. Un soir après minuit, au<br />
coin d'une rue déserte, un voyou essaye de lui<br />
extorquer dix dollars. Elle l'assomme et, bonne<br />
fille, le soigne. Il s'appelle Joe et désormais,<br />
Joe a en tête celle qui l'a assommé. Au bout<br />
d'une semaine, ils font <strong>des</strong> projets d'avenir.<br />
Enfin, à force de privations, Mary est parvenue<br />
à épargner mille dollars. Mais déçue par<br />
Joe qu'elle croit, à tort, retombé dans ses anciens<br />
travers, sidérée de constater que sa sœur<br />
a ramassé la même somme en une nuit, elle<br />
s'offre à son tour de belles toilettes et s'affiche<br />
au bras d'un gigolo. Lors d'une fête, elle boit<br />
beaucoup et Maizie décide de la reconduire.<br />
Mais par la faute de Mary, leur voiture finit<br />
dans le ravin. Maizie meurt dans l'accident.<br />
De retour chez elle, Mary trouve Joe, complètement<br />
saoul, qui essaye de la violer. Elle<br />
fond en larmes. Au petit matin, elle tombe sur<br />
le bon de mille dollars de sa sœur. Avec cet<br />
argent, les amants peuvent espérer commencer<br />
une nouvelle vie.<br />
LES SŒURS DE LA NUIT<br />
Cascade de fondus enchaînés : <strong>des</strong><br />
musiciens jouent du jazz tard dans la<br />
nuit, puis les premiers métros du matin<br />
traversent New York. <strong>La</strong> métropole par<br />
excellence s'éveille, se met au rythme<br />
d'une journée de travail.<br />
Un réveil-matin sonne à midi. <strong>La</strong> caméra<br />
de Monta Bell cadre le plancher<br />
entre deux lits. Deux paires de pieds s'y<br />
posent, cherchent leurs pantoufles. Celle<br />
de droite enfile <strong>des</strong> savates toutes<br />
simples, celle de gauche <strong>des</strong> brodequins<br />
fantaisie. Cette séquence au rythme allègre<br />
livre avec naturel au spectateur<br />
quelques informations d'importance.<br />
Primo, les héroïnes de l'Homme de la nuit<br />
se lèvent tard. Secundo, l'une est mo<strong>des</strong>te<br />
et sérieuse, un peu austère même, l'autre<br />
plus sophistiquée et aguicheuse. Ce que<br />
nous vérifierons tout à loisir quand Maizie,<br />
la viveuse en fanfreluches, dira son<br />
désir d'échapper à sa condition en se<br />
jouant <strong>des</strong> hommes pendant que sa sœur<br />
Mary, la vendeuse de cigarettes, l'honnête<br />
employée, ne fait que <strong>des</strong> rêves à sa<br />
portée (du moins le croit-elle). Tertio, le<br />
titre français, sans être faux - il y a bien<br />
un homme, Joe Miller (joué par <strong>La</strong>wrence<br />
Gray), qui surgit de la nuit, mais c'est un<br />
second couteau - ne vaut pas le titre original,<br />
After Midnight.<br />
Information subsidiaire mais pas secondaire<br />
: en ces quelques plans rapi<strong>des</strong>,<br />
Monta Bell, cet ami de Charles Spencer<br />
Chaplin, démontre qu'il est un de ces<br />
bons cinéastes du muet qui avaient l'art<br />
de bricoler <strong>des</strong> raccourcis, de filer <strong>des</strong> métaphores,<br />
d'enchaîner les ellipses et d'émettre<br />
toutes autres sortes de suggestions<br />
cinégraphiques. Il semble même<br />
parfois étonné, dépassé, pris de court par<br />
sa propre capacité à faire avancer son<br />
récit à une vitesse quasi lubitschienne.<br />
D'où sa fâcheuse tendance à freiner, à répéter<br />
son propos comme s'il n'en croyait<br />
pas ses yeux, comme s'il voulait meubler<br />
les espaces-temps qu'il a lui-même créés.<br />
Ce n'est pas grave. Bell bégaie avec talent.<br />
Il y a chez lui un plaisir si évident à inventer<br />
<strong>des</strong> figures libres, une telle ivresse<br />
que son défaut d'élocution cinématographique<br />
peut même passer pour une pulsion<br />
baroque.<br />
En fait, After Midnight peut se résumer<br />
tout entier à une alternance d'audacesetde<br />
retenues, véritable suite de dérapages<br />
contrôlés. Le film égratigne ainsi<br />
le système économique de son pays, à<br />
l'origine <strong>des</strong> inégalités sociales visibles<br />
dans le récit, un système où certain(e)s<br />
gagnent en une nuit ce que d'autres mettent<br />
une vie à économiser. Dans la même<br />
lignée, Bell satirise un mode de vie qui fabrique<br />
du rêve (voir la scène où les deux<br />
amants salivent devant les objets en vitrine,<br />
à la fois exposés à tous les regards<br />
et inaccessibles). <strong>La</strong> fin, brutale pour le<br />
coup, de ce rêve américain, c'est l'accident<br />
de voiture, retour tragique à la réalité.<br />
Pour autant, After Midnight n'est pas<br />
Underworld, réalisé la même année, où la<br />
fameuse enseigne lumineuse (« The World<br />
is Yours ») disait plus violemment, plus<br />
politiquement, que l'Amérique est responsable<br />
<strong>des</strong> errances et <strong>des</strong> crimes<br />
qu'elle condamne.<br />
Monta Bell est un observateur parfois<br />
cruel, souvent drôle, de la faune nocturne<br />
de la ville (s'est-il souvenu d'avoir monté<br />
A Woman of Paris I l'Opinion publique, quatre<br />
ans plus tôt ?). Il nous réjouit quand il<br />
met en scène l'atmosphère du cabaret<br />
chic où travaillent les deux sœurs, Tune<br />
à vendre ses cigarettes et l'autre à marchander<br />
ses charmes. Il se régale quand<br />
il brosse les portraits de patachons effondrés,<br />
noceurs balafrés à l'œil mauvais,<br />
gandins guindés, gigolos pâlots, poules<br />
plus ou moins vulgaires et plus ou moins<br />
édentées. Il exulte littéralement en décrivant<br />
TEureka Social Club, antre moins<br />
huppée, bouge enfumé, où <strong>des</strong> marlous<br />
à gueule de travers et <strong>des</strong> putes au regard<br />
détruit défient la Prohibition en s'envoyant<br />
<strong>des</strong> mignonnettes d'alcools divers.<br />
Mais attention tout de même ! Il y a<br />
<strong>des</strong> limites que la Métro Goldwyn de<br />
monsieur Mayer ne peut se permettre de<br />
dépasser. Nous ne sommes ni dans un<br />
Stroheim, ni dans un Wellman, un <strong>La</strong><br />
Cava muet avec W.C. Fields ou une production<br />
Warner du début <strong>des</strong> années<br />
trente. Le réalisme demeure ici corseté<br />
dans le puritanisme maison. Dans le<br />
« bon goût » de Louis B. Mayer qui n'était<br />
que son conformisme en béton armé.<br />
Les folies sont aussi limitées par la<br />
personnalité de la vedette du film, Norma<br />
Shearer, qui vient d'épouser Irving<br />
Thalberg, le jeune nabab de la MGM. On<br />
veut bien, si l'histoire le réclame absolument,<br />
voir madame Thalberg verser dans<br />
la luxure, mais avec modération et pas<br />
trop longtemps. Elle est pourtant étonnante,<br />
Norma la bourgeoise, dans After<br />
Midnight. Nettement moins godiche,<br />
moins sinistrement digne qu'à son habitude.<br />
Tout à fait à son aise dans le personnage<br />
de Mary la sage, elle devient carrément<br />
surprenante dans le rôle de Mary<br />
la dévergondée, quand elle boit ses cocktails<br />
les uns derrière les autres et perd la<br />
tête. Elle dégage alors une sensualité inédite<br />
et pour un peu, ressemblerait à<br />
Irène Dunne dans un film de McCarey.<br />
Signalons enfin qu'After Midnight recèle<br />
deux étrangetés, deux anachronismes<br />
: deux zooms optiques qui donnent<br />
à ce film de 1927 un petit air années soixante-dix.<br />
Le premier zoom isole Mary,<br />
seule au fond de son cabaret, derrière une<br />
foule qui danse avec plus d'énergie que<br />
de grâce. Artifice optique étrange et un<br />
peu redondant puisqu'un rai de lumière<br />
baignant le visage de Mary a déjà fait le<br />
travail de séparer l'héroïne de son environnement.<br />
Le second survient au moment<br />
de l'accident de voiture. Dans les<br />
deux cas, Monta Bell désigne visiblement<br />
un moment de vérité du récit, quand la<br />
comédie se retire, fugitivement d'abord,<br />
durablement à la fin, et cède la place au<br />
drame.<br />
Édouard Waintrop<br />
AFTER MIDNIGHT- 179<br />
Norma Shearer.
CHICAGO<br />
1927-Frank Urson<br />
Réal. : Frank Urson. Prod. : DeMille Pictures.<br />
Prod. exécutif : E. O. Gurney. Auteur : Maurine<br />
Watkins, d'après son roman homonyme.<br />
Adapt. : Lenore J. Coffee. Se. : Lenore J. Coffee. Asst.<br />
réal. : Roy Burns. Dir. ph. : J. Peverell Marley.<br />
Dir. art. : Mitchell Leisen. Cost. : Adrian.<br />
Mont. : Anne Bauchens. Int. : Phyllis Haver (Roxie<br />
Hait), Victor Varconi (Amos Hait), Eugène Pallette<br />
(Casley), Robert E<strong>des</strong>on (Maître Flynn), Victoria<br />
Bradford (Katie), Clarence Burton (l'officier de police),<br />
Warner Richmond (le district attorney), T. Roy Barnes<br />
(le journaliste), Sidney D'Albrook (le photographe),<br />
Otto Lederer (Meyer, l'associé d'Amos), Julia Faye<br />
(Velma), May Robson. Date de sortie : 4 mars 1928.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1348 m., 53 mn<br />
(à 22 i/s). Générique reconstitué. Intertitres français.<br />
Noir et blanc.<br />
Mo<strong>des</strong>te buraliste, Amos Hart est riche...<br />
riche de son amour pour son épouse, la pimpante<br />
Roxie Hart. Mais Roxie n 'aime quel'argent.<br />
Ce matin là, après avoir servi le petit déjeuner<br />
et ramassé les vêtements de sa femme<br />
(sans trouver sa deuxième jarretière), Amos<br />
part à son travail. Peu après, Roxie reçoit son<br />
amant chez elle. Or, celui-ci, las de l'entretenir,<br />
est venu pour la quitter. Il la bouscule en<br />
sortant. Sans réfléchir, elle tire sur lui et le<br />
tue. A son mari, elle dit que c'était un cambrioleur.<br />
Mais Amos reconnaît un client du<br />
jour pressé justement d'aller se débarrasser<br />
de sa « bien aimée » et trouve dans une <strong>des</strong><br />
poches du mort la jarretière manquante... <strong>La</strong><br />
police, un juge et un journaliste sont sur le<br />
lieu du crime. Le juge espère de cette affaire<br />
qu'elle le rendra enfin célèbre et le journaliste<br />
promet à Roxie de faire d'elle la plus jolie<br />
meurtrière de Chicago, photo dans le journal<br />
à l'appui ! Trahi mais toujours amoureux,<br />
Amos se démène pour éviter la pendaison à sa<br />
femme et engage au prix fort un avocat célèbre,<br />
cupide et retors. Aux assises, Roxie joue<br />
la petite fille modèle, fond en larmes et le jury<br />
avec elle. Elle est acquittée et fêtée. Seul son<br />
mari ne participe pas à la liesse. De retour à<br />
la maison, il jette au feu l'argent qu'il avait<br />
volé pour la sauver et elle se brûle presque les<br />
doigts à essayer de le récupérer. Il la met à la<br />
porte et saccage dans l'appartement tout ce<br />
qui lui rappelle Roxie.<br />
UN DRÔLE DE POLAR<br />
Sans doute Chicago de Frank Urson<br />
est un petit film, une quasi « série B », qui<br />
transpire la rapidité de réalisation. En<br />
même temps, de Mitchell Leisen pour les<br />
décors à Adrian pour les costumes et De<br />
Mille pour la production, les collaborations<br />
sont prestigieuses. De plus, il nous<br />
importe à la mesure du fait que peu de<br />
films subsistent aujourd'hui de ce cinéaste.<br />
Le film est tourné dans trois décors<br />
seulement : l'appartement qui ouvre et<br />
clôt le film par deux longues séquences,<br />
une courte scène dans la prison, la salle<br />
d'audience du procès.<br />
Ce n'est pas un <strong>des</strong> moindres mérites<br />
du film que de savoir rebondir à partir de<br />
ces seuls décors habités par de nombreux<br />
seconds rôles. <strong>La</strong> galerie de figurants comiques<br />
pendant le procès est de ce point<br />
de vue particulièrement hilarante.<br />
Par certains aspects, le style d'Urson<br />
s'apparente au Capra <strong>des</strong> mêmes années<br />
: rapidité du montage et jeu dynamique<br />
de Phyllis Haver (qui rappelle<br />
celui de Bessie Love dans The Matinée Idol,<br />
en plus garce). Mais Urson construit <strong>des</strong><br />
personnages dont la drôlerie n'excède<br />
pas la recette, sinon le stéréotype qui exclut<br />
toute émotion.<br />
Roxie Hart est incarnée avec une<br />
grande énergie par Phyllis Haver. Son<br />
personnage d'obsédée par l'argent est<br />
crédible, même dans une certaine hystérie.<br />
Si dans la séquence du procès, son jeu<br />
n'échappe pas à la caricature, il n'empêche<br />
que son impertinence et son dynamitage<br />
<strong>des</strong> symboles garantissant la loi et<br />
la vérité sont plutôt réjouissants : clin<br />
d'ceil en prononçant le « je le jure » et signe<br />
racoleur de la main vers le président<br />
lors du serment pour accompagner le<br />
même « je le jure ». Le film s'effondrerait<br />
probablement si Phyllis Haver n'avait<br />
pas ce tonus, et cette joliesse blonde platine<br />
qui ajoute à son image de jeune<br />
femme futile, la traîtrise et le cynisme intéressés.<br />
De ce point de vue, le film ne<br />
181<br />
manque pas d'audace (involontaire ?).<br />
Cette manière de mêler la criminalité et<br />
le comique (le premier meurtre puis le second<br />
théâtral au tribunal), la belle scène<br />
de tentative de sauvetage <strong>des</strong> billets de<br />
banque qui brûlent, l'absence de happy<br />
end reconciliateur (la fille s'en va seule<br />
dans la nuit pendant que le mari entreprend<br />
la <strong>des</strong>truction du « Home sweet<br />
home ») font de Chicago un petit film singulier<br />
qui retient par certains excès. Ce<br />
n'était pas rare à cette époque. Cette période<br />
présonore est un <strong>des</strong> moments les<br />
plus inventifs et les plus brillants d'Hollywood.<br />
Combien de cinéastes oubliés<br />
aujourd'hui sont dignes d'une véritable<br />
réévaluation, tels Monta Bell ou Herbert<br />
Brenon, réalisateurs de films météores<br />
encore à l'abri de certaines contraintes<br />
académiques ultérieures.<br />
Toute la première séquence est particulièrement<br />
brillante, symptomatique de<br />
cette capacité d'inventivité soudaine et<br />
imprévisible. D'abord, les scènes de séduction<br />
puis de violence entre Roxie et<br />
son amant, ensuite cette trouvaille, avant<br />
Hawks (Scarface), Tuttle (This Gunfor Hire<br />
I Tueur à gages), Ulmer (Détour) et <strong>La</strong>ng<br />
(Ministry of Fear I Espions sur la Tamise),<br />
qui consiste à ce qu'un meurtre s'opère à<br />
travers une porte.<br />
Ici, c'est une porte, doublée d'un miroir,<br />
qui reçoit l'impact et cache aux yeux<br />
du spectateur la chute du corps dont<br />
seule une main crispée <strong>des</strong>cend lentement<br />
dans l'embrasure. Le ton du film est<br />
dans cette séquence qui mêle la terreur<br />
de Roxie incrédule et son jeu comique :<br />
elle encourage par <strong>des</strong> mimiques burlesques<br />
la remontée de la main de la victime<br />
irrémédiablement inerte. Le seul découpage<br />
de cette scène suffit à prouver<br />
qu'Urson, sans être un grand cinéaste,<br />
faisait partie de cette cohorte efficace<br />
d'artisans hollywoodiens qui avaient assimilé<br />
l'essentiel de ce que le muet pouvait<br />
dire.<br />
Dominique Païni
Charles Farrell.<br />
THE RIVER<br />
LA FEMME AU CORBEAU<br />
1928-Frank Borzage<br />
Réal. : Frank Borzage. Prod. : Fox Film Corp.(Sol M.<br />
Wurtzel). Auteur : Tristram Tupper, d'après son roman<br />
homonyme. Adapt. : Philip Klein, Dwight Cummings,<br />
Edmund Goulding, Asst. réal. : Lew Borzage.<br />
Dir. ph. : Ernest Palmer. Effets spéciaux : Fred W.<br />
Sersen. Dir. art. : Harry Oliver. Mont. : Barney Wolf.<br />
Mus. : Maurice Baron, Hugo Riesenfeld.<br />
Direction musicale : Ernô Râpée.<br />
Conseiller technique : Tristram Tupper. Int. : Charles<br />
Farrell (Allen John Pender), Mary Duncan (Rosalee),<br />
Ivan Linow (Sam Thompson), Margaret Mann (la<br />
veuve Thompson), Alfredo Sabato (Marsdon), Bert<br />
Woodruff (le meunier). Texte de présentation : « C'est<br />
dans les archives de la 20th Century-Fox que William<br />
K. Everson et Alex Cordon ont découvert l'unique<br />
copie de The River (la Femme au corbeau), le film<br />
mythique que Frank Borzage réalisa en 1928. Le film<br />
ne subsiste qu'à l'état de fragment : il manque le<br />
début, deux séquences intermédiaires et la dernière<br />
bobine. <strong>La</strong> reconstitution qui suit donne une idée de<br />
l'ensemble de l'intrigue. Elle a été faite à partir de<br />
photographies provenant de la collection personnelle<br />
de Borzage et du scénario original déposé à la UCLA,<br />
Los Angeles ». Date de sortie : 22 décembre 1928.<br />
Métrage, minutage copie 16 mm Cf. : 606 m., 55 mn.<br />
Intertitres français et anglais pour la présentation et les<br />
parties manquantes, intertitres anglais dans le film.<br />
Noir et blanc. Montage <strong>des</strong> parties manquantes et<br />
intertitres : Hervé Dumont. Coordination et<br />
production Jacqueline Dumont. Une reconstitution<br />
présentée par la <strong>Ciné</strong>mathèque française (Paris) et la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque suisse (<strong>La</strong>usanne). Doc. : Hervé<br />
Dumont : Frank Borzage. Sarastro à Hollywood,<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta, 1993.<br />
L'été, dans les Rocheuses. Le jeune Allen<br />
John Pender a construit une péniche pour voir<br />
le monde et <strong>des</strong>cend la rivière jusqu'à la mer.<br />
À l'automne, il est bloqué à la hauteur d'un<br />
barrage en construction où un drame vient de<br />
se produire : Marsdon, le chef de chantier, a<br />
tué un ingénieur qui convoitait sa maîtresse,<br />
la belle et intrigante Rosalee. Le meurtrier est<br />
arrêté et Sam, un colosse sourd et muet, s'est<br />
juré de venger la victime. Peu de temps après,<br />
le camp se vide de sa population jusqu'au retour<br />
<strong>des</strong> beaux jours. Avec le corbeau de son<br />
amant pour seul compagnon, Rosalee s'ennuie<br />
quand passe Allen John se baignant nu<br />
dans la rivière. Tout ahuri de cette rencontre,<br />
le jeune homme ratera tous les trains pour la<br />
ville y compris le dernier avant le printemps.<br />
C'est l'hiver. Gauche et novice, Allen ]ohn est<br />
sans cesse déconcerté par cette femme d'ex-<br />
périence, surprise à son tour et secrètement<br />
bouleversée de tant d'innocence. Un soir, leur<br />
attirance semble irrésistible mais le corbeau<br />
de Marsdon veille et au comble de la frustration,<br />
Rosalee ferme sa porte à celui qui lui a<br />
ouvert son cœur. Hors de lui, il saisit une<br />
hache et frappe les arbres comme s'il voulait<br />
abattre une forêt. Torse nu et en nage, il cogne<br />
pendant que tombe la neige. Le lendemain<br />
matin, Sam trouve Allen John inanimé dans<br />
sa péniche et le porte jusque chez Rosalee.<br />
Malgré leurs efforts, il reste inconscient.<br />
Alors en désespoir de cause, elle se couche sur<br />
lui et le ramène à la vie. Elle lui avoue son<br />
amour. Le printemps : Marsdon, échappé de<br />
prison, vient reprendre son bien. Il assomme<br />
son rival avec une bûche. Rosalee s'enfuit et<br />
plonge dans la rivière. Sam surgit et étrangle<br />
Marsdon tandis qu'Allen John, revenu à lui,<br />
arrache l'aimée au tourbillon qui allait l'engloutir.<br />
Il l'installe dans sa cabine et largue<br />
les amarres. Le colosse se lave les mains dans<br />
la rivière et regarde la péniche <strong>des</strong>cendre vers<br />
la mer.<br />
DÉSIRS HUMAINS<br />
Non seulement The River (la Femme au<br />
corbeau) s'inscrit parfaitement au sein de<br />
cette fertile période que fut pour Borzage<br />
la fin du muet, mais sans doute, si l'on<br />
pouvait juger du film dans son intégralité,<br />
pourrait-on même l'estimer supérieur<br />
à Seventh Heaven (l'Heure suprême,<br />
1927), Street Angel (l'Ange de la rue, 1927)<br />
et Lucky Star (l'Isolé, 1929). Je n'ai pas ici<br />
envie d'écrire après d'autres que The<br />
River est probablement, à l'égal de Sunrise<br />
(l'Aurore), un « sommet de l'art muet »,<br />
parce qu'il me semble que ces personnages<br />
parlent : je ne fais pas ici allusion<br />
aux efforts de sonorisation qui accompagnèrent<br />
ce film à sa sortie, comme ce fut<br />
souvent le cas à la toute fin <strong>des</strong> années<br />
vingt ; je n'ironise pas non plus sur le fait<br />
que deux <strong>des</strong> personnages secondaires<br />
décisifs soient un sourd-muet (le géant<br />
débonnaire interprété par Ivan Linow), et<br />
183<br />
un corbeau qui n'a d'éloquent que son silence.<br />
Mais Charles Farrell et Mary Duncan,<br />
eux, parlent avec leurs corps, leurs<br />
gestes, leurs visages, leurs regards ;<br />
doués de la parole, ils n'auraient pas dit<br />
un mot de plus. The River, ou du moins<br />
ce que nous en voyons, est donc un sommet<br />
de cinéma tout court ; il confirme<br />
pour qui en douterait encore que Borzage<br />
était au meilleur de son talent dans le lyrisme,<br />
le Kammerspiel, et la peinture émue<br />
<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> passions.<br />
Sommet d'illusion d'abord, puisque<br />
ce rude paysage du Nord fut bâti de<br />
toutes pièces en Californie, et que le froid<br />
de la neige artificielle vous perce pourtant<br />
jusqu'aux os. Il n'est pas rare que la<br />
convention hollywoodienne, qui fuit la<br />
réalité de toutes ses forces pour en tailler<br />
une autre à la mesure de ses fables, obtienne<br />
<strong>des</strong> effets d'autant plus riches<br />
qu'ils piétinent toute vraisemblance.<br />
Somptueux, le décor semble n'avoir été<br />
mis en place que pour enchâsser les précieux<br />
épiso<strong>des</strong> intimistes qui se déroulent<br />
dans la cabane de Rosalee : ce logement<br />
rudimentaire, exposé à tous les<br />
vents, est pourtant filmé et éclairé de telle<br />
façon qu'il isole le couple du reste du<br />
monde, jouant ainsi pleinement le rôle de<br />
« septième ciel » qu'avait la chambrette<br />
de Seventh Heaven.<br />
Au début du film tel qu'il subsiste, un<br />
homme a été tué, un autre est en passe<br />
d'être jugé, non sans s'être assuré que sa<br />
maîtresse l'attendrait, et le barrage ferme<br />
pour l'hiver. Un beau plan sur les ouvriers<br />
qui s'éloignent en colonne, migrant<br />
vers un hiver moins rude, et ce sera tout<br />
pour le contexte et l'observation sociale :<br />
le Borzage de The River n'est pas encore,<br />
tant s'en faut, celui de Man's Castle (Ceux<br />
de la zone, 1933) ou de The Big City (la<br />
Grande Ville, 1937). Mais Charles Farrell<br />
n'est pas Spencer Tracy. C'est un Allen<br />
John clair, svelte et juvénile, qui exprime<br />
sa jeunesse par une agitation fiévreuse et<br />
inutile : il s'approche <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong> pour le<br />
plaisir de ne pas y tomber, cherche à<br />
prendre <strong>des</strong> trains qu'il manque réguliè-
184-ÉTATS-UNIS<br />
Charles Farrell.<br />
Charles Farrell,<br />
Mary Duncan.<br />
rement, apporte à sa belle <strong>des</strong> cadeaux<br />
dont elle n'a que faire, et voudrait en vain<br />
couper la forêt tout entière pour réchauffer<br />
l'ingrate.<br />
Dès la première rencontre <strong>des</strong> héros,<br />
l'apparition superbement incongrue de<br />
Rosalee nous stupéfie. Habillée de pied<br />
en cap, lourdement maquillée, chaussée<br />
d'escarpins de ville, elle est pourtant<br />
posée sur son rocher, au bord de la rivière,<br />
comme une mélancolique sirène.<br />
Immobilité d'icône ? De mannequin ? De<br />
photo de star ? Ou les trois à la fois ? Elle<br />
est l'artifice et la convention même, face<br />
à Allen John nu dans la rivière, symbole<br />
de la virginité sauvage, enfant que la nature<br />
baptise dans une eau infiniment<br />
pure, et du reste obsédé par la propreté<br />
(« Celui qui en sort vivant doit se sentir<br />
propre », dit-il en parlant <strong>des</strong> rapi<strong>des</strong>). Il<br />
faut la pseudo-naïveté de la représentation<br />
hollywoodienne à ses débuts (une<br />
star féminine doit être impeccable en<br />
toutes circonstances) pour obtenir <strong>des</strong><br />
contrastes visuels de cette force.<br />
À partir de ce premier contact tout en<br />
violentes oppositions, la structure générale<br />
du récit - pour autant qu'on puisse<br />
en juger d'après ces fragments - sera celle<br />
d'un échange : la hiératique Rosalee apprendra<br />
peu à peu à bouger, à acquérir<br />
un mouvement de plus en plus humain,<br />
tandis qu'Allen John, après une dernière<br />
explosion d'inutile frénésie, sera enfin<br />
contraint à l'immobilité sur son lit de malade.<br />
Lorsque Rosalee se couche à ses<br />
côtés pour le réchauffer et le ressusciter,<br />
l'image est d'autant plus belle qu'ils sont<br />
enfin à égalité, immobiles, apaisés - une<br />
image qui, bien au-delà de la métaphore<br />
sexuelle, suggère une union essentielle et<br />
fondatrice. Tel le couple <strong>des</strong> origines, ils<br />
rejouent dans leur Eden glacé un mythe<br />
merveilleusement humanisé par le réalisme<br />
<strong>des</strong> détails et la justesse de l'observation.<br />
Si le renversement est si subtil et indiscutable<br />
- chacun se rendant en somme<br />
à la personnalité de l'autre - c'est qu'il<br />
s'est lentement négocié à travers les<br />
scènes centrales de séduction, dans lesquelles<br />
la femme fatale et le jeune homme<br />
candide confrontent leurs différences : la<br />
taille d'abord, mais surtout l'opposition<br />
entre la brutalité rieuse d'Allen John et<br />
les attitu<strong>des</strong> ondoyantes et lascives d'une<br />
Rosalee uniquement préoccupée d'amour.<br />
Le marivaudage de toute cette première<br />
partie évoque, à vrai dire, <strong>des</strong> genres plus<br />
légers que le mélodrame. Le thème <strong>des</strong><br />
minauderies amoureuses au milieu <strong>des</strong><br />
neiges n'est pas tout à fait étranger à la<br />
romantic comedy (on le trouve, traité de<br />
toute autre façon, dans Two Faced Woman<br />
I la Femme aux deux visages et à la fin de<br />
The Awful Truth I Cette sacrée vérité ) ; et<br />
Borzage lui-même, sous l'égide de Lubitsch,<br />
déclinera de nouveau le motif du<br />
couple vamp / ingénu dans la plus avouée<br />
<strong>des</strong> comédies sophistiquées, Désire. Du<br />
désir, il est déjà ici question sans relâche.<br />
Et l'on ne peut que se féliciter qu'en 1929,<br />
le futur code Hays en soit à la forme encore<br />
assez inoffensive <strong>des</strong> recommandations<br />
(Don't and Be Carefuls '). Eût-il été<br />
plus virulent, comme ce fut le cas un peu<br />
plus tard, qu'il eût certainement taillé<br />
dans ces jeux voluptueux et suggestifs,<br />
où Rosalee cherche par tous les moyens<br />
à toucher Allen John, à émouvoir sa chair.<br />
Ce en quoi il aurait eu tort, bien sûr ; car<br />
le badinage a ici d'autres enjeux que la<br />
consommation toujours suggérée, toujours<br />
repoussée, de l'acte sexuel.<br />
Rosalee, en effet, a commencé par dire<br />
à son compagnon imprévu qu'elle ne<br />
voulait plus entendre parler du sexe masculin,<br />
mais que lui « ne comptait pas ». Il<br />
faudra donc à Allen John toute la durée<br />
du film pour sortir de ce néant et se constituer<br />
en tant qu'homme : l'épreuve physique<br />
surhumaine (abattre les arbres<br />
dans la forêt), frôler la mort, sauver celle<br />
qu'il aime, l'arracher à celui qui la harcèle.<br />
C'est évidemment une initiation, un<br />
film d'apprentissage qui a ceci d'original<br />
qu'il ne comporte aucune dimension sociale,<br />
puisque la société humaine, incarnée<br />
surtout par Marsdon et son procès,<br />
est marquée par l'absence et en tout cas<br />
THE RIVER-185<br />
par <strong>des</strong> signes très négatifs. C'est aussi un<br />
double apprentissage : Rosalee découvre<br />
la tendresse, la pureté et l'émotion, Allen<br />
John s'éveille à la souffrance et à la colère.<br />
Pour que ces deux <strong>images</strong> opposées de<br />
l'humanité se rejoignent enfin, il faut<br />
quatre saisons, soit un cycle complet de<br />
la nature. Sous le signe du fleuve qui, de<br />
sa source à la mer, représente tout le cours<br />
de la vie, le film de Borzage mêle le symbolique<br />
et le réaliste, l'humour et le<br />
drame, la solennité du mythe et la vérité<br />
<strong>des</strong> désirs humains.<br />
Jacqueline Nacache<br />
1 « À ne pas faire et à surveiller », ensemble de mesures<br />
morales prises en 1927 par la Motion Pictures<br />
Producers and Distributors of America, organisme d'autocontrôlé<br />
de la production hollywoodienne créé depuis<br />
1922. Le Code de production en tant que tel, établi<br />
en 1930, ne sera véritablement appliqué qu'à partir<br />
de 1934 - année au cours de laquelle un film de<br />
Borzage, Man's Castle, fera partie d'une liste de titres<br />
mis à l'index par <strong>des</strong> organisations catholiques militant<br />
pour un cinéma plus « propre » (deaner pictures).
186 - ÉTATS-UNIS<br />
Bessie Love,<br />
Johnnie Walker.<br />
THE MATINEE IDOL<br />
BESSIE À BROADWAY<br />
1928-Frank Capra<br />
Réal. : Frank Capra. Prod. : Columbia Pictures (Harry<br />
Cohn). Auteur : Robert Lord, d'après son récit Come<br />
FJack to Aaron. Adapt. : Elmer Harris. Se. : Peter<br />
Milne. Asst. réal. : Eugène De Rue. Dir. ph. : Phillip<br />
Tannura. Dir. art. : Robert E. Lee. Mont. : Arthur<br />
Roberts. Int. : Bessie Love (Bessie Bolivar/C/nger<br />
Bolivar), Johnnie Walker (Don Wilson-Harry Mann),<br />
Lionel Belmore (le colonel jaspar Bolivar), Ernest<br />
Hilliard (Arnold Wingate), Sidney D'Albrook<br />
(]. Madison Wilberforce), David Mir (Eric Barrymaine).<br />
Date de sortie : 14 mars 1928.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 1575 m., 66 mn<br />
(à 21 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Don Wilson est une vedette de Broadway.<br />
Mais fatigué de son rôle de chanteur « noir »<br />
à la Al Jolson, il se met au vert avec quelques<br />
amis. À la suite d'un quiproquo dans un petit<br />
bled, Don qui a dit s'appeler Harry Mann, est<br />
engagé au pied levépar Bessie Bolivar, la fille<br />
du directeur d'un théâtre ambulant. Le voilà<br />
inclus dans un spectacle jouant avec conviction<br />
un épisode de la guerre de Sécession. Le<br />
public du coin est captivé, seuls les New-Yorkais<br />
rient à gorge déployée de tant d'amateurisme.<br />
L'un d'eux,patron d'unerevue, al'idée<br />
de faire venir la troupe à Broadway, pressentant<br />
un grand succès... comique. Affaire conclue.<br />
De retour à New York, Don continue de<br />
masquer sa vraie identité tout en essayant de<br />
séduire Bessie. Le soir de la première, Harry<br />
est introuvable et son « double », grimé en<br />
Noir, se propose pour le remplacer. Avant la<br />
fin du premier acte, la salle n'en peut plus de<br />
rire. Furieuse, Bessie quitte la scène et sort<br />
sous une pluie battante. Don veut la retenir,<br />
mais la pluie le démaquille. <strong>La</strong> jeune femme<br />
comprend qu'elle a été le jouet d'un homme<br />
et d'une ville. <strong>La</strong> troupe a maintenant repris<br />
contact avec la province plus indulgente. Don<br />
vient faire amende honorable. Bessie lui pardonne<br />
et l'engage à vie.<br />
LA VOIE ROYALE DE LA COMÉDIE<br />
Pressé d'en arriver à ses triomphes,<br />
Frank Capra ne consacrera à The Matinée<br />
Idol (Bessie à Broadway) qu'une brève mention<br />
dans son autobiographie. Fable mo<strong>des</strong>te<br />
sans doute, mais singulièrement attachante,<br />
c'est l'un <strong>des</strong> sept longs métrages<br />
que le cinéaste tourne coup sur<br />
coup (à la cadence d'un toutes les six semaines<br />
! ) au cours de l'année 1928 ; le dernier<br />
de la série sera Submarine, son premier<br />
film sonore et sa première production<br />
d'envergure. L'ascension du jeune<br />
Capra au sein de l'usine Columbia a beau<br />
être méthodique, il fait encore ses gammes<br />
sur <strong>des</strong> sujets imposés. Il est loin de<br />
se douter qu'il sera bientôt en mesure de<br />
damer le pion à Harry Cohn en imposant<br />
son nom « au-<strong>des</strong>sus du titre ».<br />
En regard <strong>des</strong> chefs-d'œuvre de la<br />
maturité, ces travaux d'apprenti sont<br />
d'humbles brouillons. Mais une veine<br />
personnelle s'y fait jour. Dans cet apologue<br />
qu'est The Matinée Idol, on perçoit<br />
les frustrations d'un cinéaste ambitieux<br />
qui ronge son frein et désespère peut-être<br />
d'atteindre le sommet qu'il s'est fixé.<br />
Ainsi ses protagonistes sont-ils <strong>des</strong> baladins<br />
pour lesquels le succès se mesure<br />
avant tout aux applaudissements. Naïf<br />
ou sophistiqué, le public a toujours raison<br />
: que ce soit sous les feux de la rampe<br />
à Broadway ou sur les tréteaux d'un<br />
bourg campagnard, seul compte son divertissement.<br />
L'art pour l'art n'a pas droit<br />
de cité. À <strong>des</strong> titres divers, comme Capra<br />
lui-même, les acteurs principaux sont<br />
tous les trois bridés dans leurs velléités<br />
« culturelles » : Don Wilson (Johnnie Walker)<br />
a beau être une vedette, il en est réduit<br />
à faire le pitre dans un minstrel show ;<br />
Ginger (Bessie Love), la jeune première,<br />
doit se consacrer à l'intendance de la<br />
troupe plutôt qu'à son répertoire ; le colonel<br />
Bolivar, qui jadis jouait du Shakespeare,<br />
s'est reporté sur de poussiéreux<br />
mélodrames inspirés par la guerre de Sécession.<br />
Les temps sont si durs que<br />
l'ombre de la Dépression paraît déjà<br />
187<br />
peser sur le petit monde du show-business.<br />
Le ressort de la comédie est, comme<br />
souvent chez Capra, une supercherie.<br />
Une imposture semblable à celle qui lui<br />
valut ses débuts de cinéaste. Par jeu, dans<br />
un bled de campagne, l'étoile de Broadway<br />
se fait passer pour un amateur et se<br />
retrouve engagé comme figurant dans la<br />
troupe <strong>des</strong> Bolivar Players (symétriquement,<br />
Capra s'était fait passer pour un<br />
professionnel et avait convaincu l'acteur<br />
shakespearien Walter Montague de lui<br />
confier sa première réalisation, The Ballad<br />
ofFultah Fisher's Boarding Housé). D'emblée,<br />
le maquillage est désigné comme le<br />
symbole autant que l'instrument de la<br />
tromperie. A New York, Don se grimait<br />
en chanteur noir ; dans la loge provinciale,<br />
il se fait une tête de clown blanc. À<br />
la revue « nègre » répond un mélo sudiste<br />
qui pourrait être un épisode de Birth<br />
of a Nation revu et corrigé par Harold<br />
Lloyd ou Buster Keaton. Lorsqu'un unique<br />
figurant est censé représenter toute<br />
une armée, Capra emprunte au Why<br />
Worry ? de Lloyd l'idée du râtelier de<br />
baïonnettes qui suggère le passage d'un<br />
régiment derrière un mur. Des flocons de<br />
neige artificielle aux déguisements du bal<br />
masqué, tous les accessoires <strong>des</strong> gags<br />
sont associés à une « mise en scène ».<br />
Quand Don change de tenue en un tournemain<br />
derrière un paravent et réussit à<br />
berner sa partenaire en réapparaissant<br />
avec un loup sur le visage, la brillante<br />
chorégraphie de Capra confirme son sens<br />
du timing comme sa connaissance de la<br />
commedia dell'arte.<br />
Comme il se doit dans une fable de<br />
Capra, <strong>des</strong> campagnards ingénus sont les<br />
victimes de cyniques citadins. Invités par<br />
les amis de Don à se produire à New<br />
York, les Bolivar Players tombent dans<br />
un piège. En se prêtant au canular, le<br />
héros joue ici le double rôle qui sera plus<br />
tard, dans Mr. Deeds et Mr. Smith, dévolu<br />
à l'héroïne, Jean Arthur. À cause de cette<br />
duplicité, Ginger va être « crucifiée » par<br />
le public blasé de Broadway. <strong>La</strong> représentation<br />
sabotée tourne au jeu de mas-
188-ÉTATS-UNIS<br />
sacre. Don ose faire son entrée en scène<br />
avec <strong>des</strong> skis aux pieds ! « Vous ne voyez<br />
pas que c'est un drame ! » proteste Ginger,<br />
sans pouvoir endiguer les rires. C'est<br />
le triomphe... du comique involontaire,<br />
forme la plus humiliante du succès ! <strong>La</strong><br />
plaisanterie cesse d'être drôle quand, au<br />
milieu de l'hilarité générale, le malheureux<br />
Bolivar, en larmes, quitte la salle.<br />
Tout d'un coup, par un de ces changements<br />
de registre dont le cinéaste a le secret,<br />
la comédie vire, en effet, au drame...<br />
<strong>La</strong> pluie, qui toujours chez Capra participe<br />
de l'émotion, est ici, pour la première<br />
fois, providentielle. C'est elle qui<br />
force l'imposteur à tomber le masque. En<br />
faisant couler son maquillage, elle dissipe<br />
les faux-semblants, met fin aux quiproquos<br />
et permet au couple de se former.<br />
Car in fine, Don choisit la voie du cœur :<br />
il sacrifie une carrière lucrative pour rejoindre<br />
l'ingénue qu'il a si cruellement<br />
dupée. Son retour à la province et à la<br />
tente <strong>des</strong> saltimbanques est davantage<br />
qu'un mea culpa ; en se convertissant à la<br />
convivialité loufoque de la troupe itinérante,<br />
il accomplit une sorte de libération.<br />
Retour au naturel, sinon à la nature. Plutôt<br />
que les snobs de Broadway, Don choisit<br />
de divertir l'Amérique profonde, fûtce<br />
en « détournant » <strong>des</strong> spectacles plutôt<br />
vieillots. Gageons qu'avec Ginger<br />
pour partenaire, il saura les raviver et les<br />
rajeunir. <strong>La</strong> morale ? Avant de faire rire<br />
ou pleurer, il faut se trouver soi-même.<br />
Les paradoxes de la réussite ont toujours<br />
inspiré à Capra une profonde - et<br />
féconde - anxiété. Tous ses récits tournent<br />
peu ou prou, littéralement ou métaphoriquement,<br />
autour du succès et de ses<br />
revers : compromis, servitu<strong>des</strong>, trahisons,<br />
impostures... Le bonheur serait-il<br />
donc dans le dénuement, ainsi que le suggère<br />
The Matinée Idol ? Pour sa part, le cinéaste<br />
s'est bien gardé de sacrifier sa carrière<br />
hollywoodienne : « J'épousais la<br />
prostituée », avouera-t-il dans ses mémoires<br />
en évoquant le contrat qui le liait<br />
à la Columbia. On le reconnaît bien, néanmoins,<br />
dans les pirouettes de The Matinée<br />
Idol. L'ex-gagman de Mack Sennett n'a,<br />
pour le moment du moins, d'autre préoccupation<br />
que de divertir : « Amusez la<br />
foule et elle acceptera pratiquement<br />
n'importe quoi ! » <strong>La</strong> voie royale, c'est la<br />
comédie, qui dégonfle prétentions et conventions,<br />
celles <strong>des</strong> revues musicales à la<br />
mode comme celles <strong>des</strong> mélos passés de<br />
mode.<br />
L'Art avec une majuscule peut attendre.<br />
Pour volatiliser les contradictions<br />
de la vie, rien de tel que l'éclat de rire. Et<br />
pour se mettre à l'unisson du pays profond,<br />
rien ne vaut le slapstick. Aux literati<br />
et intellectuels de la ville, Capra préférera<br />
toujours les clowns et rimailleurs de province.<br />
En définitive, pour l'homme de<br />
spectacle, metteur en scène ou matinée<br />
idol, il n'y a pas de règles, ni de genres<br />
plus « nobles » que d'autres, seulement<br />
<strong>des</strong> péchés... « et le péché capital, c'est<br />
l'ennui ! ».<br />
Michael Henry<br />
LE CONTRAT DU SIÈCLE<br />
Chaque film est un contrat passé entre<br />
ceux qui le font et ceux qui le voient. Et<br />
même si le cinéma dit moderne a bouleversé<br />
plus d'une fois cette simple réciprocité,<br />
elle reste vraie et indispensable.<br />
Dans le cas de Frank Capra, loin d'être<br />
implicite, ce contrat était tout bonnement<br />
explicite. Ainsi, ses œuvres les plus célèbres<br />
prennent-elles régulièrement le<br />
spectateur à témoin et le font juge et partie.<br />
Il lui est même arrivé de faire de ce<br />
contrat, lui qui n'en avait pas en 1928<br />
pour travailler à la Columbia du terrible<br />
Harry Cohn, le sujet principal d'un film :<br />
c'est le cas et l'exemplarité de The Matinée<br />
Idol. Si bien que dans ce qu'elle dit déjà<br />
<strong>des</strong> émotions, de l'acteur, du public et du<br />
spectacle, cette œuvre de la fin du muet<br />
est comme l'avant-scène du show « capraien<br />
» à venir et la justification presque<br />
théorique de tout un System.<br />
Comme souvent chez Capra, et ici<br />
comme en amorce, The Matinée Idol est un<br />
double voyage initiatique : d'abord, celui<br />
de la troupe innocente quittant la calme<br />
province pour Broadway et sa rampe à<br />
risques. Et parallèlement, en sens inverse<br />
et en solitaire, celui de Don Wilson, acteur<br />
en crise. Un personnage qui met tout<br />
le film à être juste lui-même, utilisant un<br />
nom d'emprunt en fonction <strong>des</strong> circonstances,<br />
sans cesse dissimulé derrière un<br />
maquillage, un loup ou un paravent, si<br />
bien qu'il est toujours double : quand il a<br />
son vrai visage, son identité est fausse et<br />
quand il est lui-même, il avance masqué.<br />
Pas étonnant qu'il finisse par organiser<br />
un bal costumé 1 ! Déjà, Capra s'insurge<br />
contre une société en miroirs et lui oppose<br />
Bessie, caractère tout d'une pièce,<br />
sans double fond ni fond de teint, présenté<br />
au début du film en un gros plan<br />
très simple : pour Capra, le visage est la<br />
vérité d'un être (visages <strong>des</strong> acteurs, visages<br />
de spectateurs au spectacle). Déjà,<br />
il est l'ennemi d'un double langage, d'un<br />
double jeu, ennemi de la duplicité, du cynisme,<br />
de l'intellectualisme snob qui distancie<br />
et refroidit. C'est que le morceau<br />
de bravoure de The Matinée Idol est une<br />
même pièce de théâtre jouée deux fois ;<br />
la première représentation ravit un public<br />
de province et, bien sûr, c'est à lui que<br />
le film donne raison. Avec ses réactions<br />
immédiates, son empathie spontanée, le<br />
spectateur est en phase avec le spectacle<br />
et entretient avec les acteurs, qui le lui<br />
rendent bien, une relation d'amour. Flirtant<br />
avec le populisme (l'idée n'est pas<br />
loin que le spectateur serait le vrai metteur<br />
en scène <strong>des</strong> films qu'on lui montre),<br />
Capra pose alors cette relation comme la<br />
base d'un rapport non névrotique au<br />
spectacle, lieu privilégié d'une catharsis<br />
légitime qui, en retour, légitime la représentation<br />
et « l'éternisé ». C'est comme le<br />
champ-contrechamp : l'un n'existe pas<br />
sans l'autre, ils sont collés tels <strong>des</strong> frères<br />
siamois. Ce sont donc bien les New-Yorkais<br />
et leur sens critique (assimilé à un dédoublement<br />
de la personnalité) qui sont<br />
dans l'erreur. Alors, la première fois, la<br />
pièce est filmée d'assez près pour que le<br />
cadre épouse les contours du cube scénique,<br />
et la deuxième fois, prise de beaucoup<br />
plus loin, avec l'orchestre et le public<br />
en amorce du cadre, et une fois même<br />
vue du plafond 2 . D'une représentation à<br />
l'autre, le principe d'adhésion ne tient<br />
plus et le spectacle s'effondre.<br />
<strong>La</strong> relation d'exception entre les spectateurs<br />
et la représentation/projection<br />
fonde le cinéma non seulement comme<br />
art mais aussi comme institution. Si bien<br />
que le film de Capra, à l'époque charnière<br />
et inquiète du passage au parlant, énonce<br />
la règle numéro un sur laquelle repose et<br />
va reposer plus encore pendant trente ans<br />
tout le « studio System ». Cette règle est<br />
un accord idéal, un pacte de rêve, rêve de<br />
fusion (exit la rampe !), entre la scène et<br />
la salle, entre chaque film et son public :<br />
une règle si belle qu'on jurerait la version<br />
cinématographique du « rêve américain<br />
» (le melting-pot enfin accompli, et du<br />
côté de Capra-l'immigrant son accepta-<br />
tion par l'Amérique). Une règle tellement<br />
fondamentale qu'elle dépasse Frank Capra<br />
et qu'elle est, au même moment et régulièrement<br />
après, répétée par d'autres ;<br />
par King Vidor par exemple, en 1928 encore,<br />
dans Show People (Mirages). Quelques<br />
années plus tard, deux scènes de<br />
Sylvia Scarlett (George Cukor, 1935) et<br />
surtout Preston Sturges dans Sullivan's<br />
Travels I les Voyages de Sullivan (1941) réaffirmeront<br />
avec force que le public a raison<br />
de croire à la belle illusion, qu'il est<br />
juste de (faire) rire et de (faire) pleurer devant<br />
une image. En 1953 seulement 3 , à<br />
l'époque charnière et inquiète d'une passation<br />
<strong>des</strong> pouvoirs entre cinéma et télévision,<br />
Minnelli dans The Band Wagon<br />
(Tous en scène) pressentira que quelque<br />
chose de ce rapport de confiance est en<br />
train de changer irrémédiablement et<br />
commencera à fermer la marche de la<br />
longue cohorte <strong>des</strong> cinéastes classiques.<br />
Bernard Bénoliel<br />
THE MATINEE IDOL-189<br />
1 « Pensez-vous encore, que l'usage <strong>des</strong> masques soit<br />
approuvé de Dieu ? Je vous le demande. S'il défend<br />
toute sorte de simulacre, combien plus défendra-t-il<br />
qu'on défigure son image ? Non, non : l'auteur de la<br />
vérité ne saurait approuver rien de faux. Il regarde<br />
comme une espèce d'adultère tout ce qu'on réforme<br />
dans son ouvrage » (Tertullien : Traités sur l'ornement<br />
<strong>des</strong> femmes, les spectacles, le baptême et la patience, 200<br />
après J.-C, cité dans les Cahiers de me'diologie, n° 1,<br />
1996, p. 291-292). À la fin de The Matinée Idol, la pluie<br />
qui, plus encore que démaquille et démasque, lave<br />
littéralement l'acteur est bien sûr une eau lustrale déversée<br />
par « l'auteur de la vérité ».<br />
2 Sur ce plan pris du plafond, et pour d'autres<br />
exemples de différences, voir Dominique Païni :<br />
« The Matinée Idol de Frank Capra ou la loi de la<br />
foule », <strong>Ciné</strong>mathèque, n° 6, automne 1994.<br />
3 1953 est « l'année-déclic » pour Alain Bergala, celle<br />
où « aux États-Unis, les cinéastes scénarisent la fin<br />
d'unétatdu cinéma et du public ». 1953 est aussi l'année<br />
que retient King Vidor dans son autobiographie<br />
pour marquer « la fin d'une époque et la naissance<br />
d'une autre ».
190 - ÉTATS-UNIS<br />
The Man Who <strong>La</strong>ughs,<br />
Conrad Veidt.<br />
The Man Who <strong>La</strong>ughs,<br />
Olga Baclanova.<br />
PAUL LENI<br />
THE MAN WHO LAUGHS<br />
L'HOMME QUI RIT<br />
1927 -Paul Leni<br />
Réal. : Paul Leni. Prod. : Universal Pictures (Pau/<br />
Kohner). Auteur : Victor Hugo, d'après son roman<br />
homonyme. Adapt. : Charles E. Whittaker, Marion<br />
Ward, MayMcLean. Se. : ). Grubb Alexander. « Story<br />
supervision » : Docteur Bela Sekely. Dir. ph. : Gilbert<br />
Warrenton. Dir. art. : Charles D. Hall, Joseph Wright,<br />
Thomas E. O'Neill. Cost. : David Cox, Vera West.<br />
Mont. : Maurice Pivar, Edward Cahn.<br />
Conseiller technique : Professeur R.H. Newlands.<br />
Int. : Mary Philbin (Dea), Conrad Veidt (Gwynplaine),<br />
Brandon Hurst (Barkilphedro), Cesare Gravina (Ursus),<br />
Olga Baclanova (la duchesse Josiane), Joséphine<br />
Crowell (la reine Anne), George Siegmann (le docteur<br />
Hardquanonne), Sam De Grasse (le roi Sacques II),<br />
Stuart Holmes (Lord Dirry-Moir), Nick De Ruiz<br />
(Wapentake), Edgar Norton (le grand Chancelier),<br />
Torben Meyer (l'espion), julius Molnar, Jr.<br />
(Gwynplaine enfant), Charles Pufty (l'aubergiste),<br />
Frank Puglia, Jack Goodrich (les clowns), Carmen<br />
Costello (la mère de Dea), Zimbo (Homo le loup).<br />
Date de sortie : 4 novembre 1928.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2922 m., 116 mn<br />
(à 22 i/s). Intertitres italiens. Noir et blanc.<br />
L'Angleterre de la fin du XVII' siècle. Le<br />
roi Jacques II fait exécuter son ennemi Lord<br />
Clancharlie et vend son jeune fils Gwynplaine<br />
aux Comprachicos, marchands d'enfants rendus<br />
monstrueux. Après avoir été défiguré -<br />
la bouche fendue d'un rictus permanent -<br />
puis abandonné, le jeune garçon sauve du<br />
froid un bébé aveugle, Dea. Tous deux sont<br />
recueillis par Ursus, un forain philosophe vivant<br />
dans une roulotte en compagnie d'Homo<br />
le loup. Les années ont passé. Gwynplaine,<br />
baptisé« L'homme qui rit », est désormais un<br />
célèbre comédien ambulant, amoureux en secret<br />
de la belle et douce Dea. Grâce au docteur<br />
Hardquanonne, un maître chanteur sont il se<br />
débarrasse, le bouffon Barkilphedro - âme<br />
damnée de Jacques II, à présent au service de<br />
la reine Anne - découvre l'ascendance noble<br />
de Gwynplaine. Afin de soumettre sa sœur la<br />
duchesse Josiane, la reine décide de rétablir<br />
« L'homme qui rit » dans ses droits et de le<br />
marier à celle-ci. Lors de son investiture à la<br />
Chambre <strong>des</strong> Lords, Gwynplaine renonce à<br />
son titre, dénonce la tyrannie aristocratique,<br />
plaide pour la liberté et s'enfuit. Il rejoint<br />
Ursus et Dea, bannis d'Angleterre et sur le<br />
point d'embarquer. Barkilphedro et ses sbires<br />
tentent de l'en empêcher, mais Homo se rue<br />
sur le bouffon, qui périt noyé.<br />
THELAST WARNING<br />
LE DERNIER AVERTISSEMENT<br />
1928-Paul Leni<br />
Réal. : Paul Leni. Prod. : Universal Pictures (Cari<br />
<strong>La</strong>emmle). Auteur : Thomas F. Fallon, d'après The <strong>La</strong>st<br />
Warning ; a Melodrama in Three Acts et Wadsworth<br />
Camp, House of Fear. Adapt. : Alfred A. Cohn, Robert<br />
F. Hill, l-G. Hawks. Se. : Alfred A. Cohn. Dir. ph. : Hal<br />
Mohr. Dir. art. : Charles D. Hall. Mont. : Robert<br />
Carliste. Int. : <strong>La</strong>ura <strong>La</strong> Plante (Doris), Montague Love<br />
(McHugh), Roy D'Arcy (Carlton), Margaret Livingston<br />
(Evalinda), lohn Boles (Qualie), BurrMcIntosh (josiah),<br />
MackSwain (Robert), BertRoach (Mike), Carrie<br />
Daumery (Barbara), Slim Summerville (Tommy),<br />
Torben Meyer (Gene), D'Arcy Corrigan (Woodford),<br />
Bud Phelps, Charles K. French, Francisco Maran, Ella<br />
McKenzie, Fred Kelsey, Tom O'Brien, Harry Northrup.<br />
Date de sortie : 6 janvier 1929.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2137 m., 85 mn<br />
(à 22 i/s). Intertitres français. Noir et blanc.<br />
Broadway, la nuit. Coup de théâtre au<br />
« Woodford theater » / Sur scène, John Woodford<br />
est tombé raide, comme foudroyé. <strong>La</strong> police<br />
interroge : les propriétaires du théâtre, les<br />
frères Bunce, le metteur en scène, les acteurs<br />
Harvey Carlton et Doris Terry, enfin Mike<br />
Brody le régisseur. Whodunit ?. Et puis, où<br />
est donc passé le corps du mort ?! Trois ans<br />
plus tard, « la maison du mystère » rouvre<br />
ses portes. Tous les acteurs de la tragédie se<br />
retrouvent en ce lieu, plus un certain Mc-<br />
Hugh qui a loué la salle et décidé de faire rejouer<br />
la pièce par ses créateurs. Mais Woodford<br />
en personne (!) a envoyé aux Bunce un<br />
télégramme d'avertissement. Et en effet, les<br />
signes d'une présence surnaturelle, hostile à<br />
la représentation, se multiplient; les uns et<br />
les autres sont mis en danger, par un décor<br />
qui tombe, une trappe qui s'ouvre, une fumée<br />
étrange. Tout le monde a <strong>des</strong> visions, entend<br />
<strong>des</strong> bruits, <strong>des</strong> pas... Carlton disparaît puis<br />
reparaît, en piteux état. Les soupçons pèsent<br />
sur Doris, d'autant qu'on découvre un couloir<br />
secret reliant sa loge à celle du mort (-vivant<br />
?). Le soir de la première, au moment de<br />
la scène fatale, le décor soudain change et la<br />
police monte sur scène. Dans le coffre de l'horloge<br />
: un homme à l'étrange figure qui monte<br />
dans les cintres. On le maîtrise finalement et<br />
McHugh lui arrache son masque : Mike, le régisseur,<br />
qui accuse le frère cadet <strong>des</strong> Bunce de<br />
s'être débarrassé de Woodford pour faire couler<br />
le théâtre et racheter les actions à bas prix !<br />
Tout le reste, les mystères, les disparitions,<br />
n'était que de la mise en scène pour éloigner<br />
les curieux de la vérité. À Broadway, la frénésie<br />
continue.<br />
191
192 - ÉTATS-UNIS<br />
LE SPECTRE<br />
DU SPECTACLE PERMANENT<br />
Les néons de Broadway scintillant<br />
dans la nuit (The hast Warning/le Dernier<br />
Avertissement), une roulotte de forain dans<br />
un paysage de campagne (The Man Who<br />
<strong>La</strong>ughs I l'Homme qui rit), rares sont les extérieurs<br />
dans les deux derniers films de<br />
la trop brève carrière américaine de Paul<br />
Leni (1885-1929), commencée en 1927<br />
grâce au succès de Das Wachsfigurenkabinett<br />
(le Cabinet <strong>des</strong> figures de cire, 1924).<br />
Dans The <strong>La</strong>st Warning, un acteur meurt<br />
sur scène, pendant la représentation de la<br />
pièce le Piège. Un policier, en se faisant<br />
passer pour un metteur en scène, convoque<br />
les acteurs et le personnel pour les répétitions<br />
de la même pièce, convaincu,<br />
lors de la première, que le moment fatidique<br />
à l'acteur, d'être rejoué en présence<br />
de tous les protagonistes, dévoilera la vérité<br />
sur ce crime. A partir d'une intrigue<br />
associant policier et fantastique, à la manière<br />
<strong>des</strong> récits de John Dickson Carr (le<br />
cadavre disparaît, son fantôme lance <strong>des</strong><br />
avertissements pour que la pièce ne soit<br />
pas rejouée), le film est une réflexion sur<br />
le jeu. <strong>La</strong> vérité vient moins <strong>des</strong> coulisses<br />
(une machinerie dissimulée dans le horschamp)<br />
que d'un lent cheminement <strong>des</strong><br />
personnages vers une représentation au<br />
carré où les acteurs, à la perspective de<br />
doubler un moment de théâtre à l'identique,<br />
craignent d'être pris à leur propre<br />
piège. Moment de vérité où il s'agit de<br />
faire la lumière sur le crime (le candélabre<br />
fatal), à l'instant voulu : le corps dissimulé<br />
dans l'horloge. Le décor de théâtre<br />
de The <strong>La</strong>st Warning où se concentre toute<br />
l'action devient une réalité cinématographique.<br />
Si le décor fait peur, au point de<br />
devenir une figure animée, vivante, c'est<br />
au travail de la caméra, à ses cadres et à<br />
ses mouvements, qu'il doit ce sentiment<br />
d'inquiétude qu'il engendre. Le cinéma<br />
de Paul Leni est le maillon essentiel entre<br />
le fantastique <strong>des</strong> années vingt (l'expressionnisme<br />
allemand) et le fantastique<br />
hollywoodien du début du parlant : The<br />
Old Dark House de Whale par exemple,<br />
bien plus représentatif par son style, son<br />
utilisation de la caméra, que le statique et<br />
théâtral The Black Cat d'Ulmer. Dans The<br />
<strong>La</strong>st Warning, c'est l'ordinaire du théâtre<br />
qui provoque le malaise. Une caméra sur<br />
une plate-forme qui remonte au niveau<br />
de la scène donne le vertige, tandis qu'un<br />
brusque lâcher de rideau, tel un couperet<br />
de guillotine suscite, pour le spectateur,<br />
l'angoisse de sa disparition. Bien avant<br />
l'innovation technologique du steadycam<br />
et de la louma qui vont modifier le visage<br />
du fantastique <strong>des</strong> années quatre-vingt,<br />
aussi bien chez Argento que chez Carpenter<br />
(le travelling subjectif haletant de<br />
l'assassin qui rôde), Leni fait de la caméra<br />
la source et le lieu de l'émotion cinématographique,<br />
plus heureux lorsqu'il s'agit<br />
de déclencher la peur que le rire. Au lieu<br />
d'assigner à la caméra le point de vue du<br />
fantôme qui rôde, partout et nulle part, le<br />
cinéaste transforme chaque mouvement<br />
en chambre d'écho du rythme cardiaque<br />
du spectateur. Le travelling avant vers la<br />
foule au balcon lors de la mort de l'acteur<br />
sur scène, ajouté à celui vers la porte fermée<br />
de sa loge, traduisent cette accélération<br />
tout en l'incitant. Là se situe la virtuosité<br />
parfaitement maîtrisée de Paul<br />
Leni pour qui la direction de spectateur,<br />
au sens où Hitchcock l'entendait, est inséparable<br />
du travail concret de la caméra.<br />
Autant The <strong>La</strong>st Warning est un film<br />
sur la vampirisation <strong>des</strong> puissances occultes<br />
du théâtre par le biais de l'instrument<br />
cinématographique, autant The Man<br />
Who <strong>La</strong>ughs, superbe adaptation du roman<br />
de Victor Hugo, est un film sur le<br />
jeu, indépendamment du cinéma (le<br />
spectacle de foire) et à cause de lui : la mimique<br />
comme point limite d'expression<br />
pour l'acteur dans l'art du muet. Seul ce<br />
cinéma peut rendre compte de la tragédie<br />
de Gwynplaine, « l'homme qui rit »,<br />
condamné à se produire sur scène suite à<br />
une mutilation qui déforme son visage,<br />
fendu par une grimace de la bouche qui<br />
évoque un immense éclat de rire. Si le rictus<br />
déformant trahit dans le cinéma muet<br />
une émotion du personnage, au sens<br />
d'exprimer un sentiment, de le rendre visible,<br />
le film de Paul Leni rend caduque<br />
cette loi. <strong>La</strong> crispation qui afflige le visage<br />
de « l'homme qui rit » dénature la véritable<br />
émotion qu'il ressent, se révélant incapable<br />
d'incarner en surface une palette<br />
de sentiments au gré <strong>des</strong> situations. <strong>La</strong><br />
mimique prostrée, fossilisée dans une<br />
rhétorique on ne peut plus sommaire,<br />
support canonique de l'expressivité de<br />
l'acteur dans le cinéma muet, devient un<br />
art du masque, un injuste mensonge plaqué<br />
sur le visage de l'acteur au crédit du<br />
personnage, impuissant à véhiculer l'intériorité<br />
de l'être, empêchant cette vérité<br />
de comparaître. D'ailleurs, Conrad Veidt<br />
déclara à l'époque : « J'ai joué le rôle avec<br />
mes yeux. » On devine que la voix du personnage<br />
de Gwynplaine, inaudible, est<br />
aussi ce qui peut trahir une émotion authentique,<br />
contrepoint permanent au discours<br />
trompeur du visage. De même la<br />
Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer dénude<br />
le visage et halluciné la voix et sa respiration<br />
sous les palpitations de peau, de<br />
même, par l'art du masque, celui du<br />
théâtre grec, Paul Leni filme la présence<br />
vivante de la voix, suggère sa capacité à<br />
exprimer <strong>des</strong> sentiments, indépendamment<br />
d'un visage-rictus qu'elle rend obsolète,<br />
appelant une autre manière de<br />
jouer, au-delà d'un grotesque tendu à son<br />
point limite. Le rire permanent qui défigure<br />
Gwynplaine est le théâtre d'un art<br />
du jeu, son ultime spasme, que l'arrivée<br />
du parlant va anéantir.<br />
Gwynplaine, interprété par Conrad<br />
Veidt, est un personnage monstrueux<br />
sans que la difformité physique soit le<br />
sujet du film. Ce qui intéresse Leni, tout<br />
comme un peu plus tard Browning dans<br />
Freaks, est le regard <strong>des</strong> autres sur elle. Le<br />
calvaire du personnage, son drame, vient<br />
du fait que sa difformité fait de lui l'objet<br />
d'un spectacle permanent, auquel il lui<br />
est impossible d'échapper. Le moment<br />
où « l'homme qui rit » confie à Dea, la<br />
jeune femme aveugle qu'il aime, son intention<br />
de l'épouser tout en étant surpris<br />
en cachette par <strong>des</strong> enfants qui se moquent<br />
de lui au vu de son visage, fait du<br />
personnage l'équivalent d'un clown<br />
triste qui n'aurait plus la possibilité de se<br />
démaquiller. Autre vampirisation, celle<br />
du paraître scénique sans espoir de retour<br />
à l'être d'origine qu'il masque et finit<br />
par détruire, dans un monde où la frontière<br />
entre le personnage sur scène et<br />
l'homme dans la vie est définitivement<br />
ruinée. Idée relancée, dans une version<br />
plus optimiste, par ce moment superbe<br />
où la troupe, pour pallier l'absence de<br />
« l'homme qui rit » qu'on croit mort,<br />
mime le spectacle pour les oreilles de<br />
Dea, l'aveugle qui croit toujours à sa présence.<br />
Autour de Gwynplaine, il y a une figure<br />
paternelle bienveillante, Ursus (le<br />
formidable Cesare Gravina, acteur fétiche<br />
de Stroheim) et deux femmes. <strong>La</strong><br />
douce et angélique Dea (Mary Philbin),<br />
tout droit sortie du registre <strong>des</strong> soeurs<br />
Gish dans Orphans of the Storm/les Deux<br />
Orphelines, et l'inoubliable duchesse Josiane<br />
(Olga Baclanova), sommet d'érotisme<br />
à rendre jaloux le Stroheim de<br />
Queen Kelly. <strong>La</strong> scène du bain, le moment<br />
où elle ouvre son vêtement, aussitôt cachée<br />
par la cape de « l'homme qui rit », le<br />
désordre de la fête foraine (les mains <strong>des</strong><br />
hommes sur son corps, la jupe au vent sur<br />
un manège, sa façon de se déshabiller<br />
dans le carrosse) confirment cette hypothèse<br />
: le sens du spectacle, celui de la démesure<br />
visuelle (décors, foule, figurants)<br />
a souvent pour corollaire chez certains cinéastes<br />
(Stroheim, Intolérance de Griffith)<br />
la propension à dénuder les corps <strong>des</strong><br />
femmes. Pour beaucoup, Olga Baclanova<br />
(1899-1974) est l'actrice d'un dernier rôle,<br />
celui de Freaks où, en Cléopâtre, elle feint<br />
d'aimer le nain Hans pour lui soutirer de<br />
l'argent. Dans The Man Who <strong>La</strong>ughs, elle<br />
est attirée sexuellement par la monstruosité<br />
de Gwynplaine (ce rôle a-t-il influencé<br />
Browning pour lui attribuer celui<br />
de Freaks ?) et le moment où elle tente de<br />
1 embrasser, avec une maladresse évidente<br />
et visible en raison du manque de<br />
souplesse <strong>des</strong> lèvres de l'homme, dégage<br />
une force incroyable. De même la scène<br />
de leur rencontre au spectacle, subtil dispositif,<br />
entre la duchesse au fond et Dea,<br />
dissimulée derrière la toile de fond du<br />
décor et révélée à l'issue du spectacle.<br />
L'érotisme à distance entre Gwynplaine<br />
sur scène et la duchesse Josiane se fonde<br />
sur un échange de gestes complémentaires,<br />
entre elle qui dissimule ses yeux<br />
avec son masque et lui sa bouche avec sa<br />
cape. De l'œil à la bouche en passant par<br />
la main, le circuit du désir est mis en<br />
place. Tout spectaculaire que le film soit,<br />
de la manière la plus impressionnante,<br />
cette ivresse carnavalesque s'achève le<br />
plus souvent dans le spectacle d'une<br />
PAUL LENI - 193<br />
main. Celles du fantôme qui grattent<br />
dans The <strong>La</strong>st Warning, celles de l'aveugle<br />
dans The Man Who <strong>La</strong>ughs. Bouche de<br />
Gwynplaine qui, aussi démesurée soitelle,<br />
ne sera jamais assez grande pour répondre<br />
aux lèvres d'une femme. Ainsi le<br />
plan, en dernière instance, est-il une surface<br />
de pur toucher (la main et la surface<br />
du corps ou de la toile) ou une surface<br />
trouée : la bouche comme orifice, miroir<br />
déformant de l'envie toute puissante<br />
qu'elle inspire. C'est à partir de là que la<br />
spirale du carnavalesque puise sa véritable<br />
énergie pour nous entraîner dans<br />
son tourbillon incessant.<br />
Charles Tesson
194 - ÉTATS-UNIS<br />
THE LONE DEFENDER<br />
1930-Richard Thorpe<br />
Réal. : Richard Thorpe. Prod. : Mascot Pictures.<br />
Se. : William Burt, Ben Cohn. Dial. : William Burt,<br />
Ben Cohn. Dir. ph. : Ernest Miller. Mont. : Fred Baine.<br />
Enregistré sur « Disney Recording System ». Powers<br />
Cinephone, système sonore. Int. : Rin-Tin-Tin (Rinty),<br />
Walter Miller (Ramon), June Marlowe (Dolores<br />
Valdez), Joseph Swickard (Juan Valdez), Buzz Barton<br />
(Buzz), Lee Shumway (Amos Harkey), Julia Bejarano<br />
(« The duenna »), <strong>La</strong>fe McKee (le shérif Billings),<br />
Arthur Morrison (Limpy), Frank <strong>La</strong>nning (Burke),<br />
Robert Kortman Qenkins), Victor Metzetti (Red), Otto<br />
Metzetti (Butch), Bob Irwin, Arthur Metzeth, Billy<br />
McGowan. Chapitre un : « The Mystery of the<br />
Désert ». Chapitre deux : « The Fugitive ». Chapitre<br />
trois : « Jaws of Péril ». Chapitre quatre : « Trapped ».<br />
Chapitre cinq : « Circle of Death ». Chapitre six :<br />
« Surrounded by the <strong>La</strong>w ». Chapitre sept : « The<br />
Ghost Speaks ». Chapitre huit : « The Brink of<br />
Destruction ». Chapitre neuf : « The Avalanche ».<br />
Chapitre dix : « Fury of the Désert ». Chapitre onze :<br />
« Cornered ». Chapitre douze : « Vindicated ».<br />
Date de sortie : Distribué en 1930, le sériai The Lone<br />
Defender est ressorti en 1934 dans une version<br />
abrégée (un long métrage en six bobines).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 5222 m., 190 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
Amos Harkey, chef d'une bande de brigands<br />
patibulaires, un personnage ambigu<br />
qui dit s'appeler Ramon, un bandit de grand<br />
chemin connu comme le Cactus Kid... Tous<br />
tournent autour d'une jeune femme, Dolores<br />
Valdez, et de la montre de son père défunt qui<br />
contient, gravé dans son boîtier, un plan pour<br />
accéder à une mine d'or non déclarée. Entourée<br />
de vilains, sans cesse en passe d'être piétinée<br />
par une horde de chevaux sauvages, de<br />
brûler vive dans une maison en flammes ou<br />
de périr sous un éboulis de roches, Dolores<br />
fait face ', avec l'aide de l'actif Ramon qui se<br />
révèle un gentil, d'un jeune garçon nommé<br />
Buzz,. du vieux shérif et du fidèle Rinty, le<br />
chien de la famille. Sans cesse, la montre<br />
change de main, tous les murs ont <strong>des</strong> oreilles<br />
et les fenêtres <strong>des</strong> yeux. Les chevauchées succèdent<br />
aux poursuites, les coups de feu et les<br />
bagarres sont légion, <strong>des</strong> tempêtes de sable<br />
s'en mêlent, Rinty se démène et fait <strong>des</strong> miracles.<br />
Mille fois, la bonne cause semble perdue<br />
surtout quand, la mine découverte, Amos<br />
Harkey arrive le premier au bureau d'enregistrement.<br />
Mais Rinty démasque le meurtrier<br />
du vieux Valdez, un homme de main<br />
d'Harkey, lui-même se révélant le fameux<br />
Cactus Kid recherché par toutes les polices.<br />
« Ramon » peut enfin tomber le masque : il<br />
est un agent du département de la justice américaine<br />
et Buzz est son associé ! Dolores est<br />
contente, elle a récupéré sa mine.<br />
GALOPS D'ESSAI<br />
Richard Thorpe a trente quatre ans<br />
lorsqu'il tourne The Lone Defender, en<br />
1930. Il ne s'agit pourtant pas réellement<br />
d'une œuvre de jeunesse puisque le futur<br />
auteur d'Ivanhoe et de Night Must Fall a<br />
plus de soixante films à son actif, depuis<br />
ses débuts en 1924 !<br />
C'est donc un jeune vétéran de la série<br />
B, et notamment du western, qui met en<br />
scène ici son cinquième sériai pour Mascot<br />
Pictures. Thorpe vient déjà de signer<br />
Vultures of the Sea (1928), The Vanishing<br />
West (1928), The Fatal Warning (1929) et<br />
King of the Kongo (1929) dans lequel il dirigeait<br />
Walter Miller, son interprète de<br />
The Lone Defender.<br />
Thorpe affronte une succession de<br />
handicaps : le passage du muet au parlant,<br />
une distribution médiocre, la présence<br />
du chien Rin-Tin-Tin, alors âgé de<br />
quatorze ans - il mourra deux ans plus<br />
tard - et surtout le style même du sériai.<br />
Autant Republic Pictures parvint à la<br />
fin <strong>des</strong> années trente et dans les années<br />
quarante à donner au genre un certain<br />
style grâce à <strong>des</strong> cinéastes tels que William<br />
Witney ou John English et à la présence<br />
d'une équipe exceptionnelle de cascadeurs<br />
survoltés et plus téméraires les<br />
uns que les autres, autant les autres compagnies<br />
furent la plupart du temps victimes<br />
de cette construction factice qui accumulait<br />
les dangers pour mieux permettre<br />
au héros d'y échapper la semaine<br />
d'après.<br />
Dans la tradition du genre, The Lone<br />
Defender ajoute les fausses fins les unes aux<br />
autres, les principaux protagonistes étant<br />
menacés par tous les périls possibles, de<br />
toutes les chutes imaginables jusqu'à un<br />
invraisemblable produit <strong>des</strong>tiné d'ordinaire<br />
à éliminer les taupes et qui risque<br />
cette fois d'asphyxier nos héros.<br />
A peine le spectateur est-il persuadé<br />
d'avoir vu Rinty, Ramon ou Dolores dans<br />
<strong>des</strong> situations inextricables que l'épisode<br />
suivant lui révèle - bien avant Hitchcock<br />
et quelques autres - le pouvoir fallacieux<br />
que peut avoir l'image de cinéma. Il n'est<br />
pourtant pas question de s'interroger ici<br />
sur les rapports entre la vérité et les apparences<br />
et The Lone Defender est avant<br />
tout <strong>des</strong>tiné à mettre en valeur les<br />
prouesses - réelles - de Rin-Tin-Tin et de<br />
ses doublures et à démasquer à la fin du<br />
douzième épisode celui que l'on recherche<br />
sous le nom de The Cactus Kid.<br />
Au lieu de n'être qu'un sériai de série,<br />
bâclé par un habitué du genre, The Lone<br />
Defender bénéficie - comme King of the<br />
Wild réalisé par Thorpe la même année -<br />
de la conviction et de l'efficacité de son<br />
metteur en scène. Comme si Richard<br />
Thorpe avait fini par se prendre luimême<br />
au jeu, entremêlant les péripéties<br />
les plus insensées les unes aux autres,<br />
abandonnant provisoirement un personnage<br />
pour le retrouver quelques minutes<br />
plus tard et déjouant avec un certain plaisir<br />
le labyrinthe de l'intrigue. Que The<br />
Lone Defender ne possède pas le génie <strong>des</strong><br />
œuvres maîtresses de Thorpe est une évidence.<br />
C'est un film de compromis entre<br />
d'une part un genre aux conventions immuables<br />
et de l'autre un cinéaste qui, film<br />
après film, apprend son métier, passant<br />
du western au drame de mœurs, de<br />
l'aventure africaine à la comédie sophistiquée.<br />
Ce ne sera que cinq ans plus tard, en<br />
arrivant à la Metro-Goldwyn-Mayer et en<br />
réalisant aussitôt deux films aussi intéressants<br />
que Lflsf ofthe Pagans et The Voice<br />
ofBugle Ann, que Richard Thorpe pourra<br />
laisser éclater sa maîtrise et son talent. Bénéficiant<br />
alors de la meilleure équipe<br />
technique d'Hollywood, il saura devenir<br />
l'un <strong>des</strong> cinéastes les plus talentueux de<br />
la firme du lion.<br />
Pour l'heure, le chemin est encore long de The Lone Defender à Vengeance Valley<br />
(1951) , superbe western crépusculaire à redécouvrir, et jusqu'à The Prisoner ofZenda<br />
(1952) ou Ail the Brothers Were Valiant (1953), joyaux du cinéma d'aventures...<br />
Patrick Brion<br />
THE LONE DEFENDER-
196-ÉTATS-UNIS<br />
TALENT AUCTION<br />
1938 - Milton Schwarzwald<br />
MILTON SCHWARZWALD<br />
Réal. : Milton Schwarzwald. Prod. : Nu-Atlas<br />
Productions. Dir. ph. : <strong>La</strong>rry Williams.<br />
Dir. art. : William Saulter. Son : A. Dillinger.<br />
Mus. : Jack Schaindlin. Direction musicale : Josef<br />
Gershenson. Int. : Irène Beasely, the Merry Macs, The<br />
Five Reillys, Paul Robinson, Bobby Bernard.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 470 m., 17 mn. Version<br />
originale. Noir et blanc.<br />
Une vente aux enchères de numéros musicaux<br />
chantés ou dansés. Dans l'ordre déliassage<br />
: les Merry Macs, danseurs et chanteurs<br />
émérites, Paul Robinson et ses harmonicas de<br />
différentes tailles, une danseuse contorsionniste,<br />
les Five Reillys (trois garçons, deux<br />
filles), <strong>des</strong> chanteuses-danseuses de mambo.<br />
LA PETITE PARADE<br />
Ce court métrage est doté d'un script<br />
qu'il serait aventureux de qualifier d'ambitieux.<br />
L'histoire est en effet peu complexe<br />
: une vente aux enchères permet de<br />
montrer <strong>des</strong> numéros de music-hall, un<br />
enchérisseur étant supposé faire une offre<br />
pour acquérir le spectacle. Bref, c'est<br />
un sympathique fourre-tout.<br />
On y admire, avec une indulgence<br />
qu'il faut bien qualifier de coupable, une<br />
« brunette quatorze carats » entourée de<br />
trois « boys » justifiant assez laborieusement<br />
l'appellation de « chantants », un<br />
orchestre qui interprète un démarquage<br />
de Figer Rag en se levant toutes les quatre<br />
mesures ce qui, dans le cas d'un morceau<br />
ultra-rapide comme celui-là, fait davantage<br />
songer à la gymnastique suédoise<br />
qu'à Duke Ellington, un groupe de danseurs<br />
acrobatiques par ailleurs fort éloignés<br />
<strong>des</strong> prodiges du jitterbug et du lindy<br />
hop du Savoy de Harlem, et puis encore<br />
un octet apparemment enthousiaste de<br />
skiffle américano-tyrolien offrant en apothéose<br />
un solo de pipeau accompagné de<br />
percussions à la cuiller. À cet instant précis,<br />
le vertige nous prend ; non que le numéro<br />
soit ébouriffant, mais quatre plans<br />
au lieu de l'unique plan habituel créent<br />
une accélération presque insoutenable.<br />
Mentionnons encore ce joueur d'harmonicas<br />
qui, au sens littéral, exécute Figer<br />
Rag sur de multiples instruments qu'il<br />
sort successivement de son habit, ce qui<br />
l'empêche sans doute de swinguer autrement<br />
qu'un fer à souder, et cette danseuse<br />
au pelvis fantasmatique mêlant habilement<br />
la danse classique et la contorsion<br />
gymnique.<br />
Puis, c'est l'exotisme le plus déroutant<br />
avec deux duettistes mexicaines<br />
chantantes nous révélant que « leur sombrero<br />
est un ami », et un groupe à la Xavier<br />
Cugat, manifestement kitsch, mais<br />
indubitablement entraînant.<br />
Sans déflorer la chute de cette prenante<br />
histoire, il convient de signaler<br />
qu'aucune enchère ne permettra au spectacle<br />
d'être acheté.<br />
On s'étonne.<br />
Jean-Pierre Jackson<br />
FRED ASTAIRE<br />
SECOND CHORUS<br />
SWING ROMANCE<br />
1940-H.C. Porter<br />
Réal. : H.C. (Henry Codman) Potter.<br />
Prod. : Paramount Pictures {Boris Morros, Robert<br />
Stillman). Prod. ass. : Fred Astaire. Auteur : Frank<br />
Cavett, d'après son histoire originale. Se. : Elaine<br />
Ryan, lan McLellan Hunter, Johnny Mercer.<br />
Asst. réal. : Edward Montague. Dir. ph. : Theodor<br />
Sparkuhl. Son : William Wilmarth. Dir. art. : Boris<br />
Leven. Déc. : Howard Bristol. Cost. : Helen Taylor.<br />
Mont. : Jade Dennis. Mus. : Artie Shaw.<br />
Chansons : Johnny Mercer, Hal Borne, Bernard<br />
Hanighen, Artie Shaw. Chorégraphie : Hermès Pan.<br />
Fred Astaire est doublé à la trompette par Bobby<br />
Hackett et Burgess Meredith par Billy Butterfield.<br />
Int. : Fred Astaire (Danny O'Neill), Paulette Goddard<br />
(Ellen Miller), Artie Shaw (lui-même, avec son<br />
orchestre), Charles Butterworth (Mr. Chisolm), Burgess<br />
Meredith (Hank Taylor), Frank Melton (Stu), Jimmy<br />
Conlon (Mr. Dunn), Adia Kuznetzoff (Boris), Mickael<br />
Visarroff (Serga'i), Joseph Marievsky (Ivan).<br />
Date de sortie : 3 juin 1941,9 avril 1947 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2286 m., 84 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
Deux amis trompettistes, Danny O'Neill<br />
et Hank Taylor, en plus d'être rivaux sur<br />
scène, en pincent dans les coulisses pour Ellen<br />
Miller, leur jolie imprésario, qui se démène<br />
pour eux et décroche <strong>des</strong> contrats. Tant et si<br />
bien qu'à leur sortie de l'université le grand<br />
Artie Shaw en personne veut les entendre.<br />
Mais il n'écoute rien de la double prestation<br />
et c'est Ellen qu'il engage comme secrétaire.<br />
À New York, elle obtient de son patron une<br />
vraie audition pour ses deux amis. Mais plus<br />
que jamais en compétition, chacun sabote la<br />
chance de l'autre. Virés, ils survivent de leur<br />
art et continuent de tourner autour d'Ellen,<br />
au point défaire fuir le gentil monsieur Chisolm,<br />
accessoirement mécène du prochain<br />
concert d'Artie... Conscient de son erreur,<br />
Danny promet de tout arranger. Ce qu 'il fait,<br />
réussissant même, avec la complicité involontaire<br />
de Hank, à apparaître seul sur scène<br />
dans un numéro de chef d'orchestre dansant.<br />
Aux applaudissements du public, s'ajoutent<br />
ceux d'Ellen, conquise.<br />
HOLIDAY INN<br />
L'AMOUR CHANTE ET DANSE<br />
1942-Mark Sandrich<br />
Réal. : Mark Sandrich. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Mark Sandrich). Auteur : Irving Berlin. Adapt. : Elmer<br />
Rice. Se. : Claude Binyon. Dir. ph. : David Abel,<br />
A.S.C. Son : Earl Hayman, John Cope. Dir. art. : Hans<br />
Dreier, Roland Anderson. Cost. : Edith Head.<br />
Maq. : Wally Westmore. Mont. : Ellsworth Hoagland.<br />
Paroles et musiques : Irving Berlin.<br />
Direction musicale : Robert Emmett Dolan.<br />
Assistant musique : Arthur Franklin.<br />
Arrangements vocaux : Joseph Lilley.<br />
Arrangements spéciaux : Bob Crosby's Band.<br />
Chorégraphie : Danny Dare. Voix chantée de<br />
Marjorie Reynolds : Martha Mears. Int. : Bing Crosby<br />
(Jim Hardy), Fred Astaire (Ted Hanover), Marjorie<br />
Reynolds (Linda Mason), Virginia Dale (Lila Dixon),<br />
Walter Abel (Danny Reed), Louise Beavers (Mamie),<br />
Irving Bacon (Gus), Marek Windheim (François),<br />
James Bell (Dunbar), John Gallaudet (Parker), Shelby<br />
Bacon (Vanderbilt), Joan Arnold (Daphne), Léon<br />
Belasco (le propriétaire du magasin de fleurs), Harry<br />
Barris (le chef d'orchestre), Judith Gibson (la fille aux<br />
cigarettes), Katharine Booth (la fille du vestiaire).<br />
Date de sortie : 17 juin 1942, 7 mai 1947 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2749 m., 100 mn.<br />
Version originale sous titrée en français. Noir et blanc.<br />
New York, un 24 décembre. Trois artistes,<br />
Jim, Ted, Lila, chantent et dansent ensemble<br />
dans un club. Fatigué d'une vie itinérante,<br />
rêvant de vraies vacances, Jim a décidé<br />
d'épouser Lila et de devenir fermier. <strong>La</strong> jeune<br />
femme, loin dépenser àsa retraite, veut continuer<br />
à danser avec Ted. Aussi part-il seul<br />
dans le Connecticut. Un an s'écoule durant<br />
lequel Jim découvre les joies et surtout les<br />
peines du travail à la campagne. Il a alors<br />
197<br />
l'idée de convertir sa ferme en auberge, l'Holiday<br />
Inn, ouverte seulement les jours de fêtes<br />
nationales. Il sonne le rappel de ses amis -<br />
sans succès - et demande à Danny, son exmanager,<br />
de lui envoyer <strong>des</strong> vedettes. Pour se<br />
débarrasser de Linda, une vendeuse de fleurs<br />
désireuse de brûler les planches, celui-ci lui<br />
donne l'adresse de l'Holiday Inn. Or, Jim lui<br />
trouve du talent (du charme aussi) et l'engage.<br />
L'auberge ouvre le 31 décembre. Au même<br />
moment, Lila part au Texas épouser un<br />
millionnaire et Ted, complètement ivre, file<br />
dans le Connecticut. À l'auberge, il danse à<br />
merveille avec Linda mais le lendemain il est<br />
incapable de se souvenir de son visage. Accompagné<br />
de Danny, il revient à chaque ouverturepour<br />
retrouver sapartenaire d'un soir<br />
tandis que Jim s'ingénie à la leur cacher. Les<br />
spectacles suivent le calendrier : les anniversaires<br />
de Lincoln et de Washington, la Saint-<br />
Valentin, le jour de l'Indépendance, Thanksgiving...<br />
Ted et son manager ont finalement<br />
identifiéla danseuse mystère. Furieuse contre<br />
Jim de son manque de confiance en elle, Linda<br />
part pour Hollywood tourner un film avec<br />
Ted intitulé... Holiday Inn. Jim reste seul<br />
avec ses souvenirs et ses regrets. Mais il apprend<br />
que le couple à l'écran va le devenir<br />
aussi à la ville. <strong>La</strong> veille du mariage qui est<br />
aussi le soir de Noël, il déboule sur le plateau<br />
de tournage et ramène Linda en Nouvelle-Angleterre.<br />
Le 31, l'auberge rouvre avec Ted en<br />
invité d'honneur. Lila est revenue pour danser<br />
avec lui et, sur la scène, les couples se forment<br />
enfin.<br />
ASTAIRE EN DEUX TEMPS<br />
(ET TROIS MOUVEMENTS)<br />
A la veille de la guerre, la comédie<br />
musicale traverse une crise, où il y va de<br />
sa définition même. Les studios qui<br />
avaient le mieux contribué à l'organisation<br />
de ses formules de base, MGM, RKO,<br />
Warner, semblent s'en désintéresser et<br />
n'y remportent aucun succès décisif. Difficultés<br />
financières ? Hésitation devant la<br />
couleur ? Diminution de la production ?
198- ÉTATS-UNIS<br />
Ces causes sont occasionnelles. Le péril<br />
touche le rapport fragile entre l'élément<br />
spectaculaire et le déroulement dramatique<br />
qui le supporte. Fabriqués à la hâte<br />
par Fox ou Universal, de multiples ouvrages<br />
à bon marché prennent prétexte<br />
de la vie étudiante ou <strong>des</strong> émissions de<br />
radio pour aligner <strong>des</strong> numéros parfois<br />
médiocres, sans songer à les justifier dans<br />
l'intrigue ou la thématique de l'œuvre. Le<br />
principe de l'énumération brillante, qui<br />
est le propre de la revue, se trouve ainsi<br />
maladroitement confondu avec celui <strong>des</strong><br />
ingénieuses imbrications du musical et<br />
du narratif, dont les films d'Astaire et<br />
Rogers avaient établi le type. Une inflation<br />
caricaturale dévalue le modèle, une<br />
légion de vedettes bizarres, patineuse ou<br />
enfants prodiges, menace de ravaler le talent<br />
du danseur au rang de l'épate.<br />
Entre sa période RKO et sa période<br />
MGM, la carrière d'Astaire connut donc<br />
quelques incertitu<strong>des</strong>. Second Chorus (Swing<br />
Romance) n'en témoigne que trop. Le film<br />
emprunte aux banales bluettes <strong>des</strong> campus.<br />
L'acteur y renoue avec l'emploi comique<br />
qui lui avait valu, vingt ans plus<br />
tôt, tant de succès à la scène : c'est au prix<br />
du romanesque que comportaient ses<br />
duos avec Ginger Rogers. Il n'a guère que<br />
deux occasions de manifester son génie<br />
de danseur. Dig It, où il entraîne Paulette<br />
Goddard, gracieuse, hésitante, à la délicatesse<br />
d'un amour commençant : l'entrelacs<br />
<strong>des</strong> paroles et du chant, puis de la<br />
danse, l'orchestre passant au second plan<br />
pour laisser place au pas de deux, les<br />
gestes simples et un peu vagues, le va-etvient<br />
latéral de la caméra qui élargit l'espace.<br />
Un style timide mais frais. C'est<br />
aussi une jolie invention, dans une autre<br />
scène, que d'avoir permis à Astaire de<br />
chanter en coulisses pour le seul bénéfice<br />
de Paulette Goddard, mais sur la mélodie<br />
qu'interprètent les musiciens d'Artie<br />
Shaw dans la salle, musiciens aperçus<br />
derrière la vitre d'une porte battante. En<br />
revanche, même quand Astaire au finale<br />
conduit l'orchestre en dansant, le réalisateur<br />
n'a pas su épouser le bel ordre mé-<br />
canique de cette formation, qui est la véritable<br />
vedette.<br />
Astaire, qui a toujours défendu le film<br />
malgré son insuccès, disait avoir été attiré<br />
par son aspect « jazz » ; mais lorsque<br />
son personnage fait <strong>des</strong> couacs, ses fautes<br />
évoquent les « notes chinoises » de Dizzy<br />
Gillespie. L'ouvrage se <strong>des</strong>tinait au jeune<br />
public, avide de voir les orchestres qu'il<br />
entendait à la radio : cela explique la<br />
scène comique la mieux venue, où Astaire,<br />
étudiant attardé, se réjouit de son<br />
échec à l'examen qui l'assure de demeurer<br />
trompettiste à l'université. Somme<br />
toute, les longueurs de la comédie font regretter<br />
qu'un numéro où Hermès Pan<br />
dansait en fantôme avec Astaire n'ait pas<br />
été retenu dans le montage définitif.<br />
Si Second Chorus menaçait d'engloutir<br />
Astaire dans le tout-venant du musical<br />
plébéien, la vigueur de sa construction,<br />
l'élégance de sa réalisation, les treize chansons<br />
d'Irving Berlin, la richesse du sujet<br />
font de Holiday Inn (L'amour chante et danse)<br />
une comédie musicale brillante ; il n'y<br />
manque qu'une chorégraphie plus inventive.<br />
<strong>La</strong> présence de Bing Crosby, dont le<br />
danseur n'est ici que le faire-valoir, autorisait<br />
un budget important ; elle n'était pas<br />
sans danger pour Astaire, comme l'a noté<br />
Yann Tobin (Positif, n° 295), mais celle de<br />
Mark Sandrich pouvait le rassurer.<br />
Or, l'opposition entre Crosby et Astaire,<br />
que traduit leur rivalité sentimentale,<br />
s'avère fructueuse. Elle figure l'antagonisme<br />
du chant et de la danse, et aussi<br />
l'antithèse entre loisir campagnard et activité<br />
débordante ; donc, la contradiction<br />
entre ces valeurs capitales du musical que<br />
sont le dynamisme et la nonchalance. Reprise<br />
à l'épilogue, la chanson initiale<br />
apaise les conflits qu'elle avait posés en inversant<br />
les rôles entre danseur et chanteur,<br />
rivaux en amour sur scène comme<br />
dans la vie. Le rapport entre l'élément musical<br />
et le récit qu'il interrompt fait donc<br />
l'objet d'un traitement global et réfléchi.<br />
Berlin souhaitait célébrer les fêtes du<br />
calendrier par autant de chansons. Cette<br />
structure est établie par une séquence de<br />
montage, que Crosby accompagne en<br />
voix off (<strong>La</strong>zy), tandis que son personnage<br />
subit au fil <strong>des</strong> mois les avanies de<br />
la vie paysanne. Un ou deux numéros<br />
illustreront les jours fériés, avec régularité.<br />
Voilà une temporalité cyclique :<br />
l'histoire commence à Noël et se termine,<br />
deux années plus tard, au Nouvel An.<br />
Le film confronte aussi temps naturel<br />
et temps historique. À la chanson-calendrier<br />
répond, autre séquence de montage,<br />
l'évocation de l'armée américaine', avec<br />
Song ofPreedom : au fond de la scène; <strong>des</strong>troyers<br />
et bombardiers défilent sur un<br />
écran, contrepoint paradoxal à la voix<br />
suave de Crosby. Aux travellings enchaînés<br />
qui suivent la promenade champêtre<br />
(Easter Parade) s'oppose le découpage<br />
d'Abraham où, dans un bel espace unanimiste,<br />
la scène s'accroit du proscenium,<br />
de la salle, de la cuisine, les contrechamps<br />
entrant dans le jeu. L'illustration <strong>des</strong> saisons<br />
alterne avec celle <strong>des</strong> héros américains,<br />
Lincoln ou Roosevelt, l'anniversaire<br />
de Washington ne donnant lieu qu'à<br />
une parodie sur un rythme qui croise menuet<br />
etjitterbug de façon que le heurt <strong>des</strong><br />
tempos résume le conflit <strong>des</strong> temporalités.<br />
Mais ces dernières finissent par s'harmoniser<br />
dans la composition d'ensemble.<br />
<strong>La</strong> mise en scène souligne la variété <strong>des</strong><br />
numéros musicaux et de leurs fonctions.<br />
Spectacle, répétition, expression spontanée<br />
: que d'ingénieux mélanges ! Un traitement<br />
raffiné de l'espace en accentue le<br />
relief. Quand Crosby chante White Christmas<br />
à sa belle, Sandrich insère une prise<br />
oblique parmi les plans de face, afin de<br />
nimber ces deux visages dans un halo, expression<br />
de l'élément magique que suscite<br />
la musique. Pour Holiday Inn, la chanson,<br />
à mi-chemin entre le théâtre et la vie, il<br />
filme en premier plan une frise continue<br />
de silhouettes à contre-jour : ces spectateurs<br />
sont les clients de l'auberge, derrière<br />
lesquels le maître de maison et sa compagne<br />
s'affairent en chantant. Dans la cohue<br />
<strong>des</strong> figurants, les couples égarent<br />
notre perception, lorsque Astaire, ivre,<br />
danse avec Marjorie Reynolds, se donnant<br />
involontairement en spectacle (dans ses<br />
Mémoires, il déclare avoir bu quelques<br />
whiskies pour se préparer à cette séquence,<br />
d'une chorégraphie décevante).<br />
Be Careful, It's My Heart, incluant et excluant<br />
tour à tour Crosby au piano, livre<br />
toute la piste, merveilleuse étendue, au<br />
seul couple <strong>des</strong> danseurs, saisi par <strong>des</strong><br />
mouvements planants, libéré par un élargissement<br />
soudain du champ, jusqu'au<br />
moment cruel où Astaire déchire un cœur<br />
de papier qui enfermait sa silhouette : une<br />
répétition de chant dirigée par Crosby s'est<br />
ainsi vue transformée en expression vive<br />
et spontanée de l'amour, le danseur enlevant<br />
la chanteuse dans son élan inattendu.<br />
Le meilleur numéro reste pourtant celui<br />
du 4 juillet, où le virtuose, sur scène, accompagne<br />
sa danse du fracas <strong>des</strong> pétards<br />
qui figurent successivement les effets, les<br />
causes, le soutien rythmique de ses gestes.<br />
Après une dernière séquence de montage,<br />
pastiche et synthèse <strong>des</strong> Astaire-Rogers,<br />
une reprise de White Christmas, lors<br />
d'un tournage à Hollywood, réunit enfin<br />
les deux amants, dans un décor identique<br />
à « l'authentique » Holiday Inn : la vraie<br />
caméra joue à cache-cache avec l'appareil<br />
fictif du plateau et avec l'amoureux mi-<br />
raculeusement réapparu, pour souligner<br />
ce que ce bonheur doit au cinéma. Cette<br />
mise en abîme est si exacte qu'elle semble<br />
englober tout le film et que le finale flotte<br />
hors de l'histoire.<br />
Etonnante parade de formes, Holiday<br />
Inn, film hivernal où le blanc <strong>des</strong> décors<br />
se marie à la neige, « prépare en secret le<br />
printemps » du musical ; oubliant Second<br />
Chorus, on songe déjà à certaines réussites<br />
de la MGM : Easter Parade (la Parade du<br />
printemps, Charles Walters, 1948), The<br />
Barkleys of Broadway (Entrons dans la danse,<br />
encore Walters, 1949). Le film de Sandrich<br />
est pourtant daté : tout en soutenant<br />
le moral de l'Amérique en guerre, il<br />
se souvient d'un aimable passé. <strong>La</strong> citation<br />
qu'en fait Marcel Ophuls dans<br />
Veille'es d'armes (1994) est donc aussi bien<br />
venue que malicieuse.<br />
Alain Masson<br />
FRED ASTAIRE-199<br />
Second Chorus,<br />
Paulette Goddard,<br />
Fred Astaire.
200-ÉTATS-UNIS<br />
Two Years Before the<br />
Mast, Alan <strong>La</strong>dd.<br />
NAUMACHIE<br />
RULERS OF THE SEA<br />
LES MAÎTRES DE LA MER<br />
1939-Frank Lloyd<br />
Réal. : Frank Lloyd. Prod. : Paramount Pictures (Frank<br />
Lloyd). Prod. ass. : Lou Smith. Auteurs et se. : Talbot<br />
Jennings, Frank Cavett, Richard Collins.<br />
Asst. réal. : William Tummel. Dir. ph. : Theodor<br />
Sparkuhl, A.S.C. Effets spéciaux : Cordon jennings,<br />
A.S.C. Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />
Photographie en mer : Archie Stout. Son : Harold<br />
Lewis, Walter Oberst. Dir. art. : Hans Dreier, John<br />
Goodman. Déc. : A. E. Freudeman. Mont. : Paul<br />
Weatherwax. Mus. : Richard Hageman. Int. : Douglas<br />
Fairbanks, Jr.* (David Gillespie), Margaret Lockwood*<br />
(Mary Shaw), Will Fyffe* (John Shaw), George<br />
Bancroft (le capitaine Oliver), Montague Love<br />
(Malcolm Grant), Vaughan Glaser (Junius Smith),<br />
David Torrence (Donald Fenton), Lester Matthews (le<br />
lieutenant Roberts), Alec Craig (le contremaître),<br />
Barlowe Borland (le magistrat), Wilson Benge<br />
(Campbell), Harry Allen (Murdock), Barry Macollum<br />
(Miller), Denis d'Aubrun (Premier officier Lewis),<br />
David Clyde (Evans), Charles McAvoy (O'Brien), Alan<br />
<strong>La</strong>dd (Colin Farrell), <strong>La</strong>wrence Grant (Mr. Negley),<br />
John Power, William Haade, Mike Driscoll, Mary<br />
Gordon, Lionel Pape. * « By arrangement with<br />
Gainsborough Pictures (1928) Limited ». Le film est<br />
dédié à la marine marchande dans le monde et à ses<br />
pionniers dont la fiction est inspirée.<br />
Date de sortie : 17 novembre 1939.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2640 m., 96 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
Au XIX' siècle en Ecosse. David Gillespie,<br />
second à bord du schooner le Falcon, démissionne<br />
à l'arrivée pour protester contre<br />
l'attitude du capitaine Oliver, obsédé par le<br />
record de traversée au détriment de la sécu-<br />
rité <strong>des</strong> hommes. Mais peu importe à l'armateur<br />
la mort de deux marins tant que le profit<br />
est là, et la vitesse <strong>des</strong> vents est la condition<br />
du profit. David, désœuvré, rencontre<br />
dans une taverne John Shaw, un <strong>des</strong> ingénieurs<br />
du Dog Star, le bateau à vapeur qui vient d'être<br />
inauguré dans le port. John convainc David<br />
que le monde est entré dans une ère nouvelle.<br />
Sous le regard inquiet de Mary, la fille de<br />
Shaw, ils construisent alors le modèle réduit<br />
d'un moteur révolutionnaire. Les financiers<br />
ne se pressant pas à la porte, David emporte<br />
les plans à Londres... où il manque mourir de<br />
faim quand, enfin, un homme d'affaires s'intéresse<br />
au projet. David fait venir le père et la<br />
fille et dans l'enthousiasme, les deux associés<br />
construisent leur navire. Mais une nuit, par<br />
la faute de John qui a trop bu, le hangar brûle<br />
et la concurrence qui pointe son nez ne laisse<br />
pas le temps de recommencer. De retour en<br />
Ecosse, David a l'idée défaire la traversée de<br />
l'Atlantique avec le Dog Star, moyennant<br />
quelques améliorations au moteur. Le28 mars<br />
1838, le navire appareille avec à son bord<br />
David, John et... Mary. <strong>La</strong> réussite est menacée<br />
par le manque de charbon et le Falcon qui<br />
les talonne. Une avarie blesse grièvement<br />
John et freine la marche en avant. Le Falcon<br />
les rattrape. In extremis, David empêche une<br />
mutinerie et répare. Le Dog Star repasse devant<br />
et arrive en tête à New York. John bénit<br />
l'union de David et Mary et meurt, heureux<br />
d'avoir réalisé son rêve.<br />
TWO YEARS BEFORE THE MAST<br />
RÉVOLTE À BORD<br />
1946 - John Farrow<br />
Réal. : John Farrow. Prod. : Paramount Pictures (Seton<br />
I. Miller). Auteur : Richard Henry Dana, Jr., d'après<br />
son récit. Se. : Seton I. Miller, George Bruce.<br />
Asst. réal. : Joseph C. Youngerman. Dir. ph. : Ernest<br />
<strong>La</strong>szlo, ASC. Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC,<br />
Dev Jennings, ASC. Effets photographiques : Farciot<br />
Edouart, ASC. Son : Earl Hayman, Walter Oberst.<br />
Dir. art. : Hans Dreier, Franz Bachelin. Déc. : Bertram<br />
Granger. Cost. : Dorothy O'Hara. Maq. : Wally<br />
Westmore. Mont. : Eda Warren. Mus. : Victor Young.<br />
Conseiller technique : Capitaine Fred F. El lis BMM<br />
201<br />
(ret.). Int. : Alan <strong>La</strong>dd (Charles Stewart), Brian Donlevy<br />
(Richard Henry Dana), William Bendix (Amazeen),<br />
Barry Fitzgerald (Dooley), Howard da Silva (le<br />
capitaine Thompson), Esther Fernandez (Maria<br />
Dominguez), Albert Dekker (Brown), Luis Van Rooten<br />
(Foster), Darryl Hickman (Sam Hooper), Roman<br />
Bohnen (Macklin), Ray Collins (Mr. Stewart),<br />
Théodore Newton (Hayes), Tom Powers (Bellamer),<br />
James Burke (Carrick), Frank Faylen (Hansen), Duncan<br />
Renaldo, Kathleen Lockhart, Rosa Rey, Pedro de<br />
Cordoba. Le film est dédié aux hommes de la marine<br />
marchande ayant servi leur pays en temps de paix<br />
comme en temps de guerre. Date de sortie : 28 août<br />
1946, 24 septembre 1947 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2670 m., 98 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
En 1834, le navire marchand le Pilgrim,<br />
venu de Californie en cent trente jours seulement,<br />
entre dans le port de Boston. Monsieur<br />
Stewart, l'armateur, se frotte les mains. Et peu<br />
importe que le terrible capitaine Thompson,<br />
aidé de son second Amazeen et de Foster, un<br />
marin sadique, ait fait régner la terreur pendant<br />
la traversée. Le brick repartira dès qu'un<br />
nouvel équipage aura été recruté. Or, le propre<br />
fils de l'armateur, Charles, un fêtard qui<br />
s'encanaille dans les tavernes du port, est assommé<br />
et embarqué de force comme tous les<br />
autres. Seul un nommé Richard Dana se porte<br />
volontaire. Commence un voyage qui durera<br />
presque deux ans. Deux ans de malheur. Dans<br />
son journal de bord, Dana, en fait le frère d'un<br />
marin mort récemment sur le Pilgrim, note la<br />
malnutrition, les corvées, les mises aux fers,<br />
compte les coups de fouet et les morts, toute<br />
une vie de galériens à peine égayée par la présence<br />
incongrue d'une femme très vite amoureuse<br />
de Charles. Thompson ayant interdit de<br />
faire escale, les provisions s'épuisent et le scorbut<br />
fait <strong>des</strong> ravages. Le petit Sam Hooper, le<br />
plus jeune de tous, manque d'y passer. Brown,<br />
un marin, tue Foster sous les yeux d'Amazeen<br />
qui ne ledénoncepas. Charles se mutine. Maîtrisé,<br />
il risque la pendaison à l'arrivée. Dans<br />
la nuit, Dana et les autres tentent de quitter<br />
le navire. Le capitaine abat Amazeen qui avait<br />
plongé pour les rejoindre. Brown et Thompson<br />
s'entretuent. Dana et Charles persuadent
202 - ÉTATS-UNIS<br />
les mutins de ramener le bateau à Boston.<br />
Dana publie son journal. Lors du procès, ils<br />
ont gain de cause et une loi du gouvernement<br />
fonde les droits <strong>des</strong> marins de la marine marchande<br />
d'Amérique.<br />
LA MÉMOIRE DE L'EAU<br />
Sept ans séparent Rulers ofthe Sea I les<br />
Maîtres de la mer de Frank Lloyd (1939) de<br />
Two Years Before the Mast I Révolte à bord<br />
de John Farrow (1946). Sept ans qui ont<br />
suffi, sans doute, à dévier vraisemblablement<br />
de façon inconsciente le regard de<br />
ces deux films guidés pourtant par un<br />
projet a priori identique. L'intérêt <strong>des</strong> œuvres<br />
réalisées par <strong>des</strong> cinéastes moyens<br />
est souvent que l'on y distingue l'idéologie<br />
à l'état chimiquement pur, débarrassée<br />
<strong>des</strong> scories de l'art et <strong>des</strong> doutes qui<br />
sont la marque <strong>des</strong> grands auteurs. L'objectif<br />
symbolique contenu dans le scénario<br />
<strong>des</strong> deux films est le même : comment<br />
concilier l'exigence d'un progrès technique<br />
favorisant l'expansion maximum<br />
de la productivité avec le respect <strong>des</strong><br />
droits <strong>des</strong> individus ? L'humanisme hollywoodien<br />
fonctionne ici à plein régime<br />
et dévoile sa nature profonde : exalter<br />
l'homme pour favoriser la reproduction<br />
docile de la force de travail. Rulers of the<br />
Sea et Two Years Before the Mast sont <strong>des</strong><br />
o<strong>des</strong> à la gloire de la marine marchande<br />
au XIX e siècle, soit l'apologie de l'outil<br />
principal de l'impérialisme commercial<br />
de l'Amérique. Ici, la quête de l'espace<br />
doit s'appuyer sur la maîtrise de la vitesse.<br />
Le scénario de Rulers of the Sea s'emploie<br />
ainsi à démontrer la supériorité de<br />
la propulsion à la vapeur sur celle <strong>des</strong> bateaux<br />
à voile. Elle est associée au progrès<br />
<strong>des</strong> conditions de travail qui sont, bien<br />
entendu, épouvantables à l'intérieur <strong>des</strong><br />
navires fonctionnant seulement à la vitesse<br />
du vent. Les aléas de l'énergie éolienne<br />
imposeraient, en effet, une surexploitation<br />
du travail humain qui se traduit<br />
par la mort de deux marins au début<br />
du film. Réalisé par un cinéaste hollywoodien<br />
surestimé qui a longtemps<br />
traîné la réputation d'être un spécialiste<br />
de l'aventure maritime (The Sea Hawk, The<br />
Eagle ofthe Sea, Mutiny on the Bounty), le<br />
film relève d'une tradition épique très<br />
forte dans le cinéma américain <strong>des</strong> années<br />
trente. Two Years Before the Mast de<br />
John Farrow est l'adaptation d'un livre<br />
écrit par Richard Henry Dana. Un <strong>des</strong><br />
personnages du film incarne d'ailleurs le<br />
romancier, journaliste inscrit dans l'équipage<br />
d'un navire marchand afin de témoigner<br />
<strong>des</strong> mauvais traitements dont<br />
sont victimes les marins. Une mutinerie<br />
suivie d'un procès fonderont, ainsi que<br />
l'annonce un carton à la fin du film, une<br />
réglementation sociale, un code du droit<br />
<strong>des</strong> marins de la marine marchande. Le<br />
film de Farrow pourtant se distingue in-<br />
discutablement du film de Frank Lloyd.<br />
Le filmage y <strong>des</strong>sine un rapport différent<br />
à la technique. Lorsque les mouvements<br />
de caméra survolent l'imposant décor<br />
constitué par le navire marchand, ils en<br />
soulignent une certaine monumentalité<br />
terrifiante. <strong>La</strong> machine ici devient ontologiquement<br />
extérieure à l'homme, écrasante.<br />
Uniquement soulignée par les parti<br />
pris de mise en scène, une telle dimension<br />
singularise le film et en tempère inconsciemment<br />
la vision triomphaliste.<br />
Two Years Before the Mast peut être vu<br />
comme un symptôme, sans doute involontaire<br />
du changement de regard, conséquence<br />
<strong>des</strong> catastrophes majeures du siècle<br />
qui ont induit un rapport nouveau<br />
entre l'homme et la rationalité technique.<br />
Jean-François Rauger<br />
THIS GUN FOR HIRE<br />
TUEUR À GAGES<br />
1942-Frank Tuttle<br />
Réal. : Frank Tuttle. Prod. : Paramount Pictures.<br />
Prod. ass. : Richard Blumenthal. Auteur : Graham<br />
Greene, d'après son roman A Gun for Sale.<br />
Se. : Albert Maltz, William Riley Burnett.<br />
Dir. ph. : John Seitz, ASC. Effets spéciaux : William<br />
Pereira, Gordon Jennings, ASC, Farciot Edouart, ASC.<br />
Son : Phillip Wisdom, John Cope. Dir. art. : Hans<br />
Dreier, Robert Usher. « Miss <strong>La</strong>ke's Gowns » : Edith<br />
Head. Maq. : Wally Westmore. Mont. : Archie<br />
Marshek. Mus. : David Buttolph. Chansons : Frank<br />
Loesser (paroles), Jacques Press (musique). Voix<br />
chantée de Veronica <strong>La</strong>ke : Martha Mears.<br />
Int. : Veronica <strong>La</strong>ke (Ellen Graham), Robert Preston<br />
(Michael Crâne), <strong>La</strong>ird Cregar (Willard Gates), Tully<br />
Marshall (Alvin Brewster), Marc <strong>La</strong>wrence (Tommy),<br />
Olin Howlin (Blair Fletcher), Roger Imhof (le sénateur<br />
Burnett), Pamela Blake (Annie), Alan <strong>La</strong>dd (Philip<br />
Raven), Frank Ferguson (Albert Baker), Victor Kilian<br />
(Drew), Patricia Farr (Ruby), Harry Shannon (Steve<br />
Finnerty), Charles C. Wilson (le capitaine de police),<br />
Mikhail Rasumny (Slukey), Bernadene Hayes (la<br />
secrétaire d'Albert Baker), Mary Davenport (la<br />
vendeuse), Chester Clute (le gérant de la maison de<br />
rapport), Charles Arnt (le couturier), Earle Dewey (Mr.<br />
Collins), Clem Bevans (le rémouleur), Lynda Grey (la<br />
secrétaire de Gates), Virita Campbell (la petite fille),<br />
lames Farley, Emmett Vogan, Virginia Farmer, Harry<br />
Hayden, Tim Ryan, Yvonne De Carlo.<br />
Date de sortie : 18 mai 1942, 15 janvier 1947 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2211 m., 81 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
San Francisco. Un tueur. Signes particuliers<br />
: violent, pas bavard, une malformation<br />
au poignet, n'aime que les chats, prend plaisir<br />
à tuer. Pour l'heure, il abat un maître chanteur<br />
et sa « secrétaire », emporte une formule<br />
secrète. Dans l'escalier, il épargne une enfant<br />
infirme. Raven, c'est son nom, donne la formule<br />
à un intermédiaire, Willard Gates, et<br />
touche son argent. Ellen Graham, chanteuse<br />
et illusionniste, est engagée par le même Gates<br />
pour se produire dans son Neptune Club à<br />
Los Angeles. En fait, elle est pilotée par le sénateur<br />
Burnett pour remonter jusqu'au patron<br />
de Gates, un agent de l'étranger. Raven<br />
découvre qu'il a étépayéavec <strong>des</strong> billets volés<br />
dont les numéros ont été donnés à la police<br />
par... Gates. Traqué, il échappe habilement au<br />
lieutenant Crâne, le flic chargéde l'affaire, par<br />
ailleurs fiancé d'Ellen. Dans le train pour Los<br />
Angeles, celle-ci voyage par hasard avec Raven<br />
qui l'utilise à l'arrivée pour échapper aux<br />
policiers. Elle parvient à filer au moment où<br />
il va la liquider. À Los Angeles aussi, Gates<br />
se rend auprès de Brewster, le patron de la<br />
Nitro Chimical Corporation, un vieillard paralysé<br />
et tyrannique. Persuadé qu'Ellen est<br />
liée au tueur qui veut sa peau, Gates l'attire<br />
un soir chez lui et la laisse aux mains de son<br />
sadique serviteur. Raven la libère mais, au<br />
club, ils tombent sur Crâne. Course-poursuite.<br />
<strong>La</strong> jeune femme sème <strong>des</strong> cartes à jouer<br />
sur son chemin. Us se planquent dans une<br />
usine h gaz. Pendant la nuit, le tueur raconte<br />
son histoire; ils sont bien sur la même affaire,<br />
pas pour les mêmes raisons. Il raconte aussi<br />
son dark past, un souvenir d'enfance traumatisant.<br />
Au matin, il s'enfuit en promettant<br />
de lui livrer toute la clique. Il parvient jusqu'au<br />
bureau du vieux et le force à signer une<br />
confession. <strong>La</strong> police cerne le lieu. Brewster<br />
meurt d'une attaque, Raven tue Gates, Crâne<br />
tue Raven qui l'épargne. Fin d'un tueur.<br />
Ellen épousera son flic.<br />
UN SI DOUX VISAGE<br />
Tourné fin 1941 (les prises commencent<br />
en octobre, soit deux mois avant<br />
Pearl Harbour), This Gun for Hire (Tueur<br />
à gages) a souvent été affilié aux fictions<br />
de propagande produites par Hollywood,<br />
alors mobilisée contre les nazis qui<br />
sabotent la démocratie. Et, dans l'Encyclopédie<br />
du film noir \ Robert Porfirio critique<br />
le film, notamment parce que son<br />
« côté propagandiste a mal vieilli «.Pourtant,<br />
aujourd'hui, le scénario frappe plutôt<br />
par son aspect subversif. Le tueur, individualiste<br />
forcené, n'agit jamais par patriotisme,<br />
mais uniquement par désir de<br />
vengeance. Et son seul souci, avant de<br />
mourir, est de savoir s'il n'a pas été trahi<br />
par la femme qui a sa confiance (et qu'il<br />
a auparavant essayé de tuer). Elle-même,<br />
en mission pour le FBI, refuse de le livrer,<br />
et fait passer sa sympathie (plus ou moins<br />
amoureuse) avant son devoir. Quant au<br />
traître, il s'agit d'un capitaliste bon teint,<br />
le manitou d'un consortium chimique.<br />
203<br />
Qu'il soit vieux, paralysé et tyrannique<br />
avec ses employés ne fait qu'enfoncer le<br />
clou : ce mort-vivant n'hésite pas au nom<br />
de la sainte loi du profit (et c'est la seule<br />
motivation que lui accordent les scénaristes)<br />
à vendre à l'étranger <strong>des</strong> armes qui<br />
faucheront la jeunesse de la nation. Son<br />
factotum travaille dans l'industrie du<br />
spectacle. Façon de dénoncer, cinquante<br />
ans avant James Ellroy et son American<br />
Tabloid, les liens entre le show-business,<br />
le gangstérisme et la politique.<br />
Vision manichéenne ? Ce serait ignorer<br />
la personnalité <strong>des</strong> scénaristes, qui ont<br />
très librement adapté le roman de Graham<br />
Greene : William Riley Burnett, vilipendeur<br />
du crime organisé (Little Caesar<br />
I le Petit César) et chantre <strong>des</strong> <strong>des</strong>perados<br />
solitaires (High Sierra I la Grande Évasion,<br />
The Asphalt jungle I Quand la ville dort), et<br />
Albert Maltz, militant communiste qui<br />
deviendra plus tard l'un <strong>des</strong> « Dix de<br />
Hollywood ». Ce serait aussi ignorer<br />
Frank Tuttle, cinéaste oublié (notamment<br />
dans les éditions successives de Vingt,<br />
Trente et Cinquante Ans de cinéma américain),<br />
responsable de la première adaptation<br />
de The Glass Key/la Clé de verre de Dashiell<br />
Hammett en 1935, avec George Raft<br />
(celui-ci déclara à Jon Tuska, dans The Détective<br />
in Hollywood 2 : « J'ai failli avoir <strong>des</strong><br />
ennuis à cause de ce film, car Frank et sa<br />
femme étaient <strong>des</strong> communistes »), et qui<br />
(selon Tuska) « s'était forgé une réputation<br />
considérable à Paramount jusqu'à ce<br />
que la commission sur les activités antiaméricaines<br />
le stigmatise comme subversif<br />
après la Seconde Guerre mondiale<br />
et qu'il soit confiné dans un emploi d'arf<br />
director ». Après 1946 en effet, Tuttle ne<br />
tourne que cinq films, dont le Traqué, en<br />
France, avec Simone Signoret, et Hell on<br />
Frisco Bay (Colère noire), film qu'il dut, en<br />
1955, à l'amitié d'Alan <strong>La</strong>dd, et tiré d'un<br />
roman de William Mac Givern, auteur<br />
qui se revendiquait de « gauche », et que<br />
Fritz <strong>La</strong>ng avait déjà adapté pour The Big<br />
Heat (Règlement de comptes).<br />
Si This Gun for Hire pêche par quelques<br />
détails (les coïncidences qui amè-
nent les personnages à se croiser, la façon<br />
dont le tueur échappe aux policiers à la<br />
<strong>des</strong>cente du train), il reste remarquable<br />
par son tempo, l'utilisation <strong>des</strong> lieux (la<br />
chambre du tueur, l'escalier et la cabine<br />
téléphonique de la pension de famille,<br />
l'usine déserte, le siège du consortium<br />
avec ses employés portant <strong>des</strong> masques<br />
à gaz), l'atmosphère nocturne (servie par<br />
la photo de John Seitz) et sa galerie un<br />
peu monstrueuse de personnages torturés<br />
: l'industriel (Tully Marshall) qui<br />
« fait penser à une sorte de docteur Mabuse<br />
parcheminé, cloué dans sa chaise<br />
roulante et qui produit, en parlant, un terrible<br />
chuchotement rauque » (Porfirio,<br />
op. cit.) ; l'imprésario (<strong>La</strong>ird Cregar),<br />
massif et doucereux, aimant les femmes,<br />
les chocolats à la menthe et terrifié par la<br />
violence ; son homme de main (Marc <strong>La</strong>wrence),<br />
sadique ricanant ; le tueur enfin,<br />
d'une belle complexité. Nommé Raven<br />
(« le corbeau »), sans doute en hommage<br />
à Edgar Allan Poe, il ne laisse filtrer<br />
presque aucune émotion et paraît d'autant<br />
plus implacable qu'il est prêt à tuer<br />
<strong>des</strong> « innocent bystanders » : la « secrétaire<br />
» du maître chanteur, la magicienne,<br />
et même la petite paralytique dans l'escalier,<br />
épargnée peut-être par empathie<br />
(lui aussi est affligé d'une déformation au<br />
poignet, lui aussi a eu une enfance malheureuse),<br />
mais surtout parce que ce<br />
tueur, qui jouit quand il fait feu, sait reconnaître<br />
chez l'autre ce qu'il a perdu<br />
pour lui-même, cette denrée si rare en ces<br />
temps barbares, l'innocence. Vu sous cet<br />
angle, le choix d'Alan <strong>La</strong>dd est remarquable.<br />
« Sa mince silhouette, son visage<br />
d'enfant trop sage aux yeux clairs, aux<br />
traits doux et effacés, paraissent surgis<br />
d'un autre monde, après les tueurs énormes<br />
et brutaux qui peuplaient les films<br />
de gangsters d'avant-guerre. Seule i'inexpression<br />
du visage dans les situations<br />
tendues, révèle chez cet ange déchu, une<br />
inhumaine et redoutable frigidité », écrivaient<br />
Raymond Borde et Etienne Chaumeton<br />
dans leur Panorama du film noir<br />
américain.<br />
Ce tueur est intéressant pour deux<br />
autres raisons : il est le premier d'une<br />
série de professionnels qui ne se contentent<br />
pas de leur rôle d'exécutant et veulent<br />
comprendre pourquoi on les paie. Vu<br />
leur métier, qui exige discrétion et anonymat,<br />
cette recherche de la vérité, ce passage<br />
de l'ombre à la lumière équivaut à<br />
un suicide (ou à une rédemption par la<br />
mort). Ils le savent et l'acceptent, tel Lee<br />
Marvin dans The Killers (À bout portant)<br />
de Don Siegel (1964). Raven a un passé<br />
psychanalytiquement chargé, si bien que<br />
le film annonce également les gran<strong>des</strong><br />
œuvres de « psychologie criminelle ».<br />
Enfin, ce tueur impassible au visage<br />
d'ange a engendré une mythologie de solitaires<br />
qui a nourri non seulement le cinéma<br />
américain, mais aussi le cinéma européen.<br />
Alain Delon et son serin dans le<br />
Samouraï de Jean-Pierre Melville (1967)<br />
vient en droite ligne d'Alan <strong>La</strong>dd nourissant<br />
son chat au début de This Gun for<br />
Hire, et les séquences d'ouverture <strong>des</strong><br />
deux films ont, dans la construction et<br />
l'utilisation du décor, <strong>des</strong> similitu<strong>des</strong> flagrantes.<br />
François Guérif<br />
1 Robert Porfirio : Encyclopédie du film noir, Rivages,<br />
1987.<br />
1 Jon Tuska : The Détective in Hollywood, Doubleday,<br />
1978.<br />
ALAN LADD :<br />
VEDETTE À GAGES<br />
« And introducing Alan <strong>La</strong>dd », clame<br />
le générique de This Gun for Hire (Tueur<br />
à gages), alors que <strong>La</strong>dd traînait son<br />
sourire d'aimable blondinet autour <strong>des</strong><br />
studios depuis cinq ans et avait fait <strong>des</strong><br />
apparitions dans une douzaine de films<br />
(dont une en marin dans une production<br />
Paramount, Rulers of the Sea I les Maîtres<br />
de la mer). Mais pour une fois, le générique<br />
ne ment pas : si Veronica <strong>La</strong>ke et Robert<br />
Preston en sont nominalement les ve-<br />
THIS GUN FOR HIRE-205<br />
dettes, <strong>La</strong>dd est la seule raison du succès<br />
retentissant remporté par le film de Frank<br />
Tuttle. <strong>La</strong> direction de Paramount le sait<br />
d'ailleurs fort bien, qui n'attend pas la<br />
sortie du film en mai 1942 pour mettre à<br />
nouveau <strong>La</strong>dd en face de <strong>La</strong>ke dans The<br />
Glass Key. Il est donc parfaitement justifié<br />
de consacrer presque entièrement ces<br />
pages sur les débuts d'Alan <strong>La</strong>dd à ce<br />
film, puisqu'il résume à lui tout seul le<br />
« phénomène <strong>La</strong>dd » - un phénomène à<br />
la fois fortuit et manufacturé.<br />
Le déclic ne se serait sans doute jamais<br />
produit si <strong>La</strong>dd n'avait été managé<br />
par Sue Caroll, ancienne actrice devenue<br />
agent qui avait de précieux contacts à la<br />
Paramount (dont Bing Crosby et son<br />
épouse), et qui de plus était tombée amoureuse<br />
de son jeune client ; elle allait être<br />
Mme Alan <strong>La</strong>dd avant que This Gun for<br />
Hire ne sorte sur les écrans un an plus<br />
tard. Caroll avait très tôt entendu dire que<br />
Tuttle cherchait un inconnu pour jouer le<br />
Raven du roman de Graham Greene, un<br />
jeune tueur à gages avec un bec de lièvre.<br />
Un inconnu qui devait aussi être de<br />
courte stature puisque le film aurait Veronica<br />
<strong>La</strong>ke comme vedette. Ironiquement,<br />
pour quelqu'un dont la carrière est<br />
souvent réduite à une série d'histoires de<br />
petits bancs ou d'actrices faisant leur possible<br />
pour se rapetisser, <strong>La</strong>dd doit peutêtre<br />
sa chance à un rôle doublement taillé<br />
sur mesures : la sienne comme acteur<br />
(froideur, impassibilité), mais aussi celle<br />
de <strong>La</strong>ke (un mètre cinquante en talons<br />
hauts). Initialement rejeté par Tuttle comme<br />
« trop avenant pour jouer Raven »,<br />
<strong>La</strong>dd avait instantanément convaincu<br />
non seulement le réalisateur mais aussi la<br />
direction du studio avec son bout d'essai,<br />
soit une scène en face de Robert Preston,<br />
un moment pressenti pour Raven mais<br />
jugé trop grand et qui finira par jouer le<br />
policier.<br />
Pour Tuttle aussi, ce film semble avoir<br />
été particulier : de façon peu caractéristique<br />
<strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de studio, il travaille<br />
avec Albert Maltz sur le tout premier traitement,<br />
dans lequel il est déjà décidé de
206-ÉTATS-UNIS<br />
This Gun for Hire.<br />
donner à Raven une infirmité différente.<br />
Pour une fois, il ne s'agit pas de ménager<br />
une vedette ou un investissement du studio.<br />
Dans une note de travail inhabituellement<br />
développée pour une première<br />
mouture, Maltz et Tuttle expliquent leur<br />
décision par le récent succès de Joan<br />
Crawford jouant une femme défigurée<br />
dans un film MGM, A Woman's Face (Il<br />
était une fois, 1941). Au lieu d'un bec de<br />
lièvre, Raven aura donc un poignet disloqué,<br />
symbole d'impuissance et indice<br />
de l'emprise de la psychanalyse sur le<br />
film noir dès les débuts du genre. Tuttle<br />
avait aussi collé <strong>des</strong> photos de repérages<br />
à ce stade précoce du travail, autre<br />
preuve que le film lui tenait particulièrement<br />
à cœur : on peut le voir tout de blanc<br />
vêtu devant plusieurs vues d'un même<br />
endroit de Los Angeles, l'ancienne gare<br />
sur Santa Fe Avenue : un bâtiment à démolir,<br />
un wagon abandonné, et surtout<br />
le pont de bois au-<strong>des</strong>sus <strong>des</strong> voies qui<br />
offrira au réalisateur une scène de poursuite<br />
<strong>des</strong> plus saisissantes.<br />
<strong>La</strong>dd et <strong>La</strong>ke. <strong>La</strong>ke et <strong>La</strong>dd. Une combinaison<br />
imbattable, le glamour de poche,<br />
le couple aux dents serrées, qui faisait<br />
oublier le patriotisme de circonstance<br />
de This Gun for Hire (eux et l'épatant <strong>La</strong>ird<br />
Cregar). Pendant plusieurs années, il suffira<br />
à la Paramount de les mettre ensemble<br />
dans le premier film venu (The<br />
Glass Key, The Blue Dahlia, Saigon) pour<br />
s assurer d'un succès. Mais on oublie souvent<br />
que durant ces années il suffisait au<br />
studio de mettre <strong>La</strong>dd dans n'importe<br />
quoi, en face de n'importe qui, pour faire<br />
recette : les critiques ont beau se plaindre<br />
que <strong>La</strong>dd soit trop dur en toubib dans<br />
AndNow Tomorrow (Le bonheur est pour dema<br />
>n), et que Loretta Young soit trop<br />
moche, le film fait tout de même un malheur<br />
'.<br />
dern Screen. Rareté suprême pour une vedette<br />
mâle : <strong>La</strong>dd sur une couverture faisait<br />
vendre. Ni Sinatra, ni Presley, ni Elizabeth<br />
Taylor ne bénéficieront d'autant<br />
de presse au cours <strong>des</strong> années. Guère<br />
étonnant que George Delacorte et Irving<br />
Mannheimer, respectivement propriétaires<br />
de Modem Screen et Photoplay, les<br />
deux principaux fan-magazines du pays,<br />
aient compté parmi les intimes du couple<br />
<strong>La</strong>dd. Avec sa coopération, on escamotera<br />
tout un pan de sa vie : sa première<br />
femme et même son premier fils (Alan Jr.,<br />
futur nabab de studio), l'âge et les quatre<br />
mariages précédents de Sue Caroll. Cette<br />
collaboration au mensonge et <strong>des</strong> démons<br />
encore plus privés comme sa mère<br />
alcoolique se suicidant à la mort aux rats,<br />
expliquent sans doute sa déchéance, son<br />
propre alcoolisme et son suicide probable<br />
(à Palm Spring en 1964). Et aussi pourquoi<br />
<strong>La</strong>dd semblait exceller dans les rôles<br />
masos - punching-ball favori de William<br />
Bendix, fouettable jusqu'à plus soif dans<br />
Two Years Before the Mast (Révolte à bord),<br />
ALAN LADD - 207<br />
humilié et à deux doigts d'être dégradé<br />
dans Beyond Glory (Retour sans espoir),<br />
deux films tournés sous la férule de ce<br />
grand catholique et sadique devant l'Éternel,<br />
John Farrow.<br />
<strong>La</strong>dd n'était pas mauvais acteur,<br />
ayant appris très tôt à ne pas sortir de ses<br />
limites. Sa voix était son meilleur atout<br />
(Welles, un connaisseur, la privilégie à la<br />
fin de Citizen Kane). Pour Raymond<br />
Chandler, qui a écrit deux films pour lui,<br />
il incarnait « l'idée que se font les petits<br />
garçons d'un dur à cuir ». C'est sans<br />
doute pour ça qu'il est si efficace dans<br />
Shane (l'Homme <strong>des</strong> vallées perdues, 1952).<br />
Ce n'est pas tant qu'il avait l'air d'un imposteur,<br />
mais plutôt qu'il était persuadé<br />
d'en être un. C'est là le drame et la peur<br />
qui couvent derrière le calme plat de ces<br />
yeux placi<strong>des</strong> ; l'élément humain qui<br />
rend si durable cet exemple type de la star<br />
synthétique.<br />
Philippe Garnier<br />
1 And Now Tomorrow a été sauvegardé par la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française en 1993, voir page 233 (ndlr).<br />
On a toujours dit que la caméra l'aim<br />
ait, tout comme les fans. C'est vrai, mais<br />
c est<br />
aussi parce que le couple <strong>La</strong>dd, le<br />
studio et les magazines faisaient ce qu'il<br />
fallait<br />
pour. Rien qu'en 1943, <strong>La</strong>dd a figure<br />
seize fois en douze numéros de Mo- Beyond Glory.
208- ETATS-UNIS<br />
Richard<br />
Lyon,<br />
Gail<br />
Russel.<br />
THE UNSEEN<br />
L'INVISIBLE MEURTRIER<br />
1944-Lewis Allen<br />
Réal. : Lewis Allen. Prod. : Paramount Pictures (John<br />
Houseman). Auteur : Ethel Lina White, d'après son<br />
roman Fier Heart in hier Throat Adapt. : Hagar Wilde,<br />
Ken Englund. Se. : Hagar Wilde, Raymond Chandler.<br />
Dir. ph. : John F. Seitz, A.S.C. Son : Wallace Nogle,<br />
John Cope. Dir. art. : Hans Dreier, Earl Hedrick.<br />
Déc. : George Sawley. Cost. : Dorothy O'Hara.<br />
Maq. : Wally Westmore. Mont. : Doane Harrison.<br />
Mus. : ErnstToch. Int. : Joël McCrea (David Fielding),<br />
Gail Russell (Elizabeth Howard), Herbert Marshall<br />
(le docteur Charles Evans), Phyllis Brooks (Maxine),<br />
Isobel Elsom (Marian Tygarth), Norman Lloyd (Jasper<br />
Goodwin), Mikhail Rasumny (Chester), Elisabeth<br />
Risdon (Mrs Norris), Tom Tully (Sullivan), Nona<br />
Griffith (Ellen), Richard Lyon (Barnaby), Victoria<br />
Horne, Mary Field. Date de sortie : 21 février 1945,<br />
7 décembre 1949 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2215 m., 80 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
Une femme a été étranglée dans Salem<br />
Alley... -pas loin d'une étrange demeure londonienne,<br />
fermée après l'assassinat de son<br />
propriétaire, il y a douze ans. Le lendemain,<br />
Elizabeth Howard, la nouvelle gouvernante,<br />
sonne à la porte de la maison d'à côté et se présente<br />
au maître <strong>des</strong> lieux, David Fielding,<br />
père de deux jeunes enfants, Ellen et Barnaby.<br />
D'emblée, elle se heurte à la froideur de David,<br />
personnage énigmacique, soupçonné plusieurs<br />
années auparavant de la mort de sa femme,<br />
et à l'hostilité de Barnaby au comportement<br />
intrigant. Seuls la petite Ellen et le docteur<br />
Evans, l'ami de la famille, lui manifestent<br />
de la sympathie. Elle fait aussi connaissance<br />
de Marian Tygarth, la veuve de la maison<br />
« hantée ». Un soir, <strong>des</strong> bruits et de la lumière<br />
s'échappent justement de là-bas. C'est<br />
l'assassin, revenu sur les lieux du crime pour<br />
effacer d'ultimes traces ! <strong>La</strong> veuve le reconnaît<br />
mais il l'abat. David intervient et démasque...<br />
le docteur Evans, assassin douze ans<br />
auparavant d'un mari par amour d'une femme<br />
qui l'avait ensuite repoussé. Apprenant<br />
que la maison allait rouvrir, il avait essayé de<br />
détourner les soupçons de la police sur David<br />
et s'était servi du fils comme « passeur », via<br />
Maxine, l'ancienne gouvernante qu'il a tué<br />
aussi... David et Elizabeth vont pouvoir s'aimer.<br />
LA PARAMOUNT DANS LE NOIR<br />
Lorsqu'il arriva à la Paramount en<br />
1944, le producteur John Houseman<br />
n'avait encore jamais produit de long métrage.<br />
Tout le monde, y compris le patron<br />
du studio Buddy DeSylva, lui conseilla<br />
de faire pour ses débuts un petit film sans<br />
problèmes, et de fait, The Unseen (l'Invisible<br />
meurtrier) est véritablement du tout<br />
cuit, produit typique du système de studio.<br />
Un an auparavant, Paramount avait<br />
sorti The Uninvited (la Falaise mystérieuse),<br />
mo<strong>des</strong>te film qui marquait les débuts de<br />
pas mal de monde et qui avait connu un<br />
succès complètement inattendu. Charles<br />
Brackett, fraîchement séparé de Billy Wilder,<br />
avait produit et joué à fond la carte<br />
anglaise que semblait réclamer cette histoire<br />
de maison hantée, prenant Donald<br />
Crisp et Ray Milland pour vedettes, et<br />
confiant la réalisation à un homme de<br />
théâtre britannique, Lewis Allen, dont<br />
c'était le premier film. Le succès public<br />
remporté par la nouvelle venue Gail Russell<br />
n'était pas la moindre surprise pour<br />
Paramount, qui près d'un an plus tard remettait<br />
le couvert avec les mêmes ingrédients<br />
: un faiblard « thriller gothique »<br />
par l'auteur de The <strong>La</strong>dy Vanishes, Gail<br />
Russell, Lewis Allen et un producteur débutant.<br />
Dans ses Mémoires *, Houseman admet<br />
qu'il avait accepté tous les choix du<br />
studio, jusqu'à celui de la scénariste Ha-<br />
209<br />
gar Wilde. « Grande névrosée prisée <strong>des</strong><br />
magazines féminins, elle avait de l'esprit,<br />
<strong>des</strong> caniches et <strong>des</strong> migraines, insistait<br />
pour travailler chez elle, mais avait<br />
l'avantage d'écrire vite » (elle a aussi collaboré<br />
avec Hawks sur Bringing up Baby<br />
I l'Impossible Monsieur Bébé et 1 Was a Maie<br />
War Bride I Allez coucher ailleurs). Raymond<br />
Chandler ne s'est penché que trois<br />
semaines sur le script, et on serait bien en<br />
peine de détecter sa patte, à part peut-être<br />
dans les répliques les plus cassantes prêtées<br />
à Joël McCrea. Houseman, qui n'aimait<br />
pas les façons m'as-tu-vu de Lewis<br />
Allen, reconnaît volontiers que celui-ci a<br />
tout de même tiré le maximum du matériau<br />
frelaté qu'on lui avait confié. <strong>La</strong> photographie<br />
du grand John F. Seitz (collaborateur<br />
favori de Wilder et Preston<br />
Sturges) est sans doute la seule audace du<br />
film : elle laisse souvent le spectateur<br />
dans le noir absolu, armé d'une seule<br />
lampe de poche ou d'une allumette. C'est<br />
ce que ce même spectateur ressent parfois<br />
à essayer de suivre l'intrigue et ses<br />
fausses pistes de convention.<br />
Bizarrement, le jeu somnambulique<br />
de Gail Russell et sa beauté éteinte fonctionnent<br />
ici très bien, sa placidité étant<br />
préférable aux hystéries qui sont la<br />
norme pour les films de ce genre. L'ennui<br />
évident que McCrea et Herbert Marshall<br />
ne prennent pas la peine de dissimuler<br />
est pareillement efficace. Les deux<br />
enfants, dans <strong>des</strong> rôles malheureusement<br />
cruciaux, sont impossibles comme il est<br />
d'usage dans les films Paramount : la<br />
fillette exaspérante de minauderie, le<br />
gamin mauvais comme pas permis ; il ne<br />
profite même pas de son physique de jockey<br />
teigneux, ni de son pédigree : c'est<br />
qu'il était lui aussi produit de studio, fils<br />
de l'ancien couple vedette Paramount,<br />
Bebe Daniels et Ben Lyon.<br />
Philippe Garnier<br />
1 Front Row Center, Simon & Schuster, 1979.
210 - ÉTATS-UNIS<br />
LOVE LETTERS<br />
LE POIDS D'UN MENSONGE<br />
1944-William Dieterle<br />
«B wmx m HAL WAIUS mmmm, me<br />
Réal. : William Dieterle. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Hal B. Wallis). Auteur : Chris Massie, d'après son<br />
roman Pity My Simplicity. Se. : Ayn Rand.<br />
Asst. réal. : Richard McWhorter. Dir. ph. : Lee<br />
Garmes, ASC. Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC.<br />
Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />
Son : Don McKay, Don Johnson. Dir. art. : Hans<br />
Dreier, Roland Anderson. Déc. : Ray Moyer.<br />
Cost. : Edith Head. Maq. : Wally Westmore.<br />
Mont. : Anne Bauchens. Mus. : Victor Young.<br />
Chanson : Victor Young, Edward Heyman.<br />
Direction <strong>des</strong> dialogues : Victor Stoloff.<br />
Conseiller technique : Geoffrey Steele, Lieut. RARO.<br />
The Royal Dragoons. Int. : Jennifer Jones*<br />
(Singleton/Victoria Morland), Joseph Cotten* (Alan<br />
Quinton), Ann Richards (Dilly Carson), Cecil Kellaway<br />
(Mack), Gladys Cooper (Béatrice Remington), Anita<br />
Louise (Helen Wentworth), Robert Sully (Roger<br />
Morland), Reginald Denny (l'avocat de la défense),<br />
Ernest Cossart (l'archevêque), Byron Barr (Derek<br />
Quinton), Lumsden Hare (Mr. Quinton), James<br />
Millican (Jim Connings), Winifred Harris (Mrs.<br />
Quinton), Ethel May Halls (l'épouse de l'archevêque),<br />
lan Wolfe (le vicaire), Matthew Boulton (le juge),<br />
David Clyde (le facteur), Louise Currie (Claire Floey),<br />
Alec Craig (Dodd), Mary Field (l'infirmière), Arthur<br />
Hohl (Jupp), Conrad Binyon (le garçon dans la<br />
bibliothèque), Nina Borget, George Humbert,<br />
Constance Purdy, Anthony Marsh, Ottola Nesmith,<br />
Catherine Craig, Helena Crant, Connie Léon, Harry<br />
Allen, Virginia Doffy, Rence Dupuis, Marjorie<br />
Raymond. * « Artists by arrangement with David O.<br />
Selznick ». Date de sortie : 26 août 1945, 30 mai<br />
1947 (Paris). Métrage, minutage copie Cf. : 2763 m.,<br />
101 mn. Version originale. Noir et blanc.<br />
Doc. : Hervé Dumont : William Dieterle. Antifascismo<br />
y compromiso romântico, Festival internacional de<br />
Cine de San Sebastiân-Filmoteca Espanola, 1994.<br />
Quelque part sur le front en Italie. L'officier<br />
britannique Alan Quinton, romantique<br />
introverti, écrit pour un autre plus fruste,<br />
Roger Morland, <strong>des</strong> lettres d'amour à une inconnue<br />
nommée Victoria, amoureuse <strong>des</strong> lettres<br />
et de son auteur présumé. Bientôt, Roger<br />
rentre en Angleterre, épouse Victoria et<br />
meurt peu après ! Blessé, choqué par les horreurs<br />
de la guerre, Alan retourne vivre dans<br />
le village de son enfance, dans l'Essex, près<br />
de l'endroit aussi où Victoria recevait « ses »<br />
lettres. <strong>La</strong> veille de son départ, il rencontre la<br />
belle et énigmatique Singleton et son amie,<br />
Dilly Carson, qui semble en savoir long sur...<br />
Victoria. Plus tard, elle lui racontera l'invraisemblable<br />
vérité : Singleton est Victoria<br />
Morland, amnésique depuis la nuit où Dilly<br />
l'a trouvée, absente à elle-même, près du corps<br />
de son mari, la robe en sang, un couteau à la<br />
main. À quelques mètres, Béatrice, sa mère<br />
adoptive, gisait, paralysée et muette. Alan repart<br />
en pliant sous le poids de sa responsabilité.<br />
Mais chez lui, il trouve Singleton. Elle<br />
l'aime et veut lui faire oublier cette Victoria<br />
qu'il recherche désespérément. Ils se marient<br />
très vite. Leur bonheur n'est entaché que par<br />
les lapsus de la jeune femme, ses réminiscences<br />
floues, ses efforts constants pour se<br />
souvenir, sa peur du facteur, sa terreur du<br />
rouge. Profitant d'une absence d'Alan, elle va<br />
interroger Béatrice (qui a recouvré la parole)<br />
à propos de Victoria. Béatrice raconte et Singleton<br />
se souvient. Flash-back : un soir où il<br />
avait bu, Roger lance à sa femme qu'il n'a jamais<br />
écrit les lettres responsables de leur<br />
union. Il lafrappe, Béatrice le poignarde. Alan<br />
a écouté ce récit. Il confesse être l'auteur <strong>des</strong><br />
lettres. Victoria se love dans ses bras.<br />
LA GRIFFE DU PASSÉ<br />
Comme Random Harvest (Prisonniers<br />
du passé, 1942) de Mervyn LeRoy, Love<br />
Letters (le Poids d'un mensonge) mêle les<br />
énigmes de l'amnésie au romantisme le<br />
plus échevelé. Mais à l'opposé de l'œuvre<br />
académique de LeRoy, Love Letters visualise<br />
son thème - la hantise d'un visage<br />
inconnu, la recherche d'une mémoire<br />
perdue, la quête de l'identité - moyen-<br />
nant <strong>des</strong> <strong>images</strong> proprement crépusculaires.<br />
<strong>La</strong> reconstitution stylisée de la<br />
campagne anglaise en studio (tournage<br />
du 23 octobre au 23 décembre 1944 à la<br />
Paramount) permet à Dieterle de jouer ad<br />
libitum avec un ciel sans soleil, véritable<br />
chape de plomb, avec <strong>des</strong> intérieurs de<br />
chaumières à peine éclairés, pour retrouver<br />
l'expressionnisme larvé de The Devil<br />
and Daniel Webster ou de The Hunchback of<br />
Notre-Dame.<br />
Le ton incantatoire <strong>des</strong> lettres d'Alan,<br />
ce Cyrano moderne, a subjugué la fragile<br />
Victoria au point de détruire indirectement<br />
et son ménage, et sa mémoire. Rongé<br />
par la culpabilité et hanté par le souvenir<br />
de sa « victime » amnésique, l'exofficier<br />
(lui-même ébranlé par les expériences<br />
au front) tente désespérément de<br />
se réconcilier avec le présent. Cette double<br />
obsession d'un fantôme chez Alan et<br />
Victoria/Singleton, ce handicap écrasant<br />
d'un vécu que l'un fuit et l'autre recherche,<br />
ces plaies de l'âme, le cinéaste<br />
germanique les traduit en priorité par<br />
l'organisation <strong>des</strong> plans : ses ciels nuageux<br />
sont perpétuellement envahis de<br />
branches d'arbres tortueuses, de troncs<br />
de chênes mutilés, de silhouettes oppressantes<br />
quand baisse le jour. Les intérieurs<br />
rustiques sont cadrés de telle sorte<br />
que poutres, escaliers, meubles, forment<br />
<strong>des</strong> obstacles, enserrent les protagonistes<br />
dans un espace fermé (souvent filmé en<br />
légère contre-plongée), un univers baroque<br />
et menaçant où chaque objet se fait<br />
rappel du passé : Alan ayant épousé Singleton,<br />
<strong>des</strong> bribes de mémoire refont peu<br />
à peu surface, un prénom, la peur panique<br />
du facteur, une écriture connue,<br />
<strong>des</strong> framboises rouge sang, un tissu de<br />
signes qui rappelle les procédés hitchcockiens<br />
de Spellbound I la Maison du Dr<br />
Edwar<strong>des</strong> (film achevé trois mois plus tôt,<br />
mais sorti en salle deux mois après le Dieterle)<br />
et de Marnie vingt ans plus tard.<br />
Love Letters, avec son climat violemment<br />
insolite, ses compositions visuelles flamboyantes,<br />
sa texture lumineuse et délicate,<br />
son thème et son traitement ultra-<br />
romantiques se situe entre le fantastique<br />
et le film noir à prétention psychanalytique<br />
tant prisé dans les années quarante.<br />
Défiant avec superbe toute vraisemblance,<br />
Dieterle confère au visage de<br />
Jennifer Jones une qualité d'étrange irréalité<br />
qui annonce déjà l'onirique Portrait<br />
of Jennie (où l'on retrouvera à nouveau<br />
les deux vedettes et le chef opérateur<br />
de Love Letters). Ajoutons pour<br />
l'anecdote qu'il s'agit d'une production<br />
Hal Wallis supervisée par l'envahissant<br />
David O. Selznick, de plus en plus épris<br />
de sa jeune protégée. Pour la preview à Pasadena,<br />
le nabab amoureux commet le sacrilège<br />
suprême, qui devrait cependant<br />
lui valoir la sainteté au paradis <strong>des</strong> cinéphiles<br />
: il fait racheter tous les stocks de<br />
popeorn de la salle afin que le public puisse<br />
admirer sa Jennifer adorée sans faire<br />
de bruit !<br />
Hervé Dumont<br />
1 Singleton s'est enfuie de Londres et a rejoint Alan à<br />
la campagne. Elle casse un talon, il la porte et s'installe<br />
avec elle dans un chariot pour la reconduire à la<br />
gare. D'un plan d'ensemble, Dieterle passe à un gros<br />
plan de la chaussure au talon brisé, sa caméra caresse<br />
la jambe de Singleton, monte jusqu'aux épaules pour<br />
révéler deux corps enlacés : instant fulgurant qui annonce<br />
toute la sensualité de Duel in the Sun (le film<br />
de King Vidor auquel Dieterle participa sans être crédité).<br />
LOVE LETTERS - 211<br />
En haut, à gauche :<br />
Jennifer Jones.<br />
En haut, à droite :<br />
Joseph Cotten.
212-ÉTATS-UNIS<br />
Victor Mc<strong>La</strong>glen.<br />
WHISTLE STOP<br />
TRAGIQUE RENDEZ-VOUS<br />
1946 - Léonide Moguy<br />
Réal. : Léonide Moguy. Prod. : Nero-Film (Seymour<br />
Nebenzal). Prod. ass. : Philip Yordan. Auteur : Maritta<br />
M. Wolff, d'après son roman homonyme.<br />
Adapt. : Philip Yordan. Asst. réal. : Milton Carter.<br />
Dir. ph. : Russell Metty, A.S.C. Dir. art. : Rudi Feld,<br />
George Van Marier. Déc. : Alfred Kegeris.<br />
Mont. : Gregg Tallas. Mus. : Dimitri Tiomkin.<br />
Effets spéciaux : R.O. Binger. Chorégraphie : Jack<br />
Crosby. Int. : George Raft (Kenny), Ava Gardner<br />
(Mary), Victor Mc<strong>La</strong>glen (Gitlo), ]orga Curtright (Fran),<br />
Tom Conway (Lew Lentz), Jane Nigh (Josie), Florence<br />
Bâtes (Molly Veech), Charles Drake (Ernie), Charles<br />
Judels (Sam Veech), Carmel Myers (Estelle), Jimmy<br />
Ames (le bonimenteur). Date de sortie : 9 janvier<br />
1946, 4 août 1948 (Paris). Métrage, minutage copie<br />
Cf. : 2327 m., 85 mn. Version originale. Noir et blanc.<br />
Après deux années passées à Chicago, la<br />
très belle Mary prend le train et rentre chez<br />
elle, une petite ville de province. Elle revient<br />
pour Kenny, son amour d'antan, un joueur<br />
de cartes invétéré qu'elle n'avait pu convaincre<br />
de la suivre. Cette fois, elle espère le<br />
changer. Dès qu'ils sont en présence, ils tombent<br />
dans les bras l'un de l'autre mais se disputent<br />
aussi. Alors, Mary fréquente Lew<br />
Lentz, propriétaire fortunéd'unebotte,leFlamingo,<br />
et ennemi juré de Kenny. Gitlo, le barman<br />
du Flamingo, propose à Kenny d'éliminer<br />
Lentz pour lui voler l'argent qu'il porte<br />
régulièrement en train jusqu'à Détroit. Le<br />
soir de la fête foraine, Fran, l'ex-amie de<br />
Kenny éconduite depuis le retour de Mary,<br />
fait une chute mortelle. Dans le même temps,<br />
Lentz se rend à la gare mais Mary a compris<br />
ce qui se trame et retarde suffisamment l'homme<br />
qu 'elle aime pour que le plan échoue. Après<br />
une nouvelle séparation, les deux amants se<br />
retrouvent et lui, décidé à ne plus gâcher ses<br />
chances, trouve même un travail. Le jour du<br />
mariage de sa sœur, il accepte de passer au<br />
Flamingo, sur les conseils d'un Gitlo manipulé,<br />
pour enterrer la hache de guerre avec<br />
Lentz. Celui-ci a abattu son homme de main<br />
et prévenu la police dans le but défaire porter<br />
le chapeau à son rival. Blessé par balle pendant<br />
sa fuite, Kenny se réfugie à Détroit chez<br />
une amie de Gitlo. Ce dernier revient la nuit<br />
pour prévenir Mary et, furieux d'avoir été<br />
trahi, va à l'appartement de Lentz... qui l'attend<br />
une arme à la main. Les deux hommes<br />
s'entretuent mais Gitlo a encore la force d'appeler<br />
la police pour innocenter son ami. Mary<br />
rejoint Kenny à Détroit et pour la vie.<br />
DEUX EUROPÉENS<br />
À HOLLYWOOD<br />
Comme beaucoup de films « à l'européenne<br />
» faits par <strong>des</strong> exilés à Hollywood<br />
pendant la guerre, Whistle Stop I<br />
Tragique Rendez-Vous est plus une curiosité<br />
qu'une réussite. Œuvre de circonstance<br />
donc, qui demande qu'on parle<br />
plus <strong>des</strong> différents talents jetés dans le<br />
même sac que du film lui-même. Qui restera<br />
tout de même dans les histoires du<br />
cinéma comme étant le premier film où<br />
Ava Gardner a tenu la vedette ; elle végétait<br />
jusqu'alors à la Métro comme starlette,<br />
et, accessoirement, comme épouse<br />
de Mickey Rooney, le petit coq du studio.<br />
Comprenant sans doute que M (M le<br />
Maudit), Das Testament <strong>des</strong> Dr. Mabuse (le<br />
Testament du docteur Mabuse), Menschen<br />
am Sonntag (les Hommes le dimanche), Die<br />
Biichse der Pandora (Loulou), Die Dreigroschenoper<br />
(l'Opéra de quat'sous) ou Mayerling<br />
n'allaient pas forcément lui valoir<br />
plus de considération de la part <strong>des</strong> studios,<br />
le producteur Seymour Nebenzal<br />
préféra naviguer seul au lieu de se mettre<br />
à leur remorque. Il n'avait pas son pareil<br />
pour persuader les studios de lui prêter<br />
leurs vedettes en herbe ; pour son second<br />
film américain, il avait réussi à emprunter<br />
Linda Darnell à Zanuck, tout en faisant<br />
travailler Douglas Sirk (Summer<br />
Storm I l'Aveu, 1944). De même, il a monté<br />
Whistle Stop avec de vrais arguments de<br />
producteur, achetant pour très peu d'argent<br />
le titre d'un roman de Maritta M.<br />
Wolff qui avait connu un succès de scandale<br />
peu auparavant et même gagné un<br />
prix littéraire. Sauvage histoire d'inceste<br />
et de prostitution, le livre était réputé infilmable<br />
pour raisons de censure. Nebenzal<br />
se faisait fort de transformer l'histoire<br />
en quelque chose de complètement<br />
213<br />
différent, ne gardant que le titre comme<br />
seul appât commercial, à part Ava Gardner<br />
dans le rôle de la femme fatale. Philip<br />
Yordan était l'homme tout trouvé<br />
pour dénaturer le roman de manière acceptable,<br />
sinon franchement folichonne.<br />
Il faisait généralement ça en cinq jours,<br />
contre un tiers <strong>des</strong> profits.<br />
D'où ce curieux film noir mâtiné<br />
à'americana, avec Raft et Mc<strong>La</strong>glen qui<br />
jouent aux cartes chez le barbier ou picolent<br />
dans <strong>des</strong> roadhouses de cambrousse ;<br />
improbable tempête qui couve dans le<br />
petit bled d'Ashbury, où le train ne s'arrête<br />
que si le garde-barrière lui fait signe<br />
(whistle stop, c'est ça). Pour satisfaire le<br />
Breen Office, ce bon à rien de Kenny ne<br />
peut plus être le frère de Mary, juste son<br />
ancien jules, et Mary doit expliquer son<br />
vison comme un « cadeau » après deux<br />
ans de grande vie à Chicago. De toute<br />
façon, le choix de Raft pour jouer Kenny<br />
rend toute plausibilité illusoire : même<br />
avec ses cheveux teints, il pourrait aisément<br />
être son père. L'aimable Léonide<br />
Moguy, émigré russe catalogué français<br />
à Hollywood qui avait fait deux films très<br />
atmosphériques avec Corinne Luchaire<br />
dans les années trente (Je t'attendrai et Prison<br />
sans barreaux), s'acharne ici à donner<br />
un rythme et quelques effets « européens<br />
» (la musique qui chuinte et ne<br />
tourne pas à la bonne vitesse sur une scène<br />
chaotique) à ce qui reste tout de même<br />
« un lourd mélodrame sordide » comme<br />
le qualifia en son temps le critique du magazine<br />
Sunset.<br />
Philippe Garnier
214-ÉTATS-UNIS<br />
BEYOND GLORY<br />
RETOUR SANS ESPOIR<br />
1948-John Farrow<br />
Réal. : John Farrow. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Robert Fellows). Se. : Jonathan <strong>La</strong>timer, Charles<br />
Marquis Warren, William Wister Haines.<br />
Asst. réal. : William H. Coleman. Dir. ph. : John F.<br />
Seitz. Effets photographiques : Farciot Edouart.<br />
Son : Hugo Crenzbach, Walter Oberst. Dir. art. : Hans<br />
Dreier, Franz Bachelin. Dec. : Sam Corner, Ray<br />
Moyer. Cost. : Edith Head. Maq. : Wally Westmore.<br />
Mont. : Eda Warren. Mus. : Victor Young. Int. : Alan<br />
<strong>La</strong>dd (Cadet « Rocky » Gilman), Donna Reed (Ann<br />
Daniels), George Macready (le général en chef Bond),<br />
George Coulouris (Lew Proctor), Harold Vermilyea<br />
(Raymond Denmore, Sr.), Henry Travers (Pop<br />
Dewing), Luis Van Rooten (le docteur White), Tom<br />
Neal (le capitaine Harry Daniels), Conrad janis<br />
(Raymond Denmore, jr.), Margaret Field (Cora), Paul<br />
Lees (Miller), Dick Hogan (Cadet Sgt. Eddie Loughlin),<br />
Audie Murphy (Thomas), Géraldine Wall (Mrs.<br />
Daniels), Charles Evans (Mr. Julian), Russell Wade<br />
(Jensen), Vincent Donahue Qohn Craig), Steve<br />
Pendleton (le général Presscott), Harlan Tucker (le<br />
colonel Stoddard), Sean McClory (Barney), le général<br />
Eisenhower (lui-même). Le film est dédié aux corps de<br />
Cadets de l'Académie militaire de West Point.<br />
Date de sortie : 16 juin 1948, 3 août 1951 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2255 m., 82 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc.<br />
Le sergent « Rocky » Gilman, Cadet à<br />
West Point, comparaît devant une commission<br />
d'enquête. L'attorney Proctor l'accuse de<br />
violence à l'égard d'une jeune recrue, Raymond<br />
Denmore Jr, aujourd'hui le plaignant.<br />
Denmore évoque sa formation, les brima<strong>des</strong><br />
de son supérieur et, selon lui, ses abus d'autorité.<br />
Le lendemain, le général en chef de<br />
l'école rappelle la nécessité de jauger la valeur<br />
<strong>des</strong> hommes avant et non pendant un conflit,<br />
tandis que le cadet Loughlin se souvient de<br />
Rocky comme d'un modèle d'obéissance. A<br />
son tour, Rocky se raconte : pendant la guerre,<br />
il sert sous les ordres du capitaine Daniels,<br />
devenu son ami. Mais lors d'un combat à<br />
Tunis, Daniels est tué et Rocky, longtemps<br />
délirant à l'hôpital, refuse une décoration à sa<br />
sortie. De retour à New York, il erre, incapable<br />
de se réinsérer. Il se présen te devan t la femme<br />
de Daniels et, peu après, entre à West<br />
Point. Alors, l'attorney appelle à témoigner<br />
le docteur Craig, le médecin à Tunis : il a entendu<br />
une fois Rocky, sous l'effet de narcoleptiques,<br />
s'accuser de la mort de son camarade<br />
! Et le lendemain, Rocky confirme l'accusation<br />
! À ce moment, son père intervient<br />
et produit à son tour deux témoins : la fiancée<br />
de son fils qui n 'est autre qu 'Ann Daniels.<br />
Elle se remémore leur rencontre, le complexe<br />
de culpabilité de Rocky. Puis, vient le témoignage<br />
du psychanalyste en poste à Tunis au<br />
moment <strong>des</strong> faits, le docteur White qui réintroduit<br />
à son tour Loughlin, présent lors de<br />
la tragique bataille : Rocky aurait dû protéger<br />
l'avance de Daniels, mais une explosion<br />
l'a laissé inanimé. Depuis, il se sent coupable,<br />
ne se souvenant pas d'avoir été inconscient.<br />
Rocky, comme tant d'autres, est bien un héros<br />
méconnu et Denmore est débouté de sa plainte.<br />
Au final, le général Eisenhower en personne<br />
prononce un discours à West Point sur<br />
l'Amérique, «forteresse de la liberté ».<br />
LE RETOUR DU SOLDAT<br />
Si Beyond Glory (Retour sans espoir) se<br />
remarque dans la filmographie plutôt<br />
quelconque de John Farrow, c'est sans<br />
doute parce qu'il condense plusieurs<br />
genres hollywoodiens. <strong>La</strong> construction<br />
éclatée du récit, constitué d'une succession<br />
de retours en arrière, empile ainsi<br />
différentes conventions appartenant au<br />
suspense juridique, au film de guerre, au<br />
drame psychanalytique. Beyond Glory se<br />
distingue donc d'abord par la façon dont<br />
il superpose divers éléments hétérogènes.<br />
L'ouverture et surtout la conclusion<br />
du film (Eisenhower en personne fait<br />
un discours devant les élèves de West<br />
Point) ne laissent planer aucun doute sur<br />
ses intentions idéologiques. Il s'agit de<br />
faire l'apologie de la célèbre école d'officiers<br />
et de ses métho<strong>des</strong> fondées sur un<br />
système hiérarchique drastique et sur<br />
l'intégration d'un principe de soumission<br />
généralisé. L'effacement de l'individu<br />
par un système d'assujettissement<br />
collectif est-il compatible avec le projet<br />
démocratique inscrit dans les principes<br />
fondamentaux de l'Amérique ? <strong>La</strong> réponse,<br />
bien sûr, ne fera aucun doute dans<br />
le film standard de Farrow où West Point<br />
est présenté littéralement comme la « forteresse<br />
de la démocratie ». <strong>La</strong> formation<br />
<strong>des</strong> défenseurs de celle-ci transcende<br />
ainsi immanquablement les vexations<br />
nécessaires qui sont le quotidien d'une<br />
école où « les mois d'attente sont parfois<br />
traversés de minutes de bonheur ». L'accusation<br />
de brima<strong>des</strong> exercées sur un<br />
élève par le personnage d'Alan <strong>La</strong>dd va<br />
déclencher l'aveu d'un traumatisme subi<br />
durant les combats. Est-il coupable d'une<br />
lâcheté ayant causé la mort d'un de ses<br />
camara<strong>des</strong> ? Le témoignage d'un médecin<br />
mettant à jour la névrose du héros, le<br />
dédouanera in fine. John Farrow est, sans<br />
aucun doute, moins à l'aise qu'un Raoul<br />
Walsh qui, avec un matériau tout aussi<br />
hétérogène, réussira quelques années<br />
plus tard Glory Alley (la Ruelle du péché).<br />
C'est vers le milieu du récit, en tout cas,<br />
que Beyond Glory prend sa dimension la<br />
plus convaincante. Lorsque le héros, vétéran<br />
<strong>des</strong> combats de la Seconde Guerre<br />
mondiale revient chez lui et déclare : « Je<br />
suis rentré à New York et j'ai eu l'impression<br />
que les choses allaient désormais<br />
être différentes », il souligne l'impossibilité<br />
de participer à l'enivrement<br />
généralisé <strong>des</strong> festivités de la victoire, de<br />
s'intégrer à la liesse ambiante poisseuse<br />
et un peu veule. <strong>La</strong> mise en scène, les dé-<br />
cors, la lumière décrivent assez durement<br />
une atmosphère sinistre et dépressive. <strong>La</strong><br />
profondeur de champ <strong>des</strong>sine par moments<br />
le fossé qui sépare la réalité de sa<br />
signification, la vérité de tout réconfort<br />
imaginaire. Le comportement du personnage<br />
introduit là l'idée d'un deuil insoluble<br />
pour les survivants <strong>des</strong> combats<br />
et la sensation d'un irrémédiable gâchis<br />
humain hante cette partie du film. Un<br />
pessimisme évident attribuable à la par-<br />
BEYOND GLORY - 215<br />
ticipation de Jonathan <strong>La</strong>timer à l'écriture<br />
du scénario et dont le titre français<br />
rend bien compte, marque ainsi furtivement<br />
Beyond Glory, malgré son volontarisme<br />
idéologique.<br />
Jean-François Rauger<br />
1 Écrivain célèbre de romans noirs. Il a collaboré aux<br />
scénarios de plusieurs films de John Farrow.<br />
Alan <strong>La</strong>dd.
216 - ÉTATS-UNIS<br />
MITCHELL LEISEN<br />
KITTY<br />
LA DUCHESSE DES BAS-FONDS<br />
1944 - Mitchell Leisen<br />
Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Karl Tunberg). Auteur : Rosamund Marshall, d'après<br />
son roman. Se. : Darrell Ware, Karl Tunberg.<br />
Dir. ph. : Daniel L. Fapp. Effets spéciaux : Gordon<br />
Jennings. Effets photographiques : Farciot Edouart.<br />
Son : Don McKay, Don lohnson. Dir. art. : Fians<br />
Dreier, Walter Tyler.<br />
Décors et costumes <strong>des</strong>sinés par Raoul Pêne du Bois.<br />
Cost. : Madame Karinska. Maq. : Wally Westmore.<br />
Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor Young.<br />
Chorégraphie : Billy Daniels.<br />
Conseiller technique : Hilda Grenier. Int. : Paulette<br />
Goddard (Kitty), Ray Milland (Sir Hugh Marcy), Patrie<br />
Knowles (Brett Harwood, comte de Carstairs),<br />
Reginald Owen (le duc de Malmunster), Cecil<br />
Kellaway (Thomas Gainsborough), Constance Collier<br />
(<strong>La</strong>dy Susan Dowitt), Dennis Hoey (lonathan Selby),<br />
Sara Allgood (la vieille Meg), Eric Blore (Dobson),<br />
Gordon Richards (Sir Joshua Reynolds), Michael Dyne<br />
(le Prince de Galles), Edgar Norton (le comte de<br />
Campton), Patricia Cameron (Elaine Carlisle), Percival<br />
Vivian (le docteur Holt), Mary Gordon (Nanny), Anita<br />
Bolster (Nullens), Heather Wilde (Lil), Charles<br />
Coleman (le majordome), Mae Clark (Molly).<br />
Date de sortie : 16 octobre 1945, 13 mai 1947 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2381 m., 88 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />
Chierichetti : Mitchell Leisen : Hollywood director,<br />
Photoventures Press, 1995.<br />
Les bas-fonds de Londres, 1783. Employée<br />
par la vieille Meg, la jolie Kitty se prostitue.<br />
Un jour qu'elle traîne dans les beaux<br />
quartiers, elle chaparde à un « aristo » ses<br />
chaussures. Celui-ci, loin de la faire arrêter,<br />
l'introduit chez lui, la débarbouille et la peint.<br />
Il s'appelle Thomas Gainsborough. À l'atelier,<br />
Kitty rencontre Sir Hugh Marcy, un<br />
noble désargenté qui la prend à son service.<br />
Lors d'une exposition, le portrait de la belle<br />
inconnue attire tous les regards, et Hugh<br />
commence à entrevoir le parti à tirer de la notoriété<br />
de sa servante. Il dit la connaître, promet<br />
une rencontre au puissant duc de Malmunster<br />
et s'échine dès lors à faire de cette<br />
souillon une princesse. Mais pour éponger les<br />
dettes de Hugh qu'elle aime en secret, Kitty<br />
épouse un riche quincaillier. Celui-ci ne tarde<br />
pas à découvrir que sa femme est une voleuse.<br />
Un soir, il la bat ; une servante fracasse le crâne<br />
du maître avec un tisonnier avant de se<br />
jeter du haut d'un escalier. Voilà Kitty riche,<br />
veuve et... enceinte. Présentée enfin au vieux<br />
duc, elle l'épouse illico, et bientôt lui promet<br />
un héritier. Le soir de l'accouchement, bouleversé,<br />
épuisé par les centaines de marches de<br />
son palais, le duc s'effondre. Voilà Kitty très<br />
riche, encore veuve et mère du petit duc de<br />
Malmunster. Brett, comte de Carstairs, la<br />
courtise et très vite propose le mariage. Hugh,<br />
enfin amoureux et sentant le danger, exhibe<br />
la vieille Meg qui déballe le passé. Con tre touteattente,<br />
Brett ne change pas d'avis. Vaincu,<br />
Hugh se retire. Mais Kitty dévale les escaliers<br />
et se jette dans ses bras.<br />
TO EACH HIS OWN<br />
À CHACUN SON DESTIN<br />
1945 - Mitchell Leisen<br />
Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Charles Brackett). Auteur : Charles Brackett.<br />
Se. : Charles Brackett, Jacques Thery. Dir. ph. : Daniel<br />
L. Fapp, ASC. Effets spéciaux : Gordon jennings, ASC.<br />
Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />
Son : Don McKay, John Cope. Dir. art. : Hans Dreier,<br />
Roland Anderson. Déc. : Sam Corner, James M.<br />
Walters. Cost. : Edith Head. Maq. : Wally Westmore.<br />
Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor Young.<br />
Int. : Olivia De Havilland (Miss josephine Norris),<br />
Mary Anderson (Corinna Piersen), Roland Culver (Lord<br />
Desham), Phillip Terry (Alex Piersen), Bill Goodwin<br />
(Mac Tilton), Virginia Welles (Liz Lorimer), Victoria<br />
Home (Daisy Gingras), Griff Barnett (Mr. Norris),<br />
Aima Macrorie (Belle Ingham), Bill Ward (Gregory, à<br />
l'âge de cinq ans), Frank Faylen (Babe), Willard<br />
Robertson (le docteur Hunt), Arthur Loft (Mr. Clinton),<br />
Virginia Farmer (Mrs. Clinton), Doris Lloyd (Miss<br />
Pringle), Clyde Cook (Mr. Harkett), Ida Moore (Miss<br />
Clafin), Mary Young (Mrs. Nix), John Lund (le<br />
capitaine Bart Cosgrove/Gregory Piersen).<br />
Texte de présentation : « The most mysterious<br />
mysteries are people, and usually people who don't<br />
seem mysterious at ail ». Date de sortie : 12 mars<br />
1946, 5 novembre 1947 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 3328 m., 122 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />
Chierichetti : op. cit.<br />
<strong>La</strong> veille du jour de l'an, dans Londres<br />
bombardé, Josephine Norris, une américaine<br />
d'une cinquantaine d'années, sympathise<br />
avec Lord Desham, tant il semble lui aussi<br />
porter le poids d'un passé sinistré. Elle le laisse<br />
en plan quand elle apprend que l'officier<br />
Gregory Piersen arrive par le train du soir. A<br />
la gare, Josephine se souvient de l'autre guerre,<br />
de ce temps où elle était une jolie jeune fille<br />
rêvant à l'amour dans une petite ville de province.<br />
Éprise d'un aviateur de passage qui<br />
meurt au front, elle se retrouve enceinte et,<br />
après une grossesse courageuse, fille-mère.<br />
Inquiète du qu'en-dira-t-on, elle imagine<br />
d'abandonner le bébé pour l'adopter ensuite,<br />
quand elle est prise de vitesse par un couple<br />
d'amis en mal d'enfant. Celui que Josephine<br />
attend à la gare est cet enfant devenu grand,<br />
son enfant. Empêchée de le récupérer par la<br />
mère adoptive, décidée à se battre, repoussant<br />
toutes les deman<strong>des</strong> en mariage, Josephine<br />
part à New York et fait fortune dans les cosmétiques.<br />
Gregory a cinq ans maintenant et<br />
elle a le pouvoir désormais de le racheter à ses<br />
parents adoptifs ruinés. Mais il n 'est pas heureux<br />
dans sa nouvelle maison. De peur qu'il<br />
haïsse sa « tante », elle le rend à sa famille et<br />
s'exile à Londres. Le train entre en gare. Elle<br />
le reconnaît immédiatement. Lui est plus préoccupé<br />
de retrouver sa fiancée que défaire la<br />
conversation à celle qu'il croit une parente<br />
éloignée. Une fois de plus, Josephine se tient<br />
en retrait, mais confesse son secret à Lord Desham<br />
qui organise alors une petite mise en<br />
scène au terme de laquelle Gregory se retrouve<br />
marié et, enfin, informé sur ses origines.<br />
GOLDEN EARRINGS<br />
LES ANNEAUX D'OR<br />
1946-Mitchell Leisen<br />
Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Harry Tugend). Auteur : Yolanda Fol<strong>des</strong>, d'après son<br />
roman. Se. : Abraham Polonsky, Frank Butler, Helen<br />
Deutsch. Asst. réal. : johnny Coonan.<br />
Dir. ph. : Daniel L. Fapp, ASC.<br />
Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC.<br />
Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />
Son : Don McKay, Walter Oberst. Dir. art. : Hans<br />
Dreier, john Meehan. Déc. : Sam Corner, Grâce<br />
Gregory. Cost. : Mary Kay Dodson. Maq. : Wally<br />
Westmore. Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor<br />
Young. Chanson « Golden Earrings » : Jay Livingston,<br />
Ray Evans (paroles), Victor Young (musique).<br />
Assistant musique : Phil Boutelje. Chorégraphie : Billy<br />
Daniels. Int. : Ray Milland (le colonel Ralph<br />
Denistoun), Marlene Dietrich (Lydia), Murvyn Vye<br />
(Zoltan), Bruce Lester (Byrd), Dennis Hoey (Hoff),<br />
Quentin Reynolds (lui-même), Reinhold Schunzel (le<br />
professeur Otto Krosigk), Ivan Triesault (le major<br />
Reimann), Hermine Sterler (Greta Krosigk), Eric<br />
Feldary (Zweig), Gisela Werbiseck, <strong>La</strong>rry Simms, Hans<br />
Von Morhart, Louise Colombet. Date de sortie : 27<br />
août 1947, 17 septembre 1948 (Paris).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2590 m., 95 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />
Chierichetti : op. cit.<br />
Londres, automne 1946. Le colonel Ralph<br />
Denistoun (signeparticulier : les oreillespercées)<br />
reçoit un petit colis contenant deux anneaux<br />
d'or. Aussitôt, il quitte son hôtel. Dans<br />
l'avion, il raconte son histoire à Reynolds, un<br />
ancien correspondant de guerre américain.<br />
Avant le début <strong>des</strong> hostilités, l'officier Byrd<br />
et lui-même étaient en Allemagne, envoyés<br />
par les services secrets anglais pour entrer en<br />
contact avec un scientifique détenteur de la<br />
formule d'un gaz très nocif. Mais ils sont faits<br />
prisonniers par les nazis. Ils s'évadent et,<br />
dans la nuit, se séparent pour augmenter<br />
leurs chances. Avançant en pays hostile,<br />
Ralph rencontre Lydia, une gitane. Il a l'idée<br />
de voyager avec elle, déguisé en gitan (les<br />
boucles d'oreilles !). D'abord sur ses gar<strong>des</strong>,<br />
il tombe peu à peu sous le charme ensorceleur<br />
de la diseuse de bonne aventure. Ils traversent<br />
ainsi une grande partie de l'Allemagne,<br />
à la barbe de l'ennemi. Un soir, ils arrivent<br />
au camp de Zoltan, le chef <strong>des</strong> gitans, avec lequel<br />
Ralph se bat avant de sympathiser. Peu<br />
à peu, Ralph se transforme et n'est plus tout<br />
à fait un « gadjo » : il devine les pensées de<br />
Lydia et, quand il retrouve Byrd, lit dans la<br />
main de son ami qu'il va mourir. Ce qui arrive.<br />
Il trouve la maison du professeur. Les<br />
nazis sont là aussi. Avec l'aide de Zoltan et<br />
de Lydia, il obtient quand même la formule<br />
au moment précis où la guerre est annoncée<br />
à la radio. Lydia l'a aidé à quitter le territoire<br />
allemand et maintenant, six ans après, il vole<br />
vers elle.<br />
SONG OF SURRENDER<br />
1948-Mitchell Leisen<br />
Réal. : Mitchell Leisen. Prod. : Paramount Pictures<br />
(Richard Maibaum). Auteur : Ruth McKenney, Richard<br />
Bransten. Se. : Richard Maibaum. Asst. réal. : lohn<br />
Coonan. Dir. ph. : Daniel L. Fapp, ASC.<br />
Effets spéciaux : Gordon Jennings, ASC.<br />
MITCHELL LEISEN-217<br />
Effets photographiques : Farciot Edouart, ASC.<br />
Son : Don McKay, John Cope. Dir. art. : Hans Dreier,<br />
Henry Bumstead. Déc. : Sam Corner, Ray Moyer.<br />
Cost. : Mary Kay Dodson. Maq. : Wally Westmore.<br />
Mont. : Aima Macrorie. Mus. : Victor Young.<br />
Chanson « Song of Surrender » : Jay Livingston, Ray<br />
Evans (paroles), Victor Young (musique). Chantée par<br />
Buddy Clark. Sérénade de Schubert, chantée par<br />
Richard Tucker (« Metropolitan Opéra Company »).<br />
Una furtiva lagrima, O Paradiso, O sole mio, <strong>La</strong><br />
donna è mobile, par Enrico Caruso.<br />
Direction <strong>des</strong> dialogues : Phyllis Loughton.<br />
Int. : Wanda Hendrix (Abigail Hunt), Claude Rains<br />
(Elisha Hunt), MacDonald Carey (Bruce Eldridge),<br />
Andréa King (Phyllis Cantwell), Henry Hull (Deacon<br />
Parry), Elizabeth Patterson (Mrs. Beecham), Art Smith<br />
(Mr. Willis), john Beal (Dubois), Eva Gabor (la<br />
comtesse Marina), Dan Tobin (Clyde Atherton),<br />
Nicholas Joy (le général Seckle), Peter Miles (Simon<br />
Beecham), Ray Walker (le commissaire-priseur), Gigi<br />
Perreau (Faith Beecham), Ray Bennett (Mr. Beecham),<br />
Clancy Cooper (Mr. Toorance), Georgia Backus (Mrs.<br />
Parry). Date de sortie : 28 octobre 1949.<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2537 m., 93 mn.<br />
Version originale. Noir et blanc. Doc. : David<br />
Chierichetti : op. cit.<br />
<strong>La</strong> Nouvelle Angleterre, 1906. Conservateur<br />
d'un musée, paroissien austère aux<br />
principes stricts, Elisha Hunt a épousé Abigail,<br />
une femme beaucoup plus jeune que lui,<br />
presqu'une gamine. Bruce Eldridge, un dilettante<br />
de la classe aisée new yorkaise, rencontre<br />
fortuitement le couple. Il est séduit par<br />
cette enfant sauvage, innocente, ignorant<br />
tout <strong>des</strong> plaisirs du monde et dévouée au<br />
maître du logis. À une vente aux enchères où<br />
son mari l'a laissée aller seule, Abigail acquiert,<br />
un peu par hasard, et au grand dam<br />
<strong>des</strong> défenseurs de la décence, un gramophone<br />
! De retour à la maison, elle met un disque<br />
et « rencontre » Caruso. Mais Elisha ne<br />
l'entend pas de cette oreille. Elle cache la machine<br />
diabolique dans une grotte, et en l'absence<br />
de son mari, écoute cette musique qui<br />
fait vibrer en elle une corde inconnue. Séduite<br />
par cette atmosphère nouvelle, elle se laisse<br />
embrasser par Bruce qui l'a rejointe. Le soir<br />
suivant, il l'emmène au bal. Mais quand<br />
sonne minuit, elle renonce aux lumières de la<br />
ville, au Champagne, à la valse, à son amant
218-ÉTATS-UNIS<br />
et retourne à son quotidien. Pourtant, elle cache<br />
difficilement sa tristesse et Elisha, de retour,<br />
comprend ce qui a changé. Le lendemain<br />
à la messe, il monte en chaire et se déchaîne.<br />
Il désigne publiquement sa femme comme pécheresse<br />
et la chasse. Hors d'elle, elle part à<br />
New York retrouver Bruce qui quitte sur le<br />
champ Phyllis, sa fiéleuse fiancée. Ensemble,<br />
ils retournent à la maison d'Elisha et le voient<br />
très mal en point. Abigail choisit de rester à<br />
ses côtés. Peu après, il meurt d'une attaque.<br />
Et un jour, une musique familière s'échappe<br />
de la grotte. Elle court vers son amour.<br />
LUMIÈRES DANS L'OMBRE<br />
Parce qu'il débuta comme décorateur,<br />
Mitchell Leisen (1898-1972) passe<br />
pour un cinéaste décoratif. Idée toute<br />
faite, idée mal faite, selon laquelle il n'y<br />
aurait à ce compte de films alimentaires<br />
que ceux réalisés par <strong>des</strong> metteurs en<br />
scène ayant débuté comme responsable<br />
de la cantine.<br />
Fils d'un brasseur de bière du Michigan,<br />
Leisen fait <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> d'architecture<br />
et commence comme protégé de Cecil B.<br />
DeMille, pour qui il s'occupe, de 1919 à<br />
1932, non seulement <strong>des</strong> décors, mais<br />
aussi <strong>des</strong> costumes. Il travaille avec Frank<br />
Urson (Chicago), Ernst Lubitsch, Allan<br />
Dwan, Raoul Walsh, avant de coréaliser<br />
deux films avec Stuart Walker. Il devient<br />
un <strong>des</strong> piliers de la Paramount pour laquelle<br />
il va tourner trente cinq films de<br />
1933 à 1951. <strong>La</strong> plupart sont assez difficiles<br />
à voir aujourd'hui. On connaît surtout<br />
Murder at The Vanities (1934), agréable<br />
thriller dont certaines « trouvailles »<br />
de mise en scène sont épatantes et qui a<br />
le bon goût de présenter l'orchestre de<br />
Duke Ellington ; Easy Living (1937), une<br />
charmante comédie écrite par Preston<br />
Sturges où Jean Arthur fait <strong>des</strong> étincelles ;<br />
Midnight/la Baronne de minuit (1939), écrit<br />
par le tandem Wilder-Brackett, où Leisen<br />
est sans doute le plus proche de Lubitsch ;<br />
Remember the Night (1940) où le couple<br />
Barbara Stanwyck-Fred McMurray ma-<br />
gnifie un superbe script de Preston<br />
Sturges.<br />
C'est avec <strong>La</strong>dy in the Dark I les Nuits<br />
ensorcelées (1944) - dont le titre original<br />
pourrait symboliser la partie la plus intime<br />
de son œuvre - que Mitchell Leisen<br />
cesse d'être un cinéaste de genre pour injecter<br />
<strong>des</strong> éléments plus personnels, parfois<br />
lourds et hétérogènes, à l'intérieur<br />
<strong>des</strong> mélodrames et comédies que la Paramount<br />
lui fait tourner.<br />
L'exemple de Kitty I la Duchesse <strong>des</strong><br />
bas-fonds (1945) est assez symptomatique<br />
du tournant opéré. Il fait partie <strong>des</strong> films<br />
« à costumes » tournés par Leisen après<br />
la guerre. L'histoire commence dans les<br />
taudis de Londres sous le règne de<br />
George III, c'est-à-dire près de cent ans<br />
après l'intrigue de Forever Amber I Ambre<br />
(Otto Preminger, 1947). On plonge au<br />
cœur de cette société anglaise de la fin du<br />
XVIII e siècle, où les Lumières cheminent<br />
lentement depuis l'Ecosse, la capitale<br />
étant livrée à la pourriture sociale et du<br />
même coup au joyeux cynisme qui forment<br />
le fond du roman picaresque anglais<br />
et l'axe du scénario de ce film. <strong>La</strong><br />
duplicité, le faux-amour, les chassés-croisés<br />
sentimentaux calculés, la pénombre<br />
propre à Leisen opèrent autour d'un<br />
thème central : l'argent. Lors de la première<br />
scène dramatique du film, magnifiquement<br />
photographiée et mise en<br />
scène, le mari de Kitty est assassiné pour<br />
que ne soit pas révélé un vol de soixantequinze<br />
livres sterling. Les liaisons, les<br />
mariages, les décès sont <strong>des</strong> instruments<br />
au service de l'argent. Ce qui est non-dit<br />
sentimental ailleurs chez Leisen, est ici<br />
dissimulation et calcul. Le mystère de<br />
l'être moyèn ou de basse extraction n'est<br />
plus ici le produit de ses conditions<br />
d'existence mais l'occasion de son ascension<br />
sociale. Mitchell Leisen donne avec<br />
Kitty une variation cynique et souvent<br />
brillante de sa prédilection pour la réalité<br />
cachée <strong>des</strong> êtres et les méandres équivoques<br />
de la passion.<br />
Il est même arrivé que la possibilité<br />
d'un traitement personnel de la théma-<br />
tique d'un film ne lui apparaisse pas immédiatement<br />
et lui semble tout d'abord<br />
inexistante, comme ce fut le cas avec To<br />
Each His Own IÀ chacun son <strong>des</strong>tin (1946).<br />
On sait que Mitchell Leisen ne s'est que<br />
peu à peu enthousiasmé pour cette histoire<br />
dans la tradition du war melodrama,<br />
en particulier suite aux affrontements les<br />
premières semaines avec le scénariste<br />
Charles Brackett. Il s'agit pourtant d'un<br />
sujet typiquement « leisenien », nécessitant<br />
un traitement en flash-back et mettant<br />
au cœur de l'intrigue l'histoire « secrète<br />
» d'une femme d'origine mo<strong>des</strong>te<br />
(son père tient un drugstore) qui devient<br />
successivement femme d'affaires et mère<br />
solitaire et renfermée. Le film est, à n'en<br />
pas douter, réalisé du point de vue de<br />
cette femme, admirablement interprétée<br />
en finesse et en retenue par Olivia de Havilland.<br />
Le prologue, en forme d'hommage à<br />
tous les « John Doe » de la terre, affirme<br />
clairement la thématique et l'ambition du<br />
film qui peuvent se comprendre comme<br />
celles du cinéma de Mitchell Leisen dans<br />
ses plus gran<strong>des</strong> réussites : « Les mystères<br />
les plus mystérieux, ce sont les gens<br />
et, d'habitude, les gens qui ne semblent<br />
pas du tout mystérieux. » Le spectateur<br />
est ainsi constamment sollicité pour en<br />
apprendre plus sur les personnages que<br />
les personnages n'en savent eux-mêmes.<br />
Leisen traite avec goût, lyrisme et discrétion<br />
les moments-clés où l'information<br />
est donnée aux spectateurs, car il s'agit<br />
dans ces moments de l'essence même de<br />
son talent particulier et de son intérêt<br />
pour l'histoire qu'il raconte. Voir par<br />
exemple la scène du verre de lait par laquelle<br />
nous apprenons que Miss Norris<br />
est enceinte, ou la scène finale de la révélation<br />
de son identité à son fils. To Each<br />
His Own semblait au départ un fardeau à<br />
Mitchell Leisen. À l'arrivée, il s'agit pourtant<br />
d'un de ses films les plus achevés et<br />
sans doute un <strong>des</strong> plus personnels.<br />
Il lui est cependant arrivé de ne pas<br />
pouvoir réellement transfigurer ou même<br />
infléchir le matériau dont il disposait,<br />
En haut :<br />
Kitty,<br />
Ray Milland, Paulette Goddard.<br />
En bas :<br />
Golden Earrings,<br />
Marlene Dietrich, Ray Milland.<br />
MITCHELL LEISEN - 219
220 - ÉTATS-UNIS<br />
En haut :<br />
To Each His Own,<br />
Olivia De Haviland, John Lund.<br />
En bas :<br />
Song of Surrender,<br />
Wanda Hendrix.<br />
comme ce fut le cas avec Golden Earrings<br />
I les Anneaux d'or (1947). Improbable histoire<br />
d'espionnage, le film est pourtant<br />
construit, comme souvent chez Leisen,<br />
sur un flash-back exposant les circonstances<br />
qui ont conduit Ray Milland à<br />
avoir les oreilles percées. Mais le talent<br />
du metteur en scène n'est pas à son affaire<br />
avec <strong>des</strong> héros, ni avec une guerre<br />
mondiale. Il ne s'intéresse visiblement<br />
pas à son intrigue, hormis lors de la scène,<br />
la meilleure du film, où le savant qui détient<br />
une formule de la plus haute importance<br />
parvient à la transmettre à Ray<br />
Milland, déguisé en tsigane, au nez et à<br />
la barbe <strong>des</strong> nazis en emportant l'adhésion<br />
complice du spectateur. L'intrigue<br />
proprement politique et d'espionnage est<br />
traitée de façon quasi somnambulique.<br />
Le film est entièrement legato, statique et<br />
bavard, englué pour finir dans une musique<br />
hollywoodo-tsigane sirupeuse du<br />
pire effet. Golden Earrings est cependant<br />
un film intéressant, en ce qu'il suggère les<br />
limites de l'univers auquel Mitchell Leisen<br />
peut apporter un talent par ailleurs<br />
remarquable. Mais il faut bien le reconnaître<br />
: Golden Earrings n'est pas Cloak and<br />
Dagger (1946). <strong>La</strong> comparaison <strong>des</strong> deux<br />
films, construits sur un schéma assez voisin,<br />
permettrait sans doute d'affiner les<br />
caractéristiques <strong>des</strong> univers respectifs de<br />
Fritz <strong>La</strong>ng et de Mitchell Leisen, et de la<br />
personnalisation du matériau narratif<br />
qu'ils manipulent.<br />
Leisen, brillant réalisateur d'avantguerre,<br />
bénéficia de l'aide de scénaristes<br />
aussi inventifs que Preston Sturges, Billy<br />
Wilder et Charles Brackett. En 1941, il a<br />
travaillé sur <strong>des</strong> scripts de Richard Maibaum<br />
pour I Wanted Wings (l'Escadrille <strong>des</strong><br />
jeunes) et Hold Back the Dawn (la Porte d'or)<br />
et c'est à nouveau Maibaum qui écrit le<br />
scénario étrange et fort de Song of Surrender<br />
(1948).<br />
Ce film représente sans doute la mise<br />
en œuvre la plus aboutie du goût de Mitchell<br />
Leisen pour la pénombre <strong>des</strong> sentiments,<br />
souvent symbolisée par la pénombre<br />
même <strong>des</strong> décors. Leisen décrit<br />
avec minutie et élégance les tourments<br />
<strong>des</strong> passions chez <strong>des</strong> êtres humbles et<br />
apparemment simples, dissimulés au sein<br />
d'une société puissamment policée et farouchement<br />
obscurantiste, ici la Nouvelle<br />
Angleterre blanche et protestante<br />
du début du siècle.<br />
Le travail de son directeur de la photo<br />
et complice, Daniel L. Fapp, est comme<br />
d'habitude essentiel au style de Leisen. Il<br />
lui permet de donner un équivalent immédiat,<br />
palpable, au clair-obscur <strong>des</strong> sentiments<br />
qui habitent le personnage féminin<br />
principal dont c'est, une fois encore,<br />
le point de vue qui structure la narration.<br />
<strong>La</strong> souplesse <strong>des</strong> travellings, la composition<br />
travaillée de cette région qui se<br />
trouve à la jonction <strong>des</strong> ombres et <strong>des</strong> lumières,<br />
évoquent de façon révélatrice les<br />
tonalités ambiguës de son univers psychologique.<br />
Il y a au fond peu de cinéastes<br />
dont l'univers plastique résume, symbolise<br />
et enrichit l'univers émotionnel. Mitchell<br />
Leisen est de ces cinéastes-là dans<br />
ses meilleurs films. Song of Surrender en<br />
fait partie et, à ce titre, s'impose comme<br />
une œuvre à redécouvrir.<br />
On peut regretter que la collaboration<br />
avec Maibaum ne se poursuive pas après<br />
No Man of Her Ownlles Chaînes du <strong>des</strong>tin<br />
(1950), remarquable film noir d'après<br />
William Irish. Les deux hommes se détestent.<br />
Tout les oppose : Maibaum est un<br />
hétérosexuel de gauche qui vient du<br />
théâtre à tendance sociale, Leisen est un<br />
homosexuel capricieux et raffiné, indifférent<br />
à la politique. De l'alliance de ces<br />
deux mon<strong>des</strong> auraient pu naître de grands<br />
films, mais le <strong>des</strong>tin en a décidé autre-<br />
ment.<br />
Dire : « Au fond, le cinéma intéressait<br />
peu ce dilettante » 1 relève de la diffamation,<br />
qui n'est pas poursuivie en matière<br />
artistique. Sous réserve d'inventaire 2 ,<br />
Mitchell Leisen a réalisé en quinze ans au<br />
moins six films qui témoignent d'un réel<br />
engagement esthétique et d'un indiscutable<br />
talent de metteur en scène. Si l'on<br />
veut bien considérer que « le style, c'est<br />
l'homme », Leisen est un <strong>des</strong> réalisateurs<br />
MITCHELL LEISEN - 221<br />
les plus personnels de l'usine hollywoodienne,<br />
parvenant à infléchir les scénarios<br />
les plus rebattus vers un entre chien<br />
et loup psychologique et sentimental<br />
souvent en concordance avec une splendeur<br />
esthétique qu'on ne lui dénie jamais.<br />
En 1951, il quitte la Paramount. Il a<br />
cinquante-trois ans. Il fait six films pour<br />
trois studios différents. <strong>La</strong> télévision, le<br />
rock and roll, les drive-in, la science-fiction,<br />
le hula-hoop vont débouler. En 1957,<br />
il ne peut plus tourner que pour la télévision,<br />
à l'exception du catastrophique<br />
Spree dix ans plus tard. Il n'a ni l'âge ni<br />
les dispositions pour Corman et Arkoff ;<br />
il n'a pas non plus le goût du combat pour<br />
le cinéma indépendant. Il faut bien vivre,<br />
et les studios eux-mêmes souffrent. Ce<br />
professionnel averti et passionné par le<br />
cinéma et son esthétique retourne alors à<br />
ses premières amours : les costumes et la<br />
décoration.<br />
Le fait est qu'après 1950 et la séparation<br />
d'avec Maibaum, Mitchell Leisen n'a<br />
hélas plus retrouvé cette aptitude particulière,<br />
magnifiant chacune de ses réussites<br />
et génératrice d'émotion - la matière<br />
même dont sont faits les films -, à peindre<br />
<strong>des</strong> personnages ordinaires, et singulièrement<br />
<strong>des</strong> femmes, torturés simultanément<br />
par la recherche d'étincelles de vie<br />
et la crainte de l'embrasement.<br />
Jean-Pierre Jackson<br />
1 Jean Tulard : Dictionnaire <strong>des</strong> réalisateurs, Robert <strong>La</strong>ffont,<br />
1982 et 1992.<br />
2<br />
Ce « dilettante » réalisa vingt-huit films en dix-sept<br />
ans, entre 1933 et 1950, sur lesquels il assura, souvent<br />
non crédité, la coécriture du scénario, la supervision<br />
<strong>des</strong> costumes et <strong>des</strong> décors, et quelquefois la production.<br />
Beaucoup de ces films sont très difficiles à<br />
voir aujourd'hui. Cette situation pourrait, au vu <strong>des</strong><br />
titres sauvegardés par la <strong>Ciné</strong>mathèque française (en<br />
particulier Kitty, Song of Surrender et To Each His<br />
Own), réserver de réelles surprises, rendant ridicule<br />
un jugement péremptoire de nature psychologique<br />
non basé sur une vraie consultation <strong>des</strong> œuvres.
Beyond Glory<br />
(John Farrow,<br />
1948).<br />
222 - ÉTATS-UNIS<br />
PARAMOUNT<br />
En 1973, pour le soixantième anniversaire<br />
de la Paramount, la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française rendait hommage au<br />
fondateur du studio. À cette occasion,<br />
Henri <strong>La</strong>nglois a écrit le texte que nous<br />
reproduisons ici.<br />
L'ŒUVRE D'ADOLPH ZUKOR<br />
En 1912, la guerre <strong>des</strong> brevets bloquait<br />
l'avenir du cinéma américain.<br />
Traqués par les huissiers, fuyant vers<br />
l'Ouest, face à la Biograph et à la Vitagraph,<br />
et surtout face au film d'art européen<br />
qui dominait le marché, les indépendants<br />
étaient de véritables outlaws,<br />
méprisés de l'industrie régulière.<br />
C'est ainsi que Zukor mit fin à cette<br />
situation d'ilotes, en associant à la production<br />
indépendante le nom prestigieux<br />
de Sarah Bernhardt. Ce fut Elisabeth Reine<br />
d'Angleterre I Queen Elizabeth de Louis<br />
Mercanton qui marqua l'avènement du<br />
cinéma américain tel qu'il nous est<br />
connu.<br />
Dès 1913, Mary Pickford a choisi<br />
Zukor, et Broadway a émigré à Hollywood<br />
avec Cecil B. DeMille. Les derniers<br />
films du grand pionnier de la Biograph,<br />
Edwin S. Porter, sont <strong>des</strong> films Famous<br />
Players, c'est-à-dire Paramount.<br />
Associé à Jesse <strong>La</strong>sky, Adolph Zukor,<br />
d'abord inquiet du gigantisme de Griffith,<br />
en tire la leçon devant le triomphe de<br />
The Birth ofa Nation. Il est mûr pour faire<br />
de la Paramount le pivot principal de<br />
l'Hollywood naissant.<br />
Bientôt, Maurice Tourneur va apporter<br />
son concours et renouveler les liens<br />
entre l'art cinématographique français et<br />
la Paramount.<br />
Bientôt, tout le <strong>des</strong>tin du cinéma français<br />
va se trouver modifié par l'apparition<br />
à Paris de The Cheat (Forfaiture). C'est<br />
ainsi que le renouveau du cinéma fran-<br />
çais a pour origine la vision d'un film de<br />
Cecil B. DeMille.<br />
À la fin de la Triangle, Thomas H.<br />
Ince, Douglas Fairbanks, William S. Hart<br />
vont se replier sur la Paramount, avant<br />
de retrouver un deuxième souffle.<br />
James Cruze va s'y révéler et c'est<br />
vers Zukor que se tourne Valentino.<br />
Entre-temps, Cecil B. DeMille, avec Wallace<br />
Reid et Gloria Swanson, vont transférer<br />
sur le Pacifique notre Comédie <strong>des</strong><br />
Boulevards. Alfred Savoir, Yves Mirande<br />
verront leurs œuvres portées à l'écran et<br />
habillées par Erté et Paul Iribe, dans ce<br />
qui maintenant s'appelle Paramount, à<br />
New York comme à Paris, où s'est constituée<br />
la Paramount française en 1921.<br />
Louis Mercanton y mettra en scène<br />
Réjane (Miarka, la fille à l'ourse I Gipsy Passion),<br />
Henry Roussell y fera débuter Raquel<br />
Meller, et Gloria Swanson y viendra<br />
tourner, sous la direction de Léonce Perret,<br />
à Fontainebleau, Madame Sans-Gêne.<br />
1923 verra The Covered Wagon (la Caravane<br />
vers l'Ouest) et The Ten Commandments.<br />
Puis, quand DeMille quittera la Paramount<br />
pour devenir son seul producteur,<br />
Zukor n'hésitera pas à le remplacer<br />
par Griffith.<br />
Venus d'Allemagne, Lubitsch et Pola<br />
Negri passent, à leur tour, à la Paramount,<br />
et Forbidden Paradise va marquer<br />
le joint à nouveau entre l'art européen et<br />
l'art américain.<br />
Mais c'est l'avènement de Sternberg,<br />
avec Underworld (les Nuits de Chicago), qui<br />
va marquer le cinéma américain pour<br />
plus d'une décade.<br />
C'est aussi la participation de la Paramount<br />
à la création de Variété qui<br />
marque la maturité du cinéma muet.<br />
Ce sont Emil Jannings et Mauritz Stiller<br />
qui rejoignent la famille Paramount.<br />
Dans un autre domaine, ce sont les<br />
grands documentaires, encore inégalés :<br />
Grass de Schoedsack et Cooper, Moana de<br />
Robert Flaherty, Tabu de Murnau. Finalement,<br />
le dernier chef-d'œuvre d'Erich<br />
von Stroheim : The Wedding March I la<br />
Symphonie nuptiale.<br />
C'est aussi à la Paramount qu'on doit<br />
Louise Brooks et W.C. Fields, et cette série<br />
de comédies mises en scène par Malcolm<br />
St Clair, avec Adolphe Menjou et Bebe<br />
Daniels.<br />
Ce sont les premières actualités sonores<br />
et l'avènement du parlant.<br />
<strong>La</strong> venue de Maurice Chevalier, Ver<br />
Blaue Engel, avec Marlene Dietrich, et la<br />
grande époque de ce qu'on appelait alors<br />
l'opérette filmée.<br />
C'est le renouvellement total du cinéma<br />
burlesque américain par les Marx<br />
Brothers et toute la grande série <strong>des</strong> burlesques<br />
Paramount.<br />
C'est, enfin, Mae West.<br />
À Paris, les studios Paramount, à<br />
Saint-Maurice, sont au centre de toute la<br />
production européenne. On y tourne en<br />
anglais, en français, en espagnol, en suédois,<br />
en allemand, Marins de Pagnol et<br />
toute une série de films d'après Marcel<br />
Achard, Yves Mirande et Alfred Savoir.<br />
Et puis, c'est le réveil du génie de<br />
Cecil B. DeMille, les grands westerns signés<br />
de lui et de King Vidor, l'avènement<br />
de Hathaway, le renouvellement de la<br />
comédie américaine par Preston Sturges<br />
et, après la guerre, Billy Wilder, William<br />
Wyler.<br />
Tandis qu'à l'opposé, Hitchcock, qui<br />
a rejoint la Paramount, ajoute à son alchimie,<br />
la couleur, et fait de Vertigo<br />
(Sueurs froi<strong>des</strong>) une <strong>des</strong> œuvres les plus<br />
essentielles du cinéma.<br />
Ce sont les ultimes créations de Cecil<br />
B. DeMille, superproductions où il retrouve<br />
tout son souffle, et qui s'achèvent<br />
sur The Ten Commandments.<br />
C'est la fin d'une époque, celle <strong>des</strong><br />
films <strong>des</strong>tinés à l'enthousiasme <strong>des</strong> masses,<br />
jusqu'aux pays les plus éloignés de<br />
notre civilisation.<br />
Mais ces productions, par lesquelles<br />
la Paramount essaye de rompre les maléfices<br />
qui cernent l'avenir du cinéma, de<br />
dominer le problème que pose l'avènement<br />
de la télévision, de faire face à ce qui<br />
risque de compromettre l'ampleur et<br />
l'audience de l'art cinématographique,<br />
sont dépassées par la profondeur d'une<br />
crise, qui n'est pas celle de l'art cinématographique,<br />
mais celle de toute une civilisation,<br />
et ces films marquent la fin<br />
d'une époque, comme Elisabeth reine<br />
d'Angleterre en a marqué l'avènement.<br />
Le génie de Zukor consiste à ne pas<br />
s'obstiner. Il fit face à l'inconnu, à cette<br />
mutation dont on ressentait les effets,<br />
sans en trouver, sinon la raison, du moins<br />
la solution.<br />
C'est ainsi que la Paramount, dans le<br />
noir où se débattaient le cinéma professionnel<br />
et la grande industrie cinématographique,<br />
se rallia d'instinct à la solution<br />
qui allait lui permettre de renouveler<br />
son <strong>des</strong>tin et de retrouver sa vigueur.<br />
Toute entreprise nouvelle est due à<br />
<strong>des</strong> pionniers, à <strong>des</strong> novateurs, à la jeunesse,<br />
puis, l'entreprise mise sur rail,<br />
avance et grandit par la force même de<br />
son existence, de son organisation, de son<br />
acquis, de sa professionnalité, la succession<br />
du fondateur ne posant aucun problème,<br />
se faisant naturellement par passation<br />
de pouvoir, par succession de<br />
connaissances : Eastman mort, Kodak continue,<br />
prospère, se développe.<br />
PARAMOUNT - 223<br />
Il en est tout autrement d'une entreprise<br />
liée à la création artistique. C'est<br />
une question qui dépasse le savoir, qui<br />
exige l'instinct, <strong>des</strong> dons, <strong>des</strong> audaces,<br />
une vitalité, un médium avec le public.<br />
C'est pour avoir su confier les <strong>des</strong>tins<br />
de la Paramount à <strong>des</strong> hommes, comme<br />
lui pragmatiques, mais jeunes et par là<br />
plus en contact avec les réalités du devenir,<br />
que Zukor a maintenu la Paramount.<br />
C'est ce qui lui a permis de trouver les<br />
films qui pouvaient toucher les nouvelles<br />
générations de spectateurs et répondre à<br />
ce qu'elles attendaient du cinéma.<br />
Pourquoi s'en étonner d'un homme<br />
qui, parti du néant, ne cessa au cours de<br />
son existence, de considérer que la popularité<br />
du cinéma ne pouvait se maintenir<br />
que dans une action sans cesse renouvelée,<br />
dans une marche en avant, jamais<br />
interrompue, et dont le pragmatisme<br />
a toujours fait passer l'évolution<br />
avant tout confort.<br />
Un homme capable de passer du Nickel<br />
Odeon aux palaces cinématographiques,<br />
<strong>des</strong> budgets timi<strong>des</strong> <strong>des</strong> premiers<br />
films aux dépenses nécessaires à la<br />
réalisation <strong>des</strong> films les plus ambitieux,<br />
qui n'a cessé de s'intéresser au devenir<br />
du cinéma, qui voulut le doter de la quatrième<br />
dimension, qui n'a hésité ni devant<br />
la polyphonie, ni devant la couleur,<br />
et qui comprit que ses successeurs devaient<br />
être comme lui, non <strong>des</strong> continuateurs,<br />
mais <strong>des</strong> novateurs.<br />
Henri <strong>La</strong>nglois
224-ÉTATS-UNIS<br />
Francisco Reiguera (Don Quichotte) - Akim Tamiroff (Sancho Pança).<br />
DON QUIXOTE<br />
DON QUICHOTTE<br />
(inachevé)<br />
1957-1972 -Orson Welles<br />
Réal. : Orson Welles. Prod. : Oscar Dancigers, Orson<br />
Welles. Dir. de prod. : Alessandro Tasca di Cuto.<br />
Auteur : Miguel de Cervantes, d'après son roman<br />
homonyme. Se. : Orson Welles. Asst. réal. : juan Luis<br />
Bunuel. Asst. réal./Scripte : Paola Mori, Mauro<br />
Bonanni, Maurizio Lucidi. Dir. ph. : jack Draper.<br />
Asst. ph. : Orson Welles, Giorgio Tonti, Ricardo<br />
Navarete. Mont, (partiel) : Orson Welles, Renzo<br />
Lucidi, Mauro Bonanni. Extérieurs tournés au Mexique<br />
(Puebla, Tepozlan, Texcoco, Rio Frfo, Mexico), en<br />
Espagne (Pampelune, Séville), en Italie (Rome,<br />
Manziana, Civitavecchia) et ailleurs. Int. : Francisco<br />
Reiguera (Don Quichotte), Akim Tamiroff (Sancho<br />
Pança), Patty McCormack (une jeune fille et Dulcie),<br />
Orson Welles (lui-même et le narrateur).<br />
Métrage, minutage copie Cf. : 2185 m., 80 mn.<br />
Version originale (nombreuses parties muettes). Noir<br />
et blanc. Doc. : Moi, Orson Welles. Entretiens avec<br />
Peter Bogdanovich, préface et notes de Jonathan<br />
Rosenbaum, Belfond, 1993. Cahiers du cinéma, horssérie<br />
: Orson Welles, 1986. Juan Cobos : Orson<br />
Welles, Espana como obsesiôn, Valence, 1993.<br />
Quelques épiso<strong>des</strong> <strong>des</strong> aventures du chevalier<br />
Don Quichotte de la Manche et de Sancho<br />
Pança, son fidèle écuyer, dans l'Espagne<br />
contemporaine du tournage du film.<br />
OU IL APPARAÎT<br />
QUE LES AVENTURES<br />
DU QUICHOTTE CONTINUENT<br />
Don Quixote de Welles fut annoncé si<br />
souvent qu'ironiquement il proposait<br />
lui-même de l'appeler When Are You<br />
Going to Finish Don Quixote ? Une copie<br />
de travail en a été déposée à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
par Oja Kodar, qui fut son actrice<br />
entre autres dans F for Pake. Une partie<br />
seulement, peut-être un tiers, du matériel<br />
est sonorisé, sans aucun générique, certaines<br />
scènes sont séparées par <strong>des</strong> blancs ;<br />
l'ensemble pourtant est passionnant. Ces<br />
ruines d'un film sont somptueuses, et<br />
quelque chose du <strong>des</strong>sin d'ensemble y est<br />
sensible, comme une radiation. Le terme<br />
n'est pas hasardeux, puisque le film, c'est<br />
la raison donnée souvent de son inachèvement,<br />
devait se terminer par une explosion<br />
atomique. Il faut remonter d'une<br />
part à l'intérêt que Welles portait à Cervantès,<br />
et le relier à un personnage<br />
comme Falstaff : fréquence de l'innocence<br />
dans l'œuvre de Welles. D'autre part,<br />
au goût qu'il avait de l'Espagne : on se<br />
souvient que, dans la Dame de Shanghaï,<br />
le personnage joué par Welles lui-même,<br />
Michaël O'Hara, est un ancien de la guerre<br />
d'Espagne, du côté républicain ; ensuite,<br />
qu'il y fit un premier voyage, à dixsept<br />
ans, en Andalousie où, dit-il, il attrapa<br />
le virus de la corrida, visible dans<br />
ce film, ainsi que dans Spain, the Bullfight<br />
(Corrida à Madrid) qui lui, a été terminé en<br />
1955. En 1964, dans un entretien repris<br />
dans les Cahiers du cinéma, Welles dit que<br />
Don Quixote est presque terminé, qu'il ne<br />
lui manque plus que trois semaines de<br />
tournage. « Ce qui m'inquiète, c'est le<br />
lancement. Je sais que ce film ne plaira à<br />
personne. Ce sera un film excécré. J'ai besoin<br />
d'obtenir un grand succès avant de<br />
le mettre en circulation. » L'idée qu'il se<br />
fait <strong>des</strong> deux personnages principaux est,<br />
selon lui, la même que celle de Cervantès.<br />
Le film était au départ, semble-t-il, un<br />
programme d'une demi-heure pour la télévision,<br />
à la demande de Frank Sinatra<br />
225<br />
pour son programme hebdomadaire sur<br />
ABC agrandi à cause de l'intérêt que<br />
Welles portait au sujet. « Don Quichotte a<br />
été tourné par une équipe de six personnes.<br />
Ma femme (Paola) était scriptgirl,<br />
le chauffeur déplaçait les lampes, je<br />
dirigeais, j'étais éclairagiste et opérateur<br />
en second. C'est seulement à travers la caméra<br />
qu'on peut avoir l'œil à tout. » En<br />
1982, à Bill Krorrn, il déclare que « avec la<br />
libération de l'Espagne, la démocratie<br />
fragile, le tourisme, Don Quichotte et<br />
Sancho Pança se sont plutôt évaporés »,<br />
et qu'« il faut maintenant parcourir de<br />
gran<strong>des</strong> étendues avant de trouver ces<br />
deux hommes qu'autrefois on apercevait<br />
facilement à l'horizon ». Le film est alors<br />
qualifié d'essai, et de méditation. Au témoignage<br />
d'Oja Kodar, en 1985, Welles<br />
espérait toujours, à la fin de sa vie, faire<br />
quelque chose de ce matériel. Le tournage<br />
est bien sûr étalé sur plusieurs années,<br />
après avoir commencé enaoûtl955,<br />
et subit, en 1969, un coup terrible avec la<br />
mort de Francisco Reiguera, l'acteur<br />
mexicain qui incarnait Don Quichotte. Il<br />
sera entrecoupé par les autres projets de<br />
films, et les rôles plus ou moins alimentaires<br />
qui permettaient à Welles réalisateur<br />
de se financer.<br />
Une partie du matériel aujourd'hui<br />
sauvegardé par la <strong>Ciné</strong>mathèque a été<br />
montré à Cannes, en 1986, lors d'un hommage<br />
à Welles. Dans une scène d'ouverture<br />
qui n'existe pas dans la copie de travail<br />
conservée, Welles, dans son propre<br />
rôle, devait raconter en huit minutes l'histoire<br />
de Don Quichotte à une petite fille<br />
jouée par Patty McCormack. Selon Peter<br />
Cowie, une autre idée qui ne fut jamais<br />
tournée, pour ouvrir le film, aurait été de<br />
faire arriver un invité habillé en Don Quichotte<br />
dans un vaste bal masqué, qui se<br />
serait révélé être Don Quichotte lui-même<br />
- scène qui fait irrésistiblement penser au<br />
bal dans Arkadin. Enfin, à Peter Bogdanovich,<br />
Welles dit être intéressé par l'idée de<br />
ces vieilles vertus qu'incarnent aussi bien<br />
Falsatf f que Don Quichotte, « bien qu'elles<br />
semblent toujours nous parler, en toute
226-ÉTATS-UNIS<br />
logique elles sont désespérément à côté<br />
de la plaque ». Voilà provisoirement un<br />
état <strong>des</strong> renseignements sur ce film. Dans<br />
cette copie ne figure pas la scène tournée<br />
dans une salle de cinéma, version wellesienne<br />
du combat avec les Maures. Bien<br />
sûr, la complexité temporelle du tournage<br />
appellera d'autres précisions, et nul doute<br />
même que quelques mythomanes n'ajouteront,<br />
à cette saga, <strong>des</strong> épiso<strong>des</strong> inventés.<br />
On imprimera alors, pourquoi pas, la<br />
légende.<br />
Venons-en à ce matériel sauvegardé<br />
par la <strong>Ciné</strong>mathèque. Ce bout-à-bout est<br />
bien sûr parfois elliptique, souvent muet,<br />
lacunaire, et fonctionne par reconstitution<br />
partielle pour le spectateur. <strong>La</strong> première<br />
chose frappante, c'est l'omniprésence,<br />
et parfois presque la seule présence<br />
de Don Quichotte et Sancho Pança.<br />
À certains moments, le film fait penser<br />
aux prêches véhéments du Christ, tels<br />
qu'ils sont montrés par Pasolini dans<br />
II vagenlo secondo Matteo (l'Évangile selon<br />
saint Matthieu) : plus de contrechamp,<br />
c'est-à-dire l'énigme ou la disparition de<br />
tout auditoire, une pure pulsion élocutrice<br />
s'emparant alors de ces personnages.<br />
Plus tard, dans un plan très sombre,<br />
au milieu d'ajoncs remués par le<br />
vent, Don Quichotte parle, le visage tourné<br />
vers le ciel : il est difficile à ce momentlà<br />
de ne pas penser à Johannès, dans la<br />
lande d'Ordet, nouveau Christ que personne<br />
ne croit. Car Don Quichotte est<br />
d'abord une sorte de prédicant ; il importe<br />
peu, finalement, qu'on n'entende<br />
pas souvent ce qu'il dit. Déclamant, monté<br />
à l'envers sur Rossinante, avec un fond<br />
de citadelle, un raccord dans l'axe en arrière<br />
dévoile à retardement son public :<br />
un troupeau de vaches. Dans un paysage<br />
brûlé, désertique, Don Quichotte avec<br />
son casque, sorte de plat à barbe retourné<br />
sur sa maigreur d'ascète illuminé, est<br />
suivi par Sancho Pança, qui peine à simplement<br />
monter sur son âne. Dans un<br />
passage sonorisé, le maître, anachorète<br />
sans armure, assis sur une plate-forme en<br />
bois, émacié, l'air mélancolique, les yeux<br />
cernés, avec une barbe Hô-Chi-Minhienne<br />
et comme au stade du rebut, dialogue<br />
avec son valet : « They say I'm mad, Sancho<br />
». Le passage de l'un à l'autre s'effectue<br />
par un changement d'axe retourné<br />
à 180°, dans une sorte d'opposition filmique<br />
brutale ; Sancho, lui, est le plus<br />
souvent pris entre les bois de cet échafaudage.<br />
Le plus étonnant est que leurs<br />
deux voix soient doublées par Welles,<br />
avec une légère inflexion tonale qui n'est<br />
pas un déguisement, quand on passe de<br />
l'un à l'autre : la création acoustique de<br />
cette voix à deux corps, cette scission<br />
monstrueuse enveloppée dans cette diction<br />
laryngite et réverbérante fabrique un<br />
continuum vocal sur ces antagonismes<br />
d'axes, une conscience unique ainsi matérialisée.<br />
Ce Don Quichotte prédicant,<br />
saisi par une passion hypocondre, se lève<br />
ailleurs dans un mouvement de harangue<br />
muette ; ou, à cheval, l'air presque<br />
hagard comme s'il titubait, se détache sur<br />
un fond de nuages : la photo, dans ses raffinements<br />
de gris, a l'air bunuelienne et<br />
parfois, sur <strong>des</strong> accidents de surface, armures<br />
ou murs grêlés, en fait une lèpre :<br />
est-ce tout à fait un hasard si l'on pense à<br />
Simon del <strong>des</strong>ierto, cet autre stylite dont la<br />
monture est une colonne ? C'est parfois<br />
un rameau sec, une allure décharnée de<br />
potence végétale parmi <strong>des</strong> branches<br />
d'arbres dénudées, quand il dit à Sancho :<br />
« So, you're leaving me ? », le regard dur,<br />
lumineux et atrabilaire.<br />
« There is the mystery of innocence.<br />
And we are ail of us in charge of that, you<br />
know. » C'est ce qu'il dit dans l'entretien<br />
filmé, dont il n'existe que le champ. À ce<br />
mystère, il faut ajouter un anachronisme<br />
constitutionnel, qu'accentue seulement<br />
les passages dans l'Espagne contemporaine<br />
du tournage : c'est l'expulsé d'une<br />
époque avec laquelle il n'a jamais coïncidé,<br />
l'errant d'un monde qu'il ne rejoindra<br />
pas. Plus encore, il apparaît comme<br />
une uchronie, qui est au temps ce que<br />
l'utopie est à l'espace. Dans un plan décadré,<br />
Don Quichotte en armure avec sa<br />
lance, debout à droite, probablement<br />
monté sur un praticable hors champ, se<br />
découpe, vigie oblique sur un fond de ciel<br />
à moitié strié par <strong>des</strong> nuages ; mais ce ciel<br />
est comme la surface d'une toile, ou d'un<br />
fond océan. Au déséquilibre d'une posture<br />
encore déformée par le grand angle,<br />
s'ajoute une étrangeté <strong>des</strong> matières, ce<br />
ciel tactile qui est son seul enveloppement<br />
: un peu comme s'il se tenait alors<br />
en déséquilibre sur sa propre étoffe de<br />
chimères. Puis le voici qui surgit et surprend<br />
Sancho dansant, dans l'axe de la<br />
caméra, devant un groupe d'enfants à<br />
béret assis contre l'angle d'une maison.<br />
Cavalier, l'air sévère et condamnant cet<br />
abandon histrion devant l'applaudissement<br />
<strong>des</strong> enfants, le Quichotte arrache<br />
Sancho à cette distraction, qui le suit, disparaît<br />
derrière un mur, réapparaît pour<br />
bouffonner une dernière fois.<br />
De nombreuses contre-plongées montent<br />
vers Don Quichotte, suffisamment<br />
accentuées pour que le regard parte suivant<br />
un axe perditif et que l'espèce de<br />
maintien grandiloquent, hautain et sans<br />
<strong>des</strong>tinataire souvent qu'il arbore devienne<br />
un égarement, souligné par ces paupières<br />
lour<strong>des</strong>, sous lesquelles les yeux<br />
montent regarder trop haut pour que la<br />
direction de cette pose soit humaine.<br />
C'est la rencontre de deux axes : le premier<br />
est celui de la caméra, le deuxième,<br />
du regard : ils se croisent environ à 90°,<br />
et produisent cette dislocation diagonale.<br />
Dans un ossuaire automobile, casse<br />
d'habitacles rouillés et entassés, Don Quichotte<br />
assis se fait bander la tête par Sancho<br />
: il en naît une curieuse communion<br />
de ferraille entre ces carcasses de voiture<br />
et le thorax métallique de l'armure : sorte<br />
de héros trouvé dans une décharge, ce<br />
personnage fildeférisé, au visage <strong>des</strong>siné<br />
par Le Greco, est enfoncé dans cette quincaillerie<br />
du rebut dont il fait partie. Welles<br />
lui-même a indiqué que « Le Greco est<br />
sans aucun doute le peintre de Don Quichotte.<br />
Le Chevalier à la triste figure a été<br />
portraituré littéralement <strong>des</strong> centaines de<br />
fois dans les toiles de ce peintre » 2 , tandis<br />
que Goya serait celui de Sancho.<br />
Puis c'est dans une ville qu'ils entrent<br />
: la caméra dans une rue les délaisse,<br />
et monte au-<strong>des</strong>sus d'une porte d'entrée,<br />
décorée d'une mosaïque : le motif central<br />
est un Don Quichotte à cheval, suivi de<br />
Sancho. Des personnes sont maintenant<br />
massées, qui le saluent. Devant une école,<br />
c'est un enthousiasme d'enfants qui les<br />
accompagne. Cette euphorie, pourtant,<br />
trouve son avers. Au sommet d'un bâtiment,<br />
dans un bidon, Don Quichotte se<br />
lave : derrière lui, dans son dos, une enseigne<br />
est dressée : c'est une publicité<br />
pour une bière, qui porte son nom. Les<br />
mythes finissent ainsi dans la dérision<br />
d'une imagerie, la prose propagandiste<br />
marchande. Isolé, du sparadrap en croix<br />
sur le crâne, Don Quichotte pourrait être<br />
un nouveau Diogène : mais qui, sur ce<br />
toit, passerait qu'il pourrait souverainement<br />
écarter pour profiter du soleil ?<br />
Sur les plans muets, les plus nombreux<br />
donc, le jeu d'Akim Tamiroff et<br />
Francisco Reiguera acquiert une valeur<br />
de pantomime : la démonstration, par les<br />
gestes ou le visage, d'une expression, excède<br />
même cette signification : ils deviennent<br />
comme <strong>des</strong> sémaphores, émettant<br />
dans le silence. L'index pointé, im-<br />
pérativement levé vers le ciel, assis ou debout,<br />
est une figure de base de la gestuelle<br />
quichottienne, un Don Quichotte maniaco-dépressif,<br />
passant par <strong>des</strong> phases<br />
catatoniques. Certains plans sont dignes,<br />
dans leur composition, d'Othello : le Quichotte,<br />
visage ravagé, torse nu, et qui se<br />
jette sur la tête le contenu liquide de son<br />
casque ; derrière lui, un pont de bois, où<br />
Sancho, montagne sanglée de tissu, pêche<br />
avec une branche entre les bois de la<br />
passerelle, sur un fond de ciel : trois strates<br />
de visibles dans le même plan. D'autres<br />
font penser à Falstaff, la bataille : le<br />
Quichotte attaquant à la lance <strong>des</strong> moutons,<br />
et lui-même bombardé de loin par<br />
de probables bergers avec <strong>des</strong> cailloux, finissant<br />
à terre, armuré, et ce sont les moutons<br />
qui jouent à saute-Quichotte. À mêm<br />
e le sol, pour majorer le ciel ou en forte<br />
Plongée, la caméra donne souvent un<br />
sentiment physique désaxé. D'autres encore,<br />
à If's AU True : dans la féria où arrivent<br />
Quichotte et Sancho, cette foule à<br />
banderolle, qui pourrait aussi venir de<br />
Spain, the bullfight, on retrouve l'amateur<br />
de transes collectives, Sancho enseveli<br />
sous la foule, puis errant en chapeau à la<br />
terrasse d'un café, courant derrière une<br />
Mercédès dans une procession de carnaval.<br />
Il y a encore les restes du voyage dans<br />
la lune, Sancho qui achète un télescope,<br />
et s'installe plus haut pour voir dans le<br />
ciel, s'abritant ensuite dans le triangle<br />
formé par l'enseigne où est écrit : « Quiere<br />
usted ver la luna », indiquant du doigt,<br />
d'un air déprimé, à un passant qui vient<br />
de jeter une pièce dans une boîte en fer,<br />
le télescope placé dans son dos. Il est bien<br />
sûr touchant que le film, dans ses morceaux<br />
subsistants, s'accorde à ce fracas<br />
venu de ses deux héros : un peu comme<br />
si, pérégrinant avec eux, il lui avait fallu<br />
partager leurs chimères et en acquitter<br />
l'impossibilité.<br />
Rien pourtant, avec Welles, n'est tout<br />
à fait achevé : il faudrait maintenant comparer<br />
précisément ce matériel avec la version<br />
montée par Jésus Franco, et projetée<br />
à Séville, au cours de l'Exposition universelle<br />
de 1992, ainsi qu'à Cannes en<br />
1993. Sommairement, indiquons que<br />
cette copie semble plus complète que<br />
celle de la <strong>Ciné</strong>mathèque, qu'elle est<br />
aussi dotée d'un doublage intégral en espagnol,<br />
supprimant le son wellesien,<br />
ainsi que d'une musique de Daniel J.<br />
Whit, musicien habituel de Jess Franco,<br />
deux ajouts particulièrement contesta-<br />
bles. Il y a aussi ce que conserve, à Madrid,<br />
la Filmoteca espahola, environ quarante<br />
minutes montées et doublées par<br />
Welles ; enfin la pellicule que détient à<br />
Rome Mauro Bonanni, qui fut un <strong>des</strong> assistants<br />
et l'un <strong>des</strong> monteurs de Welles<br />
pour ce film 3 .<br />
Philippe Arnaud<br />
DON QUIXOTE-227<br />
1 Cf. : Orson Welles, Esvana como obsesiôn, Volumen II,<br />
par Juan Cobos, Ediciones Document Filmoteca,<br />
1993. On trouvera dans ce livre deux chapitres consacrés<br />
à Don Quixote, dont le tournage a commencé au<br />
Mexique le 25 juillet 1957, à travers entre autres documents,<br />
<strong>des</strong> notes et <strong>des</strong> correspondances de Welles.<br />
Des tests avaient été tournés en Espagne, l'été 1955,<br />
avec Mischa Auer, qui sera remplacé par Francisco<br />
Reiguera.<br />
2 Op. Cit., p. 41.<br />
J Ces derniers renseignements sont extraits de la chronologie<br />
très détaillée publiée dans Moi, Orson Welles.<br />
Entretiens avec Peter Bogdanovich. Préface et notes de<br />
Jonathan Rosenbaum, Belfond, 1993.<br />
Francisco Reiguera.<br />
Akim Tamiroff.
230 - CANADA<br />
PARLONS CINEMA<br />
(« Les anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois »)<br />
1976-1977 - Harry Fischbach<br />
Réal. : Harry Fischbach. Prod. : TVOntario.<br />
Chargé de prod. : Anthony Robinow.<br />
Asst. réal. : Carole Kelly. Dir. ph. : Michel Deloire,<br />
Claude Lichtenberg, Yves Pouffary, Alain Pillet.<br />
Eclairage : Jacques Vigier. Son : Harald Maury, Patrick<br />
Wittwer. Ré-enregistrement : Len Abbott.<br />
Mont. : Alan Collins, Marcus Manton.<br />
Pré-montage : Christine Aya, Akiko Tsuda.<br />
Régie générale : Michael Browne.<br />
Documentation : Janine Bazin. Avec : Henri <strong>La</strong>nglois,<br />
François Truffaut, Alexandre Trauner, Pierre Kast, Éric<br />
Rohmer, André S. <strong>La</strong>barthe, Harry Fischbach.<br />
Métrage, minutage copie 16 mm Cf. : 2816 m.,<br />
258 mn. Couleurs.<br />
Henri <strong>La</strong>nglois, fondateur et directeur de<br />
la <strong>Ciné</strong>mathèque française, est interviewé dans<br />
son musée du Palais de Chaillot et parle cinéma.<br />
1) <strong>La</strong> jeunesse au pouvoir. <strong>La</strong> Nouvelle<br />
Vague : H.L. évoque la situation corporatiste<br />
du cinéma français avant l'explosion de la NV<br />
et l'avènement de nouvelles règles du jeu.<br />
2) Le cinéma de demain. Charles Chaplin :<br />
Chaplin est le plus grand et les dix meilleurs<br />
films du monde sont dix films de Chaplin.<br />
3) L'Italie et le néo-réalisme. Roberto Rossellini<br />
: à la différence de Visconti, Fellini ou<br />
De Sica, Rossellini est le seul cinéaste pleinement<br />
qualifiable de néo-réaliste.<br />
4) D'une révolution à la révolution. Eisenstein<br />
: S.M. Eisenstein est « le Michel-<br />
Ange du cinéma ». H.L. parle aussi de Vertov<br />
et relève la coïncidence entre la sortie d'Intolérance<br />
en 1917 et le grand soir en Russie<br />
(d'une révolution à l'autre).<br />
5) Un enfant fait joujou. Georges Méliès :<br />
Méliès, un éternel enfant dont le plus beau<br />
jouet était le cinéma. H.L. parle aussi <strong>des</strong> liens<br />
entre théâtre et cinéma primitif.<br />
6) Le cinéma en liberté. Warhol, Godard :<br />
deux cinéastes refusant la perfection du plan<br />
ou du travelling au nom de sa vérité, deux expérimentateurs,<br />
deux hommes hors et contre<br />
le système.<br />
7) Le métier de producteur. De Pathé à<br />
Ponti, de Zecca à Zanuck : produire est un<br />
métier et un bon producteur est ungrandprofessionnel.<br />
H.L. parle de l'empire Pathé.<br />
8) <strong>La</strong> jeunese n'a pas d'âge. Fritz <strong>La</strong>ng :<br />
génie de Fritz <strong>La</strong>ng. M. le Maudit, l'intermède<br />
français, sa miraculeuse adaptation aux<br />
États-Unis (Fury), sa passion pour la justice,<br />
visible jusque dans Das Indische Grabmal<br />
fie Tombeau Hindou), son éternelle jeunesse.<br />
9) <strong>Ciné</strong>ma profane et professionnel. Hollywood<br />
et Oscar : Hollywood est au sommet<br />
de la perfection technique et en panne de génies<br />
parce que, contrairement à ses débuts, il<br />
est aujourd'hui coupé de la rue, là où il trouvait<br />
avant Gloria Swanson et Fatty.<br />
10) Comment résoudre une crise sans relief<br />
et sans cinémascope. David Wark Griffith<br />
: Griffith a jeté les bases de Hollywood<br />
avec The Birth of a Nation, sa révolution du<br />
langage a sorti le cinéma d'une crise, il a inventé<br />
une profondeur et donné du relief. En<br />
1977, H.L. dit que le cinéma attend son nouveau<br />
Griffith.<br />
11) Un cinéma attardé donne naissance<br />
à une révolution moderne. Robert Wiene et<br />
Caligari : survient Caligari, triomphe de l'artifice<br />
assumé, avènement d'un cinéma scientifique<br />
où tout est calculé, prévu, maîtrisé, sans<br />
aucune improvisation. L'expressionnisme influencera<br />
les décors, les lumières mais aussi<br />
les métho<strong>des</strong> de travail hollywoodiennes (les<br />
plans <strong>des</strong>sinés).<br />
12) Al Jolson chante, René Clair fait chanter.<br />
Du muet au parlant : en France, l'avènement<br />
du sonore est surtout!'avènement du parlant.<br />
Rôle de René Clair à ce moment charnière.<br />
13) Entre Vichy et la Résistance. Le cinéma<br />
de l'Occupation : partout, le cinéma<br />
entre dans la guerre comme une arme. En<br />
France, pays occupé, le cinéma reste hors de<br />
la guerre et fait comme si elle n'avait pas lieu.<br />
Ce cinéma de l'apparence tourne le dos à la<br />
réalité et filme une fin de société (les Enfants<br />
du paradis) quand il n'est pas du côté <strong>des</strong><br />
vainqueurs (les Visiteurs du soir ; « Le<br />
Moyen Âge, c'est ce que les Allemands voulaient<br />
»). Côté Résistance, Lumière d'été de<br />
Grémillon : « Il y a quelque chose de pourri<br />
dans le royaume du Danemark. »<br />
14) Le renouveau du cinéma français. Prévert,<br />
Carné, Gabin : la parole de Prévert est<br />
fondatrice du cinéma de Carné, du dialogue se<br />
déduit la mise en scène et leurs films échappent<br />
à ce son <strong>des</strong> débuts du parlant, à cette<br />
« eau de vaisselle ». L'autre fondateur et ci-<br />
ment de cette période, c'est Gabin qui «fait »<br />
Duvivier avant d'aller vers Carné et Renoir.<br />
15) Jean Renoir vu par H.L. : il y a deux<br />
Renoir, le Renoir libre (la Nuit du carrefour)<br />
et le Renoir diplomate (les Bas-Fonds)<br />
qui compense et supporte le Renoir libre. Son<br />
chef-d'œuvre fait l'union <strong>des</strong> deux Renoir<br />
même si au box office, la Règle du jeu c'esf<br />
Intolérance. François Truffaut parle de la<br />
Règle du jeu, puis long extrait de Renoir :<br />
le patron de Rivette (« <strong>Ciné</strong>astes de notre<br />
temps »).<br />
16) Le début du cinéma moderne. Charles<br />
Pathé : le cinéma a été fait par <strong>des</strong> analphabètes<br />
et <strong>des</strong> demi-analphabètes comme Charles<br />
Pathé. Son empire et ses ramifications ont<br />
préfiguré Hollywood.<br />
17) Parlons cinéma. Avec Alexandre<br />
Trauner : Trauner parle de son métier, de <strong>La</strong>zare<br />
Meerson, de Paris et de ses décors pour<br />
Carné, de son travail sous l'Occupation.<br />
18) [Jean Vigo] : l'Atalante est un film<br />
hors de « l'industrie régulière », un film mutilé<br />
par les technocrates de Gaumont. Vigo a<br />
accompli le miracle alchimique de l'unité de<br />
l'image et du son et il a emporté son secret.<br />
19) ? : Gabin, dans les films de Carné et<br />
Prévert, était Vanti-citoyen, c'est-à-dire le<br />
futur résistant avec son code personnel <strong>des</strong><br />
valeurs. Au même moment, l'URSS et les<br />
États-Unis (Capra) formaient <strong>des</strong> citoyens.<br />
20) Henri <strong>La</strong>nglois est mort. Réactions :<br />
discours de Pierre Kast au Festival de Cannes,<br />
propos d'Eric Rohmer.<br />
21) H.L. évoque « l'affaire <strong>La</strong>nglois », le<br />
système <strong>des</strong> dépôts sur lequel repose la <strong>Ciné</strong>mathèque,<br />
ceux qui l'ont aidé et l'aident<br />
(Mary Meerson, Lotte H. Eisner, Germaine<br />
Dulac, Marie Epstein, Jean Grémillon, Léon<br />
Mathot, Jean Te<strong>des</strong>co), sa carrière avortée de<br />
cinéaste, Jean Vigo encore,le financement ori-<br />
ginal <strong>des</strong> films français dans les années trente,<br />
l'état de dispersion <strong>des</strong> collections après la<br />
guerre, la sauvegarde <strong>des</strong> affiches, photos, livres,<br />
décors, les expositions, son musée, le<br />
manque de personnel en 1976, la programmation<br />
quotidienne, les mouvements defilms,<br />
les tirages... Il parle de l'avenir et de la nécessité<br />
vitale pour la <strong>Ciné</strong>mathèque française<br />
de conserver son indépendance.<br />
TOUT SE LIE<br />
SUR UN AUTRE PLAN<br />
Parlons cinéma ou les Anticours d'Henri<br />
<strong>La</strong>nglois sont constitués d'un ensemble de<br />
courts films ou plus exactement de chapitres.<br />
Chaque chapitre est consacré à un<br />
cinéaste ou bien à une période charnière<br />
significative de tel ou tel pays et de tel ou<br />
tel style, ou bien à un groupe d'hommes<br />
dont l'action fut, à un moment, décisive<br />
pour le cours du cinéma. Oui, le cours du<br />
cinéma, pas le cours de cinéma. Dans<br />
chaque chapitre en effet, Henri <strong>La</strong>nglois<br />
nous fait moins visiter le Musée qu'il a<br />
créé, qu'il ne déambule dans l'Histoire du<br />
cinéma, comme si le décor derrière lui<br />
était indifférent ou plutôt comme s'il<br />
s'agissait d'une antichambre énigmatique<br />
menant à une chambre qui raconterait<br />
autant d'histoires merveilleuses<br />
qu'il y a de films à y projeter. Or non seulement<br />
le décor, mais l'enregistrement<br />
même de ce que dit <strong>La</strong>nglois est privé de<br />
solennité. Il marche, s'assied n'importe<br />
où, change de place, glisse d'un espace à<br />
un autre. C'est tout juste si la caméra ne<br />
se verrait pas dans le champ tombant nez<br />
à nez avec les preneurs de son. Le fini du<br />
travail d'enregistrement ou le léché de la<br />
présentation n'ont pas lieu d'être : <strong>La</strong>nglois<br />
parle, il faut le suivre, c'est tout.<br />
Qu'il y ait <strong>des</strong> extraits de films inclus dans<br />
ces chapitres rappelle l'ancienneté déjà<br />
de ce travail - 1976-1977 -, une époque<br />
où les extraits prennent un aspect vieillot,<br />
aujourd'hui où l'on se sert régulièrement<br />
de cassettes pour revoir <strong>des</strong> passages de<br />
films.<br />
<strong>La</strong>nglois parle ici de ce qu'il a trouvé.<br />
Et ce qu'il a trouvé, c'est à peu près tout<br />
du cinéma, en tout cas l'essentiel. Son entreprise<br />
héroïque de sauver le plus grand<br />
nombre possible de copies de films, de les<br />
mettre à l'abri du temps <strong>des</strong>tructeur, <strong>des</strong><br />
mauvaises conditions de conservation,<br />
de l'indifférence <strong>des</strong> maisons de production,<br />
de la volonté de faire disparaître, ou<br />
du désir de détruire, a créé chez lui, outre<br />
un sens vigilant de la précarité <strong>des</strong> cho-<br />
ses, une familiarité aiguë avec les films,<br />
avec leur matière, leur éclat lumineux,<br />
leur perte d'éclat, avec le rythme du déroulement<br />
d'une bobine, le flot <strong>des</strong> <strong>images</strong><br />
qui remplissent une minute de temps<br />
de projection, avec les crépitements <strong>des</strong><br />
premières pistes sonores, les solennels<br />
bruitages <strong>des</strong> débuts, l'affinement continu<br />
<strong>des</strong> voix, la position spatiale de la<br />
musique derrière les voix ou devant les<br />
lointains, l'évolution de l'emploi de la<br />
couleur jusqu'à son altération progressive<br />
dans le temps. Cette familiarité est<br />
une connaissance d'abord physique <strong>des</strong><br />
films.<br />
<strong>La</strong>nglois, au sortir de la guerre, a<br />
prouvé aux cinéastes, en sauvant leurs<br />
films, qu'ils existaient comme témoins et<br />
comme artistes de ce terrible XX e siècle si<br />
prompt à cataloguer les populations, les<br />
nations et les races, et eux, qui ne savaient<br />
pas tout à fait qu'ils étaient en train de<br />
créer l'art moderne par excellence, <strong>La</strong>nglois<br />
leur en a fait prendre conscience en<br />
leur donnant un recul soudain : celui de<br />
pouvoir montrer tranquillement et régulièrement<br />
leurs films. Lorsqu'on écoute<br />
<strong>La</strong>nglois parler ici par exemple de Fritz<br />
<strong>La</strong>ng ou de Jean Renoir, on doit l'écouter<br />
en sachant que c'est lui qui a donné à ces<br />
cinéastes une légitimité que ni les succès<br />
publics ni les échecs, ni les jugements critiques<br />
ordinaires <strong>des</strong> journaux d'époque<br />
si vite démonétisés, ni les histoires du cinéma<br />
vouées à l'exhaustivité objective<br />
n'ont été capables de leur donner. Légitimité<br />
qui, à un moment du siècle, a surpris<br />
et étonné tout le monde, à commencer<br />
par les cinéastes eux-mêmes qui<br />
n'avaient comme guide de leur travail<br />
que le succès et la gloire ou leur absence,<br />
et bien souvent leur déclin (même Griffith,<br />
même Chaplin). On sait qu'il a été<br />
aussi le père spirituel <strong>des</strong> cinéastes de la<br />
Nouvelle Vague, non seulement par sa<br />
parole et par son acte de montrer <strong>des</strong> films<br />
et souvent <strong>des</strong> œuvres intégrales, mais<br />
aussi parce qu'il sentait qu'un fil invisible<br />
de cinéma passait <strong>des</strong> cinéastes d'autrefois<br />
à ceux qui venaient maintenant.<br />
PARLONS CINÉMA - 231<br />
Parler cinéma, pour <strong>La</strong>nglois, comme<br />
ce film nous le restitue, cela consistait à<br />
faire découvrir à autrui ce qu'il avait<br />
trouvé lui-même en mettant de l'ordre<br />
dans cette immensité de films dont une<br />
bonne partie était oubliée ou tout simplement<br />
inconnue : que le <strong>Ciné</strong>ma a enregistré<br />
son siècle, qu'il est à la fois Art et<br />
Histoire.<br />
Ce qui apparaît dans cet ensemble<br />
mo<strong>des</strong>te et déambulatoire d'« anticours »,<br />
c'est le caractère toujours essentiel de ses<br />
jugements esthétiques énoncés avec un<br />
sourire d'évidence comme si <strong>La</strong>nglois<br />
sortait d'un foulard la colombe de la vérité<br />
sur chaque cinéaste, sur chaque mouvement<br />
de cinéma, sur chaque film qu'il<br />
évoque. Il lance autant d'idées justes ou<br />
de trouvailles simples qu'il est possible<br />
d'en saisir au vol (dire <strong>des</strong> Enfants du paradis<br />
que c'est « le testament de Paris »,<br />
c'est aller au-delà du jugement esthétique<br />
tout en ne l'empêchant pas) et tient à dire<br />
à qui l'écoute : je ne peux pas expliquer,<br />
les gens doivent comprendre.<br />
Avec une pensée propre à déstabiliser<br />
les dictionnaires et les idées reçues,<br />
<strong>La</strong>nglois nourrit ces anticours d'observations<br />
synthétiques qui sont bien moins<br />
<strong>des</strong> conclusions que <strong>des</strong> points de départ<br />
engageant à chercher personnellement et<br />
à lire non seulement les films eux-mêmes<br />
mais ce qu'il y a autour et qui traverse<br />
sans cesse les films : le désordre humain<br />
et l'ordre du monde. C'est ce qui lui permet<br />
de répondre en toute tranquilité à la<br />
question qu'il se pose lui-même : quels<br />
sont les dix meilleurs films du monde ?<br />
(et non pas comme cela s'est fait récemment<br />
: les dix films les plus importants -<br />
chose qui n'engage la responsabilité de<br />
personne). « Les dix meilleurs films du<br />
monde sont dix films de Chaplin. »<br />
Dans chacun de ces anticours, il y a<br />
quatre ou cinq phrases dont on pourrait<br />
faire les plus fertiles sujets de méditations<br />
ou de dissertations ou même, puisqu'on<br />
ne peut s'en passer, de travaux universitaires.
232 - CANADA<br />
Exemples :<br />
- Fritz <strong>La</strong>ng ou la jeunesse qui n'a pas d'âge : l'homme qui<br />
croit en la justice.<br />
- Rossellini c'est la vie, De Sica les êtres humains. Ou encore :<br />
Rossellini souffre pour lui-même, non par lui-même.<br />
- Godard est dans le vrai système, qui est la vie. Ou encore<br />
mieux : un cinéma qui n'a pas peur de rater quelque chose et de<br />
le montrer quand même.<br />
Il n'y a pas d'antisèches pour les anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois.<br />
Jean-Claude Biette<br />
Cette liste alphabétique sert aussi d'index<br />
<strong>des</strong> titres pour l'ensemble de l'ouvrage. Le<br />
caractère gras couvrant la totalité d'un film<br />
signifie qu'il est l'objet d'un traitement<br />
approfondi dans les parties précédentes,<br />
avec indication de la page.<br />
Certains titres, datant d'avant 1992 et ne<br />
figurant pas dans les précédents catalogues<br />
(Restaurations et tirages de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, 1.1 à IV, de 1986 à 1989), ont été<br />
intégrés à cette liste.<br />
LÉGENDE DES ABRÉVIATIONS<br />
UTILISÉES<br />
Mat. d'orig. : Matériel d'origine ou de<br />
départ. Cet élément peut être sur support<br />
nitrate ou support acétate (le « safety »), en<br />
négatif ou en positif.<br />
Mat. de conserv. : Matériel de conservation.<br />
Report en laboratoire du matériel d'origine<br />
sur une pellicule de sécurité, le safety, pour<br />
constituer de nouvelles matrices<br />
(« marrons », contretypes) servant à tirer <strong>des</strong><br />
copies de présentation ou <strong>des</strong> « copies<br />
travail » en vue d'une restauration.<br />
Tirage : Opération strictement de<br />
laboratoire, il s'agit du tirage d'une copie<br />
standard à partir d'un élément de<br />
conservation plus ancien.<br />
Sauv. : Sauvegarde. C'est l'opération qui<br />
A.<br />
A BEDROOM BLUNDER.<br />
<strong>La</strong> Chambre numéro 23.<br />
États-Unis, Eddie Cline, 1917. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Flash-titles français et anglais. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(566 m.).<br />
À CÔTÉ DU BONHEUR.<br />
États -Unis, circa 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (261 m.).<br />
L'AFFAIRE DE LA RUE DE<br />
LOURCINE.<br />
France, Marcel Dumont, 1932. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1994. CP (1015 m.).<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ET RESTAURÉS<br />
PAR LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE (1992-1996).<br />
consiste à établir de nouvelles matrices, à<br />
partir d'un matériel d'origine le plus souvent<br />
nitrate, mais parfois acétate (le vieux safety<br />
ou safety d'époque). Au terme de l'opération,<br />
la copie est immédiatement projetable ou, au<br />
contraire, prépare et demande une<br />
restauration.<br />
Rest. : Restauration. Dans tous les cas, qu'il<br />
s'agisse de rétablir ou de recréer<br />
l'intertitrage pour un film muet, de mixer un<br />
son pour un film parlant, de reconstituer<br />
l'ordre narratif <strong>des</strong> plans, la restauration est<br />
une opération qui relève du montage.<br />
Sur ces trois notions, tirage, sauvegarde,<br />
restauration, lire aussi les textes :<br />
« Restaurer, conserver, montrer » et « Sauver<br />
l'éphémère ».<br />
NIM : Négatif Image Muet.<br />
NSN : Négatif Son (optique).<br />
PSN : Positif Son (optique).<br />
NTI : Négatif Titres.<br />
PIM : Positif Intermédiaire Muet (« marron »<br />
image, muet).<br />
PIC : Positif Intermédiaire Combiné<br />
(« marron » image et son).<br />
CTN : Contretype Négatif image seule (noir<br />
et blanc).<br />
CTS : Contretype négatif Son seul.<br />
CTC : Contretype Combiné image et son<br />
(noir et blanc).<br />
ITN : Internégatif (contretype couleurs).<br />
MAG : son Magnétique.<br />
.../S : Safety.<br />
AFTER MIDNIGHT.<br />
L'Homme de la nuit.<br />
États-Unis, Monta Bell, 1927. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Rest. en 1996. CP (1846 m.).<br />
Voir page 178.<br />
ALADIN OU LA LAMPE<br />
MERVEILLEUSE.<br />
France, Albert Capellani, 1906. Mat. d'orig. :<br />
PMU (incomplet). Intertitres français. Mat.<br />
de conserv. : CTN. Sauv. en 1995. CP<br />
(201 m.). Voir page 24.<br />
L'AMOUR NOIR ET BLANC.<br />
France, <strong>La</strong>dislas Starevitch, 1923. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Rest. en 1995. CP (442 m.).<br />
PMU : Positif Muet.<br />
CEX : Copie d'Exploitation sonore.<br />
BAN : Bande-Annonce (exploitation).<br />
CP : Copie de présentation. C'est la copie de<br />
projection, muette ou sonore.<br />
CTra : Copie Travail. Désigne une copie sans<br />
intertitres (avec parfois <strong>des</strong> flash-titles), sans<br />
générique, parfois montée dans le désordre<br />
et pouvant contenir encore la trace <strong>des</strong><br />
amorces de plan provenant du matériel<br />
d'origine. Une copie travail peut cumuler<br />
tout ou partie de ces manques et « défauts ».<br />
Elle est visible en l'état pour <strong>des</strong> travaux de<br />
recherches, mais nécessite une restauration<br />
pour devenir copie de présentation.<br />
Flash-titles : les intertitres d'un film muet<br />
réduits chacun à la longueur d'une ou deux<br />
<strong>images</strong>.<br />
VO : Version Originale.<br />
VOSTF : Version Originale Sous-Titrée en<br />
Français.<br />
m. : mètres. Tous les métrages correspondent<br />
à un format 35 millimètres, sauf indication<br />
contraire (16 mm).<br />
circa : indique que la date du film est une<br />
approximation, établie après recherche et<br />
déduction.<br />
Quand il est connu, le nom du réalisateur est<br />
mentionné ci-<strong>des</strong>sous. Sinon, il est remplacé,<br />
chaque fois que possible, par le nom de la maison<br />
de production.<br />
Quand les films étrangers sont dépourvus de titre<br />
original, c'est que celui-ci est inconnu.<br />
LES AMOURS DE BLANCHE-NEIGE.<br />
France, Edouard Wieser, 1946. Mat. d'orig. :<br />
PIC, CTN-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />
conserv. : CTC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(2353 m.), CP-BAN (92 m.).<br />
AND NOW TOMORROW.<br />
Le bonheur est pour demain.<br />
États-Unis, Irving Pichel, 1944. Mat. d'orig. :<br />
PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />
1993. CP (2339 m.).<br />
A NIGHT IN THE SHOW.<br />
Chariot au music-hall.<br />
États-Unis, Charlie Chaplin, 1915. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres anglais. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1994. CP (468 m.).
234 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
AN INDIAN'S GRATITUDE.<br />
<strong>La</strong> Gratitude du chef indien.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1910. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1995. CTra (225 m.).<br />
AN-NIL OU AL HAYAT.<br />
Un jour, le Nil.<br />
Égypte-URSS, Youssef Chahine, 1968. Mat.<br />
d'orig. : CEX VO 70 mm. Mat. de conserv. :<br />
CTN, CTS. Rest. en 1996. CP 35 mm,<br />
<strong>Ciné</strong>mascope (2991 m., VOSTF). Voir page 158.<br />
L'ANTRE DE LA SORCIÈRE.<br />
France, Segundo de Chomôn, 1906 ou 1909.<br />
Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (116 m.).<br />
L'APPEL DE LA VIE.<br />
Frauennot - Frauengliick.<br />
Suisse, Édouard Tissé, 1929. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Sauv. en 1993. CP (1505 m.).<br />
Voir page 153.<br />
L'APPEL DU SANG.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1994. CTra (275m.).<br />
ARE WAITRESSES SAFE ?<br />
Les Déboires de Philomène.<br />
États-Unis, Victor Heerman, 1917. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Flash-titles anglais. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(505 m.).<br />
L'ARGENT QUI TUE.<br />
France, Georges Denola, 1919. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1995. CTra (1001 m.).<br />
L'ARGINE.<br />
Italie, Corrado D'Errico, 1938. Mat. d'orig. :<br />
PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />
1993. CP (2460 m.). Voir page 143.<br />
THE ARIZONA WHIRLWIND.<br />
États-Unis, William James Craft, 1927. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Flash-titles anglais. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(1029 m.).<br />
L'ARLÉSIENNE.<br />
France, André Antoine, 1922. Mat. d'orig. :<br />
PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1990. CP (1730 m.).<br />
Voir page 59.<br />
ARLETTE ET SES PAPAS.<br />
France, Henry Roussell, 1934. Mat. d'orig. :<br />
CEX. Mat. de conserv. : PIC, CTS. Sauv. en<br />
1992. CP (2917 m.). Voir page 100.<br />
A SHOCKING NIGHT.<br />
États-Unis, Eddie Lyons et Lee Moran, 1921.<br />
Mat. d'orig. : PMU (incomplet). Intertitres<br />
anglais. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />
1993. CP (204 m.).<br />
ASILE DE NUIT.<br />
France, Maurice Champreux et Robert<br />
Beaudoin, 1929. Mat. d'orig. : NIM, NSN.<br />
Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1993. CP<br />
(872 m.).Voir page 92.<br />
A TERRIBLE DISCOVERY.<br />
États-Unis, David Wark Griffith, 1911. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN / S. Tirage en<br />
1994. CP (269m.).<br />
À TRAVERS PARIS.<br />
France, Lucien Rigaux et Christian<br />
Chamborant, 1940. Mat. d'orig. : NIM, NSN.<br />
Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1993. CP<br />
(793 m.).<br />
L'AURORE DE LA RÉVOLUTION<br />
RUSSE.<br />
Russie, circa 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />
Rest. en 1995. CP (863 m.). Voir page 151.<br />
AU ROYAUME DES CIEUX.<br />
France, Julien Duvivier, 1949. Mat. d'orig. :<br />
CTC, CTC-BAN. Mat. de conserv. : PIC,<br />
PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP (2980 m.),<br />
CP-BAN (92 m.). Voir page 112.<br />
AUTANT EN EMPORTE<br />
L'HISTOIRE...<br />
France, Jacques Willemetz, 1949. Mat.<br />
d'orig. : CTC, NSN, CTN-BAN, NSN-BAN.<br />
Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en<br />
1994. CP (1891 m.), CP-BAN (59 m.).<br />
Voir page 115.<br />
AUTOUR DE LA COUSINE BETTE.<br />
France, Max de Rieux, 1927. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Sauv. en 1993. CP (559 m.).<br />
Seulement précédé dans le cinéma français<br />
par les making of (tournage sur le tournage)<br />
de la Roue et de Napoléon, ce Autour de la<br />
Cousine Bette sera suivi à son tour par un<br />
Autour de l'Argent en 1929, reportage de Jean<br />
Dréville sur le film de Marcel L'Herbier. Il<br />
faut dire que le mystérieux Max de Rieux se<br />
trouve en bonne compagnie entre les « deux<br />
grands » du cinéma français : Abel Gance et<br />
L'Herbier. Et cette adaptation du roman<br />
d'Honoré de Balzac, la Cousine Bette, devait<br />
justifier à ses yeux un témoignage sur son<br />
travail de réalisateur. Son parcours dans le<br />
cinéma fut par ailleurs <strong>des</strong> plus curieux.<br />
Réalisateur de trois films muets, la Grande<br />
Amie (1926), la Cousine Bette (1927), J'ai l'noir<br />
ou le suicide de Dranem (1928), Max de Rieux,<br />
très actif au cours de ces années vingt, fut<br />
aussi acteur, en particulier dans les Grands<br />
d'Henri Fescourt, en compagnie d'un<br />
figurant nommé Jacques Prévert.<br />
Autour de la Cousine Bette est un témoignage<br />
de première main sur le film, nous<br />
renseignant sur son casting, en particulier le<br />
moment du choix entre deux actrices pour le<br />
rôle-titre, et montrant quelques prises de<br />
vues en extérieurs. Le film contient aussi une<br />
présentation à la presse cinématographique<br />
(<strong>Ciné</strong>magazine) <strong>des</strong> acteurs en costumes<br />
d'époque et sur une scène de théâtre, le<br />
making of devenant alors bande-annonce du<br />
film et avouant son ambition<br />
promotionnelle.<br />
De 1930 à 1932, il réalisera quatre films de<br />
première partie (dont un étonnant la Terrible<br />
Aventure du docteur Faust, sauvegardé par la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française, version revue et<br />
corrigée de la célèbre légende de Goethe par<br />
une troupe de Guignol lyonnais. Le résultat<br />
est parfaitement surprenant de voir<br />
Guignol / Faust faire la cour à Marguerite en<br />
parlant un pur patois lyonnais.<br />
Décidément, Max de Rieux était bien un<br />
diable d'homme...<br />
B.M.<br />
LES AVENTURES DE ROBERT<br />
MACAIRE.<br />
France, Jean Epstein, 1925. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1992. CP<br />
(4079 m.). Voir page 78.<br />
LES AVENTURES D'UNE<br />
VAGABONDE.<br />
États-Unis, circa 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (1094 m.).<br />
B.<br />
BACHELOR BRIDES.<br />
États-Unis, William K. Howard, 1926. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres anglais. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (1823 m.).<br />
BALANÇOIRES.<br />
France, Noël Renard, 1928. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NTL Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(580 m.).<br />
Au cours d'une fête foraine, un fakir endort<br />
un couple de jeunes gens et les fait voyager<br />
dans un monde triste et endeuillé. Au réveil,<br />
la fête leur paraît plus belle que jamais.<br />
Balançoires est une petite perle dans le<br />
cinéma « parallèle » français <strong>des</strong> années<br />
vingt. Son prétexte narratif, philosophicoprédicateur,<br />
rappelle le Paris qui dort de René<br />
Clair (1923), dans lequel on trouve un<br />
comparable enchantement à opposer une<br />
vision optimiste du monde à l'avenir obscur.<br />
Dans les deux cas, l'immobilité ou le<br />
ralentissement sont <strong>des</strong> occasions de jouer<br />
avec les effets perceptifs de la cinégénie.<br />
Chez René Clair, un savant est le<br />
responsable de l'évasion du monde<br />
ordinaire. Noël Renard choisit un fakir.<br />
Cependant, l'accompagnement <strong>des</strong><br />
personnages engendre peu de familiarité<br />
psychologique. L'intérêt du cinéaste et de<br />
son équipe (dont le jeune Christian-Jaque)<br />
est ailleurs ; dans la partie documentaire et<br />
expérimentale. <strong>La</strong> fête foraine offre à la fois,<br />
un décor et un motif pour d'exceptionnelles<br />
visions modernistes. <strong>La</strong> Tour Eiffel de Paris<br />
qui dort trouve son équivalent dans les<br />
« montagnes russes » et les nombreux autres<br />
manèges invitant à se projeter dans les airs.<br />
Mais dans Balançoires, la virtuosité optique<br />
profite d'une double illusion perspectiviste :<br />
les architectures métalliques et leur vitesse<br />
de rotation ou de traversée. Le film<br />
enregistre une vélocité du regard et c'est<br />
avant tout la performance de l'utilisation<br />
d'une foule comme matériau plastique qui<br />
retient l'intérêt aujourd'hui. Les chapeaux<br />
melons sont majoritaires et évoquent<br />
irrésistiblement ceux tournoyants du<br />
Vormittagsspuk de Hans Richter (1928). Le<br />
rythme du montage est endiablé et fondé sur<br />
l'alternance de régimes de vitesse conjugués<br />
aux motifs : visages en gros plan, manèges<br />
en folie, baraques foraines, plans rapprochés<br />
de pieds ou autres détails corporels cadrés<br />
dans la foule, contre-plongées acrobatiques,<br />
plein cadre d'une mer de couvre-chefs, etc.<br />
<strong>La</strong> naïveté de la fable finale éclaire les<br />
raisons pour lesquelles le film n'a jamais été<br />
retenu comme un chef-d'œuvre du cinéma<br />
constructiviste ou simplement d'avantgarde.<br />
Pourtant, bien qu'un projet théorique<br />
soit en effet absent, on ne peut plus<br />
désormais ignorer ce film. Il est un très bel<br />
exemple de la « Nouvelle Vision » de cette<br />
fin <strong>des</strong> années vingt.<br />
D.P.<br />
BALLO AL CASTELLO.<br />
Italie, Max Neufeld, 1939. Mat. d'orig. : PIC<br />
VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1993.<br />
c P(2180m).<br />
LE BARON MYSTÈRE.<br />
France, Maurice Challiot, 1918. Mat. d'orig. :<br />
(incomplet). Intertitres français et<br />
flamands. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />
1993. CP (2355 m.).<br />
THE BATTLE OF THE SEXES.<br />
L'Éternel Problème.<br />
États-Unis, David Wark Griffith, 1928. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1994. CP (2385 m.).<br />
BEFORE THE PUBLIC.<br />
États-Unis, Charles Parrott, 1922. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S (manque la<br />
fin). Intertitres anglais. Tirage en 1995.<br />
CP (478 m.).<br />
LA BELLE NIVERNAISE.<br />
France, Jean Epstein, 1923. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : CTN/S. Intertitres français et<br />
espagnols. Rest. en 1994. CP (1569 m.).<br />
Voir page 68.<br />
BEYOND GLORY - Retour sans espoir.<br />
Etats-Unis, John Farrow, 1948. Mat. d'orig. :<br />
CTC VO, PIC-BAN VO. Mat. de conserv. :<br />
PIC, CTC-BAN. Sauv. en 1993. CP (2255 m.),<br />
CP-BAN (58 m.). Voir page 214.<br />
BLANCHISSERIE ÉLECTRIQUE.<br />
France, Pathé-Nizza, 1912. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (98 m.).<br />
Pris le matin, rendus le soir : les ballots de<br />
linge quittent la maison, glissent allègrement<br />
sur les trottoirs et montent dans la voiture<br />
qui les conduit à la blanchisserie électrique.<br />
Là, sans intervention humaine, le linge est<br />
lavé, séché et repassé. Mais le progrès a ses<br />
limites...<br />
Les scènes à trucs sont innombrables dans<br />
les années dix. Blanchisserie électrique est un<br />
exemple parfait de ce cinéma à l'état pur. Le<br />
film se concentre sur l'abondance et la<br />
perfection encore artisanale <strong>des</strong> trucages,<br />
faisant l'économie de la narration souvent<br />
pesante du cinéma primitif. Le plaisir du<br />
spectateur d'aujourd'hui, blasé devant les<br />
effets spéciaux qui émerveillaient son<br />
ancêtre, vient sans doute du décalage,<br />
imprévisible en 1912, entre les miracles<br />
d'automatisation que permet la Fée<br />
Électricité (à grand renfort de roues crantées)<br />
et la désuétude <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> employées.<br />
Les battoirs en bois, dignes de Gervaise,<br />
frappent le linge qui est ensuite empilé dans<br />
de gracieuses corbeilles en osier, puis<br />
suspendu à de simples cor<strong>des</strong>. Les<br />
contraintes du trucage image par image<br />
obligent à vider les rues de tout élément<br />
humain ou en mouvement, et la voiture sans<br />
conducteur traverse une ville anormalement<br />
déserte et involontairement inquiétante. Le<br />
gag final nous ramène au « goût » 1900 : le<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 235<br />
viril ouvrier a-t-il réellement besoin<br />
d'essayer les <strong>des</strong>sous en dentelle de sa<br />
voisine pour s'apercevoir de l'erreur de<br />
livraison ? C.K.<br />
DER BLAUE BRIEF.<br />
Allemagne, Walter Schmidthàssler, circa<br />
1912. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres<br />
allemands. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />
1993. CP (1220 m.).<br />
BLESSURE D'AMOUR.<br />
France, Pathé, 1916. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(1209 m.).<br />
LE BONHEUR PERDU.<br />
France, S.C.A.G.L., 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM. Intertitres français.<br />
Rest. en 1996. CP (728 m).<br />
LA BONNE HÔTESSE.<br />
France, Georges Monca, 1918. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1994. CTra (957 m.).<br />
LE BOUFFON.<br />
France, Victorin Jasset, 1909, sonorisé en<br />
1934. Mat. d'orig. : CEX. Mat. de conserv. :<br />
CTC. Sauv. en 1994. CP (261 m.). Voir page 28.<br />
BRAVEHEART - Barrière <strong>des</strong> races.<br />
États-Unis, Alan Haie, 1925. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Rest. en 1993. CP (1340 m.).<br />
Voir page 174.<br />
DIE BÛCHSE DER PANDORA.<br />
Loulou.<br />
Allemagne, Georg Wilhelm Pabst, 1928. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Rest. en 1995. CP (2977 m.).<br />
c.<br />
LA CAISSIÈRE DE GRÛNEBAUM &<br />
CIE.<br />
Allemagne, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (352 m.).<br />
CAJUS JULIUS CAESAR - Jules César.<br />
Italie, Enrico Guazzoni, 1914. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />
Tirage en 1996. CP (1253 m.).<br />
LE CALUMET DE LA PAIX.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (306 m.).
236 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
LE CALVAIRE DE L'USURIER.<br />
Russie, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />
Rest. en 1995. CP (553 m.).<br />
LE CAMÉE.<br />
États-Unis, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (254 m.).<br />
Une jeune Indienne est amoureuse d'un<br />
peintre blanc et marié. <strong>La</strong> mère de l'Indienne<br />
remarque que sa fille et l'épouse de l'artiste<br />
possèdent le même camée. Sa boule de<br />
cristal lui révèle que les deux femmes sont<br />
deux sœurs séparées dans leur enfance par<br />
un naufrage. Pendant ce temps, l'Indienne,<br />
jalouse, emmène la femme du peintre et la<br />
précipite dans le vide. Elle apprend trop tard<br />
la vérité. Mais la victime est toujours vivante<br />
et, sauvée, peut se consoler dans les bras de<br />
son mari, tandis que l'Indienne, agitée de<br />
sentiments contradictoires, s'éloigne.<br />
Malgré les apparences, l'histoire du Camée<br />
n'est pas exceptionnellement alambiquée<br />
pour un film court <strong>des</strong> armées dix. Et puis<br />
l'invraisemblable appartient au cinéma, alors<br />
pourquoi ne pas en abuser ? Ce qui distingue<br />
l'intrigue du Camée de dizaines de drames<br />
mondains ou bourgeois, c'est qu'elle se<br />
déroule en pleine nature, dans une société<br />
mixte, où se côtoient en toute quiétude<br />
Indiens et Blancs. On devine cette proximité<br />
dans les scènes de vie quotidienne en arrièreplan,<br />
ce qui confère au film un certain<br />
dynamisme, et sans doute aussi pour un<br />
public français, un réel dépaysement.<br />
Comme souvent, le plan de fin est<br />
interminable et dénoue traditionnellement<br />
les fils du récit : la vérité éclate, l'Indienne<br />
s'éloigne en vertu de la barrière <strong>des</strong> races, les<br />
époux se retrouvent. Mais quelques plans<br />
très brefs, comme celui de la chute en ombre<br />
chinoise, ou ceux sur la victime encore<br />
vivante et sursautante, tâche claire sur les<br />
broussailles sombres, ou encore la lutte<br />
violente entre les deux sœurs, parviennent à<br />
faire oublier les quelques longueurs de ce joli<br />
drame de l'Ouest.<br />
E.B.<br />
LE CAMELOT DE PARIS.<br />
France, André Heuzé, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (918 m.).<br />
CAPRICE DE BOYARD.<br />
Russie, circa 1911. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(160 m.).<br />
LE CARILLON DE LA LIBERTÉ.<br />
Belgique, Gaston Roudès, 1931. Mat.<br />
d'orig. : NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1993. CP (1598 m.). Voir page 139.<br />
CARLOS UND ELISABETH.<br />
EINE HERRSCHERTRÂGODIE.<br />
Sous l'Inquisition.<br />
Allemagne, Richard Oswald, 1924. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
français. Tirage en 1994. CP (3126 m.).<br />
LE CARREFOUR DES ENFANTS<br />
PERDUS.<br />
France, Léo Joannon, 1943. Mat. d'orig. : PIC.<br />
Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994. CP<br />
(2774 m.).<br />
LE CAUCHEMAR DE RIGADIN.<br />
France, Georges Monca, 1913. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Sauv. en 1994. CP (207 m.).<br />
CAUCHEMAR ET DOUX RÊVE.<br />
France, Segundo de Chomôn, 1908. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (97 m.). Voir page 24.<br />
LE CAVALIER DE CROIX MORT<br />
(ou UNE AVENTURE DE VIDOCQ).<br />
France, Lucien Ganier-Raymond, 1947. Mat.<br />
d'orig. : PIC. Mat. de conserv. : CTC. Sauv.<br />
en 1993. CP (2321 m.). Voir page 111.<br />
LE CAVALIER DE MINUIT.<br />
France, Maurice Charmeroy et René Alinat,<br />
1924. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1319 m.).<br />
CE PAUVRE CHÉRI.<br />
France, Jean Kemm, 1923. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (1519 m.).<br />
CE QUE FEMME VEUT...<br />
France, [Fernand Rivers, 1917]. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1994. CTra (567 m.).<br />
LA CHAMBRE DE LA BONNE.<br />
France, Pathé, 1918. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(304 m.).<br />
LA CHAMBRE DU RAPIN.<br />
France, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(266 m.).<br />
LE CHÂTEAU DE LA DERNIÈRE<br />
CHANCE.<br />
France, Jean-Paul Paulin, 1946. Mat. d'orig. :<br />
CTN-BAN, NSN-BAN. Mat. de conserv. :<br />
PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP-BAN (88 m.).<br />
LE CHAT ET LA SOURIS.<br />
France, Rozier-Beaumont, 1933. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1994. CP (1014 m.).<br />
LE CHEMIN D'ERNOA.<br />
France, Louis Delluc, 1921. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : CTN/S. Intertitres français. Tirage<br />
en 1990. CP (1135 m.).<br />
LE CHEMIN DU CRIME.<br />
France, Georges Denola, 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (224 m.).<br />
LA CHEVAUCHÉE SANGLANTE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (283 m.).<br />
CHEZ MA TANTE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (264 m.).<br />
CHICAGO.<br />
États-Unis, Frank Urson, 1927. Mat. d'orig.<br />
et de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />
Tirage en 1994. CP (1348 m.). Voir page 181.<br />
LE CHRYSANTHÈME ROUGE.<br />
France, Léonce Perret, 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1994. CP<br />
(273 m.). Voir page 33.<br />
LES CINQ GENTLEMEN MAUDITS.<br />
France, Luitz-Morat et Pierre Régnier, 1920.<br />
Mat. d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat.<br />
de conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP<br />
(1332 m.). Voir page 57.<br />
CLEOPATRA.<br />
États-Unis, Charles Gaskill, 1912. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1994. CP (1577 m.).<br />
CLÉOPÂTRE.<br />
France, Ferdinand Zecca et Henri Andréani,<br />
1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en 1996.<br />
CP (346 m).<br />
THE CLOCK STRIKES EIGHT.<br />
L'Exécution est pour 8 heures.<br />
Grande-Bretagne, Ronald Haines, 1946.<br />
Mat. d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1994. CP (695 m.). Voir page 140.<br />
LA CLOSERIE DES GENÊTS.<br />
France, Adrien Caillard, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (734 m.).<br />
LE CLUB DES ÉLÉGANTS.<br />
France, René Leprince, 1912. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (454 m.).<br />
LE CŒUR BRISÉ.<br />
Russie, Jacob Protazanov, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (363 m.).<br />
CŒUR DE FEMME.<br />
France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />
1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en 1996.<br />
CP (1008 m.).<br />
CŒUR DE SOLDAT.<br />
France, Pathé, 1915. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CTra<br />
(1002 m.).<br />
LE CŒUR DE VIOLETTE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1994. CTra (281 m.).<br />
CŒUR D'UN CHIEN.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1994. CTra (277 m.).<br />
LE CŒUR D'UNE GOSSE<br />
(LES LIONS).<br />
France, Emile Chautard, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (253 m.).<br />
LE CŒUR ÉBLOUI.<br />
France, Jean Vallée, 1938. Mat. d'orig. : NIM,<br />
NSN, NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />
conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(2270 m.), CP-BAN (123 m.).<br />
THE COLD DECK - Grand frère.<br />
États-Unis, William S. Hart, 1917. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Flash-titles anglais. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Intertitres français et<br />
anglais. Rest. en 1995. CP (1120 m.).<br />
Voir page 164.<br />
LA COLLE FORTE DE TITI.<br />
France, Roméo Bosetti, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (150 m.).<br />
LE COLLIER DE LA DANSEUSE.<br />
France, René Leprince, 1912. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1996. CP (579 m).<br />
LE COLLIER DE LA REINE.<br />
France, Gaston Ravel, 1929. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN (extrait). Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1992. CP (23 m).<br />
LE COLLIER DE L'INTRIGANTE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (221 m.).<br />
COLPI DI TIMONE.<br />
Italie, Gennaro Righelli, 1942. Mat. d'orig. :<br />
PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />
1993. CP (2681 m.). Voir page 145.<br />
LA COMMUNE.<br />
France, Armand Guerra, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />
(457 m.). Voir page 45.<br />
LE COMTE DE MONTE-CRISTO<br />
(première partie).<br />
France, Robert Vernay, 1942. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1995. CP (2723 m.).<br />
LE COMTE DE MONTE-CRISTO<br />
(deuxième partie).<br />
France, Robert Vernay, 1942. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1995. CP (2539 m.).<br />
COMTESSE HACHISCH.<br />
France, circa 1935. Mat. d'orig. : PMU-Tra,<br />
PSN-Tra. Mat. de conserv. : CTN, NSN.<br />
Sauv. en 1993. CP (1657 m.). Voir page 103.<br />
CONCOURS CAPITAINE DE<br />
CASTILLE.<br />
France, 1948. Mat. d'orig. : CTN, NSN. Mat.<br />
de conserv. : PIC. Sauv. en 1994. CP (35 m.).<br />
CONSCIENCE.<br />
France, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(484 m.).<br />
LES CONSÉQUENCES D'UN PARI.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (246 m.).<br />
CONVERSION D'ANONA.<br />
États-Unis, circa 1910. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (272 m.).<br />
LA CONVERSION DU JOUEUR.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (230 m.).<br />
CORA LA CUISINIÈRE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 237<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1994. CTra (269 m.).<br />
CORRIDA MOUVEMENTÉE.<br />
France, Roméo Bosetti, 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (126 m.).<br />
LE COTTAGE HANTÉ.<br />
France, Pathé-Nizza, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Rest. en<br />
1994. CP (95 m.). Voir page 30.<br />
COURSE À L'ABÎME.<br />
Allemagne, circa 1917. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CTra (933 m.).<br />
LA COURSE AU BONHEUR.<br />
France, Pathé, 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(416 m.).<br />
LA COURSE AU FLAMBEAU.<br />
France, Luitz-Morat, 1925. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français et flamands. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (1553 m.).<br />
THE COURTSHIP OF MILES<br />
STANDISH.<br />
États-Unis, James A. Fitzpatrick, circa 1920.<br />
Mat. d'orig. et de conserv. : CTN/S.<br />
Intertitres anglais. Tirage en 1995. CP<br />
(1589 m.).<br />
CRIME DES GITANES.<br />
États-Unis, circa 1908. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CTra (264 m.).<br />
LE CRIME DU BOUIF.<br />
France, André Cerf, 1951. Mat. d'orig. : NIM,<br />
NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1995.<br />
CP (2807 m.).<br />
CRIME D'UN PÈRE.<br />
France, Pathé, 1911. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(202 m.).<br />
CROOKED BANKERS.<br />
Indélicatesse de banquier.<br />
États-Unis, Pathé Play, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (277 m.).<br />
LE CURÉ DE SAINT-AMOUR.<br />
France, Émile Couzinet, 1952. Mat. d'orig. :<br />
10 NIM/S, 10 NSN/S, NIM-BAN/S, NSN-<br />
BAN/S. Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN.<br />
Tirage en 1995. CP (2432 m.), CP-BAN<br />
(156 m.).
Henryk Szaro,<br />
Dzieje Grzechu (1933).<br />
Galaor l'intrépide<br />
(ca 1920).<br />
Henri Fescourt,<br />
les Grands (1924).<br />
Jacques Prévert<br />
(au centre, avec<br />
<strong>des</strong> lunettes).<br />
D.<br />
DADDY LONG LEGS.<br />
Papa longues jambes.<br />
États-Unis, Alfred Santell, 1931. Mat. d'orig. :<br />
CTN, NSN VO (incomplet). Mat. de<br />
conserv. : PIC. Sauv. en 1993. [CP] (955 m.).<br />
DAISY'S MISTAKE.<br />
Les Espiègleries de Daisy.<br />
États-Unis, Joseph A. Golden, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (284 m.).<br />
Jeune fille turbulente et hardie, Daisy<br />
« emprunte » la voiture de son père et se<br />
déguise en chauffeur de taxi. Elle entraîne<br />
son premier client dans une folle équipée,<br />
mais elle est arrêtée par la police et<br />
démasquée. Son jeune passager est tombé<br />
amoureux d'elle ; le père de Daisy<br />
désapprouve cette liaison et envoie sa fille en<br />
pension. Bien décidée à ne pas se laisser<br />
enfermer, Daisy sonne l'alarme et rejoint son<br />
bien-aimé sous les yeux rageurs et<br />
impuissants de la surveillante qu'elle a<br />
enfermé à sa place.<br />
Quelques temps avant les sériais qui vont la<br />
rendre mondialement célèbre, Pearl White<br />
interprète une Daisy digne de Pauline ou<br />
Elaine, ses futurs grands rôles. Vive,<br />
espiègle, imprévisible et dégourdie, jeune en<br />
un mot, elle en est la petite sœur, la partie<br />
encore enfantine. Pourtant, le film contient<br />
certaines scènes « pour adultes » : les jeunes<br />
filles du pensionnat en chemise de nuit et les<br />
cheveux dénoués, l'incarcération un peu<br />
sadique de Daisy dans un cachot de luxe.<br />
Même son travestissement en homme revêt<br />
un caractère légèrement trouble, ce côté<br />
masculin séduisant son jeune passager. Tout<br />
cela se déroule sans temps mort, à un rythme<br />
enlevé, dans le but avoué de distraire.<br />
Héroïne mode in USA, Daisy a quand même<br />
un air de ressemblance avec ses cousines<br />
françaises Caroline, Gribouillette ou<br />
Léontine, avec peut-être la grâce et surtout<br />
l'exotisme en plus.<br />
E.B.<br />
DALILA.<br />
France, SCAGL, 1916. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995.<br />
CTra (713 m.).<br />
LA DAME EN NOIR.<br />
France, [André Heuzé, 1913]. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (1188 m.).<br />
LA DANSE DU FEU.<br />
France, Segundo de Chomôn, 1909. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (60 m.).<br />
LA DANSE HÉROÏQUE.<br />
France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />
1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1305 m.).<br />
DANS LA BROUSSE ANNAMITE.<br />
France, André Sauvage, 1931-1934. Mat.<br />
d'orig. : CTN, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1994. CP (667 m.). Voir page 93.<br />
DANS LE GOUFFRE.<br />
France, Pierre Bressol, 1916. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (1028 m.).<br />
DANS LES MAINS DES ESPIONS.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (860 m.).<br />
DARK BUFFALO OU LA FLÈCHE DU<br />
DÉFI.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (202 m.).<br />
LA DATE FIXÉE.<br />
France, S.C.A.G.L., 1916. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (923 m.).<br />
DAVID HARUM.<br />
États-Unis, Allan Dwan, 1915. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />
Tirage en 1994. CP (1387 m.).<br />
DÉCEPTION.<br />
France, Pathé, 1917. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(556 m.).<br />
DE LA FENÊTRE DE L'AVOCAT.<br />
États-Unis, circa 1911. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (258 m.).<br />
DE L'AMOUR À LA HAINE.<br />
États-Unis, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM<br />
(incomplet). Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (283 m.).<br />
LE DÉSERTEUR.<br />
France, Pathé, 1906. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : CTN/S. Intertitres français. Rest.<br />
en 1996. CP (176 m.).<br />
LES DÉS MAGIQUES.<br />
France, Segundo de Chomôn, 1907 ou 1908.<br />
Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 239<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (137 m.).<br />
Voir page 24.<br />
DESTIN.<br />
France, Dimitri Kirsanoff, 1927. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1992. CP<br />
(1579 m.). Voir page 80.<br />
LE DESTIN D'UN ROI.<br />
Grande-Bretagne, A.E. Coleby, 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1994. CTra (750 m.).<br />
DESTIN TRAGIQUE.<br />
France, Victorin Jasset, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (263 m.).<br />
DETECTIVE CRAIG'S COUP.<br />
États-Unis, Donald Mackenzie, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM (incomplet). Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1035 m.).<br />
DEUX AMOURS.<br />
France, Charles Burguet, 1917. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (976 m.).<br />
DEUX BONS COPAINS.<br />
France, Abel Jacquin, 1931. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1993. CP (681 m.).<br />
LES DEUX ENFANTS.<br />
France, Ravissant Film, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (687 m.).<br />
DEUX FAUTEUILS POUR<br />
LTMPÉRIUM.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />
d'orig. : NIM (incomplet). Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (252 m.).<br />
LES DEUX FORÇATS.<br />
États-Unis, circa 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (263 m.).<br />
DEUX MARIS, DEUX FEMMES, UN<br />
COMMISSAIRE.<br />
France, Pathé, 1916. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (326 m.).<br />
LES DEUX MÈRES.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (541 m.).<br />
LES DEUX ORPHELINS.<br />
États-Unis, circa 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CTra (277 m.).
240 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
LES DEUX PAILLASSON.<br />
France, Lucien Nonguet, 1919. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1993. CTra (709 m.).<br />
LES DEUX PETITS JÉSUS.<br />
France, Georges Denola, 1909. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (286 m.).<br />
LES DEUX VANTARDS.<br />
France, Paul <strong>La</strong>ndrin, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (187 m.).<br />
DÉVOUEMENT D'ÂME<br />
GÉNÉREUSE.<br />
États-Unis, circa 1911. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (288 m.).<br />
LE DÉVOUEMENT DE L'ESCLAVE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (204 m.).<br />
LE DÉVOUEMENT DE STARLIGHT.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (227 m.).<br />
DÉVOUEMENT D'INDIEN.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (312 m.).<br />
DER DIAMANTEN MACHER.<br />
Allemagne, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(1195 m.).<br />
LE DIAMANT NOIR.<br />
Belgique, Alfred Machin, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Sauv. en 1993 et Rest. par<br />
la <strong>Ciné</strong>mathèque royale de Belgique. CP<br />
(914 m.).<br />
LE DIAMANT VERT.<br />
France, Pierre Marodon, 1922. Mat. d'orig. :<br />
PMU (incomplet). Intertitres français. Mat.<br />
de conserv. : CTN. Rest. en 1995. CP<br />
(10850 m.).<br />
DIARY OF A CHAMBERMAID.<br />
Le Journal d'une femme de chambre.<br />
États-Unis, Jean Renoir, 1946. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : 9 CTC/S VO. Tirage en 1993.<br />
CP (2376 m.).<br />
DISILLUSIONE ! - Le Cœur et la Raison.<br />
Italie, Film d'Arte Italiana/Série d'Art Pathé<br />
Frères, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CTra<br />
(519 m.).<br />
IL DISINGANNO DI PIERROT.<br />
<strong>La</strong> Désillusion de Pierrot.<br />
Italie, Ugo Falena, 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (583 m.).<br />
DIS QU'T'ES MÉDECIN<br />
OU LA DOUBLE CURE.<br />
France, 1905. Mat. d'orig. : PMU. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CP (222m.).<br />
DOCUMENTS SECRETS.<br />
France, Léo Joannon, 1940. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />
conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(2056 m.), CP-BAN (117 m.).<br />
DON QUIXOTE - Don Quichotte<br />
(inachevé).<br />
États-Unis, Orson Welles, 1957-1972. Mat.<br />
d'orig. : PMU-Tra, MAG-Tra. Mat. de<br />
conserv. : CTN, NSN. Sauv. en 1996. CP<br />
(2185 m.). Voir page 225.<br />
DORIAN'S DIVORCE.<br />
États-Unis, Oscar A.C. Lund, 1916. Mat.<br />
d'orig. : NIM, NTL Intertitres et flash-titles<br />
anglais. Mat. de conserv. : PIM, PIM Titres.<br />
Sauv. en 1993. CTra (1129 m.).<br />
LE DOUBLE CHEMIN.<br />
Grande-Bretagne, Britannia Film, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (609 m.).<br />
LE DOUBLE DIVORCE.<br />
France, Pathé, 1915. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(283 m.).<br />
LA DOUBLE EXISTENCE DU<br />
DOCTEUR MORART.<br />
France, Jacques Grétillat, 1919. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1993. CTra (531 m.).<br />
LA DOULEUR D'AIMER.<br />
France, Georges Denola, 1912. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (866 m.).<br />
DOURO FAINA FLUVIAL.<br />
Portugal, Manoel de Oliveira, 1929-1931.<br />
Mat. d'orig. et de conserv. : 2 CTC/S<br />
(musique). Tirage en 1995. CP (503 m.).<br />
LA DRAGONNE D'OR.<br />
France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995. CTra<br />
(982 m.).<br />
DRAMA NA VOLGUE.<br />
Un drame sur la Volga.<br />
Russie, Nicolas <strong>La</strong>rine, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1994. CTra (932 m.).<br />
DRAME DE L'AVARICE.<br />
Russie, circa 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(268 m.).<br />
DREAM GIRL.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1947. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1993. [CP] (2330 m.).<br />
DUEL.<br />
France, Jacques de Baroncelli, 1927. Mat.<br />
d'orig. : PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : ITN. Rest. en 1991. CP (1934 m.).<br />
Voir page 71.<br />
DÛRFEN WIR SCHWEIGEN ?<br />
Le Baiser mortel.<br />
Allemagne, Richard Oswald, 1926. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Rest. en 1993. CP (1256 m.).<br />
Voir page 120.<br />
DZIEJE GRZECHU.<br />
Histoire d'un péché.<br />
Pologne, Henryk Szaro, 1933. Mat. d'orig. :<br />
CEX VO (incomplet). Mat. de conserv. : CTC.<br />
Sauv. en 1996. CP (1726 m.).<br />
Ewa, jeune fille timide et pieuse, tombe<br />
amoureuse de Lukasz, un homme marié.<br />
Afin d'obtenir le divorce, il quitte Varsovie<br />
pour Rome. Ewa apprend qu'il a été arrêté et<br />
emprisonné. Enceinte, elle est chassée par sa<br />
famille, puis noie l'enfant qu'elle a mis au<br />
monde. Victime d'un chantage qui l'oblige à<br />
tuer le comte Szczerbiec, protecteur<br />
bienveillant, elle sombre dans la prostitution.<br />
Lukasz, enfin libéré, a épousé une héritière.<br />
Ewa, complice terrorisée du gangster<br />
Pochron et de sa bande, participe à un<br />
cambriolage chez son ancien amant et meurt<br />
en lui sauvant la vie.<br />
Dzieje Grzechu est tiré d'un roman de Stefan<br />
Zeromski paru en 1908 (Walerian<br />
Borowczyk en signera une autre adaptation<br />
en 1975). L'action du film a été déplacée au<br />
début <strong>des</strong> années trente ; il se dépouille ainsi<br />
de toute facilité décorative et prive le<br />
spectateur de la confortable distanciation<br />
d'une reconstitution historique. <strong>La</strong> mise en<br />
scène, sous haute influence du cinéma<br />
allemand, renforce l'enfermement <strong>des</strong> héros<br />
pathétiques de ce mélodrame plus que noir.<br />
Confessionnal, prison, meublé sordide,<br />
wagon de train... L'étouffement contamine<br />
jusqu'au casino et aux hôtels de luxe, et le<br />
plaisir n'y est pas gai. L'histoire se déroule<br />
entièrement de nuit. Les acteurs, coincés par<br />
une caméra qui les cadre de très près, le<br />
visage parfois barré d'ombres portées, sont<br />
éclairés à contre-jour. Mais ce halo, qui<br />
nimbait d'irréalité le cinéma <strong>des</strong> années<br />
vingt, les arrache ici à grand-peine à<br />
l'obscurité menaçante qui les cerne. <strong>La</strong><br />
lumière n'a souvent aucune source logique<br />
dans le décor, et rarement la critique<br />
implicite d'une réalité sociale a été éclairée<br />
avec autant d'artifice.<br />
L'état lacunaire de la copie nitrate retrouvée<br />
dans les collections, et les dommages qu'elle<br />
a subis, rendent la narration chaotique et<br />
parfois incompréhensible. <strong>La</strong> suite<br />
ininterrompue <strong>des</strong> dégradations infligées à<br />
Ewa, rongée par une décomposition qui n'a<br />
rien d'imaginaire, accentue le sentiment<br />
qu'une fatalité aveugle écrase l'héroïne.<br />
Infanticide, prostituée, meurtrière, et<br />
pourtant innocente, Ewa est la triste héritière<br />
d'une lignée de femmes fatales à ellesmêmes,<br />
sublimées par la littérature et le<br />
cinéma d'Europe centrale, et dont<br />
l'archétype est Loulou. Victime <strong>des</strong>tinée au<br />
sacrifice, elle a le même mouvement de<br />
soumission - la tête inclinée en arrière, la<br />
gorge offerte - que ce soit à l'étreinte de<br />
l'amant, à la menace du couteau, ou à la<br />
mort qui la délivre. Cette symbolique du jeu<br />
de l'actrice s'accompagne de métaphores<br />
visuelles parfois paroxystiques. Le corps<br />
déchiré de la femme qui accouche devient<br />
une banquise disloquée, et c'est dans ces<br />
glaces à la dérive qu'Ewa ira noyer son<br />
enfant. Naissance, érotisme et mort se<br />
confondent dans la même pénombre. Ce film<br />
désespéré, parfois morbide, sort en 1933.<br />
Commence alors l'histoire d'un péché d'une<br />
toute autre envergure. Dix ans plus tard, le<br />
réalisateur Henryk Szaro meurt fusillé dans<br />
le ghetto de Varsovie.<br />
E.<br />
C.K.<br />
L'ÉCOLE DES VIERGES.<br />
France, Pierre Weill, 1935. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1993. CP (1995 m.). Voir page 102.<br />
ELLE VEUT FAIRE DU CINÉMA.<br />
France, Henry Wulschleger, 1930. Mat.<br />
d'orig. : NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1993. CP (1113 m.).<br />
L'EMPIRE DU DIAMANT.<br />
France-États-Unis, Léonce Perret, 1922. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM.<br />
Intertitres français. Rest. en 1989. CP<br />
(1265 m.). Voir page 65.<br />
EN DÉTRESSE.<br />
France, Henri Pouctal, 1918. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1994. CTra (893 m.).<br />
ERDGEIST-Loulou.<br />
Allemagne, Leopold Jessner, 1923. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1995. CP (815 m.).<br />
ERZHERZOG JOHANN.<br />
L'Archiduc Jean.<br />
Autriche, Max Neufeld, 1928. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Sauv. en 1993. CP (1954 m.).<br />
ESTHER.<br />
France, Henri Andréani, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1994. CTra (646 m.).<br />
ÉTERNEL AMOUR.<br />
France, Albert Capellani, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1996. CP (881 m.).<br />
ÉTERNELLE SÉPARATION.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (277 m.).<br />
ET L'ON REVIENT TOUJOURS.<br />
France, Fernand Rivers, 1916. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (685 m.).<br />
L'ÉTOILE DU GÉNIE.<br />
France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />
1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en 1996.<br />
CP (1027 m).<br />
L'ÉTREINTE DE LA STATUE.<br />
France, Victorin Jasset, 1908, sonorisé en 1934.<br />
Mat. d'orig. : CEX. Mat. de conserv. : CTC.<br />
Sauv. en 1992. CP (165 m.). Voir page 28.<br />
LES ÉTRENNES À TRAVERS LES<br />
ÂGES.<br />
France, Pierre Colombier, 1923. Mat.<br />
d'orig. : NIM, NTL Intertitres français. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP<br />
(666 m.). Voir page 67.<br />
EVA IN SEIDE - Ève Toute Nue.<br />
Allemagne, Cari Boese, 1928. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Sauv. en 1993. CP (2624 m.).<br />
Voir page 124.<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 241<br />
L'EXCUSE D'UN CRIME.<br />
États-Unis ou Grande-Bretagne, circa 1918.<br />
Mat. d'orig. : NIM (incomplet). Flash-titles<br />
anglais. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv.<br />
en 1996. CTra (187 m.).<br />
L'EXEMPLE.<br />
France, Pathé, 1918. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(432 m.).<br />
F.<br />
FACE À LA MORT.<br />
France, Gérard Bourgeois, 1924. Mat. d'orig. :<br />
PMU (manque la fin). Intertitres français.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995.<br />
CP (3424 m.).<br />
FALBALAS (Essais Micheline Presle).<br />
France, Jacques Becker, 1944. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1994. CP (32 m.).<br />
FALSE PROPHET - Le Faux Prophète.<br />
États-Unis, James W. Horne, 1916. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (974 m.).<br />
THE FAMILY HONOR.<br />
L'Honneur du nom.<br />
États-Unis, King Vidor, 1920. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Rest. en 1995. CP (1595 m.).<br />
Voir page 167.<br />
IL FANTASMA DELLA MORTE.<br />
Italie, Giuseppe Guarino, 1945. Mat. d'orig. :<br />
PIC VO. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en<br />
1994. CP (2089 m.).<br />
LE FAUX TÉLÉGRAMME.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1915. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (825 m.).<br />
THE FAVORITE SON.<br />
États-Unis, Francis Ford, 1913. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN / S. Intertitres anglais.<br />
Tirage en 1994. CP (491m.).<br />
1861. Bill et Jim, deux frères amoureux de la<br />
même femme, s'engagent dans l'armée de<br />
l'Union et luttent contre les confédérés.<br />
L'aîné, Bill, a promis de protéger son cadet,<br />
le fils chéri. Son dévouement sera<br />
exemplaire.<br />
Réalisé par Francis Ford (le grand frère de<br />
John), The Favorite Son est l'anti-Abel et Caïn,<br />
le geste sublime d'un aîné, et au-delà une
242 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
exaltation au sens large et biblique de la<br />
fraternité en pleine guerre fratricide entre le<br />
Nord et le Sud. Ce qui se répète, c'est encore<br />
l'histoire de la Genèse qui racontait déjà, et<br />
pour les siècles <strong>des</strong> siècles, le drame <strong>des</strong><br />
hommes entre eux. Ce que veut le film, c'est<br />
inciter à la réconciliation après la déchirure,<br />
en rappelant par l'exemple que le tronc de<br />
l'arbre est commun à tous. The Favorite Son,<br />
en quelques centaines de mètres, mêle ainsi<br />
l'amour et la haine, la paix et la guerre,<br />
l'intime et l'épique, l'individuel et le<br />
collectif, le premier terme éclairant le second<br />
de son utopie humaniste et chrétienne. On<br />
reste stupéfait que cette capacité si souvent<br />
décrite - et à juste titre - du cinéma<br />
américain à se coltiner avec son histoire<br />
récente, et parfois immédiate, s'exerce déjà à<br />
ce degré de maturité dans un « deux<br />
bobines » de 1913.<br />
LA FEMME ET LE PANTIN.<br />
France, Jacques de Baroncelli, 1928. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1994. CP<br />
(2256 m.). Voir page 89.<br />
B.B.<br />
LA FEMME INCONNUE.<br />
France, Gaston Ravel, 1916. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1994. CTra (1308 m.).<br />
FEU !<br />
France, Jacques de Baroncelli, 1926. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (22 m.). Il s'agit d'une<br />
seconde fin, dite fin « heureuse ».<br />
LE FEU.<br />
France, circa 1919. Mat. d'orig. : PMU.<br />
Intertitres français. Mat. de conserv. : CTN.<br />
Sauv. en 1993. CP (1074 m.). Voir page 48.<br />
LA FIGLIA DEL MARE.<br />
<strong>La</strong> Fille <strong>des</strong> flots.<br />
Italie, Ugo Falena, 1917. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (1116 m.).<br />
LA FILLE BIEN GARDÉE.<br />
France, Louis Feuillade, 1923. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1995. CTra (728 m.).<br />
LA FILLE DU ROI POUM-POUM.<br />
France, [Pathé], 1915. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (133 m.).<br />
FILMS<br />
CHRONOPHOTOGRAPHIQUES<br />
D'ÉTIENNE-JULES MAREY.<br />
France, 1890-1900. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Matrice : Digital Audio Tape. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Rest. numérique en 1996.<br />
CP. Voir page 21.<br />
FLIRT DANGEREUX.<br />
France, René Leprince, 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (212 m.).<br />
FOUR SONS - Les Quatre Fils.<br />
États-Unis, John Ford, 1928. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres portugais.<br />
Tirage en 1994. CP (2636 m.).<br />
LE FRIQUET.<br />
France, Maurice Tourneur, 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM, PMU/S (incomplet). Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />
Rest. en 1995. CP (620 m.). Voir page 38.<br />
THE FUGITIVE.<br />
États-Unis, Reginald Barker, 1916. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1995. CP (563 m.).<br />
G.<br />
GALAOR L'INTRÉPIDE.<br />
Italie, circa 1920. Mat. d'orig. : PMU.<br />
Intertitres français. Mat. de conserv. : CTN.<br />
Sauv. en 1996. CP (1225 m.).<br />
GARDIENS DE PHARE.<br />
France, Jean Grémillon, 1929. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />
Tirage en 1995. CP (1645 m.).<br />
GEHEIMNISVOLLE TIEFE.<br />
Profondeurs Mystérieuses.<br />
Autriche, Georg Wilhelm Pabst, 1949. Mat.<br />
d'orig. : CEX VOSTF, CEX VO. Mat. de<br />
conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1993. CP<br />
(2780 m., VOSTF). Voir page 135.<br />
LA GÉNÉROSITÉ DU FORÇAT.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Mat. de conserv. : CTN. Sauv.<br />
en 1996. CTra (258 m.).<br />
GENEVIÈVE PRISE À SON PROPRE<br />
PIÈGE.<br />
France, circa 1920. Mat. d'orig. : NIM-rushes.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (466 m.).<br />
[LE GENTIL COIFFEUR].<br />
France, (film inachevé ?), circa 1918. Mat.<br />
d'orig. : PMU rushes. Mat. de conserv. : PIM<br />
rushes, CTN rushes. Sauv. en 1996. CTra<br />
(89 m.).<br />
GERMINAL.<br />
France, Albert Capellani, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM. Intertitres<br />
français. Rest. en 1986. CP (3017 m.).<br />
Voir page 40.<br />
GESCHLECHT IN FESSELN - Chaînes.<br />
Allemagne, Wilhelm Dieterle, 1928. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1994. CP (2020 m.).<br />
Voir page 126.<br />
I GIARDINI D'ARMIDA.<br />
Italie, Maurizio Rava, 1921. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (1474 m.).<br />
THE GODDESS OF SAGEBRUSH<br />
GULCH.<br />
États-Unis, David Wark Griffith, 1912. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN / S. Tirage en<br />
1995. CTra (277 m.).<br />
GOLDEN EARRINGS.<br />
Les Anneaux d'or.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1946. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO, PIC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : CTC, CTC-BAN. Sauv. en 1993.<br />
CP (2590 m.), CP-BAN (70 m.). Voir page 217.<br />
GOLD MADNESS - <strong>La</strong> Folie de l'or.<br />
États-Unis, Robert T. Thornby, 1923. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Flash-titles français. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(1148 m.).<br />
GOLGOTHA.<br />
France, Julien Duvivier, 1935. Mat. d'orig. :<br />
CTC. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en 1994.<br />
CP (2639 m.).<br />
LE GOUMIER.<br />
France, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(415 m.).<br />
LE GRAND CRIME DU PETIT<br />
TONIO.<br />
France, Pierre Bressol, 1916. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (363 m.).<br />
LA GRANDE RIVALE.<br />
France, Louis Paglieri, 1919. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1995. CTra (2825 m.).<br />
LES GRANDS.<br />
France, Henri Fescourt, 1924. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP (1547 m.).<br />
LES GRANDS.<br />
France, Félix Gandéra et Robert Bibal, 1936.<br />
Mat. d'orig. : PIC. Mat. de conserv. : CTC.<br />
Sauv. en 1992. CP (2341 m.).<br />
GRAS S : A NATION'S BATTLE FOR<br />
LIFE - L'Exode.<br />
États-Unis, Merian C. Cooper et Ernest B.<br />
Schoedsack, 1925. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : CTN/S. Intertitres anglais. Tirage<br />
en 1995. CP (962 m.).<br />
THE GREAT LOVER.<br />
Don Juan de l'Atlantique.<br />
États-Unis, Alexander Hall, 1949. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(2118 m.), CP-BAN (79 m.).<br />
GREED - Les Rapaces.<br />
Etats-Unis, Erich von Stroheim, 1924. Mat.<br />
d'orig. : CTN. Intertitres anglais. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP<br />
(3053 m.). Voir page 173.<br />
LA GRÈVE.<br />
[Grande-Bretagne], circa 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (289 m.).<br />
LES GRIFFES DE LA MORT.<br />
Allemagne, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(1355 m.).<br />
LA GUERRE DES GOSSES.<br />
France, Jacques Daroy et Eugène Deslaw,<br />
1936. Mat. d'orig. : PIC. Mat. de conserv. :<br />
CTC. Sauv. en 1994. CP (2326 m.).<br />
LA GUERRE DU FEU.<br />
France, Georges Denola, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (457 m.).<br />
H.<br />
LES HABITS NOIRS.<br />
France, Daniel Riche, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (1480 m.).<br />
HACELDAMA OU le Prix du sang.<br />
France, Julien Duvivier, 1919. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Flash-titles français. Mat. de<br />
conserv. : PIM. Intertitres français. Rest. en<br />
1996. CP (1551 m.). Voir page 55.<br />
EL HADA PRIMAVERA.<br />
<strong>La</strong> Fée Printemps.<br />
Espagne, Segundo de Chomôn, 1902. Mat.<br />
d'orig. : (extérieur). Mat. de conserv. : ITN.<br />
Rest. en 1989. CP (65 m.). Voir page 24.<br />
LE HÂLEUR.<br />
France, Léonce Perret, 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1996. CP<br />
(220 m.).<br />
Un hâleur et sa jeune épouse embarquent à<br />
bord de leur péniche pour le voyage de la<br />
vie. Mais le bonheur ne durera pas. Le soir<br />
<strong>des</strong> noces, au cours d'une promenade, la<br />
mariée meurt brusquement, laissant son<br />
mari désespéré.<br />
L'histoire, très simple, est entièrement filmée<br />
en extérieurs, mais cette source habituelle de<br />
naturalisme ou de réalisme est ici détournée<br />
par l'absence de repères géographiques ou<br />
temporels : les acteurs, vêtus du costume<br />
traditionnel hollandais, évoluent dans un<br />
décor escarpé, probablement méridional.<br />
Encore une fois, au-delà de l'anecdote, les<br />
références visuelles ou thématiques chères à<br />
Léonce Perret - le conte de fées ou le<br />
symbolisme - construisent le film. <strong>La</strong> nature<br />
omniprésente devient l'élément essentiel de<br />
chaque plan. D'abord amie et complice du<br />
bonheur, elle offre généreusement les fleurs<br />
qui décorent la noce, l'eau qui permet au<br />
couple de subsister, et les arbres pour abriter<br />
leurs amours. Puis la comédie sentimentale<br />
vire brutalement au drame de la fatalité.<br />
Comme la petite sirène d'Andersen, la jeune<br />
femme meurt d'avoir voulu aborder la terre<br />
ferme, et le baiser de l'époux amoureux<br />
devient l'instrument du crime. Tous les<br />
signes de la joie d'aimer et de travailler<br />
s'inversent dans une symétrie de cadrage<br />
presque totale. Les arbres protecteurs<br />
deviennent <strong>des</strong> masses sombres, écrasantes,<br />
et semblent précipiter la course du<br />
malheureux qui porte le corps de sa bienaimée.<br />
Les fleurs du mariage servent<br />
désormais de linceul à la morte dans un plan<br />
qui rappelle la Mort d'Ophélie, de Millais. Le<br />
harnais qui enchaîne le hâleur à sa péniche<br />
est maintenant un instrument de torture, et<br />
tandis qu'il tire péniblement l'immense<br />
cercueil, l'eau semble lui résister<br />
cruellement.<br />
HARMONIES DE PARIS.<br />
France, Lucie Derain, 1928. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />
Tirage en 1995. CP (577 m.). Voir page 86.<br />
C.K.<br />
HATTA MARI.<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 243<br />
États-Unis, Babe Stafford, 1932. Mat. d'orig. :<br />
CTN, CTS VO Mat. de conserv. : PIC. Sauv.<br />
en 1996. CP (536 m.).<br />
HEART OF A BANDIT.<br />
Coeur de bandit.<br />
États-Unis, Biograph, 1915. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (245 m.).<br />
LES HERBES FOLLES.<br />
États-Unis, circa 1919. Mat. d'orig. : PMU.<br />
Intertitres français. Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CP (746 m.).<br />
L'HÉRITAGE CONVOITÉ.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (721 m.).<br />
L'HÉRITAGE DE L'ONCLE.<br />
France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(128 m.).<br />
L'HÉRITAGE MANQUÉ.<br />
France, Georges Monca, 1910. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (140 m.).<br />
HEROES OF THE MINE.<br />
Grande-Bretagne, George Pearson, 1913.<br />
Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (944 m.).<br />
L'HÉROÏSME DU DOCTEUR.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (247 m.).<br />
LE HÉROS DE MARSEILLE.<br />
France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(53 m.).<br />
L'HEURE SINCÈRE.<br />
France, René Plaissetty, 1917. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (820 m.).<br />
HIER ET AUJOURD'HUI.<br />
France, Dominique Bernard-Deschamps,<br />
1918. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra (693 m.).<br />
HOLIDAY INN.<br />
L'amour chante et danse.<br />
États-Unis, Mark Sandrich, 1942. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />
Sauv. en 1993. CP (2749 m, VOSTF.).<br />
Voir page 197.
L'HOMME À L'HISPANO.<br />
France, Julien Duvivier, 1926. Mat. d'orig. :<br />
PMU, NIM, NIM-BAN. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN, PIM-BAN, CTN-BAN. Intertitres<br />
français. Rest. en 1995. CP (2801 m.),<br />
CP-BAN (79 m.).<br />
L'HOMME AUX GANTS BLANCS.<br />
France, Albert Capellani, 1908. Mat. d'orig. :<br />
PMU (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (177 m.).<br />
L'HOMME MYSTÉRIEUX.<br />
France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(131 m.).<br />
LES HOMMES-SANDWICHS.<br />
France, Pathé, 1910. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(113 m.).<br />
HONNEUR D'ARTISTE.<br />
France, Jean Kemm, 1917. Mat. d'orig. : NIM<br />
(incomplet). Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (595 m.).<br />
L'HONNEUR D'UNE JAPONAISE.<br />
Russie, le Film Russe, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (318 m.).<br />
L'HÔTEL DU SILENCE.<br />
France, Emile Cohl, 1908. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />
1986. CP (223m.). Voir page 30.<br />
LE HUSSARD.<br />
France, René Plaissetty, 1917. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (530 m.).<br />
L'HYDRE D'EAU DOUCE.<br />
France, [Pathé], circa 1912. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1995. CP (64 m.).<br />
I.<br />
IDLE HANDS - Le Dragon d'or.<br />
États-Unis, Frank Reicher, 1921. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Flash-titles français. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1175 m.).<br />
IDYLLE BRISÉE.<br />
Etats-Unis, Pathé-Exchange, circa 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (287 m.).<br />
IL FAUT QUE JEUNESSE SE PASSE.<br />
France, Pathé, 1915. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(359 m.).<br />
L'ÎLOT DÉSERT.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (271 m.).<br />
INDIA, MATRI BHUMI.<br />
Inde, terre mère.<br />
Italie-France-Inde, Roberto Rossellini,<br />
1957-1959. Mat. d'orig. : CEX V Française.<br />
Mat. de conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1996.<br />
CP (2605 m.). Voir page 146.<br />
L'INDIEN MAGNANIME.<br />
États-Unis, [Pathé-Exchange], 1915. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (256 m.).<br />
L'INDIENNE D'ARIZONA.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (251 m.).<br />
L'INDIENNE KO-TO-SHO SE<br />
MODERNISE.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, 1912. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (167 m.).<br />
L'INFIDÈLE.<br />
France, René Leprince, 1912. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (292 m.).<br />
L'INGÉNIEUX RÉPARATEUR DE<br />
FAÏENCE.<br />
France, Pathé, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(124 m.).<br />
L'INSPECTEUR DES BECS DE GAZ.<br />
France, S.C.A.G.L., 1909. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (247 m.).<br />
L'INSTINCT.<br />
France, Henri Pouctal, 1916. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (1239 m.).<br />
J-<br />
J'AI TUÉ !<br />
France, Roger Lion, 1924. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM. Intertitres français.<br />
Rest. en 1990. CP (2052 m.). Voir page 75.<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 245<br />
JE MEURS OÙ JE M'ATTACHE.<br />
[France], circa 1911. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(184 m.).<br />
JE SERAI SEULE APRÈS MINUIT.<br />
France, Jacques de Baroncelli, 1931. Mat.<br />
d'orig. : NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN.<br />
Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en<br />
1995. CP (1553 m.), CP-BAN (139 m.).<br />
Voir page 71.<br />
LE JUIF ERRANT.<br />
France, Luitz-Morat, 1926. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : CTN. Intertitres<br />
français. Rest. en 1996. CP (7695 m.).<br />
Voir page 57.<br />
DER JUNGE MED ARDUS - Gloire<br />
Autriche, Michael Kertesz (Michael Curtiz),<br />
1923. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres français.<br />
Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en 1996. CP<br />
(2419 m.).<br />
K.<br />
KITTY - <strong>La</strong> Duchesse <strong>des</strong> bas-fonds.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1944. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />
Sauv. en 1993. CP (2381 m.). Voir page 216.<br />
DIE KÔNIGIN VON<br />
MOULIN-ROUGE.<br />
<strong>La</strong> Duchesse <strong>des</strong> Folies-Bergère.<br />
Allemagne, Robert Wiene, 1926. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1993. CTra (1461 m.).<br />
KOURSITSKA ASSIA.<br />
L'Etudiante Assia.<br />
Russie, Kai Hansen, 1913. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CTra (472 m.).<br />
L.<br />
IL LADRO DI VENEZIA.<br />
Le Voleur de Venise.<br />
Italie-États-Unis, John Brahm, 1949. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO (anglais). Mat. de conserv. :<br />
PIC. Sauv. en 1994. CP (2956 m.).<br />
THE LAST OF THE INGRAMS.<br />
États-Unis, Walter Edwards, 1917. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1995. CP (1310 m.).
246 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
THE LAST WARNING.<br />
Le Dernier Avertissement.<br />
États-Unis, Paul Leni, 1928. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />
Tirage en 1994. CP (2137 m.). Voir page 191.<br />
LA LÉGENDE DU FANTÔME.<br />
France, Segundo de Chomdn, 1908. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (288 m.). Voir page 24.<br />
LÉONTINE GARDE LA MAISON.<br />
France, Roméo Bosetti, 1911. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1996. CTra (145 m.).<br />
LETTRES D'AMOUR.<br />
France, Claude Autant-<strong>La</strong>ra, 1942. Mat.<br />
d'orig. : PIC. Mat. de conserv. : CTC. Sauv.<br />
en 1994. CP (2506 m.). Voir page 109.<br />
LIEBE - <strong>La</strong> Duchesse de <strong>La</strong>ngeais.<br />
Allemagne, Paul Czinner, 1927. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (2433 m.).<br />
Voir page 122.<br />
LITTLE PAL - Drame en Alaska.<br />
États-Unis, James Kirkwood, 1915. Mat.<br />
d'orig. : CTN. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : PIM. Sauv. en 1994. CP (1065 m.).<br />
Little Pal vérifie la bonification quasi<br />
mécanique qu'un paysage de neige apporte à<br />
un film (la Symphonie pastorale étant la seule<br />
exception notable). Commençant sa carrière<br />
avec Griffith, James Kirkwood en a emporté<br />
ici les matériaux d'un mélodrame, amours<br />
contrariés, victimisation sociale, et happy<br />
ending, ainsi que Mary Pickford. <strong>La</strong> linéarité<br />
narrative, sous la profusion <strong>des</strong> cartons, n'y<br />
dépasse pas l'illustration honnête de leurs<br />
contenus. <strong>La</strong> frontalité récurrente <strong>des</strong> plans<br />
d'ensemble dans les intérieurs donne une<br />
datation qui possède une sorte de charme<br />
primitif, mais le plus intéressant reste Mary<br />
Pickford, la permanence étrangement<br />
indienne sur son visage, accentuée peut-être<br />
par le bonnet de fourrure, son allure<br />
enfantinement boudeuse parfois, cette<br />
manière d'absorber en elle le malheur<br />
comme la probabilité d'un <strong>des</strong>tin. L'allure<br />
hostile et interrogative avec laquelle elle<br />
regarde pour la première fois la femme de<br />
Grandon incarne avec conviction une<br />
incubation intime de la scène, qu'elle seule<br />
élève à l'offrande tangible dans le plan d'une<br />
affection unique, bien que double : stupeur<br />
et aversion mêlées. C'est sa traversée du<br />
film, avec son entêtement secret, qui en est le<br />
chiffre le plus mémorable.<br />
Ph.A.<br />
THE LONE DEFENDER.<br />
États-Unis, Richard Thorpe, 1930. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(5222 m.), CP-BAN (150 m.). Voir page 194.<br />
LOVE - Anna Karénine.<br />
États-Unis, Edmund Goulding, 1927. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1994. CP (2237 m.).<br />
LOVE LETTERS.<br />
Le Poids d'un mensonge.<br />
États-Unis, William Dieterle, 1944. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : CTC, PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP<br />
(2763 m.), CP-BAN (75 m.). Voir page 210.<br />
LUCRÈCE.<br />
France, Léo Joannon, 1943. Mat. d'orig. : PIC.<br />
Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994. CP<br />
(2644 m.).<br />
LA LUTTE POUR LA VIE.<br />
France, Ferdinand Zecca et René Leprince,<br />
1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en<br />
1994. CP (1424 m.). Voir page 42.<br />
M.<br />
MADAME DU BARRY.<br />
Allemagne, Ernst Lubitsch, 1919. Mat. d'orig.<br />
et de conserv. : CTN/S (manque le<br />
générique). Intertitres français. Tirage en<br />
1994. CP (2536 m.).<br />
MADEMOISELLE X.<br />
France, Pierre Billon, 1944. Mat. d'orig. :<br />
NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de conserv. :<br />
PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP-BAN (107 m.).<br />
LE MAÎTRE DE FORGES.<br />
France, Fernand Rivers, 1947. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN, NTI-<br />
BAN. Mat. de conserv. : PIC, PIC-BAN.<br />
Sauv. en 1995. CP (2216 m.), CP-BAN<br />
(63 m.).<br />
THE MAKING OF BRONCHO BILLY.<br />
États-Unis, [G.M. Anderson], circa 1909. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1995. CP (237 m.).<br />
THE MAN WHO LAUGHS.<br />
L'Homme qui rit.<br />
États-Unis, Paul Leni, 1927. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres italiens.<br />
Tirage en 1995. CP (2922 m.). Voir page 191.<br />
MARQUE RÉVÉLATRICE.<br />
États-Unis, circa 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CTra (301 m.).<br />
THE MATINEE IDOL.<br />
Bessie à Broadway.<br />
États-Unis, Frank Capra, 1928. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Rest. en 1994. CP (1575 m.).<br />
Voir page 187<br />
MATISSE.<br />
France, Frédéric Rossif, 1950. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : ITN/S 16 mm. Tirage en 1995.<br />
CP (85 m.). Voir page 116.<br />
LA MEILLEURE MAÎTRESSE.<br />
France, René Hervil, 1929. Mat. d'orig. : NIM<br />
(incomplet). Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (539 m.).<br />
LE MENEUR DE JOIES.<br />
France, Charles Burguet, 1929. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NIM-BAN. Flash-titles français et<br />
anglais. Mat. de conserv. : PIM, CTN, PIM-<br />
BAN, CTN-BAN. Sauv. en 1995. CTra (1820<br />
m.), CTra-BAN (77 m.).<br />
MÉPHISTO.<br />
France, Henri Debain et Nick Winter, 1930.<br />
Mat. d'orig. : CTC (incomplet). Mat. de<br />
conserv. : PIC. Sauv. en 1994. CP (349 m.).<br />
MÉTAMORPHOSE.<br />
France, Tony Lekain, 1923. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1996. CP (637 m.).<br />
Eugénie, personne au tempérament délicat,<br />
s'enfuit du sordide cabaret que tient sa mère.<br />
Aidée par un hasard providentiel, elle<br />
devient mannequin dans une maison de<br />
couture <strong>des</strong> Champs-Élysées. Maurice<br />
<strong>La</strong>croix, jeune peintre à la mode, s'éprend<br />
d'elle en la voyant défiler. Pour l'épouser, il<br />
quittera sans regret une maîtresse<br />
envahissante.<br />
« Film <strong>des</strong> élégances parisiennes », dit la<br />
publicité de l'époque, et c'est bien de cela<br />
dont il s'agit. Cette histoire improbable<br />
d'une Cendrillon moderne vaut surtout<br />
comme document sur la mode. <strong>La</strong> vie<br />
quotidienne d'une maison de couture, de la<br />
cabine d'essayage aux salons de réception,<br />
est filmée en décors naturels : un somptueux<br />
hôtel particulier où se retrouve une clientèle<br />
féminine caricaturée avec indulgence.<br />
Eugénie, devenue Nicole, au visage doux et<br />
irrégulier, ne ferait sans doute pas de nos<br />
jours une carrière aussi rapide. L air<br />
mélancolique, elle adopte <strong>des</strong> poses à la Erte<br />
pour présenter ses robes informes créées,<br />
semble-t-il, pour effacer hanches, taille et<br />
poitrine, métamorphosant le corps de la<br />
femme en colonne de temple grec. Mais les<br />
gros plans restituent heureusement la<br />
somptuosité <strong>des</strong> matières, le luxe <strong>des</strong><br />
broderies, et la spectatrice d'aujourd'hui, très<br />
vite transformée en cliente potentielle, oublie<br />
le commentaire sans appel - « C'est<br />
importable ! » - qui lui vient tout d'abord à<br />
l'esprit, pour regretter <strong>des</strong> raffinements<br />
disparus.<br />
Le récit est mené avec un laisser-aller bon<br />
enfant qui en fait le charme. Paris se réduit à<br />
une suite d'émouvants lieux communs<br />
touristiques, et les badauds s'arrêtent avec<br />
simplicité pour regarder la caméra.<br />
Cependant, il ne faudrait pas conclure à<br />
l'amateurisme. Les scènes dans le cabaret<br />
témoignent d'un réalisme soigné et les<br />
acteurs bien typés campent <strong>des</strong> apaches très<br />
crédibles. Sans doute lassé du sujet et<br />
abandonnant définitivement tout effort de<br />
vraisemblance, Tony Lekain plaque en<br />
clôture du film une longue scène de danse<br />
professionnelle. L'intrusion de ce couple<br />
déséquilibre la construction. Maladresse du<br />
cinéaste ou spontanéité assumée, on ne sait.<br />
Elle laisse en tout cas le spectateur<br />
agréablement surpris par tant de<br />
désinvolture.<br />
C. K.<br />
MÉTAMORPHOSES D'UN FIANCÉ.<br />
France, Pathé, 1906. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : CTN/S (extrait). Intertitres<br />
français. Tirage en 1996. CP (29 m.).<br />
MIDLAND S AT PLAY AND AT<br />
WORK.<br />
Grande-Bretagne, Douglas Hickox, 1963.<br />
Mat. d'orig. : CEX VO. Mat. de conserv. :<br />
CTC. Sauv. en 1996. CP (546 m.).<br />
C'était un film oublié. Réalisé techniquement<br />
par Douglas Hickox, les photos sont d'Henri<br />
Cartier-Bresson. Certaines d'entre elles, ou<br />
d'autres appartenant à cette série, ont sans<br />
doute été déjà vues hors de ce film réalisé au<br />
« banc-titre ». L'intérêt est plus encore dans<br />
les mouvements internes qui visitent chaque<br />
composition. Comme si, en plus de<br />
l'intervention photographique dont le<br />
résultat habituellement publié sur papier<br />
reserve toujours une énigme, le spectateur<br />
était conduit par l'oeil même du photographe<br />
qui « Ht » ses propres clichés et en accentue<br />
les traits humoristiques et plastiques. Les<br />
Midlands ont à coup sûr beaucoup changé<br />
depuis les années soixante. Le film est<br />
devenu une chronique sociale révolue. Mais<br />
il demeure le témoignage didactique d'un<br />
immense artiste sur ses intentions.<br />
D. P.<br />
MIMÉTISME.<br />
France, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995. CP<br />
(129 m.).<br />
MINOR'S DESTINY.<br />
Le Destin du mineur.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM (incomplet). Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (457 m.).<br />
MINUIT... PLACE PIGALLE.<br />
France, René Hervil, 1927. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Sauv. en 1994. CP (2480 m.).<br />
Voir page 83.<br />
MONSIEUR BONIFACE AIME LES<br />
PETITS PIEDS.<br />
France, Pathé, 1913. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996. CTra<br />
(263 m.).<br />
MONSIEUR DOUMEL DANS SES<br />
HISTOIRES MARSEILLAISES.<br />
France, Société Française <strong>des</strong> Filmparlants,<br />
circa 1930. Mat. d'orig. : NIM, NSN. Mat. de<br />
conserv. : PIC. Sauv. en 1996. CP (201 m.).<br />
MONSIEUR LE DIRECTEUR.<br />
France, Georges Monca, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1993. CTra (615 m.).<br />
N.<br />
NANA.<br />
France, Jean Renoir, 1925. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : PIM/S. Intertitres français. Tirage<br />
en 1994. CP (2885 m.).<br />
NAPOLEON AUF ST. HELENA.<br />
Napoléon à Sainte-Hélène.<br />
Allemagne, Lupu Pick, 1929. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />
Tirage en 1995. CP (2123 m.).<br />
THE NARROW TRAIL - Révélation.<br />
États-Unis, William S. Hart et <strong>La</strong>mbert<br />
Hillyer, 1917. Mat. d'orig. et de conserv. :<br />
CTN/S. Flash-titles anglais. Tirage en 1995.<br />
CTra (1139 m.).<br />
Épris l'un de l'autre, le bandit « Ice »<br />
Harding et la jeune Betty rêvent d'une<br />
existence harmonieuse, chacun ignorant les<br />
activités malhonnêtes de l'autre. Quand il la<br />
retrouve entraîneuse à San Francisco, il la<br />
rejette violemment, mais lui avoue ensuite<br />
son passé de hors-la-loi. Après avoir<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS -247<br />
remporté une course de chevaux, Ice<br />
commencera avec Betty une nouvelle vie.<br />
Quatre-vingts ans après, même dans un<br />
mo<strong>des</strong>te « two réels » comme celui-ci, le<br />
talent de William S. Hart (ici associé à<br />
<strong>La</strong>mbert Hillyer) continue de surprendre sur<br />
bien <strong>des</strong> plans. Comme devant The Cold<br />
Deck, on ne peut qu'être ébahi par l'audace<br />
<strong>des</strong> cadrages, séduit par la nervosité du<br />
montage, touché par le lyrisme unissant<br />
l'homme et la nature sublimée, conquis par<br />
l'élégance de la mise en scène. Hart nous<br />
étonne encore avec une scène de bagarre<br />
étonnamment longue et réaliste, une<br />
séquence semi-anachronique qui montre le<br />
héros de tant de westerns transplanté dans<br />
une ville moderne - et donc hostile - et enfin<br />
un dénouement immoral, qui voit le bandit<br />
empocher la prime de la course, désarmer le<br />
shérif et partir avec l'héroïne. Le code Hays<br />
ne sévissait pas encore.<br />
Tout en rejetant les clichés, le cinéaste<br />
reprend à son compte <strong>des</strong> thèmes classiques.<br />
Pour emprunter la piste étroite de<br />
l'honnêteté, le couple doit fuir San Francisco<br />
- ville sans loi, symbole de corruption - et se<br />
réfugier dans la montagne bienveillante,<br />
chacun ayant trouvé grâce à l'autre<br />
l'occasion de la rédemption et la volonté de<br />
l'accomplir.<br />
Hart sait aussi ne pas ménager son<br />
personnage. Dans la scène du bouge, il<br />
prend le risque de paraître injuste (n'étant<br />
pas lui-même un enfant de choeur, il<br />
condamne la malheureuse entraîneuse !),<br />
mais ne tarde pas à implorer humblement<br />
son pardon. Tantôt minéral, tantôt lunaire,<br />
son beau visage exprime avec la même<br />
conviction la dureté de l'homme de l'Ouest<br />
(capable de risquer sa vie pour défendre<br />
celle de son cheval), la noblesse du<br />
gentleman ou le désespoir de l'amoureux<br />
transi.<br />
William S. Hart ? Un homme de cœur, bien<br />
sûr. Et aussi un grand cinéaste, un <strong>des</strong><br />
premiers. William S(eptième) Hart, en<br />
somme.<br />
NÈNE.<br />
F.L.<br />
France, Jacques de Baroncelli, 1923. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1990. CP<br />
(1665 m.). Voir page 71.<br />
NICK WINTER ET LES AS DE<br />
TRÈFLE.<br />
France, Paul Garbagni, 1913. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv.<br />
en 1993. CTra (400 m.). Voir page 34.<br />
NOAH'S ARK - L'Arche de Noé.<br />
États-Unis, Michael Curtiz, 1928. Mat. d'orig.
248 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
et de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />
Tirage en 1994. CP (2116 m.).<br />
NOBODY - Le Douzième Juré.<br />
États-Unis, Roland West, 1921. Mat. d'orig. :<br />
CTN. Flash-titles français. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Intertitres français.<br />
Rest. en 1992. CP (1584 m.). Voir page 170.<br />
LA NUIT DU ONZE SEPTEMBRE.<br />
France, Dominique Bernard-Deschamps,<br />
1919. Mat. d'orig. : PMU (incomplet).<br />
Intertitres français et anglais. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1994. CP (957 m.).<br />
0.<br />
ON PURGE BÉBÉ.<br />
France, Jean Renoir, 1931. Mat. d'orig. :<br />
PIC/S, CTC/S (combinés). Mat. de conserv. :<br />
CTS. Sauv. en 1994. CP (1324 m.).<br />
P.<br />
PARIS GIRLS.<br />
France, Henry Roussell, 1929. Mat. d'orig. :<br />
NIM (version courte), flash-titles anglais,<br />
NIM (version longue), NIM-chutes. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN, PIM, CTN, PIM-chutes,<br />
CTN-chutes. Sauv. en 1994. CTra-version<br />
courte (1524 m.), CTra-version longue<br />
(2466 m.), chutes (894 m.).<br />
PARLONS CINÉMA<br />
(« les Anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois »).<br />
Canada, Harry Fischbach, 1976-1977. Mat.<br />
d'orig. : CEX/S 16 mm. Mat. de conserv. :<br />
ITN, NSN. Sauv. en 1994. CP (2816 m.).<br />
Voir page 230.<br />
PEARL OF THE ARMY.<br />
Le Courrier de Washington.<br />
États-Unis, Edward José, 1916. Mat. d'orig. :<br />
PMU (incomplet). Intertitres français. Mat.<br />
de conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP<br />
(4699 m.). Voir page 163.<br />
LE PÈRE GORIOT.<br />
France, Jacques de Baroncelli, 1921. Mat.<br />
d'orig. : PMU (incomplet). Intertitres<br />
français. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv.<br />
en 1995. CP (1160 m.).<br />
LA PETITE CHOCOLATIÈRE.<br />
France, René Hervil, 1927. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Flash-titles français. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra (1820 m.).<br />
LE POISON DE L'HUMANITÉ.<br />
France, Victorin Jasset et Émile Chautard,<br />
1911. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres français.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CP (854 m.).<br />
THE POWER OF THE PRESS.<br />
[<strong>La</strong> Puissance de l'argent].<br />
États-Unis, Van Dyke Brooke, 1909. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1995. CP (293 m.).<br />
PRACTICALLY YOURS.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1944. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1994. CP (2452 m.).<br />
LE PRIX DU SILENCE.<br />
États-Unis, circa 1912. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (271 m.).<br />
PROTÉA.<br />
France, Victorin Jasset, 1913. Mat. d'orig. :<br />
PIM/S (incomplet). Mat. de conserv. : CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />
(857 m.). Voir page 36.<br />
LE PUITS DE JACOB.<br />
France, Edward José, 1925. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Flash-titles français. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Sauv. en 1995. CTra (2492 m.).<br />
R.<br />
RAMUNTCHO.<br />
France, René Barbéris, 1938. Mat. d'orig. :<br />
CEX (<strong>Ciné</strong>mathèque française et<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque suisse). Sauv. en 1994. CP<br />
(2506 m.). Voir page 108.<br />
RED RIDERS OF CANADA.<br />
Le Canoé" noir.<br />
États-Unis, Robert De <strong>La</strong>cy, 1928. Mat.<br />
d'orig. : PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1996. CP (1916 m.).<br />
THE RIVER - <strong>La</strong> Femme au corbeau.<br />
États-Unis, Frank Borzage, 1928. Mat.<br />
d'orig. : CEX (musique). Mat. de conserv. :<br />
(<strong>Ciné</strong>mathèque suisse). Intertitres français<br />
et anglais. Co-rest. en 1993. CP 16mm<br />
(606 m.). Voir page 183.<br />
ROKOVYE BRILLIANTY.<br />
Les Diamants maudits.<br />
Russie, Maximilien Garry, 1913. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />
(414 m.). Voir page 151.<br />
ROMAN S KONTRABASOM.<br />
<strong>La</strong> Contrebasse de Konescoff.<br />
Russie, Kai Hansen, 1914. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994.<br />
CTra (195 m.).<br />
LA ROUTE ENCHANTÉE.<br />
France, Pierre Caron, 1938. Mat. d'orig. :<br />
CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1995.<br />
CP (2377 m.).<br />
RULER OF THE ROAD.<br />
L'Heure du pardon.<br />
États-Unis, E.C. Ward, 1918. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (445 m.).<br />
RULERS OF THE SEA.<br />
Les Maîtres de la mer.<br />
États-Unis, Frank Lloyd, 1939. Mat. d'orig. :<br />
CTC VO, PIC VO (combinés). Mat. de<br />
conserv. : PIC, CTC. Sauv. en 1994. CP<br />
(2640 m.). Voir page 201.<br />
S.<br />
SECOND CHORUS - Swing Romance.<br />
États-Unis, Henry Codman Potter, 1940.<br />
Mat. d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. :<br />
PIC. Sauv. en 1994. CP (2286 m.).<br />
Voir page 197.<br />
THE SECRET FORMULA.<br />
Formule secrète.<br />
États-Unis, Pathé-Exchange, circa 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (561 m.).<br />
SEPT HOMMES, UNE FEMME...<br />
France, Yves Mirande, 1936. Mat. d'orig. :<br />
CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994.<br />
CP (2328 m.).<br />
Une très riche veuve rassemble en son<br />
château sept prétendants et les juge à leurs<br />
actes et paroles. Elle épousera son ami<br />
d'enfance, un aristocrate ruiné qui n'en veut<br />
pourtant pas à son argent.<br />
Interrogé sur la genèse de la Règle du jeu<br />
(1939), Renoir citait volontiers Beaumarchais,<br />
Mariveaux, Musset, Molière (« Quitte à<br />
prendre <strong>des</strong> maîtres, il vaut mieux les<br />
prendre grands »), jamais... Yves Mirande. A<br />
voir Sept hommes, une femme, nanar aussi<br />
épouvantable qu'exemplaire de la<br />
médiocrité cinématographique française <strong>des</strong><br />
années trente, difficile pourtant d'éviter la<br />
comparaison, comparaison étant bien sur<br />
injurieux pour Renoir tant les deux films<br />
(l'un est à peine un objet<br />
cinématographique) sont à <strong>des</strong> années-<br />
Lumière l'un de l'autre. Comparaison<br />
prouvant au moins qu'au cinéma le matériau<br />
de base (le sujet) n'est rien, que sa mise en<br />
scène est tout. Alors, dans le film de<br />
Mirande, il y a déjà le château et la<br />
châtelaine, le grand couloir qui distribue les<br />
chambres d'hôtes (ligne de fuite potentielle<br />
pour le regard, mais optiquement ignorée),<br />
le monde <strong>des</strong> maîtres et celui <strong>des</strong> valets, le<br />
repas en cuisine <strong>des</strong> domestiques, la scène<br />
de chasse avec ses lapins et ses jeunes<br />
rabatteurs. Mais tout ce qui enchante la Règle<br />
du jeu, ici désole : la chasse n'est là que pour<br />
distraire et décorer, les personnages, tous<br />
sans exception, sont <strong>des</strong> caricatures sans une<br />
once d'humanité. Surtout, les uns et les<br />
autres ne se mêlent ni ne s'emmêlent, chacun<br />
figé dans un hiératisme qui doit plus à un<br />
découpage et une direction d'acteurs<br />
aléatoires qu'à une soudaine tentative de<br />
figurer le maintien d'une classe. Jamais, en<br />
un mot, la vie n'effleure ce marivaudage<br />
sans profondeur d'aucune sorte.<br />
En fait, l'intrigue de Sept hommes... ressemble<br />
elle-même à un autre film de 1931, Je serai<br />
seule après minuit (voir page 71). C'est dire<br />
évidemment que Renoir n'a pas copié sur<br />
Mirande (simplement, reconduction de<br />
situations et d'un habitas ontologiquement<br />
bourgeois) ; c'est dire aussi que la Règle du<br />
jeu est au cinéma le seul chef-d'œuvre,<br />
Guitry excepté, de cette pauvre veine<br />
boulevardière française qu'on rêverait<br />
frappée d'aphasie. Avec les mêmes<br />
ingrédients que les autres sur la table, Renoir<br />
le Chef sert un plat unique.<br />
SI J'ÉTAIS LE PATRON.<br />
B.B.<br />
France, Richard Pottier, 1934. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN (extérieur). Mat. de conserv. :<br />
PIC, CTC, CTS. Rest. en 1995. CP (2844 m.).<br />
Voir page 98.<br />
SMOULDERING FIRES.<br />
<strong>La</strong> Femme de quarante ans.<br />
États-Unis, Clarence Brown, 1925. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S (manque le<br />
générique). Intertitres italiens. Tirage en<br />
1994. CP (1520 m.).<br />
SOLEIL ET OMBRE.<br />
France, Musidora et Jacques <strong>La</strong>sseyne, 1922.<br />
Mat. d'orig. : PMU. Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Intertitres français. Rest. en 1995. CP<br />
(828 m.). Voir page 62.<br />
SONG OF SURRENDER.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1948. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO, PIC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : PIC, CTC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(2537 m.), CP-BAN (65 m.). Voir page 217.<br />
LA SONNETTE D'ALARME.<br />
France, Christian-Jaque, 1935. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN, NIM-BAN, NSN-BAN. Mat. de<br />
conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1994. CP<br />
(2081 m.), CP-BAN (78 m.). Voir page 101.<br />
THE SON OF THE SHEIK.<br />
Le Fils du sheik.<br />
États-Unis, George Fitzmaurice, 1926. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
français. Tirage en 1995. CP (1870 m.).<br />
SO THIS IS PARIS.<br />
Les Surprises de la T.S.F.<br />
États-Unis, Ernst Lubitsch, 1926. Mat. d'orig.<br />
et de conserv. : CTN/S. Intertitres français.<br />
Tirage en 1995. CP (1608 m.).<br />
SOUS LE CIEL DE PARIS.<br />
France, Julien Duvivier, 1950. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1995. CP (3207 m.).<br />
THE SOUTHERNER - L'Homme du Sud.<br />
États-Unis, Jean Renoir, 1945. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTC/S VO. Tirage en 1993. CP<br />
(2456 m.).<br />
SOUVENIRS DE L'EXPÉDITION<br />
CITROËN CENTRE-AFRIQUE.<br />
France, [Léon Poirier], 1924-1925. Mat.<br />
d'orig. : PMU. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : CTN. Sauv. en 1993. CP (1943 m.).<br />
Voir page 76.<br />
SPLENDORE E DECADENZA!<br />
Grandeur et Déchéance.<br />
Italie, Film d'Arte Italiana, 1914. Mat.<br />
d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Sauv. en 1996. CTra (851 m.).<br />
Production de la Film d'Arte Italiana de<br />
1914, Splendore e decadenza, sauvegarde d'un<br />
négatif sans générique ni intertitres, est<br />
l'histoire d'un aristocrate, Pietro di Veio, qui<br />
devenu acteur du cinématographe, tombe<br />
amoureux d'une jeune partenaire dont il<br />
comprend l'infidélité par un billet, au<br />
moment d'entrer en scène. Après s'être<br />
contenu, il tue la jeune femme d'un coup<br />
d'épée sur le tournage. À vrai dire, la<br />
compréhension du film est très largement<br />
facilitée par le compte rendu qui en est<br />
reproduit dans le Catalogue Pathé, <strong>des</strong> années<br />
1896 à 1914 d'Henri Bousquet. Filmé en<br />
plans longs, le plus souvent frontalement,<br />
Splendore e decadenza présente l'intérêt de<br />
montrer <strong>des</strong> scènes en tournage. Dans l'axe<br />
de la caméra, avec le projecteur qui s'allume,<br />
toute une animation, un désordre d'acteurs<br />
et de techniciens vient dans le champ, avant<br />
la prise et le réglage, finalement débonnaire,<br />
<strong>des</strong> plans se fait avec une communication<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 249<br />
par gestes. Le tournage du baiser filmé en<br />
plan large, de loin, sans ponctuation d'une<br />
échelle plus rapprochée, et englobant une<br />
partie de l'équipe, avec sur le côté gauche<br />
une cloison, finit par prendre une allure<br />
paralytique positive, dans cette insistance<br />
fixe à laisser la pantomime répéter sa<br />
rhétorique : c'est cette partie documentaire,<br />
un peu comme si le film se filmait lui-même,<br />
avec le dernier plan plus court du passage à<br />
l'acte spadassin qui animent un film par<br />
ailleurs rythmiquement lent. Ph.A.<br />
DAS STAHLTIER - L'Animal d'acier.<br />
Allemagne, Willy Zielke, 1935. Mat.<br />
d'orig. : CEX VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />
Rest. en 1993. CP (2051 m., VOSTF).<br />
Voir page 128.<br />
STREET SCENE.<br />
États-Unis, King Vidor, 1931. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTC/S VO. Tirage en 1995. CP<br />
(2145 m.).<br />
THE STREETS OF ILLUSION.<br />
Le Cœur sur la main.<br />
États-Unis, William Parke, 1917. Mat.<br />
d'orig. : NIM (incomplet). Flash-titles anglais.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993.<br />
CTra (969 m.).<br />
STÙRMFLUT - Dans la tourmente.<br />
Autriche, Cari Froelich, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1993. CTra (837 m.).<br />
SULLIVAN'S TRAVELS.<br />
Les Voyages de Sullivan.<br />
États-Unis, Preston Starges, 1941. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO, PIC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : CTC, CTC-BAN. Sauv. en 1994. CP<br />
(2470 m.), CP-BAN (49 m.).<br />
SUNRISE - L'Aurore.<br />
États-Unis, Friedrich Wilhelm Murnau, 1927.<br />
Mat. d'orig. et de conserv. : CTN/S.<br />
Intertitres anglais. Tirage en 1994. CP (2563 m.).<br />
SUR UN AIR DE CHARLESTON.<br />
France, Jean Renoir, 1926. Mat. d'orig. et de<br />
conserv. : CTN/S (manque le générique).<br />
Tirage en 1994. CP (468 m.).<br />
T.<br />
TARE A LETTER, DARLING.<br />
Mon secrétaire travaille la nuit.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1942. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO. Mat. de conserv. : CTC.<br />
Sauv. en 1994. CP (2533 m.).
250 - FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS<br />
TALENT AUCTION.<br />
États-Unis, Milton Schwarzwald, 1938. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1994. CP (470 m.). Voir page 196.<br />
TARTARIN SUR LES ALPES.<br />
France, Henry Vorins, 1920. Mat. d'orig. :<br />
PMU, PMU/S. Intertitres français. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1995. CP<br />
(3011 m.).<br />
LA TERRE.<br />
France, André Antoine, 1921. Mat. d'orig. :<br />
(extérieur). Mat. de conserv. : CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1990. CP<br />
(2117 m.). Voir page 59.<br />
LA TERRIBLE AVENTURE DU<br />
DOCTEUR FAUST.<br />
France, Max de Rieux, 1931. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1996. CP (587 m.).<br />
THAT BRENNAN GIRL.<br />
Une fille perdue.<br />
États-Unis, Alfred Santell, 1946. Mat. d'orig. :<br />
CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de conserv. :<br />
PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1996. CP (2591 m.),<br />
CP-BAN (62 m.).<br />
THIS GUN FOR HIRE - Tueur à gages.<br />
États-Unis, Frank Tuttle, 1942. Mat. d'orig. :<br />
CTC VO. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1994. CP (2211 m.). Voir page 203.<br />
TO EACH HIS OWN.<br />
À chacun son <strong>des</strong>tin.<br />
États-Unis, Mitchell Leisen, 1945. Mat.<br />
d'orig. : PIC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : CTC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(3328 m.), CP-BAN (86 m.). Voir page 216.<br />
TOL'ABLE DAVID.<br />
États-Unis, Henry King, 1921. Mat. d'orig. et<br />
de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />
Tirage en 1995. CP (2136 m.).<br />
TOUS LES DEUX.<br />
France, Louis Cuny, 1948. Mat. d'orig. : PIC.<br />
Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1995. CP<br />
(2603 m.).<br />
TOUT VA TRÈS BIEN, MADAME LA<br />
MARQUISE.<br />
France, Henry Wulschleger, 1936. Mat.<br />
d'orig. : NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1995. CP (2466 m.).<br />
TRANSFORMATIONS<br />
AMUSANTES.<br />
France, Segundo de Chomôn, 1908 ou 1909.<br />
Mat. d'orig. : NIM. Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1994. CTra (95 m.).<br />
Voir page 24.<br />
TRAVAIL (version courte).<br />
France, Henri Pouctal, 1919. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN.<br />
Intertitres français. Rest. en 1992. CP<br />
(3249 m.). Voir page 50.<br />
TWIN KIDDIES - Deux rayons de soleil.<br />
États-Unis, Henry King, 1916. Mat. d'orig. :<br />
NIM. Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en<br />
1995. CTra (794 m.).<br />
TWO YEARS BEFORE THE MAST.<br />
Révolte à bord.<br />
États-Unis, John Farrow, 1946. Mat. d'orig. :<br />
PIC VO, CTC VO (combinés), CTC-BAN<br />
VO. Mat. de conserv. : PIC, CTC, PIC-BAN.<br />
Sauv. en 1994. CP (2670 m.), CP-BAN<br />
(68 m.). Voir page 201.<br />
THE TYPHOON - L'Honneur japonais.<br />
États-Unis, Reginald Barker, 1914. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1995. CP (1143 m.).<br />
u.<br />
ULTIMO CANTO - Le Dernier Chant.<br />
Italie, 1917. Mat. d'orig. : PMU. Intertitres<br />
français. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en<br />
1993. CP (859 m.).<br />
UN CONCOURS DE BEAUTÉ.<br />
France, Alain Saint-Ogan, 1934. Mat. d'orig. :<br />
CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1993.<br />
CP (208 m.).<br />
THE UNDER-PUP - Les Petites Pestes.<br />
États-Unis, Richard Wallace, 1939. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO, CTC-BAN VO. Mat. de<br />
conserv. : PIC, PIC-BAN. Sauv. en 1993. CP<br />
(2412 m.), CP-BAN (55 m.).<br />
UNDERWORLD - Les Nuits de Chicago.<br />
États-Unis, Josef von Sternberg, 1927. Mat.<br />
d'orig. : CTN. Intertitres anglais. Mat. de<br />
conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1994. CP<br />
(2239 m.). Voir page 176.<br />
UN DRAME DANS LES AIRS.<br />
France, Gaston Velle, 1905. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Mat. de conserv. : CTN. Sauv. en 1994<br />
CP (47 m.).<br />
UNE DATE À RETENIR.<br />
France, Pathé, 1914. Mat. d'orig. : NIM. Mat.<br />
de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1993. CTra<br />
(182 m.).<br />
UNE HEUREUSE MÉPRISE.<br />
France, Eclectic, 1916. Mat. d'orig. : NIM.<br />
Mat. de conserv. : PIM, CTN. Sauv. en 1996.<br />
CTra (235 m.).<br />
UNE PARTIE DE CAMPAGNE.<br />
France, Jean Renoir, 1936. Mat. d'orig. : NIMrushes,<br />
NSN-rushes. Mat. de conserv. : PIM,<br />
MAC Sauv. en 1994. Matériel de visionnage<br />
(environ quatre heures).<br />
UNE PARTIE DE CAMPAGNE ;<br />
ESSAIS ACTEURS.<br />
France, Jean Renoir,1936-1994. Mat. d'orig. :<br />
PMU, NIM rushes, PSN (musique). Mat. de<br />
conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1994. CP<br />
(413 m.). Voir page 105.<br />
UN MEURTRE A ÉTÉ COMMIS !<br />
France, Claude Orval, 1937. Mat. d'orig. :<br />
NIM, NSN. Mat. de conserv. : PIC. Sauv. en<br />
1995. CP(2187 m.).<br />
Un meurtre est effectivement commis, rue<br />
Massena, à Paris. L'inspecteur principal<br />
Doirel (Maurice <strong>La</strong>grenée) enquête dans<br />
l'immeuble bourgeois où la victime vivait<br />
avec un domestique. Ce dernier, retrouvé<br />
ligoté, est rapidement confondu. Il donne<br />
aux enquêteurs une piste qui mène à un<br />
mouchard, un hôtel minable, un bouge<br />
nommé la Boule d'argent où officie Clara la<br />
chanteuse (Florelle), et finalement au<br />
« Joyeux », l'assassin.<br />
Le film commence comme un documentaire<br />
sur une enquête de police, l'inspecteur est<br />
accompagné par un journaliste de l'Aurore et<br />
par une concierge conforme (Milly Mathis).<br />
Dans une deuxième partie, l'inspecteur<br />
devient un personnage secondaire, le<br />
scénario s'intéresse plus au « milieu » et à la<br />
Boule d'argent. <strong>La</strong> mise en scène reste plate,<br />
les éclairages catastrophiques. Claude Orval,<br />
écrivain prolifique pour le Grand Guignol,<br />
n'a aucun sens du rythme, de l'ambiguïté,<br />
du suspense. Seule Florelle, qui a du métier,<br />
sauve les deux scènes où elle chante un<br />
tango résigné : « Il faut accepter la vie... »<br />
J.-PJ-<br />
THE UNSEEN - L'Invisible Meurtrier.<br />
États-Unis, Lewis Allen, 1944. Mat. d'orig. :<br />
PIC VO, PIC-BAN VO. Mat. de conserv. :<br />
CTC, CTC-BAN. Sauv. en 1994. CP (2215<br />
m.), CP-BAN (53 m.). Voir page 209.<br />
UN TOURNAGE À LA CAMPAGNE.<br />
France, Jean Renoir, 1936-1994. Mat.<br />
d'orig. : NIM-rushes, NSN-rushes. Mat. de<br />
conserv. : CTN, NSN. Rest. en 1994. CP<br />
(2435 m.). Voir page 105.<br />
V.<br />
LE VIEUX DOCKER.<br />
France, Armand Guerra, 1914. Mat. d'orig. :<br />
NIM (incomplet). Mat. de conserv. : PIM,<br />
CTN. Sauv. en 1996. CTra (100 m.).<br />
LES VIGNES DU SEIGNEUR.<br />
France, René Hervil, 1932. Mat. d'orig. :<br />
CEX. Mat. de conserv. : CTC. Sauv. en 1994.<br />
CP (2718 m.). Voir page 97.<br />
w.<br />
WEGE DES SCHRECKENS.<br />
Jusqu'au crime.<br />
Autriche, Michael Kertesz (Michael Curtiz),<br />
1921. Mat. d'orig. : NIM. Flash-titles<br />
français et allemands. Mat. de conserv. :<br />
PIM, CTN. Intertitres français. Rest. en<br />
1996. CP (1730 m.). Voir page 132.<br />
WHAT PRICE GLORY.<br />
Au service de la gloire.<br />
États-Unis, Raoul Walsh, 1926. Mat. d'orig.<br />
et de conserv. : CTN/S. Intertitres anglais.<br />
Tirage en 1994. CP (3277 m.).<br />
WHISTLE STOP - Tragique rendez-vous.<br />
États-Unis, Léonide Moguy, 1946. Mat.<br />
d'orig. : CTC VO. Mat. de conserv. : PIC.<br />
Sauv. en 1994. CP (2327 m.). Voir page 213.<br />
WILD ORANGES - Capricciosa.<br />
États-Unis, King Vidor, 1924. Mat. d'orig. :<br />
PMU. Intertitres français. Mat. de conserv. :<br />
CTN. Rest. en 1993. CP (1784 m.).<br />
Voir page 169.<br />
WINGS-Les Ailes.<br />
États-Unis, William A. Wellman, 1929. Mat.<br />
d'orig. et de conserv. : CTN/S. Intertitres<br />
anglais. Tirage en 1994. CP (3788 m.).<br />
z.<br />
ZHONGHUA NÛ'ER - Filles de Chine.<br />
Chine, Ling Zifeng et Zhai Qiang, 1949. Mat.<br />
d'orig. : CEX VOSTF et flamand. Mat. de<br />
conserv. : CTC. Sauv. en 1996. CP (2216 m.,<br />
VOSTF et flamand).<br />
Le 18 septembre 1931, les Japonais<br />
envahissent le nord de la Chine. Tchang-Kaï-<br />
Chek donne l'ordre de repli aux troupes<br />
chinoises, trente millions d'habitants se<br />
trouvent alors sous un régime d'occupation.<br />
Le commentaire d'ouverture, outre ces<br />
renseignements, précise que l'inévitable<br />
président Mao (le film est tourné en 1949,<br />
année de l'entrée <strong>des</strong> communistes à Pékin)<br />
proposa de chasser l'envahisseur et de<br />
récupérer les territoires perdus. Zhonghua<br />
Nu'er raconte les combats <strong>des</strong> partisans, en<br />
deux parties. <strong>La</strong> première expose<br />
l'évacuation d'un village <strong>des</strong>tiné à être<br />
incendié par les Japonais, et l'intervention<br />
armée d'un groupe de partisans. <strong>La</strong><br />
deuxième, qui se déroule après juillet 1937,<br />
quand l'invasion japonaise s'est étendue,<br />
raconte jusqu'à leur mort dans un fleuve, la<br />
<strong>des</strong>tinée d'un groupe de miliciennes<br />
traquées après avoir attaqué un convoi<br />
ferroviaire ennemi. Bien sûr, le film paye son<br />
tribut aux impératifs idéologiques, du chant<br />
« Le peuple est éternel » aux sentences<br />
typiques de la sagesse <strong>des</strong> nations : « Que<br />
serait le bonheur s'il n'y avait pas le<br />
malheur », de l'habitant harangué qui<br />
clame : « <strong>La</strong> liberté, ça se mérite » aux<br />
groupes <strong>des</strong> femmes poursuivies qui se<br />
défendent aux cris de : « Vive le parti <strong>des</strong><br />
travailleurs », et jusqu'aux contre-plongées<br />
sur <strong>des</strong> visages tendus par la volonté<br />
combattante. Pourtant, Zhonghua Nu'er est<br />
parfois meilleur que cette obligation. D'une<br />
manière frappante, la guerre est vue du côté<br />
chinois, et les envahisseurs japonais ne sont<br />
au mieux que <strong>des</strong> figurants de l'action,<br />
quand elle implique la proximité physique,<br />
soldat poignardé ou bataillon qui poursuit<br />
FILMS TIRÉS, SAUVEGARDÉS ... - 251<br />
les femmes. Cette dissymétrie, outre qu'elle<br />
permet d'échapper à de prévisibles portraits,<br />
donne au film un angle d'aveuglement<br />
positif, en se refusant la facilité<br />
démonstrative du contrechamp adverse. Elle<br />
permet sans doute d'atteindre à une vérité<br />
pragmatique de cette guerre de partisans où<br />
l'affrontement, même à <strong>des</strong> distances de<br />
regard, garde une dimension abstraite<br />
donnée par ce statut de l'ennemi, simple<br />
silhouette dans le visible. Certes, cette<br />
privation est ambiguë, puisqu'aussi bien elle<br />
retire à ces soldats japonais toute<br />
individualisation : mais il est frappant que<br />
ne s'y substitue pas leur figuration<br />
dépréciatrice. Ils sont l'ennemi, et leur cause<br />
est injuste : cela suffit, qui ne réclame pas au<br />
film un typage excédentaire. <strong>La</strong> guerre ellemême<br />
n'est pas continue : elle a ses pauses,<br />
chants et danses, ses ravitaillements en mil<br />
par les paysans (on y reconnaît, bien sûr, une<br />
illustration <strong>des</strong> thèses maoïstes sur la guerre<br />
populaire), ce traîneau halé en panoramique<br />
sur une vaste étendue désertique, qui<br />
excède, lui, les seules nécessités du<br />
didactisme politique. Les paroxysmes <strong>des</strong><br />
combats, la fin épique <strong>des</strong> femmes mourant<br />
volontairement parmi les tourbillons du<br />
fleuve dans une apothéose attendue de leur<br />
sacrifice, n'ont pas absorbé toute la<br />
représentation et parfois, c'est dans la quasi<br />
obscurité que le film risque la clan<strong>des</strong>tinité<br />
de ses personnages. Le découpage, à la<br />
faveur métallique du pont ferroviaire, atteint<br />
à une netteté figurative presque<br />
géométrique, partisan rampant sur l'énorme<br />
poutrelle boulonnée pour poser l'explosif.<br />
Réalisé par Ling Zifeng et Zhai Qiang,<br />
Zhonghua Nu'er maintient, dans une œuvre<br />
glorificatrice, quelques moments de cinéma.<br />
J.K.<br />
Les notes ont été rédigées par Philippe Arnaud,<br />
Bernard Bénoliel, Emmanuelle Berthault, Jean-<br />
Pierre Jeancolas, Claudine Kaufmann, Josette<br />
Khannibal, François <strong>La</strong>ffort, Bernard Martinand,<br />
Dominique Païni.
Claude Orval<br />
Un meurtre a été commis !<br />
(1937).<br />
Alinat, René : le Cavalier de minuit, 236.<br />
Allen, Lewis : The Unseen (l'Invisible<br />
Meurtrier), 209, 250.<br />
Anderson, G.M. : The Making of Broncho Billy,<br />
246.<br />
Andréani, Henri : Cléopâtre, 236. Esther, 241.<br />
Antoine, André : l'Artésienne, 59, 234. <strong>La</strong><br />
Terre, 59, 250.<br />
Autant-<strong>La</strong>ra, Claude : Lettres d'amour, 109,<br />
246.<br />
Barbéris, René : Ramuntcho, 108, 248.<br />
Barker, Reginald : The Fugitive, 242. The<br />
Typhoon (l'Honneur japonais), 250.<br />
Baroncelli, Jacques de : Duel, 71, 240. <strong>La</strong><br />
Femme et le Pantin, 89, 242. Feu !, 242. ]e serai<br />
seule après minuit, 71, 245. Nène, 71, 247. Le<br />
Père Goriot, 248.<br />
Beaudoin, Robert : Asile de nuit, 92, 234.<br />
Becker, Jacques : Falbalas (Essais Micheline<br />
Presle), 241.<br />
Bell, Monta : After Midnight (l'Homme de la<br />
nuit), 178, 233.<br />
Bernard-Deschamps, Dominique : Hier et<br />
Aujourd'hui, 243. <strong>La</strong> Nuit du onze septembre,<br />
248.<br />
Bibal, Robert : les Grands, 243.<br />
Billon, Pierre : Mademoiselle X, 246.<br />
Boese, Cari : Eva in Seide (Ève toute nue), 124,<br />
241.<br />
Borzage, Frank : The River (la Femme au<br />
corbeau), 183, 248.<br />
Bosetti, Roméo : la Colle forte de Titi, 237.<br />
Corrida mouvementée, 237. Léontine garde la<br />
maison, 246.<br />
Bourgeois, Gérard : Face à la Mort, 241.<br />
Brahm, John : Il ladro di Venezia (le Voleur de<br />
Venise), 245.<br />
Bressol, Pierre : Dans le gouffre, 239. Le Grand<br />
Crime du petit Tonio, 242.<br />
Brooke, Van Dyke : The Power ofthe Press (la<br />
Puissance de l'argent), 248.<br />
Brown, Clarence : Smouldering Pires (la<br />
Femme de quarante ans), 249.<br />
Burguet, Charles : Deux amours, 239. Le<br />
Meneur de joies, 246.<br />
Caillard, Adrien : la Closerie <strong>des</strong> genêts, 236.<br />
Capellani, Albert : Aladin ou la <strong>La</strong>mpe<br />
merveilleuse, 24, 233. Étemel Amour, 241.<br />
Germinal, 40, 242. L'Homme aux gants blancs,<br />
245.<br />
Capra, Frank : The Matinée Idol (Bessie à<br />
Broadway), 187, 246.<br />
Caron, Pierre : la Route enchantée, 248.<br />
INDEX DES RÉALISATEURS<br />
Cerf, André : le Crime du bouifl 237.<br />
Chahine, Youssef : An-Nil Oual Hayat (Un<br />
jour, le Nil), 158, 234.<br />
Challiot, Maurice : le Baron mystère, 235.<br />
Chamborant, Christian : À travers Paris, 234.<br />
Champreux, Maurice : Asile de nuit, 92, 234.<br />
Chaplin, Charlie : A Night in the Show<br />
(Chariot au Music-Hall), 233.<br />
Charmeroy, Maurice : le Cavalier de minuit,<br />
236.<br />
Chautard, Émile : le Cœur d'une gosse (Les<br />
lions), 237. Le Poison de l'humanité, 248.<br />
Chomôn, Segundo de : l'Antre de la sorcière,<br />
234. Cauchemar et Doux Rêve, 24, 236. <strong>La</strong><br />
Danse du feu, 239. Les Dés magiques, 24, 239. El<br />
hada primavera (la Fée Printemps), 24, 243. <strong>La</strong><br />
Légende du fantôme, 24, 246. Transformations<br />
amusantes, 24, 250.<br />
Christian-Jaque : la Sonnette d'alarme, 101,<br />
249.<br />
Cline, Eddie : A Bedroom Blunder (la Chambre<br />
numéro 23), 233.<br />
Cohl, Émile : l'Hôtel du silence, 30, 245.<br />
Coleby, A.E. : le Destin d'un roi, 239.<br />
Colombier, Pierre : les Étrennes à travers les<br />
âges, 67, 241.<br />
Cooper, Merian C. : Grass : A Nation's Battle<br />
for Life (l'Exode), 243.<br />
Couzinet, Émile : le Curé de Saint-Amour, 237.<br />
Craft, William James : The Arizona Whirlwind,<br />
234.<br />
Cuny, Louis : Tous les deux, 250.<br />
Curtiz, Michael : Noah's Ark (l'Arche de Noé),<br />
247.<br />
Czinner, Paul : Liebe (la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais),<br />
122, 246.<br />
Daroy, Jacques : la Guerre <strong>des</strong> gosses, 243.<br />
Debain, Henri : Méphisto, 246.<br />
De <strong>La</strong>cy, Robert : Red Riders of Canada (le<br />
Canoë noir), 248.<br />
Delluc, Louis : le Chemin d'Ernoa, 236.<br />
Denola, Georges : l'Argent qui tue, 234. Le<br />
Chemin du crime, 236. Les Deux Petits Jésus,<br />
240. <strong>La</strong> Douleur d'aimer, 240. <strong>La</strong> Guerre du feu,<br />
243.<br />
Derain, Lucie : Harmonies de Paris, 86, 243.<br />
D'Errico, Corrado : L'argine, 143, 234<br />
Deslaw, Eugène : la Guerre <strong>des</strong> gosses, 243.<br />
Dieterle, Wilhelm : Geschlecht in Fesseln<br />
(Chaînes), 126, 242.<br />
Dieterle, William : Love Letters (le Poids d'un<br />
mensonge), 210, 246.<br />
Dumont, Marcel : l'Affaire de la rue de<br />
Lourcine, 233.<br />
Duvivier, Julien : Au royaume <strong>des</strong> deux, 112,<br />
234. Golgotha, 242. Haceldama, 55, 243.<br />
L'Homme à l'Hispano, 245. Sous le ciel de Paris,<br />
249.<br />
Dwan, Allan : David Harum, 239.<br />
Edwards, Walter : The <strong>La</strong>st ofthe Ingrams,<br />
245.<br />
Epstein, Jean : les Aventures de Robert Macaire,<br />
78, 234. <strong>La</strong> Belle Nivernaise, 68, 235.<br />
Falena, Ugo : Il disinganno di Pierrot (la<br />
Désillusion de Pierrot), 240. <strong>La</strong>figlia del mare (la<br />
Fille <strong>des</strong> flots), 242.<br />
Farrow, John : Beyond Glory (Retour sans<br />
espoir), 214, 235. Two Years Before the Mast<br />
(Révolte à bord), 201, 250.<br />
Fescourt, Henri : les Grands, 243.<br />
Feuillade, Louis : la Fille bien gardée, 242.<br />
Fischbach, Harry : Parlons cinéma (« les<br />
Anticours d'Henri <strong>La</strong>nglois »), 230, 248.<br />
Fitzmaurice, George : The Son ofthe Sheik (le<br />
Fils du Sheik), 249.<br />
Fitzpatrick, James A. : The Courtship of Miles<br />
Standish, 237.<br />
Ford, Francis : The Favorite Son, 241.<br />
Ford, John : Four Sons (les Quatre Fils), 242.<br />
Froelich, Cari : Stùrmflut (Dans la Tourmente),<br />
249.<br />
Gandéra, Félix : les Grands, 243.<br />
Ganier-Raymond, Lucien : le Cavalier de Croix<br />
Mort, 111, 236.<br />
Garbagni, Paul : Nick Winter et les As de trèfle,<br />
34, 247.<br />
Garry, Maximilien : Rokovye brillianty (les<br />
Diamants maudits), 151, 248.<br />
Gaskill, Charles : Cleopatra, 236.<br />
Golden, Joseph A. : Daisy's Mistake (les<br />
Espiègleries de Daisy), 239.<br />
Goulding, Edmund : Love (Anna Karénine),<br />
246.<br />
Grémillon, Jean : Gardiens de phare, 242.<br />
Grétillat, Jacques : la Double Existence du<br />
docteur Morart, 240.<br />
Griffith, David Wark : A Terrible Discovery,<br />
234. The Battle ofthe Sexes (l'Éternel Problème),<br />
235. The God<strong>des</strong>s of Sagebrush Gulch, 242.<br />
Guarino, Giuseppe : Il fantasma délia morte,<br />
241.<br />
Guazzoni, Enrico : Cajus Julius Caesar (Jules<br />
César), 235.<br />
Guerra, Armand : la Commune, 45, 237. Le<br />
Vieux Docker, 251.
254 - INDEX DES RÉALISATEURS<br />
Haines, Ronald : The Clock Strikes Eight<br />
(L'exécution est pour 8 heures), 140, 236.<br />
Haie, Alan : Braveheart (Barrière <strong>des</strong> races),<br />
174, 235.<br />
Hall, Alexander : The Great Lover (Don Juan de<br />
l'Atlantique), 243.<br />
Hansen, Kai : Koursitska Assia (l'Étudiante<br />
Assia), 245. Roman s Kontrabasom (la<br />
Contrebasse de Konescoff), 248.<br />
Hart, William S. : The Cold Deck (Grand Frère),<br />
164, 237. The Narrow Trail (Révélation), 247.<br />
Heerman, Victor : Are Waitresses Safe ? (les<br />
Déboires de Philomène), 234.<br />
Hervil, René : la Meilleure Maîtresse, 246.<br />
Minuit... place Pigalle, 83, 247. <strong>La</strong> Petite<br />
Chocolatière, 248. Les Vignes du Seigneur, 97,<br />
251.<br />
Heuzé, André : le Camelot de Paris, 236. <strong>La</strong><br />
Dame en noir, 239.<br />
Hickox, Douglas : Midlands at Play and at<br />
Work, 247.<br />
Hillyer, <strong>La</strong>mbert : The Narrow Trail<br />
(Révélation), 247.<br />
Horne, James W. : False Prophet (le Faux<br />
Prophète), 241.<br />
Howard, William K. : Bachelor Bri<strong>des</strong>, 234.<br />
Jacquin, Abel : Deux bons copains, 239.<br />
Jasset, Victorin : le Bouffon, 28, 235. Destin<br />
tragique, 239. L'Étreinte de la statue, 28, 241. Le<br />
Poison de l'humanité, 248. Protéa, 36, 248.<br />
Jessner, Leopold : Erdgeist (Loulou), 241.<br />
Joannon, Léo : le Carrefour <strong>des</strong> enfants perdus,<br />
236. Documents secrets, 240. Lucrèce, 246.<br />
José, Edward : Pearl of the Army (le Courrier de<br />
Washington), 163, 248. Le Puits de Jacob, 248.<br />
Kemm, Jean : Ce pauvre chéri, 236. Honneur<br />
d'artiste, 245.<br />
Kertesz, Michael (Curtiz, Michael) : Der<br />
Junge Medardus (Gloire), 245. Wege <strong>des</strong><br />
Schreckens (Jusqu'au crime), 132, 251.<br />
King, Henry : Tol'able David, 250. Twin<br />
Kiddies (Deux rayons de soleil), 250.<br />
Kirkwood, James : Little Pal (Drame en<br />
Alaska), 246.<br />
Kirsanoff, Dimitri : Destin, 80, 239.<br />
<strong>La</strong>ndrin, Paul : les Deux Vantards, 240.<br />
<strong>La</strong>rine, Nicolas : Drama na Volgue (Un drame<br />
sur la Volga), 240.<br />
<strong>La</strong>sseyne, Jacques : Soleil et Ombre, 62, 249.<br />
Leisen, Mitchell : Dream Girl, 240. Golden<br />
Earrings (les Anneaux d'or), 217, 242. Kitty (la<br />
Duchesse <strong>des</strong> bas-fonds), 216, 245. Practically<br />
Yours, 248. Song ofSurrender, 217, 249. Take a<br />
Letter, Darling (Mon secrétaire travaille la nuit),<br />
249. To Each His Own (À chacun son <strong>des</strong>tin),<br />
216, 250.<br />
Lekain, Tony : Métamorphose, 246.<br />
Leni, Paul : The <strong>La</strong>st Warning (le Dernier<br />
Avertissement), 191, 246. The Man Who <strong>La</strong>ughs<br />
(L'homme qui rit), 191, 246.<br />
Leprince, René : le Club <strong>des</strong> élégants, 237.<br />
Cœur de femme, 237. Le Collier de la danseuse,<br />
237. <strong>La</strong> Danse héroïque, 239. L'Étoile du génie,<br />
241. Flirt dangereux, 242. L'Infidèle, 245. <strong>La</strong><br />
Lutte pour la vie, 42, 246.<br />
Lion, Roger : J'ai tué.', 75, 245.<br />
Lloyd, Frank : Rulers of the Sea (les Maîtres de<br />
la mer), 201,248.<br />
Lubitsch, Ernst : Madame du Barry, 246. So<br />
This is Paris (les Surprises de la T.S.F.), 249.<br />
Luitz-Morat : les Cinq Gentlemen maudits, 57,<br />
236. <strong>La</strong> Course au flambeau, 237. Le Juif errant,<br />
57, 245.<br />
Lund, Oscar A.C. : Dorian's Divorce, 240.<br />
Lupu Pick : Napoléon aufSt. Helena (Napoléon<br />
à Ste Hélène), 247.<br />
Lyons, Eddie : A Shocking Night, 234.<br />
Machin, Alfred : le Diamant noir, 240.<br />
Mackenzie, Donald : Détective Craig's Coup,<br />
239.<br />
Marey, Étienne-Jules : F;7ms<br />
chronophotographiques, 21, 242.<br />
Marodon, Pierre : le Diamant vert, 240.<br />
Mirande, Yves : Sept hommes, une femme...,<br />
248.<br />
Moguy, Léonide : Whistle Stop (Tragique<br />
rendez-vous), 213, 251.<br />
Monca, Georges : la Bonne Hôtesse, 235. Le<br />
Cauchemar de Rigadin, 236. L'Héritage manqué,<br />
243. Monsieur le Directeur, 247.<br />
Moran, Lee : A Shocking Night, 234.<br />
Murnau, Friedrich Wilhelm : Sunrise<br />
(l'Aurore), 249.<br />
Musidora : Soleil et Ombre, 62, 249.<br />
Neufeld, Max : Ballo al castello, 235. Erzherzog<br />
Johann (l'Archiduc Jean), 241.<br />
Nonguet, Lucien : les Deux Paillasson, 240.<br />
Oliveira, Manoel de : Douro Faina Fluvial,<br />
240.<br />
Orval, Claude : Un meurtre a été commis .', 250.<br />
Oswald, Richard : Car/os und Elisabeth - Fine<br />
Herrschertrdgodie (Sous l'Inquisition), 236.<br />
Dùrfen Wir Schweigen ? (le Baiser mortel), 120,<br />
240.<br />
Pabst, Georg Wilhelm : Die Biichse der<br />
Pandora (Loulou), 235. Geheimnisvolle Tiefe<br />
(Profondeurs mystérieuses), 135, 242.<br />
Paglieri, Louis : la Grande Rivale, 242.<br />
Parke, William : The Streets of Illusion (le Cœur<br />
sur la main), 249.<br />
Parrott, Charles : Before the Public, 235.<br />
Paulin, Jean-Paul : le Château de la dernière<br />
chance, 236.<br />
Pearson, George : Heroes ofthe Mine, 243.<br />
Perret, Léonce : le Chrysanthème rouge, 33,<br />
236. L'Empire du diamant, 65, 241. Le Hâleur<br />
243.<br />
Pichel, Irving : And Now Tomorrow (Le<br />
bonheur est pour demain), 233.<br />
Plaissetty, René : l'Heure sincère, 243. Le<br />
Hussard, 245.<br />
Poirier, Léon : Souvenirs de l'expédition Citroën<br />
Centre-Afrique, 76, 249.<br />
Potter, Henry Codman : Second Chorus<br />
(Swing Romance), 197, 248.<br />
Pottier, Richard : Si j'étais le Patron, 98, 249.<br />
Pouctal, Henri : En détresse, 241. L'Instinct,<br />
245. Travail, 50, 250.<br />
Protazanov, Jacob : le Cœur brisé, 237.<br />
Qiang, Zhai : Zhonghua Nii'er (Filles de Chine),<br />
251.<br />
Rava, Maurizio : I giardini d'Armida, 242.<br />
Ravel, Gaston : le Collier de la reine, 237. <strong>La</strong><br />
Femme inconnue, 242.<br />
Régnier, Pierre : les Cinq Gentlemen maudits,<br />
57, 236.<br />
Reicher, Frank : Idle Hands (le Dragon d'or),<br />
245.<br />
Renard, Noël : Balançoires, 234.<br />
Renoir, Jean : Diary of a Chambermaid (le<br />
Journal d'une femme de chambré), 240. Nana,<br />
247. On purge bébé, 248. The Southerner<br />
(l'Homme du Sud), 249. Sur un Air de<br />
charleston, 249. Une partie de campagne, 250.<br />
Une partie de campagne ; Essais acteurs, 105,<br />
250. Un tournage à la campagne, 105, 250.<br />
Riche, Daniel : les Habits noirs, 243.<br />
Rieux, Max de : Autour de la cousine Bette,<br />
234. <strong>La</strong> Terrible Aventure du docteur Faust, 250.<br />
Rigaux, Lucien : À travers Paris, 234.<br />
Righelli, Gennaro : Colpi di timone, 145, 237.<br />
Rivers, Fernand : Ce que femme veut..., 236. Et<br />
l'on revient toujours, 241. Le Maître de forges,<br />
246.<br />
Rossellini, Roberto : India, Matri Bhumi (Inde,<br />
terre mère), 146, 245.<br />
Rossif, Frédéric : Matisse, 116, 246.<br />
Roudès, Gaston : le Carillon de la liberté, 139,<br />
236.<br />
Roussell, Henry : Ariette et ses papas, 100,234.<br />
Paris Girls, 248.<br />
Rozier-Beaumont : le Chat et la Souris, 236.<br />
Saint-Ogan, Alain : Un concours de beauté,<br />
250.<br />
Sandrich, Mark : Holiday Inn (L'amour chante<br />
et danse), 197, 243.<br />
Santell, Alfred : Daddy Long Legs (Papa<br />
longues jambes), 239. That Brennan Girl (Une<br />
fille perdue), 250.<br />
Sauvage, André : Dans la brousse annamite,<br />
93,239.<br />
Schmidthàssler, Walter : Der Blaue Brief, 235.<br />
Schoedsack, Ernest B. : Grass : A Nation's<br />
Battle for Life (l'Exode), 243.<br />
Schwarzwald, Milton : Talent Auction, 196,<br />
250.<br />
Stafford, Babe : Hat ta Mari, 243.<br />
Starevitch, <strong>La</strong>dislas : l'Amour noir et blanc,<br />
233.<br />
Sternberg, Josef von : Underworld (les Nuits de<br />
Chicago), 176, 250.<br />
Stroheim, Erich von : Greed (les Rapaces), 173,<br />
243.<br />
Sturges, Preston : Sullivan's Travels (les<br />
Voyages de Sullivan), 249.<br />
Szaro, Henryk : Dzieje Grzechu (Histoire d'un<br />
péché), 240.<br />
Thornby, Robert T. : Gold Madness (la Folie de<br />
l'or), 242.<br />
Thorpe, Richard : The Lone Defender, 194, 246.<br />
Tissé, Edouard : l'Appel de la vie (Frauennot -<br />
Frauenglùck), 153, 234.<br />
Tourneur, Maurice : le Friquet, 38, 242.<br />
Tuttle, Frank : This Gunfor Hire (Tueur à<br />
gages), 203, 250.<br />
Urson, Frank : Chicago, 181, 236.<br />
Vallée, Jean : le Cœur ébloui, 237.<br />
Velle, Gaston : Un drame dans les airs, 250.<br />
Vernay, Robert : le Comte de Monte-Cristo,<br />
237.<br />
Vidor, King : The Family Honor (l'Honneur du<br />
nom), 167, 241. Street Scène, 249. Wild Oranges<br />
(Capricciosa), 169, 251.<br />
Vorins, Henry : Tartarin sur les Alpes, 250.<br />
Wallace, Richard : The Under-Pup (les Petites<br />
Pestes), 250.<br />
Walsh, Raoul : What Price Glory (Au service de<br />
la gloire), 251.<br />
Ward, E.C. : Ruler ofthe Roaà {l'Heure du<br />
pardon), 248.<br />
Weill, Pierre : l'École <strong>des</strong> vierges, 102, 241.<br />
Welles, Orson : Don Quixote (Don Quichotte),<br />
225, 240.<br />
Wellman, William A. : Wings (les Ailes), 251.<br />
West, Roland : Nobody (le Douzième Juré), 170,<br />
248.<br />
Wiene, Robert : die Kônigin von Moulin-Rouge<br />
(la Duchesse <strong>des</strong> Folies-Bergère), 245.<br />
Wieser, Édouard : les Amours de Blanche-<br />
Neige, 233.<br />
Willemetz, Jacques : Autant en emporte<br />
l'Histoire..., 115, 234.<br />
Winter, Nick : Méphisto, 246.<br />
Wulschleger, Henry : Elle veut faire du cinéma,<br />
241. Tout va très bien, madame la marquise, 250.<br />
Zecca, Ferdinand : Cléopâtre, 236. Cœur de<br />
femme, 237. <strong>La</strong> Danse héroïque, 239. L'Étoile du<br />
génie, 241. <strong>La</strong> Lutte pour la Vie, 42, 246.<br />
Zielke, Willy : das Stahltier (l'Animal d'acier),<br />
128, 249.<br />
Zifeng, Ling : Zhonghua Nu'er (Filles de<br />
Chine), 251.<br />
TITRES SANS RÉALISATEURS IDENTIFIÉS<br />
À côté du bonheur, 233.<br />
An Indian's Gratitude (la Gratitude du chef<br />
indien), 234.<br />
Appel du sang (U), 234.<br />
Aurore de la révolution russe (L'), 151, 234.<br />
Aventures d'une vagabonde (Les), 234.<br />
Blanchisserie électrique, 235.<br />
Blessure d'amour, 235.<br />
Bonheur perdu (Le), 235.<br />
Caissière de Grunebaum & Cie (<strong>La</strong>), 235.<br />
Calumet de la paix (Le), 235.<br />
Calvaire de l'usurier (Le), 236.<br />
Camée (Le), 236.<br />
Caprice de boyard, 236.<br />
Chambre de la bonne (<strong>La</strong>), 236.<br />
Chambre du rapin (<strong>La</strong>), 236.<br />
Chevauchée sanglante (<strong>La</strong>), 236.<br />
Chez ma tante, 236.<br />
Cœur de soldat, 237.<br />
Cœur de Violette (U), 237.<br />
Cœur d'un chien, 237.<br />
Collier de l'intrigante (Le), 237.<br />
Comtesse Hachisch, 103, 237.<br />
Concours Capitaine de Castille, 237.<br />
Conscience, 237.<br />
Conséquences d'un pari (Les), 237.<br />
Conversion d'Anona, 237.<br />
Conversion du joueur (<strong>La</strong>), 237.<br />
Cora la cuisinière, 237.<br />
Cottage hanté (Le), 30, 237.<br />
Course à l'abîme, 237.<br />
Course au bonheur (<strong>La</strong>), 237.<br />
Crime <strong>des</strong> gitanes, 237.<br />
Crime d'un père, 237.<br />
Crooked Bankers (Indélicatesse de banquier), 237.<br />
Dalila, 239.<br />
Dans les mains <strong>des</strong> espions, 239.<br />
Dark Buffalo ou la Flèche du défi, 239.<br />
Date fixée (<strong>La</strong>), 239.<br />
Déception, 239.<br />
De la fenêtre de l'avocat, 239.<br />
De l'amour à la haine, 239.<br />
Déserteur (Le), 239.<br />
Deux enfants (Les), 239.<br />
Deux fauteuils pour l'Impérium, 239.<br />
Deux Forçats (Les), 239.<br />
Deux maris, deux femmes, un commissaire, 239.<br />
Deux Mères (Les), 239.<br />
Deux Orphelins (Les), 239.<br />
Dévouement d'âme généreuse, 240.<br />
Dévouement de l'esclave (Le), 240.<br />
Dévouement de Starlight (Le), 240.<br />
Dévouement d'Indien, 240.<br />
Diamanten Mâcher (Der), 240.<br />
Disillusione ! (le Cœur et la Raison), 240.<br />
Dis qu't'es Médecin ou la Double Cure, 240.<br />
Double Chemin (Le), 240.<br />
Double Divorce (Le), 240.<br />
Dragonne d'or (<strong>La</strong>), 240.<br />
Drame de l'avarice, 240.<br />
Éternelle Séparation, 241.<br />
Excuse d'un crime (L'), 241.<br />
Exemple (V), 241.<br />
Faux Télégramme (Le), 241.<br />
Feu (Le), 49, 242.<br />
Fille du roi Poum-Poum (<strong>La</strong>), 242.<br />
INDEX DES RÉALISATEURS - 255<br />
Galaor l'Intrépide, 242.<br />
Générosité du forçat (<strong>La</strong>), 242.<br />
Geneviève prise à son propre piège, 242.<br />
Gentil Coiffeur (Le), 242.<br />
Goumier (Le), 242.<br />
Grève (<strong>La</strong>), 243.<br />
Griffes de la mort (Les), 243.<br />
Heart of a Bandit (Cœur de bandit), 243.<br />
Herbes folles (Les), 243.<br />
Héritage convoité (L'), 243.<br />
Héritage de l'oncle (L'), 243.<br />
Héroïsme du docteur (L'), 243.<br />
Héros de Marseille (Le), 243.<br />
Homme mystérieux (L'), 245.<br />
Hommes-Sandwichs (Les), 245.<br />
Honneur d'une Japonaise (L'), 245.<br />
Hydre d'eau douce (L'), 245.<br />
Idylle brisée, 245.<br />
Il faut que jeunesse se passe, 245.<br />
Ilot désert (L'), 245.<br />
Indien magnanime (L'), 245.<br />
Indienne d'Arizona (L'), 245.<br />
Indienne Ko-To-Sho se modernise (L'), 245.<br />
Ingénieux Réparateur de faïence (L'), 245.<br />
Inspecteur <strong>des</strong> becs de gaz (L'), 245.<br />
Je meurs où je m'attache, 245.<br />
Marque révélatrice, 246.<br />
Métamorphoses d'un fiancé, 247.<br />
Mimétisme, 247.<br />
Minor's Destiny (le Destin du mineur), 247.<br />
Monsieur Boniface aime les petits pieds, 247.<br />
Monsieur Doumel dans ses histoires<br />
marseillaises, 247.<br />
Prix du silence (Le), 248.<br />
Secret Formula (The) (Formule Secrète), 248.<br />
Splendore e decadenza (Grandeur et Déchéance),<br />
249.<br />
Ultimo canto (le Dernier Chant), 250.<br />
Une date à retenir, 250.<br />
Une heureuse méprise, 250.
William S. Hart et<br />
<strong>La</strong>mbert Hillyer.<br />
The Narrow Trail,<br />
(1917).<br />
Philippe Arnaud<br />
Responsable <strong>des</strong> éditions à la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, enseignant à Paris VIII, auteur<br />
d'un essai sur : Robert Bresson (Cahiers du<br />
cinéma).<br />
Jacques Aumont<br />
Enseignant à Paris III, auteur de nombreux<br />
essais sur le cinéma, dont un ouvrage réalisé<br />
sous sa direction : la Couleur en cinéma,<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta<br />
Antoine de Baecque<br />
Historien <strong>des</strong> pratiques culturelles, critique<br />
aux Cahiers du cinéma, revue dont il a écrit<br />
l'histoire.<br />
Bernard Bastide<br />
Editeur, a réuni et présenté : Jacques de<br />
Baroncelli : Écrits sur le cinéma, suivi de<br />
Mémoires, Institut Jean Vigo.<br />
Joâo Bénard da Costa<br />
Directeur de la Cinemateca portuguesa.<br />
Bernard Bénoliel<br />
Documentaliste au département de la<br />
Collection films de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française.<br />
Alain Bergala<br />
Critique, enseignant à Rennes II et cinéaste<br />
(Faux-fuyants, Où que tu sois, Cesare Pavese).<br />
Emmanuelle Berthault<br />
Documentaliste au département de la<br />
Collection films de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française.<br />
Jean-Claude Biette<br />
Critique, membre du comité de rédaction de<br />
Trafic, cinéaste (le Théâtre <strong>des</strong> matières, Loin de<br />
Manhattan, le Complexe de Toulon).<br />
Pierre Billard<br />
Critique au Point, auteur de : l'Âge classique<br />
du cinéma français. Du cinéma parlant à la<br />
Nouvelle Vague, Flammarion.<br />
Patrick Brion<br />
Historien du cinéma, programmateur du<br />
<strong>Ciné</strong>ma de minuit sur France 3.<br />
Jean-Claude Carrière<br />
Ecrivain, auteur dramatique, scénariste. Il a<br />
travaillé avec de nombreux cinéastes (Luis<br />
NOTICES BIOGRAPHIQUES<br />
Bunuel, Louis Malle, Jean-Luc Godard, Peter<br />
Brook...).<br />
Raymond Chirat<br />
Historien du cinéma français.<br />
Gabrielle Claes<br />
Directrice de la <strong>Ciné</strong>mathèque royale de<br />
Belgique.<br />
Alain Corneau<br />
<strong>Ciné</strong>aste (Série noire, Tous les matins du monde,<br />
le Nouveau Mondé).<br />
Edgardo Cozarinsky<br />
Écrivain, cinéaste (la Guerre d'un seul homme,<br />
Citizen <strong>La</strong>nglois, le Violon de Rothschild).<br />
Paola Cristalli<br />
Responsable <strong>des</strong> éditions à la Cineteca del<br />
comune di Bologna, critique de cinéma à II<br />
resto del Carlino (Bologne).<br />
Jean Douchet<br />
Historien et critique de cinéma (l'Art<br />
d'aimer), cinéaste (<strong>La</strong> serva amorosa).<br />
Hervé Dumont<br />
Historien du cinéma, directeur de la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque suisse, auteur de<br />
monographies sur : Robert Siodmak<br />
(Ramsay), Frank Borzage (<strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française-Mazzotta), William Dieterle<br />
(Filmoteca Espaftola).<br />
Jacques Durand<br />
Journaliste à Libération, auteur d'un essai sur<br />
la tauromachie (Humbles et Phénomènes,<br />
Verdier).<br />
Bernard Eisenschitz<br />
Traducteur, historien du cinéma, auteur<br />
entre autres d'une biographie de Nicholas<br />
Ray : Roman américain. Les vies de Nicholas<br />
Ray, Christian Bourgois éditeur.<br />
Gian Luca Farinelli<br />
Directeur de la Cineteca del comune di<br />
Bologna.<br />
Alain Fleischer<br />
Écrivain, plasticien, photographe et cinéaste<br />
(Dehors-Dedans, Zoo Zéro, Rome Roméo).<br />
Michel Frizot<br />
Historien de la photographie, a dirigé la<br />
Nouvelle histoire de la photographie, Bordas.<br />
Philippe Garnier<br />
Journaliste à Libération, traducteur, auteur<br />
d'une biographie de David Goodis (la Vie en<br />
noir et blanc, Le Seuil) et d'un livre sur<br />
« quelques écrivains à Hollywood » (Honni<br />
soit qui Malibu, Grasset).<br />
Pierre Gras<br />
Administrateur de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française.<br />
François Guérif<br />
Critique de cinéma, éditeur de romans<br />
(Rivages-thriller, Rivages-noir).<br />
Michael Henry<br />
Critique à Positif, correspondant de la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française aux États-Unis.<br />
Jean-Pierre Jackson<br />
Distributeur, auteur d'ouvrages sur la<br />
science-fiction et le sériai américain (la Suite<br />
au prochain épisode..., Yellow Now, ).<br />
Jean-Pierre Jeancolas<br />
Historien du cinéma français, critique à<br />
Positif.<br />
Claudine Kaufmann<br />
Chargée d'inventaire et de restauration à la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
Josette Khannibal<br />
Expert typographe aux éditions de la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
Francis <strong>La</strong>cassin<br />
Éditeur, historien du roman populaire (À la<br />
recherche de l'Empire caché. Mythologie du<br />
roman populaire, Julliard), de la bande<br />
<strong>des</strong>sinée et <strong>des</strong> pionniers du cinéma (Pour<br />
une contre-histoire du cinéma, Institut<br />
Lumière-Actes Sud).<br />
Roland <strong>La</strong>courbe<br />
Historien du cinéma, auteur d'un livre sur le<br />
cinéma d'espionnage (Henri Veyrier), et de :<br />
John Dickson Carr, Scribe du miracle (à paraître<br />
chez Ancrage, printemps).<br />
François <strong>La</strong>ffort<br />
Responsable <strong>des</strong> nouveaux dépôts films à la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française.
258 - NOTICES BIOGRAPHIQUES<br />
Jean-Marc <strong>La</strong>lanne<br />
Critique aux Cahiers du cinéma.<br />
Henri <strong>La</strong>nglois<br />
Fondateur en 1936 de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française, qu'il a dirigé jusqu'à sa mort en<br />
1977.<br />
Sabine Lenk<br />
Historienne du cinéma, <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
royale de Belgique.<br />
Eric Le Roy<br />
Chef du département programmation <strong>des</strong><br />
restaurations et accès aux collections aux<br />
Archives du film du Centre national de la<br />
cinématographie.<br />
Jean-Louis Leutrat<br />
Enseignant, président de l'Université<br />
Paris III, historien du western, auteur entre<br />
autres de : Vie <strong>des</strong> fantômes, Cahiers du<br />
cinéma.<br />
Joël Magny<br />
Critique aux Cahiers du cinéma, auteur entre<br />
autres de monographies sur : Maurice Pialat<br />
(Cahiers du cinéma, ) et Claude Chabrol<br />
(idem).<br />
<strong>La</strong>urent Mannoni<br />
Historien et collectionneur, responsable <strong>des</strong><br />
appareils à la <strong>Ciné</strong>mathèque française dont il<br />
a publié le catalogue raisonné (le Mouvement<br />
continué, <strong>Ciné</strong>mathèque française-Mazzotta),<br />
auteur de : le Grand art de la lumière et de<br />
l'ombre, archéologie du cinéma, Nathan.<br />
Michel Marie<br />
Historien du cinéma, enseignant à Paris III,<br />
coauteur de : l'Esthétique du film (Nathan).<br />
Bernard Martinand<br />
Directeur de la collection films de la<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
Alain Masson<br />
Critique à Positif, a dirigé : Hollywood 1927-<br />
1941, la propagande par les rêves ou le triomphe<br />
du modèle américain, (Autrement), auteur<br />
d'un ouvrage sur la comédie musicale<br />
(Stock), et récemment : le Récit au cinéma,<br />
Cahiers du cinéma.<br />
Luc Moullet<br />
Critique, producteur, acteur et cinéaste<br />
(Brigitte et Brigitte, les Sièges de l'Alcazar,<br />
Parpaillon).<br />
Jacqueline Nacache<br />
Enseignante à Paris X, auteur de : le Film<br />
hollywoodien classique, Nathan.<br />
Yousry Nasrallah<br />
Réalisateur égyptien (Mercédès, Vols d'été),<br />
proche collaborateur de Youssef Chahine.<br />
Hubert Niogret<br />
Critique à Positif, producteur, prépare un<br />
livre sur Julien Duvivier.<br />
Dominique Païni<br />
Directeur de la <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
Jean-Michel Palmier<br />
Professeur d'esthétique à l'université de<br />
Paris I, germaniste.<br />
Jean-François Rauger<br />
Critique (le Monde, Cahiers du cinéma),<br />
programmateur de la <strong>Ciné</strong>mathèque<br />
française.<br />
Jean Rouch<br />
Ethnographe, cinéaste (Moi, un Noir, la<br />
Pyramide humaine, Bac ou Mariage).<br />
Michel Roudevitch<br />
Critique de cinéma à Libération, spécialiste<br />
du cinéma d'animation.<br />
Jean Roy<br />
Critique de cinéma à l'Humanité,<br />
organisateur de la Semaine de la critique<br />
(Festival de Cannes).<br />
Charles Tesson<br />
Enseignant à Paris III, critique aux Cahiers du<br />
cinéma, auteur d'essais sur : Satyajit Ray<br />
(Cahiers du cinéma) et Luis Bunuel (idem, ).<br />
Marianne Thys<br />
Documentaliste à la <strong>Ciné</strong>mathèque royale de<br />
Belgique.<br />
Jean Tulard<br />
Historien, auteur du Guide <strong>des</strong> films,<br />
Bouquins, <strong>La</strong>ffont.<br />
Paul Vecchiali<br />
<strong>Ciné</strong>aste (la Machine, Corps à cœur, En haut <strong>des</strong><br />
marches).<br />
Edouard Waintrop<br />
Critique de cinéma et grand reporter à<br />
Libération.<br />
Restaurer, conserver, montrer par Dominique Païni p. 5<br />
Sauver l'éphémère par Claudine Kaufmann et<br />
Bernard Martinand p. 13<br />
FRANCE<br />
Étienne-Jules Marey, films chronophotographiques p. 21<br />
Segundo de Chomôn p. 24<br />
Victorin Jasset p. 28<br />
Émile Cohl p. 30<br />
Le Chrysanthème rouge p. 33<br />
Nick Winter et les As de trèfle p. 34<br />
Protéa p. 36<br />
Le Friquet p. 36<br />
Germinal p. 40<br />
<strong>La</strong> Lutte pour la vie p. 42<br />
<strong>La</strong> Commune p. 45<br />
Le Feu .' : p. 49<br />
Travail p. 50<br />
Haceldama ou le Prix du sang p. 55<br />
Luitz-Morat p. 57<br />
André Antoine p. 59<br />
Soleil et Ombre (Sol y Sombra) p. 62<br />
L'Empire du diamant p. 65<br />
Les Étrennes à travers les âges p. 67<br />
<strong>La</strong> Belle Nivernaise p. 68<br />
Jacques de Baroncelli p. 71<br />
J'ai tué ! p. 75<br />
Souvenirs de l'expédition Citroën Centre-Afrique p. 76<br />
Les Aventures de Robert Macaire p. 78<br />
Destin p. 80<br />
Minuit... place Pigalle p. 83<br />
Harmonies de Paris p. 86<br />
<strong>La</strong> Femme et le Pantin p. 89<br />
Asile de nuit p. 92<br />
Dans la brousse annamite p. 93<br />
Les Vignes du Seigneur p. 97<br />
Si j'étais le patron p. 98<br />
Ariette et ses papas p. 100<br />
<strong>La</strong> Sonnette d'alarme p. 101<br />
L'École <strong>des</strong> vierges p. 102<br />
Comtesse Hachisch p. 103<br />
Une partie de campagne p. 105<br />
Ramuntcho _ p. 108<br />
Lettres d'amour p. 109<br />
Le Cavalier de Croix Mort p. 111<br />
Au royaume <strong>des</strong> cieux P-112<br />
Autant en emporte l'Histoire P- H5<br />
Matisse p. 116<br />
EUROPE<br />
Diirfen wir schweigen ? (le Baiser mortel) P-120<br />
TABLE DES MATIÈRES<br />
Liebe (la Duchesse de <strong>La</strong>ngeais) p. 122<br />
Eva in Seide (Ève toute nue) p. 124<br />
Geschlecht in Fesseln (Chaînes) p. 126<br />
Das Stahltier (l'Animal d'acier) p. 128<br />
Wege <strong>des</strong> Schreckens (Jusqu'au crime) p. 132<br />
Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs mystérieuses) p. 135<br />
Le Carillon de la liberté p. 139<br />
The Clock Strikes Eight (L'Exécution est pour 8 heures) p. 140<br />
L'argine p. 143<br />
Colpi di timone p. 145<br />
India, Matri Bhumi (Inde, terre mère) p. 146<br />
Russie, 1913 , p. 151<br />
L'Appel de la vie (Frauennot-Frauenglùck) p. 153<br />
ÉGYPTE<br />
An-Nil Oual Hayat (Un jour, le Nil) p. 158<br />
ÉTATS-UNIS<br />
Pearl of the Army (le Courrier de Washington) p. 163<br />
The Cold Deck (Grand Frère) p. 164<br />
The Family Honor (l'Honneur du nom) p. 167<br />
Wild Oranges (Capricciosa) p. 169<br />
Nobody (le Douzième Juré) p. 170<br />
Greed (les Rapaces) p. 173<br />
Braveheart (Barrière <strong>des</strong> races) p. 174<br />
Underworld (les Nuits de Chicago) p. 176<br />
After Midnight (l'Homme de la nuit) p. 178<br />
Chicago p. 181<br />
The River (la Femme au corbeau) p. 183<br />
The Matinée Idol (Bessie à Broadway) p. 187<br />
Paul Leni p. 191<br />
The Lone Defender p. 194<br />
Talent Auction p. 196<br />
Fred Astaire P-197<br />
Naumachie P- 201<br />
This Gun for Hire (Tueur à gages) p. 203<br />
The Unseen (l'Invisible Meurtrier) p. 209<br />
Love Letters (le Poids d'un mensonge) p. 210<br />
Whistle Stop (Tragique Rendez-vous) p. 213<br />
Beyond Glory (Retour sans espoir) p. 214<br />
Mitchell Leisen p. 216<br />
Paramount P- 222<br />
Don Quixote (Don Quichotte) p. 225<br />
CANADA<br />
Parlons cinéma P- 230<br />
Films tirés, sauvegardés et restaurés<br />
par la <strong>Ciné</strong>mathèque française (1992-1996) p. 233<br />
Index <strong>des</strong> réalisateurs P- 253<br />
Notices biographiques p. 257
Crédit photographique : <strong>Ciné</strong>mathèque française.<br />
Conception graphique, mise en page : Guy Jungblut, Alain Maes / Yellow Now.<br />
Photocomposition : Anne-Marie Vervinckt.<br />
Photogravure : Eurogam.<br />
Impression : Raymond Vervinckt.<br />
1996<br />
En couverture :<br />
Orson Welles, Don Quixote, 1957-1972.<br />
© qa Kodar.<br />
<strong>Ciné</strong>mathèque française, 29, rue du Colisée, 75008 Paris.<br />
Diffusion : Hazan, 35-37, rue de Seine, 75006 Paris.
Maurice Tourneur (le Friquet, 1913), William S. Hart (TheCold Deck, 1917), Georg Wilhelm Pabst<br />
(Profondeurs mystérieuses, 1949), mais aussi Jean Renoir, Julien Duvivier, Frank Capra, Jacques de<br />
Baroncelli, mais aussi <strong>des</strong> raretés comme l'Aurore de la révolution russe (circa 1913) ou la Commune<br />
d'Armand Guerra (1914). Tous ces films, <strong>des</strong> plus connus aux plus oubliés, sont issus de la collection<br />
soixantenaire de la <strong>Ciné</strong>mathèque française. Une annexe donne la liste exhaustive de tous les films<br />
sauvés par la <strong>Ciné</strong>mathèque française depuis cinq ans. Sauvegardés, tirés ou restaurés, voici un choix<br />
d'une centaine d'entre eux. Chaque titre retenu s'accompagne d'un générique, d'un résumé détaillé,<br />
d'un texte critique contemporain et de nombreux photogrammes. Ce travail d'édition permet de les<br />
remettre en perspective, car ces films, dont certains étaient considérés comme disparus, sont le fil qui<br />
contribue à recoudre le manteau déchiré de l'art cinématographique mondial.<br />
Avec <strong>des</strong> textes de<br />
Philippe Arnaud, Jacques Aumont, Antoine de Baeçque, Bernard Bastide,<br />
Joâo Bénard da Costa, Bernard Bénoliel, Alain Bergala, Emmanuelle Berthault, Jean-Claude Biette,<br />
Pierre Billard, Patrick Brion, Jean-Claude Carrière, Raymond Chirat, Gabrielle Claes Alain Corneau,<br />
Edgardo Cozarinsky, Paola Cristalli, Jean Douchet, Hervé Dumont, Jacques Durand,<br />
Bernard Eisenschitz, Gian Luca Farinelli, Alain Fleischer, Michel Frizot, Philippe Garnier,<br />
Pierre Gras, François Guérif, Michael Henry, Jean-Pierre Jeancolas, Jean-Pierre Jackson,<br />
Claudine Kaufmann, Josette Khannibal, Francis <strong>La</strong>cassin, Roland <strong>La</strong>courbe, François <strong>La</strong>ffort,<br />
Jean-Marc <strong>La</strong>lanne, Henri <strong>La</strong>nglois, Sabine Lenk, Éric Le Roy, lean-Louis Leutrat, Joël Magny,<br />
<strong>La</strong>urent Mannoni, Michel Marie, Bernard Martinand, Alain Masson, Luc. Moullet,<br />
Jacqueline Nacache, Yousry Nasrallah. Hubert Niogret, Dominique Païni, Jean-Michel Palmier,<br />
Jean-François Rauger, Jean Rouch, Michel Roudevitch, Jean Roy, Charles Tesson, Marianne Thys,<br />
Paul Vecchiali, Jean Tulard, Édouard Waintrop.<br />
ISBN 2-900596-17-3<br />
782900"596173"<br />
240 francs<br />
CNG