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Manuel des Palabres

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0 palabres 20/05/04 22:26 Page 146<br />

<strong>Manuel</strong> <strong>des</strong> <strong>Palabres</strong> / Présentation de J.G. Bidima<br />

2. L’auteur du <strong>Manuel</strong> <strong>des</strong> <strong>Palabres</strong> est une<br />

institution, c’est à dire que le document est<br />

produit par le Gouvernement de la Colonie<br />

de Côte d’Ivoire. Sa paternité comme texte<br />

peut s’atribuer à deux personages: l’administrateur<br />

<strong>des</strong> colonies G. Angoulvant, préfacier<br />

signataire et principale autorité coloniale en<br />

Côte d’Ivoire à l’époque, qui commande la<br />

rédaction de cet instrument de travail à un<br />

fonctionnaire de l’administration de la colonie<br />

de Côte d’Ivoire, Gaston Joseph, également<br />

auteur d’autres ouvrages. Pour plus de<br />

détails biographiques sur ces personages,<br />

nous renvoyons aux notes d’édition de la<br />

réimpression ici offerte. [NdE]<br />

3. Lire: Ricoeur, Paul 1990. - Soi-même comme<br />

un autre - Paris: Seuil, coll. Points, 428 p.<br />

146<br />

cation <strong>des</strong> règles convenues (game) et surtout invention <strong>des</strong> pratiques (play).<br />

La palabre est alors un jeu qui admet à la fois l’application et l’invention. Mais<br />

ce jeu est celui <strong>des</strong> mots d’abord. La palabre est une vraie politique du mot<br />

parce que les mots sont politiques et ceux-ci ne le deviennent qu’à l’occasion<br />

d’un conflit. En plus du jeu, la palabre implique le conflit, et c’est aussi ce sens<br />

qui a été retenu pour la disqualifier. Les peuples africains, bellicistes entre eux<br />

– c’est la raison pour laquelle la colonisation, usait du terme de pacification –<br />

ne feraient que <strong>des</strong> « palabres » que l’administration coloniale croyait réglementer.<br />

Espace subjectif polyphonique dans la palabre africaine<br />

Lors d’une palabre, le sujet parlant (accusateur/défenseur) fait l’expérience<br />

du pluralisme. Un sujet mis en cause prononce un énoncé ; il est l’énonciateur<br />

(Ex. : non je n’ai pas volé comme vous le prétendez) qui produira <strong>des</strong><br />

effets illocutoires (susceptibles de changer le comportement du jury). Cette<br />

simple assertion peut renvoyer dans le cadre de la palabre à la notion d’interaction,<br />

c’est-à-dire au processus <strong>des</strong> influences mutuelles qu’exercent les participants<br />

les uns sur les autres, c’est aussi le lieu où se nouent les rencontres.<br />

Dans celles-ci, le Sujet joue plusieurs rôles et ne se constitue que dans sa propre<br />

dispersion. Au sein <strong>des</strong> espaces tribaux, il y a une grande différenciation <strong>des</strong><br />

rôles où un même Sujet – sauf dans <strong>des</strong> sociétés à castes – peut assumer plusieurs<br />

identités (on peut être agriculteur, forgeron, guérisseur et père en même<br />

temps). Réduire le Sujet comme le fait ce manuel en une entité figée : « le colonisé<br />

», nous semble une conception dogmatique et monologique qui ne fait pas<br />

cas du caractère pluriel de tout sujet de parole. Dans la palabre, le Sujet vit plusieurs<br />

régimes ; il est à la fois responsable et co-responsable, il est voyant et non<br />

voyant. Quand on est accusé, on répond devant un tribunal, on passe <strong>des</strong> tests<br />

de vérité (ordalies) en cas de doute et on est souvent condamné à payer l’indemnité<br />

au prorata <strong>des</strong> torts causés. Mais si un membre du groupe est acculé<br />

à payer une indemnisation, on doit se sentir concerné par celle-ci. La palabre<br />

exhibe à la fois la subjectivité (on reppond du tort causé) et la communauté (le<br />

groupe est partie prenante dans le paiement de l’indemnité).<br />

Mode d’organisation narrative du discours<br />

sur la palabre dans le <strong>Manuel</strong><br />

Pour mettre en scène son récit, le narrateur colonial 2 utilise trois types<br />

de procédés : l’identité, le statut et le saut dans le temps. L’identité est ce qui à<br />

la fois change et reste. Ricoeur a bien distingué entre identité-idem et l’identitéipse<br />

3 . Le producteur colonial de ce discours a un projet, celui de changer d’identité<br />

(le projet colonial impose et ne propose pas à la libre appréciation <strong>des</strong><br />

énoncés par les colonisés), à la place de la brutalité, il veut utiliser la séduction,<br />

mais à vrai dire, il y a un brouillage d’identité. Si on veut l’attaquer dans son<br />

aspect répressif, le narrateur pourra se dérober pour dire que le projet colonial<br />

est bien celui qui cherche chez les colonisés l’intelligence et non la simple<br />

obéissance. Ce brouillage d’une identité répressive et la mise en narration

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