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LE CRIME DE GENOCIDE ET LES<br />

CRIMES CONTRE L’HUMANITE<br />

DEVANT LES JURIDICTIONS<br />

ORDINAIRES<br />

DU RWANDA<br />

AVOCATS SANS FRONTIERES<br />

Kigali et Bruxelles 2004


Sorti de presse en 2004<br />

Dépôt légal : D/2004/9711/6<br />

© <strong>ASF</strong>-B, 2004<br />

ISBN 9077321063<br />

Diffusion générale: Avocats Sans Frontières<br />

chaussée de Haecht 159 - 1030 Bruxelles<br />

Editeur responsable : Caroline Stainier<br />

Tous droits de reproduction, même d’extraits, traduction, adaptation, y compris<br />

les micro-films et les supports informatiques, réservés pour tous pays.<br />

IMPRIME AU RWANDA


, Juriste, Ancienne Avocate,<br />

Responsable du Projet Rwanda à Avocats Sans Frontières en<br />

Belgique.<br />

, Juriste, Ancien Juge près les Cours<br />

d’Appel de Ruhengeri et Kigali, et près la Cour<br />

Suprême du Rwanda,<br />

Coordinateur de Projet à Avocats Sans Frontières au Rwanda.<br />

, Juriste, Ancien Avocat, Ancien<br />

Chef de Mission Avocats Sans Frontières au Rwanda, et Ancien<br />

Responsable de Projets Afrique à Avocats Sans Frontières en<br />

Belgique.<br />

!" !" # # $ $<br />

, Juriste, Chercheur spécialisé en<br />

droits humains, processus de démocratisation et<br />

justice pénale,Chef de Mission Avocats Sans Frontières au<br />

Rwanda.


La réalisation de cet ouvrage a été rendue<br />

possible grâce au soutien financier de la<br />

Direction du Développement et de la<br />

Coopération Suisse (DDC).<br />

Que le bureau de la Coopération à l’Ambassade de<br />

Suisse à Kigali trouve ici l’expression de notre<br />

gratitude pour la compréhension dont il a fait<br />

preuve, acceptant de tenir compte des importants<br />

changements législatifs intervenus au cours du<br />

projet, et d’en adapter les délais en conséquence.<br />

(Logo Coop. Suisse)


AVANT-PROPOS<br />

C’est à l’occasion de séminaires de formation organisés à l’intention des<br />

magistrats rwandais qu’Avocats Sans Frontières a commencé à prendre la<br />

mesure des difficultés juridiques –sans parler des difficultés humaines -<br />

auxquelles étaient confrontés les juges appelés à faire application de la loi<br />

organique du 30 août 1996 1 , qui régissait alors le contentieux du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1 er<br />

octobre 1990 et le 31 décembre 1994.<br />

Certes, ces magistrats n’étaient pas tous juristes. Pourtant, leur expérience<br />

leur avait appris à jongler avec le droit et à rendre la justice. Et c’est à une<br />

tâche immense, ingrate, et qui requérait beaucoup de courage qu’ils<br />

s’étaient attelés, prononçant les premiers jugements de condamnation, les<br />

premiers jugements d’acquittement, et les premières décisions rendant<br />

justice et hommage aux victimes, dans des dossiers qui touchaient aux<br />

pires des déchirements qu’ait jamais connu le pays.<br />

Malgré le travail accompli, malgré une recherche toujours plus grande de<br />

rigueur juridique, malgré le nombre de décisions rendues, le système<br />

judiciaire classique n’aurait pu venir à bout, dans un délai acceptable,<br />

d’un contentieux dont l’ampleur et la gravité n’avaient jamais connu<br />

d’égal. C’est alors que fut conçu le « processus Gacaca » : un système de<br />

justice participative, incluant l’ensemble de la population rwandaise,<br />

tentant d’allier rapidité, équité et appropriation de la justice du génocide<br />

par la population. Avec l’entrée en vigueur de la loi organique de 2001 2<br />

qui portait création des juridictions Gacaca, le rôle des juridictions<br />

ordinaires dans ce contentieux était considérablement transformé, mais il<br />

n’en restait pas moins essentiel: d’une part, elles restaient saisies des<br />

1 Loi organique n° 08/96 du 30/08/96 sur l’organisation des poursuites des infractions<br />

constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du<br />

1 er octobre 1990, Journal Officiel n°17 du 01/09/1996.<br />

2 Loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des “Juridictions Gacaca” et<br />

organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de<br />

crimes contre l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994,<br />

Journal Officiel n°6 du 15 mars 2001, telle que modifiée et complétée par la loi organique<br />

n° 33/2001 du 22/06/2001 modifiant et complétant la loi organique n° 40/2000 du<br />

26/01/2001 portant création des “Juridictions Gacaca” et organisation des poursuites des<br />

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises<br />

entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel n°14 du 15 juillet 2001.<br />

7


8<br />

Avant-Propos<br />

dossiers déjà pendants devant elles ; d’autre part et surtout, elles restaient<br />

investies du pouvoir de juger ceux à qui, parmi les accusés, l’on attribuait<br />

les faits les plus graves et les responsabilités les plus lourdes.<br />

La loi qui instaurait le « processus Gacaca » avait été rédigée, en priorité,<br />

à l’intention des juridictions Gacaca. En ce qui concerne les juridictions<br />

ordinaires, elle était souvent silencieuse, lacunaire ou ambivalente,<br />

rendant la tâche des tribunaux encore plus périlleuse. C’est alors que<br />

naquit l’idée d’un « vade-mecum »: il s’agissait de tenter de rédiger, en<br />

s’appuyant sur les nombreux échanges, questions et tentatives de solution<br />

enregistrés au cours des séminaires de formation, une « grille de lecture »<br />

de la loi organique qui créait les juridictions Gacaca, à l’usage des<br />

magistrats, et de tous les acteurs judiciaires appelés à intervenir devant<br />

les tribunaux ordinaires, dans le cadre du contentieux du génocide et des<br />

massacres.<br />

La loi organique de 2001 n’a, en réalité, jamais été appliquée quant au<br />

fond par les juridictions ordinaires. D’une part, les leçons tirées du<br />

lancement des Gacaca dans 751 cellules sélectionnées pour la phasepilote<br />

du processus ont amené le législateur à remettre l’ouvrage sur le<br />

métier. D’autre part, l’immense chantier de la réforme judiciaire a produit<br />

d’importants effets entre-temps.<br />

C’est donc à une nouvelle loi organique, celle qui a été adoptée le 19 juin<br />

2004 3 , que les juridictions ordinaires auront à se référer. Mais en outre, le<br />

cadre juridique dans lequel elles auront à connaître du contentieux du<br />

génocide et des autres crimes contre l’humanité, est entièrement<br />

bouleversé : c’est une nouvelle Constitution 4 qui est en vigueur depuis le<br />

4 juin 2003 ; ce sont de nouveaux tribunaux qui sont en place, en vertu du<br />

Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires adopté<br />

3 Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et<br />

fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des<br />

infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité<br />

commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel, n° spécial du<br />

19 juin 2004.<br />

4 Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, adoptée par référendum du 26<br />

mai 2003, Journal Officiel, n° spécial du 4 juin 2003, telle qu’amendée par la Révision n°<br />

1 du 02/12/2003 de la Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2004, Journal<br />

Officiel, n° spécial du 02/12/2003.


9<br />

Avant-Propos<br />

le 5 avril 2004 5 ; ces juridictions s’inscrivent dans un système pyramidal<br />

complètement renouvelé, dont le sommet est occupé par une Cour<br />

Suprême aux pouvoirs et au fonctionnement radicalement différents de<br />

l’ancienne, et qui est elle aussi régie par une nouvelle loi 6 ; c’est, en<br />

matière pénale, un nouveau Code de procédure pénale 7 , adopté le 17 mai<br />

2004, qui est en vigueur...<br />

Le besoin de la « grille de lecture » déjà imaginée auparavant s’en voyait<br />

donc encore renforcé.<br />

Enfin, la volonté de professionnaliser les fonctions juridiques dans le<br />

cadre de la réforme judiciaire a eu pour effet de voir le corps des<br />

magistrats très largement renouvelé. Devant les nouveaux Tribunaux de<br />

Province ou de la Ville de Kigali, qui auront à connaître, au premier<br />

degré, des dossiers des accusés de « première catégorie » 8 , la large<br />

majorité des magistrats désormais en place n’ont jamais, par le passé,<br />

connu du contentieux du génocide et des massacres.<br />

Leur tâche sera d’autant plus difficile que les dossiers d’un tel degré de<br />

gravité, au pénal, ne sont pas de leur ressort naturel : en effet, en droit<br />

commun, c’est désormais la Haute Cour de la République qui est seule<br />

compétente pour juger les civils accusés d’assassinat et de meurtre. Et<br />

leur responsabilité sera d’autant plus lourde que le nouveau Code<br />

d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires généralise les<br />

sièges à juge unique 9 .<br />

C’est à ces nouveaux juges que cet ouvrage, écrit en hommage à ceux qui<br />

les ont précédés, est dédié. Puisse-t-il les assister dans une oeuvre<br />

décisive pour l’avenir du pays. Puissent-ils, dans leur travail, avoir<br />

5<br />

Loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004 portant Code d’organisation, fonctionnement<br />

et compétence judiciaires, Journal Officiel n° 14 du 15 juillet 2004.<br />

6<br />

Loi organique n° 01/2004 du 29/01/2004 portant organisation, fonctionnement et<br />

compétence de la Cour Suprême, Journal Officiel n° 3 du 1 er février 2004.<br />

7<br />

Loi n° 13/2004 du 17/05/2004 portant Code de procédure pénale, Journal Officiel, n°<br />

spécial du 30 juillet 2004.<br />

8<br />

Sous réserve des compétences exercées par les juridictions militaires. Voir à ce sujet le<br />

chapitre consacré à la compétence d’attribution.<br />

9<br />

Article 16 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.


10<br />

Avant-Propos<br />

toujours à l’esprit qu’« On ne peut juger celui qui a commis des<br />

violations en ne respectant pas soi-même les droits de l’Homme » 10 .<br />

10 Louis JOINET, in Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de<br />

l’homme, Rapport final établi en application de la décision 1996/119 de la Sous-<br />

Commission des droits de l’Homme des Nations-Unies, point 28.


CHAPITRE INTRODUCTIF<br />

LA GENESE DE LA LOI ORGANIQUE DU 19 JUIN 2004<br />

Au sortir de l’horreur qu’a connu le peuple rwandais entre avril et juillet<br />

1994, la volonté d’échapper à la tentation de la vengeance a été affirmée<br />

avec force. Il fallait mettre fin au cycle de l’impunité, identifier et<br />

sanctionner les coupables, et rendre justice aux victimes. C’est dans cette<br />

voie que le législateur rwandais s’est résolument engagé, dans la<br />

conviction que la justice était un préalable indispensable à toute<br />

possibilité de réconciliation. Mais il était entendu que la justice ne<br />

pourrait contribuer à rendre concevable l’idée de vivre à nouveau<br />

ensemble qu’à condition qu’elle distingue les innocents des coupables et<br />

que ses décisions inspirent le respect. Ce n’est qu’en étant aussi équitable<br />

que possible, que la justice pourrait être perçue comme telle, et jouer le<br />

rôle essentiel dont elle était investie.<br />

Dans une recherche difficile de l’équilibre entre cette exigence éthique, et<br />

une réalité faite, d’un côté, de dizaines de milliers d’accusés détenus dans<br />

l’attente de procès, et de l’autre d’un système judiciaire à reconstruire<br />

presque entièrement, la loi organique « sur l’organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité, commises à partir du 1 er octobre 1990 » 11 fut adoptée le 30<br />

août 1996 par l’Assemblée Nationale de Transition. Elle présentait de<br />

nombreuses particularités par rapport au droit commun de la procédure<br />

pénale, tentant de répondre à ce contexte unique : le préambule de la loi<br />

affirme, d’une part, « qu’il est essentiel, pour parvenir à la réconciliation<br />

et à la justice au Rwanda, d’éradiquer à jamais la culture de l’impunité »<br />

et d’autre part « que la situation exceptionnelle que connaît le pays<br />

impose d’adopter des mesures adaptées permettant de répondre au<br />

besoin de justice du peuple rwandais » 12 .<br />

11 Loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 sur l’organisation des poursuites des infractions<br />

constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises à partir du<br />

1 er octobre 1990, Journal Officiel n° 17 du 01/09/1996. Dans la suite de l’ouvrage, elle<br />

sera souvent désignée par “la loi organique du 30 août 1996” ou “la loi organique de<br />

1996”.<br />

12 Voir le préambule de la loi organique du 30 août 1996, ibid.<br />

11


12<br />

La genèse de la loi organique du 19 juin 2004<br />

--------------------La loi créait des Chambres spécialisées auprès des<br />

Tribunaux de première instance et des juridictions militaires : elles<br />

seraient spécialement affectées au contentieux du génocide et des<br />

massacres. De même, les Officiers du Ministère Public près les Chambres<br />

spécialisées s’y verraient eux aussi spécialement affectés.<br />

Elle instaurait le principe de la « procédure d’aveu et de plaidoyer de<br />

culpabilité » : celle-ci, en accordant aux accusés qui y recouraient des<br />

réductions importantes de peines, devait accélérer le traitement des<br />

dossiers et favoriser la manifestation de la vérité, les accusés en aveu<br />

étant appelés à dénoncer leurs co-auteurs et complices.<br />

Pour tenter de rendre compte, de manière plus précise que ne pouvait le<br />

faire le Code pénal, des différents modes de participation et des<br />

responsabilités très diverses que pouvaient porter les personnes ayant fait<br />

leur le projet génocidaire, le législateur innovait, créant des<br />

« catégories », de la première, à laquelle devaient être rattachés les plus<br />

grands responsables soit par leur influence, soit par le nombre ou<br />

l’horreur particulière des crimes commis, à la quatrième, à laquelle<br />

devaient être rattachés les auteurs d’atteintes aux biens commises en<br />

relation avec le génocide et les crimes contre l’humanité. Selon la<br />

catégorie dans laquelle était classé le prévenu, la peine serait plus (1 ère<br />

catégorie) ou moins (4 ème catégorie) élevée.<br />

Enfin, dans un souci de rapidité, et de manière à éviter l’engorgement des<br />

juridictions, l’accès à un deuxième degré de juridiction était étroitement<br />

restreint : était exclu du droit d’interjeter appel l’accusé ayant recouru à la<br />

procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité. Mais surtout, l’appel<br />

n’était recevable que pour autant que l’appelant ait soulevé des questions<br />

de droit, ou ait invoqué des erreurs de faits flagrantes. De même, les<br />

possibilités de pourvoi en cassation étaient strictement limitées.<br />

Cette tentative de réponse judiciaire exceptionnelle à une situation<br />

exceptionnelle allait permettre de démarrer les procès du génocide et des<br />

massacres dès la fin de l’année 1996.<br />

Malgré le travail considérable réalisé par les Chambres spécialisées, et<br />

malgré l’instauration de la pratique de procès groupés, le système<br />

judiciaire classique, en dépit des aménagements apportés par la première


13<br />

La genèse de la loi organique du 19 juin 2004<br />

loi organique, n’était pas en mesure d’absorber, dans des délais<br />

raisonnables, un contentieux d’une telle importance.<br />

Face au constat que les dizaines de milliers de personnes détenues,<br />

accusées d’avoir participé au génocide et aux autres crimes contre<br />

l’humanité ne pourraient être jugées avant plusieurs dizaines d’années,<br />

même si les tribunaux travaillaient à un rythme soutenu, fallait-il accepter<br />

l’idée de procès interminables ou se résoudre à des mesures d’amnistie ?<br />

Le choix du statu quo et donc de la poursuite des procès devant les<br />

juridictions ordinaires appliquant la loi organique du 30 août 1996 ne<br />

pourrait se faire qu’au mépris du principe du « droit à être jugé dans un<br />

délai raisonnable », tant à l’égard des accusés que des victimes. Les droits<br />

de détenus présumés innocents s’accommoderaient de moins en moins de<br />

la prolongation des détentions préventives, qui, de surcroît, représentaient<br />

une charge extrêmement lourde dans le budget de l’Etat.<br />

A l’opposé, une mesure d’amnistie générale ne pourrait être vécue que<br />

comme une nouvelle victoire de l’impunité.<br />

Dans un cas comme dans l’autre, la justice serait perdante, et les espoirs<br />

de la voir jouer un rôle de jalon essentiel sur la voie de la réconciliation<br />

se verraient gravement compromis.<br />

S’inspirant de la Gacaca, cadre traditionnel de résolution des conflits, le<br />

législateur allait alors instaurer les « Juridictions Gacaca » 13 , tentative de<br />

réponse à l’immense défi que représentait l’arriéré judiciaire lié au<br />

contentieux du génocide et des massacres. Ce faisant, il espérait en outre<br />

faire œuvre de plus grande efficacité dans les poursuites, et de plus<br />

grande appropriation, par la population, de la justice du génocide et des<br />

13 Loi organique n° 40/2000 du 26/01/ 2001 portant création des « Juridictions Gacaca »<br />

et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de<br />

crimes contre l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994,<br />

Journal Officiel n° 6 du 15 mars 2001, telle que modifiée et complétée par la loi<br />

organique n° 33/2001 du 22/6/2001 modifiant et complétant la loi organique n° 40/2000<br />

du 26/01/2001 portant création des “Juridictions Gacaca” et organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité,<br />

commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, Journal Officiel n° 14 du 15<br />

juillet 2001. Dans la suite de l’ouvrage, ces deux lois seront fréquemment désignées par<br />

“la loi organique de 2001” ou “la loi organique du 26 janvier 2001” ou “les lois<br />

organiques de 2001”


14<br />

La genèse de la loi organique du 19 juin 2004<br />

crimes contre l’humanité. Le préambule de la loi indique que l’objectif du<br />

processus imaginé va bien au-delà de la répression :<br />

[…] « Considérant la nécessité, pour parvenir à la réconciliation<br />

et à la justice au Rwanda, d’éradiquer à jamais la culture de<br />

l’impunité et d’adopter les dispositions permettant d’assurer les<br />

poursuites et le jugement des auteurs et des complices sans viser<br />

seulement la simple répression, mais aussi la réhabilitation de la<br />

société rwandaise mise en décomposition par les mauvais<br />

dirigeants qui ont incité la population à exterminer une partie de<br />

cette société ;<br />

Considérant qu’il importe de prévoir des peines permettant aux<br />

condamnés de s’amender et de favoriser leur réinsertion dans la<br />

société rwandaise sans entrave à la vie normale de la<br />

population » 14 .<br />

En faisant de chaque Rwandais une partie prenante du processus de<br />

justice, le législateur espérait, non seulement favoriser l’émergence de la<br />

vérité, mais également permettre qu’il fasse « siennes » les décisions<br />

prises, qu’elles soient favorables ou défavorables aux accusés. Et<br />

qu’ainsi, petit à petit, la perspective d’avoir à nouveau à vivre ensemble<br />

puisse redevenir concevable.<br />

Le système Gacaca était structuré de manière pyramidale : il était<br />

composé de quatre niveaux, correspondant aux niveaux administratifs :<br />

cellule, secteur, district, province. A chacun des trois premiers niveaux<br />

était dévolue la compétence de juger les faits relevant d’une catégorie, de<br />

la moins lourde (4 ème catégorie au niveau de la cellule) à la plus lourde<br />

(2 ème catégorie, au niveau du district), et chaque juridiction de niveau<br />

supérieur constituant l’instance d’appel du niveau inférieur. Devaient<br />

cependant échapper au système de justice participative, en phase de<br />

jugement, les personnes accusées de faits ou de responsabilités les<br />

rattachant à la première catégorie : ils restaient en effet justiciables des<br />

tribunaux ordinaires.<br />

C’est en 2002 que les activités des premières juridictions Gacaca furent<br />

entamées : n’étaient concernées, dans un premier temps, que 751<br />

14 Préambule de la loi organique de 2001.


15<br />

La genèse de la loi organique du 19 juin 2004<br />

Juridictions Gacaca de Cellule, sélectionnées pour participer à la phase<br />

pilote du processus.<br />

Entre-temps, le projet de nouvelle Constitution allait être adopté par voie<br />

de referendum le 25 mai 2003, et promulgué le 4 juin 2003 15 .<br />

Le génocide et les crimes contre l’humanité occupent une place<br />

prépondérante dans la nouvelle Constitution.<br />

Il est fait référence au génocide dès les premiers paragraphes du<br />

préambule.<br />

Plusieurs dispositions ont trait directement au contentieux lié aux<br />

événements de 1994.<br />

Ainsi, le caractère imprescriptible du génocide, des crimes contre<br />

l’humanité et des crimes de guerre est consacré par l’article 13.<br />

L’article 14 évoque la question des victimes: « L’Etat, dans la limite de<br />

ses capacités, prend des mesures spéciales pour le bien-être des rescapés<br />

démunis du génocide commis au Rwanda du 1 er octobre 1990 au 31<br />

décembre 1994 (…) »<br />

En son chapitre V, consacré au Pouvoir judiciaire, la Constitution établit<br />

la distinction entre juridictions ordinaires et juridictions spécialisées.<br />

Deux types de juridictions relèvent de cette dernière qualification : il<br />

s’agit des Juridictions Gacaca et des juridictions militaires 16 .<br />

Au sein de la Sous-section 2 de ce même chapitre, intitulée « Des<br />

juridictions spécialisées », l’article 152 est consacrée aux juridictions<br />

Gacaca et au Service National de suivi de leurs activités :<br />

« Il est institué des juridictions Gacaca chargées des poursuites<br />

et du jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre<br />

l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre<br />

1994, excepté ceux qui relèvent de la compétence d’autres<br />

juridictions.<br />

15 Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, op. cit.<br />

16 Article 143.


16<br />

La genèse de la loi organique du 19 juin 2004<br />

Une loi organique détermine l’organisation, la compétence, et le<br />

fonctionnement de ces juridictions.<br />

Une loi institue un Service National chargé du suivi, de la<br />

supervision et de la coordination des activités des Juridictions<br />

Gacaca qui jouit d’une autonomie de gestion administrative et<br />

financière. Cette loi détermine également ses attributions, son<br />

organisation, son fonctionnement ».<br />

En fin de compte, à l’exception des phases « pré-juridictionnelles »<br />

qu’ont pu clôturer les Juridictions Gacaca des cellules qui ont participé à<br />

la phase « pilote » du processus, et mis à part le fait que les Tribunaux de<br />

Première Instance ont succédé aux Chambres spécialisées, abolies, la loi<br />

organique du 26 janvier 2001 n’a jamais été appliquée de bout en bout :<br />

aucun dossier « instruit » par une juridiction de Cellule n’a abouti à un<br />

jugement prononcé sous son empire.<br />

Le législateur a, en effet, choisi de tenir compte des leçons tirées de<br />

l’expérience-pilote, et des difficultés concrètes rencontrées dans la mise<br />

en oeuvre de la loi organique de 2001, et d’y apporter les aménagements<br />

qu’il jugeait nécessaires avant de lancer le processus Gacaca dans tout le<br />

pays.<br />

C’est ainsi que, le 19 juin 2004, a été adoptée la « Loi organique n°<br />

16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence et<br />

fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du<br />

jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994 » 17 .<br />

Certains des principes instaurés pour la première fois par la loi organique<br />

de 1996 sont maintenus: il en va ainsi du principe de la procédure d’aveu<br />

et de plaidoyer de culpabilité – désormais dénommée “procédure d’aveu,<br />

de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses” - qui permet<br />

toujours à celui qui y recourt de bénéficier d’importantes réductions de<br />

peines; il en va également ainsi du mécanisme de la catégorisation.<br />

17 Journal Officiel, n° spécial du 19 juin 2004. Dans la suite de l’ouvrage, cette loi sera<br />

souvent désignée par “la loi organique de 2004” ou “la loi organique du 19 juin 2004”.


17<br />

La genèse de la loi organique du 19 juin 2004<br />

Mais ces mécanismes ont connu des aménagements profonds. Il en va de<br />

même pour « l’architecture Gacaca » qui, des quatre différents niveaux<br />

qu’elle distinguait, est descendue à deux niveaux (cellule et secteur), par<br />

souci de plus grande proximité par rapport à la population, et de plus<br />

grande rapidité: les dossiers de deuxième catégorie seront désormais aux<br />

mains des Juridictions Gacaca de Secteur – au nombre de 1545 dans tout<br />

le pays - plutôt qu’aux mains des Juridictions Gacaca de District - au<br />

nombre de 106 dans tout le pays -.<br />

Par contre, le principe du maintien de la compétence exclusive des<br />

juridictions ordinaires pour ce qui est du jugement des personnes<br />

accusées de faits ou de responsabilités qui les classent en première<br />

catégorie subsiste pleinement: en ce qui les concerne, la “justice<br />

participative” s’arrête au niveau de la phase pré-juridictionnelle, assumée,<br />

tous dossiers confondus, par les Juridictions Gacaca de Cellule.<br />

A ce jour donc, trois lois organiques se sont succédées (ou plus<br />

exactement, quatre, si l’on compte la loi du 22 juin 2001 qui modifiait et<br />

complétait la loi organique du 26 janvier 2001) pour régir le contentieux<br />

du génocide. Désormais, seule la loi organique adoptée le 19 juin 2004<br />

est en vigueur.


CHAPITRE II<br />

LE PRINCIPE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE<br />

Introduction<br />

Si le souci de voir traiter de manière équitable ceux qui sont accusés<br />

d’avoir pris part aux atrocités qu’a connues le pays peut paraître décalé<br />

au regard de l’ampleur et de la gravité inouïes des crimes commis, il<br />

convient d’insister sur le fait que la recherche de l'équité dans le procès<br />

pénal est une nécessité, que c'est la condition sine qua non de<br />

l'acceptation même de la décision qui sera rendue. En l’absence de<br />

l’ensemble des garanties qui caractérisent le droit à un procès équitable,<br />

la procédure judiciaire ne servirait jamais que l’arbitraire, et ne pourrait<br />

prétendre être le ferment de quelque réconciliation que ce soit.<br />

Le procès se doit d’être d’autant plus équitable que les accusations sont<br />

terribles, et que les peines encourues sont lourdes : le juge appelé à se<br />

prononcer sur la culpabilité d’une personne accusée du crime suprême<br />

assume une responsabilité immense vis-à-vis des victimes, vis-à-vis de<br />

l’accusé, et vis-à-vis de la société dans son ensemble.<br />

Enfin, sur le plan strictement juridique, rappelons que l’Etat rwandais est<br />

lié par les obligations qui découlent des instruments internationaux qu’il a<br />

ratifiés. Certains d’entre eux édictent d’importantes règles ayant trait au<br />

procès équitable. Les instruments internationaux les plus pertinents, pour<br />

le Rwanda, en la matière sont le Pacte international relatif aux droits<br />

civils et politiques (ci-après le Pacte) 18 et la Charte africaine des droits de<br />

l’Homme et des peuples (ci-après la Charte) 19 .<br />

18 Le Pacte international sur les droits civils et politiques, du 19 décembre 1966, a été<br />

ratifié par le Rwanda par le Décret-loi n° 8/75 du 12 février 1975.<br />

19 La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, du 27 juin 1981, a été signée<br />

par le Rwanda le 11 novembre 1981 et ratifiée par la loi n° 10/1983 du 17 mai 1983.<br />

19


Le principe du droit à un procès équitable<br />

L’article 14 du Pacte a valeur de référence universelle pour le droit à un<br />

procès équitable. Il se lit comme suit :<br />

“Article 14<br />

1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute<br />

personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et<br />

publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial,<br />

établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation<br />

en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses<br />

droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être<br />

prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans<br />

l'intérêt des bonnes mœurs, de l'ordre public ou de la sécurité<br />

nationale dans une société démocratique, soit lorsque l'intérêt de la<br />

vie privée des parties en cause l'exige, soit encore dans la mesure où<br />

le tribunal l'estimera absolument nécessaire lorsqu'en raison des<br />

circonstances particulières de l'affaire la publicité nuirait aux<br />

intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière<br />

pénale ou civile sera public, sauf si l'intérêt de mineurs exige qu'il en<br />

soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux<br />

ou sur la tutelle des enfants.<br />

2. Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée<br />

innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.<br />

3. Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine<br />

égalité, au moins aux garanties suivantes:<br />

a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue<br />

qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs<br />

de l'accusation portée contre elle;<br />

b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la<br />

préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de<br />

son choix;<br />

c) A être jugée sans retard excessif;<br />

d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à<br />

avoir l'assistance d'un défenseur de son choix; si elle n'a pas de<br />

20


Le principe du droit à un procès équitable<br />

défenseur, à être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque<br />

fois que l'intérêt de la justice l'exige, à se voir attribuer d'office<br />

un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le<br />

rémunérer;<br />

e) A interroger ou faire interroger les témoins à charge et à<br />

obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge<br />

dans les mêmes conditions que les témoins à charge;<br />

f) A se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne<br />

comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience;<br />

g) A ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de<br />

s'avouer coupable.<br />

4. La procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore<br />

majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de<br />

l'intérêt que présente leur rééducation.<br />

5. Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire<br />

examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité<br />

et la condamnation, conformément à la loi.<br />

6. Lorsqu'une condamnation pénale définitive est ultérieurement<br />

annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu'un fait nouveau ou<br />

nouvellement révélé prouve qu'il s'est produit une erreur judiciaire,<br />

la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation<br />

sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu'il ne soit prouvé<br />

que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable<br />

en tout ou partie.<br />

7. Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour<br />

laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif<br />

conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays.”<br />

21


Le principe du droit à un procès équitable<br />

L’article 7 de la Charte africaine consacre également le droit à un procès<br />

équitable, énoncé comme suit :<br />

Article 7<br />

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit<br />

comprend :<br />

a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de<br />

tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et<br />

garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en<br />

vigueur;<br />

b) le droit à la présomption d'innocence, jusqu'à ce que sa<br />

culpabilité soit établie par une juridiction compétente;<br />

c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un<br />

défenseur de son choix;<br />

d) le droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une<br />

juridiction impartiale.<br />

2. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne<br />

constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction<br />

légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a<br />

pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est<br />

personnelle et ne peut frapper que le délinquant.”<br />

Il convient de souligner que « les traités ou accords internationaux<br />

régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication au journal<br />

officiel, une autorité supérieure à celle des lois organiques et des lois<br />

ordinaires » en vertu de l’article 190 de la Constitution 20 . Par conséquent,<br />

ayant valeur infra-constitutionnelle, mais supra-législative, les textes<br />

internationaux qui lient la République du Rwanda devraient l’emporter, le<br />

cas échéant, sur les lois qui régissent le contentieux du génocide et des<br />

autres crimes contre l’humanité : ils s’imposeront donc au juge appelé à<br />

connaître de ce contentieux.<br />

20 Constitution du 04/06/2003, J.O. n° spécial du 04 juin 2003.<br />

22


Le principe du droit à un procès équitable<br />

En droit interne, la Constitution garantit le droit à un procès équitable,<br />

décliné dans de nombreux textes législatifs. Seront invoqués<br />

essentiellement, outre la loi organique qui régit le contentieux du<br />

génocide (et les lois organiques qui l’ont précédée), les dispositions<br />

pertinentes du Code pénal 21 et du Code de procédure pénale 22 . En effet,<br />

les règles de procédure de droit commun s’appliquent en principe devant<br />

les tribunaux de droit commun qui connaissent du contentieux du<br />

génocide, sauf dans les cas où la loi organique en dispose autrement 23 .<br />

Dans le présent chapitre, l’on s’attachera à examiner les règles<br />

essentielles qui, en droit rwandais, se rapportent au droit à un procès<br />

équitable. L’examen de la jurisprudence produite à ce jour dans le cadre<br />

du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité<br />

permettra d’évaluer l’application qui a pu en être faite par les cours et<br />

tribunaux rwandais (1).<br />

Certaines de ces règles pouvant être sujettes à des limitations, le régime<br />

auquel doit obéir toute restriction éventuelle sera précisé (2).<br />

Enfin, les recours qui s’offrent au citoyen rwandais qui estime avoir été<br />

privé de son droit à un procès équitable seront examinés (3).<br />

1. LA SUBSTANCE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE<br />

AU RWANDA<br />

A la lecture des textes nationaux et internationaux, il est possible<br />

d’identifier une douzaine de règles qui constituent la clef de voûte du<br />

grand édifice du droit à un procès équitable : le droit à un tribunal<br />

indépendant et impartial, le droit à l’information sur le dossier, le droit à<br />

la présomption d’innocence, le droit à la comparution personnelle, le<br />

droit d’être assisté d’un défenseur de son choix, le droit à l’égalité des<br />

armes et au principe du contradictoire, le droit au silence, le droit à un<br />

procès public, le droit à une décision motivée, le droit à être jugé dans un<br />

21<br />

Décret-loi n° 21/77 du 18 août 1977 instituant le Code Pénal, J.O. 1978, n° 13 bis.<br />

22<br />

Code de procédure pénale, loi n° 13/2004 du 17/05/2004, J.O. n° spécial du 30 juillet<br />

2004.<br />

23<br />

Voir article 2, §2 et article 100 de la loi n° 16/2004 du 19 juin 2004 et le chapitre<br />

consacré aux principes d’interprétation de la loi organique. Dans la loi organique du 30<br />

août 1996, l’article 39 édictait une règle similaire.<br />

23


Le principe du droit à un procès équitable<br />

délai raisonnable, le droit au respect de la légalité des délits et des peines<br />

et le droit de bénéficier de la règle du non bis in idem.<br />

1.1. Le droit à un tribunal indépendant et impartial<br />

Le droit de toute personne accusée à ce que sa cause soit entendue par un<br />

tribunal indépendant et impartial découle des textes internationaux<br />

ratifiés par le Rwanda. L’article 14 alinéa 1 er du Pacte dispose : « (…)<br />

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et<br />

publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial (…) ».<br />

L’indépendance et l’impartialité du tribunal, bien que liées, ne se<br />

confondent pas 24 .<br />

1.1.1. L’indépendance du Tribunal<br />

L’indépendance peut être entendue comme le fait pour le tribunal de ne<br />

pas être soumis à une influence extérieure ; c’est le fait d’être exempt de<br />

toute pression émanant d’une autorité extérieure au tribunal. En ce sens,<br />

l’indépendance s’intéresse donc à l’environnement du juge.<br />

Le type d’ingérence que le principe de l’indépendance du tribunal<br />

cherche à écarter concerne l’intervention du pouvoir exécutif. Il peut<br />

s’agir d’injonction au juge, d’intimidation ou même de mutation<br />

intempestive au cours d’un dossier. C’est pourquoi l’une des formes de<br />

protection du juge contre les immixtions de l’exécutif réside dans les<br />

garanties que peuvent lui offrir le système de nomination et le principe de<br />

l’inamovibilité.<br />

Le système de nomination et de promotion des juges doit respecter un<br />

certain degré de transparence. En effet, un système de nomination des<br />

juges opaque peut affecter l’indépendance du juge qui aurait une « dette<br />

de reconnaissance » envers celui qui l’a fait nommer, ou qui pourrait être<br />

enclin à rendre des décisions qui plaisent à celui qui détient le pouvoir de<br />

décider d’une promotion.<br />

L’article 140 de la Constitution consacre le principe de l’indépendance de<br />

la justice. Le principe d’une désignation par des instances collégiales<br />

24 A titre comparatif, voir TULKENS Françoise et BOSLY D. Henri, La notion<br />

européenne de tribunal indépendant et impartial, la situation en Belgique, in Revue de<br />

Science criminelle et de droit comparé, 1990, Pp 677-691.<br />

24


Le principe du droit à un procès équitable<br />

telles que le Sénat 25 et le Conseil Supérieur de la Magistrature 26 est de<br />

nature à renforcer l’indépendance du juge.<br />

Le principe de l’inamovibilité vise à éviter un changement intempestif<br />

des juges au gré des avantages que l’on voudrait tirer de leur présence<br />

dans telle ou telle affaire, ou une mutation prononcée en représailles à<br />

une décision qui ne plaît pas. Au Rwanda le principe de l’inamovibilité a<br />

été renforcé dans la Constitution du 04 juin 2003. La désignation du<br />

Président et du Vice-président de la Cour Suprême pour « un mandat<br />

unique de huit ans » 27 leur permet d’échapper aux pressions qui<br />

pourraient être exercées s’ils avaient la possibilité de briguer un second<br />

mandat. Pour ce qui est des autres juridictions, c’est le Conseil Supérieur<br />

de la magistrature qui décide désormais de la nomination, de la<br />

promotion et de la révocation des juges.<br />

En définitive, l’essentiel est de faire en sorte que le magistrat soit hors<br />

d’atteinte des pressions que pourrait exercer sur lui son environnement<br />

institutionnel 28 . En-dehors des conditions objectives qui favorisent son<br />

indépendance, il appartient au juge lui-même de s’imposer cette hauteur,<br />

de la conquérir et de la maintenir.<br />

1.1.2. L’impartialité du tribunal<br />

L’impartialité présuppose l’indépendance en ce sens que l’on ne peut<br />

l’imaginer lorsque la décision est dictée au juge par des circonstances<br />

extérieures à l’affaire dont il a connaissance. Cependant, l’impartialité<br />

s’intéresse à la personne même du juge, à sa position à l’égard des parties<br />

au procès. Le juge doit se situer à équidistance entre les différentes<br />

parties au procès : il devra être récusé s’il apparaît que ce n’est pas le cas,<br />

et qu’il semble, objectivement ou subjectivement, être de parti pris à<br />

l’égard de l’une d’elles.<br />

25 Articles 147 et 148 de la Constitution du 04 juin 2003. Ces dispositions organisent<br />

l’élection des juges à la Cour Suprême, y compris le Président et le Vice-président, par le<br />

Sénat, sur proposition du Président de la République.<br />

26 Art. 157, Constitution du 04 juin 2003. Cette disposition donne pouvoir au Conseil<br />

Supérieur de la Magistrature, dont est exclu l’exécutif, d’organiser la carrière des juges<br />

notamment la nomination, la promotion et la révocation.<br />

27 Art. 147, ibid.<br />

28 JOSSERAND Sylvie, Impartialité des magistrats en procédure pénale, LGDJ, 1998,<br />

P.432.<br />

25


Le principe du droit à un procès équitable<br />

En droit rwandais, les causes de récusation sont énoncées à l’article 172<br />

du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires ; y<br />

sont visés l’existence d’un intérêt personnel, les liens de parenté, de<br />

subordination, d’amitié ou d’inimitié du juge avec l’une des parties...<br />

Peu d’exemples de récusation ont été relevés dans le contentieux du<br />

génocide 29 .<br />

Sans recourir aux notions d’impartialité objective ou subjective 30 , l’article<br />

172 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires<br />

considère le fait que le juge ait connu de l’affaire, précédemment, à un<br />

autre titre, comme une autre cause de récusation. Tel est par exemple le<br />

cas lorsque le juge est intervenu dans le dossier comme Officier de Police<br />

Judiciaire ou Officier du Ministère Public.<br />

Si l’on procède d’un point de vue objectif, l’on exclura en toutes<br />

circonstances le juge qui a connu précédemment, à quelque titre que ce<br />

soit, du cas porté devant lui. Alors que d’un point de vue subjectif l’on<br />

s’attachera simplement à déterminer si les conditions dans lesquelles il a<br />

connu de l’affaire sont de nature à forger chez lui un pré-jugement. Dans<br />

cette dernière hypothèse, il ne pourrait plus siéger dans la même affaire.<br />

L’on peut s’interroger sur la pratique qui permet, que ce soit en droit<br />

commun ou dans le cadre du contentieux du génocide, à un juge qui a<br />

tranché la question de la détention préventive en Chambre du Conseil, de<br />

siéger ultérieurement pour connaître du fond de l’affaire. Le juge qui a<br />

décidé de placer un inculpé en détention provisoire a dû nécessairement,<br />

en vertu de l’article 93 du nouveau Code de procédure pénale, estimer<br />

qu’« il existe contre lui des indices sérieux de culpabilité ». Amené<br />

ensuite à connaître de la même affaire au fond, ne sera-t-il pas<br />

nécessairement habité d’un préjugé, ou du moins le prévenu n’aura-t-il<br />

pas toutes les raisons de le penser ? Une telle pratique heurte la règle de<br />

l’impartialité du juge ici évoquée.<br />

29 Voir cependant un cas de récusation de l’ensemble du Tribunal pour cause de suspicion<br />

légitime, demandée par le prévenu et retenue par la Cour de Cassation dans, RMP<br />

42.031/S8/NKM/NRA, TPI Gikongoro, Affaire. BIZIMANA Antoine, 20/02/2002,<br />

Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision n° 4.<br />

30 Voir TULKENS Françoise et BOSLY D. Henri, op. cit.<br />

26


Le principe du droit à un procès équitable<br />

1.2. Le droit à la présomption d’innocence<br />

Le droit pour la personne accusée d’être présumée innocente est reconnu<br />

pratiquement dans les mêmes termes par le Pacte international relatif aux<br />

droits civils et politiques que dans la Charte africaine des droits de<br />

l’Homme et des peuples. L’un 31 et l’autre 32 textes envisagent la<br />

jouissance de ce droit tant que la culpabilité de l’accusé n’a pas été<br />

légalement établie par une juridiction compétente.<br />

La Constitution du Rwanda du 04 juin 2003 se veut encore plus<br />

exigeante. En effet aux termes de l’article 19 de la Constitution, « toute<br />

personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que<br />

sa culpabilité soit légalement et définitivement établie à l’issue d’un<br />

procès public et équitable au cours duquel toutes les garanties<br />

nécessaires à sa défense lui auront été accordées ».<br />

Pour que la présomption d’innocence 33 d’un prévenu soit levée, il faut<br />

donc que sa culpabilité ait été légalement établie, au terme d’un procès<br />

public 34 et équitable, au cours duquel il aura bénéficié des garanties<br />

nécessaires à sa défense. En subordonnant la perte de la présomption<br />

d’innocence à ces trois conditions particulières dont les deux dernières ne<br />

sont pas expressément évoquées dans les textes internationaux, la<br />

Constitution du Rwanda a élevé le seuil d’exigence quant au respect de la<br />

présomption d’innocence. Le respect de ce seuil paraît d’autant plus<br />

important dans un contentieux aussi difficile que celui du génocide et des<br />

massacres.<br />

31 Voir Art. 14 al. 2, Pacte International relatif aux droits civils et politiques : « toute<br />

personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa<br />

culpabilité ait été légalement établie ».<br />

32 Voir Art. 7 al.1-b), Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples : « Toute<br />

personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend (…) le droit à la<br />

présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction<br />

compétente ».<br />

33 Egalement consacrée par l’article 44 al.2 du Code de procédure pénale: « Le prévenu<br />

est présumé innocent tant que sa culpabilité n’est pas établie par une condamnation<br />

devenue définitive. Aussi longtemps que sa culpabilité n’est pas établie, le prévenu n’est<br />

pas tenu de fournir la preuve de son innocence ».<br />

34 Il ne faut cependant pas perdre de vue la possibilité de huis clos prévue par la loi,<br />

notamment par l’article 141 de cette même Constitution du 04 juin 2003.<br />

27


Le principe du droit à un procès équitable<br />

A l’examen de la jurisprudence du contentieux du génocide au Rwanda,<br />

c’est essentiellement sous l’angle des questions liées à la charge de la<br />

preuve, à la liste des accusés de première catégorie et aux aveux que des<br />

interrogations surgissent quant au respect de la présomption d’innocence.<br />

1.2.1. La présomption d’innocence et la charge de la preuve<br />

Que le fardeau de la preuve pèse sur la partie qui porte l’accusation est un<br />

corollaire de la règle de la présomption d’innocence. La personne accusée<br />

étant présumée innocente, il appartient à l’accusation de fournir les<br />

preuves de l’infraction et de son imputabilité à l’accusé.<br />

L’article 44 du Code de procédure pénale énonce clairement la règle :<br />

« La charge de la preuve d’une infraction incombe au Ministère Public<br />

ou, en cas de constitution de partie civile ou de citation directe, à la<br />

victime ou à ses ayants cause » 35 . En l’absence de preuves à même<br />

d’emporter la conviction du juge, le doute doit profiter à l’accusé 36 .<br />

Dans le contentieux du génocide, l’on peut noter que cette règle est<br />

généralement observée. C’est, fréquemment, le fait que le Ministère<br />

public n’ait pas fourni de preuve emportant la conviction du tribunal qui<br />

motive les acquittements prononcés à ce jour par les tribunaux 37 .<br />

35 Cette règle est la même que celle que prévoyait l’article 16 de l’ancien Code de<br />

procédure pénale du 23 février 1963.<br />

36 Art 153 du Code de procédure pénale : « Le doute profite au prévenu . Si une<br />

instruction aussi complète que possible n’est pas parvenue à lever le doute sur la<br />

culpabilité, le prévenu doit être acquitté ». Ce texte reprend en d’autres termes l’art. 20 de<br />

l’ancien Code de procédure pénale du 23 février 1963.<br />

37 Ces cas sont très nombreux ; à titre d’illustration voir :<br />

- RMP 51.498/S4/CM/KBY/97, Ch. Sp. TPI Kibuye, 10/12/1998, affaire KABIRIGI<br />

Anastase et Consorts, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome II, décision n° 9, 26 ème feuillet, 4 ème Constate, P.153 : «°Constate que le<br />

ministère public n'a pas rapporté de preuves indubitables de l'intention délictueuse<br />

de MUHAYIMANA Cyprien relativement aux infractions de génocide, d'assassinat,<br />

de pillage et d'association de malfaiteurs qui lui sont reprochées… »<br />

- RMP 82915/S4/ND/NSE, Ch. Sp. TPI Kibungo, 14/10/1999, Affaire<br />

NIYONSENGA Jean Bosco, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome II, 3 ème feuillet, 1 er Constate, in fine : « constate que… celle de<br />

pillage n'est pas établie à sa charge car le Ministère Public n'a pas rapporté la<br />

preuve de la participation de l'intéressé à des actes de pillage ».<br />

28


Le principe du droit à un procès équitable<br />

En revanche, la prévention est régulièrement déclarée établie à l’encontre<br />

des accusés contre lesquels l’accusation a fourni des preuves<br />

« tangibles » 38 .<br />

Cependant, il est arrivé que la juridiction renverse la charge de la preuve,<br />

violant par le même fait le droit de la personne accusée à la présomption<br />

d’innocence. Tel est le cas dans une décision de la Chambre spécialisée<br />

du Tribunal de Première Instance de Nyamata :<br />

« Constate qu’en-dehors de ses dénégations, Hakizimana César<br />

n’apporte pas la preuve qu’il n’a commis aucun acte criminel… » 39 .<br />

Etonnamment, cette décision n’a pas été frappée d’appel.<br />

Des juridictions d’appel n’ont pourtant pas hésité à censurer des<br />

jugements qui faisaient fi de la présomption d’innocence. Tel a été le cas<br />

d’une décision de la Cour d’Appel de Kigali en date du 10 juin 1999 :<br />

« Constate que l’article 16 du Code de procédure pénale sur lequel<br />

Maître Boubacar Diabira, conseil de Kanyamikenke, a basé son appel a<br />

effectivement été violé tel qu’il ressort de la copie du jugement, au 6 ème<br />

« Constate » du 3 ème « feuillet » qui est libellé comme suit : Constate que<br />

les moyens de défense présentés par Kanyamikenke au sujet du meurtre<br />

de Astérie ne sauraient emporter sa conviction et qu’ainsi rien ne<br />

prouve que les accusations portées contre lui par Murekatete sont<br />

fausses, cette motivation étant en violation flagrante des dispositions<br />

légales quant à la charge de la preuve en matière pénale » 40 .<br />

1.2.2. La présomption d’innocence et la liste de la première<br />

catégorie<br />

La liste de la première catégorie est une liste publiée en principe au moins<br />

deux fois par an au Journal Officiel à l’initiative du Parquet Général de la<br />

République.<br />

38 La plupart des décisions de condamnation sont motivées par cet élément.<br />

39 RMP 101 828/S1/BA/Nmta, Ch. Sp. TPI Nyamata, 28/06/2000, affaire HAKIZIMANA<br />

César et Consorts, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome V,<br />

décision n° 9, 11 ème feuillet, 3 ème Constate, P. 215.<br />

40 RMPA 1/003/AVG, Cour d’Appel de Kigali, 10/06/1999, Affaire KANYAMIKENKE<br />

C/ MP, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n°<br />

13, 8 ème feuillet, 2 ème Constate, P. 295.<br />

29


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Elle contient les noms des personnes suspectées d’avoir commis, dans le<br />

cadre du génocide et des autres crimes contre l’humanité, des actes les<br />

rangeant dans la première catégorie. Il s’agit des personnes accusées<br />

d’avoir planifié, organisé, supervisé, encadré le génocide ou d’avoir<br />

incité à le commettre ; des personnes accusées d’avoir agi en position<br />

d’autorité ; des personnes accusées d’être des « meurtriers de grand<br />

renom » en raison du zèle qui les animait, ou de la méchanceté excessive<br />

avec laquelle elles ont agi ; des personnes accusées d’actes de torture ;<br />

des personnes accusées de viol ou d’actes de torture sexuelle, et enfin,<br />

des personnes accusées d’avoir commis des actes dégradants sur des<br />

cadavres 41 .<br />

Le problème que pose la publication de cette liste est celui de savoir si<br />

elle ne viole pas la présomption d’innocence. Cette liste ne fait-elle pas<br />

de ceux qui y figurent des « présumés génocidaires » ? Il y a lieu de<br />

nuancer.<br />

La loi elle-même, en évoquant cette liste, n’emploie pas le terme de<br />

présomption ou « présumés génocidaires ». La loi du 30 août 1996 qui<br />

instaura cette liste énonçait « au fur et à mesure que les enquêtes<br />

progressent, une liste des personnes poursuivies ou accusées d’avoir<br />

commis des actes les rattachant à la première catégorie est dressée et<br />

mise à jour par le Procureur général près la Cour Suprême » 42 . Il s’agit<br />

donc bien de personnes poursuivies ou accusées 43 . La nouvelle loi<br />

organique du 19 juin 2004, en son article 51, ne parle pas de « présumés<br />

génocidaires », mais fait obligation au Procureur Général de la<br />

République de publier deux fois par an, « la liste des noms des personnes<br />

classées dans la première catégorie lui adressée par les juridictions<br />

Gacaca des cellules » à qui il revient de « catégoriser » les prévenus en<br />

phase pré-juridictionnelle.<br />

L’instruction d’audience des affaires concernant les personnes accusées<br />

d’avoir commis des faits les rattachant à la première catégorie ne se<br />

distingue pas de l’instruction d’audience en droit commun. Pas plus que<br />

pour un autre prévenu, il n’est requis de la personne dont le nom figure<br />

sur la liste de première catégorie d’apporter la preuve de son innocence.<br />

41 Voir le chapitre consacré à la catégorisation.<br />

42 Voir Art. 9 al.1 er , loi organique du 30/08/1996, op. cit.<br />

43 Même la nouvelle loi organique du 19 juin 2004, en son article 51, ne mentionne pas<br />

des « présumés génocidaires ».<br />

30


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Enfin, la réalité judiciaire a elle-même démontré que les juges pouvaient<br />

connaître en toute impartialité des cas de personnes dont le nom figurait<br />

sur la liste de première catégorie. Les juges peuvent librement décider,<br />

sur la base des preuves fournies par l’accusation, de condamner le<br />

prévenu (lorsque les preuves sont suffisantes) ou de l’acquitter (lorsque<br />

les preuves n’emportent pas leur conviction).<br />

Le respect de la présomption d’innocence par les juges, en dépit de la<br />

publication du nom de l’accusé sur la liste de première catégorie, peut<br />

être illustré par l’affaire à charge de Monseigneur MISAGO Augustin.<br />

Monseigneur MISAGO, Evêque de Gikongoro au Sud-ouest du Rwanda,<br />

avait été mis sur la liste des accusés de la première catégorie du crime de<br />

génocide et des crimes contre l’Humanité. Après un procès<br />

particulièrement tendu et fortement médiatisé, le prévenu a été acquitté<br />

par une décision de la Chambre spécialisée du Tribunal de Première<br />

Instance de Kigali en date du 15/06/2000 44 , les juges ayant estimé que le<br />

Ministère Public n’avait rapporté aucune preuve de la responsabilité de<br />

Monseigneur MISAGO dans les crimes dont il était accusé.<br />

Il appartient donc au tribunal saisi d’un dossier concernant un accusé<br />

figurant sur la liste de première catégorie publiée au Journal Officiel de le<br />

considérer, au même titre que n’importe quel prévenu, comme présumé<br />

innocent.<br />

1.2.3. La présomption d’innocence et les aveux<br />

La loi organique du 30 août 1996 qui régissait le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité a instauré la procédure d’aveu et de<br />

plaidoyer de culpabilité qui permettait à l’accusé dont les aveux<br />

respectaient un certain nombre de conditions de fond et de forme de<br />

bénéficier d’une réduction de peine substantielle. Les lois organiques de<br />

2001 et de 2004 ont ensuite maintenu le principe, en en aménageant et en<br />

en assouplissant les conditions. C’est désormais de « procédure d’aveu,<br />

de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses » que l’on parle 45 .<br />

Les aveux pouvant être proposés dès la phase pré-juridictionnelle ou<br />

d’instruction, la question est de savoir si l’accusé qui a recouru à cette<br />

44 Seul le dispositif de cette décision a été lu en audience publique ; le texte de la décision<br />

n’est pas à ce jour disponible in extenso.<br />

45 Voir le chapitre consacré à cette procédure.<br />

31


Le principe du droit à un procès équitable<br />

procédure continue, en dépit de ses aveux, de bénéficier de la<br />

présomption d’innocence jusqu’à l’issue du jugement.<br />

D’une part, la juridiction de jugement est appelée à vérifier le caractère<br />

volontaire, libre et conscient de l’aveu qui a été fait 46 . Par conséquent,<br />

l’on considère que le seul fait de l’aveu ne peut suffire à établir la<br />

culpabilité du prévenu.<br />

D’autre part, la personne qui a fait des aveux en phase d’instruction est<br />

libre de les rétracter au moment du jugement en audience. Dans nombre<br />

de cas, les prévenus disent avoir avoué sous la torture, sous l’effet de<br />

pressions, sous la promesse de récompenses, par crainte de représailles ou<br />

encore, disent que le procès-verbal n’est pas conforme à leurs<br />

déclarations. Des aveux rétractés ne peuvent, dans le cadre du<br />

contentieux du génocide, être retenus comme élément de preuve contre<br />

l’accusé 47 .<br />

Il arrive également que les aveux ne correspondent pas à la réalité, et que<br />

l’examen du dossier révèle que l’accusé qui, pourtant, avait avoué les<br />

faits, n’en était pas l’auteur.<br />

Enfin, rappelons que l’enregistrement d’aveux ne dispense pas le juge de<br />

vérifier si, outre le fait matériel reconnu, l’élément intentionnel requis<br />

pour que l’accusé soit déclaré coupable était bel et bien présent.<br />

Par conséquent, il importe de respecter la présomption d’innocence même<br />

à l’égard d’un prévenu qui a avoué les crimes dont il est accusé.<br />

1.3. Le droit à l’information sur le dossier<br />

Ce droit est formulé dans différents textes comme étant le droit pour<br />

l’accusé d’être informé de la nature et des motifs de l’accusation portée<br />

contre lui dans les plus courts délais, dans une langue qu’il comprend, et<br />

de façon détaillée. A ce droit à l’information proprement dit s’ajoute celui<br />

de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa<br />

défense.<br />

46 Voir l’article 64 de la loi organique du 19 juin 2004 qui réglemente l’audience en cas de<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Voir. également,<br />

dans le même sens, l’article 10 de la loi organique du 30/08/1996.<br />

47 Voir en ce sens l’article 13 de l’ancienne loi organique du 30/08/1996.<br />

32


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Le droit à l’information sur le dossier judiciaire est garanti par l’article 14<br />

al. 3-a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.<br />

L’article 64 du nouveau Code de procédure pénale énonce que « lors de<br />

la première comparution, l’Officier du Ministère Public vérifie l’identité<br />

du prévenu et lui fait connaître expressément chacun des faits dont il est<br />

saisi ainsi que la qualification juridique de ces faits. Mention de ces faits<br />

et de leur qualification juridique est portée au procès-verbal ». La même<br />

disposition offre à la personne poursuivie la possibilité de se faire assister<br />

du conseil de son choix, et oblige l’officier du Ministère Public à<br />

l’informer de ce droit.<br />

La personne poursuivie doit :<br />

1.3.1. Etre informée…<br />

- des motifs de l’accusation : les faits matériels qui lui sont<br />

reprochés.<br />

- de la nature de l’accusation : la qualification juridique des faits<br />

qui lui sont reprochés et les sanctions auxquelles l’exposent ces<br />

faits.<br />

Les motifs et la nature de l’accusation doivent fournir à la personne<br />

poursuivie les informations lui permettant de préparer sa défense en<br />

pleine connaissance de cause. Ce droit à l’information englobe également<br />

le droit à ce que les préventions à charge soient correctement libellées<br />

dans l’acte d’accusation, le droit d’avoir accès aux conclusions du<br />

Ministère Public et des parties civiles ainsi qu’à toutes les pièces du<br />

dossier.<br />

En ce qui concerne le contentieux du génocide, le droit à l’information est<br />

particulièrement développé à propos de la procédure d’aveu et de<br />

plaidoyer de culpabilité. Toute personne poursuivie a le droit d’être<br />

informée de son droit et de son intérêt à recourir à la procédure d’aveu.<br />

Cette obligation d’informer le prévenu incombait déjà au Ministère<br />

Public sous l’empire des lois de 1996 et de 2001 qui régissaient le<br />

contentieux du génocide. On a ainsi vu la juridiction de jugement<br />

sanctionner le non-respect de cette exigence.<br />

La loi organique du 19 juin 2004 fait peser l’obligation d’informer sur un<br />

plus grand nombre d’acteurs que celles qui l’ont précédée: « le siège de la<br />

33


Le principe du droit à un procès équitable<br />

juridiction, l’Officier de police judiciaire ou l’Officier du Ministère<br />

Public chargé de l’instruction sont tenus d’informer le prévenu de son<br />

droit et de son intérêt à recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses » 48 .<br />

1.3.2. Dans un court délai…<br />

La notion de court délai ne peut se mesurer en nombre d’heures, de jours,<br />

de semaines ou de mois prédéterminés. Il s’agit surtout de tenir compte<br />

de l’acte de procédure à partir duquel il devient indispensable que la<br />

personne accusée soit informée.<br />

De manière générale, l’information est censée être donnée<br />

concomitamment à l’arrestation du suspect, ou immédiatement après :<br />

celui qui procède à l’arrestation est censé savoir pourquoi il y procède, et<br />

celui qui la subit est en droit de savoir pourquoi.<br />

L’article 64 du Code de procédure pénale impose à l’Officier du<br />

Ministère Public de signifier à la personne poursuivie les motifs et la<br />

nature des faits dont il est saisi au moment de sa première comparution.<br />

1.3.3. Dans une langue qu’il comprend<br />

Le droit pour le prévenu de se voir signifier les motifs et la nature de<br />

l’accusation dans une langue qu’il comprend inclut la nécessité de<br />

recourir à un interprète lorsque le prévenu ne comprend pas la langue<br />

utilisée : la personne accusée doit pouvoir comprendre l’accusation<br />

formulée à son encontre.<br />

Ne satisfait donc pas à l’exigence d’informer le prévenu le fait de lui<br />

fournir cette information dans une langue qu’il ne comprend pas. Cette<br />

exigence doit être respectée autant au cours de l’instruction que lors des<br />

audiences de jugement.<br />

1.4. Le droit à la comparution personnelle du prévenu<br />

La présence du prévenu aux audiences est considérée comme la<br />

circonstance garantissant le respect optimal de ses droits. Ce droit est<br />

48 Art. 58 al. 2, loi organique n° 16/2004 du 19/6/2004, op. cit.<br />

34


Le principe du droit à un procès équitable<br />

consacré dans plusieurs instruments internationaux et notamment à<br />

l’article 14, al. 3, paragraphe d) du Pacte international relatif aux droits<br />

civils et politiques qui dispose que toute personne accusée d’une<br />

infraction pénale a droit « …à être présente au procès … ».<br />

Les dispositions de l'article 2 de la loi n° 12/1984 du 12 mai 1984 49<br />

relative au mandat de représentation ou d'assistance judiciaire prévoient<br />

que « le prévenu comparaît en personne…toutefois dans les poursuites<br />

relatives à des infractions à l'égard desquelles la peine d'emprisonnement<br />

prévue par la loi n'est pas supérieure à deux ans, le prévenu peut<br />

comparaître par un avocat porteur d'une procuration spéciale ou par<br />

fondé de pouvoir spécial agréé par le tribunal ». L’article 139 du<br />

nouveau Code de procédure pénale énonce « en matière de crime et délit,<br />

le prévenu comparaît en personne… » 50 .<br />

Tel que libellée, la comparution personnelle apparaît avant tout comme<br />

un devoir. La comparution constitue cependant également un droit dont le<br />

prévenu ne peut être privé. C’est ainsi qu’un jugement par défaut ne peut<br />

être prononcé qu’à l’égard d’une personne qui avait, au préalable, été<br />

régulièrement citée 51 , et que l’impossibilité dans laquelle elle s’est<br />

trouvée de comparaître lui ouvre l’accès à une voie de recours spécifique,<br />

l’opposition, qui doit lui permettre de comparaître en personne.<br />

Si l’accusé est détenu, il appartient aux juges, garants de l’équité du<br />

procès, de vérifier si sa non-comparution éventuelle procède de sa<br />

volonté, ou si c’est l’administration pénitentiaire qui n’a pas pris les<br />

dispositions requises pour assurer sa présence.<br />

Dans le cadre du contentieux du génocide, il est arrivé que le Ministère<br />

Public requière que le prévenu quitte la salle d’audience, "afin de faciliter<br />

la manifestation de la vérité" ou de "faciliter la libre expression des<br />

témoins ou co-prévenus". Ce fut le cas dans l’affaire<br />

KANYABUGANDE François et Consorts, devant la Chambre spécialisée<br />

du Tribunal de Première Instance de Byumba. Le Ministère Public avait,<br />

avec insistance, réclamé que certains prévenus quittent la salle, afin de<br />

permettre à ceux de leurs co-prévenus en aveux de présenter leur<br />

49<br />

Loi n° 12/84 du 12 mai 1984 relative au mandat de représentation ou d’assistance<br />

judiciaire.<br />

50 er<br />

Art. 139 al. 1 , loi n° 13/2004 du 17/05/2004 portant Code de procédure pénale, op.cit.<br />

51<br />

Article 155 du Code de procédure pénale.<br />

35


Le principe du droit à un procès équitable<br />

déposition « librement ». La Chambre Spécialisée a finalement donné<br />

raison à la défense qui, à juste titre, avait fait valoir que le prévenu ne<br />

peut être privé du droit de prendre part à sa propre cause 52 .<br />

La nouvelle loi n° 15/2004 du 12/6/2004 53 pourrait, à cet égard, poser un<br />

problème d’interprétation. L’article 68 dispose que « les témoins sont<br />

entendus séparément, en présence, ou s’il échet, en l’absence des parties,<br />

si elles comparaissent ». Il convient cependant de préciser que cette<br />

disposition est rangée dans le titre II relatif à la preuve en matière civile,<br />

et le Titre III relatif à la preuve en matière pénale ne contient pas de<br />

disposition similaire. L’application de cette disposition en matière pénale,<br />

sur pied de l’article 120 de la loi 54 ne pourrait se faire sans heurter de<br />

front le droit du prévenu à comparaître en personne.<br />

Enfin, ce droit de comparution personnelle ne se réduit pas seulement à la<br />

faculté d’être présent physiquement. Il faut que l’accusé puisse<br />

effectivement participer aux débats, qu’il puisse se défendre.<br />

1.5. Le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix<br />

En ce qui concerne le droit d’être assisté par un défenseur de son choix, il<br />

y a lieu de distinguer l’affirmation du principe de la pratique telle qu’elle<br />

apparaît à l’examen de la jurisprudence accessible à ce jour dans le cadre<br />

du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité.<br />

1.5.1. Une large consécration textuelle du droit d’être assisté<br />

L’article 14 alinéa 3 –d) du Pacte international relatif aux droits civils et<br />

politiques réunit le droit à la comparution personnelle et le droit d’être<br />

assisté d’un défenseur de son choix. La Charte africaine des droits de<br />

l’Homme et des peuples dispose, quant à elle, en son article 7 alinéa 1 –c)<br />

que la personne accusée a le droit à la défense y compris celui de se faire<br />

assister gratuitement.<br />

52<br />

RP 003/I/C. SP/96/BY, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire KANYABUGANDE<br />

François et Consorts, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome<br />

III, décision n° 2, lire surtout le 9 ème feuillet, Pp. 67-68.<br />

53<br />

Loi n° 15/2004 du 12/06/2004 portant modes et administration de la preuve, J.O. n°<br />

spécial du 19 juillet 2004.<br />

54<br />

Qui prévoit que les règles énoncées en matière civile peuvent en principe s’appliquer en<br />

matière pénale.<br />

36


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Au Rwanda, le droit de se défendre a valeur constitutionnelle. En effet, la<br />

Constitution du 04 juin 2003 formule le droit de la défense en des termes<br />

très larges et très fermes : « Etre informé de la nature et des motifs de<br />

l’accusation, le droit de la défense sont les droits absolus à tous les états<br />

et degrés de la procédure devant toutes les instances administratives et<br />

judiciaires et devant toutes les autres instances de prise de décision » 55 .<br />

Plusieurs textes confirment et précisent ce droit de la défense : il en va<br />

ainsi, notamment, de l’article 144 du Code portant organisation,<br />

fonctionnement et compétence judiciaires, qui énonce « Les droits de la<br />

défense et le droit à la défense, à tous les stades de la procédure sont<br />

reconnus aux personnes justiciables de juridictions militaires ».<br />

En vertu de la Constitution, aucune instance de prise de décision, fût-elle<br />

judiciaire ou administrative, ne devrait pouvoir statuer au Rwanda sans<br />

avoir donné l’opportunité de se défendre aux personnes concernées par la<br />

décision. Cette formulation généreuse ne manquera pas de susciter la<br />

polémique notamment devant les juridictions Gacaca, à propos desquelles<br />

l’idée que les droits de la défense n’auraient pas lieu d’être est<br />

régulièrement affirmée 56 .<br />

La défense doit pouvoir s’exercer à tous les stades du procès, depuis<br />

l’information de la police judiciaire jusqu’à la décision définitive, « à<br />

tous les états et degrés de la procédure ».<br />

La Constitution ne mentionne pas de manière expresse le droit d’être<br />

assisté d’un défenseur de son choix ; ce droit va cependant sans dire<br />

puisque d’autres textes, et notamment, la loi du 19 mars 1997 portant<br />

création du Barreau 57 , consacrent ce droit. De surcroît, rappelons que<br />

l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples,<br />

ratifiée par le Rwanda, consacre ce droit de manière explicite.<br />

55 Voir article 18 al. 3, Constitution du 04 juin 2003, op cit. L’article 14 al. 3 de<br />

l’ancienne Constitution du 10 juin 1991 se contentait de disposer simplement que « la<br />

défense est un droit absolu à tous les états et degrés de la procédure ».<br />

56 Il faut du reste noter qu’aucun texte n’a formellement exclu le droit à la défense devant<br />

les juridictions Gacaca, ce qui aurait été contraire à la Constitution.<br />

57 Voir article 6, 50 et 96 de la loi n° 3/97 du 19 mars 1997, portant création du Barreau<br />

au Rwanda, J.O. n° 8 du 15/04/1997.<br />

37


Le principe du droit à un procès équitable<br />

De même, plusieurs textes reconnaissent le droit du justiciable indigent<br />

de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite : ainsi, la nouvelle loi<br />

portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême<br />

prévoit la possibilité de bénéficier d’une telle assistance en matière<br />

pénale 58 , comme en matière civile.<br />

1.5.2. Une réalité plus contrastée du droit d’être assisté<br />

En dépit des dispositions légales évoquées, la mise en pratique du droit de<br />

se défendre et plus précisément celui d’être assisté d’un défenseur de son<br />

choix, gratuitement au besoin, n’a pas toujours été chose aisée dans le<br />

cadre du contentieux du génocide.<br />

La première loi organique de 1996 régissant le contentieux du génocide<br />

au Rwanda autorisait expressément l’Etat à se dérober à son devoir de<br />

pourvoir à l’assistance judiciaire. En effet l’article 36 de cette loi, bien<br />

que reconnaissant le droit de chaque personne accusée à être assistée d’un<br />

défenseur de son choix, excluait le fait que cette assistance puisse se faire<br />

aux frais de l’Etat 59 .<br />

Le caractère particulièrement volumineux du contentieux du génocide au<br />

Rwanda combiné à l’état encore modeste de l’organisation des structures<br />

de la défense, et au manque de moyens du gouvernement ont, de fait,<br />

exclu des accusés et des victimes du bénéfice de l’assistance judiciaire 60 .<br />

Au début des procès, certains sièges des anciennes chambres spécialisées<br />

s’étaient montrés réticents à accorder des remises aux justiciables qui, à<br />

la première audience, comparaissaient seuls et exprimaient le souhait<br />

d’être assistés d’un avocat : les juges qualifiaient fréquemment une telle<br />

58 Article 68, combiné aux articles 48 et 49 de la loi organique n° 01/2004 du 29 janvier<br />

2004 portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême.<br />

59 L’article 36 de la loi organique du 30/08/1996, op cit, est ainsi libellée : « les personnes<br />

poursuivies en application de la présente loi organique jouissent du droit de la défense<br />

reconnu à toute personne poursuivie en matière criminelle, et notamment le droit d’être<br />

défendues par le défenseur de leur choix, mais non aux frais de l’Etat ».<br />

60 Même si l’action d’<strong>ASF</strong> puis celle du Barreau de Kigali et celle du Corps des<br />

Défenseurs Judiciaires ont permis de répondre à une partie non négligeable des besoins en<br />

matière d’assistance judiciaire, en faveur des accusés et en faveur des victimes.<br />

38


Le principe du droit à un procès équitable<br />

demande de « manœuvres dilatoires » 61 . Cette qualification de manœuvre<br />

dilatoire révélait souvent, de la part du juge, une confusion entre le<br />

respect du délai d’assignation qui est de huit jours avant l’audience et le<br />

temps nécessaire pour se trouver un avocat 62 .<br />

Il faut cependant souligner que les Cours d’Appel n’ont pas hésité à<br />

infirmer les jugements rendus en violation du droit d’être assisté par un<br />

avocat. Ainsi, dans l’affaire NDIKUMWAMI Léonidas 63 , la Cour<br />

d’Appel de Kigali constate que « la décision condamnant le prévenu à la<br />

peine capitale qui a été rendue sans permettre au prévenu d’être assisté<br />

de son avocat viole la Constitution du 10 juin 1991 et l’article 36 de la<br />

Loi Organique du 30 août 1996 » 64 .<br />

De même, la Cour d'Appel de Cyangugu, dans l’affaire MUNYAGABE<br />

Théodore « constate que MUNYAGABE Théodore a été privé du droit à<br />

la défense par un avocat de son choix comme cela est prévu à l'article 36<br />

de la Loi organique du 30/08/1996, parce qu'il a demandé au tribunal de<br />

remettre l'affaire pour avoir un avocat qui l'assiste mais que cela lui a été<br />

refusé par le tribunal comme cela apparaît dans les procès-verbaux de<br />

l'audience du 14/02/1997 » 65 .<br />

La tendance à mieux faire respecter le droit du prévenu, ainsi que celui<br />

des parties civiles, de se faire assister d’un avocat s’est ensuite accentuée<br />

de manière très nette, devant l’ensemble des juridictions qui avaient à<br />

connaître du contentieux du génocide et des autres crimes contre<br />

l’humanité : de nombreuses remises d’audience ont été accordées pour<br />

61 RPA 003/R1/97, Cour d’Appel de Cyangugu, 06/07/1999, affaire MUNYANGABE<br />

Théodore, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, décision<br />

n° 13, 5 ème feuillet, dernier paragraphe, 1 er "Constate", P. 263.<br />

62 RPA 006/97, Cour d’Appel de Cyangugu, 30/06/1999, affaire NTAGOZERA<br />

Emmanuel et consorts, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome<br />

II, Décision n° 14, 6 ème feuillet, 1 er « attendu ». Dans cette affaire, aux appelants qui se<br />

plaignent de n’avoir pas été assistés en première instance, le Ministère public réplique que<br />

les intéressés ayant été informés de la date d’audience, il leur incombait de chercher des<br />

avocats en vue d’assurer leur défense.<br />

63 RPA n° 04/97/R1/KIGALI, Cour d’Appel de Kigali, 30/05/1997, affaire<br />

NDIKUMWAMI Léonidas, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome II, décision n° 15, 7 ème feuillet in fine, P. 248.<br />

64 Ce prévenu fut acquitté à la suite d’un nouveau jugement par cette même Cour.<br />

65 RPA 003/R1/97, Cour d’Appel de Cyangugu, 06/07/1999, affaire MUNYANGABE<br />

Théodore, déjà citée.<br />

39


Le principe du droit à un procès équitable<br />

que les parties soient mises en mesure de l’exercer concrètement, en “se<br />

cherchant un avocat” 66 .<br />

Plus récemment, l’on constate que là où la demande de remise est<br />

formulée par le prévenu, elle bénéficie souvent de la compréhension des<br />

représentants du Ministère Public et des parties civiles, qui semblent<br />

avoir pris la mesure de ce droit d’être assisté.<br />

1.6. Le droit à l’égalité des armes et au principe du contradictoire<br />

L’égalité des armes et le principe des débats contradictoires sont<br />

consacrés par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et<br />

politiques 67 . Les deux règles, égalité des armes et principe du<br />

contradictoire sont étroitement liées, et s'imbriquent, mais ne se<br />

confondent pas.<br />

1.6.1. L’égalité des armes<br />

L'égalité des armes est le droit pour chaque partie d'avoir la possibilité<br />

raisonnable d'exposer sa cause dans des conditions qui ne la<br />

désavantagent pas par rapport à la partie adverse.<br />

Il importe donc de veiller à ce que le prévenu et le Ministère public soient<br />

traités de manière égale par la juridiction de jugement : « Le droit à un<br />

traitement égal par une juridiction, particulièrement en matière<br />

criminelle, signifie en premier lieu, l’accès de la défense et du Ministère<br />

Public aux mêmes chances de préparation et de présentation de leurs<br />

plaidoiries et réquisitoires au cours du procès. Autrement dit, ils doivent<br />

défendre leur cas devant la juridiction sur un même pied d’égalité » 68 .<br />

Cette égalité de traitement suppose donc que les moyens dont disposent<br />

défense et accusation ne soient pas disproportionnés.<br />

66 RMP 43715/S7/KC, Ch. Sp. TPI Butare, 19/09/1997, affaire SIBOMANA Marc,<br />

Recueil de jurisprudence contentieux du génocide, <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome I, janvier 2002, décision n° 1, P. 13.<br />

Voir aussi, RP 0010/C.G - C.S/ 98, Ch. Sp. du Conseil de guerre, 22/12/1998, affaire<br />

Sous-Lieutenant DUSABEYESU Eustache, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour<br />

Suprême du Rwanda, Tome I, Décision n° 15, P. 196.<br />

67 Notamment en son article 14, 3 e .<br />

68 Commission Africaine de Droits de l’Homme et des Peuples, Avocats Sans Frontières<br />

(pour le compte de Gaëtan BWAMPAMYE) C/Burundi, Communication n° 231/99, 28 ème<br />

session ordinaire, 23 octobre- 6 novembre 2000.<br />

40


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Le droit à l’égalité des armes implique aussi l’obligation, pour les<br />

juridictions de traiter de manière égale les différents accusés qu’elles ont<br />

en charge de juger.<br />

Pour être mis en position d’ « égalité » par rapport au Ministère public, le<br />

prévenu doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la<br />

préparation de sa défense. Il doit donc avoir accès au dossier répressif et<br />

doit pouvoir communiquer librement avec son avocat. Le prévenu a<br />

également le droit de faire citer des témoins, au même titre que le<br />

Ministère Public. Certaines décisions du contentieux du génocide ne<br />

manquent pas de lui reconnaître cette faculté 69 .<br />

L’égalité ne doit cependant pas s’apprécier en termes mathématiques, la<br />

juridiction restant souveraine en matière d’admissibilité des moyens de<br />

preuve. A titre d’illustration, il ne sera pas forcément question pour une<br />

partie de faire entendre le même nombre de témoins que la partie adverse<br />

ou de disposer exactement du même temps de plaidoirie que l’adversaire.<br />

Mais il convient d’éviter une disproportion telle qu’elle rompt le principe<br />

d’égalité.<br />

1.6.2. Le principe du contradictoire ou le droit aux débats<br />

contradictoires<br />

Tous les éléments qui sont susceptibles d'influencer la décision du juge<br />

doivent être soumis à la contradiction. Le droit aux débats contradictoires<br />

implique la possibilité de se défendre, de répliquer aux arguments de la<br />

partie adverse, d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à<br />

décharge…<br />

Dans la législation rwandaise, le principe du contradictoire est affirmé à<br />

l’article 119 de la loi du 12/06/2004 portant modes et administration de la<br />

preuve. Ce texte, dans la lignée de l'article 17 de l’ancien Code de<br />

procédure pénale du 23 février 1963 dispose : «en matière pénale, la<br />

69 Voir RMP 4974/S12/UJ, Ch. Sp. TPI Kigali, 22/02/1999, affaire RUTAYISIRE<br />

Théogène, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision<br />

n° 10, 2 ème feuillet, 6 ème « Attendu », P. 166.<br />

Voir aussi RMP 78 868/S2/KRL, Ch. Sp. TPI Cyangugu, 06/08/1998, affaire<br />

RWAMULINDA Antoine et Consorts, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome III, décision n° 3, 10 ème feuillet, 3 ème attendu, P. 104. Le Tribunal rendant<br />

jugement prononce la remise pour permettre la déposition des témoins à décharge.<br />

41


Le principe du droit à un procès équitable<br />

preuve peut être établie par tous moyens de fait ou de droit pourvu qu'ils<br />

soient soumis aux débats contradictoires ».<br />

Dans le contentieux du génocide, les juges ont parfois fondé leur décision<br />

de soumettre le témoin au débat contradictoire sur l’article 14 alinéa 3-e)<br />

du Pacte international sur les droits civils et politiques.<br />

Tel a été le cas dans une décision en date du 27/07/1998 de la Chambre<br />

spécialisée du Conseil de guerre, en cause BIZIMANA et consorts 70 . De<br />

même, les juges ont été amenés à affirmer que le principe du<br />

contradictoire doit s’étendre à tous les actes susceptibles de fonder la<br />

décision du juge, y compris notamment les descentes effectuées par la<br />

juridiction sur les lieux des faits. Dans l’affaire TWAHIRWA François,<br />

la Chambre spécialisée du Tribunal de Première Instance de Kibungo a<br />

notamment indiqué que la descente sur les lieux des faits devait se faire<br />

en présence des juges et des parties 71 .<br />

1.7. Le droit au silence : le droit de ne pas être forcé de témoigner<br />

contre soi-même ou de s’avouer coupable<br />

Aux termes de l’article 14 alinéa 3-g) du Pacte international sur les droits<br />

civils et politiques, la personne accusée d’une infraction pénale a le droit<br />

de ne pas être forcée de témoigner contre elle-même et de ne pas être<br />

contrainte à s’avouer coupable. Cette disposition implique la possibilité<br />

pour l’accusé de garder le silence s’il le souhaite.<br />

Le droit au silence implique qu’aucune conséquence relative à la<br />

culpabilité du prévenu ne doit être tirée de son silence. Viole le droit au<br />

silence du prévenu, toute décision de culpabilité qui serait motivée par le<br />

refus de s’exprimer du prévenu. L’adage populaire selon lequel « qui ne<br />

dit mot consent » n’a ici aucune valeur. La règle serait plutôt, en la<br />

matière: QUI NE DIT MOT NE CONSENT PAS.<br />

Un autre corollaire important du droit au silence est que jamais le<br />

prévenu ne peut être contraint à avouer. Tous les aveux obtenus<br />

70 RMP 1879/AM/KGL/IKT/97, Conseil de Guerre Butare, 27/07/1998, affaire<br />

BIZIMANA Pierre alias RWATSI et Consorts (décision non encore éditée).<br />

71 RMP 8842/ND/S3/Kgo/SJ, Ch. Sp. TPI Kibungo, 16 juin 1999, affaire TWAHIRWA<br />

François, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, à partir du<br />

12 ème « Attendu » de la décision, P. 44.<br />

42


Le principe du droit à un procès équitable<br />

irrégulièrement doivent être écartés. L’irrégularité de l’aveu peut être liée<br />

à la contrainte exercée pour l’obtenir ou même à la ruse ou à la fraude<br />

utilisées. En droit interne, la nouvelle loi sur les modes et administration<br />

de la preuve n’aborde l’aveu que dans le titre réservé à la preuve en<br />

matière civile. L’article 110 alinéa 4 reconnaît la possibilité de révoquer<br />

l’aveu lorsqu’il est fait à la suite « d’une contrainte physique ou d’une<br />

erreur de fait » 72 . En application de l’article 120 de la même loi, cette<br />

disposition prévue en matière civile peut s’appliquer également en<br />

matière pénale 73 .<br />

1.8. Le droit à un procès public<br />

Le droit à un procès public comporte deux aspects : la publicité des<br />

débats et la publicité du prononcé de la décision. La publicité des débats<br />

et celle du prononcé peuvent être considérées comme une garantie<br />

fondamentale de la justice et de son caractère non-arbitraire.<br />

L’article 141 de la Constitution garantit le droit à un procès public. Ce<br />

texte organise différemment la publicité des audiences et la publicité du<br />

prononcé de la décision.<br />

En ce qui concerne la publicité des audiences, l’article 141 alinéa 1 er<br />

dispose : « les audiences des juridictions sont publiques sauf huis clos<br />

prononcé par une juridiction lorsque cette publicité est dangereuse pour<br />

l’ordre public ou les bonnes mœurs » 74 . En droit rwandais – comme<br />

ailleurs - la règle de la publicité des audiences n’a donc pas un caractère<br />

absolu. Elle peut être limitée par le huis clos. Les causes qui peuvent<br />

entraîner le prononcé du huis clos sont limitées: seules peuvent le justifier<br />

les exigences de la protection de l’ordre public et des bonnes mœurs.<br />

Dans le contentieux du génocide, les cas de huis clos n’ont pas été<br />

nombreux à ce jour. L’on peut cependant signaler le huis clos prononcé<br />

par le Conseil de Guerre dans l’affaire RWAHAMA Anaclet, huis clos<br />

devant permettre à deux jeunes filles qui accusaient le prévenu de viol de<br />

72<br />

Article 100 al. 4, loi n° 15/2004 du 12/06/2004 portant modes et administration de la<br />

preuve, op.cit.<br />

73<br />

Article 120, ibid : « Sans préjudice de l’article 119 de la présente loi, les dispositions<br />

relatives à la preuve en matière civile, peuvent s’appliquer en matière pénale ».<br />

74 er<br />

Article 141 al. 1 , Constitution du 04 juin 2004, op. cit.<br />

43


Le principe du droit à un procès équitable<br />

témoigner plus sereinement et plus discrètement 75 . Le fait pour la<br />

juridiction de publier ensuite le nom des jeunes filles en question paraît<br />

peu cohérent par rapport à cette première approche plus respectueuse. Le<br />

maintien de l’anonymat des victimes eût été plus adéquat.<br />

En ce qui concerne la publicité du prononcé, l’article 141 alinéa 2 de la<br />

Constitution prévoit que tout jugement « (…) doit être prononcé avec ses<br />

motifs et ses dispositifs en audience publique » 76 . Cette disposition<br />

suggère que, contrairement à la règle de la publicité des débats, le<br />

principe de la publicité du prononcé de la décision ne souffre pas<br />

d’exceptions.<br />

1.9. Le droit à une décision judiciaire motivée<br />

L’obligation qu’a le juge de motiver la décision qu’il rend a valeur<br />

constitutionnelle. En effet, l’article 141 alinéa 2 in limine, indique que<br />

«tout jugement ou arrêt doit être motivé et entièrement rédigé » 77 .<br />

Ce texte fait non seulement obligation au juge de rédiger entièrement sa<br />

décision avant de la prononcer, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici 78 , mais il<br />

fait surtout obligation au juge de motiver sa décision. L’obligation de<br />

motivation est une garantie fondamentale contre l’arbitraire : le juge est<br />

ainsi tenu de révéler les éléments à partir desquels il a pu forger sa<br />

conviction, et expliciter le raisonnement qui a été le sien. La décision doit<br />

être motivée en fait et en droit. Les motifs en question doivent être<br />

affirmatifs.<br />

Ne satisfont pas à l’obligation de motiver, les décisions dans lesquelles il<br />

y a :<br />

- une absence ou une insuffisance des motifs, en ce que les motifs<br />

ne permettent pas de savoir ce qui a déterminé le juge ;<br />

- une contrariété entre motifs ou entre motifs et dispositif. La<br />

contrariété entre motifs qui s’annulent ne permet pas de dire<br />

75 RMP 1555/AM/KGL/NZF/97, Ch. Sp. du Conseil de guerre, 24/11/1998, affaire<br />

RWAHAMA Anaclet, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour suprême du Rwanda, Tome<br />

II, décision n° 18, 12 ème feuillet, à partir du 8 ème « Attendu », P. 297 et Ss.<br />

76 Article 141 al. 2 in fine, Constitution du 04 juin 2004, op. cit.<br />

77 Article 141 al. 2 in limine, Constitution du 04 juin 2004, op cit.<br />

78 L’on sait que, dans la pratique, le texte du jugement ou de l’arrêt n’était, dans la plupart<br />

des cas, disponible que plusieurs mois après le prononcé du seul dispositif en audience<br />

publique.<br />

44


Le principe du droit à un procès équitable<br />

finalement pour quelle solution le juge a opté, alors que la<br />

contrariété entre motifs et dispositif illustre une incohérence,<br />

voire un manque de logique dans le raisonnement du juge.<br />

- des motifs hypothétiques ou dubitatifs, notamment lorsque le<br />

juge au lieu d’être affirmatif émet des suppositions, recourant par<br />

exemple au mode conditionnel ;<br />

- des motifs ne répondant pas aux arguments des parties.<br />

- des motifs erronés ou dépourvus de base légale. Il s’agit de<br />

motifs contenant soit une erreur de fait soit une erreur de droit.<br />

Dans le cadre du contentieux du génocide et des crimes contre<br />

l’humanité, il est arrivé que les juges d’appel déclarent le recours<br />

recevable 79 et infirment la décision des premiers juges en raison du<br />

caractère inadéquat de la motivation. Dans l’arrêt rendu par la Cour<br />

d’Appel de Cyangugu en date du 06/07/1999, en cause MUNYANGABE<br />

Théodore, la Cour constate que le tribunal ne montre pas de preuves sur<br />

lesquelles il s’est fondé pour affirmer que « le conseil de sécurité a<br />

envoyé le prévenu exterminer ceux qui ont demandé secours » 80 . Le<br />

défaut de motivation est l’une des raisons qui amèneront la Cour à<br />

déclarer l’appel recevable et à réformer le jugement prononcé en<br />

première instance.<br />

1.10. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable<br />

Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable est une garantie<br />

fondamentale lors du procès pénal. Il est d’autant plus impérieux que le<br />

prévenu est en détention préventive. L’article 14 alinéa 3-c) du Pacte<br />

international sur les droits civils et politiques exige que la personne<br />

accusée soit jugée « sans retard excessif ». La Charte africaine des droits<br />

de l’Homme et des peuples, en son article 7 alinéa 1-d), énonce<br />

clairement le droit de la personne accusée d’être jugée dans un délai<br />

raisonnable.<br />

79 Rappelons que, sous l’empire de la loi organique de 1996, seuls les appels fondés sur<br />

une question de droit ou sur une erreur de fait manifeste étaient recevables (article 24).<br />

Le défaut de motivation a pu être retenu au titre de “violation de la loi” et valoir au<br />

recours d’être déclaré recevable.<br />

80 RPA 003/R1/97 , Cour d’appel de Cyangugu, 06/07/1999, affaire MUNYANGABE<br />

Théodore, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome III, 6 ème<br />

feuillet, 4 ème « Constate » in fine, P. 264.<br />

45


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Pour la computation de la durée d’un procès, on tient compte du moment<br />

où la personne a été inculpée ou même du moment de la détention comme<br />

dies a quo (date du début) et du moment où la décision définitive sur<br />

l’accusation pénale est rendue comme dies ad quem (date de fin).<br />

La question qui se pose ici est justement celle de l’appréciation du<br />

caractère “raisonnable” du délai. A partir de quand peut-on estimer que la<br />

durée du procès est excessive ou déraisonnable et que, partant, le procès<br />

n’est plus équitable ?<br />

Il est important de souligner qu’il n’existe pas un nombre prédéterminé<br />

de jours, de semaines, de mois ou d’années à partir desquels l’on peut<br />

conclure à un retard excessif de la procédure. Le caractère raisonnable de<br />

la durée du procès s’apprécie in concreto, au cas par cas, au regard de<br />

trois éléments pertinents :<br />

La nature et la complexité de l’affaire : il s’agit de tenir<br />

compte du type d’affaire en cause. L’on exigera qu’une affaire de<br />

vol simple soit jugée dans un délai moins long qu’une affaire de<br />

criminalité transfrontalière, pour laquelle une série de procédures<br />

complexes sont requises. Dans le contentieux du génocide, le<br />

jugement d’un seul prévenu qui a recouru à la procédure d’aveu<br />

devrait nécessiter moins de temps qu’un procès groupé de 80<br />

prévenus dont la majorité plaide non coupable.<br />

Le comportement de l’accusé : il s’agit de vérifier si l’accusé<br />

n’est pas lui-même à l’origine, en partie au moins, du retard<br />

accusé dans le traitement de la cause. L’accusé dont l’attitude est<br />

à l’origine de ce retard ne pourra valablement s’en prévaloir. Les<br />

demandes répétées et intempestives de renvoi, les manœuvres<br />

manifestement dilatoires, les obstructions diverses à l’avancée du<br />

procès sont autant d’attitudes qui pourront amener à écarter<br />

l’invocation, par celui qui en est l’auteur, de la violation de son<br />

droit à être jugé dans un délai raisonnable.<br />

Le comportement des autorités : lorsque le retard accusé par le<br />

procès est dû aux dysfonctionnements de l’administration de la<br />

justice, le caractère déraisonnable de la durée du procès devra<br />

être supporté par l’Etat. Les services judiciaires de l’Etat,<br />

notamment les juges et le Ministère Public ainsi que<br />

46


Le principe du droit à un procès équitable<br />

l’administration pénitentiaire et les greffes se doivent donc<br />

d’éviter d’être à l’origine du retard.<br />

Dans les procès du génocide, il y a certes eu des cas où le procès a pu se<br />

tenir relativement rapidement par rapport au moment où l’enquête avait<br />

été enclenchée et où l’inculpé avait été placé en détention préventive.<br />

Mais c’est loin d’être la règle. La détention préventive s’est rapidement<br />

généralisée en cette matière, et les cas de détention prolongée sans<br />

jugement sont encore trop nombreux.<br />

Certes, la complexité de l’affaire est souvent avérée 81 . Il n’en reste pas<br />

moins que le dépassement manifeste du délai raisonnable pourrait, dans<br />

certains cas, amener le juge à déclarer les poursuites irrecevables. La<br />

violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable pourrait également<br />

exposer l’Etat rwandais à des condamnations 82 au plan international.<br />

Notons à ce sujet que l’argument du manque de moyens n’est pas<br />

recevable devant les instances internationales de recours évoquées plus<br />

loin.<br />

Par la mise en place des juridictions Gacaca, l’Etat rwandais tente<br />

notamment de répondre à l’exigence du délai raisonnable. Notons<br />

également que la longueur des détentions préventives déjà subies est<br />

l’une des raisons qui ont été invoquées pour motiver les nombreuses<br />

mesures de libérations provisoires intervenues depuis 2003 83 .<br />

1.11. Le droit au principe de la légalité des délits et des peines<br />

Le principe de la légalité des délits et des peines, dans son acception<br />

originelle latine «nullum crimen, nulla poena sine lege», est une garantie<br />

fondamentale contre l’arbitraire du législateur et du juge: pas d’infraction<br />

sans texte et pas de peine sans texte. Une condamnation ne peut se fonder<br />

sur une incrimination et une peine de circonstance, définies a posteriori.<br />

81<br />

On peut aussi tenir compte ici de l’ampleur exceptionnelle du contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité.<br />

82<br />

Pour les recours possibles contre l’Etat rwandais, voir troisième partie de ce chapitre.<br />

83 er<br />

Par instruction du Président de la République en date du 1 janvier 2003, l’Etat<br />

rwandais a décidé de procéder à la libération provisoire des détenus mineurs, et des<br />

prévenus majeurs en aveux et classés dans les catégories autres que la première.<br />

47


Le principe du droit à un procès équitable<br />

L’article 15 alinéa 1 er du Pacte international sur les droits civils et<br />

politiques dispose : « nul ne sera condamné pour des actions ou<br />

omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit<br />

national ou international au moment où elles ont été commises ».<br />

L’article 7 alinéa 2 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des<br />

peuples abonde dans le même sens : « Nul ne peut être condamné pour<br />

des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux<br />

d’après le droit national ou international au moment où elles ont été<br />

commises ».<br />

Ces principes du droit international sont également consacrés en droit<br />

interne rwandais, notamment par la Constitution du 04 juin 2003 dont<br />

l’article 18 alinéa 2 énonce que « nul ne peut être poursuivi, arrêté,<br />

détenu ou condamné que dans les cas prévus par la loi en vigueur au<br />

moment de la commission de l’acte ».<br />

Au lendemain du génocide et des crimes contre l’humanité de 1994, s’est<br />

posée la question du fondement juridique sur lequel pourraient s’appuyer<br />

les poursuites et les condamnations de ces actes. D’une part, l’Etat<br />

rwandais avait ratifié la Convention du 9 décembre 1948 84 sur la<br />

prévention et la répression du crime de génocide, mais d’autre part il<br />

n’avait pas pris de dispositions internes sanctionnant spécifiquement ce<br />

crime. La convention prévoyait des incriminations, mais aucun texte<br />

interne ne les rendait opérantes.<br />

Le législateur a alors recouru à la notion de « double incrimination ». La<br />

loi du 30/08/1996 ainsi que celles qui lui ont succédé ont opéré une sorte<br />

de fusion entre le droit international et le droit positif interne. Le droit<br />

international incriminait le crime de génocide, les crimes contre<br />

l’Humanité et les crimes de guerre, tandis que le Code pénal rwandais<br />

prévoyait et sanctionnait des actes pouvant être constitutifs de tels crimes.<br />

Le recours à l’un et à l’autre visait le respect de la légalité des infractions<br />

et de la légalité des peines.<br />

L’un des principaux corollaires du principe de la légalité est celui de la<br />

non-rétroactivité de la loi pénale. La loi pénale ne s’applique qu’aux faits<br />

commis postérieurement à son entrée en vigueur.<br />

84 Convention ratifiée par Décret-loi n° 08/75 du 12/02/1975.<br />

48


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Lors de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de<br />

l’Homme, en 1948, la question de la possibilité de réprimer de manière<br />

spécifique les crimes nazis, en dépit même du principe de nonrétroactivité<br />

de la loi pénale, fit l’objet de discussions importantes. C’est,<br />

alors, le concept de « crimes contre l’humanité » qui permit de résoudre<br />

la question. Les crimes en question révoltaient la conscience humaine<br />

dans son ensemble, et l’on a considéré que la reconnaissance universelle<br />

de leur caractère criminel était antérieure à leur commission, même si<br />

c’était de manière implicite. C’est ainsi que, traduisant ce raisonnement,<br />

le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966<br />

précise, au second alinéa de l’article 15 que « rien dans le présent article<br />

ne s'oppose au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison<br />

d'actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus<br />

pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus par<br />

l'ensemble des nations ».<br />

Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale implique également<br />

celui de la non-rétroactivité de la peine la plus sévère. L’article 15 alinéa<br />

1 er du Pacte dispose : « (…) il ne sera infligé aucune peine plus forte que<br />

celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».<br />

C’est pratiquement la même disposition qui est inscrite à l’article 20<br />

alinéa 2 de la Constitution du 04 juin 2004. Le droit à un procès équitable<br />

ne permet pas que les règles soient changées en cours de route, au<br />

détriment de l’accusé.<br />

La non-rétroactivité de la loi pénale connaît une importante exception :<br />

celle de l’application immédiate de la loi la plus douce. Lorsqu’une<br />

nouvelle loi pénale prévoit une peine nouvelle, moins sévère que celle qui<br />

était prévue au moment de la commission des faits, le prévenu non encore<br />

jugé définitivement doit en bénéficier. Cette règle est expressément<br />

consacrée par l’article 15 alinéa 1 er du Pacte : « si postérieurement à cette<br />

infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le<br />

délinquant doit en bénéficier ».<br />

Ces différents principes pourraient avoir une incidence particulière en ce<br />

qui concerne les peines prévues par la loi organique du 19 juin 2004 : il<br />

s’agira de vérifier si les peines ne sont pas plus sévères que celles qui<br />

étaient prévues par le Code pénal, qui était en vigueur à l’époque du<br />

génocide, ou que celles que prévoyaient les deux lois organiques<br />

antérieures. Le juge devra, en application du principe constitutionnel de<br />

49


Le principe du droit à un procès équitable<br />

non-rétroactivité de la loi pénale, écarter une peine plus sévère que celle<br />

qui était prévue par les lois de 1996 et de 2001. En revanche, il devra, en<br />

vertu du principe d’application immédiate de la loi la plus douce,<br />

appliquer à tous les dossiers déjà en cours les peines prévues par la loi<br />

organique du 19 juin 2004 85 qui, dorénavant, régit le contentieux du<br />

génocide.<br />

1.12. Le droit au principe du non bis in idem et le droit à bénéficier<br />

d’une indemnisation en cas d’erreur judiciaire<br />

Le Pacte international sur les droits civils et politiques prévoit<br />

distinctement le principe du non bis in idem et le droit de bénéficier d’une<br />

indemnisation en cas d’erreur judiciaire.<br />

1.12.1. Le droit à la règle du non bis in idem<br />

Aux termes de l’article 14, alinéa 7, du Pacte international sur les droits<br />

civils et politiques, « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une<br />

infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un<br />

jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de<br />

chaque pays ». Ce texte exclut clairement la possibilité d’être jugé une<br />

seconde fois pour un fait à propos duquel une décision définitive est déjà<br />

intervenue.<br />

Dans le contentieux du génocide, l’application de ce principe risque<br />

d’être mise à mal notamment devant les juridictions Gacaca.<br />

En effet, l’article 93 de la loi organique du 19 juin 2004 portant<br />

organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca<br />

dispose :<br />

« Le jugement peut être révisé lorsque :<br />

1° une personne acquittée par un jugement coulé en force de chose jugée<br />

rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction<br />

Gacaca constate sa culpabilité ;<br />

85 Le respect du principe de l’application immédiate de la loi pénale la plus douce ne<br />

devrait pas poser de problème puisque la nouvelle loi organique est, en vertu de l’article<br />

100, applicable immédiatement aux dossiers déjà en cours.<br />

50


Le principe du droit à un procès équitable<br />

2° une personne reconnue coupable par un jugement coulé en force de<br />

chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la<br />

Juridiction Gacaca constate son innocence ;<br />

3° une personne condamnée à une peine contraire à la loi selon les faits<br />

à sa charge (…) »<br />

Ce texte ouvre la possibilité d’avoir à répondre une seconde fois de faits<br />

pour lesquels l’on a été préalablement acquitté ou condamné. Le Rwanda<br />

ayant ratifié le Pacte, et ayant prévu dans sa Constitution que « les traités<br />

ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès<br />

leur publication au journal officiel, une autorité supérieure à celle des<br />

lois organiques et des lois ordinaires, sous réserve, pour chaque accord<br />

ou traité de son application par l’autre partie » 86 , l’on peut soutenir que<br />

le principe du non bis in idem contenu dans le Pacte devrait primer sur la<br />

« révision » prévue par la loi nouvelle loi organique sur les juridictions<br />

Gacaca.<br />

En outre, cette disposition de la loi organique ne manquera pas de poser<br />

des problèmes d’ordre pratique. En effet, il est prévu que « seule la<br />

Juridiction Gacaca d’appel a la compétence de réviser les jugements<br />

ainsi rendus » 87 . On peut dès lors se demander si la Juridiction Gacaca<br />

d’appel pourra réviser même les décisions judiciaires des personnes<br />

classées en première catégorie. Ceci reviendrait à reconnaître à cette<br />

juridiction la compétence pour les cas de première catégorie, en<br />

contradiction avec l’intention du législateur de n’attribuer cette<br />

compétence qu’aux seules juridictions ordinaires.<br />

De manière générale, il apparaît que la révision telle qu’organisée par la<br />

loi organique du 19 juin 2004 ici mentionnée heurte le principe du non<br />

bis in idem et s’écarte de la notion traditionnelle de révision qui est<br />

censée être faite par une juridiction supérieure et exclusivement en faveur<br />

du prévenu 88 .<br />

86 Article 190, Constitution du 04 juin 2003, op. cit.<br />

87 Article 93 alinéa 3, loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004, op. cit.<br />

88 Sur la notion même de révision et son application, voir le chapitre consacré aux « voies<br />

de recours » dans le présent ouvrage.<br />

51


Le principe du droit à un procès équitable<br />

1.12.2. Le droit à la réparation en cas d’erreur judiciaire<br />

Aux termes de l’article 14 alinéa 6 du Pacte international sur les droits<br />

civils et politiques, « lorsqu’une condamnation pénale définitive est<br />

ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait<br />

nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur<br />

judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette<br />

condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne<br />

soit prouvé que la non révélation en temps utile du fait inconnu lui est<br />

imputable en tout ou partie ». Ce texte postule le principe de<br />

l’indemnisation en cas d’erreur judiciaire et engage les Etats parties à<br />

prévoir l’indemnisation pour cause d’erreur judiciaire dans leur<br />

législation interne.<br />

Dans sa législation interne, le Rwanda a prévu également l’indemnisation<br />

en cas d’erreur judiciaire constatée suite à une procédure de révision.<br />

L’article 183 du nouveau Code de procédure pénale dispose : « le<br />

jugement de révision d’où résultera l’innocence d’un condamné pourra,<br />

sur demande d’une partie, lui allouer des dommages-intérêts à raison du<br />

préjudice que lui aura causé la condamnation ». L’Etat rwandais est ainsi<br />

cohérent quant à l’engagement pris en ratifiant le Pacte.<br />

2. LE REGIME GENERAL DE RESTRICTION DES DROITS<br />

Certaines des règles relatives au droit à un procès équitable sont<br />

susceptibles d’être soumises à certaines restrictions. Toute limitation d’un<br />

droit doit cependant obéir à un régime strict : le droit doit demeurer la<br />

règle et la limitation, l’exception. Les trois conditions auxquelles toute<br />

limitation est soumise sont la légalité, la nécessité et la proportionnalité.<br />

2.1. La légalité de la restriction<br />

Toute limitation d’un droit doit être prévue par la loi 89 . La légalité de la<br />

limitation est calquée sur le principe même de la légalité des délits et des<br />

peines. Dans la limitation des droits reconnus, on peut dire : « pas de<br />

limitation sans texte ».<br />

89 Entendue au sens large de “texte normatif”.<br />

52


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Le juge ou toute autre personne intervenant dans une procédure judiciaire<br />

ne peut donc arbitrairement décider de limiter les droits de la personne<br />

accusée tels qu’ils sont reconnus par les textes internationaux ratifiés par<br />

le Rwanda et par les textes nationaux qui ont consacré ces droits. Si nous<br />

prenons l’exemple de la publicité des audiences, le juge ne peut limiter ce<br />

droit qu’en se basant sur le fait que le huis clos (limitation) est prévu par<br />

la Constitution (article 141), dans les cas où le maintien de l’ordre public<br />

ou la protection des bonnes mœurs sont en jeu.<br />

2.2. La nécessité de la restriction<br />

Toute restriction à l’une des règles du droit à un procès équitable doit<br />

satisfaire à la condition de nécessité. Celui qui décide de la limitation doit<br />

montrer en quoi elle est nécessaire pour protéger du risque qu’il entend<br />

éviter ou pour protéger l’intérêt que l’on entend sauvegarder.<br />

Si nous prenons l’exemple du huis clos, il ne suffit pas de montrer que<br />

cette limitation est prévue par un texte. Il faut ensuite, en ce qui concerne<br />

la nécessité de la mesure, montrer en quoi l’ordre public ou les bonnes<br />

mœurs sont menacés, et en quoi le huis clos peut résoudre le problème de<br />

l’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.<br />

L’exigence de « nécessité » vise à vérifier la justification concrète de la<br />

mesure restrictive, et son adéquation par rapport au risque invoqué.<br />

2.3. La proportionnalité de la restriction<br />

La limitation d’un droit relatif au procès équitable, comme de tout droit<br />

fondamental susceptible d’être soumis à des restrictions, doit être<br />

proportionnelle au risque que l’on veut prévenir. L’on pourrait illustrer<br />

cette exigence, a contrario, par le dicton « on ne prend pas un marteau<br />

pour tuer une mouche ».<br />

En ce qui concerne par exemple les restrictions au droit à des débats<br />

publics, il peut s’avérer qu’un huis clos partiel serait suffisant pour éviter<br />

le problème invoqué : s’il apparaît que cette mesure est nécessaire pour la<br />

sécurité d’un seul témoin, son maintien à l’ensemble des débats<br />

constituerait une restriction disproportionnée et donc illégitime au droit à<br />

un procès public.<br />

53


Le principe du droit à un procès équitable<br />

3. LES RECOURS EN CAS DE VIOLATION DES REGLES DU<br />

DROIT A UN PROCES EQUITABLE<br />

C’est, en priorité, au juge national qu’il incombe de veiller au respect de<br />

l’ensemble des règles relatives au droit à un procès équitable. Et c’est à<br />

son égard que le justiciable revendiquera ce respect.<br />

A l’issue d’une procédure judiciaire, le justiciable peut cependant avoir le<br />

sentiment que ses droits n’ont pas été respectés.<br />

Le justiciable pourrait alors avoir recours aux systèmes de protection<br />

prévus par la Charte africaine des droits de l’Homme ou à celui prévu par<br />

le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.<br />

3.1. La protection régionale : la Commission et la Cour africaines<br />

des droits de l’Homme et des peuples<br />

La Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples n’avait pas<br />

initialement prévu de mécanisme de protection juridictionnelle des droits<br />

qui y sont proclamés. Certains des rédacteurs de la Charte, à l’instar du<br />

juge KEBA MBAYE, avaient estimé qu’en Afrique, l’on n’est pas<br />

souvent en litige au sens contentieux du terme et qu’il fallait donc<br />

privilégier la conciliation à la voie judiciaire.<br />

La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a donc<br />

longtemps été le seul mécanisme permettant de sanctionner la violation<br />

des droits reconnus dans la Charte. Elle a produit, à cet égard, une oeuvre<br />

fort intéressante qui mérite d’être mieux connue 90 .<br />

La Commission a cependant montré quelques limites notamment dues au<br />

fait que ses décisions n’étaient pas revêtues de la force obligatoire d’une<br />

décision juridictionnelle. L’idée de la Cour africaine a ainsi fait son<br />

chemin jusqu’à l’adoption d’un protocole le 9 juin 1998 à Ouagadougou.<br />

90 A propos du droit à un procès équitable, voir par exemple la décision de la Commission<br />

africaine des droits de l’Homme et des peuples dans l’affaire Avocats Sans Frontières<br />

(Pour le compte de Gaëtan BWAMPAMYE) C. Burundi, Communication n° 231/99,<br />

décision adoptée durant la 28 ème session ordinaire, 23 octobre –6 novembre 2000.<br />

54


Le principe du droit à un procès équitable<br />

Ce protocole est maintenant entré en application après le dépôt de 15<br />

instruments de ratification, parmi lesquels celui du Rwanda 91 .<br />

Il reste donc à mettre matériellement en place la Cour qui sera le véritable<br />

nouvel organe de protection des droits proclamés dans la Charte.<br />

Le droit de saisine individuel n’est cependant possible que pour les<br />

ressortissants des Etats qui ont non seulement ratifié le Protocole mais<br />

aussi accepté la clause facultative qui conditionne une telle saisine, ce qui<br />

n’est pas encore le cas de la République du Rwanda.<br />

3.2. Le système du Pacte international relatif aux droits civils et<br />

politiques : le Comité des droits de l’Homme<br />

Le Comité des droits de l’Homme est un organe qui a été mis en place par<br />

le Pacte international sur les droits civils et politiques. Il est composé de<br />

18 personnalités indépendantes qui examinent les rapports faits par les<br />

Etats et aussi les communications (plaintes) faites par les Etats ou les<br />

individus.<br />

C’est par le biais des « communications » que celui qui s’estime victime<br />

de la violation de l’un des droits reconnus par le Pacte (y compris le droit<br />

à un procès équitable) peut mettre en cause la manière dont l’Etat partie<br />

au Pacte s’acquitte de ses obligations.<br />

La saisine du Comité n’est cependant possible que si l’Etat concerné en a<br />

accepté le principe au préalable.<br />

Pour les communications (plaintes) émanant d’un autre Etat-partie, il faut<br />

que l’Etat visé n’ait pas émis de réserve à l’article 41 du Pacte, qui met en<br />

place ce mécanisme. Si les Etats s’abstiennent d’une telle réserve, il faut<br />

cependant bien constater qu’en réalité, ils ne s’accusent mutuellement<br />

que très rarement de violations du Pacte.<br />

Pour les communications (plaintes) individuelles, il faut que l’Etat ait<br />

ratifié le premier protocole facultatif qui a été adopté le même jour que le<br />

Pacte. Certains Etats, comme le Rwanda, n’ont pas encore ratifié ce<br />

91 Le Rwanda a ratifié le protocole portant création de la Cour Africaine des droits de<br />

l’Homme et des peuples par Arrêté Présidentiel n° 12 /01 du 27/03/2003, J.O. n° Spécial<br />

du 28/04/2003.<br />

55


Le principe du droit à un procès équitable<br />

protocole. La conséquence est que le citoyen rwandais ne peut,<br />

actuellement, saisir directement le Comité des Droits de l’Homme<br />

lorsqu’il estime que ses droits ont été violés.<br />

Lorsque l’Etat Rwandais aura ratifié le protocole, en revanche, le citoyen<br />

pourra saisir le Comité des Droits de l’Homme à condition que les voies<br />

de recours internes soient épuisées, et que l’affaire ne soit pas pendante<br />

devant une autre instance internationale, telle que la Cour africaine, par<br />

exemple.<br />

Conclusion<br />

« Si le droit n’est pas l’armurier des innocents, à quoi sert-il ? 92 »<br />

Le droit à un procès équitable se situe au confluent de tous les droits. La<br />

protection des droits par le juge est l’un des moyens sûrs pour garantir<br />

leur respect optimal.<br />

Les règles relatives au droit à un procès équitable sont nombreuses et<br />

doivent être envisagées dans une perspective dynamique. Les virtualités<br />

de ce droit essentiel sont infinies et peuvent être précisées tous les jours<br />

grâce au travail du juge qui doit se percevoir comme le rempart de tous<br />

les droits.<br />

92 Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu.<br />

56


CHAPITRE III<br />

LE ROLE DES JURIDICTIONS ORDINAIRES DANS LE<br />

« PROCESSUS GACACA »<br />

Introduction<br />

Tant la Constitution 93 que le nouveau Code d’organisation,<br />

fonctionnement, et compétence judiciaires 94 qualifient les Juridictions<br />

Gacaca de « juridictions spécialisées ».<br />

Elles font indéniablement partie du système judiciaire : la Constitution les<br />

évoque dans le chapitre qu’il consacre au « pouvoir judiciaire », et leur<br />

place dans la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement<br />

et compétence judiciaires le confirme.<br />

Pourtant, leur rôle est spécifique et conjoncturel. Leur création a été<br />

motivée par les problèmes spécifiques soulevés par le contentieux du<br />

génocide et des massacres. Et elles sont appelées à disparaître lorsque ce<br />

contentieux aura été clôturé. Elles font partie du « pouvoir judiciaire »,<br />

tout en s’inscrivant dans sa marge : elles échappent en effet pour une<br />

grande part au système pyramidal dans lequel s’inscrivent les juridictions<br />

de droit commun et les juridictions militaires. Les décisions qu’elles<br />

prononcent ne sont en principe pas susceptibles d’un recours devant la<br />

Haute Cour de la République, devant la Haute Cour Militaire, ou devant<br />

la Cour Suprême, les Juridictions Gacaca obéissant à leur propre<br />

« pyramide ».<br />

Dans le même temps, le système Gacaca s’articule étroitement au<br />

système judiciaire classique : il investit en effet les juridictions de droit<br />

commun d’un rôle essentiel, celui de connaître des dossiers qu’il estime<br />

relever de la « première catégorie », ceux à propos desquels les enjeux<br />

sont les plus lourds, que ce soit à l’égard des accusés – qui encourent<br />

jusqu’à la peine de mort - ou à l’égard des victimes - qui demandent que<br />

93 Article 143 de la Constitution.<br />

94 Article 2, loi du 19 juin 2004.<br />

57


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

des comptes leur soient rendus, en priorité, par les plus grands<br />

responsables du génocide-.<br />

Dans le présent chapitre, l’on s’attache à identifier la manière dont les<br />

rôles respectifs des Juridictions Gacaca et des juridictions ordinaires<br />

s’articulent, pour pouvoir cerner la manière dont celles-ci s’inscrivent<br />

dans le « processus Gacaca » : après avoir décrit la structure pyramidale<br />

des juridictions Gacaca (1), l’on décrira de manière succincte leur<br />

organisation et leur composition (2), pour souligner le rôle central joué<br />

par les Juridictions Gacaca de Cellule dans l’ensemble du processus, en<br />

tant qu’instance d’instruction (3). L’on évoquera enfin le rôle de<br />

passerelle joué par le Ministère Public (4), et les dossiers qui échappent<br />

au système Gacaca (5).<br />

1. UNE STRUCTURE PYRAMIDALE<br />

Les Juridictions Gacaca sont organisées en structure pyramidale.<br />

Les Juridictions Gacaca inférieures sont les Juridictions Gacaca de<br />

Cellule, créées au sein de chacune des cellules que compte le pays 95 .<br />

Au deuxième niveau, se situent les Juridictions Gacaca de Secteur, créées<br />

au sein de chacun des secteurs que compte le pays 96 .<br />

Au dernier niveau, se situent les Juridictions Gacaca d’Appel, créées elles<br />

aussi au sein de chacun des secteurs que compte le pays 97 .<br />

Les principes retenus par la loi organique de 2001 sont maintenus : à<br />

chaque échelon est dévolue la responsabilité de juger une partie de<br />

personnes accusées d’avoir participé au génocide ou autres crimes contre<br />

l’humanité commis au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994, en fonction de la catégorie de laquelle elles paraissent<br />

relever, sur base de la gravité présumée de leur implication dans ces<br />

95 Il existe donc en principe 9013 Juridictions Gacaca de Cellule, sous réserve de fusions<br />

qui seraient rendues nécessaires, en application de l’article 6 de la loi organique du 19 juin<br />

2004.<br />

96 Il existe donc en principe 1545 Juridictions Gacaca de Secteur, sous réserve de fusions<br />

qui seraient rendues nécessaires, en application de l’article 6 de la loi organique du 19 juin<br />

2004.<br />

97 Il existe donc en principe 1545 Juridictions Gacaca d’appel au niveau du Secteur.<br />

58


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

infractions, et chaque Juridiction Gacaca constituant l’instance d’appel de<br />

la juridiction inférieure 98 . Le jugement des personnes accusées de faits ou<br />

de responsabilités qui les rangent dans la première catégorie relève, quant<br />

à lui, des juridictions ordinaires.<br />

Cependant, la loi organique de 2004 a resserré et simplifié l’architecture<br />

du système Gacaca.<br />

La loi organique de 2001 prévoyait, en effet, outre les Juridictions Gacaca<br />

de Cellule et de Secteur, des Juridictions Gacaca de District et des<br />

Juridictions Gacaca de Province : le jugement des dossiers de quatrième<br />

catégorie était du ressort des Juridictions Gacaca de Cellule, celui des<br />

dossiers de troisième catégorie était du ressort des Juridictions Gacaca de<br />

Secteur, celui des dossiers de deuxième catégorie était du ressort des<br />

Juridictions Gacaca de District, et les Juridictions Gacaca de Province<br />

étaient l’instance d’appel des décisions prononcées en premier ressort par<br />

les Juridictions Gacaca de District.<br />

Cette simplification voulue par le législateur de 2004 est liée à la<br />

disparition de l’ancienne troisième catégorie, fondue dans la deuxième 99 :<br />

le législateur a en effet choisi de ne pas exiger, dès la phase préjuridictionnelle,<br />

la distinction entre les atteintes à l’intégrité physique<br />

portées dans l’intention de donner la mort, et les atteintes à l’intégrité<br />

physique portées sans intention de donner la mort, laissant à la juridiction<br />

de fond le soin de trancher la question de l’élément intentionnel, et d’en<br />

tirer les conséquences requises en ce qui concerne la peine.<br />

Ce faisant, la disparition des anciennes juridictions de District et de<br />

Province a aussi pour effet d’alourdir considérablement la tâche et la<br />

responsabilité des Juridictions Gacaca créées au niveau des secteurs :<br />

elles doivent désormais juger tous les dossiers de la nouvelle « deuxième<br />

catégorie » 100 , en première instance pour ce qui concerne les Juridictions<br />

98 Sous réserve toutefois du fait que les jugements relatifs aux atteintes aux biens, en<br />

l’absence d’accusations de faits d’une autre nature, relèvent de la compétence des<br />

juridictions Gacaca de Cellule, et ne sont pas susceptibles d’appel. Voir article 94 de la loi<br />

organique du 19 juin 2004.<br />

99 Voir à ce sujet le chapitre consacré à la catégorisation.<br />

100 Les accusés de deuxième catégorie encourent, en l’absence de recours à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, une peine d’emprisonnement<br />

de vingt-cinq à trente ans.<br />

59


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

Gacaca de Secteur, et en degré d’appel pour ce qui concerne les<br />

Juridictions Gacaca d’Appel.<br />

Le rôle des juridictions ordinaires est, pour sa part, inchangé 101 .<br />

En ce qui concerne le jugement des infractions constitutives du crime de<br />

génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1 er octobre<br />

1990 et le 31 décembre 1994, la loi organique du 19 juin 2004 distribue<br />

les compétences comme suit :<br />

Les Juridictions Gacaca de Cellule sont compétentes pour :<br />

• juger, en premier et en dernier ressort, les personnes accusées<br />

de n’avoir commis que des infractions contre les biens, celles<br />

classées dans la 3 ème catégorie;<br />

• connaître de l’opposition formée contre les jugements<br />

qu’elles ont rendus par défaut.<br />

Les Juridictions Gacaca de Secteur sont compétentes pour :<br />

• connaître au premier degré des infractions dont les auteurs<br />

ont été classés dans la 2 ème catégorie, à savoir:<br />

1. «les personnes que les actes criminels ou de<br />

participation criminelle rangent parmi les auteurs,<br />

coauteurs ou complices d’homicides volontaires ou<br />

d’atteintes graves contre les personnes ayant entraîné la<br />

mort;<br />

2. les personnes qui, dans l’intention de donner la mort, ont<br />

causé des blessures ou commis d’autres violences graves<br />

mais auxquelles les victimes n’ont pas succombé, ainsi<br />

que leurs complices ;<br />

3. les prévenus ayant commis d’autres actes criminels ou de<br />

participation criminelle envers les personnes sans<br />

101 Article 2, alinéa 2, de la loi organique du 19 juin 2004 .<br />

60


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

l’intention de donner la mort, ainsi que leurs<br />

complices » 102 ;<br />

• connaître de l’opposition formée contre les jugements<br />

qu’elles ont rendus par défaut.<br />

• connaître de l’appel d’autres décisions que celles relatives<br />

aux biens rendues par les Juridictions Gacaca de Cellule 103 .<br />

Les Juridictions Gacaca d’Appel sont compétentes pour :<br />

• connaître en degré d’appel des jugements prononcés au<br />

premier degré par les Juridictions Gacaca de Secteur ;<br />

• connaître de l’opposition formée contre les jugements<br />

qu’elles ont rendus par défaut.<br />

Les juridictions ordinaires sont compétentes pour juger les<br />

personnes qui relèvent de la première catégorie, à savoir :<br />

1. « la personne que les actes criminels ou de participation<br />

criminelle rangent parmi les planificateurs, les<br />

organisateurs, les incitateurs, les superviseurs et les<br />

encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre<br />

l’humanité, ainsi que ses complices ;<br />

2. la personne qui, agissant en position d’autorité au<br />

niveau national, au niveau de la Préfecture, au niveau de<br />

la Sous-Préfecture ou de la Commune, au sein des partis<br />

politiques, de l’armée, de la gendarmerie, de la police<br />

communale, des confessions religieuses ou des milices, a<br />

commis ces infractions ou a encouragé les autres à les<br />

commettre, ainsi que ses complices ;<br />

3. le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le<br />

milieu où il résidait ou partout où il est passé, à cause du<br />

zèle qui l’a caractérisé dans les tueries ou la méchanceté<br />

excessive avec laquelle elles ont été exécutées, ainsi que<br />

ses complices ;<br />

102 Article 51 de la loi organique Gacaca 2004, 2 ème catégorie.<br />

103 Notamment appel des jugements des infractions prévues aux articles 29 et 30 de la loi<br />

organique du 19 juin 2004 (article 42, al 2, loi organique du 19 juin 2004).<br />

61


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

4. la personne qui a commis les actes de tortures quand<br />

bien même les victimes n’en seraient pas succombées,<br />

ainsi que ses complices ;<br />

5. la personne qui a commis l’infraction de viol ou les actes<br />

de tortures sexuelles ainsi que ses complices ;<br />

6. la personne qui a commis les actes dégradants sur le<br />

cadavre ainsi que ses complices» 104 .<br />

Le lien hiérarchique qui unit les Juridictions Gacaca entre elles est coupé<br />

au niveau des juridictions ordinaires. D’une part, les juridictions<br />

ordinaires n’agissent pas en tant qu’instances d’appel pour les décisions<br />

prononcées par les Juridictions Gacaca. D’autre part, une fois saisies,<br />

elles agissent au sein de leur propre système pyramidal : elles obéissent à<br />

leurs propres règles de procédure – sauf exceptions prévues par la loi<br />

organique - et, notamment, les voies de recours ouvertes à l’encontre des<br />

décisions qu’elles prononcent sont en principe celles du droit commun 105 .<br />

2. L’ORGANISATION ET LA COMPOSITION DES<br />

JURIDICTIONS GACACA<br />

L’organisation et la composition des Juridictions Gacaca obéissent à un<br />

système pyramidal, qui va de la population de la cellule, pour aboutir au<br />

Siège de la Juridiction Gacaca d’Appel.<br />

Chaque Juridiction Gacaca comprend trois organes 106 : une Assemblée<br />

Générale, un Siège et un Comité de Coordination.<br />

L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule est composée<br />

de tous les habitants de la cellule âgés de 18 ans au moins 107 .<br />

Elle élit en son sein le Siège de la Juridiction Gacaca de Cellule, qui sera<br />

composé de neuf Inyangamugayo, personnes intègres. Elle élit également<br />

cinq membres suppléants.<br />

104 Article 51 de la loi organique du 19 juin 2004, catégorie 1.<br />

105 Voir le chapitre consacré aux voies de recours.<br />

106 Article 5 de la Loi organique du 19 juin 2004.<br />

107 Si leur nombre n’atteint pas deux cents, plusieurs cellules peuvent être fusionnées.<br />

Voir article 6 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

62


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

Pour être éligible comme Inyangamugayo, il faut être de nationalité<br />

rwandaise, être âgé de vingt-et-un ans au moins, et répondre aux<br />

conditions suivantes :<br />

1. « n’avoir pas participé au génocide ;<br />

2. être exempt d’esprit de divisionnisme ;<br />

3. n’avoir pas été condamné par un jugement coulé en force de<br />

chose jugée à une peine d’emprisonnement de six mois au<br />

moins ;<br />

4. être de bonne conduite, vie et mœurs ;<br />

5. dire toujours la vérité ;<br />

6. être honnête ;<br />

7. être caractérisé par l’esprit de partage de la parole 108 » 109 .<br />

Les membres de l’ensemble des Sièges des Juridictions Gacaca de<br />

Cellule qui font partie d’un même secteur sont, d’office, membres de<br />

l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de ce secteur. Une fois<br />

élus, se joignent à eux les membres du Siège de la Juridiction Gacaca de<br />

Secteur et de la Juridiction Gacaca d’Appel correspondantes. Ensemble,<br />

ils forment l’Assemblée Générale du Secteur qui fera office, à la fois,<br />

d’Assemblée Générale pour la Juridiction Gacaca de Secteur, et pour la<br />

Juridiction Gacaca d’Appel 110 .<br />

L’Assemblée Générale de Secteur élit en son sein, d’une part, neuf<br />

membres qui composeront le Siège de la Juridiction Gacaca d’Appel, et<br />

cinq suppléants, et d’autre part, neuf membres qui composeront le Siège<br />

de la Juridiction Gacaca de Secteur, et cinq suppléants 111 .<br />

Enfin, le Siège de chaque Juridiction Gacaca élit en son sein le Comité de<br />

Coordination, composé d’un Président, de deux vice-Présidents et de<br />

deux Secrétaires 112 .<br />

L’ensemble du système est « suivi, supervisé et coordonné » par le<br />

Service National de suivi, de supervision et de coordination des activités<br />

108<br />

Article 14 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

109<br />

Voir également les incompatibilités énoncées à l’article 15 de la loi organique du 19<br />

juin 2004.<br />

110<br />

Article 7 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

111<br />

Article 13 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

112<br />

Article 11 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

63


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

des Juridictions Gacaca (S.N.J.G.) 113 qui remplace ainsi le Département<br />

des Juridictions Gacaca, ancienne section de la Cour Suprême, dans les<br />

fonctions qui étaient les siennes sous l’empire de la loi organique de<br />

2001. S’il peut donner les instructions nécessaires relatives à la bonne<br />

marche des activités des Juridictions Gacaca et suivre de près le<br />

comportement des Inyangamugayo, il est interdit au Service National<br />

d’enjoindre les Juridictions Gacaca de juger dans tel sens ou tel autre 114 .<br />

3. LE ROLE CENTRAL DES JURIDICTIONS GACACA DE<br />

CELLULE COMME INSTANCE D’INSTRUCTION<br />

Comme on l’a vu, la Juridiction Gacaca de Cellule est investie du pouvoir<br />

d’une juridiction de fond : c’est à elle qu’il revient de juger les personnes<br />

accusées uniquement d’infractions aux biens, commises dans l’intention<br />

de participer au génocide et aux massacres.<br />

De même que les Juridictions Gacaca de Secteur et d’Appel, elle a en<br />

outre le pouvoir d’exercer les compétences qui sont liées à cette<br />

attribution : d’une part, elle peut recevoir l’aveu, le plaidoyer de<br />

culpabilité, le repentir et les excuses des auteurs 115 , assigner accusés ou<br />

témoins, ordonner ou procéder à des perquisitions, prononcer des mesures<br />

conservatoires en ce qui concerne les biens des personnes accusées 116 ,<br />

procéder à des enquêtes, entendre des témoins et même décerner des<br />

mandats d’amener aux accusés 117 , mais d’autre part, elle dispose aussi du<br />

pouvoir de connaître de délits commis au cours de l’audience ou en<br />

marge de l’audience, en rapport avec les affaires dont elle traite, de<br />

« poursuivre et réprimer les fauteurs de troubles dans la Juridiction » 118 ,<br />

notamment les cas d’omission de témoignage ou de refus de témoignage,<br />

et les cas de tentative de pression ou de chantage visés aux articles 29 et<br />

30 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

113<br />

Créé par la loi n° 08/2004 du 28/04/2004 portant Création, organisation, attributions et<br />

fonctionnement du Service National chargé du suivi, de la supervision et de la<br />

coordination des activités des Juridictions Gacaca.<br />

114<br />

Article 50 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

115<br />

Voir le chapitre consacré à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses.<br />

116<br />

Voir article 39 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

117<br />

A ce sujet, il y a lieu de s’interroger sur l’applicabilité des dispositions du nouveau<br />

Code de procédure pénale relatives aux conditions et au contrôle juridictionnel de la<br />

détention provisoire. Voir les articles 93 à 114 du Code de procédure pénale.<br />

118<br />

Article 39, 6° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

64


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

En revanche, elle est la seule a être investie d’une compétence essentielle,<br />

dont l’exercice se répercute sur l’ensemble du processus judiciaire du<br />

génocide et des massacres, y compris en ce qu’il implique les juridictions<br />

ordinaires : elle pose des actes qui s’apparentent à ceux qui, en droit<br />

commun de la procédure pénale, relèveraient de l’enquête préliminaire<br />

et de l’instruction préparatoire. Du travail à son niveau, dépendra enfin<br />

la saisine de la juridiction de jugement.<br />

L’on distingue donc, dans les pouvoirs conférés à la Juridiction Gacaca<br />

de Cellule, ceux qui relèvent de la phase juridictionnelle de ceux qui<br />

relèvent de la phase pré-juridictionnelle.<br />

C’est à la Juridiction Gacaca de Cellule qu’il appartient de « mener<br />

l’enquête ». Elle s’appuie pour ce faire sur le devoir qu’ont « tous les<br />

habitants de la cellule (…) de relater les faits qui se sont produits là où<br />

ils habitaient et (d’en) fournir des preuves en dénonçant les auteurs et en<br />

identifiant les victimes » 119 .<br />

Ils sont appelés à livrer les informations dont ils disposent au cours des<br />

réunions de l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule, à<br />

qui il revient en effet d’assister le siège de la Juridiction Gacaca dans la<br />

confection de la liste :<br />

« a. des personnes qui habitent la cellule ;<br />

b. des personnes qui habitaient la cellule avant le génocide, les<br />

lieux de leur réinstallation et les voies et moyens utilisés pour y<br />

parvenir ;<br />

c. des personnes qui ont été, dans la cellule, victimes du<br />

génocide (ou d’autres crimes contre l’humanité) 120 ;<br />

d. des personnes qui ne résidaient pas dans la cellule mais qui y ont<br />

été tuées ;<br />

e. des personnes qui résidaient dans la cellule mais qui ont été tuées<br />

à d’autres endroits ;<br />

f. des victimes et leurs biens endommagés ;<br />

119 Article 33, in fine, de la loi organique Gacaca 2004.<br />

120 Cette disposition omet les victimes d’ « autres crimes contre l’humanité ». La lecture<br />

du dernier alinéa de l’article 34, qui définit la victime comme toute personne qui a subi<br />

l’un des actes énumérés « à cause de son ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie<br />

du génocide » indique cependant qu’elles doivent évidemment figurer sur la liste des<br />

victimes.<br />

65


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

g. des auteurs présumés des infractions visées par la (…) loi<br />

organique ».<br />

L’Assemblée Générale doit également « présenter les moyens de preuve<br />

et les témoignages à charge ou à décharge pour les auteurs présumés de<br />

crime de génocide ou de crimes contre l’humanité » 121 :<br />

Sur la base des informations ainsi recueillies en Assemblée Générale, le<br />

Siège de la Juridiction Gacaca de Cellule peut procéder à des enquêtes<br />

sur les témoignages déposés 122 . Il doit enfin établir la version finale de la<br />

liste 123 mentionnée plus haut.<br />

Une fois ce dossier d’« instruction » clôturé, le Siège de la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule va, au vu des éléments qu’elle a pu rassembler,<br />

procéder à la « catégorisation » des personnes qui figurent sur la liste des<br />

accusés qu’elle a établie, en fonction de leur implication présumée dans<br />

le génocide ou les massacres, et de la gravité des actes dont elles ont à<br />

répondre.<br />

De la proposition de catégorie faite à ce stade, dépendra la désignation de<br />

la juridiction compétente pour en connaître.<br />

C’est en effet encore la Juridiction Gacaca de Cellule qui, en fonction de<br />

la catégorie qu’elle retient à ce stade du processus, saisit la juridiction ou<br />

l’instance appropriée : elle conservera, pour en connaître dans la phase<br />

juridictionnelle, les dossiers de troisième catégorie ; elle transmettra à la<br />

Juridiction Gacaca de Secteur les dossiers de deuxième catégorie ; enfin,<br />

elle transmettra les dossiers de première catégorie au Ministère Public,<br />

qui saisira à son tour les juridictions de droit commun.<br />

En-dehors de la question des dossiers qui leur avaient été transmis avant<br />

l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 juin 2004, et dont ils restent<br />

saisis 124 , la saisine des tribunaux ordinaires dans le cadre du contentieux<br />

du génocide et des autres crimes contre l’humanité dépend donc d’une<br />

décision prise, en phase pré-juridictionnelle, par la Juridiction Gacaca de<br />

Cellule.<br />

121 Article 33 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

122 Article 34, 5° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

123 Article 34 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

124 Voir article 100 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

66


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

4. LE MINISTERE PUBLIC : UN ROLE DE « PASSERELLE »<br />

ENTRE LES JURIDICTIONS GACACA ET LES<br />

JURIDICTIONS ORDINAIRES<br />

Le Ministère Public joue ici le rôle d’intermédiaire entre le système<br />

Gacaca et le système judiciaire ordinaire. Tous les dossiers de première<br />

catégorie lui sont transmis par la Juridiction Gacaca de Cellule, avant<br />

qu’il en saisisse à son tour la juridiction ordinaire appropriée.<br />

De même, si une Juridiction Gacaca de Secteur constate, au stade<br />

préliminaire de l’examen de l’affaire, que c’est à mauvais escient qu’un<br />

dossier lui a été transmis, elle en restera saisie pour examen au fond s’il<br />

concerne, à son estime, des faits qui rattachent le prévenu à la troisième<br />

catégorie, tandis qu’elle transmettra le dossier au Ministère Public si les<br />

faits lui paraissent relever de la première catégorie 125 : la Juridiction<br />

Gacaca de Secteur peut en effet juger des dossiers « en-deça » de sa<br />

compétence normale, mais elle ne peut outrepasser celle-ci. Le Ministère<br />

Public à qui un dossier de première catégorie a été transmis saisira alors<br />

la juridiction ordinaire appropriée.<br />

5. LES DOSSIERS QUI ÉCHAPPENT AU SYSTEME GACACA<br />

Deux types de dossiers échappent au système Gacaca proprement dit.<br />

Il s’agit, d’une part, des dossiers de viol et de tortures sexuelles, et<br />

d’autre part, des dossiers qui avaient déjà été transmis par le Parquet aux<br />

juridictions ordinaires, avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 19<br />

juin 2004, pour toutes les infractions qualifiées de génocide ou de crimes<br />

contre l’humanité par la loi.<br />

En ce qui concerne les dossiers de violences sexuelles, cette exception est<br />

la traduction d’un souci de confidentialité à l’endroit des victimes.<br />

Celles-ci sont invitées à déposer plainte entre les mains d’un ou de<br />

plusieurs Inyangamugayo en qui elles ont confiance, qui transmettra le<br />

dossier « secrètement » au Ministère Public, sans qu’il ait au préalable été<br />

débattu en Assemblée Générale. La victime peut également choisir de<br />

déposer plainte directement entre les mains du Ministère Public, qui<br />

125 Article 36, 4° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

67


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

poursuit les enquêtes, sans passer par la Juridiction Gacaca. Les actes de<br />

viol et de tortures sexuelles classent les personnes qui en sont accusées en<br />

première catégorie : dans un cas comme dans l’autre, le Ministère Public<br />

saisira, aux fins de jugement, la juridiction ordinaire compétente, sans<br />

détour par le système Gacaca 126 .<br />

En ce qui concerne les dossiers dont avaient été saisies les juridictions<br />

ordinaires avant l’entrée en vigueur de la loi organique de 2004, le régime<br />

transitoire mis en place par la loi organique de 2004 prévoit que cellesci<br />

127 en restent saisies 128 et ce, quelle que soit la catégorie dans laquelle il<br />

a été proposé de classer l’accusé : sous l’empire de la loi organique de<br />

1996, en effet, les Chambres spécialisées des tribunaux ordinaires –<br />

abrogées par la loi organique de 2001 - étaient compétentes pour<br />

l’ensemble du contentieux du génocide et des massacres, quelle que soit<br />

la catégorie. Ces dossiers échapperont donc eux aussi au système Gacaca.<br />

Conclusion<br />

Le système Gacaca est un système hybride qui, sollicitant une institution<br />

de droit coutumier, intègre dans le même temps des concepts propres au<br />

système de droit écrit, au droit pénal, et à la procédure pénale. Tout en<br />

s’appuyant sur les vertus de la « mise en débat » d’une affaire qui déchire<br />

la communauté, il prévoit des jugements et des sanctions.<br />

De même, le système Gacaca fait appel, d’une part, à des « Juridictions<br />

Gacaca » qui lui sont propres, et dont l’existence est strictement<br />

conjoncturelle, et d’autre part, à des juridictions pénales ordinaires qui<br />

s’inscrivent dans la durée, et sont compétentes dans les contentieux les<br />

plus divers.<br />

126 Voir article 38 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

127 Sous réserve, bien entendu de l’application du nouveau Code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétence judiciaires, qui a pour effet de transférer les dossiers qui<br />

relevaient du Tribunal de Première Instance au Tribunal de Province ou de la Ville de<br />

Kigali correspondant, les dossiers qui relevaient d’une Cour d’Appel, à la Haute Cour de<br />

la République, les dossiers qui relevaient du Conseil de Guerre, au Tribunal Militaire, les<br />

dossiers qui relevaient de la Cour Militaire, à la Haute Cour Militaire et les dossiers qui<br />

étaient pendants devant la Cour de Cassation, à la Cour Suprême. Voir articles 180 et<br />

suivants du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. Voir<br />

également le chapitre consacré aux compétences d’attribution.<br />

128 Article 100 de la loi organique du 9 juin 2004.<br />

68


Juridictions ordinaires dans le « processus gacaca »<br />

C’est encore de dualité qu’il est question, si l’on considère, d’une part,<br />

que les Juridictions Gacaca sont investies d’une immense confiance et<br />

d’un énorme crédit, postulant les vertus de la justice participative et l’idée<br />

que c’est de la « base » que la vérité pourra le mieux émerger, et d’autre<br />

part, que c’est aux juridictions ordinaires, professionnalisées, que restent<br />

confiés, en phase de jugement, les dossiers les plus délicats, à savoir,<br />

ceux qui concernent les personnes accusées des faits les plus graves et<br />

des responsabilités les plus lourdes dans le génocide et les autres crimes<br />

contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994.<br />

Tout en laissant aux Juridictions Gacaca de Cellule le soin d’instruire ces<br />

dossiers les plus lourds, le législateur a choisi d’en confier le jugement à<br />

des juridictions de droit commun, estimant sans doute que les enjeux<br />

requéraient qu’ils soient traités par des tribunaux composés de<br />

professionnels, et devant lesquels l’ensemble des garanties procédurales<br />

sont de mise.<br />

L’articulation harmonieuse des rôles des unes et des autres sera le gage<br />

de la réussite du processus Gacaca et du règlement judiciaire du<br />

contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité dans son<br />

ensemble.<br />

69


CHAPITRE IV<br />

L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE DU 19 JUIN 2004<br />

DANS LE TEMPS, ET SON ARTICULATION AVEC D’AUTRES<br />

INSTRUMENTS JURIDIQUES<br />

Introduction<br />

La loi organique du 19 juin 2004 succède à deux autres textes qui, avant<br />

elle, ont régi le contentieux du génocide et des autres crimes contre<br />

l’humanité.<br />

La question de l’application dans le temps de cette nouvelle loi, et du sort<br />

des dossiers dont l’examen avait été entamé sous l’empire des autres<br />

textes se pose.<br />

D’autre part, la nouvelle loi organique concerne, à la fois, les juridictions<br />

Gacaca dont elle définit et borne les compétences, mais également les<br />

juridictions ordinaires, dans la mesure où celles-ci restent compétentes.<br />

En ce qui concerne ces dernières, que la loi organique n’a nullement<br />

vocation à régir intégralement, se pose la question des limites entre<br />

l’application de la loi organique, et celle du droit commun.<br />

Dans ce chapitre, l’on évoquera les principes qu’édicte la loi quant à<br />

l’étendue de sa propre application par rapport aux juridictions ordinaires:<br />

la loi organique est d’applicabilité immédiate (1), sauf dans les cas prévus<br />

par la loi organique, c’est le droit commun de la procédure qui s’applique<br />

devant les juridictions ordinaires (2) et la loi organique s’applique aux<br />

juridictions ordinaires en ce qui concerne l’objet du litige (3).<br />

1. LE PRINCIPE DE L’APPLICABILITE IMMEDIATE<br />

La nouvelle loi est d’application immédiate, à dater de sa publication, à<br />

savoir, le 19 juin 2004 :<br />

Article 106 :<br />

« La présente loi organique entre en vigueur le jour de sa publication au<br />

Journal Officiel de la République du Rwanda ».<br />

71


72<br />

L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps,<br />

et son articulation avec d’autres instruments juridiques<br />

1.1. L’applicabilité aux affaires en cours<br />

La nouvelle loi est d’application immédiate aux affaires en cours, déjà<br />

pendantes devant les tribunaux. Son entrée en vigueur n’a cependant pas<br />

pour effet de dessaisir les tribunaux qui avaient été valablement saisis<br />

sous l’empire des lois antérieures. De même, les actes de procédure<br />

régulièrement posés sous l’empire de ces lois restent valables.<br />

Article 100 :<br />

« Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la<br />

présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda<br />

seront jugées par ces mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions<br />

relatives à la procédure de droit commun sous réserve des dispositions<br />

particulières prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet de<br />

litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées ».<br />

1.2. L’abrogation expresse des lois antérieures régissant le<br />

contentieux du génocide, et implicite des autres dispositions<br />

antérieures contraires<br />

La nouvelle loi a pour effet d’abroger les dispositions des lois qui,<br />

jusqu’à la date de son entrée en vigueur, régissaient le contentieux du<br />

génocide et des massacres. Plus généralement, elle abroge toutes<br />

dispositions antérieures contraires, dont l’application doit par conséquent<br />

être écartée si une disposition de la loi organique retient une solution<br />

divergente.<br />

Article 105 :<br />

« La loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 portant organisation des<br />

poursuites des infractions constitutives du crime de génocide et des<br />

crimes contre l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990 (et le 31<br />

décembre 1994), et la loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001<br />

portant création des juridictions Gacaca et organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994,<br />

telle que modifiée et complétée à ce jour, ainsi que toutes les autres<br />

dispositions antérieures contraires à la présente loi organique, sont<br />

abrogées».


73<br />

L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps,<br />

et son articulation avec d’autres instruments juridiques<br />

2. L’APPLICATION DU DROIT COMMUN DE LA<br />

PROCEDURE PAR LES JURIDICTIONS DE DROIT<br />

COMMUN, SOUS RESERVE DES EXCEPTIONS PREVUES<br />

PAR LA LOI<br />

2.1. La règle générale : application du droit commun de la procédure<br />

Saisies d’un dossier lié au contentieux du génocide ou des massacres, les<br />

juridictions ordinaires doivent en principe appliquer les règles de<br />

procédure du droit commun.<br />

Article 2, al. 2 :<br />

« Les personnes relevant de la première catégorie telles que définies par<br />

l’article 51 de la présente loi organique sont justiciables des juridictions<br />

ordinaires qui appliquent les règles de procédure de droit commun (...)»<br />

2.2. Le droit commun de la procédure n’est écarté que si la loi<br />

organique le spécifie<br />

Les juridictions ordinaires ne s’écarteront de la procédure de droit<br />

commun que dans les cas où la loi organique l’indique.<br />

Article 2, al. 2, in fine :<br />

« (les) juridictions ordinaires (…) appliquent les règles de procédure de<br />

droit commun sous réserve des exceptions prévues par la présente loi<br />

organique ».<br />

Les procédures particulières mises en place par la loi Gacaca ne<br />

s’appliqueront donc que dans les cas où la lecture des dispositions qui y<br />

sont relatives indique qu’elles visent les juridictions ordinaires aussi bien<br />

que les juridictions Gacaca. Il en va ainsi, par exemple, de la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, qui peut<br />

bénéficier aux prévenus de 1 ère catégorie.<br />

Ces principes s’appliquent tant pour les nouveaux dossiers que pour les<br />

dossiers qui avaient déjà été transmis aux juridictions ordinaires et<br />

n’avaient pas encore été définitivement jugés à la date de l’entrée en<br />

vigueur de la nouvelle loi.


74<br />

L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps,<br />

et son articulation avec d’autres instruments juridiques<br />

3. L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE EN CE QUI<br />

CONCERNE L’ « OBJET DU LITIGE »<br />

La loi spécifie que, s’agissant de l’« objet du litige » 129 , c’est la loi<br />

organique qui prévaut. Par « objet du litige », le législateur entend<br />

désigner le fond, à savoir, essentiellement, les infractions visées par la loi<br />

organique, et les peines qu’elle prévoit.<br />

Article 2, al. 3 :<br />

« Quant à l’objet du litige, on applique exclusivement les dispositions de<br />

la présente loi organique ».<br />

Cela étant, la distinction entre les dispositions qui, au sein de la loi<br />

organique, relèvent de « l’objet du litige » et les autres n’est pas toujours<br />

commode, et le juge devra parfois faire oeuvre d’interprétation.<br />

Conclusion<br />

L’ensemble des règles générales qu’énonce la loi organique quant à son<br />

applicabilité dans le temps et quant à son articulation avec d’autres<br />

instruments juridiques ne résout pas toutes les questions que le magistrat<br />

des juridictions ordinaires aura à se poser dans le traitement pratique du<br />

contentieux du génocide. La loi du 19 juin 2004 est en effet silencieuse<br />

sur un certain nombre de points.<br />

Son énoncé, autant que le libellé de l’article 1 er témoignent de ce qu’elle a<br />

été rédigée à destination des juridictions Gacaca dont elle règle<br />

l’ « organisation, la compétence et le fonctionnement », et non pas à celle<br />

des juridictions ordinaires. La loi ne réserve qu’une attention très limitée<br />

au rôle résiduel mais fondamental qu’elles conservent dans le traitement<br />

du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité : seul l’article<br />

2, al. 2 mentionne ce rôle de manière explicite. Pour le surplus, le juge<br />

doit tantôt faire application de la loi organique, tantôt recourir au droit<br />

commun, tantôt faire œuvre d’interprétation. Il sera guidé dans cette<br />

interprétation et aura à résoudre une série de questions à la lumière des<br />

129 En kinyarwanda : « ku byerekeye ikiburanwa » ; en anglais : « the subject of the<br />

action ».


75<br />

L’application de la loi organique du 19 juin 2004 dans le temps,<br />

et son articulation avec d’autres instruments juridiques<br />

principes généraux du droit, des conventions internationales qui lient la<br />

République du Rwanda, de la Constitution et du droit commun.


CHAPITRE V<br />

LES REGLES ATTRIBUTIVES DE COMPETENCE AUX<br />

JURIDICTIONS ORDINAIRES<br />

Introduction<br />

Le deuxième alinéa de l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004 rend<br />

seules compétentes, comme juridictions de jugement, les « juridictions<br />

ordinaires » pour juger les personnes accusées d’actes qui les rattachent à<br />

la première catégorie des auteurs, coauteurs ou complices du génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité.<br />

Il s’agit de déterminer quelles juridictions sont compétentes au plan<br />

matériel (1), de s’interroger sur le sort qui doit être réservé aux affaires<br />

connexes dont certains auteurs sont justiciables des juridictions<br />

ordinaires, et d’autres sont justiciables des juridictions Gacaca (2), et<br />

enfin, d’évoquer la compétence territoriale des juridictions ordinaires<br />

dans le contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité (3).<br />

1. LA DETERMINATION DU TRIBUNAL COMPETENT AU<br />

PLAN MATERIEL<br />

1.1. La compétence des juridictions ordinaires pour les personnes<br />

classées en première catégorie<br />

Les juridictions ordinaires restent seules compétentes pour juger les<br />

personnes accusées d’actes qui les rattachent à la « première catégorie »,<br />

autrement dit, les personnes qui ont à répondre des faits et des<br />

responsabilités les plus graves dans le génocide et les massacres et qui, en<br />

conséquence, encourent les peines les plus lourdes. Les dossiers des<br />

personnes que la Juridiction Gacaca a, en phase pré-juridictionnelle,<br />

classées en première catégorie sont donc transmis au Parquet qui, à son<br />

tour, saisit la juridiction ordinaire compétente.<br />

77


78<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

Article 2, al. 2 :<br />

« Les personnes relevant de la première catégorie telles que définies par<br />

l’article 51 de la présente loi organique sont justiciables des juridictions<br />

ordinaires (…) ».<br />

Cette disposition fait écho à l’article 152 de la Constitution, qui dit : « Il<br />

est institué des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du<br />

jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité (…),<br />

excepté ceux qui relèvent de la compétence d’autres juridictions ».<br />

1.2. Quelles sont les « juridictions ordinaires » compétentes ?<br />

1.2.1. La compétence des tribunaux de Province et de la Ville de<br />

Kigali au premier degré, et la compétence de la Haute Cour<br />

en degré d’appel<br />

Alors que la loi organique de 1996 avait créé, au sein des Tribunaux de<br />

Première Instance et des juridictions militaires, des Chambres<br />

Spécialisées pour connaître du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité 130 , la loi organique de 2001 les avait abolies 131 . En<br />

phase de jugement, les dossiers de « première catégorie » étaient attribués<br />

aux Tribunaux de première instance au premier degré, et aux Cours<br />

d’Appel en degré d’appel.<br />

La loi organique du 19 juin 2004 ne désigne pas précisément les<br />

juridictions « ordinaires » dorénavant compétentes pour juger les<br />

prévenus classés en « première catégorie ».<br />

Il convient dès lors de s’en référer à la nouvelle loi organique n° 07/2004<br />

du 25/04/2004 portant Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires. L’article 28 évoque l’existence et la compétence<br />

des juridictions Gacaca, confirmant qu’elles sont « chargées des<br />

poursuites et du jugement du crime de génocide et d’autres crimes contre<br />

l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, à<br />

l’exception des crimes dont la loi attribue la compétence à d’autres<br />

juridictions ».<br />

130 Article 19 de la loi organique du 30 août 1996.<br />

131 Article 96 de la loi organique du 26 janvier 2001.


79<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

C’est l’article 72 qui charge expressément les Tribunaux de Province et<br />

de la Ville de Kigali de « juger les personnes que les actes constitutifs du<br />

crime de génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda<br />

entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, rangent dans la<br />

première catégorie ».<br />

Il convient de noter que cette compétence n’est pas « naturelle » pour les<br />

Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali : rappelons en effet que, en<br />

application de l’article 89 du Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires, c’est la Haute Cour qui, en principe, est<br />

compétente, au premier degré, en matière de meurtre et d’assassinat. Par<br />

définition, la majorité des prévenus de première catégorie seront accusés<br />

de meurtres ou d’assassinats –constitutifs du crime de génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité-.<br />

Le caractère exceptionnel de cette compétence est confirmé à la lecture<br />

de l’article 89 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence<br />

judiciaires : si c’est à la Haute Cour qu’il attribue la compétence de juger<br />

au premier degré, notamment, les civils accusés de crime de génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité, il est précisé que c’est «à l’exception<br />

de ceux commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 qui<br />

restent de la compétence des juridictions Gacaca et des Tribunaux de<br />

Province et de la Ville de Kigali ».<br />

La compétence extraordinaire qui revient ainsi aux Tribunaux de<br />

Province et de la Ville de Kigali est d’autant plus lourde qu’ils siègeront<br />

dorénavant à juge unique, en application de l’article 16 du nouveau Code<br />

d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.<br />

En application du droit commun, c’est à la Haute Cour qu’il revient de<br />

juger, en degré d’appel, les personnes accusées de faits les classant dans<br />

la première catégorie des auteurs du crime de génocide et des autres<br />

crimes contre l’humanité : elle est en effet compétente pour connaître<br />

« de l’appel des jugements rendus au 1 er ou au 2 ème degré par les<br />

Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali siégeant en matière<br />

pénale » 132 .<br />

132 Article 105 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.


80<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

1.2.2. La question de la compétence des juridictions militaires à<br />

l’égard des militaires<br />

S’agissant du cas particulier des militaires, il subsiste une incertitude.<br />

L’article 138 de la loi organique portant Code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétences judiciaires désigne le Tribunal militaire<br />

comme étant « compétent pour juger les militaires, quel que soit leur<br />

grade, poursuivis pour le crime de génocide et d’autres crimes contre<br />

l’humanité commis au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994 que la loi range dans la première catégorie ».<br />

L’on sait d’autre part que tant cette loi que la Constitution classent les<br />

juridictions militaires parmi les « juridictions spécialisées », par<br />

opposition aux juridictions qualifiées d’« ordinaires ».<br />

Or, s’agissant du contentieux du génocide et des autres crimes contre<br />

l’humanité, l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004, en son point 2,<br />

réserve aux « juridictions ordinaires » la compétence de juger les<br />

personnes relevant de la première catégorie.<br />

Il y a donc, en apparence, contradiction entre l’article 2.2 de la loi du 19<br />

juin 2004 et l’article 138 de la loi portant Code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétences judiciaires.<br />

Une série d’arguments plaident cependant en faveur de la compétence des<br />

juridictions militaires pour les militaires relevant de la première<br />

catégorie.<br />

Soulignons d’abord le fait que la date d’entrée en vigueur de la loi<br />

organique portant Code d’organisation, fonctionnement et compétence<br />

judiciaires 133 est postérieure à celle d’entrée en vigueur de la loi portant<br />

organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions<br />

Gacaca 134 . Toutes deux entraient en vigueur le jour de leur publication au<br />

133<br />

En vertu de son article 187, le jour de sa publication au Journal Officiel, soit le 15<br />

juillet 2004.<br />

134<br />

En vertu de son article 106, le jour de sa publication au Journal Officiel, soit le 19 juin<br />

2004.


81<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

Journal Officiel. La loi “Gacaca” a été publiée le 19 juin 2004, tandis<br />

que la loi portant “organisation” a été publiée le 15 juillet 2004.<br />

La loi organique du 26 janvier 2001 excluait expressément, pour les<br />

infractions relevant de son champ d’application, le bénéfice des<br />

privilèges de poursuite et de juridiction prévus par le droit commun : « les<br />

personnes bénéficiant du privilège de poursuite et du privilège de<br />

juridiction en application des lois en vigueur sont, lorsqu’elles sont<br />

soupçonnées d’avoir commis des infractions constitutives du crime de<br />

génocide ou de crimes contre l’humanité, poursuivies suivant la<br />

procédure prévue par la présente loi organique et sont justiciables des<br />

juridictions qu’elle prévoit » 135 : sous son empire, les militaires<br />

échappaient à la compétence des juridictions militaires. La loi organique<br />

de 2004, pour sa part, s’abstient de reproduire une disposition similaire.<br />

Ce silence quant à la question des privilèges de poursuite et de juridiction<br />

semble indiquer que le législateur a souhaité, à cet égard, en revenir au<br />

droit commun et, par conséquent, à la règle qui veut que les militaires<br />

soient jugés par les juridictions militaires.<br />

Rappelons d’autre part que l’article 152 de la Constitution limite la<br />

compétence qu’elle attribue aux juridictions Gacaca dans le contentieux<br />

du génocide aux crimes qui ne relèvent pas de la compétence d’« autres<br />

juridictions », sans exclure les juridictions militaires.<br />

En vertu de l’article 154 de la Constitution: “(...)Le Tribunal Militaire<br />

connaît au premier degré de toutes les infractions commises par les<br />

militaires quel que soit leur grade", tandis que l’article 155 précise que<br />

c’est à la Haute Cour Militaire qu’il appartient de juger « au premier<br />

degré de toutes les infractions d’atteinte à la sûreté de l’Etat et<br />

d’assassinat commises par les militaires quel que soit leur grade ».<br />

En conséquence, l’interprétation qui priverait les juridictions militaires de<br />

la compétence de juger les militaires accusés d’actes de génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité et classés en première catégorie ne<br />

pourrait se faire qu’au mépris de la Constitution.<br />

Cet ensemble d’éléments amène les auteurs à considérer que, en visant<br />

les “juridictions ordinaires” en son article 2.2, la loi portant organisation,<br />

135 Article 2, 4è§, de la loi organique du 26 janvier 2001.


82<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca vise en réalité les<br />

juridictions “classiques”, c’est-à-dire autres que les Juridictions Gacaca.<br />

En conséquence, ils sont d’avis que les militaires accusés d’infractions<br />

constitutives du crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité<br />

au sens de la loi du 19 juin 2004, et classés en première catégorie, sont<br />

justiciables, au premier degré, du Tribunal militaire. Et c’est à la Haute<br />

Cour Militaire qu’il revient de juger, en degré d’appel, les militaires<br />

accusés de faits les classant dans la première catégorie des auteurs du<br />

crime de génocide et des autres crimes contre l’humanité : elle est en effet<br />

compétente « pour connaître en appel des jugements rendus par le<br />

Tribunal militaire » 136 .<br />

1.3. Les juridictions compétentes pour les dossiers en cours<br />

1.3.1. Les juridictions compétentes<br />

C’est l’article 100 de la loi organique du 19 juin 2004 qui régit le sort des<br />

dossiers en cours, déjà pendants devant une juridiction ordinaire à sa date<br />

d’entrée en vigueur. Il se lit comme suit :<br />

Article 100 :<br />

« Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la<br />

présente loi organique au Journal Officiel de la République du Rwanda<br />

seront jugées par ces mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions<br />

relatives à la procédure de droit commun sous réserve des dispositions<br />

particulières prévues par la présente loi organique. Quant à l’objet du<br />

litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées ».<br />

Cette disposition soulève une légère difficulté d’interprétation. En effet,<br />

les affaires déjà pendantes avaient été introduites devant les anciennes<br />

Chambres Spécialisées, sous l’empire de la loi organique du 30 août<br />

1996, puis transférées devant les Tribunaux de première instance ou le<br />

Conseil de Guerre, sous l’empire de la loi organique du 26 janvier 2001.<br />

Or, les Chambres Spécialisées ont été abolies par la loi du 26 janvier<br />

2001, et tant les Tribunaux de première instance que le Conseil de Guerre<br />

l’ont été le 15 juillet 2004, date de l’entrée en vigueur de la loi organique<br />

136 En application de l’article 155 de la Constitution et de l’article 139 du Code portant<br />

organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.


83<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

portant nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétence<br />

judiciaires : elle remplace en effet toutes les anciennes juridictions par les<br />

nouvelles juridictions qu’elle met en place 137 .<br />

Il ne peut évidemment être question de laisser le soin de poursuivre<br />

l’examen de dossiers en cours à des juridictions abolies…<br />

Il convient par conséquent de lire l’article 100 de la loi organique du 19<br />

juin 2004 à la lumière des dispositions pertinentes du nouveau Code<br />

d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.<br />

Son article 181 se lit comme suit :<br />

« Les affaires non encore jugées au moment de l’entrée en vigueur de la<br />

présente loi organique seront portées d’office et sans frais au rôle des<br />

juridictions nouvelles compétentes pour les connaître de la manière ciaprès<br />

:<br />

(…)<br />

2°au rôle des Tribunaux de Province et de la Ville de Kigali, les affaires<br />

dont sont saisis les Tribunaux de 1 er Instance, à l’exception de celles<br />

(que) la présente loi organique attribue à d’autres juridictions ;<br />

3°au rôle de la Haute Cour de la République, les affaires dont sont saisis<br />

les Cours d’Appel (...)<br />

4°au rôle du Tribunal Militaire, les affaires dont était saisi le Conseil de<br />

Guerre (...)» ;<br />

5°au rôle de la Haute Cour Militaire, les affaires dont était saisie la Cour<br />

Militaire siégeant comme une juridiction d’appel (...) ».<br />

Il va donc de soi que le jugement des dossiers de première catégorie en<br />

cours sera désormais du ressort, en première instance, des Tribunaux de<br />

Province et de la Ville de Kigali, et en degré d’appel, de la Haute Cour de<br />

la République ou, s’agissant de militaires, en première instance, du<br />

Tribunal militaire et en degré d’appel, de la Haute Cour Militaire.<br />

137 Article 180 de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires.


84<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

1.3.2. La question de la compétence dans le cadre de dossiers autres<br />

que de première catégorie dont les juridictions avaient été<br />

saisies sous l’empire de la loi organique de 1996<br />

Sous l’empire de la loi organique du 30 août 1996, les Chambres<br />

Spécialisées étaient compétentes, quelle que soit la catégorie dans<br />

laquelle le Parquet proposait de classer l’accusé au vu des préventions<br />

dont il avait à répondre : les Chambres Spécialisées avaient donc à<br />

connaître des dossiers de chacune des quatre catégories qui étaient alors<br />

distinguées par la loi.<br />

La loi organique de 2001 et celle de 2004 font de la catégorisation non<br />

seulement une technique qui permet de distinguer entre les différents<br />

degrés de responsabilité et, donc, de moduler la peine, mais en outre, un<br />

critère d’attribution de compétence : en effet, de la catégorie dans<br />

laquelle la Juridiction Gacaca de Cellule aura, en phase préjuridictionnelle,<br />

proposé de classer un accusé, dépendra la détermination<br />

de la juridiction compétente pour le juger.<br />

L’article 100 de la loi organique de 2004 règle le sort des dossiers qui<br />

avaient, sous l’empire de l’ancienne loi, été introduits devant la<br />

juridiction compétente à l’époque, et qui, à l’heure de son entrée en<br />

vigueur, n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision définitive : les<br />

Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali seront compétents en<br />

première instance, et la Haute Cour de la République sera compétente en<br />

degré d’appel, (ou, pour les militaires, le Tribunal Militaire en première<br />

instance, et la Haute Cour Militaire en degré d’appel) indépendamment<br />

de la catégorie dans laquelle avait été classé le prévenu à l’origine.<br />

Cependant, la juridiction compétente appliquera à ces dossiers en cours<br />

les règles de fond de la nouvelle loi : en tant que la catégorisation<br />

détermine la peine, elle aura à se référer aux définitions nouvelles des<br />

catégories, et en ce qui concerne les peines prévues, elle aura à prononcer<br />

celles qui sont prévues par la nouvelle loi, sous réserve, le cas échéant, du<br />

respect du principe de non-rétroactivité de la loi pénale.<br />

En application du dernier alinéa de l’article 100 de la loi organique du 19<br />

juin 2004, le dossier dont une juridiction ordinaire avait été saisie sous<br />

l’empire de l’ancienne loi reste du ressort de cette juridiction, même si,<br />

par ailleurs, l’accusé concerné devrait être co-prévenu dans une affaire de


85<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

même catégorie, pendante devant une Juridiction Gacaca : la juridiction<br />

ordinaire statuera sur son sort, tandis que la Juridiction Gacaca statuera<br />

sur le sort des co-prévenus, sans jonction possible des dossiers.<br />

2. LA QUESTION DE LA CONNEXITE ENTRE UNE AFFAIRE<br />

PENDANTE DEVANT UNE JURIDICTION ORDINAIRE, ET<br />

UNE AFFAIRE PENDANTE DEVANT UNE JURIDICTION<br />

GACACA<br />

En droit commun, «lorsque plusieurs personnes, justiciables de<br />

juridictions de degré différent sont poursuivies l’une et l’autre à raison<br />

de leur participation à une même infraction ou à des infractions<br />

connexes, elles sont jugées l’une et l’autre par la juridiction compétente<br />

du degré le plus élevé » 138 .<br />

L’application de cette règle au contentieux du génocide et des autres<br />

crimes contre l’humanité aurait pour effet de dessaisir les Juridictions<br />

Gacaca de tous les dossiers à propos desquels un lien de connexité peut<br />

être établi avec un auteur de « première catégorie », renvoyé devant une<br />

juridiction ordinaire.<br />

Telle n’a pas été la volonté du législateur : en dépit d’un tel lien de<br />

connexité, les personnes restent justiciables de la Juridiction Gacaca, ou<br />

de la juridiction ordinaire, chacune pour ce qui la concerne 139 . L’accusé<br />

traduit devant une juridiction ordinaire pourra seulement être appelé à<br />

témoigner devant la Juridiction Gacaca, dans l’affaire concernant ses<br />

coauteurs, et inversement.<br />

3. LA COMPETENCE TERRITORIALE<br />

Les dispositions qui, dans la loi organique du 19 juin 2004, concernent la<br />

compétence territoriale visent exclusivement les Juridictions Gacaca 140 .<br />

Par conséquent, en ce qui concerne les tribunaux ordinaires, en<br />

application du principe énoncé à l’article 2 de la loi, c’est au droit<br />

commun qu’il faut recourir en cette matière.<br />

138 Article 150 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.<br />

139 Voir article 2, dernier alinéa, de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

140 Voir le libellé des articles 44 et 45 de la loi organique du 19 juin 2004.


86<br />

Les règles attributives de compétence aux juridictions ordinaires<br />

Rappelons que les articles 117 et suivants du Code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétence judiciaires régissent la compétence<br />

territoriale en droit commun.<br />

L’on détermine la compétence territoriale d’une juridiction, en fonction<br />

du lieu où l’infraction a été commise, du lieu de résidence du prévenu ou<br />

du lieu où le prévenu a été trouvé.<br />

Les règles de droit commun en matière de connexité et de jonction<br />

s’appliquent également.<br />

Conclusion<br />

En confiant aux « juridictions ordinaires » la compétence de juger les<br />

« personnes relevant de la première catégorie », l’article 2, al. 2 de la loi<br />

organique du 19 juin 2004 semble viser en réalité tant les juridictions de<br />

droit commun que les juridictions militaires.<br />

Cette disposition de la nouvelle loi organique ne peut se lire seule : le<br />

nouveau Code d’organisation, fonctionnement et compétences judiciaires<br />

permet d’en décliner le principe. En première instance, seront<br />

compétents, soit les Tribunaux de Province ou de la Ville de Kigali, soit<br />

le Tribunal militaire. En degré d’appel, sera compétente soit la Haute<br />

Cour de la République, soit la Haute Cour Militaire. La plupart des<br />

accusés de première catégorie pourront en outre bénéficier d’un troisième<br />

degré de juridiction, exercé devant la nouvelle Cour Suprême 141 .<br />

La compétence qui incombe ainsi aux « juridictions ordinaires » est<br />

essentielle : c’est à elles qu’il appartient de trancher les dossiers les plus<br />

complexes, de déclarer coupables ou innocents ceux qui sont accusés des<br />

responsabilités et des actes de participation les plus graves dans le<br />

génocide et les crimes contre l’humanité et, le cas échéant, de prononcer<br />

les peines les plus sévères. Le législateur a manifestement estimé que de<br />

telles charges ne pouvaient être assumées que par des juges<br />

professionnels, qu’il investit, ce faisant, d’une confiance lourde de<br />

responsabilités.<br />

CHAPITRE VI<br />

141 Voir à ce sujet le chapitre consacré aux voies de recours.


88<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

LE CHAMP MATERIEL DU CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET<br />

DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE AU RWANDA<br />

Introduction<br />

L’intitulé de la loi organique du 19 juin 2004 définit le champ de son<br />

application : elle porte en effet sur le jugement des « infractions<br />

constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité<br />

commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 ».<br />

L’article 1 er de la loi confirme ce champ d’application et le précise : « La<br />

présente loi organique porte sur l’organisation, la compétence et le<br />

fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du<br />

jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994, ou des infractions prévues par le Code pénal qui, selon<br />

les accusations du Ministère Public ou les témoignages à charge aussi<br />

bien que les aveux du prévenu, ont été commis dans l’intention de faire le<br />

génocide ou d’autres crimes contre l’humanité».<br />

Il paraît intéressant de relever les nuances qui différencient le champ<br />

d’application de la loi adoptée en juin 2004 de celles qui l’ont précédée,<br />

plus précises : la loi organique du 30 août 1996 et la loi organique du 26<br />

janvier 2001.<br />

La loi organique de 1996 portait sur l’organisation des poursuites des<br />

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes<br />

contre l’humanité, commises à partir du 1 er octobre 1990 142 ;<br />

Son objet se définissait comme suit : « l’organisation et la mise<br />

en jugement des personnes poursuivies d’avoir, à partir du 1 er<br />

142 J.O. n° 17 du 1/09/1996.


89<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

octobre 1990, commis des actes qualifiés et sanctionnés par le<br />

Code pénal et qui constituent :<br />

a) soit des crimes de génocide ou des crimes contre<br />

l’humanité tels que définis dans la Convention du 9<br />

décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime<br />

de génocide, dans la Convention de Genève du 12 août<br />

1949 relative à la protection des personnes civiles en<br />

temps de guerre et les Protocoles additionnels, ainsi que<br />

dans celle du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité<br />

des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité,<br />

toutes trois ratifiées par le Rwanda ;<br />

b) soit des infractions visées au Code pénal qui, selon ce<br />

qu’allègue le Ministère Public ou admet l’accusé, ont été<br />

commises en relation avec les événements entourant le<br />

génocide et les crimes contre l’humanité » 143 .<br />

La loi organique de 2001 portait sur l’organisation des poursuites des<br />

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes<br />

contre l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994 144 ;<br />

Son objet se définissait comme suit : « l'organisation de la mise<br />

en jugement des personnes poursuivies pour avoir, entre le 1 er<br />

octobre 1990 et le 31 décembre 1994, commis des actes qualifiés<br />

et sanctionnés par le Code pénal et qui constituent :<br />

a) soit des crimes de génocide ou des crimes contre l'humanité<br />

tels que définis par la Convention, du 9 décembre 1948 sur<br />

la prévention et la répression du crime de génocide, par la<br />

Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la<br />

protection des personnes civiles en temps de guerre et les<br />

Protocoles Additionnels, ainsi que par celle du 26<br />

novembre 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre<br />

et des crimes contre l'humanité.<br />

143 Article premier de la loi organique n° 08/96 du 30/8/96<br />

144 J.O. n° 6 du 15/03/2001. La loi du 26 janvier 2001 allait être modifiée et complétée par<br />

la loi du 22 juin 2001, J.O. n° 14 du 15/07/2001.


90<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

b) soit des infractions visées au Code pénal qui, selon les<br />

accusations du Ministère Public ou les témoignages à<br />

charge voire ce qu'admet le prévenu, ont été commises dans<br />

l'intention de faire le génocide ou les crimes contre<br />

l'humanité » 145 .<br />

En ce qui concerne le champ d’application dans le temps, la loi du 19<br />

juin 2004 ne pose guère de difficulté. Même si la plupart des infractions<br />

effectivement poursuivies concernent les événements de 1994, le<br />

législateur a souhaité laisser aux juges la possibilité de connaître des actes<br />

antérieurs considérés comme ayant constitué les prémices du génocide et<br />

des crimes contre l’humanité de 1994 : c’est le cas notamment des<br />

massacres de Bahima, du massacre des Bagogwe et du massacre des<br />

Tutsi du Bugesera en 1990 et en 1991. C’est ainsi que, comme c’était<br />

déjà le cas sous l’empire des lois organiques de 1996 et de 2001, la date<br />

choisie comme point de départ du champ d’application de la loi dans le<br />

temps est celle du 1 er octobre 1990.<br />

Le législateur a également fixé un terme au champ d’application rationae<br />

temporis de la loi qui régit le contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité : la date du 31 décembre 1994 146 .<br />

C’est ainsi que, pour être couverts par la loi organique du 19 juin 2004,<br />

les actes visés doivent avoir été commis au cours de la période qui<br />

s’étend du 1 er octobre 1990 au 31 décembre 1994. Rappelons qu’entretemps,<br />

une loi plus générale a été adoptée, visant le crime de génocide,<br />

les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre autres que ceux qui<br />

sont couverts par la loi organique du 19 juin 2004 147 .<br />

En ce qui concerne le champ matériel d’application, c’est-à-dire la<br />

détermination précise des infractions que la loi réprime 148 , la question est<br />

nettement plus complexe.<br />

145 Article 1 er de la loi organique n°40/2000 du 26 janvier 2001.<br />

146 Terme déjà introduit par la loi organique de 2001.<br />

147 Loi n° 33/bis/2003 du 06/09/2003 réprimant le crime de génocide, les crimes contre<br />

l’humanité et les crimes de guerre, J.O. n° 21 du 01/11/2003.<br />

148 Cette question a eu une importance particulière à l’époque des Chambres Spécialisées<br />

créées par la loi de 1996 au sein des juridictions ordinaires. Ces chambres avaient<br />

compétence exclusive pour connaître des infractions visées par la loi n° 08/96 du


91<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

D’une part, la loi organique du 19 juin 2004 s’abstient de toute définition<br />

du crime de génocide et du crime contre l’humanité. Il paraît<br />

indispensable de passer en revue les éléments constitutifs particuliers de<br />

ces crimes d’une gravité exceptionnelle (1).<br />

D’autre part, sans que le législateur l’ait expressément indiqué –<br />

contrairement d’ailleurs à ce qui avait été fait pour les lois de 1996 et de<br />

2001-, pour rendre ces deux notions opérationnelles en termes de<br />

qualification, de poursuites et de sanctions, il s’agit de vérifier les<br />

infractions qui, dans le Code pénal rwandais, peuvent, moyennant la<br />

réunion des autres éléments constitutifs du crime de génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité, répondre à ces qualifications (2).<br />

Il s’agit ensuite d’étudier la notion subsidiaire d’« autres infractions<br />

commises dans l’intention de faire le génocide » (3).<br />

Il y aura enfin lieu de se pencher sur la question des infractions prévues<br />

par d’autres textes que le Code pénal et qui pourraient avoir été commises<br />

« avec l’intention de faire le génocide » (4).<br />

1. CRIME DE GENOCIDE ET AUTRES CRIMES CONTRE<br />

L’HUMANITE<br />

1.1. La loi de 2004 : absence de définition du crime de génocide et<br />

du crime contre l’humanité<br />

30/08/1996 et ne pouvaient donc pas connaître d’autres infractions eussent-elles été<br />

commises durant la période du génocide et des massacres.


92<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Si la loi organique du 19 juin 2004 a pour objet les « poursuites et (le)<br />

jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité », elle s’abstient de définir ces notions.<br />

Seul le préambule fait mention de la Convention internationale du 9<br />

décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide 149 ,<br />

d’une part, et de la Convention internationale du 26 novembre 1968 sur<br />

l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité,<br />

ces deux conventions ayant été ratifiées par décret-loi n° 08/75 du 12<br />

février 1975 150 .<br />

Il paraît donc utile de se pencher sur les définitions juridiques du crime de<br />

génocide et du crime contre l’humanité consacrées par ces deux<br />

instruments internationaux, mais également sur celles retenues par le<br />

Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et par le Statut de<br />

la Cour Pénale Internationale, et enfin, sur celles proposées par la loi n°<br />

33bis/2003 du 6 septembre 2003 réprimant le crime de génocide, les<br />

crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.<br />

L’examen du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda<br />

paraît d’autant plus pertinent dans le cadre du présent ouvrage que l’objet<br />

du Statut est proche de celui de la loi organique du 19 juin 2004 151 . Son<br />

149 C’est d’ailleurs erronément que le préambule dit que “le crime de génocide et les<br />

crimes contre l’humanité sont prévus par la Convention internationale du 09 décembre<br />

1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide”: celle-ci ne vise en effet que<br />

le crime de génocide, et pas les autres crimes contre l’humanité.<br />

150 Tant la loi organique du 30 août 1996 que celle du 26 janvier 2001 situaient cette<br />

référence à l’article 1 er , dans la définition même de leur champ d’application, y ajoutant la<br />

Convention de Genève du 12 août 1948 relative à la protection des personnes civiles en<br />

temps de guerre et ses Protocoles additionnels. Cette troisième référence visait<br />

vraisemblablement les infractions graves au droit international humanitaire (article 3<br />

commun aux quatre Conventions de Genève), et le Protocole II qui concerne les conflits<br />

internes.<br />

151 Article 1 er : “Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les<br />

personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire<br />

commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de<br />

telles violations commises sur le territoire d’États voisins entre le 1 er janvier et le 31<br />

décembre 1994”.


93<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

rôle dans la répression du génocide et des massacres de 1994 vient<br />

compléter celui des juridictions rwandaises, et des autres juridictions<br />

nationales compétentes.<br />

Le Statut de la Cour Pénale Internationale a été adopté le 17 juillet 1998<br />

par la “Conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations Unies<br />

sur l’établissement d’une Cour Pénale Internationale”. Il est entré en<br />

vigueur le 1 er juillet 2002, date à compter de laquelle les crimes qu’il<br />

vise 152 sont susceptibles d’être poursuivis et réprimés par cette<br />

instance 153 . Cet instrument constitue l’expression et la consécration du<br />

droit international coutumier le plus récent, et offre une synthèse de la<br />

Convention de 1948, des Statuts du Tribunal Pénal International pour le<br />

Rwanda et de celui du Tribunal Pénal International pour l’ex-<br />

Yougoslavie, et de l’expérience tirée de la jurisprudence de ces deux<br />

tribunaux ad hoc.<br />

A ce titre, les définitions qu’il propose sont essentielles et font largement<br />

autorité à l’heure actuelle: elles sont les plus poussées et les plus abouties<br />

à ce jour, reflétant les évolutions récentes du droit international pénal et<br />

représentant le plus grand consensus international quant à ces définitions.<br />

Enfin, le présent ouvrage ne peut faire l’économie d’examiner les<br />

définitions retenues par la loi rwandaise du 6 septembre 2003 154 , la « loi<br />

générale sur le crime de génocide et les crimes contre l’humanité » dont<br />

l’adoption avait été annoncée dès 1996 155 : elle fait dorénavant<br />

pleinement partie du corpus juridique rwandais et, à ce titre, constitue<br />

indiscutablement l’un des éléments qui guideront le praticien du droit<br />

dans l’interprétation des concepts juridiques que la loi organique du 19<br />

juin 2003 s’abstient de définir.<br />

152 A savoir, aux termes de l’article 5, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité,<br />

les crimes de guerre et le crime d’agression, qualifiés de “crimes les plus graves qui<br />

touchent l’ensemble de la Communauté internationale”.<br />

153 La compétence de la Cour Pénale Internationale n’est pas rétroactive: elle n’est pas<br />

compétente pour juger des atrocités qu’a connues le Rwanda en 1994.<br />

154 Il convient à cet égard de noter que, contrairement à la loi organique adoptée le 19 juin<br />

2004, la loi du 6 septembre 2003 vise non seulement le crime de génocide et les crimes<br />

contre l’humanité, mais également les crimes de guerre, définis en référence aux<br />

Conventions de Genève du 12 août 1949 et à leurs protocoles additionnels.<br />

155 Voir Art. 38 de la loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des<br />

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité.


94<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

1.2. La notion de crime de génocide<br />

1.2.1. L’origine du concept<br />

C’est pendant la deuxième guerre mondiale que Raphaël Lemkin, un<br />

juriste juif polonais exilé aux Etats-Unis, a forgé le terme de<br />

« génocide » : il s’agissait de rendre compte de la gravité exceptionnelle<br />

et du caractère tout à fait particulier de l’extermination planifiée et<br />

systématique des Juifs, des Tsiganes ou encore des Témoins de Jéhova<br />

par le régime nazi :<br />

« Par « génocide », nous voulons dire la destruction d’une nation ou<br />

d’un groupe ethnique. Ce nouveau mot, forgé par l’auteur pour décrire<br />

une pratique ancienne dans ses développements modernes, est constitué<br />

par le mot grec ancien genos (race, tribu) et le latin cide (tuerie),<br />

correspondant donc dans sa formation à des mots tels que tyrannicide,<br />

homicide, infanticide, etc. » 156 .<br />

Le 11 décembre 1946, l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptait<br />

une importante résolution visant à faire sien le concept :<br />

« Le génocide est le refus du droit à l’existence à des groupes humains<br />

entiers, de même que l’homicide est le refus du droit à l’existence à un<br />

individu ; un tel refus bouleverse la conscience humaine, inflige de<br />

grandes pertes à l’humanité, qui se trouve ainsi privée des apports<br />

culturels ou autres de ces groupes, et est contraire à la loi morale ainsi<br />

qu’à l’esprit et aux fins des Nations Unies.<br />

On a vu perpétrer des crimes de génocide qui ont entièrement ou<br />

partiellement détruit des groupements raciaux, religieux, politiques ou<br />

autres.<br />

La répression du crime de génocide est une affaire d’intérêt<br />

international.<br />

L’Assemblée Générale, en conséquence,<br />

156 Raphaël Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe. Laws of Occupation. Analysis of<br />

Government. Proposal for Redress, p.79.


95<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Affirme que le génocide est un crime de droit des gens que le monde<br />

civilisé condamne, et pour lequel les auteurs principaux et leurs<br />

complices, qu’ils soient des personnes privées, des fonctionnaires ou des<br />

hommes d’Etat, doivent être punis, qu’ils agissent pour des raisons<br />

raciales, religieuses, politiques ou pour d’autres motifs ; (...) » 157 .<br />

L’examen de la définition proposée révèle que l’élément central à la base<br />

de la notion de génocide est le refus du droit à l’existence à des<br />

groupes humains entiers.<br />

Par ailleurs, l’Assemblée Générale insistait d’emblée sur le fait que la<br />

répression d’un crime d’une telle gravité s’imposait à l’égard de ses<br />

auteurs principaux, quelles que soient leur qualité ou leur fonction.<br />

Dans la même résolution, l’Assemblée Générale chargeait ensuite le<br />

Conseil économique et social de rédiger un projet de Convention sur le<br />

crime de génocide : les travaux ainsi entamés aboutirent, en 1948, à<br />

l’adoption de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la<br />

répression du crime de génocide.<br />

1.2.2. La définition du génocide dans les instruments internationaux<br />

1.2.2.1. Dans la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et<br />

la répression du crime de génocide<br />

C’est la Convention de 1948 qui, en premier, a proposé une définition<br />

juridique structurée de la notion de génocide. La Convention est<br />

aujourd’hui considérée comme faisant partie du droit international<br />

coutumier. Son article 2 se lit comme suit :<br />

« Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis<br />

dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,<br />

ethnique, racial ou religieux, comme tel :<br />

a) Meurtre de membres du groupe ;<br />

157 Résolution n° 96 adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, en sa<br />

cinquante-cinquième séance plénière, le 11 décembre 1946.


96<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du<br />

groupe ;<br />

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence<br />

devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;<br />

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;<br />

e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».<br />

La Convention s’attache ensuite à détailler les différents modes de<br />

participation criminelle qui peuvent caractériser le génocide : l’article 3<br />

incrimine non seulement le génocide proprement dit, mais également,<br />

- l’entente en vue de commettre le génocide ;<br />

- l’incitation directe et publique à commettre le génocide ;<br />

- la tentative de génocide ;(et)<br />

- la complicité dans le génocide ».<br />

Enfin, la Convention précise que la qualité ou la fonction de l’auteur<br />

importe peu : selon l’article 4, toutes les personnes ayant commis le<br />

génocide ou un des actes de participation précités sont punissables,<br />

« qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des<br />

particuliers ».<br />

1.2.2.2. Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour<br />

le Rwanda<br />

En son article 2.2., le Statut du Tribunal Pénal International pour le<br />

Rwanda 158 reproduit exactement la définition du crime de génocide<br />

énoncée à l’article 2 de la Convention du 9 décembre 1948 sur la<br />

prévention et la répression du crime de génocide. De même, il précise que<br />

sont également punissables l’entente, l’incitation, la tentative et la<br />

complicité 159 .<br />

L’article 6.1. est plus précis en ce qui concerne la participation<br />

criminelle :<br />

158 Adopté par la résolution n° 955 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en sa<br />

3453 ème séance, le 8 novembre 1994.<br />

159 Article 2.3.


97<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute<br />

autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un<br />

crime visé aux articles 2 à 4 160 du présent Statut est individuellement<br />

responsable dudit crime ».<br />

Dans le même esprit que celui de l’article 4 de la Convention de 1948, le<br />

Statut précise que la qualité officielle d’un accusé ne constitue ni une<br />

cause d’immunité ni une circonstance atténuante.<br />

« La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’État ou de<br />

gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa<br />

responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de la peine » 161 .<br />

1.2.2.3. Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale<br />

L’article 6 du Statut reproduit la définition du crime de génocide de la<br />

Convention de 1948.<br />

En outre, cet instrument précise le double « élément psychologique »<br />

nécessaire pour que l’accusé puisse être considéré comme pénalement<br />

responsable et être puni pour les crimes – et donc notamment le génocide<br />

- qui relèvent de sa compétence : l’auteur doit avoir agi avec intention et<br />

connaissance, notions qui sont ensuite définies.<br />

« Article 30 : l’élément psychologique<br />

1. Sauf disposition contraire, nul n'est pénalement responsable et ne<br />

peut être puni à raison d'un crime relevant de la compétence de<br />

la Cour que si l'élément matériel du crime est commis avec<br />

intention et connaissance.<br />

2. Il y a intention au sens du présent article lorsque:<br />

a) Relativement à un comportement, une personne entend<br />

adopter ce comportement;<br />

160 L’article 6 concerne tant le crime de génocide, que les crimes contre l’humanité et les<br />

violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel<br />

II, qui sont du ressort du TPIR.<br />

161 Article 6.2.


98<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

b) Relativement à une conséquence, une personne entend<br />

causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci<br />

adviendra dans le cours normal des événements.<br />

3. Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu'une<br />

personne est consciente qu'une circonstance existe ou qu'une<br />

conséquence adviendra dans le cours normal des événements.<br />

«Connaître» et «en connaissance de cause» s'interprètent en<br />

conséquence ».<br />

1.2.3. La définition du génocide dans la loi du 6 septembre 2003<br />

réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité<br />

et les crimes de guerre<br />

En son article 2, la loi du 6 septembre 2003 s’inspire largement de la<br />

Convention de 1948. Elle innove cependant, visant, outre un groupe<br />

humain « national », « ethnique », « racial » ou « religieux » un groupe<br />

« régional ».<br />

« Le crime de génocide s'entend de l'un des actes ci-après, commis dans<br />

l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, régional,<br />

ethnique, racial ou religieux, que ce soit en temps de paix ou en temps de<br />

guerre:<br />

- 1) Meurtre de membres du groupe;<br />

- 2) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de<br />

membres du groupe;<br />

- 3) Soumission intentionnelle des membres du groupe à des<br />

conditions d'existence devant entraîner leur destruction<br />

physique totale ou partielle ;<br />

- 4) Mesures visant à entraver les naissances au sein du<br />

groupe;<br />

- 5) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».<br />

Au même titre que l’article 3 de la Convention de 1948, la loi de 2003<br />

prévoit, en son article 17 162 la répression de l’entente, la complicité et la<br />

tentative.<br />

162 Qui concerne l’ensemble des crimes visés par la loi.


99<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Elle incrimine en outre « l’omission d’agir (…) de la part de ceux qui<br />

avaient connaissance d'ordres donnés en vue de l'exécution d'un tel crime<br />

ou de faits qui en commencent l'exécution ». Elle nuance cependant<br />

considérablement cette incrimination, précisant que l’omission n’est<br />

punissable que dans les limites des possibilités d’action de la<br />

personne concernée, et que si cette personne pouvait empêcher la<br />

consommation de l’infraction ou y mettre fin.<br />

Article 17: « Sans préjudice des dispositions du Code pénal relatives à la<br />

tentative et à la participation criminelle, les actes ci-après sont punis des<br />

peines prévues pour les infractions visées par la présente loi :<br />

1. l'ordre, même non suivi d'effet, de commettre l'un des crimes<br />

visés par la présente loi;<br />

2. la proposition ou l'offre de commettre un tel crime et<br />

l'acceptation de pareille proposition ou offre;<br />

3. l'incitation, par la parole, l'image ou l'écrit, à commettre un tel<br />

crime, même non suivie d'effet;<br />

4. l'entente en vue de commettre un tel crime, même non suivie d'<br />

effet;<br />

5. la complicité de commettre un tel crime, même non suivie d'effet;<br />

6. l'omission d'agir, dans les limites de leur possibilité d'action, de<br />

la part de ceux qui avaient connaissance d'ordres donnés en vue<br />

de l'exécution d'un tel crime ou de faits qui en commencent<br />

l'exécution, et pouvaient en empêcher la consommation ou y<br />

mettre fin;<br />

7. la tentative de commettre un tel crime ».<br />

L’article 18 exclut qu’un quelconque intérêt puisse justifier les crimes<br />

que la loi prévoit.<br />

La même disposition refuse toute pertinence à la qualité d’officiel : elle<br />

ne constitue nullement une cause d’exonération de la responsabilité<br />

pénale, pas plus qu’elle ne motive le bénéfice de circonstances<br />

atténuantes 163 .<br />

1.2.4. Les trois éléments constitutifs du crime de génocide<br />

163 Article 18, 2è alinéa.


100<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

L’examen de ces différentes définitions permet de mettre en lumière les<br />

trois éléments constitutifs qui, indiscutablement, caractérisent le crime de<br />

génocide et sans la réunion desquels il est erroné de parler de génocide au<br />

sens juridique, sous peine de banalisation de ce crime.<br />

Il faut que l’acte incriminé soit l’un de ceux visés à l’article 2 de<br />

la Convention du 9 décembre 1948 sur la prévention et la<br />

répression du crime de génocide : le meurtre, l’atteinte grave à<br />

l’intégrité physique ou mentale, la soumission intentionnelle à<br />

des conditions d’existence devant entraîner la destruction<br />

physique, les mesures visant à entraver les naissances ou le<br />

transfert forcé d’enfants.<br />

Il faut que l’acte ou les actes commis l’aient été à l’encontre de<br />

membres d’un groupe spécifique, national, racial, ethnique ou<br />

religieux.<br />

Il faut enfin que l’auteur ait été animé du « dol spécial » qui<br />

caractérise plus spécifiquement le crime de génocide : il doit<br />

avoir été animé par l’intention de détruire, en tout ou en partie,<br />

le groupe comme tel.<br />

La jurisprudence du Tribunal Pénal International pour le Rwanda propose<br />

une synthèse et une illustration concrète de ces éléments constitutifs.<br />

Ainsi, dans le jugement prononcé à l’encontre de Jean-Paul AKAYEZU,<br />

le tribunal d’Arusha précise:<br />

“Concrètement, pour que l'un quelconque des actes incriminés au<br />

paragraphe (2) de l'article 2 du Statut soit constitutif de génocide, il doit<br />

avoir été commis à l'encontre d'un ou de plusieurs individus, parce que<br />

cet ou ces individus étaient membres d'un groupe spécifique et en raison<br />

même de leur appartenance à ce groupe. Aussi, la victime de l'acte est<br />

choisie non pas en fonction de son identité individuelle, mais bien en<br />

raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse. La<br />

victime de l'acte est donc un membre du groupe, choisi en tant que tel, ce<br />

qui signifie finalement que la victime du crime de génocide est le groupe<br />

lui-même et non pas seulement l'individu” 164 .<br />

164 Jugement AKAYEZU, prononcé par le Tribunal International Pénal pour le Rwanda le<br />

2 septembre 1998, §521.


101<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

1.3. La notion de crime contre l’humanité<br />

1.3.1. L’origine du concept<br />

La notion de « crime contre l’humanité » s’est forgée au cours des<br />

siècles, pour désigner des actes d’une gravité et d’une ampleur telles que<br />

la seule qualification de « crime » ne pouvait suffire à en rendre compte.<br />

Ils furent désignés tantôt par « crimes contre la famille humaine », tantôt<br />

par « crimes de lèse-humanité », ou encore par « infractions aux lois de<br />

l’humanité », et enfin par « crimes contre l’humanité » pour signifier<br />

qu’ils ébranlaient l’humanité dans son ensemble.<br />

La Convention de La Haye (IV) de 1907, dont est issue la fameuse<br />

« clause Martens », entend placer populations et belligérants « sous la<br />

sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu'ils<br />

résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité<br />

et des exigences de la conscience publique ».<br />

Mais c’est face aux crimes commis par les Nazis au cours de la seconde<br />

guerre mondiale que le concept fut élaboré de manière structurée. Le<br />

Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945,<br />

créé « en vue d’assurer la poursuite et le châtiment des grands criminels<br />

de guerre des puissances européennes de l’Axe » allait en fournir la<br />

première définition juridique, consacrée par le jugement du Tribunal.<br />

La notion de crimes contre l’humanité devait ensuite s’affiner et se<br />

préciser, à la faveur des procès de Tokyo, puis de l’affaire Eichmann en<br />

Israël, et des affaires Barbie, Touvier et Papon en France, pour être<br />

consacrée dans le Statut du Tribunal Pénal International pour l’ex-<br />

Yougoslavie, le Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda et,<br />

enfin, dans le Statut de la Cour Pénale Internationale.<br />

1.3.2. La définition du crime contre l’humanité dans les<br />

instruments internationaux<br />

1.3.2.1. Dans la Convention du 26 novembre 1968 sur<br />

l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes<br />

contre l’humanité : renvoi au Statut du Tribunal de<br />

Nuremberg


102<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

L’article premier de la Convention du 26 novembre 1968 énonce que les<br />

crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, quelle que soit la date à<br />

laquelle ils ont été commis. Cet instrument ne propose pas de définition<br />

de la notion, mais renvoie au Statut du Tribunal militaire international de<br />

Nuremberg du 8 août 1945 et aux résolutions 3 (I) et 95 (I) de<br />

l’Assemblée Générale des Nations Unies des 13 février 1946 165 et 11<br />

décembre 1946 166 .<br />

L’article 6 (c) du Statut du Tribunal de Nuremberg définit les crimes<br />

contre l’humanité de la manière suivante :<br />

« L'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation<br />

et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles,<br />

avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs<br />

politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils<br />

aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été<br />

perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime entrant dans la<br />

compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime ».<br />

La Convention de 1968 ajoute à cette énumération, en son article<br />

premier :<br />

« L’éviction par une attaque armée ou l’occupation et les actes<br />

inhumains découlant de la politique d’apartheid, ainsi que le crime de<br />

génocide, tel qu’il est défini dans la Convention de 1948 pour la<br />

prévention et la répression du crime de génocide, même si ces actes ne<br />

constituent pas une violation du droit interne du pays où ils ont été<br />

commis » : le crime de génocide est donc considéré comme l’une des<br />

catégories possibles du crime contre l’humanité.<br />

Le Statut du Tribunal de Nuremberg prévoit que :<br />

« Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris<br />

part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot<br />

pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont<br />

165 Résolution « Privilèges et Immunités des Nations Unies ».<br />

166 Résolution qui prend acte de l’accord relatif à la création du Tribunal militaire<br />

international de Nuremberg.


103<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en<br />

exécution de ce plan » 167 .<br />

Tout comme les instruments étudiés plus haut à propos du crime de<br />

génocide, le Statut du Tribunal de Nuremberg exclut que la qualité<br />

officielle d’un accusé puisse l’exonérer de sa responsabilité pénale, ou<br />

constituer un motif de circonstance atténuante.<br />

« La situation officielle des accusés, soit comme chef d'Etat, soit comme<br />

hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse<br />

absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine » 168 .<br />

Enfin, l’ordre du supérieur hiérarchique ne dégage pas l’auteur de sa<br />

responsabilité, mais peut éventuellement motiver le bénéfice de<br />

circonstances atténuantes: « Le fait que l'accusé a agi conformément aux<br />

instructions de son gouvernement ou d'un supérieur hiérarchique ne le<br />

dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un<br />

motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice<br />

l'exige » 169 .<br />

1.3.2.2. Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour le<br />

Rwanda<br />

L’article 3 du Statut du TPIR énumère les actes qui peuvent se voir<br />

qualifier de « crimes contre l’humanité » : il s’agit de l’assassinat, de<br />

l’extermination, de la réduction en esclavage, de l’expulsion, de<br />

l’emprisonnement, de la torture, du viol, des persécutions pour des<br />

raisons politiques, raciales et religieuses et d’ « autres actes inhumains ».<br />

Pour répondre à la qualification de « crimes contre l’humanité », il faut<br />

en outre que les actes en question aient été commis dans le cadre d’une<br />

attaque généralisée et systématique, que cette attaque ait été dirigée<br />

contre une population civile et que cette population ait été ciblée en<br />

raison de son appartenance nationale, politique, ethnique, raciale ou<br />

religieuse. Enfin, l’auteur doit avoir eu la connaissance de ce que l’acte<br />

qu’il commettait participait d’une telle attaque.<br />

167 Article 6.<br />

168 Article 7.<br />

169 Article 8.


104<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

1.3.2.3. Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale<br />

C’est l’article 7(1) et (2) du Statut de la CPI qui offre la définition la plus<br />

précise et la plus détaillée du crime contre l’humanité, synthèse des<br />

évolutions récentes du droit pénal international.<br />

L’énumération des « actes inhumains » qui peuvent être qualifiés de<br />

« crimes contre l’humanité » est la suivante : le meurtre ;<br />

l’extermination ; la réduction en esclavage ; la déportation ou le transfert<br />

forcé de population ; l’emprisonnement ou autre forme de privation grave<br />

de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit<br />

international ; la torture ; le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution<br />

forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de<br />

violence sexuelle de gravité comparable; la persécution de tout groupe ou<br />

de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial,<br />

national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3,<br />

ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme<br />

inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé<br />

dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la<br />

Cour; les disparitions forcées de personnes ; le crime d'apartheid; d’autres<br />

actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de<br />

grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la<br />

santé physique ou mentale 170 .<br />

Il faut en outre que l’acte en question ait été commis dans le cadre d’une<br />

attaque généralisée ou systématique, que cette attaque ait été lancée<br />

contre une population civile, et que l’auteur ait eu connaissance de cette<br />

attaque.<br />

Il est précisé que l’ «attaque lancée contre une population civile», est « le<br />

comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au<br />

paragraphe 1 à l'encontre d'une population civile quelconque, en<br />

application ou dans la poursuite de la politique d'un État ou d'une<br />

organisation ayant pour but une telle attaque ».<br />

Le Statut de Rome s’attache ensuite à définir certains des actes qui<br />

peuvent être constitutifs de crimes contre l’humanité.<br />

170 Article 7, §1 er .


105<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

L’extermination est le fait, notamment, « d'imposer intentionnellement<br />

des conditions de vie, telles que la privation d'accès à la nourriture et<br />

aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d'une partie de<br />

la population ».<br />

La réduction en esclavage est « le fait d'exercer sur une personne l'un<br />

quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y<br />

compris dans le cadre de la traite des êtres humains, en particulier des<br />

femmes et des enfants ».<br />

La déportation ou transfert forcé de population est « le fait de<br />

déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d'autres moyens<br />

coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis<br />

en droit international ».<br />

La torture est « le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des<br />

souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant<br />

sous sa garde ou sous son contrôle; l'acception de ce terme ne s'étend<br />

pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions<br />

légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles ».<br />

La grossesse forcée, consiste en « la détention illégale d'une femme mise<br />

enceinte de force, dans l'intention de modifier la composition ethnique<br />

d'une population ou de commettre d'autres violations graves du droit<br />

international. Cette définition ne peut en aucune manière s'interpréter<br />

comme ayant une incidence sur les lois nationales relatives à la<br />

grossesse ».<br />

La persécution est le « déni intentionnel et grave de droits fondamentaux<br />

en violation du droit international, pour des motifs liés à l'identité du<br />

groupe ou de la collectivité qui en fait l'objet ».<br />

Le crime d'apartheid est constitué d’ « actes inhumains analogues à<br />

ceux que vise le paragraphe 1, commis dans le cadre d'un régime<br />

institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe<br />

racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans<br />

l'intention de maintenir ce régime ».<br />

La disparition forcée de personnes vise « les cas où des personnes sont<br />

arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique<br />

ou avec l'autorisation, l'appui ou l'assentiment de cet État ou de cette


106<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

organisation, qui refuse ensuite d'admettre que ces personnes sont<br />

privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l'endroit où<br />

elles se trouvent, dans l'intention de les soustraire à la protection de la<br />

loi pendant une période prolongée ».<br />

Enfin, rappelons que l’important « élément psychologique » visé à<br />

l’article 30 du Statut est requis tant pour le crime de génocide que pour le<br />

crime contre l’humanité : pour que l’auteur puisse être considéré comme<br />

pénalement responsable et condamné pour crimes contre l’humanité, il<br />

doit avoir agi avec intention et connaissance.<br />

1.3.3. La définition du crime contre l’humanité dans la loi du 6<br />

septembre 2003 réprimant le crime de génocide, les crimes<br />

contre l’humanité et les crimes de guerre<br />

Sans s’y référer de manière explicite, la loi du 6 septembre 2003 s’inspire<br />

dans ses grandes lignes de la définition du Statut de la Cour Pénale<br />

Internationale : celle qu’elle propose est donc plus précise que celle du<br />

Statut du Tribunal de Nuremberg, auquel renvoie la Convention de 1968<br />

sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre<br />

l’Humanité. A l’instar du Statut du TPIR, cependant, elle prévoit une<br />

exigence supplémentaire quant à la motivation de l’attaque : il faut en<br />

effet que cette attaque ait été lancée contre une population civile en<br />

raison de la nationalité, des opinions politiques, de l’ethnie ou de la<br />

religion de celle-ci. Il existe cependant deux nuances par rapport au<br />

Statut du TPIR en ce domaine : d’une part, la loi du 6 septembre 2003<br />

omet le critère de « race » 171 et d’autre part, elle préfère à la notion<br />

d’ « appartenance politique » celle d’ « opinion politique ».<br />

Article 5 :<br />

« Le crime contre l'humanité s'entend de l'un des actes ci-après commis<br />

dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre la<br />

population civile à cause de sa nationalité, de ses opinions politiques,<br />

son ethnie ou sa religion :<br />

1. meurtre ;<br />

2. extermination ;<br />

3. réduction en esclavage ;<br />

171 Que l’on retrouve cependant à propos de la persécution.


107<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

4. déportation ou transfert forcé de la population ;<br />

5. emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté de<br />

mouvement en violation de la loi ;<br />

6. torture ;<br />

7. viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, stérilisation forcée et<br />

toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;<br />

8. persécutions pour des raisons politiques, ethniques, raciales ou<br />

religieuses ou pour toute autre forme de discrimination ;<br />

9. disparitions forcées ;<br />

10. apartheid ;<br />

11. autres actes inhumains de caractère analogue à des actes<br />

précités causant intentionnellement de grandes souffrances ou<br />

des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique<br />

ou mentale ».<br />

1.3.4. Les éléments constitutifs du crime contre l’humanité<br />

L’examen de ces différentes définitions permet de mettre en lumière les<br />

éléments constitutifs qui caractérisent le crime contre l’humanité et sans<br />

la réunion desquels il est erroné de parler de crime contre l’humanité,<br />

sous peine de banalisation de ce crime.<br />

l’acte considéré doit être inhumain, c’est-à-dire qu’il doit, de par<br />

sa nature, causer, de manière intentionnelle, de grandes<br />

souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la<br />

santé physique ou mentale ;<br />

l’acte considéré doit s'inscrire dans le cadre d'une attaque<br />

généralisée ou systématique : il ne peut s’agir d’un acte isolé,<br />

aussi inhumain soit-il;<br />

l'attaque dans le cadre de laquelle s’inscrit l’acte considéré doit<br />

être dirigée contre les membres d'une population civile;<br />

A ces trois éléments constitutifs essentiels, tant le Statut du TPIR<br />

que la loi du 6 septembre 2003 en ajoutent un quatrième : l'acte<br />

doit être commis pour un ou plusieurs motifs discriminatoires,


108<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

notamment pour des motifs d'ordre national, politique, ethnique,<br />

racial 172 ou religieux.<br />

Les auteurs sont d’avis que ce critère s’applique à l’objet de la loi<br />

organique du 19 juin 2004 ; il ne pose d’ailleurs guère de difficulté<br />

d’application, les actes dont le législateur a visé la répression ayant été<br />

effectivement commis pour des motifs d’ordre ethnique ou politique.<br />

En résumé :<br />

Rappelons que le génocide constitue une catégorie de l’ensemble plus<br />

vaste des crimes contre l’humanité possibles.<br />

S’agissant des événements qu’a connus le Rwanda en 1994, l’on désigne<br />

par « génocide » l’ensemble des actes qui visaient l’extermination des<br />

Tutsi, tandis que la notion d’ « autres crimes contre l’humanité » désigne<br />

généralement les actes inhumains qui visaient les opposants Hutu au<br />

régime de l’époque et au projet génocidaire de celui-ci.<br />

Certaines décisions prises par les juridictions rwandaises sous l’empire<br />

des anciennes lois organiques opèrent d’ailleurs la distinction : le juge<br />

spécifie que telle victime a été visée en raison des opinions politiques qui<br />

lui étaient prêtées, ou que telle autre l’a été en raison de son ethnie :<br />

(le prévenu est accusé d’)« avoir assassiné<br />

ABANGANYINGABO, UGIRASHEBUJA et son épouse<br />

ainsi que TWAHIRWA, le premier à cause de son refus de<br />

collaborer à l’extermination des Tutsi, les autres à cause de<br />

leur ethnie Tutsi » 173 .<br />

Ou encore, la victime a perdu la vie parce qu’elle tentait de résister au<br />

projet génocidaire :<br />

172 Critère omis par la loi du 6 septembre 2003.<br />

173 RMP 1018/93/s1/ba/Nta,Ch. Sp. TPI de Nyamata, 30/03/1998, en cause Ministère<br />

Public contre MURANGIRA, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome IV, décision n° 10, P.195.


109<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« (Le témoin) a expliqué que l’Adjudant-chef REKERAHO<br />

Emmanuel a tué RUHUMA en lui reprochant de ne pas faire<br />

preuve de zèle dans les massacres des Tutsi et d’avoir caché des<br />

Tutsi » 174 .<br />

La Constitution du 4 juin 2003 appuie la nuance : l’article 152 dispose en<br />

effet « Il est institué des Juridictions GACACA chargées des poursuites et<br />

du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et<br />

d’autres crimes contre l’humanité commises entre le 1 er octobre 1990 et<br />

le 31 décembre 1994 ». La distinction est plus sensible encore dans la<br />

version en kinyarwanda du texte « Ibyaha bya jenoside n’ibindi byaha<br />

byibasiye inyokomuntu ».<br />

C’est la formulation de cette disposition constitutionnelle qui a amené le<br />

législateur de 2004 à substituer à la conjonction « ou » la conjonction<br />

« et », assortie de la précision « d’autres » : de « Loi organique portant<br />

création des Juridictions GACACA et organisation des poursuites des<br />

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 »<br />

du 26 janvier 2001, l’on est passé à « Loi organique portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des Juridictions GACACA chargées des<br />

poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de<br />

génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis… » du 19 juin<br />

2004.<br />

Le juge est ainsi appelé à préciser si les faits qui lui sont soumis et qu’il<br />

estime établis sont constitutifs ou non du crime de génocide ou d’autres<br />

crimes contre l’humanité, et à motiver la qualification retenue.<br />

2. LES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE PENAL,<br />

SUSCEPTIBLES D’ETRE CONSTITUTIVES DE CRIME DE<br />

GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE<br />

L’HUMANITE<br />

Parmi les infractions prévues par le Code pénal qui peuvent, moyennant<br />

les conditions énoncées plus haut, être constitutives du crime de génocide<br />

174 RMP 2636/AM/KGL/IKT/96, Ch. Sp. du Conseil de Guerre, 30/08/1999, affaire<br />

REKERAHO Emmanuel et Consorts, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome VI, décision 11, 78 ème feuillet, 2 ème « Constate ».


110<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

ou d’autres crimes contre l’humanité, l’on peut retenir essentiellement<br />

l’assassinat et le meurtre, l’enlèvement, la séquestration et la torture, et le<br />

viol ; enfin, les coups et blessures volontaires, s’ils atteignent un degré de<br />

gravité tel qu’ils constituent des actes inhumains (crime contre<br />

l’humanité) et/ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale<br />

(crime de génocide).<br />

Quoique la jurisprudence produite à ce jour dans le contentieux du<br />

génocide se fonde sur la loi organique du 30 août 1996, son examen est<br />

riche d’enseignement pour le praticien qui sera appelé à appliquer la loi<br />

organique du 19 juin 2004.<br />

2.1. L’assassinat<br />

L’assassinat se définit en droit rwandais comme « le meurtre commis<br />

avec préméditation ou guet-apens » 175 . En droit commun, il est passible<br />

de la peine de mort.<br />

Cette infraction qui nécessite que l’élément intentionnel soit manifeste et<br />

identifiable avant la commission de l’infraction par des actions préalables<br />

(attente de la victime pour lui porter atteinte, organisation préalable de<br />

l’action...) est très largement retenue comme constitutive de crime de<br />

génocide. L’appréciation du caractère prémédité de l’acte varie en<br />

fonction des circonstances. Elle peut se déduire :<br />

- de la planification préalable de l’acte :<br />

« Constate que l’infraction d’assassinat est établie à charge de<br />

RWANTELI car toutes les victimes ont été tuées après<br />

préméditation comme l’affirment tous les témoins, la preuve<br />

éclatante étant qu’il y a eu une réunion à l’endroit dénommé<br />

CAVEA au cours de laquelle il a été décidé que les Tutsi devaient<br />

mourir et que ce plan a été mis à exécution » 176 .<br />

175 Article 312 Code pénal, Titre II : Des infractions contre les personnes.<br />

176 RMP 78 003/S2/NY.U/BMG, Ch. Sp. TPI Cyangugu, 08/10/1997, affaire RWANTELI<br />

Védaste, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV, décision<br />

n° 3, 20 ème feuillet, 4 ème « Constate », P. 73.


111<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

- ou simplement par la participation active à une attaque visant,<br />

consciemment, à tuer un groupe particulier de personnes :<br />

« Constate que le crime de génocide et l’infraction d’assassinat<br />

sont établis à charge de UWIHANGANYE Etienne et SIBOMANA<br />

car ils les reconnaissent eux-mêmes et qu’ils en sont chargés par<br />

leur coprévenu NSABIMANA, que chacun d’eux avoue avoir<br />

participé aux attaques dont l’objectif était d’exterminer les Tutsi<br />

tel que cela se faisait dans tout le pays, qu’ils ont fouillé partout<br />

dans la brousse où ils ont délogé RUTAYISIRE et MUZEHE et<br />

qu’ils les ont tués à coups de massues » 177 .<br />

Le défaut de préméditation entraîne, quant à lui, une possible<br />

requalification de l’infraction en meurtre comme l’indique le<br />

raisonnement suivant :<br />

« Constate que le crime d'assassinat n'est pas établi à sa charge<br />

car il est évident que son acte n'était pas prémédité car tout au<br />

départ il a proposé que la victime soit conduite chez le Conseiller<br />

mais que, par la suite, il a changé d'avis, que c'est à ce<br />

moment-là qu'il l'a frappée à coups de massue alors que la<br />

victime était ligotée » 178 .<br />

Est également considéré comme assassin, au regard du Code pénal « celui<br />

qui, pour l’exécution de son crime, quelle qu’en soit la dénomination,<br />

emploie des tortures ou commet des actes de barbarie » 179 ; les<br />

mutilations infligées à la victime constituent, au même titre que la<br />

préméditation ou le guet-apens, une circonstance aggravante du meurtre,<br />

qui est alors automatiquement assimilé à un assassinat, qu’il y ait eu<br />

préméditation ou non.<br />

La jurisprudence rwandaise, à ce titre, tend à retenir ce caractère<br />

spécifique de l’infraction de l’homicide accompagné de tortures :<br />

177 RMP 82515/S4/ND/NSE, Ch. Sp. TPI Kibungo, 03/02/2000, affaire NSABIMANA<br />

Célestin, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision<br />

n° 6, 3 ème feuillet, 2 ème « Constate », P. 144.<br />

178 RMP 110 498/S1/NK.A/NT.M/N.G, Ch. Sp. TPI Rushashi, 11/11/1999, affaire<br />

SENDAKIZE Stanislas, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome V, décision n° 11, 12 ème feuillet, 5 ème « Constate », Pp. 251-252.<br />

179 Article 316 du Code pénal.


112<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« (La Chambre Spécialisée) constate que SENDAKIZE doit être<br />

puni pour (…) l’assassinat précédé de tortures : le concerné<br />

ayant poignardé sa victime la première fois qu'elle n'en est pas<br />

morte et s'est sauvée, que son bourreau l'a poursuivie et l'a une<br />

nouvelle fois poignardée » 180 .<br />

Le seul fait que l’assassinat soit établi ne suffit pas à qualifier l’acte de<br />

crime de génocide : il faut en outre que cet acte ait visé les membres d’un<br />

groupe spécifique, et que son auteur ait été animé du « dol spécial »<br />

requis. C’est ainsi que certaines Chambres Spécialisées se sont<br />

considérées comme incompétentes dans un certain nombre de cas dont<br />

l’examen permettait de conclure qu’ils étaient étrangers au projet<br />

génocidaire. Dès lors que l’intention de commettre le génocide n’était pas<br />

établie, il s’agissait de faits de droit commun ne relevant pas de leur<br />

compétence :<br />

« (La Chambre Spécialisée) constate qu’en vertu de l’article 1 er<br />

de la Loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 sur l’organisation<br />

des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide<br />

ou de crimes contre l’humanité commises à partir du 1 er octobre<br />

1990, la Chambre Spécialisée est incompétente pour connaître de<br />

l’infraction d’assassinat d’Emmanuel et MUGABO qui a été<br />

commise en juillet 1991 au camp militaire de KIGALI car, selon<br />

le témoignage de HABIMANA Ananie, MUGABO et Emmanuel<br />

auraient été tués non en raison de leur ethnie, mais à cause d’une<br />

dette qu’ils avaient envers MUZATSINDA Emmanuel, que cette<br />

infraction relève ainsi de la compétence des juridictions<br />

ordinaires » 181 .<br />

Saisi d’une situation semblable, le Tribunal de Province ou de la Ville de<br />

Kigali, ou le Tribunal Militaire devrait suivre un raisonnement similaire:<br />

n’étant pas compétent, en droit commun, pour connaître de l’assassinat,<br />

180 RMP 110 498/S1/NK.A/NT.M/N.G, Ch. Sp. TPI Rushashi, 11/11/1999, affaire<br />

SENDAKIZE Stanislas, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome V, décision n° 11, 11 ème feuillet, 6 ème « Constate », P. 251.<br />

181 RMP 9009/S11/NG/KE, Ch. Sp. TPI Kigali, 17/03/1998, affaire MUZATSINDA<br />

Emmanuel, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome VI,<br />

décision n° 7, 19 ème feuillet, 2 ème « Constate ».


113<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

ces juridictions devraient se dessaisir, au profit de la Haute Cour de la<br />

République ou de la Haute Cour Militaire 182 .<br />

2.2. Le meurtre<br />

En vertu de l’article 311 du Code pénal, « l’homicide commis avec<br />

l’intention de donner la mort est qualifié de meurtre ». En droit commun,<br />

il emporte la peine d’emprisonnement à perpétuité pour l’auteur reconnu<br />

coupable.<br />

Cette atteinte volontaire à l’intégrité physique d’autrui commise dans le<br />

but d’entraîner sa mort ne nécessite pas qu’il y ait eu préméditation de<br />

l’acte, au contraire de ce qui est requis pour l’assassinat.<br />

L’intention et le caractère volontaire de l’acte doivent cependant être<br />

manifestes pour qu’une telle qualification puisse être retenue. Cette<br />

infraction exclut donc des actes commis sans que l’intention préalable de<br />

donner la mort soit établie.<br />

Compte tenu de la spécificité du contentieux du génocide et des actes<br />

perpétrés, où l’action planifiée et préméditée était la règle, cette infraction<br />

n’est que rarement retenue dans le contentieux du génocide et des autres<br />

crimes contre l’humanité : la majorité des homicides volontaires retenus<br />

sont qualifiés d’assassinat.<br />

Néanmoins, il y a parfois lieu de distinguer entre le dol spécial requis<br />

pour le génocide (l’intention de détruire en tout ou en partie le groupe<br />

visé) et le caractère prémédité ou non de l’acte considéré : il arrive que le<br />

juge constate qu’un homicide volontaire, bel et bien commis à l’encontre<br />

de la victime en raison de son ethnie et dans l’intention de participer au<br />

projet de destruction de cette ethnie, a été commis au hasard de la<br />

rencontre entre le bourreau et sa victime.<br />

2.3. L’enlèvement, la séquestration et la torture<br />

L’acte d’enlever ou de faire enlever, arrêter ou faire arrêter, détenir ou<br />

faire détenir par violences, ruses ou menaces une personne est réprimé<br />

comme étant un attentat à la liberté individuelle par l’article 388 du Code<br />

182 Voir le chapitre consacré aux règles attributives de compétence.


114<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

pénal. En droit commun, cet acte est punissable d’un emprisonnement de<br />

cinq à dix ans.<br />

Cet acte peut être en outre être assorti de circonstances aggravantes : la<br />

durée de la détention (une détention d’une durée de plus d’un mois<br />

entraîne une peine de 20 ans d’emprisonnement) ou le fait que la victime<br />

a fait l’objet de tortures durant la séquestration (l’auteur est alors<br />

punissable de la peine d’emprisonnement à perpétuité et, si les tortures<br />

ont entraîné la mort, de la peine de mort).<br />

Comme pour l’homicide volontaire, la torture ne constitue pas une<br />

infraction distincte, mais bien une circonstance aggravante de l’infraction<br />

principale de séquestration.<br />

Cette infraction d’enlèvement et de séquestration n’a été que très<br />

rarement retenue dans le contentieux du génocide et des autres crimes<br />

contre l’humanité à ce jour. La jurisprudence en la matière concerne<br />

essentiellement des actes commis par des autorités administratives locales<br />

ou par des autorités militaires qui ont, au cours de la période du génocide,<br />

enfermé des victimes avant de les tuer ou de les faire tuer, ou séquestré<br />

des femmes afin de les violer. C’est ainsi que cette infraction a été<br />

notamment retenue dans une décision du Conseil de guerre, en cause du<br />

Sous-Lieutenant DUSABEYEZU Eustache 183 .<br />

Alors que, sous l’empire des lois organiques de 1996 et de 2001, c’est la<br />

troisième catégorie qui, visant les « autres atteintes graves à la personne »<br />

semblait le mieux adaptée à cette infraction, elle pourrait désormais valoir<br />

classement en première catégorie si la circonstance aggravante de la<br />

torture est retenue. En effet, la nouvelle loi organique classe en première<br />

catégorie « la personne qui a commis les actes de tortures quand bien<br />

même les victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses<br />

complices » 184 .<br />

183 RMP 0010/CG-CS/98, 22/12//1998, affaire DUSABEYEZU Eustache, Recueil de<br />

Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, décision n° 15, P. 236 où<br />

l’infraction de séquestration et d’enlèvement est déclarée établie à charge du prévenu.<br />

184 Article 1 er – 4°), loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004. Voir à ce sujet le chapitre<br />

consacré à la catégorisation.


115<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Il convient, à ce sujet, de relever qu’en l’absence d’une définition<br />

autonome et précise de la torture en droit rwandais, le rattachement<br />

automatique des auteurs de faits de cette nature à la première catégorie ne<br />

va pas sans poser de problèmes. Saisi de faits qualifiés de « torture » en<br />

phase pré-juridictionnelle, le juge aura à vérifier si ces faits correspondent<br />

aux définitions de la torture communément admises en droit international.<br />

Rappelons que le Statut de la Cour Pénale Internationale la définit comme<br />

« le fait d'infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances<br />

aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde<br />

ou sous son contrôle » 185 . Plus précise encore, la Convention des Nations<br />

Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains<br />

ou dégradants du 10 décembre 1984, qui tient lieu de référence<br />

universelle, la définit comme suit : « le terme "torture" désigne tout acte<br />

par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales,<br />

sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment<br />

d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des<br />

aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou<br />

est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur<br />

elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour<br />

tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit,<br />

lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un<br />

agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre<br />

officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite<br />

(...) » 186 .<br />

2.4. Le viol<br />

Le viol est réprimé par l’article 360 du Code pénal. Cette disposition ne<br />

contient pas de définition de ce crime. Il est cependant clair que le viol<br />

implique l’exercice d’une forme de violence envers la victime. A la<br />

violence est assimilé « le fait d’abuser d’une personne qui, par l’effet<br />

d’une maladie, par l’altération de ses facultés ou par toute autre cause<br />

accidentelle, a perdu l’usage de ses sens ou en a été privée par quelque<br />

artifice » 187 . L’usage de menaces, de violences ou de ruse permettra au<br />

185 Article 7.<br />

186 Article 1 er .<br />

187 Article 360 du Code pénal.


116<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

juge de différencier l’acte forcé et contraint de l’acte consenti entre<br />

personnes majeures.<br />

En droit commun, la peine encourue par l’auteur de viol est de cinq à dix<br />

ans d’emprisonnement, en l’absence des circonstances aggravantes<br />

prévues par le code.<br />

Il convient d’examiner dans quelles conditions le viol peut être considéré<br />

comme crime de génocide et/ou comme crime contre l’humanité. La<br />

Convention internationale du 9 décembre 1948 sur la prévention et la<br />

répression du crime de génocide ne vise pas expressément le viol.<br />

Cependant, il est possible de le rattacher aux « atteintes graves à<br />

l’intégrité physique ou mentale » des membres du groupe dont l’auteur<br />

recherche l’extermination totale ou partielle, atteintes visées à l’article IIb<br />

de la Convention. Le viol peut, d’autre part, être considéré, bien<br />

évidemment, comme un acte inhumain (d’ailleurs expressément cité dans<br />

le Statut du TPIR en son article 3 et dans celui de la Cour Pénale<br />

Internationale en son article 7) qui, s’il intervient dans le cadre d’une<br />

attaque généralisée, visant une population civile pour des raisons<br />

discriminatoires, peut être constitutif de crime contre l’humanité.<br />

Aujourd’hui, il n’est plus discuté que le viol a été largement utilisé, au<br />

cours de conflits récents, comme « arme de guerre », et qu’il peut être,<br />

selon les cas, constitutif du crime de génocide 188 ou d’autres crimes<br />

contre l’humanité.<br />

L’on commence à peine à prendre la mesure de l’ampleur de la pratique<br />

du viol dans le contexte du génocide de 1994 au Rwanda. L’un des<br />

révélateurs de cette échelle est celui de la transmission, dans des<br />

proportions terribles, du virus VIH/SIDA aux victimes du viol.<br />

Pourtant, la reconnaissance des victimes et la répression des viols commis<br />

dans le cadre des événements de 1994 continuent à se heurter à<br />

d’importantes difficultés. Le prix à payer par la victime qui a le courage<br />

de dénoncer les faits qu’elle a subis est souvent insupportable : elle voit,<br />

trop généralement, s’ajouter à la difficulté de surmonter le traumatisme<br />

du crime subi, le drame de la stigmatisation sociale, sans pouvoir compter<br />

automatiquement sur un encadrement psychologique adéquat.<br />

188 TPIR, n° 96-4-T, affaire AKAYEZU.


117<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Au plan judiciaire, les tribunaux paraissent peu enclins à déclarer établis<br />

des faits de viol. Dans bon nombre de cas, la parole de la victime est<br />

opposée à celle de l’auteur présumé 189 . Les tribunaux sont loin d’accorder<br />

systématiquement plus de crédit aux déclarations de la victime.<br />

Sous l’empire de la loi organique de 1996, seuls les auteurs d’« actes de<br />

tortures sexuelles » -non autrement définis- étaient rangés en première<br />

catégorie 190 . Sous la loi organique de 2001 et celle du 19 juin 2004<br />

désormais en vigueur, « la personne qui a commis les actes de viol ou les<br />

actes de tortures sexuelles ainsi que ses complices » 191 relèvent de la<br />

première catégorie. Il s’agit, d’une part, de protéger la victime de la<br />

« publicité » des débats devant les juridictions Gacaca et, d’autre part,<br />

d’affirmer le caractère de gravité particulière que revêt ce crime.<br />

Sous l’empire de l’ancienne loi, des faits de viol n’entraînaient pas<br />

nécessairement le classement en première catégorie, s’ils n’étaient pas<br />

assortis de « tortures sexuelles » 192 . Ainsi un prévenu convaincu de viol<br />

sur une mineure a été classé en deuxième catégorie :<br />

« Constate que l’infraction de viol d’une mineure de moins de 16 ans<br />

est établie à charge de NDUWUMWAMI Viateur car, après avoir<br />

tué M.R., il a directement emmené sa fille N. J. pour la violer, la<br />

menaçant de la tuer comme sa mère en cas de résistance (…)<br />

« Constate que les infractions commises par NDUWUMWAMI<br />

Viateur le rangent dans la deuxième catégorie » 193 .<br />

189 RMP 1663/AM/KGL/NZF/97, Ch. Sp. Conseil de Guerre, 26/11/1998, affaire Sergent<br />

BARAYAGWIZA Ildephonse, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome III, décision n° 17. Pp 309 et suivantes. Dans cette affaire le prévenu est<br />

acquitté car la déclaration de la plaignante est jugée peu crédible, celle-ci ayant vu le<br />

prévenu plusieurs fois après les faits sans le dénoncer aux autorités. La circonstance<br />

qu’elle ait été amenée à rester sous la « protection » du prévenu n’ôte cependant rien au<br />

fait qu’à l’origine, elle ait été contrainte à cette relation.<br />

190 Voir article 2 Catégorie 1-d), loi organique du n° 08/96 du 30/08/1996.<br />

191 Voir article 51 catégorie 1-5°), loi organique n° 19/2004 du 19 juin 2004.<br />

192 Dans plusieurs cas les auteurs de viol étaient classés dans une catégorie autre que la<br />

première tant qu’ils n’étaient pas déclarés coupables d’un acte distinct, entraînant le<br />

classement en première catégorie.<br />

193 RMP 79119/S2/BA, Ch. Sp. TPI Cyangugu, 06/10/1997, affaire NDUWUMWAMI<br />

Viateur, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n°<br />

3, Pp 41-42. L’anonymat est ici le fait des auteurs.


118<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Dans des cas de jurisprudence qui retiennent l’infraction de viol ou de<br />

« tortures sexuelles », les juges mettent en évidence :<br />

- l’abus de confiance commis par un « protecteur » envers sa<br />

victime :<br />

« Constate que le Caporal NDAZIGARUYE est coupable de<br />

l’infraction de viol sur P.B. car, comme elle le dit, le Caporal<br />

NDAZIGARUYE l’a enlevée aux meurtriers qui allaient la tuer<br />

dont son grand frère CANGA, et l’a conduite dans sa maison où il<br />

l’a violée cette nuit-là et deux autres fois quand il revenait dans la<br />

région » 194 .<br />

- ou l’humiliation que le bourreau a fait subir à la victime :<br />

« Constate que les violences et les tortures sexuelles commises à<br />

l’égard de MMT sont établies à charge de NYECUMI parce qu’il<br />

apparaît dans sa défense qu’il a participé au viol de MMT, lui<br />

faisant perdre sa dignité de mère » 195 .<br />

2.5. Les coups et blessures volontaires<br />

Les coups et blessures volontaires sont prévus par les articles 318 et<br />

suivants du Code pénal. L’on distingue selon qu’ils ont été portés avec<br />

préméditation ou guet-apens 196 , selon qu’ils ont provoqué une<br />

incapacité 197 ou encore selon qu’ils ont provoqué la mort alors même que<br />

l’auteur n’avait pas eu l’intention de la donner 198 . En l’absence de l’une<br />

de ces circonstances aggravantes, en droit commun, l’auteur de coups et<br />

194 RMP 1444/AM%/KGL/NZF/97, Ch. Sp. du Conseil de Guerre, 16/08/1999, affaire<br />

Caporal NDAZIGARUYE Emmanuel, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome IV, décision n°17, 28 ème feuillet, 10 ème « Constate », P. 363. L’anonymat<br />

est ici le fait des auteurs.<br />

195 RMP 21660/S4/MBF, 08/08/97, Ch. Sp. TPI Gitarama, affaire KABERUKA G. et<br />

Consorts, 30 ème feuillet, 8 ème constate. Affaire non encore publiée.<br />

196 Article 318 al. 2 du Code pénal. Ceci constitue une circonstance aggravante.<br />

197 Article 319 du Code pénal.<br />

198 Article 321 du Code pénal.


119<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

blessures volontaires encourt une peine d’emprisonnement d’un mois à<br />

un an, et/ou une amende de cinq cents à deux mille francs.<br />

Dans le contexte du génocide et des massacres au Rwanda, les coups et<br />

blessures ne peuvent être considérés comme constitutifs de génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité que s’ils atteignent un degré de gravité<br />

tel qu’ils constituent des « atteintes graves à l’intégrité physique ou<br />

mentale », ou des « actes inhumains », assortis des autres éléments<br />

constitutifs du crime de génocide (membre d’un groupe visé ; une volonté<br />

d’exterminer ce groupe en tout ou en partie) ou des crimes contre<br />

l’humanité (attaque généralisée ; contre une population civile ; élément<br />

discriminatoire). En l’absence d’un tel degré de gravité, ils ne pourraient<br />

être sanctionnés sur pied de la loi organique du 19 juin 2004 qu’en tant<br />

qu’« autres infractions prévues par le Code pénal ayant été commises<br />

dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité ».<br />

La jurisprudence en la matière n’apporte que peu d’exemples de coups et<br />

blessures sans intention de donner la mort. Le plus souvent, l’acte est<br />

considéré comme ayant été commis avec une telle intention 199 , et les<br />

coups et blessures s’apparentent dès lors, dans la plupart des cas, à une<br />

tentative de meurtre ou d’assassinat.<br />

Le peu de cas recensés dans la jurisprudence a amené le législateur à<br />

fondre l’ancienne troisième catégorie dans la deuxième. Cependant, la<br />

distinction est maintenue en ce qui concerne la peine 200 : l’auteur dont il<br />

est établi qu’il était animé de l’intention de donner la mort sera<br />

sanctionné plus sévèrement que l’auteur dont il n’est pas permis<br />

d’affirmer qu’il avait cette intention.<br />

Le juge est donc appelé à examiner cette question, et à motiver la<br />

qualification retenue, puisqu’elle conditionnera la hauteur de la peine.<br />

3. LES AUTRES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE<br />

PENAL ET COMMISES « AVEC L’INTENTION DE FAIRE<br />

199 RMP 39509/S4/MBF, Ch. Sp. TPI Ruhengeri, 25/03/1999, affaire RWAGAKIGA,<br />

Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n°10, 2 ème<br />

et 7 ème feuillets, Pp. 226 et 232.<br />

200 Les points 1°) et 2°) de la Catégorie 2 concernant ceux qui ont agi avec l’intention de<br />

donner la mort, alors que le point 3°) de cette Catégorie 2 concerne ceux qui ont agi sans<br />

intention de donner la mort. Voir article 51 Catégorie 2, loi organique du 19 juin 2004.


120<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

LE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE<br />

L’HUMANITE »<br />

Outre les infractions constitutives du crime de génocide et de crimes<br />

contre l’humanité proprement dits, le législateur rwandais a inclus, dans<br />

le champ d’application matériel de la loi organique régissant le<br />

contentieux du génocide, les infractions au Code pénal «commises dans<br />

l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ».<br />

Rigoureusement, ces infractions ne constituent pas en elles-mêmes le<br />

crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité et ne devraient,<br />

par conséquent, pas être qualifiées comme telles.<br />

Il y a lieu de souligner, à cet égard, la nuance qui distingue le libellé de<br />

l’article 1 er de la loi organique de 2004 de celui de l’article 1 er de la loi<br />

organique de 1996.<br />

Alors que la loi de 1996 visait, subsidiairement aux infractions<br />

constitutives de génocide et de crimes contre l’humanité, les infractions<br />

prévues par le Code pénal et « commises en relation avec les évènements<br />

entourant le génocide et les crimes contre l’humanité », la loi de 2001 et<br />

surtout celle de 2004, désormais en vigueur, visent les infractions<br />

commises « dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes<br />

contre l’humanité ».<br />

La distinction peut avoir une certaine incidence : la nouvelle formulation<br />

est plus restrictive que celle qui avait été retenue à l’origine. La<br />

formulation « des évènements entourant le génocide ou d’autres crimes<br />

contre l’humanité » retenue dans la loi de 1996 visait le contexte plutôt<br />

que l’intention de l’auteur de l’infraction. Sous l’empire de la nouvelle<br />

loi, l’accent est mis sur l’intention : il ne suffit pas qu’une infraction ait<br />

été commise à l’époque ni même dans le contexte du génocide et des<br />

massacres pour qu’elle entre automatiquement dans le champ<br />

d’application de la loi du 19 juin 2004. Il faut qu’elle ait été commise<br />

effectivement dans l’intention de perpétrer le génocide : ainsi, le voleur<br />

qui aurait mis à profit le contexte de chaos général qui régnait en 1994<br />

pour dérober des biens à ses voisins ne tombera pas nécessairement sous<br />

le coup de la loi du 19 juin 2004, s’il n’est pas établi qu’il était animé non<br />

seulement de l’intention de voler, mais en outre de l’intention et de la<br />

conscience de participer au projet criminel général du génocide et des<br />

autres crimes contre l’humanité.


121<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

3.1. L’association de malfaiteurs<br />

L’infraction d’association de malfaiteurs est visée aux articles 281 à 283<br />

du Code pénal : « toute association formée, quel que soit le nombre de<br />

ses membres ou sa durée, dans le but d’attenter aux personnes ou aux<br />

propriétés, est un crime qui existe par le seul fait de l’organisation de la<br />

bande » 201 . Les créateurs, organisateurs, provocateurs et chefs d’une telle<br />

association encourent, en droit commun, une peine de cinq à vingt ans<br />

d’emprisonnement, tandis que les autres membres peuvent être<br />

condamnés à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement.<br />

Pour que l’infraction d’association de malfaiteurs puisse être retenue, il y<br />

a lieu d’examiner les éléments suivants :<br />

- le nombre : même si l’article 281 du Code pénal indique « quel<br />

que soit le nombre », l’on ne peut imaginer une association de<br />

malfaiteurs formée d’une seule personne ;<br />

- la volonté : il faut que la volonté de s’associer existe. Ceci<br />

distingue l’association des malfaiteurs d’un regroupement qui<br />

serait le fruit du hasard ;<br />

- le but : les malfaiteurs doivent s’être associés dans le but de<br />

porter atteinte aux personnes et/ou aux biens.<br />

Ne pouvant être retenue à elle seule comme constitutive de crime de<br />

génocide ou de crimes contre l’humanité, l’association de malfaiteurs<br />

peut s’inscrire dans le cadre de ce contentieux comme infraction commise<br />

dans « l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité ».<br />

Ainsi, est discutable la motivation de l’association de malfaiteurs<br />

suivante :<br />

« Constate que l’infraction d’association de malfaiteurs est établie à<br />

charge de BIZIMANA Antoine car, même s’il n’a pas commis de<br />

meurtre, il avait l’habitude de se promener en compagnie de quelquesuns<br />

des tueurs tels que REKERAHO (…)» 202 .<br />

201 Article 281 du Code pénal.<br />

202 RMP 42031/S8/NKM/NRA, TPI Gikongoro, 20/02/2002, affaire BIZIMANA Antoine<br />

Alias MABUYE, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome III,


122<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

En revanche sont plus pertinents, les raisonnements suivants :<br />

Exemple 1 :<br />

« Constate que (…) l’infraction d’association de malfaiteurs n’est<br />

pas établie à leur charge car l’existence de cette infraction exige<br />

qu’il y ait eu une concertation préalable au cours de laquelle les<br />

personnes s’accordent sur un même acte qu’ils mettent ensuite à<br />

exécution » 203 .<br />

Exemple 2<br />

« Constate que l’infraction d’association de malfaiteurs n’est pas<br />

établie à sa charge car le Ministère Public et les témoins n’ont pas<br />

rapporté de preuves palpables, le (seul) fait que ses frères étaient<br />

des Interahamwe ne peut signifier qu’elle a fait partie d’une<br />

association de malfaiteurs dès lors qu’il n’y a aucun acte qu’elle<br />

aurait commis avec ce groupe de gens » 204 .<br />

Exemple 3<br />

« Constate que l’infraction d’association de malfaiteurs n’est pas<br />

établie à sa charge car tel qu’il a été dit précédemment, aucune<br />

preuve ne montre qu’il y a eu un groupe de malfaiteurs organisé<br />

avec, à sa tête, des chefs connus, qu’il y a eu seulement un<br />

attroupement de gens, les uns ayant pour but de tuer alors que<br />

d’autres n’ont rien fait » 205 .<br />

décision n° 4, 22 ème feuillet, 1 er « Constate », P.136. Le prévenu BIZIMANA a été par la<br />

suite acquitté par la Cour d’Appel de Nyabisindu par un arrêt en date du 11/12/2002 qui a<br />

écarté ce raisonnement sur l’association de malfaiteurs.<br />

203 RMP 98 228/S2/HJD, Cour d’Appel de Nyabisindu, 14/11/1997, affaire<br />

NYILISHEMA André, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome VI, décision n° 9, 7 ème feuillet, 1 er « Constate ».<br />

204 RMP 7049/S1/MB, Ch. Sp. TPI Kigali, affaire MUKAKAYIJUKA Hadidja, Recueil<br />

de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda Tome III, décision n° 9, 10 ème feuillet,<br />

1 er « Constate », P. 214.<br />

205 RMP 110 498/S1/NK.A/NT.M/N.G., Ch. Sp. TPI Rushashi, 11/11/1999, affaire<br />

SENDAKIZE Stanislas, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda,Tome V, décision n° 11, 12 ème feuillet, 6 ème « Constate », P. 252.


123<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Ainsi, il faut donc que l’individu en cause ait eu la volonté personnelle de<br />

s’associer avec d’autres dans un projet commun d’atteinte aux personnes<br />

et/ou aux biens.<br />

Notons que, là où l’infraction est retenue, la catégorisation est malaisée :<br />

aucune des trois catégories existantes n’est réellement adéquate, et, sous<br />

l’empire de la loi organique de 1996, le juge se gardait, la plupart du<br />

temps, de motiver précisément le classement qu’il retenait.<br />

3.2. L’attentat ayant pour but de porter la dévastation,<br />

le massacre ou le pillage<br />

L’infraction d’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre<br />

ou le pillage est prévue à l’article 168 du Code pénal. Cette infraction non<br />

explicitement définie dans le code figure parmi les atteintes à la sûreté<br />

intérieure de l’Etat sous le titre premier du livre deuxième du Code pénal,<br />

qui recense les infractions contre la chose publique. En droit commun,<br />

son auteur encourt une peine de quinze à vingt ans d’emprisonnement.<br />

Le Code pénal vise ici à ériger en infraction l’acte qui a pour but de<br />

déstabiliser le régime en place, de porter atteinte au bon fonctionnement<br />

de l’Etat et à son autorité. Les actes commis pendant le génocide avaient<br />

en commun de viser la destruction des Tutsi et des opposants au régime<br />

en place ; plutôt que d’avoir pour but la déstabilisation du pouvoir alors<br />

en place, ils visaient au contraire le maintien de son caractère<br />

discriminatoire. Il y a donc en principe incompatibilité entre la définition<br />

de l’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat qui caractérise l’infraction<br />

définie à l’article 168 du Code pénal et les circonstances du génocide, qui<br />

excluent l’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou<br />

le pillage » du champ d’application matériel de la loi organique du<br />

19 juin 2004.<br />

Cependant, les divergences d’interprétation quant à l’infraction d’attentat<br />

ayant pour but de porter la dévastation par le massacre et le pillage sont<br />

notables à l’examen de la jurisprudence dans le contentieux du génocide<br />

au Rwanda.<br />

Deux tendances s’affrontent :


124<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Certaines juridictions mettent en avant le fait de dévaster les structures<br />

existantes, de piller les biens publics ou privés dans le chaos du génocide<br />

et de massacrer hommes et bétails dans ce cadre. L’élément d’atteinte aux<br />

pouvoirs établis s’efface pour laisser place à la nature de l’acte. Un tel<br />

raisonnement est illustré par les exemples suivants :<br />

Exemple 1<br />

Exemple 2<br />

« Constate qu’est établie à charge de NZIRASANAHO et<br />

MUNYAKAZI Pascal, la prévention d’avoir dévasté le pays par<br />

les massacres massifs, car partout où ils menaient des attaques,<br />

tuant les innocents cités plus haut, ils ne se privaient pas de<br />

détruire leurs maisons et piller leurs biens » 206 .<br />

« (La Chambre Spécialisée) constate qu’elle est également<br />

coupable du crime de dévastation du pays et porter massacres<br />

puisqu’elle a dirigé les massacres dans le secteur MUHIMA où<br />

ils ont pillé et fouillé à la recherche de Tutsi et de ceux qu’ils<br />

appelaient complices, victimes qu’ils exécutaient dès qu’ils les<br />

découvraient, ce qui a mis tout MUHIMA à feu et à sang» 207 .<br />

Ici également, si l’infraction est déclarée établie, la « catégorisation » de<br />

son auteur est malaisée : elle ne correspond rigoureusement à aucune des<br />

catégories prévues par les lois régissant le contentieux du génocide.<br />

D’autres tribunaux privilégient au contraire une interprétation stricte du<br />

Code pénal: quelle que soit la nature et l’ampleur des faits, ils ne peuvent<br />

s’apparenter à l’infraction en question, puisque, par définition, les auteurs<br />

ne visaient pas à déstabiliser le pouvoir en place mais, au contraire,<br />

estimaient agir en sa faveur. Dans les exemples suivants, l’infraction<br />

d’attentat ayant pour but de porter la dévastation par le massacre et le<br />

206 RMP 042/97/Cs/Nmta/Gde, Ch. Sp. Nyamata, 09/09/1998, affaire NZIRASANAHO<br />

Alexis, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong>/Cour Suprême du Rwanda, Tome I, décision n° 11,<br />

7 ème feuillet, avant dernier « Constate », P. 149.<br />

207 RMP 6509/S12NRV, Ch. Sp. TPI Kigali, 17/07/1998, affaire KAMATAMU Euphrasie<br />

et Consorts, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome I, décision<br />

n° 10, 7 ème « Constate », P. 131.


125<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

pillage est considérée comme ne pouvant être retenue dans le cadre du<br />

contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité.<br />

Exemple 1<br />

Exemple 2<br />

« (La Chambre Spécialisée) déclare que les infractions à charge<br />

de tous les prévenus à l’exception de RUGASIRA N. et de<br />

NDAHIMANA Elias sont établies sauf l’infraction de<br />

dévastation car il n’y a pas eu atteinte à la sûreté de l’Etat<br />

puisque l’Etat était au courant des actes commis » 208 .<br />

« (La Chambre Spécialisée) constate que l’infraction d’attentat<br />

ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou le<br />

pillage prévue par l’article 168 du Code pénal rwandais vise la<br />

déstabilisation des institutions en place au moment de sa<br />

commission, que dans le cas présent les auteurs présumés ne<br />

visaient pas le pouvoir d’alors mais que leur but était plutôt de<br />

le soutenir, que NTARWANDA Jean Baptiste ne devrait donc<br />

pas être poursuivi de ce chef même au cas où il serait prouvé<br />

qu’il a commis les faits qui lui sont reprochés » 209 .<br />

Il convient enfin de noter que la soustraction de bétail ou de matériaux de<br />

construction, même isolée, a été occasionnellement qualifiée de<br />

« pillage » et réprimée sur pied de l’article 168, là où la qualification de<br />

« vol » aurait mieux correspondu à la réalité de l’acte et à sa gravité<br />

relative.<br />

3.3. La violation de domicile<br />

La violation de domicile d’autrui est réprimée aux articles 304 et 305 du<br />

Code pénal, en tant qu’atteinte au droit des particuliers. Se rend coupable<br />

de cette infraction « celui qui pénètre contre la volonté de l’occupant<br />

208 RMP 61 312/S5/ML/NKT-91/01/99, Ch. Sp. TPI Gisenyi, 12/02/1999, affaire<br />

GAKURU Tharcisse, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome<br />

II, décision n° 5, 9 ème feuillet, 1 er « Déclare », P. 82.<br />

209 RMP 270842/S4/M.P., Ch. Sp. TPI Gitarama, 05/04/1999, affaire NTARWANDA<br />

Jean Baptiste, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV,<br />

décision n° 6, 17 ème feuillet, 5 ème « Constate », P.136.


126<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

d’une maison, un appartement, une chambre, ou tout autre logement ou<br />

leurs dépendances clôturées ». En droit commun, son auteur encourt une<br />

peine d’emprisonnement de huit jours à deux mois et/ou une amende<br />

maximale de deux mille francs. La violation peut être assortie de<br />

circonstances aggravantes : c’est le cas lorsqu’elle est commise soit à<br />

l’aide de menaces ou de violences contre les personnes, soit au moyen<br />

d’effraction, d’escalade ou de fausses clefs.<br />

Comme le précise l’article 304 du Code pénal 210 , ces infractions ne<br />

concernent pas les perquisitions effectuées par les autorités habilitées<br />

dans le cadre de leur fonction et autre cas d’intrusion chez autrui permis<br />

par la loi.<br />

La violation de domicile a été retenue principalement, dans le cadre du<br />

contentieux du génocide, pour caractériser deux types d’actions :<br />

- l’intrusion de particuliers dans le but de rechercher les victimes et<br />

/ou de piller leurs biens ;<br />

Exemple 1<br />

« Constate que MVUMBAHE Denys est aussi coupable des<br />

infractions d’association de malfaiteurs, de violation de<br />

domicile et de vol à l’aide de violences parce qu’avant<br />

d’assassiner NDEKEZI Donatien, ils l’ont d’abord recherché<br />

jusqu’à le déloger de la maison de Marcianne UKWITEGETSE<br />

où il se cachait en dessous de feuilles de haricots sèches<br />

(…) » 211 .<br />

Exemple 2<br />

« Constate que KANYABUGANDE est coupable de l’infraction<br />

de violation de domicile après la mort de Juvénal<br />

HABYARIMANA ancien chef de l’Etat (avril 1994) car les<br />

210 « Celui qui, sans ordre de l’autorité et hors les cas où la loi permet d’entrer dans le<br />

domicile des particuliers contre leur volonté se sera introduit (…)»<br />

211 RMP 56 204/S4/NA/KBY, Ch. Sp. TPI Kibuye, 16/07/2000, affaire MVUMBAHE<br />

Denys, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong>/Cour Suprême du Rwanda,Tome VI, décision n° 6,<br />

18 ème feuillet, 1 er « Constate »


127<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

membres des attaques dirigées par lui se sont introduits dans<br />

des maisons à la recherche des victimes à tuer ainsi que dans<br />

tous les endroits où elles avaient trouvé refuge et se<br />

cachaient » 212 .<br />

- l’intrusion hors les cas où la loi le permet et sans mandat<br />

spécifique d’agents de l’Etat ;<br />

« Constate que lors des attaques organisées par l’Adjudant-chef<br />

REKERAHO Emmanuel, des personnes ont été tuées et des<br />

domiciles ont fait l’objet de fouilles illégales, qu’il est ainsi<br />

coauteur des infractions de violation de domicile et de fouille<br />

illégale prévues et réprimées par les articles 32 et 35 du Code<br />

de procédure pénale, ainsi que par l’article 304 du Code pénal<br />

livre II » 213 .<br />

Pour que cette infraction soit retenue comme ayant été commise « dans<br />

l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité », il<br />

faut que la conscience et la volonté de l’auteur de participer à ce projet<br />

criminel soient établies, et le juge devra le spécifier dans sa motivation.<br />

Notons enfin que, tout comme pour l’association de malfaiteurs et<br />

l’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le massacre ou le<br />

pillage, la catégorisation est malaisée.<br />

3.4. Les atteintes aux biens<br />

Certains des actes réprimés à ce jour sur pied de l’article 168 du Code<br />

pénal en tant qu’attentat ayant pour but de porter la dévastation du pays<br />

par les massacres et les pillages nous paraissent relever en réalité de la<br />

catégorie des atteintes aux biens: dans de nombreux cas, les qualifications<br />

de vol, vol à main armée, incendie et destruction de bien appartenant à<br />

autrui ou de destruction d’animaux paraissent plus adéquates.<br />

C’est le raisonnement suivi dans l’extrait de jugement suivant :<br />

212 RMP 10 529/S3/ND/KB, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire<br />

KANYABUGANDE François, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome III, décision n° 2, 20 ème feuillet, 9 ème « Constate » ; P.84.<br />

213 RMP 2636/AM/KGL/IKT/96, Ch. Sp. du Conseil de Guerre, 30/08/1999, affaire<br />

REKERAHO Emmanuel et Consort, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong>/Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome VI, décision 11, 80 ème feuillet, 4 ème « Constate ».


128<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« Constate que l’infraction de dévastation du pays par les massacres et<br />

les pillages reprochée à HAKIZIMANA Augustin n’est pas établie à sa<br />

charge car elle relève du domaine de l’atteinte aux pouvoirs établis ;<br />

qu’il doit plutôt être puni pour celle de vol avec violences qui est établie<br />

à sa charge » 214 .<br />

Les atteintes aux biens entraînent le classement de leur auteur en<br />

troisième catégorie (anciennement quatrième catégorie), et ne peuvent<br />

être sanctionnés par une peine d’emprisonnement.<br />

Le vol, le vol à main armée et l’extorsion<br />

Le vol et ses variantes sont prévus aux articles 399 à 403 ter du Code<br />

pénal. Ces infractions, compte tenu de leur nature, sont des atteintes à la<br />

propriété privée : elles ne peuvent, en tant que telles, être considérées<br />

comme constitutives du crime de génocide et de crimes contre<br />

l’humanité.<br />

Cependant, dans nombre de cas ces infractions constituent un<br />

prolongement de l’action génocidaire en ce sens que la dépossession<br />

matérielle peut précéder ou suivre l’anéantissement physique de<br />

l’individu membre du groupe visé. Dans ce cas, la dépossession des biens<br />

fait corps avec l’intention de commettre le génocide et les crimes contre<br />

l’humanité.<br />

Le problème se pose surtout à l’égard de ceux qui ont commis<br />

uniquement des atteintes aux biens, à l’exclusion de tout meurtre ou<br />

atteinte grave à l’intégrité physique des personnes. Dans ces cas, il y a<br />

lieu de distinguer entre ceux qui ont pu profiter du chaos pour<br />

s’approprier le bien d’autrui et ceux qui, sciemment et volontairement,<br />

participaient au projet génocidaire, s’emparant des biens de telle personne<br />

en raison de son ethnie, pour contribuer à son anéantissement.<br />

Dans le cadre du contentieux du génocide, les vols avec violences ou sous<br />

menaces (de mort) constituent une part importante des infractions<br />

relatives aux atteintes aux biens d’autrui.<br />

214 RMP 0452/S13/RE, TPI de Kigali, 06/04/2001, affaire HAKIZIMANA Augustin,<br />

Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,Tome V, décision n° 8, 15 ème<br />

feuillet, 3 ème « Constate », P. 198.


129<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« Constate que MVUMBAHE est aussi coupable des infractions<br />

(…) de vol à l’aide de violences parce (...) qu’après avoir sorti<br />

NDEKEZI de la maison, ils l’ont dépouillé de l’argent qu’il<br />

avait et ont également exigé de Marcienne de leur donner la<br />

somme de 1.000 Frw, qu’ils ont ensuite demandé à NDEKEZI<br />

de leur donner une autre somme d’argent pour le relâcher » 215 .<br />

L’incendie et la destruction de biens appartenant à autrui<br />

L’infraction d’incendie volontaire et ses variantes (incendie de maisons<br />

habitées ou non, incendie d’autres éléments appartenant à autrui) sont<br />

prévues aux articles 437 à 443 du Code pénal. La destruction d’objets ou<br />

de monuments est prévue à l’article 444 du Code pénal. Le fait de<br />

dégrader ou de renverser de tels objets est assimilé à leur destruction. La<br />

destruction de récoltes, la dégradation d’arbres et d’autres propriétés sont,<br />

quant à elles, visées à l’article 447 du Code pénal.<br />

Les éléments constitutifs de ces infractions doivent être identifiés de<br />

manière précise par le juge. La maison a-t-elle été incendiée ou détruite?<br />

par qui ? était-elle habitée ? Il faut en outre, pour qu’ils tombent sous le<br />

coup de la loi organique du 19 juin 2004, que les faits procèdent de<br />

l’intention de commettre le génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité.<br />

Dans le cas suivant les juges ont cherché à établir ces éléments :<br />

« Constate qu’à propos de l’infraction d’incendie des maisons<br />

reprochées aux prévenus, même s’il apparaît que plusieurs<br />

maisons ont été en fait détruites ou incendiées, aucune des<br />

enquêtes effectuées ne démontre d’une manière irréfutable que<br />

ce sont eux qui les ont détruites » 216 .<br />

La destruction d’animaux<br />

215 RMP 56 204/S4/NA/KBY, Ch. Sp. TPI Kibuye, 16/07/2000, affaire MVUMBAHE<br />

Denys, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda,Tome VI, décision n°<br />

6, 18ème feuillet, 1 er « Constate ».<br />

216 RMP 960858/S2/HAV, Ch. Sp. TPI Gikongoro, 28/03/1997, affaire MUNYAWERA<br />

Vénuste, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong>/Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n°<br />

4, 12 ème feuillet, dernier « Constate », P. 57.


130<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Cette infraction prévue à l’article 450 du Code pénal est définie comme<br />

l’action de celui qui aura « méchamment et sans nécessité, tué ou<br />

gravement blessé des bestiaux ou animaux domestiques appartenant à<br />

autrui ». La réunion des éléments constitutifs de cette infraction doit être<br />

constatée par le juge.<br />

Dans le contentieux du génocide et des massacres, cette infraction ne peut<br />

éventuellement être retenue que si elle est clairement associée à la<br />

logique d’anéantissement des membres des groupes humains visés. Il y a<br />

donc lieu de vérifier si elle précède, accompagne ou suit les crimes<br />

commis à l’encontre des propriétaires et procède de la même volonté.<br />

Dans la pratique, à ce jour, les juges ne se sont apparemment guère<br />

attachés à vérifier l’absence de nécessité ou la méchanceté requises pour<br />

cette infraction :<br />

« Constate que seule la 5 ème infraction de destruction volontaire<br />

d’animaux domestiques appartenant à autrui est établie à charge<br />

de MBARUBUKEYE John et de RUVUZAMPAMA Laurent car<br />

eux-mêmes avouent avoir abattu le bétail de GATSIMBANYI et<br />

de NKURIKIYINKA, qu’également tous leurs codétenus affirment<br />

qu’ils se sont partagés la viande provenant des vaches pillées ;<br />

MBARUBUKEYE les appelant par leurs noms tandis que<br />

NYIRIMIGABO distribuait sa part à chacun » 217 .<br />

Il y a enfin lieu de souligner encore que de tels actes ont pu être retenus<br />

en tant qu’infraction de « pillage », et réprimés, à tort, sur pied de l’article<br />

168 du Code pénal, alors que les biens pillés sont des biens privés et ne<br />

correspondent pas à la volonté d’attenter à la sécurité de l’Etat que<br />

requiert cette infraction. Le libellé de la prévention suivante illustre cette<br />

tendance :<br />

217 RMP 82 693/S4/ND, Ch. Sp. TPI Kibungo, 29/09/2000, affaire UKEZIMFURA Jean,<br />

Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome VI, décision n° 5,<br />

10 ème feuillet, 1 er « Constate ».


131<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« Avoir dans les mêmes circonstances de temps et de lieux pillé le<br />

bétail appartenant aux victimes, article 168 du Code pénal » 218 .<br />

3.5. L’outrage à cadavre<br />

L’outrage à cadavre, visé par le Code pénal dans le cadre de « pratiques<br />

interdites » est définie comme l’action menée par « celui qui aura<br />

méchamment déterré ou mutilé un cadavre humain ou l’aura outragé de<br />

quelque manière que ce soit » et est réprimé par l’article 352. En droit<br />

commun, son auteur encourt une peine d’emprisonnement de deux mois à<br />

deux ans et/ou une amende de mille à cinq mille francs.<br />

Cette infraction présuppose que l’auteur agisse sur un cadavre : il y a lieu<br />

de la distinguer des sévices infligés à une personne mourante. La<br />

prévention d’outrage à cadavre n’a pas été souvent retenue, à ce jour,<br />

dans le contentieux du génocide. Quelques cas sont cependant à signaler,<br />

tel que le fait de brûler les corps de personnes que l’on a assassinées 219 , le<br />

fait de jeter dans les latrines les cadavres 220 , ou encore le fait de découper<br />

en morceaux les corps de victimes.<br />

Innovant par rapport aux textes qui l’ont précédée, la loi du 19 juin 2004,<br />

classe l’auteur de l’outrage à cadavre en première catégorie 221 , ce qui<br />

paraît constituer une entorse au principe de non-rétroactivité de la loi<br />

pénale.<br />

3.6. L’infraction de non-assistance à personne en danger<br />

L’article 256, 2° du Code pénal incrimine « Quiconque s’abstient<br />

volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans<br />

risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son action<br />

personnelle, soit en provoquant un secours ».<br />

218 RMP 61 312/S5/ML/N.K.T-91/01/99, Ch. Sp. Gisenyi, 12/02/1999, affaire GAKURU<br />

Tharcisse, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision<br />

n° 5, 2 ème feuillet, 4 ème « Avoir », P. 69.<br />

219 RPA 44/I/98/NZA, Cour d’appel de Nyabisindu, 26/05/1999, Affaire.<br />

MUKANYANGEZI Joséphine, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome V, décision n° 14. P.304. Voir les préventions.<br />

220 RMP 39347/S4, Ch. Sp. TPI Ruhengeri, 17/08/1999, affaire NDINKABANDI Gaspard<br />

alias IRIKONJE et consorts, 5 ème et 10 ème feuillets, décision non encore publiée.<br />

221 Voir article 51 Catégorie 1- 5°), loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004.


132<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Une telle abstention constitue l’infraction de non-assistance à personne en<br />

danger. Pour que cette infraction soit établie, deux conditions préalables<br />

sont requises :<br />

L’existence d’une personne en péril;<br />

La possibilité d’apporter un secours à la personne en péril ou de<br />

le provoquer, sans risque pour soi ni pour les tiers.<br />

L’élément « matériel » de l’infraction consiste dans,<br />

le fait de s’abstenir de porter personnellement cette assistance, et<br />

le fait de s’abstenir de provoquer le secours d’un tiers.<br />

Enfin, l’infraction ne pourra être retenue contre l’auteur de l’abstention<br />

que si celle-ci était volontaire.<br />

Dans le cadre du contentieux du génocide et des autres crimes contre<br />

l’humanité, cette infraction soulève plusieurs difficultés.<br />

1. Peut-on, dans le même temps, accuser un même individu d’actes<br />

de commission avec l’intention de détruire tout ou partie du<br />

groupe et lui reprocher de n’avoir pas porté secours aux membres<br />

du groupe. En d’autres termes, peut-on reprocher à un assassin de<br />

n’avoir pas porté secours à sa victime ?<br />

La logique voudrait que si un acte de commission, avec<br />

l’intention de détruire tout ou partie du groupe, est reproché à<br />

l’individu, l’on ne lui reproche plus la non-assistance aux<br />

membres du groupe. Le fait de retenir à la fois l’assassinat<br />

constitutif du crime de génocide et l’infraction de non-assistance<br />

à personne en danger à charge de la même personne, pour les<br />

mêmes victimes, n’ajoute du reste rien à la répression. Le<br />

concours d’infractions amènera à prononcer la peine prévue pour<br />

l’infraction la plus grave.<br />

2. Peut-on imaginer dans le contexte du génocide, une personne qui<br />

n’aurait commis que la seule infraction de non-assistance à<br />

personne en danger ? Dans le cas où seule cette infraction<br />

caractériserait le mieux l’attitude du prévenu, la non-assistance à


133<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

personne en danger pourrait, théoriquement, être retenue. Mais<br />

encore y aurait-il lieu de prouver que, non seulement, l’action<br />

que le prévenu s’est abstenu de poser n’aurait pas présenté de<br />

risque pour lui-même ou pour des tiers – ce qui, dans le cadre des<br />

événements de 1994, paraît peu réaliste - que cette abstention<br />

était volontaire, mais qu’en outre, en s’abstenant, le prévenu<br />

entendait contribuer au projet génocidaire.<br />

Certes, le droit international prévoit, parmi les modes de participation<br />

criminelle au crime de génocide ou aux crimes contre l’humanité,<br />

certaines abstentions d’agir. Il n’en est cependant question qu’en ce qui<br />

concerne le partage des responsabilités entre un supérieur hiérarchique et<br />

son subalterne : ainsi, aux yeux du Statut du Tribunal Pénal International<br />

pour le Rwanda, le supérieur hiérarchique doit être tenu responsable<br />

d’actes commis par un subordonné s’il connaissait les intentions de celuici<br />

(ou avait des raisons de les connaître) et s’était abstenu d’agir pour<br />

l’empêcher de les mettre à exécution, ou s’il était au courant (ou avait des<br />

raisons de l’être) des actes effectivement commis par le subordonné, et<br />

s’était abstenu de sanctionner ces actes :<br />

« Le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 4 du présent<br />

Statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de<br />

sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le<br />

subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le<br />

supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour<br />

empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs » 222 .<br />

Il s’agit ici, non pas de réprimer l’infraction de non-assistance à personne<br />

en danger, mais bien de rendre compte du fait que, dans certains cas,<br />

l’abstention d’agir d’un supérieur hiérarchique peut équivaloir à une<br />

approbation tacite, voire à une incitation: lorsque des massacres sont<br />

commis en présence d’une autorité qui ne fait rien pour s’y opposer, il ne<br />

s’agit pas là de simple non-assistance à personne en danger, mais d’un<br />

cas de complicité des crimes commis. Par son silence, l’autorité couvre<br />

les massacres, acquiesce et délivre un message d’impunité aux criminels.<br />

Dans de tels cas, il peut donc y avoir une forme de responsabilité, par<br />

omission d’agir, pour crime de génocide ou crimes contre l’humanité.<br />

222 Article 6.3. du Statut du TPIR.


134<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

Le Statut de Rome instaurant la Cour Pénale Internationale est plus<br />

exigeant encore: pour que la responsabilité “par omission” du supérieur<br />

hiérarchique soit engagée, le commandement ou le contrôle, et l’autorité<br />

dont il disposait devaient être “effectifs” 223 .<br />

Dans le même sens, rappelons que l’article 17 de la loi du 6 septembre<br />

2003 qui réprime le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes<br />

de guerre ne rend l’omission d’agir punissable que si la personne était<br />

effectivement en mesure d’empêcher la consommation de l’infraction ou<br />

d’y mettre fin, et uniquement dans les limites des possibilités dont elle<br />

disposait réellement.<br />

La jurisprudence du contentieux du génocide et des massacres s’est<br />

divisée sur la question de la non-assistance à personne en danger. L’on<br />

peut distinguer, grosso modo, deux périodes.<br />

Dans un premier temps, de nombreuses juridictions ont retenu l’infraction<br />

de non-assistance à personne en danger comme étant soit constitutive du<br />

crime de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, soit commise en<br />

relation avec le génocide ; parmi celles-ci certaines ont cependant<br />

privilégié une approche nuancée, veillant à apprécier les possibilités<br />

réelles d’action dont disposait le prévenu auquel l’omission est reprochée,<br />

notamment au regard de sa qualité d’autorité.<br />

« (La Chambre Spécialisée) constate que l’infraction de nonassistance<br />

à personne en danger reprochée à KANYABUGANDE<br />

est établie à sa charge, car, en sa qualité d’autorité et étant en<br />

possession d’un fusil, il avait les moyens de s’opposer aux<br />

attaques et aurait pu défendre les victimes s’il ne faisait pas<br />

partie desdites attaques » 224 .<br />

Par la suite, nombre de juges ont écarté cette infraction, la considérant<br />

comme incompatible avec le crime de génocide.<br />

223<br />

Article 28 du Statut de la CPI: “Responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs<br />

hiérarchiques”.<br />

224<br />

RMP 10 529/S3/ND/KB, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire<br />

KANYABUGANDE François, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome III, décision n°2, 20 ème feuillet, 8 ème « Constate », P. 84.


135<br />

Exemple 1<br />

Exemple 2<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

« Constate que l’infraction de non-assistance à personne en<br />

danger reprochée à tous les prévenus ne peut être reçue et<br />

examinée car il est inconcevable qu’une personne poursuivie<br />

pour avoir eu l’intention de tuer puisse également se voir<br />

reprocher de ne pas avoir assisté ou provoqué du secours en<br />

faveur de la victime qu’il voulait tuer » 225 .<br />

« Constate que n’est pas établie à leur charge l’infraction de<br />

non-assistance à personnes en danger car il leur était impossible<br />

de prendre part à des expéditions qui tuaient les Tutsi, et de leur<br />

apporter en même temps assistance » 226 .<br />

4. LES FAITS REPRIMES PAR D’AUTRES TEXTES QUE LE<br />

CODE PENAL : LA QUESTION DES INFRACTIONS SUR<br />

LES ARMES A FEU<br />

Les infractions relatives aux armes à feu, notamment la détention illégale<br />

d’armes à feu, le port d’armes prohibées et la distribution d’armes à feu<br />

ne sont pas prévues par le Code pénal. Elles sont érigées en infractions<br />

par un texte particulier, le Décret-loi n° 12/79 du 07 mai 1979 227 .<br />

La question est de savoir si ces infractions rentrent dans le champ<br />

matériel du contentieux du génocide et des massacres au Rwanda.<br />

En sa seconde partie, l’article 1 er de la loi organique du 19 juin 2004 fait<br />

directement et exclusivement référence au Code pénal pour les infractions<br />

autres que celles qui sont constitutives de crime de génocide ou d’autres<br />

crimes contre l’humanité, mais qui ont été commises avec « l’intention de<br />

faire le génocide ». L’on peut donc estimer que la volonté du législateur a<br />

été de viser les seules infractions prévues par le Code pénal, ce qui exclut<br />

225 RMP 49 932/S7, TPI Butare, 14/03/2003, affaire Dr HIGIRO Célestin, Recueil de<br />

jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 1, 40 ème feuillet,<br />

5 ème « Constate », P. 58.<br />

226 RMP 21249/S4/KL, Ch. Sp. TPI Gitarama, 22/10/1999, affaire SIBORUGIRWA<br />

Azarias et Consort, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome II,<br />

décision n° 7, 9 ème feuillet, 2 ème « Constate », P. 105.<br />

227 J.O. 1979, P. 343.


136<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

du champ matériel du contentieux les infractions prévues par le Décretloi<br />

du 07 mai 1979 sur les armes à feu. Ces infractions ne constitueraient<br />

alors, éventuellement, que des éléments de preuve quant à la commission<br />

du génocide ou d’autres crimes contre l’humanité.<br />

Une telle lecture de la loi, rigoureuse d’un point de vue juridique, rend<br />

cependant mal compte du contexte qui prévalait en 1994 : le génocide a<br />

été rendu possible notamment par la distribution illégale d’armes à<br />

grande échelle, leur détention et leur utilisation.<br />

L’examen de la jurisprudence montre à quel point la question est<br />

controversée. A ce jour, trois tendances se sont dessinées :<br />

Une première tendance considère que les infractions sur les armes à<br />

feu rentrent pleinement dans le champ matériel du contentieux du<br />

génocide et de massacres de 1990 à 1994 au Rwanda. Elle a souvent<br />

été constatée sous l’empire de la loi organique du n° 08/96 du<br />

30/08/1996.<br />

Cette loi avait mis en place des Chambres spécialisées pour le<br />

contentieux du génocide. Le simple fait pour le juge de se<br />

prononcer sur ces infractions relatives aux armes à feu équivalait<br />

alors à dire qu’il s’estimait compétent à en connaître comme<br />

infractions rentrant dans ce contentieux. Ainsi certains juges ont<br />

retenu ces infractions 228 .<br />

Certains autres ne les ont pas retenues, non parce qu’ils ne<br />

s’estimaient pas compétents pour en connaître mais parce que les<br />

éléments constitutifs n’étaient pas réunis. Tel est le cas du juge<br />

qui ne retient pas la détention illégale d’arme à feu au motif que<br />

l’accusé l’avait légalement reçue 229 .<br />

Une deuxième tendance considère que ces infractions peuvent être<br />

rattachées au contentieux du génocide si elles sont connexes à des<br />

228 RMP 21660/S4/MBF, 08/08/97, Ch. Sp. TPI Gitarama, affaire KABERUKA G. et<br />

Consorts. Affaire non encore publiée.<br />

229 RMP 10 529/S3/ND/KB, Ch. Sp. TPI Byumba, 02/05/1997, affaire<br />

KANYABUGANDE François, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong>/Cour Suprême du Rwanda,<br />

Tome III, décision n°2.


137<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

infractions effectivement constitutives du crime de génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité. Cette tendance peut être illustrée<br />

par l’extrait de jugement suivant :<br />

«l’infraction de détention illégale d’armes à feu reprochée à<br />

RUTAYISIRE Théogène devrait être connexe à toutes les<br />

infractions dont il est acquitté, que dès lors qu’il n’a pas<br />

utilisé ce fusil pour commettre des actes de génocide que le<br />

Tribunal est appelé à connaître, il n’y a pas lieu de le<br />

condamner et le Tribunal l’en acquitte » 230 .<br />

Une troisième tendance considère que ces infractions ne rentrent pas<br />

dans le champ matériel du contentieux du génocide et des massacres<br />

au Rwanda. Elle s’est affirmée de manière de plus en plus<br />

importante, et paraît majoritaire dans la jurisprudence la plus récente.<br />

Cette position peut être illustrée par l’extrait de jugement suivant :<br />

« Constate que la compétence matérielle des chambres<br />

spécialisées est prévue par les articles 1 er et 19 de la Loi<br />

organique du 30/08/1996 (…) Que l’infraction de port illégal<br />

d’arme est prévue par une loi particulière différente de celle<br />

relative au crime de génocide et des dispositions du Code<br />

pénal rwandais, que par voie de conséquence la Chambre<br />

Spécialisée n’est pas compétente pour en connaître » 231 .<br />

Même si ce raisonnement s’appuie sur l’ancienne loi de 1996, et que la<br />

question conditionnait alors la compétence matérielle des chambres<br />

spécialisées, il demeure largement d’actualité.<br />

Sous l’empire de la loi organique du 19 juin 2004, l’on peut synthétiser<br />

de la manière suivante:<br />

230 RMP 4974/S12/UJ, 22/02/1999, Ch. Sp. TPI Kigali, affaire RUTAYISIRE Thèogène,<br />

Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong>/Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 10, 13éme<br />

feuillet, 4 ème « Constate ». P. 176.<br />

231 RMP 270842/S4/M.P., Ch. Sp. TPI Gitarama, 05/04/1999, affaire NTARWANDA<br />

Jean Baptiste, Recueil de Jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome IV,<br />

décision n° 6, 17 ème feuillet, 4 ème « Constate ».P. 136.


138<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

- le juge ne pourra pas connaître des infractions aux armes à feu<br />

prévues par le décret-loi du 07 mai 1979 en tant qu’elles seraient<br />

constitutives du crime de génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité, puisque ces infractions ne constituent pas en ellesmêmes<br />

les crimes visés, même si elles ont constitué des moyens<br />

de perpétrer ces crimes.<br />

- le juge ne pourra pas connaître de ces infractions sur les armes à<br />

feu en tant qu’infractions prévues par le Code pénal et commises<br />

« dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité », puisque ces infractions ne sont pas prévues par le<br />

Code pénal.<br />

- le juge pourra cependant connaître de ces infractions sur les<br />

armes à feu en tant qu’infractions connexes, relevant du droit<br />

commun.<br />

Conclusion<br />

L’identification des infractions qui relèvent du champ matériel<br />

d’application de la loi du 19 juin 2004, et leur qualification n’est pas<br />

chose aisée. La difficulté est due, au moins en partie, au fait que la<br />

législation rwandaise n’avait pas envisagé avant ces terribles événements<br />

un texte spécifique réprimant le génocide et les crimes contre l’humanité.<br />

Il a donc fallu tenter de concilier le droit commun et les conventions<br />

internationales : c’est ainsi, qu’en 1996, le législateur a décidé de recourir<br />

à la technique de la « double incrimination ».<br />

Dans un premier temps, le juge aura systématiquement à vérifier si les<br />

faits qui lui sont soumis présentent l’ensemble des éléments constitutifs<br />

requis pour être qualifiés d’infraction, selon le Code pénal rwandais.<br />

S’il répond par l’affirmative, il aura à vérifier ensuite si l’acte en question<br />

est l’un de ceux visés par la Convention de 1948 sur la prévention et la<br />

répression du crime de génocide : meurtre, atteinte grave à l’intégrité<br />

physique ou mentale, soumission intentionnelle à des conditions<br />

d’existence devant entraîner la destruction physique, mesures visant à<br />

entraver les naissances ou transfert forcé d’enfants. Si c’est le cas, il


139<br />

Le champ matériel du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité au Rwanda<br />

devra vérifier si l’auteur visait les membres du groupe ethnique Tutsi en<br />

tant que tels, et s’il était animé par l’intention de détruire en tout ou en<br />

partie ce groupe ethnique. Ce n’est que s’il répond par l’affirmative à<br />

l’ensemble de ces questions que le juge déclarera l’auteur coupable de<br />

crime de génocide.<br />

Si l’acte incriminé n’est pas l’un des actes matériels visés par la<br />

Convention contre le génocide, ou s’il ne visait pas les membres de<br />

l’ethnie Tutsi en tant que tels, il y aura lieu de vérifier s’il peut être<br />

qualifié d’« acte inhumain » au sens où l’entendent les définitions du<br />

crime contre l’humanité en droit international. Dans l’affirmative, le juge<br />

devra vérifier si l’acte a été commis dans le cadre d’une attaque<br />

généralisée ou systématique visant une population civile, et s’il a été<br />

commis pour des motifs discriminatoires. Ce n’est que s’il répond par<br />

l’affirmative à l’ensemble de ces questions que le juge déclarera l’auteur<br />

coupable de crime contre l’humanité.<br />

Enfin, si l’acte matériel ne se rattache pas à l’un de ceux visés par la<br />

Convention de 1948 contre le génocide, et s’il ne peut être qualifié<br />

d’« acte inhumain » au sens où l’entendent les définitions du crime contre<br />

l’humanité, le juge aura à vérifier si l’infraction peut être considérée<br />

comme ayant été commise avec l’intention de commettre le génocide ou<br />

les autres crimes contre l’humanité : il distinguera ainsi le criminel<br />

« opportuniste » de celui qui savait et voulait participer au projet<br />

génocidaire.<br />

Ces distinctions sont subtiles et la tâche du juge est complexe. Mais ce<br />

n’est qu’au prix d’une telle rigueur que justice peut être faite. Car ce n’est<br />

pas faire honneur à la mémoire des victimes que de ne pas traduire, par la<br />

qualification appropriée, la différence entre le vol d’une tôle, et<br />

l’extermination d’hommes, de femmes et d’enfants dont le seul tort était<br />

d’être Tutsi, ou d’être considérés comme des opposants réels ou en<br />

puissance.


Introduction<br />

CHAPITRE VII<br />

LA CATEGORISATION<br />

141<br />

Le principe de la mise en catégorie des personnes accusées de crime de<br />

génocide et d’autres crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le<br />

1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 a été instauré par le premier<br />

texte appelé à régir ce contentieux, la loi organique du 30 août 1996. Le<br />

législateur estima alors que les simples qualifications classiques du droit<br />

pénal rwandais et les échelles de peine qu’il prévoyait ne pouvaient<br />

suffire à rendre compte des responsabilités très variables que portaient les<br />

personnes qui, d’une manière ou d’une autre, avaient pris part au projet<br />

génocidaire. Il fallait distinguer entre le concepteur et l’exécutant, entre le<br />

voleur de bétail et l’auteur de dizaines d’assassinats, entre le supérieur<br />

hiérarchique et son subalterne.<br />

C’est ainsi que la loi organique du 30 août 1996 avait créé quatre<br />

« catégories » au sein desquelles devaient être classées les personnes<br />

ayant à répondre d’actes de génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité, ou de faits commis en relation avec le génocide, en fonction<br />

de la gravité et de l’importance des faits qui leur étaient reprochés : de la<br />

première catégorie - les responsabilités les plus lourdes- à la quatrième<br />

catégorie - les responsabilités les moins lourdes-. De la catégorie dans<br />

laquelle ils étaient classés allait dépendre l’importance de la peine qu’ils<br />

encourraient.<br />

La première catégorie regroupait les instigateurs et autres grands<br />

responsables, les personnes ayant agi en position d’autorité, les grands<br />

meurtriers et les auteurs d’actes de torture sexuelle.<br />

La deuxième catégorie regroupait les auteurs d’homicides volontaires ou<br />

d’atteintes graves contre les personnes, ayant entraîné la mort.<br />

La troisième catégorie regroupait les auteurs d’autres atteintes graves<br />

contre les personnes.


142<br />

La catégorisation<br />

Enfin, la quatrième catégorie regroupait les personnes ayant commis des<br />

infractions contre les propriétés 232 .<br />

Avec la loi organique du 26 janvier 2001, quatre innovations allaient voir<br />

le jour en matière de catégorisation.<br />

Les trois premières ont trait à la définition des différentes catégories, à<br />

laquelle il fut apporté quelques nuances. Il s'agit d'abord du sort des<br />

responsables de Cellule ou de Secteur accusés de génocide ou de<br />

massacres que la loi organique de 1996, en les nommant parmi les<br />

« personnes ayant agi en position d’autorité » classait en 1 ère catégorie.<br />

Au contraire, la loi organique de 2001 ne les cite plus nommément : un<br />

tel classement n’a donc plus un caractère automatique. Il s'agit ensuite du<br />

cas de l'auteur de viol que le législateur de 2001 range en 1 ère catégorie,<br />

alors que la loi de 1996 y rattachait uniquement les auteurs d’actes de<br />

tortures sexuelles. Enfin, la loi organique de 2001 rattache expressément<br />

à la deuxième catégorie, l'auteur des coups et blessures donnés avec<br />

intention de donner la mort.<br />

La quatrième innovation apportée par la loi de 2001 est relative à<br />

l'instance qui propose le classement du prévenu dans une catégorie lors<br />

de la phase d'instruction. A dater du 15 mars 2001, c'est aux Juridictions<br />

Gacaca de Cellule qu'il appartient de procéder à cette proposition de<br />

catégorisation 233 . Cette pré-catégorisation détermine la Juridiction Gacaca<br />

ou la juridiction ordinaire compétente pour juger au fond.<br />

En 2004, le législateur maintient les changements apparus en 2001 et<br />

innove sur d’autres points. Il procède d’abord à une extension du champ<br />

de la première catégorie en y incluant de nouvelles préventions : les<br />

tortures et les actes dégradants sur cadavre valent désormais à leurs<br />

auteurs d’être classés en première catégorie.<br />

D’autre part, il opère une fusion entre les anciennes deuxième et<br />

troisième catégories. Les infractions qui, sous l’empire de la loi de 2001,<br />

relevaient de l’ancienne 3 ème catégorie (autres atteintes graves à la<br />

personne, commises sans l’intention de donner la mort) sont désormais<br />

incluses dans la 2 ème catégorie, subdivisée elle-même en trois souscatégories.<br />

Le nombre des catégories distinguées est, par conséquent,<br />

232 Voir article 2 de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996.<br />

233 Voir article 34, e, de la loi organique du 26/01/2001.


143<br />

La catégorisation<br />

passé de quatre à trois. Et de ce fait, l’ancienne 4 ème catégorie, qui<br />

concerne les atteintes aux biens, est désormais appelée catégorie 3.<br />

L’architecture du système Gacaca est bouleversée. Le principe de<br />

l’attribution de compétence à une juridiction donnée en fonction de la<br />

catégorisation opérée lors de la phase pré-juridictionnelle est maintenu.<br />

Le jugement des prévenus de troisième (ancienne 4 ème ) catégorie incombe<br />

toujours aux Juridictions Gacaca de Cellule. Mais le jugement des<br />

prévenus de 2 ème catégorie redescend au niveau des Juridictions Gacaca<br />

de Secteur. Et c’est également au niveau du secteur que sont créées des<br />

Juridictions Gacaca d’Appel, compétentes pour juger les deuxièmes<br />

catégories en degré d’appel. Les Juridictions Gacaca de District et de<br />

Province disparaissent. Enfin, les juridictions ordinaires restent<br />

compétentes pour juger les personnes classées en première catégorie au<br />

stade pré-juridictionnel.<br />

Les changements intervenus dans la définition des différentes catégories<br />

en 2001 et en 2004 ne sont pas sans incidence.<br />

D’une part, ils peuvent avoir pour effet une attribution de compétence<br />

différente de celle prévue antérieurement. Le prévenu qui, sur la base de<br />

la loi antérieure s’attendait à être jugé par tel juge sera en fin de compte<br />

jugé par un autre 234 . Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale ne<br />

s’y oppose pas, puisque ce principe ne concerne pas les règles de<br />

procédure et de compétence, pour lesquelles l’applicabilité immédiate est<br />

généralement la règle.<br />

D’autre part, les innovations intervenues dans la définition des différentes<br />

catégories sont susceptibles d’avoir une incidence sur la fourchette des<br />

peines applicables : le transfert de certaines infractions d’une catégorie à<br />

l’autre rend le prévenu passible d’une peine autre que celle qui était<br />

prévue sous l’empire des lois organiques de 1996 et de 2001. Il y a lieu<br />

de vérifier, au cas par cas, si ce transfert de catégorie n’a pas pour effet<br />

d’aggraver la situation du prévenu, ce qui serait contraire au principe de<br />

non-rétroactivité de la loi pénale.<br />

234 Rappelons cependant qu’en vertu de l’article 100 de la loi organique du 19 juin 2004,<br />

les affaires qui avaient été transmises aux tribunaux avant son entrée en vigueur restent de<br />

la compétence de ces tribunaux.


144<br />

La catégorisation<br />

Désormais, la définition des différentes catégories est la suivante :<br />

« Selon les actes de participation aux infractions visées à l’article<br />

premier de la présente loi organique et commises entre le 1 er octobre<br />

1990 et le 31 décembre 1994, la personne poursuivie peut être classée<br />

dans l’une des catégories suivantes :<br />

Catégorie 1 :<br />

1. la personne que les actes criminels ou de participation criminelle<br />

rangent parmi les planificateurs, les organisateurs, les<br />

incitateurs, les superviseurs et les encadreurs du crime de<br />

génocide ou des crimes contre l’humanité, ainsi que ses<br />

complices ;<br />

2. la personne qui, agissant en position d’autorité au niveau<br />

national, au niveau de la Préfecture, au niveau de la Sous-<br />

Préfecture ou de la Commune, au sein des partis politiques, de<br />

l’armée, de la gendarmerie, de la police communale, des<br />

confessions religieuses ou des milices, a commis ces infractions<br />

ou a encouragé les autres à les commettre, ainsi que ses<br />

complices ;<br />

3. le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le milieu où<br />

il résidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l’a<br />

caractérisé dans les tueries ou la méchanceté excessive avec<br />

laquelle elles ont été exécutées, ainsi que ses complices ;<br />

4. la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même<br />

les victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses<br />

complices ;<br />

5. la personne qui a commis l’infraction de viol ou les actes de<br />

tortures sexuelles ainsi que ses complices ;<br />

6. la personne qui a commis les actes dégradants sur le cadavre<br />

ainsi que ses complices.(...)


145<br />

Catégorie 2 :<br />

La catégorisation<br />

1. la personne que les actes criminels ou de participation criminelle<br />

rangent parmi les auteurs, coauteurs ou complices d’homicides<br />

volontaires ou d’atteintes graves contre les personnes ayant<br />

entraîné la mort, ainsi que ses complices ;<br />

2. la personne qui dans l’intention de donner la mort, a causé des<br />

blessures ou commis d’autres violences graves mais auxquelles<br />

les victimes n’ont pas succombé, ainsi que ses complices ;<br />

3. la personne ayant commis d’autres actes criminels ou de<br />

participation criminelle à la personne sans intention de donner la<br />

mort, ainsi que ses complices.<br />

Catégorie 3 :<br />

La personne ayant seulement commis des infractions contre les biens.<br />

Toutefois, l’auteur desdites infractions qui, à la date d’entrée en vigueur<br />

de la présente loi organique, a convenu soit avec la victime, soit devant<br />

l’autorité publique ou en arbitrage, d’un règlement à l’amiable, ne peut<br />

plus être poursuivi pour les mêmes faits » 235 .<br />

Dans le présent chapitre, l’on s’attachera à rappeler la double nature de la<br />

catégorisation (1), à identifier l’instance chargée de la catégorisation en<br />

phase pré-juridictionnelle (2), à relever les infractions rattachées à une<br />

catégorie différente de celle qui était prévue sous l’empire de la loi de<br />

2001 (3), à examiner la question de la liste des personnes accusées<br />

d’infractions les rattachant à la première catégorie (4) et enfin, à évoquer<br />

la situation du complice (5).<br />

1. LA NATURE DE LA CATEGORISATION<br />

Il est utile de rappeler que la « catégorisation » s’opère en deux temps,<br />

chacune de ces deux étapes ayant des effets juridiques distincts.<br />

La première, que l’on pourrait qualifier de catégorisation provisoire, se<br />

situe en phase d’instruction et fait partie du dossier d’accusation. Elle<br />

235 Article 51 de la loi organique du 19 juin 2004.


146<br />

La catégorisation<br />

était proposée par le parquet dans la loi de 1996, mais relève de la<br />

compétence de la Juridiction Gacaca de Cellule depuis le 15 mars 2001.<br />

La seconde phase de la catégorisation se situe en fin du processus<br />

judiciaire. Il s’agit de la mise en catégorie à laquelle le tribunal Gacaca<br />

ou ordinaire doit procéder dès lors qu’il reconnaît le prévenu coupable de<br />

tout ou de partie des faits pour lesquels il était poursuivi.<br />

1.1. La catégorisation comme processus de détermination de la<br />

juridiction de fond compétente<br />

C’est la catégorisation « provisoire », opérée en phase pré-juridictionnelle<br />

par les juridictions Gacaca de Cellules, qui détermine la juridiction qui<br />

sera habilitée à connaître de l’affaire au fond.<br />

En fonction de la catégorie retenue par la juridiction de Cellule, le<br />

jugement sera du ressort de telle ou telle juridiction : aux Juridictions<br />

Gacaca de Cellule incombe le jugement des personnes classées en<br />

troisième catégorie, aux Juridictions Gacaca de Secteur incombe le<br />

jugement des personnes classées en deuxième catégorie, et aux<br />

Juridictions ordinaires incombe le jugement des personnes classées en<br />

première catégorie.<br />

Saisie d’un dossier pour examen au fond, la Juridiction Gacaca de<br />

Secteur a, comme toute juridiction, le devoir de vérifier la validité de sa<br />

saisine, c’est-à-dire de vérifier sa compétence in limine litis. S’il s’avère<br />

que le classement en deuxième catégorie est manifestement inapproprié,<br />

il y a lieu de distinguer :<br />

Soit les chefs d’accusation ne justifient en réalité qu’un<br />

classement en troisième catégorie. La Juridiction Gacaca de<br />

Secteur reste saisie du dossier et l’examine quant au fond, pour<br />

prononcer, le cas échéant, la condamnation du prévenu à la seule<br />

réparation des dommages causés aux biens 236 .<br />

Soit les chefs d’accusation justifieraient en réalité un classement<br />

en première catégorie. Dans ce cas, la Juridiction Gacaca de<br />

Secteur doit se dessaisir du dossier, et le transmettre au Ministère<br />

236 Voir le chapitre consacré aux peines


147<br />

La catégorisation<br />

Public qui, à son tour, saisira la juridiction ordinaire<br />

compétente 237 .<br />

Il en va de même en degré d’appel : saisie d’une affaire considérée<br />

comme relevant de la deuxième catégorie en première instance, la<br />

Juridiction Gacaca d’Appel vérifiera, in limine litis, sa compétence, en<br />

vérifiant l’adéquation entre les chefs d’accusation et la catégorie<br />

proposée. Si les faits semblent relever en réalité de la troisième catégorie,<br />

elle reste saisie et tranche au fond, comme si elle agissait en premier et en<br />

dernier ressort 238 . Si les faits semblent relever en réalité de la première<br />

catégorie, elle transmet le dossier au Ministère Public, aux fins de saisine<br />

de la juridiction ordinaire compétente 239 .<br />

En ce qui concerne la compétence, le législateur applique donc une règle<br />

de bon sens : qui peut le plus peut le moins.<br />

La juridiction saisie de faits qui devraient en réalité relever de la<br />

compétence d’une juridiction inférieure reste saisie, et tranche au<br />

fond.<br />

En revanche, aucune juridiction ne peut outrepasser ses<br />

compétences normales : la Juridiction Gacaca qui constate que<br />

les faits dont elle est saisie relèvent en réalité de la première<br />

catégorie doit renvoyer le dossier au Ministère Public, afin que<br />

237 Article 36, 4° de la loi organique du 19 juillet 2004: “Le siège de la Juridiction<br />

Gacaca du Secteur exerce les attributions suivantes: (...)<br />

4° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la<br />

présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés<br />

devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des<br />

prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie.”<br />

238 Article 92 de la loi organique du 19 juin 2004: “Si la Juridiction Gacaca saisie de<br />

l’appel estime que l’appelant a été classé dans une catégorie inexacte, elle le range dans<br />

la catégorie correspondant aux infractions à charge et le juge en premier et dernier<br />

ressort.” En quelque sorte, la Juridiction Gacaca d’appel “annule” le premier jugement,<br />

puis procède à un nouvel examen du dossier. La précision qu’elle juge alors “en premier<br />

et en dernier ressort” paraît cohérente par rapport au fait que les jugements relatifs aux<br />

biens ne sont pas susceptibles d’appel.<br />

239 Article 92 précité, combiné à l’article 37, 3° de la loi organique du 19 juin 2004: “Le<br />

siège de la Juridiction Gacaca d’appel exerce les attributions suivantes: (...)<br />

3° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la<br />

présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés<br />

devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des<br />

prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie.”


148<br />

La catégorisation<br />

celui-ci puisse saisir la juridiction ordinaire compétente, seule<br />

habilitée à juger les affaires relevant de la première catégorie.<br />

1.2. La catégorisation comme facteur de détermination de la peine<br />

applicable<br />

La catégorie « provisoire » proposée par le parquet dans son dossier<br />

d’accusation ne liait pas le tribunal. Tout comme dans le cadre du<br />

fonctionnement normal des tribunaux ordinaires, en effet, le juge a toute<br />

liberté de retenir ou non les éléments à charge et les qualifications<br />

proposées. Il en va de même pour la catégorie retenue désormais par la<br />

Juridiction Gacaca de Cellule. Elle n’est jamais qu’une proposition. Elle<br />

ne lie pas le juge du fond qui a toute latitude pour la retenir ou pour la<br />

rejeter sur la base de son propre examen des faits 240 . Il lui appartient, à<br />

l’issue des débats, de déclarer établis, en tout ou en partie, les faits à<br />

charge du prévenu, ou de l’en acquitter. Si tout ou partie des faits sont<br />

établis, le juge procédera ensuite à la mise en catégorie du prévenu, en<br />

fonction de la gravité des faits retenus. Cette catégorisation est définitive<br />

– sous réserve bien entendu de l’exercice des voies de recours - et<br />

détermine l’échelle des peines possibles 241 .<br />

2. L’INSTANCE COMPETENTE POUR CATEGORISER EN<br />

PHASE PRE-JURIDICTIONNELLE<br />

2.1. Une compétence confiée aux juridictions Gacaca de Cellule<br />

Sous l’empire de la loi de 1996, le parquet portait l’entière responsabilité<br />

de l’accusation. Il inculpait le prévenu, présentait au tribunal le dossier tel<br />

qu’il avait été instruit, libellait les préventions, et proposait le classement<br />

du prévenu dans une catégorie donnée.<br />

La loi de 2001 opère une véritable révolution confirmée par le texte de<br />

2004. A dater du 15 mars 2001, c'est aux Juridictions Gacaca de Cellule<br />

240 Daniel de Beer, Commentaire et Jurisprudence de la loi du 30/08/1996 sur<br />

l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de<br />

crime contre l’Humanité, n° 66, P.43 et suivantes. Voir aussi le Manuel explicatif sur la<br />

loi organique portant création des juridictions Gacaca, Chap. 6, section 10, Pp. 90-91.<br />

241 Voir. le chapitre consacré aux peines.


149<br />

La catégorisation<br />

qu'il appartient de proposer la catégorisation 242 . C’est le pouvoir<br />

d’inculpation et son corollaire, la catégorisation, qui sont désormais<br />

confiés aux Juridictions Gacaca de Cellule.<br />

Bien qu’il abroge la loi de 2001, le législateur de 2004 maintient la datecharnière<br />

du 15 mars 2001 243 pour la transmission des dossiers du Parquet<br />

aux Juridictions Gacaca 244 . Aucune mise en catégorie qui aurait été<br />

proposée par le Parquet après le 15 mars 2001 ne pourra donc être<br />

retenue.<br />

Le changement d’instance habilitée à catégoriser dans la phase<br />

d’instruction ne transforme pas la nature juridique et le poids de cette<br />

catégorisation provisoire : si elle détermine la juridiction compétente, elle<br />

ne lie pas le juge du fond.<br />

2.2. La question des dossiers dont les Parquets avaient entamé<br />

l’instruction avant la date du 15 mars 2001<br />

Depuis le 15 mars 2001, les Parquets ont dû transmettre les dossiers en<br />

leur possession aux Juridictions Gacaca de Cellule. Bien que les<br />

Juridictions Gacaca de Cellule soient appelées à catégoriser, un nombre<br />

important de dossiers contenaient déjà des informations à charge ou à<br />

décharge du prévenu, voire une proposition de catégorisation.<br />

L’ensemble des éléments émanant du Parquet doit être considéré comme<br />

une simple information figurant au dossier transmis à la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule, qui a toute latitude pour déterminer les faits éventuels<br />

à retenir contre le prévenu et en conséquence la catégorie dans laquelle<br />

elle le classera 245 . Toute autre interprétation, qui voudrait notamment<br />

242<br />

Article 34, 6°, de la loi organique de 2004 et article 34, e, de l’ancienne loi organique<br />

de 2001<br />

243<br />

Il s’agit, à l’origine, de la date de publication de la loi du 26 janvier 2001, marquant le<br />

moment de son entrée en vigueur. C’est cette entrée en vigueur qui allait déterminer la<br />

démarcation entre les dossiers déjà transmis, dont les tribunaux restent saisis, et qui ne<br />

devraient plus nécessairement repasser par la phase “Gacaca” du processus, et les autres<br />

qui, quel qu’ait été l’état d’avancement de l’instruction, doivent être automatiquement<br />

transférés à la Juridiction Gacaca de Cellule compétente.<br />

244<br />

Reconnaissant ainsi les effets produits par la loi de 2001 entre la date de sa<br />

promulgation et celle de l’entrée en vigueur de la loi du 19 juin 2004.<br />

245<br />

Voir Manuel explicatif sur la loi organique portant création des juridictions Gacaca,<br />

Chap. 6, section 10, Pp. 90-91.


150<br />

La catégorisation<br />

reconnaître à la catégorie retenue initialement par le Parquet un caractère<br />

contraignant à l’égard de la Juridiction Gacaca violerait le texte et l’esprit<br />

de la loi.<br />

Ainsi lors des procès devant les Juridictions Gacaca, la catégorie<br />

initialement retenue par le Parquet ne pourra être invoquée contre le<br />

prévenu. De même devant les juridictions ordinaires, et pour les dossiers<br />

transmis après le 15 mars 2001, le Ministère Public pourra requérir<br />

uniquement sur la base des éléments à charge retenus par la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule, et il ne sera pas autorisé à invoquer des infractions<br />

retenues dans son dossier initial et rejetées par la Juridiction Gacaca. Le<br />

Ministère Public ne peut requérir « contre » le dossier tel qu’il a été<br />

instruit par la Juridiction Gacaca de Cellule.<br />

2.3. La question des dossiers transmis aux tribunaux avant le 15<br />

mars 2001<br />

Le sort des dossiers transmis aux tribunaux avant le 15 mars 2001, et<br />

dans lesquels un jugement définitif n’est pas encore intervenu, est régi<br />

par l’article 100 246 de la loi organique du 19 juin 2004. Les juridictions<br />

originellement saisies restent compétentes 247 . Rappelons que les règles de<br />

procédure applicables sont celles de droit commun, sauf exception<br />

précisée par la loi, mais qu’en ce qui concerne l’ « objet du litige », c’est<br />

la nouvelle loi qui s’applique.<br />

En ce qui concerne ces dossiers « d’avant le 15 mars 2001 », c’est le<br />

Ministère Public qui a mené l’instruction, qui a libellé les préventions et<br />

proposé une catégorisation. Deux questions principales se posent : devrat-il,<br />

le cas échéant, adapter la catégorie retenue à l’origine compte tenu de<br />

l’entrée en vigueur, entre-temps, de la nouvelle loi organique qui, sur un<br />

certain nombre de points, change la définition des catégories ? Et doit-il<br />

246 Article 100 de la loi organique du 19 juin 2004<br />

« Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la présente loi<br />

organique au Journal Officiel de la République du Rwanda seront jugées par ces mêmes<br />

tribunaux. Ils appliquent les dispositions relatives à la procédure de droit commun sous<br />

réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi organique. Quant à<br />

l’objet du litige, les dispositions de la présente loi organique sont appliquées ».<br />

247 Etant entendu que les Chambres spécialisées ont été abolies, et que les tribunaux de<br />

Province et de la Ville de Kigali se substituent aux anciens tribunaux de première<br />

instance, et que le tribunal militaire se substitue à l’ancien Conseil de guerre. Voir à ce<br />

sujet le chapitre consacré aux règles attributives de compétences.


151<br />

La catégorisation<br />

tenir compte, dans ses réquisitions, d’informations complémentaires<br />

fournies à propos du dossier par la Juridiction Gacaca de Cellule<br />

compétente ?<br />

A ce sujet, les situations suivantes pourraient se présenter :<br />

des informations émanant de la Juridiction Gacaca de Cellule, et<br />

transmises au Parquet, disculpent entièrement ou partiellement un<br />

prévenu dont le dossier avait été transmis devant une Chambre<br />

spécialisée avant le 15 mars 2001. Le Ministère Public devra<br />

tenir compte dans ses réquisitions des éléments qui tendent à<br />

disculper le prévenu ou à atténuer sa responsabilité, en raison de<br />

son devoir d’instruire à charge et à décharge ;<br />

la Juridiction Gacaca propose de classer un prévenu dans une<br />

catégorie inférieure à celle qui avait été retenue à l’origine par le<br />

Parquet. La catégorisation proposée par la Juridiction Gacaca<br />

n’aura pas pour effet de dessaisir le Tribunal, qui reste compétent<br />

en vertu de l’article 100 de la loi organique. Le Parquet devra<br />

requérir le classement tel qu’il est proposé par la Juridiction<br />

Gacaca, sous réserve bien sûr d’une inadéquation manifeste entre<br />

les chefs d’accusation retenus et la catégorie proposée.<br />

la Juridiction Gacaca, informée de faits nouveaux, propose de<br />

classer en première catégorie un prévenu classé initialement en<br />

deuxième catégorie par le Parquet. Le Parquet ne pourra se<br />

fonder sur ces éléments nouveaux. Ils peuvent justifier la<br />

constitution d’un nouveau dossier qui devra être valablement<br />

instruit, mais le Ministère Public n’est pas autorisé à inclure ces<br />

faits dans le dossier dont le tribunal avait été préalablement saisi.<br />

Si par contre, il s’agit des mêmes faits autrement catégorisés en<br />

raison des innovations que présente la nouvelle loi organique à<br />

cet égard, le représentant du Parquet devra s’en tenir à la<br />

qualification initiale, plus favorable au prévenu, en vertu du<br />

principe de non-rétroactivité de la loi pénale 248 .<br />

un prévenu accusé de viol et classé dans l’ancienne troisième<br />

catégorie par le Parquet, est désormais classé en 1 ère catégorie par<br />

248 Voir également, à ce sujet, le chapitre consacré aux peines.


152<br />

La catégorisation<br />

la Juridiction Gacaca de Cellule, qui tient compte des nouvelles<br />

règles de la catégorisation. En dépit de la règle énoncée à l’article<br />

100 de la loi organique, le Ministère Public ne pourra, en vertu<br />

du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale, proposer une<br />

nouvelle catégorisation qui aurait pour effet d’aggraver la<br />

situation juridique du prévenu. Il devra donc proposer son<br />

classement dans la nouvelle deuxième catégorie, et requérir une<br />

peine qui ne soit pas supérieure au maximum de celle qu’il aurait<br />

été en droit de requérir sous l’empire de la loi organique de 1996.<br />

2.4. Les dossiers de viol et de tortures sexuelles: une exception à la<br />

compétence de “catégorisation provisoire” des juridictions<br />

Gacaca de Cellule<br />

La loi organique du 19 juin 2004 prévoit un tempérament au pouvoir de<br />

catégoriser reconnu aux Juridictions Gacaca de Cellule. Lorsque le<br />

Parquet a été saisi de faits de viol ou de torture sexuelle, il ne transmet<br />

pas le dossier à la Juridiction Gacaca de la Cellule 249 . Il poursuit<br />

l’instruction du dossier lui-même et, implicitement, procède au<br />

classement en première catégorie pour saisir immédiatement la juridiction<br />

ordinaire compétente. Il s’agit d’une part d’éviter un aller-retour superflu<br />

entre la Juridiction Gacaca de Cellule et le Parquet et, d’autre part, de<br />

garantir aux victimes d’actes de violences sexuelles le bénéfice de la<br />

confidentialité qui leur est reconnue par ailleurs.<br />

3. LES INFRACTIONS RATTACHEES A UNE CATEGORIE<br />

DIFFERENTE DE CELLE QUI ETAIT PREVUE SOUS<br />

L’EMPIRE DES ANCIENNES LOIS<br />

3.1. Les responsables de Secteur et de Cellule<br />

Les lois de 2001 et 2004 prévoient, pour les responsables de Secteur et de<br />

Cellule poursuivis pour avoir pris part à des actes de génocide ou de<br />

massacres, un régime pénal plus favorable que celui qui était en vigueur<br />

précédemment. Sous l’empire de la loi de 1996, en effet, ces autorités<br />

administratives se voyaient classées d’office en première catégorie,<br />

comme toutes les autres autorités administratives, en tant que « personnes<br />

ayant agi en position d’autorité » 250 .<br />

249 Article 47, alinéa 4 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

250 Article 2 de la loi organique du 30 août 1996.


153<br />

La catégorisation<br />

Le classement de ces autorités en première catégorie a perdu son<br />

caractère automatique. Les responsables de Secteur et de Cellule sont<br />

classés dans la catégorie qui correspond aux infractions dont ils sont<br />

effectivement reconnus coupables. En revanche, leur qualité d’autorité<br />

leur vaut d’encourir la peine la plus sévère prévue pour la catégorie en<br />

question 251 .<br />

Ainsi un responsable de Secteur ou de Cellule, pourrait être classé en 2 ème<br />

catégorie sur la base des infractions retenues à sa charge. Dans ce cas, s’il<br />

n’a pas recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de<br />

repentir et d’excuses, il encourt une condamnation à une peine<br />

d’emprisonnement de 30 ans (maximum prévu pour les 1 ère et 2 ème<br />

subdivisions de cette catégorie).<br />

Bien que le texte ne le précise pas, il va de soi que le principe de<br />

l’application de la peine la plus sévère aux autorités de Secteur ou de<br />

Cellule ne peut concerner les faits valant à leur auteur classement en<br />

première catégorie. Pas plus que ce n’est le cas pour les autres<br />

« personnes ayant agi en position d’autorité », leur seule qualité de<br />

dirigeants n’expose pas automatiquement les responsables de Secteur et<br />

de Cellule classés en première catégorie à la peine de mort : une lecture<br />

différente de l’article 52 de la loi organique du 19 juin 2004 équivaudrait<br />

à sanctionner automatiquement les responsables de Secteur et de Cellule<br />

aussi, voire plus sévèrement que leurs supérieurs hiérarchiques.<br />

L’intention du législateur était, au contraire, d’ouvrir la possibilité d’une<br />

sanction moins lourde pour les autorités inférieures.<br />

Enfin, il reste entendu que le simple fait d'occuper l’une des positions<br />

d'autorité énumérée par la loi 252 ne suffit pas pour se voir condamner en<br />

cette qualité. Encore faut-il avoir été reconnu coupable d'au moins un<br />

crime de génocide ou d’un crime contre l’humanité rentrant dans la<br />

compétence de la loi, et que ce crime ait été commis dans le cadre de la<br />

fonction que confère cette position d'autorité ou en usant de cette autorité.<br />

251 Article 52 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

252 Que ce soit Responsables de Secteur ou de Cellule, ou l’une des autorités visées à<br />

l’article 51, catégorie 1, 2°, de la loi organique du 19 juin 2004.


154<br />

3.2. L’auteur de viol<br />

La catégorisation<br />

La loi organique de 1996 prévoyait le classement en première catégorie<br />

de « la personne qui a commis des actes de torture sexuelle » 253 .<br />

L’article consacré à la catégorisation ne faisait pas mention<br />

spécifiquement de l’infraction de viol. En l’absence de circonstances<br />

aggravantes, celle-ci ne pouvait par conséquent être rattachée qu’à<br />

l’ancienne 3 ème catégorie, en tant qu’ « atteinte grave à la personne ».<br />

La loi organique de 2001 allait apporter une modification importante à cet<br />

état de fait, ajoutant l’auteur de viol aux personnes à classer en première<br />

catégorie. La loi organique du 19 juin 2004 a maintenu cette nouvelle<br />

classification 254 .<br />

Désormais, l’auteur de viol encourt le classement en première catégorie,<br />

au même titre que l’auteur de tortures sexuelles.<br />

En classant son auteur en 1 ère catégorie, le législateur a voulu assurément<br />

souligner la gravité intrinsèque du viol mais aussi le caractère massif et<br />

particulièrement odieux du phénomène durant la période du génocide et<br />

des massacres, véritable « arme de guerre » au service du projet<br />

génocidaire.<br />

Par ailleurs, le classement en première catégorie a pour effet de rendre<br />

compétentes les juridictions ordinaires, plutôt que les Juridictions<br />

Gacaca. En y rattachant l’auteur du viol, le législateur évite à la victime<br />

de devoir exposer les faits devant la population de sa cellule. Dans le<br />

même ordre d’idée, la loi offre à la victime du viol le « choix » de la<br />

personne à qui elle décidera de confier sa plainte. L’inyangamugayo qui<br />

reçoit une telle plainte la transmet ensuite « secrètement » au Ministère<br />

Public, et l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la cellule<br />

n’en connaîtra pas. Ni la plainte, ni l’aveu ne peuvent être faits en public.<br />

L’huis clos est automatique et même obligatoire 255 .<br />

Il s’agit donc de protéger les victimes de toute publicité, et de garantir<br />

l’anonymat à celles qui craignent la stigmatisation sociale que pourrait<br />

253 Article 2, alinéa 2,d de la loi organique du 30 août 1996.<br />

254 Article 51 al.1, 5° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

255 Article 38 de la loi organique du 19 juin 2004.


155<br />

La catégorisation<br />

entraîner une démarche faite publiquement. Il y a lieu de saluer ces<br />

innovations, d’espérer que ces procédures seront le gage d’un véritable<br />

respect de la dignité des victimes, et de poursuites plus efficaces contre<br />

les auteurs de viols commis dans le contexte du génocide et des autres<br />

crimes contre l’humanité.<br />

En revanche, le transfert de l’auteur de viol de l’ancienne troisième<br />

catégorie à la première soulève des objections en raison de son incidence<br />

sur la peine: il aggrave considérablement le sort du prévenu, au mépris du<br />

principe de la non-rétroactivité de la loi pénale.<br />

Sous l’empire de l’ancienne loi organique du 30 août 1996, l’auteur d’un<br />

viol encourait une condamnation à une peine d’emprisonnement de cinq à<br />

dix ans 256 . En cas de recours à la procédure d’aveu, la peine pouvait être<br />

réduite à un tiers ou à la moitié de cette peine, selon que l’aveu avait été<br />

fait avant ou après le début des poursuites 257 .<br />

Une application mécanique de la loi organique du 19 juin 2004<br />

entraînerait désormais la condamnation d’un auteur de viol à la<br />

condamnation à mort ou à l’emprisonnement à perpétuité. En cas de<br />

recours à la procédure d’aveu avant que la Juridiction Gacaca ait fait<br />

figurer son nom sur la liste des auteurs, la peine serait de 25 à 30 ans<br />

d’emprisonnement.<br />

Il s’agit donc d’une aggravation très conséquente. En outre, la sanction<br />

nouvelle découlant du classement automatique de l’auteur de viol en<br />

première catégorie aurait pour effet étonnant d’entraîner une peine<br />

nettement plus sévère pour le viol que pour l’assassinat ou le meurtre, qui<br />

relèvent, quant à eux, de la 2 ème catégorie.<br />

Confronté à un cas de viol qui n’aurait pas été assorti de tortures, le juge<br />

devra recourir au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale,<br />

consacré notamment tant par l’article 15, alinéa 1 er du Pacte International<br />

relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Rwanda, que par<br />

l’article 20, alinéa 2 de la Constitution 258 et l’article 1 er du Code pénal. Il<br />

écartera donc, à l’égard de l’auteur d’un viol, les peines que la nouvelle<br />

256<br />

En vertu de l’article 14 de l’ancienne loi, qui renvoie au Code pénal. Celui-ci réprime<br />

le viol en son article 360.<br />

257<br />

Articles 15, b et 16, b de la loi organique du 30 août 1996.<br />

258<br />

Voir à ce sujet le chapitre consacré au droit à un procès équitable.


156<br />

La catégorisation<br />

loi organique lie au classement en première catégorie 259 , pour en revenir<br />

aux peines qui étaient prévues par le Code pénal, antérieurement aux<br />

événements de 1994, et qui avaient été confirmées dans la première loi<br />

organique régissant le contentieux du génocide et des massacres : l’auteur<br />

de viol sera condamné à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement.<br />

3.3. L’auteur de tortures<br />

A l’exception des tortures sexuelles, la loi de 1996 ne faisait aucune<br />

allusion explicite à la question de la torture. En dehors des tortures<br />

sexuelles, les faits de tortures pouvaient être inclus dans la troisième<br />

catégorie qui regroupait les personnes coupables d’ « autres atteintes<br />

graves à la personne » n’ayant pas entraîné la mort. Il y a lieu de<br />

souligner en outre que le Code pénal ne réprime pas la torture en tant que<br />

telle, et n’en propose pas de définition. La torture est érigée en<br />

circonstance aggravante d’infractions telles que l’homicide volontaire ou<br />

l’enlèvement et la séquestration 260 .<br />

Comme c’est le cas pour l’auteur de viol, la situation de la personne<br />

poursuivie pour tortures est aggravée par l’entrée en vigueur de la loi de<br />

2004, qui entraîne désormais son classement en première catégorie. Le<br />

raisonnement développé à propos de l’auteur de viol vaut, mutatis<br />

mutandis, pour l’auteur de tortures 261 .<br />

Appliquant les principes généraux du droit, le magistrat sera sage en<br />

reconnaissant au prévenu le bénéfice de la loi pénale la moins sévère.<br />

Il va cependant sans dire que l’argument de la non-rétroactivité de la loi<br />

pénale ne concerne pas l’auteur de tortures sexuelles, ni le « meurtrier de<br />

grand renom » qui se serait distingué par la « méchanceté excessive »<br />

(assimilable à des actes de torture) avec laquelle il aurait exécuté des<br />

tueries : la loi organique prévoyait déjà leur classement en 1 ère catégorie,<br />

et l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 juin 2004 n’a pas pour<br />

effet d’aggraver leur situation.<br />

259<br />

Ceci ne concerne évidemment que les cas où il n’y a pas d’autres éléments valant<br />

classement en première catégorie.<br />

260<br />

Voir les développements relatifs à cette question dans le chapitre consacré au champ<br />

d’application matériel de la loi organique.<br />

261<br />

Dans ce cas aussi, ce raisonnement ne concerne que celui pour qui il n’y a pas d’autres<br />

actes commis valant classement en première catégorie.


157<br />

La catégorisation<br />

3.4. Les actes dégradants sur les cadavres<br />

Ni la loi organique de 1996, ni celle de 2001 n’évoquaient les « actes<br />

dégradants sur les cadavres ». La loi adoptée le 19 juin 2004 innove donc<br />

entièrement, d’une part, en en faisant mention expresse, et d’autre part, en<br />

classant ses auteurs dans la première catégorie, leur faisant ainsi encourir<br />

la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité.<br />

L’exposé des motifs de la loi de 2004 indique la raison invoquée par le<br />

législateur pour faire figurer expressément ces actes parmi ceux qui<br />

relèvent du contentieux du génocide et des autres crimes contre<br />

l’humanité et, en outre, pour l’assimiler aux infractions les plus graves :<br />

« Dans la première catégorie, il a été ajouté (...) les auteurs d’outrages à<br />

cadavres car ces infractions révèlent la méchanceté extrême avec<br />

laquelle elles ont été commises » 262 .<br />

Certes, les outrages à cadavres heurtent la conscience. Pour autant, le<br />

raisonnement qui amène à les réprimer plus sévèrement que des<br />

assassinats, et qui donc équivaut à considérer qu’un assassin serait moins<br />

« méchant » que la personne qui a déterré un cadavre et lui a manqué de<br />

respect paraît discutable.<br />

Rappelons que l’outrage à cadavre est réprimé par le Code pénal qui le<br />

définit comme l’action menée par « celui qui aura méchamment déterré<br />

ou mutilé un cadavre humain ou l’aura outragé de quelque manière que<br />

ce soit 263 ». Il entraîne une peine d’emprisonnement de deux mois à deux<br />

ans et/ou une amende de mille à cinq mille francs.<br />

La possibilité de voir prononcer la peine de mort pour un acte que le droit<br />

pénal commun, en vigueur à l’époque de l’infraction, punit d’une peine<br />

d’emprisonnement maximale de deux ans heurte de plein fouet le<br />

principe de la non-rétroactivité de la loi pénale.<br />

Saisi d’un dossier d’outrage à cadavre, le juge pourrait invoquer<br />

légitimement l’article 20, alinéa 2 de la Constitution, l’article 15, alinéa<br />

1 er du Pacte International relatif aux droits civils et politiques et l’article<br />

262 Voir exposé des motifs de la loi n° 16/2004 du 19/06/2004.<br />

263 Article 352 du Code pénal.


158<br />

La catégorisation<br />

1 er du Code pénal. S’il déclare les faits établis, il ne prononcera pas une<br />

peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à deux ans 264 .<br />

3.5. L'auteur d’« autres atteintes graves contre les personnes »<br />

La loi organique de 2004, confirmant celle de 2001, classe en 2 ème<br />

catégorie l'auteur qui, dans l’intention de causer la mort, a causé des<br />

blessures ou d’autres violences graves à des victimes qui y ont cependant<br />

survécu 265 .<br />

C’est en réalité une forme de tentative de meurtre ou d’assassinat que le<br />

législateur vise ainsi, en la sanctionnant de la même manière que l’acte<br />

lui-même. La loi de 1996 n’évoquait pas la tentative punissable.<br />

Soulignons cependant que le Code pénal met sur un même pied la<br />

tentative punissable 266 de crime ou de délit et le crime ou le délit luimême<br />

267 .<br />

La loi de 2004 inclut également dans la deuxième catégorie la personne<br />

qui a commis d’autres atteintes graves contre les personnes, sans<br />

intention de donner la mort 268 .<br />

Bien qu’il relève désormais de la deuxième catégorie plutôt que de<br />

l’ancienne troisième catégorie, l’auteur de telles atteintes à l’intégrité<br />

physique des personnes ne voit en réalité pas sa situation aggravée.<br />

Au sein de la nouvelle 2 ème catégorie, en effet, le législateur distingue,<br />

pour ce qui est de la peine applicable, entre les deux premières sous-<br />

264 Il pourrait en être autrement si l’outrage à cadavre intervenait dans la foulée<br />

d’homicides, et participait de la même volonté d’anéantissement et de déshumanisation du<br />

groupe visé. La notion de “méchanceté extrême” retenue par le législateur pour<br />

caractériser le “tueur de grand renom” paraît cependant suffisante pour répondre à cette<br />

hypothèse.<br />

265 Article 51, catégorie 2, 2°.<br />

266 Définie par l’article 21 du Code pénal comme suit: “il y a tentative punissable lorsque<br />

la résolution de commettre une infraction a été manifestée par des actes extérieurs, non<br />

équivoques, formant commencement d’exécution, et qui, devant avoir pour conséquence<br />

directe et immédiate de consommer l’infraction, n’ont été suspendus ou n’ont manqué<br />

leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur.”<br />

267 Article 24 du Code pénal.<br />

268 Article 51, catégorie 2, 3°. La formulation retenue en français n’est pas heureuse: “la<br />

personne ayant commis d’autres actes criminels ou de participation criminelle à la<br />

personne sans l’intention de donner la mort...”


159<br />

La catégorisation<br />

catégories (auteur d’homicides volontaires ou atteintes graves ayant<br />

entraîné la mort d’une part et auteur de blessures ou autres violences<br />

graves dans l’intention de donner la mort d’autre part) et la troisième<br />

(autres atteintes graves sans intention d’homicide) : les personnes<br />

classées dans les deux premières sous-catégories encourent une peine<br />

d’emprisonnement de 25 à 30 ans, tandis que les personnes classées dans<br />

la troisième sous-catégorie encourent une peine de 5 à 7 ans seulement 269 .<br />

La fusion des anciennes troisième et deuxième catégories en une nouvelle<br />

deuxième catégorie, subdivisée elle-même en trois sous-catégories n’a, en<br />

réalité, pas d’incidence sur les peines : l’auteur d’atteintes graves contre<br />

les personnes sans intention de donner la mort encourt finalement la<br />

même peine que sous l’empire de l’ancienne loi organique.<br />

Le regroupement opéré visait, d’une part, à faciliter la tâche de<br />

« catégorisation provisoire » confiée aux Juridictions Gacaca de Cellule<br />

(il est en effet bien difficile de tenter de déterminer l’intention de l’auteur<br />

au simple stade de l’ « instruction ») et d’autre part, à simplifier et<br />

rationaliser l’architecture du système Gacaca : il s’avérait, en effet, qu’en<br />

pratique, très peu de dossiers pouvaient être classés dans l’ancienne<br />

troisième catégorie, et que l’existence d’un « niveau » de Juridiction<br />

Gacaca pour traiter uniquement ces dossiers ne se justifiait pas.<br />

Si le transfert des auteurs d’atteintes graves à la personne sans intention<br />

de donner la mort ne contrevient pas au principe de la non-rétroactivité de<br />

la loi pénale, il importe en revanche d’insister sur le fait que, dès lors<br />

qu’il considère les violences établies au plan matériel, le juge devra<br />

impérativement se pencher sur la réalité ou l’absence d’intention de<br />

donner la mort, et motiver sa décision à cet égard. La peine finalement<br />

prononcée sera en effet fonction de cette appréciation de l’intention<br />

criminelle, pouvant aller du simple au quadruple selon que l’auteur n’était<br />

pas ou était animé de l’intention de donner la mort.<br />

269 En l’absence de recours à la procédure d’aveu.


160<br />

La catégorisation<br />

4. LA LISTE DES PERSONNES ACCUSEES D’APPARTENIR A<br />

LA PREMIERE CATEGORIE<br />

Reprenant une pratique instaurée en 1996, la loi organique du 19 juin<br />

2004 impose au Procureur Général de la République de publier une liste<br />

des personnes accusées de relever de la première catégorie.<br />

La nouvelle loi innove sur deux points : la liste sera publiée désormais<br />

deux fois par an ; d’autre part, elle sera constituée sur la base des<br />

informations provenant des Juridictions Gacaca de Cellule.<br />

Pour le surplus, la publication d’un nom sur cette liste n’a d’autre effet<br />

que celle d’une catégorie « provisoire » : elle ne lie nullement le juge,<br />

appelé à apprécier les éléments de fait et de droit, habilité à acquitter<br />

l’accusé le cas échéant, à requalifier les faits qui lui sont soumis, et in<br />

fine, à classer l’accusé dans la catégorie à laquelle les faits effectivement<br />

établis à sa charge le rangent.<br />

La publication de cette liste devrait n’avoir aucune incidence sur la<br />

présomption d’innocence dont l’accusé bénéficie.<br />

5. LA SITUATION DU COMPLICE<br />

Dérogeant au Code pénal, la loi organique de 1996 définissait le complice<br />

de manière restrictive. Pour être condamné comme complice, il fallait<br />

avoir prêté une aide indispensable à la commission de l’infraction 270 .<br />

La loi de 2004 271 , en son article 53, en revient à une définition plus<br />

proche, en substance, de celle du droit commun : « le complice est celui<br />

qui aura, par n’importe quel moyen, prêté une aide à commettre<br />

l’infraction (...) » 272 .<br />

Le sort réservé au complice ne diffère pas de celui de l’auteur et du coauteur.<br />

Le complice sera en principe sanctionné comme l’auteur<br />

principal.<br />

La qualité d’auteur, de coauteur ou de complice n’a donc, en principe,<br />

aucune incidence positive ou négative sur la catégorisation.<br />

270 Article 3, al. 1, 1ère partie de la loi organique du 30 août 1996.<br />

271 A l’instar de la loi organique de 2001.<br />

272 Comparer avec la définition beaucoup plus détaillée de l’article 91 du Code pénal.


161<br />

La catégorisation<br />

Il va cependant de soi que le juge sera appelé à tenir compte de<br />

l’importance réelle de la participation criminelle dans la détermination de<br />

la peine, au sein de la fourchette dont il dispose : un complice dont le rôle<br />

fut secondaire ne devrait pas être condamné à une peine aussi sévère que<br />

l’auteur principal.<br />

Conclusion<br />

La loi organique du 19 juin 2004 attribue à la « catégorisation » une<br />

fonction double.<br />

D’une part, elle détermine, en phase pré-juridictionnelle, la juridiction qui<br />

sera compétente pour connaître de l’affaire au fond : Juridiction Gacaca<br />

de Cellule, Juridiction Gacaca de Secteur, ou juridiction ordinaire. Cette<br />

opération de « pré-catégorisation », qui n’a pas de caractère définitif,<br />

relève de la compétence de la Juridiction Gacaca de Cellule. Dans cette<br />

acception, les règles qui déterminent la catégorisation constituent des<br />

« règles de procédure », au sens où l’entend l’article 2 de la loi organique<br />

du 19 juin 2004, à l’applicabilité immédiate desquelles rien ne s’oppose.<br />

D’autre part, la catégorisation vise à distinguer les différents degrés de<br />

participation et de responsabilité dans le génocide et les crimes. A ce<br />

titre, elle déterminera les limites inférieures et supérieures des peines que<br />

peut prononcer le juge. Cette opération de « catégorisation finale » relève<br />

de la compétence du juge du fond, qui y procédera à l’issue de l’examen<br />

de l’affaire. Dans cette acception, les règles qui déterminent la<br />

catégorisation constituent des « règles de fond », au sens où l’entend<br />

l’article 2 de la loi organique du 19 juin 2004. Déterminant la peine<br />

applicable, ces règles sont sujettes à la vérification systématique de leur<br />

compatibilité avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale : leur<br />

application ne peut avoir pour effet d’aggraver la situation de l’accusé.


CHAPITRE VIII<br />

163<br />

LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE CULPABILITE,<br />

DE REPENTIR ET D’EXCUSES<br />

Introduction<br />

La procédure d’aveu apparaît pour la première fois en droit rwandais dans<br />

la loi organique du 30 août 1996. S’inspirant du modèle anglo-saxon du<br />

« plea bargaining », elle consiste à accorder des réductions de peines<br />

substantielles 273 au prévenu qui, moyennant le respect d’un certain<br />

nombre de conditions, avoue sa participation au crime de génocide, aux<br />

autres crimes contre l’humanité ou aux autres infractions couvertes par la<br />

loi organique.<br />

En instaurant ce système, le législateur entendait favoriser les aveux.<br />

D’une part, compte tenu des circonstances dans lesquelles s’étaient<br />

déroulés le génocide et les massacres, la possibilité d’une reconstitution<br />

des faits aussi fidèle que possible à la vérité, reposait quasi-exclusivement<br />

sur le recueil de témoignages et, singulièrement, sur celui des personnes<br />

ayant pris part aux atrocités. Dès lors que, pour pouvoir bénéficier des<br />

réductions des peines prévues par la procédure d’aveu, les accusés<br />

devaient non seulement reconnaître les faits dont ils étaient<br />

personnellement coupables, mais en outre dénoncer leurs coauteurs et<br />

complices, cette procédure faciliterait les poursuites à l’égard des auteurs<br />

qu’aucune victime survivante n’était en mesure de mettre en cause.<br />

D’autre part, l’aveu des crimes commis par une part importante de leurs<br />

auteurs paraissait seule susceptible de fonder la perspective même<br />

éloignée d’une réconciliation.<br />

Enfin, la procédure d’aveu devait avoir pour effet de simplifier et<br />

d’accélérer la procédure, et d’alléger le rôle dévolu aux juridictions de<br />

jugement, submergées par un contentieux d’une ampleur inouïe.<br />

273 Voir le chapitre consacré aux peines.


164<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

Instauré dès 1996, le principe de la procédure d’aveu a été maintenu dans<br />

la loi organique de 2001 puis dans celle de 2004.<br />

Les aménagements apportés par la loi organique du 19 juin 2004<br />

concernent essentiellement le contenu des aveux (1), les instances<br />

chargées de recueillir les aveux (2), les formes que doit revêtir la<br />

procédure d’aveu (3), l’incidence de la découverte de faits autres que<br />

ceux avoués (4), l’incidence du moment où interviennent les aveux (5), le<br />

cas particulier de l’aveu de faits de violence sexuelle (6) et la question de<br />

l’appel du prévenu qui a recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses (7).<br />

Le présent chapitre s’attachera enfin à examiner la question de la place de<br />

la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité, de repentir et<br />

d’excuses devant les juridictions ordinaires (8).<br />

1. LE CONTENU DES AVEUX<br />

Intitulée « procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité » sous l’empire<br />

de la loi organique de 1996, la procédure d’aveu est désormais désignée<br />

par l’expression « procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de<br />

repentir et d’excuses ».<br />

Le législateur semble ainsi vouloir mettre l’accent sur l’importance de la<br />

demande d’excuses exprimée. Cette demande d’excuses doit être adressée<br />

publiquement « aux victimes, si elles sont encore vivantes et à la société<br />

rwandaise » 274 .<br />

Les déclarations du prévenu ne pourront être reçues au titre d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses qu’à la condition de<br />

contenir :<br />

1. «la description détaillée sur tout ce qui se rapporte à l’infraction<br />

avouée, notamment le lieu où elle a été commise, la date,<br />

comment elle a été commise, les témoins, les victimes et le lieu où<br />

il a jeté leurs corps ainsi que les biens qu’il a endommagés ;<br />

274 Article 54, alinéa 2, loi organique du 19 juin 2004.


165<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

2. les renseignements relatifs aux coauteurs et aux complices ainsi<br />

que tout autre renseignement utile à l’exercice de l’action<br />

publique ;<br />

3. les excuses présentées pour les infractions que le requérant a<br />

commises » 275 .<br />

2. LES INSTANCES COMPETENTES POUR RECUEILLIR LES<br />

AVEUX<br />

La loi de 2004 offre plusieurs possibilités aux prévenus qui veulent<br />

recourir à la procédure d’aveu. Ils peuvent avouer les faits commis soit<br />

devant la Juridiction Gacaca de Cellule, au stade de la phase préjuridictionnelle<br />

276 , soit devant la juridiction de jugement 277 , soit encore<br />

devant l’Officier de la Police Judiciaire ou devant l’Officier du Ministère<br />

Public pour les dossiers qui n’ont pas encore été transmis à la Juridiction<br />

Gacaca compétente 278 .<br />

Pour produire leur plein effet, tant au bénéfice du système judiciaire, du<br />

prévenu, que de la société rwandaise, la possibilité d’offrir des aveux doit<br />

subsister le plus longtemps possible.<br />

Le libellé de l’article 65 de la loi organique du 19 juin 2004 ne laisse<br />

subsister aucun doute à ce sujet. Le Président de la Juridiction Gacaca de<br />

Secteur ou d’Appel, saisie d’un dossier dans lequel il n’y a pas eu de<br />

recours à la procédure d’aveu, est tenu de faire lecture au prévenu des<br />

articles de la loi qui concernent la procédure d’aveu, et de lui demander<br />

s’il souhaite y recourir. Il s’agit de laisser au prévenu la faculté d’y<br />

recourir, même tardivement.<br />

Le législateur met ainsi fin à une longue controverse née des<br />

interprétations diverses de la loi de 1996.<br />

Les Chambres Spécialisées étaient, globalement, divisées en deux camps<br />

sur la question. Les unes estimaient que des aveux pouvaient être<br />

275 Article 54, alinéa 4 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

276 Article 34, 2° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

277 Articles 36-2°, 62 et 63 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

278 Articles 59 à 61 de la loi organique du 19 juin 2004.


166<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

présentés pour la première fois à l’audience. Les autres estimaient au<br />

contraire que le prévenu devait avoir offert ses aveux avant la<br />

transmission du dossier répressif au tribunal pour qu’ils soient recevables.<br />

L’Officier du Ministère Public ou l’Officier de la Police Judiciaire<br />

peuvent également recevoir des aveux dans certains dossiers: les affaires<br />

dont la Juridiction Gacaca de Cellule n’a pas encore entamé l’examen, et<br />

à propos desquelles ils « poursuivent l’exercice de leur mission de<br />

recevoir les dénonciations et les plaintes et de procéder aux devoirs<br />

d’instruction concernant les infractions prévues par la loi<br />

organique » 279 , d’une part, et les affaires de violence sexuelle, d’autre<br />

part 280 .<br />

L’Officier du Ministère Public ne dispose pas du pouvoir de décision<br />

ultime quant au sort à réserver à l’aveu qu’il a reçu. Qu’il estime que les<br />

aveux devraient être acceptés ou rejetés, il doit clôturer son dossier et le<br />

transmettre accompagné d’une note de fin d’instruction ou d’une note<br />

explicative à la Juridiction Gacaca de Cellule à qui revient la décision<br />

finale de rejet ou d’acceptation des aveux après vérification de leur<br />

exactitude 281 .<br />

La décision d’acceptation des aveux par la Juridiction Gacaca de Cellule<br />

lie la juridiction saisie de l’examen du dossier au fond : elle organisera<br />

l’audience selon la procédure fixée à l’article 64, laquelle ne lui reconnaît<br />

pas le pouvoir de rejeter les aveux. Par contre, en cas de rejet des aveux<br />

par la Juridiction Gacaca de Cellule ou en cas d’absence d’aveux<br />

l’audience devra être tenue selon la procédure fixée à l’article 65, qui<br />

oblige le juge à inviter le prévenu à recourir à nouveau à la procédure<br />

d’aveu.<br />

En résumé, si des aveux sont acceptés par l’organe chargé de l’instruction<br />

(la Juridiction Gacaca de Cellule), le juge ne peut les rejeter. Si par contre<br />

les aveux sont rejetés par l’organe chargé de l’instruction, alors le juge du<br />

fond a le devoir d’offrir au prévenu la possibilité d’y recourir à nouveau.<br />

279<br />

Article 46 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

280<br />

Article 38, dernier alinéa°: « Il n’est pas permis, pour cette infraction, de faire l’aveu<br />

en public ».<br />

281<br />

Article 60 de la loi organique du 19 juin 2004.


167<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

Et c’est uniquement dans ce cas qu’il a pouvoir d’examiner la substance<br />

de ces aveux 282 .<br />

3. UN FORMALISME SIMPLIFIE<br />

Sous l’empire de la loi organique de 1996, la procédure d’aveu et de<br />

plaidoyer de culpabilité devait obéir à un formalisme très contraignant :<br />

ainsi, par exemple, chaque étape de la procédure faisait l’objet d’un<br />

procès-verbal, suivant des modalités rigoureuses : l’information sur le<br />

droit de recourir à l’aveu, le recueil des aveux, l’acceptation ou le rejet<br />

des aveux, etc.<br />

A l’occasion de la mise en place des Juridictions Gacaca, le législateur a<br />

simplifié toute la procédure d’aveu, tant devant l’Officier du Ministère<br />

Public que devant les juridictions. Le nombre et le contenu des procèsverbaux<br />

ont été réduits.<br />

Désormais le Ministère Public ou la Police Judiciaire reçoit les aveux en<br />

établissant un procès-verbal signé par le prévenu. En cas d’acceptation, il<br />

rédige une note de fin d’instruction et transmet le dossier à la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule. En cas de rejet, il en fait cas dans une note explicative<br />

qu’il transmet également à la Juridiction Gacaca de Cellule compétente.<br />

C’est, enfin, la Juridiction Gacaca de Cellule qui, après vérification de<br />

l’exactitude des aveux, décidera de leur rejet ou de leur acceptation 283 .<br />

Devant les Juridictions Gacaca la procédure est encore plus simple : les<br />

aveux se font oralement ou par écrit et sont consignés dans un procèsverbal<br />

284 .<br />

282 Il faut encore préciser qu’en cas d’aveux, les magistrats doivent épuiser la procédure<br />

d’aveu et ne peuvent poursuivre l’audience sur les cas des autres prévenus en reportant la<br />

décision sur les aveux. Enfin en cas de rejet, les aveux qu’avait proposés le prévenu ne<br />

peuvent pas être utilisés comme preuve à sa charge.<br />

283 Articles 59 et 60 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

284 Articles 62 et 63 de la loi organique du 19 juin 2004.


168<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

4. L’INCIDENCE DE LA DECOUVERTE DE FAITS<br />

NOUVEAUX<br />

Les avantages consentis dans la procédure d’aveu sont tels qu’il y a lieu<br />

de se protéger contre les justiciables qui chercheraient à détourner la<br />

procédure d’aveu de sa finalité en mentant, notamment par omission.<br />

La personne qui a recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses sans reconnaître l’ensemble des faits<br />

dont elle était coupable court un risque considérable.<br />

La découverte de faits nouveaux, postérieurement au jugement qui lui a<br />

permis de bénéficier d’une réduction de peine, entraîne de nouvelles<br />

poursuites à son encontre.<br />

Dans le cadre de ces nouvelles poursuites 285 , l’accusé encourt la peine<br />

maximale prévue pour la catégorie à laquelle les faits le rattacheront 286 .<br />

5. L’INCIDENCE DU MOMENT OU INTERVIENT L’AVEU<br />

Le moment où intervient l’aveu est déterminant pour l’octroi du bénéfice<br />

des différentes réductions de peine prévues par la loi.<br />

Selon que le prévenu figurait déjà ou non sur la liste des auteurs du<br />

génocide dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule au moment où il a<br />

recouru aux aveux, il bénéficiera d’avantages plus ou moins importants,<br />

ou en sera privé.<br />

Même en ce qui concerne les prévenus de la première catégorie, le<br />

moment de la publication, par le Procureur Général de la République, de<br />

la liste des noms des personnes accusées de tels faits est devenu sans<br />

incidence 287 : seul le fait que son nom figure ou non sur la liste dressée<br />

par la Juridiction Gacaca est décisif.<br />

285 Cette hypothèse ne nous paraît pas contraire au principe du non bis in idem, dans la<br />

mesure où les faits poursuivis sont distincts des faits pour lesquels le prévenu a déjà été<br />

condamné.<br />

286 Article 57 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

287 En dépit du maintien de la publication d’une telle liste, prévue à l’article 51, catégorie<br />

1 in fine.


169<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

Les aveux présentés après que le nom du prévenu accusé de faits le<br />

rattachant à la première catégorie ait été ajouté à la liste de la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule n’ont en principe pas d’incidence sur la peine. Pour<br />

pouvoir bénéficier de la réduction de peine prévue à l’article 72, alinéa 2<br />

de la loi organique du 19 juin 2004 288 , l’accusé de première catégorie<br />

doit donc avoir recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité,<br />

de repentir et d’excuses avant que son nom y soit inscrit.<br />

Sous l’empire de la loi organique de 1996, l’accusé de première catégorie<br />

qui avait recouru, dans les formes et délais requis, à la procédure d’aveu<br />

et de plaidoyer de culpabilité ne bénéficiait pas, formellement, d’une<br />

réduction de peine : du fait de ses aveux, il se voyait rattaché non plus à<br />

la première, mais bien à la deuxième catégorie. C’est en raison de cette<br />

« recatégorisation » qu’il encourait une peine moins lourde que s’il<br />

n’avait pas recouru à la procédure d’aveu.<br />

Ce mécanisme avait entraîné une certaine confusion. Optant pour un<br />

système plus simple, la nouvelle loi organique de 2004 ne parle plus de<br />

« changement de catégorie » pour l’accusé de première catégorie qui a<br />

avoué. Elle se borne à indiquer que les « auteurs de génocide de la<br />

première catégorie » qui ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer<br />

de culpabilité, de repentir et d’excuses, avant que leurs noms soient<br />

inscrits sur la liste dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule,<br />

bénéficient d’une « commutation de peine » 289 : ils encourent une peine<br />

de vingt-cinq à trente ans d’emprisonnement, plutôt que la peine de mort<br />

ou l’emprisonnement à perpétuité en l’absence d’aveu ou si l’aveu a été<br />

rejeté. L’aveu n’a donc pas d’incidence sur la catégorisation ni, par voie<br />

de conséquence, sur la détermination de la juridiction compétente :<br />

l’accusé de première catégorie est justiciable des juridictions ordinaires,<br />

qu’il ait recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de<br />

repentir et d’excuses, ou pas.<br />

Les prévenus de deuxième catégorie peuvent avouer à tout moment et<br />

bénéficier des avantages de la procédure d’aveu. Mais les avantages<br />

seront plus ou moins importants selon qu’ils auront avoué avant ou après<br />

288 Qui lui permet d’encourir une peine d’emprisonnement de vingt-cinq à trente ans,<br />

plutôt que la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité.<br />

289 Article 55 de la loi organique du 19 juin 2004.


170<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

que leurs noms aient été inscrits sur la liste des accusés par la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule 290 .<br />

Les prévenus de troisième catégorie ne sont pas spécifiquement visés<br />

par les dispositions qui se rapportent à la procédure d’aveu, de plaidoyer<br />

de culpabilité, de repentir et d’excuses. Ils peuvent cependant, bien<br />

évidemment, y recourir, comme « toute personne ayant commis les<br />

infractions visées à l’article premier de la présente loi organique » 291 . La<br />

procédure d’aveu n’aura cependant pas d’incidence sur la peine qu’ils<br />

encourent 292 .<br />

Il y a lieu de préciser que si un prévenu a fait des aveux qui ont été rejetés<br />

par la Juridiction Gacaca de Cellule, il peut encore les renouveler devant<br />

la juridiction de jugement. Si la juridiction de jugement accepte ces<br />

mêmes aveux sans éléments nouveaux, alors le moment des aveux à<br />

prendre en compte pour la détermination de la peine sera celui où il les<br />

avait faits devant la Juridiction Gacaca de Cellule : on considérera donc<br />

qu’il les a faits avant d’avoir été mis sur la liste des accusés.<br />

6. LE CAS PARTICULIER DES INFRACTIONS A CARACTERE<br />

SEXUEL<br />

Le législateur a fait le choix de protéger la victime de viol et de tortures<br />

sexuelles de toute publicité en lui offrant la possibilité de porter plainte<br />

« secrètement », soit auprès de l’Inyangamugayo de son choix, soit<br />

auprès du Parquet, et de bénéficier d’un procès à huis clos 293 . Cette<br />

démarche s’étend à la procédure d’aveu : le dernier alinéa de l’article 38<br />

de la loi de 2004 exclut explicitement l’aveu public de cette infraction.<br />

290 Article 56 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

291 Article 54 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

292 Le fait, cependant, pour la personne qui a commis uniquement des infractions contre<br />

les biens, d’avoir convenu d’un accord à l’amiable avec sa victime l’exonère de toutes<br />

poursuites. Le fait de conclure un accord implique l’aveu du fait, et la reconnaissance de<br />

la victime comme telle. La logique est comparable à celle qui permet au prévenu des<br />

autres catégories en aveu de bénéficier de réductions de peine.<br />

293 Il est cependant fait entorse à ce principe de confidentialité à l’article 34, f de la loi<br />

organique du 19 juin 2004: le Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule y est appelé à<br />

établir la liste “des victimes et de leurs biens endommagés”, et les victimes de viol et de<br />

tortures sexuelles figurent parmi celles qui doivent y figurer en vertu du dernier alinéa de<br />

cet article.


171<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

Cette interdiction de publicité ne peut pourtant priver l’auteur de viol ou<br />

de tortures sexuelles de son droit de recourir à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses 294 . Il ne pourra<br />

cependant la présenter que devant le Ministère Public, et pas devant<br />

l’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de Cellule. En ce qui<br />

concerne la détermination des peines, la personne accusée d’actes de<br />

violence sexuelle bénéficiera du même régime que n’importe quel autre<br />

accusé de la première catégorie 295 : selon qu’il aura recouru à la<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses<br />

avant ou après que son nom ait été inscrit par la Juridiction Gacaca de<br />

Cellule sur la liste des accusés qu’elle dresse, il bénéficiera ou non de la<br />

« commutation de peine » prévue par la loi.<br />

7. LA QUESTION DE L’APPEL PAR LES PREVENUS AYANT<br />

RECOURU A LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER<br />

DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES<br />

Sous l’empire de la loi organique du 30 août 1996, « les jugements<br />

rendus sur acceptation de la procédure d’aveu et de plaidoyer de<br />

culpabilité » n’étaient pas susceptibles d’appel 296 .<br />

Le législateur n’a pas maintenu cette restriction au principe du double<br />

degré de juridiction.<br />

C’est qu’en effet l’aveu de faits matériels n’entraîne pas nécessairement<br />

accord quant à la qualification juridique retenue, ni quant à la<br />

catégorisation retenue, ou encore quant à la peine prononcée. Il paraissait<br />

donc légitime de permettre à la personne en aveu, mais qui estime avoir<br />

été sanctionnée trop sévèrement, de soumettre son dossier à une<br />

juridiction supérieure.<br />

294 Article 54 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

295 Sous réserve, cependant, de vérification de ce que la peine ainsi déterminée ne se<br />

heurte pas au principe de non-rétroactivité de la loi pénale.<br />

296 Article 24 in fine de la loi organique du 30 août 1996.


172<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

8. LA PLACE DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE<br />

PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET<br />

D’EXCUSES DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINAIRES<br />

Dans l’important 2 ème chapitre qu’elle consacre à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, la loi organique du 19<br />

juin 2004 ne fait aucunement mention du rôle des juridictions ordinaires<br />

en la matière.<br />

Pourtant, les accusés de première catégorie peuvent, comme tous les<br />

autres, recourir à cette procédure et, s’ils l’ont fait avant que leurs noms<br />

figurent sur la liste des auteurs dressée par la Juridiction Gacaca de<br />

Cellule, bénéficier de la commutation des peines que la loi prévoit.<br />

8.1. Les tribunaux ordinaires saisis de dossiers de première catégorie<br />

dans lesquels les accusés ont recouru à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses<br />

L’aveu d’un accusé de première catégorie n’a, comme on l’a vu, plus<br />

aucune espèce d’incidence ni sur la catégorisation ni, par conséquent, sur<br />

la désignation du juge compétent au fond.<br />

Les tribunaux ordinaires auront donc à connaître de dossiers classés en<br />

première catégorie, dans lesquels l’accusé a recouru à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses devant la<br />

Juridiction Gacaca de Cellule.<br />

Si les aveux et les excuses ont été acceptés par la Juridiction de Cellule,<br />

le tribunal ordinaire saisi du fond de l’affaire aura à entériner l’aveu, sous<br />

réserve cependant de la vérification du caractère non contraint des aveux,<br />

de l’adéquation entre les faits avoués et les qualifications juridiques<br />

retenues et de l’adéquation entre les qualifications juridiques retenues et<br />

la catégorie proposée.<br />

8.2. La question des aveux présentés pour la première fois devant la<br />

juridiction ordinaire<br />

Comme exposé plus haut, contrairement aux aveux présentés par les<br />

accusés de deuxième catégorie, ceux faits par des accusés de première


173<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

catégorie n’ont d’incidence sur la peine que s’ils ont été antérieurs à la<br />

mention du nom du prévenu sur la liste des accusés que dresse la<br />

Juridiction Gacaca de Cellule.<br />

En principe donc, l’accusé qui présenterait ses aveux et ses excuses pour<br />

la première fois devant une juridiction ordinaire – ce que rien ne peut<br />

l’empêcher de faire - ne peut voir sa peine commuée, et n’en tirera aucun<br />

bénéfice au plan pénal : la saisine de la juridiction ordinaire suppose en<br />

effet qu’au préalable, la Juridiction Gacaca de Cellule aura clôturé<br />

l’instruction à son égard, pour le classer en première catégorie, et qu’elle<br />

aura nécessairement fait figurer son nom sur la liste des accusés qu’elle<br />

dresse.<br />

Il y a cependant lieu de nuancer l’affirmation selon laquelle l’aveu devant<br />

la juridiction ordinaire ne serait d’aucun effet d’un point de vue pénal, sur<br />

trois plans.<br />

D’une part, le juge pourra éventuellement tenir compte des aveux et<br />

excuses émis pour le faire bénéficier des « circonstances atténuantes » 297<br />

dans les limites prévues par la loi organique.<br />

D’autre part, l’accusé de première catégorie qui déclare vouloir recourir à<br />

la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses<br />

devant la juridiction ordinaire invoquera peut-être, pour expliquer le<br />

caractère tardif de cet aveu, qu’il avait avoué précédemment ou manifesté<br />

depuis longtemps son intention d’avouer, sans que le Ministère Public ait<br />

jamais recueilli les aveux en question. Dans cette hypothèse, le juge devra<br />

combler la lacune, permettre au prévenu de détailler ses aveux et se<br />

pencher sur le contenu des aveux.<br />

Au moment de la détermination de la peine, le Tribunal aura à<br />

s’interroger sur le moment où le prévenu a manifesté pour la première<br />

fois son intention d’avouer : selon que ce moment est antérieur ou<br />

postérieur à l’inscription du prévenu sur la liste des accusés dressée par<br />

les Juridictions Gacaca de Cellule, l’accusé de première catégorie aura<br />

297 Voir Article 81, alinéa 1 er , loi organique du 19/06/2004 ; voir sur ce point la section<br />

qui examine la question des circonstances atténuantes sous le chapitre consacré aux<br />

peines.


174<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

droit ou non à la commutation de peine visée à l’article 54 de la loi<br />

organique du 19 juin 2004.<br />

Enfin, la situation des accusés de première catégorie dont les dossiers<br />

avaient été transmis par le Parquet avant la date du 15 mars 2001 doit être<br />

précisée.<br />

Les dossiers transmis par les Parquets aux anciennes Chambres<br />

Spécialisées, et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un jugement définitif à<br />

la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi organique restent du ressort<br />

des juridictions ordinaires, quelle que soit la catégorie retenue en phase<br />

d’instruction.<br />

Par définition, ces dossiers, instruits par le Parquet avant l’instauration<br />

des Juridictions Gacaca, ont échappé au système Gacaca en phase préjuridictionnelle.<br />

Soit le prévenu de la première catégorie d’un dossier transmis avant<br />

le 15 mars 2001 qui avoue en audience a déjà été mis sur la liste des<br />

accusés de sa cellule, auquel cas ses aveux ne pourront lui valoir de<br />

voir sa peine commuée ;<br />

Soit au moment où ce prévenu avoue en audience, la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule ne l’a pas encore inscrit sur la liste des accusés ou<br />

a terminé ses travaux sans l’y inscrire du tout, auquel cas ce prévenu<br />

se trouvera dans la situation des personnes qui avouent « avant que<br />

leurs noms ne soient mis sur la liste dressée par la Juridiction<br />

Gacaca de la Cellule » : le Tribunal devra vérifier la conformité de<br />

ses aveux aux exigences de l’article 54 de la loi organique du 19 juin<br />

2004, et le faire bénéficier de la commutation de peine prévue à<br />

l’article 72, alinéa 2 de cette même loi organique.<br />

Conclusion<br />

C’est la problématique du contentieux du génocide et des crimes contre<br />

l’humanité qui a amené le législateur à prévoir un régime pénal<br />

particulier pour les « repentis ». La nature presque exclusivement<br />

testimoniale des preuves qu’il est possible de recueillir en cette matière


175<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses<br />

l’a en effet amené à favoriser l’aveu, et la dénonciation des coauteurs ou<br />

complices.<br />

Il y a lieu de noter que les lois organiques qui, à ce jour, ont régi le<br />

contentieux du génocide, semblent avoir fait école : le nouveau Code de<br />

procédure pénale paraît retenir le principe de la « procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses » qui avait fait son<br />

apparition en 1996 en droit rwandais : son article 35 permet au juge de<br />

« réduire jusqu’à concurrence de la moitié la peine prévue pour<br />

l’infraction » en cas d’ « aveu vérifié sincère, présenté par l’inculpé », au<br />

stade de l’enquête préliminaire.


Introduction<br />

CHAPITRE IX<br />

LES PEINES<br />

177<br />

Dans la loi de 2004, comme dans celle de 1996, la détermination de la<br />

peine passe par plusieurs filtres : s’il estime établis certains ou tous les<br />

faits à charge du prévenu, le juge doit le placer dans l’une des catégories<br />

prévues par la loi, qui déterminera la fourchette des peines applicables à<br />

la situation.<br />

La peine définitivement retenue dans cette fourchette sera fonction de ce<br />

que le prévenu a ou non recouru à la procédure d’aveu, du moment où il y<br />

a recouru, de sa qualité éventuelle de mineur au moment des faits, ainsi<br />

que de tout élément pertinent que l’audience aura révélé.<br />

Alors que la loi de 1996 renvoyait dans certains cas aux peines prévues<br />

par le Code pénal - c’était le cas pour les condamnés de l’ancienne<br />

troisième catégorie -, la loi de 2004 a établi une échelle précise de peines,<br />

censée couvrir toutes les hypothèses qu’elle vise et ce, afin de faciliter la<br />

tâche des juges et, singulièrement, des Inyangamugayo peu familiers du<br />

Code pénal.<br />

Le présent chapitre s’attache à identifier les différentes peines applicables<br />

aux différentes situations (1). Sont ensuite examinées la question des<br />

peines accessoires (2), la notion de travaux d’intérêt général (3), la<br />

question du concours idéal ou matériel d’infractions (4), les cas où le<br />

maximum de la peine prévue pour la catégorie retenue doit être prononcé<br />

(5) et les « circonstances atténuantes » prévues par la loi (6).<br />

1. LES PEINES PREVUES PAR LA LOI ORGANIQUE<br />

Les peines qu’encourent les accusés d’infractions qui relèvent du champ<br />

d’application de la loi organique du 19 juin 2004 sont l’objet du chapitre<br />

IV de la loi, qui comprend les articles 72 à 81.


178<br />

Les peines<br />

Le tableau suivant synthétise les peines applicables en fonction des<br />

différentes situations prévues par la loi.<br />

L’on distingue, d’abord, selon la catégorie : 1 ère catégorie, 2 ème catégorie<br />

1° et 2°, 2 ème catégorie 3° et enfin 3 ème catégorie 298 .<br />

Ensuite, l’on distingue selon que l’accusé a recouru ou non à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, et s’il y a<br />

recouru, selon qu’il l’a fait après ou avant que son nom n’ait été inscrit<br />

sur la liste des accusés dressée par la Juridiction Gacaca de Cellule.<br />

Pour chacune des peines principales, l’on indique si la possibilité<br />

d’effectuer la moitié de la peine sous forme de travaux d’intérêt général<br />

(« TIG ») est prévue ou non.<br />

Enfin, l’on indique si la situation peut entraîner condamnation à des<br />

peines accessoires et, le cas échéant, lesquelles. Au rang des peines<br />

accessoires, nous avons compté la publication des noms des personnes<br />

condamnées sur une liste affichée au bureau du Secteur de leur domicile.<br />

La situation des mineurs d’âge de plus de quatorze ans au moment des<br />

faits est dissociée de celle des majeurs : leur sort est détaillé, dans le<br />

même ordre logique que pour les majeurs, dans la partie inférieure du<br />

tableau.<br />

298 Le lecteur est renvoyé au chapitre consacré à la catégorisation pour la définition des<br />

différentes catégories.


179<br />

Les peines<br />

Catégories Pas d’aveux Aveux après Aveux avant Peines<br />

liste des accusés liste des accusés accessoires<br />

Catégorie 1 Peine de mort Peine de mort ou 25 à 30 ans Dégradation<br />

ou perpétuité perpétuité<br />

civique totale<br />

Pas de TIG Pas de TIG Pas de TIG et perpétuelle<br />

+ affichage<br />

liste publique<br />

Catégorie 2 1° 25 à 30 ans 12 à 15 ans 7 à 12 ans Dégradation<br />

et 2°<br />

dont la moitié en dont la moitié en civique +<br />

Pas de TIG TIG<br />

TIG<br />

affichage liste<br />

publique<br />

Catégorie 2 3° 5 à 7 ans 3 à 5 ans 1 à 3 ans affichage liste<br />

dont la moitié dont la moitié en dont la moitié en publique<br />

en TIG TIG<br />

TIG<br />

Catégorie 3 Réparation Réparation Réparation<br />

Catégorie 1 10 à 20 ans 10 à 20 ans 8 à 10 ans Dégradation<br />

mineur Pas de TIG Pas de TIG Pas de TIG civique totale<br />

et perpétuelle<br />

+ affichage<br />

liste publique<br />

Catégorie 2 1° 8 à 10 ans 6 à 7,5 ans dont 3,5 à 6 ans dont Dégradation<br />

et 2° mineur Pas de TIG la moitié en la moitié en civique +<br />

TIG<br />

TIG<br />

affichage liste<br />

publique<br />

Catégorie 2 3° 2,5 ans à 3,5 1,5 an à 2,5 ans 6 mois à 1,5 an affichage liste<br />

mineur ans dont la dont la moitié en dont la moitié en publique<br />

moitié en<br />

TIG<br />

TIG<br />

TIG<br />

Catégorie 3<br />

mineur<br />

Réparation Réparation Réparation<br />

Globalement, les peines désormais prévues sont similaires à celles qui<br />

étaient d’application sous l’empire des deux lois organiques antérieures.<br />

Il y a cependant lieu de souligner que, dans certains cas, la nouvelle loi a<br />

pour effet d’améliorer le sort des accusés ou du moins de le clarifier.<br />

Il en est ainsi en ce qui concerne l’accusé de première catégorie qui n’a<br />

pas recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses. Il est passible de la peine de mort ou de l’emprisonnement à<br />

perpétuité. La formulation de la disposition de la loi organique de 1996<br />

qui le concernait (« Les personnes de la première catégorie encourent la<br />

peine de mort ») avait suscité une controverse. Certains estimaient que<br />

dès lors qu’un condamné était classé en première catégorie, la peine de


180<br />

Les peines<br />

mort était la seule peine possible, tandis que d’autres considéraient qu’il<br />

s’agissait de la peine maximale, éventuellement susceptible d’être<br />

réduite, par le jeu des circonstances atténuantes.<br />

La loi de 2004 a pour effet de clarifier les choses, offrant formellement au<br />

juge une alternative: il peut prononcer la peine de mort ou<br />

l’emprisonnement à perpétuité. Cette alternative claire à la peine de mort<br />

fait écho au préambule de la loi organique de 2004, qui insiste sur<br />

l’importance de « prévoir des peines permettant aux condamnés de<br />

s’amender et de favoriser leur réinsertion dans la société rwandaise ».<br />

Le législateur semble ainsi conforter le moratoire de fait observé quant à<br />

la peine de mort, depuis les exécutions du 24 avril 1998.<br />

Par ailleurs, les négociations entamées avec le Tribunal Pénal<br />

International pour le Rwanda à propos de la perspective de transfert, vers<br />

les juridictions nationales rwandaises, de dossiers actuellement traités à<br />

Arusha, auront pour effet de rouvrir le débat sur la peine de mort. Le<br />

principe du transfert ne pourra être acquis qu’à la condition que le<br />

Rwanda renonce à prononcer la peine de mort à l’encontre des accusés<br />

qui seraient concernés par ce transfert 299 . Immanquablement, se posera la<br />

question de la discrimination que représenterait, dans ces conditions, le<br />

maintien de la possibilité de la peine de mort à l’égard des accusés qui<br />

n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes de la part du TPIR.<br />

Rappelons, à cet égard, les termes du préambule du Deuxième protocole<br />

facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et<br />

politiques, visant à abolir la peine de mort, adopté par l’Assemblée<br />

générale des Nations-Unies le 15 décembre 1989 :<br />

« Les Etats parties au présent Protocole,<br />

Convaincus que l'abolition de la peine de mort contribue à<br />

promouvoir la dignité humaine et le développement progressif<br />

des droits de l'homme,<br />

Rappelant l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de<br />

l'homme adoptée le 10 décembre 1948, ainsi que l'article 6 du<br />

Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté le<br />

16 décembre 1966,<br />

299 Voir à ce sujet le communiqué de l’Agence Hirondelle, en date du 14 septembre 2004.


181<br />

Les peines<br />

Notant que l'article 6 du Pacte international relatif aux droits<br />

civils et politiques se réfère à l'abolition de la peine de mort en<br />

des termes qui suggèrent sans ambiguïté que l'abolition de cette<br />

peine est souhaitable,<br />

Convaincus que toutes les mesures prises touchant l'abolition de<br />

la peine de mort doivent être considérées comme un progrès<br />

quant à la jouissance du droit à la vie,<br />

Désireux de prendre, par le présent Protocole, l'engagement<br />

international d'abolir la peine de mort » (...)<br />

Les condamnés de la première catégorie dont la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses a été acceptée 300 voient<br />

leur sort amélioré : ils sont désormais passibles d’une peine<br />

d’emprisonnement de 25 à 30 ans, alors que, sous l’empire de la loi<br />

organique de 1996, ils encouraient l’emprisonnement à perpétuité, et sous<br />

celui de la loi organique de 2001 l’emprisonnement à perpétuité ou une<br />

peine d’emprisonnement de trente ans. Leur situation est identique à celle<br />

des condamnés de deuxième catégorie 1° et 2° qui n’ont pas avoué,<br />

sous réserve de la dégradation civique, moins étendue pour ces derniers.<br />

La situation des condamnés de la deuxième catégorie 1° et 2° qui ont<br />

avoué est quasiment inchangée par rapport à celle qui prévalait avec les<br />

lois de 1996 et de 2001 301 .<br />

Le sort des condamnés de la deuxième catégorie 3° est identique à celui<br />

qui était prévu par la loi de 2001, qu’ils aient avoué ou pas 302 .<br />

Enfin, les condamnés de troisième catégorie ne sont pas passibles de<br />

peines d’emprisonnement : ils sont tenus uniquement, en vertu de l’article<br />

75 de la loi organique du 19 juin 2004, de réparer les dommages causés<br />

300 Etant ici rappelé que l’aveu présenté après inscription sur la liste est sans incidence sur<br />

la peine pour les condamnés de première catégorie.<br />

301 Sous réserve cependant d’une nuance curieuse, et discutable, en sa défaveur : sous<br />

l’empire de la loi de 1996, un tel accusé ayant recouru à la procédure d’aveu « avant<br />

poursuites » encourait une peine maximale de 11 ans, alors que s’il a avoué « avant<br />

liste », il est désormais passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 12 ans<br />

d’emprisonnement. Cette légère aggravation avait déjà été introduite par la loi organique<br />

de 2001.<br />

302 Etant entendu que la nouvelle 2 ème catégorie 3° est comparée à l’ancienne 3 ème<br />

catégorie.


182<br />

Les peines<br />

aux biens d’autrui. Le fait que le condamné de troisième catégorie ait<br />

avoué ou non est indifférent.<br />

Il s’agit d’une amélioration du sort des auteurs d’atteintes aux biens :<br />

sous l’empire de la loi de 1996, en effet, ils étaient susceptibles d’être<br />

condamnés à une peine d’emprisonnement assortie du sursis, à moins<br />

d’avoir conclu et respecté, avant le jugement, un règlement à l’amiable<br />

avec les victimes, quant à la réparation civile de leurs biens.<br />

Il y a lieu de noter que la condamnation « à la réparation des dommages<br />

causés aux biens d’autrui » visée à l’article 75 de la loi organique ne vise<br />

pas uniquement les condamnés de troisième catégorie : elle doit être<br />

prononcée contre toute personne reconnue coupable « d’avoir commis des<br />

infractions contre les biens », quelle que soit la catégorie dans laquelle<br />

elle a été classée 303 .<br />

2. LES PEINES ACCESSOIRES<br />

Dans les situations qu’elle décrit, la loi permet d’assortir la peine<br />

principale d’une peine accessoire, la dégradation civique 304 .<br />

L’étendue de la dégradation civique possible est fonction de la catégorie<br />

retenue à charge de la personne reconnue coupable. Le fait qu’elle ait ou<br />

non recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir<br />

et d’excuses est ici sans incidence. La qualité de mineur d’âge est, elle<br />

aussi, indifférente.<br />

Ainsi, les personnes classées en première catégorie sont passibles de la<br />

dégradation la plus large, à savoir la « dégradation perpétuelle et<br />

totale » 305 .<br />

Les personnes classées en deuxième catégorie, 1° et 2° encourent la<br />

privation permanente du droit de vote, du droit d’éligibilité, du droit<br />

d’être expert ou témoin dans les actes, dans les décisions et dans les<br />

procès et de celui de déposer en justice autrement que pour donner de<br />

simples renseignements, du droit de posséder et de porter des armes, du<br />

droit de servir dans les forces armées ou dans la Police Nationale, du<br />

303 Voir à ce sujet le chapitre consacré à l’indemnisation.<br />

304 Voir article 76 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

305 Cette dégradation porte sur tous les droits énumérés à l’article 66 du Code pénal.


183<br />

Les peines<br />

droit d’exercer une fonction de l’Etat et du droit d’exercer la profession<br />

d’enseignant ou de médecin tant dans le secteur public que privé 306 .<br />

La loi crée en outre une forme de « dégradation civique » inconnue du<br />

droit commun : l’inscription du nom du condamné sur « une liste affichée<br />

au bureau du Secteur de leur domicile » 307 . Cette inscription, qui se veut<br />

infamante, semble devoir être automatique 308 . Seuls les condamnés de<br />

troisième catégorie échappent à cette inscription.<br />

3. LES TRAVAUX D’INTERET GENERAL<br />

Les travaux d’intérêt général sont une innovation de la loi de 2001. La loi<br />

organique du 19 juin 2004 en a repris le principe. Entre-temps, leur<br />

organisation et leur réglementation ont fait l’objet de l’Arrêté Présidentiel<br />

n° 26/01 du 10 décembre 2001.<br />

Au contraire de la « réparation des dommages causés aux biens<br />

d’autrui » 309 , qui suppose un lien direct entre la prestation et le tort causé,<br />

les travaux d’intérêt général sont conçus comme visant l’intérêt de la<br />

société dans son ensemble.<br />

Ils constituent une modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement<br />

prononcée par le juge : là où la loi en prévoit la possibilité, ce mécanisme<br />

permet à l’accusé de ne rester en prison que pour la moitié de la durée de<br />

la peine prononcée, et d’effectuer le reste de la peine en liberté, sous la<br />

forme des travaux d’intérêt général qui lui auront été assignés. La<br />

seconde moitié de sa peine est donc « commuée » en travaux d’intérêt<br />

général 310 , forme de sursis conditionnel à la peine d’emprisonnement.<br />

Les travaux d’intérêt général ne concernent pas les condamnés de<br />

troisième catégorie.<br />

Tous les condamnés de première catégorie, qu’ils soient mineurs ou non,<br />

en aveux ou non, sont exclus de leur bénéfice. Les condamnés de<br />

deuxième catégorie, 1° et 2° qui n’ont pas recouru à la procédure d’aveu,<br />

306 Article 76, 2° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

307 Voir article 76, 3° de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

308 D’après le libellé du §3 de l’article 76, aucune latitude ne semble être laissée au juge.<br />

309 Voir article 75 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

310 Voir article 80 de la loi organique du 19 juin 2004.


184<br />

Les peines<br />

de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses en sont également<br />

exclus.<br />

Ne peuvent donc en bénéficier que :<br />

les condamnés de deuxième catégorie, 3°, qu’ils aient recouru à<br />

la procédure d’aveu ou non, et qu’ils aient ou non été mineurs<br />

d’âge au moment des faits ;<br />

les condamnés de deuxième catégorie, 1° et 2°, qui ont recouru à<br />

la procédure d’aveu, qu’ils aient ou non été mineurs d’âge au<br />

moment des faits.<br />

Si la personne concernée n’ « exécute pas convenablement ces travaux »,<br />

le « sursis » dont elle bénéficiait est révoqué, et elle devra purger le reste<br />

de la peine en prison 311 .<br />

4. LE CONCOURS IDEAL OU MATERIEL D’INFRACTIONS<br />

Le concours d’infractions est défini comme suit par le Code pénal : « Il y<br />

a concours d’infractions lorsque plusieurs infractions ont été commises<br />

par le même auteur sans qu’une condamnation définitive soit intervenue<br />

entre ces infractions » 312 .<br />

Le concours est qualifié d’ « idéal » lorsqu’un fait unique est susceptible<br />

de plusieurs qualifications pénales, lorsque plusieurs faits distincts,<br />

constituant des infractions distinctes, procèdent d’une intention<br />

délictueuse unique, ou lorsque ces infractions distinctes constituent des<br />

circonstances aggravantes l’une de l’autre 313 .<br />

Le concours est qualifié de « réel » ou « matériel », lorsque des faits<br />

distincts se sont succédés dans le temps, sans autre lien entre eux que<br />

l’identité de leur auteur 314 .<br />

311 Article 80 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

312 Article 92 du Code pénal.<br />

313 Article 93 du Code pénal.<br />

314 Article 94 du Code pénal.


185<br />

Les peines<br />

Le Code pénal traite de manière détaillée la question de la ou des peines à<br />

appliquer, et de la manière dont elles peuvent ou non se cumuler selon les<br />

cas 315 , en droit commun.<br />

La loi organique du 19 juin 2004 simplifie les choses : l’article 77 prévoit<br />

qu’en cas de concours idéal ou matériel d’infractions, si chacune de ces<br />

infractions relève de la même catégorie, l’accusé sera condamné à la<br />

peine maximale prévue pour cette catégorie 316 .<br />

La loi n’indique pas de manière explicite ce qu’il en est des cas de<br />

concours idéal ou matériel d’infractions, dans lesquels les différentes<br />

infractions relèveraient de catégories distinctes.<br />

C’est, en réalité, le mécanisme de la catégorisation qui permet de<br />

résoudre la question. Dans la plupart des cas, les prévenus ont à répondre<br />

de différentes infractions, entre lesquelles il y a concours 317 . Au moment<br />

où il procède à la catégorisation, le juge reprendra l’ensemble des faits et<br />

classera le prévenu dans la catégorie qui correspond aux faits les plus<br />

graves commis.<br />

Exemple :<br />

La personne reconnue coupable, à la fois, d’avoir été l’un des<br />

planificateurs du génocide et des massacres et d’avoir commis, sans<br />

l’intention de donner la mort, des atteintes graves contre les personnes<br />

constitutives de crimes contre l’humanité, sera rangée en première<br />

catégorie, les faits les plus graves « absorbant » les faits relativement<br />

moins graves. Dans ce cas, en l’absence de recours à la procédure d’aveu<br />

et de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, le juge prononcera<br />

la peine de mort ou la peine d’emprisonnement à perpétuité.<br />

Ce n’est que si l’accusé est reconnu coupable de plusieurs infractions qui,<br />

même si elles étaient considérées séparément les unes des autres,<br />

entraîneraient chacune le classement dans une seule et même catégorie,<br />

que la règle inscrite à l’article 77 de la loi organique s’applique.<br />

315 Voir articles 93 et 94 du Code pénal.<br />

316 Article 77 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

317 Le concours est presque nécessairement “idéal”: les infractions reprochées relevant<br />

toutes du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité, elles sont<br />

évidemment liées entre elles par une intention délictueuse unique.


186<br />

Exemple :<br />

Les peines<br />

L’auteur qui a commis d’une part des assassinats constitutifs du crime de<br />

génocide, et d’autre part d’autres atteintes graves contre les personnes<br />

ayant entraîné la mort, elles aussi constitutives du crime de génocide, se<br />

trouve dans l’une des situations visées par cette disposition. Chacune des<br />

infractions, prises individuellement, vaudrait à son auteur un classement<br />

en catégorie 2.1°. Le concours d’infractions amènera le juge non pas à<br />

cumuler les peines qu’il a prononcées pour les mêmes infractions<br />

considérées individuellement, mais bien la peine la plus grave de la<br />

catégorie en question : en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, et si l’auteur était<br />

majeur au moment des faits, la peine sera en principe de 30 ans<br />

d’emprisonnement, sous réserve des éventuelles circonstances atténuantes<br />

que le tribunal lui reconnaîtrait.<br />

L’article 77 nuance la règle, dans un cas, celui où le prévenu a commis<br />

plusieurs infractions qui toutes relèvent de la 2 ème catégorie, 3° : la peine<br />

à prononcer ne sera pas la peine maximale prévue pour la deuxième<br />

catégorie dans son ensemble, mais bien la peine maximale prévue pour<br />

cette « sous-catégorie », à savoir, 7 ans d’emprisonnement pour un<br />

adulte, en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses. Cette précision provient de la trace<br />

laissée par l’ancienne troisième catégorie : si le législateur a « fusionné »<br />

les anciennes deuxième et troisième catégories, cette fusion n’a pas pour<br />

effet d’aggraver la situation pénale de l’auteur d’ « autres atteintes graves<br />

contre les personnes, sans intention de donner la mort ». Il aurait été<br />

illogique d’infliger à l’auteur de plusieurs faits qui relèvent de la 2 ème<br />

catégorie, 3°, le maximum de la peine prévue pour le condamné de 2 ème<br />

catégorie, 1°, ou 2°, c’est-à-dire 30 ans d’emprisonnement pour un<br />

majeur, en l’absence de recours à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses.<br />

5. LES CAS OU LE MAXIMUM DE LA PEINE PREVUE DANS<br />

LA CATEGORIE RETENUE DOIT ETRE PRONONCE<br />

Outre ce qu’elle prévoit s’il y a concours idéal ou matériel d’infractions,<br />

la loi indique deux cas dans lesquels le juge doit en principe prononcer le<br />

maximum de la peine prévue dans la catégorie retenue, sous réserve de la<br />

reconnaissance éventuelle de circonstances atténuantes : celui des


187<br />

Les peines<br />

personnes ayant agi en position d’autorité au niveau du Secteur et de la<br />

Cellule d’une part, et celui où, après condamnation, il s’avère que les<br />

aveux d’un condamné étaient incomplets.<br />

La nouvelle loi organique a pour effet de faire échapper les autorités du<br />

niveau de la Cellule et du Secteur au caractère quasi-automatique du<br />

classement en première catégorie des « personnes ayant agi en position<br />

d’autorité ». En contrepartie, la loi prévoit à leur égard l’application du<br />

maximum de la peine prévue dans la catégorie dans laquelle elles sont<br />

classées 318 . Comme on l’a vu sous le chapitre consacré à la<br />

catégorisation, cette règle ne saurait s’appliquer pour la 1 ère catégorie ;<br />

elle aurait alors l’effet inverse de celui qui était visé par le législateur en<br />

soustrayant ces autorités de l’énumération des autorités qui figurent au<br />

point 2 de la première catégorie, leur faisant encourir automatiquement la<br />

peine de mort alors que le juge dispose de l’alternative entre la peine de<br />

mort et l’emprisonnement à perpétuité pour les autorités supérieures.<br />

La seconde hypothèse constitue une forme de sanction à l’égard de<br />

l’accusé qui aurait détourné la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses de sa finalité, en omettant certains<br />

faits dans ses aveux. Si ces autres faits sont découverts après un jugement<br />

qui lui accorde le bénéfice des réductions de peines liées à la procédure<br />

d’aveu, il sera jugé pour ces faits, et encourra le maximum de la peine<br />

prévue 319 .<br />

6. LES « CIRCONSTANCES ATTENUANTES » PREVUES PAR<br />

LA LOI<br />

En son article 81, la loi, s’écartant du droit commun, restreint<br />

l’application des circonstances atténuantes au prévenu : le juge n’est plus<br />

autorisé à descendre en dessous de la peine minimale de la catégorie<br />

considérée. La reconnaissance par le juge de « circonstances<br />

atténuantes » vaudra au prévenu de se voir condamner « à la peine<br />

minimale d’emprisonnement ou de travaux d’intérêt général prévue par<br />

la (...) loi organique».<br />

Rigoureusement parlant, il ne s’agit pas d’un régime de « circonstances<br />

atténuantes ». Les circonstances atténuantes, au sens commun, sont celles<br />

318 Article 52 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

319 Article 57 de la loi organique du 19 juin 2004.


188<br />

Les peines<br />

qui « précédant, accompagnant ou suivant l’infraction, atténuent la<br />

culpabilité de son auteur » 320 et qui, précisément, autorisent le juge, dans<br />

l’appréciation de la peine, à descendre au-dessous du minimum légal<br />

prévu pour l’infraction en question, dans les limites fixées à l’article 83<br />

du Code pénal 321 .<br />

Notons que le libellé de l’article 81 pose une difficulté d’interprétation.<br />

L’on a vu en effet que les travaux d’intérêt général ne constituent pas une<br />

forme autonome de peine, mais bien une modalité d’exécution de la<br />

peine. Dans les cas prévus par la loi, la moitié de la peine<br />

d’emprisonnement prononcée par le juge est « commuée » en travaux<br />

d’intérêt général, pour la durée de la deuxième moitié de la peine. Le juge<br />

ne peut concrètement condamner à une « peine minimale de travaux<br />

d’intérêt général ». Il devra se contenter de condamner le prévenu au<br />

minimum de la peine d’emprisonnement prévue par la loi, et la moitié de<br />

celle-ci pourra être commuée en travaux d’intérêt général.<br />

Conclusion<br />

Globalement, les peines fixées par la loi organique du 19 juin 2004 pour<br />

chaque catégorie sont égales, voire inférieures à celles qui étaient prévues<br />

antérieurement pour les catégories correspondantes.<br />

En revanche, il y a lieu de souligner encore que l’extension de la<br />

définition de la première catégorie a pour effet d’aggraver<br />

considérablement le sort de certains accusés. Il en est ainsi pour l’auteur<br />

de viol, pour l’auteur de tortures, et pour l’auteur d’outrages à cadavre 322 .<br />

Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale consacré notamment<br />

par l’article 15 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et<br />

politiques, par l’article 20 alinéa 2 de la Constitution, et par l’article 1 er<br />

du Code pénal devrait ici amener le juge à prononcer les peines<br />

320 Article 82 du Code pénal.<br />

321 La différence par rapport au régime de droit commun est de taille: à titre d’exemple,<br />

alors qu’en vertu de la loi organique, les “circonstances atténuantes” reconnues à un<br />

condamné qui, autrement, aurait encouru la peine de mort lui permettent d’être condamné<br />

plutôt à l’emprisonnement à perpétuité, l’article 83 du Code pénal permet de remplacer la<br />

peine de mort “par une peine d’emprisonnement qui ne sera pas inférieure à cinq ans.”<br />

322 Voir à ce sujet le chapitre consacré à la catégorisation.


189<br />

Les peines<br />

inférieures qui étaient prévues antérieurement, par le Code pénal ou les<br />

lois organiques de 1996 et de 2001.<br />

Le chapitre que la loi organique du 19 juin 2004 consacre aux peines a<br />

pour vocation de couvrir tous les cas de figure possibles. Rappelons<br />

cependant que certaines des infractions susceptibles d’être considérées<br />

comme des infractions « commises dans l’intention de faire le génocide<br />

ou d’autres crimes contre l’humanité » au sens de l’article premier de la<br />

loi ne sont que difficilement « catégorisable » si l’on s’en tient à la<br />

définition rigoureuse des catégories. Il en va ainsi, notamment, de<br />

l’association de malfaiteurs, de la violation de domicile ou de la nonassistance<br />

à personne en danger, qualifications auxquelles les juges<br />

statuant dans des dossiers du contentieux du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité ont fréquemment recouru par le passé. La loi organique<br />

du 19 juin 2004 est silencieuse quant au sort qu’il convient de leur<br />

réserver 323 .<br />

323 La pratique démontre que, dans la plupart des cas, ces infractions sont « noyées »<br />

parmi d’autres, et que la question de la catégorisation ne se pose pas réellement. Il en va<br />

cependant tout autrement si, finalement, une seule de ces infractions est retenue par le<br />

juge. Dans ce cas, les juges avaient tendance, sans motivation précise, à classer l’accusé<br />

en troisième catégorie (ancienne), qui faisait office en quelque sorte de « catégorie<br />

résiduaire ».


CHAPITRE X<br />

LA MINORITE PENALE DANS LE CONTENTIEUX DU<br />

GENOCIDE ET DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE<br />

Introduction<br />

191<br />

Dans la plupart des législations nationales, la minorité du délinquant est<br />

traitée de manière particulière et emporte des conséquences quant à la<br />

responsabilité pénale et quant à la sanction. De manière générale, l’on<br />

peut schématiser le traitement de la responsabilité pénale des mineurs en<br />

présentant deux grands régimes :<br />

Un premier type de régime considère qu’il n’y a pas de différence<br />

à opérer de manière systématique entre la répression du mineur et<br />

celle de l’adulte. Les peines prévues, surtout en ce qui concerne<br />

les crimes, sont les mêmes. Mais en pratique, le juge peut<br />

apprécier le degré de responsabilité du mineur et il arrive souvent<br />

que la peine soit moins forte que celle qui aurait été appliquée au<br />

délinquant majeur. Ce régime est cependant très minoritaire 324 .<br />

Un second type de régime, plus répandu, fait coexister un double<br />

système quant à la prise en compte de la qualité de mineur en<br />

droit pénal: d’une part, un système d’irresponsabilité pénale se<br />

traduisant par l’exclusion de toutes formes de poursuites, et la<br />

prise de mesures d’éducation et de redressement jusqu’à un<br />

certain âge, et d’autre part, un système de responsabilité atténuée<br />

se traduisant par des peines allégées au-delà de cet âge 325 . Le<br />

régime d’irresponsabilité pénale du mineur jusqu’à un certain âge<br />

se fonde sur le postulat que, jusqu’à cet âge, l’enfant ne peut être<br />

doué du plein discernement. En raison de son immaturité, il ne<br />

324 De manière générale, ce système est appliqué en Angleterre, où l’on associe à des<br />

mesures privatives de liberté des mesures visant la réinsertion sociale. Une autre variante<br />

existe dans certains Etats des Etats-Unis d’Amérique, l’Illinois par exemple, qui<br />

considèrent qu’à partir d’un certain âge proche de la majorité, le mineur peut être<br />

condamné comme le majeur pour les crimes les plus graves (vol à main armée, viol, etc.).<br />

325 Tel est par exemple le cas du régime appliqué en France notamment depuis<br />

l’ordonnance du 2 février 1945 qui prévoit des mesures éducatives pour les enfants de<br />

moins de 13 ans et la possibilité de peines réduites pour les mineurs de 13 à 18 ans.


192<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

peut avoir pleinement voulu et compris son acte, et il ne peut par<br />

conséquent avoir à en répondre pénalement. Le régime de<br />

responsabilité atténuée identifie un compromis entre le sentiment<br />

que les infractions ne peuvent plus rester impunies au-delà d’un<br />

certain âge, et celui que le mineur ne peut être sanctionné de<br />

manière aussi sévère qu’un adulte. Il faut notamment éviter que<br />

la hauteur des sanctions compromette toute chance de réinsertion<br />

et de reclassement social.<br />

Le système de droit commun que connaît le Rwanda relève du second<br />

type de régime, prévoyant le double système d’irresponsabilité pénale<br />

jusqu’à un certain âge, et de responsabilité pénale atténuée au-delà de cet<br />

âge.<br />

Au-delà de ces aspects généraux, la question de la minorité pénale revêt<br />

une importance particulière dans le contentieux du génocide au Rwanda,<br />

et soulève des questions particulièrement sensibles au plan humain :<br />

La conscience humaine a été singulièrement choquée par<br />

l’implication de très jeunes personnes dans les crimes qui ont été<br />

perpétrés. Les décisions rendues dans le cadre du contentieux du<br />

génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda<br />

permettent, parfois, de mesurer l’instrumentalisation à laquelle un<br />

grand nombre de jeunes ont été soumis. Si des adultes censés être<br />

doués de plus de discernement invoquent fréquemment les<br />

pressions qui les auraient amenés à prendre part à des atrocités, a<br />

fortiori, les mineurs ont largement agi sous influence. Ainsi, dans<br />

nombre de cas, des mineurs disent avoir agi sous l’influence des<br />

adultes qui s’attachaient à les convaincre de ce que « les enfants<br />

devaient être tués par d’autres enfants » 326 .<br />

Il n’est pas aisé de dégager une position consensuelle sur<br />

l’opportunité et l’adéquation des poursuites et des sanctions<br />

contre les mineurs à l’issue d’un conflit armé. Nombreux sont<br />

326 Voir pour illustration, RMP 82515/S4/ND/NSE, Ch. Sp. TPI KIBUNGO, affaire<br />

NSABIMANA Célestin et Consorts, 03/02/2000, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour<br />

suprême du Rwanda, Tome V, décision n° 6, 2 ème et 3 ème feuillets.


193<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

ceux qui les considèrent d’abord comme des victimes 327 qui<br />

doivent être soutenues et bénéficier d’un programme de<br />

réinsertion. L’enrôlement, de force, des enfants-soldats dans<br />

différents conflits aux horreurs les plus insoutenables renforce<br />

sûrement ce point de vue. Mais par ailleurs, il est difficilement<br />

acceptable de laisser ces mêmes horreurs impunies.<br />

Au Rwanda, la volonté de briser le cycle de l’impunité et de la vengeance<br />

au lendemain du génocide et des crimes contre l’humanité a amené le<br />

pays à se doter d’une législation qui tente de sanctionner adéquatement<br />

les atrocités commises en 1994. La nécessité de la prise en compte du<br />

caractère spécifique de la criminalité juvénile dans le cadre du génocide<br />

et des massacres ne paraît pourtant pas avoir figuré parmi les principales<br />

priorités à l’époque où a été conçu le premier texte appelé à régir leur<br />

répression : la loi organique de 1996 est quasiment muette en ce qui<br />

concerne les auteurs mineurs au moment des faits, renvoyant de manière<br />

implicite au régime de droit commun. Les lois qui allaient lui succéder<br />

allaient, elles, être plus explicites.<br />

Avant d’étudier ces différents régimes, il convient de préciser que,<br />

lorsqu’on évoque la question des poursuites et de la répression à l’égard<br />

des mineurs, le seul âge considéré est celui qu’avait l’intéressé à l’époque<br />

des faits qui lui sont reprochés. La longueur du temps qui a pu s’écouler<br />

entre le jour où l’acte punissable a été commis et la date du jugement est<br />

sans pertinence. La personne sera ou non punissable, et bénéficiera ou<br />

non de l’excuse de minorité en fonction de l’âge qu’elle avait au<br />

moment des faits.<br />

En ce qui concerne la détermination de l’âge, la pratique révèle que des<br />

difficultés concrètes peuvent surgir.<br />

Il arrive que des documents officiels se contredisent quant à la date de<br />

naissance de l’intéressé, l’un accréditant la thèse selon laquelle il était<br />

mineur au moment des faits (ou, dans une autre hypothèse, n’avait pas<br />

327 Voir lettre de trois organisations sierra-léonaises (Sierra-Leone Bar Association,<br />

Campaign for Good Governance et Association of Journalists) adressée au Conseil de<br />

Sécurité de l’ONU, le 10 décembre 2000, lors des discussions sur le Statut du Tribunal<br />

Pénal Spécial pour la Sierra-Léone. Ces organisations estimaient que le Procureur avait<br />

mieux à faire qu’à se préoccuper des poursuites à l’égard d’enfants-soldats qui avaient<br />

plus besoin d’un programme de réhabilitation.


194<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

atteint l’âge requis pour être poursuivi), et l’autre accréditant la thèse<br />

selon laquelle il était majeur au moment des faits (ou, dans la seconde<br />

hypothèse, avait atteint l’âge minimum pour être poursuivi). Il y a alors<br />

lieu soit d’établir en quoi l’un des documents fait foi par rapport à<br />

l’autre 328 , soit, à défaut, d’appliquer au mineur poursuivi l’hypothèse la<br />

plus favorable, c'est-à-dire celle qui retient la date de naissance la plus<br />

récente.<br />

Il peut également arriver que le mineur ne dispose pas du tout de<br />

document d’état civil ou alors dispose d’un document ne mentionnant que<br />

son année de naissance. Comme on le verra, c’est l’âge de quatorze ans<br />

qui fait charnière entre l’irresponsabilité pénale et la possibilité de<br />

poursuivre le mineur, et c’est l’âge de dix-huit ans qui fait charnière entre<br />

le bénéfice de l’excuse de minorité, et la répression prévue à l’égard d’un<br />

adulte.<br />

Les exemples les plus pertinents en l’espèce sont :<br />

celui dans lequel l’on dispose d’un document qui indique que le<br />

prévenu est né en 1980, et donc qu’il a eu son 14ème anniversaire<br />

dans le courant de l’année 1994, sans précision de jour et de mois<br />

et<br />

celui dans lequel l’on dispose d’un document qui indique que le<br />

prévenu est né en 1976, et donc qu’il a eu son 18ème anniversaire<br />

dans le courant de l’année 1994, sans précision de jour et de<br />

mois.<br />

En l’absence d’indications précises, le mineur doit se voir appliquer<br />

l’hypothèse la plus favorable, c’est-à-dire que l’on devra agir comme<br />

s’il était né le 31 décembre 1980 dans le premier exemple, et comme s’il<br />

était né le 31 décembre 1976 dans le second exemple. Le raisonnement<br />

doit amener à considérer, dans le premier exemple, que le prévenu n’avait<br />

pas atteint l’âge de quatorze ans lors des événements qui se sont déroulés<br />

328 Voir RMP 51.489/S4/C.M/KBY/97, Ch. Sp. TPI KIBUYE, affaire KABIRIGI<br />

Anastase et Consorts, 10/12/1998, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome II, décision N°9. Dans cette affaire le problème s’est posé à propos de la<br />

contradiction sur la date de naissance d’un mineur entre une fiche de recensement et la<br />

carte nationale d’identité. Le Tribunal a accordé foi à la fiche de recensement en raison de<br />

son antériorité.


195<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

d’avril à juillet 1994, et qu’il ne peut être poursuivi ni sanctionné ; dans le<br />

second exemple, que le prévenu n’avait pas atteint l’âge de dix-huit ans à<br />

cette époque, et qu’il doit par conséquent bénéficier de l’excuse de<br />

minorité.<br />

A ce jour, trois régimes de traitement de la minorité se sont succédés dans<br />

le contentieux du génocide au Rwanda.<br />

Le régime applicable sous l’empire de la loi organique n°<br />

08/96 du 30/08/1996 portant organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives de crime de génocide ou de<br />

crimes contre l’Humanité commises au Rwanda à partir<br />

du 1 er octobre 1990 (1) ;<br />

Le régime applicable sous l’empire des lois organiques n°<br />

40/2000 du 26/01/2001 portant création des<br />

« Juridictions Gacaca » et organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives du crime de génocide et de<br />

crimes contre l’Humanité commises au Rwanda entre le<br />

1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, et n° 33/2001<br />

du 22/06/2001 modifiant et complétant la Loi organique<br />

n° 40/2000 du 26/01/2001 (2) ;<br />

Le régime applicable depuis la nouvelle loi n° 16/2004<br />

du 19/6/2004, portant organisation, compétence et<br />

fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des<br />

poursuites et du jugement des infractions constitutives<br />

du crime de génocide et d’autres crimes contre<br />

l’Humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994 (3) ;<br />

1. LA MINORITE PENALE ET LA LOI ORGANIQUE DU 30<br />

AOUT 1996 : APPLICATION DU DROIT COMMUN<br />

La Loi organique de 30 août 1996 ne prévoyait pas de régime particulier<br />

quant à la responsabilité pénale des mineurs et la sanction de leurs actes.<br />

Les seules dispositions qu’elle consacrait aux mineurs, ont trait au


196<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

jugement des mineurs par des magistrats pour enfants 329 et à la<br />

représentation par le Ministère Public, d’office ou sur demande, des<br />

intérêts civils des mineurs dépourvus de représentants légaux 330 . Dans le<br />

silence de la loi, c'est le droit commun du Code pénal, qui s'appliquait<br />

aux infractions de génocide ou de crimes contre l’humanité commis par<br />

des mineurs 331 .<br />

Les dispositions pertinentes en la matière sont les articles 70, 77, 82, 83<br />

et 84 du Code pénal. Elles permettent de dégager, d’une part une<br />

présomption d’irresponsabilité pénale du mineur de 14 au plus (1) et<br />

d’autre part, un régime d’excuse de minorité et d’atténuation de peine<br />

pour le mineur âgé de plus de 14 ans à moins 18 ans (2).<br />

Il y aura lieu ensuite d’examiner la possibilité, sous l’empire de<br />

l’ancienne loi, de cumuler l’application de l’excuse de minorité et<br />

d’autres mécanismes d’atténuation de la peine, tels que le recours à la<br />

procédure d’aveu et les circonstances atténuantes (3).<br />

1.1. La présomption d'irresponsabilité pénale à l'égard des<br />

mineurs de 14 ans au plus<br />

En réalité, le Code pénal n'aborde pas expressément la question de la<br />

responsabilité (ou de l'irresponsabilité) pénale du mineur de 14 ans au<br />

plus. L'article 77 du Code pénal se borne à désigner les mineurs âgés de<br />

"plus de 14 ans et de moins de 18 ans", indiquant qu’ils bénéficient<br />

d’une excuse atténuante de responsabilité.<br />

C’est par déduction que l’on peut dire que, le Code pénal n’envisageant la<br />

répression du délinquant que s’il a plus de quatorze ans, il ne peut y avoir<br />

de répression jusqu’à cet âge. Le mineur de quatorze ans au plus<br />

bénéficie donc d’une présomption d’irresponsabilité pénale : l’enfant est<br />

censé n’avoir pas encore la capacité entière de « vouloir », ce qui exclut<br />

l’élément moral de l’infraction et, par voie de conséquence, la<br />

329 Art. 19 al 3, L.O. n° 08/96 du 30/08/1996, J.O. n° 17 du 01/09/1996. Cette disposition<br />

n’a pas été systématiquement mise en oeuvre, des mineurs ayant été fréquemment jugés<br />

par les mêmes sièges que les adultes.<br />

330 Art. 27, Ibid.<br />

331 L’article 14 de la loi organique du 30 août 1996 renvoie expressément au Code pénal<br />

pour ce qui est des peines, à l’exclusion des exceptions qu’elle prévoit.


197<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

responsabilité pénale. Cette présomption d’irresponsabilité pénale du<br />

mineur est absolue, irréfragable.<br />

Jusqu’à l’âge de quatorze ans, étant exonéré de toute forme de<br />

responsabilité pénale, l’enfant ne peut être jugé, encore moins condamné.<br />

Le simple fait de constater qu’il avait, au plus, 14 ans au moment des<br />

faits, suffit à exclure sa responsabilité pénale. Seules des mesures<br />

éducatives sont susceptibles d’être prises à son égard. Il s’agit d’une<br />

cause d’exonération de la responsabilité pénale, au même titre que la<br />

démence ou la contrainte irrésistible, visées à l’article 70 du Code pénal.<br />

Le régime de responsabilité atténuée du mineur s’applique au jeune « âgé<br />

de plus de quatorze ans et de moins de dix-huit ans ». A contrario,<br />

l’irresponsabilité du mineur le couvre donc jusqu’à la date de son<br />

quatorzième anniversaire, ce jour étant inclus dans la période<br />

d’irresponsabilité.<br />

Dans la jurisprudence du contentieux du génocide connue à ce jour, c’est<br />

cette interprétation du Code pénal, excluant la responsabilité pénale du<br />

mineur jusqu’à l’âge de 14 ans inclus qui a été retenue. Il n’y a pas à ce<br />

jour, de cas de jugement concernant un mineur âgé de 14 ans au plus au<br />

moment des faits.<br />

En revanche, des mineurs ont été détenus, à la suite du génocide et des<br />

massacres, sans que l’on soit certain de leur âge : il faut craindre que des<br />

enfants très jeunes, âgés de quatorze ans au plus au moment des faits,<br />

aient ainsi été emprisonnés. Grâce à l’action d’organisations non<br />

gouvernementales oeuvrant sur le terrain au Rwanda, des listes<br />

concernant des cas douteux ont pu être transmises au Parquet Général<br />

près la Cour Suprême, et certaines de ces démarches ont abouti à la<br />

libération de ces jeunes, dont la détention ne pouvait se justifier<br />

juridiquement.<br />

1.2. L'excuse atténuante de minorité pour les mineurs âgés de<br />

« plus de 14 ans et de moins de 18 ans »<br />

L’excuse atténuante de minorité est l’hypothèse explicitement prévue par<br />

l’article 77 du Code pénal rwandais. Elle s’applique au mineur à partir de<br />

plus de 14 ans (soit à partir de 14 ans + 1 jour) jusqu’à moins de 18 ans<br />

(soit 18 ans – 1 jour). Le mineur de cette tranche d'âge bénéficie d'une<br />

excuse de minorité. Il est considéré comme pénalement responsable, mais


198<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

les peines qui lui sont applicables (au cas où il serait nécessaire de lui en<br />

appliquer) doivent être réduites par rapport à celles qu’encourrait un<br />

majeur pour des faits semblables, en application de l’article 77 du Code<br />

pénal, de la manière suivante :<br />

- « S’il a encouru la peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité,<br />

il sera condamné à une peine de dix à vingt ans<br />

d’emprisonnement » : si pour la même infraction le majeur encourt la<br />

peine de mort ou l’emprisonnement à perpétuité, le mineur ne sera<br />

condamné qu’à une peine d’emprisonnement allant de 10 à 20 ans.<br />

- « S’il a encouru une peine d’emprisonnement ou une peine<br />

d’amende, les peines qui pourront être prononcées contre lui ne<br />

pourront s’élever au-dessus de la moitié de celles auxquelles il aurait<br />

été condamné s’il avait eu dix-huit ans ». Le mineur encourt, tout au<br />

plus, la moitié de la peine d’emprisonnement ou d’amende qui aurait<br />

été possible s’il s’était agi d’un adulte. Il est important, au regard de<br />

la formulation du texte, de souligner que la moitié dont il est question<br />

ici est un maximum : il est donc permis au juge d’aller en deçà.<br />

Dans le contentieux du génocide, sous l’empire de la loi organique de<br />

1996, la peine de mort et l’emprisonnement à perpétuité correspondaient<br />

à un classement en première et en deuxième catégorie. 332 Les condamnés<br />

de troisième catégorie encouraient, pour leur part, les peines prévues par<br />

le Code pénal. Et enfin, les condamnés de quatrième catégorie pouvaient<br />

être condamnés à une peine d’emprisonnement assortie de sursis, à moins<br />

d’un règlement amiable relatif à la réparation des biens de la victime.<br />

En ce qui concerne les mineurs, les conséquences suivantes pouvaient en<br />

être déduites :<br />

le mineur classé en première ou deuxième catégorie encourait<br />

une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans 333 ;<br />

332 Voir art. 14 a) et b), L.O. du 30/08/1996, op. cit.<br />

333 En application du 1 er tiret de l’article 77 du Code pénal rwandais.


199<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

le mineur classé en troisième catégorie encourait, au plus, la<br />

moitié de la peine prévue pour l’adulte de la même catégorie 334 ;<br />

pour les mineurs de la quatrième catégorie, la réparation civile<br />

par voie de règlement amiable devait être privilégiée 335 . A défaut,<br />

le mineur pouvait être condamné à une peine d’emprisonnement<br />

d’une durée égale ou inférieure à la moitié de la peine qui aurait<br />

été encourue par un adulte dans un cas similaire, cette peine étant<br />

nécessairement assortie du sursis 336 .<br />

1.3. Le cumul du bénéfice de l’excuse de minorité, du bénéfice de<br />

la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité et des<br />

circonstances atténuantes<br />

L’application de l’excuse de minorité, en tant que prescription d’ordre<br />

public, ne peut avoir pour effet de priver le mineur du bénéfice d’autres<br />

mécanismes de réduction de la peine auxquels peut prétendre toute<br />

personne poursuivie dans le cadre du contentieux du génocide et des<br />

massacres au Rwanda.<br />

Ces mécanismes de réduction de peines découlent, d’une part, de la<br />

procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité instaurée par la loi<br />

organique du 30 août 1996 et, d’autre part, du droit commun relatif aux<br />

circonstances atténuantes.<br />

Rappelons que le principe de la « procédure d’aveu » introduite en droit<br />

rwandais par la loi organique de 1996 – et dont le principe, légèrement<br />

aménagé, a été maintenu dans la loi organique de 2004 - est que toute<br />

personne qui y recourt régulièrement et dans les formes prévues se voit<br />

accorder d’importantes réductions de peines. Cette procédure d’aveu<br />

334 En application du 2 ème tiret de l’article 77 du Code pénal. Il y a lieu de considérer la<br />

peine prévue par le Code pénal pour l’infraction retenue. A titre d’illustration, s’il s’agit<br />

de coups et blessures avec guet-apens, entraînant une incapacité permanente, punis d’une<br />

peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans pour l’adulte, le mineur encourt une peine de deux<br />

ans et demi à cinq ans.<br />

335 Il faut cependant souligner que l’accusé mineur au moment des faits ne peut être<br />

déclaré responsable au plan civil. Ses parents ou tuteurs doivent être cités comme<br />

civilement responsables.<br />

336 Voir Art. 14 d), L.O. du 30/08/1996, op. cit.


200<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

étant un droit reconnu à toute personne prévenue 337 , rien ne saurait priver<br />

le mineur du bénéfice d’y recourir et de jouir de ses avantages.<br />

Sous l’empire de la loi organique de 1996, dans le cas du mineur de plus<br />

de quatorze ans, les réductions de peines liées à la procédure d’aveu<br />

étaient donc à combiner et à cumuler avec les réductions prévues par<br />

l’article 77 du Code pénal en raison de l’excuse de minorité.<br />

De même, en droit commun, les articles 82, 83 et 84 du Code pénal<br />

organisent le régime des circonstances atténuantes qui peuvent être<br />

reconnues à toute personne condamnée. Ce régime de circonstances<br />

atténuantes était également applicable au mineur.<br />

L’on peut résumer de la façon suivante :<br />

Tout mineur dont les aveux avaient été acceptés devait se<br />

voir appliquer la réduction de peine prévue au titre de la<br />

procédure d’aveu faite avant 338 ou après 339 poursuites ;<br />

Tout mineur dont les aveux avaient été acceptés devait se<br />

voir appliquer la réduction de peine liée à l’excuse de<br />

minorité, conformément à l’article 77 du Code pénal ;<br />

Tout mineur dont les aveux étaient acceptés et à qui<br />

étaient reconnues des circonstances atténuantes, devait se<br />

voir appliquer une troisième réduction de peine<br />

souverainement appréciée par le juge, en plus des deux<br />

premières réductions liées à la procédure d’aveu et à l’excuse<br />

de minorité.<br />

La jurisprudence sur la loi organique du 30 août 1996 illustre largement<br />

cette possibilité de cumul. En témoigne par exemple le « constate »<br />

suivant :<br />

« Constate que pour tous ces motifs, MINANI François doit bénéficier<br />

d'une diminution de peine telle que prévue aux articles 16- a) de la loi<br />

337 Voir Art. 4, Ibid.<br />

338 Art. 15, ibid.<br />

339 Art. 16, ibid.


201<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

organique du 30/08/1996, 77 alinéa 3 et 83 alinéa 4 du Code pénal Livre<br />

I » 340 .<br />

Les trois mécanismes de réduction de peines ici évoqués ont été appliqués<br />

et cumulés. En définitive, ce mineur de la deuxième catégorie a été<br />

condamné à une peine d’emprisonnement de 5 ans :<br />

au titre de la procédure d’aveu après poursuites des personnes<br />

relevant de la deuxième catégorie (article 16-a de la Loi<br />

organique de 1996), il encourait un emprisonnement de 12 à 15<br />

ans ;<br />

au titre de l’excuse de minorité (article 77 du Code pénal), la<br />

première peine devait être réduite, au moins de moitié ; soit une<br />

peine de 6 à 7 ans et demi ;<br />

au titre des circonstances atténuantes (article 83 du Code pénal),<br />

le juge a réduit souverainement cette dernière peine : d’où une<br />

réduction à 5 ans d’emprisonnement.<br />

Si le principe de ces mécanismes de réduction de la peine du mineur qui<br />

avaient cours sous l’empire de la loi organique 30 août 1996 ont inspiré le<br />

législateur de 2001 et de 2004, le régime de la répression du jeune<br />

criminel a fait l’objet de quelques aménagements.<br />

2. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS L’EMPIRE<br />

DE LA LOI ORGANIQUE DE 2001 : DES DISPOSITIONS<br />

INSPIREES DU DROIT COMMUN<br />

Si la situation générale du mineur auteur du crime de génocide ou autres<br />

crimes contre l’humanité n’a pas véritablement changé sous l’empire de<br />

la loi de 2001 (1), ce texte avait cependant laissé non résolues, un certain<br />

nombre de difficultés (2).<br />

340 RP 007/GIT/CH.S/97, Ch. Sp. TPI Gitarama, affaire MINANI François, 23/09/1997,<br />

Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du Rwanda, Tome II, décision n° 6, 3 ème<br />

feuillet, 6 ème constate, P. 91.


202<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

2.1. La situation générale de la responsabilité du mineur sous la<br />

loi de 2001<br />

En s’inspirant du Code pénal, la loi organique du 26 janvier 2001 (telle<br />

que modifiée le 22 juin 2001) a consacré explicitement la présomption<br />

d’irresponsabilité du mineur âgé de moins de 14 ans et intégré en son sein<br />

des dispositions relatives à la répression du mineur à partir de l’âge de<br />

plus de 14 ans à moins de 18 ans 341 .<br />

2.1.1. Une consécration explicite de l’irresponsabilité pénale du<br />

mineur âgé de moins de 14 ans<br />

L’article 74 alinéa 2 de la loi organique du 26 janvier 2001 dispose :<br />

« Les mineurs qui, au moment des faits leur reprochés, étaient âgés de<br />

moins de 14 ans, ne peuvent être poursuivis, mais peuvent être placés<br />

dans des centres de rééducation ».<br />

Cette disposition venait consacrer, de manière explicite, la présomption<br />

irréfragable d’irresponsabilité pénale du mineur de cette tranche d’âge,<br />

alors qu’elle n’était que sous-entendue dans l’article 77 du Code pénal.<br />

Avec cette disposition, le législateur a voulu combler le « vide » du Code<br />

pénal qui n’avait pas manqué de susciter quelque débat. Désormais, il<br />

était dit clairement que les mineurs âgés de moins de 14 ans au moment<br />

des faits ne pouvaient pas être poursuivis, mais qu’ils pouvaient<br />

bénéficier de mesures favorisant leur réintégration, notamment par le<br />

placement dans un centre de rééducation.<br />

2.1.2. La répression du mineur de plus de 14 ans et de moins de<br />

18 ans<br />

La répression du mineur de plus de 14 ans et de moins de 18 ans était<br />

organisée dans la loi organique du 26 janvier 2001 en fonction de la<br />

catégorisation des accusés. La matière était régie par l’article 74 alinéa 1 er<br />

de cette loi qui dispose :<br />

341 La disposition principale sur la question de la minorité dans ce texte de 2001 est son<br />

article 74.


203<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

« Les enfants convaincus du crime de génocide et de crimes contre<br />

l’humanité qui, à l’époque des faits, étaient âgés de plus de quatorze ans<br />

et de moins de dix-huit ans sont condamnés :<br />

- à la peine réduite d’emprisonnement de dix à vingt ans s’ils<br />

relèvent de la 1ère catégorie ;<br />

- s’ils relèvent de la 2ème ou de la 3ème catégorie, à la peine<br />

réduite d’emprisonnement égale à la moitié de celle prévue par<br />

la présente loi organique pour les prévenus majeurs de même<br />

catégorie ».<br />

En réalité, cette disposition de la loi organique de 2001 s’inspirait<br />

largement de l’excuse de minorité prévue par l’article 77 du Code pénal.<br />

L’on peut dire que, de manière générale, cette loi avait repris les solutions<br />

déjà prévues par le Code pénal :<br />

- le mineur de la première catégorie qui aurait encouru la peine de<br />

mort s’il avait été adulte, voyait sa peine réduite à une peine<br />

d’emprisonnement de 10 à 20 ans, comme dans le Code pénal ;<br />

- le mineur de la deuxième ou de la troisième catégorie voyait sa<br />

peine réduite à la moitié de celle prévue pour l’adulte de même<br />

catégorie. Si ce n’est qu’à la différence du Code pénal qui prévoit<br />

la moitié comme un maximum, l’article 74 de la loi de 2001<br />

mentionne une peine « égale à la moitié » ;<br />

- le mineur de la quatrième catégorie ne risquait plus la moitié de<br />

la peine avec sursis qui était prévue par la loi organique de<br />

1996 342 puisque cette peine n’était plus prévue par la loi<br />

organique de 2001 343 , seule la réparation des dommages causés<br />

étant possible.<br />

342 Art. 14- d) loi organique du 30/08/1996, op. cit.<br />

343 Art. 71, loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001, telle que modifiée et complétée par la<br />

loi organique n° 33/2001 du 22/06/2001. Cette disposition ne prévoyait plus que la seule<br />

réparation civile des dommages causés pour les condamnés pour les atteintes aux biens, à<br />

l’exclusion de toute sanction pénale.


204<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

Il y avait cependant une différence fondamentale dans le raisonnement :<br />

alors que dans le Code pénal (et partant la loi organique de 1996) le<br />

raisonnement s’opérait à partir de la peine prévue pour l’adulte, dans la<br />

nouvelle loi de 2001, le raisonnement était fonction de la catégorie dans<br />

laquelle était classé le mineur accusé. Cette différence dans le<br />

raisonnement pouvait poser quelques difficultés dans l’application, en<br />

équité, du texte de 2001.<br />

2.2. Les difficultés posées par le texte de 2001<br />

A la lecture de l’article 74 de la loi organique de 2001, il apparaît que, en<br />

dépit du souci de clarifier la question de l’irresponsabilité pénale des<br />

enfants, la loi ne couvre pas absolument toutes les hypothèses. D’une<br />

part, le libellé des dispositions pertinentes laisse subsister une légère<br />

incertitude quant à l’âge exact jusqu’auquel le mineur est exonéré de<br />

toute responsabilité pénale. D’autre part, le traitement de la deuxième<br />

catégorie n’était pas toujours clair. Enfin, le législateur avait omis de<br />

régler le cas du mineur de première catégorie ayant recouru à la<br />

procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité.<br />

2.2.1. Une imprécision dans la détermination de l’âge à partir<br />

duquel peut s’exercer la répression<br />

Le législateur de 2001 a veillé à confirmer de manière expresse le<br />

principe selon lequel aucune répression ne peut être exercée à l’encontre<br />

des jeunes enfants. C’est ainsi qu’il a prévu que le mineur de « moins de<br />

14 ans » ne pouvait être poursuivi. Cependant, cette précision est<br />

imparfaite.<br />

Elle ne correspond pas exactement à la période de présomption<br />

d’irresponsabilité prévue par le droit commun. Dans le Code pénal, cette<br />

période ne se situe pas à « moins de 14 ans » mais jusqu’à l’âge de 14 ans<br />

inclus puisque l’article 77 de ce Code ne fait débuter la possibilité de<br />

répression qu’à « plus de 14 ans ».<br />

Ensuite, le texte de l’article 74 de la loi de 2001 recèle une incohérence<br />

interne : alors que la répression qui peut être exercée à l’égard des<br />

mineurs concerne ceux qui sont « âgés de plus de 14 ans et de moins de<br />

18 ans » au moment de faits, la période de l’irresponsabilité ne s’étend


205<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

que jusqu’à « moins de 14 ans ». Aucune des deux hypothèses n’incluait<br />

le jour des 14 ans.<br />

2.2.2. Des difficultés dans le traitement de la deuxième catégorie<br />

Dans le cas de la deuxième catégorie, l’article 74 de loi organique de<br />

2001 avait prévu d’appliquer au mineur la moitié de la peine prévue pour<br />

le majeur. Cependant, aux termes de l’article 69- a) de la même loi, le<br />

majeur de la deuxième catégorie encourait « la peine d’emprisonnement<br />

de 25 ans ou l’emprisonnement à perpétuité ».<br />

S’il est aisé de déterminer la moitié de 25 ans, il en est autrement de la<br />

moitié de la « perpétuité ». La loi de 2001 ne répondait pas à la question<br />

de la manière dont le juge pouvait calculer la durée de la peine.<br />

2.2.3. Le cas du mineur de la première catégorie, en aveu<br />

Les mineurs de la première catégorie, comme tous les prévenus de la<br />

même catégorie, restaient justiciables des juridictions ordinaires 344 . Au<br />

regard de la loi de 2001, il pouvait donc arriver que le mineur classé en<br />

première catégorie par la Juridiction Gacaca de Cellule recoure à la<br />

procédure d’aveu devant la juridiction ordinaire.<br />

Le problème qui se posait était que la loi de 2001 n’avait pas prévu cette<br />

hypothèse de l’aveu du mineur de première catégorie devant le siège de la<br />

juridiction ordinaire. Fallait-il lui appliquer le principe retenu pour les<br />

mineurs de deuxième et troisième catégorie, à savoir la moitié de la peine<br />

dont un adulte de la même catégorie était passible ?<br />

Si c’était là le raisonnement à suivre, compte tenu du fait que l’adulte de<br />

première catégorie en aveu encourait une peine de 25 ans ou<br />

l’emprisonnement à perpétuité, l’excuse de minorité aurait ramené cette<br />

peine de 12 ans et demi à la « moitié de la perpétuité », ici aussi<br />

impossible à déterminer.<br />

Le mineur de première catégorie ayant recouru à la procédure d’aveu et<br />

de plaidoyer de culpabilité risquait de se voir condamné à une peine<br />

égale, voire supérieure à celle encourue par le mineur de première<br />

344 Art. 2 al.2, loi organique du 26/01/2001, op.cit.


206<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

catégorie qui n’avait pas avoué : en effet, celui-ci risquait une peine de<br />

dix à vingt ans d’emprisonnement.<br />

Le silence de la loi sur ce point avait donc pour effet de priver le mineur<br />

de première catégorie de tout bénéfice lié à la procédure d’aveu et de<br />

plaidoyer de culpabilité.<br />

La nouvelle loi organique de 2004 a tenté d’apporter une solution à ces<br />

problèmes, en organisant de manière plus exhaustive le traitement de la<br />

minorité pénale.<br />

3. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS L’EMPIRE<br />

DE LA LOI ORGANIQUE DU 19 JUIN 2004 : LE DROIT<br />

POSITIF ACTUELLEMENT APPLICABLE DANS LE<br />

CONTENTIEUX DU GENOCIDE<br />

Le nouveau régime de la minorité dans le contentieux du génocide n’est<br />

pas déterminé uniquement par la loi organique du 19 juin 2004 portant<br />

organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca. Il<br />

s’inscrit également dans le nouvel environnement juridique et judiciaire<br />

né de la réforme entamée en 2003. Ainsi, notamment, le nouveau Code<br />

d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires 345 ainsi que le<br />

nouveau Code de procédure pénale 346 doivent être pris en considération.<br />

Ce nouveau cadre juridique confie le traitement des cas des mineurs à des<br />

chambres spécialisées (1). Ces Chambres spécialisées appliqueront, en ce<br />

qui concerne le contentieux du génocide, un régime inspiré du droit<br />

commun, mais spécifique. Ce régime concerne les limites de la minorité<br />

pénale (2) et les peines applicables au mineur compte tenu de l’excuse de<br />

minorité, de la catégorisation et des aveux (3).<br />

345 Loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004 portant Code d’organisation, fonctionnement<br />

et compétence judiciaires, J.O. n° 14 du 15 juillet 2004.<br />

346 Loi n° 13/2004 du 17/5/2004 portant Code de procédure pénale.


207<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

3.1. La compétence des chambres spécialisées pour mineurs dans le<br />

contentieux du génocide<br />

L’article 74 du nouveau Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires dispose :<br />

« Les mineurs auxquels est imputée une infraction ne sont justiciables<br />

que de la Chambre spécialisée pour mineurs du Tribunal de Province ou<br />

de la Ville de Kigali » 347 .<br />

Ce texte crée donc, au sein des Tribunaux de Province et du Tribunal de<br />

la Ville de Kigali, des Chambres spécialisées pour connaître des<br />

infractions dont sont accusés les mineurs. Dans la loi organique du 30<br />

août 1996 déjà, chaque Chambre spécialisée en matière de génocide<br />

devait comprendre en son sein au moins un siège composé de magistrats<br />

pour enfants 348 . Dans les faits, cette exigence de la loi organique de 1996<br />

n’a pas été mise en application.<br />

Il y a lieu de tout mettre en œuvre afin que les Chambres spécialisées<br />

pour mineurs puissent fonctionner effectivement, notamment en ce qui<br />

concerne le contentieux du génocide. Ceci serait de nature à favoriser,<br />

chez le juge, l’attention, la sérénité et l’expertise particulières que<br />

requiert la situation des personnes accusées d’avoir pris part au génocide<br />

alors qu’elles étaient très jeunes. Le fait de soustraire ces personnes à<br />

l’influence des adultes est également susceptible de favoriser une parole<br />

plus libre, et de contribuer à la manifestation de la vérité. L’expérience a<br />

montré, notamment au sein de l’ancien Tribunal de Première Instance de<br />

Kibungo, que les mineurs jugés séparément des adultes étaient plus<br />

enclins à présenter des aveux.<br />

L’on peut se demander ce qu’il y a lieu de faire lorsqu’un mineur est<br />

accusé de participation criminelle en lien avec des adultes accusés d’être<br />

ses coauteurs ou complices. Dans cette hypothèse, doivent s’appliquer les<br />

dispositions de la loi organique du 19 juin 2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca qui prévoient que<br />

les personnes accusées restent justiciables des juridictions qui leur sont<br />

347<br />

Loi organique n° 07/2004 du 25/04/2004, portant Code d’organisation, fonctionnement<br />

et compétence judiciaires, op. cit.<br />

348<br />

Voir Art 19 al. 3, loi organique du n° 08/96 du 30/08/1996, op. cit.


208<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

attribuées par la loi « (…) même si leurs coauteurs sont justiciables des<br />

juridictions différentes de celles qui rendent leurs jugements. Dans ce<br />

cas, ces coauteurs peuvent être convoqués pour donner des témoignages<br />

dans le même procès » 349 . En application de ce texte, le mineur dont<br />

l’affaire relève de la compétence des juridictions ordinaires 350 restera<br />

donc justiciable de la Chambre spécialisée pour mineurs du Tribunal de<br />

Province ou de la Ville de Kigali, même en cas de lien de participation<br />

criminelle avec des adultes. L’application de ce principe au cas des<br />

mineurs est d’ailleurs conforme au caractère exclusif 351 de la compétence<br />

attribuée aux Chambres spécialisées pour mineurs du Tribunal de<br />

Province et de la Ville de Kigali par l’article 74 du code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétence judiciaires.<br />

3.2. La détermination des limites de la minorité pénale<br />

3.2.1. Une imprécision persistante à propos du mineur de 14 ans<br />

La détermination de l’âge exact à partir duquel la répression du mineur<br />

est possible n’a pas été clarifiée par la nouvelle loi organique du 19 juin<br />

2004. Le texte de la loi contient en effet deux dispositions qui ne sont pas<br />

parfaitement cohérentes. Alors que l’article 78 rend possible la répression<br />

à partir de plus de 14 ans, l’article 79 n’exonère de poursuites que le<br />

mineur de moins de 14 ans. La nouvelle loi organique laisse persister une<br />

lacune apparue dans la loi organique de 2001 : le sort du mineur âgé de<br />

14 ans exactement au moment des faits n’est pas réglé.<br />

Trois éléments au moins plaident en faveur d’une répression qui ne serait<br />

possible qu’à partir de l’âge de quatorze ans et un jour.<br />

C’est cette solution qui est prévue, de manière implicite, par le<br />

Code pénal, en son article 77.<br />

349 Article 2 al. 4, loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004, op.cit.<br />

350 C’est le cas des mineurs dont le classement en première catégorie a été proposé par les<br />

juridictions Gacaca de Cellule et des mineurs dont les dossiers avaient été transmis aux<br />

Cours et Tribunaux avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.<br />

351 Les mineurs ne sont justiciables QUE de la Chambre spécialisée pour mineurs du<br />

Tribunal de Province et de la Ville de Kigali.


209<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

Aucune peine n’est prévue par la loi organique pour le cas du<br />

mineur âgé de 14 ans au jour des faits. Or il ne peut y avoir de<br />

peine sans texte.<br />

Dans le silence des textes, l’on ne peut appliquer au mineur que<br />

l’hypothèse qui lui est la plus favorable, celle qui fait commencer<br />

la répression le plus tard possible.<br />

D’un point de vue pratique, cependant, cette lacune n’aura probablement<br />

que peu d’incidence.<br />

3.2.2. La question de l’incidence de l’entrée en vigueur du nouveau<br />

Code de procédure pénale<br />

Une polémique plus importante pourrait surgir en ce qui concerne l’âge à<br />

partir duquel la répression peut s’exercer à l’égard du mineur, à la<br />

lumière du nouveau Code de procédure pénale.<br />

En effet, les articles 184 et suivants de ce texte 352 indiquent implicitement<br />

12 ans et un jour comme étant désormais l’âge-charnière au-delà duquel<br />

la répression pénale est possible. L’article 192 du texte se veut plus<br />

précis : « Les mineurs âgés de plus de 12 ans et de moins de dix huit ans<br />

sont jugés par la Chambre des mineurs suivant la procédure de droit<br />

commun ». Ce texte illustre, de la part du législateur rwandais, une<br />

volonté de répression plus marquée à l’égard des délinquants mineurs.<br />

La loi organique du 19 juin 2004 a, pour sa part, confirmé le principe de<br />

l’exclusion de toute responsabilité pénale pour les personnes qui étaient<br />

âgée de quatorze ans au plus au moment des faits, prévoyant cependant la<br />

possibilité de les placer dans un camp de solidarité 353 pour une période de<br />

trois mois.<br />

La question qui se pose est celle de savoir si la baisse de l’âge à partir<br />

duquel le mineur ne bénéficie plus de la cause exonératoire de<br />

responsabilité sera désormais d’application dans le contentieux du<br />

génocide. Il y a lieu de répondre par la négative :<br />

352 Loi n° 13/2004 du 17/5/ 2004 portant Code de procédure pénale, Op.cit.<br />

353 Dont l’organisation doit faire l’objet d’un Arrêté du Premier Ministre. Voir article 79<br />

de la loi organique du 19 juin 2004.


210<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

En vertu du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale : le<br />

principe de la non-rétroactivité de la loi pénale concerne non<br />

seulement les incriminations et les peines, mais également, bien<br />

sûr, tous autres éléments qui déterminent le caractère punissable<br />

ou non de l’acte. Les dispositions du nouveau Code de procédure<br />

pénale qui ont pour effet de permettre la répression d’un mineur à<br />

partir de l’âge de 12 ans et un jour rendent évidemment<br />

punissables des faits qui ne l’étaient pas auparavant : ceux<br />

commis par un enfant entre l’âge de douze et quatorze ans. La<br />

circonstance que cette nouvelle disposition figure dans une loi<br />

qualifiée « de procédure » est indifférente : elle ne change en<br />

effet pas la nature de « fond » de la règle qui définit la minorité<br />

pénale.<br />

Cette règle nouvelle ne peut s’appliquer aux faits commis<br />

antérieurement à son entrée en vigueur. Elle ne s’applique qu’aux<br />

faits commis postérieurement à la date du 30 juillet 2004 354 , et ne<br />

peut donc avoir aucune incidence pour les faits couverts par la loi<br />

organique du 19 juin 2004 : la répression des infractions liées au<br />

génocide et aux massacres de 1994 n’est possible qu’à l’égard<br />

des personnes qui étaient âgée de plus de 14 ans au moment des<br />

faits.<br />

En raison de la spécificité de la loi réprimant les faits de<br />

génocide : les faits constitutifs du crime de génocide et des autres<br />

crimes contre l’humanité commis au Rwanda du 1 er octobre 1990<br />

au 31 décembre 1994 sont prévus et réprimés par une loi<br />

particulière 355 . Or la loi particulière l’emporte sur la loi générale<br />

selon la règle generalia specialibus non derogant (les<br />

dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions<br />

spéciales).<br />

Dans le contentieux du génocide, la répression continue de n’être<br />

possible à l’égard d’un mineur que s’il était âgé de plus de quatorze<br />

ans au moment des faits.<br />

354 Date de publication de la loi n° 13/2004 du 17/5/2004 portant Code de procédure<br />

pénale, qui, en vertu de l’article 277, marque son entrée en vigueur.<br />

355 Comme mentionné au début de ce texte, il y a d’abord eu la loi organique du<br />

30/08/1996, ensuite la loi organique du 26 janvier 2001 modifiée et complétée par la loi<br />

du 22 juin 2001 et maintenant la loi du 19 juin 2004.


211<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

3.3. Les peines applicables au mineur : un lien entre l’excuse de<br />

minorité, la catégorisation et la procédure d’aveu, de repentir<br />

et d’excuses<br />

Il paraît important de rappeler ici que l’excuse de minorité constitue une<br />

obligation d’ordre public pour le juge. Elle doit être retenue en faveur<br />

de l’accusé par le juge même lorsqu’elle n’est pas plaidée. Le seul constat<br />

que l’accusé se trouvait dans la tranche d’âge de plus de 14 ans et moins<br />

de 18 ans au moment des faits suffit à le faire bénéficier de l’excuse de<br />

minorité. Le bénéfice de l’excuse de minorité n’est donc soumis à aucune<br />

autre condition.<br />

Avec la nouvelle loi organique du 19 juin 2004, la peine du mineur sera<br />

déterminée en fonction de trois éléments : l’application de l’excuse de<br />

minorité, la catégorie dans laquelle est rangé le mineur et le recours ou<br />

l’absence de recours 356 à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité,<br />

d’excuses et de repentir.<br />

En ce qui concerne le détail des peines prévues selon les différents cas de<br />

figure possibles, le lecteur est renvoyé au chapitre consacré aux peines.<br />

Rappelons que la minorité de l’auteur est sans incidence en ce qui<br />

concerne la nouvelle troisième catégorie. Seule la condamnation à la<br />

réparation des dommages matériels causés peut être prononcée à<br />

l’encontre de la personne reconnue coupable exclusivement d’atteintes<br />

aux biens, qu’elle ait été mineure ou majeure au moment des faits.<br />

Conclusion<br />

La nouvelle loi organique du 19 juin 2004 ne bouleverse pas<br />

fondamentalement le régime de la minorité déjà en vigueur sous l’empire<br />

des lois organiques de 1996 et 2001. Tout comme celles-ci, elle consacre<br />

pour une large part des solutions déjà envisagées par le Code pénal<br />

rwandais.<br />

Si la nouvelle loi a eu le mérite de clarifier un certain nombre de<br />

questions que la loi de 2001 omettait de résoudre, il subsiste quelques<br />

356 A laquelle nous assimilons le rejet des aveux.


212<br />

La minorité pénale dans le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

imprécisions notamment en ce qui concerne l’âge à partir duquel la<br />

répression du mineur est possible. Par ailleurs, l’expérience des<br />

Chambres spécialisées qui ont eu à traiter du contentieux du génocide<br />

indique que des discussions peuvent surgir quant à la détermination de<br />

l’âge réel de l’accusé au moment des faits.<br />

En cas d’incertitude, il y aura toujours lieu d’appliquer à la personne<br />

poursuivie la disposition la plus favorable ou l’hypothèse la plus<br />

favorable.<br />

Notons que la loi organique du 19 juin 2004, contrairement à celle de<br />

1996, n’aborde pas la question des intérêts civils du mineur. Par<br />

application des dispositions de droit commun, les intérêts civils de la<br />

personne encore mineure 357 pourront être représentés par ses ayants<br />

droits, ses représentants légaux, ou, à défaut, par le Ministère Public. La<br />

minorité civile dont il est question ici concerne l’individu qui n’a pas<br />

encore atteint vingt et un ans 358 .<br />

Enfin, il faut souligner l’impact considérable que les importantes<br />

restrictions apportées par la loi organique de 2004 à la notion et à la<br />

portée des « circonstances atténuantes » 359 pourraient avoir, en particulier,<br />

sur la situation des auteurs qui étaient mineurs au moment du génocide.<br />

Les tribunaux seront privés de la possibilité de réduire la peine en<br />

dessous du minimum légal, alors que, dans nombre de décisions<br />

prononcées sous l’empire de la loi organique de 1996, les juges ont pu<br />

recourir à ce mécanisme légal de réduction de peine, rendant compte de<br />

ce que c’est à l’instigation d’adultes et sous leur influence que bon<br />

nombre d’enfants et d’adolescents ont été amenés à commettre des<br />

atrocités.<br />

357 Dans ce cas-ci, la minorité s’apprécie bien évidemment au moment de la demande et<br />

non au moment de faits, contrairement à ce qui est le cas pour le mineur poursuivi.<br />

358 Voir article 360 du Code civil, loi n° 42.1998 du 27 octobre 1998, J.O. 1989, P. 9.<br />

359 Voir à ce sujet le chapitre consacré aux peines.


CHAPITRE XI<br />

215<br />

LE DROIT A REPARATION DES VICTIMES DU GENOCIDE ET<br />

DES AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE<br />

Introduction<br />

La terminologie utilisée par les trois lois qui, depuis 1996, ont régi le<br />

contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda varie<br />

pour désigner les questions qui touchent au droit à réparation des<br />

victimes. Le législateur de 1996 et celui de 2001 parlaient de<br />

« dommages et intérêts », notion à laquelle le législateur de 2004 lui a<br />

préféré celle de «dédommagement » ou de « réparation des dommages ».<br />

La question du droit à réparation des victimes du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité est un sujet douloureux, difficile et sensible. Comment<br />

définir la notion de victime ? Comment évaluer la douleur qui n’a pas de<br />

prix ? Comment trouver la voie qui permettrait aux victimes d’être<br />

reconnues ? Comment les aider à vivre encore, malgré tout ? Et enfin, si<br />

toutes ces questions passent notamment – mais certainement pas<br />

exclusivement - par une indemnisation, que faire par rapport à des<br />

condamnés insolvables, et un Etat qui n’a pas les moyens de rencontrer<br />

des besoins immenses ?<br />

Les auteurs qui, au plan international, se sont penchés sur la question de<br />

la lutte contre l’impunité des auteurs de violations flagrantes des droits de<br />

l’homme considèrent le droit à réparation des victimes comme l’un de ses<br />

éléments essentiels. Ils distinguent plusieurs types de mesures de<br />

« réparation » : les mesures individuelles et les mesures de portée<br />

générale. Ils considèrent qu’au plan individuel, la réparation adéquate<br />

devrait couvrir l’intégralité des préjudices subis par la victime, et<br />

comprendre des mesures de « restitution », des mesures<br />

d’« indemnisation » et des mesures de « réadaptation ».


216<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

Les mesures collectives, qui contribuent également à la « réparation »,<br />

sont des mesures de portée générale essentiellement symbolique 360 .<br />

Au plan juridique, c’est essentiellement la question de l’indemnisation<br />

qui retient l’attention.<br />

Rappelons qu’en droit commun, l’indemnisation est fonction de<br />

l’importance du dommage subi. Le droit à l’indemnisation sera accordé à<br />

la victime pour autant que, du dommage, l’on puisse remonter au fait qui<br />

l’a causé, et que ce fait ait constitué une faute, dont l’auteur est<br />

identifiable. La matière de la responsabilité civile et de l’action civile<br />

sont régies, principalement, par les articles 258 à 260 du Livre III du<br />

Code Civil, les articles 161 à 166 du Code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétence judiciaires 361 , et les articles 9 à 17 et 130 à<br />

138 du Code de procédure pénale 362 . L’action civile est celle qui résulte<br />

d’une infraction. Elle est « celle qui a pour objet la réparation du<br />

dommage causé par une infraction » 363 .<br />

S’agissant du contentieux du génocide et des massacres, il y a donc lieu<br />

d’examiner la manière et les limites dans lesquelles les victimes<br />

d’infractions couvertes par la loi organique peuvent obtenir réparation.<br />

Il paraît utile de se pencher sur les solutions que les lois organiques de<br />

1996 (1) et de 2001 (2) avaient retenues à propos de l’indemnisation,<br />

mais dont la loi organique du 19 juin 2004 s’est considérablement<br />

éloignée, afin de mieux cerner ensuite la place faite à cette question par la<br />

nouvelle loi (3).<br />

360<br />

Voir le Rapport final établi par M. Louis JOINET, Rapporteur Spécial auprès de la<br />

Sous-Commission des Droits de l’Homme, sur la “Question de l’impunité des auteurs des<br />

violations des droits de l’homme”, E/CN.4/Sub2/1997/20 du 26 juin 1997, et son Annexe<br />

II qui contient « L’ensemble des principes pour la protection et la promotion des droits de<br />

l’Homme par la lutte contre l’impunité ». Voir en particulier le Principe 39.<br />

361<br />

Correspondant aux anciens articles 135 à 139 du Code d’organisation et de<br />

compétence judiciaires, Décret-loi n° 09/80 du 07/07/1980.<br />

362<br />

Correspondant aux anciens articles 71 et 72 du Code de procédure pénale, loi du 23<br />

février 1963.<br />

363<br />

Article 161 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.


217<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

1. L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI DU<br />

30 AOUT 1996<br />

1.1. Les principes<br />

Les articles 27 à 32 de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996 portant<br />

organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de<br />

génocide ou de crimes contre l’humanité commises à partir du 1 er octobre<br />

1990 renvoyaient aux « règles ordinaires relatives à la dénonciation, à la<br />

plainte et à l’action civile » 364 , en y apportant quelques aménagements:<br />

Les victimes, agissant en personne ou par l’intermédiaire<br />

d’associations légalement constituées, pouvaient déclencher leur<br />

action en dédommagement par voie de constitution de partie<br />

civile, lors du dépôt, auprès du Ministère Public, de la plainte qui<br />

déclenchait la mise en mouvement de l’action publique 365 . Si,<br />

dans les six mois, le Ministère Public n’avait pas saisi la<br />

juridiction compétente, la partie civile pouvait agir par voie de la<br />

citation directe devant le tribunal 366 .<br />

Le Ministère Public représentait, d’office ou sur demande, les<br />

intérêts civils des mineurs et autres incapables dépourvus de<br />

représentants légaux, contre les auteurs des crimes dont ils<br />

avaient été les victimes 367 .<br />

Les condamnés relevant des 2 ème , 3 ème et 4 ème catégories<br />

encouraient la responsabilité civile découlant des actes criminels<br />

qu’ils avaient commis personnellement tandis que, dérogeant au<br />

droit commun de la responsabilité civile, l’article 30 de la Loi<br />

organique n° 08/96 du 30/08/1996 faisait porter aux condamnés<br />

de 1 ère catégorie la responsabilité civile conjointe et solidaire pour<br />

364 Voir article 29, alinéa 1 de la loi organique du 30 août 1996.<br />

365 Voir article 29, alinéa 2, de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996. Cette procédure<br />

s’écartait du droit commun qui veut que la partie lésée par une infraction se constitue<br />

partie civile par une déclaration reçue au greffe de la juridiction appelée à connaître de<br />

l’infraction génératrice de cette action civile : voir article 131 du Code de procédure<br />

pénale (ancien article 71).<br />

366 A notre connaissance, jamais cette faculté n’a été exercée par une victime.<br />

367 Voir article 27 de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996.


218<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

tous les dommages causés dans le pays 368 . Ce principe, retenu par<br />

la loi de 2001, n’apparaît plus dans celle de 2004.<br />

Sur requête du Ministère Public, la juridiction saisie d’une action<br />

publique en matière de génocide ou de crime contre l’humanité<br />

pouvait allouer des dommages et intérêts en faveur des victimes<br />

non encore identifiées, à verser dans un Fonds d’indemnisation<br />

des victimes 369 .<br />

1.2. Les victimes<br />

La loi de 1996 ne proposait pas de définition stricte de la victime, et ne<br />

fixait pas de limite notamment quant au lien de parenté ou d’alliance<br />

pertinent par rapport à la victime directe, et ne précisait pas s’il y avait<br />

lieu de tenir compte d’autres rapports sociaux, tels que ceux qui lient à<br />

une domestique ou à une personne à charge. La victime pouvait être toute<br />

personne qui puisse être considérée comme ayant été lésée par<br />

l’infraction de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité, jusqu’à<br />

inclure même des victimes non encore identifiées.<br />

1.3. L’évaluation du préjudice<br />

Dans la pratique des Chambres spécialisées, « l’absence de directives<br />

permettant d’assurer un minimum de cohérence entre les différentes<br />

politiques d’indemnisation suivies par les tribunaux » 370 a<br />

malheureusement favorisé la plus grande disparité entre les montants<br />

alloués au titre de dommages et intérêts.<br />

Les exemples recueillis dans les décisions judiciaires suivantes en offrent<br />

une illustration éloquente 371 : les montants indiqués représentent les<br />

368 Article 30, alinéa 1 er et 2, de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996.<br />

369 Article 30, in fine et 32, alinéa 1 er , de la loi organique n° 08/96 du 30/08/1996. La loi<br />

qui devait rendre ce Fonds opérationnel n’a jamais vu le jour. Au cœur du système de<br />

l’indemnisation prévu par la loi de 2001, le Fonds n’est plus évoqué dans la loi organique<br />

de 2004.<br />

370 Daniel DE BEER, Commentaire et Jurisprudence de la Loi Rwandaise du 30/08/1996<br />

sur l’Organisation des Poursuites des Infractions Constitutives du Crime de Génocide et<br />

de Crime contre l’Humanité, Alter Egaux Editions, avril 1999, 2 e éd., P. 71, n° 115.<br />

371 Recueil de Jurisprudence sur le contentieux du Génocide, <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome. III, Pp. 50, 153 et 183-186.


219<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

dommages matériels et/ou moraux accordés pour la perte d’un proche, en<br />

fonction du lien de parenté qui unissait le défunt à la partie civile. Les<br />

montants indiqués sont exprimés en francs rwandais.<br />

Juridiction conjoint enfant parent frère/sœur grands- oncle, tante,<br />

parents ou neveu,<br />

petits- cousin, beauenfantsfrère<br />

Conseil de<br />

Guerre 372<br />

10.000.000 8.000.000 5.000.000 5.000.000 3.000.000 2.000.000<br />

7.000.000 4.000.000<br />

3.000.000<br />

TPI BYUMBA - - - 800.000 - -<br />

TPI BUTARE - - 5.000.000 3.000.000 - 1.000.000<br />

TPI GISENYI A toute la famille sans précision de liens de parenté<br />

5.000.000 ou 4.000.000 2.000.000<br />

TPI KIBUNGO 2.000.000 1.000.000 1.500.000 800.000 - 500.000<br />

CYANGUGU - 1.000.000 1.100.000 - - -<br />

Des décisions disponibles actuellement, ne se dégage aucune tendance<br />

dominante dans le choix des critères d’évaluation du préjudice par les<br />

tribunaux. Certaines juridictions paraissent avoir été très restrictives dans<br />

l’évaluation du préjudice, d’autres très, voire excessivement, généreuses.<br />

Là où certaines juridictions n’indiquent aucun repère objectif dans<br />

l’évaluation du dommage moral, d’autres ont tenté une approche plus<br />

rigoureuse, calquée sur l’Instruction Ministérielle n° 01/87 du 14/09/1987<br />

portant détermination des dommages et intérêts matériels pour perte de<br />

revenus et des dommages et intérêts moraux en cas d’accidents de la<br />

circulation 373 .<br />

Si la lecture des jugements trahit les difficultés rencontrées par les juges<br />

pour évaluer le préjudice subi par une personne déterminée, en raison,<br />

372 Jugement inédit : RP0003/CG GS/98, Conseil de Guerre, affaire UKURIKIYIMFURA<br />

Joseph et consort, 17/04/2001, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome V, Pp 353-385.<br />

373 In Codes et Lois du Rwanda, vol. I , 2 e édition, 1995, p. 258 ; l’attribution des<br />

dommages et intérêts était prévue ainsi qu’il suit :<br />

- pour un conjoint survivant : de 100.000 Frw à 500.000 Frw<br />

- pour un parent ou un enfant légitime : de 50.000 Frw à 100.000<br />

Frw<br />

- pour un frère, une sœur ou toute autre personne à charge : de<br />

50.000 Frw à 80.000 Frw.


220<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

essentiellement, de la mort d’un proche au cours du génocide et des<br />

massacres, il est non seulement plus difficile, mais bien impossible,<br />

d’évaluer le préjudice et, partant, l’indemnisation en faveur des<br />

« victimes non encore identifiées » : en l’absence de victime précise, il ne<br />

pouvait être question de dommage précis, et encore moins de preuve du<br />

dommage en question. Les juges en étaient donc réduits à statuer ex<br />

aequo et bono (mu bwitonzi n’ubushishozi by’Urukiko), la formule<br />

consacrée ne pouvant pourtant suffire à masquer le caractère aléatoire de<br />

leur évaluation.<br />

1.4. Les difficultés de recouvrement des dommages et intérêts<br />

alloués par les juridictions<br />

Outre le problème d’équité que soulèvent de telles différences, se pose,<br />

de manière lancinante, la question de l’effectivité des décisions en ce<br />

qu’elles portent sur les intérêts civils des victimes. En dépit de<br />

l’abondance des jugements définitivement rendus, ces décisions sont<br />

restées lettres mortes quant au recouvrement des dommages et intérêts<br />

alloués: les victimes n’ont pas pu faire exécuter les jugements prononcés<br />

en leur faveur 374 .<br />

La plupart des débiteurs des dommages et intérêts alloués sont détenus<br />

et/ou insolvables.<br />

Par ailleurs, les très nombreuses condamnations civiles prononcées contre<br />

l’Etat par les juridictions - sans que l’Etat, d’ailleurs, veille à se faire<br />

représenter aux audiences - sont elles aussi restées lettres mortes.<br />

Les sommes parfois extrêmement élevées allouées par les juridictions au<br />

titre de dommages et intérêts paraissent souvent en décalage total par<br />

rapport à la situation réelle de victimes qui vivent dans le dénuement<br />

moral et matériel le plus total.<br />

374 Seules, finalement, les victimes de prévenus de l’ancienne quatrième catégorie ont pu<br />

être indemnisées, en raison du fait que, pour échapper à une condamnation au pénal, ces<br />

prévenus devaient conclure et respecter un accord visant la réparation des biens<br />

endommagés. Cependant, peu de cas de quatrième catégorie “pure” se présentent dans la<br />

pratique.


221<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

Le fait, pour une victime, d’avoir obtenu, sur papier, la condamnation de<br />

son bourreau ou du bourreau de ses proches au paiement de sommes<br />

élevées au point d’en perdre tout rapport avec la réalité 375 constitue-t-il<br />

une forme de satisfaction morale? Ou le fait de lui avoir fait miroiter la<br />

possibilité de bénéficier d’un tel dédommagement, qu’elle ne pourra<br />

jamais recouvrer concrètement, ne fait-il qu’ajouter au désarroi d’une<br />

personne démunie?<br />

C’est à la suite de ces nombreuses difficultés qu’en concevant le système<br />

Gacaca, le législateur de 2001 avait prévu la création d’un Fonds<br />

d’Indemnisation, censé bénéficier de manière équitable et effective à<br />

toutes les victimes.<br />

2. L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI<br />

ORGANIQUE N° 40/2000 DU 26 JANVIER 2001 PORTANT<br />

CREATION DES JURIDICTIONS GACACA<br />

2.1. Les principes<br />

Innovant par rapport à la loi organique de 1996, la loi portant création des<br />

Juridictions Gacaca prévoyait la création d’un Fonds d’Indemnisation des<br />

victimes du génocide ou de crimes contre l’humanité commis entre le 1 er<br />

octobre 1990 et le 31 décembre 1994.<br />

Il s’agissait, d’une part, d’un moyen pour l’Etat d’assumer ses<br />

responsabilités. D’autre part, le Fonds d’Indemnisation devait favoriser<br />

un traitement plus équitable des victimes: il serait susceptible<br />

d’indemniser non seulement les personnes victimes d’infractions dont les<br />

auteurs avaient été identifiés et poursuivis, mais également toutes celles<br />

dont le cas ne pourrait jamais être soumis à une juridiction, faute<br />

d’identification de l’auteur, ou faute de la possibilité de le poursuivre,<br />

suite à son décès ou à sa disparition.<br />

375 Voir jugement RP0003/CG GS/98, Conseil de Guerre, affaire UKURIKIYIMFURA<br />

Joseph et consort, 17/04/2001, Recueil de jurisprudence <strong>ASF</strong> et Cour Suprême du<br />

Rwanda, Tome V, Pp 353-385. Montants inédits°: 476.000.000 Frw de dommages<br />

moraux à charge d’un caporal et d’un soldat simple des ex-forces armées rwandaises.


222<br />

2.2. Les victimes<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

Pas plus que celle de 1996, la loi organique de 2001 ne détermine les<br />

degrés de parenté ou d’alliance qui peuvent être pris en compte dans<br />

l’octroi d’une indemnisation. La loi organique de 2004 ne considère pas<br />

non plus cette question.<br />

Par contre, la loi instaurant les Juridictions Gacaca a omis la catégorie des<br />

« victimes non identifiées » des personnes à qui une indemnisation<br />

pouvait être accordée: en vertu de l’article 90, les dommages et intérêts<br />

ne pouvaient être alloués qu’aux personnes identifiées dont on établissait<br />

la liste, et dont on dressait l’inventaire du préjudice subi. La loi de 2004<br />

ne retient pas non plus la notion de « victimes non identifiées ».<br />

2.3. Les organes intervenant dans la détermination et l’évaluation<br />

du préjudice<br />

La loi organique de 2001 reconnaît aux Juridictions Gacaca de Cellule la<br />

compétence de déterminer le préjudice subi par les victimes des<br />

infractions dont elle régissait la répression, ou leurs ayants droit.<br />

C’est à elles qu’il revenait en effet d’établir la liste des victimes, et de<br />

donner une indication des dommages subis par elles ou leurs ayants droit<br />

à l’aide des informations qui leur avaient été fournies par l’Assemblée<br />

Générale 376 .<br />

Les membres du siège devaient remplir à cet effet une « Fiche Partie<br />

Civile », en fournissant les informations demandées 377 .<br />

Cette fiche devait ensuite être transmise à la juridiction de jugement.<br />

Les prévenus des 2 ème , 3 ème et 4 ème catégories étaient justiciables des<br />

Juridictions Gacaca suivant leurs compétences respectives 378 et les<br />

prévenus de 1 ère catégorie étaient justiciables des tribunaux ordinaires : ce<br />

376 Voir Article 34 de la loi organique de 2001.<br />

377 Voir la Fiche Partie Civile dans le Manuel Explicatif de la Loi organique n° 40/2000<br />

du 26/01/2001 sur les Juridictions Gacaca, Document Cour Suprême, Département des<br />

Juridictions GACACA, <strong>ASF</strong>-Belgique, 2001 ; la loi de 2004 maintient le même système.<br />

378 Article 2, alinéa 2 et articles 39-42 de la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 sur<br />

les Juridictions Gacaca.


223<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

sont ces juridictions de jugement qui, sur la base de la « fiche partie<br />

civile », étaient appelées à fixer les montants à allouer, en se conformant<br />

au barème qui devait être fixé par la loi sur le Fonds d’Indemnisation.<br />

2.4. La question de la responsabilité de l’Etat<br />

2.4.1. L’immunité civile de l’Etat, en contrepartie de la création<br />

d’un Fonds d’Indemnisation<br />

L’article 91 de la loi organique de 2001 dispose : « Toute action civile<br />

dirigée contre l’Etat devant les juridictions ordinaires et devant les<br />

Juridictions Gacaca doit être déclarée irrecevable du fait qu’il accepte<br />

son rôle dans le génocide ».<br />

Le raisonnement est le suivant: en créant un Fonds d’Indemnisation au<br />

bénéfice des victimes du génocide et des crimes contre l’humanité<br />

commis au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 et en<br />

s’engageant à y verser un pourcentage de son budget annuel, l’Etat<br />

estimait assumer ses responsabilités vis-à-vis des victimes.<br />

En contrepartie, et en réaction aux nombreuses condamnations civiles<br />

prononcées contre l’Etat par les Chambres spécialisées et les Cours<br />

d’Appel statuant dans le cadre du contentieux du génocide, la loi<br />

organique de 2001 écarte toute possibilité de voir l’Etat reconnu comme<br />

civilement responsable des dommages causés par les auteurs du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité.<br />

2.4.2. Une immunité à caractère rétroactif<br />

Le principe de l’immunisation de l’Etat contre les actions civiles dirigées<br />

contre lui concernait non seulement les actions à venir – c’est-à-dire les<br />

actions civiles postérieures au 15 mars 2001, date d’entrée en vigueur de<br />

la loi organique du 26 janvier 2001 - mais également les affaires qui<br />

étaient pendantes devant les tribunaux, dont les jugements n’étaient pas<br />

encore coulés en force de chose jugée à cette date.<br />

L’article 91, in fine, prenait le soin de préciser que « s’agissant des<br />

décisions judiciaires ayant acquis l’autorité de la chose jugée, leur<br />

exécution se conformera, en ce qui concerne les dommages et intérêts mis<br />

à charge de l’Etat, au barème fixé par la loi régissant le Fonds


224<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

d’indemnisation » : de fait, l’immunisation couvrait donc également les<br />

décisions judiciaires définitives portant condamnation de l’Etat, le<br />

montant finalement octroyé étant celui fixé par le barème légal, et non<br />

pas celui qui avait antérieurement été déterminé par le juge. La<br />

conformité de cette disposition avec le principe du respect de l’autorité de<br />

la chose jugée, quoi qu’elle tente d’en dire, paraissait discutable.<br />

2.5. Un Fonds d’Indemnisation qui n’a pas encore vu le jour<br />

L’article 32 de la loi organique de 1996 et l’article 90 de la loi organique<br />

de 2001 parlent d’une loi portant création, organisation et fonctionnement<br />

d’un Fonds d’Indemnisation des victimes du génocide ou de crimes<br />

contre l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre<br />

1994. Un projet de loi est en gestation depuis plus de trois ans. Il semble<br />

que les principales difficultés rencontrées au cours des discussions qui<br />

ont pu entourer ce projet concernaient, d’une part, la question de la<br />

définition de la « victime », et d’autre part, le caractère démesuré des<br />

chiffres avancés (pourtant modestes au regard des souffrances subies) au<br />

regard des possibilités budgétaires de l’Etat.<br />

Le projet semble n’avoir plus progressé depuis de longs mois, et la<br />

nouvelle loi organique de 2004 n’en fait pas état.<br />

Rappelons que la loi organique de 2001 n’a jamais véritablement été mise<br />

en vigueur. Les dispositions relatives à l’indemnisation n’ont connu<br />

qu’un modeste début d’application, les Juridictions Gacaca des cellules<br />

qui ont participé à la « phase pilote » ayant été amenées à établir la liste<br />

des parties civiles et de leurs biens endommagés.<br />

3. L’INDEMNISATION SOUS LE REGIME DE LA LOI<br />

ORGANIQUE DE 2004<br />

La loi organique du 19 juin 2004 offre une définition de la victime : il<br />

s’agit de « toute personne dont les siens ont été tués, qui a été<br />

pourchassée pour être tuée mais qui s’est échappée, qui a subi des<br />

tortures sexuelles ou qui a été violée, qui a été blessée ou qui a subi toute<br />

autre violence, dont les biens ont été pillés, dont la maison a été détruite<br />

ou les biens ont été endommagés d’une autre manière, à cause de son<br />

ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie du génocide ».


225<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

En dépit de cette définition, l’analyse des dispositions que la loi<br />

organique de 2004 consacre à la question de la réparation ou de<br />

l’indemnisation révèle cependant l’attention particulière, sinon exclusive,<br />

accordée à l’indemnisation des préjudices liés aux atteintes aux biens.<br />

Le législateur laisse le soin de déterminer les « autres actions à mener en<br />

faveur des victimes » à une loi particulière ultérieure 379 , non encore<br />

adoptée.<br />

3.1. Une importante incertitude quant au sort à réserver à la<br />

question des dommages matériels et moraux<br />

En ce qui concerne les dommages matériels autres que ceux liés aux<br />

atteintes aux biens et les dommages moraux - question par rapport à<br />

laquelle, en réalité, l’indemnisation liée aux seules atteintes aux biens<br />

paraît secondaire - la loi organique de 2004 est quasiment muette.<br />

Elle charge les Juridictions Gacaca de Secteur et d’Appel d’établir la liste<br />

des victimes et des « préjudices corporels subis » ou des «infractions<br />

subies par elles » 380 . Mais elle se garde de préciser ce qu’il advient<br />

concrètement de l’énumération des préjudices que les juridictions sont<br />

tenues de faire figurer dans les jugements qu’elles rendent 381 .<br />

Le sort à réserver au problème de l’indemnisation des dommages<br />

matériels et moraux semble n’avoir pu être tranché à l’occasion de<br />

l’adoption de la nouvelle loi. La solution à cette question difficile est<br />

reportée sine die, et est suspendue à l’adoption d’une loi sur le Fonds<br />

379 Article 96 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

380 Voir les articles 64, 7° et 9°; 65, 5°f ; 66, 2°f et g et 67, 9° de la loi organique de 2004<br />

dont les versions françaises, qui parlent de « préjudice corporel » et les versions<br />

anglaises, qui parlent de « offences suffered » sont discordantes, la version française<br />

paraissant nettement plus restrictive. La version kinyarwanda parle, quant à elle, de « la<br />

liste des victimes » à établir par le siège de la Juridiction Gacaca ainsi que de la liste de<br />

« toutes les infractions qu’elles ont subies» : « ikora urutonde rw’abahohotewe n’ibyaha<br />

buri wese yakorewe ». Cette version ne permet pas de trancher cette discordance. L’on<br />

peut considérer que la victime qui aura, devant l’Assemblée Générale de la Juridiction<br />

Gacaca de Cellule, indiqué les infractions qu’elle a subies, n’aura pas alors à revenir<br />

nécessairement, au moment du jugement, sur ces mêmes infractions mais plutôt évoquer<br />

son seul préjudice corporel ou matériel.<br />

381 Article 67, 9° de la loi organique du 19 juin 2004.


226<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

d’Indemnisation dont on a vu que le projet n’avait pu aboutir à ce jour, ou<br />

à celle de la loi particulière qui, selon les termes de l’article 96, est<br />

appelée à déterminer « les autres actions à mener en faveur des<br />

victimes ».<br />

Quand, en son article 96, la loi organique de 2004 évoque « les autres<br />

actions à mener en faveur des victimes » qui devront être définies dans<br />

une loi particulière ultérieure, elle semble viser, plutôt que la stricte<br />

« indemnisation », des mesures de « réadaptation » des victimes et des<br />

mesures sociales, individuelles ou collectives, de portée symbolique. La<br />

question de l’indemnisation des dommages moraux et matériels – autres<br />

que ceux liés aux atteintes aux biens - au sens strict resterait alors entière.<br />

3.2. L’indemnisation des biens matériels endommagés<br />

L’article 75 de la loi organique du 19 juin 2004 dispose : « Les prévenus<br />

accusés d’avoir commis des infractions contre les biens sont condamnés<br />

à la réparation des dommages causés aux biens d’autrui ».<br />

3.2.1. Les victimes et la réparation visée à l’article 95 de la loi<br />

La réparation visée par l’article 95 de la loi est loin de couvrir l’ensemble<br />

des préjudices subis par les victimes, telles qu’elles sont définies à<br />

l’article 34 in fine 382 . Seuls les dommages qui découlent d’atteintes aux<br />

biens sont susceptibles d’une condamnation civile se fondant sur cette<br />

disposition.<br />

La réparation des dommages postulée doit être proportionnelle à<br />

l’importance du préjudice subi. La victime doit préciser l’ensemble des<br />

biens endommagés, détruits ou volés pour lesquels elle réclame<br />

l’indemnisation. La charge de la preuve lui incombe.<br />

382 Pour rappel, il s’agit de “toute personne dont les siens ont été tués, qui a été<br />

pourchassée pour être tuée mais qui s’est échappée, qui a subi des tortures sexuelles ou<br />

qui a été violée, qui a été blessée ou qui a subi toute autre violence, dont les biens ont été<br />

pillés, dont la maison a été détruite ou les biens ont été endommagés d’une autre manière,<br />

à cause de son ethnie ou ses opinions contraires à l’idéologie du génocide”.


227<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

S’il s’agit d’un ayant droit d’une victime décédée, il doit prouver, d’une<br />

part, les liens qui l’unissaient à la victime directe et, d’autre part, en quoi<br />

les dommages matériels causés lui portent préjudice personnellement.<br />

La réparation visée à l’article 95 de la loi organique ne sera accordée<br />

qu’aux victimes qui en font la demande et établissent le préjudice qu’elles<br />

déclarent avoir subi. Le législateur n’a pas retenu la notion de « victimes<br />

non identifiées » qui avait soulevé des difficultés sous l’empire de la loi<br />

organique de 1996.<br />

3.2.2. Les juridictions compétentes pour statuer sur l’indemnisation<br />

des atteintes aux biens visée à l’article 95<br />

L’article 94 de la loi organique de 2004 dispose : « Les procès relatifs<br />

aux biens endommagés sont rendus par la Juridiction Gacaca de la<br />

Cellule ou par les autres juridictions dans lesquelles sont poursuivis les<br />

accusés ». Pour ce qui les concerne, par conséquent, les juridictions<br />

ordinaires saisies des dossiers de première catégorie, ou des autres<br />

dossiers qui leur avaient été confiés avant l’entrée en vigueur de la<br />

nouvelle loi, seront amenées à statuer sur la réparation relative aux<br />

atteintes aux biens. La loi organique de 2004 ne prévoyant pas de<br />

disjonction des actions publique et civile en cas de saisine simultanée des<br />

deux, la Juridiction Gacaca de Secteur et même d’Appel peuvent elles<br />

aussi être amenées à se prononcer sur la réparation relative aux atteintes<br />

aux biens comme les tribunaux ordinaires.<br />

3.2.3. Les modes de réparation prévus pour les victimes de<br />

dommages causés aux biens<br />

L’article 95 de la loi détaille les modalités de la réparation relative aux<br />

biens endommagés ou détruits.<br />

Cette disposition prescrit trois types de réparation des dommages causés<br />

aux biens :<br />

La réparation sous forme de restitution des biens pillés, là<br />

où elle est possible. La restitution peut être soit directe (dans<br />

l’hypothèse où les biens qui ont fait l’objet de l’infraction<br />

sont intacts et restent disponibles) soit indirecte, par la


228<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

restitution de l’équivalent en nature. Le principe de la<br />

restitution directe n’est, en réalité, qu’une application de la<br />

règle énoncée à l’article 163 nouveau du Code portant<br />

organisation, fonctionnement et compétence judiciaires 383 .<br />

La réparation sous forme de paiement de dommages et<br />

intérêts, c’est-à-dire le paiement d’une somme d’argent<br />

couvrant la valeur des biens détruits ou endommagés ;<br />

La réparation sous forme d’exécution de travaux ayant la<br />

même valeur que les biens détruits ou endommagés.<br />

Outre le mode de réparation retenu, le juge est appelé à arrêter les délais<br />

d’exécution de la condamnation civile 384 : pour ce faire, il tentera de<br />

trouver l’équilibre entre la situation de la victime et les possibilités<br />

matérielles du condamné.<br />

Devant les Juridictions Gacaca de Cellule, le prévenu de troisième<br />

catégorie est appelé, en phase de jugement, à préciser le mode de<br />

réparation qui a sa préférence, ainsi qu’à en proposer les modalités et les<br />

délais : « Le siège de la Juridiction explique aux prévenus les façons de<br />

réparation des dommages causés prévue par la loi organique, demande à<br />

chacun la façon qu’il préfère et la période de la mettre en application<br />

une fois qu’il sera reconnu coupable » 385 .<br />

Toutes les juridictions de jugement appelées à statuer sur la réparation de<br />

biens endommagés, et donc notamment les juridictions ordinaires,<br />

pourraient, de même, recueillir l’avis des prévenus quant au mode de<br />

réparation le plus indiqué avant de prendre leur décision sur ce point.<br />

3.2.4. L’évaluation des biens endommagés ou détruits<br />

La question de l’évaluation des biens ne se pose pas si la restitution est<br />

possible. En revanche, il y a lieu de déterminer la valeur des biens<br />

383 Cet article se lit comme suit: “La restitution des objets sur lesquels a porté l’infraction<br />

est prononcée d’office lorsqu’ils ont été retrouvés en nature et que la propriété n’en est<br />

pas contestée.”<br />

384 Article 95, alinéa 2 de la Loi organique du 19 juin 2004.<br />

385 Article 68, 12° de la Loi organique du 19 juin 2004.


229<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

endommagés ou détruits dès lors que c’est la réparation sous forme de<br />

paiement de dommages et intérêts, ou la réparation sous forme de travaux<br />

« ayant même valeur » qui est retenue.<br />

Pour déterminer la hauteur du dédommagement, le juge évaluera la<br />

somme d’argent nécessaire pour acquérir, aujourd’hui, un bien de même<br />

nature que celui qui a été détruit ou endommagé. Il y aura lieu, en outre,<br />

de tenir compte de l’état plus ou moins usagé du bien au moment de<br />

l’infraction.<br />

En ce qui concerne les biens endommagés ou détruits, le prévenu peut,<br />

dans certains cas, être condamné à effectuer les travaux qui permettront<br />

leur remise en état ou la reconstruction d’un bien équivalent.<br />

Si une telle remise en état n’est pas possible, le prévenu peut être<br />

condamné à effectuer des prestations dont la rémunération correspondrait<br />

à la valeur du bien détruit ou endommagé.<br />

Dans tous les cas, les travaux prescrits par l’article 95 de la loi organique<br />

de 2004 se distinguent des « Travaux d’intérêt général » 386 .<br />

En effet, comme on l’a vu dans le chapitre consacré aux peines, les<br />

« TIG » sont effectués au profit de la société dans son ensemble et<br />

constituent une modalité d’exécution d’une peine d’emprisonnement,<br />

alors que les travaux à la réalisation desquels le prévenu peut être<br />

contraint en vertu de l’article 95 constituent une condamnation civile, et<br />

sont effectués au profit d’une victime individuelle, en guise de réparation<br />

du préjudice que lui ont causé les infractions commises.<br />

3.2.5. Le cas des dommages aux biens causés par un auteur décédé,<br />

incapable ou mineur d’âge<br />

L’article 75 se borne à dire que les prévenus reconnus coupables<br />

d’infractions contre les biens sont condamnés à la réparation des<br />

dommages causés aux biens d'autrui.<br />

386 Les TIG sont organisés et réglementés par l’Arrêté présidentiel n° 26/01 du<br />

10/12/2001.


230<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

La loi ne traite pas de manière explicite des situations dans lesquelles<br />

l’auteur, quoique identifié, est décédé, incapable ou mineur d’âge.<br />

Rappelons que le principe est celui de la responsabilité personnelle de<br />

celui qui a causé un préjudice à autrui.<br />

Cependant, le droit commun admet des nuances au principe: celle qui<br />

permet de diriger l’action civile contre les personnes civilement<br />

responsables, et celle qui permet de la diriger contre les héritiers du<br />

délinquant, s’il est décédé 387 .<br />

En cas de décès de l’auteur, il y a lieu de distinguer:<br />

Si les biens volés sont en possession de ses enfants ou de son<br />

conjoint, ils doivent être restitués en conformité avec l’article 95<br />

de la loi organique. La restitution par équivalent pourrait<br />

également se concevoir.<br />

A défaut, seule la voie de l’indemnisation par les héritiers paraît<br />

concevable. Le juge aura cependant égard à leur situation pour<br />

déterminer les modalités et délais de paiement.<br />

En revanche, la condamnation à la réparation par la voie de<br />

l’exécution de travaux de valeur équivalente ne paraît pas<br />

possible. Cette condamnation ne peut jamais concerner que<br />

l’auteur lui-même: l’on ne peut condamner quelqu’un à effectuer<br />

des prestations en raison des manquements d’un autre.<br />

Si l’auteur est un mineur âgé de plus de quatorze ans et de moins de<br />

dix-huit ans, il y a lieu de distinguer :<br />

Si les biens sont encore en sa possession, il peut être condamné à<br />

la restitution « directe ».<br />

387 Voir notamment l’article 11 du nouveau Code de procédure pénale qui dispose :<br />

« L’action civile peut être exercée contre (...) les personnes civilement responsables. Elle<br />

peut également être exercée contre les héritiers des délinquants », et l’article 104 du Code<br />

pénal qui dispose: “La mort de l’auteur de l’infraction (...) ne (préjudicie) pas l’action<br />

civile pour la réparation du dommage causé par l’infraction”.


231<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

A défaut, ses parents, en tant que «civilement responsables »,<br />

peuvent être condamnés à la restitution de biens équivalents, ou<br />

au paiement de dommages et intérêts correspondant à la valeur<br />

du bien endommagé ou détruit par leur enfant.<br />

La condamnation de l’auteur qui était mineur de plus de quatorze<br />

ans au moment des faits à l’exécution de travaux ayant la même<br />

valeur que les biens endommagés ou détruits paraît concevable.<br />

En revanche, la condamnation des « civilement responsables » à<br />

l’exécution des travaux ne peut être prononcée. Cette<br />

condamnation ne peut jamais concerner que l’auteur lui-même :<br />

l’on ne peut condamner quelqu’un à effectuer des prestations en<br />

raisons des manquements d’un autre.<br />

Si l’auteur est un mineur âgé de quatorze ans au plus, rappelons qu’il<br />

ne peut être ni poursuivi, ni condamné pour crime de génocide ou crime<br />

contre l’humanité 388 . Ni lui, ni les personnes qui en étaient civilement<br />

responsables au moment des faits, ne peuvent être condamnés sur la base<br />

de la loi organique du 19 juin 2004, que ce soit au plan civil ou au plan<br />

pénal. Reste alors, pour les victimes, la voie de l’action civile de droit<br />

commun, exercée devant les tribunaux compétents en la matière, ou<br />

encore, la réparation qui pourrait éventuellement découler des « autres<br />

actions à mener en faveur des victimes », qui doivent être déterminées par<br />

une loi particulière à venir.<br />

3.3. Les juridictions ordinaires et l’indemnisation des dommages<br />

moraux et matériels<br />

En vertu de l’article 94, les juridictions ordinaires auront à connaître des<br />

demandes civiles liées aux atteintes aux biens dont seront accusées les<br />

personnes dont le jugement est de leur ressort, dans le cadre du champ<br />

d’application de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

La loi est en revanche muette en ce qui concerne la possibilité, pour les<br />

juridictions ordinaires, de connaître d’actions civiles relatives aux<br />

dommages moraux ou matériels autres que ceux découlant des atteintes<br />

aux biens.<br />

388 Article 79 de la loi organique de 2004.


232<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

Le principe énoncé à l’article 2, alinéa 2, de la loi organique, qui fait de<br />

l’application du droit commun de la procédure la règle, sauf dans les cas<br />

où la loi en dispose autrement, pourrait amener les juridictions ordinaires<br />

saisies d’actions civiles qui viseraient l’indemnisation du dommage lié,<br />

par exemple, à la mort d’un conjoint ou d’un parent, ou encore aux<br />

séquelles physiques et psychologiques d’un viol, à se déclarer<br />

compétentes et à en connaître 389 . Rien dans la loi ne semble exclure une<br />

telle possibilité.<br />

Le silence de la loi en la matière plaide donc en faveur de l’application du<br />

droit commun et, notamment, de l’application de l’article 161 du nouveau<br />

Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires qui<br />

dispose: “l’action civile résultant d’une infraction est celle qui a pour<br />

objet la réparation du dommage causé par une infraction. L’action civile<br />

appartient à la partie lésée par l’infraction ou à ses ayants droit », de<br />

l’article 162 qui dispose : « l’action civile peut être poursuivie en même<br />

temps que l’action publique et devant la même juridiction. Elle peut<br />

également être poursuivie séparément » et de l’article 145 du même<br />

texte, qui étend le principe aux juridictions militaires 390 .<br />

Cependant, en l’absence de directives qui doteraient le juge de critères<br />

objectifs susceptibles de le guider dans l’évaluation des dommages, en<br />

l’absence d’un Fonds d’Indemnisation des victimes, et en l’absence d’une<br />

prise de position claire de l’Etat quant aux limites des responsabilités<br />

qu’il assume, les difficultés rencontrées sous l’empire de la loi organique<br />

de 1996 sont appelées à se reproduire: jurisprudence disparate quant aux<br />

critères d’appréciation du dommage moral, et quant aux montants<br />

accordés; impossibilité d’exécution du jugement obtenu dès lors que le<br />

condamné – et c’est presque toujours le cas - est insolvable, et qu’aucun<br />

Fonds d’Indemnisation ne peut compenser sa défaillance; possibilité<br />

389 Une telle possibilité paraît en revanche exclue pour les Juridictions Gacaca de<br />

jugement: la compétence et le fonctionnement des Juridictions Gacaca se bornent en effet<br />

à la description explicite qu’en fait la loi organique. Saisie d’une réclamation portant sur<br />

des dommages autres que ceux relatifs aux biens endommagés, la Juridiction Gacaca<br />

devrait se borner à l’acter. Une telle mention ne pourrait éventuellement avoir d’effet que<br />

si et quand le Fonds d’Indemnisation voit le jour.<br />

390 « L’action en réparation du dommage causé par une infraction de la compétence des<br />

juridictions militaires peut être poursuivie en même temps que l’action publique devant<br />

les juridictions militaires, soit séparément devant les juridictions civiles compétentes ».


233<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

nouvelle de voir condamner l’Etat solidairement, sans aucune garantie de<br />

recouvrement concret.<br />

3.4. La question de la responsabilité de l’Etat<br />

Comme on l’a vu, le caractère disparate de la jurisprudence produite sous<br />

l’empire de la loi organique de 1996 en ce qui concerne l’indemnisation<br />

des victimes, et les condamnations innombrables prononcées contre l’Etat<br />

rwandais en matière civile en vertu du “principe de continuité de l’Etat”<br />

avaient amené le législateur de 2001 à prémunir l’Etat de toute nouvelle<br />

condamnation civile, moyennant quoi était annoncée la création d’un<br />

Fonds d’Indemnisation des victimes du génocide, au financement duquel<br />

un pourcentage du budget de l’Etat serait consacré. Ce Fonds<br />

d’Indemnisation symbolisait la reconnaissance de sa responsabilité par<br />

l’Etat, tout en en limitant la portée. C’est la loi organisant ce Fonds qui,<br />

désormais, déterminerait les critères objectifs permettant d’indemniser de<br />

manière équitable toutes les victimes.<br />

Face au problème que représentaient les importantes condamnations<br />

civiles devenues définitives prononcées contre l’Etat, la loi allait jusqu’à<br />

prévoir une disposition dont la conformité avec le principe de l’autorité<br />

de la chose jugée était discutable: l’exécution des condamnations civiles<br />

prononcées précédemment contre l’Etat se bornerait aux montants<br />

déterminés in abstracto par le barème que devait fixer la loi créant le<br />

Fonds d’Indemnisation annoncé, et ne couvrirait pas l’intégralité des<br />

dommages alloués aux victimes par des décisions judiciaires définitives.<br />

La nouvelle loi organique du 19 juin 2004 n’évoque plus ni le Fonds<br />

d’Indemnisation au bénéfice des victimes du génocide et des crimes<br />

contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et le 31<br />

décembre 1994, ni la question des limites de la responsabilité civile de<br />

l’Etat, ni la question du sort à réserver aux décisions judiciaires<br />

définitives le condamnant au paiement de dommages et intérêts.<br />

Un tel silence ouvre à nouveau la porte à toutes les difficultés rencontrées<br />

sous l’empire de la loi organique de 1996.<br />

En théorie, de nouvelles condamnations de l’Etat sont possibles. La<br />

question de l’exécution des jugements antérieurs est entière. Et surtout, le<br />

Fonds d’Indemnisation ne semble pas près de voir le jour.


234<br />

Conclusion<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

L’accent mis par la nouvelle loi organique sur la seule réparation des<br />

biens endommagés ou détruits révèle en réalité l’embarras du législateur<br />

quant à la question plus large de la réparation en général, et de<br />

l’indemnisation en particulier.<br />

La loi organique de 1996 se voulait généreuse à l’égard des victimes, la<br />

loi organique de 2004 se veut moins ambitieuse, et plus réaliste. Elle<br />

traduit ainsi la nouvelle disposition constitutionnelle qui, tout en<br />

affirmant le devoir de l’Etat à l’égard des victimes, semble réduire son<br />

engagement quant aux mesures à prendre en faveur du bien-être des<br />

victimes, d’une part aux seuls rescapés nécessiteux 391 , et d’autre part aux<br />

limites de ses capacités.<br />

Le Fonds d’Indemnisation au bénéfice des victimes du génocide et des<br />

crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et<br />

le 31 décembre 1994 annoncé dans la loi organique de 2001 n’a toujours<br />

pas vu le jour. La nouvelle loi organique se borne à renvoyer la question<br />

des « autres actions à mener en faveur des victimes », actions non<br />

autrement définies, à une loi spéciale, que le législateur doit adopter<br />

ultérieurement.<br />

En réalité, les questions touchant à l’indemnisation des victimes sont<br />

reportées sine die.<br />

Comme on l’a vu, au plan juridique, rien ne semble interdire aux<br />

juridictions ordinaires saisies de dossiers qui relèvent du contentieux du<br />

génocide et des massacres de recevoir et de statuer sur des actions civiles<br />

exercées contre les accusés par des victimes qui postuleraient<br />

l’indemnisation de préjudices autres que ceux liés aux atteintes aux biens<br />

et donc, d’allouer des dommages et intérêts pour les dommages moraux<br />

et matériels liés à la perte d’êtres chers ou aux actes inhumains endurés.<br />

Mais la question de l’effectivité de telles décisions resterait entière de<br />

même que celle de l’équité entre les victimes.<br />

391 D’ailleurs mises sur le même pied que “les personnes handicapées, les personnes sans<br />

ressources, les personnes âgées ainsi que d’autres personnes vulnérables”. Voir article 14<br />

de la Constitution.


235<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

Il y a lieu de se demander si le principe de la réparation intégrale du<br />

préjudice subi s’accommode de la persistance de ces incertitudes, et de la<br />

volonté de plus grand « réalisme » affichée par l’Etat.<br />

Comme on l’a vu, le “droit à réparation” des victimes de violations du<br />

droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international<br />

humanitaire se décline de plusieurs manières: il comprend tant des<br />

mesures individuelles que des mesures de portée générale.<br />

Parmi les mesures individuelles, l’on distingue:<br />

les “mesures de restitution”, qui doivent “tendre à ce que la<br />

victime se retrouve dans la situation qui prévalait<br />

antérieurement” 392 ,<br />

les “mesures d’indemnisation” et<br />

les mesures de “réadaptation”, qui “englobent la prise en charge<br />

médicale et psychologique ainsi que l’accès à des services<br />

juridiques et sociaux” 393 .<br />

Par “mesures de portée générale”, l’on entend notamment des gestes tels<br />

que:<br />

“La reconnaissance publique, par l’Etat, de sa responsabilité;<br />

Les déclarations officielles réhabilitant des victimes dans leur<br />

dignité;<br />

Les cérémonies commémoratives, dénomination de voies<br />

publiques, monuments, etc.<br />

Les hommages périodiques aux victimes;<br />

392 Voir le Principe 42 des “Principes Joinet”, op.cit. La restitution “implique que soient<br />

rétablis, entre autres, l’exercice de ses libertés individuelles, le droit à la citoyenneté, à la<br />

vie de famille, au retour dans son pays, à l’emploi et à la propriété”. Elle ne se réduit<br />

donc pas à la “restitution” des biens au sens où l’entend l’article 95 de la loi organique du<br />

19 juin 2004.<br />

393 Voir le Principe 42 des “Principes Joinet”, op.cit. Voir également le Rapport final<br />

établi par M. Cherif BASSIOUNI, Rapporteur Spécial auprès de la Sous-Commission des<br />

Droits de l’Homme des Nations-Unies, sur “Les Droits à restitution, indemnisation et<br />

réadaptation des victimes de violations flagrantes des droits de l’Homme et des libertés<br />

fondamentales”, E/CN.4/2000/62 et son Annexe qui contient un projet de “Principes<br />

fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes<br />

de violations du droit international, relatif aux droits de l’homme et du droit international<br />

humanitaire”, et en particulier le Principe 24.


236<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

La prise en compte dans les manuels d’histoire et de formation<br />

aux droits de l’Homme de la narration fidèle des violations d’une<br />

exceptionnelle gravité qui ont été commises” 394 .<br />

S’agissant “des mesures de réadaptation” à l’égard des victimes du<br />

génocide et des massacres commis au Rwanda, l’on peut citer les aides<br />

apportées par le Fonds d’Aide aux Rescapés du Génocide (le “FARG”) 395<br />

dans le domaine de la santé ou de l’éducation.<br />

S’agissant des “mesures de portée générale” dites “satisfactoires” à<br />

l’égard des victimes du génocide et des massacres commis au Rwanda,<br />

l’on peut citer la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat,<br />

lors de l’annonce de la création d’un Fonds d’Indemnisation, la<br />

reconnaissance officielle, par certains Etats étrangers, de la part de<br />

responsabilité qu’ils portent dans les événements de 1994, l’organisation<br />

des cérémonies de commémoration, ou encore, l’institution d’une<br />

“Journée mondiale commémorative du génocide rwandais”, que les<br />

Nations Unies célébreront dorénavant chaque année, à la date du 7 avril.<br />

En réalité, la portée extrêmement restrictive de la « réparation » telle<br />

qu’elle est envisagée par la loi organique de 2004 semble attribuer aux<br />

modestes mesures individuelles sur lesquelles elle met l’accent – la<br />

réparation de biens endommagés, si possible en nature, ou par l’exécution<br />

d’un travail de valeur équivalente - une vertu symbolique potentielle :<br />

limitée mais réaliste, cette « réparation » contribuerait à rétablir les<br />

victimes dans leur dignité, permettrait aux condamnés de traduire<br />

concrètement leurs regrets, et pourrait constituer un pas dans la longue<br />

voie de la réconciliation du peuple rwandais.<br />

Pour autant, le Rwanda ne pourra faire l’économie d’un traitement en<br />

profondeur de la question de l’indemnisation.<br />

Certes, les victimes adhèrent à l’idée et savent mieux que personne<br />

qu’aucune somme d’argent ne peut compenser la perte d’un conjoint,<br />

394 Voir le Principe 44 des “Principes Joinet”, op.cit.<br />

395 Le Fonds d’assistance aux rescapés les plus nécessiteux du génocide et des massacres<br />

perpétrés au Rwanda entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 a été créé par la loi<br />

n° 02/98 du 22 janvier 1998, in Journal Officiel, 1998, Pp. 221 et ss.


237<br />

Le droit à réparation des victimes du génocide<br />

et des autres crimes contre l’humanité<br />

d’un parent, d’un enfant, d’un frère ou d’une sœur dans les conditions<br />

atroces qui furent celles de 1994.<br />

Certes, les victimes savent que l’ampleur et la quantité des dommages<br />

sont sans commune mesure avec les moyens budgétaires de l’Etat.<br />

Certes enfin, elles savent que la situation matérielle des unes appelle une<br />

intervention plus urgente que celle des autres.<br />

Cependant, elles estiment, à juste titre, qu’une indemnisation juste 396<br />

participe de la reconnaissance de leur douleur, de leur droit à la justice, de<br />

la lutte contre l’impunité et de l’espoir d’une réconciliation.<br />

Et surtout, dix ans après le génocide et les massacres, les victimes<br />

demandent à sortir de l’incertitude, et attendent l’adoption promise de la<br />

loi sur le Fonds d’Indemnisation et/ou de la loi sur les « autres actions à<br />

mener en faveur des victimes du génocide ». Qui, à leur tour, ne pourront<br />

voir le jour que si la question de leur financement trouve une solution.<br />

396<br />

Qui devrait “être égale au montant évaluable financièrement des entiers dommages<br />

subis et notamment:<br />

a) du préjudice physique ou moral, y compris la douleur, les souffrances et<br />

les chocs émotionnels;<br />

b) de la perte d’une chance, y compris dans le domaine de l’éducation;<br />

c) des dommages matériels et des pertes de revenus, y compris le manque à<br />

gagner;<br />

d) des frais encourus pour l’assistance juridique et les expertises.”,<br />

voir le Principe 41 des “Principes Joinet”, op.cit.


Introduction<br />

CHAPITRE XII<br />

LES VOIES DE RECOURS<br />

239<br />

La loi organique du 19 juin 2004 consacre son Vième chapitre aux voies<br />

de recours.<br />

L’article 85 se lit comme suit : « Les voies de recours reconnues par la<br />

présente loi organique sont les suivantes : l’opposition, l’appel et la<br />

révision du jugement ».<br />

Ce chapitre se subdivise ensuite en trois sections, consacrées<br />

respectivement à l’opposition, l’appel et la révision.<br />

L’examen des sections qui concernent l’opposition et l’appel révèle<br />

qu’elles sont destinées exclusivement aux juridictions Gacaca, et qu’elles<br />

ne visent pas les juridictions « ordinaires ».<br />

Ainsi, l’article 86, qui concerne l’opposition, semble à première vue avoir<br />

une portée générale, mais la fin du deuxième alinéa indique clairement<br />

que la disposition ne concerne que les Juridictions Gacaca :<br />

« Les décisions judiciaires concernées par la présente loi organique qui<br />

ont été rendues par défaut, peuvent être frappées d’opposition .<br />

L’opposition est portée devant la juridiction qui a rendu le jugement. Le<br />

demandeur fait enregistrer son action auprès du Secrétariat de la<br />

Juridiction Gacaca ».<br />

Il en va de même pour l’appel. Les articles 89, 90 et 92 de la loi<br />

organique ne concernent manifestement que les Juridictions Gacaca :<br />

l’article 89 évoque l’appel des décisions rendues par les Juridictions<br />

Gacaca de Cellule ; l’article 90 ne parle que de l’appel formé contre une<br />

« Juridiction Gacaca » ; l’article 92 n’évoque que la Juridiction Gacaca<br />

saisie de l’appel d’un jugement qui porte une catégorisation inexacte .


240<br />

Les voies de recours<br />

La portée exacte de l’article 91 est moins claire : il indique le délai pour<br />

interjeter appel, qui est de quinze jours, soit à dater du prononcé<br />

contradictoire du jugement, soit à dater du jour suivant la signification du<br />

jugement rendu par défaut, qui n’a pas été frappé d’opposition. Par<br />

ailleurs, il est précisé que l’affaire est jugée selon les mêmes formes<br />

qu’au premier degré.<br />

Mais l’économie entière de la section indique encore une fois que c’est<br />

exclusivement des Juridictions Gacaca qu’il s’agit.<br />

A l’instar de l’intitulé de la loi organique qui vise les juridictions Gacaca<br />

–et dont le contenu n’évoque que très secondairement les juridictions<br />

ordinaires-, toute l’économie du chapitre qu’elle consacre aux voies de<br />

recours indique donc qu’il concerne prioritairement, voire uniquement les<br />

juridictions Gacaca, à l’exclusion des juridictions ordinaires.<br />

Compte tenu du silence de la loi organique en ce qui concerne les voies<br />

de recours à l’encontre des décisions rendues par les juridictions<br />

ordinaires, il y a lieu d’en revenir au principe énoncé à l’article 2, 2 ème<br />

alinéa : en application de cette disposition, ce sont les règles de procédure<br />

de droit commun qui s’appliquent s’agissant des voies de recours.<br />

L’opposition (1), l’appel (2) et l’appel devant la Cour Suprême (3) seront<br />

donc, dans les conditions visées dans la loi organique du 25 avril 2004<br />

portant code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires,<br />

accessibles aux parties à un procès du contentieux du génocide et des<br />

massacres portés devant une juridiction ordinaire.<br />

Enfin, le « recours en révision » visé à l’article 93 de la loi organique du<br />

19 juin 2004 appelle des commentaires particuliers (4).<br />

1. L’OPPOSITION<br />

1.1. Une opposition qui suit la procédure de droit commun<br />

Moyennant le respect des conditions édictées par le Code de procédure<br />

pénale, opposition pourra être formée contre les jugements pris par défaut<br />

par les juridictions civiles et militaires statuant dans le cadre du<br />

contentieux du génocide et d’autres crimes contre l’humanité. L’on parle<br />

de jugement par défaut lorsque la personne n’a pas comparu, alors qu’elle


241<br />

Les voies de recours<br />

avait été régulièrement citée 397 . L’opposition est une voie de recours qui<br />

doit permettre à la personne qui n’a pas pu bénéficier du principe du<br />

débat contradictoire d’être, si elle le souhaite, rétablie dans ce droit.<br />

Par ailleurs, rappelons que l’opposition ne sera recevable que si<br />

l’opposant peut faire valoir « une cause grave qui justifie pleinement sa<br />

défaillance antérieure » 398 , appréciée par la juridiction.<br />

L’article 161 du Code de procédure pénale consacre le principe selon<br />

lequel « opposition sur opposition ne vaut ».<br />

C’est la juridiction qui a prononcé le jugement par défaut qui statue sur<br />

l’opposition formée. Saisie d’un recours en opposition qu’elle juge<br />

recevable, elle doit mettre à néant le premier jugement et reprendre en<br />

entier l’examen de l’affaire 399 .<br />

Soulignons qu’il doit être sursis à l’exécution du jugement –et donc, le<br />

cas échéant, à l’emprisonnement prononcé par le jugement par défaut-<br />

jusqu’à expiration du délai d’opposition et, si l’opposition est exercée,<br />

jusqu’au jugement sur opposition 400 .<br />

Enfin, il convient de rappeler que les jugements rendus par les<br />

juridictions militaires peuvent, au même titre que les décisions<br />

prononcées par des juridictions civiles, faire l’objet d’opposition 401 .<br />

1.2. Une incertitude quant au délai d’opposition<br />

L’article 87 de la loi organique du 19 juin 2004 se lit comme suit : « Le<br />

délai d’opposition est de quinze (15) jours calendriers à compter du jour<br />

de la signification du jugement rendu par défaut », là où le Code de<br />

procédure pénale prévoit : « Le condamné par défaut peut faire<br />

opposition au jugement dans les dix (10) jours qui suivent celui de la<br />

signification » 402 .<br />

397 Article 155 du Code de procédure pénale.<br />

398 Article 160 du Code de procédure pénale.<br />

399 Article 163 du Code de procédure pénale.<br />

400 Article 162 du Code de procédure pénale.<br />

401 Article 141 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires. La<br />

version française de cette disposition est erronée.<br />

402 Article 158 du Code de procédure pénale.


242<br />

Les voies de recours<br />

Deux interprétations paraissent possibles :<br />

Soit l’on considère que l’article 87 de la loi organique concerne<br />

l’opposition contre tout jugement prononcé par défaut en<br />

application de la loi organique, que ce soit par une Juridiction<br />

Gacaca ou par une juridiction ordinaire. Si c’est d’une juridiction<br />

ordinaire qu’il s’agit, il y a lieu de faire application du deuxième<br />

alinéa de l’article 2 de la loi organique : le droit commun de la<br />

procédure est écarté si la loi organique y fait exception. C’est<br />

donc, en l’espèce, le délai prévu par l’article 87, plus favorable à<br />

l’accusé, qui l’emporte.<br />

Soit l’on considère que la section consacrée par la loi organique à<br />

l’opposition ne concerne, dans son ensemble, que les juridictions<br />

Gacaca. C’est le droit commun de la procédure qui s’applique à<br />

cette voie de recours dès lors qu’elle concerne les juridictions<br />

ordinaires. Par conséquent, le délai visé à l’article 158 du Code<br />

de procédure pénale, moins favorable à l’accusé, s’applique aux<br />

affaires qui, dans le cadre du contentieux du génocide et des<br />

autres crimes contre l’humanité, relèvent de la compétence des<br />

juridictions ordinaires.<br />

Dans la mesure où, d’une part, l’article 87 de la loi organique ne paraît<br />

pas être restreint, quant à son champ d’application, aux seules juridictions<br />

Gacaca, et compte tenu de ce qu’en cas d’incertitude, c’est l’hypothèse la<br />

plus favorable à l’accusé qui doit être privilégiée, les auteurs penchent<br />

pour la première des deux solutions. Tant que ce doute n’aura pas été<br />

complètement levé par la jurisprudence, cependant, les conseils des<br />

accusés veilleront à former opposition dans le délai de dix jours visé à<br />

l’article 158 du Code de procédure pénale, par mesure de précaution.<br />

2. L’APPEL<br />

2.1. Application de la procédure de droit commun<br />

Toute décision prononcée au premier degré soit par un Tribunal de<br />

Province ou par le Tribunal de la Ville de Kigali, soit par le Tribunal<br />

militaire statuant dans le cadre du contentieux du génocide et des autres<br />

crimes contre l’humanité est susceptible d’appel.


243<br />

Les voies de recours<br />

Le droit d’interjeter appel est reconnu au prévenu, au civilement<br />

responsable, à la partie civile mais uniquement quant au volet civil de<br />

l’affaire, et au Ministère Public 403 .<br />

C’est la Haute Cour de la République qui connaît, en degré d’appel, des<br />

affaires jugées en première instance par les Tribunaux de Province et le<br />

Tribunal de la Ville de Kigali 404 dans le cadre du contentieux du génocide<br />

et d’autres crimes contre l’humanité. C’est La Haute Cour Militaire qui<br />

connaît en appel des jugements rendus au premier degré par le Tribunal<br />

Militaire, dans le cadre du contentieux du génocide et d’autres crimes<br />

contre l’humanité 405 .<br />

Enfin, la règle générale qui veut que le prévenu acquitté ou condamné<br />

soit à une peine avec sursis, soit à simple amende soit encore à une peine<br />

égale ou inférieure à la détention préventive est immédiatement remis en<br />

liberté nonobstant appel du Parquet peut trouver une exception en matière<br />

de poursuites pour crimes de génocide ou autres crimes contre l’humanité<br />

s’il y a des preuves que sa libération peut porter atteinte à l’ordre public :<br />

si le Ministère Public requiert le maintien en détention, la juridiction<br />

d’appel statue sur cette question par décision motivée 406 .<br />

2.2. Une incertitude quant au délai d’appel<br />

L’article 91 de la loi organique du 19 juin 2004 se lit comme suit : « Le<br />

délai pour interjeter appel est de quinze (15) jours calendriers à partir du<br />

prononcé contradictoire du jugement ou à partir du jour suivant la<br />

signification du jugement rendu par défaut qui n’a pas été frappé<br />

d’opposition. (...) », là où le Code de procédure pénale prévoit : « Le<br />

délai d’appel est de trente (30) jours à compter du jour du prononcé de<br />

l’arrêt pour la partie qui était présente ou représentée à l’audience où<br />

l’arrêt a été prononcé ou qui, ayant été dûment avisée du jour de cette<br />

dernière, ne s’y est point présentée ni fait représenter. (...) » 407 .<br />

403 Article 164 du Code de procédure pénale.<br />

404 Article 105 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.<br />

405 Article 139 du Code d’organisation, fonctionnement et compétence judiciaires.<br />

406 Article 170 du Code de procédure pénale.<br />

407 Article 64 de la Loi organique n° 01/2004 du 29/01/2004 portant organisation,<br />

fonctionnement et compétences de la Cour Suprême.


244<br />

Les voies de recours<br />

Deux interprétations paraissent possibles :<br />

Soit l’on considère que l’article 91 de la loi organique concerne<br />

l’appel contre tout jugement prononcé au premier degré en<br />

application de la loi organique, que ce soit par une Juridiction<br />

Gacaca ou par une juridiction ordinaire. Si c’est d’une juridiction<br />

ordinaire qu’il s’agit, il y a lieu de faire application du deuxième<br />

alinéa de l’article 2 de la loi organique : le droit commun de la<br />

procédure est écarté si la loi organique y fait exception. C’est<br />

donc, en l’espèce, le délai prévu par l’article 91 de la loi<br />

organique, moins favorable à l’accusé, qui l’emporte.<br />

Soit l’on considère que la section consacrée par la loi organique à<br />

l’appel, ne concerne, dans son ensemble, que les juridictions<br />

Gacaca. C’est dans cet ensemble que l’article 91, seule<br />

disposition de cette section à ne pas exclure explicitement les<br />

juridictions ordinaires, se situe. C’est donc le droit commun de la<br />

procédure qui s’applique à cette voie de recours dès lors qu’elle<br />

concerne les juridictions ordinaires. Par conséquent, le délai visé<br />

à l’article 165 du Code de procédure pénale, plus favorable à<br />

l’accusé, s’applique aux affaires qui, dans le cadre du contentieux<br />

du génocide et des autres crimes contre l’humanité, relèvent de la<br />

compétence des juridictions ordinaires.<br />

En cas d’incertitude, rappelons que c’est en principe l’interprétation la<br />

plus favorable à l’accusé qui doit l’emporter, et donc, en l’espèce, la<br />

seconde de ceux deux solutions.<br />

Tant que ce doute n’aura pas été complètement levé par la jurisprudence,<br />

cependant, les conseils des accusés veilleront à interjeter appel dans le<br />

délai de quinze jours visé à l’article 91 de la loi organique du 19 juin<br />

2004, par mesure de précaution.<br />

2.3. Un droit de recours moins restrictif que sous l’empire des<br />

anciennes lois organiques régissant le contentieux du génocide<br />

et des crimes contre l’humanité<br />

La loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des<br />

infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité avait, par rapport au droit commun, introduit trois restrictions


245<br />

Les voies de recours<br />

importantes au recours en appel. D’une part, elle limitait la recevabilité<br />

de ce recours aux seuls appels sur des questions de droit ou sur des<br />

erreurs de fait flagrantes. D’autre part, saisie d’un recours, la juridiction<br />

d’appel statuait sur pièces, sans tenir nécessairement d’audiences au<br />

cours desquelles de nouveaux débats contradictoires auraient pu se tenir.<br />

Enfin, l’accusé ayant bénéficié de la procédure d’aveu et de plaidoyer de<br />

culpabilité était exclu du droit d’interjeter appel 408 .<br />

La première restriction a fait l’objet d’importantes difficultés<br />

d’application : d’une part, il était, en pratique, difficile de motiver de<br />

manière concrète les actes d’appel en invoquant des questions de droit ou<br />

des erreurs de fait flagrantes, cette exigence se heurtant bien souvent à la<br />

question du respect du délai d’appel. En effet, dans la grande majorité<br />

des cas, la motivation du jugement au premier degré n’était en réalité<br />

portée à la connaissance de la partie que bien après l’écoulement de ce<br />

délai, en raison de la pratique qui dissociait le prononcé du dispositif du<br />

jugement de sa rédaction écrite. D’autre part, une abondante<br />

jurisprudence témoigne de la difficulté d’interprétation de la notion de<br />

« question de droit » et de celle d’ « erreur de fait flagrante » 409 .<br />

C’est ainsi que la loi organique du 26 janvier 2001 portant création des<br />

Juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions du<br />

crime de génocide ou de crimes contre l’humanité n’avait pas reproduit<br />

cette condition particulière de recevabilité. Elle n’avait pas non plus<br />

retenu la règle de l’examen sur pièces du recours en appel.<br />

En revanche, elle avait maintenu l’exclusion du bénéfice de l’appel à<br />

l’accusé qui avait eu recours à la procédure d’aveux et de plaidoyer de<br />

culpabilité 410 .<br />

La loi organique du 19 juin 2004 ne maintient plus aucune des<br />

restrictions : dorénavant, l’appel n’est pas soumis à des conditions de<br />

recevabilité particulières, l’examen de l’appel fait l’objet de débats<br />

contradictoires et enfin, aucune disposition n’interdit plus à la personne<br />

408<br />

Article 24 de l’ancienne loi organique du 30 août 1996 sur l’organisation des<br />

poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l'humanité.<br />

409<br />

Voir à ce sujet les Recueils de jurisprudence, Avocats Sans Frontières-Belgique et<br />

Cour Suprême.<br />

410<br />

Article 86, alinéa 2 de la loi organique du 26 janvier 2001.


246<br />

Les voies de recours<br />

condamnée après avoir recouru avec succès à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses d’interjeter appel de la<br />

décision prononcée.<br />

Notons que la loi organique de 2001 avait instauré un appel sur la<br />

décision de « catégorisation » 411 . La nouvelle loi organique de 2004 n’a<br />

pas retenu cette possibilité. Il appartient simplement au juge saisi de<br />

vérifier sa compétence, in limine litis. La loi organique fait sien, en la<br />

matière, le principe « qui peut le plus peut le moins » : la Juridiction<br />

Gacaca de Secteur qui s’aperçoit qu’elle a été saisie à tort, la<br />

catégorisation retenue par la Juridiction Gacaca de Cellule paraissant<br />

erronée, reste saisie du fond de l’affaire s’il s’agit d’un dossier qui aurait<br />

dû être classé en troisième catégorie, mais doit transmettre le dossier au<br />

Parquet pour saisine de la juridiction ordinaire s’il s’agit d’un dossier qui<br />

aurait dû être classé en première catégorie 412 . Suivant le même principe,<br />

la juridiction ordinaire saisie de manière erronée connaîtra du dossier au<br />

fond puisque, par définition, la catégorie dans laquelle le prévenu aurait<br />

dû être classé est nécessairement inférieure à celle qu’ont à connaître les<br />

juridictions ordinaires.<br />

Notons enfin que les jugements relatifs aux biens endommagés ne sont<br />

pas susceptibles d’appel 413 . Il s’agit essentiellement des jugements<br />

prononcés par la Juridiction Gacaca de Cellule. Mais il se peut également<br />

que le dossier d’une personne accusée de faits qui la rattachent à la<br />

première catégorie soit, dans le même temps, jugée pour des atteintes<br />

aux biens. Il semble que la volonté du législateur ait été d’exclure de<br />

l’appel le volet qui concerne les biens endommagés.<br />

L’ensemble des règles évoquées ici sont des règles de procédure : elles<br />

sont bien évidemment d’application immédiate, y compris aux dossiers<br />

déjà en cours avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi organique.<br />

411 Article 86, alinéa 1er de la loi organique du 26 janvier 2001: “L'appel des décisions<br />

classant les prévenus dans les différentes catégories peut être formé devant la juridiction<br />

devant laquelle l'affaire a été déférée ».<br />

412 Voir articles 36, 4°, 37, 3° et 92 de la loi organique du 19 juin 2004.<br />

413 Article 94 de la loi organique du 19 juin 2004.


247<br />

Les voies de recours<br />

3. L’APPEL DEVANT LA COUR SUPREME<br />

La Constitution, le nouveau Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires et la nouvelle loi organique portant organisation,<br />

fonctionnement et compétence de la Cour Suprême investissent cette<br />

haute juridiction d’un rôle qui, jusqu’à leur entrée en vigueur, était inédit<br />

en droit rwandais : ces instruments instaurent, dans les cas qu’ils<br />

précisent, une nouvelle voie de recours pleine et entière à l’encontre de<br />

certaines décisions prises en degré d’appel. Il s’agit donc, en droit<br />

rwandais, de l’introduction d’un troisième degré de juridiction, qui va audelà<br />

de l’ancien pourvoi en cassation.<br />

Il s’agit d’apprécier si et dans quel cas ce nouveau recours sera<br />

d’application dans les dossiers du contentieux du génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité.<br />

L’article 145 de la Constitution charge la Cour Suprême de statuer sur les<br />

appels formés contre les décisions prononcées en degré d’appel par la<br />

Haute Cour de la République et par la Haute Cour Militaire, dans les cas<br />

prévus par la loi 414 .<br />

414 La version française et la version anglaise de cette disposition diffèrent. La version<br />

anglaise dit en effet“the jurisdiction of the Supreme Court (…) includes inter alia (…)<br />

hearing appeals against decisions of the High Court of the Republic and the Military<br />

High Court rendered in their first or appellate degrees as provided for by the law ”, là où<br />

la version française charge la Cour Suprême “de statuer au fond sur les affaires en appel<br />

et en dernier degré jugées par la Haute Cour de la République et la Haute Cour Militaire,<br />

dans les conditions prévues par la loi ». La version kinyarwanda, qui fait foi, parle de<br />

« ku rwego rwa » (au premier degré) et « ku rwa kabiri » (au deuxième degré). Son<br />

examen, de même que la mise en parallèle de cette disposition constitutionnelle avec les<br />

dispositions pertinentes du Code portant organisation, fonctionnement et compétence<br />

judiciaires (article 108) et de la loi portant organisation, fonctionnement et compétence de<br />

la Cour Suprême (article 62) indiquent donc que la version française est inexacte.


248<br />

Les voies de recours<br />

3.1. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la Haute<br />

Cour de la République<br />

C’est l’article 43, alinéa 2, de la loi organique portant organisation,<br />

fonctionnement et compétence de la Cour Suprême qui énonce les quatre<br />

cas dans lesquels ce « troisième degré de juridiction » est possible à<br />

l’encontre des décisions prononcées par la Haute Cour de la République:<br />

« La Cour Suprême statue (…) sur les appels formés contre les arrêts<br />

rendus au second degré par la Haute Cour de la République:<br />

1°lorsque l’affaire intéresse la sécurité du pays ;<br />

2°lorsque la décision attaquée n’est pas motivée, est fondée sur une loi<br />

inexistante, viole les règles de fond et de procédure prescrites à peine de<br />

nullité ou a été rendue par une juridiction incompétente ;<br />

3°lorsque le montant de la condamnation ou la valeur du litige est égal<br />

ou excède vingt millions de francs rwandais ;<br />

4°lorsque la peine prononcée par la Haute Cour de la République ou la<br />

Haute Cour Militaire, statuant au second degré, est égale ou supérieure<br />

à dix ans d’emprisonnement ».<br />

La deuxième et la quatrième de ces hypothèses peuvent être rencontrées<br />

dans le cas d’arrêts rendus en degré d’appel dans le cadre du contentieux<br />

du génocide.<br />

En vertu de la deuxième hypothèse, il est donc possible d’introduire un<br />

appel devant la Cour Suprême à l’encontre de décisions prises en degré<br />

d’appel par la Haute Cour de la République en invoquant un défaut de<br />

motivation de l’arrêt attaqué, le fait qu’elle soit fondée sur une loi<br />

inexistante, une violation des règles de fond, une violation des règles de<br />

procédure prescrites à peine de nullité, ou l’incompétence de la<br />

juridiction qui a prononcé la décision. Les causes permettant d’exercer<br />

ce recours s’apparentent ici à celles qui, sous l’empire des anciennes lois,<br />

permettaient d’introduire un pourvoi en cassation. Mais la similitude<br />

s’arrête là : en effet, l’appel devant la Cour Suprême, pour autant qu’il<br />

soit recevable, ouvre la voie à un nouvel examen du fond par cette<br />

nouvelle juridiction.<br />

La quatrième hypothèse trouvera également à s’appliquer dans le cadre<br />

du contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité : si la<br />

Haute Cour de la République déclare, en degré d’appel, un accusé


249<br />

Les voies de recours<br />

coupable des faits qui lui sont reprochés et confirme qu’il relève de la<br />

première catégorie, elle prononcera presque nécessairement, même en cas<br />

d’aveux, une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à dix ans, sauf<br />

dans le cas d’un mineur qui a recouru à la procédure d’aveu avant d’être<br />

inscrit sur la liste des accusés 415 . Sa décision, dès lors, sera susceptible<br />

d’un nouvel appel devant la Cour Suprême.<br />

L’article 65 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et<br />

compétence de la Cour Suprême confirme indirectement, mais de<br />

manière explicite, que ce « troisième degré de juridiction » s’applique au<br />

contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité. Cette<br />

disposition énonce le principe selon lequel le prévenu détenu qui est<br />

acquitté par la Haute Cour de la République, celui qui est condamné à<br />

une peine assortie de sursis, celui condamné uniquement à une peine<br />

d’amende ou enfin celui condamné à une peine ne dépassant pas la durée<br />

de la détention préventive qu’il a subie doit être immédiatement mis en<br />

liberté, même si le Parquet interjette appel devant la Cour Suprême.<br />

Cet article énumère ensuite les cas exceptionnels où il peut être dérogé à<br />

ce principe de mise en liberté : c’est le cas notamment « lorsque le<br />

prévenu est poursuivi pour crimes de génocide et crimes contre<br />

l’humanité, (…) et (qu’il) y a des preuves que sa libération peut porter<br />

atteinte à l’ordre public ». Dans cette hypothèse, le Ministère public peut<br />

demander à la Cour Suprême de prononcer une nouvelle mesure de<br />

détention préventive à son encontre.<br />

Le délai d’appel devant la Cour Suprême est de trente jours 416 .<br />

3.2. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la Haute<br />

Cour Militaire<br />

L’article 43 de la loi portant organisation, fonctionnement et compétence<br />

de la Cour Suprême n’évoque expressément comme étant susceptibles<br />

d’appel devant la plus haute juridiction, en ce qui concerne les décisions<br />

prononcées au deuxième degré par la Haute Cour Militaire, que les arrêts<br />

portant condamnation à une peine d’emprisonnement au moins égale à<br />

dix ans. Si l’on s’en tient au texte, il semble que les trois autres cas où il<br />

415 Voir le chapitre consacré aux peines.<br />

416 Article 64 de la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétence de la<br />

Cour Suprême.


250<br />

Les voies de recours<br />

est permis de faire appel, devant la Cour Suprême, d’un arrêt prononcé au<br />

deuxième degré par la Haute Cour de la République, ne pourraient<br />

bénéficier aux parties à une affaire ayant été tranchée, en degré d’appel,<br />

par la Haute Cour Militaire.<br />

Cette restriction paraît se confirmer à la lecture de l’article 141, alinéa 2<br />

de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires, qui dit : « (Les) arrêts rendus par la Haute Cour<br />

Militaire au deuxième degré (…)peuvent faire objet d’appel devant la<br />

Cour Suprême lorsque la peine prononcée est égale ou supérieure à dix<br />

ans d’emprisonnement. », sans énoncer d’autre hypothèse.<br />

Cette restriction paraît cependant peu conforme au principe de l’égalité<br />

des citoyens devant la loi, consacré par l’article 11 de la Constitution.<br />

Elle serait tout particulièrement porteuse d’inégalité et de discrimination<br />

à l’égard des civils qui, par le jeu des règles de la connexité, seraient<br />

justiciables des juridictions militaires en raison de la qualité de militaire<br />

d’un de leurs co-accusés 417 .<br />

Sans doute s’agit-il d’une lacune. Il paraît en effet peu compréhensible<br />

que la volonté du législateur ait pu être d’exclure les personnes –<br />

militaires ou non- jugées au second degré par la Haute Cour Militaire du<br />

bénéfice d’un recours devant la Cour Suprême, singulièrement pour<br />

défaut de motivation, application d’une loi inexistante, violation de<br />

dispositions de fond, violation de règles de procédure prescrites à peine<br />

de nullité, ou incompétence de la juridiction inférieure.<br />

417 Voir article 149 de la loi organique portant Code d’organisation, fonctionnement et<br />

compétence judiciaires:”Lorsque plusieurs personnes, justiciables les unes des<br />

juridictions ordinaires, les autres des juridictions militaires, sont poursuivies<br />

conjointement à raison de leur participation à une même infraction ou à des infractions<br />

connexes, elles sont jugées l’une et l’autre par la juridiction militaire compétente.”


251<br />

Les voies de recours<br />

4. LE RECOURS EN REVISION<br />

L’article 93 de la loi organique du 19 juin 2004 se lit comme suit :<br />

« Le jugement peut être révisé lorsque :<br />

1°une personne acquittée par un jugement coulé en force de chose jugée<br />

rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction<br />

Gacaca constate sa culpabilité ;<br />

2°une personne reconnue coupable par un jugement coulé en force de<br />

chose jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la<br />

Juridiction Gacaca constate son innocence ;<br />

3°une personne condamnée à une peine contraire à la loi selon les faits à<br />

sa charge.<br />

Seules les parties au procès et leurs descendants, ont droit de demander<br />

la révision du jugement.<br />

Seule la Juridiction Gacaca d’Appel a la compétence de réviser les<br />

jugements ainsi rendus ».<br />

4.1. Un recours qui déroge au droit commun<br />

Tel que conçu, et dans la mesure où il peut concerner les personnes<br />

acquittées par un jugement définitif prononcé par une juridiction<br />

ordinaire, ce recours est totalement inconnu du droit commun.<br />

Rappelons en effet que dans la procédure pénale de droit commun, le<br />

recours en révision ne peut jamais être exercé qu’« au bénéfice de toute<br />

personne reconnue coupable d’un crime et d’un délit » et, par<br />

conséquent, jamais au détriment d’une personne innocentée par la justice.<br />

Il n’est possible que dans les cas suivants :<br />

« 1°lorsque, après une condamnation pour homicide, des pièces seront<br />

présentées propres à faire naître de suffisants indices sur l’existence de<br />

la prétendue victime de l’homicide ;<br />

2°lorsque, après une condamnation pour un délit, un nouvel arrêt ou<br />

jugement aura condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu<br />

et que les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction<br />

fera preuve de l’innocence de l’un ou de l’autre condamné :


252<br />

Les voies de recours<br />

3°lorsqu’un des témoins entendus aura été, postérieurement à la<br />

condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre<br />

l’accusé ou le prévenu. Le témoin ainsi condamné ne pourra pas être<br />

entendu dans les nouveaux débats ;<br />

4°lorsque, après une condamnation, un fait viendra à se produire ou à se<br />

révéler ou lorsque des pièces inconnues lors de débats seront présentées,<br />

de nature à établir l’innocence du condamné » 418 .<br />

En d’autres termes, il s’agit d’une voie de recours extraordinaire: elle<br />

constitue, à l’égard de la personne condamnée injustement, le moyen<br />

ultime de réparer l’erreur judiciaire subie. Cette action peut être mue<br />

même à titre posthume : les descendants d’un condamné peuvent décider<br />

d’y recourir pour laver le nom de leur parent.<br />

Ce recours est et doit rester exceptionnel, puisqu’il concerne une décision<br />

pénale définitive.<br />

4.2. Quelles décisions sont visées ?<br />

Une lecture attentive de l’article 93 permet de distinguer selon les trois<br />

hypothèses qu’il vise.<br />

Tant l’hypothèse concernant la personne innocentée que celle concernant<br />

la personne déclarée coupable visent uniquement les décisions<br />

prononcées par des juridictions ordinaires 419 .<br />

En revanche, et faute de cette même précision, l’hypothèse relative à la<br />

peine contraire à la loi semble viser tous les jugements, quelle que soit la<br />

juridiction qui les a prononcés.<br />

Il faut donc considérer, à la lecture de cette disposition, que :<br />

la décision définitive par laquelle une Juridiction Gacaca<br />

prononce la condamnation d’un prévenu est susceptible d’un<br />

recours en révision si et seulement si la peine prononcée est<br />

contraire à la loi.<br />

418 Article 180 du Code de procédure pénale.<br />

419 En effet, les points 1° et 2° précisent « un jugement coulé en force de chose jugée<br />

rendu par une juridiction ordinaire ».


253<br />

Les voies de recours<br />

la décision définitive par laquelle une juridiction ordinaire<br />

prononce la condamnation d’un prévenu est susceptible d’un<br />

recours en révision si la peine prononcée est contraire à la loi ou<br />

si, ultérieurement, la Juridiction Gacaca d’Appel constate son<br />

innocence ;<br />

la décision définitive par laquelle une juridiction ordinaire<br />

prononce l’acquittement d’un prévenu est susceptible d’un<br />

recours en révision si ultérieurement la Juridiction Gacaca<br />

d’Appel constate sa culpabilité.<br />

4.3. Une dérogation discutable à la hiérarchie des juridictions<br />

En droit commun, le recours en révision est porté « devant la juridiction<br />

qui a rendu la décision attaquée en dernier ressort » 420 , alors que l’article<br />

93 de la loi organique du 19 juin 2004 confère à la Juridiction Gacaca<br />

d’Appel compétence exclusive pour connaître des recours en révision,<br />

que ce soit à l’encontre d’une décision définitive prononcée par une<br />

Juridiction Gacaca ou d’une décision définitive prononcée par une<br />

juridiction ordinaire.<br />

Comme on l’a vu plus haut, en ce qui concerne les cas soumis aux<br />

« juridictions ordinaires » visées par la loi organique, c’est, dans la très<br />

grande majorité des cas, la Cour Suprême qui prononcera la décision<br />

définitive, après que l’affaire ait été soumise, en première instance, soit à<br />

un tribunal de Province ou de la Ville de Kigali, soit au Tribunal<br />

Militaire, puis en degré d’appel, soit à la Haute Cour de la République,<br />

soit à la Haute Cour Militaire, pour enfin aboutir devant la Cour<br />

Suprême.<br />

A suivre à la lettre le prescrit de l’article 93 de la loi organique, des<br />

décisions prononcées par la Cour Suprême deviendraient ainsi<br />

susceptibles d’être mises à néant par une juridiction spécialisée,<br />

composée de juges non professionnels, et qui se situe en marge de la<br />

hiérarchie que la Constitution met en place dans le chapitre qu’elle<br />

420 Article 182 du Code de procédure pénale. Noter la contradiction avec l’article 45 de la<br />

loi portant organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême qui, au titre<br />

des « compétences extraordinaires » de la Cour Suprême, attribue à celle-ci exclusivement<br />

celle de « connaître en matière pénale des recours en révision quelle que soit la<br />

juridiction qui a statué ».


254<br />

Les voies de recours<br />

consacre au Pouvoir Judiciaire. De surcroît, la règle qui attribue à la<br />

Juridiction Gacaca d’Appel le pouvoir de réviser une décision définitive<br />

prononcée par une juridiction ordinaire revient à lui donner compétence<br />

pour juger les cas de première catégorie : cette règle apparaît comme une<br />

incohérence par rapport au prescrit de l’article 2 de la même loi, qui<br />

exclut précisément de la compétence des juridictions Gacaca le jugement<br />

des personnes classées en première catégorie en phase préjuridictionnelle,<br />

pour le confier aux juridictions ordinaires.<br />

Le pouvoir exorbitant ainsi conféré aux Juridictions Gacaca d’Appel<br />

semble contraire à l’article 144 de la Constitution qui fait de la Cour<br />

Suprême la plus haute juridiction du pays : ses décisions s’imposent à<br />

tous, que ce soit « les pouvoirs publics, (…)toutes les autorités<br />

administratives, civiles, militaires et juridictionnelles, ainsi (que les)<br />

particuliers ».<br />

Seule la Cour Suprême –ou, le cas échéant, d’autres juridictions qui<br />

auraient prononcé la décision coulée en force de chose jugée- devrait être<br />

habilitée à connaître d’un tel recours.<br />

4.4. Une exception discutable au principe de l’autorité de la chose<br />

jugée<br />

Une même personne ne peut être poursuivie une seconde fois pour des<br />

faits qui ont fait l’objet d’un jugement coulé en force de chose jugée,<br />

c’est-à-dire lorsque la cause a été irrévocablement jugée à son égard, et<br />

qu’elle ne peut plus faire l’objet d’aucun recours : c’est l’idée que traduit<br />

le concept d’ « autorité de la chose jugée ».<br />

Il s’agit d’un principe général de droit, essentiel dans un Etat de droit.<br />

Il est en effet fondé sur « le respect nécessaire des décisions judiciaires.<br />

Le renouvellement des poursuites, même en cas de survenance d’éléments<br />

nouveaux, aboutirait à créer un véritable état d’insécurité sociale. La<br />

chose jugée empêche qu’une personne qui a fait l’objet d’une poursuite<br />

répressive puisse être à nouveau poursuivie à l’avenir pour le même<br />

fait » 421 .<br />

421 Henri-D. BOSLY, Damien VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, 2è<br />

édition, La Charte, Bruxelles, p. 188.


255<br />

Les voies de recours<br />

Ce principe, traditionnellement désigné par l’adage latin «non bis in<br />

idem » 422 est consacré par l’article 14 du Pacte International relatif aux<br />

Droits civils et politiques, auquel la République du Rwanda est partie :<br />

« Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour<br />

laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif<br />

conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».<br />

Il est en outre expressément reconnu tant par le Statut du Tribunal pénal<br />

international 423 que par le Statut de la Cour pénale internationale 424 .<br />

Enfin et surtout, le droit rwandais le consacre lui aussi, faisant de la<br />

« chose jugée » une cause d’extinction de l’action publique 425 .<br />

La seule exception que la plupart des législations nationales tolèrent, est<br />

celle qui permet, dans des conditions très strictes et étroitement limitées,<br />

à une personne condamnée de manière définitive, victime d’une erreur<br />

judiciaire, de faire valoir un fait nouveau ou une circonstance nouvelle<br />

qu’il n’était pas à même d’établir au moment du jugement, et dont la<br />

preuve de son innocence paraît résulter : il s’agit de l’action en révision<br />

classique.<br />

L’extension de la révision, voie de recours exceptionnelle, au cas de<br />

décisions définitives d’acquittement nous paraît inappropriée. Elle est<br />

manifestement contraire au principe du non bis in idem et crée une<br />

insécurité juridique permanente pour toute personne ayant été jugée dans<br />

le cadre du contentieux du génocide et des crimes contre l’humanité. En<br />

effet, tant que les juridictions Gacaca de Cellule n’auront pas<br />

définitivement terminé leur travail, les personnes acquittées resteraient<br />

sous la menace de devoir faire face à une nouvelle procédure, portant<br />

exactement sur les mêmes accusations que celles dont elles ont pourtant<br />

été blanchies. Cette possibilité pourrait accréditer l’idée que même un<br />

acquittement ne suffit pas à laver d’une accusation de génocide ou<br />

d’autres crimes contre l’humanité. Une telle situation présente des<br />

422<br />

Expression que l’on pourrait traduire par « pas deux fois pour la même chose ».<br />

423<br />

Article 9.<br />

424<br />

Article 20.<br />

425<br />

Article 3 du Code de procédure pénale : «L’action publique s’éteint par la mort du<br />

prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi et par la chose jugée ».


256<br />

Les voies de recours<br />

dangers considérables quant à l’idée même de la justice, et quant au<br />

respect qui lui est dû.<br />

Conclusion<br />

Les voies de recours ouvertes aux parties à un procès qui relève du<br />

contentieux du génocide et des autres crimes contre l’humanité,<br />

justiciables des « juridictions ordinaires » au sens de l’article 2, alinéa 2<br />

de la loi organique du 19 juin 2004 sont celles du droit commun.<br />

Les règles de procédure applicables à l’opposition, l’appel et l’appel<br />

devant la Cour Suprême sont celles prévues par le Code d’organisation,<br />

fonctionnement et compétence judiciaires, et par la loi organique portant<br />

organisation, fonctionnement et compétence de la Cour Suprême.<br />

Un léger doute subsiste cependant quant au délai applicable pour<br />

l’opposition et pour l’appel.<br />

Enfin, le recours en révision tel qu’il semble être conçu par la loi<br />

organique du 19 juin 2004 appelle un certain nombre d’observations et de<br />

questions, d’une part quant à sa conformité avec les principes non bis in<br />

idem et d’autre part quant à sa compatibilité avec la hiérarchie des<br />

juridictions dessinée par la Constitution.


ANNEXE<br />

257<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation, compétence<br />

et fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du<br />

jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre<br />

1994


Journal Officiel n° Spécial du 19 juin 2004<br />

259<br />

LOI ORGANIQUE N° 16/2004 DU 19/06/2004 PORTANT<br />

ORGANISATION, COMPETENCE ET FONCTIONNEMENT DES<br />

JURIDICTIONS GACACA CHARGEES DES POURSUITES ET DU<br />

JUGEMENT DES INFRACTIONS CONSTITUTIVES DU CRIME DE<br />

GENOCIDE ET D’AUTRES CRIMES CONTRE L’HUMANITE<br />

COMMIS ENTRE LE 1 ER OCTOBRE 1990 ET LE 31 DECEMBRE 1994<br />

Nous, KAGAME Paul,<br />

Président de la République ;<br />

LE PARLEMENT A ADOPTE ET NOUS SANCTIONNONS,<br />

PROMULGUONS LA LOI ORGANIQUE DONT LA TENEUR SUIT, ET<br />

ORDONNONS QU’ELLE SOIT PUBLIEE AU JOURNAL OFFICIEL DE<br />

LA REPUBLIQUE DU RWANDA.<br />

Le Parlement :<br />

La Chambre des Députés, en sa séance du 17 juin 2004 ;<br />

Le Sénat, en sa séance du 10 juin 2004 ;<br />

Vu la Constitution de la République du Rwanda du 04 juin 2003 telle que révisée<br />

à ce jour, spécialement en ses articles 9-1° et 2°, 61, 62, 88, 90, 93, 108, 118-7°,<br />

152 et 201 ;<br />

Revu la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des Juridictions<br />

Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de<br />

génocide ou de crimes contre l’humanité commises entre le 1 er octobre 1990 et le<br />

31 décembre 1994, telle que modifiée et complétée à ce jour ;<br />

Revu la loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité, commises à partir du 1 er octobre 1990;<br />

Revu le décret-loi n° 09/80 du 07 juillet 1980 portant code d’organisation et de<br />

compétence judiciaires approuvé par la loi n° 01/82 du 26 janvier 1982 tel que<br />

modifié et complété à ce jour ;<br />

Revu le décret-loi n° 21/77 du 18 août 1977 instituant le Code Pénal tel que<br />

modifié et complété à ce jour ;


260<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Revu la loi du 23 février 1963 portant code de procédure pénale, tel que modifiée<br />

et complétée à ce jour ;<br />

Considérant le crime de génocide et les crimes contre l’humanité commis au<br />

Rwanda à partir du 1 er octobre 1990 jusqu’au 31 décembre 1994 ;<br />

Considérant que ces infractions ont été commises publiquement, sous les yeux de<br />

la population, qu’ainsi elle doit relater les faits, révéler la vérité et participer à la<br />

poursuite et au jugement des auteurs présumés ;<br />

Considérant que le devoir de témoignage est une obligation morale de tout<br />

Rwandais patriote, nul n’étant en droit de s’y dérober pour quelque cause que ce<br />

soit ;<br />

Considérant que les actes commis sont des infractions prévues et punies par le<br />

Code Pénal, et constitutifs du crime de génocide et d’autres crimes contre<br />

l’humanité ;<br />

Considérant que le crime de génocide et les crimes contre l’humanité sont prévus<br />

par la Convention internationale du 09 décembre 1948 sur la prévention et la<br />

répression du crime de génocide ;<br />

Considérant que la Convention internationale du 26 novembre 1968 prévoit<br />

l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ;<br />

Considérant que le Rwanda a ratifié ces deux conventions par le décret-loi n°<br />

8/75 du 12 février 1975 approuvant et ratifiant diverses Conventions<br />

Internationales relatives aux droits de l’homme, au désarmement, à la prévention<br />

et à la répression de certains actes susceptibles de mettre en danger la paix entre<br />

les hommes et les nations et les a publiées au Journal Officiel de la République<br />

du Rwanda, sans toutefois, lors de la perpétration de ces crimes, avoir prévu les<br />

sanctions spéciales pour ceux-ci ;<br />

Considérant, en conséquence, que les poursuites doivent être fondées sur le Code<br />

Pénal ;<br />

Considérant la nécessité, pour parvenir à la réconciliation et à la justice au<br />

Rwanda, d’éradiquer à jamais la culture de l’impunité et d’adopter les<br />

dispositions permettant d’assurer les poursuites et le jugement rapide des auteurs<br />

et leurs complices sans viser seulement la simple répression, mais aussi la<br />

réhabilitation de la société rwandaise mise en décomposition par les mauvais<br />

dirigeants qui ont incité la population à exterminer une partie de cette société ;<br />

Considérant qu’il importe pour la société rwandaise de résoudre elle-même les<br />

problèmes causés par le génocide et ses conséquences;


261<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Considérant qu’il importe de prévoir des peines permettant aux condamnés de<br />

s’amender et de favoriser leur réinsertion dans la société rwandaise sans entrave<br />

à la vie normale de la population ;<br />

ADOPTE :<br />

TITRE PREMIER : DU CHAMP D’APPLICATION<br />

Article premier :<br />

La présente loi organique porte sur l’organisation, la compétence et le<br />

fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement<br />

des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre<br />

l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, ou des<br />

infractions prévues par le code pénal qui, selon les accusations du Ministère<br />

Public ou les témoignages à charge aussi bien que les aveux du prévenu, ont été<br />

commis dans l’intention de faire le génocide ou d’autres crimes contre<br />

l’humanité.<br />

Article 2 :<br />

Les personnes que les actes commis ou les actes de participation criminelle<br />

rangent dans les 2 ème et 3 ème catégories telles que définies par l’article 51 de la<br />

présente loi organique sont justiciables des Juridictions Gacaca tel que prévu par<br />

le titre II de la présente loi organique. Les Juridictions Gacaca appliquent les<br />

dispositions de la présente loi organique.<br />

Les personnes relevant de la première catégorie telles que définies par l’article<br />

51 de la présente loi organique sont justiciables des juridictions ordinaires qui<br />

appliquent les règles de procédure de droit commun, sous réserve des exceptions<br />

prévues par la présente loi organique.<br />

Quant à l’objet de litige, on applique exclusivement les dispositions de la<br />

présente loi organique.<br />

Les personnes susmentionnées dans les alinéas précédents sont justiciables des<br />

juridictions prévues par ces alinéas, même si leurs coauteurs sont justiciables des<br />

juridictions différentes de celles qui rendent leurs jugements. Dans ce cas, ces<br />

coauteurs peuvent être convoqués pour donner des témoignages dans le même<br />

procès.


262<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

TITRE II: DE LA CREATION, DE L’ORGANISATION ET DE LA<br />

COMPETENCE DES JURIDICTIONS GACACA ET DES<br />

RELATIONS AVEC LES AUTRES INSTITUTIONS<br />

CHAPITRE PREMIER : DE LA CREATION ET DE<br />

L’ORGANISATION DES JURIDICTIONS<br />

GACACA<br />

SECTION PREMIERE : DE LA CREATION ET DU RESSORT<br />

Article 3 :<br />

Il est créé une Juridiction Gacaca de la Cellule au niveau de chaque Cellule, une<br />

Juridiction Gacaca de Secteur et une Juridiction Gacaca d’Appel au niveau de<br />

chaque Secteur de la République du Rwanda. Ces Juridictions connaissent, dans<br />

les limites établies par la présente loi organique, des infractions constitutives du<br />

crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commises entre le 1 er<br />

octobre 1990 et le 31 décembre 1994.<br />

Article 4 :<br />

Sous réserve des dispositions de l’alinéa deux et trois de l’article 6 de la présente<br />

loi organique :<br />

1° le ressort de la Juridiction Gacaca de la Cellule est la Cellule ;<br />

2° le ressort de la Juridiction Gacaca du Secteur est le Secteur ;<br />

3° le ressort de la Juridiction Gacaca d’Appel est le Secteur.<br />

SECTION II : DES ORGANES DES JURIDICTIONS GACACA<br />

Sous-section première : Des dispositions communes<br />

Article 5 :<br />

La Juridiction Gacaca de la Cellule comprend une Assemblée Générale, un Siège<br />

de la Juridiction Gacaca et un Comité de Coordination.<br />

La Juridiction Gacaca du Secteur tout comme la Juridiction Gacaca d’Appel est<br />

composée d’une Assemblée Générale, d’un Siège de la Juridiction Gacaca et<br />

d’un Comité de Coordination.<br />

L’instance compétente pour désigner les membres du Siège ou ceux du Comité<br />

de Coordination est aussi compétente pour leur remplacement.


263<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Sous-section 2 : De l’Assemblée Générale<br />

Article 6 :<br />

L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule est composée de<br />

tous les habitants de la Cellule âgés d’au moins dix huit (18) ans.<br />

Lorsqu’il apparaît que dans une cellule donnée le nombre des habitants âgés ou<br />

dépassant dix-huit (18) ans n’atteint pas deux cents (200), cette Cellule peut être<br />

fusionnée avec une autre Cellule du même Secteur et forment une Juridiction<br />

Gacaca de la Cellule. Il en est de même lorsqu’il est constaté que le nombre des<br />

personnes intègres prévu à l’article 8 de la présente loi organique n’est pas<br />

atteint. Les Cellules fusionnées procèdent à des nouvelles élections de<br />

désignation de personnes intègres.<br />

Lorsque les Cellules fusionnées ne parviennent pas à atteindre le nombre des<br />

personnes intègres requis et que dans ce Secteur il n’y a pas d’autres Cellules,<br />

ces Cellules sont fusionnées avec la Cellule du Secteur voisin. Les Secteurs dont<br />

les Cellules sont fusionnées sont à leur tout fusionnés.<br />

La décision de fusion de Cellules est prise par le Service National chargé du<br />

suivi de la supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca,<br />

à son initiative ou sur demande du Maire de District ou de la Ville, et en informe<br />

le Préfet de la Province ou le Maire de la Ville de Kigali.<br />

Article 7 :<br />

L’Assemblée Générale du Secteur est composée des organes suivants :<br />

1° les Sièges des Juridictions Gacaca des Cellules qui composent ce<br />

Secteur ;<br />

2° le Siège de la Juridiction Gacaca du Secteur ;<br />

3° le Siège de la Juridiction Gacaca d’Appel.<br />

Sous-section 3 : Du siège de la Juridiction Gacaca<br />

Article 8 :<br />

Chaque Siège de la Juridiction Gacaca est composé de neuf (9) personnes<br />

intègres et dispose de 5 remplaçants.


264<br />

Article 9 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Avant d’entre (r) en fonction, tout membre du Siège de la Juridiction Gacaca<br />

prête serment devant l’Assemblée Générale en ces termes :<br />

« Moi,……………………, je jure solennellement à la Nation :<br />

1° de remplir loyalement les fonctions qui me sont confiées ;<br />

2° de garder fidélité à la République du Rwanda ;<br />

3° d’observer la Constitution et les autres lois ;<br />

4° d’œuvrer à la consolidation de l’unité nationale ;<br />

5° de remplir consciencieusement ma charge de représentant du peuple<br />

rwandais sans discrimination aucune ;<br />

6° de ne jamais utiliser les pouvoirs qui me sont dévolus à des fins<br />

personnelles ;<br />

7° de promouvoir le respect des libertés et des droits fondamentaux de la<br />

personne et de veiller aux intérêts du peuple rwandais.<br />

En cas de parjure, que je subisse les rigueurs de la loi.<br />

Que Dieu m’assiste. »<br />

Article 10 :<br />

Un membre d’un Siège d’une Juridiction Gacaca ne peut siéger ou prendre des<br />

décisions dans une affaire le concernant ou dans laquelle est poursuivi :<br />

1° son (sa) conjoint (e) ;<br />

2° son parent, son grand-père et sa grand-mère, ses frères et sœurs, ses<br />

enfants, ses petits enfants ou ceux de son (sa) conjoint (e) ;<br />

3° ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses demi-frères et sœurs ;<br />

4° le prévenu avec lequel existe une inimitié grave ;<br />

5° le prévenu avec lequel il entretient des liens profonds d’amitié ;<br />

6° le prévenu dont il a la responsabilité ou dont il est tuteur ;<br />

7° et tout autre prévenu dont le lien avec la personne intègre pourrait<br />

entraver la liberté de cette dernière.<br />

Dans l’une de ces hypothèses, le membre du Siège doit se récuser, à défaut, toute<br />

personne au courant de l’existence de l’une de ces causes en informe, avant la<br />

plaidoirie quant au fond, le Siège qui décide de le récuser toutes affaires<br />

cessantes.<br />

Toutefois, la personne ainsi récusée est admise à donner des témoignages à<br />

charge ou à décharge.


265<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Sous-section 4 : Du Comité de Coordination<br />

Article 11 :<br />

Les membres du Siège de la Juridiction Gacaca choisissent parmi eux et à la<br />

majorité absolue, le Comité de Coordination composé d’un Président, d’un<br />

premier Vice-Président, d’un deuxième Vice-Président et de deux Secrétaires et<br />

sachant tous bien lire et écrire le Kinyarwanda.<br />

Les membres du Comité de Coordination sont élus pour un mandat d’une (1)<br />

année renouvelable ;<br />

Les secrétaires des Juridictions Gacaca assurent les fonctions de rapporteurs et<br />

celles de secrétariat de ces Juridictions.<br />

Article 12 :<br />

Le Comité de Coordination exerce les attributions suivantes :<br />

1° convoquer, présider les réunions et coordonner les activités du Siège de la<br />

Juridiction Gacaca ;<br />

2° enregistrer les plaintes, les témoignages et les preuves déposés par la<br />

population ;<br />

3° recevoir les dossiers des prévenus justiciables des Juridictions Gacaca ;<br />

4° enregistrer les déclarations d’appel formé contre les jugements des<br />

Juridictions Gacaca ;<br />

5° transmettre à la Juridiction Gacaca d’Appel les dossiers dont les<br />

jugements sont frappés d’appel ;<br />

6° rédiger les décisions prises par les organes de la Juridiction Gacaca ;<br />

7° collaborer avec les autres institutions pour mettre en application les<br />

décisions de la Juridiction Gacaca ;<br />

SECTION III : DES MEMBRES DES ORGANES DES JURIDICTIONS<br />

GACACA<br />

Article 13 :<br />

L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule choisit en son sein<br />

neuf (9) personnes intègres qui forment son siège et cinq (5) remplaçants.<br />

L’Assemblée Générale du Secteur choisit en son sein neuf (9) personnes intègres<br />

qui forment le siège de la Juridiction Gacaca d’Appel et cinq (5) remplaçants<br />

ainsi que neuf (9) personnes intègres qui forment le Siège de la Juridiction<br />

Gacaca du Secteur et cinq (5) remplaçants.


266<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Les élections des personnes intègres sont organisées et dirigées par la<br />

Commission Nationale Electorale.<br />

Les modalités d’organisation des élections des membres des organes des<br />

Juridictions Gacaca sont déterminées par un arrêté présidentiel.<br />

Article 14 :<br />

Les membres des sièges des Juridictions Gacaca sont des Rwandais intègres élus<br />

par les Assemblées Générales des Cellules dans lesquelles ils résident.<br />

Est intègre, tout Rwandais remplissant les conditions suivantes :<br />

1° n’avoir pas participé au génocide ;<br />

2° être exempt d’esprit de divisionnisme ;<br />

3° n’avoir pas été condamné par un jugement coulé en force de chose jugée<br />

à une peine d’emprisonnement de six (6) mois au moins ;<br />

4° être de bonne conduite, vie et mœurs ;<br />

5° dire toujours la vérité ;<br />

6° être honnête ;<br />

7° être caractérisé par l’esprit de partage de la parole.<br />

Toute personne intègre, âgé de vingt un (21) ans au moins et remplissant toutes<br />

les conditions exigées par la présente loi organique, peut être élue membre des<br />

organes des Juridictions Gacaca, sans discrimination aucune notamment de<br />

sexe, d’origine, de religion, d’opinion ou de position sociale.<br />

Article 15 :<br />

Ne peut être élu membre du Siège de la Juridiction Gacaca :<br />

1° la personne exerçant une activité politique ;<br />

2° le responsable dans l’administration de l’Etat ;<br />

3° le militaire ou le membre de la Police Nationale encore en fonction ;<br />

4° le magistrat de carrière ;<br />

5° le membre d’un organe directeur d’une formation politique.<br />

Cette interdiction d’être élue est levée pour la personne qui démissionne de ses<br />

fonctions et dont la démission est acceptée.<br />

Les responsables dans l’administration de l’Etat susmentionnés au point 2 du<br />

premier alinéa du présent article sont le Préfet de la Province, le Maire de la<br />

Ville de Kigali, les autres membres du Comité Exécutif de la Ville de Kigali, de


267<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

la Ville ou du District, les membres du Comité Politique et Administratif au<br />

niveau du Secteur et de la Cellule.<br />

Ne peut élire ou être élue intègre, la personne figurant sur la liste des présumés<br />

génocidaires. Toutefois, les personnes ayant seulement commis des infractions<br />

contre les biens peuvent élire.<br />

Article 16 :<br />

Toute personne élue membre des organes des Juridictions Gacaca est remplacée<br />

pour l’une des causes suivantes :<br />

1° trois (3) absences successives non justifiées aux séances des organes des<br />

Juridictions Gacaca ;<br />

2° condamnation à une peine d’emprisonnement d’au moins six (6) mois ;<br />

3° semer la division ;<br />

4° exercice de l’une des activités prévues à l’article 15 de la présente loi<br />

organique ou occupation d’un emploi susceptible d’entraver la<br />

participation aux séances des organes des Juridictions Gacaca ;<br />

5° atteinte d’une maladie susceptible de l’empêcher de participer aux<br />

séances des organes des Juridictions Gacaca ;<br />

6° accomplissement de tout acte incompatible avec la qualité de personne<br />

intègre ;<br />

7° démission volontaire;<br />

8° décès.<br />

La perte de la qualité de membre de la Juridiction Gacaca pour trois (3) absences<br />

successives non justifiées aux séances des organes des Juridictions Gacaca, pour<br />

avoir semé le divisionnisme et pour acte incompatible avec la qualité de<br />

personne intègre est décidée par écrit par les membres du Siège de la Juridiction<br />

Gacaca après consultation de l’Assemblée Générale de la Cellule de son ressort.<br />

Le membre ainsi démis fait l’objet d’un blâme devant l’Assemblée Générale et<br />

ne peut être élu au titre de personne intègre dans un quelconque organe.<br />

Les autres causes de remplacement énumérées dans cet article sont constatées<br />

par l’organe de la Juridiction Gacaca dont faisait partie la personne à remplacer.


268<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

SECTION IV : DU FONCTIONNEMENT DES ORGANES DES<br />

JURIDICTIONS GACACA<br />

Article 17 :<br />

L’Assemblée Générale de Juridiction Gacaca de la Cellule tient une réunion<br />

ordinaire une fois par semaine, une réunion d’évaluation une fois par trimestre et<br />

des séances extraordinaires chaque fois que de besoin.<br />

Elle est convoquée et dirigée par le Président du Comité de Coordination, de son<br />

initiative ou sur demande d’au moins un tiers (1/3) des membres du Siège de la<br />

Juridiction Gacaca.<br />

Lorsque le Président justifie d’un motif légitime qui l’empêche ou refuse de<br />

convoquer l’Assemblée Générale, celle-ci est convoquée par l’un des Vice-<br />

Présidents.<br />

Article 18 :<br />

L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule ne siège<br />

valablement que si au moins cent (100) de ses membres sont présents.<br />

Article 19 :<br />

L’Assemblée Générale du Secteur tient une réunion ordinaire une fois par<br />

trimestre et des séances extraordinaires chaque fois que de besoin.<br />

Elle est convoquée et dirigée par le Président de la Juridiction Gacaca d’Appel,<br />

à son initiative ou sur demande d’un quart (¼) de ses membres et le Président de<br />

la Juridiction Gacaca du Secteur en est le Vice-Président. Lorsque le Président<br />

ou le Vice-Président de l’Assemblée Générale justifie d’un motif qui l’empêche<br />

ou refuse de convoquer l’Assemblée Générale, celle-ci est convoquée par le plus<br />

âgé des personnes intègres sur demande d’un quart (¼) de ses membres. Les<br />

personnes intègres présentes choisissent parmi elles le Président.<br />

Article 20 :<br />

L’Assemblée Générale du Secteur ne siège valablement que si au moins deux<br />

tiers (2/3) de ses membres sont présents.


269<br />

Article 21 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Les audiences des Juridictions Gacaca sont publiques, sauf le huis-clos décidé<br />

par la Juridiction Gacaca (ou) sur demande de toute personne intéressée et<br />

prononcé par un jugement pour des raisons d’ordre public ou de bonnes mœurs.<br />

Le délibéré est secret.<br />

Article 22 :<br />

Dans la Juridiction Gacaca de la Cellule, l’heure et le jour des séances sont fixés<br />

par l’Assemblée Générale. Dans les autres Juridictions Gacaca, l’heure et le jour<br />

des séances sont fixés par les membres du Siège de la Juridiction qui en<br />

informent la population.<br />

Article 23 :<br />

Le Siège de la Juridiction Gacaca ne peut se réunir valablement que si au moins<br />

sept (7) de ses membres sont présents.<br />

Lorsque ce quorum n’est pas atteint suite aux membres absents, la séance est<br />

reportée.<br />

Lorsque ce quorum n’est pas atteint et que les membres du Siège ne sont plus<br />

encore disponibles pour des raisons différentes, il est complété par les<br />

remplaçants.<br />

Lorsque ce quorum n’est pas atteint suite à la récusation ou au retrait de certains<br />

des membres du Siège, il est complété par les remplaçants jusqu’à ce que la<br />

décision soit prise ou jusqu’à ce que le procès prenne fin.<br />

Lorsque tous les membres du Siège se sont retirés ou récusés, on fait recours aux<br />

membres du Siège de la Juridiction Gacaca la plus proche ayant la même<br />

compétence que celle-ci, jusqu’à ce que la décision soit prise ou jusqu’à ce que<br />

le procès prenne fin.<br />

Cela n’empêche pas que ces personnes intègres provenant de la Juridiction<br />

voisine continuent leurs activités dans la Juridiction de leur ressort. La<br />

Juridiction qui se récuse ou se retire ou toute autre personne intéressée en<br />

informent immédiatement le Service National chargé du suivi, de la supervision<br />

et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca qui, à son tour, choisit<br />

la Juridiction Gacaca dans laquelle peuvent être réquisitionnées les personnes<br />

intègres.


270<br />

Article 24 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Les décisions du Siège de la Juridiction Gacaca sont prises par consensus et à<br />

défaut, à la majorité absolue de ses membres.<br />

A défaut d’une telle majorité, il est procédé à un nouveau vote ; chaque membre<br />

du Siège de la Juridiction Gacaca devant toutefois choisir entre les deux (2)<br />

positions ayant recueilli précédemment le plus de voix.<br />

Article 25 :<br />

Les jugements doivent être motivés. Ils sont signés ou marqués de l’empreinte<br />

digitale de tous les membres du Siège de la Juridiction Gacaca qui ont siégé et<br />

pris part au délibéré.<br />

Article 26 :<br />

Chaque fois qu’elles en ressentent le besoin, les Juridictions Gacaca peuvent<br />

s’assurer du concours de conseillers juridiques désignés par le Service National<br />

chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des<br />

Juridictions Gacaca.<br />

Article 27 :<br />

Le Comité de Coordination de la Juridiction Gacaca se réunit autant de fois que<br />

de besoin sur convocation de son Président, à son initiative ou sur demande d’au<br />

moins deux (2) de ses membres.<br />

Lorsque le Président justifie d’un motif légitime qui l’empêche de convoquer le<br />

Comité de Coordination, celui-ci est convoqué par l’un des Vice-Présidents.<br />

Article 28 :<br />

Pour siéger valablement, le Comité de Coordination doit réunir au moins trois (3)<br />

de ses membres.<br />

Article 29 :<br />

Participer aux activités des Juridictions Gacaca est une obligation pour tout<br />

Rwandais.<br />

Toute personne qui omet ou refuse de témoigner sur ce qu’elle a vu ou sur ce<br />

dont elle a connaissance, de même que celle qui fait une dénonciation<br />

mensongère, est poursuivie par la Juridiction Gacaca qui en a fait le constat. Elle


271<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

encourt une peine d’emprisonnement allant de trois (3) à six (6) mois. En cas de<br />

récidive, le prévenu encourt une peine d’emprisonnement allant de six (6) mois à<br />

un (1) an.<br />

Est considérée comme personne ayant omis de témoigner sur ce qu’elle a vu ou<br />

sur ce dont elle a connaissance, toute personne dont on a constaté qu’elle<br />

disposait des informations sur une affaire quelconque révélée par les autres, étant<br />

présente et ayant préféré (de) ne rien dire à ce propos.<br />

Est considérée comme personne ayant refusé de donner des témoignages :<br />

1° toute personne interrogée au cours du procès, sachant qu’elle dispose de<br />

témoignages ou que par après, il est constaté qu’elle en disposait et qu’elle<br />

n’a rien déclaré, en s’abstenant de parler ou en faisant fi de répondre à la<br />

question posée ;<br />

2° toute personne convoquée dans la Juridiction et qui refuse<br />

intentionnellement de comparaître, sans motif valable afin de ne pas être<br />

interrogée alors que la convocation lui est parvenue.<br />

Est considérée comme personne qui a fait une dénonciation mensongère, toute<br />

personne qui a donné des témoignages en certifiant qu’elle dit la vérité et qu’elle<br />

en a des preuves, qui prête serment et y appose sa signature, et que par après il<br />

est constaté qu’elle a dit des mensonges et qu’elle l’a fait intentionnellement.<br />

L’infraction de tromperie fait objet de jugement au cours du procès proprement<br />

dit auquel l’auteur de ladite infraction a donné des témoignages, après avoir<br />

constaté que celui-ci a intentionnellement menti.<br />

Article 30 :<br />

Toute personne qui exerce ou tente d’exercer des pressions sur les témoins ou sur<br />

les membres de la Juridiction Gacaca est passible d’une peine d’emprisonnement<br />

allant de trois (3) mois à un (1) an. En cas de récidive, elle encourt une peine<br />

d’emprisonnement allant de six (6) mois à deux (2) ans.<br />

Sont considérés comme actes exerçant une pression sur les membres du Siège de<br />

la Juridiction Gacaca, toutes les actions, les paroles ou le comportement qui ont<br />

pour objet de forcer ces membres à agir contre leur volonté ou de les intimider, et<br />

que par conséquent, en s’y dérobant, certains ou tous les membres du siège<br />

peuvent subir des conséquences néfastes. Toutefois, lorsque cette intimidation a<br />

eu lieu, ce sont les dispositions du code pénal et celles du code de procédure<br />

pénale qui sont appliquées dans les tribunaux ordinaires.


272<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Est considéré comme tentative d’exercer une pression sur les membres du Siège<br />

de la Juridiction, tout comportement tel que ce soit, en paroles ou en actions, qui<br />

fait preuve qu’il y a eu l’acte de vouloir forcer les membres de la Juridiction à<br />

prendre une décision allant dans un ou l’autre sens.<br />

Est considéré comme acte de chantage aux membres du Siège de la Juridiction<br />

Gacaca ou aux témoins, toute parole ou toutes les actions de nature à intimider<br />

les témoins ou les membres du Siège de la Juridiction Gacaca en vue d’imposer à<br />

tout prix le souhait de l’auteur de l’acte.<br />

Est considérée comme tentative de faire des chantages aux membres du siège de<br />

la Juridiction Gacaca ou aux témoins ; toute parole ou toutes les actions qui<br />

indiquent qu’elles ont pour objet d’intimider les témoins ou les membres du<br />

Siège de la Juridiction Gacaca en vue d’imposer à tout prix le souhait de l’auteur<br />

de l’acte.<br />

Article 31 :<br />

Les jugements rendus conformément aux articles 29 et 30 de la présente loi<br />

organique peuvent être frappés d'opposition ou d’appel suivant la procédure<br />

prévue par la présente loi organique.<br />

Article 32 :<br />

Le Siège de la Juridiction Gacaca dans lequel les infractions susmentionnées<br />

dans les articles 29 et 30 de la présente loi organique ont été commises, suspend<br />

l’audience, se retire et examine s’il s’agit d’une infraction qui doit être<br />

poursuivie conformément à ces articles. S’il constate que l’infraction doit être<br />

poursuivie sur base de ces articles, il communique le jour auquel est fixé le<br />

procès, le prévenu en est notifié, tout est enregistré dans le cahier d’activités et le<br />

siège reprend ses activités.<br />

Lorsque l’infraction est commise en dehors de l’audience de la Juridiction<br />

Gacaca, la victime peut présenter sa plainte par écrit ou devant l’Assemblée<br />

Générale. Lorsqu’elle présente sa plainte devant l’Assemblée Générale, l’affaire<br />

est enregistrée et fait l’objet d’ordre du jour de la séance suivante.<br />

Lorsque la plainte a été adressée au Président, il la transmet au secrétaire de la<br />

Juridiction qui, l’enregistre dans le cahier d’activités, mentionne la partie<br />

demanderesse, l’objet, la date de sa transmission et la date de sa réception par le<br />

Président. L’enregistrement ainsi fait, le Président informe les membres de<br />

l’Assemblée Générale qui se mettent d’accord sur la date de l’examen de cette<br />

plainte.


273<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Le jour du procès, le Président vérifie si le quorum de personnes intègres requis<br />

est complet, si le prévenu est présent et des témoins s’il y en a, leur identification<br />

est enregistrée, après quoi il rappelle ce que prévoit la loi, fait la lecture de la<br />

plainte, donne la parole au prévenu pou présenter ses moyens de défense et pour<br />

présenter ses témoins à décharge.<br />

Après la prise de la parole à tour de rôle, le Président donne la parole aux<br />

témoins à charge et toute personne voulant la prendre dans l’Assemblée<br />

Générale, il demande au prévenu s’il a quelque chose à ajouter, à la fin, le Siège<br />

se retire, délibère et rend la décision. Ce jugement est enregistré dans le cahier<br />

d’activités et tous les membres du Siège y apposent leurs signatures.<br />

Lorsque le Siège rend la décision d’emprisonnement, il dresse le mandat d’arrêt,<br />

le transmet au représentant du service de sécurité le plus proche ou au<br />

représentant du Service National chargé du suivi des activités des Juridictions<br />

Gacaca afin de le transmettre à son tour aux services compétents.<br />

Ne peuvent pas faire objet d’un mandat d’arrêt provisoire, les personnes<br />

poursuivies des infractions visées aux articles 29 et 30 de la présente loi<br />

organique, sauf les personnes susmentionnées à l’article 30, lorsqu’elles sont<br />

poursuivies par le Ministère Public.<br />

SECTION V : DES ATTRIBUTIONS DES JURIDICTIONS GACACA<br />

Sous-section première : Des attributions des organes de la Juridictions<br />

Gacaca de la Cellule<br />

Article 33 :<br />

L’Assemblée Générale de la Juridiction Gacaca de la Cellule exerce les<br />

attributions suivantes :<br />

1° élire les membres du Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule et leurs<br />

remplaçants ;<br />

2° pour les non membres du Siège, assister aux activités de la Juridiction<br />

Gacaca de la Cellule et ne prendre la parole que sur demande ;<br />

3° assister le siège de la Juridiction Gacaca à la confection de la liste :<br />

a. des personnes qui habitent la Cellule ;<br />

b. des personnes qui habitaient la Cellule avant le génocide, les lieux de<br />

leur réinstallation et les voies et moyens utilisés pour y parvenir ;<br />

c. des personnes qui ont été, dans la Cellule, victimes du génocide ;<br />

d. des personnes qui ne résidaient pas dans la Cellule mais qui y ont été<br />

tuées ;


274<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

e. des personnes qui résidaient dans la Cellule mais qui ont été tuées à<br />

d’autres endroits ;<br />

f. des victimes et leurs biens endommagées ;<br />

g. des auteurs présumés des infractions visées par la présente loi<br />

organique ;<br />

4° présenter les moyens de preuve et les témoignages à charge ou à décharge<br />

pour les auteurs présumés de crime (de) génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité ;<br />

5° examiner et adopter le rapport d’activités établi par la Juridiction Gacaca.<br />

Tous les habitants de la Cellule doivent relater les faits qui se sont produits<br />

notamment là où ils habitaient et fournir des preuves en dénonçant les auteurs et<br />

en identifiant les victimes.<br />

Article 34 :<br />

Le Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule exerce les attributions suivantes :<br />

1° à l’aide de l’Assemblée Générale, établir la liste :<br />

a. des personnes qui habitent la Cellule ;<br />

b. des personnes qui habitaient la Cellule avant le génocide, les lieux de<br />

leur réinstallation et les voies et moyens utilisés pour y parvenir ;<br />

c. des personnes qui ont été (tuées) dans la Cellule, victimes du<br />

génocide ;<br />

d. des personnes qui ne résidaient pas dans la Cellule mais qui y ont été<br />

tuées ;<br />

e. des personnes qui résidaient dans la Cellule mais qui ont été tuées à<br />

d’autres endroits ;<br />

f. des victimes et leurs biens endommagés ;<br />

g. des auteurs présumés des infractions visées par la présente loi<br />

organique ;<br />

2° recevoir l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des<br />

auteurs des crimes de génocide ;<br />

3° rassembler tous les dossiers transmis par le Ministère Public ;<br />

4° prendre acte des offres de preuves, des témoignages et d’autres<br />

informations sur la préparation et l’exécution du génocide ;<br />

5° procéder à des enquêtes sur les témoignages déposés ;<br />

6° procéder à la catégorisation des prévenus tel que prévu par la présente loi<br />

organique ;<br />

7° connaître des infractions commises par les prévenus classés dans la<br />

troisième catégorie ;<br />

8° statuer sur la récusation des membres du Siège de la Juridiction Gacaca ;


275<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

9° transmettre à la Juridiction Gacaca du Secteur les dossiers des prévenus<br />

classés dans la deuxième catégorie ;<br />

10° transmettre au Ministère Public les dossiers des prévenus classés dans la<br />

première catégorie ;<br />

11° élire les membres du Comité de Coordination.<br />

La victime visée dans le point 1° -f, est toute personne dont les siens ont été tués,<br />

qui a été pourchassée pour être tuée mais qui s’est échappée, qui a subi des<br />

tortures sexuelles ou qui a été violée, qui a été blessée ou qui a subi toute autre<br />

violence, dont les biens ont été pillés, dont la maison a été détruite ou les biens<br />

ont été endommagés d’une autre manière, à cause de son ethnie ou ses opinions<br />

contraires à l’idéologie du génocide.<br />

Sous-section 2 : Des attributions de la Juridiction Gacaca du Secteur et<br />

celles de la Juridiction Gacaca d’Appel<br />

Article 35 :<br />

L’Assemblée Générale du Secteur exerce les attributions suivantes :<br />

1° superviser le fonctionnement de toutes les juridictions du Secteur sans<br />

toutefois s’immiscer dans leur manière de rendre les jugements ;<br />

2° remplacer les personnes intègres de la Juridiction Gacaca du Secteur et de<br />

la Juridiction Gacaca d’Appel ;<br />

3° recevoir et résoudre les problèmes de fonctionnement des Juridictions<br />

Gacaca qui ne sont pas en rapport avec le fait de rendre les jugements ;<br />

4° rédiger un rapport pour le Service National chargé du suivi, de la<br />

supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca et<br />

lui prodiguer des conseils.<br />

Article 36 :<br />

Le Siège de la Juridiction Gacaca du Secteur exerce les attributions suivantes :<br />

1° procéder à des enquêtes, si nécessaire sur les témoignages déposés ;<br />

2° recevoir l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des<br />

auteurs de crimes de génocide ;<br />

3° statuer sur la récusation des membres du Siège de la Juridiction Gacaca ;<br />

4° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la<br />

présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés<br />

devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des<br />

prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie ;


276<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

5° connaître de l’appel formé contre des jugements rendus par les Juridictions<br />

Gacaca de la Cellule ;<br />

6° élire les membres du Comité de Coordination.<br />

Article 37 :<br />

Le siège de la Juridiction Gacaca d’Appel exerce les attributions suivantes :<br />

1° procéder, en cas de besoin, à des enquêtes, si nécessaire sur les<br />

témoignages déposés ;<br />

2° statuer sur la récusation des membres du Siège de la Juridiction Gacaca ;<br />

3° connaître et trancher les cas relevant de sa compétence en vertu de la<br />

présente loi, après s’être assuré de la catégorisation des prévenus déférés<br />

devant lui suivant leurs chefs d’accusation et transmettre les dossiers des<br />

prévenus au Ministère Public lorsqu’ils sont de la première catégorie ;<br />

4° connaître de l’appel formé contre les jugements rendus par le(s)<br />

Juridiction (s) Gacaca du Secteur ;<br />

5° élire les membres du Comité de Coordination.<br />

Article 38 :<br />

Concernant les infractions de viol ou de tortures sexuelles, la victime choisit<br />

parmi les membres du Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule, une ou<br />

plusieurs personnes intègres à qui elle présente sa plainte, ou la transmet par<br />

écrit. Lorsqu’elle n’a pas confiance en ces membres du siège, elle porte<br />

secrètement sa plainte à la Police Judiciaire ou au Ministère Public.<br />

En cas de décès de la victime ou si elle se trouve dans une incapacité de déposer<br />

sa plainte, celle-ci peut être portée secrètement par toute personne concernée par<br />

l’affaire selon la procédure déterminée à l’alinéa précédent.<br />

La personne intègre qui reçoit une telle plainte, la transmet secrètement au<br />

Ministère Public afin que ce dernier poursuive des enquêtes.<br />

Il n’est pas permis, pour cette infraction, de faire l’aveu en public. Personne non<br />

plus n’est permise d’en déposer la plainte publiquement. Toute la procédure est à<br />

huis-clos pour cette infraction.


277<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

CHAPITRE II : DE LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS GACACA<br />

Article 39 :<br />

Les Juridictions Gacaca exercent des compétences dont disposent les tribunaux<br />

pénaux ordinaires pour juger les prévenus sur base des témoins à charge et à<br />

décharge et d’autres preuves qui seraient déposées.<br />

Elles peuvent :<br />

1° assigner n’importe quelle personne à comparaître ;<br />

2° ordonner et procéder à la perquisition du prévenu. Cette perquisition doit<br />

toutefois respecter la propriété privée du prévenu et les droits de la<br />

personne humaine ;<br />

3° prendre des mesures conservatoires des biens des auteurs présumés des<br />

infractions de génocide ;<br />

4° prononcer des peines et ordonner le coupable à la réparation ;<br />

5° ordonner la main-levée de la saisie des biens des personnes acquittées ;<br />

6° poursuivre et réprimer les fauteurs de troubles dans la Juridiction ;<br />

7° Inviter le Ministère Public à comparaître en vu de se prononcer en cas de<br />

besoin sur les dossiers ayant fait l’objet d’enquête judiciaire :<br />

8° décerner des mandats d’amener aux auteurs présumés des infractions et<br />

ordonner leur mise en détention préventive ou leur libération provisoire,<br />

s’il y a lieu.<br />

Article 40 :<br />

Le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des<br />

activités des Juridictions Gacaca, à son initiative ou sur demande du Siège de la<br />

Juridiction Gacaca concernée par le cas ou toute autre personne intéressée met en<br />

place les instructions déterminant la façon de trancher le conflit de compétence et<br />

assure le suivi de leur mise en application.<br />

SECTION PREMIERE : DE LA COMPETENCE D’ATTRIBUTION<br />

Sous-section première : De la Juridiction Gacaca de la Cellule<br />

Article 41 :<br />

La Juridiction Gacaca de la Cellule connaît en premier et en dernier ressort, les<br />

affaires des personnes poursuivies uniquement des infractions contre les biens.<br />

Elle connaît aussi de l’opposition formée contre les jugements qu’elle a rendus<br />

par défaut.


278<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

En outre, la Juridiction Gacaca de la Cellule procède à la catégorisation des<br />

prévenus présumés auteurs des infractions définies à l’article premier et à<br />

l’article 51 de la présente loi organique.<br />

Sous-section 2 : De la Juridiction Gacaca du Secteur<br />

Article 42 :<br />

La Juridiction Gacaca du Secteur connaît au premier degré des infractions dont<br />

les auteurs sont classés dans la deuxième catégorie et connaît aussi de<br />

l’opposition contre les jugements qu’elle a rendus par défaut.<br />

Elle connaît, en outre, de l’appel des jugements des infractions prévues à l’article<br />

29 et 30 de la présente loi organique et celui des autres décisions prises par la<br />

Juridiction Gacaca de la Cellule.<br />

Sous-section 3 : De la Juridiction Gacaca d’Appel<br />

Article 43 :<br />

La Juridiction Gacaca d’Appel connaît de l’appel formé contre les jugements<br />

rendus au premier degré par la Juridiction Gacaca du Secteur de son ressort.<br />

Elle connaît également de l’opposition formée contre des jugements qu’elle a<br />

rendus par défaut.<br />

SECTION II : DE LA COMPETENCE TERRITORIALE<br />

Article 44 :<br />

Est compétente pour connaître de l’infraction, la Juridiction Gacaca du lieu où<br />

elle a été commise.<br />

Les prévenus poursuivis des infractions commises à des endroits différents sont<br />

justiciables des Juridictions Gacaca compétentes, en vertu du premier alinéa du<br />

présent article.<br />

Article 45 :<br />

Lorsqu’il ressort du dossier à communiquer à la Juridiction Gacaca<br />

conformément à l’article 47 de la présente loi organique que le prévenu a<br />

commis des infractions à des endroits différents, le Ministère Public transmet son<br />

dossier à chaque Juridiction Gacaca de la Cellule où ont été perpétrées ces<br />

infractions.


279<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

CHAPITRE III : DES RELATIONS ENTRE LES JURIDICTIONS<br />

GACACA ET LES AUTRES INSTITUTIONS<br />

SECTION PREMIERE : DES RELATIONS ENTRE LE MINISTERE<br />

PUBLIC ET LES JURIDICTIONS GACACA<br />

Article 46 :<br />

Les organes du Ministère Public poursuivent l’exercice de leur mission de<br />

recevoir les dénonciations et les plaintes et de procéder aux devoirs d’instruction<br />

concernant les infractions prévues par la présente loi organique.<br />

Toutefois, avant d’entamer l’instruction, ils doivent s’assurer que la Juridiction<br />

Gacaca de la Cellule n’a pas encore jugé ou n’a pas encore commencé à<br />

examiner ces affaires afin de ne pas faire un travail inutile.<br />

Les dossiers instruits par les organes du Ministère Public conformément au<br />

premier alinéa du présent article, sont transmis à la Juridiction Gacaca<br />

compétente de la Cellule.<br />

Article 47 :<br />

Les dossiers instruits par le Ministère Public non encore transmis aux tribunaux<br />

compétents à la date du 15 mars 2001, doivent être transmis à la Juridiction<br />

Gacaca de la Cellule où chaque infraction a été commise aux fins de<br />

catégorisation des prévenus.<br />

Les organes du Ministère Public continuent de communiquer aux Juridictions<br />

Gacaca des Cellules ou à la Juridiction appelée à connaître de l’affaire, les<br />

preuves recueillies à l’encontre des personnes poursuivies dans les dossiers<br />

qu’ils ont instruits.<br />

Lorsque la Juridiction Gacaca de la Cellule qui a procédé à la catégorisation a<br />

déjà transmis le dossier à la juridiction compétente pour en connaître alors que<br />

celle-ci n’a pas encore reçu le dossier de l’organe du Ministère Public concerné,<br />

celui-ci envoie des preuves recueillies à la Juridiction Gacaca de la Cellule et<br />

réserve une copie à la Juridiction Gacaca compétente pour en connaître.<br />

Lorsque du dossier du prévenu, il s’avère qu’il est poursuivi de viol ou de torture<br />

sexuelle, le Ministère Public ne transmet pas le dossier à la Juridiction Gacaca de<br />

la Cellule.


280<br />

Article 48 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Le Procureur Général de la République assure la supervision des organes du<br />

Ministère Public pour ce qui est des affaires prévues par la présente loi<br />

organique.<br />

SECTION II : DES RELATIONS ENTRE LES ORGANES<br />

ADMINISTRATIFS ET LES JURIDICTIONS GACACA<br />

Article 49 :<br />

Les responsables des organes administratifs dans lesquels sont établies les<br />

Juridictions Gacaca mettent à la disposition de celles-ci les infrastructures<br />

nécessaires à leur fonctionnement et motivent la population à y participer<br />

activement. En collaboration avec le Service National chargé du suivi, de la<br />

supervision et de la coordination des activités des Juridictions Gacaca, ils suivent<br />

de près leur fonctionnement et leur fournissent le matériel dont elles ont besoin.<br />

SECTION III : DES RELATIONS ENTRE LES JURIDICTIONS<br />

GACACA ET LE SERVICE NATIONAL CHARGE DU<br />

SUIVI, DE LA SUPERVISION ET DE LA<br />

COORDINATION DES ACTIVITES DES JURIDICTIONS<br />

GACACA<br />

Article 50 :<br />

Le Service National des Juridictions Gacaca assure le suivi, la supervision et la<br />

coordination des activités des Juridictions Gacaca au niveau national.<br />

En outre, il met en place les instructions relatives à la bonne marche des activités<br />

des Juridictions Gacaca ainsi que le comportement des personnes intègres, mais<br />

il ne lui est pas permis d’enjoindre à ces Juridictions le sens de rendre les<br />

jugements.<br />

TITRE III : DE LA POURSUITE DES INFRACTIONS ET DU<br />

JUGEMENT<br />

CHAPITRE PREMIER : DES PERSONNES POURSUIVIES<br />

Article 51 :<br />

Selon les actes de participation aux infractions visées à l’article premier de la<br />

présente loi organique et commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre<br />

1994, la personne poursuivie peut être classée dans l’une des catégories<br />

suivantes :


281<br />

Catégorie 1 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

1° la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent<br />

parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, les superviseurs et<br />

les encadreurs du crime de génocide ou des crimes contre l’humanité, ainsi<br />

que ses complices ;<br />

2° la personne qui, agissant en position d’autorité : au niveau la Préfecture, au<br />

niveau de la Sous-Préfecture ou de la Commune, au sein des partis<br />

politiques, de l’armée, de la gendarmerie, de la police communale, des<br />

confessions religieuses ou des milices, a commis ces infractions ou a<br />

encouragé les autres à les commettre, ainsi que ses complices ;<br />

3° le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le milieu où il résidait<br />

ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l’a caractérisé dans les tueries<br />

ou la méchanceté excessive avec laquelle elles ont été exécutées, ainsi que<br />

ses complices ;<br />

4° la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même les<br />

victimes n’en seraient pas succombées, ainsi que ses complices ;<br />

5° la personne qui a commis l’infraction de viol ou les actes de tortures<br />

sexuelles ainsi que ses complices ;<br />

6° la personne qui a commis les actes dégradants sur le cadavre ainsi que ses<br />

complices ;<br />

Le Procureur Général de la République publie, au moins deux fois par an, la liste<br />

des noms des personnes classées dans la première catégorie lui adressée par les<br />

Juridictions Gacaca des Cellules.<br />

Catégorie 2 :<br />

1° la personne que les actes criminels ou de participation criminelle rangent<br />

parmi les auteurs, coauteurs ou complices d’homicides volontaires ou<br />

d’atteintes grave contre les personnes ayant entraîné la mort, ainsi que ses<br />

complices ;<br />

2° la personne qui dans l’intention de donner la mort, a causé des blessures ou<br />

commis d’autres violences graves mais auxquelles les victimes n’ont pas<br />

succombé, ainsi que ses complices ;<br />

3° la personne ayant commis d’autres actes criminels ou de participation<br />

criminelle à la personne sans l’intention de donner la mort, ainsi que ses<br />

complices.<br />

Catégorie 3 :<br />

La personne ayant seulement commis des infractions contre les biens. Toutefois,<br />

l’auteur desdites infractions qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi<br />

organique, a convenu soit avec la victime, soit devant l’autorité publique ou en


282<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

arbitrage, d’un règlement à l’amiable, ne peut plus être poursuivi pour les mêmes<br />

faits.<br />

Article 52 :<br />

Les personnes en position d’autorité au niveau du Secteur et de la Cellule au<br />

moment du génocide sont classées dans la catégorie correspondant aux<br />

infractions qu’elles ont commises, mais leur qualité de dirigeant les expose à la<br />

peine la plus sévère prévue pour les prévenus se trouvant dans la même<br />

catégorie.<br />

Article 53 :<br />

Pour l’application de la présente loi organique, le complice est celui qui aura, par<br />

n’importe quel moyen, prêté une aide à commettre l’infraction aux personnes<br />

dont il est question à l’article 51 de la présente loi organique.<br />

Le fait que l’un quelconque des actes visés par la présente loi organique a été<br />

commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité<br />

pénale s’il avait ou pouvait savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet<br />

acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et<br />

raisonnables pour en punir les auteurs ou empêcher que ledit acte ne soit commis<br />

alors qu’il en avait les moyens.<br />

CHAPITRE II : DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE<br />

CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES<br />

SECTION PREMIERE : DE L’ADMISSIBILITE ET DES CONDITIONS<br />

DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE<br />

PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE<br />

REPENTIR ET D’EXCUSES<br />

Article 54 :<br />

Toute personne ayant commis les infractions visées à l’article premier de la<br />

présente loi organique a droit de recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses.<br />

La demande d’excuses est publiquement adressée aux victimes, si elles sont<br />

encore vivantes et à la société rwandaise.<br />

Pour être reçues au titre d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et<br />

d’excuses, les déclarations du prévenu doivent contenir :


283<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

1° la description détaillée sur tout ce qui se rapporte à l’infraction avouée,<br />

notamment le lieu où elle a été commise, la date, comment elle a été<br />

commise, les témoins, les victimes et le lieu où il a jeté leurs corps ainsi que<br />

les biens qu’il a endommagés ;<br />

2° les renseignements relatifs aux coauteurs et aux complices ainsi que tout<br />

autre renseignement utile à l’exercice de l’action publique ;<br />

3° les excuses présentées pour les infractions que le requérant a commis.<br />

Article 55 :<br />

Les auteurs de génocide de la première catégorie qui ont recouru à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses avant que leurs noms<br />

ne soient mises sur la liste dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule<br />

bénéficient d’une commutation des peines de la manière prévue par la présente<br />

loi organique.<br />

Article 56 :<br />

Les prévenus de la deuxième catégorie qui bénéficient de la commutation des<br />

peines de la manière prévue par la présente loi organique sont ceux :<br />

1° qui présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les<br />

excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne dresse une liste des<br />

auteurs des infractions de génocide ;<br />

2° qui, figurant déjà sur cette liste, recourent à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité et d’excuses, après que la liste des auteurs des<br />

infractions de génocide ait été établie.<br />

Article 57 :<br />

S’il est découvert ultérieurement des infractions qu’une personne n’avait pas<br />

avouées, elle sera poursuivie, à tout moment, pour ces infractions et pourra être<br />

classée dans la catégorie à laquelle la rattachent les infractions commises, auquel<br />

cas, elle encourt le maximum de la peine prévue pour cette catégorie.<br />

SECTION II : DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE PLAIDOYER DE<br />

CULPABILITE, DE REPENTIR ET D’EXCUSES<br />

Article 58 :<br />

La procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses est<br />

proposée devant le Siège de la Juridiction Gacaca, devant l’Officier de la Police<br />

Judiciaire ou devant l’Officier du Ministère Public chargé de l’instruction<br />

suivant l’article 46 de la présente loi organique.


284<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Le Siège de la Juridiction, l’Officier de la Police Judiciaire ou l’Officier du<br />

Ministère Public chargé de l’instruction sont tenus d’informer le prévenu de son<br />

droit et de son intérêt à recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses.<br />

Sous-section première : De la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses devant<br />

l’Officier de la Police Judiciaire ou devant<br />

l’Officier du Ministère Public<br />

Article 59 :<br />

Pour les dossiers non encore transmis devant la Juridiction Gacaca de la Cellule,<br />

la Police Judiciaire ou le Ministère Public reçoit les aveux, l’offre de plaidoyer<br />

de culpabilité, de repentir et d’excuses. Les aveux, l’offre de plaidoyer, de<br />

repentir et d’excuses sont recueillis et transcrits par un Officier de la Police<br />

Judiciaire ou du Ministère Public. S’ils sont transmis par écrit, l’Officier de la<br />

Police Judiciaire ou du Ministère public en demande confirmation au requérant.<br />

Le requérant signe ou marque d’une empreinte digitale le procès-verbal<br />

contenant les aveux, le plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ou leur<br />

confirmation et, s’il y en a un, le document contenant les aveux transmis par écrit<br />

par le requérant, devant l’Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère Public<br />

qui les a reçus. L’Officier de la Police Judiciaire ou du Ministère Public signe le<br />

procès-verbal.<br />

Article 60 :<br />

Si l’Officier du Ministère Public constate que les aveux, l’offre de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses remplissent les conditions exigées, il clôture<br />

le dossier en établissant une note de fin d’instruction contenant les préventions<br />

établies par l’aveu et transmet le dossier à la Juridiction Gacaca de la Cellule<br />

compétente.<br />

En cas de rejet de la procédure d’aveu, de l’offre de plaidoyer de culpabilité, de<br />

repentir et d’excuses à défaut de répondre aux conditions exigées par la loi ou<br />

lorsque l’enquête a révélé que le prévenu n’a pas dit la vérité, l’Officier du<br />

Ministère Public en fait cas dans une note explicative, clôture le dossier qu’il<br />

transmet à la Juridiction Gacaca de la Cellule compétente.<br />

La Juridiction Gacaca de la Cellule vérifie si les aveux, l’offre de plaidoyer de<br />

culpabilité, le repentir et les excuses présentés devant l’Officier de la Police<br />

Judiciaire ou du Ministère Public sont exacts, les accepte ou les rejette.


285<br />

Article 61 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Le procès-verbal contenant les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et<br />

les excuses établis par l’Officier de la Police Judiciaire ou celui du Ministère<br />

Public en vertu des articles 59 et 60 de la présente loi organique est transmis à la<br />

Juridiction Gacaca de la Cellule où a été commise l’infraction, et est lu en public<br />

lorsque la personne concernée n’a pas pu venir présenter ses excuses<br />

publiquement à cause d’un empêchement absolu.<br />

Sous-section 2: De la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de<br />

repentir et d’excuses devant les Juridictions Gacaca<br />

Article 62 :<br />

Les personnes qui ont commis des crimes de génocide peuvent recourir à la<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses devant le<br />

Siège de la Juridiction Gacaca.<br />

Sans préjudice des dispositions du deuxième alinéa de l’article 54 de la présente<br />

loi organique, les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses des<br />

prévenus se font oralement ou au moyen de déclarations écrites signées ou<br />

marquées de leur empreinte digitale.<br />

Article 63 :<br />

Les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses font l’objet d’un<br />

procès-verbal par le secrétaire de la Juridiction Gacaca est signé ou marqué<br />

d’une empreinte digitale du prévenu et par les membres du Siège de la<br />

Juridiction Gacaca.<br />

Le Siège de la Juridiction Gacaca vérifie si les aveux, le plaidoyer de culpabilité,<br />

le repentir et les excuses remplissent les conditions fixées par la loi et si les<br />

déclarations du requérant sont exactes.<br />

CHAPITRE III : DE L’AUDIENCE ET DU JUGEMENT<br />

SECTION PREMIERE : DE L’AUDIENCE ET DU JUGEMENT DANS<br />

LES JURIDICTIONS GACACA DU SECTEUR<br />

ET CELLES D’APPEL<br />

Article 64 :<br />

En cas de procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses,<br />

l’audience est organisée comme suit :


286<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

1° le Président de la séance appelle la cause et invite les prévenus à la barre ;<br />

2° chaque prévenu décline son identité ;<br />

3° le Président de la séance demande à la victime de décliner son identité ;<br />

4° le Secrétaire de la Juridiction énonce la prévention et lit le procès-verbal<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses ;<br />

5° le Président de la séance invite chaque prévenu à réagir ;<br />

6° toute personne qui le souhaite prend la parole pour témoigner à charge ou<br />

à décharge du prévenu qui, à son tour, répond aux questions éventuelles<br />

lui posées. Toute personne intervenant au titre de témoin doit prêter<br />

serment de dire la vérité en élevant la main droite au ciel et en disant :<br />

« Je prends Dieu à témoin de dire la vérité » ;<br />

7° la victime énumère les préjudices corporels subis et comment ils ont été<br />

commis si elle en a connaissance ;<br />

8° le prévenu, s’il est présent, réagit sur les déclarations de la victime ;<br />

9° le Siège de la Juridiction établit la liste des victimes et les préjudices<br />

corporels subis par chacune, le prévenu prend la parole pour réagir làdessus<br />

;<br />

10° le Secrétaire de la Juridiction lit le procès-verbal d’audience ; le Siège de<br />

la Juridiction vérifie la conformité de son contenu aux déclarations des<br />

intervenants, et au besoin, le procès-verbal est corrigé ;<br />

11° le Siège de la Juridiction demande successivement à la victime et au<br />

prévenu, s’ils ont quelque chose à ajouter ;<br />

12° les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au cours<br />

du procès ainsi que les membres du Siège apposent leurs signatures ou<br />

leurs empreintes digitales sur le procès-verbal contenant le plaidoyer de<br />

culpabilité du prévenu ;<br />

13° les débats sont déclarés clos à moins que le Siège n’ordonne toute mesure<br />

d’instruction complémentaire qu’il estime nécessaire.<br />

Article 65 :<br />

Dans les dossiers ne contenant pas l’aveu, le plaidoyer de culpabilité et la<br />

présentation des excuses ou lorsque la Juridiction Gacaca les a rejetés, l’audience<br />

est organisée comme suit :<br />

1° le Président de la séance appelle la cause et invite les prévenus à la barre ;<br />

2° chaque prévenu décline son identité ;<br />

3° le Président de l’audience demande à la victime de décliner son identité ;<br />

4° le Secrétaire de la juridiction énonce la prévention ;


287<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

5° le Président de la séance lit, à l’attention des prévenus les articles 54, 55<br />

et 57 de la présente loi organique afin qu’ils comprennent la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses, et leur<br />

demandent s’ils veulent y recourir. Ceux qui veulent recourir à la<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses<br />

sont immédiatement invités à le faire et l’audience se poursuit selon les<br />

conditions judiciaires décrites pour ceux qui recourent à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses. Pour ceux<br />

qui ne veulent pas recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses, l’audience se poursuit de la manière<br />

suivante :<br />

a. le Président de la séance résume l’affaire et énonce les preuves<br />

recueillies établissant la culpabilité du prévenu ;<br />

b. le Président de l’audience invite le prévenu à présenter ses moyens de<br />

défense ;<br />

c. la parole est donnée aux personnes qui veulent témoigner à charge et<br />

à décharge et, au besoin, le Ministère Public éventuellement<br />

convoqué, est entendu. Toute personne intervenant au titre de témoin<br />

doit prêter serment de dire en élevant la main droite au ciel en disant :<br />

« Je prends Dieu à témoin de dire la vérité » ;<br />

d. le prévenu présente ses moyens de défense ;<br />

e. toute personne qui le souhaite prend la parole et le prévenu répond<br />

aux questions lui posées ;<br />

f. le Siège de la Juridiction établit la liste des victimes et les préjudices<br />

corporels subis par chacune, le prévenu est invité à réagir ;<br />

g. le secrétaire de la juridiction lit le procès-verbal d’audience, le Siège<br />

de la Juridiction vérifie la conformité de son contenu aux déclarations<br />

des intervenants et, au besoin, le procès-verbal est corrigé ;<br />

h. le Siège de la Juridiction demande successivement à la victime et au<br />

prévenu, s’ils ont quelque chose à ajouter ;<br />

i. les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au<br />

cours du procès ainsi que les membres du Siège de la Juridiction<br />

Gacaca apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le<br />

procès-verbal d’audience ;<br />

j. les débats sont déclarés clos, à moins que le Siège de la Juridiction<br />

Gacaca n’ordonne toute mesure d’instruction complémentaire qu’il<br />

estime nécessaire.<br />

Article 66 :<br />

Dans les dossiers des prévenus n’ayant ni domicile ni résidence connus au<br />

Rwanda dont il est question à l’article 98 de la présente loi organique, l’audience<br />

se déroule comme suit :


288<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

1° le Président de l’audience appelle la cause et invite les prévenus à la<br />

barre ;<br />

2° lorsque les prévenus sont présents, l’audience est poursuivie<br />

conformément à l’article 65 de la présente loi organique. Lorsque les uns<br />

sont présents et les autres sont absents, pour ceux qui sont présents,<br />

l’audience est poursuivie conformément à l’article 65 de la présente loi<br />

organique, pour ceux qui sont absents et en cas de défaut, l’audience se<br />

poursuit comme suit :<br />

a. le Président de l’audience demande à la victime de décliner son<br />

identité ;<br />

b. le Secrétaire de la Juridiction énonce la prévention ;<br />

c. le Président de l’audience résume l’affaire, il énonce les preuves<br />

recueillies établissant la culpabilité du prévenu ;<br />

d. la parole est donnée aux témoins, et au besoin, le Ministère Public<br />

éventuellement convoqué, est entendu ;<br />

e. toute personne qui le souhaite prend la parole quand elle la demande ;<br />

f. la victime énumère les préjudices corporels subis et comment ils ont<br />

été commis ;<br />

g. le Siège demande à la victime si elle a quelque chose à ajouter aux<br />

débats ;<br />

h. les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au<br />

cours du procès ainsi que les membres de la Juridiction Gacaca<br />

apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le procèsverbal<br />

d’audience ;<br />

i. les débats sont déclarés clos, à moins que le Siège de la Juridiction<br />

Gacaca n’ordonne toute mesure complémentaire qu’il estime<br />

nécessaire.<br />

En ce qui concerne le prononcé, la signification et l’opposition au jugement<br />

rendu dans de telles circonstances, il est fait application des dispositions<br />

applicables aux jugements par défaut.<br />

Article 67 :<br />

Tout jugement rendu par la Juridiction Gacaca du Secteur et celle d’Appel<br />

indique :<br />

1° la juridiction qui l’a rendu ;<br />

2° les noms des membres du Siège qui ont pris part au délibéré ;<br />

3° l’identité des parties aux procès ;<br />

4° chacune des préventions mises à charge du prévenu ;<br />

5° les moyens présentés par les parties aux procès ;<br />

6° les motifs du jugement ;


289<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

7° l’infraction dont le prévenu est reconnu coupable ;<br />

8° les peines prononcées ;<br />

9° l’identité des victimes et la liste des préjudices corporels subis ;<br />

10° la présence ou l’absence des parties ;<br />

11° l’ouverture au public des audiences et du prononcé ;<br />

12° le lieu et la date du jugement ;<br />

13° les dispositions de la présente loi organique appliquées ;<br />

14° la mention du délai de recours.<br />

SECTION II : DE L’AUDIENCE ET DU JUGEMENT DANS LA<br />

JURIDICTION GACACA DE LA CELLULE<br />

Article 68 :<br />

Dans les dossiers contenant des infractions commises contre les biens, l’audience<br />

est organisée comme suit :<br />

1° le Président de l’audience appelle le ménage concerné par l’audience ;<br />

2° le Président de l’audience rappelle les biens de ce ménage endommagés<br />

qu’on a pu identifier à partir de la fiche des victimes et leurs biens<br />

endommagés ;<br />

3° le président de l’audience accorde la parole à toute personne qui souhaite<br />

ajouter quelque chose à ce qui est mentionné sur cette fiche ;<br />

4° le Siège approuve la liste des biens endommagés ;<br />

5° le Président de l’audience rappelle les personnes ayant pris part à<br />

l’endommagement des biens de ce ménage à partir de la liste des<br />

prévenus ;<br />

6° tout prévenu décline son identité ;<br />

7° le Président de l’audience demande au représentant du ménage dont les<br />

biens ont été endommagés ou tout autre bénéficiaire de décliner son<br />

identité ;<br />

8° le secrétaire de l’audience énonce chacun des biens endommagés et les<br />

personnes ayant pris part à cet endommagement ;<br />

9° le président de l’audience demande à chaque prévenu de donner des<br />

explications et de présenter ses moyens de défense ;<br />

10° le président de l’audience demande au représentant du ménage ou toute<br />

autre personne qui le souhaite de réagir sur la défense du prévenu ;<br />

11° les membres du Siège de la Juridiction Gacaca approuvent la liste des<br />

victimes ; des biens endommagés et les personnes présumées, chaque<br />

prévenu prend la parole pour réagir ;<br />

12° le siège de la Juridiction explique aux prévenus les façons de réparation<br />

des dommages causés prévue par la loi organique, demande à chacun la<br />

façon qu’il préfère et la période de la mettre en application une fois qu’il<br />

serait reconnu coupable ;


290<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

13° le secrétaire de la Juridiction lit le procès-verbal d’audience. La<br />

Juridiction vérifie la conformité de son contenu aux déclarations des<br />

intervenants et, au besoin le procès-verbal est corrigé ;<br />

14° le Siège demande successivement à la victime et au prévenu, s’ils ont<br />

quelque chose à ajouter aux débats ;<br />

15° les parties au procès et les autres personnes ayant pris la parole au cours<br />

du procès ainsi que les membres du Siège de la Juridiction Gacaca<br />

apposent leurs signatures ou leurs empreintes digitales sur le procèsverbal<br />

d’audience ;<br />

16° les débats sont déclarés clos à moins que le Siège n’ordonne toute mesure<br />

d’instruction complémentaire qu’il estime nécessaire.<br />

Article 69 :<br />

Le jugement des infractions commises contre les biens rendu par la Juridiction<br />

Gacaca de la Cellule indique :<br />

1° la juridiction qui l’a rendu ;<br />

2° les noms des membres du siège qui ont pris part au délibéré ;<br />

3° l’identité des parties aux procès ;<br />

4° les biens endommagés à réparer ;<br />

5° le résumé des moyens présentés par les parties au procès ;<br />

6° les motifs du jugement ;<br />

7° les biens endommagés et les personnes qui doivent les réparer ;<br />

8° l’identité des personnes dont les biens ont été endommagés et la liste des<br />

biens endommagés de chacune ;<br />

9° la procédure et la période de dédommager ;<br />

10° la présence ou l’absence des parties ;<br />

11° l’ouverture au public des audiences et du prononcé du jugement ;<br />

12° le lieu et la date du jugement ;<br />

13° les dispositions de la présente loi organique appliquée.<br />

Article 70 :<br />

Lorsque l’audience est close ou s’il s’avère nécessaire de prendre une décision<br />

quelconque, le Siège se retire, délibère et prend la décision le jour même ou le<br />

lendemain.<br />

Le jugement ou la décision prise sont prononcés en public, lors de la réunion ou<br />

lors de l’audience suivante avant de débuter cette réunion ou cette audience.


291<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

SECTION III : DE LA POLICE D’AUDIENCE<br />

Article 71 :<br />

L’audience doit se dérouler dans l’ordre. Toute personne prenant la parole doit<br />

être caractérisée par la discipline en parole ou en actes devant les personnes<br />

intègres, les parties au procès, les témoins et le public en général.<br />

Le Président de l’audience peut couper la parole à toute personne qui ne respecte<br />

pas la procédure de la prendre sans l’engueuler ou la brutaliser d’aucune<br />

manière.<br />

Si nécessaire, le Président de l’audience peut donner des remarques à la personne<br />

qui perturbe l’ordre public dans la Juridiction, la chasser ou l’emprisonner dans<br />

un délai ne dépassant pas quarante huit (48) heures, suivant la gravité de la faute<br />

commise. Si l’infraction commise est celle de violence, le Siège remet l’auteur<br />

de cette infraction aux organes chargés d’assurer la sécurité, et il est poursuivi<br />

conformément aux dispositions du droit commun.<br />

CHAPITRE IV : DES PEINES<br />

Article 72 :<br />

Les prévenus relevant de la première catégorie qui n’ont pas voulu recourir à la<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses dans les<br />

conditions fixées à l’article 54 de la présente loi organique ou dont l’aveu, le<br />

plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent la<br />

peine de mort ou d’emprisonnement à perpétuité.<br />

Les prévenus relevant de la première catégorie qui ont recouru à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses dans les conditions<br />

prévues à l’article 54 de la présente loi organique encourent une peine<br />

d’emprisonnement allant de vingt cinq (25) à trente (30) ans au maximum.<br />

Article 73 :<br />

Les prévenus relevant de la 2 ème catégorie visés dans les points 1 et 2 de l’article<br />

51 de la présente loi organique :<br />

1° n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer de<br />

culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent la peine<br />

d’emprisonnement allant de vingt cinq (25) à trente (30) ans ;


292<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

2° figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions du génocide dressée<br />

par la Juridiction Gacaca de la Cellule, lorsqu’ils ont recouru à la<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuses<br />

après que ladite liste ait été établie, encourent une peine<br />

d’emprisonnement allant de douze (12) à quinze (15) ans au maximum,<br />

mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le<br />

reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;<br />

3° présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les<br />

excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne dresse la liste des<br />

auteurs des infractions de génocide, encourent une peine<br />

d’emprisonnement allant de sept (7) à douze (12) ans au maximum, mais<br />

sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est<br />

commué en prestation de travaux d’intérêt général.<br />

Les prévenus relevant de la 2 ème catégorie visés dans le point 3 de l’article 51 de<br />

la présente loi organique :<br />

1° n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité,<br />

de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer de culpabilité, le<br />

repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une peine<br />

d’emprisonnement allant de cinq (5) à sept (7) ans au maximum, mais sur la<br />

peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est commué<br />

en prestation de travaux d’intérêt général ;<br />

2° figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions de génocide dressée par<br />

la Juridiction Gacaca de la Cellule, recourent à la procédure d’aveu, de<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentit et d’excuses après que la liste ait été<br />

établie, encourent une peine d’emprisonnement allant de trois (3) à cinq (5)<br />

ans, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le<br />

reste est commué en prestation de travaux d’intérêt général ;<br />

3° présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses<br />

avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne les mette sur la liste des<br />

auteurs des infractions de génocide, encourent une peine d’emprisonnement<br />

allant de un (1) an à trois (3) ans, mais sur la peine prononcée, ils passent la<br />

moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux<br />

d’intérêt général.<br />

Article 74 :<br />

Si le condamné à une peine d’emprisonnement avec commutation de la peine en<br />

travaux d’intérêt général se rend coupable d’une autre infraction, le sursis<br />

équivalent à toute la période de ces travaux encourus cesse d’être considéré et il<br />

rentre dans la prison pour y passer la moitié de la peine d’emprisonnement qui<br />

reste et les poursuites sont engagées contre lui pour la nouvelle infraction.


293<br />

Article 75 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

Les prévenus accusés d’avoir commis des infractions contre les biens, sont<br />

condamnés à la réparation des dommages causés aux biens d’autrui.<br />

Article 76 :<br />

Les personnes reconnues coupables du crime de génocide ou des crimes contre<br />

l’humanité aux termes de la présente loi organique, encourent la peine de la<br />

dégradation civique de la manière suivante :<br />

1° la dégradation perpétuelle et totale, conformément au Code Pénal du<br />

Rwanda, pour les personnes de la 1 ère catégorie ;<br />

2° les personnes relevant de la 2 ème catégorie visées aux points 1 et 2 de<br />

l’article 51 de la présente loi organique, encourent la privation<br />

permanente du droit de :<br />

a. vote ;<br />

b. éligibilité ;<br />

c. être expert, témoin dans les actes, dans les décisions et dans les<br />

procès et de déposer en justice autrement que pour donner de<br />

simples renseignements ;<br />

d. possession et de port d’armes ;<br />

e. servir dans les forces armées ;<br />

f. servir dans la Police Nationale ;<br />

g. exercer une fonction de l’Etat ;<br />

h. exercer la profession d’enseignant ou la profession médicale dans le<br />

secteur public ou privé.<br />

3° les personnes relevant de la première et de la deuxième catégorie font<br />

l’objet d’une liste affichée au bureau du Secteur de leur domicile.<br />

Article 77 :<br />

Lorsqu’il y a concours idéal ou matériel d’infraction dont chacune range le<br />

prévenu dans la même catégorie, il sera prononcé le maximum de la peine prévue<br />

pour ladite catégorie. Toutefois, le prévenu ayant seulement commis les<br />

infractions le rangeant dans la 2 ème catégorie, point 3, est condamné au maximum<br />

de peine prévue pour ladite catégorie, point 3.<br />

Article 78 :<br />

Les personnes reconnues coupables de crime de génocide et de crimes contre<br />

l’humanité qui, à l’époque des faits, étaient âgées de plus de quatorze (14) ans et<br />

de moins de dix-huit (18) ans sont condamnés :


294<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

1° s’ils relèvent de la 1 ère catégorie et n’ont pas voulu recourir à la procédure<br />

d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir ou d’excuses ou dont les<br />

aveux, le plaidoyer de culpabilité, de repentir et les excuses ont été<br />

rejetés, encourent une peine d’emprisonnement allant de dix (10) à vingt<br />

(20) ans au maximum ;<br />

2° s’ils relèvent de la 1 ère catégorie et qu’ils ont présenté leurs aveux, le<br />

plaidoyer de culpabilité, de repentir et les excuses conformément à<br />

l’article 60 de la présente loi organique, encourent une peine<br />

d’emprisonnement allant de huit (8) à dix (10) ans au maximum ;<br />

3° s’ils relèvent de la 2 ème catégorie, points 1 et 2 de l’article 51 de la<br />

présente loi organique :<br />

a. n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveux, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer, le<br />

repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une peine<br />

d’emprisonnement allant de huit (8) à dix (10) ans au maximum ;<br />

figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions de génocide<br />

dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule, s’ils ont présenté leurs<br />

aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses après que<br />

ladite liste ait été établie, encourent une peine d’emprisonnement<br />

allant de six (6) à sept (7) ans et six (6) mois, mais sur la peine<br />

prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est<br />

commué en prestation de travaux d’intérêt général ;<br />

b. présentent leurs aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les<br />

excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne les mette sur<br />

cette liste, encourent une peine d’emprisonnement allant de trois (3)<br />

ans et six mois à six (6) ans au maximum, mais sur la peine<br />

prononcée, ils passent la moitié en prison ferme et le reste est<br />

commué en prestation de travaux d’intérêt général ;<br />

4° S’ils relèvent de la 2 ème catégorie, point 3 de l’article 51 de la présente loi<br />

organique :<br />

a. n’ont pas voulu recourir à la procédure d’aveu, de plaidoyer de<br />

culpabilité, de repentir et d’excuses ou dont l’aveu, le plaidoyer de<br />

culpabilité, le repentir et les excuses ont été rejetés, encourent une<br />

peine d’emprisonnement allant de deux (2) ans et six (6) mois à trois<br />

(3) ans et six (6) mois au maximum, mais sur la peine prononcée, ils<br />

passent la moitié en prison ferme et le reste est commué en prestation<br />

de travaux d’intérêt général ;


295<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

b. figurant déjà sur la liste des auteurs des infractions de génocide<br />

dressée par la Juridiction Gacaca de la Cellule, s’ils présentent les<br />

aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les excuses, après que<br />

ladite liste ait été établie, encourent une peine d’emprisonnement<br />

allant de un (1) an et (6) six mois à deux (2) ans et six (6) mois au<br />

maximum, mais sur la peine prononcée, ils passent la moitié en<br />

prison ferme et le reste est commué en prestation de travaux d’intérêt<br />

général ;<br />

c. présentent les aveux, le plaidoyer de culpabilité, le repentir et les<br />

excuses avant que la Juridiction Gacaca de la Cellule ne les mette sur<br />

cette liste, encourent une peine d’emprisonnement allant de six (6)<br />

mois à un (1) an et six (6) mois, mais sur la peine prononcée, ils<br />

passent la moitié en prison et le reste est commué en prestation de<br />

travaux d’intérêt général.<br />

Article 79 :<br />

Les personnes qui, au moment des faits leurs reprochés, étaient âgées de moins<br />

de quatorze (14) ans, ne peuvent être poursuivis, mais peuvent être placées dans<br />

les camps de solidarité pour une période de trois (3) mois.<br />

L’Arrêté du Premier Ministre détermine, les modalités d’organisation de ces<br />

camps de solidarité.<br />

Article 80 :<br />

Lorsque le condamné à une peine d’emprisonnement avec commutation de la<br />

moitié de la peine en travaux d’intérêt général n’exécute pas convenablement ces<br />

travaux, il est retourné en prison pour y purger la période qui reste.<br />

Un Arrêté Présidentiel détermine des travaux d’intérêt général et les modalités de<br />

leur exécution.<br />

Article 81 :<br />

En cas de condamnation, il ne peut être infligé une peine qui est en dessous des<br />

peines prévues par la présente loi organique sous prétexte de circonstances<br />

atténuantes. Par contre, quand il y a constatation des circonstances atténuantes,<br />

on applique la peine minimale d’emprisonnement ou de travaux d’intérêt général<br />

prévues par la présente loi organique.<br />

La personne reconnue coupable de crime de génocide ne peut bénéficier d’une<br />

liberté provisoire lorsqu’elle a commencé à exécuter sa peine.


296<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

CHAPITRE V : DE LA CITATION DU PREVENU ET DE LA<br />

SIGNIFICATION DES JUGEMENTS<br />

Article 82 :<br />

Les citations sont lancées à la diligence du secrétaire de la Juridiction Gacaca et<br />

sont signifiées à la personne du prévenu par l’intermédiaire des organes de base<br />

ou de l’administration du lieu de détention.<br />

La personne citée qui refuse de comparaître fait l’objet d’un mandat d’amener.<br />

Article 83 :<br />

A la clôture des débats, les parties au procès et les personnes présentes à<br />

l’audience sont informées du jour et de l’heure du prononcé du jugement.<br />

Article 84 :<br />

Lorsque le jugement est prononcé, les parties présentes au procès apposent leurs<br />

signatures ou marquent de leurs empreintes digitales dans le registre des<br />

présences au prononcé. Lorsque les parties ne sont pas satisfaites du prononcé de<br />

jugement, elles déclarent qu’elles interjettent l’appel et la mention en est faite.<br />

Le jugement rendu par défaut ou prononcé en l’absence du prévenu est<br />

valablement signifié par acte de notification que le secrétaire de la Juridiction<br />

transmet à la partie défaillante par l’intermédiaire du Coordinateur de Secteur de<br />

sa résidence ou de l’administration du lieu de sa détention.<br />

Le jugement rendu contre une personne qui n’a ni domicile ni résidence connus<br />

au Rwanda est signifié selon le mode prévu pour l’assignation prévue à l’article<br />

99 de la présente loi organique.<br />

CHAPITRE VI : DES VOIES DE RECOURS<br />

Article 85 :<br />

Les voies de recours reconnues par la présente loi organique sont les suivantes :<br />

l’opposition, l’appel et la révision du jugement.


297<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

SECTION PREMIERE : DE L’OPPOSITION<br />

Article 86 :<br />

Les décisions judiciaires concernées par la présente loi organique qui ont été<br />

rendues par défaut, peuvent être frappées d’opposition.<br />

L’opposition est portée devant la juridiction qui a rendu le jugement. Le<br />

demandeur fait enregistrer son action auprès du Secrétaire de la Juridiction<br />

Gacaca.<br />

L’opposition n’est recevable que si la partie défaillante exhibe un motif grave et<br />

légitime qui l’a empêché de comparaître dans le procès. La juridiction apprécie<br />

souverainement l’admissibilité des raisons justifiant l’opposition.<br />

Article 87 :<br />

Le délai d’opposition est de quinze (jours) (15) jours calendriers à compter du<br />

jour de la signification du jugement rendu par défaut.<br />

Article 88 :<br />

Opposition sur opposition ne vaut.<br />

SECTION II : DE L’APPEL<br />

Article 89 :<br />

Les jugements relatifs aux biens rendus par la Juridiction Gacaca de la Cellule ne<br />

sont pas susceptibles d’appel ; tandis que la Juridiction Gacaca du Secteur juge<br />

en dernier ressort les autres jugements frappés d’appel.<br />

La Juridiction Gacaca d’Appel statue en dernier ressort l’appel formé contre les<br />

jugements rendus en premier ressort par la Juridiction Gacaca du Secteur.<br />

Article 90 :<br />

Seules les parties au procès ont qualité pour former appel contre un jugement<br />

rendu par une Juridiction Gacaca.<br />

Article 91 :<br />

Le délai pour interjeter appel est de quinze (15) jours calendriers à partir du<br />

prononcé contradictoire du jugement ou à partir du jour suivant la signification


298<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

du jugement rendu par défaut qui n’a pas été frappé d’opposition. L’affaire est<br />

jugée dans les mêmes formes qu’au premier degré.<br />

Article 92 :<br />

Si la Juridiction Gacaca saisie de l’appel estime que l’appelant a été classé dans<br />

une catégorie inexacte, elle le range dans la catégorie correspondant aux<br />

infractions à charge et le juge en premier et en dernier ressort. Toutefois, si la<br />

Juridiction constate que le prévenu est classé en 1 ère catégorie, elle transmet son<br />

dossier au Ministère Public.<br />

SECTION III : DE LA REVISION DU JUGEMENT<br />

Article 93 :<br />

Le jugement peut être révisé lorsque :<br />

1° une personne acquittée par un jugement coulé en force de chose jugée<br />

rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction Gacaca<br />

constate sa culpabilité ;<br />

2° une personne reconnue coupable par un jugement coulé en force de chose<br />

jugée rendu par une juridiction ordinaire et que par après la Juridiction<br />

Gacaca constate son innocence ;<br />

3° une personne condamnée à une peine contraire à la loi selon les faits à sa<br />

charge.<br />

Seules les parties au procès et leurs descendants, ont droit de demander la<br />

révision du jugement.<br />

Seule la Juridiction Gacaca d’Appel a la compétence de réviser les jugements<br />

ainsi rendus.<br />

CHAPITRE VII : DU DEDOMMAGEMENT<br />

Article 94 :<br />

Les procès relatifs aux biens endommagés sont rendus par la Juridiction Gacaca<br />

de la Cellule ou par les autres juridictions dans lesquelles sont poursuivis les<br />

accusés. Toutefois, ces procès ne sont pas susceptibles d’appel.


299<br />

Article 95 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

La réparation des dommages causés se fait comme suit :<br />

1° restituer les biens pillés si c’est possible ;<br />

2° payer les biens endommagés ou exécuter les travaux ayant la même<br />

valeur que les biens endommagés.<br />

La Juridiction oblige toute personne qui doit réparer, les modalités et le délai de<br />

paiement.<br />

Lorsque la personne condamnée à la réparation ne respecte pas les modalités et<br />

le délai lui accordées, l’exécution du jugement est assurée par la puissance<br />

publique.<br />

Article 96 :<br />

Les autres actions à mener en faveur des victimes sont déterminées par une loi<br />

particulière.<br />

TITRE IV : DES DISPOSITIONS DIVERSES, TRANSITOIRES ET<br />

FINALES<br />

Article 97 :<br />

L’action publique et les peines relatives aux infractions constitutives du crime de<br />

génocide ou de crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.<br />

Article 98 :<br />

Les juridictions appelées à connaître, en vertu de la présente loi organique, des<br />

infractions de génocide et des crimes contre l’humanité, peuvent connaître des<br />

actions dirigées contre des personnes qui n’ont ni domicile ni résidence connus<br />

au Rwanda ou qui se trouvent à l’extérieur du territoire rwandais, lorsqu’il existe<br />

des preuves concordant ou des indices sérieux de culpabilité, qu’elles aient pu ou<br />

non être préalablement interrogées.<br />

Article 99 :<br />

Lorsque le prévenu n’a ni domicile ni résidence connus au Rwanda, le délai<br />

d’assignation est d’un (1) mois. Le secrétaire ou le greffier de la juridiction<br />

compétente, en personne ou par l’intermédiaire d’autres organes, fait afficher une<br />

copie d’assignation au siège de la Juridiction qui doit connaître de l’affaire, et<br />

aux bureaux des Districts ou des Villes, des Provinces ou de la Ville de Kigali.


300<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

La copie d’assignation peut seulement être affichée aux endroits destinés à cet<br />

effet.<br />

L’instruction à l’audience pour les personnes ainsi assignées se fait, devant les<br />

Juridictions Gacaca, dans l’ordre établi à l’article 66 de la présente loi organique<br />

et, devant les tribunaux ordinaires, selon l’ordre suivi dans les affaires à juger par<br />

défaut.<br />

Article 100 :<br />

Les affaires déjà transmises aux tribunaux avant la publication de la présente loi<br />

organique au Journal Officiel de la République du Rwanda seront jugées par ces<br />

mêmes tribunaux. Ils appliquent les dispositions relatives à la procédure de droit<br />

commun sous réserve des dispositions particulières prévues par la présente loi<br />

organique. Quant à l’objet de litige, les dispositions de la présente loi organique<br />

sont appliquées.<br />

Toutefois, lorsqu’il est constaté qu’un prévenu poursuivi de cette manière est coprévenu<br />

dans une affaire pendante devant la Juridiction Gacaca et relevant de la<br />

même catégorie, les dispositions de l’article 2 de la présente loi organique sont<br />

appliquées.<br />

Article 101 :<br />

Le Service National chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des<br />

activités des Juridictions Gacaca arrête des instructions qui déterminent la façon<br />

dont les organes des Juridictions Gacaca prévus par la loi organique n° 40/2000<br />

du 26/01/2001 portant organisation des poursuites des infractions constitutives<br />

du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1 er<br />

octobre 1990 et le 31 décembre 1994 telle que modifiée et complétée à ce jour<br />

sont remplacés par ceux prévus par la présente loi organique.<br />

Article 102 :<br />

Les élections portant remplacement de la personne intègre qui n’est plus en<br />

mesure de s’acquitter de ses tâches pour une raison que ce soit, sont dirigées par<br />

le Comité de Coordination de la Juridiction du lieu des élections.<br />

Toutefois, lorsqu’il y a des personnes intègres figurant sur la liste des<br />

remplaçants, ce sont les premiers numéraux qui remplacent sans autres entraves,<br />

suivant leur ordre numérique.


301<br />

Article 103 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

La première réunion de l’Assemblée Générale du Secteur tenue après la<br />

publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République du<br />

Rwanda est composée de toutes les personnes intègres élus au niveau du<br />

Secteur, que ce soit celles qui font partie de la Juridiction Gacaca de la Province<br />

ou de la ville de Kigali, de la Juridiction Gacaca du District ou de la Ville, de la<br />

Juridiction Gacaca du Secteur ainsi que celles des Juridictions des Cellules qui<br />

composent le Secteur.<br />

Cette réunion a seulement pour objet d’élire les personnes intègres qui forment le<br />

siège de la Juridiction Gacaca d’Appel et leurs remplaçants et celles constituant<br />

le siège de la Juridiction Gacaca du Secteur et leurs remplaçants.<br />

Les personnes intègres qui ne sont pas élues regagnent leurs cellules respectives<br />

afin que puissent être choisies en leur sein neuf (9) personnes intègres qui<br />

forment le Siège de la Juridiction Gacaca de la Cellule et cinq (5) remplaçants.<br />

Article 104 :<br />

Les personnes condamnées par les Juridiction Gacaca conformément aux articles<br />

32 et 37 de la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des<br />

juridictions Gacaca et organisation des poursuites des infractions constitutives du<br />

crime de Génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1 er octobre<br />

1990 et le 31 décembre 1994 telle que modifiée et complétée à ce jour, purgent<br />

leurs peines en vertu des dispositions prévues par la présente loi organique.<br />

Celles qui viennent de passer au moins six (6) mois en prison seront libérées dès<br />

la publication de la présente loi organique au Journal Officiel de la République<br />

du Rwanda.<br />

Article 105 :<br />

La loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 partant organisation des poursuites<br />

des infractions constitutives du crime de génocide et des crimes contre<br />

l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990, et la loi organique n° 40/2000 du<br />

26 janvier 2001 portant création des juridictions Gacaca et organisation des<br />

poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre<br />

l’humanité, commises entre le 1 er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, telle que<br />

modifiée et complétée à ce jour, ainsi que toutes les autres dispositions<br />

antérieures contraires à la présente loi organique, sont abrogées.


302<br />

Article 106 :<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,<br />

compétence et fonctionnement des juridictions gacaca<br />

La présente loi organique entre en vigueur le jour de sa publication au Journal<br />

Officiel de la République du Rwanda.<br />

Kigali, le 19/6/2004<br />

Le Président de la République<br />

KAGAME Paul<br />

(sé)<br />

Le Premier Ministre<br />

MAKUZA Bernard<br />

(sé)<br />

Le Ministre de la Justice<br />

MUKABAGWIZA Edda<br />

(sé)<br />

Le Ministre de l’Administration Locale, du Développement<br />

Communautaire et de Affaires Sociales<br />

BAZIVAMO Christophe<br />

(sé)<br />

Vu et scellé du Sceau de la République<br />

Le Ministre de la Justice<br />

MUKABAGWIZA Edda<br />

(sé)


303<br />

AVANT-PROPOS<br />

TABLE DES MATIERES<br />

CHAPITRE INTRODUCTIF : LA GENESE DE LA LOI<br />

ORGANIQUE DU 19/06/2004<br />

CHAPITRE II : LE PRINCIPE DU DROIT A UN PROCES<br />

EQUITABLE<br />

Introduction<br />

1. LA SUBSTANCE DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE<br />

AU RWANDA<br />

23<br />

1.1. Le droit à un tribunal indépendant et impartial 24<br />

1.1.1. L’indépendance du Tribunal 24<br />

1.1.2. L’impartialité du Tribunal 25<br />

1.2. Le droit à la présomption d’innocence 27<br />

1.2.1. La présomption d’innocence et la charge de la preuve<br />

1.2.2. La présomption d’innocence et la liste de la 1<br />

28<br />

ère<br />

catégorie<br />

29<br />

1.2.3. La présomption d’innocence et les aveux 31<br />

1.3. Le droit à l’information sur le dossier 32<br />

1.3.1. Etre informé 33<br />

1.3.2. Dans un court délai 34<br />

1.3.3. Dans une langue qu’il comprend 34<br />

1.4. Le droit à la comparution personnelle du prévenu 34<br />

1.5. Le droit d’être assisté d’un défenseur de son choix 36<br />

1.5.1. Une large consécration textuelle du droit d’être<br />

assisté<br />

36<br />

1.5.2. Une réalité plus contrastée du droit d’être assisté 38<br />

1.6. Le droit à l’égalité des armes et au principe du<br />

contradictoire<br />

40<br />

1.6.1. L’égalité des armes<br />

1.6.2. Le principe du contradictoire ou le droit aux débats<br />

40<br />

contradictoires<br />

41<br />

1.7. Le droit au silence : le droit de ne pas être forcé de<br />

témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable 42<br />

1.8. Le droit à un procès public 43<br />

1.9. Le droit à une décision judiciaire motivée 44<br />

7<br />

11<br />

19<br />

19


304<br />

1.10. Le droit à être jugé dans un délai raisonnable 45<br />

1.11. Le droit au principe de la légalité des délits et des<br />

peines<br />

47<br />

1.12. Le droit au principe de non bis in idem et le droit à<br />

bénéficier d’une indemnisation en cas d’erreur<br />

judiciaire<br />

50<br />

1.12.1 Le droit à la règle du non bis in idem 50<br />

1.12.2 Le droit à la réparation en cas d’erreur judiciaire 52<br />

2. LE REGIME GENERAL DE RESTRICTION DES DROITS 52<br />

2.1. La légalité de la restriction 52<br />

2.2. La nécessité de la restriction 53<br />

2.3. La proportionnalité de la restriction 53<br />

3. LES RECOURS EN CAS DE VIOLATION DES REGLES<br />

DU DROIT A UN PROCES EQUITABLE<br />

54<br />

3.1. La protection régionale : la Commission et la Cour<br />

Africaines des droits de l’Homme et des Peuples 54<br />

3.2. Le système du Pacte international relatif aux droits<br />

civils et politiques : le Comité des Droits de l’Homme 55<br />

Conclusion<br />

CHAPITRE III : LE ROLE DES JURIDICTIONS<br />

ORDINAIRES DANS LE « PROCESSUS<br />

GACACA »<br />

Introduction<br />

1. UNE STRUCTURE PYRAMIDALE 58<br />

2. L’ORGANISATION ET LA COMPOSITION DES<br />

JURIDICTIONS GACACA<br />

3. LE ROLE CENTRAL DES JURIDICTIONS GACACA DE<br />

62<br />

CELLULE COMME INSTANCE D’INSTRUCTION<br />

64<br />

4. LE MINISTERE PUBLIC : UN ROLE DE<br />

« PASSERELLE » ENTRE LES JURIDICTIONS GACACA<br />

ET LES JURIDICTIONS ORDINAIRES<br />

67<br />

5. LES DOSSIERS QUI ECHAPPENT AU SYSTEME<br />

GACACA<br />

67<br />

Conclusion<br />

56<br />

57<br />

57<br />

68


305<br />

CHAPITRE IV : L’APPLICATION DE LA LOI<br />

ORGANIQUE DU 19/06/2004 DANS LE<br />

TEMPS, ET SON ARTICULATION AVEC<br />

D’AUTRES INSTRUMENTS JURIDIQUES<br />

Introduction<br />

1. LE PRINCIPE DE L’APPLICABILITE IMMEDIATE 71<br />

1.1. L’applicabilité aux affaires en cours 72<br />

1.2. L’abrogation expresse des lois antérieures régissant le<br />

contentieux du génocide, et implicite des autres<br />

dispositions antérieures contraires<br />

2. L’APPLICATION DU DROIT COMMUN DE LA<br />

PROCEDURE PAR LES JURIDICTIONS DE DROIT<br />

COMMUN, SOUS RESERVE DES EXCEPTIONS<br />

PREVUES PAR LA LOI<br />

2.1. La règle générale : application du droit commun de la<br />

procédure<br />

2.2. Le droit commun de la procédure n’est écarté que si la<br />

loi organique le spécifie<br />

3. L’APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE EN CE QUI<br />

CONCERNE « L’OBJET DU LITIGE »<br />

Conclusion<br />

CHAPITRE V : LES REGLES ATTRIBUTIVES DE<br />

COMPETENCE AUX JURIDICTIONS<br />

ORDINAIRES<br />

Introduction<br />

1. LA DETERMINATION DU TRIBUNAL COMPETENT AU<br />

PLAN MATERIEL<br />

1.1. La compétence des juridictions ordinaires pour les<br />

personnes classées en 1 ère catégorie<br />

1.2. Quelles sont les « juridictions ordinaires »<br />

compétentes ?<br />

1.2.1 La compétence des tribunaux de Province et de la Ville<br />

de Kigali au 1 er degré, et la compétence de la Haute<br />

Cour en degré d’appel<br />

71<br />

71<br />

72<br />

73<br />

73<br />

73<br />

74<br />

74<br />

77<br />

77<br />

77<br />

77<br />

78<br />

78


306<br />

1.2.2 La question de la compétence des juridictions<br />

militaires à l’égard des militaires<br />

80<br />

1.3. Les juridictions compétentes pour les dossiers en cours 82<br />

1.3.1. Les juridictions compétentes<br />

1.3.2. La question de la compétence dans le cadre de<br />

dossiers autres que de première catégorie dont les<br />

juridictions avaient été saisies sous l’empire de la loi<br />

82<br />

organique de 1996<br />

2. LA QUESTION DE LA CONNEXITE ENTRE UNE<br />

AFFAIRE PENDANTE DEVANT UNE JURIDCTION<br />

ORDINAIRE, ET UNE AFFAIRE PENDANTE DEVANT<br />

84<br />

UNE JURIDICTION GACACA<br />

85<br />

3. LA COMPETENCE TERRITORIALE 85<br />

Conclusion<br />

CHAPITRE VI : LE CHAMP MATERIEL DU<br />

CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET<br />

DES CRIMES CONTRE L’HUMANITE<br />

AU RWANDA<br />

Introduction<br />

1. CRIME DE GENOCIDE ET AUTRES CRIMES CONTRE<br />

L’HUMANITE<br />

91<br />

1.1. La loi de 2004 : absence de définition du crime de<br />

génocide et du crime contre l’humanité<br />

91<br />

1.2. La notion du crime de génocide 93<br />

1.2.1. L’origine du concept 93<br />

1.2.2. La définition du génocide dans les instruments<br />

internationaux<br />

94<br />

1.2.2.1 Dans la convention du 09 décembre 1948 sur la<br />

prévention et la répression du crime de génocide 94<br />

1.2.2.2 Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour<br />

le Rwanda<br />

95<br />

1.2.2.3 Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale 96<br />

1.2.3. La définition du génocide dans la loi du 6/09/2003<br />

réprimant le crime de génocide, les crimes contre<br />

l’humanité et les crimes de guerre<br />

97<br />

1.2.4. Les trois éléments constitutifs du crime de génocide 99<br />

86<br />

87<br />

87


307<br />

1.3. La notion du crime contre l’humanité 100<br />

1.3.1. L’origine du concept 100<br />

1.3.2. La définition du crime contre l’humanité dans les<br />

instruments internationaux<br />

1.3.2.1 Dans la Convention du 26 novembre 1968 sur<br />

l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des<br />

crimes contre l’humanité : renvoi au Statut du<br />

Tribunal de Nuremberg<br />

1.3.2.2 Dans le Statut du Tribunal Pénal International pour<br />

le Rwanda<br />

101<br />

101<br />

102<br />

1.3.2.3 Dans le Statut de la Cour Pénale Internationale 103<br />

1.3.3. La définition du crime contre l’humanité dans la loi<br />

du 06/09/2003 réprimant le crime de génocide, les<br />

crimes contre l’humanité et les crimes de guerre<br />

105<br />

1.3.4. Les éléments constitutifs du crime contre l’humanité 106<br />

2. LES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE PENAL,<br />

SUSCEPTIBLES D’ETRE CONSTITUTIVES DE CRIME<br />

DE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE<br />

L’HUMANITE<br />

109<br />

2.1. L’assassinat 109<br />

2.2. Le meurtre 112<br />

2.3. L’enlèvement, la séquestration et la torture 113<br />

2.4. Le viol 115<br />

2.5. Les coups et les blessures volontaires 118<br />

3. LES AUTRES INFRACTIONS PREVUES PAR LE CODE<br />

PENAL ET COMMISES « AVEC L’INTENTION DE<br />

FAIRE LE GENOCIDE OU D’AUTRES CRIMES CONTRE<br />

l’HUMANITE »<br />

119<br />

3.1. L’association de malfaiteurs 120<br />

3.2. L’attentat ayant pour but de porter la dévastation, le<br />

massacre ou le pillage<br />

122<br />

3.3. La violation de domicile 125<br />

3.4. Les atteintes aux biens 127<br />

3.5. L’outrage à cadavre 130<br />

3.6. L’infraction de non-assistance à personne en danger 131<br />

4. LES FAITS REPRIMES PAR D’AUTRES TEXTES QUE LE<br />

CODE PENAL : LA QUESTION DES INFRACTIONS SUR<br />

LES ARMES A FEU<br />

135<br />

Conclusion 138


308<br />

CHAPITRE VII : LA CATEGORISATION 141<br />

Introduction<br />

141<br />

1. LA NATURE DE LA CATEGORISATION 145<br />

1.1. La catégorisation comme processus de détermination de<br />

la juridiction de fond compétente<br />

146<br />

1.2. La catégorisation comme facteur de détermination de la<br />

peine applicable<br />

2. L’INSTANCE COMPETENTE POUR CATEGORISER EN<br />

148<br />

PHASE PRE-JURIDICTIONNELLE<br />

148<br />

2.1. Une compétence confiée aux juridictions Gacaca de<br />

Cellule<br />

148<br />

2.2. La question des dossiers dont les Parquets avaient<br />

entamé l’instruction avant la date du 15 mars 2001 149<br />

2.3. La question des dossiers transmis aux tribunaux avant le<br />

15 mars 2001<br />

150<br />

2.4. Les dossiers de viol et de tortures sexuelles : une<br />

exception à la compétence de « catégorisation<br />

provisoire » des juridictions Gacaca de Cellule<br />

3. LES INFRACTIONS RATTACHEES A UNE CATEGORIE<br />

DIFFERENTE DE CELLE QUI ETAIT PREVUE SOUS<br />

152<br />

L’EMPIRE DES ANCIENNES LOIS<br />

152<br />

3.1. Les responsables de Secteur et de Cellule 152<br />

3.2. L’auteur de viol 154<br />

3.3. L’auteur de tortures 156<br />

3.4. Les actes dégradants sur les cadavres 157<br />

3.5. L’auteur d’autres atteintes graves contre les personnes 158<br />

4. LA LISTE DES PERSONNES ACCUSEES<br />

D’APPARTENIR A LA PREMIERE CATEGORIE<br />

160<br />

5. LA SITUATION DU COMPLICE 160<br />

Conclusion<br />

161


309<br />

CHAPITRE VIII : LA PROCEDURE D’AVEU, DE<br />

PLAIDOYER DE CULPABILITE,<br />

DE REPENTIR ET D’EXCUSES<br />

Introduction<br />

163<br />

163<br />

1. LE CONTENU DES AVEUX<br />

2. LES INSTANCES COMPETENTES POUR RECUEILLIR<br />

164<br />

LES AVEUX<br />

165<br />

3. UN FORMALISME SIMPLIFIE 167<br />

4. L’INCIDENCE DE LA DECOUVERTE DE FAITS<br />

NOUVEAUX<br />

168<br />

5. L’INCIDENCE DU MOMENT OU INTERVIENT L’AVEU 168<br />

6. LE CAS PARTICULIER DES INFRACTIONS A<br />

CARACTERE SEXUEL<br />

7. LA QUESTION DE L’APPEL PAR LES PREVENUS<br />

AYANT RECOURU A LA PROCEDURE D’AVEU, DE<br />

PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET<br />

170<br />

D’EXCUSES<br />

171<br />

8. LA PLACE DE LA PROCEDURE D’AVEU, DE<br />

PLAIDOYER DE CULPABILITE, DE REPENTIR ET<br />

D’EXCUSES DEVANT LES JURIDICTIONS<br />

ORDINAIRES<br />

172<br />

8.1. Les tribunaux ordinaires saisis de dossiers de 1 ère<br />

catégorie dans lesquels les accusés ont recouru à la<br />

procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de<br />

repentir et d’excuses<br />

172<br />

8.2. La question des aveux présentés pour la première fois<br />

devant la juridiction ordinaire<br />

172<br />

Conclusion<br />

174<br />

CHAPITRE IX : LES PEINES 177<br />

Introduction<br />

177<br />

1. LES PEINES PREVUES PAR LA LOI ORGANIQUE 177<br />

2. LES PEINES ACCESSOIRES 182<br />

3. LES TRAVAUX D’INTERET GENERAL 183<br />

4. LE CONCOURS IDEAL OU MATERIEL D’INFRACTIONS 184


310<br />

5. LES CAS OU LE MAXIMUM DE LA PEINE PREVUE<br />

DANS LA CATEGORIE RETENUE DOIT ETRE<br />

PRONONCE<br />

6. LES CIRCONSTANCES ATTENUANTES PREVUES<br />

PAR LA LOI<br />

Conclusion<br />

CHAPITRE X : LA MINORITE PENALE DANS LE<br />

CONTENTIEUX DU GENOCIDE ET DES<br />

CRIMES CONTRE L’HUMANITE<br />

Introduction<br />

186<br />

187<br />

188<br />

191<br />

191<br />

1. LA MINORITE PENALE ET LA LOI ORGANIQUE DU<br />

30/08/1996 : APPLICATION DU DROIT COMMUN 195<br />

1.1. La présomption d’irresponsabilité pénale à l’égard des<br />

mineurs de 14 ans au plus<br />

196<br />

1.2. L’excuse atténuante de minorité pour les mineurs âgés<br />

de « plus de 14 ans et de moins de 18 ans »<br />

197<br />

1.3. Le cumul du bénéfice de l’excuse de minorité, du<br />

bénéfice de la procédure d’aveu et de plaidoyer de<br />

culpabilité et des circonstances atténuantes<br />

199<br />

2. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS<br />

L’EMPIRE DE LA LOI ORGANIQUE DE 2001 : DES<br />

DISPOSITIONS INSPIREES DU DROIT COMMUN 201<br />

2.1. La situation générale de la responsabilité du mineur<br />

sous la loi de 2001<br />

2.1.1. Une consécration explicite de l’irresponsabilité<br />

202<br />

pénale du mineur âgé de moins de 14 ans<br />

2.1.2. La répression du mineur de plus de 14 ans et de moins<br />

202<br />

de 18 ans<br />

202<br />

2.2. Les difficultés posées par le texte de 2001 204<br />

2.2.1. Une imprécision dans la détermination de l’âge à<br />

partir duquel peut s’exercer la répression<br />

204<br />

2.2.2. Des difficultés dans le traitement de la 2 ème catégorie 205<br />

2.2.3. Le cas du mineur de la 1 ère catégorie, en aveu 205


311<br />

3. LE REGIME DE LA MINORITE PENALE SOUS<br />

L’EMPIRE DE LA LOI ORGANIQUE DU 19/06/2004 : LE<br />

DROIT POSITIF ACTUELLEMENT APPLICABLE DANS<br />

LE CONTENTIEUX DU GENOCIDE<br />

206<br />

3.1. La compétence des Chambres Spécialisées pour<br />

mineurs dans le contentieux du génocide<br />

207<br />

3.2. La détermination des limites de la minorité pénale 208<br />

3.2.1. Une imprécision persistante à propos du mineur de<br />

14 ans<br />

3.2.2. La question de l’incidence de l’entrée en vigueur du<br />

208<br />

nouveau Code de procédure pénale<br />

3.3. Les peines applicables au mineur : un lien entre<br />

l’excuse de minorité, la catégorisation et la procédure<br />

d’aveu, de repentir et d’excuses<br />

Conclusion<br />

CHAPITRE XI : LE DROIT A REPARATION DES<br />

VICTIMES DU GENOCIDE ET DES<br />

AUTRES CRIMES CONTRE<br />

L’HUMANITE<br />

Introduction<br />

209<br />

211<br />

211<br />

215<br />

215<br />

1. L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI<br />

DU 30/08/1996<br />

217<br />

1.1. Les principes 217<br />

1.2. Les victimes 218<br />

1.3. L’évaluation du préjudice 218<br />

1.4. Les difficultés de recouvrement des dommages et<br />

intérêts alloués par les juridictions<br />

220<br />

2 L’INDEMNISATION SOUS L’EMPIRE DE LA LOI<br />

ORGANIQUE N° 40/2000 DU 26/01/2001 PORTANT<br />

CREATION DES JURIDICTIONS GACACA<br />

221<br />

2.1. Les principes 221<br />

2.2. Les victimes 222<br />

2.3. Les organes intervenant dans la détermination et<br />

l’évaluation du préjudice<br />

222<br />

2.4. La question de la responsabilité de l’Etat<br />

223


312<br />

2.4.1. L’immunité civile de l’Etat, en contrepartie de la<br />

création d’un Fonds d’Indemnisation<br />

223<br />

2.4.2. Une immunité à caractère rétroactif 223<br />

2.5. Un Fonds d’Indemnisation qui n’a pas encore vu le<br />

jour<br />

3. L’INDEMNISATION SOUS LE REGIME DE<br />

224<br />

LA LOI ORGANIQUE DE 2004<br />

224<br />

3.1. Une importante incertitude quant au sort à réserver à<br />

la question des dommages matériels et moraux 225<br />

3.2. L’indemnisation des biens matériels endommagés 226<br />

3.2.1. Les victimes et la réparation visée à l’article 95 de la<br />

loi<br />

226<br />

3.2.2. Les juridictions compétentes pour statuer sur<br />

l’indemnisation des atteintes aux biens visée à<br />

l’article 95<br />

3.2.3. Les modes de réparation prévus pour les victimes de<br />

227<br />

dommages causés aux biens<br />

227<br />

3.2.4. L’évaluation des biens endommagés ou détruits<br />

3.2.5. Le cas des dommages aux biens causés par un auteur<br />

228<br />

décédé, incapable ou mineur d’âge<br />

229<br />

3.3. Les juridictions ordinaires et l’indemnisation des<br />

dommages moraux et matériels<br />

231<br />

3.4. La question de la responsabilité de l’Etat 233<br />

Conclusion<br />

CHAPITRE XII : LES VOIES DE RECOURS<br />

Introduction<br />

234<br />

239<br />

239<br />

1. L’OPPOSITION 240<br />

1.1. Une opposition qui suit la procédure de droit commun 240<br />

1.2. Une incertitude quant au délai d’opposition 241<br />

2. L’APPEL 242<br />

2.1. Application de la procédure de droit commun 242<br />

2.2. Une incertitude quant au délai d’appel 243<br />

2.3. Un droit de recours moins restrictif que sous l’empire<br />

des anciennes lois organiques régissant le contentieux<br />

du génocide et des crimes contre l’humanité<br />

244<br />

3. L’APPEL DEVANT LA COUR SUPREME 247


313<br />

3.1. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la<br />

Haute Cour de la République<br />

248<br />

3.2. L’appel à l’encontre de décisions prononcées par la<br />

Haute Cour Militaire<br />

249<br />

4. LE RECOURS EN REVISION 251<br />

4.1. Un recours qui déroge au droit commun 251<br />

4.2. Quelles décisions sont visées ? 252<br />

4.3. Une dérogation discutable à la hiérarchie des<br />

Juridictions<br />

253<br />

4.4. Une exception discutable au principe de l’autorité de la<br />

chose jugée<br />

254<br />

Conclusion<br />

ANNEXE<br />

Loi organique n° 16/2004 du 19/06/2004 portant<br />

organisation, compétence et fonctionnement des juridictions<br />

Gacaca chargées des poursuites et du jugement des<br />

infractions constitutives du crime de génocide et d’autres<br />

crimes contre l’humanité commis entre le 1 er octobre 1990 et<br />

le 31 décembre 1994<br />

256<br />

257<br />

259


Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement toutes celles et<br />

ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à rendre<br />

possible la réalisation de cet ouvrage.<br />

Leurs remerciements s’adressent d’abord à Daniel de Beer, qui<br />

est à l’origine du projet.<br />

Ils souhaitent tout particulièrement exprimer leur gratitude à<br />

Anne Sophie OGER et à François MUGABO, dont les<br />

commentaires ont toujours été éclairants, et dont l’appui<br />

intellectuel et moral fut extrêmement précieux.<br />

Le « Vade-Mecum » n’aurait pas pu voir le jour sans<br />

l’enthousiasme et l’énergie de stagiaires et de bénévoles, dont les<br />

recherches et les questions ont constitué les fondations sur<br />

lesquelles nous avons pu construire notre ouvrage. Merci<br />

beaucoup à Lydia MUTYEBELE NGOI, Hélène QUEAU, Esther<br />

DAVID, Frédéric CASIER, Sébastien KAYEMBE N’KOS<br />

KESHA et Caroline ROULIN.<br />

Enfin, toute l’équipe de la « Missrwa » a été mise à contribution.<br />

Qu’elle trouve ici l’expression de notre reconnaissance.

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