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Les architectes ne sauveront pas la planète - École Nationale ...

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LES ARCHITECTES NE SAUVERONT PAS LA PLANETE<br />

Jean-François Provost Architecte<br />

Janvier 2011<br />

Ecole <strong>Nationale</strong> Supérieure d’Architecture de Lyon - Qualité Environ<strong>ne</strong>mentale dans le Bâtiment


L'architecture : l'art du dé<strong>pas</strong>sement des contraintes. Bâtir, c'est se protéger d'un environ<strong>ne</strong>ment hostile et don<strong>ne</strong>r un cadre approprié pour les activités humai<strong>ne</strong>s.<br />

Sujet du mémoire : inventorier les sujets faisant débat dans le process « haute qualité environ<strong>ne</strong>mentale », établir <strong>la</strong> liste des points d'interrogation et des points d'alerte<br />

nécessaires pour u<strong>ne</strong> démarche architecturale responsable. Tirer les pistes à explorer pour le dé<strong>pas</strong>sement des contradictions analysées.<br />

I – LES ARCHITECTES NE SONT PAS NES DE LA DERNIERE PLUIE<br />

Développement inégal et combiné de <strong>la</strong> crise climatique, de <strong>la</strong> crise é<strong>ne</strong>rgétique et de <strong>la</strong> crise du logement<br />

Que faire ?<br />

1960-1972 - Rappel et parallèle<br />

Des similitudes et des différences<br />

Nos responsabilités<br />

II - CRISE DE LA VILLE ET CRISE DE L'ENVIRONNEMENT<br />

Crise de <strong>la</strong> Ville, politique d'urgence et utopie<br />

La Ville Durable<br />

<strong>Les</strong> écoquartiers ou le vil<strong>la</strong>ge gaulois<br />

Densité et urbanité<br />

III - CRISE DU LOGEMENT ET CRISE ENVIRONNEMENTALE<br />

La crise pathologique du logement<br />

Construction <strong>ne</strong>uve et parc ancien<br />

Un surcoût pour quoi faire ?<br />

La tendance à <strong>la</strong> diminution des surfaces<br />

ITE ou ITI ?<br />

Contre le <strong>pas</strong>sif<br />

Pour un loyer charges comprises et… gratuites<br />

Durable/durabilité<br />

La crise du logement, c'est aussi <strong>la</strong> crise de <strong>la</strong> recherche sur le logement<br />

Travailler sur l'épaisseur des espaces plutôt que sur l'épaisseur des murs<br />

CONCLUSION<br />

Ne restons <strong>pas</strong> <strong>pas</strong>sifs, soyons actifs<br />

1


I – LES ARCHITECTES NE SONT PAS NES DE LA DERNIERE PLUIE<br />

Développement inégal et combiné de <strong>la</strong> crise climatique, de <strong>la</strong> crise é<strong>ne</strong>rgétique et de <strong>la</strong> crise du logement<br />

La crise environ<strong>ne</strong>mentale, c'est l'articu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> crise climatique (réchauffement du climat avec pour<br />

conséquences...) et de <strong>la</strong> crise é<strong>ne</strong>rgétique (pénurie), résultat de <strong>la</strong> surexploitation des ressources é<strong>ne</strong>rgétiques fossiles<br />

jusqu'à leur épuisement. Le cadre bâti participe de cette surexploitation, construction = production de GES, chauffage et<br />

étalement urbain = GES + épuisement des ressources. La crise du logement (3,5 millions de person<strong>ne</strong>s mal logées en France)<br />

nécessiterait un effort de construction aussi important que celui entrepris après <strong>la</strong> seconde guerre mondiale.<br />

Dans u<strong>ne</strong> société « équilibrée », on rechercherait un nouveau mode d'exploitation de nos ressources plus frugal et garantissant<br />

un avenir aux futures générations dans un climat « stabilisé ». En un mot durable. Hé<strong>la</strong>s, dans notre société mondiale post-<br />

capitaliste, l'enrichissement concurrentiel par le développement sans fin de <strong>la</strong> production de marchandises semble rendre<br />

impossible <strong>la</strong> résolution simultanée des deux crises. Le rythme de développement de chacu<strong>ne</strong> n'est <strong>pas</strong> le même, <strong>la</strong> crise de<br />

l'é<strong>ne</strong>rgie va immédiatement aggraver les termes de <strong>la</strong> concurrence entre ceux qui détiendront encore des réserves et les<br />

autres, les effets de <strong>la</strong> crise climatique s'étalent sur le siècle. Dans de telles conditions de « survie », les préoccupations<br />

climatiques sur le plus long terme <strong>pas</strong>seront au second p<strong>la</strong>n (échec de Copenhague ou reculs de Sarkozy).<br />

La crise climatique produit déjà des migrations massives vers les villes, les métropoles se transforment en immenses<br />

bidonvilles, et <strong>la</strong> ville « chaos » risque de devenir le standard de <strong>la</strong> mondialisation. La crise du logement <strong>ne</strong> pourra, dans u<strong>ne</strong><br />

telle situation, que s'accroître, les conditions de vie dans des logements mal chauffés se dégrader, le renchérissement du coût<br />

du bâtiment frei<strong>ne</strong>r le rythme des constructions nécessaires.<br />

Formule de Hubbert:<br />

x = {e^{-t}\over(1+e^{t})^2}={1\over2+2\cosh<br />

t} <br />

2


Le Corbusier HQE ?<br />

<strong>Les</strong> <strong>architectes</strong>, jusqu'à <strong>la</strong> fin du XIX e siècle au service exclusif des princes, ont été confrontés à <strong>la</strong> question du logement et de<br />

l'organisation du développement <strong>la</strong> ville. Depuis, <strong>la</strong> réponse à <strong>la</strong> question « Comment construire des logements salubres pour<br />

le plus grand nombre et organiser <strong>la</strong> ville industrielle ? » a rythmé l'histoire de l’architecture.<br />

Ces questions ont été tranchées dans le sang. Après <strong>la</strong> 1 re guerre mondiale, l'architecture moder<strong>ne</strong> a imaginé <strong>la</strong> ville radieuse,<br />

cadre bâti du nouvel impérialisme : table rase de <strong>la</strong> ville historique, division des fonctions, culture hors sol et hygiénisme. Elle a<br />

inventé un nouveau cadre de vie, de nouveaux modes d'habiter, avec <strong>la</strong> conviction de leur supériorité et qui font encore<br />

référence.<br />

La reconstruction après <strong>la</strong> seconde guerre mondiale a été le terrain d'expérimentation de ces théories. Elles ont pris corps avec<br />

l'industrialisation du bâtiment et <strong>la</strong> transformation du logement en marchandise ordinaire.<br />

Aujourd'hui, <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> ville et du logement se pose avec <strong>la</strong> même acuité. La pénurie de logements n'est toujours <strong>pas</strong><br />

réglée, les migrations économiques et climatiques à venir rendent les métropoles invivables et <strong>la</strong> guerre (guerre de l'é<strong>ne</strong>rgie...)<br />

n'est <strong>pas</strong> derrière nous mais peut-être devant nous. Si <strong>la</strong> question du logement se pose avec <strong>la</strong> même acuité, les termes de <strong>la</strong><br />

question sont aujourd'hui inversés. Durant tout le XX e siècle, les <strong>architectes</strong> ont cru pouvoir résoudre <strong>la</strong> question en puisant<br />

dans u<strong>ne</strong> source intarissable d'é<strong>ne</strong>rgie. Le paradigme du béton, de <strong>la</strong> vitesse et de l'abolition des distances devait être <strong>la</strong> clé de<br />

nos problèmes. Maintenant il s'agit au contraire de trouver des solutions économiques dans u<strong>ne</strong> situation de pénurie et dans<br />

un environ<strong>ne</strong>ment sequi se dégrade. Et <strong>la</strong> « métropolisation » du monde nous impose <strong>la</strong> plus grande responsabilité dans nos<br />

réponses car nous <strong>ne</strong> sommes plus dans u<strong>ne</strong> situation d'après-guerre (guerre mondiale, guerre coloniale, guerre froide...) mais<br />

dans u<strong>ne</strong> situation de guerre peut-être à venir.<br />

3


Que faire ?<br />

<strong>Les</strong> <strong>architectes</strong> <strong>ne</strong> <strong>sauveront</strong> <strong>pas</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète mais ils ont u<strong>ne</strong> part de responsabilité à prendre dans <strong>la</strong> recherche des<br />

solutions à <strong>la</strong> crise environ<strong>ne</strong>mentale. Ils doivent aussi et surtout envisager les conséquences sociales des dispositions qu'ils<br />

proposent et mettent en œuvre. Nous <strong>ne</strong> pouvons répéter les erreurs des épigo<strong>ne</strong>s de <strong>la</strong> Charte d'Athè<strong>ne</strong>s qui, pour répondre<br />

à u<strong>ne</strong> crise du logement sans précédent en France, ont construit plus de 2 millions de logements entre 1960 et 1972. Ils<br />

avaient l'ambition d'apporter au plus grand nombre un toit solide et le confort moder<strong>ne</strong> (sanitaires, chauffage...) mais sans<br />

imagi<strong>ne</strong>r un seul instant que <strong>la</strong> mauvaise qualité des constructions et les formes « simplistes » des p<strong>la</strong>ns de masse al<strong>la</strong>it<br />

entraî<strong>ne</strong>r à pei<strong>ne</strong> dix ans plus tard u<strong>ne</strong> nouvelle crise, toujours d'actualité, celle dite des banlieues.<br />

A l'époque, seuls quelques <strong>architectes</strong> s'étaient a<strong>la</strong>rmés des conséquences d'un tel engouement pour<br />

l'industrialisation du bâtiment au nom de l'hygiè<strong>ne</strong> et du soleil pour tous (parmi eux Chémétof, Simou<strong>ne</strong>t, Renaudie…). Mais ils<br />

restèrent inaudibles devant cette vague de « bonheur à tous les étages ».<br />

Le parallèle entre cette période et <strong>la</strong> nôtre est nécessaire pour nous prévenir et nous alerter des conséquences d'u<strong>ne</strong><br />

attitude empathique propre aux <strong>architectes</strong> : leur volonté, leur espoir à vouloir régler, améliorer et même transformer les<br />

conditions de vie de leurs semb<strong>la</strong>bles, sans toujours évaluer les conséquences sociales des propositions qu'ils font.<br />

4


1960-1972 - Rappel et parallèle<br />

<strong>Les</strong> atermoiements de <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> reconstruction après <strong>la</strong> seconde guerre mondiale, et surtout « l'effort de<br />

guerre » monopolisant u<strong>ne</strong> grande partie de <strong>la</strong> richesse nationale pour me<strong>ne</strong>r <strong>la</strong> guerre en Indochi<strong>ne</strong> puis en Algérie, n'ont <strong>pas</strong><br />

permis de construire les quatre millions de logements nécessaires.<br />

Alors que pendant le même <strong>la</strong>ps de temps, l'Allemag<strong>ne</strong> et l'Angleterre construisaient quatre fois plus de logements (en<br />

1952, on construisait en France 20 logements pour 10 000 habitants alors que <strong>la</strong> Grande-Bretag<strong>ne</strong> en édifiait 47 et l'Allemag<strong>ne</strong><br />

97 ), il a fallu attendre <strong>la</strong> fin des années 50 et l'aggravation dramatique de <strong>la</strong> crise du logement (Abbé Pierre) pour que les<br />

pouvoirs publics réagissent.<br />

Dans le style coup d'état, le Général de Gaulle engagea u<strong>ne</strong> politique massive de construction. Tout le pouvoir est<br />

alors donné aux préfets qui vont décider des programmes, des p<strong>la</strong>ns de masse et du p<strong>la</strong>nning. Ils vont instaurer les Zo<strong>ne</strong>s à<br />

Urbaniser en Priorité, nos fameuses ZUP. De 1958 à 1970, 195 ZUP seront construites comptant 2,2 millions de logements.<br />

Pendant ces 12 ans, il y a u<strong>ne</strong> conjonction précise entre les théories architecturales des « moder<strong>ne</strong>s » de <strong>la</strong> Charte<br />

d'Athè<strong>ne</strong>s et les exigences d'u<strong>ne</strong> construction massive et bon marché. <strong>Les</strong> <strong>architectes</strong> retrouvent à ce moment leur rôle<br />

d'idéologues du cadre bâti en justifiant au nom de <strong>la</strong> modernité (<strong>la</strong> pureté géométrique de <strong>la</strong> tour et de <strong>la</strong> barre), au nom de <strong>la</strong><br />

sociabilité (le collectif contre l'individuel) u<strong>ne</strong> rupture radicale dans l'évolution de <strong>la</strong> morphologie urbai<strong>ne</strong> : le grand ensemble.<br />

Ce mouvement a connu un véritable engouement à <strong>la</strong> hauteur de <strong>la</strong> crise endémique dans <strong>la</strong>quelle vivait jusqu'alors plus du<br />

tiers de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française. Dans u<strong>ne</strong> société en plei<strong>ne</strong> expansion industrielle, habiter des grands ensembles, même dans<br />

des endroits improbables mais avec le chauffage et des sanitaires, constituait u<strong>ne</strong> première étape de l'ascension sociale. Mais<br />

cette politique « forcée » du logement a produit très rapidement un rejet du « grand ensemble ». Le retour<strong>ne</strong>ment de<br />

l'expansion économique après <strong>la</strong> première crise du pétrole et le début du chômage de masse ont paupérisé u<strong>ne</strong> partie des<br />

habitants des grands ensembles. Pour les autres, <strong>la</strong> promotion sociale s'est traduite par un départ vers les lotissements de<br />

maisons individuelles et ils ont vite été remp<strong>la</strong>cés par u<strong>ne</strong> popu<strong>la</strong>tion d'émigrés encore plus pauvre.<br />

5


U<strong>ne</strong> des causes de ce mouvement de dép<strong>la</strong>cement et de redistribution des popu<strong>la</strong>tions, à l'origi<strong>ne</strong> de <strong>la</strong> ségrégation<br />

sociale que nous connaissons aujourd'hui, a été l'uniformité du cadre bâti et sa rapide détérioration. Là, les <strong>architectes</strong> ont eu<br />

u<strong>ne</strong> part de responsabilité importante : on <strong>ne</strong> pouvait <strong>pas</strong> justifier au nom du confort moder<strong>ne</strong> <strong>la</strong> mise en œuvre d'un système<br />

de construction semi-industriel à <strong>la</strong> fois lourd, répétitif et fragile.<br />

Et l'assemb<strong>la</strong>ge défectueux, le long des centai<strong>ne</strong>s de mètres de chemins de grue, de pan<strong>ne</strong>aux de façade<br />

préfabriqués a entraîné un vieillissement prématuré des bâtiments. Ce bâti <strong>ne</strong> pouvait <strong>pas</strong> constituer en soi un premier<br />

investissement patrimonial ; il était destiné, d'u<strong>ne</strong> certai<strong>ne</strong> façon, à disparaître mais le béton armé l’a rendu « indestructible »,<br />

poussant les popu<strong>la</strong>tions qui en avaient encore les moyens à partir. Il faut rappeler quelques exceptions comme les ensembles<br />

de logements en pierre de taille de Fernand Pouillon, où <strong>la</strong> qualité et <strong>la</strong> pérennité des constructions ont permis de « stabiliser »<br />

les popu<strong>la</strong>tions et d’en faire encore aujourd'hui des lieux d'habitation enviés (Meudon-<strong>la</strong>-Forêt, résidence du parc, 2657<br />

logements).<br />

6


Des similitudes et des différences<br />

<strong>Les</strong> similitudes entre cette période des années 60-70 et aujourd'hui méritent d'être soulignées :<br />

U<strong>ne</strong> situation d'urgence<br />

Après avoir attendu trop longtemps, <strong>la</strong> crise du logement était devenue si grave en 1960 que des mesures d'urgence étaient<br />

nécessaires.<br />

Aujourd'hui en France, alors que nos voisins est et nord-européens ont au moins dix ans d'avance, les pouvoirs publics <strong>la</strong>ncent<br />

u<strong>ne</strong> campag<strong>ne</strong> à marche forcée pour inscrire l'environ<strong>ne</strong>ment comme préoccupation première.<br />

Un nouveau souffle économique<br />

La nécessaire construction de millions de logements était l'occasion de transformer radicalement l'appareil de production du<br />

cadre bâti. <strong>Les</strong> entreprises du bâtiment étaient encore essentiellement familiales et artisanales (héritage de <strong>la</strong> vague<br />

d'émigration post-1918), composées de 2 person<strong>ne</strong>s et équipées d'u<strong>ne</strong> pioche, d'u<strong>ne</strong> brouette et d'u<strong>ne</strong> échelle. La politique de<br />

construction de masse al<strong>la</strong>it voir <strong>la</strong> naissance des grandes entreprises du BTP. Le BTP al<strong>la</strong>it participer à l'effort<br />

d'industrialisation de <strong>la</strong> France et à sa croissance économique.<br />

Aujourd'hui, les mesures du Gre<strong>ne</strong>lle de l'environ<strong>ne</strong>ment sont présentées comme u<strong>ne</strong> nouvelle opportunité pour re<strong>la</strong>ncer u<strong>ne</strong><br />

économie anémiée. La recherche de nouveaux matériaux de construction va booster les entreprises, <strong>la</strong> réhabilitation<br />

é<strong>ne</strong>rgétique de millions de bâtiments va créer de l'emploi et de <strong>la</strong> croissance. C'est le cercle vertueux du capitalisme vert : faire<br />

de <strong>la</strong> croissance au nom de <strong>la</strong> préservation de l'environ<strong>ne</strong>ment.<br />

L'appel aux <strong>architectes</strong><br />

Le messianisme des tenants de <strong>la</strong> Charte d'Athè<strong>ne</strong>s a permis de justifier l'injustifiable. <strong>Les</strong> nouveaux quartiers devaient<br />

devenir, comme l'écrivait en 1963 René Kaês, « le support écologique de <strong>la</strong> culture de masse (….) et <strong>la</strong> genèse d'u<strong>ne</strong> autre<br />

société ».<br />

Bernard Zehrfuss pouvait justifier ses façades de 400 m de long au Haut-du-Lièvre au nom d'u<strong>ne</strong> composition rigide et sévère<br />

propre à <strong>la</strong> ville de Nancy à <strong>la</strong>quelle est rattaché ce nouveau quartier !<br />

Aujourd'hui, <strong>la</strong> référence à u<strong>ne</strong> démarche HQE est u<strong>ne</strong> obligation faite à tout architecte qui veut travailler. Hé<strong>la</strong>s, ces<br />

préoccupations environ<strong>ne</strong>mentales masquent quelquefois l'indigence des projets et les propositions technico-écologiques<br />

s'appuient souvent sur l'espoir d'u<strong>ne</strong> évolution des modes de vie qu'elles entraî<strong>ne</strong>raient.<br />

7


<strong>Les</strong> différences <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> moins illustratives<br />

.<br />

Situation de pénurie<br />

La crise du logement des années 60 pouvait se résoudre dans le cadre d'u<strong>ne</strong> « société d'abondance » et person<strong>ne</strong> n'imaginait<br />

que <strong>la</strong> fin des 30 glorieuses était proche.<br />

Aujourd'hui, nous travaillons dans u<strong>ne</strong> société où toute production fait obstacle au maintien des équilibres environ<strong>ne</strong>mentaux et<br />

où <strong>la</strong> pénurie est inéluctable. Ce changement de paradigme rend imp<strong>la</strong>cable le discours sur <strong>la</strong> préservation de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète et<br />

très lourd le poids du discours idéologique sur <strong>la</strong> pratique.<br />

Politique publique<br />

Alors que <strong>la</strong> crise du logement aurait pu se « résoudre » en incitant l'initiative privée (spécu<strong>la</strong>tive ou non) comme dans d'autres<br />

pays européens, les dispositions prises en 1960 étaient de l'ordre du coup d'état : tout le pouvoir aux préfets, mise en p<strong>la</strong>ce<br />

d'outils fonciers « collectivistes » (ZUP), mobilisation de moyens financiers et humains considérables.<br />

Paradoxalement, alors que <strong>la</strong> crise environ<strong>ne</strong>mentale est p<strong>la</strong>nétaire et qu'elle nécessiterait u<strong>ne</strong> « gouvernance » mondiale, <strong>la</strong><br />

mise en œuvre de <strong>la</strong> politique environ<strong>ne</strong>mentale relève plus de l'initiative privée et concurrentielle que d'u<strong>ne</strong> politique<br />

centralisée. Ce<strong>la</strong> nous oblige, nous <strong>architectes</strong>, à aller à <strong>la</strong> « pêche » aux informations et moyens techniques souvent<br />

contradictoires sans qu'aucu<strong>ne</strong> autorité n'établisse u<strong>ne</strong> règle du jeu commu<strong>ne</strong> à tous.<br />

La recherche<br />

<strong>Les</strong> années 60 ont été l'occasion pour les épigo<strong>ne</strong>s de mettre en pratique les théories corbuséen<strong>ne</strong>s. Quel que soit le jugement<br />

que l'on porte, <strong>la</strong> recherche architecturale des avant-gardes de <strong>la</strong> première moitié du XX e siècle a constitué un cadre de<br />

référence pour un nouveau mode d'habiter. La critique dans les années 80-90 du fonctionnalisme, <strong>la</strong> remise en cause du<br />

zoning, <strong>la</strong> recherche du sens et de l'urbanité ont été le moteur de <strong>la</strong> recherche architecturale.<br />

Aujourd'hui, alors que les enjeux sont cruciaux, <strong>la</strong> recherche architecturale semble démunie voire i<strong>ne</strong>xistante. <strong>Les</strong> efforts<br />

d'imagination, le propre des <strong>architectes</strong>, se portent davantage sur les systèmes que sur un cadre de vie plus approprié à <strong>la</strong><br />

nouvelle situation environ<strong>ne</strong>mentale.<br />

techniques et ARCHITECTURES n°335 Mai 1981<br />

8


Nos responsabilités<br />

Le discours sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète, sur <strong>la</strong> protection de notre environ<strong>ne</strong>ment, sur le durable, est devenu incontournable et dominant.<br />

<strong>Les</strong> <strong>architectes</strong> (c’est leur métier) sont parmi les plus sensibles et les plus préoccupés par les enjeux environ<strong>ne</strong>mentaux de <strong>la</strong><br />

production du cadre bâti. Mais ils <strong>ne</strong> doivent <strong>pas</strong> oublier les autres enjeux à <strong>la</strong> base de leur travail : améliorer le cadre de vie et<br />

de travail des popu<strong>la</strong>tions pour lesquelles ils construisent, tout en s’inquiétant des conséquences sociales des choix qu’ils<br />

peuvent proposer.<br />

C'est <strong>la</strong> dimension politique de notre métier d'architecte (politique au sens propre de <strong>la</strong> vie dans <strong>la</strong> Cité), et cette nouvelle<br />

période de préoccupations environ<strong>ne</strong>mentales doit nous don<strong>ne</strong>r l'occasion de réinvestir avec de nouveaux « arguments<br />

imparables » ces domai<strong>ne</strong>s qui sont les nôtres.<br />

techniques et ARCHITECTURES n°315 Juillet 1977<br />

9


II - CRISE DE LA VILLE ET CRISE DE L'ENVIRONNEMENT<br />

Crise de <strong>la</strong> Ville, politique d'urgence et utopie<br />

S'il était possible de <strong>la</strong> définir en u<strong>ne</strong> phrase, <strong>la</strong> ville est le lieu où <strong>la</strong> société se réunit, où les composantes de cette<br />

société recherchent un équilibre, le lieu principal de leurs échanges.<br />

La crise de <strong>la</strong> Ville surgit quand l'équilibre est rompu, quand l'échange est interrompu, quand <strong>la</strong> ville devient le lieu des<br />

antagonismes, « quand <strong>la</strong> ville, pour <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>la</strong> plus pauvre devient le théâtre de l'injustice qui lui est faite » (1). La ville est en<br />

crise quand elle organise <strong>la</strong> ségrégation sociale de l’espace.<br />

La crise de <strong>la</strong> ville se traduit aussi par le déca<strong>la</strong>ge dans le temps entre un développement non maîtrisé et des<br />

politiques urbai<strong>ne</strong>s contradictoires. Ce déca<strong>la</strong>ge s'est produit lorsque les « nouveaux quartiers moder<strong>ne</strong>s » sont devenus le<br />

cadre de <strong>la</strong> « crise des banlieues ». Le temps de <strong>la</strong> ville et le temps du politique <strong>ne</strong> sont plus synchro<strong>ne</strong>s et l'urbanisme <strong>ne</strong><br />

s'occupe plus de projet de ville mais de <strong>la</strong> recherche des mesures compensatrices. De <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nification on <strong>pas</strong>se à <strong>la</strong> réaction.<br />

De l'utopie on <strong>pas</strong>se au repli.<br />

(1)J.Donzelot, La ville à trois vitesses .<br />

10


La Ville Durable<br />

La ville est devenue le lieu des antagonismes que <strong>la</strong> crise environ<strong>ne</strong>mentale <strong>ne</strong> peut qu'aggraver. L'accès aux<br />

ressources deviendra, devient déjà, un nouveau sujet majeur d'affrontement. <strong>Les</strong> dép<strong>la</strong>cements massifs de popu<strong>la</strong>tion, les<br />

migrations climatiques peuvent conduire à <strong>la</strong> « bidonvilisation » mondiale.<br />

La ville est le devenir de l'humanité et <strong>la</strong> ville « durable » doit permettre aux générations futures d'avoir et de conserver un<br />

cadre de vie urbain acceptable.<br />

Il faut dès aujourd'hui :préserver l'environ<strong>ne</strong>ment et <strong>la</strong> biodiversité,<br />

- bien gérer les ressources naturelles (en particulier l'air et l'eau),<br />

- bien gérer l'é<strong>ne</strong>rgie (transports, chauffage, lumière),<br />

- bien gérer les flux,<br />

- bien gérer les déchets.<br />

Bien sûr, ces objectifs <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> contradictoires, bien au contraire, avec les objectifs « perma<strong>ne</strong>nts » de <strong>la</strong> « ville<br />

démocratique » :<br />

- offrir des logements décents,<br />

- offrir les équipements nécessaires et en faciliter l'accès,<br />

- développer <strong>la</strong> participation démocratique des habitants,<br />

- assurer <strong>la</strong> mixité sociale.<br />

C'est l'ensemble de ces objectifs qui forme le corpus de <strong>la</strong> Ville Durable. Mais hé<strong>la</strong>s, ces derniers objectifs<br />

« perma<strong>ne</strong>nts », logements, démocratie, mixité sociale, <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> d’ores et déjà atteints. Et <strong>la</strong> « Ville Durable », si elle élude<br />

<strong>la</strong> question de <strong>la</strong> ségrégation sociale de l'espace, <strong>ne</strong> sera qu'u<strong>ne</strong> politique de « restriction valeureuse » sans remise en cause<br />

des formes d'organisation et de développement qui sont, en grande partie, à l'origi<strong>ne</strong> de <strong>la</strong> crise environ<strong>ne</strong>mentale. En quelque<br />

sorte un « écob<strong>la</strong>nchiment » du zoning.<br />

Il faut au contraire se saisir des questions environ<strong>ne</strong>mentales pour réinvestir <strong>la</strong> question sociale. Comme l’écrit Paul<br />

Ariès : « Nous sommes à <strong>la</strong> fois convaincus qu’il y a urgence sociale et climatique, mais que cette urgence même peut créer les conditions<br />

d’un sursaut politique. » (1)<br />

Car qu'en est-il dans <strong>la</strong> ville durable de <strong>la</strong> bon<strong>ne</strong> gestion de l'espace social ? Qu'en est-il d'u<strong>ne</strong> politique foncière<br />

échappant au simple jeu du marché ? Qu'en est-il du simple respect de <strong>la</strong> loi SRU ?<br />

1)Ralentir <strong>la</strong> ville pour u<strong>ne</strong> ville solidaire, page 9).<br />

11


<strong>Les</strong> écoquartiers ou le vil<strong>la</strong>ge gaulois<br />

L’engagement 49 du Gre<strong>ne</strong>lle de l’Environ<strong>ne</strong>ment prévoit « un p<strong>la</strong>n volontariste d’écoquartiers impulsé par les<br />

collectivités locales avec au moins un écoquartier avant 2012 dans toutes les commu<strong>ne</strong>s qui ont un programme de<br />

développement de l’habitat significatif ».<br />

En 2009, le ministère de l’Ecologie, de l’E<strong>ne</strong>rgie, du Développement durable et de <strong>la</strong> Mer a <strong>la</strong>ncé un appel pour <strong>la</strong> réalisation<br />

de projets exemp<strong>la</strong>ires en matière d'urbanisme environ<strong>ne</strong>mental.<br />

C'était l’occasion de faire un premier état de l'Approche Environ<strong>ne</strong>mentale de l'Urbanisme (AUE). Bien sûr, dans cet<br />

appel d'idées, il <strong>ne</strong> s'agissait <strong>pas</strong> de proposer de façon utopique (à <strong>la</strong> façon par exemple d'Archigram ou des « Futuristes<br />

Frénétiques » japonais) u<strong>ne</strong> nouvelle structure urbai<strong>ne</strong> conciliant harmonieusement tous les impératifs durables. Il s'agissait de<br />

faire des propositions opération<strong>ne</strong>lles (il y a urgence !) s'inscrivant dans le cadre urbain existant. Ces propositions qui sont<br />

faites, <strong>pas</strong> moins de 160, <strong>ne</strong> peuvent prétendre résoudre qu'u<strong>ne</strong> partie, souvent limitée, des problèmes qui nous sont posés. Et<br />

ces réponses partielles produisent quelquefois des effets contraires à ceux recherchés.<br />

12


On trouve tout dans les 160 réponses de cet appel à projet, friches industrielles, lisière de bourg, caser<strong>ne</strong> en centre<br />

ville et même lotissement ! Ce qui retient l’attention, c’est que ces propositions <strong>ne</strong> posent jamais <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> notion même<br />

de quartier, de sa re<strong>la</strong>tion au reste de <strong>la</strong> ville et plus particulièrement de sa re<strong>la</strong>tion au centre ville. Tout le débat sur les formes<br />

urbai<strong>ne</strong>s, <strong>la</strong> rue et l’îlot, <strong>la</strong> ville polycentrique ou <strong>la</strong> ville de l’âge 3 de Portzamparc semble remisé au rayon des antiquités avec<br />

pour corol<strong>la</strong>ire u<strong>ne</strong> réhabilitation feutrée de <strong>la</strong> barre et de <strong>la</strong> tour.<br />

GRENOBLE<br />

Aussi, <strong>la</strong> création de ces « écoquartiers » n’échappe <strong>pas</strong> à <strong>la</strong> ségrégation sociale, voire elle <strong>la</strong> renforce. L'écoquartier<br />

repose en effet sur <strong>la</strong> recherche de l’équilibre environ<strong>ne</strong>mental et de l'autonomie é<strong>ne</strong>rgétique. Il repose souvent sur u<strong>ne</strong><br />

maîtrise du foncier, parfois même sur u<strong>ne</strong> « autogestion » du foncier comme à Fribourg.<br />

La vie dans l’écoquartier suppose adhésion active des habitants qui partagent les mêmes ambitions culturelles et le<br />

même niveau social. L’écoquartier peut vite devenir un espace d’ « entre soi sélectif » et participer à <strong>la</strong> « gentrification » de <strong>la</strong><br />

ville.<br />

FRIBOURG<br />

13


Ce phénomè<strong>ne</strong> d'autonomisation des territoires n'est <strong>pas</strong> nouveau. <strong>Les</strong> exemples historiques de villes utopiques<br />

créées par des communautés de libres-penseurs sont nombreux, en particulier à <strong>la</strong> fin du XIX e siècle (familistère de Guise ou<br />

de Sheltenham, Icariens de Cabets, etc.). Ils ont tous abouti à des échecs car on <strong>ne</strong> peut <strong>pas</strong> construire le « socialisme dans<br />

un seul pays », encore moins dans un seul quartier !<br />

Au delà de ces formes utopiques, l’autonomisation des territoires dans <strong>la</strong> mégalopole post-industrielle prend<br />

aujourd'hui u<strong>ne</strong> forme de retranchement exclusif comme dans les Gates communities aux USA ou dans les quartiers fermés et<br />

gardés militairement des grandes villes d'Amérique Lati<strong>ne</strong> ou, à l’opposé, comme dans les bidonvilles et les fave<strong>la</strong>s. Pour ces<br />

formes de quartier autonome, <strong>la</strong> notion de périmètre urbain se concrétise par l’élévation de murs d’enceinte, matérialisation<br />

ultime de <strong>la</strong> ségrégation. La prophétie <strong>la</strong>ncée par Rem Koolhaas lors de son exposition « La Ville » en 1994 est en train de se<br />

réaliser : « La ville du futur sera un archipel d’enc<strong>la</strong>ves ».<br />

Cette autonomisation spatiale devient pour certains le processus de composition de <strong>la</strong> ville future. La revue Durable,<br />

dans son dossier « L’écoquartier, brique d’u<strong>ne</strong> société durable », nous annonce :<br />

« Un écoquartier est ainsi autant un lieu pilote qu’un aboutissement (c’est nous qui soulignons) : il tire <strong>la</strong> ville vers le durable<br />

autant que <strong>la</strong> politique de durabilité de <strong>la</strong> ville, et <strong>la</strong> pousse à éclore ». Plutôt que de mettre en p<strong>la</strong>ce u<strong>ne</strong> politique d’ensemble<br />

de <strong>la</strong> ville où les enjeux sont mutualisés, on procède par copié/collé de « modèles » d’écoquartiers. Par exemple, on va<br />

chercher les modèles de Fribourg ou de Malmö sans prendre en compte qu’en Allemag<strong>ne</strong> ou en Suède, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion est<br />

vieillissante et qu’il n ‘y a <strong>pas</strong> de crise du logement.<br />

La seule condition pour que des écoquartiers devien<strong>ne</strong>nt les éléments constitutifs de notre future ville serait qu’ils<br />

soient pensés dans le cadre d’u<strong>ne</strong> politique globale de <strong>la</strong> ville, en particulier dans le cadre d’u<strong>ne</strong> politique de transport, de<br />

mutualisation de l’é<strong>ne</strong>rgie, et qu’ils soient réalisés d’abord pour les popu<strong>la</strong>tions les plus démunies. Ainsi à Fribourg, les pauvres<br />

(les Turcs en l’occurrence) <strong>ne</strong> resteraient <strong>pas</strong> cantonnés au delà de <strong>la</strong> voie de chemin de fer qui les sépare du quartier Vauban.<br />

familistère de Guise<br />

Gates communities<br />

Caracas<br />

14


Densité et urbanité<br />

Un des grands thèmes de <strong>la</strong> Ville Durable est <strong>la</strong> lutte contre l'étalement urbain. Celui-ci est présenté comme <strong>la</strong> source<br />

principale du gaspil<strong>la</strong>ge é<strong>ne</strong>rgétique (transport) et comme antidémocratique (éloig<strong>ne</strong>ment des équipements publics et des<br />

centres de décision). Mais il est d'abord le résultat de <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion foncière qui régit le développement urbain. Le rare étant<br />

cher et le foncier n'étant <strong>pas</strong> inépuisable, le noyau initial u<strong>ne</strong> fois densifié, <strong>la</strong> ville s’étend au delà des murs. Bien sûr,<br />

l'engouement pour <strong>la</strong> maison et <strong>la</strong> voiture individuelle a démultiplié ce mécanisme de l'étalement mais à <strong>la</strong> base il reste <strong>la</strong> rente<br />

de situation, <strong>la</strong> rente foncière.<br />

L’étalement c’est aussi <strong>la</strong> distance sociale et <strong>la</strong> ville à trois vitesses. Dans toutes les villes occidentales, on assiste à<br />

phénomè<strong>ne</strong> de repli sur soi des espaces urbains suivant le niveau social de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion qui les habite. La Ville jusqu’e dans<br />

les années 80-90, était pour ses habitants le lieu du <strong>pas</strong>sage d’u<strong>ne</strong> situation urbai<strong>ne</strong> à u<strong>ne</strong> autre, le « parcours résidentiel »<br />

qui correspondait au fameux « ascenseur social ».<br />

« Tout se <strong>pas</strong>se comme si les mécanismes antérieurs d’unification de <strong>la</strong> société inversaient leurs effets sous couvert<br />

d’u<strong>ne</strong> urbanisation généralisée. Des cités d’habitat social aux beaux quartiers en <strong>pas</strong>sant par les lotissements des c<strong>la</strong>sses<br />

moyen<strong>ne</strong>s, u<strong>ne</strong> vie existait qui montrait un possible <strong>pas</strong>sage d’un espace à l’autre, prenant en quelque sorte appui sur <strong>la</strong><br />

distance re<strong>la</strong>tive entre eux pour créer u<strong>ne</strong> dynamique positive. La pacification que procurait <strong>la</strong> séparation va<strong>la</strong>it comme<br />

condition pour <strong>la</strong> promotion. Or à présent, n’est-ce <strong>pas</strong> en grande partie l’inverse qui se produit ? (….) Au lieu d’un<br />

mouvement unique et unifiant les espaces de <strong>la</strong> ville, c’est à l’avè<strong>ne</strong>ment d’u<strong>ne</strong> ville à trois vitesses que l’on assiste : celle de<br />

<strong>la</strong> relégation d’habitat social, celle de <strong>la</strong> péri-urbanisation des c<strong>la</strong>sse moyen<strong>ne</strong>s qui redoutent <strong>la</strong> proximité avec les « exclus »<br />

des cités mais se sentent « oubliées » par l’élite des « gagnants » portée à investir le processus de gentrification des centres<br />

anciens. » (1)<br />

Cette ville à trois vitesses produit des modes de dép<strong>la</strong>cements singuliers. Pour les plus pauvres, « l’entre soi<br />

contraint » conduit à <strong>la</strong> relégation et à l’immobilité. Pour les c<strong>la</strong>sses moyen<strong>ne</strong>s, « l’entre soi protecteur » s’établit dans le péri<br />

urbain avec en conséquence u<strong>ne</strong> hypermobilité. Enfin pour les plus riches, « l’entre soi sélectif », s’installe dans les centres<br />

villes, à proximité immédiate de tous les services disponibles. La facilité d’accès aux modes de re<strong>la</strong>tion réel et virtuel leur<br />

permet de se projeter facilement où bon leur semble.<br />

1) Jacques Donzelot : « La ville à trois vitesses » avril 2004<br />

15


Le dense (donc le collectif) est souvent présenté comme source de l'urbanité. <strong>Les</strong> rapports entre individus favorisent<br />

leur épanouissement et leur enrichissement dans tous les sens du terme ; et pour ce faire, il faut qu'ils se rencontrent et se<br />

côtoient. Mais <strong>la</strong> concentration en un même lieu d'u<strong>ne</strong> même popu<strong>la</strong>tion n'a jamais favorisé l'évolution positive de cette<br />

popu<strong>la</strong>tion. Sauf pour les individus qui ont les moyens matériels et intellectuels de s'en échapper.<br />

Si l’urbanité est <strong>la</strong> multiplicité des possibilités de rencontres hasardeuses, <strong>la</strong> densité sans mail<strong>la</strong>ge des moyens de<br />

mises en re<strong>la</strong>tion peut conduire à un isolement renforcé et à l’inscription de <strong>la</strong> ségrégation sociale dans l’espace. Un bon, ou<br />

plutôt un mauvais exemple, nous est donné de ces petits ensembles d’immeubles collectifs p<strong>la</strong>ntés au milieu des champs aux<br />

abords des bourgs ou des villes moyen<strong>ne</strong>s. Cette densité sans re<strong>la</strong>tion peut aboutir au ghetto, de l’entre soi imposé.<br />

Aussi <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> densité doit se poser après <strong>la</strong> question du renforcement et de <strong>la</strong> multiplication des moyens de<br />

communications collectifs. Elle se pose au regard du renforcement ou non de <strong>la</strong> ségrégation sociale. Or aujourd’hui, elle nous<br />

est présentée comme le remède miracle au gaspil<strong>la</strong>ge é<strong>ne</strong>rgétique à l’échelle de <strong>la</strong> ville. L’inversion dans l’ordre des<br />

questions, <strong>la</strong> densité avant les transports, aboutit au renforcement de <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion foncière car le coût du foncier est en<br />

rapport direct avec les mètres carrés constructibles. Cette inversion des termes de <strong>la</strong> question, nous l’avons déjà connue à <strong>la</strong><br />

naissance des Villes Nouvelles : celles-ci, conçues ex nihilo comme des « bassins d’emploi », devaient attirer les entreprises et<br />

constituer à terme des ensembles équilibrés emplois /logements. Parce que les réseaux de re<strong>la</strong>tion et de communication<br />

étaient encore trop embryonnaires, les entreprises <strong>ne</strong> sont venues <strong>pas</strong> suffisamment nombreuses et les Villes Nouvelles sont<br />

devenues Villes Dortoirs où le taux de chômage est supérieur à <strong>la</strong> moyen<strong>ne</strong> nationale.<br />

Quartier offshore par l’agence X-TU<br />

16


La densité, <strong>la</strong> proximité, <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> suffisantes pour faire l’urbanité, voire elles en sont le contraire. Max Weber écrivait :<br />

« Il existe u<strong>ne</strong> tendance fondamentale non <strong>pas</strong> à resserrer les liens (entre individus) mais plutôt à maintenir <strong>la</strong> plus grande distance possible<br />

en dépit (ou précisément à cause) de <strong>la</strong> proximité physique. »<br />

Pour les <strong>architectes</strong>, <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> densité se pose toujours dans <strong>la</strong> limite à <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> dé<strong>pas</strong>ser entre proximité et<br />

promiscuité. Elle s’établit selon l’histoire et <strong>la</strong> culture des sociétés. Par exemple aux Pays-Bas, l’histoire et les traditions<br />

culturelles (le protestantisme) ont fabriqué u<strong>ne</strong> densité urbai<strong>ne</strong> qu’il serait incongru de vouloir transposer dans un pays <strong>la</strong>tin. De<br />

même en France, l’attachement culturel à l’habitat individuel reste u<strong>ne</strong> constante qu’on <strong>ne</strong> peut <strong>pas</strong> ignorer.<br />

Chaque société, à chaque époque, a défini son niveau de densité de l’agglomérat humain. La densification comme seule<br />

réponse aux impératifs d’économies en matière d’infrastructures et de dép<strong>la</strong>cements peut avoir des conséquences<br />

désastreuses : dans les régions où les infrastructures de communications sont suffisantes, <strong>la</strong> densification peut aboutir à des<br />

phénomè<strong>ne</strong>s de spécu<strong>la</strong>tion foncière, aggravant les disparités dans l’accès au logement, et inversement dans les régions<br />

sous-équipées en moyens de re<strong>la</strong>tion, <strong>la</strong> densité peut être synonyme de relégation sociale.<br />

17


III - CRISE DU LOGEMENT ET CRISE ENVIRONNEMENTALE<br />

La crise pathologique du logement<br />

En France, <strong>la</strong> crise du logement est devenue un invariant. Elle conjugue à <strong>la</strong> fois <strong>la</strong> pénurie et <strong>la</strong> détérioration des<br />

conditions d'habitabilité. Pénurie par rapport à u<strong>ne</strong> demande qui n'a <strong>pas</strong> cessé de croître avec le développement<br />

démographique et l'éc<strong>la</strong>tement de <strong>la</strong> cellule familiale (augmentation du nombre de person<strong>ne</strong>s vivant seules, monoparentalités).<br />

Détérioration des conditions d'habitabilité avec <strong>la</strong> dégradation rapide des constructions. Nous vivons encore aujourd'hui avec<br />

l'héritage d'un parc de logements vite et mal construits (2/3 des logements sociaux ont été construits avant 1977 dont 22 %<br />

avant 1949). La pénurie aggrave bien sûr le renchérissement du prix à payer pour se loger, elle renforce les phénomè<strong>ne</strong>s de<br />

spécu<strong>la</strong>tion foncière et elle conduit à u<strong>ne</strong> détérioration encore plus rapide du bâti. Le « parcours immobilier » étant de plus en<br />

plus difficile, le temps d'occupation d'un même logement s’allonge et rend les efforts d'entretien moins « indispensables ». Le<br />

plus souvent, l'espoir de déménager pour des « conditions de vie meilleures » pousse à maintenir son logement en bon état.<br />

Pour répondre à <strong>la</strong> demande, il faudrait aujourd'hui en France construire plus d'un million de logements et le rapport<br />

de <strong>la</strong> Fondation Abbé Pierre retient le chiffre de 3,5 millions de person<strong>ne</strong>s mal logées. Or, depuis 2007, le nombre de<br />

logements mis en chantier diminue, pour atteindre 330 000 logements en 2009.<br />

La crise environ<strong>ne</strong>mentale va venir aggraver <strong>la</strong> crise du logement en accroissant le coût de <strong>la</strong> construction et en<br />

rendant le parc ancien encore « plus fragile ».<br />

Construction <strong>ne</strong>uve et parc ancien<br />

On compte en France 32 millions de logements dont 4,4 millions de logements sociaux. Ces logements sociaux<br />

représentent 42 % des 10,3 millions de logements locatifs. Ces chiffres sont à comparer avec celui du nombre de logements<br />

construits annuellement, en moyen<strong>ne</strong> 300 000, soit moins de 1 % du parc existant.<br />

En conséquence, les recherches QEB sur le logement doivent porter principalement sur le bâti existant et sa<br />

réhabilitation. Mais avant de se <strong>la</strong>ncer à <strong>la</strong> chasse aux calories on doit se poser u<strong>ne</strong> question de principe : qui va payer les<br />

travaux d'iso<strong>la</strong>tion nécessaires ? La réponse à cette question peut orienter fortement notre recherche.<br />

18


Un surcoût pour quoi faire ?<br />

Pour les propriétaires occupants des 2/3 des logements existants, les travaux d'iso<strong>la</strong>tion participent du maintien de <strong>la</strong><br />

valeur du bien immobilier et sont amortissables grâce aux économies d'é<strong>ne</strong>rgie réalisées. En revanche, pour les propriétaires<br />

bailleurs, les travaux d'iso<strong>la</strong>tion doivent s'intégrer au p<strong>la</strong>nning financier des grosses réparations et des améliorations (au<br />

moment des ravalements par exemple) et les dépenses liées à l'iso<strong>la</strong>tion seront amorties par...u<strong>ne</strong> augmentation des loyers !<br />

En quelque sorte, un « juste retour des choses » puisque les économies d'é<strong>ne</strong>rgie bénéficieront aux locataires tant qu'ils<br />

paieront leurs factures de gaz et d'électricité. Mais u<strong>ne</strong> fois les dépenses amorties, au bout de plusieurs années, il semble très<br />

peu probable que les loyers soient diminués pour être ramenés à leur valeur initiale.<br />

Ce<strong>la</strong> veut dire que de simples travaux d'iso<strong>la</strong>tion peuvent entraî<strong>ne</strong>r u<strong>ne</strong> augmentation des loyers et contribuer un peu<br />

plus à l’aggravation de <strong>la</strong> crise du logement.<br />

L’augmentation du coût de <strong>la</strong> construction est un des facteurs importants de <strong>la</strong> crise du logement. Tout le monde<br />

s’accorde pour constater que les efforts engagés pour rendre les bâtiments plus performants é<strong>ne</strong>rgiquement ont renchéri les<br />

coûts de l’ordre de 20 %. On peut imagi<strong>ne</strong>r que <strong>la</strong> production à u<strong>ne</strong> échelle industrielle des matériaux et systèmes nécessaires<br />

va rame<strong>ne</strong>r cette augmentation à 10 ou 15 % pour un bâtiment BBC.<br />

Mais traduit autrement, cette augmentation de 15 % pour le BBC correspond à <strong>la</strong> construction de 50 000 logements<br />

par an (au rythme actuel) ou à <strong>la</strong> réhabilitation d'environ 200 000 logements. Ou encore, rapporté au logement dans ses<br />

formes actuelles, le surcoût « BBC » équivaut à <strong>pas</strong>ser du 3P au 4P, u<strong>ne</strong> pièce de plus !<br />

Ces comparaisons de chiffres mettent en exergue u<strong>ne</strong> question rarement abordée : sur quels standards de confort est<br />

établie <strong>la</strong> recherche des économies d'é<strong>ne</strong>rgie ? Quelles seraient les économies réalisées en <strong>pas</strong>sant du standard des 19°C<br />

appliqué à tout le logement à celui de 15°C dans le s chambres et 19°C à u<strong>ne</strong> partie seulement du séjour ? Dans l’approche<br />

environ<strong>ne</strong>mentale du bâtiment, les critères de confort retenus sont toujours ceux d’u<strong>ne</strong> société d’abondance, d’u<strong>ne</strong> société<br />

riche, en plei<strong>ne</strong> croissance où chacun, suivant ses moyens, est à même de choisir son niveau de confort avec un minimum<br />

garanti par <strong>la</strong> loi. Cette « liberté » conduit, et souvent chez les plus démunis, à des comportements déraisonnables comme<br />

vivre chez soi toute l’année en T-shirt et en tongs.<br />

19


La tendance à <strong>la</strong> diminution des surfaces<br />

Dans le logement, et c'est encore plus vrai dans l'accession privée que dans le social, <strong>la</strong> tendance depuis 30/40 ans<br />

est à <strong>la</strong> diminution des surfaces habitables. <strong>Les</strong> statistiques officielles peuvent montrer le contraire mais elles sont établies sur<br />

<strong>la</strong> surface habitée par individu et non sur celle des logements en rapport avec <strong>la</strong> structure familiale. La surface par person<strong>ne</strong> a<br />

augmenté, pour atteindre environ 22 m², alors que <strong>la</strong> surface d'un 4 pièces par exemple est <strong>pas</strong>sée de 82 m² en moyen<strong>ne</strong> dans<br />

les bâtiments construits avant 1980, à moins de 77 m² aujourd'hui. Cette différence s’explique par l’évolution de <strong>la</strong> structure de<br />

<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, en particulier en ville, par l’augmentation du nombre des person<strong>ne</strong>s vivant seules et par l'éc<strong>la</strong>tement de <strong>la</strong> cellule<br />

familiale.<br />

Cette tendance à <strong>la</strong> diminution des surfaces des logements a pour causes principales <strong>la</strong> concentration urbai<strong>ne</strong>, le coût<br />

du foncier et <strong>la</strong> recherche du profit immobilier. Elle peut aussi prendre <strong>la</strong> forme d'u<strong>ne</strong> diminution des surfaces pour certains<br />

usages à l'intérieur même des logements, et ce<strong>la</strong> sous l'effet d'u<strong>ne</strong> nouvelle réglementation. Par exemple, les règles d'accès au<br />

logement pour les person<strong>ne</strong>s à mobilité réduite n'ont <strong>pas</strong> eu pour conséquences l’augmentation de <strong>la</strong> surface totale des<br />

logements mais u<strong>ne</strong> redistribution de celle-ci entre les pièces et les usages. La cuisi<strong>ne</strong>, les sanitaires et u<strong>ne</strong> chambre se sont<br />

agrandis au « détriment » du séjour et des autres chambres. Ou encore, dans certains programmes de construction <strong>ne</strong>uve, <strong>la</strong><br />

cuisi<strong>ne</strong> disparaît, remp<strong>la</strong>cée par un séjour/cuisi<strong>ne</strong>/salle à manger.<br />

Avec les nouvelles obligations réglementaires et <strong>la</strong> nécessaire rénovation é<strong>ne</strong>rgétique, cette tendance à <strong>la</strong> diminution<br />

des surfaces habitables risque de s'amplifier.<br />

1969 1978 2010<br />

F4 81m² F4 86m² F4 77m²<br />

20


ITE ou ITI ?<br />

Dans <strong>la</strong> construction <strong>ne</strong>uve, le choix reste ouvert avec u<strong>ne</strong> préférence pour l'ITE permettant de supprimer plus<br />

facilement les ponts thermiques. Pour <strong>la</strong> rénovation des bâtiments existants, le dilemme entre ITE et ITI est plus difficile à<br />

trancher. Soit le bâtiment n'a <strong>pas</strong> de « valeur architecturale » et on peut avec l'ITE lui don<strong>ne</strong>r u<strong>ne</strong> « nouvelle jeu<strong>ne</strong>sse », soit il<br />

participe du patrimoi<strong>ne</strong> qu'il faut « sauvegarder », alors l'ITI s'impose, mais au prix d’u<strong>ne</strong> moins bon<strong>ne</strong> performance<br />

é<strong>ne</strong>rgétique, d'u<strong>ne</strong> diminution de sa surface habitable et, en conséquence, d'u<strong>ne</strong> diminution de sa valeur marchande et de sa<br />

valeur locative.<br />

Prenons l'exemple d'un appartement haussmannien dans le 4 e arrondissement de Paris. Pas question de l'isoler par<br />

l'extérieur au nom de <strong>la</strong> sauvegarde du patrimoi<strong>ne</strong>, alors <strong>la</strong> solution s'impose de l'isoler par l'intérieur (15/20 cm de complexe<br />

iso<strong>la</strong>nt et double fenêtre) avec pour conséquence, non seulement <strong>la</strong> disparition dans plusieurs pièces des <strong>la</strong>mbris et des<br />

corniches (le « charme de l'ancien » !) mais surtout u<strong>ne</strong> diminution de <strong>la</strong> surface habitable de 8 m². Au prix de 11 000 € le m²<br />

dans le 4 e , <strong>la</strong> décision sera difficile à prendre.<br />

On pourrait espérer que <strong>la</strong> valeur marchande ou <strong>la</strong> valeur locative d’un bien immobilier intégrera sa « valeur<br />

é<strong>ne</strong>rgétique », en quelque sorte u<strong>ne</strong> « plus-value thermique ». C’est déjà en partie le cas puisque le montant des charges liées<br />

à un logement constitue, mais de façon marginale, un des éléments du prix. Et cette « plus-value » thermique apparaît<br />

vertueuse puisqu’elle pourrait inciter les propriétaires à entreprendre des travaux d’iso<strong>la</strong>tion.<br />

En revanche, dans u<strong>ne</strong> situation de pénurie d’é<strong>ne</strong>rgie, <strong>la</strong> « plus-value thermique » peut devenir u<strong>ne</strong> source grave d’inégalité et<br />

de discrimination. Suivant le niveau d’iso<strong>la</strong>tion des bâtiments, non seulement les « défavorisés » subiront seuls et de plein<br />

fouet l’inf<strong>la</strong>tion du coût de l’é<strong>ne</strong>rgie, mais en plus leur bien sera dévalorisé. D’u<strong>ne</strong> certai<strong>ne</strong> façon, les « mal isolés » seront de<br />

plus en plus pauvres et les « bien isolés » de plus en plus riches.<br />

Alors, au nom de <strong>la</strong> performance, et de <strong>la</strong> valeur marchande, il <strong>ne</strong> faut plus hésiter, vive l’ITE ?<br />

21


Contre le <strong>pas</strong>sif<br />

L'aboutissement logique de <strong>la</strong> recherche de <strong>la</strong> meilleure performance é<strong>ne</strong>rgétique est le bâtiment <strong>pas</strong>sif.<br />

Si l'écoquartier, c'est le vil<strong>la</strong>ge gaulois, l' « écologie dans un seul quartier », le bâtiment <strong>pas</strong>sif, <strong>la</strong> maison <strong>pas</strong>sive, c'est<br />

l' « écologie chacun pour soi ».<br />

Nous sommes encore aujourd’hui dans u<strong>ne</strong> situation de libre choix entre investir pour diminuer, voire annuler sa<br />

facture é<strong>ne</strong>rgétique, ou continuer à payer ses factures de gaz et d’électricité. En revanche, dans <strong>la</strong> situation de pénurie qui<br />

nous attend (dans 10 ou 20 ans ?), <strong>ne</strong> se posera plus <strong>la</strong> question du libre choix, mais celle de trouver les moyens d’assurer à<br />

chacun le minimum d’é<strong>ne</strong>rgie nécessaire pour se chauffer ou se dép<strong>la</strong>cer. La comparaison mérite d’être faite avec les situation<br />

de crise alimentaire ; en période de fami<strong>ne</strong>, les ressources sont mises en commun et sont redistribuées de façon « égalitaire »<br />

pour assurer à chacun le minimum pour survivre. La mutualisation des ressources et le ration<strong>ne</strong>ment s’imposent à tous. Et le<br />

propriétaire d’un potager ou d’un pou<strong>la</strong>iller n’échappe <strong>pas</strong> à <strong>la</strong> règle. De même, l’habitant d’un bâtiment <strong>pas</strong>sif <strong>ne</strong> pourra rester<br />

douillettement au chaud pendant que son voisin « crève de froid ».<br />

La responsabilité des <strong>architectes</strong> est engagée. Bien sûr, les bâtiments publics (écoles, hôpitaux, équipements<br />

culturels, etc.) doivent devenir <strong>pas</strong>sifs car ils sont, de par leur nature et leur fonction<strong>ne</strong>ment, déjà « mutualisés ». En revanche,<br />

pour les bâtiments privés, en particulier pour le logement, nous <strong>ne</strong> devons <strong>pas</strong> aller au delà des exigences que notre société se<br />

don<strong>ne</strong> (RT2012, BBC, etc.) au risque de travailler à son délitement. Proposer, é<strong>la</strong>borer des projets privés <strong>pas</strong>sifs, c’est<br />

encourager les réponses partielles et individuelles favorisant le repli douillet alors que <strong>la</strong> crise environ<strong>ne</strong>mentale nécessite des<br />

réponses à l’échelle p<strong>la</strong>nétaire. Encore u<strong>ne</strong> fois, <strong>la</strong> démonstration doit être faite pour les bâtiments publics, mais le <strong>pas</strong>sif pour<br />

le privé revient à faire croire que <strong>la</strong> solution est dans <strong>la</strong> multiplication des initiatives individuelles sans prendre en considération<br />

que cette solution n’est <strong>pas</strong> applicable à tous les bâtiments existants et qu’en conséquence elle risque d’introduire u<strong>ne</strong> nouvelle<br />

forme de discrimination.<br />

22


Le bâtiment positif est <strong>la</strong> caricature du <strong>pas</strong>sif. Non seulement on annule sa facture é<strong>ne</strong>rgétique, mais en plus on devient<br />

producteur d’é<strong>ne</strong>rgie que l’on va revendre à son voisin. Le soleil, le vent, l’eau, qui appartien<strong>ne</strong>nt à tout le monde, sont mis en<br />

boîte et revendus par ceux qui ont les moyens d’acheter le capteur adéquat. Le caractère immoral ou pour le moins injustifiable<br />

de ce commerce n’a échappé à person<strong>ne</strong> quand les toitures des granges, des étables se sont recouvertes de pan<strong>ne</strong>aux<br />

photovoltaïques pour produire de l’électricité achetée par EDF et revendue aux particuliers. Lorsque les autorités<br />

gouver<strong>ne</strong>mentales ont décidé de baisser le prix de rachat, les investisseurs ont vite calculé que leur profit n’était plus assuré et<br />

ils se sont désengagés.<br />

Cet exemple montre en creux qu’u<strong>ne</strong> part de l’é<strong>ne</strong>rgie reste un bien commun et que chacun doit pouvoir y avoir accès pour<br />

assurer son minimum de besoins.<br />

Pour un loyer charges comprises et… gratuites<br />

La possibilité pour chacun d'avoir accès aux ressources é<strong>ne</strong>rgétiques <strong>ne</strong> doit <strong>pas</strong> être u<strong>ne</strong> nouvelle source de concurrence et<br />

u<strong>ne</strong> nouvelle forme de discrimination sociale. Dans <strong>la</strong> société d' « abondance é<strong>ne</strong>rgétique », les différences de niveau de<br />

richesse rendent inégal l'accès à l'é<strong>ne</strong>rgie, <strong>la</strong> précarité é<strong>ne</strong>rgétique est déjà u<strong>ne</strong> réalité.<br />

Dans u<strong>ne</strong> société de pénurie, l'égalité d'accès doit être u<strong>ne</strong> règle fondamentale au risque de <strong>la</strong> désintégration sociale et de <strong>la</strong><br />

guerre civile. Scénario catastrophe ? <strong>Les</strong> guerres pour le pétrole avec leurs millions de morts (Iran/Irak) nous confirment<br />

le contraire. Ce principe de l’égalité d’accès appliqué au logement social ou au logement tout court impose que tout le monde<br />

soit logé à <strong>la</strong> même enseig<strong>ne</strong>, dans le <strong>ne</strong>uf comme dans l'ancien, que les loyers soient calculés non plus seulement à <strong>la</strong><br />

surface mais qu’ils intègrent les charges de fonction<strong>ne</strong>ment (eau, électricité, chauffage, déchets…), et que ces charges soient<br />

calculées après u<strong>ne</strong> mutualisation des ressources et des besoins, bref que l’accès aux ressources minimales soit gratuit.<br />

23


Durable/durabilité<br />

Le durable est u<strong>ne</strong> nécessité pour assurer le maintien, <strong>la</strong> reproduction et le développement de notre cadre bâti à<br />

l’échelle des futures générations, avec un impact minimum sur notre environ<strong>ne</strong>ment et nos ressources naturelles. Dans le<br />

durable, <strong>la</strong> notion de recyc<strong>la</strong>ge intervient comme u<strong>ne</strong> nouveauté majeure dans le bâtiment : il s’agit de se préoccuper, avant<br />

même de construire, de l’empreinte écologique dans <strong>la</strong> fabrication des matériaux à mettre en œuvre et des possibilités de leur<br />

réutilisation. Compte tenu de <strong>la</strong> durée du bâtiment toujours plus courte, le recyc<strong>la</strong>ble est présenté comme source d'économie<br />

sur le moyen terme. En revanche, <strong>la</strong> durabilité des bâtiments est un objectif à long terme pour limiter au maximum<br />

l'investissement social dans l'entretien et <strong>la</strong> reconstruction.<br />

Il <strong>ne</strong> s'agit plus de construire des bâtiments capables de résister au temps, transmissibles de génération en<br />

génération, que nos enfants vont transformer, agrandir, enrichir. Aujourd'hui, il s'agit davantage de construire des bâtiments à<br />

durée de vie plus ou moins courte mais recyc<strong>la</strong>bles, pour lesquels on se préoccupe avant même leur réalisation des modalités<br />

de leur destruction et du réemploi possible des matériaux mis en œuvre.<br />

L'histoire de <strong>la</strong> construction est marquée par <strong>la</strong> recherche et l'invention de matériaux qui offrent <strong>la</strong> meilleure résistance<br />

structurelle et <strong>la</strong> meilleure résistance aux intempéries ; l'humanité a connu les branchages, le bois, <strong>la</strong> terre, <strong>la</strong> terre cuite, <strong>la</strong><br />

pierre de taille, l'acier, le béton, le verre… Hé<strong>la</strong>s, plus les matériaux sont performants structurellement, plus leur résistance<br />

thermique est faible. Aujourd’hui, il semble qu’il y a u<strong>ne</strong> rupture dans le déroulement de cette histoire de <strong>la</strong> construction. Pour<br />

des raisons de performance é<strong>ne</strong>rgétique et d’empreinte écologique on se propose de revenir à des constructions en bois, en<br />

terre, en paille, en papier et en carton. Il y a là un paradoxe : au nom du durable, on met en œuvre des matériaux dont <strong>la</strong> durée<br />

de vie est plus courte.<br />

Ainsi, <strong>la</strong> durée de vie des bâtiments n'est plus <strong>la</strong> préoccupation première. Cette préoccupation de toute société espérant son<br />

avenir possible <strong>pas</strong>se après <strong>la</strong> volonté de s'inscrire dans un cycle de production-transformation et réutilisation qui sera d'autant<br />

plus vertueux s'il s'appuie sur des matériaux d'origi<strong>ne</strong> naturelle. On <strong>ne</strong> peut <strong>pas</strong> s'empêcher de faire le parallèle entre ce cycle<br />

du durable et le cycle de <strong>la</strong> marchandise. La bon<strong>ne</strong> « santé» de notre société repose sur <strong>la</strong> rapidité du remp<strong>la</strong>cement des<br />

objets et des biens qui nous sont nécessaires, c'est le cycle de <strong>la</strong> marchandise, cycle nécessaire à <strong>la</strong> croissance infinie.<br />

24


Le bâti, en Europe, a en partie échappé à ce cycle de <strong>la</strong> marchandise (l'u<strong>ne</strong> des raisons en est bien sûr que le foncier<br />

n'est <strong>pas</strong> reproductible) et a constitué <strong>la</strong> valeur refuge dans le développement chaotique de notre société. A l’inverse, aux<br />

Etats-Unis, aux « ressources foncières » quasi inépuisables, le bâti n'est <strong>pas</strong> le socle principal du patrimoi<strong>ne</strong>, de <strong>la</strong> richesse.<br />

<strong>Les</strong> standards de construction <strong>ne</strong> sont <strong>pas</strong> les mêmes que les nôtres : priorité est donnée à <strong>la</strong> rapidité de réalisation<br />

(poteau/poutre et construction en bois et en acier). <strong>Les</strong> considérations pour <strong>la</strong> transformation ou le changement de destination<br />

des bâtiments sont absentes des préoccupations, le fonctionnalisme règ<strong>ne</strong> en maître. Quand ils devien<strong>ne</strong>nt obsolètes, les<br />

bâtiments sont tout simplement abandonnés, démolis ou <strong>la</strong>issés en p<strong>la</strong>n en attendant que le temps face son œuvre.<br />

Le cycle court du bâtiment qui pourrait s’instaurer dans <strong>la</strong> construction durable est contradictoire avec l’état du parc<br />

bâti en France. Rappelons qu’au moins 2/3 des logements ont été construits en France avant 1977 et… en béton. Leur état de<br />

conservation est médiocre voire catastrophique pour de nombreux ensembles de logements sociaux. Et cet état <strong>ne</strong> s’est <strong>pas</strong><br />

amélioré après <strong>la</strong> première campag<strong>ne</strong> d’iso<strong>la</strong>tion <strong>la</strong>ncée dans les années 80 suite au premier choc pétrolier, où sur un vieux<br />

corps ma<strong>la</strong>de mais « indestructible », on est venu poser des bandelettes d’iso<strong>la</strong>tion. Ce qui devait se produire s’est produit : les<br />

stigmates des « grands ensembles » n’ont <strong>pas</strong> été effacés par les vêtures mises en p<strong>la</strong>ce car celles-ci ont vite connu les affres<br />

du temps. L’image déjà négative de ces ensembles s’est dégradée et a renforcé encore un peu plus <strong>la</strong> ségrégation spatiale.<br />

Aujourd’hui, u<strong>ne</strong> esthétique du durable s’est mise en p<strong>la</strong>ce (ce qui n’a <strong>pas</strong> échappé aux promoteurs privés) avec bardage bois,<br />

toit végétalisé et pan<strong>ne</strong>aux so<strong>la</strong>ires. La gamme des matériaux d’iso<strong>la</strong>tion par l’extérieur et de vêture s’enrichit tous les jours<br />

sans qu’on s’interroge beaucoup sur leur tenue dans le temps et sur les difficultés de leur mise en œuvre par u<strong>ne</strong> main<br />

d’œuvre de moins en moins qualifiée.<br />

<strong>Les</strong> <strong>architectes</strong> <strong>ne</strong> doivent <strong>pas</strong> refaire les mêmes erreurs que leurs anciens. Nous devons nous inquiéter de <strong>la</strong><br />

pérennité dans le temps des matériaux mis en œuvre, pour des raisons patrimoniales et pour le coût social induit par u<strong>ne</strong><br />

dégradation rapide du cadre bâti. Certai<strong>ne</strong>s collectivités et maîtres d’ouvrage mettent déjà <strong>la</strong> durabilité au même rang que le<br />

durable, jusqu’à rejeter les solutions « trop faciles » d’iso<strong>la</strong>tion par l’extérieur pour s’assurer de <strong>la</strong> solidité des façades.<br />

25


La crise du logement, c'est aussi <strong>la</strong> crise de <strong>la</strong> recherche sur le logement<br />

Dans les années 80, <strong>la</strong> critique de l'urbanisme « moder<strong>ne</strong> » et le retour à l'urbanité se sont accompagnés d'u<strong>ne</strong><br />

recherche sur de nouveaux modes d'habiter. A <strong>la</strong> standardisation du p<strong>la</strong>n du logement définie par l'impératif de <strong>la</strong> trame, et<br />

bientôt, par l'impératif de <strong>la</strong> trame du parking, les <strong>architectes</strong> ont alors répondu par <strong>la</strong> recherche d'un p<strong>la</strong>n de logement moins<br />

fonction<strong>ne</strong>l, définissant de façon moins univoque les usages. Ils ont aussi recherché des modes de construire économiques<br />

permettant pour le même prix de réaliser des logements plus grands. Certains, comme Nouvel, ont réussi le pari de construire<br />

au même coût des logements 20 % plus grands.<br />

Le premier choc pétrolier a été l’occasion de voir fleurir des projets d’habitat so<strong>la</strong>ire. Hé<strong>la</strong>s, <strong>la</strong> crise immobilière, début 90, a<br />

remisé au p<strong>la</strong>card toutes ces recherches et les maîtres d’ouvrage sont revenus aux standards éprouvés par le marché.<br />

Depuis 20 ans, rares sont les <strong>architectes</strong> qui s’interrogent sur ces standards, ou qui pour le moins, s'intéressent<br />

encore à <strong>la</strong> qualité des logements. La crise environ<strong>ne</strong>mentale est « l'occasion » de réinvestir ce champ, pour améliorer <strong>la</strong><br />

qualité des logements. Ce<strong>la</strong> veut dire aussi que <strong>la</strong> recherche des économies d'é<strong>ne</strong>rgie doit être l'occasion d'offrir de nouveaux<br />

espaces pour de nouveaux usages, pour satisfaire des besoins aujourd'hui limités. Seules ces nouvelles surfaces à vivre<br />

pourraient « justifier » u<strong>ne</strong> augmentation des loyers.<br />

Nous <strong>ne</strong> devons <strong>pas</strong> nous en tenir aux seules réponses techniques qui nous sont proposées aujourd'hui. L'architecte,<br />

c’est son métier, doit se préoccuper d’abord de l'espace entre les murs, de l'aspect du mur, de sa solidité, et secondairement<br />

de <strong>la</strong> composition du mur. <strong>Les</strong> moyens techniques qui sont à notre disposition le sont pour nous abstraire, d’u<strong>ne</strong> certai<strong>ne</strong><br />

façon, de <strong>la</strong> pesanteur, de <strong>la</strong> matérialité de l’espace que nous sommes en train de construire. Par exemple, nos connaissances<br />

en résistance des matériaux doivent nous éviter les contresens structurels, de même nos connaissances « thermiques »<br />

doivent nous éviter dans <strong>la</strong> conception de nos bâtiments les « grosses fuites de calories ».<br />

Restons attachés à notre métier de base, le travail sur l’espace construit, et engageons l’approche environ<strong>ne</strong>mentale<br />

du bâti en architecte.<br />

Bernard Paurd arch. 1993<br />

Jean Nouvel 1987<br />

26


Travailler sur l'épaisseur des espaces plutôt que sur l'épaisseur des murs<br />

La recherche des économies d'é<strong>ne</strong>rgie doit être l'occasion d'offrir de nouveaux espaces pour<br />

de nouveaux usages afin de satisfaire des besoins aujourd'hui limités, l’occasion de rechercher de<br />

nouvelles surfaces à vivre.<br />

Dans les sociétés tradition<strong>ne</strong>lles, ou pour nos grands-parents ou arrière-grands-parents, <strong>la</strong> vie<br />

domestique était rythmée par les changements de saisons et les écarts du climat. Le logement était<br />

adapté à ces dvariations du temps, avec ses pièces chaudes et ses pièces fraîches, avec les cuisi<strong>ne</strong>s<br />

d’hiver et les cuisi<strong>ne</strong>s d’été, avec même les p<strong>la</strong>cards à vêtements organisés suivant les saisons. Le<br />

rythme et l’organisation de travail étaient eux-mêmes établis suivant les heures chaudes ou froides de<br />

<strong>la</strong> journée.<br />

27


Relisons l’article de Jean<strong>ne</strong>-Marie Alexdroff, architecte, parue dans Techniques et Architecture n°315 en juillet 1977<br />

dont nous reproduisons les illustrations.<br />

« Nous voudrions indiquer l’intérêt de <strong>la</strong> lecture climatique des habitats<br />

tradition<strong>ne</strong>ls. Non pour jouer le jeu stérile de « l’explication c<strong>la</strong>ire », mais parce<br />

que le climat, sa prise en compte, et les formes, volumes en résultant, relèvent<br />

essentiellement, profondément de l’acte du bâtisseur, de <strong>la</strong> spécificité des « styles »,<br />

de <strong>la</strong> dynamique de <strong>la</strong> création architecturale de tous les lieux, de tous les temps,<br />

qu’il nous faut redécouvrir aujourd’hui dans notre pratique et, mieux, dans notre<br />

sensibilité. »<br />

J-M Alexandroff<br />

28


De même que <strong>la</strong> mondialisation a « annulé » les distances, <strong>la</strong> mondialisation a « supprimé » le climat, et mis tout le<br />

monde a travailler au même rythme, presque aux mêmes horaires. Parallèlement, le développement de <strong>la</strong> culture de masse<br />

dans nos sociétés occidentales s'est traduit par u<strong>ne</strong> standardisation des logements quelle que soit leur situation géographique.<br />

Du nord au sud, <strong>la</strong> « maison de nos rêves » est sensiblement <strong>la</strong> même sauf peut-être <strong>la</strong> toiture qui diffère entre <strong>la</strong> tuile à côte et<br />

<strong>la</strong> tuile canal !<br />

La question se pose aujourd'hui de retrouver ou d'inventer, dans le cadre d’u<strong>ne</strong> économie de moyens, des modes<br />

d'habiter mieux adaptés aux situations et changements climatiques, de retrouver des usages correspondant mieux à notre<br />

environ<strong>ne</strong>ment.<br />

Dans les projets <strong>ne</strong>ufs, et encore plus dans les projets de réhabilitation, les premières solutions à explorer et à mettre<br />

en œuvre sont les espaces tampons jouant le rôle de protection thermique. Des projets de ce type ont déjà vu le jour comme<br />

ceux de Lacaton et Vassal pour <strong>la</strong> rénovation de <strong>la</strong> Tour Bois le Prête-Drouot, de Patrick Bouchain à Roubaix-Tourcoing ou<br />

encore de Bartolo Villemard à Paris 17 e . Il faut parallèlement repenser les p<strong>la</strong>ns de logements en jouant sur le « climat » de<br />

chacu<strong>ne</strong> des pièces, en augmentant l’épaisseur des bâtiments, mais cette recherche de compacité <strong>ne</strong> doit <strong>pas</strong> aboutir à un<br />

« étirement » du logement, elle doit se faire par l’addition de pièces.<br />

Mais pour ce<strong>la</strong>, il nous faut de <strong>la</strong> surface et nous devons <strong>la</strong> réc<strong>la</strong>mer auprès des maîtres d’ouvrage au nom de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète !<br />

Bartolo Villemard<br />

Patrick Bouchain<br />

Lacaton &Vassal<br />

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CONCLUSION<br />

« L’architecture <strong>ne</strong> peut sauver le monde, mais elle peut don<strong>ne</strong>r l’exemple » Alvar Aalto<br />

L’approche qualité environ<strong>ne</strong>mentale du bâtiment impose u<strong>ne</strong> transversalité des pratiques. Elle réunit autour de<br />

chaque projet tous les acteurs concernés, utilisateurs, politiques, maîtres d’ouvrage, entreprises, techniciens. L’architecte, seul<br />

à pouvoir imagi<strong>ne</strong>r le projet dans l’espace, est au centre de cette transversalité, position qui lui confère un rôle émi<strong>ne</strong>mment<br />

politique dans <strong>la</strong> recherche d’u<strong>ne</strong> synthèse d’orientations différentes, voire contradictoires. A <strong>la</strong> lumière de ce qui s’est <strong>pas</strong>sé<br />

dans les années 70 en France, il faut réaffiermer que le rôle de l’architecte, en même temps qu’il projette le futur cadre bâti,<br />

est de mesurer les conséquences sociales de msa mise en oeuvre.<br />

Penser écologiquement est u<strong>ne</strong> nécessité impérative dans nos pratiques profession<strong>ne</strong>lles quotidien<strong>ne</strong>s. Si les<br />

<strong>architectes</strong> faisaient, comme MonsieurJourdain, de l’écologie sans le savoir, ils doivent pouvoir aujourd’hui en mesurer ses<br />

effets et ses limites. Ils doivent aussi repenser écologiquement <strong>la</strong> crise de <strong>la</strong> Ville et du logement, objet principal de leur<br />

préoccupation depuis qu’ils sont devenus autre chose que des « Architectes du Prince ».<br />

<strong>Les</strong> <strong>architectes</strong> <strong>ne</strong> « <strong>sauveront</strong> <strong>pas</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète » mais ils doivent y participer avec tous leurs moyens, mêmes limités.<br />

Le discours « écologiquement correct » est prégnant et person<strong>ne</strong> n’y échappe. Mais il <strong>ne</strong> doit <strong>pas</strong> être un rideau de fumée<br />

masquant <strong>la</strong> poursuite de pratiques et de politiques d’aménagement, spécu<strong>la</strong>tion foncière et ségrégation sociale, qui sont l’u<strong>ne</strong><br />

des causes de <strong>la</strong> crise environ<strong>ne</strong>mentale. Il faut au contraire retour<strong>ne</strong>r ce discourt dominant, en faire un argumentaire<br />

«imparable » pour obliger les décideurs à prendre les mesures nécessaires permettant d'assurer aux plus grand nombre un<br />

cadre de vie décent.<br />

Nous pouvons reprendre à notre compte les propos de Thierry Paquot :<br />

« Faire en sorte que chacu<strong>ne</strong> de nos actions soit guidée par ce souci écologique au point de métamorphoser u<strong>ne</strong> contrainte en agrément.<br />

S’opposer au négatif. Ruser. Retour<strong>ne</strong>r <strong>la</strong> situation à l’avantage de cette préoccupation éthique. »<br />

Tous les <strong>architectes</strong> accompag<strong>ne</strong>nt, justifient, enveloppent aujourd’hui leur démarche et leurs réalisations d’un papier cadeau<br />

durable. Certains en font même leur « fond de commerce » car <strong>la</strong> tentation est grande, dans <strong>la</strong> situation critique de notre<br />

profession aujourd’hui, de devenir un spécialiste de l’héliocentrisme ou de <strong>la</strong> ouate de cellulose. La tentation d’en faire « plus »<br />

est humai<strong>ne</strong> et sympathique. Mais en vou<strong>la</strong>nt enfourcher u<strong>ne</strong> « juste cause », faisons attention de <strong>ne</strong> <strong>pas</strong> tomber de l’autre<br />

côté du cheval.<br />

Ne restons <strong>pas</strong> <strong>pas</strong>sifs, soyons actifs.<br />

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REPERES BIBLIOGRAPHIQUES<br />

Jean<strong>ne</strong>-Marie Alexandroff, « Habitat vernacu<strong>la</strong>ire et milieu climatique » TA 1977<br />

Christian Mo<strong>la</strong>y, « L’innovation architecturale dans <strong>la</strong> production du logement social » P<strong>la</strong>n construction 1979<br />

Michel Ragon, « L’architecte le prince et <strong>la</strong> démocratie » Albin Michel 1987<br />

Françoise Arnold, « Le logement collectif » Le moniteur 1996<br />

Jasques Donzelot, « <strong>la</strong> Ville à trois vitesses » Esprit mars 2004<br />

Observatoire de <strong>la</strong> ville, « Formes d’habitat et densités urbai<strong>ne</strong>s. Risques et opportunités pour <strong>la</strong> ville de demain » 2006<br />

Jean-Marc Stébé, « La crise des banlieues » PUF 2007<br />

Thierry Paquot, « Petit manifeste pour u<strong>ne</strong> écologie existantielle » Bourin 2007<br />

Jean-Marc Stébé, « Le logement social en France » PUF 2009<br />

Eric Charmes et Taoufik Souami, « Villes rêvées villes durables » Gallimard 2009<br />

Ministère de l’écologie (…), « Ville durable écoquartiers 2009 » AAM 2009<br />

Paul Ariès, « La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance » La découverte 2010<br />

Recueil d’interventions, « Ralentir <strong>la</strong> ville pour u<strong>ne</strong> ville solidaire » Golias 2010<br />

Revue d’A n°195, « Ecoquartier : de l’évangélisme à l’expectative » Novembre 2010<br />

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