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H sur Genève - Margelle

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DU MÊME AUTEUR<br />

Aux Éditions La <strong>Margelle</strong><br />

Romans<br />

Idéale Maîtresse, Les aventures de Lilith, 1 999<br />

On a volé le Big Bang, Fréquence Femme I, 2 000<br />

Les Culs, (Une promenade parisienne), Fréquence Femme II, 2 001<br />

Sauve qui peut l’Amérique, (1776-2015) Trilogie Chandro I, 2 002<br />

L’Amérique brûle-t-elle ? Trilogie Chandro II, 2 003<br />

Les Angiospermes, (Un opéra parlé et version théâtre), II, 2 003.<br />

À paraître<br />

2004<br />

Mais qui s’est tapé Molly Schmoll ? 2004<br />

(Arizona Mexique. Pourquoi Dieu existe et n’existe pas)<br />

2 005<br />

Sauve qui peut la Femme, Trilogie Chandro III<br />

La Tempête, Fréquence Femme III.<br />

Une semaine bien remplie, (La Genèse revisitée).<br />

2 006<br />

Imaginaire du cinéma américain.<br />

Ishtar ou la machine à lire le monde.<br />

Le chaînon manquant (Féminin VS, philosophie)<br />

Mécanique théologique différentielle et intégrale.<br />

Études, portrait, Monodrames<br />

Structure et intuition (Gallimard), 1 960<br />

Ansermet (re) suscité (Repères, Payot/L’Âge d’homme), 1 983<br />

Boulez dé-visagé (l’ARC, Paris), 1 984<br />

Le Fleuve de tous les silences (Ed. Franco Maria Ricci, Milan), 1 985<br />

Schönberg et son double, 1 967<br />

La Vie merveilleuse, Anton Webern, 1 969<br />

Monsieur Berg est venu ce soir, 1 982


H <strong>sur</strong> <strong>Genève</strong><br />

Histoire vraie de Mirabelle LaNuit<br />

ou<br />

Les derniers instants de la Cité de Calvin<br />

suivi de<br />

Index pervers polymorphe<br />

LA MARGELLE<br />

(Flash)


Toute ressemblance avec des personnages existant, ayant existé ou<br />

persuadés d’exister ne serait que le fruit de leur vanité et du hasard, qui<br />

ne fait pas toujours bien les choses. Les figures entachées de réalité<br />

sont explicitement reconnues dans l’Index pervers polymorphe dont le<br />

titre — comme le dit un démon de <strong>sur</strong>face de ces pages, citant Jean<br />

Cocteau sans le savoir — ne s’explique pas mais se sent.<br />

Editions La <strong>Margelle</strong> 2004<br />

Tous droits réservés. Image de couverture Jill Sophie<br />

www.margelle.org<br />

ISBN 2-0940296-05-7


Remerciements à Christian Buenzod à qui j’ai volé un polar et qui,<br />

non content de m’avoir appris un nouveau métier, vient de réaliser<br />

son OPA <strong>sur</strong> les Éditions La <strong>Margelle</strong>, à Luc Pape qui du CERN<br />

vérifie mes descriptions nucléaires. À Woodstock le tendre et subtil.<br />

À un jeune mythe dont je n’attends rien moins que la révision de cette<br />

aberration qu’est la religion : qui d’autre que la physique pourrait y<br />

mettre un terme ? Au Parasol qui, de son univers mexicain, émet des<br />

cuis et vient de plonger dans ce livre. Je lui ouvre la voie.


À Odyssée<br />

Reine exemplaire<br />

Brave torse<br />

et compagne de toujours<br />

nos vemos


Avant propos<br />

Ce livre, écrit au printemps 2004, à la suite d’une discussion animée<br />

entre amis, à qui j’avais offert quelques pages d’esquisses, ne cherche<br />

ni à plaire (en quoi il est sot) ni à provoquer (en quoi il n’est pas<br />

sage). Dans la période qui précède une rédaction assez rapide, trois<br />

ouvrages m’accompagnent. De Salman Rushdie, d’Umberto Eco et<br />

de Christian Bobin. Vous les retrouverez tout au long de ces pages.<br />

Avant, il y a mon ancienne relation avec Joyce et son illisible<br />

Finnegans wake. Il ne faut ainsi pas s’étonner que le texte prenne,<br />

dans un chapitre pour le moins, une dimension expérimentale. À ce<br />

propos, j’ai pu constater que le morphing du vocabulaire en français<br />

est assez difficile. Je conserve l’impression que l’anglais, langue<br />

onomatopoétique, s’y prête mieux. Mais il ne s’agit probablement<br />

que de mon inexpérience en la matière. D’autre part j’ai renoncé à<br />

traduire certains mots ou citations anglais. La plupart du temps<br />

j’utilise des italiques. J’admets qu’une partie de cette langue est<br />

passée dans l’usage collectif. L’index pervers polymorphe (une<br />

définition de l’enfant par Freud…) qui est autant jeu qu’information<br />

et l’annexe « En clair » devraient vous apporter les clefs, traductions<br />

et équivalences souhaitées.<br />

Il est probable que certains chapitres soient trop chargés de sens<br />

alors que d’autres touchent à la légèreté de la bande dessinée. C’est<br />

ma manière d’être, j’aime les grands thèmes et les hypothèses complexes<br />

mais rédiger un ouvrage théorique me barbe. Et vous barberait<br />

à coup sûr. Je sors d’une conversation avec la Vénus de Boticelli<br />

(ou celle à qui je donne ce nom) et elle n’a pas manqué de me sortir<br />

« Ohlalalala ! Mais tous ces gens dont vous parlez, il faut vachement<br />

de culture pour comprendre ce que vous allez en dire ! ». J’ai<br />

pensé un instant massacrer Vénus. Tout compte fait elle est trop<br />

mignonne et elle touchait un point sensible. Virtuellement nous<br />

sommes tous emmerdants. Vous, moi, vos histoires, les miennes.<br />

Que faire ? Le style ! Et l’élan narratif. C’est le sujet le plus central<br />

de ce bouquin. Si vous désirez trouver les grands thèmes de ce livre<br />

9


vous devrez plonger et dépasser le récit d’aventure. Ils sont là. Ils le<br />

hantent, enfers livresques. Mais rarement en <strong>sur</strong>face. Pour le reste<br />

c’est une bande dessinée avec ses traits pertinents et, bien sûr, ses<br />

raccourcis. Je rejoins cette pensée de Molière « Je voudrais bien<br />

savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire… »<br />

que vous retrouverez complétée dans l’un des chapitres à venir.<br />

Mais que signifie plaire, de nos jours ? J’ai assez vécu pour voir que<br />

le « plaire » a traversé diverses étapes, le roman d’amour (qui rime<br />

avec toujours), le roman d’aventure, le polar, une timide sexualité<br />

qui s’est débridée à l’accéléré, des récits <strong>sur</strong> l’argent qui, dès les<br />

années quatre-vingt, est devenu officiellement le grand acteur de la<br />

scène mondiale, une saga des pouvoirs modernes, le porno qui n’a<br />

rien à voir avec l’érotisme, l’horreur des guerres, des génocides et<br />

des tortures et même Dieu superstar, dès la fin des années quatrevingt-dix.<br />

Vous aurez compris que le « plaire » a été remplacé par<br />

la plus malsaine des <strong>sur</strong>enchères, capter à tout prix l’attention d’un<br />

lecteur que l’on suppose voyeur. Quitte à vous voir jeter le présent<br />

ouvrage avec dédain je vous affirme que mes bouquins conservent<br />

une dimension morale et non hypocrite. Dieu et le sexe ne sont pas<br />

ennemis, l’imagination est au pouvoir, les méchants ne gagnent pas<br />

toujours et, face à la corruption généralisée, je revendique ma qualité<br />

de marginal.<br />

De la structure de l’ouvrage il y aurait une analyse assez simple à<br />

faire. La plupart des récits ressemblent à des sandwiches. Alternance<br />

des éléments A et B par exemple, dans une polyphonie à deux voix.<br />

Ici nous avons plus de couches. Dieu et le Narrateur (a), Mirabelle<br />

(b), La Maison Blanche (c) et le missile (d), <strong>Genève</strong>(e) et quelques<br />

échappées qu’en musique on nomme divertissements (f). Soit environ<br />

six voix polyphoniques dont deux majeures. Après avoir entrevu<br />

le tout en un éclair je me suis donné pour tâche de réaliser cette<br />

polyphonie, ce qui est délicat car il faut faire coexister et harmoniser<br />

des niveaux très différents. L’hypothèse en soi de H <strong>sur</strong> <strong>Genève</strong><br />

(il existe un livre de SF intitulé H <strong>sur</strong> Milan) est et n’est pas délirante.<br />

Elle énonce le fait qu’un gang a pris le pouvoir en Amérique<br />

et que son représentant, Bush, se trouve dans une situation si difficile<br />

qu’il lui faudrait un super 11 septembre pour s’en sortir. D’où<br />

10


l’idée de frapper un objectif à la fois très grand et très petit. Le<br />

coming out du terrorisme bushien actuel.<br />

Enfin, nouveauté, c’est un livre tout à fait genevois et j’en suis ravi.<br />

Mes personnages ont longtemps habité l’avenue Montaigne. Ils<br />

déménagent. N’est-ce pas Jean-Luc Godard qui disait « ce n’est pas<br />

à Paris, Londres ou New York que l’on trouve les plus belles filles.<br />

C’est à <strong>Genève</strong> et à Lausanne » ? Je me réinstalle donc à <strong>Genève</strong>,<br />

en compagnie d’une étrange Canadienne, face à la cathédrale tripointue.<br />

En deux cents pages, je ferai mon possible pour protéger la Ville du<br />

bout du lac du souffle de mes rêves.<br />

Même si le prix demandé par Mirabelle LaNuit est lourd !<br />

JG<br />

11


Corticoïdes (lents)<br />

(Minute piquante)<br />

A noir, E blanc, I rouge, U vert, 0 bleu : voyelles,<br />

Je dirai quelque jour vos naissances latentes.<br />

Il faut aller jusqu’à l’horreur quand on se connaît.<br />

Bossuet (Courtesy of Jean d’Ormesson)<br />

Je m’éveillai en <strong>sur</strong>saut, l’esprit incroyablement clair et dispos. Il y<br />

avait, à son apogée, une silencieuse et mortelle saloperie qui volait<br />

vers <strong>Genève</strong>. Une ogive, une LGM-30G de dernière génération,<br />

d’une puissance de vingt mégatonnes, de quoi modifier imperceptiblement<br />

la Cité de Calvin. Les Sœurs Chaleur et Lumière n’étaient<br />

pas loin. Merde ! Comment le savais-je ? Je suis en passe de devenir,<br />

dans ma catégorie, le plus grand écrivain romand et ça me<br />

convient parfaitement. Je ne vais pas vous sortir une connerie césarienne<br />

du genre « premier dans mon village plutôt que second à<br />

Rome, New York, Moscou, etc. ». Nous autres les Genevois sommes<br />

ceinturés de France, nous avons contribué à sa culture et à son<br />

immortelle révolution. Mais aujourd’hui la France, la France vous<br />

savez est très <strong>sur</strong>faite. Après tout, <strong>Genève</strong> est la ville d’où je puis<br />

m’adresser au monde - urbi et orbi comme dit mon copain Jean-Paul<br />

et je ne vais pas m’en priver. La Romandie - objet de toutes les<br />

convoitises, souvenez-vous des Frouzes en 1 602 qui en tentèrent<br />

l’Escalade et de ce petit Hitler qui y situait son paradis de la<br />

Lotharingie - la Romandie ne m’a pas attendu. En quoi elle est<br />

conne, d’ailleurs. Il y avait Ramuz, mais son style Suisse profonde<br />

est une mayonnaise qui ne prend plus ; il y a Guillaume Chenevière<br />

(mais il s’est trompé de métier en devenant patron de « notre télévision<br />

») et son copain Amiel qui s’est enterré sous presque quinze<br />

mille pages un peu larmoyantes, tout ça pour ne tirer qu’un coup<br />

douteux ; il y aurait Alain Delon et Jean d’Ormesson qui ont en<br />

commun de bien passer à la Tévé et d’avoir leur compte numérique<br />

dans les banques proches de la Place de Neuve, des banques telle-<br />

15


ment privées que leur entrée n’est autre que celle des machinistes<br />

du Grand Théâtre, les gens d’ici étant infoutus d’avoir un Opéra - et,<br />

last but not least, Jacques Chessex. Je vais encore me faire un tas<br />

d’ennemis en oubliant de citer ces innombrables auteurs minuscules<br />

et merveilleux qui croient toujours en l’existence de la littérature<br />

française, attendent la reconnaissance d’une presse vouée au factuel<br />

éphémère et se consolent en récrivant le monde à l’heure des apéros.<br />

Vous devez me comprendre, nous sommes pressés, nous sommes<br />

à six minutes moins des poussières de FLASH et nous serons,<br />

au mieux, volatilisés si je ne fais rien. J’ose espérer que vous n’avez<br />

par perdu ce détail de vue ? En ce qui concerne Chessex je m’abstiens<br />

respectueusement de tout commentaire. Pour trois raisons. La<br />

première est que je ne l’ai pas lu et ne vais pas m’y mettre. Le<br />

seconde que Guillaume me compare à lui et que je n’ai jamais su si<br />

c’était un compliment ou une vacherie (il précise toutefois que le<br />

sexe dans mes livres est drôle et enjoué alors que chez JC il est<br />

grave lourd) et la dernière, c’est qu’un homme dont M. Rinaldi, le<br />

travesti de cape et d’épée parisien et les Genevois ont dit tant de mal<br />

ne saurait être tout à fait mauvais. Avec Amiel la coupe est pleine.<br />

Ce lutin de Guillaume soutient que mon œuvre ressemble à la<br />

sienne par… la quantité. Je baisse les bras. Ajoutez à cela que<br />

<strong>Genève</strong> - la Romandie a <strong>Genève</strong> pour évidente capitale, et là je vais<br />

encore me faire appeler Jules Massenet Dugroin Von Porc né<br />

Porchet - est à un petit coup d’aile de Paris la <strong>sur</strong>faite, de Milan où<br />

les filles ont la suprême délicatesse de porter d’élégantes bottes à<br />

l’année pour aviver le désir de ces spaghettis indolents que, sous<br />

Berlusconi, sont devenus les Péninsulaires, un coup d’aile et demi<br />

de Berlin la branchée ou de Prague, là où des fantômes de pierre<br />

jouent les Commandeurs <strong>sur</strong> le pont Wenceslas, pas loin de<br />

Barcelone ramblas-y-tapas, ville dansante de nuit et de jour aussi<br />

fantaisiste que les toits de Gaudi quand pointe le Mahomet, pas loin<br />

du tout de Cadaquès capitale Dalinienne et, <strong>sur</strong>tout, de Perpignan -<br />

où le Maître moustachu des structures cosmiques et gluantes nous a<br />

enseigné que se trouve le centre de l’univers, la gare, la gare de<br />

Perpignan et, vous tomberez d’accord que cette unique <strong>Genève</strong><br />

qu’un fou doublé d’un abruti s’apprête à raser de la carte, est l’unique<br />

ville Aleph et Centremonde dont tout le monde a rêvé, que<br />

16


Venise dans une certaine me<strong>sur</strong>e le fut et que New York, malheureusement,<br />

le crut être. Je ne reviendrai pas <strong>sur</strong> ces évidences, je n’ai<br />

pas le temps. Je pouvais comprendre que notre belle ville excite les<br />

passions et la haine des civilisations décadentes telles que l’Amérique<br />

de Mel Bush ou l’Islam des intégristes, mais l’arrivée de cet<br />

ange de la mort, cette ogive noire amorçant probablement déjà sa<br />

rentrée atmosphérique et plaisamment baptisée Apocalypse Now -<br />

je pouvais lire ça <strong>sur</strong> son flanc - cette arrivée me posait problème.<br />

Problème d’autant plus urgent qu’il ne me restait, à moi comme à<br />

vous, que six minutes à vivre. J’avais besoin d’une présence. De La<br />

Présence, même. Je jetai un coup d’œil intimidé au quart sud-sudest<br />

de ma chambre, là ou se tient mon Père. Mais il n’était pas là.<br />

J’en fus contrit, je vous le dis. Peut-être ne se dérangeait-Il que pour<br />

le Big Bang ? Cette pensée n’était pas la bonne, Il était revenu si<br />

souvent vers mon infimité. Le secret de parler avec Dieu est simple.<br />

Il faut L’aimer, ne rien Lui demander et <strong>sur</strong>tout ne jamais parler de<br />

Lui aux autres dans l’intention de devenir peu ou prou son prophète.<br />

Vous connaissez la formule : quand, quelque part, un prophète<br />

s’éveille, le monde se porte plus mal. Le machin, l’ogive, la fusée,<br />

poursuivait son chemin. Comment le savais-je ? C’est la faute au Dr<br />

Martin, cet homme sublime et piquant - né de la rosée matutinale du<br />

Midi - dont j’adore le délicieux accent du Sud de la France. Je lui<br />

soutiens, quand il me lacère le dos, qu’il a le parler de Toulouse, ou<br />

Montpellier à l’extrême rigueur. Il me soutient qu’il est marseillais.<br />

Une blague, je suppose. Ce qui n’était pas une blague, c’était ces<br />

injections de corticoïdes lents qu’il m’avait fait la veille. Je venais<br />

de me casser le dos (L4/L5 pour les connaisseurs, constat augmenté<br />

d’une étroitesse du canal médullaire, le tout pimenté d’un zeste de<br />

hernie qui devait être fiscale tant elle était douloureuse) et, en<br />

attente d’une opération a tergo, j’avais accepté qu’il me fasse ces<br />

infiltrations, tout en m’as<strong>sur</strong>ant qu’elles ne s’étendraient pas à mes<br />

fichiers informatiques ni à mes réseaux de renseignements dont la<br />

matière est si touchy qu’il me suffirait d’un clin d’œil pour faire<br />

tomber le gouvernement en place, projet dont je vous recauserai, si<br />

l’avenir m’accorde plus que ces six minutes de grâce, disons cinq<br />

minutes et 59 secondes, histoire de vous démontrer que je pense et<br />

tape comme l’éclair.<br />

17


Ce missile était du genre déplaisant. First of all il était américain.<br />

Ces obsédés, malgré la fin de la guerre froide et l’absence quasi<br />

totale de cibles stratégiques, se sont obstinés à perfectionner des<br />

IBM (voyez à quel point religion, assassinat et fric ne font plus<br />

qu’un dans leur tronche) car IBM ne signifie pas International<br />

Business Machine, à savoir les ordinateurs qui ont copié le<br />

Macintosh et qui se plantent plus vite que leur ombre, mais<br />

Intercontinental Balistic Missile, qu’ils ont récemment arrangé en<br />

ICBM, histoire de ne pas tomber dans les griffes de Microsoft.<br />

Seigneur, si Tu nous regardes… Je jetai un autre coup d’œil discret<br />

et respectueux à la parcelle sud-sud-est mais La Présence ne se<br />

manifestait toujours pas. Ce missile était bardé d’électronique dernière<br />

génération et parlait avec leurs satellites pour conserver sa<br />

trajectoire, éviter d’éventuels intercepteurs et réaliser son final<br />

reentry et, bien entendu la suite séquentielle de détonations qui fait<br />

la bombe H. J’adore l’anglais technique, il m’est naturel pour tout<br />

ce qui touche à l’informatique. Les Français - encore une preuve de<br />

leur arrogante et grandissante sottise - l’avaient mutilé de la manière<br />

la plus ridicule qui soit. Là ou nous cherchons des bugs ils cherchaient<br />

des bogues. Je vous demande un peu. Mais ça a passé dans<br />

l’usage ! Aujourd’hui les chercheurs du CNRS (ou ce qui en reste)<br />

« déboguent » avec sérieux les programmes de l’IRCAM qui se<br />

vendent mal. Nous avons reçu à maintes reprises les faire-part cocoricants<br />

de la naissance d’heureuses et talidomidiennes traductions<br />

telles que le partagiciel, le contributiel (shareware), le libreciel<br />

(freeware) et je m’étonne que nul de ces grands esprits gaulois n’ait<br />

encore pensé à l’Hexadéci-Ciel ou même au Septième Ciel, qui<br />

serait un progrès <strong>sur</strong> la médiocrité ambiante et une occasion de<br />

s’envoyer en l’air, avec une de ces foutues femmes dont on a tant<br />

parlé ces dernières années, qui se font rares, mais qui nous sont à<br />

l’évidence supérieures (ne le répétez pas). Bref, je pensais et je<br />

venais de décider d’oublier ces frogitaires (ils ne font plus de bons<br />

livres mais ils excellent encore dans les vins et les fromages, c’est<br />

pourquoi nous tolérons leur existence) quand, une clarté mentale<br />

ridiculement excessive aidant, je visualisai clairement ce que ce<br />

lumineux et transatlantique long courrier que les Amères Loques<br />

nous mandaient se préparait à faire. Il se baladait à environ 35 km<br />

18


d’altitude et, sa vitesse d’expansion n’étant pas supérieure à sa<br />

vitesse d’échappement, il ne décrivait qu’une vaste parabole. Vous<br />

me direz que Borgès et Jésus en furent les grands spécialistes. Celle<br />

à laquelle je pensais n’était pas une parabole bienveillante. Elle<br />

serait éclairante mais désagréablement, le soleil descendant <strong>sur</strong><br />

<strong>Genève</strong> si vous Hiroshimez ce que je veux dire. Avant d’aller plus<br />

loin et de vous dire ce qui va se produire dans cinq minutes et 57<br />

secondes (vous observerez que je freine nettement moins bien la<br />

course du Temps), quand la chose détonnera <strong>sur</strong> <strong>Genève</strong>, à l’aplomb<br />

de la rade, qui risque d’y perdre le sien, il faut que je vous fasse une<br />

confidence. Fesser une confidente eut été plus sexy mais le sujet<br />

étant brûlant je m’abstiens de mes éternelles érosions érotico-stylistiques.<br />

Nous sommes tous en grande partie ce que nos professeurs ont fait<br />

de nous. Bien entendu, je connais une foule de gens qui ont remonté<br />

le courant et qui, à partir d’enseignants castrateurs, aigris et spermicides<br />

ont regagné du terrain et sont devenus primus inter pares.<br />

J’ai longuement hésité entre primus et primi mais comme je ne fais<br />

plus pipus dans les cacti et que le Mexique est loin (hélas !) je m’en<br />

tiens à des latinismes éprouvés et simplistes qui seront suffisamment<br />

incompréhensibles pour justifier ma réputation auprès de mes<br />

fidèles lecteurs. Tout ça pour vous dire - mutatis mutandis - que je<br />

suis nul en géographie parce que j’avais un prof de géo nul, qui se<br />

destinait à une grande carrière politique nationale et qui ne voyait<br />

pas pourquoi il se faisait chier avec les petits cons que nous étions.<br />

Comme j’aimerais le retrouver et lui dire qu’il mésenseignait dans<br />

le bon vieux temps ! Les petits cons actuels ne sont peut-être pas<br />

beaucoup plus cons que les anciens - nous avons tous passé par la<br />

bouilloire hormonale des 18 ans - mais ils sont devenus nettement<br />

plus agressifs. Brèfle, ma géographie est hypernulle à deux exceptions<br />

près. Les pays où j’ai travaillé et, ce grand maître en géographie<br />

que j’ai rencontré dans le milieu du chemin de ma vie : l’avion.<br />

Je peux vous décrire avec précision les endroits où je vole.<br />

Notamment le sud de la France, la région parisienne, un peu de<br />

Bretagne, Lyon, le Creusot, Ibiza la douce et la Costa Brava qui<br />

devient Costa del Sol, avec, bien sûr, la Suisse romande en prime,<br />

les Alpes et les massifs jurassiques et une famille entière de lacs.<br />

19


Ah ! Ces lacs en succession au départ de la zone genevoise, le lac<br />

de <strong>Genève</strong>, ce grand miroir et ce lac d’Annecy qui se trouve à deux<br />

tours d’hélice, puis (suspend ton vol mais pas trop) le lac du Bourget<br />

et sa charmante contrôleuse, la patricienne Tour du Pin avec de suite<br />

le lac de Paladru posé là, comme une cacahuète, les deux Grenoble<br />

et vivement, après Romans (où j'ai raté connement une jeune institutrice<br />

qui ressemblait à la Paulette de Pichard) et Bourg de Péage,<br />

divisés par l’Isère et qui ouvrent <strong>sur</strong> Valence, dont on voit si mal la<br />

piste de loin, et encore cap au sud, les courbes capricieuses du<br />

Rhône et <strong>sur</strong> la gauche le massif du Vercors tout proche, Avignon et<br />

<strong>sur</strong> le chemin Montélimard la belle, où l’on se pose <strong>sur</strong> l’herbe<br />

comme (partiellement) celle de Saint Rambert d’Albon, là où sont<br />

précieusement gardés de superbes avions de collection, pour trouver<br />

enfin Aubenas, ma piste chérie, qui se dessine en finale comme<br />

l’une de ces pistes américaines perdues dans une montagne, sublime<br />

! Je m’arrête là, on pourrait aller à St Luc Le Cannet. À<br />

Montpellier et à La Mole, l’aérodrome de Saint Exaspéry, et même<br />

<strong>sur</strong>voler Fréjus, sabordé par ce connard de Léotard, puis voler<br />

jusqu’en Corse, atterrir à Calvi, j’en passe. Dans ces terres ma géographie<br />

est putain de bonne. Mais il suffirait d’un ou deux degrés de<br />

longitude ou latitude pour que je devienne aussi nul que vous, si ça<br />

se trouve.<br />

Ce que j’essaie de vous dire c’est que ma description de la trajectoire<br />

de l’Apocalypse Now sera probablement un poil fantaisiste. La<br />

bête, dont les mécaniciens devaient posséder une solide culture<br />

évangéliste puisqu’ils lui avaient attribué le no de série 6664U, était<br />

sortie d’un silo de Mount Weather, en Virginie. Pas si loin que ça de<br />

chez les gars de la CIA en fait. C’était une variante secrète du LGM-<br />

30G Minuteman, dont on trouve encore d’importants sites d’unités<br />

officiellement désarmées, dans le Sud du Dakota. Nous n’aurons<br />

pas la mesquinerie de nous demander immédiatement si c’est à<br />

George Walker Busch, « l’homme qui nous a gâché 2 003 », que<br />

nous devons cette réchauffante attention. Dans un an, dans un jour,<br />

dans six minutes nous connaîtrons la réponse et nous avons plus<br />

pressé à faire.<br />

Les missiles de Mount Weather - un au moins - étaient opération-<br />

20


nels et quelqu’un avait fourni les codes de mise à feu à trois officiers<br />

qui, simultanément, avaient tourné les clefs de sécurité dans<br />

des racks séparés les uns des autres par neuf pieds six pouces.<br />

L’irréversible séquence avait débuté. Évidemment, si les imbéciles<br />

du Département fédéral, à Berne, avaient investi dans des missiles<br />

d’interception plutôt que de faire voler de coûteux FA-18 <strong>sur</strong> nos<br />

têtes (là où le soleil se lève pour de brillants réveils) je ne serais pas<br />

maintenant en train de me poser cette foule de questions idiotes et à<br />

tenter d’y remédier. Car, n’en doutez pas, j’en avais la ferme intention,<br />

si improbable que cela vous paraisse. Vous me direz que sauver<br />

le monde est très banal ? Je vous le concède, juste bon pour un<br />

péquenot du genre Bruce Willis. Mais, dans l’immédiat, je ne voyais<br />

personne d’autre que moi prêt à tenter quelque chose et aussi,<br />

disons-le en langage Tchau ou Neuneu, « parseke kom que kom »<br />

fallait se manier.<br />

Je n’avais pas trente-six solutions. J’en avais trois : avoir une idée<br />

de génie, consulter Dieu et mourir. Détourner la bête eut été une<br />

quatrième possibilité que j’écartai car ce genre de chose demande<br />

de l’organisation et ne mène jamais à rien de très original. Vous ne<br />

me voyez pas vraiment pondre un de ces thrillers fastfood qui ont<br />

fait la fortune de M. Robert Laffont ? Non, je ne pense pas. Restaient<br />

mes trois solutions. Je respirai à fond, m’as<strong>sur</strong>ai que le temps ne<br />

reprenait pas sa course et flirtai un instant avec l’idée numéro trois :<br />

mourir. Mais quelque chose m’en dissuada : en effet, si je choisissais<br />

cette option, il ne me resterait qu’environ cinq minutes de<br />

temps terrestre et je ne voyais pas du tout ce que j’allais en faire.<br />

Avertir les gens ? Ab<strong>sur</strong>de ! Boire un coquetèle ? Excellent ! Mais<br />

lequel ? Lire un livre, me taper un délicieux toast au Cénovis ?<br />

Fameux ! Mais, même en courant, je n’aurais pas le temps. Je serais<br />

toasté avant. Les putes, les pompiers, les psys et les flics, comme<br />

d’habitude n’étaient pas là, ce qui est normal quand on a vraiment<br />

besoin d’eux. Ce qu’il m’aurait fallu, au fond, c’était un compresseur<br />

temporel. Peut-être qu’en cherchant bien dans la salle des<br />

machines, là où j’entrepose la fine fleur de la technologie électronique<br />

de ces dernières années, peut-être que… Un toussotis, en provenance<br />

du coin sud-sud-ouest, m’interrompit.<br />

21


- Ça peut se trouver, fit une voix que je connaissais bien. Si ça se<br />

trouve, ça peut se trouver, Jacques.


Mirabelle LaNuit<br />

(Couleurs et voyelles d’Elle, I)<br />

A, noir corset velu des mouches éclatantes<br />

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles<br />

Cette jeune intellectuelle a horreur du milieu mensonger et<br />

complaisant où elle gagne sa vie. Elle rêve d’un monde de<br />

partage et d’ouverture. Elle fréquente les groupes gauchistes.<br />

Pour l’impressionner, il lui offre une version idéalisée du collectif<br />

de son appartement genevois. Il lui raconte la « commune<br />

» qui en réalité n’a vécu que quelques mois, jusqu’à ce<br />

que son amie Caroline y mette bon ordre, remplaçant un collectivisme<br />

je-m’en-foutiste par une dictature éclairée.<br />

Guillaume Chenevière (CHE)<br />

Mirabelle LaNuit, un nom qui sonnait canadien comme par exemple<br />

Mirabelle LaLumière, Laforêt, LaBrume. Mirabelle LaNuit était<br />

tout sauf poétique. Elle était La Poésie. À l’état brut c’est presque<br />

insupportable. Heureusement personne - ou presque - ne s’en rendait<br />

compte. A, le noir corset, la définissait bien. Fille de ce temps,<br />

branchée <strong>sur</strong> diverses réalités toutes très pratiques et joyeuses. Elle<br />

excellait sans le savoir dans un art qui s’était perdu, elle existait.<br />

Elle avait compris, à sa manière, que squatter Via Roma en essayant<br />

toutes les chaus<strong>sur</strong>es qui la tentaient sans jamais se décider, ou<br />

s’éterniser chez Hermès & Shoulder pour y enfiler des imprimés<br />

bon marché était plus gratifiant que lire le dernier livre de M. Joyau<br />

(dont elle ignorait comme vous et moi la pénible existence), que ce<br />

shopping-no-deal était même divin, car elle n’achetait que peu, elle<br />

profitait de la caresse des tissus et des peaux <strong>sur</strong> son corps, elle<br />

savourait l’ambiance de vie et de désir propre à ces grands centres<br />

de rencontre que sont les malls européens. Comment décrire<br />

Mirabelle ? Eh ! Comment décrire la vie ? Le monde à fleur de<br />

peau ? La peau à fleur de monde serait plus près de sa réalité, cette<br />

fille était une sage, elle en avait une petite conscience, rien de trop,<br />

23


ien qui l’empêche d’être.<br />

- J’aimerais jouer un rôle dans un grand complot, fit-elle à mi-voix.<br />

Être… romantique.<br />

André-François haussa les épaules. On ne savait jamais quand elle<br />

plaisantait. Il suivait Mirabelle depuis trois mois comme un caniche<br />

et n’avait rien à raconter, que du banal, que du bonheur. Même<br />

quand elle se livrait, <strong>sur</strong> sa personne, à ses expériences de vivisection<br />

amoureuse. Cette intense monorelation ne l’empêchait pas de<br />

rester critique devant certains élans de la (Mira)belle. Il eut aimé<br />

pouvoir lui dire à quel point il trouvait son imaginaire préfabriqué.<br />

Mais il ne pouvait s’y résoudre. Romantique le complot moderne ?<br />

Sordide, bien évidemment. Mais la jeunesse américaine, suivie avec<br />

succès par quelques millions d’ados européens, avait remis cette<br />

idée du romantisme à l’honneur. Ça n’était pas tout à fait celui de<br />

Chopin c’était celui de Liberace. Pas Listz mais un Soft balls of fire<br />

à feu doux. Ni Sturm ni Drang, pas de philosophes gynécophobes<br />

du genre de Schopenhauer et les jeunes Dorian Gray et autres Lords<br />

Byron disponibles - quand ils ne ressemblaient pas à Ben Affleck,<br />

se contentaient de servir des MacDo ou de figurer, la nuit, dans les<br />

centres de délocalisations des SMS ou, parfois, d’escort light. Les<br />

modèles du niveau « starac » ne manquaient pas, et, venant du<br />

cinéma, si Alias était antipathique, Buffy était une merveille de<br />

romantisme qui vivait la nuit sous de flatteurs éclairages, même si<br />

elle devait, pour payer son loyer, tuer des vampires. Le romantisme,<br />

aux yeux de beaucoup de ces petites âmes fraîches n’était rien de<br />

plus compliqué qu’un éclairage, une petite robe habillée, quelques<br />

bougies <strong>sur</strong> une nappe blanche et un coin d’ombre dans un restaurant<br />

intimiste. Une Countach peut-être et un petit rien de vingt pièces<br />

en bord de mer, du côté de chez les Nice people. Que demandait<br />

le peuple ?<br />

C’était l’analyse d’André-François qui, à vrai dire, s’en foutait car<br />

il ne vibrait que pour l’inimitable musique de Mirabelle. Celle à qui<br />

elle donnait naissance quand elle marchait. Mirabelle était une<br />

femme andando, un andante feminino. J’en ai déjà parlé et je ne vais<br />

pas m’y remettre. C’est suffisamment éprouvant pour un homme de<br />

ma classe de me risquer dans la description d’une grande fille toute<br />

24


simple vivant en 2004, vous ne pensez pas ? Je risque de ne trouver<br />

aucune idée originale dans ces couches-là et je vais y perdre ma<br />

réputation de meilleur écrivain de Suisse romande (le pied !) de<br />

pourfendeur de mauvaise littérature française (ça n’est pas urgent,<br />

ils s’en chargent entre eux) de néos Jean-Jacques et d’homme aimé<br />

de Dieu. De bleu de bleu ! Je suis Suisse mais pas fils de Suisse.<br />

Donc pas suissidé, qu’on se le dise. Alors ? À quelques mètres de la<br />

fin du monde, avant que ne s’éclaire le grand sourire de ma sœur<br />

l’Apocalypse et que nous ne soyons tous emportés chez Chaleur et<br />

Lumière, que branlais-je ici ? Demandez-le à mon ordinateur. C’est<br />

lui qui me pousse à déconner et - incidemment - je vous signale que<br />

je viens de retomber dans les joies perverses de la méta-narrativité<br />

puisque, en tant qu’auteur, je viens de prendre la parole dans un<br />

épisode joué par deux autres personnages. Bon… Merci Eco, je<br />

reviens vers toi sous peu.<br />

Que faisait un banquier dans la cinquantaine avec une nane de<br />

vingt-quatre berges, fréquentant indolemment ses cours d’histoire<br />

de l’art ? Du banal, du normal, de la routine et du classique : il était<br />

tombé dans le champ de gravité de la belle et il orbitait. Rien de<br />

plus. Orbiter autour d’une jeune femme qui ne vous veut pas vraiment<br />

mais sait vous utiliser est une bénédiction de Dieu et un full<br />

time job. Mirabelle exerçait <strong>sur</strong> lui une dictature éclairée. André-<br />

François s’organisait, ça allait, il avait une secrétaire capable de le<br />

faire passer pour ubique. À chaque appel elle savait affirmer que<br />

M. le Président était en conférence, entretien, interview, séance du<br />

Conseil, déplacement ou en inspection <strong>sur</strong> le terrain. Libéré des<br />

pesanteurs administratives mesquines de sa banque - de toute<br />

manière les affaires n’étaient pas bonnes - aux côtés de Mirabelle,<br />

il trouvait son plaisir. À divers degrés.<br />

La peur, pour commencer.<br />

Il avait peur qu’elle le largue et ça le faisait exister. Il avait peur de<br />

ne pas bander mais ça allait, gentiment. Il réalisait que le sexe avait<br />

changé, qu’il était beaucoup plus facile mais moins fascinant que du<br />

temps de ses vingt ans. Il était peut-être en manque de Bohême ?<br />

Mais à moins d’être bègue, Mirabelle ne se transformerait jamais en<br />

25


Mimi-raBelle, ni lui en Rodolphe. Il avait aussi peur de paraître con<br />

dans des milieux jeunes alors qu’elle était accueillie partout avec<br />

chaleur. Elle savait tout arranger et même si - plus ou moins innocemment<br />

- les gens lui tournaient compliment <strong>sur</strong> sa charmante<br />

fille, il faisait bonne figure et quelquefois il s’amusait. Ce qui le<br />

paniquait par-dessus tout était qu’il ignorait quelles étaient les<br />

intentions de la belle Mirabelle à son égard. Qu’elle eut apposé <strong>sur</strong><br />

lui le sceau de « propriété privée » il le savait. Qu’elle se donne à<br />

lui avec simplicité il avait de la peine à le croire. Elle eut pu le<br />

lâcher cent fois depuis qu’ils sortaient ensemble mais elle cultivait<br />

une sorte de mépris amusé pour les dragueurs de son âge. Il s’intégra<br />

dans des endroits souvent assez folklos où elle le traînait et se<br />

retrouvait, par exemple, un matin, lié d’une amitié inépuisable avec<br />

un videur noir frôlant les deux mètres, en gilet de cuir beige sale,<br />

rencontré dans un bar dont il avait oublié l’adresse. Tout ça allait<br />

encore, mais le plus fâcheux était qu’elle ne lui demandait pratiquement<br />

jamais d’argent. Pour un banquier, c’est dur.<br />

Il eut été totalement <strong>sur</strong>pris et déconcerté de pouvoir partager, ne<br />

fût-ce qu’un court instant, le Da Sein de la jeune femme ! Mirabelle<br />

existait. C’était beaucoup. C’était énorme. C’était hallucinant (prenez<br />

la voix de Luchini pour dire ça). Personne n’avait encore su voir<br />

qu’elle était La Vie, tout simplement. Il l’avait peut-être décodé en<br />

trouvant sa démarche musicale. Les gens la sentaient mais ne la<br />

voyaient pas. Elle n’avait été happée par aucun plateau de TV ni<br />

aucun magazine. Son flamboyant sillage avait été remarqué par un<br />

seul homme, en âge d’être son grand père. Un certain Jacques.<br />

Mirabelle pensait justement à lui. D’instinct, elle lui avait écrit au<br />

feutre, <strong>sur</strong> l’avant-bras, son numéro de portable. C’était vachement<br />

intime… Plus que de se faire offrir une paire de Savonarales. Elle<br />

se demanda avec intérêt s’ils se reverraient un jour et ce qu’ils<br />

auraient à se dire.<br />

Elle avait sa petite idée.<br />

26


Qui avait appuyé <strong>sur</strong> le bouton rouge ?<br />

George, Walker ou Wolfo ?<br />

Pourquoi me tuez-vous ? - Eh quoi, ne demeurez-vous pas<br />

de l’autre côté de l’eau ? Mon ami, si vous demeuriez de ce<br />

côté, je serais un assassin et cela serait injuste de vous tuer<br />

de la sorte ; mais puisque vous demeurez de l’autre côté, je<br />

suis un brave, et cela est juste.<br />

Pascal (Courtesy of Jean d’Ormesson)<br />

L’infâme (mais infime) Bush adopta la position du fœtus. C’était un<br />

grand crimilègue. Gouverneur du Texas, il avait battu les records de<br />

peine de mort en rejetant les demandes de grâce. Et pour le reste,<br />

Pentagono graciasn ne comptait plus les âmes qu’il avait désincarnées.<br />

Mais il était sévèrement emmerdé. Il réalisait n’avoir plus<br />

aucune influence <strong>sur</strong> ce qu’il n’avait jamais contrôlé. Et son érection<br />

se présentait mal. Son élection aussi, d’ailleurs. Et maintenant ?<br />

songea-t-il, que vais-je faire ? Il lui restait des options douces et<br />

quelques autres semi-douces. Il pouvait réatterrir <strong>sur</strong> un porte-avions<br />

mais ça sentirait la provoc. Il ne pouvait pas vraiment aller se<br />

taper une dinde - au figuré - avec ses braves troopers en Irak. Il<br />

n’avait plus rien à vendre à son gang de pétroliers texans et autres<br />

membres du complot : tout était déjà parti, dans ses poches, chez le<br />

clan. Son ami Aznar venait de se faire moucher, Sylvio allait y passer<br />

et avec un peu de malchance ce serait Tony. Il lui restait les<br />

Polonais, ces gens qui ont attaqué les blindés allemands à cheval en<br />

1945. Et les Citrons, quelle hérésie. Ces derniers dominaient déjà<br />

l’Amérique par leurs réserves en dollars et ils avaient tenu à envoyer<br />

des contingents en Irak ! Keine manières ! Il feuilleta un classeur<br />

préparé par le petit. Pourquoi y a-t-il toujours un intello juif autour<br />

d’un Président réactionnaire se demanda-t-il ? On lui avait fait sortir<br />

Saddam trop tôt et on lui affirmait que le grand barbu maigre aux<br />

yeux fous était introuvable. Mais à vrai dire il n’intéressait plus<br />

grand monde. Et le fantôme était revenu. Avec les trois mêmes ini-<br />

27


tiales que de par le passé. JFK. Merde ! Johnson, à Dallas, avait<br />

éliminé un JFK, allait-il devoir remettre ça ? Ce serait un peu<br />

voyant. Comment arranger un accident crédible à ce Kerry ? Ce con<br />

qui avait réussi tout ce que lui n’avait jamais osé entreprendre ? No<br />

way ! La mort de JFK2 et ce serait la guerre civile dans le pays. Il<br />

lui fallait un super 11 septembre, tout le monde savait ça.<br />

Walker soupira, il n’avait même plus le cœur de se livrer aux séances<br />

SM de Condoleeza. Se faire taper par une salope, une noire et<br />

une arriviste ne lui faisait plus d’effet. Seule l’authentique méchanceté<br />

de cette femme le titillait légèrement, c’était mental, ça n’arrivait<br />

pas à l’élargissement du pénis, proposé chaque jour aux<br />

Américains par quinze millions de spams illégaux. L’Amérique, à<br />

vrai dire, perdait de son goût. Elle avait été le modèle merveilleux<br />

des jeunes et des intellos dès les années cinquante et vous connaissez<br />

la suite, elle avait dérivé. Les théories de Chandro <strong>sur</strong> le rise and<br />

fall des Empires étaient somme toutes assez justes. C’est pour ça<br />

que Wolfo et ses sbires avaient tenté de la faire assassiner à Santa<br />

Barbara. La fatalité mentale, sociale et humaine de cette grande<br />

nation était trop grande, la barque naufrageait, elle sacrifierait des<br />

tonnes de gens merveilleux avec elle, il n’y avait aucun espoir.<br />

Le regard de chimpanzé erra <strong>sur</strong> les corniches du bureau ovale.<br />

L’homme le plus puissant du monde ne savait que faire de ses forces<br />

armées, longues oreilles et budgets de corruptions. Peut-on corrompre<br />

la corruption ?<br />

Et puis il y avait Dieu. Ce qu’il lui cassait les pieds celui-là ! Dieu<br />

s’était révélé être l’allié le plus encombrant qu’il put imaginer. Pire<br />

que les Juifs <strong>sur</strong> lesquels personne ne risquait plus de commentaires,<br />

pire que les Islamistes embarrassés dans leur rhétorique figée et<br />

même plus chiant que les banquiers de la City. En vérité - mais il<br />

n’avait pas accès à ce genre de connaissance - ce Dieu qui l’assistait<br />

n’était que l’émanation damnée des 50 millions de fondamentalistes<br />

américains qui plaçaient en lui leur espoir de <strong>sur</strong>vie et de poursuite<br />

impune du gaspillage de Gaïa. Ce compagnon de route un peu indésirable<br />

lui avait apporté des suffrages et il ne pouvait s’en passer. Il<br />

en était arrivé à redouter de s’endormir seul, à l’écoute non point de<br />

la grande voix qu’imaginent les chrétiens, les american reborn,<br />

mais du murmure horrible tissé de piété malsaine d’un pays qui ne<br />

28


pensait plus qu’au seul profit.<br />

L’Amérique pensait-elle au sexe ? Pas tant que ça en fait. Pas autant<br />

qu’elle tenait à nous le faire croire. Question châssis elle avait en<br />

montre de superbes femmes et un excédent hallucinant de testostérone.<br />

Le pays était vigoureux, nul doute. Du moins était-ce l’image<br />

qu’il aimait donner de lui. Mais de vous à moi, fourrer une bite dans<br />

un con n’est pas du sexe, ce n’est que sous-mécanique élémentaire.<br />

Que les Américains fonctionnent je n’en doutais pas, bien que dans<br />

ce pays la misère sexuelle batte tous les records du monde. Il leur<br />

manquait l’essencemiel, le désir poétique, l’espace imaginaire<br />

autour de la femme. Ce peuple dont les intestins avaient été mutilés<br />

par MacMalbouffe Inc. avait été castré par l’industrie sexoévangélique<br />

qui, simultanément, prohibait et vendait le sexe <strong>sur</strong> un marché<br />

prospère. Par la grâce des spéculateurs de Dieu, les sexofondamentalistes,<br />

ce peuple fourrebiteconait mais paraissait passer à côté de<br />

l’essence de la vie. Il n’y avait qu’à suivre les Jerry Springer Show<br />

pour s’en rendre compte. Il y avait - mais était-ce vrai ? - cent millions<br />

d’obèses et de gens mal as<strong>sur</strong>és contre la publicité, la maladie<br />

et les faillites routinières de l’oligarchie américaine. Ces gens se<br />

voyaient chez Springer et ils étaient contents. Leurs sexes fonctionnaient<br />

mais leur sexualité avait régressé à un niveau qui eut horrifié<br />

le bon Dr Freud, Sade, Sacher et même les éditeurs parisiens<br />

débranchés. Assez curieusement, si Buschlein avait été intelligent,<br />

il eut écrit du sous Bret Easton Ellis. Dans la me<strong>sur</strong>e où c’est<br />

humainement concevable. Tout ça était morose et, soyez-en sûrs,<br />

pas trop clair dans la tête pensante de la nation.<br />

Un faciès grimaçant parut, en provenance du Closet Special<br />

Thinking Tank. C’était Paul Wolfowitz, Secrétaire à la Défense,<br />

main droite du vice-président Dick Cheney et, dans sa tête, successeur<br />

de droit divin d’Henry Kissinger. Sa carrière s’était considérablement<br />

boostée depuis janvier 2001, pour ne rien dire de septembre.<br />

Il dévisagea la petite chose présidentielle et se racla la gorge.<br />

- Vous êtes décidé ? fit-il avec son regard de loup persécuté.<br />

Le Président grogna. Il savait qu’il devait prendre une option importante<br />

pour rester au pouvoir. Mais laquelle ?<br />

Il dévisagea son démon ordinaire. Wolfo était un démon de <strong>sur</strong>face<br />

en perte de contact. Il avait de grandes oreilles de chauve-souris,<br />

29


deux rides d’amertume profondément ancrées et des yeux noirs,<br />

deux billes d’agate inquiète. La honte de Johns Hopkins, comme les<br />

manuels ne manqueraient pas de le nommer dans un avenir encore<br />

flou. Je ne vais pas développer ce point en dissertant de ce salopard<br />

comme je le fais, j’ai déjà les Juifs <strong>sur</strong> le dos, l’enfer peut attendre.<br />

Bush grimaça d’impatience. Que lui proposait cette face blême et<br />

grimaçante ? Il jeta un coup d’œil à son dossier et entreprit d’éclaircir<br />

ce point.<br />

- JFK ?<br />

L’amère grisaille fit un aller-retour négatif.<br />

- Fumée noire ? lâcha Walker.<br />

Négatif, toujours.<br />

- Refaire 1 929 ? Baisser les taux d’intérêt.<br />

Wolfo sourit, Witz l’accompagna. Baisser des taux qui étaient à zéro<br />

reviendrait à reprendre l’intéressante expérience menée par les<br />

Suisses, au temps béni de la seconde Guerre mondiale.<br />

- Alors ? questionna le locataire de Casablanca, Alors ?<br />

- Il en reste une, souffla le conseiller en malheurs. Une excellente.<br />

Ça va faire mal…<br />

George perdit pied et Walker pâlit.<br />

- L’Opération Calvin ?<br />

- Huhu… fit la grisaille, mais pas Calvin Klein ! Il s’étrangla de rire.<br />

Ce n’intéresserait personne.<br />

Il se redressa et parut soudainement plus jeune et plus grand.<br />

- Nous n’avons que des avantages.<br />

- Mmmm ? fit le Président qui, inexplicablement se mit à rêver de<br />

Pampers et de talc, mmm ?<br />

- Frapper Paris nous mettrait l’Europe à dos, expliqua Folamour.<br />

Même Tony serait embarrassé de nous donner raison.<br />

Bush voulut parler mais l’essaim Wolfowitz se mit à bourdonner<br />

dangereusement. Le petit homme se tut.<br />

- Rome, Madrid, encore des alliés, même si José Luis s’est fait<br />

liquider ces jours. Le Nord ? Stockholm ? Je ne renonce pas à mon<br />

futur prix Nobel. Après tout il a été créé pour l’inventeur de la dynamite,<br />

n’est-il pas ? Quant à la Grèce, la Turquie (qui nous a bien fait<br />

chier en mars 2003…) tout ça est trop loin, trop petit. Il faut trouver<br />

une cible à la fois grande et insignifiante. <strong>Genève</strong> fait l’affaire.<br />

30


- Je ne saisis toujours pas, grommela le Texan. Il se versa une solide<br />

rasade de quelque chose d’ambré et dévisagea pensivement le portrait<br />

que Dieu venait de lui dédicacer.<br />

- Avec la frappe, fit Wolfi, nous détruirons quelques vieux bâtiments<br />

classés, le jet d’eau de leur rade et accessoirement l’ONU.<br />

Le Geneva’s water fountain avait toujours agacé Walker. Sa place<br />

était au Texas, à Dallas, ou dans un green de gens aisés, là où l’on<br />

épuisait gaiement la nappe centrale d’Ogallala. L’argument le toucha.<br />

Mais l’ONU ?<br />

- Simple, fit le loup mal cousu, simple, cela renforcera le désir de<br />

tous les diplomates d’exercer <strong>sur</strong> le seul territoire sûr de la planète,<br />

le nôtre. Accessoirement il n’y aura plus aucun besoin de régler les<br />

cotisations en retard.<br />

- Condoléance m’a dit qu’avec <strong>Genève</strong> nous porterions atteinte à<br />

nos origines religieuses ?<br />

- Cette bonne femme, ricana Wolf, toujours mal baisée et pas si<br />

intelligente que ça.<br />

Il s’embarqua dans l’air hystérique du ténor de l’Opéra Wozzeck<br />

« O meine the-o-rie », la voix flûtée grimpant dans les octaves<br />

aiguës, à coup de glotte. Kissinger aussi avait des crises lyricomaniaques<br />

de ce genre. Le président stoppa l’Efrit d’un geste bref.<br />

- Le collatéral ?<br />

- Un cadeau, sourit l’amère loque. Un cadeau. Les vents dominants<br />

viennent du sud-ouest ou du nord-est, ce qui est logique.<br />

George qui n’avait jamais tenu d’autre manche que le sien - et<br />

encore avec l’approbation expresse de Billy Graham - leva un sourcil<br />

interrogateur.<br />

- Nord-Est, fit Wolfo, <strong>Genève</strong>, un poil de Savoie et les Alpes.<br />

L’Italie du Nord, mais Sylvio s’en fout si ca ne va pas jusqu’à<br />

Milan.<br />

- Uhuh…<br />

- Sud-Ouest : Les Alpes, le Valais, Évian.<br />

- Évian ? Ça rappelait vaguement quelque chose au maître du<br />

monde.<br />

- Souvenez-vous du G8. C’est par là que ça se passe.<br />

Il se souvint d’une foule d’hommes d’État qu’il avait traité avec la<br />

31


dernière grossièreté. Bush n’avait pas supporté d’être à la même<br />

table que Lula, entre autres vexations. De plus, installer à l’avance<br />

30’000 collaborateurs des services secrets dans une ville de 15 000<br />

habitants avait été chiant à l’excrême.<br />

- Ce nuke fera parler de lui, poursuivait le Dr W. Croyez-moi,<br />

Président. Il n’y aura personne pour oser des représailles et le<br />

monde entier pour nous craindre. Nous sortirons mes dossiers, après<br />

tout nous savons que c’est à <strong>Genève</strong> que se financent les affaires de<br />

Ben.<br />

Les yeux gris se plissèrent de concentration. Qui était ce Ben ? Le<br />

fiancé de Jennifer Lopez - une valeur américaine sûre - ou Ben<br />

Laden ?<br />

Les yeux de Wolfi s’étrécirent jusqu’à ne plus laisser filtrer qu’une<br />

malsaine lueur jaune.<br />

- H <strong>sur</strong> <strong>Genève</strong>, ce sera l’affirmation de l’évangélisme américain.<br />

Même Calvin aurait compris ça, un grand homme n’hésite jamais à<br />

sacrifier des vies pour que triomphe la vérité. Il me reste un argument<br />

de taille…<br />

- Et c’est ? osa Bush, qui parfois faisait du Cyrano sans le savoir.<br />

- Les banques suisses qui nous font chier depuis trop longtemps.<br />

Nous n’arrivons pas à leur imposer les normes IRS 2 004 et leur part<br />

de marché est préoccupante. Il faut nettoyer tout ça. De plus… cette<br />

ville est dans une situation financière désespérée. Des milliards de<br />

dette. Nous abrégerons ses souffrances, croyez-moi.<br />

Le maître de Casablanca aurait pu se poser des questions. Truman<br />

avait-il dormi après avoir donné l’ordre ? Toutes ces vies innocentes<br />

et l’horreur qui se préparait auraient pu le troubler. Mais pourquoi ?<br />

Tous ces gens qu’il avait déchiquetés et brûlés vifs en Afghanistan<br />

et en Irak lui étaient totalement indifférents. Ils n’étaient pas<br />

Américains. C’était génial de naître du bon côté de l’axe du Mal. Et<br />

si personne n’avait les moyens de venger la cité sacrifiée, que<br />

demanderait le peuple ? Il restait quelques zones d’ombre dans son<br />

économique cervelle, il était Texan, ne l’oubliez pas.<br />

- Comment l’expliquerai-je ? fit-il totalement perplexe.<br />

- Ces choses-là ne s’expliquent pas, fit doctement Wolfi, elles se<br />

sentent. Ce sera pour cette nuit.<br />

32


Ce que dit mon Père<br />

(La Bible en marche, inédits)<br />

La Présence, la Présence vous savez, c’est mon Père. C’est Lui.<br />

Celui qu’à tort et à travers vous nommez Dieu. Le vieux Monsieur<br />

aux yeux bleus si gais qui était venu à l’avenue Montaigne, quand<br />

l’affaire du Big Bang s’était résolue, quand Oriane, se transformant,<br />

par acte d’amour, en explosion infinie avait rendu à ce monde la<br />

caution des Sœurs Chaleur et Lumière.<br />

Je suis toujours comme un petit enfant intimidé quand je Le vois.<br />

Souvenir, sans doute, de cet internat catholique dans lequel j’avais<br />

passé quelques années. Je l’appelle « Mon Père » et j’éprouve pour<br />

lui un respect si profond que je deviens tarte, je ne sais plus trop<br />

bien quoi faire. Un respect et un grand amour <strong>sur</strong>tout. J’ai beau faire<br />

le con dans la vie, prendre des risques, m’aventurer et vous bombarder<br />

de mes digressions, quand Il est là, je change, je me simplifie.<br />

La démente procession de ces équations illinéaires qui tisse ma<br />

modeste existence se résout en une élégante solution. Il n’était pas<br />

venu depuis longtemps. Ce coin de ma chambre à coucher que je<br />

baptise sud-sud-ouest, parce qu’il est plus ou moins orienté vers<br />

Chambéry et Lyon, ce coin où je le sentais apparaître et se tenir,<br />

silencieux, proche du monde, ce coin était resté sombre trop longtemps.<br />

Je m’en imputais la faute mais je ne savais quoi faire pour<br />

mériter Sa Présence. Mes majuscules vous énervent quand je parle<br />

de Lui ? Claudel et une masse de gens font la même chose, souffrez<br />

en silence. Avant de dire un mot, avant de L’entendre, avant d’être<br />

au monde de ce chapitre, je me suis dit qu’il fallait que je trouve une<br />

autre disposition d’âme. Que je puisse Lui communiquer quelque<br />

chose de ma quête, de ces lacs de feu qui parsèment ma mémoire,<br />

de ce qui m’arrivait, malgré ce sentiment tellement dominant de<br />

n’être qu’une petite âme sans importance.<br />

- Tu as raison, Jacques, dit-Il avec sa grande douceur. Tu viens audevant<br />

de moi, j’allais te le proposer.<br />

33


- Mon Père, je n’arrive pas à concevoir un dialogue avec vous. Tout<br />

ce que je puis imaginer c’est… et encore, de Vous écouter, d’être à<br />

vos pieds, ne pas être si possible.<br />

La pièce s’éclaira doucement, je devinai qu’Il avait souri.<br />

- Relève les yeux et laisse-moi te parler avec simplicité. Ma visite,<br />

sinon, serait bien inutile.<br />

Je me demandai comment l’écume brisée parle à l’Océan, une<br />

pierre à la plus haute chaîne de montagne ou un grain de sable à la<br />

vague. Une onde de pur bonheur me vint et je compris qu’une fois<br />

de plus, Il se mettait à ma portée, qu’Il atténuait infiniment son<br />

pouvoir, que nous allions nous dire quelque chose. Même Moi ?<br />

Même moi… Même moi !<br />

- Tu as besoin de Temps.<br />

- J’ai fichtrement besoin de temps et, dans mon système, il ne me<br />

reste que - je me concentrai - cinq minutes et 29 secondes. Nom de<br />

Dieu ! ajoutai-je, et je rougis comme une pucelle, nous avons fichtrement<br />

dérivé.<br />

J’avais presque hurlé. Mais, mettez-vous à ma place, l’Apocalypse<br />

Now, le 6664U, avait sans aucun doute progressé considérablement,<br />

au dernier décompte il me restait cinq minutes et 29 secondes. Je<br />

venais de perdre 28 secondes, autant dire presque un douzième du<br />

délai avant la cérémonie d’ouverture de fin du monde.<br />

- Il ne faut pas penser ainsi, dit mon Père. J’ai créé le Temps, tu sais,<br />

et je l’ai fait fluide, habitable, pas très ressemblant à ce que vous en<br />

faites avec vos horloges.<br />

Je pouvais comprendre ça, je n’avais jamais approuvé ces Suisses<br />

arrogants qui breitlingent le monde avec leur publicité et leurs<br />

envols dérisoires.<br />

- Le Temps, poursuivit-Il, le Temps est une substance d’amour, une<br />

rivière claire, je l’ai fait pour que s’y édifient des vies complexes,<br />

des simplicités et des évidences, relis donc quelques lignes du<br />

Paradis de Dante, il y a là, de manière cachée, une certaine compréhension<br />

du Temps. Il est si fragile et si mobile que parfois il<br />

m’échappe, même à moi.<br />

Je n’avais pas écarté une certaine terreur de mon esprit. Mon Père<br />

me parlait littérature et le 6664U, de ses actuels 35’000 mètres d’altitude,<br />

se ruait vers nous. Ça Lui ferait peu d’effet, mais à nous ?


Honteuse pensée ! J’avais oublié qu’Il était le grand lecteur des<br />

âmes.<br />

- Jacques, ne te préoccupe pas tant, j’ai suspendu le cours des choses,<br />

nous parlons en marge.<br />

Je me pacifiai, assez honteux.<br />

- Ce n’est pas dans la science ou dans l’action contingente que tu<br />

détourneras le cours des choses, dit-Il. Tu voulais un compresseur<br />

de temps ? Trouve donc un poète, un très grand poète qui, déjà, l’a<br />

construit.<br />

Il dit et soudain je fus saisi d’une onde bleutée assez secouante. En<br />

moi des bibliothèques s’ouvraient comme des fleurs, ça grinçait un<br />

peu comme de vieilles portes que l’on n’avait plus ouvertes depuis<br />

quelques éternités, mais je connaissais la solution, je le savais. Et ça<br />

me revint. Le peloton d’exécution.<br />

- Haha ! dit Dieu, en Amérique du sud, verdad ?<br />

Comme j’étais lent. Le poète c’était Borgès, le texte s’appelait Le<br />

miracle secret, l’exécution de Hladik un 29 mars à neuf heures du<br />

matin par un peloton de fusiliers militaires. Il avait été écrit en 1943.<br />

Je l’avais cité à ma manière dans la Cantate interrompue, en le<br />

mixant avec le Poème <strong>sur</strong> la septième de Johny Hallyday, une version<br />

que l’on n’a pratiquement jamais réentendue. Et le miracle, le<br />

don de Dieu, c’était…<br />

- Du temps, mon fils, juste un peu de temps.<br />

- Une année ! fis-je, Vous - selon Borgès - donnez une année à cet<br />

homme, debout, devant le peloton d’exécution, pour qu’il puisse<br />

terminer l’œuvre qui lui tient tant à cœur… et qui se nomme, s’il<br />

m’en souvient bien…<br />

- Les Ennemis, dit Dieu. Une œuvre de théâtre dans laquelle le<br />

temps s’emmêle d’étrange manière, même pour moi. Ça m’a donné<br />

l’idée de lui accorder du temps, pour qu’il se mette à jour.<br />

- Vous lui avez donné une année !<br />

- C’est ce qu’il me demandait.<br />

- Mais il reste devant les fusils, <strong>sur</strong> son visage la même goutte d’eau<br />

n’en finit pas de tomber et, pour finir, il comprend que vous suspendez<br />

le temps, qu’il a une année à rester ainsi figé, devant ces soldats<br />

de plomb, une année pour terminer cette œuvre qui lui explique le<br />

monde, il ourdit son grand labyrinthe invisible, efface un symbole<br />

35


trop évident, taille, rature et ajoute, il découvre que les cacophonies<br />

pénibles qui ont tant alarmé Flaubert ne sont que superstitions<br />

visuelles, la faiblesse du mot écrit et non du mot dit, il finit par<br />

aimer ces soldats germaniques, la triste cour de cette caserne et<br />

parvient à ce stade de bonheur dont tous nous rêvons, la dernière<br />

correction, l’ultime, après laquelle…<br />

- Boum ! fit Dieu, qui n’était pas dans Son fauteuil de nuages.<br />

L’année est écoulée et il meurt. Tu vois, je n’interviens pas de<br />

manière sensible comme les Juifs l’ont toujours exigé de moi.<br />

Je n’osai pas lever les yeux pour vérifier un sourire amusé. Dieu<br />

a-t-il le sens de l’humour ? Une chose me tracassait.<br />

- Mon Père…<br />

- On peut se tutoyer, dit Dieu, nous allons en avoir besoin.<br />

Ça m’était vraiment très difficile, mais il me donna un coup de<br />

main.<br />

- Vous, Tu… vas me laisser méditer ici une année ?<br />

- Six minutes, dit-Il. Rien de plus. Mais je te connais, tu sais aménager<br />

le temps. Je suppose que tu vas les changer en six grâces, six<br />

paysages, six torrents.<br />

- Après quoi les Sœurs…<br />

- Mais non, Jacques ! Lumière et Chaleur ne sont qu’une branche<br />

du futur. Veux-tu un joker ?<br />

- Oui, mon Père ! (Je ne pouvais me faire à une familiarité avec<br />

Lui.)<br />

- Ta solution sera poétique. Tu la sais déjà. Il ne te reste qu’à laisser<br />

sortir toute cette ferveur qui te remue, ces lectures, tes bibliothèques.<br />

Quand tu auras rangé tes mondes, tu verras la voie.<br />

Il était devenu totalement Zen !<br />

J’avais une ultime question.<br />

- Pourrai-je, mon Père, dire quelques mots, ici et là, à la sauvette, de<br />

ces choses de la vie qui me sont si chères ?<br />

- Tu veux faire des cui ? demanda Dieu qui avait l’œil malicieux.<br />

- Je ne suis qu’un bavard de <strong>sur</strong>face, dis-je, Vous le savez bien.<br />

- Qu’il en soit ainsi, mais rien de trop long, Jacques. Je ne voudrais<br />

pas me barber en lisant ton récit. Je me garde bien de l’anticiper.<br />

- Ah, fis-je, oui Père, je vois. Mon libre arbitre ?<br />

36


Je relevai les yeux bien décidé à recevoir ma réponse mais il était<br />

déjà passé. Qui court plus vite que le silence ? Qui contourne l’absence<br />

? Qui est le torrent des choses premières et dans quel jardin<br />

inconnu s’est-il perdu ? J’avais à répondre à de telles questions. Ma<br />

main s’égara dans une pile d’oreillers, je sentis le contact familier<br />

d’un vieux livre.<br />

C’était Finnegans wake.<br />

37


Décompte électoromoral<br />

La paix perpétuelle est un rêve, et ce rêve n’est même pas<br />

beau. La guerre fait partie intégrante des desseins du<br />

Créateur et sollicite les vertus les plus nobles de l’être<br />

humain : le courage et l’abnégation. Sans la guerre, le<br />

monde s’enliserait dans le matérialisme.<br />

Général von Schmoll (Courtesy of Lewis Lapham)<br />

- Ca donnera quoi ? fit un Walker, très nerveux.<br />

L’Efrit - je vous garantis que c’en est un, mais de quelle souche, ça,<br />

je ne le sais pas encore - griffonna quelques cercles avec une négligence<br />

affectée.<br />

- Il faut envisager quatre zones d’efficacité, dit-il. Quatre cercles.<br />

Dans le genre d’Alighieri.<br />

Le Président n’avait jamais entendu parler de la Divine Comédie ni<br />

des cercles de l’Enfer, dans lequel il avait rendez-vous, au moins au<br />

sens de Swedenborg. Pour lui, Alighieri devait être un capo de la<br />

maffia avec de Niro et Pacino. Et DC c’était Washington, cœur<br />

politique de la nation. Son fief.<br />

- Continuez, ordonna-t-il.<br />

- Appuyer <strong>sur</strong> la gâchette est facile, recevoir le projectile est douloureux,<br />

dit Wolfo. C’est là toute l’éducation que nous tentons de<br />

donner à nos militaires. Pas de compassion et encore moins d’empathie.<br />

- Je ne vois pas le rapport, fit George.<br />

- Lumineux ! Nos gars des B52 volent très haut. Que font-ils ? Ils<br />

récitent des check-lists. Distance to target, remaining fuel, search<br />

mode, alert mode, acquisition mode, attack mode, paquets verrouillés,<br />

déverrouillage dans 30 secondes. Ils comptent, ils décomptent<br />

comme à Canaveral. Le monde est à rebours mais dans la carlingue,<br />

s’il fait un peu froid au moment de l’ouverture des soutes,<br />

tout est propre. Ils ne sont pas connectés avec le sol, avec les gens<br />

qui sont en bas, un peu devant l’avion. Vous savez ce que j’en<br />

39


pense ? C’est extrêmement clean. Nous sommes obsédés par une<br />

guerre propre et nous nous sommes donné les moyens de la faire.<br />

- Hmmm, fit George, le 11 septembre n’était pas clean, vous<br />

savez.<br />

- Le 11 septembre n’a jamais eu lieu, rinça l’Efrit, du moins pas<br />

après ce que nous avons mis en route. Le paquet va être livré.<br />

Federal Xpress nous jalouse, Monsieur le Président. Nous sommes<br />

les meilleurs.<br />

- À quel prix ? se demanda l’hôte de Casablanca, à quel prix ?<br />

Aurais-je le temps de me faire réélire ? De profiter de ma fortune ?<br />

Que de questions… Et pourquoi suis-je en train de suivre ce fou ?<br />

Il se tourna vivement vers l’homme pâle.<br />

- Ca va donner quoi ?<br />

- Vous voulez parler des réactions internationales ? je vous ai déjà<br />

dit que…<br />

- Non, trancha Walker, <strong>sur</strong> place. Ça va se passer comment ?<br />

- Ah ! Judicieuse question. Ce sera différent avec chaque ville, vous<br />

savez. Sur LA ça serait vraiment moche. Mais <strong>sur</strong> New York !<br />

- Uh ? s’interloqua Bush, <strong>sur</strong> New York ? Vous êtes fou ?<br />

- Oui, admit Wolfi, vous ne l’aviez pas remarqué ? Peu importe, <strong>sur</strong><br />

New York ce serait grandiose. Dans le premier cercle, disons Wall<br />

Street, Le Village, East et West side, Central Beuhhhrk, tout ça…<br />

Il claque des doigts. Plop !<br />

- Presque indolore, vous voyez.<br />

- Je croyais qu’il y avait des effets d’ombre, risque George, ces<br />

grands buildings…<br />

- Ils s’envoleraient avec grâce. Ce serait sublime de les voir prendre<br />

leur essor, n’est-il pas ?<br />

- Je ne sais pas, de toute façon nous n’allons pas tirer <strong>sur</strong> nos villes<br />

fit le Président furieux. Pourquoi ces descriptions tellement - il<br />

chercha le mot - tellement…<br />

- Choquantes ?<br />

- Oui ! Tellement ab<strong>sur</strong>des aussi. Vous êtes très contraire au principe<br />

de l’american way of life, vous savez, Conseiller.<br />

- Mais, sourit l’ab-homme-minable, c’est parce que nous ne comprenons<br />

le mal que quand nous le subissons. Autrement tout est<br />

clean, je vous en parlais il y a un instant.


Un ange passa en rase-mottes, deux réacteurs en feu. Wolfo se leva<br />

et une fois encore parut trop grand et trop dense.<br />

- Le souffle de l’onde choc sera tel qu’il soufflera probablement les<br />

incendies dans le premier cercle. Imaginez le poing de Dieu s’abattant<br />

<strong>sur</strong> une ville comme New York ? Les bombes <strong>sur</strong> le Japon<br />

n’étaient que des modèles A. Nous parlons H, Monsieur. Dans<br />

l’idée de deux ou trois mégatonnes. Vingt, qui sait ? Disons : le gros<br />

truc.<br />

Bush ne pouvait imaginer deux millions de tonnes de TNT. En fait,<br />

personne ne pouvait l’imaginer. Même pas l’effet de deux tonnes.<br />

C’était trop abstrait, trop clean.<br />

- Dans le premier cercle rien ne subsistera, reprit l’homme docte. À<br />

l’intérieur du deuxième cercle nous pensons qu’il y aura environ<br />

50 % de tués, beaucoup de blessés et quelques miraculés. Mais pas<br />

pour longtemps. Plus loin, je pense que le Bronx, Brooklyn et<br />

Jersey seront incendiés, les vitres soufflées avec un très bel effet<br />

antipersonnel et quelques buildings resteront debout, mais à l’état<br />

de carcasses, disons de… silhouettes. Les morts ne seront plus que<br />

de 25 %. Le reste ne se portera pas bien, vous l’imaginez. Et au<br />

delà…<br />

- Au delà ? L’attention du chef des armées avait été captée.<br />

- Au delà, les banlieues, l’université Columbia, tout ça va présenter<br />

un spectacle très désolant. Il faudra avoir de la chance pour y <strong>sur</strong>vivre.<br />

Un bref instant.<br />

Le petit homme était toujours réticent, même les cons sentent le<br />

danger. Sa tête battait de droite à gauche, très négativement.<br />

- Armageddon, dit alors Wolfowitz.<br />

- Arma quoi ?<br />

- Armageddon, Monsieur. C’est la vision juive de la fin du Monde.<br />

Cette fameuse lutte finale du Bien contre le Mal.<br />

Bush, qui aimait les westerns, comprenait assez bien l’image. Main<br />

street, un méchant et Dieu. Ou même lui, tant qu’à faire ? N’était-il<br />

pas le chevalier blanc des Caucasiens ?<br />

- Armaggedon, poursuivait Wolfo, c’est un besoin national, Monsieur.<br />

Bruce Willis a vendu des millions d’entrées en quelques jours avec<br />

41


ça.<br />

George dressa l’oreille. Ça devenait intéressant. Vendre des tickets<br />

ou trouver des électeurs c’était un peu la même chose, il avait déjà<br />

dealé avec cette technique, en Floride.<br />

- Armageddon, c’est un site, dit le conseiller, beaucoup de sites, une<br />

librairie online et, bien sûr, des sectes innombrables.<br />

- Celles qui nous apportent leurs voix ?<br />

- Pas vraiment, mais permettez-moi une question : qui est notre<br />

maître spirituel ? Calvin ou Billy ?<br />

- Billy, fit Bush impulsivement. Il n’avait jamais été capable de<br />

penser à quelqu’un d’autre que Calvin Klein, qui avait financé sa<br />

campagne, très discrètement.<br />

- Voila, fit Le loup mal cousu. Voilà, rajouta-t-il en français, prenant<br />

un accent grave. Vous dégommez la cité de Calvin, je vous l’avais<br />

déjà dit, et vous montrerez que Dieu est avec vous.<br />

Si ce pauvre con savait à quel point Dieu me les broute, pensa Bush,<br />

mais son attention avait été captée. Il n’était pas sensible à la déme<strong>sur</strong>e<br />

ni à l’horreur. Il était sensible aux votes. Truqués si possible. Il<br />

dévisagea son conseiller.<br />

- Wolf, vous avez parlé de deux mégatonnes ?<br />

- C’est correct Monsieur. Deux, trois, vingt et plus, on ne va pas<br />

mégoter.<br />

- Mais, hurla Bush, <strong>Genève</strong> à ce qu’on m’a toujours dit, est minuscule<br />

! il n’en restera rien !<br />

- Peut-être, peut-être pas. On dit beaucoup que cette cité est bénie<br />

des dieux, vous savez ? Et aussi qu’elle est entourée de montagnes.<br />

Imaginez un effet Venturi géant, basé <strong>sur</strong> des vents de cinq cents<br />

km/h ! Ca sera aussi mythique que militaire. Le lac, en la rade de<br />

cette jolie petite ville, sera évaporé en moins d’une seconde et peu<br />

après, une vague de mille pieds de haut arrivera, en provenance<br />

d’un petit bled nommé Newtown, je crois, à trois fois la vitesse<br />

d’atterrissage d’Air Force One. La ville, <strong>sur</strong> un rayon de deux miles<br />

sera totalement vitrifiée, les murs les plus résistants, s’ils ne partent<br />

pas dans les airs, molliront et fondront en quelques secondes, puis<br />

ce sera la campagne, la France voisine un peu, de quoi faire les<br />

pieds à ce Chirac de merde. Vous savez quoi ? Nous n’avons jamais<br />

procédé à un tir dans une cuvette de montagnes. C’est assez exacte-<br />

42


ment ce qu’est <strong>Genève</strong>.<br />

- Vous avez l’intention de vérifier ? grommelèrent George et Walker<br />

avec ensemble.<br />

Wolfo se tourna, son échine décrivait un angle impossible.<br />

- C’est l’une des beautés de mon plan, souffla l’Efrit.<br />

Il consulta sa montre.<br />

- Et… Monsieur ! Il serait trop tard pour changer d’avis, la livraison<br />

est en route.<br />

Il sourit. Il avait du charme.<br />

Ce charme que les fous prêtent à l’Enfer.<br />

43


Restons pratiques !<br />

J’avais besoin de deux choses. Trouver la formule ou le<br />

code qui anéantirait cette saloperie et sauverait ma<br />

ville. Et un bon Manhattan bien tassé. Je savais où<br />

trouver l’une d’entre elles.<br />

(À la manière de Marlowe)<br />

Je n’avais pas la moindre intention de tenter quoi que ce soit d’utile<br />

ou de concret. Appeler l’armée, les pompiers, de mon balcon sonner<br />

du cor et du tocsin, activer les codes de la protection civile pour<br />

déclencher les lents mugissements des sirènes qui avaient bercé mes<br />

nuits d’enfant, quand la Luftwaffe et les B-25 bourdonnaient dans<br />

la nuit genevoise, non, rien, rien de rien !<br />

Un bref instant je me fis la réflexion que ce qui arrivait était somme<br />

toute logique et dans la continuité des choses. L’Amérique n’avait<br />

eu de cesse de nous polluer avec de fausses valeurs, ses fausses<br />

blondes, sa malbouffe et ses financiers véreux, une publicité de plus<br />

en plus mensongère, son dollar de merde et ses dot.com qui n’étaient<br />

que de géants aspirateurs à phynance, une vision de Dieu étrécie à<br />

un petit billet vert puant, le culte des garçons vachers armés, ses<br />

femmes aussi, belles comme les armées de fromages des malls et<br />

tout aussi sans goût, l’adoration de la violence, un cinéma pernicieux<br />

et la destruction permanente des valeurs du Vieux Continent.<br />

Merde quoi, Bordel ! Ce missile n’allait que parachever tout ce que<br />

ces imbéciles avaient entrepris avec une si belle énergie, mon unique<br />

<strong>sur</strong>prise étant que je ne saisissais pas ce qu’ils pourraient y<br />

gagner.<br />

Mon intuition me disait également que mes six minutes <strong>sur</strong>gelées<br />

devaient servir à quelque chose d’aussi grandiose que futile. J’avais<br />

du temps, j’avais même six paquets de permatemps, car il me parut<br />

réduit à l’état de matériau de sub<strong>sur</strong>face, à basse température ce qui<br />

est une définition du permafrost. J’en étirai quelques morceaux,<br />

45


pour voir. C’était noble et gluant, un peu phosphorescent.<br />

Comme je savais que nous ne comprenions rien au temps, je n’avais<br />

qu’à m’immerger et nommer mes envies.<br />

Une tartine de Cénovis plus loin, je me décidai pour une partie de<br />

Genesis. Ça ferait bien dans le décor. Ce serait une Genèse un peu<br />

particulière. Une Genèse du langage, avec James.<br />

J’ai passé un coup de fil à Mirabelle LaNuit, l’étrange fille au casque<br />

de cheveux noirs que j’avais croisée chez André-François.<br />

Quelque chose me disait qu’elle aurait une piste pour moi.<br />

Mais elle n’était pas là.


Quand Mirabelle danse<br />

(Couleurs et voyelles d’Elle, II)<br />

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,<br />

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles<br />

Mirabelle n’était pas là. Mirabelle n’était pas chez elle. Ni online,<br />

ni on cellular. Mirabelle dansait, à l’Afrotech, quartier des Pâquis.<br />

Un lieu populaire, mais, à part l’orgueilleuse Cologny et certains<br />

endroits proches de l’église russe, qu’est-ce qui était huppé ou<br />

populaire dans cette ville ? Les jeunes taguaient tout et prenaient<br />

leur pied dans n’importe quelle boîte, pourvu qu’elle ne soit pas<br />

trop chère ni trop gardée. Cet état de fait ne concernait pas Mirabelle.<br />

Quand Mirabelle dansait, elle communiquait tant de chose à ceux<br />

qui la regardaient qu’il se créait immédiatement un espace autour<br />

d’elle. Un espace de regard et de partage fusionnel. Pour l’instant,<br />

<strong>sur</strong>fant une musique un peu sotte mais bien martelée, faite d’afrobeat/acid<br />

tendance pump-trash, elle faisait ce que toute femme<br />

connaît d’instinct, elle modelait l’espace. Elle avait eu beaucoup de<br />

peine à faire entrer André-François, son éternel chevalier servant<br />

depuis quelques semaines. Servant, au sens anglais du terme. Lui<br />

aussi regardait, pétrifié. Il eut voulu, plus que tout au monde, filmer<br />

les évolutions de celle qu’il n’avait jamais osé appeler sa nana. Mais<br />

quelle caméra infrasensorielle eut pu décrire son sillage, la modulation<br />

qu’elle opérait du petit espace de l’usine Afrotech. Mirabelle<br />

était assez « aus Garage », sans trop. De fait elle était assez tout, elle<br />

ne pouvait voir le mal et ce dernier l’évitait. Le DJ monta sa sono,<br />

des ondes firent bouger les côtes des danseurs. Ils ne remarquèrent<br />

rien, et pour cause : Mirastrale-Centrebelle-Afrotech était en opération.<br />

Quand Mirabelle dansait, elle oubliait totalement le monde,<br />

elle « était », avec une intensité rare. Le monde, proche, à deux<br />

mètres, dix qui sait ? devenait modulable autour d’elle, à sa fantaisie.<br />

Elle se déhanchait, les spectateurs vacillaient, elle refermait ses<br />

bras minces autour de ses épaules et les souffles se mettaient en<br />

47


veilleuse, elle pointait un doigt impérieux <strong>sur</strong> un coin d’ombre et<br />

quelqu’un se retrouvait figé sous un sunlight, c’était BollywoodBelle<br />

<strong>sur</strong> Lémanie, la Mirastrale dansait et le bruit s’en répandait vite. On<br />

pensait à une danse de séduction animale, de provocation, un appel<br />

à la fécondation. C’était juste mais il y avait plus. Mirabelle, vous<br />

le savez déjà, était La Vie. Facile à tuer, impossible à détruire.<br />

Quand Mirabelle dansait, ses mouvements très fluides, incodifiables,<br />

transmettaient le double message de la fécondation rituelle et<br />

du don de la vie. Toutes les femmes ont par innéité ce pouvoir d’occuper<br />

leur spectre large, leurs rôles présents et à venir. Chez<br />

Miragebelle c’était très développé. Elle eut tout aussi bien dansé le<br />

Sacre du Printemps qui ne dit pas autre chose, mais ça ne s’écoute<br />

plus tant que ça. En dansant, elle exprimait l’espèce humaine dans<br />

sa simplicité, ce devait être une ligne de son génome, un homme ne<br />

pouvait tout simplement pas faire ça avec son corps. J’ai souvent<br />

parlé des femmes qui dansent car, comme tous mes congénères,<br />

elles me fascinent et je les admire. J’ai parlé de Lili à Sausalito, de<br />

cette fameuse passante du quartier latin qui courba tellement mon<br />

espace de mâle qu’elle s’appropria un chapitre <strong>sur</strong> deux d’un roman<br />

que je voulais intituler Orphée 2 001 et dont le titre se mua en Les<br />

Culs, un beau livre romantique avec une descente aux enfers du<br />

froid mental, mais les journalistes furent si cons que je me retrouvai<br />

avec l’étiquette que vous pouvez imaginer. Et voici qu’à nouveau je<br />

parle de la gestique féminine ! On ne transige pas avec ses fascinations.<br />

Si ce n’est moi c’est donc mon « ça », mes pulsions génésiques.<br />

Ou ce que vous voudrez. Avec Mirabelle, qu’en tant qu’auteur<br />

je ne vais jamais connaître, mais que, en tant que protagoniste je<br />

vais sûrement rencontrer avant que le ciel ne nous tombe <strong>sur</strong> la tête,<br />

avec elle, je suis en difficulté. Je devrais faire mieux que ça, sortir<br />

ma meilleure plume et vous balancer à la figure, vite fait, sons,<br />

couleurs et mes intimes formules magiques littéraires. Pour voir.<br />

Pour voir si vous la Miradmirabellez autant que moi. Mais, comme<br />

nasalisait le général chinois de Jean Yanne devant l’Élysée « ça n’va<br />

pas ». J’étais short poésiee fus tenté de faire comme d’Ormesson et<br />

d’emprunter à la littérature française, quelque chose qui terminerait<br />

ce chapitre, quelque chose qui ressemble à Quand Mirabelle danse.<br />

Autant vous le dire tout de suite : je me suis planté. Les poètes fran-


çais, ou présumés tels, sont <strong>sur</strong> le chapitre du désir d’une morbidité<br />

et d’une désespérance effroyables. Voyez Baudelaire, ma tardive<br />

passion :<br />

L’amoureux pantelant incliné <strong>sur</strong> sa belle<br />

A l’air d’un moribond caressant son tombeau.<br />

Non mais ? Ça va pas la tête, Charles ? Les femmes nous fouettent<br />

le sang. Avec elles le raisin déborde. Bordel ! C’est comme ça que<br />

meurent les Présidents de la Raie pubique en France… Pas encourageant<br />

! Ailleurs, je trouvai quatre lignes qui parlaient très vaguement<br />

de l’indicible de la femme qui danse :<br />

Et l’harmonie est trop exquise,<br />

Qui gouverne tout son beau corps,<br />

Pour que l’impuissante analyse<br />

En note les nombreux accords.<br />

J’en restai cependant consterné. Nos poètes français (oublions les<br />

suisses, quoique… des Vahé Godel, des Olivier Perrelet, des Anne-<br />

Lise Burger et d’autres aient écrit de belles choses) nos poètes français,<br />

question stratégies amoureuses, faisaient dans le lugubre de<br />

haut vol. Toujours impuissants, toujours désespérés, toujours mal<br />

branchés. Personne ne leur avait donc appris qu’il faut faire rire une<br />

femme pour avoir une chance de la connaître ? Et éventuellement<br />

de se trouver ?<br />

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.<br />

Un éclair… puis la nuit ! - Fugitive beauté<br />

Dont le regard m’a fait soudainement renaître,<br />

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,<br />

Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !<br />

Ce passage, je l’adore, <strong>sur</strong>tout la dernière ligne qui serait parfaite<br />

dans la bouche d’un Belmondo en remake de Guignolo, mais ce<br />

n’est pas avec ça que vous allez extraire une fille moderne d’une<br />

boîte et encore moins une Mirabelle. Je passai voir chez Rimbaud,<br />

49


mon dieu minuscule qu’on entreprenait de mettre à la mode (il y a<br />

des gens que cent ans de retard ne dérangent pas) et ça n’était pas<br />

Byzance. Il y avait Phrases, ce texte que je ne manque pas une<br />

occasion de citer, où une présupposée fille lui disait de belles choses<br />

assez envoûtantes.<br />

Quand le monde sera réduit en un seul bois noir<br />

pour nos quatre yeux étonnés,<br />

en une plage pour deux enfants fidèles,<br />

en une maison musicale pour notre claire sympathie,<br />

Je vous trouverai.<br />

Qu’il n’y ait ici-bas qu’un vieillard seul, calme et beau,<br />

entouré d’un « luxe inouï », et je suis à vos genoux.<br />

Que j’aie réalisé tous vos souvenirs,<br />

que je sois celle qui sait vous garrotter,<br />

Je vous étoufferai.<br />

Je trouvais ce texte terriblement inquiétant. Les deux affirmations<br />

« Je vous trouverai » et « Je vous étoufferai » avaient un côté mante<br />

ou veuve noire, bien trop sinistre pour une Plurabelle. Aucun de ces<br />

textes ne convenait. Je dus me faire une raison. Comme les<br />

Mexicains, mais sans le savoir, ces Français pleurnichaient de désir<br />

et de frustration devant la femme. Leur foutu amour courtois faisait<br />

des siennes avec un effet boomerang. Idéaliser la femme ? La mettre<br />

<strong>sur</strong> un piédestal ? J’adore ! Mais fallait aussi savoir rester macho,<br />

juste un poil, elles ne détestaient pas un brin de contestation. Dans<br />

la mêr-veill-lleuse littérature française, question approche de la<br />

femme, on manquait de nerf, d’audace et de désinvolture. Aucune<br />

démarche directe, du moins sans tomber dans la banalité. Un certain<br />

J.-M. Bigard, avec sa chasse à la bécasse, représentait probablement<br />

le fin du fin du discours amoureux non bêlant de ce début de<br />

siècle, la vigueur restante de cette nation dont le superbe romantis-<br />

50


me était passé, je rêvais, je n’étais qu’un attardé. J’évitai toutefois<br />

d’aller relire Aragon qui avait dit de si belles choses. Peut-être bien<br />

qu’il « n’y avait pas d’amour heureux », après tout. Je n’avais pas<br />

envie de le savoir. Il n’y avait, somme toute, que la chanson qui ait<br />

su concilier vigueur et séduction. Le « Quand tu danses » de Bécaud<br />

restait un modèle, le « You are for me » d’Aznavour était vigoureux<br />

et « Femmes je vous aime » avait marqué les esprits. La chanson,<br />

question de séduction masculine, était passée devant la littérature<br />

mais ça, personne ne l’avait vu.<br />

Tout ce délire poétique sentait le moisi, était en totale contradiction<br />

avec cette fille assommante de vérité.<br />

Jambes entrevues, leur réseau croisé, vive flagellation de chevelure,<br />

regard illuminé, absent, au loin, un sourire pour personne, pieds<br />

soudain frappeurs de sol, vagues des hanches motrices, impérieux<br />

ballet des bras comme insolentes dardures de seins, elle dansa.<br />

Elle dansa avec simplicité, étourdissant le monde et les ordres proches.<br />

51


Finnegans et moi on s’était bien marré !<br />

(Originelle minute)<br />

Riche de mes six dons, six épisodes, six minutes, six vies pour faire<br />

quelque chose, pour sauver le monde ou, tout au moins, les gens et<br />

les choses que j’aime, je descendis en esprit le Rhône, ce fleuve<br />

impassible, saluant au passage le bon peuple de <strong>Genève</strong>, d’un air<br />

entendu. Un jour, si je pouvais devenir ce que je suis, un grand<br />

poisson, je referai ce même parcours, à destination de la mer, du<br />

delta. Ils ne savaient pas ! Les Sœurs Chaleur et Lumière attendraient.<br />

J’avais deux ou trois choses à faire avant que ça ne tourne<br />

vraiment mal ou que, par quelque prompt renfort, nous soyons tous<br />

sauvés. Au premier rang de ces tâches délaissées les plus urgentes,<br />

j’avais imprudemment inscrit un commentaire <strong>sur</strong> la mort du roman<br />

et un décryptage de Joyce et de son fils spirituel le maçon<br />

Finnegan.<br />

Et là, au cas où vous ne vous en seriez pas encore aperçus, je dois<br />

reconnaître que je suis prétentieux, fou, tapé, zinzin. gonflé, que je<br />

m’la pète plus haut que les nobles fondements de votre personnalité<br />

car, six minutes avant la fin du monde, en gâcher deux pour des<br />

commentaires aussi mandarinesques est imperceptiblement bizarre.<br />

Je suis tout à fait certain que vous n’avez pas lu Finnegans Wake.<br />

Ne me dites pas le contraire ou je vous renvoie à mon copain Michel<br />

Butor et à sa top-modèle préface de la traduction que le poète français<br />

André Du Bouchet a osé donner du Wake. Oser m’est ici un<br />

verbe évident. Qui d’entre vous accepterait de réécrire la Genèse<br />

sans complexe ? Finnegans Wake est très Genesis like. Bref, Butor,<br />

dans son esquisse d’un seuil pour cet infini (quelle belle formule !)<br />

se confie : « je n’ai jamais lu Finnegans Wake […] sans en sauter<br />

un seul mot […] une phrase […] des pages entières ! » Si lui le dit !<br />

Et Du Bouchet, totalement génial, pose que « l’illisible est bien le<br />

seul infini dont un livre se donnant comme le monde écrit sache se<br />

prévaloir ».<br />

53


Relisez-moi ça ! Mâchez-le, fumez, c’est du bon ! Je ne pourrais<br />

jamais rattraper ces grands esprits mais j’avais ma petite quête personnelle.<br />

J’étais persuadé que le chaos Finnegans Wake possédait<br />

divers ensembles de solutions, et que l’un d’entre eux était musical.<br />

Et là, j’étais <strong>sur</strong> mon terrain.<br />

Je m’installai confortablement et ouvris ce bouquin. Mon exemplaire,<br />

un tiré à part <strong>sur</strong> pur porc Lafumée numéroté de 1 à 69, était<br />

arrivé <strong>sur</strong> les rayons de ma bibliothèque par je ne sais quel miracle.<br />

Daté de 1962. C’était encore le bon vieux temps, quand Gaston<br />

Gallimard éditait Joyce et quelques profondeurs locales parisiennes,<br />

avant de se jeter <strong>sur</strong> les œuvres complètes de Madonna et d’Harry<br />

Potter.<br />

Finnegans Wake, paru à la veille de la guerre, en 1939, pourrait être<br />

considéré comme la correspondance alchymique et innommée de<br />

l’œuvre d’Anton Webern. Les deux hommes s’étaient, comme les<br />

physiciens, attaqués aux particules élémentaires l’un de la musique<br />

l’autre de la littérature. Et la magie de Finnegans Wake, ce livre<br />

illisible mais générateur d’univers, fut telle que très rapidement se<br />

formèrent et pullulèrent de par le monde des fondations et des sociétés<br />

plus ou moins ouvertes, universitaires ou hermétiques qui se<br />

consacrent à ce seul texte. Comme, par exemple, la Finnegans Wake<br />

Society of New York and the Wake Watchers ! (http ://www.finneganswake.<br />

org/). Leur conviction est claire : ce livre, dans la tradition<br />

flaubertienne est quelque chose à gueuler.<br />

« This last and most inaccessible of the works of James Joyce is why<br />

reading groups were invented. Joyce created his own language with<br />

original words and endowed ordinary words with novel meanings.<br />

What is obvious (and the only obvious thing about the book) is that<br />

reading the Wake is both a visual and auditory experience. It must<br />

be read aloud. Replete with puns, the sense of the language and the<br />

fun of the Wake is in the sound. You can read it aloud to yourself or<br />

listen to recordings, but the best way is to join a reading group. »<br />

Très attirant ! De quoi faire vibrer le musicien que je suis, un livre<br />

qui contient le monde, dont la grammaire, la syntaxe et même le voc<br />

sont inventés et qui ne prend sens que quand il devient musique.<br />

Que veut le peuple ?


Eco, raide et cultivé, comme tant d’universitaires, utilise volontiers<br />

de grands mots pour de petites choses, il nous parlait dans son dernier<br />

bouquin des subtiles distinctions entre fabula et intrigue, ironie<br />

intertextuelle et méta-narrativité. J’aime assez ! Et je vous préviens<br />

que je vais me faire les griffes là-dessus. Mais j’aime aussi ne pas<br />

me faire prendre en train d’utiliser ce genre de mots sans pouvoir<br />

les expliquer avec simplicité. La fabula étant la structure simplissime<br />

de l’histoire et l’intrigue sa mise en œuvre, aussi complexe<br />

que l’on veut, je me suis mis à penser que Finnegans Wake était une<br />

œuvre de fabula rasa et d’intrigue infinie. Aucun récit, juste le<br />

monde.<br />

Ça me branchait vachement. Je recomposai le numéro de Mirabelle<br />

LaNuit, sans succès. Il n’y avait plus qu’à plonger dans l’océan<br />

Joyce pour tenter d’en goûter quelques vagues, quelques saveurs.<br />

Je m’aperçus vite qu’il y avait des correspondances évidentes entre<br />

ce texte et les travaux auxquels, dans ce moment de ma vie, je me<br />

livrais. J’avais reconstruit mon ancien studio de musique électro<br />

acoustique et je nageais dans la physique du son et <strong>sur</strong>tout dans les<br />

instruments sorciers que mes amis américains avaient l’art de<br />

construire. Joyce était un précurseur de la synthèse additive, du<br />

morphing et même de cette merveille récente qui porte l’étrange<br />

nom de granular synthesis.<br />

En attendant d’y revenir je puis vous le confier : chaque matin<br />

depuis longtemps je lis ce livre. Je vais cesser, je le prends trop au<br />

sérieux. Il finira par m’engloutir un jour ou l’autre et vous ne trouveriez<br />

plus mon prochain bouquin <strong>sur</strong> l’étal des meilleurs libraires.<br />

De vous à moi je vous dois une confidence :<br />

Finnegan(s) et moi on s’était bien marré.<br />

55


Frozen time…<br />

(Minute gelée)<br />

Lorsqu’un prince se conduit bien, son gouvernement est<br />

efficace sans qu’il ait besoin de donner des ordres. Mais<br />

s’il vient à mal se conduire, les ordres qu’il donnera ne<br />

seront pas écoutés.<br />

CONFUCIUS (online)<br />

- C’est pour quand, Wolf ? demanda l’homme dont la cote de popularité<br />

battait tous les records de chute libre. Est-ce que ce putain<br />

d’engin est arrivé à destination ?<br />

Le Conseiller avait l’air salement emmerdé.<br />

- Il est en phase de descente, Monsieur.<br />

- Mais ?<br />

- Ah ! Mais ! Quelle bonne remarque, Monsieur.<br />

- Me faites pas chier, s’énerva Bush. Je veux savoir.<br />

- Vous insistez ?<br />

- Vous savez qui je suis ?<br />

- Je le sais, Monsieur, dit Wolfi qui pensa « s’il savait Qui je<br />

suis… ». Mais il ne se confia pas. Comment eut-il, par ailleurs,<br />

révélé sa qualité de mauvais génie au plus fondamentaliste des chrétiens<br />

d’Amérique ? Impensable.<br />

- Alors ? Vous accouchez ?<br />

- Il est gelé, Monsieur.<br />

- J’imagine, rêva Walker. À ces hauteurs-là il ne fait pas chaud !<br />

- Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. D’après nos images radar il est<br />

gelé.<br />

- Uh ?<br />

Wolfo s’emporta. « Il est gelé quoi, merde ! Il ne bouge plus ».<br />

Un vent de panique souffla <strong>sur</strong> le salon ovale. Un ange, quatre réacteurs<br />

en parfait état, passa entre les deux hommes.<br />

- Merdre, fit Bush, qui causait français à ses heures, et où va-t-il<br />

tomber ?<br />

- On ne sait pas, Monsieur, s’il retombe… Actuellement il est <strong>sur</strong><br />

57


l’Atlantique nord, proche des côtes françaises.<br />

C’est toujours ça, se dit le Chef des armées. Font chier ces<br />

Frouzes.<br />

- Qui a pu faire ça ? s’in<strong>sur</strong>gea-t-il.<br />

L’Efrit avait bien une petite idée. Il préféra observer un mutisme<br />

prudent. On ne savait jamais. Si c’était l’Autre, l’Abhorré, il fallait<br />

éviter qu’il ne retourne le colis à l’expéditeur. Casablanca est solidement<br />

protégée. Mais avec vingt-cinq mégatonnes, la merde heurterait<br />

le ventilo.<br />

Ils se mirent à veiller, l’air faïence.


Une bière et un ptérodactyle<br />

(Minute suivante)<br />

« Je ne me dissimulerai pas que les romans même les plus<br />

purs font du mal. »<br />

(prêté à) M me de Staël<br />

Abandonner le centre signifie abandonner l’humanité.<br />

(prêté à) Pascal<br />

Tout ce que je vous raconte, vous l’avez déjà deviné, est<br />

radicalement différent de ces imaginations vagues que vous<br />

trouvez dans les livres, au théâtre, au cinéma et <strong>sur</strong>tout de<br />

ces torrents d’inepties dont vous avez la nausée et que vous<br />

appelez des romans.<br />

Jean d’Ormesson, Histoire du Juif errant<br />

Chapitre trop long, sautez !<br />

(Modeste Modeste Moussorgski)<br />

Un méchant soleil était en route. J’avais peu de temps, il était précieux.<br />

Je disposais de mes six minutes gelées, qui ressemblaient à<br />

six volontés, ou six espaces privilégiés et je commençais à penser<br />

que jamais, de toute ma vie, je n’avais été aussi peau de chagrin,<br />

aussi riche. Je pouvais faire mille choses mais rien ne retenait mon<br />

attention. Je pouvais monter <strong>sur</strong> le toit et hululer comme un muezzin,<br />

enroulant ma longue prière argentée dans une aube indécise, me<br />

préparer à une dissolution dans la lumière. Inutile, mais beau.<br />

Comme vous le savez j’avais choisi de disserter <strong>sur</strong> la mort du<br />

roman, une niaiserie dont on nous rabattait périodiquement les<br />

oreilles. C’était une décision un peu légère, je ne tardai point à m’en<br />

apercevoir.<br />

Qu’était le roman ? Rien que la possibilité pour chacun de raconter<br />

librement une histoire, en langue vulgaire. Un livre contenant des<br />

aventures, des émotions. L’affaire d’un conteur, d’un barde moder-<br />

59


ne. On s’en foutait de savoir qu’il tenait son nom de la langue<br />

romane populaire. Qu’il était devenu ce fourre-tout pratique où l’on<br />

ne s’embarrassait plus des règles du tragique, du théâtre, de la poésie<br />

et qu’il charriait des torrents d’inepties. Le descendant de La<br />

Princesse de Clèves était devenu branché, il ne pouvait <strong>sur</strong>vivre<br />

autrement. Et cet espace de liberté évoluait au rythme collectif, bien<br />

trop rapidement.<br />

Était-il vraiment mort ? Mon cul ! C’était un sujet pour les émissions<br />

littéraires où le talent faisait cruellement défaut. La seule<br />

bonne remarque, à ce propos, avait été émise par Rushdie qui considérait<br />

que le roman n’était pas en danger mais le lecteur si. Un<br />

lecteur asphyxié, en voie de disparition, par la faute d’éditeurs saturant<br />

le marché, uniquement préoccupés de rendement financier. Je<br />

trouvais ça (im)pertinent. Des romans, j’en avais lu des masses sans<br />

me poser de questions <strong>sur</strong> leur valeur littéraire officielle. J’avais<br />

même évité de lire ceux qu’une toute petite élite avait hissés au rang<br />

de chef-d’œuvre. Je fuyais les prix littéraires comme la peste, je<br />

n’étais pas le seul. Il me fallait juger <strong>sur</strong> pièces, j’entrais dedans ou<br />

non. C’est certainement un mauvais critère mais, à ma décharge,<br />

Borgès, Rimbaud, Molière et beaucoup de grands auteurs faisaient<br />

partie de mes choix. Zelazny et Silverberg, Dan Simmons aussi qui<br />

est un auteur passionnant et même Ann Rice dont le Memnoch le<br />

démon témoigne d’une grande force narrative, je ne me considérais<br />

pas comme tout à fait pervers. Je lisais beaucoup de romans américains<br />

que je trouvais dépourvus de style mais forts en narrativité, je<br />

me créais des roadmarks.<br />

Il restait vrai que, depuis quelque temps, les ouvrages publiés faisaient<br />

peur. Trouver un bon livre était devenu difficile, on s’en<br />

sortait quelquefois par le bouche à oreille ou par des rencontres<br />

imprévues. Dans une grande <strong>sur</strong>face, entre deux polars de bas étage<br />

et les torrents d’inepties dont parle Jean d’O, mon attention fut attirée<br />

par un petit livre aux allures aussi modestes que son prix. C’était<br />

La grammaire est une chanson douce d’Erik Orsenna. Le titre<br />

m’enchanta, le livre également. Il était rare de voir l’Académie<br />

française représentée dans ce genre d’endroit. Où diable étaient les<br />

bons romans, le talent ? Un peu partout, il fallait ouvrir les yeux,<br />

savoir que l’agitation des médias et des éditeurs n’était que du bruit,<br />

60


des leurres. Il fallait <strong>sur</strong>tout admettre que nous passions à côté de<br />

nombreux récits et savoirs. Notre roman avait, depuis longtemps,<br />

éclaté en formes et dérivés innombrables, ce n’était plus le règne du<br />

polar ou des amours contrariées, c’était tout ce qui se peut conter, la<br />

mer, la grammaire, des fresques humaines ou animales, le combat<br />

spirituel. C’était la vie, une vie tourbillonnante, avec une garantie<br />

de variété et de multiplicité mais pas toujours de qualité, au niveau<br />

de l’écriture. Quelques fleurs attiraient notre attention, le tout<br />

retournait au terreau. Un certain Mallarmé avait déclaré avoir lu<br />

tous les livres. Ça n’était plus à notre portée.<br />

Dans cette période de ma vie je vivais avec trois compagnons de<br />

route. Salman Rushdie, Umberto Eco et Christian Bobin, un livre de<br />

chacun. Ils me donnaient du plaisir et du fil à retordre. Ils alimentaient<br />

ces lacs de feu qui parsèment ma mémoire. Quand j’écris ou<br />

quand je lis, je me sens souvent inculte. J’ai envie de connaître la<br />

référence exacte qu’utilise l’écrivain, je veux du « à la source », j’ai<br />

envie d’avoir lu tous les livres qui se tiennent derrière l’auteur, de<br />

connaître les substances séminales qui, à un moment donné, ont<br />

fécondé son esprit. Je voudrais faire réellement partie de l’œuvre<br />

qui s’ouvre. Bien évidemment ça n’est plus possible dans un monde<br />

où chacun utilise des niveaux de références lointains. On ne vérifie<br />

plus les citations, on accepte ce qui vient presque par principe<br />

« Machin parle de ces livres donc il les connaît ». Qui va se mettre<br />

à lire Homère quand on parle de Scylla, le vortex marin proche de<br />

la Sicile ? Qui plongera dans des bibliothèques oubliées pour disposer<br />

d’une source fraîche ? Ni vous, ni moi. Nous vivons dans une<br />

culture référentielle. C’est par ailleurs la raison pour laquelle je<br />

note, dans les citations en tête de chapitre, « prêté à… ou attribué<br />

à… » ou encore Courtesy of Jean d’Ormesson, qui lui me paraît être<br />

une vraie référence source. Une culture de citations, dont quelquesunes<br />

nous semblent tellement évidentes qu’on peut les considérer<br />

comme des macros - ces amalgames cohérents utilisables dans le<br />

langage pour effectuer une tâche donnée. C’est une pensée d’informaticien<br />

- des mots en bulles, des clusters, agglutinés qui ont de<br />

bonnes valences et s’accordent facilement avec beaucoup de voi-<br />

61


sins.<br />

Avec Rushdie ça allait bien, il est porteur. Il excelle à me donner<br />

l’impression d’être dans le coup, il m’inspire. J’arrive à penser un<br />

instant que je sais quelque chose de la littérature du sous-continent<br />

indien. C’est tout l’art du conteur. Avec Eco, qui abuse de son jargon<br />

universitaire et de citations latines, c’était plus aléatoire.<br />

Comme malgré tout j’avais envie de le lire, je le lisais rageusement,<br />

à ma manière, le matin, par fragments, quarante fois, plus peut-être,<br />

jusqu’à en extraire ce qui m’intéressait et ce qui m’enseignerait.<br />

Son commentaire <strong>sur</strong> la troisième partie de la Divine Comédie par<br />

exemple. Quant à Bobin c’était tout différent. Mais j’en parle plus<br />

loin. Ces trois auteurs et leurs trois livres, Step across this line, De<br />

la Littérature et La Lumière de ce monde qui ne sont ni des romans<br />

ni des poèmes. Ils témoignent d’une sorte de supratextualité. Si<br />

l’intertextualité réside dans le fait que des livres se parlent les uns<br />

aux autres, la supratextualité devrait être le fait que des esprits établissent<br />

un réseau de correspondances non seulement entre des<br />

livres mais aussi dans les mondes imaginaires que ces livres ont fait<br />

naître.<br />

Je ne croyais pas en la mort du roman. Je me disais que son problème<br />

n’était point tant son style ou son élan narratif que son carburant.<br />

Qu’était-il ? La transgression, par excellence. Elle se fait<br />

rare. Elle est usée. Le sexe est <strong>sur</strong>ex et la mort omniprésente tous<br />

les soirs au vingt heures C’est une star, la mort. Au même titre que<br />

les idoles jetables. Il était très pensable que les excès d’une époque<br />

aient usé la réserve transgressive dans laquelle les auteurs se servaient.<br />

Restaient le style et l’élan narratif.<br />

Le style est une réponse classique. Je crois qu’elle n’est pas tout à<br />

fait mauvaise. Rien de neuf sous le soleil, le style éclaire tout. Il<br />

donne vie à une fabula même terne et banale. Que resterait-il de<br />

Jean d’Ormesson si on le dépouillait de son style ? Mais le style<br />

nous échappe. Bobin n’a quasiment aucun style, il est simplement<br />

évident. Eco a peut-être du style, mais maladroit, comme lui, gauche,<br />

trop voulu, trop affecté. Rushdie, lui, est un magicien extrême.<br />

62


J’ai adoré, par exemple, son Fury, parce que je connaissais assez<br />

bien New York et ses milieux aisés, artistes et intellos ; sa manière<br />

d’Indien de s’approprier cette ville, de la juger, de la faire sienne et<br />

de la colorer étaient, je le savais, entièrement juste. Pas une fausse<br />

note. Il se trouve que Rushdie possède le style et l’élan narratif. Il<br />

sait raconter une histoire. Et c’est là que la fabula et l’intrigue<br />

d’Eco deviennent intéressants. Quelle est la fabula du présent<br />

ouvrage par exemple ? La voici :<br />

Un missile nucléaire américain vole vers <strong>Genève</strong>, un rêveur cherche<br />

à le détourner.<br />

C’est tout. L’intrigue, par contre, est plus complexe, déroutante.<br />

Pourquoi raconter une histoire de manière linéaire quand on est<br />

conteur ? Ah ? Je viens de vous dire que je suis un conteur ! À vrai<br />

dire je ne le sais pas encore. Je suis ce lecteur zéro que j’ai obligation<br />

de captiver. Mon intrigue se joue du temps, elle s’en fout. Tout<br />

lui est ouvert : la course du missile, un sens caché dans Finnegan’s<br />

wake, une digression <strong>sur</strong> le roman, une jeune femme qui est La Vie,<br />

etc. Le style donnera température et couleur, la narrativité le mouvement.<br />

Et <strong>sur</strong> un plan temporel un peu plus large, vous verrez que<br />

j’essaye d’alterner (sans régularité) des chapitres brefs et longs,<br />

légers et denses, le tout se donnant, comme toujours, rendez-vous à<br />

la fin de l’ouvrage pour que les fils de la narration soient finalement<br />

bien tressés.<br />

Il me semblait aussi que nous nagions entre deux courants : le style<br />

littéraire et le style factuel. Ce dernier, hérité des médias. Nous<br />

avons tous constaté qu’un bon édito est plus lisible et attrayant que<br />

la plupart des romans qui paraissent. Comme, par exemple, le<br />

roman français et son équivalent non européen. Les Américains<br />

excellent dans l’art de faire bouger la narration. L’expression narrative<br />

impetus est claire : l’impétuosité narrative, l’impulsion donnée<br />

au récit, une construction (intrigue) qui vous tient en haleine.<br />

Ça, ils le possèdent et l’exploitent à merveille. De ce point de vue<br />

la littérature française paraît franchement anémique. De quoi se<br />

pare le roman français pour prétendre <strong>sur</strong>vivre ? Du style, essentiel-<br />

63


lement, qui fut sa force et sa particularité. Avec le temps, le style<br />

peut virer à la décadence.<br />

On ne peut proposer une formule du style. J’entends <strong>sur</strong> FC que<br />

l’usage du « car » dénote un mauvais style. Okay… Et si je notais<br />

« Car le quart du carrosse carrément caracolait à Carcassone ? » Je<br />

tomberais dans la catégorie des plaisantins et, en ce domaine, il y en<br />

a de plus forts que moi. Plus sérieusement, on peut voir que le style<br />

joue avec des fréquences. Dans les hautes fréquences on trouverait<br />

les couleurs, l’équivalent du timbre en musique. Dans la gamme<br />

moyenne le rythme, la scansion, la pulsation du récit et en bas l’organisation<br />

de la phrase. Je dirais (ce n’est qu’une hypothèse) que les<br />

écrivains qui utilisent les hautes fréquences (équivalents bleu et<br />

violet) ont tendance à fabriquer des méso et microstructures lourdes.<br />

Des phrases longues et chargées. Même si cette équivalence<br />

chromatique n’a aucun sens, le style est trop souvent synonyme<br />

d’ornement, de variation, de dentelle et de décoration excessive. Et,<br />

en le simplifiant à l’extrême on tombe dans l’écriture factuelle.<br />

Avoir de beaux atours ne signifie pas forcément être sain et vital. Je<br />

suis toujours amusé (et quelquefois charmé) de lire des ouvrages<br />

franco-français. Comme on dit politique politicienne. Un livre franco-français<br />

est simplement un livre intraduisible dans une langue<br />

étrangère. Une bonne partie de mes écrits doit faire partie de cette<br />

classification… Beaucoup de gens pensent que, pour cette raison<br />

entre autre, le roman français (et européen) est décadent. Voici ce<br />

que Rushdie dit à propos de la grandeur et décadence du roman<br />

eurocentrique :<br />

« Il est presque axiomatique, […] qu’aujourd’hui les grands romans<br />

viennent des confins, d’Inde, des Antilles, d’Amérique latine » ; et<br />

certains s’étonneront que je conteste cette vision d’un centre épuisé<br />

et d’une périphérie pleine de force vitale. Si je le fais, c’est en partie<br />

parce qu’il s’agit d’une lamentation tellement eurocentrique. Seul<br />

un intellectuel de l’Europe occidentale peut composer une élégie <strong>sur</strong><br />

une forme artistique tout entière sous prétexte que les littératures<br />

anglaise, française, allemande, espagnole et italienne ne sont plus<br />

les plus intéressantes de la terre. On ne sait trop si […] les États-<br />

Unis sont au centre ou à la périphérie… »<br />

64


La solution avait été évoquée par un Buenzod, entre autres, soit un<br />

roman qui aurait le style français, le punch américain et le panache<br />

latino. On peut ajouter bien des ingrédients à ce cocktail. À ce stade<br />

j’ai l’impression de vous avoir dit tout ce que m’évoque ce thème<br />

de la mort du roman. Mais il reste un aspect qui me fascine beaucoup<br />

et qui est le séminal, le déclic, les sources des livres que nous<br />

aimons. J’ai choisi de vous dire deux mots des sources de mes<br />

livres, telles que je les connais ou les découvre avec le temps.<br />

Mes livres ne sont pas des best sellers et je doute qu’ils connaissent<br />

ce destin. Vivant en Suisse romande j’écris pour quelques milliers<br />

de personnes et en particulier pour dix grands lecteurs que je rencontre<br />

ici et là. Dix ? Parfois trois, parfois quinze. Je touche en<br />

général des jeunes et des gens âgés. Je m’estime privilégié d’entendre<br />

les commentaires des personnes qui ont vraiment lu mes bouquins,<br />

même si elles ne sont pas légion et d’être libéré d’un destin<br />

commercial tyrannique.<br />

Un jour, comme j’adore les jambes des femmes desquelles j’ai ma<br />

très modeste connaissance (jambes ou femmes, bande d’obsédés ?)<br />

j’ai pensé qu’il serait amusant de décrire une longue et sensuelle<br />

caresse dans un style « anatomique ». Ça a donné ce passage, dans<br />

le final de l’Amérique brûle-t-elle.<br />

« Je m’approchai de Wolverine qui m’adressa un bref retroussis de<br />

babines, son côté louve venait de se réveiller. On était à terre, je<br />

posai ma main <strong>sur</strong> sa cuisse droite et remontai <strong>sur</strong> la hanche. Un<br />

vertige me prit. Je fréquentai la caverne d’Ali Baba. Cool ! Lupe,<br />

mis à part la parfaite machine de guerre qu’elle était, n’avait rien à<br />

envier à la plus belle des femmes. De me savoir si près de ses trompes<br />

de Salope, imaginer l’ovule, ce visiteur mensuel, la troublante<br />

promiscuité de son rectum et de son sacrum, imaginer son vagin au<br />

zénith et son anus (pas horribilis du tout) au nadir, m’approcher<br />

peut-être un peu de son clitoris même s’il me fallait franchir à pied<br />

le col de l’Utère, <strong>sur</strong>voler son dulcisime péritoine, tous ça me fit<br />

perdre mes esprits. S’elle avait su la confusion mentale dans laquelle<br />

je nageais, elle m’eut promptement achevé d’une balle entre les<br />

deux yeux, restez-en certains. Découverte <strong>sur</strong> découverte, je descendis<br />

au long de sa cuisse où m’attendaient d’autres merveilles. Ses<br />

« adducteurs moyens et externes » me donnèrent un avant-goût de<br />

65


paradis et une sensation de déjà-vu : Vénus au sortir de la mer quand<br />

les vagues et l’écume se changent en roses. Ils eussent fait baver un<br />

recruteur des J.O. Je passai le « couturier » comme chat <strong>sur</strong> baise et<br />

même le « tenseur du fascia lata ». C’était la romance des trois<br />

ischio-jambiers, elle avait un biceps crural à damner un sein. Me<br />

fixerais-je pour mes vieux jours dans son moyen fessier ou son petit<br />

fessier ? C’était la grande question. Comment avez-vous pu, vous<br />

autres romanciers à l’eau de guimauve, ignorer pendant des siècles<br />

la séduction de la musculature d’une jambe féminine ? ».<br />

La bonne <strong>sur</strong>prise vint, quand je me retrouvai dans le cabinet d’un<br />

médecin déjà célèbre dans ce livre, le fameux Dr Martin, qui venait<br />

de lire ce texte et qui m’en fit un commentaire réchauffant. « Jamais<br />

vu un auteur écrire un passage érotique dans le style anatomique »<br />

dit-il, mort de rire. Pour moi. J’avais écrit en piochant dans les<br />

codes d’une autre profession et ce passage avait touché au moins<br />

une cible. C’était agréable.<br />

Si, dans mes personnages, l’éditeur dégoûtant occupe une place<br />

importante, ce n’est pas par hasard. Mes rapports avec ces gens ont<br />

toujours été mauvais, ils sont trop arrogants, je suis trop indépendant.<br />

Il m’a toujours été difficile d’habiter les citadelles des autres.<br />

Occupé à la construction de mes propres villes, j’apprécie les<br />

remarques des cons (au sens non noble de ce terme) car elles me<br />

font rire mais je reste vigilant : rien ne me prouve que jamais je ne<br />

bascule dans cette caste. Je m’exerce à la modestie (très ardu), à un<br />

travail régulier et à l’intense dérèglement de tous les verbes. Je sais<br />

en effet d’éblouissantes fontaines des ondes desquelles il m’est parfois<br />

permis d’approcher. Et je cède souvent à la tentation de vous<br />

emmener avec moi.<br />

Les sources de mes livres ne me sont pas toujours évidentes. Voici<br />

quelques pistes à propos de mes collisions séminales. On a volé le<br />

Big Bang est une réaction au Rapport Gabriel, ça je le sais. J’avais<br />

aimé ce Dieu qui envoie un archange pour juger l’humanité. On<br />

poursuit l’expérience ou pas ? Dans ma version, Dieu, avec simplicité,<br />

reprend le Big Bang, c’est-à-dire les causes premières et le<br />

monde se met à flotter. Excellente occasion de sauver le monde ! Le<br />

personnage d’Oriane Park possède une intéressante généalogie. Les<br />

66


unes dominant mon œuvre, d’où vient cette blonde lumineuse et<br />

mortelle que l’on nommera l’Or roux et qui semble provenir d’Italie<br />

du Nord, de Toscane ? Elle envahit pour la première fois mon imaginaire<br />

à l’écoute d’une chanson de Nicolas Peyrac : So Far Away<br />

From LA, là où passe l’« étrange fille aux cheveux d’or », sept mots<br />

qui vont jouer le rôle du séminal de base et donner naissance à<br />

Oriane Park, « l’Or roux » de la trilogie qui porte son nom. Il y a<br />

aussi un vieux film de Delon (Trois hommes à abattre, 1 980) où<br />

apparaît, très fugitivement, la grâce d’une Dalila Di Lazzaro, supérieure<br />

à ce polar conventionnel. Quelques images m’impressionnent,<br />

elle s’osmosent. En tant que top model, Oriane naît de mes<br />

souvenirs de chef d’orchestre avec le New York City Ballet et spécialement<br />

avec Alfonso Cata, maître de ballet qui me présente, dans<br />

les coulisses, des filles américaines aux longues jambes et courtes<br />

intrigues. Je vais transposer cette ambiance de coulisses et de filles<br />

stressées dans le monde des tops models, chez Anthelme, le couturier<br />

gay qui impose ses fantaisies à Paris. Oriane provient aussi de<br />

la série L’implacable, qui rapporte les actes d’un Coréen, maître<br />

assassin nommé Chiun, le Maître de Sinanju, servant les États Unis<br />

en croyant servir le dernier Empereur. Il y a une forte dose d’humour<br />

dans ces romans de kiosque de gare et Oriane l’invincible, qui<br />

<strong>sur</strong>vit à une explosion nucléaire, est la digne petite fille de Chiun.<br />

Elle devient par la suite élève du Vieux de la montagne, ce qui la<br />

situe du côté de l’Islam. Il faut savoir que ce déplacement vers<br />

l’Arabie est dû à l’intrusion dans ma vie d’un étrange guerrier,<br />

errant aux côtés d’un mythe provisoire, Adnan Kashogi, le marchand<br />

d’armes d’Arabie saoudite. Il se nomme Fahwaz. Je ne l’ai<br />

pas inventé, on s’est rencontré et sa personnalité m’a tellement plu<br />

que j’ai fait de lui la version moderne du Vieux de la Montagne. Il<br />

est également vrai que j’ai vécu à Téhéran et fréquenté des intellectuels<br />

admirables et des gens raffinés, je n’invente pas grand-chose<br />

dans mes bouquins. Vous avez peut-être déjà constaté que les gens<br />

qui m’approchent de trop près et qui m’intéressent tombent dans<br />

mes livres, c’est explicite à la fin de cet ouvrage. Anthelme a peur<br />

des femmes mais évolue dans le pire milieu possible, celui des tops<br />

models. Il est bi mais sera éduqué a la manera fuerte par Josefina la<br />

Mexicaine conquérante, celle qui élève la Ciencia antigua (ce qu’à<br />

67


tort vous nommez sadomasochisme) à la hauteur d’une brûlante<br />

religion et qui vit quelque part au sud du Rio Grande. Ce nom de<br />

Josefina, qu’a priori je trouve un peu ridicule, <strong>sur</strong>git de Buena<br />

Onda, un petit polar de César Battiste, sorti en 1996 et dans lequel<br />

un aventurier voit apparaître une brève déesse mexicaine, qui l’embarque<br />

aux portes de la folie en compagnie de Mescalito, le peyotl.<br />

C’est l’occasion d’ajouter à style et élan narratif un paramètre de<br />

plus, le pouvoir d’évocation. Battiste le possède, puisqu’à la lecture<br />

de son polar cette Josefina s’impose à moi et fait carrière dans la<br />

moitié de mes livres pour le moins. Quatrième paramètre : le pouvoir<br />

de s’approprier les choses à fin de transmutation. Essentiel !<br />

Puisque nous sommes dans le polar il y a encore Cosmic Banditos<br />

(mauvais espagnol) - que je trouve très inspirant - écrit sous un nom<br />

d’emprunt par un physicien américain, et dans lequel se développe<br />

la relation moderne entre folie, drogue, tueurs, société américanisée,<br />

furia sud-américaine et physique quantique (C’est le moment<br />

où paraît Le Cantique des Quantiques). Ce livre, avec ceux déjà<br />

évoqués de Silverberg, de Zelazny et, en général, de l’école américaine<br />

de la SF, me pousse à placer l’aventure humaine dans l’univers<br />

de la physique moderne. On a volé le Big Bang en est une<br />

évidente application. Sauve qui peut l’Amérique, avec les Lois de<br />

Chandro, et Sauve qui peut la Femme avec une version personnelle<br />

de la théorie des cordes, également.<br />

Autre source incontournable de fécondation, le film. Dans les<br />

années soixante j’affirmais que le cinéma était la forme moderne de<br />

l’opéra, on me trouvait agaçant. Le cinéma actuel nourrit même le<br />

roman. Pas seulement les grands films, ceux que nous reconnaissons<br />

d’emblée, Bergman, Fellini, Buñuel, mais aussi toute des productions<br />

qui ne paraissent, au premier abord, que sottement commerciales.<br />

Avec le cinéma, l’astuce est qu’il faut le voir et pas le regarder.<br />

Nous ne sommes pas toujours en état de vision. Un chapitre entier<br />

de La Tempête et un Interlude des Angiospermes naissent ainsi de<br />

One Night Stand, un film qui ne semble pas avoir de grandes prétentions.<br />

Toute la scène dans laquelle Robert Downey junior. meurt<br />

est soutenue par une musique étonnante, une progression harmoni-<br />

68


que de cordes et de chœurs. Je m’étais endormi en revoyant cette<br />

cassette. Hasard créateur, je me réveille, dans une sorte d’état hypnagogique<br />

où le sens des choses n’est plus filtré par la réalité et je<br />

plonge au sein de cette mouvance sonore. Un vieil homme très pensif<br />

apparaît dans la chambre du mourant et c’est Dieu. C’est, avant<br />

Les Angiospermes, un genre neuf, l’opéra parlé. Le sens non filtré<br />

de cette séquence m’atteint comme une onde de choc et me dictera<br />

le chapitre de La compassion qui est le sommet de La Tempête, et,<br />

plus tard, une séquence musicale très forte dans Les Angiospermes,<br />

qui n’est autre qu’un recraché de cette musique de film. En terminant<br />

ce livre, je retrouve par hasard une conjonction pour le moins<br />

inusuelle de La rose de Paracelse (Borgès) et Woman on top<br />

(Pénélope Cruz) de laquelle semble provenir la chute d’un des chapitres<br />

portraits de Mirabelle. Ces passages, souvenirs et devenirs me<br />

confortent dans la sensation d’être un récepteur-transmuteur.<br />

J’ai récemment vu le Kill Bill de Tarentino et je trouve ce cas très<br />

intéressant. La fabula est minimale : une guerrière se venge.<br />

L’intrigue n’est pas très développée malgré un ingénieux découpage<br />

en chapitres, des aller et retour dans le temps et une exploration du<br />

monde de la maffia japonaise. Ce qui donne à ce film son éclat (n’en<br />

déplaise aux Catherine Breillat de service) c’est le style. Comme<br />

dans Pulp fiction ce réalisateur parvient à marquer le cinéma de son<br />

époque avec une grammaire des couleurs, des profondeurs de<br />

champ et des tempi. On ne sait pas pourquoi ses films deviennent<br />

« cultes », on ne sait pas pourquoi on entre dans le monde de<br />

Tarentino, il y a un discours, une sonorité unique qui transcendent<br />

l’univers détestable dans lequel évoluent ses personnages. Tarentino<br />

c’est Proust, selon la définition de Bobin. Il plante de l’aubépine<br />

blanche au milieu de l’enfer, vous verrez ça plus loin.<br />

Nous reviendrons au cinéma à propos de la bière et… du ptérodactyle.<br />

SanTantonio et Rushdie me sont des générateurs de lexiques plus<br />

que de scénarios. Les deux sont des créateurs de langage. Des aventures<br />

de San Antonio je ne retiens rien mais de son discours beaucoup.<br />

Je l’ai « vu » dès sa parution et je me suis fait mal voir par<br />

69


mes pairs pour qui il n’était qu’un auteur de bas étage. Dans Les<br />

Culs, il y a un chapitre intitulé « Un peu de voc » qui est franchement<br />

d’inspiration santantoniaise ou rabelaisienne. Chez Rushdie il<br />

y a de la création d’idées, de structures et de situations jaillissantes,<br />

du baroque, une feria indienne doublée d’une création verbale affabuleuse<br />

souvent issue de Joyce. Rushdie n’est pas l’une de mes<br />

influences, mais plus exactement une sorte de DHEA littéraire, il<br />

stimule mon envie d’écrire. La chute du jardin d’Eden, de Lilith<br />

dans Idéale Maîtresse, est probablement influencée par Les Versets<br />

Sataniques bien que tous mes ouvrages comportent une chute vertigineuse.<br />

Chute du haut de la Tour Montparnasse et dans des failles<br />

temporelles dans Les Culs, chute dans l’espace lors de l’expulsion<br />

d’une station orbitale à la fin de La Tempête.. Chute dans les vies de<br />

J.-J. J Rousseau et de Paracelse dans Sauve qui peut la Femme en<br />

en sont quelques exemples. J’ignore d’où me vient ce goût de chute<br />

libre ou de grand vol plané, de mes activités de pilote peut-être ou<br />

alors - simplicité du rasoir d’Occam - de la chute du grand océan<br />

amniotique vers la vallée d’enfer.<br />

J’en viens aux influences dites intérieures. Les rêves, essentiellement.<br />

J’ai eu, assez souvent, l’occasion de découvrir la banalité des<br />

origines de mes mythes, ce qui ne les ternit nullement à mes yeux.<br />

Un soir, je devais avoir vingt-cinq ans, je me trouvais avec une<br />

active et belle jeune blonde pour notre rite d’amour, « bière et gourmandises<br />

». On se lançait dans une sorte de premier tango à <strong>Genève</strong><br />

(à cet âge c’est donné !) et nous avions coutume de procéder, puis<br />

de manger de délicieux petits pâtés à la viande fait par un artiste du<br />

Bourg de Four à <strong>Genève</strong>, en dégustant une bière (blonde également)<br />

le tout en papotant. Chitchat ! Une fin d’après-midi je m’endors à<br />

ses côtés et j’ai une vision fort étrange. Je suis un reptile. Non, un<br />

oiseau. Je dispose d’une vue d’une précision hallucinante et j’observe<br />

des voyageurs, en bas de la falaise <strong>sur</strong> laquelle je suis perché,<br />

ils progressent avec lenteur. J’ai un mental incroyablement simple,<br />

efficace et mauvais. De toute ma vie je n’ai jamais éprouvé une telle<br />

sensation de méchanceté. Je suis un tueur. Je déploie mes ailes de<br />

cuir et je pique <strong>sur</strong> ces proies. Ce rêve est si fort qu’au réveil il ne<br />

m’est pas besoin de le noter, je m’en souviendrai toute ma vie avec<br />

70


précision, sans aucune atténuation. Par la suite, à ma grande <strong>sur</strong>prise<br />

je retrouve le modèle de cette vision : c’est dans Fantasia, le<br />

dessin animé de Walt Disney, sorti aux USA en 1940. Sur le moment<br />

j’éclate de rire mais je me ravise. J’étais vraiment ce ptérodactyle<br />

géant, la qualité et la force des sensations me l’atteste. J’imagine<br />

que cette image avait fait résonner mon cerveau reptilien. Je classe<br />

et vis avec ça.<br />

J’aimerais terminer cette brève histoire du séminal par un autre<br />

grand rêve (au sens de Jung) qui m’a beaucoup secoué. Dans les<br />

songes de mon adolescence je faisais fréquemment un voyage vers<br />

le Valais. Vers l’ouest, à la fin des eaux (lémaniques), vers la vallée.<br />

Dieu sait que ce thème de la vallée restera présent chez moi, je vais<br />

devoir le retrouver dans des ouvrages aussi différents que L’île des<br />

Morts de Zelazny ou The Flight of the Intruder, mais, à ce moment,<br />

ces œuvres n’existent pas et, au fil de mes songes, je voyage de nuit,<br />

assez souvent, en train, vers La Vallée (qui, on le verra dans l’ensemble<br />

de ces textes est, bibliquement la vallée de l’existence). Ce<br />

qui m’arrive est simple à décrire. Peu avant la vallée elle-même le<br />

train s’arrête et je descends, Il n’y a pas de gare, je gravis une colline<br />

et je la vois. Elle, la montagne triangulaire. C’est une rencontre<br />

avec les deux infinis. Je suis près d’elle. Elle est infiniment grande<br />

mais je pourrais la tenir dans la paume de ma main. J’observe diverses<br />

choses : cette montagne m’apporte la paix totale de l’âme, je<br />

suis non né. Des rivières (torrents) la sillonnent mais elles ont la<br />

particularité de descendre vers la plaine et aussi de monter vers le<br />

sommet de l’entité. À de nombreuses reprises je me laisse porter par<br />

ces eaux à la fois vives et paisibles, toujours en descendant vers la<br />

plaine. Dans un rêve je m’approche d’une cité simple et de lumière<br />

qui m’accorde une paix immense. Dans un autre je perçois un appel,<br />

une voix infinie en provenance d’une structure immense, une sorte<br />

de Golden Gate arachnéen tendu entre les deux versants de la vallée<br />

et <strong>sur</strong> lequel une présence lumineuse indéchiffrable m’appelle. Je<br />

n’aurais jamais décodé ce rêve s’il n’y avait eu Shaïtane et Djerba.<br />

Shaïtane est la fondatrice du clan des setters irlandais avec qui j’ai<br />

vécu. Mon très grand amour, n’en doutez pas. Elle est grande, puissante<br />

et incroyablement royale de port, d’allure et de comportement.<br />

71


Un jour d’avril, Profondeur décide un voyage à Djerba et j’emmène<br />

Shaïtane, seul avec elle, en amoureux, dans ma voiture, en direction<br />

du col des Mosses où elle sera hébergée dans son chenil natal. Chez<br />

Claude et Suzanne Perret qui ont édifié dans la montagne helvète un<br />

petit jardin d’Eden où se pressent une foultitude de truffes et de<br />

rousseurs magiques. Je regarde ma copine, on se parle, je suis<br />

mélancolique. Au détour d’un virage, vers la fin de la montée, je<br />

suis ébloui. J’ai, devant moi, la montagne triangulaire elle-même,<br />

telle qu’en elle-même mes rêves me l’avaient fait connaître. Et je<br />

vois clairement les rivières qui descendent et qui montent vers son<br />

sommet. Je m’arrête en urgence et je me frotte les yeux. Je ne rêve<br />

pas. Il s’agit du pic Chaussy qui a une forme triangulaire, et qui<br />

barre l’accès des Diablerets. Les jeux de lumière d’un soleil bas à<br />

l’horizon créent cet effet de scintillation qui m’a fait croire en ces<br />

rivières enchantées. Il me faudra une longue enquête pour saisir le<br />

rapport entre ces rêves récurrents de mon enfance et cette vision.<br />

Cette enquête durera quelques années et m’apprendra quelque<br />

chose que mes parents m’ont caché. Ou que j’ai moi-même occulté.<br />

Enfant, j’ai été atteint d’une primo infection de tuberculose. À<br />

l’époque ce n’est pas une bonne chose, on en meurt encore. Mon<br />

père, dans sa voiture, me transporte en urgence dans un sanatorium<br />

de Villars <strong>sur</strong> Ollon. Je n’avais que peu de conscience. Mais j’ai<br />

suivi le même itinéraire et, quelque part, j’ai dû voir la montagne<br />

triangulaire sous le même éclairage. Il se sera écoulé plus de quarante<br />

ans avant que la probable origine de ces rêves ne me soit<br />

dévoilée. Ça n’a rien changé, j’étais en route vers une mort probable,<br />

j’ai vu la montagne triangulaire. Quand je suis devenu pilote je<br />

suis évidemment allé voler devant elle. Mais il ne faut pas trop<br />

approcher les mythes et les entités. Je ne l’ai jamais revue comme<br />

elle m’est apparue dans mes songes et, dans le réel, un très bref<br />

instant.<br />

J’ai utilisé le terme de séminal à diverses reprises. J’ai omis le plus<br />

important : la genèse de l’œuvre.<br />

Le séminal est, à mon avis, à une influence locale. L’idée, la collision<br />

qui donnera un chapitre, une tonalité, une référence. La genèse<br />

de l’œuvre me paraît être quelque chose de plus mystérieux et de<br />

72


plus vaste. Pour moi c’est simple et facile, même si en définitive le<br />

projet avorte, n’aboutit pas. Qu’il s’agisse de musique ou de livre,<br />

à un instant donné je vois l’œuvre en devenir sous la forme mentale<br />

d’une petite sphère brillante, lumineuse mais lointaine et je sais<br />

absolument tout de sa nature. Les pilotes connaissent très bien ce<br />

sentiment, au niveau 100 le territoire est global. J’ai eu l’occasion<br />

de voir simultanément les lacs du Bourget, d’Annecy, du Léman et<br />

de Neuchâtel par un jour très clair et une lumière parfaite. C’est une<br />

question d’altitude. Mais après, il faut redescendre pour apprendre<br />

chaque détail de la grande vision. Eco, parlant du Pendule de<br />

Foucault utilise la notion d’image séminale. Ce sentiment de fécondation<br />

est bien connu, les Allemands le nomment Einfall, ce qui<br />

vous tombe dessus, ou dedans. Nous pourrions distinguer deux processus<br />

créatifs opposés, du moins dans la manière dont ils habitent<br />

le temps. Eco, quand il se fait engrosser par une idée, éprouve le<br />

besoin de construire méticuleusement le nid, le paysage, l’écologie<br />

et les formes de vie qui vont entourer et justifier sa création.<br />

Pourquoi pas ? Il se sent faible et se renforce, se barricade, se fortifie.<br />

Excellent ! Et Mozart quand (selon une légende admise) il dicte<br />

son Requiem en ré mineur ? Sa plus grande œuvre… Il se comporte<br />

comme un copiste (cette image est très souvent utilisée par les<br />

musiciens) car il a vu - comme voit un voyant - l’ensemble de la<br />

partition, il ne reste qu’à la noter. Eco tient à se donner de bonnes<br />

bases avant d’écrire, d’autres foncent. Pour ma part je me conforme<br />

toujours au même principe. Quand je vois apparaître la petite sphère<br />

brillante qui sera - ou ne sera pas - une œuvre, je me contente de<br />

m’en approcher aussi vite qu’il m’est possible et d’en noter les<br />

détails jusqu’au dernier. Ça peut se faire en un mois, une semaine<br />

ou des années, je n’en ai personnellement aucun contrôle. Toutefois,<br />

quand la sphère est là, elle m’habite tellement que je me dédouble.<br />

Je suis capable de poursuivre son écriture en payant mes factures,<br />

en supportant la conversation de casse-pieds notoires et même en<br />

admirant une jolie femme, ce qui est une performance. La créativité<br />

est souvent dual processing ou mieux multi task. Nous pouvons<br />

parfaitement descendre les Fleuves impassibles et nous accommoder<br />

de leurs affluents. La destination est la même, la mer.<br />

73


Sur l’usage de l’informatique en création littéraire (et musicale !) je<br />

n’ai que des avis positifs et une recommandation : ne jamais oublier<br />

que l’ordinateur et ses périphériques ne sont que des instruments.<br />

Mais pas moins ! Bien utilisé un ordinateur sera aussi créatif qu’un<br />

piano, un violon, un pinceau. Il y a une vingtaine d’années j’ai parcouru<br />

la Silicon Valley et connu Apple Computer à sa naissance. À<br />

cette époque on ne connaissait que le traitement de texte. C’était<br />

déjà immense. Eco, à le lire, ne semble pas être allé au-delà de cette<br />

étape. Avec le temps sont apparus des softs d’une telle puissance et<br />

d’une telle finesse que nous pouvons, avec quelques heures d’expérience,<br />

découvrir l’aspect général de l’œuvre en devenir. L’usage de<br />

moules, de templates n’a rien de contraignant ni d’artificiel. Pour la<br />

structure du présent ouvrage j’ai utilisé deux techniques qui me<br />

réussissent. L’une qui est l’écriture au jet, laisser venir, ne pas s’attarder<br />

<strong>sur</strong> les détails, foncer, suivre la petite rivière musicale intérieure<br />

et, aussi, l’accumulation de notes et de textes relevants dans<br />

des espaces insérés avant la table des matières. C’est une sorte de<br />

réservoir où l’on ira puiser le moment venu et qui dans l’étape<br />

finale disparaîtra totalement. Ça me permet une éruptivité ou (si<br />

vous insistez, bande d’obsédés) une puissante éjaculation car, quand<br />

les idées me tombent dessus, elles ont une nette tendance à ne pas<br />

supporter la lenteur de mon écriture. Il me faut tout saisir au bond.<br />

Je dois m’emparer de la mouvance. L’autre technique est un travail<br />

de structuration proprement dit et qui consiste à écrire à l’avance la<br />

table des matières. Aucune importance si elle se modifie, dès que je<br />

vois un chemin se dessiner je le balise et je le note. Un exemple ?<br />

De Mirabelle, je ne connaissais qu’un chapitre : « Quand Mirabelle<br />

sourit ». C’est le dernier, vous verrez bien pourquoi. J’avais le début<br />

et la fin de l’œuvre et dans le cas de Mirabelle il me restait à la<br />

dessiner aussi complètement que possible. Ses autres aspects sont<br />

rapidement apparus et j’ai modifié la table en tenant compte d’une<br />

nécessité toujours très délicate : la grande forme. Ici l’ordinateur<br />

fait merveille car en quelques gestes on voit l’ossature du livre, les<br />

alternances de thèmes, de textes longs ou hyperbrefs, les contenus,<br />

ce qui fait que l’histoire se tient ou n’est qu’une juxtaposition, vous<br />

jugerez. Nous avons également des lexiques professionnels qui permettent<br />

une première correction et mise en page du livre en devenir.<br />

74


Sans l’outil informatique je n’aurais jamais pu suivre la vitesse de<br />

mon imagination. À ce stade apparaissent les indispensables imprimantes<br />

laser. Ma réaction est la suivante : écrire à l’aide des techniques<br />

que je viens d’évoquer me donne des ailes. Le plaisir est très<br />

grand, l’efficacité sans égale. Mais, quand je désire travailler plus<br />

en profondeur, j’ai besoin de tenir une version imprimée de ce futur<br />

livre dans la main, j’ai besoin de papier et j’envoie mon modèle <strong>sur</strong><br />

la laser qui fait des merveilles. En quinze minutes je reçois deux<br />

cents pages recto verso avec le miroir destiné à l’imprimeur. J’aime<br />

les livres et je n’ai aucun goût pour la lecture d’écran. Il n’y a<br />

aucune contradiction entre la phase électronique et la phase matérielle<br />

dans laquelle je vais corriger mes pages à la main et noter,<br />

dans ma sténo personnelle, les idées adventives ou neuves. Petit<br />

artisan, je tiens la production de mon livre en mains d’un bout à<br />

l’autre avec plaisir, y compris la fabrication de la couverture en<br />

couleur et je souris (dans ma ford intérieure) quand je rencontre l’un<br />

des rares dinosaures <strong>sur</strong>vivants qui affirment que se servir d’un<br />

ordinateur gomme l’humanité d’un texte. Cet instrument n’est<br />

qu’un amplificateur d’intelligence. Alors, si il y a intelligence au<br />

départ… c’est un merveilleux instrument.<br />

Je pars du principe que celui qui lira ce chapitre n’aura très probablement<br />

pas lu les livres auxquels je me réfère. Mon pari est de<br />

penser que la description des sources, l’origine probable ou connue<br />

des personnages, les influences, confluences, télescopages, actions<br />

intertextuelles et autres brassages de textes et de culture restent<br />

amusants en soi, même si on ne connaît pas la source première. Cela<br />

nous ramène à ces idées de terreau, d’éponge, de rediffusion dans<br />

l’éther par des radios inconnues : nous sommes parlés.<br />

Vous voyez pourquoi la mort du roman ne retient pas mon attention.<br />

Je n’y crois pas. Il nous restera toujours beaucoup de choses à dire,<br />

de visions à partager et de libertés à défendre.<br />

Même si notre audience demeure minoritaire.<br />

75


J’ai de la visite<br />

(Minute rien à voir)<br />

Je me préparais à passer au plus barbant de ces chapitres quand on<br />

toqua discrètement à ma porte. Il est vrai que, par crainte des huissiers<br />

fous qui hantent la bonne Ville de <strong>Genève</strong>, j’avais pris l’habitude<br />

de couper le timbre de la sonnerie. Ne m’avait-on pas récemment<br />

présenté « par erreur » un commandement de payer de<br />

31’150’000 francs suisses ? J’adore! Mais ces choses-là laissent<br />

songeur et ces huissiers genevois sont de dangereux fanatiques qui<br />

glissent leur pied dans votre porte pour vous empêcher de la refermer.<br />

Celui-là y avait laissé un orteil, j’entends encore ses beuglements.<br />

Aucune distinction. J’ai plaidé le faux mouvement. En fait,<br />

ce commandement était destiné à un certain Jaques Dalcroze, un<br />

Savoyard qui avait pincé les fesses de ma grand-mère Lucie Hilbert,<br />

mais plus personne dans la famille ne veut croire en cette fabula ni<br />

en réaliser l’intrigue. Je suppose qu’un avocat à la con espérait<br />

exercer un racket <strong>sur</strong> la poire que je suis (les guyots sont une race<br />

de poires dans le Sud de la France mais - cuidado! - les guyots sont<br />

aussi des volcans sous-marins). Bref, on toqua et, à contrecœur,<br />

j’allais ouvrir à deux grandes bringues, le style campus relax et<br />

l’allure trash model, avec des yeux de louves toutefois, pas de<br />

vaches helvètes.<br />

Dans l’heure et <strong>sur</strong> l’instant mon sang se figea. Mon remarquable<br />

instinct venait de me faire reconnaître les Sœurs Chaleur et Lumière.<br />

Je leur grimaçai un sourire, évitai de leur filer un bisou et, m’effaçant<br />

pour les laisser passer, m’enquis du motif de leur visite.<br />

- On va avoir besoin de nous, dit Lumière.<br />

- Et on voulait aussi te connaître, Jack, fit Chaleur, avec chaleur.<br />

- Ma fois, fis-je, si vous modérez vos excès, avec plaisir. La vie,<br />

vous savez la vie, est quelque chose qui se propage <strong>sur</strong> une très<br />

petite bande de fréquences. De -40 a + 50, même pas cent Celcius.<br />

La vie est improbable et je m’étonne beaucoup qu’elle soit parvenue<br />

en si bonne forme jusqu’à ce maintenant, ce bel et vif<br />

77


aujourd’hui !<br />

- Oh, fit Chaleur, tout change tu sais. Justement nous avons une<br />

proposition de show par ici.<br />

Elle consulta sa montre.<br />

- Dans quatre minutes, en fait.<br />

Merde ! Je venais de ripper dans la durée. Où diable en étais-je ? À<br />

quelle minute ? Je réunis mes souvenirs, compte tenu de mes petites<br />

tricheries le compte des filles était bon. Il me fallait absolument<br />

regagner le permatemps, la couche gelée. Je vieillissais : dans le<br />

good old time j’aurais dit le spermatemps. Je chassai cette sombre<br />

constatation.<br />

- Voulez-vous un tofitak ? questionnai-je à brûle-pourpoint. Ce qui<br />

arracha un sourire approbateur à Chaleur. C’était une race secrète de<br />

chocolats suisses dont les femmes raffolent. J’avais même réussi à<br />

amadouer l’une de mes méchantes belles-sœurs avec ça, c’est vous<br />

dire.<br />

Elles sautèrent <strong>sur</strong> l’occasion. J’avais peine à croire que ces deux<br />

nanes aux allures inoffensives pouvaient, d’un instant à l’autre<br />

s’ériger en colonne de feu et d’éclairs.<br />

- Vous n’êtes pas humaines, risquai-je. Bien que…<br />

Elles rigolèrent, la bouche pleine de ce délicieux chocolat suisse<br />

dont la formule reste secret défense.<br />

- Pas vraiment ! fit Lumière, nous sommes l’esprit de quelque<br />

chose. Tu caches ton jeu, Jack ! Nous savons que tu entretiens une<br />

relation secrète avec La Logique, cette grande conasse pâlotte. Et tu<br />

crois en l’existence des Ondines, des Efrit, des Dryades, des filles<br />

de l’air, des Elfes et des femmes racines nées de la terre, verdad ?<br />

Je ne savais pas ce qu’ils avaient tous à utiliser le verdad espagnol<br />

dans ce bouquin. Probablement parce que les Mexicaines habituelles<br />

des trois premiers livres s’en étaient retournées à Tacosland.<br />

- Les Elfes c’est plutôt la mode chez mes enfants, grognai-je, mais<br />

Ondine oui, je l’ai rencontrée, ça fait un moment. Elle aimait écouter<br />

la Pavane pour une infante défunte de Mauricio Ravel.<br />

- Maurice, corrigea Chaleur, tu confonds avec un plouc argentin qui<br />

se nommait Mauricio Kagel.<br />

- On n’est pas là pour sodomiser des mouches, fis-je, alors, vous<br />

78


êtes des… entités naturelles ?<br />

- Oh, naturelles, c’est beaucoup dire, firent-elles à l’unisson, nous<br />

sommes un aspect incarné de l’énergie. Et crois-nous, ajouta<br />

Lumière, nous ne savons pas ce qui se passe quand ça nous prend.<br />

- Fffffffftttt ! fit Chaleur, comme ça !<br />

- ET fffffflassshhhh, ajouta Lumière, l’air gamin.<br />

Je voyais.<br />

- D’ailleurs il y a des filles pires que nous, dit Lumière, par exemple<br />

tu n’aimerais pas du tout que nous te présentions à Pesanteur et<br />

Gravité. Elles sont d’un mortel !<br />

À cet instant précis je sentis sous ma main baladeuse la couche de<br />

permatemps. Je l’agrippai tout en affichant un air serein.<br />

- Les filles, vous avez du boulot, je ne vous retiens pas. Allez, et que<br />

la volonté du grand Architecte soit faite.<br />

Elles pouffèrent.<br />

- Tu parles comme un vieux fondamentaliste, Jack ! Au fait, on se<br />

tire. Mais on avait une question a te poser.<br />

- Ah ? C’est à propos de quoitèce ? (Mes Sanantoniaiseries me revenaient<br />

par réflexe)<br />

- Cette Mirabelle. Peux-tu nous parler de son sourire ?<br />

- Dévorant. fis-je avec conviction. On s’y perdrait.<br />

- T’es sûr ?<br />

- Positif.<br />

- Chier ! rugirent-elles et la pièce fut <strong>sur</strong> le champ violemment<br />

éclairée, je me mis à transpirer comme une vache fribourgeoise, ça<br />

tournait mal.<br />

- Merde et salut ! conclurent-elles. On voulait savoir.<br />

J’étais largué.<br />

- Savoir quoi ?<br />

- Qui mangerait qui, fit Chaleur, mais tu ne peux pas comprendre.<br />

- Du moins pas encore, grinça Lumière, qui ajouta :<br />

- Tu as vu le Dr Martin, ce soir ?<br />

- Euhh non, dégainai-je avec prudence. Qu’est-ce que vous lui voulez<br />

?<br />

- On aime pas les mecs qui apparaissent aux angles durs, siffla<br />

Chaleur. Alors, si tu le vois, dis-lui de s’la jouer mollo. Okay ?<br />

Je me refusai à okayer mais, les voyant se diriger vers la porte une<br />

79


pensée lubrique me vint. Chaleur et Lumière ne s’étaient pas incarnées<br />

dans les pires châssis. Je me suis demandé un instant si un<br />

obsédé dans mon genre - j’ai de bons états de service - pourrait<br />

tenter quelque approche érotique d’une entité. Jouir d’un principe<br />

de la physique incarné en belle fille ? Les pogner ? Leur mettre la<br />

main aux fesses ? Ce serait le pied. Une légère odeur de roussi en<br />

provenance du bas de ma chemise me fit changer d’avis et de position.<br />

Les salopes ! Les putes ! Les grognebouillasses ! Les… Le<br />

commerce des humains et des demi-dieux n’était pas pour tout de<br />

suite. Je reviendrais ! J’avais toujours eu le goût des femmes impossibles.<br />

Leur petit rire flotta longtemps dans la pièce, j’avais mon permatemps<br />

bien en main. On allait vers minute tierce.<br />

C’était un rendez-vous à ne pas louper.<br />

80


Confessions d’un Genevois du siècle (culture)<br />

(Minute volée)<br />

L’opposition de l’actuel et de l’inactuel est loin d’être pour<br />

l’écriture d’aujourd’hui un faux problème, et sa solution<br />

par les voies de l’art exige d’autres vertus que la facilité.<br />

Jean Starobinski (La poésie et la guerre)<br />

J’avais tant d’histoires dans la caboche que je ne savais guère lesquelles<br />

choisir ni par laquelle commencer. La grandeur de <strong>Genève</strong><br />

ou sa corruption croissante? Le charme de ses vieux immeubles ou<br />

les horreurs envahissantes des promoteurs? Les lumineux tracés des<br />

filles qui la sillonnent ou les restes de la chape de plomb protestante?<br />

Rive droite, rive gauche? La ville des penseurs ou celle des<br />

frimeurs? Mon doute - et je compte bien vous en bassiner les<br />

oreilles - était qu’une si faible partie de ma culture restait actuelle<br />

que je ne savais pas à qui j’allais m’adresser. Je me sentais lecteurless…<br />

D’autre part ce titre de confessions m’était weird!<br />

Confessions ? D’un Genevois du siècle ? Cette référence à Musset<br />

était musicale mais assez imprudente. Je choisis mes titres n’importe<br />

comment ! Le terme de confession m’était étranger. Jean-<br />

Jacques, le citoyen (post mortem) de <strong>Genève</strong> l’avait mis à la mode.<br />

Pour moi ça n’évoquait que cette paroisse catholique de Saint<br />

Joseph où, enfant, j’allais à confesse. L’odeur de l’encens, des chandelles<br />

mortes et quelquefois l’haleine du prêtre faisaient que régulièrement<br />

je m’y évanouissais. Je m’en souviens avec netteté, le<br />

murmure du prêtre s’éloignait, les lourds rideaux du confessionnal<br />

me recevaient et me déposaient à terre. Je ne pesais pas lourd. Je me<br />

réveillais le plus souvent entouré de bigotes qui ressemblaient à des<br />

chandelles à mi-vie, un goût fade dans la bouche. De plus, je manquais<br />

terriblement de secrets et je n’ai pas changé. Sur le plan de<br />

l’argent, qui est par excellence ce que les gens cachent, j’avais eu à<br />

la fin des années quatre-vingt un peu de fortune - pas de quoi casser<br />

trois pattes à un banquier privé - mais une grande banque parisienne<br />

81


installée à <strong>Genève</strong> s’était empressée de m’en dépouiller. Pour le<br />

reste mon tempérament de Coq (chinois) me poussait à foncer <strong>sur</strong><br />

l’adversaire, à découvert, sans ruses ni forgeries, et mon côté poisson<br />

(zodiacal) à rechercher l’ombre discrète des grands fonds.<br />

Qu’avais-je donc à confesser ? Rien. Et si vous ne me croyez pas,<br />

je vous emmerde. Rien, c’était déjà beaucoup. Rien, si ce n’était<br />

diverses choses vues et entendues. J’opérai une sélection, c’était<br />

difficile. Au Conseil de l’Europe, où je présidais la Commission<br />

pour l’Année européenne de la Musique, je m’étais fait traiter de<br />

maximaliste. J’avais protesté mais c’était vrai. J’essayais toujours<br />

de caser dans nos rapports tout ce que je croyais savoir d’un sujet.<br />

Je me combattais, avec plus ou moins de succès.<br />

Il y avait au moins une chose importante par laquelle je pouvais<br />

entamer ces confessions, c’était le moment où j’étais tombé dans le<br />

soleil.<br />

C’est arrivé une après-midi au bord du lac d’Annecy. Je me suis<br />

retrouvé pour les vacances d’été avec un cousin français fuyant<br />

Madagascar. Il faisait si chaud que nous n’allions même pas nous<br />

baigner. L’improbable s’est produit. Mes parents, deux ans auparavant,<br />

voulaient me faire suivre des cours de piano, j’allais me cacher<br />

sous l’instrument ou dans des armoires tant cette idée me déplaisait.<br />

Le pianiste de Madagascar, ignorant ma présence, se mit au piano<br />

et joua la ballade en sol mineur de Chopin puis L’Apassionata de<br />

Beethoven. C’était un récital pour nos quatre yeux étonnés, loin<br />

d’une plage pour deux enfants fidèles, en une maison musicale pour<br />

notre claire sympathie…<br />

Il jouait avec rage, je l’entendais même souffler et grogner dans les<br />

passages les plus agités. Tout son corps participait. Et, sous cette<br />

déferlante sonore, ces alternances de calme et de tempête musicale,<br />

ça m’arriva. Je tombai dans cette musique, je tombai dans le soleil,<br />

dans la lumière, j’en demeurai étourdi. Dès ce moment je sus ce que<br />

je voulais faire. Être pianiste. Et compositeur. Il ne me reste que<br />

l’image du début de cette séquence. Le reste, comme un trauma,<br />

s’est effacé. Je ne me<strong>sur</strong>ais pas ma chance : savoir très jeune ce<br />

qu’on veut faire est un grand privilège.<br />

82


De ces préalables d’enfance je n’ai qu’une seule autre image marquante.<br />

Un soir je fus invité à assister à un grand concert symphonique<br />

au Victoria Hall. Je ne pourrais même pas dire ce que l’on y<br />

jouait. Je ne me souviens que d’une chose : isolé, inconnu, relégué<br />

au poulailler, je regardais le chef qui s’agitait devant l’orchestre. Et<br />

soudain j’ai serré les poings et une pensée violente m’a traversé.<br />

« Un jour, je serai à cette place, devant un orchestre, pour y diriger<br />

mes œuvres ». Ça, éventuellement, pourrait être une confession. Je<br />

n’avais aucune idée du prix à payer.<br />

Le temps passait, c’était tout ce qu’il savait faire. Et il le faisait trop<br />

vite. Il y avait dans ma liste de choses vues et vécues des situations,<br />

des personnages et des parcelles de planète. Ce dernier aspect je le<br />

garde pour plus tard. Les personnages, si je me réfère à des figures<br />

connues, étaient Varèse et Strawinski, René Berger et Roger Aubert,<br />

SanTantonio et la Reine Marie-José, Stockowski et Richard<br />

Monkhouse, John Cage l’ineffable et Michel Butor le gentil,<br />

Ansermet et Boulez pour ne citer que quelques figures connues. Ce<br />

ne sont pas forcément mes préférés. La notoriété ne m’avait jamais<br />

attiré, je la fuyais. J’aimais les real people et j’avais le flair pour les<br />

reconnaître. Je ne donnais ainsi à aucune de ces rencontres plus<br />

d’importance qu’à une autre, je jugeais <strong>sur</strong> un critère de simplicité,<br />

j’aimais les personnes évidentes.<br />

Bien qu’Ansermet ait été l’artisan involontaire de mon parcours<br />

musical (il avait créé un vide en Romandie et quelqu’un devait venir<br />

et essayer de le remplir) je me suis demandé « qui de nos jours s’intéresse<br />

encore à Ansermet ? » Personne. Ne vous fiez pas aux critiques<br />

et revues diverses. Personne en dehors d’un petit cénacle. Ça<br />

m’ennuyait, parce que je me disais qu’Ansermet avait fait un nice<br />

job à <strong>Genève</strong> et que Boulez lui-même était proche de l’oubli. En<br />

écoutant les débats de France Culture <strong>sur</strong> la musique je m’en rendais<br />

fâcheusement compte. Si ça leur arrivait à eux… je n’étais<br />

guère à l’abri. J’ai l’air de me préoccuper d’audience et d’immortalité.<br />

Mais là n’est pas l’origine de mon doute. Passé le temps d’une<br />

jeune arrogance de caste, nous avions commencé un nouvel apprentissage<br />

: être en phase avec notre époque. C’était vite devenu très…<br />

sportif.<br />

83


Né en 1933 et toujours là, en ce début 2004 je me sentais « okay »<br />

avec un angle de vision d’environ trois quarts de siècle. J’avais le<br />

sentiment que récemment les choses avaient fortement accéléré<br />

mais je n’en jurais pas. Je détestais l’expression « bon vieux temps »<br />

et toutes formes de passéisme. Le bon vieux temps c’était aussi<br />

toutes ces filles qui <strong>sur</strong>gissent le printemps, mes projets et les<br />

vôtres, c’était maintenant et, en tous les cas, ce qu’on appelle<br />

l’épaisseur du présent et que les animaux connaissent mieux que<br />

nous. J’adorais ma changeante époque (comment définir une époque<br />

?) mais je devais honnêtement témoigner du fait que les précédentes<br />

avaient été tout aussi fascinantes, à mes yeux du moins. Il y<br />

avait ainsi, dans ma galerie, des figures que j’avais envie d’évoquer,<br />

pour des traits humains, pas pour des aspects de carrière.<br />

La carrière n’est rien. Les honneurs ? C’est de la merde d’aracuan<br />

(et je reste poli). Dans ces personnages qui demeurent colorés, que<br />

le temps et la valse de cultures jetables n’affadissent pas, il y avait<br />

par exemple Roger Aubert, l’incroyable pianiste, séducteur et marchand<br />

de canons. J’avais commencé en 2001 la rédaction d’un bouquin<br />

sous le titre plus chateaubriandesque qu’ardissien d’Antiportraits.<br />

Je me suis vite barbé. J’aurais fait ça beaucoup mieux avec<br />

une caméra digitale. Je me trouvais trop convenu, trop théoricien, je<br />

m’autocen<strong>sur</strong>ais. N’étant à l’aise que dans la fiction littéraire ou<br />

musicale je me suis donc contenté - magie du copier coller - d’en<br />

garder quelques fragments que je trouvais amusants ou relevants.<br />

Voici ce que j’avais écrit <strong>sur</strong> un acteur important de ma vie, et <strong>sur</strong>tout<br />

de la vie musicale genevoise : Roger Aubert.<br />

L’omelette roumaine<br />

Il se redressa, secoua sa crinière de cheveux noirs, grimpa quelques<br />

marches tout en notant l’u<strong>sur</strong>e de la moquette rouge et fut accueilli<br />

par l’ovation du public. Assis devant le grand Steinway de concert il<br />

considéra un bref instant le chef de ses yeux bleus un peu froids,<br />

esquissa un sourire et ils attaquèrent le concerto en mi bémol majeur<br />

de Franz Listz. C’était un morceau de bravoure, il sentit l’attention<br />

mordante du public. Mais il l’embarqua dans un fol battement d’octaves,<br />

il avait l’air de frapper le piano, puis de le caresser. Deux<br />

84


semaines avant il avait traversé Le Caire. Déguisé en vieille femme.<br />

Il devait vendre les produits sensibles d’Hispano Suisa à Nasser et à<br />

Naguib, dans l’affaire du canal. Les deux généraux avaient, sans se<br />

consulter, donné l’ordre de l’abattre à vue. Il avait souri quand son<br />

patron, à l’époque. avait conclu cette affaire portant <strong>sur</strong> des montants<br />

très… modernes. Le vieil homme qui ressemblait à Allen Dulles âgé<br />

avait griffonné une addition <strong>sur</strong>… une pochette d’allumette. Ça suffisait,<br />

même pour cinquante millions de dollars. Les Suisses étaient<br />

encore discrets. Et les Égyptiens avaient des besoins pressants. Plus<br />

tard il régna <strong>sur</strong> un autre empire, la radiotélévision. Je sais qu’il s’y<br />

emmerda un peu mais il savait mettre du romantisme dans sa vie. Ce<br />

fut un très grand séducteur. Voyant venir la fin de son règne dans le<br />

monde des médias il fit deux choses, il proposa son fauteuil à un<br />

jeune homme très marginal qui eut fait chier tout le monde (et eut<br />

l’esprit de le refuser). Et il nous dévoila ce chef-d’œuvre d’humour,<br />

la recette de l’omelette roumaine : « Volez deux œufs. Empruntez<br />

cent grammes de beurre. » Il aura interprété tous ses rôles, pianiste de<br />

bar aux U.S.A, agent d’Hispano Suisa, grand patron de média avec le<br />

brio qu’il apporte maintenant dans les derniers traits de ce concerto.<br />

Il s’appelle Roger Aubert. Lui, c’est un homme, un vrai. Il a essayé<br />

de me tuer, il s’est loupé et la roue a tourné. Je l’ai eu en tant que<br />

délégué suisse sous ma présidence à l’Unesco. D’autres auraient<br />

savouré une vengeance. Moi pas ! Cet homme était La Vie. On s’est<br />

beaucoup amusé. Des ères après, quand un soir je le rencontre vieilli,<br />

partiellement paralysé, au foyer du Victoria Hall à <strong>Genève</strong>, je le<br />

trouve toujours aussi mec, toujours aussi beau.<br />

Aubert ne se démoderait jamais. C’était un aventurier de la culture.<br />

La culture, dans sa forme banale, me posait problème. Je ne l’aimais<br />

pas rabâchée et exsangue. J’avais horreur de son aspect nécrophilie,<br />

je n’avais jamais aimé les musées ni la beauté embaumée. Je la<br />

refusais style Belle de jour, à la Deneuve. Elle était la vie, elle était<br />

en mouvement et merde à ceux qui, pour se faire valoir, tentaient de<br />

la figer. Fréquentant toujours beaucoup de jeunes j’étais confronté<br />

à une interrogation désagréable : pour qui diable écrivais-je ? Ou si<br />

vous préférez, les sujets que je connaissais à fond pouvaient-ils<br />

encore intéresser quelqu’un ? Umberto Eco s’énerve quand on se<br />

pose la question de savoir pour qui l’on écrit : pour soi ou pour les<br />

autres ? Eco est parfois Econ. J’écrivais pour moi et pour les autres,<br />

85


mais je ne parvenais toujours pas à savoir quelle actualité pouvaient<br />

avoir mes souvenirs. Si bien emballés soient-ils. C’était la raison<br />

pour laquelle je passais mes messages culturels sous la forme de<br />

contes philosophiques, de discours <strong>sur</strong> le sexe ou de trames aventureuses.<br />

Des personnages agités et comiques croisèrent mon chemin. C’était<br />

le cas, à mes yeux, d’un excellent chef d’orchestre, Armin Jordan,<br />

spécialisé dans l’opéra. Nous nous rencontrions dans les années<br />

soixante-dix à l’Opéra de Neuve, il répétait Parsifal et je dirigeais<br />

un ballet pour Alfonso Cata. Mes notes étaient brèves.<br />

Ce n’était pas le chef d’orchestre qui m’intéressait mais l’homme<br />

qui se confesse un soir, au Bourg de Four, affalé dans un fauteuil<br />

dans le très bel appartement d’Alfonso Cata (le Cubain charmeur à<br />

qui Balanchine confie le New York City Ballet, chapitre genevois<br />

résident en notre Opéra). Tous les sens en éveil, pareil au loup de<br />

Tex Avery, il a livré une chasse épuisante à une beauté un peu sauvage<br />

en jupe de cuir. Il l’a pourchassée autour d’une table mais celle<br />

qu’on appelle La Fille du Juge tricote de ses jolies jambes, ses joues<br />

se parent d’un vif incarnat. Elle existe. Il ne la rattrapera pas. Le<br />

Cubain et moi, un peu borrachos, nous regardons et apprécions l’insolite<br />

de cet homme qui, il y a une heure ou deux, répétait Parsifal<br />

et qui finalement, vaincu, vient s’affaler près de nous pour nous<br />

confier que son rêve, sa vraie vie, serait d’ouvrir un bistrot aux<br />

Saintes Maries de la Mer. J’avais beaucoup aimé ça. Jordan avait eu<br />

son moment de vérité. Je suis iconoclaste, de tous mes titres, genevois<br />

ou internationaux, Unesco, Conseil de l’Europe et même les<br />

honneurs du Larousse de la musique, je ne suis vraiment fier que de<br />

deux : moniteur de plongée et pilote FAA. Ce sont mes Saintes<br />

Maries de la mer à moi. La différence avec Jordan c’est que je l’ai<br />

réalisé. Il y a un prix à payer, c’est vrai.<br />

Je voyais une évidente ressemblance entre la culture et la Fille du<br />

Juge. Les deux étaient sauvages, momentanées même. Il ne fallait<br />

pas vouloir les enfermer. C’est peut-être ce que j’aimais dans la<br />

musique contemporaine qu’il fallait défendre puis savoir abandonner,<br />

quand l’heure du musée sonnerait. On ne peut dire qu’elle n’ait<br />

été qu’une mode éphémère. Il s’est écoulé environ trente ans entre<br />

86


son apparition et le début de sa décadence. J’observais avec curiosité<br />

qu’il fallait savoir déchiffrer les données économiques de l’époque<br />

pour connaître le destin des arts. C’est que, contrairement à la<br />

peinture, les œuvres musicales coûtaient cher et ne rapportaient<br />

rien ! Nos destins n’étaient nullement comparable à ceux des peintres<br />

et des poètes qui, quelquefois dans le plus parfait anonymat,<br />

attendent d’être reconnus et, subitement, accèdent au star system.<br />

La musique est une activité très sociale, elle dépend directement des<br />

subventions et des mécènes. Des subventions je n’ai pas grandchose<br />

à dire si ce n’est que trop souvent nous dépendons d’imbéciles<br />

ignares. Il y a eu des exceptions frappantes comme, par exemple,<br />

l’aide que la famille Pompidou apporta à Boulez. Mais ça ne rendait<br />

pas compte de l’époque. Je dirais que les radios, dans les années<br />

cinquante, furent aussi importantes que les pouvoirs publics, plus<br />

peut-être.<br />

Quant aux mécènes j’observais leur destin - qui était d’être trompés<br />

- avec une grande <strong>sur</strong>prise. C’était quelquefois poignant, souvent<br />

minable, jamais heureux. Dans mes débuts j’avais été approché par<br />

Isabelle, l’héritière d’une grande fortune française, qui soutenait des<br />

artistes et permettait à des orchestres de donner des concerts. C’était<br />

quelqu’un de chiant mais de bien. Elle se mit en tête de me faire<br />

diriger la Symphonie opus 9 de Schœnberg et, en même temps, de<br />

me cloîtrer dans un cabanon utile à éloigner les jolies femmes qui<br />

pullulaient dans le secteur. Ça ne marcha pas mais, chanceux, je<br />

dirigeai malgré tout cette œuvre fameuse pour la première fois. Elle<br />

composait, jouait admirablement bien du piano et ne s’était jamais<br />

servi de sa fortune pour être programmée ou mise en valeur. Il<br />

s’était formé autour d’elle l’inévitable cour des climénoles et les<br />

guerres sanglantes d’influence se déroulaient sans qu’elle s’en<br />

rende réellement compte. En général les mécènes ont un but. Briller,<br />

que l’on parle d’eux, faire partie d’une élite ou… diminuer leurs<br />

impôts. Chez Isabelle il n’y avait que pureté et désespoir.<br />

Contrairement à ce que mon entourage croyait je n’avais jamais<br />

reçu d’elle de sommes importantes. Je ne faisais pas partie des<br />

musiciens doués pour le business. Elle intervenait de temps à autre<br />

pour aider à boucler les comptes d’un concert ou faire venir un<br />

artiste connu. Nous nous battions souvent à propos de la qualité<br />

87


d’une œuvre ou d’une interprétation et elle me mettait <strong>sur</strong> la sellette<br />

avec une acuité de jugement insupportable. Le monde de la<br />

musique ne la sauva pas de son destin qui était d’être étouffée par<br />

sa fortune. Je la revis, vers la fin de sa vie, sortant d’une longue<br />

hospitalisation et elle me dit quelque chose que je n’oublierai<br />

jamais. Elle avait participé, avec des gens simples, lors de son traitement<br />

dans une clinique, à des travaux d’intérêt général, jardinage,<br />

cuisine, vaisselle. « Vous savez, me dit-elle d’un air apaisé, c’est la<br />

première fois de ma vie que j’ai eu le sentiment d’être utile aux<br />

autres. » Quand je vois un connard exhiber en ville une bagnole<br />

d’un tiers de million je pense à Isabelle.<br />

Nos mécènes étaient la plupart du temps des femmes qui s’ennuyaient<br />

ou qui possédaient l’instinct du head hunter. Après une<br />

dizaine d’années d’expérience je me mis à penser que je devais leur<br />

prédire l’avenir : plus elles donneraient plus elles créeraient d’inexpiables<br />

rivalités autour d’elles et, à court terme, leur action perdrait<br />

de son sens, elles s’aigriraient ou se fâcheraient, leurs yeux se dessilleraient.<br />

Un cas important, m’avait frappé. C’était l’héritière<br />

d’une des plus riches familles américaines, une femme simple et<br />

charmante qui avait choisi <strong>Genève</strong> pour s’éloigner de la business<br />

mentalité de New York et Boston. J’avais appris, à son propos, la<br />

définition de la fortune qui est vivre des intérêts de ses intérêts.<br />

C’est un peu abstrait mais vous pouvez calculer et si vous y parvenez<br />

vous serez impressionné. La plupart des gens ne comprennent<br />

rien à cette mécanique de la richesse. Un de mes amis, devenu gestionnaire<br />

de clientèle privée à <strong>Genève</strong>, me disait que si l’on convertissait<br />

ses revenus (de revenus) de la riche Américaine en centimes,<br />

et qu’un opérateur idéal, grâce à une sorte de machine à sous géante,<br />

laissait tomber le dit revenu converti en centimes <strong>sur</strong> un support<br />

quelconque, on devrait entendre un la naturel ! Soit 440 centimes<br />

par seconde. Ça me semblait impossible et on en plaisantait mais<br />

ces histoires n’étaient pas aussi innocentes que nous le pensions. Le<br />

destin d’Ania - tel était son nom - fut exactement conforme à ce que<br />

j’avais prévu. Tout commença d’une manière amusante et se termina<br />

dans la tristesse. Elle me réveilla un dimanche matin. Il fallait<br />

d’urgence aller voir la concierge d’une belle maison du quartier des<br />

Tranchées, me dit-elle. « Pourquoi ? » fis-je mal réveillé. « Parce<br />

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que Sophia Loren veut l’acheter lundi », répondit-elle avec un grand<br />

sérieux. Je ne fis aucun commentaire, ça sentait l’aventure et une<br />

heure après je grimpai dans sa Mercedes. Nous avons obtenu de la<br />

concierge l’adresse de la propriétaire, une dame âgée, et dans l’instant<br />

un chèque, pas aussi dément que je l’imaginais, fut rédigé et la<br />

maison achetée. Le reste n’était qu’affaire de notaire et de valetaille.<br />

Ania était ravie, ses yeux brillaient. Elle venait de s’offrir le Palais<br />

des Arts de ses rêves. Je me suis tu car je connaissais la suite. Elle<br />

m’offrit la direction de son département musique avec des budgets<br />

réellement séduisants. Je refusai, sans le vouloir je la blessai. Mon<br />

entourage en restait <strong>sur</strong>pris mais un jour je m’en expliquai. Les<br />

mécènes, dis-je, créent leurs prédateurs. L’entreprise durera un an<br />

ou deux mais je ne veux en aucun cas me trouver pris dans la<br />

bagarre générale qui va éclater, la parade et la lutte des climénoles.<br />

Je ne me trompais pas, mais elle avait de bonnes réactions. Quelque<br />

temps après elle vira tout le monde, vendit ses biens et fila vivre en<br />

France, dans une terre moins ingrate. Je crois qu’elle a réussi.<br />

Quand aux mécènes du sexe masculin, il y en avait quelques-uns,<br />

pas trop, généralement mus par leur snobisme ou entraînés par de<br />

jeune beauté qui les dévergondaient dans l’art moderne. Je me souviens<br />

de la cour que me fit un Ortiz Patiño, homme que le grand<br />

ministre Chavanne détestait parce qu’il avait été en Bolivie et qu’il<br />

connaissait l’enfer des mines d’étain. C’était une cour dont je ne<br />

pouvais être dupe car Boulez, que j’avais invité à donner un concert<br />

avec l’orchestre de la BBC, en était l’enjeu. Le Bolivien voulait<br />

l’avoir à sa réception. Il l’a eu. Je ne sais foutrement pas ce qu’il a<br />

payé pour ça. À nous les acteurs, rien. Mais ce genre de détail était<br />

banal. Le monde aristocratique de la musique contemporaine devenait<br />

progressivement un monde de showbize.<br />

La ronde se poursuivait, la vie était passionnante, j’avais une disposition<br />

à la trouver telle. Il y eut le passage météorique de Ginastera<br />

qui devint mon second père adoptif, après André de Blonay (je<br />

recherchais la compagnie d’hommes plus âgés et d’une haute intelligence),<br />

mon père me manquait, mon Père aussi. Ginastera n’accepta<br />

jamais la traîtrise et la tartufferie d’un obscur fonctionnaire<br />

genevois qui me fit déclarer « non papable » pour être lauréat du<br />

89


Prix quadriennal de la Ville de <strong>Genève</strong>. Je tentai de lui dire que je<br />

m’en foutais mais je ne me rendais pas compte qu’il avait vécu dans<br />

un pays d’élections truquées et que <strong>sur</strong> ce sujet il ne plaisantait pas.<br />

« J’ai quitté l’Argentine de Peron pour venir dans une ville de<br />

liberté » m’a-t-il dit « et je viens de m’apercevoir qu’ici tout est<br />

identique, les complots sont simplement plus hypocrites. » Il se<br />

référait au modèle borgèsien (les deux hommes se connaissaient très<br />

bien) qui idéalisait la Suisse et proposait de faire de chaque citoyen<br />

du monde « un Suisse ». Vaste programme… D’après ce qu’il m’a<br />

raconté de cette affaire j’avais été élu par le jury - à une courte<br />

majorité - pour être lauréat du « Nobel » genevois en récompense<br />

de mon activité de musicien. Mes adversaires acharnés avaient eu<br />

recours à une votation plénière pour me dévisser mais là encore<br />

j’étais passé. On me déclara « innommable » <strong>sur</strong> le plan politique.<br />

Je n’en fus guère <strong>sur</strong>pris car représenter la musique contemporaine<br />

dans une ville aussi convenue que cette <strong>Genève</strong>-là ne me rendait pas<br />

populaire. Quelques années après Ginastera (nom de code Hidalgo)<br />

mourut d’un foudroyant cancer du sang. J’en fis si affecté que<br />

j’écrivis pour lui La Cantate interrompue, une œuvre que je fis en<br />

trois semaines et que de grands noms de la musique vinrent de tous<br />

les coins du monde interpréter ; le groupe d’Edward Tarr basé en<br />

Allemagne et en Suède, le Dorian Wind Quintet de New York et les<br />

Percussions de Strasbourg. Hidalgo, qui était un animal social, avait<br />

souvent tenté m’attirer dans ce qu’on nommait le monde musical<br />

genevois. Je ne m’y rendais jamais, j’étais trop cyranien, ne voulant<br />

pas naviguer avec, dans mes voiles, des soupirs de vieilles dames (il<br />

y avait aussi de très jolies femmes et de bons esprits, ne généralisons<br />

pas). Je serais tenté de dire que je n’avais pas envie d’y perdre<br />

mon âme, ni - pour le moins - de m’y ennuyer à mourir.<br />

Quant à de Blonay (nom de code Hauterives), mon premier père<br />

adoptif, c’était un Seigneur ! Je ne puis dans l’espace de ce chapitre,<br />

trouver la place de parler de lui comme il se doit. Comme Boulez il<br />

enseignait une attitude devant la vie. L’honneur, vous savez, l’honneur<br />

ça existe. J’étais somme toute bien entouré, je ne le méritais<br />

probablement pas mais j’en profitais sans réellement me rendre<br />

compte de ma chance. J’étais fier et heureux de la présence de mes<br />

grands aînés.<br />

90


Sur quoi apparut René Berger, qui n’est pas directement un produit<br />

genevois, mais qui possède quelque chose de l’esprit de <strong>Genève</strong>,<br />

dans la me<strong>sur</strong>e où l’on se mettra d’accord <strong>sur</strong> le sens de cette phrase<br />

de M. Robert de Traz. Une amie Québécoise qui « avait lu tous<br />

ses livres et ne le trouvait pas triste » voulait lui rendre visite, je lui<br />

arrangeai un rendez-vous avec le Socrate vaudois, dans le Gros de<br />

Vaud. J’ai conservé ses notes. Elle avait choisi l’unique approche<br />

possible du personnage : la solitude, l’isolement et le silence. C’était<br />

faire très fort car Berger produit un vacarme intellectuel assourdissant.<br />

J’aimais bien sa formule borgèsienne dans le style de « The<br />

approach to the hidden man ». Son commentaire était très touchant<br />

dans son originalité.<br />

René Berger ou le roman(d) impublié<br />

Pour tenter l’Antiportrait de René Berger il faudrait commencer par<br />

oublier l’universitaire, l’homme public, le Diogène des médias et le<br />

fils spirituel de Marshall McLuhan. Le pionnier de la vidéo expérimentale,<br />

le voyageur infatigable, celui qui fait décrocher Pivot et<br />

bien d’autres dans les colloques internationaux. Il faudrait oublier le<br />

bretteur infatigable et le Socrate vaudois qui a exercé sa maïeutique<br />

<strong>sur</strong> presque tous les intellectuels de son bord. Il faut se méfier de ce<br />

philosophe à l’état sauvage qui, assoiffé de connaissance, peut vouloir<br />

nous transpercer d’un angle de sa vérité. Au commencement<br />

était le Verbe ? Dans ce cas Berger est Dieu. Aller le voir me fout<br />

les chocottes. De vaches en vaches paisibles, de chalet en chalets<br />

propres comme ce canton de Vaud, avec ses douces collines, est<br />

paisible à l’âme ! Je commence à comprendre ces Helvètes qui rejettent<br />

l’Europe. Mais je crains que jamais ce fils naturel de fontaine et<br />

de volcan ne se laisse questionner par moi, n’entre dans mon jeu. Un<br />

peu anxieuse, au pied d’une église, derrière une façade tranquille,<br />

presque anonyme, je découvre les espaces étonnants de ce Vaudois<br />

d’univers. C’est un chalet, bas de plafond dont les combinaisons de<br />

poutres engendrent des espaces multiples balisés de lumières magistrales.<br />

Pour un peu on dirait du Escher. René Berger de la Mirandole<br />

est assis là, l’œil vif comme le prédateur d’idées qu’il est. Tout en<br />

l’écoutant je me dis qu’il est impossible de faire l’Antiportrait de cet<br />

homme. Tout le monde le voit sous l’aspect d’un théoricien, mais<br />

91


pourquoi n’écrirait-t-il pas de roman ? Parce qu’il est habité par trop<br />

de vérités à la fois, et que, sans doute, il n’en porte qu’une essentielle<br />

en lui. Il m’est donné de voir son décor, son coin de vie paisible,<br />

et je réconcilie les éclats de son mental avec cette existence<br />

simple. Il me raconte sa vie avec son cheval, la beauté des passantes,<br />

Erice où, dans le temple de Vénus, il a réuni des prix Nobel et des<br />

artistes. Sa ballade en seul mineur me touche. Je n’ai pas besoin de<br />

l’écouter plus longuement, je sais reconnaître une vérité intérieure.<br />

Je me lève, je lui dis que je reviendrai. Mais je mens, nous le savons<br />

tous deux. De Berger, le seul Antiportrait concevable n’est autre que<br />

son silence. Quand on a lu tous ses livres, ce qui, peu ou prou est<br />

mon cas.<br />

Je ne l’en aime que plus.<br />

Un vaudois ne venant jamais seul… apparut dans les années soixante-dix<br />

un étrange personnage dégarni, voix détimbrée et lunettes<br />

teintées qui me rendit visite à l’improviste. J’en fus <strong>sur</strong>pris, je faisais<br />

partie de ses fans mais je n’avais que peu de contacts avec le<br />

monde du cinéma. C’était Jean-Luc Godard qui cherchait un partenaire<br />

pour acheter des magnétoscopes au standard 2’’, obligatoire<br />

pour le « broadcast ». J’étais un grand admirateur de son œuvre, il<br />

avait déjà donné Alphaville, Pierrot le fou, Deux ou trois choses que<br />

je sais d’elle, La Chinoise et Week end pour ne citer que mes préférés.<br />

Ce vaudois était un incontestable génie, totalement en avance<br />

<strong>sur</strong> son temps. Il incarnait tout ce qui m’attirait, la révolte, une<br />

vision, une marginalité. Pourtant, notre contact fut désastreux. Je ne<br />

supportais pas le ton monocorde de sa voix ni sa communication en<br />

général. Mes partenaires de studio refusèrent d’entrer en matière<br />

pour les films qu’il voulait consacrer à la cause palestinienne, là<br />

aussi il était en avance <strong>sur</strong> les autres. Comme je suis, en général, un<br />

animal social je me suis longtemps demandé pourquoi je n’avais<br />

pas réussi à établir une communication, même minimale, avec lui.<br />

C’est Guillaume Chenevière qui, vingt ans après, me donna une<br />

explication intéressante. À sa manière il avait fait la même expérience.<br />

Dans les projets des Antiportraits j’avais retenu ceci des<br />

propos de Guillaume :<br />

Beaucoup de ceux qui connaissent Jean-Luc Godard pensent que<br />

92


l’homme à la caméra stylo est fou. Peut-être… Mais fou dans quel<br />

genre ? Par métissage, dirais-je. Celui de sa culture helvète et protestante<br />

avec le monde du cinéma, d’une immense passion intérieure<br />

avec un physique plutôt ingrat mais que l’on aura fini par<br />

accepter, du Suisse francisé ou de l’Helvète marquant l’Hexagone ;<br />

celui du visionnaire obligé de parler le langage des financiers de la<br />

production cinématographique, du poète qui n’aura pas le temps<br />

aussi… J’ai pu constater une autre chose quant à la soi-disant folie<br />

de Godard : il déconcerte, il a de l’humour, de l’à-propos, il sait très<br />

bien rebondir. Mais ce qui gêne fondamentalement les gens chez lui<br />

c’est la désynchronisation de sa bande son. Jean-Luc Godard n’a<br />

jamais interrompu le monologue intérieur commencé quelque part<br />

dans son enfance, il pense à haute voix la plupart du temps mais il<br />

ne prend jamais la peine de changer de niveau, de remonter là où<br />

vous et moi échangeons des formules convenues. Ses films ne sont<br />

que la transcription de son journal de bord et celui-ci est ininterrompu,<br />

pour sa vie. Se tromper de scène avec lui est facile. Même<br />

de rôle, de film et de plateau. Si Rimbaud avait été vieux et suisse il<br />

aurait peut-être ressemblé à Godard l’admirable dont les films sont<br />

devenus probablement un peu barbants mais qui fut, comme dit<br />

René Char, « bon prophète ».<br />

Vous voyez qu’à propos de musique j’évoque des personnalités sans<br />

rapport direct avec cet art. Les musiciens sont hypersocialisés, ils ne<br />

vivent pas sans les autres, y compris les politiques. Le monde de la<br />

politique genevois souffrait de médiocrité.<br />

André Chavanne fut une brillante exception et - bien que je n’aie<br />

pas d’orientation politique - je faisais route avec lui et avec Robert<br />

Hari, son bras droit et très grand patron des collèges du secondaire.<br />

Son successeur fut lamentable. En ce temps-là nos politiciens acquirent<br />

une dimension internationale, car ils se mirent à pratiquer la<br />

langue de bois et la politique politicienne qui les rapprochait de<br />

leurs voisins européens. Nous n’avions pas encore trouvé le<br />

Berlusconi suisse qui achèterait la fonction suprême avec l’appui de<br />

ses réseaux de télévisions, mais on me laissait entendre que c’était<br />

en route, chez les Swisstotos.<br />

Je voyais deux exceptions qui étaient Christian Grobet et Gérard-<br />

Olivier Lefer. J’avais eu l’occasion de sympathiser avec le jeune<br />

Grobet qui, spontanément, défendit la cause de la musique contem-<br />

93


poraine que l’establishment genevois considérait comme gauchiste<br />

et subversive. <strong>Genève</strong> ne volait, en principe, qu’au secours de la<br />

victoire. Le jeune conseiller municipal y trouva pour ses débuts une<br />

cause et l’occasion de contrer un ministre de la culture qui ne lui<br />

revenait pas. Il n’était point le seul. Par la suite, il se hissa à la présidence<br />

d’un immense ministère et je le perdis de vue. Je savais que<br />

c’était un homme méticuleux et un bourreau de travail, je dus résister<br />

à la mauvaise presse qui lui était faite dans le monde genevois.<br />

Si je fais la synthèse de ce que j’ai entendu à son sujet je m’imagine<br />

un Sarkozy pour l’obstination et “ce certain air de vérité” qu’il sait<br />

arborer dans les causes les plus perdues ainsi qu’un Roy François,<br />

pour l’usage savant d’un machiavélisme que les gens de gauche<br />

n’aiment pas reconnaître. Il se trouva qu’un soir, lors d’une soirée<br />

un peu débridée, j’entendis de jeunes avocats débattre passionnément<br />

de la possibilité de lui organiser un « accident » tant il gênait<br />

les milieux financiers. On se serait cru en Italie… Rien ne se passa<br />

et il me paraît toujours en vie et en bonne forme.<br />

Le hasard me fit également croiser plus longuement la route de<br />

Lefer - on le <strong>sur</strong>nomma GOL - qui fut probablement le magistrat le<br />

plus intelligent et moderne de cette fin de siècle. Il participa à l’opération<br />

MexCam par hasard, intérêt et passion. Il se trouvait que<br />

j’avais « Étoile noire » dans mon entourage, une fort belle jeune<br />

femme qui avait la séduction facile et qui l’avait ferré. Je dis ferré<br />

car les mots me manquent. Fondu, ensorcelé, ligoté avec un cheveu,<br />

terrassé, emphyltré, mis à la botte, elle disposait <strong>sur</strong> lui d’un pouvoir<br />

sans limites et n’en usait pas. Un peu comme Mirabelle LaNuit<br />

avec André-François. GOL suivit la belle avec une constance et une<br />

passion dont j’eusse été bien incapable. Dans mes rapports avec les<br />

femmes c’était oui ou non, j’assumais, je cherchais et je trouvais ;<br />

j’étais déchu, viré, accepté, couronné mais je ne m’attardais pas<br />

dans les négoces du cœur. GOL était beaucoup plus admirable.<br />

Étoile noire partait-elle en safari africain qu’il se trouvait une mission<br />

d’intérêt public qui lui permette de croiser son chemin. En Inde<br />

ou à Katmandou ? Une urgente relation tibétaine s’établissait avec<br />

le ministère. Aux USA ? L’enfance de l’art… Comparé à lui,<br />

Schumann avait snobé Clara Wieck. À mon avis ce type de comportement<br />

ne paie pas avec les femmes mais je ne suis (parfois) qu’un<br />

94


sale macho pressé. Ce n’était pas la première fois qu’il avait des<br />

coups de cœur et ses ennemis tentèrent d’amplifier et déformer les<br />

faits de sa vie privée. On n’y prêtait pas vraiment attention, c’était<br />

du matériel pour pisse copie en panne sèche. J’avais peut-être été<br />

l’une des rares personnes à réaliser l’incroyable performance de<br />

GOL qui s’arrangea pour rester des années en orbite autour de cette<br />

fâcheuse beauté. Il lui offrit même un poste élevé dans sa hiérarchie<br />

mais la belle refusa, du bout des lèvres. À mon avis elle ne méritait<br />

pas cet homme bien, le prototype même de ce que l’on était convenu<br />

d’appeler un honnête homme au XVII siècle, généreux, jamais<br />

intéressé, rapide, capable de traiter simultanément plusieurs dossiers<br />

complexes, bourreau de travail autant sinon plus que Grobet,<br />

et de <strong>sur</strong>croît passionné par la modernité. Je disais toujours que s’il<br />

nous fallait un jour faire appel à un despote éclairé, c’est lui qu’il<br />

faudrait choisir mais peu de gens partageaient mon avis. Je le croisais<br />

souvent sans réaliser à quel point Étoile noire l’avait aspiré<br />

dans son champ gravitationnel. Soudain, diverses choses s’enchaînèrent<br />

pour créer l’événement. Le délégué mexicain de la SIMC/<br />

Unesco que je rencontrai à Paris avec Profondeur nous invita à à<br />

l’inauguration de la branche mexicaine. Tous frais payés. Dans<br />

l’heure suivante je tombai <strong>sur</strong> Peppino di Giugno, le physicien<br />

napolitain génial qui avait conçu les systèmes informatiques de<br />

l’IRCAM et il me persuada de participer à la proche World<br />

Conference de San Diego <strong>sur</strong> le thème de musique et ordinateur.<br />

GOL, qui avait ses entrées dans le Ministère de l’éducation, nous y<br />

fit envoyer en voyage d’études. Nous étions basés à La Jolla, San<br />

Diego. J’avais suggéré à Peppino de venir à Mexico à la fin des<br />

conférences, pour l’inauguration que je devais présider. Et qui fut<br />

très mexicaine : il n’y avait personne à l’aéroport, pas de société,<br />

pas d’invitations et le futur président avait tout simplement oublié<br />

notre existence. On en a ri et ça a donné naissance au projet<br />

MexCam (Mexique IRCAM). Un soir, au sommet de la Torre Latino<br />

Americana, dans un sublime restaurant panoramique, nous avons<br />

décidé de faire venir à <strong>Genève</strong> le fameux synthétiseur de l’IRCAM<br />

que personne n’exploitait vraiment à cette époque. Il passerait par<br />

le tunnel transfrontalier du CERN, sous terre. Et GOL accepta de<br />

financer cette expérience pour que nous disposions d’un énorme<br />

95


ordinateur, un PDP-11. Ou trouva-t-il le financement ? Dans un<br />

budget ignoré de la recherche je suppose, les comptes de l’État sont<br />

ouverts aux initiés. Le synthétiseur le plus avancé du siècle quitta<br />

Paris, passa sous la frontière et entra dans notre studio ou un<br />

impressionnant mainframe l’avait précédé. C’était une histoire de<br />

Génie ou mieux de djinn car, le jour de la présentation à quelques<br />

officiels, le principe destructeur fit son apparition. C’était un électricien<br />

jeune, con et mal embouché qui n’avait pas dessaoulé de la<br />

nuit. Il mélangea les points chauds et froids des prises secteurs et<br />

quand je mis les systèmes en route, en attente d’une divine pluie de<br />

sonorités ineffables, il y eut qu’un bref éclair bleu, un tsschac ! et…<br />

plus rien. L’ordinateur géant et le synthétiseur miracles étaient<br />

morts. Nous étions tous effondrés sauf GOL qui eut un mince sourire.<br />

Il en avait vu d’autres, je suppose. Le projet de recherche fut<br />

annulé mais les adversaires de GOL vinrent à trois reprises m’interroger<br />

<strong>sur</strong> cette affaire, me demandant si j’avais un synthétiseur.<br />

« J’en ai beaucoup » leur dis-je, ce qui les irrita. C’était pourtant<br />

vrai. Personne ne réalisait que l’achat important était celui d’un gros<br />

ordinateur que l’Université récupéra peu de temps après. Fin de<br />

séquence.<br />

Étoile noire, Berger, GOL, Boulez, Ania, Aubert, tous ces personnages<br />

faisaient partie de la ronde. La vie sociale était passionnante<br />

même si, parfois, les acteurs déraillaient. Mais vous connaissez<br />

l’adage, du sommet il n’existe qu’un seul chemin, celui qui redescend.<br />

Je bandais (mes énergies) pour chercher de nouvelles voies,<br />

créer de nouvelles œuvres. Les gens dont je viens de parler étaient<br />

tous des acteurs en vue de la scène sociale. Ils n’étaient pas forcément<br />

mes préférés. J’aimais les marginaux et les maîtres secrets.<br />

Serge Collot l’altiste était de ceux-là. Je n’ai vraiment rien à dire de<br />

lui si ce n’est que je lui voue un immense respect. Qu’il accepte que<br />

je lui dédie une partition et de la jouer sous ma direction me faisait<br />

sentir tout petit. Mais c’était l’un des quelques moines que j’ai<br />

connu. Un maître as<strong>sur</strong>ément mais si simple et si modeste qu’il<br />

forçait le respect. Il y en avait quelques-uns comme lui, je ne vous<br />

en parle pas, mon témoignage ne serait pas à leur hauteur. Comment<br />

96


conciliais-je cet amour du marginal et une carrière qui socialement<br />

allait bon train ? Je ne sais pas. Un soir, Gérard Suter, producteur de<br />

la radio romande, me consacra une nuit d’antenne dans le style de<br />

« carte blanche à Jacques Guyonnet ». Je pouvais inviter qui je voulais,<br />

l’essentiel était d’être varié, amusant, bien entouré et… en<br />

question. On y rencontra des savants, des artistes, un pasteur fou et<br />

M me Elizabeth Tessier que personne ne soupçonnait d’occuper, un<br />

jour lointain, une chaire à la Sorbonne et que Berger traita avec<br />

mépris d’horoscopeuse. Ça massait ! Ça n’a pas beaucoup changé…<br />

Cette soirée fut amusante mais je n’en conserve qu’un souvenir<br />

ineffaçable, son titre : Le Marginal. J’avais choisi cette définition.<br />

J’étais, je le crois, un marginal institutionnel. Ce qui est une affirmation<br />

aussi ridicule que le PRI qui, au Mexique, est le Parti<br />

Révolutionnaire Institutionnel. No comment !<br />

Il me reste encore une image de guerre et de l’importance de la<br />

femme que j’aime bien. L’OSR, ensemble symphonique genevois,<br />

m’avait boycotté et saboté de déplaisante façon, un soir, dans un<br />

concert en direct, peu après l’exposition nationale de Lausanne de<br />

1964. J’étais un chef trop jeune et trop inexpérimenté pour affronter<br />

un orchestre hostile et la mise à mort fut relativement facile. Pas<br />

élégante, mais efficace. Il n’y avait pas que des voyous dans cette<br />

phalange, j’y comptais de merveilleux amis et de fidèles supporters.<br />

Chez les musiciens fondateurs <strong>sur</strong>tout, ceux de la jeunesse d’Ansermet.<br />

Une poignée de contestataires l’emporta, il est toujours plus<br />

facile de détruire. Dans ma loge je n’attendais plus le cortège habituel<br />

des thuriféraires et des opportunistes, mais celui des pleureuses<br />

et des sourires hypocrites. Ce ne fut pas le meilleur moment de ma<br />

vie de musicien et c’est d’ailleurs à ce moment que Roger Aubert,<br />

je l’ai mentionné, était venu pour m’achever. L’enfoiré ! Une jeune<br />

femme, qui gérait un département de la Radio romande, vint me<br />

voir et me dit deux choses. « Ne vous frappez pas, ils avaient décidé<br />

de vous avoir et de toute façon ils seraient arrivés à leurs fins. »<br />

Elle avait raison, je n’étais pas si populaire que ça à défendre la<br />

cause de la musique contemporaine que de tristes imbéciles appelaient<br />

encore « dodécacophonique ». « Mais, ajouta-t-elle, je vous<br />

suis et je pense que vous avez perdu une bataille, pas la guerre.<br />

Pourquoi ne pas aller voir les dirigeants de la Philharmonie de<br />

97


Stuttgart ? C’est une très belle phalange et ils adoreraient venir donner<br />

des concerts ici. » J’étais profondément touché et étonné. Cette<br />

charmante brunette, qui était à la fois Italienne et Suisse allemande<br />

(a great mix !) venait, sans que je le réalise, de me propulser dans<br />

dix ans de nouvelles aventures.<br />

Je fis mon pèlerinage à Stuttgart et y exposai mes projets. Je me<br />

souviendrai toute ma vie de mon audition de chef d’orchestre.<br />

J’étais totalement fou : au lieu d’avoir choisi les bonnes vieilles<br />

mules du répertoire j’avais opté pour le Mandarin merveilleux de<br />

Bartok. Une œuvre vraiment difficile pour l’orchestre et… pour le<br />

chef. C’était ce foutu côté coq qui prenait le dessus. Je plaçais la<br />

barre très haut. Dans l’avion qui m’emmenait à Stuttgart je fus certain<br />

de me casser la figure. La seule bonne chose étant que je fais<br />

partie de ces gens qui ont peur après. Jamais dans l’action. Je suis<br />

arrivé devant l’orchestre, j’ai dit une ou deux banalités dans mon<br />

allemand approximatif, j’ai levé le bras, tous les archets m’ont<br />

accompagné et je me suis lancé dans la partition. Je m’en souviens<br />

comme d’un rêve. Je n’avais pas le temps de paniquer. J’ai vu défiler<br />

les me<strong>sur</strong>es devant mes yeux, l’orchestre avait des réactions<br />

sûres et rapides, je me suis pris au jeu, nous sommes tous entrés<br />

dans l’œuvre. Il y avait cette communication collective intense que<br />

l’on peut ressentir avec les orchestres et qui, je crois, est sans égale.<br />

À la fin de cette lecture j’ai entendu un le tapotement des archets <strong>sur</strong><br />

les bois des violons et j’ai réalisé que ça voulait dire bravo ! J’avais<br />

passé mon examen dans un état second et, par la suite, nous avons<br />

donné plus de dix ans de concerts à <strong>Genève</strong> où le public venait<br />

nombreux aux lectures « entrée libre » que l’orchestre et les solistes<br />

offraient aux mélomanes à dix-huit heures, avant le concert. Ce qui<br />

me reste de cette aventure c’est le respect que me témoignaient ces<br />

musiciens. Respect du chef (il faut le mériter, il n’y a pas de complaisance)<br />

et respect du compositeur. Les orchestres latins que j’ai<br />

connus n’ont jamais été à ce niveau et je crois que Fellini à fait un<br />

film <strong>sur</strong> cette idée.<br />

Je m’étonnais d’avoir trouvé mes plus grands alliés dans la famille<br />

même de mon ennemi d’alors, Ansermet. Je méconnaissais l’histoire<br />

car la même situation, à terme, me guettait. Je vous parlerai<br />

98


plus loin de Boulez, homme clef de ma carrière. Il y avait une<br />

grande divergence entre nous - je n’évoque nullement son exceptionnel<br />

talent de chef et de théoricien - cette différence, c’était la<br />

planète.<br />

Je vous reviens<br />

99


100


Caryl Chessman met de l’ordre<br />

Bush battait des records. Il avait inventé - avec l’aide de son frère<br />

gouverneur de Floride et de la Cour suprême - une formule innovante<br />

: la dictature démocratique. Il était en tête de l’illettrisme de<br />

tous les présidents américains ayant jamais existé. Et pour le<br />

moment il voulait comprendre. Ça lui arrivait de temps à autre, sans<br />

trop de résultats. Wolf le décousu n’y tenait pas tant que ça. Il savait<br />

très bien que, contrairement aux fables juives accréditées,<br />

Armageddon n’était pas forcément à l’image du grand incendie du<br />

Walhalla. Ce pourrait tout aussi bien être la glace universelle. Il<br />

frémit, c’était rare. Mais un Efrit n’aime pas le froid. On avait introduit<br />

un petit rouquin aux yeux de fouine dans le bureau ovale, jeans,<br />

chemise à carreaux, l’air du parfait hillibily se dandinant, intéressé<br />

de voir de plus près le Chef des armées, le symbole le plus creux de<br />

la Grrrrrande vieille nation.<br />

- Comment vous appelez-vous ? grinça le Président qui ne perdait<br />

guère son temps en amableries.<br />

- Caryl Chessman, Monsieur.<br />

Une odeur familière d’exécution traversa les narines de Bush, ça lui<br />

disait quelque chose, mais il ne parvint pas à localiser, il avait<br />

envoyé tant de gens à la chambre à gaz, à la piquouze ou à la chaise,<br />

tout ça formait partie d’un passé quelque peu décomposé. Nicolas<br />

Peyrac connaissait mieux que lui les bavures judiciaires américaines.<br />

- On me dit que vous comprenez la situation ? fit le petit homme.<br />

Expliquez-moi.<br />

- Quelle situation Monsieur ?<br />

- Le gel, fit Dr W* assez menaçant. Le gel mon petit gars, tu vois<br />

ce que je veux dire ? Ces putains d’images radar, voilà ce qui intéresse<br />

le patron. Okay ?<br />

- Ah, fit Caryl qui s’illumina, c’est tout à fait dans mes cordes, vous<br />

savez ?<br />

- Accouche ! beuglèrent les consciences de la nation, accouche<br />

101


putain de merde.<br />

Le gamin ne se démonta nullement.<br />

- Je suis programmeur Thêta-Phi en circuits d’incertitude prévisionnelle,<br />

exposa-t-il.<br />

Le regard du chimpanzé se ternit mais Wolf se fit plus attentif.<br />

- On m’entraîne, dit Caryl très posément, à prévoir ce qui justement<br />

ne peut être prévu par nos systèmes. Je suppose que c’est pour cela<br />

que vous m’avez appelé ?<br />

Walker jeta un coup d’œil vers le tiroir supérieur de son bureau, là<br />

où il gardait un .45 à crosse de nacre. On ne savait jamais, le<br />

Shahinshah, un matin de juin 1975, s’en était sorti avec ce genre de<br />

gadget. Tirer une rafale dans les pattes de ce petit con allait peutêtre<br />

le motiver ? À lâcher le morceau ? Par signes, George et Wolf<br />

lui firent comprendre qu’il valait mieux patienter et écouter. Cette<br />

génération ne possédait plus le grand esprit de décision qui avait<br />

formé les maîtres de l’Amérique. De son côté, Caryl développait<br />

déjà.<br />

- Nous avons tiré un missile, dit-il, un et seulement un. Sa trajectoire<br />

est me<strong>sur</strong>able, prévisible et implique un point de départ et une<br />

destination finale. Or que se passe-t-il ? Il vous paraît gelé <strong>sur</strong><br />

place ! Nous sommes devant une contradiction parfaitement simple<br />

à résoudre. Je pose ainsi que notre missile 1) existe 2) se trouve<br />

quelque part et 3) possède un cap, une altitude et une vitesse données.<br />

Mais l’information radar nous dit l’inverse. Nous connaissons<br />

le lieu et l’altitude mais plus le cap ni la vitesse. Je vois deux solutions<br />

: a) Soit les radars nous trompent, soit ils disent la vérité. Nous<br />

nous trouvons dès lors devant de très simples embranchements.<br />

Soit : 1.a.a) Le missile n’existe plus, 1.a.b) n’a jamais existé ou<br />

encore sous 1.a.c) va se mettre à exister ou encore, les embranchements,<br />

Messieurs, les embranchements ! Nous trouvons la possibilité<br />

sous 1.b.a) qu’il s’agit d’un autre missile tiré - par nous ou par<br />

un acteur inconnu - avant ou après, à même de rester immobile en<br />

plein ciel alors que l’autre poursuit sa course, sans exclure que les<br />

deux corps se soient réunis et que leur comportement dépende alors<br />

directement d’équations non linéaires à trois paramètres, c’est à dire<br />

chaotiques et que (il fronça les sourcils) nous pourrions avoir à<br />

prendre en compte l’existence de n missiles dotés de vecteurs zéro


ou non nuls mais à déterminer, dans tous les cas de figure à un missile<br />

réel et à un fantôme, sans savoir lequel transporte la charge utile<br />

ni à quelle destination.<br />

George suivait, avec fureur, mais il suivait.<br />

- C’est ce qu’on leur enseigne dans nos universités, fit Wolfo qui<br />

adressa un clin d’œil entendu à un Bush anesthésié.<br />

- Si les radars nous trompent, ajouta Caryl très joyeux, notre missile<br />

court toujours. Mais nous ne le voyons plus. À moins qu’il ne<br />

soit déjà retombé quelque part dans l’Atlantique, d’après nos estimations.<br />

Comme les satellites ne détectent aucune trace de détonation,<br />

nous devrons donc admettre que l’ogive n’a pas fonctionné ou,<br />

que l’éclair a été absorbé par quelque chose de plus vaste. Si, d’un<br />

autre côté, les radars nous disent la vérité, alors, et seulement alors,<br />

tout devient beaucoup plus intéressant. Nous affronterions pour la<br />

première fois une crise d’expansion spatio-temporelle telle que je<br />

l’ai suggérée l’an dernier, pour n’envisager que le scénario le plus<br />

probable.<br />

Même Wolf était largué…<br />

- Ça consiste en quoi ? fit-il d’une voix détimbrée.<br />

- Sous certaines conditions extrêmes, gloussa Caryl, la matière ordinaire<br />

devient irréférencée. Du métal se comporte comme un liquide,<br />

un gaz inerte s’organise en macromolécules, des objets connus pour<br />

leur stabilité se révèlent n’être que des essaims d’entités indescriptibles<br />

et fantômes et on tombe dans le probabilisme. Vous savez,<br />

concentrer tant de puissance dans si peu d’espace ne peut que modifier<br />

les règles ordinaires de la physique. Avec une subvention appropriée<br />

mon département aurait pu se pencher <strong>sur</strong> ces problèmes et<br />

vous éviter ces tracas !<br />

Wolfo eut un mince retroussis de babines, gris clair. Il n’était pas<br />

vénal. Mais il aimait que les autres le soient.<br />

- Et pratiquement… ça pourrait donner quoi ? soupira un Président<br />

distancé, qui se versa une chamade de quelque chose d’ambré.<br />

- Monsieur, fit Caryl Chessman très vexé, je ne suis qu’un spécialiste<br />

des embranchements aléatoires. Pourriez-vous me dire le<br />

temps qu’il fera demain dans les Rocheuses ? Où si les urines de<br />

Monsieur Greenspan seront claires à son réveil ? Ou même les<br />

résultats de votre proche élection ? Je vous ai donné ma vision des<br />

103


choses qui est celle d’un programmeur Thêta-Phi en circuits d’incertitude<br />

prévisionnelle. Je vous la garantis ! Vous n’aurez aucune<br />

<strong>sur</strong>prise, tout est là !<br />

Il lança une liasse de papier <strong>sur</strong> le bureau sacré.<br />

- Ça ne nous avance pas immensément, remarqua l’Efrit qui, finalement,<br />

trouvait la situation intéressante.<br />

- Non, admit Chessman. Mais au moins, Monsieur, le problème est<br />

posé. Euhhh… j’allais oublier de vous passer la dernière info.<br />

- Mmmm ?<br />

- Il vient de reprendre sa course, Monsieur. Ce qui ne signifie nullement<br />

que mes indications soient fantaisistes.<br />

Il ne mentionna pas l’étrange image satellite immédiatement classifiée.<br />

Ça n’avait aucun sens. Une masse gigantesque avait barré le<br />

chemin du missile. Il n’y avait eu ni explosion ni désintégration, le<br />

6664U avait été stoppé, comme ça, en l’air. Par quelque chose de<br />

long, quelques miles probablement. Ça ressemblait à un doigt.<br />

Un index, en fait.<br />

104


Le joker de Laquedeem<br />

(Minute fissile)<br />

Je suis toujours hasardeux et toujours nécessaire parce que je<br />

suis l’histoire et la marche du temps. Je m’appelle Laquedem,<br />

Fussgänger, Ahasvérus, Cartaphilus, Luis de Torres, Omar Ibn<br />

Battûta, Hiuan-tsang, Démétrios ou Ragnar le savant : les hommes<br />

sont des poèmes récités par le destin. Je suis <strong>sur</strong>tout anonyme<br />

et toujours collectif. Parce que, avant d’être un homme,<br />

un voyageur, un maudit, un héros de roman - quelle horreur ! -,<br />

je suis d’abord un mythe. Vous comprenez ? Je traîne dans tous<br />

vos souvenirs, vos fantasmes, vos peurs, vos espérances. Je suis<br />

tout ce que vous avez fait, et aussi et <strong>sur</strong>tout que vous ne ferez<br />

jamais.<br />

Jean d’Ormesson, Histoire du Juif errant.<br />

Je retirai mon index de cette carte de l’Atlantique nord, là où le<br />

missile avait dû se trouver. Ça ne l’avait apparemment pas stoppé.<br />

Dommage, on peut toujours rêver et je ne fus pas plus <strong>sur</strong>pris que ça<br />

de voir Laquedeem se matérialiser devant moi. On s’en serra cinq, il<br />

avait encore un peu de slime <strong>sur</strong> les doigts mais une visite du Juif<br />

errant, ça ne se boude pas.<br />

- Quelle joie ! dis-je avec sincérité. Et quelle tristesse que vous<br />

veniez dans une phase si… terminale, Laquedeem.<br />

J’avais eu l’insolence d’en faire mon maître d’hôtel dans l’affaire<br />

du Big Bang et il était resté avec moi quelques années, pour toute la<br />

durée de ma première trilogie. J’étais plus jeune, vous savez, je m’en<br />

suis excusé et, comme on ne garde pas un mythe à son service, à la<br />

fin de La Tempête il m’a rendu son tablier. C’est sans doute l’une des<br />

raisons pour lesquelles je retarde tant la sortie de ce bouquin.<br />

J’allais lui demander la raison de cette visite quand il se dédoubla<br />

et donna naissance à un Abraham Moles apparemment très en forme.<br />

J’étais comblé, j’avais par ailleurs la réponse à une ancienne question<br />

juive : les deux ne faisaient qu’un. Une double entité errante.<br />

105


- Nous suivons cette affaire, me dit Moles. Et je crois que tu devrais<br />

la revoir à la lumière des quelques principes que je t’avais inculqués.<br />

Ton missile c’est de la poésie, sans plus.<br />

Vingt-cinq mégatonnes de poésie… Quelle bibliothèque contiendrait<br />

ça ? Je n’étais pas convaincu. Mais je le laissai dire.<br />

- Tu connais mon dada ? La théorie de l’Information.<br />

- Euhh, fis-je, pourrais-tu m’en donner une version à la portée de<br />

mes lecteurs ? On me reproche déjà suffisamment mon hermétisme,<br />

tu sais.<br />

Ça l’amusa.<br />

- Je ne sais pas. Je vais essayer, c’est quelque chose que les gens<br />

utilisent tous les jours, Jacques.<br />

- Oui, oui, fis-je, comme la prose de M. Jourdain. Mais vas-y. Je<br />

vais me taire quelques lignes. Si j’y arrive !<br />

- Merci, Estripador ! Ce qui nous intéresse tous, c’est de communiquer<br />

avec un autre ou des autres. Or que se passe-t-il ? À peine avonsnous<br />

tenté de passer un message que nous nous apercevons qu’il est<br />

déformé, incompris, mal reçu, etc. J’ai donc établi qu’il existait quelques<br />

règles et quelques circuits qui peuvent t’apprendre à communiquer<br />

quelque chose. Pourrais-tu me faire un message simple ?<br />

- Salut ! Content de te voir, comment ça va ? fis-je, pas très inspiré.<br />

- Tant de mots ! Tu aurais pu dire simplement « Bienvenue,<br />

Santé ? ».<br />

- Mais ça, c’est du style télégraphique, objectai-je. Pas très apprécié.<br />

- Ah oui ? Faisons l’inverse alors. Tu te souviens du coup du téléphone<br />

redondant ?<br />

- Comme Chiite comme Shah dis-je, me souvenant de l’épisode<br />

iranien de ma vie. Mais je n’en ai qu’une assez vague idée.<br />

- Je te le rappelle, dit-il très patient. Il s’agit de deux idiots qui s’appellent<br />

par téléphone. Voici le texte :<br />

« Allô ? Allô oui ? Oui, allô ? Bonjour ! Bonjour aussi ! Vous me<br />

recevez ? Parfaitement Monsieur et vous ? Oui ! Moi je vous reçois<br />

5 <strong>sur</strong> 5 ! Ah ? Vous aussi ! 5 <strong>sur</strong> 5 ! Vous avez bien dit 5 ? Oui, parfaitement,<br />

j’ai dit 5/5, il s’agit bien du chiffre 5, 2 plus 3 font 5 !<br />

Okay ? Mmmm Oui ! c’est bien ce que j’avais entendu, 5 <strong>sur</strong> 5 et<br />

moi aussi je vous reçois 5 <strong>sur</strong> 5 ! Ah ? Parfait ! Alors merci. Mais<br />

106


pas de quoi ! Merci à vous aussi ! Et au revoir ! C’est ça, au revoir.<br />

Etc.<br />

- C’est d’une platitude, dis-je gêné, un texte en or pour Ben<br />

Castaldi.<br />

- Et tant d’autres, je te le concède ! Ce qui nous intéresse, c’est que<br />

ces deux gars ont gaspillé un nombre élevé de symboles pour ne pratiquement<br />

rien se dire, verdad ?<br />

Il s’y mettait aussi…<br />

- C’est vrai, fis-je. Mais je ne vois foutre pas le rapport qu’il peut y<br />

avoir entre une ogive nucléaire en chemin et ces conversations débiles.<br />

- Il arrive, sourit Laquedeem, écoutez-le, il arrive !<br />

- C’est une affaire de masse critique en fait, reprit Moles. Tu vas<br />

vite comprendre. Qu’est-ce qui fait la différence entre poésie et langage<br />

courant ?<br />

- C’est que, dis-je - et je connaissais bien mon sujet - le langage<br />

courant utilise des projectiles qui ne frappent leur but qu’une fois<br />

alors que la poésie se sert de l’éclatement des bibliothèques cachées<br />

dans les mots. Par exemple tenez : « J’arrive chez toi pour les vacances<br />

», on ne peut pas dire que les mots se modifient les uns les autres.<br />

Ils se suivent. Mais, si je dis « femme, éternité marine… » je suis sans<br />

doute moins clair mais plus poétique, parce que les entités femme et<br />

mer vont s’exploser dans une éternité qu’elles définissent d’une<br />

manière si giratoire que mille lecteurs vont trouver mille sens et plus<br />

à ces trois mots. C’est plus ou moins comme ça que ça fonctionne. (Je<br />

pris un air modeste).<br />

- Haha ! firent-ils tous les deux. Nous y voilà. Tu ne vois pas la<br />

ressemblance entre ma théorie et ce missile ?<br />

Je ne voyais pas. J’avais <strong>sur</strong>tout peur que quelqu’un ne me décompte<br />

ces savantes élucubrations de mes précieuses permaminutes<br />

gelées.<br />

Ils lisaient dans mes pensées car ils sourirent et Laquedeem me prit<br />

la main dans les siennes.<br />

- Votre définition était pourtant très bonne, me dit-il avec des yeux<br />

intenses. Quelle a été votre réaction quand vous avez eu votre vision ?<br />

Quand cette clarté mentale vous a saisi et que vous avez découvert<br />

l’horreur qui est en route ?<br />

107


- Laquedeem, dis-je, je voudrais d’abord vous prier de m’excuser de<br />

rajouter constamment un « e » à votre nom. Quand je joue, plus rien<br />

n’existe, considérez que je suis un enfant. Cela dit, je vais vous dire<br />

ce que j’ai fait : rien. Rien de plus que courir à droite et à gauche<br />

comme une poule caquetante, à me plonger dans mes souvenirs et à<br />

souligner l’inutilité de toute démarche. J’ai bavassé mon pauvre<br />

Laquedeem, j’ai bavassé comme ces vieux cons que je ne cesse de<br />

brocarder. J’ai bavassé, j’ai bavassé comme un fou, comme un soldat,<br />

comme une star de cinéma, j’ai bavassé, j’ai bavassé, comme un loup,<br />

comme un roi. Comme le guerrier que je ne suis pas Tu vois, j’ai<br />

bavassé comme ça…<br />

- Eh ! firent-ils très charmés, mais c’est du Lara Fabian, ça !<br />

- Si on ne peut plus se permettre une citation, me justifiai-je, babine<br />

de travers. Elle a un grand talent, vous savez ? Moins chiante qu’un<br />

prix littéraire et tellement proche de chacun de nous.<br />

- Cette manie que tu as de reconnaître tous les acteurs du présent !<br />

Tu ne te résoudras jamais à faire partie d’une maffia et à porter des<br />

œillères comme tout le monde ?<br />

- Jamais ! Et maintenant mon seul espoir réside en une jeune femme<br />

que je ne connais pas mais qui a écrit son numéro de portable au feutre<br />

rose, <strong>sur</strong> mon poignet gauche. Avouez que c’est modeste. Léger,<br />

même !<br />

- C’est un bon début, fit Moles, je connais des tas de gens au Collège<br />

de France ou à l’Académie qui n’en ont pas reçu autant en fin de carrière.<br />

J’éclatai de rire. Finalement ils me mettaient de bonne humeur.<br />

Mais Laquedeem me questionna d’une voix forte.<br />

- Monsieur, quel a été votre premier choix, quand vous avez su ? À<br />

quel livre avez-vous pensé ?<br />

- Finnegans wake, dis-je <strong>sur</strong>pris, il était <strong>sur</strong> mon lit, vous savez.<br />

- Alors, fit Moles, nous t’apportons un élément de réponse. Que va<br />

faire cette bombe ? De la réaction en chaîne. Quand chaque neutron<br />

cassera un noyau et en libérera d’autres qui en feront autant et ce sera<br />

l’avènement du soleil <strong>sur</strong> la terre genevoise, je crois que tu le sais.<br />

Je le savais. Je ne le concevais pas mais je le savais.<br />

- Dans la poésie, j’aime comparer les mots à des particules qui<br />

ouvrent ou brisent des masses de sens. J’appelle ça des bibliothèques.<br />

Combien de sens peux-tu mettre dans ces trois lettres « mer » ?<br />

108


- Oh ! Infiniment, dis-je sans réfléchir, presque toute ma vie.<br />

- C’est donc une vaste bibliothèque que tu as partiellement héritée<br />

et partiellement construite, tu es d’accord ?<br />

Je l’étais. La mer ça me dépassait, je n’avais envie que de m’y perdre,<br />

comme un grand poisson.<br />

- Voila, fit Moles, dans Finnegans wake, Joyce non seulement<br />

s’amuse à libérer les sens des mots mais encore il travaille <strong>sur</strong> la<br />

fusion de ces mots et des bibliothèques auxquelles ils appartiennent.<br />

Ce livre est explosif, il est critique, bien plus dangereux que ton missile.<br />

- Merde ! Ce n‘est qu’un livre, dis-je très secoué. Ce qui arrive est<br />

une bombe, nuance.<br />

- Ah ? Et le Big Bang ? C’était quoi ? Un livre ou une bombe ? Je<br />

crois que ton machin américain est très minuscule en comparaison de<br />

la Lumière originelle. Au commencement était le Verbe, t’en souvient-il<br />

Jacques ?<br />

J’en fus confondu mais je demeurai sceptique.<br />

- Je sais, dis-je avec lenteur, que tu attires mon attention <strong>sur</strong> une<br />

œuvre infiniment explosive. Je sais que je vais mourir dans une apocalypse<br />

déclenchée par un idiot qui ne signifie absolument rien. Mais<br />

franchement ça ne me console pas, ni pour moi, ni pour cette ville qui<br />

m’a accueilli. Je n’ai jamais eu vocation de virer statue de sel, croismoi.<br />

- Out brief candel, compléta Moles. Je t’ai connu plus pugnace,<br />

Jacques ! Que te faut-il de plus ?<br />

- Un joker ! (cri du cœur).<br />

- Facile. Quand tu verras cette Mirabelle, parle-lui de bibliothèques.<br />

Ça peut aider, tu verras.<br />

- Et d’Afrique, ajouta Laquedeem qui, pour la première fois de sa<br />

vie, m’adressa un coup d’œil du type entendu, style Alice Evans dans<br />

Une pour toutes.<br />

- Hinhin, fis-je, et comment allez-vous partir ? Par la fenêtre ?<br />

- Par la porte, dit Laquedeem. Depuis le temps que je parcours ce<br />

monde j’ai quelques problèmes de dos.<br />

Je comprends ça, fis-je. Qu’allez-vous faire Isaac ? Prier ? Revoir<br />

ce monde latin que vous avez tant parcouru ? Il a beaucoup changé,<br />

vous le savez mieux que nous.<br />

- Oh oui ! Mais vous savez, Monsieur, dans cette époque il y a<br />

109


d’autres options.<br />

Je me suis demandé comment un immortel pensait se faire soigner.<br />

Difficile à imaginer.<br />

Il eut un vaste sourire et, parvenant au chambranle (et des meilleures<br />

- pardon je n’ai pas pu la retenir celle-là) de la porte, se retourna<br />

à demi, l’air d’un conspirateur.<br />

- J’ai rendez-vous avec le Dr Martin.<br />

Je n’arrivais toujours pas à situer cet homme merveilleux. Passant<br />

de hasard ? Ou acteur masqué ? On verrait bien. J’avais un peu de<br />

temps.<br />

Et dans ma colonne, les corticoïdes s’affairaient toujours.<br />

110


J’assume…<br />

Il est amusant de noter que les religions dites réformées qui se sont<br />

bâties en contestation logique et intellectualisée des excès ecclésiastiques<br />

charnels de la Renaissance ont abouti au puritanisme contemporain<br />

où le plaisir est synonyme de péché. Comme toute idéologie<br />

dématérialisée, institutionnalisée, dans ses formes les plus caricaturales,<br />

il est devenu sectaire et castrateur, considérant que la réussite<br />

sociale était une preuve évidente du mérite personnel et de la volonté<br />

de Dieu. Une nouvelle génération de Pharisiens est née et l’on peut<br />

se demander si la qualité discutable de la cuisine anglo-saxonne n’en<br />

est pas l’une des expressions. La bonne chère est un plaisir et tout<br />

plaisir charnel doit être banni.<br />

Henri Laborit (Éloge de la fuite)<br />

Tenter d’exprimer l’amour et la détestation que nous inspirent le<br />

peuple américain et son gouvernement est devenu aujourd’hui d’une<br />

grande banalité.<br />

Moi (Du Nada à l’indicible)<br />

J’avais utilisé quelque part une expression qui m’est très naturelle,<br />

j’avais dit « mes amis américains » alors qu’à chaque page je semble<br />

vouer ces gens aux gémonies.<br />

Profondeur me regardait, souriante.<br />

- C’est vrai, tu as raison, lui dis-je. Je me contredis vachement. Mais<br />

j’assume. Pense un instant à ce Bush. Je suis littéralement sidéré de<br />

l’importance que nous accordons tous à ce minus. J’aurais même vu<br />

des Français être flattés de l’approcher dans les parages d’Omaha la<br />

sanglante. Pourquoi ? Un peu de poussière magique tomberait-elle de<br />

la bannière étoilée ? Rien que dans ce bouquin j’ai écrit vingt-six fois<br />

son nom. Ce que je suis con, moi aussi ! J’adore les Américains, je<br />

me suis toujours senti bien et éveillé dans leur pays. C’est l’image que<br />

leur foutu gouvernement m’en donne qui est à chier. J’ai tort. Je dirais<br />

même plus : je n’ai pas tout à fait raison. Je n’approuve pas mes réactions,<br />

tu sais. Quel manque de Zenzénité !<br />

Mais, tu sais quoi ? Au passage, je n’aime plus la France mais<br />

j’aime toujours le peuple français. Il est râleur, sublime, chauvin et<br />

111


généreux, ingouvernable, un peu con, bourré de superbes latencies,<br />

unique, quoi ! Avec, nord-sud, est-ouest son inimitable style. Je<br />

l’adore, de Gaulle mis à part, il a les Présidents qu’il mérite, je n’en<br />

dirai pas autant de nos petits frères d’outre Atlantique.<br />

Ne le répète pas, ça nuirait à ma carrière suisse qui m’est beaucoup<br />

plus importante que ces françailleries. Je serai sous peu The greatest<br />

writer of the french part of Switzerland, la date est tenue secrète mais<br />

tu vas voir. Quel pied ! Je n’aime que les titres en creux. Les meilleures<br />

couronnes sont celles qu’on se pose <strong>sur</strong> la tête. En massepain si<br />

possible.<br />

- Tu as quelquefois le courage et les objectifs de Roger Rabitt,<br />

remarqua-t-elle. Toujours brave torse !<br />

- Je l’espère. Il n’y a pas d’amours heureuses ? Je n’en jurerais pas,<br />

ajoutai-je. Il y a toi, il y a moi. Et pour ce qui est du monde, ce que<br />

j’ai appris de sûr c’est qu’il n’y a pas de bons gouvernements. Rien<br />

que de bons peuples. Je me retournai pour voir l’effet de ma tirade.<br />

Mais j’étais seul.<br />

Pour un petit moment, encore.<br />

112


De jour, Mirabelle LaNuit<br />

(Couleurs et voyelles d’Elle, III)<br />

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles<br />

Dans la colère ou les ivresses pénitentes<br />

Mirabelle avait fait un peu de Lettres à la Faculté, pas trop. C’était<br />

trop wasting floating à son goût, sans rapport avec la vie, Ou de si<br />

loin. Elle ne s’imaginait pas médecin, avocate, journaliste, femme de<br />

ménage, manager ou pute, ces professions avaient été pensées il y<br />

avait trop longtemps par des gens immobiles dans l’âme, sans imagination,<br />

la jeunesse avait besoin de flexibilité. Elle se fut intéressée à<br />

la sociologie, mais qui pouvait encore aller montant ce cheval fou ?<br />

L’étude des tempêtes humaines n’était pas inscrite au programme des<br />

universités, elle le regrettait. Elle comprenait son époque et <strong>sur</strong>tout le<br />

moment : il était plus important d’être vu et célèbre que talentueux,<br />

les gens chargés de rendre compte de la société s’étaient, suivant une<br />

pente connue, autoproclamés spectacle du temps présent. Les médias<br />

étaient le thème essentiel de la communication, ça ressemblait, en<br />

moins poétique, à cet étrange effet de miroirs qu’elle avait vu dans la<br />

chambre d’Artémis, chez André-François, le renvoi à l’infini d’une<br />

interrogation ici sans objet.<br />

Ça ne l’affectait guère mais elle avait une conscience aiguë de la<br />

guerre. Pas celle des généraux et des fanatiques. Pas celle des Juifs et<br />

des Arabes, ni celle que les fondamentalistes américains s’apprêtaient<br />

à livrer au monde pour as<strong>sur</strong>er leur standard de vie, ni Bagdad ni<br />

Kaboul, aucun de ces foyers infectieux qui semblaient pulluler dans<br />

l’époque, la guerre qui la faisait bouger était, autour d’elle, celle de la<br />

communication. Terrible ! Elle avait conscience de vivre sous le double<br />

signe d’une guerre de religion et de communication. La bataille<br />

religieuse ne perturbe pas les femmes si elles n’en sont pas les victimes.<br />

Leur nature les prédispose à ne pas tomber dans les errements<br />

théologiques violents des hommes et c’est sans doute ce qu’on leur<br />

reproche. Mais la guerre des messages frappe tout le monde. Mirabelle<br />

113


l’avait compris un jour en entrant, à Lyon, dans une librairie somme<br />

toute banale où elle réalisa qu’elle ne pouvait plus suivre le rythme<br />

des publications. Sur le seul plan des récits il y avait plus de sept cents<br />

romans dans une rentrée de septembre déjà orchestrée en juin et, on<br />

ne le disait pas trop haut, une fausse rentrée de février, avec pratiquement<br />

autant de titres. Elle qui adorait la compagnie d’un bon livre<br />

avait retenu cet enseignement : le chaos sera atteint quand il y aura<br />

autant d’émetteurs que de récepteurs. De plus elle n’acceptait pas les<br />

critères vieillis et corporatifs de la Faculté en matière de livres. Y<br />

avait-il des lois qui équilibraient quantité et qualité dans les messages<br />

contemporains ? Les réserves de génie étaient-elles comme les puits<br />

de pétrole ? Pouvait-on les assécher ? Se pouvait-il que trop de messages<br />

érodent leur propre contenu ? Ce qu’elle ressentait était assez<br />

simple : la pression constante de tous ces canaux omniprésents, les<br />

voix ensevelies, une difficulté d’être comme elle le souhaitait, simple,<br />

claire.<br />

Elle aurait pu résumer cette situation en parlant de diffusion poubelle.<br />

Les éditeurs affolés par les marchés lâchaient leurs immondices<br />

plus vite que les Américains leurs tapis de bombes <strong>sur</strong> les Aliens de<br />

la planète. Elle avait lu dans elle ne savait plus quel canard un<br />

essayiste français qui avait retenu son attention, un nommé Guillebaud.<br />

Son livre <strong>sur</strong> la sexualité était ringard mais ses commentaires alarmistes<br />

<strong>sur</strong> la dérive des médias et la parole empêchée à retenir. « En<br />

temps normal, avait-il dit, jargonnant à peine, tout se passe comme si<br />

la parole ne devait jamais accéder à sa pleine et ontologique dignité ».<br />

C’était pompeux mais vrai, on préférait le parler au « laisser parler ».<br />

Ce type eut été <strong>sur</strong>pris de la compréhension d’une fille de cet âge. Les<br />

effets de la <strong>sur</strong>information étaient aussi nocifs que ceux de la désinformation.<br />

MirabelleVraie le savait, elle qui Était. Évitant les discours<br />

catastrophes des médias elle s’était tournée vers ce qui lui paraissait<br />

réel. Elle avait eu envie d’étudier une forme particulière de la chorégraphie<br />

et c’est pour cette raison qu’elle avait ciblé Jacques chez<br />

André-François, il avait parlé de son premier livre qui avait pour<br />

sous-titre « Roman policier théologique et faiblement sexuel ». Le<br />

faiblement ne l’avait pas découragée, ce type, avait-elle pensé, devait<br />

avoir une ou deux idées de la discipline qui rapprocherait la danse,<br />

dieu et le corps.<br />

114


Pour l’heure elle avait entrepris d’éduquer André-François, pour<br />

s'amuser. Que chacun se ras<strong>sur</strong>e, cette femme qui aimait voir son nom<br />

varier à l’infini, Mirabelle AdMirabelleDesMers, n’était pas du genre<br />

dominateur. L’humour léger était son unique cravache. Elle voyait<br />

s’ouvrir devant elle des perspectives de sens, d’idées et de parfums et<br />

s’y engouffrait, à la chasse de nouveaux pays fertiles, en inaltérable<br />

curieuse.<br />

- Une femme, lui dit-elle entre trois sourires aberrants, sa main fine<br />

posée <strong>sur</strong> son épaule, ébouriffant parfois les cheveux du trop sérieux<br />

banquier, une héroïne - ce que je rêve d’être - ne doit jamais se donner<br />

à son héros le premier soir. Tu n’es pas d’accord ? Ce serait ramener<br />

l’intrigue amoureuse à la banalité de la fabula humaine : un homme<br />

rencontre une femme, ils couchent ! Quel résumé ! Ils ont laissé le<br />

meilleur. Une longue, frustrante et incendiaire attente.<br />

- Mais, objecta le transi, c’est, euh… c’est ce qu’on a fait ?<br />

- Tu l’auras rêvé !<br />

Mirabelle qui aimait la compagnie de cet homme s’adonnait <strong>sur</strong> lui<br />

à l’étude raisonnée des chaleurs critiques. Savoir jusqu’où elle pouvait<br />

le mener avant que ne se produise la réaction en chaînes. Ça<br />

restait soft. Même quand elle s’adonnait à l’étude de la vivisection<br />

amoureuse <strong>sur</strong> son amour de banquier. Elle s’éparpilla en rires doux,<br />

ils étaient dans la Maison <strong>sur</strong> Achéron où vivait André-François, on y<br />

voyait l’Arve, au pied d’une falaise, ce fleuve où de nuit s’expriment<br />

les morts, des millions de galets bougés par les eaux, reproduisant le<br />

chuintement de la nuée des âmes. On y voyait aussi le mont Salève et<br />

son enfant, à qui les Frouzes avaient fait de si laides entailles de carrières<br />

; on y devinait les pays du Sud, vers Valence, vers cette vallée<br />

du Rhône qui apportait régulièrement à <strong>Genève</strong> ses entrées d’air<br />

maritime, des nuages, de merveilleux nuages pleureurs. C’était un bel<br />

endroit, convoité par des voyous, habité par quelques grandes âmes<br />

qui en dissimulaient l’accès.<br />

- Que doit-elle faire ? s’enquit André-François, revenant au thème<br />

mirabellien de la femme qui ne doit pas se donner trop vite et, idéalement,<br />

jamais. Il la détaillait du coin de l’œil, n’osant le faire ostensiblement,<br />

incapable d’user du fameux coup d’œil évaluateur mascu-<br />

115


lin, des pieds à la chevelure, remonter avec une savante lenteur.<br />

C’était un truc de macho, il fallait savoir s’y prendre pour éviter la<br />

rebuffade. Il faut reconnaître qu’elle était divine. Mirabelle qui affectait<br />

la ligne pop, portait un pull blanc à col cheminée (88 euros), un<br />

ciré gabardine jaune vif (64,99 euros), à peine plus long que la mini<br />

luisante de lycra noir (21,40 euros), ornée d’un zip asymétrique. On<br />

avait le sentiment de pouvoir l’ouvrir d’un geste diagonalement foutral<br />

du sexe à la hanche, c’était très suggestif. D’impeccables collants<br />

blanc n’yvoirien (6 euros) se heurtaient à la blancheur agressivement<br />

lumineuse de souples bottes à mi-mollet (120 euros).<br />

Elle était craquante mais André-François n’avait toujours aucune<br />

idée des intentions de la sublime et changeante MirangeBelle DeNuit.<br />

Il se demanda au passage pourquoi elle aimait tant que l’on varie sans<br />

cesse son nom, aucune réponse ne traînait à sa portée. Cette fille était<br />

peut-être une version light du chaos ? Ou le changement, sous belle<br />

apparence ? Il lui posa la question.<br />

- Si on nous l’enseignait ! fit le casque de cheveux noirs. C’est écrit<br />

quelque part en nous, je crois.<br />

- Mais, jolie-jolie, que fais-tu avec un homme de mon âge ? Tu ne<br />

me demandes même pas d’argent !<br />

- Je t’écris, dit-elle avec un grand sérieux. Tu es un livre presque<br />

vierge, comme un jeune chien. Ce devrait être l’inverse mais, nous les<br />

femmes, nous sommes des animaux très pratiques, je t’écris mon<br />

amour de petit homme d’affaires. Et mes versions vont devenir très<br />

fantaisistes. Aussi fantaisistes qu’il te sera nécessaire pour devenir ce<br />

que tu es.<br />

- Je les trouve suffisamment imprévisibles, bougonna AF.<br />

- Tu veux rire ? Tu n’as encore rien vu. J’adore m’imaginer dans<br />

une comédie. Des rôles, une fin jamais écrite. Nous sommes des actrices<br />

jetées <strong>sur</strong> une scène. Nous connaissons le sens général de la pièce<br />

mais quelqu’un nous a retiré le texte. Alors ? Nous improvisons. Les<br />

hommes se souviennent longtemps de nos textes. Normal ! Nous<br />

allons les pêcher dans leur tête. Tu sais, c’est d’une grande monotonie<br />

ce que vous attendez de nous. Tout ce que nous devrions être, dire,<br />

bouger, faire avec nos pieds, nos jambes, nos épaules ; les regards<br />

qu’il faudrait vous lancer, nos évitements, nos atterrissages en cata<br />

116


dans vos désirs, lalalala ! Mais nous restons vaillantes. Nous créons<br />

nos scripts : il en est de bons mais point de délicieux. Quoique…<br />

Elle désigna la, piscine emplie d’une eau verdâtre.<br />

- Tu ne la fais pas nettoyer ?<br />

- On va s’y mettre, le printemps arrive.<br />

- Il est là ! Tu ne le vois pas ? Mais qu’est-ce que cette pierre au<br />

fond ? Cette espèce de grande dalle ?<br />

Elle descendit les marches du perron et mit les mains devant ses<br />

yeux pour se protéger des reflets.<br />

- Oh ? Il y a une inscription. Je lis… Sybil… non attend, Sci…<br />

Scylla ! Quelle étrange idée ? Quel en est le sens ?<br />

- Aucune idée, fit André-François. C’était là quand j’ai acheté la<br />

maison. Et on m’a conseillé de ne jamais desceller.<br />

- Je vois, fit MireAlteBelle, je vois. C’est ce genre de phrase que tu<br />

vas comprendre en te révélant à toi-même.<br />

- Probablement, admit le banquier gêné. Si ça m’arrive.<br />

Elle agita le doigt « Au moins deux fois par vie, tu sais ? »<br />

- Mmmm ?<br />

Un ange passa, silencieux, haut degré de finesse.<br />

- Landing (elle réprima un trop grand sourire) et… take off !<br />

Partir, revenir, naître et mourir. Il ne décoda pas vraiment la remarque.<br />

Ils rentrèrent dans la maison. Il y avait de vieux bois sombres,<br />

quelques tableaux, beaucoup d’espace. Dans un vase gris bleuté un<br />

rose achevait de se faner.<br />

- J’avais pourtant demandé qu’on la mît dans de l’eau, ragea la maître<br />

de maison. Il faut tout faire soi-même.<br />

- À qui le dis-tu ! sourit MireDesBelles, à qui le dis-tu. Allez, viens<br />

avec moi, j’ai envie d’écrire un nouveau chapitre, qui parle de toi. Ça<br />

marche ?<br />

- Ça marche, tremblota André-François, c’est sûr que ça marche,<br />

euh, attends-moi, je vais prendre mes affaires. Où va-t-on ?<br />

- Ou le vent nous mène bien sûr, souffla-t-elle, le regardant quitter<br />

la pièce.<br />

Elle caressa la fleur avec douceur, il y avait une lumière qui descendait<br />

de ses yeux.<br />

La rose revint à la vie.<br />

117


118


Confessions d’un Genevois du siècle (planète)<br />

(Minute restituée)<br />

Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas<br />

de plaire… Ne cherchons pas de raisonnement pour nous empêcher<br />

d’avoir du plaisir.<br />

Molière (Courtesy of Jean d’Ormesson)<br />

Boulez fut évidemment la grande rencontre qui changea ma vie.<br />

François Lachenal, l’homme du Collège de Pataphysique (mais je le<br />

soupçonne d’avoir appartenu à des confréries tout à fait rares et puissantes)<br />

m’avait littéralement envoyé le rencontrer à Darmstadt, sans<br />

me consulter. « Ce que tu fais ici est magnifique, » m’avait-il dit le<br />

soir de mon premier concert au Conservatoire, « mais tu perds ton<br />

temps. Il faut aller là où l’action se passe. Et c’est Darmstadt. Les<br />

révolutions sont quelque chose qui s’organise » ajouta-t-il avec un<br />

sourire indéfinissable. Je m’y rendis, un peu perdu. Il y avait le monde<br />

entier de la musique nouvelle, disons entre cinquante et cent personnes.<br />

C’est beaucoup, car si l’on parle du monde entier de la physique<br />

nouvelle à peu près à la même époque, on eut dénombré de cinq à dix<br />

cerveaux. Boulez lut mes partitions et m’accepta parmi ses élèves.<br />

Nous étions cinq, c’était en 1958, à Baden Baden. J’ai tant écrit <strong>sur</strong><br />

lui qu’il me paraît futile d’ajouter quelque chose ici. C’était un maître,<br />

il le restera à vie. Il enseignait avant toute chose une attitude<br />

devant la musique. Une exigence et une certaine intransigeance. Avec<br />

lui, j’ai appartenu au clan des musiciens engagés et, disons-le, assez<br />

intolérants. C’était nécessaire, une révolution était en marche, il n’y<br />

avait pas de place pour les tièdes et les hésitants. Les méthodes de<br />

Boulez étaient aussi militaires que monacales. Il s’imposait une<br />

stricte discipline et en attendait autant de ceux qu’il emmenait avec<br />

lui. J’aimais. Ça ne me rebutait pas. Quelquefois mon téléphone sonnait<br />

et je reconnaissais sa voix. Je prenais ma voiture et je montais à<br />

Baden Baden, à n’importe quelle heure, n’importe quel jour. Il me<br />

119


consacrait une heure, trois jours, il me proposait de suivre ses répétitions<br />

avec le Sudwestfunk, j’allais. Il n’était jamais question d’argent,<br />

c’était un homme hyper courtois et drôle. Quand on a la chance de<br />

rencontrer un véritable maître et d’être accepté on ne discute pas !<br />

Bien des années après je suis revenu à une autre forme d’expression<br />

musicale, assez distante de la sienne. N’est-ce pas Nietzsche qui a dit<br />

que « le meilleur cadeau qu’un élève peut faire à son maître est de le<br />

dépasser ? » Il ne s’agissait pas de le dépasser, il s’agissait de choisir<br />

ma propre voie. Contrairement à la plupart de ses élèves, je n’ai<br />

jamais eu aucun conflit avec cet homme. Je ne sais pas ce qu’il pense<br />

de moi, vous venez de prendre connaissance de mon jugement <strong>sur</strong> lui.<br />

Il reste beaucoup à dire à son propos. J’apporterai peut-être ma contribution<br />

une autre fois, il faut y consacrer de la place. Parallèlement à<br />

cet artisanat furieux, je satisfaisais mes désirs de pilote frustré à cette<br />

époque, car généralement je rentrai à <strong>Genève</strong> de nuit. Avec ma vieille<br />

Porsche. Je me jouais le scénario des vols de nuit militaires, la route<br />

était à moi, je rentrai à la base aux instruments (j’ignorais qu’un jour<br />

je commencerais à piloter des avions), je ne déconnais pas trop, ces<br />

voyages au bout de la nuit étaient magiques. C’était une autre époque,<br />

il n’est plus temps de s’amuser de la sorte.<br />

Avec Boulez il fallait (tacitement) adopter une vie assez monacale<br />

et renoncer à ce qu’il devait considérer comme une forme d’impermanence.<br />

Les femmes n’avaient aucune place apparente dans sa vie. Il<br />

se voyait réussir sa trajectoire en solitaire. Je savais, de mon côté,<br />

qu’aucun homme ne réalise quelque chose de grand sans qu’une<br />

femme soit à ses côtés. Sans aller jusqu’à Cosima, c’était une règle<br />

vérifiable.<br />

Un jour, j’ai décidé de renouer avec l’héritage poétique de mon<br />

enfance. En 1972, quand j’ai emmené pour la première la Philharmonie<br />

de Stuttgart au Victoria Hall à <strong>Genève</strong>, j’ai donné la première du<br />

Chant remémoré, une œuvre que je venais d’écrire pour quatuor vocal<br />

et grand orchestre. Ce titre n’était pas innocent. C’était un adieu aux<br />

terres pures et dures de la révolution. Je disais « Merci ! et Salut !<br />

Vous m’avez beaucoup appris et maintenant, avec tous vos trésors, je<br />

reviens aux musiques sources de mon enfance. » Mais avec un savoir<br />

de plus, une technique. Je n’allais jamais plus m’interdire un trait de<br />

120


cordes ou un accord mineur, qui dans les années cinquante n’étaient<br />

pas tolérés. Si je sentais qu’ils trouvaient leur place dans le récit je les<br />

intégrais. C’était ma liberté retrouvée, mon chant remémoré. Les écoles<br />

fanatiques sont nécessaires à ceux qui peuvent, le moment venu,<br />

les dépasser. L’ai-je fait ? Je n’en sais rien et sincèrement je m’en fous<br />

un peu.<br />

Ce qui me passionnait c’était les femmes, une femme, la planète et<br />

ses mers. La planète, ce sont les femmes qui me l’ont enseignée.<br />

Comme je n’étais qu’aisé - on vivait bien ces années-là sans avoir<br />

besoin de beaucoup d’argent, la détestable mentalité américaine ne<br />

nous avait pas encore contaminés - je pouvais, sans trop de ruses et<br />

d’acrobaties satisfaire mon besoin de voyage, de mer, d’autres horizons<br />

et <strong>sur</strong>tout de rencontres. Il y avait toujours beaucoup d’agitation<br />

sociale mais je m’y identifiais moins. Roger Aubert, après avoir tenté<br />

de me « finir » ce fameux soir noir, se pointa pour m’offrir sa succession<br />

à la direction de la radio et télévision romandes. La roue tournait.<br />

Ma décision fut vite prise, c’était « très honoré Roger ! Mais Non ! ».<br />

Je ne me suis pas trompé, mais j’ai acquis, avec le temps, un ami<br />

merveilleux.<br />

Il y avait aussi Michel Butor et sa jardinière qui passaient par là,<br />

nous avons écrit ensemble une œuvre pour récitant et orchestre,<br />

Zornagore, qui a troublé quelques banquiers genevois. « Comment<br />

nommer l’argent ? », beuglait Butor, face au public, « Tu l’appelleras<br />

glace des creusets ! » poursuivait-il. L’orchestre commentait et les<br />

loges des maîtres de la finance privée en frémissaient d’indignation.<br />

Cette idée de décrire l’argent comme glace d’un creuset, c’est-à-dire<br />

comme infertile, était pointue ! Nous avons édité cette œuvre dont il<br />

reste une centaine de plaquettes, on s’amusait bien, condition indispensable<br />

pour être créatif. <strong>Genève</strong>, dès le début de mon parcours, était<br />

une belle ville harmonieuse mais il est probable que la misère y ait été<br />

bien dissimulée. Je n’ai souvenir que d’une cité calme et lumineuse,<br />

d’un lac aux eaux claires. Elle conserve encore cette distance du<br />

monde extérieur (ténèbres extérieures ?) mais au propre comme au<br />

figuré, avec le temps, elle est devenue taggée, un inutile G8 ayant été<br />

le sommet de cette initiation au bruit et à la rogne sociale, colère étant<br />

bien trop noble ici. Certaines beautés secrètes (et intactes) de cette<br />

121


ville et les bandes dessinées de Töpffer me paraissaient souvent être<br />

les seules genevoiseries dignes d’être sauvées, personne n’avait<br />

jamais retrouvé l’altitude de M. Vieux Bois devant l’Objet aimé.<br />

Il <strong>sur</strong>nage un souvenir qui peut paraître peu sérieux, celui du Moulin<br />

à Poivre, un cabaret monté par des jeunes, qui me forma beaucoup et<br />

dont je fus le tapeur (c’est ainsi que les comédiens appellent les pianistes).<br />

Les acteurs et artistes divers que j’y côtoyais devinrent tous<br />

des personnages actifs dans la vie de la cité. Michel Soutter le poète<br />

et cinéaste, Guillaume Chenevière ex-patron de « notre » télévision et<br />

homme de théâtre, Bernard Haller, d’autres. Comment faisais-je pour<br />

accompagner des acteurs en jazz, dans l’opéra de quat’sous, en pseudo-classique,<br />

à la Offenbach et dans toute sorte de parodies alors que<br />

je me consacrais à Chopin et à Bach et que je commençais à écrire<br />

quelques balbutiantes partitions ? Il n’y avait chez moi aucune contradiction.<br />

Je me refusais à séparer grande culture de sous-culture. Je ne manquais<br />

jamais un récital d’Alfred Cortot et, quelques années après, de<br />

Bécaud ou de Sydney Bechet, lequel me donna même une leçon de<br />

saxo soprano, ce dont je restai fier comme un pou. Le cabaret, l’art<br />

populaire vivant et, à venir, les mondes théoriques de Darmstadt<br />

m’ont forgé comme je suis encore aujourd’hui. Libre. Adorant les<br />

abstractions et la recherche expérimentale. Mais totalement réticent à<br />

emmerder mes auditoires avec des théories pompeuses et une langue<br />

de bois qui faisait déjà fureur à ce moment-là. Je crois qu’il n’y a pas<br />

de bonne confession sans qu’à un moment ou un autre on se déclare<br />

naïf. Allons-y ! Ça m’arrivait plus souvent qu’à mon tour. Mais ça<br />

préservait mes yeux d’enfant.<br />

Je n’aimerais pas terminer ce chapitre « planète » sans parler des<br />

sports que j’ai eu la chance de pratiquer. Je l’ai déjà dit, je suis très<br />

fier d’avoir passé mes brevets de moniteur de plongée et de pilote.<br />

Bien plus que des autres titres que l’on a eu la bonté de m’accorder.<br />

Pourquoi ? Probablement parce que dans ces deux disciplines on<br />

assume un risque réel. On ne parle pas, on agit. J’avais le goût de<br />

mettre ma vie en jeu, c’est vrai. J’ai été motard de longues années et<br />

ça me manque ! Ça ne faisait pas de moi un casse-cou, mais il m’est<br />

souvent arrivé de devoir affronter des situations extrêmes. Il fallait<br />

122


garder son sang-froid en dirigeant un orchestre. Si on ne le faisait pas<br />

on risquait d’agacer les auditeurs et d’avoir de mauvaises critiques<br />

pour une fois fondées. Mais dans les grands fonds ou en altitude dans<br />

les nuages j’avais à prendre des décisions vitales de manière continue.<br />

Ça me convenait. Affronter, gérer et se montrer bien discipliné me fut<br />

toujours gratifiant. Si j’avais mal tourné je serais probablement devenu<br />

militaire de carrière…<br />

La nuit, quand s’éteignent les passions, quand « tout dort et je<br />

veille », il me semble parfois être parvenu à faire coexister des personnages<br />

aussi divers et contradictoires que le Marginal, le chef d’orchestre,<br />

le moniteur de plongée, l’enfant blond et l’homme qui aimait<br />

les femmes.<br />

Plus tard, je devais aussi apprendre à geler le monde. Les animaux<br />

savent le faire, notre civilisation et en particulier l’église nous l’ont<br />

interdit. Geler le monde n’est pas agir <strong>sur</strong> les autres. C’est arrêter son<br />

temps subjectif. C’est entrer dans la vérité du présent. Dans une<br />

grande difficulté, une grande douleur, une joie extrême on a besoin de<br />

ce pouvoir. Là où la plupart s’évanouissent ou se laissent aveugler<br />

nous pouvons ouvrir une porte <strong>sur</strong> le non-temps. Il faut discerner que<br />

chaque chose est d’égale importance. Un deuil, une pierre, le vent.<br />

Que rien n’est prioritaire. C’est une pratique des naguals du désert de<br />

Sonora et, en plus général, des mystiques selon Castaneda et d’autres<br />

visionnaires. Une pratique de guerrier.<br />

Mais vous voyez : parler de moi me barbe. Ce qui précède n’est pas<br />

très compréhensible. J’ai fait un effort louable pour sortir de ma<br />

besace quelques figures hors du commun. Mais si je m’ennuie à<br />

raconter ma vie je n’ose penser à vous qui me lisez… Une pensée me<br />

traverse :<br />

Nos bles<strong>sur</strong>es sont le front d’ondes de nos théories.<br />

Aux pieds de qui venait mourir cette écume ?<br />

Je n’en savais rien et, revenu dans ce réel, je commençais à m’aper-<br />

123


cevoir qu’un nouveau type d’œuvre était en voie d’apparition.<br />

L’œuvre multisources, multipères, revisitée. Par exemple la Divine<br />

Comédie de Messieurs Dante et Eco. Il faut absolument que je vous<br />

en parle ici ou là. Et si vous n’en trouvez pas la description dans ce<br />

bouquin c’est que les six minutes auront été mal employées. Que<br />

Mirabelle n’aura pu jouer son rôle. Que je n’aurais pas eu le temps.<br />

Pas le temps.<br />

Même en courant.<br />

124


Du bon usage des fantasmes<br />

(Minute fétiche)<br />

Que se passait-il ? J’avais eu l’imprudence de rêver la destruction<br />

de cette cité, elle était en route. J’allais devoir décrire la fin de la Ville<br />

du bout du lac et m’apercevoir que c’était mission impossible. Je<br />

m’étais mis à étudier sérieusement la constitution des bombes-haches<br />

et le Dr Martin apparaissait à tous les angles durs de cette narration.<br />

Heureusement, il n’avait pas viré sérial piqueur. Il m’avait laissé un<br />

énigmatique émail : « Lenteur ! Régime sans selle. Corticoïdement<br />

vôtre ». Bush était un sale con mais il avait le doigt <strong>sur</strong> les vannes du<br />

feu du ciel et même le Fahrenheit 9/11 de Michael Moore n’allait pas<br />

le stopper à temps. Quand à Mirabelle, je traversais un instant de<br />

doute. Elle justifiait son nom. Elle était belle autant que mirage, miracle,<br />

mire-ange et baie céleste, elle, l’étrange casque aux cheveux<br />

noirs. Mais que venait-elle faire en cette galère ? Je ne savais pas.<br />

J’eusse été incapable de vous fournir la queue de l’ombre d’une explication.<br />

Tout ce que je savais, c’était qu’elle détenait un pouvoir, mais<br />

lequel ? Et <strong>sur</strong> quoi ? Ou qui ? En attendant d’en savoir plus, je décidai<br />

de me mettre à fantasmer <strong>sur</strong> elle. Mmmm, ce serait à coup sûr<br />

délicieux. On ne savait jamais, un peu de libertinage, une goutte de<br />

plaisir avant la fin du monde, décharger ses épaules d’une inendossable<br />

responsabilité, ça ne pouvait que me faire du bien et c’était toujours<br />

autant que les amères loques n’auraient pas.<br />

Considérant les mœurs actuelles - que je ne réprouve pas tant que<br />

ça - je me rendis à l’évidence. Je ne savais pas au juste ce qu’était un<br />

fantasme. Comme tout le monde, je liais le fantasme au sexe, mais il<br />

y avait beaucoup d’autres étages. J’avais eu le fantasme d’être chef<br />

d’orchestre et je l’avais réalisé. Celui de piloter des avions, ça avait<br />

été plus long mais je l’avais fait. D’autres avaient eu des fantasmes<br />

de puissance financière, militaire ou politique et, invariablement, ils<br />

en étaient morts, plus ou moins douloureusement. Mieux valait en<br />

rester au domaine du sexe. Mais justement, les fantasmes sexuels -<br />

125


dans la me<strong>sur</strong>e où ils existaient - étaient tellement traqués par la<br />

presse, la TV et toute sorte de diffuseurs qu’ils étaient en voie de<br />

disparition. Mis à l’air, ils devenaient des pratiques et perdaient leur<br />

qualité de fantasmes, qualité éthérique comme impalpable, si je puis<br />

dire. Je cite souvent l’animal mythique de Lewis Caroll, le Snark<br />

version Boojum. Cette créature, qu’on peut concevoir comme on<br />

veut, dragonne, mante, licorne, oiseau fou, religieuse patineuse,<br />

contractuel nu, slime denté, etc., est réellement un fantasme en ce<br />

qu’elle ne se laisse jamais saisir. Et quelquefois embarque avec elle<br />

le fantasmeur vers une destination inconnue.<br />

Pour fantasmer <strong>sur</strong> Mirabelle il me fallait un point d’appui. Je n’en<br />

avais aucun.<br />

Je savais qu’elle dansait divinement bien, qu’elle faisait bouger<br />

l’espace mais elle n’était de loin pas la seule à pratiquer cet art de<br />

femme. Je savais qu’elle avait un casque de cheveux noirs mais une<br />

foule de flammes en arboraient, dont la fameuse Hypocrite de Forrest.<br />

Elle avait écrit son numéro de portable <strong>sur</strong> mon poignet gauche. Mais,<br />

si ça ne m’allumait pas plus que ça, je ne pouvais plus penser à une<br />

autre, j’étais scotché à son mystère, elle avait, avec grâce, ouvert<br />

devant moi une de ces foutues avenues d’amours imaginaires. La<br />

garce ! La plaisante manière de s’approprier un mental masculin !<br />

Comme je faisais partie de ces abrutis qui ne bandent pas devant un<br />

solitaire (et glacé) point d’interrogation, il me fallait un rien, un petit<br />

fétiche, le son de sa voix <strong>sur</strong> ma combox, quelque chose pour démarrer.<br />

Je n’osais espérer une chaus<strong>sur</strong>e, c’eut été trop.<br />

Sur quoi je me suis souvenu de mon copain Marvin Acmé, cet<br />

Américain qui avait fait fortune en vendant des Toons, un autre style<br />

de fantasmes, et qui s’était installé avenue Président Wilson, dans un<br />

modeste 600 m 2 . Il m’avait fait les honneurs de ses appartements de<br />

célibataire, c’était somptueux. Le trésor d’Acmé était une suite hallucinée<br />

de placards dans lesquels il collectionnait trois sortes d’objets.<br />

Les chaus<strong>sur</strong>es qu’avaient portées ses maîtresses pour lui et ça n’était<br />

pas triste. Les chaus<strong>sur</strong>es qu’il voudrait leur faire porter et celles<br />

qu’elles avaient refusé de poser, en pied, pour lui. Le tout totalisait<br />

pas loin de mille paires, du moins le laissait-t-il entendre. Ça m’avait<br />

126


amusé. Le fétichisme du pied (et de la chaus<strong>sur</strong>e) est une occupation<br />

pas méchante, jouissive, coûteuse, répandue et qui provient du mix de<br />

très vieux mythes avec la pub de ce temps. Les femmes adorent les<br />

chaus<strong>sur</strong>es, je me souvins d’Éliane, une belle et brillante marxiste qui<br />

faisait trembler tous les mecs des cellules gauchistes qu’elle hantait<br />

dans les années soixante-dix. J’avais été <strong>sur</strong>pris de découvrir que,<br />

pour l’envoyer au septième ciel et la voir rayonner du féminin, il suffisait<br />

de l’emmener en Italie acheter des godasses. Ou même en ville,<br />

à <strong>Genève</strong> ou Annemasse, capitale du vice de l’establishment genevois.<br />

Je ne vais pas vous donner un cours <strong>sur</strong> le fétichisme du pied et<br />

de la chaus<strong>sur</strong>e, d’autres l’ont brillamment tenté et se sont tous cassé<br />

la figure. On ne réduit pas les variables érotiques à une formule ou<br />

une classification simpliste. Marvin avait un fantasme égoïste et je<br />

reconnais qu’il le pratiquait bien. À ce que m’avaient confié ses amis<br />

peu de femmes lui avaient résisté. Le « Marvin’s deal » était aussi<br />

simple qu’efficace « je t’offre la paire de chaus<strong>sur</strong>es que toi et moi<br />

désirons, tu les portes pour moi et plus si entente ». Les méchantes<br />

langues disaient qu’il les achetait toujours en triple exemplaires. Un<br />

pour l’usage, un pour le cadeau et un pour son musée. L’usage,<br />

euhhh… sous-entendait que la première paire risquait fort d’être bio<br />

dégradée.<br />

Nous avons discuté des nuits entières de cette passion que je partageais,<br />

mais modestement, en amateur éclairé si je puis dire, et je me<br />

suis amusé à lui faire le coup d’Achille. Vous savez, Achille et la<br />

tortue ? Je persuadais Marvin que, comme Achille, jamais il ne rattraperait<br />

l’objet de son désir, même en courant. Que faisait-il ? Il chassait<br />

et c’était méga cool hypertop fun. Il chassait, chaussait, déchaussait<br />

et se délectait (n’espérez aucune délicieuse précision bande de<br />

vicelards, je suis rangé des Rolls). Puis il classait. Après la chasse à<br />

chausse, quelquefois à courre, ce qui n’était pas impensable dans son<br />

vaste érotodrome.<br />

Nous aimions en parler.<br />

- Pourquoi ce fétichisme ? demandais-je, pourquoi le pied de la<br />

femme ?<br />

- Je m’estime heureux, me répondait-il. Imagine que, comme les<br />

Japonais, je sois attiré par les petites filles en souliers plats, chaussettes<br />

et jupette style pensionnat ? Okay ? Ou pire, par les femmes qui<br />

127


portent des chapeaux ridicules ? Où qui s’habillent en flic ?<br />

Il y avait tant de gazillons de possibilités de fixation érotique que je<br />

lui donnais raison. J’en connaissais quelques dizaines mais l’imagination<br />

n’est pas me<strong>sur</strong>able. Le pied, c’était le pied ! On adorait celui de<br />

la femme tout en prenant le sien… Après le « comment », venait<br />

naturellement le « pourquoi ».<br />

- En parler ne me dérange pas, disait-il, pas avec toi en tous les cas.<br />

Note que c’est un exercice illusoire et que, fatalement, nous allons<br />

tourner en rond. As-tu déjà observé les rites et parures amoureuses<br />

des animaux ? Ça fonctionne à l’envers !<br />

J’en avais une petite idée. J’avais élevé un poisson combattant, un<br />

betta splendens thaïlandais. Un beau mâle en dégradés de bleus avec<br />

une nageoire rouge sombre. Sa femelle était insignifiante, modeste,<br />

sans parure. Et comme tout le monde j’avais observé les superbes<br />

parures des animaux mâles. Nos femelles avaient inversé la règle du<br />

jeu, modifié les rites. Elles s’étaient adjugé la parure et en avaient<br />

poussé les limites à l’extrême. Ou peut-être les y avions-nous poussées<br />

?<br />

- Haha ! fit Marvin qui suivait le cours de ma pensée. Haha ! Tu<br />

saisis la notion de parure, verdad? Je suis dans la norme. Je suis<br />

déplorablement normal ! J’aurais pu être un amateur de fesses ou,<br />

comme dans mon pays, de gros seins.<br />

- Tu veux dire de jupes ou de soutifs ? lui opposais-je perfide, c’est<br />

la parure qui t’attire. Que la parure.<br />

Il en devenait rêveur.<br />

- C’est fou ce qu’on fait avec un bout d’étoffe ! Les stylistes ont<br />

encore de beaux jours devant eux.<br />

- Tu fais aussi dans les bottes ? demandais-je, histoire de mieux<br />

l’imaginer.<br />

- Wow ! Non ! C’est une autre catégorie, tu sais.<br />

- Et pourtant c’est super-demandé, Marvin. Depuis quelques dizaines<br />

d’années on a inventé un univers de bottes proprement indescriptible<br />

et hautement excitant pour les hommes.<br />

- Je sais, Jack, mais mon truc c’est la bride. Le lacé. Le pied savamment<br />

dénudé. Les orteils offerts. Une jambe ligotée à la romaine. Un<br />

peu de cuir <strong>sur</strong> un talon et une lanière qui remonte les chevilles, le<br />

mollet, du…<br />

- Stop ! Stop ! faisais-je, je connais, j’adore, nous adorons, elles<br />

128


adorent et c’est illimité. Somme toute tu n’aimes pas les femmes<br />

nues.<br />

- Tu as raison, les femmes nues m’emmerdent, je les laisse aux<br />

peintres.<br />

- Ils en sont revenus, glissais-je. Mais, ce qui te permet à toi de<br />

fantasmer, c’est la chaus<strong>sur</strong>e, cette petite valeur ajoutée…<br />

- Petite ? Colossale, hurlait-il. Pour moi ça touche à la religion. Je<br />

vénère les pieds des femmes et, crois-moi, elles adorent ça. Les femmes,<br />

Jack, les femmes sont con… concon, conne, comme, euhh ?<br />

- Complices ? suggérais-je.<br />

- That’s the right word ! Tu sais, même un con friqué comme moi<br />

réalise qu’une femme c’est un continent. J’avais rêvé de produire une<br />

Toon vraiment désirable. La super-femme virtuelle. Je ne suis arrivé<br />

qu’à Jessica Rabbit… Je me suis fait une raison. Je ne ferai jamais le<br />

tour d’une seule femme réelle, c’est pire que la mer. Elles peuvent<br />

tout, elles sont ouvertes et attentives à tous nos désirs si nous savons<br />

nous faire accepter. C’est pourquoi je leur dis toujours à toutes à quel<br />

point je leur suis reconnaissant d’accepter ma nature et ma nullité. Je<br />

n’en suis pas sûr mais… c’est peut-être pour ça que je tombe à leurs<br />

pieds. C’est sûrement ma place. De plus, je le fais dans le plaisir. J’ai<br />

essuyé des refus, je ne me suis fâché avec aucune.<br />

Seigneur ! Marvin Acmé était le seul Américain qui me faisait rêver<br />

<strong>sur</strong> ce chapitre de la femme et des fantasmes. Les films d’Hollywood<br />

sont super hype sexy, et tout ce que vous voudrez mais pratiquement<br />

jamais érotiques. Les Ricains n’y comprennent rien. Le mètre quatrevingt-dix<br />

interrompit ma rêverie.<br />

- La seule chose qui passe difficilement, dit-il, c’est que j’aime la<br />

chasse. Je ne puis m’en passer jusqu’au moment final où les rôles<br />

s’inversent et qu’elles me tiennent en mains.<br />

Au pied, finalement vaincu, quoi.<br />

Le mot était lâché et c’est là que ma démonstration le cueillait.<br />

- Je comprends ton goût de la chasse, lui disais-je, c’est notre nature.<br />

On ne la défendra jamais assez. Mais pense à une chose : à quel<br />

moment possèdes-tu l’objet de ton désir ? Quand vous allez faire<br />

votre shoepping? Par le regard ? Par une éjaculation ? Par le toucher<br />

?<br />

- Mais avec tout ça ! protestait-il.<br />

- En vérité tu ne le rattrapes jamais. On peut infiniment diviser par<br />

129


deux la distance entre toi et l’objet de ton désir. Il faudrait que tu te<br />

fixes avec une de tes femmes et que vous vous pratiquiez à fond. Que<br />

vous suiviez des inséminaires spermanents tous les jours et <strong>sur</strong>tout<br />

toutes les nuits puisque le cours de tes désirs n’est pas diurne. Mais<br />

que fais-tu ? Tu cours ! Tu cours Marvin ! Et non seulement tu cours<br />

mais tu multiplies l’objet de ta quête.<br />

Et là, je lui assénais le coup de grâce.<br />

- Marvin, lui disais-je l’air sérieux, ce n’est ni la chaus<strong>sur</strong>e ni le pied<br />

que tu veux posséder et même pas la femme. En vérité, ce après quoi<br />

tu cours n’est qu’un mouvement unique, un foutu instant, une démarche,<br />

tu es victime du principe femelle d’incertitude, le foutu moment<br />

où tu ne sais plus où la femme, quand ton désir, le foutu instant merdique<br />

que tu ne saisiras jamais parce que quand tu as réalisé que tu<br />

bandais comme un âne ta cible n’est plus au même endroit ; tu aimerais<br />

geler le temps mais c’est impossible, tu vis un petit état de grâce,<br />

un foutu moment fatal, la beauté la plus mystérieuse qui soit n’est rien<br />

d’autre qu’un fichu moment qui ne se reproduira jamais, tout ce que<br />

tu aimes, chasseur, c’est la mise à mort. La tienne. Tu es amoureux de<br />

la durée ou pire, de la fuite du temps. Tu n’es pas le premier. Moi<br />

aussi j’ai aimé, à en mourir, des passantes sans nom, comme le prophète<br />

d’Ormesson (loué soit son saint nom), moi aussi j’ai voulu jouir<br />

d’une démarche, d’un jeu de lumières dans des glaces. J’ai essayé de<br />

baiser le temps, comme toi, mais en vérité il serait plus facile de<br />

compter les gouttelettes de la vague qui explose <strong>sur</strong> les récifs que de<br />

saisir la provisoire éternité de la femme, quand elle brille pour attiser<br />

nos désirs.<br />

- À ce point de ma harangue je baissais le ton et inspectais les alentours<br />

avec méfiance :<br />

- Entre toi et moi je pense qu’elles ne sont pas tout à fait au courant<br />

de leurs pouvoirs.<br />

Il me regardait de travers.<br />

- Le mieux que tu puisses faire, ajoutais-je, serait de te branler <strong>sur</strong><br />

tes mille et une godasses, tu ne serais pas le premier mais peut-être le<br />

plus grand !<br />

Sur quoi il éclatait de rire et on s’emborrachait à la golden Tequila,<br />

de la Herradura pour conoisseurs, ou mieux de la Cuervo especial<br />

ambrée, on vivait bien et, me semblait-il, les placards se remplissaient<br />

au fur et à me<strong>sur</strong>e que la/les bourse(s) de Marvin se vidaient. Je vous<br />

130


lâche une confidence ? Il n’était qu’un cas très anodin dans la grande<br />

ronde où parfois je me perdais.<br />

De ces souvenirs et savoirs je ne retenais que deux choses. L’une<br />

étant que la liberté de se pratiquer est précieuse. L’autre (beaucoup<br />

plus subtile) qu’il existait un bon usage des fantasmes, que c’était un<br />

oxygène indispensable, mais qu’en faire une pratique les tuait. La<br />

règle était d’une extrême simplicité : se découvrir, s’accepter et se<br />

pratiquer sans tomber dans une pratique.<br />

Cette réflexion n’avait même pas duré un tiers de seconde, c’était<br />

probablement aussi un fantasme, et je me pris à espérer que Dieu<br />

n’allait pas la comptabiliser avec mes nombreuses tricheries. Je tenais<br />

à mes six minutes. Revenant <strong>sur</strong> terre je m’aperçus que je ne possédais<br />

aucune chaus<strong>sur</strong>e de Mirabelle LaNuit. Quelqu’un, dans le<br />

temps, m’avait condamné à fréquenter des femmes entités. Vous avez<br />

vu ce qui a failli m’arriver avec les Sœurs il y a quelques instants ?<br />

J’optai pour vivre dangereusement et, au risque de fausser cette histoire,<br />

je l’appelai de suite <strong>sur</strong> son portable.<br />

Heureusement Mirabelle n’était pas là.<br />

131


132


Reentry phase 1<br />

(Minute altitudinesque)<br />

Il y a de nombreuses versions de la fin du monde : le Jour du<br />

Jugement, le Crépuscule des Dieux, la fusion des atomes.<br />

Pour moi qui ai vu naître et mourir bien des gens et bien des<br />

mondes, au propre et au figuré, ce sera toujours pareil : toujours<br />

1’eau et le feu.<br />

Roger Zelazny (L’île des morts)<br />

6664U se mit en descente d’une altitude de 35’700 mètres asl.<br />

L’ogive avait fait un beau voyage, dans le noir du premier espace, un<br />

parcours pas si différent de ceux des grands jets qui se traînaient audessous,<br />

au niveau 350. Le missile avait passé au-dessus de New<br />

York, avait gaspillé quelques minutes <strong>sur</strong> l’Atlantique nord puis,<br />

après un travers de l’Islande, gagné l’Angleterre, verticale Cornouaille<br />

et finalement la France, en descente vers sa cible, passant au-dessus<br />

de Dijon. C’était un beau parcours mais la beauté n’est pas une considération<br />

de militaire - à part une déclaration choquante d’Hitler<br />

devant Varsovie en flammes et d’un général américain humant au<br />

Vietnam, dans un film culte, l’odeur du napalm. L’ogive et ses systèmes<br />

n’avaient conscience que des vecteurs, des températures et des<br />

altitudes. Le répétiteur GPS se contentait de trianguler et de mettre à<br />

jour la position de l’engin, de sa plus quintessentielle partie. Il avait<br />

fort à faire avec le calcul itératif de la rotation terrestre, car en dessous,<br />

comme l’avait remarqué un certain Galilée, ça bougeait ! La<br />

précision visée était de l’ordre de quinze mètres. À un signal donné<br />

elle se retourna, son cône effilé pointé vers l’espace. On savait que le<br />

phénomène de l’ablation, l’échauffement thermique, est moins violent<br />

<strong>sur</strong> une <strong>sur</strong>face plane que <strong>sur</strong> un profil aérodynamique. La chose<br />

descendait vers le cœur de l’Europe à une vitesse supérieure à 20’000<br />

km/h, elle atteignit des couches plus denses de l’atmosphère. Elle<br />

était déjà chaude, les satellites doivent s’installer <strong>sur</strong> des orbites de<br />

150 km et plus pour éviter toute friction, aux confins de notre atmos-<br />

133


phère. La logique embarquée entama les procédures finales. Une<br />

faible impulsion fur envoyée à l’ogive nucléaire pour l’armer, l’équivalent<br />

du tireur qui actionne la culasse. Les charges explosives,<br />

autour du cône A, répondirent par l’affirmative, ce qui en langue d’ordinateur<br />

est booléen : true or false. C’était true. Le système d’amorçage<br />

se mit alors à charger les diverses batteries pour as<strong>sur</strong>er une<br />

énergie suffisante au déclenchement des détonateurs. 6664U était<br />

déjà parvenu à l’altitude de dix kilomètres, à cette vitesse un jet ne<br />

l’aurait probablement pas vu.<br />

Où étaient Dieu, mes rêves et la beauté de ce monde ? Ailleurs. Ce<br />

qui venait n’avait rien d’humain, ses constructeurs seraient maudits<br />

pour l’intelligence avec laquelle ils avaient programmé cette machine<br />

de mort. Rien, en fait, pas même un divin délire, ne semblait pouvoir<br />

la stopper.<br />

Six altimètres - un système trois fois redondant - commencèrent à<br />

comparer l’altitude aux éléments fournis par la couverture GPS militaire.<br />

Quand l’ogive atteignit une altitude de huit kilomètres, soit<br />

environ le niveau 240, l’ordinateur envoya un signal test de mise à feu<br />

aux nombreux paquets explosifs symétriques, disposés autour des<br />

géométries d’uranium 235 minutieusement calées pour souffler ce<br />

métal vers l’intérieur de la bombe.<br />

On ne savait pas trop ce que faisait Dieu dans tout ça, c’était une<br />

séquence très athée en fait, très humaine. Malheureusement. Il y avait<br />

peut-être un poète en dessous, un rêveur. Mais une chose était sûre.<br />

Quels que soient ses pouvoirs il ne lui restait pas six minutes. Plus de<br />

temps gelé. Quelques dizaines de secondes peut-être ?<br />

Avec un peu de chance.


De la légitimité de haïr l’Amérique<br />

Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes :<br />

tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de<br />

certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la<br />

liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis<br />

parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir<br />

émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme<br />

de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de<br />

la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le<br />

fondant <strong>sur</strong> les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront<br />

la plus propre à lui donner la sûreté et le bonheur.<br />

Déclaration d’indépendance des États Unis.<br />

Il était temps de limiter le droit de haïr les Américains.<br />

Il ne fallait pas leur donner tant d’importance. On en avait fait des<br />

héros mais ce n’était que de grands travailleurs très naïfs. Leur rôle<br />

historique avait été immense, il s’achevait. Avec un peu de temps ils<br />

rentreraient dans le rang et les seules lumières qui proviendraient de<br />

leur grand et vieux pays seraient celles de leurs sages, de leurs artistes<br />

et de leurs poètes, celles de ces belles âmes qui vivent là et que des<br />

gangsters ont séquestrées. Je vis passer, dans une émission littéraire,<br />

un nommé Yves Berger. Je n’aimais pas trop cette tronche style sanguin<br />

à coup de gueule, rien de trop fin mais, après tout, <strong>sur</strong> un autre<br />

registre on débitait ce même genre de flatteries <strong>sur</strong> ma personne, verdad<br />

? Ce qui m’intéressait c’était le titre du livre qu’il avait publié<br />

l’an dernier : Dictionnaire amoureux de l’Amérique. Allons bon !<br />

Encore un vieux qui a connu la grande idylle ! Comme je partage<br />

ça… Je me suis tapé sa prose, muselant mon instinctif préjugé. Quel<br />

fouillis ! Mal édité, irrespirable et pourtant : un merveilleux savoir,<br />

les pensées originales d’un cœur de facho, c’était aussi irritant qu’enrichissant.<br />

Le monde entier résonnait de cette grande interrogation, faut-il haïr<br />

l’Amérique ? Nous trouvions chaque jour cent réponses à cette ques-<br />

135


tion, cent versions de la vérité. Les Américains payent pour leurs<br />

crimes. Chomsky n’avait pas hésité à déclarer que le 11 septembre,<br />

comparé aux atrocités américaines dans le monde entier, n’était<br />

qu’une piqûre d’épingle. En parallèle, des journalistes, des philosophes<br />

clamaient qu’il fallait distinguer les Américains de l’Amérique,<br />

l’Islam de l’islamisme. Curieusement et malheureusement très peu de<br />

voix s’élevaient pour défendre le peuple israélien contre l’État d’Israël.<br />

Tout ça n’était qu’une bruyante fureur, inutile de citer Bill une<br />

fois de plus. Une ou deux choses m’étaient évidentes. L’une que<br />

l’Amérique n’était plus la grande séductrice qui avait débarqué à<br />

Omaha et qu’une vaste majorité d’entre nous avaient adoré, l’autre<br />

qu’elle semblait trouver en elle la force morale de se purifier. C’était<br />

loin d’être certain, dans ce jeu planétaire de Tévé réalité nous avions<br />

identifié les méchants. Ce n’était pas les Américains, c’était leurs<br />

démons intérieurs. Les lois de Chandro se vérifieraient à moyen terme<br />

mais tout allait se jouer à la fin de l’année. Nous vivions dans un<br />

monde si barbare que l’élection la plus importante pour les Occidentaux<br />

et pratiquement le reste du monde était celle de novembre 2004.<br />

J’ai noté ceci :<br />

1) Critère : Personne n’a le droit de juger l’Amérique (les<br />

Américains) s’il n’y a pas travaillé, aimé, parcouru les grands espaces<br />

déserts ou urbains, risqué quelque chose de lui, établi des relations<br />

avec les peuples de ce pays et <strong>sur</strong>tout connu autre chose que la<br />

Maison Blanche, Wall Street, la Pentapropagande nazie, le show off<br />

des nantis et le mauvais délire hollywoodien, notamment.<br />

2) Logique : la réciproque est vraie pour tous les peuples aimés de<br />

Dieu qui ne vivent pas entre Mexique et Canada.<br />

3) Relire la déclaration d’indépendance.<br />

4) « L’Amérique », comme me le disait récemment le guru le plus<br />

gaygressif de l’establishment américain, « pour vous autres vieux<br />

européens dont les modes de pensée, d’action et de réaction sont tellement<br />

lents, dépassés et inadaptés, l’Amérique n’est rien d’autre<br />

qu’un gigantesque laboratoire d’expérimentation ». Je suis d’accord<br />

136


avec ça et j’ai une assez bonne conscience de l’horreur implicite de<br />

ces mots. Dans un tel contexte une voix, une plume, une intervention<br />

solitaire ne pèsent rien. C’est pourquoi je vais me limiter à ne rappeler<br />

qu’une chose qui est la tentative permanente de destruction de la<br />

femme par le système américain. Et pour ce faire je vais attaquer un<br />

cinéaste que j’aime beaucoup.<br />

Quand je dis (citant Bobin) que Quentin Tarentino plante une fleur<br />

blanche au milieu de l’enfer, j’entends qu’il contribue à la destruction<br />

américaine de l’image de la femme. L’Amérique n’a cessé de produire<br />

des super-femmes, des tueuses, laides et ridicules en général.<br />

S’il ne s’agissait que de la BD et de l’imaginaire masochiste de<br />

l’homme américain cette émergence ne serait pas grave, nous connaissons<br />

la même en Europe, il s’agit de la turbulence de sillage de certains<br />

mythes, de l’overshooting de l’émergence de la femme libérée.<br />

Avec Uma Thurman et l’image merveilleuse que, dans la tuerie, Q,T.<br />

en donne, il s’agit d’une œuvre impie. La femme sans merci, sans<br />

compassion, sans harmonisation de la violence masculine est une<br />

femme dé-naturée au sens propre de ce terme, elle est indispensable<br />

au système américain qui ne connaît que la force, le pillage et le profit.<br />

La question de la femme violente est à l’ordre du jour à propos de<br />

la torture en Irak. Je la trouve très mal posée. On nous ressort quelques<br />

exceptions de femmes cruelles ou meurtrières pour masquer ou<br />

défigurer cette étonnante légion féminine des forces de la Vie.<br />

4) Une chose me frappe chez le peuple américain. Il a terriblement<br />

peur de la mort. D’où l’immense ferveur collective qu’il sait soulever.<br />

Il ne sait rien des guerres que les autres nations ont connues ni de<br />

celles qu’il porte chez les représentants du Mal avec la bonne<br />

conscience d’un Dieu à leur service. Il a été frappé deux fois, militairement<br />

et symboliquement. Une seule fois dans ses frontières. Je ne<br />

doute pas de son courage mais nous savons tous qu’il n’a aucune idée<br />

de ce que serait (sera) la réalité d’une guerre <strong>sur</strong> son territoire. D’où<br />

cette absence de compassion. D’où cette panique face à ceux qui<br />

n’ont rien à perdre. Face à la désespérance il reste terrifié et impuissant,<br />

quoiqu’en dise sa propagande. Il a, par ailleurs, récemment<br />

trouvé son nouveau Viêt Nam.<br />

137


5) USA… On me dit que le Président des Français y a vendu des<br />

hamburgers ? Il a donc un droit de s’exprimer <strong>sur</strong> l’Amérique. Un<br />

Dominique de Villepin beaucoup moins, apparemment. Ce Berger<br />

semble répondre à ce critère.<br />

Moi aussi, d’ailleurs.<br />

138


Quand Mirabelle chante<br />

(Couleurs et voyelles d’Elle, IV)<br />

U, cycles, vibrements divins des mers virides,<br />

Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides<br />

Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux<br />

C’était un vieux rêve qu’elle avait fait adolescente, vers les quinze<br />

ans, elle ne s’en souvenait pas exactement. Elle était sortie le soir,<br />

sous les rampes de la promenade de pierre avec ses escaliers mousseux,<br />

la ville était déserte. Elle connaissait ce lieu, elle y passait souvent.<br />

Il s’était transformé en parking. Mais jamais elle n’oublierait ce<br />

qu’elle avait su y faire, en songe. Mirabelle aimait chanter mais elle<br />

le faisait rarement et jamais en présence d’une autre personne.<br />

Elle aimait chanter des intervalles, simples, à longueur de souffle,<br />

son corps devenait un violon, ses hanches l’œuvre d’un luthier inspiré,<br />

elle vibrait tout entière en donnant naissance à une couleur, des<br />

étages sonores. C’était la prolongation de son soi, du corps, elle avait<br />

la sensation de pouvoir, par le souffle, se projeter hors d’elle, très loin,<br />

quand elle chantait. Pour cette raison elle supportait mal que l’on<br />

chante faux, les intervalles sont des définitions sacrées, il faut les<br />

respecter. Elle connaissait cette identité supérieure élancée, l’octave.<br />

C’était bon de la laisser naître à partir de la note grave, c’était une<br />

éclosion. On se fondait en elle, on devenait plus juste. Et le jugement<br />

d’acier de la quinte. Viride, frémissante de justesse et loi des cordes.<br />

Elle en savait beaucoup d’autres, une infinité expressive, avec sa préférée<br />

la tierce mineure. Il fallait qu’elle chute, qu’elle soit descendante,<br />

pour rappeler le vieux parfum du temps des légendes. Mais,<br />

quand la tierce mineure s’inversait, quand elle était ascendante, alors<br />

tout devenait possible et quelquefois trop puissant, insoutenable.<br />

Dans son rêve elle avait vécu quelque chose de tellement imprévu<br />

qu’elle en était restée longuement déphasée. Les deux allées montantes<br />

de la vieille promenade étaient proches d’elle, <strong>sur</strong> sa gauche, elle<br />

139


egardait vers la cathédrale. Elle avait eu envie de chanter pour se<br />

libérer, comme elle pouvait le faire quand elle courait. Quand ses<br />

longues jambes la portaient dans l’espace, cavalière du vent, au-delà<br />

de la fatigue, parvenue au rythme de la course soudain elle ne pesait<br />

plus rien, elle appartenait à la mobilité. Ce soir-là, dans une ville<br />

étrangement vide, elle avait chanté un son qui, comme une bulle d’or,<br />

s’était propagé devant elle. Sa voix roulait <strong>sur</strong> le monde. C’était un<br />

message d’amour, une arme peut-être ?<br />

Ça n’avait été qu’à moitié ras<strong>sur</strong>ant car elle n’avait pas su, dès le<br />

début, si elle contrôlerait ce qu’elle évoquait. Elle avait chanté et,<br />

brusquement, sa voix était sortie d’elle comme une langue de feu,<br />

cette dragonne musicale avait rendu translucides les pierres du vieux<br />

collège qui lui faisait face. De longues énergies alizarines montaient<br />

des profondeurs de la terre, les murs paraissaient fondre et l’avenue<br />

soudain diaphane déboucha <strong>sur</strong> une mer grise, agitées de moutons.<br />

Elle ressentit distinctement les embruns de mer, c’était divin. Elle<br />

regretta de ne pouvoir partager cette vision avec ses copines ou avec<br />

un homme, mais lequel ?<br />

Il lui fallait aller plus loin.<br />

La mer <strong>sur</strong> le boulevard Jaques Dalcroze c’est une idée. Il avait<br />

existé un peintre, Dominique Appia, qui habitait à quelques mètres de<br />

là et qui avait peint un tableau étonnant intitulé Entre les trous de la<br />

mémoire. Mirabelle ignorait l’existence de cette œuvre <strong>sur</strong>réaliste<br />

mais il devait y avoir une raison pour que cet océan gris, <strong>sur</strong> lequel<br />

passaient des lumières éclaircies de nuages, soit apparu là, tout près<br />

de l’atelier de l’artiste.<br />

Elle prit une profonde respiration et se décida pour une quinte juste.<br />

L’avenue se referma avec lenteur, les arbres de la promenade, qui<br />

n’avaient pas encore été assassinés par les fournisseurs populaires<br />

d’énergie, se penchèrent vers elle et bruissèrent avec animation.<br />

- Ah ! si j’avais des sous, dit le plus vieux.<br />

- J’achèterai de la terre, renchérirent les autres.<br />

- Vous êtes gentils ! fit-elle, Mais voyez, jamais le mont Salève ni<br />

140


le Mont Jura n’ont été aussi proches. Laissez-moi faire. Avant qu’ils<br />

ne nous aplatissent !<br />

- Tu peux sauver une rose, dit le patriarche. Mais tu ne pourras rien<br />

pour nous. Et pourtant, nous sommes la mémoire de ta race,<br />

Mirabelle.<br />

- Nous avons nos jambes et nos racines dans la terre, protesta la<br />

jeune femme. Je sens le monde, comme vous. Je proviens de la terre.<br />

Je vous emmènerai avec moi.<br />

- Le ferais-tu ? pleurèrent-ils solitaires.<br />

- Arbres, femmes, même combat, fit Mirabelle très sérieuse.<br />

Elle ne sut jamais si les arbres riaient ou si le vent du nord s’était<br />

levé. Elle n’avait pas lu Elric le Nécromancien de Michaël Moorcock,<br />

elle n’était pas encore entrée dans les rêves de Jacques. C’est pourquoi<br />

elle osa prendre une longue respiration et chanter une tierce<br />

mineure ascendante.<br />

La dangereuse.<br />

La mer revint. Il y avait en contrebas une sorte de port avec des<br />

vaisseaux à l’ancre. Quand elle quitta la note inférieure de la tierce<br />

pour s’élever, la mer suivit l’impulsion. Il y avait un incroyable jeu de<br />

puissance entre son chant qui roulait <strong>sur</strong> le monde et cette étendue<br />

marine <strong>sur</strong> qui se forma la crête d’une vague grandissante. Mirabelle<br />

sut qu’elle ne devait pas cesser de chanter. La vague d’un vert clair,<br />

frangée de gris, serait <strong>sur</strong> elle avant qu’elle ne trouve un refuge. Elle<br />

la tenait captive mais à un prix difficile, soutenir l’onde sonore, imposer<br />

son chant.<br />

L’eau vivante se hérissa comme un multiple griffon. Les barques<br />

ondulèrent mais la mer, <strong>sur</strong> le rivage, s’était dressée pour former un<br />

mur liquide aux crêtes changeantes et qui prit de la vitesse. Seul le<br />

chant de Mirabelle dominait le cri furieux de l’entité marine. Elle<br />

comprit qu’elle avait évoqué de trop anciennes et trop grandes forces.<br />

Elle sut qu’elle devait les vaincre sous peine d’être emportée, elle et<br />

les gens qu’elle avait rêvés.<br />

Elle se projeta alors de manière inimaginable. Les bras mi-levés à<br />

la hauteur de sa poitrine, les cheveux pris dans un vent infernal, elle<br />

répéta la tierce mineure ascendante en y mettant sa vie, en y jouant La<br />

Vie. Elle donna naissance à un front d’ondes de probabilités qui se<br />

141


isa et reflua. Elle avait eu le temps de voir les visages écrits dans<br />

l’écume furieuse. La tension de son corps se dissipa peu à peu. Plus<br />

un seul arbre ne lui parlait, le vent du nord n’avait été qu’une illusion.<br />

Tout cela n’était qu’un songe, plus fort que les autres. Mais les songes<br />

violents éclairent les âmes et modifient l’ordre des choses. Il n’est<br />

aucun exemple qu’un grand songe n’ait jamais filtré dans le monde.<br />

Pour en changer le destin.<br />

Ce rêve nous dit pourquoi dans la vie ordinaire, Mirabelle ne chante<br />

pas volontiers.<br />

À peine s’elle fredonne.<br />

142


Folie, Dieu, Centralité<br />

(Minute roue de rencontres)<br />

Ceux qui prennent le monde pour ce qu’il paraît, la gravité<br />

les habite, et l’esprit de sérieux. Regardez-les, écoutezles<br />

: ils sont chiants à mourir.<br />

Jean d’Ormesson (C’était bien)<br />

En 1993 j’avais cédé à une tentation originale et irrespectueuse,<br />

celle de réunir les personnages de ma vie et de les mettre en scène.<br />

Pour mon anniversaire. Ça n’était pas nouveau et, à moins d’y mettre<br />

du talent, ça me reléguait au niveau d’Eddie LeBâclé. C’était aussi<br />

passionnant qu’indécent. Je venais de rencontrer Pascal Häuserman,<br />

un architecte que j’avais connu à l’université, il avait racheté le château<br />

des Avenières, proche de <strong>Genève</strong>, perché <strong>sur</strong> le mont Salève et<br />

donnant <strong>sur</strong> le lac d’Annecy. Et consacré des années de sa vie à le<br />

restaurer. Ce faux vieux manoir avait une histoire intéressante, il avait<br />

été construit et terminé par une riche Américaine et son époux Indien<br />

en 1913 (l’année du Sacre et de Pierrot Lunaire). Häusermann l’avait<br />

rénové et y maintenait une tradition d’accueil pimenté de repas et<br />

culture indiens qui avait un charme exceptionnel. Je lui fis part de<br />

mon projet qu’il accepta d’un sourire et, pendant un mois, nous avons<br />

effectué la mise en place d’une fête pas comme les autres. J’avais le<br />

projet de faire jouer mon rôle par Jean-Luc Wey, dont il sera question<br />

plus loin, et je m’étais, en toute modestie, choisi le rôle du méchant<br />

Empereur de Star Wars. L’avantage était que Wey pouvait s’arranger<br />

pour me ressembler car nous porterions tous des robes de moines,<br />

encapuchonnés. Le thème de cette soirée était « le grand pardon ». Je<br />

suppose qu’il s’agissait de celui que je tentais de m’accorder à moimême.<br />

Les femmes étaient priées de venir en tenue d’amazones ou de<br />

romantiques, à leur convenance. Il y eut 80 % d’Amazones, ce qui me<br />

parut normal, et quelques très belles romantiques qu’on eut imaginées<br />

au bras d’un Frédéric Chopin ou d’un Alfred de Musset, voire dans le<br />

décor d’une Sissi. Dont une portugaise blonde, un corps simplement<br />

143


évident de beauté, qui était moniteur d’aérobique dans la vie mais<br />

sembla à tous si « fatalement romantique » qu’elle brisa (en deux<br />

morceaux égaux et de signes contraires) le cœur d’un avocat belge<br />

qui, le lendemain, acheta un château pour elle et l’y attend encore.<br />

J’ai vu bien des destins se jouer ce soir-là, des couples se former ou<br />

se défaire, mais peut-être est-ce le lot de toutes ces grandes soirées un<br />

peu théâtrales. Mon propre sort s’y jouait également. À la différence<br />

de mes invités, je le savais.<br />

Après la descente de l’escalier d’honneur par les invités, un maître<br />

de cérémonie appelait d’une voix forte une longue liste de titres, et ce<br />

grand défilé était la première partie de mon scénario, faire entrer en<br />

scène ceux qui, d’une manière ou d’une autre, avaient balisé ma vie<br />

genevoise. À la fin du parcours (l’avaient-ils bien descendu ?) les six<br />

moines devaient apparaître à leur tour, sous le titre des Nosotros, et<br />

descendre très lentement les soixante-six marches. J’avais là un sens<br />

de l’humour et une impudeur certains puisque les Nosotros représentaient<br />

évidemment mes diverses facettes. Wey, dans le rôle de l’Empereur,<br />

ouvrait la marche, j’étais au second rang. L’acteur était excellent,<br />

il conféra une évidence à un texte qui n’était pas mon plus grand<br />

chef-d’œuvre. Le public tomba dans le panneau et pensa que le discours<br />

(un interminable rouleau de parchemin) lu par le moine maudit<br />

l’était par moi. L’astuce était que les deux jeunes amazones de la<br />

garde impériale se jettent <strong>sur</strong> moi, à la conclusion de l’Empereur, et<br />

me dépouillent sauvagement de ma robe de moine, révélant la forgerie<br />

aux invités. La robe était savamment pourvue de velcros, pour me<br />

permettre d’en sortir sans trop de contusions. Wey prit son temps.<br />

L’allocution fut longue mais suffisamment agressive pour garder mes<br />

fêtards éveillés. Je vous en livre divers extraits. Il y avait, pour débuter,<br />

des salutations assez conventionnelles et l’annonce de deux mauvaises<br />

nouvelles.<br />

Mes chers sujets,<br />

Et vous autres étrangers distingués, confréries, loges, nos Seigneurs<br />

et gentes Dames, les titres oubliés et encore vous les obscurs, les<br />

sans-grade, gens des Pays d’alentours, que Nous devinons à la<br />

lisière de Notre regard et que toujours Nous préférons : Vous fûtes,<br />

il Nous plaît que vous le sussiez, très beaux et paradants, jeunes à<br />

votre façon, et pétant le feu à descendre ces marches et Nous vous<br />

avons regardé avec satisfaction, à quelques exceptions près, que<br />

144


Nous avions bien entendu programmées avec soin. En toute immodestie<br />

Nous vous saluons et Nous nous bornerons à vous apporter<br />

deux mauvaises nouvelles car, si vous êtes en quelque manière Nos<br />

sujets (ceux que Nous rêvons) vous êtes aussi, ce soir, Notre cible,<br />

et, chose singulière, le sujet impluriel que Nous traitons. L’heure est<br />

venue de régler nos comptes et Nous comptons bien Nous y<br />

employer de manière diligente. Ouvrez bien vos esgourdes et dessablez<br />

vos portugaises car Nous serons presque totalement et irrémédiablement<br />

brefs.<br />

La première mauvaise nouvelle était sans intérêt. Du genre « bougez-vous<br />

le cul, bordel de Dieu ! ». Ou si vous préférez que je le dise<br />

à la manière de Nietzsche « Soyez ce que vous êtes ! ». Personne ne<br />

la prit au sérieux. Ce n’était qu’une réception…<br />

Je saluai au passage la mémoire d’André Chavanne et de Robert<br />

Hari, un ministre de l’Éducation et un grand patron travaillant avec<br />

lui, tous les deux avaient connu les cimes du pouvoir et, à ce qu’on<br />

me disait, étaient morts misérablement, très seuls en tous les cas. Je<br />

les aimais et leur apportais mon dévouement.<br />

Nous eussions aimé accompagner avec amour dans sa déchéance<br />

imméritée ce grand ministre Notre père qui mourût naguère dans<br />

l’oubli, mais tout ceci va avec le Fleuve et en un sens est vrai et beau<br />

et bon.<br />

Ainsi que François Lachenal qui était présent et le Commandant<br />

Wernimont, l’homme qui nous a appris à voler que nous nommions<br />

Montvermeil et quelques personnes mystérieuses que je respecte,<br />

crains et qui ne m’ont jamais autorisé à parler d’elles.<br />

Il y a parmi vous trois hommes impeccables - deux d’entre eux sont<br />

des femmes (mais personne n’est parfait) et plusieurs Anciens. De<br />

ceux-ci Nous Nous honorons de savoir que l’un est un Grand Ancien<br />

qui exerce son regard vers l’intérieur, <strong>sur</strong> sa lignée et <strong>sur</strong> son temps.<br />

Sachez le reconnaître et qui sait ? Le connaître.<br />

L’Empereur commentait la situation théo-économique :<br />

Le chaos humain ascendant bientôt à la fatidique moyenne des nombres<br />

666 et 4,669 Nous vous conseillons de vendre un call <strong>sur</strong> le<br />

145


Paradis et d’acheter un put <strong>sur</strong> l’Enfer.<br />

Ce qui fit rire les divers banquiers et avocats présents. Je ne trouvais<br />

pas ça drôle mais vous connaissez la pensée californienne : « Vingt<br />

avocats et vingt banquiers au fond de la mer, qu’est-ce ? » La réponse<br />

étant « Un bon début ».<br />

Après quoi venait la déclaration la plus inquiétante.<br />

Notre seconde mauvaise nouvelle est brève : Nous avons pris la<br />

décision de cesser de vous rêver. Les conséquences vous en paraîtront<br />

de prime abord insignifiantes, Nos chers « Objets » - car Nous<br />

ne pouvons plus traiter de sujet qui n’est plus dans notre rêve ! -<br />

toutefois vous serez vite réduits à l’état d’autonomie, vous devrez<br />

porter ce monde où Nous n’existerons plus, devenir dans l’instant de<br />

grands architectes et Nous souhaiterons, de la retraite que Nous<br />

Nous proposons d’expérimenter, être bien rêvés par vous, dans un<br />

monde qui ne se défait pas et dont, bordel de merde, les coutures<br />

tiennent. Soyez prudents, chers Objets, car, d’ici l’aube de ce printemps,<br />

vous ne vaudrez plus que ce que vaut votre imagination<br />

solitaire et votre pouvoir conceptuel. Oh ! il se peut bien que la ligne<br />

du tram 12 existe encore quelques heures, par habitude, comme<br />

d’autres détails infimes… mais nous espérons ardemment que nul<br />

ici n’oublie de penser les virgules du Monde, ses petites coutures et<br />

les humbles rivets qui lui donnent de la cohésion. Nous abdiquons,<br />

Nous Nous dessaisissons de ce qui fut Notre pouvoir et des clefs des<br />

margelles et structures. Il n’y aura plus de chef d’orchestre invisible,<br />

plus de trame d’Univers et - cela Nous amuse fort - vous serez, -<br />

vous êtes déjà -, la Lumière originelle, les Eaux, la Terre et les<br />

Esprits animaux, comptables de vos propres arcanes, des marches de<br />

vôtre Empire et de tout ce qui s’y peut passer et penser.<br />

Il se prépare, ce soir, diverses fins de règnes et des recommencements.<br />

Nous voyons aussi la lueur d’un incendie car quand un<br />

amour se meurt c’est aussi quelque part dans le monde une bibliothèque<br />

qui brûle. Nous nous sommes préparé une transition discrète<br />

vers d’autres dimensions et Notre meilleure garantie de secret n’est<br />

autre que le tapage dont Nous l’entourons. Confessez-vous les uns<br />

les autres et accordez-vous le Grand Pardon, Nous vous en conférons<br />

le pouvoir. Certains le savent : nous n’avons pas de caves<br />

d’enfer en ce château, tel celles que le bon Professeur Géronimo<br />

146


nous avait offertes l’an dernier avant que ne frappent les chars de feu<br />

qui nous enlevèrent <strong>sur</strong> le Mont Salève […] mais enfer pour enfer,<br />

la Géhenne, en sa version portable, chacun d’entrevous trimballe la<br />

sienne, nous le savons tous ! Confessez-vous donc, à tour de bras :<br />

le silence de ce confessionnal sera enregistré, traité et diffusé électroniquement<br />

dans tout le château, aléatoirement, hors de nos choix<br />

et de manière tout à fait imprévisible, même pour Nous. Soyez drôles,<br />

sincères, abandonnez toute hésitation comme toute retenue, la<br />

Nuit est à vous.<br />

Sur quoi les amazones masquées et armées de la garde de l’Empereur<br />

(elles portaient fièrement des dagues de commando lacées au<br />

mollet) se jetèrent <strong>sur</strong> le troisième moine, le dépouillant de sa robe et<br />

de sa capuche et… j’apparus. Cette soirée fut réussie et les invités<br />

n’en donnèrent que d’excellents échos. En y repensant, je me mis à<br />

croire que j’étais allé trop loin. J’avais réalisé, avec d’importants<br />

moyens, ce qu’on nomme un solipsisme, l’hypothèse philosophique<br />

selon laquelle seul l’individu existe, tous les objets et les événements<br />

extérieurs n’étant que les produits de sa conscience, juste des rêves.<br />

Je n’avais pas encore entendu la fameuse déclaration des physiciens<br />

«écrouler des fronts d’onde de probabilités » mais le sens général<br />

était le même. Le monde existe parce que nous le rêvons. Vu comme<br />

ça ma déclaration n’était autre qu’une déclaration de fin du monde. Je<br />

cesse de vous rêver : vous cessez d’exister.<br />

Cette idée de centralité était dans l’air en 2004. Les psys ramenaient<br />

la sensation de centralité (et de solipsisme) à la folie. La folie ne<br />

m’avait jamais beaucoup intéressé. Personne ne savait la définir. Les<br />

gens remarquables que j’avais connus étaient probablement tous fous<br />

mais se tenaient dans les limites admises. Personne n’avait essayé<br />

d’interner John Cage. Ni Moritz Leuenberger qui a pourtant franchement<br />

l’air bizarre. Nous conservions notre liberté d’interpréter le<br />

monde. À condition de ne pas le crier trop fort.<br />

Une école soi-disant médicale s’était ainsi formée qui soutenait que<br />

a) notre espèce est ainsi faite qu’elle génère de la psychose et b)<br />

qu’une forme répandue de la folie était la centralité et c) la certitude<br />

d’être Dieu. Quels charmeurs ces psys. Ces hypothèses m’intéressaient.<br />

Je n’avais jamais raconté que j’étais Dieu mais j’avais fréquemment<br />

rapporté mes entretiens avec Lui. De là à u<strong>sur</strong>per son<br />

147


identité il n’y avait qu’un pas, et, mauvais pour moi, on avait souvent<br />

dit, dans les précédentes aventures, que j’étais central.<br />

La belle affaire ! Un écrivain est toujours central, du simple fait<br />

qu’il est le narrateur. Souvent il se cache et tente de faire évoluer ses<br />

personnages avec un semblant d’autonomie. Mais il ne trompe personne.<br />

Tout est affaire de mise en scène. Les classiques utilisent la<br />

caméra objective et le contrechamp. Les modernes découvrent le<br />

grand angle et la caméra subjective. Ils aiment aussi les flash back et<br />

forward. Le cinéma décrit très bien l’écriture. Quand elle tombe dans<br />

la méta-narrativité, c’est-à-dire quand l’auteur se met à parler à la<br />

première personne, <strong>sur</strong>gissant au beau milieu de ses personnages, le<br />

récit devient plus polyphonique, plus intéressant.<br />

Je finis par me dire que les psys n’avaient qu’à aller se faire voir<br />

chez les Grecs (qui, a posteriori, ne sont plus tout à fait à la hauteur<br />

de leur réputation) et que, a priori, cette notion de centralité était, elle,<br />

réellement intéressante. À la manière de Borgès, entre autres Saints.<br />

Nous vivrions dans un cercle dont le centre est partout.<br />

Et la circonférence nulle part.<br />

148


Münchausen est vivant,<br />

je l’ai vu entouré de femmes et d’enfants<br />

(Tierce minute)<br />

Le cinéma avait peut-être remplacé l’Opéra mais pas le livre et particulièrement<br />

pas le roman. C’était une discussion qui faisait rage,<br />

elle n’était pas nouvelle. Le septième art a le pouvoir de combiner la<br />

force des mots, des images et de la musique, ce que le vieil opéra ne<br />

faisait que partiellement. L’éviction du livre par le film était tout au<br />

plus un jugement commercial. Les deux ne travaillent pas dans la<br />

même tessiture de temps. Il est vrai que le livre n’embarque avec lui<br />

que sa propre musique alors que le cinéma s’en approprie une, existante<br />

ou <strong>sur</strong> me<strong>sur</strong>e. Sur la musicalité de la langue on se souviendra<br />

du mot de Mallarmé, à qui un disciple disait « Maître, Monsieur<br />

Claude Debussy vient de mettre en musique votre Après-midi d’un<br />

faune. - Je croyais l’avoir déjà fait. » répondait le maître. Excellente<br />

répartie basée <strong>sur</strong> deux acceptions du mot musique.<br />

Le cinéma s’approprie de la musique au sens classique du terme et<br />

un film est rarement grand sans les pouvoirs d’une partition ou d’un<br />

mixage sonore qui le porte, le structure et lui communique ses énergies.<br />

En tant que musicien, j’ai été sensible à des films qui ne retiennent<br />

pas toujours l’attention de la majorité. La musique me guide.<br />

Dans Havana il y a deux scènes superbes. L’une quand éclate la révolution<br />

cubaine, au moment du réveillon, nous suivons Robert Redford<br />

marchant, un peu halluciné, dans une foule déferlante de joie. C’est<br />

un grand moment, que la superposition de deux temps, le subjectif<br />

lent et le vif actif rend particulièrement intense. Et c’est une technique<br />

musicale ! Il y a aussi cette séquence dans laquelle deux avions attaquent<br />

un convoi <strong>sur</strong> une route de campagne. Les bruits de guerre sont<br />

gommés par une musique lente, tonale, assez mélancolique, d’inspiration<br />

un peu mahlérienne, sinueuse et qui prend un sens extraordinaire<br />

par la superposition renouvelée de tempi larges et rapides, d’une<br />

tristesse contemplative à la fureur de la guerre. On se sent dédoublé,<br />

149


projeté dans une vision plus élevée de la trame de l’œuvre, c’est le<br />

regard altitudinesque.<br />

Même constat à propos de One night stand, un film qui sans prétentions<br />

philosophiques, avec cette grande montée des chœurs pendant<br />

une veillée funèbre. Le contrepoint est identique : ambiances de réalité,<br />

d’hôpital, de vie pratique, contre l’éternité qui s’impose, la montée<br />

progressive de la mort et du chagrin. Je crois qu’il faut être très<br />

réceptif, à ce moment-là, pour transiter d’un contexte de vie américaine<br />

ordinaire à, une fois encore, un niveau contemplatif supérieur et<br />

intense. Même expérience enfin pour Siege, un film annonciateur du<br />

11 septembre, où la superposition musicale de la violence militaire et<br />

de chants arabes aux voix si ferventes crée une tension quasi insupportable.<br />

Ces trois exemples sont placés sous le signe de la colère et de la<br />

mort. Le réalisateur (conteur) sait jouer d’énergies très opposées. Du<br />

temps large contre celui de l’instantanéité, de l’univers sonore de la<br />

violence contre celui de la foi, d’une clameur animique qui recouvre<br />

l’agitation du monde.<br />

L’art du conteur s’impose de suite ou jamais. Quelle que soit la<br />

fabula et <strong>sur</strong>tout l’intrigue, on sait en général dès la première minute<br />

s’il a le pouvoir de nous emmener et de nous infiltrer dans son monde.<br />

C’est d’ailleurs à ce niveau que l’intrigue est une chose excitante car<br />

elle nous autorise à parcourir le temps de la fabula à notre guise. Vous<br />

voulez commencer par la fin ? C’est devenu banal ! Vous procédez<br />

par touches ou par masses ? Aucune importance, le critère est que je<br />

reste avec le narrateur et qu’à la fin j’ai tout parcouru, avec lui, intégralement.<br />

Ces exemples nous parlent de la narration moderne, très factuelle,<br />

écriture réalité, alourdie de reportages et d’articles, pressée car rythmée<br />

par le discours des médias, héritière d’une violence généralisée<br />

en tant que sujet central. On parle de moins en moins du Je, de la<br />

psychologie, du rêve et des parcours individuels, manque de place.<br />

Que reste-t-il de l’enfance ? De l’amour ? Du rêve ? Pas grand-chose<br />

souvent et ce m’est l’occasion d’évoquer un personnage très attachant<br />

et assez peu connu, le baron de Münchausen.<br />

Un très joli film lui est consacré en 1988, on connaît les origines<br />

150


livresques du baron. Qui est-il ? Qu’exprime-t-il ? Un vieux fou ? Un<br />

mythomane ? Un personnage comique dont on exagère les traits, un<br />

vieux de guignol somme toute. Or quelqu’un traque Münchausen : la<br />

camarde. C’est notre lot à tous. Mais lui, qui travaille dans les sources<br />

pures de la poésie, les enfants et les femmes, s’en fout. Il est invincible.<br />

La mort ne peut le prendre. Sauf si par malheur il perd l’attention<br />

des enfants et l’amour des femmes - n’est-il pas en relations avec la<br />

Vénus de Boticelli elle-même ? - alors il chute. Il devient fragile, il se<br />

brise et le grand oiseau noir symbolique peut lui ravir, dans sa poitrine,<br />

cette boule de lumière qui est son âme.<br />

Nous sommes loin du moderne factuel, des reality show qui ont<br />

envahi les livres bien avant la tévé, des sujets obligés, la guerre, la<br />

mode, la société, la finance, la technologie et la mouvante fama. Il<br />

faut trouver là une cause de nos dérives actuelles. Quel coup financier,<br />

quel sport extrême, quel ordinateur, quelle demeure, quel vol en<br />

stealth FA118, quel défilé de mode et quel rassemblement pipôle<br />

valent ces lumières qu’ont les yeux des femmes et des enfants ?<br />

Voyez avec Bobin.<br />

En consultant Google j’ai vu que le nom de Münchausen était<br />

essentiellement un syndrome de maladie. Ah ? Voilà qui ne m’étonne<br />

pas de cette société, le niveau de la merde monte. Sous peu, à Paris,<br />

elle atteindra le niveau du Zouave du pont de l’Alma et à <strong>Genève</strong> les<br />

lèvres de Jean-Jacques, <strong>sur</strong> son île. Ça m’ennuyait, vous savez, ça<br />

m’ennuyait.<br />

Je suis allé dans ce coin innocent de mon appartement, là où dort un<br />

vieux retable fatigué, un Saint Christophe à six doigts, venu du<br />

XIVème siècle allemand et la grande Messe des Morts, trouvée dans<br />

une église espagnole en ruines. Après avoir salué les six lampes marocaines<br />

de cuir rouge qui veillent <strong>sur</strong> ces trésors et les défendent, j’ai<br />

ouvert cette porte qui ne devrait pas être là. Une porte ? Ou la Clef<br />

des songes, si vous voulez. Vous l’avez vous aussi, cherchez là.<br />

Ça donnait <strong>sur</strong> une petite plage tropicale pareille à celle de Shangrila,<br />

Yucatan. J’y ai vu un vieux fou en pleine forme, entouré d’enfants.<br />

J’ai bien regardé : il n’y avait aucun MacDo, pas la moindre hutte à<br />

pizza. Je n’étais même plus certain qu’il y eut <strong>sur</strong> cette planète un lieu<br />

oublié des pollueurs marchands. Bobin n’était pas là mais je vis de<br />

151


loin quelqu’un qui ressemblait à Bécaud. Je me suis empli les narines<br />

et l’âme de cette gaieté, de cette odeur de mer, de l’harmonie d’un<br />

ressac tranquille avant de refermer la porte. Il y avait aussi de belles<br />

âmes de femmes en transparence de mer. J’avais eu le temps de distinguer<br />

la version bronzée de M lle Boticelli, née de l’écume, comme à<br />

son habitude. Comme mon tour n’était pas encore venu je me suis<br />

tiré, pacifié, content pour vous. Car je puis vous ras<strong>sur</strong>er. Münchausen<br />

est vivant, <strong>sur</strong> son île, comme Brel et les autres. Il se porte bien.<br />

Il n’y a pas si longtemps que ça, mes enfants l’écoutaient.<br />

152


AdMiraBelle a de mauvaises fréquentations<br />

(Couleurs et voyelles d’Elle, V)<br />

Ça m’ennuyait de ne pouvoir joindre Mirabelle. Presque autant que<br />

d’ignorer pourquoi je faisais si grand cas d’elle. Elle n’allait ni<br />

détourner ce missile ni tomber amoureuse de moi. Je le devinais<br />

experte en cruelles sorcelleries amoureuses, j’eusse été ravi de m’offrir<br />

à elle comme cochon dingue… disons partenaire adulte consentant.<br />

J’en rêvais mais cette relation ne me semblait pas écrite dans les<br />

astres. Je sentais qu’elle jouerait un rôle dans ce drame, mais, comme<br />

toujours, je déconnais. Au mieux je rêvais. Tout ça était fort vague,<br />

divague même. Rien de plus que les pensées d’un mec qui va mourir,<br />

hallaube, dans six minutes. Même s’elles sont permafrostées.<br />

Il me fallait quelqu’un à tourmenter et je décidai de réveiller mon<br />

éditeur. Ça me plut ! Les éditeurs sont de sales cons, vous le savez.<br />

Mais je prenais un risque grave, car entrer dans la durée de ce chieur<br />

n’avait rien de divin et je risquais de remettre en route ce temps, que<br />

mon Père avait si obligeamment gelé.<br />

Si vous avez suivi mes bouquins c’est que vous êtes quelqu’un de<br />

bien. J’ai failli dire un type bien ! Vous voyez comme nous sommes,<br />

nous les mecs ? J’allais oublier ce qui fait toute ma vie : les femmes.<br />

Bref, si vous m’avez lu vous connaissez mes instincts meurtriers visà-vis<br />

des éditeurs. J’en ai révolvérisé un au sommet de la Tour<br />

Montparnasse, j’ai indiqué à un autre le chemin de la noyade, à Perros<br />

Guirec et, dans Une semaine bien remplie, ce bouquin que j’ai toujours<br />

refusé de dévoiler, je me fais piéger par lui grâce à «Jupe du<br />

cuir », la démone et femme symbole qui est à ses ordres. Du pur 007<br />

à connotation érotique. Mon éditeur est un ennemi avisé mais je sais<br />

qu’en fin de compte j’aurai sa peau.<br />

Non sans avoir à nouveau testé le portable de Mirabelle-Portobello-<br />

Antiques, je dénichai mon adversaire chez lui, très réveillé, à ma<br />

grande <strong>sur</strong>prise.<br />

- Ah ! Le Coq, fit-il. Quel bon vent ? Vous avez du neuf pour<br />

153


moi ?<br />

- Dans un sens oui, fis-je, mais vous n’allez pas le publier.<br />

- Toujours défaitiste mon petit vieux ! Ne croyez pas ça, allez,<br />

racontez-moi tout, en deux lignes.<br />

Je lui fis part de ce qui arrivait, sans entrer dans les détails.<br />

- Et le sperme ? s’agita-t-il. Le sperme ? Vous en sortez quelle quantité<br />

dans ce machin ?<br />

- Rien, fis-je moqueur. Je n’aurai pas le temps !<br />

- Même en courant ?<br />

- Même en courant, je n’aurai pas le temps. Et puis, voyez-vous le<br />

Pharisien, dans ce récit on nage à la source même du désir. Alors,<br />

qu’est-ce que vous venez me les brouter avec du sperme ? Eh ? On<br />

est en amont du foutre ! Je navigue aux sources du désir. Trop pour<br />

votre truffe ?<br />

- Dans le Big Bang vous en avez quand même sorti un million quatre<br />

cent soixante-huit litres en quelques secondes, ragea-t-il.<br />

- Possible, ricanai-je, on dirait que vous avez refait les comptes,<br />

mais ce n’était que du foutre américain. De plus c’était la main d’une<br />

Déesse.<br />

- Fallait pas qu’elle s’en aille, Ohoohoo, dit-il pas niqué, on va avoir<br />

de l’excédent de stock. Que vais-je faire de vos bouquins ?<br />

- Mettez-les en libreciel, ironisai-je, dans des halls de gare, dans des<br />

grandes <strong>sur</strong>fesses, à l’Opéra, que ça réveille les gens, que ça profite à<br />

tous.<br />

- Vous êtes trop Le Coq ! Alors c’est donc vrai ? Plus de Mexicaines<br />

dominatrices dans ce récit ? Pas la moindre cravache ? Vous ne vous<br />

retrouvez jamais ligoté dans une perverse chapelle aux mains des<br />

Furieuses ?<br />

- Hinhin, commentai-je, pas le temps, je vous le redis. (J’étais ravi<br />

de son désarroi.)<br />

- Alors ça! Et le lent glissement du plaisir ? La sève longuement<br />

retenue, les parois du volcan ?<br />

- Hinhin, réaffirmai-je.<br />

- Merde ! Et les fantasmes ?<br />

- Ah ! ça oui, fis-je. J’en parle. Pour démontrer qu’ils n’existent pas<br />

ou peu.<br />

- J’arrive pas à le croire ! Dites-moi qu’il y a au moins une bride<br />

émouvante <strong>sur</strong> une divine cheville ? Un mollet joliment musclé<br />

154


comme vous les adorez, un de ces petits hauts générateurs de bandaison<br />

et dont une bretelle se détend très légèrement, je ne vous<br />

demande pas la jupe de cuir, mais un petit signe, un plissé, une échancrure,<br />

un jean moulé fripé, je me contenterais même d’une abondante<br />

toison…<br />

- Désolé, jubilai-je, je suis tombé dans un stade de respect fusionnel<br />

avec la femme.<br />

- Ça fait mal ? s’enquit l’affreux. - Vous souffrez beaucoup ?<br />

- Je suis, pour la première fois, en harmonie avec mon ça, lui glissai-je<br />

en baissant lourdement une paupière, comme s’il pouvait me<br />

voir. Pas de sperme, pas de sexe, juste La Vie !<br />

- Impubliable, jubila-t-il. Vous baissez, vous savez ? Qui va croire<br />

ça ?<br />

- Personne, maugréai-je, c’est ça la beauté de la chose, ça ira trop<br />

vite. Ou vous, qui sait ? Pendant quelques secondes, quand vous vous<br />

calcinerez, vieux con ! Quand vous rôtirez. Et là, ça va fouetter…<br />

- Restez cool, me dit-il, j’ai ici mon ami André-François, accompagné<br />

d’une petite brune incroyable. Pourquoi ne pas venir nous rejoindre<br />

?<br />

Le téléphone m’en tomba des mains. NordAdMirabelle était donc<br />

chez ce porc ? Je me pris à regretter l’absence de Chaleur et Lumière,<br />

je leur aurais suggéré une petite visite. Mais ce ne fut pas nécessaire<br />

et, bien que je n’exerce aucun droit <strong>sur</strong> MiracleBelle quelque chose<br />

vint à mon secours, j’entendis un hurlement. Une main invisible, je<br />

sus par la suite que c’était celle du Dr Martin (né de la rosée matutinale<br />

du Midi) venait de tracer en lettres de feu, le fameux Mane<br />

Thecel Phares <strong>sur</strong> le mur du salon de ce salopard. J’imagine qu’il n’a<br />

jamais compris à quel point il fut proche de la consécration absolue,<br />

ce type est nul.<br />

Mis à part que ca ressemblait terriblement à un triple tag du type<br />

Cornard Cocu Looser ça signifiait aussi, si mes souvenirs sont justes :<br />

Dit, Pesé et Me<strong>sur</strong>é.<br />

Les jours de ce salopard étaient comptés. J’en fus tout aise.<br />

Sur quoi j’entendis un froissement assez lent et une voix féminine<br />

résonna dans l’écouteur. Mon cœur cessa de battre. Combien de<br />

minutes me restait-il ? Je l’ignorais, j’étais tout entier à l’instant attaché.<br />

155


- Jacques ?<br />

J’avalais ma salive et réussis à émettre quelque chose.<br />

Elle eut un rire frais.<br />

- Je suis la fille au stylo.<br />

- Ah ! Fis-je, le poignet gauche, c’est ça ?<br />

- C’est ça. On se voit chez Jean-Jacques, tout à l’heure. Ok ?<br />

J’okéyai. Jamais je n’admets qu’une nane me nasille un Okay, c’est<br />

un principe de base chez moi. Mais là, vous savez, j’étais déjà fou<br />

d’amour et bientôt mort. Alors ce Jean-Jacques, ce ne pouvait être que<br />

l’île Rousseau. J’étais sûr que le missile tomberait là.<br />

Ces Américains sont tellement prévisibles.<br />

156


Les monothéismes agaçaient mon Père<br />

(La Bible en marche : textes inédits)<br />

Après tout, la plupart des croyances religieuses ne sont pas très théologiques.<br />

La plupart des musulmans ne sont pas de profonds analystes du<br />

Coran. Pour un vaste nombre de musulmans « croyants », l’Islam représente,<br />

d’une manière mêlée, à demi examinée, non seulement la crainte<br />

de Dieu - la crainte plus l’amour, on le soupçonne -, mais aussi un agglomérat<br />

de coutumes, d’opinions et de préjugés qui comprend leurs pratiques<br />

alimentaires, la séquestration ou quasi-séquestration de « leurs »<br />

femmes, les sermons du mollah de leur choix, le dégoût de la société<br />

moderne en général, infestée de musique, d’impiété et de sexe, et une<br />

répugnance (et une peur) plus précise de la perspective que leur propre<br />

environnement immédiat puisse être envahi - « occidentoxiqué » - par le<br />

mode de vie libéral à l’occidentale.<br />

Salman Rushdie à propos de l’Islam (in Step across this line)<br />

Le Vatican n’a réhabilité Galilée que depuis quelques années…<br />

(entendu chez A. Corboz)<br />

Gott mit uns !<br />

(Proverbe allemand)<br />

Mon Père revint. Je lui trouvai le front couronné de nuages menaçants<br />

et je me souvins que j’avais revu trois fois Profondeur dans le<br />

même éclairage. Debout, devant une montagne couronnée d’éclairs,<br />

quelque part en Amérique du Sud. Elle me disait quelque chose. Mais<br />

je ne pouvais entendre.<br />

- Cette Mirabelle emplit tes minutes, dit Dieu. Et tu ne l’as point<br />

véritablement connue.<br />

- Si peu, mon Père. Elle m’est source d’espoir, qui d’autre ?<br />

- Je le vois, Jacques. Tu deviens, à propos de la Femme, plus proche<br />

de la poésie, avec un peu de folie, un peu d’espoir aussi.<br />

- Vous pouvez lire en moi, dis-je, mais en l’attente de cet ardent<br />

destin, si j’échoue, si je suis incapable de trouver la bonne équation<br />

de poésie, y a-t-il autre chose qui vaille la peine d’être tenté ?<br />

157


- Quelquefois, affirma mon Père, tu te mets à ressembler à la foule<br />

de mes quémandeurs.<br />

- Pardonnez-moi…<br />

J’étais horrifié de ma sottise.<br />

- J’ai moi-même quelques petites remarques, Jacques. Au-delà de la<br />

respiration des océans, de tous ces matins du monde que je vous offre,<br />

j’ai à te dire des choses qui te <strong>sur</strong>prendront.<br />

- Suis-je digne de les connaître ?<br />

- Tu le seras certainement après les avoir entendues, dit Dieu, j’irai<br />

droit à mon sujet : je n’aime pas vos monothéismes. Je n’aime pas vos<br />

églises. Je n’aime pas être pris en otage.<br />

- Mon Père… nous nous le sommes dit, dans Les Angiospermes,<br />

cette comédie de boulevard <strong>sur</strong> toile de fin du monde ! Votre voix,<br />

rendue par un comédien suisse nommé Jean-Luc Wey, a produit un<br />

effet profond <strong>sur</strong> tous ceux qui l’ont entendu ! Le texte m’en fut dicté<br />

par Vous.<br />

- C’est possible, dit mon Père, mais je vais aller beaucoup plus loin.<br />

Veux-tu m’entendre ?<br />

J’en fus affolé. Dieu me demandait de L’entendre en confession ?<br />

C’était le Ciel à l’envers. J’allais me réveiller. J’allais Le supplier de<br />

me pardonner ces pensées impies. Mais Il coupa le cours de mes<br />

réflexions.<br />

- Je suis très demandé, ces temps, sache-le. C’en devient divinement<br />

impossible. L’homme produit déjà plus de bruit que l’univers luimême.<br />

Le torrent des désirs humains, des imprécations, des justifications<br />

que je devrais accorder à toutes ces guerres me rendent l’éternité<br />

difficile. Dieu, ajouta-Il, fit l’homme à son image. Ce n’est pas<br />

tout à fait faux. Mais l’homme s’est empressé de faire Dieu à son<br />

image et c’est ainsi que sont nés les deux flux divins.<br />

Je n’avais jamais entendu parler de ces deux rivières célestes qui<br />

devaient couler entre le Créateur et nous. Curiosité aidant je me remis<br />

un peu de mon émoi.<br />

- Qui suis-je ? dit mon Père, dis-le moi.<br />

- Vous êtes l’Origine des choses, vous êtes cette aveuglante pensée<br />

de qui tout procède, même nous, en cette heure tardive. Je Vous vois<br />

écrit en toutes choses et je sais aussi que tous les grands esprits de ma<br />

race l’ont dit à l’infini, de toutes les manières imaginables. Les poètes,<br />

les philosophes et même les savants voient Votre action dans tous<br />

158


les états de la matière et de la vie. Vous êtes la vie, mon Père.<br />

- Alors, pourquoi m’appelles-tu mon Père ? Pourquoi te crois-tu<br />

plus proche de moi qu’un chien, un poisson, un arbre ou une étoile ?<br />

De quoi t’autorises-tu cette familiarité Jacques ? Te crois-tu d’essence<br />

divine ? T’ai-je à nouveau envoyé <strong>sur</strong> ce petit monde comme un<br />

fils ?<br />

J’étais comme Socrate. Ma science c’était mon ignorance. Et pourtant<br />

Il mettait l’accent <strong>sur</strong> quelque chose. Cette relation avec Lui, que<br />

seule notre espèce cultivait comme elle le fait, sous le masque de la<br />

religion. Chez les animaux ou les formes de vies quelles qu’elles<br />

soient c’était un rapport naturel. Nous les hommes, nous avions le<br />

pouvoir d’annexer Dieu. Ces deux flux divins dont Il venait de parler<br />

m’étaient en fait connus. J’en parlais souvent mais avec une petite<br />

conscience. Je vis qu’Il suivait avec approbation le cheminement de<br />

mes pensées.<br />

- N’as-tu pas, dit, il y a peu de ton temps, que j’étais modulable ?<br />

Je l’avais dit. Dans L’Amérique brûle-t-elle. Et ça n’avait éveillé<br />

aucune réaction chez ceux qui me lisent. J’en avais été <strong>sur</strong>pris mais,<br />

en un tel domaine, les gens avaient tendance à penser que je fabulais.<br />

- Mais pourquoi, dit alors mon Père, pourquoi personne ne te prêtet-il<br />

attention alors que tous se laissent capturer par les prophètes de<br />

guerre qui parlent en mon Nom ? Le sais-tu ?<br />

- Ils crient plus fort que moi. Ils font peur…<br />

En vérité je ne le savais pas, je n’avais jamais vraiment souhaité que<br />

l’on m’écoute et encore moins que l’on me suive.<br />

- La vérité, dit-Il alors, est que les monothéismes sont la pire chose<br />

que l’homme ait édifiée. J’ai le pouvoir de détruire la fourmilière<br />

humaine mais tu sais bien que ce n’est pas dans ma nature. Je suis un<br />

créatif pur, j’ignore la punition, je ne connais que la transformation et<br />

l’évolution. L’homme, cet être improbable, dispose de certains pouvoirs<br />

qui sont très <strong>sur</strong>prenants, comme celui d’absorber une partie de<br />

ma force et de la réfléchir. L’Homme miroir ! Tu en as parlé,<br />

Jacques !<br />

- Oui, dis-je totalement captivé, oui, Vous parlez également de la<br />

couronne de Lumière.<br />

- Ou de ce que tu décris avec ces mots, oui.<br />

Je n’avais pas inventé cette image, je l’avais trouvée dans les reli-<br />

159


gions d’Inde et d’Orient. Il devait exister, sinon autour de nous, hors<br />

de notre sphère existentielle, une sorte de grande lumière d’où provenaient<br />

toutes les sources divines que nous pensions pouvoir nous<br />

approprier. Combien de fois Dieu ou Oriane, quand elle était Kali,<br />

n’avaient-ils pas parlé de revenir à la couronne de Lumière. Je saisis<br />

ce que ces mots désignaient : un retrait, un désengagement divin.<br />

- Mais, dit-Il, tu seras <strong>sur</strong>pris de savoir que c’est impossible. Quand<br />

mes enfants m’appellent je viens, Ils ont tellement peur de la mort !<br />

- Même s’ils vous appellent pour justifier une guerre ? dis-je avec<br />

une audace que je regrettai de suite.<br />

- Surtout quand ils le font !<br />

Et ça me vint. Une écluse, quelque part, s’était rompue. Je sentis<br />

déferler un flot de paroles noires. Je me laissai emporter.<br />

- J’ai cru comprendre que nous avions ce pouvoir d’attirer une parcelle<br />

de votre lumière. Pour nous éclairer, nous réchauffer, nous permettre<br />

de rêver qu’il y avait une vie après la vie. Une vie en Vous,<br />

mon Père, quelque chose d’autre que la simple extinction. Nous sommes<br />

une race agressive, méchante et craintive et c’est pour cela que<br />

nous sommes dangereux. Nous ne supportons pas l’idée de notre<br />

mort. « Out brief candel ! » Chaque fois que je relis cette petite<br />

phrase du grand Shakespeare elle me pénètre un peu plus. Enfant, j’ai<br />

été élevé dans une église catholique et j’aimais avec ferveur ce que<br />

l’on me faisait croire. Je m’en suis éloigné, par la suite, j’ai passé la<br />

plus grande partie de mon existence loin de Vous, je ne vous appelais,<br />

comme tous les autres, que quand j’avais peur. En avion, au décollage,<br />

j’imaginais toujours une grande main soutenant ce vaisseau si<br />

fragile. J’ai été ingrat, oublieux et quémandeur. Je n’en suis pas fier<br />

mais il me semble que je l’ai commencé à changer. Mon évolution est<br />

venue avec la fin d’un siècle. Je ne voyais que des gens qui Vous<br />

demandaient protection et fortune. Pour eux, Vous n’étiez pas différent<br />

d’un banquier ou d’un monarque. Mais, je me suis demandé ce<br />

qu’eux Vous donnaient ? J’ai été frappé dans ma vie, j’ai approché la<br />

mort et j’ai parcouru la vallée, ce qui est une terrible expérience. Il<br />

m’en est venu un peu de compréhension, un horizon aux limites<br />

repoussées, je n’oserais l’affirmer. La même pensée me revenait<br />

encore et encore, nous Vous demandons tout et nous ne Vous apportons<br />

rien. Une phrase connue était à modifier « Ne vous demandez<br />

160


pas ce que Dieu peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous<br />

pouvez faire pour Lui ». Je savais qu’il existait des âmes ferventes<br />

mais j’avais cessé de croire en Vos représentants. Ils se paraient de ce<br />

titre mais ils n’étaient rien. Rien de Vous. Ce fut difficile car enfant,<br />

on m’avait imposé une longue obéissance mentale, et les gens d’église<br />

savent s’y prendre. L’église de Rome m’a choqué et déçu de par<br />

ses fastes et sa doctrine rigide. Je n’aime pas son passé. Elle a régné<br />

par le fer et par le feu tant qu’elle le pouvait. Nous avons tous été<br />

tentés par l’Orient, le bouddhisme, le monde arabe. Il y avait, à nos<br />

yeux, quelque chose de plus pur et de plus intransigeant. Nous nous<br />

étions trompés. L’Islam n’est, pour ceux qui le propagent, qu’une<br />

pratique de pouvoir qui n’est en rien différente de celles des sectes et<br />

fondamentalistes américains. Cette religion s’est trouvé un point<br />

commun avec celle des Juifs et des Catholiques : l’oppression de la<br />

femme qui joue un rôle clef dans tout cela. Depuis les origines de<br />

l’humanité on s’acharne <strong>sur</strong> elle. Cathos, Protestants, Islamistes et<br />

Fondamentalistes américains s’entendent <strong>sur</strong> ce point. L’ennemi<br />

public ce n’est pas Ben Laden, c’est la femme, et personne ne voulait<br />

ni n’osait le dire. J’ai entendu hier un prêtre dire que l’Église n’avait<br />

pas jugé bon de lui conférer le pouvoir de la représenter. Corboz l’admirable,<br />

qui affecte de ne pas croire en Vous, vient de me dire que<br />

l’histoire de l’église n’est qu’une longue traînée de sang. En réalité je<br />

suis convaincu d’une chose : les problèmes théologiques ne tourmentent<br />

que les hommes. Les femmes sont, un tout petit peu comme Vous,<br />

proches de la Nature. Et c’est ce que les fanatiques leur reprochent.<br />

J’ai vu qui était Dieu dans nos sociétés et c’est la justification du<br />

pouvoir. Comment ai-je pu ignorer aussi longtemps les signes évidents<br />

de l’u<strong>sur</strong>pation de Votre règne ? Car aussi loin que je puisse le<br />

voir, le savoir, l’avoir lu ou entendu, Votre Nom n’a servi qu’à tuer.<br />

Le Dieu de la création, Vous mon Père et je vous demande avec simplicité<br />

d’accepter que je Vous donne ce nom, Celui qui est Énergie et<br />

plan créateur, n’a jamais été dans les sociétés monothéistes que le<br />

prétexte à la domination, l’oppression, le pillage et la tuerie. J’en suis<br />

venu à concevoir que Vous n’existiez pas, mon Père. Pas que Vous<br />

soyez mort mais que Vous n’existiez pas, tel que les prêtres Vous<br />

décrivent. Pour justifier cet abus de Votre Nom il fallait que Vous<br />

soyez seul et abstrait et les hommes ont bâti leurs monothéismes, plus<br />

faciles à manipuler. Comme je les comprends ! Ils avaient besoin de<br />

161


Vous y enfermer. Cette forme autoritaire leur convenait à merveille,<br />

avec elle ils ont régné des siècles, ils ont réussi à éclipser le rôle que<br />

Vous aviez donné à la Femme, « Celle qui harmonise les énergies<br />

masculines » et leurs guerres sont devenues sans exceptions des guerres<br />

saintes. Je vois que cet incendie de violence religieuse se rallume<br />

maintenant, peut-être plus fort que jamais, avec les moyens de destruction<br />

massive dont nous disposons. Je suis frappé de voir à quel<br />

point le génie de l’homme s’est tourné vers la fabrication d’horreurs.<br />

Nous avons consacré notre intelligence à exterminer et faire souffrir<br />

nos semblables. Ce napalm - qui fut semble-t-il conçu à <strong>Genève</strong> dans<br />

un institut américain, n’est-il pas une pure splendeur puisqu’il s’agit<br />

de mélanger de l’essence, de la paraffine pour qu’il colle bien aux<br />

corps des victimes et même du phosphore pour qui ni l’eau ni le sable<br />

ne puissent l’éteindre ? Et ces bombes antipersonnel américaines qui<br />

projetaient dans les corps des billes de plastique indécelables aux<br />

rayons X dans les hôpitaux ? Quelle superbe horreur ! Sans parler des<br />

sérums de vérités, des poisons lents, des cages inhumaines, des gaz<br />

neurotoxiques, de l’uranium enrichi, de l’arsenal de la haine. Blesser,<br />

mutiler, brûler, exterminer voila qui aura été un but bien religieux<br />

pour cette époque. Pas différente des autres. Et nous tuerons tous les<br />

affreux ! Et nous tuerons les infidèles. Plaisante idée, car si le travail<br />

est bien fait il ne restera personne à la <strong>sur</strong>face de ce monde, on est<br />

toujours l’infidèle de quelqu’un. Pour tout faciliter, l’homme est stupide<br />

! Les fous illuminés le changent en marionnette à leur guise. La<br />

contagion religieuse est si puissante que tout cède <strong>sur</strong> son passage.<br />

Comment pouviez-Vous les laisser faire ? Je ne comprenais pas, mais<br />

je ne me suis pas révolté. Tardivement il m’est venu une idée à propos<br />

de la couronne de lumière, de Votre énergie divine dans laquelle toutes<br />

vos apparences existent, bien au-delà de ce que les hommes ont<br />

imaginé. J’entrevois ce que sont les deux flux divins. Il doit exister<br />

un double courant. Votre énergie qui descend vers les hommes et un<br />

flux de retour qui est ce que les hommes font de cette force. À ma<br />

manière j’avais eu cette intuition il y a bien des années, j’en parlais<br />

en disant que l’Amérique brûle des énergies animiques pour les<br />

convertir en énergies industrielles. Vous nous avez donné cet étrange<br />

pouvoir de connaître Votre existence et d’attirer à nous, par la vibration<br />

de nos âmes, une partie infime de Votre énergie, des forces de la<br />

grande couronne. Je crois dans le rassemblement des âmes. Je crois<br />

162


qu’il permet de développer des forces terrifiantes. En ce sens, mon<br />

Père c’est vrai, vous êtes modulable. Car ces forces terrifiantes sont<br />

utilisées pour le bien ou pour le mal. Essentiellement pour le mal,<br />

Vous le savez mieux que moi. Vous le permettez et je ne puis le comprendre.<br />

Des prophètes sont venus. Des hommes parlant en Votre<br />

Nom. Leur religion n’a plus rien à voir avec Vous. C’est une maladie<br />

contagieuse, une épidémie se répandant plus vite que la peste. Pas<br />

d’anticorps contre la religion ! Aucun vaccin. Que les Prophètes<br />

soient maudits, quand l’un d’entre eux apparaît notre monde se porte<br />

plus mal. Jamais nous n’aurons autant tué en Votre nom et, s’ils peuvent,<br />

ils iront jusqu’au bout. Cette double rivière naît de la capacité<br />

des hommes à Vous appeler auprès d’eux. Je sais des villes si pleines<br />

de foi qu’elles brillent la nuit dans les déserts. Mais de quelle foi ? Le<br />

pouvoir, l’argent et la haine ! Ce ne sont plus les cités saintes dont<br />

nous avons entendu parler. Ont-elles existé ? Je ne sais pas. Vous nous<br />

donnez la foi, l’énergie, Vous nous accordez quelque chose dont les<br />

animaux n’ont peut-être pas besoin. Et nous l’utilisons. Nous sommes<br />

des hommes miroirs, nous Vous contemplons, nous utilisons Votre<br />

force parce que notre race est faible, perdue, peu évoluée, sans défense.<br />

Mais le flux de retour, l’autre rivière, est quelque chose qui me fait<br />

horreur. Vous nous apportez Votre lumière et nous Vous retournons de<br />

la noirceur. Tout cela, mon Père, c’est l’homme. Nous sommes déchus<br />

de votre jardin d’Eden. Nous avons perdu l’innocence. Être une bête !<br />

Je voudrais tant être une bête. Je sais qu’il existe des lois de prédation.<br />

Mais nous ne serons jamais plus innocents comme les bêtes de Votre<br />

création. Détruisent-elles leur environnement ? Cherchent-elles à<br />

posséder plus que ce qu’il leur faut ? Je ne crois pas. Être homme<br />

signifie donc avoir perdu la me<strong>sur</strong>e. Je sais que le mal est en nous, je<br />

vois qu’il n’existe pas en soi. Je comprends que Vous n’êtes ni bon ni<br />

mauvais : Vous êtes. Vous l’avez dit à un prophète et les théologiens<br />

ont interminablement commenté cette phrase. Qu’avez-vous dit ? Je<br />

Suis. Je suis Qui je Suis ? Je suis Ce Qui Est ? Les docteurs de l’église<br />

nous disent qu’il y a une infinité de versions de cette parole.<br />

J’aimerais bien, mon Père, que les docteurs de l’église disparaissent<br />

ou reviennent à des choses plus simples et plus réelles. En vérité je<br />

n’ai trouvé dans le monde, à Votre propos, que de la haine et de la<br />

fatuité. Cette église catholique dans laquelle j’ai été élevé est décadente<br />

et son passé est si lourd. Qu’a-t-elle pratiqué sinon le pouvoir ?<br />

163


Je sais que c’est le maître mot : le pouvoir. Je ne crois guère en l’existence<br />

de Votre double infernal. Je vois que le démon, Satan, est une<br />

projection humaine, qu’il est notre fatalité. Le pouvoir et l’ange des<br />

ténèbres sont le mauvais usage que nous faisons de notre interface<br />

divine. Je ne suis rien, mon Père, je ne suis ni un acteur important de<br />

ce temps, ni un penseur reconnu. Mais je suis en colère. Moi non plus<br />

je n’aime pas les monothéismes. Je trouve qu’il est plus sage de<br />

reconnaître beaucoup de Dieux pour éviter la tentation de détourner<br />

leurs pouvoirs. Une démocratie divine est plus difficile à manipuler,<br />

nous en avions des échos du Mont Olympe, d’Égypte, d’Inde. Ce don<br />

que vous nous avez fait de la foi et de sa propagation reste un mystère<br />

pour moi. C’est tellement puissant ! Je ne vois aucune autre<br />

explication que la peur. Quand les hommes crèvent de trouille ils<br />

développent envers Vous un amour insensé, dramatique, pathétique et<br />

il se propage comme un virus, comme un incendie. Je ne sais qu’ajouter,<br />

mon Père. Je ne suis pas très cohérent. Mais, en ce domaine, notre<br />

logique a-t-elle un sens ?<br />

Pardonnez-moi la confusion et l’audace de ces pensées. J’aimerais<br />

simplement rester avec Vous. Ou que Vous me disiez ce qu’il convient<br />

de faire. Car en réalité, devant ce qui se produit, je suis entièrement<br />

perdu.<br />

Je relevai les yeux et vis un instant la montagne entourée d’éclairs.<br />

Tout s’effaça. Je n’avais été parlé que par mes émotions et ce besoin,<br />

ressenti toute ma vie, de retrouver mon Père. Depuis la fin de mon<br />

adolescence j’avais cherché à le revoir, j’avais souffert de ne pas<br />

l’avoir mieux connu. Et Dieu m’était apparu un jour, à la fin d’un<br />

roman et je L’avais aimé. C’était difficile d’entretenir une relation<br />

avec quelqu’Un dont le monde entier, en paroles, en action et <strong>sur</strong>tout<br />

en omissions, niait l’existence ou l’affirmait à des fins guerrières.<br />

Une seule chose me paraissait certaine. Le salut viendrait des femmes.<br />

Elles n’étaient pas troublées par Dieu, à l’inverse de la gent<br />

masculine si désespérée, elles n’en faisaient jamais mauvais usage.<br />

Elles étaient. Elles étaient proches de Nature.<br />

Ça n’allait certainement pas changer.<br />

164


Escarpins et Deal méta narratif<br />

(Minute méta-narrative)<br />

Des vingt et un beaux parcours de <strong>Genève</strong> on distinguait celui qui<br />

mène du quai Gustave Ador et sa maison royale au Jardin Anglais,<br />

l’endroit chic de nos grands-parents, un peu laissé aux petits dealers<br />

et aux touristes japonais mais encore paré de son romantisme discret.<br />

En face, la rue du Rhône qui est le Main Street des gens aisés. Et ce<br />

vieil éléphant blanc, l’hôtel Métropole, dont Mirabelle sortait justement.<br />

Elle avait assisté, un peu par hasard, à une vente aux enchères<br />

d’une très belle collection d’art religieux espagnol menée par quelques<br />

maffieux de l’hôtel Drouot. Dans l’indifférence générale elle<br />

avait acheté, pour la somme de cent francs, l’Oiseau vert lui-même,<br />

personnage de légende dont personne n’avait réalisé l’importance.<br />

Deux pas plus loin il y avait quelques boutiques de luxe où elle aimait<br />

longuement traîner. Mirabelle dansait rive droite mais shoppait rive<br />

gauche. Elle s’était installée chez Graziellana, pour respirer le parfum<br />

subtil du cuir et des fantasmes féminins. Elle pouvait sentir les émois<br />

des femmes qui s’étaient assises là, <strong>sur</strong> ces tabourets d’essayage, elle<br />

pistait ces touches violines de désir, passait en revue les déceptions et<br />

les projets amoureux qui s’étaient formés et défaits là, c’était sa<br />

minuscule perversité. Très concentrée <strong>sur</strong> deux paires d’escarpins<br />

italiens, l’un à brides de cuir beige signé Strandivarius, l’autre noir<br />

mat, plus classique, griffée Savonarale, taillée en pointe de manière<br />

tout à fait torturante. Elle n’avait pas décelé l’approche de l’homme<br />

qui prit place à ses côtés. Elle lui glissa un coup d’œil oblique, leva<br />

un sourcil et sourit.<br />

- Vous voulez en essayer un ?<br />

- Pas vraiment mon truc !<br />

L’inconnu hocha la tête de gauche à droite et retira ses lunettes de<br />

soleil. C’était le Dr Martin ! Cet homme si courtois, dont la voix<br />

chantante évoque Midi le juste. Détail étrange, il était habillé comme<br />

le privé dans « Les cadavres ne portent pas de costards ».<br />

165


- Ou me les offrir ? poursuivit-elle, avec sa désarmante candeur.<br />

- Devrais-je ? Et pourquoi cela ?<br />

- Parce que vous êtes le fameux Dr Martin. Né de la rosée matutinale<br />

du Midi. Vous êtes partout ! ajouta-t-elle, vous hantez cette histoire.<br />

Vous êtes central !<br />

- Ah ! Nous y voilà. Vous êtes Mirabelle. Mirabelle LaNuit. Et nous<br />

sommes le 29 mars.<br />

- Plein de petits béliers en perspective, acquiesça-t-elle. Oui, je suis<br />

cela, Mirabelle. La chose ! Le monstre femelle. La nana. Le Blimp !<br />

Une jeune Parque ! On dit tant de choses de moi. En réalité je suis<br />

quelqu’un de très simple. Comment m’avez-vous trouvée ?<br />

- Demandez-moi plutôt comment je pourrais vous éviter ! Toutes les<br />

pistes mènent à vous. Et à ce type que je vais piquer tout à l’heure.<br />

J’ai dû tomber dans son récit au moment où il se rajustait. Mais je<br />

n’avais pas prévu de me retrouver joueur dans une telle partie<br />

d’échecs.<br />

- Alors là ! Moi non plus.<br />

Elle éclata de rire.<br />

- C’est donc vous le catalyseur. Est-ce que ça vous pose un problème<br />

?<br />

- Je lis des bouquins d’aventure mais je mène une vie normale, vous<br />

savez. J’ai tant à faire. Je suis tenté de ne pas effectuer cette piqûre,<br />

dans - il consulta sa montre - une heure et des poussières.<br />

- Quelle idée ! Si vous ne le faites pas, je ne vais jamais exister. Le<br />

monde n’est qu’un conte…<br />

- Raconté par un idiot ? coupa le Dr Martin.<br />

- Oh ? Dans notre cas je dirais un poète distrait, ne soyez pas trop<br />

sévère.<br />

- Et ne distillant aucun sens ! insista-t-il.<br />

Il avait, pensa Mirabelle, un léger accent du sud de la France absolument<br />

trognon. Montpellier, décida-t-elle. Pas Carcassone,<br />

Montpellier. Bézier très éventuellement. Ce type avait sûrement du<br />

sang espagnol. Quel regard…<br />

Un vendeur s’approcha. - Puis-je vous aider ?<br />

- « Bababadalgharaghtakamminarronnkonnbronntonnerronntuonnt<br />

hunntrovarrhounawnskawntoohoohoordenenthurnuk ! » vocalisa<br />

Mirabelle qui adorait placer by heart les tonitruants aphorismes de<br />

Joyce.<br />

166


Décoiffé par cette rafale sémantique, le malheureux jeune homme<br />

s’éloigna en boitillant.<br />

- Vous pourriez le répéter ? fit un Dr Martin incrédule.<br />

- Même à l’envers, dit le casque de cheveux noirs, mais écoutezmoi,<br />

Dr Martin. Si vous m’offrez cette paire de Savonarales, j’accommoderai<br />

votre destinée comme vous le désirez, dans vos rêves les plus<br />

fous.<br />

Le Dr Martin prit un air outré.<br />

- Vous n’y pensez pas ! Vous êtes très séduisante mais… Je suis<br />

marié et fidèle.<br />

- Ils disent tous ça, rigola Mirabelle qui commençait à vraiment<br />

s’amuser.<br />

Montpellier, à tous les coups, réfléchit-t-elle. Ça la travaillait.<br />

Fréjus ? Non, trop ab<strong>sur</strong>de. Je vais voir du côté de Nice. Mais c’est<br />

vague, Nice. Marseille ? Jamais. Elle changea brusquement de tactique.<br />

- Vous aimez mes pieds ? demanda-t-elle avec une infinie candeur.<br />

Vous les aimez vraiment beaucoup ?<br />

- Lumineux ! affirma le mystérieux Dr Martin. Ils réuniraient une<br />

foule de dévots, <strong>sur</strong>tout en Italie.<br />

- Les pieds lumineux de Marie ! Oh… Docteur, vous avez dit ça<br />

pour me faire plaisir ?<br />

- On en mangerait, s’extasia-t-il. Affirmatif.<br />

- Un bon point pour vous ! Restez <strong>sur</strong> la fréquence Docteur ! J’adore<br />

votre voix tellement chanterelle, vous savez.<br />

Le Dr Martin, qui était violoniste à ses heures, ne releva pas.<br />

- Merci. J’y suis habitué. Les gens d’ici repèrent mon accent.<br />

Carcassone ? se demanda-t-elle à nouveau, impossible, c’est trop<br />

typé. Montpellier doit être la bonne solution ou alors… Draguignan ?<br />

Je sens bien Draguignan. La Mole ? Non, c’est trop folklo. Saint Paul<br />

de Vence ! Voilà !<br />

Elle le fixa intensément.<br />

- Vous me les offrez, ou merde ?<br />

- Offrir ce genre de chaus<strong>sur</strong>es est très compromettant, fit le Dr<br />

Martin sans se démonter. C’est un gage, presque un contrat.<br />

- Plus compromettant que d’offrir une boîte de condoms ?<br />

- Infiniment plus. Ne mélangez pas le plastique et le sacré.<br />

Elle rit et rangea ses pieds. Pour une fois ils n’avaient pas fonc-<br />

167


tionné. Ce type avait de l’humour et du contrôle mais elle ne parvenait<br />

pas à définir sa fonction dans cette histoire. C’était certainement<br />

un personnage méta narratif, ce genre qui apparaît hors du temps de<br />

l’intrigue. Qui était-il ? Homère ? Shakespeare ? Et avait-il déjà<br />

injecté les corticoïdes fataux dans la colonne de l’auteur ou allait-il le<br />

faire ?<br />

Il y avait du paradoxe temporel dans l’air. Il avait peut-être déjà<br />

balancé ses cristaux lents dans la colonne médullaire de Jacques qui,<br />

par réaction à la vitesse de l’éclair, avait édifié cette réalité. Mais<br />

alors pourquoi réapparaissait-il à tous les angles durs de cette intrigue<br />

? D’autre part il prétendait devoir faire cette piqûre dans l’heure<br />

à venir.<br />

- Le temps n’a pas d’importance, se dit-elle.<br />

Seul un jeune mythe pouvait penser ainsi.<br />

Pour qui possède la grille il y avait à l’évidence beaucoup de vérité<br />

dans ce récitfouillis. Elle décida de mettre le paquet.<br />

- Allons ! Piquez-le et, pour une nuit, je ferai de vous le plus grand<br />

auteur de théâtre qui ait jamais vécu. En prime je sauverai cette ville.<br />

Et vous avec, soit dit en passant.<br />

- Et si je refuse ?<br />

- Je n’aurais jamais existé, vous serez changé en statue de sel et<br />

condamné à admirer mes pieds pour l’éternité. Détail : vous devrez<br />

auparavant payer cette paire de Savonarales que j’ai un peu totalement<br />

beaucoup griffée. Elle joignit le geste à la parole.<br />

- Sept cent quatre-vingt-dix-neuf euros, c’est donné !<br />

- Ça ce discute ! fit le Dr Martin. Pas banales vos méthodes. Une<br />

terroriste de charme ! Vous m’avez presque convaincu.<br />

- Voici qui va parachever le travail, dit Mirabelle qui, très câline, se<br />

pencha vers lui, s’agrippa au revers de son imper Macintosh et lui<br />

su<strong>sur</strong>ra crescendo à l’oreille :<br />

- « BigbababoumAlgarveèktoplasminnecirrrromiroiraminagrobisvo<br />

biscumsenttellementsupbonquetonnerrrnsmellerineretuèrentthunntrovarrhounawnskawntoofeetdiluisiouxhoorhoooor’windhowlingdemesdz’innngss<br />

! »<br />

- C’est une variation, précisa-t-elle.


- Aoutch ! Qu’est-ce qui vous prend ? fit le Dr Martin qui avait<br />

blêmi.<br />

- Just a check, fit Mirabelle. Si vous étiez Jeudi ça aurait pété, si<br />

vous étiez l’auteur de ce récit vous auriez pris des notes et si vous<br />

étiez humain vous seriez parti à tout vibrure acheter des Q-Tips.<br />

- Qui suis-je, selon vous ?<br />

- Vous êtes le pivot de cette émission.<br />

Elle se prit à rire tout en montrant ses dents le moins possible.<br />

Martin avait des pouvoirs, c’était certain. Peut-être allait-il créer un<br />

nouveau monde, juste comme ça, snip ! Avec une piqûre. Les médecins<br />

devraient se méfier, se dit-elle. Ils s’imaginent traiter un troupeau<br />

indifférencié de gens résignés qui marinent dans leurs salles d’attente,<br />

après avoir passé par les fourches claudines de secrétaires très moyennement<br />

aimables. Ils peuvent très bien, ici ou là, tomber <strong>sur</strong> un<br />

voyant. Ou même <strong>sur</strong> un Snark variante Boojum. Le Dr Martin<br />

n’avait pas suivi cette réflexion. Il haussa les épaules et rechaussa ses<br />

lunettes de soudeur, ce type oscillait entre le charme absolu et le<br />

redoutable. Je le verrais bien à Montélimard, pensa-t-elle. Romans,<br />

bles<strong>sur</strong>e de l’Isère, ce serait trop beau mais l’accent n’y est pas assez<br />

chantant. Une lumière descendit <strong>sur</strong> elle. Elle opta pour Marseille,<br />

avec un stage à Montpellier.<br />

- Allez-vous publier cette histoire ? grogna le Dr Martin.<br />

- Oh ! Je ne sais pas, dit-elle distraite. Moi sûrement pas, lui probablement<br />

et personne ne le croira. Sauf les idiots des alentours avec qui<br />

il règle ses comptes. Il faut le laisser aller, vous savez.<br />

- Aller ? Où donc ?<br />

- Là où vont les poissons, fit Mirabelle. Où vont les grands poissons<br />

? À la maison. Ils trouvent toujours le chemin. Vous et moi ne<br />

sommes, en définitive, que des plombiers qui libèrent un conduit, un<br />

canal, une voie d’eau. Alors, Docteur ? Deal ?<br />

- Deal ! fit le Dr Martin qui se demanda s’il serait Molière, Arrabal<br />

ou Shakespeare. Il eut aimé qu’elle lui fournisse le mode d’emploi de<br />

cette histoire. Mais, après tout, ce n’était pas si frustrant que ça de<br />

passer quelques minutes en compagnie d’un jeune mythe du nom de<br />

Mirabelle. Une chose le tracassait.<br />

Pourquoi avait-elle l’air d’une vierge sacrée ?<br />

169


170


L’apprenti sourcier<br />

(Minute qui ne compte pas car elle dégouline d’une autre, en amont)<br />

Il est intéressant de remarquer qu’une théorie presque similaire avait<br />

été énoncée par un contemporain de Dante, le grand kabbaliste du<br />

XIII siècle Abraham Abulafia : selon lui, Dieu avait donné à Adam<br />

non une langue spécifique mais une espèce de. méthode, une grammaire<br />

universelle qui, ayant été perdue avec le scandale de Babel,<br />

avait <strong>sur</strong>vécu parmi le peuple hébreu, lequel avait eu la finesse d’utiliser<br />

cette règle pour créer la langue hébraïque, la plus parfaite des<br />

soixante-dix langues postbabéliques. Toutefois, l’hébreu dont parle<br />

Abulafia n’était pas un collage des autres langues, mais bien un corpus<br />

totalement nouveau, produit en combinant les vingt-deux lettres<br />

originales (les segments élémentaires) de l’alphabet divin.<br />

Umberto Eco (De la littérature)<br />

Avant de plonger dans les turbulences sémantiques de Joyce, d’en<br />

rechercher, comme un apprenti sourcier, les eaux vives, j’aimerais<br />

dire quelque chose à propos du présent ouvrage. On peut tout à fait le<br />

lire œil de travers, en sautant ce qui ennuie ou ne paraît pas évident,<br />

en ne conservant que ce qui attire, l’éclat d’un mica, un visage que<br />

l’on pense avoir reconnu, un désir, un amusement, quelque chose qui<br />

rappelle la foire du temps présent. On ne serait. somme toute, pas<br />

différent d’une femme faisant du lèche-vitrines alors que nous, les<br />

auteurs, serions amenés à apprendre le métier d’étalagiste et de décorateur.<br />

C’est une manière moderne de lire, je ne la conteste nullement,<br />

je la pratique quelquefois. Mes professeurs, au Collège Calvin, en<br />

seraient tombés morts <strong>sur</strong> le champ. La lecture est un effort. Eh bien,<br />

ça a changé. Nous adorons moins les efforts. Nous en consentons<br />

quelquefois mais il nous faut une raison, un nom, un petit fantasme,<br />

un mobile. Je trouve ça parfaitement normal : comment voulez-vous<br />

demander à des lecteurs qui sont bombardés en permanence par des<br />

messages dont, la plupart du temps, ils n’ont que faire, de consentir<br />

un effort pour entrer dans ce que vous écrivez ? Il faut être un foutu<br />

conteur ! Rushdie nous a très bien montré comment les éditeurs de ce<br />

171


temps assassinent les lecteurs. Je suis pour une grande liberté et une<br />

totale oxygénation. Il existe des gens qui savent feuilleter la vie.<br />

Il y a environ six ans, les lecteurs de mon premier roman, Idéale<br />

Maîtresse, cherchaient en majorité des scènes de sadomasochisme<br />

sexuel dans cette écriture. Ils les ont trouvées. Cette édition a été très<br />

vite épuisée pour de mauvaises raisons. Le discours <strong>sur</strong> la purification<br />

que fait subir Lili à Giovanni (Don Juan) est passé inaperçu et peu de<br />

lecteurs ont saisi que le pouvoir dominant de la femme était une<br />

limite donnée à la violence territoriale masculine. Je cherchais, à partir<br />

du procès, de cet affrontement homme femme, à comprendre ce<br />

que pouvaient être les frontières du couple humain et, au delà, imaginer<br />

quelques lignes du code ADN, un détail du plan Genesis avec<br />

beaucoup d’ambition. C’était un risque à prendre, après tout j’avais<br />

déjà mes dix grands lecteurs, j’étais comblé. En ce qui regarde H <strong>sur</strong><br />

<strong>Genève</strong>, je suis le premier à conseiller de choisir son altitude. Ou la<br />

profondeur à laquelle on a envie de descendre. Il y a une lecture<br />

« Mirabelle », une lecture « missile et politique sarcasme », une lecture<br />

« thrilling », une lecture genevoise bien entendu, une lecture de<br />

choses littéraires (Joyce, le roman, Münchausen), une lecture théologique,<br />

une lecture des insolences et de la création verbale, une lecture<br />

des hypothèses effrayantes (L’essaim, quand Mirabelle sourit) et une<br />

lecture héroïque (tout ce qui arrive au protagoniste et comment il le<br />

vit), etc. Sans oublier la plus courante, la lecture sautée, feuilletée,<br />

prendre ce qui capture l’attention. Il y a peut-être une lecture intégrale<br />

mais elle peut m’échapper, même à moi. Il n’y a que quand<br />

j’écris que j’ai une vision totale de l’œuvre, du coin de l’œil, mais ça<br />

se dissipe. Le tout est expérimental mais assez peu. Ce qui est expérimental<br />

c’est de mener en parallèle le contrepoint de thèmes très<br />

différents, de divers angles de vue, de diverses cultures et d’espérer<br />

renouer l’ensemble à satisfaction à la fin du récit.<br />

J’avais donc vécu quelques mois avec des livres de Rushdie, d’Eco,<br />

de Bobin, à un autre niveau avec Chrichton et, depuis des années,<br />

avec le Finnegans wake, de Joyce. J’ai eu dès le début envie d’en dire<br />

quelque chose mais ma connaissance de l’anglais n’est pas suffisante<br />

pour en tenter ici une démonstration convaincante. Je pourrais faire<br />

semblant mais ça ne serait que gaspillage.<br />

Ce qui frappe quand on achète ce livre, qu’il s’agisse d’une version<br />

française partielle ou du texte original, c’est que l’auteur et les com-<br />

172


mentateurs vous avertissent : c’est illisible. Personne ne l’a lu en<br />

entier. Michel Butor le précise, je le confirme. J’ai vu que de très<br />

hautes intelligences se sont penchées <strong>sur</strong> ce texte, dont je ne connais<br />

personnellement aucun équivalent en littérature. J’ai eu l’idée modeste<br />

de le peser.<br />

Il y a dans mon édition anglaise 625 pages de texte avec une moyenne<br />

de 35 lignes qui comportent chacune environ 11 mots, soit un quart<br />

de million de symboles. Je ne compte pas en dessous de la molécule<br />

« mot » car les lettres n’ont que très rarement du sens par elles-mêmes,<br />

à la différence de la musique. Pour un chef d’orchestre, manier<br />

300’000 symboles est assez courant. Un symbole est tout ce qui<br />

modifie le sens du discours. Une note, une indication de jeu, une<br />

nuance, un silence, etc. Un quart de million de signes, c’est l’équivalent<br />

d’une symphonie classique d’une vingtaine de minutes. Pour un<br />

écrivain non expérimental ce chiffre n’est pas extraordinaire car ses<br />

mots sont cadrés par des séquences, ils forment des sous-ensembles,<br />

gammes, arpèges, mélodies et tout ce qui peut être rangé dans les<br />

micro et même mésostructures. Le sens de leur récit évolue mais pas<br />

les mots qui en sont les briques, les molécules. Dans le cas de<br />

Finnegans wake, c’est très différent car il s’agit d’un monde en<br />

bouillonnement, local ou étendu, dont les briques ou atomes de base<br />

sont instables. Comme chaque mot, ou presque, interagit avec ses<br />

voisins ou avec le contenu des « mots tiroirs » on peut imaginer que<br />

les significations du texte sont infinies ou, au minimum, hors de notre<br />

horizon imaginatif.<br />

Je me suis amusé à compter la proportion de séquences « logiques »<br />

dans ce discours. Sujet, verbe, complément, discours intelligible, etc.<br />

Joyce était obligé d’avoir un minimum de redondance et/ou de clarity<br />

car s’il avait livré une bouillie de mots sans syntaxe, fut-elle géniale,<br />

il ne s’en serait rien dégagé. Or le Wake raconte une histoire et décrit<br />

des situations. La redondance (prévisibilité, répétitions servant de<br />

balises, construction ordinaire) de Joyce est à peu de choses près normale,<br />

je la situerais (au pif) aux alentours de 25 % ce qui est déjà<br />

beaucoup. Un discours banal et répétitif peut atteindre 70 % de redondance,<br />

la poésie se situerait probablement aux alentours de 20 à 15 %,<br />

en dessous le sens se perd et un système chaotique s’installe. Dans<br />

Finnegans wake, la phrase n’est pas mutilée, les mots pivots inversés<br />

173


ou absents, c’est ailleurs que se joue la partie. Ce texte est polyphonique<br />

au vrai sens du terme. Des sens courent les uns <strong>sur</strong> les autres, il<br />

y a un contrôle vertical. Quelques <strong>sur</strong>prises, tel un mot de cent lettres<br />

(un coup de tonnerre, idée de méga molécule qui sera reprise par<br />

Rushdie dans les Versets sataniques) et des techniques de morphing<br />

qui attirent l’attention d’un musicien <strong>sur</strong> l’aspect électroacoustique de<br />

l’œuvre. Bien entendu, à la parution du livre, en 1939, il n’existait<br />

pratiquement aucun laboratoire de musique concrète ou électronique,<br />

il n’y avait que des pionniers relativement isolés. Joyce ne joue pas<br />

tant <strong>sur</strong> les sons que <strong>sur</strong> les sens des mots. J’ai pris connaissance<br />

d’une impressionnante étude de Michel Chassaing, <strong>sur</strong> Internet. Le<br />

« bref » développement proposé ci-après serait un exemple ordinaire<br />

du fonctionnement des mots dans Finnegans wake.<br />

« […] les mots-valises de Joyce fonctionnent différemment de ceux<br />

de Lewis Carroll. Chez ce dernier, chaque mot nouveau est composé<br />

pour décrire une réalité nouvelle (verchon » désigne un cochon<br />

vert) tandis que dans Finnegans Wake un mot-valise contient simultanément<br />

plusieurs sens « elenfant » n’est pas un enfant-éléphantolifant<br />

mais tout à la fois un enfant et un éléphant et un olifant). Les<br />

mots-valises joyciens portent simultanément plusieurs significations<br />

qui se croisent, se parasitent et produisent ainsi des significations<br />

supplémentaires. « Elenfant has siang his triump » contient donc,<br />

entre autres significations : « l’éléphant a dressé sa trompe », « et<br />

l’enfant a chanté son triomphe », « l’olifant a sonné sa chute »,<br />

« argot » (slang), « trois bosses » (tri-hump), etc. Multiplication du<br />

sens et des ambivalences : le puissant animal de la jungle africaine<br />

voisine la gloire de l’enfant Jésus, la mort de Roland, le passage des<br />

Alpes par les armées d’Hannibal, une érection, une trinité, un cours<br />

d’argot, etc. Le crépuscule du paladin à Ronceveaux, agonisant<br />

comme un vieux pachyderme, contient déjà sa ré<strong>sur</strong>rection dans le<br />

Verbe, les chansons de geste qui diront sa bravoure, et ainsi son<br />

triomphe posthume par-delà la défaite. Le souffle, qui manquait à<br />

Roland dans ses dernières heures, revient inspirer la parole de sa<br />

glorification, tel l’Esprit emplissant le Verbe, ou l’afflux de sang<br />

quand le petit garçon lève sa trompe… »<br />

Si vous êtes tentés d’en savoir plus <strong>sur</strong> l’œuvre la plus expérimentale<br />

de la littérature, téléchargez et lisez l’analyse de Chassaing (http://<br />

174


membres.lycos.fr/geryon/), qui me paraît mériter le respect !<br />

Un travail aussi titanesque fait penser à un autre alchimiste moderne<br />

: Anton Webern, l’homme révolutionnaire de l’école de Vienne,<br />

qui s’attaque aux atomes et aux noyaux de la musique, pour opérer<br />

une fission et une fusion, tout refondre en un langage neuf. On peut<br />

presque reprendre le texte de Chassaing « Les groupes-valises weberniens<br />

portent simultanément plusieurs significations qui se croisent,<br />

se multiplient et génèrent ainsi des significations supplémentaires ».<br />

Webern, peu joué actuellement, aura été ce chercheur dont Strawinski<br />

a dit « sans répit il taille ses purs diamants, des mines desquels il a<br />

une profonde connaissance ».<br />

Et, dans le domaine de la physique du son, je pense à ce travail <strong>sur</strong><br />

matériau, devenu de nos jours familier à la plupart des musiciens. Je<br />

risquerai une hypothèse un peu technique mais excitante. Un synthétiseur<br />

moderne possède souvent un étage de type vocoder. J’ai travaillé<br />

récemment avec le programme Vokator, que s’y passe-t-il ? Les<br />

circuits d’analyse comparent deux signaux et savent appliquer les<br />

formants de l’un à la structure harmonique de l’autre. Pour citer le<br />

manuel :<br />

Il s’agit d’analyser en continu la composition des fréquences des<br />

signaux d’entrée des deux canaux d’entrée (entrée A et entrée B). On<br />

obtient ainsi, pour chaque signal, une enveloppe spectrale ainsi que<br />

les informations de phase de chaque composant de fréquence correspondantes.<br />

Si l’on combine maintenant les informations de phase de<br />

l’entrée A et l’enveloppe spectrale de l’entrée B, l’on obtient au<br />

niveau de la sortie un nouveau signal comprenant les propriétés<br />

sonores de A et de B.<br />

Une utilisation simple du Vocoder (Voice Coding and decoding) est<br />

d’appliquer une source vocale à un accord instrumental. On obtient<br />

ainsi un instrument qui parle. Joyce, me semble-t-il, avait pressenti<br />

cette technique. Il fait parler un mot par un autre. Il ne s’agit que très<br />

rarement d’un jeu au sens d’amusement, de déformation propre aux<br />

jeux de mots. Chez lui ce sont les bibliothèques contenues dans les<br />

mots qui sont attaquées - avec brutalité même - et relâchent une certaine<br />

énergie. Ce qui évidemment nous fera penser à notre missile,<br />

quand nous aborderons la phase de la rentrée finale et des processus<br />

de fission et fusion nucléaire.<br />

175


Si les livres étaient pris au sérieux on aurait rapidement éliminé<br />

Joyce. Anton Webern fut tué en 1945 d’un coup de colt .45 par un MP<br />

américain. C’était Joyce que l’armée américaine aurait dû effacer,<br />

mais sa révolution reste à ce jour trop fine. Si terrorisme potentiel il<br />

y a, il ne peut toucher que des esprits préparés.<br />

Jugeant inutile d’ajouter un commentaire à tout ce qui a déjà été<br />

écrit <strong>sur</strong> Finnegans wake, je me suis référé à mon univers de musicien.<br />

Voici encore quelques lignes du manuel de LIVE, un autre<br />

magnifique software de traitement des sons en temps réel. Dans les<br />

modules à disposition du compositeur nous en trouvons un qui se<br />

nomme erosion.<br />

The erosion effect degrades the input signal by modulating a short<br />

delay with filtered noise or a sine wave, This adds noisy artifacts or<br />

aliasing/downsampling-like distorsion that sound very digital.<br />

L’érosion des sons, voix, musique, ambiances est une idée a priori<br />

étrange puisque l’on cherche en général à obtenir la plus haute qualité,<br />

la meilleure définition. Ce serait oublier le sens du mot bruit en<br />

philosophie ou en psychologie. En lisant attentivement l’exposé on<br />

s’aperçoit que le signal - quel qu’il soit - est modulé soit par de l’ordre<br />

(sine wave) soit par du désordre élevé (filtered noise). Cette recherche<br />

très inattendue mais déjà familière aux musiciens est peut-être également<br />

celle de Joyce quand il soumet les mots(lécules) au bombardement<br />

d’autres signes ou même de bibliothèques. Il fait varier la température<br />

sémantique en utilisant des forces que nous ne comprenons<br />

que très superficiellement.<br />

Cette recherche nucléaire (les mots percutent et font éclater d’autres<br />

mots), ce travail halluciné nous attirent mais ils se protègent à leur<br />

manière. N’entre pas qui veut dans ce monde. Ne boit pas qui veut à<br />

cette source indocile. Elle charrie tant de langages qu’il s’agit d’une<br />

OPA babélienne <strong>sur</strong> la parole des hommes et c’est censé déplaire à<br />

Dieu. Ce dernier aurait rasé la Tour de Babel, la grande ziggourat<br />

babylonienne, mais Il n’a pas effacé l’œuvre de Joyce et les fanatis-<br />

176


mes religieux sont trop idiots pour avoir pris conscience de ce qui, en<br />

puissance, existe chez cet auteur.<br />

C’est une bonne chose, qu’en pensez-vous ?<br />

177


178


Le Verbe<br />

El Libro haciendose<br />

- Quand je vois, pensa Dieu, tout ce qu’il fabrique avec ces six<br />

minutes, cette alliance de foi, de persévérance, de vanité, de courage<br />

et de tricherie propre à sa race, je me demande ce qu’il eut fait avec<br />

une heure ! J’ai usé de prudence mais, les principes ont-ils à être prudents<br />

? Voyons ce qui va se produire.<br />

Il rit, et son rire fit tomber les tours de Babel et pleuvoir <strong>sur</strong> les<br />

noces royales de Letizia Ortiz. Mon Père était parfois chronodistrait.<br />

Moi aussi, d’ailleurs.<br />

179


180


De la vivisection amoureuse<br />

(humpty dumpty minute)<br />

Les voyantes subissent plus de déplacements vers le bas que les<br />

voyants. Mais elles sont capables de sortir en trombe de cette position<br />

sans aucun effort alors que les hommes s’y attardent dangereusement.<br />

Carlos Castaneda (El fuego interior)<br />

La chasse aux sorcières a duré mille ans. Noyées, pendues, brûlées<br />

vives, ou, par grâce spéciale, étranglées avant leur mise à feu.<br />

Comment expliquer tant d’atrocités si ce n’est par l’angoisse indicible<br />

que t’inspire toute femme, hystérique ou sorcière, qui échappe à ton<br />

contrôle. Qui, dans le désordre, la convulsion, exprime à tes oreilles<br />

l’inaudible. Pas de place pour la singularité féminine. Ni dans la normalité<br />

ni dans la déviance.<br />

Mariella Righini (Être femme, enfin).<br />

La veille de cette nuit de jugement, André-François, qui ne participait<br />

en rien à ce drame, s’était offert une fantaisie. Rien de bien<br />

méchant. Juste un fantasme de mec, genre Silence des agneaux, version<br />

soft. Il avait acheté un corps de femme <strong>sur</strong> Internet. En latex. À<br />

enfiler. Il avait trouvé ça <strong>sur</strong> www.maskon.com, le travail d’un japonais.<br />

Il avait longuement hésité entre le crossdressing fun with lycra, rubber<br />

masks, and boots - les bottes étaient tentantes - pour finalement<br />

opter pour un one piece latex bodysuit with an attached young woman<br />

mask. Le tout chez lui en 24 heures par Fedex.<br />

Il en fit timidement part à Mirabelle qui en rit aux éclats. Puis, sans<br />

transition, lui demanda de se libérer pour la soirée. Sans discuter.<br />

- C’est très, très, très beaucoup bien, lui dit-elle en franglais d’un air<br />

entendu, mais puisque tu t’es engagé dans cette voie il te va falloir<br />

assumer. Je viendrai ce soir pour une séance ircha spéciale de transnavigation<br />

sexuelle, à vingt-deux heures. Sois prêt.<br />

Tremblant, il ne put rien en tirer de plus mais, à l’heure dite, se<br />

retrouva dans le jardin d’hiver, maudissant ses initiatives sexuelles et<br />

181


son incapacité à garder le secret, aux mains de la belle qui le pria assez<br />

sèchement de se déshabiller. Sur quoi, nu comme un ver, sans la moindre<br />

bandaison, il dut subir l’humiliation d’être habillé par Mirabelle qui lui<br />

ajusta avec un soin maniaque sa peau de femme latex, vérifiant le moindre<br />

pli, le traitant comme un objet (sujet il l’était déjà) et le fit s’étendre, quand<br />

tout fut impeccablement mis au point, <strong>sur</strong> une grande table de verre glacé.<br />

Il se raidit un peu quand il la vit sortir un scalpel de son sac et enfiler des<br />

gants de chirurgien.<br />

- De quoi as-tu peur ? se moqua-t-elle. Tu n’es même pas attaché.<br />

Aimerais-tu l’être ? Ça me gênerait. Je vais réaliser ton petit désir, en coupant,<br />

ici et là, un petit bout de ta peau de femme. Pour te permettre d’andronaître.<br />

Et ne te préoccupes pas de mon vernaculaire, ces choses-là me<br />

rendent… changeante.<br />

Mirabulle était simple et ternure mais, sans savoir pourquoi, André-<br />

François réalisa que la moindre hauteposition de sa part lui vaudrait une<br />

magistrale paire de gifles. Voire un défilé tempétueux de baffes. Il se détendit.<br />

C’était comme ça, il n’y avait rien à faire. Les femmes giflent, elles sont<br />

douées pour ça et, quand elles s’y mettent, mieux vaut faire profil bas et<br />

laisser passer la touramouramente. On avait même vu des hommes y prendre<br />

goût et se mettre à voler.<br />

Avec sa blouse asymétrique rouge sang, plus basse à l’épaule gauche, sa<br />

jupe midi, deux minces bretelles noires <strong>sur</strong> les épaules et ses bras nus,<br />

Mirabelle était à croquer. Elle activa son pouvoir de voyante et se mit à<br />

l’ouvrage.<br />

- Les sorcières s’expriment en septembre, entama-t-elle. Nautique, bien<br />

sous-tendre l’oneille interne.<br />

Elle obtenait ses meilleurs résultats avec sa voix. Avec une voix pareille,<br />

rien qu’en lisant le bottin du téléphone elle eut mit en extase une armée de<br />

carburateurs. Elle découpa une petite fenêtre dans le dos, une chair blancpool<br />

massenculinée apparut, elle l’anvoûretarduisit prestamargue d’un<br />

onguent chinois amiovalent : chaud égale foi, froid égale show.<br />

- Baume du tigre ? s’enquit le supplicié.<br />

- Mars c’est poivre ! dit-elle d’une voix forte latériritée. Tu contrebandes<br />

comme un acateur de cinémamelle, comme un fol ou un soldache, un grand<br />

Aliboronche en tous les caches, je mirevoyelle descartes, ne cesshulule<br />

plus.<br />

Il voulut parler mais elle le bâillonna de son pied. Une technique courante<br />

chez les flammes d’antérieur.


Quand elle frôla le nerf sciatopoètique nervuré latéral il se tendit à<br />

l’extrême. Son corpuelle de tigrebond était chamaraprêt à contrefouler<br />

l’inconvénient femelle. D’un cœur hémi-demi-semi marétranquille.<br />

Allongée, bandée inverse, femme-odalisque, la tête reposée <strong>sur</strong><br />

son bras gauche, Mirabelle décrochetitilla en douceur les sourcevières<br />

des androflammalunes, le fammale braquedésirandre masculin. Et<br />

se prit à rêveillhonnir du Clan des nubilocierges où, à l’époque de<br />

Justinien Marquez, les tiercefemmes se disflagellaient le long de nonchalabondante<br />

élégaussie. On ne devrait antrehennir aucun commerce<br />

avec les carburathommes, pensa-t-elle. Mais ses sandales scandales<br />

de sablefoule produisaient toujours leur aphex.<br />

Elle retira son pied pour attaquer la région pelvienne.<br />

- Hônchhe ! Merci, fit le condompote qui s’éclarcita l’âpregorge.<br />

C’était glisseriner fausse portanote. Il se retrouva dardanelle en<br />

train de bouchemordiller un escarpin, un esmarcaspone contrepointu,<br />

tastesel de piedofille, le scalpel s’affairait à détourer sa nouvelle<br />

undéfiféminitude.<br />

- On ne barbille pas durant une cérévoniasque de transapparence, le<br />

tança Mirtabelle. On se mutetait. On sourdinilence ! Mâchouille !<br />

Comme ça tu ne me dérangemerderas plus. Mordille, lendentille,<br />

demain hallaube ou plutarque tu m’en achèteras d’autrevifs à lassos<br />

chevillés. Beaucoup d’autres. Elle vérifia la dureté du membre viral,<br />

ses éclaprunelles <strong>sur</strong>sibrillèrent de mouletentafélice. Cette vieille<br />

recette chinoise allait peut-être satisfonctionarer. Elle retira la peau du<br />

bassin avec précaution, laissant une zestezone de progestection hallatourpise<br />

anglegélique du membre pointérecté.<br />

- C’est bien, k’homme charivagland, glissa-t-elle dans un souffle.<br />

Depierrenerve car je dois te remonter, sorcebruche basse, moi.<br />

Lui, veinules distendues, de sa forge intérieure, suivait la femme<br />

chevalfoulée, brillante dans son terrible éclat.<br />

- On décéderasandre à la clavecavevicule, j’y conserve enterritude<br />

mammûre folie. Avril c’est grande fenêtre et Mai, rire de la promise.<br />

C’était impressionnant de voir à quel point une tonalité de voix et<br />

quelques mots pouvaient faire sortir les hommes d’eux-mêmes. Mais<br />

cuidades : <strong>sur</strong>tout pas leur esperme escondidole. La résidésirait l’interdiscipline.<br />

Le but - tataramasturgelclairdebigbadaboumtaistoisuimoijelabelgeincarneladuralexsedbaséepshiiit<br />

- était de les fermemaingarder<br />

au ventesommet d’altaigritude pour quarante-deux veillées<br />

183


hantières puis de les chiffemanjouiller.<br />

Il hurla de bonheur, elle avait trouvé et dégagé l’étui de son radoufleur<br />

inversé. Absinthe de compassionelle elle compuesta le code<br />

immémorant.<br />

- Juin c’est vidangel grande et Juillet séminales courges brûlées.<br />

On dit qu’il suffit de s’éloigner assez de la vie pour risquer de ne<br />

jamais revenir, pour s’égarer du vivant. Le <strong>sur</strong>feur de bonheur prenait<br />

ce grisque.<br />

Conscientuelle du frôlepéligre elle lui fit déglanguerglutir une<br />

liqueuranelle feu khomme glace capablisime de casouiller fis<strong>sur</strong>e son<br />

éclatepoche pininanabulesque de sextase. Sans éjajouirculer le moins<br />

d’entremonde, bien escouché.<br />

- Août c’est grande chute coruscante, affirma-t-elle en libérant un<br />

aureteillatiqua qu’elle purioblivia de dégoulevasaline - et en<br />

Septembre, d’outrebruche point de membramangue. J’entiers plaisir<br />

réside en pulsidentité avant l’Intensifemme. Je suis lente, immémolante,<br />

lantemère des maréemaures.<br />

Ce qui restait de l’escarpin tomba à ses pieds, tautologiquement<br />

machouillecendrifugé. Elle leva un doigt très proche fesse australe :<br />

- On se tait ! If not…<br />

Par prudhanche australe escarpidôle mirapréserveillé prit la relève<br />

enbouché.<br />

- La raievolutionelle c’est autre paroxomagnétique. Je suis ta pulsatidivisionelle,<br />

justinaventmatines de ces clochesonne mysthairs. J’’’<br />

dilatationelle, brève, deux hookcroche très gravipalpitulles de chamadabada<br />

qui projettent hama vaginosatisfaculté sinedié l’ostravers de<br />

ta peaupielle.<br />

C’était limpide. Il y avait aussi dans la serre un grand homme qui<br />

poussait des hurlevents d’erranérupte vulvecanelle.<br />

- D’octobre, latisombritude point d’atensionelle, de Novembre c’est<br />

rochenoire. Inane, Inana. Vanimanille !<br />

Éclectique elle arquefulgura laves nues nerveuse du supplicié,<br />

maintenantissant sans compassion ce courrélectrique, cricicrucifiant<br />

les Amérindiens du suppliquédoniste. Trois arcs de couleur gèllofigèrent<br />

ses paupières. Nevermore pieldelatex, elle dégagea le visage<br />

mais ne retira pas la mordazebâillon d’escarpinole. La Marmaramer


touteventeuse est toujours proche à qui va jouir mais l’écume dit que<br />

Non et sablemplit ses portugoneilles. C’est le résonamille gong de<br />

l’orgasme.<br />

Mirabelle ajouta quelques couleurs choisies à propos de Décembre<br />

et Janvier. Une gamme à sa façon. Du vif albâtre tirant <strong>sur</strong> un bistrécachou<br />

comme tourdille, des touches de rubican tisonné répondant à<br />

une gamme toute faite de rubigineux, rouille, arzel frangé d’aubère,<br />

avec en apothéose de l’aquilain acajouté, semé de fauve mordoré. Et<br />

autres gris de maure anthracites.<br />

Il n’était plus à même de suivre.<br />

Elle entreprit de l’enduire entièrement de cette grèceontique qu’on<br />

utilise pour trairamaure les vaches ailes vétustes. André-François et<br />

Priapie ne faisaient toujours qu’un. Ses méridiens extraordinaires<br />

étaient activés. Et pas question de redescendre de ces hauteurs pour<br />

un banal climasque.<br />

Cette èscorse terrestriale ramonée Mirabelle se calma lentement.<br />

- Ton Qi est optimisé, constata-t-elle. On peut le dire.<br />

Lui la voyait luisante, sous divers angles, lui le Nu <strong>sur</strong> un verre<br />

glacé, Esposito, enducté de graisse et du trèscorce heaume tigrisque.<br />

Tous les chemins mènent à Elle, pensa-t-il. Elle, l’inévitable, que je<br />

n’intéresse pas.<br />

- Tous les sept ans pour les femmes et tous les huit ans pour les<br />

hommes, les méridiens extraordinaires s’éveillent, dit-elle. Elle le<br />

regarda fixement.<br />

- Que faisais-je il y a huit ans, seize ou trente-deux ans ? pensa<br />

André-François. Aucune ID. Je suis un crucifié. Je vais rester étendu<br />

là pour l’éthermité sous le regard oméga de cette sorcebruche avec un<br />

sexe aussi gonflé que le passelac du Mont Blanc un jour de peuple.<br />

Mon sexe rêve de spéléologique.<br />

La main de Mirabelle s’en approcha avec une lenteur extrême. Il<br />

leva les yeux au ciel. Allait-elle enfin le délivrer ?<br />

Plitch !<br />

Il reçut une petite chiquenaude (pour une fois très exactement là où<br />

vous pensez).<br />

- Rien ne change, dit-elle très savante. Tu restes comme ca jusqu’à<br />

la fin du monde. Elle ne précisa pas que l’échéance en était fort pro-<br />

185


che.<br />

- Qui es-tu ? souffla le découplé.<br />

- Je suis la Femelle mystérieuse ! Bigbadaboumetcœtera…<br />

Il ouvrit de grands yeux.<br />

- Je ne cesse de jouir, très lentement. Je n’ai jamais connu ça…<br />

C’est divin. J’en mourrai, peut-être.<br />

- Tais-toi, petit d’homme. Tu as mis ton temps. Je devrais recommencer.<br />

Version hard.<br />

- Je n’ose l’imaginer, fit-il d’une voix mourante. On va refaire ça<br />

souvent ?<br />

- Jamais ! fit-elle contente. Ce n’est pas mon genre. Mais maintenant,<br />

avant que je ne l’efface de ta mémoire, tu sais au moins ce que<br />

c’est que d’être une femme. C’est profond.<br />

Et lent.<br />

186


Le grand pardon<br />

(quarte minute)<br />

J’étais parvenu à ce stade où je pouvais tenter, difficilement, dans<br />

une douleur parturiente, d’envisager (très éventuellement) le grand<br />

pardon. C’était horrible, ça m’éventrait, c’était la négation la plus<br />

cruelle et totale de ce que j’avais essayé d’être, la déconstruction, le<br />

destin de l’adulte et même celui du roy bourdon étripé dans son vol<br />

nuptial, la mort du saumon qui était si brave torse quand, pour transmettre<br />

la vie, il remontait les fureurs torrentielles, la négation d’être<br />

quelqu’un, une illusion fâcheuse, c’était le plus commun des suicides,<br />

un destin minuscule, le sentier des honneurs et la vie d’un lambda :<br />

penser à cette cérémomie, ce viol, cette mauvaise conclusion du bout<br />

du temps, me rendait malade, insignifiant, frappé de nullité et, en<br />

même temps, peut-être, parce que je suis fou, frappé, sonné, marginal<br />

et tissé de contradictions, (je ne promets rien, je ne signe pas mais le<br />

mot finira par être lâché) me rendait aussi fier.<br />

J’étais parvenu à ce stade où je pouvais envisager le grand pardon.<br />

Pardonner à mes enfants d’avoir grandi.<br />

Ça paraît monstrueux, j’en tombe d’accord. Mais, quand nous nous<br />

étions retrouvés seuls, les trois, j’avais dû devenir encore plus<br />

Münchausen qu’avant. Je leur racontais mes histoires et je voyais<br />

leurs yeux briller. C’était bon, ça me ramenait à la vie et ça nous permettait<br />

d’édifier autour d’eux notre grande muraille. Les setters irlandais<br />

m’aidaient, mais les bêtes, les bêtes vous savez, nous sont toujours<br />

supérieures. Comme ces foutues femmes.<br />

Puis un jour, je me suis aperçu qu’ils connaissaient mes histoires.<br />

J’ai réagi, j’ai appris à les réinventer et ça m’a permis de tenir un<br />

moment de plus. Je faisais de la mise en scène et souvent, pour un<br />

détail ajouté, je piquais des fous rires. Ce que j’ai pu pleurer dans ces<br />

moments-là ! Hélas mes réserves fondaient inexorablement. Mes<br />

enfants avaient vu, avec mes yeux ,la petite fille de Maurice Denis<br />

187


tuer un congre à mains nues, profitant de la marée basse dans le port<br />

de Perros Guirec, ils avaient vu George le parachutiste qui terrorisait<br />

Santa Eulalia les beaux soirs d’Ibiza, ils avaient vu défiler les bandits<br />

de ma vie et entendu parler de ces saints qui se cachaient dans des<br />

déserts. Ils connaissaient toutes les sottises de l’enfant blond et les<br />

aventures du brave torse. La grande comédie sociale n’avait plus de<br />

secrets pour eux, ils connaissaient l’histoire de la fille en rouge et de<br />

la claque que je n’avais pas reçue, ils avaient revécu mon premier vol<br />

de nuit <strong>sur</strong> Austin (Texas) et la simulation de panne, la nuit, avec une<br />

instructrice aussi terrifiante que la femme aux dents d’acier de l’Homme<br />

Nu, ils savaient que quand j’avais rencontré leur mère, j’en étais<br />

tombé si amoureux que je m’étais empressé, le premier été, de partir<br />

avec une autre pour la Corse, nous avions même volé dans le triangle<br />

des Bermudes, sous l’interminable et noire présence d’un cumulonimbus.<br />

Je mélangeais rêve et réalité comme un savant barman, il y<br />

avait toujours un fait extraordinaire qui revenait, ça n’était pas difficile,<br />

j’ai vu tant de choses avec mes yeux d’enfant que mes réservoirs<br />

avaient en principe une agréable autonomie.<br />

Pourtant, ça s’est achevé.<br />

C’était bon pour eux, je les poussais très fort hors du nid, je n’étais<br />

pas doué pour leur apprendre à voler mais je faisais ce que je pouvais.<br />

Dans Les Angiospermes Dieu pique une colère terrible, Il dit de Ses<br />

enfants « Ils croient connaître toutes mes histoires ! ». Vous voyez<br />

l’origine de ce texte. Homme ou Dieu, les pères s’amenuisent et se<br />

défont. C’était dur, je ne l’ai pas si bien vécu que ça. Un hiver, il y eut<br />

le bout du chemin. J’étais mal, parti très loin et tout me semblait sans<br />

importance. J’ai jeté un coup d’œil <strong>sur</strong> ma vie, <strong>sur</strong> le clan. Les truffes<br />

truffaient et j’ai vu de jeunes adultes en observation devant le monde.<br />

Ça n’était ni les ténèbres extérieures ni Eden. C’était simple et probablement<br />

pas pire qu’avant. Je devais faire mes comptes.<br />

Je leur ai pardonné d’avoir grandi.<br />

188


Rien ne va plus !<br />

(Minute adivine, inédits bibliques)<br />

J’ai oublié de vous dire, cher lecteur, que Jacques n’allait sans une<br />

gourde remplie du meilleur ; elle était suspendue à l’arçon de sa selle. À<br />

chaque fois que son maître interrompait son récit par quelque question<br />

un peu longue, il détachait sa gourde, en buvait un coup à la régalade et<br />

ne la remettait à sa place que quand son maître avait cessé de parler.<br />

J’avais encore oublié de vous dire que, dans les cas qui demandaient de<br />

la réflexion, son premier mouvement était d’interroger sa gourde. Fallaitil<br />

résoudre une question de morale, discuter un fait, préférer un chemin<br />

à un autre, entamer, suivre ou abandonner une affaire, peser les avantages<br />

ou les désavantages d’une opération de politique, d’une spéculation<br />

de commerce ou de finance, la sagesse ou la folie d’une loi, le sort d’une<br />

guerre, le choix d’une auberge, dans une auberge le choix d’un appartement,<br />

dans un appartement le choix d’un lit, son premier mot était : "<br />

interrogeons la gourde ". […]<br />

À Delphes, la Pythie, ses cotillons retroussés, assise à cul nu <strong>sur</strong> le trépied,<br />

recevait son inspiration de bas en haut ; Jacques, <strong>sur</strong> son cheval, la<br />

tête tournée vers le ciel, sa gourde débouchée et le goulot incliné vers sa<br />

bouche, recevait son inspiration de haut en bas. Lorsque la Pythie et<br />

Jacques prononçaient leurs oracles, ils étaient ivres tous les deux. Il prétendait<br />

que l’Esprit Saint était descendu <strong>sur</strong> les apôtres dans une gourde ;<br />

il appelait la Pentecôte la fête des gourdes.<br />

Diderot (Jacques le fataliste)<br />

Les yeux bleus malicieux étaient revenus. Sans ce front couronné<br />

d’éclairs et de nuages sombres.<br />

- Tu as fait de beaux cuis ! dit Dieu. Souhaites-tu me dire quelque<br />

chose en faveur de l’humanité ?<br />

Je me retins de Lui objecter que nous n’étions pas dans Le Rapport<br />

Gabriel, ou même dans le Big Bang. Mais je crus saisir le sens de<br />

cette question.<br />

- Mon Père, lui dis-je les yeux baissés, oui, j’aimerais Vous montrer<br />

un texte, écrit par un philosophe qui n’est pas tout à fait mauvais et<br />

qui avait pour but de nier Votre existence. Je sais que vous le connais-<br />

189


sez, permettez-moi de vous le présenter avec mes propres yeux.<br />

- Je jouerai le jeu, dit-il. Te voici bien avancé dans l’utilisation du<br />

temps que je t’ai accordé et je suis curieux de lire dans ton âme ce qui<br />

peut te paraître si important, en regard de ce qui vient.<br />

- Buvons et chantons, car demain nous mourrons ! dis-je. C’est un<br />

vieux réflexe de sagesse humaine, très mal vu des écclésiastes, mais<br />

je pense qu’il a du sens. Je n’ai jamais fait partie de Vos Saints qui se<br />

mortifiaient et, en ce monde, s’administraient des douleurs et peines<br />

anticipées. J’ai sans doute eu tort, mais voici ce que j’aimerais Vous<br />

lire, si Vous m’accordez un petit extra de temps.<br />

- Ce sera, dit Dieu, une minute « adivine ». Je t’écoute, Jacques.<br />

Je me saisis d’une revue qui venait de paraître et je Lui lus le<br />

Nouveau Calendrier positiviste d’Auguste Comte.<br />

- Voici, dis-je, le nouveau calendrier que ce philosophe a conçu pour<br />

une humanité du troisième type. Après l’état théologique et l’état<br />

métaphysique, viendrait un état positif, s’appuyant <strong>sur</strong> les connaissances<br />

humaines.<br />

Je pliai la revue et mis en évidence les nouveaux héros de l’Humanité,<br />

tels que Comte les avait « agendés ».<br />

Janvier : L’Humanité, Moïse<br />

Février : Le Mariage, Homère<br />

Mars : La Paternité, Aristote<br />

Avril : La Filiation : Archimède<br />

Mai : La Fraternité : César<br />

Juin : La Domesticité : Saint Paul<br />

Juillet : Le Fétichisme : Charlemagne<br />

Août : Le Polythéisme : Dante<br />

Septembre : Le Monothéisme : Gutenberg<br />

Octobre : La Femme : Shakespeare<br />

Novembre : Le Sacerdoce : Descartes<br />

Décembre : Le Prolétariat : Frédéric<br />

- Je vois, dit mon Père, que certaines de ces associations t’amusent<br />

!<br />

- Je les aime à mourir, de rire, dis-je osant un sourire.<br />

190


Comment Lui cacher quoique ce soit ? J’avais peine à réprimer mes<br />

émotions. D’une part les associations de Comte - il me semblait avoir<br />

vu, dans un autre livre, une plaque commémorative à son nom rue<br />

Bonaparte ou par là - me charmaient de par leur fraîcheur, de l’autre<br />

je sentais monter un fou rire force 7 <strong>sur</strong> l’échelle de Beaufort. Mettre<br />

César et la civilisation militaire avec la fraternité me <strong>sur</strong>prenait un<br />

peu. Juillet, associant le fétichisme avec Charlemagne allait déclencher<br />

mon hilarité, mais ce n’était que le fruit de mon ignorance, de<br />

mon mauvais esprit et des connotations de cette époque. Et octobre<br />

me touchait douloureusement car c’est en octobre que j’ai perdu la<br />

femme de ma vie. La voix de mon Père mit fin à ces pensées.<br />

- Mane Thecel Phares, dit-Il. Les jeux sont faits, Jacques.<br />

- Rien ne va plus ! pensai-je avec terreur.<br />

- Cette lecture m’a enchanté, dit-Il. L’homme est tellement plein de<br />

ressources. il me dépasse. Tu es un bon avocat, le sais-tu ? Il reste une<br />

chose importante. Sois ce que tu es, dit-Il d’une voix forte. Jusqu’à la<br />

fin de ce récit. Personne n’a le droit de ne pas terminer une narration.<br />

Merci de m’avoir infligé cette citation de Diderot mais ne te saoule<br />

pas, ce n’est pas la bonne méthode. Pense, médite, revois tout, explore<br />

ces lacs de feu dont tu parles à tout bout de champ et <strong>sur</strong>tout, écris.<br />

Il te faut terminer cette histoire. Je suis là. Il te reste deux minutes.<br />

J’ai créé vos mondes en moins que ça.<br />

Il n’y avait aucun doute. Mon Père me <strong>sur</strong>estimait.<br />

191


192


Les derniers instants de la Cité de Calvin<br />

(entretien avec le flux mais aussi quinte minute)<br />

Tu sais, torrent, flux, toi qui passes et toi qui me sais bien, si je<br />

devais maintenant plaider pour cette ville je ne saurais pas quoi dire<br />

je l’aime mais je ne serais pas convainquant, toute ville n’est que la<br />

conscience qu’on en a, tu le sais et j’ai envie d’écrire ici sans virgules<br />

et <strong>sur</strong>tout sans points, avec beaucoup de parenthèses et mon hypertexte<br />

mental car voici que le feu du ciel nous menace et qu’en songe<br />

j’ai imaginé ces horreurs alors de quoi puis-je payer tout cela si ce<br />

n’est de ma vie, faire taire mes illusions ; cette cité est-elle aimable<br />

(moi je l’aime encore) cette cité est-elle bonne, meilleure que<br />

d’autres ? je n’en sais rien devant toi l’interrogation toi qui vient me<br />

voir dans ces instants de grand transport, je n’en sais rien je suis tellement<br />

tenté de me laisser couler couleur dans une langue d’univers<br />

à la Finnegan, dans soixante cinq langues où me cacher mais il me<br />

manque celle du Seigneur et moi je ne crois plus un instant que ce soit<br />

l’hébreu ou une langue d’église, tu ne le vois donc pas ? tu me demandes<br />

à ta manière de renoncer à ce texte et je le veux bien mais tu es<br />

<strong>sur</strong>pris, torrent, Eaux Vives, pureté au goût de fer, tu es <strong>sur</strong>pris que<br />

cette vision me soit venue, ce n’est qu’un vieux bouquin que j’ai lu,<br />

je te l’as<strong>sur</strong>e, laisse-toi couler le long du, laisse-toi être la promise de<br />

la fureur, laisse-toi devenir ce 29 mars puisque c’est notre printemps<br />

et que je n’ai pas vraiment de mots je n’ai plus que des images dont<br />

toutes les couleurs vont passer au blanc d’archange et c’est mille fois<br />

plus que des mots, un million de fois plus si je regarde mes disques<br />

et comment voudrais-tu que je fasse quoi que ce soit avec des mots ?<br />

les derniers jours de la cité de Calvin ? que t’en dirais-je à toi l’impétueux,<br />

venu d’aven, profusion méandre, toi le torrentiel, je te nommerai<br />

déluge encore contenu, méandres, raz de terre et je sais que cette<br />

ville est beaucoup plus que ça, je n’aime pas les protestants, je n’arrive<br />

même pas à leur accorder une majuscule je te dis qu’ils sont<br />

enfermés, pompeux, qu’ils ont le culte de la punition et de l’argent,<br />

qu’ils ont largement - comme c’est étrange ! - donné naissance à ce<br />

193


nouveau monde qui est une vallée torturante et qui se prépare à nous<br />

communiquer son enfertitude, je n’aime pas mais cette réticence ne<br />

me pousse pas à te faire l’éloge de mon catholicisme rivière d’enfance,<br />

j’ai aimé, c’est très vrai, cette église catholique où ma mère<br />

m’avait posé, chapelle des femmes, chapelle des âmes ; tu peux y<br />

descendre au tréfonds de toi-même tu y reverras les femmes de ta vie,<br />

elle y croyait, elle, elle était cette graine de dévote qu’ils ont su<br />

exploiter jusqu’au bout mais jamais ils ne sont parvenu à en faire une<br />

fleur desséchée, la nuit je lisais son journal et j’ai pleuré de cette longue<br />

solitude qu’enfant jamais je n’avais le temps de savoir, de comprendre<br />

et <strong>sur</strong>tout de partager, donner la vie est la pire chose qui soit,<br />

Dieu me l’avait confié et je le vois mais au moins, dans quelques<br />

instants nous n’aurons plus peur des hommes, nous serons des entités<br />

lumière, avec des passages plus ou moins heureux, plus ou moins<br />

terribles, elle, cette mère de tous les enfants de la rue, celle qui savait<br />

accueillir chacun avec le même amour - elle me fait penser à cette<br />

Calixte Beyala, cette Calixte Beyala qui devrait vivre ici pour mélanger<br />

son humanité africaine à la notre on en a besoin, ma mère aussi,<br />

elle était exactement comme cette ville et je crois bien, source, geyser,<br />

affluent et eaux sombres que moi j’assimile l’une à l’autre, et l’art, la<br />

musique, Mozart, Beethoven, les lumières de notre église tout ça était<br />

une consolation qu’on nous griffait <strong>sur</strong> les yeux parce que n’avons<br />

pas fait partie des nantis, nous ne sommes pas vraiment nés dans les<br />

familles de pouvoir de cette ville, je l’appellerai comme d’autres la<br />

ville du bout du lac, nous ne savions pas qu’il y avait derrière de<br />

grands bureaux une puante race de voleurs en blanc et noir, extérieur<br />

intérieur, des manieurs d’argent et des bandits de grand chemin que<br />

cette ville a institutionnalisés est-ce pour cela qu’on nous détruit ?<br />

qu’ils disparaissent m’enchante, j’eusse préféré les voir roués en<br />

place publique mais l’éclair insane pas pour les enfants noirs, cette<br />

métisse, les invités et ceux qui sont nos origines, cette ville a bougé<br />

si très vite que nos voisins les sauvages d’Espagne et d’Italie ont leurs<br />

rues leurs quartiers aujourd’hui et font partie de nous, les uns et les<br />

autres nous l’avons découvert créer chaque instant cette ville avec nos<br />

yeux d’enfants, sans en convoiter les richesses, avec la grâce des naïfs<br />

dont j’espère que toi la source, toi cette musique qui provient de la<br />

nuit, ne me priverez jamais alors je vous en prie, il faut que cette<br />

écriture trouve les accents d’une prière et ce n’est pas très facile, je,<br />

194


tiraillé entre toutes ces époques traversées et franchement je les aime<br />

toutes et c’est bien pourquoi j’ai commencé ce livre que je ne sais<br />

finir <strong>sur</strong> La Beauté de ce monde et la Parole des Autres tu sais, je,<br />

tiraillécartelé car je crois à mourir que cette beauté est inaltérable<br />

quelle que soit la démonstration qu’on m’en fasse et aussi parce que<br />

je sais que la parole des autres roule <strong>sur</strong> nous, tonnerre implicite,<br />

qu’elle nous modifie sans trêve et qu’il faut être un brave torse ou<br />

grand inconscient pour se risquer à naviguer dans cette cuvette où<br />

tout déferle si fort mais oublie ces paroles, car tu la mémoire, torrent,<br />

vie, fluides, fluviale toi qui va et toi qui me vois mourir, si je voulais<br />

maintenant plaider pour elle ville je devrais lui donner son nom, je<br />

devrais la nommer, je ne saurais pas quoi dire, je ne serais pas crédible,<br />

que sais-je d’elle, que sais-je de plus que mon parcours en elle,<br />

une ville n’est égale qu’à la conscience qu’on en a, dis-moi tout, vent<br />

de sable, flux, éclair encore contenu, révèle-moi tout de cette cité qui<br />

va mourir explique-moi, toi que je sais bien, éclaire-moi de savoir en<br />

quoi elle est unique et digne d’être sauvée ? c’est une cité particulière,<br />

qui fut très claire qui entre Alpes et Jura a grandi dans une forme de<br />

douceur, ses étés sont beaux parsemés d’éclairs du soir, ses automnes<br />

faits de magnificence, elle se couronne souvent de la foudre et des<br />

grandes voix que se renvoient les montagnes, elle connaît l’ouverture<br />

des plaines et la mentalité encaissée des vallées, elle est clef du Sud<br />

pour ses voisins et il se peut qu’elle ait mal tourné mais je la sais<br />

bonne et aimable, je n’ai pas vraiment envie d’en dire du mal, il<br />

existe une gentillesse de cette cité, une courtoisie une vraie dévotion<br />

et ce ne sont pas quelques ridicules ordures qui la privent de ces<br />

essences elle nous a donné des gens simples et aussi de grands esprits,<br />

son défaut, peut-être, c’est qu’elle ne s’aime pas avec franchise et se<br />

pare de faux-semblants, elle qui reçoit les faux princes de ce monde<br />

dans une valse parfois royale toujours villageoise et j’aime bien ça,<br />

jamais je ne dirai d’elle qu’elle est pharisienne comme il m’arrive de<br />

le dire de Villeseine et, avec le temps, tout fout le camp on sait, mais<br />

on oublie de remarquer ce qui vient et moi je vois qu’elle est<br />

aujourd’hui corps et âme terriblement taggée par des imbéciles et des<br />

riens, parce que les nuls en colère existent, que nous avons toléré que<br />

notre société les produise, notre dure société protestante et conquérante<br />

oh ! l’ombre de Rome n’était pas meilleure elle me faisait plus<br />

illusion c’est ce que je voudrais te dire, et cette ville de belles demeu-<br />

195


es anciennes est souillée et ça nous perturbe terriblement, c’est une<br />

bles<strong>sur</strong>e et ça n’a fait aucun bien aux salisseurs, tu penses que je parle<br />

de tags <strong>sur</strong> des murs ? tu le penses, je le vois, oui c’est aussi vrai mais<br />

je regarde au delà, au loin et je te le dis, les marques d’infamie ne sont<br />

pas que des sprays <strong>sur</strong> des murs, ce sont des actes, des complicités,<br />

des tolérances, une façon de laisser pénétrer un monde qui n’est plus<br />

tout à fait humain, devrons-nous payer et accepter la pire des fins<br />

parce que ces enfants qui étaient à l’école avec nous se sont laissés<br />

corrompre ? qui sont ces justes autour de nous? nous sommes égaux<br />

et seule la ruse et le vol leur a donné l’impression d’être plus vivants<br />

que nous, plus forts et plus adaptés, dois-tu t’adapter à la dégradation<br />

la mort de ce qui nous permet de respirer, je ne sais pas, je pense que<br />

l’ogive détonera comme les cercles de l’enfer mais j’ignore à quelle<br />

altitude elle est programmée, je pense qu’elle est trop puissante,<br />

qu’elle est ridicule pour une si petite chose, je me le demande tout le<br />

temps va-t-elle effacer son rayonnement ? mais non, bien sûr elle va<br />

l’amplifier, tant de gens ont écrit <strong>sur</strong> ce thème de la fin nucléaire,<br />

j’ose à peine, mezza voce, t’en parler ici, maintenant, sous le couvert<br />

de ces arbres qu’un éclair va assombrir, changer en ombres et pas<br />

même le temps de brûler, imaginons que la bombe soit réglée <strong>sur</strong><br />

détonation en altitude Chaleur et Lumière se dresseront probablement<br />

à dix mille mètres et ça, la base c’est déjà la hauteur de notre mont<br />

Salève alors, alors cette cité sera éclairée à mort mais pas seulement<br />

elle, les campagnes, la France voisine, il y aura un terrible jour <strong>sur</strong> la<br />

ville de Lyon, d’Annecy sans parler du nord et de l’est, vers Lausanne<br />

et Berne, s’ils font ça je ne vois rien que je puisse décrire, c’est aveuglant<br />

et tu le sais, on ne joue pas avec la lumière des soleils mais, si<br />

cette explosion est plus terrestre, j’imagine ces fragments d’éternité<br />

que sera la ville sacrifiée, la bombe tombera au centre de sa rade et tu<br />

te souviens comme elle est petite quand nous la <strong>sur</strong>volons pour aller<br />

vers le Jura ou les pertes du Rhône, à Seyssel, derrière le mont<br />

Vuache, tout le monde a tenté d’imaginer ce qui se passe à ce moment<br />

là mais la réalité est qu’il n’est point de mots, j’ai lu quelques textes,<br />

je crois que nous n’avons jamais connu l’horreur des arsenaux<br />

humains, je crois Satan que tes stances parlent plus ou moins de ce<br />

moment-là elles énoncent ton regard pouvoir : Toi dont l’œil clair<br />

connaît les profonds arsenaux Où dort enseveli le peuple des métaux,<br />

ça parle c’est évident des arsenaux nucléaires, le peuple des métaux


comme un vieux rêve d’alchimiste, chauffer jusqu’à la purification<br />

totale allons-nous être purifiés ou simplement dispersés au vent par<br />

des fous qui ont rêvé de nous effacer, ils l’ont fait, tu le sais, j’en parle<br />

si souvent et pourtant je suis loin de réaliser la moindre parcelle de<br />

l’horreur que ces imbéciles veulent lâcher <strong>sur</strong> le monde, donc nous<br />

sommes tentés nous aussi d’en appeler au grand médecin du Mal, tu<br />

aimerais vraiment qu’on lâche <strong>sur</strong> terre les princes de l’enfer ? pour<br />

une nuit ? sans assignation ni contrainte aucune, pour voir ce qu’ils<br />

feraient ainsi livrés à eux-mêmes ? quel sommet dans l’art de la violence<br />

terroriste mais quel échec de n’en pouvoir décrire les phases<br />

tout va trop vite pour l’esprit humain, l’esprit du mal disons-le aussi,<br />

reprenons un autre texte « toi qui sais tout grand roi des choses souterraines<br />

guérisseur familier des angoisses humaines, ô satan prends<br />

pitié de notre longue misère ! » mais il le ferait à sa manière et tu vois<br />

que je ne lui donne pas de majuscule, lui c’est satan l’homme, il ne<br />

va pas à la mer le bruit, il n’est pas source il n’est mère de personne<br />

et ce qui se produit c’est que nul ne sait ce qui va arriver, personne ici<br />

n’en est averti, tout dort et je veille, que te dire conscience ? tout dort<br />

et je veille c’est un fardeau trop lourd, je n’ai jamais voulu être cette<br />

sentinelle de nuit incendiée, je ne suis qu’une âme qui a cru voir quelque<br />

chose dans le noir, que te dire de ta nature de petite flamme tremblante,<br />

de chandelle qui vacille mais porte dans le temps la conscience<br />

humaine alors qu’une si définitive clarté va se lever et que d’être<br />

source, torrent, fluides marins, rivière fraîche, ombelles nuages et<br />

embellies ne te servira plus de rien, que te dire si ce n’est un discours<br />

de mots désarticulés que personne ne comprendra, au moins je pourrai<br />

essayer de me cacher, alors il faudrait que cette écriture fasse<br />

comme la bombe, que les mots se brisent les une les autres et lâchent<br />

leur charge, leur très puissante charge, qu’une réaction en chaîne de<br />

sens et de prière se fasse, qu’on touche à la parole critique, la parole<br />

masse critique détonante mais peut-on arrêter un missile en criant ?<br />

en priant ? oui bien sûr nous le savons mais pour l’instant ce sont les<br />

fanatiques qui crient plus fort que nous, trouver les accents d’une<br />

prière ce n’est pas très facile, nous sommes emportés tiraillé entre<br />

toutes ces époques, franchement je les aime toutes et je ne puis plus<br />

penser écrire un livre <strong>sur</strong> la Beauté de ce monde et la parole des<br />

Autres tu sais, parce que je crois à mourir que la beauté est inaltérable,<br />

qu’elle est une constante, y aura-t-il augmentation de la beauté<br />

197


dans une autre partie du monde quand nous seront tous vaporisés ?<br />

car je sais que la parole des autres roule <strong>sur</strong> nous, tonnerre explicite<br />

et aussi, qu’elle nous modifie sans trêve et qu’il faut être un brave fou<br />

ou un grand inconscient pour se risquer à naviguer dans ce monde où<br />

tout déferle si fort mais, oublie ces paroles, car tu le sais, torrent,<br />

chose fluviale, toi qui <strong>sur</strong>git et toi venue des glaciers et qui me vois<br />

mourir, si je voulais maintenant plaider pour cette ville, je ne saurais<br />

pas quoi dire sauf que voilà, le centre de la ville ne saura rien, il sera<br />

volatilisé et c’est le cercle des gens heureux qui passeront d’une vie<br />

à une autre - qui sait ? - d’une damnation à un bonheur ou l’inverse,<br />

dans du blanc, dans du rien, pas même une détonation, pas un souffle,<br />

écoutez-moi les Sœurs Chaleur et Lumière sont arrivées mais elles ne<br />

sont pas de bonne humeur, écoute-moi bien, c’est à l’ombre qu’il va<br />

faire danger, je sais, la ville est petite, très petite et c’est bien, mais<br />

une main quelque part a tracé des cercles de destruction massive <strong>sur</strong><br />

une carte et ces centres nous y vivons, alors quoi ? j’imagine que le<br />

centre ville et les bords du lac, les Pâquis et les Eaux Vives - j’avais<br />

perdu la compréhension de cette beauté, un quartier qui se nomme les<br />

Eaux vives - seront vitrifiés, aplatis et désintégrés dans une durée<br />

quasi symbolique puisque toute la cité est si petite mais, il y aura des<br />

variations diaboliques, des gens se fondront dans un rêve un peu trop<br />

lumineux mais d’autres connaîtront un instant de cauchemar, quelle<br />

est la durée de l’enfer? pour cette femme qui se trouve dans une cave<br />

et qui soudain voit une trop intense clarté sourdre ? est-ce que les<br />

murs des maisons fondent ou se disloquent ? les deux je crois, personne<br />

ne sait rien de ces explosions nucléaires, les robots qu’on y<br />

envoie ne disent pas grand-chose, ils n’ont que des mots binaires,<br />

alors, si je vois un mur se courber vers moi je suis peut-être déjà mort<br />

ou épluché vivant et probablement que ça ne dure pas mais, imagine,<br />

la cité n’est pas aussi petite que je la rêve et c’est maintenant que les<br />

cercles de l’enfer vont se disputer leurs hiérarchies de feu, le flash<br />

embrasera tout dans les trois premiers cercles mais la tornade ardente<br />

suivra, il y aura un mur de vents dont la vitesse et la puissance sont<br />

inconcevables et quelqu’un verra notre cathédrale se tordre comme<br />

une brindille et s’envoler dans les airs, les vieilles maisons patriciennes<br />

des Tranchées et de la rue Beauregard ne vont pas mourir assez<br />

vite et viendra le tour des quartiers extérieurs alors, je sais que je dis<br />

ca constamment, mais alors… qui sera violatilisée ? la cité de Calvin,<br />

198


la nôtre, celle de tes rêves ou l’arrogante internationale ? On ne sait<br />

pas vraiment, on dira par la suite, qu’une culture a été frappée à mort<br />

et la culture ici c’est très peu de chose, ça aura existé autour de la<br />

minuscule Place de Neuve et à peine plus loin, le directeur de la télévision<br />

pourrait de sa tour saluer largement l’entité qui pulvérise la cité<br />

mais ce n’est pas un poète ce n’est qu’un marchand, il ne verra pas la<br />

similitude entre cette eau qui jaillit depuis toujours <strong>sur</strong> la rade, oscille<br />

lentement au long du quai Gustave Ador et parfois se fait couper<br />

quand vient le vent du Nord et la tour de flammes vivantes qui se<br />

gorge d’oxygène et se lève, les Sœurs qui se redressent, couronnées<br />

d’éclairs <strong>sur</strong> une ville déjà annulée, comme dans une mauvaise version<br />

de fantasia, le démon s’est établi, ce que je ne crois pas tant que<br />

ca, le mal c’est <strong>sur</strong>tout nous je pense que tu peux bien t’en rendre<br />

compte en cet instant, le mal fera fabula rasa de cette ville et que vaisje<br />

dire ? que puis-je dire si ce n’est comme mon profond ami d’Ormesson<br />

« C’était bien ! » pour éviter de dire « Adieu », tout ça, cette<br />

incohérence, c’est pour mes pairs, les enfants, les chamanes même,<br />

les marginaux <strong>sur</strong>tout et n’oublie pas que je déteste l’ordre sauf, qui<br />

sait ? en musique où deux âmes et deux seulement ont appris à l’infléchir<br />

vers le sublime, deux ça n’est pas beaucoup pour l’histoire de<br />

l’humanité, un c’est un Viennois et l’autre un Allemand des temps<br />

d’antan disons, je déteste l’ordre qui est le froid mais j’aurais voulu<br />

annuler cet enfer entropique ou tout se défait, une âme comment se<br />

sent-elle dans une rue parcourue par les flammes ? dis-moi feu, fluides,<br />

laves, nuées ardentes et mer retirée que reste-il de cette ville sans<br />

nom qui s’en va au vent mauvais, que ? quoi ? de l’ordre ? pas tant<br />

que ça ; du désordre ? pas assez, il n’y aura bientôt plus de phrase<br />

terminée, l’esprit de <strong>Genève</strong> c’est à la fois bien plus et bien moins que<br />

de Traz l’aura cru, l’esprit de <strong>Genève</strong> c’est un parfum inimitable des<br />

jours de marché, c’est aussi cette fille qui marche dans la rue ou que<br />

la bise déshabille <strong>sur</strong> les quais,<br />

c’était une gaîté, un microclimat de l’âme<br />

jamais ce puritanisme qui aura fait de nous les ancêtres des Américains<br />

nos assassins, <strong>Genève</strong> ? ville ouverte, voilà ce qu’on aurait dû dire<br />

comme le grand Rossellini (quelle fille superbe il a !) avec Rome ville<br />

ouverte, cette <strong>Genève</strong> qui résistait à la culture des gens du Sud, des<br />

199


gens de l’Est mais qui dans cette seconde se voit balayée par<br />

une vague grise lumineuse, savante en destruction<br />

toutes ces bibliothèques, tous ces esprits cultivés, toutes ces intrigues<br />

et tous ces gens d’argent sont enfin ramenés à ce qu’ils valent, l’impétueuse<br />

cendre chaude qui court, les derniers instants de la cité de<br />

Calvin ? un non-sens, ce n’est pas la cité de Calvin c’est micromondeduboutdulac<br />

c’est ville clairemerveilleuse, c’est<br />

c’est… celle que j’ai connue et que je sais aimer, une ville n’est égale<br />

qu’à la conscience qu’on en a je me souviens de la Jonction de la<br />

jonction des eaux claires et boueuses, de cette pierre où rêvait Byron,<br />

je me souviens de la rue Tabazan qui nous terrifiait quand nous étions<br />

enfants car c’était « par là » qu’habitait le bourreau… nos bourreaux ?<br />

pourrons-nous un jour<br />

les envoyer en enfer comme ça ? en Mieux…<br />

j’ai par-dessus tout peur de l’ombre, j’aimerais me voir vite effacé,<br />

imprimé <strong>sur</strong> un mur comme un Japonais, comme un héros, comme un<br />

fou, comme une star de cinéma vous savez cette chanson, je cite dans<br />

ces lignes presque toujours les mêmes poètes, les mêmes livres, et<br />

quand un demi-million de bibliothèque brûleront une bibliothèque<br />

plus grande sera effacée, pour toujours,<br />

Adieu,<br />

à Dieu, à Lui malgré tout, ce n’est pas une si mauvaise fin,<br />

Il est le seul Qui sache nous recueillir.<br />

200


201


202


La lumière de ce monde<br />

(qui devrait être la sixte minute mais découle de la Cité de Calvin (Dieu sait pourquoi)<br />

En attendant une autre lumière dissolvante je relisais La Lumière<br />

des jours. Ce livre est excessivement beau. Il fait partie de ces ouvrages<br />

qui demeurent <strong>sur</strong> ma table de chevet pour des durées imprévisibles.<br />

Je me débarrasse vite des textes non porteurs, en une soirée je<br />

lis un bon thriller quelle que soit sa provenance mais je passe des<br />

mois ou des années à lire quelques livres qui m’explosent la tête.<br />

Quand ils sont chargés de sens, d’humanité, de visions il m’est quasi<br />

impossible d’en lire plus que quelques lignes sans m’interrompre et<br />

partir dans la rêverie ou l’immédiate construction qu’elles ont suscitée<br />

en moi. Des bibliothèques parlent à des bibliothèques ! Ne crois<br />

pas que je les aime pour autant. Je ne sais pas si j’aime les livres de<br />

Bobin comme j’ai aimé le Rapport Gabriel ou Une pâle beauté de<br />

Muriel Cerf. Ce n’est pas affaire de séduction, il s’agit de résonateurs.<br />

Ce qui se passe avec Bobin, c’est que sa vision, la simplicité de sa<br />

phrase, ce qu’il dit me catapulte, me met en orbite, m’emplit de rêve<br />

ou simplement active mes bibliothèques. Ça lui arrive aussi « J’ai<br />

toujours attendu que quelque chose sauve la vie. J’ai toujours été<br />

étonné, quand un livre me brûlait les mains de voir que d’autres pouvaient<br />

en parler calmement, et que cela ne faisait que les rasseoir dans<br />

leur propre vie éteinte. »<br />

Je savais qu’il est de bon ton à Paris de se moquer de cet homme du<br />

Creuzot qui a le mauvais goût d’avoir une assez large audience et de<br />

ne fréquenter aucun cénacle littéraire. Je m’en contrefichais, ce livre<br />

m’avait tout de suite éclairé.<br />

Ma lecture était généralement brève, je prenais quelque chose au<br />

hasard et soudain mon esprit s’ouvrait, je reposais le volume, en y<br />

mettant quelquefois un signet inutile car c’était toujours une sorte de<br />

hasard manuel qui me faisait tomber <strong>sur</strong> telle ou telle page, et je restais<br />

à nouveau « éclairé ». Bobin n’est ni intello ni branché ni rien de<br />

tout ce qui fait parler la critique et les milieux de l’édition, il a com-<br />

203


mencé, à un moment de sa vie, à exister. (Comme Mirabelle<br />

LaNuit.)<br />

J’avais lu et aimé son livre Le très bas qui parle de Saint François<br />

d’Assises. Les ouvrages qui ont suivi m’ont laissé indifférent mais<br />

voici qu’un beau jour j’ouvre les pages de La Lumière de ce monde et<br />

que cette lumière descend en moi. La vie m’a toujours enseigné que<br />

les maîtres pratiquent la simplicité. Bobin le fait. Il n’y a pas grandchose<br />

à dire de plus, ce serait futile de tenter son éloge littéraire, il est<br />

hors littérature, au-dessus. Qu’il soit lu me donne de bonnes nouvelles<br />

du peuple de France. À l’inverse d’un Dantec par exemple qui<br />

n’est que fausse modernité. Quand Bobin règle son compte à Proust<br />

il dit des choses imparables « Le pire, c’est de mettre des paroles<br />

vraies à côté de paroles fausses […] Proust a réussi ce tour de force<br />

de planter de l’aubépine blanche en plein milieu de l’enfer, et c’est<br />

insupportable, parce que cela égare encore davantage de voir ainsi<br />

mélangé le plus clair de cette vie avec le plus trouble. La phrase de<br />

Proust se croit plus belle que l’aubépine qu’elle décrit, c’est là sa<br />

faille. »<br />

Et comme les saints, dans la tradition, il est même violent. « Je suis<br />

né en colère ». Qui ose dire ça ? « C’est le cœur malade de ce monde<br />

que je pousserais dans les flammes. »<br />

Rushdie me séduit, Eco m’intéresse, Bobin me rend modeste. Voyez<br />

si vous êtes à même de vous approcher de ses rages claires. Il est<br />

100 % bio.<br />

Non pollué.<br />

204


L’Essaim<br />

(sixte minute)<br />

C’est une entreprise hardie d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose.<br />

Bossuet (Courtesy of Jean d’Ormesson)<br />

L’homme réduit à la machine ? […] A les en croire, nous devrions<br />

faire définitivement notre deuil d’une prétendue spécificité humaine.<br />

[…] Cette frontière métaphysique dont on pensait qu’elle séparait<br />

l‘homme de la machine […] cédera tôt ou tard parce qu’on sait désormais<br />

que, d’un point de vue scientifique, elle n’est pas fondée. Tel<br />

était le message initial. […] l’idée qu’il n’y a pas de différence ontologique<br />

entre les humains, ou les organismes vivants en général, et<br />

les machine. Les hommes ne sont pas seulement analogues aux<br />

machines, ils sont machines. Marvin Minsky, as<strong>sur</strong>ait tout de go :<br />

« La prochaine génération d’ordinateurs sera si intelligente que nous<br />

aurons bien de la chance s’ils consentent à nous prendre chez eux<br />

comme animaux de compagnie. »<br />

Guillebaud (Le principe d’humanité)<br />

Dans ces derniers instants, dans les passes rugissantes de cette fin<br />

ou tout s’accélérait, ou d’un mètre à l’autre une ogive allait vomir du<br />

soleil, à l’idée d’une si désespérante contemplation de la cité détruite,<br />

pris dans les tourbillons de la folie humaine, je reçus un étrange appel<br />

intérieur. C’était mon cœur.<br />

- C’est moi, me dit-il. Tu me fais courir.<br />

Je savais que je le faisais battre mais pas courir. Je perçus distinctement<br />

d’autres voix mécontentes autour de lui. Il y avait un grondement<br />

de foule, une ambiance de pronunciamiento. J’avais écouté mon<br />

cœur, je l’avais suivi dans ses inclinaisons et même ses inclinations,<br />

j’avais souvent eu peur qu’il ne batte la chamade à se rompre, nous<br />

étions très liés. Qu’avait-il donc à me dire que j’ignore ?<br />

- Que tu n’existes pas, déclara-t-il posément. Il fallait bien que tu<br />

l’apprennes avant la grande dissolution.<br />

J’étais <strong>sur</strong>pris, largué, choqué, amusé, interpellé (soulignez tout ce<br />

qui vous paraît merveilleux).<br />

205


- Si je n’existe pas alors, toi non plus tu n’existes pas, suggérai-je.<br />

- Pas tout à fait. Selon tes modèles culturels et religieux tu es persuadé<br />

d’exister et tu crois fermement que tu existes dans ta tête, avec<br />

moi, assez vaguement, quand ça t’arrange. Tu crois disposer d’une<br />

conscience centrale située quelque part dans ton cerveau et que tu<br />

nommes « JE ». Tu crois que tu existes, c’est une erreur répandue.<br />

- Oh ? Mais, qui sont ces gens qui parlent autour de toi ?<br />

- Toi ! Justement. Enfin, nous, tes parties. L’Essaim.<br />

Il raccrocha, je faillis en mourir.<br />

Son discours fit un rapide et ravageur parcours dans mon esprit. Il<br />

ne déconnait pas. Je savais que Rimbaud avait dit la même chose mais<br />

je n’avais jamais tiré de conclusions de ces quatre mots « Je est un<br />

autre ». C’était dans la Lettre du voyant, que dans ma jeunesse j’avais<br />

lu sans trop approfondir. C’était un défi, ça me suffisait. En cet instant<br />

je me suis dit que les vieux textes peuvent nous avertir de bien des<br />

choses : « Il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos,<br />

quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des<br />

verrues <strong>sur</strong> le visage ». J’ignorais ce que pouvaient être les comprachicos<br />

(la traite des petits blancs ?) mais je savais par cœur la suite,<br />

le fameux passage qui excitait même mes professeurs « Le poète se<br />

fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les<br />

sens. Il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences.<br />

Il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le<br />

grand maudit, - et le suprême Savant ! » Et j’avais totalement ignoré<br />

la partie sans doute la plus prophétique du texte « Qu’il crève dans<br />

son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront<br />

d’autres horribles travailleurs. » J’avais interprété ces formules de<br />

manière trop convenue, une sorte de « Je ne suis pas l’entité que vous<br />

me voyez être ». L’exposé d’une différence, sans plus. À y regarder<br />

de plus près je m’aperçus qu’une masse de voyants savaient ça et que,<br />

chacun à sa manière, ils l’avaient dit. Je trouvai <strong>sur</strong> le Net un petit<br />

commentaire attribué à Nietzsche « Le corps est un système de pulsions<br />

qui ont chacune leur perspective propre et veulent l’imposer aux<br />

autres. » Ça prenait du sens, et pas forcément un sens plaisant. C’était<br />

la remise en cause de notre identité dès l’origine. Nous étions peutêtre<br />

plus proches des collectivités d’insectes que nous ne l’imaginions.<br />

Curieusement, à moi l’iconoclaste qui aime se moquer et défier


les valeurs établies, ça n’était pas super fun. Je n’avais pas l’impression<br />

de pouvoir <strong>sur</strong>vivre de quelque manière que ce soit en me dissociant<br />

en une assemblée générale d’organes indépendants, ces autres<br />

horribles travailleurs ne se tolérant que par symbiose. En vérité je n’y<br />

croyais pas.<br />

Quelques bouillonnements plus loin deux livres me revinrent à l’esprit.<br />

L’un de Stanislas Lem, écrit dans les années soixante. Ce polonais<br />

génial (on ne le découvre que tard) postulait l’existence d’une<br />

entité invincible en forme d’essaim. Son modèle était évidemment la<br />

société des insectes mais il s’agissait de petits robots capables de se<br />

rassembler pour des tâches simples et, du fait de leur nombre et de<br />

leur structure sociale, invincibles. Ils n’obéissaient qu’à des lois de<br />

groupe. À l’époque je reconnais que ça m’avait intéressé mais rien de<br />

plus. Ces derniers temps ça se mit à changer. Je venais de tomber -<br />

hasard ou coïncidence - <strong>sur</strong> un excellent récit de Chrichton : Prey. Il<br />

reprenait le schéma de Lem mais avec le support technologique des<br />

années 2000, les nanotechnologies. Ce qui m’avait passablement<br />

impressionné dans son texte était la description de nos essaims personnels,<br />

nos corps. Je me mis à revoir mon jugement identitaire.<br />

Comment le dire ? Quelque chose dans mon corps révisa les rapports<br />

existants entre cerveau, organes, fluides, système nerveux, membres,<br />

tout ce qui nous compose. Je n’étais pas vraiment armé pour cela<br />

mais, guidé par mes lectures, j’opérai une plongée assez désagréable<br />

dans ma caverne de chair. Il me suffisait de descendre assez bas pour<br />

éliminer la plupart des objections que ma tête formulait. J’étais bien<br />

un essaim géant, un essaim d’essaims. Mes organes prenaient en fait<br />

pratiquement toutes les décisions, mon cerveau n’était qu’une très<br />

performante gare de triage et local d’archives. Ne me parlez plus<br />

d’humanité, c’était une hypothèse qui n’avait plus cours. Je me souvins<br />

d’une phrase que j’utilise souvent dans mes livres « ces lacs de<br />

feu qui parsèment ma mémoire ». J’aimais ce leitmotiv un peu homérique,<br />

répétitif, scandé. Je fus servi, des lacs de feu, des sources<br />

d’énergie bouillonnantes il n’y avait que ça. Je suis descendu un peu<br />

trop loin et je me suis perdu dans l’affolante giration de galaxies cellulaires<br />

et encore plus bas dans des nébuleuses d’atomes. C’était…<br />

moi ? Je ne savais pas, je ne savais même plus qui racontait cette<br />

histoire. Après, c’était le vide interpersonnel… J’avais appris que la<br />

207


science actuelle peut déplacer et dans une certaine me<strong>sur</strong>e structurer<br />

et programmer des atomes, l’idée même de nanotechnologie réside<br />

dans cette capacité. Existait-il un module minimal de la vie ? Nous<br />

étions peut-être tous gouvernés par un virus ? Je faisais sans agrément<br />

le voyage d’Alice, tombant dans un vortex sans fin. J’ignore ce qui<br />

m’a permis de me déplacer de la sorte, je suppose que mon essaim<br />

voulait me rendre conscient de cette dé-nature. Me dissocier eut été<br />

une meilleure définition.<br />

Je revins <strong>sur</strong> ce monde tel un contrebandier, à contre-moi, contretemps,<br />

prêt à une prompte contre-attaque. J’étais contrit de cette<br />

découverte, il me fallait des contre-me<strong>sur</strong>es, j’étais contre tout ce que<br />

je découvrais. Passé un instant d’agitation je réalisai ce qui m’arrivait.<br />

C’était entièrement nouveau, hors de mon champ d’expérience.<br />

C’était l’effacement de mon identité au profit des lois du groupe. Je<br />

me dissociais ou cela n’allait pas tarder. Étais-je prêt à devenir une<br />

démocratie ? Probablement pas, encore moins à suivre des lignes de<br />

code barbares et à devenir un tueur. Je réalisai que notre bonté c’était<br />

peut-être aussi notre « flou », notre marge d’erreur, celle que l’essaim<br />

n’aimait pas.<br />

Si j’étais dans le vrai, les implications de l’existence de l’essaim<br />

étaient considérables et peut-être meurtrières. Nos cultures savaient<br />

profiter des comportements de groupe mais généralement dans les<br />

moments de crise. Millénarisme, révolutions, catastrophes naturelles.<br />

Si cette hypothèse des nanocentres de décision était vraie elle signifiait<br />

que nous n’avions suivi que des leurres. L’Église elle-même<br />

n’était pas à l’abri d’une telle analyse et personne, même dans une<br />

société aussi faussement religieuse que celle du xxi e siècle, personne<br />

ne serait disposé à l’admettre. Un pas plus loin je me suis souvenu<br />

que ce qui gouvernait le monde était l’argent. Nous avions eu de la<br />

peine à admettre qu’il soit concentré dans les mains de quelques<br />

familles criminelles. Mais que se passait-il si les lois de prédation de<br />

l’essaim étaient les lois réelles du profit ? Car ces lois de groupe ne<br />

pouvaient être autre chose que des lois de <strong>sur</strong>vie, de priorité, de comportements<br />

associatifs. Il y avait eu une inimaginable accélération<br />

dans l’évolution. Nous n’allions pas comme l’avait rêvé Theilhard de<br />

Chardin vers la Noosphère, la sphère de l’esprit. Les scientifiques<br />

nous l’avaient suffisamment rabâché : si l’on résumait l’histoire de la<br />

vie à une journée de vingt-quatre heures, l’homme n’apparaissait que<br />

208


dans la dernière seconde. Nous étions, en durée, à peine supérieurs à<br />

un cent-millième de l’évolution. Mais les codes avaient été écrits en<br />

grande partie et le travail préparatoire était fait. Les lois de l’Essaim<br />

pouvaient se dégager et c’est ce qu’elles faisaient. Elles ne visaient<br />

qu’à se diriger vers ce que les savants appellent des solutions éprouvées.<br />

Il y avait plusieurs évolutions parallèles mais une seule qui<br />

balayerait les autres.<br />

C’était difficile à comprendre. Je ne voyais pas comment ces<br />

fameux codes pouvaient se propager d’un corps à un autre, si ce n’est<br />

par l’ADN. Mais c’était une idée beaucoup trop statique. J’avais souvent<br />

observé, <strong>sur</strong> la route de la Costa Brava, avant le lever du jour,<br />

des colonnes torsadées de moucherons. Je me demandais « quel est le<br />

signal qui leur fait adopter des formes aussi précises ? » Ces volutes,<br />

ces spirales dont les transformations me paraissaient aussi ordonnées<br />

que celles d’un groupe de danseurs. Je passais mon chemin. Mais<br />

cette interrogation revenait sous la mer quand je voyais des bancs de<br />

poissons évoluer exactement au même instant. L’essaim marin changeait<br />

de forme et on m’expliquait qu’il s’agissait de microcourants<br />

électriques induisant des réactions tout à fait instinctives. Ce n’était<br />

pas juste, nous savions que face à un prédateur le banc de poisson<br />

savait mimer la forme d’un prédateur encore plus grand, afin de l’intimider.<br />

Cette faculté mimétique n’avait rien à voir avec les variations<br />

de microcourants électriques dans l’eau. Le comportement de l’essaim<br />

était vérifiable mais toujours mystérieux. J’ai entrevu d’autres<br />

réponses. Un groupe était peut-être capable de réagir à des phéromones<br />

? C’était pensable mais toujours limité. Ou à des fréquences ? J’ai<br />

réentendu la voix de Hitler et revu les foules, à Nuremberg, les torches,<br />

la folie nazie, c’était bien un essaim qui s’était formé là. En<br />

parallèle j’ai relu des auteurs américains, des publications scientifiques,<br />

à propos de la nanotechnologie. Chrichton avait eu le mérite de<br />

tresser une superbe intrigue mais pour la fabula il n’avait rien inventé.<br />

La communauté scientifique se préoccupait déjà de l’impact des<br />

nanotechnologies dans le xxi e siècle. On prédisait l’apparition d’une<br />

race qui supplanterait l’homme. Car les nanorobots, dans l’esprit de<br />

certains, seraient à très court terme, biocompatibles. Vivants, selon<br />

divers critères. Cette abolition de la frontière biologique passionnait<br />

quelques inspirés mais paniquait la majorité des savants. Nos systèmes<br />

se périment terriblement vite. Les scientifiques ne manquaient<br />

209


pas une occasion de mêler Dieu à leurs recherches et préoccupations<br />

mais on vit se dessiner une nouvelle dichotomie absolument effarante<br />

: les esprits se partagèrent en deux camps, la téléologie et la téléonomie.<br />

L’explication n’en est pas difficile. La téléologie avait prévalu<br />

jusque-là. Elle nous disait simplement qu’il y avait un but à l’évolution,<br />

que le grand Architecte existait, sous une forme ou une autre.<br />

Mais la téléonomie c’était tout autre chose : la bonne manière d’interroger<br />

le vivant. En d’autres termes on se fichait pas mal de l’évolution,<br />

on cherchait à savoir si elle allait dans le sens de la meilleure<br />

adaptation. Dieu n’avait plus de place dans cette façon de penser si ce<br />

n’est comme spectateur. Il devenait un Dieu opportuniste, <strong>sur</strong>fant les<br />

développements accidentels de la création. Quelle en était la règle ?<br />

L’essaim, me sembla-t-il, des comportements émergents de groupe ne<br />

visant qu’à la reconnaissance d’une espèce, destruction des autres,<br />

prédation et contrôle du territoire. À peu près ce que les fourmis nous<br />

ont enseigné.<br />

C’est alors que j’ai entrevu la mécanique de la finance et des guerres.<br />

Les guerres n’étaient pas le prolongement de la politique comme<br />

on aime à le dire, elles étaient le prolongement de la finance. Et la<br />

finance était devenue le but principal de l’essaim. Il existait, quelque<br />

part en nous des lignes de code qui dictaient nos comportements.<br />

Humanité, culture, beauté, amour et religion étaient des leurres ou, au<br />

mieux, d’agréables accidents de parcours. L’essaim pouvait prendre<br />

n’importe quelle forme, il s’adapterait. Dans cette version de la réalité<br />

Dieu était remplacé par une certaine théorie de l’évolution, quelque<br />

chose de plus implacable que créatif. Mais il n’y avait pas que les<br />

marchés financiers qui obéissaient à des lois de groupe, il y avait les<br />

médias eux-mêmes. Était-il possible que des comportements de<br />

groupe profonds régissent l’ensemble de messages déferlant <strong>sur</strong> la<br />

planète ? Probablement. Mais - cette question m’était difficile - dans<br />

quel but ? La réponse était noire. Le but c’était rien. Le nada. La prolifération<br />

d’une espèce et le pillage systématique des autres, considérés<br />

comme extérieurs. J’ai évidemment pensé à l’Amérique, état<br />

essaim par excellence. Et je me suis dit que tout basculerait quand les<br />

divers grands essaims de la planète communiqueraient entre eux et<br />

pourraient s’unifier. À mon avis ils ne communiquaient pas encore<br />

totalement. Les lois de prédation s’appliquaient à la planète entière<br />

210


mais l’étape finale n’était pas franchie. Je la pensais très proche.<br />

Tout ça n’allait pas changer ma vie dans l’immédiat mais tout ça<br />

expliquait quelque chose d’essentiel : le manque de compassion de<br />

l’espèce humaine et son obstination à piller son environnement. On<br />

ne pouvait pas attendre d’une loi de groupe élémentaire qu’elle évolue<br />

au point de comprendre un système écologique. Et les grands<br />

coupables ne s’appelaient plus Hitler, Saddam ou Bush. C’étaient des<br />

lignes de code, de foutues lignes de code que nous étions proches de<br />

lire !<br />

Je me suis assis, les yeux dans le vide et, en pensant à toutes les<br />

grandes figures qui hantent ces récits je me suis mis à rire. Au stade<br />

auquel j’étais parvenu je pouvais accepter, à la rigueur, que je n’existais<br />

pas, que je n’étais que le comportement de groupe d’un essaim.<br />

Même chez une femme ça n’allait pas me freiner. Mais mes pairs ?<br />

Mes grandes et chères figures pompeuses qui cultivent leur « soi sauvage<br />

» à l’extrême ? Qu’allaient-elles devenir ? Je m’étais souvent<br />

amusé à dénoncer la vacuité de leur décorum. Vu sous ce nouvel<br />

angle, il me suffirait de souffler <strong>sur</strong> eux, d’une certaine manière, pour<br />

les voir se désagréger en essaim de mouches noires, bombinant autour<br />

de je ne sais quelles puanteurs cruelles. Nos illusions décomposées,<br />

sans doute.<br />

Ce missile, somme toute, prenait du sens. Il arrivait pour tout dissocier.<br />

D’une certaine manière c’était déjà fait, il ne ferait que le souligner.<br />

Le message d’un imbécile parvenu à un pouvoir déme<strong>sur</strong>é ne<br />

s’expliquait que trop bien. Côté lumière par l’œuvre de Joyce. Dark<br />

side par la théorie de l’essaim. Tout ça était aussi étrange que logique.<br />

Il n’y avait dans ma conscience qu’une entité qui puisse s’opposer<br />

à une sinistre appartenance collective, aux lois du groupe et aux lois<br />

du rien, à une tornade de poussière noire dont les formes et valences<br />

changeraient avec les situations. À un nuage de mouches s’unissant<br />

pour reproduire un visage instable. À l’asphyxie, aux atomes se<br />

recombinant à seule fin de tuer et <strong>sur</strong>vivre. À défendre la merveilleuse<br />

illusion de l’unité de l’humain. Une seule entité. Ne me demandez<br />

pas pourquoi. Je le savais, c’est tout.<br />

211


Et c’était Mirabelle LaNuit.<br />

212


Final reentry phase Ω<br />

J’aimerais qu’on lâche <strong>sur</strong> le Terre pour une nuit entière les<br />

principaux démons de l’Enfer, sans assignation ni contrainte<br />

aucune, pour voir ce qu’ils feraient ainsi livrés à eux-mêmes.<br />

Le vœu de Baines relevait du raffinement artistique dans le<br />

domaine de la violence destructrice.<br />

James Blish (Le lendemain du Jugement dernier)<br />

6664U atteignit le niveau 250, c’était la fin du voyage, la fin tout<br />

court, ses fatalités programmées se mirent en action.<br />

<strong>Genève</strong>, vue de cette altitude est une fort belle ville. De jour on eut<br />

distingué la rade, le bout du lac doublement cisaillé des bains des<br />

Pâquis et de la Nautique, rive droite, rive gauche, le petit triangle du<br />

jet d’eau et les ponts, celui du Mont-Blanc, celui de l’île Rousseau et<br />

nettement plus loin celui de la Coulouvrenière, avec un assez indécodable<br />

fouillis d’immeubles pour la plupart anciens, dont seul le grand<br />

quadrilatère Cornavin angle quai du Mont Blanc se dessinait nettement.<br />

On eut aussi distingué la campagne proche, les grands vides des<br />

deux gares, la présence des montagnes gardienne ; le lac en général<br />

se parait de subtiles couleurs bleues, ardoise froissée d’argent.<br />

Mais la Cité du bout du lac dormait encore, le missile activa ses<br />

séquences. L’ogive avait été réglée pour exploser à trois mille pieds<br />

au-dessus de la <strong>sur</strong>face de la mer, soit à environ six cents mètres du<br />

sol. Armageddon était une question de secondes. Quand elle passa<br />

l’altitude de dix-mille pieds l’ordinateur envoya une séquence d’instructions<br />

aux couches explosives qui ceinturaient la sphère intérieure<br />

d’uranium 235. La bombe à hydrogène allait exploser en trois étapes.<br />

Le séquençage de la ceinture d’explosifs avait été responsable des<br />

trop nombreux essais réalisés par diverses nations dans l’atmosphère,<br />

sous terre et même dans les eaux de Muruora. Il fallait une synchro-<br />

213


nisation parfaite pour que la progression de l’onde joue son rôle. Le<br />

développement de la réaction dépassa la vitesse du son, l’ogive<br />

n’avait parcouru que quelques mètres à une vitesse supérieure à trois<br />

mille mètres seconde. L’onde était orientée de manière à souffler à<br />

l’intérieur du cône et, dans un petit delta de temps, l’ogive conserva<br />

sa forme conique renversée. Mais à l’intérieur, le front de pression se<br />

rua vers le centre à une vitesse proche de mille kilomètres heure,<br />

poussant devant elle les deux demi sphères d’uranium 235 qu’elle<br />

avait mission de compresser. La tête du missile eut semblé se déplacer<br />

paresseusement dans l’espace par comparaison avec la terrible accélération<br />

réduisant l’uranium à une sphère minuscule, hyperdense. Les<br />

neutrons libérés par ce métal instable trouvèrent, dans ces parcelles<br />

de microtemps, des occasions grandissantes de frapper d’autres atomes,<br />

lesquels éclataient et lâchaient leur rafale subatomique. Plus la<br />

compression augmentait plus jouaient les lois de la statistique : les<br />

neutrons avaient de moins en moins de probabilités d’éviter ces cibles<br />

et de se disperser dans le vide. En un millionième de seconde la<br />

sphère atteignit la masse critique, définie comme probabilité absolue<br />

(ou suffisante) de réaction en chaîne. Le taux de désintégration se mit<br />

à doubler sans cesse, c’était le développement exponentiel calculé par<br />

les physiciens, cette horreur qui avait fonctionné à deux reprises dans<br />

le ciel du Japon. Le premier stade, le stade A, s’accomplissait.<br />

La désintégration de chaque atome provoqua l’émission d’une<br />

minuscule quantité d’énergie. L’ogive avait presque atteint son altitude<br />

programmée et la température en elle, au stade de la fission,<br />

approcha cent millions de degrés. La fusion nucléaire de l’hydrogène,<br />

réaction identique à celle qui se produit au cœur des soleils, pouvait<br />

commencer. C’était la seconde étape. Lorsque le mélange de deutéride<br />

de lithium placé dans le noyau de la bombe atteignit cent millions<br />

de degrés, les atomes de deutérium et de tritium fusionnèrent, libérant<br />

une énergie colossale. Il est probable qu’entre ces étapes, si lentes à<br />

décrire, la tête du missile n’ait plus parcouru que quelques mètres,<br />

moins peut-être. Tout se jouait dans un autre temps, d’autres énergies,<br />

comme au cœur du soleil. À chaque jaillissement de cette chaleur en<br />

millions de degrés les noyaux de deux atomes d’hydrogène fusionnaient<br />

pour ne former qu’un seul élément plus lourd, l’hélium, le<br />

« solaire ». L’énergie totale de ces composants excéda légèrement<br />

celle d’un seul atome d’hélium il s’en dégagea un supplément d’éner-<br />

214


gie pure au moment de la fusion (E = mc). Ces pulsions énergétiques<br />

produisaient également l’une des longueurs d’onde les plus courtes<br />

du spectre électromagnétique, les rayons gamma et leur crête d’onde<br />

atteignit des températures proches de vingt millions de degrés, frappant<br />

le casque d’uranium 238 qui était enroulé autour du noyau de<br />

l’ogive. Cette troisième phase faisait plus que doubler la puissance de<br />

la bombe.<br />

Un Allemand, Hans A. Bethe, avait été le malheureux père de cette<br />

réalisation, il avait contribué à percer le mystère de la production<br />

d’énergie des étoiles. On lui remit un prix Nobel pour cela mais les<br />

militaires avaient su utiliser ses calculs pour mettre en fabrication<br />

l’arme qui se déchaîne actuellement et qui, en vérité, n’a pas de<br />

nom.<br />

Privés de leur carapace d’électrons, les atomes de l’atmosphère<br />

autour de ce nouveau soleil furent violemment ionisés et formèrent<br />

une sphère de plasma qui se mit à repousser l’air devant elle à une<br />

vitesse fantastique. L’onde de choc ainsi créée se propagea dans toutes<br />

les directions, frappant d’abord la <strong>sur</strong>face du lac et le sol. On peut<br />

imaginer en cet instant des silhouettes humaines dans les rues, dans<br />

des maisons, immobiles et intactes dans le microtemps. Elles ne sont<br />

pas encore frappées, comme dans l’exceptionnelle fin de Fail safe,<br />

imaginée par un cinéaste américain décrivant la même horreur <strong>sur</strong><br />

New York, en ne montrant plus que des photos noir et blanc, prises<br />

dans une vive lumière. La ville de <strong>Genève</strong> et ses habitants furent<br />

ainsi, un fragment de temps, <strong>sur</strong>ex. Mais l’onde se propageait à une<br />

vitesse impensable. On eut dit une gigantesque bulle de savon. L’eau<br />

se vaporisa et le sol se comporta un instant comme un liquide. La<br />

force se propageait plus vite dans le sol que dans l’air. Une onde primaire<br />

bien connue des sismologues se combina avec les forces transversales<br />

de <strong>sur</strong>face et anéantit toute structure souterraine dans un<br />

rayon de trois kilomètres, les immeubles sis dans ce premier cercle<br />

n’avaient pas eu le temps de fondre. Sur quoi le mur d’air comprimé<br />

qui s’était formé balaya les maisons, les gens et les arbres dans ce<br />

premier cercle de l’enfer. La boule de feu qui se gonflait à l’extérieur<br />

du cercle de plasma s’éleva au-dessus du ground zero, à une vitesse<br />

proche de mille kilomètres heure, elle atteignit un diamètre de trois<br />

kilomètres. Le champignon - canopy - qui allait se former en altitude<br />

atteindrait trente kilomètres. On connaît l’allure de ces explosions, la<br />

215


sphère ignée devient moins nette en gagnant de l’altitude, elle entretient<br />

l’intense dépression due à la combustion de l’air et les vents de<br />

destruction finale se lèvent, à plus de 500 km/h. Quelque quarante<br />

millions de tonnes d’eau et de terre furent vaporisés et aspirés, laissant<br />

un cratère de presque deux kilomètres de diamètre et de cinquante<br />

mètres de profondeur. À Rolles, à une cinquantaine de kilomètres<br />

du Ground Zero, les gens souffrirent de légères brûlures et reçurent<br />

une dose de 2 rems, équivalent à cent radiographies.<br />

On ne sait pas grand-chose de cet événement. Les habitants de<br />

<strong>Genève</strong> centre n’eurent probablement aucune conscience de leur<br />

mort. Il y eut probablement des effets d’ombre entraînant un peu plus<br />

de damnation mais ce fut aux limites de la cité et dans les campagnes<br />

que s’élevèrent les incendies et l’horreur de longues agonies. Comme<br />

dans toute explosion incontrôlable il y eut des miraculés et des dommages<br />

collatéraux dépassant l’imagination. Voir deux grandes montagnes<br />

en feu a-t-il donné de la satisfaction à l’esprit malin qui a voulu<br />

ces séquences ? On ne le sait pas. La désolation n’était pas vraiment<br />

circonscrite, les villes riveraines du lac furent touchées et par l’onde<br />

de chaleur primaire et par le déluge des eaux qui refluèrent vers le<br />

cœur de <strong>Genève</strong>, après l’impact. La ville de Lausanne se trouvait à<br />

peine hors de la portée destructrice, mais pas celles d’Annemasse ou<br />

d’Annecy. Les décisions seraient prises dans les minutes à venir par<br />

les vents. Les vents dominants.<br />

Je repoussai la feuille de papier devant moi. Ça ne pouvait arriver.<br />

Ça ne devait pas arriver. Ça n’était même pas pensable. Mais mon<br />

Père n’en avait pas nié l’existence… Nous étions en fin de sixième<br />

minute et ce que je venais de voir n’était probablement rien en comparaison<br />

de ce qui descendait vers nous.<br />

Je me levai et filai en direction de chez Jean-Jacques.<br />

Un poète, un fou ou un idiot ont plus de chances de sauver le monde<br />

qu’un soldat ou un politicien.<br />

Une femme qui est la Vie aussi.<br />

216


Mi papel con Mirabelle<br />

(Jacques, Mirabelle, aparté méta narratif)<br />

Jacques : C’est décidé, cet Interlude je l’écris en espingouin. En es-pañol.<br />

Mirabelle : T’es fou ? Déjà que tes lecteurs se plaignent de ton herméneutisme.<br />

Jacques : (très professoral) Hermétisme, bêcheuse.<br />

Mirabelle : - Bon, ne pignochons pas <strong>sur</strong> les mots, mon rôle le plus<br />

important arrive au galop. Et aussi pour le Dr Martin !<br />

Jacques : Alors ?<br />

Mirabelle : Alors ? C’est pas le moment de faire chier les francophones<br />

avec cet espagnol bricolé, dont tu es tellement fier.<br />

Jacques : (ravi) Justement ! Tu viens de justifier mon choix. Martin (né<br />

de la rosée matutinale) cause espagnol dans le réel et ici, je ne sais pas<br />

pourquoi, je sens qu’il va jacter espingouin. Voilà !<br />

Mirabelle : La belle justification. Je me demande vraiment si je vais te<br />

sauver, toi !<br />

Jacques : Ne te le demande pas !<br />

Mirabelle : Et pourquoi cela ?<br />

Jacques : Parce que si je ne termine pas ce bouquin, tu n’existeras<br />

jamais.<br />

Mirabelle : (avec un large sourire) Quelle mauvaise foi. Tu es vraiment<br />

digne d’être une femme, tu sais ?<br />

Jacques : (modeste) Je sais, j’ai programmé ça dans mon prochain bouquin.<br />

Mirabelle : Oh ? Quel en est le titre ?<br />

Jacques : « Une semaine bien remplie ».<br />

Mirabelle : Et ça parle de quoi ?<br />

Jacques : (l’air faux jeton) Pas grand-chose. Trois fois rien. La routine.<br />

Mirabelle : Mais encore ?<br />

Jacques : (prenant l’air le plus contrarié possible) La Genèse. Je dois tout<br />

refaire en six jours. You see ?<br />

Mirabelle : Eh bien ! Je scie que cette fois c’est six minutes. Alors, vas-y,<br />

mais sois bref. Eh ?<br />

H <strong>sur</strong> <strong>Genève</strong>, brouillons retrouvés dans une poubelle.<br />

(Courtesy of La Voirie)<br />

217


- Pues, dijo el D r Martin. Me puso usted a trabajar en su libro, verdad<br />

?<br />

- Mais, dis-je totalement <strong>sur</strong>pris, Docteur, you spiiike espagnol !<br />

- Claro que si, papafrita ! contestó este seduciente hombre con un<br />

aire chistoso en la mirada. Lo que pasa es que ya caminé mucho en<br />

sus hojas ! Me canso !<br />

- D r dije, arriesgándome en el estilo « pasa ó rompe », soy Yo una<br />

estrella negra. Aspiro todo lo que se atreve a pasar cerca de mi, y, en<br />

su caso, me pareció muy interesante !<br />

- Orale ! contestó el D r con una mirada de fuego, si me permite<br />

Usted, lo encuentro bastante especial, y raro de todos modos. Es la<br />

primera vez que veo un paciente capaz de descifrar la frecuencia de<br />

unas chispas de electricidad en su cuerpo ! Y de hacer lo mismo<br />

pasando un IRM…<br />

- Oh, dije, es lo mínimo para un compositor, verdad ? No tiene nada<br />

de una brujería.<br />

- ¿Pero, porqué elegirme ? gruñó el D r Martin, enseñando, como un<br />

lobo, sus impecables dientes formando parte de su aterradora sonrisa.<br />

- Me da pena, pero se lo explico. Finalmente no le elegí a Usted para<br />

nada. Usted se impuso en esa historia. Usted es central ! Usted aparece<br />

regularmente cuando hay ángulos duros en la narración.<br />

- ¿Angulos duros ?<br />

- Durisimos! Y no lo digo de broma...<br />

- ??? dijo el D r Martin en castellano, ???<br />

- Pues… digamos variaciones tan abruptas como ángulos derechos !<br />

No le puedo explicar, ni siquiera proponer una teoría… Yo creo que<br />

ser central ocurre por lo menos una vez a cada persona en su vida, sin<br />

embargo con una diferencia mayor.<br />

- Cuál ? Pareció a punto de sacar las garras.<br />

- Simplemente eso (me senti de repente mucho mejor), cada persona<br />

vuelve a ser central por lo menos una vez en su vida. Pero, no se da<br />

cuenta y sobre todo, no pasa cerca de aquella persona un escritor loco,<br />

como yo, que va a transcribir este milagro, digamos… bastante<br />

común.<br />

- Bueno ! Nos vemos entonces, Jacques ! Porque adivino que todavía<br />

tengo que acabar mi papel con Mirabelle.<br />

218


- Ah ! Eso si. Nos vemos D r ! Vaya con Dios !<br />

Desvaneció el pinche hombre. Como una sombra, como un soldado,<br />

una estrella de cinema, como un héroe, se fué en este rincón de mi<br />

mente, que todavía no había podido cerrar, como una vela, como un<br />

lobo, como una estrella negra, como un escritor loco…<br />

219


220


La sentence de Swedenborg<br />

C’était l’émoi à Maison blanche. Deux personnages, insensibles<br />

aux tirs croisés de la garde présidentielle, s’étaient installés, pacifiquement,<br />

dans le bureau ovale. Devant un Bush blême et un Wolfi<br />

désorienté. On se serait cru dans un remake de X-men2.<br />

- Monsieur, dit le jeune homme blond de type caucasien scandinave<br />

en dévisageant Bush, je ne suis venu que pour vous informer de votre<br />

avenir. Vous irez en enfer. Dans celui que j’ai personnellement conçu.<br />

Je vous garantis son efficacité.<br />

- Bullshit ! grogna George, je connais Dieu personnellement, vous<br />

savez.<br />

- Vous aussi, ajouta l’impertinent en dévisageant le Conseiller qui<br />

sourit, exhibant une inquiétante dentition lupesque.<br />

- Qui êtes-vous ? demanda-t-il ?<br />

- Je vous demande pardon ! Je manque à la plus élémentaire des<br />

courtoisies, sourit l’ange blond. Messieurs, je m’appelle Swedenborg,<br />

je suis Suédois et philosophe. Et voici mon ami, le Dr Martin. Né de<br />

la rosée matutinale du Midi, précisa-t-il.<br />

- Que fait-il là ? s’enquit Walker.<br />

- Il est spécialisé dans les cas désespérés.<br />

- Les plus désespérés sont les cons les plus sots, et j’en sais de mortels<br />

qui sont de purs idiots, dit le Dr Martin d’un air grave. Il avait des<br />

lettres.<br />

Un ange passa, full flaps, train sorti, verrouillé.<br />

- Écoutez, firent Bush, George et Walker qui, pour la première fois<br />

de ce récit s’exprimèrent à l’unisson, vous n’êtes pas armé, vous<br />

n’avez pas essayé de nous tuer et nous avons un gros problème <strong>sur</strong> les<br />

bras. Alors… si vous alliez voir ailleurs ? Je vous ferais escorter où<br />

vous voulez ! Parole de Président.<br />

- Avec plaisir, dit Swedenborg. Mon message est par ailleurs fort<br />

bref. Dès la fin de cet entretien vous allez en enfer. [tumultes] Laissezmoi<br />

continuer, je vous prie. Pour vous, Monsieur le Président, vous<br />

vivrez éternellement dans un superbe ranch texan, vous truquerez les<br />

221


comptes de vos sociétés et papa arrangera tout ça. Vous ne ferez<br />

jamais de service militaire actif, vous prononcerez des peines de<br />

mort, vous déclarerez des guerres, vous boirez de l’alcool et pratiquerez<br />

ce que vous pensez être le sexe. Et vous continuerez à tromper<br />

votre nation, avec la même astuce.<br />

- C’est tout ? questionna un Bush bée.<br />

- Oui, dit Swedenborg, c’est ainsi que fonctionne l’enfer, par répétition<br />

éternelle de nos actes.<br />

- Ça n’est pas si mal, fit Walker. Et lui ? Il désigna Wolfowitz.<br />

- Idem, fit Swedenborg. Mais il connaît déjà le système.<br />

- Et pourquoi diable êtes-vous venus nous raconter ça ?<br />

- Simple, fit le blondinet. Vous êtes dans un récit qui s’achève et on<br />

m’a demandé de refermer votre parenthèse. Voilà. Personne ne vous<br />

écrit plus. Fin de la bande dessinée.<br />

Bush était songeur.<br />

- Et ce Dr… Mâtine ?<br />

- Martin, dit Swedenborg, Martin, né de la rosée matutinale du<br />

Midi. Il est très sourcilleux <strong>sur</strong> la prononciation de son nom. C’est un<br />

Français, vous savez.<br />

Walker grimaça. Il passait souvent du temps <strong>sur</strong> www.fuckfrance.<br />

com.<br />

- Okay. Que fait-il ici ?<br />

- Il est tombé par hasard dans cette narration, dit Swedenborg l’air<br />

tout réjoui. Ce sont des choses qui arrivent. Et il réapparaît à tous les<br />

angles durs de cette histoire. À mon avis il est le seul à en avoir une<br />

totale connaissance.<br />

- Si les Irakiens et mes compatriotes étaient aussi arrangeants que<br />

vous… fit le Président. Mais j’y pense… Que diriez-vous d’un poste<br />

de Conseiller ? À la place de ce connard incapable…<br />

Wolfi exhiba une superbe rangée de crocs, toutes babines retroussées.<br />

- Non, merci. Je ne suis qu’un effaceur, dit Swedenborg. Avez-vous<br />

bien capté mon message ?<br />

- Excellent, dit le Président. 5 ! Et mon missile ? Il a brillé ?<br />

- Comme un sourire ! fit le Dr Martin.<br />

- Génial ! Je vous fais reconduire ?<br />

- Oh que non ! Nous avons nos mini shortcuts, Président.<br />

Il leur adressa un clin d’œil.


- La sentence est immédiatement exécutoire ! fit-il avant de s’estomper.<br />

Ils atterrirent dans un couloir vert pomme.<br />

- Entre nous, fit le Dr Martin, en s’approchant d’un distributeur de<br />

Cocasse Caucase, ce n’est pas tout à fait votre texte de base ? Me<br />

trompé-je ?<br />

- Pas vraiment, rigola le blondinet. Il déroula une feuille jaunie. On<br />

y lisait :<br />

« Les esprits mauvais sont en enfer dans leur propre milieu. Ils<br />

jouissent du feu de l’enfer, de sa puanteur et de ces immondices, et<br />

lorsqu’un rayon de la lumière divine pénètre jusqu’à eux, ils cherchent<br />

à s’y dérober, préférant la lumière infernale qui est semblable<br />

à des charbons ardents et à du soufre en ignition. Leur visage est<br />

noir et velu, couvert de pustules, d’ulcères et de plaies, mais ils<br />

croient néanmoins entre eux avoir figure humaine. Ils se livrent aux<br />

plaisirs qui répondent à leurs désirs. Dans les enfers les moins rigoureux,<br />

il existe des huttes rudimentaires, agglomérées en villes, avec<br />

des ruelles et des rues. Des habitations sont perpétuellement un<br />

motif de querelles et les rues sont le théâtre de rixes et de brigandages.<br />

Des esprits infernaux habitent de sordides maisons de débauche,<br />

tandis que d’autres errent comme des bêtes féroces et se poursuivent<br />

dans l’obscurité des forêts. Et ils trouvent leur plus grand<br />

plaisir à se tourmenter et à se torturer les uns les autres… Dans ces<br />

conditions, les esprits infernaux ne se punissent eux-mêmes que par<br />

l’insatiabilité de leurs désirs. »<br />

Le Dr Martin leva les yeux au ciel.<br />

- Ce n’est pas tout à fait le Texas et Maison blanche, fit-il.<br />

- Pas si loin que vous ne le pensez, dit Swedenborg. Vous devriez<br />

rentrer, Docteur. Le dernier acte va commencer. J’ai lu le script, ca va<br />

faire chaud aux fesses.<br />

Swedenborg n’était jamais grossier.<br />

Il était en dessous de la vérité.<br />

223


224


Quand Mirabelle sourit !<br />

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,<br />

Silences traversés des Mondes et des Anges<br />

O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !<br />

Je filai en direction de l’île Rousseau. C’était ma non-minute, il n’y<br />

avait plus de permatemps, le missile arrivait et ce serait probablement<br />

pire que la vision qui venait de me hanter. Il n’est point de mots pour<br />

l’horreur. Je ne me tracassais pas excessivement pour ma personne,<br />

j’allais, j’en étais sûr, vers le ground zéro, le point d’impact, là où le<br />

monde cesserait brusquement d’exister et personne ne viendrait réunir<br />

mes quelques atomes épars pour me raconter Armageddon. C’était<br />

encore abstrait. Et à ce propos, justement, il faut que je vous le dise,<br />

j’ai vécu enfant, dans cette période dite de la guerre froide où les<br />

missiles des fous au pouvoir pouvaient s’abattre n’importe quand <strong>sur</strong><br />

les villes, d’un continent à l’autre. Et j’en ai rêvé. Beaucoup, trois<br />

fois, plus peut-être. Je me dissolvais dans la lumière ou, quelquefois,<br />

la durée se figeait et j’avais le temps d’emmener ceux que j’aime<br />

assez loin pour voir <strong>sur</strong>gir et monter dans le ciel Chaleur et Lumière,<br />

les sœurs terribles. Ça m’a passé. Je crois que nous apprenions à vivre<br />

avec l’horreur, après un temps elle était aspirée dans ce que vous<br />

nommez culture et faisait partie de ces choses qui n’arrivent qu’aux<br />

autres, dans d’autres pays, assez loin pour nourrir les misérables soliloques<br />

de nos médias.<br />

Je longeais le jardin anglais, au long du Métropole quand soudain,<br />

à la hauteur de Longemalle, je me heurtai à une silhouette venteuse,<br />

<strong>sur</strong>gie je ne sais d’où. J’allais grommeler quelques amableries quand<br />

je reconnus le Dr Martin. Il me fixa d’un air quasi paternel. Qu’allaitil<br />

encore me sortir ? Régime sans sel ?<br />

- To-morrow, and to-morrow, and to-morrow, fit-il avec un large<br />

sourire à la Clark Gable.<br />

Dieu que ses dents étaient blanches et grandes. Nous étions donc<br />

dans un couloir de Macbeth ?<br />

225


- To-morrow, and to-morrow, and to-morrow, repris-je, je trouvais<br />

difficile de lire Bill en langue étrangère. Comment rendre par exemple<br />

ce Creeps in this petty pace from day to day. To the last syllable<br />

of recorded time, And all our yesterdays have lighted fools ? Il me<br />

devenait évident que la première phrase décrivait ma brève odyssée<br />

et que cette ultime syllabe de temps enregistré n’était rien d’autre que<br />

le mortel compte à rebours du 6664U.<br />

Bill avait fait très fort ce jour-là ! Je puis vous as<strong>sur</strong>er une chose, ça<br />

ne lui arrivait pas tout le temps mais il avait été parlé. Par qui ? Quel<br />

intérêt ? Pas par mon Père, par cette voix qu’intérieurement nous<br />

connaissions tous et qui seule trouve les accents justes pour déclamer<br />

la rhapsodie humaine. Il doit y avoir une entité que je n’ai jamais<br />

fréquentée qui et se nommerait Destinée, ou Mektoub ou encore les<br />

sœurs Dust n’Destiny. Ou Dusty Death ! C’était par ailleurs la suite<br />

du texte. The way to dusty death. Je me mis à trembler à la pensée de<br />

cette brève lueur que serait ma vie. Et la bombe elle-même. Out, out,<br />

brief candle ! Je n’étais, comme la vie, que cette ombre baladeuse<br />

qu’on retrouverait peut-être, gravée <strong>sur</strong> un mur. Life’s but a walking<br />

shadow. Stupeurs et tremblements, dans quelques secondes je serais<br />

short public, dérisoire comme je l’avais toujours été, a poor player<br />

That struts and frets his hour upon the stage And then is heard no<br />

more. Mes belles fréquentations avec les mythes ne me serviraient<br />

plus de rien, il n’y aurait plus de conteur, plus d’histoire et - Bill, à<br />

son sommet me le disait - plus de sens ! It is a tale Told by an idiot,<br />

full of sound and fury.<br />

- Signifying nothing, ajouta le Dr Martin d’une voix creuse. Il me<br />

fit un clin d’œil et ajouta « Tomorrow ne vient pas toujours<br />

demain ».<br />

J’étais aussi secoué qu’intéressé. Un instant je pensai trouver la clef<br />

de ce songe. Les personnages, bien entendu, étaient sortis de mes<br />

livres et le Dr Martin (né de la rosée matutinale du Midi) n’était autre<br />

que Le Nommé Jeudi. Mais alors, où étaient les sorcières ? Il y avait<br />

bien Chaleur et Lumière, il en manquait une. Elles vont par trois. J’ai<br />

pensé à deux de mes nombreuses belles-sœurs, Citrouille et Carabosse.<br />

L’une faisait dans l’amargue l’autre dans la confiture de roses martyrisées.<br />

Qui les avait chassées dans la bles<strong>sur</strong>e, reçue ou infligée ? Qui<br />

avait dessiné chez l’une un sourire émouvant doublé d’un comporte-


ment loufoque ? Et qui avait gravé chez l’autre ces rides amères de<br />

fausse certitude ? C’était des femmes sans importance pour qui personne<br />

n’écrirait de rôle dans cette histoire, je décidai de ne pas les<br />

écraser. J’étais sûr que Martin allait me le faire savoir, que d’un mot<br />

il expliquerait tout, le missile et le détail de ces petites ombres agitées.<br />

Un homme qui peut vous injecter le feu du ciel dans le dos ne<br />

peut être tout à fait ignorant des mystères profonds de l’âme humaine.<br />

Mais je ne connaîtrais jamais la suite car un coup de vent brouilla<br />

les choses et je le perdis le divin docteur de vue. Ce type était aussi<br />

central que le Park à New York. Un instant je me demandai si ce<br />

n’était pas lui qui écrivait cette histoire. Qui pouvait-il bien être ?<br />

Homère ? Non, il manquait de formules répétitives, il n’avait pas le<br />

style et les formules ressac d’un barde. Dans le doute j’optai pour<br />

Shakespeare. Ça devait être lui ! Qui d’autre aurait eu assez d’imagination<br />

pour m’instiller dans le canal médullaire toutes ces furieuses<br />

idées à propos d’un monde raconté par un fou ?<br />

Je pressai l’allure, passai devant chez Luxurious Futilities Inc. dont,<br />

même à cette heure, les salons étaient emplis de femmes vieillies et<br />

délaissées, s’adonnant à l’onanisme d’achats compulsifs. À cinq heures<br />

du mat… Finalement, il y avait peut-être des choses à purifier<br />

dans cette ville, mais je chassai cette pensée.<br />

Car, après avoir dévalé le pont des Bergues, à quelques mètres de<br />

moi, dans l’île, je la vis.<br />

Entourée de peupliers d’Italie et de saules pleureurs, accédant peutêtre<br />

à ce grand rôle d’héroïne dont elle avait rêvé (en page 24 du<br />

présent ouvrage), menue, parfaite et seule aux pieds de JJ, le citoyen<br />

de <strong>Genève</strong> déguisé en sénateur romain, qui me parut sortir du séculaire<br />

ennui dans lequel M. Pradier l’avait coulé.<br />

J’adressai un bref signe de tête aux quelques dizaines de cygnes et<br />

de canards à tête verte qui ne dormaient que d’un œil et ne manqueraient<br />

pas de cancaner notre conversation. Il faut absolument se<br />

méfier des canards qui sont toujours des agents doubles.<br />

C’était un bel endroit, divisé par les eaux sombres et achéroniennes<br />

du Rhône, et les édiles le laissaient, au début de l’été, aux réjouissances<br />

populaires les plus discordantes. Arthur, une fois de plus l’avait<br />

prédit :<br />

227


Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité,<br />

il sonne une cloche de feu rose dans les nuages,<br />

et ladite cloche ne devait guère se trouver loin de nous, mais le bruit<br />

de la foule, vous savez, le bruit de la foule glisse <strong>sur</strong> les plumes des<br />

canards et JJ en avait entendu d’autres, lui qui, de son vivant, n’avait<br />

pas été en si grande odeur de sainteté.<br />

Je…<br />

Je la vis.<br />

Je la vis. Elle.<br />

Je la vis. Elle, Mirabelle.<br />

Je la vis. Elle, Mirabelle LaNuit.<br />

Elle me fit penser à l’Hypocrite de Forrest, cette jeune femme que<br />

j’avais connue à la Clémence, au Bourg de Four, le bistrot branché<br />

des jeunes intellos et fils de famille de <strong>Genève</strong>. Sa mère tenait, Place<br />

de Longemalle, la plus célèbre boutique de lainages à l’Ouest de<br />

Plan-Les-Ouates et la jeune fille passait du temps avec nous. On<br />

l’aimait, on l’admirait, elle n’était à personne, elle brisa le cœur d’un<br />

régisseur et suivit un peu des baladins mais pas trop, elle, si jolie<br />

qu’on n’osait l’aimer. Je suppose que vous avez oublié Forrest ? C’est<br />

lui qui a inspiré Barbarella à Vadim, entre autres choses. Mirabelle -<br />

mais vous savez déjà tout de Mirabelle LaNuit - avait ce même type<br />

jeune fille du Sud, fragile peut-être, décidée, importante à l’évidence.<br />

Qu’allais-je faire ? Vaste question pour un temps si proche de zéro.<br />

La rencontre, vous le savez bien, la première fois, la révélation, la<br />

découverte de l’autre, ça n’arrive jamais comme nous le prévoyons.<br />

Pour cette raison j’avais limité mes imaginaires au maximum. Je<br />

m’étais bridé. Je m’étais formellement interdit de prédire la première<br />

phrase. C’eut été ridicule. Je ne m’entendais pas plus dire « Alors,<br />

Mirabelle, nous nous trouvons enfin ? » d’une voix posée que de<br />

l’entendre me dire « Je sais tout de tes rêves, Jacques ». Je vis frémir<br />

ses lèvres, Mirabelle LaNuit allait sourire.<br />

Pourquoi ai-je crié « Stop ! Eh ! Attends ! » ?<br />

228


Aucune idée. Je savais qu’elle ne devait pas sourire tout de suite. Il<br />

fallait qu’elle m’offre - avant - au moins une clef. Qu’avait donc dit<br />

Moles ? Lui parler de bibliothèques ? Et… d’Afrique, avait rajouté<br />

Laquedeem.<br />

Ce que je fis. Car finalement tout prenait du sens dans cette histoire,<br />

il y avait quelqu’un qui arrangeait mes incohérences, qui faisait le<br />

ménage, qui <strong>sur</strong>tramait un récit s’effilofilochant. Je pris sa main et<br />

prononçai les deux mots clés.<br />

Elle me montra le ciel.<br />

Je levai les yeux et, terrifié, vis la nuit s’ouvrir avec lenteur. Quelque<br />

chose d’ardent approchait. Ça n’était pas laid, on aurait dit une<br />

séquence améliorée des Rencontres du Troisième type quand des nuages<br />

colériques viennent emmener l’enfant, dans les plaines du<br />

Wyoming.<br />

Il ne m’était pas difficile de comprendre ce que c’était. L’ogive.<br />

L’ogive s’ouvrant pour laisser sortir la nuée ardente, d’un rouge<br />

andrinople. Mais ce vortex me parut encore très lent. Je fouillai dans<br />

mes poches, histoire de voir si j’avais encore un peu de permatemps<br />

<strong>sur</strong> moi. Mais rien. Je ne guidais plus rien. La bouche fuligineuse<br />

grandissait, mais pas aussi vite que je ne l’eusse craint.<br />

- Je peux faire le boulot, me dit Mirabelle, c’est vrai, il faut qu’on<br />

parle bibliothèques, Afrique et même Amérique du Sud.<br />

JJ et moi on s’installa à ses pieds et on écouta.<br />

- Tout le monde se dispute, nous confia-t-elle, à propos d’une petite<br />

phrase très belle, très pleine de sens. Que dit-elle ? Que quand une<br />

âme s’éteint il y a aussi une bibliothèque qui brûle.<br />

Je connaissais ça. Je l’attribuais à Borgès.<br />

- Ça n’est pas si sûr, dit-elle. Tout le monde en parle et tout le monde<br />

se l’approprie.<br />

Je levai un sourcil, l’enfer était en courte finale. Mais pas aussi vite<br />

que j’avais pu le craindre.<br />

- Regarde les Africains, dit-elle avec l’esquisse d’un sourire (rien de<br />

plus, elle ne révéla pas l’éclat de ses dents), ils sont persuadés d’être<br />

les auteurs de cette pensée. Ils la rapportent aux vieux. J’ai vu quelque<br />

part qu’Amadou Hampate Ba disait qu’en Afrique un vieillard qui<br />

229


meurt est une bibliothèque qui brûle. Et la même chose avec ce Bah<br />

Azoca, un Guinéen. Sans parler de Léo Senghor, qui lui, se l’est personnellement<br />

attribuée.<br />

- Il n’a pas pour habitude de se servir avec le dos de l’écuyère. disje.<br />

Mais la bulle aux iris rageurs avait tant grandi que j’eus l’impression<br />

de me trouver au seuil d’un désagréable été. J’évitai de lever le<br />

doigt vers cette canicule en approche, c’était encore tenable.<br />

- Et ce Phambu Nsoki aussi, ajouta-t-elle, nullement préoccupée par<br />

le plasma dévoreur. Voilà pour l’Afrique et les bibliothèques. Je pencherais<br />

personnellement pour l’Amérique du Sud, Borgès ou…<br />

- L’auteur du Llano en flammes ? suggérais-je, une idée qui passa<br />

dans ma tête, comme ça.<br />

- Possible. Ce que j’aime chez eux c’est qu’ils ne limitent pas la<br />

grande bibliothèque aux vieux, à l’expérience. Un simple paysan<br />

meurt, jeune, âgé, et il y a une bibliothèque qui brûle.<br />

- C’est vrai, dis-je, je trouve ça plus juste. Il y a dans le regard d’un<br />

enfant plus de choses que nous ne pouvons décrire et suggérer. C’est<br />

l’âme qui est infinie, le temps la meuble, sans plus.<br />

Mirabelle était ravie mais, du coin de l’œil, je vis pendre mollement<br />

l’oreille gauche de J.-J. De fait elle fondait, le vénérable bronze<br />

retournait vers de nouvelles péripéties.<br />

Sur quoi elle me lâcha le morceau.<br />

- Ton Père t’a donné un peu de permatemps. Tu en as fait bon usage.<br />

Tu m’as découverte ou… inventée. Mais cet éclair de cinq heures du<br />

mat, tu sais, cette ogive qui vient de détonner. Tu en es l’auteur,<br />

Jacques !<br />

J’en étais bleu.<br />

- Les poètes sont, dit-elle, très code civil, napoléon ou universel, les<br />

poètes sont indéfiniment responsables de leurs rêves. Et ils ne doivent<br />

pas les imposer au monde, si ce n’est pour son bien.<br />

Merde ! C’était donc cela qu’elle était venue me dire ?<br />

Deux grandes filles en tenue caribéenne débarquèrent du fascinant<br />

chariot d’énergie. L’île entière en était encerclée et je vis que le<br />

Rhône déjà n’était plus dans son lit. Le globe malfaisant couvrait la<br />

rade, je ressentis des picotements derrière les oreilles.<br />

- Eh Salut, firent Chaleur et Lumière. On est dans les temps, verdad<br />

?


Je ne répondis rien, heureusement je me mis à transpirer si fort que<br />

ma peau accepta de rester avec moi une picoseconde de plus.<br />

- Oh ? C’est elle la fameuse Mirabelle ? demanda Chaleur qui se mit<br />

à ressembler à Carabosse, avec un nez mangeur de sourire et de trop<br />

grands yeux inquiets.<br />

- Je l’imaginais plus… balèze, ajouta Lumière, affectant de prendre<br />

les traits de cette adorable poire de Citrouille.<br />

Mirabelle ouvrit de grands yeux.<br />

- Les filles, dit-elle, je suis habitée.<br />

Les sœurs ouvrirent de grands yeux.<br />

- Par Lui, ajouta-t-elle. Et c’est un poète.<br />

Je vis passer deux grimaces symétriques.<br />

- Et vous connaissez le code, poursuivit Mirabelle, on n’interrompt<br />

jamais l’interprète d’un poète. Ce que je suis dans l’instant.<br />

- Armageddon… risqua Lumière.<br />

- Armageddon peut attendre.<br />

Elle se tourna vers moi, il y avait une sorte de restitution de délais<br />

dans l’air, je vis pour la première fois l’Oméga, le rayon violet de ses<br />

yeux. Elle me fit part de sa conclusion.<br />

- Tu as involontairement joué avec de grandes bibliothèques. Vois<br />

ce qu’il en résulte ! Die Zeit ist da, Jacques. The time has come. Il ne<br />

te reste qu’un mot à dire et je ferai ce qui doit être fait.<br />

Je savais ce qu’elle se préparait à faire. Elle allait sourire. À moi.<br />

Aux deux sœurs. Mais pas de la même façon. Je me levai, impressionné<br />

mais content, quelque part.<br />

- Voila, dis-je. Et c’est probablement la dernière tirade de ce livre,<br />

de cette nuit et de cette vie. Une fois encore je dois me retirer de ce<br />

monde et c’est une femme qui me le demande. Savais-tu qu’Oriane<br />

m’avait fait la même chose ? Et même que Profondeur m’a fait traverser<br />

la vallée ? Je vois se nouer les fils de ce récit. Il est simple et<br />

évident. L’Amérique existe et l’idiot que j’ai mis en scène aussi. Mais<br />

cette version vient de moi, de mes craintes, de mes obsessions, de mes<br />

amours contrariées et de tout ce que chacun d’entre nous peut ressentir<br />

à chaque instant dans un monde plus bombardé que la ville de<br />

Bagdad.<br />

Mes bibliothèques, je te le concède, sont en train de cracher trop<br />

d’énergie. Il faut sauver ces gens qui dorment ici, il faut sauver la<br />

231


onne ville de <strong>Genève</strong>, je n’ai de cesse de la critiquer mais je l’aime,<br />

en quoi je suis aussi contradictoire que mon Père avec ses enfants. Je<br />

me retire, je renonce à cette incarnation sans faire d’éclats. Tu es, en<br />

tant que femme imaginaire, Mirabelle, la seule entité qui puisse modifier<br />

les rêves d’un poète. Je ne te crois pas si imaginaire que ça, sachele.<br />

Tu es multiple, tu es une synthèse de cet instant. Tu es peut-être la<br />

Méditerranée et dans ce cas nous sommes unis. Tu es peut-être une<br />

jeune Déesse et je sais que pour le moins tu es La Vie, devant qui je<br />

m’incline, avec amour et respect. J’accepte donc ton indéfiniment<br />

responsable, je ne me savais pas si fort. Je reviendrai, tu sais ? Je<br />

reviendrai au moins une fois, peut-être deux et même souvent.<br />

Comme je le pourrai, dussé-je être une rose que tu réanimes ou même<br />

un professeur d’allemand dans un lycée français de province. Tu as<br />

eu tellement de tact pour me faire comprendre que le coupable c’était<br />

moi ! Je suis sûr que je te reverrai, il me sera impossible de ne pas te<br />

réinventer.<br />

Alors voilà, je vais dire les trois mots fatidiques - pour moi ! - je<br />

vais ne plus être et j’espère qu’il restera quelque chose de mes rêves,<br />

quelque chose qui ne mette pas le feu au monde ni à ma ville natale.<br />

Chaleur et Lumière poussèrent alors un cri effrayant et vivement<br />

rompirent le charme. La boule de plasma solaire s’amenuisa imperceptiblement<br />

comme si elle prenait son élan et le nez de JJ dégoulina<br />

à mes pieds.<br />

Mais en esprit j’avais prononcé les trois mots. La formule d’acceptation,<br />

d’adieu et de création.<br />

Mirabelle sourit alors et les lumières se confondirent.<br />

Les sœurs avaient eu raison, elles n’étaient pas si mal informées. Le<br />

sourire de Mirabelle les gagna et les déstabilisa. Elles se fondirent en<br />

lui, comme la boule incandescente qui avait recouvert la cité.<br />

Mirabelle LaNuit était devenue un instant Mirabelle LaLumière - je<br />

vous avais bien dit que c’était une Québécoise ! Nulle parole ne fut<br />

rajoutée avant que l’ogive dérisoire, l’Amérique du Mal et ses jeux<br />

déments ne se dissolvent dans l’expression finalement heureuse et<br />

232


triomphale de La Vie.<br />

Une bibliothèque brûla.<br />

Quand Mirabelle sourit, on aurait dit du Brel ! Ça me rappelait<br />

Madeleine aussi, cette chanson triste gaie, dans laquelle il s’agite tant<br />

pour elle, cette Madeleine qui n’est pas là… Les femmes sont le<br />

moteur de nos agitations. Mais toujours, elles nous permettent de<br />

continuer à exister. Elles n’en finissent pas de nous donner naissance,<br />

de nous mettre à la lumière. Si j’avais encore été là c’est le commentaire<br />

que j’eusse ajouté.<br />

Mais je n’étais plus là.<br />

233


234


GVA confidential<br />

(Minute de pureté)<br />

- Tu as un rappel, dit Profondeur. Ne les fais pas attendre.<br />

- Tu crois ? Je suis mort de fatigue.<br />

- Allez le Coq ! Pratique ton métier. Ils te préparent, je crois, une<br />

<strong>sur</strong>prise.<br />

Qui était-ce « ils » ?<br />

Je décidai de retourner <strong>sur</strong> scène. Un petit moment.<br />

Pour voir.<br />

235


236


Big Fish goes home<br />

Sans raison, stupidement, mes yeux se remplissaient de larmes<br />

à leur passage. Tous les mondes que j’avais conçus et<br />

façonnés défilaient devant moi. J’avais oublié leur splendeur.<br />

Et je retrouvais la sensation que j’avais éprouvée en créant<br />

chacun d’eux. J’avais lancé quelque chose dans le puits de<br />

ténèbres, j’y avais suspendu mes mondes. Ils étaient ma<br />

réponse. Le jour final où je marcherais à mon tour dans cette<br />

vallée, ils resteraient derrière moi.<br />

Roger Zelazny (L’île des morts)<br />

Je tâtonnais pour trouver l’interrupteur. J’étais transi et pour tout<br />

arranger j’avais une terrible gueule de bois. J’avais probablement dû<br />

me taper des coquetèles de lumière avec des zestes archangelisk, mais<br />

où ? Et avec qui ? Ma main erra longuement le long d’une boiserie et<br />

de cette paille japonaise que la femme de ma vie avait su choisir, dans<br />

une autre histoire, une belle histoire. Une paille bleue, je la voyais<br />

tous les jours évoluer avec le soleil et mes humeurs, tour à tour aiguemarine,<br />

ardoise de nuit, azurée, roy le plus souvent, cobalt et marine,<br />

mers du sud pas tant que ça mais bleu nuit as<strong>sur</strong>ément, outremer, et,<br />

j’en rêvais, turquoise. Je finis par mettre la main, poignet tordu dans<br />

un angle très illogique, <strong>sur</strong> les frontières de cette beauté et pressai le<br />

bouton qu’elle dissimulait. Tout était dans l’état où je l’avais laissé, à<br />

un détail près. Il y avait, <strong>sur</strong> mon bureau, dans un petit vase améthyste,<br />

violine et zinzolin (potassez votre dico de couleurs…) une<br />

rose simple et… rouge. De qui émanait une tendre lumière.<br />

Un toussotement me fit <strong>sur</strong>sauter. Aux côtés de cette merveille se<br />

tenait un homme grand, l’air passionné, halé, la boule à zéro, en tenue<br />

de combat, me dévisageant de ses intenses yeux bleus. Je reconnus<br />

avec peine Laquedeem qui me parut avoir une pêche d’enfer.<br />

Les brumes qui avaient envahi Cabocheland ne se dissipaient que<br />

lentement.<br />

- Jacques, me dit-il, lui qui au long de trois foutus bouquins ne<br />

237


m’avait donné que du Monsieur, Jacques, je suis venu jouer un rôle<br />

qui m’a toujours tenté.<br />

- ??? fis-je avec une grande concision.<br />

- Je mets fin à mon errance ! Fini ! Terminé. Je reviens en Galilée<br />

et même chez les Helvètes, je serai maître de cérémonie.<br />

Je me méfiais quelque peu. À qui allait-il refiler la patate chaude ?<br />

- Tous ces voyages, tout ce travail de témoin, toute ma mauvaise<br />

attitude vis-à-vis du Christ, tout cela prend fin, - insista-t-il - j’ai payé<br />

ma dette et c’est en touriste que désormais je parcourrai ce monde.<br />

Je me suis demandé si Mel Gibson allait vouloir prendre la relève.<br />

- J’aimerais donc - il me fixa avec une telle concentration que je me<br />

retournai pour voir si, par quelque hasard, quelqu’un de plus intéressant<br />

ne se tenait point derrière moi - j’aimerais devenir votre maître<br />

de cérémonie. Faire les présentations, dans un sens. Pour vous permettre<br />

de jouer votre propre rôle…<br />

Il m’intéressa vivement. Qu’était donc mon rôle ? Enfant blond ?<br />

Estripador ? Musicien ? Agitateur culturel ? Charming sex maniac,<br />

comme m’avait dit une vieille dame aux cheveux bleus, à New<br />

York… Je lui posai la question.<br />

- Mon rôle ? Quel est mon rôle, Laquedeem ?<br />

- Celui de l’hôte aimable qui se tient à la porte de la demeure qu’il<br />

a construite et dit à chacun le mot juste. Hollywood m’a beaucoup<br />

tenté pour la réalisation de cette scène mais je sens que nous pouvons<br />

faire mieux.<br />

J’ignorais que les mythes de notre Vieux Continent eussent le mauvais<br />

goût de lorgner du côté de LA mais je gardai cette réflexion pour<br />

moi.<br />

- Ouvre ton cœur et ton esprit, sourit-il, et que le rideau se lève.<br />

Le rideau ne se leva pas vraiment mais le mur de la pièce s’effondra<br />

avec fracas quand il lui fila un méchant coup de ses rangers. Putain !<br />

On était mal. Si c’est ça qu’il appelait jouer les maîtres de cérémonie…<br />

À quoi donc s’amusait Laquedeem ? J’allais partir en renaud<br />

quand mes yeux s’écarquillèrent et que les ultimes brumes vachardes<br />

qui flottaient à l’est de mon âme édénique se dissipèrent. Là où<br />

j’avais l’habitude de voir ma belle, triple et pointue cathédrale il y<br />

avait Florence. Ou Lucques. Ou une cité italienne des temps passés.<br />

La lumière, les gens et les maisons, la grâce des arbres, tout me parlait<br />

238


d’Ombrie et de Toscane. J’eus un instant l’impression d’être tombé<br />

dans la Tempête de Giorgone, sans les nuages ni les éclairs. Ou alors<br />

dans l’une de ces paesina qui se cachent près de Florence, les pierres<br />

les plus énigmatiques qui soient au monde.<br />

Un mouvement se fit et je réalisai qu’une foule nombreuse s’était<br />

rassemblée devant les marches de ma chambre, devenue mon oscillant<br />

palais, ouverte <strong>sur</strong> un autre temps.<br />

Mirabelle, petit haut noir simplissime et jeans, s’avança de son pas<br />

dansé et me dédia un bref salut complice. D’un mouvement de la tête<br />

elle me désigna la foule, qui se tenait derrière elle. Un silence général<br />

se fit. Comme au début d’un concert.<br />

Et je les vis.<br />

Ils étaient tous venus. Ils ne se dérangeaient jamais pour des occasions<br />

mineures, c’était la seconde fois qu’ils se rassemblaient. Je n’en<br />

conçus nulle appréhension. Il y a les pères qui retrouvent leurs<br />

enfants. Il y a aussi les personnages qui viennent retrouver leur créateur.<br />

Ils étaient tous là, n’en manquait pas un, comme chez Cornélius,<br />

et Laquedeem les annonçait avec un zeste de pompe. C’était la ronde<br />

finale, comme chez Fellini, dans son 8 1/2. Et chez Woody Allen qui<br />

l’avait si joliment mis en scène dans Deconstructing Harry, sans<br />

oublier Tim Burton, qui venait de reprendre cette tradition avec son<br />

récent chef-d’œuvre Big Fish.<br />

Il y avait, sans hiérarchie, les caractères les plus divers nés de<br />

l’écume de ma plume et de mes jours, je ne tardai point à me sentir à<br />

l’aise. J’avais vécu cette scène à New York, dans la 42e rue, avec<br />

Oriane, quand le mur avait craché son incroyable défilé de souvenirs.<br />

Mais cette fois c’était <strong>sur</strong> une musique doucement tonale, des arpèges<br />

animiques.<br />

Je vis Oriane, belle et pensive qui s’entretenait avec une Kali réconciliée.<br />

Il y avait Anthelme l’homme évolution qui avait éteint, le<br />

temps d’un rêve, la violence américaine. Et même NORA, qui avait<br />

si bien réussi la grande transition vers notre brouillonne espèce. Je<br />

saluai Josefina la belle Mexicaine conquérante et Alma la naïvecruelle,<br />

les échos d’un théâtre les enveloppèrent un instant. Il y avait<br />

même Dagmar, Barbara et les Furieuses qui m’avaient tant fait courir.<br />

239


Je fis un clin d’œil à Tsorne qui se tenait très droite, toujours en bottes,<br />

en grande conversation avec Jean d’Ormesson, lequel avait trouvé<br />

une nouvelle vie avec mes créatures. J’échangeais deux mots avec la<br />

plus grande et la plus perverse des Furieuses, Salomé, Celle-Qui-<br />

Voit-Dans-Le-Noir. J’avais coutume de l’appeler Douce France, il<br />

m’en souvenait. À ses pieds se tenaient Fromanteel, Grand maître des<br />

Efrits, intimidé. Deux femmes exceptionnelles dominaient tout et<br />

c’était Lili (qui fut Lilith la femme originelle à qui j’avais livré un<br />

long duel de Sausalito à Santa Fé), avec à ses côtés, sa sœur Eva. Ève<br />

la Mère. Je vis Rushdie le Démon s’effacer prestement pour laisser<br />

paraître le Giovanni Esposito du futur, celui qui allait vivre son aventure<br />

en 2 024 à Montreux, accompagné de deux superbes métisses.<br />

Lupe Wolverine en personne et Keelo-È-Ha, la plus dévastatrice des<br />

femmes de ménage que j’ai jamais approché. Tous s’écartèrent avec<br />

respect pour laisser passer une élégante et désinvolte blondeur,<br />

Chandro, bien sûr, Chandro qui serait assassinée à l’Université de<br />

Santa Barbara mais que, à ma manière, je sauverais. Elle me salua<br />

avec sa chaude ironie, dire que je l’avais rencontrée sortant d’un F16<br />

à Tucson, Arizona ! Mon cœur battit la chamade quand je reconnus<br />

l’indicible Lô, Ma sœur Lô, celle qui était origine de toutes choses<br />

dans mon univers. Je serrai longuement Fahwaz <strong>sur</strong> mon cœur, lui le<br />

disciple d’Hassan, le maître des Assassins. Il avait toujours les mêmes<br />

yeux doux.<br />

Cette foule était considérable ! Je m’entretins même avec les<br />

méchants et les flous. Martinus Schwartz qui avait ourdi une kabbale<br />

contre moi et, summum, Flhumen Feughill, mon éditeur, cet insubmersible<br />

salopard. Sortis de nos rôles nous devisions comme des<br />

comédiens en tournage, durant la pause, dans une superproduction. Je<br />

me sentis bien, le delta ne pouvait pas être loin. Je me souvenais avoir<br />

été mis en disponibilité par Mirabelle mais ça n’était pas la première<br />

fois qu’une femme m’effaçait.<br />

C’est alors que les entrebrumes se joignirent à nous.<br />

Il y avait André Corboz le grand urbaniste râleur et ironique qui<br />

savait si bien imiter un conférencier japonais déjanté ; il avait aussi<br />

été le Rimbaud méconnu de notre adolescence. Et Guillaume


Chenevière, ce Janus genevois, tellement beaucoup responsable de<br />

ma prod ! Si vous saviez combien il m’avait encouragé et pire -<br />

aiguillé. Il y eut même la version genevoise de la Vénus de Boticelli,<br />

sourire énigmatique comme à son ordinaire. J’y vis avec reconnaissance<br />

le commandant Montvermeil mon père en aviation et René<br />

Berger, ce Socrate agresseur si plein de sève, d’hypothèses renversantes<br />

et de tristesse cachée. Un grand frêle, souriant, vint à moi, c’était<br />

François Lachenal, Grand Provéditeur du Collège de pataphysique<br />

pour les provinces ultramontaines. Ce type m’avait partiellement<br />

inventé. Je retrouvai avec joie Christian Buenzod l’éditeur, dont vous<br />

ne saurez jamais s’il tient de Flhumen Feughill car l’origine de mes<br />

personnages demeure quelquefois mystérieuse et obscure. Je revis<br />

encore André de Blonay (nom de code Hauterives) et Alberto<br />

Ginastera (nom de code Hidalgo) qui avaient été mes pères adoptifs.<br />

Tous, quelle que soit leur origine, formaient partie de ceux que je<br />

nomme mes entrebrumes car je ne les avais pas inventés - ou si peu<br />

- ils existaient dans votre réalité et (je suis une étoile noire) étaient<br />

tombés dans mes livres quand ils passaient trop près de moi, de mon<br />

champ gravifique, en période de fécondité. En vérité cette foule était<br />

immense, je ne me savais pas contenir tant d’âmes.<br />

La ronde n’en finissait pas, je notai qu’ils diffusaient un enregistrement<br />

de ma Suite baroque pour piano, clavecin et orchestre à cordes,<br />

le finale, mon préféré. Le piano et le clavecin se disent de très jolies<br />

choses avec une grande vivacité et un orchestre à corde frimeur, lyrique<br />

et impatient les traque jusqu’à la dernière me<strong>sur</strong>e. J’étais à l’honneur,<br />

un peu inquiet peut-être, vous savez comment c’est quand tout<br />

se passe bien, du sommet il n’est qu’un seul chemin et c’est celui qui<br />

redescend.<br />

« Le Dr Martin est-il venu ? » m’enquis-je mais un œil s’alluma<br />

dans la pénombre et un doigt gigantesque balaya l’espace très négativement.<br />

Je n’insistai point, je l’avais déjà <strong>sur</strong>exploité. J’étais curieux<br />

de savoir ce qu’il était advenu de mes acteurs sous-doués, Bush par<br />

exemple et Wolfo. Swedenborg se pencha discrètement vers moi « Je<br />

n’en suis chargé, me confia-t-il, ils résident dans mon type d’enfer et<br />

ils s’y plaisent ». Je n’en doutai point et rigolai sans rancune, je savais<br />

ce qu’il voulait dire et, en vérité, nul ne pouvait imaginer plus clémente<br />

solution.<br />

241


Je savais aussi qu’il y avait quelque part dans le parc ce Monsieur<br />

âgé, aux yeux bleus si vifs et que j’aimais tant. Il n’avait pas tenu à<br />

se révéler à nous et j’en fus soulagé. Nous étions au complet, quelle<br />

scène allait se jouer ? Quelle sorcière allait se dresser <strong>sur</strong> les frondaisons<br />

violettes ?<br />

C’était Mirabelle.<br />

Ce livre, après tout, était le sien. Elle était notre mythe benjamin. Je<br />

me demandai avec curiosité s’elle avait bien appris son rôle. Qu’elle<br />

m’annule soit. Mais qu’elle en ordonne une fête… rien d’évident.<br />

Cette nane était hyperchiée!<br />

C’était sans compter avec ces camaïeux d’ocres safranés que vous<br />

nommez subtilité féminine. Je vis qu’elle tenait deux choses dans ses<br />

mains. Un livre et un morceau de carton, genre ticket de bus.<br />

Un silence se fit, la foule se divisa, je voyais avec clarté les jardins<br />

extérieurs. Je ne savais quoi dire ni penser. Il me fallait un conducteur.<br />

Il y avait très certainement une citation de Rimbaud qui s’appliquait<br />

à cette phase transitionnelle. Effectivement, Phrases, un peu découpé,<br />

n’allait pas si mal. Trop bien, même.<br />

Quand le monde sera réduit […]<br />

en une maison musicale pour notre claire sympathie,<br />

je vous trouverai.<br />

Chacun de mes acteurs pouvait dire ça. Ce palais était une maison<br />

musicale. Et ils m’avaient trouvé.<br />

Qu’il n’y ait ici-bas qu’un vieillard seul, calme et beau,<br />

entouré d’un « luxe inouï », et je suis à vos genoux.<br />

- Eh ! Oh, fis-je in petto. Qu’est-ce qu’il a mon âge ? D’accord avec<br />

le luxe inouï, soyez à mes genoux mais me<strong>sur</strong>ez vos expressions,<br />

quoi !<br />

Cela dit, je sentais ma vision s’élargir curieusement, je devenais<br />

fisheye.


Que j’aie réalisé tous vos souvenirs,<br />

que je sois celle qui sait vous garrotter,<br />

je vous étoufferai.<br />

- Mmmmm… Je n’étais pas tenté par ce type de vertige. Mourir de<br />

la main d’une femme ? Sade avait eu ce fantasme mais je réalisai qu’il<br />

fallait l’interpréter. Mirabelle venait parachever son œuvre. Sauraitelle<br />

me garrotter ? Et m’étouffer ? Pourquoi ? Parce que j’avais été le<br />

seul voyant ? Il y avait tant de pouvoir en cette fille. La réponse fut<br />

simple, d’un geste coulé elle balaya l’espace devant elle et, dans cette<br />

première fente féminine, bles<strong>sur</strong>e des dalles marmoréennes, les eaux<br />

profondes se mirent à sourdre.<br />

Ma peau me démangeait. Je me desquamais littéralement. Mais je<br />

compris qu’on me donnait la parole. Qu’on me priait d’agir.<br />

C’était la voie des eaux sombres. Pas le Goléron ni la grande fontaine<br />

altière de la rade. C’était une sorte d’effet spécial vert sombre,<br />

agité de remous, qui s’étendit paresseusement <strong>sur</strong> les marbres du plus<br />

imprévu de tous les palais. Dans le même temps Mirabelle ouvrit le<br />

livre qu’elle tenait à la main et en lut un passage :<br />

Ils firent un pas et les vagues, l’écume, la mer recommencée,<br />

l’horizon qui avait dicté de si beaux opéras à Wagner, de si<br />

beaux voyages à Ulysse, Mallarmé et ses oiseaux ivres dans<br />

l’écume inconnue et les cieux,<br />

Merde ! C’était du moi ! Je reconnus la fin d’Idéale Maîtresse, cette<br />

grande tirade « Revoir l’Océan ». Mais pourquoi avait-elle choisi ce<br />

texte ? Et qu’était ce morceau de carton qu’elle tenait à la main ?<br />

Elle poursuivit :<br />

Toutes ces présences avec qui il avait vécu, son cher Mozart et<br />

la respiration du Requiem en ré mineur, le grand Silencio de<br />

Perros Guirec et ses statues de Saints aux visages mangés par<br />

la mer, une raie géante qui volait sous lui dans le golfe du<br />

Mexique, le grand Canyon qui n’était plus qu’un oubli en creux<br />

243


des Océans voyageurs et mille choses,<br />

Je m’approchai d’elle, doué d’une ossature tellement étrange que<br />

j’avais l’impression de couler à travers l’espace. Ce n’était pas désagréable.<br />

Je saisis l’énigmatique morceau de papier qu’elle tenait dans<br />

sa main droite. C’était peut-être un message. Quelqu’un l’avait roulé<br />

et déroulé à en effranger les bords. Je reconnus un ticket de cinéma.<br />

Je l’avais acheté pour aller voir Big Fish ! Elle reprit sa lecture, sans<br />

se presser.<br />

Mille visages qui viennent nous voir, non mourir, qui se pressent<br />

pour nous voir arriver, naître, apparurent autour d’eux, les<br />

accueillirent, les installèrent dans cette couronne effectivement<br />

blanche qui contenait tous les irisés de Genesis, tous les<br />

camaïeux des âmes réconciliées, tous les coruscants harmoniques<br />

de l’eau qui se brise, de la musique et des sourires qui<br />

s’effrangent, du temps qui s’habite immobile enfin, de la reconnaissance<br />

infinie,<br />

Un sourire me vint. J’avais saisi. Il y avait deux clefs. Et une chose<br />

à faire. Je me souvenais très précisément de Tim Burton et de son dernier<br />

film. Quelle beauté dans ce récit. L’Amérique avait aussi donné<br />

naissance à de grands poètes. Ça me concernait de près. Je suis un<br />

poisson. J’avais envie d’être enfin le Grand poisson. Pour de vrai !<br />

Mirabelle, d’une voix prodigieusement inspirée, une voix à fréquenter<br />

des trous noirs, continua :<br />

bref de ce qu’il nous faudra à tous le moment venu, la barcarolle<br />

du Heimfarth, une glissade en gondole <strong>sur</strong> un abîme tranquille,<br />

les clefs de la nuit et ce tempo tranquillement vif que<br />

prennent les chefs d’orchestre à la fin des symphonies romantiques,<br />

Nous étions beaucoup à comprendre ces idées de retour. Ce tempo<br />

tranquillement vif à la fin des symphonies romantiques, je l’avais pris<br />

dans la deuxième de Schumann, en jouant la fin de son concerto<br />

aussi ; c’était une constante de la beauté que, comme un fleuve dans<br />

une vallée qui en resserre le cours, les événements semblent se pres-<br />

244


ser alors même que l’émotion devient plus large. J’appelais ça le<br />

Delta parce que j’imaginais toujours le retour à la mer, le delta des<br />

fleuves de vies. Delta ce mot m’avait toujours été magique. Je me<br />

sentis partir, me transformer. Avec un livre et le rappel d’un film,<br />

Mirabelle venait de tracer mon chemin et déjà les eaux vertes<br />

gagnaient du terrain, absorbaient le sol de mon éphémère palais. Je<br />

vis la mer venir à moi, c’était l’heure du retour.<br />

Ce qu’on n’a pas su mieux évoquer qu’avec ces mots peu colorés<br />

mais définitifs, le retour chez soi.<br />

Le retour chez soi, le retour du grand poisson enfin rendu à la mer.<br />

Là où personne, plus jamais, ne viendrait me déranger, les profondeurs.<br />

Avec Profondeur. Depuis quelques instants ces étranges tensions<br />

avaient cessé, je me mettais à voir le monde et les gens plus<br />

largement que d’habitude. Aucun doute, je mutais. Je revenais à mon<br />

essence première, cette sensation fisheye n’était pas venue par hasard.<br />

Mirabelle vint à moi, l’air indéfinissable. Qui donc était-elle ? Une<br />

jeune Parque ? Je crois qu’elle était <strong>sur</strong>tout une idée, cette certaine<br />

idée que je m’étais toujours fait des femmes, cette idée qui - sous des<br />

masques et des démarches toujours changeants - n’avait jamais<br />

varié.<br />

J’étais très proche de prononcer le mot qui résume.<br />

Les eaux qui gagnaient le palais étaient parcourues de forts courants<br />

et je vis que le paysage extérieur revenait lentement vers mon habituel<br />

Umwelt. Je me sentais de sang-froid. De sang-froid ? Oui… ça<br />

venait, la métamorphose. La tripointue cathédrale réapparut, je sentis<br />

que le lac n’était pas loin, et <strong>sur</strong>tout le Rhône. C’était lui qui m’intéressait,<br />

ce fleuve. Je le voyais naître dans ma ville, au pont de la<br />

machine, je le voyais se marier avec l’Achéron que d’aucuns nomment<br />

Arve. Avec lui j’irais à la mer ! Elle tenta de me prendre dans<br />

ses bras mais d’un vif coup de nageoire je lui échappai et gagnai<br />

l’écume obscure. Vous n’imaginez pas à quel point c’est divin de<br />

passer d’un corps humain à celui d’un poisson. Nous sommes mal<br />

fichus. Non seulement je ne pesais plus rien mais en plus j’avais la<br />

grâce. Je transformais, à gauche et à droite de ma puissante nageoire,<br />

de petits vortex qui me propulsaient avec une douce puissance. Nous<br />

245


n’aurions jamais dû quitter la mer, je vous le confirme. Ce qui se<br />

produisait, c’était exactement la fin du film de Burton, le destin avait<br />

voulu que je rencontre cette œuvre majeure au bon moment, ça me<br />

convenait, je n’avais jamais rêvé que de ça. J’eus une pensée de<br />

reconnaissance pour mes acteurs qui avaient participé à cette renaissance.<br />

On se reverrait. Pour l’heure j’étais infiniment pressé de gagner<br />

les couches profondes de la mer. Et déjà je gagnais le fleuve, là où il<br />

se mélange aux eaux boueuses de l’Arve, venue de la vallée de<br />

Conches et des pays proches du Mont Blanc. Je pouvais sentir la présence<br />

des gens <strong>sur</strong> les berges mais je ne tenais plus à être vu.<br />

Ça serait une sublime ballade avec quelques dangers, mais j’avais<br />

un avantage, j’étais déjà mort, à ma manière. Qui viendrait pêcher le<br />

Grand Poisson en route vers sa profonde vérité ? Il y aurait quelques<br />

passages pénibles, des centrales nucléaires à éviter mais, en vérité je<br />

vous le confie, je savais de toute éternité les raccourcis secrets qui<br />

mènent à la mer, au Delta. Et quand j’y serais la fête pourrait commencer.<br />

Ce serait la Méditerranée, ma femme. J’y connaissais, <strong>sur</strong> la<br />

côte, une roche secrète, un six étoiles de mer où je pourrais me refaire,<br />

admettre cette aventure et explorer les profondeurs. Par la suite<br />

j’irais avec le soleil, ce serait l’Océan, les mers chaudes, le grand Sud<br />

et les banquises qui sait ? Après le signe du feu venait celui de<br />

l’eau.<br />

Je ne vais plus écrire <strong>sur</strong> l’infini auquel je me joins, c’est inutile,<br />

vous n’avez qu’à venir. Si vous aussi êtes un grand poisson. Un rêve<br />

m’était venu et il avait trop de réalité Une femme m’avait aidé à le<br />

conjurer. J’avais eu le bonheur de revoir tous les enfants de mes<br />

rêves. J’étais enfin devenu un opéra fabuleux. Une musique en tous<br />

les cas et une chose m’était certaine.<br />

J’avais rendez-vous.<br />

246


247


248


Annexe : En clair<br />

Traduction de textes en langue mirabellienne ou étrangère<br />

1) « De la vivisection amoureuse ».<br />

- De quoi as-tu peur ? se moqua-t-elle. Tu n’es même pas attaché. Aimeraistu<br />

l’être ? Ça me gênerait. Je vais réaliser ton petit désir, en coupant, ici et<br />

là, un petit bout de ta peau de femme. Pour te permettre de renaître à ta<br />

condition masculine. Et ne te préoccupes pas de mon vocabulaire changeant,<br />

ces choses-là me rendent… différente. Mirabulle était simple et<br />

tendre mais, sans savoir pourquoi, André-François réalisa que la moindre<br />

opposition de sa part lui vaudrait une magistrale paire de gifles. Voire une<br />

avalanche de baffes. Il se détendit. C’était comme ça, il n’y avait rien à<br />

faire. Les femmes giflent, elles sont douées pour ça et, quand elles s’y<br />

mettent, mieux vaut faire profil bas et laisser passer la tourmente. On avait<br />

même vu des hommes y prendre goût et se mettre à voler. {…} - Les sorcières<br />

s’expriment en septembre, entama-t-elle. Note de bien m’écouter…<br />

{…} Elle découpa une petite fenêtre dans le dos, une chair masculine blanc<br />

de poulet apparut, elle l’enduisit prestement d’un onguent chinois amer aux<br />

senteurs maternelles, à la fois chaudes et froides. {…} - Mars c’est<br />

piquant ! dit-elle d’une voix de fer fort irritée. Tu bandes comme un acteur<br />

de cinéma, comme un fou, comme un soldat, un grand âne en tous les cas,<br />

je vois des cartes, cesse donc de pleurnicher.<br />

Il voulut parler mais elle le bâillonna de son pied. Une technique courante<br />

chez les femmes d’intérieur. Quand elle frôla le nerf sciatique il se tendit à<br />

l’extrême. Son corps était prêt, d’un bond de tigre, à refouler le danger<br />

féminin. D’un cœur tranquille. Allongée, bandée, femme odalisque, la tête<br />

reposée <strong>sur</strong> son bras gauche, Mirabelle défit en se jouant avec douceur la<br />

source vive des sens de l’homme, le fameux vit masculin. Et se prit à rêver<br />

du Clan des vierges où, à l’époque de Sade, les femmes entre elles se flagellaient<br />

avec une élégante nonchalance. On ne devrait avoir aucun commerce<br />

avec les hommes, pensa-t-elle. Mais ses sandales fouleuses de plages<br />

les attiraient toujours. Elle retira son pied pour attaquer la région pelvienne.<br />

{…} C’était une fausse note. Il se retrouva dare dare mâchant un<br />

escarpin pointu, goût salé de ce pied de fille. Le scalpel dégageait sa nouvelle<br />

masculinité. - On ne parle pas durant une cérémonie de transparence,<br />

le tança Mirtabelle. On se tait. On met une sourdine ! Mâche cette chaus<strong>sur</strong>e<br />

! Comme ça tu ne m’emmerderas plus. Mords, mâche, demain à l’aube<br />

ou plus tard tu m’en achèteras d’autres à jolies brides élégantes. Beaucoup<br />

d’autres. Elle vérifia la dureté du membre viril, ses yeux brillèrent de désir.<br />

249


Cette vieille recette chinoise allait peut-être bien fonctionner. Elle retira la<br />

peau du bassin avec précaution, laissant une petite zone de protection<br />

autour du membre pointé quasiment à la verticale.<br />

- Quel beau chêne, glissa-t-elle dans un souffle. Reste dur car je dois t’énergiser,<br />

la sorcière est fatiguée. Lui, veinules distendues, sans parler, suivait<br />

cette brillante amazone dans son terrible éclat. - On ira jusqu’à la clavicule,<br />

j’y conserve toute ma sage folie. Avril est une grande fenêtre et Mai, rire<br />

de la promise.<br />

C’était impressionnant de voir à quel point une tonalité de voix et quelques<br />

mots pouvaient faire sortir les hommes d’eux-mêmes. Mais attention :<br />

<strong>sur</strong>tout pas de sperme. La résidait le désir en tant que discipline. Le but<br />

(gigamot à la Joyce) était de les garder au sommet d’une main ferme, dure<br />

altitude, pour quarante-deux nuits entières puis de les… déguster. Il hurla<br />

de bonheur, elle avait trouvé et dégagé l’étui de son jardin secret. Ivre, sans<br />

compassion, elle composa le code originel. - Juin je te vidange, Juillet,<br />

chaud aux fesses auras. {…} Consciente des risques qu’elle prenait elle lui<br />

servit une eau de feu comme de glace à lui éclater les couilles. Toujours<br />

sans éjaculer la moindre goutte, bien entendu. - Août sera bruyant, affirmat-elle<br />

en libérant un orteil qu’elle traita à la vaseline mais, en Septembre,<br />

plus de sorcelleries sexuelles. Mon plaisir réside entier dans le rythme<br />

féminin ostinato. Je suis lente, plus lente que tes souvenirs les plus anciens,<br />

mer arabe de la lenteur.<br />

Ce qui restait de l’escarpin tomba à ses pieds, mâché jusqu’à la semelle.<br />

Elle leva un doigt, très professorale : - On se tait ! Sinon… Par me<strong>sur</strong>e de<br />

prudence un autre escarpin fétiche prit la relève, en bouche. - La révolution<br />

c’est un autre paradoxe. Je suis la me<strong>sur</strong>e de tes battements de cœur. Rien<br />

que le son clair des matines. (Elle prit son souffle) Le bref sentiment d’être<br />

agrandi avec deux petites croches chantées très passionnantes qui vont<br />

projeter pour toujours le plaisir que tu me donnes avec ta nouvelle peau,<br />

douce comme miel. C’était limpide. Il y avait aussi dans la serre un grand<br />

homme qui hurlait comme vent et volcan à l’odeur de la femme fruit.<br />

- N’aie point peur des sombreurs d’octobre, Novembre, par comparaison,<br />

est noir comme pierre ! Aucun sens si ce n’est une déesse de saveur exotique.<br />

Chargée, elle incendia l’avenue nerveuse du supplicié, maintenant<br />

cruellement l’intense courant <strong>sur</strong> les méridiens du jouisseur suppliant délivrance.<br />

Trois arcs de couleur gelèrent ses paupières. Ne me refais jamais<br />

ce coup ! Elle dégagea le visage mais ne retira pas l’escarpin bâillon. La<br />

toute venteuse mer de Marmara est toujours proche à qui va jouir. Mais<br />

l’écume l’interdit et bouche ses oreilles. Ce sont les mille voix de l’orgasme<br />

en route.. {…} Elle entreprit de l’enduire entièrement de cette graisse<br />

helvète utilisée pour la traite. André-François et Priape ne faisaient toujours<br />

qu’un. Ses méridiens extraordinaires étaient activés. Et pas question<br />

de redescendre de ces hauteurs pour un banal orgasme. Cette tâche accomplie<br />

Mirabelle se calma lentement. - Ton énergie est équilibrée, constata-telle.<br />

On peut le dire. Lui la voyait luisante, sous divers angles, lui le Nu <strong>sur</strong><br />

250


un verre glacé, exposé, enduit de graisse comme de baume du tigre. Tous<br />

les chemins mènent à Elle, pensa-t-il. Elle, l’inévitable, que je n’intéresse<br />

pas. {…} Je vais rester étendu là pour toujours sous le regard violet de cette<br />

sorcière, avec un désir aussi gonflé que le pont du Mont Blanc un jour<br />

férié. Mon sexe rêve de ses profondeurs.<br />

2) Mon rôle avec Mirabelle<br />

- Ben! dites-voir ! fit le Dr Martin. Vous me faites bosser dans votre bouquin,<br />

vous trouvez pas ?<br />

- Mais, dis-je totalement <strong>sur</strong>pris, Docteur,{vous paaarlez} espagnol ! - Bien sûr<br />

que si, patate ! rétorqua ce séducteur avec un œil malicieux. Ce qui se passe c’est<br />

que j’ai beaucoup trotté dans vos pages et je me fatigue ! - Docteur, fis-je, dans le<br />

style « ça passe ou ça casse », je suis une étoile noire et j’aspire tout ce qui vient à<br />

ma portée. Je vous ai trouvé intéressant. - Voilà autre chose, dit-il avec des yeux<br />

charbonneux, permettez-moi de vous dire que vous êtes spécial, voire même très<br />

spécial ! C’est la première fois que je vois un patient capable de compter les fréquences<br />

d’une stimulation électrique ! Et d’en faire autant dans un caisson IRM !<br />

- Oh, fis-je, c’est la moindre des choses pour un compositeur, non ? Y’a pas magie.<br />

- Mais pourquoi moi ? maugréa-t-il, avec un sourire de loup, son impeccable dentition<br />

donnait froid dans le dos. - Ça me gêne mais je vous l’explique : Je ne vous<br />

ai pas choisi. Vous vous êtes imposé, vous êtes central ! Vous apparaissez à tous les<br />

virages abrupts de cette histoire !<br />

- Les virages abrupts ? {…} - Euhh.. disons à tous les changements abrupts de<br />

l’intrigue. Je ne puis l’expliquer ni en proposer une théorie. Je crois qu’être central<br />

arrive à tout le monde au moins une fois par vie. Mais avec, parfois, une différence<br />

essentielle. - Laquelle ? Il avait l’air prêt à bondir <strong>sur</strong> moi. - Ceci : (je me sentis<br />

soulagé), Un homme est central au moins une fois dans sa vie. Sans s’en rendre<br />

compte. Mais, chose à savoir, il n’y a pas d’écrivain fou dans mon genre qui passe<br />

près de lui et se mette à bâtir un récit autour de ce miracle assez banal. - Oh ? Okay !<br />

À bientôt Jacques ! J’ai le sentiment que mon rôle avec Mirabelle n’est pas encore<br />

fini… - Ah ! Ça, c’est sûr.. À bientôt Docteur, que Dieu vous garde.<br />

Ce foutu personnage disparut en fondu enchaîné. Comme une ombre, comme un<br />

soldat, une star de cinéma, comme un héros, il s’en fut dans ce recoin de mon esprit<br />

que je n’ai toujours pas réussi à barricader, comme une fragile bougie, un loup, une<br />

étoile noire, un écrivain bizarre…<br />

251


3) À propos de Finnegans wake<br />

Cet aspect indicible des œuvres de Joyce est à l’origine de la création des<br />

groupes de « lecture à haute voix ». Joyce construisit son langage avec des<br />

mots ordinaires et chargea des mots familiers de sens complexes et littéraires.<br />

Ce qui est certain, la seule évidence à propos du Wake, c’est que le lire<br />

est à la fois une expérience visuelle et auditive. Il faut le gueuler ! Le sens<br />

et le plaisir de ce langage bourré de jeux de mots réside dans sa musique.<br />

Vous pouvez le gueuler seul ou écouter des enregistrements. Le mieux est<br />

de joindre un groupe de gueuleurs.<br />

« This last and most inaccessible of the works of James Joyce is why reading<br />

groups were invented. Joyce created his own language with original<br />

words and endowed ordinary words with novel meanings. What is obvious<br />

(and the only obvious thing about the book) is that reading the Wake is both<br />

a visual and auditory experience. It must be read aloud. Replete with puns,<br />

the sense of the language and the fun of the Wake is in the sound. You can<br />

read it aloud to yourself or listen to recordings, but the best way is to join<br />

a reading group. »<br />

252


1 à 6<br />

1602 : Échec des Frouzes ébouillantés par une<br />

matrone jouvoise (genevoise). La Haute Savoie<br />

aka 74 ne prend pas GVA. Il faut dire à leur<br />

décharge (ciel, je) qu’ils ne mangeaient pas<br />

encore de grenouilles à ce moment-là.<br />

29 mars Dead line (au sens réel de ce mot)<br />

imaginé par Borgès dans Le Miracle secret<br />

et imposé par Dieu à l’auteur, ici même.<br />

4 : Chiffre récurrent dans la mathématique<br />

du Chaos (NdAPSDCE).<br />

5 ! : Jargon de pilote ex : je vous reçois 5 <strong>sur</strong><br />

5 (excellent). Accessoirement mot d’amazone<br />

félicitant un Français d’avoir tenu plus<br />

que 4 minutes.<br />

6664U : 666 est le chiffre dit de la bête de<br />

l’Apocalypse, 4 U, phonétiquement en<br />

anglais : pour vous.<br />

A<br />

A great mix ! : a) terme de DJ b) un bon<br />

mélange, métissage.<br />

a tergo : de dos (faire un enfant dans, traîtrises<br />

et mauvaises manières mais désormais<br />

enregistrable par M. N. Mammère pour la<br />

modique somme de 30 euros).<br />

Absinthe de compassionelle elle compuesta<br />

le code immémorant : (absente, alcool<br />

fort (absinthe), alcool de con, alcool de<br />

sainte (ab sainte Jeanne d’Arc par ex, ivre de<br />

non compassion, compas, aile, elle, L)<br />

+ (composer, compost, esp. : compuesto) le<br />

code + (immémorant des origines, de toujours,<br />

d’au delà de la mémoire, immémorial,<br />

oublieux de, mourant, hymne et mort)<br />

adivine : franpagnol de adivinar, deviner.<br />

AdMirabelleDesMers : Voir sous<br />

Mirabelle.<br />

albâtre tirant <strong>sur</strong> un bistrécachou comme<br />

tourdille, des touches de rubican tisonné<br />

INDEX PERVERS POLYMORPHE<br />

répondant à une gamme toute faite rubigineux,<br />

rouille, arzel frangé d’aubère,<br />

avec en apothéose de l’aquilain acajouté,<br />

semé de fauve mordoré. Et autres gris de<br />

maure anthracite : réponse sous l’excellent<br />

site : http :// www. pourpre. com/<br />

Aleph : a) Point d’où (mystiquement) on<br />

peut tout percevoir, temps, espace, vie,<br />

actions, contradictions résolues, vision infinie<br />

b) Nouvelle de Borgès c) première lettre<br />

de l’alphabet arabe.<br />

Alias : a) mauvaise série tévé b) aka<br />

Alighieri : aussi connu sous Dante, auteur<br />

de la Divine Comédie.<br />

alizarine : rouge très soutenu.<br />

Allen Dulles : maître de l’espionnage américain<br />

dans la période de la seconde guerre<br />

mondiale.<br />

Amères Loques : récurrent chez JG dans ses<br />

obsessions antiaméricaines.<br />

andronaître : (re) naître à sa condition masculine.<br />

angles durs : les passages du récit qui changent<br />

très brusquement de direction. Les<br />

angles droits a) ne le sont que rarement b) ne<br />

sont pas naturels c) font chier quand ils<br />

entrent dans les triangles.<br />

Aoutch : Aïe ! en anglais et particulièrement<br />

chez les danseuses classiques américaines.<br />

Armageddon : a) lieu et temps du combat<br />

final entre The Bien et Le Mal. b) pensée<br />

judéo-chrétienne c) identité mentale judéoaméricaine.<br />

artisanat furieux :a) allusion à un poème de<br />

René Char b) à l’idée que P. Boulez avait de<br />

lui-même.<br />

asl : terme d’aviation : above sea level) altitude<br />

au-dessus du niveau de la mer considérée<br />

comme altitude zéro (sauf chez les<br />

Hébreux).<br />

assassiner à Santa Barbara 24 : voir du<br />

253


même auteur L’Amérique brûle-t-elle ?<br />

Avenières : à la fin du mont Salève en direction<br />

d’Annecy, authentique vrai faux château<br />

récemment transformé en relais routier.<br />

Fondé par une riche Américaine sous<br />

influence indienne.<br />

B<br />

B-25 : aussi nommées les forteresses volantes.<br />

Bababadalgharaghtakamminarronn : mot<br />

censément de cent lettres (ou mille ou beaucoup)<br />

créé par Joyce pour (éventuellement)<br />

simuler un roulement de tonnerre, briser des<br />

conventions et libérer l’imagination de ses<br />

collègues.<br />

ballade en saule mineur : Facile, Monsieur,<br />

facile !!! NdEFF<br />

Belle de jour : Film de Luis Buñuel, 1967,<br />

avec C. Deneuve, fait allusion à la nécrophilie.<br />

Big Fish : Film de Tim Burton, 2 003.<br />

Bill : a) Shakespeare b) Clinton c) une foule<br />

de William(s) d) masque à la Tarentino<br />

booléen : algèbre logique utilisant des AND,<br />

OR, NOR, XOR et les portes TRUE et<br />

FALSE.<br />

bottes à l’année : a) Gli Stivali, quartier<br />

imaginaire de Milan où les filles portent des<br />

bottes en toute saison dans la bande dessinée<br />

érotique italienne, voire Crépax, Guido. b)<br />

accessoire de séduction féminine qui a mal<br />

tourné.<br />

Boulez : Pierre, théoricien né à Montbrison<br />

(Loire) en 1925. Également connu comme<br />

pianiste, chef d’orchestre, polémiste, politicien<br />

des Arts. Basiquement : bonne nature.<br />

branlais-je ici ? : S’agit-il d’une obscénité<br />

voulue de JG ou d’un simple usage populaire<br />

? Nous ne tarderons pas à le savoir.<br />

Nous assumons que la fourche de l’auteur a<br />

langué. NdE.<br />

brave torse : a) vernaculaire b) phrase très<br />

importante du clan (héros, setters, chevaux)<br />

pour désigner une personne courageuse qui<br />

« va », bravant les ennemis et les difficultés.<br />

Brèfle : santantoniaiserie pour bref.<br />

breitlingent : Inexplicable. Personne n’a<br />

réussi à définir le séminal de ce verbe (NdT)<br />

Buffy : actrice qui légitimerait à elle seule<br />

les lamentables « histoires de blondes ».<br />

bugs : a) cafard, insecte b) emmerde c) En<br />

informatique, erreurs dans les codes sources.<br />

d) voir sous Bunny. Il est intéressant de noter<br />

que les Américains créent des divinités<br />

mineures tels que les « bugs » et aussi les<br />

« Gremlins », qui étaient les pannes intermittentes<br />

des moteurs d’avions pendant la seconde<br />

guerre mondiale.<br />

Buschlein : allemand, affectueux, ce petit<br />

chéri de B ! Inadapté (NdE) by heart 151 :<br />

par cœur.<br />

by heart : par cœur<br />

C<br />

Cénovis : financent-ils ce livre ? 100 euros à<br />

qui pourra le savoir.<br />

cérémomie : pourrait être la remise des doctorats<br />

honoris causa à l’Université de <strong>Genève</strong><br />

ou l’accueil d’un petit nouveau à l’Académie.<br />

ces lacs de feu qui parsèment ma mémoire<br />

: a) récurrences du type homérique chez<br />

l’auteur b) cheville au sens donné par U. Eco<br />

c) Origine à trouver dans la Source noire de<br />

P Van Eersel.<br />

chamade de quelque chose d’ambré : autre<br />

exemple de la magie inouïe de cet écrivain<br />

qui transforme une rasade en chamade pour<br />

évoquer une liqueur batteuse de cœur.<br />

chandelles à mi-vie : exprime à merveille<br />

(et de manière meurtrière) des visages suiffeux<br />

avec rides et plis de graisse, dégoûtant !<br />

NdEFFEMC<br />

Chandro : jeune physicienne, apparaît dans<br />

Sauve qui peut l’Amérique et Sauve qui peut<br />

La Femme. b) Lois de Chandro, les. http ://<br />

www. margelle. org/html/SQPLamerique/<br />

Chandro. htm<br />

Chomsky, Noam : Linguiste. Enseigne au<br />

MIT. Intellectuel modèle commando.<br />

254


Condamne durement les USA, par ex. : « Le<br />

mépris de la primauté du droit est profondément<br />

enraciné dans la culture intellectuelle<br />

et les pratiques américaines. »<br />

chuintement de la nuée des âmes : a) pour<br />

saisir il faut voir les illustrations de Doré<br />

pour l’Enfer de Dante, avoir écouté du premier<br />

Stockhausen et se tenir de nuit au bord<br />

de l’Achéron. b) sorte de bruit coloré produit<br />

par d’innombrables chuchotements.<br />

clarity : utilisé en acoustique, fonction du<br />

son direct au son réverbéré. Mozart exige<br />

plus de « clarity » que la Toccata en ré<br />

mineur par exemple.<br />

Claro que si, papafrita : Bien sûr patate !<br />

voir dans : Mafalda, œuvres complètes de.<br />

climénoles : classique : ceux qui agitent des<br />

éventails autour des puissants, les flatteurs et<br />

gens de cour.<br />

Closet Special Thinking Tank : lieu pour<br />

élaborer des projets spéciaux. Ici, chiotes<br />

mentales.<br />

cochon dingue : a) Admirabelle a peut-être<br />

de mauvaises fréquentations mais l’auteur<br />

aussi à en voir son langage… b) éventuel<br />

lapsus c) courage littéraire rare de nos jours.<br />

(connaissant son aspect prude nous pensons<br />

que l’auteur a voulu dire cochon d’Inde,<br />

cobaye).<br />

cocoricants : son des coqs gaulois et des<br />

supporters de l’équipe de France dans les<br />

heureuses rencontres.<br />

Collège de Pataphysique : créé en 1948 par<br />

Jean Paulhan et divers écrivains de Paris et<br />

provinces « ultramontaines ». Le calendrier<br />

perpétuel du Collège de Pataphysique est<br />

très intéressant : Absolu (du 8 septembre au<br />

5 octobre),<br />

Haha (du 6 octobre au 2 novembre), As (du<br />

3 novembre au 30 novembre), Sable (du<br />

1 er décembre au 28 décembre), Décervelage<br />

(du 29 décembre au 25 janvier), Gueules (du<br />

26 janvier au 22 ou 23 février), Pédale (du<br />

23 ou 24 février au 22 mars), Clinamen (du<br />

23 mars au 19 avril), Palotin (du 20 avril au<br />

17 mai), Merdre (du 18 mai au 14 juin),<br />

Gidouille (du 15 juin au 13 juillet = 29<br />

jours), Tatane (du 14 juillet au 10 août),<br />

Phalle (du 11 août au 7 septembre).<br />

coming out : a) se démasquer, apparaître b)<br />

voir les films In Out (USA) et Le placard<br />

(France).<br />

como un soldado : version hispanisée d’une<br />

citation lointaine de Lara Fabian.<br />

condoms a) préservatifs b) jugement de<br />

valeur.<br />

confesse : Ah ! les pouvoirs du français.<br />

confiture de roses martyrisées : Ici l’auteur,<br />

une fois encore, se dépasse. D’un trait de<br />

plume il rend le sourire émouvant d’une<br />

femme pas si cathodique que ça.<br />

conoisseurs : a) faux vieux français. b)<br />

sonorité d’un charme certain<br />

Cornélius : de la chanson hommage à<br />

Sydney Bechet chantée par Gilbert Bécaud.<br />

Courtesy of Jean d’Ormesson : l’auteur<br />

fait ici référence au plus récent livre de Jean<br />

d’Ormesson qui a pris la peine d’extraire de<br />

l’or de la littérature française. Comment ne<br />

pas se servir ? NdETPlx<br />

Cosima : a) Fille de Franz Liszt. b) Mythe<br />

récent. La compagne de l’artiste, celle qui<br />

lui permet de se développer c) Fantasme de<br />

F. Nietzsche.<br />

Countach : a) trottinette pour illettrés b)<br />

chaise roulante pour jetsetteurs. c) provoc.<br />

inutile c) porno.<br />

crimilègue : néo. Criminel (provisoirement)<br />

légal.<br />

crossdressing fun with lycra, rubber<br />

masks, and boots : travestissement de plaisir<br />

en lycra avec des masques caoutchoutés<br />

et des bottes.<br />

Calixte Beyala : femme écrivain fixée à<br />

Paris, appréciée comme controversée, a produit<br />

Comment cuisiner son mari à l’africaine.<br />

Calvin Klein : personnage sans intérêt que<br />

Bush confond avec J. Calvin l’emmuré des<br />

Bastions.<br />

255


carburateurs : les hommes, les mecs, langage<br />

de Josefina.<br />

Casablanca, Maison Blanche, White House,<br />

même combat.<br />

Chavanne : Ministre socialiste de l’Éducation<br />

à <strong>Genève</strong>. Personnalité très chaleureuse<br />

et reconnue. Quatre mandats de quatre ans.<br />

Ne pratiquait pas la langue de bois.<br />

d’O : a) O’(Histoires de) célèbre personnage<br />

écrit par Dominique Aury et Jean Paulhan b)<br />

Qualification irrespectueuse des médias<br />

français pour Jean d’Ormesson : jean d’O.<br />

caucasien : Homme de race blanche, anglosaxons,<br />

aux USA.<br />

D<br />

dardures : mis pour seins durs et pointes<br />

dardées. Post-sém {dard dur} : vit bandé.<br />

DC : a) District Federal b) Divine Comédie<br />

c) Série d’avions très connue de Douglas.<br />

Da Sein : Heidegger, terme de, traduit par le<br />

célèbre « être au monde ». Ici façon d’être,<br />

nature propre, immanence. Pour Mirabelle :<br />

participer avec tous ses sens, érotiquement,<br />

au monde. Elle « est » La Vie comme Chaleur<br />

et Lumière l’Énergie.<br />

Darmstadt : Ville allemande, haut lieu de la<br />

musique contemporaine dans les années<br />

cinquante.<br />

De bleu de bleu ! : expression typiquement<br />

genevoise, chantée en glissando descendant<br />

avec un accent in-cou-pable au couteau.<br />

Vient d’une pudeur cherchant à éviter le<br />

« De Dieu, de dieu », etc.<br />

de Blonay : Ressemble au Prince Baldassare<br />

dans La Salamandre, le dernier aristocrate<br />

romand, une famille du xi e siècle. Pianiste de<br />

vocation fut également le secrétaire de<br />

l’Union Interparlementaire. Le moule en est<br />

cassé.<br />

défilé tempétueux de baffes : on reconnaît<br />

ici le style fameux de JG qui transcende la<br />

masse de baffes pour en faire a) quelque chose<br />

de plus étroit, b) plus rapide et guerrier et c)<br />

une allusion à ses chers top modems.<br />

delta : vernaculaire courant chez J.-G. La fin<br />

du voyage, le retour, la renaissance.<br />

dilatationelle, brève, deux hookcroche<br />

très gravipalpitulles de chamadabada qui<br />

projettent hama vaginosatisfaculté sinedié<br />

l’ostravers de ta peaupielle : {∑omme ±<br />

incomplète} mais s’explique de soi-même.<br />

Dominique Appia : peintre genevois de<br />

tendance <strong>sur</strong>réaliste, bien référencé <strong>sur</strong> le<br />

Net.<br />

Dr Martin : Médecin charmant et compétent<br />

qui, pour avoir piqué l’auteur de ce<br />

livre, devient un personnage incontrôlable<br />

du récit et acquiert quelques dimensions<br />

historiques et magiques. Sert de balise temporelle<br />

et narrative. Confidentiel : L’accent<br />

est marseillais. (Avec son aimable permission,<br />

tous droits réservés y compris la<br />

Lotharingie et la commune de Chancy)<br />

Dryades : esprits des forêts<br />

Du Bouchet : Poète français, a traduit une<br />

partie de Finnegans wake.<br />

E<br />

Eaux Vives : quartier genevois, rive gauche.<br />

Eclectrique elle arquefulgura laves nues<br />

nerveuse du supplicié, maintenantissant<br />

sans compassion ce courrélectrique, cricicrucifiant<br />

les Amérindiens du suppliquédoniste<br />

167 : exprss. partielle : (laves, l’avenue,<br />

nudité) + (maintenir, nantir) + () +<br />

(supplice, demande, supplication dans le<br />

plaisir, ados,) {∑omme ± incomplète}<br />

Eddie LeBâclé : Monsieur Eddie Barclay<br />

nous fait savoir sous les réserves d’usage<br />

qu’il ne se reconnaît nullement dans ces<br />

mots, nous confirmons.<br />

Efrit : esprit, entité, génie dans la mythologie<br />

musulmane, très puissant et malfaisant, affinités<br />

avec le feu par opposition à Djinn qui serait<br />

un esprit bienveillant. Les djinns ont leur propre<br />

communauté. Ils peuplent les lieux où il y<br />

a de l’eau, des endroits inhabités, des maisons<br />

256


en ruines et tout autre endroit désert. La<br />

croyance populaire leur attribue une corporalité<br />

; ils peuvent se présenter sous forme d’animaux<br />

ou d’êtres humains.<br />

El Libro haciendose : Le Livre en marche,<br />

le Livre en devenir, ça sent fortement la<br />

Bible mais en revu et corrigé et moins sanglant.<br />

Elfes : esprits de la nuit.<br />

emphyltré : l’« i grec » fait a) plus classe b)<br />

plus vieux c) plus mystérieux, on n’irait<br />

jamais écrire mystérieux.<br />

érotodrome : littéralement espace où l’on<br />

court pour réaliser des performances sexuelles.<br />

L’auteur ayant testé le 180 m 2 certifie<br />

qu’à 500 m 2 les vitesses de pointe sont arrogantes.<br />

Escher : Dessinateur ayant eu une forte<br />

conscience de dimensions spatiales hors de<br />

la portée du commun.<br />

escondidole : franpagnol de type joycien.<br />

Littéralement l’idole cachée.<br />

esperme : sperme espagnol ou latino.<br />

essencemiel : ici vraisemblablement, sperme<br />

de femme.<br />

Et lent : a) Très important b) à savoir c) les<br />

femmes françaises sont furax car elles ont<br />

besoin d’une heure et les hommes expédient<br />

en 3 minutes. Cf. théorie des corps caverneux.<br />

Les Français, ces lapins agiles mais<br />

pressés, doivent en prendre note : les femmes<br />

veulent une heure et des brocouilles. Cf.<br />

également 5 !<br />

F<br />

FAA : Federal Administration of Aviation<br />

(USA) équivalent de la Direction de l’Aviation<br />

Civile.<br />

fabula rasa : par analogie avec tabula rasa.<br />

Pourrait signifier que l’on oublie mythes et<br />

légendes et que l’on repart de zéro.<br />

Fail safe : film <strong>sur</strong> l’apocalypse nucléaire,<br />

1 964.<br />

faire des cui(s) : en un mot : a) Expression<br />

créé pour Woodstock dans Peanuts b) Pour<br />

Parasol la Mexicaine c) babiller (avec charme<br />

et compétence naturelle). d) Parler pour ne rien<br />

dire. Ex : les mass media «font des cuis ».<br />

Fallait pas qu’elle s’en aille, Ohoohoo : 26,<br />

cit. de chanson de Daniel Balavoine.<br />

fama : nom latin de la Renommée, de la<br />

célébrité.<br />

fataux : pluriel amélioré, fait plus fatal.<br />

FC : ici évidemment France Culture (qui<br />

malgré ses fichus quarts d’heure a quelques<br />

grandes minutes). À propos de FC on s’étonne<br />

de la quantité de bègues et de personnes<br />

butant <strong>sur</strong> les mots dans des déclarations<br />

souvent creuses. Curieusement, on n’y pratique<br />

pas le meilleur français à l’exception de<br />

quelques émissions telles que «Des papous<br />

dans la tête » ou un quarteron d’humoristes<br />

as<strong>sur</strong>ément ringards manie la langue avec<br />

une certaine virtuosité.<br />

femmes racines : théorie des. Apparaît chez<br />

de nombreux auteurs. Les femmes seraient<br />

des arbres interface entre homme et planète<br />

et leurs jambes des racines qui leur permettent<br />

de ne former qu’un unique essaim<br />

femelle géant.<br />

Fille du Juge : belle jeune femme qui existe<br />

toujours et se déclarera peut-être d’accord<br />

avec son portrait quand ce livre sortira. A fait<br />

souffler la bise (régionalisme). Flhumen<br />

Feughill vous donnera son numéro de téléphone,<br />

il en est parfaitement capable, ce rat.<br />

filles de l’air : signifierait, synthétiquement,<br />

des hôtesses mal payées qui se taillent.<br />

Populaire : se tirer.<br />

flash back et forward : anticipation et rappel<br />

dans le discours, coup d’œil <strong>sur</strong> l’avenir<br />

ou le passé. Technique narrative.<br />

Folamour : Allusion à Kissinger dans un<br />

film traitant de l’apocalypse nucléaire<br />

déclenchée par un fou.<br />

fourrebitecon(n)ait : s’implique de soi-même.<br />

Néologisme tri compressé, sonne haut<br />

«effort » ! Je fourrebiteconne, tu… nous<br />

fourreebiteconnûmes, que j’eusse fourrebiteconnassé,<br />

ils fourrebitecadenassèrent,<br />

257


verbe hautement défectif. NdTHEff<br />

franglais : mix d’anglais et de français.<br />

frogitaires : Les Français, les mangeurs de<br />

grenouilles (frog eater).<br />

Frouzes : Les Français, expr suisse, un poil<br />

raciste.<br />

fumez, c’est du bon : phrase récurrente chez<br />

F. Dard.<br />

Furieuses, les : personnages récurrents dans<br />

l’œuvre de J.-G. Femmes fortes, dominatrices,<br />

en colère, amazones, etc. Peuvent être<br />

réellement méchantes quand elles ne sont<br />

pas délicieuses.<br />

G<br />

Genesis : nom de code donné par Dieu à la<br />

création du monde.<br />

GPS : global positioning system, utilise la<br />

lecture de 3 satellites au moins, équipe déjà<br />

taxis et bicyclettes. Ici, sert à guider un missile.<br />

Ground Zero : point d’impact d’une bombe<br />

nucléaire.<br />

H<br />

hallaube : vernaculaire JG : à l’aube.<br />

Expression récurrente depuis La Tempête.<br />

hôtel Drouot : Lieu parisien de vol aux<br />

enchères, objets d’art.<br />

hurlevents d’erranérupte vulvecanelle<br />

(hurler, vent, maison hantée) + (erre, erreur,<br />

éructer, éruption, erronée) + (vulve de cannelle,<br />

volcanique, elle), somme de<br />

mots(lécules).<br />

hyperchiée : argot déjà classique : cette admirable<br />

jeune femme était vraiment sûre d’elle!<br />

Hypocrite de Forrest : bande dessinée des<br />

années soixante-dix.<br />

I<br />

illinéaires : terme original pour désigner des<br />

équations encore plus imprévisibles que les<br />

« non linéaires ».<br />

impune : néo, qui agit impunément.<br />

ircha : verlan : archi.<br />

J<br />

J’’’ : divine contraction pour dire « Mirabelle<br />

reprit son souffle » Venteuses apostrophes.<br />

je vous emmerde : d’Ormesson l’a dit on<br />

s’y accroche, pour une fois que je puis <strong>sur</strong>fer<br />

une valeur reconnue.<br />

Jessica Rabbit : le modèle absolu de la<br />

femme dans l’univers des toons. Équivalent<br />

classique : Marylin Monroe. Moderne :<br />

Jennifer Garner.<br />

JFK : John Fitzgerald Kennedy mais aussi<br />

John F, Kerry, candidat présidentiel (providentiel?)<br />

contre un certain Bush.<br />

John Cage : n’est pas l’avocat de la série<br />

Ally McBeal mais le fameux compositeur (et<br />

provocateur) américain de l’après-guerre.<br />

jolie-jolie : c’est ainsi que la Reine noire<br />

appelle Barbarella dans le film de Vadim. A<br />

rapprocher de la Marie-Marie de Sana. le<br />

double prénom est presque toujours tendre.<br />

Joyau : dans le civil et Sollers Philippe en<br />

littérature (confessions d’un agent du seuil).<br />

Jules Massenet Dugroin Von Porc : sale<br />

con, vernaculaire, insulte en usage à <strong>Genève</strong><br />

en 1956. Obsolète mais drôle.<br />

K<br />

Kissinger : Henry, Conseiller de Nixon,<br />

caricaturé dans le Dr Folamour.<br />

kom que kom : quoi qu’il en soit, germanisme.<br />

(so wie so).<br />

L<br />

l’amargue : franpagnol : l’amère. Il y a des<br />

mots en espagnol qui s’osmosent très naturellement<br />

— par une sorte de glissement<br />

poétique — vers le français. NdEEPLGD<br />

l’éthermité : a) compression verbale b)<br />

u<strong>sur</strong>e inconsidérée de l’espace subtil<br />

L’Homme miroir : a) Concept philosophique<br />

et théologique selon lequel l’univers se<br />

voit « par le mental humain » b) œuvre musicale<br />

de Geneviève Calame.<br />

l’overshooting : signifie dans ce contexte<br />

258


que l’émergence féminine de ces dernières<br />

années implique des excès et des dépassements<br />

de la cible qui se corrigeront. Nous<br />

restons loin de Valérie Solanas.<br />

LA : La Cité des Anges. Aussi orthographié<br />

L.A ou L-A.<br />

La Logique, cette grande conasse pâlotte :<br />

apparaît à la fin du Big Bang dans le défilé<br />

souvenir. Peu appréciée des sœurs Chaleur et<br />

Lumière bien qu’elles soient de même origine<br />

: mythe, principe ou loi incarnée.<br />

La Présence : Dieu l’ancien. Le Père.<br />

La rose revint à la vie : citation du Paracelse<br />

de Borgès et, accessoirement, exploit de<br />

Pénélope ex Cruse dans Woman on top.<br />

Lachenal François : Genevois. Avocat,<br />

industriel, esthète, membre du Collège de<br />

Pataphysique, ami de Jean Paulhan. Le<br />

moule en est cassé.<br />

Landing : ici atterrir pour naître, venir au<br />

monde.<br />

Lara Fabian : On la situe trop souvent dans<br />

l’ombre de Céline Dion ce qui est «avoir de<br />

la merde dans les oreilles ». Magnifique<br />

chanteuse en évolution qui semble avoir<br />

passé par une période « intimiste ».<br />

latencies : voc. technique, signifie retard<br />

d’un signal, décalage. À interpréter comme<br />

on veut en ce qui regarde le peuple de<br />

France.<br />

Le Nommé Jeudi : Dieu, dans le premier<br />

grand polar théologique de Chesterton.<br />

lecteurless : franglais : privé de lecteur.<br />

Les plus désespérés sont les cons les plus<br />

sots, et j’en sais… : ici le Dr Martin<br />

emprunte discrètement à A de Musset.<br />

Les yeux de Wolfi s’étrécirent jusqu’à ne<br />

plus laisser filtrer qu’une malsaine lueur<br />

jaune : poncif total, crasseux, grave lourd,<br />

difficile à dépasser, déjà placé dans le bouquin<br />

précédent. Un très mauvais point pour<br />

l’auteur.<br />

LGM-30G : missile américain Minuteman<br />

produit durant la guerre froide.<br />

Liberace : immonde pianiste caricatural,<br />

expression du kitch et mauvais goût américain,<br />

a causé des dommages dans le cœur<br />

des ladies de seconde fraîcheur. Ancêtre de<br />

Richard Doberman.<br />

Lili : alias Lilith ou Liliana. Femme première<br />

dans Idéale Maîtresse. Voir aussi Li’l,<br />

L’inn, Linn, Inana.<br />

LIVE : programme de traitement du son en<br />

temps réel, Possède la synthèse granulaire.<br />

Lotharingie : Terre des saigneurs telle que<br />

projetée par les nazis pour le Reich de 1 000<br />

ans.<br />

loup mal cousu : récurrent à propos de<br />

Wolfowitz Idée : n’arrive pas à cacher sa<br />

mauvaise nature, craque de toutes parts, cf.<br />

fabula du Petit Chaperon rouge.<br />

Luftwaffe : Forces militaires aériennes allemandes<br />

nazies.<br />

lupesque : a) adj néo de loup b) souvenir de<br />

la belle Lupe Wolverine.<br />

Luxurious Futilities Inc. : suffisamment<br />

décrit pour être identifié.<br />

M<br />

Macintosh a) amplificateur à lampes b) race<br />

de pommes, c) imperméable d) ordinateur e)<br />

nom de famille écossais.<br />

Mahomet : ici argot de F. Dard. Signifie le<br />

soleil.<br />

mainframe : nom donné dans les années<br />

quarante aux grands ordinateurs diplodocus<br />

de l’informatique.<br />

Maison blanche : aka Casablanca aka White<br />

House.<br />

Maison <strong>sur</strong> Achéron : lieu poétique récurrent<br />

chez l’auteur. Une maison près de<br />

laquelle murmure la nuit le fleuve des<br />

âmes.<br />

Maître moustachu des structures cosmiques<br />

et gluantes : Salvador Dali, cité par<br />

son élève José Gerson.<br />

Malls : grandes <strong>sur</strong>faces américaines.<br />

mandarinesques : qui est le fait de mandarins,<br />

d’intellectuels a) inspirés b) coupés de<br />

la réalité c) les deux<br />

259


Mane Thecel Phares : a) fameuse citation<br />

biblique b) mise en garde c) jugement exécutoire<br />

d) période interventionniste de Dieu<br />

e) vacherie balancée par Jéhovah à Balthazar,<br />

roi de Babylone, et à la veuve de<br />

Nabuchodonosor.<br />

Marmaramer touteventeuse est toujours<br />

proche à qui va jouir mais l’écume dit que<br />

Non et sablemplit ses portugoneilles. C’est<br />

le résonamille gong de l’orgasme (Mar,<br />

marma, mèrem mer) + (emplie de vents, tout<br />

devant, ventouse) + (interdiction élémental<br />

et acte de sable) + (résonne, le son qui fut<br />

mille, gong, gond de l’or, orgasme) {∑omme<br />

± incomplète}<br />

Mars c’est poivre ! : pur concept intraduisible<br />

sauf — éventuellement en Yiddish,<br />

Gaélique, Annemassien, langue d’Oc et —<br />

naturellement — en jouvois. (NdT)<br />

Marvin Acmé : a) Serait le nom mythique<br />

du premier grand inventeur de Toons, paraît<br />

aussi pour évoquer une industrie, Voir en<br />

tous les cas «Who framed Roger Rabitt » de<br />

Robert Zemekis.<br />

meilleur écrivain de Suisse romande : a) le<br />

ridicule ne tue pas (pour l’instant) b) vantardise<br />

c) évidence d) fanfaronnade à la Roger<br />

Rabitt d) pas de quoi se vanter.<br />

Mektoub : c’était écrit (arabe). Fatalisme.<br />

Croyance en un futur prédéterminé.<br />

Politiquement <strong>sur</strong>exploité par l’Islam.<br />

Même en courant, je n’aurai pas le temps :<br />

citation d’une chanson de Michel Fugain.<br />

merde d’aracuan : a) merde qui pour être<br />

d’un oiseau mythique et présent <strong>sur</strong>tout chez<br />

Walt Disney n’en est pas moins une la merde<br />

très prisée. b)Aracuan : ville africaine.<br />

mésostructures : structures de taille moyenne<br />

dans un système donné..<br />

Michaël Moorcock : Un des premiers<br />

auteurs anglais de Heroïc Fantasy.<br />

Michel Butor le gentil : Écrivain, membre<br />

de l’école du Nouveau Roman, enseigne<br />

longuement à <strong>Genève</strong>. Nous l’avons connu<br />

extrêmement bon vivant, souriant et poète<br />

« naturel » d’où ce <strong>sur</strong>nom. Butor aime les<br />

musiciens, il a beaucoup travaillé avec Henri<br />

Pousseur.<br />

Midi le juste : Le cimetière marin de Paul<br />

Valéry. : « Ce toit tranquille, où marchent<br />

des colombes, Entre les pins palpite, entre<br />

les tombes ; Midi le juste y compose de feux<br />

la mer, la mer, toujours recommencée O<br />

récompense après une pensée Qu’un long<br />

regard <strong>sur</strong> le calme des dieux ! »<br />

Mimi-raBelle ou Mirabelle LaLumière ou<br />

Mirabelle LaNuit ou Mirabelle Portobello-<br />

Antiques ou MirabelleVraie ou Mirastrale-<br />

Centrebelle-Afrotech ou mirabellien (adj) ou<br />

AdMirabelleDesMers ou Mirabulle ou<br />

MiracleBelle ou Miradmirabellez (verbe) ou<br />

MirangeBelle ou Mirastrale DeNuit ou<br />

Miragebelle ou MireAlteBelle ou Mirtabelle<br />

ou MireDesBelles soit de manière non<br />

exhaustive les versions (nom/adj / verbe)<br />

dérivées du nom de l’héroïne.<br />

Moles : Génie méconnu en France.<br />

Consultez : cf. http :// www.cetec-info.org /<br />

jlmichel/Moles. Strasbourg. html<br />

Monkhouse, Richard : inventeur britannique<br />

des fameux synthés AKS les plus révolutionnaires<br />

des années soixante-dix et du<br />

Spectron, l’un des premiers synthés vidéo à<br />

même de moduler image par audio.<br />

morphing : très utilisé en musique et effets<br />

spéciaux de cinéma. Consiste à transiter<br />

structurellement par étapes calculées d’une<br />

forme à une autre. Le robot qui devient flic<br />

dans Terminator II est du morphing. Le sourire<br />

de Tony Blair après le flop irakien aussi.<br />

En musique un son de trompette qui deviendrait<br />

une voix prononçant une voyelle serait<br />

du morphing.<br />

mot de cent lettres : le Bababadal gharaghtakamminarronnkonnbronntonnerronntuonnthunntrovarrhounawnskawntoohoohoordenenthurnuk<br />

de Joyce (reproduction<br />

non garantie) n’a pas exactement cent lettres<br />

ici, l’idée originale en est a) la traduction<br />

onomatopoétique d’un coup de tonnerre, b)<br />

260


avalanche verbale c) enfantillage d’écrivain<br />

(au bon sens du terme) d) mettre un comédien<br />

en difficulté<br />

muezzin, enroulant ma longue prière<br />

argentée dans une aube indécise : Souvenir<br />

du quatuor d’Alexandrie, Lawrence Durell.<br />

Musset : Confessions d’un enfant du siècle<br />

(rien à voir avec ce livre en fait, juste un titre)<br />

mutatis mutandis : toutes choses égales.<br />

N<br />

Nn’yvoirien : désigne un blanc cassé produit<br />

en Afrique et conçu spécialement pour<br />

ceux qui ont perdu leurs lunettes.<br />

nane(s) : récurrent chez JG, nanas, femmes<br />

jeunes. Ne pas confondre avec le célèbre<br />

Blimp.<br />

NdE, NdETP, NdFF, NdEFFEMC,<br />

NdTHEff : Usage et développement du<br />

sigle NdA (Note de l’éditeur), ouvert, variable<br />

et à imaginer. Par exemple : NdEtt :<br />

Note de l’éditeur très perplexe, NdEff : fou<br />

furieux, NdTHeff : note du traducteur hautement<br />

effarouché, etc. The sky is the limit.<br />

Nasser et Naguib, : les deux leaders politiques<br />

et militaires en conflit dans l’affaire du<br />

canal de Suez.<br />

Newtown : ici Villeneuve bout du Léman.<br />

nice job : un très grand compliment dans la<br />

bouche des Américains, ne pas sous-estimer.<br />

Nicolas Peyrac : chanteur français, auteur<br />

notamment de So far away from LA.<br />

niveau 240 : Technique (aviation) Le niveau<br />

240 se situe à 24’000 pieds à un réglage<br />

altimétrique de 1013 millibars (en Europe).<br />

Soit environ 8 km d’altitude.<br />

NORA : Personnage récurrent chez JG <strong>sur</strong>tout<br />

dans la Trilogie Oriane Park. Signifie à<br />

l’origine Neuronal Open Resarch<br />

Architecture soit l’une des tentatives des<br />

années quatre-vingt et suivantes pour développer<br />

une intelligence artificielle ou<br />

Computers de génération (X).<br />

Nos bles<strong>sur</strong>es sont le front d’ondes de nos<br />

théories : sublime comme incompréhensible.<br />

Enfin, relativement. Pour saisir il est<br />

recommandé de lire L’Homme Nu de Dan<br />

Simmons, lecture qui ne pourra que vous<br />

enrichir.<br />

Nosotros, esp. : Nous, nous autres.<br />

nuke : expression « familière » américaine<br />

pour désigner toute arme nucléaire.<br />

Nous eussions aimé accompagner avec<br />

amour dans sa déchéance imméritée ce<br />

grand ministre Notre père qui mourût<br />

naguère dans l’oubli, mais tout ceci va<br />

avec le Fleuve et en un sens est vrai et<br />

beau et bon : JG parle ici d’André Chavanne<br />

qui, après un règne long et brillant mourut<br />

ignoré dans l’oubli collectif.<br />

O<br />

Ogallala : Texas (!!) plus grande nappe et<br />

réserve d’eau des États-Unis. Est épuisée 40<br />

fois plus vite qu’elle ne se reforme.<br />

Oiseau vert : a) Dieu lare b) Espèce très rare<br />

vendue parfois par des marchands initiés et<br />

créée dans une pierre semi-précieuse verte<br />

avec des incrustation en argent.<br />

okayer : a) dire que oui, b) grommeler des<br />

okay, c) céder à l’érosion américaine.<br />

On décéderasandres à la clavecavevicule,<br />

j’y conserve enterritude mammûre folie :<br />

(décéder + cendre + cassandre + andres<br />

+ descendre), (clave + esclave + cave + clavicule<br />

+ cul) + () + (entier, enterré, certitude,<br />

entériné) + (mamelle, mam’, mûre, femme<br />

mûre, téter une mamelle mûre) + () {∑omme<br />

± incomplète}<br />

Oneille : au sens de Jarry bien sûr.<br />

On se mutetait. On sourdinilence !<br />

pulsatidivisionelle, justinaventmatines de<br />

ces clochesonne mysthairs. Mâchouille !<br />

Comme ça tu ne me dérangemerderas<br />

plus. Mordille, lendentille : (mute, sourdine,<br />

sourdre, silence, nil, ni l’anse) + (juste,<br />

Justine, Sade, événement Justine, du vent<br />

dans les jupes de Justine, Justine moulin à<br />

vent, matins, matines) + (cloches), (sonne-<br />

261


cloche des matines) + (mythes, mythes<br />

aériens, air, mystère) + (mâche, macho,<br />

ouille) + (dérange, rangemerde, emmerderas,<br />

merder) + (Mordre, mords, mordiller,<br />

île, fille) + (lent, dent, lentille, andante, lenteur<br />

des dents, dentelle) {∑omme ± incomplète}<br />

Ondine(s) : a) Femmes, esprits des eaux non<br />

salées b) Pièce de Jean Giraudoux.<br />

one piece latex bodysuit with an attached<br />

young woman mask : un ensemble en latex<br />

d’une pièce avec un masque de jeune femme<br />

rattaché.<br />

P<br />

Par prudhanche australe escarpidôle<br />

mirapréserveillé prit la relève enbouché<br />

(prude, anse. anche, hanche prude, prudence)<br />

+ ()+(escarpin escarpé, idole, fétichisme)<br />

+ (mirabelle + miracle, mirage. pré, préservatif.<br />

préservé. éveillé) + () + (en bouche,<br />

bouché, embouché) {∑omme ± incomplète}<br />

passelac : pont <strong>sur</strong> un lac. Ici le pont du<br />

Mont Blanc à <strong>Genève</strong>.<br />

patricienne Tour du Pin : référence à l’écrivain<br />

Patrice de la Tour du Pin.<br />

Pentagono gracias : s’implique de lui-même<br />

(notes du Tribunal Pénal International).<br />

Peppino di Giugno : physicien napolitain,<br />

responsable des systèmes musique et informatiques<br />

à l’IRCAM (Paris) lors de la création de<br />

cet Institut. Signe particulier : très amoureux<br />

d’Arielle Dombasle. Homme courtois et adorable.<br />

A quitté le centre parisien qu’il ne trouvait<br />

ni assez fou ni assez sérieux.<br />

permatemps : temps gelé par analogie avec<br />

permafrost.<br />

Plurabelle : emprunté à Joyce, le personnage<br />

est Anna Livia Plurabelle. Il existe également<br />

un grand emprunt «inconscient » à cet<br />

écrivain et c’est celui du nom de Molly.<br />

Mais pour le découvrir il vous faudra attendre<br />

la suite du présent ouvrage.<br />

Poème <strong>sur</strong> la septième 31 : récitatif parlé de<br />

Johny Hallyday <strong>sur</strong> la marche funèbre de la<br />

septième de Beethoven, enregistrement très<br />

rare.<br />

radoufleur inversé : a) personnage célèbre<br />

de « L’Amérique brûle-t-elle » b) fait penser<br />

a SanTantonio c) Serait le sexe du héros d)<br />

Fausse piste e) on se perd en conjectures. f)<br />

Clone du « Nouvel Observateur »<br />

262<br />

Q<br />

R<br />

réaction en chaînes : le « s » semble voulu.<br />

NdETP<br />

real people : Obsession JGesque : personnes<br />

« authentiques », des gens vrais.<br />

récitfouillis : mot-valise, s’explique de soimême.<br />

redondance : désigne le taux de répétition<br />

dans le message, l’inverse est l’information.<br />

regard de chimpanzé : comparaison si souvent<br />

effectuée à propos de ce Président<br />

américain. qu’elle nous paraît finalement<br />

correcte.<br />

respect fusionnel avec la femme : a) JG<br />

doit être malade pour écrire de telles conneries,<br />

on comprend l’éditeur. b) stade enviable<br />

dans une relation intense et profonde.<br />

Rinaldi : critique litt. et membre de l’Académie<br />

de cape et d’épée. Connu pour ses<br />

aigreurs, cultivé, se prend au sérieux.<br />

ripper : franglais : glisser, déraper.<br />

rise and fall des Empires : grandeur et décadence.<br />

cf. Chandro, lois de.<br />

Robert Hari : Égyptologue genevois, accessoirement<br />

socialiste et homme de culture et<br />

d’humour. Est mort trahi par les siens.<br />

Romandie a <strong>Genève</strong> pour évidente capitale<br />

: évidence contestée par quelques mauvais<br />

esprits.<br />

S<br />

s’elle : contraction inusuelle mais récurrente<br />

chez J.G.<br />

s’emborrachait : esp. emborracharse, se


ourrer la gueule.<br />

salement emmerdé : description a) pertinente<br />

b) impertinente c) litote d) non sens,<br />

avez-vous déjà vu quelqu’un de proprement<br />

emmerdé ?<br />

Sanantoniaiseries : perles de F Dard.<br />

Scylla : récurrent dans un rêve de J.-G. Voir<br />

Idéale Maîtresse. Inexpliqué à ce jour.<br />

sens du mot bruit en philosophie ou en<br />

psychologie : a) le bruit est « ce qui ne fait<br />

pas partie du message » b) le pôle opposé de<br />

l’ordre c) l’équiprobabilité d’occurrence<br />

d’un ensemble de symboles d) un mot mal<br />

compris.<br />

shopping-no-deal : expression de Mirabelle<br />

LaNuit : prendre son pied et faire chier les<br />

vendeurs.<br />

shoepping : néologisme anglais de JG : faire<br />

emplette maniaque de chaus<strong>sur</strong>es.<br />

short poésie : à court de poésie<br />

short public : à court de public.<br />

Silencio : Grande maison bretonne à l’ancienne<br />

sise à Perros Guirec et appartenant à<br />

la famille du peintre Maurice Denis.<br />

SIMC : (ou ISCM aka IGNM) Société<br />

Internationale de Musique Contemporaine,<br />

filiale de l’Unesco dont l’auteur n’a pas été<br />

le Président International entre a) 1 932 et<br />

1 945 b) 1 955 et 1 954 c) 1 982 et 2 000 d)<br />

1 985 et 1 991 (adressez vos SMS à Qui veut<br />

gagner des margelles-666, 0.99 eurozes/<br />

min)<br />

slime : a) résidu spectral b) pâte dégoûtante<br />

vendue aux enfants pour faire chier les adultes<br />

c) onomatopée d) néologisme venu du<br />

cinéma américain<br />

Snark variante Boojum : de la « Chasse au<br />

Snark de Lewis Caroll », un animal imaginaire<br />

dont la variante Boojum a la fâcheuse<br />

habitude d’emmener sa proie dans une autre<br />

dimension.<br />

Sœurs Chaleur et Lumière : Entités nées<br />

dans « L’Amérique brûle-t-elle » et incarnant<br />

l’énergie sous forme humaine. Grandes<br />

nanes à mauvais caractère, d’autres versions<br />

sont en route telles que « Pesanteur et<br />

Gravité », etc.<br />

Soft balls of fire : citation déformée du film<br />

Great balls of fire.<br />

sorcebruche, franpagnol, sorcière (bruja).<br />

Swedenborg : philosophe suédois perturbé,<br />

mais pas réellement plus que ses collègues<br />

du monde entier. Plus lisible et plus mort que<br />

Jacques Dérida.<br />

T<br />

Tacosland : Le Mexique.<br />

Tchau ou Neuneu : suissismes, la Tchau (La<br />

Chaux de Fond et Neuneu (Neuchâtel.<br />

tellement beaucoup a) anglicisme b)<br />

Lavoinisme.<br />

templates : moules, maquettes.<br />

ternure : franpagnol, tendre.<br />

Toi dont l’œil clair connaît les profonds<br />

arsenaux où dort enseveli le peuple des<br />

métaux : Baudelaire, Les Stances à Satan.<br />

Une allusion aux arsenaux nucléaires.<br />

tir dans une cuvette de montagnes : pas<br />

exact, Nagasaki.<br />

To-morrow, and to-morrow, and to-morrow…<br />

: Hamlet, l’une des tirades les plus<br />

citées de Big Bill.<br />

tofitak : race secrète de chocolats suisses<br />

permettant d’amadouer une belle-sœur psychotique<br />

voire une femme délaissée. Secret<br />

défense.<br />

top-modèle : a) anciennement connues sous<br />

top modems ou taupes modèles b) standardisation<br />

illusoire de la femme c) jeter par la<br />

fenêtre d) utiliser. Ici, exprime le caractère<br />

exemplaire d’un texte de Butor, un modèle<br />

« top niveau » ou top choucroute (suissisme).<br />

transpirer comme une vache fribourgeoise<br />

: obsession JGesque, on n’a pas suffisamment<br />

étudié les transpirations comparées des<br />

vaches fribourgeoises, vaudoises et bernoises.<br />

Truman : Représentant de commerce et<br />

accessoirement Président américain succédant<br />

à Roosevelt. A lâché deux bombes A <strong>sur</strong><br />

le Japon.<br />

263


TV : aka tévé, aka téloche aka télévision,<br />

animal mutant sournois, instrument de pouvoir<br />

et de communication incontrôlable.<br />

U<br />

Umwelt : terme philosophique allemand.<br />

Littéralement :le monde qui «est » autour de<br />

soi, je serais tenté de dire : l’univers connu,<br />

familier en tant que limite de la perception.<br />

Les femmes font partie de mon Umwelt, la<br />

planète Mars et la Suisse allemande non.<br />

V<br />

Venturi (effet de) : accélération produite<br />

lors de l’écoulement d’un fluide par le resserrement<br />

de la conduite, du chemin de propagation.<br />

WXY<br />

Z<br />

Zestezone de progestection hallatourpise<br />

anglegélique du membre pointérecté :<br />

(zeste, reste de zone) + (protection, progestérone,<br />

gestion professionnelle, gesticulation)<br />

+ (comme, tour de pise, penché comme<br />

la tour) + (angle, ange, angle d’ange, angle<br />

angélique, angle dur. ange droit, chute des<br />

anges et apparition du conventionnel {J.<br />

Cocteau}) + (pointé, pointu, érecté en pointe,<br />

érecté oblique) {somme complète}<br />

264


Table des matières<br />

Avant propos .......................................................................9<br />

Corticoïdes (lents) ...............................................................15<br />

Mirabelle LaNuit ................................................................23<br />

Qui avait appuyé <strong>sur</strong> le bouton rouge ? ..............................27<br />

Ce que dit mon Père ...........................................................35<br />

Décompte électoromoral .....................................................41<br />

Restons pratiques ! ..............................................................47<br />

Quand Mirabelle danse .......................................................49<br />

Finnegans et moi on s’était bien marré ! ............................55<br />

Frozen time… .....................................................................59<br />

Une bière et un ptérodactyle ...............................................61<br />

J’ai de la visite ....................................................................79<br />

Confessions d’un Genevois du siècle (culture) ..................83<br />

Caryl Chessman met de l’ordre ..........................................103<br />

Le joker de Laquedeem ......................................................107<br />

J’assume… ..........................................................................113<br />

De jour, Mirabelle LaNuit ..................................................115<br />

Confessions d’un Genevois du siècle (planète) ..................121<br />

Du bon usage des fantasmes ...............................................127<br />

Reentry phase 1 ..................................................................135<br />

De la légitimité de haïr l’Amérique ....................................137<br />

Quand Mirabelle chante ......................................................141<br />

Folie, Dieu, Centralité ........................................................145<br />

Münchausen est vivant, ......................................................151<br />

AdMiraBelle a de mauvaises fréquentations ......................155<br />

Les monothéismes agaçaient mon Père ..............................159<br />

Escarpins et Deal méta narratif ...........................................169<br />

L’apprenti sourcier ..............................................................175<br />

Le Verbe ..............................................................................183<br />

De la vivisection amoureuse ...............................................185<br />

Le grand pardon ..................................................................191<br />

Rien ne va plus ! .................................................................193<br />

265


Les derniers instants de la Cité de Calvin ..........................197<br />

La lumière de ce monde .....................................................207<br />

L’Essaim .............................................................................209<br />

Final reentry phase Ω .........................................................217<br />

Mi papel con Mirabelle ......................................................223<br />

La sentence de Swedenborg ...............................................227<br />

Quand Mirabelle sourit ! ....................................................231<br />

GVA confidential ................................................................241<br />

Big Fish goes home ............................................................243<br />

Annexe : En clair ................................................................257


Achevé d'imprimer troisième trimestre 2004 <strong>sur</strong> les presses de<br />

l'imprimerie Slatkine à <strong>Genève</strong> Suisse.<br />

267


268


Un missile nucléaire américain se dirige vers <strong>Genève</strong>. Le narrateur,<br />

sous l’effet des corticoïdes que lui a injectés le diabolique<br />

Dr Martin, en prend conscience mais il est le seul. Dieu lui<br />

laisse un répit de six minutes. Tricheries après tricheries, souvenirs<br />

après hypothèses savantes ou délirantes, Jacques va-t-il<br />

sauver sa ville ? Pour remporter les élections, Bush et Wolfowitz<br />

ont joué leur ultime atout. Et qui est cette Mirabelle LaNuit qui<br />

marche avec légèreté <strong>sur</strong> tous les cœurs, sinon La Vie ? Vont-ils<br />

se rencontrer avant que le ciel ne leur tombe <strong>sur</strong> la tête ? Son<br />

sourire aura-t-il raison du flash ? On le saura quand Tim Burton,<br />

Woody Allen et Fellini se joindront à cette gigantesque mise en<br />

scène dans laquelle l’auteur se laisse aller à aimer le peuple<br />

américain mais pas les États-Unis.<br />

Ce roman fantastique et libre fait jaillir une sève vivifiante dans<br />

la torpeur des Lettres romandes. Dans Confessions d’un<br />

Genevois du siècle on découvre des aspects peut-être inconnus<br />

de Roger Aubert, Jean-Luc Godard, Christian Grobet, Ernest<br />

Ansermet, René Berger, Armin Jordan, Guillaume Chenevière,<br />

l’OSR, Alberto Ginastera, Michel Butor, André de Blonay et<br />

beaucoup de grands acteurs du temps, mêlés à quelques masques<br />

que l’auteur dit « de fiction »…<br />

Jacques Guyonnet, compositeur et chef d’orchestre, Expert auprès du<br />

Conseil de l’Europe, Président International SIMC (Unesco) et fondateur<br />

du Centre Musical de <strong>Genève</strong>. A créé des studios de recherche audio et<br />

vidéo, chargé de cours à la New York State University. Brevets de moniteur<br />

de plongée et de pilote (FAA). Personnage atypique aimant la simplicité<br />

dans les rapports humains. Livres et Bio, textes et musiques dans www.<br />

margelle.org<br />

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