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Le 12ème Evangile - Margelle

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DU MÊME AUTEUR<br />

Aux Éditions La <strong>Margelle</strong><br />

Romans :<br />

Idéale Maîtresse, <strong>Le</strong>s aventures de Lilith, 1999<br />

On a volé le Big Bang, Trilogie Fréquence Femme I, 2000<br />

<strong>Le</strong>s Culs (Une promenade parisienne) Trilogie Fréquence Femme II, 2001<br />

Sauve qui peut l’Amérique (1776-2015), Trilogie Chandro I, 2002<br />

L’Amérique brûle-t-elle ? Trilogie Chandro III, 2003<br />

<strong>Le</strong>s Angiospermes, théâtre, un opéra parlé, 2003<br />

H sur Genève (Histoire vraie de Mirabelle LaNuit suivie des Derniers Instant<br />

de la cité de Calvin), 2004<br />

Mais qui s’est tapé Molly Schmoll ? (Pourquoi Dieu existe et n’existe pas),<br />

2005<br />

L’été Jolene, (Saga de Manküngrif’), 2006<br />

La Déesse de Grattavache (juin 2008)<br />

À paraître<br />

La Tempête Trilogie Fréquence Femme III, 2010<br />

L’Origine Elle, Trilogie Chandro III, 2010<br />

Ishtar ou la machine à lire le monde<br />

Imaginaire du cinéma américain<br />

Études, portraits, Monodrames<br />

Structure et intuition (Gallimard) 1960/ Ansermet (re) suscité (Repères, Payot/<br />

L’Âge d’homme) 1983 / Boulez dé-visagé (l’ARC, Paris) 1984 / <strong>Le</strong> Fleuve<br />

de tous les silences (FMR, Milan) 1985/ <strong>Le</strong> jardin aux sentiers qui bifurquent<br />

(Conseil de l’Europe 1984)<br />

En concert :<br />

Schönberg et son double, 1967/ La Vie merveilleuse, Anton Webern, 1969/<br />

Monsieur Berg est venu ce soir, 1982<br />

Pour en savoir plus : http://www.margelle.org/infos.html et Google livres


Jacques Guyonnet<br />

<strong>Le</strong> douzième Évangile<br />

(<strong>Le</strong>s femmes préfèrent les femmes)<br />

La <strong>Margelle</strong><br />

Turbulences


À Philippe Curval<br />

Pour<br />

Tous vers l’extase<br />

et<br />

À Gérard Klein<br />

Pour<br />

Un chant de pierre


Préface de l’auteur :<br />

(Quelques bonnes nouvelles…)<br />

J’ai quelques bonnes nouvelles pour vous. Ce livre n’est pas un<br />

cinq cents pages, il dépasse à peine trois cent. J’aurais adoré vous<br />

en coller mille ! Un rêve ! Mais c’est au-dessus de mes forces, il doit<br />

partir, faire voile vers vous. Son prix est sympa, luttez à mort avec<br />

ces libraires sans scrupule qui exploitent honteusement l’or blanc.<br />

Vous trouverez à la fin de l’ouvrage l’habituel index des barbarismes<br />

et créations verbales remarquables augmenté des notes<br />

Editeur, Traducteur, Auteur et Tiers, index moins fourni que<br />

d’habitude car il est en partie remplacé par des notes “de pied”.<br />

Dans nulle autre Maison que La <strong>Margelle</strong> vous ne trouverez une<br />

telle fantaisie créatrice (débridée). Pas d’illustrations, aucun<br />

missing chapter traîtreusement refilé au dernier moment (comme<br />

dans L’été Jolene). L’intérêt de ce bouquin est - entre autres - que<br />

je refile la patate chaude à Mélissa car pour la première fois ce<br />

n’est plus moi l’obsédé sexuel de service, c’est elle. Une omnivore…<br />

Vous ne pouvez pas savoir comme c’est reposant de voir<br />

une femme nous prendre en mains (au propre cela va de soi). Techniquement<br />

il est difficile de faire coexister tant de durées diverses<br />

et de personnages dans un seul récit en principe linéaire. Dieu<br />

me donne un sacré coup de main… Très souvent, je me suis lâché.<br />

Par exemple, dans le début du second chapitre, quand Mélissa<br />

sort du bureau de sa rédactrice en chef et est abordée par<br />

un homme âgé et charmeur, j’écris ceci : “Comme je descendais<br />

Denfert en direction d’Acapulco, je n’entendis soudain plus le<br />

bruit de la circu. J’avais été prise dans un cône de silence par un<br />

petit vieux qui se présenta aussitôt”. Cette simple phrase va avoir<br />

un impact énorme sur tout le livre car elle ressemble et provient<br />

du Bateau ivre de Rimbaud, long poème fabuleux qui s’insinue<br />

immédiatement (très modulé…) dans le texte, sous forme de visions<br />

ou même simplement “comme ça” ! Ce livre, vous pouvez<br />

le lire ou, très facilement, vous perdre. J’ai essayé, on peut !<br />

Si vous préférez la sécurité et la tranquillité d’esprit lisez ce qui<br />

suit. Mais attention, cela vous gâchera peut-être un peu le suspense.


JG<br />

Je vous le refile à deux niveaux : fabula et intrigue (résumé et pitch).<br />

Pour la fabula c’est simple : une superbe fille du futur est ballottée<br />

dans le temps et découvre, après mille avatars, la nature de sa mission.<br />

Pour l’intrigue c’est un poil plus complexe. Mélissa, obsédée<br />

sexuelle de classe mondiale, se voit envoyée dans le passé pour<br />

écrire un article sur “Ce que préfèrent les femmes”. La narration<br />

qui commence simplement devient vite une polyphonie à trois voix.<br />

C’est une fois de plus une mise en abyme 1 . L’héroïne, Dieu qui s’en<br />

mêle, et l’auteur que Mélissa va visiter dans le passé. Je m’octroie<br />

même le droit à la parole, c’est vous dire… C’est un bouquin<br />

intertextuel ou même transtextuel, c’est surtout un jeu de miroirs<br />

où il est bon de se laisser aller. En ces pages le temps ne coule pas<br />

comme un fleuve tranquille. Il se replie parfois, il y a beaucoup de<br />

flash back, beaucoup de durées parallèles. Mes obsessions n’ont<br />

pas changé, mort (dès que possible) de l’Amérique et du monde<br />

de l’argent, Dieu (c’est qui ? moi ou Elle ?) et prééminence de<br />

la femme. On trouvera enfin la réponse à l’affirmation titulaire :<br />

les femmes préfèrent les femmes. J’y retrouve les poètes de ma<br />

jeunesse, Gérard Klein et Philippe Curval, Rimbaud, et Baudelaire<br />

qui n’est jamais loin quand une foutue femme se met à marcher.<br />

Vous pourrez également lire sur Internet les Annexes qui sont des<br />

textes très anciens que j’ai publiés il y a en moyenne un quart de<br />

siècle. Elles montrent que j’ai, dans mes obsessions de philosophe<br />

à l’état sauvage, une très grande continuité, en particulier dans<br />

une pensée des flux et turbulences. J’espère que ce livre, ce<br />

douzième évangile dans lequel, avec amour, je me sépare de Dieu,<br />

pourra clôturer un ensemble de romans dans lesquels je constate<br />

que je n’ai aucune imagination mais que j’ai vu et fait beaucoup de<br />

choses que j’aime rapporter. Ah ! J’allais oublier de vous le dire :<br />

j’ai mis beaucoup d’espaces dans le texte. Pour vous défatiguer<br />

les yeux. Pour souffler et aussi pour mieux découper le récit.<br />

Mon éditeur, ce chieur, a râlé comme un pou : ça allait faire des<br />

pages de plus. J’ai compté. Dix ou douze peut-être. Et alors ? Je<br />

l’ai fait parce que vous le vaaaaalez bien ! Allez, bonne lecture.<br />

1 Une œuvre qui contient une autre œuvre, asset proche du principe des fractales ou de<br />

la récursivité en mathématiques.


Mélissa mission<br />

(Prélude)<br />

Je m’appelle Mélissa et je suis journaliste vedette à PS (PodSex), l’électro<br />

Zine 2 qui vend le plus aux E.U.E Quand je suis sortie de chez Big Mama Wolwerine,<br />

la rédac en chef, j’étais grave fâchée, je vous dis pas. Tout juste si je ne lui<br />

avais pas réajusté ses périodes avec mon pocket “TESCON” 3 , le taser sexuel défocalisateur<br />

d’ovules. Cette petite bonne femme qui règne du haut de la pyramide<br />

éditoriale s’habille exactement comme vous pouvez l’imaginer, une patronne de<br />

mode haut de gamme dans le monde vénéneux des États-Unis d’Europe. Détail<br />

intéressant, personne ne connaît son nom. Et encore moins son prénom.<br />

Elle n’avait pas louvoyé, son temps est précieux, à ses yeux je ne vaux même<br />

pas un dollar, si tant est qu’un dollar existe encore et vaille quelque chose de<br />

mesurable.<br />

- Mélissa, a-t-elle attaqué, il me faut un pdf 4 sur les préférences des femmes.<br />

- Un Pied de Femme ? j’ai fait pour rigoler ?<br />

Elle m’a lancé un sale coup d’œil. On ne rigole pas avec Big Mama.<br />

- Ce que préfèrent les femmes. Vous me donnerez l’angle d’attaque, les personnalités<br />

à interviewer, je veux que ce soit irréfutable, que les lectrices en fassent<br />

leur nouvelle Bible, avec un style chic et choc, vous serez en couverture. On<br />

fera même un tirage luxe sur papier.<br />

Rien que ça ! Quand je lui ai suggéré que c’était du kitch pas possible, plus tarte<br />

à la crème tu meurs, j’ai vu, dans ses yeux bleus aimablement reptiliens, poindre<br />

ma dernière heure. Je dois reconnaître que j’avais manqué de prudence :<br />

- Vous voulez qu’on s’aligne sur ReptoPub ou GirlActuelle ? ai-je dit d’un<br />

air candide. Même les hypno tabloïdes ont cessé de prôner les crèmes suceuses<br />

de radicaux libres, les Multi-Actives instantanées, la cure miracle à 1 neuroze<br />

et le vol légal d’organes ! La ménagère de plus de 20 ans est une espèce en voie<br />

de disparition, les mecs étant restés nuls les filles, voire les femmes, n’ont plus<br />

de préférences, elles se contentent d’exister. Y’a rien à dire, ou alors, faudrait<br />

2 Familier pour Magazine, en povenance de feu les États-Unis.<br />

3 Mis pour Taser Economiseur Suprême de CONception, machine à avorter ou dérégulateur<br />

ovulaire. n’existait pas avant les évènements.<br />

4 PDF : Pied de femme, objet très sacraéisé. Pure déclaration féminine, dans le passé fut<br />

connu sous Portable Document File.<br />

11


plonger dans le passé d’avant les événements…<br />

J’aurais mieux fait de me taire…<br />

Big Mama a souri.<br />

C’est toute petite femme blonde en tailleur, un visage mince qui pourrait être<br />

celui d’une CEO 5 dans une banque privée suisse, le faciès d’une voleuse de<br />

concepts, d’une tueuse bien élevée. Elle n’élève jamais le ton. Glaçante. Je suis<br />

sûre que Merryl Strip a été son modèle dans le Diable s’habille en Prada ou un<br />

vieux truc de ce genre. On ne lui connaît aucun vice sexuel - elle branle régulièrement<br />

le Sarkodile, notre Président à vie - (jusqu’au tir réussi d’un snipeur 6 )<br />

et, au niveau de la rédaction, élimine toute concurrence avec une efficacité sans<br />

pareille. Elle disposerait - selon un bruit de coulisses - d’un circuit prévisionnel<br />

du type Prélavage qui lui permettrait de voir cinq minutes dans son propre avenir,<br />

ce qui est largement assez pour rester en selle. Je me suis souvenu comment<br />

elle avait éliminé Cannelle, la fille outsider, elle nous a fait voir les vidéos. Pas<br />

joli. Une fille démolie, c’est pas beau à voir. J’ai respiré à fond, cette tueuse, je<br />

ne sais pourquoi, me donnait une forte envie de me caresser (ce qui ne change<br />

pas beaucoup de mon ordinaire). Mais devant elle, c’était le genre de cadeau<br />

que pour rien au monde je ne lui aurais fait. Je me suis donc tue et j’ai attendu<br />

la suite.<br />

- Bien vu, Mélissa, a-t-elle fait, bien vu ! Vous êtes insupportable mais j’en<br />

ai vu d’autres et, de vous à moi, vous êtes la seule à avoir deviné la nature de la<br />

mission que j’ai le gland plaisir de vous confier.<br />

J’en fus glacée jusque dannne les zos 7 . D’une part ce mot pour une autre,<br />

“gland pour grand” était quelque chose de voulu. Big Mama est une planificatrice<br />

hors pair, son code personnel est SASU (Salope Suprême) mais les filles de<br />

l’équipe, entre elles, l’appellent BMW. Son “gland plaisir” ne pouvait être autre<br />

que celui de m’envoyer au casse-pipe. Dans le proche passé, avant les événements.<br />

Merde ! Heureusement, j’avais enfilé mon string fétiche et j’en sentis la<br />

délicieuse ficelle me pénétrer les parties intimes, c’était toujours ça que cette<br />

salope n’aurait pas. Je pris un air innocent.<br />

- Avant d’apprendre ce qui vous ferait plaisir, tentai-je, savez-vous que je n’ai<br />

pas passé les tests d’optimisation combative des battantes, hier ?<br />

Elle me lança un regard complice.<br />

5 CEO : Chief Executive Oficier, utilisé dans les banques qui comme nous vivent sous<br />

culture américaine. NdNawak<br />

6 Snipeur : ré-appropriation par le français d’un concept américain, y’avait aucune<br />

raison de laisser ça à ces emplumés partis en fumée (verte).<br />

7 Jusque dannne les zos : survivance de feu l’accent espagnol dans les E.U.E NdT. Voir<br />

aussi Jean Yanne et Ginette Garcin in Dans les bras de Jésus.<br />

12


- J’avais moi-même programmé votre échec, chère Mélissa. Je n’aurais pas<br />

aimé qu’une autre prenne votre place.<br />

Je détestai qu’elle me balance mon blaze à tout bout de champ. Dans sa petite<br />

bouche mesquine pédégée, ça sonnait comme “mélasse”, “réglisse” ou encore<br />

“boue dégueulasse sans avenir”, du délité, du pas frais. Quel dommage que <strong>Le</strong><br />

Sarkodile, notre Président à vie, ait supprimé les banques dès sa prise du pouvoir.<br />

Big Mama Wolwerine eut été parfaite à Genève, chez l’ours Julius, ou<br />

même à l’Union des Gangs Suisses. Elle interrompit ma réflexion et confirma<br />

mes appréhensions.<br />

- <strong>Le</strong> sujet est simple. On veut savoir, en haut lieu, ce que veulent les femmes.<br />

Vous me ferez votre meilleur papier là-dessus.<br />

- On pourrait décongeler Mel Gibson, suggérai-je avec une voix de petite fille,<br />

je suis prête à m’en charger.<br />

Elle ignora.<br />

- On veut connaître leurs préférences. Pas du bidouillé, du vrai.<br />

- Et, je, jeje, j’euh, claquai-je des dents, j’hhh…<br />

- C’est ça fit-elle. Vous comprenez vite. Vous partez dans une heure, Hannelore<br />

vous donnera tout ce dont vous pourrez avoir besoin. Voila ! C’est tout. Et<br />

maintenant si vous voulez bien passer dans son bureau ? Ce n’est pas que votre<br />

présence m’ennuie mais…<br />

Je connaissais la suite. Elle allait me dire que “l’heure tourne” et “qu’elle<br />

avait un job de loup-garou à Belleville” et finalement que si je ne bougeais pas<br />

mon joli popotin de là elle utiliserait le dévaloir, une horreur qui s’ouvre sous<br />

vos pieds et vous crache dans la street.<br />

Je me levai, digne. Après tout j’étais la gloire incontestée du PIED 8 , les médias<br />

étaient unananimes 9 sur ce point. BMW me traitait comme une conne, elle<br />

me filait ce qu’on appelle une nana mission, Je décidai de la traiter par le mépris.<br />

Avec un petit côté “Hi ! BMW, morue tu ris te saluda” 10 , dans mon latin approx<br />

et tentais ma dernière chance.<br />

- Pour quand le voulez-vous ?<br />

- Pour hier, vous partez dans le passé, vous aviez déjà oublié ?<br />

Elle éclata d’un rire grinçant et je me sentis tellement perdue que, machinalement,<br />

je me caressai les cuisses avec lenteur. Je ne tardai point à sentir ma<br />

fente s’humidifier délicieusement. Miam ! C’était la seule bonne chose de cette<br />

séquence.<br />

- Pas de ça ici, grogna cette salope. Là où vous allez c’est plein de mecs.<br />

8 Paysage Intellectuel Européen Définitif NdT<br />

9 U(nana) nime : politiquement correct après Evène.<br />

10 Salutation classique des gladiateurs à César : morituri te salutant<br />

13


Je savais ce qu’elle allait ajouter.<br />

- Ils ne pensent qu’à ça, lâcha-t-elle d’une voix hystérique, prise d’un rire incoercible.<br />

Il faudra peut-être les satisfaire… pour les besoins de l’enquête. Allez,<br />

du vent Mélissa !<br />

L’heure tournait.<br />

Mes fesses aussi car je me levai et me dirigeai vers le repaire d’Hannelore,<br />

une SACER (salope certifiée), qui exécute les basses œuvres de BMW. Nous<br />

aurons sans doute l’occasion d’en reparler.<br />

Si je survis à cette nana mission.<br />

14


En descendant Denfert<br />

Rencontre du deuxième type<br />

(Fugue)<br />

Comme je descendais Denfert 11 en direction d’Acapulco 12 , je n’entendis soudain<br />

plus le bruit de la circu. J’avais été prise dans un cône de silence par un petit<br />

vieux qui se présenta aussitôt.<br />

- Dieu, fit-il d’un air modeste.<br />

Il rangea son instrument et se crut obligé d’ajouter :<br />

- Ils m’avaient logé.<br />

Je Lui souris. Je connaissais comme tout le monde la traque théologique initiée<br />

par les Américains et menée à bien par les États-Unis d’Europe. 13<br />

- Mélissa, j’ai fait.<br />

J’étais très honorée de rencontrer mon Créateur, le Très Haut, celui qui avait<br />

été lâchement aspiré par les convecteurs à prière installés près de Lhassa ; le<br />

mouvement séparatiste himalayen avait fait des concessions pour cette opération,<br />

en échange du dernier Chinetoque impérialiste encore détenu sous cryogène.<br />

Bref, Dieu avait une histoire bien à lui et il avait été, à mon avis, le plus<br />

aimé, le plus trahi, et le plus chou des mecs, honni soit leur progesténom. Je lui<br />

balançai un sourire ravageur, c’était un vrai plaisir de rencontrer l’origine des<br />

mecs et - en confidence - je vous le dis sans me gêner, le moule est vraiment<br />

cassé ! Je décidai de m’investir dans cette rencontre providentielle, j’avais eu,<br />

tout de suite, un super-feeling.<br />

- On pourrait aller prendre un café ? j’ai fait, aussi respectueusement que j’ai<br />

pu, je ne voulais pas d’équivoque, on ne drague pas Dieu, même en exil et même<br />

pas Mélissa !<br />

- Euuuhh, fit-il en akkadien 14 , je préférerais qu’on aille chez moi, Mélissa.<br />

Comment diable (pardon…) savait-il mon nom ? Je m’abstins de lui poser la<br />

11 Comme je descendais des Fleuves impassibles,/ Je ne me sentis plus guidé par les<br />

haleurs : Ça sent la copie… NdT suspicieux.<br />

12 Cette étrange déclaration sera maladroitement expliquée par la suite… NdAcnf<br />

13 On sait que le gouvernement des États-Unis, quand le dollar tomba à 35 centimes<br />

suisses, émit un mandat d’arrêt contre Dieu pour donner à sa monnaie quelque répit et un peu<br />

de crédibilité. Personne toutefois ne s’accorde pour définir le Président ayant osé prendre une<br />

telle mesure, Bush, Obama ou Megan Fox ? NdE<br />

14 akkadien : lanague de la Mésopotamie (Babylone) j’avais écrit néohébreux mais akkadien<br />

c’est nettement plus classe, c’est Rachel qui le dit.<br />

15


question, je m’abstins également de lui dire “jamais la première fois”, et nous<br />

filîmes 15 loin des perspectives de Denfert, par un labyrinthe de ruelles croisées et<br />

minuscules que l’État Providence avait tenu à conserver, un coin habité exclusivement<br />

par des filles et des robots, cela va sans dire. Quelque chose me disait<br />

que mon nouvel ami divin savait tout de ma mission, il me le confirma.<br />

- Ça m’aurait fait tellement plaisir de venir avec toi, me dit-il d’un air presque<br />

timide. Tu ne peux pas savoir !<br />

- Oh ? Mais qu’à cela ne tienne, allons-y ensemble, m’écriai-je enchantée. Tu<br />

dois bien avoir un moyen de remonter le Temps ?<br />

- J’appelle ça le ruban O’ 16 , sourit-il, et c’est sacrément instable. Avant les<br />

événements je le surfais avec plaisir. Je connaissais tous ses détours d’où la cote<br />

que j’avais auprès des humains. Mais je crains de m’être rouillé… Toi tu vas<br />

simplement te faire aspirer et recracher par un circuit, ce doit être plus facile,<br />

j’imagine.<br />

Dieu avait sérieusement besoin d’un upgrade.<br />

<strong>Le</strong>s chrono-dégueuleurssont la pire des choses au monde. Je le savais par<br />

une copine qui avait dû passer par eux et ne s’en était jamais vraiment remise.<br />

De plus, mon nom de code, établi par SASU, était Alter. Ce qui signifie temps<br />

alternatif et altéré, un pied dans le passé et l’autre dans la tombe, enfin… dans ce<br />

présent. J’allais sans nul doute être disloquée, dyslexique, disignifiante, dispersée<br />

aux quatre vents et autres dysfonctions.<br />

Je m’apprêtais à en informer mon compagnon quand je réalisai les intentions<br />

du robot garçon de café qui se pointait vers nous. Ça ne fait pas très féminin de<br />

hurler “Freeeeeeeze”, surtout quand on est si bien accompagnée, mais c’est ce<br />

que je fis tout en m’escrimant à extirper mon couteau suisse de la poche fessière<br />

de mon microshort. Je ne voudrais pas amasser ici des parenthèses nuisant à<br />

l’action dont vous êtes tous si friands, mais le micro short présente plus de plaisirs<br />

que de désavantages. Il laisse dépasser la ficelle de mon string et ça, c’est<br />

jouissif, il est tellement serré qu’il me fait quasiment jouir quand je marche<br />

d’une certaine façon mais, dans le cas présent il me gênait sérieusement pour extirper<br />

ce couteau helvète doté de cinquante mégawatts en stock, laser, taser, onde<br />

de choc modulable, hymne national et synthèse de maquillant démaquillant avec<br />

code labial. Pas résolue à mourir avant de connaître la suite de cette histoire, je<br />

me contentai de filer une magistrale patade 17 à ce tas de circuits mal embouché.<br />

15 Plus joli… Plus filiforme, mince, élégant. NdA<br />

16 Ruban O’ (voir l’été Jolene du même auteur) : la rivière du Temps. NdE<br />

17 Patade, franpagnol : coup de pied, ruade<br />

16


Mon talon de 12 cm perça sa coque avec un son strident.<br />

- Na ! ponctuai-je (c’est mon côté spontané).<br />

- Pas mal, fit Dieu, tu as étudié les films de ce Belge 18 qui parlait anglais tout<br />

le temps ?<br />

- ReNa ! refis-je en achevant la chose à coups répétés de talon et en le passant<br />

au champ électromagnétique de mon ami suisse finalement dégagé, non mon<br />

Pote, on ne s’élève pas à mon niveau dans la rédac de BMW sans savoir se battre.<br />

Mais je ne m’étais pas aperçue que l’amas de ferraille circuitée se reconstituait<br />

rapidement, développait un bras en forme de sabre et fendait l’air pour<br />

porter, à la plus fatale des filles le plus fatal des coups. Tant pis, eus-je le temps<br />

de philosopher avant l’impact, c’était bien, j’étais bien, une belle fille certes<br />

sous-exploitée mais bourrée de charme et de ressources. Adieu monde cruel, je<br />

laisse potentiellement veuf une meute de princes et princesses charmantes qui ne<br />

me connaissent pas encore mais me désirent follement. Que de beaux mecs et de<br />

superbes filles qui n’auront pas joui avec moi, c’est trop con ! Je…<br />

Je m’aperçus que j’étais entière, rien de déchiré, pas d’abattis de Mélissa ornant<br />

les réverbères d’époque ou les chaises de néopalme blanc éparses aux terrasses,<br />

le monde était flou autour de nous, les sons tamisés et le robot filait,<br />

désarticulé, vers Denfert et ses perspectives.<br />

Dieu toussota.<br />

- Je ne dispose plus des pouvoirs qu’on me prêtait dans la Bible, me confia-til,<br />

mais je suis tout à fait capable d’améliorer certains de vos petits gadgets. Ce<br />

cône de silence est utile pour s’isoler du bruit social, je l’ai un peu bricolé pour<br />

en faire un cône d’improbabilité temporaire.<br />

J’en étais baboume.<br />

- En fait, poursuivit-il, en dehors de notre petit cône, les autres ne nous voient<br />

plus pendant quelques minutes. Rien qu’un petit tremblement, un zeste de<br />

mirage.<br />

Je connaissais ça, la fameuse stealth technique. Ça avait marché pour annuler<br />

les échos radars mais sur le plan de l’image personne n’avait obtenu de résultats<br />

convaincants, un certain Predator mis à part. Simuler le proche environnement<br />

pour effacer son image restait un foutu défi. Pour Dieu, évidemment, c’était<br />

probablement de la routine. Vous savez quoi ? Ce type me plaisait terriblement,<br />

je me sentis toute chaude. Je ne sais comment des phrases me traversèrent, je<br />

vous les note :<br />

18 Il n’y a que Lui pour se souvenir de films aussi ringards<br />

17


J’étais, insoucieuse de tous les équipages, porteurs<br />

de blé en cash ou de minis anglaises, quand -<br />

avec mes chaleurs - s’arrêtèrent ces tapages,<br />

les fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.<br />

Aucune idée du sens, mais ça sonnait comme une aventure.<br />

Je me sentis impatiente d’arriver chez Dieu, ce type je l’aimais, je le voulais<br />

et pas question pour moi de porter la silice ou de me faire martyriser pour lui appartenir,<br />

j’allais le prendre, comme font les femmes actuelles. Euhh, entre vous<br />

et moi, elles ont toujours su comment s’y prendre.<br />

Mais rien ne se passa comme prévu.<br />

- Il me semble que quelqu’un a sérieusement l’intention de s’opposer à ta mission,<br />

fit mon compagnon. Faisons demi-tour, il y aura moins de risque sur Denfert,<br />

il y passe trop de monde. On descendra cette avenue et après on marchera<br />

vers Picadilly ou Paseo de La Reforma, on verra bien ou le vent nous mène.<br />

Je me suis creusé la cabeza pour trouver un punch line, quelque chose qui<br />

termine ce chapitre et le relance vers la suite. J’avais hâte d’en savoir plus et<br />

de passer à la page suivante. Mais - malgré ma détestable habitude de mettre en<br />

abyme - rien ne me vint. Rien d’autre que le regard bleu tendre et farceur de mon<br />

compagnon. J’étais ravie, notez.<br />

C’est pas tout les jours qu’une fille va tenter de sauter son Créateur !<br />

18


Imprécis de géographie urbaine<br />

(Incise)<br />

Personne ne s’étonne de voir l’ancienne place Denfert-Rochereau promue à<br />

l’interminable dignité de Champs Zéliséens et, selon les périodes 19 de notre futé<br />

monarque, Sarkodile premier du nom, déboucher sur Copacabana, Barfüsser<br />

Platz ou Los Insurgentes, juste après Madison square. Je vais vous simplifier<br />

les choses : ici personne ne s’étonne parce que personne ne connaît la bonne géo<br />

d’ALEVE (d’avant les événements, on dit aussi couramment Evène).<br />

Depuis le théorème de deux chercheurs belges, Van Meenem et El Habdèrozob<br />

20 , deux mecs rusés, il était devenu pensable de provoquer des glissements<br />

topologiques 21 stables pour une durée limitée.<br />

Vous n’avez rien pigé ?<br />

Normal, vous êtes cons, mais je vais vous arranger ça.<br />

Vous adorez mettre votre cuisine en ordre. C’est déjà chiant, mais vous<br />

voyez bien que, quand passe la femme de ménage, la copine ou la famille, à<br />

votre ordre se substitue un autre ordre que vous nommez désordre. C’est, en<br />

gros, la loi des fluides bordéliques lents. Van Meenem qui était un maniaque<br />

de l’ordre et qui avait été traumatisé sexuellement par une fille de ménage<br />

exhibitionniste, s’était consolé en observant la tendance des “lieux” ou<br />

“topes” à se stabiliser et à se reproduire avec invariance, ordre et dignité. La<br />

Seine et le Rhône semblaient couler depuis longtemps au même endroit. Ça<br />

le consolait de la proximité des salopes instables qui exhibent leur entrecuisse<br />

à tout un chacun, et, accessoirement, de sa cuisine jamais impeccable.<br />

<strong>Le</strong>s femmes n’ont jamais saisi que les mecs frustrés, qui ne trouvent en elles rien<br />

qui ressemble aux trésors du féminin tels qu’ils existent, gravés aux niveaux les<br />

plus profonds de leurs codes masculins, n’ont jamais saisi qu’ils se rabattent sur<br />

de petites satisfactions, des trésors quotidiens, d’éphémères miracles tels qu’une<br />

cuisine en ordre ou même une légion d’honneur. Van Meenem con-pensait<br />

comme il pouvait.<br />

19 Au sens menstrueux NdT<br />

20 Un foutu bougnoule, pas le talent de Gad, pas bien marié comme Dj’ammel et plus<br />

menteur que Ramadan… NdA<br />

21 La topologie est une branche des mathématiques concernant l’étude des déformations<br />

spatiales par des transformations continues (sans arrachages ni recollement des structures).<br />

19


Ils firent un voyage en Suisse. El Habdèrozob pour y déposer les économies<br />

de Van Meenem, lequel fut extrêmement frappé de l’invariance helvète. Il constata<br />

que les Helvètes disposaient d’invariances topologiques naturelles et que ce<br />

pays résistait remarquablement aux turbulences et autres vortex. Il avait résisté à<br />

la sottise de son gouvernement et aux violences d’un petit voyou libyen, il avait<br />

ignoré les pamphlets de petits scribouillards en mal de visibilité, les ministres<br />

de Bruxelles et abrité Polanski à sa façon, ses banques avaient anticipé l’attaque<br />

des trusts anglo saxon sept ans à l’avance, il était stable jusqu’à l’infâme mais il<br />

y avait mieux, comme ce Mont Blanc (dont la base était hélas en France, je tiens<br />

à le préciser) et ce lac dit de Genève, 22 topes qui restèrent en place, même quand<br />

les courants et vents les plus violents dévastèrent la planète. Il réalisa qu’il était<br />

en présence de ce que le regretté Thom 23 nommait “puits de potentiel”, soit la<br />

tendance d’un objet à ne pas changer de “tope”, comme s’il était piégé dans un<br />

« puits » duquel il a potentiellement des difficultés à sortir.<br />

El Habdèrozob qui était un homme grossier, caractériel, con, vénal, vicieux,<br />

laid, infatué, botteur en touche, menteur maladif, suspicieux, colérique, brouillon<br />

mais astucieux, paranoïaque, fourbe, prokrastinateur, intéressé, faux-jeton,<br />

refoulé, susceptible, vulgaire et éjaculateur précox 24 - il eut vendu sa mère pour<br />

une stock-option ou un sesterce - griffonna en hâte quelques lignes de code sur la<br />

question et eut le culot de les publier, histoire de se faire un peu de fric, substitut<br />

chez lui de l’amour passion. Malgré l’aspect bâclé de la rédaction, les taches<br />

de graisse visibles sur l’INTOUCH (Internet touch) et les innombrables fautes<br />

d’orthographe, le contenu attira l’attention des Américains d’alors et d’Outre<br />

Atlantique.<br />

Qui leur adressèrent la proposition suivante : six mois à Santa Barbara, à<br />

l’UCSB 25 ou cinq ans de taule ferme dans une prison fédérale avec, en prime,<br />

une amende de 299’999.99 $, ce qui était le tarif appliqué aux copieurs de DVD<br />

à l’époque. Ils n’hésitèrent pas une seconde. El Habdèrozob pour le fric qu’il<br />

pensait en tirer et Van Meenem parce qu’il s’imaginait trouver sur place une<br />

cuisine toujours propre et des filles convenablement vêtues. Van Meenem était<br />

encore puceau, il en souffrait, mais en silence.<br />

L’union, au pays de l’Oncle Sam, d’un paranoïaque et d’un sadique annal<br />

22 Ce qui irrite fort les issus de Veau et d’oie… NdEsarc<br />

23 Auteur de Stabilité structurelle et morphogenèse, ouvrage présentant la Théorie des<br />

catastrophes, ce qui ne peut que nous plaire. NdAencht<br />

24 Il me semble que l’auteur n’aime pas ce type… NdEsuspcx<br />

25 (Université de Californie à Santa Barbara)<br />

20


permit à la TEUCLITOP 26 de voir le jour. Que disait-elle ?<br />

1) Que la planète est par nature instable et qu’elle favorise les glissements des<br />

topes.<br />

2) Que les topes les plus vulnérables sont les métropoles en raison du potentiel<br />

de désordre qui s’y concentre.<br />

3) Qu’il existe une loi d’équivalence réversible entre la disposition ordonnée<br />

d’un tope et le taux de chaos concentré dans ce tope.<br />

4) Que ce qui précède implique la possibilité de moduler des puits de potentiel<br />

à partir d’une constante restant à découvrir.<br />

<strong>Le</strong>s Américains grognèrent. La TEUCLITOP était géniale mais inutilisable.<br />

Manquait la constante…<br />

Paniqué, El Habdèrozob parvint à s’enfuir en emportant la carte de crédit de<br />

son collègue et le sac de la femme de ménage, une Américaine avec de longues<br />

jambes. <strong>Le</strong>s petites causes ont de grands effets. Privée de son sac, la femme de<br />

ménage le fut également de sa culotte. Et Van Meenem le puceau découvrit finalement<br />

la constante qui lui manquait. La constante Q. Un premier essai eut lieu<br />

à Santa Barbara, lors duquel on permuta les emplacements d’un casino et d’un<br />

bordel. Ce fut un jeu d’enfant, la constante Q y étant en chaque cas à son niveau<br />

optimal. Personne ne fut surpris ni blessé, tout se spermuta en douceur comme<br />

si les topes ne demandaient qu’à échanger leur propre stabilité. L’ordre était<br />

préservé mais pas la disposition topologique originale. <strong>Le</strong>s Américains purent<br />

constater que ceux qui étaient entrés au Casino sortaient du bordel (la belle<br />

affaire !) et créèrent sans tarder une TSTX 27 dotée d’un budget d’autant plus<br />

confortable qu’il provenait en ligne droite des planches à billets de la réserve<br />

dite fédérale. 28<br />

Van Meenem jeta ses notes aux quatre vents et se concentra sur sa femme de<br />

ménage qui, très naturellement, devint une fille américaine standard en shorts,<br />

frigide mais terriblement bandante. 29 L’écart entre sa queue douloureuse constamment<br />

sollicitée par la fille arboreuse de signes et la brièveté de ses orgasmes<br />

26 ThEorie Unifiée des CLIvages TOPologiques<br />

27 Top Secret Teuclitop Xperiment<br />

28 Euhhh la réserve américaine fait des râles aussi mais elle finira immanquablement par<br />

se dégoter un nouveau GreenSpam NdAprplx<br />

29 Cette contradiction quintessentielle fera l’objet de nombreux développements en cet<br />

ouvrage, du moins nous l’espérons car comment admettre que ce qui n’est pas désirable, artificiel<br />

et frigide soit bandant ??? NdAapnprplx<br />

21


lui permit de concevoir la OULALA, (Objet Universel de LAtence LAbile),<br />

science qui soit dit en passant va fonder le présent ouvrage, mais il ne le sut<br />

jamais car, dans l’éclipse d’un orgasme, au zénith de sa pratique, au nadir de ses<br />

réserves, par la faute des longues jambes (que le philosophe Nietzsche avait déjà<br />

dénoncées), son cœur lâcha et il mourut agréablement comme Félix 30 . <strong>Le</strong>s filles<br />

de ce temps, même américaines, servaient malgré tout à quelque chose.<br />

Washington, de son côté, avait de grands plans pour TEUCLITOP classé secret<br />

défense depuis le début. Imaginez-vous la possibilité de faire glisser de nuit un<br />

camp de terroristes aux côtés d’une base de l’armée américaine ? Un sacré réveil<br />

pour les barbus ! Du médiéval. Plus besoin, pour les braves soldats de l’armée<br />

du Bien de se déplacer pour aller casser du bougnoule ! Ils triompheraient aisément<br />

et la pax americana serait enfin garantie, avec des rendements MADOFF 31<br />

de 18 %.<br />

Ça ne marcha pas, l’armée et les terroristes manquaient totalement<br />

d’imprévisible. C’était contraire à la troisième loi qui exigeait l’opposition de<br />

deux énergies totalement contraires et suffisamment aléatoires.<br />

Sur quoi les événements entamèrent leur ronde autour du monde et TEUCLI-<br />

TOP fut oublié.<br />

Sauf par <strong>Le</strong> Sarkodile, notre monarque inspiré à la mâchoire crispée qui la<br />

déterra et fit remodeler ici et là des espaces urbains. C’est pourquoi Denfert a<br />

quitté Rochereau et débouche, ce jour, sur des géométries bâloises, indiennes,<br />

diverses et même mexicaines. C’est pratique.<br />

Pour les tacos.<br />

30 Pas le chat, le Président. Si Carla avait du talent…<br />

31 Madoff : Mutual Assured Destruction OF Funds<br />

22


Que faire avant de mourir ?<br />

(Bavardages de Mélissa…)<br />

En me disant j’ai jöui, je jöui encore.<br />

Rousseau, in Art de jouir<br />

J’en étais là de mes souvenirs de prépa 32 quand je m’aperçus que Dieu avait<br />

disparu. Merde ! Une si bonne onde ! 33 Je trouvai toutefois un petit GlueIt, chastement<br />

collé à mes shorts, m’indiquant laconiquement “Phone, BBS 34 ”.<br />

Ça me réchauffa le cœur, j’allais <strong>Le</strong> revoir et mener à bien la plus grande<br />

opération de séduction de Mélissa. (Quand je suis émue je parle de moi à la<br />

troisième personne, comme Charles la Gaule et Aline Delone… 35 ) Il avait également<br />

griffonné quelque chose d’illisible qui ressemblait à<br />

J’étais, insoucieux de tous les équipages,<br />

Porteur de brut arabe ou de stocks options.<br />

Quand avec les traders ont fini ces tapages,<br />

<strong>Le</strong>s Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.<br />

Dans les clapotements furieux des églises<br />

Moi, l’autre hiver, plus sourd que<br />

les cerveaux d’enfants, je courus !<br />

Et les Péninsules démarrées n’ont<br />

pas subi tohu-bohu plus triomphants.<br />

Je n’avais aucune idée des Péninsules auxquelles il faisait allusion, pensai<br />

un instant qu’il s’agissait de la contraction de pénis et de capsule, ce qui manquait<br />

de sens et d’attrait et notai mentalement de refiler cette patate chaude à<br />

Hannelore qui serait assez conne pour tenter d’en déchiffrer le contenu. Il ne<br />

me restait plus que quinze minutes en temps BIO avant les chrono-dégeuleurs.<br />

C’était… comment dire ? Médiéval !<br />

Je me sentis si seule et sans défense que, machinalement, je me caressai les<br />

32 Prépa : équivalent d’école secondaire, collège.<br />

33 Du mexicain : buena onda, se dit de quelqu’un de très sympathique.<br />

34 Be Back Soon, langage venu de l’ère telex.Equivalent probable de J’ai un appel téléphonique,<br />

je reviens de suite, dans la mesure improbable où Dieu s’exprimerait en américain…<br />

NdTeffa<br />

35 Mélissa vit dans un monde où le féminin domine à 114 %. NdEexc.<br />

23


cuisses avec lenteur. Ça me fit moins d’effet que dans le bureau de ma patronne car<br />

une question me hantait : que fait une noble vierge avant de mourir ? Comme ces<br />

quinze minutes allaient se montrer à la fois fugaces et interminables, je récupérai<br />

mon FemmeTouch 36 dernier modèle, procédai de l’index et de l’annulaire à un<br />

élargissement de la durée locale et, dans cette allée ralentie du féminin 37 , me mis<br />

à passer en revue les choses à faire. Avant de mourir.<br />

Se mettre en valeur me parut essentiel. Jouir ? Oui, mais en fait je ne faisais<br />

que ça. Une bouffe ? Médiéval ! Papoter ? Ça oui, mais là où j’allais, je n’avais<br />

que des copines potentielles dont la conversation n’était pas garantie. Il me<br />

restait l’option de la séduction, manque de pot, depuis quelques minutes j’étais<br />

en mains. Avec Dieu. Il ne le savait pas mais j’allais le lui faire réaliser…<br />

BMW était une grosse conne 38 . Elle me demandait de ressasser des évidences,<br />

d’enfoncer des portes toutes vertes. Ce que veulent les femmes ? Nous le savions<br />

toutes. Plaire. Se faire belles. S’aimer dans un miroir, une vitrine, une flaque<br />

d’eau, le regard des autres. Changer et se transformer. Être et renaître. Créer du<br />

désir et n’en distribuer que de la frustration. Nous sommes toutes des perverses<br />

polymorphes et, sur ce plan-là, nous battons les enfants à plate couture. Je parvins<br />

au terminal Jack Shadow (c’est qui çui-là ?) et me hâtai vers les boutiques.<br />

Depuis que <strong>Le</strong> Sarkodile a supprimé les marques et envoyé leurs propriétaires<br />

aux mines de décon 39 , tout est plus simple et agréable. Chaque fille fait sa boutique<br />

à partir d’un paramétrage simplissime. En trois clics je me dizaènai 40 une arcade<br />

de cinq enseignes, avec une piste centrale de défilé et quelques lounges. J’optai<br />

pour un public composé de jolies filles (mais moins que moi), de mecs tartes<br />

mais déco, des journalistes à ma botte et d’un petit 15 % de random, l’imprévu<br />

écartant en principe les platitudes habituelles. J’y ajoutai sept stylistes connus<br />

- dont un Lagerpfeuld standard monté sur un petit vélo enculeur - et quelques<br />

tops models rigolos du XXI siècle qui se déplaçaient au pas de l’oie et à la<br />

Verlaine. 41<br />

<strong>Le</strong>s SIMS prirent vie et mon arrivée sur le podium fut couronnée d’un franc<br />

succès. <strong>Le</strong>s gens adorent Mélissa et je les comprends, je suis une icône. Avant<br />

36 Female Mobile Electronic Touch. L’Iphone, l’Ipod et l’Ipad en furent les précurseurs<br />

maladroits, totalement dénués de sensualité.<br />

37 <strong>Le</strong>s mecs sont incapables de faire ça… NdMlssa<br />

38 Quand une femme dit ça d’une autre c’est soit plaisant sur le mode léger soit très très<br />

grave et fâché. Cf Wolinski in Enfin des vrais hommes ! 1994.<br />

39 Recyclage des transuraniens NdT<br />

40 Euhhh… Mélissa veut certainement dire je me désignai (franglais) NdT<br />

41 Sur cette piste solitaire et glacée deux filles sont tout à l’heure passées NdT<br />

24


de faire mon entrée j’avais beaucoup pensé à mon nouveau copain, le nommé<br />

Dieu. Un mec vieux 42 qui a entre deux mille ans, et quinze milliards d’années<br />

(à la louche), ça ne se trouve pas sous une merde de canasson. Cette évocation<br />

m’avait excitée à tel point qu’ils ont tous dû le sentir. J’ai marché devant cette<br />

foule béate et mon string faisait bien son boulot. Pour le reste je dois vous préciser<br />

que je ne porte jamais de créations dévalorisantes. <strong>Le</strong>s petites pédales qui<br />

ont fait la mode d’ALEVE avaient pour objectif de ramener les filles au masculin<br />

efféminé. C’étaient des cons mais leur idée n’était pas totalement sotte. <strong>Le</strong>s<br />

mecs sont des périphériques, nous sommes des bases. Pas besoin d’être sorcier<br />

pour établir une foule de combinaisons délirantes à partir de ces deux axiomes.<br />

L’ennui est que ces imbéciles de stylistes, englués dans leur vanité, leur cupidité<br />

et leur sexualité banalissime n’ont réalisé aucune alchimie, aucun destin des<br />

genres et qu’ils ont enlaidi les filles. Tout a changé. La dogma actuelle dont je<br />

suis la représentante la plus écoutée - raison pour laquelle BMW ne m’a pas<br />

encore virée - est la suivante : la femme paraît, le styliste est à sa botte. Que ceci<br />

reste clair.<br />

J’avais choisi pour mes essayages une ambiance softwave vintage avec des<br />

atmosphères lentes et une basse discontinue mais pulsionnelle et obsédante. J’ai<br />

éliminé la quasi-totalité des vêtements proposés. Il fallait mettre en valeur mes<br />

jambes longues et superbes, mes épaules sportives, mes mini-seins coquins et<br />

la beauté de ma chevelure. Tout ça avec une simplicité majeure, l’air de dire :<br />

c’est moi, je suis naturellement comme ça, vous ne m’égalerez jamais mais je<br />

déverse du rêve dans vos tronches. <strong>Le</strong> reste je m’en chargeais, avec mon seul<br />

sourire. Vous n’imaginez pas ce que les stylistes, même si nous les punissons<br />

sévèrement, peuvent encore nous faire chier ! Une mode doit simplement être<br />

sexe ou ne pas être. De plus, l’inventique dans le monde des couturiers est l’une<br />

des plus pauvres du monde, au service de l’objet le plus riche qui soit, moi, en<br />

ce cas. Dans une société où toutes les filles peuvent reprogrammer leur ADN<br />

aux frais de la SEC-CUL il leur faut un petit plus qui, en général leur fait défaut.<br />

Moi, je l’ai. C’est la fréquence Mélissa. Un mélange d’impertinence, de culture,<br />

d’imagination sexuelle et de moquerie dans un corps subjonctif, plus que parfait<br />

en tous les cas. Je sais, depuis l’enfance, ce que veulent les gens, ça m’a servi à<br />

me définir.<br />

Cela dit, la liste des âneries des stylistes est infinie. <strong>Le</strong>s recettes sont à la portée<br />

de toutes : choisir du simple et de l’efficace, éliminer les chapeaux et bonnets<br />

ridicules, résister aux pantalons larges comme aux robes volantées, chasser le<br />

42 Pendus par les couilles, masturbés avec des glaçons, obligés d’honorer des femmes<br />

(des vraies) et le pire, condamnés à lire mes œuvres complètes… NdArglrd<br />

25


frou-frou, éliminer le romanti-gothique et les vêtements bouffants qui nous donnent<br />

l’air de clowns, vous pouvez compléter. Dès qu’une fille est dite sophistiquée<br />

elle est moche. <strong>Le</strong> style militaire a fait son temps, nous n’avons pas besoin<br />

d’une mode garçonne pour des filles qui ont pleinement assumé leur côté mec.<br />

La jupe reste évidemment fondamentale. <strong>Le</strong>s hommes ont tellement fantasmé<br />

sur elle qu’elle dispose de son propre puits de potentiel. La mini et la micro<br />

sont des must mais il ne faut jamais habituer son entourage à un seul aspect.<br />

Jupe longue éventuellement, à condition qu’elle soit moulante et laisse exploser<br />

un attrait supérieur, seins, épaules ou dos nus. Entravée, chiante à porter mais<br />

efficace sur les mecs qui se retrouveront vite entravés d’une autre manière. <strong>Le</strong><br />

sexy strict est une tendance qui a survécu sans doute parce qu’elle rappelle à nos<br />

partenaires de quoi nous sommes capables. Moi, je suis assez cuir black ajusté<br />

mais je n’en abuse pas. <strong>Le</strong> maître mot c’est cacher, faire deviner, exposer sournoisement<br />

et ça, on le savait de tout temps.<br />

Je terminais mon cinquième passage en pantalons de cuir ultra-moulants, blazer<br />

jeté sur un débardeur noir et escarpins à brides quand je sentis une sorte de vibration<br />

se produire près de mon sexe. C’était mon FemmeTouch qui m’avertissait<br />

de la fin imminente de mon élargissement temporel. Merde ! Je commençais à<br />

me sentir bien, avec un peu de chance j’allais me donner un orgasme de niveau<br />

2 sur l’échelle de Vésuve et tout foirait !<br />

Jamais le temps de profiter de soi dans ce monde de merde, je n’étais plus<br />

qu’une pauvre fille, promise aux chrono-dégeuleurs. Je me promis de faire payer<br />

ça très cher à BMW.<br />

Sur quoi je me retrouvai dans une salle d’attente impersonnelle, face à de<br />

longs tubes à l’air vide. Personne ne semblait s’intéresser à moi et à mes vêtements<br />

super-sexe. Un petit vent froid qui passait par là me fit frissonner.<br />

J’ai regretté la mode doudoune…<br />

26


Retour vers d’ALEVE<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa, II)<br />

La Femme, comme nous le savons 43 , n’existe pas mais, en<br />

1969, Lacan ne l’a pas encore formulé((!)), elle reste pour<br />

lui proche de La Femme de Freud, au point où ce dernier<br />

jette l’éponge : un X, une inconnue, celle dont on ne sait<br />

pas ce qu’elle veut, plus : dont ne sait pas ce qu’elle est,<br />

et même dont, déjà, il évoque l’éventualité que, comme<br />

le Dieu de Pascal, elle ne soit pas {{{}}} Raison pour<br />

laquelle il faudra à un Don Juan, les prendre une par une<br />

et les jeter tout aussitôt parce que ça n’est pas ça. {{{}}}<br />

In Publications de L’Association lacanienne internationale<br />

(ALI) association reconnue d’utilité publique…<br />

Ma capacité phénoménale de jouir de tout et de rien me facilita les choses.<br />

Je me trimballais entre les cuisses une chaleur agréable, ça me tenait compagnie.<br />

Ça me permit aussi d’ignorer le sourire mielleux du petit con de service<br />

qui, dans les bureaux, me délivra un badge. Un aller simplet ? plaisanta-t-il en<br />

exhibant des dents cariées, je me souviens à peine de ce fauteuil top chic d’où<br />

sortirent des pinces et des menottes qui m’encerclèrent prestement, (j’étais à<br />

proprement parler dans les fers, les enfers…). Après il y eut ce piston de la taille<br />

d’une brontonana qui s’agitait dans un liquide glauque et les décharges sèches<br />

des cons danseurs de Faraday… <strong>Le</strong>s phrases qui revinrent me traverser comme<br />

des épées incandescentes à la charge charriaient de nouveaux sens :<br />

la tempête a béni mes éveils maritimes,<br />

plus légère qu’un bouchon j’ai dansé sur ces<br />

flots qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,<br />

dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots.<br />

Si être sucée dans un tube phallique agité de vagues glauques peut se nommer<br />

éveils maritimes je tenais le cap. J’ai donc dansé, dix nuits ou beaucoup plus,<br />

dansé avec moi, je me palpais les fesses et les trouvais parfaites, même sous<br />

l’œil niais des falots.<br />

43 Accompagnant Mélissa dans son premier voyage temporel l’Auteur n’a pu résister à<br />

citer si notable source sur “ce que veulent les femmes”. Plus con tu meurs : NdEpufd’ccd<br />

27


Ça, c’est pour le décor de base. Car rapidement je me résumai à une trajectoire<br />

qui me rappela un peu les anciens jeux d’arcade. Je heurtais des champignons<br />

lumineux et j’ai dû faire tilt avec une masse d’inconnus selon ce flippant flipper.<br />

Ce que je voyais ou croyais voir n’avait aucune logique. C’était le produit de<br />

toutes les logiques et pas du tout séquentiel. <strong>Le</strong>s chrono-dégueuleurssont une<br />

invention aberrante et c’est sans doute ce qu’il faut pour parvenir à briser des<br />

briques homogènes de temps. On dit que leur inventeur, après avoir saisi la portée<br />

de ses équations, s’est suicidé au chocolat : il a de la chance, moi je l’aurais<br />

terminé à la petite cuillère, lentement, avec délectation.<br />

Je tombais comme une démone - ce que je suis quelquefois - dans le noir des<br />

temps d’espace, chassée, éjectée par une SS (Salope Supérieure) qui passait par<br />

là dans ma carrière et qui avait fait du zèle - je tombais vers la pire des agonies :<br />

une autre naissance - loin de Denfert et de mon nouveau copain, il me fallait<br />

absolument renverser la vapeur.<br />

- Volver, volver… me dis-je in petto (et en espagnol). J’ai totalement oublié<br />

de vous dire que, malgré mon nom inclassable (Mélissa, à part Métisse d’Ibiza,<br />

c’est canadien, français, vénézuélien, sénégalais et autres, tout juste pas chinetoque)<br />

je suis une Espagnole bon teint, une Madrilène, et que ma langue maternelle,<br />

dans les grands moments, me revient en bouche. Nous autres les Ibériques<br />

adorons l’idée de mourir car si nous venions à manquer d’aléa, d’entropie et de<br />

catastrophe, nos vies ne seraient que ce long fleuve tranquille au cours prévisible<br />

dont l’idée même nous effraie. Il fallait que je revienne vite à la seule identité<br />

que je me sache véritablement, Mélissa, la fille la plus sexy à l’Ouest de Denfert,<br />

une situation enviable, vous en conviendrez.<br />

Mes copines, soit dit en tombant, étaient toutes là. Spectatrices de mon<br />

déchoir, chacune, venue de sa dimension, apparurent dans des fenêtres jaillies<br />

de ce rien d’espace. Plop ! Un autre window ! Je les considérai, sans pouvoir<br />

ralentir ma chute, ces salopes qui me savaient et me souriaient, entités lucarnes<br />

dans l’espace. Elles étaient venues contempler ma dérive des mondes, s’en divertissant<br />

fort, Hannelore bien sûr mais Cannelle aussi et surtout celle dont je<br />

n’ai pas eu le temps de vous parler, Plurabelle, ma plus grande rivale. Je les vis<br />

se tordre de rire en me voyant, sur la route d’ALEVE, en chemin vers EVÈNE,<br />

chuter loin de Denfert et rajuster mon pantalon de cuir ultra-moulant tout en<br />

tentant de conserver un débardeur qui avait des envies de voilure, ces femmes ne<br />

témoignent jamais de compassion à leurs congénères, elles ne sont douées que<br />

pour la résorption des mâles, la dilatation de leurs corps caverneux et le rire.<br />

- Mujeres, guapas amigas, compañeras, leur dis-je du Nada - et mes mots<br />

28


s’éparpillèrent là comme des cartes dérivantes, gemmes éclatées aux couleurs<br />

impossibles vite résorbées par la bouche noire environnante, Vosotras, galerie<br />

de jambes superbes, racines élégantes poussées de la Terre, démarches que je<br />

sais ineffablement conquérantes, rondeurs et galbes délicieux que j’ai flattés et<br />

mordu avec si subtile retenue, mes douceurs, ô mon tas de pommes bourré de<br />

science, mes sucres, mes aridités, mes déserts, n’en est-il pas une d’entre vous<br />

pour me tendre sa main et me tirer de là ?<br />

- Reviens si tu peux ! chantonnèrent-elles en chœur sur l’air de Volver, volver,<br />

sur quoi elles éclatèrent d’un rire qui m’eut fait frissonner de plaisir n’eut été<br />

cette maudite chute, l’une dans ses étages de gorge, l’autre dans sa cascade de<br />

sourires cristallins, celle-là en douceur équivoque, chacune me balançant avec<br />

son rire un petit poème vivace qui me poignarda un peu.<br />

Elles desvanècèrent 44 , selon divers sortilèges qui ne se répètent jamais et sont<br />

imparables ; Cannelle se drapant dans un grand point d’interrogation diamanté,<br />

Hannelore qui coupa la lumière, claqua sèchement la porte d’une dimension la<br />

verrouillant avec prestesse - non sans laisser traîner dans l’obscurité son sourire<br />

énigmatique - Plurabelle avec foudre et éclairs. J’étais devenue leur sacrifice<br />

du jour, une pente me menait à mourir pour les divertir. J’vous jure ! Vers la fin<br />

de cette histoire je serais peut-être une saumone anémone remontant vers les<br />

altitudes, guidée par une force irrésistible, mais patience car, s’il m’est donné<br />

de pouvoir conter cette histoire, je ne puis, à l’image des énergies qui tournent<br />

autour du grand Arbre, être très cohérente. J’ai effectivement vu le Grand Arbre<br />

et c’est de lui que nous nous sortons toutes. Chacune d’entre nous en est le<br />

tout et la partie. C’est en lui que nous nous réunissons, singulières et plurielles.<br />

Nous en sommes les racines et le corps jusqu’aux branches. Quand nous entrons<br />

en union, il nous confère notre puissance, nos sillages, notre faculté de faire<br />

marcher et jouir et rêver…<br />

Je cause, je cause, c’est tout ce que je sais faire ! J’ai totalement oublié de<br />

vous dire que du coin de l’œil j’ai vu passer, à la dérive, une grande catastrophe<br />

de sang, de flammes et d’eaux révoltées. Un tel mélange de planète et de chairs<br />

vivantes ne se décrit pas. Heureusement je n’y ai pas trop prêté attention, tout<br />

occupée à pondre ces notes, qu’avec un peu de chance je pourrais caser dans un<br />

périodique minable du genre de DDT (DestinDeTerrienne) ou - qui sait - dans le<br />

supplément Zoodiacal de BMW ! Un peu plus loin deux tours en feu m’ont ren-<br />

44 desvanècèrent, franpagnol du verbe desvanecer qui signifie disparaitre, se dissiper en<br />

fondu enchaîné. NdT<br />

29


seigné sur l’époque où j’allais probablement afemmir 45 . Ce foutu XXI ème siècle<br />

dont personne n’aime parler. Mais alors là, vraiment personne !<br />

J’ai évité de justesse ce qui me sembla être un jet d’huile bouillante à moins<br />

que ce ne soit du foutre stellaire - et me suis ressaisie. C’était certain, le rythme<br />

hallucinatoire se desserrait, j’approchais de la fin du voyage, je serais dans<br />

quelques instants une alèvée, une fille d’avant les événements.<br />

C’était le moment ou jamais de remettre un peu d’ordre dans ma tenue. Je<br />

consultai mon FemmeTouch qui avait bravement résisté à ces tornades temporelles<br />

et appris avec stupeur que je n’avais passé que trois secondes et deux<br />

dixièmes dans les chrono-dégeuleurs, qui sont, je le répète, la pire des choses<br />

au monde. Du médiéval ! C’était donc ça leur secret ! De la dilatation à outrance<br />

du temps subjectif… Turbulences ! Je me promis d’en parler à notre service<br />

de la com scientifique mais n’eus pas le temps d’en prendre note. Dans<br />

un fondu global de réalité je fus squeezée, ballottée, d’zzzzinguée et recrachée<br />

sans ménagement sur une avenue trop dure pour mes fesses, (qui malgré tout<br />

me servirent d’amortisseurs). Crachée comme une malpropre. Et où ? Je vous<br />

le demande ! Sur Denfert !! Qui n’avait pas changé !!! Mon voyage n’avait duré<br />

que trois secondes et des broutilles et je n’étais allée nulle part !!!!! Tout ça pour<br />

ça !!!!!! J’allais passer au niveau 7 des “!” multiples quand une main se posa sur<br />

ma frêle épaule. Une voix me parvint.<br />

- On peut faire ça en douceur, fit-elle.<br />

45 Qui dira enfin l’apport saignant de vérité de JG à cette langue qu’on dit française ?<br />

NdEasscntdvrunprlaut<br />

30


La voix des Ombres<br />

Fraude première<br />

Je n’en ai pas la permission mais il faut que j’entre dans ce récit, j’ai vraiment<br />

envie de te parler. Je te ramène dans le passé, mon passé, du côté de chez Evène,<br />

comme dit Mélissa. Je m’appelle Jacques.<br />

Jacques Des Ombres ou simplement Jack et je sais que tôt ou tard je vais être<br />

aspiré dans cette fable, pleine de filles et de bruit, racontée par un idiot et qui n’a<br />

pas grand sens.<br />

Pour le moment.<br />

Je ne sais pas par quoi commencer, en vérité je sais beaucoup de choses et<br />

ces connaissances me poussent au silence : celui qui sait se tait. Ça, c’est une<br />

tendance profonde qui se développe dans ma vie mais n’y compte pas trop, dans<br />

mon genre je pourrais être presque aussi bavard que cette superbe journaliste<br />

dont le credo se résume à un verbe : jouir. Dur mais pensable.<br />

Si je décode bien son babil, le futur est habité par des femmes et des ombres<br />

masculines. Ça ne m’étonne guère, je vis le temps de la mise en accusation du<br />

patriarcat et j’en suis ravi. Si tu m’avais dit, il y a une nanène 46 d’années, que<br />

le Pape éviterait de justesse d’être incarcéré au Texas pour motif de pédophilie,<br />

que la mafia mondiale de la finance serait à deux doigts de détruire l’Europe, que<br />

les conneries obscurantistes des musulmans feraient sauter les audimats, que les<br />

éditeurs seraient encore plus pourris, que les crises se succéderaient à un rythme<br />

accéléré, tous les deux ans et bientôt en continu, j’aurais haussé les épaules ou…<br />

baillé d’ennui.<br />

Pourtant tu aurais eu raison, on en est venu à un point ou la dénonciation<br />

même des excès est inutile ou même profitable à un système qui se nourrit de<br />

tout.<br />

La grande question, pour moi, est d’imaginer ce qu’eut donné un univers<br />

matriarcal, meilleur, égal ou pire que celui dont nous héritons de nos pères.<br />

C’est vrai qu’en quelque cinq mille ans les mecs ont causé par mal de dégâts…<br />

46 Nanène : néologisme jigéen : dérivé de nananana(ou populaire gnagnagnagna) pour<br />

répondre n’importe quoi, éviter le sujet et ne pas montrer que l’on n’en sait rien. NdTdlrtn<br />

31


Ce désordre croissant est-il le fait du mâle ou est-il inscrit dans la création de<br />

l’Univers ? Je devine qu’on va parler de ça et, à notre petit niveau humain, Mélissa<br />

me fait entrevoir un futur au féminin qui, en principe, me ravit. Je dis<br />

en principe parce que, intuitivement, son monde me paraît aussi violent que le<br />

nôtre. Il n’y a qu’elle au fond qui soit pure énergie et générosité.<br />

Ah ! je donnerais cher pour connaître la fin de ce bouquin, si tant est que des<br />

solutions s’y dégagent. Avant de te quitter, toi qui me lis, il faut que je te parle<br />

du temps, pas comme un physicien, comme un “habitant”. J’ai, de nature, une<br />

facilité extrême à passer du temps actif au temps contemplatif. Je n’ai jamais travaillé<br />

ce don et il n’est pas utile aux autres. C’est un pouvoir intéressant et je t’en<br />

donne un exemple. J’habite la Maison sur Achéron. La nuit, j’entends la voix du<br />

fleuve, en bas de notre falaise et je discerne que ce sont les voix des morts, des<br />

milliers de voix, un nuage de voix dont le son résultant est un chuintement un<br />

peu gris. Je me dis bien sûr qu’il ne s’agit que de l’eau qui roule les galets aux<br />

berges du fleuve. Mais parfois, quand je suspends le temps, je crois discerner les<br />

voix des morts, de ceux qui passent là. Je comprends quelque chose du temps qui<br />

les emporte dans sa tourmente. Bien sûr ce sont mes lectures de l’Enfer de Dante<br />

et les images de Doré qui me font imaginer çà. Mais je fais d’autres expériences.<br />

Une fin d’après-midi, en été, je me suis assis devant le grand arbre et sans m’en<br />

rendre compte je lui ai parlé. Je suis entré dans son temps propre, infiniment plus<br />

lent que le nôtre. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça ni comment, j’ai juste visité<br />

son arborescence comme une partition. C’est comme une partita de Bach ce<br />

feuillage, c’est un organigramme vivant. Ça explose infiniment lentement, tiens,<br />

ça ressemble à une femme, c’est la Vie. Je comprends très bien pourquoi dans un<br />

rêve de jeunesse j’ai vu les femmes comme des arbres avec des racines qui les<br />

unissent et nos énergies masculines comme une ronde d’étincelles brèves qui,<br />

toujours, se perdent en elles. Mon esprit se promène dans ces avenues vivantes,<br />

explore cette cathédrale annuelle, je ressens une paix infinie. Au moment de la<br />

transition de retour il se passe des choses étranges, j’avais à mes côtés un setter<br />

irlandais, cette race de seigneurs roux, et, chutant d’un infini, d’une onde laminaire<br />

dans un présent turbulent, j’ai été halluciné par la vitesse de sa respiration,<br />

ça me faisait penser aux élytres d’un insecte. J’ai achroni, le monde à repris son<br />

écoulement humain, l’épaisseur de mon présent à diminué, je n’ai pas de mots<br />

pour l’exprimer !<br />

Tu te demandes pourquoi je te raconte ça ? Simple ! Tout ce qui se passe ici et<br />

chez Mélissa n’est qu’un gigantesque brassage de temps. La musique est faite<br />

de sept octaves de temps. Nos aventures aussi, qui sait ? Des forces vont étirer<br />

la trame de ce monde, le temps n’aura plus le temps de durer, il sera sifflé, com-<br />

32


pressé, étiré, reformaté, dilué comme purifié, il trouvera son accès à la pesanteur,<br />

à la grâce aussi avec un peu de bon hasard, de serendipity, il sera mis en strates,<br />

il va nous raconter et, peut-être, nous permettra de revenir à l’origine pour tout<br />

changer. Ou accepter que ça reparte. Je reviens…<br />

Si j’ai le temps.<br />

33


Online Chrono Facts<br />

(Récitatif)<br />

Big Mama étira longuement ses jambes fatiguées. Elle venait de consulter,<br />

une fois de plus, l’OCF 47 , les données chronologiques disponibles en ligne. Avec<br />

toujours cette même requête/Avant les événements AND Femmes/. Apparaissait<br />

régulièrement un flux incohérent qui la mettait en rage. Pourquoi l’anglais y<br />

conservait-il une telle importance ? <strong>Le</strong>s bases américaines n’étaient-elles pas en<br />

cendres ? Il y avait dans le chaotique de cette source un vieux parfum de légende.<br />

Qui masquait l’Histoire ?<br />

Query : OCF WARN : gén : tte recherche sur Evène distr = flux chaotique ;<br />

look4 Evène/AND/ femme OR Femme OR Femmes AND {préférences}/init<br />

seq__44’321’777’777’001 in 2/100 sec’ Main options : filtrer l’anglais Ω1 ; filtrer<br />

une langue européenne €1(2,3,n) ;/// Version π∂ƒ Maj+Ø2; Version Xnet Maj+jØ4 ;<br />

votre recherche : Réseaux consult :: Filleconne/ FlowMode/ InterTop/ E-quation/<br />

E.U.E net/ Déesse.eu : Populaire : mis pour “Après <strong>Le</strong>s EVEnements”. Chrono<br />

Aleve : Xref disabled/ aucune concordance logique dans les textes trouvés. Chrono<br />

théorique : 2015 {{sources misc}} déclin prévu des États-Unis d’Amérique. Réseaux<br />

consult :: Icône/ FloMode/ Chandro// BAD.Inter/Transpol/E.U.E zip/ Chrono<br />

fact : l’Amérique tombe une première fois avec la fin du règne Bush. cf. Xcross :<br />

Matshuchita, Fuck O’yama & <strong>Le</strong>hman Br ; : Dischronie relationnelle obs. ; (des)<br />

Principes de l’Histoire en tant que Kompulsif du féminin, escond : nucléaire et pouvoir<br />

d’achat// Edit inconn : Assembler son ogive au féminin, Réseaux consult :: Iconne/<br />

NanaFlow/ Pulporg/ ElleInter/Europolpol/ E.U.E/ Chrono fact : l’Amérique<br />

tombe une première fois avant{{}}/ Evène, Rupture, Féminin et fin de l’histoire.<br />

Réseaux consult :: Extranet/INterflØ/ΩptInter/RezPol/E.U.E/CERS. EOS<br />

Elle le passa machinalement dans Txt.transcript.beurkh, un site qui résolvait<br />

pas mal d’énigmes. <strong>Le</strong> résultat était à vomir.<br />

47 Online Chrono Facts<br />

35


Mais des réseaux féminins semblaient apparaître face à la fin de l’Histoire et<br />

de l’Amérique. Quelle merde !<br />

Elle se décida à convoquer Hannelore pour sa séance de revitalisation quotidienne.<br />

Laquelle, féline, apparut sans bruit, lui dédia le salut néoeuropéen,<br />

un poil fasciste mais en souplesse et enfila sa tenue à dominer. Elle fouetta<br />

longuement la Présidente, le visage inexpressif, avec ses lèvres mode de bébé,<br />

révélant deux incisives, trois quelquefois (des dents blancheur fille gate+) dans<br />

les moments où elle y prenait aussi son plaisir.<br />

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres,<br />

l’eau verte pénètre ma coque de sapin.<br />

Et des taches de vins bleus et des vomissures<br />

me lavent, dispersant gouvernail et grappin.<br />

Pensa BMW. Elle n’y comprit strictement rien, il devait s’agit de furtipubs<br />

subliminales qui faisaient surface. Elle eut été bien étonnée d’apprendre que de<br />

telles phrases, venues d’un voyant d’Evène sans aucun doute - qui aujourd’hui<br />

aurait ainsi parlé ? - accompagnaient en ce même instant Mélissa dans son Road<br />

trip. <strong>Le</strong>s vieilles traditions ont du bon, pensa-t-elle. Son Yem circulait, fluide, son<br />

H’yamh l’avait quittée, happé par le sifflant va-et-vient du fouet. Mais était-ce<br />

vraiment une vieille tradition ? Elle n’en savait rien et s’en foutait. Du moment<br />

que ça marchait. Elle transféra machinalement au compte de la grande Aryenne<br />

deux “Krédit Pro Fit’NS” et entreprit de se rajuster. Hannelore s’était dissipée,<br />

comme un soupir de vierge.<br />

- Il faudra que j’offre ça à Mélissa, à son retour, murmura-t-elle avec un mauvais<br />

sourire. Mais dans le genre… définitif”.<br />

Elle détecta sur sa peau un goût de chocolat suisse. Cette Suisse agaçante qui<br />

n’avait jamais changé, cet océan de certitudes imbéciles ! Et se replongea dans<br />

le flux de données :<br />

Query/MétéoEurostat : variations océaniques extrêmes vs périodes menstr./<br />

2009 Terrorists Nucleus self repro and stable on fashion demos/ <strong>Le</strong> couple explosé et<br />

les autorités nationales,/// Un dilemme perdu : Woman and Society, the lost dilemna,<br />

Pembroke College de Cambridge// /Dissonances transitoires des religions mourantes<br />

cf. : Idaho : EndOfYaveh 2012,// Mormonic fall in the States, march 2011 ; Réseaux<br />

consult :: FilleCône/SheMaleMode/ Top=I/ E-Glou. freeze/ E.U.E/NOVALisboas.<br />

rept : Populaire about Grand embrasement : The NewSodome/// Sodome ressuscitée<br />

(impub) Saddam ressuscité Throne of the fake by Saint Madoff Inc. Publ.// de<br />

l’Histoire comme mémoire officielle// Du Plébiciste mental quotidien// et Femme,<br />

la Nation élective,// Histoires des couples et des nations séparées et antagonistes,<br />

36


Evène/AND/ femme{préférences} 23’221’344’655^001 in/100sec ; French Female<br />

préférences : particulières magnifiées, idéalisées et inventées in MadElle feb 2013 ;<br />

Philosophe <strong>Le</strong>vinas says : l’essence de la féminité est de s’exhiber in Marejko, Opus<br />

about so dificult Sex/ Essential short same writer (comm diff)/// Illustration des<br />

gloires nationales rivales./// Zi Monde : Sortir de l’obligation de reproduire indéfiniment<br />

un passé inférieur sacralisé/ S’en sortir. Bibl Nat. Cf too : Émergence des stockoption<br />

progestérone individualistes/// Analyses concordantes des histoires saintes.///<br />

capitalisme patterns and double fardeau/// Cultural colonisation. grandes guerres<br />

exterminatrices, de l’Holocauste, du nazisme, du goulag, voire de l’angélisme discutable<br />

Pembroke College de Cambridge/ The Stuart Woolf formula/ Faut-il choisir<br />

entre l’histoire de l’Europe et l’histoire européenne ? Une histoire synthétique véritablement<br />

européenne ? <strong>Le</strong> parcours transfrontalier de la fille en rut/EOQ<br />

Il se dégageait toutefois de ce chaos un sens, une direction, un vecteur.<br />

L’embrasement, la chute, la grande transition n’étaient pas provenus de guerres<br />

nucléaires, de catastrophes écologiques, de terrorisme dominant. À comparer<br />

les termes, analyser les paramètres, on retrouvait toujours la même origine.<br />

L’explosion de la sexualité. Ces préférences…<br />

Étaient féminines, cela va sans dire.<br />

37


<strong>Le</strong> Village<br />

Une fille fatale ne peut résulter que de<br />

l’addition d’un corps parfait et d’une vive intelligence<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa III)<br />

- Je t’ai choisi, dit Dieu, une soirée intéressante dans un lieu qui n’avait pas la<br />

pire des réputations.<br />

Je n’ai évidemment pas eu le temps de vous dire que cette main qui m’avait<br />

récupéré sur Denfert était la Sienne. Il m’a de suite rappelé ma mission. C’est un<br />

mec pragma. Nous avons sauté vers Avène en toute simplicité. Il m’a fait esquisser<br />

deux pas de Trrrango Durango 48 , une danse roulée moulée que j’adore, et on<br />

a glissé en douceur vers le siècle d’avant, cap sur les années soixante.<br />

Aucune transition, du divin.<br />

Je me rendis compte que les pompes, dards géants, araignées de métal, faisceaux<br />

laser, centrifugeuses, dévaloirs et fauteuils d’acier qui m’avaient si durement<br />

éprouvée étaient très surfaits, tout à fait représentatifs de BMW et de sa<br />

caste de techno pouvoir. La pauvre conne ! Elle avait probablement eu l’intention<br />

de me tuer, quelque chose en moi la gêne, je le sais. Pour une rédactrice de ce top<br />

niveau elle ignorait tout simplement un fondamental : l’élégance.<br />

J’ai considéré mon sauveur : j’avais un peu tiqué lors de nos retrouvailles -<br />

même s’il ne s’était écoulé que trois secondes et des poussières de mon temps<br />

de fille - car il avait rajeuni et changé de physique à un point pas permis. Grand,<br />

noiraud, des rouflaquettes et un collier de barbe, tout de noir vêtu, pas mal somme<br />

toute mais j’éprouvais une petite nostalgie. Je dois être gérontophile, j’aime les<br />

hommes bien rodés et vous savez déjà ce que je ressentais pour Lui. Il y a trois<br />

secondes et des lumières.<br />

- Pour éviter toute gaffe, me dit-il, sache qu’ici je m’appelle Birnbaum, ça fait<br />

couleur locale, personne n’osera me poser de questions et, de plus, je suis ton<br />

cousin.<br />

- Birnbaum ? balbutiai-je trop frustrée, Tu en es sûr ?<br />

- J’ai longuement hésité avec ApfelGlück, sourit-il, mais c’était déjà pris.<br />

- Birnbaum, marmonnai-je, c’est… c’est médiéval.<br />

Il opina du bonnet, ce qui se fait rare de nos jours, enfin… deux ou trois<br />

48 Trrrango Durango : rien à voir avec ces pauvres cons de Texans qui dansent jusqu’à<br />

épuisement pour gagner une Dodge Durango !<br />

39


siècles plus tard il y a trois secondes, si vous me suivez. Une chose me rassurait,<br />

aucun texte de loi n’interdit de violer son cousin. Je me sentis mieux.<br />

On était à Cornelia Street, pas loin de Bleecker Street, dans un endroit connu<br />

sous le nom de “Village”, un coin de New York, bourré d’artistes et de paumés.<br />

Tout ça au siècle précédent, dans les années soixante. Je vis avec surprise de la<br />

vapeur sortir des trottoirs, le coin était plutôt tranquille, quelques ombres rasaient<br />

les murs. Nous gravîmes un escalier sale et parvînmes devant une porte<br />

de bois d’où filtrait une musique aussi suave qu’indienne, parsemée d’éclats de<br />

hard rock. Un doute me vint.<br />

- Hé ! fis-je en L’attrapant par la manche de Sa veste, je ne parle pas vraiment<br />

anglais, ni new-yorkais, Tu sais ? J’ai pas fait langues anciennes à l’Uni, j’utilise<br />

juste quelques mots qui ont survécu et qu’on colle ici et là, pour faire branché.<br />

Alors, je me demande si tu as bien choisi le lieu et l’époque de mon entrée en<br />

scène chez Avène ?<br />

- Pas de souci, Mélissa.<br />

Il me passa tendrement la main sur le front, j’en fus toute chose.<br />

- Maintenant tu parles très bien l’anglais, du lieu et de l’époque.<br />

- Lalalalalala, fis-je impressionnée, Tu as quand même gardé des pouvoirs,<br />

Toi. Quoique Tu en dises.<br />

Il eut un large sourire et l’espace d’un instant je revis mon pote de Denfert.<br />

- Si tu accordes à un mini MecTouch des pouvoirs divins, dit-il malicieux,<br />

alors là je suis de ton avis. Je t’ai simplement refilé un petit upgrade des langues<br />

evènes. Je ne dispose plus vraiment des astuces du bon vieux temps, mais je<br />

reste tout à fait capable d’améliorer vos petits gadgets.<br />

Il se répétait un poil, n’empêche que j’en étais baboume.<br />

Nous entrâmes dans un espace gentiment bordélique. Il y avait une marée<br />

basse de personnages qui se mouvaient avec lenteur dans des nuages d’encens et<br />

d’herbe. Je distinguai, dans le désordre et la fumée, un très jeune Indien arborant<br />

des lunettes façon <strong>Le</strong>nnon et qui me reluquait avec des yeux avides, une femme<br />

dans la cinquantaine avec un sourire pincé et des cheveux roux rassemblés façon<br />

palmier, une blonde qui avait enlevé le haut et une autre qui enlevait le bas,<br />

toutes assez moches à vrai dire. Il n’y avait, à première vue, qu’une fille qui correspondait<br />

à mes critères “american standard beauty”. Cette superbe nane avait<br />

deux décennies d’avance pour le moins, elle avait trouvé le style débardeur et<br />

microjupe ! Instinctivement je m’avançais vers elle pour entamer la conversation<br />

et peut-être plus (si entente) mais je fus happée par un Mexicain rondelet en<br />

40


T-Shirt orange sale qui me demanda d’où j’arrivai.<br />

- Du futur, répondis-je agacée.<br />

Il s’esclaffa et me demanda à quoi je carburais. Étais-je “acid” ? Ou Marie<br />

Jeanne ?<br />

Je lui balançai quelques vérités sur la dopamine et son pouvoir de manipulation<br />

des systèmes cérébraux. Ce connard ventru n’avait qu’à venir vivre à<br />

mon époque, là où chacun rêvait de redescendre à une conscience paisible ; nous<br />

n’avions aucun besoin de nous envoyer en orbite tant notre rythme de vie nous<br />

droguait 24/24 et 7/7 ! On vivait dedans, shootées gratos par le travail. Il me<br />

regarda en souriant, exhibant des dents dégradées. Pour lui, c’était une description<br />

du paradis.<br />

Je haussai les épaules (c’est mon côté mec 49 ) et m’en allai examiner d’autres<br />

spécimens. La nana en shorts et débardeur m’avait tapé dans l’œil mais je dus<br />

me rendre à l’évidence, ce n’était qu’un (beau) tas de bidoche. Pas de feu intérieur.<br />

Conne à un point que ne saurais vous décrire. Son narcissisme borné me<br />

bloquait ; je lui caressai les fesses sans obtenir plus qu’un sourire niais. Pas du<br />

tout mon genre de saucisse : une fille fatale ne peut résulter que de l’addition<br />

d’un corps parfait et d’une vive intelligence.<br />

Franchement, ma première impression des libérés sexuels occidentaux était<br />

détestable, la vie c’est du sexe avec un zeste de risque et là, je ne goûtais qu’à<br />

une mièvre béatitude. Assez désorientée, je m’en fus à la recherche du Guide<br />

Suprême. Ah les cons ! S’ils avaient su qu’Il était parmi eux, quel réveil ! Birnbaum<br />

avait fait le tour des personnes présentes, à la vitesse de Sa lumière. Il me<br />

fit un clin d’œil. Je le suivis et réalisai que l’appartement n’était en fait qu’un…<br />

département de l’immeuble. Il y avait plein de monde à tous les étages, pas mal<br />

d’allées et venues, ça circulait dans une ambiance de fête agréable, je dois le<br />

reconnaître, n’eut-ce été cette entêtante odeur d’herbe brûlée. Je me demandai<br />

avec inquiétude ce que nous faisions là ? Il n’y avait rien d’apocalyptique dans<br />

ce nid de jouisseurs, les gens se pelotaient à qui mieux mieux, mais où était le<br />

problo ? On était à des années lumières du hard sex que tout le monde connaît.<br />

Impossible de voir en ce lieu l’origine des événements. Mais j’allais peut-être y<br />

trouver la réponse à ma quête ? <strong>Le</strong>s préférences des femmes… Et si mon copain<br />

s’était gouré ? Impossible, Il ne se trompe pas, enfin pas pour la création du<br />

monde, pas pour les miracles, pas pour… les choses vraiment importantes. Nous<br />

étions probablement dans une allée mineure du temps, me dis-je. Quelque chose<br />

qui ne méritait pas Son intelligence créatrice ?<br />

49 Statistiquement les filles ne haussent pas les épaules quand on les agace, elles croisent<br />

les jambes, se recoiffent ou vous balancent un sourire style feux de croisement. NdEamu<br />

41


Une main se posa sur ma hanche gauche. Je réprimai mon habituel réflexe<br />

de défense, c’était l’Indien lunetté <strong>Le</strong>nnon qui me souriait. Il me déclina son<br />

blaze, Salman, et entreprit de m’asservir à des fins bassement sexuelles. Ça<br />

m’intéressait, encore que le gars ne soit pas hyperconsommable. Je lui dédiai un<br />

sourire Mélissa 32bis histoire de le recadrer et le laissai s’avancer.<br />

- As-tu déjà vu une orchidée ? Me demanda-t-il ? Une somptueuse orchidée<br />

qui flotte dans l’eau ?<br />

Intriguée, je lui fis signe de poursuivre, non sans dégager vigoureusement ma<br />

hanche, voire ma fesse. Ce mec avait la pogne en glissando…<br />

- Tellement subtile et délicate, reprit-il, qu’elle doit être offerte en présent à<br />

une femme qui va se sentir flotter dans un nuage de beauté et d’infinies possibilités.<br />

Et si tu loupais ça ?<br />

- Que pourrait-il m’arriver ? fis-je indécise.<br />

- Un drame ! Tu serais cette femme à qui un homme promet une orchidée, la<br />

plus romantique des fleurs, et qui change d’avis et lui envoie une rose jaune…<br />

Quelle offense à ta perfection !<br />

J’aime assez que l’on m’entretienne de ma perfection. Voire de ma divinité. Il<br />

ne pouvait savoir qu’il parlait à Mélissa, la journaliste vedette de PodSex mais il<br />

avait flairé la femme +. Ça m’intéressait de voir comment les mecs, fussent-ils<br />

dindons 50 , s’y prenaient en ce temps-là. Salman se masturbait la cabeza… Un<br />

mec, avec ce comportement, n’a pas une chance de finaliser (comme ils aiment<br />

à dire). Je n’arrivais pas à concevoir comment la race humaine avait réussi à se<br />

reproduire depuis tout ce temps. <strong>Le</strong>s filles se laissaient-elles féconder à coup<br />

de platitudes ? Ce type n’était peut-être pas représentatif ? J’avais bien pigé son<br />

truc. Il utilisait sa voix berceuse, intime et quelques mots plaisants pour hypnotiser<br />

sa proie.<br />

- Qui va se sentir flotter, reprit-il, flotter, aahhhh flotter… dans un nuage<br />

de beauté et d’infinies possibilités. Infinies ! Comme ce mot est petit pour toi,<br />

essence des choses.<br />

Ces trois derniers mots me firent fortement tanguer. Je vérifiai machinalement<br />

la bonne pose de mon string. Pas mal Sale Man !<br />

- Et si tu loupais ça ? Impensable ! Il existe un remède à cette situation, à ce<br />

déni de beauté, à cet outrage qu’un mortel inflige à une déesse.<br />

- La mort ? glissai-je pour voir si on avait les mêmes goûts.<br />

- Mieux que la mort. <strong>Le</strong> labyrinthe des désirs dans lesquels je vais te placer,<br />

belle inconnue. L’orchidée flotte dans l’eau mais elle n’est rien, comparée à ta<br />

grâce, quand tu flotteras dans le monde irréel où je vais t’emmener. Imagine, par<br />

50 Ce fussent-ils dindons est un véritable apport musical de Guyonnet à la langue<br />

française ! Pour moi qui ai les difficultés que l’on sait à m’exprimer en bon frouze il est<br />

fâcheuxqu’il ne soit point encore interné au quai de Conti. (Luc de Bourg en Bresson)<br />

42


exemple, que nous soyons tous deux dans un avion et qu’il explose ?<br />

- Aïe… commentai-je finement.<br />

- Aïe ? Et délices d’une chute dans laquelle nous descendons vers la planète et<br />

nous révélons l’un à l’autre. L’amour en apesanteur, le connais-tu ? Nous allons<br />

nous unir dans le vide de l’espace, tout amour commence par une chute sans<br />

fin.<br />

J’eusse pu lui objecter que les avions de ce temps-là volaient au FL250, qu’il<br />

y faisait un froid de -25, etc. Je préférai mettre un terme car je ne voyais pas du<br />

tout le rapport entre cette drague déjantée et “ce que les femmes préfèrent”. Salman<br />

était simplement hors sujet. J’optai pour une action physique immédiate.<br />

- Mélissa, fis-je en lui tendant une main qu’il prit, par pur réflexe de surprise.<br />

Je lui en serrai cinq, comme on apprend à le faire dans les commandos des<br />

battantes optimisées chez PS.<br />

- Whhaaaou ! hurla-t-il, tu as une poigne de mec !<br />

- J’assume mon Animus, dis-je assez fière de moi. En fait je suis aussi un mec.<br />

Tu n’avais pas capté ? <strong>Le</strong>s femmes sont des hommes comme les autres 51 .<br />

Il s’éloigna furax en grommelant des choses en indien. Je me souviens encore<br />

de ces caractères bizarres qui sortaient de sa bouche. Je n’y prêtais nullement<br />

attention, Ce Salman Rushdie finirait bien par pondre quelque chose de potable,<br />

son scénar de chute et de sexe dans l’espace était intéressant. Il pourrait le nommer<br />

par exemple Poésie dans la Chute, mais tordu comme il me semblait l’être<br />

il serait bien foutu d’en faire des Versets Satan Nique. Je laissai tomber. Après<br />

tout cette chute sans fin, c’était ce que je venais de réaliser dans les bras de mon<br />

divin danseur de Trrrango Durango, le sexe mis à part hélas. Et justement, ce<br />

qui me tracassait était autrement plus important : depuis mon arrivée je ne ressentais<br />

aucune vraie excitation sexuelle ! Ça, c’était le comble !! De quoi tuer ma<br />

réputation de SM (Super Mélissa). Parce que des journalistes haut de gamme,<br />

intelligentes et belles, on en trouvait à la pelle, mais dotées de mon rayonnement<br />

de fontaine sexuelle y’en avait qu’une. Moi.<br />

- Birnbaum, hurlai-je, où es-tu ? Me faut un miracle d’urgence.<br />

Il était un étage plus haut, entouré de filles révélées et de mecs intrigués. Il<br />

parlait d’une voix douce et régulière, je percevais son rayonnement. Je me suis<br />

approchée en catimini et je L’ai écouté. Il était question d’une fille qui allait<br />

51 Cf Antoine de Caunes in L’homme est une femme comme les autres, 1998, un titre excellent<br />

bien que le sujet dérive lamentablement vers le conventionnel d’un YY en lieu et place<br />

de XXY ou très éventuellement de X->XYY, on ne peut plaire à toutes les minorités. NdEcntr ié<br />

43


tout changer. Elle s’était appelée Lili 52 mais avait récemment pris un autre nom.<br />

Elle représentait la force et, tout à la fois, le changement et l’immanence. Elle<br />

ne savait pas Qui elle était mais, quand elle le réaliserait, il serait trop tard, les<br />

destinées seraient écrites, les énergies en place. Je crois bien que personne n’y<br />

comprenait rien mais c’était le ton de sa voix qui subjuguait l’auditoire. Il a parlé<br />

longtemps, longtemps, longtemps. Je me suis quasiment défaite. C’était bon de<br />

ne plus être, de suivre un guide, <strong>Le</strong> Guide. Personne ici ne savait Qui il était mais<br />

chacun sniffait l’odeur du miracle.<br />

J’avais toujours mon problème d’asensualisme frigide, je n’éprouvais aucune<br />

excitation. Peu à peu quelque chose changea en moi. Je ressentis comme une gêne<br />

la ficelle de mon string dans ma fente, mais, progressivement ça me réchauffa, le<br />

plaisir venait. Ciel ! Ça faisait quand même deux siècles et trois minutes que je<br />

n’avais pas joui ! Je redevenais Mélissa ! Je ne sais pas ce qui m’a pris mais j’ai<br />

tenu à partager mon plaisir avec chacun. <strong>Le</strong>s femmes de mon temps sont dures<br />

comme des bêtes pour le sexe. Je les ai fascinés. J’ai laissé couler mon désir et<br />

mon plaisir vers chacun, le centre s’est déplacé et s’est posé sur ma petite personne.<br />

Je n’avais aucun besoin de les toucher, à vrai dire ils n’étaient pas très<br />

appétissants, je me suis contentée de faire bouger l’espace et de leur montrer<br />

ce que préfère une femme : l’espasme, jouir longuement, par vagues lentes et<br />

paresseuses, surfer le temps, être le ressac de la mer.<br />

Beaucoup de poètes et de chercheurs ont parlé de l’interface sexuelle universelle,<br />

celle qui unirait les gens les plus dissemblables, voire des êtres d’autres<br />

planètes. Cette quête plus mystique que celle du Graal a pris toutes les formes<br />

possibles y compris les horreurs de la religion, les prêtres catho ont violés des<br />

millions d’angelots, l’inquisition ne provenait pas d’autre chose, dans le désert<br />

du Sinaille le Dieu des Juifs n’était qu’une pieuvre martienne blottie derrière un<br />

buisson en chaleur, avide de chairs terriennes ; il y a même des exemples heureux<br />

comme Napoléon et Sainte Hélène, un requin et le Forex, Jupiter et Europe,<br />

mon postier et la fille du banquier, César et les hydres de mars, Aure et Atika,<br />

mon coiffeur avec une mosquée, mais cette interface sexe, celle qui autoriserait<br />

la pénétration interraciale et même intersociale, celle qui garantirait la jouissance<br />

intergalactique, donnerait aux partenaires un corps glorieux, abolirait le<br />

racisme le fondant dans la pureté du sexe faisait toujours défaut.<br />

Ne cherchez plus, cette interface c’est moi.<br />

52 Lili, alias Linn, Li’nn, Lilith, première femme créée par Dieu, voir histoire de ses<br />

démêlés avec la grand barbu et la chute vers la mer rouge dans Ideale Maîtresse du même<br />

auteur. NdE<br />

44


Dieu était hyperbaisable !<br />

(Andante amoroso)<br />

- Commande-toi du café, du bacon et des œufs brouillés, dit Dieu, c’est comme<br />

ça que les gens d’ici se nourrissent.<br />

C’était une aube blafarde sur Manhattan, quelques taxis jaunes esseulés<br />

passaient, les rues crachaient toujours de la vapeur, on s’était retrouvés chez<br />

Dominik’s Place, au coin de la 23 th et de <strong>Le</strong>xington, dans un de ces bars “diner”<br />

américains immortalisés par les séries B, avec un patron mexicain soupçonneux<br />

et avachi, une serveuse aux seins trop comprimés et des rangées de tables avec<br />

du formica blanc et des banquettes en simili cuir rouge. Je regardais tout ça avec<br />

incrédulité, les ex-maîtres du monde avaient-ils vraiment vécu dans un univers<br />

aussi déprimant ? L’Amérique avait été un foutu village Potemkine, mais où se<br />

cachait la race des Saigneurs ?<br />

- Pas très loin d’ici, fit mon copain, mais ça ne vaut pas le détour. Ils ont du<br />

vrai cuir, du vrai marbre, des filles plus jeunes, de la drogue propre, de profondes<br />

moquettes, des serviteurs et encore plus de problèmes insolubles. Ils exportent<br />

vers le restant du monde leur misère, déguisée en rêve… américain. Tu ne t’y<br />

ferais jamais, d’un autre côté je ne pense pas que tu restes longtemps ici.<br />

Je me secouais. Quelque part je me sentais détendue et satisfaite. Repue,<br />

même.<br />

- Tu peux le dire, fit mon compagnon avec un petit sourire, tu t’es éclatée<br />

comme un vrai Big Bang féminin à toi toute seule. Je crois que ces gens ont eu<br />

une révélation. Normalement c’est moi qui l’apporte et j’avais commencé le<br />

travail. Mais non, Mélissa, c’est toi qui la leur as offerte ! Tu me fais penser à<br />

Linn’et même à Ishtar, qui n’avait pas un excellent caractère.<br />

J’étais intriguée. Pour autant que je le sache, Dieu n’était pas un expert en<br />

sexe et en érotisme. Et voilà qu’il semblait approuver mon inconduite. J’avais<br />

littéralement saccagé filles et mecs à Sullivan Street. Avec l’éclatante confirmation<br />

de mes dons de jouisseuse. S’il y a une chose que je sais faire - à part être<br />

la meilleure en tout - c’est d’extraire de chacun la moindre goutte de plaisir,<br />

n’allez pas le répéter : je suis un vrai vampire. Mais une gentille, je n’ai jamais<br />

tué personne, je suis peut-être un peu exténuante. Je crois qu’il y a en moi un<br />

principe de vie qui a perpétuellement faim. Là, était peut-être la réponse à ma<br />

45


quête, ce que les femmes préfèrent c’est jouir ! Mais il me reprit, suivant mes<br />

pensées avec une sorte de tendresse.<br />

- As-tu l’impression d’être dans un lieu magique ? me demanda-t-il.<br />

- Sûrement pas, impulsai-je. C’est cool parce que tu es là, mais ça suinte une<br />

tristesse pas possible, tu ne trouves pas ? Sûrement pas un endroit pour faire des<br />

miracles.<br />

- Eh eh… fit-il songeur, en es-tu sûre ?<br />

Je fis signe que non, pas très convaincue.<br />

- Il existe une vieille tradition, reprit-il après un long silence, qui veut que le<br />

merveilleux s’accomplisse dans le pauvre, le banal, l’ordinaire. Je me souviens<br />

de ce Borgès qui pour l’approche du divin parle d’un rideau de perles bon<br />

marché, je revois encore Gilgamesh, roi de Babylone, qui s’accomplit dans la<br />

pauvreté et le désert ; je n’ai jamais aimé la maison prétentieuse que Pierre et<br />

ses représentants actuels se sont fait construire à Rome, je n’y suis pas, je n’y ai<br />

jamais été ; le luxe cher aux hommes à toujours servi à les aveugler et augmenter<br />

leurs souffrances. Ne sous-estime pas la banalité de ce lieu, même si nous ne<br />

savons nullement ce qui nous y a conduits, chaque chose prend un sens, nous<br />

sommes sans doute plus proches de ta solution que tu ne le crois.<br />

Je l’observais, je n’arrivais pas à m’imaginer ce bar minable en carrefour des<br />

probables et des miracles. Fallait être divin pour voir ça. À ce propos je me suis<br />

demandé s’il connaissait la suite de mon histoire. Pour être renvoyée avant Evène<br />

j’étais tombée en disgrâce. Pas le moindre doute là-dessus. Que me reprochait<br />

Big Mama W ? Ma beauté ? Ma sexualité débordante ? Mon talent ? <strong>Le</strong> fait qu’à<br />

moi seule j’anime la rédaction de son foutu Zine ? Je suis sûre qu’elle supportait<br />

encore moins mes éclats de rire que mes conquêtes de sexe. Dieu avait toujours<br />

été censé connaître les allées du temps, il devait savoir ce qui m’attendait. Je lui<br />

posai la question, il haussa les épaules.<br />

- Je ne suis pas Qui tu imagines, dit-il. Et même, quand je regarde l’agitation<br />

du monde avec un peu d’acuité, je vois effectivement ce qui va se passer. L’ennui<br />

c’est que j’en vois un grand nombre de versions. Il n’y en a aucune qui soit<br />

moins probable que les autres ou, si tu préfères, il y a beaucoup de versions de<br />

toi dans le futur et elles se ressemblent.<br />

Je connaissais ça. C’était en plein dans le mille de l’illusion quantique et des<br />

états superposés ! Il n’y avait pas une Mélissa de Schrödinger, il y en avait un<br />

46


égiment. Je manquais totalement de décohérence 53 , nous autres les journalistes<br />

d’après Evène nous sommes familières avec ces termes, même si la majorité des<br />

rédactrices n’y comprend rien. Il me dévisagea de manière intense et reprit :<br />

- Sois toi-même avec force, c’est la meilleure conduite à tenir dans ces réalités.<br />

Je ne puis te tirer les cartes ni prophétiser, tu sais bien que ce sont des sottises<br />

qui se sont accumulées après mon acte fondateur.<br />

J’en fus super-remuée. Son acte fondateur ? S’il y avait un scoop unique au<br />

monde c’était bien de Lui demander en quoi avait consisté Son acte fondateur.<br />

Quelque chose me dissuada d’attaquer frontalement, j’espérais qu’il ne lisait pas<br />

trop dans mes pensées mais je ne m’en faisais pas trop, les pensées des filles sont<br />

difficiles à cerner, à l’inverse de celles des mecs qui sont trop prévisibles.<br />

- Et si tu me parlais un peu de Toi, l’interrompis-je avec une fausse candeur et<br />

une vraie majuscule. Tu as perdu ton cône de silence ?<br />

Chaudement, sournoisement, le désir me reprenait. Dieu était hyperbaisable !<br />

J’avais envie de Lui. Avouez que je ne suis pas possible. Ce sont les mâles<br />

qui vivent en état de rut perpétuel. Nous les filles, une fois par mois quand<br />

tout va bien. Mais rien à faire, je bandais (les filles bandent, évidemment vous<br />

n’étiez pas au courant) et ne pensez surtout pas que j’avais envie d’entrer dans<br />

un quelconque livre des records. Mélissa, la fille qui a baisé Dieu ? Quelle sottise,<br />

j’éprouvais de l’amour pour lui, il était super-mignon et attirant, il avait ce<br />

quelque chose qui manque aux hommes de mon temps, c’était peut-être un mec<br />

féminin après tout ? <strong>Le</strong> fait qu’Il m’ait abordée sur Denfert après mon altercation<br />

avec BMW me restait inexplicable. Pourquoi moi ? L’article que j’allais pondre,<br />

ou qu’il allait me dicter serait-il un évangile ? Si oui je décrétai que ce serait le<br />

douzième évangile. Je ne sais pas pourquoi ce chiffre s’est imposé à moi et je<br />

m’en fous. Personne ne s’est jamais mis d’accord sur le nombre des évangiles<br />

chrétiens ou gnostiques, bien malin celui qui me contredira. Je pensais comme<br />

un compositeur en fait, douzième évangile ça sonne bien, c’est du Majeur ! Je le<br />

dévisageai et attendis la suite.<br />

- J’ai mieux. Et je te parlerai de moi, dit-il d’un air malicieux.<br />

Je ne vous l’ai pas dit, il avait progressivement abandonné l’identité de Birnbaum<br />

pour revenir à celle que j’avais connue sur Denfert. Un vieux monsieur<br />

aux cheveux blancs, aux yeux bleus malicieux. Je fis un effort hallucinant pour<br />

ne pas l’interrompre - c’est un de mes défauts, je coupe tout le temps la parole à<br />

tout le monde - et attendis la suite.<br />

53 La décohérence quantique tente d’expliquer la transition entre les règles physiques quantiques<br />

au niveau particulaire et les règles physiques classiques telles que nous les connaissons,<br />

à un niveau macroscopique. NdE<br />

47


- Je te parlerai de moi, mais avant je veux te donner quelque chose qui te sera<br />

utile. Il se peut que nous soyons séparés, même provisoirement, et je vois que tu<br />

as besoin d’aller chercher un gros tas d’information.<br />

Il sortit de la poche de son veston une petite pierre verdâtre et me la tendit.<br />

- C’est une amazonite. Elle n’a rien de particulier si ce n’est une certaine<br />

affinité avec les chronons, une particule que les savants de ton temps connaissent<br />

encore assez mal. C’est d’elle que je me suis servie pour t’embarquer avec<br />

moi ici. Garde-la, elle va te servir à naviguer un peu, du moins pour les petits<br />

sauts. Tu dois t’approcher beaucoup plus de ce que tu nommes Evène ou Alève.<br />

Quand sera venu le moment du grand pas je serai là.<br />

J’étais ravie et furieuse, Un peu craintive même.<br />

- Oh ? Mais Tu ne vas pas me laisser seule ici ? fis-je avec ma voix de petite<br />

fille esseulée.<br />

En général ça marche. Mais Il fit comme s’il n’avait rien entendu.<br />

- Cherche Evène, dit-Il à trois reprises, cherche le bien, Je m’absente un<br />

instant.<br />

Je me suis attendue à <strong>Le</strong> voir opérer un fade out, comme dans les films mais<br />

pas du tout. Il se leva et d’un pas guilleret sortit par la porte de cet infâme bouiboui.<br />

Refermant la porte avec douceur. Je restais un instant pétrifiée puis me<br />

ressaisis. Je n’allais pas <strong>Le</strong> laisser filer comme ça. Je me précipitai vers la sortie<br />

et me retrouvai dans le froid. À perte de <strong>Le</strong>xington… rien. La même chose pour<br />

la 23 th . Une brume vacharde traînant dans une ville fantôme. Un taxi jaune passa<br />

avec lenteur, comme un squale désabusé.<br />

Je rentrai, furieuse, me commander un œuf au plat de plus. Et un café bien<br />

fort, ce qui en Amérique n’existe pas, je l’ignorais. Après quoi je suis allée vers<br />

le patron et je lui ai demandé comment un vieil homme fait pour s’évaporer en<br />

plein Manhattan. Ça a eu l’air de le secouer. Il a éructé, expulsant un problème<br />

stomacal pas piqué des vers et, tout en projetant rageusement sur les murs tout<br />

ce qui lui tombait sous la main, avec son accent effroyable, baveux, à perte de<br />

souffle, m’a dévidé d’une traite, ce qui suit, avant de disparaître sous le comptoir,<br />

sonné, mort à vie probablement :<br />

Dès lors, je me suis baigné dans le Poème<br />

De l’Univers, infusé d’astres, et lactescent,<br />

Dévorant les hautes températures ; où,<br />

flottaison blême et ravie, un atome<br />

pensif parfois se fusionne<br />

48


J’avais réussi à éviter les éclats de verre et diverses soucoupes volantes, ça<br />

ressemblait à un poème et, quelque part, dans ces lacs de feu qui peuplent ma<br />

mémoire, je savais ce que c’était. Oui, ça me disait quelque chose. Par exemple<br />

que ce mec se shootait à mort. Ou que quelqu’Un le parlait. Ou s’amusait à faire<br />

des collages. Mais Qui ? Je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir ni même de prendre<br />

mon FemmeTouch, une silhouette famélique et inquiétante s’est dessinée derrière<br />

les vitres de la porte. J’ai eu l’impression de voir Zeke 54 le loup arpenter les<br />

rues de Manhattan. La porte s’est ouverte, la chose est entrée et est venue directement<br />

sur moi. C’était l’Indien. Ce Salman Rushdie qui me les avait tellement<br />

broutées 55 à la party de Sullivan Street. Il avait des yeux entièrement jaunes et<br />

globuleux, j’y déchiffrai sans peine une intention hostile, voire entropique.<br />

Vous auriez fait quoi à ma place ? J’ai pris l’amazonite et je l’ai serrée très fort<br />

dans mes deux petites mains.<br />

<strong>Le</strong> douzième évangile attendrait.<br />

54 Zeke Wolf : personnage de fiction (Ezéchiel le loup) créé en 1933 par les studios<br />

Disney, sera rebatisé Grand méchant Loup à partir des années 1940 et jouera le personnage<br />

d’Hitler. NdE<br />

55 Broutées : on se demande si les femmes d’après Evène ont des couilles ou si<br />

l’expression est passée dans le trésor verbal commun… NdT<br />

49


Une Nuit transfigurée<br />

(<strong>Le</strong> compositeur)<br />

Jacques Des Ombres observait Pierre Boulez avec une sorte de fascination.<br />

C’était une répétition du BBC Symphony Orchestra, à l’Albert Hall, à Londres,<br />

au début des années soixante-dix. Boulez répétait la Nuit Transfigurée de<br />

Schönberg dans la version grand orchestre à cordes. <strong>Le</strong>s deux hommes se connaissaient<br />

bien, Jacques avait trouvé en Boulez le maître indispensable à tout<br />

jeune créateur en quête de perfection. Ils avaient une relation à la fois proche et<br />

distante. Jamais Boulez ne lui avait consacré plus d’une heure d’enseignement,<br />

il l’invitait en général à suivre ses répétitions ce que Jacques acceptait avec<br />

reconnaissance. Il lui arrivait souvent de monter de Genève à Baden-Baden dans<br />

sa vieille Porsche, de nuit quelquefois, pour ne voir Boulez que quelques heures.<br />

Ces voyages restaient dans son esprit comme un âge d’or, seul dans son bolide il<br />

se prenait pour un pilote en mission, ce qu’il avait toujours rêvé d’être. La Suisse<br />

était déserte à ces heures, le petit monstre donnait se mesure. Des heures plus<br />

tard il se retrouvait en Forêt-La-Noire l’Arrogante (c’est ainsi qu’il la nommera<br />

par la suite) puis finalement dans la bonne ville de Baden-Baden où il prenait<br />

la direction des quartiers chics, les collines, Kapuzinerstrasse chez le Français<br />

alors exilé.<br />

La Nuit Transfigurée est l’une des dernières œuvres romantiques écrites en<br />

Europe mais elle contient une pensée très complexe, particulièrement au niveau<br />

du temps. Boulez semblait être le premier à la rendre claire, évidente et pourtant<br />

insaisissable de par son art de la fluctuation du tempo. Diriger des cordes est<br />

quelque chose de particulier. La réponse des archets est lente, rien de comparable<br />

à la vivacité des instruments à vent ou des percussions. <strong>Le</strong> chef doit être en<br />

avant dans la durée de l’œuvre. Boulez faisait de la Nuit Transfigurée quelque<br />

chose de sublime et de diabolique, il était capable d’impulser les musiciens, de<br />

les accélérer et de les ralentir dans la même mesure. Des Ombres observait sa<br />

gestique, plus tard il dirigerait cette œuvre et il laissait ce savoir entrer en lui,<br />

à la mesure de ses moyens. <strong>Le</strong> Français avait inventé une manière de diriger<br />

qui était entièrement nouvelle. Dans ses débuts il avait tendance à diriger avec<br />

trop de précision et des gestes un peu étroits. Là, avec La Nuit, il démontrait un<br />

extraordinaire élargissement de son temps et de son pouvoir de communication.<br />

Il utilisait des gestes ramés pour communiquer avec les archets, très peu de


gestes secs, il savait emmener à la traîne cet immense ensemble de cordes et<br />

lui faire restituer des sonorités proprement inouïes.<br />

- C’est un opéra ! se dit Des Ombres. Il en fait un opéra.<br />

C’était vrai, Boulez savait comme personne expliquer la musique. Dans<br />

l’événementiel, comme le Sacre ou le Concerto pour orchestre de Bartok, il<br />

savait faire surgir des monolithes sonores, des objets furieux, son geste expliquait<br />

à qui le regardaient le sens de la musique et même ce qui allait se produire.<br />

- Quel prodigieux conteur, se dit Des Ombres. Je n’ai vu dans ma vie que des<br />

chefs qui se trémoussent ou multiplient les gestes inutiles. Boulez est comme un<br />

sniper en somme, une balle un mort, chez lui c’est un geste un sens !<br />

Porté par la musique il tomba dans une rêverie particulière. Bien des années<br />

avant il avait expérimenté une étrange révélation, quelque chose dont il n’avait<br />

jamais parlé à personne. C’était une nuit solitaire à Centremont, il écrivait une<br />

partition pour grand orchestre de chambre et les réactions de certains musiciens<br />

lui revenaient. Ce même Schœnberg qui avait écrit La Nuit avait dit une chose<br />

intéressante. “Ma musique n’est pas moderne, elle est mal jouée ! Cette phrase<br />

l’obsédait et, progressivement, il en était venu à se demander quel pouvoir aurait<br />

sa musique, ou toute musique, si elle était jouée avec une perfection totale ?<br />

Si elle était jouée pour de vrai ? Il avait trop connu les exécutions approximatives<br />

des orchestres déroutés par les musiques nouvelles. <strong>Le</strong>s œuvres ne respiraient<br />

pas, la musique, qui est faite de mathématiques, a besoin d’une précision<br />

absolue non seulement dans la hauteur des sons mais également dans les intentions,<br />

les nuances, les phrasés, le timbre. <strong>Le</strong>s musiciens d’orchestre, élevés dans<br />

des œuvres de répertoire qui avaient été modernes, avaient perdu tout repère, ils<br />

jouaient des notes, le sens, ce mot ultime, n’était pas là.<br />

Il revint à la réalité, après un dédale de tempi mouvants, Boulez abordait<br />

le grand récitatif de l’œuvre, celui que l’orchestre expose dans les premières<br />

mesure en murmurant mais qui, dans ce passage, prend une tournure dramatique<br />

extraordinaire. C’était une sentence implacable qui, en se répétant, s’élevait vers<br />

des étages supérieurs. Quelque chose que l’on ne pouvait pas arrêter, une loi<br />

ancienne, un langage de destin. Dans ces mesures le Français sembla lui-même<br />

transfiguré, en accord total avec le sens ineffable de la musique. Des Ombres<br />

frissonna, il se passait quelque chose qu’il ne pouvait décrire, quelque chose<br />

de grave, de fondamental. Boulez avait embarqué tous ces musiciens dans un<br />

espace transcendantal du pouvoir. Fasciné, Des Ombres eut la sensation de faire<br />

partie de ce rite, de cette invocation. “Il est si rare que les chefs trouvent la clef<br />

52


de la musique”, pensa-t-il, “qu’ils ouvrent une porte sur un autre monde ! <strong>Le</strong><br />

sens était là !<br />

Il rechuta dans le passé, vers cette nuit lors de laquelle il avait vécu une<br />

expérience similaire. Ses yeux étaient fatigués de cette minuscule et précise<br />

écriture de partition. Il utilisait des rapidographes, une règle et une équerre pour<br />

bien aligner dans le temps les instruments de l’orchestre. L’œuvre s’appelait<br />

Monades II pour grand orchestre de chambre. C’était une composition dans un<br />

temps libre, qui n’était pas emprisonnée par une forme académique. Elle commençait,<br />

se déroulait, diverses énergies s’y déployaient puis l’ensemble se dissolvait,<br />

naissance, maturité et mort, le parcours d’un être vivant. Des Ombres<br />

prenait un plaisir intense à traverser la nuit seul avec sa partition qui grandissait<br />

de manière irrégulière. Il y avait deux choses frappantes dans Monades II, que<br />

Pierre Boulez allait plus tard absolument vouloir jouer à Paris dans ses concerts<br />

du Domaine musical, l’une était la densification subite du discours musical dans<br />

un cluster, un amas de notes, une sorte de trou noir musical au centre de la tessiture,<br />

qui flottait longuement animé de mouvements internes violents, entourés de<br />

brèves lumières telles des trajectoires de particules et l’autre, l’explosion finale<br />

de l’orchestre dans un chaos sonore très agité, un chaos surmonté d’une parole<br />

supérieure. En effet, défiant le désordre particulaire des cordes, du piano et des<br />

bois, les cuivres énonçaient implacablement, en unisson rythmique, une suite de<br />

phrases et d’accords qui contredisaient le bruit de fond de cet univers musical.<br />

C’était en somme le verbe et le chaos. Boulez avait beaucoup aimé cette idée et<br />

il l’avait, à sa manière, reproduite dans l’une de ses plus grandes partitions bien<br />

des années après.<br />

“Que se passerait-il, se demanda Des Ombres, si cette musique était parfaitement<br />

jouée ? Se peut-il qu’elle corresponde à quelque chose ? Qu’elle agisse sur<br />

le monde, qu’elle puisse donner naissance à un monde ?”<br />

Ce n’était pas une pensée magique ou superstitieuse. Il croyait vraiment que<br />

la musique est une structure énergétique et que dans certaines conditions elle<br />

peut… modifier un contexte réel. <strong>Le</strong>s idées lui venaient par rafales, c’était toujours<br />

la même chose il voyait l’œuvre dans son entier ou un fragment d’elle<br />

comme une sorte de petite sphère lumineuse lointaine. Après, il fallait se résigner<br />

à s’isoler, à se retrouver devant une page blanche et à préciser les détails de la<br />

vision 56 . Il poursuivit son écriture mais cette pensée habitait son esprit. Il nota<br />

sur une page de brouillon ces mots “la fin du monde ce sera une musique”, il<br />

hésita, entrevit toute l‘inimaginable puissance d’une musique qui modulerait<br />

56 Tout le contraire de ce brave Umberto Eco qui sue un roman en trois ans. NdEf ier<br />

53


l’énergie du monde et ajouta “terriblement précise”. Il ne sut jamais quand ça se<br />

produisit mais, pour la seconde fois de sa vie, il tomba dans le soleil.<br />

Il revint à la conscience de l’instant.<br />

À Londres, devant lui, Boulez dirigeait les trois dernières mesures de la Nuit<br />

Transfigurée.<br />

La fin d’un voyage. Une mise en ordre dans la pureté absolue. Un récit d’après<br />

la mort. <strong>Le</strong>s harmoniques des cordes éclairèrent cette fin d’Univers. C’était<br />

absolument magique.<br />

Écouter ainsi la Nuit transfigurée c’est comme de fermer les yeux de quelqu’un<br />

qu’on a beaucoup aimé.<br />

54


La loterie de Safran<br />

<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa IV<br />

(Allegro vivace)<br />

Je me suis rendu compte, à mon achronissage, après avoir réglé les petits<br />

problèmes pratiques que Dieu avait totalement négligés, que la réponse la plus<br />

probable à ma quête était du genre saphique, les filles préfèrent les filles. C’est<br />

un vieux begriff 57 qui a repris du poil de la bête juste avant Evène. Vous allez voir,<br />

le monde de nanas dans lequel j’arrivais fonctionnait à merveille sans mecs. Je<br />

connaissais ça bien entendu, à la différence que je suis une FAE, une fille d’après<br />

Evène et aussi que je suis sexuellement omnivore. Je les comprenais. Elles se<br />

faisaient moins chier, pas d’enfants imprévus, partageaient les mêmes courbes<br />

orgasmiques, tout ça sans parler de la beauté partagée, une beauté totalement<br />

exacerbée et surtout du fait qu’il y avait encore un tabou à violer.<br />

Dieu est un mec - il me semble - et je l’adore. Je me le ferai à la moindre<br />

ouverture mais pour l’heure il m’avait expédiée dans un futur proche en<br />

négligeant totalement ces petits détails qui font la vie d’une femme. Je n’avais<br />

pas d’argent, mes fringues étaient sincèrement fatiguées et pas du tout dans le<br />

style de ce L World où je venais de débarquer et je ne vous parle même pas de<br />

maquillage et de ces petits riens qui sont les briques de base de notre féminitude.<br />

Ma beauté (intacte) et mon tempérament incontrôlable ont arrangé les choses<br />

mais je me suis promis de veiller au grain par la suite et de Lui présenter la liste<br />

de mon strict minimum de voyage.<br />

Si vous voulez savoir ce que j’ai vu en premier ce sont deux grandes noisettes<br />

lumineuses. Je m’étais trouvée dans un couloir très anonyme, j’ai poussé une<br />

porte et suivi quelques enfilades sur quoi je suis tombée dans une chambre très<br />

cosy avec vue sur la mer. Je ne m’attendais pas à ça, j’avais plutôt l’impression<br />

d’être dans un hôpital désert. La suite dans laquelle je venais de pénétrer était<br />

superbe, du cuir, du bois de santal ou d’acajou, du design, un bar, de vastes fauteuils<br />

et, petite note sympa, cette belle fille attachée sur une sorte de chevalet et<br />

à qui appartenaient ces beaux yeux noisette.<br />

- Oh ? Salut ! j’ai fait (Je ne suis pas toujours très originale).<br />

Elle me fit comprendre, d’un regard éloquent, qu’elle me répondrait avec plaisir<br />

si… je lui enlevai le bâillon sophistiqué qu’une bonne âme lui avait posé. Je<br />

57 Expression parfois utilisée chez les intellos parisiens des années soixante : un concept<br />

familier<br />

55


l’examinai, c’était du beau matos ! L’équivalent d’un sexe masculin (Mon Dieu !<br />

Oh Mon Dieu quelle hérésie en ces lieux !) l’obligeant à faire une gorge profonde<br />

ininterrompue et à bien maîtriser sa respiration sous peine d’étouffement fatal,<br />

doté par raffinement supplémentaire, me sembla-t-il, d’un petit senseur qui, en<br />

cas de morsure violente de la part de la victime, déclencherait le mouvement<br />

rotatif du pénis envahisseur, pour le plus grand inconfort de l’imprudente. Vous<br />

voyez pourquoi elle était si sage. Pour le reste la grande classe. Des courroies de<br />

cuir fauve très élégantes lui enserraient la taille, les poignets et les chevilles, le<br />

cou et les bras, le tout l’obligeant à rester arqueboutée sur ce meuble pas banal,<br />

totalement offerte, son mignon petit sexe, masqué d’un triangle de deux ou trois<br />

centimètres à la disposition de la première venue. Ce qui me donna des idées.<br />

J’étais certaine que sa propriétaire allait se pointer mais, vous me connaissez,<br />

une envie me prit. Ça faisait un temps fou que je n’avais pas joui. Pour moi c’est<br />

inconcevable, je meurs si je m’arrête de fonctionner, je suis comme ces malheureux<br />

requins dont on a eu tellement de mal à sauver l’espèce et qui ne doivent<br />

jamais cesser de nager, même en dormant, faute de périr d’asphyxie. Vous savez<br />

ce que j’aime dans le sexe ? La race. Voilà, c’est dit, le mot est lâché. Cette proie<br />

offerte devant moi était un superbe spécimen de la race fille humaine. Peux pas<br />

vous expliquer mon comportement, probable que je porte en moi des codes de<br />

reproduction de l’espèce, codes parfois un peu déviants car je me voyais mal la<br />

féconder. Mon côté fille garçon était en effervescence. Ça m’excitait furieusement<br />

de voir la beauté de cette fille devant moi, à ma disposition. Fallait que je<br />

me la goûte. Je risquais peut-être de me faire flinguer (on est avant Evène…)<br />

mais je ne pus résister à examiner de près, très sensuellement, le corps de la<br />

belle Eurasienne, elle ne pouvait simplement pas être d’une autre provenance.<br />

J’ai passé un bon moment à encercler ses chevilles de mes petits doigts fins, à<br />

suivre la courbe de ses mollets - j’ai constaté que son creux poplité 58 était trempé,<br />

bon signe ça ! - avant de remonter vers ses cuisses fermes. Cette fille était musclée<br />

! Je la sentis frémir sous mes caresses et subitement, je décidai de l’appeler<br />

Safran, en souvenir d’un très vieux tube dont j’ai entendu des versions sûrement<br />

très éloignées de l’original. Je lui embrassai doucement les seins et, proche de<br />

son oreille, très familière, très douce je lui ai expliqué mon marché.<br />

- Je ne sais pas qui tu es, mais pour moi tu t’appelles Safran. Donc je vais<br />

t’enlever ton bâillon, si j’y parviens… et peut-être le reste, sous la seule condition<br />

que tu restes bien chaude pour moi, comme tu me sembles l’être. OK ?<br />

58 Ce creux secret en haut du mollet, coin douillet dont on dit que tapoté 7 fois de la<br />

pointe de l’index à 1.3 fois le rythme cardiaque de sa propriétaire il provoque un orgasme de 7<br />

sur l’échelle de Vésuve ou de <strong>Le</strong> Coq. NdEsusp<br />

56


Jamais vu des yeux plus d’accord que ça !<br />

J’ai examiné son bâillon et le reste avec précaution, ça pouvait être piégé, et<br />

avec douceur, non sans la masturber par petits coups ici et là, je l’ai rendue à la<br />

vie civile, si je puis dire ainsi. Je n’ai même pas eu à la débarrasser de son slip<br />

triangulaire, il n’était que pro forma (c’est le cas de le dire), je l’ai négligemment<br />

poussé de côté. Et la juteuse est tombée entre mes mains. Wow ! Je vous<br />

dis pas, je me suis rattrapée car, si mes calculs sont exacts, ça faisait six secondes<br />

dans les chrono-dégeuleurs, trois ou quatre heures à Sullivan Street et une petite<br />

demi-heure chez Dominik’s que je n’avais pas joui. Faut pas exagérer !<br />

Curieusement, il me sembla déchiffrer sur l’écran géant pendu au mur un très<br />

beau texte, totalement déplacé :<br />

Où, teignant tout à coup les eurasiennes délires<br />

En rythmes lents sous les rutilements de la Trance,<br />

Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lèvres,<br />

Fermentent les morènes amères de l’amour !<br />

J’ai laissé tomber. Je savais déjà qu’il y avait une fuite dans cette histoire.<br />

Un poème qui suintait, passablement déformé, pratiquement à chaque chapitre.<br />

Moi, je me mourais de désir impatient. Je l’ai attrapée d’une main ferme, bien<br />

décidée à la vider jusqu’à la dernière goutte. À ma grande surprise sitôt libérée,<br />

Safran, dont je ne saurais probablement jamais le vrai nom, était en pleine forme.<br />

Aucune raideur due à la cruauté du traitement qui lui avait été infligé, souple,<br />

humide et chaude. Elle m’a changé de cette salope de BMW et de son cortège<br />

d’Hannelores. Finalement c’est moi qui l’ai fatiguée mais j’ai eu du boulot et<br />

personne n’est venu nous déranger. Quand est venu le temps d’une pause on<br />

s’est dévisagées et on a éclaté de rire !<br />

- D’où diable viens-tu ? a-t-elle fait.<br />

- Du futur et de chez mon copain Dieu, j’ai répondu, laconique.<br />

- Génial ! C’est le genre de discours qui passe ici.<br />

- Mais, hé ! Attends ! Qui t’a mis dans cette situation ? Ça t’arrive souvent ?<br />

- Oh ! Pas tant que ça, en fait tu tombes dans une Niki Clover party. Et j’ai été<br />

désignée comme chèvre par la loterie. Tu connais les règles ? Je suis à toi.<br />

J’ai beau m’appeler Mélissa, j’avais quand même besoin de quelques explications.<br />

- Qui est cette Niquée l’Ovaire, ai-je fait, faussement innocente.<br />

57


- Niki Clover ! Tu ne la connais pas ? Tu crains, Mélissa, vraiment ! Niki c’est<br />

l’égérie d’Erucktavision, l’emblème vivant du <strong>Le</strong>sbian Couple.<br />

Elle m’en dirait tant ! La réputation de cette nane n’avait jamais dépassé Evène<br />

mais je voulais bien croire qu’elle avait eu son heure de gloire avant le grand<br />

chambardement.<br />

- Elle donne une super-fiesta ce soir, ajouta Safran, avec Cameron Cruz. Elles<br />

se détestent mais organisent les délires les plus bleus de la côte Est.<br />

- Ah ? Et à part ça, elles font quoi ? fis-je méfiante.<br />

- Elles chantent, elles font dans l’événementiel, elles lancent des marques,<br />

elles ont de gros revenus.<br />

- Et de grandes dents, grommelais-je, plus très sûre de vouloir remettre ça<br />

avec Niki et Cameron.<br />

Je me laissai malgré tout tenter. D’une part j’avais un papier à pondre et à ce<br />

niveau, la réponse s’esquissait évidente, telle que je l’avais prévue, les femmes<br />

préfèrent les femmes, les filles les filles, les femmes les filles et les filles les<br />

femmes, dans l’ordre de probabilité croissante. Ça serait sûrement amusant de<br />

participer à une monstrueuse orgie californique lesbienne du XXI siècle décadent,<br />

probablement juste avant Evène.<br />

Une question flottait dans mon mental : cette hypersexualité de masse pouvaitelle<br />

être à l’origine des événements ? Je ne voyais pas comment. Ce n’était rien<br />

de plus qu’un attribut d’un monde décadent. Mais, tant qu’à faire, ça pouvait<br />

être chouette. Safran m’a expliqué que les events de Niki et Cameron avaient<br />

toujours des parcours obligés. L’un d’entre eux était celui de la loterie, rien de<br />

bien méchant, la désignée était mise dans la situation où je l’avais trouvée et<br />

celle qui la libérerait aurait un droit de maître 59 sur elle, entre une nuit et une vie,<br />

à décider. La belle Eurasienne avait eu de la chance de tomber sur une visiteuse<br />

du futur…<br />

- Y’en a d’autres ? demandai-je.<br />

- Pas grand-chose. L’Aquarium, et… tu devrais être habillée correcte.<br />

Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander en quoi consistait le parcours<br />

de l’Aquarium et ça allait me jouer des tours. Ce qui me préoccupait c’était<br />

ma tenue, mes fringues, un souci bien féminin, vous en conviendrez. Nous autres<br />

les filles d’après Evène nous ne sommes pas différentes des petites anciennes,<br />

la parure c’est dans nos gènes. Habillée correcte, ici, en clair, signifiait déshabillée,<br />

dans le genre de Safran qui ne portait que trois petits triangles d’à peine<br />

trois centimètres carrés aux endroits stratégiques et beaucoup de ficelle dans<br />

59 Maîtresse est un terme mal vu chez les nouvelles She males, elles le considèrent<br />

comme un archaïsme et un pléonasme. NdTprftn<br />

58


le cul et autour du cou. C’est la loi du désir, D=St/Sc 60 , tout le monde sait ça et<br />

c’est pourquoi pendant longtemps les mecs ont dépensé des fortunes pour que<br />

nos corps soient dénudés et surlignés, nos pieds avec quelques brides, nos dos,<br />

nos jambes et tout le reste. Je me suis dit qu’avec les restes de mes pantalons de<br />

cuir ultra-moulants, feu mon blazer, le débardeur noir et mes escarpins à brides<br />

j’allais vraiment faire tache. Elle vint à mon secours.<br />

- T’inquiète ! Nous sommes dans le bureau de Niki et je connais tous les coins<br />

secrets. Je te choisis deux ou trois trucs et personne ne saura (elle pouffa) que tu<br />

viens du futur.<br />

Une chose me tarabustait, j’avais marché dans des corridors aussi blancs<br />

qu’inhospitaliers, le genre hôpital si je puis commenter ainsi. Je n’imaginai pas<br />

cette Niki habiter dans un tel endroit. En quelques pas rapides je fus à la porte<br />

que j’avais franchi quelques siècles plus tôt et ne pus réprimer un hoquet de surprise.<br />

De la moquette vieux rose, une floraison de plantes vertes, des lampes aux<br />

couleurs changeantes, des plasmas géants où défilaient toutes sortes de créatures,<br />

ça n’était plus le même endroit. Comment faisaient-ils ça ? J’étais absolument<br />

certaine que la TEUCLITOP n’avait pas existé avant Evène. Cette interrogation<br />

resta sans réponse. Après tout, on ne se déplace pas impunément dans les couloirs<br />

du temps. Ça joue des tours, le Temps. Je classai, en notant mentalement<br />

d’y revenir aux calanques grecques 61 .<br />

Safran s’affaira, elle me changea en corsaire, jeans taille basse, bottes à revers,<br />

ceinture de cuir hyperlarge avec sa boucle en tête de mort et un haut dont le bas<br />

était très en dessus de mon nombril mais qui mettait mes épaules en valeur ; elle<br />

tint à me faire essayer les ensembles très BCBG de cuir verni avec leur lacis<br />

de chaînes pendantes, à chaque variation elle s’offrait de minis orgasmes cette<br />

salope (ça, c’est l’effet Mélissa), je me souviendrai toujours de ce body noir avec<br />

six lacés croisés de mes seins à mon sexe, un vrai tueur ! Finalement nous avons<br />

opté pour une tenue style “fruit défendu” qui ne cachait pas grand-chose de mon<br />

anatomie mais me rendait, selon elle, irrésistible. Ainsi simplifiée, je la suivis<br />

dans un mini-dédale de pièces somptueuses et très silencieuses, traversant des<br />

aires de lumières tamisées, une ambiance très intimiste. Cette Niki devait être<br />

quelqu’un de bien, son repaire le proclamait. Pas nécessaire que je vous raconte<br />

comment Safran m’avait (dés)habillée, vous avez de l’imagination sinon vous<br />

ne seriez pas là en train de prendre votre pied à me lire et à vous pogner comme<br />

60 Dans laquelle formule D= désir sexuel, St Surface corporelle totale et Sc surface<br />

corporelle couverte.<br />

61 De deux choses l’une, ou la culture de Mélissa resemble à un fromage suisse ou elle<br />

s’autorise des équivalences linguistiques. Elle aurait pu parler de calandres… NdT<br />

59


des malades.<br />

En fin de parcours elle ouvrit une porte d’allure innocente.<br />

Faut toujours vous attendre à une saloperie quand quelqu’un vous balance<br />

ça, “elle (il) ouvrit une porte” 62 . Il faut qu’une porte soit fermée ou verrouillée,<br />

l’abominable n’est jamais loin. Chez moi c’est l’open space qui prévaut, mais on<br />

est loin de ma tanière, c’est vrai. Pour en revenir aux portes et à leur fâcheuse<br />

tendance à libérer du destin, croyez-moi, il vaut mieux y frapper en pleurant 63<br />

que de les voir s’ouvrir. Je tenais ça de deux auteurs d’avant Evène, <strong>Le</strong>coq 64 et<br />

le vieil Antonio. Une porte, quand ça s’ouvre, c’est comme dans les vieux films<br />

américains. Vous pouvez vous retrouver au fond de la mer, face à un squale mal<br />

embouché qui n’a pas signé la convention de Genève, chez votre hétéropercepteur<br />

65 , dans un donjon draculien, au bord d’un trou noir, chez l’Hydre de l’Herne<br />

ou au milieu des embrouilles de midi du carrefour Denfert ; une porte ça ne<br />

donne que sur emmerdes et morts subites, c’est pas rassurant les portes, c’est,<br />

comment le dire ? C’est médiéval !<br />

Elle l’a ouverte et on est tombées dans l’enfer des spots aveuglants, d’une<br />

musique qui me faisait vibrer les côtes, dans un tourbillon de jeunes sorcières<br />

folles de leur corps et en quête de viande fraîche. Il y avait des filles peintes<br />

en camaïeux de bleus épais comme les mutantes de feu Hollywood, des nanas<br />

sabbat, des filles shale femme ou shalom, une mer de culs et de blondeurs, des<br />

créatures sorties des toiles de Jérôme l’Ancien 66 , l’une s’était affublée d’un<br />

gigantesque entonnoir sous lequel on distinguait des jambes de rêve, d’autres, en<br />

bandes organisées, affectaient un comportement de vélociraptoresses, beaucoup<br />

étaient tenues en laisse par des femmes en chignon, c’était (je sais, je me répète),<br />

c’était… médiéval. La musique, une Trance dégénérée, dominait tout et dirigeait<br />

cette houle de hanches et de jambes frappeuses ; je suis plutôt blasée et il m’en<br />

faut beaucoup mais là, je crois que j’ai été légèrement impressionnée.<br />

En manque de références j’ai exploré mon microshort et, avec horreur, je<br />

62 Ouvrir une porte et s’en prendre plein la figure est chez JG un thème avec variations,<br />

vous avez l’occase de vous en appercevoir. NdE<br />

63 Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant/ La vie est variable aussi bien que<br />

l’Euripe, Apollinaire NdArch/ Et c’est pas la dernière fois qu’il vous la resert NdEff<br />

64 Jacques <strong>Le</strong>coq, héros de la trilogie Oriane Park et notamment de On a volé le Big<br />

Bang. Et San Antonio dont la postériorité assume qu’il fut le vrai fondateur de l’Académie<br />

française. NdE<br />

65 Après Evène les filles ont, en majorité, reporté le détestable et une partie de leur critique<br />

fondamentale du structuralisme sexuel humain sur l’autre, le mâle, d’où ce néologisme.<br />

NdTtsdsj<br />

66 Nous assumons Hieronimus Bosch avec une pensée pour Jérôme Kerviel NdT<br />

60


me suis aperçue que j’avais perdu mon FemmeTouch. Merde ! Je me suis senti<br />

déstabilisée et j’ai commencé à palper mon amazonite - on ne sait jamais - quand<br />

une petite blonde peroxydée s’est plantée devant nous.<br />

- Mélissa, à fait mon guide, je te présente Niki.<br />

J’ai failli défunter. C’était Cannelle !<br />

Ou du moins celle que je croyais connaître sous ce nom. Il y avait d’autres<br />

voyageuses du Temps chez PodSex ! Heureusement, depuis le début, il me restait<br />

mon string fétiche et j’en sentis la merveilleuse ficelle me travailler la fente, ça<br />

me rassura et c’était toujours ça que cette salope n’aurait pas. Je pris un air innocent.<br />

- Oh ? Salut Niki !<br />

- Salut Mélissa ! On t’attendait et, comme tu vois, je suis venue personnellement<br />

te souhaiter la bienvenue dans la plus folle de mes soirées !<br />

- Merci, Niki ! j’ai fait, je sens que je vais bien m’éclater !<br />

Mais j’ai fortement resserré ma prise sur l’amazonite.<br />

61


Cette terre de discipline et de penseurs<br />

(Genève aurait eu vite fait de l’étouffer)<br />

Des Ombres, placé second dans le Top 2 mélissien avait eu, on doit le souligner,<br />

de bons rapports avec l’Allemagne. Cette terre de discipline et de penseurs lui<br />

avait apporté à maintes reprises le savoir, les moyens et l’énergie nécessaires<br />

pour lutter contre la torpeur genevoise.<br />

Devenir compositeur n’est jamais évident. Il était tombé dans la lumière de<br />

Chopin et de Beethoven au bord du lac d’Annecy ? Certes, mais Genève aurait<br />

eu vite fait de l’étouffer. Cette cité ambiguë possédait un grand souffle spirituel<br />

mais également une chape d’ombre qui jouait le rôle d’éteignoir.<br />

Quand il déclara à ses parents, un père artiste magnifique qui construisait des<br />

églises et ignorait l’avidité de ce monde, une mère d’origine italienne lui dispensant<br />

tant d’amour qu’elle lui donna, in fine, une immense sécurité personnelle mais<br />

aussi, femme toujours inquiète pour les siens, un sens de l’honneur du clan et de la<br />

responsabilité qui ne lui facilita pas toujours la vie. Quand il leur déclara vouloir<br />

devenir compositeur ils furent fort embarrassés. Non point qu’ils l’eussent voulu<br />

avocat ou pire encore notaire, banquier ou commerçant, dans sa famille on vivait<br />

une certaine aristocratie de la pensée et du sentiment et l’on ne parlait jamais<br />

d’argent, mais bien en ce qu’ils prirent peur de le voir sans travail et sans destin<br />

dans une ville qui ne générait pas trop de musiciens de génie, tant s’en faut. On<br />

transigea sur la Faculté des <strong>Le</strong>ttres, sur le conseil du Directeur du Conservatoire<br />

qui était en ce temps-là, un fort honnête homme 67 . <strong>Le</strong>s parents pensèrent qu’au<br />

pire il pourrait enseigner et le jeune homme se dit qu’il s’amuserait beaucoup à<br />

l’Université. Il y avait autre chose, nourri dès son enfance de littérature classique<br />

il avait le secret désir d’écrire mais n’osait pas. Une Mélissa de passage lui auraitelle<br />

dévoilé l’existence de ses futurs romans qu’il en eut été ravi mais totalement<br />

incrédule. Il ne se pensait bon qu’à écrire des partitions et, peut-être, un jour,<br />

qui sait ? diriger un orchestre. Il vécut ainsi quelques années dans la Faculté<br />

et, le facteur chance aidant, il eut les meilleurs enseignants, Marcel Raymond,<br />

Jean Rousset et le jeune Starobinski. Il tomba amoureux fou d’une beauté locale<br />

que son meilleur ami venait de mettre sous scellés et rédigea quelques textes<br />

jugés trop originaux, comme par exemple de définir avec des mots la couleur<br />

des tonalités harmoniques. Si mineur est-il blanc, ré majeur nuancé de vert et fa<br />

67 Samuel Baud Bovy, musicologue et chef d’orchestre<br />

63


mineur fait de nuances d’or ?<br />

La médiocrité genevoise réussit toutefois à l’atteindre. Il était bon en grec<br />

ancien et médiocre en latin qui l’ennuyait. <strong>Le</strong> professeur de grec était un vieux<br />

papy acide du nom de Victor Martin qui, apprenant que le jeune homme menait,<br />

parallèlement à ses études de lettres une carrière de compositeur, le convoqua<br />

et le somma de renoncer. “On ne peut pas faire deux choses à la fois, lui dit-il,<br />

il vous faut choisir avant de vous présenter aux examens de licence.” C’était un<br />

ultimatum mais Jacques ne le prit pas au sérieux, il craignait un peu le thème<br />

et la version latine, pas l’épreuve du grec. <strong>Le</strong> cours des choses fut humain. <strong>Le</strong><br />

professeur de latin était une jeune femme sensible à son charme. Il se retrouva<br />

avec une note inespérée dans cette discipline et une note éliminatoire en grec.<br />

Il passa voir le censeur de ses espérances musicales et l’entretien eut le mérite<br />

d’être clair.<br />

- Abandonnez-vous la musique ? demanda le vieux.<br />

- Mais… jamais ! Monsieur.<br />

- Alors ne vous représentez pas, vous perdriez votre temps.<br />

Il se retrouva avec des anticipés de licence, de nouvelles connaissances et un<br />

ennemi puissant dans la place.<br />

Ce fut une bonne chose. Cette hostilité de la basse-cour genevoise et un peu<br />

de hasard en forme de François Lachenal 68 le poussèrent vers l’Allemagne où il<br />

rencontra Boulez et, en une matinée, en apprit plus sur la musique qu’en trois<br />

ans de Conservatoire.<br />

Quelques années plus tard, membre de cette mouvance de la musique nouvelle,<br />

il se retrouva très souvent en Allemagne. Boulez mis à part on y faisait toujours des<br />

rencontres fascinantes, c’était là que l’action se passait. Comme Heinrich Strobel<br />

par exemple. La rencontre est incroyable. Strobel, musicologue et critique arrive<br />

à la direction artistique du Sudwestfunk Orchester. À ce moment il n’y a pas<br />

d’autre orchestre au monde qui joue un rôle aussi central. La plus grande partie<br />

de son temps est consacrée aux musiques nouvelles, c’est un orchestre de radio<br />

qui, contrairement aux autres, ne subit pas beaucoup de pressions du répertoire et<br />

c’est grâce à lui, à Hans Rosbaud son chef prestigieux et à l’impulsion énergique<br />

de Strobel que naîtra le fameux festival de Donaueschingen, aux sources du<br />

Danube. Jacques, promeneur émerveillé, se rend aux invitations du comte Egon<br />

von Furstenberg dans son château où, lui dit-on, dans le parc, coule du roc un<br />

filet d’eau qui serait la source du Danube. Il ne la voit pas mais il commence à<br />

s’habituer à cette upper class qui va disparaître, du moins en qualité. On ne voit<br />

68 Souvet cité, Grand Provéditeur du Collège de Pataphysique pour les provinces ultramontaines.<br />

64


dans ces réunions de haut niveau que des noms connus, Strawinski, Suzanne<br />

Tézenas qui joue un rôle important à Paris dans le monde de l’avant-garde, les<br />

petits-enfants de Wagner, de grands solistes mêlés à cette première génération de<br />

révolutionnaires que sont les Boulez et autres Stockhausen, l’espoir allemand.<br />

Ce n’est pas par hasard que Boulez a fui Paris qui le combat et s’installe à<br />

Baden-Baden où il dirige cet orchestre de plus en plus régulièrement.<br />

La scène entre Jacques et Strobel est originale. <strong>Le</strong> grand patron apprend que le<br />

jeune genevois se rend à Baden-Baden chaque fois que Boulez peut lui accorder<br />

du temps. Il le convoque dans son bureau et le jauge. Sans succès, le jeune<br />

homme n’entre pas dans les catégories qu’il connaît.<br />

- Que faites-vous chez Pierre ? aboie-t-il.<br />

Jacques lui parle de l’enseignement du maître français.<br />

- Vous devez aller habiter à l’hôtel, attaque Strobel, il a une partition à terminer<br />

et les répétitions approchent.<br />

Jacques sourit poliment et l’assure qu’il ne reste jamais longtemps à Kapuzinerstrasse,<br />

dans les collines qui entourent la petite ville balnéaire.<br />

Strobel, qui veut avoir le mot de la fin, se lève, théâtral, et désigne une immense<br />

affiche punaisée derrière son bureau.<br />

- Vous voyez ça ?<br />

Jacques opine du bonnet.<br />

- Qu’est-ce que c’est ?<br />

- Ça ressemble fortement à un rhinocéros, dit le jeune compositeur très surpris<br />

par cette sortie. À ses yeux l’animal évoque plutôt un Panzer…<br />

Strobel, alors, se déplie totalement, il est presque grand, massif, chauve avec<br />

une nuque à la Eric von Stroheim et dit :<br />

- C’est beaucoup plus qu’un rhinocéros. C’est la force à l’état pur. C’est<br />

indomptable. C’est ce que je suis et c’est ce que je veux encourager. Êtes-vous<br />

un rhinocéros ?<br />

<strong>Le</strong> Genevois le met alors en porte à faux.<br />

- J’ai ma propre force, dit-il. Vous ne la sentez pas ?<br />

<strong>Le</strong>s yeux durs et fixes de Strobel le sondent longuement puis le maître des<br />

démons solistes et ripiénistes éclate soudain de rire.<br />

- Vous me plaisez. Je veux vous commander une œuvre pour le prochain Festival,<br />

mais partez vite d’ici, Pierre ne doit pas être dérangé.<br />

La commande arrivera, ce sera Monades III, dernier volet de la trilogie, dont<br />

Hans Rosbaud donnera la création mondiale, un homme d’une très grande<br />

finesse, chef d’orchestre de l’ancienne école et musicien hors pair.<br />

65


Strobel, au moment de son entretien avec Jacques est Président de la SIMC 69 .<br />

Si une Mélissa de passage ou quelque indiscrétion venue du futur lui avait fait<br />

entrevoir que le jeune Suisse qu’il tente de bousculer sera son successeur il est<br />

certain qu’une crise cardiaque l’eut emporté sur le champ.<br />

<strong>Le</strong> rhinocéros n’a vu qu’une proie de passage sur son territoire, en tous les cas<br />

pas un prédateur.<br />

Bon an mal an, l’Allemagne contribue grandement à former et développer le<br />

jeune musicien genevois et lui apporte un oxygène qui s’est raréfié dans sa ville<br />

natale.<br />

C’est encore ce pays qui va mener notre homme à la présidence de la SIMC.<br />

69 Société Internationale de Musique Contemporaine, fondée en 1922 par les grands<br />

compositeurs de ce temps, Bartok, Berg, Hindemith, Honegger, Kodaly, Milhaud, Ravel, Respighi<br />

Schönberg, Strawinsky, Webern.<br />

66


Variances de la Teuclitop<br />

(Incise)<br />

L’Imprécis de géographie urbaine, commenté en début du présent ouvrage,<br />

est quelque chose que les gens n’ont jamais vraiment assimilé ! Bien qu’il<br />

s’agisse d’une évidence physique - nous avons vu Mélissa sortir de la tour de<br />

PodSex dont le siège est avenue Montaigne et se retrouver sur Denfert en direction<br />

d’Acapulco. L’argument de base de ceux qui estimaient avoir affaire à une<br />

supercherie du Sarkodile, monarque sans lignée et en fin de mandat, était le suivant<br />

: “Expliquez-nous comment les gens qui travaillent dans un endroit donné<br />

de la cité font pour rentrer chez eux le soir, si leur domicile s’est déplacé de<br />

plusieurs milliers de kilomètres pendant la journée ?”<br />

Excellente question à laquelle il n’avait jamais été répondu. <strong>Le</strong>s objecteurs<br />

ignoraient deux choses 1) on ne signalait pas de variance notable dans la population<br />

et 2) personne ne savait si les gens qui rentraient le soir étaient les mêmes<br />

que ceux qui étaient partis le matin. Cette dernière considération aura certainement<br />

été favorable à la paix des ménages et à l’enrichissement des gênes occidentaux<br />

(aucun cas de Teuclitopie n’ayant jamais été signalé en Afrique, en Arabie<br />

ou en Chine les apports étaient essentiellement latinos, européens et indiens<br />

et la consanguinité avait tendance à diminuer). <strong>Le</strong>s lois de la Teuclitop ayant<br />

résisté aux militaires américains, elles pouvaient affronter ce genre de critique.<br />

Toutefois c’est au niveau de la désintégration de la société que la Teuclitop peut<br />

avoir joué un rôle prépondérant, un peu à la manière des termites, par prolifération<br />

souterraine, entraînant la chute subite de grandes maisons réputées pour leur<br />

solidité.<br />

Que disait cette science récente ? Qu’il était devenu pensable de provoquer des<br />

glissements topologiques 70 stables pour une durée limitée. Pour parler en langue<br />

commune disons simplement qu’on pouvait générer des situations désordonnées<br />

qui paraissaient stables quelques instants. Ou encore plus simple, on pouvait<br />

générer un bordel crédible. Ce principe de désordre fut adopté par tous les établissements<br />

bancaires de la planète avant Evène bien que, à notre connaissance,<br />

la Teuclitop n’ait pas vu le jour en ce temps-là. Ce paradoxe temporel se résout<br />

simplement si l’on intègre deux facteurs, les paradis fiscaux et la délocalisation.<br />

L’argent et le travail n’étaient nulle part. Un travailleur français perdait le matin<br />

70 La topologie est une branche des mathématiques concernant l’étude des déformations<br />

spatiales par des transformations continues (sans arrachages ni recollement des structures).<br />

67


son emploi à Taïwan et se trouvait biffé des registres d’une firme américaine,<br />

laquelle venait se situer transitoirement en Suisse avant de retourner au Delaware<br />

via Nassau. <strong>Le</strong> capital du travailleur ne variait pas car il n’en avait point et<br />

le capital de la firme en question bénéficiait du glissement provisoirement stable<br />

d’une gestion désordonnée. Ce qui explique très bien les mouvements accélérés<br />

de l’argent autour de la planète et l’extraordinaire intrication des pouvoirs bancaires<br />

et parabancaires. <strong>Le</strong> monde avait glissé sans le savoir dans un chaos stabilisé<br />

à court terme et les banquiers jouèrent le rôle de termites. Ils se régalèrent<br />

mais il reste évident qu’ils ne comprenaient rien aux principes en jeu et qu’ils ne<br />

firent rien de plus que de céder à leur avidité de déséquilibrés.<br />

<strong>Le</strong>s marchés financiers sont considérés aujourd’hui comme les précurseurs<br />

des vecteurs d’imprécision en géographie urbaine.<br />

On peut situer là le début des événements bien qu’il subsiste une objection.<br />

Qui aurait été assez fou pour provoquer ces glissements financio-teuclitopiens ?<br />

Par évidence ce ne pouvait être que les Américains qui disposaient de réseaux<br />

assez puissants pour peser sur la destinée du grand ensemble mondial, fut-il<br />

désordonné. Mais, ces Américains avaient-ils ressenti le désir de prendre de tels<br />

risques ? <strong>Le</strong> peuple non. Une dizaine de financiers (dont aucun n’a été pendu<br />

publiquement à un crochet) l’a fait. Ce qui reste mystérieux, c’est l’équation<br />

des transformations sexuelle du rendement financier. Elle est fort complexe car<br />

elle mesure la transformation du profit (en euros) en énergie de reproduction<br />

(spdiff, ou concentration de spermatozoïdes et leur diffusion à bonne destinée).<br />

<strong>Le</strong>s mesures effectuées montrent que les vecteurs humains évoqués dans cette<br />

affaire n’existent pas, au sens biologique du mot. Nous aurions ainsi affaire à<br />

des morts vivants, les zombies de la finance et il se peut qu’ils soient évoqués<br />

plus tard en ce récit.<br />

68


Niki, Cameron, le squale et moi !<br />

<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa IV b<br />

(Furioso y amoroso)<br />

Niki m’a embarquée d’autor. Comme ses mains se renseignaient sur ma personne<br />

- des mains expertes je dois le reconnaître - je n’ai pas osé lui demander si<br />

elle était Cannelle la fille outsider de PodSex, celle que Big Mama avait démolie<br />

d’une manière horrible. Je l’examinai à la dérobée, c’était une petite métisse<br />

blonde très dense, très musclée avec un sourire carnassier. Pas du tout mon<br />

genre, mais je ne voulais pas me la mettre à dos dès la première minute. Safran<br />

me suivait et Niki m’a balancé une vanne :<br />

- Alors, tu débarques et tu trouves le moyen de gagner à la loterie ? Elle est à<br />

toi. Fais-en ce que tu veux.<br />

C’était déjà fait mais je me suis abstenue de le préciser. J’avais une peine<br />

épouvantable à entendre ce qu’elle me disait tant les baffles vomissaient des<br />

décibels. Si Niki était bien Cannelle elle avait été renvoyée avant Evène par<br />

les chrono-dégueuleurset elle s’en était plutôt bien sortie ! Et elle avait de toute<br />

évidence un gros compte à régler avec BMW ! Soit elle me proposait une alliance,<br />

soit elle me transformait en bombe humaine et me renvoyait chez PS. Je<br />

ne voyais pas d’autre alternative. Je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir plus avant,<br />

l’ambiance m’a happée, je suis descendue le long d’une avenue d’ovations et de<br />

sarcasmes jusqu’à un vaste podium sur lequel une grande noiraude m’attendait<br />

les bras croisés. J’ai grimpé les marches, je crois bien qu’en vingt mètres je<br />

m’étais fait violer cinquante fois, et j’ai salué Cameron. Qui d’autre eh ?<br />

- Moi, m’a sorti la Latina, je ne suis pas du tout contente de te voir ici.<br />

J’avais oublié ma trousse à répliques dans le vestiaire de Niki.<br />

Elle se tourna vers la masse féminine, agrippa un micro et beugla :<br />

- Pas contente de la voir !<br />

Brève surprise suivie de huées en crescendo.<br />

Très experte, elle attendit que la soupe monte et poursuivit :<br />

- Pas contente du tout !<br />

Vociférations au carré. Sur quoi, pointant son petit doigt sur moi elle précisa<br />

aimablement :<br />

- À cause d’Elle !<br />

Je me suis dit que Dieu avait besoin de lunettes. Il venait de m’envoyer à une<br />

mort certaine ! <strong>Le</strong>s Bacchantes étaient furieusement unies et je n’avais aucune<br />

69


chance de m’en sortir, elles allaient comme de coutume me mettre en pièces.<br />

Je m’apprêtai à formuler ma dernière volonté, quelque chose de smart, de<br />

bien tourné, d’élégamment drôle dont on parlerait dans les chaumières d’avant<br />

Evène, quelques mots impérissables qui tomberaient, je l’espérais dans les<br />

oreilles pourries de Big Mama, quand Cameron lança :<br />

- Parce qu’elle est plus belle que moi !<br />

Sur quoi, en souplesse, à l’improviste, elle me roula un long patin public. Pas<br />

trop désagréable… Consciente de l’enjeu je me pliai comme une danseuse de<br />

tango, accompagnant son étreinte. Ça marcha. Silence subit, quelques exclamations<br />

flatteuses vite suivies d’un murmure ravi qui enfla.<br />

- Et la beauté, lança la meneuse, ça se partage ! Je vous présente la célèbre<br />

Mélissa ! Elle vient du futur, profitez-en. Elle doit savoir des choses !<br />

On navigua vers le délire organisé, ce qui est le propre de ce genre de réunion,<br />

vous en conviendrez. La musique reprit en force. <strong>Le</strong>s deux leaders avaient bien<br />

orchestré leur coup. Niki monta sur le podium et, avec sa complice, entreprit de<br />

dresser l’inventaire de cette fille qui venait du futur. Alors là, ça commençait à<br />

bien faire ! Ces nanes avaient de l’ascendant sur leur public, elles étaient belles,<br />

elles avaient de la charisma mais elles ne savaient absolument pas à qui elles<br />

s’attaquaient.<br />

À une omnivore !<br />

- Tu n’es pas américaine ! remarqua Safran avec qui je dansais.<br />

- Pourquoi pas ? fis-je en écartant des poteaux de viande parfaite.<br />

- <strong>Le</strong>s Américaines s’agitent, toi tu flottes !<br />

Je me suis laissé faire en souriant, mon heure allait venir. Ça ne m’a pas pris<br />

longtemps pour les mettre à ma botte et devenir leur éphémère Reine de la Nuit.<br />

Je suis redevenue la fille irrésistible et me suis payé un bain de foule pas permis.<br />

On m’aimait, on me voulait et je crois bien que j’ai recréé en quelques instants<br />

le fameux effet Mélissa, celui qui m’avait valu l’exil. Des filles de tous genres<br />

m’approchaient, la plupart d’entre elles avaient l’air bien dans leur peau. Je ne<br />

peux pas vous en dire du mal, leur choix était naturel, elles se débarrassaient de<br />

mâles insuffisants et trouvaient chez d’autres filles de la beauté et de du temps<br />

féminin long. Car nous autres les femmes, même si nous nous agitons comme<br />

des diablesses, même si nos hanches sont capables de suivre les batucadas les<br />

plus folles, nous restons des cycles lents, c’est important de le savoir. <strong>Le</strong> décor<br />

ne manquait pas de démesure. Près du podium, éclairé de lumières changeantes,<br />

il y avait un clito “intégral” de deux à trois mètres de haut qui palpitait doucement<br />

de ses lumières intérieures et bougeait avec lenteur, se penchant vers les<br />

danseurs et les groupes. J’aurais adoré le ramener et l’exposer sur Denfert !<br />

70


Même après Evène il subsiste, dit-on, des mecs qui ne savent pas ce que c’est. Il<br />

faut dire qu’ils n’en voient que la partie émergée et que cette œuvre d’art, exposée<br />

ainsi ressemblait à une soucoupe martienne sur le point de nous flinguer. Je<br />

me suis demandé combien de belles filles étaient présentes. Je n’arrivais pas à<br />

la savoir, nous étions probablement dans un de ces hôtels de fous de Floride ou<br />

de Californie, ces théâtres de l’absolue démesure américaine d’avant Evène,<br />

j’en avais souvent entendu parler mais s’y trouver était un choc. Quelque part<br />

ces fêtes sont chastes ! Pour moi en tous les cas, impossible de me fixer sur une<br />

partenaire, je volais de succès en succès, prenant garde de ne pas vider toutes les<br />

coupes qu’on me tendait…<br />

J’ai fait connaissance de la tribu des filles Cherokees, bardées de lames effilées<br />

et de lanières de daim, de Lana Lane et de son WWW (Wet Women Web), le<br />

réseau hypertop et très accueillant, j’ai passé un moment intime avec Carlyne<br />

Montana, sous le regard myope du grand clito palpitant (a-t-on jamais vu un<br />

clito presse bite ?) et une délurée de 17 ans m’a expliqué le rituel des Girls’Night<br />

In et des Girls’Night Out, distinction à laquelle je n’ai rien compris ce qui ne<br />

m’a pas empêchée de lui donner un petit échantillon de mes civilités.<br />

Que voulez-vous que je vous raconte de plus ? Depuis ma belle Safran - qui<br />

s’était fondue dans ce ruisseau de filles - j’étais normale, c’est-à-dire en état de<br />

jouissance ininterrompue. Ça, c’est ce que les hommes détestent pour deux raisons<br />

: ils ne se sentent pas à la hauteur et ils en sont incapables ! Comme je les<br />

comprends. Pour moi c’était parfait et pour la première fois depuis le début de<br />

mes tribulations j’ai oublié l’intime réconfort de la ficelle de mon string, c’est<br />

tout dire !<br />

Je vais vous épargner le récit de mes exploits, une super-rave, une fiesta, une<br />

fête lesbienne ça se vit, ça ne se raconte pas. On nage dans une mer de progestérone,<br />

on palpe des seins, des pieds, on branle des choses biologiques mouillées<br />

et finalement c’est très impersonnel, les filles se montrent et c’est l’essentiel de<br />

la fête ; regarde comme je suis belle, regarde mes fringues, vois comme je suis<br />

tendance ; je crois qu’elles jouissent surtout d’elles-mêmes et c’est très bien. J’ai<br />

parcouru in vivo le catalogue des bronzages obligataires 71 , du beau mat cuivré<br />

aux brunités essentielles, c’était une fête de la race des filles, je m’y sentais bien<br />

même si je vois plus loin que le bout de mes seins. Chacune était banale le tout<br />

était un Sacre. Personne ne regardait leurs yeux et leur expression, elles en manquaient<br />

totalement, on se focalisait sur la parure, c’était la victoire absolue du<br />

corps sur cette illusion qu’on avait vendue sous le nom d’âme. J’ai repéré une ou<br />

deux nanes qui faisaient dans le tatouage, l’une avait fait graver sur son avantbras<br />

droit “tous les mercredis” et une autre arborait une sorte d’hydre dont les<br />

71 À taux variables NdEint<br />

71


têtes furieuses émergeaient de la raie de son cul. Marrant, mais peut-être moins<br />

quand elle voudrait en changer. <strong>Le</strong>s bikinis surligneurs de tits et de mottes, les<br />

bottes, les mille et une nuits des corps savamment dénudés étaient l’essentiel,<br />

ce qui attirait l’œil mais c’était d’essence fugace et ce récit vous emmerderait<br />

rapidement. Soit dit en passant les femmes préfèrent nettement les femmes, j’en<br />

dressais le constat, du moins pour l’heure.<br />

Insensible aux voix et attouchements de mon entourage je chutai dans une<br />

profonde rêverie.<br />

Dans un coin de ma folie, à l’ombre, dans un ruisseau tranquille, Dieu me<br />

manquait à fond ! Mais franchement je ne l’imaginais pas dans ce (con) texte.<br />

J’avais, en pensant à Lui, mon amour Majuscule, cette faculté de vivre à l’aise<br />

dans deux durées, un dévaloir de présent tumultueux et la rivière tranquille du<br />

temps suspendu, de la sagesse. Je sais que je suis folle de vouloir le baiser !<br />

Mais ce n’est qu’ainsi que je puis m’exprimer, prenez-moi comme je suis. Il y<br />

avait bien un autre homme que j’aurais aimé connaître, c’était Des Ombres. Je<br />

ne savais pas grand-chose de lui si ce n’est qu’il avait été compositeur et chef<br />

d’orchestre et que sur le tard, il s’était mis à écrire des romans. J’étais tombée sur<br />

une compil de ses textes dans une vieille archive du Stream et ce mec parlait des<br />

femmes avec tant de charme que, sans aucune chance de jamais le rencontrer, je<br />

lui attribuais la seconde place dans mon top 10. Dieu était mon numéro 1. <strong>Le</strong>s<br />

places, à partir de 3, étaient à pourvoir… Finalement j’avais moins de chance<br />

qu’il n’y paraissait. À quoi ça me servait d’être super Mélissa ? La fille la plus<br />

rigolote de la rédaction de PodSex, la plus grande séductrice et le parfait exemple<br />

de l’omnivore ? À rien en fait, je n’avais personne à aimer mis à part deux<br />

impossibilités.<br />

Ça ne devait pas se voir tant que ça car je fus abordée par un trio de beautés désinvoltes,<br />

Charmane Star, Dana Vespoli et Lindsey Meadows qui se présentèrent<br />

à moi comme les sex designers de ce grand event. Heureusement que je venais<br />

de suivre le crash course d’anglais de mon copain aux yeux bleus, j’étais capable<br />

de rire, d’évaluer, de branler et même de sourire en anglo-américain.<br />

- On aimerait jouer à Shibumi avec toi, fit Dana.<br />

Ça sonnait japonais mais j’ignorais tout de ce que ça impliquait.<br />

Lindsey m’adressa un vaste sourire tendre, un poil extasis.<br />

Je vais te faire jouir comme tu n’as jamais joui et pendant ce temps Charmane<br />

caressera tes seins avec ce joli petit objet…<br />

Je n’en croyais pas mes yeux, elle avait sorti de je ne sais où un petit rasoir à<br />

manche de corne noire. Ça me revint, Shibumi était un vieux book antiaméricain<br />

dans lequel un homme au caractère très trempé s’était prêté à ce jeu et en était<br />

sorti sans estafilades amoureuses. Je les regardai les unes après les autres un peu<br />

72


intensément. Si les filles étaient habiles je ne risquais rien car je savais maîtriser<br />

mes orgasmes. D’ailleurs, comme vous le savez depuis pas mal de lignes, je<br />

jouissais en continu, je n’allais pas me mettre à gigoter comme une conne. De<br />

plus, Dieu allait-il m’abandonner comme on disait qu’il l’avait fait de son Fils ?<br />

C’était vraiment intéressant, j’étais peut-être tombée en amour avec les trois<br />

Parques ? Ou les trois Furies ? Mélissa aime le danger, elle flirte avec et quand<br />

elle se met à parler d’elle à la troisième personne on ne sait vraiment pas où ça va<br />

s’arrêter. Il restait deux inconnues : Cannelle et Big Mama. Je doutais sérieusement<br />

que BMW ait eu le talent et les moyens de prévoir cette rencontre. Ce<br />

n’était pas elle qui m’avait envoyée là. Quand à Cannelle, si c’était bien elle, en<br />

principe nous jouions dans le même camp. Tout ça, dans ma petite tête, n’avait<br />

pris que le temps de retrousser mes babines en un lent sourire.<br />

- Et qu’est-ce que je gagne ? fis-je à Dana, si je passe ton test sans me faire<br />

découper ?<br />

- Notre amour et un orgasme du degré sept, fit cette salope avec sérieux.<br />

Survolant la sono, un mix de rythmes house, groove, hi-energy et lounge, une<br />

voix éthérée laissa flotter un texte que je commençais à bien connaître :<br />

Je sais les filles coulées en Trance, et les jambes<br />

Et les ressacs et les torses : je sais La Nuit,<br />

L’Aube exaltée telle l’after rave de colombes,<br />

Et j’ai vu quelquefois ce qu’une femme a su boire !<br />

<strong>Le</strong>s yeux de Dana étaient d’une horrible fixité. Shootée ? Ce texte était-il une<br />

clef ? Si je le retrouvais je saurais ce qui allait m’arriver. Je me mis à détester<br />

Dieu ! Il aurait pu me donner une clef ! Je me souvins à temps de l’amazonite et<br />

me calmai. Au-dessus de nos têtes ça roulait en d’étranges sonorités, telles celles<br />

d’un Vocoder halluciné.<br />

Je surgoûtais leurs croupes femelles larges et basses, infiniment tachées<br />

d’horreurs mystiques,<br />

Embruinées de longs figements violets,<br />

égales à ces folles des raves hystériques<br />

Mes sœurs menant au loin leurs frissons romantiques !<br />

J’étais super-curieuse de retrouver le texte original. J’avais dû le connaître,<br />

dans une autre vie. J’en revins aux yeux de Dana, fixes et durs comme des pierres.<br />

Comme je vous l’ai dit ces filles ignorent ce qu’est l’amour. Elles se montrent,<br />

elles veulent être vues, leurs plaisirs sont narcissiques. Quant au septième degré<br />

73


de l’orgasme j’en savais plus qu’elles sur ce sujet. On était dans le pur défi !<br />

- Montrez-moi ce que vous savez faire, fis-je du bout des lèvres, l’amazonite<br />

était dans la paume de ma main et j’étais prête à réagir vivement.<br />

Instantanément Dana, en deux gracieux pas de tango, passa derrière moi avec<br />

grâce et m’immobilisa les deux bras, Lindsey introduisit trois doigts en V dans<br />

ma fente et Charmane s’approcha avec lenteur, dépliant son petit instrument. Ces<br />

filles avaient dû répéter leur manège plus d’une fois, je me demandai combien de<br />

victimes elles avaient sur la conscience, si tant était qu’elles en aient une…<br />

Caresser les seins d’une superbe fille au rasoir est un art que je ne vous recommande<br />

pas. Pourtant, cette Charmane avait une telle science que je ressentis une<br />

sensation de froid effilé se promenant sur ma poitrine. C’était à hurler de peur<br />

mais totalement agréable.<br />

- Ne t’inquiète pas ma chérie, dit Charmane en approchant des miens ses yeux<br />

noirs en amande, quand on fait ça aux mecs on se loupe. Mais on n’aimerait pas<br />

abîmer une fille de ta classe.<br />

Cette solidarité féminine était réconfortante et, Dana n’avait rien vu, je tenais<br />

toujours solidement l’amazonite dans la paume de ma main gauche.<br />

Ça a duré un moment et j’ai eu le sentiment de devenir une pile électrique tant<br />

cette immense salope maîtrisait son art dément. Si quelqu’un avait baladé par<br />

là un détecteur de champ magnétique je suis certaine que je l’aurais fait sauter !<br />

<strong>Le</strong> grand clito est venu vers nous et s’est penché avec affection sur ma petite<br />

personne suppliciée. Évidemment - comment n’y avais-je pas pensé ! - son œil<br />

était celui d’une caméra qui diffusait la scène dans toute la party. Je dois retirer<br />

la vanne de tout à l’heure, c’était bien un clito presse-bite.<br />

<strong>Le</strong> moment vint où les yeux des trois filles se transformèrent en regards de<br />

louves. Aïe ! Mes seins étaient parcourus de très légers tracés rosâtres et c’était<br />

l’œuvre d’une artiste. Mais je craignais la conclusion.<br />

- Il te reste un choix, fit la voix de Dana dans mon dos. Quand elle monte trop<br />

Charmane devient incontrôlable. Soit tu prends le risque d’accéder au septième<br />

orgasme avec elle, soit tu optes pour la loterie.<br />

- Je croyais que c’était déjà joué, fis-je d’une toute petite voix.<br />

Et, en disant cela, je me rendis compte de ma bêtise. Mélissa ! Toujours la<br />

même conne ! Qu’avait dit Safran ? Elle avait dit exactement ceci “Pas grandchose.<br />

L’Aquarium, et… tu devrais être habillée correcte.” Évidemment, comme<br />

toute nana, je n’avais retenu que la question fringues. La loterie ? Dana allait me<br />

parler d’un aquarium. Aucune idée de ce que ça voulait dire mais les réjouissances<br />

de masse, vous savez, sont rarement sympas. Il y faut du sang. Malgré<br />

mes états de service je me sentis comme la dernière vierge sacrifiée sur l’autel de<br />

74


ces filles en folie. D’un autre côté la petite caresse électrique du rasoir devenait<br />

insupportable. Si ça me menait à un orgasme ce serait un orgasme mental.<br />

- OK, les filles, ai-je fait d’une voix que je voulais assurée, voyons votre loterie.<br />

Elles ont explosé de joie et instantanément la rumeur s’en est propagée.<br />

Comme par hasard Niki et Cameron ont fait leur apparition, elles ne devaient<br />

pas être loin, et m’ont tendu les bras en m’abreuvant de leurs roucoulades.<br />

Je suis allé les rejoindre.<br />

Non sans avoir gratifié Charmane d’une patade qui a dû lui pulvériser sa<br />

réserve d’ovaires, cassé le bras de Dana et éborgné Lindsey qui pourrait jouer<br />

dans les Pirates des Caraïbes XVI prochaine édition. Vous ne vous souvenez<br />

pas de ce qu’on apprend chez PodSex ? <strong>Le</strong>s tests d’optimisation combative des<br />

battantes ! Ce que j’avais prétendu avoir raté pour tromper BMW. En fait j’étais<br />

la meilleure. <strong>Le</strong>s corps agités des trois Furies ont été dissimulés en cinq secondes<br />

chrono - dans les grandes fêtes pas de désordre - et je suis repartie vers le<br />

podium avec mes grrrrrrandes copines qui me souriaient mais gardaient respectueusement<br />

leurs distances. Ce qu’elles avaient vu les avait renseignées sur mon<br />

potentiel.<br />

- Dieu ! (j’ai envoyé mentalement) excuse-moi mais j’ai préféré m’aider moimême.<br />

<strong>Le</strong> Ciel a suivi…<br />

Aucun écho, rien que du silence blanc.<br />

Je me suis retrouvée entourée d’amazones musclées devant trois aquariums<br />

géants. Il y avait un requin, une pieuvre bleue géante et un… hippocampe !<br />

Cameron était aux anges. Avec imprudence elle s’approcha de moi, me fila<br />

quelques bisous de traîtresse et m’expliqua mon parcours.<br />

- Tu en as de la chance d’être en vedette comme ça ! fit-elle. Je vois que tu<br />

gagnes à la loterie pour la seconde fois ! Donc tu as un joker et le voici.<br />

Safran apparut, l’air terrifié, on la propulsa vers moi avec une grâce musclée.<br />

- Il faudra traverser les trois aquariums, reprit Cameron et, si tu t’en sors, si tu<br />

le fais dans le bon ordre, tu seras la reine de cette Nuit. Nous serons toutes à toi,<br />

tu feras de nous ce que tu veux. Sans limite.<br />

Avec tendresse je pris Safran dans mes bras. La pauvre avait mal débuté en<br />

victime SM de la loterie mais la chance, sous mes traits, s’était manifestée. Je<br />

me jurai de remettre ça. C’était la plus douce de toutes, je le sentais et, chose non<br />

négligeable, elle m’avait donné beaucoup de plaisir. J’avais ma petite idée.<br />

- Tu vas aller nager dans l’aquarium de l’hippocampe, lui dis-je à l’oreille. Il<br />

75


est inoffensif. Je me charge du reste. Elle m’adressa un timide sourire qui me<br />

fit beaucoup d’effet. Je dois avoir la fibre maternelle, même si c’est un sujet<br />

obscène après Evène.<br />

Sur quoi une rage froide m’envahit et, à la grande surprise des deux coquines<br />

machinatrices, je m’emparai de leur micro et m’adressai à cette mer houleuse<br />

de filles qui venait battre au pied du podium. Je ne vais pas vous transcrire mon<br />

discours, je l’ai passablement oublié. Mais pas l’idée directrice.<br />

Je les saluai et les assurai qu’elles étaient superbes et uniques. Je savais très<br />

bien comment parler à un grand nombre de personnes en donnant à chacune<br />

l’impression que je m’adressais à elle. Ça fait partie de nos cours de battantes<br />

optimisées chez PodSex. Toutes prirent ça très bien et, un court instant, je me<br />

retrouvai Super Mélissa, la fille venue du futur, celle que tout le monde aime.<br />

C’était bon, meilleur que le rasoir de Charmane, je vous dis pas.<br />

Après cette mise en condition j’ai flatté les organisatrices mais pas vraiment<br />

de manière innocente. Car en une dizaine de répliques j’ai retourné en ma faveur<br />

l’adoration que leur portaient les filles et les ai ridiculisées à mort. Elles ne s’en<br />

remettraient jamais et, même si elles en crevaient d’envie, ne pouvaient guère<br />

me tuer, la foule était avec moi, et j’avais toujours ma précieuse amazonite. Il ne<br />

me restait plus qu’à passer l’épreuve des aquariums, ce qui ne me posait aucun<br />

problème.<br />

<strong>Le</strong>s gens d’avant Evène avaient une peur bleue des requins, c’est bien connu.<br />

C’est dû en grande partie à un grand imbécile qui a produit de mauvais films<br />

sur eux, c’est dû surtout au comportement détestable des hommes face à tout le<br />

règne animal. Je savais très bien comment dealer avec le grand squale, je saurais<br />

être la fille qui glougloute à l’oreille des requins, pas mal, non ? Safran s’est<br />

glissée dans le bac de l’hippocampe qui s’est réfugié dans un coin, ils se sont<br />

ignorés et moi, je me suis immergée en souplesse chez le grand prédateur.<br />

Non sans avoir effectué auparavant un petit point. Je savais une ou deux choses<br />

sur lui mais mon FemmeTouch m’a méchamment manqué. Chez PodSex<br />

on ne parlait pas volontiers d’eux - à l’exception de ceux de la finance à qui<br />

d’autres titres étaient décernés - mais j’avais eu l’occasion de parcourir quelques<br />

holoscans très instructifs. Une très jolie Brésilienne avait branlé un grand requin<br />

blanc avec art et ces images avaient fait le tour des rédactions. <strong>Le</strong> requin n’est<br />

pas un tueur, pas plus qu’une chouette ou un chat. Bien sûr, avec ses trois mille<br />

dents d’une force de trois tonnes il nous bluffe grave mais il a peur de l’homme<br />

et l’évite comme la peste, il est inoffensif et ne fait que se défendre.<br />

Ce qui m’avait surtout intéressée chez ces beaux navires tellement anciens<br />

c’était leurs interfaces, les sens, les plus perfectionnés de cette planète. Pour


nous ils sont inimaginables. Je n’ai jamais connu d’homme qui sente l’odeur de<br />

mes chaleurs à dix kilomètres ou qui m’entende gémir de plaisir vingt étages<br />

plus haut. Personne avec un nerf ultrasensible qui lui permette de détecter le<br />

moindre mouvement et de l’interpréter - et personne avec un sixième sens électrique<br />

car le requin est un radar vivant, il dispose de détecteurs sophistiqués<br />

uniques au monde, des éléctrorécepteurs sis au niveau de sa tête et spécialement<br />

autour de sa mâchoire. Pas mal non ? Un peu d’information aide toujours à survivre…<br />

Je vous ai caché le plus important, c’est de bonne guerre, vous étiez en<br />

train de vous dire que Mélissa pontifiait !<br />

La foule s’est tue, respectueusement, quand avec négligence j’ai gravi les<br />

échelons de l’aquarium, chaque fille a pu s’extasier sur le roulis irrésistible de<br />

mes hanches, sur la perfection de mes jambes, je suis le message de la vie et j’ai<br />

senti l’onde de leur désir et la houle de leurs regrets quand je me suis lentement,<br />

sensuellement, laissé glisser sous la surface.<br />

Mon élégant partenaire d’un soir s’est approché.<br />

77


On ne gouverne pas avec des peut-être<br />

<strong>Le</strong> Pouvoir<br />

(scherzo)<br />

Big Mama Wolwerine n’était pas contente. Mais pas du tout. Hannelore<br />

avait perdu la trace de Mélissa, le mouchard implanté dans son FemmeTouch<br />

n’avait pas fonctionné longtemps. À peine de quoi constater l’échec des chronodégueuleurs<br />

et son redépart inexplicable, suivi d’un achronissage à New York<br />

vers le début des années soixante. Après, tout se brouillait. Elle semblait zigzaguer<br />

dans le continent américain. La convocation du Sarkodile ne tarda pas.<br />

Elle serra les dents, le Président n’en aurait rien à branler et la cravache allait<br />

changer de mains. Elle connaissait bien le despote et ses goûts. Ce nain, affublé<br />

d’une femme interminable, avait débuté le sillage d’un vieux politicien usé et<br />

se rendait utile à toutes les occasions qui se présentaient ; à force de servilité et<br />

d’opportunisme il s’était fait un nom et les gens, qui avaient peur des “autres”,<br />

avaient fini par voir en lui un protecteur. Personne n’avait su associer ses caprices<br />

et ses crises subites au comportement qu’il développerait s’il était élu. Son parcours<br />

était d’une banalité navrante, ça rassurait. Devenu premier secrétaire des<br />

États-Unis d’Europe il disposait du réseau Echelon 72 et, comme tout monarque,<br />

avait exécuté plus ou moins discrètement ceux qui pouvaient s’opposer à lui.<br />

Son ego hypertrophié terrifiait son entourage. Fonction inverse, il avait un gros<br />

besoin de punitions et Big Mama, la blonde mince, cruelle, froide, élégante était<br />

son meilleur choix. Avec elle il oubliait les règles du pouvoir le temps qu’il fallait.<br />

<strong>Le</strong>urs rapports se limitaient à ça et au pouvoir dont la rédactrice de PodSex<br />

disposait. Une symbiose somme toute. En montant dans la limo aux bannières<br />

étoilées, BMW se demanda combien de chances elle avait d’en sortir vivante.<br />

- Vous l’avez perdue ?<br />

<strong>Le</strong> Sarkodile allait droit aux faits.<br />

- Depuis trois jours, dit Big Mama qui adopta le ton du monarque.<br />

- Quelles chances de la retrouver ?<br />

- Aucune, quelqu’un a démoli notre capteur, elle peut être n’importe où dans<br />

le temps et l’espace.<br />

- Résumez-moi l’affaire Mélissa, grogna le Sarkodile qui sortit un petit miroir<br />

grossissant et entreprit d’extirper une boule de graisse de sa joue gauche.<br />

72 Ancien réseau sophistiqué d’espionnage américain couvrant le globe et quelques<br />

lunes, racheté à la casse par les Etats Unis d’Europe après les événements. NdT<br />

79


- <strong>Le</strong> réseau Echelon avait décelé des probabilités de changement politique. On<br />

a tracé tous les ministres, les voyous…<br />

- Pas de redondance, Laurence, fit le Sarkodile d’un ton sec.<br />

- Bref, l’ensemble des gens disposant d’un pouvoir politique et surtout financier.<br />

<strong>Le</strong> résultat le plus probant décrivait une action individuelle, avant Evène,<br />

mené par une figure populaire. Par recoupements Mélissa s’est trouvé être la<br />

personne la plus probable. Nous avons trouvé un prétexte quelconque pour<br />

l’envoyer vers les années soixante mais, malgré nos réglages particuliers, les<br />

chrono-dégueuleursne l’ont pas éliminée.<br />

- Bizarre, fit <strong>Le</strong> Sarkodile en extirpant une morve moitié sèche de son pif<br />

tordu, les chronodég ont liquidé pas mal de gens de manière efficace.<br />

- Tout s’est passé comme si une force inconnue l’avait détournée. Elle est<br />

peut-être morte, vous savez.<br />

- On ne gouverne pas avec des peut-être.<br />

- Je le sais, mais nous n’avons aucun vecteur d’intervention avant Evène. Que<br />

des probabilités.<br />

- Mes conseillers me disent que cette fille pourrait modifier le futur ? Qu’est-ce<br />

que c’est que cette connerie ?<br />

- Mélissa possède, à son insu, d’étranges pouvoirs. Je ne sais pas exactement<br />

ce que c’est ni comment cela fonctionne mais elle semble capable d’agir sur<br />

l’énergie, de l’orienter. Dans la rédaction elle oriente l’ensemble du personnel<br />

d’une manière étrange… c’est comme ces bancs de poissons qui virent tous en<br />

même temps. Je l’ai constaté à maintes reprises. De là à penser qu’elle peut agir<br />

sur une chronologie il n’y a pas un grand pas. Pour la vie courante c’est une bête<br />

de sexe, de plus elle est persuadée d’être omnivore, fit Big Mama avec un sourire<br />

énigmatique.<br />

<strong>Le</strong> Sarkodile détestait tout ce qu’il ne comprenait pas sur le champ, il avait le<br />

sentiment de perdre l’initiative. La blonde connaissait bien ses comportements,<br />

elle lui résuma l’information de la manière la plus simple possible.<br />

- Mélissa est une interface sexe universelle. Elle peut, en théorie, se reproduire<br />

avec n’importe quoi ou… n’importe qui.<br />

- Avec un surputeur ? fit un Sarkodile ahuri.<br />

- Non, les surputeurs ne sont pas vivants et se reproduisent à leur manière,<br />

binaire. Mais avec un E.T. par exemple, ou un animal.<br />

- Je ne vois pas le rapport avec une modification du futur, grogna le nain.<br />

- Elle génère de l’improbable.<br />

- En quoi ça peut me toucher ?<br />

80


- C’est un attracteur étrange. Il suffira qu’elle modifie quelques comportements<br />

dans le passé pour que nous voyions arriver un énorme tsunami. Comme<br />

je la connais, elle ne va pas s’en priver.<br />

- Faites tourner nos systèmes à fond.<br />

- C’est fait. On a grillé trois centrales.<br />

- Vous êtes virée, hurla <strong>Le</strong> Sarkodile. Non, vous ne l’êtes pas, je n’ai personne<br />

de mieux à mettre à votre place. Que vais-je faire ? Vous faire torturer ?<br />

- J’ai une meilleure idée, souffla BMW. Je vais te torturer moi ! Et te donner<br />

une information qui te plaira.<br />

<strong>Le</strong> Sarkodile se dégrafait déjà vivement, prêt à brandir son sarcasme 73 . Il se<br />

figea.<br />

- Quelle info ?<br />

- J’avais envoyé Cannelle, une fille chercheuse, sur les traces de Mélissa. Ça<br />

n’a rien donné. Mais je peux envoyer Hannelore. Dès que j’en aurai fini avec<br />

toi… Avec elle, je suis certaine que tout reviendra à la norme. Elle va nettoyer<br />

l’omnivore vite fait et ton futur ne sera jamais modifié ! Allez ! Enfile ça.<br />

Elle lui lança à la figure un ensemble de cuirs auto ajusteurs, une merveille<br />

de nanotechnologie. En quelques secondes <strong>Le</strong> Sarkodile se retrouva à ses pieds,<br />

sécurisé de la manière la plus cruelle possible. Son visage se détendit complètement.<br />

Il allait payer pour que le pouvoir cesse de le faire souffrir, comparativement<br />

ce serait des vacances.<br />

- Et maintenant, on règle nos comptes à nous, siffla Laurence, qui choisit une<br />

cravache coupante style “pour commencer”. Tu m’as vraiment motivée, petite<br />

merde, la séance sera longue, très longue, je vais te travailler au sang.<br />

Elle se pencha sur l’intercom.<br />

- Ici Laurence, le Président ne veut être dérangé sous aucun prétexte. Bien<br />

reçu ?<br />

- Oui Madame, répondit une voix féminine très neutre.<br />

- Parfait, on passe en mode SS 74 , ajouta-t-elle, attendez mon signal.<br />

Sur quoi elle isola le bureau de l’extérieur.<br />

73 Chez Rimbaud on trouve l’idée de brandir son grief (contre les Sabines de banlieues)<br />

ici nous ne retenons que le sens modeste d’une manifesse station virile. NdT<br />

74 SS : Stealth Sex évidemment ! NdT<br />

81


Las Estrellas de los tres Picos<br />

<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa V<br />

(Largo)<br />

Quand j’ai déboulé chez Dominik’s autant vous dire que j’étais trempée. Pas<br />

comme j’aime à le confier fièrement en parlant de ma fente ni même de mes récents<br />

séjours aquariens. Faisait un temps à chier sur Manhattan. À perte de 23e<br />

rue rien que du crachin, des gouttes d’humidité vicieuses. Sur <strong>Le</strong>xington c’était<br />

mieux, il y avait un vent glaçant, une brume vacharde et traînante et tout autant<br />

de crachin. Je sentais que l’aube ne se lèverait jamais sur cette ville de damnés,<br />

j’aime pas NY la nuit, en tout cas pas ce que j’en connais, à peu près rien, pas<br />

beaucoup, je suis d’accord, c’est juste un feeling.<br />

J’étais contente d’arriver là, pour me réchauffer et finalement parce que mon<br />

Jules avait raison (euuuh c’est de Dieu que je parle, et là j’anticipe un peu…) :<br />

les carrefours des miracles c’est dans les endroits miteux qu’on les trouve. Pod-<br />

Sex n’aurait pas aimé cette vérité, le Zine le plus vendu des États-Unis d’Europe<br />

aimait le bling bling et croyait encore aux vertus élyséennes. Pfffff !<br />

Mais mon pote adoré n’était pas là.<br />

Dire ça, c’est triste comme une chanson du célèbre poète Cocciante, Mais<br />

tu n’es pas là… Je suis loin d’être une fille sentimentale pourtant ces paroles<br />

me foutaient le blues. Je me suis mise à chantonner ces six mots sans pouvoir<br />

m’arrêter. Je frôlais la perte de vitesse et je n’étais même pas excitée. Du jamais<br />

vu ! Mon string était en place, l’amazonite aussi et, me regardant dans le miroir<br />

du bar, je me suis dit que jamais je n’oserais sortir dans le NY des années soixante<br />

avec les fringues que je rapportais d’un proche futur, le choix de Safran. Je<br />

ne risquais rien moins que le viol collectif, la tournante garantie, que ce soit là,<br />

à Wall Street ou au Village.<br />

Dans un coin je vis, de dos, le patron s’affairer, y’avait pas âme qui vive ou<br />

qui pleure dans cet environnement sinistre. La serveuse aux seins comprimés<br />

s’était inscrite aux abonnées absentes ou vendait ses fesses à l’étage pour arrondir<br />

sa fin de mois, ou son bide avec pas de chance. Comparé au luxe de la<br />

fiesta californique d’où je venais de tomber - je vous précise tout de suite que<br />

je n’avais même pas effleuré mon amazonite ! - l’endroit était grave pauvre et<br />

hypermoche. Moins dangereux probablement mais ce n’était même pas sûr. Je<br />

me suis assise déprimée sur ma merveilleuse banquette de simili cuir rouge et<br />

83


accoudée sur la fascinante surface de formica blanc 75 avec son petit liséré bordeaux.<br />

Je sais que je ne vous ai pas raconté la fin de mon séjour dans la grande<br />

rave lesbienne ni comment je m’en suis tirée mais, finalement, ai-je l’air de vous<br />

causer du fond de l’estomac d’un requin ? Il s’était passé des choses et vous les<br />

connaîtrez, si mon pote se pointe et me prête vie. De plus j’avais un creux formidable,<br />

je venais de dépenser une énergie surhumaine et j’avais besoin de faire le<br />

plein. Je me suis levée et j’ai tapé sur l’épaule du patron qui s’est retourné avec<br />

vivacité. Mes beaux yeux se sont esquarquillés, le choc !<br />

C’était Lui !<br />

J’en eus le souffle coupé. Pas de voir Dieu prendre la place de ce gros Mexicain<br />

poussif et peu ragoûtant mais de constater sa métamorphose. Il avait l’air<br />

heureux, dans la force de l’âge, il était moins “vieux monsieur” charmeur. De<br />

battre mon cœur cessa, pour enchaîner avec une chamade des plus galopante. Je<br />

suis, j’étais, je serais amoureuse de Lui et un bref instant je ne pensai même plus<br />

à le sauter. Je marchais dans la Lumière. Je ne me reconnaissais plus, je baissais<br />

ou alors… je grimpais vers une meilleure désincarnation. Il ne me laissa pas<br />

le temps de m’analyser plus avant car il me balança un large sourire et un truc<br />

parfaitement incompréhensible :<br />

- Fallait aller vers l’hippocampe, Mélissa, voyons.<br />

Je me mis à bégayer.<br />

- L’hican ? L’hippo ? Lacan ? L’hippocampe ? Ppp… pourquoi ?<br />

- C’était moi, je venais pour te ramener en douceur.<br />

J’ai trouvé ça trop mignon et moi trop conne. Bien sûr, l’hippocampe était<br />

un animal subtil qui n’avait rien à voir avec les jeux du cirque de Niki et<br />

Cameron.<br />

C’était d’une telle évidence que j’ai eu envie de tout plaquer là. Adios reporter<br />

vedette, fin de récit, t’as même pas fait dix chapitres, t’es trop nulle. Tout<br />

abandonner mais pas Lui ! Progressivement la vraie Mélissa revint sur l’avantscène.<br />

Je mouillais déjà comme une vache suisse, c’est manière de dire. J’étais<br />

amoureuse et, tout naturellement, mon corps suivait. Ça me posait un tas de<br />

problèmes car mon nouveau mec avait fait l’objet de tellement de commentaires<br />

que ça ne pouvait simplement pas être possible. Il avait fait couler des fleuves<br />

d’encre et de sang. Mais il ne pouvait être mauvais, mon intuition féminine<br />

me l’affirmait et on ne badine pas avec ça. En attendant que ces questions se<br />

résolvent je l’ai observé préparer des nachos. Il malaxait les tortillas avec une<br />

aisance suprême, les garnissant d’un fromage fondu qui dégageait une merveilleuse<br />

odeur un peu fade mais tentante, je suis sûre que c’était du tilsit - faut être<br />

Dieu pour trouver un bon fromage suisse en Amérique… - et surveillait du coin<br />

75 Toute la poésie américaine réside dans ces quelques mots… NdAqssvnt<br />

84


de l’œil la cuisson de filets de bœuf qui doraient en douceur. Je le vis avec tendresse<br />

aligner les tortillas de maïs en six portions sur une plaque de métal, parsemer<br />

le fromage et ajouter, avec une extrême discrétion l’indispensable chili. Je<br />

dois vous dire que ça m’a fait plus d’effet que les parades de Niki. Après Evène<br />

on mange bien, on mange riche mais on a perdu le sens du “cuisinier” subtil qui<br />

était l’une des bonnes choses d’avant le grand clash. Je me suis demandée s’il<br />

avait fabriqué le monde comme ça, en cuistot céleste, en amoureux fignoleur,<br />

c’était une pensée cool. Mais je n’allais pas recevoir une réponse à cette question<br />

car il me tendit un étui à lunettes de cuir brun et beige.<br />

- Tiens, voyageuse, tu avais oublié ça sur la table.<br />

C’était Mon FemmeTouch !<br />

Bingo ! J’étais rétablie dans mes pouvoirs. Je ne sais vraiment pas ce qui m’a<br />

empêchée de lui faire l’amour là, tout de suite, sur le bar, contre le mur, par terre.<br />

Une certaine timidité inhabituelle peut-être ?<br />

- Je l’ai un peu amélioré, ajouta-t-il, tu verras, c’est pratique.<br />

Tout ça fait beaucoup d’information pour une fille aussi fragile que moi, vous<br />

ne trouvez pas ? Je revenais à la vie, j’avais mon string, mon FemmeTouch,<br />

je l’avais Lui, me manquaient plus que de bonnes fringues. À peine l’avais-je<br />

exprimé que mon désir s’est trouvé exaucé, la serveuse avait une masse de trucs<br />

portables dans un réduit, au fond et à gauche. Je me suis enfilé un jean, des baskets,<br />

un T-Shirt des Dodgers et une bonne horrible doudoune de plastique bleu<br />

pâle pour récupérer mes calories, les affaires reprenaient.<br />

Il me fit un clin d’œil.<br />

- Alors ? Comment était-ce ?<br />

Sur le moment je ne sus que Lui répondre. Sexuellement j’avais joui à la limite<br />

de mes capacités (qui sont vastes…). Mais il y avait une telle cruauté dans<br />

ce monde, tant de folie sans issue, si peu d’espérance que je me suis demandé<br />

si là était la réponse à mon enquête et surtout si j’avais bien agi en acceptant<br />

de me mettre à l’unisson de cette culture décadente. Ce que j’avais fait là-bas<br />

était quasiment du jamais vu, avais-je modifié le futur ? Et à Sullivan street ? Je<br />

ne m’étais pas comportée différemment… Après tout les gens d’avant Evène<br />

ne savent pas ce qu’est une omnivore… Je lui jetai un œil en coin, Il me sourit<br />

largement et changea de sujet.<br />

- J’ai repris cette boîte, me dit Dieu, et j’y ai apporté quelques modifs. <strong>Le</strong><br />

nom me convenait. Dominik’s c’est le nom que me donnait les Juifs, le nom du<br />

Seigneur.<br />

- Je sais, fis-je, tu es le nommé Dimanche 76 !<br />

76 (The Man Who Was Thursday : A Nightmare) de G. K. Chesterton, publié en 1908.<br />

Roman fantastique proche de <strong>Le</strong>wis Carroll et peut-être de Borges<br />

85


- Oui. Mais cet endroit, avec tout son potentiel d’univers, avait besoin de<br />

quelques transpositions. Regarde mieux autour de toi.<br />

Ébahie, je regardai autour de moi et ne reconnus rien. <strong>Le</strong> formica avait fait<br />

place à un très bel acajou, les tables étaient de grands troncs découpés, il y avait<br />

de jolies lumières, une masse de bougies et, ce qui m’a un peu halluciné, c’était<br />

New York. Ou du moins ce qui en restait. Au dehors les silhouettes des gratteciel<br />

s’estompaient pour faire place au… désert. C’était plus sec, plus calme, plus<br />

coloré, plus accueillant, plus vrai.<br />

- Et j’ai aussi changé le nom, rajouta mon pote, ça s’appelle Las Estrellas de<br />

los tres Picos. Finalement, s’il s’y trouve une dimension propice aux miracles 77 ,<br />

autant la situer dans un désert, là où tout peut arriver.<br />

Une question me brûlait les lèvres. Mais je me suis empiffrée avant de la lui<br />

poser. Ses nachos étaient… divins. Je les ai arrosés d’un petit rouge de Californie<br />

- c’est mieux que cette drogue saumâtre qu’ils appelaient le coca-cola - et<br />

j’ai tenu à découper moi-même quelques tranches de la tarte maison et à les<br />

présenter dans les plus jolies assiettes que j’ai pu dénicher. Somme toute on était<br />

déjà en ménage et je n’aurais jamais cru que ça pouvait me plaire tellement.<br />

BMW n’avait aucune idée du cadeau qu’elle m’avait fait en me renvoyant avant<br />

Evène, si elle s’en rendait compte un jour je suis sûre que de dépit elle rendrait<br />

sa vilaine âme à… mon copain.<br />

C’est ainsi que, les doigts gras, mal fagotée, un peu beaucoup échevelée je me<br />

suis carrée sur mon tabouret de bar, devant le comptoir, et que, en le regardant<br />

bien dans les yeux, je lui ai posé la question pour moi la plus centrale.<br />

- Pourquoi moi ? Il y a des milliards de gens sur cette planète. Pourquoi<br />

moi ?<br />

Il ne m’a pas fait attendre.<br />

- Tu es centrale, a-t-il dit.<br />

Et subitement, une vague énorme de souvenirs m’a submergée. Centrale ?<br />

C’était l’un des mots clefs de Des Ombres. La Fille centrale ! Elle revenait dans<br />

tous ses textes. Vous vous souvenez de ce type qui occupe la seconde place dans<br />

mon top 2 ? Ses romans - le peu que j’en avais lu - m’avaient fascinée. Quand<br />

il parlait des femmes je me sentais accordée avec lui, je comprenais quelque<br />

chose de mon essence. Que Dieu utilise le même mot me fit tomber, une fois<br />

de plus, dans une profonde rêverie. Quel sens avait tout cela ? Il faudrait bien<br />

que, quelque part, quand les énergies se réuniraient, nous débouchions sur de<br />

l’incroyable. Je me suis demandée si je devrais mourir… Il se passait tant de<br />

choses. C’était nettement plus facile de jouer les vedettes chez PodSex, j’avais<br />

77 Voir La dimension des miracles, 1968 Robert Scheckley<br />

86


une fâcheuse tendance à m’humaniser et je crois même que sur l’instant je n’étais<br />

même pas mouillée !<br />

- Reprends-toi, dit Dieu, c’était une bonne bouffe, non ?<br />

J’acquiesçai.<br />

- Comme je te l’ai dit, j’ai légèrement amélioré ton FemmeTouch. Tu n’auras<br />

plus vraiment besoin de l’amazonite pour te glisser en phase temporelle mais<br />

garde là autour du cou, elle peut se révéler indispensable. J’ai enlevé quelques<br />

jeux qui ne te seront pas utiles ici et maintenant et j’ai implanté trois fonctions<br />

de prévision à court et long terme.<br />

- Ça n’en fait que deux, effrontai-je.<br />

Il sourit.<br />

- Il y a une courte, une longue et une, disons “limite”. C’est l’horizon de<br />

l’Univers. De plus, tu pourras m’appeler quand tu voudras, sauf si je suis avec<br />

Kali la douce. Mais c’est une agitée 78 et nos rendez-vous ne durent pas des heures.<br />

Je n’en croyais pas mes oreilles. Il avait une autre… femme ! <strong>Le</strong> no 1 de<br />

mon Top 2 avait une autre femme, ça ne m’était jamais arrivé. J’en conçus sur le<br />

champ une jalousie mortelle. Ça n’allait pas se passer comme ça. Merde !<br />

Indifférent à mes états amoureux contrariés il poursuivit sa description.<br />

- Ton FemmeTouch dispose d’une autonomie de quelques années, en temps<br />

galactique non relatif. De plus il est miniaturisable, il te suffit de tapoter sept<br />

fois son écran et de penser très fort à la taille que tu veux lui donner. Pour le<br />

ramener à ta main, tapote rapidement les nombres 9,9,9 79 avec un petit intervalle.<br />

Enfin, je l’ai doté d’un calculateur flou. <strong>Le</strong> pavé rouge enclenche une glissade<br />

temporelle. <strong>Le</strong> bleu te ramène. Tu peux aussi élargir la durée du présent en écartant<br />

les doigts, j’ai trouvé cette idée chez des jeunes d’avant Evène et j’ai un<br />

peu boosté cette fonction. Je pense que ce sera utile une fois… ou l’autre. Ah !<br />

j’allais oublier… J’ai bien pris note de tes petits problèmes de femme lors de<br />

cette première glissade. Au risque de te paraître un peu futile je t’ai installé un<br />

petit… euh, nécessaire social. Tu y trouveras tout ce qu’il faut pour te balader<br />

dans le contingent, vêtements, argent, passeport et jobmaker, revues, ces choses<br />

qui semblent vous être indispensables.<br />

Je n’avais rien écouté de ce beau discours, la rage m’envahissait. Diable que<br />

78 Kali d’Inde décrite comme agitée. Toutefois une rumeur décrit les Iraniennes comme<br />

les femmes les plus agitées du monde, toujours en mouvement, à la recherche d’un impossible,<br />

voyageuses impénitentes, chercheuses d’idéal ou sorcières sans balais ? Nous n’avons pas de<br />

réponse à cette éminente question qui fit posée par le club des EX en 2003. NdE<br />

79 Mettez-le à l’envers si vous voulez. NdAscptq<br />

87


je l’aimais çui-là ! 80 Mais il me faisait virer chèvre. Qui était cette pitapute 81<br />

de Kali la douce ? Je n’avais pas encore baisé mon grand amour et déjà j’étais<br />

cocu ? 82<br />

Il me prit par le bras et je mollis immédiatement.<br />

- Kali est une demi-humaine que j’ai rencontrée en Suisse, me confia-t-il.<br />

Elle à six bras et sa peau est bleue. On s’entend à merveille et j’adore sa cuisine<br />

indienne, sans parler de ces histoires de couronne de lumière qui me concernent<br />

un petit peu quand même. C’est un patrimoine de famille.<br />

Je fis front.<br />

- Que me trouves-tu alors ?<br />

- Tu es un beau proton, fit-il d’un air électrique, très beau.<br />

J’en étais baboum. Avais-je mal entendu ? Me traitait-il de particule ? Il est<br />

vrai que je venais de me débarrasser de mon horrible doudoune, que j’avais<br />

lascivement noué le T-Shirt de manière à ce qu’il dévoile mes hanches, mon<br />

nombril et la naissance de mes seins. Je me suis dit que sa divine langue avait<br />

fourché, qu’il valait mieux que ça soit maintenant, ici et avec moi que quand il<br />

avait créé l’Univers et que, tout simplement, il m’avait complimenté sur mon<br />

physique. J’avais un beau tronc ! Un “pro” tronc. Génial ! Y’avait que Lui pour<br />

me filer de tels compliments. Je n’insistai pas et me promis de tenir cette Kali<br />

à l’œil. Toutes sortes d’hypothèses défilaient dans mon esprit. La Kali fornique<br />

et autres stupidités. Vous voyez comment la fille la plus brillante d’après Evène<br />

peut se transformer en grosse conne ? Un rien suffit. Ah ! les hommes. Je classais<br />

momentanément Dieu dans ce sous-genre. C’est le moment que choisit le petit<br />

texte baladeur pour se glisser entre nous.<br />

J’ai rêvé le désert aux sables éblouis,<br />

Baiser montant aux yeux des dunes avec lenteurs,<br />

La circulation des sèves inouïes,<br />

Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !<br />

C’était un poil distordu, je le sentais, mais ça cabait ! 83 <strong>Le</strong>s sables éblouis je<br />

les voyais par la fenêtre. <strong>Le</strong>s sèves inouïes, c’était sûrement mon désir. Ou le<br />

Sien ! Quand aux phosphores chanteurs je n’osais même pas y penser. Même en<br />

jaune et bleu.<br />

80 Il était difficile de dire “Dieu que je l’aimais” en parlant de la même entité. NdT<br />

81 Apport mozartien Keuchel 513 ter de JG à cette langue qu’on dit française. NdEtf<br />

82 Terme ancien qui dans l’usage s’utilisait surtout au masculin.<br />

83 Franpagnol du verbe caber : ici “ça restait dans le récit<br />

88


- Il est temps de passer à la glissade suivante, dit Dieu qui semblait n’avoir<br />

rien entendu. Regarde l’écran de ton FemmeTouch.<br />

Effectivement ça palpitait. Dieu ne m’avait toujours strictement rien dit de<br />

son choix. Pourquoi moi ? Comment moi ? Quel rapport avec mon enquête ? Aucune<br />

idée mais j’en ressentais intensément les effets. Je tapotai rapidement sur<br />

mon mémobloc les questions auxquelles j’allais exiger ses réponses. Il me sourit<br />

encore, je fondis encore et il conclut :<br />

- Quand tu reviendras, je te ferai une bonne soupe.<br />

Un ange passa, d’un air entendu. Je me suis demandé s’il était pédale tant il<br />

était mignonne. Ce n’était pas l’essentiel car là-bas, au dehors de la taverne, les<br />

arrogants buildings s’étaient entièrement desvanescés 84 ; un soleil bas se couchait<br />

mollement derrière des collines dentelées. J’étais certaine qu’il me suffirait<br />

de passer la porte pour voir un Mexicain dormir sous les couilles d’un âne. Avec<br />

plein de cadavres de cervezas 85 à ses pieds.<br />

Il devait y avoir de grands cactus en forme de chandeliers, les fourchettes du<br />

diable comme on les appelle, c’était tellement loin de l’agitation insignifiante du<br />

territoire américain, il y avait un tel parfum d’infini que je me sentis toute jeanjacquée<br />

86 , j’étais prête à me laisser baiser par la création ou à mourir en paix. Ses<br />

dernières paroles me revinrent.<br />

- Tu me feras une soupe ? fis-je totalement paumée.<br />

- Tu m’en diras des nouvelles ! Ce sera…<br />

- Une soupe primordiale !<br />

84 Desvanescées : franpagnol, du verbe desvanescer qui signifie se dissiper comme un<br />

rêve, un mirage, quelque chose de beau et fragile. NdP<br />

85 De la corona, j’en suis certain ! Sinon revendez ce bouquin sur ebay. NdEfdj<br />

86 Nous assumons que Mélissa est une fervente admiratrice de JJR.<br />

89


<strong>Le</strong>s Profondeurs de la Terre<br />

(<strong>Le</strong> compositeur)<br />

L’avion descendait vers une grande ville grise, des brumes traînaient. Je vis<br />

un échangeur d’autoroutes, il n’y circulait pratiquement aucun véhicule. On allait<br />

se poser à Stuttgart dans quelques minutes. Mon Effe-Too 87 avait fait du<br />

bon boulot, je savais qui j’étais censé être, où j’allais et quelle langue parler.<br />

Je savais surtout qui j’allais voir. Dieu avait apparemment exaucé l’un de mes<br />

vœux, j’allais rencontrer mon idole, mon Top 2 ! C’était super d’arriver dans ce<br />

carrefour du temps, mon grand Ancien n’était pas jaloux, comme moi de Kali<br />

la douce ; je me sentis un rien stupide, mais les femmes, vous savez, on est<br />

comme ça. <strong>Le</strong> petit écran avait organisé ma visite, pas de problèmes de fringues,<br />

d’argent ou de papiers, plus pratique tu meurs ! Je portais un tailleur gris et un<br />

pull noir qui me donnaient l’air d’une jeune exécutive avec des talons ridiculement<br />

raisonnables. Chose très choquante je ne sentis pas la rassurante présence<br />

de mon string ! Je me promis d’y remédier, m’enfilai dans un taxi sérieux 88 et<br />

balançais au chauffeur une adresse râpeuse se terminant par “strasse” que j’avais<br />

trouvée dans mon mémobloc.<br />

Je suis allée le saluer dans sa loge. J’étais une étudiante en histoire de l’art,<br />

passionnée de musique nouvelle et j’avais été recommandée par le directeur<br />

artistique d’une radio importante du coin. Il m’a souri, c’était un grand type du<br />

genre minçolet, avec des yeux bleus et une frange qu’il ne cessait de rejeter en<br />

arrière. Des jolies mains de pianiste, je me sentis virer clavier… Il m’évalua<br />

un bref instant avec un regard d’homme et me classa probablement parmi<br />

les extraterrestres de charme - c’est ce que je perçus - mais me mit à l’aise et<br />

m’invita à la suivre dans la salle de répétition. Nous avons croisé une foule de<br />

musiciens, il avait un mot aimable ou drôle pour chacun. Ça me fit penser à ma<br />

propre rédaction où j’étais très populaire, BMW et ses Hannelores mises à part.<br />

Je me suis installée un peu en retrait dans la salle et il gravit les marches du<br />

podium pour aller s’entretenir avec les musiciens. J’avais refusé les copies de<br />

partition qu’il avait eu la gentillesse de me proposer en prétextant que je voulais<br />

me concentrer sur la musique et sur son rapport personnel avec les musiciens.<br />

On était en automne 1973, il n’avait encore écrit aucun de ses romans et allait<br />

87 Mélissa a renommé son FemmeTouch (FT : Effe-Too) NdT<br />

88 En Allemagne tous les taxis sont sérieux. NdSocio<br />

91


diriger l’Orchestre Philharmonique de Stuttgart, qu’il avait rencontré deux ans<br />

plus tôt dans des circonstances aventureuses.<br />

Je m’assurai que personne ne m’observait et tapotai un code personal tune up<br />

sur mon FT. C’était efficace. Je cessai aussitôt d’exister.<br />

J’ai regardé l’orchestre avec intensité. Cet ensemble de personnalités<br />

très diverses allait dans quelques instants se changer en machine<br />

à Genèse. Car c’est cela l’impression du chef quand il donne la<br />

première impulsion : un monde naît. C’est un sentiment démiurgique<br />

auquel il ne faut pas se laisser aller, on reste responsable de cette<br />

création. Il y a des partitions plus ou moins impressionnantes à cet<br />

égard mais très souvent c’est la naissance d’un univers qui se produit.<br />

Comment concilier la technique et la passion, maîtriser ses craintes,<br />

trouver le temps juste, toujours être en avant des musiciens et garder<br />

en mémoire le plan de travail qu’on a élaboré pour la répétition ?<br />

Impensable ! C’est ce que je m’apprête à faire. Pour gagner du<br />

temps, il me reste cinq minutes avant le début de la répétition, je<br />

vais donner quelques indications aux instrumentistes. Mon premier<br />

violon est un homme posé, cheveux gris, prestance, amabilité, c’est<br />

mon meilleur allié. Ici en Allemagne le KonzertMeister représente<br />

l’autorité de l’orchestre, face aux syndicats parfois. Il est respecté.<br />

Herr Bee, c’est son nom, est conservateur comme tous les musiciens<br />

d’archets. Mais il a désir de comprendre la partition et d’entraîner<br />

les autres avec lui. Un premier ministre bienveillant et talentueux.<br />

J’arrive de Genève avec une nouvelle œuvre, <strong>Le</strong>s profondeurs de<br />

la Terre. Je vois les musiciens parcourir les pages de leur matériel,<br />

soucieux de savoir s’ils vont y trouver des difficultés particulières.<br />

Il est temps, je monte sur le podium du chef, salue l’orchestre et<br />

entreprends la cérémonie préalable de l’accordage. C’est avec Boulez<br />

que j’ai pris l’habitude de ne pas laisser les orchestres s’accorder en<br />

vrac, ce qui est trop courant chez les Latins. <strong>Le</strong>s cordes doivent faire<br />

tranquillement leurs quintes, sur le “la” du hautbois. Je laisse les<br />

bois s’accorder, puis les cuivres et enfin les cordes, par groupes. Ils<br />

se sentent beaucoup plus à l’aise ainsi mais à Genève j’ai eu les pires<br />

difficultés à imposer cette manière de faire, face à des individualistes<br />

ou simplement à quelques meneurs grossiers. Maintenant c’est bien,<br />

le temps est venu, je ne peux plus reculer, je lève le bras et les archets<br />

se préparent, j’aime voir cette forêt de bois apparaître, chacun est<br />

92


prêt, nous allons lire cette partition pour la première fois. Elle va<br />

naître.<br />

Turbulences ! J’ai eu l’impression de tomber… dans mon fauteuil d’orchestre.<br />

J’étais entrée dans les pensées de Des Ombres.<br />

J’étais, un instant, devenue “lui”.<br />

Je vis son bras descendre avec lenteur et l’orchestre joua, sur le relevé du<br />

geste. La première onde m’atteignit. Je n’ai aucune culture musicale et ce qu’on<br />

entend après Avène ne ressemble pas à ces musiques extraordinaires des années<br />

soixante et suivantes. J’ai réalisé, avant de me faire emporter, qu’il écrivait une<br />

musique énergétique.<br />

Un monde est né des sons graves de l’orchestre, un discours de cordes et de<br />

métal. <strong>Le</strong> temps s’est élargi. Je voyais ses gestes impulser l’orchestre, un temps<br />

fluide avec de brusques accélérés et de très grands ralentis. Ça me faisait un effet<br />

évident, je crois bien que je délirais, dans ma tête le poème passa, s’adaptant<br />

comme il pouvait :<br />

Je suivais des mesures, pareilles aux vacheries<br />

hystériques cette foule à l’assaut des récifs,<br />

Sans songer que les pieds lumineux des Maries<br />

Pussent forcer leur désir aux ripiénistes poussifs !<br />

Ça n’avait aucun sens mais je commerçais à m’habituer. Je me suis perdue<br />

dans un monde inconnu pourtant, quelque part, je savais de quoi ça parlait mais<br />

je n’avais pas de mots pour décrire ce voyage. Des frissons de cordes aux trilles<br />

métallisés sur cymbales frémissantes, le tracé déclamé d’une trompette dans<br />

l’aigu provoquant un envol de bois, mon souffle s’adaptait à ces palpitations et<br />

très souvent les timbales venaient battre régulièrement comme un cœur, une sentence,<br />

une impression de destinée. J’ai vite compris qu’il avait écrit cette pièce<br />

pour exister dans deux opposés, l’extrême lenteur du temps et de vives brillances<br />

lumineuses, il y avait dans cette pièce une sorte d’alchymie et justement,<br />

sur un battement de violoncelles, les bois entamèrent une fusion de timbres tout<br />

à fait extraordinaire, dans cette pâte sonore aux mouvements lents je pensai, je<br />

ne sais pourquoi, à de hautes températures. Aucune mélodie, une polyphonie de<br />

couleurs et de températures.<br />

Des Ombres dirigeait ce passage avec des gestes rêveurs, sa main gauche donnait<br />

par instants naissance à des apparitions et lentes ébullitions, il arriva ce que<br />

j’avais pressenti, l’orchestre parut descendre les flancs d’une sorte de cratère sonore<br />

de plus en plus large, on entendait des voix dans ce chaos en rotation lente,<br />

93


je vis ce chef inspiré, il me parut éclairé par une lumière venant d’en dessous les<br />

yeux vides, en transe, je le vis littéralement descendre vers les Profondeurs de la<br />

Terre telles qu’il les concevait, alors qu’une autre partie de l’orchestre entreprenait<br />

une ascension vers la clarté la plus intolérable possible. C’était une analyse<br />

de son âme, du monde, qu’il réalisait à partir de ses savoirs et il nous embarquait<br />

avec lui. Heureusement il devait y avoir des imperfections dans l’exécution car<br />

sinon, seul le Diable sait sur quoi nous aurions débouché. Je me sentis littéralement<br />

écartelée entre ces deux pôles, illuminée par ces galaxies lumineuses<br />

suraiguës et aspirée vers le temps obscur que son inconscient projetait, vers sa<br />

matière noire, je n’aurais jamais cru qu’une musique puisse être aussi fatigante,<br />

j’étais aussi éreintée que fascinée.<br />

Je ne sais pourquoi je m’imaginai, un court instant, nue, en string, au centre de<br />

cet orchestre et, pour la première fois je me trouvai stupide, ça ne m’excita pas.<br />

Je n’étais qu’une étrangère à ce monde, une fille qui ne connaissait pas les mots<br />

indispensables pour décrire cette expérience.<br />

La pause est venue et les musiciens se sont changés en personnes banales.<br />

Quelques éclats de rire fusaient, des groupes se formaient, l’orchestre symphonique<br />

d’avant Evène est un instrument dont nous avons perdu la pratique mais<br />

c’est quelque chose de réellement sorcier. Ou était-ce cette musique ?<br />

Je n’avais pas la réponse à cette question et, prétextant un rendez-vous de<br />

travail, j’ai pris congé, un peu embarrassée, pas du tout dans mon style habituel.<br />

Une chose était certaine, je ne mouillais pas, si je portais mon string je ne<br />

le sentais pas, ce mec m’avait changée en pur esprit éthérique et bien qu’il ne<br />

manque pas de charme je n’avais aucune intention de le sauter. Un comble ce<br />

Des Ombres. Je me suis demandé pourquoi je l’avais classé dans mon top2. Et<br />

pourquoi Dieu m’avait balancé là, vers lui. Il y avait évidemment une explication<br />

rationnelle mais je fus incapable de la trouver.<br />

J’ai filé dans les toilettes du bâtiment pour appuyer sur le pavé bleu. En espérant<br />

que personne ne s’aperçoive de la disparition de Mélissa. Dans cette<br />

séquence je n’avais pas été moi-même, non seulement je n’avais pas joui (ça<br />

allait faire un foutu décompte !) mais je n’avais pas envisagé de fusion sexuelle<br />

avec qui que ce soit. Sauf avec cette musique envoûtante que je me mis à détester<br />

de tout mon cœur, sans pouvoir l’oublier. Une seule chose me paraissait<br />

certaine et frustrante.<br />

Je n’avais pas modifié le futur par mon inconduite !<br />

94


Je vous dois des excuses !<br />

(Bavardages de Mélissa…)<br />

<strong>Le</strong>s femmes seraient mieux dotées et plus expérimentées en<br />

termes de capital érotique. Mais de plus en plus d’hommes<br />

ont compris l’importance de cette dimension. (Keystone)<br />

Je suis impardonnable ! Je réalise que je ne vous ai pas raconté la fin de<br />

la super-rave des “femmes qui préfèrent les femmes”. Où en étais-je ? Dans<br />

l’aquarium du squale, je venais d’y pénétrer avec désinvolture, du tout grand<br />

Mélissa. Donc :<br />

Mon élégant partenaire d’un soir s’approchait de moi !<br />

Il était trop beau ce requin. À peine l’ai-je vu sinuer vers ma petite personne<br />

que j’en tombai follement amoureuse. Fallait que je me le fasse ! Pas un seul<br />

représentant de la mensh espèce ne dispose de ses incroyables interfaces et de<br />

sa robustesse. Après tout il vient du fond des âges, là où les dinosaures se sont<br />

plantés, il a survécu. Ce sont des Seigneurs qu’à tort on veut nous faire prendre<br />

pour des saigneurs. Il avait une chance folle de me rencontrer, je suis, je le répète<br />

depuis le début de cette histoire, une omnivore sexuelle. Je ne sais pas encore<br />

si les E.T. ont bon goût mais ce requin me branchait furieusement et je n’avais<br />

aucune intention de lui piquer ses belles nageoires pour en faire du potage pour<br />

vieux mecs impuissants<br />

Je pris mon souffle et filai droit vers lui, ce qui le déconcerta. Ces grandes<br />

bêtes sont avant tout exploratrices. Elles attaquent d’instinct tout ce qui flotte<br />

et adorent l’odeur de poisson. Elles récoltent des tonnes d’informations par les<br />

vibrations, les odeurs, la lumière et les ondes électromagnétiques. Un requin est<br />

quelqu’un qui sait son Umwelt 89 mieux que personne. En me mettant face à lui<br />

en pleine eau j’éliminais le plus grand risque. De plus il était seul, les requins<br />

sont comme les mecs, en bandes leur comportement est imprévisible, ils peuvent<br />

devenir frénétiques. Avant qu’il ait eu le temps de faire “gloup” j’avais attrapé<br />

son museau sur lequel je distinguai très nettement les ampoules de Lorenzini,<br />

de simples pores mais reliées à un puissant faisceau de cellules sensorielles innervées<br />

de fibres nerveuses très sensibles. Mon petit amour était capable de<br />

repérer sans problème une proie enfouie dans le sable ou de capter un mouvement<br />

infime proche de lui. Qu’allait-il décoder d’une fille d’après Evène ? Je<br />

89 Terme utilissé en philosophie, littéralement l’univers environnant, l’ensemble des<br />

choses connues qui sont “autour”.<br />

95


savais très bien que j’arrivai avec mon arme fatale et déloyale, mon concentré de<br />

progestérone. Je sentais Mélissa. J’empestai Mélissa. Ça marche avec les mecs<br />

pourquoi pas avec les requins ? La réponse à ces questions très basique n’allait<br />

pas tarder, après tout ce que j’avais fait avec les folles de ce sabbat lesbien je<br />

suais littéralement la progestérone, la fille en chaleur, la vie et la reproduction.<br />

Mais comment allais-je m’y prendre ? Notre problème était l’opposition ovi/<br />

vivi ! Ses femelles ont quelques millions d’œufs, je n’en avais qu’à peine cinq<br />

cent… La comparaison était inégale. Si mon partenaire avait de mauvaises pensées<br />

à mon égard ce serait simplement de me laisser sur le sable avec dix millions<br />

d’œufs… Bref, je devrais faire passer mon plaisir avant la reproduction et<br />

voir comment le lui faire admettre. Je décidai de pratiquer avec lui une sorte de<br />

coïtus interumptus. De vous à moi c’est assez pointu de branler un requin car<br />

sa peau, cette merveille d’hydrodynamisme, est rugueuse, voire coupante et je<br />

n’avais aucune intention de sortir de là couverte d’estafilades. Il me vint une<br />

idée. Je lui tapotai tout doucement trois de ses ampoules sensorielles, du bout de<br />

l’index. Une caresse.<br />

Ça lui fit un effet si violent que je ne dois qu’à ma souplesse de ne pas m’être<br />

fait briser les os. Je ne renonçai pas pour autant, ce qui ne me tue pas me rend<br />

encore plus désirable. Je me souvins de la fameuse théorie des sept niveaux de<br />

l’orgasme et décidai de la mettre en pratique. Cette connasse de Dana - ou ce qui<br />

en restait - venait d’y faire allusion et il est grand temps que je vous en dise deux<br />

mots. On ne sait pas très bien à qui attribuer la paternité de l’échelle de Vésuve<br />

(également connue sous le nom de Paliers de <strong>Le</strong>coq). La majorité croit que c’est<br />

l’œuvre d’un Napolitain, réflexion primaire et sotte car les Italiens, obsédés sexuels<br />

notoires, ont tellement peur des femmes réelles qu’il est improbable que l’un<br />

d’entre eux ait étudié la vulvecanique à un tel degré. À mon avis il s’agit d’un<br />

Indien ou mieux d’un Coréen, penseurs assez fous et désœuvrés pour codifier<br />

l’art suprême et perdre leur temps dans ces sottises. La fameuse échelle décrit<br />

les sept degrés de l’orgasme. Je ne vais pas finasser avec ça, un c’est égal à zéro<br />

dans la pratique, deux c’est… pas mal, cinq c’est optimum, six c’est tellement<br />

fort qu’on peut se passer de sexe pour de longs mois et sept… c’est la mort dans<br />

le plaisir. En tous les cas, ceux qui ont connu le degré sept sont tellement illuminés<br />

qu’ils en demeurent chastes pour le reste de leur vie. La mise en pratique<br />

est décrite de manière sommaire : tapoter sept fois le point sensible de sa proie à<br />

très précisément 1,3 fois son rythme cardiaque. La question que tous se posent<br />

est de savoir quel est le point sensible du partenaire. Chez la femme le clitoris<br />

est montré du doigt, si je puis dire ainsi. Mais le point G aussi. Dans les vieux<br />

textes connus il s’agit de la paume de la main, le mont-de-vénus. Ou du creux<br />

poplité, ce que je pense plus juste. Mon foutu requin, qui commençait à donner<br />

96


des signes d’agitation, n’avait ni clito, ni mont-de-vénus ni creux poplité.<br />

À l’évidence il s’agissait de ses ampoules, ces pores distribués autour de son<br />

charmant sourire que les banquiers d’Avène n’avaient jamais entièrement pu<br />

reproduire.<br />

Je ne fis ni une ni deux, tout ça paraît long parce que je cause beaucoup, en réalité<br />

il s’était à peine passé une minute durant ces premiers échanges. Là-bas, au<br />

dehors, au sec, Niki et Cameron attendaient avec impatience de voir s’épandre la<br />

rouge nappe de mon sang de vierge 90 . Je montai prendre un grand bol d’air puis,<br />

en grande douceur, mais vivement, chevauchai mon amant sinueux, mes cuisses<br />

sur sa tête et approchai mes mains de ses pores, tout en délicatesse. Il se figea.<br />

Avais-je une bonne odeur ? Aucune idée, je n’avais pas mes règles, je sentais la<br />

fille fertile. Mais quel est le rythme du cœur d’un requin ? Putain de bonne question.<br />

Je penchai ma tête et collai mon œil au sien. Gris, bleu, invariable. Ah ! Ça<br />

me fit de l’effet de voir de si près l’œil de ce chevalier des mers. Je crois qu’on<br />

s’est dit quelque chose dans le genre :<br />

- Tas de bidoche fumante que me veux-tu ?<br />

- Je te veux toi, mais je ne sais comment te baiser !<br />

- Moi, je sais comment te goûter !<br />

- Mon odeur te surprend, vrai ?<br />

- Tu n’es pas d’ici. Tu es trop chaude et trop raide. Et trop faible. Tu bouges<br />

mal, étrangère.<br />

Racisme pas mort ! C’était vraiment trop facile pour ce super-générateur de<br />

vortex de dire une chose pareille ! Je ne me décourageai pas.<br />

- Laisse-moi te prendre, je vais te faire découvrir quelque chose qui vient de<br />

la surface.<br />

Il ne répondit pas à mon offre mais, plongeant dans cet œil rond, légèrement<br />

en amande et très vif, je découvris quelque chose qui allait me servir. J’y<br />

décelai une légère vibration qui me renseigna sur les battements de son cœur.<br />

Amoureusement je me mis à presser les pores de son museau tout en espérant<br />

choisir les bonnes. À 1,3 fois ce que je pensais être son rythme cardiaque.<br />

<strong>Le</strong> résultat ne se fit pas attendre. D’une détente gigantesque - les poissons ne<br />

jouissent pas comme les mecs - il se cabra et me propulsa hors de l’eau, sur le<br />

podium, là où, sidérées, Niki et Cameron me regardèrent atterrir, toujours aussi<br />

souple. J’avais interrompu le mantra de Vésuve car je venais de réaliser que ce<br />

requin était le seul type bien de la soirée et que j’allais le tuer ! De plaisir… Il<br />

n’aurait jamais survécu au septième niveau. Finalement l’accouplement inter-<br />

90 Poussé dans ses derniers retranchements le clone du Cardinal Rätzinger, pape à ses<br />

heures, se dit prêt à défendre la thèse de la virginité de Mélissa. NdTdS<br />

97


acial n’est pas aussi simple que je le pensais. Mais il avait joui, je vous le<br />

garantis.<br />

Je fus saluée par d’interminables ovations.<br />

Elle a chevauché le requin ! Elle a caressé le requin ! fut le motif récurrent des<br />

filles en délire. Du coin de l’œil je vérifiai que Safran était toujours sagement<br />

installée auprès de son hippocampe et me tournai vers les deux pestes.<br />

- Pffffff ! Reste la pieuvre, grogna Cameron qui garda ses distances.<br />

- On dit qu’elle dispose d’un venin mortel, sourit Niki.<br />

Je leur souris et me mis à réfléchir intensément. Niki était-elle Cannelle ?<br />

Avais-je un moyen de le savoir ? Peut-on transformer une grande métisse très<br />

cool, aux yeux clairs, en une petite blonde nerveuse aux yeux foncés. Bien sûr !<br />

Une idée me vint. Je me glissai derrière Niki qui se raidit un peu et, sous les<br />

approbations grandissantes des filles, me mis à lui rendre quelques services très<br />

intimes. Elle mollit un peu. <strong>Le</strong>s femmes préfèrent les femmes, ça lui fut fatal,<br />

en peu de temps je la tenais à ma botte. Elle était humide comme une mangrove<br />

et j’espérais ne pas mettre mes doigts sur d’étranges habitants de ses moiteurs.<br />

Quand je la sentis prête, je pris ma voix la plus tentatrice - on fait beaucoup de<br />

choses avec une voix - et, sans cesser de sourire, lui susurrai à l’oreille ces mots<br />

qui me traversaient l’esprit : “j’ai heurté, sais-tu salope, d’incroyables Florides”<br />

(je la sentis frémir et poursuivis, guidée par je ne sais qui ou quoi) “couvrant de<br />

sperme tes jambes de panthère à peau douce ! Oh ! les filles-en-ciel tendues comme<br />

des brides” (ça devenait quasiment trop pour elle et je l’achevai de ma voix<br />

la plus nocturne) “sous l’horizon des modes, en de lents défilés”. Elle se mit à<br />

jouir sans retenue, manque de pot c’était une fille fontaine, j’en eus l’avant-bras<br />

trempé. Ce qui ne m’empêcha pas d’ajouter, toujours sur le mode confidentiel et<br />

avec la voix de Big Mama,<br />

- T’es virée.<br />

La raideur soudaine de muscles de sa nuque me renseigna. Niki et Cannelle<br />

étaient la même personne. Elle n’avait jamais été démolie comme on nous l’avait<br />

fait visionner, ce n’était que des SIMS et un peu de montage 3D.<br />

BMW l’avait envoyée dans le passé pour me trouver et m’éliminer. Cannelle<br />

était tout simplement une traceuse. Je notai de l’éliminer. Après avoir rendu visite<br />

à la pieuvre. Elle est chou comme tout et je n’ai jamais encore fait l’amour<br />

avec une belle femelle comme elle. Je vous raconte la fin plus tard.<br />

Quand le connard qui écrit ma vie me foutra la paix.<br />

98


La traque théologique<br />

<strong>Le</strong>s souvenirs de Dieu<br />

(A piacere !)<br />

Mon copain avait rajeuni, moi j’étais moulue. Revenir à Las Estrellas me fit<br />

un bien fou. Ma vie récente avait été celle d’une balle de flipper. Balancée dans<br />

une party des années soixante, catapultée dans une grande fête lesbienne décadente,<br />

atterrissant à Stuttgart dans un univers musical qui m’avait hallucinée, je<br />

me suis demandé si je faisais tilt à chaque impact et qui était aux poignées de la<br />

machine. Je m’assurai que ma beauté était intacte, que mon FemmeTouch était<br />

à portée de ma main, pour le string on verrait plus tard. J’avais besoin de faire<br />

le plein. Ce que le sexe n’avait jamais réussi à faire, le Temps l’avait accompli :<br />

vider Mélissa de son énergie omnivore.<br />

Dieu, de son côté, avait déployé sur une grande table de bois une collection<br />

de ce que j’identifiai comme des montres anciennes. Il les regardait avec un air<br />

tendre et les examinait une par une avec d’infinies précautions. J’en étais un<br />

peu surprise, n’était-il pas censé savoir quelque chose du temps ? Je lui posai la<br />

question.<br />

- Oh ? <strong>Le</strong> ruban O’ 91 , fit-il avec un sourire un peu condescendant, rien à voir<br />

avec ces petits trésors. Regarde celle-ci. On appelait ça une montre à roue de<br />

rencontre. <strong>Le</strong> mécanisme est très ingénieux, l’axe d’un balancier rencontre une<br />

roue dentée, la ramène en arrière, la retient un instant et la laisse échapper, pour<br />

la ramener à nouveau. Ça dérive un peu mais je puis y relire les pensées de ceux<br />

qui l’ont mis au point et, dans une moindre mesure, de ceux qui l’ont consulté.<br />

Ces montres sont de véritables accumulateurs psychiques. Celle-ci va sonner les<br />

heures et les quarts d’heure et on l’appelle montre à répétition, après viendront<br />

les rubis, les quartz et beaucoup de montres plus inertes, sans grande personnalité.<br />

Il y a de l’âme dans celle-là !<br />

- Je vois, admis-je. Tu retrouves dans ces montres toutes les pensées de ceux<br />

qui les ont construites et consultées.<br />

- Si tu savais ! J’ai même connu une montre en laquelle toutes les flammes et<br />

la violence qui ont consumé un grand Empire s’étaient réfugiées. 92<br />

91 Nom donné au temps par l’Auteur dans l’Été Jolene. NdE<br />

92 Cette montre existe, elle se nomme <strong>Le</strong> Violoncelliste et a été vue par l’auteur à<br />

Clarens (Montreux Vaud, Suisse) dans les années soixante puis s’est retrouvée dans son roman<br />

L’Amérique brûle-t-elle ? NdE<br />

99


J’étais loin d’assimiler une telle idée mais, s’il le disait…<br />

- Cette idée de découper le ruban O’ en petits morceaux me ravit vraiment,<br />

c’est tellement humain !<br />

- À ce propos, dis-je prise d’une subite envie, j’aimerais bien que tu m’expliques<br />

la première chose que tu m’as dite quand nous nous sommes rencontrés.<br />

- Hmmm… Je vois ! Tu veux savoir ce que veut dire ce “Ils m’avaient logé ?”.<br />

Juste après que je me sois présenté à toi sous l’identité de Dieu ?<br />

- Ça me tarabuste, admis-je. Je ne veux pas t’importuner avec mes questions<br />

stupides mais… à mon époque tu n’avais plus vraiment cours… et si tel est ton<br />

bon vouloir, ce serait divin !<br />

- C’est simple, poursuivit-il, ils m’avaient situé, localisé, dédivinisé ; ils<br />

avaient très vaguement saisi quel type de pouvoir utiliser pour me débusquer et<br />

me faire apparaître. Je ne suis personne d’extraordinaire tu sais, juste quelqu’un<br />

qui s’est trouvé au mauvais moment et au bon endroit, là où les énergies animiques<br />

pouvaient l’emprisonner. C’est imparable.<br />

Je me souvins de la fameuse traque théologique entamée par les Américains.<br />

Mettre la main sur Dieu ? Pour eux c’était un enjeu de taille, ça assurait la<br />

suprématie du dollar, ils pourraient en imprimer autant qu’ils voudraient ce<br />

serait “béni”, de plus ce serait une garantie de succès pour leurs sectes et leurs<br />

services secrets hollywoodiens, sans parler de la sanctification de leur industrie<br />

du porno. Comme toujours ils s’étaient conduits de manière ignoble, faisant<br />

main basse sur les réserves de moulins à prière du Tibet et canalisant en Irak<br />

et dans les pays voisins les énergies désespérées des peuples qu’ils faisaient<br />

crever à petit feu. Sans oublier quelques protocoles avec Rome qui n’avait plus<br />

qu’une importance secondaire. Pendant une très longue période de son histoire<br />

l’Amérique avait converti des énergies animiques en énergies industrielles.<br />

La tendance s’était inversée, on stockait les précieuses énergies animiques en<br />

vue d’une offensive éclair littéralement démoniaque, les stratèges testaient des<br />

bouteilles de <strong>Le</strong>yde d’un nouveau genre, censées contenir dans leurs parois les<br />

flux des âmes ou même de purs champs de force électromagnétiques, semblables<br />

à ceux construits pour la fusion à froid. L’Amérique se parsema d’animoducs<br />

gardés par l’armée, ils convergeaient tous vers un petit laboratoire en Arizona,<br />

là où œuvrait l’équipe du grand défi. Ce torrent animique fut ainsi canalisé par<br />

quelques déments pour “localiser” Dieu et… ça avait marché ! Je me souvins<br />

d’un mot de Des Ombres à ce propos : ils l’ont mis sur le trottoir et traité comme<br />

une pute ! Mon no 2 savait quelque chose de mon no 1 ! Je me sentis un tout petit<br />

peu réchauffée, moins aliénée, plus proche de ce beau mec qui ne cessait - soit<br />

dit entre parenthèses - de rajeunir. Avec un peu de chance j’allais récupérer mon<br />

100


fameux tonus sexuel !<br />

Dans les instants qui suivirent j’eus droit deux fortes déclarations.<br />

- Je n’étais pas Dieu, dit-il d’une voix forte. Personne n’est Dieu si ce n’est<br />

le malheureux qui tombe dans le creuset de la foi et s’y consume ! Je suis arrivé<br />

dans ce rôle par hasard et aussi parce que je suis un musicien, un compositeur.<br />

La notion de Dieu est une exhalaison de l’espèce humaine, une mauvaise haleine,<br />

une pandémie des plus fatales, la source de toutes les horreurs de cette race<br />

et ça s’arrête là. <strong>Le</strong>s animaux ne s’encombrent pas de telles inutilités. Dieu en<br />

soi n’existe pas, les hommes le créent.<br />

- Pourquoi ? fis-je assez secouée.<br />

- Ils ont peur de mourir, ils sont les seuls à savoir très longtemps à l’avance<br />

qu’ils mourront. Ils ne peuvent l’accepter. S’ils l’acceptaient ils seraient libérés<br />

et entreraient dans la vie éternelle qui n’est autre que le présent, la couronne de<br />

lumière.<br />

Je nageais le kilomètre olympique…<br />

- Si tu n’es pas Dieu pourquoi t’être présenté sous ce nom ? Et qui es-tu ?<br />

- J’étais sur place, dit-il en haussant les épaules, c’est tout. Tu veux que je<br />

partage mon savoir avec toi ?<br />

Ça me fit peur. Imaginez que le soleil s’invite chez vous, ça pourrait roussir les<br />

rideaux… Je ne me voyais pas supporter la lumière infinie de Dieu ou de cette<br />

entité, quel que soit son vrai nom. Mais, comme toujours, il me mit à l’aise.<br />

- Ne te braque pas comme cela, Mélissa. Tu fais partie de ma trame. Laissemoi<br />

te faire entrevoir ce qu’est la nature divine.<br />

- Okay, fis-je avec une voix de petite fille, mais vas-y tout doucement.<br />

Il me rappela les débuts de la traque théologique. Ça n’avait rien de neuf ou<br />

d’original. <strong>Le</strong>s anciens Grecs s’y étaient essayés en gravissant les pentes du<br />

mont Olympe ; les Arabes et les Juifs, avaient bâti des cercles de pouvoir chaque<br />

fois qu’un illuminé revenait du désert avec un méchant coup de soleil ; il y avait<br />

eu une petite pause après la révolution française mais ça n’avait pas duré et les<br />

pouvoirs fourbes du Vatican n’avaient jamais cessé de vouloir localiser et capturer<br />

l’être Suprême à coup de prières, de ferveurs volées à de pauvres gens et de<br />

sanctuaires ridiculement luxueux. Sans aucun succès, pas plus que les pentacles<br />

et les ballets de sorcières volantes qui, elles aussi, étaient membres de ce complot<br />

impie. Il avait fallu les acquis de la physique et de l’électronique du XXI<br />

siècle pour que progressivement une nation puisse envisager de mener à bien<br />

un projet aussi dément. On se souvient de l’épisode arizonien dans lequel les<br />

101


États-Unis et le Mexique envoyèrent une très méchante pute et un détective du<br />

Déeffe 93 traquer le Seigneur dans le désert de Sonora. 94<br />

Il y avait, somme toute, une réserve de carburant illimitée pour la machine de<br />

traque et c’étaient, en nombre grandissant, les âmes inquiètes de cette planète où<br />

personne n’était heureux, ou chacun craignait la mort. Si on se demande pourquoi<br />

les femmes furent si durement mises sous le joug masculin pendant quatre<br />

millénaires la réponse est évidente : elles ne s’encombraient pas de théologie,<br />

n’avaient aucune tendance à créer une super-icône, étaient plus près de nature,<br />

beaucoup plus “au monde” et détenaient dès l’origine le pouvoir de récolter les<br />

énergies vitales de l’homme en lui apportant un peu de bonheur, cette particule<br />

élémentaire mal connue à la recherche de laquelle le monde entier s’acharnait.<br />

On ne pouvait tolérer leur contre-pouvoir.<br />

Je me suis dit que les choses avaient bien changé et j’ai jeté un œil sur mon<br />

Effe-Too, un petit texte y défilait, la routine. Il disait avoir vu<br />

Pas pire que d’hab…<br />

s’élever des marées féminines, classes où se lève<br />

dans les joncs tout une interface ! Des hypothèses<br />

d’eaux au milieu des bonaces, et les lointains<br />

vers les filles cataracte !<br />

On en revint à la traque : dans la pratique, les experts américains commencèrent<br />

par recenser les acquis des sectes religieuses ce qui ne fut pas un mince travail…<br />

<strong>Le</strong> pays entier était un vaste tourbillon d’émotions, de confusion, d’avidité, de<br />

crimes et de rapines qui toutes se justifiaient par l’existence de l’Être suprême.<br />

<strong>Le</strong>s gens avaient contracté une diosite virulente ou même une théogrippe mutante,<br />

devenue pandémique. <strong>Le</strong>s sectes étaient innombrables et l’unique église<br />

reconnue était sise dans une petite rue quelconque de New York, nommée Wall<br />

Street. Ils présentèrent des rapports élégants dont les conclusions étaient vagues<br />

et fantaisistes. Quand ils s’attaquèrent aux Moyen Orient les responsables du<br />

projet 3T 95 dévissèrent face aux énergies juives et arabes. Ça échappait à toute<br />

codification autre que celle d’un furieux désordre mental. <strong>Le</strong>s choses ne se pas-<br />

93 Déeffe mis pour DF : Districto Federal ou centre de la ville de Mexico.<br />

94 Voir à ce propos Mais qui s’est tapé Molly Schmoll du même auteur NdE<br />

95 Traque Théologique Totale, soit 3 fois la lettre T. NdT<br />

102


saient pas comme prévu et le pentateuque 96 envisagea de classer le projet quand,<br />

de manière imprévue, un jeune chercheur peu coté de ses supérieurs, Caryl<br />

Chessman 97 , inventa le théoscope 98 , un instrument admirable dont le principe<br />

était à pleurer de sottise. Dieu, s’était dit le jeune homme qui n’avait aucune<br />

tendance au religieux, ne peut être que non mesurable sinon ça ne vaut pas le<br />

coup. Il ne s’agissait donc plus de rechercher des éléments définis tels que des<br />

très hautes ou très basses fréquences ni même, au moyen de télescopes spatiaux<br />

et d’instruments refroidis pratiquement jusqu’au zéro absolu, le fameux rayonnement<br />

fossile dont on pensait qu’il était la preuve de l’acte divin primordial,<br />

il s’agissait d’une sorte de décohérence, la présence divine, étant fonction de la<br />

volatilité des paramètres choisis et surtout de l’absurdité des résultats, quelque<br />

chose comme la musique sérielle du XXème siècle, Dieu qui était le Verbe ne<br />

pouvait être qu’illogique, c’est là le fameux théorème de Chessman. La manifestation<br />

du logos est l’antilogos. Il y avait une quantité d’autres variables banales<br />

dans une époque où la fumée d’une cigarette ne peut être décrite que par<br />

les mathématiques du chaos, variables telle une susceptibilité électrique tendant<br />

vers zéro, une polarisation macroscopique tendant vers l’infini et une constante<br />

Aleph dont le jeune homme ne laissa aucune explication intelligible si ce n’est<br />

un vieux bouquin d’un Sud-Américain nommé Borgès dans lequel il y avait la<br />

carte de visite d’une call girl de Virginie en guise de bookmark. <strong>Le</strong> plus surprenant<br />

est que les théoscopes fonctionnèrent très bien. À la question Quand Dieu ?<br />

et Où Dieu, de rapides réponses furent apportées par les premiers modèles, avec<br />

une étonnante précision.<br />

On <strong>Le</strong> situa dans divers d’endroits, la banlieue de Buenos Aires, les Jardins<br />

suspendus du Sri Lanka, une aurore boréale, une salle de répétition à Stuttgart et<br />

dans un cabinet comptable de Denfert à Paris.<br />

Jamais en Amérique, jamais dans une église ou un temple.<br />

Dieu fuyait, semble-t-il, les lieux de culte ce qui, a contrario, aida les chasseurs<br />

de prime dans leur traque. Car les Américains avaient mis sa tête à prix.<br />

<strong>Le</strong>s discussions allaient bon train, où allait-on loger ce super-prisonnier ? À Maison<br />

Blanche ou à Guantanamo ?<br />

La seule question à laquelle le théoscope n’apporta jamais de réponse fut celle<br />

96 Nom de code du Pentagone peu avant Evène NdSS<br />

97 Caryl Chessman : personnage récurrent qui apparaît chaque fois qu’une invention<br />

étrange est indispensable aux protagonistes ou à l’auteur, voir H sur Genève et Mais qui s’est<br />

tapé Molly Schmoll ? du même auteur. NdE<br />

98 Théoscope : apparaît pour la première fois dans Orphée 2001 lors d’un vol vers Ibiza.<br />

103


de Qui Dieu ? Là-dessus l’instrument de Chessman restait muet mais c’était sans<br />

importance. <strong>Le</strong>s choses en étaient là et Dieu quasiment sous mandat d’amener<br />

quand survint Evène et la traque échappa aux Américains, comme le reste des<br />

choses d’ailleurs. On sait que les États-Unis d’Europe reprirent cette enquête<br />

et la menèrent plus loin, c’est à peu près tout ce que l’on peut dire de la traque<br />

théologique.<br />

La seule qui L’ait retrouvé, c’est moi, Mélissa.<br />

À dire vrai c’est surtout Lui qui m’a trouvée, sur Denfert. Qui est-Il vraiment ?<br />

Pourquoi moi ? Pourquoi ces sauts temporels, pourquoi Des Ombres ? Aucune<br />

explication ne se dégageait encore mais j’étais contente d’entendre tout ça, c’était<br />

plus cohérent que les versions officielles d’après Evène. J’étais surtout ravie de<br />

<strong>Le</strong> voir se modifier ainsi. Vous savez quoi ? Il devenait beau. Toujours plus !<br />

Il me prit par le bras et m’entraîna au dehors. On s’est rendu dans le désert<br />

qui borde Las Estrellas de Los Tres Picos. La terre dégageait une énergie<br />

heureuse. <strong>Le</strong> village, composé de quelques maisons d’adobe et de vigas 99 était<br />

traversé par un chemin de terre qui se perdait entre des collines cactées, un peu<br />

dentues. <strong>Le</strong> vent léger qui soufflait là était celui de la paix. Du bonheur, qui sait ?<br />

Mais soudain l’horizon se troubla. Tremblement de la chaleur dans le désert ?<br />

Non, c’était des gens qui venaient vers nous. Je vis passer une longue théorie<br />

de marcheurs pensifs qui ne semblaient pas nous voir. <strong>Le</strong>s yeux écarquillés je<br />

reconnus mes copines de PS ! Elles ne ressemblaient pas à celles que j’avais<br />

connues, elles étaient un peu transparentes. Parmi elles je repérai Hannelore. Un<br />

détail me frappa, elle n’avait pas d’ombre.<br />

- Pas bien du tout, ça… murmura Dieu.<br />

- Que fais-tu là ? dis-je quand elle passa devant moi. Tu te charges toujours<br />

des basses œuvres chez PS ?<br />

Elle ne sembla pas me voir ni m’entendre, elle conversait à voix basse avec<br />

un tourbillon de poussière qui la précédait. Je reconnus Niki et Cameron dans le<br />

cortège. Un peu en retrait venait Safran à qui personne ne parlait. Il ne manquait<br />

que Big Mama et encore, cette femme de petite taille cachée sous un voile noir<br />

pouvait tout à fait être elle. Mon cœur se serra, ce n’était pas bon signe. <strong>Le</strong> défilé<br />

semblait sans fin. Je revis beaucoup de personnes que j’avais aimées avant de<br />

devenir Mélissa l’omnivore et je me suis sentie très mal à l’aise. À Las Estrellas<br />

on croisait les acteurs de sa vie. Ce petit bled mexicain était plus inquiétant que<br />

le bistrot de New York. Plus beau mais plus effrayant. Je me tournai vers Dieu.<br />

99 Adobe et vigas : maisons aux murs de terre rouge et poutres de bois apparentes<br />

typique du nouveau Mexique.


Il avait encore changé !<br />

- Je n’ai vu passer que des femmes, lui dis-je, pourquoi ?<br />

- Tu devras répondre à cette question, tu le sais bien.<br />

Mille poèmes dansaient dans ses yeux.<br />

Un silence tomba. Je me suis détendue. On m’offrait un moment de détente.<br />

Bientôt les cactus chandeliers géants se découperaient sur la lune des déserts.<br />

Dieu se tourna vers moi, l’air moqueur, il allait me parler mais - je redevenais<br />

sotte - une question incongrue me vint et j’osai la lui poser.<br />

- Est-ce que tu as joui dans ta vie ?<br />

- Deux fois, dit-il.<br />

- Oh ?<br />

- La première fois, ajouta-t-il, c’était chaud. Très chaud.<br />

Je vis distinctement des anges passer en rase-mottes, l’air réprobateur. Ce<br />

n’était sans doute que des vautours en quête de séminaires. J’étais certaine qu’il<br />

avait fait allusion à son Acte Fondateur. J’en fus super-remuée. Sur quoi il me<br />

tourna cet étrange compliment :<br />

- Tu es un beau proton, Mélissa.<br />

J’en étais baboum, il ajouta pensivement :<br />

- Qui d’autre qu’un compositeur pouvait avoir une idée d’assemblage au moment<br />

chaud ?<br />

105


106


Où sont les hommes ?<br />

(Bavardages de Mélissa qui se lâche…)<br />

les hommes auraient des besoins sexuels bien plus élevés<br />

que ceux des femmes. <strong>Le</strong>squelles constituent ainsi une offre<br />

limitée par rapport à la demande masculine. Or, on le sait, ce<br />

qui est rare est cher. Sur le marché du travail. Mais aussi dans<br />

la vie privée. <strong>Le</strong>ur libido supposée moins exigeante, surtout<br />

pendant la période d’élevage et d’éducation des enfants, en<br />

ferait, au sens propre, des maîtresses de maison, se refusant<br />

sans trop de regrets quand elles veulent – telles Lysistrata et ses<br />

disciples athéniennes – punir leurs amants, et s’offrant quand<br />

elles souhaitent en tirer un avantage. (Catherine Hakim, du<br />

Département de sociologie de la London School of Economics)<br />

- Vous n’avez pas l’impression qu’il y a des absents dans ce récit ? <strong>Le</strong><br />

Sarkodile ? Non, il ne compte pas tant que ça. <strong>Le</strong>s Suisses ? Ha ! les Suisses sont<br />

quelquefois beaux et juteux, mais je leur préfère leurs fromages et leurs blancs<br />

secs vaudois, c’est… médiéval. La police ? Bah ! Pour quoi faire ? On l’assure<br />

nous autres les battantes optimisées. L’Amérique ? C’était Avène… On dit que<br />

leurs terres, là-bas, fument encore. <strong>Le</strong>s héros ? Remplacés par des zéroïnes. Non,<br />

les absents sont les hommes, vous le pressentiez et la suite ne va pas être triste,<br />

sont pas là les carburateurs, les mecs, les Y 100 , les patriarcaux et les solennels, ni<br />

même les grands charmeurs.<br />

Je vois d’emblée ce qui vous vient à l’esprit : comment notre monde se<br />

perpétue-il ? <strong>Le</strong>s femmes ont besoin des hommes. Vous en êtes sûrs ? Vraiment<br />

sûrs ? Des hommes ? Pour quoi faire ? Je vais être sympa avec vous, je vais vous<br />

donner les divers scénarios possibles. Mais je vais aussi être un peu vache, je<br />

ne vous donnerai pas la solution. Faudra la trouver vous-même. Inhabituel…<br />

Chiant non ? Médiéval ! Depuis tout ce temps que vous vous êtes habitués à<br />

recevoir du tout cuit, du préparé, du sur mesure, du custom. Fini tout ça. L’ère<br />

du digest s’achève. Voilà !<br />

Des Ombres a écrit dans La Tempête un très joli chapitre intitulé Où sont les<br />

femmes ? Je sais qu’à l’origine il s’agissait d’une chanson. Quand je l’ai lu ces<br />

lignes j’en ai été remuée. Je vous en cite le début.<br />

“Or il advint que, parallèlement, dans un autre lit du Temps, un vendredi<br />

100 Chromosomes… NdTxcd<br />

107


13 avril, à 17 h 12, heure de Paris, les femmes disparurent.”<br />

La suite montre combien nous sommes essentielles…<br />

“<strong>Le</strong>s miennes, les vôtres, toutes les femmes, ces merveilles insultées, nos<br />

horizons, nos protections dans un monde intolérable, elles, leur indulgence,<br />

leurs babils et leurs non-dit s’en furent sans bruit, sans fracas ni tempête, modestement,<br />

anonymement, sans juger utile de faire apparaître une grande pogne qui<br />

eut tracé en lettres de feu ce « je reviens dans cinq minutes » qu’elles apposaient<br />

quelquefois au rouge à lèvres ou au sticker sur le frigo, ces sublimes disparurent<br />

discrètement, à perte de femme. “<br />

Ah ! Si les hommes avaient tous su nous parler ainsi ce chapitre n’aurait<br />

aucune raison d’être… Il poursuivait et tombait dans le vertige de la liste :<br />

“Toutes, quasiment toutes. <strong>Le</strong>s nanas, les charmantes, les grogneuses,<br />

ménagères, épouses, vendeuses, avocates, muses, les désirées, les connues, les<br />

trompées comme les fatales, celles qui ne faisaient pas d’histoire et pour qui on<br />

avait une tendresse particulière, j’en saute, si je puis m’exprimer ainsi. La mer<br />

et le sable, eux, étaient toujours là ainsi que les montagnes, des fleuves, tout ce<br />

que l’on appelle nature et même les villes qui se faisaient de plus en plus laides.<br />

Sans parler des hommes. <strong>Le</strong>s femmes s’en étaient allées Dieu ne savait pas où.<br />

Il restait bien quelques mannequins de cire dans les vitrines et des icônes dans<br />

les revues de mode mais de femelle humaine rien. Elles avaient empli notre vie,<br />

on n’avait pas su le voir et soudain elles n’étaient plus là.”<br />

Je suis une grande sentimentale, j’ai ressenti cette absence, en lisant ça j’avais<br />

presque le sentiment d’être une désespérance masculine… Il se demandait qui<br />

avait fait le coup.<br />

“Ce ne pouvait être qu’un complot, un coup monté avec une insondable perfection.<br />

Mais par qui ? <strong>Le</strong> KGB était mort, la CIA trop conne, les Suisses trop<br />

misogynes et les Latinos trop bien servis. C’était à coup sûr une manœuvre<br />

des Chinetoques et des Indiens d’Inde, j’avais entendu dire qu’il leur manquait<br />

quelques millions de femmes. Mais de là à nous les siffler toutes… S’étaient<br />

évanouies les tramposes, les comploteuses, les ruineuses de santé comme<br />

de phynance, les bonnes et les passantes, pas grand-chose somme toute, nos<br />

femmes, rien que nos femmes.”<br />

Ce pas grand-chose m’acheva. Il avait un parfum d’infini !<br />

“<strong>Le</strong>s hommes créèrent des cellules de crise et passèrent le réel au peigne fin.<br />

Elles avaient laissé toutes leurs affaires en place. L’instant d’avant l’une cuisinait,<br />

108


l’autre était partie au supermarché ou dans une réception branchée, la majorité<br />

déambulait dans de grandes avenues, nourrissant de leur fameuse démarche les<br />

rêves de ces loups dégénérés que sont devenus les hommes des villes, quelquesunes<br />

avaient pris des taxis pour aller recevoir un prix littéraire ou voir leurs<br />

amants mais aucune valise ne manquait et il n’y avait pas trace de préparatifs<br />

de départ ou de fugue. <strong>Le</strong>s garde-robes étaient pleines, les produits de beauté<br />

traînaient en désordre dans les salles de bains, crèmes, brosses, pots, pinceaux,<br />

tubes et autres flacons indiquant d’évidentes pistes que nul ne sut décoder. Il<br />

y avait des revues de mode sur les moquettes des chambres à coucher, des lits<br />

défaits, des chaussures à brides en désordre et des téléphones pas raccrochés. Si<br />

les hommes de ce moment avaient lu Tout smouales étaient les Borogoves du<br />

regretté Boris Vian ils eussent peut-être compris que les femmes, des plus quotidiennes<br />

aux plus aventureuses avaient, par quelque complicité, trouvé le chemin<br />

qui mène au ∆elta 101 . <strong>Le</strong>s Originelles avaient retrouvé le chemin de la race, le<br />

joint de confluence avec la nature, le retour à la fusion, à l’initial, à la splendeur<br />

marine. Étant racine unique, plurielles à nos yeux mais singulières par construction,<br />

elles disparurent avec simplicité, empruntant cette voie de retour naturel<br />

que l’on pourrait nommer moindre résistance ou itinéraire d’élégance. Certains<br />

privilégiés conservèrent le souvenir d’un geste gracieux, d’un envol de jupes et<br />

de chevelures au détour d’une rue, l’ombre d’une jambe sur un escalier gravi, un<br />

sourire pendu à un signal stop tel celui du chat de Chessire, la rémanence peutêtre<br />

des harmoniques impaires de leurs voix”.<br />

Comme vous l’imaginez le monde se défit. C’était peut-être bien ça Evène ?<br />

Qui sait ? Sa conclusion était foudroyante :<br />

“Ce départ tranquille, discret, traumatisa efficacement les hommes de tout<br />

poil. <strong>Le</strong>s bourses s’effondrèrent, les cœurs aussi. Nous avions pourtant été prévenus.<br />

Avec Lysistrata elles nous avaient menacés d’une grève du sexe, dans les<br />

nuits du premier millénaire elles avaient chevauché des balais (que je m’imagine<br />

mieux en boucs), plus récemment les féministes avaient évoqué un monde bipolaire,<br />

séparatiste et divers auteurs avaient déliré sur le thème du néomatriarcat,<br />

futur empire d’Amazonie, mais personne n’avait prévu le départ des femmes.<br />

Une très longue nuit s’annonçait, pas seulement celle qui allait nous mener au<br />

samedi 14 mais surtout celle de nos vies et de nos cœurs. Car tout le monde<br />

s’accorda à le reconnaître : on les aimait ces salopes !<br />

Nous voici donc dans le cas de figure inverse. La question n’est pas “Où sont<br />

les femmes ?” mais “Où sont les hommes ?”<br />

101 <strong>Le</strong> delta, ici par analogie, l’arrivée vers la mer, la mère, la mort, l’éternité ! NdTadmrt<br />

109


Je vais être sympa avec vous, je vais vous donner les divers scénarios possibles,<br />

vous choisirez.<br />

1) Comme proposé par Valérie 102 on les a parqués dans des enclos de reproducteurs.<br />

Ils font les malins entre eux, jouent à la guerre (mais ne disposent pas<br />

d’armes) et le moment venu on prélève leur semence, leur divine semence. C’est<br />

un élevage rentable. Ils bouffent bien, font du sport, ne mettent plus la planète en<br />

péril et ont cessé de nous emmerder. Certaines d’entre nous sont assez perverses<br />

pour aller se faire sauter in vivo mais - entre vous et moi - ça finit souvent mal et<br />

les résultats sont plus que modestes. <strong>Le</strong>s hommes viennent de Mars, vous connaissez<br />

la chanson.<br />

2) Nous vivons dans deux communautés harmonieuses et nous nous voyons<br />

quand nous en avons envie. <strong>Le</strong>s filles se chargent de la police (il n’y a rien de<br />

pire que les vierges noires, le territoire est bien sécurisé) et les femmes sont<br />

aux affaires. <strong>Le</strong>s hommes ont une masse de choses pour s’occuper, rien à voir<br />

avec ce modèle idiot d’Avène où mes sœurs se battaient pour que leurs mecs<br />

élèvent les enfants et fassent la cuisine. Nous avons nettement progressé dans la<br />

robotique scolaire et ménagère. Ça baigne.<br />

3) Comme la fameuse Jolene l’avait envisagé les femmes font du Nesmensh 103<br />

quand elles ont besoin de partenaires. L’homme sachet est très commode et le<br />

gros plus c’est qu’on peut choisir son modèle d’homme, actuel, d’avant Evène,<br />

Star, lambda mais Sarkodile excepté.<br />

4) Je suis une grosse menteuse et les hommes existent très agréablement dans<br />

mon époque. <strong>Le</strong> monde est en paix. Nous avons des relations complètement<br />

romantiques, personne n’est jaloux, c’est un marché du type win-win, cette formule<br />

que les Américains ont utilisées pour escroquer la planète dans son entier.<br />

Il est bien vu que chacun dispose de son chez soi, de sa réserve sauvage. Comme<br />

102 Cette femme ne cassait pas trois pattes à un connard mais est devenue célébre après<br />

avoir écrit le Scum Manifesto (ci après en version originale) et révolvérisé Andy Warhol de<br />

trois balles dont l’une fit mouche. Vieille formule qui consiste à s’opposer pour se poser. Voyez<br />

un extrait de son manifeste en fin de chapitre.<br />

103 Nesmensh, par analogie avec un ancien breuvage Absolument dégoûtant et qui consistait<br />

à verser de l’eau très chaude sur une poudre pour obtenir ce qu’un philosophe abscons<br />

comme Arnold Marejko appellerait la transsubstantiation. En bref vous achetez un sachet de<br />

BHL époque par exemple, vous versez l’eau et obtenez l’original à votre disposition pour une<br />

durée allant de 5 minutes à 24 heures, en fonction du modèle (standard, luxe, superclass, poorpeople)<br />

Sarkoidyllique ou Suisse.<br />

110


la population a passablement fondu et que les Noirs et les Arabes ont fait une<br />

pause dans leur métissage galopant, il y a de la place pour tous. <strong>Le</strong>s blondes<br />

sont très prisées en ce qu’elles n’existent plus (gènes récessifs) et nous réalisons<br />

toutes chaque jour une version des Affinités électives, un vieux traité de<br />

36 chapitres qui a heureusement été scanné avant Evène. Euuhhh… entendonsnous<br />

: le vieux chnoque 104 qui avait écrit ça a dramatisé et nous n’en avons gardé<br />

qu’un best of. C’est d’ailleurs à PodSex que le texte a été mis au point sous ma<br />

haute supervision. Ça ne dit pas grand-chose de neuf si ce n’est le principe de<br />

spermutation, AB et CD vont produire AC et BD, etc. Notre patrimoine génétique<br />

s’améliore. Il est vrai que dans ce monde idyllique il y a beaucoup moins<br />

de bruit et de fureur car nous soignons les hommes avec la DHEA moins une formule<br />

qui limite les excès de testostérone.<br />

5) <strong>Le</strong>s techniques in vitro ayant con(sidérablement) progressé tout ce qui<br />

précède et qui suit n’est que bavardage et fausses pistes.<br />

6) (et dernière) Je suis, Moi Mélissa, le Prophète ( c’est bizarre de ne pouvoir<br />

mettre ça au masculin…) et le monde s’est aligné sur ma triomphale et féminine<br />

vitalité. Tout va bien. <strong>Le</strong>s femmes baisent les filles qui baisent les femmes qui<br />

baisent Dieu qui est baisé par moi qui baise les requins (mais pas les moustiques)<br />

au fil des chapitres, d’un long orgasme aux sèves éblouies et aux lenteurs de<br />

phosphores chanteurs ; tout est possible et personne ne s’arrête sur personne, j’ai<br />

été entendue. Et comprise. 105<br />

Vous aurez remarqué que je suis passée comme chatte sur baise sur la question<br />

de la reproduction. <strong>Le</strong> monde existe encore. L’humanité, cette honte de la<br />

création, prospère. Je suis une fille brillante dans un monde hyperactif. Franchement,<br />

je ne m’imagine pas embarrassée 106 dans cette histoire. Toutes les filles<br />

qui travaillent à PodSex sont vierges, au sens premier du mot. Comment notre<br />

société se reproduit-elle ? Putain de bonne question… Visiblement le temps nous<br />

manque. Il y aurait bien le septième point, le septième aveu mais franchement<br />

je n’ai aucune envie de vous raconter ici comment nous, les filles du futur, nous<br />

104 M. Goethe in person. NdE(??)<br />

105 Je sais, je sais… vous pensez que je déconne ou que je vous cache l’essentiel. Vous<br />

avez raison mais si vous pensez une seconde que je vais vous donner la bonne soluce ou même<br />

vous mettre sur la voie vous n’avez qu’à regarder le prix dérisoire de ce bouquin et vous réaliserez<br />

que vous avez fait l’affaire de votre vie mais aussi que ce type d’information n’est pas<br />

dans vos moyens. NdMlssa<br />

106 Au sens espagnol du mot : embarasada : enceinte. NdT<br />

111


églons ce problème de perpétuer la race. La donne a changé. Si je vous balançais<br />

la vérité vous ne la supporteriez pas. D’ailleurs la vérité c’est copie non<br />

conforme, il y en une par personne, une par couple, groupe, quartier et gouvernement.<br />

<strong>Le</strong> Nesmensch ? Vous vous gourrez. Ça sert à faire des partenaires<br />

provisoires mais pas des enfants. Je crois qu’il vous faudra vous tourner, au<br />

moins provisoirement, vers le cinquième point ou mieux, laisser tomber. Cette<br />

histoire est un dévaloir, un toboggan, elle coule vers l’extase, vers l’amour, vers<br />

un monde où enfin nous jouissons sans entraves.<br />

Il y a deux hommes que je déteste profondément.<br />

L’un c’est Dieu.<br />

Parce que je ne l’ai pas encore baisé. Et aussi parce qu’il m’échappe.<br />

L’autre c’est Des Ombres. Je sens qu’il me réserve un tour à sa manière. On<br />

ne devrait jamais faire confiance à un musicien et surtout pas à un compositeur.<br />

Ces hommes (pas tellement de femmes compositeur dans l’histoire) ces hommes<br />

jouent avec la base du monde. <strong>Le</strong> temps et l’énergie. Ce qui pourrait rapprocher<br />

Des Ombres et moi c’est le facteur de dangerosité. Je sais bien que je modifie le<br />

monde autour de moi. Mais ce n’est qu’à PodSex, dans mon futur.<br />

Vous n’allez pas me croire, quelque chose me dit que Des Ombres a changé<br />

le monde bien plus “horriblement” que moi. Il a joué avec des symboles et ça,<br />

nous, les filles du futur, on ne se le permet même pas. On verra. On verra bien<br />

qui est Dieu, qui est la Femme, qui est l’origine.<br />

Moi je suis l’Origine Elle, mais ça ne répond pas aux questions posées ici.


Il ne vous reste plus qu’à lire (éventuellement) le texte de Solanas 107 qui est<br />

à mon modeste avis, un poil excessif et pas du tout centré sur cette impossible<br />

réalité ; homme/ femme.<br />

Mode d’emploi.<br />

107 Extrait du manifeste : It is now technically feasible to reproduce without the aid of<br />

males (or, for that matter, females) and to produce only females. We must begin immediately<br />

to do so. Retaining the mail has not even the dubious purpose of reproduction. The male is<br />

a biological accident : the Y (male) gene is an incomplete X (female) gene, that is, it has an<br />

incomplete set of chromosomes. In other words, the male is an incomplete female, a walking<br />

abortion, aborted at the gene stage. To be male is to be deficient, emotionally limited ; maleness<br />

is a deficiency disease and males are emotional cripples.<br />

The male is completely egocentric, trapped inside himself, incapable of empathizing or identifying<br />

with others, or love, friendship, affection of tenderness. He is a completely isolated unit,<br />

incapable of rapport with anyone. His responses are entirely visceral, not cerebral ; his intelligence<br />

is a mere tool in the services of his drives and needs ; he is incapable of mental passion,<br />

mental interaction ; he can’t relate to anything other than his own physical sensations. He is a<br />

half-dead, unresponsive lump, incapable of giving or receiving pleasure or happiness ; consequently,<br />

he is at best an utter bore, an inoffensive blob, since only those capable of absorption<br />

in others can be charming. He is trapped in a twilight zone halfway between humans and<br />

apes, and is far worse off than the apes because, unlike the apes, he is capable of a large array<br />

of negative feelings -- hate, jealousy, contempt, disgust, guilt, shame, doubt -- and moreover,<br />

he is aware of what he is and what he isn’t. Although completely physical, the male is unfit<br />

even for stud service. Even assuming mechanical proficiency, which few men have, he is, first<br />

of all, incapable of zestfully, lustfully, tearing off a piece, but instead is eaten up with guilt,<br />

shame, fear and insecurity, feelings rooted in male nature, which the most enlightened training<br />

can only minimize ; second, the physical feeling he attains is next to nothing ; and third, he is<br />

not empathizing with his partner, but is obsessed with how he’s doing, turning in an A performance,<br />

doing a good plumbing job. To call a man an animal is to flatter him ; he’s a machine, a<br />

walking dildo. It’s often said that men use women. Use them for what ? Surely not pleasure.<br />

113


114


Maria, le hasard et la Présidence<br />

Rock Opera on mer Égée !<br />

(Suite allemande…)<br />

La Présidence de la SIMC fut pour Des Ombres un incident de parcours. La<br />

Société avait coutume d’élire des hommes dans la soixantaine, cheveux gris et<br />

aura de respectabilité conventionnelle. Il ne correspondait guère à cette description<br />

mais, en suite des bévues de la section française (indisciplinée cela va de<br />

soi) les électeurs se trouvèrent devant un candidat unique, un allemand bien sûr,<br />

le successeur de Strobel !<br />

À quoi tiennent les choses… notre homme, deux jours avant, s’était rendu à<br />

une soirée chic des milieux internationaux, dans le quartier des onusiens proche<br />

de l’aéroport, suivant la piste d’une belle espagnole prénommée Maria. Ce soir<br />

là il cherchait son chemin entre de grands immeubles résidentiels à bord de son<br />

Alfa SS et avait entrevu un rêve banal mais efficace. Une cascade de cheveux<br />

noirs, des jambes et des épaules bronzées, un sourire mangeur et une robe<br />

orange. Ah ! cette robe dont la couleur exerçait sur lui la plus fatale attirance… 108<br />

Il n’avait pas hésité et s’était arrêté près d’elle. “Je cherche l’adresse d’Andrew<br />

Stoned” avait-il dit, manquant comme toujours d’imagination, dragueur très<br />

timide. Il avait du pot, la belle lui dit avec un vaste sourire qu’elle s’y rendait.<br />

Ils débarquèrent ensemble chez l’Onuseux, le courant passait, ils notèrent leurs<br />

téléphones et se fondirent dans la masse des inutilités présentes. <strong>Le</strong>s invités<br />

pratiquaient le plus banal des small talk mais un homme, entre deux âges,<br />

entreprit d’expliquer à l’entourage tous les avantages de créer des ONG 109 ,<br />

basées à Genève ou New York. Maria était un rêve sans avenir pour Des Ombres<br />

(tombe-t-on amoureux d’un bronzage, d’une démarche, d’un vaste sourire et<br />

d’une robe orange ? la réponse désagréable est oui !) mais le joyeux parasite qui<br />

lui expliquait les ONG modifia sa vie bien qu’il ne s’en rende pas compte sur<br />

l’instant. Il l’avait écouté d’une oreille distraite. Toutefois quand, le surlendemain<br />

dans les locaux de l’UNESCO à Paris, la séance de la Société Internationale de<br />

Musique Contemporaine débuta il ne put s’empêcher de demander au Président,<br />

108 C’est fou ce que ce pauvre Des Ombres tombe facilement sous l’emprise des signes<br />

féminins de séduction. Il sait pourtant qu’un sourire mangeur est un acte de prédatrice et qu’en<br />

cou lisse c’est autre chose. Aucun progrès au fils de ses bouquins. NdEstsft<br />

109 ONG (NGO) Organisation non gouvernementale (personne morale) dont le siège peut<br />

être à Genève ou New York. N’est pas un Gouvernement mais peut intervenir dans le champ<br />

national ou international.<br />

115


avant l’adoption de l’ordre du jour, quel était le montant des subsides versés par<br />

l’UNESCO à la SIMC. Très mauvaise question… On lui suggéra d’en parler<br />

informellement hors séance mais il s’entêta. <strong>Le</strong> Président en exercice, un nommé<br />

Jurrès, homme courtois et fort civil lui révéla alors publiquement ce que tous les<br />

autres délégués savaient, que l’UNESCO ne versait à la Société aucun subside.<br />

<strong>Le</strong> Genevois n’en crut pas ses oreilles. Il avait l’habitude du monde du mécénat<br />

et pratiquait l’art de récolter des subventions. Il insista.<br />

- Pas même 1’000 dollars ? demanda-t-il sidéré.<br />

- Pas même, Monsieur le délégué, fit le Président avec un mince sourire.<br />

- Mais, en ce cas, s’écria Des Ombres qui se souvint de la conversation de<br />

l’avant-veille, fondons une ONG ! Nous aurons beaucoup d’avantages et le droit<br />

de demander des subventions convenables à l’UNESCO.<br />

Quelques délégués applaudirent mais on lui fit comprendre que, bien que son<br />

idée soit excellente, l’ordre du jour ne permettrait pas de la traiter avant le point<br />

“divers”. Il eut fallu qu’il demandât une modification de cet ordre du jour… Il<br />

s’inclina.<br />

<strong>Le</strong> lendemain, quand le candidat français dut retirer sa candidature en raison<br />

de la mauvaise organisation du Festival parisien, tous tombèrent sur Des<br />

Ombres qui avait eu le tort de se désigner à l’attention de l’Assemblée. <strong>Le</strong> Président<br />

sortant, le Secrétaire général, un certain Rudolf Heineman qui exerçait en<br />

coulisses le pouvoir réel auprès des soixante délégués ainsi que quelques personnalités<br />

préoccupées par la situation. L’élection ne pouvait avoir lieu.<br />

- Me demandez-vous de mettre mon nom sur le tableau des candidats ?<br />

s’étonna Jacques.<br />

- Ce serait une bonne chose, fit Heineman qui lui tendit la main et se présenta,<br />

je suis content de vous connaître, Monsieur et, vous le savez bien, vous avez<br />

attiré l’attention des délégués.<br />

- Mais Docteur Heineman 110 , s’étonna Des Ombres, c’est la première fois que<br />

je siège ici en qualité de délégué de la Suisse ! Je suis trop jeune et inexpérimenté<br />

pour cette fonction. Revenez dans vingt ans, le vin sera meilleur !<br />

Rien n’y fit et, à la fin de la pause, il leur donna un feu vert en souriant.<br />

- Je ne risque, Messieurs, que de me ridiculiser devant tous, je l’aurai bien<br />

cherché, conclut-il.<br />

Après quelques péripéties désopilantes, il se retrouva élu, ayant ramassé<br />

exactement autant de voix que l’Allemagne, élu donc par tirage au sort et disposant<br />

d’une majorité nulle. L’Allemagne l’avait poussé une fois de plus dans le<br />

jeu international mais cette fois, il lui avait ravi la place qu’elle convoitait ! <strong>Le</strong>s<br />

Festivals passèrent et la suite de cette histoire se déroule en Grèce à Athènes et<br />

110 En ce temps là tous les intellectuels allemands étaient des “Docteurs”<br />

116


dans le golfe Saronique. Il s’agit d’une aventure musicale dans un monde qui, a<br />

priori, n’était pas le sien, le monde du rock.<br />

Des Ombres se comportait comme un homme libre. Pas seulement dans sa<br />

ville natale, ce qui allait de soi tant il y avait de culs et de parapluies dans lesdits<br />

culs, mais encore dans son milieu de mandarins. Il y avait un politiquement correct<br />

très fort dans les milieux gravitant autour de Boulez, il était stylistiquement<br />

interdit d’écrire une octave (l’intervalle prohibé…) mais encore il était de bon<br />

ton de ne lire que des ouvrages fort abscons, paraissant souvent en Allemagne,<br />

parmi lesquels l’Œuvre ouverte d’Umberto Eco était sans aucun doute l’un des<br />

meilleurs. Claude Lévy Strauss avait aussi les faveurs des jeunes mandarins qui<br />

vivaient une époque de terrorisme intellectuel, le propre de toutes les étapes<br />

révolutionnaires. Jacques ne jouait pas ce jeu. Il disait à qui voulait l’entendre<br />

que ses amours étaient faites de deux lettres ; B.B.<br />

- Brigitte Bardot ? se scandalisaient les thuriféraires.<br />

- Pas du tout, disait-il impavide, Boulez et Bécaud.<br />

Ça la foutait mal. Dans ce moment zéro de l’écriture il n’était pas admis de<br />

mélanger la grande et la petite musique. Si on lui en faisait la remarque il ne<br />

manquait jamais de désigner les œuvres contemporaines qui, même issues du<br />

milieu supérieur, n’étaient pas écrites pour durer. C’était une manière de dire que<br />

le Roy était nu et les mandarins n’aimaient pas ça.<br />

D’un autre côté ses positions étaient fortes, une grande partie du milieu musical<br />

genevois se détournant d’un dictateur vieilli le suivait, des hommes d’exceptions<br />

comme André de Blonay et Alberto Ginastera se tenaient à ses côtés, il n’en avait<br />

somme toute rien à foutre. On a vu les bons rapports qu’il entretint avec Boulez,<br />

Bécaud c’était autre chose. Une partie de son adolescence, le son de très vieux<br />

enregistrements - les premiers faits sur des enregistreurs à fil métallique ! - et lui<br />

qui adorait le jazz et la chanson ne ratait aucune possibilité d’aller écouter Monsieur<br />

Cent mille Volts quand ce dernier passait en Romandie ou même en France<br />

du sud. Il aimait par-dessus tout la liberté de ce musicien dans l’exécution de<br />

ses chansons, un mélange de précision et cette marge de liberté qui faisait de lui<br />

un personnage touchant, parlant à chacun. La musique de son milieu le fascinait<br />

très souvent, celle de Bécaud lui parlait, elle le faisait voyager dans le temps et<br />

dans l’histoire. En vérité Des Ombres n’avait jamais ressenti le moindre besoin<br />

de renoncer à une vérité pour une autre, il savait aimer sans contraintes.<br />

Ces influences de jeunesse le poussèrent, aussi bien la musique contemporaine<br />

que le monde du jazz et de la chanson, à construire des studios de musique<br />

électronique qui furent, en ce temps-là, parmi les plus sophistiqués, même s’ils<br />

étaient bâtis à partir de modestes budgets. Dans cette mouvance on se mit à parler<br />

d’opéras rock et ses proches lui demandèrent si le genre ne l’intéressait pas.<br />

117


L’idée fit son chemin. L’opéra rock, qui fut vite remplacé par le musical, avait<br />

trouvé une sorte de consécration avec Ken Russel. Ce genre fut surtout actif<br />

dans les années 80. Il y avait tant de possibilités dans les studios de musique<br />

électronique que Des Ombres, qui a aimé les films opéras de Ken Russel, finit<br />

par accoucher d’un scénario, les Electric Sorcerers. C’est l’histoire d’une jeune<br />

femme, Dorinda, qui, en Californie, par un soir d’orage, vit une double réalité.<br />

Dans la fiction elle est appelée par le chef des Electric Sorcerers qui lui enjoint<br />

de simplement sauter dans le téléphone et de les rejoindre dans leur monde de<br />

drogués à l’électricité. Dans la réalité un orage s’abat sur son quartier, elle se<br />

promène dans un parc et téléphone, elle est foudroyée, elle meurt. <strong>Le</strong> personnage<br />

qui va réconcilier les deux réalités est une sorte de mage, un pianiste exalté,<br />

noir, aveugle, qui joue la ballade des Electric Sorcerers et qui, usant de son<br />

extraordinaire impulsion, la ramène vers la vie. On retrouve ici un thème cher à<br />

Des Ombres qui est celui d’Orphée, son troisième roman, ramener à la vie celle<br />

qu’il a perdue. Ce projet d’opéra n’avait aucune chance de se réaliser dans un<br />

milieu suisse qui se méfie de l’imagination mais, une fois de plus, l’Allemagne<br />

intervient dans la vie de Jacques.<br />

Il se trouve à Athènes où il a les habituelles obligations présidentielles à remplir,<br />

sur les marches de l’Acropole où il serre la main du Président de la République,<br />

un homme minuscule mais tout en sourires ; il dirige des débats et assiste<br />

à des concerts. Il y a la création d’une œuvre électronique dans le sanctuaire de<br />

Delphes, temple d’Apollon sis dans une pente de montagne, et c’est un moment<br />

fort dans ce qui est déjà devenu la routine musicale contemporaine, le lieu est<br />

magique.<br />

La suite tient du hasard comme de sa volonté. Attablé au Pirée avec le secrétaire<br />

général Rudolf Heineman, il réalise que ce dernier est l’une des personnalités<br />

influentes du Norddeutscher Rundfunk, la radio de Cologne. Des Ombres,<br />

soudainement pris d’une inspiration du type combinatoire propose à Heineman<br />

de se joindre à lui pour une croisière sur le golfe Saronique. Ce dernier décline<br />

aimablement mais le Genevois se met alors à lui décrire son projet d’opéra<br />

rock. C’est une histoire à la Schrödinger, dit-il, l’héroïne dans l’un des possibles<br />

meurt, dans l’autre elles est sauvée par la musique. Heineman sourit, intéressé,<br />

en fait il a besoin pour son département de productions de variétés qui sortent<br />

de la routine. Il s’amuse beaucoup à découvrir le livret que Des Ombres lui<br />

récite de mémoire. Dans le premier air “Jump in the telephone” Dorinda reçoit<br />

l’appel d’un inconnu qui l’invite à rejoindre le Network des sorciers électriques.<br />

Double réalité de cette jeune fille foudroyée mais, parallèlement, invitée à<br />

rejoindre un autre aspect de la foudre musicale. Avec ce premier air Des Ombres<br />

118


prédit le monde des réseaux, des réalités virtuelles comme celui des avatars et<br />

de la musique online. L’Allemand s’excite quand il découvre que le groupe qui<br />

appelle et attire la jeune fille est composé de drogués à… l’électricité. Il y aura<br />

un quatuor vocal classique, une basse, un ténor, une voix de femme alto et une<br />

soprano. La basse sera le chef des méchants, le ténor sera la voix hystérique,<br />

l’alto la fille punk et la soprane Dorinda, Justine de Sade version rock. Ça va<br />

donner une musique intense ! pense Heineman. D’autant plus qu’on va mêler<br />

orchestre, percussions rock, guitares et musique électronique. Il est vrai que Des<br />

Ombres est un excellent avocat, il met tout en œuvre pour séduire, contrairement<br />

à ses habitudes assez réservées quand il s’agit de ses œuvres musicales,<br />

il décrit l’œuvre à venir, tient son interlocuteur en suspens et lui fait deviner<br />

l’orchestration ; c’est tout juste s’il ne lui chante pas les airs d’Electric Sorcerers.<br />

Il imagine de faire chanter la fille punk en play back trois fois, sa voix étant<br />

ainsi démultipliée en accords étranges pour ordonner à Dorinda de monter sur le<br />

“trône”… (le vocoder n’est pas encore un instrument courant dans les studios).<br />

Climb on the throne and see<br />

How the big shock<br />

makes you {{}}<br />

Electricity is facility, you’ll get cosmic energy<br />

A ce moment intervient l’air en la mineur de Dorinda qui se révolte et refuse<br />

de monter sur un trône qui n’est rien d’autre qu’une chaise électrique.<br />

“No, no, no, I cannot believe…<br />

It was a nightmare<br />

I must leave, you crazy guys !<br />

Open the door, open the door<br />

and bring me<br />

bring me freedom<br />

I just had a telephone ring<br />

before I fell into the phone<br />

where I do not want to go<br />

Nonono, nononono<br />

Open this door and please take me away !<br />

Jacques décrit ensuite le long raga paroxystique par lequel le groupe va une<br />

seconde fois tenter d’hypnotiser Dorinda et les deux hommes, tout en regardant<br />

évoluer de beaux voiliers dans le port privé du Pirée, imaginent que la sonorité<br />

119


d’un sitar et des percussions rock vont excellemment se marier, sur fond constellé<br />

d’images sonores électroniques. - Vers la fin, dit Des Ombres, après un<br />

interlude en si mineur consacré uniquement aux cordes, la jeune fille se retrouve<br />

solitaire au bord du monde et c’est le moment de grande pureté de l’opéra. Si<br />

mineur est la tonalité qui convient. Il pense à l’Apollon musagète de Strawinski,<br />

à un passage en forme d’apothéose dans lequel le temps cesse de couler et<br />

tourne lentement sur lui-même, en si mineur. Émerge alors le pianiste Orphée<br />

qui, pour sauver Dorinda, joue la Ballade de Network 111 , pianiste dont le modèle,<br />

à entendre ce qui nous reste de cette séquence, n’est autre que Keith Jarett dont<br />

Des Ombres a adoré le Concert de Cologne. Un accord verbal est pris, revenu à<br />

Genève, Des Ombres écrit la partition et se fait conseiller par Robert Cornman 112<br />

pour un anglais plus… américain. Il n’a qu’une seule réserve, il trouve les textes<br />

d’Electric Sorcerers tellement élémentaires… Mais il se rend compte que les<br />

phrases complexes qu’il aime à utiliser dans ses textes ne passeront jamais dans<br />

une production rock. Quelques mois plus tard ils vont tous se retrouver à Munich<br />

pour enregistrer les basics 113 , puis à Monheim où un studio très sophistiqué pour<br />

l’époque, deux machines de 24 pistes synchronisées, les attend.<br />

Malgré un séjour enchanteur et une expérience unique, Electric Sorcerers<br />

sera enregistré mais ne produira pas le résultat attendu. <strong>Le</strong>s chanteurs choisis<br />

sont excellent mais tout sauf rock. Des Ombres voulait de la sauvagerie vocale<br />

et il hérite de voix d’opéra trop classiques, trop polies, trop jolies, Rund wie<br />

ein Kugel 114 dira la basse du groupe qui, sans le savoir, exprime parfaitement<br />

l’inadéquation des voix à la partition. La mayonnaise ne prend pas, les Allemands<br />

ont été fantastique dans la mise en place d’Electric Sorcerers, l’orchestre<br />

et les musiciens rock se sont entendus mais…<br />

Il aurait fallu faire tout ça en Amérique.<br />

111 Network : le réseau, autre titre de cette pièce.<br />

112 Robert Cornman : compositeur américain, étudie à la Julliard School of Music NY ou<br />

il est contemporain de <strong>Le</strong>onard Bernstein, a vécu et enseigné à Genève.<br />

113 Basics : désigne ici la percussion et les guitares avant le mixage avec l’orchestre.<br />

114 Rond comme un plomb, signifie ici une belle voix bien polie, sans aspérités.<br />

120


Avec de noirs parfums !<br />

<strong>Le</strong> voyant<br />

(cadence)<br />

Glaciers, lunes noires,<br />

flots nacreux, cieux de braises !<br />

Échouages hideux au<br />

fond des golfes bruns<br />

Où les serpents géants dévorés de punaises<br />

Choient, des arbres tordus,<br />

avec de noirs parfums !<br />

Lut Hannelore à mi-voix. Elle avait trouvé ce papier dans les affaires de Mélissa.<br />

Elle n’y comprenait rien mais en bonne traqueuse reniflait tout ce qui pouvait<br />

la mener à sa proie. Nerveusement elle agita son pied droit, c’était un tic<br />

qu’elle ne pouvait réprimer. Elle flottait indécise en attente d’un signe, d’un vecteur.<br />

Rien qu’un seul ! Ces noirs parfums lui parlaient. Elle se leva, traversa son<br />

bureau et se dirigea vers les ascenseurs de la tour, saluant d’un petit mouvement<br />

de la tête quelques employées.<br />

Personne ne s’en rendit compte :<br />

Hannelore n’avait pas d’ombre.<br />

121


122


Histoire de mes Strings<br />

Bavardages de Mélissa…<br />

(Allegretto)<br />

La vente des vibromasseurs est interdite par<br />

la loi dans les États suivants : Texas, Géorgie,<br />

Ohio et Arkansas. Si vous vous faites prendre,<br />

vous risquez une amende de 100’000 dollars et<br />

un an de travaux forcés{{}}. En revanche, dans ces<br />

mêmes États, la vente des armes est parfaitement<br />

légale. Et pourtant, on n’a jamais vu un<br />

massacre collectif causé par un vibromasseur.<br />

In Technologie de l’orgasme de Rachel Maines<br />

Avec Des Ombres il ne s’est rien passé. Mais alors là : rien. Je dois donc<br />

changer de sujet et vous parler de quelque chose de vraiment important.<br />

Si vous êtes assez nuls pour ne pas l’avoir décodé je vous le redis, je suis une<br />

obsédée sexuelle. Je doute que, dans la brève histoire de ce que vous nommez<br />

humanité, des filles aient réalisé le centième de mes prouesses. Je baise tout et<br />

tout est très content. Donc obsédée sexuelle et fière de l’être. Ce sont évidemment<br />

les termes qu’utiliseront de pauvres connards à mon sujet car moi, je pense<br />

que je suis tout simplement en état de créativité permanente ; je dirais bien spermanente<br />

mais d’une part c’est déjà pris et de l’autre le foutre de l’homme n’est<br />

pas ce qui m’inonde le plus. Je l’apprécie, bien chaud et sous bonne pression<br />

quand je le sens prendre la route de mes trompes de Salope, c’est bon le caviar<br />

de mec mais il ne faut pas lui donner une importance qu’il est loin d’avoir.<br />

Depuis le début de cette aventure je vous parle de mon string et j’ai l’air de<br />

ne pas en changer. La honte ! Vous vous doutez bien que j’en ai une collection.<br />

Comme ces idiotes friquées d’avant Avène avec leurs armoires de fringues sur<br />

présentoirs motorisés et leurs rayons bourrissimés de chaussures. La différence<br />

étant que moi aussi j’adore les chaussures, que je suis dingue de fringues mais<br />

que mes strings, eux, me font jouir plus que mes godasses. On essaie de me<br />

faire croire que du temps d’Avène ce genre de compagnon était prohibé. Turbulences<br />

! Depuis ma chute dans les chrono-dégueuleurs vous avez tous noté,<br />

avec la lubricité qu’on vous suppose, que je n’ai pas eu la plus petite occasion<br />

de changer de string. Ce qui est carrément sale, j’en conviens. Vous vous fourrez<br />

tous le doigt dans la fente, cette déduction n’est valable que pour mon séjour au<br />

123


Village ! Safran, cette adorable chose que j’ai tirée d’un sale pétrin, m’a refilé<br />

le top de son époque et franchement, je vous le dis, les strings d’avant Evène<br />

ne sont pas si désagréables que ça. J’ai complété ma collection et je me suis arrangée<br />

pour que mon divin copain n’y voie que de la turbulence de femme… Il<br />

a joué le jeu.<br />

Je me suis enfilé un “Soso magic body bloom String” qui m’a bien aidée pour<br />

la suite des événements et j’ai également raflé un modèle super-rare, le “String<br />

Chuchotements”, ainsi nommé pour la furtivité et la viciosité de ses caresses intimes.<br />

On jouit quand on s’y attend le moins ! Pour moi qui vit dans un éclat de<br />

rire et un rut perpétuels ce n’était guère un problème. La perle était ce vieux<br />

“String bijou Fleur de Jouissance”, une bien nommée Pierre de Lune pénétrante<br />

et troublante qui glisse sa lactescence entre mes lèvres, s’adaptant sensuellement<br />

à toutes les positions de mon sexe. La pub qu’on lui faisait était<br />

poilante : “Bijou de forme oblongue, corolle lisse plaquée or (mmmm bonne<br />

pioche), longueur pénétrante : 7 cm (là c’est nettement peu…) pierre en verre de<br />

Bohême (Ça voulait dire On est heureux) mais je maintiens que la pierre de Lune<br />

est la meilleure, boule en résine diamètre 34 mm scellée et incassable (Ouf je<br />

me rassure, des fois que j’aurais investi toute mon énergie, des orfèvres ces gens<br />

d’avant Avène !) et, cerise sur le gâteau : hypoallergénique, sans nickel, mais<br />

nickel quand même ! <strong>Le</strong> rédacteur finissait par ces mots : Fleur surprenante…<br />

longue corolle et boule à tête chercheuse qui se glisse en vous. Discrète, même<br />

sous les étoffes les plus fines, elle apparaît à l’extérieur tel un ravissant string<br />

bijou mais à l’intérieur, elle vous inonde de jouissance ! Elle vous masse délicieusement<br />

au fil des saisons… trop mignon, non ?<br />

Je me suis bien amusée à contracter mes muscles vaginaux avec ma Pierre<br />

de Lune pénétrante et me suis posé la question philosophale de base que toute<br />

femme qui se respecte se pose (ou hésite à se poser) : faut-il choisir entre le<br />

string vaginal classique, dans le style des précédents ou faut-il passer la vitesse<br />

sup et s’adonner au string enculeur ? Absurde ! Tout string est enculeur et dès<br />

que je tiendrai ma conclusion sur ce que préfèrent les femmes (bien qu’à mon<br />

avis ce soit auto évident) je déposerai le brevet de la Bi Pierre de Lune, le string<br />

Nord Sud, le bipolaire, la paix des sens. On peut très bien surfer un orgasme<br />

ininterrompu vous savez ? C’est là que les hommes et nous prenons des chemins<br />

divergents. La femme c’est la durée stable. Aucune d’entre nous n’a jamais vu<br />

un homme surfer un orgasme de plusieurs jours, de plusieurs semaines. Il existe<br />

quelque part dans nos codes de base une malédiction qui rend les hommes<br />

bagarreurs et éjaculateurs précoces. Il suffit de voir la course des spermatos pour<br />

comprendre ce qui leur est arrivé. Il faut éliminer les autres, être le meilleur. <strong>Le</strong><br />

124


plus rapide. Pour avoir une chance de nous ensemencer ils se persuadent qu’il<br />

faut faire vite. Gros divorce… Nous aimons la durée et elle nous aime.<br />

C’est l’une des raisons pour lesquelles les femmes préfèrent les femmes.<br />

Je n’arrive jamais à croire qu’avant Avène il y avait 70 % de mes sœurs qui<br />

ignoraient tout de l’orgasme mélissien ! Je suis certaine que les filles d’avant<br />

Avène se choqueraient de m’entendre. Si elles savaient !<br />

Pour en revenir au sujet de cette chronique, mes strings, avec la nanotechnologie<br />

tout a évolué. Dans ma collection Good Vibes je dispose de strings intelligents<br />

et dire d’eux qu’ils m’enculent, m’enconnent et me masturbent serait<br />

idiot, ils font bien plus. Ils disposent d’interfaces du style ampoules de Lorenzini<br />

(eh ! oui ! c’est comme ça que je savais comment faire jouir mon beau requin) et<br />

décodent mes humeurs pour me stabiliser dans le plaisir le plus intense. Ils sont<br />

capables de s’étendre loin dans mon corps et d’y envoyer des petits nanorobots<br />

pour mettre à niveau la mécanique de Super Mélissa.<br />

Je soupçonne Big Mama de manquer cruellement de dopamine et de… bons<br />

strings qui aident à en fabriquer. C’est un sujet de dispute entre mes copines et<br />

moi car elles prétendent que sans mes accessoires je ne serais pas aussi rayonnante<br />

et merveilleuse. Récemment des écoles NCN (Néo Corps à Nique) se sont<br />

ouvertes dans les E.U.E et j’ai entendu dire qu’on y enseigne que la place des<br />

hommes est à la maison.<br />

Ah ! les cons !<br />

Depuis le temps qu’on savait toutes ça ! Dieu ne s’est jamais choqué de mes<br />

histoires de fille qui jouit, mon rut ne le dérange pas, c’est tout simplement<br />

parce qu’Il n’est pas aussi idiot que les modèles divins qu’ont imposés les<br />

monothéistes impuissants qui tous crevaient de trouille devant la femme. Vous<br />

savez quoi ? Il voit en moi le moteur de l’Univers ! L’Univers n’existe qu’à partir<br />

de la jouissance. <strong>Le</strong> Big Bang est un moment foutral. Il me l’a dit. Ce sont ses<br />

mots. Je crois qu’il a raison. C’est… médiéval.<br />

- Turbulence !<br />

125


L’Intertextu(Elle)<br />

Un homme en marge<br />

Vous vous souvenez de moi ? Peut-être pas, je suis celui qui écrit ce bouquin<br />

et qui, pour la seconde fois, tente de s’introduire dans le récit. Mais… c’est interdit<br />

ça ! Un coup à vous priver de toute crédibilité. Par exemple prenez les livres<br />

de M me Harry Peau de Terre. Elle a beau parler de sorciers elle respecte les règles<br />

du récit avec une trouille encore plus bleue que les ectoplasmes qui surgissent<br />

çà et là au fil de son discours. Il est vrai qu’elle tire bien, euhhh… je veux dire à<br />

beaucoup d’exemplaires. Mon copain Eco (qui dans la vie est un mec assez nul,<br />

gonflé, vantard, auteur de mauvais romans mais, l’âge venant, adorable et finalement<br />

mignon avec tous ses cuis 115 ) écrit des choses passionnantes sur la mise<br />

en abyme, l’intertextualité, la métatextualité 116 etc. J’adore, ce mec n’est un bon<br />

romancier que dans ses essais les plus abscons. 117 Je vais vous simplifier tout ça,<br />

j’ai toujours rêvé d’être un grand vaporisateur. 118<br />

Règle no 1 : Pour écrire un bon bouquin il faut avoir quelque chose à dire.<br />

Éventuellement être quelqu’un.<br />

Règle no 2 : Pour attirer l’éditeur prédateur il faut lui donner l’impression que<br />

les plus cons liront votre bouquin avec facilité. Variante (mais aujourd’hui ça ne<br />

marche plus tellement) on peut utiliser la langue de bois en mandarin 119 à condition<br />

d’exagérer fortement et d’être illisible, postmoderne et/ou philosophe.<br />

Règle no 3 : Voyez Gainsbourg, Sea, Sex and Sun, il y a des coquetèles faciles<br />

à réaliser et qui vendent bien aux nuls.<br />

Règle no 4 : Soyez bons, originaux, subtils, neufs, proches des sensibilités actuelles,<br />

en avance même, mettez les mecs à leur juste place, adorez les femmes<br />

comme elles le méritent, soyez généreux et fidèles à quelque chose, cessez de<br />

115 Faire des cuis : vernaculaire jigéen mis pour bavarder, se répandre en paroles.<br />

116 Il faut lire “De la Littérature”, Umberto Eco, 2002.<br />

117 Désolé de te décevoir mais ça veut juste dire : caché, du latin absconditus… NdA<br />

118 L’auteur voulait sans doute dire grand vulgarisateur. NdEexcd<br />

119 Mandarin : utilisé ici pour désigner les pseudos intellectuels qui n’ont rien à nous dire<br />

mais le disent bien et de manière absconde.<br />

127


penser que toute aube est atroce, toute révolution impossible et que la religion<br />

peut vous guider vers le bien (aux armes citoyens, etc.).<br />

Règle no 5 : Ne jouez pas les alchimistes et les francs sorciers, écrivez simple,<br />

facilitez la tâche de votre préditeur. 120<br />

Si je m’en réfère à ces règles je vois que 1) élimine la majorité des impétrants.<br />

Que 2) n’est pas engageant mais fort pratiqué, que 3) est connu mais ne garantit<br />

pas vos ventes et que 4) me ressemble terriblement : le gros naïf, l’éternel Candide.<br />

Ça ne m’a pas enrichi mais ça m’a donné la joie de vous connaître. 5) Je<br />

passe, c’est très théorique.<br />

Vous vous demandez pourquoi je viens de vous déballer tout çà ? Mais<br />

tout simplement parce que je suis en train d’enfreindre une règle de base, je<br />

m’introduis dans mon récit. Alors, autant y aller et effectuer un petit survol, faire<br />

un petit point, suivi par des eaux tumultueuses, vous verrez.<br />

Mélissa est une fille “terrible” comme disait “Géniale Idée” 121 . <strong>Le</strong>s deux premiers<br />

chapitres ne se suivent pas trop mal. Mis à part que Dieu débarque et<br />

qu’on ne voit pas du tout ce qu’il vient faire sur d’Enfert. Quelques pages plus<br />

loin il apparaît sous les traits d’un pervers joueur de flipper qui envoie Mélissa<br />

se casser la figure dans le temps et dans l’espace de cette planète, encore heureux<br />

qu’il ne l’entraîne pas chez les Végans ou les hydres de Mars. Toutefois,<br />

il est sympa et Mélissa le met dans son collimateur avec des intentions plus<br />

qu’explicites. Mélissa et Dieu, ça irait encore pour la trame de cette aventure<br />

mais non, il faut que des incises, des coupures, apparaissent ici et là sans crier<br />

gare et elles sont incompréhensibles. Vous pourriez les considérer comme des<br />

pubs de tévé. C’est pareil ! Après tout, quel est le sens de cette idiote dénudée qui<br />

apparaît subitement et vous vante un tampon hygiénique quand, dans votre film,<br />

vous vous demandez si le flic au grand cœur va enfin réaliser que celle qu’il aime<br />

n’est autre que l’assassin qu’il poursuit ? Bon… ça va encore mais vous avez<br />

dû vous accrocher. Un pas plus loin ça devient insoutenable parce que Mélissa<br />

va être envoyée dans le passé pour rencontrer celui qui n’a pas encore écrit ses<br />

livres et en particulier celui-ci. Il est vrai qu’une romance naît et que l’on passe<br />

un bon moment. Je vais utiliser une formule de la fille du futur et vous dire que<br />

“je vais être sympa avec vous” et qu’un livre qui contient des livres n’est au fond<br />

qu’une forme moderne de la narration et que, si vous vous laissez bien aller,<br />

vous allez vous amuser. Surtout quand vous réaliserez que Dieu c’est vous. Mais<br />

120 Depuis le temps que je vous raconte que les mots font des petits…<br />

121 Chanteur qui n’en a jamais eu mais bien connu sous le nom de J.P Smet NdEexgt.<br />

128


ça, c’est une autre histoire et formatés comme je vous connais, ça vous prendra<br />

du temps pour devenir <strong>Le</strong> Créateur de toutes choses.<br />

Moi, je sens que c’est mon dernier rôle, que je vais sortir de ce livre dont je<br />

ne connais pas la fin et que Des Ombres va accaparer tout l’espace à disposition.<br />

Alors salut ! En guise d’adieu, j’aimerais vous parler de mes passions, de mes visions,<br />

de l’une qui revient souvent ici et que l’on pourrait nommer <strong>Le</strong> Fleuve. Ça<br />

résume à peu près tout ce bouquin et les précédents. Ça parle du temps, de turbulences,<br />

de création, d’écoulement et de musiques nouvelles, de grands rêves.<br />

J’habite une maison sur une falaise.<br />

En bas coule un fleuve que je nomme Achéron 122 . Dans cette histoire je décris<br />

deux fois la voix des morts, celle que je puis entendre les nuits d’été. Mais<br />

d’où vient cette identification à un fleuve mythique ? De grands rêves. La vie<br />

est traversée de grands rêves et de rêves ordinaires. 123 La plupart de temps vous<br />

les oubliez, il faut les noter et vite ; j’ai souvent décrit la manière selon laquelle<br />

les rêves s’enfuient, pareils à une note de musique qui perdrait sa fondamentale,<br />

dont il ne resterait que le timbre, un parfum, les harmoniques supérieures narquoises<br />

et souriantes mais plus un récit. Des grands rêves j’en ai eu beaucoup,<br />

par périodes et j’en ai noté quelques-uns. Ils ne se décrivent pas vraiment avec<br />

des mots mais… comme nous n’avons rien d’autre on essaie de les transcrire.<br />

Celui que vous lirez, en annexe de cette histoire, se nomme <strong>Le</strong> Fleuve et sa<br />

seconde version <strong>Le</strong> Fleuve de tous les silences. Il y a aussi le passage d’une<br />

fille centrale, apparue le temps d’un éclair qui illumine mes nuits, et ça donne<br />

l’Indienne, un texte tardif, sans ponctuation, voulu d’un seul jet, à dire en apnée.<br />

Ce sont des songes forts comme des alcools. On y est quelquefois traversé<br />

par l’énergie et l’on y survit à peine. Je crois que tout le monde en fait, en a, en<br />

est traversé. Il est possible que ceux qui ont beaucoup lu associent de grandes<br />

bibliothèques à de grands rêves. En tous les cas on peut raconter l’histoire de<br />

Mélissa comme celle du Fleuve. C’est le même torrent, avec en plus, en finale,<br />

la Déesse Mère. Cette inévitable qui partage tous nos récits et que j’ai envie de<br />

nommer :<br />

L’intertextu(Elle).<br />

122 Achéron : (Αχέρων) fleuve qui mène (coule) vers le royaume des morts. Dans La<br />

Divine Comédie de Dante, l’Achéron forme le bord de l’enfer. Voir le chapitre La Voix des<br />

Ombres. Thème récurrent du Fleuve, flux, écoulement, chaos et… identité dans le Chaos.<br />

123 Voir C G Jung, l’homme à la recherche de son âme.<br />

129


Die Wandlung<br />

(<strong>Le</strong> compositeur)<br />

Ce que le Yi King a en vue, ce ne sont pas les choses dans leur<br />

essence – comme ce fut principalement le cas en Occident –,<br />

mais les mouvements des choses dans leur transformation.<br />

Ainsi les huit trigrammes ne sont pas les figures des<br />

choses, mais celles des tendances de leur mouvement.<br />

In : Richard Wilhelm Traduction du Yijing ou le <strong>Le</strong> Livre des<br />

Transformations”<br />

<strong>Le</strong>s rapports de Des Ombres avec Pierre Boulez avaient été bons, un pays<br />

fertile pour le jeune homme. Différents de la plupart des musiciens qui s’étaient<br />

placés dans le sillage du maître français. Des Ombres avait une position à part.<br />

Il n’attendait rien de Boulez, ne convoitait nulle fonction de pouvoir. Il était<br />

séduit et attiré par le mental de cet homme, il avait tout appris de lui. Il avait à<br />

se définir, se séparer, trouver sa propre personnalité, son identité, son style, sa<br />

différence. À l’opposé des jeunes qui, à ses côtés, copiaient servilement Boulez,<br />

ses manies de langage, sa gestique un peu courte et saccadée dans ses débuts<br />

de chef et même son écriture en pattes de mouche. Il se savait différent mais il<br />

comprenait qu’il devait passer par une remise en question, emprunter un chemin<br />

révolutionnaire. La table rase.<br />

Ses œuvres, du temps des pèlerinages à Baden-Baden témoignent de cette<br />

volonté et quelques années plus tard il écrirait une partition symphonique intitulée<br />

<strong>Le</strong> Chant remémoré, quelque chose qui renoue avec ses traditions d’avant<br />

la rencontre. Il n’y avait pas que la musique, Boulez, de son côté, réglait de<br />

nombreux comptes avec les pouvoirs qui, à Paris, ne l’avaient pas reconnu dans<br />

sa jeunesse. Il préparait sa prise de pouvoir, son sacre. C’étaient paradoxalement<br />

les Allemands qui avaient “fait” Boulez, qui l’avaient reconnu et lui avaient<br />

donné les moyens de se construire. Il n’aimait pas beaucoup qu’on lui rappelle<br />

ses origines provinciales ni son passé de musicien de scène dans la compagnie<br />

Renaud-Barrault, il était revenu par la grande porte et reconnaissait exister à<br />

peu près depuis l’écriture du Marteau sans maître 124 , une partition d’une grande<br />

finesse mais ennuyeuse pour le public et la majorité des musiciens. Pour entrer<br />

dans la pensée de ce genre d’œuvre et y trouver du plaisir il fallait disposer d’une<br />

124 Un titre trouvé chez le poète René Char, comme le Soleil des Eaux.<br />

131


oreille et d’une intelligence musicale hors du commun. Des Ombres se souvint<br />

d’un cours d’interprétation à Darmstadt lors duquel des solistes merveilleux<br />

avaient joué cette partition que le compositeur expliquait, passage par passage.<br />

De telles occasions sont rares et cela lui avait beaucoup profité, même s’il n’était<br />

pas fou de l’œuvre. Il préférait les premières grandes pièces symphoniques du<br />

Français, le Visage nuptial, le Soleil des Eaux notamment, il se souvenait d’une<br />

séquence dans laquelle un vif mouvement de l’orchestre aboutit au cri râlé 125<br />

d’un trombone qui domine l’orchestre, un moment emporté, un instant événementiel.<br />

Il avait beaucoup de peine à comprendre pourquoi cet homme dont le<br />

talent de chef et de lecteur grandissait si rapidement, était capable d’extraire des<br />

œuvres du répertoire tellement de sens et d’émotion alors que ses œuvres en<br />

manquaient de plus en plus.<br />

Dans les quelques entretiens qu’ils eurent il s’aperçut qu’une chose les séparait.<br />

<strong>Le</strong>s femmes. Pour Des Ombres c’était aussi évident que la musique. Je<br />

leur dois tout, disait-il, sans elles je ne serais rien. Elles sont la mer. Avec elles il<br />

avait connu l’Océan. À Ibiza il s’était totalement immergé dans la Méditerranée<br />

avec une femme aux allures de soleil noir. Avec le temps ce serait le Pacifique,<br />

Big Sur, <strong>Le</strong> Mexique et le Yucatan, les Bahamas, la mer noire et la mer du<br />

Nord, le golfe Saronique, tout ce qui lui serait essentiel. Il aurait pu vivre sans<br />

manger et presque sans boire mais pas sans femmes, pas sans mer. Il ressentait<br />

les rythmes marins et féminins. Une nuit d’amour était une nuit d’embruns, de<br />

houles parcourues de silences aberrants. Il aimait à la folie, en apnée et c’était<br />

foutralement bon car elles étaient source de son inspiration. Toute sa vie, il serait<br />

jeune dans le lit des femmes, îlot battu par leur ressac.<br />

Un soir, dans un restaurant de Baden-Baden, il demanda distraitement à<br />

Boulez s’il pensait se marier. La réaction du maître fut instantanée. « Pourquoi<br />

faire ? Je ne vais pas m’encombrer d’une femme ! ».<br />

Des Ombres laissa tomber le sujet, leur relation en eut été affectée, il le sentait.<br />

Mais il se mit à voir Boulez comme une sorte de templier, pratiquant la chasteté,<br />

gardant ses énergies pour une seule cause, la musique, le pouvoir aussi. Beaucoup<br />

de gens autour de lui pensaient de même et on jasait énormément sur ce<br />

thème. Ça ne l’intéressait pas, il nota dans son journal qu’en termes de carrière il<br />

n’irait jamais aussi loin que Boulez car le prix à payer était trop élevé. Il n’était<br />

nullement disposé à renoncer aux femmes, à la planète en d’autres termes. Elles<br />

sont, dira-t-il, la « machine à lire le monde ». Cette période de disciple fut l’une<br />

des plus heureuses de sa vie car il apprenait beaucoup de choses avec Boulez.<br />

125 Râlé : ici un effet de souffleur que l’on appelle flatterzunge (un “r” roulé), très employé<br />

par le jazz aussi, produit un son raclé analogue au growl.<br />

132


Tout ce qui ne s’enseigne jamais dans les Conservatoires. Une attitude devant la<br />

musique et les musiciens. <strong>Le</strong>s deux hommes se comprenaient très profondément<br />

sur le plan de la partition. <strong>Le</strong> reste n’était pas important.<br />

Tels étaient les souvenirs qui lui revenaient avant d’aller retrouver ses musiciens<br />

de Stuttgart pour diriger sa dernière œuvre, Die Wandlung, le « livre<br />

des mutations ». Il restait totalement obsédé par ce qui lui était arrivé une nuit,<br />

à Genève, quand des pensées le traversant par rafales, il était tombé dans la lumière.<br />

Où était-il allé ? Qui avait-il vu ? Une voix lui avait suggéré que certaines<br />

musiques, jouées avec une totale exactitude, modulent le monde. Cette idée ne<br />

devait jamais le quitter. Une partition est un plan, l’œuvre est une carte, elle<br />

correspond à une réalité énergétique. Elle agit sur le monde, elle peut lui donner<br />

naissance. Die Wandlung, la modification, c’est un thème alchimique. Des<br />

Ombres était à la recherche du lieu et de la formule. 126 <strong>Le</strong> Yi King chinois lui<br />

avait donné le titre de sa partition : <strong>Le</strong> Livre des Mutations. Il n’était pas le premier<br />

à tenter cette approche. <strong>Le</strong>s compositeurs s’intéressent à la combinatoire,<br />

ils sont des spéculateurs au sens noble du terme. Quelle était l’ambition de cette<br />

écriture ? Définir des briques d’Univers ? Peut-être, c’était surtout le désir de se<br />

transformer soi-même. D’accéder à une plus haute conscience.<br />

Il monta au pupitre et se mit à travailler quelques passages avec l’orchestre. Il<br />

n’avait jamais songé à transcrire littéralement le vieux livre des sages chinois en<br />

composant soixante-quatre modules sonores à la ressemblance des hexagrammes.<br />

Il avait voulu combiner quatre objets sonores dans une sorte de chymie 127 . Un<br />

thème d’étirement temporel fait de notes répétées par les cuivres, percussions et<br />

piano, accélérant et ralentissant, à la manière des jeux de gamelangs de Bali, une<br />

modulation de la durée. C’était le piano qui dans le début de l’œuvre lançait une<br />

phrase étincelante, un geste musical donnant naissance à des tours sonores parcourues<br />

d’éclats très intenses. La seconde structure se résumait à un intervalle<br />

dominant, la tierce mineure, un souvenir peut-être du Mandarin merveilleux de<br />

Bartok qu’avec la même phalange il avait dirigé l’an dernier. La troisième était<br />

le Nom, tel qu’il en avait reçu la révélation, soit une tierce majeure descendante<br />

et une tierce mineure ascendante. Cette formule lui avait toujours paru magique,<br />

quand le Nom est prononcé un monde commence… ou s’achève. Il l’avait rencontrée<br />

dans une œuvre de Webern où elle avait des propriétés architecturales<br />

impressionnantes et… dans une œuvre que Boulez paraissait avoir mise de côté,<br />

126 Rimbaud, qui d’autre ?<br />

127 Comme alchymie, NdA<br />

133


Poésie pour pouvoir 128 , une partition ambitieuse pour deux orchestres et sons électroniques<br />

enregistrés sur des magnétophones à quatre pistes, ce qui à l’époque<br />

était à la pointe de la technologie. <strong>Le</strong> quatrième objet était un thème, un trait se<br />

déployant et se retournant sur lui-même, le plus souvent confié aux bois et au<br />

piano. Il pénétra dans l’alchymie du passage central où un mélange d’anches<br />

doubles et de cuivres avec des sourdines de jazz donnait naissance à une fascinante<br />

fermentation de timbres, les cordes illuminant ces transmutations par le<br />

métal ferreux de leurs trémolos sul ponticello 129 et de brèves orbites de pizzicati.<br />

La voix dorée du cor anglais soutenue par les couleurs lunaires des clarinettes<br />

psalmodiait un mantra tournoyant de quatre sons, jamais exposés dans le même<br />

ordre. Dans cette séquence il rejoignait son rêve de création première, de forge<br />

originelle, il n’y avait ni mélodie ni rythme dominant, ce n’était qu’un creuset<br />

sonore, l’incandescence d’un projet. Malgré l’excellente qualité de l’orchestre il<br />

eut toutes les difficultés du monde à mettre les choses en place, à dégager le sens<br />

de cette partition. Il y avait trop de choses simultanées. Ces structures sonores,<br />

ces brisants, ces surgissements de cuivres étaient rendus aussi bien que possible<br />

mais… quelque chose n’était jamais juste.<br />

<strong>Le</strong>s musiciens d’orchestre quand ils jouent des œuvres de répertoire les connaissent<br />

par cœur et savent exactement quel est leur rôle et leur justesse dans<br />

l’œuvre. Ces musiques sont tonales et il est facile de contrôler l’intonation, de<br />

savoir si une note est légèrement trop haute ou trop basse.<br />

Dans la forêt de timbres et de combinaisons turbulentes de Die Wandlung, les<br />

instrumentistes avaient de la peine à contrôler la justesse de leurs intervalles. Ils<br />

manquaient de références dans un monde trop fluide. Ils étaient en “apesanteur”<br />

chromatique.<br />

La pièce était construite, globalement, comme une suite d’éruptions sonores<br />

se combinant, reprenant et transformant leurs éléments et allant très progressivement<br />

vers le silence et le calme. Elle s’achevait par une longue tenue des<br />

contrebasses, le silence d’un abysse, dans lequel la flûte solo résumait les quatre<br />

éléments de ce livre orchestral des mutations. <strong>Le</strong> temps accéléré et ralenti, la<br />

tierce mineure, le trait spiralé et le Nom.<br />

L’œuvre tout entière oublieuse de ses mutations évoluait vers la simplicité.<br />

Vers le silence.<br />

C’était très difficile de faire entrer un orchestre, si bon fut-il, dans ce genre de<br />

128 Sur un texte d’Henri Michaux.<br />

129 Sul ponticello : manière de jouer près du chevalet qui rend le son des instruments à cordes<br />

plus métallique.<br />

134


pensée. Des Ombres referma la partition, respira à fond et sourit à l’orchestre.<br />

- Merci à tous, dit-il. Après la pause nous passons à Beethoven V ! Vous<br />

n’aurez vraiment plus besoin de partition… À tout à l’heure.<br />

Un grand éclat de rire lui répondit. Il était important de détendre les musiciens.<br />

Il ramassa son manuscrit et descendit les marches du podium, en direction de sa<br />

loge. Au passage il reconnut, assise au parterre, la jeune femme qui avait suivi<br />

la répétition des Profondeurs de la Terre, deux ans avant. Celle qui avait disparu<br />

mystérieusement. Elle avait griffonné quelque chose sur un journal froissé.<br />

J’aurais voulu montrer à l’orchestre ces Monades<br />

De son feu, ces violons d’or, ces bassons chantants.<br />

Ses écumes de timbres ont bercé mes triades<br />

Et d’ineffables vents m’ont ailée par instants.<br />

Il sourit. Il avait vu beaucoup de dingues. Mais quelque chose lui disait que<br />

celle-là était différente. Il n’avait aucune idée de ce qui la faisait courir mais une<br />

chose était sûre.<br />

Elle allait revenir.<br />

135


136


Tu ressembles à un écoulement turbulent<br />

(<strong>Le</strong>s souvenirs de Dieu, maestoso)<br />

- Je le pense, dit Dieu qui me tendit un superbe poncho mexicain, tiens, couvre-toi,<br />

ne prends pas froid, c’est très possible, tu sais.<br />

De quoi parlait-il ? Ces voyages temporels, je ne m’y fais pas, sont parfaitement<br />

glaçants. Ça faisait une paie que je me passais de ma garde-robe sophistiquée<br />

pour rêver de doudounes et de bonnes couvertures. Ce poncho fit l’affaire.<br />

Il était dessiné avec un goût étonnant, partant noir aux épaules pour s’évaser<br />

dans une explosion de bandes colorées, un rouge frappeur se dégradant vers le<br />

noir, une zone de signes anciens indéchiffrables aux allures de sacré, une autre<br />

frontière de dégradés verts passant de l’éclat le plus vivace à la sombreur et enfin<br />

une autre bande noire avec, en clôture, la jubilation redite des premiers dégradés<br />

rouges, en sens inverse. Cette écriture qui ressemblait je ne sais pourquoi à un<br />

signe de l’aigle était répétée à hauteur de mes épaules, le tout faisant de moi une<br />

fille totem aztèque, intriguée mais flattée aussi des attentions du Grand Esprit !<br />

Je ne profitai pas longuement de cette brève euphorie car il précisa sa pensée.<br />

- Je pense que tu l’as fait.<br />

J’ai fait l’impossible pour arquer mes sourcils et en faire deux points<br />

d’interrogation parfaits, sans succès. Quelque chose me disait que la suite ne<br />

serait peut-être pas agréable pour moi et mon super-narcissisme, je n’avais<br />

franchement aucune envie de savoir “ce que j’avais commis” ni quand ni où<br />

mais, voyez-vous, il est difficile de stopper Dieu quand il a une idée en tête.<br />

Même pour Mélissa. J’attendis donc pendant que son sourire s’élargissait. J’ai<br />

oublié de vous dire qu’on était retombés chez Dominik’s Place, angle <strong>Le</strong>xington<br />

et 23e rue, ça n’était pas plus jojo que la première fois et, de ce pueblo mexicain<br />

de rêve, Las Estrellas de Los Tres Picos, il ne me restait que ce poncho dans<br />

lequel je me drapai en essayant de redevenir l’immortelle séductrice que vous<br />

commencez à connaître. Ça a duré un moment et finalement j’ai craqué.<br />

- Bon, okay, okay, okay, qu’est-ce que j’ai encore fait ? Tu vas me gronder ?<br />

Je suis une vilaine fille ? Allez ! Vas-y ! Dis-moi tout, je suis prête, je m’attends<br />

au pire !<br />

J’avais pensé un instant lui faire le grand coup style cinoche, me jeter dans<br />

ses bras, enfouit ma tête dans le creux de sa divine épaule et lui débiter la tirade<br />

classique du cow-boy touché à mort, dans le genre “Ah ! j’ai froid, prends-moi<br />

dans tes bras, écoute (toussotis) dis à Johny Jo que Mélissa ne sera pas là pour<br />

137


Noël… je regrette tellement de partir maintenant, tu sais ? (toussotis, crachotis)<br />

Serre moi dans tes bras, tout s’obscurcit ! (toux creuse) Et dis à ma sœur de ne<br />

pas oublier de sortir le chien, serre-moi encore contre toi, c’est bon encore un<br />

peu de vie, tu sais ? (toussotis) Jamais plus je ne goûterai les tartes à la pêche de<br />

tante Gertrude, (toussotis, glaviotis, toussotis) Pardonne-moi tout le mal que je<br />

t’ai fait…” <strong>Le</strong> problème était que je n’avais plus vraiment froid, qu’il n’existait<br />

aucun Johny Jo avec qui j’avais l’intention de passer Noël, que cette tante Gertrude<br />

et le chien de ma sœur étaient une aberration de mon imagination et qu’il<br />

ne serait jamais dupe ! Dieu est Dieu nom de Dieu 130 . Fallait assurer. Je m’y<br />

résolus.<br />

Il rit de bon cœur. Je m’aperçus qu’il avait encore évacué des années à un<br />

rythme pas possible. Je lui donnai la cinquantaine bien portée et, si je ne déraillais<br />

pas complètement, il avait rajeuni de moitié depuis Denfert, du moins sous cet<br />

avatar-là !<br />

- Bravo ! Mélissa, si tu n’existais pas je t’inventerais, avec toi le pire n’est<br />

jamais décevant et le meilleur toujours si créatif. Quelle fille !<br />

Au moins il ne m’avait pas traitée de beau proton…<br />

- Voila… Tu as effectivement modifié le futur. De par tes comportements.<br />

J’en fus outrée, à tel point que pas un son ne sortit de ma bouche. Du jamais<br />

écouté ! Visiblement je ne l’impressionnais pas car, sourd à mes attitudes provocantes<br />

comme au vrai faux profond désarroi que j’affichai, avec bonté et fermeté<br />

il me tint ce langage :<br />

- Reprenons tout. Je t’ai abordée sur Denfert, ce fut le début d’une belle relation.<br />

Ça me réchauffa le cœur.<br />

- Je t’ai aidée à descendre dans le passé, ou ce que tu penses être tel, pour mener<br />

à bien ta mission, savoir ce que préfèrent les femmes. Entre nous, Dieu n’en a<br />

pas la moindre idée… mais on trouvera peut-être. Il se trouve que cette mission<br />

est une fausse mission car ta patronne s’en fout et elle t’a envoyé au casse-pipe.<br />

Elle a peur de toi. Je suis intervenu car j’ai pris connaissances des énergies un<br />

peu spéciales qui gravitent autour de ta petite personne. Et nous sommes arrivés<br />

dans le New York des années soixante, dans une party très banale.<br />

- Je ne vois pas, glissai-je, ce qu’il y a de répréhensible jusque-là !<br />

- Rien. Personne n’a dit que modifier le futur serait répréhensible et j’ai moi-<br />

130 Repris par Maurice Clavel…<br />

138


même ma petite idée sur cette torsion que tu sembles vouloir appliquer au Ruban<br />

O’. Mais que se passe-t-il ? Tu ressembles à un écoulement turbulent. Je vais te<br />

dire en quoi. Cette sexualité dont tu fais si grand cas est simplement la loi de<br />

base de l’Univers, tel que je l’ai créé, dans la mesure où j’ai créé quoique ce soit.<br />

Tu viens d’un monde dans lequel les femmes préfèrent la compagnie d’autres<br />

femmes et pourtant tu es persuadée d’incarner le point aleph de la sexualité,<br />

appelons-la force créatrice primordiale veux-tu ? Tu es persuadée d’être le point<br />

central autour duquel tout va s’accorder. Nous allons savoir si tu apparais par<br />

hasard ou par nécessité, tu me suis ? Je ne suis pas trop abstrait ?<br />

- Tu es simplement trop divin ! lui dis-je dans un éclat de rire, je te suis !<br />

- Ce qui se passe, c’est que tu ne te rends pas compte des effets collatéraux de<br />

ton comportement. Pourquoi crois-tu que je t’aie emmenée avec moi à Cornelia<br />

Street dans les années soixante ?<br />

- Pas la moindre idée, admis-je. J’ai toujours trouvé que c’était une divine erreur<br />

d’aiguillage. Tu as le droit de te tromper, tu sais.<br />

- Merci ! réussit-il à articuler quand il cessa de rire, je suis une divine pluie<br />

d’erreurs, c’est chose certaine et c’est trop mal connu. Mais dans cette soirée-là,<br />

je t’ai placée aux débuts de ce que les gens ont nommé la révolution sexuelle et,<br />

crois-moi, ce que tu as fait a beaucoup influé sur la courbe normale de l’évolution<br />

de leur société. Tu leur as filé un coup de boost pas possible, Mélissa ! Avec tes<br />

manières de, de…<br />

- De vagin cosmique ? suggérai-je.<br />

- Si tu veux, disons de principe femelle absolu et envahisseur. Personne n’avait<br />

prévu la transcendance qui allait émaner de toi.<br />

- Mon immanence me fatigue, lui rétorquai-je. Ai-je donc si mal agi ?<br />

- Encore une fois il ne s’agit pas de bien et de mal, ce sont des oppositions<br />

humaines, masculines essentiellement, il s’agit de mécanique d’Univers et je<br />

pense que tu as déréglé bien des choses, sans te juger.<br />

- En ce cas, m’emportai-je, avec la grande rave lesbienne ce fut encore pire !<br />

Si à NY j’ai un peu anticipé sur l’apparition du rayonnement femelle, avec ces<br />

lesbiennes en folie et mon comportement gauchissant, comme tu dis, j’ai carrément<br />

placé l’apocalypse sous le paillasson de la porte d’entrée ou, attends… je<br />

crois deviner ce que tu penses, l’apocalypse ce serait moi ?<br />

- Il y a toujours une femme qui vient me demander de lui rendre le Temps, dit<br />

Dieu soudain très grave, on l’appelle en général l’Apocaline.<br />

- Ça sonne mieux qu’Apomélissine, fis-je dégoûtée, mais continue, je te supplie,<br />

je ne te demande que le temps de comprendre ce qui m’arrive.<br />

- Si je le savais, dit Dieu, que crois-tu donc ? <strong>Le</strong>s écoulements turbulents sont<br />

indéchiffrables, même pour moi. Mais je vois des tendances. Apparemment il<br />

s’est produit une grande discontinuité que vous nommez Evène et il pourrait y<br />

139


avoir une régression au niveau des turbulences, une diminution croissante de la<br />

complexité.<br />

Je n’avais qu’une très vague idée de ce que pouvait être un écoulement turbulent<br />

et le lui dis, avec un sourire gêné.<br />

- Dans les grandes lignes, expliqua-t-il avec lenteur, quelque chose naît et<br />

disparaît. À l’origine c’est harmonieux et simple. Il semble qu’il soit impossible<br />

d’éviter la tendance à la complexité. Écrire les premières notes de cette musique<br />

était quelque chose de tout à fait pensable. Voir à l’horizon d’Univers ce qu’elles<br />

allaient donner est un non-sens, même pour moi, même si je puis voir le Ruban<br />

O’ d’en haut…<br />

- Tu veux dire que tu n’avais aucune idée de ce que donnerait le monde quand<br />

tu l’as créé ? fis-je très surprise, tu as une légende bien ancrée, tu sais ? Ta bio est<br />

le plus grand best-seller d’avant Avène.<br />

- Un ramassis de sottises. Je n’aime pas ce que les hommes ont fait de moi.<br />

Je t’ai déjà dit que je n’étais que quelqu’un qui s’est trouvé par hasard à la mauvaise<br />

place et au mauvais moment.<br />

Je m’empressai de rectifier.<br />

- Au mauvais moment et au bon endroit, ce sont tes paroles. Mais qu’as-tu<br />

donc fait ?<br />

- Il y avait une sorte de clavier, j’ai joué quelques notes. <strong>Le</strong>s effets étaient incroyables.<br />

Jusqu’au moment où j’ai trouvé ce motif avec des quintes… ou plus<br />

probablement celui du “Nom”. Une tierce majeure descendante et une tierce<br />

mineure ascendante.<br />

Il n’avait pas vraiment besoin d’utiliser des images aussi complexes que ça<br />

pour une pauvre fille comme moi. Mais une question me brûlait les lèvres.<br />

- Et Des Ombres ? Que vient-il faire entre nous ?<br />

- Il te le dira, le moment venu fit Dieu. J’ai lu ses livres, moi aussi, sauf le<br />

dernier.<br />

- Oh ? Pourquoi ?<br />

- Il y a une possibilité pour que nous nous y trouvions.<br />

Mon esprit écarta purement et simplement cette idée. Des Ombres n’avait rien<br />

d’un Super Dieu qui contiendrait Dieu !<br />

- Tu as eu de la chance de ne pas écouter sa musique, grognai-je, je suis allée<br />

deux fois à Stuttgart pour suivre ses répétitions et je ne comprends pas comment<br />

on peut écrire quelque chose de si… énergétique.<br />

- Tu crois ? Et si elle n’était pas de lui ?<br />

Ça me dépassait.<br />

Mais je savais qu’il réapparaîtrait ici ou là et que je le démasquerais. Ce qui<br />

m’embêtait beaucoup plus était le vide… sexuel que je traversais. Je jetais un<br />

140


coup d’œil féminin latéral à mon copain et ne ressentis pas la moindre excitation.<br />

C’était sûrement ça cette diminution croissante de la turbulence à laquelle<br />

il avait fait allusion.<br />

Pour moi les choses étaient simples, sans principe de désir le monde cesserait<br />

d’exister. Je lui suggérai de revenir à Las Estrellas, le climat me convenait mieux<br />

(et j’y avais ma réserve de strings).<br />

<strong>Le</strong> principe de désir universel je savais très bien où il était. Dans ma culotte.<br />

Même si je n’en porte pas.<br />

141


142


Tu veux mon portrait ?<br />

(Bavardages de Mélissa, face cachée de sa lune)<br />

La beauté physique absolue attire à elle toute la lumière,<br />

et devient un flambeau radieux dans un monde par ail-<br />

leurs obscurci. Pourquoi sonder les ténèbres environ-<br />

nantes alors qu’il était possible de contempler cette<br />

bienveillante flamme ? Pourquoi parler, manger, dormir,<br />

travailler, face à une telle radiance ? À quoi bon faire autre<br />

chose que la regarder le reste de sa misérable existence ?<br />

Lumen de lumine. Tout en sondant la sidérale irréalité de<br />

sa beauté qui tournoyait dans la pièce telle une galaxie en<br />

feu, il se disait que s’il avait pu donner corps à la femme<br />

idéale de ses rêves, s’il avait pu frotter une lampe<br />

magique, c’est là ce qu’il aurait souhaité voir apparaître.<br />

In Fury, Salman Rushdie, 2001<br />

J’ai, vous savez, un point commun avec toutes les femmes qui existent et ont<br />

existé : je mens énormément ! J’adore ça, c’est un sport ! Je me souviens de ces<br />

conneries que je vous ai balancées à propos des chrono dégueuleurs : que, malgré<br />

mon nom inclassable et bariolisimé, je suis une Espagnole, une Madrilène et<br />

que ma langue maternelle, me revient souvent en bouche. Que j’adore l’idée de<br />

mourir car manquer d’aléa, d’entropie et de catastrophe est une pensée vraiment<br />

effrayante.<br />

La seconde partie de cette déclaration est tout à fait vraie mais la première…<br />

Je ne suis pas vraiment espagnole, ni grecque, ni romaine, ni métisse, nini…<br />

Faut que j’me décrive, vous allez mieux respirer. Je sais que parmi vous il y a de<br />

pauvres mecs qui dégoulinent en m’imaginant et d’un moment à l’autre ils vont<br />

nous sortir un “Comment est-elle ? Keske ce book dans lequel on ne décrit pas<br />

l’héroïne ? Remboursez !” Laissons-les à leur manque d’imagination, les bons<br />

d’entre vous (et c’est la majorité sinon ils n’auraient pas ce livre en pognes) ont<br />

déjà mon image en tête. Mais, une fois encore, je vais être gentille, je vais vous<br />

balancer les images qui vous manquent.<br />

Pouvez-vous imaginer une femme absolue ? Celle qui sait marcher et faire<br />

bouger l’espasme ? Celle qui sourit et vous devez appeler Ray Ban et les pompiers<br />

en urgence ; la femme totem, solaire, pouvez-vous la concevoir ? Bien sûr que<br />

non tas de carburateurs, vous n’en avez, à la lisière de vos fantasmes ridicules<br />

143


qu’une vague idée. Heureusement je suis là pour activer vos mécaniques. Rentrez<br />

donc un peu votre langue dans votre bouche avant qu’elle ne nettoie totalement<br />

la moquette, vous avez vu trop de Tex Avery, vous n’êtes que des loups d’occase,<br />

je vais vous tuyauter. Dans vos fantasmes il y a des blondes, je le sais. C’est<br />

pas mal les blondes, y’en a pas de vraies mais il en est de sublimes 131 . Celle que<br />

vous venez de croiser vous a marqués pour la vie (chez un mec l’espérance de<br />

vie à ce niveau atteint rarement cinq minutes), souvenez-vous de votre émoi :<br />

elle descendait un escalier et d’abord vous avez vu ses escarpins, ses chevilles,<br />

ses jambes et sa jupe, dans l’ordre d’entrée en scène. Je vous connais bien, vous<br />

avez tous un chef opérateur dans la tronche, vous ne fonctionnez qu’avec des<br />

images et dans un moment, quand vous serez au lit avec elle (ou sur la table de<br />

la cuisine, à la cave, dans l’antichambre ou sur le trottoir selon ses réactions et<br />

sa permissivité) quand vous essayerez de l’honorer, pour balancer vos graines<br />

(deux centilitres c’est pas fluvial…) vous devrez vous repasser le film de vos<br />

émois, revoir cette descente de l’escalier dont à propos de laquelle 132 je n’ai pas<br />

fini la description car, dans ce que nous allons appeler la deuxième seconde, vous<br />

avez pu constater, avant qu’elle ne parvienne au bas des marches, qu’une simple<br />

et émouvante jupe de cuir la moule, pas une mini, ça, c’est un truc de minette,<br />

une jupe de cuir noir juste un rien courte sans plus, horriblement souple et qui lui<br />

permet de vous toucher au cœur (là je reste polie) de vous fasciner devant cette<br />

seconde peau, c’est une jeune femme simple et de bon ton, comment pouvezvous<br />

bestialiser de la sorte si ce n’est avec l’imparable jupe de cuir, qui vous<br />

autorise à doubler votre débit de salive et, s’elle en est consciente, la Société<br />

Générale des Eaux et Marées va vous offrir un contrat en or poussif tant vous<br />

représenterez la source, l’affluent d’or bleu dont ils rêvent depuis l’ère Jean<br />

Marie Messie le connard à qui les Ricains ont cassé la figure et le larfeuille du<br />

côté de chez Evène. Bref, nous n’en sommes qu’à une blonde et à la deuxième<br />

seconde mais le pire reste à venir. Elle se tourne vers vous qui n’étiez pas dans<br />

l’axe de vos désirs et de sa trajectoire et ce faisant vous pâmoisez devant la<br />

manière dont son bassin tourne, avec une sorte de lenteur féminine (la lenteur<br />

est l’un des attributs du féminin, elles savent habiter la durée, les femmes c’est<br />

presque des bêtes) et elle vous sort une platitude. Ce qui dans la bouche d’une<br />

belle femme est une rare variété de caviar verbal, c’est simplement trop bon,<br />

elle a une voix un peu basse presque grave, une voix nocturne. Une blonde<br />

sage, en jupe de cuir avec une voix sensuelle grave et un T-Shirt blanc élégant<br />

c’est simple, vous êtes mort. Bon, vous bougez encore, vous vous posez un tas<br />

de questions du genre “les jambes c’était déjà trop pour ma truffe mais cette<br />

131 Merci à mon pote François de La Rochefoucauld… NdMlssa<br />

132 San antoniaiserie NdTadm<br />

144


voix ? Comment survivre ?” et bien entendu vous êtes en retard d’une seconde,<br />

d’une soupe primordiale car d’une part vous venez de pénétrer dans la troisième<br />

seconde et de l’autre, je vous le répète, vous êtes mort. Il y a une masse de mecs<br />

qui sont morts comme ça, au champ donneur, avant même d’avoir déboursé un<br />

centime ou un spermato, l’homme n’est qu’un perpétuel fasciné et cette blonde<br />

c’est peut-être bien Mélissa ! Je vous plais ? M’avez-vous imaginée ainsi ?<br />

Alternativement et pour être un peu conséquente avec mes mensonges vous<br />

pouvez me voir en brune.<br />

Dans vos fantasmes il y plein de brunes, je le sais. C’est bien les brunes,<br />

les morènes, elles sont toutes réelles, pas récessives pour un poil et il en est<br />

de sublimes. Je suis donc une amazone espagnole, je sais d’avance ce qui va<br />

vous terrasser et croyez-moi j’en jouis rien que d’y penser. L’amazone brune est<br />

arrivée aux écuries, au petit trot elle fait corps avec son cheval. De suite vous<br />

en concevez une sombre jalousie, ce stupide herbivore a, avec elle le contact<br />

privilégié que vous n’aurez jamais, ils sont en couple. <strong>Le</strong>s femmes adorent les<br />

chevaux. Quand vous rentrez chez vous, attendez-vous à voir votre copine alitée<br />

avec un étalon ou une chevale 133 , vous faites pas le poids. Pourquoi ? On ne sait<br />

pas avec précision. Est-ce, comme vous le pensez sournoisement, clitoridien ?<br />

Ou simplement parce que si vous deviez la porter sur vos épaules vous ne feriez<br />

même pas cent mètres à la bonne vitesse avant de rendre à Dieu ce qui vous sert<br />

d’âme ? (<strong>Le</strong>s mecs n’en ont pas de vraie, c’est bien connu et c’est pour ça qu’ils<br />

ne cessent de fabriquer des religions.) Vaginal ou clitoridien la question n’est pas<br />

là. Car du haut de son étalon elle vient de vous balancer son sourire gentil. Dieu le<br />

beau retroussis de babines, elle est à croquer mais c’est vous qui l’êtes, d’emblée.<br />

Vous vous retournez pour voir si, derrière vous, il y a un super horseman qui<br />

mérite cette exhibition gingivale, mais non, c’est bien vous le destinataire. Elle<br />

est gentille ? Pas tant que ça en fait. Elle porte avec désinvolture le petit chapeau<br />

plat des écuyères espagnoles, la veste courte et serrée avec allure et des pantalons<br />

moulants embottés. Vous avez à peine le temps de noter que ses cuisses sont<br />

puissantes et sa petite main énergique sinon comment maîtriserait-elle ce cheval<br />

vapeur ? Cette amazone, vous le sentez, se conduit avec le cheval comme une<br />

pure dominatrice. Dans un instant ce sera votre tour, pourquoi s’affaiblirait-elle<br />

en descendant de sa monture ? Naturellement vous ne serez jamais à même de<br />

lui donner autant de plaisir et de vérité mais, miracle, elle s’aperçoit que vous<br />

existez. Fâcheux, vous eussiez mieux fait d’aller voir de l’autre côté de la ville si<br />

133 N’oubliez pas le titre du présent ouvrage… NdA<br />

145


vous y étiez… Déjà qu’elles vous mettent à mal avec des talons aiguilles que vat-il<br />

se passer si elles usent de la dialectique bottes ? Du prévisible. Avant même<br />

qu’elle ne descende gracieusement de sa monture vous avez imaginé une suite<br />

de caves, de cellules obscures et de chaînes où elle vous emprisonnera histoire<br />

de s’assurer que vous lui êtes dévoué corps et âme. Inutile de discuter, elle vient<br />

de tapoter sa botte droite du bout de sa cravache et vos fesses anticipent le plaisir<br />

qu’elle saura vous dispenser. Pourquoi ? Un homme est-il éternellement coupable<br />

devant une femme, c’est élémentaire. Mais de quoi ? Oh ! pas grand-chose, cinq<br />

mille ans de patriarcat ? Une pomme volée chez Eden ? Ou peut-être simplement<br />

ces codes naturels qui la rendent supérieure sans qu’il soit besoin de l’expliquer.<br />

Vous venez de traverser la première seconde, pas le style de cette blonde douce<br />

et sensuelle mais du très costaud aussi. Avec ce type de femme il n’y a pas de<br />

seconde seconde… si je puis dire. Vous êtes entré à son service dès le début de<br />

la séquence. <strong>Le</strong> reste n’est que formalité mais… peut-être pas forme alitée. Elle<br />

a un charme fou. <strong>Le</strong>s yeux noirs vous dévisagent et vous vous étonnez d’exister.<br />

Sa voix vous enveloppe, ses sourires mettent le feu, se démarche est tout sauf<br />

provocante. Elle a déjà gagné cette courte guerre et à vrai dire vous n’étiez qu’une<br />

cause perdue. Mais pas pour elle. Bienvenue dans son enfer, vous y prendrez<br />

sous peu beaucoup de plaisir… tant que vous survivrez. Éros, Thanatos, le plus<br />

vieux des dialogues. Vous êtes tombé dans son champ d’attraction et vous savez<br />

très bien que vos chances de lui échapper sont nulles. La blonde avait plus de<br />

seins, plus de jambes nues, elle était chaleureuse. De celle-là vous n’appréciez<br />

que la queue-de-cheval très stricte, les gants et les bottes. Elle sait se dissimuler<br />

pour faire rêver. Mais vous êtes heureux. C’est de la Femme majuscule ! On<br />

dirait que vous venez de rencontrer la Mélissa espagnole. Mais peut-être pas.<br />

Elle s’est décrite il y a quelques pages “Il fallait mettre en valeur mes jambes<br />

longues et superbes, mes épaules sportives, mes mini-seins coquins et la beauté<br />

de ma chevelure “, vous en souvenez-vous ? L’ennui est que c’est trop général,<br />

toutes les filles de Zines sont comme ça aujourd’hui. Il vous aussi encore cette<br />

fille superbe qui rit avec sa copine dans la rue devant vous, elle est en jeans et<br />

ne porte que l’uniforme classique des nanas, un petit haut noir et une chevelure<br />

savamment décoiffée, son rire vous atteint et tout s’arrête, vous êtes scotché,<br />

elle enjambe un vélibre et disparaît, vous restez là. Il vous manque aussi cette<br />

blonde fade qui se transforme quand elle danse, cette grande fille timide qui<br />

fait du shopping et que vous aimeriez aider, vous feriez n’importe quoi pour<br />

lui parler mais c’est au-dessus de vos moyens, elle est trop fragile et vous vous<br />

sentez battu d’avance, il vous manque cette moqueuse qui sirote un Mojito seule<br />

dans un bar et qui vous balance un très petit sourire suivi d’un croisé de jambes<br />

tueur, il ne vous manque en fait pas grand-chose, que toutes les femmes, le<br />

146


égiment entier des vitalités féminines, les pressées, les vivaces, les claires, les<br />

superbes métisses (quoi de plus séduisant ? demandez à Charles… 134 ) ; vous vous<br />

souvenez de cette prof de gym en Martinique qui s’appelait Manuela, elle était si<br />

belle, si vivante, si tellement tout que vous aviez l’impression de ne plus exister<br />

quand elle passait devant vous, elle vous a étudié soigneusement sans le montrer<br />

et décidé que vous n’existiez pas, c’est ça l’art des filles, elles ont moins de<br />

besoins sexuels que les hommes et en profitent pour régner, je ne continue pas,<br />

vous venez de me voir (laquelle suis-je ?) et pourtant vous n’avez encore aucune<br />

idée de ma puissance vitale, c’est ça en fait, je suis Mélissa, je ne peux pas vous<br />

faire mon portrait, blonde, brune, gentille ou dominatrice, étudiante ou cadre,<br />

je suis celle que vous imaginez, je suis le flux, l’énergie, je ne suis rien de plus<br />

qu’un mot de trois lettres.<br />

Je ne suis que la Vie.<br />

134 Baudelaire à notre avis, grand promoteur initial de métisses. NdEtrexc<br />

147


Des Ombres et le Chaos<br />

(La musique n’était en somme que la belle émergence<br />

de cette protestation dérisoire de l’humanité devant la mort)<br />

<strong>Le</strong>s turbulences étaient quelque chose qui fascinait Des Ombres. Depuis toujours.<br />

Il se perdait dans la contemplation de l’eau qui s’écoule, des torrents, des<br />

vagues de la mer, de ces fragiles sinuosités que dessine la pluie sur les vitres,<br />

il n’aimait que les sports de glisse, c’était un signe, et il recherchait dans les<br />

œuvres musicales les écoulements turbulents, les élans de créativité pure, les<br />

lumières et flux improbables.<br />

Il existe à Genève un lieu secret que ses connaisseurs nomment le Canada.<br />

Secret pas vraiment, improbable d’accès, peu connu. L’Achéron, le Fleuve y<br />

coule et, à un coude, un brusque dénivelé donne naissance à un chaos provisoire<br />

d’une fascinante beauté. Des Ombres y passait des heures à contempler<br />

l’écoulement calme des eaux, l’émergence des forces tourbillonnantes, les bras<br />

d’une vitalité inouïe qui se tordaient soudain, l’imprévisibilité des vortex qui<br />

pourtant semblaient tous obéir à une logique supérieure. Il aimait passionnément<br />

cette dialectique ordre et désordre, énergie stable et création permanente ;<br />

la musique, pensait-il, doit être ainsi, la vie de l’homme aussi… dans la mesure<br />

où cette puissante et élégante genèse ne le tuerait pas. La cinquième rêverie<br />

de Rousseau qu’il adorait citer était à l’antipode de ce Canada. Jean-Jacques,<br />

inspiré par des eaux beaucoup plus stables, s’y perdait dans le temps contemplatif.<br />

Au Canada c’était à la fois les débuts et l’achèvement des mondes. C’était<br />

en fait une catégorie encore inconnue, celle de la contemplation dynamique. À<br />

cinquante mètres à peine les turbulences disparaissaient dans un écoulement<br />

laminaire. Il y voyait un modèle idéal de musique, une dialectique supérieure<br />

entre ordre et chaos. Il y avait un groupe dont les écrits le fascinaient beaucoup,<br />

celui de Santa Cruz 135 . De jeunes physiciens américains, eux aussi, repensaient<br />

le monde en contemplant le flux des rivières.<br />

Il se souvint de ses entretiens avec le compositeur grec Yannis Xenakis, à<br />

Darmstadt, à la fin des années cinquante. <strong>Le</strong> jeune architecte était venu lui montrer<br />

de volumineux classeurs dans lesquels chaque page était couverte de calculs<br />

rédigés d’une écriture très fine. Chaque note était calculée comme équiprobable,<br />

chaque son avait la même probabilité d’être joué à un moment donné, Xenakis<br />

avait eu recours au calcul des probabilités pour écrire cette musique “stochastique”.<br />

C’était quelque chose d’entièrement nouveau, un monde de particules<br />

135 Voir James Gleick, La théorie du Chaos 1991<br />

149


privé de pôles d’attraction, c’était aussi sans lendemain. Xenakis avait eu cette<br />

conscience de l’univers qui s’écoule mais sa solution ne proposait qu’un monde<br />

froid, mort, inerte. Il y manquait ces courants et ces turbulences qui donnent<br />

naissance à de nouvelles formes.<br />

Darmstadt était un bon souvenir. Il s’y était forgé, comme tous les compositeurs<br />

de l’après-guerre. Il y régnait une tension intellectuelle fabuleuse, tous<br />

ceux qui allaient faire la musique pendant une trentaine d’années étaient là, les<br />

maîtres, les disciples, les fous, les érudits et même les impertinents. <strong>Le</strong> soir -<br />

c’était en juillet - ils se réunissaient dans une cave aux belles voûtes anciennes,<br />

le Schloss Keller, et chacun rivalisait de séduction, d’idées nouvelles, d’audaces<br />

de toutes sortes. On y vit le fabuleux François Lachenal - Grand Provéditeur du<br />

Collège de Pataphysique 136 - recevoir à sa table les jeunes audacieux qui faisaient<br />

leurs débuts dans ce nouveau Bauhaus de la musique. Un soir le compositeur<br />

russo-parisien André Boucourechliev s’approcha de la table de Lachenal avec<br />

des mines de conspirateurs. <strong>Le</strong> Grand Provéditeur était toujours accompagné<br />

d’une pâle beauté germanique dont la douceur paraissait suavement terrifiante à<br />

Des Ombres. La jeune fille avait une peau d’une parfaite et intense pâleur et se<br />

vêtait de cuir noir, sans ostentation. Elle avait, pensait-il, quelque chose de délicieusement<br />

implacable et il s’imaginait le maître ès pataphysique livré aux pires<br />

supplices par cette Aryenne de rêve. Il fantasmait. Boucourechliev qui n’était<br />

pas à court de fantasmes s’était approché de la jeune femme sans dire mot, les<br />

yeux fixes. Des Ombres pensa un instant qu’il allait sortir une arme de sa poche<br />

et en faire usage. <strong>Le</strong> Russe se contenta de s’agenouiller aux pieds de la blonde<br />

pallide et, cérémonieusement, de lui retirer l’une de ses chaussures. Il l’emporta<br />

et la posa sur la petite table de bois en rondin où il buvait seul, se livrant à une<br />

intense contemplation. La jeune femme semblait contente, personne ne disait<br />

mot. Après un temps qui parut long à chacun il revint et rechaussa la pâle beauté.<br />

“Madame, lui dit-il, vous m’avez donné l’une des plus grandes joies de ma vie.<br />

Je reste votre serviteur.” Il s’en fut. De telles scènes ne détonnaient pas dans<br />

cette société d’artistes, de fous, de savants et de noms en devenir. Des Ombres<br />

s’étonna simplement que le Russe n’ai pas bu son champagne dans l’escarpin<br />

comme c’était l’usage dans les années folles.<br />

Il en revint à son éternel fantasme : une musique terriblement précise qui<br />

changerait le monde. Ça n’existait pas ou… ça ne se vérifiait pas. La musique<br />

136 Dans les registres du Collège de pataphysique ont trouve en effet des noms très connus,<br />

soit les Provéditeurs : Bouché, Templenul, Shattuck, Lachenal, Barnier. Satrapes : Camille<br />

Renault, Marcel Duchamp, Max Ernst, Jacques Prévert, Ergé, Boris Vian, Pascal Pia, le Baron<br />

Mollet, et quelques emblèmes. Quinze Régents, six Dataires et dix-neuf Emphytéotes<br />

150


modulait la pensée humaine mais n’avait pas le pouvoir de combattre la folie de<br />

ce monde. Xenakis avait écrit quelques partitions absolument nouvelles mais il<br />

avait d’illustres prédécesseurs, encore que ce soit peu connu.<br />

Des Ombres considérait le finale de la sonate en sib mineur de Chopin<br />

comme un moment de folie géniale, une musique sans nom, un courant sombre,<br />

inconnaissable qui passait et s’effaçait, un instant musical en totale rupture<br />

avec l’époque, un discours avec un siècle d’avance. <strong>Le</strong>s hommes voyaient<br />

l’écoulement universel et ils se laissaient attirer. À vrai dire ils y voyaient surtout<br />

la mort. Certains tombaient amoureux des vortex et des turbulences du monde,<br />

pour mieux s’y perdre le moment venu.<br />

La musique n’était en somme que la belle émergence de cette protestation<br />

dérisoire de l’humanité devant la mort. Elle créait des apparences solides, du<br />

permanent, de l’éternel. Mais il arrivait toujours un moment où elle se taisait.<br />

Alors l’homme, selon son degré de conscience, s’enfrentait 137 à nouveau au<br />

chaos.<br />

Par la suite, le monde des équations non-linéaires et les mathématiques du<br />

chaos devinrent un objet de mode.<br />

137 s’enfrentait : franpagnol, de enfrenterse, affronter qqch. NdT<br />

151


Mélissa se rebiffe<br />

Bavardages de Mélissa…<br />

(Récitatif)<br />

<strong>Le</strong>s Français se servaient du mot « forniquer » du<br />

latin fornix, une cave voûtée, à Rome, que louaient les<br />

prostituées ; le mot devint un euphémisme pour désigner<br />

un bordel, et finalement ce que l’on fait dans un bordel.<br />

Fornix est de la même famille que fornax, « un four voûté<br />

en briques », dérivé du latin fornus, qui veut simplement<br />

dire « chaud »). ainsi « forniquer » signifie se rendre<br />

sous la coupole d’une petite pièce souterraine et chaude.<br />

Après avoir été secouée comme une prunelle 138 j’ai atterri dans un endroit<br />

familier. J’y avais vécu une vie, il y a une vie.<br />

Je me suis assise dans mon ancien bureau ! Mon manipulateur ne manque<br />

pas d’humour… La pièce était vide, terne, inhabitée depuis des siècles, partis<br />

les éclats de rire en fusée, envolés les papotages et leurs échos, disparues les<br />

roulades de hanches des vaillantes assistantes, des confidentes entrant et sortant<br />

du bureau le plus convoité de PS, c’était terne et moche, on aurait dit une cellule<br />

d’interrogatoire avec juste une table et un téléphone d’avant Avène, j’ai décroché<br />

pour vérifier, pas de tonalité, comment avais-je pu opérer ce retour vers le<br />

futur ?<br />

J’ignore comment je suis sortie du cadre de cette histoire mais je l’ai fait et<br />

ça me donne l’occasion de râler et de m’exprimer car franchement, depuis le<br />

début je ne suis rien de plus qu’une fille girouette et j’ignore qui m’écrit et me<br />

manie mais je lui garantis une sévère mise au pas dès identification, ça pourrait<br />

être Dieu et ça devrait être Lui mais je n’y crois pas, Il est trop bien çui-là et puis<br />

il sait que je l’aime, avec excès, trop sexuellement on m’a bien dit que c’était<br />

déplacé mais je suis comme ça, non c’est quelqu’un d’autre et je vais le trouver ;<br />

je me suis assise pour faire le point et ne mettre aucun point à ce récit parce que<br />

je vais vous lâcher tout ça d’un jet, la coulée, la fille fontaine, l’avale hanches,<br />

j’en ai marre, je suis folle de rage, mettez-vous à ma place, savez-vous qui je<br />

suis ? Mélissa, la fille la plus en vogue aux E.U.E après Avène, la plus sexy,<br />

celle qui a un gros secret et le fait savoir à tout venant. D’accord je suis bonne<br />

joueuse c’est ma réputation, d’accord que cette sale pute de BMW m’ait exilé, je<br />

reviendrai, d’accord qu’elle essaie par tous les moyens de m’éliminer, j’aurai sa<br />

138 Évidences… une prune féminine secoué dans une Elle, c’est de la poèsie de forge,<br />

que dis-je de creuset, la verbosynthèse n’est pas loin. NdAdm


peau, d’accord pour ces voyages incohérents dont je ne discerne ni le sens ni la<br />

nécessité mais je ne peux pas continuer à me laisser ballotter et vous savez pourquoi,<br />

je suis détournée de ma vraie destination qui est de baiser le monde plus<br />

le reste, je suis highjackée, quelqu’un se sert de moi, j’ai une mission à remplir,<br />

celle de l’omnivore sexuelle que je suis, l’unique, la seule, l’aboutissement de<br />

toute l’évolution, je suis la fille interface du sexe, l’aboutissement absolu de la<br />

race femme, et je vous conseille vivement de vous procurer un vieux bouquin<br />

de Philippe Curval 139 un petit Français génial qui avait tout deviné, qui a parlé<br />

de moi ce prophète sans même savoir que j’allais exister, il faut bien dire<br />

que c’est un mec d’avant Evène et qui connaissait, je me demande comment,<br />

le thème de la fille sexuelle universelle et, à ce propos je vous dis d’emblée de<br />

ne pas vous casser la tête avec toutes les complications de ce récit, déjà qu’on<br />

ne sait jamais si l’on doit dire fille ou femme, Avène ou Evène, pour ne pas<br />

mentionner ALEVE qui est peu utilisé ; Avène c’est en principe avant les Événements<br />

mais personne ne connaît les Événements et Evène la logique voudrait<br />

que ce soit pendant la grande mutation mais personne n’a envie d’aller voir ça<br />

de plus près, on admet tous que l’Amérique s’est crashée à mort mais depuis le<br />

temps qu’elle s’y entraînait ça n’a rien d’un scoop et peu importe ce que sont<br />

ces foutus événements moi je suis la fille-femme-fille qui vient après et qui a<br />

conquis ses galons de haute lutte dans la rédaction de PS aussi nommé PodSex,<br />

la revue virtuelle la plus lue dans les merveilleux États-Unis d’Europe, celle<br />

qui tire même sur papier surgelé dans les grandes occasions, celle qui se glisse<br />

dans la population intégrale des Podes TMC 140 , je suis la bannière vivante de nos<br />

États-Unis d’Europe, cette grande nouvelle fédération affublée il est vrai d’un<br />

président si ridiculement petit qu’aucun sniper n’a encore réussi à l’aligner correctement<br />

et je me fais un sang d’encre parce que le sens de ma vie c’est de jouir<br />

en spermanence et de faire jouir mes cibles à tous les niveaux ; quand je vois une<br />

forme de vie qui me plaît il me faut la posséder, la prendre en moi, même un<br />

grand esprit, ils ne sont pas inébranlables, je n’ai pas encore touillé un extraterrestre<br />

mais ça viendra je le sais, notez que je viens de me taper un requin et…<br />

mais chut ça c’est la surprise, comme le plan d’enfer que j’ai avec mon idole du<br />

moment, Dieu, qui a une fâcheuse tendance à rajeunir et si ça se trouve quand<br />

je pourrais enfin me le faire il sera au berceau OhMonDieu OhMonDieu OhMonDieu<br />

j’ai l’impression de parler comme une blonde mais je suis sincère, il est<br />

le no 1 de mon top 2 car il y a aussi ce musicien beaucoup trop sérieux que je ne<br />

sens pas encore mais ça va changer car personne d’intéressant ne m’échappe, ce<br />

serait absurde et ça enlèverait toute vraisemblance à cette histoire qui n’en a que<br />

139 Tous vers l’extase, Philippe Curval<br />

140 Toutes marques confondues NdT<br />

154


peu, donc, bref et suite j’habite un corps de femme, nuançons : de fille, parfois de<br />

fille-femme, généralement de femme-fille-femme et, à mon top, de fille-femmefille<br />

(c’est juste un rapport entre chimie et software, vous comprendrez peut-être<br />

un jour mais y’a peu de chances) et nous les filles (je dis ça pour simplifier) nous<br />

nous sommes toutes rendu compte après Avène que nous étions l’aboutissement<br />

suprême du roman de l’énergie, non seulement par la beauté mais par notre<br />

potentiel de sensualité à rendre jalouse une étoile et par notre corps, cette arme<br />

fatale qui est horriblement sous employée, vous savez pourquoi ce requin m’a<br />

tellement branchée ? On est pareils ! les filles possèdent des interfaces comparables<br />

à celles des requins, peut-être pas autant de dents, peut-être pas pour vous<br />

dévorer de leurs imparables sourires mais on le verra par la suite, les filles sont de<br />

potentielles machines à jouir et détectent leur proie de manière quasi infaillible,<br />

on a une portée de cent nautiques par bonne météo féminine, on voit dans le noir<br />

masculin et les pulsions animales, on détecte la moindre excitation à travers les<br />

cent étages d’une tour urbaine, fini le temps où l’on nous mettait sur le trottoir<br />

en talons et minis, on a gardé tous les accessoires efficaces mais c’est nous qui<br />

chassons maintenant, nous attirons nos proies dans notre petite cave souterraine<br />

et chaude, ça, c’est la finalité de la race et on a mis longtemps à y arriver, je suspecte<br />

qu’Avène y est pour quelque chose, et, j’en viens à la cause de ma colère,<br />

dans cette histoire je ne domine rien, je ne m’impose pas aux événements je les<br />

subis et ça ne va pas, vous avez remarqué que ce livre manque d’hommes ? dans<br />

mon époque nous nous sommes affranchies des destins obligés de la femme,<br />

nous ne sommes plus les pondeuses d’avant Evène, il y a eu tant d’espoirs féminins<br />

déçus, tant d’attentes que le grand écart s’est comblé, nous avons compris<br />

qu’il existe d’autres solutions que le féminisme qui n’était qu’une réaction, nous<br />

avons largement retourné nos désirs vers nous-même et nous sommes devenues<br />

le courant de la vie, il était grand temps car Evène est l’aboutissement de la pensée<br />

masculine, pas du tout détestable si ce n’est qu’elle nous a mené à l’étalage<br />

d’une testostérone ridicule, d’une puissance futile, à la destruction de la nature,<br />

vers des guerres sans cesse rallumées par les mêmes malades cupides, au règne<br />

des monothéismes, des médias qui exploitent nos peurs et les fabriquent, au pouvoir<br />

de l’argent, à l’oppression des femmes, à la burka et à l’excision, à la vente<br />

des filles, au royaume du mensonge et de la corruption, à la misère des peuples et<br />

dernièrement celle du peuple américain, à un racisme de plus en plus virulent et,<br />

pour une poignée de pauvres idiots à l’obsession de la visibilité, à part ces détails<br />

ça va et c’est pourquoi les hommes dans cette histoire sont plutôt des ombres,<br />

surtout ce mini Président que ma patronne se tape, pas Jacques Des Ombres c’est<br />

un atypique et pas Dieu, je viens de me souvenir que j’ai condamné il y a deux<br />

secondes les monothéismes mais mon copain n’a rien à y voir, soit Il est Dieu<br />

155


Tout Puissant et on s’est servi de Lui et on verra s’il est du type juif vengeur à la<br />

YHVH et s’il va sodomiser 141 la terre entière ou s’il n’est qu’une âme emmenée<br />

par la tornade des peurs animiques, un prisonnier somme toute et en ce cas<br />

j’aimerais, moi, Mélissa, le délivrer et me mettre avec lui. Euuhh, ne le répétez<br />

à personne mais vous avez mon programme…<br />

Bon, voilà que la pièce se change en aquarium et que l’hippocampe arrive,<br />

je l’ai un peu négligé, c’est vrai, mais c’est pas cette fois qu’on va se raconter<br />

nos existences car je suis pressée de connaître la prochaine étape, je ne vous l’ai<br />

pas dit mais j’ai revu Des Ombres et sa musique insupportable (j’en suis encore<br />

électrisée), il avait composé quelque chose sur les mutations, je crois qu’il est<br />

persuadé que sa musique est une porte sur un autre monde et, en tous les cas, je<br />

puis vous dire qu’après Evène les musiques que nous écoutons ont pour seul objet<br />

de nous harmoniser, de nous faire sentir bien ce qui explique mes réticences,<br />

il suit son chemin, il teste les mondes possibles dans sa musique, moi j’aimerais<br />

simplement qu’il se mute en prince charmant à mon seul usage, je saurais quoi<br />

en faire mais ce mec est réfractaire c’est inexplicable, on ne résiste pas à Mélissa,<br />

il n’est pas mal mon numéro 2 mais beaucoup trop sérieux et je ne sais<br />

toujours pas pourquoi Dieu me l’a foutu dans les pattes (les jambes les plus sexy<br />

d’après Avène), je vous laisse, le niveau de l’eau monte et comme je n’ai pas<br />

encore joui en amphibie je manque de notions pour survivre et, à propos, j’ai<br />

une question depuis quelque temps, ça me trotte dans la cabeza je sais pas pourquoi,<br />

je vous la pose avant d’utiliser le pavé bleu (notez que j’ai jamais utilisé<br />

le rouge, quelqu’un le fait pour moi…), voilà, ça me tarabuste… Car le dernier<br />

texte qui est passé sur mon Effe-Too est presque compréhensible :<br />

Parfois, martyr lassée des pôles et des zones,<br />

La fille dont le sanglot faisait mon roulis doux<br />

Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes<br />

Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…<br />

Pourquoi cette femme à genoux ? Qu’a-t-elle à se faire pardonner ? Quoi ?<br />

Qu’est-ce que vous dites ? Je ne pleure pas ! Mes larmes… C’est de rage !<br />

- Vous croyez vous aussi que mon comportement a pu modifier le futur ?<br />

141 Au sens biblique NdTaff<br />

156


<strong>Le</strong> Roy Arthur<br />

Incise<br />

(largo)<br />

Rimbaud fronça les sourcils. Il avait rêvé que le poème marin qui lui coulait<br />

des doigts était repris et déformé dans le futur. Par une femme ! Il nota presque<br />

distraitement qu’avivant un agréable goût d’encre de Chine, une poudre noire<br />

pleuvait doucement sur sa veillée. Il baissa les feux du lustre, se jeta sur le lit, et,<br />

tourné du côté de l’ombre les vit : “Je te vois, Mélissa ! Ma reine ! Il poursuivit<br />

sa fulgurante rédaction.<br />

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles<br />

Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.<br />

Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles<br />

Des noyés descendaient dormir, à reculons !<br />

La mer ! Quoi d’autre ? Il avait tant aimé la mer recomposée de Jules Verne à<br />

qui il avait simplement manqué d’être un voyant. C’était pour ça qu’il avait pris<br />

le relais. Mais qui pouvait être cette femme tellement impudique ? Si désirable ?<br />

Il en avait une petite idée. Celle du lieu et de la formule.<br />

Mais plus encore la race.<br />

157


De la masculinité<br />

Bavardages de Mélissa… : Pertinent/Impertinent,<br />

(Scherzo)<br />

Nous entrons à l’ère des solutions finales, celle de la<br />

révolution sexuelle par exemple, de la reproduction et de la<br />

gestion de toutes les jouissances liminales et subliminales,<br />

microprocession du désir dont la femme productrice d’ellemême<br />

comme femme et comme sexe est le dernier avatar.<br />

(Jean Baudrillard in De la Séduction)<br />

Il me semble que Dieu, ou le Joueur Masqué qui me manipule, m’accorde au<br />

moins une liberté dans cette histoire. Celle de venir vous casser régulièrement<br />

les couilles avec mes réflexions de fille agitée. Au bureau, chez PodSex, j’ai une<br />

copine qui s’appelle Francisca. Je l’adore. C’est une Chilienne qui parle comme<br />

une mitraillette, s’intéresse à tout, vit sa vie comme une noctibule en errance<br />

mais se réveille parfois le jour à mes côtés quand il le faut, dans les moments<br />

de grande presse qui sont fréquents dans notre Zine. Ses désirs sont des ordres<br />

(orthographiez ça comme vous voulez) elle veut tout faire, tout apprendre et<br />

tout vivre en même temps, elle est sur le point d’y parvenir et nous fait des yeux<br />

déçus quand ça foire, capable de soutenir sans broncher des conversations d’un<br />

niveau de huit à douze parenthèses et, quand elle n’arrive plus à remonter à la<br />

surface, elle utilise un rire tellement communicatif que le monde entier vient à<br />

son secours. Elle reste persuadée qu’elle peut mettre n’importe quel homme dans<br />

son sac mais quand ils donnent des signes d’acceptation, voir de soumission, elle<br />

s’enfuit à tire d’Elle, ce qui confirme mon diagnostic de fille Dona Juana. Elle<br />

adore séduire mais ne consomme pas vraiment. Un jour elle m’a dit avec une<br />

voix rauque que les hommes et leur sperme “ça puait”. J’ai tenté de la faire venir<br />

du bon côté - le mien qu’est-ce que vous croyez ? - et de lui enseigner l’art de la<br />

jouissance ininterrompue mais en vain ; elle fait partie de ces nanas dont il faut<br />

baiser la tête et dans son cas aucun homme n’y parvient ou ne souhaite y arriver,<br />

elle semble plutôt hétéro, encore que rien ne soit moins sûr. Elle a usé septante<br />

mecs (en Suisse…) huitante célibataires (des Vaudois) et quatre-vingt-dix-neuf<br />

Africains mais là n’est pas le problème 142 . Comme je viens de l’évoquer elle a un<br />

comportement archétypal de mec, ce qui n’est pas complexe et qui se subdivise<br />

142 Mélissa sous-entend ici la thèse que le bon français n’est parlé que par les bougnoules<br />

et le français issu du latin par les Suisses avec des variations cantonales. NdT<br />

159


en crétins “machos” super-mignons et pour le reste Don Juan ou Casanova.<br />

Casanova est un jouisseur. Don Juan un coureur d’idéal.<br />

Francisca se classe dans les Dona Juana évidentes, un idéal chasse l’autre, elle<br />

turbule d’une manière pas possible, elle est infatigable et parvient à mettre tout<br />

le monde sur les genoux. Seul problème aucun mec n’est parvenu à lui baiser la<br />

tête, ça doit être difficile, j’ai essayé et me suis retrouvée dans un tel fouillis que<br />

j’ai dû baisser les bras. Quand je vous dis que je viens régulièrement vous briser<br />

les burnes avec mes histoires vous pouvez songer à Francisca et vous féliciter de<br />

tomber sur une fille aussi simple, réservée et taciturne que moi. Car, après tout,<br />

je ne vous ai sorti que mes excuses, mes rebuffades et l’histoire de mes strings,<br />

ce qui est peu de chose par rapport à tout ce qui me reste à commenter.<br />

Pour le moment je suis en train de penser à la masculinité.<br />

On ne voit pas beaucoup d’homme dans cette histoire et c’est vrai que les<br />

femmes dominent partout dans notre société. <strong>Le</strong>s mecs se la jouent profil bas<br />

mais nous manquent-ils ? Bonne question à laquelle aucune d’entre nous ne tient<br />

à apporter de réponse. Quand BMW m’a demandé de traiter des préférences des<br />

femmes elle voulait simplement se débarrasser de moi, m’éliminer, me tuer (la<br />

Salope !) et j’ignore toujours pourquoi. Mais, avec un peu plus de subtilité, si<br />

elle m’avait enjoint d’écrire sur “Ce que préfèrent les hommes”, là j’étais raide !<br />

Aucune d’entre nous n’en a la moindre idée. Et si on se penche sur le monde que<br />

les hommes nous ont légué juste avant Evène il faut bien reconnaître que c’est<br />

un monde de merde dans lequel ils ont tous l’air de préférer le pouvoir sous sa<br />

forme la plus basse qui est le fric. C’est un sujet qui m’interpelle mais je ne crois<br />

pas être meilleure que les autres pour le traiter. Quand même, j’ai rapproché<br />

quelques idées. Dont la jouissance, cette merveille que les hommes se sont attribuée<br />

à eux seuls. J’ai relu de vieilles chroniques dans lesquelles on affirmait<br />

sans rire que le 70 % des femmes ne connaissait jamais d’orgasme. Très possible<br />

pour cette période. Mais je suis encline à croire que d’une part ils ne les voyaient<br />

pas et que de l’autre 99 % des hommes n’en ont jamais connu. Eh ? Parfaitement<br />

! Chez l’homme il y a des éjaculations mais très rarement des orgasmes,<br />

faut pas mélanger les cochons et les serviettes. Voilà mon thème ! Un homme<br />

est obligé d’éjaculer, c’est mécanique (Francisca voit ça comme une dégoûtante<br />

perte d’étanchéité…). Ses codes le commandent, il est pré-des-ti-né ! Sans la<br />

bonne pression les messagers n’arrivent pas chez nous et la race s’éteint, ce qui<br />

n’est pas tellement vérifiable. Nous avons toutes commis l’erreur de confondre<br />

éjaculation et jouissance. Je pense qu’un homme sur 100’000 atteint à l’orgasme<br />

et encore, mais ils sont tous capables de balancer la purée. On a confondu cette<br />

160


détente brève, chaude et propulseuse de sperme avec le plaisir sexuel absolu.<br />

<strong>Le</strong>s pauvres ! Ils ne peuvent faire autrement, c’est biologiquement brutal leur<br />

détente, ils ne la contrôlent jamais et de plus, je me suis laissé dire qu’ils peuvent<br />

connaître des orgasmes “froids” ou même douloureux, en tous les cas, ça<br />

ne dure pas. On connaît ce problème, ça se nomme la dysharmonie temporelle<br />

entre nos deux races. En y repensant je me suis dit que c’était trop injuste et qu’il<br />

devait logiquement y avoir un rapport entre cette infirmité masculine et ce qu’on<br />

a nommé le génie masculin. Un rapport ou même une compensation car, enfin,<br />

il n’y a aucune raison que le meilleur ne soit réservé qu’aux femmes ! <strong>Le</strong>s mecs,<br />

l’histoire nous le montre, sont capables du pire, très rarement, du meilleur. Une<br />

réponse à cette interrogation réside à mon avis dans un facteur statistique. <strong>Le</strong>s<br />

hommes sont par essence discontinus, erratiques, imprévisibles. Il y a un petit<br />

facteur random dans le gène masculin. Nous autres les filles sommes stables,<br />

sûres, l’essence même d’une certitude de l’être. Nous avons appris à reconnaître<br />

ces qualités en nous, après Evène. Rien à voir avec le féminisme d’antan. Bon…<br />

je vous décris les femmes d’après Evène comme j’ai envie qu’elles soient, je<br />

l’admets. Je sais bien que notre société n’a pas été épurée par les événements,<br />

il aurait fallu une table rase, il aurait fallu aller jusqu’au bout et je ne serais pas<br />

là pour vous raconter tout ça. Il est vrai que dans mon travail, dans l’univers de<br />

PodSex je suis une atypique. La fille qui jouit en permanence, la sexuelle omnivore,<br />

je suis rare ! Pourquoi ? Aucune idée. Vous serez surpris de mon audace, je<br />

suis certaine que d’une manière ou d’une autre je vais contribuer à ce changement<br />

qui n’a pu s’opérer. Il y a des énergies autour de moi, j’arriverai bien à les<br />

rassembler. Et plus prosaïquement, dès que tout ça sera tassé, je vous garantis<br />

que je vais me faire une super-fête et que je baiserai le monde entier. À commencer<br />

par mon divin copain, s’il arrête de rajeunir, histoire de ne pas tomber<br />

dans la pédiophilie… Je commence à comprendre ses intentions : il veut me faire<br />

visiter une collection de situations typiques d’avant les événements. Pourquoi<br />

moi ? C’est probablement en rapport avec cette énergie dont je déborde, avec<br />

cette boule de désir lumineuse que je sens grandir en moi. Si ça continue je serai<br />

son prochain Big Bang (laissez-moi rire, cette vieille théorie est tombée en disgrâce<br />

depuis longtemps). En tous les cas une chose me paraît certaine. Il va me<br />

renvoyer du côté de chez Des Ombres. Ça pourra me plaire.<br />

S’il ne fait pas de musique…<br />

161


<strong>Le</strong> grand synthétiseur<br />

D’où venez-vous ? fut tout ce qu’il trouva à lui dire.<br />

- De ton futur ! sourit-elle, on va se tutoyer, tu sais !<br />

(Tempo Rubato)<br />

Des Ombres boucla les entrées de son studio de Centremont et s’installa aux<br />

commandes de l’ensemble de synthétiseurs et d’ordinateurs qu’il avait interconnectés.<br />

Il restait, depuis cette fameuse nuit, illuminé, obsédé par l’idée d’une musique<br />

originelle, non seulement parfaitement exacte dans son rendu mais auto générative<br />

d’elle-même. D’une cellule se déployant à l’infini, le monde des fractales lui<br />

en donnait une représentation. Être compositeur serait désormais plus que noter<br />

chaque événement d’une partition. Ce serait penser un module initial et le voir<br />

vivre sa vie, proliférer.<br />

Être l’intelligence originelle.<br />

Il se souvint de ses conversations avec le compositeur belge Henri Pousseur 143<br />

avec qui il avait entretenu une vive amitié. Dans les temps héroïques de la musique<br />

électronique, Pousseur, dans le studio de Cologne, avait eu l’idée de créer<br />

un ensemble indépendant d’oscillateurs contrôlés par voltage. L’idée était simple,<br />

chaque son possède une forme dynamique que l’on peut injecter à un autre<br />

générateur qui lui-même peut revenir moduler le premier. Il se souvint du commentaire<br />

sur la ƒilomusique qu’il avait écrit à la demande de René Berger 144 , le<br />

penseur lausannois socratique et atypique, à l’usage de son site internet : “Lucifer<br />

Photophore, une œuvre d’Henri Pousseur (à moins que je n’aie rêvé ce titre)<br />

qui est passionnante pour les ingénieurs comme pour les compositeurs. Il s’agit<br />

d’autogénération de musique à partir d’oscillateurs (wave generator) de Siemens<br />

contrôlés par voltage. Cette technique permet, à quatre unités qui se transmettent<br />

leurs informations périodiques et harmoniques, de faire apparaître des objets sonores<br />

incroyables et renouvelés. <strong>Le</strong> compositeur est fasciné car son œuvre n’est<br />

de “personne”. Elle tend ainsi à représenter - à ses yeux - l’univers en création<br />

perpétuelle. J’y reviendrai à propos du programme UC (qui ne veut pas dire You<br />

see ?) mais Universal Composer. La ƒilomusique était en soi une tautologie car<br />

143 Pousseur est, avec Stockhausen, le plus grand théoricien de la musique nouvelle.<br />

144 René Berger (1915/2009) souvent nommé le Socrate lausannois, un immense penseur,<br />

chercheur et novateur qui aura été l’un des premiers à pressentir l’âge virtuel et ses effets sur<br />

le monde artistique et social. Directeur du Musée des Beaux Arts, collaborateur de l’UNESCO,<br />

grand passeur d’émerveillement !<br />

163


toute philo espère devenir musique et toute musique est philo.”<br />

<strong>Le</strong>s choses avaient évolué et de nombreux petits programmes de génération<br />

musicale tels que CellSynth ou Nodal apparaissaient sur le marché, très limités<br />

quant à la qualité du rendu final mais répondant tous à cette recherche croissante<br />

d’une ADN musicale, d’un groupe de structures sonores pouvant évoluer<br />

à l’infini.<br />

Des Ombres ne voyait pas de différence entre ses activités de chef et de compositeur<br />

classique et celle de chercheur en musique électronique. L’orchestre<br />

symphonique lui apportait une beauté instantanée, faite du savoir d’un grand ensemble<br />

de musiciens et de la somme de leurs micro-erreurs ! On avait démontré<br />

que ce qui fait le charme d’une section de seize premiers violons réside dans les<br />

infimes différences d’intonation, de vibré, de justesse et de timbre. Faire parler<br />

une foule d’instruments est magique, si l’on pouvait faire en politique que les<br />

gens s’accordent comme dans un orchestre symphonique ce serait l’utopie, la fin<br />

peut-être de toute dynamique sociale.<br />

<strong>Le</strong> programme UC (Universal Composer) était une idée qu’il avait eue pour le<br />

prodigieux instrument créé par son ami Di Giugno 145 à Paris. Il avait été totalement<br />

surpris que l’ingénieur le programme en Fortran, un des premiers langages<br />

informatiques, totalement inadéquat pour servir les besoins d’un compositeur.<br />

Il fallait unir le langage du corps avec celui de la logique. Des Ombres dirigeait<br />

un orchestre et jouait du piano avec ses mains et ses bras, l’accès à la puissance<br />

informatique devait nécessairement passer par le corps, en partie du moins car il<br />

devait y avoir un organigramme de composition, une règle de base, un principe<br />

d’évolution pensé par le créateur. <strong>Le</strong>s musiciens ont une fâcheuse tendance à se<br />

prendre pour Dieu mais, quand il pensait aux mondes de Bach ou de Mozart,<br />

il ne trouvait pas cette idée aussi sotte que ça. Dans un contexte moderne il y<br />

avait une nouvelle lutherie, instable, elle changeait souvent et il fallait trouver<br />

la manière d’en jouer. Il était très simple de générer des torrents de sons avec<br />

les nouveaux instruments. Ce qui apparaissait le plus facilement dans les improvisations<br />

ou les programmations qu’il réalisait était un phénomène de flux<br />

sonore. Un monde particulaire qu’il avait exploré il y avait déjà longtemps dans<br />

une œuvre, Monades II, en notant un chaos sonore très agité, une turbulence,<br />

surmontée d’une parole supérieure la contredisant, dominant le bruit de fond de<br />

cet univers musical. <strong>Le</strong> verbe et le chaos. On n’avait rien inventé de neuf depuis<br />

145 Guiseppe di Giugno, physicien des particules passé à la recherche musicale, c’est lui<br />

qui donne à l’IRCAM de Boulez ses lettres de noblesse en concevant le synthé 4a(b, c) premier<br />

instrument musical virtuel au monde. Très amoureux aussi d’Arielle Dombasle qui fait ses<br />

débuts dans le showbize.<br />

164


la Genèse, pensa-t-il.<br />

Il se souvint de quelques lignes de Rimbaud, l’idole de son adolescence :<br />

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,<br />

Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,<br />

Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses<br />

N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau<br />

Il se sentait assez proche du voyant, jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau…<br />

La tâche qu’il s’était assigné en concevant UC était très lourde. On ne<br />

pouvait pas coder tous les possibles de la musique et encore moins l’approche<br />

des compositeurs.<br />

La difficulté de créer une interface pour un super-instrument réside dans le<br />

fait qu’elle doit être à la fois simple et puissante. Il avait expérimenté trop souvent<br />

des programmes de composition dans lesquels on se perdait dans un dédale<br />

de routines et sous-routines. C’est pourquoi il avait pensé à doter son interface<br />

d’un profondimètre, comme les plongeurs, qui renseignerait à tout instant le<br />

musicien sur sa situation dans les méandres du programme. Il y avait ensuite<br />

un grand nombre de choix possibles quant à l’évolution de l’œuvre. On pouvait<br />

par exemple imaginer une enveloppe allant du simple au complexe avec ou sans<br />

retour à l’état initial. La forme globale de l’œuvre pouvait être définie dans le<br />

temps et dessinée en fonction de l’amplitude sonore, ce qui donnait des tracés<br />

très expressifs dans lesquels on voyait d’un coup d’œil l’évolution de la partition<br />

dans son registre dynamique. La même chose pouvait être faite pour le timbre.<br />

Si un compositeur avait l’idée de jouer sur les timbres de son orchestre virtuel<br />

on pouvait le montrer (ou le dessiner) dans un graphe à trois dimensions. Ces<br />

données restaient toutefois incomplètes et plus difficiles à interpréter ; Des Ombres<br />

avait attribué des familles de couleurs à diverses familles de timbres mais<br />

le spectre musical est pratiquement infini, on ne pouvait que cerner l’œuvre dans<br />

ces approches structurelles globales. Un pas plus loin venaient les structures<br />

de composition proprement dites. <strong>Le</strong>s musiciens devaient répondre à un grand<br />

nombre de questions. Sur le type de polyphonie, d’harmonie, sur l’évolution<br />

de ces paramètres et sur le développement proprement dit. C’est là, dans UC,<br />

qu’apparaissaient des menus déroulants suggérant des approches différentes. <strong>Le</strong>s<br />

proportions de redondance et d’originalité en tout premier lieu. Il se souvenait<br />

très bien de ses années avec Boulez et de la constatation qu’il avait faite à propos<br />

de la surinformation musicale. On avait trop voulu enrichir le discours musical<br />

en éliminant toute répétition. Supprimer la redondance fut la grande erreur<br />

des créateurs de ce temps mais le milieu des compositeurs, dans son ensemble,<br />

165


tarda une vingtaine d’années avant de comprendre la portée de cette réflexion<br />

et d’oser violer des codes que la première génération des révolutionnaires avait<br />

déclarés sacrés et incontournables. Il fallait une puissante conscience de l’œuvre<br />

à réaliser pour décider à l’avance de l’évolution de tous ces paramètres. Il y en<br />

avait beaucoup d’autres. La discontinuité, la masse, le style qui pouvaient tous<br />

être définis et le fameux principe ADN, le cœur de cette interface, qui supposait<br />

qu’un ensemble de données fourni au système allait se développer de lui-même<br />

dans les chemins tracés par le créateur. <strong>Le</strong>s fonctions du programme UC permettaient<br />

évidemment de poser des repères, des road marks, et d’intervenir en temps<br />

réel sur la création de la musique. Des Ombres avait même prévu une possibilité<br />

de morphing tout à fait étonnante. Elle permettait d’attribuer le style d’une œuvre<br />

à une autre, ce qui est terriblement complexe comme idée. <strong>Le</strong> programme<br />

analysait l’œuvre cible et appliquait ses patterns à l’œuvre mère. Il n’aimait pas<br />

trop se servir de cette fonction car appliquer le style d’un romantique à un moderne<br />

était un trop grand défi, les essais donnaient des discours improbables, avec<br />

peu de sens. C’était un peu comme vouloir cloner un arbre avec un poisson ou<br />

un nuage avec un philosophe…<br />

UC fonctionnait à merveille et crachait beaucoup de musique. Mais pas celle<br />

que Des Ombres cherchait. Il n’était pas vraiment parvenu à faire entrer de<br />

l’humain dans l’informatique musicale, même pas à l’aide de quelques coefficients<br />

random, des nombres aléatoires créant des surprises ici ou là. Il arrivait<br />

souvent que le système, guidé par Universal Composer, produise de belles<br />

séquences dont son auteur se demandait avec perplexité s’il en était le père. Il<br />

aurait fallu pour que tout s’harmonise, qu’il revienne à ce rêve tellement… solaire.<br />

Il aurait fallu que le monde soit à faire, qu’il joue quelques notes et que la<br />

musique soit. Il ne lui manquait somme toute qu’une Genèse.<br />

Il était si fatigué qu’il n’entendit pas entrer Mélissa et sursauta violemment<br />

quand il la vit s’asseoir à ses côtés, il était certain d’avoir fermé toutes les portes<br />

du local.<br />

- D’où venez-vous ? fut tout ce qu’il trouva à lui dire.<br />

- De ton futur ! sourit-elle, on va se tutoyer, tu sais. C’est notre troisième rencontre<br />

et quelqu’un te place systématiquement sur ma trajectoire.<br />

- Oh ? tu as une explication ? fit-il quand il put reprendre son souffle.<br />

- Moi non, mais nous… oui, dit-elle. J’en suis sûre.<br />

Sur quoi elle éclata de rire et ajouta :<br />

- C’est forcé ! Tu n’es pas du tout mon type d’homme.<br />

Aucun mec n’aime ce genre de déclaration, ce n’est qu’un appât grossier mais<br />

ça marche.<br />

166


- Que se passe-t-il dans mon futur ? fit Des Ombres qui retrouvait progressivement<br />

son aplomb. Allons-nous nous connaître ? Vais-je te draguer ?<br />

- Je l’espère bien, pouffa Mélissa, mais en toute franchise je dois te dire une<br />

chose. Tu es beaucoup trop sérieux ! Je n’aime pas ta musique. Lâche-toi ! Je suis<br />

certaine que tu es amusant. Je fais des voyages dans le temps et c’est épuisant.<br />

Offre-moi quelque chose à boire et parlons de nous. Il doit y avoir une raison à<br />

ces rencontres.<br />

- Tu en sais sûrement plus que tu ne veux bien me le dire et tu dois avoir un<br />

plan, mais d’accord pour un verre. J’ai un superbe appartement au quatrième,<br />

laissons le système tourner, il composera peut-être la musique ultime en notre<br />

absence. Tu viens ?<br />

- Et comment, fit Mélissa qui ramassa ses affaires, tu es mon premier fossile<br />

de charme, je suis sûre que tu es génial mais je viens d’une époque où ça n’a plus<br />

cours. On pourra bavarder un peu ? Juste papoter ?<br />

Fossile de charme ? Des Ombres se mit à rire. Papoter n’était pas vraiment<br />

l’image qu’il se faisait de sa manière de communiquer. Mais après tout, pourquoi<br />

pas ? Cette Mélissa avait de belles jambes et un sourire dévastateur. Il se<br />

rendit à l’évidence, venant du futur ou pas, cette passante était du genre “évidence<br />

femelle à ne pas rater”. Il lui sourit avec un peu de timidité.<br />

- Et comment ! Tu vas me raconter le futur et me dire pourquoi tu me traques<br />

comme ça !<br />

- Si je te disais que je n’en sais strictement rien ? Je suis une journaliste assez…<br />

connue dans mon époque et j’ai été envoyée dans le passé pour répondre<br />

à une question vraiment stupide, définir ce que préfèrent les femmes. Tu vois !<br />

C’est loin de ton imagination torturée de génie décadent.<br />

Des Ombres se détendit. Tout était trop simple, trop facile. Cette fille avait été<br />

écrite par quelqu’un d’autre mais… maintenant qu’elle était là, il était simplement<br />

urgent de s’harmoniser avec elle. Pensée de compositeur ! Il sourit. Elle<br />

venait de faire exactement ce qui focalisait toujours son attention. Croiser ses<br />

magnifiques jambes. Avec un art consommé, style “femme qui sait”. Il en oublia<br />

ses obsessions musicales, les femmes avaient toujours conduit sa vie. Celle-là<br />

avait-elle des prétentions à le faire ? Il allait vite le savoir.<br />

- Viens, sourit-il, on s’envoie en l’air !<br />

- Oh ? Déjà ? fit Mélissa feignant la surprise.<br />

Avec l’ascenseur. Il est antique mais… il la détailla… Pour toi, il parviendra<br />

au quatrième ciel. C’est le mieux que je puisse t’offrir, voyageuse.<br />

Pour le moment…<br />

167


Romance<br />

So romantic !<br />

(Adagio)<br />

Ses chevilles sont fortes, d’une féminité vigoureuse, ses fesses,<br />

sa taille, ses seins sont tout en courbes charnues. Une extase<br />

intégrale se déverse sur eux. <strong>Le</strong>urs corps ne se touchent qu’en<br />

quelques endroits, mais paraissent se fondre en chaque cellule.<br />

Par-dessus tout, ils sont absents au monde à tout ce qui n’est pas<br />

eux. On dirait qu’ils sont tombés dans le puits l’un de l’autre ;<br />

ils ne font pas qu’être absorbés, ils s’absorbent mutuellement.<br />

In <strong>Le</strong> livre des sens, Diane Ackermann<br />

Depuis quelques jours Mélissa avait beaucoup croisé ses jambes, elle découvrait<br />

le lieu et connaissait la formule, ça aidait. Dans cette stase temporelle<br />

imprévue - le temps s’était stabilisé, elle n’avait pas été brutalement rappelée<br />

à son point de départ comme les fois précédentes - elle commença à aimer la<br />

présence de Des Ombres. Elle savait qu’il n’avait pas encore écrit ses romans et<br />

trouvait fascinant de connaître l’homme qui allait écrire sur la femme les textes<br />

qu’elle lirait/avait lu dans son propre futur. Après elle, de toute évidence, car<br />

son nom n’était cité dans aucun des onze livres sur lesquels elle était tombée par<br />

hasard, dans une recherche d’archives d’avant la grande faille.<br />

Une intimité se créa rapidement, la relation prit un tour romantique 146 , encore<br />

qu’elle ignorât tout de ce mot qui avait été sottement galvaudé par des imbéciles.<br />

Ne pas “manger” sexuellement cet homme la déconcerta totalement. C’était<br />

sa manière de faire. Il y avait en lui quelque chose qui l’attirait, la mettait en<br />

confiance, lui donnait envie d’être vulnérable, du jamais vu pour la plus belle<br />

fille du futur et d’Avène. Elle enregistra dans son FemmeTouch certaines de<br />

leurs conversations car elle avait peur que cette parenthèse ne s’efface.<br />

- Comment peux-tu venir du futur ? disait Des Ombres. Tu ressembles à toutes<br />

les belles filles que je connais. Tu n’as rien d’étrange. Tu me plais !<br />

- Jacques, je n’en sais rien. Tout ce que je puis te dire est qu’il y aura une discontinuité<br />

entre ton époque et la mienne.<br />

- Oui, oui, rigolait Des Ombres, mais tu ne m’as pas raconté grand-chose.<br />

Vous pensez que l’Amérique a disparu, s’est effondrée économiquement, ou so-<br />

146 Je serais heureux que quelqu’un, enfin, dénonce et fasse disparaître cet abus de langage.<br />

Romantique ! Une Ferrari, une table dans un palace avec des chandelles ? Une sirupeuse<br />

musique de fonds. Poncifs, je ne vous hais point mais… prenez donc des vacances. NdAsv<br />

169


cialement et vous vivez dans une Europe un peu plus unifiée que celle que je<br />

connais, tout ça est peut-être déjà vrai ! J’aimerais bien savoir ce que sont les<br />

technologies de ton temps, si tu n’es pas une folle, et surtout à quoi ressemblent<br />

les hommes qui t’entourent.<br />

- On ne les voit pas énormément…<br />

- Tu ne fais jamais de sexe ?<br />

- Je ne fais que ça ! s’écriait-elle spontanément. Sur quoi elle se jetait avec<br />

rage sur lui. - Sais-tu ce que tu viens de me faire, crétin ? Quelque chose qui ne<br />

m’est jamais arrivé de toute ma vie, je suis morte de honte…<br />

- Mais pourquoi rougis-tu comme ça ? s’amusait Des Ombres.<br />

- Justement, ça ne m’était jamais arrivé. Tu es vraiment con, toi !<br />

Elle lui balançait une tendre gifle, il faisait semblant de la pourchasser, elle<br />

faisait mine de fuir, où était la battante optimisée de PodSex ? Elle lui balançait<br />

des obstacles dans les jambes, ils se retrouvaient essoufflés sur son lit ou dans<br />

la grande cuisine, les mains de Jacques étaient devenues familières à Mélissa.<br />

Elle réalisa deux choses. Il n’avait aucune idée de qui elle était, la fille omnivore<br />

sexuelle furieuse, imbattable, conquérante ; elle n’avait aucune idée de tout<br />

ce qu’une femme peut trouver dans la compagnie d’un homme, le sexe mis à<br />

part. Ils se découvrirent séparés par un abîme de temps ou une prophétie incompréhensible<br />

mais semblables.<br />

- Tu es ma moitié d’orange, disait Des Ombres.<br />

- Et toi ma petite conne préférée, répliquait-elle, en amour, c’est bien connu,<br />

la tendresse dans ses premiers élans ne s’exprime qu’au travers de l’inversion. Il<br />

ne se privait pas de lui donner toutes sortes de noms masculins, ils marchaient,<br />

somme toute, sur un nuage rose dont ils ne voyaient pas la fin.<br />

Mélissa craignait plus que tout le rappel qui, forcément, allait avoir lieu. Elle<br />

ne pouvait imaginer que Dieu, à cette étape de sa quête, ait décidé de la laisser là<br />

pour… le restant de ses jours. Elle tenta de se mettre en communication avec son<br />

Top 1 mais sans succès. Il ne pouvait être jaloux, ça n’a rien de divin. De plus<br />

c’est Lui qui l’avait envoyée à Genève aux côtés de Jacques. Comme toujours<br />

Ses voies étaient insondables, elle n’était pas du tout pressée d’en savoir plus.<br />

Elle venait de découvrir ce qu’était vivre le présent et estima que ça n’avait pas<br />

de prix. Elle n’éprouvait que très peu de nostalgie de son époque, le cours des<br />

choses avec Des Ombres était tellement naturel, elle n’avait jamais connu l’état<br />

illusoire du bonheur et se laissa porter avec ravissement. Peu à peu ils laissèrent<br />

s’osmoser leurs mondes si particuliers. Une fille du futur, folle de sexe, est faite<br />

pour s’entendre avec un intellectuel tourmenté et de plus musicien. Ce que Des<br />

Ombres avait créé ou pensait réaliser, Mélissa l’incarnait à sa manière : la vie qui<br />

foisonne de changements.<br />

170


Au risque de créer un paradoxe temporel ils se racontèrent tout. L’épisode du<br />

Village amusa beaucoup Des Ombres.<br />

- J’étais là ! fit-il très excité, je n’étais pas loin de l’endroit que tu décris et<br />

je connais cette maison. Je me demande si tu n’avais pas déjà commencé à me<br />

tracer !<br />

- Tu n’étais pas à la grande fête lesbienne, objecta-t-elle.<br />

- Comme ça m’aurait amusé ! Mais je ne ferais pas une très belle fille.<br />

- Oh ? Je peux t’arranger ça ! fit-elle très intéressée.<br />

- Tu l’as déjà fait ?<br />

- Non, mais j’y ai souvent pensé, admit Mélissa qui rougit à nouveau.<br />

- C’est très normal, lui confia Des Ombres, c’est un des rares cas d’asymétrie<br />

sexuelle humaine. Toutes les femmes rêvent d’habiller leurs hommes en femmes<br />

et beaucoup le font, ça les excite furieusement. Mais je ne connais aucun cas<br />

inverse dans lequel un homme désire priver sa compagne de sa féminité en<br />

l’habillant en homme. Il n’y a pas beaucoup de cas d’asymétrie dans le sexe et<br />

c’en est un que je connais bien.<br />

C’était le tour de Mélissa d’attraper un fou rire.<br />

- Comme je t’imagine bien en nana ! Si tu savais les premières impressions<br />

que j’ai eues de toi à Stuttgart, trop sérieux, tellement loin de la vie ordinaire je<br />

te dis pas, tu vas vouloir me battre.<br />

- Tu aimerais ? demandait Des Ombres en levant un seul sourcil.<br />

- Ça me changerait, disait-elle un peu rêveuse. Mais avant que tu t’y mettes<br />

laisse-moi te dire comment je te voyais.<br />

- Un génie ? Un brillant chef d’orchestre ?<br />

- Lalala, je t’ai vu ramer avec tes musiciens, tu étais sûrement brillant après<br />

beaucoup de répétitions et de préparation.<br />

- C’est le métier, répondait-il, rien n’est jamais donné et j’aime la conquête.<br />

- On a ça en commun, soulignait-elle, j’aime ça aussi. Toi, je te voyais comme<br />

un personnage beaucoup trop sérieux, tourmenté, en quête d’impossible. Je me<br />

demandais toujours si tu savais rire. Ta musique…<br />

- Qu’est-ce qu’elle a ma musique ? faisait Jacques très outré. Te plaît pas ma<br />

musique ? Personne ne t’avait forcée à venir à mes répétitions, pétasse.<br />

- Si grognasse, répliquait-elle et ils se mettaient de nouveau à rire, quelqu’un<br />

m’a envoyée dans ton univers. Et ta musique, je vais te le dire, elle ne me laisse<br />

pas tranquille.<br />

- Ah merci ! renvoyait Jacques ravi, c’est son rôle, tu sais ? D’ailleurs toi non<br />

plus tu ne me laisses pas tranquille. Mélissa… arrête, ne croise pas tes jambes<br />

comme ça, tu vas appuyer sur mon bouton rouge. Non…<br />

171


- Je me demandais s’il fonctionnait toujours, disait-elle “après”. Pas mal pour<br />

un mec d’avant Evène. Est-ce que je t’ai bien pris ?<br />

- Topologiquement, les femmes prennent les hommes, répliquait-il, faut être<br />

con pour l’ignorer et con pour le savoir.<br />

Elle fronçait les sourcils il prenait un air confus, la température grimpait.<br />

Ils sortaient dans une belle lumière de fin d’après-midi, on était début juin,<br />

début des années quatre-vingt-dix. <strong>Le</strong>ur insoutenable légèreté d’être semblait ne<br />

jamais devoir cesser. Mélissa se surveillait devant les amis de Jacques. Pour ne<br />

pas donner l’impression d’une étrangère - que ce soit de lieu ou de temps - et<br />

surtout pour contenir ses pulsions sexuelles conquérantes. Ça ne lui était pas<br />

trop difficile.<br />

Ils explorèrent les derniers endroits de charme de Genève. Il lui montra<br />

l’entrée des catacombes, sous la cathédrale et, attablés dans son cher café des<br />

Armures 147 , elle tint à le masturber discrètement du bout du pied, sous la table,<br />

alors qu’ils dégustaient le plat le plus nucléaire de Suisse, une fondue au fromage<br />

bien relevée.<br />

Elle trouva ça très chaud.<br />

- Tu as une chance folle que je me contrôle comme ça, lui disait-elle.<br />

En réalité elle avait perdu cette puissance de sexe conquérant avec laquelle<br />

elle avait régné sur son entourage d’après Evène, elle découvrait de petites choses<br />

inconnues, un jeu d’ombres dans une ruelle de la vieille ville, le regard des<br />

hommes sur elle, les tours des cumulus géants le soir sur le mont Jura, des petites<br />

jupes et des hauts bon marché qu’elle chinait sur la Plaine ou près de la<br />

Madeleine, traverser la rade genevois dans un bateau mouette, tous ces Italiens<br />

et ces Portugais qui avaient acquis droit de cité et préparaient des choses succulentes,<br />

le plaisir de marcher à son bras avec des chaussures plates, les filles<br />

qui passent, de vieux livres qu’il ne finissait jamais, la lumière d’une chandelle<br />

vue à travers une bouteille de bon vin et la voix inimitable de Mozart qui la mettait<br />

au bord des larmes, elle se passait d’Internet, de FemmeTouch, de PodSex,<br />

d’être omnivore, de chrono-dégeuleurs, de mode virtuelle, des tendances, de ses<br />

copines branchées et de ses éditions spéciales, elle avait caché Dieu (très provisoirement)<br />

dans un coin de son cœur et ne se trouvait pas infidèle mais riche en<br />

relations. Elle se mit à accorder de l’importance à des choses futiles. Éviter les<br />

objets pointus et les mots en yx. Marcher comme les enfants dans les carrés des<br />

147 Incontournable bistrot de la vieille ville genevoise. NdE<br />

172


anciens trottoirs et enjamber les lignes doubles qui les séparent. Ils franchirent la<br />

barrière acérée du grand jet d’eau de la rade et mirent leur doigt dans la colonne<br />

grondante, ça faisait mal, c’était durement impossible, ils riaient comme des<br />

fous. Elle écoutait même les théories de Des Ombres avec attendrissement, ce<br />

n’était pas les idées qui lui parvenaient, c’était peu de chose, elle ne voyait que<br />

lui, rien que lui, sa manière d’être, le ton de sa voix et la tête ravie/contrariée qu’il<br />

ferait quand elle croiserait innocemment ses jambes, quand elle lui lancerait son<br />

carton d’invitation. À l’instar de ces morceaux d’ail hachés dans la fondue avec<br />

le fendant bien frais, son être au monde était goûtu, modifié, fracassé, augmenté<br />

voire transcendé. Elle venait de se prendre de plein fouet quelques millions de<br />

volts grisants, une masse de bonheur et une avalanche de problèmes.<br />

Mélissa était amoureuse.<br />

173


De quoi faire foirer ce bouquin<br />

(Romance et réaction : les imbéciles heureux)<br />

Mélissa était amoureuse !<br />

- Je suis une idiote se dit-elle.<br />

(Jacques était descendu dans son studio à la recherche de la formule, cette<br />

phrase musicale dont il supposait l’existence, ce qui “faisait tomber dans la lumière”)<br />

- Je suis, monologuait-elle, une idiote qui perd ses valeurs. Parce qu’elle vient<br />

d’en trouver une autre, nouvelle, imprévue et fondamentale. Impérieuse même !<br />

Je ne puis m’expliquer mon comportement normal ni ce que les femmes sont<br />

dans mon époque. Apparemment nous avons relégué les hommes dans un<br />

placard, dans des bureaux, aux champs, aux mines de sel ou dans leur monde (ce<br />

qui revient sûrement au même), hors de notre vue en tous les cas et je ne vais pas<br />

encore vous affirmer que les femmes préfèrent les femmes mais croyez-moi je<br />

n’en suis pas loin ; ne soyons ni connes ni hypocrites, les femmes c’est ce qu’il<br />

y a de meilleur, vous voulez que je vous cite Clarissa ? Elle est restée fameuse<br />

même à mon époque, je ne sais pas si elle a couru avec des loups mais je sais<br />

qu’en trois lignes c’est elle qui nous a le mieux décrites. Chacune de nous porte<br />

en elle la force naturelle, chacune est riche de bons instincts et de la mémoire de<br />

l’espèce 148 . Chaque femme est la Femme Sauvage et les hommes ne savent<br />

toujours pas entendre la voix généreuse issue de notre âme profonde. Personne<br />

n’a jamais dit mieux que ça, tout est là et maintenant, dans mon temps, on se<br />

pratique. Nous avons des raisons de penser que ça a pris du temps, que nous<br />

avons été muselées, bâillonnées et asservies mais ces temps-là sont révolus,<br />

comme Evène. Je me demande au passage si Clarissa baisait ses loups ? Je pense<br />

que non, je pense que je suis la première femme interface universelle de notre<br />

race. Je veux tout et tous, tout ce qui respire, pulse, pense, existe, mange, dégage<br />

une chaleur. Toute forme de vie est, par définition, mienne. Ça me prend du<br />

temps de réaliser ce projet, mais j’avance. Or que se passe-t-il ? Mélissa est<br />

amoureuse !!! Ça va pas la tête ? Comme si j’avais le temps et le tempérament<br />

d’être amoureuse, non mais ! Faut séparer le sexe solaire des sentiments gluants.<br />

Se consacrer béatement à une seule existence reviendrait à stopper mon<br />

mouvement perpétuel, même si son existence est souvent mise en doute, ce serait<br />

148 Affirmation des plus intéressante ! Porter la mémoire de l’espèce est une forme<br />

d’immortalité. On sait que les Juifs avaient découvert que par la mère la transmission génétique<br />

est plus complète (On n’est Juif que par sa mère, matrilinéarité). NdEadm<br />

175


figer les particules élémentaires dans leur danse vieille de je ne sais combien de<br />

milliards d’années et tiens, à propos de particules, quelqu’Un m’a dit que j’étais<br />

un beau proton ! Sur le coup je n’ai rien pigé à cette déclaration mais maintenant<br />

je me l’explique très bien, je suis un centre d’attraction et les énergies masculines<br />

(et autres) virevoltent autour de moi. Normal non ? Une femme c’est un soleil,<br />

c’est un noyau, je vis entourée d’un nuage de belles planètes, d’électrons (vous<br />

aurez noté que les protons sont chargés positivement et les électrons négativement<br />

eh ? Ça en dit long sur les hommes…). Bref, je suis ce centre absolu et je fonde<br />

la réalité de ce monde. Il y a des déclarations qui me surprennent quand on en<br />

vient à parler de l’origine première des choses, par exemple cette bizarrerie<br />

masculine de se dire philosophe. C’est médiéval ! Je suis morte de rire ! Car les<br />

philosophes n’existent pas. S’ils avaient la moindre réalité ça se saurait. Il est<br />

vrai que les médias d’Evène leur ont fait la part belle, je l’ai vu dans nos archives.<br />

Non seulement ces mecs étaient nuls avec les femmes (quel dommage que ce<br />

petit Allemand au nom imprononçable149 ne soit pas tombé sur moi, je l’aurais<br />

mené à exister réellement, à découvrir la pure chaleur sexuelle dont il rêvait)<br />

mais encore ils les diabolisaient ou en souffraient avec bruit et discours.<br />

Savonarole, Schopenhauer, même combat ! 150 Être un philosophe ne se résume<br />

pas uniquement à dire de manière compliquée des choses qui peuvent s’exposer<br />

simplement, c’est aussi pratiquer un jargon à côté de quoi le langage des anciens<br />

économistes paraît limpide. Ces gens n’ont aucune originalité et ils ne parlent<br />

que par citations en nous laissant croire qu’ils viennent de penser ce qu’ils ont<br />

piqué dans de vieux bouquins. Bref, en ce domaine, les hommes n’ont pas brillé<br />

et je puis facilement déterminer la condition à remplir pour prétendre être un<br />

philosophe, c’est tout simplement de changer le monde autour de soi. Je dis bien<br />

le monde, pas un petit cénacle de flatteurs, pas les petites mafias intellozes du<br />

monde mec. Changer le monde autour de soi ? C’est arrivé, mais dans la totalité<br />

des cas les philosophes qui avaient branslé le réel étaient morts, la pensée<br />

masculine se propage avec une telle lenteur. Bref, je reviens à ma surprise et je<br />

vois que je suis un beau proton ! Ça me botte ! Je me souviens de ce moment<br />

avec une sorte de bonheur, c’était quand Dieu était Dieu, j’avais lascivement<br />

noué mon T-Shirt de manière à ce qu’il dévoile mes hanches, mon nombril et la<br />

naissance de mes seins et il l’avait dit, “Tu es un beau proton”, il l’avait dit d’un<br />

air électrifié, même que j’en étais restée… médiévale, baboum151 , sans défense.<br />

À ce moment, vous savez, j’étais sûre de baiser prochainement l’Être suprême,<br />

149 Il doit s’agit de Frédo Nietzsche, NdEprplx<br />

150 Savonarole brûlait des femmes et Schopenhauer brûlait pour des femmes qu’il pensait<br />

hors de sa portée. S’il avait su… Surprenant que Mélissa n’ait pas ajouté ici sa fameuse notion<br />

de bransle bas de con bas NdEintrg<br />

151 Amplement commenté dans Jolene et autres. NdTexd<br />

176


je devinais ses ardeurs, je pressentais son émoi au contact de la vie, je me<br />

sentais… branchée sur l’infini. Mais non, ça n’est pas arrivé, je viens de vous<br />

sortir un tas d’horreurs sur les mecs (et ils le méritent) mais vous pouvez me<br />

regarder de haut : j’ai loupé le meilleur, le plus grand, le Fondateur dont je rêve<br />

d’ébransler les fondations. D’un autre côté je suis maintenant avec Jacques et,<br />

c’est le sujet de ce discours, je suis amoureuse, enfin je crois que c’est de ça qu’il<br />

s’agit. Suis-je diminuée ou doublée ? On disait beaucoup avant Evène que la<br />

magie amoureuse réduisait un couple à une seule entité. Laquelle ? Qui, des<br />

deux, absorbait l’autre ? C’est totalement barbare. Comment un homme peut-il<br />

grandir à ce point dans la vie d’une femme ? Je me sens divisée par zéro… J’ai<br />

très peur de pénétrer dans la tribu des imbéciles heureux. Déjà que, avec Dieu,<br />

j’avais été nulle : j’avais tenu chez Dominik’s à découper moi-même des tranches<br />

de sa tarte maison et à les lui présenter dans les plus jolies assiettes que j’avais<br />

pu dénicher. Comme si on était en ménage, je n’en revenais pas de constater à<br />

quel point ça me plaisait. Pour être honnête j’avoue (et croyez-moi, ça me coûte)<br />

qu’avec Des Ombres je me sens pour la première fois de ma vie liée, reliée,<br />

attachée et même engagée. Irais-je jusqu’à dire grandie ? Non, il me faudrait au<br />

moins cinquante pages supplémentaires de râles pour l’admettre. Lui et moi<br />

nous sommes… bien. Voilà, le grand mot est lâché, on est bien. J’ai très peur de<br />

pénétrer dans la tribu des imbéciles heureux. Rien ne m’effraie plus que le<br />

statique, l’immobile, un oscilloscope qui passe à l’horizontale. Je suis une onde,<br />

une bonne onde comme disaient les anciens Mexicains. La question essentielle<br />

est de savoir si je suis douce, régulière et sinusoïdale ou carrément bruitiste… Là<br />

où je passe il y a toujours du changement. D’où mon interrogation profonde,<br />

savoir si j’apporte un ordre féminin ou si mon féminin essentiel dérange le<br />

monde dans son immobilité. Je crois que c’est la seconde hypothèse, je fous tout<br />

en l’air mais joyeusement, je ne dérange que les habitudes, je suis sexuellement<br />

la fille la plus désirable de l’univers, adaptable à n’importe quelle forme de vie,<br />

Dieu, un requin, tout ce qui est beau, mais voici que ce moteur admirable, moi,<br />

s’arrête pour un seul homme ? J’ai très peur de pénétrer dans la tribu des imbéciles<br />

heureux. Pas possible. Et pourtant il faut que je vous confesse - de vous à moi,<br />

n’allez prêter ce livre à personne eh ? - ce que je ressens. Des Ombres, j’ai adoré<br />

ses livres pour sa vision de la femme mais je l’ai de suite détesté quand j’ai<br />

entendu sa musique. Vous voulez savoir pourquoi ? Vous pensez que c’est une de<br />

ces musiques sans queue ni tête, sans début et sans fin, sans mélodie, pleine de<br />

bruit et de discorde, lassante et imprévisible comme une poignée de musiciens<br />

en ont produit il y a environ un siècle ? Une musique de bruit ? Sans grâce, sans<br />

danse, qui ne fait pas bouger mon cul ni ces pommes lamentables qui en tiennent<br />

lieu chez vous ? Na ! Je déteste sa musique parce qu’elle me ressemble. Elle est<br />

177


carrément trop vivante et imprévisible. Est-ce avec ça qu’il m’a attrapée ? Crois<br />

pas. Mais ça a joué un rôle. <strong>Le</strong> personnage était de prime abord très doctrinaire,<br />

très sûr de lui. Vous vous souvenez des pensées qui me traversaient à Stuttgart ?<br />

Je me suis sentie écartelée entre les pôles de sa musique, illuminée par de<br />

dansantes galaxies lumineuses suraiguës et aspirée vers le temps obscur que son<br />

inconscient projetait, vers sa matière noire. C’est au fond le premier mec qui ait<br />

fatigué Mélissa, je n’aurais jamais cru qu’une musique puisse être aussi<br />

exténuante, j’étais aussi éreintée que fascinée. Je me suis rendu compte que je<br />

n’avais aucun moyen de décrire cette expérience et j’ai honteusement disparu en<br />

lui laissant, dans les toilettes de la salle de répétition, un petit mot, avec l’idée de<br />

revenir, peut-être…<br />

Avec le temps je me dis que c’est à ce moment je suis tombée amoureuse de<br />

lui. Une situation craignos car il y avait la présence de mon top 1 , cette merveille<br />

qui se prénomme Dieu. J’ai ressenti, je l’avoue, des choses étranges avec lui,<br />

en partageant sa vie. De la peur car je me savais en sursis (N’importe quand un<br />

crétin pouvait tirer la chasse et me précipiter dans un autre temps qui serait sans<br />

aucun doute moins aimable) et des sentiments de femme, ce fatras, ces lacis<br />

de quoi nous pensions nous, les filles d’après Evène, nous être définitivement<br />

débarrassées. <strong>Le</strong>s femmes de mon temps ne se torturent plus les méninges pour<br />

comprendre les hommes, elles ont trouvé dans nos zines et les pubs des médias<br />

vénusiens leur nouvelle identité et ça leur convient. Mais moi Mélissa, l’autre<br />

été, voici que je réalise que l’amour est la seule aventure intéressante. Je ne vous<br />

dis pas que je vois déjà en lui un bon père doublé d’un amant viril et du type qui<br />

descend la poubelle. Je vois une possibilité de me réaliser avec lui. Une chimie<br />

médiévale… Comme disait une piquante journaliste d’Avène 152 , la vie de couple<br />

n’est pas une sortie chez Ikea 153 et il ne suffit pas de trois vis pour monter Monsieur<br />

comme on construit son étagère. Je suis convaincue que ce temps était celui<br />

de l’incompréhension réciproque et que les hommes ne recherchaient le pouvoir<br />

que pour séduire des femmes. <strong>Le</strong>ur insécurité n’a pas diminué… La seule chose<br />

qui donnait un sens à leur vie c’était notre continent noir. Nous avons réglé ce<br />

problème mais il me semble que j’y retombe. Je ne suis pas une experte de cette<br />

époque et à vrai dire, depuis Evène, personne ne l’est. Nous avons des archives,<br />

elles sont peu consultées. Je fais partie des curieuses et j’ai noté quelques étapes<br />

du comportement féminin avant le grand changement. L’une d’entre elles est<br />

l’apparition de la dominatrice. La femme est naturellement dominante mais elle<br />

n’a jamais eu besoin de le montrer. Toutefois, il me semble bien que vers la fin<br />

des années quatre-vingt elles sont mises en scène, elles sont récupérées par une<br />

152 Isabelle Falconnier romancière in Ne partons pas fâchés, chronique, l’Hebdo, Suisse<br />

romande 2010<br />

153 échoppe scandinaze de l’époque, a disparu sns laisser de dons. NdTff<br />

178


mythologie masculine qui, par tous les moyens, veut faire penser que seule la<br />

femme dominante peut mener l’homme à la découverte du sexe et de son accomplissement<br />

absolu. <strong>Le</strong>s livres de Des Ombres en sont bourrés, les premiers<br />

du moins. Je n’ai jamais décelé cette tendance chez lui, pas avec moi. Est-ce que<br />

je lui fais peur ? Est-il trop amoureux de moi ? Cet homme est un témoin de son<br />

époque, un récepteur sensible, un branché “air du temps”. Il adorera décrire cette<br />

métamorphose guerrière des filles et des femmes avant qu’elles ne s’établissent<br />

réellement. Je dis adorera car il n’a pas encore écrit ses fichus bouquins, restez<br />

avec moi, eh ? Tout a commencé dans la mode et le cinéma. On a demandé aux<br />

filles de prendre des looks provocateurs puis, assez rapidement agressifs, guerriers.<br />

<strong>Le</strong>s Zines se sont remplis de nanas qui dardaient un œil furieux sur le<br />

lecteur, avançaient la hanche avec défi, se campaient mains sur les hanches dans<br />

le style “tu as quelque chose de plus à dire ?” et, de fil en aiguille, se retrouvaient<br />

bottées ou chaussées d’escarpins trucideurs, masquées, gantées, le cuir faisait<br />

ses ravages et il n’était pas rare de les voir cravache à la main, histoire de mettre<br />

les choses au point, histoire de dire que hors du pouvoir féminin il n’y a plus de<br />

sexe possible. <strong>Le</strong>s femmes qui suivent échappent à leurs designers. Elles prennent<br />

le pouvoir mais le prix à payer est cher : la perte de ce que décrivait si bien<br />

Clarissa. Elles tourneront vite à des statuts de tueuses ou de poupées blondes<br />

vides d’être, avides de paraître, inhabitées si ce n’est par leur sottise et la peur<br />

de vieillir. Je crois que Jacques, à ce propos, est en colère mais nous n’en parlons<br />

jamais. Nous avons à peine le temps de nous dire les choses fondamentales<br />

qui nous concernent. J’ai donc renoncé à découvrir ce que fut l’érotisme de ce<br />

moment-là, normal, je suis en mains. Comme lui…<br />

Et maintenant ? Que vais-je faire de tout ce temps qui est le nôtre ? Nous<br />

allons poursuivre cette promenade dans notre état de grâce et je vais encore<br />

lui dire qu’il est ma petite conne préférée, c’est comme ça que ça marche la<br />

tendresse, on partage tout, le présent dure et s’étire mieux que je ne pourrais le<br />

faire avec mon FemmTouch, nous sommes à chaque instant dans nos premiers<br />

élans et nous ne nous lassons jamais de nous répéter les mêmes banalités. Il y<br />

a plein de petits restos à découvrir, d’ambiances romantiques et de futileries<br />

merveilleuses. Vivre en apesanteur vous connaissez ? C’est nous ! Nous évitons<br />

autant que possible ses amis. Nous sommes allées en Toscane, à Grenade, à<br />

Ibiza, à Bruges, dans une masse d’endroits qu’il connaît bien et qui émerveillent<br />

la fille tombée du haut du Temps… Chez lui, quand le téléphone insistait on ne<br />

répondait jamais. Des fâcheux frappaient à la porte, on les ignorait, la houle des<br />

autres tentait par tous les moyens de nous séparer, on l’ignorait. <strong>Le</strong> frigo était<br />

vide et de jour comme de nuit on allait dans des endroits rares, les quartiers<br />

étrangers de Genève, chez les Latinos, les Pakistanais, les Indiens qui savaient<br />

179


nous accueillir. Vous savez quoi ? Je crois que l’état amoureux n’est que la projection<br />

intégrale des désirs de chacun sur l‘autre, un gros mensonge profitable,<br />

une dissimulation absolue de la réalité, la mise à l’écart de l’identité alterne,<br />

une énorme illusion, une fabuleuse recoloration des parties par consentement<br />

mutuel, une soupe hormonale hyperdopante, mais c’est bon, c’est super-bon !<br />

Nous marchons sur un nuage rose sans en savoir l’étendue.<br />

180


La fille de l’autre côté du fleuve<br />

(Romance, doutes)<br />

Reproduire consiste à se reproduire, c’est-à-dire à reproduire<br />

l’espèce à travers soi. On distinguera donc moins une femme d’une<br />

autre femme qu’un homme d’un autre homme : « On trouve moins<br />

de différence de femme à femme que d’homme à homme : elles se<br />

tiennent plus près de leur nature que nous de la nôtre ; la civilisation<br />

semble fortifier leurs penchants, tandis qu’elle tend à diminuer les<br />

nôtres », dit Virey. La femme, assignée à sa nature parce que<br />

reproductrice, est et reste du côté de l’espèce, et l’homme, moins<br />

prisonnier de sa tâche de reproducteur, se tourne du côté de<br />

l’individu. Ainsi, la civilisation, loin d’effacer l’écart<br />

entre les deux sexes, le perpétue, renforçant la nature<br />

chez les femme, poussant les hommes vers la culture.<br />

In La raison des femmes, Geneviève Fraisse.<br />

Des Ombres, qui était passionné de SciFi, n’avait jamais imaginé rencontrer<br />

une visiteuse temporelle. C’était arrivé, du moins à en croire Mélissa. Il y avait<br />

trop de coïncidences et d’apparitions inexplicables pour qu’il ne fût tenté de la<br />

croire. Elle se passionnait pour son époque et il se mit à rêver de la sienne, dans<br />

la mesure où leur palpitante activité sexuelle ne les absorbait pas ; ils avaient<br />

beaucoup de choses à se dire. Il ne craignait pas les paradoxes que leurs confidences<br />

pourraient créer, ce ne serait que des turbulences, un domaine qui lui était<br />

familier. Ce qu’il craignait c’était une rupture de cet état de grâce - une femme<br />

harmonie c’est l’improbable… - il avait peur que tombe une convocation soudaine,<br />

la décision du meneur de jeu, de l’autre côté du temps, qui rappellerait<br />

Mélissa, qui déciderait que rien n’était arrivé, que leur relation n’était, à l’autre<br />

face du miroir, que le jeu de deux ombres sans origine.<br />

- Tu vas écrire des livres passionnants. lui disait-elle, c’est par eux que je t’ai<br />

connu, pas par ta fichue musique.<br />

Ça l’intéressait beaucoup. Il avait suivi les cours de la Faculté des <strong>Le</strong>ttres en<br />

langues anciennes et grâce à la stupidité de ce Victor Martin, vieux professeur<br />

de grec desséché qui s’irritait de le voir également actif dans le domaine de la<br />

musique (en Suisse il est mal vu d’être pluriel) il en était sorti pour rencontrer<br />

Boulez, on connaît la suite. Mais il avait beaucoup écrit, la littérature était un<br />

peu sa maîtresse cachée, des poèmes, une pièce de théâtre, des nouvelles et des<br />

esquisses de roman. Il n’était jamais parvenu au roman car il avait peur de la<br />

181


grande forme. Une pensée de musicien ! Il s’en ouvrit à Mélissa.<br />

- C’est amusant ce que tu dis ! Écrire un roman est mon rêve mais je ne m’en<br />

sens pas capable, il faudrait maîtriser la grande forme, je n’ai écrit que des nouvelles<br />

dont beaucoup ont été publiées par la presse romande. Tu me dis que j’ai<br />

publié une dizaine de livres ? Suis-je un auteur connu ?<br />

- Sûrement pas, disait-elle en riant aux éclats. Tu as publié dix ou onze livres<br />

et tu es beaucoup trop bien pour avoir en plus la reconnaissance des milieux littéraires<br />

qui sont d’une totale mesquinerie et d’une très rare stupidité ! Ton grand<br />

fan c’est moi.<br />

- Que demande le peuple ! souriait-il. Mais… de quoi est-ce que je parle ? De<br />

musique ?<br />

- Pas tellement. On te voit diriger l’Oiseau de feu pour une Américaine<br />

qui s’appelle Jolene mais à part ça, tu n’écris que sur tes trois obsessions<br />

tournoyantes.<br />

- Puis-je savoir ? grognait Jacques qui en avait une idée tout à fait claire.<br />

- Oh ! Pas grand-chose, Dieu, les femmes et l’Amérique. Ça passe nettement<br />

avant la musique. Sur Dieu pas de commentaire, on ne le connaît pas tellement<br />

après Avène (Je mens effrontément !!!) et sur l’Amérique c’est le voile noir, personne<br />

dans mon époque n’aime s’en souvenir. Mais sur les femmes, tu sembles<br />

être le type d’homme que nous aimerions dégager de l’exil…<br />

Des Ombres partait dans un long fou rire.<br />

- Moi ? L’homme du futur ? Mais je ne suis pas riche, mes performances sexuelles<br />

sont honorables mais rien qui me place dans un livre des records et…<br />

- Tais-toi un peu, l’interrompait Mélissa, tu ignores absolument ce que les<br />

femmes préfèrent. Et j’apporte ici une réponse par la négative à ma mission, les<br />

femmes ne préfèrent pas les gros machos vantards et les mecs à prouesse de bite.<br />

Tu es un homme féminin et tu sais nous écouter. C’est ce qui nous a manqué<br />

le plus, un homme qui vive un peu dans notre durée et notre manière d’être au<br />

monde. C’est ce que j’ai ressenti en te lisant.<br />

- Et… tu es déçue ?<br />

- Pas encore, mais ça ne saurait tarder, sifflait-elle perfide.<br />

Sur quoi débutait une nouvelle empoignade dans laquelle Mélissa réprimait<br />

ses comportements de battante combative optimisée. <strong>Le</strong> téléphone sonnait ils ne<br />

répondaient pas. On frappait à la porte, ils n’ouvraient jamais, le monde tentait<br />

par tous les moyens de s’insinuer entre eux, ils le repoussaient. <strong>Le</strong> frigo était vide<br />

et la nuit était venue. Ils allaient dans la vieille ville ou dans des endroits populo<br />

comme la rue Lissignol où il y a un charmant petit troquet sans prétention. À<br />

peine Mélissa paraissait-elle qu’un serveur empressé lui trouvait la meilleure<br />

182


table du coin, Jacques suivait, peu habitué à ce milieu. Elle faisait rapidement<br />

connaissance d’une masse de gens de tous âges dont un groupe de squatters à<br />

contrat de confiance, une spécialité des socialistes de la ville. Passé le cap des<br />

apéros ils se régalaient des ardoises de viandes et poissons proposés, les frites<br />

étaient simplement sublimes (ce qui est un tour de force) et le service agréable.<br />

- Appelle-moi Schubert… soufflait Des Ombres, quand ils revenaient à Centremont<br />

en traversant le pont du Mont-Blanc.<br />

- Pourquoi ?<br />

- A vivre à ton rythme ma symphonie restera inachevée.<br />

- Je vais te ménager, rigolait-elle, mon special traitement pour petit homme<br />

sensible et fragile d’avant Evène.<br />

Ils arrivaient devant le Métropole, un vieil hôtel que la Ville de Genève avait<br />

racheté, un ancien éléphant blanc 154 , avec son bar nostalgie décoré dans les ors<br />

et rouges sombres et ses profonds fauteuils où quelques professionnelles chics<br />

traînaient. Ils se prenaient des Manhattan, la passion de Des Ombres. Et des<br />

chips mexicains.<br />

- Pourquoi aimes-tu cette saloperie ? demandait Mélissa qui se la sifflait d’une<br />

traite et en recommandait deux. L’alcool semblait n’avoir aucune prise sur elle.<br />

- Ça me rappelle un bon souvenir de bicandier, souriait Jacques, à New York.<br />

Elle ouvrait de grands yeux.<br />

- Dans le Village ? Cette maison où toi et moi étions ?<br />

- Pas du tout, au Russian Tea-room, un bistrot chic à l’époque, pas loin de Carnegie<br />

Hall, une salle de concerts tout aussi chic. J’y ai rencontré cette juive new<br />

yorkaise, Raleigh Chaffee, une des premières filles broker, après ma générale.<br />

- Bicandier, c’est quoi ? demandait Mélissa qui avait du mal à suivre.<br />

- Séducteur, baiseur, chasseur, selon la bonne fortune.<br />

- Et… Tu draguais après ta répétition générale ? <strong>Le</strong> jour du concert ?<br />

- On m’avait présenté cette fille, son sourire bourré de dents et ses longues<br />

cuissardes. Difficile de lui résister. Elle m’a initié au Manhattan et fait promettre<br />

de l’inviter aux sports d’hiver en Suisse. Je sais que ça n’a pas beaucoup de sens<br />

pour toi mais elle m’avait envoyé des signaux. J’ai dirigé ce soir-là une œuvre<br />

de Isang Yun, beaucoup trop vite en raison de l’euphorie des Manahattans, le<br />

clarinettiste solo voulait me tuer.<br />

- Il l’a fait ?<br />

154 Un éléphant blanc : se dit (entre autres) d’une réalisation imobilière prestigieuse<br />

d’initiative publique qui s’avère coûteuse et non rentable. Il y avait de beaux hôtels en Floride<br />

que l’on nommait ainsi avant que le marché immobilier ne les récupère. NdE<br />

183


- À sa manière, on a bu encore deux Manahattans.<br />

- Cette Raleigh, c’était une passante ? Une fille qui passait comme ça, devant<br />

toi, une imprévue ?<br />

- Pourquoi me demandes-tu ça ?<br />

- Il y a deux choses dont tu parles souvent dans tes bouquins.<br />

Il faisait des yeux interrogatifs.<br />

- L’une c’est voler. Il semble que tu sois un pilote passionné et que tu adores<br />

t’envoyer en l’air. L’autre c’est ce thème de la passante.<br />

- Si tu savais combien c’est masculin, disait Jacques. Ce vieux d’Ormesson<br />

l’a extraordinairement bien dit, à sa manière “Je me souviens d’une femme qui<br />

marchait dans la rue. Comment était-elle ? J’ai oublié. Je me rappelle seulement<br />

qu’elle était inoubliable 155 . Je me disais en un éclair que mon sort était suspendu<br />

à la démarche de la divinité. J’ai beaucoup rêvé à des femmes qui ne me sont<br />

apparues que le temps d’un éclair qui illumine la nuit. 156 ”<br />

- Oh ! répétait Mélissa, j’ai beaucoup rêvé à des femmes qui ne me sont apparues<br />

que le temps d’un éclair qui illumine la nuit ! Ce genre de vieux texte sublime<br />

me va droit au cœur. Il y a vraiment eu des hommes qui parlaient comme<br />

ça des femmes ?<br />

- Il y en a toujours, glissait Des Ombres. C’est un peu plus difficile quand<br />

l’une d’entre elles se parachute du futur mais c’est bien un mode de pensée<br />

masculin.<br />

- Ça c’est horriblement perdu, glissait Mélissa. Je crois que j’aurais adoré.<br />

- Il nous reste donc à voler, souriait-il, demain je t’emmène dans un lieu stratégique.<br />

Mélissa en était ravie mais elle sentait que quelque chose ne se passait pas<br />

bien pour son compagnon. Elle-même était un peu perdue. Dans le temps, avant<br />

Evène, dans l’espace et surtout dans sa relation avec les hommes. Des Ombres,<br />

ce musicien fou qu’elle avait trouvé tellement loin de la réalité, perdu dans ses<br />

songes de chimie musicale, de créations d’univers improbables, Des Ombres<br />

l’avait conquise, il s’était imposé à elle. Une dimension humaine se réveillait<br />

en elle, de l’inconnu. Baiser le monde, un requin et Dieu lui paraissait simple et<br />

lointain. Tomber amoureuse était… horriblement agréable. Elle détestait. Elle ne<br />

voulait pas que ça change. Elle ne pouvait oublier ce qu’il lui avait dit.<br />

- Tu es la fille de l’autre côté du fleuve et de l’espace. Je ne m’imagine pas<br />

155 Bravo Jean d’O ! Fabuleuse pirouette !! L’essentiel de cette Déesse de rue était effectivement<br />

qu’elle était inoubliable !!! J’arrête car les ! vont me manquer. NdA<br />

156 In <strong>Le</strong> rapport Gabriel, Jean d’Ormesson, 1999.<br />

184


vivre sans toi mais avec toi non plus. Une fille de l’autre côté du fleuve… ça ne<br />

durera pas. Je me sens déjà séparé de toi. Pourquoi es-tu venue ?<br />

Elle n’avait encore aucune réponse mais savait fort bien apaiser son angoisse<br />

et l’emmener avec elle au pays des femmes. Pour un moment heureux. Car elle<br />

savait qu’il y avait une suite à cette histoire et ce moment central tellement lent,<br />

tellement merveilleux était tout à fait imprévu. Elle réalisa que se parler était le<br />

plus important. Ils avaient sûrement des éléments de réponse. Des solutions au<br />

puzzle.<br />

Avant que ça ne reprenne.<br />

185


La révolution peut-être…<br />

(Pouvoir, solitude)<br />

Au sommet de la tour PodSex, comme chaque fin de journée, Big Mama,<br />

dont le vrai nom est Laurence Laceras alias Personne, verrouilla les accès de<br />

son bureau et s’installa dans son fauteuil, fatiguée, inquiète. Elle abusait des<br />

chrono stabilisateurs, une drogue qu’Hannelore lui apportait trois fois par jour.<br />

Elle se défit de son aspect directorial, se fana. Malgré son physique de femme<br />

PDG française ou nordique c’était une Latina dont le comportement entier était<br />

fondé sur la compétition et la colère. Elle n’y pouvait rien, blessure d’enfance.<br />

Elle avait peur des autres, parvenait à le cacher.<br />

Son goût maniaque d’ordre, de bureaux nets, de surfaces vides, de cuir blanc,<br />

de chromes, de murs nus et de présentations parfaites et impersonnelles masquaient<br />

son angoisse permanente. On l’eut, avant Evène, classée dans la catégorie<br />

du sadique annal, les maniaques du pouvoir. Ce n’était pas tout à fait juste. <strong>Le</strong><br />

pouvoir lui permettait de tenir le monde à distance mais ça ne durait pas. Savoir<br />

comment satisfaire <strong>Le</strong> Sarkodile lui avait donné accès à la direction de PodSex.<br />

Elle avait planqué assez d’archives dans l’hyper NetSpace pour se croire en<br />

sécurité. Son comportement avec ses subordonnées restait pourtant nuancé, on<br />

ne change pas une équipe efficace, elle terrifiait les filles de la rédaction mais ne<br />

les éliminait pas.<br />

Elle les utilisait, les pressait.<br />

<strong>Le</strong>s images noires, les hantises qui la tourmentaient remontaient de ses propres<br />

abysses. Elle possédait un don avec lequel vivre en paix n’était pas facile.<br />

Elle sentait le Temps. Plus exactement le sens du temps et de ses méandres. Ce<br />

don de voyance eut été apprécié chez les anciens Grecs car, à la manière d’un<br />

oracle, elle voyait des probabilités autour d’elle et distinguait toujours la plus<br />

forte. Sans pouvoir la nommer. Ce n’était ni des nombres ni des mots ni des<br />

voix, c’était une sorte d’onde, quelque chose de plus brillant, de plus lumineux,<br />

de plus “premier plan” dans cette vision intérieure à laquelle elle accédait sans<br />

jamais la contrôler. Elle ne serait jamais, par exemple, montée dans un avion<br />

destiné à tomber ni entrée dans une pièce où un tueur l’attendrait. Inutile de<br />

préciser que ce don avait été très vite repéré par <strong>Le</strong> Sarkodile qui l’utilisait au<br />

maximum.<br />

Laurence avait été la première à déceler une torsion de l’écoulement tempo-<br />

187


el autour de Mélissa. Elle visualisait le temps sous l’aspect d’un fleuve large<br />

franchissant une dénivellation, une barrière de discontinuité. <strong>Le</strong> flux calme et<br />

majestueux se divisait soudain, entre de grandes zones calmes d’écoulements<br />

des turbulences apparaissaient et certaines devenaient plus vives et foisonnantes<br />

que d’autres. Certaines prenaient une allure furieuse mais ce n’est qu’un mot<br />

humain.<br />

Laurence, si elle avait pu refaire sa vie et étudier - elle n’avait que peu de titres<br />

ou de diplômes - aurait voulu être physicienne et se plonger dans la mécanique<br />

des fluides. Plus jeune, elle pouvait passer des heures au bord de l’eau à contempler<br />

les mouvances d’un rio et les mondes éphémères qui s’y créent. <strong>Le</strong>s vortex<br />

les plus agités la fascinaient. C’était cette partie de l’écoulement qu’il fallait<br />

observer, ça disait quelque chose des mutations en cours. Elle ne rêvait que de<br />

s’asseoir au bord d’une eau furieuse et d’en suivre longuement l’inconnaissable<br />

chemin des turbulences. C’était la seule forme de beauté qu’elle comprenait et<br />

respectait. Sa pugnacité et une forme assez rare de frustration sexuelle l’avaient<br />

menée à diriger un petit empire, PodSex. Sous le nom progressivement formé de<br />

Big Mama Wolverine. BMW.<br />

Peu à peu elle avait saisi le rapport existant entre l’écoulement des fleuves et<br />

du temps. C’était pareil. Pourquoi ? Et en quoi cela concernait-il Mélissa ? Elle<br />

n’en avait aucune idée, il y a des filles qui font bouger l’espace, celle-là faisait<br />

bouger le temps, c’était la seule. L’ennui était qu’elle décelait des tendances<br />

mais n’avait aucun moyen de les étudier. Comment explique-t-on une tornade<br />

temporelle ailleurs que dans les films américains de fiction d’avant Evène ?<br />

Elle respira à fond et ouvrit son esprit au phénomène Mélissa. Cette fille était<br />

super-brillante et quelque chose en elle exerçait un pouvoir d’attraction sensuelle<br />

qu’aucune des autres filles ne possédait. La personnalité de Mélissa lui<br />

avait été insupportable dès le début mais elle n’avait jamais réussi à étouffer ses<br />

rires communicatifs, son talent et ses comportements sexuels exubérants. Elle<br />

ne croyait pas à ce qu’on lui rapportait de sa journaliste la plus brillante. Elle<br />

la haïssait mais au fond - elle ne l’aurait pas reconnu sous la torture - elle en<br />

rêvait, elle la désirait. Elle rêvait de la posséder ou… d’être engloutie en elle.<br />

L’admettre lui avait coûté un terrible effort. Elle tenta de comprendre pourquoi.<br />

La réponse était assez simple, une attraction de contraires. Laurence aimait se<br />

mettre en scène sous les apparences du métal et de la glace, de la rigueur et de<br />

la domination, Mélissa était un feu féminin doux, une lumière chaleureuse, ses<br />

éclats de rire étaient aimés de tous, elle était une promesse de plaisir, elle était…<br />

poreuse, on pouvait se fondre en elle.<br />

Et subitement Laurence saisit leur relation de monde à monde, de celui où<br />

188


elle régnait et de celui que Mélissa portait en elle. La liberté. C’était carrément<br />

chiant. L’univers du Sarkodile et de PodSex était un univers de haute définition,<br />

il n’y avait aucune place pour ce qui n’émanait pas du système. <strong>Le</strong> Zine PodSex<br />

mentait à ses lectrices, chaque page était conçue pour les aliéner un peu plus,<br />

pour les plonger dans un monde totalement virtualisé et générateur de profit,<br />

pour effacer un réel que personne ne pouvait supporter, pour suppléer au défaut<br />

général d’idéal et contenir l’éternelle lutte des classes.<br />

Mélissa était, sans le savoir, un élément révolutionnaire, elle était l’inverse du<br />

système. La liberté. La révolution peut-être… Cette opposition, incarnée en deux<br />

femmes proches dans une époque très instable était explosive. Car Laurence<br />

Laceras (son nom ne sera plus prononcé) avait compris un aspect de l’énergie de<br />

Mélissa. Celui de modifier autour d’elle la vitalité des turbulences, les destinations<br />

des vortex, leur durée de vie, les fronts d’ondes de probabilités.<br />

Une fille modulante peut changer le monde.<br />

BMW s’en était déjà ouverte au Président qui l’avait très mal pris. Son avenir<br />

politique était incertain, si en plus il y avait à proximité une bouscule-temps son<br />

déclin devenait inévitable. Il avait demandé que l’on exécutât Mélissa dans les<br />

machines temporelles.<br />

Ça n’avait pas marché.<br />

189


Du bon usage de la pieuvre<br />

(Romance et bibliothèques)<br />

Avec Jacques, on échangeait nos tendresses, nos désirs mais aussi nos souvenirs<br />

et connaissances : je me suis aperçue qu’il avait en lui une vaste bibliothèque<br />

ou un ensemble de vastes bibliothèques. À se demander comment il pouvait<br />

vivre avec, comment ça ne l’étouffait pas ! Ce matin-là on devait prendre<br />

son avion et monter au sommet du Mont Blanc mais le vent du Nord s’était levé,<br />

de 12 à 19 nœuds sur la piste genevoise et avec l’effet de Venturi des montagnes<br />

proches, 25 nœuds de travers sur la petite piste française d’Annemasse où nous<br />

étions censés revenir. La montagne, disait-il, est traîtresse quand ça ventile trop<br />

fort et aucune raison de se faire balayer à l’atterrissage.<br />

Pour éviter les sujets trop lourds je lui ai raconté la fin de la grande rave lesbienne,<br />

juste avant que j’utilise mon amazonite. Elle était où celle-là ? Aucune<br />

idée, je crois que Dieu l’avait reprise en échange de mon FemmeTouch, version<br />

améliorée, un upgrade système XII avait-il dit, çui-là…<br />

Jacques avait adoré mes ébats érotiques avec le requin mais pensait que j’avais<br />

été la seule à jouir. Il n’avait aucune idée de la fille interface sexuelle universelle,<br />

la donneuse universelle. Je n’avais pas envie de lui parler de cet aspect de<br />

ma petite personne. À ses yeux je m’étais comportée en agitée de la moule, en<br />

fille oversexed 157 qui prenait ses désirs pour une réalité évidente à chacun, en<br />

clair que je me faisais du cinéma. Bien sûr quand je le prenais en moi et que je<br />

contrôlais son orgasme de longues heures il ne doutait pas une seconde de mon<br />

identité de Déesse vagin cosmique mais - ces pauvres hommes ! - il retombait<br />

souvent dans l’état d’animal déprimé après la baise. 158<br />

Bref je lui avais raconté le spasme brutal du squale mais pas la manière dont<br />

j’avais démasqué et éliminé Niki. Je le fis avec prudence car je ne tenais pas<br />

plus que ça à lui dévoiler mes talents de tueuse. Niki, donc Cannelle, était une<br />

157 Se disait aux USA d’une fille qui ne sent rien (frigide) et en redemande sans cesse,<br />

Aujourd’hui nous devons reconnaître qu’il y a progrès et que si les Américaines ne sentent<br />

toujours rien elles n’en redemandent plus. NdT<br />

158 Allusion très probable au fameux Post coïtum animal triste. NdT<br />

191


traceuse, une tête chercheuse mal intentionnée, le genre seek and destroy 159 , personne<br />

d’autre au monde que mon ex-patronne n’aurait pu l’envoyer sur mes<br />

traces à des fins hautement malveillantes. Avant la fin de cet épisode je lui ai brisé<br />

les reins, tout en ayant l’air de l’embrasser tendrement. On nous apprend ça à<br />

PodSex. <strong>Le</strong>s filles ont toutes cru à une pâmoison amoureuse, j’en étais débarrassée<br />

mais je ne doutais pas une seconde qu’une autre traceuse suivrait et, si vous<br />

voulez mon impression, ce serait le modèle au-dessus, Dagmar l’entraîneuse ou<br />

peut-être même Hannelore la vicieuse. J’entrepris de narrer par le détail à mon<br />

compagnon ma douce relation amoureuse avec la grande pieuvre bleue.<br />

À ma grande surprise il connaissait tout de cette technique.<br />

- Ne me dis rien, m’a-t-il interrompue, tu lui as donné le bras, non ?<br />

C’était juste mais comment le savait-il ?<br />

Il m’expliqua qu’il avait été moniteur de plongée en Espagne, dans une propriété<br />

de famille où il était allé de nombreux étés. L’un de ses grands plaisirs<br />

en plongée était d’aller trouver une pieuvre et de la prendre sur son bras. Il se<br />

plaisait à croire qu’il visitait la même pieuvre et qu’ils avaient noué une relation<br />

de complicité. Personne n’avait tenté de le contredire. Il éprouvait une grande<br />

affection pour ces êtres sensibles et incompris.<br />

“Elles n’aiment pas nager en pleine eau” me glissa-t-il. Si tu es habile elle<br />

s’accroche à ton bras. Il la caressait doucement jusqu’à ce qu’elle change de<br />

couleur et qu’il puisse comprendre qu’elle n’avait plus peur de lui, qu’elle n’était<br />

plus en colère. Il faut savoir que les pieuvres ont été les grandes victimes des<br />

imbéciles balnéaires qui les tuaient de manière horrible quand ils pouvaient les<br />

attraper. Ça mettait Jacques dans une rage incontrôlable et lui et son ami Ethan,<br />

un grand costaud, avaient cassé la figure à des touristes français qui s’amusaient<br />

à ça, mais on ne peut pas liquider tous les cons. Je n’ai pas eu besoin de lui<br />

raconter la suite de mon histoire d’amour avec la grande bleue, j’avais évidemment<br />

localisé son tentacule reproducteur et je l’avais tendrement et très progressivement<br />

masturbée devant les filles ébahies.<br />

- Ah ! commenta mon Top 2 (qui usurpait la première place ces temps) donner<br />

le bras à une fille ! Sais-tu que je pourrais te faire vivre une expérience géniale ?<br />

Te mettre en état de plaisir et de vie suspendue ?<br />

J’étais toute ouïe…<br />

159 Seek and destroy : Ces merveilleux Américains ! Ils avaient inventé les armes intelligentes<br />

(autant qu’eux) qui savaient chercher et détruire l’Autre. On se demande si un jour leurs lointains<br />

descendants mettront au point les modules seek and love ? NdA<br />

192


- Je peux te retourner le vagin, dit-il, et mettre tous tes organes à l’air. Tu vas<br />

entrer dans une hibernation provisoire et quand je te retournerai une seconde fois<br />

tu renaîtras dans le plaisir et l’oubli de ce que je t’ai fait. Pas mal, non ?<br />

Ce qu’il était chou ! J’en étais baboum. Des Ombres n’était pas du tout le mec<br />

coincé perdu dans ses structures sonores tel que je l’imaginais à Stuttgart.<br />

- Qui t’a appris ça ?<br />

- Oh ! Je ne l’ai jamais fait, c’était un vieux peintre idiot et alcolo que je<br />

croisais dans la vieille ville qui s’en vantait, ça m’a amusé. Mais il me semble<br />

qu’il restait un troisième aquarium géant dans ton histoire ?<br />

C’était vrai, celui de l’hippocampe. Nous ne sommes pas parvenus à en parler<br />

car un détail dans ma narration l’a fait réagir. Ce texte étrange qui revenait<br />

quasiment à chaque épisode de mon aventure.<br />

- Quels étaient ces mots qui te traversaient l’esprit ? Que lui avais-tu susurré<br />

au creux de l’oreille ? insista-t-il.<br />

Je me mis en résonance avec mon FT, me découvrir en fille digitale (même<br />

provisoirement) l’eut déstabilisé, et lui récitai mes propres paroles.<br />

j’ai heurté, sais-tu Salope, d’incroyables Florides<br />

couvrant de sperme tes jambes de panthère à peau douce !<br />

Oh ! les filles-en-ciel tendues comme des brides<br />

sous l’horizon des modes,<br />

en de lents défilés.<br />

Ça lui fit un effet pas possible.<br />

- D’incroyables Florides ! Mais… mmmm, mèmèmais, suffoqua-t-il, d’où<br />

tiens-tu ça ? Sais-tu seulement ce que tu plagies ? Et déformes ?<br />

Je n’en avais aucune idée, comme toujours, (à propos, c’est fou ce que ces<br />

deux mots “aucune idée” reviennent dans ce récit, vous ne trouvez pas ? À vue<br />

de nez de vingt à trente fois ! Ne suis-je qu’une étourdie ? Juste douée pour baiser<br />

tout ce qui peut l’être ? Rien de plus qu’un pauvre vagin cosmique égaré dans<br />

une histoire sans chatte ni tête ? Surveillez-moi, j’en ai besoin !) Des Ombres, de<br />

son côté, poursuivait.<br />

- Ce que tu cites - et déformes - est un poème célèbre. Ce n’est rien de moins<br />

que le Bateau ivre de Rimbaud ! Toutes mes amours de jeunesse. Que diable<br />

vient-il faire là-dedans ? Incroyable !<br />

Moi, je connaissais la réponse. C’était simple, c’était le même moteur depuis<br />

le début. L’identité de quelqu’un m’envahissait et j’ignorais pourquoi. Dire que<br />

193


c’est le connard qui écrit ce livre est trop facile. C’est bon pour les demeurés<br />

de la critique et de la mise en abyme, s’il en reste. J’étais une fille sur un échiquier<br />

et quelqu’un me jouait. Imaginez une fille d’échecs : on connaît le fou et la<br />

Dame. Mais une pièce qui serait une fille, une fille centrale, serait d’une importance<br />

vitale pour le joueur masqué.<br />

<strong>Le</strong> Bateau ivre s’était faufilé dans mon histoire ? Des Ombres aussi. Sans parler<br />

de mon divin copain. Ah ! Si seulement je pouvais revenir en arrière, marcher sur<br />

Denfert en direction d’Acapulco et ne pas être abordée par ce vieux Monsieur si<br />

charmeur. Mais seulement voilà… les choses étaient en route et j’étais une pièce<br />

maîtresse dans je ne sais quelle partie. La bonne chose était que, probablement,<br />

le poème rimbaldien allait cesser de faire eau dans ma vie.<br />

Je pris une bonne décision et, pour la première fois, me laissai aller à jouir<br />

seule, sans retenue, tout contre lui, ça m’a soulagée. Manque de pot j’ai viré fille<br />

fontaine et il a eu l’avant-bras trempé. Je vous raconte la suite plus tard.<br />

Si le connard qui joue cette partie me laisse un peu en paix.<br />

194


Je m’appelle Sally Willard<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VI : Rechute)<br />

Aspirée et recrachée soudain par une moule cosmique et gluante ma chute ne<br />

dura rien de mesurable et je me retrouvai vêtue, allante et briefée dans le décor<br />

typiquement prétentieux du vieil Empire décadent.<br />

- Mademoiselle Sally Willard, nasilla un HP invisible, M. Fuld va vous recevoir.<br />

Impeccablement moulée dans mon ensemble SS d’Armani (Strict N’Sexy, le<br />

trend absolu), chaussée de Manolos à talons vertigineux, trimballant négligemment<br />

un microlaptop dans une série très limitée de sacs HermèsAphrodite, maquillée<br />

comme une pute standard de la haute société new-yorkaise je me laissai aspirer par<br />

une porte soufflante dernier cri qui me transposa au sommet de Manhattan, dans<br />

un endroit plus haut que feu les tours jumelles (des mochetés dont tout le monde<br />

avait songé à se débarrasser), plus luxe que les résidences du cheik impuissant et<br />

fou de Dubhai, plus glacial que les fesses d’Hannelore, plus “plus” que tout ce<br />

qui peut s’acheter et m’avançai sans hésiter vers la plus sale gueule qu’il m’ait<br />

été donné de voir dans ma brève et innocente existence, M. Richard Fuld en<br />

personne. Ce petit homme avait un parcours très énergique, diplômé en sciences<br />

et lettres de l’université du Colorado, il s’était lancé dans l’armée de l’air pour<br />

une carrière du type Top Gun, laquelle s’était brutalement achevée quand il avait<br />

assommé son officier supérieur, ne contrôlant que mal son agressivité. Entré<br />

chez <strong>Le</strong>hman Brother, à une époque où des coursiers transportaient encore les<br />

ordres de transaction dans des sacs de toile d’une banque à l’autre, les ordinateurs<br />

étaient rares, il s’était fait remarquer dans le milieu pour ses aptitudes à être l’un<br />

des premiers traders virtuoses de l’informatique et parvint finalement, à force de<br />

coups bas, de veuleries et d’assassinats sociaux, à la présidence de cette banque<br />

devenue mythique. Tout dans le personnage suait l’agression, son petit front<br />

bas, une mâchoire prognathe, la bouche méprisante et des yeux à la fois durs et<br />

fuyants. Ce mec faisait des efforts énormes pour me regarder de haut, le sourcil<br />

droit relevé façon méphisto.<br />

Inutile de se lancer dans une dissertation sur ce Y chromosome, un tel mec est<br />

une erreur de la nature, un monstre taillé pour la jungle humaine, un tueur, du<br />

moins pour ceux qui acceptent de jouer son jeu ou qui n’ont pas le choix. Si je<br />

n’avais pas été en mission, je n’en aurais fait qu’une bouchée avant de passer ses<br />

restes à l’incinérateur électronique repéré dans un coin de son bureau.<br />

195


Je me suis dit que même BMW aurait pu prendre des leçons de mégalomanie<br />

avec ce type. On aurait facilement manœuvré une Hummer LG 160 sur la moquette,<br />

installé sous les baies vitrées deux solariums pleins d’espèces en voie de<br />

disparition et produit assez d’énergie électrique pour le quartier des affaires et<br />

électrocuter ce con rien qu’en y laissant traîner quelques panneaux solaires.<br />

<strong>Le</strong>s briefings divins ont du bon, pas besoin de bosser, tout est en place. Je<br />

m’appelle Willard, je suis une fille riche d’une bonne famille juive de Boston,<br />

villa à Cape Cod, usine de textiles en Italie, résidences secondaires à Crans Montana<br />

et Saint Barthes, études de droits, tous les diplômes et masters genre business<br />

que l’on peut avoir à produire pour entrer dans ces repaires ; j’étais responsable<br />

de la mission “In God We Trust” qui devait être quelque chose d’importante et<br />

mon dossier était béton. Je n’avais même pas besoin de dissimuler mon Femme-<br />

Touch en m’approchant. Dieu, ce malicieux personnage, l’avait - passant outre<br />

à mes interdictions - une fois de plus amélioré et il résidait dans mes ridicules<br />

obus frontaux mammaires, ces cônes de silicone que les femmes de cette époque<br />

ont été obligées de porter pour avoir droit de cité dans la civilisation des mâles<br />

américains. Mon divin copain était passé maître dans l’art de me fournir des<br />

ponchos et des couvertures !<br />

Faisant mine de me caresser les seins j’activai la fonction tune up 161 et aussitôt<br />

me mis à chanceler. Je venais, une fraction de seconde, d’entrer dans le mental<br />

de la chose Dicky Fuld. Plongez dans un bain de merde, de la bonne diarrhée<br />

puante, fade et jaunâtre, rincez-vous avec le sang de quelques enfants sous-alimentés,<br />

lâchez des bombes incendiaires sur des Irakiens et des pauvres gens en<br />

général, parfumez-vous le cul et l’haleine à la pisse de Saint-père et vous vous<br />

sentirez encore clean par rapport à ce que je venais de frôler et qui porte un nom,<br />

l’abjection, mais il y faudrait encore beaucoup de compléments. Je repris mes<br />

esprits et détectai une présence dans un coin sombre.<br />

C’était un vieux type sans charme qui se présenta sous le nom de Madoff.<br />

Un pappy. Je m’empressai de tester mon aura sexuelle sur les deux hommes et,<br />

pour Fuld, ne récoltai qu’une sorte de bruit blanc. Chez le vieux Juif usé rusé il<br />

y avait du signal, mais tellement dégradé ! Ça n’allait pas me faciliter la tâche,<br />

j’étais privée de mon arme essentielle, le désir. Je pris note de l’incompatibilité<br />

qui existe entre mon interface sexuelle universelle et les obsédés du profit.<br />

J’attendis quelques éternités car le maître des lieux se livrait à une démonstration<br />

de pouvoir. Il écrasa quelques assistants, terrorisa un peuple de secrétaires<br />

et d’exécutives et lâcha plus d’obscénités dans son téléphone que je ne saurais<br />

vous le rapporter ici. Ça ne m’impressionnait pas outre mesure, j’avais le senti-<br />

160 Une Hummer Last Generation, le modèle dément qui était en production quand les<br />

usines de 4*4 sont tombées en faillite. NdAtcnt<br />

161 Tune up : angl. accorder, s’accorder<br />

196


ment de me retrouver chez moi… enfin, dans l’antre de Big Mama qui pratiquait<br />

le même style. Ça m’intéressa beaucoup de constater que ce comportement<br />

d’avant Avène avait survécu. C’était quelque chose de lié au pouvoir de l’argent<br />

et très incompatible avec le sexe et même… la vie. Toutes ces marionnettes<br />

étaient castrées par leur soif d’argent. Ça tombait bien, ils n’étaient pas du tout<br />

mon genre.<br />

Fuld, finalement, vint vers moi et fit la grimace. Il me trouvait trop grande<br />

pour son cinoche habituel, je pouvais lire ça dans les deux billes dures qui lui<br />

servaient d’yeux, je réprimai l’envie de gentiment lui écraser la pomme d’Adam.<br />

Avec une lenteur savoureuse.<br />

- Tout ce qu’on vous attend de vous, Willard, c’est de transmettre une liste<br />

de dates et d’actions dans le bon timing tout en restant invisible, me dit-il d’une<br />

voix cassante. C’est très sensible. Pour le reste vous fermez votre gueule, vous<br />

resterez en vie et vous aurez droit à un bonus quand tout sera terminé.<br />

Madoff sourit.<br />

- Fini… et prêt à repartir, ajouta-t-il avec une grande douceur.<br />

Sensible ! Chez ces gens-là, sensible ne signifie jamais compréhension, douceur,<br />

finesse, empathie, amitié, ça équivaut à mortel, argent, méchant et tueur.<br />

Sur quoi je suis entrée en phase avec… mon moi profond. Ça vous épate ?<br />

Moi aussi. J’étais sans aucun doute, dans ce bureau, aux origines de la crise qui<br />

a fait chuter l’Amérique et le monde financier international quelque part avant<br />

Evène. Ces pauvres types étaient-ils vraiment les auteurs d’une modification<br />

planétaire ? J’en doutais, la réponse devait absolument être plus globale. Ce qui<br />

me dépassait et me faisait enrager c’était cette constante référence à l’Amérique.<br />

Pourquoi s’empoisonner l’esprit avec ce pays de voyous et de cons ? <strong>Le</strong> temps<br />

se figea et Dieu entra, sans se presser. Par la porte ! Il devenait Ciel à Terre mais<br />

je gardai cette réflexion pour moi.<br />

- Tu es en mission, constata-t-il. Ce n’est pas le moment de rêver.<br />

Chose curieuse je le trouvai à nouveau sexy. Ça me fit du bien. Il devait avoir<br />

effacé quelque chose de ma mémoire car il me rappelait quelqu’un et j’avais<br />

le sentiment d’être provisoirement purgée de mes souvenirs. Je me suis fait la<br />

réflexion que si on faisait un livre de mes aventures on pourrait l’intituler les<br />

Palinodies de Mélissa. Ou même Méli-Mélo-Mélissa… Je ne cessais jamais de<br />

changer d’avis, de température et d’état sexuel.<br />

197


De leur côté Fuld et Madoff étaient frozen 162 et ne bougeaient pas d’un poil,<br />

ils devaient être proches du zéro absolu (sur le plan humain ils l’étaient depuis<br />

longtemps). Je me tournai vers mon Copain Majuscule.<br />

- C’est mon sixième saut et je me pose une question. À part Des Ombres que<br />

tu m’envoies voir à un moment de sa vie où il travaille en Allemagne, tout se<br />

passe en Amérique. Pourquoi ? J’en ai marre ! Ce foutu pays n’est pas le centre<br />

du monde. Il pue, il est décadent, méchant, dangereux. Que va-t-il se passer<br />

d’important ici ? Quel rapport avec Avène ? Quel rapport avec mon temps… (je<br />

pris une toute petite voix) et quel rapport avec moi ?<br />

- Oh pas grand-chose de neuf, fit <strong>Le</strong> Fondateur, Ces gens s’apprêtent à créer<br />

de la misère, une fois de plus. Mais ce que tu nommes Evène ou Avène n’aura<br />

pas lieu en Amérique, au point où tu en es, je puis te le révéler.<br />

- Mais ça n’a rien de nouveau, protestai-je, je…<br />

- Tais-toi donc un instant dit-il (la force souriante qu’il avait !) je n’ai pas<br />

terminé avec ça. Tu sais à quel point je dépends du réservoir des âmes. Tu connais<br />

l’histoire du Schéol, un numerus clausus bien particulier, ils vont créer de la<br />

misère et les âmes vont bouger très fort. Il se passera beaucoup de choses et tu<br />

vas douter de moi et penser que je n’aurais jamais dû le permettre. Mais en bref,<br />

Mélissa, nous sommes proches d’une secousse très violente, d’une contraction<br />

de la société, d’un acte de violence inimaginable. Dans quelques jours le monde<br />

de la finance américain va s’écrouler et emmener avec lui le reste du monde<br />

aux enfers. <strong>Le</strong>s documents que tu vas transmettre vont donner naissance à cette<br />

secousse mais ne tente rien pour l’empêcher, elle est inéluctable. <strong>Le</strong>s hommes<br />

appellent ça des bulles et des crises financières mais en réalité un très petit nombre<br />

d’entre eux les organisent pour s’enrichir. L’argent est mon véritable ennemi,<br />

il vit, se déplace, mute et règne tout autour de l’humanité, je n’avais pas prévu<br />

son existence, tu peux le nommer Mal mais tu ne peux le combattre avec des<br />

moyens ordinaires.<br />

Je me taisais mais je commençais à penser que je me trouvais enfin aux origines<br />

d’Evène. Était-ce de ce bureau que tout allait partir ? La finance avait-elle<br />

tant de pouvoir ? Et pourquoi faire de moi une coursière de l’apocalypse ?<br />

Comme toujours il me lisait.<br />

- La secousse sera très violente, dit-il d’une voix assez basse. Ceux qui<br />

l’organisent en profiteront pour être encore plus riches. Mais ne penses pas être<br />

témoin de la fin de ce monde, Mélissa. Il ne faudra que peu de temps pour que le<br />

162 Frozen : gelés, par analogie avec une image arrêtée dans un film.<br />

198


système se renforce et paradoxalement, ces banques, ces pouvoirs impitoyables<br />

passeront aux phases suivantes. Ils s’attaqueront aux États eux-mêmes et en<br />

feront leurs valets. La démesure sera incroyable, d’un point de vue humain. Il y<br />

aura encore beaucoup d’autres phases, les pays eux-mêmes seront attaqués et,<br />

contrairement à ce que tu dois penser, je connais les grandes lignes de l’avenir<br />

mais je ne sais pas où ces malfaiteurs seront stoppés. Je crois qu’ils ne le seront<br />

jamais ou alors qu’il faudra que se lève un Mal aussi terrifiant que celui<br />

qui les habite et que tout se termine… Je ne sais comment te le dire, je ne suis<br />

qu’un aspect de l’acteur des Origines, tu le sais. Oui, tu es peut-être aux origines<br />

d’Evène mais sache une chose, ce n’est pas ton ultime voyage, tu devras<br />

découvrir encore d’autres réalités, il est bien possible que tu sois la solution à<br />

cette horreur, il est très possible que tu sois un livre en train de s’écrire et que je<br />

ne sois que ton guide, ce que je sais c’est que tu es La Vie, comment fais-tu ça ?<br />

Aucune idée ! Mais seule la vie peut donner naissance à un chaos suffisant pour<br />

changer ce monde, elle seule peut impulser un vortex changeur, je crois qu’on<br />

ne te demande pas grand-chose en fait, juste ce qu’on attendait de moi à chaque<br />

occasion, un miracle, ça s’appelle comme ça.<br />

Il se tut pensif. Je ne vais pas vous dire qu’un ange passa en rase-mottes entre<br />

nous, je n’avais pas envie de plaisanter, j’étais choquée. Et si vous ne me croyez<br />

pas, je vous dirai simplement que je n’avais plus aucune envie de baiser mon<br />

divin copain. La planète humaine allait se fissurer, sous l’action de quelques<br />

pauvres cons, mais la planète Terre allait peut-être suivre. Il n’y avait pas de<br />

bons échos de ce côté-là non plus. Jamais je n’aurais imaginé qu’un jour je serai<br />

porteuse de fin du monde et que mes pulsions, si belles, ne serviraient à rien, que<br />

je ne résoudrais pas les tensions grandissantes du monde avec des petites choses<br />

simples, mon string qui fait normalement beaucoup d’effet aux filles (et même<br />

aux hommes) ou encore un de ces sourire comme je sais les balancer. On avait,<br />

à mon avis, un aller simple pour Désastre Land…<br />

Dieu ouvrit la bouche et là, miracle des miracles, je réussis à lui couper la<br />

parole. J’allais sûrement me faire appeler Ishtar ou Linn 163 pour ça.<br />

Je me suis laissé aller, j’ai coulé. Je lui ai parlé de ces choses essentielles qu’il<br />

connaît mieux que tous, la beauté du monde, nous, l’envie de vivre, le soleil.<br />

Des questions m’obsédaient : pourquoi rien dans cette histoire ne se passe-t-il<br />

dans un petit mas de Provence ? Où à Naples ? La lumière y est si belle, ou même<br />

163 Ishtar grande déesse mésopotamienne (son autre nom est Inanna) et Linn qui serait<br />

l’un des noms de Lilith, en gros “femme mal vue du Seigneur”. NdTtp<br />

199


dans Forêt-La-Noire l’arrogante quand vient la nuit ? En Espagne, avec son parfum<br />

unique et ses architectures magiques, dans ces décors anciens où quelque<br />

chose d‘essentiel peut apparaître ? Pourquoi parler de ce pays sans âme où tout<br />

est cheap ? Que faisions-nous de nos pentes de neige et de leur pureté, de nos<br />

grottes magnifiques dans lesquelles des arbres sont pétrifiés, tiens, par exemple,<br />

pourquoi rien, jamais, ne vient-il de cette petite île de montagne où le flux où<br />

le reflux des vagues tranquilles est venu bercer un rêveur, suppléant à toute autre<br />

attente ? <strong>Le</strong> murmure de l’eau fixe leurs sens et chasse toute agitation, qui<br />

pense à l’argent ? <strong>Le</strong> flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par<br />

intervalles frappant sans relâche les oreilles et mes yeux, suppléent aux mouvements<br />

internes que la rêverie éteignait en moi et suffisent à me faire sentir avec<br />

plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre me vient<br />

quelque faible et courte réflexion sur l’éternité de la jouissance des choses et de<br />

ce que ce pays ne sait point en jouir ! Il m’est impossible de songer à cette beauté<br />

sans me sentir à chaque fois transporté encore par les élans du désir. J’ai remarqué<br />

dans les plaisirs de ma vie que les époques des plus douces jouissances et<br />

des plaisirs les plus fous sont celles dont le souvenir m’attire et me fait exister le<br />

mieux. Ces longs moments de délire et de passion, quelques vifs qu’ils puissent<br />

être ne sont pas que des points bien clairsemés dans la ligne de ma vie. Ils sont<br />

trop justes et trop vifs pour ne pas amplifier l’état de plaisir. Un état simple et<br />

permanent dont la durée accroît le charme au point d’y trouver enfin la suprême<br />

félicité. Tout est dans un flux continuel sur la terre. <strong>Le</strong> monde n’est que bransloire<br />

pérenne, je n’existe que par ceux que j’ai révélé au plaisir et d’eux rien ne<br />

garde une forme constante et arrêtée, et nos pulsions grandissent qui s’attachent<br />

aux choses extérieures croissent et changent nécessairement avec elles. C’est<br />

la soupe primordiale, c’est le croisement du monde, le flux et le reflux, je ne<br />

vis que pour ça ! Il y a là tout de solide à quoi le cœur se puisse attacher. Aussi<br />

n’a-t-on guère ici bas de plaisir sans mutation, je serai la clef magique de toutes<br />

les jouissances. Chaque sexe pourra véritablement nous dire : Je veux que cet<br />

instant dure toujours ; et comment ne pas nommer bonheur cet éclat fugitif qui<br />

nous laisse encore pleins de désir, qui nous fait attendre quelque chose avant, et<br />

désirer encore plus quelque chose après ? Et les nuages ? <strong>Le</strong>s tours orgueilleuses<br />

des nuages qui montent avec la chaleur, ces vents incroyables avant l’orage ?<br />

Même dans nos villes quand vient la première pluie l’odeur du sol mouillé est<br />

un poème et la mer s’en va avec l’astre réalisant l’éternité. <strong>Le</strong> monde est bourré<br />

de beauté, j’ai pu parler seule avec un grand chasseur des mers, il y partout des<br />

tableaux de nature incroyables et de quoi parlons-nous, que regardons-nous, un<br />

peuple de vachers et de bondieusards qui se sont donnés de l’importance, une<br />

clique de pouvoir pire que tout ce que notre humanité a pu connaître et en plus,<br />

200


leur bêtise, leur vulgarité jetée en exemple au monde ! Dieu, trop c’est trop, que<br />

faisons-nous ici ? N’y a-t-il pas d’autre endroit où les choses se passent ? Pourquoi<br />

toujours parler de l’Amérique ? Ne pourrait-elle pas crever dans son coin et<br />

nous laisser en paix spectateurs du flux et des reflux du monde ?<br />

Dieu m’écoutait d’un air ravi. J’allais poursuivre quand un bruit de scie métallique<br />

me fit retomber sur cette terre.<br />

- Vous rêvez Willard ? Vous n’êtes pas payée pour ça, grinça Fuld.<br />

Je me secouai, il n’y avait pas de Dieu, j’avais rêvé 164 et j’étais à Wall Street<br />

dans le rôle d’une salope fraîchement sortie des moules de cette nation maudite.<br />

Cette dérive n’avait rien duré, ces deux imbéciles hargneux étaient décongelés -<br />

comme j’aimerais écrire ça en trois mots… - et moi, je devais suivre cet épisode<br />

qui, probablement, compléterait mon enquête. J’ai plaqué un sourire standard<br />

sup sur mon visage pour faire comprendre à l’enflure qu’il était le plus beau et<br />

surtout le plus puissant. Il en avait besoin. En même temps je pouvais quasiment<br />

mesurer le macaroni de contrebande qu’il parquait dans son slip. Je n’aime pas<br />

tous les hommes mais quand, en plus d’être masculins, ils sont machos et impuissants<br />

ça devient très difficile à supporter, je vous dis pas, je dus me contrôler<br />

et c’était bien la première fois que je m’essayais à cet art. Il passa derrière son<br />

bureau, ça ne lui prit pas plus d’une minute de marche, et revint avec une petite<br />

boîte en argent qu’il ouvrit précautionneusement. Il en extirpa une élégante clef<br />

USB.<br />

J’aurais pu me la brancher directement sur le sein gauche mais il m’aurait<br />

prise pour une androïde. <strong>Le</strong>s gens d’ici regardent trop la Tévé. Je sortis donc<br />

prestement mon microlaptop et lui dédiai un regard interrogateur.<br />

- Pas de backup maintenant, grogna-t-il, tu lis, c’est tout.<br />

J’insérai la clef dans le flanc du portable, m’installai, sous son regard furibard,<br />

sur une chaise qui passait par là et lus. Sur le moment je ne vis que des sigles et<br />

des chiffres alignés. Des graphes aussi. C’était d’une banalité à pleurer, exactement<br />

ce qu’une Sally Willard devait contempler à longueur de journée. Mais une<br />

sorte de rétrécissement dans le flux des données attira mon attention. J’avais fait<br />

de l’histoire comme tout le monde et je savais ce qui s’était passé dans ce pays.<br />

Je me caressai le sein gauche sous le regard approbateur de Madoff, en réalité<br />

164 A notre modeste avis Mélissa est tombée dans la Vème rêverie de JJR qui fait partie<br />

de ces lacs de feu qui parsèment sa mémoire, NdEptsdl<br />

201


je balançais toutes ces informations à mon petit FemmeTouch qui les digérait<br />

et les compilait pour moi. Je voyais très clairement un flux qui diminuait. Un<br />

flux monétaire. Ces gars-là réinventaient la pompe à vide. Peu à peu un sourire<br />

perfide se dessinait sur mes lèvres et Fuld, qui ne voyait en moi que la fille avide<br />

de profit, approuva d’un hochement de tête. <strong>Le</strong>ur plan était gonflé !<br />

- Qu’en pensez-vous ? grinça-t-il. Des failles ? Avec ce qu’on vous paie vous<br />

devez être à même de déceler instantanément tout échec potentiel.<br />

Il y en avait un…<br />

L’Amérique était entrée depuis des années dans la crise des subprimes, les<br />

banques le savaient et s’apprêtaient à shorter Wall Street et les indices boursiers,<br />

le gouvernement le savait, <strong>Le</strong>hman Brother dans les bureaux de qui j’avais le<br />

déshonneur de me trouver n’aurait jamais disposé des liquidités indispensables<br />

pour honorer ne serait-ce qu’une partie des ses engagements et je voyais que<br />

Dicky Fuld continuait d’endetter sa banque.<br />

En particulier dans l’immobilier.<br />

Je le considérai pensivement. Il me fit penser à Hitler ou à n’importe quel<br />

dictateur en fin de règne, isolé dans son bureau, terrorisé par Goldman Sachs le<br />

mauvais allié, dirigeant des armées fictives depuis son bunker, aucun général ne<br />

se risquant à lui montrer la réalité du terrain. Mon F2 m’avait fait un bon résumé<br />

de la situation, la <strong>Le</strong>hman était endettée à quarante-deux fois la valeur de ses<br />

fonds propres et la Bear Stearns venait de sombrer. Je me fis une bouche mince,<br />

adaptée à la question. J’avais un rôle à jouer, en fait je ne faisais que lire mes<br />

répliques en prenant un air de circonstance.<br />

- Que fera Paulson ? dis-je, je venais de sentir ce texte passer sur mon F2.<br />

- Henry ? Il me suivra, grinça-t-il.<br />

Madoff bougea dans son coin. Il avait les yeux sympathiques des escrocs de<br />

haute volée, il me donnait même confiance…<br />

- J’ai de petits doutes sur Goldman Sachs, murmura-t-il, s’ils nous laissent<br />

tomber nous sommes morts. Pourquoi ne pas tout refiler aux Coréens ? Imagine<br />

que Morgan Chase nous demande de couvrir, même en partie, nos engagements<br />

actuels ?<br />

Fuld balaya l’idée d’un geste agacé.<br />

- Alors Willard ?<br />

202


Willard, elle, se peignait la “big picture” 165 . Pas en rose, plutôt couleur<br />

sang. Ce que Fuld et Madoff s’apprêtaient à faire n’était rien de moins que la<br />

mise à sac des finances américaines et, accessoirement, du monde entier. <strong>Le</strong>s<br />

Américains vivent joyeusement avec le malheur des autres depuis qu’ils ont<br />

inventé un nom pour lui enlever toute émotion : le collatéral. Je notai le nom de<br />

la société fiduciaire chargée de maquiller la situation de ces gangsters et celui du<br />

cabinet chargé de vendre à découvert le titre boursier de la <strong>Le</strong>hman Brothers et,<br />

bien entendu l’indice Dow Jones, entre autres. Fuld qui n’était qu’un mégalo, un<br />

trader gonflé par des succès faciles, se croyait couvert par le secrétaire au Trésor<br />

mais Madoff, plus prudent, avait planifié sa retraite en France, dans un endroit<br />

très discret où une haute autorité avait organisé sa disparition… sociale.<br />

La chute serait historique et le profit gigantesque.<br />

Ça, ce serait le temps fort car pendant environ un mois avant l’explosion<br />

une série d’opérations ponctionneraient systématiquement les avoirs d’une<br />

longue liste de crétins avides de profit. Du commando ! Madoff fabriquait les<br />

produits toxiques, Fuld avait usé de son pouvoir pour les répandre. Putain ! Que<br />

Dieu avait-il souhaité que j’apprenne en venant remuer toute cette merde ? Que<br />

les mecs étaient encore pires que tout ce que j’avais imaginé ? Qu’ils jouaient<br />

avec l’argent comme des enfants avec leurs fèces ? Je n’avais même plus envie<br />

d’écraser la pomme d’Adam de ce petit mégalomane. Pourquoi me salir les<br />

mains ? Je me fis la réflexion que si ça continuait comme ça les femmes finiraient<br />

par définitivement préférer les femmes, aucune autre alternative.<br />

- Vous pouvez y aller, Monsieur, fis-je d’une voix neutre. Tout est parfait.<br />

- Mettez-vous en route Willard, dit-il, aucune expression de satisfaction n’était<br />

apparue sur son visage. Il appuya sur une touche.<br />

Une sculpturale blonde platine entra.<br />

J’eus le temps de voir qu’il s’agissait de l’un de ces spécimens de filles que les<br />

Américains élèvent aux hormones et éduquent comme des mecs. Elle avait un<br />

tic, elle battait la moquette de son escarpin droit. Ça me rappelle quelque chose<br />

mais c’était vague. Une vraie fausse Nordique qui se planta devant moi, soutint<br />

mon regard et je vous assure que sa manière de bouger était à double détente car<br />

je lui rendis son sourire tout en me disant qu’il fallait absolument que je la baise,<br />

là, sur le tapis.<br />

165 Big picture : ici l’image globale.<br />

203


Je sais ce que vous pensez de moi, vous vous dites que je pense avec mon<br />

vagin ?<br />

Absolument. Il était par ailleurs temps qu’une femme le proclame.<br />

Fuld et surtout Madoff auraient sûrement aimé voir ça, ces mous de la bique.<br />

Je ne le saurais jamais car la moule cosmique et gluante m’aspira à nouveau.<br />

Histoire de me recracher sur l’autre rive du Temps.


Il faut engueuler le soldat Dieu<br />

(Récital)<br />

Tu es, Seigneur, responsable de tous mes malheurs, ce que tu<br />

m’as donné tu l’as repris au centuple, je me demande parfois<br />

si tu n’es pas un banquier suisse, je n’irai pas dans le désert<br />

pour t’insulter, c’est trop loin et les avions ne sont plus sûrs,<br />

tes sbires attaquent ouvertement Lady Gaga, ce pur produit de<br />

notre salevilisation, tu permets à des boudins sans âme comme<br />

la Kardashian de s’exhiber devant de pauvres hommes, je me<br />

demande pourquoi, quand je m’endors, je me dis que je t’aime ?<br />

(In Calcul théologique et intégral, à paraître, du même<br />

auteur)<br />

Je suis sortie d’un bec de pieuvre large comme une étoile de mer et, recrachée,<br />

ai exécuté un impeccable roulé-boulé tout en me débarrassant des filets de slime 166<br />

qui s’accrochaient à mes vêtements pour atterrir aux pieds de mon divin copain.<br />

Furax ! J’étais furax. J’ai fait ce que toute femme fait dans ce cas-là, je me suis<br />

campée devant lui, les poings sur les hanches et j’ai commencé à balancer.<br />

Avoir interrompu ma romance avec Jacques ? Impardonnable. Je commençais à<br />

comprendre pourquoi, dans le temps, les gens le maltraitaient tellement. Allaisje,<br />

de colère, crucifier le Père ? Voilà qui ferait du bruit, je serais en prime time<br />

jusqu’au restant de mes jours et finalement les mecs, les mecs…<br />

Il interrompit ma douce rêverie.<br />

- Je ne t’ai pas tout cassé ! protesta-t-il. Tu vas le retrouver, fais-moi confiance,<br />

Mélissa, n’arrête pas le processus en cours, trop de choses en dépendent.<br />

Trop de choses en dépendent ! Çui-là !<br />

Je m’étais laissé dire que les Anciens et les Juifs aimaient insulter Dieu. Dans<br />

le temps. L’interpellation, la mise en accusation du Très Haut était la grande<br />

tradition. <strong>Le</strong>urs écrits en résonnent. Moi, j’étais effondrée comme vous pouvez<br />

l’imaginer. Ma vie avait basculé, j’avais rencontré l’amour et… Il m’avait rappelée.<br />

Pas juste ! trop dur ! Je le regardai de travers et décidai sur le champ de le<br />

rétrograder à la deuxième place de mon Top mec. Au fil de mes pleurs et de mes<br />

rages j’avais réalisé qu’une autre Mélissa était née, qu’elle était - si fille se peut<br />

- peut-être encore plus divine que la précédente et que se passait-il ? Mon vaste<br />

copain arrivait avec sa faucheuse et balayait tout. J’allais tomber dans un de mes<br />

166 Slime : concept récent utilisé généralement pour évoquer des ectoplasmes (de fantôme)<br />

ou de substances molles, gluantes et parfaitement répugnantes.<br />

205


monologues imprécatifs, je le sentais venir, gros comme ça ; vous avez eu droit<br />

à mes rebuffades et je sais qu’une vaste majorité d’entre vous a pris fait et cause<br />

pour moi, vous avez eu droit à mes excuses et eu la chance de découvrir l’arbre<br />

gynécologique de mes strings (encore que cette appellation manque un peu d’a<br />

posteriori), je n’arrête pas de vous balader dans mon intimité, je vous gâte et<br />

voici que vous surprenez la fille la plus centrale d’après Evène, celle qui baise le<br />

monde et qui va se taper Dieu, remise en question par un simple mec qui pond<br />

une musique à faire tomber votre trésor ovulien en bloc dans vos trompes de<br />

salopes, quoi de plus ? Dieu a besoin de se faire engueuler et il venait de trouver<br />

la bonne personne. Je me suis donc campée devant lui, ne perdant pas un pouce<br />

de ma taille moyenne, les poings sur les hanches et j’ai entrepris de l’inonder de<br />

ma verve féminine. En général c’est dévastateur.<br />

- Tu sais que je t’aime (on commence toujours comme ça) et tu connais très<br />

bien mes projets à ton égard, d’ac ou pas d’ac c’est pas une raison pour me traiter<br />

comme tu viens de le faire et là, foi de Mélissa, je vais te demander des comptes,<br />

tellement serrés que tu vas en avaler ta Genèse. Parce qu’enfin tu es censé faire<br />

du bon boulot, même avec une petite nana insignifiante comme moi et je te le<br />

dis tout à trac, t’assures pas, t’assures plus depuis une paye, je suis même pas<br />

sûre que t’aies assuré depuis que tu as inventé le Temps. J’arrive à l’instant<br />

d’un monde dans lequel on massacre des Irakiens, des Africains, des gens trop<br />

bronzés tout ça pour favoriser un monde de conasses parasitaires qui ne pensent<br />

qu’à rôtir leur carne au soleil, on emprisonne des civils et des pauvres en sousmain,<br />

on prépare une crise qui va mettre les gens à mal, les médias désinforment<br />

tout le monde, je me suis quasiment pris une grippe aviaire au passage ou un<br />

ebola gay 167 , je ne sais pas comment te le faire réaliser mais tu crains, tu as la cote<br />

la plus infernale possible (excuse du rapprochement) et l’Amérique, de qui on<br />

parle beaucoup trop et qui n’est qu’un pays en trompe l’œil et où je sais que tu<br />

vas encore une fois m’envoyer dans quel dessein je ne sais pas, est dirigée par un<br />

criminel et c’est parti pour durer, soldat Dieu qu’est-ce que tu fous ? Je te le demande<br />

et je t’assure que derrière moi les rangs vont se former et que tu as intérêt<br />

à répondre, je sais, je sais, je sais que c’est pour une histoire d’amour que je suis<br />

en pétard et que je t’agresse, je sais, je sais, je sais ça pourrait être pire mais pour<br />

le moment je ne vois pas de cause plus urgente que la mienne et tu ferais bien de<br />

me renvoyer d’où je viens parce que là, j’y ai perdu beaucoup de mes défauts et<br />

gagné tant de choses, c’est un monde dans lequel je ne baiserai pas un requin ni<br />

même Toi, je t’aime tu le sais mais ne me ressors pas la vieille tirade des cathos<br />

de mes fesses (et encore ils n’en ont jamais eu ni les rondeurs ni la perfection)<br />

pour me dire que je ne TE chercherais pas si je ne t’avais pas déjà trouvé - je me<br />

167 Dans les deux cas connus c’est fatalement déviant<br />

206


suis demandé à quoi ressemblait tes apôtres et dans les couloirs du Temps je suis<br />

passé rendre visite à Paul le nabot, celui qui parle en ton nom tu sais ? c’est un<br />

pur porc protomysogine et il pue de la gueule, j’ai vu François aussi mais lui, par<br />

contre est sympa, un peu paumé, il manque d’hygiène, tout ça très choquant pour<br />

une pauvre fille d’après Avène - et que si je te hurle comme une louve au clair de<br />

fesse et que j’essaie de t’emmerder avec ces digressions stupides c’est parce que<br />

je vois ta splendeur et que je t’aime, bien sûr que je t’aime, tu es toujours dans<br />

mon top 2 mais maintenant je te somme de m’expliquer pourquoi diable tu m’as<br />

obligée à pister Jacques, tu ne le savais pas encore mais lui et moi maintenant<br />

on se tutoie, j’arrive à supporter sa musique (c’est pas le grand amour ça ?) et je<br />

l’appelle par son prénom dès que je suis tendre ou furax ce qui va de pair chez<br />

moi, Dieu, pourquoi as-tu introduit un paramètre Des Ombres dans une histoire<br />

à la fois simplette et insoluble car à l’origine on m’envoie dans le passé pour<br />

écrire un article sur ce que les femmes préfèrent, je sais, je sais c’est un casse<br />

gueule on voulait ma peau, bref je dois écrire ce papier et c’est pas évident déjà<br />

que les femmes n’ont aucune idée de ce qu’elles préfèrent car elles sont trop<br />

vastes et, à ce propos de vastitude et dévastitude féminine, faut que je te dise que<br />

dans mes écarts temporels, j’ai rencontré un mec qui se nomme Valéry, il écrit<br />

des poèmes et m’a fait mourir de rire en parlant des femmes, il est trop ce type<br />

mais il avait tout compris, allez, je sors mon Effe-Too et ne le trafique plus, je<br />

te lis quelques passages, écoute ce qu’un jeune mec bien foutu, un bandeur du<br />

Sud de la France, plutôt joli garçon, peut raconter comme conneries à propos<br />

du féminin, j’adore, je te dis pas : La femme en raison de sa communion avec le<br />

monde n’est absolument pas maîtresse d’elle même.<br />

- Il a tout compris, être femme c’est être trop vaste, c’est communier avec le<br />

monde, c’est… être Mélissa, celle qui baise le monde entier !<br />

Mais ce pauvre Popaul 168 , qui se pognait comme un malade en pensant aux<br />

belles filles qu’il croisait à Sète, poursuit en disant que pour être maître de soi<br />

par la maîtrise de sa chair, il faut empêcher les troubles de remonter des viscères<br />

à la tête. Car - tu m’écoutes bien ? la femme, pour lui et un nommé Diderot -<br />

t’as entendu parler de Diderot toi ? - est soumise aux fluctuations, aux changements<br />

inopinés et que pour le pur penseur il n’est rien de pire que d’être ainsi<br />

mené, ballotté, aliéné ! La suite est poilante (t’inquiètes je vais me remettre à<br />

t’engueuler tout à l’heure) car il ne saurait y avoir de femme de tête, et pourquoi<br />

ça Monsieur ? Parce que le femme 169 ne pense pas à partir du centre de sa volonté<br />

mais de ce que lui dicte son corps, ce que lui imposent, ce que lui infligent ses<br />

168 Paul Valéry, I assume NdAmrcàPrs<br />

169 Voulu et anachronique… NdA<br />

207


sécrétions variables, son Euripe 170 hormonal. Euhh c’est quoi un Euripe ? Vite<br />

mon FemmeTouch… Ah ! Tout à fait moi, les hormones en folie, les courants<br />

désordonnés qui parcourent les filles, le seuil de turbulence érotique, c’est bien.<br />

Il continue ce con de Valéry ou le mec qui parle de lui : Ce qu’elle pense ou fait,<br />

elle n’y consent si gaiement, avec une si belle absence d’arrière-pensée, que<br />

parce qu’elle ne le veut pas ; elle est foncièrement passionnée. Tu sais quoi ?<br />

Je crois qu’on nous rend enfin justice. La femme, c’est ce qu’il y a de mieux<br />

et d’ailleurs, avec tout ton cinoche, je crois que je vais me mettre à préférer les<br />

femmes moi aussi, comme ça mon article sera déjà écrit avant même d’être commandé<br />

et avec un peu de chance on ne m’enverra pas avant Evène et rien n’aura<br />

eu lieu, qu’est-ce que T’en dis ? En elle le supérieur qu’est la pensée est soumis<br />

à l’inférieur qu’est le corps. Trouve-moi un seul mec qui en fasse autant ! Elle<br />

est scandale permanent, ou, au sens classique du mot, elle est “désordre” permanent,<br />

c’est-à-dire inversion des vraies hiérarchies. Turbulence ! Plus touffu que<br />

ma motte ! Si le désordre était un scandale ça se saurait et la finance mondiale<br />

n’aurait jamais existé ! Quant aux vraies hiérarchies, depuis quand le sacré est-il<br />

vrai ? Et le vrai sacré ? Des mots qui passent leur temps à s’exclure. Par contre,<br />

t’endors pas Dieu, je ne le tolérerais pas, la suite m’enchante : Son immanence<br />

à la nature, qui fait son bonheur et la met si aisément en état de poésie, ça,<br />

c’est envoyé ! Merde que c’est beau. La femme est poésie sinon comment feraitelle<br />

bander les hommes ? Elle est même si poétique qu’il y a surpop dans cette<br />

planète, tu le sais bien, mais attention à ce qui vient : elle est en même temps<br />

son aliénation. Elle est heureuse dans et par la dépendance, l’esclavage de son<br />

esprit au monde, que ce monde soit le paysage, le temps qu’il fait ou les sécrétions<br />

de son corps 171 . Dieu ? Tu es là ? Allô la Lune ici la Terre ? Je m’épate littéralement<br />

de l’importance que quelques pauvres mecs donnent aux sécrétions !<br />

On passe notre vie à secréter du désir, des hormones, de la sueur vulgaire, de la<br />

transpiration qui sent bon, des idées, des phéromones, nos règles et nos humeurs<br />

fluides, quelqu’un quelque part a parlé de métaphysique des tubes et ce n’est pas<br />

aussi con que ça en a l’air comme titre, ça tombe sous le sens et finalement les<br />

Valéries tu sais ce qu’ils sont, des trouillards, parfaitement, ils se prennent pour<br />

des purs et c’est vraiment une vieille étiquette qu’on nous a collée à nous les<br />

filles, les salopes, les impures - les issues de la côte avariée d’Adam Kadmon !<br />

Un truc de ces Orientaux très moyens 172 qui crèvent de trouille devant nous -<br />

keskil veulent tous ? Je te le demande ? Eh bien, Dieu, voilà sa réponse et ça me<br />

170 Nom d’un détroit entre la Grèce et l’île d’Eubée où la mer avait un flux et reflux irrégulier.<br />

Fig. S’est dit pour mouvement irrégulier.<br />

171 Paul Valéry : La soirée avec monsieur Teste<br />

172 Middle East ? NdT<br />

208


dépasse pas du tout : “La chair ici me devance, obéit à sa propre règle, on n’est<br />

pas le maître. Ici, la tête suit la queue, et l’esprit la peau.” Ces mecs, aimeraient<br />

tous être des vierges finalement ! Et le plus beau : L’irruption de la femme est une<br />

intervention intempestive qui abolit le bel édifice cristallin de la volonté. Je suis<br />

morte de rire ! Toi aussi, ne dis pas non, je le sens. La femme est le problème !<br />

D’autant plus délicieux qu’il faut l’évacuer. Mais moi, Mélissa, je vois ce qui a<br />

du sens dans la grande déconnade masculine. Regarde par exemple ce Diderot<br />

- tu le connais ? Non ? Pas grave, il a trouvé le modèle ultime et sa description<br />

est excellente : les innombrables fibres, à savoir le système nerveux périphérique<br />

connecté avec tout le corps et avec tout l’univers extérieur - l’emportent de<br />

beaucoup chez elle sur le faisceau, à savoir l’unité du système nerveux central :<br />

l’épiderme commande au cerveau. Appellera-t-on “empire” cet ensemble dans<br />

lequel c’est la multitude périphérique incohérente qui impose successivement et<br />

aléatoirement ses caprices à un centre impuissant par lui-même ? Chez l’homme<br />

au contraire, le centre est tout puissant : le faisceau gouverne la multitude des<br />

fibres périphériques comme le cocher qui tient bon son attelage. <strong>Le</strong> dedans gouverne<br />

le dehors, ou, si l’on veut, l’âme gouverne le corps. C’est pas envoyé ça ?<br />

Et je suis très contente qu’un stupide Y chromosome ait compris cette grande<br />

vérité : les innombrables fibres connectées avec tout le corps et le monde entier<br />

c’est nous, on ne pouvait pas donner plus belle description, tourner plus joli<br />

compliment ! On jouit ! Pourquoi crois-tu qu’on dispose de cette faculté de jouissance<br />

inouïe à partir de tout notre corps, mon vagin c’est aussi ma surface, mes<br />

épaules, la paume de mes mains, mes lèvres, tout. Je suis contente ! Pourrais-tu<br />

briefer un peu ces mecs pour qu’ils arrêtent leur cinoche ? Qu’ils foutent la paix<br />

à cette chair si sublime, on n’a finalement que ça dans ce petit passage tellement<br />

bref qui se nomme la vie ! Ce qui suit est beau mais c’est tellement con :<br />

L’absurde et puissant retour du désir de la chair, de cette chair profonde, de cette<br />

chair maîtresse, qui est moi et qui pourtant est foncièrement étrangère à l’esprit<br />

que je veux être, cette chair toujours prête à me trahir, toujours susceptible de<br />

détourner, de distraire, de pervertir, de séduire aux appas mineurs et puissants<br />

qu’elle propose, qu’elle impose. Un frisson vient alors troubler le beau miroir,<br />

faisant rechuter l’ange dans un corps, dans un sexe, dans une nature. La morsure<br />

brève trouble l’être entier. L’homme serait donc notre esclave ? Bon à savoir…<br />

Esclave des limitations de sa nature. Comme la femme soumis à ses impulsions,<br />

sujet à ses propres fluctuations. Imprévisible à lui-même, agi par son sang,<br />

s’exprimant malgré lui, et ne pouvant que se répéter ? <strong>Le</strong> pauvre chéri ! tiens !<br />

<strong>Le</strong> désir sexuel pour ce Valéry c’est l’image de la chute. Quand une fille passe<br />

devant lui ce noble penseur se retrouve tout à coup le jouet de son sang, le<br />

pantin de ses propres sécrétions, exactement comme l’est une femme. Lalala,<br />

faut bien que les anges tombent ! On est là pour ça ! Mais je te gardais le meilleur<br />

209


pour la fin : C’est donc son esprit qui est féminisé par un étrange phénomène<br />

de possession, de dépossession de soi. Être envahi du désir d’une femme<br />

c’est se mettre soudain à ressentir le monde en femme, (Je me demande s’ils<br />

le méritent…) c’est ne plus se choisir, ne plus se déterminer, c’est perdre sa<br />

lucidité. <strong>Le</strong> désordre s’installe. Je t’en dis pas plus, on a un compte à régler tous<br />

les deux, Dieu ! Toi et Mélissa Turbulence, c’est mon nom désormais, je suis le<br />

désordre, je suis la vie. Reconnais que ce Valéry est génial 173 , je ne savais pas,<br />

même moi Mélissa, que l’effet de notre sexe transformait les mecs en femmes ! 174<br />

Plus besoin de les travestir ça part du tréfonds d’eux-mêmes et c’est peut-être<br />

pour ça qu’on les a supportés si longtemps. Conclusion ? Rends-moi Jacques.<br />

Renvoie-moi là-bas un petit moment, rien qu’une vie, je ne suis pas exigeante. En<br />

échange je t’aimerais toujours, je suis une fille du genre fidèle à ses obsessions,<br />

tu peux compter sur moi et je ne ferai jamais la liste de toutes les fois où tu n’as<br />

pas assuré depuis le début. D’accord ?<br />

- Tu as fini ? demanda Dieu.<br />

- Oh ? Je crois que j’avais à peine commencé… mais on peut le dire comme<br />

ça. Tu n’es pas fâché au moins ?<br />

- Si seulement les âmes m’avaient parlé ton langage, soupira-t-il.<br />

- Alors, fis-je assez inquiète de la suite, tu me le rends, mon bonheur ?<br />

- Cela va de soi, dit le Grand, mais il te reste deux ou trois choses à faire.<br />

Qu’ai-je dit il y a un instant ?<br />

Je n’avais pas souvenir de l’avoir laissé placer un mot…<br />

- Eh bien ! poursuivit-il, je vais te faire un copier-coller. J’ai dit “Mélissa,<br />

n’arrête pas le processus en cours, trop de choses en dépendent.”<br />

- Je te fais confiance, fis-je toute tremblante. C’est assez dur de passer de super<br />

Mélissa à fille amoureuse, tu sais ? Je suis sûre que tu vas me faire écrire ce<br />

foutu douzième évangile alors que j’ai même pas commencé mon article !<br />

- Tu vas le retrouver, fais-moi confiance. En fait tu vas vivre des vies parallèles.<br />

Mais, en principe, tu n’en seras pas consciente. Enfin… je l’espère.<br />

Il avait encore rajeuni. Une certitude affreuse m’envahit. Il se mettait à ressembler<br />

à quelqu’un que je connaissais. Très bien. De très près…<br />

Mais qui ?<br />

173 Je te parie cent sous ou ce que tu veux que ce Popaul V* aurait viré transexuel s’il<br />

était né un poil plus tard.<br />

174 Et à ce propos on voit dans quels bons auteurs M. Zaimmourre va piquer ses thèses<br />

NdAscand<br />

210


Soli(psismes) !<br />

(Une chute dans la lumière)<br />

<strong>Le</strong> solipsisme ? Simple, c’est quand je m’aperçois que ma<br />

conscience est l’unique fondement du réel, quand je décode les<br />

fronts d’onde de probabilités. Ce qui me trouble, c’est de me<br />

demander si tu les décodes de la même manière et si nous sommes<br />

réellement ensemble… C’est un risque couru par la pensée !<br />

Des Ombres (Entretien avec)<br />

Dieu a tenu parole. Ça fait des semaines que je vis avec Des Ombres. J’ai délimité<br />

mon territoire dans son appartement et l’en ai fémininement exclu. Il est<br />

ravi, comblé. Je savais très bien que nous vivions tous les deux sous la menace<br />

d’une rupture. Pas celle de notre relation… une rupture de notre réalité. Ces<br />

instants fous, tout ce bonheur n’étaient dus qu’à la plus banale des choses : un<br />

choc, une fusion, deux être qui se rencontrent. Une nuit, je rêvai que j’étais sa<br />

mort et me réveillai en nage. Lui dormait paisiblement, pour la première fois j’ai<br />

ressenti un sentiment tendre et peut-être… maternel. J’ai détesté. Après un tel<br />

rêve je voulus devenir Celle qui le fasse vivre.<br />

Ses obsessions de musicien, paradoxalement, pour moi qui n’aimais pas ses<br />

œuvres, nous ont été très utiles. Je lui demandais de me reparler de cette nuit lors<br />

de laquelle il était “tombé dans la lumière”, ce sont les mots qui reviennent sans<br />

cesse dans son discours.<br />

- J’écrivais Monades II, me disait-il, à cette époque je n’avais qu’une chambre<br />

dans le grand appartement de ma mère, je m’en accommodais. As-tu vu mes<br />

partitions ?<br />

Il partit chercher des manuscrits de grande taille qu’il me posait sur les genoux.<br />

J’hallucinais, il y avait une population de pattes de mouches incroyables.<br />

De vingt à trente portées sur une seule page, comment avait-il pu aligner tout<br />

ça ?<br />

- Comme tous les compositeurs, s’amusait-il. Avec une règle, une équerre et<br />

une planche à dessin.<br />

- Oh ? Mais tu crois que les grands maîtres classiques disposaient de ça ?<br />

- Ils étaient moins cons que nous… Notre destin à tous c’est la complexité<br />

croissante. <strong>Le</strong> monde est écrit comme ça. Cette partition en parle.<br />

- Mais pourquoi une équerre ? insistai-je.<br />

- Tout bêtement pour aligner les barres des notes qui se jouent en même temps.<br />

Dans une partition le temps est horizontal et si des notes se jouent en même<br />

211


temps elles doivent se trouver sur la même verticale.<br />

Je faisais semblant de suivre mais le ramenais à mon sujet central.<br />

- Je suis sûre que ça te fatiguait beaucoup les yeux.<br />

- Pas autant que les ordinateurs, mais beaucoup oui.<br />

- Alors… tu n’as eu qu’un éblouissement.<br />

- Peut-être, mais j’en suis revenu avec cette phrase qui m’obsède.<br />

- Sur la fin du monde ?<br />

- Qui serait une musique, terriblement… précise.<br />

Je n’avais pas oublié ça, il m’en avait parlé souvent mais je ne voyais toujours<br />

pas le rapport avec son voyage. Cette phrase, ces mots, avaient déclenché son<br />

trip. Il me fallait savoir où il était allé. Je lui ai demandé s’il avait le sentiment<br />

de vivre dans la même réalité que moi. Ce devait être la bonne question car il se<br />

montra intarissable.<br />

- Je te connais si bien que je me demande si je ne t’ai pas inventée. Ton histoire<br />

de voyageuse en provenance du futur est absurde et pourtant je te crois.<br />

Tu es certainement le produit de mon imagination, Mélissa. Mais alors, que se<br />

passe-t-il ? N’es-tu que masturbatoire ? Qu’un fantasme ? Impossible, dans les<br />

fantasmes nous voyons des morceaux de femme, des fétiches ou des situations,<br />

avec toi il se passe à chaque instant des choses à l’évidence réelles, tu es horriblement<br />

quotidienne. De plus, je n’aurais jamais une imagination assez vaste<br />

pour t’inventer. L’autre, c’est quelque chose de plus que soi.<br />

- Tu me regardes comme si j’étais un monstre, fis-je d’une petite voix.<br />

- Tu es un monstre qui existe et que je décode. J’ai passé beaucoup de temps<br />

à lire les œuvres de science-fiction qui s’écrivaient dans les belles années de<br />

la Physique quantique. Je crois que si je n’avais pas été musicien j’aurais été<br />

physicien, un mauvais physicien mais bourré d’idées pour ceux de ses confrères<br />

assez malins pour les lui piquer.<br />

Je me mis à rire, c’est bon un mec qui vous fait rire. À PodSex le mec qui<br />

faisait rire c’était… moi. Je me suis demandé au passage quel genre de “mec”<br />

j’étais, il faut dire que Jacques m’avait rendue beaucoup plus “féminine” que la<br />

Mélissa du début de cette histoire.<br />

- <strong>Le</strong>s cantiques des quantiques 175 , poursuivait-il, ont énormément rêvé sur le<br />

principe d’incertitude. Heisenberg a lancé l’idée avant 1930 et il a fait fantasmer<br />

les physiciens et… les artistes et autres philosophes. Je ne vais pas t’en parler, je<br />

ne suis guère compétent, tout ce que je puis te dire c’est que très vite des chercheurs<br />

et des rêveurs en ont tiré l’idée qu’il pouvait exister des univers parallèles.<br />

Je savais ça, quand même ! Et ça m’arrangeait bien. Il y avait un univers dans<br />

175 Allusion à un livre populaire de Sven Ortoli, Jean-Pierre Pharabod. NdE<br />

212


lequel Jacques et Mélissa faisaient l’amour sans se poser de questions (on n’y<br />

était pas), un univers dans lequel BMW ne m’avait jamais envoyée chez Avène<br />

et un univers dans lequel Dieu (qui selon moi l’instant d’avant n’existait pas) ne<br />

m’avait pas abordée en descendant Denfert. Je me suis dit que ce serait chouette<br />

de pouvoir disposer de ces mondes comme d’une… trousse de maquillage et de<br />

choisir le monde le plus adapté à ses humeurs.<br />

- Cesse de fantasmer, fit Des Ombres à qui je venais de refiler cette pensée,<br />

tout le monde s’est accordé pour dire que le principe d’incertitude n’est vérifiable<br />

que dans le micromonde. Celui des particules.<br />

Ça me fit rire.<br />

- Et si nous étions des particules, toi et moi ?<br />

- Tu serais un proton, riposta-t-il, avec ton côté tellement positif, et moi un<br />

vilain électron à charge négative. Tu serais mille fois plus grosse… pardon, plus<br />

grande que moi et je te tournerais autour sans pouvoir t’échapper. On donnerait<br />

naissance à une entité de base et on l’appellerait Oxygène !<br />

Il ne s’en est pas rendu compte mais quelque chose venait de se désintégrer<br />

en moi.<br />

Quelqu’un m’avait dit ça récemment. C’était Dieu, à Las Estrellas de Los Tres<br />

Picos… Merde ! Il y avait une relation entre mes Top 1 et 2 . Ou alors ils se connaissaient.<br />

Dieu m’avait dit, je m’en souviens très exactement “Tu es un beau<br />

proton”. Je m’étais dit que sa divine langue avait fourché et que, tout simplement,<br />

il m’avait complimentée sur mon physique. J’en avais même déduit que je<br />

<strong>Le</strong> faisais bander, y’avait que Lui pour me refiler de tels compliments. Et voilà<br />

que Des Ombres tenait le même langage. J’en fus, sur l’instant, persuadée d’être<br />

l’objet d’un complot. Allait-il falloir que je torture Des Ombres pour le faire<br />

avouer ? Je suis très bonne en torture sexuelle et je donne tellement de plaisir à<br />

ma proie qu’elle avoue tout ce que je veux. Ça fait longtemps que vous me tenez<br />

pour une emmerdeuse et je sens que cette opinion vient de se renforcer mais<br />

mettez-vous à ma place. Ma patronne m’envoie chez Avène avec un thème stupide,<br />

je découvre qu’en réalité elle veut m’assassiner, Dieu se parachute sur moi<br />

et me propulse dans divers voyages délires, il en profite pour me faire rencontrer<br />

l’homme dont j’ai aimé les livres qu’il n’a pas encore écrits, j’entrevois dans<br />

mes voyages des océans de flammes, des villes détruites, des abominations financières<br />

et une société décadente auprès de laquelle la Rome antique peut-être<br />

considérée comme une garderie d’enfants prudes et sages et, finalement, je découvre<br />

que mes plongées dans l’univers de Des Ombres ne sont pas innocentes,<br />

que très probablement son atroce musique probabilistique a du sens, que je n’y<br />

comprends rien et qu’il est pote avec Dieu. Ils se me partagent ! Je décidai de<br />

lui balancer une solide paire de baffes, de le ligoter et de le laisser là un ou deux<br />

213


jours (ce salaud allait adorer ça venant de moi je le savais) pour qu’il devienne<br />

plus bavard mais… il ne m’en laissa pas le temps.<br />

- J’ai une idée pour sauver les requins, dit-il avec un demi-sourire très séduisant.<br />

J’en mouillai instantanément mon string. Ce que je peux être instable…<br />

- Laquelle ? fis-je prise de court.<br />

- On les achète avec les fonds de l’UBS, qui investit dans n’importe quoi, et<br />

on en fait des citoyens suisses. Ceux qui paient les assassins des mers n’oseront<br />

plus les tuer, ils ont tous des comptes par ici.<br />

Turbulences ! J’en étais baboum. C’était… médiéval. Jacques venait<br />

d’échapper, très provisoirement à une longue séance de torture à la Mélissa en<br />

changeant de sujet de la manière la plus imprévue. Je dois dire que j’éprouve une<br />

certaine tendresse pour les grands chevaliers des mers, mais quand même !<br />

- Pourquoi m’as-tu dit ça ? articulais-je péniblement.<br />

- Je te testais. Je voulais savoir si tu existais en dehors de moi, si tu es plus que<br />

mon rêve. Rien de tel qu’une rupture par l’absurde, les solipsismes y résistent<br />

mal. Je pense que je ne te rêve pas complètement, je crois que tu es réelle.<br />

<strong>Le</strong> salaud ! Il avait réponse à tout. J’en revins à quelque chose qui pouvait<br />

beaucoup m’aider dans la compréhension de mon amant et… de mes voyages.<br />

- Quand tu es tombé dans la lumière, où es-tu allé ? Est-ce qu’on pourrait y<br />

retourner ?<br />

- Je suis allé à l’Origine, dit-il un peu pâle. C’était très chaud.<br />

- Et qu’as-tu fait ?<br />

- Je crois que j’ai joué quelques notes, un thème, avec des quintes.<br />

<strong>Le</strong> doute n’était plus possible. Dieu et Des Ombres étaient la même personne !<br />

Tout concordait. Dieu qui rajeunissait, Des Ombres qui prenait de l’âge, leur histoire<br />

de musique des origines, Dieu qui se prenait pour un compositeur, la chute<br />

de l’Ombre vers la lumière, leur appétit de Genèse, je n’avais qu’à relire mon<br />

Effe-Too pour que tout se réconcilie sur cette hypothèse. C’était… médiéval !<br />

De plus, avantage non négligeable, si ça se trouvait, j’avais déjà baisé Dieu.<br />

Restait plus qu’à savoir lequel des deux avait inventé l’autre…<br />

214


L’Instance !<br />

Il va falloir jouer cartes sur table…<br />

<strong>Le</strong> jour suivant j’ai revu Dieu, à la croisée d’un chemin, n’importe où je ne<br />

sais plus. L’avait pas l’air embarrassé pour un sou, plutôt amusé.<br />

- Alors ? a-t-il fait.<br />

- Haha ! ai-je fait. (En tapotant le parquet du bout de mon escarpin).<br />

C’est un truc de fille, ça en dit long sans vraiment le dire. En général les mecs<br />

se dégonflent rapidement et sortent des “je vais tout t’expliquer” dans lesquels<br />

nous sommes passées maîtresses pour les enfoncer. J’aurais dû vous donner un<br />

cours de mauvaise foi féminine, c’est trop bien. On naît toutes avec ça et on<br />

se passe nos astuces et méthodes. <strong>Le</strong>s hommes ne font pas le poids, à preuve<br />

qu’ils ont affirmé qu’en amour l’unique solution était la fuite 176 . Bien entendu<br />

on les rattrape et on utilise toutes nos armes, des fatales aux déloyales, pleurer<br />

par exemple. À vrai dire ce n’était pas du tout le style Mélissa mais je trouvais<br />

ça drôle et je m’y étais essayée une ou deux fois. J’ai donc fait “Haha !” et rien<br />

n’est arrivé. Dieu n’est pas un mec, même si je le soupçonne fortement d’être<br />

Des Ombres. Devant son regard bleu divin j’ai un peu perdu de ma contenance<br />

et mis de l’eau dans ma tequila.<br />

- Alors, c’est toi ? je lui ai dit avec un petit sourire timide.<br />

- Je suis moi, a-t-il répondu sans se compromettre.<br />

- Tu es Des Ombres, n’est-ce pas ?<br />

- Je suis aussi lui.<br />

J’ai oublié de vous dire que l’on n’était dans aucun de nos repaires habituels,<br />

ni chez Dominik’s ni à Las Estrellas de los Tres Picos, ni même dans mon bureau<br />

de PS. On était dans un petit jardin bordé de brume, rien de très séduisant,<br />

je suppose que c’était une version d’Eden et ça m’a vraiment embêté car quand<br />

une fille fait “Haha !” elle aime tapoter le parquet du bout de son escarpin pour<br />

mieux asseoir son effet. Là, j’étais baisée car il est notablement difficile de tapoter<br />

de la pointe du pied une sorte de nuage flou…<br />

Sur le plan sexuel je dois vous avouer que je ne ressentais strictement rien,<br />

ce qui, chez moi, est un signe de grand désarroi. Comme d’habitude j’ai fait un<br />

de mes petits voyages éclair dans mon passé et ma nature de femme, histoire de<br />

me ressourcer et d’être plus battante. Je sais que ma façon de passer de l’état de<br />

fille à femme et inversement vous dérange et que vous trouvez mon récit bor-<br />

176 Dixit un Bonaparte manchot (qui aujourd’hui n’aurait plus de prix sur le marché immobilier).<br />

NdAqdcnn<br />

215


délique. Alors, je crois que le moment est venu de vous expliquer ça. Je devrais<br />

vous refiler de suite ce que Dieu et moi allons nous dire car, finalement, c’est<br />

le moment des grandes explications entre Lui et moi, mais non, je vais d’abord<br />

m’offrir le luxe de vous dégrossir un peu sur ce qui touche à la nature des filles<br />

et des femmes.<br />

C’est en rapport avec le sexe, évidemment. Quoi d’autre ? Nous naissons filles<br />

et, vers les quinze/ vingt ans, nous sommes baisées et passons dans un corps de<br />

femme, en procréant éventuellement. Pour les mecs les femmes sont des filles<br />

qui ont vieilli. Ça, c’est la vieille théorie patriarcale qui se méfie des rapports entre<br />

filles et femmes d’une part parce qu’elle n’y a jamais rien compris, de l’autre<br />

parce qu’elle en a une sainte trouille. La réalité est bien différente. La fille est<br />

une matrice d’univers et dispose d’un potentiel de reproduction infini. Tout vient<br />

d’elle, elle est la vie, elle dispense les énergies vitales.<br />

La femme est une instanciation 177 de la fille. Je me doute que ce mot ne vous<br />

soit pas familier. Il est pourtant essentiel à la compréhension du rapport fille et<br />

femme. L’instanciation est la création d’un objet à partir d’une classe ou d’un<br />

objet à partir d’un modèle, c’est en somme créer une nouvelle entité à partir<br />

d’une entité idéale existante. <strong>Le</strong>s filles sont les idées platoniciennes de la femme<br />

mais elles ne le savent pas. Heureusement… Dans la vie courante vous êtes<br />

persuadés de voir une fille devenir une femme mais aucun homme n’a accès<br />

à la connaissance des allers-retours qui s’opèrent entre ces deux états. C’est<br />

pourquoi j’ai parlé, il y a quelque temps, des filles-femmes-filles ou même des<br />

femmes-filles-femmes. <strong>Le</strong>s hommes pensent disposer d’un avantage : ils vieillissent<br />

mieux que nous. Je sais que très longtemps on s’est battu pour savoir si<br />

c’était un fait de nature ou de culture. Aucun de ces nobles penseurs n’a eu l’idée<br />

d’imaginer la mouvance permanente, le flux entre filles et femmes. Dans les<br />

archives que j’ai retrouvées, à part les textes de Des Ombres (et ça, c’était vraiment<br />

le coup de bol !) il y avait un bouquin d’une femme géniale, une Mexicaine<br />

nommée Clarissa Pincola, qui s’intitulait “Femme qui court avec les loups” 178 .<br />

On devrait obliger les mecs à lire ça et surtout à le méditer, ou même à le vivre…<br />

Ça en dit long sur notre état de nature et notre spectre large 179 . Vous souvenez de<br />

ce que je disais à propos de l’article que je dois écrire ? <strong>Le</strong>s femmes préfèrent<br />

les femmes, les filles les filles, les femmes les filles et les filles les femmes, dans<br />

177 L’instanciation est l’action de créer un objet à partir d’un modèle, ici des femmes à<br />

partir de la Fille universelle première. NdT<br />

178 Femme qui court avec les loups, Clarissa Pinkola Estès, Histoires et mythes de<br />

l’archétype de la Femme Sauvage, 2003.<br />

179 Spectre : au sens ici de fréquences d’être, gamme très large.<br />

216


l’ordre de probabilité croissante. Je disais également que j’habite un corps de<br />

femme, de fille, parfois de fille-femme, généralement de femme-fille-femme et,<br />

à mon top, de fille-femme-fille et que c’est un rapport entre chimie et software.<br />

Je suis vraiment désolée de vous noyer dans ce fatras mais croyez-vous vraiment<br />

que ce qui se conçoit bien s’explique clairement et que les mots pour le dire<br />

arrivent aisément ? Na ! Ça, c’est une connerie masculine. <strong>Le</strong> sacré est génialement<br />

complexe et confus, il est turbulent. Il ne se laisse jamais ramener à des<br />

mots. Ça présente l’immense avantage qu’on ne peut pas en faire une Bible et<br />

faire chier des générations avec des idées aussi fausses que pompeuses et qu’il<br />

se lit différemment à chaque apparition, par chaque âme qui s’éveille. Des Ombres<br />

avait eu l’intuition de la fille centrale, il n’était pas tout à fait parvenu à la<br />

dialectique fluctuante de la fille idéelle et de la femme. Mais il n’en était pas loin<br />

car quelque part dans ses écrits il cite la femme Vie-Mort-Vie des Mexicains et<br />

c’est une pensée proche de tout ce que je viens de vous raconter. Voilà, vous avez<br />

un tout petit bagage pour savoir de quoi je parle quand je passe de l’état fille à<br />

celui de femme et inversement. Je ne pense pas être claire, ce serait trop triste<br />

de pouvoir l’être sur un sujet aussi fluctuant et tourbillonnant que femme, fille<br />

et turbulences de la vie.<br />

Dieu avait suivi mes pensées avec un intérêt évident. Je n’avais aucune intention<br />

de lui rendre les choses faciles.<br />

- Comment concilies-tu ton idée de la femme harmonie et stabilité avec cette<br />

nature fluctuante et turbulente que tu attribues maintenant au féminin ?<br />

Sa question m’emmerdait. J’ai changé de sujet, on y reviendrait.<br />

- Quel aspect vas-tu prendre ? lui ai-je demandé.<br />

Je venais de décider de ne plus jamais lui refiler de majuscules…<br />

- Celui de Des Ombres ou rester comme ça ? ai-je poursuivi.<br />

Je ressentais déjà une toute petite excitation sexuelle à son égard ce qui était<br />

bon signe. Mélissa n’était pas morte et, s’il était le Grand Être de colère qu’on<br />

nous a refilé dans le passé il m’aurait depuis longtemps anéantie.<br />

- <strong>Le</strong>quel préfères-tu ? dit-il avec des yeux plus bleus que jamais.<br />

Je fondis et m’efforçai de n’en rien laisser voir.<br />

- Mais… ce sera le même, tu rajeunis et… il vieillit. Vous commencez à vous<br />

ressembler. Je vous aime tous les deux. Tout ce que j’aimerais savoir c’est quand<br />

je vais rester avec toi, lui, vous. Et aussi… comprendre mon histoire.<br />

- Eh bien voilà ! fit Dieu d’une voix tranquille. Je ne suis qu’une instanciation<br />

de Jacques. Tu te parlais de ça il y a un instant et tu es bien formée pour comprendre<br />

cette situation.<br />

Je me sentis soulagée mais curieuse.<br />

- Tous les hommes jouent-ils à être Dieu ? fis-je d’un air moqueur.<br />

217


- Tous sans exception, dit Dieu. C’est une maladie masculine. Toi, tu as la<br />

chance d’être une femme, c’est-à-dire près de la Nature des choses. Tu sais très<br />

bien que les femmes n’ont jamais fabriqué de religion ! Elles n’en ont aucun<br />

besoin. Elles sont des déesses, elles sont l’objet des religions. C’est très embarrassant<br />

pour elles et, je dois t’avertir, elles ne comprennent pas bien leur pouvoir<br />

ni leur nature. Et c’est là que les hommes deviennent utiles.<br />

Je fis mine de froncer un sourcil. On n’allait quand même pas réhabiliter le<br />

patriarcat. Je venais d’un monde de femmes où j’étais bien dans ma peau…<br />

- En es-tu sûre ? fit le Liseur de pensées.<br />

Merde ! Je venais de lui refiler une majuscule. De plus je n’en étais plus su<br />

sûre. Des Ombres m’avait horriblement humanisée, le con !<br />

- les hommes deviennent utiles, poursuivit Dieu, en ce qu’ils sont là pour voir<br />

la femme. Voir sa nature, ses pouvoirs. Et gérer ses énergies. Il m’est incompréhensible<br />

de constater à quel niveau d’incompréhension<br />

Ils y jouent tous.<br />

Avec plus ou moins de finesse…<br />

218


Dans lequel la Teuclitop déborde<br />

et attaque la cul(ture)<br />

Fantaisie stricte<br />

Je me souviens de vous avoir raconté, au début de cette histoire, qu’en descendant<br />

Denfert en direction d’Acapulco, je n’entendis soudain plus le bruit de<br />

la circulation. C’était juste une seconde avant que je ne fasse la connaissance de<br />

Dieu, sous sa forme la plus ancienne.<br />

J’aurais mieux fait de me taire… Si vous saviez les remarques que m’a valu<br />

mon exposé sur la Teuclitop, je vous dis pas ! Sans parler de l’intrusion dans le<br />

flux de ma vie d’un certain Arthur et de son bateau ivre… Bref, personne ne<br />

comprend la mouvance de l’espace, l’échangisme topologique. Niveau sexe ça<br />

passe sans problème. <strong>Le</strong> monde entier pratique l’échangisme topologique, sexuel,<br />

énergétique et quelquefois animique. Allez vous éclater dans un espasme<br />

échangiste et tout le monde vous trouvera normal, c’est dans les mœurs, d’autant<br />

plus qu’on y voit très peu de peaux de zobs. Vous arrivez avec votre charmant<br />

sourire et votre complexité intérieure inouïe, chacun pense qu’il est tout à fait<br />

banal que des infinis montés sur pattes (de longues jambes désirables en ce qui<br />

me concerne) s’accordent et se tutoient masturbalement 180 alors qu’à chaque fois<br />

c’est un miracle, une improbabilité maximale. Mais, revenons à l’innocente découverte<br />

de ces deux chercheurs belges, Van Meenem et El Habdèrozob, deux<br />

déconnards 181 de génie. Chacun s’étonne et se choque qu’un espace urbain<br />

puisse, pour un temps limité se substituer à un autre. Je vous jure… les gens sont<br />

trop cons. Remarquez que c’est peut-être pour cela qu’un dictateur frouze avait,<br />

avant Evène, interdit le port de la burka qui, topologiquement parlant créait un<br />

mélange d’espaces fondamentaux, imaginez que les Champs Zé débouchent sur<br />

une ruelle de Kaboul ça n’était pas du tout prévu par Habdèrozob qui était un<br />

sale con à tendances racistes. Brèfle, dans un autre contexte, hasard de l’instant,<br />

j’ouvre au hasard un exemplaire de PodSex et que vois-je ? Une photo pleine<br />

page d’une femme. Ah ? Oui ! Une femme. Qui pourrait imaginer ça ? On les a<br />

toutes tellement utilisées que parfois j’ai tendance à penser que le stock mondial<br />

de viandes montrables est épuisé. Mais non, il en reste et celle-là est banale, un<br />

poil jet sèche. Que fait-elle ? Elle marche. C’est tout ? Oui, ça l’occupe énormé-<br />

180 J’ai hésité avec “masturbaliquement” qui faisait plus catholique… NdA<br />

181 Autre apport à une Académie française d’une impensable ingratitude, on me dit qu’ils<br />

préfèrent se tourner vers le parler banlieus pour faire plus jeunes… NdAsarc<br />

219


ment. Je vous vois venir : vous allez me ressortir tous les bouquins sublimes<br />

que Jacques, à la traîne de Baudelaire et de tous les fascinés par les bougeuses<br />

d’espace a pondu. Il ne s’agit pas du tout de ça. Celle femme est une insulte<br />

publique et ambulante aux nouveaux pauvres dont la masse, selon Saint Pareto<br />

182 , s’accroît à faire gerber le Schéol. C’est une femme type upper class 183 ,<br />

une friquée, une arrogante, une enveloppe, un message de dédain et de provocation.<br />

Elle porte d’énormes lunettes de soleil. Mais encore ? Rien, tout en elle est<br />

une déclaration de visibilité. Rien de plus. Elle est people, elle est super-classe,<br />

elle n’a aucune existence personnelle, elle y a renoncé en faveur d’un pouvoir<br />

dérisoire, c’est le modèle à suivre. La légende nous dit “Stefania Papafrita se<br />

cherche une maison à Madrid”. Mais que dit réellement cette femme ? J’ai du<br />

fric et je suis aux normes. Si vous regardez bien la photo, ce qui est important<br />

c’est la manière dont elle marche. Elle a des jeans impeccables, des bottes élégantes<br />

et de l’assurance. Elle avance d’un air conquérant, elle impose la direction<br />

à suivre. Elle vous dit en clair comme en subliminaire qu’elle n’a pas de<br />

problèmes car elle a de l’argent. Elle marche et il faut la suivre. Cette pétasse, en<br />

réalité, c’est personne, rien qu’une caricature de femme. Mais il faut la suivre.<br />

Vous vous demandez pourquoi je suis partie dans cette diatribe ? D’une part<br />

parce que j’ai toujours essayé de faire passer un peu de vie féminine réelle dans<br />

les pages de PodSex et de l’autre parce que cette pute vient de réaliser un tour<br />

de force genre super-Teuclitop : elle s’est substituée à toutes les femmes réelles<br />

grâce à une image un peu beaucoup trafiquée. 184 Donc… s’il est possible de<br />

provoquer des glissements identitaires dans le genre humain il n’y a vraiment<br />

rien d’extraordinaire à réaliser des glissements topologiques provisoires dans<br />

des lieux chaotiques. L’humain, c’est l’infini. <strong>Le</strong>s quartiers d’une cité c’est bien<br />

plus petit. Je vous dis ça parce que la connerie ambiante m’énerve et parce que<br />

personne ne réalise que le monde dans lequel nous vivons est le plus grand des<br />

paradoxes et des improbables (et pourtant… il tient 185 ).<br />

Ceci dit - nous étions dans une parenthèse râleuse. <strong>Le</strong>s énergies de la Teu-<br />

182 Vilfredo Pareto, a vécu à Lausanne, a exposé la fameuse courbe de Pareto selon<br />

laquelle la capitalisme ne peut que concentrer les richesses du monde dans un groupe de plus<br />

en plus restreint.<br />

183 Groupe qui, selon la sociologie se trouve au top de la hiérarchie, ce qui est une mauvaise<br />

définition car il ne s’agit que de pauvres cons qui ont vendu leur semblant d’être pour<br />

un rien de paraître et attendent en hurlant leur fin dernière dans un contexte exténuant, croyezmoi,<br />

je sais.<br />

184 Merci Iconshop… NdEfutrst<br />

185 L’Editeur laisse à Mélissa toute la responsabilité de cette affirmation pour le moins<br />

hasardeuse, aux dernières nouvelles le monde ne tient plus.<br />

220


clitop s’accumulaient, le rusé Sarkodile voulait les contenir à son usage propre<br />

mais elles envahirent divers champs de l’activité humaine. Effaçant au passage<br />

la frontière que les humains avaient cru solide entre réel et virtuel. Je n’avais pas<br />

eu le temps de vous en parler (vous m’avez vue occupée à survivre dans des voyages<br />

assez mouvementés) et je vais essayer de vous décrire, avec mes pauvres<br />

mots, la mouvance qui s’abattit sur la société, en assurant parfois (qui sait ?) son<br />

salut et son renouvellement.<br />

Il existait encore une certaine frontière entre le réel (ou le supposé tel) et le<br />

virtuel qui proliférait. Bien entendu des gens volaient de l’argent réel (c’est un<br />

abus de langage) avec des moyens virtuels et une masse de mecs se branlaient<br />

devant des filles virtuelles pixelisées, ce qui était dans les usages.<br />

Des Ombres m’avait raconté que, dans son enfance, la société et surtout<br />

l’église diabolisaient la masturbation. J’ai vraiment peine à le croire mais je puis<br />

concevoir que la jouissance étant à la base de toute liberté toute société oppressive<br />

la déteste. Il avait eu affaire à un curé pédophile (ce mec a toujours été en<br />

avance sur son temps) qui ne l’avait jamais touché physiquement mais qui tentait<br />

de le persuader qu’il se branlait et que sa cervelle allait devenir “comme une<br />

éponge”. Il était tellement frais, jeune, allant et naïf que ces propos avaient glissé<br />

sur ses plumes de canard comme un vieux foutre de curé frustré. Quoi qu’il en<br />

soit, la masturbation a rapidement acquis droit de cité, festive et artistique dans<br />

les années cinquante et 60, banalisée dans les 70, sous prescription médicale<br />

dans les 80, signe de classe dans les 90 et finalement inscrite dans la constitution<br />

des États-Unis dès l’an 2’000 186 . Masturber, pour moi, n’était qu’une politesse<br />

sociale élémentaire et j’avais plus ou moins branlé toute la rédaction de PodSex,<br />

à l’exception de BigMama qui était bien gardée par cette salope d’Hannelore et,<br />

à vrai dire, n’en communiquait guère l’envie. C’était comme la pierre de rosette,<br />

ça ne se demandait pas, ça ne se refusait pas et on n’était pas obligé de le faire<br />

en public, encore que… Une pratique utile, somme toute. On n’en faisait pas<br />

un fromage, ça ne gênait personne et donnait du travail aux femmes de ménage<br />

(elles n’existent plus) comme aux girls next door 187 , l’essentiel étant que ça marchait<br />

avec le système financier et boostait les ventes des produits les plus divers.<br />

De nos jours on ne peut plus tenir un tel discours sans paraître pépédéphasée,<br />

ridicule ou carrément zarbi.<br />

186 Là, l’auteur déconne franchement car il n’y a pas plus masturbatoire que la société<br />

américaine qui propose des femmes hypervirtuelles, intouchables, imbaisables, entraînées à<br />

créer du désir alors que par essence elles ne pourront jamais le satisfaire ce qui fait d’elles les<br />

ambassadrices du système consumériste US. NdTnrv<br />

187 La girl next door est, dans l’imaginaire ado, une créature de rêve qui habite la porte à<br />

côté, à consommer avant qu’elle ne vire au cauchemar NdE<br />

221


<strong>Le</strong>s effets de la Teuclitop furent, à cet égard, assez étonnants et un rien négatifs<br />

pour le E-commerce.<br />

Pour être concrète je me rappelle de quelques dérivées comiques de la Teuclitop<br />

comme par exemple, livrée à la rédaction, par un Zorro masqué, cette pizza<br />

qui récitait du d’Ormesson dans un texte un peu beaucoup abâtardisé : “Moi, j’ai<br />

beaucoup aimé ce monde qui est si dur et les horreurs de la vie” disait-elle avec<br />

une haleine quatre fromages, mais, avant que nous la croquions, elle trouvait<br />

le temps d’évoquer “ce trader fou violé par un angle droit sorti du plus proche<br />

confessionnal” ou récitait quelques lignes d’un poète disparu<br />

“J’aimerais revoir Grenade et son Alhambra où<br />

m’attendrait une femme dont la vie tout entière, cachots,<br />

passion, suicides ne serait qu’un long roman…”<br />

lignes qui firent longuement vibrer les strings de nos midinettes arpenteuses<br />

du Paseo de la Deforma 188 ; il y a un point commun entre les pizzas et les mecs<br />

c’est qu’ils ne se réchauffent pas et celle dont à propos de quoi je vous cause ne<br />

déconna pas longtemps, elle fut bouffée tiède par une rédac fâchée ! Ces secousses<br />

de logique avariée firent, comme d’habitude dans ces livres, couler des litres<br />

de sperme sans procurer le moindre plaisir aux débourseurs. Bref, la Teuclitop<br />

mettait tout le monde à mal, elle n’était que l’expression, à mon avis, d’un univers<br />

qui partait en couilles (les filles actuelles en ont), qui s’effileffilochait ou pire<br />

se croquemitouflait 189 ayant touché soit sa limite de complexité soit le nadir de<br />

la bêtise humaine.<br />

On découvrit plein de cas de Teuclitoperature aggravée dans de bons classiques,<br />

comme par exemple dans la réédition du Rapport Gabriel du divin<br />

d’Ormesson. Ça ressemblait à une modulation de l’original par des langages<br />

profonds du Sud venus donner chaleur et lumière à nos banlieues :<br />

- O, Gab ! Putain de ta mère, tu me prends grave la tête ! Komen kel étai 7<br />

pizza ?<br />

- L’analyse de la pizza, confia Gabriel, révèle qu’elle contient cinq spermes<br />

différents de gascons 190 livreurs.<br />

- Gibreel !! Il est trop mystique le livreur ! Y m’bat les couilles, ce bâtard<br />

188 Comunément nommé Paseo de la Reforma à Mexico, DF, mais, Teuclitop oblige, le<br />

Paseo de la Deforma sonne bien dans le contexte. NdAqsf<br />

189 Hommage au grand Gilbert B*<br />

190 Rassurez-vous aucun ne se prénomme Cyrano. NdEembrss<br />

222


- Cinq ! Je le plains beaucoup, je passe mes journées à rappeler à l’Éternel<br />

combien il est dur d’être humain. On devrait diminuer l’âge de la retraite.<br />

- <strong>Le</strong>s types du service de livraison ont des fantasmes de viol ! Ils en parlent<br />

entre eux et déballent tous leur queue pour se branler sur la pizza. Pas vrai Marie<br />

?<br />

- Sépa… Je coucherais avec le premier crétin venu pour éviter d’être seule.<br />

- Peuff, je vais m’enfoncer tous les doigts dans ta chatte, bien écartés, pour en<br />

faire jaillir l’eau, cet écoulement me fera jouir une fois de plus.<br />

- Si nous ne parvenons pas à stopper le temps et fléchir l’Éternel il n’y aura<br />

peut-être plus de jeunes femmes…<br />

- J’aime beaucoup la vie, la vie ardente des femmes de ce monde, sauvons les<br />

jeunes femmes ! s’écriait Gabriel.<br />

- Sauvons-les, lui dis-je.<br />

Je ne vous garantis pas cette transcription, disons simplement que ce qui<br />

était<br />

arrivé à l’espace urbain des grandes villes se propageait à la littérature classique.<br />

<strong>Le</strong>s styles se touchaient, s’accrochaient. Imaginez donc ce qu’un auteur<br />

de l’époque aurait pu faire en mixant Saint Paul avec Frédéric Dard et, perversion<br />

absolue, un soupçon de Huèle Bec ! D’Ormesson était touché parce qu’il<br />

était à sa manière plus vivant et accessible que les autres. La même chose ne<br />

tarderait pas à arriver au code civil contaminé par le langage boursier, la carte<br />

des restaurateurs par des philosophes plus abscons que Michel Orfraie, etc. Bon,<br />

faut que je vous laisse, d’une part c’est pas ma spécialité et de l’autre Jacques<br />

m’attend et il manque de patience.<br />

Je me demande quand il se réunira enfin avec mon divin copain…<br />

223


La frappe Hannelore<br />

Destruction des valeurs féminines<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VI b )<br />

Chaque femme porte en elle une force naturelle riche de dons<br />

créateurs, de bons instincts et d’un savoir immémorial. Chaque<br />

femme a en elle la Femme Sauvage. Mais la Femme Sauvage,<br />

comme la nature sauvage, comme l’animal sauvage, est victime<br />

de la civilisation. La société, la culture la traquent, la capturent,<br />

la musellent, afin qu’elle entre dans le moule réducteur des rôles<br />

qui lui sont assignés et ne puisse entendre la voix généreuse<br />

issue de son âme profonde.<br />

Femmes qui courent avec les loups, Clarissa Pincola Estès.<br />

Dieu, ce flippeur fou, avait relancé la partie. Je retombai dans le sinistre bureau<br />

de Wall Street, le temps avait dû se geler, je me suis demandé combien de<br />

parties parallèles il jouait avec la boule Mélissa. Mes cris de colère n’avaient<br />

produit aucun effet, il devait avoir une raison.<br />

La blonde “parfaite” est entrée dans le Saint des Saints et m’a demandé de<br />

la suivre. Fuld et Madoff me contemplaient avec ravissement. Ce n’était pas<br />

mon superbe petit cul qu’ils regardaient, juste l’instrument de leur complot. Je<br />

n’étais qu’un petit missile porteur d’une ogive à retardement. Étaient-ils prêts à<br />

se convertir à la juste cause ? Quelque chose me disait que oui mais que la juste<br />

cause n’avait pas trois syllabes, comme Mélissa. Juste les deux qui forment le<br />

mot money.<br />

L’assistante, ce beau cheval, avait pour tâche de me conduire dans le bureau<br />

que la <strong>Le</strong>hman Brother venait de mettre à ma disposition, avec tout ce qu’il fallait<br />

pour inonder la planète des saletés toxiques conçues par les financiers américains<br />

et sucer le sang des pauvres hasta la ultima gota. Je l’ai suivie à contrecœur<br />

car je me suis toujours méfiée des blondes. Après Avène elles sont pratiquement<br />

toutes fausses car la vraie blondeur dépend d’un gène récessif. Mais, peroxydées<br />

ou pas il y a pire, les blondes, sur cette rive de l’Atlantique, sont tout simplement<br />

un modèle de comportement, l’équivalent d’une grosse 4x4, d’une propriété en<br />

Floride, l’image d’un compte bien garni, un signe extérieur de richesse, des<br />

tiroirs caisses, les mecs s’y coincent la bite et crachent au bassinet sans jamais<br />

savoir ce qu’est le plaisir, pour ignorer ce mot étrange qui est l’amour.<br />

225


J’évacuai un sourire du style potatoes 191 sur les deux malfaisants et m’en fus<br />

sur les traces de la vraie fausse Nordique qui semblait s’impatienter et tapotait la<br />

moquette du bout de son escarpidole 192 , elle m’emmena dans un dédale assez improbable<br />

de verres bleutés, de chromes, d’étages et de portes à soupirs intégrés.<br />

Je ne sais pas si elle le faisait exprès mais sa manière de marcher était à double<br />

détente : d’une part je commençais à m’exciter sur ses symboles et de l’autre ma<br />

vigilance baissait. J’aurais dû accorder plus d’importance aux signaux de mon<br />

FemmeTouch… Mettre la main au cul d’une fille n’est pas vraiment dans le<br />

style Mélissa, toujours est-il qu’à peine entrées dans une jolie pièce aux oranges<br />

dominants, je me retrouvai flattant sa croupe tout en finesse, ce dont elle ne<br />

se formalisa pas. On savait qu’avant Evène les couples américains se parlaient<br />

moins de deux minutes par jour, allais-je battre un record et entretenir cette<br />

fille suffisamment longtemps pour lui faire découvrir mes hautes températures ?<br />

J’avais bien une heure ou deux à tuer et plus si entente…<br />

Hanna - c’est son nom - ne s’effaroucha nullement de mes approches. Alors<br />

que je lui caressais doucement les fesses elle me plaqua sur le bureau pour me<br />

coller un french kiss force 5 et je sentis nettement mes cheveux se dresser sur<br />

ma tête. Cette fille n’avait peut-être pas beaucoup de conversation mais elle<br />

avait du répondant. Ce beau cheval me faisait mouiller comme une vache fribourgeoise<br />

193 , je tentai de garder l’initiative. Vous vous souvenez de ma première<br />

impression ? Une sculpturale blonde platine élevée aux hormones avec une éducation<br />

de mec, une vraie fausse Nordique aussi froide que désirable. J’assumais<br />

ces contradictions.<br />

Si mes copines apprenaient que j’avais laissé une nana d’avant Avène prendre<br />

l’initiative amoureuse d’un bout à l’autre de notre échange ma cote chuterait<br />

certainement d’avantage que les valeurs boursières allaient le faire après l’effet<br />

Fuld et Madoff… Hanna tint à me débarrasser de mon superflu.<br />

Vous vous attendez probablement à un délice lesbien de plus ? Vous allez être<br />

déçus. De ma connerie entre autres.<br />

Hanna avait pris soin de verrouiller l’accès de son bureau, je ne me méfiais<br />

de rien. Je la vis farfouiller dans son bureau pendant un long moment. Que<br />

cherchait-elle donc ? Ces fameux documents qui allaient faire tomber la planète<br />

finance ? Je m’en foutais. J’avais branché mon FemmTouch sur “oreille interne”<br />

191 Technique de sourire, pour l’exhibit gingival total dire “cheese” et pour le sourire<br />

réservé, voire méprisant, glisserbun simple “potatoes”, avec l’accent bien entendu NdT<br />

192 Vernaculaire Jigéen, donné semble-t-il pour escarpin idôle ou d’idôle. Férichisme<br />

parfaitement normal dès juillet 1981. NdTimgntf<br />

193 Qui sont, c’est officiel, très supérieures aux vaches normandes et parisiennes.<br />

226


et je savais déjà que ma visite à M. Tricky Dicky 194 Fuld et son comparse Bernie<br />

n’étaient qu’un détail. On était le 8 septembre 2008 et la merde se préparait à<br />

toucher le ventilateur. 195 La chute de <strong>Le</strong>hman, la traîtrise de Paulson, la pourriture<br />

du système bancaire américain et mondial, la misère de ce peuple, le ou les<br />

trillions qu’on allait servir sous peu à ces salopards et l’usage insensé qu’ils en<br />

feraient, la faillite annoncée des États eux-mêmes, tout était trop vaste pour se<br />

résumer à l’action d’une petite Mélissa chargée de transmettre des documents<br />

fussent-ils déclencheurs. <strong>Le</strong>s voies du Seigneur sont-elles impénétrables ? On le<br />

dit. Mais si Dieu me tombait sous la main je vous jure bien que je les explorerais<br />

de fond en comble. Ne serait-ce que pour savoir quelle logique il suivait.<br />

J’avais ma petite idée, une histoire aussi décousue que celle-là ne peut avoir<br />

qu’une origine : le mental de quelqu’un qui souffre. Il y avait dans mes voyages<br />

une obsession américaine dont je vous ai déjà causé et j’étais sûre que cela<br />

provenait des obsessions de Des Ombres, ce mec humain, trop humain ! Mon<br />

FemmeTouch était vraiment trop ! Grâce à lui je venais d’apprendre ce qui allait<br />

vraiment arriver dans ce moment d’Avène, il me permettait de monter en altitude<br />

et d’observer l’ensemble des événements dans une durée assez large. Je devais<br />

tout ça à l’upgrade que Dieu m’avait fait à deux reprises. J’étais somme toute<br />

non seulement la fille la plus sexy et conquérante du monde mais en plus une<br />

nana quasi invulvérable !<br />

C’est alors qu’un clignotement attira mon attention. Oh pas grand-chose, le<br />

petit carré ambre que mon F2 me faisait visualiser. Je n’avais jamais détecté ça<br />

mais je me souvins que ça signifiait “Danger immédiat”. Ce ne pouvait être Fuld<br />

et sa clique que nous verrions de laisser quelques dizaines d’étages plus haut, il<br />

n’y avait qu’Hanna.<br />

Je la vis s’approcher de moi, tellement belle et rayonnante que mon stupide<br />

cœur fondit sur le champ. Elle tenait à la main un petit sac de plastique blanc,<br />

allait-elle m’offrir des chocolats ? Je lui posai la question.<br />

- Pas du chocolat, fit la vraie fausse Nordique en éclatant de rire, juste une<br />

petite parure qui te rendra encore plus sexy… si c’est pensable, Mélissa.<br />

Je vous dis pas comme je me sentis bien.<br />

- Montre ! fis-je impatiente.<br />

- Voilà !<br />

194 Tricky Dick : ainsi fut nommé Nixon, Richard le tricheur.<br />

195 Croyance américaine selon laquelle un touriste se serait soulagé dans les conduits<br />

d’aération d’un grand aéroport, dispersant à tout vent et venant ses précieuses infos ADN !<br />

227


Elle secoua le sac et en extirpa un élégant ensemble de fines courroies brunes.<br />

Wow ! J’allais avoir le look SM de l’époque, cette salope avait envie que je la<br />

maltraite. Je manquais totalement d’expérience en la matière mais attendis la<br />

suite, je suis une excellente improvisatrice.<br />

Hanna me balança un sourire en coin.<br />

- Tu ne me reconnais pas ?<br />

Cette voix me disait quelque chose mais tout se passa tellement vite que je<br />

n’eus pas le temps de me défendre. Elle tira vivement sur l’une des courroies,<br />

le tas informe s’organisa et prit une forme plus ou moins humaine, elle balança<br />

l’ensemble sur ma personne et… je me retrouvai entravée de la pire manière<br />

possible. Elle venait d’utiliser un ensemble de cuirs auto ajusteurs, une<br />

merveille de nanotechnologie. Quelque chose d’intelligent qui vous mesure et<br />

s’adapte à vous de manière imparable. Faites-moi penser à aller voir le salopard<br />

qui a mis ça au point. Je me débattis de toutes mes forces mais le résultat fur<br />

hyperdésagréable.<br />

À chaque tentative de libération les courroies durcissaient et se resserraient.<br />

Je me retrouvai à ses pieds, sécurisée de la manière la plus cruelle pensable. Elle<br />

se mit à rire et… reprit sa forme originelle.<br />

C’était Hannelore…<br />

- Tu aimes mon petit gadget de traqueuse ? me demanda-t-elle.<br />

- Je vais surtout aimer te tuer dès que je serai libre, dis-je entre mes dents.<br />

- Ah ? Alors je ne risque rien car tu ne seras plus jamais… libre, comme tu<br />

l’espère.<br />

Elle se mit à rire sans pouvoir s’arrêter.<br />

- Que veux-tu faire de moi ? grognai-je de très mauvais poil.<br />

- Te ramener, bien sûr ! Quelqu’un t’attend avec impatience ma belle. <strong>Le</strong><br />

Sarkodile en personne. Et accessoirement mon ex-patronne.<br />

- Big Mama n’est plus à PodSex ? fis-je très surprise.<br />

- Pas vraiment. Elle tenait grâce à des chrono ralentisseurs. Il m’a suffi de<br />

les remplacer par un placebo et… le temps à repris son cours. Elle fait très…<br />

vieux.<br />

Ça ne devait pas être beau…<br />

- J’ai repris sa place, crut-elle bon d’ajouter.<br />

Ça, c’était extrêmement mauvais pour ma carrière. Mais quelque chose me<br />

disait que je n’avais probablement plus aucune perspective d’avancement à Pod<br />

Sex ni ailleurs.<br />

228


- Ton BioTrap 196 te plaît ? minauda Hannelore.<br />

Je me contentai de lui lancer un sale coup d’œil.<br />

- C’est supertop, tu sais. Tu crois être simplement attachée avec des courroies<br />

mais en fait elles s’adaptent à ton corps. Elles lisent tes codes et entrent dans ta<br />

peau. Je ne voudrais pas te décourager mais… on n’a jamais vu qui que ce soit<br />

se libérer de ce modèle. Enfin… en vie.<br />

J’étais dans de sales draps, pour la première fois dans cette histoire. Je ne<br />

doutais pas une seconde de la maudite efficacité du piège biologique qui me<br />

mettait à la merci d’Hannelore mais il me restait deux atouts. Mon FemmeTouch<br />

et… Dieu. Je me suis mise à espérer que Ça suffirait à me tirer d’affaire. Histoire<br />

de gagner du temps je l’ai fait parler. Vous avez vu ça dans tous les films ricains,<br />

quand le méchant tient le héros à sa merci, il tombe immanquablement dans le<br />

piège de sortir sa rancœur. Il ne résiste pas à révéler ses crimes, ses motifs, tout<br />

ce qui l’a mené là et, sans faute, ça lui est fatal. Ça donne le temps au gentil ou<br />

aux flics d’arriver en catimini et de le flinguer (ils lui lisent ses droits après).<br />

Sans bouger d’un milipoil je testai la formule sur Hannelore la SACER.<br />

- Mais, entre nous, fis-je de ma voix de petite fille grondée, que me reprochestu<br />

pour me traiter ainsi, Hannelore ? Ne t’ai-je pas toujours montré de l’amitié ?<br />

Son rire fut la plus horrible chose qu’il me fut donné d’entendre. Entre un accord<br />

de haine pure et le grincement d’une vieille porte forcée.<br />

- Ce que je te reproche ? Mais rien. Juste d’exister. Une fille comme toi on<br />

n’en veut pas. Tu nous ridiculises toutes ! Tu nous fais toutes marcher. Mélissa ?<br />

On ne parle que de tes éclats de rire à PodSex, de ta vitalité, de ta bonne humeur.<br />

Tu résonnes dans ma caboche, ta joie de vivre ricoche et je me sens pauvre. J’en<br />

ai marre, marre et marre ! Quand tu marches tu fais bouger l’espace. Quand tu<br />

souris on économise de l’énergie. Tu es la femme que chacune rêve de devenir<br />

et ta vie sexuelle nous paraît à toutes incarner le modèle désirable, parfait mais<br />

irréalisable. La plupart des filles te reconnaissent secrètement un aspect de divinité,<br />

tu es la journaliste vedette de notre Zine, jamais nous ne réussirons à<br />

t’égaler, tu es plus femelle que nous toutes réunies et le pire, tu ne dis jamais de<br />

mal de personne ! Comment veux-tu ne pas être haïe ? Quelqu’un comme toi ne<br />

devrait simplement pas exister et je vais y remédier. Ça, c’est pour le superficiel.<br />

On va te faire souffrir pour ça, compte sur moi. Mais ce n’est rien, comparé à ton<br />

pire côté. Tu te sens bien ? Ça n’est pas trop serré ? Ta peau te brûle un peu, je le<br />

sais mais je continue. Tu es une déviante. Tu n’en es pas consciente mais tu fais<br />

changer les choses. Big Mama l’avait remarqué et elle en a parlé au Sarkodile,<br />

196 BioTRap : piège biologique. Un développement probables des nanotechniques et de la<br />

biologie moléculaire. NdThyp<br />

229


cette conne. Elle lui a longuement raconté comment tu créais autour de toi des<br />

dysfonctions du système. On ne sait pas comment tu t’y prends mais tu perturbes<br />

l’écoulement de notre monde tel que nous l’avons planifié. <strong>Le</strong> Sarkodile l’a<br />

compris et il a pensé que je me chargerais de ton cas bien mieux que Wolverine.<br />

Et quand je lui ai dit que les chrono dégueuleurs ne t’avaient pas tuée il a revu<br />

ses plans. Il veut t’interroger et, ma foi… préparée comme tu l’es je pense que tu<br />

es fin prête pour cette séance. Elle risque de te paraître longue. Très longue. Et<br />

je te le répète, je me chargerai personnellement de toi.<br />

Hannelore poursuivit sur ce mode. Moi, c’est vrai que je n’étais pas bien, je<br />

calculai mes chances de survie. Ça, c’est une première ! Mélissa est éternelle,<br />

c’est un axiome mais il me sembla fortement remis en question. Mon Femme-<br />

Touch était en place et j’avais vraiment été conne. Si seulement j’avais prêté<br />

attention à ses clignotements ambrés ! Mais il était trop tard, j’avais toujours<br />

la connexion et Hannelore en ignorait l’existence. D’un autre côté ce n’était<br />

qu’un instrument de connaissance, le plus vaste répertoire du monde mais rien<br />

qui me rendrait ma liberté. Je déteste les gens qui attachent et emprisonnent les<br />

autres. C’est dégueulasse. L’histoire de notre race est faite de ça me semble-t-il,<br />

l’homme, cette abomination, a eu du génie dans le domaine du crime, de la contrainte<br />

et de la torture. J’étais surprise de voir ces aspects purement masculins<br />

émerger chez une femme. Ignorant ses menaces et la préparation psychologique<br />

au supplice à laquelle elle me soumettait j’usai de ma vision seconde et je la<br />

vis. Hannelore était une erreur, un monstre, quelque chose de totalement laid et<br />

malsain qui s’était incarné dans ce corps de femme. Elle était, comme on aime<br />

à le dire dans cette contrée, le Mal. Je me rendis compte que Des Ombres avait<br />

eu raison dans ses livres quand, obsessionnellement il dénonçait le plus grand<br />

crime de l’Amérique, la destruction des valeurs féminines. Hanna et Hannelore<br />

étaient une seule et même femme, le pur produit élevé en ce pays. Ça avait<br />

perduré après Evène… Mon FT me refila tellement de données que j’en eus le<br />

tournis. Dieu avait annoncé la couleur quand j’étais dans le bureau de Fuld mais<br />

je ne comprenais pas qu’Il s’intéresse à des magouilles financières, fussent-elles<br />

ricaines ! Il y avait plus. La vraie nature du crime se révéla à moi. <strong>Le</strong>s Américains<br />

avaient massacré les valeurs féminines et produit ce que l’on avait appelé<br />

des she male. 197 Ces femmes étaient bien entendu des faire valoir et des drapeaux<br />

au service d’un patriarcat qui se pensait triomphant mais rapidement elles se dégagèrent<br />

de leurs créateurs pour devenir des femmes d’affaire ou des assassins,<br />

197 Déjà évoqué ici. Terme apparu à la fin des années quatre-vingt, jeu de mot sur She<br />

(elle) et male (mâle), assonance avec Female (féminin) pour désigner des femme-signes,<br />

des femmes dont la féminité a été détruite volontairement au profit de l’efficacité et de<br />

l’adéquation au système financier. Tom Wolffe est l’un des premiers à noter que la nouvelle<br />

race est composée de garçons avec des seins.<br />

230


les deux souvent. Aux yeux de Jacques, Hiroshima, le Vietnam et l’Irak étaient<br />

des crimes moindres que ce massacre du féminin. Mais, apparemment, cela avait<br />

très bien pris car les filles de ce pays ne rêvaient que d’entrer dans ce système<br />

pour y écraser les hommes. Elles usaient de signes simplistes et ça marchait. <strong>Le</strong>s<br />

hommes, totalement aliénés dans leur vaine course à l’argent, tombaient avec<br />

facilité dans les pièges de ces prédatrices qui les dépouillaient et les jetaient sans<br />

état d’âme ; la loi était largement de leur côté à partir d’un certain niveau social.<br />

<strong>Le</strong> type féminin dominant était germanique ou anglo-saxon, des mâchoires<br />

carrées, cette blondeur dont je vous ai prédit l’avenir, de longues jambes, une<br />

parfaite dureté physique et mentale, des aryennes somme toute, ce ridicule petit<br />

Hitler avait bel et bien gagné la guerre…<br />

Je devais être fatiguée de tout car je vis passer ces lignes devant mes yeux :<br />

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! <strong>Le</strong>s Aubes sont navrantes.<br />

Toute lune est atroce et tout soleil amer<br />

La voyante faisait un très mauvais trip…<br />

L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.<br />

Ô que ma quille éclate !<br />

Ô que j’aille à la mer !<br />

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache<br />

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé<br />

Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche<br />

Un bateau frêle<br />

comme un papillon de mai.<br />

Ça me fit carrément flipper, trop vrai, trop fort<br />

Celui qui parlait ainsi avait entièrement parcouru le chemin de sa vie… Désir<br />

de mort, en étais-je là ? Impossible, je suis Mélissa !<br />

- Aoutch !!!<br />

Je poussai un cri de douleur 198 , mes sangles étaient devenues brûlantes.<br />

198 Aoutch : équivalent américain de Aïe NdTqs’mmd<br />

231


- Je n’aime pas te voir rêver à je ne sais quoi, dit Hannelore furieuse, c’est un<br />

petit rappel à l’ordre, au mien. <strong>Le</strong> suivant pourrait être beaucoup plus désagréable.<br />

Tu m’écoutes, sinon…<br />

Elle poursuivit.<br />

- Ça n’a pas été simple de te tracer. J’y ai pris beaucoup de plaisir ! Je t’ai<br />

loupée de peu à New York et à la grande rave lesbienne en Floride. Je ne sais pas<br />

vraiment ce que tu es allé faire en Allemagne et en Suisse mais… tu vas nous le<br />

raconter en détail. Pas maintenant car il est temps de se tirer d’ici.<br />

Je me suis demandé ce que Dieu foutait. Comme tous ces pauvres gens que<br />

l’Église avait torturés, qu’on avait exécutés, appauvris, surendettés, poursuivis,<br />

réduits en cendres. Tous s’étaient posé la même question à propos de mon divin<br />

copain (qui brillait par son absence). Et tous avaient abouti à la même conclusion.<br />

Jamais là quand on a besoin de Lui.<br />

232


Tout est dans la lumière<br />

(Dieu : Trop c’est trop !)<br />

- Trop c’est trop Mélissa. Je fais mon métier comme je peux et pour moi pas<br />

de RTT ! Tu manques de charité, d’espérance et de foi. Remarque que l’Église<br />

des cathos a servi ces conneries aux pauvres gens pendant des siècles pour les<br />

endormir. Toi, tu te plains et tu m’accuses parce que tu viens de tomber dans les<br />

griffes d’Hannelore ! Et alors ? Ça te change de ta petite vie de jouisseuse à qui<br />

tout réussit. Tu vas devenir plate si tu continues sur cette lancée. Cette fille (je<br />

partage ton sentiment, si le Mal existe elle l’incarne bien) te met en question. À<br />

mon avis, tu ne risques pas grand-chose. Par contre, Moi, je me sens lésé. Tu nous<br />

as inondés de tes bavardages, sur tes copines, tes strings, les mecs et les formes<br />

de vie que tu penses avoir possédées ! Un pas plus loin tu tombes amoureuse, ce<br />

qui ne te ressemble pas, et tu as deux hommes pour cible. L’un c’est Des Ombres<br />

et je t’aide à le découvrir, tu me dois de bons moments, ne l’oublie pas, l’autre<br />

c’est Moi. Je ne sais que te dire. Tu as bon goût, prétentieuse. D’autant plus que<br />

tu commences à découvrir que nous ne sommes pas si différents l’un de l’Autre.<br />

Pour ce qui est de Moi, cette manière de me comparer aux putes et aux pompiers,<br />

jamais là quand on en a besoin, permets-moi de sourire. J’étais avec toi et - vastu<br />

le comprendre ? - tu n’étais qu’une instanciation de Mélissa. Il est bon que tu<br />

découvres la folie du monde humain, petite femme bardée de certitudes, et que<br />

tu apprennes la souffrance, ça t’humanise. Ça te rend différente de ces femmes<br />

américaines dont tu découvres l’horreur. Je sais, je sais, je t’ai promenée dans le<br />

monde et dans le temps et tu ne comprends pas mes desseins. Moi non plus, mais<br />

ne le dis à personne car si les hommes apprennent que le grand timonier est aussi<br />

con que Mao, Joseph, George et tous les autres ça va faire désordre. Passons<br />

aux choses sérieuses maintenant. Dans une logique de temps irréversible Des<br />

Ombres n’est que l’une des innombrables petites âmes que j’ai semées dans le<br />

grand flux. C’est tout. Dans une logique plus évoluée (le Temps n’a pas d’odeur,<br />

de couleur, de durée ni de direction, c’est un vecteur zéro mais je ne te demande<br />

pas de saisir ça) dans une logique transtemporelle, dans la mienne, Des Ombres<br />

est un musicien qui est tombé dans la lumière. Il était là au mauvais moment,<br />

c’est tout. Ton monde est peuplé de sexes, de fentes, de vulves, de chevelures,<br />

de sourires, de séductions et de conquêtes de toute forme de vie. Tu fais ça pour<br />

une bonne raison mais je ne te la révélerai qu’au dernier instant. Quand ce jeune<br />

homme est tombé aux origines du Temps il a été emprisonné par une tourmente<br />

233


animique. Toutes ces âmes qui vont exister, peupler ton monde sans même évoquer<br />

d’autres formes de vie, toutes ces âmes sont déjà là sous forme d’énergie.<br />

C’est la géniale intuition juive du Schéol, le réservoir des âmes. Je sais que<br />

parfois je mets cette image en doute mais quand je vois se déployer l’essaim<br />

de toutes les âmes je tombe dans une longue réflexion. Des Ombres a-t-il de la<br />

chance ou de la malchance ? On ne sait pas, les âmes l’ont “vu” et emprisonné<br />

exactement comme tu l’as été avec Hannelore. Mais en nettement plus vaste…<br />

Que venait-il faire dans cette galère ? On ne sait pas. C’est un musicien et les<br />

musiciens c’est imprudent par nature. Il avait une conviction - il m’en a rebattu<br />

les oreilles je ne te dis pas - celle que la musique qui n’est que pure énergie, a le<br />

pouvoir de créer des mondes. Conséquence ? Dieu est un compositeur. Il est mon<br />

père en fait car à ce moment je n’existe pas autrement qu’en trillions de degrés<br />

et boule d’énergie inconcevable. Que s’est-il passé ? D’une part Des Ombres<br />

retourne à son néant, il ne “sera” que des milliards d’années après la lumière,<br />

de l’autre il me donne forme humaine et je commence un long voyage sous des<br />

formes diverses. <strong>Le</strong>squelles ? Vos savants ont fait un beau travail tu sais ? Ils<br />

ont appris à décoder ce couple matière/énergie mais ils s’aperçoivent que plus<br />

ils avancent plus les frontières reculent. <strong>Le</strong>s physiciens se mâtinent de poètes<br />

et les poètes apportent parfois les éléments d’une lecture ancienne. En vérité le<br />

terme ancien ne me correspond pas car j’existe au-dessus du temps tel que tu<br />

le connais. Veux-tu que je te cite une énigme extraordinaire de ce monde ? Ré<br />

mineur ! Oui, tu as bien entendu, ré mineur. L’existence et la fécondité des tonalités<br />

mineures est une énigme même pour moi. <strong>Le</strong> majeur découle d’un simple<br />

principe mathématique, le mineur est peut-être un aspect du génie de l’homme.<br />

Ce petit Mozart le sait mieux que personne, lui qui a écrit ses plus belles œuvres<br />

en ré mineur. Des Ombres est un compositeur. Rien à voir avec Mozart, il naît<br />

au temps des turbulences révélées, la musique a envie de ressembler au monde.<br />

Il est arrivé que l’une de ses œuvres le fasse tomber dans la lumière, il devient<br />

moi et par la suite je vais prendre sa forme. Ne va pas t’imaginer qu’il est Dieu,<br />

chaque âme fervente l’est. Quand je te parle de la tourmente des âmes j’évoque<br />

ces esprits masculins en errance qui cherchent un refuge, une protection et qui<br />

me fabriquent. Aucune âme de femme là-dedans ! Cette tempête masculine voit<br />

apparaître Des Ombres qui tombe là par hasard au mauvais moment, dans le<br />

mauvais espace, au sein de l’énergie qui n’a pas encore écrit son roman et il est<br />

aspiré. Il faut que je te révèle une chose, Dieu n’est rien de plus qu’une idée masculine.<br />

Je crois que, sortis des origines, du ventre de la femme, tous les hommes<br />

prennent peur et n’ont rien de plus pressé que de fabriquer un super-être qui les<br />

défende et justifie leurs horreurs. <strong>Le</strong>s femmes qui sont proches de la nature, de<br />

l’ordre cosmique, ne s’embarrassent jamais de l’idée d’un Dieu. D’ailleurs elles<br />

sont, à ce que l’on me dit, divines en soi. Dieu est une fabrication de ces stupides<br />

234


spermatos tellement angoissés. Des Ombres ne fait pas exception sauf qu’il va<br />

avoir un contact plus direct avec le soi disant Grand Être.<br />

C’est avec toi, Mélissa, que je veux m’entendre car tu es femme, tu es base,<br />

tu es quelque chose dont même moi ne doit pas prononcer le nom avant que les<br />

choses ne recommencent depuis le début, tu es celle qui est attirée par Dieu, il<br />

te plaît. Mais il se trouve que Des Ombres tombe dans la lumière avec sa fichue<br />

musique et je me demande bien ce qu’il a fait au début de la première seconde ?<br />

Il y avait des décisions à prendre, tu sais. Je me demande si je ne vais pas lui<br />

refiler l’entière responsabilité de ton monde tel qu’il existe. Imagine qu’il l’ait<br />

mal programmé ? Et d’ailleurs quelles notes a-t-il joué qui l’ont mené là ? Il<br />

parle, quelque part, d’une séquence de quintes, l’intervalle le plus probable. La<br />

quinte, c’est l’essence de la différence dans la continuité. Ça fait penser au cycle<br />

de la soupe primordiale, ces électrons satellisés, ces neutrons, l’oxygène qui se<br />

recombine en hélium, les soleils. Sa musique a forcément quelque chose à voir<br />

avec le principe de base, elle a forcément impulsé la petite sphère originelle. Au<br />

fond, la création, ce fameux Big Bang, la source des choses, cette évidente destination<br />

de ton univers d’aller du chaud et du dense vers le froid et le complexe,<br />

tout ce qui s’ensuit, de qui est-ce ? De lui ? Ou de moi ? Je n’en sais rien, il faudra<br />

revenir à ce moment-là et, peut-être, réviser ce qui a été fait. Je me demande<br />

aussi si un cosmos programmé par une femme ne serait pas meilleur ?<br />

Pourtant il y a une chose que je ne comprends toujours pas et c’est toi ! La nécessité<br />

de ta présence dans cette histoire. Il me semble que même si, accidentellement,<br />

Des Ombres est à l’origine de toutes choses, avec moi dans une relation<br />

à clarifier, il me semble que tu existes aussi à la fin de cette histoire ! Et pourtant<br />

tu n’es pas l’Apocalypse, je le verrais. Jacques a beaucoup écrit sur cette fin du<br />

temps, du désir, du monde, de la lumière et il la désignait toujours sous le nom<br />

d’Apocaline. Ce n’est pas toi. Tu es une autre femme, tu me parais être l’inverse<br />

de l’Apocaline. Tu es plus grande. Je pense qu’entre Des Ombres et moi il va<br />

se produire une fusion. Je ne sais ce qui en résultera et c’est sans importance. Je<br />

ressens la nécessité d’être “Un” devant toi. Alors et alors seulement nous saurons<br />

quel est ton rôle et Qui tu es. Voilà pourquoi je t’ai abordée sur Denfert, je<br />

ne pouvais pas te le dire plus vite. Moi aussi je te dois des excuses. Je t’ai ballottée<br />

dans un livre fleuve des méandres duquel tu n’as pas connaissance.<br />

Il est pourtant facile à comprendre.<br />

Tu t’es demandé qui écrivait ce livre dans lequel tu te débats ? Bonne question.<br />

C’est Des Ombres, en qualité de premier auteur. Tu le devinais déjà, tu as<br />

lu ses autres ouvrages. Seulement voilà, tu n’avais pas prévu de n’être qu’un<br />

235


personnage apparaissant dans l’un de ses livres, le dernier assurément en ce qu’il<br />

va tenter de résumer tous les autres et, incidemment, le monde et même moi.<br />

Jusque-là ça n’est pas grave. Nous sommes tous écrits par quelqu’un et même<br />

moi, qui ai disposé de tant de pouvoirs, je suis instancié par Jacques. Là où ça<br />

devient plus intéressant c’est que toi, dans le courant de ce récit, tu vas revisiter<br />

le passé de ton auteur. Commençons par tes voyages. Tu n’as fait que quelques<br />

promenades temporelles et spatiales dans les souvenirs de Des Ombres. Pourquoi<br />

ce New York des années 1960 ? Parce qu’en cette période il est tombé<br />

amoureux de l’Amérique et que ça va avoir de graves conséquences. Sa désillusion<br />

sera immense, vingt ans après. Pourquoi la rave des filles en Floride ? Là,<br />

nous avons affaire à une intertextualité récurrente. Tu aimes les filles et c’est toi<br />

qui pousses l’auteur à t’envoyer dans leur monde. Je suis heureux de voir qu’il<br />

t’écrit mais aussi que très rapidement tu commences à l’écrire.<br />

Dans le début de notre histoire je t’aborde sur Denfert, à Paris. Pourquoi ?<br />

D’une part parce que je sais que le diable est une invention humaine et que le<br />

mot de Denfert m’amuse. Mais surtout parce que je me mets à écrire moi aussi<br />

ce livre et parce que je sais que la mission qui t’est confiée dépasse largement un<br />

petit sujet journalistique, le “Ce que préfèrent les femmes”. Je ne suis pas encore<br />

entièrement dégagé de Des Ombres. Si je l’étais je ne serais plus que la nature<br />

universelle, les flux d’énergie, le temps qui passe et la course des soleils. Avec<br />

lui je prends forme humaine et je t’utilise pour le modifier, pour qu’il écrive<br />

autrement. Dans tous ses bouquins il parle de moi mais il est déjà parvenu à une<br />

paix honorable avec celui qu’il appelle “mon Père”. Il estime qu’il faut m’aimer<br />

et surtout ne jamais prêcher, ne jamais utiliser le divin à des fins de pouvoir.<br />

(Dommage que les monothéistes ne l’aient pas écouté). Nous voici donc trois<br />

écrivains en un. Toi, tu es parfaite car tu te délectes de la vie. Tout ce que cette<br />

Hannelore va vouloir te faire payer si cher n’est rien d’autre qu’un excès de réalité.<br />

Tu es riche de monde, Mélissa. Tu comprendras aisément que l’on te déteste,<br />

les hommes sont sous-doués pour les bonheurs simples et Hannelore n’a pas<br />

grand-chose de féminin, comme beaucoup de filles de ton époque par ailleurs.<br />

<strong>Le</strong> village mexicain divin, Las estrellas de los tres picos, est aussi un souvenir de<br />

Jacques. D’une part il l’a découvert dans une nouvelle américaine 199 , de l’autre<br />

il a bien connu le Mexique où un matin il est mort. Ce lieu est aussi celui d’une<br />

belle âme argentine, l’une des plus belles que je sache, Borgès, c’est le lieu aleph<br />

par qui, entre autres propriétés, tous passent et repassent si on a le Ruban O’ avec<br />

199 La dimension des miracles, Robert Sheykley, 1968<br />

236


soi 200 . C’est le boulevard de l’éternité, les ramblas des âmes. Cette séance<br />

chez les bandits américains de Wall Street est une trace d’une<br />

colère de Jacques.<br />

Quant à l’Allemagne, c’est moi qui t’y envoie pour que tu fasses<br />

connaissance avec un Des Ombres plus jeune. Nous avons un point<br />

commun toi et moi, nous détestons la musique qu’il écrit à cette<br />

époque. Mais nous nous rendons compte qu’elle possède de dangereux<br />

pouvoirs. Sinon il ne serait jamais tombé dans la lumière et tu n’aurais<br />

jamais existé. Décidément cet homme pense comme un compositeur !<br />

Il y a deux livres il nous fait un quatuor puis un duo. Et maintenant<br />

nous sommes un trio qui va probablement tendre à une chaude fusion,<br />

mais laquelle ? Je te laisse, Mélissa, tu t’en tireras très bien.<br />

Souviens-toi d’une chose, tout est dans la lumière.<br />

200 <strong>Le</strong> ruban O’apparaît dans L’été Jolene et c’est le Temps, vu comme une<br />

rivière avec beaucoup de turbulences. NdE<br />

237


FEDEX<br />

Emballez c’est pesé !<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VI c)<br />

Mon divin copain m’avait un peu remonté le moral. Juste un peu, de vous à<br />

moi. Je suis maintenant persuadée qu’Hannelore a fait des stages chez les nazis.<br />

Avec un nom pareil… Ou chez les marines, c’est du pareil au même. Elle a<br />

convoqué le FEDEX local (FEmme DEstruction Xtrême) et on m’a installée sur<br />

un fauteuil motorisé. J’avais été briefée : si je criais dans les locaux de <strong>Le</strong>hman<br />

Bro’, si je demandais de l’aide, personne n’interviendrait et mes courroies<br />

deviendraient tellement chaudes qu’une partie de ma personne virerait kebab<br />

vite fait. Je n’avais pas le choix, mon FemmeTouch me paraissait inutile mais<br />

au moins ils ne l’avaient pas décelé et les derniers mots de Dieu (avais-je encore<br />

envie de le baiser celui-là ? Je n’en étais plus si sûre…) résonnaient encore dans<br />

ma tête : Tout est dans la lumière. Tout est dans la lumière. Tout est dans la<br />

lumière.<br />

Que voulait-il dire ? On verrait bien.<br />

Progressivement un calme profond m’a gagné. Trop c’est trop comme disait<br />

l’autre. Je n’en ai rien montré, la SS de service ne m’aurait pas loupée, et j’ai<br />

observé le déroulement des choses.<br />

J’étais certaine qu’on allait me renvoyer à mon époque et que le Sarkodile luimême<br />

s’occuperait de moi. Visiblement Hannelore et son équipe ne disposaient<br />

pas des techniques divines de surf temporel. Ils en étaient encore à la grosse artillerie<br />

technique, gaspillage d’énergie, matériel lourd et peu fiable. On m’avait<br />

montée dans un fourgon cellulaire et des chaînes reliaient mes bras et mes jambes<br />

à un gros tube central chromé. Bien entendu le conducteur était un connard<br />

testotéronique qui multiplia les virages, coups de frein et accélérations brutales<br />

jusqu’à l’aéroport exécutif où un gros avion noir m’attendait. Bien entendu ça<br />

me fit encore plus mal, bien entendu je ne leur fis cadeau d’aucun commentaire.<br />

Je commençais même à ne plus sentir mon BioTrap, c’est vous dire.<br />

Cela dit nous étions encore en septembre 2008, sur sol américain. De là au<br />

Paris d’après Evène il y avait du chemin. La technique qu’ils utilisèrent fut en<br />

tout point minable, une resucée d’un vieux polar ridicule hollywoodien où un<br />

savant idiot effectue des sauts temporels dans une voiture gonflée au nucléaire<br />

quand elle dépasse une vitesse critique. Dans le jet où j’avais été sécurisée (Merci,<br />

Hannelore ! Je te le revaudrai) j’avais une vue normale sur le paysage. <strong>Le</strong> pilote<br />

239


effectua un virage sur l’aile et suivit la côte. Ça me donna une sensation de déjàvu…<br />

Mais quand on quitta les plages pour survoler la statue de la Liberté je<br />

n’eus plus aucun doute. On allait refaire le 11 septembre. Chouette ! N’eut-ce été<br />

ces satanées courroies j’aurais battu des mains ! Quelle bonne idée ! Casser de<br />

l’Américain était tout ce qui pouvait me plaire. J’entendis nettement les réacteurs<br />

passer en surrégime et je vis défiler quelques buildings. Merde ! On venait de<br />

louper le Rockefeller si reconnaissable à sa toiture kitch ! Mais tout allait se<br />

jouer très vite, je sentis s’approcher une ombre immense - était-ce l’Empire<br />

State ? - je ne sais pas mais ça aurait été logique vu le blaze et d’un coup… D’un<br />

coup tout se stabilisa, on avait atteint la vitesse critique, sauté la barrière temps,<br />

je n’avais rien senti, on volait sur une belle bleue, pas très haut, on avait effectué<br />

le saut temporel. Retour vers le futur ? C’était ça mon titre !<br />

<strong>Le</strong> temps passa. De ce que je pouvais apercevoir, rien ne ressemblait à la<br />

France ou à un vol vers Paris. <strong>Le</strong>s quelques rivages que je vis avaient un air<br />

méditerranéen. Au point où j’en étais je m’en foutais. J’avais rendez-vous avec<br />

le pouvoir, ça, c’était une certitude. J’ai reconsulté mon FT pour revoir tout ce<br />

que j’ai raconté depuis le début de cette aventure, chez BMW. Pas triste ! Je vous<br />

ai cassé les pieds avec ma conception de la virilité, mes strings, mes savantes<br />

considérations sur les modèles “bi”, mes copines, mes chutes, mon intarissable<br />

Francisca (si c’est elle qui écrit ce bouquin c’est un 1001 pages…), mes orgasmes<br />

permanents, les lois de Vésuve, la bonne manière d’ignorer les mecs, la<br />

savante technique de tapoter le parquet du bout de mon escarpin, mes tenues et<br />

je vois que j’ai totalement oublié de vous parler de mes godasses je suis impardonnable,<br />

la bonne méthode d’engueuler Dieu (comme toute femme sait le faire<br />

en se camper devant lui, les poings sur les hanches), mon narcissisme cosmique,<br />

ma formation de tueuse, mes velléités (je n’ai toujours pas écrit ce foutu douzième<br />

Évangile). Mais… que se passe-t-il ? Ah ! Je discerne un rivage, cet avion<br />

va se poser. Ça ne ressemble pas du tout au bassin parisien !<br />

Sur quoi cette pute d’Hannelore est entrée dans la cabine, elle a manipulé<br />

un petit portable et je me suis senti différente. Il m’a fallu un moment pour le<br />

réaliser, les bio courroies qui s’étaient si douloureusement implantées dans ma<br />

chair avaient disparu. Je me tâtai, j’étais normale !<br />

- Ne crois pas ça, rigola Hannelore. Ton BioTrap vient juste de terminer son<br />

cycle d’installation. Tu penses qu’il a disparu ? Très juste. Il a disparu… en toi,<br />

Mais il me serait très facile de le réactiver et cette fois, pour toi, ce serait l’enfer<br />

définitif et… durable.<br />

240


Je me disais aussi que c’était trop facile.<br />

- Bienvenue en Grèce, ajouta l’Aryenne nazie bimbolisée, tu vas avoir le plaisir<br />

de rencontrer des gens importants. Très ! Fais donc un peu de toilette, tu<br />

trouveras tout ce qu’il te faudra dans la cabine arrière. Je veux que tu sois très<br />

présentable… Avant le dernier acte.<br />

Je suis allée me refaire une beauté, en général je n’en ai pas besoin mais après<br />

les traitements que je venais de subit je craignais de me trouver un poil altérée.<br />

J’ai eu beau examiner la peau de mes bras, cuisses et mollets, je n’y trouvai nulle<br />

trace des morsures et brûlures endurées quelques instants auparavant. La seule<br />

chose suspecte, très suspecte même, était que ma sexualité me parut endormie.<br />

J’allais sûrement avoir l’occasion de la tester. Je choisis le classique débardeur<br />

noir, des jeans de chez Hercule Lollipop’s, des escarpins tapoteurs et décidai de<br />

ne pas me maquiller. De toute façon, même si je suis dans la merde, je suis la<br />

plus belle.<br />

Hannelore m’observa revenir d’un air approbateur.<br />

- Bienvenue dans l’île de Mikro Céphalée, fit-elle avec un large sourire. Pour<br />

toi pas de douane, pas de contrôle, pas besoin de carte de crédit et… pas d’avenir.<br />

Profite bien du présent et ne compte pas trop sur ton copain.<br />

De battre mon cœur cessa.<br />

- Je l’ai tué, me confia-t-elle avec un horrible sourire.<br />

- C’est impossible ! m’écriai-je.<br />

- Tu crois ? Il suffisait de le convaincre que personne ne l’aimait, que personne<br />

n’avait besoin de lui. Plus les hommes sont forts plus ils deviennent fragiles et<br />

vulnérables à cette simple constatation. Faudra faire sans, conclut-elle.<br />

Dans toute cette mission j’ai encaissé pas mal de coups. J’ai été brave. Je me suis<br />

progressivement découverte. Mais là, il m’arriva quelque chose d’inimaginable,<br />

quelque chose qui n’avait jamais fait partie de mon vocabulaire.<br />

Je me mis à pleurer.<br />

241


L’œuvre au noir<br />

l’Amérique venait d’assassiner pour la première fois la culture occidentale<br />

dans ce qu’elle avait de plus précieux<br />

Il y a deux choses dont je suis conscient. L’une est l’arrivée de Mélissa dans<br />

ma vie. Elle a fait surface. L’autre, nettement plus difficile à évoquer, est cette<br />

partition que j’ai écrite en 1960 et qui s’appelle Monades II.<br />

Tomber dans la lumière m’est arrivé trois fois. Je l’ai souvent évoqué, aussi<br />

serai-je bref. La première fois c’était au bord du lac d’Annecy quand mon<br />

cousin, le réfugié de Madagascar qui avait fui la révolte des Malgaches, s’est<br />

mis au piano et a joué la ballade en sol mineur de Chopin. Puis la sonate Apassionata<br />

de Beethoven. Je suis tombé dans la lumière, je n’ai pas d’autre manière<br />

de l’exprimer et, dès mon retour à Genève, j’ai réclamé un piano. Ma vie avec<br />

la musique venait de s’écrire. C’est aussi arrivé au Victoria Hall avec mes amis<br />

de Stuttgart quand j’ai dirigé la Suite lyrique de Berg. Je peux le décrire simplement<br />

: j’ai repris conscience à la fin de l’œuvre en entendant les applaudissements<br />

du public, je ne me souvenais de rien. J’étais entré en transe, c’est rare, ça<br />

arrive. Mais le troisième épisode est beaucoup plus étrange, il s’agit d’une nuit<br />

d’écriture, quand je suis réellement parti dans un lieu où il n’y avait rien d’autre<br />

qu’une intense lumière. Avec le temps je me suis rendu compte que l’œuvre que<br />

j’écrivais alors, Monades II, avait un sens particulier qui échappait même à son<br />

auteur. Je vais essayer de le cerner. Je ne vous promets rien car il s’agit d’une<br />

combinaison de choses rationnelles et de forces tout à fait incontrôlables. C’est<br />

le Grand Œuvre, l’œuvre au noir. 201<br />

Nous autres, les musiciens de l’après-guerre, avons vécu une période exceptionnelle<br />

qu’on a nommé “musique contemporaine”. Ce fut une bulle de trente<br />

ans environ, quarante peut-être. Comment la décrire ? Difficile. Quand je dis<br />

bulle je le dis au même sens que les marchés, les supernovæ, ce fut une explosion<br />

d’intelligence et de savoir, un sang vif et neuf, une ardeur qui envahit la<br />

musique et les musiciens. <strong>Le</strong> mécénat suivait car la musique est le moins rentable<br />

des arts… C’est au début de cette période que Pierre Boulez a écrit que<br />

“tout compositeur qui n’aurait pas vécu cette révolution est inutile” et je ne puis<br />

lui donner tort. Il est essentiel de comprendre les interactions de la musique avec<br />

201 La formule L’Œuvre au noir désigne dans les traités alchimiques la phase de séparation<br />

et de dissolution de la substance qui est, dit-on, la part la plus difficile du Grand Œuvre.<br />

243


les sciences et la société. C’est Henri Pousseur, je crois, qui a dit que “la société<br />

prédit la musique qui prédit la science”.<br />

La musique de Bach est pure connaissance mais elle reflète un ordre social<br />

bien établi et peu de contestation. Celle de Beethoven, avec ses structures très<br />

évidentes reflète un ordre régalien, on y trouve aussi la croyance sumérienne,<br />

reprise par les Juifs, de la fin du temps et elle devient assez vite prérévolutionnaire.<br />

Celle de Chopin est révolutionnaire. Après tout, Marx chronologiquement,<br />

n’est pas très éloigné de Ludwig Van et de Frédéric. Après les romantiques,<br />

les musiciens dits modernes vont avoir beaucoup de peine à briser le moule<br />

social. La grande invention d’un Strawinski est de créer des objets musicaux<br />

autonomes. C’est prodigieux. Dans le Sacre du printemps on voit ces objets<br />

évoluer en superposition et la contrainte régalienne (ici c’est l’harmonie) est<br />

une première fois brisée. Mais le “père Igor”, sur la fin de sa vie, retombe dans<br />

le néoclassique, après avoir donné un puissant coup de boutoir à la musique<br />

des musiciens. Il a certes brisé le système mais dans la logique du système, il<br />

devient nécessaire de penser la musique autrement. Parallèlement à l’action de<br />

Strawinski apparaissent les physiciens du monde quantique. Bien que, pratiquement,<br />

aucun compositeur ne soit à même de comprendre leurs théories (et réciproquement<br />

les savants rejettent pour la plupart tout ce que la musique contemporaine<br />

va apporter, j’ai eu l’occasion d’en parler avec Paul Dirac et ses goûts<br />

musicaux étaient très conservateurs) des idées, des représentations du monde,<br />

des concepts s’osmosent. <strong>Le</strong>s musiciens, d’une certaine manière, vont prédire<br />

les mathématiques du chaos. Tout se passe avec des savants comme Lavoisier<br />

qui se passionne pour la physique des gazs, c’est-à-dire pour des ensembles non<br />

réductibles à des équations linéaires, même si à l’époque ces notions ne sont pas<br />

encore apparues, suivi de Sadi Carnot avec ses deux fameuses lois de la thermodynamique.<br />

A priori rien qui puisse intéresser les musiciens, et pourtant ces notions de<br />

flux vont jouer un rôle majeur dans la création musicale pendant un demi-siècle.<br />

L’entropie sera mise à toutes les sauces. Ici nous voyons la science prédire la<br />

musique qui prédit la société, le chaos social actuel par exemple. Dans les acteurs<br />

de génie qui vont modifier la pensée musicale occidentale il en est un, modeste,<br />

presque effacé, un Autrichien du nom d’Anton Webern qui, à sa manière, joue<br />

avec la notion de nucléosynthèse. J’avais souvent dirigé ses œuvres. Difficiles,<br />

ingrates même. Elles n’avaient rien qui mette la virtuosité d’un musicien en<br />

valeur. Puis un jour il me vient un texte. Que j’ai fait dire par un comédien, sur<br />

scène, en concert, la musique de Webern venant commenter mes paroles.<br />

J’y exprimais ce que je savais de cet alchimiste obscur, secret. Et si l’on doit<br />

244


parler ici d’œuvre au noir c’est bien à son propos qu’il convient de le faire.<br />

Il jouait avec des atomes, des particules élémentaires, pour refaire le monde.<br />

Webern, à mes yeux, était quelqu’un entre un alchimiste fou et un savant nucléaire.<br />

Je t’en cite quelques passages :<br />

Mais quelles forces déchaînais-je et… Qui allait venir ?<br />

<strong>Le</strong> temps se contracta doucement, avec de petites hésitations.<br />

Je portai mon regard au loin mais le pays connu s’était effacé.<br />

Je baignais dans une lumière diffuse, un peu dorée,<br />

où dialoguaient diverses entités.<br />

Puis j’ai réduit encore le possible, jusqu’à “l’asphyxie”.<br />

Je décrivais l’adieu de Webern à la musique romantique de son maître, le<br />

Schœnberg de la Nuit transfigurée.<br />

Nous nous sommes désincarnés mon œuvre et moi, j’ai entrevu ce qui est la<br />

chair, derrière les muscles, les nerfs.<br />

C’est une sorte de nombre qui m’est apparu.<br />

Il croît comme un arbre et ses branches portent d’autres nombres.<br />

Chacun exprime un possible et une nécessité.<br />

Progressivement il se met à voir une sorte d’arbre. Un arbre des possibles. Il<br />

a, alors, cette phrase étonnante :<br />

J’ai banni le hasard et me suis tenu disponible.<br />

Alors… alors seulement j’ai “vu”<br />

Ma conclusion était la tabula rasa, la destruction du vieux monde tonal pour<br />

permettre à un autre cosmos de naître. Je mets alors ces mots dans sa bouche :<br />

Et moi, Anton Webern, homme de patience obscure, de trame secrète et<br />

totalement voulue, je ferai exploser ce système en libérant son énergie, son<br />

incroyable énergie.<br />

Il est 1945, septembre 1945.<br />

En cette année le monde se souviendra que pour la première fois un grand<br />

alchimiste aura libéré l’énergie emprisonnée depuis ses origines.<br />

Pas l’horreur d’Hiroshima, force brute, énergie de destruction.<br />

245


La musique !<br />

La musique pouvoir premier. Car elle charrie des significations et de<br />

l’énergie dans son flot.<br />

Dans la réalité, au soir du 15 septembre 1945, à Mittersill, un petit bled de<br />

campagne en Autriche, à la tombée de la nuit, il est abattu d’une balle de .45 par<br />

un MP américain ivre 202 . D’où la conclusion de mon texte :<br />

Moi,<br />

Anton Webern,<br />

j’aurais fait exploser ce système, si…<br />

<strong>Le</strong> concert ne se terminait pas par un coup de feu… mais j’ai ressenti, lors de<br />

l’unique exécution de ce bref monodrame, une intense émotion. Anton avait fait<br />

exploser notre système, ce “si” qui est la mort, survenue un soir, entre chien et<br />

loup, nous avait privés des œuvres que sa maturité allait lui apporter. La suite ce<br />

serait un homme comme Boulez, d’autres, pas forcément la même lumière.<br />

Nous avions un maître et, en avance sur ses horreurs à venir, après Hiroshima,<br />

l’Amérique venait de tuer pour la première fois la culture occidentale dans ce<br />

qu’elle avait de plus précieux. Monades II c’est une autre histoire. Banale, violente,<br />

prophétique, faut que je reprenne mon souffle. J’ai posé le décor mais je<br />

n’arriverais pas à vous en causer là, maintenant.<br />

Je vous reviens.<br />

202 Raymond Norwood Bell, félicitations !!! NdAff<br />

246


Mikro Céphalée<br />

Un concile de tyrannosaures eut été plus tendre<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VII )<br />

Or il arriva un jour que les fils de Dieu étant venus se<br />

présenter devant l’Éternel, Satan vint aussi au milieu d’eux.<br />

In <strong>Le</strong> nommé Jeudi G.K. Chesterton, instant des révélations.<br />

J’ai séché mes larmes. Faire pleurer Mélissa !!! Ça a un prix, je vous dirai tout<br />

à l’heure lequel. On a débarqué sur une île très belle, montagneuse, des à pic<br />

bordés de belles plages. J’avais bien cru ma dernière heure venue au moment de<br />

l’atterrissage : Il n’y a pas de piste sur Mikro Céphalée. Mais au dernier instant,<br />

notre jet s’est cabré et j’ai pu voir que ses réacteurs pivotaient, nous avions une<br />

capacité VTOL. 203 Hannelore m’avait informée que je fonctionnerai désormais<br />

à la proximité. La sienne. J’avais un rayon de cent mètres de liberté à partir<br />

d’elle, et si je m’éloignais davantage, la chose qui s’était osmosée en moi commencerait<br />

son vilain travail. Elle jouait les baby sitter d’un nouveau style, je ne<br />

fis aucun commentaire, je voulais simplement voir venir. Et surtout savoir qui<br />

j’allais rencontrer.<br />

L’île était sous haute surveillance. J’ai rapidement détecté le ballet des hélicos<br />

noirs et silencieux ainsi que les sillages de petits patrouilleurs sur la mer autour<br />

de nous. Aucun doute, ceux qui auraient l’imprudence de s’approcher de Mikro<br />

Céphalée seraient vite abattus ou coulés. Ça me plut : j’allais vraiment rencontrer<br />

le gratin de cette époque qui, compte tenu de mes aventures, ne me paraissait<br />

plus aussi idyllique. Vous vous souvenez de la Mélissa de PodSex ? Celle qui<br />

a baisé un requin dans une rave lesbienne ? L’élue du Seigneur ? De la joyeuse<br />

ambiance qu’elle savait créer à la rédac ? De cette fille qui était à elle seule<br />

l’interface sexe universel ? De ses rires et papotages ? Je commence à penser que<br />

c’était du décor, que j’étais une nana chronique 204 , que je projetais mon énergie<br />

sur un monde qui n’en valait pas le coup et je me suis même demandé si Avène,<br />

Evène et les événements avaient bel et bien existé, ou n’étaient que de commodes<br />

fables pour maintenir une cohésion sociale basée sur le mensonge et l’illusion.<br />

Nous nous sommes installées dans un ancien monastère qui n’avait que la fa-<br />

203 VTOL : vertical take off and landing comme les avions britanniques Harrier qui se<br />

posent à la manière d’un hélicoptère.<br />

204 Aux deux sens du terme certainement, une fille anachronique et une journaliste NdT<br />

247


çade de ce nom, si je puis dire. Quelle beauté ! C’était une grande maison à toit<br />

plat, avec de petites fenêtres grillagées et quelques tours, bâtie à flanc de falaise.<br />

Elle donnait le vertige. Quelqu’un commenta que les moines construisaient ces<br />

châteaux forts pour se protéger des brigands. Je n’aurais jamais imaginé une<br />

telle architecture, le monastère faisait partie de la falaise. Il en jaillissait ! Un<br />

ascenseur discret nous y déposa, je pénétrai dans une cour poussiéreuse, inondée<br />

de soleil. Hannelore me poussa sans ménagement vers une grande porte de bois<br />

d’olivier écrite par les étés et… tout changea.<br />

L’intérieur était incroyablement propre, froid et nu. Des murs qui ne réfléchissaient<br />

pas la lumière, beaucoup de panneaux de contrôle, le bruit assourdi d’une<br />

centrale. Je compris que les choses sérieuses étaient proches. Nous avons pris un<br />

ascenseur dans lequel vous caseriez quelques chameaux et la rédaction de Pod-<br />

Sex sans problème, j’ai senti que nous nous enfoncions dans la montagne puis un<br />

stop coulé. J’ai accompli l’irréparable. J’ai ouvert la porte de l’ascenseur. Dans<br />

toutes les œuvres de Jacques on parle du danger d’ouvrir une porte. Ça semble<br />

banal mais ça peut donner sur n’importe quoi. Qu’allez-vous découvrir derrière<br />

cette porte qui vous protégeait ? Dans la vie quotidienne ce sera un simple courrier<br />

recommandé ou un huissier, ça va encore, on peut leur casser la figure. Mais<br />

si vous êtes un poète tout se gâte… Vous pourriez ouvrir cette porte et voir entrer<br />

le Minotaure en personne, un clone de Megan Fox 205 ou tout simplement l’océan<br />

parce que vous habitiez sans le savoir au fond d’un fjord, et pourquoi pas le cœur<br />

d’un soleil ? <strong>Le</strong>s portes ça donne sur ailleurs, c’est bien connu. Tout ça pour les<br />

risques communs. Mais il y a pire, ce peut être le grand amour qui se pointe avec<br />

ses cortèges de désastres ou même, Valéry Giscard Destin qui s’invite à dîner<br />

chez vous ! Jacques tenait ça de son copain SanTantonio mais il l’avait maintes<br />

fois vérifié. Ces pensées m’ont habité une fraction de seconde, sur quoi j’ai appuyé<br />

sur une tablette luminescente, celle qui portait le graphique d’extraction le<br />

plus probable, deux flèches qui s’écartent. Je n’ai pas été désintégrée, la mer ne<br />

s’est pas ruée dans l’ascenseur et personne ne m’a signifié un commandement de<br />

payer. Je suis entrée dans une très brillante réception. Beaucoup de gens, de lumières,<br />

de loufiats et de nourriture. Avec mes talons tapoteurs de 12 cm j’ai failli<br />

m’en étaler de surprise. Hannelore avait un air ravi (avec des yeux méchants).<br />

- Voilà ! a-t-elle fait, tu arrives chez les maîtres du monde, Mélissa. Je crois<br />

bien qu’ils se posent des questions à ton sujet. Profite bien de la soirée, tu passes<br />

en dernier et là… je n’aimerais pas être à ta place.<br />

J’éclatai de rire ! (C’était tout ce qui me restait). J’ai vu s’approcher le Sarkodile,<br />

205 Là, l’auteur recule les limites de l’horreur ! NdEcstn<br />

248


aussi souriant qu’un bâtard de naja royal et d’alligator (pardon les bêtes !!!) et<br />

on a échangé des amableries. Il tentait d’extirper une boule de graisse de sa joue<br />

droite. Ce type qui présidait actuellement l’E.U.E ne parvenait pas à masquer<br />

sa véritable identité, sa mâchoire était crispée et son sourire proche d’un rictus ;<br />

comme tous les hommes très petits il s’arrangeait pour me regarder de haut en<br />

se tordant la nuque.<br />

Vous vous souvenez de ce que j’ai dit il y a des siècles, au début de ce<br />

bouquin ? Non ? 206 J’ai posé une question essentielle : que faire avant de mourir ?<br />

Que fait une noble vierge avant de mourir ? La réponse était simple : se caresser<br />

les cuisses avec lenteur, récupérer son FemmeTouch et procéder de l’index et de<br />

l’annulaire à un élargissement de la durée locale et, dans cette allée ralentie du<br />

féminin 207 , passer en revue les choses à faire. Avant de mourir. Car tout le monde<br />

ici semblait convaincu de ma fin dernière ; je ne savais pas s’ils allaient me crucifier<br />

mais j’étais le clou de cette soirée. Mon atout était qu’Hannelore n’avait<br />

pas décelé mon FemmeTouch. Passé une violente réaction émotionnelle j’avais<br />

repris mes esprits. Mon copain mort ? <strong>Le</strong>quel d’abord ? Hannelore avait peutêtre<br />

vu Des Ombres dans les corridors du temps mais son mode d’assassinat ne<br />

correspondait pas. Celui qui meurt quand se perdent la foi et l’amour, c’est Dieu.<br />

Elle parlait de mon divin copain et je doutais fort qu’une femme comme elle ait<br />

accès à Lui. Dieu parle à qui Il veut, ça m’était arrivé et je ne savais pas clairement<br />

pourquoi il l‘avait fait. Disons que j’avais une idée globale de ses motifs<br />

mais je ne parvenais pas à me croire aussi importante que ça. Alors, une pétasse<br />

nazie bidouillée, je n’y croyais pas. J’ai essayé sans succès de <strong>Le</strong> contacter par<br />

mon FT, rien que du silence. Du silence blanc.<br />

N’ayant rien de mieux à faire dans l’immédiat j’ai examiné de plus près les<br />

maîtres du monde. Pas terrible… Tout le monde était surbronzé et avait la peau<br />

sèche, on voyait nettement les cancers se dessiner sur les visages, la plupart des<br />

filles étaient anorexiques et les matrones du groupe avaient besoin d’un bon<br />

coup de repassage. Je dénombrai un max de vieilles peaux liftées, bagouzées et<br />

des mecs très équilibrés (50 % arrogants, 50 % instables). Aucune intelligence,<br />

pas trace d’amour, même pas de sexe et aucune compassion. J’imagine qu’un<br />

concile de tyrannosaures eut été plus tendre et subtil que ces morts. Je dis morts<br />

car il m’était facile de voir que, intérieurement, ils étaient secs et morts mais ne<br />

le savaient pas. Des marionnettes maniées par une passion des plus vulgaire, des<br />

cadavres marcheurs, je n’étais pas habituée à ce spectacle. J’ai eu beau chercher,<br />

206 Quel était le prénom d’Alzheimer au juste ? NdMlssa<br />

207 <strong>Le</strong>s mecs sont incapables de faire ça… NdMlssa<br />

249


il n’y avait aucun génie, même pas un super-héros…<br />

Bizarre, comment ce ramassis de crétins pouvaient-ils se dire maîtres du<br />

monde ? À part le fric, je ne voyais aucune réponse. Mais, c’est mon problème,<br />

je ne suis jamais parvenue à comprendre en quoi le luxe peut nous faire sentir<br />

mieux, meilleurs, plus intelligents, plus beaux ? Je me suis souvenue d’un hôtel<br />

ridicule d’avant Evène qui s’appelait le Burj Al Arab. L’idée était assez jolie,<br />

créer une île artificielle dans la mer et construire un grand hôtel ressemblant<br />

à une voile. Vu de loin ces trois cent soixante-dix mètres et l’envol de béton<br />

étaient foutralement beau mais la réalisation était d’une bêtise à pleurer ; on avait<br />

ressorti ces archives à PodSex et les filles étaient mortes de rire. <strong>Le</strong>ur pub était<br />

typique de ce temps-là : Nous vous offrons des suites “Where you can expect<br />

only the highest levels of personalised service, in the most luxurious surroundings<br />

imaginable” 208 . L’unique argument de ce lieu démentiel était de conférer une<br />

personnalité à des gens qui n’en avaient aucune, rien que des lambdas friqués.<br />

Ce qui me plaisait c’était de voir que diverses choses ne s’achètent pas, la<br />

beauté, l’intelligence, le talent et bien sûr l’amour. Un état de grâce dont ce genre<br />

de locataire n’avait aucune idée. Mais quel genre de con faut-il être pour tenter<br />

de se valoriser ainsi ? Ça, je ne le comprendrai jamais mais j’étais assez certaine<br />

qu’il s’agissait de gens pareils à ceux qui m’entouraient. (Par la suite, un ouvrier<br />

assembleur de chez Renaud 209 a fait sauter l’hôtel avec un explosif ternaire 210 indétectable<br />

et les merveilleux Arabes, leur or noir asséché, sont retournés garder<br />

leurs chèvres et autres chameaux et ont - dit-on - cessé de faire chier les braves<br />

gens avec leur arrogante attitude.) À peine un souffle dans l’histoire d’Avène.<br />

Je ne distinguais aucun de leurs représentants dans la foule qui m’entourait,<br />

que des Aryens, ce qui n’était peut-être pas surprenant vu le comportement du<br />

Sarkodile et d’Hannelore qui devait déjà être, je le supposais, le nouveau boss<br />

de PodSex. Cette idée me donna envie de vomir.<br />

Dans un coin, je vis Big Mama, vieillie, flétrie, telle qu’en elle-même sa<br />

méchanceté (et le manque de chrono ralentisseur) l’avaient changée.<br />

J’ai papoté, bu un verre ou deux, on traversait une sorte de moment calme<br />

avant l’orage. Il n’y avait rien ni personne de remarquable dans cette réunion,<br />

208 On vous traduit même pas. NdT<br />

209 Un groupe multinational d’origine frouze dont les travailleurs étaient en pétard, ce qui<br />

explique le comportement de ce noble ouvrier et son choix. 1899 †2013.<br />

210 Méthode efficace, le binaire, deux corps (liquides) stables qui mélangés donnent naissance<br />

à un produit hautement instable et d’une énorme puissance explosive. Alors imaginez le<br />

ternaire…


aucun sujet intéressant dans les conversations, la superficialité était de mise,<br />

comme le luxe. C’était extraordinairement nivelé. Comment ces gens-là arrivaient-ils<br />

à survivre ? J’ai interrogé mon sexe : il était au point mort. Pas bon ça,<br />

que va-t-il se passer si Celle qui détient la Vie s’éteint lentement eh ? Il n’y avait<br />

personne ni rien qui le fasse réagir. Normal, la vie ne réagit qu’à la vie et ces<br />

gens-là, comme je viens de vous le dire, étaient morts et asséchés depuis longtemps.<br />

Ce qui retint mon attention fut ce moment quand ils s’éloignèrent de moi<br />

pour former un cercle. Je vis, du coin de l’œil, Hannelore tapoter sur sa télécommande.<br />

Pas de doute, j’allais passer en vedette européenne. Un texte en forme<br />

d’Adieu passa sur mon FemmeTouch…<br />

Libre, fumante, montée de brumes violettes,<br />

Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur<br />

Qui porte, confiture exquise aux dieux absents,<br />

Des lichens de soleil et des morves d’azur ;<br />

Qui courais, taché de lunules électriques,<br />

Planche folle, escorté des hippocampes noirs,<br />

Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques<br />

<strong>Le</strong>s cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;<br />

Moi qui tremblais, sentant geindre très près de moi<br />

<strong>Le</strong> rut des Béhémots et les pouvoirs infâmes,<br />

Briseurs éternels des immobilités bleues,<br />

Ce n’était peut-être pas la version originale, je modifie tout, c’est plus fort<br />

que moi. Mais ça avait du sens. J’allais, seule, affronter ceux qui déforment nos<br />

vies. Hannelore allait enfin exprimer sa haine et me défaire horriblement à la<br />

plus grande joie de ces vieux pervers. Quel monde effrayant venait donc à moi<br />

et comment avait-il pu si mal tourner ? Qu’était la joie ? La Vie ?<br />

Et toujours sans nouvelles de Dieu.<br />

251


Monades II<br />

Ils ne savaient pas de quoi ils parlaient<br />

J’en viens à cette œuvre qui semble avoir joué un rôle important dans ma vie.<br />

Je vous ai raconté deux chutes “dans la lumière”. Il me reste à vous parler de<br />

Monades II, la troisième. Je tenais ce terme de <strong>Le</strong>ibnitz que je n’avais lu que<br />

très superficiellement. Mais cette idée d’Unité, de matrice contenant toutes les<br />

autres unités m’avait plu et j’ai écrit trois œuvres sous ce titre. <strong>Le</strong>s philosophes<br />

sont assez vagues quand il s’agit de définir ce mot, je m’en foutais, j’avais vu la<br />

petite boule de lumière qui préside à la naissance d’une musique ou d’un texte,<br />

je suivais la piste. Je ne sais pas si cette œuvre est géniale mais je sais avec certitude<br />

que c’est dans nos vingt ans que nous définissons notre originalité, nos<br />

apports futurs, le reste n’est que développements.<br />

Je vous ai beaucoup parlé de ces musiques venues de la science et qui<br />

prédisent la société. Monades II est certainement l’une des premières œuvres<br />

qui utilise la notion de flux ou de turbulence conjointement à l’affirmation d’une<br />

pensée supérieure. Il existe un précédent avec Xenakis qui compose Pithoprakta<br />

en 1958, soit un an avant Monades II, toutefois dans cette œuvre il n’y a pas<br />

de pensée supérieure, le compositeur utilise les équations de la mathématique<br />

des probabilités pour créer, avec un grand orchestre à cordes, un flux de sons<br />

“équiprobables”. En clair cela signifie que toute note à la même probabilité<br />

d’apparaître à un moment donné. Ce Grec est tout à fait génial et il nous donne<br />

à entendre une musique atomisée qui possède un son tout à fait neuf, celui<br />

d’un nuage de gaz ou de particules trouvant leur équivalence en musique. Je<br />

l’ai dirigée plusieurs fois et le verbe “diriger” est un bien grand mot car il n’y<br />

a strictement rien dans la partition (à une exception près) qu’un chef puisse<br />

diriger. Ça fout le camp dans tous les sens et au pupitre on sert simplement de<br />

baliseur, dans une grande mesure à deux temps. Je me souviens d’un second<br />

violon, à Stuttgart, venant vers moi indignée pour me dire que la note écrite par<br />

Xenakis n’existait pas sur le violon. Plus haute que le dernier doigté. J’ai rigolé<br />

et lui ai dit qu’elle le joue derrière le chevalet. Elle avait raison mais Xenakis<br />

était un penseur très abstrait et il ne se préoccupait pas de savoir si sa musique<br />

était jouable ou pas. <strong>Le</strong> problème était que toutes les musiques de ce type que<br />

l’on a nommées stochastiques sonnent de la même manière. Elles ne sont de<br />

personne. Ça ne me convenait pas du tout. Je voulais plus.<br />

La partition de Monades II, qui est aujourd’hui probablement perdue,<br />

253


introduisait un autre discours dérivé de ces idées. Il y a tant d’années que je l’ai<br />

dirigée que je n’ai plus en mémoire tous les détails de cette œuvre si ce n’est<br />

deux passages très signifiants. En levée de la première mesure on entend une<br />

clarinette basse dérouler un long trait vers le grave. C’est une sorte de déclaration<br />

de gravité, si je puis dire, sans aucun préambule j’expose que l’on va explorer<br />

le registre des temps larges et des fréquences graves. <strong>Le</strong> premier passage très<br />

intense survient quand toutes les cordes sont attirées vers un cluster central de<br />

quatre sons, fa, fa dièse, sol et la bémol, qui élimine toute sensation harmonique<br />

et devient une sorte de noyau hyperdense au sein de la tessiture orchestrale,<br />

noyau parcouru de pulsations diverses. Autour de lui éclatent des sons brefs,<br />

secs, des éclairs lumineux et, auditivement, on ressent l’impression de la giration<br />

de particules autour d’un noyau très lourd. La musique se calme et, vers la fin de<br />

l’œuvre, arrive le passage qui a peut-être le plus impressionné les auditeurs lors<br />

des exécutions parisiennes et genevoises. Un flux assez semblable à celui que<br />

l’on trouve chez Xenakis se développe et gagne tout l’orchestre à l’exception<br />

des cuivres. <strong>Le</strong> monde n’est que pure entropie. Mais, rapidement, des sentences<br />

se font entendre, surmontant les turbulences de l’orchestre. Ce sont les cuivres<br />

qui, à l’unisson rythmique, dominent ce torrent et “disent quelque chose” en<br />

forme de sentence, de vérité, d’affirmation d’une pensée. Ce passage réalise la<br />

dialectique homme/chaos, il s’y affirme une pensée, une négation de la mort<br />

devant l’entropie universelle, une transcendance.<br />

J’ai donné la première de cette œuvre au Conservatoire de Genève et par<br />

la suite, j’ai emmené la partition avec moi à Baden-Baden, chez Boulez qui,<br />

immédiatement, l’a voulue pour ses concerts du Domaine musical. Son exécution<br />

fut parfaite comme toujours mais je n’ai pas retrouvé ce soir-là la force<br />

nucléaire des deux passages telle que je viens de la décrire. Je ne sais que dire…<br />

un tempo peut-être trop vif ou des cordes pas suffisamment nombreuses ? À la<br />

fin, je fus propulsé sur scène par une légende de l’époque, Jean-Louis Barrault,<br />

un petit homme vif, qui était l’un des créateurs de ces concerts parisiens où tant<br />

de choses se sont révélées. Autant je savais me montrer combatif pour défendre<br />

dans mes territoires les musiques en lesquelles je croyais, autant fus-je réservé<br />

et timide sur une scène aussi prestigieuse que le Domaine, à cette époque-là. Je<br />

pense que cette œuvre est importante parce qu’elle m’a quitté, comme un enfant<br />

qui va vivre sa vie, parce que je n’y comprends plus grand-chose en vérité. Sur<br />

le moment on en a beaucoup parlé mais les gens, qu’ils soient musiciens dans<br />

l’orchestre, auditeurs, critiques, musicologues ne savaient pas de quoi ils parlaient.<br />

À l’exception de musiciens comme Serge Collot qui m’avait repéré et<br />

d’un psychanalyste parisien, Francis Danest dont le discours sur la musique et<br />

254


les musiciens m’impressionna. <strong>Le</strong> mot final, à propos de Monades II, appartient<br />

au Français Hugues Dufourt qui observa, bien des années après, que Boulez<br />

avait reproduit cette partition dans sa plus grande œuvre symphonique, Pli selon<br />

Pli, soit un finale turbulent et fluvial surmonté du discours de cuivres diseurs<br />

de sentences ! L’être et le néant somme toute. La réflexion m’amusa, sans plus.<br />

Longtemps après j’ai réécrit une œuvre de même nature quand mon ami et père<br />

adoptif Ginastera est mort. J’ai déchaîné un chaos orchestral surmonté de ces<br />

sentences de cuivres qui prennent le sens que vos bibliothèques peuvent leur<br />

donner, je l’ai réécrite et la musique avait beaucoup de force mais le sens était<br />

différent car ce flux et ces sentences s’interrompaient brutalement, arythmiquement<br />

si je puis dire, pour donner à l’œuvre le sens de son titre, La Cantate interrompue,<br />

la mort.<br />

Ce qui m’importe dans Monades II est ce moment d’absence, cette chute, ce<br />

qui m’arriva quand j’écrivais cette œuvre. C’est de ces heures-là que me vient<br />

cette pensée obsessionnelle que la musique, si elle est jouée parfaitement juste,<br />

a des pouvoirs de modification du monde que personne ne soupçonne. Il ne me<br />

reste plus qu’a retrouver le lieu et la formule. Et surtout le motif ou le groupe de<br />

sons que j’ai joué cette nuit.<br />

Et qui m’a fait chuter dans la lumière.<br />

255


Il y a des limites à ce qu’une femme<br />

peut obtenir d’un gadget<br />

Facile à tuer. Impossible à détruire<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VII b )<br />

Hannelore émergea de la foule, très à son aise, et me désigna.<br />

- Voici celle que vous aviez tous envie de rencontrer. Je vous présente<br />

l’irrésistible Mélissa.<br />

Elle partit dans un long rire feulé pas trop sympathique. Je ne saluai personne.<br />

J’ai oublié de vous dire que deux gros méchants m’avaient installée sur une<br />

chaise style “haute tension texane” vissée au sol et que de solides courroies de<br />

cuir s’étaient ajustées à mains, bras, hanches, jambes, pieds et je sais plus quoi<br />

encore. Malgré le BioTrap qui m’avait terrassée il y a peu.<br />

- Ne te formalise pas, ma chérie, poursuivit Hannelore, le BioTrap ne dure<br />

que quelques heures, j’ai bluffé. C’est pourquoi je me suis permise de t’installer<br />

confortablement de cette manière. Tu es une grande timide et je n’aimerais pas<br />

que tu nous fausses compagnie. Car tu vas devoir nous raconter beaucoup de<br />

choses.<br />

J’ai jeté un coup d’œil dans les recoins les plus improbables de cette salle,<br />

pas trace de Dieu. Curieusement je n’avais pas peur, je me sentais, comment<br />

vous le dire ? assez calme et en attente. Il m’était évident que la mise à mort<br />

était programmée et qu’une longue séance de torture la précéderait. Comme<br />

pour confirmer cette réflexion Hannelore fit signe à un chauve longiligne et,<br />

sur deux petites tables, tout un matos fut approché de moi. Une petite lampe à<br />

gaz, des bistouris, spirales de plastique et trancheurs variés ainsi que quelques<br />

seringues. En général, quand quelque chose d’extrême se produit, j’utilise le<br />

terme de “médiéval”. Dans ce cas ce serait inapproprié… c’était nul, navrant,<br />

ces gens se déshabillaient devant moi, ils étalaient leur niveau. Ils attendaient<br />

de me voir hurler, supplier, ils attendaient que je me défasse. Que je me déconstruise.<br />

J’avais devant moi les représentants du Mal, ceux qui défont, décréent,<br />

déconstruisent, l’inverse de la Vie. Quelque chose me disait que j’avais encore<br />

un peu de temps devant moi. Si seulement je pouvais actionner mon Femme-<br />

Touch. Mais pour cela il fallait que je caresse mon sein droit en écartant deux<br />

doigts. Mes entraves rendaient ce recours improbable. Je décidai de voir venir,<br />

une chose m’intéressait : quand étions-nous ? À mon époque probablement. Dans<br />

257


le silence général je me risquai à poser la question. À Hannelore, qui semblait<br />

être devenue quelqu’un d’important en ce milieu.<br />

- Sommes-nous de retour dans mon époque ? fis-je d’une voix aussi normale<br />

que possible.<br />

La blonde éclata de rire.<br />

- Tu ne cesseras jamais de m’étonner, Mélissa. Enfin… pour un petit moment<br />

encore. Nous ne sommes pas dans ton époque, tu viens de quitter Wall Street, tu<br />

dois t’en souvenir ?<br />

- Honhon, fis-je.<br />

- Si j’étais toi je surveillerais mon langage, sourit-elle. La prochaine fois je te<br />

pèle un bras, ça fait mal tu sais ?<br />

- Excuse-moi, dis-je.<br />

Curieusement je n’étais pas en colère mais il fallait absolument que je gagne<br />

du temps. Je ne sais pas pourquoi mais je le savais.<br />

- Bien ! triompha Hannelore. Avant de nous amuser un peu avec toi, nous<br />

avons besoin de savoir diverses choses. D’où cette invitation à laquelle nous te<br />

remercions de t’être rendue.<br />

- Tout le plaisir est pour moi.<br />

Elle ignora cette remarque limite et poursuivit.<br />

- Je comprends pourquoi tu veux savoir “quand” nous sommes. C’est à cause<br />

de lui !<br />

Elle s’écarta pour laisser passer <strong>Le</strong> Sarkodile.<br />

- Alors, Mélissa ? C’est bien lui. <strong>Le</strong> Président, tu le reconnais ? Il est en effet<br />

de ton époque.<br />

- Lui aussi voyage dans le temps ? voulus-je savoir.<br />

- Justement pas. Il est, comment te le dire ? Il est asynchrone. Nous l’utilisons<br />

chaque fois qu’il nous est utile de le mettre en avant. Nous en avons un nombre<br />

suffisant de copies. Il est si banal… Il nous sert à concentrer et localiser les<br />

mauvaises énergies. Après, nous agissons. Nous sommes donc, pour répondre<br />

à ta question, approximativement au moment d’Evène ou ce que vous appelez<br />

comme ça.<br />

- Il n’est pas humain ?<br />

- Juste ce qu’il faut pour être crédible. J’ai pris la relève de BMW et j’ai commencé<br />

à le former, à le punir en fait. Beaucoup plus sérieusement que ta chère<br />

rédactrice et je dois te dire qu’il file droit. Notre monde est stable.<br />

- Je ne comprends pas du tout quelle est ta place dans tout ça…<br />

- Ah ? Je suis devenue la garante de la stabilité, de l’ordre.<br />

- Mais garante pour qui ?<br />

258


Hannelore, théâtrale, s’écarta et d’un geste large désigna les invités qui<br />

m’observaient.<br />

- Pour eux ! Laisse-moi te faire les présentations.<br />

- Voici la famille des Commodes et son chef Ed Fagan junior. Et celle des<br />

Futures, guidés par Sally O’. Et les Transgéniks dirigés par Poison Ivy de fameuse<br />

mémoire et ce groupe que tu vois à ma droite est celui des Énergétics présidés par<br />

Art Smallprick, leurs femmes ne participent jamais à ces réunions. Nous sommes<br />

également fiers de recevoir les Indiens d’Inde et du monde recolonisé par leur<br />

holding Sudden Death ainsi que, bien sûr, la jeune noblesse texane. Voici le<br />

colonel Paradox Knox en personne ! Et bien sûr les Dérivés, une vieille noblesse<br />

avec Isaac Fenrick, <strong>Le</strong>s Nucleus People et le Multigone avec Halle Burton,<br />

une femme puissante ; voici Ethan Athos leader du Groupe Bleu dont on parle<br />

beaucoup actuellement et bien sûr les Armor de Kashogi Island avec leurs fonds<br />

protecteurs 211 . Ces gens discrets, au centre, sont les représentants de diverses<br />

monarchies constitutionnelles et, tout de blanc vêtu, voici M. Al Soft, leader<br />

des Virtuels. Je ne vais pas procéder à des présentations plus détaillées, Mélissa,<br />

certains d’entre eux ont des questions à te poser. Si j’étais toi je coopérerais…<br />

Ce n’est pas tous les jours qu’une jeune femme somme toute modeste rencontre<br />

les maîtres du monde. Je me tiens à leur disposition pour t’assagir si besoin est.<br />

Je n’avais pas prêté une grande attention à ce protocole vaniteux. Je suis<br />

capable de voir ce que les gens sont et, pour dire vrai, devant moi, je ne voyais<br />

rien que de l’arthrose mentale et physique, aucune lumière, des esprits très<br />

tendus et très directionnels ; ces gens suaient l’avidité par tous les pores de leur<br />

peau desséchée, je me suis demandé s’ils savaient rire ou désirer autre chose que<br />

du pouvoir, de l’argent en fait. Alors c’était donc ça le fameux monde disparu ?<br />

C’était ça que l’éclair d’Evène avait effacé ? Je n’avais jamais rencontré dans<br />

mon époque quelqu’un qui leur ressemble, à l’exception peut-être de BigMama<br />

et du Sarkodile qui n’était qu’une marionnette, je venais de l’apprendre. Et<br />

d’Hannelore qui avait bien caché son jeu. Un jour, la logique de ce monde le<br />

voudrait, elle serait à ma place, sur cette chaise, devant ces morts-vivants. A y<br />

regarder de plus près j’ai commencé à penser qu’Evène n’avait jamais eu lieu.<br />

C’était un leurre, un mensonge. L’Amérique était bien vivante et avait prospéré<br />

selon sa propre logique destructrice. Il n’y avait jamais eu de grand éclair, tout<br />

ça n’était peut-être que les rêves de Des Ombres dans ses livres. La justice se<br />

résumait à la loi du plus riche et, chez ces gens, même le plaisir était proscrit. Et<br />

dire que je me retrouvais moi au banc des accusés ! Ils pouvaient être contents<br />

de la solidité des courroies qui m’attachaient car mes instincts de battante<br />

211 Allusion au terme hedge fund NdT<br />

259


commençaient à s’éveiller. Je me suis dit une chose absurde. Je me suis dit que<br />

j’étais la vie. Facile à tuer. Impossible à détruire. Quelque part en moi, quelque<br />

chose s’est renforcé.<br />

Halle Burton s’approcha et me balança un sourire froid.<br />

- Tu as attiré notre attention, Mélissa. Tu sembles capable d’agir sur l’énergie,<br />

de l’orienter. Nous savons que tu as orienté à diverses reprises un groupe humain<br />

d’une manière étrange, pour reprendre le rapport de l’ancienne directrice, tu fais<br />

bouger les gens qui t’entourent comme bougent ces bancs de poissons qui virent<br />

tous en même temps. Nous pensons que tu peux modifier une société, mais nous<br />

ne savons pas comment tu t’y prends. Explique-moi ça.<br />

Je haussai les épaules, euhhh j’essayais mais j’étais trop apprêtée.<br />

- Aucune idée. <strong>Le</strong>s gens que j’aime suivent mon rythme quand je suis heureuse,<br />

quand je me sens bien, quand je sens la vie qui coule.<br />

Isaac Fenrick s’avança.<br />

- Tu es une menace pour notre société. L’ordre institué diminue autour de toi<br />

quand tu arrives. Nous le savons. Nous l’avons mesuré. Quel est ton secret ? Tu<br />

pourrais faire partie des nôtres…<br />

J’en eus un hoquet de dégoût. Halle lança un coup d’œil à Hannelore.<br />

- Un ongle, dit-elle. Pour commencer.<br />

La blonde afficha un énorme sourire.<br />

- Mais avec plaisir, Mademoiselle Burton, depuis le temps que j’attendais une<br />

telle occasion.<br />

Elle préleva une sorte de tube muni d’une pince et s’avança vers moi.<br />

- Ma chérie, me dit-elle à l’oreille, je le fais parce que je t’aime.<br />

Sur quoi, d’un coup sec, elle m’arracha l’ongle du pouce de ma main droite.<br />

Je ne vais pas vous donner des détails, je ne vais pas dire “Aoutch” ni hurler,<br />

nous autres les battantes optimisées sommes entraînées à supporter de fortes<br />

douleurs et nous savons les mentaliser. Mais… il y a une limite à ce que nous<br />

pouvons supporter. Je n’étais pas “out” mais je ne pus réprimer le tremblement<br />

de tout mon corps, Pendant une minute je fus incapable d’articuler une parole.<br />

J’étais foutue. Il me restait bien une chance, celle de geler le temps avec mon<br />

FemmeTouch, mais je ne pouvais l’actionner. Quelques lignes de ce lancinant<br />

poème me traversèrent.<br />

Je sentis venir la fin.<br />

La mienne, celle de ce petit poème rivière qui me traversait depuis si<br />

longtemps. Et pire, la fin de la beauté, car c’était elle que ces pauvres imbéciles<br />

voulaient assassiner. Ils n’avaient pu acheter la vie et, logiquement, ils voulaient<br />

la détruire. <strong>Le</strong> texte dérivant était très explicite.<br />

260


Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,<br />

Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,<br />

Ni traverser l’orgueil des drapeaux<br />

et des flammes,<br />

Ni nager<br />

sous les yeux horribles des pontons.<br />

Halle Burton m’observait, inexpressive. Je réalisai que les gens, autour d’elle,<br />

avaient changé. Ils commençaient à sucer ma vie. La marche au supplice, cette<br />

mise à mort lente convenait à leur vampirisme. Ils étaient, provisoirement, plus<br />

habités, mais par quelle horreur ?<br />

- Un autre, dit Halle, mais arrache-le lui lentement, elle n’est Absolument pas<br />

prête à se livrer à nous.<br />

Hannelore acquiesça et vint vers moi. J’ai joué ma seule carte. À voix basse,<br />

avant qu’elle ne me fixe sa pince infernale, je lui dis la chose la plus improbable<br />

possible, la seule qui pouvait l’arrêter un bref instant.<br />

- Hannelore, mon amour, je dois te dire une chose avant, écoute-moi…<br />

La parfaite Aryenne en fut choquée. Ses grands yeux bleus innocents<br />

s’approchèrent des miens, Sa bouche effleura la mienne.<br />

- Tu as dit mon amour ? Je n’arrive pas à le croire, Mélissa, tu as déjà perdu<br />

ton contrôle.<br />

- Je sais que tu vas m’écorcher, me brûler et me briser, lui dis-je avec toute la<br />

tendresse que je pus simuler. Je t’ai toujours désirée et tu ne l’as jamais vu. Je<br />

t’aime et je vais mourir pour toi et par toi. Je ne te demande qu’une chose et je<br />

t’assure que je coopérerai.<br />

Ses sourcils s’arquèrent.<br />

- Que veux-tu ?<br />

- Caresse mon sein droit, c’est ce que je fais pour jouir quand je pense à toi.<br />

Ça lui plut. Faire quelque chose de sexuel avant les horreurs qu’elle allait me<br />

faire subir ne pouvait que lui plaire. Elle posa sa main sur ma poitrine, un peu<br />

trop haut.<br />

- Ah ! lui dis-je en tremblant, comme c’est bon d’être avec toi, même si le<br />

prix a payer est affreux. Plus bas, écarte tes doigts comme je le fais dans ces<br />

moments-là.<br />

Elle sourit et écarta ses doigts avec lenteur. Encore un peu trop haut.<br />

- Plus bas, mon amour, dis-je dans un râle, plus bas et plus fort, après je suis<br />

à toi.<br />

Hannelore était réellement excitée. Elle n’avait jamais osé imaginer que je lui<br />

261


appartiendrais sexuellement, même dans des circonstances aussi particulières.<br />

Elle écarta ses doigts avec force autour de mon mamelon.<br />

Mon FemmeTouch vibra un peu.<br />

Elle retira sa main avec un sourire sadique et s’écarta de moi pour reprendre<br />

son instrument de torture. Je savais ce qu’elle allait me dire. Que je venais trop<br />

tard à elle. Que je l’avais toujours excitée mais que cela ne changerait rien à mon<br />

destin et qu’elle allait me faire souffrir jusqu’au bout. Elle n’en eut pas le temps.<br />

Il n’y avait plus de temps. La modif de mon copain Dieu venait de s’activer,<br />

le temps était gelé. Pour combien de temps ? Sotte question quand il n’y a pas<br />

de temps. <strong>Le</strong>s maîtres du monde étaient là, figés, grotesques et moi… toujours<br />

prisonnière. <strong>Le</strong> FemmeTouch est performant. Mais il y a des limites à ce qu’une<br />

femme peut obtenir d’un gadget.<br />

Même divin.<br />

262


J’espère quand même<br />

que tu ne me confonds pas avec Marie !<br />

l’impossible fiancé à l’admirable<br />

- Voilà ! fit Dieu, avec un sourire angélique.<br />

Il était apparu, pour la première fois, dans le style qu’on aime à lui prêter. Une<br />

lumière qui descend, les chœurs en répons des élus et des damnés, une révélation<br />

amplifiée effaçant autour de Lui les horreurs congelées, quelques accords flottants<br />

dignes de la meilleure trance. En attendant le beat ! Il se posa en douceur<br />

devant moi. Je lui lançai un sale coup d’œil. J’étais attachée sur cette chaise,<br />

j’avais évité le pire mais mon pouce m’élançait pas possible. Je fis ce que toute<br />

femme fait en pareil cas : la gueule.<br />

- Oh ! Mélissa, ça ne te ressemble pas, dit-il d’une voix si charmeuse que j’en<br />

fus remuée.<br />

- Tu me rends faible, grognai-je. Serait-ce un effet de ta divinité de me libérer ?<br />

De desserrer ces horribles courroies ? Hmmm ?<br />

- Procédons par ordre, dit-il. Il faut désactiver ton FemmeTouch, il va finir par<br />

se décharger. De plus, je veux que tu te sentes bien.<br />

Il caressa mon sein, je manquai de défaillir. Ça fait quasiment un livre que<br />

j’attends ça ! Je sentis mon petit robot intelligent se mettre en pause mais pas<br />

mon intimité… Sur quoi il effleura mon bras droit et toute douleur disparut. Je<br />

ne pus m’empêcher de pousser un immense soupir de soulagement. Je me sentais<br />

bien. Mis à part le fait que j’étais toujours attachée.<br />

Incidemment, je me fis la réflexion que l’ensemble des cons gelés bougeait<br />

imperceptiblement. Dieu avait éteint mon FemmTouch, l’imprudent. Ce retour<br />

au temps normal ne serait pas rapide mais j’étais pressée de me mettre hors de<br />

portée en temps utile. Même sous protection divine. Comprenez-moi, ce que je<br />

venais de traverser me foutait les chocottes.<br />

- Ejem 212 , dis-je en espagnol, cette langue morte que j’affectionne tant.<br />

- Ejem ! fit-il en écho, je suis d’accord avec ça. Tu te demandes quand je vais<br />

te libérer ?<br />

212 ejem, en espagnol son qui correspond à hum hum ou quelque chose qui indique un<br />

râclement de la gorge.<br />

263


- Je n’ai jamais rien pu te cacher, sifflai-je.<br />

- Eh bien, dit Dieu, tu vas le faire toi-même.<br />

Ah le con ! Il se foutait de moi ? Mon top 1 se moquait de moi ! D’un autre<br />

côté je ressentais des choses assez fortes. L’une, que mon grand amour était de<br />

retour et l’autre qu’il fallait être Dieu pour capturer correctement une Mélissa.<br />

Hannelore m’avait piégée, c’est vrai, mais je m’en serais sortie sans problème et<br />

je l’aurais tuée à mains nues alors que Lui me tenait en son pouvoir et je m’en<br />

sentais plutôt bien. Estrange… Que me voulait-Il ? Je Lui posai la question.<br />

- Il te reste une chose à faire, dit-il l’air amusé, et je ne puis me substituer à toi<br />

pour cela. Pardonne-moi cette arrivée théâtrale mais je voulais modifier un peu<br />

l’ambiance de cet endroit, elle me paraissait assez plombée.<br />

Tu viens de faire un miracle, persiflai-je, tu pourrais aussi me libérer, c’est<br />

nettement plus simple.<br />

- Oh ? Tu penses à ce petit geste par lequel j’ai aboli ta douleur ? Mais voyons,<br />

ma tendre amie, ce n’était qu’une application du principe du couple solaire.<br />

Turbulences ! Il avait dit couple ? C’était… médiéval !<br />

Il poursuivit :<br />

- <strong>Le</strong> yin en tant que principe féminin, est la partie de la colline qui est à<br />

l’ombre. C’est froid, lunaire, passif, nuageux, caché ; la nuit, l’obscurité et le<br />

Nord. <strong>Le</strong> Yin c’est moi. Je dois devenir ton principe et tu seras moi. Nous allons<br />

fusionner. À l’échange de nos énergies le monde basculera !<br />

Dieu était à la masse… J’étais tellement fascinée que je ne tentai point de<br />

l’interrompre.<br />

- <strong>Le</strong> yang est le principe masculin et il désigne la partie de la colline qui est au<br />

soleil, la chaleur de la vie, le solaire, l’actif, le lumineux et le Sud. L’homme est<br />

représenté par la force du travailleur ou du guerrier. Je vais m’élever bientôt au<br />

long de tes puissantes jambes et réveiller le yang qui sommeille en toi, Mélissa,<br />

en vérité je te le dis, ce n’est qu’en unissant nos contraires que nous formerons<br />

le couple solaire.<br />

Je vous le dis tout net. Dans cette histoire il ne se passe en fait pas grand-chose.<br />

On m’envoie chez Avène pour m’assassiner. Dieu surgit du passé et m’impose sa<br />

compagnie. Je suis projetée en Amérique dans des histoires de folles. Cannelle la<br />

fille démolie réapparaît en lesbienne dangereuse, agent de BigMama. Après lui<br />

avoir cassé les reins je descends en Allemagne pour participer à la naissance de<br />

partitions insensées et tourbillonnantes. Je visite le lieu Aleph de Las Estrellas,<br />

je participe aux origines de la crise financière mondiale, on me traque, on me<br />

capture, on me torture, j’en passe, une seule chose me maintient en vie c’est ma<br />

sexualité triomphante ; je rêve de baiser Dieu, mon divin copain et, si je décode<br />

264


ien ce qui se passe, c’est lui qui se prépare à me sauter, en changeant de sexe<br />

soit dit en passant, tout en me gardant attachée sur la chaise de torture des maîtres<br />

du monde ! Qui dit mieux ? Vous pouvez écrire un livre plus fou ? Eh ? Sans<br />

user de platitudes ou de banalités ? Eh ? Allez-y !<br />

- Pas faux, sourit mon Grrrrrand 213 Amour, je vais commencer par tes pieds,<br />

ils comportent chacun sept mille deux cents terminaisons nerveuses, distribuées<br />

en onze zones de contrôle érotique. J’ai eu un mal fou avec ce concept de CPU<br />

podal 214 féminin, créer une zone où tout est représenté dans un petit espace. Je<br />

vais localiser tes forces Yang pour les débloquer. Je commencerai en te massant<br />

doucement les régions de l’hypophyse et des ovaires, qui se situent dans tes<br />

adorables petits talons.<br />

Ici s’entame ma confession. J’ai honte. Je vous prie de m’accepter en pénitente.<br />

Je vais me présenter à vous, à genoux, nue dans une robe de bure et confesser<br />

non seulement mes péchés mais aussi tout ce que vous aurez envie d’entendre.<br />

Ce que j’ai à vous révéler tient de l’impossible fiancé à l’admirable. Cette<br />

lumière en moi qui faisait défaut, ma source, mes origines, mon pouvoir, tout<br />

cela se rallumait avec lenteur. Pas du tout comme je l’avais prévu mais grâce à la<br />

main de Dieu qui visiblement me baisait en commençant par mon pied. Pourvu<br />

qu’il continue et ne nous fasse pas un Big Crunch Interuptus ! Je me mettais à<br />

vibrer. Peu à peu toute ma vie se réactivait. J’étais comme un vieux surputeur<br />

rouillé qui tenterait de charger son OS215 . Vous n’allez pas me croire, j’ai senti<br />

que mon string fétiche était toujours là. Ma fente s’en émut et je me changeai<br />

vite fait en fille fontaine. Je m’en foutais que Dieu ait laissé les Putenberg et<br />

autres maîtres du monde partir si loin. Ils n’étaient plus que glace bleuâtre et<br />

sale agitée de tremblements. Avec le divin massage des sept mille deux cents<br />

terminaisons nerveuses, distribuées en onze zones de contrôle érotique, mon<br />

sexe revenait lentement à la vie, sous forme de source, de source lumineuse. Ma<br />

position de femme soumise mais comblée se révéla tellement gratifiante que peu<br />

à peu cette clarté d’amour me gagna des pieds à la tête. Il me restait un zeste de<br />

raison critique, pas trop.<br />

- J’espère quand même que tu ne me confonds pas avec Marie, hoquetai-je,<br />

moi c’est Mmm… Mmmé… mémé… Mél… Mélissa.<br />

- Et je ne suis pas le Saint-Esprit dit l’Absolu, c’est un grand vantard mais un<br />

213 Un amour aussi fort que celui d’une bête, une vraie ! NdA<br />

214 1) Surputeur, chez JG depuis l’Amérique brûle-t-elle ? signifie super computer. 2)<br />

Central Processing Unit, en langage banal : le cerveau d’un ordinateur. Ici il s’agit des pieds de<br />

femme et de leurs nombreuses connexions avec leur propriétaire.<br />

215 Au sens ordinaire de système d’exploitation. NdT<br />

265


précoce éjaculateur de mondes. Je suis Celui qui te masse les pieds, tu ne Me<br />

connaîtrais pas si tu ne M’avais déjà désiré !<br />

Oh ! Combien l’avais-je désiré, Lui et son style Majuscule. À en oublier mon<br />

bien aimé Des Ombres. À ce point d’extase - nous étions loin du climax - il me<br />

vint une vision entière de son Cosmos, tel qu’Il l’avait voulu.<br />

Je vis l’OSSEX 216 .<br />

J’en arrive maintenant au point sexuel, ineffable de mon corps<br />

libéré ; ici commence mon désespoir de femme, tout l’amour<br />

que je vais dégager sera mortel, trop lumineux. Mon langage<br />

est un alphabet de sept mille deux cents terminaisons nerveuses<br />

dont l’exercice suppose un pied féminin, une main divine et une<br />

jouissance partagée ; comment transmettre aux autres et sans<br />

les consumer l’orgasme infini que ma triomphante mémoire<br />

écrit en cet instant ? <strong>Le</strong>s hommes, dans une situation analogue,<br />

multiplient pour se protéger des icônes de filles : pour exprimer<br />

leur divinité un Perse parle d’une fille qui en une certaine façon<br />

serait masquée et que simplement avec humilité l’on regarde<br />

marcher vers la révolution. À la partie inférieure de Dieu, vers<br />

la droite, je vis une petite sphère aux couleurs chatoyantes, qui<br />

répandait un éclat presque insupportable. Je crus au début qu’il<br />

s’agissait de Ses yeux ; puis je compris que ce mouvement était une<br />

illusion produite par les spectacles vertigineux que je diffusais.<br />

<strong>Le</strong> diamètre de mon vagin devait déjà atteindre deux ou trois<br />

senti mettre, mais en lui l’espace cosmique était présent, sans<br />

diminution de volume. Dieu le violoniste me violait en usant de<br />

mon corps comme d’une viole de jambe ; chaque chose (la glace<br />

du miroir par exemple) équivalait à une infinité de choses, parce<br />

que je la voyais clairement de tous les points du plaisir. J’ai vu la<br />

mer populeuse, l’aube et le soir, les foules ferventes des manchots<br />

d’Amérique, une toile ionisée argentée au centre d’une noire<br />

pyramide, un Big Bang de mon torse éclaté, un labyrinthe brisé<br />

(c’était Londres) je vis des yeux tout proches, interminables, qui<br />

s’observaient en moi comme dans un miroir. je vis tous les miroirs<br />

de la planète et aucun ne me refléta, je vis dans une arrière-cour<br />

de la rue Jacob mourir horriblement le fondateur des éditions<br />

Liminales, sur les mêmes dalles que j’avais vues il y avait cent ans<br />

216 Operating sex system le reste est une citation/commentaire de Borges dans El Aleph.<br />

NdA<br />

266


dans le vestibule d’une maison à Fray Bentos, je vis des grappes<br />

de filles éventées, de la neige, du radium, des filons de sperme,<br />

de la vapeur absolute, des mollets parfaits bien tournés, je vis de<br />

convexes déserts équatoriaux et chacun de leurs grains de sable,<br />

je vis l’Arabie punie de sa violence envers mon absolu je vis à<br />

Inverness une femme que je n’oublierai jamais, je vis sa violente<br />

chevelure, son corps altier, je vis un cancer à la poitrine, je vis<br />

un cercle de terre desséchée sur un trottoir, là où, auparavant, il<br />

y avait eu une arrogante banque, je vis dans une modeste vitrine<br />

d’Annemasse un exemplaire de la première version anglaise de<br />

Pline, celle de Jacobus <strong>Le</strong>coq, érudit oublié, je vis en même temps<br />

chaque lettre de chaque page (enfant, je m’étonnais que les lettres<br />

d’un volume fermé ne se mélangent pas et ne se perdent pas au<br />

cours de la nuit), je vis la nuit et le jour contemporain, un couchant<br />

à Quérétaro qui semblait refléter la couleur d’une rose à Bengale,<br />

ma chambre à coucher sans personne, je vis dans un cabinet de<br />

Bollywood un globe terrestre entre deux miroirs qui le répliquaient<br />

indéfiniment, je vis des chevaux aux crins denses, un caviar en<br />

vie sur une plage de la mer Caspienne dans une isba à l’aube,<br />

la délicate ossature d’une main, les survivants d’une bataille<br />

s’envoyant d’intemporels SMS, je vis dans une devanture des<br />

Yeux Fertiles à la rue Danton un jeu de cartes espagnol, je vis les<br />

ombres obliques de quelques bacchantes sur le sol d’une serre, des<br />

tigres, des pistons, des bisons, des foules et des F-14, je vis toutes<br />

les fourmis qu’il y a sur la terre, un astrolabe persan et un Iphone,<br />

je vis dans un tiroir du bureau (et l’écriture me fit trembler) des<br />

lettres obscènes, incroyables, précises, que Josefina avait adressées<br />

à Matias Argentino, je vis un monument adoré à Chacarita, les<br />

restes atroces de ce qui sexuellement, initiatiquement avait été<br />

Aline de Queverde, la circulation de mon sang obscur, l’engrenage<br />

de l’amour et la transformation de la mort, je vis l’Aleph, sous tous<br />

les angles, je vis sur l’Aleph la terre, et sur la terre de nouveau<br />

l’Aleph et sur l’Aleph la terre, je vis mon visage et mes viscères, je<br />

vis Son visage, j’eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient<br />

vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le<br />

nom, mais qu’aucun homme n’a regardé : l’inconcevable univers,<br />

je ressentis une vénération infinie, un désir infini.<br />

Mon sexe, enfin, prit soleil et la lumière fut. Dieu, depuis le premier matin<br />

du monde, était en moi, il m’avait possédée contre toutes mes stupides attentes,<br />

267


nous ne faisions qu’un, peut-être fus-je la Danseuse cosmique, peut-être rien<br />

de plus qu’une terrible vierge qui allait se refroidir et laisser chanter la force de<br />

la complexité, c’était, enfin, la fusion, jamais je ne m’étais senti aussi… totale,<br />

j’illuminais, ma lumière était telle que nous n’avions plus de formes définies, mes<br />

liens n’existaient plus et, sous cette forme de pure énergie sexuelle, je gagnai le<br />

monde alentour, lentement dans le début puis en accélérant.<br />

Je vis les maîtres du monde fondre et se dessécher avec une effroyable lenteur,<br />

et je ris. Ils avaient invoqué l’enfer et ils s’y trouvaient. <strong>Le</strong>urs hurlements me<br />

furent douce musique. <strong>Le</strong>urs chevelures s’enflammèrent, leurs yeux sortirent<br />

de leurs orbites et leur chair coula comme une cire malsaine. Qu’avais-je dit<br />

dans l’avion qui m’avait amenée ici ? Faire pleurer Mélissa à un prix. Ils le<br />

payaient. Hannelore, quant à elle, avait utilisé toutes ses énergies pour échapper<br />

à mon soleil divin mais elle se défit avec une rage inouïe, triplant de volume, se<br />

propageant partout comme une folle, elle ressembla à une louve carbonisée. Je<br />

ne suis pas sûre qu’elle ait été une femme, un mélange bionique peut-être ? Sans<br />

importance, elle n’était plus. Je vis la voûte de cette grande salle se liquéfier et<br />

descendre vers nous. Mais déjà ma jouissance gagnait la montagne, se propageait<br />

de plus en plus vite. Dieu aurait pu faire les choses avec simplicité. De son<br />

souffle divin. Mais il avait choisi la force Mélissa.<br />

La falaise de Mikro Céphalée, parut soudain s’embraser et s’ouvrit pour laisser<br />

passer un souffle immense, un vent solaire indescriptible. <strong>Le</strong> vieux monastère<br />

devint transparent. <strong>Le</strong> ballet dérisoire des hélicos noirs ainsi que les petits<br />

patrouilleurs rôdant aux alentours fut proprement gommé de la surface de ce<br />

monde et même du réel. Seule la mer se rida un peu, inaltérée, elle n’avait rien<br />

qui déplaise à cette manifestation des origines. 217<br />

- Voilà, dit Dieu. Tu t’es libérée. Et tu as également accompli la seconde tâche.<br />

Il te reste une ou deux choses à faire, tu vas l’apprendre. Mon rôle, cet avatar<br />

s’achève, tu n’as plus qu’à me rendre ma liberté, Mélissa.<br />

J’en ressentis un chagrin immense. L’avoir tant cherché et ne le connaître que<br />

le temps qu’il faut à un soleil pour s’allumer m’était insupportable.<br />

- Ne sois pas triste. Je suis toujours instanciable, dit-Il. Mélissa, je voulais te<br />

dire merci pour toutes ces majuscules. Tu les mérites bien plus que moi, tu sais.<br />

Et… je ne voudrais pas insister mais… le moment venu, la dernière tâche sera<br />

une bonne chose. Pour toi, pour ce monde aussi.<br />

217 Ce récit trouvé par la suite dans les archives des E.U.E est douteux, controuvé peutêtre.<br />

NdEintrgt<br />

268


Lui rendre sa liberté ? De quoi parlait-il ? Pensait-il vraiment que j’allais me<br />

montrer possessive avec Lui ? J’aurais bien voulu… Il était le premier à m’avoir<br />

prise et comblée au-delà de la barrière de Planck… 218 J’étais sûre que cette pitapute<br />

de Kali, la demi-humaine et Suisse de surcroît 219 , comparée à moi, était<br />

d’une aberrante nullité. Restait une hypothèse affreusement banale. <strong>Le</strong>s hommes<br />

d’avant Evène avaient pour habitude de délaisser les femmes qu’ils avaient<br />

prises et rarement comblées. Mais avec mon grand Amour divin ce n’était même<br />

pas pensable. <strong>Le</strong> déroulement des séquences me revint. Je n’ai pas besoin de<br />

longues déclarations, comme Il l’avait dit “tout est dans la lumière” Je ne sais pas<br />

pourquoi cette sentence m’habitait tellement, une chose est sûre, nous mettons<br />

tous trop de temps à saisir ce que Dieu dit. Et, à propos, qu’était cette seconde<br />

tâche accomplie ? J’avais été enlevée par l’horreur blonde qui m’avait exhibée<br />

aux maîtres du monde. Je les avais éliminés, avec tout mon amour insupportable<br />

pour ces vampires. Je… Il me vint une révélation. Je compris de quoi Dieu<br />

parlait. Lors de mon bref calvaire on m’avait assuré qu’Avène, Evène n’avaient<br />

jamais existé. Ça les faisait beaucoup rire car il ne s’agissait que de leurres pour<br />

asseoir le pouvoir de ces charognards de la finance. Ces soi-disant maîtres du<br />

monde venaient d’être vaporisés par ma divine jouissance.<br />

Je saisis alors la portée de cette déclaration. Je venais de modifier le futur. Je<br />

venais de créer cette séquence qui me permettrait d’exister dans un monde différent.<br />

Je compris aussi pourquoi l’idée de revenir en ce temps-là m’avait tellement<br />

effrayée. Et pourquoi on avait mis en œuvre tant de moyens pour me tuer.<br />

Avène, Evène, ce n’était pas le désastre financier parti d’Amérique, ce n’était<br />

pas des tours en feu, ni un virus ravageant l’humanité, même pas une guerre<br />

nucléaire ou le choc des religions, c’était quelque chose qui créait pas mal de<br />

paradoxes temporels,<br />

Avène, Evène, c’était moi.<br />

218 Il est vrai que Planck a établi que E=hf, énergie = homme par femme… Mais nous<br />

subodorons une fantaisie de l’auteur, cette déclaration n’est que faiblement mélissienne. NdE¿?<br />

219 Ce qui n’arrange rien, selon Saint Kada fils. NdEsrc<br />

269


Sur la route de Memphis<br />

<strong>Le</strong>s mecs, de temps à autre, c’est pas si mal.<br />

- Mélissa, disait une voix d’homme, est-ce que tu te sens bien ?<br />

J’ouvris un œil, puis un autre… puis un autre. Trop intense la lumière. Par la<br />

fenêtre je distinguais de beaux arbres, la silhouette d’une cathédrale. Mais j’avais<br />

tellement envie de replonger, de descendre dans une mer sombre et accueillante.<br />

Qu’une main cosmique caresse mes pieds. D’une odeur d’iode, d’algues.<br />

- Tire les rideaux, marmonnai-je. J’étais devenue allergique à la lumière.<br />

- Tu as dormi très longtemps, j’étais fou d’inquiétude.<br />

C’était la voix de Des Ombres ! C’est quand même dur d’avoir modifié le<br />

cours de l’histoire, d’avoir été baisée par Dieu (ohhhhh…) et de se réveiller en<br />

Suisse ! Il est vrai que Des Ombres n’est pas un Helvète représentatif et que la<br />

France n’eut guère été plus excitante.<br />

- Je ne savais pas quoi faire, je n’ai jamais vu une fille aussi agitée. J’avais<br />

l’impression que tu recrachais je ne sais quel torrent d’énergie.<br />

S’il savait… Un siècle et quelques éons plus tard je m’étirai longuement,<br />

examinai avec sollicitude mes désormais divins pieds et me risquai dans la cuisine.<br />

Il me réchauffait des croissants, avait préparé du café, de la mer malade, du<br />

chocolat suisse de chez suisse. <strong>Le</strong>s mecs, de temps à autre, c’est pas si mal. Cette<br />

banalité d’être me fit du bien. Sur la grande table espagnole un petit baladeur<br />

antique diffusait une rengaine banale, pleine de charme ; l’histoire d’un type qui,<br />

sur la route de Memphis, va retrouver la femme qu’il aime mais finit aux mains<br />

des flics. Ça me faisait penser à quelque chose, je n’arrivais pas à localiser ce<br />

souvenir.<br />

- Tu me ferais un œuf au plat ? balançai-je avec la plus grande perversité.<br />

- Mais… bien sûr, sourit-il. Et profites-en pour t’habiller.<br />

Je le regardai avec mes grands yeux bleus innocents 220 .<br />

- Tu n’as pas mis ton string, expliqua-t-il.<br />

Ciel de lit ! Il avait raison. Dans ce vieux peignoir saumon trop grand pour<br />

moi j’étais indécente. Mais où était passé mon string ? Vaporisé, je suppose, lors<br />

de l’étreinte en Dieu. C’était pensable, c’était… médiéval ! Je me hâtais dans<br />

mes quartiers, ceux que j’avais dès le début délimité et poussai un soupir d’aise.<br />

Ma collection, tout ou partie, était là. Ça me fit quelque chose de revoir mes<br />

modèles intimes et surtout d’enfiler un spécial “bi”. Choix qui s’explique d’une<br />

220 Tout le monde vous le dira, les yeux bleus fabriquent une innocence plus crédible.<br />

Pour le reste, si vous ne voyez toujours pas Mélissa, reportez vous au chapitre “Tu veux mon<br />

portrait ?”. NdAagc<br />

271


part par sa double et agréable pénétration et de l’autre par ma bigamie actuelle,<br />

Dieu et… Jacques. Turbulences ! Que venais-je de dire ? Mélissa, la fille qui les<br />

baise toutes et tous, Mélissa est devenue monogame voire bigame ? La honte !<br />

<strong>Le</strong> plaisir aidant je me calmai un peu et revins honorer le petit déj de Des<br />

Ombres qui tint à honorer Mélissa, la revenue d’un long sommeil. Nous prîmes<br />

notre temps et procédîmes. Il avait un goût assez différent de celui de Dieu mais<br />

c’était toujours aussi bien. Un poil mieux, qui sait ? Il était mort de curiosité,<br />

voulait tout savoir, je me promis de le faire cuire à petit feu, en partie pour le<br />

plaisir et la tendresse qu’il me communique, pour faire ma grande intéressante et<br />

aussi un peu pour mettre de l’ordre dans mes souvenirs assez barattés…<br />

- Où étais-tu allée ? me demanda-t-il dès la première bouchée.<br />

- Dis-moi d’abord pourquoi tu bandes toujours ? répliquai-je, toujours aussi<br />

observatrice et futée.<br />

- Je ne pense qu’à toi, pétasse ! répondit-il avec toute la tendresse dont je le<br />

savais capable.<br />

À ce stade on peut presque admettre qu’il y a match nul ou égalité.<br />

Pour moi : je suis tombée au niveau le plus bas, celui de la bi voire monogamie.<br />

Je ne m’en remets pas et les responsables sont Dieu et Des Ombres, dans<br />

la mesure où ils ne se confondent pas, c’est à vérifier, faites-moi confiance, je<br />

m’en charge.<br />

Pour lui : chuter de sa grandeur au niveau d’une obsédée sexuelle tombée de<br />

son futur, là, comme un obscur désastre et éprouver le besoin maladif qu’elle<br />

porte ses fameux strings se passe de commentaires. C’est la chute, le déchoir.<br />

Un partout.<br />

Une seule chose me consolait, le sexe. Tout se passait comme si je fonctionnais<br />

à nouveau, et même bien. J’entrepris de lui raconter mes aventures depuis…<br />

mon départ, c’est-à-dire avant de tomber chez Fuld. Je fis même une petite anamnèse<br />

pour qu’il me situe, il était fasciné. Il m’emmena dans son bureau et me<br />

fit voir d’imposantes bibliothèques où trônaient des livres rares, des BD, des<br />

œuvres littéraires et une collection de livres de Scifi.<br />

- J’adore la Scifi, me dit-il, même si c’est un genre mort. J’ai collectionné au<br />

fil du temps toutes ces œuvres et, crois-moi, je les ai lues attentivement.<br />

Je vis des noms connus, A. E. van Vogt le Canadien (œuvres complètes),<br />

Alfred Bester (œuvres complètes, qui lui donne l’idée de la fille démolie), Norman<br />

Spinrad, Philippe Curval (à son propos il me dit que mon ancêtre femelle<br />

était décrite par cet auteur), Gérard Klein (qu’il semble considérer comme l’un<br />

des plus grands poètes de son temps et qui est à l’origine de sa Sœur Lô, un<br />

272


archétype féminin), H.P Lovecraft, Frank Herbert, Ray Bradbury, Arthur C.<br />

Clarke, Frederik Pohl, Robert Heinlein (œuvres complètes), Clifford D Simak,<br />

Dan Simmons (qui joue si terriblement avec la physique quantique et l’idée que<br />

nous créons le monde, to collapse frontwaves of probabilities), Brian Aldiss,<br />

Poul Anderson, Isaac Asimov, James Blish, Sprague de Camp, Michael Crichton<br />

(qui après Stanislas <strong>Le</strong>m, avec Prey lui dicte un chapitre sur l’essaim), Samuel<br />

Delany, Philip K. Dick, Philip José Farmer, Aldous Huxley, Ursula <strong>Le</strong> Guin,<br />

Michael Moorcock le médiéval, George Orwell, Robert Sheckley (œuvres complètes<br />

et premier découvreur de Las Estrellas de los tres picos), Robert Silverberg<br />

(œuvres complètes), Olaf Stapledon, Kurt Vonnegut, Roger Zelazny (œuvres<br />

complètes dont le roman l’Île des morts le touche profondément, il le nomme<br />

dans un texte impublié Wagner en Amérique), je repris mon souffle.<br />

- Tu as lu tout ça ? fis-je totalement incrédule mais chaude et trempée.<br />

- Honhon 221 , fit ce crétin qui se prenait pour une serveuse de bar style<br />

Dominik’s.<br />

J’allais lui faire voir, moi, de quel carburant je me chauffais. Je n’ai pas eu<br />

le temps de vous le dire mais je n’étais plus en uniforme. J’avais enfilé des<br />

Denims light grey n’stretch décorés d’un noir onyx et d’or blanc qui moulaient<br />

mes fesses mieux que la main de mes copines et laissaient voir la ficelle de mon<br />

string, avec de jolis escarpins décolletés révélant la naissance émouvante de mes<br />

doigts de pied, des talons suffisants pour mon étalon et mon habituel débardeur<br />

noir. On est fille ou on ne l’est pas, je n’accepterai aucun commentaire de vous<br />

s’il n’est pas éperdument admiratif. Je me fis la réflexion que le langage de la<br />

mode n’avait pas beaucoup évolué dans mon époque, tout était déjà là ; vous<br />

savez ce que je pense des couturiers, justes bons pour le mépris, la cravache et<br />

le boulot, surtout le boulot, on est exigeantes nous les filles. Bref, j’avais tout<br />

pour entretenir la vénération de mon Top 2 et cette liste hallucinante de bouquins<br />

m’avait distraite un instant. Ce qu’il mit à profit.<br />

- Mélissa, calme-toi un instant. Nous avons des choses à faire (j’étais super<br />

d’accord) et aussi des choses à nous dire (je l’étais à peine moins…). Je t’ai<br />

montré ces livres pour te dire que tu es plus incroyable que tout ce qu’ils racontent.<br />

Je n’ai jamais vu une fille tomber du futur dans ma vie, à des années de<br />

distance, entretenir une relation avec Dieu et jouer les balles de flipper dans le<br />

temps et l’espace. On peut très bien poursuivre sur le mode sexe et, crois-moi,<br />

j’en crève d’envie. Mais si nous n’arrivons pas à comprendre où tout ceci nous<br />

mène tu vas certainement disparaître une autre fois, tomber dans je ne sais quel<br />

221 Variante connue : uhuh… NdT<br />

273


méchant univers et peut-être ne pas avoir autant de chance. Je tiens à toi. Alors<br />

tranquille. Au pied !<br />

J’éclatai de rire. Personne ne m’avait jamais parlé sur ce ton. Il devait être<br />

terrorisé de son audace… Obéissante, je me lovai à ses pieds et lui fis signe de<br />

poursuivre. On verrait bien pour la suite. On a parlé tous les deux et je lui ai fait<br />

repasser en boucle Sur la route de Memphis.<br />

Ça m’évoquait quelque chose.<br />

Mais quoi ?<br />

274


Il suffisait d’y penser<br />

Grand gamin vaniteux !<br />

J’ai commencé par ce qui comptait vraiment. Je lui ai raconté ses livres,<br />

c’était à grâce à eux que je l’avais découvert. Il y a des épisodes difficiles que<br />

j’ai gardés pour moi, pour ne pas le déstabiliser, il ne les a pas encore vécus. Il<br />

avait écrit onze romans et deux qui, bien que terminés et polis par lui, restaient<br />

impubères. 222 Je les avais dégotés sur ExtraNet. Je me souvenais des personnages<br />

principaux, des moments forts et, quand une mémoire trop précise me faisait<br />

défaut, je me fiais à la musique de son texte, je la portais toujours en moi. J’avais<br />

parcouru, dans les archives de PodSex, beaucoup de vieux livres evènes. Il n’y<br />

en avait aucun qui me soit resté comme ceux de Jacques, je vous ai dit pourquoi.<br />

Sa manière de parler des femmes, le type de relation qu’il avait su vivre avec<br />

elles. Il avait deux autres obsessions, Dieu et l’Amérique. L’un venait de se<br />

manifester et l’autre me paraissait détruite pour suffisamment longtemps. Par<br />

moi, incidemment, dans une île grecque.<br />

- Suis-je connu dans ton époque ? me demanda-t-il.<br />

Grand gamin vaniteux ! Je souris et lui dis, de manière un peu sibylline, que<br />

personne n’avait passé la barrière du temps et des événements. <strong>Le</strong>s cultures sont<br />

mortelles, ce sont des bulles qui ne manquent jamais d’éclater ou de diminuer<br />

et disparaître.<br />

- C’est vrai, reconnut-il, je pense ça de la musique que j’écris et des créateurs<br />

qui sont autour de moi. Nous ne sommes qu’une vive clarté qui aura illuminé un<br />

demi-siècle. Mais avec quel éclat !<br />

- Et tes héroïnes, glissai-je, semblent préfigurer ce qui nous arrive.<br />

- Ah ? Explique-moi ça.<br />

- Tu penses sincèrement que la femme est la base de toutes choses…<br />

- <strong>Le</strong> substratum, sourit-il. Oui, je le pense.<br />

- Mais il se trouve que dans tes livres les moments forts sont ceux lors desquels<br />

une femme met fin à ta vie, en disparaissant, ou met fin à un univers, pour le<br />

recréer.<br />

- N’est-ce pas à la limite du banal ? dit-il un peu ennuyé. Elles nous donnent<br />

la vie et, à leur manière, la reprennent. J’ai cette vision mais, dans un monde de<br />

femmes, je me sens bien et pas du tout diminué.<br />

- Toi, fis-je, tu es le chaînon manquant !<br />

222 Nous assumons que l’auteur a voulu dire “impubliés”<br />

275


Ça le fit considérablement rire.<br />

- Je ne vois pas en quoi je mérite cet honneur, Mélissa ! Il y a beaucoup<br />

d’hommes comme moi mais… ils sont probablement moins bavards. Je suis un<br />

gros exhibo dans mon genre.<br />

- De quand je viens, il n’y en a pas. Je n’en ai pas vu.<br />

- Vous les terrorisez, fit-il moqueur. Face à des filles comme vous ils se planquent.<br />

La sexualité masculine c’est très fragile tu sais ? Cherchez mieux !<br />

- C’est possible, dis-je très concentrée, mais vois-tu, quand je te regarde exister,<br />

quand tu me modifies et me rends folle de rage et même quand j’écoute ton<br />

épouvantable musique je sens qu’il existe entre nous une relation, une fréquence,<br />

une connexion. Et c’est décrit dans tes bouquins.<br />

Tout en lui disant ça, je restai habitée par deux choses. Cette stupide rengaine<br />

“Sur la route de…” et ce que Dieu m’avait dit avant de se fondre dans le paysage.<br />

C’était foutralement ambigu, on dit que ses voies sont impénétrables et,<br />

c’est vrai, je ne l’ai pas baisé, il m’a baisée (ommhh… ahhhhh et ouais !), son<br />

amour demeure en moi comme un inaliénable bonheur, un orgasme de vie, mais<br />

il y avait quand même ces indications que je ne savais comment interpréter. Je<br />

me repassai la bande son.<br />

“Tu as accompli la seconde tâche”<br />

J’entendais clairement sa voix.<br />

“Il te reste une ou deux choses à faire, tu vas l’apprendre”<br />

J’avais fait tant de choses. On m’avait fait faire tant de choses, il m’avait utilisée<br />

à ses fins ne me laissant aucun répit, que me restait-il à accomplir ? Aucune<br />

idée. De plus j’en avais marre. Archi-marre. Je me doutais bien qu’il parlait de<br />

mon époque et je n’avais aucune envie de me séparer de Jacques. Je venais de<br />

perdre la moitié de ma fortune de femme, je n’allais pas me priver du solde !<br />

Mais cette voix, avec un effet de réverb tout à fait ridicule (quel était le mauvais<br />

ingénieur du son qui réalisait cette séquence ?) cette voix résonnait en moi et<br />

poursuivait :<br />

“La dernière tâche sera une bonne chose. Pour toi, pour ce monde aussi”<br />

La dernière ? L’ultime ? Fallait-il que je meure pour qu’il soit satisfait ? Et<br />

qu’est-ce que ça apporterait ? Dieu, si c’était la même personne, avait dit des<br />

choses plus claires à Babylone, du temps de Sumer et même dans le pays ancien.<br />

Ne pas tuer, ne pas voler, des trucs très cool. Mais là il exagérait. Il n’était ni<br />

débile ni gâteux, j’eusse aimé lui crier dessus comme je l’ai si bien fait quand,<br />

pour la première fois, il m’a éloignée de Des Ombres. Ah ! je sentais se bousculer<br />

mon discours 100 % féminin, il en prendrait plein les moustaches. Ce n’est<br />

pas parce qu’il m’a cosmiquement fait jouir comme aucune femme, jamais, ne<br />

jouira qu’il peut se permettre de me faire douter de moi et de me plonger dans<br />

276


le plus grand embarras.<br />

Je vois ce que vous pensez. Je cause et Des Ombres se tait. Donc, logiques<br />

comme vous êtes, vous êtes certains que je viens de caresser mon sein droit,<br />

d’écarter les doigts et de geler le temps. Des Ombres est tout bleu, figé, immobile,<br />

tel qu’en lui m’aime… Tout faux, bande de nazes, quand Dieu s’est tiré il a<br />

eu la mesquinerie de me reprendre mon FemmeTouch avec tous ses upgrades. Je<br />

suis… normale ! C’est… médiéval. Si Des Ombres se tait c’est uniquement parce<br />

que, traîtreusement, je lui ai filé une petite prise de 5 sur l’échelle de Vésuve. Son<br />

sexe en bave d’admiration, il est à ma merci, le temps que je réfléchisse. Toutes<br />

les femmes savent faire ça même si la majorité rechigne à y avoir recours. Faute<br />

d’avoir gelé la durée j’ai, très provisoirement, suspendu Des Ombres à ma petite<br />

main si mignonne. C’est alors que j’entendis la voix divine résonner à nouveau<br />

en moi.<br />

“Tu n’as plus qu’à me rendre ma liberté, Mélissa”<br />

Disait-elle, et ça, ça me tuait. De chagrin, je l’ai dit, et de stupeur. Dieu n’avait<br />

jamais été mon prisonnier. Il voulait donc que je le fasse sortir de quelque chose.<br />

Moi, vous me connaissez déjà bien, Super Mélissa se trouvait un poil minuscule<br />

devant pareil défi… Faire sortir Dieu de tôle ! J’avais beau parcourir tous ces<br />

épisodes, je ne trouvais pas ce qui pouvait avoir barre sur lui ou l’emprisonner.<br />

Mais… en regardant Des Ombres il me vint une pensée. Je m’étais si souvent<br />

demandé si Dieu et lui n’étaient pas la même personne ? Absurde ! Mais pas tant<br />

que ça finalement. Il s’était arrangé pour que je tombe en Allemagne dans cette<br />

période d’alchymie musicale que pratiquait Jacques. Il nous avait réunis. Tout ça<br />

obéissait à une règle, un projet, un dessein. Et finalement ça me vint. Que disait<br />

Des Ombres ? Qu’il était tombé dans la lumière. Et quel commentaire faisait-il<br />

de ce moment-là ? J’avais demandé :<br />

- Quand tu es tombé dans la lumière, où es-tu allé ? Est-ce qu’on pourrait y<br />

retourner ?<br />

Et ça l’avait déstabilisé. Il avait marmonné quelque chose du genre :<br />

- Je suis allé à l’Origine. C’était très chaud.<br />

Et encore quand j’avais voulu savoir ce qu’il avait fait aux origines :<br />

- Je crois que j’ai joué quelques notes, un thème, avec des quintes.<br />

Et finalement, Dieu avait dit :<br />

- Je t’ai déjà dit que je n’étais que quelqu’un qui s’est trouvé par hasard à la<br />

mauvaise place et au mauvais moment<br />

Et il avait ajouté :<br />

- Je n’étais pas Dieu. Personne n’est Dieu si ce n’est le malheureux qui tombe<br />

dans le creuset de la foi et s’y consume !<br />

Ça se mettait en place. Des Ombres avait écrit un premier polar théologique<br />

277


et “faiblement sexuel”. J’étais tombée, moi, dans un polar théologique et fabuleusement<br />

sexuel. Une bonne chose !<br />

Je me suis dit que quand on a éliminé toutes les mauvaises hypothèses, la<br />

seule qui reste est la bonne, C’était connu sous le nom de « rasoir d’Ockham » et<br />

aussi appelé « principe de parcimonie », ou « principe d’économie », ça excluait<br />

la multiplication des raisons et des démonstrations à l’intérieur d’une construction<br />

logique. <strong>Le</strong>s femmes ne sont pas logiques comme les hommes mais, mieux<br />

qu’eux, elles savent écarter ce qui les gêne. Ce que je fis. J’administrai une<br />

bonne petite tape sur le gland de mon grand amour qui chuta de son provisoire<br />

paradis, pire qu’Adam d’Eden. 223 Je ne lui laissai pas le temps de poser des questions<br />

qui m’eussent déconcentrée et j’attaquai :<br />

- Quelles notes as-tu joué, quand tu es tombé dans la lumière.<br />

Il pâlit.<br />

- Des quintes, je crois. Ou peut-être la formule du Nom.<br />

- Tierce majeure descendante, tierce mineure ascendante ?<br />

- Oui, comment le sais-tu ?<br />

- T’occupes, on a pas le temps. À l’origine, c’était chaud ?<br />

- Oui.<br />

- Très chaud ?<br />

- Oui, très lumineux surtout.<br />

Je perçus alors la voix de mon divin copain. Il me rappelait l’essentiel.<br />

- Tout est dans la lumière.<br />

Il ajouta, toujours en voix off :<br />

- Tu t’es éclatée comme un vrai Big Bang féminin à toi toute seule.<br />

Et le puzzle s’ajusta enfin. <strong>Le</strong>s femmes de Des Ombres avaient toutes joué<br />

avec la fin du monde et sa recréation. Son Oriane avait été un Big bang de substitution.<br />

Pour elle il était descendu aux enfers tel Orphée. Mirabelle LaNuit avait<br />

avalé avec simplicité une bombe nucléaire américaine pour sauver sa ville natale<br />

et l’avait accompagné vers la mer quand il avait souhaité redevenir le grand<br />

poisson. Uñas la prostituée de Mexico avait pris la relève de Dieu au Mexique<br />

et lui avait apporté la paix. Il y avait aussi cette Américaine, Jolene, qui n’était<br />

pas qu’une grande blonde en shorts, avec Arena la noire et Jacques en avatar<br />

de dragon elle avait recréé l’Univers from scratch 224 . Il restait Diamant Noir qui<br />

était la guerrière vengeresse d’un monde empoisonné. C’était ça le message de<br />

Dieu et de Des Ombres. <strong>Le</strong> pouvoir illimité des femmes et la possibilité d’une<br />

223 Quel style ! Adam d’Eden, c’est netteent mieux que Michou d’Auber. Même dans le<br />

sexe et la métaphysique Mélissa met sa physique avec une aisance effrayante. NdEjlx<br />

224 from scratch : à partir de zéro.<br />

278


Genèse. Accoucher d’un monde neuf.<br />

Il restait un facteur dérangeant duquel je devais m’assurer. <strong>Le</strong> fait d’être par<br />

hasard à la mauvaise place au mauvais moment. J’étais certaine que ça allait<br />

expliquer Dieu et Des Ombres. <strong>Le</strong>s réunir. Je ne savais pas duquel j’allais hériter<br />

mais il me fallait les réunir. En d’autres termes libérer Dieu, comme il me l’avait<br />

demandé. J’ai passé un bon moment à cogiter et finalement c’est Jacques, hors<br />

de mes griffes, qui m’a aidée.<br />

Pour une fois qu’il se bouge, çui-là !<br />

279


La tempête des âmes<br />

(Dante ne serait rien sans Doré…)<br />

Voici ce qu’il m’a confessé. (Sous la plus efficace des tortures féminines)<br />

- Arrête ! Ah ! Je t’en supplie arrête, je vais parler ! Fais surtout taire ta luminosité<br />

ne serait-ce qu’un instant. J’ai besoin d’obscur, d’une éclipse de femme,<br />

d’être Ombre dans la Forêt des Ombres, j’ai besoin d’habiter mon nom. J’annule<br />

les pouvoirs de ton sexe, femme, pour satisfaire ton désir de savoir. OK ? Laissemoi<br />

me rassembler… C’est dur de passer comme ça du divin au normal, de la<br />

lave chaude à la glace précise des paroles. J’habite comme tu le sais La Maison<br />

sur Achéron. De jour il est déjà bien difficile de la préserver de la saleté de ce<br />

monde. La nuit, j’écoute les voix des morts, la voix du fleuve, en bas de notre<br />

falaise et je discerne des sens dans ces milliers de voix, ce nuage rageur de voix<br />

dont le son résultant est un chuintement un peu gris.<br />

J’ai beaucoup aimé le bruit blanc que l’on produit dans les laboratoires des<br />

musiciens actuels, j’ai beaucoup aimé les bruits colorés qui en sont de fines<br />

tranches, j’ai aimé à la folie toutes sortes de bruits en me prenant pour Dieu car<br />

je croyais pouvoir comprendre le message et le destin de chaque atome sonore<br />

dans leur flux, j’ai adoré le bruit des archets qui donnent aux violons leur si<br />

belle attaque, j’ai savouré le bruit de cette civilisation mourante étouffée par ses<br />

messages et j’ai dit à qui voulait m’entendre que nous toucherions au chaos le<br />

jour où il y aurait autant de livres que d’âmes, je pratiquai une sorte de doctrine<br />

du Schéol littéraire, j’ai écouté avec respect ces bruits colorés qu’utilise le vent<br />

pour nous prédire ses humeurs, le bruit, il est indispensable à la musique, je suis<br />

peut-être l’une des trois personnes au monde, après Abraham Moles 225 , qui en<br />

sache quelques secrets. Et maintenant, que vais-je dire ? De tous ces sens qui affluent<br />

vers moi ? Ne me dis plus jamais que c’est simplement de l’eau, qui roule<br />

les galets aux berges du fleuve. Quand je ralentis le temps je puis discerner les<br />

voix des morts, de chaque âme, de ceux qui passent là. Je les comprends tous,<br />

ça finira par m’emporter. Je sais quelque chose de la nature du temps qui les emporte<br />

dans sa tourmente. Bien sûr, ce sont mes lectures de l’Enfer de Dante et les<br />

images de Doré qui me font imaginer ça. Sans Doré, Dante ne serait rien de plus<br />

que le fondateur de la langue italienne et un gros cancaneur morbide. L’image<br />

225 Personnage immense et récurrent dans les livres de JG qui l’aimait beaucoup et ne<br />

manque jamais une occasion de lui rendre hommage. Voir dans Wik.<br />

281


de Gustave Doré qui m’a envoûté est dans le chant quatrième de l’Enfer, quand<br />

l’Achéron est passé sans le secours de la barque, c’est celle de l’ouragan infernal<br />

qui ne s’arrête jamais et entraîne les esprits dans son tourbillon. Dante avait eu<br />

une prescience du fleuve des âmes. Il n’avait simplement pas compris que ce<br />

fleuve existe dans l’ensemble du Temps, à tous les moments. <strong>Le</strong>s Juifs le savaient<br />

d’une certaine manière quand ils ont postulé l’existence du Schéol, ils pensaient<br />

qu’il y a une limite au nombre des âmes que peut contenir le Temps. Ce qu’ils<br />

ont ignoré c’est l’aspect atemporel de ces âmes. Quand vient la mort une âme<br />

survit mais elle se répand dans l’ensemble de ce qui est, sera et a été. Celui qui<br />

mourra demain pourra se joindre à celui qui est mort il y a des milliers d’années.<br />

Ça, c’est la vraie trame du Temps. Une âme n’a nul besoin de suivre le cours du<br />

Temps, elle s’ajoute, elle se répand. Il existe un homme qui a parlé de cela dans<br />

ses livres, je pense que nous sommes même nombreux à savoir qu’après notre<br />

mort nous partirons errer dans l’immensité du Ruban O’ ! Ce nuage des âmes est<br />

ce qui m’a agressé quand je suis tombé dans la lumière. Souviens-toi des paroles<br />

de qui tu nommais Dieu :<br />

Je t’ai déjà dit que je n’étais<br />

que quelqu’un qui s’est trouvé<br />

par hasard<br />

à la mauvaise place<br />

et au mauvais moment<br />

- Moi, c’est vrai ! Et tu m’obliges à me souvenir. Tu m’obliges à t’enseigner<br />

qu’il n’y a point de Dieu. N’importe qui se trouvant à l’origine, par volonté ou<br />

par hasard, sera attaqué par le nuage des âmes masculines. Elles sont toutes habitées<br />

par la rage de fabriquer un être suprême. <strong>Le</strong>s hommes ont peur. Toute leur<br />

histoire montre qu’ils tentent de se protéger de la mort en fabriquant des dieux.<br />

Que se passe-t-il ? Je n’en sais rien. Je suis devenu le Dieu que tu as rencontré<br />

sur Denfert. Il ne me reste pas beaucoup de souvenirs et je préfère ça car ceux<br />

que les âmes masculines forcent à jouer ce rôle ne se conduisent pas bien, le plus<br />

souvent. Maintenant tu sais enfin pourquoi ma musique te dérange, elle vise à<br />

être le flux, le chaos et une pensée dominante mélangés. Quel élégant paradoxe !<br />

L’être et le Chaos. Mais toute pensée se réfère à cette dualité. Il n’est pas bon<br />

de savoir tout ça. Je sais pourquoi tu es devenue ma cible. J’ai toujours écrit la<br />

même chose et toujours recherché la femme temple, celle qui fonde. Cette fois<br />

nous allons la rencontrer, avec elle nous allons réaliser le projet le plus ambitieux.<br />

Tu vas le réaliser, toi. En me forçant à parler tu as libéré ton copain divin.<br />

On ira dans l’endroit très chaud, très dense, très lumineux. Tu seras un beau<br />

282


proton, comme il te l’a dit. Mais nous verrons arriver le nuage rouge sombre des<br />

âmes, c’est la couleur que je lui connais. Ce sera difficile, je n’ai aucune idée<br />

du chemin à prendre, je ne sais pas où est l’Aleph, l’origine, le ruban O’. Tout<br />

ce que je sais c’est que ça existe. Alors maintenant, dis-moi Mélissa, pourquoi<br />

avoir gâché ta belle nature pour un projet stupide, masculin, qui ne peut que faillir<br />

? Pourquoi ne pas rester ensemble ici ? Nous ne sommes pas obligés de sauver<br />

le monde à chaque fois ? La vie est quelque chose qui se vit… Tu ne veux pas de<br />

moi ? Qui t’agit ? Si tu insistes j’irai jouer de nuit ma suite de quintes ou même le<br />

thème du Nom. The Name has been pronouced, c’est une sentence grave. Mais<br />

je ne pense pas que la chute aura lieu. Je ne tomberai pas dans la lumière. Nous<br />

devons tous deux tomber dans la lumière. C’est impossible et pourtant tout ce<br />

scénario tend vers ça. Je ne sais pas que te dire. Je n’ai plus de mots.<br />

Dans un instant je n’aurai plus d’images. Parle-moi.<br />

Il s’est tu. Un peu beaucoup accablé. Je suis allé vers lui et n’ai prononcé que<br />

deux mots. Deux mots qui nous permettront de voyager.<br />

- Trrrango Durango !<br />

Je tenais ça de Dieu, mais comme visiblement ils ne se parlent plus il ne connaissait<br />

pas ce bref mantra. Il en était baboum. Sur quoi j’ai mis la barre à bâbord<br />

toute.<br />

- Jacques, j’ai fait, c’est beau ton discours mais c’est lourd. Trop de sombreur. 226<br />

Os court ! Tu oublies totalement pourquoi je t’ai charmé et surtout comment. Je<br />

suis d’accord avec tout, j’ai changé mais laisse-moi faire comme si j’étais encore<br />

Mélissa, la fille omnivore du futur, celle qui baise tout le monde et tout ce qui est<br />

baisable sans distinction de race, de planète, de religion, d’immanence ni même<br />

de transcendance 227 . Tu ne vois pas que tu me diminues avec tes profondeurs ?<br />

Une femme c’est du réel, pas un cortège de fantômes. De plus j’en ai marre de<br />

te voir changer d’identité quand ça t’arrange, un coup Dieu ou un coup le grand<br />

compositeur inspiré ! Faut qu’je souffle. OK ? Pense bien à Trrrango Durango,<br />

on va utiliser cette musique mais avant, je vais aller faire un tour dans mon<br />

époque et je te reviens. Ne fais pas cette tête mon grand amour, je t’aime.<br />

Et je ne voudrais pas que ça te fasse mal.<br />

226 Synonymes donnés : clair-obscur, demi-jour, mélancolie, noirceur, obscurité, ombre,<br />

pénombre, pessimisme, tristesse, j’ajouterai beauté morène, cascade de noires chevelures où il<br />

fait bon se perdre.<br />

227 Hautement improbable que Mélissa use d’un voc aussi ringard… Nous pourrions, à la<br />

limite, imaginer qu’elle a parlé de trance en dance. NdT<br />

283


Back to PodSex<br />

Quand on s’aime !<br />

(Voyages de Mélissa VIII )<br />

À peine arrivée avenue Montaigne je me suis précipitée, au sommet de la tour,<br />

chez BigMama Wolwerine. J’ai violé la porte de son bureau (c’est toujours ça de<br />

pris sur l’ennemi) sans même me faire annoncer ni frapper.<br />

- Salut grand chef ! j’ai claironné.<br />

Elle m’a dédié un sourire gentil.<br />

- Mélissa, depuis le temps que je te demande de m’appeler Laurence !<br />

Si j’avais eu un dentier il est certain que je l’eusse avalé sur le champ et de<br />

travers. Et ce sourire gentil… Turbulences ! C’est, c’est… Comment est-ce que<br />

je dis en général ? Ça m’échappe. Dissimulant ma surprise comme je le pouvais<br />

j’enchaînai avec toute la subtilité que vous me savez.<br />

- Voilà ! Je suis là. Je suis revenue. Fin prête pour votre urgence. Tout est ici,<br />

claironnais-je en tapotant un petit porte-documents aux armes de PodSex.<br />

BigMama (une petite blonde élégante et mince en tailleur chic) irradiait la<br />

bonté. Et même un certain désir. Elle avait toujours été secrètement amoureuse<br />

de moi, je le sentais, mais n’avait jamais osé se déclarer. Elle se saisit de mon dossier<br />

et le classa sans même y jeter un coup d’œil. J’en étais baboumissimme.<br />

- Et comment va le Sarkodile ? fis-je absolument larguée.<br />

- Sarko quoi ? Jamais entendu parler ! se marra-t-elle.<br />

Il y avait de l’improbable dans son discours. Cette impatience de me voir,<br />

pour quoi ? Pour me tuer une fois de plus ? Et surtout ce tous… ça sonnait très…<br />

euhhh masculin. Je lui virgulai un coup de sourcil oblique, sans oublier de sourire<br />

pleins phares.<br />

- Alors, fit-elle, le grand moment est venu ! Depuis le temps qu’on veut le<br />

savoir, tu vas nous dire ce que préfèrent les femmes ?<br />

De vous à moi, nos préférences, à part les femmes, je n’en avais pas la moindre<br />

idée. On avait émis tant d’hypothèses là-dessus qu’il serait facile de les compiler<br />

et de rédiger un petit mille pages sur la Théorie généralisée des appétences<br />

féminines. Évidemment, malgré son comportement étrange, elle allait vouloir<br />

du prêt à rouler, de l’impressible, je n’étais pas dans la merde. Je m’apprêtai à<br />

lui sortir quelque chose de suffisamment banal et mode pour un Zine comme le<br />

nôtre mais elle m’interrompit.<br />

- On s’en fout de ce que les femmes préfèrent, dit-elle. On le sait toutes. On<br />

aimerait te ressembler, c’est tout ! Pas la peine d’en faire un article mais tu auras<br />

285


la une malgré tout. Mélissa ? Tu vas faire vendre à mort ! Notre grand amour…<br />

c’est toi. Et notre force aussi. Je savais que je pouvais compter sur toi, tu es trop<br />

chou. Comment vas-tu ? Nous t’attendions tous avec une telle impatience, tu<br />

sais ?<br />

J’avais depuis longtemps largué les amarres… lassée des pôles et des zones,<br />

Ma cheffe dont le sanglot faisait mon roulis doux, montait vers moi ses fleurs<br />

d’ombre aux ventouses jaunes, et je restais, ainsi qu’une femme à genoux… me<br />

dis-je, maudit poème qui fait eau dans ma vie ; si je t’attrape Rimbaud je vais te<br />

baiser jusqu’e danne les zosses. Laurence mit fin à mon délire :<br />

- Attends, il y a un petit problème. Ça m’ennuie de te le dire tu sais, je ne fais<br />

que mon devoir… Je… Nous…<br />

Je me mis en alerte orange et réalisai subitement que je n’avais plus mon<br />

FemmeTouch modifié par le Vieux. Faisait chier Dieu ! Même pas une petite<br />

amazonite. Faisait doublement chier. Je me raidis imperceptiblement. Selon ce<br />

qu’elle allait me déballer je ne devrais compter que sur moi-même pour survivre.<br />

Je n’avais aucune envie qu’on m’arrache un ongle de plus ni de finir découpée<br />

en fines tranches par une folle sadique à la solde de BMW.<br />

BigMama tripota une rangée de boutons et la porte de son bureau, celle qui<br />

donnait sur le back-office, s’ouvrit avec lenteur.<br />

Je sais que dans cette histoire je vous ai sorti au moins trois fois l’histoire des<br />

portes que l’on ne devrait jamais ouvrir avant de savoir ce qui va entrer. Je me<br />

suis amusée à vous décrire la saloperie rampante 228 en approche, le squale mal<br />

embouché qui n’a pas ratifié la contravention de Genève et qu’Uma Thurman<br />

pas contente vous balance à la figure 229 , le flot de la circu au carrefour Denfert<br />

qu’un connard aura dévié dans votre trente m 2 tellement cosy, une retraite à cent<br />

ans et une valse Hamilton, un Van Meenem salarié par BNP ou un El Habdèrozob<br />

plaidant la cause de BP avec son alène peste/existence/ciel, bref une porte<br />

qui n’ouvre que sur huissiers et emmerdes, une porte à faux, pas cool, c’est…<br />

médiéval les portes. Avant de vous révéler le nom de l’horreur qui en deux pas<br />

vifs fut sur moi et va donner à ce récit un tour dramatique je tiens à me justifier,<br />

j’ai ma fierté, je me répète certes, mais je crée des variations musicales. Prenez<br />

un crayon ou un scanner et comparez les textes des portes dangereuses dans ce<br />

228 Qui se traduit en anglais par creep, dites krîîîp’, et qui représente la gamme large de<br />

l’horreur du larvaire, de l’humide, du rampant et peut-être, chez ces chers Eméricains, la peur<br />

panique de la conque féminine s’entrebaîllant… sait-on jamais ce qui a pu motiver leurs crimes<br />

vis-à-vis des valeurs “femmes”. On les coterait à Wall Street qu’elles se porteraient nettement<br />

mieux, les merveilleuses femmes américaines, celle qu’on ne voit jamais, les pas Jolie, les pas<br />

Fox, les pas E-connes. NdAqsrbch<br />

229 In My ex super girl friend, film.<br />

286


ook et vous verrez qu’en comparaison de moi Beethoven dans sa sonate en la<br />

écrasé 230 ou dans ses variations diaboliques n’est qu’un amateur.<br />

La chose aux longues jambes fines mais musclées 231 , toute vêtue de noir, fut<br />

sur moi en deux enjambées. De fait, c’était Cannelle ! La fille outsider que BMW<br />

avait sadiquement démolie devant toute la rédaction. Et que plus tard j’avais<br />

retrouvée en Floride sous les traits de Niki, la petite blonde peroxydée, qui avait<br />

été une grande métisse très cool, aux yeux clairs 232 . Je me souvenais très bien<br />

de lui avoir cassé les reins à la fin de la rave… Je l’avais gratifiée du baiser<br />

“pâmoison amoureuse”, un truc qu’on apprend à PodSex. Elles l’avaient bien<br />

remis à neuf car elle me serra sauvagement dans ses bras, me couvrit de baisers<br />

et prestement me passa une paire de menottes ultra-serrées. Ce que je peux être<br />

conne, on était reparties pour un spectacle “à la grecque” dans le décor de la tour<br />

PodSex.<br />

Pause ! Je sais à quel point vous êtes cons mais… permettez-moi une question<br />

simple, une seule, votre avis m’intéresse : Mélissa, entre nous, qu’en pensezvous<br />

? Pas terrible hein ? Se fait piéger à chaque fois, manque d’initiative,<br />

n’apprend rien. Bien fait pour sa tronche, non ? Repartir comme ça à la case<br />

zéro c’est nul et le lecteur qui ne jette pas ce bouquin par la fenêtre en lisant ce<br />

chapitre est un lâche. À moins qu’il n’ait pas de fenêtre.<br />

Laurence riait de bon cœur, jamais je ne l’avais vue si contente. Elles me<br />

poussèrent au pas de charge vers la salle de rédac dont la porte, dans une sorte<br />

de sinistre pénombre sourde était fermée, Cannelle apposa un doigt sur un scanner<br />

qui passait par là, des barres et des cylindres d’acier forniquèrent avec un<br />

bruit soufflé et je fus projetée en avant, mes deux tortionnaires dans le dos. Il y<br />

avait deux choses en ce lieu d’ordinaire si animé et joyeux : un froid glacial et<br />

une ambiance très très très hostile. Dans ces moments-là il n’y a qu’une chose à<br />

faire : fuir. Comme c’était impossible je fis mes adieux à mon grand amour Des<br />

Ombres.<br />

“Salut, Jacques, je t’ai rencontré sur un caprice de vieil homme, j’ai<br />

cordialement détesté ta musique, ta manière de ne pas changer de chaussettes<br />

chaque jour, ton élégance pour rater la polenta et la plupart de tes amis que<br />

tu ne m’as par ailleurs jamais présentés, tu as été arrogant, doctrinal, sûr de<br />

toi et borné pas possible, tu as mis un temps fou à admettre qu’une fille aussi<br />

230 Nous présumons que Mélissa a voulu dire la bémol majeur. De même pour les variations<br />

Diabelli (qui sont en effet diaboliques pour ne pas emmerder l’auditeur). NdT<br />

231 Dans la gamme des poncifs Mélissa a oublié de dire”bronzées”, signe de fatigue…<br />

232 <strong>Le</strong>s femmes, c’est si plastique ! NdBertrand<br />

287


glorieuse que moi pouvait exister et s’intéresser à toi, tu as été somme toute un<br />

vrai carburateur et quand tu t’es confessé tu as été d’une lourdeur pas possible<br />

avec tes tempêtes de cadavres animiques dérivant dans le temps et les bouquins<br />

d’un vieux con rital, tout ça pour la gauche, pour le plateau de gauche mais,<br />

d’autre part, sur le plateau de droite, je t’ai trouvé drôle, attentionné, ta manière<br />

maladroite de te parquer et de plier tes chemises m’ont émue, j’ai beaucoup aimé<br />

ta fragilité de grand chef, j’aimerais te préserver de ce qui va t’arriver… tu m’as<br />

parlé des femmes comme personne jamais ne l’avait fait, tu aurais tout changé<br />

ici mais jamais nous ne passerons Noël ensemble, Des Ombres, c’est fini 233 , je<br />

n’irai pas voler avec toi dans ton moineau mécanique, nous ne découvrirons<br />

plus de petits restos pour amoureux, c’est une belle histoire toi et moi, la belle<br />

histoire avec son parfum amour/toujours mais qui s’achève presque avant que<br />

de débuter, je…”<br />

Une merveilleuse lumière descendit sur moi, ce devait être le Saint-Esprit<br />

(depuis le temps qu’il ne fout rien dans cette histoire) mes menottes tombèrent<br />

et je me trouvai, ébahie, avec Cannelle pendue à mon bras gauche et Laurence<br />

au droit, devant toute la rédaction de PodSex laquelle (ils avaient dû répéter<br />

longuement) hurla à l’unisson “SURPRISE !<br />

Sur quoi l’hymne national arrangé façon happy birthday to you descendit des<br />

colonnes invisibles du plafond et je vis, complètement sonnée, Laurence ellemême,<br />

qui tomba la veste et vint me faire un numéro à la Marylin en chantant,<br />

à voix rauque, la fameuse conclusion “Dear Mrs Pre-si-dent”. J’appris ainsi,<br />

occasionnellement, que cette année j’étais promue à la présidence des Amis de<br />

PodSex et aussi que c’était le jour de mon anniversaire. J’ai détesté cette idée.<br />

Elles étaient toutes devenues folles… Ils plutôt, et c’est ce qui me marqua le<br />

plus, il y avait des carburateurs dans l’assemblée, pas un, pas deux, il y en avait<br />

une bonne moitié de mecs. Turbulences… Ça m’acheva, je sentis mes jambes se<br />

dérober sous moi, le bras musclé de Cannelle me sauva du pire des ridicules.<br />

Que fait-on quand on a perdu ses repères ? Dans mon cas… rien. Ou pas<br />

grand-chose. Je vis mon adorable Safran dans un coin, toute timide. “On l’a<br />

prise en stage” me confia Cannelle. Je vis enfin Plurabelle, cette fille unique qui<br />

a eu le bon goût de ne jouer aucun rôle dans ce récit, et comme toutes… pardon,<br />

tous, je m’extasiai devant son intemporelle beauté, elle était bien mieux que<br />

moi mais fidèle à un Joyce depuis trop de temps cette Anna Livia Plurabelle ; je<br />

découvris que la tour de PodSex n’avait que quinze étages contrairement à mes<br />

souvenirs où elle en avait presque cent et où j’avais le temps de baiser à fond<br />

une fille dans les ascenseurs grands vitesse qui m’élevaient chez BMW (pardon<br />

233 Et dire que c’est mon premier amour NdEsuplmt<br />

288


chez Laurence), tout le monde il était beau, gentil et on jouait apparemment un<br />

remake de Tant qu’il y aura des hommes. <strong>Le</strong> bouquet final fut Hannelore qui,<br />

en tenue SM (Sadomaso pas Super Mélissa) sortit du HoloCake 234 offert à nos<br />

désirs. Elle vint sur moi, aussi vive que Cannelle (je vais pas vous dire que je me<br />

raidis à nouveau, il n’y a pas de mots pour exprimer la trouille qu’elle me refilait)<br />

et, tendrement, projeta son grand fouet sur ma frêle personne, attrapant au vol la<br />

mèche qui revenait vers elle et m’attirant captive un peu liée, ficelée comme une<br />

belle vache dans un rodéo, dans ses bras pour un long baiser qui me fit quasiment<br />

autant d’effet qu’un string de compétition. Elle m’embrassa si tendrement,<br />

pétrit ma vulve avec tant d’art qu’elle me laissa toute chose. “Tu nous fais toutes<br />

marcher Mélissa ! Tes éclats de rire, ta vitalité, ta bonne humeur nous ont manqué,<br />

si tu savais ! Et te voici ! Ta joie de vivre ricoche dans nos caboches, souris,<br />

on va économiser de l’énergie. Tu es la femme rêve, ta vie sexuelle est pour nous<br />

toutes le modèle désirable, tu es notre star, t’es plus femelle que nous toutes réunies<br />

!” Elle passa sur le registre vintage : “Viens ! J’suis comme une chienne, y<br />

a pas moyen, c’est comme un lien, qui me retient, je t’ai tell’ment dans la peau<br />

que j’en suis dingo, o, o” me dit-elle à l’oreille. Moi, j’sentais qu’elle me rendait<br />

infâme… mais je n’suis qu’une fâ-â-me 235 , chantonnais-je machinalement, très<br />

contente. Elle était blonde, c’était une belle aryenne, un beau cheval, je la vis<br />

distinctement bouger le pied droit avec sa nerveuse rapidité, je nageais une fois<br />

de plus le kilomètre olympique de l’ébahissement grand, cette fois, comme un<br />

cumulorgasmus nimbus. Je me suis dit que j’avais vu les deux faces d’Hannelore<br />

et qu’elle était très puissante. Dea ex machina, qui sait ? Je vous raconte pas la<br />

suite, c’est du pareil.<br />

Quand je me suis retrouvée sur Montaigne, et pas sur Denfert direction Acapulco,<br />

un petit vieux aux yeux bleus un peu larmoyants s’est approché de moi<br />

et a ouvert la bouche pour se présenter. J’ai confisqué son générateur de cône<br />

de silence et l’ai shooté dans un LibertyCar qui rôdait, aux aguets, je ne saurais<br />

jamais qui il était. Même si c’était Dieu ce ne pouvait être le bon. J’avais déjà<br />

donné. Et de toute évidence, à voir l’ambiance de PodSex, la disparition du<br />

Sarkodile, Laurence, Safran et Hannelore…<br />

J’avais modifié le futur.<br />

234 Gâteau virtuel très crédible NdT<br />

235 In c’est mon homme de Albert Willemetz, Jacques-Charles, 1920. NdEqsstvx<br />

289


Trrrango Durango<br />

Tu veux vraiment manger une fondue en plein été ????<br />

Il composa un tango dans lequel il dosa avec soin du fatal,<br />

de la fatale, du destin latino et du fatum oxydant, de vives<br />

jambes musclées enrouleuses de temps forts, des syncopes<br />

aux alcools pressés, de rares sourires brefs comme trancheurs<br />

avec des tentations trop courtes pour être nommées, une<br />

lave gravissant les volcans érectiles, des accents à tous les<br />

angles et la folie des talons libérés sur quoi il descendit<br />

chez les Porteños leur offrir son hallucinée recette de<br />

voyage, on était proches de la fin des temps faibles, les<br />

femmes seraient jouées pliées, comme de fidèles drapeaux.<br />

(Moi, in Rien)<br />

- On y va ? lui murmurai-je un peu haut dans l’oreille.<br />

Il sursauta violemment.<br />

- Quoi ? Que disais-tu à l’instant ?<br />

Je réalisai que depuis la fin de ma petite tirade, aucune durée ne s’était écoulée<br />

pour lui. Décidément, je faisais des progrès dans l’art de manier ce que Dieu<br />

appelle le Ruban O’ ! Des Ombres ne faisait que reprendre la conversation là<br />

où je l’avais laissée. Trop bien ! Je caressai mes jolis petits seins. Au fait, je ne<br />

vous ai pas dit que je me suis débarrassée de mes ridicules obus frontaux mammaires,<br />

ces cônes de silicone que les femmes sont obligées de porter pour plaire<br />

aux mâles américains ? Non ? Eh bien c’est fait ! Je suis à nouveau une belle fille<br />

hors des codes édictés par quelques carburateurs. J’enchaînai rapidement pour<br />

que Jacques ne se disperse pas une fois de plus.<br />

- Je te demandais si on y allait.<br />

- Mais où ?<br />

- Dans l’endroit chaud.<br />

Il me dédia un sourire d’extase.<br />

- Tu veux vraiment manger une fondue en plein été ????<br />

La quantité de points d’interrogation me révéla sa surprise comme son désir.<br />

Il est vrai que je l’avais, il y a quelques éons, discrètement masturbé du bout de<br />

mon pied nu sous la table quand, aux Armures, nous avions dégusté notre première<br />

fondue, le plat le plus nucléaire de Suisse, une moitié-moitié très relevée 236 .<br />

Il avait trouvé ça super-chaud.<br />

236 Vous fileriez ça aux bleus qu’ils remporteraient la coupe haut le pied… NdLqppl<br />

291


- Si tu veux, lui fis-je avec un parfait exhibit gingival, on peut commencer par<br />

ça, j’adore, mais j’ai pour nous de plus ambitieux projets. Ce chapitre risque de<br />

durer… Je crois même que ça sera le jour le plus long.<br />

- Alors, fit Des Ombres tout chose, tu m’invites !<br />

- Pas moi, c’est le vagin cosmique qui t’invite.<br />

- Oh ?<br />

- Ne crains rien, juste mon principe femelle absolu et envahisseur.<br />

- Ça sonne bien ! Il s’agit de mécanique d’Univers à ce que j’imagine.<br />

D’ailleurs, tu m’avais dit de repenser à une sorte de tango dur… j’ai oublié.<br />

- Je vais te rafraîchir la mémoire ! Ça s’appelle Trrrango Durango et c’est<br />

divin.<br />

Il haussa les épaules.<br />

- Divin ! Nous ne savons même plus ce que ça veut dire… Lui ! Moi… Et qui<br />

sait, toi, eh ?<br />

Pendant qu’il bazotait 237 je m’affairais à trouver la bonne musique sur son<br />

ordi. Ce n’était pas Sur la route de Memphis, cette chanson m’avait juste mise<br />

sur la voie, aller sur la route de… Las Estrellas de Los Tres Picos bien sûr, quoi<br />

d’autre ? Avec ma grande expérience journalistique du query 238 , je trouvai assez<br />

vite un superbe tango argentin qui avait été écrit pour un certain Carlos Saura. Je<br />

le programmai, un geste et cette musique allait nous entourer, nous… emporter<br />

même. Dieu, mine de rien, m’avait formée tout au long de ces épreuves. À la<br />

dure, vachard par instants. Il ne voulait que mon bien, j’ai mis du temps à comprendre<br />

qu’il voyait en moi son successeur… Y a-t-il un féminin à ce mot ? Sais<br />

pas. Je dois quand même admettre qu’il avait bien joué cette partie. Avec Jacques<br />

on allait tomber dans la pire des banalités : refaire le monde. Un truc bon pour<br />

007, ou cette vilaine Jolie 239 et tous les clowns de LA ! Il y avait un plus, nous, on<br />

allait refaire Genesis. C’est quand même un peu plus que planète bleue. Sagaces<br />

comme je vous sais 240 vous avez décodé en cours de lecture les balises posées<br />

ici et là, verdad ? Pas une grande performance, elles sont tellement grosses, tellement<br />

téléphonées ! 241 Cela dit, on s’apprêtait à répondre à THE question, celle<br />

que vous vous êtes tous posée et à laquelle il n’est pas de réponse connue ou<br />

même pensable. Suivez-moi, on y va.<br />

237 Bazoter : français ou chuiche ? Sé pas. Semble suissse, comme par exemple barjacquer.<br />

Voir le dico franco savoyard : http://www.lesamisdelagrandemaison.com/fra/Patois/ParlerAB.html<br />

NdTimtr<br />

238 Technique d’interrogation des bases de données. NdTtefdtaglsx<br />

239 Laquelle n’a de cet adjectif que son pseudo patronyme. NdA<br />

240 Pour une fois que Mélissa ne nous traite pas de cons… NdEtrsupr<br />

241 Je retire ce que je viens de footnoter NdEff<br />

292


Je reportai mon attention sur Des Ombres qui hésitait entre la fondue et le Vagin<br />

Cosmique, n’y trouvant sans doute pas de différence quintessentielle… Ce qu’il<br />

peut être con çui-là ! Il était temps d’orienter nos énergies. Je claquai des doigts<br />

avec mon inimitable grâce et lançai la musique du tango, j’avais choisi Calambre<br />

d’Astor Piazzolla, de fascinantes entrées en scène d’un bandonéon, d’un piano<br />

et d’un violon, une sorte de fugue qui augurait bien de notre petit voyage. Des<br />

Ombres détestait danser et bougeait avec la grâce d’un hippopotame arthritique<br />

et contrarié. Ça ne me posait aucun problème, je l’embarquai vite fait, nous<br />

étions dans la belle enfilade de salons à la parisienne de son appartement et nous<br />

ne manquions pas d’espace pour évoluer, quelque quarante mètres de piste après<br />

quoi nous passerions dans l’aile ouest.<br />

- Mélissa, qu’est-ce qui te prend ? Je ne suis pas un bon danseur, grogna-t-il.<br />

- Je vais te réchauffer, mon grand amour, lui confiai-je.<br />

J’étais horriblement occupée à conduire mon cavalier (en fait c’était moi qui<br />

conduisais) et je flirtai un instant avec l’idée de lui mettre, comme les autres, un<br />

mors et des œillères. Et même un collier de cuir noir avec une chaîne que j’eusse<br />

tenue dans ma petite main délicate, pourquoi pas ? J’aurais dû m’y mettre dès<br />

le début, les hommes ça se dresse mais cette conne de Mélissa est trop bonne<br />

avec eux… Avec Dieu, sur Denfert, ça avait été nettement plus simple et rapide.<br />

Il m’avait fait esquisser deux pas de Trrrango Durango, style roulé moulé, et on<br />

avait glissé en douceur au fil du Ruban O’.<br />

- Où va-t-on ? voulut-il savoir.<br />

- À las Estrellas ! gloussai-je. C’est là que tout commence et que tout s’efface.<br />

Tu vas adorer.<br />

Ce con me marcha sur le pied, ce qui interrompit le processus de désintégration<br />

temporelle en cours. Merde ! Il fallait que je l’assouplisse, de plus, à mon<br />

contact, il se mettait à bander 242 ce qui ne me facilitait pas les choses. Je décidai<br />

de lui faire entrevoir vers quoi nous allions. Ça, c’est le plus gros paradoxe de<br />

cette histoire : je danse avec Des Ombres (qui probablement à ses heures est<br />

Dieu) un truc que l’un m’a appris sur Denfert et l’autre oublié en Suisse et c’est<br />

moi qui vais me taper la synthèse de toutes les merveilleuses déclarations qui<br />

parsèment ce bouquin et les lacs de feu de leur double mémoire. Faut l’faire !<br />

- On va faire quoi ? fit Des Ombres qui, très lentement, commençait à m’épouser<br />

(rythmiquement, n’allez pas croire de vilaines choses).<br />

- On va écrire le douzième évangile. Garde la tête bien haute, le menton levé<br />

242 Monsieur Des Ombres, mais, mais, mais… quelles inépuisables réserves ! Dites-nous<br />

ce que vous ne mangez pas ! NdEenth<br />

293


et regarde vers l’avant. Reste souple !<br />

- Mais que sais-tu du douzième évangile ?<br />

- Rien ! Si ce n’est que je devais l’écrire chez Dominik’s, avec Dieu, dans le<br />

New York des années 1960…<br />

- Tu n’as pas d’autres indices ?<br />

- Une masse, fis-je tout en enroulant vivement ma jambe gauche autour de la<br />

droite et en effectuant quelques-unes de ces figures de voltige sexe fatal typiques<br />

du tango. Ah ! ces Porteños ! Ça raviva nettement attention.<br />

- Énumère, me dit-il soudain autoritaire et, ce faisant, il me plia en deux dans<br />

le plus pur style argentin. Je pris soin de faire monter ma jambe près de son soudain<br />

viril visage.<br />

- Je suis, je serai un beau proton et tu vas me faire…<br />

- Un enfant ?<br />

- Pas du tout, une soupe primordiale.<br />

- Je vois, tu veux tomber avec moi dans la lumière ! Je suis d’accord, Mélissa.<br />

Mais pour ça il faut que je retourne dans mon studio et que je joue à nouveau<br />

cette musique terriblement précise. Des quintes et peut-être le thème du Nom.<br />

- Tu retardes, mon grand amour. Ça, c’était avant-hier. Je t’ai choisi la meilleure<br />

musique pour arriver à Las Estrellas, Dieu le sait. Et là, tout peut arriver…<br />

Il me tenait fermement par la taille et suivit mon jeu de jambes avec le plus vif<br />

intérêt. Je me sentais redevenir moi-même, Mélissa%Mélissa, c’est incalculable.<br />

Et soudain, je vis par les grandes fenêtres s’opérer une magique transformation.<br />

En face de nous, les arbres de la promenade devenaient lentement transparents<br />

des lumières couraient dans les murs de pierre. Aucun doute, c’était le signe du<br />

passage vers Los Tres Picos ! J’en fus si émue que c’est moi qui marchai sur le<br />

pied de Jacques, lequel protesta vigoureusement.<br />

- Aoutch ! fit-il.<br />

- Tu n’es pas une fille américaine, remarquai-je très contrariée.<br />

Inutile de vous dire que ce début de translation s’était interrompu, on était<br />

de nouveau en Suisse, même si Genève a son charme particulier. Je n’étais pas<br />

sérieuse et mon grand amour était un boulet ! Il me vint une idée. Des Ombres,<br />

par nature, n’était plus stable. Il avait digéré sa chute dans la lumière mais depuis<br />

que Dieu s’était manifesté sur Denfert et m’avait envoyée le rencontrer à Stuttgart<br />

il était clair que tout tendait à se mélanger. Je devais déséquilibrer Jacques<br />

et débusquer Dieu. Ça ne devait pas être trop difficile, les mecs, quel que soit<br />

leur niveau, ont tous une chose en commun : une faiblesse devant le féminin. Il<br />

ne me restait qu’à choisir laquelle. Et la pratiquer.<br />

294


- Tu sais quoi ? fis-je d’un air moqueur.<br />

Il réussit presque parfaitement le sourcil circonflexe 243 interrogatif.<br />

- Je sais maintenant qui tu es. Un compositeur.<br />

- Wow ! ça, c’est nouveau.<br />

- Non. Mais ce qui l’est c’est que tu as un rival qui risque bien de te<br />

dépasser.<br />

Il en fut outré.<br />

- Et de qui donc parles-tu, douce pétasse ? fit-il pas si décontracté que ça.<br />

- De Dieu ! De qui d’autre ? À Las Estrellas, il m’a dit une chose importante.<br />

Il voulut parler mais je le bâillonnai prestement de ma petite main.<br />

- Son appétit de musique des origines, Il pense être un compositeur, il dit qu’il<br />

a écrit une Partita nommée Genèse…<br />

- Il m’énerve, fit Des Ombres qui reprenait du poil de la bête. On danse ?<br />

Là, il m’a prise par surprise. Mais c’était la bonne chose à faire. On se laissa<br />

aller aux rites du tango, du Trrrango Durango, il roulait, je me moulais autour de<br />

lui. J’avais mis la musique tellement fort que des voisins armés allaient surgir<br />

des murs, c’était sûr. Il m’informa qu’il n’y avait pas de voisin, qu’il avait purifié<br />

le lieu. Je m’abstins de lui demander comment.<br />

- Il m’a dit, poursuivis-je (avec un peu de difficulté car cette fois c’était<br />

Jacques qui se réveillait et me menait d’une poigne de fer), que je ressemblais<br />

à un écoulement turbulent. Que ma sexualité est simplement la loi de base de<br />

l’Univers, tel qu’Il la créé. Que même si je venais d’un monde dans lequel les<br />

femmes préfèrent les femmes je serais appelée à incarner le point aleph de la<br />

sexualité, la force créatrice primordiale ? Qu’on allait savoir si j’étais apparue<br />

par hasard ou par nécessité, tu me suis ? Je ne suis pas trop abstraite ?<br />

- Ça va encore, rugit-il en me pliant jusqu’au sol.<br />

Je m’absorbai à nouveau dans mes jeux de jambes tellement vifs, provocateurs<br />

et impérieux que penser à quelque chose devenait super-difficile.<br />

- Je continue pour toi, dit mon maître (provisoire). Je connais ses idées : tu serais<br />

un proton, avec ton côté tellement positif, et moi un vilain électron à charge<br />

négative. Tu serais mille fois plus grosse… pardon, plus grande que moi et je<br />

tournerais autour de toi sans pouvoir t’échapper. Toi et moi on aurait un enfant…<br />

Devine lequel ?<br />

Brrr… J’en frémis d’horreur !<br />

- On donnerait naissance à une entité de base et l’appellerait Hydrogène !<br />

Il éclata de rire. Je ne lui fis pas remarquer la vive lueur qui provenait de la<br />

cuisine. C’était tout ou rien. <strong>Le</strong> début de l’Univers ou la fondue au fromage que<br />

243 Très tenté de bidonner ça en source sexe circoncis… NdAprdt<br />

295


j’avais prestement mise en route (au cas où) qui brûlait. Ça se propagea dans le<br />

corridor. Je repris le contrôle de la danse. Ce n’était pas un tango ni même un<br />

Trrrango, c’était un duel. En cinq pas vifs nous avons traversé les enfilades de<br />

salons. Mes talons résonnaient sur le vieux parquet et ses marqueteries. Je savais<br />

ce qu’il fallait dire pour passer vraiment de l’autre côté. Nous n’étions somme<br />

toute rien de plus qu’une mignonne bombe H qui cherche à s’allumer, ou un soleil<br />

à ses débuts si vous préférez. Je lui ai tout déballé. C’était facile, je n’avais<br />

qu’à me souvenir de mes impressions de Stuttgart. Quand il avait répété <strong>Le</strong>s<br />

Profondeurs de la Terre. Je profitai d’une étreinte de très forte proximité pour<br />

lui glisser une petite phrase dans l’oreille gauche.<br />

- J’entends des frissons de cordes, des trilles métallisés et des cymbales<br />

frémissantes…<br />

Il se raidit d’un coup.<br />

- Je vois, continuai-je implacable, le chemin déclamé d’une trompette dans<br />

l’aigu et un envol de bois comme des oiseaux noirs, il y a des timbales qui battent<br />

comme un cœur…<br />

Ce que j’avais prévu se produisit. A force d’évoquer des musiques inouïes le<br />

monde se modifia.<br />

Des Ombres - qui avait prédit tout ça ! - vacilla dans mes bras, se mua en une<br />

énorme vibration très lente qui me chavira affreusement, des langues de feu sortirent<br />

de la cuisine et spiralèrent autour de nous.<br />

296<br />

J’ouvris les yeux, j’avais<br />

été trop éblouie et je vis<br />

mon partenaire.<br />

C’était Dieu.<br />

Marmara dernier dont souvent<br />

voyage, Scylla une pierre énigme<br />

anime veille…<br />

J ‘éclatai de rire.<br />

Je l’aimais çui-là. Et avec lui c’était bien plus facile de danser le Trrrango<br />

Durango, c’était simplement divin.<br />

- Continue, me dit-il. J’aime que l’on parle de moi comme d’un compositeur.<br />

- Il y a, lui confiai-je, dans ces sons que tu organises, une sentence et une impression<br />

de destinée.<br />

- Ah la destinée ! J’aime cette idée. Que sera le monde après l’étincelle ?


Ça lui plaisait.<br />

Ça lui plaisait même tellement<br />

que… rr’’schönnBe<br />

je me k’pris une gifle majuscule et<br />

me g’retrouvaihhk dans les z’brashh<br />

de d’ ª¥∂®øgèn chez Jacques-<br />

Klong… qui voudrait ∂€ß soupe primalhh<br />

trop show¿<br />

Chouette !<br />

Je commençais à m’amuser.<br />

Ils se démasquaient enfin. (Avait fallu une sacrée femme pour les dénouer ces<br />

deux-là !) Ce n’était pas le moment de diminuer la pression même si mes mots<br />

se déformaient un peu. Je me hâtai de placer la suite, il l’avait écrite pour moi,<br />

sans s’en douter.<br />

- Tu l’as écrite, cette musique, pour exister dans deux opposés, l’extrême<br />

lenteur du temps et de fugaces brillances lumineuses, tu n’es qu’un alchymiste !<br />

297<br />

af ‘RrrKlongg ! Bruits…<br />

Bien ! Contin’ouille !<br />

Schmmmm’millions<br />

d’oiseaux d’or Future<br />

vigueur… Gogo Drangggôô<br />

Un Compositeur/ Genesis Il n’y a<br />

pas encore de tanggg… Oh ?<br />

Dieu m’avait reprise et m’embarqua avec une vigueur imprévue pour un<br />

“homme de son âge”, quinze milliards d’années à ce qu’on dit, à la louche.<br />

J’ai pensé, me dit-il<br />

avec son vaste sourire,<br />

à une fusion de<br />

timbres tout à fait extraordinaire,<br />

à une pâte sonore aux<br />

mouvements lents. Un volcan<br />

rouge ! Tu vois bien que<br />

je suis un compositeur ! Tout<br />

est musique, ça me plaisait<br />

tellement de jouer avec ce début de monde, tu sais ?


- Moi, je pensais, enchaîna Des Ombres, à de hautes températures.<br />

ucune mélodie, rien que des trajectoires, un nuage de temps<br />

une impossible polyphonie de<br />

couleurs nouvelles et<br />

de hautes températures,<br />

une musique terriblement précise…<br />

J’ai hurlé.<br />

- Stop ! Je suis comblée. Arrêtez ! Je vous dis d’arrêter.<br />

Ça m’a pris un moment pour qu’ils cessent, dans une tournoyante et hallucinante<br />

valse, d’échanger leur être au monde. Je n’avais plus de voix, ces mecs…<br />

- Vous coexistez enfin, dis-je quand le silence revint. Maintenant allons-y !<br />

Avant d’être trop cuits, moi du moins.<br />

Ils se mélangèrent puis se dégagèrent d’une manière peu descriptible et je<br />

vis… Je vis se dégager de l’enfer qui nous entourait, une progressive douceur.<br />

Un pays tranquille. <strong>Le</strong> sable était vivant, plein de demeures secrètes, je ressentis<br />

la vibration de myriades d’existences. Il y avait de grands cactus en forme<br />

de chandeliers, les fourchettes du diable, c’était tellement loin de l’agitation qui<br />

s’était emparée de nous que je me mis à pleurer de joie. Il y régnait un tel parfum<br />

d’infini que je me sentis nouvelle, utile, j’étais prête à me laisser baiser par la<br />

création et à mourir en paix. Avec mes deux copains.<br />

Nous étions enfin arrivés à Las Estrellas de Los Tres Picos.<br />

298


<strong>Le</strong> douzième évangile<br />

(<strong>Le</strong> lieu et la formule, c’était maintenant)<br />

Je crois aujourd’hui que je l’ai perdue parce que j’allais prononcer<br />

son nom véritable qui la libérerait. Je sais maintenant pourquoi<br />

les dieux me l’ont ôtée. C’est que ma fonction est de nommer et,<br />

qu’ayant découvert le nom ultime, je me serais arrêté au milieu<br />

de ma course, et qu’il fallait, parce que comme vous, ils aspirent<br />

à être découverts, et que, comme vous, ils sont impitoyables, que<br />

je continue à égrener des mots. Je l’ai arrachée à l’enfer, mais il<br />

fallait qu’elle y retourne pour que j’en cherche à nouveau les portes.<br />

Et j’ai veillé à ne plus les découvrir pour ne pas les nommer. Mais<br />

durant ces années, qui ne furent vides que pour moi, j’ai semé des<br />

noms, j’ai nommé plus de choses que les dieux n’en ont faites, je<br />

les ai forcés à créer pour remplir les moules que je leur ai donnés,<br />

j’ai nommé les démons qui sont en moi et ceux qui sont en vous, et<br />

parfois je les ai effacés parce qu’ils résistent mal à l’acide des mots,<br />

et maintenant, j’aspire au repos. J’ai aujourd’hui un rendez-vous dont<br />

nul ne me frustrera, un dernier nom à inventer, qui peut-être est le<br />

sien. C’est pourquoi je demande qu’on inscrive sur la carte blanche<br />

qui subsistera longtemps après moi dans les fichiers centraux de la<br />

légende, en un dernier défi, le nom qu’elle me donna et une simple<br />

phrase ORPHÉE. Il rendit les dieux jaloux parce qu’il était mortel.<br />

In Un chant de pierre de Gérard Klein.<br />

On s’est assis tous les trois sur les chaises de la petite bodega de l’endroit et on<br />

a bu une bière 244 , en toute simplicité. Tout avait été si complexe et turbulent que<br />

chacun se taisait, observait une pause, attendait que l’un des deux autres prenne<br />

l’initiative de la parole. Impatiente, je rompis le silence. J’étais contente de voir<br />

mes deux hommes réunis mais… ça sentait le finale, la strette, la dernière tirade,<br />

la fin de l’histoire. Et je me plaisais bien avec eux… Je me tournai vers Dieu.<br />

- Peux-tu nous expliquer tout ça en simple ? lui demandais-je.<br />

- Oh oui ! Et ce ne sera pas long. Mais avant de le faire, pourquoi ne pas résumer<br />

ta mission ? Sans elle je ne t’aurais pas trouvée sur Denfert…<br />

- Oh ? D’accord, fis-je impulsivement. Alors, installez-vous bien, je ne sais<br />

jamais si je vais être longue ou brève. J’improvise, je laisse venir, au pire je<br />

bavarde, c’est peut-être la dernière fois mais ce n’est pas la première. <strong>Le</strong>s<br />

femmes préfèrent les femmes ? Oui, mais pourquoi ? À première vue nous n’en<br />

244 Bodega : bistrot. La bière aurait pu être une Corona ou une Tres Ekis mais à ce stade<br />

peut-on encore penser pub ? Je penche pour une Dela Sombra ou une Parasol Cactus. NdA<br />

299


savons rien ! <strong>Le</strong>s femmes n’ont aucune idée de ce qu’elles préfèrent car elles<br />

sont trop vastes. Nous ne nous connaissons pas nous-mêmes et, paradoxe, nous<br />

nous découvrons dans le regard de certains hommes. Ils sont rares mais ils sont.<br />

À propos de vastitude et dévastitude féminine il faut parler du discours masculin<br />

réducteur. Pour nous posséder les hommes se sont servis d’images et de signes.<br />

<strong>Le</strong> bon côté c’est qu’ils sont là pour nous voir et nous faire exister. Certains<br />

d’entre eux ont dit sur nous de si belles choses que nous ne pouvons que les<br />

aimer. <strong>Le</strong> mauvais c’est qu’ils ont tous plus besoin d’images pour jouir que de<br />

femmes réelles. Ce n’est pas notre cas, nous sommes plus basiques. Devinez quel<br />

est notre plus grand organe sexuel ? Il mesure environ deux mètres carrés et pèse<br />

dans les deux kilos. Ça n’est pas notre vagin, rassurez-vous. Vous le voyez en<br />

bonne partie tous les jours. Ça s’appelle le tégument… notre peau. <strong>Le</strong>s hommes<br />

n’en ont aucune idée, ils ne savent pas s’en servir. On peut séduire une femme<br />

rien qu’en tenant sa main avec une certaine sensibilité. Ou même en touchant<br />

doucement son oreille pour ne pas parler de cette zone merveilleuse qui est sa<br />

nuque et ses épaules dans l’ombre d’une belle chevelure. Je vous ai souvent<br />

parlé de ce coin secret, derrière nos genoux, le creux poplité. C’est magique,<br />

une petite goutte de transpiration signale que nous sommes parties pour le grand<br />

voyage. Je ne vous parle même pas de nos seins dont ils ont fait un mésusage<br />

tellement ridicule. Nous sommes une surface à jouir. Comme on dit en cette<br />

époque des FemmeTouch. Nous avons souvent manqué de bons programmeurs.<br />

<strong>Le</strong>s hommes ignorent cet organe essentiel mais, il m’est arrivé que l’un d’entre<br />

eux (je balançai un coup d’œil entendu à Dieu qui prit un air modeste) me fasse<br />

divinement jouir rien qu’en caressant mes pieds ! Ça a été dévastateur. Pour<br />

compenser cette ignorance de notre nature les hommes nous ont couvertes de<br />

signes et nous adorons ça, mais il n’en résulte rien de très bon, ils stagnent dans leur<br />

lac des signes. Et dans leur temps trop fugace. La femme, c’est une durée stable.<br />

Nous pouvons jouir sans limite vous savez ? C’est là que les hommes et nous<br />

prenons des chemins divergents. Aucune d’entre nous n’a jamais vu un homme<br />

surfer un orgasme de plusieurs jours, de plusieurs semaines. Il existe quelque<br />

part dans leurs codes de base une malédiction qui rend les hommes bagarreurs et<br />

éjaculateurs précoces. Il suffit de voir la course des spermatos pour comprendre<br />

ce qui leur est arrivé. Il faut éliminer les autres, être le meilleur, le plus rapide.<br />

Pour avoir une chance de nous ensemencer ils se persuadent qu’il faut faire vite.<br />

Balancer leur purée avec la plus forte pression. Nous, nous aimons la durée et<br />

elle nous aime. C’est l’une des raisons pour lesquelles les femmes préfèrent les<br />

femmes. Cette obligation de compétition a fondé la violence masculine, leurs<br />

guerres, leurs religions. Nous sommes différentes par notre force naturelle, nos<br />

bons instincts et notre mémoire de l’espèce. Et surtout en ce que nous ne fondons<br />

300


jamais d’autre religion que celle qu’ils réclament : des déesses provisoires, nous<br />

acceptons de le devenir pour eux. Ah ! le sacré est quelque chose de turbulent.<br />

La femme Vie-Mort-Vie des Mexicains est une pensée proche de tout ce que je<br />

viens de dire. Nous sommes origine et fin, mourir en nous est bon. Je ne peux pas<br />

être plus claire, ce serait trop triste de pouvoir l’être sur un sujet aussi fluctuant<br />

et tourbillonnant que femme, fille et turbulences de la vie. Alors, finalement,<br />

c’est vrai, les femmes préfèrent les femmes, les filles les filles, les femmes les<br />

filles et les filles les femmes, dans l’ordre de probabilité croissante. J’habite un<br />

corps de femme, de fille, parfois de fille-femme, généralement de femme-fillefemme<br />

et, à mon top, de fille-femme-fille, c’est notre connaissance instinctive en<br />

chimie et software féminins que les hommes ne peuvent partager. Ils ne sont pas<br />

construits pour ça. Et j’apporte ici une réponse par la négative à ma mission, les<br />

femmes ne préfèrent pas les gros machos vantards et les mecs à prouesse de bite.<br />

Qu’elle soit grandiose ou minime on s’en fout. Je vais vous dire quelque chose<br />

d’énorme : nous serions toutes prêtes à leur donner une chance. Ce qu’ils n’ont<br />

jamais réalisé est que nous sommes tranquilles et généreuses. Nous n’avons<br />

aucun besoin de guerres, d’armes terrifiantes et de fortunes stupides. Qu’ils<br />

se décident à ne plus jamais devenir des Césars, Hitler, de minuscules busch<br />

avec trop de pouvoir et trop de bêtise, qu’ils deviennent respectueux de la vie<br />

et nous aurons envie de revenir vers eux. Quant à ma sexualité qui occupe ici<br />

tant de pages elle n’est simplement que la loi de base de l’Univers. Voilà, Dieu !<br />

Maintenant, donne-nous un résumé vraiment bref de tout ce qui s’est passé.<br />

- Entendu, dit le Grand. Je serais plus bref que toi, femme.<br />

Nous nous installîmes face à Lui, Vous avez vu ? Je viens de lui flanquer un<br />

passé complexe 245 et une Majuscule… Il le mérite.<br />

- Allons-y pour ce quatrième de couverture dit-il. Jacques, un soir, en écrivant<br />

ta musique, tu es tombé dans la lumière.<br />

Des Ombres approuva, il avait un regard intense.<br />

- Peu importe comment tu l’as fait, tu n’es de loin pas le seul. Tu n’es qu’un<br />

exemple du SCS. <strong>Le</strong> “Syndrome du Coup de Soleil”.<br />

J’ouvris de grands yeux.<br />

- Il y a une masse de gens qui sont partis dans le désert, qui se sont pris un<br />

coup de soleil sur la tronche et qui sont revenus avec une divinité bidon pour<br />

fonder une religion et martyriser les autres, dit le vieil homme. C’est ce que nous<br />

nommons Syndrome du Coup de Soleil. Bien des philosophes l’ont dit, du temps<br />

où ils parlaient encore une langue compréhensible.<br />

- OK ! Jacques s’est pris une insolation, dis-je et ensuite ?<br />

245 <strong>Le</strong>s passés complexes de JG ne sont pas simples et répondent souvent à un besoin<br />

musical ou d’assonance. NdA<br />

301


- Ensuite, il s’est retrouvé seul dans le désert, hors du Temps, avant l’Univers<br />

et là, il s’est fait agresser.<br />

Je connaissais la suite.<br />

- Par la tourmente animique ! commentais-je très fière d’avoir mis en place<br />

quelques éléments du puzzle.<br />

- Tout juste, Mélissa. Sous cette pression énorme il m’a instancié, donné naissance.<br />

Il n’a rien choisi, les énergies du nuage des âmes l’ont contraint à faire<br />

ce double qui a mon apparence. Ce sont des énergies masculines, uniquement,<br />

et elles ont fabriqué un Dieu. Il n’a pas été le pire. Il n’a cautionné aucune<br />

guerre et s’il m’a donné cet aspect c’est tout simplement en raison de l’éducation<br />

religieuse qu’il a reçue dans son enfance. Je ne suis qu’une instanciation de<br />

Jacques.<br />

- Vous avez donc coexisté ?<br />

- Très peu. Il disposait de son univers imaginaire et il ne m’a pas trop évoqué,<br />

il n’a jamais tenté de jouer les prophètes et de créer une religion.<br />

- Tu manques de logique, remarquai-je alors. Pour retrouver Jacques, celui qui<br />

t’avait instancié comme tu dis si bien et te réunir, tu as dû attendre longtemps, je<br />

suis d’accord. Entre-temps, tu es largement devenu le Dieu des Juifs. Mais pourquoi<br />

être venu si tard sur Denfert ? Tu pouvais régler tout ça du temps d’Avène.<br />

Souhaites-tu vraiment partir en Dieu des Suisses ?<br />

Il me fit un clin d’œil amusé.<br />

- <strong>Le</strong> nuage des âmes n’est pas plus suisse que juif, Mélissa. Tu es tellement<br />

modeste, toi !<br />

Je manquai de m’étrangler.<br />

- Il me fallait, ajouta-t-il la clef de Jacques. Il devait écrire ses livres et dans<br />

ses évangiles t’inventer toi. La clef ? Ce ne pouvait être que toi. Tu n’as pas<br />

remarqué qu’il était assez féministe ? J’ai dû t’attendre, trouver la faille dans ta<br />

vie. Tu connais la suite, on s’est baladés dans sa mémoire.<br />

- Il y a une dernière chose que je ne saisis pas, insistai-je. Je veux bien que le<br />

nuage agité soit composé d’énergies masculines en déshérence. Mais, au moment<br />

zéro, il n’y a ni homme ni femmes. D’où viennent ces âmes ?<br />

Dieu sourit avec ce special charme que vous commencez à imaginer.<br />

- <strong>Le</strong> temps est une illusion. Vous dites vous-mêmes que, quand un homme<br />

meurt, il y a une bibliothèque qui brûle. En vérité je vous le dis, chaque fois que<br />

la vie quitte un corps d’homme il y a une étincelle qui s’ajoute au nuage. Ce qui<br />

vous trompe c’est que le nuage est partout et tout le temps. C’est pourquoi dès<br />

l’origine, il y a autant d’âmes que de morts en cet instant. <strong>Le</strong> nuage ne cesse de<br />

grandir mais il est présent dès le début. C’est dur à expliquer non ?<br />

- C’est fascinant, dis-je, je comprends ce danger. Mais… je suis une femme.<br />

302


C’est donc Jacques qui sera visé.<br />

- Ah que si ! s’exclama Dieu, tu as raison Mélissa. La tourmente visera<br />

Jacques, tu es une femme et elle aura peur de toi. Mais tu sauras trouver le moyen<br />

de l’avaler. Je crois que tu es la solution à cette horreur, le monde dont vous<br />

venez. Tu es La Vie et seule la vie peut donner naissance à un chaos suffisant<br />

pour changer ce monde, elle seule est assez basique et puissante pour impulser<br />

un vortex changeur. On ne te demande pas grand-chose en fait, juste ce qu’on<br />

attendait de moi à chaque occasion, un miracle, ça s’appelle comme ça.<br />

Je crois bien que je devins toute pâle.<br />

- Tu devras affronter la tourmente des âmes, conclut-il. Voilà. Vous savez tout.<br />

Venez, allons dans ce désert. En espérant que nous n’allons pas attraper un…<br />

Coup de Soleil.<br />

Il avait le sens de l’humour. Même là…<br />

Surtout là en fait.<br />

Nous nous sommes levés et avons marché dans ce désert mexicain. J’observais<br />

attentivement le monde autour de nous. À l’horizon je vis une armée de pics<br />

érodés et dentus pareils à des collines modulées, du sable ocre et un peuple de<br />

lichens verts rabougris, épars. Il y avait le coucher du disque solaire qui barrait<br />

l’horizon. Dieu devint transparent. Il me dit quelque chose. Je crois avoir été<br />

seule à le comprendre, l’instant suivant il n’était plus. J’entendis le vent chanteur<br />

du désert. C’était une rivière de voix, les invisibles, les plantes et les animaux,<br />

les femmes et les serpents, des hommes et leurs chevaux avec pour chœurs les<br />

plantes, les rios, les chemins improbables, Mezcalito peut-être, des candélabres<br />

dissemblables qui se répétaient. Nous avons survolé les terres brûlées, les sillons<br />

ocre et les collines déchiquetées toujours écrites et bruissantes d’existences,<br />

nous avons vu l’Océan se retirer, la pensée des anciens guerriers nous entourait,<br />

rien n’est important, tout est important, chaque chose est d’égale importance.<br />

<strong>Le</strong>s perspectives humaines sont faibles et menteuses. Cette tornade dansante à<br />

l’horizon, une rue ancienne que le désert avait recouverte, une cathédrale sauvage<br />

et le vif mouvement d’un lézard, les apparences se défirent. Nous sommes<br />

passés dans un désert très simplifié, trop de lumière bien que le disque solaire<br />

ne barre plus l’horizon devant nous. J’ai observé Jacques du coin de l’œil, il<br />

tenait le coup, nous ne parlions pas, de crainte d’éveiller de mauvaises forces ?<br />

Nous devions être à la frontière du Temps, nous marchions encore mais seule la<br />

lumière bougeait. Finalement nous avons vu la petite sphère. Nous étions soit<br />

morts soit dans un rêve protecteur. Elle n’avait pas de taille bien définie. C’eut<br />

pu être un œuf, la tête d’une épingle ou la diagonale de tous les mondes. Nous<br />

303


étions devant cette énigme.<br />

- C’est l’endroit chaud, pensai-je dans le vide.<br />

- Tu peux le dire, répondit le mental de Des Ombres, un trillion de degrés ou<br />

plus. Nous ne sommes pas vraiment là. De plus, il n’y a pas encore de Temps.<br />

- Ça te plaît ? fis-je un peu intimidée.<br />

- Mélissa… Qui d’autre qu’un compositeur aimerait avoir une idée<br />

d’assemblage au moment chaud ?<br />

- Alors, murmurais-je, tu sais ce qu’il nous reste à faire.<br />

Il vibra que oui.<br />

Mon tour était enfin venu, j’allais connaître mon destin. J’étais habité par une<br />

infinie confiance. Et une grande énergie, la Vie. Je vis se former autour de nous<br />

une brume rousse, noire, changeante.<br />

- <strong>Le</strong> nuage des âmes, me prévint Jacques.<br />

Je vais vous dire une chose : il y a des limites à ce qu’une honnête jeune<br />

femme comme moi peut raconter. Même à vous, même si vous me signez une<br />

décharge. <strong>Le</strong> nuage n’était pas beau. Sincèrement pas joli. Carrément vilain. Je<br />

l’examinai assez froidement, de loin, de près, d’en haut si tant est qu’il y ait un<br />

sens à utiliser de tels mots dans un espace incréé. Il avait une couleur brique sale,<br />

une masse de tons rougeâtres, des teintes fuligineuses, un camaïeux de laideurs<br />

et il se tordait sur lui même. Il était d’essence vortex et je pouvais zoomer sur<br />

l’un de ses aspects et même en voir une partie ou une seule âme composante. Ça<br />

me rappela quelques images que j’avais de ce temps d’Avène quand les gens,<br />

dans la rue, n’avaient jamais l’air heureux. Toujours tendus, toujours frustrés,<br />

pensant à chaque instant à l’argent et aux pressions qu’on leur faisait subir. Je<br />

savais que les maîtres du monde et leurs esclaves n’avaient partagé qu’une seule<br />

chose : le chagrin. Ce nuage roulait des zipotonnes 246 de tristesses, de regrets et<br />

d’attentes insatisfaites. J’eus pitié des hommes et de leurs œuvres et je compris<br />

à quel point nous étions indispensables, nous les femmes. <strong>Le</strong> monde qui avait<br />

résulté de cette horreur ne pouvait être bon. Je pourrais vous décrire ce que j’ai<br />

vu et qui j’ai vu. Ce serait comme cette vision de l’OSSEX où je me suis aidée<br />

de Borgès pour vous parler d’un savoir infini. Mais à quoi bon ? J’eus, pour la<br />

première fois dans ma vie tellement courrivière, allante et bavarde, envie de me<br />

taire. De son côté Jacques était tout pâle.<br />

Je ressentis à quel point il était proche de se défaire. La solution était simple.<br />

<strong>Le</strong>s âmes masculines ont peur des femmes. Je me concentrai sur mon grand<br />

amour.<br />

246 Zipotonne : le préfixe zipo signifie 10 puissance beaucoup . NdA<br />

304


- Tu seras ma femme, toi.<br />

- Et je te préférerai, Mélissa.<br />

La chose était dite, sans aucune transition il n’y eut plus de nuage ni de tourmente.<br />

Quelque chose en moi avait repoussé ces forces. <strong>Le</strong>s femmes ne fabriquent<br />

pas de Dieux. Il ne nous resta que notre attente. Je me suis approchée de<br />

lui.<br />

- On le refait ?<br />

- Oui.<br />

- Et si c’était pire ?<br />

- Impossible.<br />

<strong>Le</strong> douzième évangile n’était pas vraiment long. En gros il s’agissait de savoir<br />

si nous voulions redémarrer l’Univers et si nous pouvions le reformuler. C’était<br />

tentant de laisser ce travail à un vieux Monsieur aux yeux bleus… J’étais certaine<br />

qu’un cosmos dont le point de départ serait autre que les énergies masculines<br />

et leur éternelle compétition serait différent et - je le dis avec mon immense<br />

naïveté - meilleur. Peut-être serait-il moins complexe ? Peut-être se résumerait-il<br />

à un monde refroidi trop vite et composé essentiellement de fer ? Il était moins<br />

que certain que l’avatar Mélissa y soit présent. Quelle perte pour une éventuelle<br />

humanité !<br />

Mais j’avais porté en moi de tout temps une tendance vers la vie, vers<br />

l’expansion. Je me suis dit que nous étions allés trop loin. Il n’y aurait pas de<br />

retour. L’œuf, la chose, la tête d’épingle, le tout, les trillions de degrés, la masse<br />

prête à exploser, le grand univers étaient là, proches de nous. Un œuf presque<br />

calme, parcouru de lentes veinules rosées. <strong>Le</strong> Temps allait naître et ça se développerait<br />

si vite qu’il n’y aurait plus d’histoires. Rien que celles à écrire. Il était<br />

temps de dire le douzième évangile. Il se composait en tout et pour tout d’une<br />

unique sentence et de deux clefs. Nous nous sommes tendrement enlacés. <strong>Le</strong><br />

lieu et la formule, c’était maintenant.<br />

Je prononçai la sentence.<br />

- Je dis que Dieu sera une femme.<br />

- Ça me convient.<br />

- Il n’y a plus que les deux clefs à libérer.<br />

- Je le sais.<br />

Il me pénétra entièrement. Nous fusionne âmes. Je me sentis enfin nécessaire,<br />

harmonisée.<br />

305


Je lâchai la première clef.<br />

- Big ! initiai-je, et mon incroyable voix de femme bouscula toutes les teintes<br />

alentour pour les cent mille milliards d’années à venir.<br />

J’eus soudainement peur de ce qui allait se produire. J’ouvris la bouche pour<br />

lui enjoindre de se taire. Nous étions peut-être sur le point de commettre un<br />

Univers épouvantable… Un petit instant de réflexion serait le bienvenu. Que<br />

croyez-vous donc qu’il fit, cet éjaculateur précox ?<br />

D’une haute, belle, sonore et musicale voix il libéra la seconde clef.<br />

- Bang ! clôtura-t-il.<br />

C’était foutu. Enfin… si vous êtes toujours là pour me lire, c’est signe que<br />

j’ai peut-être réussi. Que vous et votre monde n’êtes pas trop loupés. Si… vous<br />

n’avez que trois yeux, que le soir, à l’heure de pointe, de longs tentacules rageurs<br />

sortent bien des bouches de métro, que votre banquier porte toujours trois testicules<br />

rugissants à l’oreille gauche, que les filles sont jolies et que les garçons les<br />

respectent, que personne, jamais, ne parle de profit, dollars et roupies, ces petits<br />

riens familiers de notre belle civilisation, c’est que tout va bien. Mais…<br />

À votre place je vérifierais…<br />

306


6 juillet 2010 10 h 41<br />

307


Annexes online et CoverBang!<br />

J’avais envie, en écrivant ce livre, d’y ajouter divers textes antérieurs<br />

allant de 1980 à 2010, écrits qui montrent la nature et la continuité<br />

des thèmes qui m’habitent. Ils ont un rapport avec les idées qui soustendent<br />

le récit : le flux, le fleuve, la musique qui construit le monde,<br />

la destruction des valeurs féminines par l’Amérique et d’autres thèmes<br />

récurrents. Mais l’ensemble eut occupé plus d’espace que le récit luimême.<br />

Vous les trouverez, regroupés, sur http://margelle.org/html/txt/x.<br />

html, soit : <strong>Le</strong> Fleuve, <strong>Le</strong> fleuve de tous les silences, Schœnberg et son<br />

double, La vie merveilleuse (Anton Webern), L’Indienne et divers autres<br />

textes dont des portraits, Boulez dévisagé, Ansermet re-suscité, Mort de<br />

Jean d’Ormesson, (qu’à sa demande amusée je lui avais communiqué)<br />

et quelques autres. <strong>Le</strong>s titres en italique sont ceux qui ont un rapport<br />

direct avec le présent ouvrage.<br />

Il faut enfin que je vous dise deux mots de l’incroyable débat qui<br />

s’est ouvert, au moment de publier ce livre : la couverture choquait<br />

les hommes et plaisait aux femmes ! Un comble. Un honneur aussi. Je<br />

m’estimai heureux mais on insista. L’argument avancé par l’un de mes<br />

proches, homme remarquable, cultivé, bien de sa personne, séducteur<br />

et pinailleur fut que je n’allais jamais toucher un public de qualité en<br />

raison du titre ou sous-titre “les femmes préfèrent les femmes” et surtout<br />

des fesses (et du string) que l’on voyait en couverture. Oh ? J’avais de<br />

la chance de vivre en Occident et dans une époque de lumières… Je<br />

me suis demandé Qui étaient ces gens de qualité ? De vieux croûtons<br />

cultivés ? Des moralistes ? Des puristes que la vue d’un string et de son<br />

contenu terrorise ? Aucune idée. Un autre argument plus rationnel fut<br />

que les libraires sont trop prudents pour oser mettre une telle couverture<br />

en évidence sur leurs étals. (On me disait aussi l’inverse : ça va vendre !).<br />

J’ai trouvé cette discussion secondaire. Je viens de terminer un livre<br />

fantaisiste certes mais profond et très respectueux des femmes et des<br />

valeurs qu’elles incarnent. Je le dis en 700’000 signes environ, ce qui<br />

est l’équivalent d’une symphonie classique, et pour juger ce livre il<br />

faut le lire réellement. Mon blog 247 résonne encore d’une attrapade avec<br />

un grand homme très professoral qui avait démoli l’un de mes romans<br />

247 http://alinagomez.space-blogs.com/<br />

309


sans… l’avoir lu. Vous savez quoi? Il m’a impercepiblement agacé, ça<br />

ne m’était pas arrivé depuis une vie et je jure de ne pas recommencer.<br />

Ce que je peux être futile parfois… Bref, pour en revenir à cette histoire<br />

de couverture qui fit Bang ! je me suis demandé que décider devant une<br />

telle barrière de timorisie 248 ? Je trouve très facile d’écrire un livre mais<br />

affreusement difficile de le corriger, d’en définir la couverture et de le<br />

laisser partir. Écrire ? Quel moment heureux ! C’est être porté par le<br />

flux des idées qui vous tombent dans la tête, la définition allemande<br />

de l’inspiration (Die Einfall). Quelle que soit la qualité de mes textes<br />

je suis plus descendant de Mozart que de Beethoven, ça me vient,<br />

agréablement, trop touffu parfois, j’ai de la peine à suivre mes idées.<br />

Si vous voulez savoir quelle fût ma décision pour cette couverture<br />

tant critiquée je vous le dis : a) J’ai fait réaliser deux tirages, un en<br />

noir et blanc (avec Mélissa en strings à l’écoute du sol du désert ) et<br />

l’autre en bleu avec une jolie archive d’écoulement turbulent que j’avais<br />

photographiée à Cadiz, on y imagine un visage féminin en couches de<br />

luminance. C’est l’autre aspect possible de la couverture, le flux, la<br />

turbulence, le chaos. Et puis l’eau, c’est toujours beau !<br />

Cette pratique est très courante en musique, on sort un CD collector<br />

edition et un grand public. Avez-vous la version initiale ? Pour le savoir<br />

jetez un coup d’œil à la couverture. Noire ou bleue ? L’important c’est<br />

le texte. Il ne change pas !<br />

Je suis heureux d’avoir terminé, je suis déjà à l’écriture du suivant, La<br />

mer des rêves, des essais. Merci d’avoir lu ces lignes.<br />

248 Je suis certain que l’auteur s’est censuré et avait écrit hypocrisie NdEmalin<br />

310


311


312


Index fréquentiel des notes Editeur, Traducteur, Auteur et<br />

Tiers avec quelques barbarismes<br />

et créations verbales remarquables.<br />

L’index “fréquentiel” a pour objectif de comparer<br />

l’occurrence de divers mots clef.<br />

A<br />

achronissage : Atterrissage temporel, voir<br />

aussi le terme afemmir (Un peu plus<br />

loin deux tours en feu m’ont renseigné<br />

sur l’époque où j’allais probablement<br />

afemmir ) notion apparitionnelle du<br />

décrochage féminin, 53, 77<br />

ALEVE : voir aussi sous Alève, signifie<br />

“Avant les événements”, voir également<br />

sous Evène, 19, 25, 27, 28, 152<br />

Avène : voir aussi sous Evène, 37, 38, 91, 94,<br />

105, 108, 121, 122, 123, 138, 151, 152, 153,<br />

154, 167, 176, 180, 195, 196, 204, 211, 223,<br />

224, 225, 245, 248, 262, 267, 300, 302<br />

B<br />

Borgès : a) Génie b) ne parle jamais des<br />

femmes à l’exception de Beatrix<br />

Viterbo dont on se demande s’elle ne<br />

serait pas un peu dantesque… c) ne se<br />

démode pas d) l’un des rares auteurs à<br />

savoir que le banal est la vraie dimension<br />

des miracles ce qui explique son<br />

insuccès à Mallywood, 44<br />

C<br />

carburateurs : a) Péjoratif, s’applique toujours<br />

aux mecs, invention de Josefina<br />

la Mexicaine qui déteste les hommes<br />

et sait porter leur frustration à un<br />

niveau inégalé à ce jour b) Remplacé<br />

de nos jours par injecteurs, ce qui ne<br />

change pas vraiment le sens du texte,<br />

289<br />

Cette pitapute de Kali : a) Nouveau dans le<br />

vernaculaire jigéen b) ne s’explique<br />

pas mais sonne bien c) hypothèses :<br />

cette petite pute, pitoyable, pintade,<br />

pythagorienne putain, disputante,<br />

313<br />

piquante, etc. d) une première dans<br />

l’évocation de la plus redoutable déesse<br />

par excellence, 267<br />

D<br />

débardeur : a) Autrefois portés par de musclés<br />

travailleurs mâles opprimés le<br />

débardeur (noir en général) est devenu<br />

l’instrument privilégié de la séduction<br />

oppressive féminine b) souvent considéré<br />

comme un signe de bisexualité<br />

c) les épaules sont l’une des parties<br />

exaltées du corps féminin d) j’aime !<br />

26, 28, 38, 39, 57, 239, 271<br />

Des Ombres : a) à l’Origine un personnage<br />

de Zelazny Jack of the shadows<br />

et aussi la division du réel entre<br />

modèles et instanciations (idées<br />

mères platoniciennes) sous les noms<br />

de Ambre et Ombre b) Ombre de la<br />

forêt des Ombres (au dessus de Crans<br />

Montana, à Plan Mayens) où ont<br />

lieu les promenades de l’auteur, de<br />

Profondeur et de la Reine Shaïtane<br />

dans la Forêt des Ombres c) Titre<br />

généralement donné à ses amis<br />

animaux qu’il a perdus d) ici 165<br />

occurrences contre 235 à Mélissa et<br />

250 à Dieu, fait pâle figure notre héros<br />

mais les proportions restent nobles et<br />

respectueuses, 31, 49, 50, 51, 61, 70, 84, 91,<br />

92, 98, 102, 105, 110, 113, 114, 115, 116, 117,<br />

118, 121, 127, 129, 130, 131, 138, 147, 148,<br />

149, 153, 154, 159, 161, 162, 163, 164, 165,<br />

167, 168, 169, 171, 175, 177, 179, 180, 181,<br />

182, 191, 192, 196, 205, 209, 211, 212, 213,<br />

214, 215, 216, 219, 225, 228, 231, 232, 233,<br />

234, 235, 247, 257, 264, 269, 270, 274, 275,<br />

276, 277, 285, 286, 289, 290, 291, 292, 293,<br />

294, 295, 299, 302, 325<br />

Dieu était hyperbaisable ! Beaucoup l’ont<br />

pensé mais Mélissa est la première à le<br />

dire avec tant de simplicité, 45<br />

douzième évangile, le : Rien de clair sur<br />

l’existence d’un 12 e Évangile mis à


part une allusion dans le film Stigmata<br />

(1999), il s’agit simplement du<br />

douzième livre conclusif d’une série<br />

écrite de 1999 à 2010, 11 occurrences<br />

en ces pages.<br />

dysharmonie temporelle : a) Dissonance<br />

entre deux modes de perception du temps,<br />

celui de la femme étant large par opposé au<br />

bref climax de l’homme b) Suppose l’existence<br />

d’harmoniques qui ne seraient pas des multiples<br />

du fondamental soit de sons complexes<br />

avec des sous-harmoniques ou une tendance au<br />

bruit c) Suppose l’existence d’un rapport entre<br />

le mode bref masculin et ce qu’on a nommé le<br />

génie masculin qui serait alors réductible à un<br />

facteur aléatoire, 159<br />

E<br />

Echelle de Vésuve : 26, 54, 94, 275, voir sous<br />

l’échelle de.<br />

Elle a usé septante mecs (En Suisse…)<br />

huitante célibataires (des Vaudois) et<br />

quatre-vingt-dix-neuf Africains, propos<br />

carrément racistes de l’auteur qui<br />

sous-entend que les Genevois parlent<br />

un français plus proche de sa pureté<br />

latine, que les Vaudois sont folklos et<br />

que le vrai français n’est plus guère<br />

bien parlé que par des Africains, ce<br />

que M me Rama Yade et M. Senghor<br />

confirment dans les faits, 157<br />

États-Unis d’Europe : <strong>Le</strong>s Américains ont<br />

beaucoup lutté contre l’avènement de<br />

l’E.U.E, le Times, le Wall Street ont<br />

célébré à la une cet inélégant espoir<br />

mais, finalement, l’histoire nous le<br />

dit, c’est eux qui l’ont eu dans le cul.<br />

Ce qui ne signifie nullement que les<br />

E.U.E soient dirigés par des gens bien,<br />

simplement que cette nation de sauvages<br />

arrogants est revenue à sa juste<br />

destinée, traire des vaches et maltraire<br />

les femmes, 11, 15, 77, 81, 102, 152, 325<br />

Evène : a) Désigne la période des événements<br />

évoqués dans ce récit sans en préciser<br />

la nature tout en sous-entendant<br />

qu’ils sont catastrophiques, b) élément<br />

central dans la construction du récit,<br />

13, 19, 31, 33, 34, 44, 46, 47, 53, 54, 55, 56, 57,<br />

58, 65, 67, 68, 69, 73, 74, 78, 83, 84, 85, 86, 92,<br />

93, 101, 102, 107, 108, 109, 121, 138, 142, 152,<br />

153, 154, 158, 159, 170, 173, 174, 175, 176,<br />

181, 182, 185, 186, 195, 196, 197, 203, 205,<br />

217, 224, 228, 237, 245, 248, 256, 257, 267, 325<br />

EVÈNE : voir aussi sous Evène, 28<br />

F<br />

féminin : assez peu d’occurrences pour un<br />

adjectif aussi important ! 16, 19, 23, 24,<br />

31, 33, 43, 45, 56, 68, 113, 139, 142, 175, 176,<br />

177, 180, 186, 205, 215, 228, 229, 234, 247,<br />

262, 263, 264, 271, 274, 276, 290, 292<br />

fille Dona Juana : Si l’on admet les conclusions<br />

de mon Essai intitulé Hasard,<br />

Codes cachés et Approche structuraliste<br />

de nature à culture dans la relation<br />

sexuelle de l’espèce humaine il y<br />

en a 9.857% avec une marge d’erreur<br />

de 100%, 157<br />

furtipubs ; a) Connues depuis longtemps sous<br />

le nom de subliminales, reptiliennes,<br />

insinuantes, violeuses de cerveaux,<br />

laveuses, réductrices de têtes, pourriels,<br />

b) les plus récentes furtipubs sont<br />

des produits avancés de la nanotechnologie<br />

et sont capables de s’insérer<br />

dans le système nerveux humain pour<br />

y délivrer des messages constants ou<br />

puisés dans les réseaux à proximité c)<br />

ces pages ne suffiraient pas à en établir<br />

une liste exhaustive, 34<br />

J<br />

Jacques Des Ombres : voir sous Des Ombres.<br />

K<br />

Kali est une demi-humaine que j’ai rencontrée<br />

en Suisse di Dieu. Souvenezvous<br />

: À la table voisine, un vieux<br />

Monsieur aux yeux bleus m’a salué.<br />

Il me rappelait quelqu’un. J’ai fouillé<br />

dans mes souvenirs sans pouvoir le<br />

loger mais, en quittant l’établissement<br />

au côté d’une superbe femme bleue qui<br />

agitait avec volubilité ses six bras, il<br />

est venu me serrer la main. C’était la<br />

314


première fugue de Dieu avec Kali dans<br />

l’Amérique brûle-t-elle, 2003, 85<br />

L<br />

l’avale hanches : a) Coulée de neige faisant<br />

un très vilain bruit b) Technique<br />

érotique tellement savoureuse qu’elle<br />

boosterait les ventes de ce bouquin<br />

d’une manière socialement incorrecte<br />

c) Se dit d’un saxophoniste qui fait des<br />

couacs, 151<br />

l’échelle de Vésuve : Ça, c’est très important !<br />

Souvent traité dans mes bouquins<br />

mais je suis loin de l’avoir inventé.<br />

Voir les déclarations de Chiun le<br />

maître assassin coréen dans la série<br />

de 141 romans (oui!) L’Implacable<br />

de Richard Sapir et Warren Murphy, il<br />

s’agit, entre autres, de connaître l’art<br />

de dispenser la jouissance du très léger<br />

au mortel. <strong>Le</strong>s orgasmes vésuviens<br />

sont généralement classés comme<br />

suit : 1 = chiant, 2 = pour voir la tété,<br />

3 = agréable, 4 = bien, 5 = sublime, 6<br />

= extase telle qu’on n’aura plus envie<br />

de recommencer, 7 = connaissance<br />

des éléments, de la Vie et Mort dans la<br />

lumière, 275<br />

<strong>Le</strong>s femmes : Assez peu d’occurrences pour<br />

une espèce aussi essentielle ! 3, 19, 41,<br />

42, 93, 96, 105, 106, 109, 130, 143, 176, 177,<br />

214, 232, 276, 285, 297, 303<br />

l’espasme : Un classique français et catalan,<br />

Dali l’utilise à Perpignan, 42, 141<br />

longues jambes : a) Serait, selon Nietzsche<br />

dans le cas Wagner l’aboutissement<br />

de la race et un aspect prussien (Hollywood<br />

est d’accord) b)pouvoir très<br />

important que détiennent les filles mais<br />

dont elles savent à peine se servir,<br />

s’elles savaient on serait mal… 21, 22,<br />

217, 229, 285<br />

M<br />

mandarins : a) Ne sont pas souvent merveilleux<br />

b) Se dit d’une caste d’intellos<br />

sans importance réelle c) Masculin de<br />

mandarine, 115<br />

Médiéval : Terme utilisé à tout bout de champ<br />

par Mélissa, le sens nous en est relativement<br />

inconnu, on imagine qu’elle<br />

considère toute la période d’avant son<br />

ère comme une sorte de moyen âge<br />

enténébré, 23, 24, 105<br />

Mélissa : a) Personnage bavard, bi, tri, multi,<br />

qui s’autocommente en 300 pages b)<br />

très extravertie, contestataire et gaffeuse,<br />

type d’héroïne récurrent dans la<br />

littérature, sa générosité et son absence<br />

de tabous lui permettent d’échapper<br />

à tous les poncifs de la BD et du film<br />

américain, c) dispose d’une chance<br />

insolente et d’une nature très polymorphe,<br />

raison pour laquelle elle n’est<br />

jamais décrite avec trop de précision,<br />

pour en savoir plus faites marche arrière,<br />

7, 8, 11, 12, 14, 15, 17, 23, 24, 25, 27,<br />

28, 31, 32, 34, 37, 38, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 53,<br />

55, 57, 58, 59, 61, 64, 65, 67, 68, 70, 71, 72,<br />

74, 75, 77, 78, 79, 81, 82, 87, 89, 92, 93, 95, 97,<br />

99, 102, 103, 105, 109, 119, 121, 123, 126, 127,<br />

135, 136, 137, 141, 143, 144, 145, 151, 154,<br />

155, 157, 164, 165, 167, 168, 169, 170, 171,<br />

173, 174, 176, 179, 180, 181, 182, 185, 186,<br />

187, 193, 196, 197, 199, 203, 204, 205, 206,<br />

207, 208, 210, 211, 212, 213, 215, 218, 223,<br />

224, 225, 227, 228, 229, 231, 233, 234, 235,<br />

237, 241, 245, 246, 255, 256, 257, 258, 259,<br />

261, 262, 264, 266, 267, 269, 270, 271, 273,<br />

275, 276, 281, 283, 284, 285, 287, 290, 291,<br />

292, 300, 301, 302, 303, 325<br />

microjupe : a) Successeur de la minijupe b)<br />

Démontre la limite de la séduction<br />

forcée chez les filles actuelles, impossible<br />

d’être plus ras que le bonbon ; on<br />

pourrait certes inventer la nano jupe<br />

mais elle ne se verrait pas et l’effet de<br />

fente créatrice matrice universelle convoitée<br />

mais défendue serait loupé, se<br />

référer à la formule de la loi du désir,<br />

D=St/Sc exposée ci-avant, 38<br />

315<br />

Monades II a) partition pour orchestre<br />

écrite en 1959, fait partie d’une<br />

trilogie b) a été très bien analysée par<br />

l’administrateur de l’OSR, Willy Kunz<br />

(altiste) qui était dans l’orchestre lors<br />

de la création c) expose pour la pre-


mière fois dans les œuvres de JG une<br />

dialectique ordre chaos, 51, 162, 209, 241,<br />

244, 251, 253<br />

N<br />

nachos : a) Variété de tacos avec du fromage<br />

fondu, à essayer à Santa Fé (Nouveau<br />

Mexique) où ils sont horriblement<br />

bons et indigestes b) Seul Dieu les<br />

prépare bien, 84<br />

nanène : a) Apport verbal mineur de JG à la<br />

langue grognée b) sans rapport avec<br />

ragnagna c) potentiel mesurable de<br />

chimie verbale (nana, naine, inane, bas<br />

de laine, Maria, etc.), 31<br />

Napoléon et Sainte Hélène : Un requin et le<br />

Forex, Jupiter et Europe, mon postier<br />

et la fille du banquier, César et les<br />

hydres de mars, Aure et Atika, mon<br />

coiffeur avec une mosquée : il y a un<br />

livre à faire sur les accouplements<br />

étranges ou fictifs, 42<br />

NdX : Ou variantes des notes d’Éditeur ou<br />

auteur. Dans les livres de JG on assiste<br />

progressivement à des ajouts aux<br />

classiques NdE, NdA. L’auteur les<br />

rédige selon la fantaisie du moment et<br />

il arrive qu’il perde le sens initial de<br />

l’abréviation. Nous retranscrivons ici<br />

la plupart de ces notes dont certaines<br />

restent livrées à la créativité du<br />

lecteur. Il est à noter que les personnages<br />

du livre ont trouvé accès à ces<br />

notes et n’hésitent plus à s’exprimer<br />

hors chapitres. <strong>Le</strong>s notes observent<br />

la syntaxe notes de XX, a, b, c, d etc.<br />

dans laquelle on suit l’ordre de probabilité<br />

décroissante.<br />

Notes de l’Auteur :<br />

NdAapnprplx : 19, Note de l’Auteur à peine<br />

perplexe.<br />

NdAcnf : 13, Note de l’Auteur confus.<br />

NdAdm : 145, Note de l’Auteur admiratif.<br />

NdAencht : 18, Note de l’Auteur enchanté.<br />

NdAff : 236, Note de l’Auteur fou furieux.<br />

NdAagc : 261, Note de l’Auteur agacé,<br />

agencé.<br />

NdAmrcàPrs : 197, Note d’un Américain à<br />

Paris.<br />

NdAprplx : 19, Note de l’Auteurperplexe.<br />

NdAprdt : 284, Note de l’Auteur prudent.<br />

NdAqsf : 212, Note de l’Auteur qui s’en fout.<br />

NdAqsrbch : 276, Note de l’Auteur qui se<br />

rabâche (?)<br />

NdAqdcnn : 209, Note de l’auteur qui déconne<br />

franchement.<br />

NdArglrd : 23, Note de l’Auteur ragaillardi !<br />

NdAsarc : 209, Note de l’Auteur sarcastique…<br />

NdAscand : 200, Note de l’Auteur scandalisé.<br />

NdAscptq : 85, Note de l’Auteur sceptique.<br />

Il est fait référence au chiffre de la bête ou<br />

“Apocaline” et c’est franchement trop tarte à<br />

la crème pour ne pas être modifié.<br />

Notes de l’Éditeur :<br />

NdE (??) :107, Note de l’Éditeur qui n’y<br />

comprend rien.<br />

NdE¿? (variante espagnole)<br />

NdEadm 167, Note de l’Éditeur amiratif.<br />

NdEamu 37, amusé.<br />

NdEasscntdvrunprlaut 27 Note de l’Éditeur<br />

assez content de voir un XXX ! (sens<br />

perdu à trouver)<br />

NdEcntrié 39 Note de l’Éditeur contrarié.<br />

NdEcstn 238, Note de l’Éditeur consterné.<br />

NdEembrss 213, Note de l’Éditeur embarassé,<br />

embrassé, enceint (en Espagne).<br />

NdEexc 21, Note de l’Éditeur excité.<br />

NdEexcd 121, Note de l’Éditeur excédé.<br />

NdEfdj 85, Note de l’Éditeur fou de joie.<br />

NdEff 56, Note de l’Éditeur effaré.<br />

NdEfier 49, Note de l’Éditeur fier, fort intelligent<br />

et révolté.<br />

NdEfutrst 210, Note de l’Éditeur XXX ! (sens<br />

perdu à trouver)<br />

NdEint 67, Note de l’Éditeur intéressé.<br />

NdEintrg 168 , Note de l’Éditeur intrigué,<br />

guant.<br />

NdEintrgt 258, Note de l’Éditeur intransigeant.<br />

NdEjlx 268, Note de l’Éditeur vilain jaloux.<br />

NdEpufd’ccd 27, Note de l’Éditeur pour une<br />

316


fois d’accord.<br />

NdEprplx 168, Note de l’Éditeur perplexe.<br />

NdEptsdl 191, Note de l’Éditeur<br />

NdEqsstvx 279, Note de l’Éditeur qui se sent<br />

très vexé.<br />

NdEsarc 18, Note de l’Éditeur sarcastique.<br />

NdEstsft 111, Note de l’Éditeur satisfait, qui<br />

se fout de la gueule du héros.<br />

NdEsuplmt 278, Note de l’Éditeur supérieurement<br />

limité.<br />

NdEsusp 52, Note de l’Éditeur suspicieux,<br />

suspendu, supposant.<br />

NdEtf 83, Note de l’Éditeur très fâché.<br />

NdEtrcnt 10, Note de l’Éditeur très contrarié.<br />

NdEtrexc 140, Note de l’Éditeur très excité.<br />

NdLqppl 281, XXX ! (sens perdu à trouver)<br />

Notes diverses :<br />

NdMss 239, Note de Mélissa.<br />

NdNawak 10, Note de n’importe Nawak.<br />

NdP 85, Note de la putain de service<br />

NdSocio 87, Note du sociologue de service.<br />

NdSS 98, note du salopard de service, SS.<br />

Notes du Traducteur :<br />

NdT : Note du traducteur (N’est-il pas remarquable<br />

de voir que ces textes d’une<br />

clarté si pure ont aujourd’hui besoin<br />

d’un traducteur ? Etonnant mais utile<br />

car les apports d’autres langues et<br />

mondes sont les bienvenus.)<br />

NdTadm 138, Note du traducteur admiratif.<br />

NdTadmrt 105, Note du traducteur admiratif.<br />

(sortte de double emploi ou alors :<br />

XXX ! sens perdu).<br />

NdTaff 147, Note du traducteur assez fou<br />

furieux, affairé, affable.<br />

NdTdS 93, Note du traducteur désemparé.<br />

NdTeffa 21, Note du traducteur effaré.<br />

NdTexd 168, Note du traducteur excédé.<br />

NdTff 170, Note du traducteur fou furieux.<br />

NdThyp 219, Note du traducteur hypnotisé.<br />

NdTmstb (xx, yy) Note du traducteur masturbé.<br />

(On ne voit pas pourquoi il n’y<br />

aurait pas droit.)<br />

NdTimgntf, 216, Note du traducteur imaginatif,<br />

“impuissant grognon et très<br />

furieux.<br />

NdTimtr, XXX ! (sens perdu à trouver)<br />

NdTnrv 211, Note du traducteur énervé.<br />

(NRV, un acronyme avec copyright<br />

<strong>Margelle</strong> Éditions 2004)<br />

NdTprftn 54, Note du traducteur profondément<br />

nul, qui préfère les femmes très<br />

normales.<br />

NdTtefdtaglsx 282, Note du traducteur très<br />

en faveur des termes anglo-saxons.<br />

NdTqs’mmd 222, Note du traducteur qui<br />

s’emmerde.<br />

NdTsscp ou suscp ou scpx 13, Note du traducteur<br />

suspicieux.<br />

NdTtp 190, Note du traducteur très perplexe,<br />

parfait, profond, pute, papal, pileux,<br />

pro.<br />

noctibule : a) Création verbale, ne s’explique<br />

pas, se sent. b) apport jigéen à la<br />

langue française, en chimie des mots :<br />

jour sur nuit, ambule, ambulant, mandibule<br />

et autres vestibules, joli surtout<br />

pour les trois timbres des voyelles, 157<br />

Nuit Transfigurée, la : a) <strong>Le</strong> dernier Schœnberg<br />

avant les œuvres dodécaphoniques,<br />

b) la dernière grande œuvre<br />

romantique (1899) c) composé à partir<br />

d’un poème intitulé La Femme et le<br />

monde (Weib und Welt) d) une œuvre<br />

étonnante au niveau du temps qui se<br />

modifie constamment, parfois même<br />

à l’intérieur d’une seule mesure, e) la<br />

version tardive pour grand orchestre<br />

à cordes est préférable au sextuor de<br />

solistes car elle permet de dégager<br />

l’extrême puissance de l’œuvre f)<br />

c’est, littéralement, le Voyage au bout<br />

de la nuit, 49, 52<br />

P<br />

pitapute : a) Création verbale, ne s’explique<br />

pas, se sent, un caractère mordant,<br />

crépitant b) voir sous “cette pitapute<br />

de Kali”, 85, 267<br />

PodSex : a) le magazine ou travaille Mélissa<br />

b) une série TV brésilienne, 11<br />

317


P<br />

Plurabelle : Personnage fabuleux dont il<br />

n’est strictement rien révélé dans ce<br />

livre, patience… Mais elle apparaît<br />

dans La Tempête, Trilogie Oriane<br />

Park.<br />

S<br />

Safran : La chanson, évidemment, I’m mad<br />

about Safran… 53, 54, 55, 56, 57, 67, 68,<br />

69, 72, 73, 74, 81, 95, 102, 121, 286, 287<br />

Sarkodile : Fait évidemment penser à un<br />

bâtard entre un Sarkozy et un crocodile<br />

mais, personnellement, j’opterais<br />

pour le croisement d’un sarcasme<br />

avec ce noble reptile. Il reste vrai qu’il<br />

s’agit dans tous les cas de figure d’un<br />

homme très autoritaire : 12, 13, 19, 22,<br />

24, 65, 77, 78, 79, 105, 108, 185, 187, 218, 226,<br />

227, 228, 237, 246, 248, 256, 257, 283, 287<br />

secouée comme une prunelle : Création<br />

verbale, ne s’explique pas, se sent.<br />

Toutefois celle-ci est très sensible, la<br />

prunelle des yeux, la prune (d’Elle),<br />

la prune (elle), il y a plein de valences<br />

poétiques et confiturelles, 151<br />

shorts : a) Voir aussi sous minijupe, débardeur,<br />

b)Instrument fatal de séduction<br />

pour filles jeunes et irresponsables c)<br />

port obligatoire pour les filles de 15 à<br />

25 ans (et largement plus) d) provient<br />

du principe de parcimonie : récupération<br />

de vieux jeans… e) voir à sa<br />

parution La Fille Signe, essai en cours<br />

de JG dans lequel la parure féminine<br />

est analysée et où le port du short est<br />

assimilé à une mise aux enchères du<br />

sacrum et sacré f) Pas si récent qu’on<br />

a tendance à l’imaginer, vient des USA<br />

fin des années cinquante g) être à court<br />

de, ex : short fuel h) vente à découvert<br />

mal vue par Obame premier dès<br />

juin 2010, 21, 23, 39, 276<br />

Sinaïlle : a) Montagne mythique où une<br />

pieuvre martienne terrée derrière un<br />

buisson qui résistait mal à ses ardeurs<br />

s’est fait passer pour le Dieu des Juifs<br />

b) terre de discorde, 42<br />

SM : (Super Mélissa) en effet, Mélissa n’est<br />

pas du tout SM, contrairement aux<br />

grandes femmes qui lui ont tracé la<br />

voie, à peine s’elle songe ici ou là à<br />

remettre son homme au pas, 41<br />

T<br />

Turbulences : voir sous médiéval.<br />

Trrrango Durango : a) Création verbale, ne<br />

s’explique pas, se sent b) quelle musique<br />

extraordinaire on peut imaginer<br />

sous ce titre ! 37, 41, 281, 289, 290, 291,<br />

293, 294<br />

U<br />

une marée basse de personnages : a)<br />

Exprime ici la qualité wishy/washy,<br />

blandi/blando, molli/molla des personnes<br />

réunies, ce que la mer laisse<br />

traîner en se retirant, pas toujours<br />

des trésors b) on se demande ce que<br />

serait dans le récit une marée haute de<br />

personnages (sans même oser imaginer<br />

une marée haute de femmes…), 38<br />

Une soupe primordiale ! : a) La première<br />

cellule serait sortie d’une soupe<br />

primordiale, apparition de la vie dans<br />

l’Univers b) ici il s’agit de la nucléosynthèse,<br />

87<br />

V<br />

Versets Satan Nique : Evidemment ce pauvre<br />

Salman Rushdie, traumatisé par<br />

Mélissa, n’a pu s’empêcher de tomber<br />

dans le piège décrit en page 41<br />

Vocoder : a) Fait parler des sons et accords<br />

musicaux b) largement expliqué et<br />

décrit dans les ouvrages précédents, il<br />

se trouve maintenant en soft avec une<br />

excellente qualité, voir le programme<br />

LIVE, 71<br />

Z<br />

Zine : Appellation familière des magazines en<br />

Amérique, 157<br />

318


Table des matières<br />

(<strong>Le</strong>s femmes préfèrent les femmes) 3<br />

Préface de l’auteur : 7<br />

(Quelques bonnes nouvelles…)<br />

Mélissa mission 11<br />

(Prélude)<br />

En descendant Denfert 15<br />

Rencontre du deuxième type<br />

(Fugue)<br />

Imprécis de géographie urbaine 19<br />

(Incise)<br />

Que faire avant de mourir ? 23<br />

(Bavardages de Mélissa…)<br />

Retour vers d’ALEVE 27<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa, II)<br />

La voix des Ombres 31<br />

Fraude première<br />

Online Chrono Facts 35<br />

(Récitatif)<br />

<strong>Le</strong> Village 39<br />

Une fille fatale ne peut résulter que de<br />

l’addition d’un corps parfait et d’une vive intelligence<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa III)<br />

Dieu était hyperbaisable ! 45<br />

(Andante amoroso)<br />

Une Nuit transfigurée 51<br />

(<strong>Le</strong> compositeur)<br />

La loterie de Safran 55<br />

<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa IV<br />

(Allegro vivace)<br />

Cette terre de discipline et de penseurs 63<br />

(Genève aurait eu vite fait de l’étouffer)<br />

Variances de la Teuclitop 67<br />

(Incise)<br />

Niki, Cameron, le squale et moi ! 69<br />

<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa IV b<br />

(Furioso y amoroso)<br />

On ne gouverne pas avec des peut-être 79<br />

<strong>Le</strong> Pouvoir<br />

319


(scherzo)<br />

Las Estrellas de los tres Picos 83<br />

<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa V<br />

(Largo)<br />

<strong>Le</strong>s Profondeurs de la Terre 91<br />

(<strong>Le</strong> compositeur)<br />

Je vous dois des excuses ! 95<br />

(Bavardages de Mélissa…)<br />

La traque théologique 99<br />

<strong>Le</strong>s souvenirs de Dieu<br />

(A piacere !)<br />

Où sont les hommes ? 107<br />

(Bavardages de Mélissa qui se lâche…)<br />

Maria, le hasard et la Présidence 115<br />

Rock Opera on mer Égée !<br />

(Suite allemande…)<br />

Avec de noirs parfums ! 121<br />

<strong>Le</strong> voyant<br />

(cadence)<br />

Histoire de mes Strings 123<br />

Bavardages de Mélissa…<br />

(Allegretto)<br />

L’Intertextu(Elle) 127<br />

Un homme en marge<br />

Die Wandlung 131<br />

(<strong>Le</strong> compositeur)<br />

Tu ressembles à un écoulement turbulent 137<br />

(<strong>Le</strong>s souvenirs de Dieu, maestoso)<br />

Tu veux mon portrait ? 143<br />

(Bavardages de Mélissa, face cachée de sa lune)<br />

Des Ombres et le Chaos 149<br />

(La musique n’était en somme que la belle émergence de cette protestation dérisoire de<br />

l’humanité devant la mort)<br />

Mélissa se rebiffe 153<br />

Bavardages de Mélissa…<br />

(Récitatif)<br />

<strong>Le</strong> Roy Arthur 157<br />

Incise<br />

(largo)<br />

De la masculinité 159<br />

Bavardages de Mélissa… : Pertinent/Impertinent,<br />

(Scherzo)<br />

<strong>Le</strong> grand synthétiseur 163<br />

320


D’où venez-vous ? fut tout ce qu’il trouva à lui dire.<br />

- De ton futur ! sourit-elle, on va se tutoyer, tu sais !<br />

(Tempo Rubato)<br />

Romance 169<br />

So romantic !<br />

(Adagio)<br />

De quoi faire foirer ce bouquin 175<br />

(Romance et réaction : les imbéciles heureux)<br />

La fille de l’autre côté du fleuve 181<br />

(Romance, doutes)<br />

La révolution peut-être… 187<br />

(Pouvoir, solitude)<br />

Du bon usage de la pieuvre 191<br />

(Romance et bibliothèques)<br />

Je m’appelle Sally Willard 195<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VI : Rechute)<br />

Il faut engueuler le soldat Dieu 205<br />

(Récital)<br />

Soli(psismes) ! 211<br />

(Une chute dans la lumière)<br />

L’Instance ! 215<br />

Il va falloir jouer cartes sur table…<br />

Dans lequel la Teuclitop déborde 219<br />

et attaque la cul(ture)<br />

Fantaisie stricte<br />

La frappe Hannelore 225<br />

Destruction des valeurs féminines<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VI b )<br />

Tout est dans la lumière 233<br />

(Dieu : Trop c’est trop !)<br />

FEDEX 239<br />

Emballez c’est pesé !<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VI c)<br />

L’œuvre au noir 243<br />

l’Amérique venait d’assassiner pour la première fois la culture occidentale<br />

dans ce qu’elle avait de plus précieux<br />

Mikro Céphalée 247<br />

Un concile de tyrannosaures eut été plus tendre<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VII )<br />

Monades II 253<br />

Ils ne savaient pas de quoi ils parlaient<br />

Il y a des limites à ce qu’une femme 257<br />

peut obtenir d’un gadget<br />

321


Facile à tuer. Impossible à détruire<br />

(<strong>Le</strong>s voyages de Mélissa VII b )<br />

J’espère quand même<br />

que tu ne me confonds pas avec Marie ! 263<br />

l’impossible fiancé à l’admirable<br />

Sur la route de Memphis 271<br />

<strong>Le</strong>s mecs, de temps à autre, c’est pas si mal.<br />

Il suffisait d’y penser 275<br />

Grand gamin vaniteux !<br />

La tempête des âmes 281<br />

(Dante ne serait rien sans Doré…)<br />

Back to PodSex 285<br />

Quand on s’aime !<br />

(Voyages de Mélissa VIII )<br />

Trrrango Durango 291<br />

Tu veux vraiment manger une fondue en plein été ????<br />

<strong>Le</strong> douzième évangile 299<br />

(<strong>Le</strong> lieu et la formule, c’était maintenant)<br />

Annexes online et CoverBang!


Achevé d’imprimer le 27 août 2010<br />

sur les presses de Copy-Media à Bordeaux.<br />

ISBN 2-940296-09-X<br />

Tous droits de reproduction, d’adaptation et produits dérivés réservés<br />

pour tous les pays y compris et surtout les États-Unis d’Amérique.


Quatrième de couverture<br />

Mélissa, obsédée sexuelle notoire et reporter vedette du plus grand Zine<br />

des États-Unis d’Europe se voit confier par sa rédactrice en chef une mission<br />

super-dangereuse : remonter le temps avant Evène (Avant les Evènements)<br />

et découvrir “Ce que les femmes préfèrent”. Elle y parviendra avec<br />

l’aide de Dieu (que la traque théologique des Américains a fait chuter dans<br />

le contingent) qu’elle tentera de séduire et de Des Ombres, un compositeur<br />

aussi énigmatique que romantique qui, sans le savoir, est à l’origine de<br />

l’Univers. <strong>Le</strong> joueur masqué (Dieu ou l’auteur) joue avec Mélissa comme<br />

avec une balle de flipper. Elle est envoyée dans le New York des années<br />

60 et déjoue les avances d’un certain Salman Rushdie, participe à la plus<br />

grande rave lesbienne de Californie où elle baise un requin, se trouve à<br />

Wall Street chez l’infâme Fuld aux débuts de la crise, est enlevée par la<br />

terrible nazie Hannelore et sera torturée dans une île grecque par les Bitenberg,<br />

maîtres du monde. Elle passe également en Allemagne, à Stuttgart,<br />

là où un apprenti sorcier joue avec les pouvoirs de la musique. Au final, on<br />

descendra le Ruban O’ (le Temps) de quelques quinze milliards d’années<br />

pour assister à la formation de la soupe primitive et des lois qui vont la<br />

régir pour nous donner naissance. Une occasion unique pour Mélissa de<br />

modifier le futur… et de revenir régler ses comptes. Dès le début on bascule<br />

dans une société de femmes et le titre de l’ouvrage fait penser à un<br />

L World, un monde de lesbiennes déchaînées. La conclusion sera plus<br />

subtile mais chut… nous n’écrivons ceci que pour vous mettre l’eau à la<br />

bouche. <strong>Le</strong> récit est souvent dramatique ou rêveur, usant du temps gelé ou<br />

suspendu, mais il reste fidèle au style série noire ou à celui du Privé à la<br />

Chandler. <strong>Le</strong> détective cosmique est une femme, une agitée, une séductrice,<br />

une folle de sexe bien dans la peau des autres toute race et couleur<br />

confondues. Au fil de ce roman elle va sacrément évoluer…<br />

<strong>Le</strong>s livres de Jacques Guyonnet constituent une immense fourmilière, un labyrinthe<br />

géant dans lequel, au fil de douze romans, des personnages et des thèmes se<br />

croisent, se reproduisent et jouent à cache-cache les uns avec les autres en défiant<br />

toute chronologie. Dans celui-ci, Mélissa écrit malgré elle le Douzième évangile<br />

dans lequel l’auteur se dévoile en proposant ses Mémoires d’Ante Tombe et nous<br />

dit quelques mots de son époque


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