Complications neurologiques liées à l'alcool - Psychologie - M ...
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ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 17-161-B-10<br />
© Elsevier, Paris<br />
Introduction<br />
P Vuadens<br />
J Bogousslavsky<br />
L’alcool est une substance toxique associée <strong>à</strong> une morbidité et une mortalité<br />
significatives. Son effet sur le système nerveux semble être provoqué par des<br />
facteurs complexes, multiples, variables selon les individus et pas tous<br />
élucidés. Certains de ces effets neurotoxiques peuvent survenir lors de<br />
consommation aiguë d’alcool ou lors d’absorption chronique. Toutes ces<br />
complications ont des répercussions socioprofessionnelles et économiques<br />
non négligeables. Dans une population hospitalière, on estime qu’environ 10<br />
<strong>à</strong> 20 % des admissions sont dues <strong>à</strong> des problèmes liés <strong>à</strong> la consommation<br />
d’alcool [43, 47]. Certaines de ces manifestations <strong>neurologiques</strong> peuvent se<br />
manifester essentiellement lors de consommation aiguë, d’autres lors d’un<br />
alcoolisme chronique. D’autre part, bon nombre de problèmes médicaux liés<br />
<strong>à</strong> une alcoolisation aiguë sont du ressort des urgences médicales. C’est<br />
pourquoi l’arrivée dans un centre d’urgences d’un patient alcoolisé‚ avec des<br />
troubles de la vigilance, nécessite la mise en route immédiate<br />
d’investigations, comme pour n’importe quelle intoxication. En effet,<br />
nombreux sont les états pathologiques qui peuvent mimer, compliquer ou<br />
accompagner l’alcoolisation aiguë ou chronique.<br />
Pour éviter des confusions sémantiques, il convient de rappeler que le terme<br />
d’« alcoolisation » s’applique <strong>à</strong> toute absorption d’alcool, aiguë ou chronique,<br />
dont la forme aiguë correspond <strong>à</strong> l’ivresse pathologique. Cette dénomination<br />
n’a donc aucune valeur normative. En revanche, le terme d’alcoolisme sousentend<br />
une alcoolodépendance physique et psychologique.<br />
Philippe Vuadens : Médecin vacataire.<br />
Julien Bogousslavsky : Professeur, chef de service.<br />
Service de neurologie, centre hospitalier universitaire vaudois, 1011 Lausanne CHUV, Suisse.<br />
Toute référence <strong>à</strong> cet article doit porter la mention : Vuadens P et Bogousslavsky J.<br />
<strong>Complications</strong> <strong>neurologiques</strong> <strong>liées</strong> <strong>à</strong> l’alcool. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Neurologie,<br />
17-161-B-10, 1998, 8 p.<br />
<strong>Complications</strong> <strong>neurologiques</strong> <strong>liées</strong><br />
<strong>à</strong> l’alcool<br />
Résumé.– L’alcool, en perturbant la fluidité membranaire et la neurotransmission,<br />
occasionne diverses complications <strong>neurologiques</strong> qui peuvent endommager le système<br />
nerveux central ou périphérique et qui peuvent survenir aussi bien lors de consommation<br />
aiguë d’alcool que lors de l’alcoolisme chronique. Les affections aiguës sont principalement<br />
<strong>liées</strong> <strong>à</strong> des troubles métaboliques provoqués par l’alcool. Dans de telles situations, une<br />
recherche étiologique rapide doit être faite comme pour n’importe quelle intoxication, surtout<br />
chez un patient avec des troubles de la vigilance. Lors de l’alcoolisme chronique, les troubles<br />
<strong>neurologiques</strong> sont avant tout liés <strong>à</strong> la toxicité directe de l’alcool sur le cerveau, et ces<br />
manifestations seront une démence ou une dégénérescence cérébelleuse au niveau du<br />
système nerveux central, tandis qu’une neuropathie ou une myopathie se manifestera au<br />
niveau périphérique. Mais un grand nombre de complications sont déclenchées par la<br />
malnutrition, dont l’exemple typique est l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke liée au déficit<br />
en thiamine.<br />
Le sevrage alcoolique est également une source non négligeable de complications<br />
<strong>neurologiques</strong> non seulement sous la forme d’un delirium, mais également de crises<br />
d’épilepsie et d’accidents cérébrovasculaires. À partir des mécanismes étiopathogéniques<br />
de l’alcool, ce chapitre décrit les caractéristiques cliniques et paracliniques des principales<br />
complications <strong>neurologiques</strong> <strong>liées</strong> <strong>à</strong> l’alcool.<br />
Action de l’alcool sur le cerveau<br />
17-161-B-10<br />
L’alcool traverse facilement la barrière hématoencéphalique permettant un<br />
équilibre rapide après l’absorption entre les concentrations sanguines et<br />
cérébrales. Une intoxication se développe chez une personne non alcoolique<br />
avec un taux sanguin d’alcool entre 10 <strong>à</strong> 35 mmol/L et cette intoxication sera<br />
plus sévère selon le taux d’alcoolémie [49].<br />
En pénétrant dans le cerveau, l’alcool a un effet sur les membranes cellulaires<br />
et sur les neurotransmetteurs. Au niveau membranaire, son insertion dans les<br />
couches de phospholipides perturbe la fluidité membranaire et altère le<br />
fonctionnement de la cellule de façon dose dépendante [50]. Ces modifications<br />
membranaires vont se répercuter sur le fonctionnement des canaux ioniques,<br />
des neurotransmetteurs, de leurs récepteurs et des régulateurs de l’expression<br />
de gène. D’autre part, l’oxydation de l’alcool induit la production de radicaux<br />
libres qui vont <strong>à</strong> leur tour favoriser la désorganisation structurale des<br />
membranes cellulaires.<br />
La toxicité de l’alcool sur le système nerveux central serait liée <strong>à</strong> ces<br />
altérations membranaires, et plus spécifiquement aux perturbations des<br />
récepteurs des neurotransmetteurs, dont les récepteurs glutamatergiques et<br />
gabaergiques sont les plus importants [74].<br />
Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau et ses<br />
récepteurs ont un rôle essentiel dans la différenciation neuronale, la plasticité<br />
synaptique et dans la mémoire. Parmi ces récepteurs, le récepteur N-méthyl-<br />
D-aspartate (NMDA) est particulièrement sensible <strong>à</strong> l’alcool, qui agit sur son<br />
site <strong>à</strong> glycine [21]. L’effet inhibiteur de l’alcool est dose et temps dépendant, et<br />
il diminue l’influx électrique généré par l’action du récepteur NMDA. Le<br />
blocage de ce type de récepteurs va diminuer la libération de<br />
neurotransmetteurs (dopamine, norépinéphrine) et la production de potentiels<br />
d’action postsynaptiques. La sensibilité des récepteurs est variable et<br />
l’intoxication chronique rend le cerveau plus sensible <strong>à</strong> l’effet excitotoxique<br />
lié <strong>à</strong> la suractivation glutamatergique. En effet, l’abus chronique d’alcool<br />
entraîne une augmentation du nombre de récepteurs NMDA dont la<br />
suractivation a des conséquences neurotoxiques, principalement lors du<br />
sevrage alcoolique.<br />
L’acide gamma-amino-butyrique (GABA) est un neurotransmetteur<br />
inhibiteur dont il existe deux types principaux de récepteurs. Leur activation
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engendre des potentiels d’inhibition postsynaptique. Ces potentiels servent<br />
notamment <strong>à</strong> régulariser la transmission glutamatergique [78]. À nouveau, lors<br />
de consommation chronique d’alcool, ce type de récepteur est sujet <strong>à</strong> des<br />
modifications morphologiques et de nombre. Il est donc probable que la<br />
diminution de la transmission gabaergique, en perdant ainsi sa fonction<br />
modulatrice de la transmission glutamatergique, va favoriser<br />
l’hyperexcitabilité cellulaire génératrice des crises de sevrage, par exemple,<br />
et de la neurotoxicité. Les canaux calciques interviennent aussi dans les<br />
conséquences toxiques de l’alcoolisme chronique.<br />
Toutes ces modifications synaptiques auront pour conséquence, en cas de<br />
sevrage, de provoquer une suractivation du système catécholaminergique<br />
responsable des troubles végétatifs et comportementaux. De même, cette<br />
suractivation excitatrice va déclencher des crises d’épilepsie de sevrage et le<br />
delirium sera la conséquence de la stimulation du système dopaminergique.<br />
Dans l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke liée au déficit en thiamine,<br />
l’augmentation du glutamate extracellulaire provoquerait une<br />
neurodégénérescence excitotoxique [114].<br />
Troubles métaboliques et alcoolisation aiguë<br />
Une consommation abusive et aiguë d’alcool peut entraîner trois troubles<br />
métaboliques principaux, tous susceptibles d’engager le pronostic vital du<br />
patient. De telles anomalies sont donc <strong>à</strong> rechercher sans délai chez tout patient<br />
alcoolisé présentant des troubles de la vigilance ou un état comateux d’origine<br />
indéterminée.<br />
L’acidocétose alcoolique se manifeste essentiellement chez les alcooliques<br />
chroniques dénutris, en période de jeûne [1, 44, 128]. L’accumulation de corps<br />
cétoniques va engendrer une acidose métabolique avec, comme conséquence<br />
neurologique, l’apparition d’une encéphalopathie métabolique. Celle-ci se<br />
révélera par des troubles de vigilance, un état stuporeux, voire un coma.<br />
L’oxydation de l’alcool accélère la production de nicotinamide adéninedinucléotide<br />
hydrogéné (NADH) au niveau hépatique, ce qui freine<br />
progressivement la néoglucogenèse <strong>à</strong> partir du pyruvate. La production de<br />
glucose hépatique va donc chuter, conduisant ainsi <strong>à</strong> l’hypoglycémie [40]. Il<br />
s’agit d’une hypoglycémie avec cétonurie, mais sans glycosurie. Elle est<br />
favorisée par la dénutrition et le jeûne. Généralement, l’hypoglycémie se<br />
manifeste par une altération de la vigilance, voire un coma ou des crises<br />
d’épilepsie. Parfois, certains patients peuvent présenter un état confusoonirique<br />
ou d’agitation qui peut induire en erreur et retarder le diagnostic. Des<br />
séquelles <strong>neurologiques</strong> peuvent subsister.<br />
L’hyponatrémie se voit chez les grands buveurs de bière [2, 96]. La charge<br />
osmotique de cette boisson provoque rapidement une polyurie osmotique<br />
avec perte importante de chlorure de sodium (NaCl). Ceci induit un bilan<br />
chlorosodé négatif responsable d’une intoxication <strong>à</strong> l’eau avec un œdème<br />
cérébral. La correction trop rapide de cette hyponatrémie peut avoir des<br />
complications <strong>neurologiques</strong> gravissimes sous la forme d’une myélinolyse<br />
centropontine [61]. Il s’agit d’une démyélinisation de la protubérance avant<br />
tout, qui va se manifester par un syndrome tétrapyramidal et des signes<br />
pseudobulbaires.<br />
La consommation aiguë d’alcool se manifeste habituellement par une ivresse<br />
banale caractérisée par un état euphorique, une excitation ou une<br />
désinhibition [101]. Si la consommation se poursuit, les propos deviennent<br />
incohérents, dysarthriques et des troubles de la marche s’installent avec une<br />
incoordination et une titubation, manifestations qui sont souvent <strong>à</strong> l’origine<br />
d’accidents ou de traumatismes. Les troubles attentionnels, la prolongation<br />
du temps de réaction sont déj<strong>à</strong> présents avec une alcoolémie de 0,2 ‰.<br />
En cas d’absorption massive d’alcool, une encéphalopathie peut s’installer<br />
sous la forme d’une obnubilation qui va évoluer vers un coma non réactif, et<br />
une dépression respiratoire dans les cas les plus graves [103]. Il existe une bonne<br />
corrélation entre l’alcoolémie et la gravité du tableau clinique. Les doses<br />
létales correspondent <strong>à</strong> des taux sanguins d’alcool entre 3 et 4 g/L. Mais ces<br />
doses létales sont variables en raison de la tolérance qui peut s’installer très<br />
rapidement, et généralement ces doses seront beaucoup plus élevées chez<br />
l’alcoolique chronique.<br />
Encéphalopathie de Gayet-Wernicke<br />
ou de Wernicke-Korsakoff<br />
Wernicke fut le premier, en 1881, <strong>à</strong> décrire l’encéphalopathie qui porte son<br />
nom. Il rapporta l’histoire médicale de deux alcooliques chroniques, et d’un<br />
patient souffrant de vomissements persistants, suite <strong>à</strong> l’ingestion d’acide<br />
sulfurique. Ces trois patients présentaient des troubles de la vigilance<br />
progressifs qui aboutirent au décès. L’autopsie révéla des hémorragies<br />
punctiformes affectant la substance grise autour du III e et du IV e ventricule et<br />
de l’aqueduc de Sylvius, anomalies qu’il désigna sous le terme de<br />
« polioencephalitis hemorrhagica superioris ».<br />
À la même époque, Huss avait souligné, en 1852, la possibilité de la survenue<br />
de troubles mnésiques chez l’alcoolique. C’est entre 1887 et 1891, que le<br />
page 2<br />
COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES LIÉES À L’ALCOOL Neurologie<br />
psychiatre russe, Korsakoff, va considérer que les troubles de la mémoire et<br />
la polyneuropathie que présentent les alcooliques font partie de la même<br />
maladie, qu’il va désigner par le terme de « psychosis polyneuritica » [125].Ce<br />
n’est qu’en 1897, sous l’impulsion de Murawieff, que l’on va admettre qu’il<br />
n’y a qu’une seule cause responsable de l’encéphalopathie de Wernicke et de<br />
la psychose de Korsakoff.<br />
La prévalence de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke est surtout basée sur<br />
les travaux anatomopathologiques. Des études cliniques, les résultats sont<br />
souvent contradictoires car le diagnostic de ce syndrome est souvent manqué<br />
ou surévalué si on le considère comme la cause des détériorations<br />
neuropsychologiques des alcooliques. En fait ce diagnostic n’a été posé<br />
cliniquement que chez 20 % de 131 cas autopsiés. Il a été posé<br />
approximativement chez dix patients sur un million d’admissions<br />
psychiatriques [22]. En revanche, basé sur les admissions hospitalières, ce<br />
diagnostic serait posé chez 50 patients sur un million [13, 123].<br />
Ce syndrome se manifeste presque toujours chez l’alcoolique chronique<br />
dénutri et amaigri. L’encéphalopathie sera déclenchée par tout ce qui favorise<br />
une inadéquation du régime alimentaire : vomissements, affections<br />
œsophagiennes, maladies intestinales, anorexie, dénutrition, alimentation<br />
parentérale inadéquate. Elle survient plus fréquemment chez l’homme que<br />
chez la femme et elle se manifeste par la combinaison de troubles<br />
psychiatriques, oculomoteurs et cérébelleux [54]. Son installation est<br />
généralement progressive, précédée de troubles digestifs (nausées,<br />
vomissements), d’une asthénie et d’une perte de poids. Il arrive parfois que le<br />
début soit brusque, surtout en cas de carence vitaminique aggravée par<br />
l’administration parentérale de glucides.<br />
Troubles psychiques<br />
Ils se manifestent dans environ 90 % des cas, principalement sous la forme<br />
d’un état confusionnel chez un patient apathique, inattentif. Le degré de la<br />
confusion va de la simple obtusion jusqu’<strong>à</strong> la confusion stuporeuse. Le coma<br />
est rare. Certains patients peuvent présenter des hallucinations, souvent<br />
zoopsiques, avec une agitation qui peut faire évoquer le diagnostic erroné<br />
d’un delirium tremens. Les troubles du sommeil, et notamment des<br />
perturbations du rythme nycthéméral, ne sont pas rares. On assiste<br />
généralement <strong>à</strong> une insomnie initiale qui évoluera au fil des heures vers une<br />
hypersomnie qui peut aboutir au coma.<br />
Les troubles de la mémoire en phase aiguë sont souvent difficiles <strong>à</strong> évaluer en<br />
raison de la confusion et de l’impossibilité du patient <strong>à</strong> maintenir un discours<br />
cohérent. Mais on note souvent une dissolution du souvenir récent avec une<br />
mémoire de fixation déficitaire. Ce n’est que dans la phase chronique que le<br />
patient présentera typiquement une amnésie sévère caractéristique du<br />
syndrome de Korsakoff.<br />
Troubles oculomoteurs<br />
Ce sont les signes les plus caractéristiques de cette encéphalopathie et qui<br />
permettent de conforter le diagnostic. Malheureusement, ils ne sont présents<br />
que dans 20 <strong>à</strong> 50 % des cas. Ils sont liés <strong>à</strong> une atteinte du nerf VI<br />
principalement, parfois du nerf III. Le trouble peut être uni- ou bilatéral,<br />
symétrique ou non. Des paralysies supranucléaires ou internucléaires sont<br />
également rapportées. Initialement, ces troubles peuvent être fluctuants et<br />
faire songer au diagnostic de myasthénie. L’atteinte de la musculature<br />
intrinsèque est rare. Mais on a décrit une mydriase unilatérale, un myosis, une<br />
anisocorie, un affaiblissement du réflexe photomoteur.<br />
Un nystagmus se manifeste typiquement dans l’encéphalopathie de Gayet-<br />
Wernicke, souvent précocement. Son type est variable, fluctuant, souvent<br />
multidirectionnel. Il peut manquer lors de la paralysie complète d’un nerf<br />
oculomoteur.<br />
Le fond d’œil est généralement normal. Cependant, un œdème papillaire a<br />
été rapporté <strong>à</strong> titre exceptionnel, et il n’est pas rare de pouvoir visualiser des<br />
hémorragies rétiniennes, parfois péripapillaires.<br />
Troubles cérébelleux<br />
Une ataxie cérébelleuse est aussi très fréquente, surtout dans la phase aiguë,<br />
et elle peut laisser des séquelles définitives. Il s’agit avant tout d’une ataxie<br />
statique se manifestant par élargissement du polygone de sustentation <strong>à</strong> la<br />
marche. Dans la phase aiguë, elle peut être si marquée que le patient n’arrive<br />
plus <strong>à</strong> se déplacer. En revanche, la dysarthrie ou la dysmétrie des membres<br />
sont des signes plus rares et généralement moins sévères. Il n’est pas rare<br />
qu’un syndrome cérébelleux persiste au stade séquellaire.<br />
Autres troubles <strong>neurologiques</strong><br />
L’évaluation du tonus révèle fréquemment un oppositionnisme ou une<br />
pseudorigidité. Cette hypertonie est assez évocatrice du diagnostic
Neurologie COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES LIÉES À L’ALCOOL<br />
17-161-B-10<br />
d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Elle peut avoir un aspect<br />
oppositionnel ou pseudoparkinsonien, surtout <strong>à</strong> prédominance axiale.<br />
L’hypotonie est aussi possible, mais très rare.<br />
Le réflexe cutané plantaire peut parfois être en extension, avec ou sans<br />
hyperréflexie. Des signes frontaux sont également rapportés : libération de<br />
réflexes archaïques, persévérations, stéréotypies, comportement d’utilisation.<br />
Les troubles végétatifs sont très fréquents et méritent d’être surveillés<br />
attentivement, surtout dans la phase aiguë. Ils se manifestent avant tout par<br />
une tachycardie, une hypotension et des troubles de la régulation de la<br />
température corporelle et de la sudation.<br />
En raison du caractère fluctuant de ces signes et symptômes, le diagnostic<br />
d’une encéphalopathie de Wernicke peut être difficile, surtout lorsque le<br />
tableau clinique est pauvre et monosymptomatique. Cependant, dans le doute,<br />
il ne faut <strong>à</strong> aucun prix retarder l’introduction d’un traitement vitaminé.<br />
Étiologie<br />
La cause de cette encéphalopathie est un déficit en vitamine B 1, la<br />
thiamine [19]. En effet, les cerveaux autopsiés de patients avec une<br />
encéphalopathie de Gayet-Wernicke révèlent un sévère déficit en enzymes<br />
dépendant de la thiamine [19]. De même chez l’animal, une déficience en<br />
thiamine provoque les symptômes de l’encéphalopathie de<br />
Gayet-Wernicke [81].<br />
Le déficit en thiamine est dû avant tout <strong>à</strong> son apport alimentaire insuffisant<br />
chez l’alcoolique chronique dénutri, bien que son métabolisme puisse être<br />
modifié en raison de prédispositions génétiques [14, 77]. L’éthanol interfère<br />
directement ou indirectement avec l’absorption, le stockage et l’utilisation de<br />
la thiamine. On pense que cette vitamine intervient dans le métabolisme de<br />
l’alcool au niveau de la carboxylation des corps cétoniques et de l’acide<br />
cétoglutarique, et que cette déficience causerait une augmentation de l’activité<br />
de l’alcool déshydrogénase, accélérant le métabolisme de l’alcool. Cette<br />
vitamine joue également un rôle essentiel dans le métabolisme du glucose<br />
comme cofacteur dans l’activité du shunt des pentoses. Il faut au moins un<br />
déficit de 70 % pour déclencher une encéphalopathie.<br />
Traitement<br />
Le traitement consiste en l’administration par voie veineuse de thiamine, le<br />
plus rapidement possible et avant toute injection de glucose, ce dernier<br />
pouvant précipiter l’utilisation des dernières réserves de vitamine B 1. Les<br />
besoins quotidiens recommandés sont de1<strong>à</strong>5mg/j pour un adulte avec des<br />
réserves de thiamine normales. Cela représente une protection pour une<br />
période de 18 <strong>à</strong> 35 jours environ. Chez l’alcoolique, différents régimes de<br />
supplémentation sont proposés dans la littérature, généralement entre 50 et<br />
500 mg/j, mais sans qu’il y ait de réel consensus sur la durée du traitement [24].<br />
Neuropathologie<br />
Les anomalies pathologiques sont de localisations précises et bilatérales au<br />
niveau du tronc cérébral et de l’hypothalamus [120]. La lésion caractéristique<br />
est une nécrose affectant les neurones, les axones et la myéline <strong>à</strong> des degrés<br />
divers, qui s’étend dans la substance grise autour du IIIe ventricule, l’aqueduc<br />
de Sylvius et le IVe ventricule. Les corps mamillaires sont toujours lésés et<br />
d’autres structures peuvent également être atteintes comme le thalamus,<br />
l’hypothalamus, la région périaqueducale mésencéphalique, le plancher du<br />
IVe ventricule et le vermis.<br />
Bien que les corps mamillaires, l’hypothalamus et la partie médiane du<br />
thalamus soient touchés dans l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke, la<br />
controverse subsiste concernant la lésion responsable de l’amnésie. Se basant<br />
sur les résultats d’autopsies de 43 cerveaux, Victor et al estiment que l’atteinte<br />
du noyau dorsomédian du thalamus est essentielle pour déclencher les<br />
troubles mnésiques [120]. Cependant, il n’a jamais était rapporté de syndrome<br />
de Korsakoff lié <strong>à</strong> une lésion isolée de ce noyau thalamique. C’est pourquoi il<br />
est généralement admis que les troubles mnésiques sont produits par l’atteinte<br />
combinée des corps mamillaires et du thalamus [75, 79]. Selon d’autres études<br />
neuropathologiques, les troubles mnésiques pourraient être provoqués par<br />
l’atteinte du diencéphale et de l’hippocampe [4, 79, 120]. Mais les lésions <strong>à</strong> ce<br />
niveau ne sont pas constantes ; elles pourraient aussi expliquer les troubles du<br />
comportement.<br />
Les études neuroradiologiques ont confirmé la présence de lésions du<br />
diencéphale dans le syndrome de Wernicke-Korsakoff et ont permis de révéler<br />
aussi une atteinte corticale au niveau des lobes frontaux et pariétaux, sous la<br />
forme d’une atrophie [23, 58, 105, 108].<br />
Syndrome de Korsakoff<br />
C’est la forme chronique de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Elle se<br />
caractérise par un syndrome amnésique avec préservation relative des<br />
fonctions cognitives [57, 107]. Les patients sont totalement incapables<br />
d’enregistrer une information verbale ou non verbale, d’apprendre les noms<br />
des personnes, les nouveaux faits, même après répétition et oublient les<br />
informations fournies quelques minutes auparavant. Mais, en fait, il ne s’agit<br />
pas d’une perturbation de l’enregistrement immédiat des informations,<br />
puisque les patients sont capables de répéter les informations immédiatement.<br />
En revanche, si une tâche distrayante est effectuée pendant quelques<br />
secondes, les performances vont nettement diminuer. Ainsi, cette sensibilité<br />
accrue aux interférences est considérée comme la caractéristique de l’amnésie<br />
antérograde du syndrome de Korsakoff. Cela suggère que les interférences<br />
surviennent parce que le patient est incapable d’inhiber les informations<br />
distrayantes au moment de la récupération d’une information précise.<br />
Certains auteurs pensent que ce syndrome amnésique est dû <strong>à</strong> des difficultés<br />
<strong>à</strong> coder les attributs d’un stimulus. Les patients analyseraient les signes<br />
phonémiques et associatifs, mais négligeraient les signes sémantiques.<br />
Malgré les sévères déficits dans l’apprentissage, certaines zones de la<br />
mémoire sont préservées et notamment celle pour l’acquisition de nouvelles<br />
tâches motrices.<br />
Les patients souffrant d’un syndrome de Korsakoff ont également une atteinte<br />
de la mémoire rétrograde, avec une altération de la capacité <strong>à</strong> retrouver les<br />
faits autobiographiques ou publics, surtout du passé récent.<br />
Maladie de Marchiafava-Bignami<br />
Décrite pour la première fois en 1903 chez des buveurs de vin italiens, cette<br />
maladie est actuellement connue chez des gens de toutes nationalités<br />
consommant n’importe quelle boisson alcoolisée. Son mécanisme demeure<br />
encore inconnu, mais il entraîne une démyélinisation progressive avec<br />
nécrose de la partie médiane du corps calleux et de la commissure<br />
antérieure [3, 119]. Parfois les lésions peuvent s’étendre latéralement dans le<br />
centre semi-ovale, tout en respectant la capsule interne et le pied de la corona<br />
radiata, et également les fibres en U. L’aspect histologique est similaire <strong>à</strong> celui<br />
de la myélinolyse centropontine et comme ces deux maladies peuvent<br />
survenir chez le même patient, on suspecte un même mécanisme<br />
étiopathogénique [48].<br />
La plupart des patients souffrant de cette maladie sont alcooliques, dénutris<br />
ou souffrant d’une atteinte hépatique. Toutefois, elle peut survenir également<br />
lors d’intoxication aux cyanures et même en l’absence d’alcoolisme [63].<br />
Le début de la maladie peut être aigu, sous la forme d’un coma avec des crises<br />
d’épilepsie. Généralement, on remarque une sévère hypertonie avec un<br />
mutisme akinétique. Les formes lentement progressives arrivent au même<br />
tableau clinique entrecoupé d’épisodes évolutifs avec confusion, crise<br />
d’épilepsie et l’installation d’une hypertonie de plus en plus marquée<br />
conduisant <strong>à</strong> un état grabataire. Selon Boudin et al, le tableau clinique<br />
caractéristique comporterait une démence, une hypertonie, une astasie-abasie<br />
et une dysarthrie [16]. L’examen neuropsychologique permet de mettre en<br />
évidence des signes de dysconnexion calleuse : apraxie unilatérale, anosmie,<br />
dysconnexion auditive et visuelle. La résonance magnétique permet de<br />
confirmer le diagnostic par la mise en évidence de la démyélinisation du corps<br />
calleux. L’évolution se fait sur3<strong>à</strong>4ansenviron, mais des améliorations, tant<br />
cliniques que radiologiques, sont également rapportées [27, 82, 85, 131].<br />
Myélinolyse centropontine<br />
C’est une complication neurologique rare mais grave, principalement liée aux<br />
désordres électrolytiques (hyponatrémie) et <strong>à</strong> leur correction trop rapide [65].<br />
D’abord décrite chez l’alcoolique dénutri, elle peut se manifester en cas de<br />
cancer, d’hémopathie maligne, d’insuffisance rénale ou hépatique.<br />
Il s’agit d’une démyélinisation pure affectant principalement la protubérance,<br />
mais qui peut s’étendre <strong>à</strong> la substance blanche sous-corticale [17]. Beaucoup<br />
de formes sont asymptomatiques et sont découvertes lors d’une autopsie.<br />
Dans les formes symptomatiques, les patients présentent un syndrome<br />
pseudobulbaire caractérisé par des rires et des pleurs spasmodiques, une<br />
dysarthrie, une dysphagie, parfois un mutisme. Une atteinte tétrapyramidale<br />
s’y associe, pouvant aboutir <strong>à</strong> une tétraplégie. Il n’est pas rare que l’évolution<br />
se fasse vers un mutisme akinétique et se complique du décès du patient en<br />
2 <strong>à</strong> 4 semaines.<br />
Démence alcoolique<br />
Une démence alcoolique non liée aux causes décrites ci-dessus fait toujours<br />
l’objet d’une certaine controverse dans la littérature médicale. De nombreuses<br />
études neuropsychologiques ont montré que les patients alcooliques<br />
chroniques développaient des troubles cognitifs, surtout frontaux,<br />
principalement caractérisés par une apathie et un bradypsychisme et qui<br />
s’associeraient <strong>à</strong> une atrophie frontale [70, 87]. Ces troubles seraient<br />
proportionnels <strong>à</strong> la quantité d’alcool absorbée [89, 90].<br />
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17-161-B-10<br />
Ces signes peuvent régresser avec l’abstinence, alors que chez d’autres<br />
patients, ils peuvent évoluer vers une réelle démence [70]. L’évaluation<br />
neuropsychologique détaillée révèle de légers troubles cognitifs chez 50 <strong>à</strong><br />
70 % des patients désintoxiqués, anomalies qui persisteront dans 10 % des<br />
cas malgré une abstinence totale.<br />
L’étiopathogénie de cette démence est encore mal élucidée en raison du<br />
manque de critères cliniques précis, du peu d’études anatomopathologiques<br />
et de l’absence de mécanismes pathologiques acceptés. En effet, les troubles<br />
cognitifs de l’alcoolique chronique sont souvent d’origine multifactorielle.<br />
Tout d’abord l’alcool et ses métabolites peuvent léser directement le tissu<br />
cérébral. La malnutrition, qui est souvent liée <strong>à</strong> l’alcoolisme chronique, est<br />
aussi une source de destruction cérébrale sous la forme d’une encéphalopathie<br />
de Gayet-Wernicke, dont le diagnostic est souvent manqué [71, 113]. D’autres<br />
étiologies (traumatisme, hématome sous-dural chronique, artériosclérose,<br />
maladie d’Alzheimer) peuvent aussi rendre difficile l’appréciation de cette<br />
démence.<br />
L’intrication de ces différents facteurs aggravants rend donc difficile<br />
l’appréciation de la toxicité directe de l’alcool sur le cerveau. Cependant, il<br />
est actuellement admis que l’alcool entraîne une détérioration cognitive<br />
souvent paucisymptomatique, caractérisée avant tout par un syndrome<br />
frontomnésique. Cette prédominance frontale est confirmée par les études<br />
radiologiques et anatomopathologiques qui révèlent une atrophie <strong>à</strong><br />
prédominance frontale, affectant aussi bien la substance blanche que<br />
grise [6, 53, 83, 92, 113].<br />
Dégénérescence cérébelleuse alcoolique<br />
Chez la plupart des alcooliques qui souffrent d’une ataxie cérébelleuse, il<br />
s’agit généralement des séquelles d’une encéphalopathie de Gayet-<br />
Wernicke [121]. Cependant, il est également admis qu’une dégénérescence<br />
cérébelleuse peut résulter de la toxicité directe de l’alcool sur le cervelet<br />
[93, 94].<br />
La pathologie révèle une perte des neurones corticaux, principalement les<br />
cellules de Purkinje, surtout au niveau du vermis. Ces images histologiques<br />
sont similaires <strong>à</strong> celles que l’on voit dans l’encéphalopathie de Gayet-<br />
Wernicke, soulignant le fait que ces deux désordres sont souvent intriqués [121].<br />
Cette dégénérescence peut être également visualisée par les examens<br />
neuroradiologiques qui révéleront une atrophie cérébelleuse, avant tout<br />
vermienne. Cependant, il n’y a pas de corrélation entre les signes cliniques et<br />
radiologiques.<br />
Les troubles cérébelleux s’installent généralement progressivement, bien<br />
qu’un début aigu puisse survenir lors d’infections ou d’un sevrage. Les<br />
manifestations cliniques se caractérisent surtout par une ataxie statique avec<br />
un élargissement du polygone de sustentation, une démarche instable et une<br />
titubation du tronc. Des troubles cérébelleux cinétiques sont plus rares, de<br />
même que la dysarthrie. Une hypotonie, une dysmétrie oculaire sont des<br />
signes peu fréquents [121]. En revanche, cette ataxie se combine souvent avec<br />
une polyneuropathie.<br />
En raison des bonnes capacités de réserve du cervelet, l’évolution de cette<br />
ataxie est lente. Il n’est pas rare qu’elle se stabilise, voire même s’améliore<br />
avec l’abstinence et une amélioration de la nutrition [29, 121].<br />
Delirium tremens ou syndrome<br />
de sevrage alcoolique<br />
L’apparition d’un delirium tremens implique une diminution brusque ou<br />
complète de toute consommation d’alcool importante et régulière. Le gradient<br />
cérébral de l’alcool sera déterminant dans l’apparition des symptômes de<br />
sevrage. Ceux-ci seront encore précipités par des facteurs favorisants ou<br />
aggravants tels une infection, de la fièvre, un traumatisme ou une opération.<br />
Le delirium tremens se manifeste selon quatre stades successifs de gravité<br />
croissante, pouvant conduire parfois au décès du patient<br />
[5, 80].<br />
Le premier stade se caractérise par l’apparition d’un discret tremblement<br />
d’attitude, une inappétence, des sudations surtout nocturnes. Ce stade peut<br />
souvent passer inaperçu ou être mis sur le compte de la fièvre ou d’une<br />
anxiété.<br />
Au stade suivant, le patient devient réellement anxieux, irritable, insomniaque<br />
avec un tremblement beaucoup plus marqué et qui se généralise. Des<br />
sudations profuses s’accompagnent de nausées et de diarrhées. Au troisième<br />
stade s’installe une confusion avec des hallucinations, généralement <strong>à</strong><br />
composante zoopsique. Le patient devient également de plus en plus agité,<br />
oppositionnel, tachycarde et peut parfois se plaindre de céphalées. Finalement<br />
au dernier stade, on assiste <strong>à</strong> une accentuation de tous ces symptômes avec<br />
notamment des troubles végétatifs et l’apparition de crises d’épilepsie.<br />
Pour évaluer la sévérité du delirium ou de la réponse au traitement, différents<br />
scores peuvent être utilisés. Le plus répandu est l’échelle CIWA-AR (Clinical<br />
Institute Withdrawal Assessment) [109].<br />
Dès les premiers signes de sevrage, il importe de commencer rapidement un<br />
traitement pour éviter toutes complications (infection nosocomiale, crise<br />
page 4<br />
COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES LIÉES À L’ALCOOL Neurologie<br />
d’épilepsie, décès), en assurant une bonne hydratation du patient et une<br />
vitaminothérapie. Pour empêcher l’apparition ou diminuer les symptômes de<br />
sevrage, un traitement <strong>à</strong> base de benzodiazépine ou de clométhiazole per os<br />
est préconisé. Les barbituriques, qui ont une longue durée d’action et qui sont<br />
très sédatifs, sont <strong>à</strong> éviter, de même que les neuroleptiques qui sont<br />
épileptogènes et qui peuvent produire une hyperthermie maligne.<br />
Les benzodiazépines demeurent les substances de choix en raison de leur<br />
sécurité d’emploi et de leur efficacité [12, 42]. Mais le choix entre une<br />
benzodiazépine <strong>à</strong> courte ou <strong>à</strong> longue durée d’action demeure encore<br />
controversé. En effet, les résultats de deux études démontrent que les formes<br />
galéniques <strong>à</strong> longue durée d’action protègent mieux la mémoire et certaines<br />
fonctions cognitives que les benzodiazépines <strong>à</strong> courte durée d’action<br />
[98, 127].<br />
Cependant, les préparations <strong>à</strong> courte durée d’action sont plus avantageuses<br />
pour la personne âgée ou lors d’insuffisance hépatique. De plus, leur<br />
utilisation par voie intramusculaire est déconseillée en raison de l’absorption<br />
aléatoire de la substance. Pour débuter un traitement par une benzodiazépine<br />
pour un sevrage alcoolique, il faut utiliser des doses supérieures <strong>à</strong> celles qui<br />
sont généralement prescrites en cas d’anxiété, et la prescription se fera en<br />
fonction des symptômes [100].<br />
Du point de vue pharmacologique, les benzodiazépines, tels le lorazépam, le<br />
témazépam, l’oxazépam, qui sont métabolisées par conjugaison plutôt que par<br />
oxydation, sont bien tolérées lors d’insuffisance hépatique. En revanche, il est<br />
recommandé de diminuer la dose de moitié des benzodiazépines <strong>à</strong><br />
métabolisme oxydatif lors d’hépatopathie. De même, en cas d’insuffisance<br />
rénale, la concentration des métabolites actifs va s’accumuler pour la plupart<br />
des benzodiazépines. Seuls le lorazépam et l’oxazépam n’ont pas cet<br />
inconvénient et peuvent être prescrits dans cette situation. Cependant, il est<br />
recommandé de diminuer la dose de lorazépam de moitié et de 25 % celle de<br />
l’oxazépam si la clairance <strong>à</strong> la créatinine est inférieure <strong>à</strong> 10 mL/min.<br />
Crises d’épilepsie et alcool<br />
L’alcool serait, pour certains auteurs, la cause exclusive de crises d’épilepsie<br />
ou simplement un facteur déclenchant [28, 72]. Une consommation quotidienne<br />
de 50 <strong>à</strong> 300 g d’alcool multiplie le risque de crises par 10 par rapport <strong>à</strong><br />
l’abstinent [84]. Bien que souvent <strong>liées</strong> au sevrage alcoolique, elles peuvent<br />
être la conséquence d’un traumatisme craniocérébral, d’une infection du<br />
système nerveux, de troubles métaboliques, d’une intoxication ou d’un<br />
sevrage médicamenteux.<br />
Ivresse convulsivante<br />
Au cours d’une alcoolisation aiguë, une crise d’épilepsie généralisée peut<br />
survenir chez les buveurs occasionnels au moment où l’alcoolémie est élevée.<br />
Il s’agit généralement de crises uniques qui ne se répètent pas en dehors d’un<br />
excès d’alcool. Leur mécanisme est inconnu mais on suspecte que l’alcool<br />
diminue le seuil épileptogène chez des sujets prédisposés.<br />
Crises de sevrage<br />
Le sevrage est la cause la plus fréquente de crises d’épilepsie chez<br />
l’alcoolique. Il s’agit de crises d’épilepsie généralisées qui se manifestent<br />
dans les 12 <strong>à</strong> 24 heures qui suivent l’arrêt de la consommation d’alcool,<br />
souvent sous forme de salves de crises [122]. Un état de mal épileptique peut<br />
même survenir dans 1<strong>à</strong>7%descas. Elles seraient provoquées par la<br />
suractivation du système glutamatergique [56]. Selon certains auteurs, la<br />
répétition de ce type de crises pourrait rendre le cerveau plus excitable selon<br />
un processus de kindling [8, 18, 67]. Selon ce modèle, Bartolomei et al ont<br />
développé une classification dynamique de ces crises [7]. Tout d’abord les<br />
crises se manifesteraient essentiellement lors d’un sevrage chez un patient<br />
encore jeune, stade où les complications <strong>neurologiques</strong> sont encore rares.<br />
Avec la poursuite d’une consommation chronique d’alcool, les crises vont<br />
devenir plus fréquentes et non nécessairement <strong>liées</strong> au sevrage. Et,<br />
finalement, les crises pourraient même survenir chez un patient qui serait<br />
devenu un abstinent total et définitif en raison de lésions cérébrales<br />
irréversibles <strong>liées</strong> <strong>à</strong> la toxicité de l’alcool qui diminuerait ainsi le seuil<br />
épileptogène.<br />
Crises idiopathiques<br />
Elles surviennent de façon aléatoire après de nombreuses années de<br />
consommation d’alcool mais indépendamment du rythme d’ingestion. Elles<br />
seraient <strong>liées</strong> aux modifications structurelles du cerveau dues <strong>à</strong> l’alcool. Elles<br />
peuvent disparaître totalement avec l’abstinence.<br />
Il s’agit avant tout de crises d’épilepsie convulsives généralisées, brèves,<br />
souvent <strong>à</strong> prédominance clonique. Si un point de départ focal de la crise est<br />
noté, il convient toujours d’exclure une lésion cérébrale sous-jacente.<br />
Généralement, si les crises ne sont pas secondaires <strong>à</strong> une lésion,<br />
l’électroencéphalogramme intercritique est normal ou perturbé de manière
Neurologie COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES LIÉES À L’ALCOOL<br />
17-161-B-10<br />
non spécifique. La présence de décharges paroxystiques sur les régions<br />
occipitales lors de la photostimulation se voit lors d’intoxication<br />
alcoolique [62].<br />
Traitement des crises<br />
Aucun traitement n’est justifié pour l’ivresse convulsivante, hormis l’arrêt des<br />
libations. Les crises de sevrage seront traitées ponctuellement par des<br />
benzodiazépines, substances qui sont également utiles pour diminuer les<br />
symptômes de sevrage. En dehors de ces deux causes de crises, et après avoir<br />
exclu une cause sous-jacente susceptible d’induire des crises, la mise en route<br />
d’un traitement antiépileptique est justifiée si les crises sont fréquentes, tout<br />
en sachant qu’on peut se heurter <strong>à</strong> trois problèmes :<br />
– une compliance souvent médiocre qui risque d’accroître le risque d’un état<br />
de mal <strong>à</strong> l’arrêt du médicament antiépileptique ;<br />
– une modification du métabolisme des antiépileptiques par l’alcool,<br />
notamment du phénobarbital ;<br />
– un risque de dépendance médicamenteuse selon le médicament choisi.<br />
Accident cérébrovasculaire et alcool<br />
Le rôle de l’alcool sur l’incidence des maladies cérébrovasculaires demeure<br />
toujours controversé [34, 41, 69, 111]. Toutefois, l’alcool est considéré par le<br />
Subcommittee of the Stroke Council on Risk Factors comme un facteur de<br />
risque cardiovasculaire. En réalité, la consommation d’alcool augmente le<br />
risque de complications cérébrovasculaires de façon dose dépendante et selon<br />
une courbe en forme de J. Des données épidémiologiques, il ressort que lors<br />
d’une consommation quotidienne ne dépassant pas 1<strong>à</strong>2verres standards,<br />
l’alcool a un effet protecteur. Au-del<strong>à</strong> de cette consommation, le risque suit<br />
immédiatement une courbe ascendante ayant la forme d’un J [20]. Le rôle<br />
protecteur de l’alcool serait lié aux substances phénoliques qui inhibent<br />
l’oxydation des LDL (low density lipoproteins). Cet effet bénéfique serait<br />
encore plus marqué dans les pays méditerranéens où la diète est généralement<br />
plus riche en acides gras polyinsaturés. De plus, la consommation modérée<br />
d’alcool n’agit pas seulement sur le métabolisme des lipides en augmentant<br />
le taux protecteur du HDL (high density lipoproteins)-cholestérol, mais<br />
diminue également le taux de fibrinogène et augmente le rapport<br />
prostacycline/thromboxane [11, 46, 86].<br />
En revanche, l’abus chronique d’alcool induit le développement d’une<br />
hypertension artérielle, d’une cardiomyopathie, de troubles du rythme<br />
cardiaque, de troubles de la crase ou une augmentation de la viscosité<br />
sanguine. Ces modifications sont susceptibles d’induire des accidents<br />
cérébrovasculaires, aussi bien ischémiques qu’hémorragiques [9].<br />
Ramollissements ischémiques<br />
Leur mécanisme étiopathogénique chez le jeune sans facteur de risque<br />
cardiovasculaire connu est généralement une embolie <strong>à</strong> point de départ<br />
cardiaque liée <strong>à</strong> des troubles du rythme cardiaque survenant lors du sevrage<br />
alcoolique suite <strong>à</strong> une alcoolisation aiguë [55, 68, 112]. En revanche, chez<br />
l’alcoolique chronique, le risque d’un infarctus cérébral est directement lié <strong>à</strong><br />
l’alcool et <strong>à</strong> ses effets délétères, indépendamment des autres facteurs de risque<br />
généralement associés, tel le tabac [9, 30].<br />
Hémorragies intraparenchymateuses<br />
Elles sont favorisées par l’hypertension artérielle qui augmente avec la<br />
quantité d’alcool consommée [59, 60, 117]. Ce type de complications<br />
hémorragiques est encore plus fréquent chez les patients cirrhotiques.<br />
Hémorragies sous-arachnoïdiennes [73]<br />
Elles sont provoquées par la rupture d’un anévrisme consécutif <strong>à</strong> un<br />
traumatisme ou <strong>à</strong> une manœuvre de Valsalva, facteurs qui sont fréquents chez<br />
l’alcoolique.<br />
Mécanismes étiopathogéniques<br />
L’hypertension artérielle est un des principaux facteurs de risque d’accidents<br />
cérébraux vasculaires chez l’alcoolique. En effet, l’alcool favorise l’élévation<br />
de la tension artérielle en provoquant une activation du système adrénergique<br />
et la production de cortisol et d’aldostérone [51, 102].<br />
Des troubles du rythme cardiaque peuvent se manifester lors d’ingestion<br />
aiguë d’alcool, en raison de désordres du métabolisme et de la stimulation du<br />
système catécholaminergique, surtout au moment du sevrage [97]. Lors de<br />
consommation chronique, une cardiomyopathie peut se développer et se<br />
compliquer d’une fibrillation auriculaire ou d’autres troubles du rythme<br />
cardiaque.<br />
Les troubles de la crase sont également fréquents chez l’alcoolique chronique<br />
et notamment les anomalies des fonctions plaquettaires. La cirrhose favorise<br />
la thrombocytopénie et l’arrêt d’une consommation prolongée ou d’excès<br />
aigus d’alcool peut provoquer une thrombocytose de rebond [86]. La cirrhose<br />
induit aussi des déficits de tous les facteurs de la coagulation, surtout les<br />
facteurs VII et X. L’alcoolisme entraîne une augmentation de l’hématocrite<br />
et du fibrinogène. Ces facteurs accroissent la viscosité sanguine et favorisent<br />
la réduction du débit sanguin cérébral.<br />
Myopathie alcoolique<br />
Il s’agit certainement de la complication neurologique liée <strong>à</strong> l’alcool le moins<br />
connue, alors que l’on estime qu’environ deux tiers des alcooliques<br />
chroniques présentent une myopathie [37, 76, 115, 116, 130]. Il en existe deux formes<br />
principales, une d’installation aiguë, l’autre chronique [95, 116].<br />
Myopathie alcoolique aiguë<br />
Il s’agit d’une myopathie nécrosante qui peut s’installer en 24-48 heures dans<br />
un contexte de myalgies avec un déficit musculaire focal ou asymétrique. Les<br />
muscles incriminés sont souvent tendus, œdémateux et douloureux <strong>à</strong> la<br />
palpation. Elle affecte principalement la musculature des ceintures, surtout<br />
pelvienne [124]. Elle peut parfois être très étendue et entraîner une dysphagie.<br />
L’atteinte de la musculature cardiaque peut se révéler sous la forme d’une<br />
cardiomyopathie congestive.<br />
Ce type de myopathie se voit surtout chez les grands alcooliques de sexe<br />
masculin entre 40-60 ans, et elle est avant tout déclenchée par des abus<br />
massifs d’alcool. Elle est cependant rare et ne surviendrait que chez environ<br />
1 % des alcooliques chroniques [76]. Elle est <strong>à</strong> distinguer de la myopathie<br />
alcoolique aiguë hypokaliémique ou hypophosphatémique qui se manifeste<br />
par une parésie proximale indolore. Toutefois, il peut arriver que la myopathie<br />
alcoolique aiguë puisse être asymptomatique et n’être décelée que par<br />
l’augmentation des enzymes musculaires. De même un épisode aigu peut<br />
également survenir chez un patient avec une myopathie chronique [116].<br />
Du point de vue sanguin, les enzymes musculaires (CPK [créatine<br />
phosphokinase]) et la myoglobine ou ses dérivés sont augmentés comme dans<br />
une rhabdomyolyse, et peuvent mettre en péril le pronostic vital. Il peut en<br />
effet en résulter une néphropathie aiguë de type nécrose tubulaire aiguë.<br />
L’abstinence demeure le meilleur traitement de cette forme de myopathie. Le<br />
rôle des facteurs nutritionnels dans la récupération est peu clair, mais une diète<br />
adéquate doit être assurée. La récupération se fait généralement en quelques<br />
semaines ou mois [66].<br />
Forme chronique<br />
Cette forme insidieuse de myopathie s’installe en quelques semaines ou mois,<br />
de façon indolore le plus souvent. Elle entraîne également une faiblesse<br />
musculaire proximale, surtout au niveau des membres inférieurs, avec une<br />
relative préservation des réflexes ostéotendineux. Les muscles sont souvent<br />
douloureux <strong>à</strong> la palpation [99, 104]. Elle est observée également chez les grands<br />
buveurs de sexe masculin et elle peut succéder <strong>à</strong> une forme aiguë. Des chutes,<br />
une instabilité <strong>à</strong> la marche, des difficultés <strong>à</strong> monter les escaliers, des crampes<br />
sont souvent les premières manifestations. Dans les cas de myopathie<br />
prouvée, il existe une atrophie musculaire <strong>à</strong> l’examen clinique. Même si le<br />
déficit de force est surtout proximal, l’ensemble des muscles est affecté, avec<br />
une masse musculaire totale qui peut diminuer d’un tiers [32, 76, 91].<br />
Chez 10 <strong>à</strong> 30 % des patients, les enzymes musculaires sont élevées et les<br />
signes électromyographiques d’une myopathie sont détectés chez 10 <strong>à</strong> 50 %<br />
des patients [38, 116]. La myopathie serait plus fréquente lors d’une atteinte d’un<br />
autre organe, notamment le foie et le cœur [35, 38]. Chez les patients avec une<br />
cardiomyopathie dilatée, l’incidence d’une myopathie prouvée<br />
histologiquement serait de 82 % [38].<br />
Environ 20 % des cas avec une myopathie prouvée histologiquement ne<br />
ressentent pas de déficit fonctionnel de leur force, alors qu’ils ont une atrophie<br />
et une faiblesse musculaire <strong>à</strong> l’examen clinique [99, 116]. Dans ce cas, les<br />
enzymes musculaires sont dans des valeurs normales.<br />
L’arrêt de toute consommation d’alcool demeure le seul traitement possible.<br />
Si l’abstinence est obtenue, la récupération partielle ou complète se fera sur<br />
une période de2<strong>à</strong>12mois dans la plupart des cas [116].<br />
Aspects histologiques<br />
Histologiquement, il s’agit d’une myopathie qui se caractérise par une<br />
diminution du diamètre des fibres musculaires de type II, principalement le<br />
type IIb. Il s’agit des fibres <strong>à</strong> contraction rapide, fonctionnant grâce au<br />
métabolisme anaérobique glycolytique, et pauvres en mitochondries [106].<br />
L’atrophie de ce type de fibres se verrait chez environ 30 <strong>à</strong> 50 % des<br />
alcooliques chroniques. Elle ne doit pas cependant être tenue comme un<br />
critère absolu de diagnostic puisqu’elle est observée dans toutes les<br />
myopathies métaboliques et la cachexie [39].<br />
page 5
17-161-B-10<br />
La myocytolyse est un signe plus spécifique de la myopathie alcoolique, et<br />
elle se caractérise par une dégénérescence et une dissolution des<br />
myofilaments (ghost fibers) avec ou sans phagocytose. Des anomalies plus<br />
rares sont également décrites sous la forme d’infiltrats inflammatoires<br />
interstitiels, de fibrose interstitielle, de phagocytose, de dépôts endomysiaux<br />
de lipides, d’agrégats tubulaires.<br />
Physiopathologie<br />
L’alcool altère la fluidité membranaire et la contractilité membranaire en<br />
agissant sur les mécanismes calcium dépendants ou indépendants en<br />
interférant avec le couplage actine-myosine [25, 110]. Au niveau des fibres<br />
musculaires, l’alcool diminue d’environ 15 <strong>à</strong> 30 % le taux de synthèse des<br />
protéines, sans altérer la dégradation de ces protéines [26, 88]. Cette perturbation<br />
peut même persister après l’arrêt de toute consommation d’alcool. Ce défaut<br />
de synthèse va entraîner une perte de poids, augmenter l’excrétion urinaire<br />
des dérivés nitrés, altérant ainsi le métabolisme protéique de tout le corps.<br />
La toxicité des radicaux libres est aussi incriminée dans la myopathie<br />
alcoolique [45]. Selon les résultats de certaines études, les alcooliques avec une<br />
myopathie auraient un taux de sélénium et d’alphatocophérol plus bas que les<br />
alcooliques non myopathes, ce qui laisserait suggérer un mécanisme toxique<br />
lié aux radicaux libres [126]. De plus, il ne semble pas que cet effet antioxydant<br />
soit lié <strong>à</strong> la malnutrition, car une myopathie peut survenir chez un alcoolique<br />
avec un apport nutritionnel adéquat [32].<br />
L’alcool pourrait également jouer indirectement son rôle toxique sur les fibres<br />
musculaires de type II en perturbant l’équilibre hormonal et en stimulant la<br />
production de glucocorticoïdes (pseudo-Cushing’s syndrome) [64]. Mais cette<br />
hypothèse est encore débattue car cet effet ne se verrait qu’avec de très hautes<br />
doses d’alcool [33]. Au reste, l’atteinte hépatique ne semble pas jouer de rôle<br />
dans la genèse de la myopathie alcoolique, de même que la malnutrition, qui<br />
n’est retrouvée que chez environ 2 % des alcooliques myopathes [32, 36, 76].<br />
Polyneuropathie alcoolique<br />
Dans les pays occidentaux, l’alcool représente la deuxième cause de<br />
polyneuropathie. Cependant, il persiste toujours la controverse de savoir si la<br />
neuropathie est liée <strong>à</strong> une toxicité directe de l’alcool ou <strong>à</strong> la malnutrition, voire<br />
<strong>à</strong> la combinaison des deux [10, 129]. De nombreux auteurs ont privilégié le<br />
facteur nutritionnel dans la genèse de la neuropathie alcoolique [118]. En<br />
revanche, les travaux cliniques et histologiques de Behse et Buchtal<br />
démontrèrent qu’il n’existe pas de différences cliniques entre la neuropathie<br />
de l’alcoolique dénutri et celle de l’alcoolique bien nourri. Il existe cependant<br />
des différences histologiques qui semblent confirmer que la malnutrition n’est<br />
pas la seule cause étiologique de la neuropathie alcoolique [10]. Malgré des<br />
études cliniques et expérimentales plus récentes, les résultats demeurent<br />
équivoques quant au rôle direct de l’alcool dans la genèse d’une<br />
neuropathie [15, 31, 52]. Toutefois, il est certain que le déficit vitaminique n’est<br />
pas suffisant pour engendrer une neuropathie alcoolique étant donné l’absence<br />
d’amélioration clinique avec un supplément vitaminé chez la plupart des<br />
alcooliques avec une neuropathie.<br />
Par conséquent, le diagnostic de neuropathie alcoolique sera retenu après<br />
l’exclusion d’une autre cause étiologique potentielle.<br />
page 6<br />
COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES LIÉES À L’ALCOOL Neurologie<br />
Polyneuropathie chronique<br />
Elle survient chez environ 10 <strong>à</strong> 50 % des alcooliques chroniques. Les<br />
premiers symptômes se manifestent progressivement au niveau des membres<br />
inférieurs de façon symétrique, par des paresthésies et des douleurs. Les<br />
patients se plaignent d’une sensation de pieds froids, de brûlures ou de lancées<br />
dans les extrémités, de crampes et d’une fatigabilité <strong>à</strong> la marche. Une<br />
instabilité <strong>à</strong> la marche sera également ressentie, liée <strong>à</strong> l’atteinte de la<br />
sensibilité profonde et <strong>à</strong> la dégénérescence cérébelleuse.<br />
Les troubles vont progressivement prendre un caractère ascendant et affecter<br />
également les mains. À ce niveau, la sensation paresthésiante est souvent<br />
indolore, mais une perte de la dextérité des doigts peut handicaper les patients.<br />
L’examen clinique révèle initialement une hyporéflexie ou une aréflexie<br />
achilléenne associée <strong>à</strong> une hypopallesthésie et une hyperhidrose des pieds.<br />
Avec la progression de la polyneuropathie commence une perte de la<br />
sensibilité douloureuse distalement, qui peu <strong>à</strong> peu va englober toutes les<br />
modalités sensitives avec une distribution en « gants et en chaussettes ».<br />
Souvent, il y a une hyperpathie douloureuse initialement au toucher<br />
superficiel puis <strong>à</strong> la palpation musculaire ou des tendons. Les troubles<br />
végétatifs sont aussi présents sous la forme d’une perte de la pilosité, de<br />
troubles trophiques des ongles et de la peau avec une anhidrose, d’une<br />
dysrégulation tensionnelle. Ces troubles végétatifs peuvent être parfois très<br />
sévères avec un risque d’arythmies cardiaques. Une amyotrophie musculaire<br />
distale et symétrique avec faiblesse se manifestera également d’abord aux<br />
membres inférieurs puis au niveau des mains.<br />
Les signes électromyographiques sont compatibles avec une polyneuropathie<br />
axonale caractérisée par une réduction de l’amplitude des potentiels d’action<br />
sensitifs et moteurs, et par un ralentissement modéré des vitesses de<br />
conduction. L’électromyographie de détection révèle typiquement des signes<br />
de dénervation symétrique dans la musculature distale. La dégénérescence<br />
axonale de ce type de polyneuropathie est confirmée par les biopsies<br />
nerveuses.<br />
Le traitement implique évidemment l’arrêt de la consommation d’alcool et la<br />
reprise d’une alimentation adéquate, surtout en protéines, combinée <strong>à</strong> un<br />
supplément en vitamines du groupe B. Sous ce traitement, le pronostic est bon<br />
en l’espace de quelques mois lorsque la polyneuropathie est modérée. Mais<br />
cette récupération peut être souvent décevante en raison d’autres<br />
comorbidités associées ou d’une non-abstinence.<br />
Polyneuropathie aiguë<br />
Elle se manifeste essentiellement chez l’alcoolique chronique, dénutri avec<br />
une perte pondérale de plus de 10 kg. Elle est favorisée par une infection<br />
intercurrente ou par un problème digestif. Elle s’installe de façon subaiguë en<br />
24 heures sous la forme d’une paraparésie amyotrophiante, flasque,<br />
aréflexique avec une perte des modalités sensitives. Bien souvent, elle<br />
s’associe <strong>à</strong> une encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Elle peut faire évoquer<br />
le diagnostic d’un syndrome de Guillain-Barré, mais l’examen du liquide<br />
céphalorachidien est normal. À nouveau, il s’agit d’une polyneuropathie<br />
axonale dont le traitement est similaire <strong>à</strong> celui de la forme chronique. La<br />
récupération prendra plusieurs mois et souvent les troubles sensitifs peuvent<br />
persister.<br />
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