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L<br />
e 27 août 1948, une vingtaine de<br />
Décinois se réjouit au café-tabac de<br />
la rue de l’Egalité. A l’instar des quartiers<br />
lyonnais de Sans-Soucis, Demi-Lune et<br />
Montchat, le petit groupe vient de fonder<br />
la Commune libre de <strong>Décines</strong>-Charpieu.<br />
Loin d’être dissidente de la véritable<br />
municipalité, avec qui elle entretiendra<br />
d’ailleurs de bons rapports, cette nouvelle<br />
société se veut avant tout humoristique<br />
et philanthropique : «faire rire tout<br />
le monde et faire du bien à tout le monde,<br />
mais plus particulièrement aux vieillards<br />
nécessiteux». Des buts «intangibles et<br />
démocratiques», doublés de moyens radicaux<br />
: «la commune organisera donc le<br />
plus souvent possible des réjouissances<br />
estivales et publiques : défilés kermesses,<br />
bals... et des fêtes d’hiver, concerts, soirées<br />
artistiques». Derrière le comptoir et<br />
à la tête de cette drôle d’organisation :<br />
Charles Rogino, le patron du café.<br />
Artiste complet*, mais aussi réputé<br />
«jovial, bon, accueillant et très sympathique,<br />
aux grandes qualités de cœur».<br />
Concours de grimaces<br />
Réactive, l’association se met très vite à la<br />
tâche. Une première fête est déjà prévue<br />
pour le 3 octobre. Après le dépôt d’une<br />
gerbe au monument aux morts, un défilé<br />
sillonnera toute la ville, avec nombre de<br />
chars aux thèmes évocateurs : terre, gondoliers<br />
du Grand Large, pressoir, pompiers,<br />
chasse et... contribuables !<br />
Les festivités promettent aussi d’être<br />
gourmandes : on commande 100 éclairs,<br />
200 choux, 300 petites brioches, 12<br />
grosses de 500g (pour les conducteurs<br />
de chars), 30kg de marrons, des bonbons,<br />
une bonne centaine de bouteilles<br />
de mousseux et six balles de raisin blanc<br />
pour faire du vin nouveau. Les réjouissances<br />
ne seront pas en reste : jeux de<br />
massacre, quilles, roulette ou brioche,<br />
pêche aux anneaux, course à pied ou en<br />
en sac et... concours de grimaces !<br />
La commune libre a déjà adopté ses couleurs,<br />
le jaune et le vert, et un hymne,<br />
l’air de la chanson paillarde des trois<br />
HISTOIRE<br />
QUARTIER Entre philanthropie et facéties, la commune libre de Charpieu s’est démenée pour «faire rire et faire<br />
du bien à tout le monde» ! Retour sur une société de l’après-guerre pas vraiment triste...<br />
Une commune très libre<br />
Sous leur emblème et munis de la clef de la générosité,<br />
le maire Rogino (à gauche), pose avec son conseil (Lafay,<br />
Baroudel, Marque et Besson).<br />
orfèvres. Ne lui manque plus qu’à élire<br />
sa Reine. Ce sera chose faite lors du<br />
grand bal qui battra son plein du début<br />
d’après-midi jusqu’à minuit.<br />
A peine la fête terminée, on décide de<br />
récidiver le 27 novembre, lors d’un bal<br />
avec tombola. La salle des fêtes est louée<br />
2 000 F, plus tout autant pour «dégâts à<br />
prévoir» ! L’opération est un succès, de<br />
plus honorée par la présence du vrai<br />
maire et du commissaire de police.<br />
Enfin, le 10 décembre, une liste de «37<br />
noms de vieillards qui pourraient, après<br />
enquête, obtenir la faveur des dons» est<br />
dressée. Finalement, ce sont près de 80<br />
personnes âgées qui en bénéficieront<br />
généreusement, recevant chacune 500F.<br />
Dérider le Menhir<br />
S’ensuivent encore bals, quêtes, fêtes,<br />
mariages (la corde au cou), distribution<br />
de pot au feu ou de goûters pour vieillards<br />
et enfants, défilé dans toute la ville<br />
(des Sept-Chemins aux Marais), avec<br />
char des Sauveteurs et aubade de<br />
l’Indépendante... On imagine aussi une<br />
partie de pétanque avec costume de<br />
© Collection Rogino<br />
marins et un concours de tirs et de<br />
pointages avec boules carrées !<br />
Entre autres facéties, cette société se<br />
souciera aussi du sort du menhir de<br />
Montaberlet, «fameux citoyen<br />
déplacé», décidant, ni plus ni moins<br />
de l'adopter ! «Première généreuse<br />
et souriante réaction, la commune<br />
libre décide de meubler sa pitoyable<br />
solitude en organisant une fête à son<br />
intention. Une fête burlesque bien<br />
sûr, car il faut bien cela pour le<br />
dérider». Un thème s’impose : un<br />
congrès de druides, représentés par<br />
les Humoristes Lyonnais, célèbres<br />
et fidèles invités d’honneur de la<br />
commune. Excusez du peu, mais<br />
Charles Rogino, n’en est-il pas l’un<br />
de ses fondateurs, avec son ami<br />
Felix Benoît ? En tirant «à bon<br />
escient les ficelles locales de la solidarité<br />
agissante», de cette pierre, on<br />
fera deux coups : «Les profits tirés<br />
de la liesse collective serviront, comme<br />
par le passé, à adoucir les vieux jours<br />
des protégés de la libre municipalité».<br />
Le bilan sera à la hauteur des prétentions.<br />
Tout au long de son mandat, ce<br />
conseil libre - animé par le rire et l’esprit<br />
et tout dévolu à la suprême récompense<br />
de l’Ordre du Melon - aura mené aussi<br />
bon train que bonne action. u<br />
* <strong>Décines</strong> Magazine n° 292, mai 2010.<br />
Statuts : morceaux choisis<br />
Art 3 : la commune se compose<br />
de membres honoraires, bienfaiteurs<br />
et de citoyens donneurs.<br />
Art 6 : pour être candidat (...), il faudra<br />
pouvoir jurer qu’on ne s’est «pas<br />
ruiné en faisant du marché noir».<br />
Art 7 : pour qu’il n’y ait aucune confusion,<br />
les conseillers et fonctionnaires<br />
de la commune libre s’engagent par<br />
serment, sur son emblème, à toujours<br />
garder le sourire dans les services de<br />
leurs fonctions et même après.<br />
n° 321 mars 2013 DECINES Magazine 15