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Les contradictions culturelles du capitalisme

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Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2007-2008 4<br />

B. La sensibilité des années 1960 et l’époque post in<strong>du</strong>strielle (chapitres 3 et 4).<br />

1. La sensibilité des années 1960<br />

La décennie des années 1960 est particulière, car on constate l’épuisement d’un aspect fondamental <strong>du</strong> modernisme<br />

culturel. On revient à la sensibilité <strong>du</strong> modernisme d’avant la première guerre mondiale. La personnalité présente un<br />

aspect nouveau : culte de l’enfance, goût de l’absurde, renversement des valeurs aboutissant à admirer les penchants<br />

les pus bas plutôt que les plus nobles, attrait de l’hallucination (portée au pinacle grâce à la drogue et à l’expérience<br />

psychédélique) et des fantômes. La sensibilité des années 1960 ajoute à tout cela quelque chose qui lui est propre : la<br />

violence et la cruauté, une certaine tendance à la perversité sexuelle, le désir de faire <strong>du</strong> bruit, une disposition à<br />

contrer tout ce qui est connaissance et intellectuel, la volonté de supprimer les frontières entre l’art et la vie (et à force<br />

de célébrer la vie, ce mouvement détruit l’art), et enfin la fusion de l’art et de la politique.<br />

Dans les années 1950, les arbitres de la culture cherchaient à s’appuyer sur un critère transcendantal pour juger les<br />

choses de l’art. Pour eux, la culture est essentiellement contemplative, l’art est opposé à la vie, puisqu’il est<br />

permanent. Puis cette opinion est stigmatisée dans les années 1960 par les intellectuels. Le lieu de l’art s’est<br />

transporté de l’œuvre sur la personnalité de l’artiste, de l’objet permanent au processus transitoire. Il n’y a plus ni<br />

préliminaire ni hiérarchie en art et chaque action est un évènement en soi. Le mouvement artistique des années 1960<br />

cherche à effacer la distinction entre le sujet et l’objet et entre l’art et la vie. En sculpture par exemple, les socles sont<br />

supprimés pour que la sculpture puisse faire partie de l’environnement. L’œuvre se décompose dans l’action et le<br />

critique n’a plus de raison d’être.<br />

Selon Susan Sontag, in Against Interpretation : 1966 : « la propagation des critiques artistiques<br />

empoisonne nos sensibilités … L’interprétation est la revanche de l’intellect sur l’art. La revanche de<br />

l’intellect sur le monde. »<br />

Il y a une démocratisation de la culture, rien ne doit être considéré comme supérieur ou inférieur. Un égalitarisme<br />

fondamental succède donc à la vieille hiérarchie de l’esprit. Il y a également vers la fin des années 1960 une<br />

démocratisation <strong>du</strong> génie : depuis le début <strong>du</strong> XIX° siècle, on pense que l’artiste est un être à part, avec une vision<br />

particulière <strong>du</strong> monde. Pour Hugo, les artistes sont destinés à devenir les « chefs sacrés » de la Nation. Mais dans les<br />

années 1960 on veut que tout homme soit son propre « artiste héros ». La démocratisation <strong>du</strong> génie devient possible<br />

<strong>du</strong> fait qu’on peut se quereller sur des idées et des jugements mais pas sur des impressions et des sentiments : les<br />

impressions de tel indivi<strong>du</strong> n’ont pas plus d’autorité que celles de tel autre. Toute œuvre d’art devient le prétexte<br />

d’une autre œuvre d’art, c'est-à-dire un exposé <strong>du</strong> sentiment des critiques au sujet de l’œuvre originale. L’authenticité<br />

d’une œuvre d’art ne se définit dans les années 1960 qu’en termes d’immédiateté, de l’intention de l’artiste et des<br />

effets sur le spectateur. <strong>Les</strong> institutions <strong>culturelles</strong> cèdent, sans réagir, aux courants actuels.<br />

Au niveau de la littérature, l’écriture se détache de plus en plus de la réalité extérieure devient autistique, et la voix <strong>du</strong><br />

romancier s’émancipe et s’affranchit de toute contrainte. La folie est le grand sujet de préoccupation des années 1960.<br />

La tendance apocalyptique est représentée au théâtre dionysiaque, dont la troupe recherche la spontanéité, une liberté<br />

totale et orgiaque, une communication sensorielle, un mysticisme oriental. Le rite que conçoit le nouveau théâtre<br />

comporte inévitablement une célébration de la violence. <strong>Les</strong> happenings remplacent les scènes écrites et deviennent<br />

la sphère privilégiée de la violence. A la cinémathèque en 1968, Herman Nitsch éventra un mouton, en répandit le<br />

sang sur la scène, les entrailles sur une jeune fille, et cloua la carcasse de l’animal sur une croix. Pour l’art, le recours<br />

à la force montre que l’artiste n’ayant pas le talent nécessaire pour évoquer l’émotion, est ré<strong>du</strong>it à l’imposer par un<br />

choc. Mais dans les années 1960, la violence s’associe au changement social.<br />

A la fin des années 60, la nouvelle sensibilité est la contre culture, elle s’accompagne d’une idéologie, qui prétend<br />

s’attaquer à la société technocratique, mais s’en prend à la raison. Il n’y a plus ni nature ni religion à célébrer.<br />

« Ce n’est que la pathétique glorification de la personnalité, qui a été vidée de son contenu et qui<br />

prend le masque de la vie en jouant la révolution. »<br />

Dans les années 1970, l’avant-garde culturelle est épuisée. On assiste à un retour à la représentation figurative en<br />

peinture, le théâtre « croupit », le roman s’enferme dans la folie et la technologie, et en sculpture, on observe le<br />

besoin de faire passer un jugement conceptuel par les procédés de communication.<br />

Le modernisme est fini en tant que force culturelle créatrice. La sensibilité des années 1960 n’est intéressante que<br />

parce qu’elle montre que l’esthétique de choc et de sensation est devenue banale et fastidieuse, et qu’elle appartient<br />

désormais à la masse culturelle. L’instinct de rébellion <strong>du</strong> modernisme culturel se heurte à un paradoxe : le monde<br />

non occidental est un monde puritain, le modernisme culturel se prétend subversif mais se sent à l’aise dans la<br />

société capitaliste bourgeoise. A cette société manque un guide qui lui indiquerait ce qu’il faut retenir ou rejeter de<br />

ces expériences.<br />

2. Vers la grande restauration : religion et culture à l’époque post in<strong>du</strong>strielle.<br />

<strong>Les</strong> rapports sociaux des hommes sont en grande partie créés par le genre de travail qu’ils accomplissent. Dans les<br />

sociétés préin<strong>du</strong>strielles, la vie est essentiellement un jeu contre la nature, le travail varie avec les saisons et les<br />

conditions atmosphériques. <strong>Les</strong> sociétés in<strong>du</strong>strielles jouent un jeu contre la nature fabriquée, le monde est devenu<br />

technique et rationalisé, la machine est prédominante, les rythmes de vie sont mécaniquement ordonnés. Le temps est<br />

chronologique et obéit à l’horloge. <strong>Les</strong> sociétés in<strong>du</strong>strielles se définissent par la rationalité et le progrès. C’est un<br />

monde de coordination, où les hommes, les biens et les marchés sont encastrés les uns dans les autres pour la

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