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Fléchier, Oraison funèbre de Turenne - le jeu verbal

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http://www.<strong>jeu</strong><strong>verbal</strong>.fr<br />

Tirons donc, Messieurs, tirons <strong>de</strong> notre dou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> pénitence, et ne<br />

cherchons qu'en la piété <strong>de</strong> ce grand homme <strong>de</strong> vraies et soli<strong>de</strong>s consolations. Citoyens,<br />

étrangers, ennemis, peup<strong>le</strong>s, rois, empereurs <strong>le</strong> plaignent, et <strong>le</strong> révèrent : mais que<br />

peuvent-ils contribuer à son véritab<strong>le</strong> bonheur ? Son roi même, et quel roi ! L'honore <strong>de</strong><br />

ses regrets et <strong>de</strong> ses larmes : gran<strong>de</strong> et précieuse marque <strong>de</strong> tendresse et d'estime pour<br />

un sujet, mais inuti<strong>le</strong> pour un chrétien. Il vivra, je l'avoue, dans l'esprit et dans la<br />

mémoire <strong>de</strong>s hommes : mais l'écriture m'apprend que ce que l'homme pense, et<br />

l'homme lui-même, n'est que vanité. Un magnifique tombeau renfermera ses tristes<br />

dépouil<strong>le</strong>s : mais il sortira <strong>de</strong> ce superbe monument, non pour être loué <strong>de</strong> ses exploits<br />

héroïques, mais pour être jugé selon ses bonnes ou mauvaises oeuvres. Ses cendres<br />

seront mêlées avec cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> rois qui gouvernèrent ce royaume, qu'il a si<br />

généreusement défendu : mais après tout, que <strong>le</strong>ur reste-t-il à ces rois, non plus qu'à lui,<br />

<strong>de</strong>s applaudissements du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur cour, <strong>de</strong> l'éclat et <strong>de</strong> la pompe <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur fortune, qu'un si<strong>le</strong>nce éternel, une solitu<strong>de</strong> affreuse, et une terrib<strong>le</strong> attente <strong>de</strong>s<br />

jugements <strong>de</strong> Dieu, sous ces marbres précieux qui <strong>le</strong>s couvrent ? Que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> honore<br />

donc comme il voudra <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>urs humaines : Dieu seul est la récompense <strong>de</strong>s vertus<br />

chrétiennes.<br />

Ô mort trop soudaine, mais pourtant par la miséricor<strong>de</strong> du Seigneur <strong>de</strong>puis<br />

longtemps prévue; combien <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s édifiantes, combien <strong>de</strong> saints exemp<strong>le</strong>s nous astu<br />

ravis ? Nous eussions vu, quel spectac<strong>le</strong> ! Au milieu <strong>de</strong>s victoires et <strong>de</strong>s triomphes,<br />

mourir humb<strong>le</strong>ment un chrétien. Avec quel<strong>le</strong> attention eût-il employé ses <strong>de</strong>rniers<br />

moments à p<strong>le</strong>urer intérieurement ses erreurs passées, à s'anéantir <strong>de</strong>vant la majesté <strong>de</strong><br />

Dieu, et à implorer <strong>le</strong> secours <strong>de</strong> son bras, non plus contre <strong>de</strong>s ennemis visib<strong>le</strong>s, mais<br />

contre ceux <strong>de</strong> son salut ! Sa foi vive et sa charité fervente nous auraient sans doute<br />

touchés; et il nous resterait un modè<strong>le</strong> d'une confiance sans présomption, d'une crainte<br />

sans faib<strong>le</strong>sse, d'une pénitence sans artifice, d'une constance sans affectation, et d'une<br />

mort précieuse <strong>de</strong>vant Dieu et <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s hommes.<br />

Ces conjectures ne sont-el<strong>le</strong>s pas justes, Messieurs ? Que dis-je, conjectures ?<br />

C'étaient <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sseins formés. Il avait résolu <strong>de</strong> vivre aussi saintement, que je présume<br />

qu'il fût mort. Prêt à jeter toutes ses couronnes au pied du trône <strong>de</strong> Jésus-Christ, comme<br />

ces vainqueurs <strong>de</strong> l'apocalypse; prêt à ramasser toute sa gloire, pour s'en dépouil<strong>le</strong>r par<br />

une retraite volontaire, il n'était déjà plus du mon<strong>de</strong>, quoique la provi<strong>de</strong>nce l'y retint<br />

encore. Dans <strong>le</strong> tumulte <strong>de</strong>s armées, il s'entretenait <strong>de</strong>s douces et secrètes espérances<br />

<strong>de</strong> sa solitu<strong>de</strong>. D'une main, il foudroyait <strong>le</strong>s Amalécites, et il <strong>le</strong>vait déjà l'autre pour<br />

attirer sur lui <strong>le</strong>s bénédictions cé<strong>le</strong>stes. Ce Josué dans <strong>le</strong> combat faisait déjà la fonction<br />

<strong>de</strong> Moïse sur la montagne; et sous <strong>le</strong>s armes d'un guerrier, portait <strong>le</strong> coeur, et la volonté<br />

d'un pénitent.<br />

Seigneur, qui éclairez <strong>le</strong>s plus sombres replis <strong>de</strong> nos consciences, et qui voyez<br />

dans nos plus secrètes intentions ce qui n'est pas encore, comme ce qui est, recevez<br />

dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong> votre gloire cette âme, qui bientôt n'eût été occupée que <strong>de</strong>s pensées <strong>de</strong><br />

votre éternité. Recevez ces désirs que vous lui aviez vous-même inspirés. Le temps lui a<br />

manqué, et non pas <strong>le</strong> courage <strong>de</strong> <strong>le</strong>s accomplir. Si vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s oeuvres avec ses<br />

désirs : voilà <strong>de</strong>s charités qu'il a faites, ou <strong>de</strong>stinées pour <strong>le</strong> soulagement et pour <strong>le</strong> salut<br />

<strong>de</strong> ses frères; voilà <strong>de</strong>s âmes égarées, qu'il a ramenées à vous par ses assistances, par<br />

ses conseils, par son exemp<strong>le</strong>; voilà ce sang <strong>de</strong> votre peup<strong>le</strong>, qu'il a tant <strong>de</strong> fois épargné;<br />

voilà ce sang qu'il a si généreusement répandu pour nous; et pour dire encore plus, voilà<br />

<strong>le</strong> sang que Jésus-Christ a versé pour lui. Ministres du Seigneur, achevez <strong>le</strong> saint<br />

sacrifice. Chrétiens, redoub<strong>le</strong>z vos voeux, et vos prières; afin que Dieu, pour récompense<br />

<strong>de</strong> ses travaux, l'admette dans <strong>le</strong> séjour du repos éternel, et donne dans <strong>le</strong> ciel une paix<br />

sans fin, à celui qui nous en a trois fois procuré une sur la terre, passagère à la vérité,<br />

mais toujours douce, et toujours désirab<strong>le</strong>.<br />

<strong>Fléchier</strong>, <strong>Oraison</strong> <strong>funèbre</strong> <strong>de</strong> <strong>Turenne</strong>. 12

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