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Fléchier, Oraison funèbre de Turenne - le jeu verbal

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peu nombreuse <strong>de</strong> quelques amis choisis, il s'exerçait sans bruit aux vertus civi<strong>le</strong>s :<br />

sincère dans ses discours, simp<strong>le</strong> dans ses actions, fidè<strong>le</strong> dans ses amitiés, exact dans<br />

ses <strong>de</strong>voirs, réglé dans ses désirs, grand même dans <strong>le</strong>s moindres choses. Il se cache,<br />

mais sa réputation <strong>le</strong> découvre : il marche sans suite et sans équipage, mais chacun dans<br />

son esprit <strong>le</strong> met sur un char <strong>de</strong> triomphe. On compte, en <strong>le</strong> voyant, <strong>le</strong>s ennemis qu'il a<br />

vaincus, non pas <strong>le</strong>s serviteurs qui <strong>le</strong> suivent; tout seul qu'il est, on se figure autour <strong>de</strong><br />

lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent : il y a je ne sais quoi <strong>de</strong> nob<strong>le</strong> dans<br />

cette honnête simplicité; et moins il est superbe, plus il <strong>de</strong>vient vénérab<strong>le</strong>.<br />

Il aurait manqué quelque chose à sa gloire, si trouvant par tout tant<br />

d'admirateurs, il n'eût fait quelques envieux. Tel<strong>le</strong> est l'injustice <strong>de</strong>s hommes : la gloire<br />

la plus pure, et la mieux acquise <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>sse; tout ce qui s'élève au-<strong>de</strong>ssus d'eux, <strong>le</strong>ur<br />

<strong>de</strong>vient odieux et insupportab<strong>le</strong>; et la fortune la plus approuvée, et la plus mo<strong>de</strong>ste n'a<br />

pu se sauver <strong>de</strong> cette lâche et maligne passion. C'est la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong>s grands hommes<br />

d'en être attaqué; et c'est <strong>le</strong> privilège <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> <strong>Turenne</strong> d'avoir pu la vaincre. L'envie fut<br />

étouffée, ou par <strong>le</strong> mépris qu'il en fit, ou par <strong>de</strong>s accroissements perpétuels d'honneur et<br />

<strong>de</strong> gloire : <strong>le</strong> mérite l'avait fait naître, <strong>le</strong> mérite la fit mourir. Ceux qui lui étaient moins<br />

favorab<strong>le</strong>s, ont reconnu combien il était nécessaire à l'état : ceux qui ne pouvaient<br />

souffrir son élévation, se crurent enfin obligés d'y consentir; et n'osant s'affliger <strong>de</strong> la<br />

prospérité d'un homme qui ne <strong>le</strong>ur aurait jamais donné la misérab<strong>le</strong> consolation <strong>de</strong> se<br />

réjouir <strong>de</strong> quelqu'une <strong>de</strong> ses fautes, ils joignirent <strong>le</strong>ur voix à la voix publique, et crurent<br />

qu'être son ennemi, c'était l'être <strong>de</strong> toute la France.<br />

Mais à quoi auraient abouti tant <strong>de</strong> qualités héroïques, si Dieu n'eût fait éclater<br />

sur lui la puissance <strong>de</strong> sa grâce, et si celui, dont sa provi<strong>de</strong>nce s'était si nob<strong>le</strong>ment<br />

servie, eût été l'objet éternel <strong>de</strong> sa justice ? Dieu seul pouvait dissiper ses ténèbres, et il<br />

tenait en sa puissance l'heureux moment qu'il avait marqué pour l'éclairer <strong>de</strong> ses vérités.<br />

Il arriva ce moment heureux, ce point où se rapportait toute sa véritab<strong>le</strong> gloire. Il<br />

entrevit <strong>de</strong>s pièges et <strong>de</strong>s précipices que sa prévention lui avait jusqu'alors entièrement<br />

cachés. Il commença à marcher avec précaution et avec crainte dans ces routes égarées<br />

où il se trouvait engagé. Certains rayons <strong>de</strong> grâce et <strong>de</strong> lumière lui firent apercevoir<br />

qu'en vain remplirait-il <strong>le</strong>s plus beaux endroits <strong>de</strong> l'histoire, si son nom n'était écrit dans<br />

<strong>le</strong> livre <strong>de</strong> vie; qu'en vain gagnerait-il <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> entier, s'il perdait son âme; qu'il n'y avait<br />

qu'une foi, et un Jésus-Christ, et une vérité simp<strong>le</strong> et indivisib<strong>le</strong>, qui ne se montre qu'à<br />

ceux qui la cherchent avec un coeur humb<strong>le</strong>, et une volonté désintéressée. Il n'était pas<br />

encore éclairé, mais il commençait d'être doci<strong>le</strong>. Combien <strong>de</strong> fois consulta-t-il <strong>de</strong>s amis<br />

savants et fidè<strong>le</strong>s ? Combien <strong>de</strong> fois soupirant après ces lumières vives et efficaces, qui<br />

seu<strong>le</strong>s triomphent <strong>de</strong>s erreurs <strong>de</strong> l'esprit humain, dit-il à Jésus-Christ, comme cet<br />

aveug<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'évangi<strong>le</strong> : seigneur, faites que je voie ? Combien <strong>de</strong> fois essaya-t-il d'une<br />

main impuissante d'arracher <strong>le</strong> ban<strong>de</strong>au fatal qui fermait ses yeux à la vérité ? Combien<br />

<strong>de</strong> fois remonta-t-il jusqu'à ces sources anciennes et pures que Jésus-Christ a laissées à<br />

son église, pour y puiser avec joie <strong>le</strong>s eaux d'une doctrine salutaire ?<br />

Habitu<strong>de</strong>, prétextes, engagements, honte <strong>de</strong> changer, plaisir d'être regardé<br />

comme <strong>le</strong> chef et <strong>le</strong> protecteur d'Israël; vaines et spécieuses raisons <strong>de</strong> la chair et du<br />

sang, vous ne pûtes <strong>le</strong> retenir. Dieu rompit tous ces liens; et <strong>le</strong> mettant dans la liberté <strong>de</strong><br />

ses enfants, <strong>le</strong> fit passer <strong>de</strong> la région <strong>de</strong>s ténèbres, au royaume <strong>de</strong> son fils bien-aimé, à<br />

qui il appartenait par son é<strong>le</strong>ction éternel<strong>le</strong>. Ici un nouvel ordre <strong>de</strong> choses se présente à<br />

moi. Je vois <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s actions, <strong>de</strong> plus nob<strong>le</strong>s motifs, une protection <strong>de</strong> Dieu plus<br />

visib<strong>le</strong>. Je par<strong>le</strong> désormais d'une sagesse que la véritab<strong>le</strong> piété accompagne, et d'un<br />

courage que l'esprit <strong>de</strong> Dieu fortifie. Renouve<strong>le</strong>z donc votre attention en cette <strong>de</strong>rnière<br />

partie <strong>de</strong> mon discours, et suppléez dans vos pensées à ce qui manquera à mes<br />

expressions et à mes paro<strong>le</strong>s.<br />

TROISIÈME PARTIE<br />

Si M. <strong>de</strong> <strong>Turenne</strong> n'avait sut que combattre et vaincre; s'il ne s'était é<strong>le</strong>vé<br />

au<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s vertus humaines; si sa va<strong>le</strong>ur et sa pru<strong>de</strong>nce n'avaient été animées d'un<br />

esprit <strong>de</strong> foi et <strong>de</strong> charité : je <strong>le</strong> mettrais au rang <strong>de</strong>s Scipions, et <strong>de</strong>s Fabius; je<br />

laisserais à la vanité <strong>le</strong> soin d'honorer la vanité; et je ne viendrais pas dans un lieu saint<br />

<strong>Fléchier</strong>, <strong>Oraison</strong> <strong>funèbre</strong> <strong>de</strong> <strong>Turenne</strong>. 8

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