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Fléchier, Oraison funèbre de Turenne - le jeu verbal

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nôtres. Mais rien n'était si formidab<strong>le</strong>, que <strong>de</strong> voir toute l'Al<strong>le</strong>magne, ce grand et vaste<br />

corps, composé <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> peup<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> nations différentes, déployer tous ses<br />

étendards, et marcher vers nos frontières, pour nous accab<strong>le</strong>r par la force, après nous<br />

avoir effraye par la multitu<strong>de</strong>. Il fallait opposer à tant d'ennemis un homme d'un courage<br />

ferme et assuré, d'une capacité étendue, d'une expérience consommée, qui soutint la<br />

réputation, et qui ménageât <strong>le</strong>s forces du royaume; qui n'oubliât rien d'uti<strong>le</strong> et <strong>de</strong><br />

nécessaire, et ne fît rien <strong>de</strong> superflu; qui sut, selon <strong>le</strong>s occasions, profiter <strong>de</strong> ses<br />

avantages, ou se re<strong>le</strong>ver <strong>de</strong> ses pertes; qui fût tantôt <strong>le</strong> bouclier, et tantôt l'épée <strong>de</strong> son<br />

pays; capab<strong>le</strong> d'exécuter <strong>le</strong>s ordres qu'il aurait reçus, et <strong>de</strong> prendre conseil <strong>de</strong> lui-même<br />

dans <strong>le</strong>s rencontres.<br />

Vous savez <strong>de</strong> qui je par<strong>le</strong>, Messieurs ; vous savez <strong>le</strong> détail <strong>de</strong> ce qu'il fit sans que<br />

je <strong>le</strong> dise. Avec <strong>de</strong>s troupes considérab<strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong>ur courage, et par la confiance<br />

qu'el<strong>le</strong>s avaient en <strong>le</strong>ur général, il arrête, et consume <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s armées, et force à<br />

conclure la paix, par <strong>de</strong>s traités, ceux qui croyaient venir terminer la guerre par notre<br />

entière et prompte défaite. Tantôt il s'oppose à la jonction <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> secours ramassés,<br />

et rompt <strong>le</strong> cours <strong>de</strong> tous ces torrents qui auraient inondé la France. Tantôt il <strong>le</strong>s défait,<br />

ou <strong>le</strong>s dissipe par <strong>de</strong>s combats réitérés. Tantôt il <strong>le</strong>s repousse au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs rivières,<br />

et <strong>le</strong>s arrête toujours, par <strong>de</strong>s coups hardis, quand il faut rétablir la réputation; par la<br />

modération, quand il ne faut que la conserver.<br />

Vil<strong>le</strong>s que nos ennemis s'étaient déjà partagées, vous êtes encore dans l'enceinte<br />

<strong>de</strong> notre empire. Provinces qu'ils avaient déjà ravagées dans <strong>le</strong> désir et dans la pensée,<br />

vous avez encore recueilli vos moissons. Vous durez encore, places que l'art et la nature<br />

a fortifiées, et qu'ils avaient <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> démolir; et vous n'avez tremblé que sous <strong>de</strong>s<br />

projets frivo<strong>le</strong>s d'un vainqueur en idée, qui comptait <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> nos soldats, et qui ne<br />

songeait pas à la sagesse <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur capitaine.<br />

Cette sagesse était la source <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> prospérités éclatantes. El<strong>le</strong> entretenait<br />

cette union <strong>de</strong>s soldats avec <strong>le</strong>ur chef, qui rend une armée invincib<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> répandait dans<br />

<strong>le</strong>s troupes un esprit <strong>de</strong> force, <strong>de</strong> courage, et <strong>de</strong> confiance, qui <strong>le</strong>ur faisait tout souffrir, et<br />

tout entreprendre dans l'exécution <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>sseins : el<strong>le</strong> rendait enfin <strong>de</strong>s hommes<br />

grossiers, capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> gloire. Car, Messieurs, qu'est-ce qu'une armée ? C'est un corps<br />

animé d'une infinité <strong>de</strong> passions différentes, qu'un homme habi<strong>le</strong> fait mouvoir pour la<br />

défense <strong>de</strong> la patrie : c'est une troupe d'hommes armés, qui suivent aveuglément <strong>le</strong>s<br />

ordres d'un chef, dont ils ne savent pas <strong>le</strong>s intentions : c'est une multitu<strong>de</strong> d'âmes pour<br />

la plupart vi<strong>le</strong>s, et mercenaires, qui, sans songer à <strong>le</strong>ur propre réputation, travail<strong>le</strong>nt à<br />

cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s rois et <strong>de</strong>s conquérants : c'est un assemblage confus <strong>de</strong> libertins, qu'il faut<br />

assujettir à l'obéissance; <strong>de</strong> lâches, qu'il faut mener au combat; <strong>de</strong> téméraires, qu'il faut<br />

retenir; d'impatients, qu'il faut accoutumer à la constance. Quel<strong>le</strong> pru<strong>de</strong>nce ne faut-il pas<br />

pour conduire, et réunir au seul intérêt public tant <strong>de</strong> vues et <strong>de</strong> volontés différentes ?<br />

Comment se faire craindre, sans se mettre en danger d'être haï, et bien souvent<br />

abandonné ? Comment se faire aimer, sans perdre un peu <strong>de</strong> l'autorité, et relâcher <strong>de</strong> la<br />

discipline nécessaire ?<br />

Qui trouva jamais mieux tous ces justes tempéraments, que ce prince que nous<br />

p<strong>le</strong>urons ? Il attacha par <strong>de</strong>s noeuds <strong>de</strong> respect et d'amitié, ceux qu'on ne retient<br />

ordinairement que par la crainte <strong>de</strong>s supplices; et se fit rendre par sa modération, une<br />

obéissance aisée, et volontaire. Il par<strong>le</strong>, chacun écoute ses orac<strong>le</strong>s; il comman<strong>de</strong>, chacun<br />

avec joie suit ses ordres; il marche, chacun croit courir à la gloire. On dirait qu'il va<br />

combattre <strong>de</strong>s rois confédérés avec sa seu<strong>le</strong> maison, comme un autre Abraham; que<br />

ceux qui <strong>le</strong> suivent, sont ses soldats, et général, et père <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> tout ensemb<strong>le</strong>. Aussi<br />

rien ne peut soutenir <strong>le</strong>urs efforts : ils ne trouvent point d'obstac<strong>le</strong>, qu'ils ne surmontent;<br />

point <strong>de</strong> difficulté qu'ils ne vainquent; point <strong>de</strong> péril qui <strong>le</strong>s épouvante; point <strong>de</strong> travail<br />

qui <strong>le</strong>s rebute; point d'entreprise qui <strong>le</strong>s étonne; point <strong>de</strong> conquête qui <strong>le</strong>ur paroisse<br />

diffici<strong>le</strong>. Que pouvaient-ils refuser à un capitaine qui renonçait à ses commodités, pour<br />

<strong>le</strong>s faire vivre dans l'abondance; qui pour <strong>le</strong>ur procurer du repos, perdait <strong>le</strong> sien propre;<br />

qui soulageait <strong>le</strong>urs fatigues, et ne s'en épargnait aucune; qui prodiguait son sang, et ne<br />

ménageait que <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur ?<br />

Par quel<strong>le</strong> invisib<strong>le</strong> chaîne entraînait-il ainsi <strong>le</strong>s volontés ? Par cette bonté, avec<br />

laquel<strong>le</strong> il encourageait <strong>le</strong>s uns, il excusait <strong>le</strong>s autres, et donnait à tous <strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong><br />

<strong>Fléchier</strong>, <strong>Oraison</strong> <strong>funèbre</strong> <strong>de</strong> <strong>Turenne</strong>. 6

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