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<strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> <strong>au</strong> <strong>pays</strong> <strong>Basque</strong><br />
Catherine Dhérent, août 2008<br />
« Jusqu’à présent, je n’avais pas entendu mon cœur battre. Mais, en portant plus avant mes pas sur<br />
ces terres sans habitants, je les sens frissonner comme un nid plein de chansons. Qu’est-ce ? … Il se<br />
passe dans mon cœur la même chose que dans le tien : le Pays <strong>Basque</strong> bat de l’aile et veut naître ».<br />
La promenade d’une journée permet de revivre trois périodes de la vie de <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> <strong>au</strong> <strong>pays</strong><br />
basque des maisons blanches, des collines et des rivières calmes : quelques années d’enfance à<br />
Saint-Palais, la conversion en 1905 à la Bastide-Clairence et les 17 dernières années à Hasparren.<br />
Saint-Palais<br />
Le père de <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong>, Victor <strong>Jammes</strong>, est fonctionnaire, receveur de l’Enregistrement. Il est<br />
amené à changer de résidence <strong>au</strong> fil de ses promotions. En mai 1876, il est nommé à Saint-Palais,<br />
jadis capitale de la Basse-Navarre, et à cette époque, bourgade de 1800 habitants. La famille y<br />
emménage. <strong>Francis</strong> a 8 ans.<br />
« Je suis entré dans ce tombe<strong>au</strong> de mes huit ans.<br />
Là je fus malheureux. On était mécontent<br />
De moi. J’<strong>au</strong>rais voulu je ne sais comment faire<br />
Pour être un <strong>au</strong>tre enfant et pour ne pas déplaire.<br />
Je ne pouvais pas, ayant peu de moyens,<br />
J’enviais le sort heureux de Fox, un petit chien… »<br />
C’est une maison-tombe<strong>au</strong> comme il est des commodes-tombe<strong>au</strong>x. Chaque pièce est un tiroir rempli<br />
de médaillons fêlés, de cheveux poussiéreux, de fleurs desséchées, de daguerréotypes décomposés,<br />
de lettres sans réponses, de factures impayées, d’espoirs déçus, de vies gâchées…<br />
Pour une halte à Saint-Palais, garez-vous sur la place de la mairie.<br />
Prenez le chemin qui descend après le pont le long de la rivière, la Bidouze. Voici tout d’abord le<br />
moulin de Béhotéguy, réhabilité en appartements, (« en aval de notre logis, la digue d’un moulin<br />
égayait le <strong>pays</strong>age »), puis après une église transformée en lieu d’activités associatives, l’arrière de la<br />
maison basque peinte en blanc <strong>au</strong>x volets rouge brique du receveur <strong>Jammes</strong>. Après avoir regagné le<br />
pont, vous découvrirez la façade de la maison des <strong>Jammes</strong> à côté de celle de l’ancienne maison<br />
commune qui fut siège de la sénéch<strong>au</strong>ssée <strong>au</strong>x XVIIe et XVIIIe siècles.<br />
Cette maison-prison, <strong>Jammes</strong> <strong>au</strong> crâne tondu ne la quitte que pour l’école, <strong>au</strong>tre géhenne. L’encre<br />
violette tache ses doigts d’eczéma. La terreur des leçons ressassées serre son cœur. Cet exil dure une<br />
éternité de trois ans.
En prenant la rue en face de la maison, vous trouverez le groupe scolaire.<br />
« J’<strong>au</strong>rais voulu être une bête dans la nuit, un lièvre frémissant dans une haie d’<strong>au</strong>bépine, une<br />
blaire<strong>au</strong> frôlé par les feuilles des juteux maïs verts. Je n’<strong>au</strong>rai eu que les soucis de ma défense<br />
physique. Je n’<strong>au</strong>rais pas aimé. Je n’<strong>au</strong>rais pas espéré… »<br />
La Bastide-Clairence<br />
De la place <strong>au</strong>x arcades <strong>au</strong>tour de laquelle vit la Bastide-Clairence, bastide fondée en 1312 par le roi<br />
de Navarre et classé <strong>au</strong>jourd’hui parmi les plus be<strong>au</strong>x villages de France, prenez la rue qui monte vers<br />
l’église.<br />
Dans une grande maison à g<strong>au</strong>che, vivait le père Michel Caillava, le plus « paternel des bénédictins »,<br />
guide spirituel de poètes et d’artistes, grand ami de <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong>, sécularisé par les lois laïques.<br />
C’est lui qui fit que « La cime de mon cœur se courba comme l’ange ». P<strong>au</strong>l Cl<strong>au</strong>del qui revit en<br />
<strong>Jammes</strong> son propre drame du Partage de Midi, n’est pas étranger non plus à cette conversion. Il<br />
arrive en juin 1905 à la demande de <strong>Jammes</strong> dans les Pyrénées, <strong>au</strong> retour d’un voyage en Inde.<br />
Le 7 juillet 1905, dans l’église romane typiquement basque avec ses étages de galeries et sa porte des<br />
Cagots, cet enfant de chœur <strong>au</strong>x moustaches d’Hercule forain, sert une messe privée célébrée par le<br />
père Michel Caillava. Ses répons latins grondent sous les voûtes. A la communion, <strong>Jammes</strong> vient<br />
s’agenouiller à son côté. Il fait une confession publique.<br />
Cette empreinte baptismale, <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> va la garder précieusement enclose en lui, telle une<br />
hostie dans un tabernacle. Mais il n’en fera pas pour <strong>au</strong>tant profession de foi. Ce qui changera, ce ne<br />
sont ni le ton de sa voix, ni les mots de ses poèmes : c’est la lumière qui les habite, c’est le regard<br />
qu’il continue à poser sur l’usure des choses, le silence des bêtes, le quotidien des hommes. Il a<br />
appris à s’accepter, à se résigner lui-même, sans mépris ni orgueil.<br />
« Que je sois avec vous puisque vous me parlez,<br />
Puisque mon Dieu en moi vibre comme le blé<br />
Aux respirations des siestes de l’Eté ».<br />
Ce qui touche <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> dans ce <strong>pays</strong> basque c’est la place du cimetière, placé <strong>au</strong> milieu même<br />
de la commun<strong>au</strong>té humaine, <strong>au</strong>tour de l’église qui en est le cœur absolu. Le cimetière est une sorte<br />
de place publique où les frontières entre les êtres, entre les générations se trouvent abolies.<br />
A la Bastide-Clairence, une partie du cimetière est même abritée sous le large pré<strong>au</strong> qui entoure<br />
entièrement l’église. Les pierres tombales se serrent <strong>au</strong> sol et les plaques commémoratives sur les<br />
murs, tandis que les vivants rivalisent d’ingéniosité pour transformer le lieu en une boutique de<br />
fleuriste <strong>au</strong>x plantes les plus luxuriantes les unes que les <strong>au</strong>tres. Parmi les tombes, celle de la famille<br />
Caillava.<br />
« Le cimetière basque est si simple, si be<strong>au</strong>, qu’on ne s<strong>au</strong>rait concevoir un lieu où les vivants<br />
communient davantage avec les morts. Là, rien ne cherche à masquer la vérité. La terre est celle du<br />
jardin d’à côté, seulement un peu plus fleurie. Les plus vieilles tombes sont surmontées de disques<br />
de pierre dont on dirait, à la nuit tombante, des têtes dressées hors du sol, image, peut-être, de la<br />
résurrection. Sur ces disques sont gravés des signes du zodiaque signifiant sans doute le Ciel, et des
objets ayant trait <strong>au</strong>x processions : un marte<strong>au</strong>, une quenouille, une arbalète, une pelote… Ce peuple<br />
attend la naissance des cendres, plus fermement qu’il ne compte sur la poussée des chênes. Les<br />
inhumations ont lieu sans phrases. Les capes des affligés retombent sans qu’<strong>au</strong>cun geste n’en<br />
dérange les plis. »<br />
« Au <strong>pays</strong> basque on sonne encore l’agonie.<br />
Et je songe à ma mort, <strong>au</strong> jour où j’entendrai<br />
Confusément, comme bourdonne une forêt,<br />
Ces grands coups espacés d’une aile vers la vie ».<br />
Hasparren<br />
« Hasparren, pastorale et négociante, avare, sensuelle et janséniste, peuplée <strong>au</strong>ssi des revenants<br />
d’Amérique, durcis comme le cuir qu’ils tannèrent ».<br />
C’est le hasard qui conduit en 1921 <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> et sa famille à Hasparren, « <strong>au</strong> cœur de la forêt<br />
de chênes ». Depuis la mort subite de son père en 1888, il vit à Orthez, ville la plus citée dans son<br />
œuvre. « Mon lit est blotti entre ce grain de sable : les Pyrénées, et cette goutte d’e<strong>au</strong> : l’Océan<br />
Atlantique. J’habite Orthez. Mon nom est inscrit à la mairie et je m’appelle : <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> ».<br />
Mais en 1921, il est obligé de quitter la maison dont il n’est que locataire. La chance lui sourit. Une<br />
vieille dame riche, pieuse et généreuse lègue par testament ses biens à une famille nombreuse,<br />
catholique et impécunieuse. <strong>Jammes</strong> et les siens correspondent admirablement à cette triple<br />
condition. Il a en effet sept enfants de Ginette Goedorp, mais il nourrit également sa mère veuve, ses<br />
be<strong>au</strong>x-parents, et de nombreux anim<strong>au</strong>x fidèles. Le père Michel Caillava qui est directeur de<br />
conscience de cette dame intervient in extremis, en faveur de ses protégés dont il sait le désarroi.<br />
A 54 ans, l’errant, l’éternel hébergé accède, pour la première et dernière fois de sa vie, à la propriété.<br />
Contre la tapisserie fanée, des rectangles <strong>au</strong>x fleurs plus vives gardent l’empreinte fantôme de<br />
portraits arrachés, de vieux visages couleur feuille morte entassés avec tout un bric-à-brac de<br />
meubles culbutés en des charrettes de réfugiés.<br />
Hasparren est alors une bourgade industrieuse de 5 000 habitants, « ville délicieuse, charme premier<br />
du <strong>pays</strong> basque ».<br />
Eyhartcia ! Il n’en bougera plus et cela il le sait. C’est une vraie maison de maître, <strong>au</strong>x belles lignes<br />
classiques, carrée comme les maisons que les écoliers dessinent sur leurs cahiers. D’un côté le jardin,<br />
avec son remue-ménage d’insectes et de soleil, de l’<strong>au</strong>tre l’ordre des pièces ombreuses faites pour le<br />
travail, le silence, le repos, la méditation.<br />
Ce qu’elle a de plus basque, c’est son nom, r<strong>au</strong>que et doux, s<strong>au</strong>vage et tendre : Eyhartcia, ce qui<br />
signifie « du côté du moulin ».<br />
On ne la visite pas et le centre culturel qu’elle a abrité est malheureusement abandonné. Mais on<br />
peut en faire le tour. Elle est telle qu’on la découvre sur les photos de l’époque où <strong>Jammes</strong> y<br />
accueillait ses amis écrivains et musiciens. Mais les volets ne s’ouvrent plus et l’odeur d’humidité<br />
transpire des murs, même <strong>au</strong> cœur de l’été. On peut regretter que toute vie s’en soit retirée.<br />
Asseyez-vous sur un banc dans le parc pour relire quelques pages du poète.
La montagne proche qui, le soir, étend jusqu’à elle son ombre, c’est Ursuya, « la source par<br />
excellence ».<br />
<strong>Jammes</strong> y vit les 17 dernières années de sa vie. Il y écrit Les 4 livres des Quatrains (1923-1925),<br />
Cloches pour deux mariages (1924), Ma France poétique (1926), Basses-Pyrénées (1926), Lavigerie<br />
(1927), Le Rêve franciscain (1927), Diane (1928), La divine douleur (1928), L’École buissonnière<br />
(1931), Le Crucifix du poète (1935), De tout temps à jamais (1935), Le Pèlerin de Lourdes (1936),<br />
Sources (1936).<br />
En 1938, <strong>Jammes</strong> est malade. Il sent la vie que se retire. Il a 70 ans.<br />
« On me couchera dans cette terre fruste<br />
Où les morts deviendront plus be<strong>au</strong>x que les vivants ».<br />
« Je ne suis séparé de Vous que par mon corps<br />
Mon Dieu ! Qu’il se brise. Et alors je Vous verrai ».<br />
« Va en paix ! Le grand mystère de Dieu t’enveloppe. Un souffle. Tu n’étais qu’un souffle. »<br />
« Je laisse à ma femme l’ombre de mon humble foyer, plus sonore de grillons que de pièces d’or, et<br />
les enfants qu’elle m’a donnés <strong>au</strong> péril de sa vie dans de grandes épreuves… »<br />
Le 2 novembre 1938, jour des morts et des vivants, fête de la commun<strong>au</strong>té visible et invisible,<br />
l’après-midi, pendant les vêpres, s’éloignent enfin avec les battements de son cœur, « ces grands<br />
coups espacés d’une aile vers la vie ».<br />
Son dernier souffle perceptible sera « Orthez ».<br />
« Sur la même pierre banale qui, dans un coin du cimetière de Hasparren, épouse l’ombre du<br />
s<strong>au</strong>vage Ursuïa où les brebis paissent l’herbe sous les épines, que l’on grave mon nom suivi de ce<br />
simple titre : poète, et les dates de ma naissance et de ma mort ».<br />
Ses souhaits ont été ex<strong>au</strong>cés. La pierre dans un coin contre le mur g<strong>au</strong>che du cimetière est peu à peu<br />
rongée. On discerne encore pour peu de temps les noms de <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong>, poète, de Ginette, de<br />
P<strong>au</strong>l, de Madeleine… Quelques fleurs de céramique en sont le seul ornement.<br />
Vous verrez dans ce cimetière quelques stèles discoïdales typiques de l’art funéraire basque,<br />
apparues <strong>au</strong> XVIe siècle. Elles sont constituées d’un socle et d’un disque sculpté, orienté vers l’est.<br />
Après avoir connu un déclin <strong>au</strong> XIXe siècle, cet art refleurit <strong>au</strong>jourd’hui.<br />
Le critique A. Chérel écrit après son enterrement : « Il est mort dans l’isolement, presque dans un<br />
ingrat oubli… Le poète qui se savait merveilleusement poète a eu des obsèques sans prestige, un<br />
convoi trop intime, trop p<strong>au</strong>vre d’amis et d’admirateurs… L’éloignement de <strong>Jammes</strong> durera-t-il ? Je<br />
ne le crois pas ».<br />
Textes de <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong> (entre guillemets)<br />
Et <strong>au</strong>ssi de Robert Mallet, <strong>Francis</strong> <strong>Jammes</strong>, sa vie, son œuvre (1961) et de Michel Suffran, Les<br />
Pyrénées de F. <strong>Jammes</strong> (1985) organisés pour cette promenade par C. Dhérent