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Carnet de création - Théâtre Vidy Lausanne

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«La démocratie est liée à la standardisation <strong>de</strong> l’opinion. De ce point <strong>de</strong> vue, elle<br />

est fille <strong>de</strong> la révolution industrielle, c’est-à-dire la reproduction à l’i<strong>de</strong>ntique <strong>de</strong><br />

produits, mais aussi d’opinions. Aujourd’hui nous vivons live la synchronisation<br />

<strong>de</strong>s émotions. Et les émotions sont adémocratiques, avec un a privatif. La<br />

synchronisation <strong>de</strong>s émotions, c’est la porte ouverte à un mysticism e panique<br />

et hystérique dont les guerres <strong>de</strong> religion actuelles sont les mauvais signes. Mon<br />

espérance est pourtant intacte. Je choisis l’espérance contre toute espérance.»<br />

Mai 2013<br />

Paul Virilio<br />

Photo <strong>de</strong> répétiton<br />

© Céline gaudier<br />

<strong>Carnet</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>création</strong><br />

Salle Charles Apothéloz<br />

Les enfants du soleil<br />

D’après Maxime Gorki<br />

Adaptation et mise en scène <strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

<strong>Vidy</strong>-L


GENERIQUE<br />

Adaptation et mise en scène :<br />

Mikaël Serre<br />

Assistante à la mise en scène :<br />

Céline Gaudier<br />

Dramaturgie :<br />

Jens Hillje<br />

Scénographie et costumes :<br />

Nina Wetzel<br />

Collaboration à la scénographie :<br />

Florence Emery<br />

Collaboration aux costumes :<br />

Miriam Marto<br />

Vidéo :<br />

Sébastien Dupouey<br />

Musique :<br />

Nils Ostendorf<br />

Lumière :<br />

Sébastien Michaud<br />

Construction décor :<br />

Ateliers du <strong>Théâtre</strong> <strong>Vidy</strong>-<strong>Lausanne</strong><br />

Avec :<br />

Nabih Amaraoui<br />

Servane Ducorps<br />

Cédric Eeckhout<br />

Marijke Pinoy<br />

Thierry Raynaud<br />

Bruno Roubicek<br />

Claire Vivianne Sobottke<br />

Durée :<br />

1h45<br />

Age conseillé :<br />

dès 14 ans<br />

Genre :<br />

théâtre<br />

UNE CRÉATION<br />

<strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Les enfants du soleil<br />

INSPIRATION<br />

Recherche inspiration scénographie<br />

2 15


UNE CRÉATION<br />

<strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Les enfants du soleil<br />

14<br />

INSPIRATION<br />

Recherche inspiration scénographie<br />

SOMMAIRE<br />

La <strong>création</strong><br />

04<br />

05<br />

06<br />

Le rapport au corps<br />

Le rapport au spectateur<br />

Note d’intention<br />

Les protagonistes<br />

08<br />

09<br />

13<br />

Biographie <strong>de</strong> Maxime Gorki<br />

Interview <strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Biographie <strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

14 Inspiration<br />

3


UNE CRÉATION<br />

<strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Les enfants du soleil<br />

LE RAPPORT AU CORPS<br />

Mikaël Serre a fait l’école Lecoq, une formation qui privilégie particulièrement<br />

le jeu physique du comédien. Dans toutes les <strong>création</strong>s <strong>de</strong> Mikaël<br />

Serre, on retrouve cette dimension corporelle très forte. Par exemple dans<br />

«La mouette» <strong>de</strong> Tchekhov, le mouvement est à la base <strong>de</strong> la transmission<br />

<strong>de</strong>s émotions, ou dans «Parasites» <strong>de</strong> Marius Von Mayenburg, le corps est<br />

à la fois le lieu <strong>de</strong> l’enfermement et la porte <strong>de</strong> sortie.<br />

Mikaël Serre explique que «la place du corps est essentielle, car le corps<br />

transmet les émotions, il y a une complicité <strong>de</strong> regards qui s’opère entre<br />

le spectateur et l’acteur, car c’est aussi grâce au corps qu’il est possible<br />

<strong>de</strong> lire et décrypter <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> manière sensible, et le théâtre c’est<br />

aussi le partage du sensible. C’est-à-dire un lieu où l’on ressent. Le corps<br />

ne traduit pas toujours ce qu’on pense, il trahit parfois, il nous permet<br />

d’avoir une lecture enrichie qui remet en cause le pouvoir du verbe et <strong>de</strong><br />

la parole. Le théâtre par son expression, par sa richesse est donc aussi<br />

une confrontation entre le corps et la parole. Notre corps fait signe et il est<br />

parfois même précurseur, car, bien avant la parole, il peut trahir nos états<br />

émotionnels profonds. En effet, comment distinguer alors ce qui provoque<br />

l’émotion <strong>de</strong> ce qui fait réfléchir ? Et pourquoi les mettre en opposition?<br />

Pourquoi une séparation entre le corps et l’esprit ?<br />

Léonard <strong>de</strong> Vinci avait une formule : «la peinture est cosa mentale». Il n’y<br />

a en effet aucune raison d’opposer une lecture sensible du théâtre à une<br />

lecture mentale. Tout œuvre théâtrale est une traversée <strong>de</strong> la matière par<br />

le biais <strong>de</strong> la pensée tout comme en peinture. Il n’y a ni frontière ni clivage<br />

entre ces <strong>de</strong>ux espaces tout comme le corps est aussi le prolongement et<br />

la face visible/lisible d’une pensée. Le corps, on l’écoute comme une histoire<br />

archaïque, le corps est aussi celui qui peut être l’expression d’une névrose,<br />

une maladie, c’est un indicateur, une plasticité expressive du conflit<br />

inconscient.<br />

LES PROTAGONISTES<br />

Les enfants du soleil<br />

<strong>de</strong> MAXIME GORKI<br />

BIOGRAPHIE<br />

DE Maxime Gorki<br />

Alexis Pechkov naît le 16 mars 1868. Il vit une enfance pauvre et se forge<br />

en tant qu’autodidacte, par le biais <strong>de</strong>s errances <strong>de</strong> sa jeunesse. Journaliste<br />

à ses débuts, ses écrits littéraires le ren<strong>de</strong>nt très vite célèbre.<br />

Il choisit alors son nom <strong>de</strong> plume : «Gorki» - l’amer - sous lequel il publie<br />

<strong>de</strong>s nouvelles mettant en scène les misérables <strong>de</strong> la Russie profon<strong>de</strong>.<br />

Puis, il écrit <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> théâtre comme «Les bas-fonds» ou <strong>de</strong>s romans<br />

socialement engagés comme «La mère», publié en 1907, il raconte aussi<br />

sa vie dans une trilogie autobiographique. Dès ses débuts littéraires, Gorki<br />

partage l’idéal <strong>de</strong>s partis progressistes. Il fait don <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong> ses<br />

revenus au parti bolchévique, et est plusieurs fois emprisonné pour ses<br />

prises <strong>de</strong> position, en particulier lors <strong>de</strong> la révolution <strong>de</strong> 1905 qui lui inspira<br />

«Les enfants du soleil». Il quitte alors la Russie, s’exile aux Etats-Unis et à<br />

Capri et voyage jusqu’à l’amnistie <strong>de</strong> 1913. Lorsqu’il rentre en Russie, il<br />

reste proche <strong>de</strong> Lénine et <strong>de</strong>s révolutionnaires, mais formule <strong>de</strong>s critiques<br />

dès novembre 1917. Il reçoit à nouveau <strong>de</strong>s menaces du pouvoir en place:<br />

inquiet et atteint <strong>de</strong> la tuberculose, il quitte la Russie en octobre 1921 et<br />

se fixe <strong>de</strong> nouveau dans le sud <strong>de</strong> l’Italie en 1924. Encouragé par Staline,<br />

il revient plusieurs fois en URSS après 1929 et s’y réinstalle définitivement<br />

en 1932 : il <strong>de</strong>vient un membre éminent <strong>de</strong> la nomenklatura soviétique<br />

et se consacre notamment à l’éducation <strong>de</strong>s écrivains soviétiques. En fin<br />

<strong>de</strong> compte, il participe à la propagan<strong>de</strong> du régime qui l’honore, mais le<br />

surveille en même temps. Il meurt en juin 1936 dans <strong>de</strong>s circonstances<br />

encore troubles pour certains…<br />

4 13<br />

©DR


LES PROTAGONISTES<br />

Les enfants du soleil<br />

<strong>de</strong> MAXIME GORKI<br />

12<br />

INTERVIEW<br />

Dans cette pièce <strong>de</strong> Gorki, les personnages semblent s’échapper <strong>de</strong> leur vie grâce<br />

aux arts ; ils peignent, s’essaient à la poésie, chantent, font <strong>de</strong> la musique… L’art<br />

est-il pour vous aussi une forme d’échappatoire ?<br />

En général on s’échappe d’une situation embarrassante ou difficile <strong>de</strong> la vie. Mais<br />

l’art oblige justement l’artiste à ne pas s’isoler, il le soumet à la vérité. C’est une<br />

confrontation avec son histoire intime et celle <strong>de</strong> la société dans laquelle il vit, et<br />

ce processus s’opère par la suite avec le spectateur. Ce dialogue qui s’adresse<br />

à l’intime <strong>de</strong> chacun est essentiel. Une journée <strong>de</strong> répétitions se compose aussi<br />

d’un échange quotidien avec toute une équipe qui a une multitu<strong>de</strong> d’humeurs, <strong>de</strong><br />

peurs, <strong>de</strong> joies, <strong>de</strong> doutes bien réels. S’échapper voudrait dire par exemple pour<br />

moi quitter la répétition en courant me jeter dans le lac avec mes propres interrogations...!<br />

J’aime bien penser à cette phrase <strong>de</strong> Robert Filliou aussi décomplexée<br />

et enjôleuse qu’effrayante, qui dit que l’art fait partie d’une sorte <strong>de</strong> rêve collectif,<br />

et que pour lui, si à l’avenir l’art n’existait plus, ça ne lui ferait rien pourvu que les<br />

gens soient heureux. Gorki remplacerait peut-être « heureux » par « libre »… J’ai le<br />

sentiment qu’on a fait le tour <strong>de</strong>s échappatoires, et qu’on a au contraire envie d’en<br />

découdre avec notre réalité. Même le « Ars Gratia Arti », qu’on pourrait traduire par<br />

l’art pour l’art ou l’art au service <strong>de</strong> l’art qui trône au-<strong>de</strong>ssus du lion rugissant <strong>de</strong><br />

la Metro-Goldwyn-Mayer s’est désintégré à l’image du studio.<br />

Mikaël Serre, êtes-vous un enfant du soleil ?<br />

Oui absolument ! Et en même temps pas du tout. On a grandi dans une attitu<strong>de</strong><br />

désabusée et postmo<strong>de</strong>rne selon laquelle tout est égal à tout et juste affaire <strong>de</strong><br />

commerce, même dans la relation amoureuse. Cette attitu<strong>de</strong> digérée ne peut plus<br />

correspondre aux urgences <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>. Il ne s’agit pas non plus pour moi <strong>de</strong><br />

dénoncer « la domination <strong>de</strong>s Elites », car faire cela reviendrait à reproduire une tradition<br />

réactionnaire où l’on considère finalement le spectateur comme un aveugle<br />

à qui il faut montrer le chemin. On assiste quand même ces <strong>de</strong>rniers temps à une<br />

déferlante <strong>de</strong> moralistes aussi effrayants que les gens qu’ils dénoncent. Alors il me<br />

semble que la liberté, simplement, qui nous relie profondément les uns aux autres,<br />

est plus que jamais au centre <strong>de</strong> tout geste artistique.<br />

Propos recueillis par écrit par Louis Bonard<br />

UNE CRÉATION<br />

<strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Les enfants du soleil<br />

LE RAPPORT AU SPECTATEUR<br />

« Les costumes et la scénographie peuvent faire penser à un environnement<br />

connu <strong>de</strong> beaucoup, et sur lequel chacun peut projeter <strong>de</strong>s souvenirs<br />

personnels. Ainsi s’opère un rapprochement entre la figure fictionnelle<br />

du personnage et <strong>de</strong>s souvenirs réels du spectateur. Cette rencontre est<br />

réelle et constitue en soit la réalité <strong>de</strong> la représentation. Les textes <strong>de</strong> manière<br />

générale, mais aussi les émotions qui se propagent tout au long <strong>de</strong><br />

la pièce : peur <strong>de</strong> l’inconnu, amour, défiance envers l’étranger, repli sur soi,<br />

égoïsme sont autant <strong>de</strong> repères que tout le mon<strong>de</strong> peut partager. Cette<br />

proximité d’état permet au spectateur <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier à ces figures. Le réel<br />

est un concept intéressant, car il pose la question <strong>de</strong> ce qui est et <strong>de</strong> ce<br />

qui n’est qu’une projection. Dans ce sens, le théâtre est une sorte <strong>de</strong> miroir<br />

aux réalités adaptables et en même temps ce miroir est déformant. Parfois,<br />

la réalité nous paraît insupportable quand elle est représentée et c’est<br />

en général la fonction d’une œuvre dramatique, qui est <strong>de</strong> nous montrer<br />

nos sentiments, nos états et <strong>de</strong> les rendre plus acceptables en les incluant<br />

dans une fiction.<br />

Les émotions et la réflexion doivent se trouver sur un plan i<strong>de</strong>ntique dans<br />

mon travail. Une œuvre par sa plasticité touche au sensible et il faut pouvoir<br />

y avoir accès. La réflexion est partie prenante, car elle permet aussi<br />

<strong>de</strong> remettre en cause nos propres émotions. La fonction principale est<br />

d’éveiller l’esprit critique du spectateur, car le théâtre comme toute œuvre<br />

est aussi par certains points un acte <strong>de</strong> résistance dans le sens où il est<br />

aussi un témoignage, une transmission, un échange entre celui qui est regardé<br />

et celui qui regar<strong>de</strong>. N’oublions pas que celui qui fait l’œuvre c’est le<br />

spectateur, le lecteur. Un livre ou un tableau n’existe qu’à travers celui qui<br />

le regar<strong>de</strong>, chaque spectateur fait son œuvre en quelque sorte. L’émotion,<br />

mais aussi la réflexion permet la multiplicité <strong>de</strong>s grilles <strong>de</strong> lecture en fonction<br />

<strong>de</strong>s sensibilités <strong>de</strong> chacun. »<br />

Mikaël Serre<br />

5


UNE CRÉATION<br />

<strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Les enfants du soleil<br />

NOTE D’INTENTION<br />

Après ma mise en scène <strong>de</strong> «La mouette», je me suis tourné vers Gorki.<br />

Sa langue plus brute et directe traduit l’engagement politique <strong>de</strong> Gorki<br />

en comparaison <strong>de</strong> son ainé Tchekhov. Son art qui consiste à poser un<br />

diagnostic <strong>de</strong> révolutionnaire plus que <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong>s âmes, force à un<br />

questionnement à la fois riche et troublant pour le spectateur du 21 ème<br />

siècle. À sa manière, et sans didactisme il cimente les tourments <strong>de</strong> l’intime<br />

et du social. Ses choix politiques et son histoire sont troubles et du<br />

même coup, symptomatiques <strong>de</strong> notre siècle et <strong>de</strong>s personnalités (y compris<br />

nous-mêmes) qui le composent. Maxime Gorki écrit «Les enfants du<br />

soleil» en 1905 dans la forteresse Pierre et Paul, où il a été incarcéré pour<br />

sa participation à <strong>de</strong>s manifestations, suite à l’intervention sanglante <strong>de</strong><br />

l’armée contre un cortège d’ouvriers qui manifestait. Les tirs sur cette manifestation<br />

<strong>de</strong>s travailleurs sont à l’origine <strong>de</strong> la première révolution russe<br />

plus connue sous le nom <strong>de</strong> «Bloody Sunday». Dans «Les enfants du soleil»<br />

Gorki reprend les émeutes dues au choléra <strong>de</strong> 1890 comme prétexte,<br />

pour raconter une catastrophe politique et sociale à la lumière du socialisme<br />

naissant en Russie. Il dépeint le tableau sombre et grotesque d’une<br />

société déchirée par <strong>de</strong>s conflits sociaux et culturels, et incapable <strong>de</strong> créer<br />

un mon<strong>de</strong> meilleur.<br />

© Celine Gaudier<br />

Photo <strong>de</strong> répétition<br />

© Celine Gaudier<br />

Photo <strong>de</strong> répétition<br />

LES PROTAGONISTES<br />

Les enfants du soleil<br />

<strong>de</strong> MAXIME GORKI<br />

INTERVIEW<br />

L’utilisation du texte dans votre Mouette paraissait très libre. Comment comptez-vous<br />

abor<strong>de</strong>r le texte <strong>de</strong> Gorki dans cette mise en scène ? Quelle place laissez-vous<br />

à l’improvisation ?<br />

Pour <strong>de</strong>s raisons économiques, je ne peux travailler avec 16 acteurs comme le<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> la pièce, donc une adaptation s’impose <strong>de</strong> fait. L’équipe artistique doit<br />

alors inventer <strong>de</strong>s stratégies narratives permettant <strong>de</strong> déployer <strong>de</strong>s imaginaires qui<br />

se substituent à ce qui s’exprime chez Gorki par une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> figures désormais<br />

absentes. C’est à la fois riche et réjouissant, un défi qui met à contribution<br />

une matière théâtrale exigeante.<br />

L’improvisation permet <strong>de</strong> dégager les enjeux d’une scène ou d’une succession<br />

<strong>de</strong> scènes, et <strong>de</strong> se les approprier avec l’énergie du moment et les émotions<br />

<strong>de</strong> notre temps. C’est un processus d’appropriation <strong>de</strong> la matière proposée par<br />

l’auteur. C’est aussi plus concrètement pour les acteurs et moi une manière <strong>de</strong><br />

faire se rencontrer nos imaginaires avant d’abor<strong>de</strong>r plus précisément les situations<br />

concrètes du texte.<br />

Dans votre spectacle vous utilisez différents supports (vidéo, musique). Quel rôle<br />

jouent-ils et quelle place souhaitez-vous accor<strong>de</strong>r à chacun d’entre eux ?<br />

La musique et la vidéo font partie du théâtre d’aujourd’hui au même titre que la<br />

scénographie, la lumière et les costumes. Ce sont <strong>de</strong>s personnages en soi qui<br />

participent à la transmission d’un fond poétique commun, ils permettent d’enrichir<br />

notre grille <strong>de</strong> lecture. Dans la pièce, ils se substituent à l’absence <strong>de</strong>s figures<br />

et situations qui foisonnent dans la pièce originale et participent <strong>de</strong> manière<br />

active à l’élaboration d’un environnement très important pour la compréhension<br />

<strong>de</strong> la pièce. Une plasticité expressive du conflit. Cela permet <strong>de</strong> conjuguer une<br />

lecture sensible et une lecture mentale, quitte à les mettre en tension. C’est un<br />

peu comme la formule <strong>de</strong> Léonard <strong>de</strong> Vinci qui disait que la peinture est « cosa<br />

mentale ». Tout œuvre théâtrale est une traversée <strong>de</strong> la matière par le biais <strong>de</strong> la<br />

pensée. Tout comme le corps est aussi le prolongement et la face visible d’une<br />

pensée, l’expression physique d’un conflit.<br />

6 11


LES PROTAGONISTES<br />

Les enfants du soleil<br />

<strong>de</strong> MAXIME GORKI<br />

En Russie j’ai assisté à plusieurs pièces <strong>de</strong> Tchekhov et j’y ai vu <strong>de</strong>s corps engagés,<br />

fébriles, passionnés, <strong>de</strong>s états forts, je me suis alors rendu compte <strong>de</strong> la<br />

valeur <strong>de</strong> cet auteur. Donc la Russie c’est aussi <strong>de</strong>s retrouvailles… surtout que j’ai<br />

failli me faire tuer en pleine rue à Nijni Novgorod, qui s’appelait alors Gorki sous<br />

l’aire soviétique ! Et ça, ça ne s’oublie pas.<br />

La Russie <strong>de</strong> Gorki (fin du XIXe siècle) est une Russie chamboulée. Le choléra<br />

omniprésent crée <strong>de</strong>s émeutes, les travailleurs manifestent et sont à l’origine<br />

d’une révolution violente, le « Dimanche sanglant ». Le peuple et la bourgeoisie<br />

sont complètement séparés. Comment comptez-vous transposer ce contexte à<br />

l’histoire <strong>de</strong> nos jours ?<br />

Une pièce n’a rien <strong>de</strong> figé. Elle grandit avec le temps et assimile les nouveaux<br />

contenus <strong>de</strong> chaque époque qui passe en mettant en valeur l’un ou l’autre <strong>de</strong>s<br />

éléments <strong>de</strong> cette pièce, ou pas. Notre travail sur le plateau consiste à provoquer<br />

ces contenus pour qu’ils dialoguent <strong>de</strong> manière juste et insufflent un sens, ou, à<br />

l’inverse, créent un effet d’étrangeté qui interroge notre présent. De nos jours par<br />

exemple la frontière entre « peuple » et « bourgeoisie » est beaucoup plus poreuse<br />

qu’a la fin du XIXe siècle, le terme même <strong>de</strong> peuple interroge. A titre d’exemple,<br />

actuellement les « élites » européennes, sous couvert d’un discours à faça<strong>de</strong> sociale<br />

et humaniste, appellent à un renforcement <strong>de</strong>s mesures antisociales, sous<br />

prétexte <strong>de</strong> la crise que leur propre politique a déclenchée. C’est un écho précis<br />

à l’élite schizophrénique décrite par Gorki. Du haut <strong>de</strong> notre occi<strong>de</strong>nt, comment<br />

a-t-on regardé les révolutions arabes, nous les enfants du soleil du XXIe siècle ?<br />

Avec humanisme, mais si cela avait touché à nos privilèges je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

quelle couleur notre humanisme si bienveillant se serait teinté… Actuellement on<br />

parle du capitalisme comme d’une maladie qui infecte une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l’Europe.<br />

L’argent n’est-il pas ce choléra qui infecte et révolte une gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong>s<br />

citoyens européens? Alors quel est ce peuple aujourd’hui, cette « foule assoiffée<br />

<strong>de</strong> sang et cruelle » dont parle Gorki ? Les manifestants à Chypre, en Espagne,<br />

les révolutions arabes qui fustigent leurs élites dominantes et décisionnaires ?<br />

10<br />

INTERVIEW<br />

UNE CRÉATION<br />

<strong>de</strong> Mikaël Serre<br />

Les enfants du soleil<br />

NOTE D’INTENTION<br />

Névrotiques, malheureux, égoïstes ils vivent dans un étrange paradigme<br />

et évi<strong>de</strong>mment ils sont un peu comme nous. Et nous voilà 110 ans plus<br />

tard avec une œuvre chargée <strong>de</strong> nouveaux sens et <strong>de</strong> nouveaux contenus,<br />

nous nous sommes retrouvés confrontés à ce creuset thématique abrupt<br />

lors <strong>de</strong>s répétitions.<br />

Les personnages <strong>de</strong> la pièce sont <strong>de</strong>s privilégiés, et ne sont réels au final<br />

que les murs et l’imaginaire qu’ils ont construits autour d’eux-mêmes.<br />

Presque inconscients du mon<strong>de</strong> qui les entoure, leurs yeux sont fermés<br />

à la fatalité, à la trivialité et à l’imperfection d’une réalité tout ou trop humaine.<br />

Depuis leur environnement surinformé à l’image <strong>de</strong> la bourgeoisie<br />

occi<strong>de</strong>ntale, ils cherchent un abri contre la violence, la détresse et la misère<br />

qui s’est emparée du «<strong>de</strong>hors» du mon<strong>de</strong>. Sauf que le mur imaginaire<br />

qu’ils ont construit autour d’eux est sur le point <strong>de</strong> s’écrouler, une crise<br />

cataclysmique se profile à l’horizon. C’est l’échec <strong>de</strong> l’intelligentsia, élite<br />

impuissante à développer une voie alternative, une vision qui embrasse les<br />

besoins <strong>de</strong> tous.<br />

Gorki reprochait-il à l’intelligentsia <strong>de</strong> vivre en vase clos, <strong>de</strong> tout ignorer<br />

<strong>de</strong>s problèmes politiques et sociaux et <strong>de</strong> la condition populaire? Ou en<br />

avait-il contre les gens du peuple, frustres et ignorants, incapables <strong>de</strong> maîtriser<br />

leurs instincts sauvages ?<br />

Gorki apporte avec lui la recherche du bonheur <strong>de</strong> l’homme, la haine <strong>de</strong><br />

l’indifférence, un optimisme indéracinable qui ne l’abandonnera jamais.<br />

Tout son art consiste à donner une image vraie <strong>de</strong> la réalité russe, le don<br />

d’éveiller la confiance dans les forces créatrices jusque-là endormies ou<br />

impuissantes chez la plupart, parce que brimées. Il ne cesse d’exalter en<br />

l’homme la foi en l’avenir. De l’ensemble <strong>de</strong> son œuvre se dégage une impression<br />

<strong>de</strong> force, <strong>de</strong> confiance dans l’homme, un appel à ce qu’il y a <strong>de</strong><br />

meilleur en lui, lequel est un appel à la liberté.»<br />

7


LES PROTAGONISTES<br />

Les enfants du soleil<br />

<strong>de</strong> MAXIME GORKI<br />

©DR<br />

BIOGRAPHIE<br />

Franco-allemand, formé aux Beaux-Arts <strong>de</strong> Saint-Etienne, Mikaël Serre débute<br />

comme photographe <strong>de</strong> plateau. Puis, il <strong>de</strong>vient assistant metteur en<br />

scène, voyage en Russie, avant <strong>de</strong> rejoindre en 1996 l’école internationale<br />

<strong>de</strong> <strong>Théâtre</strong> Jacques Lecoq. Il travaille comme acteur en Allemagne avant <strong>de</strong><br />

revenir en France pour sa première mise en scène «Visage <strong>de</strong> feu» <strong>de</strong> Marius<br />

von Mayenburg en 2002. En 2009, Ludovic Lagar<strong>de</strong> lui propose <strong>de</strong> rejoindre<br />

le collectif artistique <strong>de</strong> la Comédie <strong>de</strong> Reims. Ses mises en scène : 2002,<br />

«Visage <strong>de</strong> feu» <strong>de</strong> Marius von Mayenburg, 2004, «Parasites» <strong>de</strong> Marius<br />

von Mayenburg - 2005, «Protocole <strong>de</strong> rêves» avec et <strong>de</strong> Hanna Schygulla<br />

- 2006, «Oh il me regar<strong>de</strong>, tu crois qu’il m’aime ? Maintenant j’ai la main<br />

grasse» - 2006/2007, «L’enfant froid» <strong>de</strong> Marius von Mayenburg - 2008,<br />

«HHH Anna Nicole Smith» - 2008, «Cible mouvante», 2009, lecture scénique<br />

«Le village <strong>de</strong> Kufur Schama» - 2009, «L’étranger» <strong>de</strong> Camus - 2010-2011,<br />

«La mouette». En octobre 2011, il répond à une comman<strong>de</strong> du festival<br />

Temps d’Images et y met en scène «L’impasse, I am what I am» à La Ferme<br />

du Buisson, scène nationale <strong>de</strong> Marne-la-Vallée. Cette <strong>création</strong> est reprise<br />

en mars 2012 lors du F.I.N.D. Festival <strong>de</strong> la Schaubühne <strong>de</strong> Berlin, en novembre<br />

2012 au festival international Next Festival, à la Rose <strong>de</strong>s vents <strong>de</strong><br />

Villeneuve d’Ascq et au Festival Reims Scènes d’Europe en décembre 2012.<br />

LES PROTAGONISTES<br />

Les enfants du soleil<br />

<strong>de</strong> MAXIME GORKI<br />

INTERVIEW<br />

Mikaël Serre est un <strong>de</strong> ces jeunes metteurs en scène prometteurs. Franco-allemand,<br />

il suit d’abord une formation aux Beaux-Arts <strong>de</strong> Saint-Etienne, s’intéresse<br />

au théâtre, voyage en Russie et à son retour, à la fin <strong>de</strong>s années 90, il entre à<br />

l’école <strong>de</strong> <strong>Théâtre</strong> Jacques Lecoq. Il met en scène plusieurs pièces entre 2002<br />

et aujourd’hui – notamment Mayenburg, Camus et Tchekhov – pour arriver aujourd’hui<br />

à l’œuvre <strong>de</strong> Gorki. Et ce n’est pas sans raison que le metteur en scène<br />

s’attaque à cette pièce. C’est qu’on retrouve la Russie et Gorki <strong>de</strong> près à travers<br />

<strong>de</strong> nombreux passages <strong>de</strong> sa vie mouvementée.<br />

C’est votre première <strong>création</strong> au <strong>Théâtre</strong> <strong>Vidy</strong>-<strong>Lausanne</strong>. Comment cette collaboration<br />

s’est-elle <strong>de</strong>ssinée ?<br />

J’avais présenté en mars 2012 une pièce à la Schaubühne à Berlin L’impasse,<br />

« I am what I am » à partir <strong>de</strong> la pièce <strong>de</strong> Franz Xaver Kroetz, Wunschkonzert. Avec<br />

René Gonzalez nous nous sommes rencontrés quelques semaines plus tard dans<br />

son bureau pour évoquer avec lui cette envie <strong>de</strong> monter « Les enfants du soleil »,<br />

et il m’a ouvert généreusement les portes <strong>de</strong> son théâtre...<br />

Vous avez récemment travaillé sur « La mouette » d’Anton Tchekhov. Vous choisissez<br />

aujourd’hui <strong>de</strong> monter un autre auteur classique contemporain <strong>de</strong> Tchekhov,<br />

russe lui aussi : Maxime Gorki. Pourquoi un tel engouement pour ces auteurs<br />

russes ?<br />

La littérature russe transmet <strong>de</strong> manière physique les enjeux et émotions qui ont<br />

traversé les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers siècles. Mais choisir une pièce, c’est aussi tracer une<br />

histoire intime qu’on tente <strong>de</strong> recomposer ou réconcilier. Mon grand-père était<br />

prisonnier à Kiev pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il me parlait <strong>de</strong> temps<br />

en temps <strong>de</strong> ses années <strong>de</strong> prison, mais toujours à travers <strong>de</strong>s anecdotes quotidiennes<br />

et souvent teintées d’humour. J’ai donc grandi avec un message <strong>de</strong><br />

tolérance sur un fond d’horreur et d’une certaine manière, à travers ses mots, je<br />

tentais <strong>de</strong> reconstituer cette image antinomique du mon<strong>de</strong>. Après mes étu<strong>de</strong>s<br />

aux Beaux-Arts, je suis parti en Russie et en Ouzbékistan en tant qu’assistant à la<br />

mise en scène.<br />

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