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RVH RABAT 2007 Papa Demba FALL.pdf - Matrix

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L’incidence des politiques migratoires européennes sur les<br />

relations entre l’Afrique de l’ouest et le Maroc.<br />

Communication à la Troisième édition des Rendez-vous de l’Histoire de Rabat, 27 au 30 mars <strong>2007</strong><br />

<strong>Papa</strong> <strong>Demba</strong> <strong>FALL</strong><br />

Institut fondamental d'Afrique noire<br />

Universite Cheikh Anta Diop de Dakar<br />

BP 206 Dakar, SENEGAL<br />

Tél : (221) 681 52 95 / Fax : (221) 824 49 18 ; Email : defall@ucad.sn<br />

www.matrix.msu.edu/~ucad/papadembafall/maoumy/<br />

Résumé : Depuis le début des années 1990, les flux migratoires ouest africains vers le Maghreb<br />

ont connu une ampleur inédite. Mais, face à l'obsession de sécurité et à la volonté européenne<br />

d’imposer de nouvelles frontières aux pays du Sud en l’occurrence ceux du Maghreb, les candidats à<br />

l’exode voient leur séjour s’allonger dans les pays de transit. Arrivés par les périlleuses routes<br />

transsahariennes, les rescapés du désert sont dans l’obligation de renégocier leurs conditions de vie<br />

et de séjour au Maroc, en Tunisie, en Algérie ou en Libye. Ils doivent en particulier s’adonner à des<br />

activités leur permettant de survivre et/ou de poursuivre leur route.<br />

Dès lors que la gestion des flux migratoires implique une concertation et des accords bilatéraux ou<br />

multilatéraux entre les protagonistes, de nouveaux rapports s’imposent aux pays d’accueil, de<br />

transit et de départ.<br />

La présente communication examine, à l’aune du cas des migrants ouest africains, l’évolution des<br />

relations entre le Maroc et les pays du bassin d’émigration ouest africain en général et du Sénégal<br />

en particulier et ses conséquences sur les stratégies des candidats à l’exode notamment<br />

l’expérimentation de stratégies suicidaires comme le débarquement aux Iles Canaries qui sont<br />

devenues le Lampedusa de l’Atlantique.<br />

Introduction<br />

Nul n’ignore que l’actualité des migrations Sud-Nord a (re)placé votre pays, le<br />

Royaume Chérifien, au devant de la scène internationale. On s’étonnera nullement<br />

de voir les travaux de référence sur les relations entre le Maghreb et l’Afrique noire<br />

prendre en charge une question d’une très brûlante actualité : la mobilité des<br />

personnes 1 .<br />

Sans abuser de votre hospitalité, je voudrai m’interroger, avec vous, sur l’effet du<br />

rapprochement entre le Maroc et l’Union européenne dans le domaine de la<br />

politique migratoire sur les rapports séculaires entre l’Afrique subsaharienne en<br />

général et sa partie sa partie occidentale en particulier. En effet, la « guerre contre<br />

l’immigration » et la certitude que celle-ci ne peut aboutir sans l’implication des<br />

pays de transit dans le dispositif de surveillance et de répression a conduit l’Union<br />

européenne à se rapprocher des pays riverains de la méditerranée comme le<br />

Maroc.<br />

Pays tampon entre l’Europe et l’Afrique, distant seulement de 14 kilomètres de<br />

l’Espagne au niveau du détroit de Gibraltar, le Maroc constituait naguère, pour de<br />

nombreuses autres raisons, le principal point de fixation puis de passage - via les<br />

enclaves de Ceuta et Melilla - vers les pays de l’espace Schengen de nombreux<br />

ressortissants ouest africains.<br />

L’ambition principale de cette communication est de palier l’absence de réponse<br />

aux questions esquivées par es autorités politiques au plus fort des expulsions de<br />

1 Voir en particulier le numéro spécial de la revue Autrepart n° 36 consacré aux «Migrations entre<br />

les deux rives du Sahara ». Paris : Armand Colin, 2005 ; Cultures et Conflits n°57, 2005 sur<br />

L’Europe de camps. La mise à l'écart des étrangers. Notons également le Colloque international<br />

d’Annaba sur Migrations, Urbanisation et Environnement entre Méditerranée et Afrique<br />

subsaharienne des 10-11-et 12 décembre 2006.<br />

13


essortissants ouest africains notamment après l’assaut des « grillages de Ceuta »<br />

en septembre 2005.<br />

Il s’agit en premier lieu de relever la place du Maghreb en général et du Maroc en<br />

particulier dans la dynamique migratoire ouest africaine. La seconde partie du<br />

texte dresse un état des lieux de la cooperation ou dialogue euro-méditerranéen<br />

articulé autour du processus de Barcelone et son impact sur les politiques d’accueil<br />

des pays maghrébins.<br />

Enfin, la dernière partie de la communication s’interroge sur les réponses ou<br />

stratégies adoptés par les migrants. Dès lors que les autorités politiques africaines<br />

feignent d’ignorer la gravité de la situation et/ou ne se mobilisent pour récupérer<br />

leurs ressortissants, ces derniers sont abandonnés à eux-mêmes et exposés à des<br />

fortunes diverses. Comment apprécient-ils, au regard de l’altérité, la nouvelle<br />

donne migratoire ? Leur perception des pays traversés, le Maroc en l’occurrence,<br />

en est-elle fondamentalement modifiée?<br />

13


I- La place grandissante du Maroc dans le projet migratoire<br />

ouest africain ou quand les chemins de l’eldorado passent par<br />

le Royaume de Sa Majesté.<br />

C’est en particulier à partir des années 90 que le Maroc devient le point de<br />

passage quasi obligé des candidats subsahariens à l’émigration qui éprouvent de<br />

plus en plus de difficultés à trouver, par des moyens légaux ou détournés, le<br />

fameux sésame qu’est le « visa Schengen ». Outre les facteurs géographiques<br />

inhérents à la proximité de l’Europe, d’autres considérations - non moins décisives<br />

- ont contribué à faire du Maroc une place centrale des filières migratoires vers<br />

l’Europe : des facteurs géopolitiques comme le protectionnisme européen, les<br />

rapports privilégiés avec certains états comme le Sénégal, etc.<br />

1. la proximité géographique du Maroc avec l’Europe<br />

Les enclaves de Ceuta et Melilla constituent le prolongement de l’espace<br />

européen en terre africaine. Séparé seulement de 14 kilomètres de l’Espagne à<br />

hauteur du détroit de Gibraltar, le Maroc est le pays maghrébin le plus proche des<br />

côtes de l’eldorado européen. A la faveur de bateaux artisanaux, les pateras ou<br />

cuyacos, les pêcheurs artisanaux ont longtemps assuré la traversée vers l’Espagne.<br />

Les drames qui ont émaillé la traversée du détroit lui ont valu, aux premières<br />

heures des années 90, le surnom peu enviable de « détroit de la mer ». Devenu la<br />

principale zone de convergence des candidats africains et asiatiques à l’émigration<br />

vers l’Europe, le Maroc attire en moyenne plus de 50 000 migrants par année. Le<br />

graphique ci-dessous donne une idée du poids des pays ouest africains qui<br />

participent le plus à ce que d’aucun appelle « l’invasion noire ».<br />

Ivoiriens<br />

Guinéens (Conakry)<br />

Mauritaniens<br />

Sénégalais<br />

405<br />

516<br />

632<br />

Migrants ouest africains au Maroc en 1999<br />

Source: Direction de la Surveillance du Terrtoire,<br />

1 211<br />

0 200 400 600 800 1 000 1 200 1 400<br />

Situé dans l’Atlantique et aisément joignable à partir d’Agadir, l’archipel des<br />

Canaries a constitué dès l’adoption des premières mesures répressives un point de<br />

passage vers les îles espagnoles en particulier vers Fuerteventura.<br />

Le renforcement et la sophistication des moyens de contrôle du dispositif de<br />

surveillance des routes maritimes vers l’Europe ont eu pour effet de provoquer les<br />

tentatives suicidaires ou désespérées comme la prise d’assaut, par les clandestins<br />

13


etranchés à Gourougou et Ben Younech, des « grillages de Ceuta » dans la nuit du<br />

28 au 29 septembre 2005 (MIGR’EUROPE 2006).<br />

Largement médiatisé l’évènement eut le mérite d’attirer l’attention de l’opinion<br />

mondiale sur la situation dramatique des migrants en transit au Maroc et qui<br />

attendaient depuis plusieurs mois voire des années, dans leurs « ghettos »,<br />

l’occasion passer de l’autre coté grâce à des échelles de fortune. Il ne s’agit pas<br />

d’une mince affaire : il faut échapper à la vigilance des forces de sécurité<br />

marocaines d’abord puis de la guardia civil espagnole afin d’espérer être recueillis<br />

par la Croix Rouge.<br />

2. des facteurs d’ordre sociologiques<br />

Il n’est pas superflu de noter que le Maroc a pendant longtemps été une terre<br />

d’émigration. En effet, la migration a conduit les sujets de sa Majesté en particulier<br />

vers la France, la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi vers les pays pétroliers, les<br />

nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et Espagne), les<br />

pays scandinaves, en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis 2 .<br />

Cette tradition d’émigration et le souvenir des obstacles surmontés ont forgé un<br />

sentiment de proximité avec les candidats à l’exode en particulier chez les migrants<br />

de retour et les familles qui comptent des parents résidant à l’étranger 3 . Offrant le<br />

gîte et parfois le couvert aux figures de passages qui s’adonnent à des activités de<br />

survie, les populations locales des campagnes sont plus sensibles au sort des<br />

groupes qui sont forment et reforment au gré des arrivées et des départs que les<br />

citadins des zones périurbaines qui ne sont guère mieux lotis que les « esclaves<br />

noirs » ou « mendiants » qui envahissent leurs quartiers.<br />

L’appartenance à la Umma islamique et la proximité avec certains groupes 4<br />

constitue pour les Gambiens, Guinéens, Maliens, Sénégalais, etc. un précieux<br />

facteur d’acceptation et d’assistance. Ces derniers constituent d’ailleurs les leaders<br />

ou porte-voix des groupes d’Africains qui se constituent au hasard des rencontres<br />

inopinées durant la traversée du désert ou les arrestations par la police.<br />

En raison des relations séculaires qui lient les musulmans sénégalais d’obédience<br />

tidjane à la branche marocaine établie à Fès, ceux qui se réclament de cette<br />

confrérie soufie ont un avantage certain sur les candidats à l’émigration. Ils ne se<br />

privent d’ailleurs pas de jouer pleinement un tel registre à travers le port du<br />

chapelet, du bonnet fass, de la djellaba, etc.<br />

3. les fondements géopolitiques de l’attrait exercé par le Maroc<br />

L’afflux vers le Maroc est fondamentalement dicté par deux facteurs :<br />

- le protectionnisme des pays principaux pays d’accueil du continent aux<br />

2 Driss El Yazami, «Les Marocains dans le monde», Ceras, Migrations et frontières, n° 272, hiver<br />

2002.<br />

3 Voir notamment : Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger et Organisation<br />

Internationale pour les Migrations Marocains de l’Extérieur, 2003, 397 p. On estime la population<br />

marocaine vivant à l’extérieur à 3 200 000 d’individus. On les appelle les MRE (Marocains<br />

résidents à l’étranger ou harragas . Ils ont effectué vers leur pays des transferts de fonds de l’ordre<br />

de 18,474 milliards de dirhams (environ 1, 624 milliard d’euros) au cours des cinq premiers mois de<br />

l’année en cours, soit 22,8% de plus que pour la même période de 2005 (Jeune Afrique<br />

L’Intelligent)."<br />

4 Benachir Bouazza, « L’Afrique noire au Maroc », Revue africaine de livres n° 0851-7592, Vol.<br />

1(1): 27-29.<br />

13


premiers rangs desquels se trouvent la Côte-d’Ivoire, le Congo, le Gabon, etc. ;<br />

- la fermeture des anciennes puissances coloniales, en l’occurrence la France et<br />

la Grande Bretagne ainsi que la prétendue perméabilité des pays d’Europe du Sud<br />

– Espagne, Italie, Portugal - qui ont gagné en respectabilité dans le cœur des<br />

candidats à l’exode.<br />

Se rendre au Maroc via le désert 5 s’inscrit dans une dynamique migratoire<br />

fondée sur la volonté des migrants qui se sont enlisés dans les vieilles destinations<br />

africaines de rebondir.<br />

La carte ci-dessous donne une idée des périlleuses « routes de sable » qui sont<br />

contrôlés par des groupes dont la maîtrise du désert est avérée et qui y voient<br />

l’occasion rêvée de trouver, de manière licite, des revenus additionnels.<br />

Un autre facteur décisif dans le choix du Maroc est lié à l’insécurité et/ou aux<br />

risques encourus dans la traversée des territoires algérien et libyen.<br />

Dans le cas particulier de la Libye, il faut noter que l es émeutes de l’automne 2000<br />

ont joué un rôle décisif dans la perception que les candidats à l’émigration ont de<br />

ce pays 6 .<br />

Carte 1. Les routes migratoires vers l’Europe via le Maghreb<br />

La conjugaison des facteurs ci-dessus évoqués a redonné vie, à la faveur des<br />

nouvelles circulations, à la géographie du Sahara. Olivier Pliez (2006) note qu’à la<br />

faveur de la réactivation des routes caravanières, « les nomades d’hier et ceux<br />

5 Voir “Errances africaines”. Documentaire produit et réalisé par Réda Benjelloun pour le<br />

magazine mensuel Grand Angle de la télévision marocaine 2M.<br />

6 Plus d’une centaine de migrants originaires d’Afrique subsaharienne y trouvent la mort. Passée<br />

l’indignation des dirigeants africains, le régime libyen s’emploie à minimiser les faits en soutenant<br />

la caractère non raciste des émeutes. En effet, l’embargo, l’isolement au sein du monde arabe<br />

constituent une nouvelle donne politique. Le besoin de main-d’œuvre ouvre la voie à la<br />

redynamisation de la coopération avec les pays subsahariens.<br />

13


d’aujourd’hui vivent dans des villes créées […] où se redéfinissent fonctions<br />

urbaines et identités citadines produites par le mouvement ».<br />

Le renforcement de la politique d’immigration en Europe, notamment après<br />

les accords de Schengen a davantage accentué la volonté des candidats à<br />

l’émigration d’accéder à l’Europe par tous les moyens y compris les plus osées.<br />

De ce point de vue, le Maroc a été interpellé non seulement en tant que pourvoyeur<br />

de migrants clandestins mais aussi en sa qualité de territoire de transit des<br />

migrants originaires d’Afrique subsaharienne qui ambitionnent de gagner le Vieux<br />

continent.<br />

13


II- Le rapprochement entre le Maroc et l’UE se fait-il au<br />

détriment de l’Afrique noire ?<br />

La Politique européenne de voisinage (PEV) semble conforter l’idée d’une Afrique<br />

sacrifiée sur l’autel des intérêts stratégiques. Aujourd’hui articulée autour du<br />

« processus de Barcelone », les grandes étapes de la cooperation euromaghrébine<br />

forment un corpus d’accords d’association dont les plus en vues sont :<br />

- la politique globale méditerranéenne (1972) ;<br />

- le dialogue euro-arabe (1973-1990) ;<br />

- la politique méditerranéenne rénovée (1990) ;<br />

- le dialogue (5+5) réunissant les pays de la méditerranée occidentale ;<br />

- l’Accord d’association du 26 février 1996 qui est entré en vigueur en mars<br />

2000.<br />

Fortement décrié, le chapitre II de l’Accord d’association Maroc/UE porte sur<br />

l’instauration d’un dialogue social qui embrasse « tous les problèmes relatifs<br />

(notamment) aux migrations, à l’immigration clandestine et aux conditions de<br />

retour des personnes en situation irrégulière au regard de la législation relative au<br />

séjour et à l’établissement applicable dans le pays hôte. » (a. 69). De son côté, le<br />

chapitre III consacré aux actions de coopération en matière sociale vise la<br />

régulation migratoire qui revêt un caractère prioritaire par rapport à d’autres<br />

thèmes sociaux.<br />

Réduite à « une pratique purement dérogatoire » selon la formule de Es Said<br />

Kinana la libre circulation des personnes occupe une place centrale dans le<br />

rapprochement euro-méditerranéen 7 . Parce qu’elle n’ignore pas les visées ou<br />

exigences européennes liées à la coopération bilatérale, le Maroc qui a toujours<br />

affirmé son « africanité » 8 , se retrouve pris dans un piège infernal.<br />

En effet, malgré son retrait de l’Organisation de l’unité africaine, le Maroc n’a cessé<br />

de développer une politique d’amitié avec les Etats d’Afrique de l’ouest dont les<br />

figures de proue sont le Sénégal et la Côte-d’Ivoire.<br />

Refusant toute idée de diabolisation de leur pays, les autorités marocaines ont très<br />

tôt cherché à rassurer. Au lendemain des événements de Ceuta, le Chef de la<br />

Direction de l'Information au ministère de l'intérieur dira au sujet de l’implication<br />

du Maroc :<br />

''Nous sommes l'arbre qui cache la forêt'' et ''le Maroc n'a fait que ce qu'il a pu''<br />

(interview de M. Zer Wali, septembre 2005)<br />

Il importe de relever que l’adoption de nouvelles dispositions législatives comme la<br />

loi de 2003 9 a conduit à une véritable intensification de l’action policière. Celle-ci a<br />

7 Les expulsions d’immigrants clandestins par charters « communautaires » sont consécutives à la<br />

décision des Ministres de l’intérieur du G 5 - France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et<br />

Espagne - réunis à Evian les 4 et 5 juillet 2005. De l’avis des associations humanitaires, elles<br />

marquent le début « des procédures d’expulsion humiliantes et contraires aux droits humains ».<br />

8 Depuis 1962, les préambules des différentes constitutions marocaines n’ont cessé de réaffirmer le<br />

principe d’ « Etat africain ».<br />

9 Inspirée de l’ordonnance française de 1945, cette loi en est une pâle copie au vu de la délimitation<br />

13


été sanctionnée par la mort de 14 migrants à Ceuta et Melilla en 2005 et les rafles<br />

systématiques des noirs dans les banlieues populaires de Rabat, Casablanca, etc.<br />

et leur refoulement vers l’Algérie en décembre 2006. Cette persécution des<br />

migrants de transit qui sont essentiellement noirs est régulièrement dénoncée par<br />

la presse et les associations humanitaires. .<br />

Il ne faut également pas perdre de vue que la question migratoire constitue un<br />

plateau central d’une négociation déséquilibrée entre l’Europe et les états<br />

maghrébins. Ces derniers doivent jouer le rôle de gardiens des frontières<br />

européennes en contrepartie de sommes d’argent. Le leurre consiste à faire<br />

miroiter une intégration à l’espace économique européen en échange d’un contrôle<br />

sévère de la frontière. Or, tout le monde sait que les pays du Maghreb resteront,<br />

tout au moins pendant longtemps encore, des « voisins extérieurs à l’UE ».<br />

Le Maroc fait désormais figure de vaste camp de migrants 10 où s’affrontent deux<br />

logiques contradictoires : celle des mouvements humanitaires d’assistance aux<br />

nécessiteux (Croissant rouge et ONG européennes largement financées) et celle<br />

l’appareil politique répressif qui est impulsée par les états plus que par la<br />

Commission européenne.<br />

de zones d’attente et de centres de rétention administrative.<br />

10 Des tracts largement diffusés s’en prennent au Maroc. Voir notamment « Rafles au Maroc :<br />

Lettre ouverte d’associations marocaines, africaines et européennes » du 4 janvier <strong>2007</strong>.<br />

13


III- Comment les Sénégalais ont-ils apprécié les expulsions, par le<br />

Maroc, de leurs compatriotes ?<br />

Pour les Sénégalais qui considèrent le Maroc comme le prolongement de leur<br />

patrie, la déception est grande mais largement contenue. En effet, les charters vers<br />

le Sénégal de migrants clandestins ont soulevé moins de passion le ballet aérien de<br />

mai 2006 entre les îles Canaries et Saint-Louis du Sénégal.<br />

Les seules manifestations d’envergure contre les refoulements opérés par le Maroc<br />

ont eu lieu au Mali dans le cadre du forum Social africain. Mme Aminata Traoré,<br />

écrivain et ancienne ministre de la Culture, a lancé au mois de novembre 2005, la<br />

«Caravane de la dignité contre les barbelés de l’injustice et de l’indifférence», qui a<br />

consisté d’une part à accueillir à l’aéroport de Bamako les expulsés et, d’autre part,<br />

à effectuer une tournée de protestation et de sensibilisation en Espagne, en Italie,<br />

en France, en Belgique et auprès de l’Union européenne.<br />

Carte 2. La place du Maroc dans les stratégies migratoires vers l’Espagne<br />

En l’absence de réaction de la part des autorités politiques sénégalaises, les<br />

migrants ont opté pour un redéploiement vers les côtes mauritaniennes (Choplin &<br />

Ba 2005). De l’avis des personnes interrogées, ce choix n’est rien d’autre qu’une<br />

« réponse pragmatique au mutisme ou louvoiement des hommes politiques ».<br />

Le graphique ci-dessous donne une idée de l’importance de la ruée, aux plus forts<br />

moments des départs, vers le port de Nouadhibou en Mauritanie.<br />

13


7000<br />

6000<br />

5000<br />

4000<br />

3000<br />

2000<br />

1000<br />

0<br />

Sénégalais<br />

6000<br />

Maliens<br />

5000<br />

Guinéens<br />

3000 3000<br />

Bissau-Guinéens<br />

Gambiens<br />

Migrants clandestins africains à Nouadhibou<br />

Sources: C.O. Ba, A. Choplin, Autrepart n°36, 2005<br />

500 500 500 400 200 200 100 100 30 30 20<br />

Sierraléonais<br />

Nigérians<br />

Congolais (RDC)<br />

Conscient du danger que représente l’afflux d’Africains qui tentent vaille que vaille<br />

de passer avant le « verrouillage définitif de l’Espagne», les autorités dudit pays<br />

s’engagent, au nom de l’U. E et de son soutien, dans la signature d’accords de<br />

surveillance commune des côtes maritimes connus sous le nom de Frontex.<br />

Le rapprochement de l’Europe et de pays subsahariens chargés d’appliquer sa<br />

politique migratoire débouche, au Sénégal, sur une nouvelle stratégie migratoire :<br />

le mbëkk. Elle constitue la réponse des candidats à l’émigration à l’extension des<br />

frontières européennes plus au sud. La formule consiste, à rejoindre les Canaries<br />

au moyen de pirogues artisanales : les gaal looco à partir des ports de pêche<br />

artisanale du Sénégal et, plus tard, de la Gambie, des deux Guinée, etc.<br />

En wolof le mbëkk est une pratique propre au mouton qui consiste à donner des<br />

coups de corne. Chez les pêcheurs lébou, le terme renvoie à l’image du poisson<br />

prisonnier du filet et n’a d’autre ressource que de tenter désespérément de passer à<br />

travers les mailles de celui-ci. Par extension ou analogie le terme mbëkk désigne la<br />

tentative désespérée de passer avant la fermeture définitive de l’Europe 11 . On relève<br />

qu’entre le 1er mars et 22 mai 2006, 141 candidats à l'émigration ont été<br />

interpellés au large des côtes sénégalaises par la Marine nationale et condamnés à<br />

des peines d’emprisonnement 12 .<br />

Loin d’être un phénomène de mode, le procédé constitue pour l’heure la seule<br />

alternative qui s’offre à ceux qui pensent qu’il faut absolument « monter » en<br />

Europe sous peine de mort sociale.<br />

Fait nouveau et insolite, le relatif déclassement du Maroc fait de l’Afrique de<br />

l’ouest la nouvelle route migratoire des filières dont l’épicentre se trouve en Asie.<br />

11 Pour la plupart des jeunes l'essentiel est de partir en Europe ou aux Usa. Monter ou yéeg est<br />

l’expression d’un refus de la mort sociale et est synonyme de tekki qui signifie la reconnaissance<br />

sociale de l’individu.<br />

12 Voir Le Quotidien du 25 mai 2006 page 3.<br />

13<br />

Burkinabés<br />

Ghanéens<br />

Libériens<br />

Béninois<br />

Camerounais<br />

Ivoiriens<br />

Congolais


En guise de conclusion<br />

Pays tampon entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc est, de tous les pays qui<br />

constituent la nouvelle frontière sud de l’Union européenne, celui qui cristallise le<br />

plus d’interrogations et de critiques.<br />

Dès lors que la politique de voisinage avec l’Europe le propulse, bien malgré lui, au<br />

rang de « gendarme de Schengen», le royaume chérifien - qui constitue le<br />

principal terminal et point de passage des candidats à l’exode qui arrivent par le<br />

désert - se trouve placé dans une inconfortable situation.<br />

En effet, la nouvelle donne migratoire et la place qu’occupe le Maroc dans les<br />

médias internationaux ne sont pas sans susciter des divergences entre les acteurs<br />

et partisans d’un rapprochement avec l’UE et ceux qui pensent la carte africaine est<br />

également jouable parce qu’elle est à terme plus prometteuse.<br />

En appelant de tous ses vœux un plan Marshall pour l’Afrique, le Maroc reste<br />

convaincu que la clef du problème ne peut être réduite à l’aide aux pays de départ<br />

mais qu’elle est à rechercher dans la recherche de mécanisme garantissant une<br />

mobilité fondée sur le dialogue et la complémentarité entre les pays de départ et<br />

les pays d’accueil.<br />

13


Bibliographie<br />

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et de la Côte-d'Ivoire. Rabat : Institut des études africaines /Université Mohammed-V, 1997.<br />

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