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fondanienne. Pouvez-vous nous expliquer cette méconnaissance et l’intérêt nouveau que<br />

suscite Benjamin Fondane ?<br />

La célébrité, la propagation médiatique d’une ½uvre à une époque donnée, est un indice très<br />

relatif <strong>de</strong> son intérêt et <strong>de</strong> sa va<strong>le</strong>ur. (…)<br />

Lorsque vous m’interrogez <strong>sur</strong> la « méconnaissance » <strong>de</strong> l’½uvre fondanienne, je pense<br />

aussitôt à son caractère non-dogmatique, à sa véhémente liberté, à cet air <strong>de</strong> grand vent qui<br />

souff<strong>le</strong> <strong>sur</strong> ses pages. Lorsqu’il arrive à Paris en 1924, il est un jeune poète, essayiste,<br />

dramaturge roumain. Il a fréquenté <strong>de</strong> très près <strong><strong>le</strong>s</strong> avant-gar<strong>de</strong>s naissantes à Bucarest, <strong>le</strong><br />

dadaïsme, <strong>le</strong> constructivisme, l’intégralisme et <strong>le</strong>urs représentants : Voronca, Brauner, Marcel<br />

Janco, Tzara, etc. Fondane est l’un <strong>de</strong>s directeurs <strong>de</strong> la revue Intégral à Paris. D’abord attiré<br />

par <strong>le</strong> <strong>sur</strong>réalisme, il va <strong>de</strong>venir rapi<strong>de</strong>ment sa « bête noire », une libre paro<strong>le</strong> refusant son<br />

affiliation au nouveau dogme <strong>sur</strong>réaliste, attaquant <strong>le</strong> rationalisme d’André Breton et <strong><strong>le</strong>s</strong><br />

positions politiques <strong>du</strong> groupe. Fondane est un ironiste féroce. C’est pourquoi on <strong>le</strong> retrouve<br />

aux marges, en dialogue amical avec <strong><strong>le</strong>s</strong> membres <strong>du</strong> Grand Jeu, Roger-Gilbert Lecomte,<br />

Monny <strong>de</strong> Boully, Daumal mais aussi avec Antonin Artaud. Il fréquente aussi Adamov. On <strong>le</strong><br />

trouve aussi en correspondance avec Unamuno et Maritain. A ce moment, il y a un<br />

bouillonnement extraordinaire dans un Paris cosmopolite, bigarré, où <strong><strong>le</strong>s</strong> étrangers apportent<br />

<strong>le</strong>urs différences créatrices, <strong>le</strong>urs regards nouveaux et subversifs. A ce moment, il fréquente<br />

Brancusi, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel il écrit un essai remarquab<strong>le</strong> en 1929, mais aussi Chagall. C’est Man Ray<br />

qui fait <strong><strong>le</strong>s</strong> portraits <strong>de</strong> Fondane en 1928 pour ses Trois scenarii - Cinépoèmes, avec un<br />

photomontage à <strong>de</strong>ux têtes que j’ai retrouvé dans <strong>le</strong> Fonds <strong>du</strong> Trust Man Ray à New York.<br />

Le grand problème <strong>de</strong> Fondane à la fin <strong>de</strong>s années vingt, c’est <strong>de</strong> conserver l’esprit <strong>de</strong> la<br />

subversion dadaïste, sa liberté, et <strong>de</strong> la métamorphoser en une nouvel<strong>le</strong> création, en évitant<br />

l’auto-<strong>de</strong>struction. C’est la rencontre <strong>du</strong> philosophe Léon Chestov qui lui permet d’effectuer<br />

cette transformation, parce qu’il trouve là un irrationalisme d’une très gran<strong>de</strong> classe, d’une<br />

gran<strong>de</strong> culture philosophique, qui vise à établir la possibilité d’une autre dimension <strong>de</strong> la<br />

pensée, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la logique, <strong>de</strong>s dogmes, <strong>de</strong>s idéologies, <strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s sociaux <strong>de</strong> la culture en<br />

général. (…) Fondane se fera jusqu’au bout <strong>le</strong> défenseur <strong>du</strong> droit à l’irrationnel poétique, à<br />

l’ivresse divine <strong>de</strong> la Pythie opposée au charme maîtrisé d’une bel<strong>le</strong> création finie, quitte à<br />

revenir sans cesse <strong>sur</strong> ses textes palimpsestes pour <strong><strong>le</strong>s</strong> corriger en faveur <strong>de</strong> cette veine<br />

irrationnel<strong>le</strong> <strong>sur</strong>veillée par la raison.<br />

Lorsqu’on relit <strong><strong>le</strong>s</strong> poètes <strong>du</strong> Grand Jeu, qui ont été enfin admis dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> éditorial <strong>de</strong><br />

Gallimard, on comprend mieux cette génération assez tragique…Pensez à Artaud, à Roger<br />

Gilbert Lecomte, à Daumal, à Krémer ou même à Yvan Goll. Aujourd’hui, nous avons la<br />

chance <strong>de</strong> pouvoir <strong><strong>le</strong>s</strong> lire, <strong>de</strong> ressaisir <strong>le</strong>ur force, pour, je l’espère, nous inciter à être nousmêmes<br />

avec la même obstination et <strong>le</strong> même courage. Fondane vit dans l’intranquillité<br />

permanente. (…) Le traumatisme <strong>de</strong> la Première Guerre mondia<strong>le</strong> qui a suscité <strong>le</strong> nihilisme<br />

dadaïste, répondait à la catastrophe historique par une « catastrophe » logique qui faisait<br />

exploser la culture bourgeoise et mora<strong>le</strong> associée à la guerre par la pratique <strong>de</strong> l’ab<strong>sur</strong><strong>de</strong>.<br />

Dans un texte essentiel intitulé « Signification <strong>de</strong> Dada », Fondane prend acte <strong>de</strong> cette crise <strong>de</strong><br />

réalité, et dénonce l’idéalisme <strong>de</strong> la culture, ses artifices, ses <strong>le</strong>urres, bref une vaste<br />

fantasmagorie <strong>de</strong> concepts et d’images qu’il faut déchirer pour restituer un réel per<strong>du</strong>. Ce<br />

combat contre un « réel fantôme » gouverne toute son ½uvre. La souffrance humaine naît <strong>de</strong><br />

cette irréalité ; <strong>de</strong> cette distance avec soi, avec la source fécon<strong>de</strong>, indoci<strong>le</strong>, sauvage <strong>de</strong> l’être<br />

que <strong>le</strong> sujet porte en lui et qui s’épanche en poésie, en mythes, en peinture, en création. Les<br />

activités logiques, rationnel<strong><strong>le</strong>s</strong> et analytiques <strong>de</strong> l’esprit sont suspectes <strong>de</strong> nous en éloigner.<br />

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