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Jacqueline Giraud - l'Express n° 874, 18-24 mars 1968. - esu-psu-unef

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E<br />

LA MANIFESTATION DE JEUDI DERNIER A PARIS. Ä Ce n'est pas une facultÄ, c'est une caserne. Å<br />

LA REVOLTE DES ETUDIANTS<br />

N rangs serrÇs, casquÇs,<br />

matraques É la main, les<br />

C.R.S. attendaient, jeudi<br />

dernier, les 5 000 Çtudiants<br />

parisiens dÇcidÇs É faire entendre<br />

leurs revendications au ministre de<br />

l'Education nationale.<br />

AprÑs avoir vainement attendu le<br />

ministre É la nouvelle facultÇ des<br />

Sciences de Paris, qu'il devait<br />

inaugurer ce jour-lÉ, les Çtudiants se<br />

dirigÑrent rue de Grenelle. En effet,<br />

prÇvenu de la manifestation qui<br />

l'accueillerait, M. Alain Peyrefitte<br />

avait prÇfÇrÇ se retrancher dans son<br />

bureau.<br />

Au mÖme moment, dans de<br />

nombreuses villes de France,<br />

d'autres Çtudiants manifestaient,<br />

rÇpondant au mot d'ordre national<br />

lancÇ par la F.R.U.F. (FÇdÇration<br />

des rÇsidences universitaires de<br />

France) et l'U.N.E.F. (Union<br />

nationale des Çtudiants de France).<br />

Ä Non au nouveau rÑglement<br />

Peyrefitte ! Å, Ä A bas le plan<br />

Fouchet ! Å, Ä A bas la rÇpression<br />

policiÑre ! Å, tels sont les mots<br />

d'ordre qui ont retenti devant les<br />

rectorats. A Nantes, les Çtudiants<br />

ont parcouru la ville en brandissant<br />

le drapeau rouge. A Bordeaux, ils se<br />

sont assis devant le rectorat,<br />

bloquant la circulation pendant<br />

deux heures ; l'un d'entre eux a ÇtÇ<br />

arrÖtÇ.<br />

Les Çtudiants ne chahutent plus.<br />

En France, ils manifestent. Ailleurs,<br />

ils se soulÑvent.<br />

A Varsovie, la semaine derniÑre,<br />

plusieurs milliers d'entre eux se<br />

battaient, au nom de la libertÇ,<br />

contre les milices ouvriÑres. A<br />

Prague, ils ont dÇboulonnÇ de leur<br />

piÇdestal trois dirigeants syndicaux<br />

atteints de sclÇrose stalinienne.<br />

Ainsi accomplissaient-ils un pas en<br />

direction du rÖve commun É toute<br />

l'intelligentsia des pays de l'Est :<br />

celui d'un socialisme joyeux et sans<br />

entraves, d'un monde oÜ Budapest<br />

et le Vietnam ne seront plus que des<br />

souvenirs, et oÜ la productivitÇ<br />

industrielle n'interdira pas la<br />

crÇativitÇ artistique.<br />

A Madrid, sous une autre fÇrule,<br />

l'universitÇ est occupÇe en<br />

permanence par les forces de police.<br />

Dans les dÇmocraties occidentales,<br />

si l'agitation universitaire se<br />

nourrit de motifs diffÇrents, la<br />

finalitÇ est la mÖme. A Rome, les<br />

Çtudiants qui, le 1 er <strong>mars</strong>, se<br />

battaient avec la police au prix de<br />

200 blessÇs ont rÇcidivÇ en criant Ä<br />

pouvoir Çtudiant Å comme d'autres<br />

crient Ä pouvoir noir Å.<br />

A Berlin, Rudi le Rouge<br />

Dutschke, Çtudiant en sociologie de<br />

27 ans dont la sombre Çloquence<br />

enflamme les passions, mobilisait,<br />

fin fÇvrier, 20 000 de ses supporters<br />

pour marcher contre la mission<br />

amÇricaine de la ville<br />

L'exil ou la prison. Sur les<br />

campus des Etats-Unis, le rejet des<br />

Ä valeurs amÇricaines Å dÇbouche<br />

sur la prise de conscience politique<br />

: un sondage effectuÇ É l'universitÇ<br />

Harvard rÇvÑle, ce mois-ci, que plus<br />

de 40 % des Çtudiants choisiraient<br />

l'exil ou la prison plutát que d'aller<br />

se battre au Vietnam.<br />

Dans toutes les universitÇs, le<br />

vent de la rÇvolte s'est levÇ.<br />

En France, une fois encore, c'est<br />

contre le rÑglement intÇrieur des<br />

citÇs universitaires que les Çtudiants<br />

s'insurgent. Ä Dans les citÇs, on<br />

continue É brimer les Çtudiants,<br />

nous dÇclare un professeur de Nice.<br />

On les considÑre toujours comme<br />

des Çcoliers qu'il faut commander. A<br />

qui on interdit. A qui on accorde. Le<br />

rÑglement intÇrieur des citÇs est fait<br />

pour des enfants de 14 ans et non<br />

pour des jeunes gens sur le point de<br />

devenir des hommes. Ce n'est pas<br />

une facultÇ. C'est une caserne. Å<br />

Contre cette vie de caserne, les<br />

Çtudiants avaient dÇjÉ manifestÇ un<br />

mois plus tát, le 14 fÇvrier. Dans le<br />

calme ou dans la violence, sur la<br />

quasi-totalitÇ des campus, les


garàons ont envahiles pavillons des<br />

filles pour marquer leur dÇcision<br />

d'abolir le rÑglement En attendant<br />

une prise de position ministÇrielle,<br />

la plupart des doyens et des<br />

directeurs de rÇsidence ont laissÇ<br />

faire. Sauf É Nantes, É Nice, É<br />

Montpellier, oÜ ils ont cru devoir<br />

faire appel É la
 police. La rÇvolte<br />

des Çtudiants n'en a ÇtÇ que<br />

stimulÇe. A Montpellier, par<br />

exemple, l'administration appelle la<br />

police, le soir, pour empÖcher un<br />

groupe d'Çtudiants de coller des<br />

affiches. AlertÇs en hâte, les<br />

rÇsidents font front commun contre<br />

les policiers et les rejettent hors de<br />

la citÇ.<br />

Les lois de la nature. Huit jours<br />

plus tard, le 22, fÇvrier, le ministre<br />

de l'Education nationale, M. Alain<br />

Peyrefitte, rÇpond. Devant le Copar<br />

(ComitÇ parisien des œuvres<br />

universitaires et scolaires), il<br />

prÇsente les grandes lignes d'un<br />

nouveau rÑglement. Ä DÇsinvolture<br />

et hypocrisie Å, commente, le<br />

lendemain, le bureau 
 national de<br />

l'U.N.E.F.<br />

LES 23 VILLES ACADãMIQUES.<br />

Ä Hypocrisie Å, parce que si le<br />

nouveau rÑglement autorise les<br />

garàons majeurs É recevoir des filles<br />

dans leur chambre — jusqu'É 23<br />

heures ! -— la rÇciproque n'est pas<br />

admise. Ä Car, dit le ministre, les<br />

risques ne sont pas identiques : ce<br />

ne sont pas les garàons qui courent<br />

ces risques, ce sont les jeunes filles.<br />

Admettre les garàons dans les<br />

rÇsidences fÇminines, c'est faire<br />

courir É l’ensemble des jeunes filles<br />

des risques qu'on ne peut m<strong>esu</strong>rer. Å<br />

Les rÇsidentes peuvent donc passer<br />

la nuit chez les garàons, mais non<br />

l'inverse. Au nom des Ä lois de la<br />

nature Å.<br />

Ä Hypocrisie Å encore, É interdire<br />

aux garàons de 20 ans ce qu'on leur<br />

accordera quand ils en auront 21.<br />

Ä DÇsinvolture Å enfin, parce que,<br />

s'il s'est longuement Çtendu sur<br />

la Ä circulation des sexes, le<br />

ministre n'a pas rÇpondu aux autres<br />

revendications Çtudiantes, plus<br />

fondamentales : celles qui<br />

concernent _ leurs libertÇs. Envahir<br />

les chambres des filles est un acte<br />

symbolique par lequel s'affirme une<br />

masse de revendications. En<br />

conclure que les Çtudiants sont de<br />

jeunes ÇcervelÇs qui ne pensent qu'É<br />

faire la fÖte, c'est passer<br />

volontairement É cátÇ du.problÑme.<br />

Ce qu'ils veulent, en rÇalitÇ, c'est<br />

qu'on leur reconnaisse enfin<br />

l'ensemble des libertÇs accordÇes au<br />

reste de la nation : la libertÇ de<br />

rÇunion, d'association,<br />

d'information, d'expression. Le<br />

ministre s'est bornÇ É rÇpondre sur<br />

la Ä libertÇ de circulation Å — pour<br />

la refuser aux trois quarts — et,<br />

pour les autres, il a annoncÇ la mise<br />

É l'Çtude de Ä cette question<br />

complexe Å, en prÇcisant qu'elle<br />

Ärestera É l'Çtude tant que la masse<br />

des Çtudiants n'aura pas retrouvÇ<br />

son calme Å.<br />

Curieux dialogue. En dÇpit de<br />

cette menace implicite, elle ne l'a<br />

pas recouvrÇ. Certes, É l'opposÇ de<br />

I'U.N.E.F., le groupe d'Çtudiants<br />

modÇrÇs qui a crÇÇ, en novembre<br />

dernier, la Ä Commission CampusÅ,<br />

s'est fÇlicitÇ du ton employÇ par le<br />

ministre, mais n'en a pas moins<br />

affirmÇ sa volontÇ de Ä consolider<br />

les avantages acquis Å le 14 fÇvrier.<br />

Ce qui le distingue de l'U.N.E.F.,<br />

c'est qu'il croit y parvenir par le<br />

dialogue.<br />

Curieux dialogue que celui<br />

engagÇ l'autre semaine par<br />

l'acadÇmie de Nancy, qui fét appel<br />

aux gardiens de la paix et C.R.S.<br />

contre les Çtudiants de la citÇ<br />

dÇcidÇs É conserver Ä les avantages<br />

acquis Å. Matraques et grenades<br />

lacrymogÑnes laissÑrent une<br />

vingtaine de garàons et filles<br />

inanimÇs devant le rectorat.<br />

La majoritÇ des Çtudiants ne<br />

croient plus au dialogue. Ils<br />

connaissent trop bien l'hermÇtisme<br />

de l'administration universitaire.<br />

Car, si timorÇes soient-elles, les<br />

dÇclarations de M. Peyrefitte ont<br />

paru d'une folle audace É certains<br />

responsables universitaires, tel ce<br />

recteur pour qui tous les Çtudiants Ä<br />

trublions Å devraient Ötre mis en<br />

prison. EcartelÇ entre les exigences<br />

de son administration et les<br />

revendications des Çtudiants, le<br />

ministre n'a satisfait personne.<br />

Et le calme n'est pas revenu.<br />

Parce que, sur le problÑme des<br />

rÇsidences, la grande majoritÇ des<br />

Çtudiants est d'accord. Ne serait-ce<br />

qu'au nom de la logique. Or il est<br />

illogique de donner É un Çtudiant<br />

une chambre oÜ il vivra plusieurs<br />

annÇes, sans l'autoriser É punaiser<br />

une photo, É dÇplacer un meuble, É<br />

y vivre ses amours. Il est illogique<br />

de dÇclarer que la disposition d'une<br />

chambre en citÇ est une aide<br />

dÇcisive pour l'Çtudiant, et de lui<br />

interdire d'y demeurer plus de trois<br />

ans, quand la plupart des Çtudes<br />

supÇrieures durent plus longtemps.<br />

L'automne rouge. Ä Comment<br />

voulez-vous, nous dit M. Jacques<br />

Balland, directeur de la rÇsidence<br />

d'Antony, qu'un Çtudiant qui suit des<br />

cours pour adultes É la Sorbonne,<br />

qui discute librement toute la<br />

journÇe au Quartier Latin, qui est<br />

adulte lorsqu'il prend son mÇtro É la<br />

gare du Luxembourg, se transforme<br />

en gamin irresponsable lorsqu'il<br />

parvient, dix minutes plus tard, É la<br />

rÇsidence d'Antony ? C'est absurde.<br />

Å Absurde de prÇtendre faire vivre<br />

comme un pensionnat des<br />

communautÇs de 1 000, 2 000 ou 3<br />

000 Çtudiants.<br />

Au point que la plus grande et la<br />

plus ancienne rÇsidence universitaire<br />

franàaise, celle d'Antony,<br />

prÇcisÇment, n'applique plus le<br />

rÑglement officiel depuis deux ans.<br />

Depuis le fameux Ä automne rougeÅ<br />

de 1965. Le 1" octobre 1965, 1 700<br />

Çtudiants empÖchent les ouvriers de<br />

construire une loge de concierge<br />

devant le pavillon des filles. Le<br />

recteur de l'AcadÇmie de Paris<br />

riposte en envoyant quelques<br />

centaines de policiers qui montent<br />

la garde jusqu'É l'achÑvement de la<br />

loge. Les Çtudiants continuent la<br />

lutte, trois mois durant : meetings,<br />

exclusions d'Çtudiants, bagarres<br />

avec la police.<br />

Finalement, le 5 janvier 1966, le<br />

directeur d'Antony, M. Jean Bressan,<br />

est remplacÇ par M- Jacques<br />

Balland. A la rÇpression, le nouveau<br />

directeur choisit de substituer la<br />

recherche du dialogue, l'Çlaboration<br />

d'un rÑglement officieux plus<br />

dÇmocratique. Les filles majeures<br />

peuvent, comme les garàons,<br />

recevoir Ä l'autre sexe Å dans leurs<br />

chambres ; Quant aux mineurs, ils<br />

jouissent de la mÖme libertÇ, s’ils<br />

ont une autorisation de leurs parents<br />

qui libÑre l'administration de toute<br />

responsabilitÇ juridique. La constitution<br />

d'associations, les rÇunions<br />

politiques, syndicales et culturelles<br />

sont autorisÇes, É condition d'Ötre<br />

approuvÇes par le directeur. Les<br />

Çtudiants participent É la gestion des<br />

activitÇs culturelles et dÇcident de<br />

leur contenu.<br />

RãPARTITION PAR DISCIPLINES.


M. JACQUES BALLAND.<br />

Fini, les fils de bourgeois<br />

Les vieux interdits. MÖme si<br />

elles sont en retrait sur les<br />

revendications actuelles de<br />

l'U.N.E.F. et :de la F.R.U.F. : -— qui<br />

jugent Ä Å la toutepuissance<br />

de dÇcision laissÇe au<br />

directeur — ces concessions ont<br />

ramenÇ le calme É Antony. Sans<br />

pour autant en faire le lieu de<br />

dÇsordre et de perdition que<br />

prÇdisaient les esprits chagrins.<br />

Depuis deux ans, au mÇpris du<br />

rÑglement officiel, les Çtudiants<br />

peuvent vivre É Antony. Mais pas<br />

dans les autres rÇsidences<br />

franàaises.<br />

Ä Le problÑme des rÇsidences, dit<br />

M. Balland, c'est, au fond, celui de<br />

la dÇmocratisation de<br />

l'enseignement. Autrefois, les<br />

facultÇs n'accueillaient que les fils<br />

de bourgeois qui vivaient dans leur<br />

famille ou avaient les moyens de<br />

s'installer en ville. Aujourd'hui,<br />

l'accÑs aux facultÇs est plus ouvert,<br />

et l'on convient qu'il faut permettre<br />

aux Çtudiants sans fortune de se<br />

loger en citÇ. Mais si l'on maintient<br />

les vieux interdits de dÇfense de la<br />

bourgeoisie, cela veut dire qu'on<br />

refuse aux Çtudiants issus des<br />

milieux modestes la possibilitÇ<br />

d'une vÇritable initiation civique.<br />

Encore une fois il faut Ötre logique.<br />

Le problÑme des Çtudiants rappelle<br />

celui de la dÇcolonisation. Il faut<br />

dÇparternaliser. Å<br />

Sur ce mot d'ordre, les Çtudiants<br />

sont tous d'accord. Parce que le<br />

paternalisme des institutions<br />

universitaires est en flagrante<br />

contradiction avec une maturitÇ de<br />

plus en plus prÇcoce. On brime<br />

encore les Çtudiants quand, dÇjÉ, la<br />

rÇvolte gagne les lycÇes. Quand le<br />

cinÇma et, surtout, la tÇlÇvision<br />

mettent dÇsormais les jeunes face<br />

aux rÇalitÇs, É la guerre du Vietnam<br />

et aux Çmeutes noires, aux dÇbats<br />

politiques et aux exploits<br />

scientifiques. La sociÇtÇ de<br />

consommation a dÇcouvert en eux<br />

une clientÑle. Elle leur reconnaét le<br />

droit d'acheter. Elle voudrait leur<br />

dÇnier les autres.<br />

Le fer de lance. Conflit des<br />

gÇnÇrations, la lutte dans les<br />

rÇsidences est d'abord cela. Mais<br />

pour une fraction des Çtudiants, elle<br />

est plus que cela. Si le rÑglement<br />

des campus est en contradiction<br />

avec la dÇmocratisation de<br />

l'enseignement, ils jugent que ce<br />

n'est pas un hasard, mais l'une des<br />

multiples manifestations de la nondÇmocratisation<br />

rÇelle de<br />

l'enseignement.<br />

C'est ce qu'illustre bien l'histoire<br />

mouvementÇe de Nanterre. A sa<br />

crÇation, il y a quatre ans, cette<br />

facultÇ a soulevÇ de grands espoirs.<br />

Ce devait Ötre le lieu d'expÇrimentation<br />

d'un enseignement<br />

renouvelÇ, l'esquisse de l'UniversitÇ<br />

de demain. De cÇlÑbres professeurs<br />

ont volontairement quittÇ la<br />

Sorbonne pour participer É la<br />

Grande Aventure. Aujourd'hui, cette<br />

facultÇ neuve suinte dÇjÉ l'ennui et<br />

la vieillesse des H.L.M. immÇdiatement<br />

fanÇs. Des murs sales, un<br />

hall kafkaèen qui Çvoque<br />

irrÇsistiblement la froideur vÇtuste<br />

de la salle des pas perdus de la gare<br />

Saint-Lazare. Une architecture<br />

sarcellienne dressÇe dans un<br />

immense chantier boueux. Un<br />

horizon : les bidonvilles. Un bruit<br />

de fond : les grues, les camions et<br />

les marteaux-piqueurs sur le<br />

chantier du mÇtro express.<br />

Ä Il ne suffit pas d'utiliser du<br />

bÇton et du verre pour faire du<br />

moderne, nous dit un Çtudiant en<br />

sociologie. Dans sa conception —avec<br />

ses amphis de 900 places —<br />

Nanterre reprend ce qu'il y É de plus<br />

vieux dans l'enseignement franàais.<br />

Et quelle misÑre architecturale ! Å<br />

Ironique, il me montre le Ä club<br />

des professeurs Å : vaste salle vitrÇe,<br />

calme, pastel, fauteuils profonds et<br />

tables basses. Ä C'est ici que pensent<br />

les professeurs. Pour nous, c'est É<br />

cátÇ. Å A cátÇ : une piÑce aveugle,<br />

cernÇe de machines É distribuer<br />

boissons et nourritures, oÜ les<br />

Çtudiants s'entassent, debout, entre<br />

les cours.<br />

GrÄve sauvage. AprÑs quatre ans<br />

d'existence, Nanterre est dÇjÉ le<br />

tombeau des illusions perdues,<br />

noyÇes sous l'avalanche dÇmographique.<br />

En 1964, Nanterre<br />

accueillait 2 300 Çtudiants. Cette<br />

annÇe, elle a dê en absorber 12 000.<br />

Une rentrÇe difficile : faute de<br />

professeurs, des cours, des travaux<br />

pratiques ont dê Ötre supprimÇs.<br />

Le 17 novembre, les Çtudiants en<br />

sociologie lancent un mot d'ordre de<br />

grÑve, en accord avec leurs<br />

professeurs. Mais c'est une Ä grÑve<br />

sauvage Å, pas une occasion de<br />

prendre des vacances. Les Çtudiants<br />

sont lÉ, mais au lieu de suivre les<br />

cours, ils veulent discuter de leurs<br />

problÑmes avec les professeurs et<br />

les responsables universitaires. Le<br />

mouvement gagne l'ensemble de la<br />

facultÇ et se poursuit dix jours<br />

durant. Il se termine sur la<br />

constitution d'une commission<br />

mixte (Çtudiants, professeurs)<br />

chargÇe d'Çlaborer les propositions<br />

communes É soumettre au ministÑre.<br />

Ici comme en r Çsidence<br />

s'affirme cette volontÇ de ne plus<br />

simplement subir — un rÑglement<br />

de citÇ, une rÇforme de l'enseignement<br />

— mais de participer.<br />

Au-delÉ de ce dÇsir commun, les<br />

contradictions commencent. Pour la<br />

majoritÇ des Çtudiants de Nanterre,<br />

la grÑve ne remettait pas en cause le<br />

principe de la rÇforme Fouchet.<br />

Mais ses modalitÇs : travaux<br />

pratiques surchargÇs, manque de<br />

bibliothÑques, problÑme des<br />

Çquivalences entre l'ancien et le<br />

nouveau rÇgime, inquiÇtude sur les<br />

dÇbouchÇs. Maintenant que la<br />

commission mixte leur permet de<br />

discuter de ces problÑmes, ils sont<br />

satisfaits. Et ils condamnent les<br />

autres, les minoritÇs agissantes qui<br />

n'ont pas dÇsarmÇ.<br />

Cahots. Pour ceux-lÉ, en effet, le<br />

problÑme n'est pas d'adoucir les<br />

cahots qu'entraéne la mise en place<br />

du plan Fouchet. Il s'agit de refuser<br />

cette rÇforme Ä technocratique Å<br />

dans laquelle ils dÇnoncent<br />

l'asservissement de l'UniversitÇ aux<br />

besoins immÇdiats de l'industrie,<br />

Cette contestation-lÉ, c'est É peine<br />

si elle s'Çbauche, dans un monde<br />

Çtudiant dÇsorganisÇ, ces derniÑres<br />

annÇes, par la crise de I'U.N.E.F., la<br />

crise de l'U.E.C. (Union des<br />

Çtudiants communistes). Au<br />

lendemain de la guerre d'AlgÇrie,<br />

les Çtudiants franàais, comme les<br />

adultes, se sont endormis dans le<br />

LES ãTUDIANTS FRANëAIS DE 1945 í <strong>1968.</strong>


onron de la vieille universitÇ<br />

libÇrale. Mais voici qu'avec la<br />

rÇforme Fouchet, cette universitÇ se<br />

transforme. Tant bien que mal, elle<br />

tente de s'adapter au monde<br />

d'aujourd'hui. Pris dans cette<br />

mutation, É nouveau sensibilisÇs par<br />

la guerre du Vietnam, les Çtudiants<br />

se rÇveillent, critiquent, s'insurgent.<br />

Certes, il y a encore loin de leurs<br />

petites flambÇes spontanÇes É<br />

l'existence d'un vaste mouvement<br />

tel qu'il se dessine en Allemagne<br />

par exemple. A Nanterre, les<br />

ÄÇvÇnements Å sont jusqu'ici le fait<br />

d'une petite minoritÇ de sociologues<br />

anarchistes. Conscients de leur<br />

faiblesse numÇrique, ils ont choisi<br />

la seule tactique É leur portÇe : saisir<br />

toute occasion de faire de la<br />

provocation.<br />

A Nantes Çgalement, le drapeau<br />

noir des anarchistes flotte sur la<br />

manifestation du 14 fÇvrier qui se<br />

rend au rectorat au chant de<br />

ÄL'Internationale Å. Le rectorat<br />

envahi, les policiers arrivent et<br />

arrÖtent 45 Çtudiants au terme d'une<br />

bagarre qui laissÇ le bâtiment<br />

totalement dÇvastÇ.<br />

A Besanàon, le 29 fÇvrier, 300<br />

Çtudiants manifestent dans les rues<br />

de la ville aux cris de Ä Plan<br />

Fouchet au panier Å, Ä L'UniversitÇ<br />

que nous voulons est celle de tous<br />

les travailleurs Å. En janvier dernier,<br />

É Caen, quelques centaines<br />

d'Çtudiants dÇfilent aux cátÇs des<br />

grÇvistes de la Saviem et font pour<br />

eux des collectes É la sortie des<br />

restaurants universitaires.<br />

Au coude Å coude. DerriÑre ces<br />

mouvements Çpars, faibles encore,<br />

il y a tantát les anarchistes, tantát<br />

les marxistes-lÇninistes Ä prochinois<br />

Å, tantát les trotskystes. Certes, ils<br />

ne sont pas d'accord entre eux, pas<br />

plus qu'ils ne le sont avec les<br />

Çtudiants communistes ou le Bureau<br />

national de l'U.N.E.F. Mais tous se<br />

trouvent au coude É coude dans les<br />

manifestations, tous refusent la<br />

rÇforme Fouchet.<br />

Dans ce climat de contestation,<br />

l'U.E.C. et l'U.N.E.F. reprennent de<br />

la vigueur. Les <strong>24</strong> et 25 fÇvrier,<br />

l'U.E.C. — qui groupe actuellement<br />

quelque 8 000 Çtudiants — tenait<br />

des assises nationales consacrÇes É<br />

la rÇforme de l'UniversitÇ.<br />

Ä La rÇforme du pouvoir est<br />

cohÇrente, intelligente, habile, mais<br />

rÇactionnaire, concluait É la tribune<br />

le secrÇtaire gÇnÇral Jean-Marie<br />

Cathala. Elle est rÇactionnaire parce<br />

qu'elle a pour seul but de fournir au<br />

capitalisme les gens dont il a<br />

besoin, de mettre l'UniversitÇ sous<br />

le contrále du patronat. Å<br />

La position du Bureau de<br />

l'U.N.E.F. est encore plus nette. Ä<br />

Le plan Fouchet Çquivaut É la<br />

technocratisation de l'UniversitÇ,<br />

nous dit son prÇsident, Michel<br />

Perraud. Il s'agit d'adapter la<br />

formation professionnelle É un<br />

certain type d'Çconomie, par la<br />

sÇlection, par la sÇparation en<br />

cycles courts et en cycles longs. Et<br />

quand on interdit aux Çtudiants de<br />

rester plus de trois ans en citÇ, cela<br />

veut dire que l'on oriente les classes<br />

pauvres vers les voies courtes. La<br />

rÇforme, en fait, vise É organiser<br />

l'Çlimination des Çtudiants. Ce que<br />

nous voulons, c'est une<br />

transformation de l'UniversitÇ en un<br />

sens non seulement plus<br />

dÇmocratique, mais socialiste. Et<br />

par l'intermÇdiaire de l'UniversitÇ<br />

que nous contestons, c'est le type de<br />

sociÇtÇ Çconomique et politique<br />

qu'il s'agit de contester. Å<br />

La relÄve. En France, comme en<br />

Allemagne, en Italie et en Espagne,<br />

mÖme si les apparences diffÑrent,<br />

c'est le mÖme mouvement qui<br />

s'Çbauche au sein du monde<br />

Çtudiant. En dehors du jeu politique<br />

— quand il existe — les Çtudiants<br />

remettent en cause les sociÇtÇs<br />

d'Europe occidentale.<br />

Que l'opposition soit interdite —<br />

comme en Espagne — ou<br />

inexistante, comme dans<br />

l'Allemagne de la grande coalition<br />

gouvernementale, et les Çtudiants<br />

prennent la relÑve. Parce qu'ils sont<br />

encore en marge du systÑme, ils<br />

conservent toute libertÇ de le<br />

critiquer sans concession.<br />

Cela sans doute n'est pas<br />

nouveau. Mais ce qui est nouveau,<br />

c'est que, dans les divers pays<br />

d'Europe, la contestation des<br />

Çtudiants coèncide avec une crise de<br />

l'UniversitÇ. FÇodale ou libÇrale,<br />

partout elle s'effondre, sapÇe par ses<br />

contradictions avec une sociÇtÇ de<br />

plus en plus technocratique. En<br />

Italie, en Allemagne, en Espagne<br />

mÖme, des rÇformes sont prÇvues,<br />

qui visent, comme le plan Fouchet,<br />

É Ä rentabiliser Å l'UniversitÇ, É<br />

l'adapter aux besoins de l'Çconomie<br />

capitaliste. Dans cette phase de<br />

mutation douloureuse, les Çtudiants<br />

saisissent une occasion d'agir. La<br />

transformation forcÇe de<br />

l'UniversitÇ leur donne l'opportunitÇ<br />

d'en discuter les objectifs, la<br />

fonction dans la sociÇtÇ, et, par lÉ,<br />

de discuter la sociÇtÇ elle-mÖme.<br />

Ä Nous assistons É l'entrÇe de<br />

la politique dans l'UniversitÇ. Elle<br />

n'est plus un monde clos Å, nous dit<br />

le sociologue Alain Touraine, qui<br />

professe É Nanterre. Parce que dans<br />

un monde oÜ le progrÑs de la<br />

connaissance est devenu un facteur<br />

essentiel de la croissance,<br />

l'UniversitÇ n'est plus seulement le<br />

lieu de transmission d'un hÇritage<br />

culturel. Elle devient un Ä lieu de<br />

production Å au mÖme titre que<br />

l'usine. En mÖme temps, facultÇs et<br />

campus concentrent sans cesse<br />

davantage ces effectifs de Ä<br />

production de la connaissance Å.<br />

Tous facteurs favorables É la<br />

naissance d'un mouvement dans<br />

l'UniversitÇ, comme la<br />

concentration industrielle le fut É la<br />

naissance du mouvement ouvrier.<br />

La bande Å Bonnot. Ä Mais les<br />

flambÇes anarchisantes, prÇcise M.<br />

Touraine, ne sont pas un<br />

mouvement Çtudiant. Pas plus que<br />

la Ä bande É Bonnot Å n'Çtait le<br />

mouvement ouvrier. On voit<br />

maintenant renaétre, É l'UniversitÇ,<br />

des utopies comparables É celles du<br />

XIXì siÑcle face É<br />

l'industrialisation. Ces rÇactions de<br />

refus sont significatives d'un<br />

malaise, d'une crise, mais ne<br />

suffisent pas É fonder un<br />

mouvement. Å<br />

Or telle est finalement la question<br />

essentielle : un vrai mouvement,<br />

ordonnÇ sur des objectifs positifs,<br />

va-t-il naétre de ces flambÇes ?<br />

Ä Pour qu'il y ait naissance d'un<br />

mouvement, dit encore M.<br />

Touraine, il faut que se combinent<br />

trois facteurs : un blocage de<br />

l'institution universitaire, une<br />

rupture de gÇnÇration et une<br />

insatisfaction politique. Encore<br />

faut-il que la rencontre de ces trois<br />

ÇlÇments ne soit pas une simple<br />

addition de refus. Le mouvement<br />

Çtudiant ne pourra acquÇrir toute<br />

son importance que dans une<br />

sociÇtÇ qui croit au rále moteur de<br />

la connaissance dans le<br />

dÇveloppement national. Å<br />

C'est par le dosage de ces trois<br />

composantes que se diffÇrencient<br />

les mouvements Çtudiants des<br />

divers pays. En Italie, les<br />

manifestations, si violentes soientelles,<br />

marquent essentiel-<br />

FRANCFORT : RUDI DUTSCHKE (X)<br />

CONDUIT UNE MANIFESTATION.<br />

Ä Notre Vietnam, c'est ici. Å<br />

lement le refus : d’une UniversitÇ<br />

figÇe sur ses structures fÇodales. Il<br />

s'y greffe bien quelques affirmations<br />

politiques, anarchistes, Ä chinoises<br />

Å ou Ä guevaristes Å, mais il<br />

manque une rÇelle structure<br />

idÇologique. Si bien que, malgrÇ


son ampleur actuelle, le mouvement<br />

M. MICHEL PERRAUD.<br />

Abattre les vieux interdits.<br />

italien risque de tourner court s'il ne<br />

se dÇfinit pas d'autres objectifs que<br />

le seul refus d'une institution que le<br />

gouvernement est d'ailleurs dÇcidÇ É<br />

rÇformer.<br />

Barricades. Il en va tout<br />

autrement du mouvement allemand,<br />

qui, lui, reprÇsente une contestation<br />

du rÇgime politique tout autant que<br />

de l'UniversitÇ. Selon les rÇsultats<br />

d'un sondage publiÇ rÇcemment par<br />

le Ä Spiegel Å, 78 % des Çtudiants<br />

sont convaincus que la dÇmocratie<br />

ouest-allemande est purement<br />

thÇorique et que la sociÇtÇ est<br />

autoritaire, conservatrice et<br />

rÇactionnaire ; 67 % s'affirment<br />

prÖts É monter sur les barricades.<br />

ÄNotre Vietnam, c'est ici Å,<br />

proclame leur leader, Rudi<br />

Dutsàhke. AprÑs ce sondage, le<br />

gouvernement ne peut plus<br />

considÇrer que les manifestations<br />

sont le fait d'une minoritÇ d'excitÇs.<br />

Ce double refus, d'une UniversitÇ<br />

et du rÇgime, est encore plus net en<br />

Espagne. En trois ans, le<br />

mouvement Çtudiant s'est<br />

considÇrablement radicaljsÇ. Il n'y a<br />

plus qu'une petite minoritÇ pour<br />

croire É une libÇralisation possible<br />

dans le cadre franquiste. 80 % des<br />

Çtudiants suivent le Syndicat<br />

dÇmocratique des Çtudiants<br />

espagnols — officiellement interdit<br />

— et dont l'objectif avouÇ est le<br />

renversement du rÇgime. En liaison<br />

avec les commissions ouvriÑres —<br />

L'EXPRESS - <strong>18</strong>-<strong>24</strong> <strong>mars</strong> 1968<br />

NumÅro <strong>874</strong>. Pages 99 Ç 103<br />

Çgalement interdites — les Çtudiants<br />

reprÇsentent la deuxiÑme force bien<br />

organisÇe de l'opposition espagnole.<br />

En France, la situation est É michemin<br />

entre l'Italie et l'Allemagne.<br />

Pour une bonne partie des Çtudiants,<br />

les revendications ne dÇpassent pas<br />

le cadre de l'UniversitÇ ; elles<br />

concernent leur mode de vie en<br />

rÇsidence, leurs difficultÇs de travail<br />

en facultÇ. Mais pour ceux qui<br />

suivent le Bureau de l'U.N.E.F.,<br />

elles dÇbouchent, comme en<br />

Allemagne, sur une contestation de<br />

la sociÇtÇ. La lutte dans les campus<br />

n'est qu'un premier Çpisode, le<br />

thÑme de mobilisation actuellement<br />

privilÇgiÇ. Le mouvement s'apaisera<br />

peut-Ötre pendant le troisiÑme<br />

trimestre, É cause de l'ÇchÇance des.<br />

examens. Mais les Çtudiants pensent<br />

dÇjÉ É la prochaine rentrÇe, gui<br />

menace d'Ötre encore plus difficile<br />

que la prÇcÇdente. Et qui donnera la<br />

matiÑre É de nouvelles actions.<br />

MILAN : LES ãTUDIANTS OCCUPENT<br />

LA COUR DE L'UNIVERSITã.<br />

Sortir du simple refus.<br />

HystÇrie collective. Reste É<br />

savoir de quel poids un mouvement<br />

Çtudiant, mÖme solide, peut peser<br />

dans la vie politique d'un pays.<br />

Certes, É lui seul, il ne peut faire la<br />

rÇvolution. Mais il peut jouer le rále<br />

de rÇvÇlateur des faiblesses d'un<br />

rÇgime. Ce sont les Çtudiants<br />

japonais qui ont mis É l'ordre du<br />

jour le problÑme de la dÇpendance É<br />

l'Çgard des Etats-Unis et qui ont<br />

ouvert la voie de la rÇbellion. Les<br />

Çtudiants allemands ont perturbÇ la<br />

bonne conscience de leurs aénÇs en<br />

semant la divergence dans les rangs<br />

socialistes : l'aile droite du S.P.D.<br />

demande l'exclusion des membres<br />

de gauche qui ont participÇ É la<br />

vaste manifestation des Çtudiants<br />

contre la guerre au Vietnam. Et la<br />

contre-manifestation organisÇe, É<br />

Berlin, par cette mÖme aile droite, É<br />

vite dÇgÇnÇrÇ en hystÇrie collective,<br />

en Ä chasse É l'Çtudiant Å qui en É<br />

brusquement ÇvoquÇ d'autres pour<br />

nombre d'Allemands horrifiÇs.<br />

Dans les rÇgimes totalitaires, oÜ<br />

l'opposition n'a pas d'existence<br />

officielle, tout comme dans les<br />

dÇmocraties, oÜ l'opposition leur<br />

paraét souvent ne pas offrir une<br />

vÇritable alternative, les Çtudiants<br />

affirment une contestation radicale.<br />

Ce n'est certainement pas un<br />

hasard si, É Tokyo comme É Turin,<br />

É Berlin comme É Madrid, É<br />

Varsovie comme É Berkeley, tous<br />

s'insurgent. en mÖme temps. C'est<br />

parce qu'en dÇpit des diffÇrences,<br />

les objectifs qu'on leur propose sont<br />

fondamentalement les mÖmes —<br />

produire et consommer : — et qu'ils<br />

ne s'en contentent pas. Car ce ne<br />

sont pas des objectifs. Ce ne sont<br />

que des moyens, Çvidents et<br />

nÇcessaires, de dÇveloppement,<br />

qu'ils ne songent pas plus É rÇcuser<br />

qu'ils ne refusent d'avoir leur<br />

voiture, ce symbole du couple<br />

production-consommation.<br />

Tout casser. Mais production et<br />

consommation au service de quoi ?<br />

De quelles conquÖtes, de quelle<br />

aventure collective ? Toutes les<br />

gÇnÇrations ont inventÇ et_ connu la<br />

leur, qui fut parfois sanglante.<br />

Aujourd'hui, toutes les perspectives<br />

sont obscures. On sort de facultÇ<br />

armÇ de diplámes et de<br />

connaissances qui ne dÇbouchent<br />

pas sur le rÇel. Le bien-Ötre<br />

matÇriel, cela va de soi. S'ils ne l'ont<br />

pas, ils l'auront. Les richesses,<br />

aujourd'hui, sont ailleurs. Le monde<br />

industriel exige de ceux qui ont<br />

l'ambition de le dominer une<br />

fÇconditÇ intellectuelle, un don<br />

d'innovation et de crÇation qui ne<br />

peuvent s'Çpanouir que dans un<br />

climat de libertÇ, et avec des<br />

perspectives qui ne soient pas<br />

strictement Çgoèstes.<br />

On est gÇnÇreux É 20 ans, mÖme<br />

quand on ne pense qu'É soi et que<br />

l'on est prÖt É tout casser pour<br />

Çchapper É l'angoisse de finir par<br />

ressembler É ses parents.<br />

Ce que les Çtudiants ressentent,<br />

c'est bien plus que le traditionnel<br />

Çchec des gÇnÇrations prÇcÇdentes É<br />

Ä changer la vie Å. C'est l'absence<br />

d'espoir, l'espÑce de morne<br />

rÇsignation posÇe sur leur jeunesse<br />

comme le couvercle d'une marmite.<br />

A force de le soulever, ils le<br />

feront sauter.<br />

JACQUELINE GIRAUD ■

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