Jacqueline Giraud - l'Express n° 874, 18-24 mars 1968. - esu-psu-unef
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onron de la vieille universitÇ<br />
libÇrale. Mais voici qu'avec la<br />
rÇforme Fouchet, cette universitÇ se<br />
transforme. Tant bien que mal, elle<br />
tente de s'adapter au monde<br />
d'aujourd'hui. Pris dans cette<br />
mutation, É nouveau sensibilisÇs par<br />
la guerre du Vietnam, les Çtudiants<br />
se rÇveillent, critiquent, s'insurgent.<br />
Certes, il y a encore loin de leurs<br />
petites flambÇes spontanÇes É<br />
l'existence d'un vaste mouvement<br />
tel qu'il se dessine en Allemagne<br />
par exemple. A Nanterre, les<br />
ÄÇvÇnements Å sont jusqu'ici le fait<br />
d'une petite minoritÇ de sociologues<br />
anarchistes. Conscients de leur<br />
faiblesse numÇrique, ils ont choisi<br />
la seule tactique É leur portÇe : saisir<br />
toute occasion de faire de la<br />
provocation.<br />
A Nantes Çgalement, le drapeau<br />
noir des anarchistes flotte sur la<br />
manifestation du 14 fÇvrier qui se<br />
rend au rectorat au chant de<br />
ÄL'Internationale Å. Le rectorat<br />
envahi, les policiers arrivent et<br />
arrÖtent 45 Çtudiants au terme d'une<br />
bagarre qui laissÇ le bâtiment<br />
totalement dÇvastÇ.<br />
A Besanàon, le 29 fÇvrier, 300<br />
Çtudiants manifestent dans les rues<br />
de la ville aux cris de Ä Plan<br />
Fouchet au panier Å, Ä L'UniversitÇ<br />
que nous voulons est celle de tous<br />
les travailleurs Å. En janvier dernier,<br />
É Caen, quelques centaines<br />
d'Çtudiants dÇfilent aux cátÇs des<br />
grÇvistes de la Saviem et font pour<br />
eux des collectes É la sortie des<br />
restaurants universitaires.<br />
Au coude Å coude. DerriÑre ces<br />
mouvements Çpars, faibles encore,<br />
il y a tantát les anarchistes, tantát<br />
les marxistes-lÇninistes Ä prochinois<br />
Å, tantát les trotskystes. Certes, ils<br />
ne sont pas d'accord entre eux, pas<br />
plus qu'ils ne le sont avec les<br />
Çtudiants communistes ou le Bureau<br />
national de l'U.N.E.F. Mais tous se<br />
trouvent au coude É coude dans les<br />
manifestations, tous refusent la<br />
rÇforme Fouchet.<br />
Dans ce climat de contestation,<br />
l'U.E.C. et l'U.N.E.F. reprennent de<br />
la vigueur. Les <strong>24</strong> et 25 fÇvrier,<br />
l'U.E.C. — qui groupe actuellement<br />
quelque 8 000 Çtudiants — tenait<br />
des assises nationales consacrÇes É<br />
la rÇforme de l'UniversitÇ.<br />
Ä La rÇforme du pouvoir est<br />
cohÇrente, intelligente, habile, mais<br />
rÇactionnaire, concluait É la tribune<br />
le secrÇtaire gÇnÇral Jean-Marie<br />
Cathala. Elle est rÇactionnaire parce<br />
qu'elle a pour seul but de fournir au<br />
capitalisme les gens dont il a<br />
besoin, de mettre l'UniversitÇ sous<br />
le contrále du patronat. Å<br />
La position du Bureau de<br />
l'U.N.E.F. est encore plus nette. Ä<br />
Le plan Fouchet Çquivaut É la<br />
technocratisation de l'UniversitÇ,<br />
nous dit son prÇsident, Michel<br />
Perraud. Il s'agit d'adapter la<br />
formation professionnelle É un<br />
certain type d'Çconomie, par la<br />
sÇlection, par la sÇparation en<br />
cycles courts et en cycles longs. Et<br />
quand on interdit aux Çtudiants de<br />
rester plus de trois ans en citÇ, cela<br />
veut dire que l'on oriente les classes<br />
pauvres vers les voies courtes. La<br />
rÇforme, en fait, vise É organiser<br />
l'Çlimination des Çtudiants. Ce que<br />
nous voulons, c'est une<br />
transformation de l'UniversitÇ en un<br />
sens non seulement plus<br />
dÇmocratique, mais socialiste. Et<br />
par l'intermÇdiaire de l'UniversitÇ<br />
que nous contestons, c'est le type de<br />
sociÇtÇ Çconomique et politique<br />
qu'il s'agit de contester. Å<br />
La relÄve. En France, comme en<br />
Allemagne, en Italie et en Espagne,<br />
mÖme si les apparences diffÑrent,<br />
c'est le mÖme mouvement qui<br />
s'Çbauche au sein du monde<br />
Çtudiant. En dehors du jeu politique<br />
— quand il existe — les Çtudiants<br />
remettent en cause les sociÇtÇs<br />
d'Europe occidentale.<br />
Que l'opposition soit interdite —<br />
comme en Espagne — ou<br />
inexistante, comme dans<br />
l'Allemagne de la grande coalition<br />
gouvernementale, et les Çtudiants<br />
prennent la relÑve. Parce qu'ils sont<br />
encore en marge du systÑme, ils<br />
conservent toute libertÇ de le<br />
critiquer sans concession.<br />
Cela sans doute n'est pas<br />
nouveau. Mais ce qui est nouveau,<br />
c'est que, dans les divers pays<br />
d'Europe, la contestation des<br />
Çtudiants coèncide avec une crise de<br />
l'UniversitÇ. FÇodale ou libÇrale,<br />
partout elle s'effondre, sapÇe par ses<br />
contradictions avec une sociÇtÇ de<br />
plus en plus technocratique. En<br />
Italie, en Allemagne, en Espagne<br />
mÖme, des rÇformes sont prÇvues,<br />
qui visent, comme le plan Fouchet,<br />
É Ä rentabiliser Å l'UniversitÇ, É<br />
l'adapter aux besoins de l'Çconomie<br />
capitaliste. Dans cette phase de<br />
mutation douloureuse, les Çtudiants<br />
saisissent une occasion d'agir. La<br />
transformation forcÇe de<br />
l'UniversitÇ leur donne l'opportunitÇ<br />
d'en discuter les objectifs, la<br />
fonction dans la sociÇtÇ, et, par lÉ,<br />
de discuter la sociÇtÇ elle-mÖme.<br />
Ä Nous assistons É l'entrÇe de<br />
la politique dans l'UniversitÇ. Elle<br />
n'est plus un monde clos Å, nous dit<br />
le sociologue Alain Touraine, qui<br />
professe É Nanterre. Parce que dans<br />
un monde oÜ le progrÑs de la<br />
connaissance est devenu un facteur<br />
essentiel de la croissance,<br />
l'UniversitÇ n'est plus seulement le<br />
lieu de transmission d'un hÇritage<br />
culturel. Elle devient un Ä lieu de<br />
production Å au mÖme titre que<br />
l'usine. En mÖme temps, facultÇs et<br />
campus concentrent sans cesse<br />
davantage ces effectifs de Ä<br />
production de la connaissance Å.<br />
Tous facteurs favorables É la<br />
naissance d'un mouvement dans<br />
l'UniversitÇ, comme la<br />
concentration industrielle le fut É la<br />
naissance du mouvement ouvrier.<br />
La bande Å Bonnot. Ä Mais les<br />
flambÇes anarchisantes, prÇcise M.<br />
Touraine, ne sont pas un<br />
mouvement Çtudiant. Pas plus que<br />
la Ä bande É Bonnot Å n'Çtait le<br />
mouvement ouvrier. On voit<br />
maintenant renaétre, É l'UniversitÇ,<br />
des utopies comparables É celles du<br />
XIXì siÑcle face É<br />
l'industrialisation. Ces rÇactions de<br />
refus sont significatives d'un<br />
malaise, d'une crise, mais ne<br />
suffisent pas É fonder un<br />
mouvement. Å<br />
Or telle est finalement la question<br />
essentielle : un vrai mouvement,<br />
ordonnÇ sur des objectifs positifs,<br />
va-t-il naétre de ces flambÇes ?<br />
Ä Pour qu'il y ait naissance d'un<br />
mouvement, dit encore M.<br />
Touraine, il faut que se combinent<br />
trois facteurs : un blocage de<br />
l'institution universitaire, une<br />
rupture de gÇnÇration et une<br />
insatisfaction politique. Encore<br />
faut-il que la rencontre de ces trois<br />
ÇlÇments ne soit pas une simple<br />
addition de refus. Le mouvement<br />
Çtudiant ne pourra acquÇrir toute<br />
son importance que dans une<br />
sociÇtÇ qui croit au rále moteur de<br />
la connaissance dans le<br />
dÇveloppement national. Å<br />
C'est par le dosage de ces trois<br />
composantes que se diffÇrencient<br />
les mouvements Çtudiants des<br />
divers pays. En Italie, les<br />
manifestations, si violentes soientelles,<br />
marquent essentiel-<br />
FRANCFORT : RUDI DUTSCHKE (X)<br />
CONDUIT UNE MANIFESTATION.<br />
Ä Notre Vietnam, c'est ici. Å<br />
lement le refus : d’une UniversitÇ<br />
figÇe sur ses structures fÇodales. Il<br />
s'y greffe bien quelques affirmations<br />
politiques, anarchistes, Ä chinoises<br />
Å ou Ä guevaristes Å, mais il<br />
manque une rÇelle structure<br />
idÇologique. Si bien que, malgrÇ