24.08.2013 Views

Jacqueline Giraud - l'Express n° 874, 18-24 mars 1968. - esu-psu-unef

Jacqueline Giraud - l'Express n° 874, 18-24 mars 1968. - esu-psu-unef

Jacqueline Giraud - l'Express n° 874, 18-24 mars 1968. - esu-psu-unef

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

M. JACQUES BALLAND.<br />

Fini, les fils de bourgeois<br />

Les vieux interdits. MÖme si<br />

elles sont en retrait sur les<br />

revendications actuelles de<br />

l'U.N.E.F. et :de la F.R.U.F. : -— qui<br />

jugent Ä Å la toutepuissance<br />

de dÇcision laissÇe au<br />

directeur — ces concessions ont<br />

ramenÇ le calme É Antony. Sans<br />

pour autant en faire le lieu de<br />

dÇsordre et de perdition que<br />

prÇdisaient les esprits chagrins.<br />

Depuis deux ans, au mÇpris du<br />

rÑglement officiel, les Çtudiants<br />

peuvent vivre É Antony. Mais pas<br />

dans les autres rÇsidences<br />

franàaises.<br />

Ä Le problÑme des rÇsidences, dit<br />

M. Balland, c'est, au fond, celui de<br />

la dÇmocratisation de<br />

l'enseignement. Autrefois, les<br />

facultÇs n'accueillaient que les fils<br />

de bourgeois qui vivaient dans leur<br />

famille ou avaient les moyens de<br />

s'installer en ville. Aujourd'hui,<br />

l'accÑs aux facultÇs est plus ouvert,<br />

et l'on convient qu'il faut permettre<br />

aux Çtudiants sans fortune de se<br />

loger en citÇ. Mais si l'on maintient<br />

les vieux interdits de dÇfense de la<br />

bourgeoisie, cela veut dire qu'on<br />

refuse aux Çtudiants issus des<br />

milieux modestes la possibilitÇ<br />

d'une vÇritable initiation civique.<br />

Encore une fois il faut Ötre logique.<br />

Le problÑme des Çtudiants rappelle<br />

celui de la dÇcolonisation. Il faut<br />

dÇparternaliser. Å<br />

Sur ce mot d'ordre, les Çtudiants<br />

sont tous d'accord. Parce que le<br />

paternalisme des institutions<br />

universitaires est en flagrante<br />

contradiction avec une maturitÇ de<br />

plus en plus prÇcoce. On brime<br />

encore les Çtudiants quand, dÇjÉ, la<br />

rÇvolte gagne les lycÇes. Quand le<br />

cinÇma et, surtout, la tÇlÇvision<br />

mettent dÇsormais les jeunes face<br />

aux rÇalitÇs, É la guerre du Vietnam<br />

et aux Çmeutes noires, aux dÇbats<br />

politiques et aux exploits<br />

scientifiques. La sociÇtÇ de<br />

consommation a dÇcouvert en eux<br />

une clientÑle. Elle leur reconnaét le<br />

droit d'acheter. Elle voudrait leur<br />

dÇnier les autres.<br />

Le fer de lance. Conflit des<br />

gÇnÇrations, la lutte dans les<br />

rÇsidences est d'abord cela. Mais<br />

pour une fraction des Çtudiants, elle<br />

est plus que cela. Si le rÑglement<br />

des campus est en contradiction<br />

avec la dÇmocratisation de<br />

l'enseignement, ils jugent que ce<br />

n'est pas un hasard, mais l'une des<br />

multiples manifestations de la nondÇmocratisation<br />

rÇelle de<br />

l'enseignement.<br />

C'est ce qu'illustre bien l'histoire<br />

mouvementÇe de Nanterre. A sa<br />

crÇation, il y a quatre ans, cette<br />

facultÇ a soulevÇ de grands espoirs.<br />

Ce devait Ötre le lieu d'expÇrimentation<br />

d'un enseignement<br />

renouvelÇ, l'esquisse de l'UniversitÇ<br />

de demain. De cÇlÑbres professeurs<br />

ont volontairement quittÇ la<br />

Sorbonne pour participer É la<br />

Grande Aventure. Aujourd'hui, cette<br />

facultÇ neuve suinte dÇjÉ l'ennui et<br />

la vieillesse des H.L.M. immÇdiatement<br />

fanÇs. Des murs sales, un<br />

hall kafkaèen qui Çvoque<br />

irrÇsistiblement la froideur vÇtuste<br />

de la salle des pas perdus de la gare<br />

Saint-Lazare. Une architecture<br />

sarcellienne dressÇe dans un<br />

immense chantier boueux. Un<br />

horizon : les bidonvilles. Un bruit<br />

de fond : les grues, les camions et<br />

les marteaux-piqueurs sur le<br />

chantier du mÇtro express.<br />

Ä Il ne suffit pas d'utiliser du<br />

bÇton et du verre pour faire du<br />

moderne, nous dit un Çtudiant en<br />

sociologie. Dans sa conception —avec<br />

ses amphis de 900 places —<br />

Nanterre reprend ce qu'il y É de plus<br />

vieux dans l'enseignement franàais.<br />

Et quelle misÑre architecturale ! Å<br />

Ironique, il me montre le Ä club<br />

des professeurs Å : vaste salle vitrÇe,<br />

calme, pastel, fauteuils profonds et<br />

tables basses. Ä C'est ici que pensent<br />

les professeurs. Pour nous, c'est É<br />

cátÇ. Å A cátÇ : une piÑce aveugle,<br />

cernÇe de machines É distribuer<br />

boissons et nourritures, oÜ les<br />

Çtudiants s'entassent, debout, entre<br />

les cours.<br />

GrÄve sauvage. AprÑs quatre ans<br />

d'existence, Nanterre est dÇjÉ le<br />

tombeau des illusions perdues,<br />

noyÇes sous l'avalanche dÇmographique.<br />

En 1964, Nanterre<br />

accueillait 2 300 Çtudiants. Cette<br />

annÇe, elle a dê en absorber 12 000.<br />

Une rentrÇe difficile : faute de<br />

professeurs, des cours, des travaux<br />

pratiques ont dê Ötre supprimÇs.<br />

Le 17 novembre, les Çtudiants en<br />

sociologie lancent un mot d'ordre de<br />

grÑve, en accord avec leurs<br />

professeurs. Mais c'est une Ä grÑve<br />

sauvage Å, pas une occasion de<br />

prendre des vacances. Les Çtudiants<br />

sont lÉ, mais au lieu de suivre les<br />

cours, ils veulent discuter de leurs<br />

problÑmes avec les professeurs et<br />

les responsables universitaires. Le<br />

mouvement gagne l'ensemble de la<br />

facultÇ et se poursuit dix jours<br />

durant. Il se termine sur la<br />

constitution d'une commission<br />

mixte (Çtudiants, professeurs)<br />

chargÇe d'Çlaborer les propositions<br />

communes É soumettre au ministÑre.<br />

Ici comme en r Çsidence<br />

s'affirme cette volontÇ de ne plus<br />

simplement subir — un rÑglement<br />

de citÇ, une rÇforme de l'enseignement<br />

— mais de participer.<br />

Au-delÉ de ce dÇsir commun, les<br />

contradictions commencent. Pour la<br />

majoritÇ des Çtudiants de Nanterre,<br />

la grÑve ne remettait pas en cause le<br />

principe de la rÇforme Fouchet.<br />

Mais ses modalitÇs : travaux<br />

pratiques surchargÇs, manque de<br />

bibliothÑques, problÑme des<br />

Çquivalences entre l'ancien et le<br />

nouveau rÇgime, inquiÇtude sur les<br />

dÇbouchÇs. Maintenant que la<br />

commission mixte leur permet de<br />

discuter de ces problÑmes, ils sont<br />

satisfaits. Et ils condamnent les<br />

autres, les minoritÇs agissantes qui<br />

n'ont pas dÇsarmÇ.<br />

Cahots. Pour ceux-lÉ, en effet, le<br />

problÑme n'est pas d'adoucir les<br />

cahots qu'entraéne la mise en place<br />

du plan Fouchet. Il s'agit de refuser<br />

cette rÇforme Ä technocratique Å<br />

dans laquelle ils dÇnoncent<br />

l'asservissement de l'UniversitÇ aux<br />

besoins immÇdiats de l'industrie,<br />

Cette contestation-lÉ, c'est É peine<br />

si elle s'Çbauche, dans un monde<br />

Çtudiant dÇsorganisÇ, ces derniÑres<br />

annÇes, par la crise de I'U.N.E.F., la<br />

crise de l'U.E.C. (Union des<br />

Çtudiants communistes). Au<br />

lendemain de la guerre d'AlgÇrie,<br />

les Çtudiants franàais, comme les<br />

adultes, se sont endormis dans le<br />

LES ãTUDIANTS FRANëAIS DE 1945 í <strong>1968.</strong>

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!