06.09.2013 Views

Mircea Eliade - Le roman de l'adolescent myope Ma ... - art-psy

Mircea Eliade - Le roman de l'adolescent myope Ma ... - art-psy

Mircea Eliade - Le roman de l'adolescent myope Ma ... - art-psy

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>Mircea</strong> <strong>Elia<strong>de</strong></strong> - <strong>Le</strong> <strong>roman</strong> <strong>de</strong> <strong>l'adolescent</strong> <strong>myope</strong><br />

<strong>Ma</strong> décision est prise,<br />

Je m'y mettrais chaque après-midi, je n'ai pas besoin d'inspiration, j'écrirai ma vie,<br />

Et ma vie je la connais, j'écrirai le <strong>roman</strong> dont je rêve <strong>de</strong>puis longtemps<br />

Et j'utiliserai ces cahiers d'écoliers où je marquais, au jour le jour, ce qu'il m'arrivait.<br />

Si d'autres s'adonnent à la tristesse ou au foot, moi, j'ai toujours préféré écrire.<br />

J'avais essayé déjà <strong>de</strong> rassembler mes notes éparpillées dans un journal racontant<br />

La vie d'un adolescent malheureux d'être incompris. Orgueilleux, j'y mettais mon venin,<br />

<strong>Ma</strong> haine, mon désir <strong>de</strong> vengeance contre ceux qui ne me comprenaient pas.<br />

<strong>Ma</strong>intenant, je suis grand, j'écrirai autrement. Je parlerai principalement <strong>de</strong> moi,<br />

<strong>Ma</strong>is cela intéressera-t-il mes lecteurs ? Contrairement à beaucoup, j'ai passé mon temps<br />

Dans ma mansar<strong>de</strong> à désirer, à rêver, non à <strong>de</strong>s fêtes familiales et à <strong>de</strong> pitoyables<br />

Amourettes, mais à toute autre chose. Commençons maintenant. Je suis <strong>myope</strong>,<br />

Un adolescent <strong>myope</strong> malheureux à cause d'un grand amour.<br />

J'ai pensé l'appeler Olga, mais un ami m'a dit que Laure c'était mieux.<br />

J'allais donc lui donner <strong>de</strong>s yeux, à cette jeune fille, <strong>de</strong>s yeux pour me regar<strong>de</strong>r<br />

Tel que je suis. Puceau, je n'avais jamais connu <strong>de</strong> fille,<br />

Il m'arrivait <strong>de</strong> croiser celles du cordonnier, mais il n'était pas question<br />

De les utiliser pour mon <strong>roman</strong>. L'aînée était méchante et volait tous les fruits<br />

Qu'elle voyait sur les arbres, même pas encore murs. L'autre, était obèse et sale.<br />

Toutes <strong>de</strong>ux ne pouvaient donc pas jouer le rôle <strong>de</strong> séductrice.<br />

J'étais désemparé lorsque mon meilleur ami me proposa <strong>de</strong> m'ai<strong>de</strong>r, car il avait eu,<br />

Lui, quelques expériences. <strong>Ma</strong>is comment écrire un <strong>roman</strong> avec une jeune fille<br />

Qu'on ne connait pas ? J'ai pensé à ma cousine et l'ai donc approché.<br />

Elle me conseilla <strong>de</strong> prendre pour héros un beau et bon garçon,<br />

Elle me donna même un nom. <strong>Le</strong> sujet, l'objet <strong>de</strong> mon projet ne lui a pas plu,<br />

Elle aurait préféré voir <strong>de</strong>ux individus, l'un beau, l'autre laid,<br />

Elle me proposa même plusieurs titres à mon futur livre.<br />

Elle n'avait donc rien compris à mon désir,<br />

Il ne s'agissait pas pour moi <strong>de</strong> raconter une histoire avec un début et une fin,<br />

Ce que je voulais, c'était entrer dans l'intime <strong>de</strong> mes personnages, écouter<br />

<strong>Le</strong>urs confi<strong>de</strong>nces, leurs rêves, leurs troubles. Je voulais pénétrer dans cet intérieur-là,<br />

Et je voyais mon héroïne semblable à toutes celles qu'on rencontre dans


<strong>Le</strong>s <strong>roman</strong>s <strong>de</strong>s autres écrivains. Seulement, je voulais en savoir plus sur elle.<br />

Je la poussais à se raconter en détail. Elle me fit quelques confi<strong>de</strong>nces.<br />

Elle rêvait <strong>de</strong> rencontrer une amie, jeune, belle, très gran<strong>de</strong>, riche et ayant un frère,<br />

Beau comme il se doit, un Dieu quoi ! Il serait toujours avec elles,<br />

Et ce serait comme si elles avaient été trois jeunes filles, trois amies.<br />

Dans leur manoir, un soir, ils seraient attaqués par <strong>de</strong>s voleurs, mais courageuse,<br />

<strong>Ma</strong> cousine prendrait le révolver posé sur une table <strong>de</strong> nuit et ferait fuir ces bandits,<br />

Libérant ainsi et la soeur et son frère. Lui, blessé, elle s'en occuperait<br />

Dans une chambre à coucher toute blanche avec plein <strong>de</strong> fioles pour le soigner.<br />

<strong>Le</strong>s parents du garçon seraient reconnaissants et les laisseraient seuls<br />

En quittant la chambre sur la pointe <strong>de</strong>s pieds et le sourire aux lèvres.<br />

À ce moment-là <strong>de</strong> son discours, elle s'arrêta nette, ne pouvant aller plus loin,<br />

Craignant <strong>de</strong> se découvrir trop dans ce jeu où l'imaginaire a tant <strong>de</strong> pouvoir.<br />

De toute façon, ce <strong>roman</strong> je <strong>de</strong>vais l'écrire, tout le mon<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> moi<br />

Me le <strong>de</strong>mandait, peut-être les uns et les autres étaient-ils curieux <strong>de</strong> s'y reconnaître.<br />

Mon meilleur ami s'i<strong>de</strong>ntifiait déjà au personnage principal, véritablement sombre,<br />

Mélancolique. Surtout ça, insista-t-il, le genre proustien, sinon pour le reste,<br />

Tu as le champ libre et je suis impatient <strong>de</strong> lire ce qui sortira<br />

De comment tu vis notre amitié, mon cher... <strong>Ma</strong>is moi, j'écrivais quoi au juste ?<br />

Mes étu<strong>de</strong>s n'allaient pas fort, mais cela avait-il encore une quelconque importance ?<br />

L'automne prochain mon livre sera dans toutes les librairies <strong>de</strong> France et <strong>de</strong> Navarre,<br />

C'est décidé, je n'irai plus aux cours, dorénavant mon métier consistera à écrire<br />

Et à entretenir les meilleures relations avec ceux dont la responsabilité<br />

De mon avenir d'écrivain est entre les mains.<br />

<strong>Le</strong>s profs n'ont qu'à bien se tenir, ils <strong>de</strong>vront me respecter et si en grammaire<br />

Je ne cherche pas à comprendre les règles, au point d'avoir <strong>de</strong>s notes insuffisantes,<br />

Tant pis pour la grammaire, sans parler <strong>de</strong> l'allemand auquel je n'arrive à rien.<br />

Ce matin, je n'avais aucune envie <strong>de</strong> me rendre à mon cours <strong>de</strong> mathématiques.<br />

Et si j'allais me promener dans un parc, pensais-je, mais j'avais mon c<strong>art</strong>able en main,<br />

Je risquais <strong>de</strong> croiser une connaissance, et l'on me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait <strong>de</strong>s explications.<br />

Je souffrais d'indécision, c'était là mon point faible, je n'osais pas prendre <strong>de</strong>s risques,<br />

Ceux-là mêmes qui auraient fait <strong>de</strong> moi un héros, au lieu <strong>de</strong> cela,<br />

Je n'étais qu'un pauvre garçon timi<strong>de</strong>, poltron, incapable <strong>de</strong> tout lâcher pour s'enfuir


Ou voyager à travers <strong>de</strong>s pays lointains.<br />

Je n'étais qu'un rêveur griffonnant son journal dans <strong>de</strong> rustiques cahiers d'écoliers.<br />

Que m'est-il arrivé aujourd'hui, qu'en ai-je à dire ? Pas grand-chose, sinon que,<br />

Pour éviter d'avoir peur <strong>de</strong>s mauvaises notes risquant <strong>de</strong> me tomber sur la tête,<br />

Je disais à mon ami un projet fou : j'écrirai une saga <strong>de</strong> plusieurs centaines<br />

De pages et ça se passerait dans un salon <strong>de</strong> coiffure... Pour contemporain,<br />

C'était contemporain, il n'y avait plus qu'à s'y jeter comme dans la gueule d'un loup.<br />

En attendant, il fallait vivre, survivre ce quotidien <strong>de</strong> plus en plus pesant :<br />

J'avais la tête ailleurs, pas aux étu<strong>de</strong>s, toutefois, j'étais arrivé à mettre un titre<br />

À mon manuscrit : " <strong>Le</strong> <strong>roman</strong> d'un adolescent <strong>myope</strong> ".<br />

Afin <strong>de</strong> préparer mon prochain livre, j'avais passé une annonce adressée aux jeunes filles<br />

<strong>Le</strong>ur <strong>de</strong>mandant quelques extraits <strong>de</strong> leurs journaux intimes pour<br />

<strong>Le</strong>s utiliser à <strong>de</strong>s fins littéraires...<br />

Je n'ai guère <strong>de</strong> chance, ni auprès <strong>de</strong>s filles, ni aux jeux, ni à l'école.<br />

Pour les maths par exemple, je suis obligé <strong>de</strong> copier le travail <strong>de</strong> mon voisin <strong>de</strong> table<br />

Tant je suis incompétent en cette matière. Mon prof <strong>de</strong> math, pourtant, était un<br />

Don Juan, et si j'avais été une fille, et si je lui avais plu, ma résistance naturelle<br />

En aurait pris un coup, je me serais trouvé là <strong>de</strong>vant la tentation même, j'aurai cédé,<br />

J'aurai, pourquoi pas, accepté qu'il me punisse <strong>de</strong> n'être pas à la hauteur<br />

De ses espérances, au niveau <strong>de</strong>s mathématiques évi<strong>de</strong>mment...<br />

Je n'arrive pas à le haïr, pourtant il me traite souvent <strong>de</strong> " gros bêta " et<br />

Dans mes rêveries, j'implore quelqu'un d'inconnu, d'abstrait pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

D'améliorer mon quotidien à l'école. Rien n'y fait, mes prières ne servent à rien,<br />

Il ne cesse <strong>de</strong> me m<strong>art</strong>yriser en m'appelant toujours au tableau.<br />

Ne pas baisser la tête, rester digne, monter les <strong>de</strong>ux marches menant au tableau,<br />

Ne pas montrer au reste <strong>de</strong> la classe ma peur du prof.<br />

Avant d'entrer en scène, comme tout acteur, j'avais le trac, mais une fois<br />

Dans le feu <strong>de</strong> l'action, la tension baisse, je me sens à l'aise<br />

Et réconforte même mes camara<strong>de</strong>s du coin <strong>de</strong> l'oeil. On me questionne,<br />

N'étant ni Dieu, ni l'un <strong>de</strong> ses sains, je n'ai point <strong>de</strong> réponse à tout, né imparfait<br />

J'essaye <strong>de</strong> le faire comprendre à cet adulte, peut-être trop adulte<br />

Pour saisir l'aspect philosophique <strong>de</strong> ma remarque.Un silence lourd et profond<br />

S'installe dans la classe, il le rompit en me dictant l'énoncé du problème à haute voix.


Je vécus son intervention comme une injonction à me soumettre à ses ordres,<br />

Nous n'étions plus au collège, nous étions au régiment.<br />

Mes jambes perdaient <strong>de</strong> leurs forces, j'essayai <strong>de</strong> concentrer mon attention<br />

Pour ne pas tomber d'inanition, mais mon corps plus fort que tout,<br />

Me joua un tour que je n'aime pas, il me fit claquer <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nts,<br />

C'était terrible, insupportable. Je <strong>de</strong>venais l'élève le plus niais <strong>de</strong> la classe,<br />

J'avais perdu le minimum <strong>de</strong> prestance me restant, je n'étais plus rien, plus personne.<br />

L'homme dut sentir mon désarroi, alors il me <strong>de</strong>manda <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner un cercle<br />

Au tableau noir. Je n'avais rien appris <strong>de</strong> mes leçons et résoudre ce problème<br />

M'était à l'évi<strong>de</strong>nce impossible, je le savais, et tout l'effort mis à le cacher<br />

M'avait pompé toute l'énergie me restant. Plus rien n'était possible,<br />

J'allais me rasseoir, on me jugera comme on voudra, insuffisant ou pire.<br />

D'autres élèves allaient lui montrer qu'ils étaient bien supérieurs à moi, et puis<br />

Dans le fond, je m'en fiche, m'en contrefiche, car mon <strong>de</strong>stin me porte ailleurs<br />

Et cette humiliation je la transformerai en bile à jeter à la face <strong>de</strong> l'humanité,<br />

Plus tard, quand je serais indépendant, libre à mon tour.<br />

Pour l'instant, je le sais pertinemment, je ne suis pas un adulte soli<strong>de</strong>,<br />

Je reste faible face à ces évènements extérieurs, trop fragilisé au moindre choc.<br />

Peut-être aussi est-ce le lot <strong>de</strong> tout <strong>art</strong>iste <strong>de</strong> connaître ces poles antagonistes<br />

Se jouant <strong>de</strong> vous pour être mis à l'épreuve face aux sentiments,<br />

Ils vous obligent à mettre en oeuvre <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s-fous pour vous protéger,<br />

Vous habituer à créer pour survivre...<br />

Avec mon ami, j'ai imaginé <strong>de</strong>s nouvelles histoires pour mon <strong>roman</strong>,<br />

Dont le titre arrêté nous plaisait à tous les <strong>de</strong>ux : le Roman <strong>de</strong> <strong>l'adolescent</strong> <strong>myope</strong><br />

<strong>Ma</strong>is il fallait se mettre au travail avec plus d'ar<strong>de</strong>ur, plus <strong>de</strong> régularité.<br />

Je <strong>de</strong>vais mettre <strong>de</strong> l'ordre dans mes papiers, construire mon premier chapitre.<br />

Serais-je un jour un auteur digne, un auteur comme Flaubert,<br />

D'ailleurs sur ma table est posé un livre à lui : Bouvard et Pécuchet.<br />

Mon ami Robert aime la littérature alors il me fait p<strong>art</strong> <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>rnières lectures<br />

En venant me voir mélancoliquement dans ma chambre<br />

Au sixième étage. Je l'écoute, je l'observe et je sais,<br />

J'arriverai à tirer <strong>de</strong> lui l'idéal personnage pour mon <strong>roman</strong>.<br />

Par moment, ne l'écoutant plus, je construis dans ma tête


Des situations extravagantes où il s'exerce aux rôles auquel<br />

Mon imagination débordante l'amène. - A quoi penses-tu ? me fait-il,<br />

Lorsqu'il me voit dans cet état second que tout grand créateur<br />

Connait en permanence. Je ne peux lui répondre n'importe quoi,<br />

J'avance avec lui comme sur <strong>de</strong>s oeufs, ce qui me vaut<br />

Quelques sentiments plutôt ambivalents sur sa personne.<br />

Ses ambitions sont gran<strong>de</strong>s, il voit son avenir briller <strong>de</strong> tous les feux,<br />

Toutefois, réaliste, il sait que sans la reconnaissance, le reste,<br />

Tout le reste ne viendra pas. Lorsqu'il parle <strong>de</strong>s femmes, Robert s'enflamme,<br />

<strong>Ma</strong>is j'ai du mal à l'imaginer dans le réel <strong>de</strong> ces débor<strong>de</strong>ments humains,<br />

Certes, il les connait, mais <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue, uniquement par le truchement<br />

Des livres ou par ouï-dire. Il est si mignon avec ses airs <strong>de</strong> Paysannes affamées<br />

Des bonnes choses <strong>de</strong> la vie, et je ne crains pas le ridicule<br />

En avançant que ce garçon est beau, il me plait.<br />

Puisque pour l'instant je n'ai pas d'obligations vis-à-vis <strong>de</strong>s revues littéraires,<br />

Des maisons d'édition, personne ne m'obligeant à fournir du papier à forte dose,<br />

Je dois penser à moi, penser à écrire pour être lu, et comme je l'ai sous la main,<br />

Lui, mon Rimbaud, mon Dorian Gray, je dois en profiter pour décrire<br />

Dans les moindres détails cet énergumène que j'ai choisi <strong>de</strong> prendre pour ami.<br />

Dans tout <strong>roman</strong> il y a <strong>de</strong>s conflits, <strong>de</strong>s intrigues et c'est donc dans ce décor,<br />

Peut-être scabreux, qu'il me faudra l'installer inconfortablement.<br />

Il me faut lui trouver d'autres gens autour <strong>de</strong> lui, un autre garçon,<br />

Comme lui, avec qui il aurait à s'affronter. Ceux qui me connaissent le savent,<br />

J'ai horreur <strong>de</strong>s conflits, c'est chez moi pathologique, pourtant rationnellement<br />

Il ne fait aucun doute, le conflit est un élément essentiel à la vie même.<br />

<strong>Ma</strong>is je ne veux ici trop m'attar<strong>de</strong>r sur mes propres répulsions,<br />

Je dois m'en détacher pour laisser exister mes personnages. Toutefois,<br />

Je reste bloqué, à cause <strong>de</strong> ça et ne peux abor<strong>de</strong>r mon premier chapitre.<br />

Il me faut peut-être comme au lycée construire un plan<br />

Où je placerai mes acteurs dans une intrigue.<br />

Une chose est sure, le héros <strong>de</strong> tout ça, c'est moi,<br />

Et le savoir est un premier pas vers l'absolu.<br />

J'écrirai donc, et ce <strong>roman</strong> relatera les heurs et malheurs d'un adolescent,


Et cet adolescent, c'est moi évi<strong>de</strong>mment. Avec mo<strong>de</strong>stie, je ferais comme Proust,<br />

Je m'analyserai, me décrirai évoluant dans un mon<strong>de</strong> avec ces gens qui m'entourent,<br />

Mes amis et camara<strong>de</strong>s d'école, mais je sais une chose dont je suis certain,<br />

<strong>Le</strong> sujet <strong>de</strong> mon livre reste dans les limbes <strong>de</strong> mes entrailles immatures,<br />

Cela ne m'inquiète nullement, j'improviserai au fur et à mesure que j'avancerai<br />

Dans ce travail, puis comme dans tout livre, il y aura une fille, et pour se faire<br />

J'ai choisi ma cousine pour habiter un rôle important dans cette tragédie.<br />

Devant moi, sur ma table <strong>de</strong> travail, la page est blanche, j'ai fait quelques essais<br />

<strong>Ma</strong>is pas concluants, alors tout est passé à la poubelle. Car oui, j'ai péché mes frères,<br />

Voulant copier mes écrivains préférés, je me suis mis le doigt dans l'oeil,<br />

Écrire n'est pas copier, mais créer, chercher ce qui en soi fait sens, pas ailleurs.<br />

Je me fourvoyais dans les méandres <strong>de</strong> mes lectures anciennes ou récentes,<br />

Reportant toujours le moment où je <strong>de</strong>vrais m'en détacher pour faire place<br />

Au concret, au réel <strong>de</strong> ma propre vie.<br />

Premier chapitre.<br />

Qu'écrire maintenant ? N'ayant jamais aimé, je ne peux raconter une histoire d'amour<br />

Comme dans les autres <strong>roman</strong>s, ou alors, me dis-je, il faudrait que j'invente<br />

Ce que je ne connais pas, mais quel lecteur sera assez naïf pour ne pas découvrir<br />

La supercherie, je crains fort <strong>de</strong> mettre ainsi en danger mon avenir,<br />

<strong>Ma</strong> carrière d'écrivain.<br />

L'amour, l'amour, vous n'avez que ce mot-là à la bouche, disait Gérard Philippe<br />

Dans " Une gran<strong>de</strong> fille toute simple " d'André Roussin. Il n'y a pas que l'amour,<br />

Surtout pour un puceau, il y a plein d'autres sentiments humains,<br />

Et <strong>l'adolescent</strong> que je suis doit par ses écrits les révéler au mon<strong>de</strong><br />

Avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir adulte, avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un homme comme les autres.<br />

Parler <strong>de</strong> ces crises nous traversant le corps, à moi et à mes camara<strong>de</strong>s,<br />

Voilà le sujet <strong>de</strong> mon livre, et pour l'abor<strong>de</strong>r maintenant, il me faut trouver un lieu,<br />

Une situation dramatique comme au théâtre, et pour faire exister tout ça,<br />

Des personnages tous dignes d'un grand <strong>roman</strong>, le mien.<br />

Il me faut trouver comme pour toute intrigue une souffrance, un truc pas possible<br />

Qui surprendra tout le mon<strong>de</strong> par son originalité, son intensité.<br />

Une fois ce conflit installé en mon âme, la plume à la main, je pourrai sans difficulté<br />

Aller d'un personnage à un autre en fonction <strong>de</strong> mon bon vouloir<br />

Selon mon humeur et mes caprices du jour, mais une chose est certaine,


Tous mes acteurs auront moins <strong>de</strong> dix-sept ans et cela j'y tiens<br />

Comme à la prunelle <strong>de</strong>s yeux <strong>de</strong> ma cousine, dont j'ai tant besoin pour le corps,<br />

<strong>Le</strong> sujet même <strong>de</strong> mon <strong>roman</strong>, l'histoire qui bouleversera l'ensemble <strong>de</strong> mes amis.<br />

Je serai donc le héros <strong>de</strong> cette aventure rocambolesque, humaine avant tout,<br />

Ensuite ce sera ma imagination qui gui<strong>de</strong>ra le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> mon oeuvre...<br />

J'ai beau prendre <strong>de</strong> bonnes résolutions, toujours est-il<br />

Qu'il me manque aujourd'hui l'essentiel : le sujet <strong>de</strong> mon <strong>roman</strong>.<br />

J'ai bien entendu en tête une idée, celle <strong>de</strong> transcrire<br />

La vie <strong>de</strong> notre petit mon<strong>de</strong> fermé d'écoliers, mais en suis-je capable,<br />

Avec ma tendance à toujours changer, modifier, <strong>roman</strong>cer la réalité ?<br />

À écrire, je suis poussé par une motivation réelle : par ce biais,<br />

J'évite <strong>de</strong> redoubler mon année scolaire et ainsi je prouverais à mes professeurs<br />

Mes capacités intellectuelles à passer <strong>de</strong> classe l'année prochaine...<br />

À p<strong>art</strong>ir du moment où je prends la plume, comment pourrais-je ne pas parler <strong>de</strong> moi,<br />

De mon être le plus profond, mais je sais toutefois qu'il me faudra éviter<br />

D'en faire un <strong>roman</strong> <strong>psy</strong>chologique qui risquerait <strong>de</strong> barber mes lecteurs,<br />

Et puis, à mon âge et mes mo<strong>de</strong>stes expériences <strong>de</strong> la vie,<br />

En ai-je la compétence ?<br />

Ne pas perdre <strong>de</strong> vue que j'écris pour les autres,<br />

Pour être lu par mes camara<strong>de</strong>s d'abord, puis par d'autres individus<br />

Si mon manuscrit intéresse un éditeur pour qu'il <strong>de</strong>vienne un livre.<br />

Il n'y a aucun doute pour moi, mon objectif est bien celui-là, avoir du succès<br />

Auprès <strong>de</strong> mes lecteurs et faire en sorte qu'ils me soient fidèles<br />

Pour les livres suivants. Tout cela paraît bien établi dans ma tête,<br />

<strong>Ma</strong>is à priori seulement, quelque p<strong>art</strong> rési<strong>de</strong> un doute sur toutes ces questions,<br />

Je sais avoir <strong>de</strong>s choses à dire, mais je n'ai pas envie <strong>de</strong> les écrire.<br />

<strong>Le</strong> <strong>roman</strong>cier, son métier est <strong>de</strong> raconter <strong>de</strong>s histoires bien ficelées<br />

Et non pas se dévoiler comme il le ferait dans un journal ou bien<br />

Dans ses correspondances. Voilà ma pensée telle qu'elle se présente<br />

À moi au moment même où ma plume l'expose,<br />

Seulement à la page suivante, je peux avoir l'avis contraire,<br />

C'est peut-être ça aussi l'expérience <strong>de</strong> l'écriture.<br />

J'imagine mon livre comme <strong>de</strong>s séquences d'un film où l'on verrait,


Par petites touches, l'existence <strong>de</strong> tous ces êtres m'entourant<br />

Avec leurs problèmes et leurs solutions.<br />

La tache que je m'impose doit se fon<strong>de</strong>r sur du concret et,<br />

Tel Proust l'a fait avant moi, utiliser un narrateur pour raconter ce qui arrive<br />

Dans les moindres détails à tous mes protagonistes.<br />

Pour commencer, j'utiliserai mon ami Robert et dès le début,<br />

Je le placerai en amoureux d'une jeune fille aimée par un autre par ailleurs.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!