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Jean-Paul Sartre - L'enfance d'un chef On disait de moi : " Il ... - art-psy

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<strong>Jean</strong>-<strong>Paul</strong> <strong>S<strong>art</strong>re</strong> - <strong>L'enfance</strong> <strong>d'un</strong> <strong>chef</strong><strong>On</strong> <strong>disait</strong> <strong>de</strong> <strong>moi</strong> : " <strong>Il</strong> est adorable dans son petit costume d'ange ", ou" Votre garçon est gentil à croquer " et l'on me prenait par la taillePour me caresser les bras, si doux au toucher... " C'est une vraie petite fille ce garçon-là,Tu t'appelles comment, Jacqueline ? ". Je <strong>de</strong>venais tout rouge et disais mon nom,Mais le vers entra dans le fruit et je me mis à douter <strong>de</strong> <strong>moi</strong> :Étais-je un garçon ou bien une fille ?Des hommes, amis <strong>de</strong> la famille, m'embrassaient et m'appelaientMa<strong>de</strong><strong>moi</strong>selle, car je portais une robe bleue, mes petits bras étaient nus,J'étais blond, et eux, ils aimaient les blonds. Parfois, j'avais peur <strong>de</strong> ne plus êtreUn garçon. Heureusement, je pouvais dormir sans ma robe, la nuitDans ma chambre, dans mon lit, cela m'était permis. Mais au petit matin,Je me <strong>de</strong>vais <strong>de</strong> remettre mon costume <strong>de</strong> fille. J'entendais <strong>de</strong>-ci, <strong>de</strong>-là :<strong>Il</strong> est si doux en <strong>de</strong>dans ce petit avec sa petite voix si fluetteEt ses lèvres si jolies, c'est une petite fleur, une petite chérie, un pur bonheur.J'aimai m'amuser à penser ça, à penser que j'étais une fille, je ne sais pas pourquoi...Un jour, c'était Mardi gras, on m'avait costumé en PierrotEt mon père était fier <strong>de</strong> son petit garçon et, un verre <strong>de</strong> champagne à la main,Me souleva <strong>de</strong> terre en me disant : " Sacré Bonhomme ! ". Comment voulez-vousQue j'interprétasse cette marque <strong>de</strong> sympathie au <strong>de</strong>meurant si naturelle <strong>de</strong> la p<strong>art</strong>D'un père, mais <strong>moi</strong> qui avait connu petit la maladie, je restais dans le flouDe ce mon<strong>de</strong> étrange où je ne savais pas tout à fait qui j'étais.Un soir, on me permit d'aller coucher dans la chambre <strong>de</strong> mes parentsComme quand j'étais bébé, papa me trouva surexcité, c'est le mot qu'il employa,Et <strong>moi</strong>, je le vis en bras <strong>de</strong> chemise pour la première fois. De cette nuit-là,J'ai oublié quelque chose, mais je ne sais quoi. J'ai rêvé qu'ils portaientTous les <strong>de</strong>ux, <strong>de</strong>s robes comme j'avais, bleues, et s'amusaient comme <strong>de</strong>s fousÀ danser autour <strong>de</strong> <strong>moi</strong>, <strong>moi</strong> qui étais tout nu sur mon pot à chier. C'était un cauchemar,Je me voyais avec un tambour entre les mains dans un tunnel noir et mes parentsM'échappaient toujours autant. Je ne sais à quelle occasion je poussais un criComme pour sortir du tunnel et ce cri me réveilla en même temps que mes parents,Dans la chambre où nous étions tous à dormir. Après cette aventure,<strong>Il</strong> n'était plus question pour <strong>moi</strong> <strong>de</strong> recommencer cette comédie avec ces gens-là,


Je décidais <strong>de</strong> ne plus accepter ce genre d'invitation. Le len<strong>de</strong>main,Je bougonnais toute la journée dans les jupes <strong>de</strong> ma mère, réclamant qu'elle me racontât" Le Petit Chaperon rouge " et pendant qu'elle lisait, je lui chatouillais le couPour la taquiner un peu, lui <strong>de</strong>mandant aussi si elle avait été un garçon un jour.Qu'est-ce qui arriverait si on ôtait la robe <strong>de</strong> maman et si elle mettaitLes pantalons <strong>de</strong> papa, et dans ce cas aurait-elle une moustache comme lui ?La regardant dans les yeux, je me mis à penser à ce film <strong>de</strong> <strong>Jean</strong> Cocteau :"La belle et la Bête", j'avais <strong>de</strong>vant <strong>moi</strong> une femme à barbe comme à la foire du Trône.Et maman pensait pendant ce temps-là que je l'aimais plus que tout, d'ailleursJe la serrais très fort et l'embrassais comme les gran<strong>de</strong>s personnes.Constipé, je l'ai été souvent, alors elle m'aidait en disant :"Pousse, mon petit, pousse mon petit bijou", là, je ne sais pourquoi,J'eus un doute, était-elle ma vraie mère ? Depuis ce jour-là, je décidaisDe ne pas me marier avec elle quand je serais grand. Je n'avais plus confiance,Le jour, elle était comme ça, et la nuit autrement, même qu'une nuit <strong>de</strong> NoëlAlors que j'allais faire pipi dans les cabinets, je l'ai vu mettre les jouetsDans la cheminée... Je n'en ai pas dormi <strong>de</strong> la nuit. Parfois je jouais à êtreUne autre personne, je m'appelai Louis et j'aurai pas mangé <strong>de</strong>puis six jours.La bonne, toujours aussi aimable, m'aidait à déjeuner, mais je pensais toujours êtreLouis, et personne ne s'en rendait compte, même qu'on voulait m'apprendre leÀ <strong>de</strong>venir un voleur professionnel, faire du pickpocket, et tout cela me coupait l'appétit.À la maison, il arrivait souvent que nous recevions <strong>de</strong>s damesQui ne font pas pipi au lit comme <strong>moi</strong>.Et puis, toutes ces femmes m'aimaient bien, comme leurs maris,Me pelotant ici ou là, me traitant <strong>de</strong> mignon...Et <strong>moi</strong>, je leur racontais <strong>de</strong>s histoiresAuxquelles je croyais dur comme fer, ce qui m'inquiétait un peu.Parfois, on me traitait comme si j'étais un chien, guili-guili sur le ventre etSous leurs doigts, je <strong>de</strong>venais une poupée, un enfant poupée, un pouponQu'on met tout nu dans la baignoire pour le laver avec les mains <strong>de</strong> toutes ces dames,De tous ces messieurs, et le mettre au dodo dans un p'tit berceauComme un bébé qui rit quand on le touche ...Mr le curé venait à la maison une fois par semaine et même qu'un jour


<strong>Il</strong> me <strong>de</strong>manda, les yeux dans les yeux, si j'aimai ma mère. Oui, j'aime mamanMais aussi papa, ai-je rétorqué sans rire, alors, Mr le curé termina son assietteÀ <strong>de</strong>ssert où il restait <strong>de</strong>s framboises bien rouges <strong>de</strong> son jardin, et non <strong>de</strong>s asperges.Après, il me posa une autre question ayant trait à son métier et concernant DieuÉvi<strong>de</strong>mment. Moi, bon Dieu <strong>de</strong> bon Dieu, ne sachant quoi répondre, je le regardaisMéchament et allais <strong>de</strong>hors faire pipi <strong>de</strong> colère sur le gros buisson d'ortiesJuste à côté <strong>de</strong>s commissions <strong>d'un</strong> chien. <strong>Il</strong> y avait <strong>de</strong>ssus une grosse mouche bleueQui bourdonnait autour, alors je la fixais en disant : " J'aime maman ".Mais en disant cela ainsi, aimai-je pour autant cette personne et n'était-ce pas plutôtPar convenance sociale qu'il me fallait croire à un amour dont je n'avaisAucune certitu<strong>de</strong>, aucune conviction ? <strong>Il</strong> y eut la guerre cet été-là, et papa p<strong>art</strong>itSe battre sur le front, du coup maman se trouva heureuse <strong>de</strong> rester toute seule avec <strong>moi</strong>,J'étais si gentil, si prévenant auprès d'elle... J'avais quelquefois <strong>de</strong>s comportementsBizarres, j'en voulais à un arbre, c'était un marronnier et je le traitais <strong>de</strong> tous les noms,Histoire <strong>de</strong> voir s'il se passait quelque chose,S'il réagissait ou non à ma façon d'agir à son égard. L'arbre resta tranquilleÀ mes injonctions, alors je portais toute ma colère sur mes jouets, je les démontaisPour savoir <strong>de</strong> quoi ils étaient faits, ensuite pour me venger <strong>de</strong> tous mes malheurs,Je tallaidais les bras <strong>d'un</strong> fauteuil avec un vieux rasoir <strong>de</strong> ce père absent.Petit à petit, je <strong>de</strong>venais pas très agréable à vivre, je rejetais toutSans délicatesse aucune et j'allais même à m'amuser à arracher les pattesD'une sauterelle qui ne m'avait rien fait. Je souffrais <strong>de</strong> ne pas les voir souffrir,De ne pas les entendre crier et me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon à genoux.Papa revint au <strong>moi</strong>s <strong>de</strong> mars, il me trouva changé et même qu'il ne m'a pas reconnu.Imaginez comme cela me fit plaisir... Je tombais dans une sorte <strong>de</strong> somnolence etPour les punir tous, j'allais maintenant faire mes cacas tout seul au cabinet, sur le trône,J'y restais <strong>de</strong>s heures entières, là j'étais seul au mon<strong>de</strong>, c'est ainsi que je <strong>de</strong>vins S<strong>art</strong>rien.Ma relation au père n'allait pas en s'améliorant, je le boudais <strong>de</strong> m'avoir un jourCoupé les boucles <strong>de</strong> mes cheveux. Depuis ce moment-là, les gran<strong>de</strong>s personnesNe se comportaient plus avec <strong>moi</strong> comme avant, me traitant <strong>de</strong> mignon petit garçon,De petite fille parfois, j'aimai tant ça, me tripotant le corps comme ils pouvaient.Maintenant avec mes cheveux courts comme un garçon, ils me racontaientDes histoires instructives...Comme c'était la guerre, on eut droit aux bombar<strong>de</strong>ments, alors mon cousin Riri


Et sa maman, ma tante Berthe, vinrent habiter chez nous. Je n'étais plus tout seul,Et fus très content <strong>de</strong> jouer avec un copain. C'est à mon cousin que je confiaisLe secret <strong>de</strong> ma vie : j'étais somnambule. Je ne sais pour quelle raison, un jour,Riri dans le jardin près <strong>de</strong>s orties, ouvrit son pantalon pour me montrer son zizi,En me disant quand il sera grand, il ira tuer les boches aussi. Pour ne pas en rester là,Je lui montrai le mien, mais Riri dit : " C'est <strong>moi</strong> qui ai le plus grand "" Oui, mais <strong>moi</strong> je suis somnambule " lui ai-je répondu tranquillement. Une nuit,Je <strong>de</strong>mandais un service à mon coéquipier : qu'il resta éveillé pour voir commentC'est un somnambule, puis au petit matin, il me ferait un compte rendu détailléDe ce qu'il aurait vu. Si ce projet intéressant ne put avoir lieu,C'est que mon cousin p<strong>art</strong>ageant le même lit que <strong>moi</strong> était un dormeur effrénéEt rien ne pouvait le dissua<strong>de</strong>r à fermer les yeux à peine allongés sur son lit.Précisément, je rêvais à une bicyclette que mon père <strong>de</strong>vait m'offrir,Lorsque la bonne entra dans notre chambre où mon cousin et <strong>moi</strong>-mêmeÉtions allongés à <strong>de</strong>mi nus, et dormant comme <strong>de</strong>s anges s'offrant au ciel,Alors qu'il était déjà huit heures du matin. La première <strong>de</strong> mes pensées était toujoursDe me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si j'avais été somnambule cette nuit-ci, et à cette question,Seul le bon Dieu pouvait avoir une réponse, mais où était-il donc celui-là,Tout le mon<strong>de</strong> en parle sans jamais l'avoir vu. Les hommes m'apparurentDe plus en plus bizarres quand, à la messe, je les voyais s'agenouiller sur le prie-DieuPour obtenir une chose qu'ils n'avaient pas, ou se protéger <strong>d'un</strong> malheurPouvant leur tomber sur la tête pour avoir pêché. Je me mis à le détester,Car il était plus informé sur mon cas personnel que je ne l'étais <strong>moi</strong>-même.<strong>Il</strong> voyait et savait tout, mes faits et mes gestes, mon désamour pour mes parents,Et plus grave encore, toutes mes activités nocturnes, celles dont j'étais conscientsComme celles dont je ne l'étais pas. Mais pouvait-il se souvenir <strong>de</strong> tout ?N'y avait-il pas <strong>de</strong>s virus dans la mé<strong>moi</strong>re <strong>de</strong> ce Bon Dieu,Infectant la base <strong>de</strong> données où <strong>de</strong>s milliards d'informations doivent trouverUne place dans la tête <strong>de</strong> cet être jamais vu nulle p<strong>art</strong> ...<strong>Il</strong> y avait <strong>de</strong> quoi <strong>de</strong>venir fou avec ce gars-là ! Mais enfin, je ne voulais pas prendreLe risque <strong>de</strong> voir Dieu dire à ma mère la haine <strong>de</strong> son fils à son égard,Je me <strong>de</strong>vais donc <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s précautions avec lui, être diplomate,Hypocrite pourquoi pas. J'arrivai à lui mentir et à la longue, à croire <strong>moi</strong>-même


À mes propres mensonges. Seulement, réaliste, je pensais qu'au fond<strong>Il</strong> <strong>de</strong>vait très bien voir mes manigances et à ce jeu s'en sortait plutôt gagnant.Heureusement, j'étais un enfant tenace, je prononçais plusieurs fois par jour :" J'aime maman, j'aime maman " en <strong>art</strong>iculant chaque syllabe comme si j’étaisUn acteur <strong>de</strong> théâtre jouant Hamlet, la gueule enfarinée et croyant dur comme ferÀ son rôle comme à tout ce qu'il <strong>disait</strong>. Cela ne dura qu'un temps, j'avais déjàÀ cette époque-là, l'esprit vagabon<strong>de</strong> et je passais volontiers du coq à l'âne,Sans toutefois, malheureusement, oublier le pouvoir immense <strong>de</strong>Ce symbole universel toujours prêt à me poursuivre pour une pacotille.Tout cela n'était qu'un jeu et je m'en lassais enfin un jour, j'en fis mon <strong>de</strong>uil.Certains dirent <strong>de</strong> <strong>moi</strong> plus tard : " <strong>S<strong>art</strong>re</strong> ne croit pas en Dieu ",<strong>Il</strong> y avait du vrai là-<strong>de</strong>dans, je <strong>de</strong>vins comme Brassens dans sa chanson,Athée grâce à Dieu, mais contrairement à lui, je fis comme si je croyais toujours ...Le dimanche je portais mon beau petit costume <strong>de</strong> marin pour me promenerMain dans la main avec papa que je n'aimais pas, mais une fois par semaineCette proximité était supportable. Sur la route on rencontrait ses ouvriers, eux,Faisaient semblant <strong>de</strong> ne pas le voir, je n'étais donc pas le seul à le détester.Mais mon père s'approcha d'eux pour les contraindre à nous donnerUn bonjour dominical, auquel ils n'avaient rien à foutre. Les ouvriers,Je les aimais bien, parce qu'ils étaient faibles dans l'ensemble,Et aussi, parce qu'ils m'appelaient toujours " Monsieur ",Et <strong>moi</strong>, <strong>moi</strong>, j'aimais ça !Moi <strong>S<strong>art</strong>re</strong>, j'ai toujours aimé les ouvriersPour leurs grosses mains et leurs ongles sales, leurs bérets noirsDonnant à leurs visages un air d'adolescents attardés. Alors,Je les ai toujours respectés et eux en retour, ils m'ont estimé.Et d'abord cet homme, un certain Monsieur Bouligaud, employé <strong>de</strong> mon père,Portant une moustache à vous attirer toutes les mouches et les gosses du qu<strong>art</strong>ier,Que mon père ne voulait pas qu'on la touche au risque <strong>de</strong> se voir gron<strong>de</strong>r :C'est pas bien <strong>de</strong> toucher la moustache <strong>d'un</strong> autre monsieur que soi.J'avais compris le message, je mis alors dans ma poche tous mes désirs incertains,Et lui, pour nous parler, retirait son chapeau, nous pas, puisque nous étionsTrès au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ces convenances. Mon père était un homme bourru,


Peut-être pas aussi affreux que celui <strong>de</strong> mon collègue Kafka, mais enfinSi vous l'aviez entendu lui dire : " Alors Père Bouligaud, Vous atten<strong>de</strong>zLe retour <strong>de</strong> votre fils qui ne reviendra peut-être pas ? ". Je trouvais cette formuleIndélicate, douloureuse, mais l'autre ne l'entendait pas <strong>de</strong> cette oreille,<strong>Il</strong> répondait poliment : " <strong>Il</strong> viendra, j'en suis sûr, à la fin du <strong>moi</strong>s, monsieur Fleurier "Le père Bouligaud avait l'air heureux naturellement et bien qu'il m'aima,N'aurait jamais osé caresser mes fesses comme Monsieur Bouffardier...Je dois vous faire un aveu, je n'ai jamais aimé Monsieur Bouffardier,La raison en est simple, il était moche.Parfois on les voyait ensemble, c'est alors que papa m'expliqua la vie.Moi, je, Lucien, <strong>de</strong>vait savoir ce qu'était un <strong>chef</strong>. Mon père me prit sur ses genoux,J'en profitai pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment on <strong>de</strong>vait parler aux ouvriers,Je me renseignais dans le cas où plus tard j'aurai à résoudre ce dilemme.Ne voulant pas laisser son fils dans l'expectative, aussitôt dit aussitôt fait,<strong>Il</strong> m'amena à l'usine et me montra en réel, comment c'est que ça se passe en vrai.Pour faire ça, il changeait <strong>de</strong> voix, et <strong>moi</strong> à l'entendre, je me <strong>de</strong>mandai si un jourJ'aurai comme mon père une voix aussi forte pour impressionner mon auditoire.Ce fut le cas comme vous le savez, mais à l'époque la question s'est poséeAu jeune garçon frèle que j'étais. Lui, mon père, me rassura, m'expliquant queLe seul fait d'être naît <strong>de</strong> sa cuisse, me donnait le droit <strong>de</strong> lui succé<strong>de</strong>r après sa mort,Je n'avais donc pas <strong>de</strong> soucis à me faire, je ferais comme il fait,Je comman<strong>de</strong>rai les ouvriers. Ouais, pensais-je, mais en fait, ces hommes,À la longue, avec les années <strong>de</strong> labeur, vieilliront et mourront, alorsNe risquais-je pas <strong>de</strong> me trouver tout seul à l'usine ?Cette remarque affola mon père un instant, un instant seulement.<strong>Il</strong> trouva la para<strong>de</strong> par une réplique géniale :" Ne t'inquiète pas mon petit, tu auras leurs fils à comman<strong>de</strong>r "J'y avais pas pensé, mon père était un homme intelligent.Mais pour comman<strong>de</strong>r, faut faire comment ? Faut les aimer, me fit mon père.Faut les aimer et te faire aimer d'eux. La nuit <strong>de</strong> cette conversation essentielleJ'eus du mal à trouver mon sommeil, je restai sur le qui-vive, incertain <strong>de</strong> tout.<strong>Il</strong> <strong>disait</strong> que Lucien, c'est <strong>moi</strong>, que Lucien était un bon petit garçon,Travaillant bien, mais ayant la tête ailleurs, trop, trop souvent à la dérive.


Maman fut agacée par ces remarques sur son fils et <strong>de</strong>puis quelque tempsL'idée <strong>de</strong> me changer d'établissement lui avait traversé l'espritMais là, l'inquiétu<strong>de</strong> s'amplifia, au point <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à l'AbbéSi au <strong>moi</strong>ns je jouais aux récréations. La réponse <strong>de</strong> l'hommeNe fut pas <strong>de</strong>s plus rassurantes, puisqu’en effet je détestaisCes moments <strong>de</strong> liberté vécus en fait comme <strong>de</strong> l'enfer à l'état pur.Rien n'est plus détestable que ces "autres" libres à jouer comme ils l'enten<strong>de</strong>ntDans cette cour carrée où tous les coups sont bons pour faire mal,Très mal, ce qui me rendit à mon tour violent, et l'on ne se priva guèreDe le répéter à mère, lorsque par chance elle venait me rendre visite.S'il y a une chose que je n'aimais pas, c'était <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s gens parler <strong>de</strong> <strong>moi</strong>,Du <strong>moi</strong>ns à cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> ma vie, car par la suite,Je n'ai pu maitriser cette question... J'étais le centre du mon<strong>de</strong> puisqu'au centreDe leurs conversations et <strong>de</strong> leurs investigations à mon endroit.Que <strong>disait</strong>-il à ma pauvre mère ? J'éprouvais <strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong> pour elleEt une envie <strong>de</strong> pleurer m'aurait saisi à la gorge si je n'avais craintDe paraître idiot aux yeux <strong>de</strong> tous. Au cours <strong>de</strong> géographie, je me sentis très mal,Alors je <strong>de</strong>mandais la permission <strong>de</strong> quitter la salle pour aller respirer <strong>de</strong>hors.De peur <strong>de</strong> me voir tourner <strong>de</strong> l'oeil en pleine classe et <strong>de</strong> surcroitDevant ma mine <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>, l'Abbée ne se fit pas prié, il me laissa sortir.J'allais aux chiottes vi<strong>de</strong>r mes émotions, mais comme rien ne venait,Je regardais autour <strong>de</strong> <strong>moi</strong>, écoutant ma souffrance, écoutant mes douleurs.Cela va surprendre beaucoup d'entres vous, j'aime cet endroit où je peuxMe replier loin <strong>de</strong>s hommes, tous aussi malveillants que les autres,Et là plus qu'ailleurs, j'en accepte les o<strong>de</strong>urs, mais surtout, surtout la solitu<strong>de</strong>.Devant <strong>moi</strong> la porte recouverte d'inscriptions dont une m'amusa beaucoup,Elle mettait Barataud au niveau <strong>d'un</strong>e punaise, j'en ris encore aujourd'hui.En effet Barataud était aussi petit et rachitique qu'une punaiseSans parler <strong>de</strong> son père, objet <strong>de</strong> la pire espèce <strong>de</strong>s punaises, un nain d'homme.Pourquoi cet élève n'avait-il pas effacé cette inscription malveillante à son égard ?Je l'imaginais retirant sa culotte et prendre du plaisir à être la ve<strong>de</strong>tte,Sur cette tablette <strong>de</strong> tous les dévoiements, <strong>de</strong> tous les débor<strong>de</strong>ments humains,<strong>Il</strong> se regar<strong>de</strong>rait à mis nu et constaterait en effet la petitesse <strong>de</strong> son ziziN'ayant pas encore grandi et donc méritant ce nom <strong>de</strong> punaise.

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