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Jean-Paul Sartre - L'enfance d'un chef On disait de moi : " Il ... - art-psy

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Peut-être pas aussi affreux que celui <strong>de</strong> mon collègue Kafka, mais enfinSi vous l'aviez entendu lui dire : " Alors Père Bouligaud, Vous atten<strong>de</strong>zLe retour <strong>de</strong> votre fils qui ne reviendra peut-être pas ? ". Je trouvais cette formuleIndélicate, douloureuse, mais l'autre ne l'entendait pas <strong>de</strong> cette oreille,<strong>Il</strong> répondait poliment : " <strong>Il</strong> viendra, j'en suis sûr, à la fin du <strong>moi</strong>s, monsieur Fleurier "Le père Bouligaud avait l'air heureux naturellement et bien qu'il m'aima,N'aurait jamais osé caresser mes fesses comme Monsieur Bouffardier...Je dois vous faire un aveu, je n'ai jamais aimé Monsieur Bouffardier,La raison en est simple, il était moche.Parfois on les voyait ensemble, c'est alors que papa m'expliqua la vie.Moi, je, Lucien, <strong>de</strong>vait savoir ce qu'était un <strong>chef</strong>. Mon père me prit sur ses genoux,J'en profitai pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r comment on <strong>de</strong>vait parler aux ouvriers,Je me renseignais dans le cas où plus tard j'aurai à résoudre ce dilemme.Ne voulant pas laisser son fils dans l'expectative, aussitôt dit aussitôt fait,<strong>Il</strong> m'amena à l'usine et me montra en réel, comment c'est que ça se passe en vrai.Pour faire ça, il changeait <strong>de</strong> voix, et <strong>moi</strong> à l'entendre, je me <strong>de</strong>mandai si un jourJ'aurai comme mon père une voix aussi forte pour impressionner mon auditoire.Ce fut le cas comme vous le savez, mais à l'époque la question s'est poséeAu jeune garçon frèle que j'étais. Lui, mon père, me rassura, m'expliquant queLe seul fait d'être naît <strong>de</strong> sa cuisse, me donnait le droit <strong>de</strong> lui succé<strong>de</strong>r après sa mort,Je n'avais donc pas <strong>de</strong> soucis à me faire, je ferais comme il fait,Je comman<strong>de</strong>rai les ouvriers. Ouais, pensais-je, mais en fait, ces hommes,À la longue, avec les années <strong>de</strong> labeur, vieilliront et mourront, alorsNe risquais-je pas <strong>de</strong> me trouver tout seul à l'usine ?Cette remarque affola mon père un instant, un instant seulement.<strong>Il</strong> trouva la para<strong>de</strong> par une réplique géniale :" Ne t'inquiète pas mon petit, tu auras leurs fils à comman<strong>de</strong>r "J'y avais pas pensé, mon père était un homme intelligent.Mais pour comman<strong>de</strong>r, faut faire comment ? Faut les aimer, me fit mon père.Faut les aimer et te faire aimer d'eux. La nuit <strong>de</strong> cette conversation essentielleJ'eus du mal à trouver mon sommeil, je restai sur le qui-vive, incertain <strong>de</strong> tout.<strong>Il</strong> <strong>disait</strong> que Lucien, c'est <strong>moi</strong>, que Lucien était un bon petit garçon,Travaillant bien, mais ayant la tête ailleurs, trop, trop souvent à la dérive.

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