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L'Envers de la dette (878 Ko) - Atheles

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DOSSIERS NOIRS(16)<br />

Agir ici<br />

Survie<br />

François-Xavier<br />

Verschave<br />

L’envers<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte<br />

Criminalité politique<br />

et économique<br />

au Congo-Brazza et en Ango<strong>la</strong>


Les « Dossiers noirs » sont issus d’une col<strong>la</strong>boration entre Agir ici<br />

et Survie, qui mènent régulièrement, avec une vingtaine d’associations<br />

françaises, <strong>de</strong>s campagnes conjointes pour « ramener à <strong>la</strong><br />

raison démocratique » <strong>la</strong> politique africaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Afin d’en<br />

refon<strong>de</strong>r <strong>la</strong> crédibilité, Agir ici et Survie ont émis une série <strong>de</strong><br />

propositions régulièrement réactualisées.<br />

Agir ici est un réseau <strong>de</strong> citoyens spécialisé dans l’intervention<br />

auprès <strong>de</strong>s déci<strong>de</strong>urs politiques et économiques <strong>de</strong>s pays du Nord<br />

en faveur <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions Nord/Sud plus justes. Agir ici mène <strong>de</strong>s<br />

campagnes d’opinion liées à l’actualité en col<strong>la</strong>boration avec<br />

d’autres associations françaises, européennes et internationales.<br />

104, rue Oberkampf, 75011 Paris.<br />

Tél. (0)1 56 98 24 40 • Fax (0)1 56 98 24 09<br />

Courriel <br />

Survie est une association <strong>de</strong> citoyens qui intervient <strong>de</strong>puis 1983<br />

auprès <strong>de</strong>s responsables politiques français pour renforcer et rendre<br />

plus efficace <strong>la</strong> lutte contre l’extrême misère dans le mon<strong>de</strong>. Survie<br />

milite pour une rénovation du dispositif <strong>de</strong> coopération, un assainissement<br />

<strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions franco-africaines et une opposition ferme à<br />

<strong>la</strong> banalisation <strong>de</strong>s crimes contre l’humanité.<br />

57, av. du Maine, 75014 Paris.<br />

Tél. (0)1 43 27 03 25 • Fax (0)1 43 20 55 58<br />

Courriel


Les « Dossiers noirs » d’Agir ici & Survie<br />

Bolloré : monopoles, services compris, « Dossier noir 15 »,<br />

L’Harmattan, 2000.<br />

Le Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt. Réseaux, mafias et filière bois au<br />

Cameroun, « Dossier noir 14 », L’Harmattan, 2000.<br />

Projet pétrolier Tchad-Cameroun. Dés pipés sur le pipe-line,<br />

« Dossier noir 13 », L’Harmattan, 1999.<br />

La Sécurité au sommet, l’insécurité à <strong>la</strong> base… « Dossier<br />

noir 12 », L’Harmattan, 1998.<br />

La Traite & l’esc<strong>la</strong>vage négriers, Godwin Tété, « Dossier<br />

noir 11 », L’Harmattan, 1998.<br />

France-Sénégal. Une vitrine craquelée, « Dossier noir 10 »,<br />

L’Harmattan, 1997.<br />

France-Zaïre-Congo, 1960-1997. Échec aux mercenaires,<br />

« Dossier noir 9 », L’Harmattan, 1997.<br />

Tchad, Niger. Escroqueries à <strong>la</strong> démocratie, « Dossier noir 8 »,<br />

L’Harmattan, 1996.<br />

France-Cameroun. Croisement dangereux ! « Dossier noir 7 »,<br />

L’Harmattan, 1996.<br />

Jacques Chirac & <strong>la</strong> Françafrique. Retour à <strong>la</strong> case Foccart ?<br />

« Dossier noir 6 », L’Harmattan, 1995.<br />

Rwanda : <strong>la</strong> France choisit le camp du génoci<strong>de</strong> ; Les liaisons<br />

mafieuses <strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique ; France, Tchad, Soudan,<br />

à tous les c<strong>la</strong>ns ; Présence militaire française en Afrique :<br />

dérives ; Les candidats et l’Afrique : le dire et le faire,<br />

« Dossiers noir 1 à 5 », L’Harmattan, 1996.<br />

© Agone, 2001<br />

BP 2326, F-13213 Marseille ce<strong>de</strong>x 02<br />

http://www.atheles.org/agone<br />

ISBN 2-910846-83-0<br />

Coédition Comeau & Na<strong>de</strong>au Éditeurs<br />

c.p. 129, succ. <strong>de</strong> Lorimier<br />

Montréal, Québec H2H 1V0<br />

ISBN 2-922494-79-9


François-Xavier Verschave<br />

L’envers <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

Criminalité politique et économique<br />

au Congo-Brazza et en Ango<strong>la</strong>


On trouvera en annexe une chronologie du Congo-Brazzaville<br />

(p. 198), les notices biographiques <strong>de</strong>s protagonistes (p. 200) et<br />

<strong>la</strong> liste <strong>de</strong>s principaux sigles utilisés dans ce livre (p. 203).<br />

Les notes en chiffres arabes, reportées en fin d’ouvrage (p. 205),<br />

donnent les références <strong>de</strong>s textes et propos cités ; elles sont<br />

numérotées par chapitre.


Introduction<br />

Il ne manque pas d’ouvrages sur le pétrole,<br />

sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte, sur les trafics d’armes, sur les guerres<br />

au Congo-Brazzaville et en Ango<strong>la</strong>, avec leurs cortèges<br />

d’horreurs et <strong>de</strong> <strong>de</strong>structions. Il manquait <strong>de</strong><br />

tisser ensemble ces divers éléments. C’est l’objet <strong>de</strong><br />

ce « Dossier noir ».<br />

Le brassage continu <strong>de</strong> l’or noir et <strong>de</strong> « l’argent<br />

noir I», du pétrole offshore (au <strong>la</strong>rge) et <strong>de</strong>s capitaux<br />

offshore (dans les paradis fiscaux), <strong>de</strong>s spécu<strong>la</strong>tions<br />

inavouables sur le pétrole, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte et les<br />

fournitures <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong>ssine alors un paysage où<br />

criminalités économique et politique entrent en<br />

synergie. Il <strong>de</strong>vient évi<strong>de</strong>nt qu’un certain nombre<br />

d’acteurs, les plus conscients, participent à un<br />

« groupe criminel organisé », au sens où le définit<br />

<strong>la</strong> future Convention <strong>de</strong>s Nations unies contre <strong>la</strong><br />

criminalité transnationale organisée, dite Convention<br />

<strong>de</strong> Palerme. Ils n’ont pas conscience, en revanche,<br />

que peut leur être collée cette étiquette,<br />

car ils évoluent <strong>de</strong>puis trop longtemps dans les espaces<br />

sans loi, les no man’s <strong>la</strong>nd déshumanisants<br />

d’une mondialisation dérégulée, avec <strong>la</strong> quasi-assurance<br />

<strong>de</strong> l’impunité.<br />

Ce dossier voudrait ai<strong>de</strong>r à une prise <strong>de</strong><br />

conscience, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part notamment <strong>de</strong>s victimes et<br />

<strong>de</strong>s ingénieurs <strong>de</strong> ces machines à piller, à ruiner, à<br />

broyer. Les victimes découvriront que ces méca-<br />

I. L’argent sale franco-africain, selon le titre du livre <strong>de</strong> Pierre Péan,<br />

L’Argent noir, Fayard, 1988.


6 Introduction<br />

niques ne sont pas si lointaines que ça, incompréhensibles,<br />

anonymes, insaisissables : les flux mortifères<br />

impliquent <strong>de</strong>s personnes et <strong>de</strong>s sociétés<br />

précises, l’argent passe inévitablement par <strong>de</strong>s<br />

comptes archivés, dans <strong>de</strong>s banques “honorables”.<br />

La <strong>de</strong>tte apparaît comme une “double peine”,<br />

s’ajoutant à tous les malheurs et préjudices qu’infligent<br />

à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>la</strong> razzia, l’extorsion, l’exploitation<br />

inique <strong>de</strong> ses matières premières.<br />

Décrire les articu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> ces dispositifs ne permet<br />

pas seulement d’illustrer leur caractère moralement<br />

insoutenable : ce<strong>la</strong> multiplie les motifs<br />

d’incrimination. Manifestement, <strong>la</strong> quasi-totalité<br />

<strong>de</strong>s contrats sous-jacents sont illégitimes, illégaux,<br />

peuvent être frappés <strong>de</strong> nullité et donner lieu à réparations.<br />

Les victimes peuvent <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r beaucoup<br />

mieux que l’effacement charitable <strong>de</strong> leurs<br />

<strong>de</strong>ttes : elles peuvent exiger d’être rétablies dans<br />

leurs droits I. Une bataille juridique qui est aussi<br />

politique, puisqu’elle contribuera à asseoir un<br />

nouveau droit international.<br />

Les désagréments subis par Pierre Falcone (présumé<br />

innocent) à l’occasion <strong>de</strong> l’“Ango<strong>la</strong>gate” ont<br />

sans doute inquiété les trop habiles profiteurs <strong>de</strong>s<br />

opportunités d’un “mon<strong>de</strong> sans loi II” : le temps<br />

<strong>de</strong>s incriminations a commencé. Leur impu<strong>de</strong>nce<br />

a été trop loin, <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> leurs jeux cyniques et<br />

pervers est peu à peu mise au jour. Ils ne pourront<br />

plus empêcher que les juges et les mouvements <strong>de</strong><br />

I. Lire en annexe les pistes juridiques. Ce<strong>la</strong> n’empêche pas <strong>de</strong><br />

réc<strong>la</strong>mer d’ores et déjà l’effacement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte comme le font les<br />

campagnes internationales auxquelles Agir ici et Survie prennent<br />

part. Notre conviction est politique et non “charitable” : les débiteurs<br />

ont déjà beaucoup trop “payé”.<br />

II. Titre d’un ouvrage sur les paradis fiscaux, dirigé par Jean <strong>de</strong><br />

Mail<strong>la</strong>rd (Stock, 1998).


François-Xavier Verschave 7<br />

citoyens, au Nord comme au Sud, interfèrent dans<br />

leurs trafics. Alors, ils feraient mieux <strong>de</strong> se reconvertir<br />

dans du business plus légal : il y a <strong>de</strong>s manières<br />

bénéfiques <strong>de</strong> gagner <strong>de</strong> l’argent, <strong>de</strong>s jeux<br />

commerciaux à somme positive, <strong>de</strong>s utilisations<br />

intelligentes <strong>de</strong> <strong>la</strong> “rente” <strong>de</strong>s matières premières.<br />

S’ils investissaient là leur ingénierie, ils mériteraient<br />

peut-être un jour <strong>la</strong> reconnaissance générale,<br />

au lieu <strong>de</strong> mandats d’arrêt internationaux.<br />

Deux mots encore, sur les services secrets et les<br />

banques. La dimension financière <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s<br />

premiers a été jusqu’ici sous-estimée ; ils sont omniprésents<br />

<strong>de</strong>rrière les événements que nous allons<br />

décrire, avec <strong>de</strong>s moyens parallèles qui leur permettent<br />

d’échapper <strong>de</strong> plus en plus au contrôle démocratique<br />

– une “dérégu<strong>la</strong>tion” vraiment<br />

problématique. Quant aux gran<strong>de</strong>s banques commerciales,<br />

il s’avère qu’elles n’ont pas su résister<br />

aux tentations <strong>de</strong> l’argent facile, même s’il favorise<br />

le pire : elles <strong>de</strong>vraient prendre conscience que tôt<br />

ou tard leur image, et donc leur crédit, pourraient<br />

gravement en pâtir.


Régimes néo-coloniaux<br />

Parrains politiques<br />

occi<strong>de</strong>ntaux<br />

Tra<strong>de</strong>rs<br />

Courtiers<br />

Tra<strong>de</strong>rs<br />

Multinationales<br />

du pétrole, du bois,<br />

du diamant, etc.<br />

Trafiquants<br />

Paradis<br />

fiscaux<br />

Trafiquants<br />

Courtiers<br />

Gran<strong>de</strong>s<br />

banques<br />

Courtiers<br />

Ven<strong>de</strong>urs<br />

d’armes<br />

Trafiquants<br />

Trafiquants<br />

Tra<strong>de</strong>rs<br />

Réseaux mafieux<br />

transnationaux<br />

Tra<strong>de</strong>rs<br />

Courtiers<br />

Services secrets<br />

et mercenaires<br />

Essoreuse <strong>de</strong> richesses africaines


François-Xavier Verschave 9<br />

Note méthodologique<br />

Comme souvent, les « Dossiers noirs » s’efforcent<br />

<strong>de</strong> mettre en perspective l’information disponible<br />

sur les sujets abordés. Bien entendu, fort peu <strong>de</strong><br />

publications évoquent les aspects officieux sousjacents<br />

aux tractations officielles, dans <strong>la</strong> pétrofinance<br />

ou les ventes d’armes. Pour certains<br />

opérateurs ou déci<strong>de</strong>urs, économiques ou politiques,<br />

ce <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s choses est pourtant essentiel.<br />

Le besoin d’information à son sujet suscite ce<br />

qu’on appelle <strong>de</strong>s “lettres confi<strong>de</strong>ntielles”, <strong>de</strong>s bulletins<br />

périodiques brefs au coût d’abonnement<br />

élevé, <strong>de</strong>stinés à un cercle d’initiés.<br />

Sur les sujets qui nous concernent, <strong>la</strong> plus<br />

connue est La Lettre du Continent. Plus spécialisée<br />

encore est La Lettre Afrique Énergie, également éditée<br />

chez Indigo Publications. Celles-ci publient<br />

encore (entre autres) <strong>la</strong> traduction française <strong>de</strong><br />

l’une <strong>de</strong>s lettres confi<strong>de</strong>ntielles britanniques les<br />

plus réputées, Africa Confi<strong>de</strong>ntial. La première <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> ce livre est très dépendante <strong>de</strong> ces<br />

sources. Elles sont incontournables. Nous avons<br />

pu souvent vérifier leur qualité factuelle par nos<br />

propres sources. Celles-ci sont nombreuses pour le<br />

Congo-Brazzaville, mais ne peuvent le plus souvent<br />

être citées en raison <strong>de</strong>s risques encourus, par<br />

elles-mêmes ou leurs proches.<br />

On comprend que <strong>de</strong>s publications fournissant<br />

<strong>de</strong>s informations “décisionnelles” à <strong>de</strong>s initiés ne<br />

puissent raconter n’importe quoi : elles y perdraient<br />

leurs clients. Les citoyens et leurs associations<br />

ne sont pas leur cible <strong>de</strong> clientèle. C’est un<br />

atout supplémentaire : les tentatives <strong>de</strong> désinfor-


10 Note méthodologique<br />

mation dont ces lettres influentes peuvent être <strong>de</strong><br />

temps à autre l’objet ne nous sont pas en principe<br />

<strong>de</strong>stinées. Tamiser sur plus <strong>de</strong> quinze ans leurs collections<br />

à <strong>la</strong> Bibliothèque nationale I nous permet<br />

d’observer <strong>de</strong>s jeux auxquels nous n’étions pas invités,<br />

et <strong>de</strong> les mettre en perspective. Merci à Indigo<br />

Publications pour ces “nouvelles du front”…<br />

La <strong>de</strong>uxième partie abor<strong>de</strong> les maux <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> à<br />

partir <strong>de</strong>s “aventures” du duo Falcone-Gaydamak,<br />

qui ont débouché sur le scandale <strong>de</strong> l’“Ango<strong>la</strong>gate”<br />

et l’arrestation <strong>de</strong> Jean-Christophe Mitterrand. Le<br />

juge Courroye a fait très fort. Craignant l’étouffement<br />

d’une affaire aux dimensions hima<strong>la</strong>yennes,<br />

ce stratège a assuré sa première “prise” : un rejeton<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie élyséenne. L’affaire est entrée du<br />

coup dans <strong>la</strong> rubrique people, suscitant <strong>de</strong> nombreuses<br />

enquêtes <strong>de</strong> journalistes non spécialisés.<br />

L’éventail <strong>de</strong>s sources est par conséquent beaucoup<br />

plus grand. Elles confirment ce qui ressort <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

première partie <strong>de</strong> ce livre : les mécanismes <strong>de</strong> spoliation<br />

financière, les enchaînements pétrole-<strong>de</strong>tteparadis<br />

fiscaux-armes-guerre civile…<br />

Nos exemples seront souvent exposés <strong>de</strong> manière<br />

partielle, voire <strong>la</strong>cunaire. Les opérations en<br />

question n’étant pas censées être divulguées, n’en<br />

affleurent que <strong>de</strong>s morceaux. Nous sommes un<br />

peu comme <strong>de</strong>s paléontologues à <strong>la</strong> recherche<br />

d’ossements <strong>de</strong> dinosaures. Il est rare qu’ils trouvent<br />

un squelette entier. Mais l’accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s<br />

découvertes parcel<strong>la</strong>ires – un tibia ici, une mâchoire<br />

là, ailleurs une empreinte fossile – permet<br />

<strong>la</strong> mise en perspective. On peut alors reconstituer<br />

I. Un travail <strong>de</strong> chercheur <strong>de</strong> pépites mené par Simon Richard,<br />

sans qui ce dossier n’aurait pas vu le jour.


François-Xavier Verschave 11<br />

l’allure <strong>de</strong> l’animal, et même sa dynamique : ce<br />

qu’ont réalisé <strong>de</strong> manière très scientifique <strong>de</strong>s documentaires<br />

en images <strong>de</strong> synthèse, dont s’est inspiré<br />

Jurassic Park.<br />

Notre dossier n’a pas le <strong>de</strong>gré d’aboutissement<br />

<strong>de</strong> ces documentaires. Sur <strong>de</strong>s terrains minés par<br />

les enjeux d’argent et <strong>de</strong> pouvoir, l’investigation et<br />

<strong>la</strong> recherche scientifique sont beaucoup moins développées<br />

qu’en paléontologie, les consensus <strong>de</strong>meurent<br />

prématurés. Ce livre n’a donc pas<br />

l’aisance d’une fiction linéaire, il nécessitera peutêtre<br />

<strong>de</strong>ux lectures. Mais au terme <strong>de</strong> cet effort, le<br />

lecteur aura accès à une compréhension personnelle,<br />

voire à <strong>de</strong>s instruments pour l’action.<br />

Le schéma qui ouvre cette note méthologique<br />

lui propose dès à présent une idée du décor.


Congo : pétrole,<br />

<strong>de</strong>tte, guerre<br />

Principale richesse du Congo-Brazzaville, le<br />

pétrole pourrait y financer <strong>de</strong>s biens publics<br />

tels que l’éducation et <strong>la</strong> santé, au bénéfice <strong>de</strong> ses<br />

quelque 3 millions d’habitants. Il a plutôt surchauffé<br />

les appétits extérieurs et intérieurs. Elf et<br />

les réseaux françafricains I ont considéré cette richesse<br />

comme <strong>la</strong> leur. Ils ont fait main basse sur<br />

elle avec le concours d’une série d’intermédiaires,<br />

spécialistes <strong>de</strong> l’escamotage financier, et <strong>la</strong> complicité<br />

goulue <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s banques françaises.<br />

Sur p<strong>la</strong>ce, les hommes au pouvoir s’acoquinaient<br />

I. La “Françafrique” est un concept forgé à partir <strong>de</strong> 1994, au fil<br />

<strong>de</strong>s explorations <strong>de</strong> <strong>la</strong> lettre mensuelle Billets d’Afrique (Survie) et<br />

<strong>de</strong>s Dossiers noirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique africaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> France (Agir ici et<br />

Survie), pour tenter d’expliquer comment <strong>la</strong> France est capable<br />

<strong>de</strong> faire en Afrique l’inverse exact <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>vise républicaine. Ce<br />

concept a été amplement développé dans <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> mes<br />

ouvrages, La Françafrique et Noir silence 1. Il subvertit une notion<br />

brièvement utilisée avant les “indépendances” par le lea<strong>de</strong>r néocolonial<br />

franco-ivoirien Félix Houphouët-Boigny, dans une perspective<br />

fusionnelle.<br />

C’est <strong>la</strong> “France à fric” qui s’exporte en Afrique, et s’en réimporte.<br />

La Françafrique est <strong>la</strong> face immergée <strong>de</strong> l’iceberg <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions<br />

franco-africaines. En 1960, l’histoire accule De Gaulle à<br />

accor<strong>de</strong>r l’indépendance aux colonies d’Afrique noire. Tout en<br />

proc<strong>la</strong>mant cette nouvelle légalité internationale, immaculée, il<br />

charge Foccart <strong>de</strong> maintenir <strong>la</strong> dépendance, par un ensemble <strong>de</strong><br />

moyens forcément illégaux, occultes, inavouables, s’attachant ou<br />

circonvenant les pouvoirs locaux. « La Françafrique désigne une<br />

nébuleuse d’acteurs économiques, politiques et militaires, en<br />

France et en Afrique, organisée en réseaux et lobbies, et po<strong>la</strong>risée<br />

sur l’accaparement <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux rentes : les matières premières et<br />

l’ai<strong>de</strong> publique au développement. La logique <strong>de</strong> cette ponction<br />

est d’interdire l’initiative hors du cercle <strong>de</strong>s initiés. Le système,<br />

autodégradant, se recycle dans <strong>la</strong> criminalisation. Il est naturellement<br />

hostile à <strong>la</strong> démocratie. 2»


14 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

bon gré mal gré avec cette Françafrique prédatrice,<br />

soit qu’ils y aient <strong>de</strong>puis longtemps adhéré,<br />

soit qu’ils aient cru inévitable <strong>de</strong> <strong>la</strong> rejoindre.<br />

Mais le cumul <strong>de</strong>s appétits excédait <strong>la</strong>rgement les<br />

marges officielles et parallèles : d’où un recours effréné<br />

à l’en<strong>de</strong>ttement, croquant et hypothéquant<br />

les recettes futures.<br />

Cette fuite en avant n’a cessé d’avoir <strong>de</strong>ux carburateurs<br />

: l’état <strong>de</strong> “manque” <strong>de</strong>s “responsables”<br />

congo<strong>la</strong>is, avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> comptes en Suisse, <strong>de</strong> propriétés<br />

en France, d’armes et <strong>de</strong> miliciens, mais<br />

aussi étranglés par <strong>la</strong> gabegie antérieure (<strong>la</strong> leur,<br />

ou celle <strong>de</strong> leurs prédécesseurs) et le suren<strong>de</strong>ttement<br />

qui en a résulté ; <strong>la</strong> cour industrieuse d’une<br />

nuée <strong>de</strong> prêteurs, bra<strong>de</strong>urs, escrocs ou usuriers.<br />

Pillé, ravagé, criminalisé, l’État congo<strong>la</strong>is est <strong>de</strong>venu<br />

<strong>la</strong> proie <strong>de</strong>s luttes <strong>de</strong> c<strong>la</strong>ns, malgré une brève<br />

éc<strong>la</strong>ircie démocratique. La Françafrique a attisé<br />

ces luttes intestines, qui ne cessaient d’affaiblir<br />

l’État propriétaire du pétrole convoité. Elle a encouragé<br />

leur dérive ethniste, jusqu’à l’horreur<br />

d’une guerre civile occultée par les médias occi<strong>de</strong>ntaux<br />

3– une guerre que l’on pourrait sommairement<br />

qualifier <strong>de</strong> “yougos<strong>la</strong>ve” pour évoquer au<br />

lecteur français les images d’un conflit mieux<br />

connu, objet lui aussi <strong>de</strong> plusieurs rechutes. Avec<br />

une issue différente : s’est installée à Brazzaville <strong>la</strong><br />

dictature d’un régime criminel contre l’humanité,<br />

alors qu’en Yougos<strong>la</strong>vie ses homologues ont été<br />

relégués par les peuples, les fauteurs <strong>de</strong> guerre sont<br />

poursuivis, le principal d’entre eux a été arrêté et<br />

sera jugé. La dictature congo<strong>la</strong>ise se double d’une<br />

occupation étrangère : le pays est quasi annexé par<br />

<strong>la</strong> pétrodictature ango<strong>la</strong>ise voisine, où nous ver-


François-Xavier Verschave 15<br />

rons que se concentre une partie <strong>de</strong>s grands acteurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mondialisation <strong>de</strong> l’argent sale.<br />

Bref, le pétrole et les pétroliers ont ruiné le<br />

Congo, suscitant l’enrichissement sans cause d’un<br />

cercle d’initiés français et africains. S’est ainsi<br />

creusée une première <strong>de</strong>tte. Puis ils ont financé à<br />

crédit les achats d’armes et les milices qui ont exacerbé<br />

<strong>la</strong> guerre civile, terriblement meurtri <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

du Congo, détruit une partie <strong>de</strong> ses<br />

infrastructures, relégué sa démocratie. C’est cette<br />

<strong>de</strong>tte-là, ce crédit-là, perclus d’escroqueries et <strong>de</strong><br />

crimes, que les Congo<strong>la</strong>is <strong>de</strong>vraient rembourser ?


La <strong>de</strong>tte du Congo-Brazza<br />

Le Congo-Brazzaville doit composer avec<br />

une <strong>de</strong>tte extérieure <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 36 milliards<br />

<strong>de</strong> francs. Les créances détenues par <strong>la</strong><br />

France – principalement d’origine commerciale<br />

– se montent à 11 milliards <strong>de</strong> francs.<br />

Contrairement à l’Ango<strong>la</strong>, le Congo-<br />

Brazzaville <strong>de</strong>vrait recevoir <strong>de</strong>s allégements<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>tte dans le cadre <strong>de</strong> l’initiative Pays<br />

pauvres très en<strong>de</strong>ttés (PPTE). Cependant, il<br />

n’a pas encore rempli certains critères lui<br />

permettant d’atteindre son « point <strong>de</strong> décision<br />

» ouvrant droit à <strong>de</strong>s allégements<br />

transitoires. Actuellement sous programme<br />

post-conflit financé par le FMI (à hauteur<br />

<strong>de</strong> 100 millions <strong>de</strong> francs), le Congo-<br />

Brazzaville fait partie, pour les bailleurs, <strong>de</strong>s<br />

pays en phase <strong>de</strong> « normalisation » et <strong>de</strong><br />

« stabilisation ». C’est pourquoi le calendrier<br />

du processus d’allégement est pour<br />

l’heure plus qu’incertain.<br />

Source : Rapport sur les activités du Fonds monétaire<br />

international et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque mondiale<br />

2001, Gouvernement français, 2001.


François-Xavier Verschave 17<br />

1. Le pétrole fait f<strong>la</strong>mber <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

L’abbé Fulbert Youlou, premier prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’ex-<br />

Congo français (à côté <strong>de</strong> l’ex-Congo belge I),<br />

était trop “faible” pour correspondre à l’idéal foccartien<br />

: il <strong>la</strong>issait subsister une re<strong>la</strong>tive démocratie<br />

– libertés syndicales, d’association et d’expression.<br />

Paris le <strong>la</strong>isse donc renverser, mi-1963, par un<br />

accès <strong>de</strong> fièvre proc<strong>la</strong>mé “révolution”. Les principaux<br />

personnages politiques du Congo vont gravir<br />

les échelons <strong>de</strong> ce nouveau régime, s’y tailler <strong>de</strong>s<br />

fiefs – idéologiques, puis c<strong>la</strong>niques et ethnistes –,<br />

acquérir les détestables habitu<strong>de</strong>s qui feront <strong>la</strong> tragédie<br />

<strong>de</strong> leur pays, tandis que s’annonce puis<br />

monte en charge l’exploitation <strong>de</strong> l’or noir. Il est<br />

nécessaire <strong>de</strong> résumer cette histoire parallèle, politique<br />

et pétrolière 4, pour mieux percevoir les<br />

brèches néocoloniales où va couler <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte.<br />

Les “révolutionnaires”, parmi lesquels Pascal Lissouba,<br />

adoptent l’idéologie du “socialisme scientifique”<br />

et créent un parti unique. L’ancien prési<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l’Assemblée nationale, Alphonse Massamba-<br />

Débat, <strong>de</strong>vient prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> République. Lissouba<br />

sera l’un <strong>de</strong> ses Premiers ministres. Un groupe<br />

remuant d’officiers “progressistes”, dont le souslieutenant<br />

Denis Sassou Nguesso, cherche à imposer<br />

sa loi. Il y parvient en juillet 1968. Marien<br />

Ngouabi, l’un <strong>de</strong>s putschistes, est porté à <strong>la</strong> tête du<br />

Conseil national <strong>de</strong> <strong>la</strong> Révolution.<br />

I. Depuis que le Zaïre est re<strong>de</strong>venu Congo, il n’est pas simple <strong>de</strong><br />

le distinguer c<strong>la</strong>irement et sans périphrase <strong>de</strong> son voisin homonyme.<br />

Le caractère “démocratique” <strong>de</strong> <strong>la</strong> République <strong>de</strong><br />

Kinshasa n’étant pas vraiment assuré, on parlera <strong>de</strong> Congo-<br />

Kinshasa ou Congo-K – plutôt que <strong>de</strong> “République démocratique<br />

du Congo”, ou RDC. Et, au nord-ouest, <strong>de</strong> Congo-Brazza<br />

ou Congo-B.


18 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Le parti unique s’appelle désormais parti congo<strong>la</strong>is<br />

du travail (PCT). L’Internationale et le drapeau<br />

rouge <strong>de</strong>viennent l’hymne et l’emblème<br />

nationaux. L’économie est étatisée. Premier pays<br />

marxiste-léniniste d’Afrique, le Congo le restera<br />

officiellement pendant 23 ans. Un savoureux passage<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> confession <strong>de</strong> l’ancien PDG d’Elf, Loïk<br />

Le Floch-Prigent 5, permet <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tiviser l’idéologie<br />

affichée : soulignant le rôle central d’Elf dans<br />

<strong>la</strong> présence française en Afrique francophone, il<br />

donne l’exemple « du Congo, <strong>de</strong>venu quelque<br />

temps marxiste, toujours sous contrôle d’Elf ».<br />

L’i<strong>de</strong>ntité du contrôleur local (Denis Sassou<br />

Nguesso) n’est pas un mystère.<br />

Le régime est policier. Les luttes <strong>de</strong> coterie<br />

s’achèvent en “rectifications idéologiques” – <strong>de</strong>s<br />

purges sang<strong>la</strong>ntes. Sassou Nguesso en est déjà l’un<br />

<strong>de</strong>s arbitres : il comman<strong>de</strong> une unité d’élite, le<br />

Groupe aéroporté (GAP) ; il organise et dirige <strong>la</strong><br />

sécurité d’État ; il coordonne les “organisations <strong>de</strong><br />

masse”. Elf a trouvé une pierre précieuse, le gisement<br />

“Émerau<strong>de</strong>”. La première d’un collier <strong>de</strong> gisements<br />

au <strong>la</strong>rge <strong>de</strong>s côtes congo<strong>la</strong>ises.<br />

En 1976, le prési<strong>de</strong>nt Marien Ngouabi commet<br />

l’erreur <strong>de</strong> se chamailler avec Elf : « Il accuse <strong>la</strong><br />

compagnie <strong>de</strong> “mauvaise foi” dans l’exécution <strong>de</strong>s<br />

contrats et <strong>de</strong> rétention dans <strong>la</strong> production. Le 10<br />

octobre 1975, il déci<strong>de</strong> d’augmenter <strong>la</strong> fiscalité sur<br />

le pétrole. Elf n’apprécie pas. Ce<strong>la</strong> pourrait donner<br />

<strong>de</strong>s idées à d’autres pays, et donc minorer durablement<br />

les bénéfices. Le général en chef d’Elf,<br />

Pierre Guil<strong>la</strong>umat, organise l’asphyxie financière<br />

du régime. En mars 1977, Marien Ngouabi est assassiné.<br />

Il est <strong>la</strong> première victime d’un complot à


François-Xavier Verschave 19<br />

tiroirs [… que <strong>la</strong>isse ou fait prospérer] le chef <strong>de</strong>s<br />

services <strong>de</strong> sécurité, le colonel Sassou Nguesso.<br />

S’ensuit l’élimination <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux personnalités influentes,<br />

et donc gênantes : le cardinal Émile<br />

Biayenda et l’ex-prési<strong>de</strong>nt Massamba-Débat. Les<br />

assassins ne pourront pas parler : Sassou les fait<br />

exécuter sans jugement. Il promeut à <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce<br />

le général Jacques-Joachim Yhombi Opango.<br />

Les revendications congo<strong>la</strong>ises sur le pétrole<br />

d’Elf sont abandonnées, les vannes pétrolières et<br />

financières se rouvrent. […] Le 5 février 1979,<br />

Sassou accè<strong>de</strong> enfin officiellement au sommet <strong>de</strong><br />

l’État. Il embastille pour 13 ans Yhombi Opango.<br />

Le pétrole coule à flots sous le règne <strong>de</strong> Sassou I<br />

(1979-1991) I, qui n’est pas cependant un long<br />

fleuve tranquille. La Conférence nationale souveraine<br />

lui imputera trois mille assassinats. 6»<br />

Rival <strong>de</strong> Sassou, Pascal Lissouba subit une dure<br />

pério<strong>de</strong> d’incarcération, qui le marque psychologiquement<br />

et explique en partie <strong>la</strong> haine future<br />

entre leurs c<strong>la</strong>ns.<br />

La <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> Sassou I<br />

La production pétrolière (officielle) double <strong>de</strong><br />

1979 à 1991. Le budget passe <strong>de</strong> 1,37 milliard <strong>de</strong><br />

francs en 1979 à 10,35 milliards en 1985 – avant<br />

<strong>de</strong> re<strong>de</strong>scendre à 5 ou 6 milliards <strong>de</strong> 1989 à 1992,<br />

suite à <strong>la</strong> chute conjointe <strong>de</strong>s cours du baril et du<br />

dol<strong>la</strong>r. La première moitié <strong>de</strong>s douze années <strong>de</strong><br />

I. Il est convenu <strong>de</strong> désigner ainsi <strong>la</strong> première prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Denis<br />

Sassou Nguesso (négligeant son intérim très court mais très<br />

sombre après l’assassinat du prési<strong>de</strong>nt Ngouabi). Restauré par<br />

une guerre civile et <strong>de</strong>s alliances étrangères, à dominante francoango<strong>la</strong>ise,<br />

il inaugurera six ans plus tard un second règne :<br />

Sassou II.


20 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

règne <strong>de</strong> Sassou I (1979-1991) a coïncidé avec les<br />

vaches grasses <strong>de</strong> <strong>la</strong> rente pétrolière.<br />

Elf est chez elle. Nous verrons qu’elle utilise<br />

toutes les astuces pour s’arroger l’essentiel <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

rente. Mais Sassou est lui aussi <strong>la</strong>rgement servi. Il<br />

a <strong>de</strong> l’État une représentation néo-patrimoniale 7,<br />

l’argent public est “sa chose” – qu’il s’agisse d’affecter<br />

à ses intérêts l’argent du budget ou d’accroître<br />

à son profit le volume <strong>de</strong>s royalties, bonus<br />

et autres commissions non déc<strong>la</strong>rés. Avec l’argent<br />

public, il se taille une armée sur mesure, recrutée<br />

sur une base ethniste dans son Nord natal. Avec<br />

l’argent parallèle, il se constitue une fortune évaluée<br />

à plus d’un milliard <strong>de</strong> francs 8.<br />

Dès 1979, il c<strong>la</strong>que un argent qui le grise, privilégie<br />

à outrance sa région d’origine – qu’il s’agisse<br />

d’investissements <strong>de</strong> prestige ou d’embauche dans<br />

<strong>la</strong> fonction publique –, se <strong>la</strong>isse fourguer <strong>de</strong>s projets<br />

immobiliers ou industriels disproportionnés<br />

(les “éléphants b<strong>la</strong>ncs”). Telle <strong>la</strong> Sucrerie du<br />

Congo (SUCO), qui accuse en 1984 un déficit <strong>de</strong><br />

118 millions <strong>de</strong> francs 9.<br />

En 1985, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte franchit <strong>la</strong> barre <strong>de</strong>s 10 milliards<br />

<strong>de</strong> francs. Le Congo est déjà en cessation <strong>de</strong><br />

paiements : il ne peut plus régler <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s<br />

échéances que lui présentent au long <strong>de</strong> l’année<br />

ses nombreux créanciers extérieurs, privés et publics,<br />

français ou autres. Certes, le budget prévoit<br />

4 milliards <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> ressources pétrolières<br />

(43 % en re<strong>de</strong>vances sur les quantités produites,<br />

le reste en impôts et taxes), mais le service annuel<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte I atteint 4,4 milliards : 2,2 milliards<br />

I. Le total <strong>de</strong>s échéances exigibles : les intérêts et <strong>la</strong> part du capital<br />

à rembourser.


François-Xavier Verschave 21<br />

pour le service ordinaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte extérieure,<br />

plus 1,2 milliard d’arriérés, plus encore un milliard<br />

au titre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte intérieure. Il ne reste plus<br />

rien pour assurer le fonctionnement <strong>de</strong> l’État.<br />

Même les institutions financières françaises bou<strong>de</strong>nt<br />

: l’assurance publique <strong>de</strong>s exportations, <strong>la</strong><br />

Coface, bloque toute opération vers le Congo <strong>de</strong>puis<br />

septembre 1984. La Caisse centrale <strong>de</strong> coopération<br />

économique (CCCE, future CFD, puis<br />

AFD, Agence française <strong>de</strong> développement), qui a<br />

accordé 440 millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> concours en<br />

1984, estime ne pas pouvoir continuer à ce rythme.<br />

Le Congo est obligé <strong>de</strong> se tourner vers <strong>la</strong><br />

Banque mondiale et le FMI 10.<br />

Au même moment, Elf s’apprête à « réaliser l’un<br />

<strong>de</strong>s rêves les plus “chers” <strong>de</strong>s responsables congo<strong>la</strong>is<br />

: <strong>la</strong> construction d’une tour d’une vingtaine<br />

d’étages à Brazzaville qui fasse “<strong>la</strong> pige” aux immeubles<br />

<strong>de</strong> Kinshasa 11». La rigueur financière<br />

subit <strong>de</strong>s accommo<strong>de</strong>ments : « une renégociation<br />

d’ensemble avec les principaux bailleurs <strong>de</strong> fonds<br />

du Congo s’esquisse afin <strong>de</strong> préserver l’ouverture<br />

du pouvoir actuel à l’égard <strong>de</strong>s pays occi<strong>de</strong>ntaux<br />

12»… Autrement dit : il ne faudrait pas que<br />

le “marxiste” Sassou se braque contre le capitalisme<br />

pétrolier.<br />

En attendant, il bra<strong>de</strong> quelques bijoux <strong>de</strong> famille<br />

à <strong>de</strong>s ploutocrates “socialistes” : « <strong>de</strong> substantielles<br />

rentrées d’argent vont d’autre part être réalisées<br />

par <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> concessions forestières au groupe<br />

Doumeng I, à l’Algérie et à <strong>la</strong> Libye avec lesquels<br />

I. Jean-Baptiste Doumeng, magnat du commerce agroalimentaire<br />

avec les pays “socialistes”, était surnommé « le milliardaire<br />

rouge ».


22 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

<strong>de</strong>s sociétés mixtes seront constituées. 13» Denis<br />

Sassou Nguesso noue également une alliance précoce<br />

avec les Feliciaggi, qui amorcent <strong>la</strong> constitution<br />

d’un empire corsafricain <strong>de</strong>s jeux – le b<strong>la</strong>ck<br />

cash –, dans <strong>la</strong> mouvance du réseau Pasqua : ce<br />

« sont <strong>de</strong>s Corses… du Congo où ils ont suivi<br />

toutes leurs étu<strong>de</strong>s. Après avoir fait fortune dans <strong>la</strong><br />

pêche et l’hôtellerie, [… ils] sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s intimes<br />

et <strong>de</strong>s conseillers financiers <strong>de</strong> […] Denis<br />

Sassou Nguesso 14». Ils vont <strong>de</strong>venir, aussi, les seconds<br />

clients <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fiba, <strong>la</strong> banque d’Elf et <strong>de</strong>s valises<br />

à billets 15. Le raffinage <strong>de</strong> l’or noir en argent<br />

liqui<strong>de</strong> ne va cesser <strong>de</strong> se mo<strong>de</strong>rniser.<br />

La fin du règne <strong>de</strong> Sassou I (1986-1990) est financièrement<br />

assombrie par <strong>la</strong> chute libre <strong>de</strong>s<br />

cours du pétrole, exprimés en francs. Elf, et Agip<br />

(principale société pétrolière italienne) dans son<br />

sil<strong>la</strong>ge, ont “obtenu” lors <strong>de</strong> leur instal<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s<br />

conditions très privilégiées, pour ne pas dire exorbitantes,<br />

leur garantissant une marge <strong>de</strong> 5 dol<strong>la</strong>rs<br />

par baril. On en arrive au point où « le Congo ne<br />

dégagerait pratiquement plus <strong>de</strong> bénéfice sur le pétrole<br />

vendu. Le Congo se trouvera-t-il dans <strong>la</strong><br />

même situation paradoxale que le Tchad où<br />

chaque balle <strong>de</strong> coton vendue coûte à l’État ? 16»<br />

Tout compris (royalties et impôts), les recettes pétrolières<br />

publiques <strong>de</strong> 1988 (780 millions <strong>de</strong><br />

francs) ne représentent plus qu’un cinquième <strong>de</strong><br />

celles <strong>de</strong> 1985. Sans surprise, le FMI <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

coupes c<strong>la</strong>ires dans le budget et <strong>la</strong> liquidation <strong>de</strong><br />

nombreuses entreprises publiques 17.<br />

Mais déjà les banques commerciales se glissent<br />

dans <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion sur les ressources à venir, aussi<br />

impatiemment attendues par le régime étranglé


François-Xavier Verschave 23<br />

que <strong>de</strong>s secouristes avec une bouteille d’oxygène.<br />

Mi-1986, 400 millions <strong>de</strong> francs “d’argent frais”<br />

auraient été insufflés 18. Il faut bien que les affaires<br />

continuent : investissements fastueux, bradage <strong>de</strong>s<br />

ressources naturelles, etc. Le premier patron privé<br />

du Congo, Pierre Otto Mbongo, « ne travaille plus<br />

qu’avec les plus grands : Bouygues pour le pa<strong>la</strong>is<br />

prési<strong>de</strong>ntiel, <strong>la</strong> […] GMF pour une concession forestière,<br />

[…] <strong>la</strong> CGE I pour <strong>la</strong> maintenance… 19».<br />

La maintenance <strong>de</strong>s immeubles et instal<strong>la</strong>tions<br />

mo<strong>de</strong>rnes est sous-traitée à l’étranger, confinant<br />

l’esprit d’entreprise <strong>de</strong>s Congo<strong>la</strong>is dans <strong>la</strong> politique<br />

et <strong>la</strong> fonction publique. Otto Mbongo, lui, a installé<br />

ses bureaux parisiens dans <strong>la</strong> prestigieuse avenue<br />

Marceau. Au Congo, il spoliera et ruinera un<br />

complexe avicole d’une valeur <strong>de</strong> 150 millions <strong>de</strong><br />

francs, dont les produits bon marché concurrençaient<br />

les filières d’importation.<br />

Il faut s’attar<strong>de</strong>r quelque peu sur <strong>la</strong> proximité<br />

entre Michel Baroin, patron <strong>de</strong> <strong>la</strong> Garantie mutuelle<br />

<strong>de</strong>s fonctionnaires (GMF), bizarrement diversifiée<br />

dans l’exploitation forestière, et Denis<br />

Sassou Nguesso : on peut y <strong>de</strong>viner <strong>la</strong> force du<br />

lien qui unit le second à ses créanciers français,<br />

qui ont aussi envers lui, sans doute, quelque <strong>de</strong>tte<br />

stratégique. Cet attachement, si fort qu’il <strong>de</strong>meure<br />

en partie mystérieux, est l’une <strong>de</strong>s clefs du sujet<br />

dont nous traitons ; tout ne se réduit pas seulement<br />

à <strong>de</strong>s affaires d’argent.<br />

Outre ses fonctions à <strong>la</strong> GMF, Michel Baroin<br />

était Grand Maître du Grand Orient <strong>de</strong> France.<br />

I. La CGE est ici, semble-t-il, <strong>la</strong> Compagnie générale <strong>de</strong>s eaux<br />

(future Vivendi) plutôt que <strong>la</strong> Compagnie générale d’électricité.


24 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

C’était aussi un agent secret <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> envergure,<br />

au cœur <strong>de</strong>s financements parallèles et <strong>de</strong>s affaires<br />

militaro-nucléaires, et un ami du Premier ministre<br />

Jacques Chirac. Il est mort le 5 février 1987, dans<br />

l’acci<strong>de</strong>nt très suspecté <strong>de</strong> l’avion privé qui le ramenait<br />

d’une mission urgente en Afrique centrale.<br />

La veille, il avait obtenu <strong>de</strong> Denis Sassou Nguesso<br />

« une concession forestière <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 300 000<br />

hectares dans le nord du pays, autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> région<br />

<strong>de</strong> Bétou. […] Il s’agit là <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong>s plus belles,<br />

sinon <strong>la</strong> plus belle forêt d’Afrique, constituée à<br />

70 % <strong>de</strong> bois précieux (acajou, sipo, etc.). Pour ce<br />

projet, <strong>la</strong> GMF s’est associée avec […] Pierre Otto<br />

Mbongo 20».<br />

Mais « Michel Baroin n’était pas au Congo<br />

“que” pour <strong>la</strong> signature <strong>de</strong> ce contrat forestier. […]<br />

Il avait passé, dans l’après-midi et dans <strong>la</strong> soirée <strong>de</strong><br />

ce 4 février, quatre heures en tête à tête avec le chef<br />

<strong>de</strong> l’État congo<strong>la</strong>is. […] On note, parmi les victimes<br />

<strong>de</strong> l’acci<strong>de</strong>nt, Georges Gavarry, très connu<br />

dans les milieux d’affaires franco-africains et dont<br />

<strong>la</strong> société, <strong>la</strong> Setimeg, filiale <strong>de</strong> <strong>la</strong> GMF, a participé<br />

à tous les grands projets du Gabon, <strong>de</strong>puis le pa<strong>la</strong>is<br />

prési<strong>de</strong>ntiel jusqu’au Transgabonais 21».<br />

En fait, Baroin était le patron <strong>de</strong> Gavarry, et<br />

avait cofondé <strong>la</strong> Setimeg avec le créateur d’Elf,<br />

Pierre Guil<strong>la</strong>umat. La Setimeg a édifié un centre<br />

<strong>de</strong> recherches médicales à Franceville, fief du prési<strong>de</strong>nt<br />

gabonais Omar Bongo. Ce centre, le<br />

CIRMF, fut le probable camouf<strong>la</strong>ge d’une unité<br />

d’enrichissement d’uranium. Le <strong>de</strong>vis pharaonique<br />

du Transgabonais a vraisemb<strong>la</strong>blement<br />

concouru à payer cette unité secrète. Le trajet à<br />

rallonge <strong>de</strong> ce chemin <strong>de</strong> fer a dû servir <strong>de</strong>s objec-


François-Xavier Verschave 25<br />

tifs stratégiques, le transport du manganèse gabonais<br />

couvrant sans doute celui <strong>de</strong> l’uranium 22.<br />

Extrait par <strong>la</strong> société française Comilog, bastion<br />

françafricain, le manganèse gabonais transitait par<br />

le Congo sur une voie ferrée dite “Comilog”,<br />

branchée sur le Chemin <strong>de</strong> fer Congo-Océan<br />

(CFCO). Ce transit s’interrompt en 1991, suite à<br />

un « sabotage » jamais réparé. Au même moment<br />

était remis en cause le pouvoir <strong>de</strong> Sassou I – <strong>de</strong>venu<br />

un an auparavant le beau-père <strong>de</strong> Bongo.<br />

Comme si ce trafic ferroviaire supposait <strong>la</strong> complicité<br />

d’un pouvoir ami… 23<br />

Revenons à février 1987. Denis Sassou Nguesso<br />

débarque à Matignon, chez Jacques Chirac,<br />

quelques jours après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Michel Baroin. La<br />

Lettre du Continent commente, le 18 février : « Le<br />

prési<strong>de</strong>nt Sassou Nguesso a bien sûr reçu, lors <strong>de</strong><br />

sa visite à Paris <strong>la</strong> semaine <strong>de</strong>rnière, toutes les assurances<br />

sur le soutien financier <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. 24»<br />

Comme si, tout d’un coup, il se retrouvait en position<br />

<strong>de</strong> force face à ses interlocuteurs français :<br />

un accord bi<strong>la</strong>téral est signé en septembre 1986,<br />

portant sur 2,2 milliards <strong>de</strong> francs 25. La <strong>de</strong>tte envers<br />

<strong>la</strong> France est rééchelonnée – c’est-à-dire que<br />

les échéances sont reportées sur une plus longue<br />

durée, avec un sou<strong>la</strong>gement immédiat. Mais le<br />

total <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte du Congo atteint déjà 2,5 milliards<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs (15 milliards <strong>de</strong> francs).<br />

Ce total bondit à 4,6 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs fin<br />

1987, dont 944 millions <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte à court terme.<br />

Brazzaville est <strong>de</strong>venu, par rapport à sa production<br />

(PIB), le pays le plus en<strong>de</strong>tté du mon<strong>de</strong>. D’où<br />

vient ce grand bond en avant, cette « progression<br />

foudroyante 26» ? Il y a eu, par exemple, 295 mil-


26 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

lions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs d’achats d’armes aux pays <strong>de</strong> l’Est.<br />

Pour faire face à quelle menace extérieure ?<br />

En 1989, le Congo, qui ne rembourse plus ses<br />

créanciers <strong>de</strong>puis 1987, essaie d’obtenir <strong>la</strong> remise<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>tte à l’instar <strong>de</strong>s pays les<br />

moins avancés (PMA) 27. Mais symétriquement<br />

s’accentue l’échappée belle : « Les responsables <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Banque mondiale s’inquiètent […] <strong>de</strong> <strong>la</strong> poursuite<br />

par les autorités congo<strong>la</strong>ises d’une politique<br />

d’en<strong>de</strong>ttement auprès <strong>de</strong>s banques commerciales.<br />

Celles-ci ne consentent leurs crédits qu’avec <strong>de</strong>s<br />

garanties sur le pétrole, ce qui achève <strong>de</strong> déstabiliser<br />

toutes les stratégies <strong>de</strong> remboursement in<strong>de</strong>xé<br />

sur les recettes tirées <strong>de</strong>s ventes d’hydrocarbures.<br />

28» Nous traiterons plus loin <strong>de</strong> l’offre <strong>de</strong><br />

ces banques et <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> leurs intermédiaires<br />

: une association <strong>de</strong> malfaiteurs détrousse<br />

tel un orphelin le Congo néocolonisé, avec <strong>la</strong><br />

complicité du parâtre… Tout ce<strong>la</strong> va s’emballer en<br />

cette fin <strong>de</strong>s années 1980, et ne s’est toujours pas<br />

calmé au début du troisième millénaire.<br />

Les financiers ne sont pas seuls à pousser au<br />

creusement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte. La corruption galopante a<br />

aidé les entreprises françaises à décrocher <strong>de</strong><br />

beaux marchés au Congo. Encore faut-il se faire<br />

régler : leur club, le Conseil <strong>de</strong>s investisseurs français<br />

en Afrique noire (CIAN), déplore 600 millions<br />

<strong>de</strong> francs d’impayés. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> donc que<br />

Paris apporte 400 millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> nouveaux<br />

concours (dont 250 millions <strong>de</strong> prêts)… pour<br />

que les entreprises se fassent rembourser une partie<br />

au moins <strong>de</strong> ces créances. Des “concours” dont<br />

les Congo<strong>la</strong>is ne verront pas <strong>la</strong> couleur… Imaginatif<br />

et précurseur, Pierre Otto Mbongo a déjà


François-Xavier Verschave 27<br />

une autre solution, juteuse, à proposer aux créanciers<br />

français : convertir les <strong>de</strong>ttes en actions dans<br />

les entreprises privatisables 29– solution <strong>de</strong>venue<br />

quelques années plus tard un leitmotiv <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Banque mondiale.<br />

Nul expédient ne peut suffire. Le différentiel<br />

s’accroît entre <strong>la</strong> boulimie françafricaine et les ressources<br />

disponibles. Début 1990, les recettes pétrolières<br />

ont déjà été hypothéquées jusqu’en 1994.<br />

Sassou I ne sait plus comment payer ses fonctionnaires.<br />

« On semble maintenant compter à Brazzaville<br />

sur les opérations <strong>de</strong> swaps I <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque<br />

française intercontinentale [Fiba, <strong>la</strong> banque d’Elf]<br />

pour renflouer les caisses <strong>de</strong> l’État… 30»<br />

D’un côté, le pays s’aliène <strong>de</strong> plus en plus à Elf.<br />

De l’autre, Sassou I s’en va recevoir à Washington<br />

l’onction <strong>de</strong> George Bush : il est le premier chef<br />

d’État africain reçu par ce <strong>de</strong>rnier en visite officielle.<br />

Pourquoi tant d’égard envers un allié <strong>de</strong><br />

Kadhafi ? Bush, l’ami <strong>de</strong>s pétroliers, est ravi d’une<br />

médiation <strong>de</strong> Sassou : celui-ci, avec son poissonpilote,<br />

l’agent français Jean-Yves Ollivier, a facilité<br />

un grand marchandage entre l’Afrique du Sud,<br />

l’URSS, Cuba, les États Unis, <strong>la</strong> France et l’Ango<strong>la</strong><br />

31. Beaucoup <strong>de</strong> rivaux, voire d’ennemis, dans<br />

ce sextuor. Mais un attrait commun pour les divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong>s<br />

du pactole ango<strong>la</strong>is : <strong>de</strong> gigantesques gisements<br />

<strong>de</strong> pétrole, en partie frontaliers du Congo.<br />

George Bush est ravi, pour les Exxon, Chevron<br />

et compagnie, que le prési<strong>de</strong>nt congo<strong>la</strong>is<br />

convainque son collègue “marxiste” ango<strong>la</strong>is, José<br />

I. Échanges d’actifs financiers ou <strong>de</strong> rémunérations, selon <strong>de</strong>s<br />

montages plus ou moins sophistiqués. S’agissant du Congo, il<br />

s’agit toujours, in fine, <strong>de</strong> vendre son pétrole par anticipation ou<br />

<strong>de</strong> l’en<strong>de</strong>tter davantage.


28 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Eduardo Dos Santos, d’oublier le soutien américain<br />

aux rebelles <strong>de</strong> l’Unita (Union pour l’indépendance<br />

totale <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>). Une paix précaire va<br />

précé<strong>de</strong>r le lâchage progressif, par l’Occi<strong>de</strong>nt, du<br />

lea<strong>de</strong>r <strong>de</strong> l’Unita “anti-marxiste”, Jonas Savimbi.<br />

Passant outre l’anti-américanisme subalterne, Elf et<br />

<strong>la</strong> Françafrique, sa marraine, sont ravies elles aussi<br />

<strong>de</strong> suivre le mouvement et <strong>de</strong> se faire pardonner le<br />

même méfait. André Tarallo et le réseau Pasqua<br />

vont permettre à Elf d’être invitée, au côté <strong>de</strong>s majors<br />

US, au jackpot du pétrole offshore ango<strong>la</strong>is.<br />

Sassou et son homme d’affaires Pierre Otto<br />

Mbongo ont également bien mérité d’Elf – et en<br />

seront récompensés. Le second a été en 1989<br />

« l’homme clé <strong>de</strong> l’attribution du bloc 7 à <strong>la</strong> compagnie<br />

pétrolière française 32», <strong>la</strong>issant dans l’antichambre,<br />

pendant un tête-à-tête avec le prési<strong>de</strong>nt<br />

Dos Santos, Jean-Christophe Mitterrand et André<br />

Tarallo I… Selon C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Angeli, directeur du Canard<br />

enchaîné, Denis Sassou Nguesso est intervenu<br />

en une autre occasion « pour qu’Elf dispose<br />

d’un bassin offshore en Ango<strong>la</strong>, le [fabuleux]<br />

bloc 17. M. Sassou a ensuite touché une re<strong>de</strong>vance<br />

régulière sur ce bloc, ce qui lui a sans doute<br />

permis <strong>de</strong> vivre et <strong>de</strong> maintenir ses partisans en<br />

activité pendant qu’il était dans l’opposition 33».<br />

Si l’intermédiation <strong>de</strong> Sassou a été aussi efficace,<br />

c’est qu’il connaît <strong>de</strong> longue date le prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is<br />

: « Denis Sassou Nguesso distribuait dans<br />

les années 1970, en qualité <strong>de</strong> patron <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécu-<br />

I. Otto Mbongo avait bien <strong>de</strong>s cartes dans son jeu : transporteur<br />

aérien, il était l’un <strong>de</strong>s principaux intermédiaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente <strong>de</strong>s<br />

diamants centrafricains et zaïrois – un commerce qui intéresse<br />

beaucoup Dos Santos. Il lui aurait aussi proposé <strong>de</strong>s missiles so<strong>la</strong>ir<br />

Matra


François-Xavier Verschave 29<br />

rité d’État, les bourses offertes par les pays <strong>de</strong> l’Est<br />

aux jeunes Africains réfugiés au Congo. La jeunesse<br />

du MPLA [l’un <strong>de</strong>s partis indépendantistes<br />

ango<strong>la</strong>is en lutte contre le colonisateur portugais],<br />

<strong>la</strong> JMPLA, avait sa direction dans le quartier<br />

Mpi<strong>la</strong> <strong>de</strong> Brazzaville. Elle était présidée par un<br />

certain… José Eduardo Dos Santos. 34»<br />

Lors <strong>de</strong> sa visite aux États Unis, Sassou I n’a pas<br />

été choyé que par les Républicains. Il a été l’invité<br />

d’un dîner offert en son honneur par <strong>la</strong> famille<br />

Kennedy, en particulier <strong>la</strong> veuve <strong>de</strong> Bob, Ethel,<br />

dont le fils Michael possè<strong>de</strong> une “société sans but<br />

lucratif”, Citizens Energy Group, qui importe du<br />

pétrole, le raffine et le distribue aux personnes démunies.<br />

En août 1989, Michael avait conduit avec<br />

sa mère une mission <strong>de</strong> personnalités américaines<br />

au Congo. Ethel avait offert 2 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à<br />

l’association Congo-Assistance, présidée par Antoinette<br />

Sassou Nguesso, l’épouse <strong>de</strong> Denis. Début<br />

février 1990, Citizens Energy a signé un accord <strong>de</strong><br />

50 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs avec le Congo. Amoco s’apprêtait<br />

à exploiter en 1991 un gisement très important<br />

35 (2 millions <strong>de</strong> tonnes par an).<br />

Manifestement, <strong>de</strong>s fées françaises et américaines<br />

(républicaines et démocrates) témoignent<br />

leur bienveil<strong>la</strong>nce envers <strong>la</strong> dictature congo<strong>la</strong>ise<br />

alors qu’elle est au plus mal financièrement, et<br />

menacée d’une poussée démocratique. Il faudra<br />

s’en souvenir. Le successeur <strong>de</strong> Sassou I, Pascal<br />

Lissouba, fera aussi mousser <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte. Mais il ne<br />

sera jamais le favori <strong>de</strong> l’establishment politico-financier,<br />

resté “accro” à son prédécesseur. On lui<br />

mettra régulièrement <strong>de</strong>s bâtons dans les roues, le<br />

rendant plus vulnérable aux usuriers non patentés.


30 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

L’obsession <strong>de</strong> l’amnistie<br />

Miné par <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte, <strong>la</strong> crise budgétaire, l’impossibilité<br />

<strong>de</strong> payer les fonctionnaires, le régime Sassou<br />

ne va pas pouvoir résister à <strong>la</strong> jonction d’une<br />

fron<strong>de</strong> syndicale et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>me <strong>de</strong> fond démocratique<br />

qui envahit l’Afrique après <strong>la</strong> chute du mur<br />

<strong>de</strong> Berlin. Elles lui imposent une Conférence nationale<br />

souveraine (CNS).<br />

« Durant un peu plus <strong>de</strong> cent jours (25 février-<br />

10 juin 1991), le peuple suit passionnément un<br />

débat politique <strong>de</strong> haute tenue. Un moment fondateur.<br />

Le bi<strong>la</strong>n est tiré <strong>de</strong> trois décennies d’indépendance.<br />

Le dictateur est formellement<br />

condamné pour ses turpitu<strong>de</strong>s, ses crimes et ses<br />

détournements, mais l’ambiance n’est pas à <strong>la</strong><br />

vengeance. Il bat sa coulpe : “L’avenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie<br />

appartient non à ceux qui préten<strong>de</strong>nt être<br />

innocents, purs et sans tache, mais à ceux qui sauront<br />

se convertir à cette nouvelle exigence. I”<br />

« Sensible à cette offre <strong>de</strong> conversion, <strong>la</strong> CNS<br />

maintient Sassou à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> l’État. Elle transfère<br />

cependant ses prérogatives à un Premier ministre<br />

<strong>de</strong> transition. Elle élit à ce poste André Milongo<br />

et décrète <strong>la</strong> fin du parti unique. Elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

aussi un audit sur <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> l’or noir : <strong>la</strong><br />

Banque mondiale a fait remarquer que le ren<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> l’exploitation pétrolière était, curieuse-<br />

ment, “l’un <strong>de</strong>s plus bas du mon<strong>de</strong>.<br />

37”» 38<br />

Cette observation suggère une considérable dérive<br />

<strong>de</strong>s flux physiques (cargaisons non déc<strong>la</strong>rées)<br />

et financiers du pétrole : le « ren<strong>de</strong>ment » évaporé<br />

I. Denis Sassou Nguesso est cité ici par un admirateur, l’ancien<br />

ministre Bernard Debré 36.


François-Xavier Verschave 31<br />

ne l’est pas pour tout le mon<strong>de</strong>, et une partie <strong>de</strong>s<br />

milliards <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte, peu ou prou gagée sur l’or<br />

noir, est p<strong>la</strong>nquée à l’étranger. Ni Jacques Chirac,<br />

héritier du réseau Foccart, ni Charles Pasqua, ni<br />

Elf, ni Omar Bongo, gendre <strong>de</strong> Sassou, n’admettent<br />

<strong>la</strong> perspective d’un examen à livres ouverts<br />

<strong>de</strong>s comptes du pétrole – et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte qui lui est<br />

intimement liée.<br />

« Le général-prési<strong>de</strong>nt complote immédiatement<br />

avec eux. Leur implication concertée est démontrée.<br />

En perquisitionnant <strong>la</strong> Tour Elf, les<br />

juges Joly et Vichnievsky ont saisi dans le coffrefort<br />

du colonel Jean-Pierre Daniel, responsable <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> sécurité du groupe pétrolier, <strong>de</strong>ux notes rédigées<br />

en 1991 […] : “23 avril 1991. Compte-rendu entrevue<br />

avec M. Tarallo. […] B. […] vient <strong>de</strong> voir<br />

Sassou et lui a proposé d’exécuter les opposants<br />

qui lui seraient désignés. Sassou vient <strong>de</strong> recevoir<br />

les pièces <strong>de</strong>s blindés achetés par l’intermédiaire <strong>de</strong><br />

M’Baye [directeur du Renseignement gabonais].<br />

Transport aérien <strong>de</strong> Genève à LBV [Libreville],<br />

puis ensuite LBV-Brazza.”» 39<br />

Autrement dit, le patron d’Elf en Afrique,<br />

André Tarallo, s’intéresse jusque dans le détail à<br />

l’armement d’un prési<strong>de</strong>nt en sursis, en principe<br />

soumis à l’instance suprême <strong>de</strong> <strong>la</strong> transition démocratique,<br />

<strong>la</strong> Conférence nationale souveraine.<br />

Tarallo est très proche <strong>de</strong> Charles Pasqua, et en<br />

bons termes avec Jacques Chirac. Il suit l’activité<br />

<strong>de</strong> l’exécuteur B. On s’oblige à ne pas penser au<br />

capitaine Barril. Pure coïnci<strong>de</strong>nce, le 4 avril 1991,<br />

un article <strong>de</strong> Libération signé du pseudonyme Éric<br />

Landal (en réalité Pierre Péan) signa<strong>la</strong>it que quatre<br />

mercenaires, recrutés par <strong>la</strong> société SECRETS <strong>de</strong>


32 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Barril, étaient allés donner un coup <strong>de</strong> main au<br />

général Sassou I. Cet article est à rapprocher <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

secon<strong>de</strong> note du colonel Daniel, datée du 27 novembre<br />

1991 et tout à fait explicite :<br />

Le chef d’état-major congo<strong>la</strong>is Jean-Marie Mokoko<br />

« a rejoint Brazza le 26 novembre. Sassou<br />

doit essayer <strong>de</strong> le persua<strong>de</strong>r d’agir. Bongo, dès son<br />

retour le 25, avait téléphoné à Sassou dans le<br />

même sens. L’entretien du 24 novembre chez<br />

A.T. [André Tarallo] n’avait pas atteint le but recherché.<br />

Mokoko reste légal mais ne va rien entreprendre…<br />

sauf si le gouvernement [installé par <strong>la</strong><br />

CNS] ne tient pas ses promesses. […] Une équipe<br />

<strong>de</strong> mercenaires est prête à agir <strong>de</strong>puis LBV-Marchiani-[Daniel]<br />

Leandri [le tan<strong>de</strong>m <strong>de</strong> pointe du<br />

réseau Pasqua 41]. […] Appel <strong>de</strong> Maurice [Robert,<br />

prédécesseur du colonel Daniel à <strong>la</strong> sécurité<br />

d’Elf, ancien chef <strong>de</strong>s services secrets français en<br />

Afrique, pivot du réseau Foccart-Chirac] le 27 novembre<br />

: Leandri vient <strong>de</strong> rentrer <strong>de</strong> Brazza avec<br />

vraisemb<strong>la</strong>blement Marchiani ».<br />

La note signale ensuite l’arrivée <strong>de</strong> quatre<br />

Corses dans l’île <strong>de</strong> Sao Tomé, où se préparait<br />

l’opération pro-Sassou. Le 15 janvier 1992, le prési<strong>de</strong>nt<br />

Sassou… tente un coup d’État II, qui<br />

échoue grâce à <strong>la</strong> mobilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion.<br />

La frénésie putschiste d’Elf et <strong>de</strong>s réseaux se réitérera<br />

un peu plus tard, après cet échec et l’élection<br />

démocratique du prési<strong>de</strong>nt Pascal Lissouba.<br />

C’est Alfred Sirven qui, cette fois, est à <strong>la</strong> ma-<br />

I. Paul Barril a attaqué cet article en diffamation, jusqu’en appel<br />

et cassation : par trois fois, il a été condamné à verser <strong>de</strong>s dommages<br />

et intérêts à Libération 40.<br />

II. Une personnalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> transition nous a assuré que <strong>la</strong> tentative<br />

<strong>de</strong> putsch a suivi un pré-accord <strong>de</strong> prêts gagés américains.


François-Xavier Verschave 33<br />

nœuvre. Christine Deviers-Joncour était entrée<br />

dans son bureau à <strong>la</strong> Tour Elf : elle surprend Sirven<br />

« donnant <strong>de</strong>s ordres au téléphone comme un<br />

véritable chef <strong>de</strong> guerre : “Il faut gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s réserves,<br />

surprendre à tel endroit, attaquer à tel<br />

autre…” “Je me suis aussitôt précipitée au Quai<br />

d’Orsay et j’ai mis Ro<strong>la</strong>nd en gar<strong>de</strong> : ‘Fred est en<br />

train <strong>de</strong> monter un coup d’État au Congo.’ […]<br />

Mais Ro<strong>la</strong>nd a pris ce<strong>la</strong> à <strong>la</strong> rigo<strong>la</strong><strong>de</strong> : ‘Ne t’en occupe<br />

pas’, m’a-t-il dit. J’ai alors compris qu’il était<br />

parfaitement au courant, et que Sirven agissait avec<br />

son plein accord, si ce n’est à son initiative.” 42».<br />

Le souvenir <strong>de</strong> Christine Deviers-Joncour est<br />

confirmé par son amant Ro<strong>la</strong>nd Dumas, alors ministre<br />

<strong>de</strong>s Affaires étrangères <strong>de</strong> François Mitterrand<br />

: « C’est vrai que Christine est venue me<br />

raconter ce<strong>la</strong> et que je lui ai dit <strong>de</strong> ne pas s’en occuper.<br />

C’était Omar Bongo qui vou<strong>la</strong>it écarter<br />

Pascal Lissouba pour remettre son beau-père Sassou<br />

Nguesso en selle. Vous vous souvenez ? Les<br />

armes transitaient par le Gabon ! 43» – Éric Fottorino<br />

précise que « le lieu <strong>de</strong> passage se situe à <strong>la</strong><br />

frontière du Gabon et du Nord congo<strong>la</strong>is, à hauteur<br />

d’un campement <strong>de</strong> <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> prési<strong>de</strong>ntielle<br />

d’Omar Bongo 44».<br />

Le ministre <strong>de</strong>s Affaires étrangères et du bon<br />

p<strong>la</strong>isir I traite cette affaire sur le ton <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie.<br />

Nul n’ignore pourtant que le Gabon <strong>de</strong> son<br />

I. La complicité avec François Mitterrand a plus compté que le<br />

talent diplomatique dans l’attribution à Ro<strong>la</strong>nd Dumas du portefeuille<br />

<strong>de</strong>s Affaires étrangères – traitées pour l’essentiel <strong>de</strong>puis<br />

l’Élysée. D’innombrables épiso<strong>de</strong>s le montrent, les pressions et<br />

chantages induits par le libertinage et les partouzes sont une<br />

composante importante, mais négligée ou traitée sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>isanterie, <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> pouvoir dans notre monarchie républicaine,<br />

a fortiori en Françafrique. Elf y a <strong>la</strong>rgement cotisé.


34 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

très grand ami français I, Omar Bongo, est une<br />

p<strong>la</strong>te-forme françafricaine. Ni que les armes en<br />

question ne peuvent qu’avoir été payées par sa<br />

caisse pétrofinancière – cette « indivision<br />

africaine » invoquée par André Tarallo <strong>de</strong>vant le<br />

juge suisse Paul Perraudin, le 9 mars 1999 45.<br />

Ainsi, incontestablement, <strong>la</strong> Françafrique indivise<br />

est montée à l’assaut d’une démocratie naissante.<br />

Sassou et ses amis sont d’autant plus dépités du<br />

cours démocratique qui leur arrache le Congo que<br />

<strong>la</strong> guerre du Golfe fait f<strong>la</strong>mber les cours du pétrole<br />

et que plusieurs découvertes pétrolières majeures<br />

s’annoncent au <strong>la</strong>rge <strong>de</strong>s côtes congo<strong>la</strong>ises. Début<br />

1991, le Congo apparaît, dans les milieux pétroliers,<br />

comme « l’un <strong>de</strong>s pays les plus prometteurs<br />

du golfe <strong>de</strong> Guinée 46». Escomptant peut-être que<br />

<strong>la</strong> démocratie amènera une gestion plus transparente,<br />

<strong>la</strong> CCCE (future AFD, Agence française <strong>de</strong><br />

développement) estime que le Congo <strong>de</strong>vrait se<br />

remettre « assez vite » <strong>de</strong> sa crise financière, avec<br />

<strong>de</strong>s recettes pétrolières <strong>de</strong> l’État <strong>de</strong> 3,7 milliards<br />

<strong>de</strong> francs dès 1992 47.<br />

Cette perspective optimiste sera tôt démentie.<br />

Les protagonistes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Conférence nationale souveraine<br />

cé<strong>de</strong>ront pour <strong>la</strong> plupart, les uns après les<br />

autres, aux contraintes du réalisme financier (<strong>la</strong><br />

faillite du pays le contraint à mendier auprès <strong>de</strong>s<br />

partisans <strong>de</strong> son pil<strong>la</strong>ge) et/ou aux pressions multiformes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique, corruption comprise.<br />

Symptomatiquement, le cabinet Arthur An<strong>de</strong>rsen,<br />

chargé <strong>de</strong> l’audit pétrolier par <strong>la</strong> Conférence<br />

I. Omar Bongo a <strong>la</strong> nationalité française. Il a beaucoup d’amis, au<br />

tout premier rang <strong>de</strong>squels Ro<strong>la</strong>nd Dumas.


François-Xavier Verschave 35<br />

nationale souveraine, y renonce. Il invoque <strong>la</strong><br />

« force majeure » 48: les compagnies, Elf en tête,<br />

bloquent systématiquement l’accès aux éléments<br />

comptables et aux données financières I.<br />

Le PDG d’Elf, Loïk Le Floch-Prigent, osera déc<strong>la</strong>rer<br />

que si l’audit <strong>de</strong>mandé par le gouvernement<br />

Milongo a été « “mis sous le cou<strong>de</strong>” », c’est parce<br />

que, finalement, il « démontrait que les Américains<br />

sont mieux traités que nous et que nous<br />

avons, <strong>de</strong> façon transparente, donné une forte rétribution<br />

à l’État congo<strong>la</strong>is 50».<br />

Au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> CNS, le Premier ministre André<br />

Milongo a, mi-1991, livré un baroud d’honneur.<br />

Il est venu affronter les pétroliers à Paris. La Lettre<br />

du Continent ironise sur celui qui se permet « <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, en début <strong>de</strong> conversation, <strong>la</strong> transparence<br />

absolue aux compagnies pétrolières étrangères<br />

– et ce avec beaucoup <strong>de</strong> sous-entendus sur<br />

le passé – pour réc<strong>la</strong>mer ensuite <strong>de</strong> l’argent au moment<br />

<strong>de</strong> se quitter… Surtout lorsque l’on sait que<br />

ses interlocuteurs vont toujours à <strong>la</strong> pêche en rivière<br />

sur le yacht du chef <strong>de</strong> l’État », Denis Sassou<br />

I. Au même moment, La Lettre du Continent donne une idée <strong>de</strong><br />

l’arbitraire du calcul <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances : entre le Gabon et le Congo-<br />

B, « les taux d’imposition et les avantages concédés aux compagnies<br />

[pétrolières] sont comparables. […] Toute <strong>la</strong> subtilité est<br />

dans le calcul <strong>de</strong> base : le Gabon prend comme référence <strong>de</strong> calcul<br />

le prix Opep tandis que le Congo doit se contenter du prix du<br />

marché affecté d’une décote. Mais les frais <strong>de</strong> recherche sont<br />

plus généreusement (30 % en moyenne) et forfaitairement soustraits<br />

du résultat d’exploitation au Gabon, ce qui n’est pas le cas<br />

au Congo. [… Cette] soustraction libérale […] à l’imposition permet<br />

donc un partage <strong>de</strong> <strong>la</strong> marge réalisée sur chaque baril entre<br />

quelques initiés du système. Par contre, au Congo, les pétroliers<br />

compensent <strong>la</strong> faible marge d’exonération par <strong>de</strong>s coûts <strong>de</strong> production<br />

fixes plus élevés (environ 7 à 8 dol<strong>la</strong>rs) qui, eux, ne sont<br />

pas négociables car il ne présentent pas le côté “immatériel” <strong>de</strong>s<br />

frais <strong>de</strong> recherche… Simple, non ? 49».


36 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Nguesso, non encore remp<strong>la</strong>cé – qui continue <strong>de</strong><br />

bénéficier « <strong>de</strong> l’appui <strong>de</strong> l’Élysée 51».<br />

L’heureux p<strong>la</strong>isancier a légué au gouvernement<br />

Milongo une <strong>de</strong>tte flirtant avec les 6 milliards <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs. Il s’est payé un yacht, mais a accumulé sur<br />

<strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s Congo<strong>la</strong>is 6,8 milliards <strong>de</strong> francs d’échéances<br />

impayées 52. La Meridian Bank obtient ainsi<br />

« d’un tribunal français le blocage <strong>de</strong>s comptes<br />

bancaires congo<strong>la</strong>is pour récupérer <strong>de</strong>s créances<br />

impayées <strong>de</strong> l’État 53». On imagine <strong>la</strong> détresse politique<br />

et financière <strong>de</strong> ce gouvernement quand on<br />

lit qu’« André Milongo est allé chercher à Washington<br />

“l’appui moral, diplomatique et financier<br />

<strong>de</strong>s États-Unis à <strong>la</strong> démocratisation du Congo”.<br />

[…] Le premier ministre, qui ne dispose que <strong>de</strong> 7<br />

milliards <strong>de</strong> francs CFA [140 millions <strong>de</strong> francs]<br />

pour boucler les fins <strong>de</strong> mois <strong>de</strong> sa fonction publique<br />

pour 14 milliards <strong>de</strong> dépenses, a également<br />

pré-vendu une partie <strong>de</strong> l’importante production<br />

attendue du gisement <strong>de</strong> Yombo (Amoco opérateur)<br />

pour effacer une <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> 30 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

envers <strong>de</strong>s créanciers américains 54».<br />

Dans <strong>la</strong> foulée, le ministre <strong>de</strong>s Finances <strong>de</strong> Milongo<br />

négocie « avec Agip à Mi<strong>la</strong>n […] 20 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs gagés en partie sur le gisement <strong>de</strong><br />

Sendji. Les responsables d’Elf, qui n’étaient pas<br />

très heureux <strong>de</strong> cette transaction, se sont finalement<br />

rattrapés en acceptant <strong>de</strong> leur côté d’avancer<br />

200 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs gagés sur le gisement <strong>de</strong><br />

Nkossa auquel ils tiennent 55». Cette avance scelle<br />

l’abandon par le gouvernement Milongo <strong>de</strong> l’une<br />

<strong>de</strong>s principales revendications <strong>de</strong> <strong>la</strong> CNS : « La renégociation<br />

<strong>de</strong>s accords avec les <strong>de</strong>ux compagnies<br />

pétrolières exploitantes (Elf et Agip). 56»


François-Xavier Verschave 37<br />

Avec <strong>la</strong> bénédiction du prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> CNS,<br />

Monseigneur <strong>Ko</strong>mbo, les ténors <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique<br />

congo<strong>la</strong>ise poussent cette instance <strong>de</strong> transition<br />

sur <strong>la</strong> voie d’une amnistie généralisée : amnistie<br />

<strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s pétroliers, qui pourront continuer<br />

les mêmes ponctions opaques et occultes ;<br />

amnistie <strong>de</strong>s détournements et <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption I;<br />

amnistie <strong>de</strong> <strong>la</strong> criminalité politique françafricaine.<br />

Olivier Vallée dénonce cette « obsession <strong>de</strong> l’amnistie<br />

58», grosse <strong>de</strong> tous les excès ultérieurs.<br />

La voie est prête pour l’élection, avec l’appui<br />

éphémère <strong>de</strong> Sassou Nguesso, d’un prési<strong>de</strong>nt qui<br />

ne remettra pas en question le système d’extorsion<br />

qui mène le Congo à l’abîme. Avant même le<br />

scrutin, le futur vainqueur s’était d’ailleurs opposé<br />

à Milongo sur cette question d’audit, déc<strong>la</strong>rant<br />

qu’il ne fal<strong>la</strong>it pas chercher <strong>de</strong> « bouc émissaire »,<br />

et que les accords pétroliers <strong>de</strong>vaient « être révisés,<br />

mais <strong>de</strong> manière consensuelle 59».<br />

La <strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s Lissoubistes<br />

Largement battu au premier tour <strong>de</strong> l’élection prési<strong>de</strong>ntielle,<br />

Sassou s’allie avec son vieil ennemi<br />

Pascal Lissouba pour barrer <strong>la</strong> route à l’homme du<br />

Pool (<strong>la</strong> région autour <strong>de</strong> Brazzaville), Bernard<br />

<strong>Ko</strong>le<strong>la</strong>s. L’électorat est pris (se <strong>la</strong>isse prendre) au<br />

piège <strong>de</strong> cette manœuvre.<br />

Lissouba est confortablement élu, mais commet<br />

aussitôt une “double faute” : il évince Sassou, le<br />

I. Ainsi, l’un <strong>de</strong>s proches <strong>de</strong> Pierre Otto Mbongo a expliqué à <strong>la</strong><br />

Conférence nationale souveraine (CNS) « le système <strong>de</strong> répartition<br />

<strong>de</strong>s commissions versées par <strong>de</strong>s entreprises étrangères lors<br />

<strong>de</strong> rachat d’entreprises d’État congo<strong>la</strong>ises » 57.


38 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

chouchou d’Elf, du partage du pouvoir promis<br />

entre les <strong>de</strong>ux tours du scrutin ; puis, pressé par<br />

<strong>la</strong> nécessité, il se résout à entamer le monopole <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> major tricolore : « Répondant aux questions <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mission [parlementaire] sur les re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong><br />

France et Elf, M. Pascal Lissouba a donné les explications<br />

suivantes : “À son arrivée au pouvoir,<br />

les caisses <strong>de</strong> l’État étaient vi<strong>de</strong>s et <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte […]<br />

s’élevait à 6 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. […] Il <strong>de</strong>vait<br />

faire face à cinq mois <strong>de</strong> retard dans le paiement<br />

<strong>de</strong>s sa<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> fonctionnaires. […] Elf lui avait<br />

refusé un crédit-re<strong>la</strong>is. […] Finalement, il a obtenu<br />

le relèvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance [pétrolière] <strong>de</strong><br />

17 à 33 % et il craint que ce relèvement n’ait été<br />

le facteur déclenchant du drame congo<strong>la</strong>is. Il obtient<br />

à <strong>la</strong> même époque une avance <strong>de</strong> 150 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie américaine<br />

Occi<strong>de</strong>ntal Petroleum [Oxy].” […] Lors d’une<br />

visite en France en novembre 1992, “il a […]<br />

tenté d’obtenir un accord <strong>de</strong> coopération en matière<br />

militaire et <strong>de</strong> sécurité. La réponse du Prési<strong>de</strong>nt<br />

Mitterrand fut brutale : ‘La France ne fait<br />

plus ce<strong>la</strong>.’ […] D’un côté, Elf se livrait à un blocus<br />

financier, <strong>de</strong> l’autre le gouvernement français<br />

ne semb<strong>la</strong>it pas vouloir l’ai<strong>de</strong>r sur les questions<br />

<strong>de</strong> sécurité. […] L’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> France,<br />

M. Raymond Césaire, ne cachait pas ses amitiés<br />

pour M. Sassou Nguesso.” 60»<br />

Même si Lissouba résume les faits à son avantage,<br />

il est difficile <strong>de</strong> mieux dire à quel point <strong>la</strong> politique<br />

intérieure du Congo est commandée par le<br />

pétrole, son argent, ses armes, ses parrains. Le<br />

nouveau prési<strong>de</strong>nt ne va cesser <strong>de</strong> courir après les<br />

uns et les autres.


François-Xavier Verschave 39<br />

En avril 1993, donc, ne trouvant aucune compréhension<br />

chez Elf qui a déjà dépensé le maximum<br />

pour son prédécesseur, Lissouba négocie un<br />

accord-cadre d’un milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs avec Oxy,<br />

via <strong>de</strong>s intermédiaires sud-africains, ango<strong>la</strong>is… et<br />

<strong>de</strong> Pierre Otto Mbongo, décidément multicarte.<br />

Sont également impliqués <strong>de</strong>s hommes d’affaires<br />

libanais, espérant se faire rembourser en totalité<br />

<strong>de</strong>s créances qu’ils avaient, pour certains, rachetée<br />

avec une forte décote sur le “marché gris” <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte (où l’on rachète au rabais <strong>de</strong>s créances douteuses).<br />

Objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> transaction : gager les parts<br />

détenues par <strong>la</strong> société d’État Hydro-Congo dans<br />

les gisements <strong>de</strong> Yandga, Sendji, Nkossa et Kitina.<br />

Bref, les bijoux <strong>de</strong> famille 61.<br />

L’accord incluait une avance <strong>de</strong> 150 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs. Oxy en verse aussitôt <strong>la</strong> moitié, permettant<br />

à Lissouba <strong>de</strong> payer un mois <strong>de</strong> sa<strong>la</strong>ire aux<br />

fonctionnaires à <strong>la</strong> veille <strong>de</strong>s élections légis<strong>la</strong>tives,<br />

et <strong>de</strong> rétribuer <strong>la</strong> filière libanaise qui a effectué le<br />

“branchement” <strong>de</strong> Lissouba sur Oxy. Cette firme<br />

est présentée comme américaine, mais ses capitaux<br />

et son management sont en gran<strong>de</strong> partie originaires<br />

du Moyen-Orient. Son fondateur, Armand<br />

Hammer, était extraordinairement bien introduit<br />

en URSS, dont les créances sur l’Afrique font<br />

l’objet d’une fructueuse spécu<strong>la</strong>tion.<br />

Ainsi, malgré <strong>la</strong> posture nationaliste <strong>de</strong> Lissouba,<br />

l’opération Oxy ressemble à un vol <strong>de</strong> vautours<br />

62. La transaction valorise le baril congo<strong>la</strong>is à<br />

3 dol<strong>la</strong>rs I! (En 2001, le baril a maintes fois dépassé<br />

le cours <strong>de</strong>s 30 dol<strong>la</strong>rs.) Mais ce n’est pas ce<strong>la</strong><br />

qui choque Elf et <strong>la</strong> fait brutalement réagir :<br />

I. « 2 dol<strong>la</strong>rs », affirmera même Sassou II 63.


40 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

« Pourquoi le groupe Elf a-t-il déclenché l’alerte<br />

rouge à l’apparition d’Oxy ? Habituée à travailler<br />

en solo dans les pays du Golfe <strong>de</strong> Guinée, <strong>la</strong> compagnie<br />

pétrolière française a toujours été le pétrotrésorier<br />

<strong>de</strong> ces pays avec un poids politique à <strong>la</strong><br />

hauteur <strong>de</strong> ses re<strong>de</strong>vances pétrolières. Trésorierpayeur<br />

du Congo, Elf n’a pas échappé au clientélisme<br />

du “Qui paie, comman<strong>de</strong>”. Les avances sur<br />

recettes pétrolières et les emprunts sur gisements<br />

en terre font l’objet <strong>de</strong> négociations secrètes qui<br />

posent problème quand le “client” change. […]<br />

Exemple : début 1990, le brut congo<strong>la</strong>is se vendait<br />

à 13 dol<strong>la</strong>rs le baril, soit le prix du Brent sur<br />

le marché (15 dol<strong>la</strong>rs), moins <strong>de</strong>ux dol<strong>la</strong>rs : un<br />

dol<strong>la</strong>r <strong>de</strong> moins pour <strong>la</strong> qualité et un autre dol<strong>la</strong>r<br />

<strong>de</strong> moins pour <strong>la</strong> distance. Mais en décembre<br />

1990, Elf et les autorités <strong>de</strong> l’époque ont décidé<br />

<strong>de</strong> vendre le brut congo<strong>la</strong>is à 11,25 dol<strong>la</strong>rs, soit<br />

1,75 dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> moins qu’au début <strong>de</strong> l’année… I<br />

[…] Ces “arrangements” ne seront plus possibles<br />

si le renard Oxy “entre dans le pou<strong>la</strong>iller”. 64»<br />

Pour bloquer le renard et ai<strong>de</strong>r Lissouba à se dédire,<br />

Elf consent, bien à contrecœur, 180 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs d’avances sur les recettes du puits <strong>de</strong><br />

Nkossa (le plus important <strong>de</strong>s quatre gisements<br />

partiellement cédés à Oxy). Le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Coopération,<br />

Michel Roussin, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Caisse<br />

française <strong>de</strong> développement d’ajouter un prêt <strong>de</strong><br />

20 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. Lissouba croit avoir compris<br />

les règles <strong>de</strong> <strong>la</strong> surenchère : il “taxe” presque<br />

aussitôt Elf d’un redressement fiscal d’un milliard<br />

I. Les « autorités <strong>de</strong> l’époque », c’était Sassou I. Comment auraitil<br />

pu prendre une décision aussi défavorable pour son pays sans<br />

être associé, en Suisse ou ailleurs, au partage <strong>de</strong> <strong>la</strong> différence<br />

(plusieurs centaines <strong>de</strong> millions <strong>de</strong> francs par an) ?


François-Xavier Verschave 41<br />

<strong>de</strong> francs. Puis il fait réc<strong>la</strong>mer <strong>la</strong> comptabilité en<br />

dol<strong>la</strong>rs d’Elf-Congo, pour en vérifier le résultat<br />

fiscal… Le rappel est justifié, évi<strong>de</strong>mment, vu<br />

l’ampleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> frau<strong>de</strong> d’Elf sur les calculs <strong>de</strong> prix,<br />

<strong>de</strong> coûts et <strong>de</strong> quantités. Encore faut-il avoir les<br />

moyens politiques d’imposer ce contribuable au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong>s lois, tellement plus puissant que l’État<br />

congo<strong>la</strong>is 65.<br />

Le plus efficace aurait été sans doute <strong>de</strong> rallier les<br />

Congo<strong>la</strong>is à un projet <strong>de</strong> réappropriation <strong>de</strong> leurs<br />

richesses, <strong>de</strong> prolonger aux p<strong>la</strong>ns économique et financier<br />

<strong>la</strong> reconquête d’une légitimité politique<br />

amorcée par <strong>la</strong> Conférence nationale souveraine.<br />

Mais Lissouba n’est pas un produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> CNS,<br />

c’est plutôt un a<strong>de</strong>pte <strong>de</strong>s manipu<strong>la</strong>tions antérieures.<br />

Il est <strong>de</strong> surcroît velléitaire, brouillon, incapable<br />

<strong>de</strong> tenir une équipe. Il engage bien « un<br />

programme <strong>de</strong> restructuration <strong>de</strong>s obligations financières<br />

du pays avec, à court terme, <strong>la</strong> mise en<br />

p<strong>la</strong>ce d’un crédit financier re<strong>la</strong>is <strong>de</strong> 800 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs et d’une fiduciaire I autonome pour restructurer<br />

<strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée sur du pétrole ».<br />

Mais, pour réaliser ce p<strong>la</strong>n, il n’engage pas moins<br />

<strong>de</strong> « trois équipes <strong>de</strong> financiers » 66. Les uns (pour<br />

<strong>la</strong> faça<strong>de</strong>) exploreront les voies d’un assainissement<br />

hautement louable, où cette fiduciaire autonome<br />

gérerait les recettes pétrolières sous le contrôle <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux représentants du Parlement. Les autres se serviront<br />

<strong>de</strong> ce beau projet pour essayer <strong>de</strong> décrocher<br />

plusieurs fois <strong>de</strong>s montants analogues (entre 600<br />

I. La société fiduciaire est une forme juridique organisant le “portage”<br />

par un tiers d’un patrimoine, en vue <strong>de</strong> protéger les intérêts<br />

du bénéficiaire. Très répandues en Suisse ou dans les paradis<br />

fiscaux, les fiduciaires ont une fâcheuse tendance à <strong>de</strong>venir<br />

<strong>de</strong>s sociétés-écrans.


42 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

millions et un milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs), auprès <strong>de</strong> plusieurs<br />

prêteurs différents, sollicités indépendamment,<br />

pour <strong>de</strong> nouveaux emprunts très peu<br />

publics, aussi vo<strong>la</strong>tils que les précé<strong>de</strong>nts.<br />

« La prési<strong>de</strong>nce congo<strong>la</strong>ise qui vient <strong>de</strong> boucler<br />

un emprunt <strong>de</strong> 600 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs sur le marché<br />

<strong>de</strong> Hong <strong>Ko</strong>ng, à l’initiative <strong>de</strong> C<strong>la</strong>udine Munari<br />

et <strong>de</strong> Pierre-Yves Gilleron I, prépare <strong>la</strong> même<br />

opération pour 1 milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs… Le premier<br />

était gagé sur du pétrole d’Agip. [Il aurait finalement<br />

échoué, Agip ayant refusé son accord… 67]<br />

Les conseillers financiers <strong>de</strong> Pascal Lissouba –<br />

Édouard Lemaire et Michel-Henry Bouchet –<br />

montent <strong>de</strong> leur côté une fiduciaire qui serait<br />

chargée d’un crédit financier <strong>de</strong> 800 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs (environ 200 milliards <strong>de</strong> francs CFA)<br />

pour permettre, en particulier, <strong>de</strong> libérer les re<strong>de</strong>vances<br />

pétrolières déjà gagées. 68»<br />

Les « mandataires financiers du prési<strong>de</strong>nt Lissouba<br />

[…] sillonnent Jersey, Gibraltar et d’autres<br />

p<strong>la</strong>ces financières offshore pour monter un créditre<strong>la</strong>is<br />

d’un milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs 69».<br />

Par sa démesure, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte congo<strong>la</strong>ise multiplie les<br />

déséquilibres à haute tension… pétrolière : elle<br />

« constitue avec le second marché <strong>de</strong>s créances<br />

[leur revente au rabais] une vaste opportunité». La<br />

Fiba s’est <strong>la</strong>ncée sur ce terrain. Elle a <strong>de</strong>mandé à <strong>la</strong><br />

banque américaine Bankers Trust <strong>de</strong> racheter au<br />

rabais, pour son compte, les créances détenues par<br />

les banques étrangères sur le Congo. Elle confie à<br />

<strong>la</strong> Swiss Bank ces créances obtenues à vil prix en<br />

attendant <strong>de</strong> se les faire rembourser à taux plein<br />

I. Conseiller “spécial” <strong>de</strong> plusieurs prési<strong>de</strong>nts : Mitterrand,<br />

Habyarimana, Lissouba…


François-Xavier Verschave 43<br />

par <strong>la</strong> Caisse congo<strong>la</strong>ise d’amortissement. Une culbute<br />

qui suppose évi<strong>de</strong>mment <strong>la</strong> complicité <strong>de</strong><br />

toutes les parties prenantes, sur le dos <strong>de</strong>s finances<br />

publiques. Grâce à Elf, sa maison mère, <strong>la</strong> Fiba est<br />

aux premières loges pour récupérer l’intégralité <strong>de</strong><br />

ces <strong>de</strong>ttes gagées sur le pétrole et empocher le rabais<br />

– une décote <strong>de</strong> 90 à 95 % 70 ! Mais même les<br />

banques commerciales créancières ne sont pas fâchées<br />

<strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong> vieilles créances provisionnées<br />

qui encombraient leur bi<strong>la</strong>n et les<br />

empêchaient <strong>de</strong> prêter <strong>de</strong> nouveau au Congo –<br />

donc <strong>de</strong> participer au festin <strong>de</strong>s gages sur l’or noir.<br />

Ainsi, Elf « a convaincu les banques françaises <strong>de</strong><br />

prêter <strong>de</strong> nouveau 150 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs 71».<br />

On se bouscule pour « <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong> ces dossiers,<br />

à <strong>la</strong> fois sensibles et fructueux ». Pascal Lissouba a<br />

mis sur le coup <strong>la</strong> firme Stanley Owen <strong>de</strong> Michel-<br />

Henry Bouchet. Interviennent aussi Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong><br />

Boucher, fondateur <strong>de</strong> l’Association <strong>de</strong>s créanciers<br />

du Congo, le groupe Hojeij, l’ambassa<strong>de</strong>ur du<br />

Congo à Bruxelles (Jacques Bouity), associé à<br />

Christophe Bonnafous, un ancien <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque<br />

Worms. Édouard Lemaire <strong>de</strong>vient « le nouveau<br />

gourou financier du prési<strong>de</strong>nt Lissouba 72».<br />

Comme si ce<strong>la</strong> ne suffisait pas, ce <strong>de</strong>rnier embauche<br />

début 1994 quatre conseillers financiers<br />

hautement soucieux du bien public africain : les<br />

<strong>de</strong>ux barons chiraquiens Michel Auril<strong>la</strong>c et Robert<br />

Bourgi, Pierre Moussa, ancien PDG <strong>de</strong> Paribas,<br />

initiateur <strong>de</strong> sa dérive offshore (en alliance<br />

avec Nadhmi Auchi, l’ami <strong>de</strong> Pasqua et Sirven), et<br />

l’ex-patron du CIAN, Jean-Pierre Prouteau 73.<br />

Comme au p<strong>la</strong>n financier, le c<strong>la</strong>n Lissouba va<br />

manipuler à son profit <strong>la</strong> fibre nationaliste <strong>de</strong> ses


44 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

compatriotes dans l’affaire du nouveau Co<strong>de</strong> pétrolier.<br />

Ce nouveau texte, mis au point par le ministère<br />

<strong>de</strong>s Hydrocarbures, prévoit <strong>de</strong> rétribuer l’État<br />

congo<strong>la</strong>is davantage par le partage <strong>de</strong> production<br />

que par un pourcentage (une re<strong>de</strong>vance) sur les<br />

quantités produites ; et un “bonus” <strong>de</strong>vra être<br />

versé lors <strong>de</strong> l’octroi d’un permis d’exploration 74.<br />

Ces <strong>de</strong>ux modalités facilitent en fait l’enrichissement<br />

personnel du prési<strong>de</strong>nt en p<strong>la</strong>ce et <strong>de</strong> son<br />

entourage, d’autant que les contrats sont souvent<br />

très complexes : « Seuls <strong>de</strong>s experts peuvent réellement<br />

jauger les effets <strong>de</strong> tels accords 75», ce qui<br />

rend très difficile le contrôle démocratique.<br />

À propos d’Elf aussi, Lissouba tient un double<br />

<strong>la</strong>ngage. D’un côté il <strong>la</strong> défie, avant <strong>de</strong> <strong>la</strong> vilipen<strong>de</strong>r,<br />

<strong>de</strong> l’autre il en fait sa banque <strong>de</strong> plus en plus<br />

“centrale” : non seulement elle lui sert <strong>de</strong> caisse (y<br />

compris pour les achats d’armes), mais, renonçant<br />

à ses velléités <strong>de</strong> fiduciaire autonome, il lui confie à<br />

l’été 1994 le soin <strong>de</strong> gérer <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte pétrolière<br />

congo<strong>la</strong>ise. Elf « a monté, auprès d’un syndicat <strong>de</strong><br />

banques françaises » emmené par <strong>la</strong> Société générale,<br />

« un emprunt à court terme <strong>de</strong> 180 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs ». « Elf a, par ailleurs, réaménagé <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

gagée pétrolière sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> trois prêts <strong>de</strong> respectivement<br />

125 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs (auprès <strong>de</strong><br />

l’Industrie und Han<strong>de</strong>lsbank <strong>de</strong> Zurich [IHAG]),<br />

45 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs et 185 millions <strong>de</strong> francs<br />

(auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> Canadian Imperial Bank of Commerce).<br />

La commission <strong>de</strong> montage et les frais juridiques<br />

sont <strong>de</strong> 2,5 % à <strong>la</strong> signature. 76» Cette<br />

<strong>de</strong>tte gagée, « c’est-à-dire prélevée directement à<br />

<strong>la</strong> source et créditée dans les comptes <strong>de</strong> banques<br />

suisses d’heureux bénéficiaires 77», hypothèque les


François-Xavier Verschave 45<br />

futures recettes budgétaires du pays. Elle « a<br />

bondi sous Lissouba, <strong>de</strong> 1,4 milliard <strong>de</strong> francs mi-<br />

1992 à près <strong>de</strong> 3 milliards fin 1994 78», et 3,8<br />

milliards début 1996, après le rachat <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

vis-à-vis d’Oxy via un emprunt <strong>de</strong> 1,11 milliard<br />

<strong>de</strong> francs « dont s’est chargé un homme d’affaires<br />

libanais avec un montage FIBA 79».<br />

Toute l’équipe Lissouba est en chasse. Avec les<br />

pleins pouvoirs du Prési<strong>de</strong>nt, le ministre <strong>de</strong>s Finances<br />

Ngui<strong>la</strong> Moungounga-<strong>Ko</strong>mbo et le prési<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l’Union congo<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> banques (UCB)<br />

ont signé <strong>de</strong>s billets à ordre I pour plusieurs centaines<br />

<strong>de</strong> millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. « Quand on sait que<br />

près d’une vingtaine <strong>de</strong> lettres <strong>de</strong> crédit du même<br />

type sont en circu<strong>la</strong>tion, c’est près d’un milliard<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs que <strong>de</strong>s personnalités congo<strong>la</strong>ises ont<br />

“engagé” en échange <strong>de</strong> quelques dizaines <strong>de</strong> millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs en cash immédiat. » Trois “bénéficiaires”<br />

américains <strong>de</strong> ces lettres se sont, un peu<br />

tard, inquiétés <strong>de</strong> savoir s’ils seraient payés 80.<br />

D’un côté on en<strong>de</strong>tte le pays, <strong>de</strong> l’autre on<br />

remet <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s particuliers. Au second semestre<br />

1994, l’État a effacé une <strong>de</strong>tte bancaire <strong>de</strong> 2,25<br />

millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> C<strong>la</strong>udine Munari, <strong>la</strong> très<br />

proche conseillère <strong>de</strong> Pascal Lissouba, et une autre<br />

<strong>de</strong> 20,4 millions du groupe GPOM <strong>de</strong> Pierre<br />

Otto Mbongo. Plombé par les défauts <strong>de</strong> remboursement,<br />

le secteur bancaire congo<strong>la</strong>is est à<br />

l’agonie 81. Olivier Vallée, qui fut un observateur<br />

privilégié <strong>de</strong> <strong>la</strong> finance brazzavilloise au ministère<br />

congo<strong>la</strong>is du P<strong>la</strong>n, parle du « grand banditisme<br />

<strong>de</strong>s séi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Lissouba 82».<br />

I. Écrits par lesquels le signataire reconnaît une <strong>de</strong>tte et s’engage<br />

à <strong>la</strong> régler à une échéance définie.


46 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Au printemps 1995, toujours acculé financièrement,<br />

Lissouba bra<strong>de</strong> à Elf les parts <strong>de</strong> son pays<br />

dans Elf-Congo (25 %). Le prix officiel <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vente, 270 millions <strong>de</strong> francs, est crédité à <strong>la</strong> Canadian<br />

Imperial Bank of Commerce (CIBC) – ce<br />

chiffre annoncé en 1995 <strong>de</strong>viendra par <strong>la</strong> suite<br />

(par arrondi ?) 250 millions… Les estimations <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> valeur réelle <strong>de</strong> ces parts sont <strong>de</strong> 4 à 16 fois supérieures<br />

83 ! En prime, Elf Congo « va voir ses<br />

privilèges fiscaux et douaniers […] prolongés jusqu’en<br />

l’an 2010 84».<br />

Puis l’État congo<strong>la</strong>is cè<strong>de</strong> ses parts dans l’important<br />

gisement <strong>de</strong> Kitina, opéré par Agip, « en<br />

échange <strong>de</strong> paiement en cash et d’une garantie <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> compagnie pétrolière italienne pour le remboursement<br />

d’un crédit <strong>de</strong> 50 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

». « De son côté, Elf aurait récemment versé<br />

sur un compte au Luxembourg une partie <strong>de</strong> sa<br />

<strong>de</strong>tte fiscale » – estimée à un milliard <strong>de</strong> francs par<br />

Brazzaville, ramenée finalement à 350 millions 85.<br />

En échange <strong>de</strong> cette réduction, Elf a accepté <strong>de</strong><br />

créer une « Provision pour investissements diversifiés<br />

» (dans le développement d’activités non pétrolières),<br />

comme celle qu’a obtenue Omar Bongo<br />

au Gabon 86. De quoi « réaliser quelques menus<br />

projets, bienvenus en pério<strong>de</strong> électorale 87». Mais<br />

ces rentrées sont aussitôt menacées par <strong>la</strong> résurrection<br />

<strong>de</strong> vieilles <strong>de</strong>ttes ou <strong>la</strong> surrection <strong>de</strong> nouvelles.<br />

Oxy réc<strong>la</strong>me ses 150 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs,<br />

menaçant d’un procès. Depuis <strong>de</strong>s années, indifférent<br />

à <strong>la</strong> conjoncture financière, le groupe d’Antoine<br />

Tabet I “construit” <strong>de</strong>s routes avec <strong>la</strong> garantie<br />

I. Un observateur bien p<strong>la</strong>cé dit Antoine Tabet plus spécialisé<br />

dans l’ouverture <strong>de</strong>s chantiers que dans leur bonne fin. Antoine


François-Xavier Verschave 47<br />

d’Elf. D’où une nouvelle <strong>de</strong>tte gagée <strong>de</strong> 500 millions<br />

<strong>de</strong> francs 89.<br />

Comme Elf continue <strong>de</strong> découvrir du pétrole,<br />

elle invente <strong>de</strong> nouvelles astuces pour prolonger<br />

quelque peu l’État congo<strong>la</strong>is déliquescent, tout en<br />

l’enfonçant davantage dans le moyen et long<br />

terme. André Tarallo trouve à cet égard une idée<br />

<strong>de</strong> génie : « Au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> souveraineté, il a rétrocédé<br />

au Congo les actifs d’exploitation – c’est-àdire<br />

<strong>la</strong> propriété – <strong>de</strong>s équipements pétroliers <strong>de</strong><br />

Nkossa. L’envers du décor, c’est <strong>la</strong> nécessité pour<br />

le Congo <strong>de</strong> provisionner [les coûts futurs et les<br />

risques <strong>de</strong>] cette p<strong>la</strong>te-forme dans ses comptes (démantèlement<br />

après épuisement du champ, assurances).<br />

Le coût <strong>de</strong> l’opération serait <strong>de</strong> 250<br />

milliards <strong>de</strong> francs CFA [2,5 milliards <strong>de</strong> francs].<br />

“Bon prince”, Elf avancera cette enveloppe au prési<strong>de</strong>nt<br />

Lissouba sous forme d’un prêt spécial. Ce<strong>la</strong><br />

allégera d’autant les contributions en trésorerie <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> compagnie pétrolière au budget <strong>de</strong> l’État, au<br />

titre du partage <strong>de</strong> <strong>la</strong> production. 90»<br />

Du coup, le bénéficiaire <strong>de</strong> ce prêt “spécial” ne<br />

tarissait plus d’éloges envers celui qu’il nommait<br />

« le Foccart du pétrole » : sans lui, « <strong>la</strong> coopération<br />

pétrolière entre <strong>la</strong> France et l’Afrique s’écroulerait.<br />

[…] L’inculpation d’André Tarallo est une injure,<br />

une humiliation 91».<br />

Elf convainc aussi le tan<strong>de</strong>m Chirac-Juppé <strong>de</strong><br />

peser sur les prêteurs institutionnels. Mi-1996 ,<br />

le Club <strong>de</strong> Paris I remet 5 milliards <strong>de</strong> créances<br />

Tabet est par ailleurs qualifié par Olivier Vallée d’« affairiste <strong>de</strong><br />

Sassou » 88.<br />

I. Regroupement <strong>de</strong>s principaux créanciers publics, où sont<br />

octroyés remises et dé<strong>la</strong>is. Le Club <strong>de</strong> Londres réunit dans le<br />

même but les créanciers privés.


48 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

publiques bi<strong>la</strong>térales, en gran<strong>de</strong> partie françaises,<br />

après que le FMI a prêté 100 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs.<br />

Un coup d’accordéon aux allures d’amnistie partielle,<br />

qui n’arrête pas <strong>la</strong> valse <strong>de</strong>s milliards. La<br />

même année, le Congo est re<strong>de</strong>venu le premier<br />

client français d’Afrique noire… Il fal<strong>la</strong>it réamorcer<br />

<strong>la</strong> pompe, au moment d’inaugurer le mégagisement<br />

offshore <strong>de</strong> Nkossa 92.<br />

Le Congo achète, mais pas n’importe quoi. Pour<br />

le premier semestre 1996, <strong>la</strong> Banque mondiale<br />

pointe l’envolée <strong>de</strong>s dépenses liées à l’armée, à <strong>la</strong><br />

sécurité et à <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce, ainsi qu’aux “étu<strong>de</strong>s” du<br />

conseiller pétrolier Samuel Dossou. C<strong>la</strong>udine<br />

Munari, “l’homme fort” du régime, se dép<strong>la</strong>ce en<br />

Falcon 900. Le ministre <strong>de</strong>s Finances Ngui<strong>la</strong><br />

Moungounga-Nkombo multiplie les virements<br />

hors budget à l’étranger (Bahamas, Monaco… ) 93.<br />

Pendant ce temps, les maigres crédits budgétaires<br />

<strong>de</strong>stinés aux fournitures <strong>de</strong> santé ou <strong>de</strong> l’éducation<br />

nationale n’ont été décaissés, respectivement, qu’à<br />

hauteur <strong>de</strong> 11 % et <strong>de</strong> 5 % – 1 600 000 francs et<br />

700 000 francs… 94<br />

Denis Sassou Nguesso porte certes une responsabilité<br />

majeure dans <strong>la</strong> ruine actuelle du Congo,<br />

financière, politique et morale, mais l’on voit que<br />

le prési<strong>de</strong>nt légitime Pascal Lissouba a galvaudé ce<br />

titre durant son mandat (1992-1997), en adhérant<br />

pleinement au système d’escroquerie généralisée<br />

qu’il dénoncera plus tard – trop tard. Il a <strong>la</strong>issé<br />

l’éducation et <strong>la</strong> santé dans un état <strong>la</strong>mentable, et<br />

accentué le pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s finances publiques.<br />

Ce<strong>la</strong> aussi a précipité sa chute. Certains ont cru<br />

qu’ils seraient plus facilement remboursés par Sas-


François-Xavier Verschave 49<br />

sou : « Affrétés par <strong>de</strong>s opposants au régime du<br />

prési<strong>de</strong>nt Lissouba, <strong>de</strong>s bateaux sont actuellement<br />

en cours d’équipement en Afrique du Sud pour<br />

prendre, au passage, <strong>de</strong>s mercenaires dans une île<br />

du golfe <strong>de</strong> Guinée [Sao Tomé ?]. Le financement<br />

<strong>de</strong> cette “armada” est monté à partir <strong>de</strong> Londres<br />

par <strong>la</strong> S.I.C. dont le correspondant en France est<br />

J.-C. B., un spécialiste <strong>de</strong>s montages financiers. 95»<br />

Ce financement d’une opération putschiste <strong>de</strong><br />

rétablissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> dictature sassouiste n’était<br />

qu’un avant-goût <strong>de</strong> ce qui al<strong>la</strong>it suivre, et qui<br />

s’inscrit dans les stratégies <strong>de</strong>s principaux responsables<br />

<strong>de</strong> cette ruine multiforme, les compagnies<br />

pétrolières. L’embellie financière qu’a connue sur<br />

<strong>la</strong> fin le régime Lissouba, avec au moins 80 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> bonus sur <strong>de</strong> nouveaux gisements<br />

très importants, en mer profon<strong>de</strong>, cachait<br />

<strong>de</strong> nouvelles alliances : Elf « a trouvé un modus vivendi<br />

avec Chevron sur le Congo et le Cabinda<br />

[enc<strong>la</strong>ve ango<strong>la</strong>ise entre les <strong>de</strong>ux Congo]. Les gisements<br />

sont les mêmes <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> <strong>la</strong> frontière<br />

maritime… […] Quand Chevron est <strong>de</strong>venu<br />

au Congo le partenaire d’Elf sur Nkossa, elle n’a<br />

pas payé sa quote-part <strong>de</strong>s droits d’entrée et <strong>de</strong>s<br />

travaux préa<strong>la</strong>bles. De bonne guerre… 96».<br />

Les re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>viennent également amicales<br />

avec Exxon. Des <strong>de</strong>als régionaux ont été passés au<br />

Tchad, au Congo et en Ango<strong>la</strong>. Des participations<br />

croisées sont par ailleurs prévues entre les <strong>de</strong>ux<br />

compagnies sur les permis Mer profon<strong>de</strong> sud (Elf)<br />

et Mer profon<strong>de</strong> nord (Exxon) 97.<br />

On le voit, Denis Sassou Nguesso, l’ami <strong>de</strong><br />

l’Ango<strong>la</strong>is Dos Santos, <strong>de</strong>venait plus indispensable<br />

que jamais.


François-Xavier Verschave 51<br />

2. Les f<strong>la</strong>mbeurs entrent en guerre<br />

Nous ne décrirons pas ici <strong>la</strong> guerre civile à épiso<strong>de</strong>s<br />

qui a démoli le Congo et sa démocratie en <strong>de</strong>ux<br />

salves, correspondant grosso modo à l’été 1997 et à<br />

l’année 1999. Nous nous attacherons spécialement<br />

aux aspects financiers <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>. D’un point<br />

<strong>de</strong> vue politique, il faut seulement redire <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong><br />

historique : <strong>la</strong> Françafrique s’est c<strong>la</strong>irement<br />

engagée dans ce conflit, et a penché massivement<br />

durant l’été 1997 pour Denis Sassou Nguesso, l’allié<br />

<strong>de</strong>s Ango<strong>la</strong>is – contre <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> majorité du<br />

peuple congo<strong>la</strong>is. Mais elle n’a pas pour le moment<br />

l’intention <strong>de</strong> payer <strong>la</strong> note.<br />

Le préfet Jean-Charles Marchiani, député européen<br />

du parti <strong>de</strong> Charles Pasqua, a fait aux enquêteurs<br />

<strong>de</strong> l’affaire Falcone-Gaydamak un aveu extraordinaire<br />

: « Nous, c’est-à-dire moi pour le compte<br />

<strong>de</strong> Charles Pasqua, avons négocié publiquement<br />

avec le prési<strong>de</strong>nt Dos Santos l’ai<strong>de</strong> politique et économique<br />

<strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> à l’action <strong>de</strong> <strong>la</strong> France dans<br />

cette partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> région, qui s’est concrétisée par<br />

l’envoi <strong>de</strong> troupes dans les <strong>de</strong>ux Congos. 98» Un<br />

<strong>de</strong>al global, qui engageait <strong>la</strong> France dans trois<br />

guerres civiles (les <strong>de</strong>ux Congos après l’Ango<strong>la</strong>) et<br />

incluait un « accord <strong>de</strong> sécurité », signé par <strong>la</strong><br />

France et l’Ango<strong>la</strong> sous l’autorité <strong>de</strong> Charles<br />

Pasqua, ministre <strong>de</strong> l’Intérieur.<br />

Jean-Charles Marchiani a détaillé <strong>de</strong>vant les juges<br />

« les conditions dans lesquelles il avait été amené à<br />

négocier ledit accord, en re<strong>la</strong>tion avec le conseiller<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Sofremi pour les affaires ango<strong>la</strong>ises, un certain…<br />

Pierre Falcone 99». Celui-ci, associé à Arcadi<br />

Gaydamak, a conclu en urgence « <strong>de</strong>ux nouveaux


52 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

contrats d’armements d’un montant global <strong>de</strong> 420<br />

millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs », près <strong>de</strong> 3 milliards <strong>de</strong> francs.<br />

« La <strong>de</strong>uxième tranche a démarré fin juillet 100», sept<br />

à huit semaines après le début <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre civile<br />

congo<strong>la</strong>ise, <strong>de</strong>ux mois avant l’invasion du Congo<br />

par les troupes ango<strong>la</strong>ises. Marchiani a enfoncé le<br />

clou dans une interview au Mon<strong>de</strong> du 13 janvier<br />

2001 : «À sa façon, M. Falcone a défendu les intérêts<br />

français dans <strong>la</strong> région. »<br />

Puis est venu, tel un <strong>la</strong>psus, l’aveu <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Gran<strong>de</strong><br />

muette” : « Plusieurs généraux et colonels français<br />

sont restés <strong>de</strong> marbre, le 16 janvier, lors d’une étonnante<br />

réunion, à Paris, au Collège interarmées <strong>de</strong><br />

défense, nouvelle dénomination <strong>de</strong> l’École <strong>de</strong><br />

guerre. Trois cents militaires y participaient, dont<br />

environ un tiers d’officiers venus d’Afrique, <strong>de</strong>s<br />

États arabes ou asiatiques, et <strong>de</strong>s États-Unis. Au<br />

détour d’un échange, il a été soudain question <strong>de</strong><br />

l’intervention <strong>de</strong> l’armée ango<strong>la</strong>ise pendant <strong>la</strong> guerre<br />

civile du Congo-Brazzaville, en 1997 […]. Et<br />

mention était faite que cette opération militaire<br />

avait été menée à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> expresse <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

France I. Les officiers ango<strong>la</strong>is présents ont fait<br />

semb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> ne pas entendre. Comme les généraux<br />

français, frappés eux aussi d’une subite surdité. 101»<br />

La lutte à mort Sassou-Lissouba s’est déclenchée<br />

le 5 juin 1997 à Brazzaville, aux petites heures II.<br />

Deux semaines plus tard, La Lettre du Continent<br />

écrivait : « Sassou est tellement sûr <strong>de</strong> prendre le<br />

I. Le conseiller Afrique <strong>de</strong> Matignon, Serge Telle, a bonne mine<br />

avec son courrier “historique” : « Les problèmes du Congo relèvent<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> seule responsabilité <strong>de</strong>s Congo<strong>la</strong>is » (29.06.1998).<br />

II. Mais dès 1994, selon un témoignage, le régime ango<strong>la</strong>is aurait<br />

parachuté près du fief sassouiste d’Oyo cinq conteneurs emplis<br />

d’armes, dont <strong>de</strong>ux se seraient égarés.


François-Xavier Verschave 53<br />

pouvoir qu’il a déjà <strong>de</strong>mandé à Paribas et Suez<br />

d’enquêter sur d’éventuels comptes privés <strong>de</strong><br />

Lissouba. 102» Ce<strong>la</strong> veut dire <strong>de</strong>ux choses : premièrement,<br />

si un prési<strong>de</strong>nt pétrolier a <strong>de</strong>s comptes privés<br />

dans <strong>de</strong>s banques françaises, c’est plutôt dans<br />

ces <strong>de</strong>ux là ; <strong>de</strong>uxièmement, Sassou est en si bons<br />

termes avec ces <strong>de</strong>ux banques qu’il peut se permettre<br />

<strong>de</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ces renseignements trois<br />

mois avant le succès <strong>de</strong> son coup <strong>de</strong> force.<br />

Mais son adversaire n’est pas né <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

pluie : pour échapper à d’éventuels blocages <strong>de</strong> ses<br />

comptes, « Pascal Lissouba vient <strong>de</strong> dép<strong>la</strong>cer, en<br />

plusieurs fois, 150 millions <strong>de</strong> francs, à son nom et<br />

à ceux <strong>de</strong> sa femme “Jocelyne” et <strong>de</strong> sa fille<br />

“Mireille”, qui ont été “adossés” sur <strong>de</strong>s prêts nantis<br />

par <strong>la</strong> BNP I et donc intouchables 103». Par <strong>la</strong><br />

suite, il cherchera à « faire modifier les actes <strong>de</strong> propriété<br />

<strong>de</strong> son hôtel particulier <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue <strong>de</strong> Prony II,<br />

acquis en son nom et celui <strong>de</strong> sa femme,<br />

Jocelyne 104».<br />

La facture <strong>de</strong> l’été 1997<br />

Il n’y a pas que les besoins familiaux. La guerre<br />

rendait urgents les achats d’armes. Côté Lissouba,<br />

le principal fournisseur a été le Belge Jacques<br />

Monsieur – un cador du trafic d’armes, qui a longtemps<br />

opéré sous couvert <strong>de</strong> <strong>la</strong> Direction <strong>de</strong> <strong>la</strong> survail<strong>la</strong>nce<br />

du territoire (DST), du Mossad et <strong>de</strong><br />

I. L’argent, si l’on comprend bien, s’est mué en prêts <strong>de</strong> <strong>la</strong> BNP,<br />

qui se couvre (se “nantit”) sur <strong>de</strong>s sommes équivalentes p<strong>la</strong>cées<br />

dans <strong>de</strong>s paradis fiscaux. Un procédé c<strong>la</strong>ssique, l’un <strong>de</strong>s premiers<br />

utilisés pour le b<strong>la</strong>nchiment.<br />

II. C’est aussi rue <strong>de</strong> Prony que se trouvait à l’époque le domicile<br />

parisien <strong>de</strong> Jacques Foccart.


54 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

l’OTAN (Organisation du Traité <strong>de</strong> l’At<strong>la</strong>ntique<br />

Nord), notamment en Iran et en Bosnie. Au pouvoir<br />

congo<strong>la</strong>is menacé, il livre rapi<strong>de</strong>ment « hélicoptères<br />

<strong>de</strong> combat, roquettes, missiles et bombes ».<br />

« Du 23 juin au 28 septembre », Monsieur adresse<br />

12 factures au directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fiba, Pierre<br />

Houdray. « Côté finances, Lissouba tente avec l’expertise<br />

<strong>de</strong> Jack Sigolet (<strong>de</strong>venu, <strong>de</strong>puis sa retraite<br />

d’Elf I, son conseiller) un nouveau préfinancement<br />

pétrolier : c’est l’opération “Darrow” 105».<br />

Manifestement, “on” a profité <strong>de</strong> <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong><br />

Lissouba pour ne pas payer une partie <strong>de</strong>s armes<br />

livrées par Monsieur. Ce sont les risques du métier<br />

<strong>de</strong> trafiquant. Monsieur, qui connaît son mon<strong>de</strong>, a<br />

accumulé sur Elf et Sigolet <strong>de</strong>s documents compromettants.<br />

Il a écrit à ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s courriers qui<br />

ressemblent fort à du chantage. Ces lettres, assorties<br />

<strong>de</strong> fax confirmant les achats d’armes <strong>de</strong><br />

Lissouba dans <strong>de</strong>s circuits parallèles et l’implication<br />

d’Elf dans leur financement, sont bien utiles<br />

aux ennemis <strong>de</strong> Lissouba, à commencer par<br />

“Sassou II” II, et aux règlements <strong>de</strong> comptes dans le<br />

milieu pétrolier. On conçoit qu’ils aient été adressés<br />

à <strong>de</strong>s journalistes. Plusieurs n’en ont pas fait<br />

usage. A<strong>la</strong>in Lallemand, du Soir <strong>de</strong> Bruxelles, a<br />

mené une enquête insistante.<br />

Mis en cause dans l’affaire, Jack Sigolet s’est<br />

confié à lui 106: « En juin-juillet 1997 – c’était pendant<br />

un week-end – j’ai reçu <strong>de</strong>ux lettres du<br />

ministre <strong>de</strong>s Finances Ngui<strong>la</strong> Moungounga, parce<br />

qu’il ne pouvait pas joindre Pierre Houdray, char-<br />

I. Il dirigeait <strong>la</strong> banque d’Elf, <strong>la</strong> Fiba, sous <strong>la</strong> houlette d’André<br />

Tarallo.<br />

II. C’est ainsi que l’on a coutume <strong>de</strong> désigner le second règne <strong>de</strong><br />

Denis Sassou Nguesso, à partir d’octobre 1997.


François-Xavier Verschave 55<br />

gé <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion, à Paris, du compte “MinFin<br />

Congo” auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fiba – […] un dépôt au nom<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> République du Congo, [… <strong>de</strong>stinataire]<br />

d’une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance payée par Elf-Congo<br />

(17,5 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur marchan<strong>de</strong> du brut exporté).<br />

Moi, à ce moment, j’étais en Suisse, et le ministre<br />

a pu m’atteindre. J’avais même reçu un appel <strong>de</strong><br />

Pierre-Yves Gilleron, alors conseiller <strong>de</strong> Lissouba,<br />

disant que Moungounga al<strong>la</strong>it m’appeler. Et je<br />

reçois […] <strong>de</strong>ux fax que j’ai transmis <strong>de</strong> suite à<br />

Houdray. À l’époque, j’étais conseiller financier <strong>de</strong><br />

Lissouba : je n’avais pas à refuser cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong>.<br />

[…] Il est possible que j’aie pu mettre “vu”. […]<br />

Généralement, je mets “vu” avec mon paraphe.<br />

[…] Qui a détourné [ces fax…] ? Les a-t-on dérobés<br />

à <strong>la</strong> Fiba I? […] Il fal<strong>la</strong>it payer les factures<br />

[d’armes] Matimco […] en Autriche, au bénéfice<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> société Joy Slovakia. […] Fin juillet [1997],<br />

les responsables congo<strong>la</strong>is m’interrogeaient déjà sur<br />

<strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> monter un préfinancement sur du<br />

brut. Moungounga a été le premier à m’en parler.<br />

Les Congo<strong>la</strong>is viennent me voir au mois d’août.<br />

[…] Ils avaient besoin d’une enveloppe <strong>de</strong> 50 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. Ma préoccupation était <strong>de</strong> savoir le<br />

nombre <strong>de</strong> barils dont ils disposaient. Ils m’ont<br />

indiqué qu’il s’agissait <strong>de</strong> 10 000 barils par jour,<br />

qui pourraient éventuellement être portés à 15 000<br />

par <strong>la</strong> suite [750 000 tonnes par an…]. J’ai préparé<br />

un contrat <strong>de</strong> brut c<strong>la</strong>ssique, ignorant qui serait<br />

l’acheteur. Je l’ai rédigé en b<strong>la</strong>nc. […] Nous nous<br />

sommes revus une secon<strong>de</strong> fois en septembre,<br />

réunion au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle ils feront c<strong>la</strong>irement<br />

référence à <strong>la</strong> situation militaire du pays. Le nom<br />

I. Mystérieusement cambriolée dans <strong>la</strong> nuit du 9 au 10 mars 2000.


56 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

“Darrow” est celui <strong>de</strong> l’offshore créée pour l’opération,<br />

dont je ne connais pas l’ayant-droit économique.<br />

À ma connaissance, ce préfinancement ne<br />

s’est jamais réalisé, mais il sera proposé en fin 1997,<br />

et même 1998, par Pascal Lissouba, qui disait être<br />

toujours le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> République en titre.<br />

Avec le recul, je crois que [si Jacques Monsieur<br />

avait en main ce contrat] c’était pour se faire payer<br />

les armes qui avaient été livrées. J’imagine. On m’a<br />

parlé <strong>de</strong> 40 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs d’armes… »<br />

Sigolet cherche à se défendre. Mais il ne cesse <strong>de</strong><br />

révéler, dans ses propos <strong>de</strong> financier du pétrole<br />

basé à Genève, son rôle d’interface entre l’or noir<br />

et les caisses noires, les cargaisons <strong>de</strong> pétrole et les<br />

avions-cargos bourrés d’armes, son rôle <strong>de</strong> catalyseur<br />

d’une dérive exponentielle <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte congo<strong>la</strong>ise,<br />

par <strong>la</strong> facilité avec <strong>la</strong>quelle il monte <strong>de</strong> nouveaux<br />

crédits exotiques. Avec <strong>la</strong> guerre civile, on<br />

trouvera et dépensera encore beaucoup d’argent<br />

sur les comptes <strong>de</strong> ce pays déjà hyperen<strong>de</strong>tté.<br />

Le montage proposé par Sigolet a sans doute à<br />

voir avec ce que Sassou II jettera plus tard sur <strong>la</strong><br />

table <strong>de</strong> <strong>la</strong> négociation avec Elf, « tous les contrats<br />

d’armements signés par son prédécesseur et “cautionnés”<br />

directement par <strong>la</strong> compagnie pétrolière<br />

française. [… Des] contrats “garantis” par <strong>la</strong> compagnie,<br />

et montés avec <strong>de</strong>s préventes <strong>de</strong> brut par<br />

<strong>de</strong>s anciens dirigeants d’Elf et l’intermédiation<br />

d’une compagnie <strong>de</strong> maintenance aéronautique <strong>de</strong><br />

l’avenue Marceau, dont les responsables travaillent<br />

quasi exclusivement pour Elf 107».<br />

Dès l’automne 1997, La Lettre du Continent<br />

nous avait renseignés sur « le nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre » <strong>de</strong><br />

l’été précé<strong>de</strong>nt. Pour son camp, Lissouba dispose


François-Xavier Verschave 57<br />

<strong>de</strong>s bonus <strong>de</strong>s nouveaux permis, <strong>de</strong>s parts bradées<br />

<strong>de</strong> l’État congo<strong>la</strong>is dans Elf-Congo et Agip, <strong>de</strong><br />

quelques re<strong>de</strong>vances payées par Elf sur le compte<br />

Fiba, <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> <strong>la</strong> part congo<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> <strong>la</strong> production,<br />

« commercialisée à Genève par son<br />

conseiller Samuel Dossou (qui est également celui<br />

d’Omar Bongo) à travers Petrolin. Les forces <strong>de</strong><br />

Lissouba ont aussi récupéré l’argent qui restait<br />

dans les coffres <strong>de</strong>s établissements bancaires <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>ce, en particulier celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque <strong>de</strong>s États<br />

d’Afrique centrale (BEAC). Autre source d’enrichissement<br />

: le traitement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée pétrolière<br />

» (commissions multiples, spécu<strong>la</strong>tions sur les<br />

décotes) 108. Au total 109, l’équipe Lissouba aurait<br />

levé 1 milliard <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> juin à septembre 1997<br />

pour <strong>de</strong>s achats d’armes I.<br />

« Denis Sassou Nguesso n’a, <strong>de</strong> son côté, jamais<br />

été “oublié” par Elf et émargerait toujours sur les<br />

retombées financières <strong>de</strong> <strong>la</strong> production d’un gisement<br />

ango<strong>la</strong>is. Il avait contribué à l’attribution <strong>de</strong><br />

ce permis à <strong>la</strong> compagnie pétrolière française par le<br />

prési<strong>de</strong>nt José Eduardo Dos Santos. Son bras<br />

droit, l’ancien ministre du pétrole Rodolphe<br />

Adada, était par ailleurs partie prenante dans <strong>la</strong><br />

société ORCA, basée à Jersey, qui revendait les<br />

produits raffinés <strong>de</strong> CORAF [<strong>la</strong> raffinerie <strong>de</strong><br />

Pointe-Noire] sur le marché américain, avec une<br />

confortable marge, en raison <strong>de</strong> leur basse teneur<br />

en soufre. Cette marge était partagée entre Elf<br />

Trading (Genève) et <strong>de</strong>s hommes d’affaires<br />

proches <strong>de</strong> Sassou. Après […] l’arrivée au pouvoir<br />

I. Mais Sassou II récupèrera auprès du marchand d’armes Rudolf<br />

Wollenhaupt plusieurs équipements militaires commandés par<br />

Lissouba – dont un Canadair Swingtail et plusieurs centaines <strong>de</strong><br />

camions 110.


58 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

<strong>de</strong> Lissouba, le mécanisme a perduré avec une<br />

redistribution “équilibrée”. Les <strong>de</strong>ux “frères” ennemis<br />

s’arrêtent bien tous les <strong>de</strong>ux à <strong>la</strong> même stationservice.<br />

111»<br />

Enseigne <strong>de</strong> cette station : Elf. Des <strong>de</strong>ux côtés,<br />

l’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre transite par les paradis fiscaux<br />

– points aveugles <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte. La dimension régionale<br />

du financement du camp Sassou se confirme,<br />

et son insertion dans une vaste pétrostratégie, le<br />

“Cango<strong>la</strong>” : « On comprend l’intérêt du prési<strong>de</strong>nt<br />

José Eduardo Dos Santos d’avoir son “ami” Denis<br />

Sassou Nguesso <strong>de</strong> retour au pouvoir à Brazzaville,<br />

pour gérer avec lui tous les méga-gisements découverts<br />

en eaux profon<strong>de</strong>s sur <strong>la</strong> frontière maritime<br />

entre les <strong>de</strong>ux pays par Elf et Chevron. […] Elf-<br />

Congo […] détient les permis […] qui jouxtent <strong>la</strong><br />

frontière cabindaise. De l’autre côté se trouve […]<br />

<strong>la</strong> compagnie Chevron sur l’ensemble <strong>de</strong>s permis.<br />

Au cours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années, Elf a fait entrer<br />

Chevron sur ses intérêts au Congo, et Chevron a<br />

fait <strong>de</strong> même pour <strong>la</strong>isser une petite p<strong>la</strong>ce à Elf au<br />

Cabinda. […] La <strong>de</strong>rnière découverte <strong>de</strong> Chevron<br />

sur les puits D 17 a forcément <strong>de</strong>s prolongements<br />

en territoire congo<strong>la</strong>is. Mieux vaut être bien avec<br />

les voisins. […] Les alliances ethniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> région<br />

vont désormais <strong>de</strong>voir suivre le tracé <strong>de</strong>s “patates”<br />

d’or noir 112».<br />

« Désormais baptisé “Cango<strong>la</strong>” ou “Congo<strong>la</strong>”, le<br />

nouvel empire pétrolier à <strong>la</strong> frontière maritime du<br />

Cabinda et du Congo a désormais <strong>de</strong>ux “frères<br />

amis” au pouvoir. 113»<br />

Chevron et Elf, qui contrôlent cette éponge<br />

pétrolière transfrontalière, « y vivent en “bonne<br />

intelligence” pétrolo-financière ». « Ces données


François-Xavier Verschave 59<br />

pétrolières ont beaucoup incité Paris et<br />

Washington à regar<strong>de</strong>r ailleurs quand les troupes<br />

ango<strong>la</strong>ises ont envahi Pointe-Noire. 114» En <strong>de</strong>structions<br />

seulement, pour le seul été 1997, <strong>la</strong><br />

conquête du Congo par le tan<strong>de</strong>m Sassou-Dos<br />

Santos aura coûté 5 milliards <strong>de</strong> francs, soit 37 %<br />

du PIB I. Si <strong>la</strong> facture <strong>de</strong>s guerres civiles est inscrite<br />

au débit <strong>de</strong>s peuples, l’accroissement du débit <strong>de</strong><br />

pétrole est tout bénéfice pour les majors occi<strong>de</strong>ntales<br />

et leurs parrains politiques.<br />

Ils ne pourraient rien toutefois sans <strong>la</strong> complicité<br />

<strong>de</strong> certains Africains. Il est paradoxal <strong>de</strong> voir cette<br />

alliance perverse dénoncée par ceux qui en sont les<br />

plus gros profiteurs (mais il faut bien qu’ils se refassent<br />

chaque matin une virginité politique). Ainsi<br />

Sassou s’exc<strong>la</strong>mait, au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> sa victoire<br />

d’octobre 1997 : « Nous pourrons prouver que<br />

c’est avec l’argent du pétrole, et par les voies les<br />

plus brumeuses, que l’on a acheté les hélicoptères<br />

<strong>de</strong> combat et les bombes. Nous avons <strong>de</strong>s documents<br />

que nous avons pris dans les bureaux mêmes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce. […] L’ancien pouvoir a gagé<br />

comme blé en herbe 300 milliards <strong>de</strong> francs CFA<br />

sur les recettes pétrolières attendues, indépendamment<br />

même <strong>de</strong> ce qu’il recevait en impôts et autres<br />

re<strong>de</strong>vances ordinaires, selon les sources <strong>de</strong>s compagnies<br />

pétrolières elles-mêmes. 116»<br />

Interrogé sur les re<strong>la</strong>tions que son propre camp<br />

a pu entretenir avec les compagnies pétrolières,<br />

Sassou II a une réponse hautement significative :<br />

« Nous n’avons pas beaucoup <strong>de</strong> leçons à recevoir,<br />

quand on sait que, <strong>de</strong> 1979 à 1992, nous avons pu<br />

I. Selon un bi<strong>la</strong>n établi au printemps 1998 115.


60 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

faire que le Congo <strong>de</strong>vienne un pays pétrolier. »<br />

Autrement dit : c’est nous qui avons livré ce pays<br />

aux contrats léonins <strong>de</strong>s pétroliers, il est normal<br />

qu’ils nous rétribuent – et pas ceux qui n’auraient<br />

d’autre légitimité que <strong>la</strong> volonté du peuple.<br />

Sassou II pompe comme Sassou I<br />

Denis Sassou Nguesso n’avait, lorsqu’il a entrepris<br />

<strong>de</strong> se réinstaller, par <strong>la</strong> force, à <strong>la</strong> tête du Congo-<br />

Brazzaville, pas d’autre projet politique que <strong>de</strong><br />

reprendre possession <strong>de</strong> l’État et <strong>de</strong> ses rentes, pour<br />

lui-même et son c<strong>la</strong>n. Il a tenté <strong>de</strong> faire croire qu’il<br />

avait changé, qu’il avait accepté les leçons démocratiques<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Conférence nationale souveraine.<br />

Certains y ont cru. Mais l’exercice <strong>de</strong> son nouveau<br />

pouvoir s’est vite avéré comme une répétition <strong>de</strong>s<br />

dérives criminelles et ruineuses <strong>de</strong> son premier<br />

règne – en pire. Symptomatiquement, il a fêté son<br />

sacre par les armes ango<strong>la</strong>ises en livrant Brazzaville,<br />

durant cinq jours, au pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> ses miliciens.<br />

Elf a été priée <strong>de</strong> passer à <strong>la</strong> caisse. Un temps, les<br />

documents attestant <strong>la</strong> fourniture d’armes au prési<strong>de</strong>nt<br />

chassé, Pascal Lissouba 117, et son mauvais<br />

usage <strong>de</strong> l’argent du pétrole, ont servi <strong>de</strong> moyen <strong>de</strong><br />

pression. Mais l’arme était à double tranchant.<br />

« Sassou I avait lui-même par le passé bénéficié <strong>de</strong>s<br />

“bienfaits” du système mis en p<strong>la</strong>ce (notamment<br />

<strong>de</strong>s préfinancements) par le groupe pétrolier et ses<br />

réseaux financiers (comme le compte ORCA).<br />

Dans le genre “je te tiens, tu me tiens par <strong>la</strong> barbichette”,<br />

il est difficile <strong>de</strong> faire mieux. 118»<br />

Alors Sassou II, entouré d’une batterie <strong>de</strong><br />

conseillers et d’une cour d’intermédiaires, a orga-


François-Xavier Verschave 61<br />

nisé son programme <strong>de</strong> prédation sur trois fronts :<br />

les bonus, le partage <strong>de</strong> production, les nouveaux<br />

emprunts gagés.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux manières complémentaires <strong>de</strong> se faire<br />

payer <strong>la</strong> production d’un nouveau gisement : un<br />

acompte à <strong>la</strong> signature ou droit d’entrée ; une<br />

rémunération liée aux quantités extraites. Le premier<br />

mo<strong>de</strong> est appelé “bonus” : il ampute évi<strong>de</strong>mment<br />

le second – le seul pourtant qui permette <strong>de</strong><br />

financer un budget dans <strong>la</strong> durée. Mais on est ici<br />

dans une logique inverse du bien public : <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s<br />

parties, <strong>la</strong> compagnie pétrolière et le c<strong>la</strong>n au pouvoir,<br />

ont intérêt à évincer au maximum le propriétaire<br />

officiel du pétrole, le peuple chez qui on<br />

extrait l’or noir. Toutes les combinaisons sont<br />

bonnes qui avantagent ces <strong>de</strong>ux parties au détriment<br />

du budget <strong>de</strong> l’État. Or les bonus sont <strong>la</strong>rgement<br />

parallèles, versés dans <strong>de</strong>s paradis fiscaux sur<br />

<strong>de</strong>s comptes “prési<strong>de</strong>ntiels”. Un gros bonus est le<br />

gage d’une moindre exigence sur les rétributions<br />

ultérieures au pays producteur. Pour 1998,<br />

Sassou II <strong>de</strong>mandait un bonus <strong>de</strong> 60 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs, lié au gisement <strong>de</strong> Moho, et une “réparation”<br />

<strong>de</strong> 100 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs 119.<br />

Elf et Sassou se sont mis d’accord sur le principe<br />

d’un gros bonus initial et d’un passage du régime<br />

<strong>de</strong> concession au partage <strong>de</strong> production I: au lieu <strong>de</strong><br />

toucher un pourcentage sur les quantités extraites,<br />

le Congo en reçoit une partie, à charge pour lui <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> commercialiser au mieux. Un vrai miracle pour<br />

les intermédiaires <strong>de</strong> tout poil, l’objectif étant <strong>de</strong><br />

I. Mais avec un taux <strong>de</strong> partage étonnamment bas : Elf voudrait<br />

le ramener <strong>de</strong> 31 % à 25,5 % (il est <strong>de</strong> 38 % au Gabon), alors<br />

que « <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’État congo<strong>la</strong>is dans sa production pétrolière […<br />

est] l’une <strong>de</strong>s plus faibles du mon<strong>de</strong> selon le FMI » 120.


62 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

payer le moins possible l’État congo<strong>la</strong>is afin <strong>de</strong><br />

dégager et répartir <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> marge possible.<br />

Nous reviendrons plus loin sur ces intermédiaires,<br />

qui sont aussi liés, souvent, à <strong>de</strong>s prêteurs sur gage.<br />

Car le prêt sur productions futures est, lui aussi,<br />

une activité hautement spécu<strong>la</strong>tive et lucrative. Bien<br />

sûr, il faut payer le pouvoir qui vous fournit <strong>la</strong><br />

matière première <strong>de</strong> cette activité. Ce<strong>la</strong> transparaît<br />

dans <strong>la</strong> manière même <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> ces opérations<br />

: ainsi, le courtier Glencore est « prêt à déposer<br />

chez le “patron”… 300 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs 121».<br />

Pour toutes ces négociations, Sassou II est aidé <strong>de</strong><br />

conseillers au passé instructif 122: Loïk Le Floch-<br />

Prigent, l’ex-PDG d’Elf, que l’on ne présente plus,<br />

Élie Khalil et Gilbert Chakoury, anciens<br />

conseillers du dictateur nigérian Abacha (un hercule<br />

du pil<strong>la</strong>ge), Pierre Aïm, ex-armateur, apporteur<br />

d’affaires à quelques-uns <strong>de</strong>s pires dictateurs<br />

africains. L’éminence françafricaine Jean-Yves<br />

Ollivier, qui traita aussi <strong>de</strong> pétrole dans l’Afrique<br />

du Sud <strong>de</strong> l’apartheid, sert <strong>de</strong> poisson-pilote à un<br />

niveau plus stratégique. Sassou présente les <strong>de</strong>ux<br />

<strong>de</strong>rniers nommés « comme les seuls “vrais amis”<br />

français <strong>de</strong> sa traversée du désert 123».<br />

Pour gérer le pétrole reçu en partage <strong>de</strong> production<br />

par le Congo, le régime crée une Société nationale<br />

pétrolière congo<strong>la</strong>ise (SNPC), «à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Sonangol [<strong>la</strong> société nationale pétrolière ango<strong>la</strong>ise]<br />

– le modèle pour Sassou II ! 124». Encore un modèle<br />

<strong>de</strong> pil<strong>la</strong>ge… Cette SNPC reste dans <strong>la</strong> famille :<br />

elle est dirigée par un neveu <strong>de</strong> Sassou, Bruno<br />

Itoua. Un témoin évoque, écœuré, le ballet <strong>de</strong>s<br />

valises à billets. Comme <strong>la</strong> Sonangol, <strong>la</strong> SNPC a<br />

installé « une structure <strong>de</strong> trading dans <strong>la</strong> capitale


François-Xavier Verschave 63<br />

britannique avec l’assistance <strong>de</strong>s sociétés TRAFI-<br />

GURA et ARCADIA. La première […] regroupe<br />

<strong>de</strong>s anciens <strong>de</strong> Marc Rich 125» – l’écumeur <strong>de</strong>s<br />

États-épaves, pourris par leur pétrole.<br />

Les courtiers floueront plus facilement l’État<br />

congo<strong>la</strong>is que son chef : « Sassou II suit personnellement<br />

le dossier avec son fidèle Bruno Itoua […].<br />

Même le ministre <strong>de</strong> l’Économie et <strong>de</strong>s Finances,<br />

Mathias Dzon, ne semble pas toujours au parfum<br />

<strong>de</strong>s cargaisons d’or noir qui quittent le terminal<br />

[congo<strong>la</strong>is] <strong>de</strong> Djeno. 126»<br />

En 2000, avec <strong>la</strong> brusque remontée <strong>de</strong>s cours du<br />

pétrole, les tra<strong>de</strong>rs affluent <strong>de</strong> toutes parts. La<br />

Lettre du Continent ne cache pas sa perplexité : « Le<br />

grand mystère du Congo est <strong>la</strong> <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> tous<br />

ces préfinancements pétroliers. Plusieurs projets<br />

stratégiques piétinent 127» dans le transport, <strong>la</strong> distribution,<br />

l’énergie. Le mystère est-il si grand ?<br />

« Sassou multiplie ses luxueuses propriétés à<br />

l’étranger. Il fait <strong>de</strong> fréquents allers-retours en<br />

Suisse, transporté par <strong>la</strong> compagnie aérienne<br />

Occitania. Le pilote, A<strong>la</strong>in Jacquemont, est un<br />

ancien parachutiste français. 128»<br />

L’exemple est <strong>la</strong>rgement suivi. « Maquillées en<br />

dépenses d’investissements, les dépenses courantes<br />

se sont emballées avec les exigences <strong>de</strong> certains<br />

ministres… 129», qui dévalisent les boutiques <strong>de</strong><br />

luxe parisiennes. Une commission d’enquête sur<br />

les pénuries <strong>de</strong> carburants a révélé « un vaste<br />

détournement à Brazzaville <strong>de</strong> produits pétroliers<br />

par <strong>de</strong>s ministres et <strong>de</strong>s proches du pouvoir. […]<br />

Une quinzaine <strong>de</strong> dépôts c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins ont servi à alimenter<br />

les besoins personnels <strong>de</strong> plusieurs<br />

ministres, [généraux et colonels] […]. Convoqué,


64 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

André Obami-Itou, le DG [directeur général]<br />

d’Hydro-Congo [<strong>la</strong> compagnie nationale <strong>de</strong> distribution],<br />

a déc<strong>la</strong>ré que “les comportements mafieux<br />

existent à Hydro-Congo <strong>de</strong>puis fort longtemps et<br />

qu’il éprouve <strong>de</strong>s difficultés à démanteler le réseau<br />

<strong>de</strong>s voleurs”. On le comprend. À moins <strong>de</strong> remanier<br />

le gouvernement ! 130»<br />

Ce qui se fait pour le pétrole s’applique aussi au<br />

bois : Sassou II a brutalement accéléré <strong>la</strong> mise en<br />

coupe <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt équatoriale – avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> personnages<br />

comme Jean-François Hénin 131, ancien<br />

virtuose <strong>de</strong> <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion au Crédit Lyonnais, et<br />

<strong>de</strong> Francis Rougier, PDG d’un grand groupe<br />

forestier I.<br />

Il ne recule pas <strong>de</strong>vant les dépenses vitales : il a<br />

chargé le groupe portugais Espirito Santo « <strong>de</strong> lui<br />

construire un aéroport international “stratégique” à<br />

Ollombo, près <strong>de</strong> son fief d’Oyo, dans le nord du<br />

pays, pour […] 370 millions francs, sans doute<br />

financé en […] pétrole 132». Un “éléphant b<strong>la</strong>nc”<br />

d’un point <strong>de</strong> vue économique, dans une région<br />

très peu peuplée. Mais <strong>la</strong> possibilité d’un approvisionnement<br />

aérien en armes lour<strong>de</strong>s n’a pas <strong>de</strong> prix.<br />

Alors que le pétrole afflue, à haut prix, que les<br />

préfinancements abon<strong>de</strong>nt (en particulier par <strong>la</strong><br />

Société générale), que Lissouba a obtenu 5 milliards<br />

<strong>de</strong> francs <strong>de</strong> remises <strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte totale<br />

du Congo se maintenait autour <strong>de</strong> 5 milliards<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs mi-2000 (12 000 francs par habitant).<br />

Certains créanciers, comme Hassan Hodjej,<br />

n’étaient pas loin <strong>de</strong> pouvoir faire bloquer les<br />

I. Le siège <strong>de</strong> ce groupe (75, av. <strong>de</strong>s Champs Élysées) héberge<br />

aussi celui du CIAT, une société dirigée par Toussaint Luciani, vieil<br />

allié <strong>de</strong>s Feliciaggi. (Lire p. 108, note II.)


François-Xavier Verschave 65<br />

comptes <strong>de</strong> l’État congo<strong>la</strong>is… 133. Et Sassou II,<br />

quatre ans après sa victoire, n’avait toujours pas<br />

rétabli les ascenseurs au centre hospitalier universitaire<br />

<strong>de</strong> Brazzaville, qui fut un équipement sanitaire<br />

<strong>de</strong> pointe : il faut porter les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s jusqu’au<br />

cinquième étage.<br />

1999 : finance &<br />

crimes contre l’humanité<br />

Sassou et son c<strong>la</strong>n ayant repris leurs habitu<strong>de</strong>s<br />

autocratiques et prédatrices, <strong>la</strong> guerre renaît <strong>de</strong> ses<br />

cendres, entraînant fin 1998 une répression épouvantable.<br />

Les troupes ou plutôt les milices <strong>de</strong><br />

Sassou II y sont secondées par une coalition françafricaine<br />

<strong>de</strong> circonstance : un corps expéditionnaire<br />

venu <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> – un régime allié d’Elf, <strong>de</strong><br />

Chirac et <strong>de</strong>s réseaux Pasqua ; un contingent tchadien<br />

<strong>de</strong> l’ami Idriss Déby ; <strong>de</strong>s restes <strong>de</strong>s forces<br />

rwandaises qui encadrèrent le génoci<strong>de</strong> ; <strong>de</strong>s mercenaires<br />

français, et <strong>de</strong> “vrais-faux mercenaires”,<br />

c’est-à-dire <strong>de</strong>s militaires tricolores déguisés en<br />

mercenaires ; le tout avec l’argent d’Elf, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

banques et entreprises françaises. Entre décembre<br />

1998 et décembre 1999, les agressions à connotation<br />

ethniste contre les popu<strong>la</strong>tions civiles, au sud<br />

<strong>de</strong> Brazzaville et du pays, ont fait au moins autant<br />

<strong>de</strong> victimes (en nombre <strong>de</strong> morts ou <strong>de</strong> viols) que,<br />

durant <strong>la</strong> même pério<strong>de</strong>, les conflits au <strong>Ko</strong>sovo, à<br />

Timor Est et en Tchétchénie réunis 134.<br />

Plusieurs témoignages reçus en 2001 <strong>la</strong>issent à<br />

penser que le bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong> cette entreprise criminelle<br />

est plus atroce encore qu’on ne le croyait : dans le<br />

sud du pays, un certain nombre <strong>de</strong> vil<strong>la</strong>ges


66 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

auraient été rayés <strong>de</strong> <strong>la</strong> carte, et le bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong> cette<br />

année <strong>de</strong> guerre pourrait atteindre ou dépasser les<br />

100 000 morts. Bien entendu, nulle enquête internationale<br />

sérieuse n’a été menée à ce sujet dans<br />

cette pétrodictature tellement en phase avec Paris,<br />

mais aussi Washington, Londres et Moscou.<br />

Certes, les médias français ont suffisamment peu<br />

parlé <strong>de</strong> l’entreprise abjecte <strong>de</strong> nettoyage du Sud<br />

congo<strong>la</strong>is pour qu’elle soit restée ignorée <strong>de</strong> l’opinion<br />

publique hexagonale. Mais elle ne pouvait<br />

l’être <strong>de</strong> l’exécutif français, <strong>la</strong>rgement informé par<br />

les Services, ni <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s banques et entreprises<br />

impliquées au Congo : elles ne pouvaient ignorer<br />

les dénonciations et les rapports <strong>de</strong>s ONG, les protestations<br />

<strong>de</strong>s Églises, les informations <strong>de</strong> leurs<br />

réseaux. Quand elles ont soutenu financièrement ce<br />

régime, c’était en connaissance <strong>de</strong> cause, par un calcul<br />

cynique qui les rend complices <strong>de</strong> crimes contre<br />

l’humanité. Quelle valeur peuvent bien avoir les<br />

créances qu’elles ont alors acquises sur le Congo ?<br />

Laissons Elf provisoirement <strong>de</strong> côté, puisque sa<br />

complicité est permanente : nous l’examinerons<br />

par <strong>la</strong> suite. Paribas est naturellement sur les lieux.<br />

Sa familiarité avec les paradis fiscaux, ses liens avec<br />

l’un <strong>de</strong> leurs meilleurs connaisseurs, le milliardaire<br />

Irako-Britannique Nadhmi Auchi, l’ont naturellement<br />

p<strong>la</strong>cée au top du préfinancement pétrolier.<br />

Elle avance 30 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs en mars 1999 à<br />

Sassou II 135. Ce<strong>la</strong> va s’amplifier durant l’été : « Le<br />

ministre <strong>de</strong>s Finances Mathias Dzon a confié à<br />

Paribas un montage financier <strong>de</strong> 80 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs (dont 50 à décaissement rapi<strong>de</strong>) pour <strong>la</strong><br />

vente par anticipation <strong>de</strong> cargaisons <strong>de</strong> pétrole.<br />

Inespéré… Il a fallu tout le doigté <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong>


François-Xavier Verschave 67<br />

Paribas (déjà très inspirées sur l’Ango<strong>la</strong>) pour verser<br />

l’argent sur <strong>de</strong>s comptes qui ne peuvent pas être<br />

saisis par les créanciers du Congo, comme <strong>la</strong> famille<br />

Hojeij ou Serge Berrebi. Ce montage, qui<br />

pourrait être réutilisé sur d’autres cargaisons, […]<br />

échappe au circuit traditionnel <strong>de</strong> l’actuelle <strong>de</strong>tte<br />

gagée pétrolière qui passe par FIBA-CIBC-IHAG-<br />

SEB sous le contrôle d’Elf. 136»<br />

Il est plus étonnant <strong>de</strong> découvrir qu’en fait <strong>la</strong><br />

Société générale avait une longueur d’avance, et<br />

qu’elle n’a <strong>la</strong>issé l’opération à Paribas que durant <strong>la</strong><br />

pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur fusion éphémère (Paribas étant<br />

finalement captée par <strong>la</strong> BNP) : « Paribas a trouvé,<br />

dans sa corbeille <strong>de</strong> noces avec <strong>la</strong> Société Générale,<br />

une synergie en or au Congo-B. De toutes les<br />

banques d’affaires qui tentent <strong>de</strong> monter un crédit<br />

gagé sur du pétrole avec Sassou II, c’est en effet <strong>la</strong><br />

Société Générale qui était <strong>la</strong> plus avancée. Avec sa<br />

filiale américaine, <strong>la</strong> Générale avait en effet monté<br />

un prêt <strong>de</strong> 22,8 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs sur un an avec,<br />

pour compensation, 2 900 barils par jour <strong>de</strong> brut<br />

<strong>de</strong> Nkossa et 4 700 barils par jour <strong>de</strong> brut <strong>de</strong> qualité<br />

Djenno, soit 4 cargos par an. C’est ce montage<br />

que Paribas vient <strong>de</strong> récupérer. 137»<br />

Nous reviendrons sur le rôle <strong>de</strong> pousse-à-<strong>la</strong>-<strong>de</strong>tte<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux établissements. À plus petite échelle,<br />

nombre d’émissaires françafricains se sont précipités<br />

en pleins massacres pour secourir financièrement<br />

le massacreur : « Même si <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée<br />

pétrolière et les cargaisons enlevées par Elf ne <strong>la</strong>issent<br />

actuellement pas grand chose – environ<br />

20 000 barils par jour – à commercialiser en direct,<br />

ils restent très nombreux à venir à Brazza dans ce<br />

but : <strong>de</strong> vieilles connaissances comme les couples


68 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Tarallo/Sigolet ou Lacaze/Le Floch-Prigent. 138»<br />

Il n’est plus besoin <strong>de</strong> présenter Loïk Le Floch,<br />

André Tarallo et Jack Sigolet. Il est quand même<br />

stupéfiant <strong>de</strong> voir le prompt rétablissement <strong>de</strong> ce<br />

<strong>de</strong>rnier, encore accusé par Sassou II d’avoir financé<br />

l’armement <strong>de</strong> Lissouba. Mais ce<strong>la</strong> prouve qu’il sait<br />

financer, et qu’il n’a pas d’états d’âme. Sassou II<br />

non plus : il a eu tôt fait <strong>de</strong> le réinviter à sa table,<br />

avec Tarallo et leur “Monsieur sécurité”, Pierre-<br />

Yves Gilleron – qui avait su gar<strong>de</strong>r, comme on dit<br />

au Congo, « un pied dans chaque pirogue ». Quant<br />

au général Jeannou Lacaze, ancien haut barbouzard,<br />

puis chef d’état-major <strong>de</strong> François Mitterrand<br />

et <strong>de</strong> Mobutu, conseiller <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s généraux-dictateurs<br />

francophones, il est dans son élément.<br />

Accessoirement, on s’indigne un peu moins<br />

que les juges d’instruction <strong>de</strong> l’affaire Elf aient<br />

confisqué le passeport <strong>de</strong> son compère Le Floch I.<br />

Les Français n’étaient pas seuls sur le coup. En<br />

février 1999, Texaco négocie l’accès à 4,5 millions<br />

<strong>de</strong> tonnes <strong>de</strong> pétrole contre <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un<br />

prêt <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s banques suisses (UBS) permettant<br />

<strong>de</strong> rembourser une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte pétrolière,<br />

et une enveloppe <strong>de</strong> 40 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs 140.<br />

I. Qui commente : « Il y a dans tout ce<strong>la</strong> quelque chose <strong>de</strong> profondément<br />

inhumain. 139» Quels mots reste-t-il alors pour parler<br />

<strong>de</strong>s atrocités subies par les Congo<strong>la</strong>is, par <strong>la</strong> vertu <strong>de</strong> l’ami<br />

Sassou ?


François-Xavier Verschave 69<br />

3. Les allumeurs<br />

… Elf<br />

« C’est c<strong>la</strong>ir, au Congo-Brazzaville, chaque balle a<br />

été payée par Elf », confiait une personnalité socialiste.<br />

Sa phrase fait un étrange écho à celle proférée<br />

le 24 janvier 1993, sur RTL, par le PDG d’alors,<br />

Loïk Le Floch-Prigent : « Elf a fait le maximum<br />

pour le développement du Congo. 141»<br />

« La stratégie du groupe pétrolier [Elf] a été<br />

déterminante. Alors qu’il vient d’enchaîner les<br />

découvertes <strong>de</strong> champs pétroliers majeurs au <strong>la</strong>rge<br />

<strong>de</strong>s côtes ango<strong>la</strong>ise et congo<strong>la</strong>ise, il voyait cet eldorado<br />

marin exposé à <strong>la</strong> vague révolutionnaire issue<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> région <strong>de</strong>s Grands Lacs. Les régimes corrompus<br />

du Gabon, du Cameroun et <strong>de</strong> Guinée équatoriale<br />

étaient menacés. Celui <strong>de</strong> Brazzaville sombrait…<br />

Il y avait le feu au <strong>la</strong>c… <strong>de</strong> pétrole ! Des<br />

bateaux-navettes ordinairement utilisés par Elf ont<br />

débarqué <strong>de</strong>s unités ango<strong>la</strong>ises et <strong>de</strong>s “Cobras” <strong>de</strong><br />

Nguesso pour s’emparer du port <strong>de</strong> Pointe-Noire,<br />

centre névralgique <strong>de</strong> l’exploitation pétrolière et<br />

clef <strong>de</strong> <strong>la</strong> conquête du Congo […].<br />

Opportunément, en 1996, le réseau Pasqua-<br />

Marchiani avait gavé d’armements russes les<br />

troupes ango<strong>la</strong>ises. […] À l’Élysée, Jacques Chirac<br />

n’avait donc plus, en ligne directe avec l’ami<br />

Bongo, qu’à sceller <strong>la</strong> coalition anti-Lissouba, sans<br />

lésiner sur les moyens proprement français : l’armée<br />

<strong>de</strong> l’Air et les Services spécialisés dans les trafics<br />

d’armes. Les services secrets <strong>de</strong> l’État et ceux<br />

d’Elf, rappelons-le, ont beaucoup d’agents en commun.<br />

Depuis le temps du Biafra, ils savent organiser<br />

conjointement <strong>de</strong>s livraisons occultes d’armements.<br />

142»


70 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Plus précisément – on l’a vu au chapitre précé<strong>de</strong>nt<br />

–, Elf a armé les <strong>de</strong>ux côtés. Elle le fit jadis<br />

dans <strong>la</strong> guerre civile ango<strong>la</strong>ise, et l’a fait encore au<br />

moins jusqu’en 1998 143. Elle a continué <strong>de</strong> verser<br />

<strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances mensuelles au gouvernement <strong>de</strong><br />

Lissouba, jusqu’à ce que sa chute soit assurée. Elle<br />

a financé ou garanti ses achats d’armes, via <strong>la</strong> Fiba.<br />

Toutes les victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre civile peuvent<br />

donc remercier Elf…<br />

« Fin 1998, un haut responsable d’Elf est interpellé<br />

dans l’émission Capital, sur M6 : “C’est<br />

quand même malheureux qu’ils [les Brazzavillois]<br />

se soient massacrés avec notre argent !” C’était le<br />

29 novembre, trois semaines avant <strong>de</strong>s massacres<br />

encore plus épouvantables. Réponse <strong>de</strong> “Monsieur<br />

Elf” : “Dans ce cas, oui, c’est un gâchis. Mais nous<br />

ne sommes pas <strong>de</strong>s sentimentaux ! Nous sommes<br />

<strong>de</strong>s gens réalistes, qui gagnons <strong>de</strong> l’argent : avec<br />

qui, ça nous est égal.” Il n’y a pas <strong>de</strong> raison que ça<br />

s’améliore. Dans ses négociations africaines, <strong>de</strong><br />

l’Ango<strong>la</strong> au Tchad, Elf s’en tient à une stratégie <strong>de</strong><br />

négociation éprouvée : moins l’État producteur est<br />

exigeant, plus s’élève le “bonus prési<strong>de</strong>ntiel” à <strong>la</strong><br />

signature du contrat. 144»<br />

Le Floch mentait outrageusement quand il affirmait<br />

en 1993, toujours sur RTL, qu’Elf offrait au<br />

Congo « une rétribution plus importante que dans<br />

beaucoup <strong>de</strong> pays et dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s pays africains<br />

145». Le FMI n’est pas seul à s’étonner, au<br />

contraire, <strong>de</strong> <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong> cette rétribution. La<br />

Conférence nationale souveraine a été dissuadée <strong>de</strong><br />

chercher à en savoir davantage. Elf invente sans<br />

cesse <strong>de</strong> nouvelles astuces pour payer le moins possible.<br />

Parmi les <strong>de</strong>rnières trouvailles : amortir sur


François-Xavier Verschave 71<br />

un seul puits les méga-barges réutilisables, <strong>de</strong> façon<br />

à minorer les bénéfices et donc l’impôt I.<br />

Ces astuces sont souvent négociées en secret avec<br />

le prési<strong>de</strong>nt en p<strong>la</strong>ce, abreuvé <strong>de</strong> bakchichs et “fonds<br />

<strong>de</strong> souveraineté” II. Ce<strong>la</strong> suppose que ni <strong>de</strong>s importuns<br />

genre Oxy ni <strong>de</strong>s parlementaires intègres ne<br />

viennent se mêler <strong>de</strong>s comptes <strong>de</strong> l’or noir.<br />

Pascal Lissouba s’est bien gardé <strong>de</strong> donner suite<br />

à son projet d’un contrôle parlementaire <strong>de</strong>s<br />

comptes du pétrole. Quand en 1995 il vend « pour<br />

<strong>de</strong>s clopinettes 148» les 25 % <strong>de</strong> son pays dans Elf-<br />

Congo, il y a bien entendu une opération occulte<br />

sous-jacente, portant sur un ou plusieurs milliards<br />

<strong>de</strong> francs. Négociant âprement avec Elf, Sassou II<br />

savait qu’il <strong>la</strong> mettrait en difficulté en réc<strong>la</strong>mant <strong>la</strong><br />

rétrocession <strong>de</strong> ces 25 %, à leur prix <strong>de</strong> vente. Elf<br />

a d’ailleurs curieusement expliqué « que cette opération<br />

“retour” pourrait mettre en péril le montage<br />

financier du Crédit Lyonnais sur le développement<br />

<strong>de</strong> Nkossa…». Comme si le ou les milliards<br />

spoliés en cette affaire à l’État congo<strong>la</strong>is étayaient<br />

tout un montage parallèle… III<br />

Compte tenu <strong>de</strong>s risques et <strong>de</strong>s investissements<br />

en jeu, l’activité pétrolière génère un volumineux<br />

marché d’assurances. C’est encore l’opportunité <strong>de</strong><br />

I. Les amortissements sont déductibles du bénéfice imposable.<br />

D’où l’intérêt d’amortir un matériel <strong>de</strong> plusieurs milliards<br />

<strong>de</strong> francs sur une seule opération, et non sur plusieurs 146.<br />

Certains mauvais esprits en rajoutent : ils émettent « l’idée d’une<br />

surfacturation » <strong>de</strong> <strong>la</strong> méga-barge installée sur le puits <strong>de</strong> Nkossa.<br />

II. « Les dirigeants <strong>de</strong> pays producteurs peuvent utiliser à leur profit<br />

un pourcentage <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance pétrolière : les “fonds <strong>de</strong> souveraineté”.<br />

[…] Selon M. C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Angeli, “les fonds <strong>de</strong> souveraineté<br />

sont disponibles pour le chef <strong>de</strong> l’État […] à titre personnel :<br />

leur existence n’est pas secrète, leur montant l’est”. 147»<br />

III. Porté peut-être par l’ancien Crédit Lyonnais, “victime” d’une<br />

faillite insondable…


72 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

juteux prélèvements. Ainsi, Lissouba comme<br />

Sassou ont créé une société d’assurances “maison”,<br />

bénéficiant d’un monopole <strong>de</strong> droit ou <strong>de</strong> fait sur<br />

les primes liées à l’exploitation du pétrole congo<strong>la</strong>is.<br />

Le nouveau directeur financier <strong>de</strong><br />

TotalFinaElf, Philippe Laroque-Labor<strong>de</strong>, a jadis<br />

aidé son ami Roger Azar à monter <strong>la</strong> société d’assurances<br />

CSAR 149 au service <strong>de</strong> Lissouba et <strong>de</strong> son<br />

ministre <strong>de</strong>s Finances Moungounga-Ngui<strong>la</strong> –<br />

« actionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> CSAR via une société ir<strong>la</strong>ndaise<br />

I». Un gage <strong>de</strong> continuité, d’Elf à Total…<br />

Et puis il y a les fameuses cargaisons non déc<strong>la</strong>rées,<br />

que les initiés disent fréquentes au Congo.<br />

Sur <strong>la</strong> production du premier gisement <strong>de</strong> ce pays,<br />

Émerau<strong>de</strong>, Elf est toujours restée évasive. La Lettre<br />

Afrique Énergies ironise sur ce flou 151 : « Le pétrole,<br />

c’est pas facile ; […] si l’on veut être précis,<br />

[…] on risque, dans <strong>la</strong> séquence <strong>de</strong>s rotations <strong>de</strong><br />

tankers, <strong>de</strong> ne pas tomber juste, en oubliant <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

». Loïk Le Floch Prigent l’admet : « Il est arrivé<br />

que <strong>de</strong>s cargaisons “fantômes” [d’une valeur <strong>de</strong><br />

10 à 12 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs] échappent aux comptabilités<br />

officielles et soient partagées entre<br />

hommes <strong>de</strong> l’ombre. 152»<br />

Pascal Lissouba avait fini par le comprendre (et<br />

en profiter) : <strong>la</strong> rétribution <strong>de</strong> son pays par Elf ressemb<strong>la</strong>it<br />

à une passoire. C’est donc en expert qu’il<br />

a pu évoquer quelques trous <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> mission parlementaire<br />

d’information sur les compagnies<br />

pétrolières : « Le mécanisme <strong>de</strong> versement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

rente pétrolière est difficile à décrire. Les re<strong>de</strong>-<br />

I. Olivier Vallée présente Roger Azar comme un « collectionneur<br />

d’art africain et esthète <strong>de</strong> <strong>la</strong> finance ». Ce n’est pas incompatible,<br />

les <strong>de</strong>ux comportements supposant d’être éthiquement peu<br />

sensible au concept <strong>de</strong> prédation 150.


François-Xavier Verschave 73<br />

vances sont dues à <strong>de</strong>s filiales d’Elf Aquitaine, Elf-<br />

Congo et Elf-Gabon […]. Mais le fonctionnement<br />

d’une autre société, Elf Trading, qui effectue <strong>de</strong>s<br />

transactions reste obscur I. Les fluctuations du dol<strong>la</strong>r<br />

jouent sur le montant <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance. […] Qui<br />

gère le différentiel provoqué par ces fluctuations<br />

portant sur <strong>de</strong>s sommes considérables ? Qui peut<br />

contrôler ce<strong>la</strong> ? […] Le Congo recevait <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances<br />

d’exploitation dont il était difficile <strong>de</strong> suivre<br />

le cheminement. Les sommes provenant <strong>de</strong>s<br />

marges <strong>de</strong> fluctuation pouvaient être élevées et suffisaient<br />

à financer un mouvement <strong>de</strong> déstabilisation.<br />

Il pouvait donc s’agir d’une sorte <strong>de</strong> pacte <strong>de</strong><br />

corruption soutenant un complot. […]<br />

« Il y a plusieurs formes <strong>de</strong> tricherie sur <strong>la</strong> rente<br />

pétrolière : on peut s’entendre avec les pétroliers<br />

par <strong>de</strong>s cheminements divers ; ils passent par <strong>la</strong><br />

Fiba. Autour <strong>de</strong> cette banque, il y a d’autres filières<br />

pour faire passer les commissions dont les montants<br />

sont évalués en fonction d’un processus difficilement<br />

décryptable. […] Le ministre <strong>de</strong>s<br />

Finances peut p<strong>la</strong>cer l’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> rente pétrolière<br />

dans <strong>de</strong>s banques spécialisées où il rapporte <strong>de</strong>s<br />

intérêts sans les reverser à l’État. Normalement,<br />

ce<strong>la</strong> irait dans les caisses noires du Prési<strong>de</strong>nt. II»<br />

I. Il n’y a pas <strong>de</strong> raison que ce<strong>la</strong> cesse : directeur d’Elf-Trading<br />

sous Le Floch et Jaffré, Bernard Polge <strong>de</strong> Combret a été nommé<br />

en 2000, par Thierry Desmarest, vice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> TotalFinaElf.<br />

II. On peut s’interroger sur les motivations <strong>de</strong> cette vigoureuse<br />

dénonciation 153 <strong>de</strong>s pratiques d’Elf, dont Pascal Lissouba se<br />

pose en victime. Dans les protectorats <strong>de</strong>s compagnies pétrolières,<br />

les chefs d’“État” sont dans une position paradoxale :<br />

d’un côté ils sont personnellement gavés par <strong>la</strong> ou les majors qui<br />

patronnent le pays, <strong>de</strong> l’autre il leur faut tenter <strong>de</strong> préserver un<br />

minimum <strong>de</strong> légitimité politique, généralement par un discours<br />

<strong>de</strong> surenchère nationaliste. Ce grand écart est difficile : il peut<br />

conduire à “péter les plombs”, voire à <strong>la</strong> paranoïa. Il faut, pour<br />

le tenir durablement, être armé d’un cynisme impitoyable et


74 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

On peut aussi, pour comprendre ce qui s’est<br />

passé au Congo, regar<strong>de</strong>r ce qui a transpiré <strong>de</strong>s pratiques<br />

d’Elf dans les pays voisins. La Lettre du<br />

Continent a produit sur son site Internet <strong>de</strong>s documents<br />

impliquant <strong>la</strong> CIBC et Elf dans <strong>la</strong> savante<br />

évasion, en 1992, <strong>de</strong> 180 millions <strong>de</strong> pétrodol<strong>la</strong>rs<br />

camerounais (un bon milliard <strong>de</strong> francs) 154.<br />

L’argent, un crédit gagé sur du pétrole futur,<br />

s’égaille entre les îles Vierges, <strong>la</strong> Suisse et le<br />

Liechtenstein. Le Cameroun n’en a pas vu <strong>la</strong> couleur.<br />

L’opération a été garantie par Elf. Signataire :<br />

Philippe Hustache, directeur financier (1985-<br />

1994), <strong>de</strong>venu <strong>de</strong>puis directeur général <strong>de</strong><br />

Dassault… Le même a été interrogé lors du procès<br />

Elf à propos <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux virements à Christine Deviers-<br />

Joncour, <strong>de</strong> 14 et 45 millions <strong>de</strong> francs, via <strong>la</strong> filiale<br />

suisse d’Elf Rivunion : « Nous faisions chaque<br />

année plusieurs dizaines d’opérations <strong>de</strong> ce type. Il<br />

n’y avait aucune trace à Paris. […] Je n’ai pas le<br />

souvenir une par une <strong>de</strong> ces opérations. Je mentirais<br />

si j’étais capable <strong>de</strong> me souvenir <strong>de</strong> 350 commissions.<br />

155» À 30 millions en moyenne, ce<strong>la</strong> représente<br />

plus <strong>de</strong> 10 milliards – 175 affaires Dumas.<br />

Un ancien cadre d’Elf a publié, sous le pseudonyme<br />

<strong>de</strong> Jean-Pierre Vandale, un roman à clefs très<br />

transparent, L’affaire totale. Au Gabon, raconte-til,<br />

« il n’était pas possible <strong>de</strong> jouer uniquement sur<br />

les quantités [<strong>de</strong> pétrole], alors on trichait sur les<br />

qualités. […] On annonçait à Macaya [Omar<br />

d’une fibre policière. Contrairement à ce que prétend Pascal<br />

Lissouba, ce n’est pas le niveau <strong>de</strong> ses exigences envers Elf qui a<br />

conduit cette <strong>de</strong>rnière à le lâcher (puisque les arrangements officieux<br />

permettent toujours <strong>de</strong> corriger les exigences officielles),<br />

mais le fait que, dans l’exercice d’acrobatie politique requis,<br />

Denis Sassou Nguesso ait été jugé globalement plus fiable.


François-Xavier Verschave 75<br />

Bongo] que le puits démontrait bien l’existence<br />

d’un gisement mais qu’il était faillé et difficile et<br />

que son brut n’était pas bon : trop <strong>de</strong> cobalt, trop<br />

<strong>de</strong> soufre, trop d’hydrates, trop <strong>de</strong> paraffine, trop<br />

lourd, […] trop épais. […] Ce brut, en fait excellent,<br />

était donc racheté quatorze dol<strong>la</strong>rs [le baril]<br />

par notre filiale <strong>de</strong> négoce pétrolier qui le revendait<br />

dix-sept sur le marché international. Il vaut mieux<br />

gagner <strong>de</strong> l’argent aux Bermu<strong>de</strong>s et en Suisse que<br />

<strong>de</strong> le filer au fisc ». Macaya sait qu’il se fait avoir,<br />

mais Nap (Tarallo) lui « rétrocè<strong>de</strong> un droit personnel<br />

» sur le pétrole – sans parler <strong>de</strong>s « jolis costumes<br />

», « livrés par une jolie couturière ». Sur le<br />

total <strong>de</strong> <strong>la</strong> production gabonaise, cette tricherie sur<br />

<strong>la</strong> qualité fait gagner à Elf plus <strong>de</strong> 200 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs par an 156.<br />

Vandale évoque aussi l’incertain Congo.<br />

« Quand <strong>la</strong> révolte gron<strong>de</strong>rait dans les rues <strong>de</strong><br />

Brazza, dans le Groupe quelqu’un pouvait toujours<br />

utiliser <strong>la</strong> petite souplesse <strong>de</strong> manœuvre<br />

qu’on avait dans <strong>la</strong> détermination du prix du<br />

pétrole, une sorte d’avance sur recette, <strong>de</strong> quoi permettre<br />

d’anticiper le cours <strong>de</strong> l’histoire qui donnait<br />

Sassou gagnant et <strong>de</strong> donner un peu d’oxygène aux<br />

trafiquants d’armes russes, <strong>de</strong>s vieux amis <strong>de</strong><br />

Sassou. 157»<br />

Quelques mois après <strong>la</strong> parution <strong>de</strong> ce “roman”,<br />

une série <strong>de</strong> documents parvenus au journaliste<br />

Nico<strong>la</strong>s Beau déclenchent un nouveau f<strong>la</strong>sh : « En<br />

juillet 1995, une mission est envoyée en Suisse [par<br />

le prési<strong>de</strong>nt d’Elf Philippe Jaffré], conduite par le<br />

directeur financier du groupe, Bruno Weymuller,<br />

alors que l’instruction d’Éva Joly débute […].<br />

Objectif […] : recenser toutes les opérations <strong>de</strong>


76 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

financement montées avec les pays africains à partir<br />

<strong>de</strong>s sociétés offshore les plus secrètes.<br />

« Plusieurs banques suisses sont associées à ces<br />

montages : <strong>la</strong> CIBC, basée à Genève, <strong>la</strong> banque<br />

Ihag à Zurich I, et <strong>la</strong> BDG II à Lausanne. […]<br />

La<strong>de</strong>l Holding Inc [est] <strong>la</strong> principale <strong>de</strong>s sociétés<br />

panaméennes mêlées à ces opérations. […] Dans le<br />

rapport rendu à son retour <strong>de</strong> Suisse, Didier<br />

Chanoine, un <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission […],<br />

écrit : “[…] La<strong>de</strong>l a servi <strong>de</strong> support […] pour<br />

l’opération Gabon et onze opérations au Congo<br />

[…]”. […]<br />

« La filiale suisse [d’Elf] Rivunion […] a participé<br />

à <strong>de</strong> nombreuses opérations africaines. […] Les<br />

limiers helvètes ont notamment découvert qu’en<br />

1997 <strong>de</strong>s dirigeants du groupe avaient financé<br />

l’une <strong>de</strong>s milices engagées dans <strong>la</strong> longue guerre<br />

civile du Congo-Brazzaville.<br />

160» III<br />

Au Gabon et au Congo, « Elf est <strong>de</strong>puis les<br />

années 1960, années <strong>de</strong>s indépendances, plus<br />

I. La Ihag Han<strong>de</strong>lsbank est un « vieil établissement familial fondé<br />

par <strong>la</strong> famille <strong>de</strong> Dieter Bürhle, qui fut le plus important marchand<br />

d’armes <strong>de</strong> Suisse » 158.<br />

II. Banque <strong>de</strong> dépôt et <strong>de</strong> gestion, où se géraient <strong>de</strong>s dépôts très<br />

liqui<strong>de</strong>s : « “Allô ! J’ai besoin <strong>de</strong>s services d’Oscar”. C’est ainsi, à<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce patronyme sympathique, que les dirigeants d’Elf<br />

réc<strong>la</strong>maient un peu <strong>de</strong> fraîche à une discrète société suisse,<br />

Comitex SA, chargée d’acheminer les valises <strong>de</strong> billets en France.<br />

La Banque <strong>de</strong> dépôts et <strong>de</strong> gestion (BDG) <strong>de</strong> Lausanne […] servait<br />

comp<strong>la</strong>isamment d’intermédiaire. Au total, près <strong>de</strong> 220 millions<br />

<strong>de</strong> liqui<strong>de</strong> auront transité <strong>de</strong> 1989 à 1993 vers Paris. […] De<br />

quoi se faire <strong>de</strong>s amis à gauche et à droite. 159» À <strong>la</strong> BDG, Elf<br />

entretenait, entre autres, les succulents comptes “Langouste” et<br />

”Lille”. (Lire p. 187, note I.)<br />

III. C’est ce<strong>la</strong> <strong>la</strong> Françafrique : les mêmes comptes qui financent <strong>la</strong><br />

guerre au Congo-B achètent les “consciences” <strong>de</strong>s “déci<strong>de</strong>urs”<br />

politiques français. Nico<strong>la</strong>s Beau souligne que <strong>la</strong> juge Joly s’est<br />

bien gardée <strong>de</strong> suivre les pistes africaines, finalement explorées<br />

par ses confrères genevois.


François-Xavier Verschave 77<br />

qu’une simple compagnie pétrolière : tout à <strong>la</strong> fois<br />

<strong>la</strong> banque et le parrain <strong>de</strong>s pouvoirs locaux 161».<br />

C’est toujours vrai. Ce<strong>la</strong> risque <strong>de</strong> l’être davantage<br />

avec le doublement <strong>de</strong> puissance issu <strong>de</strong> <strong>la</strong> fusion<br />

TotalFinaElf. En 1994, rappelons-le, le groupe<br />

pétrolier a même entrepris <strong>de</strong> gérer directement <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte congo<strong>la</strong>ise. L’expert Jacques Sabatier, très<br />

cher payé par Elf, suit <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée pétrolière ;<br />

selon un témoignage, il a sur son ordinateur l’image<br />

<strong>de</strong> tous les flux financiers du pays. Mais en ce<br />

cas, comment <strong>la</strong> major pétrolière ne serait-elle pas<br />

le premier comptable et responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> faillite<br />

financière <strong>de</strong>s pouvoirs qu’elle parraine ?<br />

Tra<strong>de</strong>rs & intermédiaires<br />

Une “<strong>de</strong>tte odieuse” I s’accroît sans cesse, elle se<br />

reconstitue sitôt que les créanciers ont accordé <strong>de</strong><br />

“généreuses” remises, restreignant donc indéfiniment<br />

l’argent disponible pour servir aux Congo<strong>la</strong>is<br />

un minimum <strong>de</strong> bien public. Au fil <strong>de</strong> l’inventaire<br />

<strong>de</strong> ces déboires financiers, nous avons croisé à<br />

maintes reprises <strong>de</strong> petits et gros malins, <strong>de</strong>s<br />

“génies” autoproc<strong>la</strong>més <strong>de</strong> <strong>la</strong> finance, en fait <strong>de</strong>s<br />

ven<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> tricherie. Bien <strong>de</strong>s dirigeants africains<br />

se <strong>la</strong>issent tenter par l’argent facile. Encore faut-il<br />

<strong>de</strong>s tentateurs, <strong>de</strong>s conseillers en di<strong>la</strong>pidation. Les<br />

tra<strong>de</strong>rs, courtiers et autres intermédiaires se font<br />

insistants. Leurs métho<strong>de</strong>s, assurent-ils, ne sont pas<br />

forcément illégales, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice<br />

dominante – occi<strong>de</strong>ntale. L’Occi<strong>de</strong>nt a en effet<br />

multiplié à travers le mon<strong>de</strong> les paradis fiscaux,<br />

I. Cette expression renvoie à <strong>de</strong> nombreux travaux sur l’iniquité<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte 162.


78 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

“États” <strong>de</strong> non-droit, d’où l’on peut impunément<br />

organiser toutes sortes d’arnaques. Mais ce qui est<br />

“légal” <strong>de</strong>puis Jersey, Monaco ou les îles Caïman<br />

est forcément criminel pour le pays victime <strong>de</strong> ces<br />

propositions : sa légis<strong>la</strong>tion sanctionne en principe<br />

le détournement <strong>de</strong>s fonds publics, et c’est toujours<br />

<strong>de</strong> ce<strong>la</strong> qu’il s’agit.<br />

Ce<strong>la</strong> peut passer par le détournement d’une partie<br />

du pétrole national, vendu au profit <strong>de</strong>s dirigeants,<br />

ou d’une partie <strong>de</strong>s re<strong>de</strong>vances. Il peut<br />

s’agir aussi <strong>de</strong>s innombrables opportunités <strong>de</strong> commissions,<br />

en casca<strong>de</strong>. Mais le plus scandaleux est<br />

l’enrichissement sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte : <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s opérations<br />

sur ce cancer du tiers-mon<strong>de</strong> sont en effet<br />

elles aussi l’occasion <strong>de</strong> formidables spécu<strong>la</strong>tions,<br />

accompagnées d’une noria <strong>de</strong> bakchichs. Nous<br />

l’avons vu sous Lissouba, où Elf elle-même, via <strong>la</strong><br />

Fiba, s’est fortement impliquée dans le marché gris<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte décotée du Congo.<br />

Dessinons quelques profils <strong>de</strong>s intermédiaires<br />

qui ont fait le malheur <strong>de</strong> ce pays, en commençant<br />

par un duo qui ne nous éloignera guère d’Elf.<br />

andré tarallo & jack sigolet<br />

André Tarallo a été pendant plusieurs décennies<br />

rien moins que le “Monsieur Afrique” d’Elf, le<br />

« Foccart du pétrole », en lien étroit avec Charles<br />

Pasqua : « Des “bonus” […] que l’on dit “parallèles”<br />

peuvent être versés […] pour avoir une<br />

chance plus affirmée d’obtenir un permis. Ces versements<br />

s’inscrivent dans une continuité, dans le<br />

cadre <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions sur le long terme entre <strong>la</strong> compagnie<br />

et le pays considéré et dans un climat <strong>de</strong>


François-Xavier Verschave 79<br />

confiance avec les dirigeants <strong>de</strong> cet État. Une <strong>de</strong><br />

mes missions, au sein du groupe Elf, consistait à<br />

entretenir ces re<strong>la</strong>tions et à être le garant <strong>de</strong> l’exécution<br />

<strong>de</strong>s engagements pris. 163»<br />

Sous <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Mitterrand, indique Loïk<br />

Le Floch-Prigent, « le système Elf-Afrique [est<br />

resté] managé par André Tarallo (PDG d’Elf-<br />

Gabon), en liaison avec les milieux gaullistes. […]<br />

Les <strong>de</strong>ux têtes <strong>de</strong> pont étaient Jacques Chirac et<br />

Charles Pasqua. […] Tarallo est […] en liaison<br />

quotidienne à l’Élysée avec Guy Penne […] qui est<br />

le Foccart <strong>de</strong> Mitterrand, tout en maintenant <strong>de</strong>s<br />

liens permanents avec Foccart, Wibaux, etc.<br />

L’argent du pétrole est là, il y en a pour tout le<br />

mon<strong>de</strong>. 164»<br />

Y compris pour le manager : il a construit en<br />

Corse, avec les caisses noires d’Elf, une “case” françafricaine<br />

<strong>de</strong> 90 millions francs. Sur ses seuls<br />

comptes suisses, le juge <strong>de</strong> Genève Paul Perraudin<br />

a observé le passage <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 600 millions<br />

francs 165. « Tarallo me disait que j’étais naïf, que<br />

l’important était <strong>de</strong> circonvenir les gens », se souvient<br />

Loïk Le Floch-Prigent 166.<br />

L’énarque André Tarallo faisait l’interface entre<br />

Elf, au sens <strong>la</strong>rge, <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Loge Nationale<br />

Française (GLNF) – omniprésente en Françafrique<br />

I–, le néogaullisme chiraquien 168, le c<strong>la</strong>n<br />

I. La GLNF est <strong>la</strong> plus à droite <strong>de</strong>s obédiences franc-maçonnes.<br />

Elle s’appe<strong>la</strong>it au départ « Gran<strong>de</strong> Loge Nationale Indépendante<br />

et Régulière pour <strong>la</strong> France et les Colonies ». « La maçonnerie est<br />

<strong>de</strong>venue un instrument <strong>de</strong> puissance pour <strong>de</strong>s dirigeants africains<br />

qui ont parfois hérité <strong>de</strong> pays sans frontières ni institutions légitimes.<br />

Mieux encore que <strong>la</strong> tribu, elle permet <strong>de</strong> quadriller un territoire.<br />

À défaut <strong>de</strong> légitimité, <strong>la</strong> maçonnerie apporte un semb<strong>la</strong>nt<br />

<strong>de</strong> cohérence aux hiérarchies parallèles. Surtout, elle maintient le<br />

lien avec l’ancienne puissance coloniale. Et c’est pourquoi il doit


80 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Pasqua et sa composante corse. C’est lui qui a béni<br />

l’attribution d’Elf-Corse aux chefs <strong>de</strong> file pasquaïens<br />

Noël Panta<strong>la</strong>cci et Toussaint Luciani, qui<br />

l’ont refilée aux frères Robert et Charles<br />

Feliciaggi 169. Le mon<strong>de</strong> est petit : les Feliciaggi<br />

sont <strong>de</strong>s intimes <strong>de</strong> Sassou Nguesso, “frère” <strong>de</strong><br />

Tarallo à <strong>la</strong> GLNF. Robert est le plus connu,<br />

<strong>de</strong>puis que l’on sait que Charles Pasqua se fit le promoteur<br />

<strong>de</strong> son empire françafricain <strong>de</strong>s jeux, lequel<br />

finança les campagnes politiques pasquaïennes.<br />

Charles Feliciaggi est très introduit auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce<br />

ango<strong>la</strong>ise. Rien d’étonnant dès lors qu’en<br />

Ango<strong>la</strong>, où Elf finançait les <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

civile, André Tarallo ait préféré orchestrer les<br />

bonnes re<strong>la</strong>tions franco-pétrolières avec le régime<br />

<strong>de</strong> son « ami prési<strong>de</strong>nt Eduardo Dos Santos 170»,<br />

tandis qu’Alfred Sirven se chargeait <strong>de</strong> l’Unita.<br />

Lors du mouvement <strong>de</strong> démocratisation au<br />

Congo, au début <strong>de</strong> <strong>la</strong> décennie 90, Tarallo, on l’a<br />

vu, suivait <strong>de</strong> près l’armement du prési<strong>de</strong>nt Sassou<br />

marginalisé et incitait le chef d’état-major à faire<br />

un putsch pour restaurer <strong>la</strong> dictature. Plus tard, il<br />

séduira le prési<strong>de</strong>nt élu Lissouba tout en réservant<br />

l’essentiel <strong>de</strong> ses faveurs à ceux qui fourbissaient sa<br />

perte. Ainsi, alors que son bras droit Jack Sigolet<br />

était <strong>de</strong>venu conseiller <strong>de</strong> Lissouba et lui avait procuré<br />

<strong>de</strong>s armes pendant <strong>la</strong> guerre civile <strong>de</strong> 1997,<br />

« le couple Tarallo/Sigolet » fut rapi<strong>de</strong>ment réintégré<br />

par Sassou II dans le business pétrolier : officiellement<br />

retraités d’Elf, ils se sont mués en magiciens<br />

du trading.<br />

Jack Sigolet est « entré à <strong>la</strong> trésorerie d’Elf en<br />

1962, il est l’un <strong>de</strong>s inventeurs du “préfinancement<br />

pétrolier”, ce montage financier qui permet


François-Xavier Verschave 81<br />

aux États – notamment africains – <strong>de</strong> gager le<br />

pétrole enfoui, en contrepartie d’avances confortables<br />

<strong>de</strong> trésorerie 171». « Tout le mon<strong>de</strong> avait à y<br />

gagner, sauf peut-être les principaux intéressés: les<br />

popu<strong>la</strong>tions d’Afrique. 172»<br />

Sous les ordres <strong>de</strong> Tarallo, Sigolet a géré jusqu’en<br />

mai 1996 <strong>la</strong> fameuse banque Fiba – ce « terminal<br />

<strong>de</strong>s valises, <strong>de</strong>s sacs et <strong>de</strong>s cantines » <strong>de</strong> billets, selon<br />

un proche col<strong>la</strong>borateur d’Omar Bongo 173. Il avait<br />

établi aux îles Vierges, sous protectorat britannique,<br />

« une belle collection <strong>de</strong> tirelires » françafricaines,<br />

dont Le Canard enchaîné reproduit <strong>la</strong> liste. Par<br />

exemple : « Tauron Business Corp, Congo, 125<br />

millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs ; Miniotta Enterprises, Gabon,<br />

220 millions <strong>de</strong> francs ; Nivorano Co, Cameroun,<br />

100 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs… 174»<br />

Ces pays pétroliers très en<strong>de</strong>ttés seraient donc<br />

titu<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> cagnottes au soleil ?<br />

Sigolet, très au fait du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s trafiquants<br />

d’armes, n’est pas pressé <strong>de</strong> les payer lorsque leurs<br />

clients pétroliers ont perdu <strong>la</strong> bataille. On a lu plus<br />

haut ses <strong>la</strong>borieuses explications à propos <strong>de</strong>s armes<br />

livrées à Lissouba. 42 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs sur 69 restaient<br />

dus aux fournisseurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> filière serbocroate<br />

175. Sigolet admet avoir subi alors ce qu’il<br />

appelle « un conditionnement psychologique : on a<br />

fait brûler ma voiture. […] L’explosion s’est passée<br />

<strong>de</strong>vant chez moi, à Vaucresson. […] Puis une<br />

<strong>de</strong>uxième voiture a sauté : celle <strong>de</strong> mon épouse.<br />

Ce<strong>la</strong> s’est passé dans le Midi, le 2 septembre 1999,<br />

à côté <strong>de</strong> Sainte-Maxime 176». Les mœurs du<br />

“milieu” gagneraient-elles <strong>la</strong> pétrofinance ? À moins<br />

que celle-ci ne cousine avec lui <strong>de</strong>puis longtemps…


82 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Le courtier belge, Jacques Monsieur, avait pour<br />

sa part adressé une lettre non datée à « A. T. »<br />

(André Tarallo) et « J. S. » (Jack Sigolet) 177:<br />

« Messieurs,<br />

[…] Fin octobre 1997, le montant <strong>de</strong>s factures<br />

impayées envers mon associé (A.I.) [Andrezj<br />

Izbedski, dirigeant <strong>de</strong> <strong>la</strong> société slovaque Joy<br />

Slovakia] et moi-même pour diverses livraisons et<br />

fournitures <strong>de</strong> services s’élevait à 14,8 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs US. […] Il manque actuellement le […]<br />

<strong>de</strong>rnier règlement [qui] permettrait d’enterrer définitivement<br />

un dossier que tout le mon<strong>de</strong> souhaite<br />

enterrer au plus vite, d’autant plus qu’il semble<br />

maintenant intéresser quelques autorités françaises.<br />

Il se fait que, par un concours <strong>de</strong> circonstances,<br />

je dispose d’un nombre important <strong>de</strong> documents<br />

vous concernant, et notamment :<br />

– ordres d’achats d’armes et munitions pour<br />

compte <strong>de</strong> gouvernement Lissouba, certaines<br />

signées J. S., d’autres paraphées J. S., envoyées par<br />

fax du bureau d’ADFIN-GEN, <strong>de</strong> même que les<br />

instructions <strong>de</strong> paiement adressées à <strong>la</strong> Fiba ;<br />

– toutes les transactions ACHAT et REVENTE<br />

<strong>de</strong>s avions Elf (contrats et factures) [une opération<br />

réputée miraculeuse] y compris les marchés (commissions),<br />

le split <strong>de</strong>s marchés, leurs bénéficiaires<br />

et leurs paiements ;<br />

– toute l’exploitation <strong>de</strong>s avions Elf, contrats (y<br />

compris <strong>de</strong>s contrats d’entretien), factures, split<br />

<strong>de</strong>s marchés (plus <strong>de</strong> 10 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs/an),<br />

leurs bénéficiaires et les ordres <strong>de</strong> paiement<br />

signés par J. S. ;<br />

– détail <strong>de</strong> tous les vols gouvernementaux africains<br />

sur les avions d’Elf (à partir <strong>de</strong> 1991 jusqu’en


François-Xavier Verschave 83<br />

1997), facturés mais non comptabilisés chez Elf<br />

[une belle différence comptable] ;<br />

– détail <strong>de</strong> tous les vols privés d’A.T. (une centaine)<br />

+ date/heure <strong>de</strong> décol<strong>la</strong>ge, <strong>de</strong>stination, nom<br />

<strong>de</strong>s personnes à bord [! !] + factures et mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

paiement (effectués par J. S.) ;<br />

– affrètement d’un hélicoptère pour <strong>la</strong> campagne<br />

électorale au Gabon, financé par Elf pour 9<br />

millions <strong>de</strong> francs suisses et retour vers J. S. ;<br />

– affaire Aeroleasing. Elf achète 5 % du capital<br />

<strong>de</strong> Aeroleasing pour un montant <strong>de</strong> 10 millions <strong>de</strong><br />

francs suisses, malgré un audit totalement défavorable<br />

[…]. Trois mois plus tard, Aeroleasing est<br />

mise en faillite. Afin <strong>de</strong> cacher l’implication d’Elf<br />

dans cette faillite, un dossier est monté <strong>de</strong> toutes<br />

pièces. L’investissement d’Elf est transformé en un<br />

prêt bancaire via <strong>la</strong> société offshore “Cloé” (Cloé,<br />

comme le nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> fille <strong>de</strong> Stéphane Valentini).<br />

Dossier monté par J. S. et Roger Aiello […] ;<br />

– un compte bancaire <strong>de</strong> J. S. auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> […]<br />

CIBC. Les documents démontrent entre autres <strong>la</strong><br />

réception <strong>de</strong> :<br />

• les retours <strong>de</strong> financement par Elf <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne<br />

électorale <strong>de</strong> Bongo ;<br />

• certains retours sur <strong>la</strong> vente <strong>de</strong>s appareils<br />

Falcon appartenant à Elf ;<br />

• les retours <strong>de</strong>s commissions lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne<br />

militaire <strong>de</strong> Lissouba ;<br />

• un retour lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> participation <strong>de</strong> Elf<br />

dans Aeroleasing ;<br />

• tous les détails sur le circuit <strong>de</strong> livraison <strong>de</strong><br />

pétrole et le circuit financier Sonangol Ango<strong>la</strong><br />

[société pétrolière publique]-Crossoil (J.S.) au compte<br />

Sonangol CCF [Crédit commercial <strong>de</strong> France]<br />

(N° 280695) - Sonangol Londres - etc. […] ».


84 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Ce Monsieur qui <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux décennies, sous <strong>la</strong><br />

protection <strong>de</strong>s Services occi<strong>de</strong>ntaux, vend <strong>de</strong>s<br />

armes iraniennes, livre le Qatar, les Croates, le<br />

Congo-B (Lissouba, puis Sassou), n’hésite pas à<br />

pratiquer le chantage avec apparemment un stock<br />

d’informations “secret défense”, capables si nécessaire<br />

<strong>de</strong> booster l’affaire Elf. Installé fin 1999 en<br />

Côte d’Ivoire, où il a obtenu <strong>de</strong>ux passeports<br />

diplomatiques, il se disait mi-2001 prisonnier en<br />

Iran. Ou abrité ?<br />

Au vu <strong>de</strong> ce courrier, « J. S. » n’apparaît pas très<br />

“c<strong>la</strong>ir”. Ni « A. T. », son patron I. Sigolet, dans un<br />

long entretien au Soir 179, a bien du mal à contester<br />

<strong>la</strong> missive menaçante <strong>de</strong> Monsieur. D’autant<br />

que le journaliste A<strong>la</strong>in Lallemand apporte d’autres<br />

documents compromettants, montrant que les<br />

paiements <strong>de</strong> factures mixtes “armes + avions”<br />

envoyées par Jacques Monsieur ont transité curieusement<br />

par une société basée aux îles Vierges,<br />

dénommée… Telogis, l’anagramme-miroir <strong>de</strong><br />

Sigolet !<br />

Ce <strong>de</strong>rnier ne trouve rien <strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong><br />

mouiller d’autres personnages, à propos par<br />

exemple <strong>de</strong>s “acrobaties aériennes” d’Elf : « En tant<br />

que directeur financier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sofineg [une financière<br />

genevoise d’Elf], j’avais à payer un certain nombre<br />

<strong>de</strong> factures <strong>de</strong> vols d’un avion Falcon-50 basé à<br />

Genève [… et géré par] Aeroleasing. […]<br />

Aeroleasing s’est porté acheteur [<strong>de</strong> cet avion d’Elf].<br />

être caché. 167»<br />

I. Il dénonce dans Le Mon<strong>de</strong> (22.03.2001) <strong>la</strong> « confusion absolue<br />

» du dossier du Soir. Ce dossier passionnant est, il est vrai,<br />

affaibli en un passage par une confusion entre Sassou et<br />

Lissouba. Le genre d’erreur qu’A. T. ne fait pas… Mais Jack<br />

Sigolet ne conteste pas l’existence <strong>de</strong> <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Jacques<br />

Monsieur : « Gilleron me l’a montrée <strong>la</strong> veille même <strong>de</strong> notre


François-Xavier Verschave 85<br />

[…] Le montage était le suivant : un prêt était<br />

accordé par <strong>la</strong> société offshore “Cloé” à <strong>la</strong> Société <strong>de</strong><br />

Banque Suisse, qui reprêtait à Aeroleasing. Le montant<br />

était <strong>de</strong> 3 millions <strong>de</strong> francs suisses. Ceci a été<br />

autorisé […] par le prési<strong>de</strong>nt [d’Elf] Jaffré et [son<br />

adjointe] Mme Gomez I. Com-plè-te-ment. J’ai<br />

monté l’opération “Cloé”, c’est vrai. »<br />

Sigolet ne cache pas qu’il évolue dans « un<br />

mon<strong>de</strong> sans loi 180» où il peut à tout moment monter<br />

<strong>de</strong>s opérations hors <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s pays avec lesquels<br />

il travaille. Il apparaît comme un out<strong>la</strong>w financier<br />

jong<strong>la</strong>nt entre pétrole offshore et paradis fiscaux, au<br />

grand dam <strong>de</strong>s États dont il “gère” l’en<strong>de</strong>ttement.<br />

michel pacary<br />

Il s’agit d’un pionnier, initié lui aussi à <strong>la</strong> GLNF :<br />

« Ce spécialiste du refinancement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s<br />

collectivités locales a contribué au financement<br />

occulte du Rassemblement pour <strong>la</strong> République<br />

(RPR), du parti républicain (PR) et <strong>de</strong> personnalités<br />

socialistes, avant <strong>de</strong> déployer ses talents d’ingénierie<br />

et d’évasion financières au profit <strong>de</strong>s dirigeants<br />

congo<strong>la</strong>is. […]<br />

« Pacary avait aussi monté sa propre association<br />

“humanitaire”, Congo-Renaissance. De source<br />

judiciaire, cette “ONG” a été financée par<br />

Coopération 92, une Société d’économie mixte du<br />

département <strong>de</strong>s Hauts-<strong>de</strong>-Seine présidé par<br />

Charles Pasqua. À son tour, elle a aidé <strong>de</strong>s mouvements<br />

<strong>de</strong> sécession <strong>de</strong> l’enc<strong>la</strong>ve <strong>de</strong> Cabinda, le<br />

mini-<strong>Ko</strong>weït ango<strong>la</strong>is au sud <strong>de</strong> Pointe-Noire.<br />

<strong>de</strong>uxième rencontre au Noga, en juillet 2000. 178»<br />

I. Geneviève Gomez est <strong>la</strong> sœur d’A<strong>la</strong>in, qui concocta en 1993<br />

avec Édouard Bal<strong>la</strong>dur le remp<strong>la</strong>cement <strong>de</strong> Loïk Le Floch-Prigent,


86 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Michel Pacary était très proche du financier politique<br />

pasquaïen Didier Schuller, un “frère” <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

GLNF, intéressé lui aussi par Congo-Renaissance.<br />

“Au Congo, confesse son épouse Chantal 181, il<br />

[Pacary] a financé les campagnes électorales <strong>de</strong>s<br />

trois prétendants, il était sûr <strong>de</strong> gagner. Il n’était<br />

jamais mandaté officiellement, mais, là-bas, chacun<br />

savait qu’il représentait <strong>la</strong> France et que sa<br />

parole va<strong>la</strong>it une signature.” Peu avant <strong>la</strong> guerre<br />

civile <strong>de</strong> 1993, il aurait envoyé une cargaison<br />

d’armes à l’une <strong>de</strong>s factions, sous couvert <strong>de</strong>… ballons<br />

<strong>de</strong> football. Décédé en 1999, Pacary avait <strong>de</strong><br />

quoi faire chanter un grand pan <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse politique<br />

française. Y compris par tout un arsenal, très<br />

françafricain, <strong>de</strong> chantage aux partouzes – dans le<br />

château <strong>de</strong> Chabrol près <strong>de</strong> Tours. Malgré un dossier<br />

accab<strong>la</strong>nt, <strong>la</strong> juge Édith Boizette a fini par le<br />

libérer, suite à “<strong>de</strong>s pressions énormes”. 182»<br />

Ce spécu<strong>la</strong>teur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte, partageant une gran<strong>de</strong><br />

partie <strong>de</strong>s allégements qui auraient pu résulter<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> baisse <strong>de</strong>s taux d’intérêt, « représentait <strong>la</strong><br />

France » – jusque dans les trafics d’armes barbouzards.<br />

Il participait aussi, dans <strong>la</strong> mouvance pasquaïenne,<br />

à ce jeu c<strong>la</strong>ssique consistant à armer les<br />

<strong>de</strong>ux côtés d’une guerre : d’un côté on ai<strong>de</strong> les<br />

indépendantistes <strong>de</strong> Cabinda, dominée par le<br />

pétrolier américain Chevron, <strong>de</strong> l’autre on s’amourache<br />

et on fournit <strong>de</strong>s armes au régime ango<strong>la</strong>is,<br />

qui s’y comporte comme l’armée indonésienne à<br />

Timor-Est.<br />

hassan hojeij<br />

La société Commissimpex <strong>de</strong> Hassan Hojeij – le<br />

partenaire privilégié <strong>de</strong> Charles Pasqua et <strong>de</strong>


François-Xavier Verschave 87<br />

Coopération 92 au Gabon – a creusé <strong>la</strong> veine<br />

financière <strong>de</strong>s crédits gagés sur les futures re<strong>de</strong>vances<br />

pétrolières. Elle a conclu <strong>de</strong> mirobo<strong>la</strong>nts<br />

contrats <strong>de</strong> prêts en dol<strong>la</strong>rs entre 1984 et 1988, au<br />

temps <strong>de</strong> Sassou I. Celui-ci, alors conseillé financièrement<br />

par les frères Feliciaggi, a accordé à<br />

Hojeij une priorité <strong>de</strong> remboursement et <strong>la</strong> garantie<br />

<strong>de</strong> l’État congo<strong>la</strong>is, lequel « “a renoncé à ses<br />

immunités <strong>de</strong> juridiction et d’exécution” dans<br />

cette affaire. En c<strong>la</strong>ir, Hassan Hojeij peut faire saisir<br />

<strong>de</strong>s biens congo<strong>la</strong>is où il veut… 183». Il réc<strong>la</strong>me<br />

180 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs ! En 1998, l’ami Bongo se<br />

faisait fort <strong>de</strong> faire payer son beau-père, Sassou II.<br />

Mais ce<strong>la</strong> n’empêchait pas Hojeij <strong>de</strong> pousser très<br />

loin <strong>la</strong> procédure judiciaire, jusqu’au blocage <strong>de</strong>s<br />

comptes du Congo. Fin 2000, il se voit reconnaître<br />

par le Tribunal arbitral <strong>de</strong> Genève une<br />

créance congo<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> 350 millions <strong>de</strong> francs 184.<br />

Tout ça n’est quand même pas très net : Hojeij<br />

travail<strong>la</strong>it avec l’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bank of Credit and<br />

Commerce International (BCCI), <strong>la</strong> célèbre<br />

narco-banque démantelée au début <strong>de</strong>s années<br />

1990, après un énorme scandale financier. Dans<br />

leur livre Révé<strong>la</strong>tion$ 185, Denis Robert et Ernest<br />

Backes montrent à quel point le Luxembourg fut<br />

comp<strong>la</strong>isant envers <strong>la</strong> BCCI I. Après sa fermeture<br />

judiciaire, celle-ci a continué à fonctionner<br />

comme si <strong>de</strong> rien n’était : elle louait un étage<br />

entier <strong>de</strong> l’hôtel Intercontinental, propriété <strong>de</strong>…<br />

ami <strong>de</strong> Mitterrand et Chirac, par Philippe Jaffré.<br />

I. Sur <strong>la</strong> BCCI, les auteurs citent un ouvrage américain <strong>de</strong> référence<br />

: il s’agissait « <strong>de</strong>puis l’origine d’une gigantesque machine<br />

à frau<strong>de</strong>r : <strong>de</strong>rrière une faça<strong>de</strong> présentable, un groupe <strong>de</strong> financiers<br />

<strong>de</strong> l’ombre originaires du Pakistan et <strong>de</strong> cheiks du golfe


88 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Nadhmi Auchi, influentissime au Grand Duché,<br />

ami <strong>de</strong> Charles Pasqua.<br />

Durant l’été 1991, un proche <strong>de</strong> Sassou,<br />

Lekoundzou Ithi-Ossetoumba, ancien n° 2 du<br />

parti unique (PCT), est inculpé pour avoir « géré<br />

un prêt <strong>de</strong> 45 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs accordé par <strong>la</strong><br />

BCCI à l’homme d’affaires libanais M. Hodjeij,<br />

via <strong>la</strong> société Commissintex [sic]. Petit problème :<br />

les <strong>de</strong>ux tiers du prêt ont disparu… 184». Ithi-<br />

Ossetoumba a contacté pour sa défense Michel<br />

Auril<strong>la</strong>c, ancien ministre néogaulliste <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Coopération, et Jacques Vergès.<br />

samuel dossou<br />

D’origine béninoise, Samuel Dossou-Aworet était<br />

le “Monsieur pétrole” <strong>de</strong> Bongo et l’associé <strong>de</strong><br />

Tarallo jusqu’à ce que l’affaire Elf ne sème quelque<br />

zizanie dans le trio I. Sa femme, Honorine Dossou-<br />

Naki, est l’ambassadrice <strong>de</strong> Bongo à Paris, à<br />

Londres, et en Suisse. Il « a ouvert un cabinet à<br />

Genève non loin <strong>de</strong>s grands tra<strong>de</strong>rs (Marc Rich,<br />

Phibro, etc.) et <strong>de</strong> l’antenne financière d’Elf 188» .<br />

Il a exercé ses compétences <strong>de</strong> courtier en cargaisons<br />

pétrolières au service <strong>de</strong> Lissouba, via <strong>la</strong><br />

société Petrolin, et a bénéficié alors <strong>de</strong> “<strong>la</strong>rgesses<br />

budgétaires”, stigmatisées par <strong>la</strong> Banque mondiale.<br />

Selon La Lettre du Continent, il a ainsi concouru à<br />

payer les armes lissoubistes. Ce<strong>la</strong> ne l’a pas empêché<br />

<strong>de</strong> figurer ensuite parmi les happy few agréés<br />

par Sassou II au festin pétro-congo<strong>la</strong>is – à propos<br />

Persique avaient mis sur pied une entreprise criminelle d’une<br />

envergure sans précé<strong>de</strong>nt ».<br />

I. Dans le quotidien gouvernemental L’Union, l’éditorial du<br />

05.03.1998 signé “Makaya” – c’est-à-dire rédigé ou inspiré par<br />

Omar Bongo – reproche à Samuel Dossou d’avoir gaspillé les


François-Xavier Verschave 89<br />

notamment <strong>de</strong> <strong>la</strong> récupération du gisement Émerau<strong>de</strong><br />

189.<br />

loïk le floch-prigent<br />

Lui n’a pas varié : il a toujours favorisé <strong>la</strong> dictature<br />

sassouiste. Il a admis, dans le documentaire d’Arte<br />

sur Elf, avoir essayé d’empêcher le succès <strong>de</strong> Pascal<br />

Lissouba aux élections légis<strong>la</strong>tives en faisant retenir<br />

à <strong>la</strong> Banque <strong>de</strong> France l’avance d’Oxy qui permettait<br />

<strong>de</strong> payer les fonctionnaires I. C’est en gran<strong>de</strong><br />

partie au Congo qu’il s’est “refait une santé” après<br />

son incarcération. Il y joue au tennis avec Sassou.<br />

Mais pas seulement. Selon Philippe Ma<strong>de</strong>lin, en<br />

mars 1998, Sirven « s’envole vers les Philippines en<br />

suivant un itinéraire compliqué, via Brazzaville<br />

probablement. Il y aurait été accueilli discrètement,<br />

par l’entremise <strong>de</strong> Loïk Le Floch-Prigent,<br />

qui conseille désormais <strong>la</strong> République du Congo<br />

pour les affaires pétrolières 190». L’escale <strong>de</strong> Sirven<br />

à Brazzaville est controversée 191, mais pas le rôle<br />

<strong>de</strong> pétro-conseiller.<br />

Il officie parfois, on l’a dit, en tan<strong>de</strong>m avec le<br />

général Jeannou Lacaze. À 76 ans, celui-ci n’est pas<br />

que le conseiller militaire <strong>de</strong>s dictateurs africains,<br />

et une éminence militaire (ancien patron du service<br />

Action <strong>de</strong> <strong>la</strong> DGSE, où le précéda Paul<br />

Aussaresses ; ancien chef d’état-major). Surnommé<br />

le “Sorcier aztèque”, c’est aussi une éminence<br />

parallèle : « Au Congo, Denis Sassou Nguesso<br />

vient d’être intronisé Grand Maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong><br />

Loge <strong>de</strong> Brazzaville. Jusqu’à présent, il n’était que<br />

simple maçon, mais un prési<strong>de</strong>nt africain se doit<br />

revenus pétroliers gabonais dans « le renflouement insensé du<br />

Titanic Bi<strong>de</strong>rman 187».


90 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

d’être seul maître en sa maison. […] “Promotion<br />

normale, diagnostique un frère africain. Sassou<br />

n’est pas un franc-maçon comme les autres : c’est<br />

un dictateur.” Son intronisation s’est faite en présence<br />

d’une délégation française <strong>de</strong> <strong>la</strong> GLNF qui<br />

pour rien au mon<strong>de</strong> n’aurait manqué cet événement.<br />

[…] Elle dépêchera ses hauts spécialistes <strong>de</strong><br />

l’Afrique et du BTP [bâtiment et travaux publics] :<br />

Jean-François Humbert et Pierre Boireau, anciens<br />

dirigeants <strong>de</strong> chez Bouygues, […] Jeannou Lacaze<br />

[…]. Tous trois membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> très secrète loge La<br />

Lyre, non numérotée dans l’annuaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> GLNF,<br />

<strong>de</strong> peur que <strong>de</strong>s frères encore ingénus ne puissent<br />

en connaître <strong>la</strong> composition… 192»<br />

Rappelons que le nouveau Grand-Maître venait<br />

<strong>de</strong> commettre une série <strong>de</strong> crimes contre l’humanité.<br />

Le Grand Orient, obédience rivale <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

GLNF, déc<strong>la</strong>ra dans un communiqué : « Les frontières<br />

<strong>de</strong> l’inacceptable ont été franchies au Congo-<br />

Brazzaville. 193»<br />

Le Floch, ainsi chaperonné par Lacaze I, ai<strong>de</strong><br />

Sassou II à commercialiser <strong>la</strong> production qui lui est<br />

<strong>la</strong>issée en partage. Il reprend aussi <strong>de</strong> vieux gisements<br />

qui n’intéressent plus les majors, mais que<br />

l’augmentation <strong>de</strong>s cours rend encore attractifs<br />

195. De quoi permettre à Sassou d’é<strong>la</strong>rgir à son<br />

profit <strong>la</strong> capacité d’en<strong>de</strong>ttement du Congo.<br />

marc rich & glencore<br />

Avec Marc Rich, on change d’échelle. Ce<strong>la</strong> vaut <strong>la</strong><br />

peine <strong>de</strong> retracer brièvement l’itinéraire <strong>de</strong> ce per-<br />

I. La zone franc est ainsi faite qu’elle implique ce passage par<br />

Paris.<br />

I. « Parmi les multiples protagonistes mis en cause dans l’affaire


François-Xavier Verschave 91<br />

sonnage <strong>de</strong> toute première importance qui a su,<br />

avec une sorte <strong>de</strong> génie, “ouvrir” tant <strong>de</strong> pays à <strong>la</strong><br />

gran<strong>de</strong> prédation <strong>de</strong>s matières premières : « Marc<br />

Rich est né Marc Reich en Belgique, en décembre<br />

1934. Fuyant le nazisme, sa famille s’installe aux<br />

États-Unis en 1941. [… Après <strong>de</strong>s débuts] chez<br />

Philipps Brothers, une société <strong>de</strong> négoce en<br />

matières premières, […] il se lie avec celui qui va<br />

<strong>de</strong>venir son partenaire <strong>de</strong> toujours, Pinky Green<br />

[…]. Les <strong>de</strong>ux hommes <strong>de</strong>viennent vite <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs<br />

<strong>de</strong> premier p<strong>la</strong>n sur le marché pétrolier […] et<br />

montent leur propre entreprise, Marc Rich & Co.<br />

[…]<br />

« Au début <strong>de</strong>s années 1990, Rich <strong>de</strong>vient très<br />

actif en Russie, un terrain <strong>de</strong> jeu à sa mesure : […]<br />

il permet toutes les culbutes. Certains tra<strong>de</strong>rs<br />

racontent que, lors d’une opération légendaire,<br />

Rich a trouvé et acheté du pétrole à 1 % <strong>de</strong> son<br />

prix ! Marc Rich a vendu son affaire en 1994 (c’est<br />

aujourd’hui le puissant groupe Glencore) et, <strong>de</strong>ux<br />

ans plus tard, il a <strong>la</strong>ncé un nouveau groupe <strong>de</strong><br />

négoce, Marc Rich Investments. […] Aujourd’hui<br />

le financier négocie <strong>la</strong> vente <strong>de</strong> son groupe à<br />

Crown, une filiale du groupe russe Alfa. 196»<br />

« Marc Rich est l’un <strong>de</strong>s grands concepteurs <strong>de</strong>s<br />

schémas d’utilisation <strong>de</strong> cash offshore <strong>la</strong>rgement<br />

employés par les magnats russes <strong>de</strong>s matières premières<br />

entre 1985 et 1992. Il leur a appris à échapper<br />

à <strong>la</strong> tutelle <strong>de</strong> l’État pour écouler leur pétrole.<br />

Par <strong>la</strong> suite, ils ont volé [sic] <strong>de</strong> leurs propres<br />

ailes. 197»<br />

Ces schémas financiers parallèles, Marc Rich les a<br />

rodés en couvrant à lui seul <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong>s besoins<br />

pétroliers du régime sud-africain d’apartheid, p<strong>la</strong>cé


92 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

sous embargo 198. Avec les savoir-faire <strong>de</strong> Marc<br />

Rich & Co et <strong>de</strong> Paribas, partenaire bancaire privilégié,<br />

quelques déci<strong>de</strong>urs moscovites ont pu bra<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> millions <strong>de</strong> tonnes <strong>de</strong> pétrole russe,<br />

ce qui a creusé d’autant <strong>la</strong> faillite financière <strong>de</strong> leur<br />

pays. Ils ont aussi bradé l’arsenal <strong>de</strong> l’Armée rouge,<br />

les stocks stratégiques d’aluminium et d’engrais,<br />

quantité <strong>de</strong> diamants, les créances <strong>de</strong> <strong>la</strong> Russie, plus<br />

dix milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs du FMI. La somme <strong>de</strong>s profits<br />

amassés, p<strong>la</strong>cés en Suisse puis en d’autres paradis<br />

fiscaux, avoisine les 500 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs.<br />

Proche <strong>de</strong>s ex-Premiers ministres Gaydar et<br />

Tchernomyrdine, Alfa est l’un <strong>de</strong>s grands « groupes<br />

financiaro-industriels » issus <strong>de</strong> ce geyser. Plusieurs<br />

d’entre eux lorgnent le pétrole africain, à commencer<br />

par l’ango<strong>la</strong>is. Dans le golfe <strong>de</strong> Guinée, les<br />

métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Rich et <strong>de</strong> ses élèves se sont imposées.<br />

« Sur le marché congo<strong>la</strong>is du spot I, […] Glencore<br />

semble le maître incontesté <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs. 199»<br />

« Le trading du pétrole dans les pays du Golfe <strong>de</strong><br />

Guinée s’opère, dans le plus grand secret, entre une<br />

poignée <strong>de</strong> grands “joueurs”. Ces tra<strong>de</strong>rs et leurs<br />

banquiers montent <strong>de</strong> vraies raffineries financières<br />

pour dégager du cash en dol<strong>la</strong>rs. […] Le plus puissant<br />

tra<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>la</strong> région est Glencore, créé à l’origine<br />

par Marc Rich, toujours lui-même actif sur le brut<br />

africain : il a notamment fourni <strong>de</strong>s cargaisons <strong>de</strong><br />

produits pétroliers au Congo-K, en Côte d’Ivoire<br />

et au Cameroun. En Ango<strong>la</strong>, Glencore a travaillé<br />

avec Paribas […], pour, notamment, préfinancer<br />

les achats d’armements <strong>de</strong> ZTS-Osos (Falcone/<br />

Gaydamak). Indirectement. Au Congo-B,<br />

Elf, directement ou indirectement, on aurait bien du mal à trouver<br />

un profane. L’ex-PDG Loïk Le Floch, peut-être… 194»


François-Xavier Verschave 93<br />

Glencore a pour partenaire financier <strong>la</strong> Société<br />

générale. Sa plus belle opération a été le rachat,<br />

pour 200 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs, <strong>de</strong> <strong>la</strong> créance pétrolière<br />

d’Agip sur l’État congo<strong>la</strong>is. En contrepartie, le<br />

tra<strong>de</strong>r va enlever, selon nos informations, 18 cargaisons<br />

<strong>de</strong> brut congo<strong>la</strong>is jusqu’en juin 2003.<br />

L’autre tra<strong>de</strong>r <strong>de</strong> référence dans ce pays est<br />

Trafigura, créé par <strong>de</strong>s anciens <strong>de</strong> Glencore comme<br />

C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Dauphin et A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Turckeim. 200»<br />

Avec cette citation <strong>de</strong> La Lettre du Continent, on<br />

assiste presque en direct – dans le sil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> Rich,<br />

l’homme aux marges fabuleuses qui “saigna” le<br />

pétrole russe – à <strong>la</strong> prédation <strong>de</strong> l’or noir africain.<br />

Qui peut croire que les opérations pétrolières au<br />

Congo-B et au Cameroun peuvent se faire sans<br />

l’agrément grassement rémunéré <strong>de</strong> Denis Sassou-<br />

Nguesso et Paul Biya ? Qui peut imaginer que ces<br />

créatures <strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique ne rétribuent pas leurs<br />

créateurs – dont un Sassou, par exemple, <strong>de</strong>meure<br />

si dépendant ? Dans ce contexte, comment penser<br />

que les Glencore, Paribas, Société générale et<br />

autres Trafigura ne bénéficient pas d’un accès protégé<br />

à <strong>la</strong> commercialisation du pétrole local, d’une<br />

“rente <strong>de</strong> situation” ?<br />

Ce<strong>la</strong> n’exclut pas que, en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> tension, les<br />

alléchantes propositions <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs puissent être<br />

avancées comme une alternative au monopole<br />

d’Elf. Ainsi début 1998, lorsque Sassou II discutait<br />

âprement avec Philippe Jaffré le nouveau bail <strong>de</strong> sa<br />

compagnie : « Le <strong>de</strong>al est le suivant : soit Elf met<br />

immédiatement sur <strong>la</strong> table 180 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

correspondant non seulement à <strong>de</strong>s cargaisons <strong>de</strong><br />

brut mais également à <strong>la</strong> concession <strong>de</strong> Moho, soit<br />

Sassou <strong>la</strong>isse son nouveau conseiller, Élie Khalil,


94 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

négocier les cargaisons avec Glencore (Marc<br />

Rich) I, qui est prêt à déposer chez le “patron”…<br />

300 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. 201»<br />

Cinq semaines plus tard, comme ça coince avec<br />

Elf, Khalil « se dit toujours prêt, avec Glencore<br />

[…], à enlever une partie <strong>de</strong>s cargaisons <strong>de</strong> brut<br />

congo<strong>la</strong>is en avançant 300 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à<br />

Sassou 202».<br />

Aux États-Unis, Marc Rich faisait jusqu’à récemment<br />

figure <strong>de</strong> délinquant. Mais il s’en est spectacu<strong>la</strong>irement<br />

sorti : « Le jour <strong>de</strong> son départ, Bill<br />

Clinton a gracié 140 personnes, [… dont] Marc<br />

Rich, 66 ans, ex-roi <strong>de</strong>s matières premières, […]<br />

qui a carotté 48 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs au fisc, violé <strong>la</strong><br />

réglementation américaine sur les prix du pétrole,<br />

commercé avec l’Iran […]. Profitant <strong>de</strong> l’hospitalité<br />

helvétique […], il nargue <strong>de</strong>puis 1983 <strong>la</strong> police<br />

américaine. Et continue <strong>de</strong> s’enrichir : sa fortune est<br />

estimée autour d’un milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. […]<br />

« Pour convaincre qu’il méritait cette grâce, Rich<br />

a [entre autres ca<strong>de</strong>aux et recommandations …]<br />

fait intervenir […] l’ancien chef du Mossad,<br />

Shabtai Shavit, […] pour expliquer combien Rich<br />

avait aidé – financièrement s’entend – les services<br />

<strong>de</strong> renseignement israéliens. […] Rich a <strong>la</strong> nationalité<br />

américaine, israélienne, mais aussi espagnole.<br />

[… Il] ne se montre jamais, sauf pour un ou<br />

<strong>de</strong>ux passages éc<strong>la</strong>irs chez les maîtres du mon<strong>de</strong>, à<br />

Davos. 203»<br />

La grâce a fait scandale, le couple Clinton ayant<br />

apparemment obtenu quelques contreparties.<br />

Mais le plus intéressant est l’intervention du<br />

I. Le marché instantané <strong>de</strong>s quantités <strong>de</strong> pétrole non traitées<br />

après <strong>la</strong> satisfaction <strong>de</strong>s contrats prédéfinis.<br />

I. Marc Rich a alors vendu Glencore <strong>de</strong>puis quatre ans, mais il ne


François-Xavier Verschave 95<br />

Mossad (nous le retrouverons à propos <strong>de</strong><br />

l’Ango<strong>la</strong>) et « l’hospitalité helvétique ». Par sa filiale<br />

Warburg, l’Union <strong>de</strong>s Banques suisses « a <strong>de</strong>s intérêts<br />

dans Glencore 204»…<br />

quelques autres…<br />

Nous ne reviendrons pas sur quelques fauteurs <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>tte épinglés précé<strong>de</strong>mment, les Gilbert<br />

Chakoury, Élie Khalil, Pierre Aïm… Ou encore<br />

Antoine Tabet I et Pierre Otto Mbongo. Ces <strong>de</strong>ux<br />

« affairistes <strong>de</strong> Sassou » ont aussi, selon Olivier<br />

Vallée, ponctionné <strong>la</strong> Banque internationale du<br />

Congo (BIDC) 206. Le second l’a “p<strong>la</strong>ntée” <strong>de</strong> 100<br />

millions <strong>de</strong> francs 207 – sa contribution à <strong>la</strong> ruine<br />

du secteur bancaire.<br />

On ne sait pas, par ailleurs, quels sont ces<br />

« hommes d’affaires libanais » qui, en 1992, étaient<br />

en train <strong>de</strong> racheter les 350 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>tte russe, « avec une sérieuse décote 208».<br />

Compte tenu <strong>de</strong> ce que l’on sait d’une opération<br />

du même genre réalisée par Arcadi Gaydamak sur<br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>tte angolo-russe II, on craint le pire pour les<br />

finances congo<strong>la</strong>ises.<br />

Signalons seulement, pour clore ce sous-chapitre,<br />

trois cas emblématiques : Jacques Attali, Michel<br />

Dubois, et les mésaventures <strong>de</strong> Francis Le Penven.<br />

Jacques Attali se verrait bien, lui aussi, en esthète<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> finance. Mais il s’est retrouvé orphelin à <strong>la</strong><br />

fois <strong>de</strong> son maître François Mitterrand et du<br />

marbre <strong>de</strong> <strong>la</strong> BERD (Banque européenne <strong>de</strong><br />

reconstruction et <strong>de</strong> développement). Trop immo-<br />

semble pas que cette cession ait eu <strong>de</strong>s effets susceptibles <strong>de</strong><br />

marquer les esprits…<br />

I. Antoine Tabet est en re<strong>la</strong>tion avec Rafic Hariri, le Premier


96 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

<strong>de</strong>ste dans ses besoins et dispersé dans ses ambitions,<br />

il s’est retrouvé épinglé dans l’“Ango<strong>la</strong>gate” I,<br />

pour <strong>de</strong>s “étu<strong>de</strong>s” macro-payées sur le micro-crédit,<br />

via le mirifique Pierre Falcone.<br />

Mais il n’a pas servi que celui-ci. Au Congo, il<br />

s’est posé en intermédiaire d’un autre milliardaire<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> GLNF, Sassou II, boudé par les bailleurs <strong>de</strong><br />

fonds européens : « L’ex-conseiller spécial <strong>de</strong><br />

François Mitterrand est <strong>de</strong>venu celui <strong>de</strong> Sassou II.<br />

Il a un mandat <strong>de</strong> “conseiller général” (politique,<br />

économie, culture) et est <strong>de</strong>venu un aficionado du<br />

général-prési<strong>de</strong>nt. […] Il était encore à Brazza [fin<br />

août 1998] accompagné <strong>de</strong> <strong>la</strong> belle Ingrid Van<br />

Galen, qui va s’occuper <strong>de</strong>s dossiers “architecturaux”<br />

du cabinet Attali & Associés. […] Jacques<br />

Attali <strong>de</strong>vait être reçu le 8 septembre […] par<br />

Charles Josselin [… et] doit ensuite se rendre<br />

auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> Commission européenne : il a promis<br />

à Sassou <strong>de</strong> faire débloquer <strong>de</strong>s fonds en faveur du<br />

Congo… 209»<br />

C’est Ingrid Van Galen, conseillère hyperactive<br />

en re<strong>la</strong>tions publiques et culturelles, qui avait<br />

introduit Attali à Brazzaville et lui avait obtenu ce<br />

gros contrat <strong>de</strong> lobbying financier françafricain.<br />

Elle-même affirme avoir touché en sept mois 1,4<br />

million <strong>de</strong> francs d’honoraires. Elle aurait travaillé<br />

pour Jacques Attali lorsqu’il présidait <strong>la</strong> BERD,<br />

mais aussi pour Ro<strong>la</strong>nd Dumas. Du c<strong>la</strong>ssique,<br />

mais pas très glorieux pour un ancien stratège élyséen.<br />

Surtout, le néo-prosélyte <strong>de</strong> Sassou mettait sa<br />

réputation et son carnet d’adresses au service d’un<br />

tyran dont il aurait pu connaître les crimes. Un <strong>de</strong><br />

ministre libanais très lié à Jacques Chirac 205.


François-Xavier Verschave 97<br />

ses amis assure qu’il a rompu ce contrat en 1999,<br />

lorsqu’il a découvert <strong>la</strong> nature du régime. Celui qui<br />

se vou<strong>la</strong>it l’un <strong>de</strong>s hommes les mieux informés <strong>de</strong><br />

France aurait eu un trou noir sur <strong>la</strong> Françafrique ?<br />

Ou a-t-il arrêté, comme le prétend un proche <strong>de</strong><br />

Sassou, parce qu’on « ne pouvait plus le payer » 210<br />

(faute <strong>de</strong> résultat, probablement, le régime étant<br />

alors indéfendable à Bruxelles) ?<br />

Ami <strong>de</strong> Gnassingbé Eya<strong>de</strong>ma et Omar Bongo,<br />

partisan <strong>de</strong>s dictateurs tchadien, comorien et<br />

congo<strong>la</strong>is, Michel Rocard se découvre lui aussi un<br />

penchant pour <strong>la</strong> Françafrique. Sans doute sous<br />

l’influence <strong>de</strong> son “Monsieur Afrique”, Michel<br />

Dubois 211. Celui-ci « a toujours travaillé <strong>la</strong> mano<br />

en <strong>la</strong> mano avec <strong>de</strong>s proches <strong>de</strong> Jacques<br />

Foccart 212». Il a « <strong>de</strong>s entrées multicartes dans<br />

tous les pa<strong>la</strong>is du bord <strong>de</strong> mer du golfe <strong>de</strong><br />

Guinée 213». Il a été prêté à Lionel Jospin pour le<br />

scrutin prési<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> 1995 : « Michel Rocard a<br />

en effet mis tous ses moyens financiers au service<br />

<strong>de</strong> Lionel Jospin. 214»<br />

Michel Dubois s’est ainsi trouvé idéalement<br />

p<strong>la</strong>cé pour s’entremettre dans plusieurs affaires<br />

financières à Brazzaville. Le financier Charles<br />

Robert Pouchet a prêté en 1989 plus <strong>de</strong> 75 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à Sassou I et peine à se faire rembourser<br />

le sol<strong>de</strong>, 27 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs, par Sassou II ?<br />

Dubois est son intermédiaire. Les négociations<br />

financières se compliquent-elles entre Elf et<br />

Sassou II ? Dubois est le médiateur tout trouvé 215.<br />

Durant l’été 1998, <strong>la</strong> justice française a fait saisir<br />

les comptes <strong>de</strong> trois filiales d’Elf, dans une affaire à


98 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

rebondissements : « En septembre 1993, par l’entremise<br />

d’une société luxembourgeoise LMC, l’État<br />

brazzavillois obtient <strong>de</strong> plusieurs banques internationales<br />

un “prêt” <strong>de</strong> 150 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs, en<br />

principe <strong>de</strong>stiné à construire <strong>de</strong>s lycées, mo<strong>de</strong>rniser<br />

<strong>la</strong> justice et re<strong>la</strong>ncer l’économie. Le prêt est garanti,<br />

entre autres, par Elf-Congo [sur <strong>de</strong>s royalties<br />

futures]. Ni les lycéens ni les juges congo<strong>la</strong>is ne<br />

voient <strong>la</strong> trace <strong>de</strong> cet argent. À Brazzaville, l’État ne<br />

l’a pas vu passer, mais ne porte pas p<strong>la</strong>inte ! Les<br />

banques non plus, sans doute discrètement remboursées.<br />

Seul s’agite l’intermédiaire, le gérant <strong>de</strong><br />

LMC, Francis Le Penven, floué <strong>de</strong> sa commission.<br />

Victime d’intimidations, convoqué par <strong>la</strong> DST, il<br />

finit pourtant par obtenir un jugement qui<br />

contraint <strong>la</strong> caution – le groupe Elf – à le dédommager.<br />

C’est ainsi qu’on apprend, par <strong>de</strong>s familiers<br />

du dossier, que l’argent du prêt a “abouti chez <strong>de</strong>s<br />

proches <strong>de</strong> Pascal Lissouba, mais aurait également<br />

servi à financer <strong>de</strong>s campagnes électorales françaises”.<br />

Avec près d’un milliard <strong>de</strong> francs, on peut<br />

en effet diversifier les “investissements”. Elf, garant<br />

<strong>de</strong> l’opération, n’en aurait rien su ? 216»<br />

Francis Le Penven nous a décrit les agressions ou<br />

attentats, effectifs ou avortés, qu’il a subis <strong>de</strong>puis<br />

qu’il a rompu l’omertà sur les courts-circuits françafricains…<br />

Les banques<br />

Mi-2001, le journaliste Christian Chavagneux se<br />

rend à l’évi<strong>de</strong>nce : « On s’en doutait sans oser y<br />

croire. Grâce à un ensemble d’enquêtes menées en<br />

Suisse, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les


François-Xavier Verschave 99<br />

preuves sont désormais là : les plus grands noms <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> banque internationale jouent un rôle majeur<br />

dans <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion mondiale <strong>de</strong> l’argent sale. 217»<br />

Olivier Vallée 218, qui intervint notamment<br />

comme consultant au Congo, a observé que <strong>la</strong><br />

BNP, <strong>la</strong> Société générale et le Crédit Lyonnais<br />

bénéficiaient « dans leurs filiales <strong>de</strong> Monte-Carlo<br />

<strong>de</strong>s dépôts <strong>de</strong>s riches Africains ». Le fruit <strong>de</strong> spoliations,<br />

pour l’essentiel – d’où le besoin d’un paradis<br />

fiscal.<br />

Nous nous limiterons dans ce qui suit au rôle <strong>de</strong><br />

prêteur joué par trois grands groupes bancaires<br />

français, en commençant par ceux déjà pointés<br />

pour avoir frayé avec Sassou II durant l’année cruciale<br />

<strong>de</strong> 1999 : Paribas et <strong>la</strong> Société générale. Ces<br />

<strong>de</strong>ux établissements envisageaient <strong>de</strong> fusionner…<br />

mais Paribas, on le sait, a été finalement croquée<br />

par <strong>la</strong> BNP I.<br />

paribas & <strong>la</strong> bnp<br />

Auparavant, lors <strong>de</strong> son existence “autonome”,<br />

Paribas avait été très liée à un personnage encore<br />

trop peu connu, fanatique <strong>de</strong> <strong>la</strong> discrétion <strong>de</strong>s paradis<br />

fiscaux. Une liaison qui a beaucoup compté.<br />

Dans un rapport confi<strong>de</strong>ntiel envoyé à son<br />

ministère, le 26 novembre 1996, l’ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong><br />

Belgique au Luxembourg explique qu’existe au<br />

Grand-duché « un circuit dans lequel <strong>de</strong> “l’argent<br />

criminel” est b<strong>la</strong>nchi ». Il passe par <strong>la</strong> Banque<br />

Continentale du Luxembourg (BCL), ou “Conti”.<br />

II. Voir <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième partie <strong>de</strong> ce livre.<br />

I. Sur lequel nous reviendrons longuement dans <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> partie<br />

<strong>de</strong> ce livre.<br />

I. Nous abor<strong>de</strong>rons aussi le cas du Crédit agricole, mais pas celui<br />

du Crédit Lyonnais, faute d’éléments suffisants dans l’exemple


100 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Celle-ci a appartenu conjointement à Paribas et au<br />

groupe Auchi <strong>de</strong> 1982 à octobre 1994. À cette<br />

date, Paribas a repris les parts <strong>de</strong> son associé Auchi,<br />

avant <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r le sulfureux établissement en 1996<br />

à une consœur f<strong>la</strong>man<strong>de</strong>, <strong>la</strong> Krediet Bank (KB) I.<br />

Selon <strong>la</strong> note diplomatique belge, « <strong>de</strong>s analystes<br />

financiers au Luxembourg ont l’impression que,<br />

via <strong>la</strong> “Continentale”, <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s banques telles<br />

que <strong>la</strong> […] KB, Paribas, Suez… profitent chacune<br />

à leur tour <strong>de</strong> ce circuit noir ».<br />

Longtemps copropriétaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Conti”,<br />

Nadhmi Auchi en était aussi l’ingénieur financier.<br />

Ce multimilliardaire irako-britannique partageait<br />

avec Pierre-Philippe Pasqua (le fils <strong>de</strong> Charles) un<br />

grand ami commun : Étienne Leandri 220, décédé<br />

en 1995. Le trio représentait un capital exceptionnel<br />

d’expérience dans les ventes d’armes et leur<br />

financement. Auchi a « fait fortune dans le commerce<br />

<strong>de</strong>s armes pendant <strong>la</strong> guerre Iran-Irak,<br />

explique un businessman moyen-oriental installé à<br />

Paris. Les contrats transitaient par <strong>la</strong> société<br />

Tradinco, rebaptisée plus tard Concepts in<br />

Communication » – <strong>la</strong> société fétiche <strong>de</strong> Leandri.<br />

Auchi avait commencé <strong>de</strong> s’enrichir en construisant<br />

<strong>de</strong>s pipelines dans son pays natal, l’Irak, avec<br />

une filiale d’Elf. Puis il est <strong>de</strong>venu un acrobate <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> finance, un précurseur <strong>de</strong> <strong>la</strong> connexion entre<br />

paradis fiscaux. « Ses sociétés sont domiciliées au<br />

Luxembourg et à Panama, ce qui sou<strong>la</strong>ge considérablement<br />

les démarches administratives… 221»,<br />

congo<strong>la</strong>is. Rappelons toutefois que cette banque, goulue <strong>de</strong><br />

paradis fiscaux, a présidé au montage financier <strong>de</strong> l’exploitation<br />

<strong>de</strong> Nkossa, qui a suscité <strong>de</strong>s questions gênantes (lire p. 71).<br />

I. Devenue KBC suite à une fusion avec Cera Bank et l’assureur<br />

ABB. La Lettre du Continent 219 nous rassure sur le savoir-faire <strong>de</strong>


François-Xavier Verschave 101<br />

mais ne l’ai<strong>de</strong> pas à démentir les accusations <strong>de</strong><br />

b<strong>la</strong>nchiment dont il est régulièrement l’objet.<br />

Dans une <strong>de</strong> ses sociétés luxembourgeoises, <strong>la</strong> Pan<br />

African Invest, Auchi domicilie une filiale d’Elf. Il<br />

est <strong>de</strong>venu le cinquième actionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie<br />

pétrolière, avec 1 % <strong>de</strong>s parts.<br />

Il a succédé à son mentor, le marchand d’armes<br />

et <strong>de</strong> matières premières américano-luxembourgeois<br />

Henry Leir, comme “parrain” <strong>de</strong> <strong>la</strong> finance<br />

luxembourgeoise et <strong>de</strong> son navire-amiral, <strong>la</strong> société<br />

<strong>de</strong> compensation internationale Clearstream.<br />

Celle-ci a été mise en cause dans le livre<br />

Révé<strong>la</strong>tions$, puis par une enquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice<br />

luxembourgeoise. Elle brasserait <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong><br />

milliards d’euros non déc<strong>la</strong>rés. Paribas était l’un<br />

<strong>de</strong>s pivots <strong>de</strong> son conseil d’administration I.<br />

Le rapport <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong>ur belge a suscité une<br />

enquête <strong>de</strong> l’hebdomadaire bruxellois Le Soir<br />

illustré 222: « Sous “l’ère Auchi”, <strong>la</strong> Banque continentale<br />

du Luxembourg a accueilli les comptes en<br />

banque <strong>de</strong> dictateurs notoires : Saddam Hussein,<br />

Bokassa, Houphouët-Boigny, Bourguiba, Kadhafi<br />

et l’inévitable Mobutu. […] Plusieurs holdings <strong>de</strong><br />

droit luxembourgeois auraient été créés par un <strong>de</strong><br />

ses hommes <strong>de</strong> confiance […] Jean-Pierre Bemba,<br />

le fils du patron <strong>de</strong>s patrons zaïrois : Saolona<br />

Bemba [aujourd’hui ministre <strong>de</strong> Kabi<strong>la</strong>]. […] La<br />

tristement célèbre Radio Mille Collines […] était<br />

ce repreneur : <strong>la</strong> Krediet Bank du Luxembourg était « spécialisée<br />

dans le financement <strong>de</strong>s ventes d’armes triangu<strong>la</strong>ires avec les<br />

firmes françaises ».<br />

I. Les enquêteurs luxembourgeois ont trouvé dans le système<br />

informatique <strong>de</strong> Clearstream un chemin parallèle relié aux<br />

patrons d’un certain nombre <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong>s banques, leur permettant<br />

d’opérer <strong>de</strong>s transactions sans trace comptable. 15 %<br />

<strong>de</strong>s flux annuels <strong>de</strong> Clearstream auraient transité par ce circuit


102 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

financée par <strong>de</strong>s capitaux provenant <strong>de</strong>s comptes<br />

ouverts auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque Continentale du<br />

Luxembourg qui possè<strong>de</strong>, soit dit en passant, <strong>de</strong>s<br />

filiales au Zaïre et au Rwanda. […] La Conti<br />

semble donc être le passage obligé, <strong>de</strong>puis une<br />

quinzaine d’années, d’opérations <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nchiment à<br />

l’échelle internationale. »<br />

Auchi est un re<strong>la</strong>is considérable <strong>de</strong>s réseaux françafricains.<br />

Paribas est fortement engagée dans leurs<br />

acrobaties financières. Elle n’a pas son pareil pour<br />

suren<strong>de</strong>tter les pays en guerre civile, comme le<br />

Congo-Brazzaville ou l’Ango<strong>la</strong>, où le mé<strong>la</strong>nge<br />

armes-pétrole domine les flux financiers. Jusqu’à<br />

son absorption en 1999 par <strong>la</strong> BNP, son actionnaire<br />

<strong>de</strong> référence était… Nadhmi Auchi, avec<br />

7,1 % du capital.<br />

C’est en Russie et en Ango<strong>la</strong> que Paribas a le<br />

mieux aiguisé ses métho<strong>de</strong>s. Ce<strong>la</strong> lui valu les<br />

élogues du franco-ango<strong>la</strong>is Arcadi Gaydamak, cet<br />

“inventeur” <strong>de</strong> milliards d’origine russe dont nous<br />

allons beaucoup parler : « Paribas est <strong>la</strong> principale<br />

banque au mon<strong>de</strong> pour les préfinancements pétroliers.<br />

223» Elle a mis en p<strong>la</strong>ce « une cellule spécialisée<br />

[…] dans <strong>la</strong> compensation pétrolière 224». Le<br />

terme <strong>de</strong> “compensation” couvre un éventail infini<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>als, <strong>de</strong> trocs, <strong>de</strong> transferts, impliquant <strong>de</strong>s<br />

quantités physiques ou monétaires. Il s’agit <strong>de</strong> s’attacher<br />

les clients, <strong>de</strong> répondre aux besoins les plus<br />

pressants, voire aux caprices, d’un émir, d’un<br />

pétrodictateur ou <strong>de</strong> leurs fondés <strong>de</strong> pouvoir. Les<br />

envies basiques sont assez monotones : beaucoup<br />

d’argent aisément disponible dans un paradis fiscal,<br />

les éléments d’un train <strong>de</strong> vie luxueux (pa<strong>la</strong>is,


François-Xavier Verschave 103<br />

vil<strong>la</strong>s à l’étranger, jets, flotte automobile…), <strong>de</strong>s<br />

armes pour conserver le pouvoir et ses avantages.<br />

De l’Ango<strong>la</strong> <strong>de</strong> Dos Santos au Congo du vassal<br />

Sassou II, il n’y a littéralement qu’un pas. Le<br />

second est traité par <strong>la</strong> même “cellule” <strong>de</strong> Paribas<br />

qui f<strong>la</strong>mba avec le premier. En 1999 elle dégaina,<br />

on l’a vu, <strong>de</strong>ux financements à décaissement rapi<strong>de</strong><br />

(plus d’un <strong>de</strong>mi-milliard <strong>de</strong> francs au total), au<br />

profit <strong>de</strong> <strong>la</strong> coalition angolo-sassouiste en plein<br />

nettoyage ethnique. L’habileté <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

Paribas – Guil<strong>la</strong>ume Leenhardt et Jean Talbot,<br />

notamment, avec l’ai<strong>de</strong> du tra<strong>de</strong>r Trafigura 225– a<br />

pallié les scrupules <strong>de</strong>s bailleurs <strong>de</strong> fonds traditionnels<br />

et déjoué provisoirement <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce <strong>de</strong>s<br />

créanciers. La remontée ultérieure <strong>de</strong>s cours du<br />

pétrole a rendu l’opération encore plus juteuse.<br />

Ce<strong>la</strong> va<strong>la</strong>it bien quelques risques juridiques : fin<br />

2000, « <strong>la</strong> société Berrebi & Associés, dont le<br />

Tribunal d’Aix-en-Provence a reconnu une créance<br />

congo<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 27 millions <strong>de</strong> francs, assigne<br />

<strong>la</strong> BNP-Paribas, qui a monté d’importants<br />

emprunts adossés à du pétrole en faveur <strong>de</strong> l’État<br />

congo<strong>la</strong>is 226».<br />

En 1997, <strong>la</strong> BNP avait adossé 150 millions <strong>de</strong><br />

francs <strong>de</strong> prêts au nom <strong>de</strong> Pascal Lissouba, sa<br />

femme et sa fille, protégeant ainsi un argent<br />

soustrait frauduleusement au Congo. Comme<br />

disait Le Floch, « l’argent du pétrole est là, il y en<br />

a pour tout le mon<strong>de</strong> ».<br />

société générale<br />

Les profits réalisés par Paribas dans le gavage <strong>de</strong><br />

crédits aux pétrodictatures n’ont pas échappé à <strong>la</strong><br />

Société générale : elle aussi a voulu faire son foie


104 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

gras au Congo. En 1994, <strong>de</strong> concert avec les financiers<br />

d’Elf, elle emmenait un syndicat <strong>de</strong> banques<br />

françaises dans un prêt à court terme <strong>de</strong> 180 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs au gouvernement lissoubiste 227.<br />

Début 1999, elle aurait même <strong>de</strong>vancé Paribas<br />

dans <strong>la</strong> fourniture <strong>de</strong> “carburant” au rouleau compresseur<br />

sassouiste, si elle n’avait finalement <strong>la</strong>issé<br />

l’affaire à cette <strong>de</strong>rnière, qu’elle croyait avoir épousée<br />

en justes noces. « Compensation » prévue : 2,8<br />

millions <strong>de</strong> barils contre 22,8 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs,<br />

soit 8,2 dol<strong>la</strong>rs le baril 228. Beau ca<strong>de</strong>au !<br />

La Société générale s’est tôt fait connaître du<br />

nouveau régime congo<strong>la</strong>is « grâce aux bons offices<br />

<strong>de</strong> Charles Robert Pouchet », financier <strong>de</strong> Sassou I<br />

puis <strong>de</strong> Sassou II. Sa bonne imp<strong>la</strong>ntation dans <strong>la</strong><br />

pétrofinance ango<strong>la</strong>ise n’a pu que faciliter les<br />

choses. Pour s’approcher encore <strong>de</strong> <strong>la</strong> source d’or<br />

noir, elle négociait en 2000 « <strong>la</strong> reprise <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Banque internationale du Congo (BIDC) que le<br />

ministre <strong>de</strong>s Finances, Mathias Dzon, connaît bien<br />

pour en avoir été le directeur général 229». Dans <strong>la</strong><br />

foulée, elle travail<strong>la</strong>it avec trois autres banques –<br />

Natexis (groupe Banques popu<strong>la</strong>ires), Warburg<br />

(groupe Union <strong>de</strong>s Banques suisses) et West LB –<br />

sur un préfinancement pétrolier <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

200 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs.<br />

cibc & le crédit agricole-indosuez<br />

Les agriculteurs français seraient peut-être surpris<br />

<strong>de</strong> savoir que les états-majors <strong>de</strong> leurs caisses<br />

coopératives spéculent en Afrique. Ce<strong>la</strong> a commencé<br />

marginalement avec les produits alimentaires<br />

ou le bois. Mais <strong>la</strong> « banque verte », étonnée<br />

puis enivrée par sa dimension <strong>de</strong> « banque mon-


François-Xavier Verschave 105<br />

diale », a pris goût aux jeux capitalistes les plus<br />

hard. Elle s’est éprise <strong>de</strong> l’héritière <strong>de</strong>s financements<br />

coloniaux, <strong>la</strong> banque Indosuez, puis en<br />

2000 <strong>de</strong> <strong>la</strong> sulfureuse CIBC, <strong>la</strong> banque préférée <strong>de</strong>s<br />

pétrodictateurs africains. Elle a également récupéré<br />

<strong>la</strong> Belgo<strong>la</strong>ise, rejeton <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonisation belge.<br />

En peu <strong>de</strong> temps, le Crédit agricole s’est imposé<br />

en Suisse comme l’un <strong>de</strong>s lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion <strong>de</strong><br />

fortunes. On appelle cette activité <strong>la</strong> “banque privée”.<br />

Elle est présentée par un rapport du Congrès<br />

américain 230 comme l’un <strong>de</strong>s instruments privilégiés<br />

du b<strong>la</strong>nchiment <strong>de</strong> l’argent. La Commission<br />

fédérale <strong>de</strong>s banques helvétiques a épinglé le Crédit<br />

agricole-Indosuez à propos <strong>de</strong>s fonds détournés<br />

par feu Sani Abacha, l’ex-dictateur nigérian : c’est<br />

l’un <strong>de</strong>s quatre établissements bancaires « ayant<br />

montré <strong>de</strong>s défail<strong>la</strong>nces plus graves », avec <strong>de</strong>s<br />

« comportements individuels erronés crasses » ! À<br />

lui seul, le Crédit agricole I a p<strong>la</strong>nqué plus d’un<br />

milliard <strong>de</strong> francs 232. Avec <strong>la</strong> gratitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Ken<br />

Saro Wiwa, <strong>de</strong>s Ogonis exécutés II, et <strong>de</strong>s 100 millions<br />

<strong>de</strong> Nigérians escroqués.<br />

caché – <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 20 000 milliards <strong>de</strong> francs, près d’un dixième<br />

du produit intérieur brut (PIB) mondial : le trou noir <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mondialisation financière. Un “système Elf” à <strong>la</strong> puissance cent.<br />

I. Le Crédit agricole a aussi <strong>de</strong> curieuses accointances en Corse –<br />

qu’annexerait volontiers <strong>la</strong> Corsafrique (les Françafricains originaires<br />

<strong>de</strong> l’île). Le Crédit agricole <strong>de</strong> Corse est systématiquement<br />

cité « dans toutes les enquêtes sur les organisations criminelles <strong>de</strong><br />

l’île, en premier lieu <strong>la</strong> “Brise <strong>de</strong> mer” », affirment les Notes du<br />

Réseau Voltaire (01.10.2000). Selon le journaliste A<strong>la</strong>in Laville 231,<br />

lorsque le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Coordination rurale insu<strong>la</strong>ire, Jean<br />

Cardi, a osé <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un audit du Crédit agricole, « il a reçu <strong>de</strong>s<br />

explosifs en retour, puis a été menacé <strong>de</strong> mort par Jean-Angelo,<br />

l’un <strong>de</strong>s frères Guazzelli, membre présumé <strong>de</strong> <strong>la</strong> Brise <strong>de</strong> mer ».<br />

II. La junte dirigée par le général Abacha a fait pendre le 10<br />

novembre 1995, après une parodie <strong>de</strong> procès, le célèbre écrivain<br />

non violent Ken Saro Wiwa et huit autres opposants du<br />

Mouvement <strong>de</strong> survie du peuple ogoni (Mosop) – une commu-


106 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

Comme Paribas, le Crédit agricole s’est intéressé<br />

aux montages financiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce ango<strong>la</strong>ise<br />

avant <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong> à l’allié Sassou II. Deux dictatures<br />

en guerre civile. Fin 1998, avec l’appui <strong>de</strong><br />

l’Élysée, il a monté un préfinancement <strong>de</strong> 60 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs en faveur <strong>de</strong> Sassou II, basé sur<br />

1 200 000 tonnes <strong>de</strong> pétrole. L’opération s’est réalisée<br />

avec <strong>la</strong> Banque française <strong>de</strong> l’Orient, installée<br />

avenue George V… dans le même immeuble que<br />

<strong>la</strong> Fiba 233. De quoi conforter le régime qui<br />

presque aussitôt, vers Noël 1998, entreprendra <strong>la</strong><br />

“solution finale” <strong>de</strong>s résistances sudistes.<br />

Indosuez est une spécialiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> pétrofinance.<br />

Elle détenait 5,26 % <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fiba, <strong>la</strong> banque d’Elf et<br />

Bongo, où elle était représentée par Philippe<br />

Brault. La Fiba se servait d’Indosuez pour l’accès<br />

aux marchés internationaux 234.<br />

En 1996, <strong>la</strong> Belgo<strong>la</strong>ise a jeté son dévolu sur un<br />

établissement privatisable, l’UCB (Union congo<strong>la</strong>ise<br />

<strong>de</strong> banques). En tan<strong>de</strong>m avec <strong>la</strong> Proparco,<br />

une institution financière filiale <strong>de</strong> <strong>la</strong> Caisse française<br />

<strong>de</strong> développement. L’année suivante, <strong>la</strong><br />

Belgo<strong>la</strong>ise a été accusée par le prési<strong>de</strong>nt évincé<br />

Pascal Lissouba d’avoir permis à Elf (avec Elf-<br />

Trading et <strong>la</strong> Fiba) <strong>de</strong> financer le « complot terroriste<br />

du général Sassou Nguesso » 235.<br />

Venons en à <strong>la</strong> CIBC, nouveau fleuron du groupe<br />

Crédit agricole. Cette banque “canadienne” travaille<br />

volontiers <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> Suisse. Comme le magicien<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pétrofinance Jack Sigolet, ex-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Fiba. Celui-ci avoue une sorte d’addiction 236:<br />

« Elf a énormément utilisé <strong>la</strong> CIBC, pour au moins<br />

nauté ethnique du Sud-Est nigérian sacrifiée au nom <strong>de</strong> son<br />

pétrole, victime d’une pollution intense et cruellement réprimée


François-Xavier Verschave 107<br />

30 % <strong>de</strong>s préfinancements que j’ai montés. Et il n’y<br />

a pas qu’Elf qui l’utilise, puisque Total a monté<br />

l’an <strong>de</strong>rnier un préfinancement pour l’Ango<strong>la</strong> à <strong>la</strong><br />

CIBC, <strong>de</strong>venue Crédit Agricole International. »<br />

La CIBC a, on l’a vu, permis à Elf d’exfiltrer en<br />

1992 180 millions <strong>de</strong> pétrodol<strong>la</strong>rs camerounais,<br />

dans un dédale <strong>de</strong> paradis fiscaux. Philippe<br />

Hustache, le directeur financier d’Elf qui a cautionné<br />

cette opération, n’est pas seulement <strong>de</strong>venu<br />

directeur général <strong>de</strong> Dassault : il est entré au<br />

conseil d’administration du Crédit agricole. Il<br />

serait intéressant <strong>de</strong> savoir ce qui attire le ven<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong> Mirage chez <strong>la</strong> banque <strong>de</strong>s agriculteurs, et réciproquement.<br />

Quand Elf a obtenu <strong>de</strong> gérer elle-même <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

congo<strong>la</strong>ise, <strong>la</strong> CIBC est bien sûr <strong>de</strong>venue l’un <strong>de</strong><br />

ses re<strong>la</strong>is privilégiés. Un moment impliquée, <strong>la</strong><br />

Société générale lui a refilé sa créance. En 1994, <strong>la</strong><br />

CIBC détenait 28 % <strong>de</strong>s 3 milliards <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte gagée du Congo 237. En 1995, lors du bradage<br />

scandaleux par Lissouba <strong>de</strong>s parts <strong>de</strong> l’État<br />

congo<strong>la</strong>is dans Elf-Congo, les 270 millions<br />

<strong>de</strong> francs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente ont atterri à <strong>la</strong> CIBC 238. La<br />

Lettre du Continent récapitule cette emprise <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

CIBC au Congo : « La CIBC gère <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s<br />

années – à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’Elf – <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée pétrolière<br />

du pays. À chaque fois que les dirigeants<br />

congo<strong>la</strong>is ont eu quelques soucis <strong>de</strong> liquidités, Elf<br />

a <strong>de</strong>mandé à <strong>la</strong> CIBC d’avancer “l’argent frais”,<br />

qui sera par <strong>la</strong> suite remboursé sur les propres re<strong>de</strong>vances<br />

pétrolières <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie. À <strong>la</strong> fin 1994,<br />

<strong>la</strong> CIBC gérait ainsi près <strong>de</strong> 100 milliards <strong>de</strong><br />

francs CFA [1 milliard <strong>de</strong> francs] <strong>de</strong> prêts sur <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte gagée pétrolière et remboursait chaque mois


108 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

sur les re<strong>de</strong>vances <strong>de</strong> nombreux prêts, dont 2,2<br />

milliards francs CFA à l’entrepreneur Tabet pour<br />

<strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> route <strong>de</strong> Mayumba et, tous les<br />

six mois, 6,5 milliards au même Tabet (<strong>de</strong> juin<br />

1994 à juillet 1999) pour d’autres infrastructures<br />

routières (ce <strong>de</strong>rnier prêt aurait été remboursé par<br />

anticipation […]). Elf a par ailleurs avancé en<br />

1993 150 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à <strong>la</strong> trésorerie congo<strong>la</strong>ise<br />

– sur les futures productions du gisement <strong>de</strong><br />

Nkossa […] – par l’intermédiaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> CIBC. En<br />

septembre 1994, <strong>la</strong> compagnie pétrolière française<br />

a […] réaménagé – sous <strong>la</strong> haute main <strong>de</strong> Jack<br />

Sigolet […] – <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée pétrolière congo<strong>la</strong>ise<br />

en “montant” trois prêts […], [dont un <strong>de</strong>] 185<br />

millions <strong>de</strong> francs auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong>… CIBC. Décidément,<br />

une banque incontournable. Seuls les mauvais<br />

esprits et les banques concurrentes font perfi<strong>de</strong>ment<br />

remarquer que l’anagramme <strong>de</strong> CIBC est<br />

BCCI… I » 239<br />

Mais quelle mouche a piqué le Crédit agricole,<br />

pour avoir eu ainsi envie <strong>de</strong> se doper à <strong>la</strong> CIBC ?<br />

Peut-être a-t-il pris goût à <strong>la</strong> gestion exotique <strong>de</strong>s<br />

fortunes en <strong>de</strong>venant le principal actionnaire du<br />

Crédit foncier <strong>de</strong> Monaco, <strong>la</strong> banque <strong>de</strong>s<br />

Feliciaggi II, Sirven et Cie ?<br />

(2 000 tués entre 1990 et 1995). Cette exécution avait mis <strong>la</strong><br />

junte au ban du Commonwealth – et l’avait du coup rapprochée<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique.<br />

I. Sur cette narco-banque, lire p. 87-88.<br />

II. Le Crédit foncier <strong>de</strong> Monaco hébergeait une série <strong>de</strong> comptes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> SED (Société d’Étu<strong>de</strong>s pour le Développement), contrôlée<br />

par les Feliciaggi et Tomi. Jusqu’en 1999, <strong>la</strong> SED était détenue à<br />

65 % par le CIAT (Comptoir international d’achat et <strong>de</strong> transit<br />

Afrique export), managé par Toussaint Luciani. De 1985 à 1994,<br />

l’un <strong>de</strong>s principaux actionnaires du CIAT a été André Janot, prési<strong>de</strong>nt<br />

du Crédit agricole mutuel du Cantal. La banque du CIAT<br />

était <strong>la</strong> Fiba. Jusqu’en juillet 2000, <strong>la</strong> SED avait <strong>la</strong> même adresse<br />

parisienne (34, rue <strong>de</strong>s Bourdonnais) qu’Agricongo – chouchou


François-Xavier Verschave 109<br />

4. Paris complice<br />

La France <strong>de</strong>s “déci<strong>de</strong>urs” est et reste indissociable<br />

<strong>de</strong> TotalFinaElf. Visé lui aussi par les enquêtes <strong>de</strong>s<br />

magistrats financiers Joly et Vichnievsky alors qu’il<br />

était encore prési<strong>de</strong>nt du Congo, Pascal Lissouba se<br />

serait rebiffé : « Si je suis impliqué officiellement, je<br />

ferai <strong>de</strong>s révé<strong>la</strong>tions fracassantes qui ne manqueront<br />

pas d’avoir <strong>de</strong> graves répercussions intérieures<br />

françaises. 240» Dans l’affaire du “prêt” <strong>de</strong> 150 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs échafaudé en 1993 par <strong>la</strong> société<br />

luxembourgeoise LMC I, garanti par Elf-Congo et<br />

très <strong>la</strong>rgement évaporé, le dossier conduit entre<br />

autres au financement <strong>de</strong> campagnes électorales<br />

françaises. À notre connaissance, l’État congo<strong>la</strong>is<br />

non plus n’a pas porté p<strong>la</strong>inte dans ce dossier précis.<br />

Il s’agit pourtant <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> Lissouba.<br />

Son ministre <strong>de</strong>s Finances, Moungounga Ngui<strong>la</strong>,<br />

est considéré par les connaisseurs comme le principal<br />

bénéficiaire, sur cette pério<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l’égarement<br />

d’une partie <strong>de</strong> l’argent du pétrole et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte –<br />

avec <strong>la</strong> maîtresse femme <strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce, C<strong>la</strong>udine<br />

Munari, et le ministre <strong>de</strong>s Hydrocarbures, Benoît<br />

<strong>Ko</strong>ukébéné. Trois banquiers consultés séparément<br />

par un spécialiste sont arrivés à <strong>la</strong> même estimation<br />

du magot : <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 400 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs (3<br />

milliards <strong>de</strong> francs). Ce genre d’évaluation n’a évi<strong>de</strong>mment<br />

aucune valeur probante II. Mais on obser-<br />

d’Elf, <strong>de</strong> Denis Sassou Nguesso, d’Omar Bongo et <strong>de</strong> l’Agence<br />

française <strong>de</strong> développement.<br />

I. Lire p. 98.<br />

II. Relevons seulement un premier aveu : « interrogé par [le juge<br />

suisse] Perraudin, Ngui<strong>la</strong> Moungounga-<strong>Ko</strong>mbo a admis avoir<br />

reçu, sur un compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque du Gothard, […] 10 millions <strong>de</strong><br />

francs provenant <strong>de</strong> Finego Business… », un compte au Crédit<br />

foncier <strong>de</strong> Monaco sur lequel ont transité plus <strong>de</strong> 100 millions <strong>de</strong><br />

francs et qu’il pouvait « actionner » à l’instar d’Alfred Sirven 241.


110 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

vera quand même que, après le putsch <strong>de</strong> Sassou, le<br />

Prési<strong>de</strong>nt et le Premier ministre du Congo, Pascal<br />

Lissouba et Bernard <strong>Ko</strong>le<strong>la</strong>s, ont été interdits <strong>de</strong><br />

séjour en France, tandis que Moungounga Ngui<strong>la</strong><br />

et C<strong>la</strong>udine Munari y évoluaient à l’aise. Le premier<br />

a <strong>de</strong>s bureaux près <strong>de</strong> l’Étoile. La secon<strong>de</strong> a rallié le<br />

nouveau régime.<br />

Avant <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>ntielle française <strong>de</strong> 1995, un ami<br />

du ministre Moungounga « a présenté une créance<br />

bancaire <strong>de</strong> 7 milliards <strong>de</strong> francs CFA [70 millions<br />

<strong>de</strong> francs] », re<strong>la</strong>te Olivier Vallée 242. « Le règlement<br />

<strong>de</strong> cette créance, présentée vaguement<br />

comme <strong>de</strong>stinée à <strong>de</strong>s créanciers ordinaires du<br />

Trésor, aurait été affecté partiellement aux frais <strong>de</strong><br />

campagne d’un candidat aux prési<strong>de</strong>ntielles françaises…<br />

»<br />

En 1989 déjà, le Conseil <strong>de</strong>s investisseurs français<br />

en Afrique noire (CIAN) faisait pression pour<br />

<strong>de</strong> nouveaux concours <strong>de</strong> <strong>la</strong> France : 250 millions<br />

<strong>de</strong> francs <strong>de</strong> prêts et 150 millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong><br />

dons. Il faisait état <strong>de</strong> 600 millions <strong>de</strong> francs d’impayés<br />

congo<strong>la</strong>is envers les membres <strong>de</strong> leur<br />

club 243. Autrement dit, ceux qui avaient bénéficié<br />

<strong>de</strong> contrats le plus souvent <strong>la</strong>rgement surévalués et<br />

commissionnés s’apprêtaient à se faire rembourser<br />

les <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong> leurs créances par les contribuables<br />

français, tout en accroissant <strong>de</strong> 250 millions <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte du Congo. À Paris, les déci<strong>de</strong>urs politiques<br />

<strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> bonne action savent qu’ils n’ont pas<br />

affaire à <strong>de</strong>s ingrats.<br />

Soulignons aussi que l’argent expatrié dans <strong>de</strong>s banques occi<strong>de</strong>ntales<br />

n’est plus forcément très disponible. Après le renversement<br />

du régime Lissouba et l’éviction <strong>de</strong> son ministre<br />

Moungounga, les banques ont pu “déc<strong>la</strong>sser” les sommes en<br />

question, exigeant <strong>de</strong>s formalités plus rigoureuses avant tout<br />

retrait ou transfert. Tels <strong>de</strong>s galions échoués avec leur trésor, ces


François-Xavier Verschave 111<br />

À Brazzaville aussi il fal<strong>la</strong>it arroser pour accélérer<br />

le pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s biens publics. L’un <strong>de</strong>s proches <strong>de</strong><br />

Pierre Otto Mbongo a expliqué à <strong>la</strong> Conférence<br />

nationale souveraine « le système <strong>de</strong> répartition <strong>de</strong>s<br />

commissions versées par <strong>de</strong>s entreprises étrangères<br />

lors <strong>de</strong> rachat d’entreprises d’État congo<strong>la</strong>ises…<br />

244».<br />

Tout se mêle à <strong>la</strong> fin, en une partouze financière<br />

entre corrupteurs et corrompus, déci<strong>de</strong>urs politiques<br />

et économiques, voire militaires, français et<br />

congo<strong>la</strong>is. Un député gaulliste, informateur <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux journalistes du Canard enchaîné, leur expliquait<br />

que les fausses factures du RPR parisien (<strong>de</strong>s<br />

milliards <strong>de</strong> francs I) font <strong>de</strong> fréquents détours par<br />

le Congo. L’auteur présumé <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ces<br />

documents <strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance, l’entrepreneur<br />

Francis Poul<strong>la</strong>in, s’y rendait volontiers en compagnie<br />

<strong>de</strong> Philippe Jehanne II, bras droit <strong>de</strong> Michel<br />

Roussin à <strong>la</strong> Coopération 245. Dans une ambiance<br />

très fraternelle : <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s invités à ce genre<br />

d’agapes appartiennent à <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Loge<br />

Nationale Française (GLNF).<br />

En permanence, un banquier public, l’Agence<br />

française <strong>de</strong> développement (AFD, ex-CFD, ex-<br />

CCCE III), est “pressé” <strong>de</strong> prêter <strong>de</strong> nouveau, <strong>de</strong><br />

comptes en suspens suscitent toutes les convoitises.<br />

I. Entre 2 et 5 % <strong>de</strong>s marchés publics <strong>de</strong> Paris et <strong>de</strong> l’Île-<strong>de</strong>-<br />

France, sur <strong>de</strong>ux décennies.<br />

II. Philippe Jehanne, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Direction générale <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité extérieure<br />

(DGSE), opérait dans les champs politique, économique et<br />

militaire, tout comme Michel Roussin, ancien n° 2 <strong>de</strong> <strong>la</strong> Piscine,<br />

<strong>de</strong>venu le représentant <strong>de</strong>s patrons français en Afrique et le viceprési<strong>de</strong>nt<br />

du groupe Bolloré ; <strong>de</strong> même André Tarallo, Jack<br />

Sigolet ou Pierre-Yves Gilleron, impliqués dans <strong>de</strong>s trafics<br />

d’armes. Le général Sassou opère également dans ces trois<br />

domaines, comme nombre d’officiers et chefs miliciens congo<strong>la</strong>is.


112 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

creuser le puits d’une <strong>de</strong>tte sans fond, presque<br />

entièrement infondée.<br />

« Au printemps 1998, c’est par l’intermédiaire<br />

<strong>de</strong> Michel Dubois, le “Monsieur Afrique” <strong>de</strong><br />

Michel Rocard, qu’Elf a négocié ses retrouvailles<br />

avec Sassou : <strong>la</strong> compagnie proposait <strong>de</strong> décaisser<br />

310 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs, et d’obtenir un nouveau<br />

rééchelonnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte du pays. Autrement<br />

dit, Elf ajoutait <strong>de</strong> l’argent public dans <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce :<br />

le coût financier <strong>de</strong> ce rééchelonnement, compté<br />

une fois <strong>de</strong> plus en “ai<strong>de</strong> au développement”. Elf<br />

est abonnée aux guichets publics. En 1995, <strong>la</strong><br />

Caisse française <strong>de</strong> développement a prêté 440<br />

millions <strong>de</strong> francs à Elf-Congo. Une filiale qui, on<br />

l’a vu, est prête à cautionner n’importe quoi. 246»<br />

On le sait maintenant, <strong>la</strong> très opaque Banque<br />

française intercontinentale (Fiba), les société genevoises<br />

d’Elf, les comptes suisses d’Alfred Sirven (au<br />

moins 3 milliards <strong>de</strong> francs), André Tarallo, Jack<br />

Sigolet, etc. ont arrosé un très <strong>la</strong>rge spectre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

c<strong>la</strong>sse politique française I, achetant son silence sur<br />

<strong>la</strong> criminalité françafricaine. La Fiba, admettent<br />

Les Échos 247, c’était « une sorte <strong>de</strong> tiroir-caisse qui<br />

permet <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> fonds, souvent en<br />

liqui<strong>de</strong>, à coups <strong>de</strong> valises bourrées <strong>de</strong> billets, entre<br />

<strong>la</strong> France, le Gabon, le Congo et <strong>la</strong> Suisse ».<br />

Ce<strong>la</strong> peut expliquer <strong>de</strong>ux événements décisifs <strong>de</strong><br />

l’histoire récente du Congo : d’une part, <strong>de</strong> juin à<br />

octobre 1997, le soutien politico-militaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

France au renversement <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie constitutionnelle<br />

et à <strong>la</strong> restauration <strong>de</strong> Denis Sassou<br />

Nguesso avec le concours <strong>de</strong>s Ango<strong>la</strong>is II ; d’autre<br />

III. Le mot « Caisse » du « C » initial évoquait-il trop les « caisses<br />

noires » ?<br />

I. Au minimum par <strong>la</strong> rémunération d’emplois fictifs (parents,


François-Xavier Verschave 113<br />

part, en 1999, le « noir silence », le b<strong>la</strong>nc-seing et<br />

même l’appui (diplomatique, financier, militaire,<br />

barbouzard, comme lors du génoci<strong>de</strong> au Rwanda)<br />

à un “nettoyage ethnique” d’une rare sauvagerie, à<br />

une série <strong>de</strong> crimes contre l’humanité achevant <strong>de</strong><br />

terroriser un pays rétif.<br />

Ce<strong>la</strong> n’a pu se faire qu’avec <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance internationale<br />

: « Le lobby pétrolier <strong>de</strong> Washington suit<br />

le présumé “homme fort”. “Les États-Unis nous ont<br />

abandonnés, a répété […] l’ex-Premier ministre<br />

<strong>Ko</strong>le<strong>la</strong>s. L’abandon <strong>de</strong> Lissouba par les Américains<br />

est comme un permis <strong>de</strong> tuer accordé à Sassou. Une<br />

fois qu’il a commencé <strong>de</strong> tuer, il ne peut plus s’arrêter<br />

car il sait qu’il a tué beaucoup d’innocents et<br />

que, si jamais il s’arrêtait, <strong>la</strong> vengeance s’exercerait<br />

contre lui.”<br />

« Quant au Secrétaire général <strong>de</strong>s Nations unies,<br />

<strong>Ko</strong>fi Annan, il confie à un ami diplomate qu’il ne<br />

peut rien faire pour ce pays : “Le problème congo<strong>la</strong>is,<br />

c’est <strong>la</strong> France”, membre permanent du<br />

Conseil <strong>de</strong> sécurité, avec droit <strong>de</strong> veto. L’Élysée,<br />

Elf et l’état-major ont donc eu quartier libre dans<br />

leur pré carré. 248»<br />

Ainsi atteignit-on l’apogée d’un quart <strong>de</strong> siècle<br />

<strong>de</strong> criminalité pétrofinancière françafricaine. Dans<br />

ce contexte, ce n’est pas le Congo qui a une <strong>de</strong>tte<br />

vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, c’est <strong>la</strong> France qui, un jour,<br />

<strong>de</strong>vra payer <strong>la</strong> reconstruction d’un Congo qu’elle a<br />

détruit.<br />

« Criminalité»? Quel gros mot, objectera le lecteur,<br />

et si peu fondé. À ce sta<strong>de</strong>, il nous faut citer<br />

un raisonnement développé par l’économiste<br />

François Lille. Il part du naufrage <strong>de</strong> l’Erika, mais


114 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

sa perspective est beaucoup plus vaste I. Il constate<br />

l’irresponsabilité organisée, systématique, toujours<br />

plus sophistiquée, du transport maritime : pour<br />

envoyer une cargaison <strong>de</strong> France en Italie, l’affréteur<br />

TotalFinaElf « a activé Total-Bahamas (qui est<br />

en réalité à Londres) qui, par un courtier maritime<br />

londonien et un autre courtier vénitien, trouve en<br />

Suisse un bateau maltais dont dispose une sociétéécran<br />

bahaméenne appartenant (?) à un trust bermudien<br />

géré par une officine panaméenne, […]<br />

etc. etc. 250». Le seul objectif est une fuite en avant<br />

dans <strong>la</strong> surexploitation du travail et le mépris <strong>de</strong><br />

l’environnement. « Ce “capitalisme <strong>de</strong> casino”<br />

conduit tout naturellement aux activités proprement<br />

criminelles : b<strong>la</strong>nchiment, naufrages pour<br />

l’assurance, abandons frauduleux <strong>de</strong> navires et<br />

d’équipages, trafics en tous genres.<br />

« La participation constante <strong>de</strong>s professions juridiques<br />

et financières à ces montages assure <strong>la</strong> légalité<br />

ou <strong>la</strong> “non-illégalité” <strong>de</strong> chaque pièce du puzzle.<br />

Mais <strong>la</strong> non-illégalité <strong>de</strong> chaque pièce ne préjuge<br />

pas plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> légitimité <strong>de</strong> l’ensemble que<br />

l’innocuité individuelle <strong>de</strong>s constituants d’une<br />

mitrailleuse ne l’empêche d’être une machine à<br />

tuer. Condamner un type <strong>de</strong> société, <strong>de</strong> pavillon<br />

[<strong>de</strong> comp<strong>la</strong>isance], <strong>de</strong> paradis, peut être nécessaire,<br />

mais est <strong>de</strong> peu d’effet durable dans un mon<strong>de</strong><br />

aussi mobile. […]<br />

« Il faudra donc en arriver à incriminer ces pratiques<br />

en elles-mêmes, par <strong>de</strong>là leurs applications<br />

multiples et variées. […] Nous sommes <strong>de</strong>vant un<br />

amis, ou col<strong>la</strong>borateurs).<br />

II. Lire p. 51-52.<br />

I. C’est celle <strong>de</strong> l’association Bien public à l’échelle mondiale, initiée<br />

par Survie et que prési<strong>de</strong> François Lille. Ancien marin, il est


François-Xavier Verschave 115<br />

système permanent permettant <strong>de</strong>s montages circonstanciels,<br />

selon quelques principes simples d’organisation,<br />

et dont l’intention est inscrite dans ces<br />

principes mêmes : échapper aux lois sociales, aux<br />

lois fiscales, aux règles <strong>de</strong> sécurité, aux lois pénales<br />

enfin, <strong>de</strong>s pays réels <strong>de</strong>s divers acteurs et <strong>de</strong>s pays<br />

(virtuels) d’accueil offshore. Échapper aussi et ainsi<br />

aux conventions internationales, ratifiées ou non<br />

par ces pays, […] aux conséquences civiles et<br />

pénales éventuelles <strong>de</strong>s actions entreprises.<br />

« L’intention est donc implicite dans le système<br />

général, […] explicitement renouvelée dans chacune<br />

<strong>de</strong> ses applications particulières. On est <strong>de</strong> ce<br />

fait fondé à s’appuyer sur le concept <strong>de</strong> “participation<br />

à groupe criminel organisé”, au sens où le<br />

définit <strong>la</strong> future Convention <strong>de</strong>s Nations unies<br />

contre <strong>la</strong> criminalité transnationale organisée, dite<br />

Convention <strong>de</strong> Palerme I. […] Il en résulterait que<br />

chaque montage engagerait <strong>la</strong> responsabilité solidaire<br />

<strong>de</strong> ses acteurs, à commencer par le donneur<br />

d’ordre principal. […] Il ne […] manque […] que<br />

<strong>la</strong> qualification <strong>de</strong>s types d’infractions graves dont<br />

l’intention avérée conférerait son caractère criminel<br />

à l’association. […]<br />

« Il suffirait <strong>de</strong> reconnaître que le principe général<br />

<strong>de</strong> ces organisations et pratiques interlopes est<br />

<strong>la</strong> négation <strong>de</strong>s droits humains les plus fondamen-<br />

aussi l’auteur <strong>de</strong> Pourquoi l’Erika a coulé 249 et <strong>de</strong> contributions<br />

sur les paradis fiscaux pour le comité scientifique d’Attac.<br />

I. « L’expression “groupe criminel organisé” désigne un groupe<br />

structuré <strong>de</strong> trois personnes ou plus existant <strong>de</strong>puis un certain<br />

temps et agissant <strong>de</strong> concert dans le but <strong>de</strong> commettre une ou<br />

plusieurs infractions graves […] pour en tirer, directement ou<br />

indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel.<br />

[…] L’expression “groupe structuré” désigne un groupe qui<br />

ne s’est pas constitué par hasard pour commettre immédiatement<br />

une infraction et qui n’a pas nécessairement <strong>de</strong> rôles formellement<br />

établis pour ses membres, <strong>de</strong> continuité dans sa composition<br />

ou <strong>de</strong> structure é<strong>la</strong>borée. » (Article 2)


116 Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

taux, obtenue en neutralisant en priorité les lois<br />

nationales et internationales garantissant égalité,<br />

liberté et dignité humaines. »<br />

Il est tout à fait c<strong>la</strong>ir que ce sont ces types <strong>de</strong> pratiques<br />

et <strong>de</strong> groupes qui ont creusé <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte du<br />

Congo, que ce<strong>la</strong> a provoqué sciemment une série<br />

d’« infractions graves », et relève donc <strong>de</strong> <strong>la</strong> criminalité<br />

transnationale organisée. Il s’en suit que les<br />

donneurs d’ordre, économiques et politiques, sont<br />

solidaires <strong>de</strong>s intermédiaires et <strong>de</strong>s exécutants.


Ango<strong>la</strong> : pétrole,<br />

guerre, <strong>de</strong>tte 1<br />

C<br />

’est apparu maintes fois au fil <strong>de</strong>s pages<br />

précé<strong>de</strong>ntes : le sort politique du Congo-<br />

Brazzaville, son pétrole et donc sa <strong>de</strong>tte sont <strong>de</strong><br />

plus en plus dépendants <strong>de</strong> ceux d’un État voisin<br />

plus grand, plus peuplé et mieux doté, l’Ango<strong>la</strong>.<br />

Nous compléterons donc cet aperçu du contexte<br />

criminel <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte congo<strong>la</strong>ise par une plongée<br />

dans l’histoire contemporaine <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>. Ce<br />

pays est lui aussi très en<strong>de</strong>tté, payant les armes<br />

d’une guerre civile qui le met à <strong>la</strong> torture <strong>de</strong>puis<br />

1975, entretenue par le pétrole et les pétroliers<br />

(plus les diamants et les diamantaires).<br />

Notre incursion dans ce paysage se fera pour<br />

l’essentiel à travers l’itinéraire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux associés,<br />

Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak. La justice<br />

française les a p<strong>la</strong>cés sous les feux <strong>de</strong> l’actualité, au<br />

cœur <strong>de</strong> ce que l’on appelle l’“Ango<strong>la</strong>gate” ; au<br />

cœur aussi <strong>de</strong>s dérives que nous dénonçons dans<br />

ce dossier.<br />

Pierre Falcone a été incarcéré en décembre<br />

2000. Arcadi Gaydamak fait l’objet d’un mandat<br />

d’arrêt international. Tous <strong>de</strong>ux appartiennent à<br />

<strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Loge nationale française (GLNF). Gaydamak<br />

en est un « haut gradé 2». Il a gagné jusqu’ici<br />

tous ses procès en diffamation I, et obtenu<br />

I. Il me fait aussi un procès pour Noir silence, ce qui m’a conduit<br />

à développer une abondante documentation.


118 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

<strong>de</strong> l’état-major <strong>de</strong> TF1 (GLNF I) un p<strong>la</strong>idoyer au<br />

journal <strong>de</strong> 20 heures. Ce milliardaire d’origine<br />

russe, qui possè<strong>de</strong> quatre passeports (français, israélien,<br />

canadien et ango<strong>la</strong>is) 4, se prétend persécuté<br />

par le fisc et les juges parisiens. Il a été décoré<br />

<strong>de</strong> l’Ordre national du mérite par le préfet Marchiani<br />

pour son ai<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> libération <strong>de</strong>s pilotes<br />

français en Serbie II– « à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> fureur <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

DGSE et <strong>de</strong> <strong>la</strong> DRM [Direction du Renseignement<br />

militaire] qui avaient préparé <strong>de</strong> leur côté<br />

une action, sans contrepartie… 6».<br />

Qui sont donc et qu’ont fait ces personnages si<br />

controversés?<br />

I. Le PDG Patrick Le Lay a été promu au plus haut <strong>de</strong>gré, le 33 e,<br />

sitôt son initiation. Son état-major est presque exclusivement<br />

composé <strong>de</strong> frères <strong>de</strong> <strong>la</strong> même obédience 3 .<br />

II. « Une breloque prise sur le contingent personnel du prési<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> République Jacques Chirac. 5 »


François-Xavier Verschave 119<br />

5. Douteuses connexions d’une<br />

pétrodictature<br />

Depuis l’indépendance ango<strong>la</strong>ise en 1975, Français<br />

et Américains ont, grosso modo, partagé <strong>la</strong><br />

même stratégie. Pendant quinze ans, avec le régime<br />

sud-africain d’apartheid, ils ont nettement<br />

soutenu les rebelles <strong>de</strong> l’Unita, contre Cuba et<br />

l’URSS ; avec <strong>la</strong> chute du mur <strong>de</strong> Berlin, <strong>la</strong> fin <strong>de</strong><br />

l’apartheid et le boom pétrolier, ils se sont mis à<br />

armer aussi le gouvernement <strong>de</strong> Luanda, puis à<br />

miser sur sa victoire dans l’interminable guerre civile<br />

qui déchire le pays. Fin 1999, TotalFinaElf et<br />

les majors américaines se partagent l’essentiel <strong>de</strong>s<br />

énormes gisements <strong>de</strong> pétrole sous-marin.<br />

Mais justement, <strong>la</strong> différence est éc<strong>la</strong>irante entre<br />

les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres. Le régime ango<strong>la</strong>is<br />

avait <strong>de</strong>ux ennemis, Washington et Paris,<br />

qui sont <strong>de</strong>venus ses associés. Pourquoi s’est-il<br />

trouvé beaucoup plus en phase avec le second ? La<br />

réponse tient à <strong>la</strong> spécificité <strong>de</strong>s réseaux françafricains<br />

<strong>de</strong> corruption, dont l’imagination a été cette<br />

fois jusqu’à se brancher sur l’argent russe. Non<br />

que les Américains ne corrompent pas, mais ils ne<br />

procè<strong>de</strong>nt pas <strong>de</strong> manière aussi “intime”, ils sont<br />

incapables du “paternalisme à <strong>la</strong> française”. Plus<br />

brutales et agressives, leurs métho<strong>de</strong>s sont du coup<br />

plus visibles et plus facilement répudiables.<br />

La “sale guerre”<br />

Rappelons à grands traits l’histoire récente, complexe,<br />

d’un pays qui a <strong>la</strong> malchance d’être trop<br />

riche en pétrole et en diamants 7. En 1975, trois


La <strong>de</strong>tte en Ango<strong>la</strong><br />

En 1999, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte publique extérieure <strong>de</strong><br />

l’Ango<strong>la</strong> s’élevait à près <strong>de</strong> 79 milliards <strong>de</strong><br />

francs, le service <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte représentant<br />

13,4 % <strong>de</strong> son produit national brut et<br />

21,4 % <strong>de</strong> ses exportations <strong>de</strong> biens et services.<br />

Les créances publiques détenues par <strong>la</strong><br />

France sur l’Ango<strong>la</strong> – créances d’ai<strong>de</strong><br />

publique au développement mais surtout<br />

créances publiques d’origine commerciale –<br />

s’élèvent à plus <strong>de</strong> 5 milliards <strong>de</strong> francs.<br />

L’Ango<strong>la</strong> faisait à l’origine partie <strong>de</strong>s 41 pays<br />

considérés comme éligibles à l’initiative Pays<br />

pauvres très en<strong>de</strong>ttés (PPTE), <strong>la</strong>ncée en 1996<br />

et confiée par les pays riches aux bons soins<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque mondiale et du FMI. Mais<br />

selon <strong>de</strong> savants calculs, il se retrouve désormais<br />

c<strong>la</strong>ssé dans les pays qui « n’atteignent<br />

pas les critères d’en<strong>de</strong>ttement » nécessaires<br />

pour bénéficier d’allégements <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte particuliers.<br />

L’Ango<strong>la</strong> est 146 e sur 162 à l’indice<br />

<strong>de</strong> développement humain du<br />

Programme <strong>de</strong>s Nations Unies pour le<br />

Développement. L’absence <strong>de</strong> chiffres précis<br />

en raison d’un contexte troublé ne peut<br />

occulter <strong>la</strong> situation sanitaire et sociale préoccupante<br />

dans <strong>la</strong>quelle se trouve le pays.<br />

Sources : Rapport sur les activités du Fonds monétaire<br />

international et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque mondiale 2001,<br />

Gouvernement français, 2001 ; Rapport sur le<br />

développement humain, PNUD, 2001.


François-Xavier Verschave 121<br />

mouvements indépendantistes luttent pour<br />

prendre le pouvoir <strong>la</strong>issé par le Portugal, où <strong>la</strong> “révolution<br />

<strong>de</strong>s œillets” tourne <strong>la</strong> page <strong>de</strong>s longues<br />

guerres <strong>de</strong> décolonisation : le FNLA (Front national<br />

<strong>de</strong> libération <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>) <strong>de</strong> Roberto Hol<strong>de</strong>n,<br />

le MPLA (Mouvement popu<strong>la</strong>ire pour <strong>la</strong> libération<br />

<strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>) d’Agostinho Neto et l’Unita<br />

(Union pour l’indépendance totale <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>)<br />

<strong>de</strong> Jonas Savimbi. Le second conquiert <strong>de</strong> justesse<br />

Luanda contre le premier, qui ne se remettra pas<br />

<strong>de</strong> son échec.<br />

D’inspiration marxiste, le MPLA a une base<br />

étroite, l’élite urbanisée d’une très ancienne colonie.<br />

Il obtient très vite le renfort du “camp progressiste”<br />

: contingents cubains, argent soviétique.<br />

Savimbi, <strong>de</strong> son côté, recrute à l’intérieur du pays.<br />

Il entreprend une guerre <strong>de</strong> harcèlement sur un<br />

schéma maoïste. Ce qui ne l’empêche pas d’être<br />

fortement soutenu par le camp occi<strong>de</strong>ntal, États-<br />

Unis en tête, suivis <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, du Zaïre mobutiste<br />

et <strong>de</strong> l’Afrique du Sud – puisque le MPLA<br />

participe au front anti-apartheid.<br />

Ces quatre pays, plus Cuba, <strong>la</strong> Russie, l’ancienne<br />

métropole portugaise et les milieux d’affaires<br />

brésiliens, ce<strong>la</strong> fait au moins huit sources permanentes<br />

d’ingérence. De quoi re<strong>la</strong>ncer indéfiniment<br />

<strong>la</strong> guerre entre MPLA et Unita – une lutte à mort<br />

pour le pouvoir. Les horreurs vont s’enchaîner, se<br />

répondre : civils massacrés, campagnes ravagées et<br />

minées, mutilés innombrables, villes assiégées et<br />

affamées. Bref, une guerre effroyable. Payée par<br />

l’argent du pétrole offshore et <strong>de</strong>s diamants –<br />

parmi les plus beaux du mon<strong>de</strong>. Deux matières<br />

premières faciles à écouler, éminemment corrup-


122 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

trices. Les divi<strong>de</strong>n<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’or noir vont plutôt au<br />

MPLA, tandis que l’Unita contrôle <strong>de</strong> riches<br />

zones diamantifères. Mais il existe <strong>de</strong>s croisements<br />

financiers souterrains, affaires obligent : les compagnies<br />

pétrolières et <strong>la</strong> De Beers ont fricoté avec<br />

les <strong>de</strong>ux camps. Côté Unita, il y a une seule caisse,<br />

celle du chef totalitaire, qui purge régulièrement<br />

son entourage. Côté MPLA, <strong>la</strong> corruption s’installe.<br />

Elle va croître démesurément avec les découvertes<br />

<strong>de</strong>s immenses champs <strong>de</strong> pétrole au <strong>la</strong>rge<br />

<strong>de</strong>s côtes.<br />

L’on vérifie encore que les guerres civiles trop<br />

prolongées ont <strong>de</strong> profonds effets mimétiques :<br />

plus que d’autres, ces guerres grouillent <strong>de</strong> saloperies<br />

; sur un quart <strong>de</strong> siècle, seuls les “sa<strong>la</strong>uds”, ou<br />

ceux qui le <strong>de</strong>viennent, peuvent encore s’accrocher<br />

aux manettes ; les idéalistes, les humanistes,<br />

et jusqu’aux gens “normaux” sont éliminés ou relégués.<br />

Savimbi impose sa conception paranoïaque<br />

du pouvoir et une stratégie <strong>de</strong> guéril<strong>la</strong> à<br />

<strong>la</strong> vietnamienne, terriblement coûteuse pour <strong>la</strong><br />

popu<strong>la</strong>tion rurale et, plus tard, pour les habitants<br />

<strong>de</strong>s villes encerclées.<br />

Son adversaire le MPLA n’a, bien sûr, plus rien<br />

<strong>de</strong> progressiste. Il s’acoquine avec le tra<strong>de</strong>r Marc<br />

Rich, le plus important peut-être <strong>de</strong>s “briseurs <strong>de</strong><br />

boycott” qui approvisionnèrent le régime sud-africain<br />

d’apartheid 8. Ou il recourt à <strong>la</strong> firme mercenaire<br />

Executive Outcomes, dirigée par un ancien<br />

responsable <strong>de</strong>s services spéciaux <strong>de</strong> l’apartheid. À<br />

Luanda, le pactole pétrolier et <strong>la</strong> police politique<br />

sont les <strong>de</strong>ux obsessions du pouvoir. L’économie<br />

<strong>de</strong> guerre va très bien à ses occupants : le Prési<strong>de</strong>nt,<br />

son entourage, et quelques généraux influents.


François-Xavier Verschave 123<br />

Leur luxe contraste avec <strong>la</strong> misère du pays, jusque<br />

dans <strong>la</strong> capitale pourtant épargnée par <strong>la</strong> guerre.<br />

Trois enfants sur dix n’atteignent pas cinq ans.<br />

« Bien que l’Ango<strong>la</strong> soit potentiellement l’un<br />

<strong>de</strong>s pays les plus riches d’Afrique (richesses minières<br />

et pétrole), sur onze millions d’habitants,<br />

moins <strong>de</strong> 50 000 Ango<strong>la</strong>is vivent plus ou moins<br />

selon les standards occi<strong>de</strong>ntaux. La guerre absorbe<br />

40 % du budget <strong>de</strong> l’État ; <strong>la</strong> production agricole<br />

ne couvre plus les besoins alors qu’avant l’indépendance<br />

l’Ango<strong>la</strong> était exportateur net <strong>de</strong> produits<br />

agricoles. Le tissu industriel, le second<br />

d’Afrique avant 1975, est en ruines. 9»<br />

C’est dans ce contexte qu’ont échoué <strong>de</strong>ux accords<br />

<strong>de</strong> paix successifs, conclus sous les auspices<br />

<strong>de</strong>s Nations unies avec un triple parrainage : Portugal,<br />

États-Unis, Russie. En 1991 sont signés à<br />

Lisbonne les accords dits <strong>de</strong> Bicesse, qui prévoient<br />

<strong>la</strong> tenue d’élections libres en septembre 1992.<br />

Eduardo Dos Santos, le successeur <strong>de</strong> Neto à <strong>la</strong><br />

tête du MPLA, <strong>de</strong>vance Jonas Savimbi dans un<br />

scrutin prési<strong>de</strong>ntiel très serré et contesté. Le second<br />

reprend le maquis. Le MPLA <strong>la</strong>nce dans<br />

Luanda une chasse à l’homme où périssent <strong>de</strong>ux<br />

mille cadres et militants <strong>de</strong> l’Unita.<br />

En 1994, un nouveau protocole <strong>de</strong> paix est<br />

signé à Lusaka, <strong>la</strong> capitale zambienne. Il tente<br />

d’aménager un gouvernement d’unité nationale :<br />

Savimbi reçoit le statut <strong>de</strong> chef <strong>de</strong> l’opposition,<br />

l’Unita envoie 70 parlementaires à l’Assemblée.<br />

Mais <strong>la</strong> méfiance réciproque est <strong>de</strong>venue insurmontable,<br />

les enjeux <strong>de</strong> pouvoir et d’argent trop<br />

énormes. La police politique du régime, qui poursuit<br />

ses basses œuvres, bouche les perspectives. En


124 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

face, Savimbi entretient sa machine <strong>de</strong> guerre, en<br />

autocrate impitoyable. Il esquive les mesures <strong>de</strong><br />

désarmement, et ne se déci<strong>de</strong> pas à gagner Luanda.<br />

La paix pourrit sur pied. Les marchands<br />

d’armes sont aux anges. L’Organisation <strong>de</strong>s Nations<br />

unies (ONU) quitte le pays. Les trois “parrains<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> paix” choisissent <strong>de</strong> soutenir à fond le<br />

régime Dos Santos dans son option <strong>de</strong> guerre totale.<br />

Ils tiennent pour négligeable le Manifeste<br />

pour <strong>la</strong> paix signé courageusement par <strong>de</strong>s représentants<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> société civile ango<strong>la</strong>ise I : ceux-ci<br />

prônent <strong>de</strong>s négociations plutôt que le passage en<br />

force, ils doutent qu’une victoire militaire, ou<br />

même l’élimination <strong>de</strong> Savimbi, puissent apaiser le<br />

pays. Paris, non sans un reste <strong>de</strong> double jeu, apporte<br />

son soutien à l’offensive “finale”.<br />

Pétrole & Françafrique<br />

Comment Elf et <strong>la</strong> France se sont-elles insinuées<br />

dans ce jeu mortifère ? Dès 1976, le prési<strong>de</strong>nt Giscard<br />

d’Estaing <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au patron du S<strong>de</strong>ce,<br />

Alexandre <strong>de</strong> Marenches, <strong>de</strong> fournir l’Unita en<br />

armes et en instructeurs (une trentaine), parallèlement<br />

à <strong>la</strong> CIA (Central Intelligence Agency). Bob<br />

Denard est <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie. En 1981, Mitterrand ordonne<br />

<strong>la</strong> cessation du soutien français. Le S<strong>de</strong>ce,<br />

<strong>de</strong>venu DGSE, est re<strong>la</strong>yé par les Services marocains<br />

et sénéga<strong>la</strong>is. Elf paie. Mitterrand change<br />

I. Il leur faut du courage en effet, au vu du sort réservé aux<br />

contestataires. La situation <strong>de</strong>s prisonniers politiques est innommable,<br />

comme le rapporte le journaliste Raphael Marques, incarcéré<br />

pour ses critiques du régime. Un prisonnier avec lequel il<br />

jouait habituellement aux cartes a dû dormir pendant trois jours<br />

dans une cellule sans fenêtres au milieu <strong>de</strong>s corps <strong>de</strong> trois détenus<br />

décédés 10 .


François-Xavier Verschave 125<br />

bientôt d’avis : <strong>la</strong> DGSE peut reprendre une ai<strong>de</strong><br />

directe 11. À Paris, le lobby pro-Unita est alors au<br />

zénith : on y trouve les héritiers libéraux <strong>de</strong> Giscard<br />

– François Léotard, Gérard Longuet, C<strong>la</strong>u<strong>de</strong><br />

Goasguen, Jean-Pierre Binet (beau-frère <strong>de</strong> Vincent<br />

Bolloré) –, mais aussi <strong>de</strong>s Chiraquiens comme<br />

Jacques Toubon. En Afrique, les Hassan II, Houphouët,<br />

Eya<strong>de</strong>ma et Compaoré sont du même<br />

bord. Chez Elf, on a partagé les rôles : Alfred Sirven<br />

côté Unita, André Tarallo côté MPLA.<br />

Parallèlement au soutien à l’Unita, Paris ne<br />

manquait pas <strong>de</strong> fournir au MPLA <strong>de</strong>s armes coûteuses<br />

: <strong>de</strong>s hélicoptères, par exemple, livrés en<br />

1985, vite détruits pour <strong>la</strong> plupart par l’aviation<br />

sud-africaine. En 1987, Paris contribue au sauvetage<br />

financier <strong>de</strong> ce bon client, d’autant que se<br />

profile <strong>la</strong> fourniture d’une couverture radar par<br />

Thomson. En 1989, le ministre ango<strong>la</strong>is <strong>de</strong> <strong>la</strong> Défense<br />

négocie avec Aérospatiale l’achat d’hélicoptères<br />

et d’artillerie pour un montant <strong>de</strong> 2<br />

milliards <strong>de</strong> francs 12.<br />

Le vent tourne en faveur <strong>de</strong>s dirigeants <strong>de</strong><br />

Luanda (MPLA). Leur allié Denis Sassou Nguesso,<br />

provisoirement écarté du pouvoir, facilite le<br />

glissement <strong>de</strong>s préférences françaises. Son ami<br />

Charlie Feliciaggi s’insinue dans les circuits d’approvisionnement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gar<strong>de</strong> prési<strong>de</strong>ntielle, et le<br />

Franco-Brésilien Pierre Falcone dans ceux <strong>de</strong> l’armée.<br />

Le milliardaire Arcadi Gaydamak acquiert <strong>la</strong><br />

nationalité ango<strong>la</strong>ise, <strong>de</strong>venant même « conseiller<br />

aux Affaires étrangères 13». Ces trois-là constituent,<br />

avec Jean-Charles Marchiani et André Tarallo,<br />

une tête <strong>de</strong> pont pasquaïenne en Ango<strong>la</strong>. Au<br />

printemps 1994, Dos Santos ne cache plus son


126 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

attirance pour le ministre <strong>de</strong> l’Intérieur <strong>de</strong><br />

l’époque, qu’il invite à Luanda 14.<br />

Ce<strong>la</strong> n’empêche pas les bonnes manières à<br />

l’égard <strong>de</strong> Jacques Chirac : son ami Sassou l’a rapproché<br />

d’Eduardo Dos Santos. Loin <strong>de</strong>s côtes et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, les découvertes pétrolières se succè<strong>de</strong>nt<br />

dans les eaux ango<strong>la</strong>ises. Chance ? Talent ?<br />

Savoir-faire ? Elf est très souvent en pole position.<br />

Elle décroche le prodigieux bloc 17 I.<br />

L’habitu<strong>de</strong> est prise cependant <strong>de</strong> partager les<br />

risques, y compris politiques, en croisant les participations<br />

entre gran<strong>de</strong>s compagnies. Il faut investir<br />

en effet quelque 300 milliards <strong>de</strong> francs pour<br />

faire <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> le premier producteur africain,<br />

avec près <strong>de</strong> 120 millions <strong>de</strong> tonnes par an en<br />

2005, et une recette annuelle qui pourrait dépasser<br />

les 100 milliards <strong>de</strong> francs. Dont environ un<br />

tiers pour TotalFinaElf.<br />

Négociés en 1999, les trois blocs en eau ultraprofon<strong>de</strong><br />

31, 32 et 33 renfermeraient les plus<br />

vastes réserves mondiales encore inexploitées. Elf a<br />

été désignée comme l’opérateur principal du bloc<br />

32, BP-Amoco est chef <strong>de</strong> file sur le 31, Exxon sur<br />

le 33.<br />

L’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre & <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption<br />

Elf est associée à une société suisse, Pro-Dev, dirigée<br />

par un homme d’affaires syrien. Celle-ci a servi<br />

d’intermédiaire pour d’importantes livraisons<br />

d’armes au Moyen-Orient. Elle aurait fait <strong>de</strong><br />

même en Ango<strong>la</strong> – ses 15 % dans le bloc 32 garan-<br />

I. Ses réserves sont estimées à 600 millions <strong>de</strong> tonnes, quarante<br />

fois <strong>la</strong> production annuelle <strong>de</strong> tout le Congo-Brazzaville.


François-Xavier Verschave 127<br />

tissant <strong>la</strong> transaction. Les responsables d’Elf affirment<br />

ne rien savoir sur Pro-Dev… Évi<strong>de</strong>mment :<br />

c’est un pétrolier <strong>de</strong> raccroc. Tout comme Pierre<br />

Falcone, dont <strong>la</strong> société Falcon Oil & Gas s’est<br />

mise à jouer dans <strong>la</strong> cour <strong>de</strong>s grands : elle a obtenu<br />

10 % dans le bloc 33. Levdan, une grosse société<br />

<strong>de</strong> mercenariat israélienne, en a obtenu <strong>la</strong> moitié<br />

15. Ainsi, 15 % <strong>de</strong> l’exploitation future <strong>de</strong> l’une<br />

<strong>de</strong>s zones les plus riches en pétrole <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète est<br />

gagée dans <strong>la</strong> fourniture <strong>de</strong> biens et services <strong>de</strong><br />

guerre. Quel <strong>de</strong>stin pour le peuple ango<strong>la</strong>is !<br />

Tant <strong>de</strong> pétrole autorise <strong>de</strong>s prêts considérables.<br />

L’argent se partage pour l’essentiel entre les fortunes<br />

privées, les dépenses <strong>de</strong> luxe, les achats<br />

d’armes ou <strong>de</strong> fournitures pour l’armée ango<strong>la</strong>ise I.<br />

Les commissions sur ces importations publiques<br />

sont <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 40 à 50 %. Elles s’ajoutent aux<br />

droits d’entrée, ou “bonus”, obtenus par le c<strong>la</strong>n au<br />

pouvoir : un milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs pour les seuls blocs<br />

31 à 33 17 ! Ce paiement <strong>de</strong> “bonus” hors budget,<br />

« c’est comme payer <strong>de</strong>s gangsters pour obtenir un<br />

service », s’indigne un observateur 18. Sans parler<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s ventes courantes <strong>de</strong> pétrole qui alimente<br />

directement les comptes prési<strong>de</strong>ntiels. « Les<br />

dirigeants ango<strong>la</strong>is participent à un “vol légal”. 19»<br />

Leur peuple est littéralement déshérité.<br />

Dans Politique africaine, Christine Messiant, du<br />

Centre national <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche scientifique<br />

(CNRS), dénonce « le “culte <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité” »,<br />

« <strong>la</strong> privatisation du “bien public” au profit <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

I. La Compagnie ango<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> distribution alimentaire (CADA),<br />

basée aux Îles Vierges, a obtenu un contrat <strong>de</strong> 720 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs pour nourrir les Forces armées ango<strong>la</strong>ises. Le prési<strong>de</strong>nt<br />

Dos Santos a pris le contrôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> CADA juste avant <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> guerre civile, fin 1998… 16


128 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

nomenk<strong>la</strong>tura du parti-État », le renforcement <strong>de</strong><br />

« <strong>la</strong> prédation sur le pétrole », « un ordre sécuritaire<br />

entretenant <strong>la</strong> peur », l’opacité « dans tous les<br />

comptes cruciaux », « les délits économiques majeurs<br />

», <strong>la</strong> continuation <strong>de</strong>s « grands trafics, notamment<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>vises et <strong>de</strong> diamants », « les plus<br />

gran<strong>de</strong>s di<strong>la</strong>pidations <strong>de</strong> fonds publics et <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong><br />

internationale, les détournements dans les<br />

banques et les entreprises publiques, ainsi que<br />

ceux, massifs, <strong>de</strong> marchandises », « <strong>la</strong> généralisation<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption » 20.<br />

Le journaliste-écrivain Pedro Rosa Men<strong>de</strong>s, du<br />

très respecté quotidien portugais Publico, a dressé<br />

début 2000 un tableau pénétrant <strong>de</strong> l’évolution<br />

<strong>de</strong> ce système – attaqué en diffamation, on le<br />

comprendra, par Eduardo Dos Santos. Nos lecteurs<br />

le liront avec <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce nécessaire : « José<br />

Eduardo Dos Santos est au centre d’un réseau international<br />

d’affaires qui lie le sommet <strong>de</strong> <strong>la</strong> hiérarchie<br />

ango<strong>la</strong>ise à <strong>de</strong>s entreprises et personnalités<br />

suspectées <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions avec le pouvoir parallèle<br />

russe et à <strong>de</strong>s institutions qui sont sous investigation<br />

dans le cadre du “Kremlingate”. Armes, pétrole<br />

et diamants constituent le terrain privilégié<br />

<strong>de</strong>s intérêts étrangers en Ango<strong>la</strong>, mais les tentacules<br />

émanant du Futungo <strong>de</strong> Be<strong>la</strong>s (siège <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Prési<strong>de</strong>nce et du gouvernement) s’éten<strong>de</strong>nt à<br />

d’autres secteurs très rentables. Un <strong>de</strong>s meilleurs<br />

exemples est <strong>la</strong> société CADA, actuel fournisseur<br />

<strong>de</strong>s Forces armées ango<strong>la</strong>ises, qui lie le prési<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> à <strong>de</strong>s partenaires au Brésil, en France,<br />

en Slovaquie et en Russie.<br />

« L’Ango<strong>la</strong> – à travers les contrats <strong>de</strong> l’entreprise<br />

publique Simportex [anciennement Ematec], qui


François-Xavier Verschave 129<br />

impliquent le sommet <strong>de</strong> ses structures gouvernementales,<br />

financières et militaires – a payé à l’entrepreneur<br />

franco-russe Arkadi Gaidamak I 135<br />

millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs en sus <strong>de</strong> ce qu’il <strong>de</strong>vait recevoir<br />

pour une livraison <strong>de</strong> matériel militaire. Ce<br />

montant, versé en équivalent pétrole, a été transféré<br />

par <strong>la</strong> [société pétrolière nationale] Sonangol<br />

sans justification économique, puisqu’il s’agissait<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> fourniture d’armements, ni justification formelle,<br />

puisqu’il s’est effectué hors cadre budgétaire.<br />

Il a été payé fin 1996, selon <strong>de</strong>s documents<br />

auxquels Publico a eu accès. L’affaire a été bouclée<br />

par un ensemble d’institutions bancaires presque<br />

toutes européennes (France, Suisse, Allemagne,<br />

Autriche… ) sous le lea<strong>de</strong>rship <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque Paribas<br />

– une <strong>de</strong>s banques que Luanda a utilisées <strong>de</strong><br />

façon <strong>de</strong> plus en plus fréquente pour ses transactions<br />

et emprunts ces <strong>de</strong>rnières années.<br />

« Les documents consultés par Publico ne confirment<br />

pas seulement un élément clef du processus<br />

ango<strong>la</strong>is : le gouvernement, y compris après <strong>la</strong> signature<br />

<strong>de</strong>s accords <strong>de</strong> Lusaka (<strong>la</strong> paix a été signée<br />

en novembre 1994), a continué à investir par centaines<br />

<strong>de</strong> millions en “matériel létal”, à une pério<strong>de</strong><br />

où l’option politique officielle était <strong>la</strong> reconstruction<br />

du pays. Mais les documents <strong>de</strong> Publico prouvent<br />

aussi qu’à partir <strong>de</strong> 1996 au moins l’Ango<strong>la</strong> a<br />

pu effectuer <strong>de</strong>s transferts nets à l’étranger en direction<br />

<strong>de</strong> personnalités très proches du prési<strong>de</strong>nt<br />

José Eduardo Dos Santos, tel que Gaidamak.<br />

I. Les prénom et nom d’Arcady Gaydamak ont plusieurs retranscriptions<br />

possibles en alphabet <strong>la</strong>tin. De même pour Lev Leviev ou<br />

<strong>la</strong> banque Menatep. Dans les citations, nous respectons en principe<br />

<strong>la</strong> graphie employée par l’auteur.


130 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

« Selon une source <strong>de</strong> Publico, qui suit <strong>de</strong> près<br />

les affaires <strong>de</strong> Futungo <strong>de</strong> Be<strong>la</strong>s, le paiement à Arkadi<br />

Gaidamak “indique une novation <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions”<br />

entre l’Ango<strong>la</strong> et quelques-uns <strong>de</strong> ses<br />

mystérieux partenaires : le transfert <strong>de</strong> fonds s’effectue<br />

<strong>de</strong> l’intérieur vers l’extérieur, au travers <strong>de</strong><br />

très nombreux réseaux financiers qui facilitent par<br />

exemple l’achat d’armes ; le paiement à Gaidamak<br />

indique un transfert nouveau en sens inverse […].<br />

L’Ango<strong>la</strong> n’est plus seulement un endroit pour <strong>de</strong>s<br />

affaires rentables ; Luanda fonctionne aussi comme<br />

un “pipe-line” pour <strong>de</strong>s sommes élevées qui pourront<br />

passer par Gaidamak, mais continueront plus<br />

loin vers les secteurs obscurs <strong>de</strong> l’ex-URSS.<br />

« Arkadi Gaidamak et son associé français Pierre<br />

Falcone ont assuré, <strong>de</strong>puis 1993, <strong>la</strong> fourniture<br />

d’armements (ou “matériel létal”) aux Forces armées<br />

ango<strong>la</strong>ises. Un commerce juteux : <strong>de</strong>puis<br />

lors, les FAA sont passées par un processus <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation<br />

et se sont équipées pour <strong>de</strong>ux guerres<br />

civiles (<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière en date n’est toujours pas terminée).<br />

Interrogés sur <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion privilégiée <strong>de</strong><br />

l’Ango<strong>la</strong> avec Gaidamak et Falcone, les responsables<br />

ango<strong>la</strong>is se justifient en privé, au sein <strong>de</strong>s<br />

circuits diplomatiques internationaux, en faisant<br />

remarquer que les <strong>de</strong>ux associés ont avancé à<br />

Luanda les moyens financiers pour réaliser <strong>de</strong>s<br />

achats d’armes. Ce<strong>la</strong>, toutefois, n’explique pas le<br />

paiement <strong>de</strong> 135 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs.<br />

« La capacité financière <strong>de</strong> Gaidamak, d’un<br />

autre côté, n’avait rien à voir avec son succès en<br />

tant qu’homme d’affaires. Arkadi Gaidamak a été<br />

pendant 5 ans débiteur <strong>de</strong> Menatep, <strong>la</strong> banque où<br />

il a pu obtenir plusieurs millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs pour


François-Xavier Verschave 131<br />

<strong>de</strong>s investissements – pour <strong>la</strong> fourniture d’armes à<br />

l’Ango<strong>la</strong>, par exemple. Menatep, qui a exporté vers<br />

l’Occi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s capitaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> nomenk<strong>la</strong>tura <strong>de</strong><br />

Moscou (et a fait faillite lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise <strong>de</strong> 1998),<br />

est à l’origine <strong>de</strong> l’investigation pour détournement<br />

<strong>de</strong> fonds appelée “Kremlingate”.<br />

« Il ne serait pas surprenant, selon les sources <strong>de</strong><br />

Publico I, que le paiement <strong>de</strong>s 135 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

à Gaidamak ait été effectué à travers un<br />

compte ouvert par <strong>la</strong> Sonangol à <strong>la</strong> Bank of New<br />

York – institution suspectée <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion avec le<br />

b<strong>la</strong>nchiment d’argent et qui <strong>de</strong>puis l’année <strong>de</strong>rnière<br />

attire l’attention <strong>de</strong> l’enquête internationale<br />

sur le scandale du “Kremlingate”. […]<br />

« La re<strong>la</strong>tion privilégiée <strong>de</strong> Gaidamak et Falcone<br />

auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce ango<strong>la</strong>ise permet <strong>de</strong> donner<br />

sens aussi à une autre innovation du contexte<br />

ango<strong>la</strong>is : l’entrée <strong>de</strong> sociétés inconnues et liées au<br />

trafic d’armes dans l’offshore <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>, au côté<br />

<strong>de</strong> compagnies pétrolières internationales exploitant<br />

les blocs en eaux ultra-profon<strong>de</strong>s. Le gouvernement<br />

ango<strong>la</strong>is avait déjà mis ses diamants dans<br />

<strong>de</strong>s mains russes, par un contrat d’exclusivité signé<br />

entre <strong>la</strong> société Endiama et un citoyen russe émigré<br />

en Israël, Leviev. Maintenant, l’Est arrive dans<br />

le mon<strong>de</strong> du pétrole ango<strong>la</strong>is, avec <strong>de</strong>s concessions<br />

qui préten<strong>de</strong>nt remédier à l’énorme manque <strong>de</strong> liquidités<br />

<strong>de</strong> Luanda.<br />

« En décembre, le rapport <strong>de</strong> l’organisation britannique<br />

Global Witness sur le pétrole et <strong>la</strong> corruption<br />

posait <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence<br />

d’entreprises comme Pro<strong>de</strong>v et Falcon Oil dans les<br />

I. Pedro Rosa Men<strong>de</strong>s, avec lequel nous avons été en contact, ne<br />

peut en dire plus sur ses sources, qui craignent pour leur sécurité.


132 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

blocs concédés en 1999. Publico confirme que les<br />

nouveaux opérateurs ont été guidés par <strong>la</strong> main<br />

prési<strong>de</strong>ntielle ango<strong>la</strong>ise, qui les a “introduits<br />

comme un fait accompli”. 21»<br />

Des flux considérables (pétrole, armes, <strong>de</strong>ttes)<br />

ont été brassés entre <strong>la</strong> Bank of New York et les<br />

eaux profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’offshore ango<strong>la</strong>is. Elf et les réseaux<br />

français sont aux premières loges, au mieux<br />

avec le prési<strong>de</strong>nt Dos Santos et les dirigeants <strong>de</strong><br />

Luanda.<br />

Leur créativité financière a été déterminante,<br />

tandis que le jeu français en Ango<strong>la</strong> conservait sa<br />

duplicité. Au moins jusqu’à <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Hassan II,<br />

le Maroc fournissait un appui considérable à<br />

l’Unita. Le Burkina <strong>de</strong> Compaoré est un havre<br />

pour les recrues <strong>de</strong> Savimbi, pour sa famille et ses<br />

affaires. Le Togo d’Eya<strong>de</strong>ma est plus qu’hospitalier.<br />

Or Jacques Chirac était ou est très proche <strong>de</strong><br />

ces trois chefs d’État. Paris « tente <strong>de</strong> parvenir à<br />

un équilibre entre ses alliés historiques au sein <strong>de</strong><br />

l’Unita I et ses intérêts pétroliers à Luanda », écrit<br />

Africa Confi<strong>de</strong>ntial 22 mi-1999. Au même moment,<br />

Elf et Total étaient en pleine bataille boursière.<br />

« Des émissaires <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux compagnies sont<br />

allés, preuves à l’appui, raconter au prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is<br />

Eduardo Dos Santos que “l’autre camp”<br />

avait <strong>de</strong>s contacts coupables avec <strong>la</strong> rébellion <strong>de</strong><br />

Jonas Savimbi… 23»<br />

Ces connexions avec l’Unita n’ont pas empêché<br />

Jacques Chirac <strong>de</strong> se rendre à Luanda en juillet<br />

1998, y féliciter l’armée ango<strong>la</strong>ise d’avoir envahi le<br />

Congo-Brazzaville. Au passage, il décroche pour<br />

I. Le député européen Yves Verwaer<strong>de</strong>, du Parti républicain, était<br />

appointé par Alfred Sirven pour gar<strong>de</strong>r le contact avec l’Unita.


François-Xavier Verschave 133<br />

les groupes Bouygues et Lyonnaise <strong>de</strong>s Eaux une<br />

partie du marché d’équipement du gisement sousmarin<br />

Girassol, d’un coût total <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 10 milliards<br />

<strong>de</strong> francs. Puisqu’il convient <strong>de</strong> mé<strong>la</strong>nger <strong>la</strong><br />

guerre, <strong>la</strong> politique et les affaires, l’ancien responsable<br />

<strong>de</strong>s services économiques <strong>de</strong> l’ambassa<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

France à Luanda, A<strong>la</strong>in Pfeiffer, est promu directeur<br />

Afrique à Paribas 24.<br />

Le peuple ango<strong>la</strong>is, l’un <strong>de</strong>s plus misérables et<br />

maltraités <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète, n’a que le sang et les<br />

armes. Plus une <strong>de</strong>tte exponentielle. Les budgets<br />

sont <strong>de</strong> pures fictions I. « La situation économique<br />

du pays est <strong>de</strong> plus en plus désespérée. 26» Le régime<br />

pratique <strong>la</strong> fuite en avant par l’émission effrénée<br />

<strong>de</strong> papier monnaie, par <strong>la</strong> guerre civile et <strong>la</strong><br />

guerre extérieure. Selon l’ancien prési<strong>de</strong>nt congo<strong>la</strong>is<br />

Pascal Lissouba 27, Jonas Savimbi lui aurait expliqué<br />

« qu’il avait compris petit à petit qu’il ne<br />

terminerait jamais cette guerre car on aidait les<br />

Ango<strong>la</strong>is à s’entre-tuer II. Un trop bref moment <strong>de</strong><br />

lucidité.<br />

De l’autre côté du miroir, Jean-Christophe Mitterrand<br />

se souvient : « En tant que consultant, à<br />

tous ceux qui me <strong>de</strong>mandaient quel pays du<br />

continent africain était le plus intéressant, je répondais<br />

invariablement : l’Ango<strong>la</strong>. 29»<br />

I. Un simple exemple : en 1996, « les revenus du pétrole (90 %<br />

<strong>de</strong>s recettes <strong>de</strong> l’État) sont calculés sur un taux <strong>de</strong> change <strong>de</strong><br />

265 000 kwanzas pour un dol<strong>la</strong>r alors que le taux pratiqué dans<br />

<strong>la</strong> rue est <strong>de</strong> 470 000 kwanzas 25 ». Soit une “marge” <strong>de</strong> 44 %.<br />

II. L’ancien cadre d’Elf Jean-Pierre Vandale résume l’arnaque dans<br />

un <strong>la</strong>ngage moins châtié : « Nap [Tarallo], Caro Papa [Pasqua] et<br />

même les socialistes avaient consolidé le pouvoir <strong>de</strong> l’homme-lige<br />

<strong>de</strong> Luanda [Dos Santos] en lui évitant <strong>la</strong> déroute quand il fut lâché<br />

par ses alliés, Cuba et l’URSS. […] Sire Veine avait joué Sam<br />

Vimbi. Finalement ils les avaient sucrés tous les <strong>de</strong>ux, selon les<br />

vieilles règles du jeu africain. 28 »


François-Xavier Verschave 135<br />

6. Sous Gaydamak, Falcone<br />

Pierre Falcone est le fils d’un autre Pierre Falcone,<br />

né en 1923 près <strong>de</strong> Naples. Parti s’établir en Algérie,<br />

il fit fortune dans <strong>la</strong> pêche et <strong>la</strong> conserverie<br />

sous <strong>la</strong> marque “Papa Falcone” 30. Conseillé par<br />

l’avocat Georges Dayan, il aurait été l’un <strong>de</strong>s rares<br />

pieds-noirs à soutenir <strong>la</strong> carrière <strong>de</strong> François Mitterrand<br />

31. À <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre d’Algérie, il rapatrie<br />

sa société à Port-Vendres, où <strong>la</strong> “Société<br />

nouvelle Papa Falcone” est désormais gérée par<br />

François Frezouls.<br />

Pierre Falcone senior est un vieil ami d’Étienne<br />

Leandri 32. Cet intermédiaire <strong>de</strong> haut vol, proche<br />

<strong>de</strong> Pierre-Philippe et Charles Pasqua, ainsi que <strong>de</strong><br />

Jean-Charles Marchiani, était jusqu’à sa mort, en<br />

1995, un personnage central <strong>de</strong>s affaires d’armes<br />

et <strong>de</strong> corruption en France. Col<strong>la</strong>borateur notoire,<br />

doté d’un uniforme <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gestapo, il s’était enfui<br />

en Italie après <strong>la</strong> guerre. Il y était <strong>de</strong>venu trafiquant<br />

<strong>de</strong> cigarettes, <strong>de</strong> fausse monnaie et <strong>de</strong><br />

drogue, branché sur <strong>la</strong> filière corse <strong>de</strong> trafic<br />

d’opium. Ami <strong>de</strong> Jo Renucci et d’Antoine Guerini,<br />

il se lie aussi au chef mafieux Lucky Luciano : il le<br />

représente auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> CIA, dont il rencontre<br />

plusieurs fois le patron, Allen Dulles. L’agence<br />

américaine apprécie son anticommunisme. Elle<br />

obtient en 1955 l’annu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> sa condamnation<br />

à vingt ans <strong>de</strong> travaux forcés pour col<strong>la</strong>boration.<br />

Étienne Leandri rentre en France, il est avec son<br />

compatriote corse Charles Pasqua l’un <strong>de</strong>s cofondateurs<br />

du célèbre SAC (Service d’action civique).<br />

Il se <strong>la</strong>nce dans l’immobilier, puis dans les contrats<br />

d’armement, avec sa société Tradinco. C’est alors<br />

qu’il <strong>de</strong>vient l’ami inséparable du milliardaire


136 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

irako-britannique Nadhmi Auchi. Opérant souvent<br />

<strong>de</strong>puis Londres, comme Auchi, il y représente<br />

officiellement les intérêts d’Elf, Dumez et<br />

Thomson – trois groupes où les commissions dépassent<br />

parfois allègrement <strong>la</strong> centaine <strong>de</strong> millions<br />

<strong>de</strong> francs. Ses propres pourcentages le transforment<br />

en nabab, intime entre autres du roi Fahd<br />

d’Arabie saoudite. En fait, malgré les inquisitions<br />

du fisc, Leandri vit en France. Vu ses clients, il y<br />

bénéficie <strong>de</strong>s plus hautes protections. Et même<br />

d’un droit <strong>de</strong> regard sur <strong>la</strong> Sofremi, une officine<br />

parapublique <strong>de</strong> vente d’armes et d’équipements,<br />

sise rue <strong>de</strong> Messine et dépendant du ministère<br />

français <strong>de</strong> l’Intérieur. Il a par ailleurs initié au<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ventes d’armes le fils <strong>de</strong> Charles Pasqua,<br />

Pierre-Philippe.<br />

La famille Falcone, comme <strong>la</strong> famille Pasqua, est<br />

donc l’amie <strong>de</strong> cet Étienne Leandri – allez savoir<br />

pourquoi I. Elle serait aussi au mieux avec <strong>la</strong> famille<br />

Bush, selon le journaliste Airy Routier 34. Avant <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s États-Unis, George Bush senior<br />

dirigea <strong>la</strong> CIA. Avant d’accé<strong>de</strong>r à son tour à <strong>la</strong><br />

Maison b<strong>la</strong>nche, George Bush junior, gouverneur<br />

du Texas, aurait fréquenté, à Scottsdale en Arizona,<br />

le somptueux ranch <strong>de</strong>s Falcone II– qui ont<br />

« généreusement contribué à financer 36» sa campagne.<br />

Son épouse serait d’ailleurs <strong>de</strong>venue l’amie<br />

I. Simples coïnci<strong>de</strong>nces ? Port-Vendres, où <strong>la</strong> famille Falcone a<br />

rapatrié ses affaires algériennes, est présenté par <strong>de</strong>s spécialistes<br />

comme un port d’attache du trafic <strong>de</strong> drogue. C’est là aussi que<br />

Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Méry a racheté en 1990 les terrains d’une usine<br />

d’explosifs, pour 27 millions <strong>de</strong> francs. Il projetait d’y réaliser un<br />

port <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isance <strong>de</strong> 9 ha, avec 1 000 logements et une marina<br />

pour 500 bateaux. Coût du projet : 500 millions <strong>de</strong> francs 33 .<br />

II. Stephen Smith juge utile <strong>de</strong> préciser, en sens inverse, que<br />

« George W. Bush n’y a jamais pris le thé, contrairement à une<br />

légen<strong>de</strong> un peu vite colportée 35 ».


François-Xavier Verschave 137<br />

<strong>de</strong> Sonia Falcone, l’épouse d’origine bolivienne <strong>de</strong><br />

Pierre Falcone junior. Les Bush sont très proches<br />

du lobby pétrolier américain, surinvesti 37 en Ango<strong>la</strong><br />

I. Les Falcone surarment le régime ango<strong>la</strong>is.<br />

En 1985, les Falcone créent à Paris <strong>la</strong> société<br />

Brenco, une SARL au capital initial <strong>de</strong> 50 000<br />

francs, puis <strong>de</strong>ux ans plus tard Brenco Trading International<br />

Limited, « basée sur l’île <strong>de</strong> Man 39» –<br />

dont <strong>la</strong> SARL parisienne <strong>de</strong>vient <strong>la</strong> filiale, sous le<br />

nom <strong>de</strong> Brenco-France. Les Falcone se <strong>la</strong>ncent<br />

dans les ventes d’armes, en commençant par <strong>la</strong><br />

Colombie 40. Puis ils représentent <strong>la</strong> Sofremi en<br />

Amérique <strong>la</strong>tine (notamment, outre <strong>la</strong> Colombie,<br />

en Argentine, en Équateur et au Mexique). Ils acquièrent<br />

le statut <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt à vie au Brésil, mais<br />

peuvent aussi mobiliser <strong>de</strong>s capitaux équatoriens<br />

et colombiens 41. Ils sont présents à Londres et<br />

Montréal. Ils éten<strong>de</strong>nt leurs activités commerciales<br />

vers l’Asie, puis vers l’Afrique. Brenco aurait<br />

traité vers 1988 un marché <strong>de</strong> gaz <strong>de</strong> combat avec<br />

l’Irak (dont est originaire l’ami Auchi). À Pékin,<br />

elle est représentée par Thierry Imbot, fils <strong>de</strong><br />

René Imbot, ancien directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> DGSE 42. Au<br />

Vietnam et en Birmanie, Brenco et Setraco mêlent<br />

leurs savoir-faire pour p<strong>la</strong>cer <strong>de</strong>s équipements<br />

militaires est-européens.<br />

C’est Étienne Leandri qui fait se rencontrer Pierre<br />

Falcone et Arcadi Gaydamak 43. C’est encore lui<br />

qui, en 1993, via Charles Pasqua, fait nommer<br />

<strong>de</strong>ux hommes sûrs à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> <strong>la</strong> discrète Sofremi :<br />

I. « Le vice-prési<strong>de</strong>nt, Dick Cheney, dirigeait Halliburton, une multinationale<br />

spécialisée dans les hydrocarbures. Pour sa part,<br />

Conzoletta Rice, <strong>la</strong> conseillère du prési<strong>de</strong>nt pour <strong>la</strong> sécurité nationale,<br />

a siégé au conseil d’administration <strong>de</strong> Chevron. Ces <strong>de</strong>ux<br />

sociétés sont d’ores et déjà très bien imp<strong>la</strong>ntées en Ango<strong>la</strong>. 38 »


138 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

<strong>de</strong>ux anciens <strong>de</strong> Thomson, Bernard Poussier (corse<br />

par sa mère, originaire du même vil<strong>la</strong>ge que<br />

Charles Pasqua) I et Bernard Dubois. Après coup,<br />

Poussier admet 45 que <strong>la</strong> Sofremi n’est qu’« un<br />

outil dont le seul but est d’éviter les appels d’offres<br />

internationaux », « une imposture commerciale et<br />

juridique ». Le jeune Falcone est en cheville avec <strong>la</strong><br />

Sofremi <strong>de</strong>puis 1989, sur <strong>la</strong> recommandation d’un<br />

col<strong>la</strong>borateur <strong>de</strong> Charles Pasqua, Yann Guez II.<br />

Dans ce qui est <strong>de</strong>venu un cocon pasquaïen, où il<br />

est désormais « l’unique interlocuteur 47», omniprésent,<br />

il peut donner <strong>la</strong> mesure <strong>de</strong> son talent :<br />

« Avec Marchiani, Pierre Falcone a contribué à <strong>la</strong><br />

conclusion d’un accord franco-ango<strong>la</strong>is <strong>de</strong> sécurité<br />

et <strong>de</strong> police conclu, avec l’aval <strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> République française, après le retour <strong>de</strong> Pasqua<br />

au ministère <strong>de</strong> l’Intérieur, en mars 1993. Négocié<br />

sur p<strong>la</strong>ce par Marchiani, il comprenait notamment<br />

un volet “technique” géré par <strong>la</strong> Société française<br />

d’exportation <strong>de</strong> matériels, systèmes et services<br />

(Sofremi) relevant du ministère <strong>de</strong> l’Intérieur. […]<br />

À l’époque, son conseiller pour les affaires ango<strong>la</strong>ises<br />

n’est autre que Pierre Falcone qui, avec son<br />

partenaire Gaïdamak, va veiller à <strong>la</strong> livraison<br />

d’armes. L’accord passé entre les sociétés ango<strong>la</strong>ises<br />

et françaises stipu<strong>la</strong>it alors que les armes en question<br />

ne <strong>de</strong>vaient pas transiter par <strong>la</strong> France, que les<br />

exportations <strong>de</strong>vaient être en règle et enfin que les<br />

sociétés d’exportation mises à contribution ne <strong>de</strong>vaient<br />

pas avoir leur siège en France. 48»<br />

I. Bernard Poussier dément être un proche <strong>de</strong> Charles Pasqua,<br />

tout en admettant qu’en 1993 celui-ci « cherchait <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong><br />

confiance 44 ».<br />

II. Selon le prédécesseur <strong>de</strong> Bernard Poussier, Philippe<br />

Melchior 46 .


François-Xavier Verschave 139<br />

Il n’était pas interdit, par contre, <strong>de</strong> “dégager”<br />

<strong>de</strong> belles marges en fourguant <strong>de</strong>s matériels <strong>de</strong> fin<br />

<strong>de</strong> série ou d’occasion. Pierre Falcone Jr a bien appris<br />

les leçons <strong>de</strong> Leandri. Ayant déniché en Italie<br />

du matériel <strong>de</strong> communication soldé, il l’aurait revendu<br />

pour 300 millions <strong>de</strong> francs à l’Ango<strong>la</strong>, via<br />

<strong>la</strong> Sofremi. Trois fois le prix. 50 % <strong>de</strong> commissions<br />

49. Falcone obtient <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sofremi « <strong>de</strong>s commissions<br />

exorbitantes », confirme le préfet Henri<br />

Hurand 50, futur directeur <strong>de</strong> cet office.<br />

Peut-on faire <strong>de</strong>s affaires en Ango<strong>la</strong> sans négocier<br />

du pétrole ? Depuis son ranch en Arizona,<br />

Pierre Falcone a compté parmi les chauds supporters<br />

<strong>de</strong> George W. Bush… tout comme les pétroliers<br />

américains. Il a établi à Panama une holding<br />

pétrolière, Falcon Oil & Gas. Avec les 10 % obtenus<br />

dans le bloc 33, opéré par Exxon, ce pétrolier<br />

d’occasion a décroché un pactole 51.<br />

Falcone codirige aussi <strong>la</strong> société ango<strong>la</strong>ise Simportex,<br />

qui avait le quasi-monopole <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture<br />

et <strong>de</strong> l’habillement <strong>de</strong>s Forces armées<br />

ango<strong>la</strong>ises (FAA) I. Simportex est étroitement liée<br />

au principal acheteur d’armes <strong>de</strong>s FAA, le général<br />

Manuel Helda Vieira Dias, alias <strong>Ko</strong>pelipa.<br />

En 1997, Simportex et <strong>Ko</strong>pelipa ont acheté en<br />

Europe <strong>de</strong> l’Est pour quelque 3 milliards <strong>de</strong><br />

francs d’armes, munitions et fournitures diverses.<br />

Heureux courtiers : Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak<br />

(ce qui conduit le fisc français à leur réc<strong>la</strong>mer<br />

1,25 milliards <strong>de</strong> francs 53). Ingénierie<br />

financière : Glencore et Paribas (chef <strong>de</strong> file d’un<br />

I. Jusqu’à ce qu’elle soit supp<strong>la</strong>ntée par <strong>la</strong> CADA du prési<strong>de</strong>nt Dos<br />

Santos 52 .


140 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

pool d’une dizaine <strong>de</strong> banques dont <strong>la</strong> BNP,<br />

Worms, <strong>la</strong> Banque popu<strong>la</strong>ire… ) 54. Cette société<br />

suisse et cette banque française sont au cœur du<br />

système <strong>de</strong> prêts gagés sur le pétrole futur <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>.<br />

On peut bien appeler ce<strong>la</strong> une pompe à fric,<br />

vu les usages <strong>de</strong> ces prêts, et leur taux élevé. L’ancien<br />

“Monsieur Ango<strong>la</strong>” <strong>de</strong> Paribas, Jean-Didier<br />

Maille, est <strong>de</strong>venu le directeur financier <strong>de</strong> Glencore.<br />

Après <strong>la</strong> chute du mur <strong>de</strong> Berlin, celle-ci a<br />

gagné <strong>de</strong>s milliards <strong>de</strong> francs suisses sur le pétrole<br />

<strong>de</strong> l’ex-URSS, en association avec Menatep, <strong>la</strong><br />

banque russe au cœur du “Kremlingate”. Glencore<br />

a transféré son expertise en Ango<strong>la</strong>, au service<br />

<strong>de</strong> l’équipe Falcone 55.<br />

En septembre 1999, cette sympathique prospérité<br />

a été troublée par une alerte rouge. Dix ans<br />

plus tôt, les États Unis avaient battu l’URSS par<br />

jet <strong>de</strong> l’éponge. Depuis, <strong>la</strong> mafia tenait le haut du<br />

pavé dans une Russie exténuée – qu’il fal<strong>la</strong>it<br />

quand même ai<strong>de</strong>r. D’un coup, <strong>la</strong> réalité est revenue<br />

en boomerang : <strong>la</strong> mafia captait l’essentiel <strong>de</strong>s<br />

prêts du FMI, elle a “recyclé” 10 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

d’ai<strong>de</strong> internationale, elle s’est même permis,<br />

avec cet argent, <strong>de</strong> circonvenir l’une <strong>de</strong>s plus<br />

vieilles banques américaines. Nombre <strong>de</strong> dirigeants<br />

occi<strong>de</strong>ntaux se <strong>la</strong>issent volontiers corrompre,<br />

avec leurs amis du Sud, par les facilités<br />

paradisiaques <strong>de</strong>s îles Vierges ou Caïman. Mais ils<br />

découvrent qu’à ce jeu-là – <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> jungle – les<br />

mafieux russes sont aussi coriaces que leurs compatriotes<br />

aux échecs.<br />

Les Américains et le FMI s’agitent. Ils ne sont<br />

pas les seuls. Le 30 septembre 1999, La Lettre du<br />

Continent publiait un éditorial, « Ango<strong>la</strong> : une af-


François-Xavier Verschave 141<br />

faire “franco-russe” ? », où elle signa<strong>la</strong>it d’autres<br />

gens soucieux. Arcadi Gaydamak en a fait condamner<br />

certains termes. Mais pas d’autres : « Depuis<br />

que l’affaire du “Kremlingate” a éc<strong>la</strong>té à Moscou,<br />

on dort mal au Pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Futungo, à Luanda, et on<br />

s’inquiète à Paris chez les initiés du vil<strong>la</strong>ge francoango<strong>la</strong>is.<br />

[…] Une réunion informelle sur ce dossier<br />

s’est même tenue à l’Élysée […] entre <strong>de</strong>s<br />

militaires <strong>de</strong> haut rang, <strong>de</strong>s responsables <strong>de</strong>s services<br />

<strong>de</strong> renseignement et <strong>de</strong>s diplomates. La <strong>la</strong>ncinante<br />

question était <strong>de</strong> savoir si <strong>la</strong> France ne<br />

risquait pas, un jour, d’être impliquée dans une extension<br />

du “Kremlingate” en Ango<strong>la</strong>. […]<br />

«À l’origine <strong>de</strong> ce ma<strong>la</strong>ise, on trouve l’équipe<br />

franco-russe constituée dans les années 80 entre<br />

Arcadi Gaïdamak, très actif dans le complexe<br />

militaro-financier russe […], et l’homme d’affaires<br />

français Pierre J. Falcone, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Brenco<br />

[…]. Les <strong>de</strong>ux hommes sont <strong>de</strong>venus les piliers incontournables<br />

<strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions franco-ango<strong>la</strong>ises […].<br />

Le vrai patron <strong>de</strong> l’équipe est […] Arcadi Gaïdamak<br />

[…], ancien émigré russe en Israël, naturalisé<br />

français en 1975 sur l’intervention <strong>de</strong> Robert Pandraud<br />

[…].<br />

« Plusieurs grands groupes ango<strong>la</strong>is ont leurs<br />

comptes à <strong>la</strong> Bank of New York qui est accusée<br />

par le FBI (Fe<strong>de</strong>ral Bureau of Investigation)<br />

d’avoir “recyclé” 10 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs d’argent<br />

russe. […] Des sociétés liées à Menatep ont aussi<br />

opéré dans les circuits <strong>de</strong> financement du pétrole<br />

ango<strong>la</strong>is ».<br />

Depuis lors ont été publiés, par Le Parisien du<br />

23 mars 2001, <strong>de</strong>s documents <strong>de</strong> <strong>la</strong> DGSE – une<br />

autre bête noire <strong>de</strong> Gaydamak – décrivant une


142 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

chaîne d’« opérations <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nchiment » : l’équipe<br />

Falcone-Gaydamak aurait investi en Ango<strong>la</strong> « <strong>de</strong>s<br />

fonds en provenance <strong>de</strong> Russie, <strong>de</strong> l’Équateur et<br />

<strong>de</strong> Colombie » ; le pétrole ango<strong>la</strong>is fourni en compensation<br />

<strong>de</strong>s achats d’armes par l’entremise <strong>de</strong><br />

Paribas serait « revendu sous l’étiquette “brut russe”<br />

par Brenco », avec l’assistance <strong>de</strong> Glencore.<br />

Résumons : Glencore a gagné <strong>de</strong>s milliards sur<br />

le pétrole russe, <strong>de</strong> concert avec les héritiers <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

nomenk<strong>la</strong>tura soviétique. L’immense bradage <strong>de</strong>s<br />

hydrocarbures est l’une <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> <strong>la</strong> faillite <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Russie. Le même groupe d’héritiers sans scrupules<br />

a aussi di<strong>la</strong>pidé l’arsenal <strong>de</strong> l’Armée rouge,<br />

les énormes stocks d’aluminium, d’engrais I, etc.<br />

(avec <strong>de</strong>s profits astronomiques II), mais aussi les<br />

créances du pays III et les milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs du<br />

FMI. Une part <strong>de</strong> ces flux (pétrole, armes, <strong>de</strong>ttes)<br />

a pu être brassée entre <strong>la</strong> Bank of New York et les<br />

recettes du pétrole ango<strong>la</strong>is, grâce à <strong>la</strong> gestion parfaitement<br />

occulte du régime <strong>de</strong> Luanda. Pierre<br />

Falcone est constamment en affaires avec Glencore<br />

et Paribas – entre lesquels Jean-Didier Maille a fait<br />

<strong>la</strong> navette. Au printemps 2000, Glencore a encore<br />

levé 3 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> prêts gagés à l’Ango<strong>la</strong>,<br />

avec <strong>de</strong>s banques comme Paribas, <strong>la</strong> Société générale,<br />

<strong>la</strong> Dresdner Bank Luxembourg IV, etc. 58<br />

I. Arcadi Gaydamak « se présente aujourd’hui comme “le numéro<br />

un mondial <strong>de</strong> l’engrais” 56 ».<br />

II. Vitaly Chlykov, ancien officier <strong>de</strong> l’état-major, estime que, « en<br />

tout, ce pil<strong>la</strong>ge a spolié le pays d’environ 300 à 400 milliards <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs 57 ».<br />

III. Lire chapitre 9, « Drôle <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte ».<br />

IV. Comme Paribas, <strong>la</strong> Dresdner Bank est l’un <strong>de</strong>s pivots du<br />

conseil d’administration <strong>de</strong> Clearstream.


François-Xavier Verschave 143<br />

7. Armes, services, fisc, médias,<br />

justice<br />

Revenons à Pierre Falcone. Par-<strong>de</strong>là <strong>la</strong> Sofremi, il<br />

est surtout le dirigeant du groupe Brenco International<br />

– une société « très proche <strong>de</strong> M. Jean-<br />

Charles Marchiani 59», le négociateur tout-terrain<br />

<strong>de</strong> Charles Pasqua. La filiale Brenco-France, dont<br />

le capital a été porté à 1 500 000 francs, est installée<br />

64 avenue Kléber, Paris 16 e , dans <strong>de</strong>s locaux<br />

somptueux. Grâce à ses « appuis au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> DST<br />

ou dans <strong>de</strong>s groupes comme Thomson, le Giat ou<br />

<strong>la</strong> Compagnie <strong>de</strong>s Signaux », Falcone est <strong>de</strong>venu<br />

« l’un <strong>de</strong>s plus grands marchands d’armes du<br />

mon<strong>de</strong> 60» I et, <strong>de</strong>puis Paris, « le chef d’orchestre<br />

incontestable » <strong>de</strong>s ventes d’armes à l’Ango<strong>la</strong> 62.<br />

Via Brenco. Ou <strong>la</strong> société <strong>de</strong> droit slovaque ZTS-<br />

Osos II, « dont Brenco pourrait n’être qu’une “excroissance”<br />

française 66» : « Les juges ont découvert<br />

effectivement <strong>de</strong>s versements sur son compte<br />

[ZTS-Osos] dans une agence parisienne <strong>de</strong> Paribas,<br />

I. « Dans son bureau, il y avait un coffre-fort plus grand qu’un<br />

homme, tout plein <strong>de</strong> liasses <strong>de</strong> billets », assure un témoin 61 .<br />

II. Hasard ? Le général Christian Quesnot, ancien chef d’étatmajor<br />

<strong>de</strong> François Mitterrand, et qui joua un rôle majeur dans<br />

l’engagement <strong>de</strong> <strong>la</strong> France au Rwanda, prési<strong>de</strong> <strong>de</strong>puis 1998 une<br />

“Association pour le développement <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions franco-slovaques”.<br />

Selon Jean Chichizo<strong>la</strong> 63 , ZTS-Osos associe en fait <strong>la</strong><br />

firme d’armement slovaque ZTS à son homologue tchèque Osos<br />

Praha. ZTS emploie 3 000 personnes. Elle a été privatisée « <strong>de</strong> gré<br />

à gré. Et Falcone n’est pas loin. “Tout le mon<strong>de</strong> admet qu’il<br />

contrôle ZTS, admet un expert. Avec son carnet d’adresses international,<br />

il a été reçu comme un homme provi<strong>de</strong>ntiel.” […] À<br />

Bratis<strong>la</strong>va, les privatisations ouvrent <strong>de</strong>s appétits. Une dizaine <strong>de</strong><br />

personnes convoitant ces marchés seront abattues en Slovaquie<br />

entre 1995 et 1997. 64 » Falcone, mais aussi l’ex-KGB. Selon un<br />

journaliste russe, Andreï Stotnik, « les racines russes <strong>de</strong> ZTS-Osos<br />

Rudka sont évi<strong>de</strong>ntes. Nos services secrets avaient acheté, dès<br />

1993, à travers <strong>la</strong> société d’État Spetsvnechtekhnika, 67,5 % <strong>de</strong>s<br />

parts <strong>de</strong> cette société 65 ».


144 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

et une impressionnante série <strong>de</strong> marchés d’armes<br />

(chars, bazookas, missiles, orgues <strong>de</strong> Staline) avec<br />

l’Ango<strong>la</strong>. 67»<br />

« En septembre <strong>de</strong>rnier [2000], les juges avaient<br />

mené <strong>de</strong> discrètes perquisitions dans les superbes<br />

appartements <strong>de</strong> Falcone, avenue Montaigne et<br />

avenue Kléber. […] Les logiciels <strong>de</strong> ses principaux<br />

col<strong>la</strong>borateurs (eux aussi incarcérés) livrèrent <strong>de</strong>s<br />

comptes rendus fort instructifs <strong>de</strong> réunions, dont<br />

certaines tenues en présence du prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is<br />

Dos Santos. Il y était question <strong>de</strong> ventes d’armes<br />

pour <strong>la</strong> bagatelle <strong>de</strong> quelques centaines <strong>de</strong> millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs, <strong>de</strong> mouvements <strong>de</strong> fonds associés au<br />

nom <strong>de</strong> Marchiani et plus généralement <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce<br />

pour Pasqua et ses amis. 68»<br />

Il y en a eu au total pour 633 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

: <strong>de</strong>s hélicoptères et <strong>de</strong>s chasseurs Mig ont été<br />

rajoutés au menu 69. Les premiers sont une spécialité<br />

maison : Brenco en avait déjà équipé <strong>la</strong> narcodictature<br />

birmane, en affaires avec Total. Le<br />

tout « a été vendu au moins quatre fois le prix habituel<br />

du marché pour <strong>de</strong> tels matériels ! De plus,<br />

les armes censées être neuves se révéleront souvent<br />

être du matériel d’occasion, ou ne pas correspondre<br />

aux comman<strong>de</strong>s, voire être carrément défectueuses.<br />

Peu importe… Point n’est besoin <strong>de</strong><br />

matériel sophistiqué pour raser <strong>de</strong>s vil<strong>la</strong>ges 70».<br />

Ainsi, près d’un <strong>de</strong>mi-milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs (plus <strong>de</strong><br />

3 milliards <strong>de</strong> francs) ont arrosé les hommes politiques,<br />

les officiers, les réseaux et les services secrets<br />

concernés I, d’un bout à l’autre <strong>de</strong> ce trafic morti-<br />

I. Les disquettes conservées par <strong>la</strong> secrétaire <strong>de</strong> Falcone ont livré<br />

environ 300 noms <strong>de</strong> personnalités et organismes “arrosés” par<br />

Brenco entre 1997 et 1999. Dont, inévitablement, une agence<br />

d’“hôtesses”.


François-Xavier Verschave 145<br />

fère armes contre pétrole. « L’“affaire Falcone”,<br />

saisissant raccourci <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption à l’échelle internationale,<br />

donne le vertige. 71» Pas seulement<br />

par le montant <strong>de</strong>s commissions en jeu I, mais par<br />

<strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong>s connexions, avec tant <strong>de</strong> pays et<br />

<strong>de</strong> trafics.<br />

« De nombreux anciens <strong>de</strong>s services travail<strong>la</strong>ient<br />

pour Brenco comme Thierry Imbot, décédé le 10<br />

octobre [2000]. Le fils <strong>de</strong> l’ancien patron <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

DGSE était ces <strong>de</strong>rniers temps chargé d’opérations<br />

<strong>de</strong> change – <strong>de</strong> francs CFA en dol<strong>la</strong>rs – pour <strong>de</strong>s<br />

chefs d’État africains comme le prési<strong>de</strong>nt congo<strong>la</strong>is<br />

Sassou II, grand ami du prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is. 73»<br />

L’on restait très proche <strong>de</strong>s affaires d’État dans<br />

<strong>la</strong> nébuleuse Falcone-Brenco : « les frontières entre<br />

Brenco et <strong>la</strong> Sofremi ont longtemps été plus que<br />

floues, Falcone, le patron <strong>de</strong> Brenco […], ayant<br />

longtemps joué quasiment officiellement les VRP<br />

[agents commerciaux] pour <strong>la</strong> Sofremi. 74» Falcone<br />

s’est vu confier un gar<strong>de</strong> du corps peu commun<br />

: celui <strong>de</strong> Jean-Christophe Mitterrand<br />

lorsqu’il dirigeait <strong>la</strong> cellule africaine <strong>de</strong> l’Élysée 75 !<br />

« Brenco et <strong>la</strong> Sofremi col<strong>la</strong>boraient tant et si bien<br />

qu’ils ont offert conjointement une voiture blindée<br />

[une Safrane] au prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is, en marge<br />

<strong>de</strong>s contrats <strong>de</strong> “sécurité”. 76»<br />

Pierre Falcone a servi aussi d’intermédiaire dans<br />

une exportation illégale <strong>de</strong> matériels d’interception<br />

<strong>de</strong> sécurité par <strong>la</strong> société Communication &<br />

Systèmes (CS, ex-Compagnie <strong>de</strong>s Signaux),<br />

« ayant donné lieu à 7 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> commissions<br />

occultes. Ces matériels, officiellement<br />

I. Elisio Figueiredo, par exemple, émissaire parisien du prési<strong>de</strong>nt<br />

ango<strong>la</strong>is Dos Santos, aurait reçu « plus <strong>de</strong> 18 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

72 ».


146 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

<strong>de</strong>stinés à l’Ango<strong>la</strong>, auraient été finalement livrés à<br />

<strong>la</strong> Yougos<strong>la</strong>vie, fin 1999 77». Le juge Marc Brisset-<br />

Foucault enquête sur cette affaire. En perquisitionnant<br />

le 9 mai 2000 au siège <strong>de</strong> CS, il ne<br />

pensait pas déclencher un tel hourvari.<br />

C’est que CS est une firme spéciale, où ont<br />

“pantouflé” d’anciens hauts responsables <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

DST (l’ancien numéro <strong>de</strong>ux Raymond Nart et<br />

son adjoint Jacky Debain), ainsi qu’un bril<strong>la</strong>nt<br />

stratège du secrétariat général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Défense nationale,<br />

le général <strong>de</strong> division C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Mouton. Sous<br />

<strong>la</strong> houlette d’un ancien du groupe Bolloré, Yazid<br />

Sabeg. Lorsque Arcadi Gaydamak intente un procès<br />

en diffamation – une arme qu’il dégaine systématiquement<br />

–, Raymond Nart vient volontiers<br />

témoigner « <strong>de</strong>s nombreux services » que le Russo-<br />

Israélien, né en Ukraine, a rendus à <strong>la</strong> France et <strong>de</strong><br />

« son parfait loyalisme » 78. Le général Mouton,<br />

quant à lui, <strong>de</strong>viendra carrément, en juillet 2000,<br />

directeur général <strong>de</strong> Brenco-France I.<br />

La réexportation vers <strong>la</strong> Serbie d’une partie <strong>de</strong>s<br />

matériels d’écoute ultra-perfectionnés livrés au régime<br />

ango<strong>la</strong>is n’a rien d’invraisemb<strong>la</strong>ble. On est<br />

très serbophile chez les anciens <strong>de</strong> <strong>la</strong> DST, comme<br />

dans le réseau Pasqua. Gilles-William Goldna<strong>de</strong>l,<br />

l’avocat commun à Nart et à Gaydamak, prési<strong>de</strong><br />

aussi une “Ligue internationale contre <strong>la</strong> désinformation”<br />

qui a organisé fin 2000 au Sénat un colloque<br />

historique 80. V<strong>la</strong>dimir Volkoff y a assuré<br />

qu’au <strong>Ko</strong>sovo « on a péniblement trouvé <strong>de</strong>ux<br />

cents cadavres dont on ne sait s’ils sont serbes ou<br />

I. « Quand il était au sein <strong>de</strong> Communication et systèmes, a expliqué<br />

Falcone aux policiers, il recevait les Ango<strong>la</strong>is qui étaient en<br />

formation chez CS, je proposais <strong>de</strong>s espèces pour s’occuper<br />

[d’eux]. » L’intitulé du compte <strong>de</strong> Mouton ? “Panurge” 79 .


François-Xavier Verschave 147<br />

albanais » (les enquêteurs approchent en fait du<br />

chiffre <strong>de</strong> 10 000 victimes albanaises). D’ailleurs,<br />

« en Russie <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse est incroyable,<br />

alors que tout est manipulé en France » I.<br />

Le même avocat a participé à <strong>la</strong> fameuse mission<br />

d’observation partie cautionner au Gabon <strong>la</strong> réélection<br />

truquée d’Omar Bongo, fin 1998. Le foccartissime<br />

Robert Bourgi a dépêché aux frais <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

princesse une escoua<strong>de</strong> <strong>de</strong> treize gens <strong>de</strong> robe,<br />

dont l’avocat élyséo-africain Francis Szpiner et<br />

Gilles-William Goldna<strong>de</strong>l, conduite par le magistrat<br />

Georges Fenech, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> très droitière<br />

APM (Association professionnelle <strong>de</strong>s magistrats).<br />

L’équipée fit scandale pour diverses raisons. Entre<br />

autres parce que fut intercepté à Roissy « un familier<br />

<strong>de</strong>s dossiers africains […], porteur d’une mallette<br />

contenant une très importante somme en<br />

argent liqui<strong>de</strong>. Il avait expliqué que ces fonds provenaient<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> “prési<strong>de</strong>nce du Gabon” et qu’ils<br />

étaient <strong>de</strong>stinés au Club 89 81», animé par Robert<br />

Bourgi. En 1997 déjà, un compte suisse <strong>de</strong> <strong>la</strong> société<br />

Brenco, du tan<strong>de</strong>m Falcone-Gaydamak, a<br />

versé 100 000 francs à <strong>la</strong> revue Enjeu justice <strong>de</strong><br />

l’APM… 82<br />

Ce tan<strong>de</strong>m pourtant, malgré sa générosité et <strong>la</strong><br />

protection d’une importante faction <strong>de</strong> <strong>la</strong> DST,<br />

n’a pas que <strong>de</strong>s amis. Dès « le 12 décembre 1996,<br />

une centaine <strong>de</strong> policiers ont perquisitionné simultanément<br />

tous les locaux professionnels et privés<br />

<strong>de</strong> Falcone et Gaydamak à Paris, ainsi qu’à <strong>la</strong><br />

banque Paribas (où étaient ouverts les comptes <strong>de</strong><br />

I. Dans <strong>la</strong> même veine, les propos du professeur <strong>de</strong> criminologie<br />

Xavier Raufer comparant SOS Racisme à « une association <strong>de</strong><br />

malfaiteurs » ont soulevé les app<strong>la</strong>udissements <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle.


148 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

ZTS-Osos, contrôlée par le Russe) 83». Lors <strong>de</strong> ces<br />

perquisitions, « selon certains, <strong>de</strong>s documents et<br />

<strong>de</strong>s ban<strong>de</strong>s magnétiques “gênantes pour certains<br />

hommes politiques français” ont été saisis 84». Il<br />

faudra attendre près <strong>de</strong> quatre ans et une nouvelle<br />

perquisition pour que ces noms-là ressortent…<br />

Une semaine plus tôt, le 5 décembre 1996,<br />

L’Événement du Jeudi avait publié <strong>la</strong> photocopie<br />

d’un contrat <strong>de</strong> fourniture <strong>de</strong> matériel militaire<br />

russe d’un montant <strong>de</strong> 47 151 550 dol<strong>la</strong>rs, signé<br />

par Falcone avec le cachet <strong>de</strong> ZTS-Osos. De quoi<br />

équiper une division motorisée <strong>de</strong> 8 000 combattants,<br />

à vocation offensive (alors qu’en principe le<br />

gouvernement ango<strong>la</strong>is appliquait l’accord <strong>de</strong> paix<br />

<strong>de</strong> Lusaka, avec <strong>la</strong> rébellion Unita) : « Voilà <strong>de</strong>ux<br />

mois, L’Événement du jeudi (n° 622) a raconté dans<br />

quelles circonstances Falcone, associé à un ressortissant<br />

russe naturalisé français, Arkady Gaydamac,<br />

avait vendu <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> camions russes à l’Ango<strong>la</strong><br />

– les mêmes que ceux qui équipent l’armée russe.<br />

Nous avions déjà évoqué dans l’article l’existence<br />

du contrat d’armement entre <strong>la</strong> Russie et l’Ango<strong>la</strong>.<br />

« Falcone et Gaydamac avaient juré le cœur sur<br />

<strong>la</strong> main n’être aucunement liés à ce marché, expliquant<br />

même que “le commerce <strong>de</strong>s armes les révulsait”.<br />

Gaydamac, que plusieurs services français<br />

soupçonnent d’avoir <strong>de</strong>s liens avec <strong>la</strong> mafia russe,<br />

reconnaissait simplement avoir mis les Ango<strong>la</strong>is en<br />

rapport avec les bons interlocuteurs moscovites,<br />

“mais à titre purement gracieux”. Le contrat que<br />

nous publions le prouve : ils ont menti. [… Jusqu’en<br />

1993], <strong>la</strong> France […] a continué <strong>de</strong> privilégier<br />

l’Unita. [… Puis Paris a résolu d’ai<strong>de</strong>r aussi]<br />

discrètement Dos Santos sans que <strong>la</strong> France appa-


François-Xavier Verschave 149<br />

raisse officiellement. […]<br />

« Cette assistance militaire c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine, ce sont<br />

Gaydamac et Falcone qui <strong>la</strong> mettent en p<strong>la</strong>ce. Le<br />

tan<strong>de</strong>m était en service commandé. D’ailleurs, ils<br />

s’en cachent à peine : “Il faut lire entre les lignes <strong>de</strong><br />

ce contrat”, tempête Falcone quand on le compare<br />

à un marchand d’armes. “Nous sommes venus au<br />

secours d’un gouvernement légal, celui du prési<strong>de</strong>nt<br />

Dos Santos. La morale est dans notre camp.”<br />

Plus rusé, Gaydamac affirme ne pas avoir connaissance<br />

du contrat d’armement signé par son associé.<br />

“Mais si, d’aventure, il existe, souligne-t-il,<br />

vous remarquerez qu’il a permis <strong>de</strong> rétablir <strong>la</strong> paix.<br />

Ce<strong>la</strong> seul compte.” […]<br />

« Hé<strong>la</strong>s, <strong>la</strong> République est parfois ingrate avec<br />

ses serviteurs <strong>de</strong> l’ombre. Le fisc français estime<br />

que Falcone et Gaydamac, rési<strong>de</strong>nts français, doivent<br />

acquitter <strong>de</strong>s impôts sur les 47 millions versés<br />

par l’Ango<strong>la</strong>. 85»<br />

Le len<strong>de</strong>main 6 décembre, le fisc perquisitionnait<br />

chez Brenco (6 jours avant <strong>la</strong> police). « La<br />

moisson est considérable. Mais surprise ! Selon nos<br />

informations, les enquêteurs du fisc auraient reçu<br />

quelques heures plus tard une visite inattendue<br />

dans leurs locaux, celle <strong>de</strong> plusieurs hommes se<br />

présentant comme <strong>de</strong>s fonctionnaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> DST.<br />

Qui sélectionnent certains <strong>de</strong>s documents saisis et<br />

les emportent. 86» Ce coup du fisc, comme <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente<br />

<strong>de</strong> police qui a suivi, montrent que <strong>la</strong> République<br />

légaliste commençait d’affronter <strong>la</strong><br />

“République souterraine” – celle qui, entre autres,<br />

gère les rentes pétrolières et les rétro-commissions<br />

sur contrats d’armement. Gaydamak a été « protégé<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute pru<strong>de</strong>nce par <strong>la</strong> DST, en rai-


150 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

son <strong>de</strong>s portes qu’il lui ouvrait en Russie 87».<br />

« Falcone fut longtemps intouchable. » Mais « un<br />

Pasqua vous manque et tout est dépeuplé 88» I.<br />

On est monté d’un cran <strong>de</strong>ux ans plus tard, fin<br />

1998 : selon Le Canard enchaîné du 23 décembre,<br />

Falcone « vient <strong>de</strong> se voir menacer par les douanes<br />

d’une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1,5 milliard <strong>de</strong> francs à <strong>la</strong> suite<br />

d’un achat d’armes en République tchèque pour le<br />

compte <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> 89». Ce qui donne un ordre <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s transactions ainsi mises à l’amen<strong>de</strong>…<br />

Fin 2000, le tan<strong>de</strong>m Falcone-Gaydamak est encore<br />

davantage “agressé”. Pierre Falcone est arrêté<br />

et incarcéré le 1er décembre, après <strong>la</strong> secrétaire <strong>de</strong><br />

Brenco, Isabelle Delubac, et son gérant Jérôme<br />

Mu<strong>la</strong>rd. Bernard Poussier, l’ex-directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sofremi<br />

conseillé par Falcone, est mis en examen et<br />

écroué du 16 décembre 2000 au 12 janvier 2001 :<br />

le fisc a mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s « transferts <strong>de</strong> charges<br />

et <strong>de</strong> produits » entre Brenco et <strong>la</strong> Sofremi II. Arcadi<br />

Gaydamak fait l’objet, le 6 décembre, d’un<br />

mandat d’arrêt international 92. Il préfère se<br />

p<strong>la</strong>indre au Mon<strong>de</strong> 93 <strong>de</strong>puis Londres, avant <strong>de</strong> se<br />

réfugier en Israël : « En France, gagner <strong>de</strong> l’argent<br />

trop vite est suspect. […] Depuis <strong>de</strong>s années, <strong>de</strong>s<br />

dizaines <strong>de</strong> journaux m’ont présenté comme un<br />

trafiquant d’armes ou un mafieux. Je les ai tous<br />

fait condamner en diffamation par les tribunaux<br />

français. […] La France <strong>de</strong>vrait me traiter en<br />

I. Le fait que <strong>la</strong> DGSE ait pu communiquer à <strong>la</strong> justice ses synthèses<br />

sur Gaydamak et Falcone traduit le lâchage conjoint <strong>de</strong><br />

Charles Pasqua par l’Élysée et Matignon.<br />

II. Bernard Poussier aurait reconnu, entre autres, « avoir perçu<br />

près <strong>de</strong> 1 million <strong>de</strong> francs en liqui<strong>de</strong> <strong>de</strong> M. Falcone 90 ». Devenu<br />

avocat après avoir quitté <strong>la</strong> Sofremi, il n’avait qu’un seul client :<br />

Pierre Falcone Jr 91 .


François-Xavier Verschave 151<br />

héros et elle me traite en bandit. »<br />

Cette fois, <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> procès en diffamation<br />

n’arrête plus <strong>la</strong> presse. Des noms sortent. « Les enquêteurs<br />

soupçonnent le parti <strong>de</strong> Charlie [Pasqua]<br />

d’avoir bénéficié <strong>de</strong> <strong>la</strong>rgesses indues venant <strong>de</strong>s sociétés<br />

créées par Falcone et par son associé Arkadi<br />

Gaïdamak. 94» Ils perquisitionnent le parti pasquaïen,<br />

le Rassemblement pour <strong>la</strong> France (RPF) et<br />

les bureaux du prési<strong>de</strong>nt du conseil général <strong>de</strong>s<br />

Hauts-<strong>de</strong>-Seine. L’occasion <strong>de</strong> découvrir qu’une<br />

rési<strong>de</strong>nte gabonaise, Marthe Mondoloni-Tomi, a<br />

fait un don <strong>de</strong> 7,5 millions <strong>de</strong> francs pour <strong>la</strong> campagne<br />

européenne du RPF, et s’est portée caution<br />

d’un prêt <strong>de</strong> 4 millions par une banque monégasque.<br />

Ce n’est pas n’importe qui. À <strong>la</strong> tête du<br />

Pari mutuel urbain (PMU) gabonais, elle est <strong>la</strong> fille<br />

<strong>de</strong> Michel Tomi, général au Gabon <strong>de</strong> l’empire<br />

corsafricain <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong>s frères Feliciaggi : tout un<br />

pan du c<strong>la</strong>n Pasqua, très proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> sulfureuse<br />

banque Fiba et du régime ango<strong>la</strong>is. Leurs comptes<br />

à Monaco sont l’objet d’une instruction pour<br />

« b<strong>la</strong>nchiment » 95, par une justice locale guère réputée<br />

pour ses excès <strong>de</strong> zèle. Elle y a repéré d’importants<br />

virements I, provenant notamment <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

banque nationale ango<strong>la</strong>ise. Jean-Christophe Mitterrand,<br />

son ami Jean-Noël Tassez et Jacques Attali<br />

apparaissent eux aussi sur l’inventaire <strong>de</strong>s commissions<br />

97. Ils sont perquisitionnés les 30 novembre<br />

et 1 er décembre. Les réseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> gauche mitterrandienne<br />

en prennent donc aussi pour leur gra<strong>de</strong>.<br />

Et Yves Thréard, dans Le Figaro 98, fait une découverte<br />

: « Longtemps, les Français se sont <strong>de</strong>mandés<br />

I. Au moins 15 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs sont arrivés sur le compte d’une<br />

société <strong>de</strong> Charles Feliciaggi au Crédit foncier <strong>de</strong> Monaco 96 .


152 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

pourquoi François Mitterrand et Charles Pasqua<br />

entretenaient l’un pour l’autre une estime empreinte<br />

d’admiration. Quatre ans après <strong>la</strong> disparition<br />

du chef <strong>de</strong> l’État, l’actualité vient peut-être<br />

d’apporter une réponse. Et si le dénominateur<br />

commun était <strong>la</strong> face cachée <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions francoafricaines<br />

? […]<br />

« Tous les personnages <strong>de</strong> ce nouveau feuilleton<br />

judiciaire sont bien connus du cercle <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Françafrique”,<br />

espèce <strong>de</strong> société secrète et informelle<br />

qui fit <strong>la</strong> pluie et le beau temps entre Paris et le<br />

continent noir jusqu’au milieu <strong>de</strong>s années 1990.<br />

[…] L’Afrique, “pompe à fric” <strong>de</strong>s partis politiques<br />

français ? On peut le dire. »<br />

À peine perçue, cette réalité serait dépassée, d’au<br />

moins cinq années. Comme le truquage <strong>de</strong>s marchés<br />

publics…<br />

Pour corser le tout, « l’enquête <strong>de</strong>s policiers <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> briga<strong>de</strong> financière […] les entraîne jusqu’à un<br />

réseau <strong>de</strong> call-girls. L’ensemble du système Falcone<br />

apparaît peu à peu. Des re<strong>la</strong>tions à bases financières,<br />

bâties dans les milieux les plus divers :<br />

show-biz avec Paul-Loup Sulitzer, médias avec<br />

l’ancien directeur général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sofirad, Jean-Noël<br />

Tassez 99».<br />

La re<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> l’enquête sur Falcone et Gaydamak<br />

se rapproche curieusement <strong>de</strong> l’affaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cassette <strong>de</strong> Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Méry, avec son exposé<br />

posthume, explosif, <strong>de</strong>s financements politiques<br />

occultes en Île-<strong>de</strong>-France. Brenco International et<br />

Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Méry ont le même avocat, Al<strong>la</strong>in<br />

Guilloux. Celui-ci est soupçonné <strong>de</strong> « b<strong>la</strong>nchiments<br />

<strong>de</strong> fonds entre <strong>la</strong> France et le Maroc 100»,<br />

en liaison avec un autre <strong>de</strong> ses clients, Henri Ben-


François-Xavier Verschave 153<br />

hamou, mis en examen avec son partenaire Steve<br />

O’Hana pour « b<strong>la</strong>nchiment aggravé en ban<strong>de</strong> organisée<br />

101» – <strong>de</strong> l’argent présumé « issu du trafic<br />

<strong>de</strong> drogue 102». En perquisitionnant chez M e<br />

Guilloux, les juges Courroye et Prévost-Desprez<br />

ont découvert « plusieurs dossiers concernant<br />

MM. Falcone et Gaydamak 103». « Guilloux avait<br />

monté <strong>de</strong>s structures immobilières sophistiquées<br />

avec le duo Falcone-Gaidamak, via <strong>de</strong>s paradis fiscaux.<br />

Ainsi, le Russe serait le vrai propriétaire, via<br />

<strong>la</strong> SCI Point Carré, <strong>de</strong> l’appartement <strong>de</strong> l’avenue<br />

Raymond Poincaré gracieusement prêté à Al<strong>la</strong>in<br />

Guilloux 104. C’est lui aussi qui a racheté, grâce à<br />

une casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> sociétés écrans, <strong>la</strong> vaste <strong>de</strong>meure<br />

du promoteur Pellerin dans le Midi 105» – aussi<br />

pharaonique que <strong>la</strong> faillite dudit Pellerin.<br />

Émerge encore, dans le rôle du caissier, un certain<br />

Sam Man<strong>de</strong>lsaft, « intime <strong>de</strong> Pierre Falcone<br />

106». L’homme d’affaires Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong><br />

Alcaraz, autre proche <strong>de</strong> Falcone, en a fait aux<br />

juges une <strong>de</strong>scription éloquente 107 : « On lui <strong>de</strong>mandait<br />

<strong>de</strong> grosses sommes. Il prenait 3 à 4 % <strong>de</strong>s<br />

commissions sur les liquidités ainsi apportées. Je le<br />

surnommais P<strong>la</strong>stic Bertrand, parce qu’il apportait<br />

toujours l’argent dans <strong>de</strong>s sacs en p<strong>la</strong>stique. […] Il<br />

est c<strong>la</strong>ir que Sam prenait ses ordres auprès <strong>de</strong> Falcone.<br />

I» Man<strong>de</strong>lsaft s’est vo<strong>la</strong>tilisé en novembre<br />

2000, peu avant l’arrestation <strong>de</strong> Falcone. Il serait<br />

I. Pierre Falcone admet ces recettes en espèces. Man<strong>de</strong>lsaft, prétend-il,<br />

al<strong>la</strong>it les chercher chez un Ango<strong>la</strong>is <strong>de</strong> l’avenue Foch.<br />

Falcone, lui, aurait servi <strong>de</strong> caissier aux séi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Dos Santos :<br />

« Cet argent était nécessaire aux dép<strong>la</strong>cements <strong>de</strong> leurs<br />

équipes »… Avis aux Ango<strong>la</strong>is nécessiteux.


François-Xavier Verschave 155<br />

allé, comme Gaydamak, « s’installer en Israël 108».<br />

8. Gaydamak, Menatep, <strong>la</strong> Russie<br />

& Israël<br />

Gaydamak est au mieux avec <strong>la</strong> nomenk<strong>la</strong>tura qui<br />

a autorisé le “Kremlingate”. En octobre 1994, alors<br />

qu’il cherchait encore à susciter <strong>la</strong> curiosité <strong>de</strong>s médias,<br />

il a emmené <strong>la</strong> journaliste du Nouvel Observateur<br />

Natacha Tatu pour un voyage <strong>de</strong> découverte<br />

<strong>de</strong> “sa” Russie 109. En jet privé : « Maintenant que<br />

j’ai goûté au jet privé, impossible <strong>de</strong> reprendre un<br />

avion <strong>de</strong> ligne. » Il assure à <strong>la</strong> journaliste qu’il<br />

peut, sur un coup <strong>de</strong> fil, obtenir un ren<strong>de</strong>z-vous<br />

avec le maire <strong>de</strong> Moscou Iouri Loujkov I ou le ministre<br />

<strong>de</strong>s Finances. Il se dit sur le point <strong>de</strong> signer<br />

un énorme contrat avec <strong>de</strong>s banquiers français. Il<br />

déc<strong>la</strong>re brasser <strong>de</strong>s milliers d’activités et les dol<strong>la</strong>rs<br />

par millions. Il se targue d’avoir été « le premier<br />

au mon<strong>de</strong> à obtenir <strong>de</strong>s licences d’exportation <strong>de</strong>s<br />

matières premières » russes, et d’être <strong>de</strong>venu, à 42<br />

ans, « le plus gros propriétaire foncier <strong>de</strong> Moscou,<br />

l’un <strong>de</strong>s principaux exportateurs <strong>de</strong> métaux non<br />

ferreux, le géant <strong>de</strong> l’importation <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> et <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong>it et le plus gros transporteur du pays ». Soit un<br />

chiffre d’affaires mensuel <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 100 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. Pour une activité à objet variable, puisqu’il<br />

se présente aujourd’hui comme « le numéro<br />

un mondial <strong>de</strong> l’engrais ». « Il collectionne les milliards<br />

111», jong<strong>la</strong>nt entre « ses sociétés luxembourgeoises,<br />

hol<strong>la</strong>ndaises, russes, ang<strong>la</strong>ises 112»…<br />

Vingt-trois ans plus tôt, cet « émigrant russe<br />

I. « Dont <strong>la</strong> fortune, rapi<strong>de</strong>ment acquise, est estimée à 300 ou<br />

400 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. 110 »


156 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

courageux » était « arrivé en France à 19 ans, via<br />

Israël, avec trois roubles en poche 113». Et il n’était<br />

longtemps resté, en apparence, qu’un simple interprète<br />

– seul d’abord, puis dans une société à <strong>la</strong>quelle<br />

était associé Olivier Dassault 114, « qui<br />

assurait <strong>la</strong> traduction simultanée <strong>de</strong> rencontres internationales<br />

et <strong>de</strong> pourparlers d’affaires <strong>de</strong> Russes<br />

haut p<strong>la</strong>cés 115».<br />

« Nous avons bâti en quelques années <strong>de</strong>s fortunes<br />

que d’autres ont mis <strong>de</strong>s décennies à accumuler<br />

», résume Gaydamak à Natacha Tatu.<br />

Comment s’enrichir aussi vite dans un pays en<br />

pleine décomposition juridique, dont le pétrole,<br />

les stocks d’armes et les finances sont <strong>la</strong>rgement<br />

passés sous <strong>la</strong> coupe <strong>de</strong>s mafias postcommunistes<br />

? La DST, qui se fait l’avocate <strong>de</strong><br />

Gaydamak, “justifie” dans un rapport du 24 octobre<br />

1997 <strong>la</strong> fortune subite <strong>de</strong> son protégé : il a<br />

« su remarquablement tirer profit <strong>de</strong>s opportunités<br />

politiques et commerciales offertes par <strong>la</strong> dislocation<br />

<strong>de</strong> l’ex-URSS 116».<br />

« Pour faire fortune, il suffisait d’acheter <strong>de</strong>s<br />

dol<strong>la</strong>rs le lundi et <strong>de</strong> les revendre le vendredi »,<br />

confie encore Gaydamak à Natacha Tatu. En<br />

1994, il crée un fonds <strong>de</strong> retraite, Dobrie<strong>de</strong>lo, qui<br />

offre un taux d’intérêt <strong>de</strong> 17 % par jour ! Tout<br />

ce<strong>la</strong> n’est guère moral, alors que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<br />

s’enfonce dans <strong>la</strong> misère. Et sans doute pas très<br />

légal : « Il faut admettre les injustices économiques.<br />

Les plus forts profitent d’une légis<strong>la</strong>tion<br />

qui est à leur avantage »… puisqu’ils ont fait main<br />

basse sur l’État. Le FMI pouvait payer, le rouble<br />

fondait, les caisses publiques se vidaient.<br />

Mais <strong>la</strong> spécu<strong>la</strong>tion monétaire n’a pas suffi.


François-Xavier Verschave 157<br />

Gaydamak emmène <strong>la</strong> journaliste à un « ren<strong>de</strong>zvous<br />

dans une datcha retirée <strong>de</strong> Moscou. Un<br />

dîner confi<strong>de</strong>ntiel avec un jeune homme d’à peine<br />

30 ans, numéro un du groupe Menatep, une <strong>de</strong>s<br />

toutes premières banques du pays. Ce grand ami<br />

<strong>de</strong> Gaydamac est aussi son premier créancier :<br />

“Dans ce pays, je peux lever <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs<br />

pour financer mes projets. Aujourd’hui, je suis<br />

le Bernard Tapie <strong>de</strong> Ménotep. Sauf que moi, je<br />

rembourserai mes <strong>de</strong>ttes” ». Il aurait été impru<strong>de</strong>nt<br />

d’annoncer le contraire. À l’époque, certes,<br />

peu <strong>de</strong> gens en Occi<strong>de</strong>nt savaient que Menatep<br />

était au cœur du système mafieux <strong>de</strong> pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Russie. Gaydamak s’affichait en intime <strong>de</strong> son<br />

jeune patron, en voltigeur <strong>de</strong> cette banque très<br />

spéciale, qui organisait déjà <strong>de</strong>puis plusieurs années<br />

<strong>la</strong> mise à sac du pays. Lui, Gaydamak, l’intermédiaire<br />

si informé du <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s choses,<br />

pouvait-il ne pas savoir <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong><br />

son premier créancier ?<br />

Le journaliste portugais Pedro Rosa Men<strong>de</strong>s<br />

connaît intimement l’Ango<strong>la</strong>. De son point <strong>de</strong><br />

vue, Gaydamak apparaît comme le point nodal<br />

d’un pipeline reliant l’Ango<strong>la</strong> aux secteurs obscurs<br />

<strong>de</strong> l’ex-URSS. Un mirage ? Il en dresse un portrait<br />

peu f<strong>la</strong>tteur 117. Déformé ? Nous lui en <strong>la</strong>issons <strong>la</strong><br />

responsabilité, puisqu’il invoque, entre autres, les<br />

analyses <strong>de</strong> certains services secrets français – qui<br />

valent ce qu’elles valent : « Gaidamak est né en ex-<br />

URSS et venu dans les années 1970 en Occi<strong>de</strong>nt<br />

– “intéressé par ses re<strong>la</strong>tions avec le KGB”, selon<br />

une source. Il a travaillé comme traducteur à l’ambassa<strong>de</strong><br />

soviétique à Paris. Sa “force est d’avoir<br />

prévu avant les autres le passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> Russie au


158 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

capitalisme”, comme le cite en 1996 le périodique<br />

français L’Événement du Jeudi. Doté <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions<br />

privilégiées dans l’ex-bloc <strong>de</strong> l’Est, il s’est <strong>la</strong>ncé<br />

avec succès dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s affaires, d’abord<br />

dans le secteur agroalimentaire et les transports,<br />

avec <strong>la</strong> société Vantana. Parmi ses clients, <strong>la</strong> compagnie<br />

d’aluminium Trans World Metal, <strong>de</strong>s<br />

frères Tchiorni (qui ont quitté <strong>la</strong> Russie pour Israël<br />

à <strong>la</strong> même pério<strong>de</strong> que Gaidamak).<br />

« Cette <strong>de</strong>rnière entreprise est un <strong>de</strong>s liens <strong>de</strong><br />

Gaidamak avec un <strong>de</strong>s plus influents oligarques<br />

<strong>de</strong> Russie, Boris Berezovski, un proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille<br />

Eltsine et habituellement appelé “l’homme<br />

du chaos” russe, <strong>de</strong> Moscou au Caucase. Arkadi<br />

Gaidamak est aussi lié, personnellement et professionnellement,<br />

à <strong>de</strong>ux figures emblématiques que<br />

les services secrets français estiment être en re<strong>la</strong>tion<br />

avec le sommet <strong>de</strong> <strong>la</strong> mafia russe en<br />

Europe : le Russe Gorchkov et l’Ouzbek Aljiman<br />

Tokhtakhunov. »<br />

Le journaliste russe V<strong>la</strong>dimir Ivanidze est plus<br />

précis : « Il y a six ans, il [Gaydamak] avait ouvert,<br />

dans une agence parisienne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barc<strong>la</strong>y, <strong>de</strong>s<br />

comptes pour Alimjan Tokhtakhounov, également<br />

connu sous le nom <strong>de</strong> Taïvantchik, dont il a<br />

fait rénover à ses frais le luxueux appartement,<br />

situé dans le quartier le plus bourgeois <strong>de</strong> Paris.<br />

[…] Dès qu’il a eu <strong>de</strong>s ennuis avec <strong>la</strong> police française,<br />

Gaydamak, comme par miracle, a sorti <strong>de</strong><br />

captivité <strong>de</strong>s pilotes français abattus au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Bosnie. […] Ensuite, les membres les plus en<br />

vue <strong>de</strong> <strong>la</strong> mafia russe se sont précipités pour lui offrir<br />

leurs services afin <strong>de</strong> sauver les otages français<br />

détenus en Tchétchénie. 118»


François-Xavier Verschave 159<br />

Même si ce n’était pas exact, Gaydamak ne<br />

pourrait passer pour une oie b<strong>la</strong>nche. Le Kremlin<br />

<strong>de</strong> Boris Eltsine était lui-même impliqué dans les<br />

gigantesques trafics et détournements <strong>de</strong> fonds <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Russie, via les Berezovski, Bexhet Pacolli et<br />

consorts. Selon le quotidien américain USA<br />

Today du 26 août 1999, citant <strong>de</strong>s responsables<br />

américains, britanniques et russes, c’est au total 15<br />

milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs qui auraient été détournés lors<br />

d’opérations complexes impliquant <strong>de</strong>s proches <strong>de</strong><br />

Boris Eltsine et une série <strong>de</strong> membres <strong>de</strong> ses gouvernements<br />

successifs (une douzaine).<br />

Il est désormais admis que <strong>la</strong> haute finance moscovite<br />

est gangrenée – jusqu’au sommet <strong>de</strong> l’État.<br />

Richard L. Palmer, grand spécialiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> question,<br />

en a fait une démonstration imp<strong>la</strong>cable <strong>de</strong>vant le<br />

Comité sur les services bancaires et financiers du<br />

Congrès américain 119. La “bénédiction” accordée<br />

par le Kremlin à Gaydamak pour le rachat à vil<br />

prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> colossale <strong>de</strong>tte ango<strong>la</strong>ise envers <strong>la</strong> Russie<br />

(quelque 35 milliards <strong>de</strong> francs) I révèle un rang<br />

élevé dans <strong>la</strong> nomenk<strong>la</strong>tura kleptocrate.<br />

Gaydamak a fait condamner La Lettre du<br />

Continent au motif, entre autres, qu’elle n’avait<br />

pu démontrer ses liens avec <strong>Ko</strong>nstantin Kagalovsky,<br />

numéro 2 <strong>de</strong> Menatep en 1994. Cette annéelà,<br />

il banquetait avec le numéro 1 <strong>de</strong> Menatep,<br />

Mikhail Khordokovsky. Fin 1996, quand il propose<br />

<strong>de</strong> racheter <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte ango<strong>la</strong>ise vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Russie pour 15 % <strong>de</strong> sa valeur (900 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs sur 6 milliards), c’est encore « <strong>la</strong> Menatep,<br />

<strong>la</strong> banque fétiche d’Arcady Gadamac [sic], qui se<br />

propose d’avancer l’argent et <strong>de</strong> “porter” <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

I. Voir chapitre 9, « Drôle <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte ».


160 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

décotée ango<strong>la</strong>ise en compensation <strong>de</strong> cargaisons<br />

<strong>de</strong> pétrole. Une bonne action qui rapporterait<br />

plus <strong>de</strong> 100 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à ses auteurs ».<br />

Gaydamak peut contester le qualificatif « fétiche<br />

». Mais il n’a pas attaqué cet article <strong>de</strong> La<br />

Lettre du Continent 120.<br />

Trois semaines plus tard, un article <strong>de</strong> Libération<br />

précise : « Arcadi Gaydamac a <strong>de</strong>s liens étroits avec<br />

cette banque [Menatep] et détient 10 % du capital<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> toute nouvelle Banque africaine d’investissement<br />

(BAI), inaugurée à Luanda le 12 novembre<br />

[1996]. La BAI, qui disposerait <strong>de</strong> succursales à<br />

Lisbonne et à New York, associe <strong>de</strong>s capitaux sudafricains<br />

et français, notamment Paribas et… Pierre<br />

Falcone. 121»<br />

En août 1999 éc<strong>la</strong>te le “Kremlingate”. Il s’avère<br />

que tous les comptes concernés par ce scandale ont<br />

été ouverts dans cinq banques new-yorkaises par <strong>la</strong><br />

société Benex Worldwi<strong>de</strong> Ltd, contrôlée par l’un<br />

<strong>de</strong>s grands patrons <strong>de</strong> <strong>la</strong> mafia russe, l’Ukraino-<br />

Israélien Semion Mogilevitch. « La plupart <strong>de</strong>s<br />

transactions sur les comptes <strong>de</strong> cette société (dûment<br />

répertoriées sur plus <strong>de</strong> 3 500 pages du FBI)<br />

sont sourcées auprès <strong>de</strong> [Menatep]. […] Les enquêteurs<br />

pensent que <strong>la</strong> Menatep fut le “point<br />

d’origine principal <strong>de</strong> l’argent b<strong>la</strong>nchi”. 122»<br />

Enfin, « Menatep aurait continué à fonctionner en<br />

sous-main en 1998 I et transféré <strong>de</strong>s fonds suspects<br />

[…] vers <strong>de</strong>s compagnies offshore basées sur <strong>de</strong>s<br />

territoires aussi lointains que les îles Vierges 124» –<br />

I. Alors que Menatep est officiellement en faillite <strong>de</strong>puis 1998,<br />

Ernest Backes a trouvé dans le répertoire 2000 <strong>de</strong> <strong>la</strong> société internationale<br />

<strong>de</strong> compensation Clearstream un compte non publié<br />

n° 81738 au nom <strong>de</strong> Menatep, client « non référencé » 123 .


François-Xavier Verschave 161<br />

où se trouve aussi le siège <strong>de</strong> <strong>la</strong> société CADA,<br />

contrôlée par <strong>la</strong> Prési<strong>de</strong>nce ango<strong>la</strong>ise.<br />

Sa partenaire en b<strong>la</strong>nchiment (15 milliards <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs dans <strong>la</strong> seule année 1998), <strong>la</strong> Bank of New<br />

York, possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> nombreux comptes non publiés<br />

dans <strong>la</strong> nébuleuse société <strong>de</strong> compensation financière<br />

Clearstream. Autre client russe <strong>de</strong> Clearstream,<br />

lui aussi non référencé : <strong>la</strong> Rossiyski<br />

Kredit, qui possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux comptes non publiés.<br />

Parmi ses dirigeants : Lev Leviev et le conseiller<br />

prési<strong>de</strong>ntiel Alexandre Livchits.<br />

Mikhail Khordokovsky et <strong>Ko</strong>nstantin Kagalovsky<br />

se sont tous <strong>de</strong>ux reconvertis dans… le pétrole.<br />

Ils se sont retrouvés à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> <strong>la</strong> première<br />

compagnie pétrolière privée <strong>de</strong> Russie, Youkos 125,<br />

rebaptisée Yuksi – dont Elf a pris 5 % du capital<br />

en mars 1998, en versant cash 528 millions <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs 126… Yuksi est très intéressée par l’Ango<strong>la</strong>,<br />

qu’elle a visité au printemps 1999. Cet Ango<strong>la</strong><br />

dont Gaydamak est une <strong>de</strong>s clefs d’entrée.<br />

La Russie a été p<strong>la</strong>cée par le Gafi (le Groupe<br />

d’action financière créé par le G7), avec entre<br />

autres le Liechtenstein, les Bahamas et Israël, sur <strong>la</strong><br />

liste noire <strong>de</strong>s “paradis fiscaux” refusant toute coopération<br />

dans l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong><br />

milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> l’argent du crime. Or Gaydamak<br />

a un autre branchement très liqui<strong>de</strong> avec le<br />

régime ango<strong>la</strong>is, l’écoulement <strong>de</strong>s diamants par<br />

son ami russo-israélien Lev Leviev, lui-même très<br />

branché sur les ven<strong>de</strong>urs d’armes ukrainiens :<br />

« Lev Leviev symbolise <strong>la</strong> montée en puissance <strong>de</strong><br />

cette nébuleuse [russo-israélienne dans le diamant].<br />

Originaire d’Ouzbékistan, émigré en Israël


162 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

en 1971, ce juif ultrareligieux <strong>de</strong> 44 ans se présente<br />

comme un “homme d’affaires international<br />

et un phi<strong>la</strong>nthrope”. À <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> sa société LDD<br />

Diamonds, Leviev est <strong>de</strong>venu, en quelques années,<br />

le <strong>de</strong>uxième industriel israélien du diamant, avec<br />

un chiffre d’affaires <strong>de</strong> 1,5 milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. En<br />

1996, cet allié <strong>de</strong>s travaillistes a pris le contrôle du<br />

groupe Africa-Israël, un gros conglomérat aux activités<br />

variées (centres commerciaux, tourisme,<br />

construction, industrie) qui a multiplié les investissements<br />

dans l’ancien empire soviétique. Prési<strong>de</strong>nt<br />

et grand mécène <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fédération <strong>de</strong>s<br />

communautés juives <strong>de</strong> l’ex-URSS, Leviev est protégé<br />

par les plus hautes autorités israéliennes. Et il<br />

s’active beaucoup comme prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> chambre<br />

<strong>de</strong> commerce russo-israélienne, cultivant d’étroites<br />

re<strong>la</strong>tions avec les oligarques <strong>de</strong> l’ex-URSS, notamment<br />

<strong>de</strong>s marchands d’armes ukrainiens, capables<br />

d’équiper les armées ango<strong>la</strong>ises.<br />

« En février <strong>de</strong>rnier [2000], à <strong>la</strong> surprise générale,<br />

Lev Leviev a été choisi par le gouvernement<br />

<strong>de</strong> Luanda comme acheteur exclusif <strong>de</strong>s diamants<br />

du pays I. Négocié avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> diplomates <strong>de</strong><br />

l’État hébreu, <strong>de</strong> proches du prési<strong>de</strong>nt Dos<br />

Santos II et d’un homme d’affaires russo-israélien<br />

très introduit en Ango<strong>la</strong>, Arkady Gaydamak, ce<br />

contrat provi<strong>de</strong>ntiel <strong>de</strong> 1 milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs par<br />

an a été soufflé à <strong>la</strong> barbe <strong>de</strong> De Beers et du vieux<br />

diamantaire américain Maurice Tempelsman,<br />

I. Il est aussi l’« un <strong>de</strong>s principaux investisseurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> mine <strong>de</strong> kimberlite<br />

[gangue du diamant] <strong>de</strong> Catoca, à travers sa société britannique,<br />

Daumonty Financing 127 ».<br />

II. En particulier « Isabelle Dos Santos, fille à moitié russe du prési<strong>de</strong>nt<br />

ango<strong>la</strong>is 128 ».


François-Xavier Verschave 163<br />

protégé du Département d’État et ami intime <strong>de</strong>s<br />

Clinton, naguère très en cours à Luanda.<br />

« Avec cette percée ango<strong>la</strong>ise, Leviev accè<strong>de</strong> au<br />

rang <strong>de</strong> véritable challenger mondial <strong>de</strong> De Beers.<br />

Il ne s’arrête pas là. Fin juillet, il acquiert un<br />

centre <strong>de</strong> taille et <strong>de</strong> polissage en Arménie, complétant<br />

ses usines russe, ukrainienne, indienne,<br />

chinoise, sud-africaine…. Et, ces <strong>de</strong>rniers mois,<br />

Leviev multiplie les voyages à Moscou. Non seulement<br />

il souhaite développer les expéditions directes<br />

<strong>de</strong>s pierres extraites <strong>de</strong>s mines <strong>de</strong> Sakha<br />

(ex-Iakoutie) vers le centre israélien Ramat Gan,<br />

court-circuitant ainsi De Beers. Mais il rêve surtout<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>venir le partenaire exclusif d’Alrosa [Almaji<br />

Rossi Shaka], quand le contrat signé par le<br />

monopole russe avec De Beers arrivera à échéance,<br />

fin 2001. À <strong>la</strong> clef, le contrôle <strong>de</strong> 1,5 milliard <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs d’exportations ! […] “Ce n’est qu’une<br />

question <strong>de</strong> temps, nous aurons <strong>la</strong> Russie”, murmure,<br />

sûr <strong>de</strong> lui, un associé <strong>de</strong> Leviev I. “Si Alrosa<br />

signe son futur accord d’exportation avec Leviev<br />

plutôt qu’avec De Beers, ce sera une victoire déterminante<br />

pour le camp russo-israélien”, estime<br />

Olivier Vallée. 130»<br />

Judy Dempsey précisait, dans le Financial<br />

Times 131, que l’accord <strong>de</strong> Leviev avec le gouvernement<br />

ango<strong>la</strong>is passait par une joint-venture<br />

entre eux, Ascorp (Ango<strong>la</strong> Selling Corporation),<br />

et que Gaydamak avait « récemment acquis 15 %<br />

d’Africa-Israël », le holding <strong>de</strong> Leviev. Une fois<br />

encore, le journaliste V<strong>la</strong>dimir Ivanidze apporte<br />

I. En mai 2001, le quotidien israélien Haaretz annonçait que<br />

Leviev était sur le point d’acquérir en Russie, près d’Archangelsk,<br />

une mine susceptible <strong>de</strong> produire à elle seule près d’un milliard<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> diamants bruts par an 129 .


164 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

<strong>de</strong>s précisions éc<strong>la</strong>irantes : « L’État d’Israël pourrait<br />

bénéficier <strong>de</strong> <strong>la</strong> production <strong>de</strong>s gisements<br />

d’uranium que possè<strong>de</strong>nt Arcadi Gaydamak et<br />

Lev Levaev au Kazakhstan. En effet, leur compagnie<br />

Africa-Israël a fait l’acquisition, en 1999, par<br />

l’intermédiaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> filiale Sabton, du Combinat<br />

d’extraction minière et <strong>de</strong> traitement chimique <strong>de</strong><br />

Tselina, baptisé Kazsabton, qui fut l’une <strong>de</strong>s entreprises<br />

clés <strong>de</strong> <strong>la</strong> production d’armes nucléaires<br />

d’URSS. 132»<br />

Mais le rapprochement Gaydamak-Leviev ne se<br />

réduit pas à ces colossales affaires : « Il y a aussi un<br />

lien religieux I. Gaydamak […] est un juif charismatique<br />

[born again]. “Leviev a été fasciné par le<br />

parcours <strong>de</strong> Gaydamak”, selon un ancien agent du<br />

Mossad. “Par son retour au judaïsme. Par son implication<br />

en Afrique. C’est une sorte <strong>de</strong> ‘portier’<br />

[gatekeeper] <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>.”<br />

« Leviev est un fidèle <strong>de</strong> Chabab Loubavitch, un<br />

mouvement ultra-orthodoxe qui vise à ramener les<br />

juifs à leur religion. “Il est extraordinaire”, commente<br />

un responsable israélien. “À travers sa Fédération<br />

<strong>de</strong>s communautés juives dans l’ancienne<br />

Union soviétique (FCJ), Leviev a distribué <strong>de</strong> l’argent<br />

aux nouvelles écoles juives, aux synagogues,<br />

aux camps d’été et aux soupes popu<strong>la</strong>ires. Il est en<br />

train <strong>de</strong> rebâtir les communautés juives.” “Gaydamak<br />

a été fasciné par Leviev, par ce qu’il fait pour<br />

les juifs <strong>de</strong> Russie”, poursuit l’ancien du Mossad.<br />

« L’influence <strong>de</strong> <strong>la</strong> FCJ <strong>de</strong> Leviev est si météo-<br />

I. Si nous évoquons ici cette dimension religieuse, c’est parce que,<br />

loin d’être seulement privée, elle est instrumentalisée dans le<br />

contexte politique russe et les re<strong>la</strong>tions russo-israéliennes (Israël<br />

ayant accepté <strong>de</strong> jouer un rôle d’interface financière offshore<br />

entre l’ex-URSS et le système bancaire occi<strong>de</strong>ntal).


François-Xavier Verschave 165<br />

rique qu’elle a réussi le mois <strong>de</strong>rnier à faire élire<br />

son grand rabbin, Berl Lazar, grand rabbin <strong>de</strong><br />

Russie. Un camouflet pour V<strong>la</strong>dimir Goussinski,<br />

propriétaire du puissant groupe Media Most. Lea<strong>de</strong>r<br />

du Congrès juif russe, rival <strong>de</strong> <strong>la</strong> FCJ, il soutenait<br />

son propre candidat.<br />

«“La FCJ a eu l’appui <strong>de</strong>s oligarques”, selon un<br />

responsable israélien. […] “Les intérêts <strong>de</strong> Poutine<br />

et Leviev coïnci<strong>de</strong>nt.” 133»<br />

Peu <strong>de</strong> temps après, Goussinski était poursuivi<br />

par <strong>la</strong> justice russe, obligé <strong>de</strong> s’enfuir, arrêté au<br />

Portugal… Gaydamak, par ailleurs « passe pour<br />

un proche du conseiller pour <strong>la</strong> sécurité <strong>de</strong> […]<br />

Ehoud Barak, le général Danny Yatom, un ancien<br />

patron du Mossad 134». Un journaliste russe précise<br />

que, dans son business ango<strong>la</strong>is, Gaydamak<br />

« aurait étroitement coopéré avec d’anciens agents<br />

du Mossad. Selon certaines sources, ce seraient<br />

eux qui l’auraient présenté à Lev Levaïev. […] Ce<br />

même Levaïev se trouvait, fin décembre, auprès<br />

du prési<strong>de</strong>nt Poutine pour <strong>la</strong> célébration <strong>de</strong> Hanoukka<br />

[<strong>la</strong> fête juive <strong>de</strong>s Lumières] à Moscou 135».<br />

Africa Confi<strong>de</strong>ntial est plus actuel encore : « Les<br />

intérêts <strong>de</strong> Gaydamak dans l’armement et les diamants<br />

sont surveillés <strong>de</strong> près par le Mossad. 136»<br />

La société Brenco a effectué 29 virements sur<br />

un compte “Casca<strong>de</strong>”. Falcone a déc<strong>la</strong>ré aux policiers<br />

qu’« ils ont tous été payés à <strong>la</strong> banque Leumi<br />

<strong>de</strong> Tel Aviv 137». « Selon les enquêteurs, l’ayant<br />

droit du compte Casca<strong>de</strong> […] serait Arcadi Gaydamak.<br />

138»<br />

Résumons. La Russie et Israël sont au top du<br />

c<strong>la</strong>ssement mondial <strong>de</strong> l’opacité financière. Le diamant<br />

est l’un <strong>de</strong>s principaux vecteurs <strong>de</strong>s trafics


166 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

illicites et du b<strong>la</strong>nchiment d’argent. Le diamant<br />

ango<strong>la</strong>is, et bientôt le russe, vont passer sous <strong>la</strong><br />

coupe d’une nébuleuse russo-israélienne I, soutenue<br />

par les autorités <strong>de</strong> Tel Aviv et par Poutine II.<br />

Au sommet <strong>de</strong> cette nébuleuse, on trouve <strong>de</strong>s<br />

hommes comme Leviev et Gaydamak… Manifestement,<br />

cette vaste stratégie a le soutien d’une<br />

Françafrique pro-Gaydamak, <strong>de</strong> Raymond Nart à<br />

Jean-Charles Marchiani. Elle a aussi <strong>de</strong>s ennemis,<br />

« <strong>de</strong>s gens qui m’en veulent pour <strong>de</strong>s raisons qui<br />

n’ont rien à voir avec <strong>la</strong> loi ni avec <strong>la</strong> vérité<br />

140» III<br />

Pas forcément… Il y a aussi <strong>de</strong>s juges et <strong>de</strong>s citoyens<br />

qui estiment que l’interconnexion en<br />

cours <strong>de</strong>s immenses nappes financières parallèles<br />

illégalement constituées sous l’égi<strong>de</strong> ou <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce<br />

<strong>de</strong> services secrets français, russes, israéliens,<br />

britanniques, américains, brésiliens IV, etc.<br />

représente l’une <strong>de</strong>s faces les plus dangereuses <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mondialisation.<br />

I. Le monopole israélien du diamant congo<strong>la</strong>is, via IDI Diamonds<br />

<strong>de</strong> Dan Gertl, n’a été que <strong>de</strong> courte durée. Il a été remis en cause<br />

par Joseph Kabi<strong>la</strong>.<br />

II. Les fortunes rapi<strong>de</strong>s, colossales et douteuses <strong>de</strong>s stars <strong>de</strong> cette<br />

nébuleuse nourrissent malheureusement en Russie un antisémitisme<br />

toujours en recherche <strong>de</strong> combustible 139 .<br />

III. Le premier “aviseur” du fisc, en 1994, était « lié à <strong>la</strong> Mairie <strong>de</strong><br />

Paris », à l’époque du divorce entre les tan<strong>de</strong>ms Bal<strong>la</strong>dur-Pasqua<br />

et Chirac-Juppé 141 .<br />

IV. Rappelons que Gaydamak, d’origine russe, est français et<br />

israélien, et qu’il s’était établi à Londres ; le Franco-Brésilien<br />

Falcone était installé aux États-Unis, à proximité <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille Bush<br />

(ex-CIA). Au niveau où il est pratiqué, leur cocktail d’activités<br />

(finance offshore, armes, pétrole, diamants, etc.) suppose <strong>de</strong><br />

hautes protections.


François-Xavier Verschave 167<br />

9. Drôle <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte<br />

Revenons à notre sujet principal, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte causée<br />

par le pétrole, partagée entre les paradis fiscaux et<br />

les achats d’armes. L’ennui avec <strong>de</strong>s personnages<br />

aussi riches que Gaydamak, c’est qu’ils ont tendance<br />

à débor<strong>de</strong>r du cadre <strong>de</strong> l’épure. En 1997,<br />

avec son compère Falcone, il a obtenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> Russie<br />

qu’elle divise par quatre ou six (selon les sources)<br />

ses 5 (ou 7) milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> créances sur<br />

l’Ango<strong>la</strong>. Si son pétrole n’était pas pillé, l’Ango<strong>la</strong><br />

serait pourtant loin d’être insolvable. La nomenk<strong>la</strong>tura<br />

moscovite a dû se faire payer très cher ce<br />

ca<strong>de</strong>au colossal. L’État russe, lui, s’est retrouvé le<br />

plus mal servi dans le partage du pactole ango<strong>la</strong>is.<br />

Outre les réseaux russes impliqués dans ce vaste<br />

marchandage, on <strong>de</strong>vine entre qui se sont partagés<br />

les milliards manquants : les dirigeants <strong>de</strong> Luanda,<br />

<strong>de</strong>s compagnies pétrolières occi<strong>de</strong>ntales, les intermédiaires,<br />

les banques…<br />

« Arkadi Gaidamak n’est pas qu’un simple ven<strong>de</strong>ur<br />

d’armes à l’Ango<strong>la</strong> à travers <strong>la</strong> ZTS-Osos<br />

Rudka, entreprise slovaque dirigée par Pierre Falcone<br />

[…]. L’entrepreneur franco-russe […] a<br />

acheté <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> à <strong>la</strong> Russie […], payant<br />

seulement 16 pour cent <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur nominale, 7<br />

milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. […] Cette négociation “a eu<br />

<strong>la</strong> bénédiction du Kremlin”, selon une source diplomatique<br />

russe. Dans le contrat <strong>de</strong> “remise” <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>tte était prévue, en contrepartie, <strong>la</strong> construction<br />

en Ango<strong>la</strong> d’usines d’armement – “à cette pério<strong>de</strong>,<br />

estimait-on à Paris, l’Ango<strong>la</strong> avait vocation<br />

à <strong>de</strong>venir un fabricant <strong>de</strong> munitions”, commente<br />

une source gouvernementale ango<strong>la</strong>ise. 142»


168 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

La “vocation” <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>, entre pétrole et munitions…<br />

Dès 1997, sous le titre « Opération “Falcone/<br />

Gaydamak”», La Lettre du Continent 143 détail<strong>la</strong>it<br />

ce rachat <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte russe, jumelé à <strong>de</strong>s achats<br />

d’armes : « Cette équipe franco-russe vient coup<br />

sur coup <strong>de</strong> remporter <strong>de</strong>ux nouveaux contrats<br />

d’armements d’un montant global <strong>de</strong> 420<br />

millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs (<strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième tranche a démarré<br />

fin juillet I […]) et une opération <strong>de</strong> rachat <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte ango<strong>la</strong>ise à l’égard <strong>de</strong> l’ex-URSS (5 milliards<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs). Pour ce rachat, l’Ango<strong>la</strong> a déjà<br />

promis 300 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs et 30 000 barils par<br />

jour [1,5 million <strong>de</strong> tonnes par an] dans le cadre<br />

d’un montage parrainé par un consortium formé<br />

<strong>de</strong> Menatep, Onexim, Glencore et Zuc, spécialistes<br />

<strong>de</strong>s barters II pétroliers. Paribas et ses <strong>de</strong>ux experts<br />

<strong>de</strong>s “opérations spéciales” (Jean-Didier Maille<br />

et A<strong>la</strong>in P. Bernard), qui travaillent à Paris avec<br />

P. J. Falcone, seraient aussi associés à l’opération.<br />

Arcadi Gaydamak et Jean-Charles Marchiani <strong>de</strong>vaient<br />

se rendre fin août à Moscou pour conclure<br />

ce vaste montage pétrolo-financier. […]<br />

« Du côté ango<strong>la</strong>is, l’équipe franco-russe peut<br />

compter sur <strong>de</strong>ux “correspondants” au top<br />

niveau : José Leitao, le secrétaire général <strong>de</strong> <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce<br />

et Elisio Figueiredo, le “troisième” ambassa<strong>de</strong>ur<br />

d’Ango<strong>la</strong> à Paris. Homme <strong>de</strong>s affaires<br />

privées du prési<strong>de</strong>nt, Elisio Figueiredo dispose,<br />

comme l’ambassa<strong>de</strong>ur officiel et celui qui représente<br />

l’Ango<strong>la</strong> auprès <strong>de</strong> l’Unesco, <strong>de</strong> toutes les<br />

I. Au milieu, rappelons-le, d’une phase décisive <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<br />

civile congo<strong>la</strong>ise (5 juin-15 octobre 1997).<br />

II. Trocs é<strong>la</strong>borés, jouant sur les quantités et les dates.


François-Xavier Verschave 169<br />

immunités d’un diplomate en poste. C’est en<br />

1993 que Ro<strong>la</strong>nd Dumas, alors ministre <strong>de</strong>s Affaires<br />

étrangères, avait exceptionnellement accordé<br />

cette faveur à l’homme <strong>de</strong> Dos Santos à Paris pour<br />

faciliter les premières opérations <strong>de</strong> livraisons<br />

d’armes et <strong>de</strong> produits alimentaires à l’Ango<strong>la</strong> par<br />

l’équipe Falcone/Gaydamak (plus <strong>de</strong> 400<br />

millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> contrats). »<br />

On retrouve, et ce n’est pas un hasard, un autre<br />

protagoniste <strong>de</strong> l’affaire Elf. Et bien sûr Jean-<br />

Charles Marchiani, l’émissaire polyvalent <strong>de</strong><br />

Charles Pasqua. Peu après ces prouesses angolocongo<strong>la</strong>ises,<br />

il décora Gaydamak <strong>de</strong> l’ordre du Mérite.<br />

Lorsqu’il déc<strong>la</strong>re au Mon<strong>de</strong> 144 que « M.<br />

Falcone a défendu les intérêts français dans <strong>la</strong> région<br />

», ce<strong>la</strong> n’exclut pas les intérêts particuliers <strong>de</strong><br />

certains Français. « Dans un document saisi chez<br />

son assistante, Falcone explique en <strong>de</strong>s termes parfaitement<br />

c<strong>la</strong>irs au prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is qu’“une<br />

avance <strong>de</strong> 450 000 dol<strong>la</strong>rs”, sur 1,5 million au<br />

total, a été versée à un certain “Robert”. Or ledit<br />

Robert, trahi par les numéros <strong>de</strong> téléphone accolés<br />

à son nom sur l’agenda <strong>de</strong> Falcone, n’est autre que<br />

Jean-Charles Marchiani », assure Nico<strong>la</strong>s Beau 145.<br />

Ce document entre les mains <strong>de</strong>s juges est une<br />

note intitulée “Robert”, rédigée début 1999. La<br />

secrétaire, Isabelle Delubac, résume les propos<br />

tenus par Falcone en présence du prési<strong>de</strong>nt ango<strong>la</strong>is<br />

Dos Santos : « Un accord politique a été passé.<br />

Nous avons avancé à titre personnel 450 000 dol<strong>la</strong>rs.<br />

De ce qu’ils nous disent, ils en atten<strong>de</strong>nt encore<br />

6 à 7 millions <strong>de</strong> francs […]. Je crois savoir<br />

que cet argent <strong>de</strong>vrait être utilisé dans sa totalité<br />

pour <strong>la</strong> campagne <strong>de</strong>s élections européennes. […]


170 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

Ce<strong>la</strong> assurerait le début d’un vrai lobby immédiatement<br />

opérationnel auprès du Parlement européen.<br />

146» Une pétrodictature se serait payé un<br />

groupe d’eurodéputés?<br />

Marchiani est explicitement visé dans le libellé<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en examen <strong>de</strong> Falcone, « ce qui est très<br />

exceptionnel. […] Avec cette précision : “Versements<br />

à Jean-Charles Marchiani” 147». Celui-ci<br />

dément, ou se tait, fidèle à <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> l’action<br />

secrète dont il est issu.<br />

Hommes <strong>de</strong> l’ombre, circuits financiers mystérieux.<br />

Si l’on s’en tient aux chiffres <strong>de</strong> Rosa<br />

Men<strong>de</strong>s, 84 % <strong>de</strong>s créances russes se sont évaporés.<br />

L’Ango<strong>la</strong> a commencé à payer le sol<strong>de</strong>, par<br />

tranches <strong>de</strong> 40 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs : déjà 1 milliard<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs (7 milliards <strong>de</strong> francs). Or cet argent<br />

s’est lui aussi vo<strong>la</strong>tilisé !<br />

« Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak […] se<br />

chargent <strong>de</strong> “restructurer” <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte ango<strong>la</strong>ise […]<br />

vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>la</strong> Russie […] à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> Suisse où<br />

ils bénéficient <strong>de</strong>s précieux conseils <strong>de</strong> Paribas-<br />

Genève, sans parler <strong>de</strong>s montages <strong>de</strong> Glencore,<br />

[…] dirigée jusqu’en 1996 par le désormais célèbre<br />

Marc Rich. […]<br />

« La justice suisse enquête <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> décembre<br />

[1999], dans le cadre d’une procédure<br />

anti-b<strong>la</strong>nchiment […], sur une cinquantaine <strong>de</strong><br />

comptes. Lesquels appartiennent à Falcone, Gaydamak<br />

et à quelques-uns <strong>de</strong> leurs obligés – dont<br />

l’ambassa<strong>de</strong>ur ango<strong>la</strong>is Eliseo <strong>de</strong> Figueredo ou le<br />

français Paul-Loup Sulitzer. […]<br />

« Les Suisses ont découvert que plusieurs <strong>de</strong> ces<br />

comptes présentaient <strong>de</strong>s “montages ahurissants”,<br />

pour reprendre l’expression d’un <strong>de</strong>s enquêteurs.


François-Xavier Verschave 171<br />

Ainsi le milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs déjà remboursé ne se<br />

retrouve pas, pour <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> part, dans les<br />

caisses <strong>de</strong> Moscou. Ce versement a profité à une<br />

mystérieuse société offshore […] dont Gaydamak,<br />

Falcone et leurs amis sont les principaux opérateurs.<br />

“Les amis <strong>de</strong> Falcone ne sont pas <strong>de</strong>s<br />

manches, commente un banquier suisse, ils ont<br />

mis en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s écrans subtils”, [… le] genre <strong>de</strong><br />

montage [qui] favorise les “pertes en ligne.” 148»<br />

Faut-il dès lors s’étonner quand Gaydamak se<br />

f<strong>la</strong>tte d’avoir multiplié « <strong>de</strong> façon importante ses<br />

revenus tous les ans 149» ? C’est quand même extraordinaire<br />

: avec ses associés Falcone et Leviev,<br />

Gaydamak est gavé <strong>de</strong> pétrole et <strong>de</strong> diamants, et<br />

en plus il reçoit <strong>de</strong> l’argent sans contrepartie apparente<br />

! On ne peut s’empêcher <strong>de</strong> penser à <strong>de</strong>s<br />

contreparties non déc<strong>la</strong>rées, à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>als différés.<br />

Selon Africa Confi<strong>de</strong>ntial du 2 mai 2000, « un accord<br />

sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte ango<strong>la</strong>ise envers <strong>la</strong> Russie serait<br />

sans doute basé sur un troc contre du pétrole et<br />

<strong>de</strong>s diamants. […] En décembre <strong>de</strong>rnier, […]<br />

Moscou et <strong>la</strong> compagnie russe Alrosa ont fait pression<br />

sur le gouvernement ango<strong>la</strong>is pour qu’il<br />

ven<strong>de</strong> <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> sa production <strong>de</strong> diamants à <strong>la</strong><br />

Russie pour régler sa <strong>de</strong>tte 150».<br />

Et nous qui croyions que cette <strong>de</strong>tte avait été réglée<br />

lors du grand marchandage <strong>de</strong> 1997 ! On<br />

comprend mieux les affirmations <strong>de</strong> Pedro Rosa<br />

Men<strong>de</strong>s : « À partir <strong>de</strong> 1996 au moins, l’Ango<strong>la</strong> a<br />

pu effectuer <strong>de</strong>s transferts nets à l’étranger en direction<br />

<strong>de</strong> personnalités très proches du prési<strong>de</strong>nt<br />

José Eduardo Dos Santos, tel que Gaidamak […],<br />

au travers <strong>de</strong> très nombreux réseaux financiers.<br />

[…] L’Ango<strong>la</strong> n’est plus seulement un endroit


172 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

pour <strong>de</strong>s affaires rentables ; Luanda fonctionne<br />

aussi comme un “pipe-line” pour <strong>de</strong>s sommes élevées<br />

qui pourront passer par Gaidamak, mais<br />

continueront plus loin vers les secteurs obscurs <strong>de</strong><br />

l’ex-URSS. »<br />

On <strong>de</strong>vine mieux, du coup, ce que cache cette<br />

phrase sibylline <strong>de</strong> La Lettre du Continent 151 :<br />

« Le recyc<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> l’or noir <strong>de</strong>s pays du golfe <strong>de</strong><br />

Guinée n’a pas fini <strong>de</strong> remplir les dossiers <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

briga<strong>de</strong> financière. Surtout si les magistrats “croisent”<br />

les dossiers : ventes d’armes à l’Ango<strong>la</strong> par<br />

Brenco International (dont Pierre Falcone est le<br />

patron), affaires Méry I et “Sentier” II chez M e Al<strong>la</strong>in<br />

Guilloux et trafic <strong>de</strong>s vrais-faux dinars <strong>de</strong><br />

Bahreïn », une opération <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux milliards <strong>de</strong><br />

francs mouil<strong>la</strong>nt plusieurs gouvernements 154. En<br />

plus c<strong>la</strong>ir : si les remontées ne passent pas par <strong>de</strong>s<br />

circuits officiels, elles sont forcées d’emprunter ou<br />

<strong>de</strong> susciter <strong>de</strong>s circuits occultes.<br />

L’on peut craindre cependant, à ce jeu, <strong>de</strong> rencontrer<br />

<strong>la</strong> loi : « L’année <strong>de</strong> <strong>la</strong> renégociation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte ango<strong>la</strong>ise, Falcone déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> s’installer en<br />

Suisse. […] Sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> permis <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt<br />

I. Le racket chiraquien <strong>de</strong>s marchés d’Île-<strong>de</strong>-France, avec branchement<br />

partiel sur les pays pétroliers du golfe <strong>de</strong> Guinée. Selon<br />

une ordonnance <strong>de</strong>s juges d’instruction Armand Riberolles, Marc<br />

Brisset-Foucault et Renaud Van Ruymbeke, en date du<br />

17.07.2001, l’ancien numéro 2 <strong>de</strong> <strong>la</strong> DGSE Michel Roussin (présumé<br />

innocent) « a été décrit par <strong>de</strong> nombreux protagonistes du<br />

dossier comme ayant joué un rôle central dans <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />

et le fonctionnement du dispositif <strong>de</strong> financement <strong>de</strong>s partis politiques,<br />

et plus particulièrement du RPR 152 ».<br />

II. Une escroquerie en chaîne <strong>de</strong> 540 millions <strong>de</strong> francs “au détriment”<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s banques françaises, organisée <strong>de</strong>puis le quartier<br />

parisien du Sentier. Treize <strong>de</strong>s protagonistes <strong>de</strong> l’affaire se<br />

sont enfuis en Israël. Au procès, le procureur François Franchi a<br />

accusé ce pays <strong>de</strong> se mettre « au ban <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté internationale<br />

en matière <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nchiment » 153 .


François-Xavier Verschave 173<br />

permanent est appuyée par les dirigeants <strong>de</strong><br />

Matra, autres marchands d’armes <strong>de</strong> ses amis. […]<br />

[Il] installe […] sa société Montaigne Financial<br />

Service […] sur les bords du <strong>la</strong>c Léman, au domicile<br />

d’un ancien cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque israélienne<br />

Leumi. […] Coup du sort : à peine vient-il d’obtenir<br />

son permis <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt que Falcone est incarcéré.<br />

155»<br />

Gaydamak s’épargnera ce triste sort en fuyant<br />

en Israël – d’où il poursuivra en diffamation <strong>la</strong><br />

DGSE et les Renseignements généraux I ! Leurs<br />

notes distillées dans les journaux sont, prétend-il,<br />

<strong>la</strong> principale cause <strong>de</strong> ses déboires 157. C’est trop<br />

injuste d’avoir si mauvaise presse quand on a si<br />

gran<strong>de</strong> fortune.<br />

Mais il n’y a pas, évi<strong>de</strong>mment, que <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

russe. À Luanda, <strong>la</strong> comptabilité publique est<br />

considérée comme un art abstrait, un luxe superflu.<br />

Les trous peuvent s’y creuser encore plus vite<br />

qu’à Brazzaville. Plus ça rentre, plus ça fuit. Fin<br />

1998, « le total <strong>de</strong>s bonus pétroliers offerts par les<br />

trois chefs <strong>de</strong> file <strong>de</strong>s blocs 31 à 33, British Petroleum<br />

(BP), Exxon et Elf, approche déjà le milliard<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs – sans compter les opérateurs associés…<br />

Chevron atteint 25,5 millions <strong>de</strong> tonnes par an sur<br />

le seul bloc 0, au Cabinda. Mais le système bancaire<br />

est à genoux et le déficit budgétaire béant 158».<br />

Cependant, le gage pétrolier surabon<strong>de</strong>. Paribas<br />

(avec A<strong>la</strong>in Bernard 159), <strong>la</strong> BNP et <strong>la</strong> Société générale<br />

sont en première ligne du secourisme finan-<br />

I. Pour faire bonne mesure, il indique qu’il va porter p<strong>la</strong>inte contre<br />

le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Défense A<strong>la</strong>in Richard, un conseiller du ministre<br />

<strong>de</strong>s affaires étrangères, Georges Serre, et le juge Philippe<br />

Courroye 156 .


174 Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

cier… Tout comme le “retraité d’Elf” Jack Sigolet,<br />

qui « consacre désormais <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong> son activité<br />

à l’Ango<strong>la</strong> 160».<br />

Mi-1998, « le nouvel accord passé avec le négociant<br />

Glencore vient d’hypothéquer virtuellement<br />

<strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> part pétrolière du gouvernement<br />

en échange du versement anticipé <strong>de</strong> 900 millions<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs. […] Les conditions <strong>de</strong> cet accord,<br />

énoncées dans un mémorandum confi<strong>de</strong>ntiel<br />

[…], témoignent <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise financière<br />

que traverse le gouvernement. [… Pourtant,]<br />

l’accord […] passe par Sonangol et <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce<br />

plutôt que par le ministère <strong>de</strong>s Finances. […] La<br />

<strong>de</strong>tte extérieure ango<strong>la</strong>ise [atteint …] 11,5 milliards<br />

<strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs 161».<br />

Les <strong>de</strong>ttes ango<strong>la</strong>ises ont toujours besoin <strong>de</strong> sang<br />

neuf. Sinon les créanciers se paralysent entre eux :<br />

« Le tribunal <strong>de</strong> commerce <strong>de</strong> Nanterre a autorisé,<br />

le 6 juin 1997, <strong>la</strong> société Crescent Oil Shipping<br />

Services à pratiquer une saisie conservatoire sur les<br />

biens d’Elf Exploration Ango<strong>la</strong> et Total Ango<strong>la</strong> I<br />

pour une ardoise <strong>de</strong> 22,1 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs que<br />

lui doit <strong>la</strong> Sonangol 162» !<br />

Dès 1992, on a bradé le patrimoine public : le<br />

Crédit commercial <strong>de</strong> France (CCF) – une<br />

banque chère à Sigolet – s’associe «à <strong>de</strong>s Portugais<br />

pour réaliser <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> privatisation par<br />

rachat <strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes 163».<br />

Rappelons qu’au printemps 2000 Glencore a<br />

encore levé 3 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> prêts gagés à<br />

l’Ango<strong>la</strong>, avec <strong>de</strong>s banques comme Paribas et <strong>la</strong><br />

Société générale.<br />

I. La justice est toujours aussi inopportune : faire <strong>de</strong>s soucis financiers<br />

à Elf et Total alors que s’amorçait <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> veille l’accouchement<br />

du Congo<strong>la</strong> !


François-Xavier Verschave 175<br />

Toute cette ingénierie financière privée, plus les<br />

prêts à tout va <strong>de</strong> l’Agence française <strong>de</strong> développement<br />

I, plus l’alliance politico-militaire scellée en<br />

1997 dans <strong>la</strong> mise sous tutelle du Congo, ont ouvert<br />

<strong>de</strong> vastes opportunités aux entreprises tricolores.<br />

Cette année-là, le BTP français a décroché<br />

1,3 milliard <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> travaux en Ango<strong>la</strong>.<br />

Thomson a bénéficié <strong>de</strong> gros projets civils et militaires.<br />

France Telecom est le partenaire attitré <strong>de</strong>s<br />

télécommunications ango<strong>la</strong>ises, dont Alcatel est<br />

l’un <strong>de</strong>s principaux fournisseurs 165. Rappelons<br />

que le taux global <strong>de</strong>s commissions sur l’Ango<strong>la</strong><br />

atteint les 40 ou 50 %. Autrement dit, sans préjuger<br />

<strong>de</strong> l’utilité <strong>de</strong>s projets mis en œuvre à crédit,<br />

on sait dès le départ que le débiteur ultime, le<br />

peuple ango<strong>la</strong>is, est spolié <strong>de</strong> près <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong><br />

ce qui a été emprunté en son nom.<br />

L’essentiel <strong>de</strong> l’autre moitié paie l’effort <strong>de</strong><br />

guerre, <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s infrastructures <strong>de</strong> l’exploitation<br />

pétrolière et <strong>de</strong> sa logistique, y compris<br />

les ghettos du personnel expatrié. Pour les Ango<strong>la</strong>is,<br />

<strong>la</strong> contrepartie <strong>de</strong> leur pétrole, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

qu’il a permise, se résume à une succession <strong>de</strong><br />

drames, <strong>la</strong> misère, le handicap, un océan <strong>de</strong> souffrance.<br />

Quelle instance internationale pourra envisager<br />

<strong>de</strong> les contraindre à payer cette <strong>de</strong>tte ?<br />

Quel tribunal pénal international jugera un jour<br />

leurs tortionnaires ?<br />

I. Avec d’étranges tours <strong>de</strong> passe-passe : début 1993, <strong>la</strong> CFD<br />

(future AFD) prête 553 millions <strong>de</strong> francs à Elf Exploration<br />

Ango<strong>la</strong> ; en octobre 1994, lors d’une échéance <strong>de</strong> remboursement<br />

<strong>de</strong> 6 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs à <strong>la</strong> CFD, Elf se substitue à l’État<br />

congo<strong>la</strong>is défail<strong>la</strong>nt afin <strong>de</strong> faciliter le déblocage <strong>de</strong> nouveaux<br />

prêts… 164


Dette & ajustement structurel :<br />

le cercle vicieux<br />

Les pays pauvres ayant accumulé <strong>de</strong>s<br />

niveaux <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte insupportables n’ont pas<br />

accès au marché c<strong>la</strong>ssique <strong>de</strong>s capitaux. Ils<br />

sont tributaires d’institutions telles que le<br />

Fonds monétaire international et <strong>la</strong> Banque<br />

mondiale pour obtenir <strong>de</strong>s prêts à taux<br />

concessionnels. En échange, ils s’engagent à<br />

mettre en œuvre <strong>de</strong>s programmes d’austérité<br />

budgétaire et <strong>de</strong> réformes structurelles :<br />

les tristement célèbres p<strong>la</strong>ns d’ajustement<br />

structurel. P<strong>la</strong>ns qui sont définis en réponse<br />

aux exigences <strong>de</strong>s institutions financières<br />

internationales et qui ont comme priorité<br />

absolue le rétablissement <strong>de</strong>s équilibres<br />

macro-économiques, quel qu’en soit le coût<br />

social et humain. Coupes c<strong>la</strong>ires dans les<br />

budgets sociaux et environnementaux, privatisations<br />

et licenciements massifs en sont<br />

les composantes habituelles et ne font<br />

qu’enfoncer les pays dans <strong>la</strong> récession et <strong>la</strong><br />

spirale <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte. Les changements cosmétiques<br />

du Fonds monétaire international<br />

(FMI) et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque mondiale, qui enten<strong>de</strong>nt<br />

<strong>de</strong>puis 1999 mener <strong>de</strong>s programmes<br />

<strong>de</strong> « croissance et réduction <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvreté<br />

», ne suffisent pas à masquer le fait<br />

que l’ajustement est encore et toujours à<br />

l’œuvre, continuant <strong>de</strong> creuser les inégalités<br />

à l’échelle nationale et mondiale.<br />

Source :


Conclusion<br />

La “Mafiafrique” pour horizon ?<br />

Repartons <strong>de</strong> <strong>la</strong> « Françafrique », cette face<br />

immergée <strong>de</strong> l’iceberg <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions francoafricaines.<br />

En 1960, l’histoire accule De Gaulle à<br />

accor<strong>de</strong>r l’indépendance aux colonies d’Afrique<br />

noire : telle est <strong>la</strong> nouvelle légalité internationale<br />

proc<strong>la</strong>mée, <strong>la</strong> face émergée, immaculée (<strong>la</strong> France<br />

meilleure amie <strong>de</strong> l’Afrique, du développement et<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie). En même temps, Foccart est<br />

chargé <strong>de</strong> maintenir <strong>la</strong> dépendance, par <strong>de</strong>s<br />

moyens forcément illégaux, occultes, inavouables.<br />

Il sélectionne, par <strong>la</strong> guerre (plus <strong>de</strong> 100 000 civils<br />

massacrés au Cameroun), l’assassinat ou <strong>la</strong> frau<strong>de</strong><br />

électorale, <strong>de</strong>s chefs d’État “amis <strong>de</strong> <strong>la</strong> France”. À<br />

ces gardiens <strong>de</strong> l’ordre néocolonial, il propose un<br />

partage <strong>de</strong> <strong>la</strong> rente <strong>de</strong>s matières premières et <strong>de</strong><br />

l’ai<strong>de</strong> au développement. Les bases militaires, le<br />

franc CFA convertible en Suisse, les services secrets<br />

et leurs faux-nez (Elf et <strong>de</strong> multiples PME,<br />

<strong>de</strong> fournitures ou <strong>de</strong> “sécurité”) complètent le dispositif.<br />

Lequel tendra aussi constamment à grignoter<br />

les anciennes colonies belges (Congo,<br />

Burundi, Rwanda), espagnole (Guinée équatoriale),<br />

portugaises (surtout l’Ango<strong>la</strong>), voire britanniques<br />

(sud-est du Nigeria, Sierra Leone), ou le<br />

Liberia sous tutelle américaine.<br />

C’est parti pour quarante ans <strong>de</strong> pil<strong>la</strong>ge, <strong>de</strong> soutien<br />

aux dictatures, <strong>de</strong> coups fourrés, <strong>de</strong> guerres<br />

secrètes – du Biafra aux <strong>de</strong>ux Congos. Le Rwanda,<br />

les Comores, <strong>la</strong> Guinée-Bissau, le Liberia, <strong>la</strong> Sierra


178 Conclusion<br />

Leone, le Tchad, le Togo, etc. en conserveront<br />

longtemps les stigmates. Les dictateurs usés, boulimiques,<br />

dopés par l’en<strong>de</strong>ttement, ne pouvaient<br />

plus promettre le développement. Ils ont dégainé<br />

l’arme ultime, le bouc émissaire : « Si je prolonge<br />

mon pouvoir, avec mon c<strong>la</strong>n et un discours ethnisant,<br />

c’est pour empêcher que vos ennemis <strong>de</strong><br />

l’autre ethnie ne m’y remp<strong>la</strong>cent ». On connaît <strong>la</strong><br />

suite. La criminalité politique est entrée en synergie<br />

avec <strong>la</strong> criminalité économique.<br />

De telles dérives n’ont pas été sans déteindre sur<br />

<strong>la</strong> France : on est passé <strong>de</strong> <strong>la</strong> “raison d’État” foccartienne,<br />

très contestable, aux frères et neveux <strong>de</strong><br />

Giscard, aux fils <strong>de</strong> Mitterrand et Pasqua… Les<br />

milliards dispensés par les Tarallo, Sirven et compagnie<br />

ont connu une inf<strong>la</strong>tion sans mesure, bien<br />

au-<strong>de</strong>là du seul financement <strong>de</strong>s partis. Les mécanismes<br />

<strong>de</strong> corruption ont fait tache d’huile en<br />

métropole, avec les mêmes entreprises (Bouygues,<br />

Dumez), les mêmes hommes (Étienne Leandri,<br />

Roger-Patrice Pe<strong>la</strong>t, Michel Pacary, Michel<br />

Roussin, etc.), les mêmes fiduciaires suisses,<br />

banques luxembourgeoises, comptes panaméens.<br />

Une partie du racket <strong>de</strong>s marchés publics franciliens<br />

était recyclée via <strong>la</strong> Côte d’Ivoire ou l’Afrique<br />

centrale.<br />

Mais plusieurs pas supplémentaires ont été franchis<br />

en Ango<strong>la</strong>. Désormais, les trafiquants d’armes<br />

comme Falcone ou les sociétés <strong>de</strong> mercenaires ont<br />

officiellement leur part dans les consortiums pétroliers<br />

: <strong>la</strong> guerre est programmée avec l’exploitation<br />

pétrolière. Il est significatif d’ailleurs que nombre<br />

<strong>de</strong> personnages clefs du pétrole français aient été<br />

également ven<strong>de</strong>urs d’armes, membres ou proches


François-Xavier Verschave 179<br />

<strong>de</strong>s services secrets : les Étienne Leandri, Alfred<br />

Sirven, Pierre Lethier, Jean-Yves Ollivier, Arcadi<br />

Gaydamak… La Fiba, banque fétiche du pétrole,<br />

abritait encore les comptes <strong>de</strong> l’empereur <strong>de</strong>s jeux<br />

Robert Feliciaggi, éminence du réseau Pasqua. Des<br />

députés, <strong>de</strong>s journalistes, <strong>de</strong>s enquêteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> police<br />

judiciaire soulignent à satiété les liens financiers<br />

<strong>de</strong>s frères Feliciaggi avec Jean-Jé Colonna, présenté<br />

comme le « parrain » <strong>de</strong> <strong>la</strong> Corse. Enfin, plusieurs<br />

affaires en cours établissent <strong>de</strong>s connexions entre le<br />

recyc<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s pétrodol<strong>la</strong>rs et le faux-monnayage ou<br />

le narcotrafic – à commencer par <strong>la</strong> Birmanie, dont<br />

<strong>la</strong> junte a rallié <strong>la</strong> Françafrique avec enthousiasme.<br />

Ce n’est pas d’aujourd’hui que datent les liens<br />

entre le pétrole, les ventes d’armes et les Services, ni<br />

les accointances <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers avec le narcotrafic<br />

et les mafias. La plupart <strong>de</strong>s Services estiment que<br />

leurs besoins excè<strong>de</strong>nt très <strong>la</strong>rgement les budgets<br />

qui leur sont votés. Au-<strong>de</strong>là du renseignement, ils<br />

estiment <strong>de</strong> leur rôle <strong>de</strong> surveiller, contrôler, infiltrer<br />

<strong>la</strong> criminalité organisée qui tient <strong>de</strong>s régions ou<br />

<strong>de</strong>s secteurs entiers, et <strong>de</strong> négocier avec elle. Pour <strong>la</strong><br />

constitution et <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> leurs cagnottes,<br />

ainsi que l’efficacité <strong>de</strong> leurs alliances, ils ont beaucoup<br />

contribué à l’essor <strong>de</strong>s paradis fiscaux. Au<br />

nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité nationale. Mais <strong>la</strong> mondialisation<br />

dérégulée <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> paiement, l’explosion<br />

<strong>de</strong> l’argent sale et <strong>de</strong>s volumes traités par ces territoires<br />

hors <strong>la</strong> loi ont fait cé<strong>de</strong>r les digues. Quand<br />

“l’honorable correspondant” Sirven, jongleur <strong>de</strong><br />

milliards, se vante d’avoir vingt fois <strong>de</strong> quoi faire<br />

sauter <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse politique, il résume malheureusement<br />

l’inversion <strong>de</strong>s pouvoirs : <strong>la</strong> Françafrique prônait<br />

<strong>la</strong> raison d’État avec <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> voyous,


180 Conclusion<br />

ceux qui les ont appliquées sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s<br />

voyous qui font chanter <strong>la</strong> République.<br />

Autre enseignement ango<strong>la</strong>is : <strong>de</strong>rrière Falcone,<br />

se profile Arcadi Gaydamak, proche <strong>de</strong>s Services<br />

français (<strong>la</strong> DST, du moins), russes, israéliens. Cet<br />

homme aux quatre passeports est une figure <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

mondialisation, à l’instar <strong>de</strong>s Henry Leir, Étienne<br />

Leandri, Marc Rich, Nadhmi Auchi. Le multimilliardaire<br />

Gaydamak apparaît branché sur les circuits<br />

<strong>de</strong> vente à vil prix du pétrole, <strong>de</strong>s engrais, <strong>de</strong>s<br />

diamants, <strong>de</strong>s armements, <strong>de</strong>s créances <strong>de</strong> l’ex-<br />

URSS. On sait que ces circuits, organisés offshore<br />

avant même <strong>la</strong> chute du mur <strong>de</strong> Berlin, ont généré<br />

une gigantesque et très inquiétante nappe <strong>de</strong> liquidités.<br />

Les protagonistes du pétrole ango<strong>la</strong>is se sont<br />

branchés sur ce pactole. Bref, ce pays est <strong>de</strong>venu le<br />

champ expérimental d’un passage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Françafrique à <strong>la</strong> “Mafiafrique”. La Françafrique<br />

s’y connecte avec ses homologues américain, britannique,<br />

russe, israélien, brésilien… Plus à l’est,<br />

elle rencontre ses homologues chinois, sud-africain,<br />

etc. De temps à autre, ce difficile partage<br />

mafieux <strong>de</strong>s richesses africaines nourrit une<br />

effroyable guerre civile. Ainsi dans l’ex-Zaïre.<br />

Bien public ou criminalité financière<br />

C’est bien loin, diront certains. Pas si sûr. La<br />

France est duelle. Le cynisme françafricain s’inspire<br />

<strong>de</strong>s slogans anti-dreyfusards : <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur, l’honneur,<br />

l’intérêt “supérieur” <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation. Mais beaucoup<br />

<strong>de</strong> Français se sentent davantage héritiers <strong>de</strong><br />

ceux qui p<strong>la</strong>cèrent plus haut <strong>la</strong> vérité et <strong>la</strong> justice.<br />

S’il est <strong>de</strong>s Africains qui aiment <strong>la</strong> France, c’est


François-Xavier Verschave 181<br />

aussi pour ce<strong>la</strong>. Nous sommes également les héritiers<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents ans <strong>de</strong> mouvement social. Nos<br />

ancêtres ont bâti un socle <strong>de</strong> biens publics, <strong>de</strong><br />

biens <strong>de</strong> civilisation surplombant <strong>la</strong> logique marchan<strong>de</strong><br />

: l’éducation, <strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> retraite, les congés<br />

payés, etc. Seuls quelques idéologues bornés<br />

contestent leur efficacité économique : un peuple<br />

éduqué et en bonne santé est plus efficace qu’un<br />

peuple maltraité. Jusqu’à un certain pourcentage<br />

<strong>de</strong> prélèvements obligatoires, l’é<strong>la</strong>rgissement <strong>de</strong>s<br />

biens publics est un jeu à somme positive. Il é<strong>la</strong>rgit<br />

aussi <strong>la</strong> richesse privée. Tout le mon<strong>de</strong> y gagne.<br />

C’est ce que nous ont écrit prophétiquement les<br />

<strong>de</strong>ux jeunes Guinéens qui, durant l’été 1999, sont<br />

morts <strong>de</strong> froid dans une soute d’avion, <strong>de</strong>mandant<br />

en tant qu’êtres humains le droit à l’éducation.<br />

Leur questionnement désigne un champ immense<br />

<strong>de</strong> mondialisation positive, prenant aussi en compte<br />

d’autres défis p<strong>la</strong>nétaires (effet <strong>de</strong> serre, sida, pollution<br />

<strong>de</strong>s mers, accès à l’information, justice pénale,<br />

droit économique et social, etc.). Survie a ouvert<br />

un chantier scientifique et militant pour accélérer<br />

<strong>la</strong> conquête collective <strong>de</strong> ces biens publics mondiaux,<br />

via l’association Bien public à l’échelle mondiale<br />

1. Une formidable perspective pour un nouvel<br />

é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> solidarité internationale.<br />

Les paradis fiscaux ne sont pas seulement les<br />

réceptacles <strong>de</strong> <strong>la</strong> criminalité, les sièges <strong>de</strong>s sociétés<br />

<strong>de</strong> mercenaires, les coffres-forts <strong>de</strong>s pilleurs <strong>de</strong><br />

l’Afrique. Si même un Jean-Christophe<br />

Mitterrand, qui se présente au juge comme un<br />

grand naïf I, est capable <strong>de</strong> cacher au fisc 13 mil-<br />

I. Il considère cependant, dans Mémoire meurtrie 2, que « Roger-<br />

Patrice Pe<strong>la</strong>t, aventurier f<strong>la</strong>mboyant », a été pour lui « un second


182 Conclusion<br />

lions <strong>de</strong> revenus, il n’y aura bientôt plus que les<br />

pauvres et les imbéciles pour payer les impôts !<br />

Nous aurons perdu <strong>de</strong>ux cents ans <strong>de</strong> conquêtes<br />

sociales, gâché le combat collectif pour <strong>la</strong> dignité.<br />

Adieu l’école gratuite et <strong>la</strong> couverture ma<strong>la</strong>die universelle<br />

! En appe<strong>la</strong>nt un crime un crime, sans l’autorisation<br />

du gouvernement, le juge Courroye a<br />

aidé les Français à comprendre le mon<strong>de</strong> où ils<br />

vivent, tel qu’il est et non tel qu’on nous le dépeint.<br />

N’enterrons pas trop vite<br />

<strong>la</strong> Françafrique<br />

L’incarcération <strong>de</strong> Jean-Christophe Mitterrand,<br />

après celle <strong>de</strong> Pierre Falcone, a comme débondé les<br />

médias, débordant le cercle <strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong><br />

l’Afrique. Télés, radios, hebdomadaires, journaux<br />

ont déversé les informations, parfois les scoops, sur<br />

les trafics d’armes mortifères, l’action délétère <strong>de</strong>s<br />

réseaux, <strong>la</strong> noria <strong>de</strong>s valises à billets. “La Françafrique,<br />

le plus long scandale <strong>de</strong> <strong>la</strong> République”, est<br />

sortie du “Noir silence” où elle était plongée. Elle a<br />

fait, longuement, <strong>la</strong> une <strong>de</strong> l’actualité.<br />

Les intérêts en jeu sont énormes, notamment<br />

dans le pétrole et <strong>la</strong> privatisation <strong>de</strong>s services<br />

publics. La carte <strong>de</strong>s réseaux et lobbies françafricains<br />

est en pleine mutation, mais leur puissance<br />

financière et médiatique reste dominante dans le<br />

paysage français. Plusieurs <strong>de</strong>s principaux lea<strong>de</strong>rs<br />

politiques sont mouillés jusqu’au cou. La plupart<br />

<strong>de</strong>s autres, et l’essentiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse politique, sont<br />

intimidés. Comptez le reste, ceux qui se sont oppo-<br />

père ». Avant <strong>de</strong> passer à un autre parrain interlope : « Avec<br />

Falcone, nous faisons très régulièrement le point ensemble à<br />

Paris, Londres ou Phoenix. »


François-Xavier Verschave 183<br />

sés publiquement à <strong>la</strong> persistance <strong>de</strong> ce système :<br />

sur les doigts d’une main.<br />

Bref, il fal<strong>la</strong>it tenter <strong>de</strong> bloquer le déferlement<br />

<strong>de</strong>s révé<strong>la</strong>tions. Et d’abord discréditer l’action <strong>de</strong>s<br />

juges, dont certains, enfin, intervenaient en liberté<br />

dans ce “domaine réservé”. Haro sur le troisième<br />

pouvoir ! Montesquieu n’est pas <strong>la</strong> tasse <strong>de</strong> thé <strong>de</strong>s<br />

Charasse, Pasqua, Mitterrand, etc. Une armée<br />

d’avocats abusait <strong>de</strong> <strong>la</strong> stratégie <strong>de</strong> rupture I, théorisée<br />

jadis par Jacques Vergès au service <strong>de</strong>s peuples<br />

opprimés, pour secourir les réseaux milliardaires II.<br />

Les ven<strong>de</strong>urs d’armes et leurs amis ont été transformés<br />

en victimes. Depuis les plus gros médias,<br />

un tombereau d’insultes a été déversé sur le juge<br />

Courroye, interdit <strong>de</strong> réponse : s’il esquissait une<br />

réaction, il serait <strong>de</strong>ssaisi pour partialité. Et puis,<br />

“on” a ressorti un décret <strong>de</strong> 1939 interdisant à <strong>la</strong><br />

justice <strong>de</strong> se mêler <strong>de</strong>s trafics d’armes sans le feu<br />

vert du gouvernement.<br />

En même temps était déclenchée une magistrale<br />

entreprise <strong>de</strong> “communication” autour du mot<br />

“Françafrique”. Dès 1994, Survie avait inventé et<br />

forgé ce concept dans son sens actuel III. Nous<br />

avions signalé que nous reprenions, en <strong>la</strong> détournant,<br />

une expression utilisée en quelques discours,<br />

autour <strong>de</strong>s années 1960, par l’Ivoirien Houphouët-<br />

I. Stratégie judiciaire qui privilégie <strong>la</strong> contestation <strong>de</strong>s juges par<br />

rapport à l’objet du procès.<br />

II. Ce renversement reflète <strong>la</strong> trajectoire personnelle <strong>de</strong> Jacques<br />

Vergès, transformé en défenseur <strong>de</strong>s Bongo, Sassou, Déby et<br />

autres Eya<strong>de</strong>ma.<br />

III. Nous avons utilisé le terme pour <strong>la</strong> première fois, inci<strong>de</strong>mment,<br />

en janvier 1994 3. Nous l’avons développé à partir du génoci<strong>de</strong><br />

du Rwanda, affiché dans le titre du « Dossier noir n° 2 », Les<br />

Dérives mafieuses <strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique 4. Nous en avons donné une<br />

première définition dans le « Dossier noir n° 7 », France-<br />

Cameroun 5.


184 Conclusion<br />

Boigny. Cet indépendantiste “retourné” y fantasmait<br />

une re<strong>la</strong>tion fusionnelle avec <strong>la</strong> métropole.<br />

L’ennui, c’est que le terme, désormais incontournable,<br />

renvoie quasi automatiquement à nos travaux,<br />

qui en exposent les acteurs et les rouages, et<br />

qui montrent surtout que le système est loin d’avoir<br />

perdu sa nuisance. Au contraire : en Afrique centrale<br />

ou sur l’océan Indien, l’iceberg a tendance à<br />

s’enfoncer, <strong>la</strong> Françafrique passe <strong>de</strong>s alliances avec<br />

ses homologues, adossées à d’autres métropoles.<br />

On a donc vu fleurir à longueur d’éditoriaux et<br />

d’articles, à commencer par Le Mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> savantes<br />

étymologies <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Françafrique” renvoyant uniquement<br />

à Houphouët – qui vou<strong>la</strong>it dire le<br />

contraire <strong>de</strong> l’acception présente ! Il s’agit d’ôter au<br />

concept sa virulence, son tranchant, en le coupant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> source qui l’actualise… Simultanément, les<br />

médias bombar<strong>de</strong>nt le même refrain : <strong>la</strong><br />

Françafrique, c’est fini – <strong>de</strong>puis l’arrivée <strong>de</strong> Chirac<br />

ou celle <strong>de</strong> Jospin, selon que le locuteur penche à<br />

droite ou à gauche. Partout, l’on conjugue le<br />

terme au passé révolu. « La page <strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique<br />

est tournée », a “martelé” I le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Coopération Charles Josselin à l’occasion du<br />

Sommet franco-africain <strong>de</strong> Yaoundé – chez le très<br />

françafricain Paul Biya.<br />

De fait, <strong>la</strong> Françafrique a pris <strong>de</strong>s coups. Le<br />

“secret défense” qui <strong>la</strong> protège est percé, les révé<strong>la</strong>tions<br />

vont se poursuivre, les Français paraissent<br />

plus réceptifs à <strong>la</strong> proposition d’un assainissement.<br />

Mais <strong>la</strong> pire erreur serait <strong>de</strong> croire qu’elle est déjà<br />

I. Les journalistes ont été si percutés par l’insistance du discours<br />

ministériel que plusieurs ont utilisé ce verbe pour en rendre<br />

compte.


François-Xavier Verschave 185<br />

vaincue. Dans Le Mon<strong>de</strong> du 16 mars 2001,<br />

Stephen Smith (après avoir épinglé au passage « les<br />

pourfen<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> <strong>la</strong> vingt-cinquième heure du néocolonialisme<br />

français, […] <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Françafrique” »)<br />

nous explique qu’il serait bien naïf <strong>de</strong> croire que <strong>la</strong><br />

France peut opérer dans un pays comme l’Ango<strong>la</strong><br />

sans enfreindre <strong>la</strong> légalité internationale. Disparue,<br />

<strong>la</strong> Françafrique ? Non. Son sort est lié à une<br />

conviction persistante : l’on ne peut pas traiter les<br />

États africains comme <strong>de</strong>s États <strong>de</strong> droit, avec lesquels<br />

passer <strong>de</strong>s contrats équitables.<br />

Les voies du droit<br />

À <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> l’État <strong>de</strong> droit, national et international,<br />

il n’y a d’alternative que <strong>la</strong> “loi <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

jungle”, l’arbitraire du plus fort et du plus riche. À<br />

ceux qui douteraient <strong>de</strong> l’efficacité d’une telle<br />

approche, rappelons ce renversement récent : ce<br />

sont désormais les avocats <strong>de</strong>s riches et <strong>de</strong>s criminels<br />

contre l’humanité qui sont contraints d’inventer<br />

<strong>de</strong>s “stratégies <strong>de</strong> rupture”, alors que c’étaient<br />

autrefois les avocats <strong>de</strong>s opprimés.<br />

Les mouvements citoyens l’ont compris. Arnaud<br />

Zacharie, chercheur au Comité pour l’annu<strong>la</strong>tion<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte du tiers-mon<strong>de</strong> (CADTM), pointe <strong>la</strong><br />

criminalité financière qui a suren<strong>de</strong>tté l’Argentine,<br />

dans une approche voisine <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> ce Dossier<br />

noir 6. La Campagne française pour l’annu<strong>la</strong>tion<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s pays pauvres très en<strong>de</strong>ttés 7, coordonnée<br />

par le CCFD (Comité catholique contre <strong>la</strong><br />

faim et pour le développement), propose entre<br />

autres <strong>la</strong> création d’une Cour internationale d’arbitrage<br />

« pour juger <strong>de</strong>s responsabilités <strong>de</strong>s emprun-


186 Conclusion<br />

teurs, <strong>de</strong>s prêteurs et <strong>de</strong>s fournisseurs, les ONG<br />

pouvant se porter partie civile ». Une révolution !<br />

Elle est en germe dans les attendus du “Tribunal<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte extérieure”, institué en 1999 par <strong>la</strong><br />

société civile brésilienne. Il considérait entre autres<br />

que « <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s pays les plus pauvres et les plus<br />

en<strong>de</strong>ttés a déjà été payée » ; « que cet en<strong>de</strong>ttement<br />

a été créé par <strong>de</strong>s gouvernements dictatoriaux,<br />

donc illégitimes et anti-popu<strong>la</strong>ires, et que les<br />

créanciers <strong>de</strong> ces gouvernements, en plus d’être<br />

leurs complices, étaient au courant <strong>de</strong>s risques<br />

qu’impliquaient ces prêts » ; « que l’expansion <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>de</strong>tte est liée aux élites brésiliennes qui, dans<br />

toute l’histoire et actuellement, ont été complices<br />

avec les institutions financières <strong>de</strong> l’étranger, privées,<br />

officielles et multi<strong>la</strong>térales ». Le “Tribunal”<br />

<strong>de</strong>mandait « l’audit <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte publique extérieure<br />

et <strong>de</strong> tout le processus <strong>de</strong> l’en<strong>de</strong>ttement brésilien,<br />

[…] afin <strong>de</strong> vérifier financièrement et juridiquement<br />

s’il existe encore une <strong>de</strong>tte à payer, qui doit<br />

<strong>la</strong> payer, et d’établir <strong>de</strong>s normes démocratiques <strong>de</strong><br />

contrôle et d’en<strong>de</strong>ttement ».<br />

Odile Biyidi, qui fonda <strong>la</strong> revue Peuples noirs<br />

avec son mari l’écrivain camerounais Mongo Béti,<br />

résume <strong>de</strong> manière percutante l’illégitimité <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>de</strong>tte et suggère une attitu<strong>de</strong> plus offensive que <strong>la</strong><br />

simple <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’une amnistie I : « Qu’est-ce que<br />

c’est que ces pays où il faut tout contrôler, où il<br />

faut que le FMI fasse les comptes, que les missionnaires<br />

<strong>de</strong>s ONG soignent et éduquent ? Ils ont <strong>de</strong>s<br />

dirigeants incapables ? Oui, et on sait pourquoi,<br />

parce qu’ils ont été mis là, par les bailleurs <strong>de</strong><br />

I. Selon Jacques Chirac 8, « <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

[…], <strong>la</strong> France défend une politique généreuse ».


François-Xavier Verschave 187<br />

fonds, en raison même <strong>de</strong> leur incapacité à gérer<br />

ces fonds autrement que pour les retourner au centuple<br />

à certains malins, en se servant bien sûr grassement<br />

au passage.<br />

« Ce qui serait plus logique et plus sain, ce serait<br />

<strong>de</strong> faire rembourser <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte non pas par <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions<br />

qui n’ont rien reçu, mais d’abord par tous<br />

ceux qui ont profité <strong>de</strong> l’argent indûment : entreprises<br />

surpayées, commissions pharaoniques d’un<br />

lot d’intermédiaires véreux, trésors <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong>s<br />

dictateurs, fonds secrets <strong>de</strong>s partis politiques. Ce<br />

sont tous ces gens-là qui sont pour qu’on efface<br />

tout. […] La remise <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte doit […] être<br />

accompagnée d’enquêtes et <strong>de</strong> poursuites internationales<br />

pour faire <strong>la</strong> lumière, sinon c’est une<br />

prime à <strong>la</strong> délinquance. C’est l’argent du peuple, le<br />

peuple doit savoir ce qu’il en fait. 9»<br />

Une illustration parmi d’autres <strong>de</strong> <strong>la</strong> complicité<br />

<strong>de</strong>s créanciers. Le 4 avril 2001, Le Mon<strong>de</strong> titrait :<br />

« Un nouveau circuit financier secret d’Alfred<br />

Sirven découvert au Liechtenstein 10», avec le<br />

retrait <strong>de</strong> 200 millions <strong>de</strong> francs d’argent liqui<strong>de</strong>.<br />

La somme provenait entre autres d’un compte<br />

“Lille” I, ouvert par Alfred Sirven à <strong>la</strong> Banque <strong>de</strong><br />

dépôt et <strong>de</strong> gestion (BDG) <strong>de</strong> Lausanne. Le 1 er<br />

mars précé<strong>de</strong>nt, Sirven avait déc<strong>la</strong>ré au juge Van<br />

Ruymbeke, à propos <strong>de</strong> sa fuite aux Philippines :<br />

« Il m’avait été vivement conseillé <strong>de</strong> m’éloigner.<br />

[…] En retour, il m’a été assuré que je pourrais<br />

séjourner à l’étranger sans risque particulier… »<br />

Face à cette impu<strong>de</strong>nce, l’envie est forte d’engager<br />

<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes <strong>de</strong>vant les juridictions pénales.<br />

I. Coïnci<strong>de</strong>nce : le parti <strong>de</strong> l’actuel prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> République<br />

française avait, jusqu’à une date récente, son siège rue <strong>de</strong> “Lille”.


188 Conclusion<br />

Mais <strong>la</strong> répression <strong>de</strong> <strong>la</strong> criminalité financière internationale<br />

est encore dans les limbes. Elle <strong>de</strong>vrait<br />

être à notre avis un objectif majeur <strong>de</strong>s mouvements<br />

civiques. Il faudrait d’une part faire reconnaître<br />

à certaines pratiques prédatrices le caractère<br />

d’« infractions graves » relevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> « participation<br />

à groupe criminel organisé », comme le suggère<br />

François Lille 11. Des voies sont d’autre part<br />

explorées pour obtenir <strong>de</strong>s incriminations pénales<br />

<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> justice française, mais il serait contreproductif<br />

d’en faire état prématurément.<br />

Il est possible aussi dès aujourd’hui, sur <strong>la</strong> base<br />

<strong>de</strong>s éléments signalés dans le présent livre, d’engager<br />

<strong>de</strong>s procédures <strong>de</strong> droit civil contre les escroqueries<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte et <strong>de</strong> marquer peut-être, politiquement,<br />

<strong>de</strong>s points décisifs. Des associations <strong>de</strong><br />

contribuables congo<strong>la</strong>is ou ango<strong>la</strong>is pourraient se<br />

constituer et faire constater <strong>la</strong> nullité <strong>de</strong> certains<br />

prêts à leur pays. Les causes <strong>de</strong> nullité ne manquent<br />

pas. Il y a “vice du consentement” quand il<br />

est fait violence à l’emprunteur, par exemple lorsqu’on<br />

l’a acculé à une situation financièrement ou<br />

militairement désespérée. Il y a “absence <strong>de</strong> cause”<br />

quand l’argent prêté à un État est allé directement<br />

sur les comptes personnels <strong>de</strong> ses dirigeants, sans<br />

passer par les caisses publiques : dans une jurispru<strong>de</strong>nce<br />

retentissante, <strong>la</strong> Suisse a admis qu’en ce cas<br />

il fal<strong>la</strong>it distinguer entre patrimoines privé et étatique.<br />

Dès lors, ce serait aux <strong>de</strong>stinataires <strong>de</strong>s<br />

sommes à les rembourser… Il y a “cause illicite”<br />

dans le cas d’un achat illégal d’armes : le contrat est<br />

également nul.<br />

Les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s en annu<strong>la</strong>tion pourront par<br />

ailleurs être agrémentées <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s en répara-


François-Xavier Verschave 189<br />

tions si l’on peut établir <strong>la</strong> mauvaise foi <strong>de</strong>s prêteurs.<br />

Pour certains que nous avons cités, ce ne<br />

<strong>de</strong>vrait pas être trop difficile… De même, nombre<br />

<strong>de</strong>s commissions évoquées pourraient être réc<strong>la</strong>mées,<br />

avec dommages et intérêts, pour absence <strong>de</strong><br />

cause (service insignifiant ou inexistant), cause illicite,<br />

dol (tromperie) ou “violence”…<br />

Nous ne croyons certes pas que ces voies juridiques<br />

suffiront à elles seules. Mais elle peuvent<br />

procurer aux mouvements d’opinion quelques<br />

positions inexpugnables.<br />

On le voit, ce ne sont pas les chantiers qui manquent.<br />

Plutôt, pour le moment, les ouvriers –<br />

même s’ils sont déjà nombreux sur plusieurs continents.


Pistes juridiques pour une remise en<br />

cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

Cette note I n’abor<strong>de</strong> pas <strong>la</strong> très importante et plus<br />

médiatique question <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité pénale <strong>de</strong>s<br />

divers acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte. Cependant, il va sans dire<br />

que, par commission directe, par complicité ou par<br />

recel, les infractions d’abus <strong>de</strong> biens sociaux, <strong>de</strong><br />

corruption, <strong>de</strong> crime contre l’humanité, diverses<br />

infractions fiscales, ou diverses infractions à <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion<br />

sur l’importation ou l’exportation <strong>de</strong> biens<br />

peuvent notamment être constituées.<br />

Cette responsabilité pénale peut s’apprécier non<br />

seulement au regard du droit pénal français, mais<br />

aussi au regard du droit pénal d’un pays dans<br />

lequel un élément <strong>de</strong> l’infraction est présent. Il est<br />

à noter que les tribunaux <strong>de</strong> certains pays peuvent<br />

se reconnaître compétents pour juger certaines<br />

infractions alors même qu’aucun élément <strong>de</strong> l’infraction<br />

n’a été commis sur le territoire <strong>de</strong> ce pays<br />

(compétence dite universelle pour les crimes<br />

contre l’humanité).<br />

En conséquence, cette note n’abor<strong>de</strong> que <strong>de</strong>s<br />

questions <strong>de</strong> nullité <strong>de</strong>s engagements et <strong>de</strong> responsabilité<br />

civile <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte. Ce n’est<br />

qu’une première étape, peut-être un peu frustrante<br />

: par principe, les dispositions pénales sont<br />

I. Rédigée par un ami juriste.<br />

Annexes


192 Annexes<br />

d’ordre public, et peuvent être mises en branle<br />

aussi bien par les victimes (souvent) que par <strong>de</strong>s<br />

autorités publiques <strong>de</strong> poursuite (toujours) ; au<br />

contraire, si les nullités <strong>de</strong> droit civil frappant un<br />

contrat peuvent être d’ordre public, encore faut-il<br />

que ces nullités soient amenées <strong>de</strong>vant le juge, ce<br />

qui ne peut être fait souvent que par les parties<br />

elles-mêmes. Dans nos espèces, on peut douter que<br />

les parties viennent à contester judiciairement les<br />

contrats passés entre elles.<br />

À <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong> ce « Dossier noir », il apparaît que<br />

diverses opérations ont été mises en p<strong>la</strong>ce, qui ont,<br />

pour certaines, donné lieu à <strong>la</strong> signature <strong>de</strong><br />

contrats. On supposera que ces engagements ont<br />

été soumis au droit français par les parties signataires,<br />

ce qui doit être vérifié. Si <strong>de</strong>s éléments restent<br />

encore à étudier, on peut évoquer <strong>de</strong>s pistes<br />

tendant à conclure à <strong>la</strong> nullité <strong>de</strong> certains <strong>de</strong>s engagements<br />

pris dans le cadre <strong>de</strong> ces opérations.<br />

En droit français, les nullités pouvant affecter les<br />

engagements évoqués proviennent principalement<br />

d’un vice du consentement (en l’espèce, dol ou<br />

violence), <strong>de</strong> l’absence d’objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> convention, ou<br />

d’une absence <strong>de</strong> cause ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause illicite d’un<br />

engagement.<br />

Plusieurs types d’opérations ou d’engagements<br />

peuvent être distingués :<br />

– <strong>de</strong>s prêts, cautionnés ou non, gagés ou non sur<br />

<strong>de</strong>s matières premières ;<br />

– <strong>de</strong>s ventes <strong>de</strong> matières premières ;<br />

– <strong>de</strong>s ventes d’armes ;<br />

– le versement <strong>de</strong> commissions fictives dans le<br />

cadre <strong>de</strong> ces différentes opérations.<br />

Plus spécifiquement, on étudiera les prêts, ainsi<br />

que les opérations les accompagnant.


François-Xavier Verschave 193<br />

Sur les prêts, cautionnés ou non, gagés<br />

ou non sur <strong>de</strong>s matières premières<br />

Le dossier mentionne à plusieurs reprises l’existence<br />

<strong>de</strong> prêts d’argent mis en p<strong>la</strong>ce par <strong>de</strong>s organismes<br />

<strong>de</strong> droit privé II. Ces prêts sont parfois accompagnés<br />

<strong>de</strong> garanties, tels le cautionnement d’une autre<br />

société (souvent une société pétrolière ou cotonnière)<br />

ou le gage d’une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> production future<br />

<strong>de</strong> pétrole ou <strong>de</strong> coton du pays.<br />

Même si les éléments ne paraissent pas très<br />

c<strong>la</strong>irs, on peut concevoir que <strong>de</strong>s sociétés, par<br />

exemple pétrolières ou cotonnières, rapprochent<br />

<strong>de</strong>s organismes prêteurs <strong>de</strong>s pays emprunteurs et<br />

fournissent leur cautionnement aux crédits accordés.<br />

Les matières premières peuvent soit servir<br />

directement <strong>de</strong> garantie aux banques, sous <strong>la</strong> forme<br />

d’un gage, à charge pour elles <strong>de</strong> se faire promettre<br />

l’achat <strong>de</strong> ces matières premières par une société ou<br />

<strong>de</strong> les vendre directement sur le marché, soit être<br />

promises à <strong>la</strong> société pétrolière ou cotonnière<br />

apportant son cautionnement, à un prix permettant<br />

à ces <strong>de</strong>rnières <strong>de</strong> réaliser un substantiel bénéfice,<br />

ou aux banques d’être remboursées du montant<br />

du prêt.<br />

Ces opérations pourraient être remises en cause<br />

sur les bases suivantes :<br />

vice du consentement<br />

On peut soutenir qu’il y a violence à accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s<br />

prêts à un emprunteur qui se trouve dans une<br />

situation financièrement ou militairement déses-<br />

I. Il conviendra d’étudier par ailleurs le régime <strong>de</strong>s prêts accordés<br />

par <strong>de</strong>s organismes publics (comme l’Agence française <strong>de</strong> développement).


194 Annexes<br />

pérée. En effet, <strong>la</strong> violence, cause <strong>de</strong> nullité <strong>de</strong>s<br />

engagements, se définit en droit français comme<br />

un acte « <strong>de</strong> nature à faire impression sur une personne<br />

raisonnable » et pouvant inspirer « <strong>la</strong> crainte<br />

d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal<br />

considérable et présent ».<br />

Une situation économique ou militaire désespérée<br />

semble donc <strong>de</strong> nature à constituer une violence,<br />

compte tenu du fait que le prêteur et/ou <strong>la</strong><br />

société pétrolière ou cotonnière participe à <strong>la</strong> réalisation<br />

<strong>de</strong> cette situation (en soutenant l’adversaire,<br />

en boycottant le pays, etc.).<br />

D’autre part, les agissements d’un prêteur<br />

sachant que l’argent prêté sera détourné peuvent<br />

être qualifié <strong>de</strong> dol. Le dol peut alors constituer une<br />

cause <strong>de</strong> nullité si « les manœuvres pratiquées par<br />

l’une <strong>de</strong>s parties sont telles qu’il est évi<strong>de</strong>nt que,<br />

sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas<br />

contracté I». Cependant, le détournement d’argent<br />

semble être le fait d’une complicité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties,<br />

ce qui <strong>la</strong>isse penser qu’il n’y a pas véritablement<br />

dol, les manœuvres étant connues. D’autres<br />

qualifications semblent plus adaptées.<br />

absence <strong>de</strong> cause, cause illicite<br />

Le Co<strong>de</strong> civil français précise qu’un engagement<br />

sans cause ou ayant une cause illicite est nul. La<br />

cause du contrat <strong>de</strong> prêt est <strong>la</strong> mise à disposition<br />

<strong>de</strong>s fonds. Cette mise à disposition donne aussi<br />

naissance à l’obligation <strong>de</strong> restitution <strong>de</strong>s sommes<br />

prêtées et au versement <strong>de</strong>s intérêts.<br />

Dans le cas du détournement <strong>de</strong>s sommes prêtées<br />

avec l’assentiment du prêteur, on peut considérer<br />

I. Article 1116 du Co<strong>de</strong> civil.


François-Xavier Verschave 195<br />

que les sommes n’ont jamais été mises à disposition<br />

<strong>de</strong> l’État emprunteur. Le prêt pesant sur l’État n’a<br />

donc pas <strong>de</strong> cause, et partant pour un contrat réel,<br />

pas d’existence. L’État en question n’a donc en<br />

théorie aucune obligation <strong>de</strong> remboursement <strong>de</strong>s<br />

fonds, si ces fonds n’ont pas été mis à disposition.<br />

Plus encore, on pourrait soutenir qu’il existe un<br />

contrat <strong>de</strong> prêt entre les particuliers ayant détourné<br />

les sommes prêtées, lorsque ces sommes ont été<br />

directement mises à disposition <strong>de</strong> ces personnes.<br />

Dés lors, l’obligation <strong>de</strong> restitution <strong>de</strong> ces sommes<br />

pèse sur les particuliers ayant détourné l’argent.<br />

Par extension, <strong>la</strong> cause d’un financement affecté<br />

peut être l’utilisation finale <strong>de</strong>s sommes empruntées.<br />

Si l’on prouve que le prêteur connaît <strong>la</strong> <strong>de</strong>stination<br />

<strong>de</strong>s fonds et que cette utilisation est illicite,<br />

on peut également soutenir que <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> ces<br />

prêts est donc elle-même illicite, car servant à un<br />

enrichissement personnel d’une partie <strong>de</strong>s dirigeants<br />

<strong>de</strong>s pays concernés, à l’achat illégal d’armes,<br />

etc. Dans ce cas, le prêt est également nul.<br />

infraction à <strong>la</strong> réglementation bancaire<br />

Un prêt accordé en infraction à <strong>la</strong> réglementation<br />

bancaire française est nul. Cependant, cette réglementation<br />

n’est applicable que lorsque l’opération<br />

<strong>de</strong> crédit est faite ou réputée faite en France.<br />

On peut toutefois examiner <strong>la</strong> conformité <strong>de</strong>s<br />

opérations au regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> réglementation bancaire<br />

locale.<br />

Pour conclure, même temporairement, il<br />

convient d’examiner les conséquences <strong>de</strong> ces nullités.<br />

La nullité d’un engagement remet les parties


196 Annexes<br />

dans l’état dans lequel elles étaient avant <strong>la</strong> conclusion<br />

du contrat. En pratique, l’annu<strong>la</strong>tion d’un<br />

prêt entraîne pour l’emprunteur <strong>la</strong> restitution du<br />

capital restant dû et, pour le prêteur, <strong>la</strong> restitution<br />

<strong>de</strong>s intérêts déjà perçus. Ainsi, <strong>la</strong> nullité ne peut<br />

être “intéressante” pour un pays que si le montant<br />

<strong>de</strong>s intérêts déjà versés dépasse le montant du capital<br />

restant dû – sauf à tenir compte <strong>de</strong>s éventuels<br />

dommages et intérêts qui pourraient augmenter<br />

ces restitutions. Sans préjudice d’une action contre<br />

<strong>de</strong>s tiers non contractants en responsabilité délictuelle,<br />

le pays emprunteur pourrait donc engager <strong>la</strong><br />

responsabilité du prêteur, notamment pour mauvaise<br />

foi dans l’exécution (ou dans <strong>la</strong> conclusion)<br />

du contrat I.<br />

Sur le rachat <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte<br />

Le “commerce” <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes <strong>de</strong> mauvaise qualité<br />

(Distressed <strong>de</strong>bt) est une activité paradoxalement<br />

très lucrative. La contestation peut notamment<br />

porter sur les points suivants :<br />

bonne foi <strong>de</strong>s prêteurs & <strong>de</strong>s garants<br />

Les bénéfices importants réalisés par certains<br />

acteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte, et notamment par <strong>de</strong>s sociétés<br />

pétrolières, peuvent permettre d’engager leur responsabilité<br />

sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> <strong>la</strong> mauvaise foi dans l’exécution<br />

<strong>de</strong>s contrats. En effet, ces sociétés rachètent<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes avec décote, afin <strong>de</strong> compenser celles-ci<br />

avec le prix dû pour l’acquisition <strong>de</strong> matières premières.<br />

Si les prêts et les contrats <strong>de</strong> vente sont<br />

conclus <strong>de</strong> concert avec un débiteur que l’on sait<br />

défail<strong>la</strong>nt, il est c<strong>la</strong>ir que le but <strong>de</strong> l’opération est<br />

I. Article 1134 du Co<strong>de</strong> civil.


François-Xavier Verschave 197<br />

<strong>de</strong> permettre à <strong>la</strong> société d’acheter du pétrole à vil<br />

prix. Cependant, cette voie semble difficile.<br />

le retrait litigieux<br />

Cette institution permet au débiteur d’une créance<br />

cédée <strong>de</strong> se libérer <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>tte en payant au cessionnaire<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> créance le prix <strong>de</strong> cession et non le<br />

montant nominal <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte I.<br />

Cependant, cette disposition ne peut être mise<br />

en p<strong>la</strong>ce que s’il y a procès et contestation sur le<br />

fond du droit touchant cette créance. Si elle trouve<br />

à s’appliquer, cette disposition permet <strong>de</strong> limiter<br />

les bénéfices réalisés par le cessionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

créance, égaux au montant <strong>de</strong> <strong>la</strong> décote.<br />

Sur le versement <strong>de</strong> commissions<br />

fictives dans le cadre <strong>de</strong> ces<br />

différentes opérations<br />

Il apparaît que <strong>de</strong> nombreuses commissions sont<br />

versées à <strong>de</strong> multiples agents, sans rapport avec <strong>de</strong>s<br />

services en réalité insignifiants ou inexistants. On<br />

peut ici reproduire le raisonnement sur <strong>la</strong> cause<br />

illicite ou inexistante du versement <strong>de</strong> ces commissions,<br />

soit que les prestations soient illicites, soit<br />

qu’elles soient inexistantes.<br />

On peut aussi penser que ces commissions ne<br />

sont pas librement consenties, mais données par<br />

dol ou violence.<br />

Là encore, les pistes sont nombreuses, à condition<br />

<strong>de</strong> préciser un peu les choses.<br />

I. « Celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire<br />

tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à<br />

compter du jour où le cessionnaire a payé le prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> cession à<br />

lui faite. » (Article 1699 du Co<strong>de</strong> civil)


198 Annexes<br />

Repères chronologiques<br />

Congo-Brazzaville<br />

15 août 1960. Proc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong> l’indépendance du<br />

Congo. L’abbé Fulbert Youlou est élu prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> République.<br />

1963. Une insurrection provoque <strong>la</strong> démission <strong>de</strong><br />

l’abbé Fulbert Youlou. Alphonse Massamba-<br />

Débat <strong>de</strong>vient prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> République. Pascal<br />

Lissouba est nommé Premier ministre.<br />

1969. Proc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong> <strong>la</strong> République popu<strong>la</strong>ire du<br />

Congo. Le parti congo<strong>la</strong>is du travail (PCT) remp<strong>la</strong>ce<br />

l’ancien parti unique et le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> son<br />

Comité central, Marien Ngouabi, est nommé à <strong>la</strong><br />

tête <strong>de</strong> l’État.<br />

18 mars 1977. Assassinat <strong>de</strong> Marien Ngouabi.<br />

L’ancien prési<strong>de</strong>nt Massamba-Débat, mis en cause<br />

dans cet assassinat, est exécuté le 25 mars. Un<br />

comité militaire présidé par le commandant<br />

Sassou Nguesso déc<strong>la</strong>re assumer tous les pouvoirs.<br />

Le colonel Joachim Yhombi-Opango <strong>de</strong>vient chef<br />

<strong>de</strong> l’État.<br />

5 février 1979. Destitution <strong>de</strong> Yhombi-Opango.<br />

Le colonel Denis Sassou Nguesso est nommé chef<br />

<strong>de</strong> l’État par le PCT.<br />

30 juillet 1984. Le colonel Denis Sassou Nguesso<br />

est reconduit à <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>la</strong> République par<br />

le PCT.<br />

25 février - 10 juin 1991. Organisation d’une<br />

conférence proc<strong>la</strong>mée « nationale et souveraine ».<br />

Nomination d’André Milongo au poste <strong>de</strong>


François-Xavier Verschave 199<br />

Premier ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Transition. Sassou<br />

Nguesso, chef <strong>de</strong> l’État, reste au pouvoir avec <strong>de</strong>s<br />

prérogatives réduites.<br />

16 août 1992. Élection prési<strong>de</strong>ntielle. Pascal<br />

Lissouba est élu avec 61,32 % <strong>de</strong>s suffrages au<br />

second tour avec le soutien <strong>de</strong> Sassou Nguesso. Les<br />

<strong>de</strong>ux lea<strong>de</strong>rs ne vont pas tar<strong>de</strong>r à se brouiller.<br />

Juin-juillet 1997. Affrontements à Brazzaville<br />

entre l’armée et <strong>la</strong> milice <strong>de</strong> l’ancien prési<strong>de</strong>nt<br />

Denis Sassou Nguesso. Le Conseil constitutionnel<br />

déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> reporter l’élection prési<strong>de</strong>ntielle, initialement<br />

prévue le 27 juillet, et <strong>de</strong> proroger le mandat<br />

du Prési<strong>de</strong>nt.<br />

25 octobre 1997. Denis Sassou Nguesso, soutenu<br />

entre autres par <strong>de</strong>s contingents ango<strong>la</strong>is et tchadien,<br />

<strong>de</strong>s résidus <strong>de</strong>s armées <strong>de</strong> Mobutu (Zaïre) et<br />

d’Habyarimana (Rwanda), ainsi que par <strong>de</strong>s mercenaires<br />

<strong>de</strong> diverses nationalités, y compris française,<br />

sort vainqueur <strong>de</strong> ces affrontements. Il s’investit<br />

prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>la</strong> République. Le len<strong>de</strong>main,<br />

Philippe Jaffré, prési<strong>de</strong>nt d’Elf, se rend à<br />

Brazzaville pour féliciter le vainqueur.<br />

30 juin 1998. Jacques Chirac en visite à Luanda se<br />

« réjouit <strong>de</strong> l’intervention <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> au Congo-<br />

Brazzaville » qui a permis à Denis Sassou Nguesso<br />

<strong>de</strong> reprendre le pouvoir.<br />

29 décembre 1999. « Accord <strong>de</strong> cessation <strong>de</strong>s hostilités<br />

» entre le pouvoir et les oppositions armées.


200 Annexes<br />

Biographies<br />

<strong>de</strong> quelques protagonistes<br />

Barril (Paul)<br />

Numéro 2 du GIGN (Groupement d’intervention <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

gendarmerie nationale), puis <strong>de</strong> <strong>la</strong> « cellule » <strong>de</strong> l’Élysée<br />

sous François Mitterrand. Il multiplie ensuite les missions<br />

en Afrique et au Moyen-Orient, avec le groupe <strong>de</strong><br />

sécurité privé qu’il a fondé.<br />

Bongo (Omar)<br />

Prési<strong>de</strong>nt du Gabon <strong>de</strong>puis 1967 et chef du parti<br />

unique, le parti démocratique congo<strong>la</strong>is (PDG). Élu et<br />

réélu au premier tour grâce à <strong>de</strong>s élections truquées.<br />

Ancien sous-officier <strong>de</strong> renseignement dans l’armée<br />

française. Gendre <strong>de</strong> Denis Sassou Nguesso, prési<strong>de</strong>nt<br />

du Congo-Brazzaville.<br />

Compaoré (B<strong>la</strong>ise)<br />

Prési<strong>de</strong>nt du Burkina Faso <strong>de</strong>puis 1987, après le complot<br />

qui abattit Thomas Sankara.<br />

Dos Santos (José)<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>, chef du MPLA (Mouvement<br />

pour <strong>la</strong> libération <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>). Ce parti, qui s’est longtemps<br />

réc<strong>la</strong>mé du marxisme, est au pouvoir <strong>de</strong>puis l’indépendance<br />

(1975).<br />

Foccart (Jacques)<br />

Homme <strong>de</strong> l’ombre du gaullisme, il est l’ancêtre <strong>de</strong> tous<br />

les réseaux franco-africains <strong>de</strong>puis l’indépendance.<br />

Secrétaire général <strong>de</strong> l’Élysée sous <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce du général<br />

De Gaulle, chargé du domaine réservé (Afrique et<br />

Services), puis conseiller pour l’Afrique <strong>de</strong> Georges<br />

Pompidou, il est <strong>de</strong>venu le conseiller personnel <strong>de</strong><br />

Jacques Chirac à Matignon (1986-88), puis à l’Élysée <strong>de</strong><br />

mai 1995 jusqu’à sa mort en 1997.


François-Xavier Verschave 201<br />

<strong>Ko</strong>le<strong>la</strong>s (Bernard)<br />

Maire <strong>de</strong> Brazzaville <strong>de</strong>puis 1995, il est entré en politique<br />

dans les années 1950. Après <strong>la</strong> chute en 1963 du<br />

premier prési<strong>de</strong>nt du Congo, l’abbé Fulbert Youlou, il<br />

brave le système socialiste instauré dès lors, et tente un<br />

coup d’État en 1969. Il est aujourd’hui le chef du<br />

Mouvement congo<strong>la</strong>is pour le développement et <strong>la</strong><br />

démocratie intégrale (MCDDI), <strong>de</strong>uxième parti du<br />

Congo, dont le fief est <strong>la</strong> région du Pool. Ses milices<br />

s’opposèrent violemment à celles <strong>de</strong> Sassou Nguesso<br />

durant les guerres <strong>de</strong> 1997 et 1999.<br />

Le Floch-Prigent (Loïk)<br />

Directeur <strong>de</strong> Rhône-Poulenc <strong>de</strong> 1982 à 1986, il est<br />

nommé PDG d’Elf en 1989 et reste à <strong>la</strong> tête du groupe<br />

jusqu’en 1993. En 1997, dans le cadre <strong>de</strong> l’affaire<br />

Bi<strong>de</strong>rman, il est mis en examen et incarcéré. « Lâché »<br />

par ses amis politiques lors <strong>de</strong> l’« affaire » et du procès<br />

Elf, il fait <strong>de</strong> nombreuses révé<strong>la</strong>tions qui ont permis <strong>de</strong><br />

mieux comprendre le fonctionnement d’Elf. Il conseille<br />

aujourd’hui Denis Sassou Nguesso en matière d’exploitation<br />

pétrolière.<br />

Lissouba (Pascal)<br />

Prési<strong>de</strong>nt du Congo-Brazzaville (1992-1997). Élu à <strong>la</strong><br />

suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> Conférence nationale souveraine, il est renversé<br />

par <strong>la</strong> guerre civile <strong>de</strong> 1997.<br />

Milongo (André)<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Assemblée nationale, ex-Premier ministre<br />

et ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Défense du gouvernement <strong>de</strong> transition<br />

<strong>de</strong> 1991. Candidat indépendant, il partage son fief avec<br />

<strong>Ko</strong>le<strong>la</strong>s. Son parti est l’Union pour <strong>la</strong> démocratie et <strong>la</strong><br />

République (UDR-Mwinda). Il participe au gouvernement<br />

<strong>de</strong> Lissouba. Il vit aujourd’hui en exil en France.<br />

Roussin (Michel)<br />

Officier <strong>de</strong> gendarmerie, puis numéro 2 <strong>de</strong> <strong>la</strong> DGSE.<br />

Évincé par François Mitterrand, il <strong>de</strong>vient directeur <strong>de</strong><br />

cabinet <strong>de</strong> Jacques Chirac à <strong>la</strong> mairie <strong>de</strong> Paris. Ministre


202 Annexes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Coopération (1993-1994) du gouvernement<br />

Bal<strong>la</strong>dur, puis « Monsieur Afrique » du patronat et du<br />

groupe Bolloré.<br />

Sassou Nguesso (Denis)<br />

Officier <strong>de</strong> l’armée congo<strong>la</strong>ise, puis responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sécurité sous <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Marien Ngouabi, il<br />

<strong>de</strong>vient prési<strong>de</strong>nt du Congo-Brazzaville en 1979.<br />

Détrôné par <strong>la</strong> Conférence nationale souveraine <strong>de</strong><br />

1991, il revient au pouvoir en 1997, à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> ses miliciens<br />

Cobras et d’une coalition étrangère.<br />

Savimbi (Jonas)<br />

Chef <strong>de</strong> l’Unita (Union nationale pour l’indépendance<br />

totale <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>), mouvement rebelle en lutte <strong>de</strong>puis<br />

1975 contre le régime MPLA.<br />

Sirven (Alfred)<br />

Après quinze ans passés au sein <strong>de</strong> Mobil Oil, Sirven<br />

rejoint le groupe Avon, puis Bendix, avant d’être promu,<br />

en 1978, directeur <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions humaines <strong>de</strong> Moulinex.<br />

En 1982, il est nommé par le nouveau PDG <strong>de</strong> Rhône-<br />

Poulenc, Loïk Le Floch-Prigent, pour diriger les re<strong>la</strong>tions<br />

sociales <strong>de</strong> l’entreprise nouvellement nationalisée.<br />

Quand ce <strong>de</strong>rnier est nommé prési<strong>de</strong>nt du groupe Elf,<br />

Sirven le rejoint au poste <strong>de</strong> directeur <strong>de</strong>s affaires générales.<br />

Il est son éminence grise et le généreux distributeur<br />

<strong>de</strong> commissions, via notamment une filiale suisse qu’il<br />

prési<strong>de</strong>. En 1993, <strong>la</strong> direction d’Elf change. Il quitte le<br />

groupe pour fon<strong>de</strong>r, à Genève, une société <strong>de</strong> conseil,<br />

Interénergie. En 1997, l’affaire <strong>de</strong>s frégates vendues à<br />

Taïwan éc<strong>la</strong>te. Inquiété par <strong>la</strong> justice, Sirven quitte <strong>la</strong><br />

France et fait l’objet <strong>de</strong> plusieurs mandats d’arrêt. Sa<br />

cavale prend fin en février 2001.<br />

Tarallo (André)<br />

« Monsieur Afrique » officiel d’Elf jusqu’en 1993, resté<br />

ensuite conseiller officieux <strong>de</strong> Philippe Jaffré – le successeur<br />

<strong>de</strong> Loïk Le Floch-Prigent à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie<br />

pétrolière.


François-Xavier Verschave 203<br />

Principaux sigles<br />

AFD : Agence française <strong>de</strong> développement<br />

(ex-CFD)<br />

BCCI : Bank of Credit and Commerce<br />

International<br />

CADA : Compagnie ango<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> distribution<br />

alimentaire<br />

CCCE : Caisse centrale <strong>de</strong> coopération<br />

économique (future CFD)<br />

CFA : Communauté financière africaine<br />

CFD : Caisse française <strong>de</strong> développement<br />

(future AFD)<br />

CIAN : Conseil <strong>de</strong>s investisseurs français en<br />

Afrique noire<br />

CIBC : Canadian Imperial Bank of Commerce<br />

CNS : Conférence nationale souveraine<br />

DGSE : Direction générale <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécurité extérieure<br />

DST : Direction <strong>de</strong> <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce du territoire<br />

CFA : Communauté financière africaine. Le franc<br />

CFA va<strong>la</strong>it 0,02 <strong>de</strong> francs jusque début<br />

1994 puis 0,01 francs après.<br />

Fiba : Banque française intercontinentale<br />

FMI : Fonds monétaire international<br />

GLNF : Gran<strong>de</strong> Loge nationale française<br />

GMF : Garantie mutuelle <strong>de</strong>s fonctionnaires<br />

KGB : <strong>Ko</strong>mitet Gossoudartsvennoï Bezopasnosti<br />

(services secrets <strong>de</strong> l’ex-URSS)<br />

MPLA : Mouvement popu<strong>la</strong>ire pour <strong>la</strong> libération<br />

<strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong><br />

PCT : Parti congo<strong>la</strong>is du travail<br />

UCB : Union congo<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> banques<br />

Unita : Union nationale pour l’indépendance totale<br />

<strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong>


François-Xavier Verschave 205<br />

Notes <strong>de</strong> <strong>la</strong> première partie<br />

Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre<br />

1. François-Xavier Verschave, La Françafrique, Stock, 1998 ; Noir<br />

silence, Les Arènes, 2000.<br />

2. Agir ici et Survie, France-Cameroun. Carrefour dangereux,<br />

L’Harmattan, 1996, p. 8-9.<br />

3. Cette guerre et les complicités françaises sont décrites dans le<br />

premier chapitre <strong>de</strong> Noir silence, op. cit.<br />

4. Ce résumé emprunte <strong>la</strong>rgement à François-Xavier Verschave,<br />

Noir silence, op. cit., p. 46-48.<br />

5. Dans L’Express du 12.12.1996.<br />

6. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 47. Sur les<br />

crimes commis par Denis Sassou Nguesso, ses amis, ses alliés et<br />

ses sbires durant les décennies 1970 et 1980, lire Albert-Roger<br />

Massema, Crimes <strong>de</strong> sang et pouvoir en Afrique noire, à paraître<br />

chez Kartha<strong>la</strong>. Massema présidait, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> Conférence nationale<br />

souveraine <strong>de</strong> 1991, <strong>la</strong> Commission sur les crimes impunis.<br />

7. Décrite par un spécialiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption, Jean-François<br />

Médard, in François-Xavier Verschave et Laurent Beccaria (dir.),<br />

Noir procès, Les Arènes, 2001, p. 291-293.<br />

8. Selon L’Événement du 22.05.1997.<br />

9. Lire « Congo : Les infrastructures à p<strong>la</strong>t », in La Lettre du<br />

Continent (LdC) du 09.09.1985.<br />

10. Lire « Le Congo en cessation <strong>de</strong> paiement », « Congo.<br />

L’improbable rééchelonnement “à <strong>la</strong> gabonaise” »,<br />

« L’exploration coûte cher au budget <strong>de</strong> l’État », in LdC <strong>de</strong>s<br />

13.05.1985, 22.07.1985 et 11.02.1986.<br />

11. « Congo. Une mini-tour Elf à Brazza ? », in LdC du<br />

10.06.1985.<br />

12. « Congo. L’improbable rééchelonnement “à <strong>la</strong> gabonaise” »,<br />

in LdC du 22.07.1985.<br />

13. Lire « Congo : les infrastructures à p<strong>la</strong>t », in LdC du<br />

09.09.1985.<br />

14. Antoine G<strong>la</strong>ser et Stephen Smith, L’Afrique sans Africains. Le<br />

rêve b<strong>la</strong>nc du continent noir, Stock, 1994, p. 125.<br />

15. Sur ce coffre-fort, lire entre autres A. G<strong>la</strong>ser et S. Smith, Ces<br />

Messieurs Afrique, tome 2, 1997, Calmann-Lévy, p. 118-124.<br />

16. « Congo : le pétrole à perte », in LdC du 07.04.1986.<br />

17. Lire « Congo : nouveau budget <strong>de</strong> crise » et « L’analyse du<br />

FMI », in LdC <strong>de</strong>s 23.12.1987 et 12.05.1986.<br />

18. Lire « Congo : un peu “d’argent frais” », in LdC du<br />

22.07.1986.


206 Notes<br />

19. « Congo : Otto Mbongo se passe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Coface », in LdC du<br />

04.02.1987.<br />

20. « Congo : Michel Baroin et Sassou Nguesso », in LdC du<br />

18.02.1987.<br />

21. Ibid.<br />

22. Lire Dominique Lorentz, Une guerre, Les Arènes, 1997,<br />

p. 141-150.<br />

23. Ibid., p. 150-152 et « Congo : haute tension à Pointe-Noire »,<br />

in LdC du 18.10.1990.<br />

24. « Congo : nouvelle mission du FMI », in LdC du 18.02.1987.<br />

C’est moi qui souligne.<br />

25. Lire « Congo : pas <strong>de</strong> changement », in LdC du 15.04.1987.<br />

26. « Congo : inéligible à <strong>la</strong> Banque mondiale ? », in LdC du<br />

27.10.1989.<br />

27. Lire « Le Congo, un futur PMA ? », in LdC du 16.02.1989.<br />

28. « Congo : inéligible à <strong>la</strong> Banque mondiale ? », in LdC du<br />

27.10.1989.<br />

29. Lire «À noter. Congo » et « Congo : à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> 80 milliards<br />

francs CFA », in LdC <strong>de</strong>s 24.11 et 07.12.1989.<br />

30. « Congo : Visite d’État à Washington du prési<strong>de</strong>nt Sassou<br />

Nguesso », in LdC du 08.02.1990.<br />

31. Lire ibid. et « Congo : Sassou l’Américain », in LdC du<br />

08.03.1990.<br />

32. « Congo. La chute <strong>de</strong> Pierre Otto Mbongo », in LdC du<br />

08.12.1994.<br />

33. Audition <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> mission d’information parlementaire<br />

« sur le rôle <strong>de</strong>s compagnies pétrolières dans <strong>la</strong> politique<br />

internationale et son impact social et environnemental », in<br />

Pétrole et éthique : une conciliation possible ?, rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission,<br />

tome 1, p. 151-152.<br />

34. « Congo-Ango<strong>la</strong>. Amitiés congolo-ango<strong>la</strong>ises », in LdC du<br />

30.10.1997.<br />

35. « Congo : 50 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> Citizens Energy Group »,<br />

in La Lettre Afrique Énergies (LAE) du 01.03.1990.<br />

36. Bernard Debré, Le Retour du Mwami, Ramsay, 1998, p. 250.<br />

37. Selon Martial Cozette, auditionné par <strong>la</strong> mission d’information<br />

sur le rôle <strong>de</strong>s compagnies pétrolières, Pétrole et éthique, op.<br />

cit., t. I, p. 119.<br />

38. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 50.<br />

39. Ibid., p. 50-51. La page suivante puise dans cet ouvrage. Les<br />

extraits <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux notes du colonel Daniel, cités ici et plus bas, ont<br />

été publiés par Karl Laske, « Chute d’une barbouze », in<br />

Libération du 21.07.1998.


François-Xavier Verschave 207<br />

40. Lire Frank Johannès, « Le journaliste Pierre Péan mis en examen<br />

», in Libération du 02.04.1996.<br />

41. Lire François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 428-<br />

431 (entre beaucoup d’autres occurrences).<br />

42. Sara Daniel et Airy Routier, « Ro<strong>la</strong>nd Dumas. Comment l’affaire<br />

a basculé », in Le Nouvel Observateur du 25.03.1999.<br />

Christine Deviers-Joncour m’avait tenu les mêmes propos début<br />

1999.<br />

43. Cité par Sara Daniel et Airy Routier, ibid.<br />

44. Éric Fottorino, « Charles Pasqua l’Africain », in Le Mon<strong>de</strong> du<br />

04.03.1995.<br />

45. Lire Nico<strong>la</strong>s Beau, « 3,5 milliards distribués par Elf en Afrique<br />

et ailleurs », in Le Canard enchaîné du 27.10.1999.<br />

46. « Congo : beaucoup <strong>de</strong> pétrole en toile <strong>de</strong> fond », in LdC du<br />

14.03.1991.<br />

47. « Congo : les comptes du pétrole », in LdC du 18.10.1990.<br />

48. Lettre du 18.12.1991, publiée par Les Notes d’information du<br />

Réseau Voltaire, janvier 1998.<br />

49. « Gabon/Congo, <strong>la</strong> différence », in LdC, 05.12.1991.<br />

50. « Congo. Bonne surprise, au pied du mur », in LAE du<br />

16.09.1992.<br />

51. « Congo : l’heure <strong>de</strong>s comptes pour Milongo », in LdC du<br />

25.07.1991.<br />

52. Ibid.<br />

53. « Congo : <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>s finances », in LdC du 12.09.1991.<br />

54. « Congo/Gabon : voyages aux USA », in LdC du 19.12.1991.<br />

55. « Congo. Le retour du Grand argentier », in LdC du<br />

18.06.1992.<br />

56. « Congo. Elf : Nkossa for ever », in LdC du 16.07.1992.<br />

57. « Congo : grand pardon et caisses vi<strong>de</strong>s », in LdC du<br />

29.08.1991.<br />

58. Olivier Vallée, Pouvoirs et politiques en Afrique, Desclée <strong>de</strong><br />

Brouwer, 1999, op. cit., p. 113 et 121.<br />

59. Cité dans « Congo : l’impasse », in LAE du 30.01.1992.<br />

60. Pétrole et éthique, op. cit., tome 1, p. 120-121.<br />

61. Ce paragraphe et le suivant se réfèrent à « Congo. Politique<br />

sous influence pétrolière », « La guerre politico-financière » et<br />

« Pour quelques dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> plus », in LdC <strong>de</strong>s 26.11.1992, 06 et<br />

27.05.1993 ; Olivier Vallée, Pouvoirs et politiques en Afrique, op.<br />

cit., p. 70.<br />

62. Lire « Oxy en procès », in LdC du 30.11.1995.<br />

63. Cité par LAE du 12.11.1997, « Sassou veut revoir <strong>la</strong> privatisation<br />

».


208 Notes<br />

64. « Congo. Pour quelques dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> plus », in LdC du<br />

27.05.1993.<br />

65. Lire « Congo. Nkossa : le bon choix <strong>de</strong>s partenaires », « Oxy<br />

Super star » et « Elf dans <strong>la</strong> finance », in LdC <strong>de</strong>s 07 et<br />

21.10.1993 et 31.03.1994.<br />

66. « Congo. Pour quelques dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> plus », et « Le p<strong>la</strong>n secret<br />

du Professeur », in LdC du 27.05.1993.<br />

67. Lire « Congo-B. La troisième équipe financière », in LdC du<br />

03.02.1994.<br />

68. « Congo. Les dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> Hong <strong>Ko</strong>ng », in LdC du 16.12.1993.<br />

69. « Congo. La troisième équipe financière », in LdC du<br />

03.02.1994.<br />

70. Lire « Congo : le nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre », in LdC du 02.10.1997.<br />

71. « Congo. Les cavaliers <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte », in LdC du 06.01.1994.<br />

72. Ibid.<br />

73. Lire « Congo. Les conseillers <strong>de</strong> Lissouba », in LdC du<br />

31.03.1994.<br />

74. Lire « Congo : Le nouveau co<strong>de</strong> pétrolier », in LAE du<br />

01.06.1994.<br />

75. Lire « Congo. Le “plus” <strong>de</strong> N’<strong>Ko</strong>ssa et Kitina », in LAE du<br />

31.08.1994.<br />

76. Lire « Congo. 180 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> prêts Elf », in LdC du<br />

15.09.1994.<br />

77. Lire « Congo-B. Dzon fait les comptes », in LdC du<br />

11.12.1997.<br />

78. Lire « Congo. Les jeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée pétrolière », in LdC<br />

du 10.11.1994. Il faut cependant tenir compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> dévaluation<br />

<strong>de</strong> 50 % du franc CFA en janvier 1994.<br />

79. Lire « Congo-B. Dzon fait les comptes », in LdC du<br />

11.12.1997.<br />

80. David A. Mal<strong>la</strong>rd, George F. Tolmay et Louis J. Vadino, lire<br />

« Congo. Nouvelles lettres <strong>de</strong> crédit », in LdC du 12.01.1995.<br />

81. Lire « Congo. Comptes privés » et « Les banques agonisent »,<br />

in LdC <strong>de</strong>s 22.12.1994 et 06.04.1995.<br />

82. Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit., p. 123.<br />

83. Lire « Congo. FMI et pétrole », « L’affaire Elf… Congo » et<br />

« Négociations secrètes avec Elf », in LdC <strong>de</strong>s 06.04.1995,<br />

27.11.1997 et 26.02.1998.<br />

84. Lire « Congo. FMI et pétrole », in LdC du 06.04.1995.<br />

85. Lire « Congo. Kitina gagé pour 50 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs », in LdC<br />

du 21.09.1995.<br />

86. Lire Antoine G<strong>la</strong>ser et Stephen Smith, Ces Messieurs Afrique,<br />

op.cit., tome 2, p. 127.


François-Xavier Verschave 209<br />

87. Lire « Congo. Sassou met Elf à l’amen<strong>de</strong> », in LdC du<br />

07.05.1998.<br />

88. Olivier Vallée, Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit., p. 59.<br />

89. Lire « Congo. Tabet, Elf et les routes », in LdC du 20.07.1995.<br />

90. Lire « Congo. Jongleries financières », in LdC du 25.04.1996.<br />

91. Cité par Antoine G<strong>la</strong>ser et Stephen Smith, Ces Messieurs<br />

Afrique, op. cit., tome 2, p. 128-129.<br />

92. Lire « Congo. Un Club <strong>de</strong> Paris inespéré» et « Le Congo, premier<br />

client <strong>de</strong> <strong>la</strong> France en Afrique noire en 1996 », in LdC <strong>de</strong>s<br />

25.07 et 07.11.1996.<br />

93. Lire « Congo : <strong>de</strong>s pétro-dol<strong>la</strong>rs et <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes », in LdC du<br />

23.04.1998.<br />

94. Lire « Brazzaville. C<strong>la</strong>udine Munari en voyage » et « Congo.<br />

Dépenses exceptionnelles », in LdC <strong>de</strong>s 24.10 et 05.12.1996.<br />

95. Lire « Congo. Bateaux pour mercenaires en Afrique du Sud »,<br />

in LdC du 24.10.1996.<br />

96. Lire « Elf superstar », in LdC du 17.07.1997.<br />

97. Ibid.<br />

98. Cité par Fabrice Lhomme, « Trafic d’armes vers l’Ango<strong>la</strong> : les<br />

comptes <strong>de</strong> <strong>la</strong> liste <strong>de</strong> M. Pasqua aux européennes p<strong>la</strong>cés sous<br />

séquestre », in Le Mon<strong>de</strong> du 07.01.2001.<br />

99. Jean Chichizo<strong>la</strong>, « Jean-Christophe Mitterrand écroué», in Le<br />

Figaro du 22.12.2000.<br />

100. « Ango<strong>la</strong>. Opération “Falcone/Gaydamak” », in LdC du<br />

18.09.1997.<br />

101. « L’Ango<strong>la</strong> au service <strong>de</strong> <strong>la</strong> France », in Le Canard enchaîné<br />

du 31.01.2001.<br />

102. A<strong>la</strong>in Lallemand, « Brazzaville. Sassou surveille déjà les<br />

comptes <strong>de</strong> Lissouba », in Le Soir (Bruxelles) du 19.06.1997.<br />

103. « Congo-Brazza. 150 millions <strong>de</strong> francs <strong>de</strong> prêts “adossés”<br />

à <strong>la</strong> BNP pour Lissouba », in LdC du 31.07.1997.<br />

104. «À <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s comptes », in LdC du 06.05.1999.<br />

105. « Juin 1997, <strong>la</strong> guerre civile : Lissouba a besoin d’armes et<br />

d’argent », in Le Soir du 07.07.2001.<br />

106. In Le Soir du 07.07.2001.<br />

107. « Congo. Sassou met Elf à l’amen<strong>de</strong> », in LdC du<br />

07.05.1998.<br />

108. Lire « Congo : le nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre », in LdC du 02.10.1997.<br />

109. Lire « Congo-B. Dzon fait les comptes », in LdC du<br />

11.12.1997.<br />

110. « Des pétro-dol<strong>la</strong>rs et <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes », in LdC du 23.04.1998.<br />

111. « Congo : le nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre », in LdC du 02.10.1997.


210 Notes<br />

112. « Congo/Ango<strong>la</strong>. Chevron et Elf à cheval… », in LdC du<br />

16.10.1997.<br />

113. « Congo/Ango<strong>la</strong> : <strong>la</strong> “pax pétrolière” », in LdC du<br />

30.10.1997.<br />

114. Ibid.<br />

115. Lire « Congo-B. Le dossier financier », in LdC du<br />

11.06.1998.<br />

116. Cité in « Congo-Brazzaville. Sassou veut revoir <strong>la</strong> privatisation<br />

», LAE du 12.11.1997.<br />

117. Lire « Congo-B. Sassou met Elf à l’amen<strong>de</strong> », in LdC du<br />

07.05.1998.<br />

118. « Congo-B. À <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s comptes », in LdC du<br />

06.05.1999.<br />

119. « Congo. Au jeu <strong>de</strong> “qui perd gagne” », in LdC du<br />

09.07.1998.<br />

120. In « Négociations avec Elf (II) », LdC du 23.07.1998.<br />

121. « Congo : <strong>de</strong>s pétro-dol<strong>la</strong>rs et <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes », in LdC du<br />

23.04.1998.<br />

122. Lire entre autres « Congo-B. Négociations secrètes avec<br />

Elf », in LdC du 26.02.1998.<br />

123. « Congo-B. Un mardi peu ordinaire », in LdC du<br />

11.12.1997.<br />

124. « Congo-B. Des tra<strong>de</strong>rs sur le gril », in LdC du 06.05.1999.<br />

125. Ibid.<br />

126. « Congo-B. Les émirs <strong>de</strong> Brazzaville », in LdC du<br />

20.07.2000.<br />

127. Ibid.<br />

128. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 62.<br />

129. « Congo. Premier anniversaire », in LdC du 10.09.1998.<br />

130. « Congo-B. Carburant c<strong>la</strong>ndo ministériel », in LdC du<br />

04.01.2001.<br />

131. Lire « Sassou à Oyo avec ses amis », in LdC du 12.03.1998.<br />

132. « Escom. Présence renforcée en Ango<strong>la</strong> et au Congo », in<br />

LdC du 31.05.2001.<br />

133. Lire « Créanciers cherchent comptes congo<strong>la</strong>is », in LdC du<br />

04.01.2001.<br />

134. Lire François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 17-22<br />

et 26-35 ; François-Xavier Verschave et Laurent Beccaria (dir.),<br />

Noir procès, op. cit., p. 37-44, 112-114 et 145-157. Lire aussi plusieurs<br />

<strong>de</strong>s pièces fournies lors <strong>de</strong> ce procès : FIDH/OCDH, Congo-<br />

Brazzaville. L’arbitraire <strong>de</strong> l’État, <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong>s milices, rapport du<br />

17.06.1999 ; Henrik Lin<strong>de</strong>ll, « Quand l’armée sombre dans <strong>la</strong><br />

délinquance », in Témoignage chrétien du 15.07.1999 ; Joèl


François-Xavier Verschave 211<br />

Nsoni, « Un jeune sort vivant d’une exécution sommaire », in La<br />

Semaine africaine (Brazzaville) du 22.07.1999 ; témoignage <strong>de</strong><br />

Patrice Mangin, in Réforme du 14.10.1999 ; « République du<br />

Congo » : interview <strong>de</strong> Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Mouanda, ancien maire <strong>de</strong><br />

Dolisie, in Afrique-Éducation, 12.1999 ; Roger Mvou<strong>la</strong> Mayamba,<br />

« Juger les crimes au Congo-Brazzaville », in Rupture, n° 2, 2000,<br />

p. 137s ; « “Des dizaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> viols“ selon l’ONU »,<br />

dépêche AFP citée par Le Mon<strong>de</strong> du 26.02.2000 ; Frédéric<br />

Fritscher, « La quête douloureuse <strong>de</strong>s fils disparus, enlevés ou<br />

assassinés par <strong>la</strong> Gar<strong>de</strong> républicaine », in Le Mon<strong>de</strong> du<br />

26.02.2000 ; François Bourdillon, « Stigmates <strong>de</strong> viols à<br />

Brazzaville », in Messages <strong>de</strong> MSF, novembre 2000.<br />

135. Lire « Congo-B. Montage financier Paribas », in LdC du<br />

01.04.1999.<br />

136. « Congo-B. 50 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> Paribas », in LdC du<br />

30.09.1999.<br />

137. « Congo-B. Montage financier Paribas », in LdC du<br />

01.04.1999.<br />

138. « Congo-B. Des tra<strong>de</strong>rs sur le gril », in LdC du 06.05.1999.<br />

139. Interview donnée à Marianne, 23.07.2001<br />

140. Lire « Congo-B. Cherche barters <strong>de</strong> pétrole… » et « Les<br />

happy few du pétrole », in LdC <strong>de</strong>s 04 et 18.03.1999.<br />

141. « Congo. Elf vise les 10 Mt pour 1996 », in LAE du<br />

27.01.1993.<br />

142. F.-X. Verschave, La Françafrique, op. cit., p. 313-314.<br />

143. Lire « Total/Elf, guerre <strong>de</strong> l’ombre », in LdC du 02.09.1999<br />

et le chapitre 5.<br />

144. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 62.<br />

145. « Congo. Elf vise les 10 Mt pour 1996 », in LAE du<br />

27.01.1993.<br />

146. Lire « Congo-B. Montage financier Paribas », in LdC du<br />

01.04.1999.<br />

147. Pétrole et éthique, op. cit., tome 1, p.151-152.<br />

148. « Congo-B. Négociations secrètes avec Elf (suite) », in LdC<br />

du 09.04.1998.<br />

149. Lire « Congo-B. 50 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> Paribas », in LdC<br />

du 30.09.1999.<br />

150. Olivier Vallée, Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit.,<br />

p. 62-63.<br />

151. « Congo-Brazzaville. Un petit plus pour Émerau<strong>de</strong> », in LAE<br />

du 12.11.1997.<br />

152. Interview donnée à Marianne, 23.07.2001.<br />

153. Pétrole et éthique, op. cit, tome 1, p.121-122 et 152.<br />

154. Cité par Billets d’Afrique, novembre 2000.


212 Notes<br />

155. Cité par Libération du 15.03.2001.<br />

156. Jean-Pierre Vandale, L’Affaire totale, Écrire, 2001, p. 63-65.<br />

157. Ibid., p. 157.<br />

158. Nico<strong>la</strong>s Beau, « L’o<strong>de</strong>ur du pétrole d’Elf flotte aussi autour<br />

<strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> Pasqua », in Le Canard enchaîné du 02.06.1999.<br />

159. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Les valises d’Oscar », in Le Canard enchaîné<br />

du 06.09.2000.<br />

160. « Quand Elf égarait <strong>la</strong> justice », in Le Canard enchaîné du<br />

12.09.2001.<br />

161. Antoine G<strong>la</strong>ser, Stephen Smith et Sylvaine Villeneuve, « La<br />

saga africaine d’un géant français », in Libération du 20.01.1994.<br />

162. Lire par exemple Archimè<strong>de</strong> et Léonard, n° 9, hiver 1992.<br />

163. Interview d’André Tarallo au Mon<strong>de</strong> du 25.10.1999.<br />

164. « La “confession“ <strong>de</strong> Loïk Le Floch-Prigent », in L’Express du<br />

12.12.1996.<br />

165. Lire Nico<strong>la</strong>s Beau, « 3,5 milliards distribués par Elf en Afrique<br />

et ailleurs », in Le Canard enchaîné du 27.10.1999.<br />

166. Cité par Ghis<strong>la</strong>ine Ottenheimer et Renaud Lecadre, Les<br />

Frères invisibles, Albin Michel, 2001, p. 24.<br />

167. Ghis<strong>la</strong>ine Ottenheimer et Renaud Lecadre, Les Frères invisibles,<br />

op. cit., p. 90 et 174.<br />

168. Dont Philippe Ma<strong>de</strong>lin détaille <strong>la</strong> délinquante boulimie financière<br />

in Les Gaullistes et l’argent. Un <strong>de</strong>mi-siècle <strong>de</strong> guerres intestines,<br />

L’Archipel, 2001<br />

169. A<strong>la</strong>in Laville, Un crime politique en Corse. C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Érignac, le<br />

préfet assassiné, Le Cherche-Midi, 1999, p. 119.<br />

170. « Ango<strong>la</strong> : tensions franco-américaines », in LdC du<br />

21.11.1996.<br />

171. A<strong>la</strong>in Lallemand, « Comment “M. Pétrole” a croisé “M.<br />

Armes” », in Le Soir du 07.07.2001.<br />

172. A<strong>la</strong>in Lallemand, « Exclusif : Jack Sigolet parle », in Le Soir<br />

du 07.07.2001.<br />

173. Cité par Antoine G<strong>la</strong>ser et Stephen Smith, Ces Messieurs<br />

Afrique, tome 2, Calmann-Lévy, 1997, p. 119.<br />

174. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Encore un système <strong>de</strong> caisses noires mis au<br />

jour chez Elf », 23.08.2000.<br />

175. Lire « Congo. Sassou met Elf à l’amen<strong>de</strong> », in LdC du<br />

07.05.1998.<br />

176. Interview par A<strong>la</strong>in Lallemand, in Le Soir du 07.07.2001.<br />

177. Publiée par Le Soir du 20.03.2001.<br />

178. Interview au Soir du 07.07.2001.<br />

179. Du 07.07.2001.


François-Xavier Verschave 213<br />

180. Lire l’ouvrage <strong>de</strong> ce nom, déjà cité (Jean <strong>de</strong> Mail<strong>la</strong>rd dir.)<br />

181. Dans Tout va bien puisque nous sommes en vie (Stock,<br />

1998, p. 58), un vrai-faux roman <strong>de</strong> Denis Robert, fondé sur <strong>la</strong><br />

longue confession enregistrée <strong>de</strong> Chantal Pacary.<br />

182. Voir aussi p. 234. Lire également François-Xavier Verschave,<br />

Noir silence, op. cit., p. 60-61.<br />

183. « Congo-B. Procès financiers à Paris », in LdC du<br />

23.07.1998.<br />

184. Lire « Congo-B. Sassou à Oyo avec ses amis », « Créanciers<br />

privés à l’offensive » et « Créanciers cherchent comptes congo<strong>la</strong>is<br />

», in LdC <strong>de</strong>s 12.03.1998, 28.05.1998 et 04.01.2001.<br />

185. Les Arènes, 2001, p. 143-156.<br />

186. « Congo : grand pardon et caisses vi<strong>de</strong>s », in LdC du<br />

29.08.1991.<br />

187. « Gabon. Elf, Dossou, Bongo… », in LdC du 12.03.1998.<br />

188. Olivier Vallée, Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit.,<br />

p. 71-72.<br />

189. Lire « Congo. Dépenses exceptionnelles », « Le nerf <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

guerre » et « Au pays <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs heureux », in LdC <strong>de</strong>s<br />

05.12.1996, 02.10.1997 et 11.05.2000..<br />

190. Les Gaullistes et l’argent, op. cit., p. 384.<br />

191. Lire François-Xavier Verschave et Laurent Beccaria, dir., Noir<br />

procès, op. cit., p. 44-47.<br />

192. Ghis<strong>la</strong>ine Ottenheimer et Renaud Lecadre, Les Frères invisibles,<br />

op. cit., p. 175.<br />

193. Cité par G. Ottenheimer et R. Lecadre, op. cit., p. 176.<br />

194. Ghis<strong>la</strong>ine Ottenheimer et Renaud Lecadre, Les Frères invisibles,<br />

op. cit., p. 177.<br />

195. Lire « Congo-B. Des tra<strong>de</strong>rs sur le gril » et « Négociations<br />

secrètes », in LdC <strong>de</strong>s 06.05 et 09.12.1999.<br />

196. Pascal Riché, « Rich et sauvé par le gong Clinton », in<br />

Libération du 10.02.2001<br />

197. Un ancien cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> BERD (Banque européenne <strong>de</strong> reconstruction<br />

et <strong>de</strong> développement), cité par Les Échos du 04.04.2001.<br />

198. Lire le rapport <strong>de</strong> l’ONG Global Witness, « A Cru<strong>de</strong><br />

Awakening. The Role of the Oil and Banking Industries in<br />

Ango<strong>la</strong>’s Civil War and the Plun<strong>de</strong>r of State Assets » [Un réveil<br />

brut. Le rôle du pétrole et <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque dans <strong>la</strong> guerre civile ango<strong>la</strong>ise<br />

et le pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s biens publics], décembre 1999.<br />

199. « Congo-B : Au pays <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs heureux », in LdC du<br />

11.05.2000.<br />

200. « Tra<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> brut et <strong>de</strong> cash », in LdC du 01.03.2001.


214 Notes<br />

201. « Congo : <strong>de</strong>s pétro-dol<strong>la</strong>rs et <strong>de</strong>s <strong>la</strong>rmes », in LdC du<br />

23.04.1998.<br />

202. « Congo. Sassou met Elf à l’amen<strong>de</strong> », in LdC du<br />

07.05.1998.<br />

203. Pascal Riché, « Rich et sauvé par le gong Clinton », in<br />

Libération du 10.02.2001<br />

204. « Congo-B : au pays <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs heureux », in LdC du<br />

11.05.2000.<br />

205. Lire Agir ici et Survie, France-Sénégal. Une vitrine craquelée,<br />

L’Harmattan, 1997, p. 44.<br />

206. Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit., p. 59.<br />

207. Lire « Congo. La chute <strong>de</strong> Pierre Otto Mbongo », in LdC du<br />

08.12.1994.<br />

208. « Congo. Politique sous influence pétrolière », LdC du<br />

26.11.1992.<br />

209. « Congo. Jacques Attali, mandataire général », in LdC du<br />

10.09.1998.<br />

210. Lire François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 42 et<br />

452.<br />

211. Ibid., p. 455-457.<br />

212. « Les Africains du Prési<strong>de</strong>nt », in LdC du 04.05.1995.<br />

213. « Pas <strong>de</strong> “cellule” pour Jospin », in LdC du 09.03.1995.<br />

214. Ibid.<br />

215. Lire « Congo-B. Procès financiers à Paris » et « Négociations<br />

avec Elf (II) », in LdC du 23.07.1998.<br />

216. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 58. Lire Le<br />

Parisien du 10.08.1998 et « Créanciers privés à l’offensive », in<br />

LdC du 28.05.1998.<br />

217. « Des banquiers aux mains sales », in Alternatives économiques,<br />

juillet 2001.<br />

218. Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit., p. 68.<br />

219. « Congo : <strong>de</strong>s Mistral encore dans l’air », 24.10.1991.<br />

220. Sur ces liens d’amitié, lire Julien Caumer, Les Requins,<br />

F<strong>la</strong>mmarion, 1999.<br />

221. Ibid., p. 241 et 127.<br />

222. Jean-Frédérick Deliège et Philippe Brewaeys, « Cocktail<br />

explosif autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> KB et Paribas », 02.03.1999.<br />

223. Interview à Libération du 06.03.2001.<br />

224. « Ango<strong>la</strong>. Jaffré… et Monory à Luanda », in LdC du<br />

20.02.1997.<br />

225. Lire « Congo-B. Les émirs <strong>de</strong> Brazzaville », in LdC du<br />

20.07.2000.


François-Xavier Verschave 215<br />

226. Lire « Congo-B. Créanciers cherchent comptes congo<strong>la</strong>is »,<br />

in LdC du 04.01.2001.<br />

227. Lire « Congo. 180 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> prêts Elf », in LdC<br />

du 15.09.1994.<br />

228. Lire « Congo-B. Montage financier Paribas », in LdC du<br />

01.04.1999.<br />

229. « Congo-B : Au pays <strong>de</strong>s tra<strong>de</strong>rs heureux », in LdC du<br />

11.05.2000.<br />

230. Minority Staff Report for Permanent Subcommittee on<br />

Investigations, Hearing on Private Banking and Money Laun<strong>de</strong>ring :<br />

a Case Study of Opprtunities and Vulnerabilities, 09.11.1999.<br />

231. Un crime politique en Corse, op. cit., p. 141.<br />

232. Lire « Banque. Le Crédit agricole s’offre <strong>la</strong> CIBC » et « Secret<br />

bancaire. Les Suisses lâchent leurs banques ! » in LdC <strong>de</strong>s 19.10<br />

et 06.09.2000.<br />

233. D’après « TotalElfina : l’Afrique est à nous… » et « Crédit<br />

agricole. Préfinancement <strong>de</strong> 60 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs pour<br />

Sassou II », in LdC <strong>de</strong>s 16.09.1999 et 03.12.1998.<br />

234. Lire « Congo. FIBA : petite banque, gros clients », in LdC du<br />

10.11.1994.<br />

235. Lire « Congo. Profession : privatiseurs » et « Elf pris en otage<br />

par les “frères ennemis” Sassou/Lissouba », in LdC <strong>de</strong>s<br />

13.06.1996 et 27.11.1997.<br />

236. Interview au Soir du 07.07.2001.<br />

237. Lire « Congo. 180 millions <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> prêts Elf » et « Les<br />

jeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte gagée pétrolière », in LdC <strong>de</strong>s 15.09 et<br />

10.11.1994.<br />

238. Lire « Congo. FMI et pétrole », in LdC du 06.04.1995.<br />

239. « Congo. Le volet CIBC <strong>de</strong> l’affaire Elf », in LdC du<br />

11.07.1996.<br />

240. Selon Le Nouvel Afrique-Asie, mai 1997.<br />

241. Gilles Gaetner et Jean-Marie Pontaut, « Les amis en or<br />

d’Alfred Sirven », in L’Express du 28.06.2001.<br />

242. Pouvoirs et politiques en Afrique, op. cit., p. 178-179.<br />

243. Lire « À noter. Congo » et « Congo : à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> 80<br />

milliards <strong>de</strong> francs CFA », in LdC <strong>de</strong>s 24.11 et 07.12.1989.<br />

244. « Congo : grand pardon et caisses vi<strong>de</strong>s », in LdC du<br />

29.08.1991.<br />

245. Lire A<strong>la</strong>in Guédé et Hervé Liffran, La Razzia, Stock, 1995,<br />

p. 9-16 et 164.<br />

246. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 61.<br />

247. Denis Cosnard, « Thierry Desmarest veut se défaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> sulfureuse<br />

banque gabonaise d’Elf », le 04.01.2000 – citant Le


216 Notes<br />

Canard enchaîné !<br />

248. François-Xavier Verschave, Noir silence, op. cit., p. 40.<br />

249. François Lille, Pourquoi l’Erika a coulé, L’Esprit frappeur,<br />

2000.<br />

250. Citation extraite, comme celles qui suivent, d’un projet <strong>de</strong><br />

communication au colloque « Que faire contre <strong>la</strong> criminalité<br />

financière et économique en France et en Europe ? », organisé le<br />

30.06.2001 à Paris par Attac, le Syndicat <strong>de</strong> <strong>la</strong> magistrature et<br />

Alternatives économiques.<br />

Notes <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> partie<br />

Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte<br />

1. Certains passages <strong>de</strong> cette partie empruntent à François-Xavier<br />

Verschave, Noir silence, op. cit., p. 338-346.<br />

2. « Ango<strong>la</strong> : Opération “Falcone/Gaydamak” », in LdC du<br />

18.09.1997.<br />

3. Lire Ghis<strong>la</strong>ine Ottenheimer et Renaud Lecadre, Les frères invisibles,<br />

op. cit., p. 131-132.<br />

4. Lire Hervé Gattegno, « De Londres, Arcadi Gaydamak défie les<br />

juges français », in Le Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000.<br />

5. « Un homme bien sous toutes <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s », in Le Canard enchaîné<br />

du 01.10.1997.<br />

6. « France : “Affaires africaines” d’État ? », in LdC du<br />

14.12.2000.<br />

7. Colette Braeckman a résumé cette histoire dans L’Enjeu congo<strong>la</strong>is,<br />

Fayard, 1999, p. 102-105 et 251-267.<br />

8. Lire le rapport <strong>de</strong> l’ONG Global Witness, « A Cru<strong>de</strong><br />

Awakening. The Role of the Oil and Banking Industries in<br />

Ango<strong>la</strong>’s Civil War and the Plun<strong>de</strong>r of State Assets » [Un réveil<br />

brut. Le rôle du pétrole et <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque dans <strong>la</strong> guerre civile ango<strong>la</strong>ise<br />

et le pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s biens publics], décembre 1999.<br />

9. Pétrole et éthique, op. cit., tome 1, p. 149.<br />

10. Lire In an Ango<strong>la</strong>n jail, “you are below a <strong>de</strong>ad dog”, it is sometimes<br />

like a horror movie [Dans une prison ango<strong>la</strong>ise, “vous êtes<br />

moins qu’un chien mort”, c’est parfois comme un film d’horreur],<br />

NCN, 27.11.1999.<br />

11. Lire Roger Faligot et Pascal Krop, La Piscine, Le Seuil, 1985, p.<br />

360.<br />

12. Lire « Ango<strong>la</strong> : Hélicoptères français détruits » et « Parrainage<br />

français pour le FMI ? » in LdC <strong>de</strong>s 14.10.1985 et 02.09.1987 ;


François-Xavier Verschave 217<br />

brève « Ango<strong>la</strong> » du 13.10.1989.<br />

13. Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme, « Une enquête sur une<br />

société <strong>de</strong> vente d’armes vise <strong>de</strong>s personnalités politiques », in Le<br />

Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000.<br />

14. Lire « Charles Pasqua, le “chouchou” <strong>de</strong> Dos Santos », in LdC<br />

du 03.03.1994.<br />

15. D’après « Ango<strong>la</strong> : le pétrole et <strong>la</strong> guerre », in Africa<br />

Confi<strong>de</strong>ntial, édition française (ACf), 17.05.1999.<br />

16. Global Witness, The Role of the Oil and Banking, op. cit.<br />

17. « 1 million <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> prêts gagés en quelques mois », in<br />

LdC, 31.03.1999.<br />

18. Interrogé par Global Witness, The Role of the Oil and<br />

Banking, op. cit.<br />

19. I<strong>de</strong>m.<br />

20. « La Fondation Eduardo dos Santos », in Politique africaine<br />

n° 73, 03.1999, p. 83-88.<br />

21. Pedro Rosa Men<strong>de</strong>s, avec Jose Milhazes, « Ligaçoes perigosas<br />

<strong>de</strong> Luanda a Russia e ao “Kremlingate” » [Liaisons dangereuses<br />

<strong>de</strong> Luanda à <strong>la</strong> Russie et au “Kremlingate”], in Publico du<br />

14.01.2000. Le journaliste a publié par ailleurs sur son expérience<br />

ango<strong>la</strong>ise un livre exceptionnel, Baie <strong>de</strong>s tigres (Métaillé, 2001),<br />

qui lui a conféré au Portugal le statut d’une sorte d’Albert Camus.<br />

22. « Congo-Brazzaville : négociations secrètes », ACf,<br />

12.07.1999.<br />

23. « Total/Elf, guerre <strong>de</strong> l’ombre », in LdC du 02.09.1999.<br />

24. Lire « Eaux profon<strong>de</strong>s », in Acf du 12.10.1998 ; « La Société<br />

Générale hérite du réseau ango<strong>la</strong>is <strong>de</strong> Paribas », in LdC du<br />

18.02.1999.<br />

25. « Ango<strong>la</strong> : pauvre pays riche », in ACf du 18.05.1996.<br />

26. « Ango<strong>la</strong> : le pétrole et <strong>la</strong> guerre », in ACf, 17.05.1999.<br />

27. Audition, Pétrole et éthique, op. cit., tome 1, p. 148.<br />

28. L’Affaire totale, op. cit., p. 151.<br />

29. Mémoire meurtrie, Plon, 2001. Bonnes feuilles in Le Vrai<br />

Papier journal, septembre 2001.<br />

30. Lire « France : “Affaires africaines” d’État ? », in LdC du<br />

14.12.2000.<br />

31. Si l’on en croit les “confessions” très renseignées <strong>de</strong> son<br />

<strong>la</strong>brador Baltique (Aboitim, tome 4, Oua Oua m’a dit. Vingt ans<br />

<strong>de</strong> secrets d’État, Éditions 1, 2001, p. 72-73).<br />

32. Les informations <strong>de</strong> ce paragraphe et du suivant sont issues<br />

<strong>de</strong> l’enquête du journaliste Julien Caumer : Les Requins,<br />

F<strong>la</strong>mmarion, 1999.<br />

33. Lire Karl Laske, «“Méry <strong>de</strong> Paris”, acteur du mélodrame gaul-


218 Notes<br />

liste », in Libération du 22.09.2000.<br />

34. « Enquête sur une affaire d’État », in Le Nouvel Observateur<br />

du 28.12.2000.<br />

35. « Les hommes <strong>de</strong> l’“Ango<strong>la</strong>gate” », in Le Mon<strong>de</strong> du<br />

13.11.2001.<br />

36. Dennis Wagner, « Pierre Falcone, enfant chéri <strong>de</strong> l’Arizona »,<br />

in The Arizona Phœnix, cité par Courrier international du<br />

18.01.2001. Selon un habitant <strong>de</strong> Phœnix, les Falcone « ont l’air<br />

plus riches que Dieu lui-même ».<br />

37. Sur ce surinvestissement, lire par exemple Jon Lee An<strong>de</strong>rson,<br />

« Letter from Ango<strong>la</strong>. Oil and Blood » [Lettre d’Ango<strong>la</strong>. Pétrole et<br />

sang], in The New Yorker, 14.08.2000.<br />

38. The New York Times, cité par Courrier International du<br />

18.01.2001.<br />

39. Comme le précise aimablement l’avocat <strong>de</strong> Jean-Christophe<br />

Mitterrand, M e Jean-Pierre Versini-Campinchi, cité par Fabrice<br />

Lhomme, « La libération <strong>de</strong> M. Mitterrand suspendue au versement<br />

d’une caution », in Le Mon<strong>de</strong> du 04.01.2001.<br />

40. Lire Geoffroy Tomasovitch, « Pierre Falcone, homme d’affaires<br />

et <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tions », in Le Parisien du 22.12.2000.<br />

41. Lire « Ango<strong>la</strong>. L’équipe franco-russe », in LdC du 03.07.1997.<br />

42. Lire Laurent Léger, « La vente d’armes russes à l’Ango<strong>la</strong> faite<br />

<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> France va peser très lourd », in Paris-Match du<br />

04.01.2001.<br />

43. Selon Denis Demonpion et Jean Guisnel, « Les mauvaises fréquentations<br />

<strong>de</strong> Mitterrand l’Africain », in Le Point du 05.01.2001.<br />

44. Interview au Mon<strong>de</strong> du 17.01.2001.<br />

45. Dans une note à son avocat, citée par Marie-Amélie Lombard,<br />

« La note secrète <strong>de</strong> l’ancien dirigeant incarcéré», in Le Figaro du<br />

05.01.2001.<br />

46. Cité par Karl Laske et Armelle Thoraval, « L’étrange don du<br />

marchand d’armes », in Libération du 21.12.2000.<br />

47. Interview du préfet Henri Hurand, directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sofremi<br />

<strong>de</strong>puis 1997, au Figaro du 09.01.2001.<br />

48. Jean Chichizo<strong>la</strong>, « Les ramifications <strong>de</strong> l’affaire Falcone », in<br />

Le Figaro, 11.12.2000.<br />

49. Lire Nico<strong>la</strong>s Beau, « Chevènement veut nettoyer sa vitrine à<br />

l’export », in Le Canard enchaîné du 01.10.1997.<br />

50. Interview au Figaro du 09.01.2001.<br />

51. D’après « Ango<strong>la</strong> : Le pétrole et <strong>la</strong> guerre », in ACf, du<br />

17.05.1999 et Nico<strong>la</strong>s Beau, « La Falcone connection servait <strong>la</strong><br />

France », in Le Canard enchaîné du 27.12.2000.<br />

52. Global Witness, The Role of the Oil and Banking, op. cit.<br />

53. Lire Stephen Smith et Antoine G<strong>la</strong>ser, « Les hommes <strong>de</strong>


François-Xavier Verschave 219<br />

l’“Ango<strong>la</strong>gate” », in Le Mon<strong>de</strong> du 13.01.2001.<br />

54. Lire « France : “Affaires africaines” d’État ? », in LdC du<br />

14.12.2000.<br />

55. Lire « Ango<strong>la</strong> : Une affaire “franco-russe” ? », in LdC du<br />

30.09.1999.<br />

56. Hervé Gattegno, « De Londres, Arcadi Gaydamak défie les<br />

juges français », in Le Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000.<br />

57. Cité par Sylvaine Pasquier, « Le tsar pervers et corrompu », in<br />

L’Express du 23.09.1999.<br />

58. Lire « Glencore. 3 milliards <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs <strong>de</strong> crédits syndiqués »,<br />

in LdC du 08.06.2000.<br />

59. Francis Christophe, « Total : les <strong>de</strong>ssous du chevalier b<strong>la</strong>nc du<br />

pétrole », in Golias Magazine, septembre 1999, p. 35.<br />

60. Airy Routier, « Enquête sur une affaire d’État », in Le Nouvel<br />

Observateur du 28.12.2000.<br />

61. Cité par Stephen Smith, « Pierre Falcone, marchand d’armes<br />

prospère aux re<strong>la</strong>tions diverses et haut p<strong>la</strong>cées », in Le Mon<strong>de</strong> du<br />

04.01.2001.<br />

62. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Du beau mon<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise », in Le<br />

Canard enchaîné du 06.12.2000.<br />

63. « Les ramifications <strong>de</strong> l’affaire Falcone », in Le Figaro du<br />

11.12.2000.<br />

64. Karl Laske, « Falcone et compagnie, fournisseurs d’armes en<br />

gros », in Libération du 03.01.2001.<br />

65. Andreï Sotnik, « Et si <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise menait au<br />

Caucase ? », in Moskovskié Novosti, cité par Courrier international<br />

du 11.01.2001.<br />

66. Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme, « Une enquête sur une<br />

société <strong>de</strong> vente d’armes vise <strong>de</strong>s personnalités politiques », in Le<br />

Mon<strong>de</strong>, 09.12.2000. Lire aussi Laurent Valdiguié, « Pasqua rattrapé<br />

par l’affaire Falcone », in Le Parisien du 04.12.2000.<br />

67. Laurent Valdiguié, « Les “affaires” africaines d’Attali, <strong>de</strong><br />

Pasqua et du fils Mitterrand », in Le Parisien du 02.12.2000.<br />

68. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Du beau mon<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise », in Le<br />

Canard enchaîné du 06.12.2000.<br />

69. Lire Stephen Smith et Antoine G<strong>la</strong>ser, « Les hommes <strong>de</strong><br />

l’“Ango<strong>la</strong>gate”», in Le Mon<strong>de</strong> du 13.01.2001 ; Fabrice Lhomme,<br />

« Trafic d’armes en Afrique : Jean-Christophe Mitterrand<br />

écroué », in Le Mon<strong>de</strong> du 23.12.2000.<br />

70. Denis Demonpion et Jean Guisnel, « Les mauvaises fréquentations<br />

<strong>de</strong> Mitterrand l’Africain », in Le Point du 05.01.2001.<br />

71. Fabrice Lhomme, « L’enquête sur l’Ango<strong>la</strong>gate dévoile l’ampleur<br />

du “système Falcone” », in Le Mon<strong>de</strong> du 24.01.2001.


220 Notes<br />

72. Ibid.<br />

73. « France : “Affaires africaines” d’État ? », in LdC du<br />

14.12.2000.<br />

74. Stéphane Johanny, « Jean-Christophe Mitterrand, du fait<br />

divers à l’affaire d’État », in Le Journal du Dimanche du<br />

24.12.2000.<br />

75. Lire « Gar<strong>de</strong> du corps », in LdC du 01.07.1999.<br />

76. Karl Laske, « L’État rattrapé par ses offices <strong>de</strong> sécurité », in<br />

Libération du 23.12.2000.<br />

77. « Affaire Communication & Systèmes », in Notes du Réseau<br />

Voltaire du 01.06.2000.<br />

78. Cité par Nico<strong>la</strong>s Beau, « Arcadi Gaydamak. Russe <strong>de</strong> Sioux »,<br />

in Le Canard enchaîné du 03.01.2001, et Jean Guisnel, « Quand<br />

<strong>la</strong> DST couvait Arcadi Gaydamak », in Le Point du 12.01.2001.<br />

79. Lire Fabrice Lhomme, « L’enquête sur l’Ango<strong>la</strong>gate dévoile<br />

l’ampleur du “système Falcone” », in Le Mon<strong>de</strong> du 24.01.2001.<br />

80 Lire Jean-Dominique Merchet, « Messieurs les désinformateurs<br />

au Sénat », in Libération du 08.11.2000.<br />

81. « Soupçons sur les observateurs français <strong>de</strong>s élections gabonaises<br />

», in Le Mon<strong>de</strong> du 09.12.1998.<br />

82. Lire Karl Laske et Armelle Thoraval, « L’étrange don du marchand<br />

d’armes », in Libération du 21.12.2000.<br />

83. « Un homme bien sous toutes <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s », in Le Canard<br />

enchaîné du 01.10.1997.<br />

84. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Les douanes persécutent un honnête marchand<br />

d’armes », in Le Canard enchaîné du 23.12.1998.<br />

85. Serge Faubert, « Des marchands d’armes au service d’Elf », in<br />

L’Événement du Jeudi du 05.12.1996.<br />

86. Jean Guisnel, « Quand <strong>la</strong> DST couvait Arcadi Gaydamak », in<br />

Le Point du 12.01.2001.<br />

87. Jean Guisnel, « Le début d’une nouvelle affaire d’État », in<br />

Le Point du 22.12.2000.<br />

88. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Les douanes persécutent… », op. cit.<br />

89. Ibid.<br />

90. Fabrice Lhomme, « Une nouvelle mise en examen dans une<br />

enquête sur un trafic d’armes », in Le Mon<strong>de</strong> du 16.12.2000.<br />

91 Lire « En tirant sur le pétrole », in Le Pli du 19.12.2000.<br />

92. Lire Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme, « Une enquête sur<br />

une société <strong>de</strong> vente d’armes vise <strong>de</strong>s personnalités politiques »,<br />

in Le Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000 ; Karl Laske, « Falcone et Cie, armes<br />

en tous genres », in Libération du 13.12.2000.<br />

93. Du 09.12.2000.


François-Xavier Verschave 221<br />

94. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Du beau mon<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise », in Le<br />

Canard enchaîné du 06.12.2000. Lire aussi Laurent Valdiguié,<br />

« Les “affaires” africaines d’Attali, <strong>de</strong> Pasqua et du fils<br />

Mitterrand », in Le Parisien du 02.12.2000.<br />

95. Lire Nico<strong>la</strong>s Beau, « Les jeux d’argent <strong>de</strong>s amis <strong>de</strong> Pasqua en<br />

Afrique » et « Sauve qui peut à Monaco », in Le Canard enchaîné<br />

du 10.01.2001.<br />

96. Lire Jean Chichizo<strong>la</strong>, « D’Annemasse à l’Ango<strong>la</strong>, le jeu <strong>de</strong><br />

piste <strong>de</strong>s enquêteurs », in Le Figaro du 19.06.2001.<br />

97. Lire Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme, op. cit., 09.12.2000.<br />

98. « Perquisitions chez Jacques Attali et Jean-Christophe<br />

Mitterrand », 02.12.2000.<br />

99. Jean Chichizo<strong>la</strong>, « Les coûteux conseils d’un fils <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt<br />

», in Le Figaro du 23.12.2000.<br />

100. Laurent Valdiguié, « Les “affaires” africaines d’Attali, <strong>de</strong><br />

Pasqua et du fils Mitterrand », in Le Parisien du 02.12.2000.<br />

101. Lire Karl Laske, «À l’origine, un fait divers », in Libération du<br />

23.12.2000, et Stéphane Johanny, « Jean-Christophe Mitterrand,<br />

du fait divers à l’affaire d’État », in Le Journal du Dimanche du<br />

24.12.2000.<br />

102. Fabrice Lhomme, « Les conditions confuses du passage d’un<br />

fait divers à une affaire d’État », in Le Mon<strong>de</strong> du 04.01.2001.<br />

103. Hervé Gattegno et Fabrice Lhomme, « Une enquête sur une<br />

société <strong>de</strong> vente d’armes vise <strong>de</strong>s personnalités politiques », in Le<br />

Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000. Lire aussi Jean Chichizo<strong>la</strong>, « Les ramifications<br />

<strong>de</strong> l’affaire Falcone », in Le Figaro du 11.12.2000.<br />

104. Lire Fabrice Lhomme, « Les conditions confuses… », op. cit.<br />

105. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Du beau mon<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise », in<br />

Le Canard enchaîné du 06.12.2000.<br />

106. Éric Decouty, « Jean-Christophe Mitterrand <strong>de</strong> nouveau<br />

entendu », in Le Figaro du 29.08.2001.<br />

107 Procès-verbal cité par Éric Decouty, ibid.<br />

108. Ibid.<br />

109. Natacha Tatu, « Une journée avec un milliardaire russe », in<br />

Le Nouvel Observateur du 20.10.1994 .<br />

110. Sylvaine Pasquier, « Le tsar pervers et corrompu », in<br />

L’Express du 23.09.1999.<br />

111. Hervé Gattegno, « De Londres, Arcadi Gaydamak défie les<br />

juges français », in Le Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000.<br />

112. Laurent Léger, « La vente d’armes russes à l’Ango<strong>la</strong> faite<br />

<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> France va peser très lourd », in Paris-Match du<br />

04.01.2001.<br />

113. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Arcadi Gaydamak. Russe <strong>de</strong> Sioux », in Le


222 Notes<br />

Canard enchaîné du 03.01.2001.<br />

114. Lire Laurent Léger, « La vente d’armes russes à l’Ango<strong>la</strong> faite<br />

<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> France va peser très lourd », in Paris-Match du<br />

04.01.2001.<br />

115. Andreï Sotnik, « Et si <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise menait au<br />

Caucase ? », op. cit.<br />

116. Cité par Pascal Ceaux et Fabrice Lhomme, « Les services<br />

secrets français s’opposent sur le cas <strong>de</strong> l’homme d’affaires », in<br />

Le Mon<strong>de</strong> du 10.04.2001.<br />

117. « Ligaçoes perigosas… », op. cit.<br />

118. « Le “surdoué du diamant” et les camara<strong>de</strong>s ango<strong>la</strong>is », in<br />

Soverchenno Sekretno. L’article est traduit et publié par Courrier<br />

international (18.01.2001), dont le directeur, Alexandre Adler, a<br />

été cité comme témoin <strong>de</strong> moralité par Gaydamak !<br />

119. Statement on the Infiltration of the Western Financial<br />

Systems by Elements of Russian Organized Crime, 21.09.1999.<br />

120. « Ango<strong>la</strong>. Opération “Dette russe” (II) », 21.11.1996.<br />

121. Stephen Smith, « Tripatouil<strong>la</strong>ges franco-russes pour armer<br />

l’Ango<strong>la</strong> », in Libération du 11.12.1996. L’implication <strong>de</strong><br />

Menatep dans l’opération “Dette russe” <strong>de</strong> Gaydamak est confirmée<br />

par Le Canard enchaîné (« Un homme bien sous toutes <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>s<br />

», 01.10.1997).<br />

122. Fabrice Rousselot, « L’écheveau qui vaudrait 15 milliards »,<br />

in Libération du 31.08.1999.<br />

123 Lire Révé<strong>la</strong>tion$, op. cit., p. 216.<br />

124. Fabrice Rousselot, « Le c<strong>la</strong>n, le parrain, et les 15 milliards <strong>de</strong><br />

dol<strong>la</strong>rs », Libération, 27.08.1999.<br />

125. Lire Patrick Sabatier, « Zigzags bancaires <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> à <strong>la</strong><br />

Russie », in Libération du 24.08.1999.<br />

126. Lire Dominique Gallois, « Elf s’appuie sur Yuksi pour développer<br />

les gisements <strong>de</strong> Sibérie », in Le Mon<strong>de</strong> du 08.04.1998.<br />

127. « Ango<strong>la</strong> : Des pierres précieuses et <strong>de</strong>s armes », in ACf du<br />

02.05.2000.<br />

128. Marc Roche, « Lev Leviev, un franc-tireur <strong>de</strong>s gemmes africaines<br />

en chasse sur les terres <strong>de</strong> <strong>la</strong> De Beers », in Le Mon<strong>de</strong> du<br />

05.07.2001.<br />

129. Lire Pascal Lacorie, « La Russie veut s’allier avec les <strong>la</strong>pidaires<br />

israéliens », in La Tribune du 23.05.2001.<br />

130. Vincent Hugeux et Vincent Nouzille, « Diamants. La guerre<br />

secrète », in L’Express du 07.12.2000 – une enquête exceptionnelle.<br />

131. « Upstart Dealer Muscles into Market », 11.06.2000.<br />

132. « Le “surdoué du diamant”… », op. cit.


François-Xavier Verschave 223<br />

133. Judy Dempsey, « Upstart Dealer Muscles… », op. cit.<br />

134. Lire Stephen Smith et Antoine G<strong>la</strong>ser, « Les hommes <strong>de</strong><br />

l’“Ango<strong>la</strong>gate” », in Le Mon<strong>de</strong> du 13.01.2001.<br />

135. Andreï Sotnik, « Et si <strong>la</strong> piste ango<strong>la</strong>ise menait au<br />

Caucase ? », op. cit.<br />

136. « Ango<strong>la</strong> : <strong>de</strong>s pierres précieuses et <strong>de</strong>s armes », in ACf du<br />

02.05.2000.<br />

137. Cité par Fabrice Lhomme, « L’enquête sur l’Ango<strong>la</strong>gate<br />

dévoile l’ampleur du “système Falcone” », in Le Mon<strong>de</strong> du<br />

24.01.2001.<br />

138. Ibid.<br />

139. Lire Clément-Marie Vadrot, « V<strong>la</strong>dimir Poutine, le nouveau<br />

tsar » in Le Journal du Dimanche du 17.12.2000.<br />

140. « De Londres, Arcadi Gaydamak défie les juges français », in<br />

Le Mon<strong>de</strong> du 09.12.2000.<br />

141. Nico<strong>la</strong>s Beau, « La Falcone connection servait <strong>la</strong> France », in<br />

Le Canard enchaîné du 27.12.2000 ; lire aussi Stephen Smith et<br />

Antoine G<strong>la</strong>ser, « Les hommes <strong>de</strong> l’“Ango<strong>la</strong>gate”», in Le Mon<strong>de</strong><br />

du 13.01.2001.<br />

142. « Ligaçoes perigosas… », op. cit.<br />

143. Du 18.09.1997.<br />

144. Du 13.01.2001.<br />

145. « L’Ango<strong>la</strong> soupçonné d’avoir versé 450 000 dol<strong>la</strong>rs au parti<br />

<strong>de</strong> Charlie », in Le Canard enchaîné du 20.12.2000.<br />

146. Nico<strong>la</strong>s Beau et Hervé Martin, « Quand Falcone <strong>de</strong>mandait<br />

aux Ango<strong>la</strong>is <strong>de</strong> financer <strong>la</strong> liste Pasqua », in Le Canard enchaîné<br />

du 17.01.2001.<br />

147. Nico<strong>la</strong>s Beau, « La Falcone connection servait <strong>la</strong> France », in<br />

Le Canard enchaîné du 27.12.2000.<br />

148. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Le milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs introuvable <strong>de</strong> l’affaire<br />

Falcone », in Le Canard enchaîné du 14.03.2001.<br />

149. Interview à Libération du 06.03.2001.<br />

150. « Ango<strong>la</strong> : Des pierres précieuses et <strong>de</strong>s armes ».<br />

151. « France : “Affaires africaines” d’État ? », 14.12.2000.<br />

152. Cité dans Le Mon<strong>de</strong> du 25.07.2001.<br />

153. Renaud Lecadre, « Début sinueux pour le procès du<br />

Sentier », in Libération du 21.02.2001.<br />

154. Lire Noir silence, op. cit., p. 161-165 et Noir procès, op. cit.,<br />

p. 174-177 et 231-234.<br />

155. Nico<strong>la</strong>s Beau, « Le milliard <strong>de</strong> dol<strong>la</strong>rs… », op. cit.<br />

156 Interview au Parisien du 28.06.2001.<br />

157. Lire Pascal Ceaux, « Arcadi Gaydamak part en guerre contre


224 Notes<br />

les services secrets », in Le Mon<strong>de</strong> du 02.06.2001.<br />

158. « Ango<strong>la</strong>. Entre le FMI et les “préfis”… », in LdC du<br />

17.12.1998.<br />

159. Lire « Ango<strong>la</strong>. Un séminaire “opportun” le 26 mars 1997 au<br />

CFCE », in LdC du 06.03.1997.<br />

160. A<strong>la</strong>in Lallemand, « Exclusif : Jack Sigolet parle », in Le Soir<br />

du 07.07.2001.<br />

161. « Ango<strong>la</strong> : hypothèque sur le futur », in ACf du 13.07.1998.<br />

162. « Luanda. José Eduardo dos Santos “l’Italien” », in LdC du<br />

03.07.1997.<br />

163. « Ango<strong>la</strong>. Le CCF dans les privatisations », in LdC du<br />

09.01.1992.<br />

164. Lire « La “Caisse française d’or noir” sur le bloc 3 » et « Elf<br />

rembourse les arriérés <strong>de</strong> Luanda auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong> “Caisse” », in LdC<br />

<strong>de</strong>s 28.01.1993 et 02.11.1995.<br />

165. Lire « Ango<strong>la</strong>. BTP français en flèche <strong>de</strong> grue » et « L’enjeu<br />

<strong>de</strong>s télécoms », in LdC <strong>de</strong>s 09.04 et 09.07.1998.<br />

Notes <strong>de</strong> <strong>la</strong> conclusion<br />

1. Association Bien public à l’échelle mondiale, 57, av. du Maine,<br />

75014 Paris, tél. 33 (0)1 43 27 76 72.<br />

2. Jean-Christophe Mitterrand, Mémoire meurtrie, op. cit.<br />

3. Billets d’Afrique n° 5.<br />

4. « Les dérives mafieuses <strong>de</strong> <strong>la</strong> Françafrique », janvier 1995,<br />

publié in Agir ici et Survie, « Dossiers noirs n° 1 à 5 »,<br />

L’Harmattan, 1996.<br />

5. Agir ici et Survie, France-Cameroun, « Dossier noir n° 7 »,<br />

L’Harmattan, 1996, p. 8-9.<br />

6. « Genova. Dette illégitime ou criminalité financière contre<br />

développement humain », in Grain <strong>de</strong> sable du 06.07.2001.<br />

7. Voir le site .<br />

8. Entretien avec le magazine du PNUD, Choix, 22.06.2000.<br />

9. Courrier du 09.04.2000.<br />

10. Hervé Gattegno, « Un nouveau circuit financier secret<br />

d’Alfred Sirven découvert au Liechtenstein », Le Mon<strong>de</strong>, 04.04.<br />

2001.<br />

11. Lire supra, p. 113-116.


Table <strong>de</strong>s matières<br />

Introduction 5<br />

Note méthodologique, schéma général 9<br />

I. Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre 13<br />

La <strong>de</strong>tte du Congo-Brazza 16<br />

1. Le pétrole fait f<strong>la</strong>mber <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte 17<br />

La <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> Sassou I 19<br />

L’obsession <strong>de</strong> l’amnistie 30<br />

La <strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s Lissoubistes 37<br />

2. Les f<strong>la</strong>mbeurs entrent en guerre 51<br />

La facture <strong>de</strong> l’été 1997 53<br />

Sassou II pompe comme Sassou I 60<br />

1999 : finance & crime contre l’humanité 65<br />

3. Les allumeurs 69<br />

… Elf 69<br />

Tra<strong>de</strong>rs et intermédiaires : Sigolet-Tarallo,<br />

Michel Pacary, Hassan Hojeij,<br />

Samuel Dossou, Loïk Le Floch-Prigent,<br />

Marc Rich & Glencore, etc. 77<br />

Les banques : Paribas & BNP,<br />

Société générale, CIBC<br />

& Crédit agricole-Indosuez 98<br />

4. Paris complice 109<br />

II. Ango<strong>la</strong>. Pétrole,<br />

guerre, <strong>de</strong>tte 117<br />

5. Douteuses connexions<br />

d’une pétrodictature 119


La “sale guerre” 119<br />

La <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> l’Ango<strong>la</strong> 120<br />

Pétrole & Françafrique 124<br />

L’argent <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre & <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption 126<br />

6. Sous Gaydamak, Falcone 135<br />

7. Armes, services, fisc, médias, justice 143<br />

8. Gaydamak, Menatep,<br />

<strong>la</strong> Russie & Israël 155<br />

9. Drôle <strong>de</strong> <strong>de</strong>tte 167<br />

Dette & ajustement structurel :<br />

le cercle vicieux 176<br />

Conclusion. La “Mafiafrique”<br />

pour horizon ? 177<br />

Bien public ou criminalité financière 180<br />

N’enterrons pas trop vite<br />

<strong>la</strong> Françafrique 182<br />

Les voies du droit 185<br />

Annexes<br />

Pistes juridiques 191<br />

Repères chronologiques<br />

Congo-Brazzaville 198<br />

Biographies <strong>de</strong>s protagonistes 200<br />

Principaux sigles 203<br />

Notes<br />

Chap. I. Congo : pétrole, <strong>de</strong>tte, guerre 205<br />

Chap. II. Ango<strong>la</strong> : pétrole, guerre, <strong>de</strong>tte 216<br />

Conclusion 224


DOSSIERS NOIRS(16)<br />

Agir ici – Survie<br />

Le brassage continu <strong>de</strong> l’or noir et <strong>de</strong><br />

« l’argent noir », du pétrole offshore<br />

(au <strong>la</strong>rge) et <strong>de</strong>s capitaux offshore<br />

(dans les paradis fiscaux), <strong>de</strong>s<br />

spécu<strong>la</strong>tions inavouables sur le<br />

pétrole, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte et les fournitures<br />

<strong>de</strong> guerre, <strong>de</strong>ssinent un paysage où<br />

criminalités économique et politique<br />

entrent en synergie. Il <strong>de</strong>vient<br />

évi<strong>de</strong>nt que les acteurs les plus<br />

conscients participent à un « groupe<br />

criminel organisé ». Ils n’ont pas<br />

conscience, en revanche, que peut<br />

leur être collée cette étiquette, car ils<br />

évoluent <strong>de</strong>puis trop longtemps dans<br />

les espaces sans loi, les no man’s<br />

<strong>la</strong>nd déshumanisants d’une<br />

mondialisation dérégulée, avec <strong>la</strong><br />

quasi-assurance <strong>de</strong> l’impunité.<br />

Les ouvrages sur le pétrole, <strong>la</strong> <strong>de</strong>tte,<br />

les trafics d’armes, les guerres<br />

au Congo-Brazzaville et en Ango<strong>la</strong>,<br />

avec leurs cortèges d’horreurs et <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>structions, ne manquent pas. Il<br />

manquait <strong>de</strong> tisser ensemble ces<br />

divers éléments.<br />

C’est l’objet <strong>de</strong> ce « Dossier noir ».<br />

François-Xavier Verschave<br />

est notamment l’auteur <strong>de</strong><br />

La Françafrique (Stock, 1998)<br />

et Noir silence (Les Arènes, 2000)<br />

9 782910 846831<br />

AGONE: ISBN 2-910846-83-0<br />

13,50 € / 88,55 F<br />

COMEAU & NADEAU: ISBN 2-922494-79-9<br />

17,95 $

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