Les chambres de gavage de Calabar – un terrain propice à la ...

40
Femmes et société
Les chambres de gavage
de Calabar – un terrain
propice à la diabésité
Enang Oe
Calabar, capitale de l’État de Cross River au Nigéria, est une
ville cosmopolite d’environ un demi-million d’habitants, la
population de l’État de Cross River State tournant quant à
elle autour de 2,5 millions. Les habitants de la région sont
principalement des agriculteurs, des pêcheurs et des fonctionnaires.
Les Efik, qui habitent au sud de Calabar, sont un
peuple fier au patrimoine culturel riche. Au sein de ces communautés,
la préservation de valeurs et coutumes vieilles
de plusieurs siècles joue un rôle central dans la tradition
des «chambres de gavage». Celles-ci sont utilisées pour
maintenir les jeunes femmes dans une inactivité physique
totale, tout en leur faisant ingérer de grandes quantités
d’aliments, et peuvent contribuer au développement de facteurs
de risque de l’obésité et du diabète. Enang Oe dresse
un état des lieux de la situation.
Contrairement à de nombreuses cultures où rent la corpulence chez les femmes comme
la minceur est considérée comme un critère un trait de séduction et un signe de bonne
de séduction, de nombreuses communautés santé et de prospérité. C’est la raison pour
des régions au sud-est du Nigéria, considè-
laquelle les «chambres de gavage» conti-
nuent d’occuper une place centrale dans
un rite nigérian séculaire pour le passage
de l’adolescence à l’âge adulte. Les jeunes
femmes y reçoivent des instructions sur le
rôle traditionnel de l’épouse et de la mère
avant le mariage. L’accent est mis sur leurs
devoirs conjugaux et les attentes de la
famille de leur conjoint, de leur nouvelle
famille élargie et de la communauté. Les
jeunes femmes sont en outre «gavées» en
vue du mariage et reçoivent des quantités
copieuses d’un régime traditionnel riche.
Mais cette période peut avoir d’importantes
répercussions sur leur état de santé futur.
Types de gavage
Gavage ordinaire
En général, le «gavage ordinaire» des
jeunes femmes a lieu entre 15 et 18 ans.
Six mois avant le début du gavage, les
jeunes filles prennent part à une série de
rituels – rasage des cheveux, recouvrement
du corps avec une poudre de bois et port
d’anneaux cylindriques creux en cuivre
autour des chevilles. De petites pierres sont
placées dans ces anneaux, ce qui produit
Mai 2009 | Volume 54 | Numéro Spécial

Femmes et société 41
un léger cliquetis lorsque la jeune femme
se déplace. Le premier jour de gavage,
la jeune fille est enduite d’huile de palme
de la tête au pied et conduite dans une
chambre retirée, où elle doit rester allongée
sur une natte.
Une corde est tendue à travers la pièce afin
de lui permettre de pendre les arêtes de
poissons mangés tout au long de la période
de gavage et de montrer ainsi aux visiteurs
qu’elle est bien nourrie. Après trois jours,
elle reçoit un lit ; la corde est retirée et la
jeune fille commence à se masser le corps
avec de l’argile blanche. Dans le cadre de
ce processus d’apprentissage, les enfants
sont laissés avec la jeune fille lorsque les
mères se rendent au travail ou au marché.
La jeune fille apprend les convenances traditionnelles
– comment servir les visiteurs,
se comporter avec les proches et créer des
artefacts traditionnels. Ce type de gavage
débute généralement en décembre ou en
janvier et dure environ un an.
Nkuho-Eket
Nkuho-Eket commence en juin ou en juillet
et dure entre 18 mois et trois ans, selon la
richesse des parents. Ce type de gavage
s’adresse aux filles jugées de faible constitution,
souffrant de fièvres intermittentes ou
appartenant à un autre groupe ethnique ou
tribal. Les femmes sont nourries avec des
aliments riches en calories et n’ont pas le
droit de manger de légumes frais ou de
quitter leur chambre.
Mbobo
Dans le cadre du rituel de Mbobo, les
jeunes filles sont isolées dans des huttes
pour une période plus ou moins longue,
selon la richesse de leurs parents. A l’âge
de la puberté, elles sont revêtues de vêtements
traditionnels ornés et de bijoux et
conduites par leur mère au Mbobo (hutte
de gavage), situé à la périphérie du village.
La période d’isolement peut durer entre
six mois et deux ans et, durant celle-ci,
les jeunes filles sont contraintes d’ingérer
de grandes quantités d’aliments riches en
graisse, dont des patates douces écrasées
cuites dans de l’huile de palme. Les jeunes
femmes n’ont droit à aucune forme d’activité
physique ou d’exercice. Leur corps est
recouvert d’argile et elles sont attachées à
l’aide de chiffons au niveau du cou, des
poignets et des chevilles (afin d’empêcher
les mauvais esprits de retarder le processus
de gavage). Les mouvements sont presque
totalement empêchés : elles ne peuvent rien
toucher dans la hutte et doivent éviter tout
contact avec le sol.
Avantages
Si les chambres de gavage traditionnelles
peuvent clairement avoir des conséquences
négatives sur la santé, les rituels séculaires
ont de nombreux avantages socioculturels.
La culture autochtone est préservée
et transmise de génération en génération,
tout comme d’autres valeurs précieuses,
telles l’histoire sociale, la langue et les
comportements. Ces rituels permettent de
partager les valeurs traditionnelles et la
sagesse entre les générations et les familles,
ce qui a pour effet de renforcer la structure
de la communauté, tout en améliorant la
cohésion sociale et les systèmes de soutien.
L’avenir et les conséquences
À l’instar de nombreuses coutumes africaines
traditionnelles, les chambres de
gavage subissent la pression permanente
des influences occidentales. En effet, les
habitants des zones urbaines sont de plus
en plus nombreux à rejeter ce rituel, de
sorte que les traditions séculaires disparaissent
peu à peu. Ironiquement, pourtant, de
nombreuses femmes des zones urbaines,
dont l’état de santé pourrait bénéficier de
la disparition des chambres de gavage, se
retrouvent confrontées à un risque accru
de problèmes de santé liés à l’obésité
à cause de leur style de vie «moderne»
insalubre – où le sédentarisme et un régime
alimentaire riche en sel et en graisses
deviennent la norme.
Bien que le rituel des chambres de gavage
soit aujourd’hui sur le déclin, nous désirions
attirer l’attention sur les conséquences
pour la santé. Certaines communautés
rurales convaincues qu’une surcharge
pondérale est synonyme de bien-être et
de bonne santé continuent d’appliquer
ces rituels. De nombreuses jeunes filles
des communautés Efik sont en surpoids
ou obèses ; nos habitudes alimentaires
antiques continuent d’avoir une très grande
influence sur notre apparence.
Les chambres de gavage peuvent avoir de
graves conséquences en termes de développement
du diabète gestationnel ; la plupart
des jeunes filles soumises à ce rituel présentent
déjà un risque d’obésité. Bien que le
nombre de cas de diabète diagnostiqués
au Nigéria se situe juste au-dessus de 2 %,
il semble que ce chiffre ne reflète pas avec
précision le profil des maladies chroniques
du pays – en particulier dans certaines
régions et pour certains groupes où il serait
bien plus élevé. Il est donc nécessaire d’effectuer
des recherches complémentaires,
sous la forme d’études transversales, sur
l’impact des chambres de gavage sur le
nombre croissant de Nigériannes atteintes
d’un diabète de type 2 dû à l’obésité.
Enang Oe
Enang Oe est chef interne au sein du
département de médecine interne
de l’université de Calabar, Nigéria.
Mai 2009 | Volume 54 | Numéro Spécial