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Les intervalles dans le texte - LiDiFra

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<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

CHAPITRE 4<br />

<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

1 De la chaîne linéaire aux chronogrammes<br />

Il est d'usage <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s travaux de narratologie 1 de distinguer clairement la succession<br />

linéaire des prédicats présentés par <strong>le</strong> <strong>texte</strong> et l'ordonnancement temporel des procès<br />

qu'ils expriment, <strong>le</strong>quel peut prendre des configurations très diverses. En effet, s'il arrive<br />

qu'il y ait un isomorphisme exact entre <strong>le</strong>s deux plans, comme <strong>dans</strong> la séquence :<br />

1) «El<strong>le</strong> essuya sa bouche du revers de la main, m'embrassa sur <strong>le</strong> front et regagna son logis.» 2<br />

c'est cependant loin d'être toujours <strong>le</strong> cas. D'une part, à cause des anachronies 3 , qu'il<br />

s'agisse de retours en arrière (ana<strong>le</strong>pses) ou de projections provisoires vers l'avenir<br />

(pro<strong>le</strong>pses), comme <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s :<br />

2) Luc sortit. Comme il avait plu la veil<strong>le</strong>, il trouva <strong>le</strong> sol humide<br />

3) Mardi, Luc a aperçu une silhouette <strong>dans</strong> <strong>le</strong> jardin. Je viens d'apprendre qu'il s'agissait de<br />

Jean. Il a pris peur et a fermé sa porte à doub<strong>le</strong> tour.<br />

D'autre part, parce qu'il peut y avoir des relations de recouvrement total ou partiel entre<br />

procès :<br />

4) Pierre regarda par la fenêtre. Il p<strong>le</strong>uvait. Il aperçut Marie. Il la salua<br />

où l'on comprend, entre autres, que la pluie a commencé avant que Pierre ne regarde par<br />

la fenêtre, et que celui-ci continue de regarder par la fenêtre alors même qu'il aperçoit<br />

Marie et qu'il la salue.<br />

1 Cette distinction est admise au moins depuis G. Genette (1972), p. 77 sq.<br />

2 P. Mac Orlan, <strong>Les</strong> clients du bon chien jaune (ed. 1988), p. 16.<br />

3 Cf. G. Genette (1972), p. 78 sq.<br />

1


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

Mais, en tout état de cause, l'ordre linéaire des propositions n'est pas<br />

indifférent 4 . Le plus souvent un bou<strong>le</strong>versement de cet ordre entraîne une<br />

transformation des relations chronologiques entre procès :<br />

5) Pierre aperçut Marie. Il la salua. Il regarda par la fenêtre. Il p<strong>le</strong>uvait.<br />

On peut représenter <strong>le</strong>s relations chronologiques au moyen de<br />

chronogrammes 5 ainsi conçus : chaque procès est représenté par un interval<strong>le</strong><br />

([B1,B2]) disposé sur l'axe temporel. Cet axe est dupliqué à chaque fois que se présente<br />

sur la chaîne linéaire un nouveau prédicat. Soit <strong>le</strong>s chronogrammes respectivement<br />

associés aux exemp<strong>le</strong>s 1), 2) et 4) :<br />

fig.1<br />

B1/B2<br />

1<br />

2<br />

3<br />

B1/B2<br />

B1<br />

B2<br />

fig.2<br />

B1/B2<br />

1<br />

2<br />

B1<br />

B2<br />

B1/B2<br />

3<br />

4 Comme <strong>le</strong> signa<strong>le</strong>nt H. Kamp et Ch. Rorher (1983), ce lien n'est pas pris en compte par la logique<br />

temporel<strong>le</strong> classique; cf. aussi J. Nerbonne (1986).<br />

5 Le concept de chronogramme est repris, <strong>dans</strong> une acception modifiée (nous avons choisi de ne pas faire<br />

figurer <strong>le</strong>s moments de référence), de J. François (1984) et (1994).<br />

2


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

fig.3<br />

1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

B1<br />

B1 B2<br />

B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

Insistons sur <strong>le</strong> fait que ces chronogrammes n'ont pas la même fonction que <strong>le</strong>s<br />

représentations temporel<strong>le</strong>s que nous avons utilisées jusqu'à présent, même si des<br />

relations de correspondance étroites <strong>le</strong>s relient, au point que <strong>le</strong>s mêmes types<br />

d'<strong>interval<strong>le</strong>s</strong> et de relations entre bornes sont utilisés. Dans <strong>le</strong> chronogramme, <strong>le</strong> temps<br />

est artificiel<strong>le</strong>ment arrêté pour permettre de visualiser <strong>le</strong>s relations chronologiques; et<br />

seul l'interval<strong>le</strong> [B1,B2] est pris en compte (car il s'agit uniquement de représenter <strong>le</strong>s<br />

relations entre procès, <strong>le</strong>s situations temporel<strong>le</strong>s); alors que <strong>le</strong>s représentations<br />

aspectuo-temporel<strong>le</strong>s sont fondées, rappelons-<strong>le</strong>, sur la relation perceptive entre <strong>le</strong> sujet<br />

et l'objet, chacun étant pris <strong>dans</strong> sa propre dynamique. On peut dire, de façon quelque<br />

peu schématique, que <strong>le</strong>s représentations aspectuo-temporel<strong>le</strong>s visent à décrire <strong>le</strong> sens<br />

de l'énoncé, alors que <strong>le</strong>s chronogrammes ne représentent que <strong>le</strong>s conditions de vérité<br />

du <strong>texte</strong>, envisagé, bien sûr, du strict point de vue temporel.<br />

Notre propos est de calcu<strong>le</strong>r des chronogrammes à partir des représentations<br />

temporel<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s-mêmes construites au moyen des instructions codées par <strong>le</strong>s<br />

marqueurs linguistiques. L'hypothèse est que si, comme on va <strong>le</strong> montrer, <strong>le</strong>s relations<br />

chronologiques entre procès ne sont pas directement calculab<strong>le</strong>s à partir des séquences<br />

linéaires de marqueurs linguistiques, el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> deviennent (au moins partiel<strong>le</strong>ment) dès<br />

lors que l'on reconnaît aux représentations temporel<strong>le</strong>s certaines propriétés très<br />

généra<strong>le</strong>s, qui concernent à la fois l'interval<strong>le</strong> du procès et l'interval<strong>le</strong> de référence. Mais<br />

il faut souligner que toutes <strong>le</strong>s relations entre procès ne sont pas spécifiab<strong>le</strong>s,<br />

précisément parce que certaines d'entre el<strong>le</strong>s ne sont pas linguistiquement contraintes.<br />

Par exemp<strong>le</strong>, rien ne permet de dire si la pluie, <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong> 4), dure plus ou moins<br />

longtemps que <strong>le</strong> fait que Pierre regarde par la fenêtre. De même, une séquence comme<br />

6) Avant de sortir, Luc prit son parapluie, puis il alluma sa pipe<br />

3


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

est-el<strong>le</strong> virtuel<strong>le</strong>ment ambiguë : on sait que [Luc prendre son parapluie] précède à la<br />

fois [Luc sortir] et [Luc allumer sa pipe], mais la relation entre ces deux procès reste<br />

indéterminée, et deux interprétations nettement disjointes sont envisageab<strong>le</strong>s (il allume<br />

sa pipe soit à l'intérieur, soit à l'extérieur). On par<strong>le</strong> à ce propos d'ambiguïté virtuel<strong>le</strong>,<br />

car l'ambiguïté, définie comme un choix nécessaire (indispensab<strong>le</strong>) mais impossib<strong>le</strong><br />

(irréalisab<strong>le</strong>) entre plusieurs interprétations, ne s'impose pas toujours :<br />

1) parce qu'el<strong>le</strong> n'est pas perçue (<strong>le</strong> sujet n'envisage qu'une des interprétations),<br />

2) parce qu'el<strong>le</strong> se trouve <strong>le</strong>vée par la construction référentiel<strong>le</strong>, et en particulier par la<br />

mise en oeuvre de scénarios stéréotypiques, comme <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong> 6 :<br />

7) Avant d'allumer sa pipe, Luc l'a nettoyée, puis il l'a bourrée avec soin<br />

3) ou encore parce que <strong>le</strong> sujet n'éprouve pas <strong>le</strong> besoin de choisir l'une des<br />

interprétations plutôt qu'une autre, la visée communicative du discours n'exigeant pas la<br />

mise en place d'une représentation chronologique tota<strong>le</strong>ment déterminée (achronie 7 ).<br />

Notre modè<strong>le</strong> doit prédire aussi bien l'absence de contrainte linguistique que<br />

<strong>le</strong>s contraintes el<strong>le</strong>s-mêmes. Mais nous devons tout d'abord présenter succinctement<br />

l'hypothèse dite de l'«anaphore temporel<strong>le</strong>» ainsi que <strong>le</strong>s critiques dont el<strong>le</strong> a fait l'objet,<br />

pour montrer ce que nous empruntons à cette perspective et quel<strong>le</strong>s modifications nous<br />

lui faisons subir.<br />

2 L'hypothèse de l'anaphore temporel<strong>le</strong><br />

Comme on vient de <strong>le</strong> voir, il n'est pas douteux qu'un lien temporel relie <strong>le</strong>s différentes<br />

propositions, y compris par-delà <strong>le</strong>s frontières de phrases, à l'intérieur d'un même <strong>texte</strong>.<br />

Certains auteurs ont avancé l'hypothèse selon laquel<strong>le</strong> ce lien serait de nature<br />

anaphorique, proposant ainsi de concevoir et de décrire l'anaphore temporel<strong>le</strong> sur <strong>le</strong><br />

modè<strong>le</strong> de l'anaphore nomina<strong>le</strong> 8 , dont quelques unes (au moins) des propriétés<br />

essentiel<strong>le</strong>s paraissent désormais clairement identifiées. Il importe, pour notre propos,<br />

de rappe<strong>le</strong>r (de façon très sommaire) quel<strong>le</strong>s sont ces propriétés.<br />

6 Cf. J François (1984), pp. 85-86.<br />

7 Cf. G. Genette (1972), p. 115 sq.<br />

8 Pour une présentation généra<strong>le</strong>, cf. G. K<strong>le</strong>iber (1993).<br />

4


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

2.1 Rappel sur l'anaphore nomina<strong>le</strong><br />

La problématique de l'anaphore nomina<strong>le</strong> a progressivement mis à jour deux types de<br />

phénomènes, distincts <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur principe, mais si souvent intriqués <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur<br />

fonctionnement qu'ils ont longtemps paru n'en constituer qu'un seul 9 :<br />

1) l'existence de relations de dépendance sémantique entre des éléments n'entretenant<br />

pas de relation de dépendance syntaxique 10 ;<br />

2) l'existence de relations systématiques (en particulier d'identité et d'inclusion) entre <strong>le</strong>s<br />

objets et classes d'objets désignés <strong>dans</strong> un <strong>texte</strong>.<br />

On par<strong>le</strong>ra désormais de relation anaphorique <strong>dans</strong> <strong>le</strong> premier cas, et de relation<br />

référentiel<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> second. La conjonction de ces deux phénomènes s'est manifestée<br />

(de façon si frappante qu'el<strong>le</strong> a longtemps occulté <strong>le</strong>s autres combinaisons possib<strong>le</strong>s)<br />

sous la forme de l'anaphore coréférentiel<strong>le</strong> : un signe est sémantiquement (et non<br />

syntaxiquement) dépendant d'un autre, et tous deux réfèrent au même individu logique,<br />

ce que l'on indique au moyen de la coïndexation :<br />

8) Luc i est venu. Il i a apporté des f<strong>le</strong>urs.<br />

Et la rencontre, sous cette forme, de deux phénomènes profondément différents <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong>ur nature n'est pas fortuite : si <strong>le</strong> pronom <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong> 8) est dépendant du substantif<br />

qui <strong>le</strong> précède, c'est parce qu'il ne permet à lui seul de fixer sa propre référence, il ne<br />

peut référer que par l'intermédiaire de son antécédent 11 ; d'où la relation d'identité entre<br />

<strong>le</strong>s objets désignés.<br />

Reste que comme l'anaphore ne provient pas toujours de cette impossibilité<br />

caractéristique du pronom personnel à fixer une référence (qu'on songe aux descriptions<br />

définies anaphoriques, par exemp<strong>le</strong>), il n'est pas rare de rencontrer des exemp<strong>le</strong>s<br />

d'anaphore non coréférentiel<strong>le</strong> : non pas que <strong>le</strong>s objets désignés n'entretiennent aucune<br />

9 Cf. J. Cl. Milner (1982), p. 32.<br />

10 Cf. L. Tesnière (1982), chap. 42.<br />

11 Dans <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de J. Cl. Milner (1982), développé par F. Corblin (1987a), c'est parce que l'expression<br />

anaphorique est dépourvue de «référence virtuel<strong>le</strong>» qu'el<strong>le</strong> a besoin d'être «saturée» par un antécédent.<br />

5


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

relation référentiel<strong>le</strong> 12 , mais il ne s'agit simp<strong>le</strong>ment pas d'identité (la plus courante étant<br />

la relation partie-tout, qui se laisse el<strong>le</strong>-même subdiviser en de nombreux sous-types<br />

bien différents 13 ). Exemp<strong>le</strong>s d'anaphore non coréférentiel<strong>le</strong> :<br />

9) Ma voiture est en panne. Le moteur est cassé (tout-partie)<br />

10) Evelyne a acheté une Supercinq. El<strong>le</strong>s lui plaisent beaucoup, ces petites voitures (inclusion<br />

d'un élément <strong>dans</strong> un ensemb<strong>le</strong>) 14 .<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, la relation de coréférence – de même que <strong>le</strong>s autres relations<br />

référentiel<strong>le</strong>s – peut très bien s'établir indépendamment de toute anaphore, <strong>dans</strong> des<br />

séquences du type :<br />

11) La reine d'Ang<strong>le</strong>terre a fait un discours à la chambre des lords. Elisabeth II a déclaré que ...<br />

(coréférence)<br />

12) Ce fauteuil est en mauvais état. Un pied est cassé 15 (relation tout-partie)<br />

13) <strong>Les</strong> ennemis se sont rapprochés de moi. Un grand mongol m'a sou<strong>le</strong>vé par <strong>le</strong>s cheveux<br />

(extraction d'un élément d'un ensemb<strong>le</strong>)<br />

14) Ils ont lâché <strong>le</strong>urs chiens. Un vieux bou<strong>le</strong>dogue a vite trouvé la piste (extraction d'un<br />

élément d'un ensemb<strong>le</strong>)<br />

15) Luc s'est aussitôt porté volontaire. <strong>Les</strong> jeunes hommes sont souvent téméraires (inclusion<br />

d'un élément <strong>dans</strong> un ensemb<strong>le</strong>).<br />

En somme, la relation anaphorique impose toujours une relation référentiel<strong>le</strong> (pas<br />

nécessairement de coréférence), alors que la réciproque est fausse.<br />

Dans la perspective du traitement automatique, <strong>le</strong> calcul des relations<br />

référentiel<strong>le</strong>s est pris en charge (au moins partiel<strong>le</strong>ment) par <strong>le</strong>s réseaux sémantiques,<br />

12 Cf. G. K<strong>le</strong>iber (1991), p. 185 : «Toute référence anaphorique indirecte, qu'il s'agisse d'une anaphore<br />

associative ou non, met en jeu l'existence d'un lien entre <strong>le</strong> référent (ou type de référent) de<br />

l'antécédent et celui de l'expression anaphorique indirecte.»<br />

13 Cf., entre autres, M. E. Winston , R. Chaffin et D. Hermann (1987).<br />

14 Exemp<strong>le</strong> adapté de V. Rosenthal et M. de Fornel (1985).<br />

15 On considère parfois que <strong>le</strong> SN un pied résulte de la réduction par ellipse de un (de <strong>le</strong>s) pied(s) (cf. par<br />

exemp<strong>le</strong> F. Corblin (1987a)). Si cette hypothèse purement syntaxique est envisageab<strong>le</strong> pour cet<br />

exemp<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>s ne l'est plus pour <strong>le</strong>s séquences (13) et (14).<br />

6


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

des graphes qui relient chacun des termes du <strong>le</strong>xique à l'ensemb<strong>le</strong> des termes avec<br />

<strong>le</strong>squels il entretient des relations de type hyponymie/hyperonymie, synonymie, partiede,<br />

etc. Le calcul des relations anaphoriques (couramment dénommé «résolution des<br />

anaphores») consiste<br />

1) à identifier <strong>le</strong>s termes sémantiquement non-autonomes (qui ont besoin d'être<br />

«saturés» par un autre terme)<br />

2) à relier ces termes anaphoriques (par une relation de «dépendance contextuel<strong>le</strong>») à un<br />

«antécédent» (qui est, lui, sémantiquement autonome).<br />

La modélisation de cette deuxième étape distingue différents paliers, qui constituent<br />

autant de filtrages successifs visant à restreindre l'ensemb<strong>le</strong> des antécédents virtuels<br />

pour un terme anaphorique donné :<br />

a) <strong>Les</strong> axiomes de la «théorie du Liage» établissent <strong>le</strong>s domaines syntaxiques <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong>squels un élément anaphorique peut ou ne peut pas trouver son antécédent 16 .<br />

b) <strong>Les</strong> marques morphologiques de genre et de nombre constituent un premier filtrage<br />

des antécédents virtuels, qui doivent (au moins pour l'anaphore coréférentiel<strong>le</strong>) être<br />

compatib<strong>le</strong>s avec l'élément anaphorique; exemp<strong>le</strong> :<br />

16) Pierre et Marie sont venus. El<strong>le</strong> était malade.<br />

c) Des «règ<strong>le</strong>s de sémantique préférentiel<strong>le</strong>» 17 opèrent une sé<strong>le</strong>ction supplémentaire, en<br />

prenant appui sur <strong>le</strong>s traits de sé<strong>le</strong>ction inhérents aux <strong>le</strong>xèmes et sur ceux qu'impose <strong>le</strong><br />

verbe; ainsi <strong>dans</strong> l'énoncé qui suit, <strong>le</strong> trait [+animé] est imposé au pronom par <strong>le</strong> verbe<br />

par<strong>le</strong>r, il doit donc trouver un antécédent porteur de ce trait :<br />

17) Pierre a lu un livre. Il m'en a parlé.<br />

[+anim] [-anim] [+anim]<br />

d) Des «règ<strong>le</strong>s de sens commun», fondées sur des connaissances encyclopédiques,<br />

généra<strong>le</strong>ment structurées sous forme de scénarios 18 , permettent encore d'écarter (de<br />

façon relativement plausib<strong>le</strong>) certains antécédents virtuels :<br />

18) <strong>Les</strong> Anglais tirèrent sur <strong>le</strong>s Français; et nous vîmes tomber certains d'entre eux.<br />

16 Cf. N. Chomsky (1982). Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> pronom <strong>le</strong> ne peut être lié à l'intérieur de la subordonnée<br />

complétive <strong>dans</strong> la phrase [Jean dit que Pierre <strong>le</strong> lave], alors que <strong>le</strong> réfléchi se <strong>le</strong> serait<br />

nécessairement : [Jean dit que Pierre se lave].<br />

17 Cf. Y. Wilks (1973), (1975). Pour une présentation, cf. V. Rosenthal et M. de Fornel (1985).<br />

18 Cf. U. Eco (1985), R. Schank et R. Abelson (1977).<br />

7


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

e) Enfin, lorsque plusieurs antécédents virtuels sont éga<strong>le</strong>ment compatib<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong><br />

terme anaphorique, ce sont des facteurs comme la proximité relative et/ou la position<br />

<strong>dans</strong> la structure thématique/rhématique qui vont guider la sé<strong>le</strong>ction de l'antécédent.<br />

Insistons cependant sur <strong>le</strong> fait que l'importance attribuée à ces règ<strong>le</strong>s varie<br />

en fonction des types d'expressions anaphoriques concernées; par exemp<strong>le</strong>, une<br />

description démonstrative paraît plus sensib<strong>le</strong> au principe de proximité qu'aux règ<strong>le</strong>s de<br />

sé<strong>le</strong>ction sémantique, et même, <strong>dans</strong> certains cas, qu'aux règ<strong>le</strong>s d'accord 19 .<br />

Dans la perspective d'une analyse cognitive, ces phénomènes ont reçu<br />

récemment 20 une description en termes de saillance mémoriel<strong>le</strong>. Le principe est <strong>le</strong><br />

suivant : une expression sémantiquement non autonome code l'instruction pour <strong>le</strong> sujet<br />

de chercher <strong>dans</strong> sa mémoire un référent compatib<strong>le</strong>. Parmi <strong>le</strong>s référents qui peuvent<br />

venir la saturer <strong>le</strong> sujet retient celui qui a <strong>le</strong> degré de saillance requis par l'expression<br />

anaphorique 21 . Ce degré de saillance résulte de l'interaction de divers facteurs (qui<br />

équiva<strong>le</strong>nt, globa<strong>le</strong>ment, à ceux qui doivent être pris en compte pour la résolution<br />

automatique des anaphores). On explique ainsi du point de vue cognitif <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de la<br />

distance et du caractère thématique ou non de l'antécédent : plus l'antécédent est proche,<br />

plus il est présent (saillant) <strong>dans</strong> la mémoire du sujet, a fortiori s'il joue <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de thème<br />

de l'énoncé.<br />

Il faut enfin rappe<strong>le</strong>r que l'une des propriétés <strong>le</strong>s plus remarquab<strong>le</strong>s des<br />

expressions anaphoriques est de constituer des «chaînes», qui concourent – comme, de<br />

façon plus généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s chaînes de référence 22 – à assurer la «cohésion du <strong>texte</strong>» 23 :<br />

plusieurs expressions sémantiquement non autonomes, syntaxiquement et<br />

sémantiquement compatib<strong>le</strong>s, se lient entre el<strong>le</strong>s pour constituer une chaîne, dont la<br />

longueur est sans limites a priori (el<strong>le</strong> peut parcourir un roman entier). En principe, on<br />

19 Cf. des exemp<strong>le</strong>s du type : «Pierre est venu. Cette pourriture m'a encore tapé du fric».<br />

20 Cf., entre autres, M. Ariel (1990). Pour une présentation critique de cette perspective, cf. G. K<strong>le</strong>iber<br />

(1994), p. 25 sq.<br />

21 Il n'est pas jusqu'aux principes de la «théorie du Liage» qui ne puissent être réinterprétés <strong>dans</strong> cette<br />

perspective; cf. M. Ariel (1990), p. 97 sq.<br />

22 Cf. Ch. Chastain (1975), D. Slakta (1980), F. Corblin (1985), (1987b).<br />

23 Cf. D. Slakta (1975), (1980).<br />

8


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

s'attend à ce que <strong>le</strong> premier élément («maillon») de la chaîne soit sémantiquement<br />

autonome, tandis que <strong>le</strong>s maillons suivants pourront être anaphoriques 24 .<br />

2.2 <strong>Les</strong> temps comme anaphores<br />

Il existe une tradition 25 qui considère <strong>le</strong>s temps verbaux comme des anaphores. Deux<br />

versions, au moins, de cette thèse doivent être distinguées : une version faib<strong>le</strong> qui pose<br />

que certains temps seu<strong>le</strong>ment sont anaphoriques, une version forte qui considère tous<br />

<strong>le</strong>s temps (à l'exception peut-être du présent, exclusivement déictique) comme<br />

anaphoriques.<br />

Pour ce qui concerne <strong>le</strong> français, la version faib<strong>le</strong>, est généra<strong>le</strong>ment admise<br />

à propos de l'imparfait, du plus-que-parfait et du futur antérieur dont on considère qu'ils<br />

ont besoin d'un «point d'ancrage» <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>; ce point d'ancrage pouvant être réalisé<br />

soit par un circonstanciel temporel, soit par un autre procès, figurant éventuel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>dans</strong> un autre énoncé. Ainsi <strong>le</strong>s phrases suivantes ne sont-el<strong>le</strong>s pas énonçab<strong>le</strong>s, tel<strong>le</strong>s<br />

quel<strong>le</strong>s :<br />

19) Il p<strong>le</strong>uvait<br />

20a) Pierre avait terminé son travail<br />

20b) Pierre aura terminé son travail<br />

mais el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> deviennent <strong>dans</strong> des con<strong>texte</strong>s du type :<br />

(21) A huit heures, il p<strong>le</strong>uvait<br />

Pierre avait terminé son travail<br />

Pierre aura terminé son travail<br />

(22) Marie rentra chez el<strong>le</strong>. Il p<strong>le</strong>uvait. El<strong>le</strong> fut trempée<br />

(23) Marie rentra chez el<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> trouva Pierre qui se reposait, car il avait terminé son travail<br />

(24) Quand Marie rentrera chez el<strong>le</strong>, Pierre aura terminé son travail.<br />

24 Comme on sait, ce principe est très souvent transgressé, en particulier <strong>dans</strong> la littérature<br />

contemporaine.<br />

25 Cette tradition remonte au moins à J. Mac Caw<strong>le</strong>y (1971); cf., entre autres, B. Partee (1973), (1984), E.<br />

W. Hinrichs (1986), B. L. Webber (1988).<br />

9


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

Le caractère anaphorique de ces temps serait donc lié à deux phénomènes<br />

complémentaires (que l'on trouve à l'oeuvre <strong>dans</strong> l'anaphore nomina<strong>le</strong>) :<br />

– a) ils ne sont pas sémantiquement autonomes<br />

– b) ils doivent être complétés (saturés) par une autre expression (qui peut être un autre<br />

procès ou un circonstanciel).<br />

Cette version faib<strong>le</strong> de l'hypothèse des temps comme anaphores suppose une<br />

partition de l'ensemb<strong>le</strong> des temps verbaux : <strong>le</strong>s temps anaphoriques vs <strong>le</strong>s temps non<br />

anaphoriques 26 . Or cette partition soulève de graves difficultés :<br />

– Un temps comme <strong>le</strong> passé simp<strong>le</strong>, qui n'est pas considéré comme anaphorique (à la<br />

différence de l'imparfait) n'est pourtant pas véritab<strong>le</strong>ment auto-suffisant (par opposition<br />

au passé composé), <strong>dans</strong> la mesure où il suppose presque nécessairement un con<strong>texte</strong><br />

narratif. F. Nef 27 oppose ainsi <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s :<br />

25a) Pierre a lu <strong>le</strong> journal (auto-suffisant)<br />

25b) Pierre lisait <strong>le</strong> journal (auto -insuffisant)<br />

25c) Pierre lut <strong>le</strong> journal (auto-insuffisant).<br />

– Le passé simp<strong>le</strong> ou <strong>le</strong> passé composé à va<strong>le</strong>ur aoristique semb<strong>le</strong>nt aussi pouvoir être<br />

liés par un circonstanciel et/ou par un énoncé préalab<strong>le</strong>, à l'imparfait, par exemp<strong>le</strong> :<br />

26) Le mardi 25 avril, Luc joua de la musique<br />

27) Le mardi 25 avril, il p<strong>le</strong>uvait. Luc sortit<br />

est sorti.<br />

Il faudrait alors distinguer deux types d'emplois du passé simp<strong>le</strong> : tantôt anaphorique,<br />

tantôt non anaphorique 28 .<br />

– Mais la version forte de l'hypothèse s'appuie sur un phénomène beaucoup plus<br />

général. On sait que l'ensemb<strong>le</strong> des procès <strong>dans</strong> un <strong>texte</strong> entretiennent des liens<br />

chronologiques et que toute modification de l'ordre linéaire des énoncés peut entraîner<br />

une modification de ces liens. Dès lors, même quand ils sont sémantiquement<br />

autonomes, <strong>le</strong>s temps entretiennent des liens contextuels avec <strong>le</strong>s circonstanciels et <strong>le</strong>s<br />

26 Cf., par exemp<strong>le</strong>, K. Vetters (1988).<br />

27 Cf. F. Nef (1986), p. 163.<br />

28 Cette solution a été proposée par A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 42.<br />

10


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

autres procès du con<strong>texte</strong>, et l'existence de ces liens autorise, selon certains auteurs 29 , à<br />

dire que <strong>le</strong>s temps verbaux sont fondamenta<strong>le</strong>ment anaphoriques.<br />

De façon généra<strong>le</strong>, ce qui caractérise cette approche (sous ses deux versions,<br />

faib<strong>le</strong> et forte), c'est la dissociation qui est établie entre <strong>le</strong>s éléments considérés comme<br />

anaphoriques et ce sur quoi porte la relation contextuel<strong>le</strong>. Il est ainsi généra<strong>le</strong>ment<br />

admis que ce sont <strong>le</strong>s temps verbaux qui sont anaphoriques et que la relation<br />

contextuel<strong>le</strong> porte sur R, <strong>le</strong> moment de référence <strong>dans</strong> <strong>le</strong> système de Reichenbach 30 , de<br />

sorte que <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong><br />

28) Le mardi 10 mars, il p<strong>le</strong>uvait<br />

l'imparfait est sémantiquement incomp<strong>le</strong>t et demande à être rattaché au circonstanciel,<br />

ce qui entraîne la subsomption du moment de référence par l'interval<strong>le</strong> marqué par <strong>le</strong><br />

circonstanciel. La première relation est de type anaphorique, la seconde est une relation<br />

référentiel<strong>le</strong> (temporel<strong>le</strong>) 31 . Ces relations référentiel<strong>le</strong>s peuvent être de différentes<br />

natures, surtout si l'on admet la version forte de l'hypothèse des temps comme<br />

anaphores. Tandis que l'imparfait marque <strong>le</strong> plus souvent la coïncidence entre <strong>le</strong>s<br />

moments de référence, un plus-que-parfait aoristique exprime l'antériorité du moment<br />

de référence par rapport à celui de son antécédent, une succession de passé simp<strong>le</strong>s <strong>dans</strong><br />

un <strong>texte</strong> narratif implique au contraire la postériorité de chacun des moments de<br />

référence, etc. 32<br />

La tâche qui s'impose alors est de formu<strong>le</strong>r un système de règ<strong>le</strong>s qui<br />

1) identifie <strong>le</strong>s éléments anaphoriques et <strong>le</strong>urs antécédents<br />

2) prédise <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs des relations référentiel<strong>le</strong>s (temporel<strong>le</strong>s) qui correspondent aux<br />

relations anaphoriques.<br />

Or, qu'il soit fait explicitement ou non référence au concept d'anaphore, la constitution<br />

de tel<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s prédictives sur <strong>le</strong>s relations temporel<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong> rencontre un très<br />

grand nombre de difficultés, qui ont pu conduire à douter de sa faisabilité.<br />

29 Cf., en particulier, B. L. Webber (1988).<br />

30 Cf. M. Steedman (1982), B. Partee (1984), E. W. Hinrichs (1986), D. Dowty (1986), B. L. Webber<br />

(1988).<br />

31 On admet, à la suite de G. Frege (1971), p. 118, que <strong>le</strong>s moments du temps constituent des référents<br />

possib<strong>le</strong>s du discours. Deux moments (i.e. deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>) peuvent donc entretenir entre eux des<br />

relations référentiel<strong>le</strong>s (d'identité ou non).<br />

32 Cf. H. Kamp et Ch. Rohrer (1983), B. L. Webber (1988).<br />

11


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

<strong>Les</strong> règ<strong>le</strong>s formulées par H. Kamp, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre de la Théorie des<br />

Représentations Discursives, sur <strong>le</strong> fonctionnement de l'imparfait et du passé simp<strong>le</strong><br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong>s <strong>texte</strong>s narratifs sont généra<strong>le</strong>ment prises pour point de départ des discussions<br />

actuel<strong>le</strong>s sur la question de l'anaphore temporel<strong>le</strong>. Rappelons ces règ<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>s<br />

principa<strong>le</strong>s critiques qu'el<strong>le</strong>s ont suscitées 33 :<br />

R1) Le passé simp<strong>le</strong> introduit un événement passé (e) qui constitue <strong>le</strong> point de référence<br />

du <strong>texte</strong>; chaque nouvel énoncé au passé simp<strong>le</strong> fait avancer <strong>le</strong> point de référence d'un<br />

pas.<br />

33 Il est remarquab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s critiques <strong>le</strong>s plus pertinentes, appuyées sur <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs contre-exemp<strong>le</strong>s,<br />

soient dues à H. Kamp lui-même; cf. Kamp et Rohrer (1983).<br />

12


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

R2) L'imparfait introduit un état passé (s) qui contient <strong>le</strong> point de référence en cours<br />

(introduit par la dernière phrase au passé simp<strong>le</strong>) 34 .<br />

34 Cette opposition événement/état,<br />

ma**********************************************************************************<br />

13


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

On ne discutera pas ici <strong>le</strong> détail de ce type de formulation. Nous importe essentiel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> fait que Kamp reformu<strong>le</strong>, en utilisant <strong>le</strong>s concepts de Reichenbach, l'opposition<br />

classique entre <strong>le</strong> statisme de l'imparfait (utilisé, de ce fait, pour exprimer l'arrière-plan<br />

narratif) et <strong>le</strong> dynamisme du passé simp<strong>le</strong> (qui fait avancer l'action et constitue <strong>le</strong><br />

premier plan). Or cette opposition, exprimée sous forme de règ<strong>le</strong>s prédictives, souffre<br />

de quelques types de contre-exemp<strong>le</strong>s notab<strong>le</strong>s :<br />

Contre-exemp<strong>le</strong>s à la règ<strong>le</strong> R1 :<br />

a) Un changement de thème de l'énoncé (qui correspond à un changement d'objet affecté<br />

par <strong>le</strong>s procès) peut suspendre la succession :<br />

29) Marie chanta et Pierre l'accompagna au piano 35 .<br />

b) Il arrive qu'un premier énoncé exprime un événement global, qui est détaillé en sousévénements<br />

par <strong>le</strong>s énoncés qui <strong>le</strong> suivent :<br />

30) L'année dernière, Jean escalada <strong>le</strong> Cervin. Le premier jour il monta jusqu'à la cabane H. Il y<br />

passa la nuit. Ensuite il attaqua la face nord. Douze heures plus tard il arriva au sommet. 36<br />

La règ<strong>le</strong> de succession vaut pour tous <strong>le</strong>s énoncés décrivant <strong>le</strong>s phases du procès global,<br />

mais pas pour la relation de ces énoncés avec <strong>le</strong> premier.<br />

c) Ces deux phénomènes peuvent se combiner, lorsqu'un premier énoncé exprime un<br />

procès global qui concerne différents objets (individus) qui vont correspondre chacun au<br />

thèmes respectifs d'énoncés successifs relatant des événements qui peuvent, dès lors, ne<br />

pas se trouver chronologiquement ordonnés :<br />

31) L'été de cette année-là vit plusieurs changements <strong>dans</strong> la vie de nos héros. François épousa<br />

Adè<strong>le</strong>, Jean-Louis partit pour <strong>le</strong> Brésil et Paul s'acheta une maison de campagne. 37<br />

Ces contre-exemp<strong>le</strong>s conduisent H. Kamp et Ch. Rorher à abandonner la règ<strong>le</strong> R1 au<br />

profit d'un principe beaucoup moins contraignant, selon <strong>le</strong>quel un événement introduit<br />

par une phrase au passé simp<strong>le</strong> ne peut être marqué comme précédant complètement <strong>le</strong><br />

************************************************ * ************************************<br />

************************** * *************************************** * ******************<br />

********************* * **************************************** * **********************<br />

14


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

moment de référence en cours 38 , ce qui signifie qu'il est éventuel<strong>le</strong>ment possib<strong>le</strong> qu'un<br />

événement précède un autre événement qui a été présenté auparavant sur la chaîne<br />

linéaire (c'est l'une des situations référentiel<strong>le</strong>s possib<strong>le</strong>s validant l'énoncé 31)), mais<br />

que ce phénomène ne peut être linguistiquement marqué et explicite. Reste que cette<br />

relation, qui a été formalisée par K. Eber<strong>le</strong> sous <strong>le</strong> nom de «relation not-before» 39<br />

rencontre encore d'évidents contre-exemp<strong>le</strong>s :<br />

d) Dans une relative restrictive, servant à identifier l'entité qui correspond à son<br />

antécédent, il est tout à fait possib<strong>le</strong> qu'un événement soit explicitement situé comme<br />

antérieur à l'événement exprimé par la principa<strong>le</strong> :<br />

32) En 1982, Luc s'installa <strong>dans</strong> la vil<strong>le</strong> même où Char<strong>le</strong>s Martel arrêta <strong>le</strong>s Arabes, en 732. Il y<br />

rencontra sa future épouse. 40<br />

e) Il est éga<strong>le</strong>ment possib<strong>le</strong> que <strong>le</strong> second événement (selon l'ordre de présentation)<br />

exprime la cause du premier, et qu'il lui soit de ce fait antérieur du point de vue de la<br />

chronologie :<br />

33) Pierre brisa <strong>le</strong> vase. Il <strong>le</strong> laissa tomber 41<br />

ou même que <strong>le</strong> premier événement d'une séquence exprime la conséquence de toute<br />

une série d'événements et d'états, présentés par la suite, comme il apparaît <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s<br />

premières lignes d'une nouvel<strong>le</strong> de M. Leblanc :<br />

34) «Le village fut terrifié.<br />

C'était un dimanche. <strong>Les</strong> paysans de Saint-Nicolas et des environs sortaient de l'église<br />

et se répandaient à travers la place quand, tout à coup, des femmes, qui marchaient en avant<br />

et tournaient déjà sur la grande route refluèrent en poussant des cris d'épouvante.<br />

Et aussitôt on aperçut, énorme, effroyab<strong>le</strong>, pareil<strong>le</strong> à un monstre, une automobi<strong>le</strong> qui<br />

débouchait à une allure vertigineuse. (...) el<strong>le</strong> piqua droit vers l'église (...) et disparut.<br />

Mais on avait vu, sur <strong>le</strong> siège (...) un homme qui conduisait; et, près de lui, sur <strong>le</strong><br />

devant de ce siège, renversée, ployée en deux, une femme dont la tête ensanglantée pendait audessus<br />

du capot.» 42<br />

* *********************************************** * ***************************************<br />

****************************************** * *****************************************<br />

**. 1986), p.261.<br />

15


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

Au total, il semb<strong>le</strong> donc que toutes <strong>le</strong>s relations chronologiques puissent être exprimées<br />

au moyen du passé simp<strong>le</strong> 43 .<br />

Contre-exemp<strong>le</strong>s à la règ<strong>le</strong> R2 :<br />

a) L'imparfait peut se rapporter à un moment marqué par un circonstanciel et non par un<br />

événement qui <strong>le</strong> précède sur la chaîne linéaire 44 :<br />

35) Luc se précipita chez Marie. La veil<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> était très malade.<br />

b) Il peut arriver qu'un énoncé à l'imparfait exprime la situation résultante d'un<br />

événement préalab<strong>le</strong>ment présenté au passé simp<strong>le</strong> :<br />

36) Pierre alluma la lampe. La lumière donnait à la pièce un air de tristesse désolée 45<br />

37) «L'anabaptiste aidait un peu à la maneuvre; il était sur <strong>le</strong> tillac; un matelot furieux <strong>le</strong> frappe<br />

rudement et l'étend sur <strong>le</strong>s planches; mais du coup qu'il lui donna, il eut lui-même une si<br />

vio<strong>le</strong>nte secousse qu'il tomba hors du vaisseau, la tête la première. Il restait suspendu et<br />

accroché à une partie de mât rompue. Le bon Jacques court à son secours (...).» 46<br />

Pour traiter ce type de contre-exemp<strong>le</strong>, E. W. Hinrichs et B. Partee 47 ont proposé de<br />

modifier non pas la règ<strong>le</strong> R2, mais R1, en postulant que tout événement crée un<br />

nouveau moment de référence qui <strong>le</strong> suit immédiatement. La règ<strong>le</strong> R2 impose alors à<br />

l'état (présenté à l'imparfait) de recouvrir ce nouveau moment de référence, la question<br />

de savoir s'il recouvre aussi <strong>le</strong> moment de l'événement étant déterminée par <strong>le</strong>s<br />

connaissances du monde. On a pu objecter qu'une tel<strong>le</strong> solution ne permet pas de rendre<br />

compte d'une séquence comme :<br />

38) «Oui», dit-il. Sa voix trahissait l'impatience 48<br />

car on ne voit pas comment la situation décrite par la seconde phrase pourrait être<br />

postérieure à l'événement exprimé par la première 49 .<br />

43 Cf. A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990) p. 66 sq.<br />

44 H. Kamp et Ch. Rohrer (1983), p. 258.<br />

45 A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990) p. 26, exemp<strong>le</strong> adapté de E. W. Hinrichs (1981).<br />

46 Voltaire, Candide (ed. 1979), chap. 5, cité par O. Ducrot (1979) et repris par A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990).<br />

47 Cf. E. W. Hinrichs (1981), (1986), B. Partee (1984).<br />

48 Exemp<strong>le</strong> de A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 69.<br />

16


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

c) Cette dernière solution se heurte, en outre, à un autre type de contre-exemp<strong>le</strong> à la<br />

règ<strong>le</strong> R2, signalé par A. Mo<strong>le</strong>ndijk, et qui a une structure chronologique exactement<br />

inverse de cel<strong>le</strong> des exemp<strong>le</strong>s 36) et 37) :<br />

39) Il attrapa une contravention : il roulait trop vite 50 .<br />

d) Mais la critique la plus radica<strong>le</strong> que l'on puisse adresser à la règ<strong>le</strong> R2 tient à ce que<br />

l'imparfait ne marque pas nécessairement l'aspect inaccompli, mais peut aussi prendre<br />

des va<strong>le</strong>urs perfectives 51 (aoristiques), et exprimer alors des événements successifs,<br />

comme <strong>le</strong> passé simp<strong>le</strong> :<br />

40) «Presque aussitôt, Rou<strong>le</strong>tabil<strong>le</strong> <strong>le</strong> rejoignait <strong>dans</strong> <strong>le</strong> bureau, lui tendait une main un peu<br />

fiévreuse, s'assurait lui-même de la fermeture des portes et lui demandait affectueusement ce<br />

qui l'amenait.» 52<br />

Devant une tel<strong>le</strong> prolifération de contre-exemp<strong>le</strong>s, certains auteurs 53<br />

renoncent actuel<strong>le</strong>ment à formu<strong>le</strong>r quelque règ<strong>le</strong> de grammaire que ce soit concernant<br />

<strong>le</strong>s relations chronologiques <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>, considérant que ces relations sont<br />

déterminées exclusivement par des principes discursifs 54 qui s'appuient sur des<br />

connaissances du monde. A. Lascarides et N. Asher admettent ainsi que <strong>le</strong>s relations<br />

chronologiques entre <strong>le</strong>s événements (la distinction états/événements n'est plus faite)<br />

sont déterminées par <strong>le</strong>s relations discursives entre propositions. Par exemp<strong>le</strong>, la<br />

relation «Narration» implique la succession des événements, alors que la relation<br />

«Background» impose que <strong>le</strong> second événement recouvre <strong>le</strong> premier (pour lui servir<br />

d'arrière-plan). Toute la difficulté est alors d'identifier ces relations discursives, sans,<br />

bien évidemment, prendre appui sur <strong>le</strong>s relations chronologiques. Pour stimulantes que<br />

ces propositions puissent apparaître, el<strong>le</strong>s ne semb<strong>le</strong>nt cependant, <strong>dans</strong> la perspective de<br />

49 Cf. B. Combettes, J. Francois, C. Noyau et C. Vet (1994), §2.1.3. Cf. aussi K. Eber<strong>le</strong> (1991), pp. 319-<br />

320.<br />

50 Exemp<strong>le</strong> de A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 69.<br />

51 Cf. L. Tasmowski-De Ryck (1985), A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1985).<br />

52 G. Leroux, Rou<strong>le</strong>tabil<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s bohémiens (ed. 1988), p. 232. Cf. ch. 6, §3.3.<br />

53 Cf. A. Lascarides et N. Asher (1992), N. Asher et M. Bras (1992).<br />

54 Ces principes sont directement inspirés de la «théorie des structures rhétoriques» (RST) de W. C. Mann<br />

et S. A. Thompson (1986) et (1988). Kamp avait lui-même évoqué la possibilité de prendre en compte<br />

ce type de relations discursives, sans pour autant renoncer à un traitement linguistique de l'anaphore<br />

temporel<strong>le</strong> (cf. M. Bras 1990, pp. 144-145).<br />

17


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

l'analyse automatique des <strong>texte</strong>s, guère plus satisfaisantes que cel<strong>le</strong>s de Kamp,<br />

simp<strong>le</strong>ment parce que se trouve substituée à une théorie falsifiab<strong>le</strong> qui a été réfutée une<br />

analyse simp<strong>le</strong>ment non falsifiab<strong>le</strong> : il ne paraît pas qu'on soit, aujourd'hui, en mesure<br />

de calcu<strong>le</strong>r autrement que de façon très approximative, ces relations discursives 55 .<br />

Nous proposons un tout autre modè<strong>le</strong> explicatif de ces phénomènes, qui<br />

s'inscrit <strong>dans</strong> la perspective de l'anaphore temporel<strong>le</strong>, mais qui récuse l'hypothèse des<br />

temps comme anaphores. Pour nous, <strong>le</strong>s temps verbaux, qui peuvent prendre diverses<br />

va<strong>le</strong>urs aspectuel<strong>le</strong>s et temporel<strong>le</strong>s en con<strong>texte</strong> 56 , ne sauraient, de ce fait, servir<br />

directement de point d'appui à la formulation de règ<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s relations temporel<strong>le</strong>s<br />

interphrastiques. Il nous paraît, en revanche, possib<strong>le</strong> d'associer de tel<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s aux<br />

<strong>interval<strong>le</strong>s</strong> eux-mêmes, qui se trouvent donc considérés comme des entités linguisticocognitives<br />

douées de propriétés spécifiques. On posera ainsi que :<br />

1) l'interval<strong>le</strong> de référence [I,II] est sémantiquement non-autonome, qu'il entretient<br />

donc nécessairement une relation anaphorique avec un autre interval<strong>le</strong> du con<strong>texte</strong>, et<br />

que cette relation implique (à l'instar des pronoms personnels <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre de<br />

l'anaphore nomina<strong>le</strong>, par exemp<strong>le</strong>) une relation référentiel<strong>le</strong> d'identité (de coréférence)<br />

avec l'interval<strong>le</strong> qui <strong>le</strong> lie – cette relation d'identité se traduit par la coïncidence<br />

nécessaire des deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> (laquel<strong>le</strong> exprime la co-appartenance à une même vue<br />

des procès qui entrent <strong>dans</strong> <strong>le</strong> champ de ces <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>; cf. ch.3, §5);<br />

2) l'interval<strong>le</strong> du procès [B1,B2] n'est pas anaphorique, mais il peut, <strong>dans</strong> certains<br />

con<strong>texte</strong>s, entretenir une relation référentiel<strong>le</strong> (coréférence, partie-tout, coappartenance<br />

à un même tout ...) avec d'autres <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de procès.<br />

Nous devons maintenant préciser <strong>dans</strong> quel<strong>le</strong>s conditions ces relations<br />

s'établissent, de façon à proposer une analyse prédictive de la chronologie <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>.<br />

Cette approche n'exclut nul<strong>le</strong>ment la prise en compte de contraintes pragmaticoréférentiel<strong>le</strong>s,<br />

simp<strong>le</strong>ment ces phénomènes sont modélisés sous la forme de conflits<br />

auxquels sont associés des modes de résolution réguliers.<br />

55 Ces principes sont essentiel<strong>le</strong>ment utilisab<strong>le</strong>s pour la génération automatique de <strong>texte</strong>s; cf. E. H. Hovy<br />

(1993).<br />

Une autre solution, appliquée, jusqu'à présent, à l'anglais, consiste à articu<strong>le</strong>r l'ensemb<strong>le</strong> des ces<br />

contraintes linguistiques et pragmatico-référentiel<strong>le</strong>s au sein d'une architecture calculatoire comp<strong>le</strong>xe,<br />

pour n'appliquer <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s grammatica<strong>le</strong>s (R1, R2) que lorsqu'aucune autre contrainte ne s'y oppose;<br />

cf. A. Shopf (1991) et la présentation critique par J. François <strong>dans</strong> B. Combettes, J. Francois, C.<br />

Noyau et C. Vet (1994).<br />

56 Ce point, esquissé au ch. 1, sera développé au ch. 6, §2.<br />

18


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

3 La dépendance contextuel<strong>le</strong> de l'interval<strong>le</strong> de référence<br />

3.1 <strong>Les</strong> principes<br />

La non-autonomie sémantique de l'interval<strong>le</strong> de référence implique sa dépendance<br />

contextuel<strong>le</strong> à l'égard d'un autre interval<strong>le</strong> du con<strong>texte</strong> intra- ou extra-phrastique. Pour<br />

rendre possib<strong>le</strong> <strong>le</strong> calcul de cette relation anaphorique, il convient de préciser quel<strong>le</strong>s<br />

conditions sont imposées à l'interval<strong>le</strong> qui va servir d'«antécédent» à l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence. On posera <strong>le</strong>s contraintes suivantes :<br />

A) Principe de coïncidence : l'interval<strong>le</strong> antécédent (appelons-<strong>le</strong> [a1,a2]) doit coréférer<br />

avec l'interval<strong>le</strong> de référence; ce qui revient à dire qu'ils doivent coïncider exactement :<br />

[I,II] CO [a1,a2].<br />

B) Principe de saillance relative : parmi l'ensemb<strong>le</strong> des antécédents virtuels, on choisit<br />

de préférence <strong>le</strong> plus saillant. Cette saillance est déterminée, outre par <strong>le</strong>s propriétés<br />

intrinsèques des <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> (voir, en particulier, <strong>le</strong>s degrés de saillance des bornes des<br />

procès, au ch. 2, §3), par <strong>le</strong>s relations de proximité relative entre <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>.<br />

C) Principe de constitution de chaînes : si plusieurs <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de référence (non<br />

autonomes) sont mutuel<strong>le</strong>ment compatib<strong>le</strong>s (au sens où rien ne s'oppose à ce qu'ils<br />

coïncident) et constituent entre eux <strong>le</strong>urs propres antécédents <strong>le</strong>s plus saillants (<strong>le</strong>s plus<br />

proches), ils forment une chaîne anaphorique (qui doit norma<strong>le</strong>ment se trouver saturée<br />

par un interval<strong>le</strong> autonome).<br />

La première contrainte requiert qu'aucune instruction d'ordre aspectuel ou temporel ne<br />

vienne contrarier la coïncidence des deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>. La seconde exige une définition<br />

précise, pour l'interval<strong>le</strong> de référence, des relations de proximité relative qui guident la<br />

recherche d'un antécédent :<br />

Relations de proximité relative (présentées selon l'ordre suivi par la recherche de<br />

l'antécédent, étant admis que cel<strong>le</strong>-ci prend fin dès qu'un antécédent compatib<strong>le</strong> a été<br />

trouvé) 57 :<br />

57 Ces principes, ainsi formulés, ne prétendent pas directement à la vraisemblance cognitive, <strong>dans</strong> la<br />

mesure où la recherche de l'antécédent d'une expression anaphorique par un sujet s'effectue <strong>dans</strong> la<br />

19


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

1) Proximité maxima<strong>le</strong> : à l'intérieur même du prédicat : l'interval<strong>le</strong> du procès; on<br />

note, à cet égard, qu'un procès intrinsèquement borné ([Bi1,Bi2]) constitue un meil<strong>le</strong>ur<br />

candidat pour <strong>le</strong> liage de l'interval<strong>le</strong> de référence qu'un procès dont <strong>le</strong>s bornes sont<br />

seu<strong>le</strong>ment extrinsèques ([Be1,Be2]), précisément parce qu'el<strong>le</strong>s présentent un moindre<br />

degré de saillance 58 .<br />

2) A l'intérieur de la proposition : un interval<strong>le</strong> circonstanciel.<br />

3) A l'intérieur de la phrase, mais éventuel<strong>le</strong>ment hors de la proposition : l'interval<strong>le</strong> de<br />

l'énonciation et/ou l'interval<strong>le</strong> de référence d'une autre proposition qui <strong>le</strong> précède <strong>dans</strong><br />

l'ordre linéaire.<br />

4) A l'intérieur du paragraphe, mais hors de la phrase : l'interval<strong>le</strong> de référence d'une<br />

phrase précédente; la recherche de l'antécédent se conduit de la phrase la plus proche<br />

vers la plus éloignée; en revanche, pour une même phrase précédente, il ne paraît pas y<br />

avoir de priorité entre l'interval<strong>le</strong> de référence de la principa<strong>le</strong> et celui d'une<br />

subordonnée.<br />

5) A l'intérieur du paragraphe, mais éventuel<strong>le</strong>ment hors de la phrase : l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence d'une proposition suivante, appartenant ou non à la même phrase (de la plus<br />

proche vers la plus éloignée).<br />

6) A l'intérieur du chapitre, mais hors du paragraphe : l'interval<strong>le</strong> de référence d'une<br />

phrase précédente (de la plus proche vers la plus éloignée).<br />

7) A l'intérieur du chapitre, mais hors du paragraphe : l'interval<strong>le</strong> de référence d'une<br />

phrase suivante (de la plus proche vers la plus éloignée).<br />

Illustrons <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s conséquences de ces principes (on laisse pour plus<br />

loin <strong>le</strong>s contre-exemp<strong>le</strong>s, qui seront traités comme des cas de conflit) :<br />

i) Si <strong>le</strong> procès est présenté sous un aspect aoristique, <strong>le</strong>s bornes de l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence et cel<strong>le</strong>s du procès coïncident exactement, l'interval<strong>le</strong> du procès constitue<br />

donc l'antécédent «naturel» de l'interval<strong>le</strong> de référence, qui se trouve immédiatement<br />

saturé. C'est pourquoi <strong>le</strong>s temps verbaux aoristiques paraissent autonomes (non<br />

anaphoriques). C'est uniquement avec <strong>le</strong>s autres aspects, qui impliquent la disjonction<br />

des deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>, que la recherche peut et doit être poursuivie.<br />

mémoire et non pas directement sur <strong>le</strong> <strong>texte</strong> lui-même (cf. G. Tiberghien (1988), p. 147, et M. Ariel<br />

(1990)). Mais ils s'avèrent efficaces du point de vue calculatoire.<br />

58 Cf. ch. 2, §3.<br />

20


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

j) Un circonstanciel de localisation temporel<strong>le</strong> suffit à saturer un interval<strong>le</strong> de référence<br />

disjoint de celui du procès. Comparons :<br />

41a) Il p<strong>le</strong>uvait<br />

41b) Mardi dernier, il p<strong>le</strong>uvait.<br />

A la différence de 41a) qui n'est pas énonçab<strong>le</strong> tel quel, 41b) est parfaitement acceptab<strong>le</strong><br />

(autonome); mais, comme l'a noté O. Ducrot 59 , l'imparfait vient, <strong>dans</strong> ce cas, qualifier<br />

l'interval<strong>le</strong> circonstanciel <strong>dans</strong> sa totalité, puisque l'interval<strong>le</strong> de référence, inclus <strong>dans</strong><br />

celui du procès (aspect inaccompli) doit coïncider avec l'interval<strong>le</strong> circonstanciel qui lui<br />

sert d'antécédent. Ce phénomène est illustré par <strong>le</strong> contraste :<br />

42a) Mardi dernier, il a plu, puis il a fait so<strong>le</strong>il<br />

42b) Mardi dernier, il p<strong>le</strong>uvait, puis il faisait so<strong>le</strong>il.<br />

Seul 42b) implique l'itération de successions d'occurrences de pluie et de so<strong>le</strong>il :<br />

puisqu'aucun des deux procès ne peut, par l'intermédiaire de son interval<strong>le</strong> de référence,<br />

venir qualifier l'interval<strong>le</strong> antécédent (circonstanciel) <strong>dans</strong> sa totalité, un conflit se<br />

produit, qui se trouve résolu par la constitution d'une série itérative [Bs1,Bs2], et donc<br />

d'un nouvel interval<strong>le</strong> de référence [Is,IIs] qui va pouvoir coïncider avec l'interval<strong>le</strong><br />

circonstanciel, <strong>dans</strong> une représentation du type :<br />

fig. 4<br />

ct1<br />

Bs1/Is<br />

I II/I' II'<br />

... B1 B2/B'1 B'2 ...<br />

ct2<br />

IIs/Bs2<br />

01/02<br />

pluie<br />

so<strong>le</strong>il<br />

k) Au présent inaccompli, c'est généra<strong>le</strong>ment l'interval<strong>le</strong> de l'énonciation qui sert<br />

d'antécédent à l'interval<strong>le</strong> de référence, quel<strong>le</strong> que soit par ail<strong>le</strong>urs la durée du procès<br />

lui-même : [I,II] CO [01,02] et [B1,B2] RE [I,II]; sauf en présence d'un circonstanciel<br />

de localisation temporel<strong>le</strong> détaché, puisque, <strong>dans</strong> ce cas, c'est l'interval<strong>le</strong> circonstanciel<br />

qui vient naturel<strong>le</strong>ment saturer l'interval<strong>le</strong> de référence. De sorte qu'en énonçant<br />

43) Cette semaine, je me repose<br />

59 Cf. O. Ducrot (1979).<br />

21


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

j'indique que <strong>le</strong> procès s'étend, au moins sur la totalité de la semaine, et ne concerne pas<br />

seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> moment de l'énonciation; d'où l'inacceptabilité de<br />

44) * Cette semaine, je me repose depuis deux heures.<br />

l) Si l'interval<strong>le</strong> de référence d'une subordonnée n'est lié ni par <strong>le</strong> procès, ni par un<br />

circonstanciel, et s'il est compatib<strong>le</strong> avec l'interval<strong>le</strong> de référence de la principa<strong>le</strong> (au<br />

sens où <strong>le</strong>s temps verbaux utilisés n'excluent pas la simultanéité), il lui est coïndexé, de<br />

sorte que – si l'on excepte <strong>le</strong>s temps composés – <strong>le</strong>s deux procès sont simultanés :<br />

45a) Luc croyait que Jean était malade<br />

45b) Luc a rapporté un chien qui était malade 60<br />

mais la présence d'un circonstanciel de localisation temporel<strong>le</strong> <strong>dans</strong> la subordonnée,<br />

peut, là encore, suspendre cette relation :<br />

46a) Hier, Luc croyait que, samedi, Jean était malade<br />

46b) Hier, Luc a rapporté un chien qui était malade samedi.<br />

m) Lorsque l'interval<strong>le</strong> de l'énonciation et l'interval<strong>le</strong> de référence de la principa<strong>le</strong><br />

constituent tous deux des antécédents possib<strong>le</strong>s pour l'interval<strong>le</strong> de référence (non<br />

encore saturé) d'une subordonnée, ces deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> (entre <strong>le</strong>squels il n'y a aucune<br />

priorité, au moins <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas des complétives 61 ) s'associent pour n'en plus faire qu'un<br />

seul, qui prend pour limites <strong>le</strong>s deux bornes <strong>le</strong>s plus éloignées l'une de l'autre de ces<br />

deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>, si bien qu'un énoncé comme<br />

47) Samedi, Luc savait (déjà) que Marie est malade<br />

demande de construire une représentation où <strong>le</strong>s bornes de l'interval<strong>le</strong> de référence de la<br />

subordonnée [I',II'] coïncident respectivement avec la borne initia<strong>le</strong> de l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence de la principa<strong>le</strong> et avec la borne fina<strong>le</strong> de l'interval<strong>le</strong> de l'énonciation (ce qui<br />

implique que la maladie de Marie a duré au moins depuis samedi jusqu'à maintenant) :<br />

60 On verra au ch. 6, §4, qu'il y a cependant des différences entre ces deux types de structures (complétive<br />

et relative).<br />

61 <strong>Les</strong> phénomènes sont un peu différents avec <strong>le</strong>s relatives, cf. ch. 6, §4.<br />

22


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

fig.5<br />

Marie être malade<br />

B'1/I'<br />

ct1<br />

B1/I<br />

ct2<br />

II/B2<br />

II'/B'2<br />

01/02<br />

Luc savoir que P<br />

n) Quand l'interval<strong>le</strong> de référence doit (et peut) trouver son antécédent <strong>dans</strong> une phrase<br />

précédente, ce dernier peut appartenir aussi bien à une principa<strong>le</strong> qu'à une subordonnée.<br />

Ce sont des considérations sur la structure thématique et sur la construction de la<br />

référence qui permettent de trancher 62 :<br />

48a) Luc i raconta qu'un jour, Jean avait brisé l'aquarium. Il i en riait encore.<br />

[I,II]<br />

[I,II]<br />

48b) Luc raconta qu'un jour, Jean i avait brisé l'aquarium. Il i était maladroit.<br />

[I,II]<br />

[I,II]<br />

o) L'interval<strong>le</strong> de référence de la principa<strong>le</strong> n'est pas nécessairement lié par celui d'une<br />

subordonnée appartenant à la même phrase (en particulier lorsque cel<strong>le</strong>-ci <strong>le</strong> suit <strong>dans</strong><br />

l'ordre linéaire), même s'ils sont tota<strong>le</strong>ment compatib<strong>le</strong>s. Il est, <strong>dans</strong> ce cas,<br />

prioritairement saturé par un interval<strong>le</strong> de référence situé <strong>dans</strong> une phrase précédente :<br />

49) A 8 heures, Jean est entré. Luc regardait <strong>le</strong> livre que tu as acheté mardi.<br />

[I,II]<br />

[I,II]<br />

p) <strong>Les</strong> relations de proximité relative (4) à (7), associées aux principes A, B et C,<br />

régissent <strong>le</strong> fonctionnement de l'interval<strong>le</strong> de référence <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong> (lorsque celui-ci<br />

n'est pas saturé <strong>dans</strong> la phrase). Reste que <strong>le</strong>urs effets ne sont pas toujours<br />

immédiatement perceptib<strong>le</strong>s au plan de la chronologie entre procès, car, <strong>dans</strong> la mesure<br />

où ces procès ne sont pas accessib<strong>le</strong>s à partir de l'interval<strong>le</strong> de référence (ils sont<br />

62 Comme <strong>le</strong>s deux exemp<strong>le</strong>s (48a) et (48b) l'indiquent, il est nécessaire, pour établir cette relation entre<br />

<strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de référence que <strong>le</strong>s relations d'anaphore nomina<strong>le</strong> et pronomina<strong>le</strong> soient préalab<strong>le</strong>ment<br />

résolues.<br />

23


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

exprimés sous un aspect non aoristique), il arrive fréquemment qu'ils recouvrent aussi<br />

bien ceux des phrases suivantes que ceux des phrases précédentes, comme <strong>dans</strong> la<br />

séquence :<br />

50) Luc sortit. Il p<strong>le</strong>uvait. Il héla un taxi.<br />

où <strong>le</strong> procès à l'imparfait recouvre vraisemblab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s deux procès au passé simp<strong>le</strong>,<br />

selon une configuration du type :<br />

fig.6<br />

1<br />

2<br />

3<br />

B1<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B2<br />

C'est donc uniquement lorsque <strong>le</strong>s limites du procès inaccompli viennent s'interca<strong>le</strong>r<br />

entre <strong>le</strong>s procès aoristiques environnants que la validité des règ<strong>le</strong>s (4) à (7) devient<br />

manifeste. Deux exemp<strong>le</strong>s :<br />

51) Luc entra. Il avait froid. La cha<strong>le</strong>ur l'envahit immédiatement.<br />

[I,II] [I,II]<br />

Le liage de l'interval<strong>le</strong> de référence s'établit selon la relation de proximité n°4, comme<br />

l'indique <strong>le</strong> chronogramme correspondant :<br />

fig.7<br />

1<br />

2<br />

3<br />

B1<br />

B1/B2<br />

B2<br />

B1/B2<br />

52) «Chapitre IV<br />

LE PLAN DE CHASSE<br />

A la lisière de la futaie, Langdon et Bruce étaient assis la pipe aux lèvres après dîner,<br />

<strong>le</strong>s pieds aux tisons rougeoyants d'un feu à demi mort.<br />

24


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

L'air du soir fraîchit brusquement et Bruce se <strong>le</strong>va pour jeter une brassée de branches<br />

sèches et de bûches sur <strong>le</strong>s brandons.» 63<br />

... L. et B. étaient assis ... l'air fraîchit ... B. se <strong>le</strong>va ...<br />

[I,II]<br />

[I,II]<br />

L'interval<strong>le</strong> de référence de la première phrase trouve son antécédent <strong>dans</strong> <strong>le</strong> paragraphe<br />

suivant, selon la relation de proximité n°7. D'où <strong>le</strong> chronogramme :<br />

fig.8<br />

1<br />

2<br />

3<br />

B1<br />

B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

q) La constitution de chaînes anaphoriques entre <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de référence qui coïncident<br />

est omniprésente <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s <strong>texte</strong>s narratifs, et sert à exprimer <strong>le</strong> décor d'une scène. <strong>Les</strong><br />

procès ainsi présentés comme co-appartenant à une même vue peuvent avoir des<br />

extensions extrêmement variab<strong>le</strong>s (de la propriété nécessaire au procès ponctuel dilaté),<br />

mais ils sont tous saisis au même moment :<br />

53) «En 1479, <strong>le</strong> jour de la Toussaint, au moment où cette histoire commença, <strong>le</strong>s vêpres<br />

finissaient à la cathédra<strong>le</strong> de Tours. L'archevêque Hélie de Bourdeil<strong>le</strong>s se <strong>le</strong>vait de son siège<br />

pour donner lui-même la bénédiction aux fidè<strong>le</strong>s. (...) l'obscurité la plus profonde régnait <strong>dans</strong><br />

certaines parties de cette bel<strong>le</strong> église dont <strong>le</strong>s deux tours n'étaient pas encore achevées.<br />

Cependant bon nombre de cierges brûlaient en l'honneur des saints (...). <strong>Les</strong> luminaires de<br />

chaque autel et tous <strong>le</strong>s candélabres du choeur étaient allumés. Inéga<strong>le</strong>ment semées à travers<br />

la forêt de piliers et d'arcades (...), ces masses de lumière éclairaient à peine l'immense<br />

vaisseau, car en projetant <strong>le</strong>s fortes ombres des colonnes à travers <strong>le</strong>s ga<strong>le</strong>ries de l'édifice,<br />

el<strong>le</strong>s y produisaient mil<strong>le</strong> fantaisies que rehaussaient encore <strong>le</strong>s ténèbres <strong>dans</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s<br />

étaient ensevelis <strong>le</strong>s cintres, <strong>le</strong>s voussures et <strong>le</strong>s chapel<strong>le</strong>s latéra<strong>le</strong>s (...).» 64<br />

63 J. O. Curwood, Le grizzly (ed. 1934), p. 35.<br />

64 H. de Balzac, Maître Cornélius (ed. 1950), premières lignes.<br />

25


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

3.2 <strong>Les</strong> conflits<br />

Il semb<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s apparents contre-exemp<strong>le</strong>s aux règ<strong>le</strong>s qui viennent d'être énoncées<br />

résultent <strong>dans</strong> presque tous <strong>le</strong>s cas de conflits entre <strong>le</strong>s principes de structuration<br />

aspectuo-temporel<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s contraintes qui guident la construction pragmaticoréférentiel<strong>le</strong><br />

de la situation dénotée :<br />

A) Le premier type de contre-exemp<strong>le</strong> ne provient cependant pas d'un conflit, mais il est<br />

lié à une forme syntactico-énonciative particulière : une réponse, rapportée au sty<strong>le</strong><br />

indirect, à une question préalab<strong>le</strong>ment formulée <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>. Il arrive fréquemment, en<br />

effet, que l'interval<strong>le</strong> de référence de la subordonnée (exprimant la réponse) se trouve lié<br />

non par celui de la principa<strong>le</strong>, mais par celui de la proposition exprimant <strong>le</strong> contenu de<br />

la question :<br />

54) Albertine arriva à l'hôtel vers minuit. Marcel ne dormait pas encore mais n'avait pas envie de<br />

la voir. Lorsque <strong>le</strong> matin Albertine voulut savoir pourquoi il n'avait pas ouvert il dit qu'il était<br />

très fatigué et qu'il avait pris un somnifère (...). 65<br />

Cette mise en relation des deux subordonnées, dont l'une répond à l'autre, n'est pas pour<br />

surprendre; el<strong>le</strong> vient même pallier l'absence, en français, d'un temps verbal marquant à<br />

la fois l'antériorité, comme temps relatif, et l'aspect inaccompli 66 : la va<strong>le</strong>ur d'antériorité<br />

se réalise ici au moyen de la liaison anaphorique entre l'interval<strong>le</strong> de référence de la<br />

subordonnée à l'imparfait avec celui de la subordonnée au plus-que-parfait à va<strong>le</strong>ur<br />

d'antérieur, qui a, <strong>dans</strong> ce con<strong>texte</strong>, un degré de saillance plus é<strong>le</strong>vé.<br />

B) Quand aucun interval<strong>le</strong> ne paraît disponib<strong>le</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> con<strong>texte</strong> pour servir d'antécédent<br />

à l'interval<strong>le</strong> de référence d'un procès présenté à l'imparfait inaccompli, <strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>cteur/auditeur peut encore, <strong>dans</strong> certains cas, suppléer à cette absence soit en<br />

rattachant l'interval<strong>le</strong> de référence non saturé à l'interval<strong>le</strong> d'énonciation d'un énoncé<br />

précédent rapporté au sty<strong>le</strong> direct :<br />

55) «– Puis-je voir une malade qui se trouve <strong>dans</strong> la chambre n°14 ?<br />

65 Exemp<strong>le</strong> de Ch. Rohrer (1985).<br />

66 On remarque ainsi que la transposition au passé de deux énoncés comme il croit qu'il est malade et il<br />

croit qu'il était malade ne peut donner lieu qu'à un seul type de forme (si l'on veut conserver la même<br />

va<strong>le</strong>ur aspectuel<strong>le</strong>) : il croyait qu'il était malade (où l'antériorité ne peut plus être explicitement<br />

marquée, sinon par l'adjonction d'un circonstanciel).<br />

26


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

C'était Fandor qui s'adressait à une infirmière qui passait.» 67<br />

soit en <strong>le</strong> rapportant à la période qui correspond à l'existence de l'entité dénotée par <strong>le</strong><br />

SN sujet, de tel<strong>le</strong> sorte que <strong>le</strong> procès ainsi exprimé sert à caractériser cette entité en en<br />

décrivant des propriétés stab<strong>le</strong>s 68 :<br />

56a) Napoléon était un tyran.<br />

Il est vrai qu'il paraît diffici<strong>le</strong> de considérer que l'imparfait marque l'aspect inaccompli<br />

<strong>dans</strong> ce type d'exemp<strong>le</strong>, car on ne voit pas, du point de vue référentiel, comment <strong>le</strong><br />

procès pourrait s'étendre au-delà des bornes de l'existence de l'entité mentionnée 69 ,<br />

pourtant l'application des tests linguistiques confirme bien que <strong>le</strong>s bornes du procès ne<br />

sont pas accessib<strong>le</strong>s à partir de l'interval<strong>le</strong> de référence :<br />

56b) * Napoléon était un tyran (pendant) toute sa vie.<br />

Même si la distance entre <strong>le</strong>s deux types de bornes n'est pas perceptib<strong>le</strong> au plan<br />

référentiel, el<strong>le</strong> est linguistiquement pertinente (c'est précisément <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de la relation<br />

«∝» d'exprimer ce type de phénomène : B1 ∝ I < II ∝ B2).<br />

C) Lorsque <strong>le</strong> procès désigné par un verbe conjugué à l'imparfait ne peut<br />

vraisemblab<strong>le</strong>ment occuper toute la durée exprimée par un circonstanciel détaché, qui<br />

doit pourtant coïncider avec l'interval<strong>le</strong> de référence (en vertu du principe de<br />

coïncidence et de la relation de proximité n°2), un conflit se produit, qui peut donner<br />

lieu à trois modes de résolution distincts :<br />

a) L'itération, comme forme de dilatation quantitative (cf. ex. 42b) ci-dessus) :<br />

57) La semaine dernière, Pierre toussait<br />

b) Quand l'itération n'apparaît pas envisageab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> sujet interprétant l'énoncé a recours à<br />

la dilatation qualitative. On désigne au moyen de ce concept <strong>le</strong> processus décrit par O.<br />

Ducrot (1979) selon <strong>le</strong>quel l'événement décrit à l'imparfait vient qualifier la période sur<br />

67 P. Souvestre et M. Allain, Le cercueil vide (ed. 1988), p. 255.<br />

68 Cf. O. Ducrot (1979). Si <strong>le</strong> prédicat verbal n'exprime pas intrinsèquement un état, un conflit se produit,<br />

qui se résout par une interprétation «habituel<strong>le</strong>» (ex. : «Churchill fumait <strong>le</strong> cigare»).<br />

69 A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 18, considère cet emploi de l'imparfait comme perfectif; K. Vetters (1993), p.<br />

22, fait l'hypothèse que l'on a affaire à une va<strong>le</strong>ur intermédiaire entre l'aspect perfectif et l'aspect<br />

imperfectif. Notre relation «∝» exprime précisément cet effet de sens intermédiaire, entre «⊂» et «=»,<br />

cf. ch. 6, §3.3.<br />

27


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

laquel<strong>le</strong> il porte, <strong>dans</strong> sa totalité. <strong>Les</strong> premières pages du chapitre I du livre III de la<br />

première partie des Misérab<strong>le</strong>s en fournissent une série d'exemp<strong>le</strong>s remarquab<strong>le</strong> :<br />

58) «L'ANNEE 1817<br />

1817 est l'année que Louis XVIII, avec un certain aplomb royal qui ne manquait pas de<br />

fierté, qualifiait la vingt-deuxième de son règne. C'est l'année où M. Bruguière de Sorsum était<br />

célèbre. (...). La duchesse de Duras lisait à trois ou quatre amis, <strong>dans</strong> son boudoir meublé d'X<br />

en satin b<strong>le</strong>u ciel, Ourika inédite. On grattait <strong>le</strong>s N au Louvre. Le pont d'Austerlitz abdiquait et<br />

s'intitulait pont du Jardin du roi (...). L'académie française donnait pour sujet de prix : Le<br />

bonheur que procure l'étude. (...). L'Institut laissait rayer de sa liste l'académicien Napoléon<br />

Bonaparte. Une ordonnance roya<strong>le</strong> érigeait Angoulème en éco<strong>le</strong> de marine, car, <strong>le</strong> duc<br />

d'Angoulème étant grand amiral, il était évident que la vil<strong>le</strong> d'Angoulème avait de droit toutes<br />

<strong>le</strong>s qualités d'un port de mer (...). Au terre-p<strong>le</strong>in du Pont-neuf, on sculptait <strong>le</strong> mot Redivivus<br />

sur <strong>le</strong> piédestal qui attendait la statue d'Henri IV. M. Piet ébauchait, rue Thérèse, n°4, son<br />

conciliabu<strong>le</strong> pour consolider la monarchie. (...) . Le divorce était aboli. (...) Dupuytren et<br />

Récamier se prenaient de querel<strong>le</strong> à l'amphithéâtre de l'éco<strong>le</strong> de médecine et se menaçaient du<br />

poing à propos de la divinité de Jésus-christ. (...).» 70<br />

L'année 1817 se trouve qualifiée, caractérisée comme l'année de l'abolition du divorce,<br />

etc., ce qui suppose que <strong>le</strong>s événements décrits soient jugés pertinents à l'égard de cette<br />

caractérisation globa<strong>le</strong>.<br />

c) Quand aucun des deux modes de dilatation ne paraît disponib<strong>le</strong>, l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence se trouve lié non par <strong>le</strong> circonstanciel détaché, mais par l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence d'une phrase subséquente (<strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur comprend qu'il ne recouvre pas toute la<br />

période désignée par <strong>le</strong> circonstanciel) :<br />

59) «Dans <strong>le</strong>s premiers jours de l'an VIII, au commencement de vendémiaire, ou, pour se<br />

conformer au ca<strong>le</strong>ndrier actuel, vers la fin du mois de septembre 1799, une centaine de<br />

paysans et un assez grand nombre de bourgeois, partis <strong>le</strong> matin de Fougères pour se rendre à<br />

Mayenne, gravissaient la montagne de la pè<strong>le</strong>rine (...). (suit une longue description de la<br />

troupe en marche). Mais au moment où Hulot parvint au faîte de la pè<strong>le</strong>rine, il tourna tout à<br />

coup la tête, comme par instinct, pour inspecter <strong>le</strong>s visages inquiets des réquisitionnaires, et<br />

ne tarda pas à rompre <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce.» 71<br />

70 V. Hugo, <strong>Les</strong> misérab<strong>le</strong>s (ed. 1978), pp. 136-139.<br />

71 H. de Balzac, <strong>Les</strong> chouans (ed. 1964), pp. 5-13.<br />

28


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

60) «Un jour de février, Torarin se rendait en traîneau de Kungshâll à la paroisse de Solberga. Le<br />

crépuscu<strong>le</strong> tombait. La route était entièrement déserte. (...)<br />

Il faut que je te raconte, grim mon chien, dit Torarin, <strong>le</strong>s grandes nouvel<strong>le</strong>s que j'ai<br />

apprises.» 72<br />

Le choix d'un mode de résolution du conflit s'inscrit <strong>dans</strong> une stratégie interprétative du<br />

<strong>le</strong>cteur/auditeur; il arrive même que ce dernier hésite sur la question de savoir s'il y a<br />

conflit ou non, et s'il est bon de convoquer une stratégie de résolution, comme au début<br />

des Aventures de trois russes et de trois anglais de J. Verne :<br />

61) «Le 27 janvier 1854, deux hommes, étendus au pied d'un gigantesque sau<strong>le</strong> p<strong>le</strong>ureur, causaient<br />

en observant avec une extrême attention <strong>le</strong>s eaux du f<strong>le</strong>uve Orange.» 73<br />

où <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur croit avoir affaire à un cas de figure comparab<strong>le</strong> à celui des exemp<strong>le</strong>s 59)<br />

et 60) jusqu'à ce qu'il apprenne, quelques pages plus loin, que <strong>le</strong> procès décrit recouvre<br />

et même excède largement la période dénotée par <strong>le</strong> circonstanciel :<br />

62) «Monsieur Emery, lui répondit <strong>le</strong> chasseur en bon anglais, voici huit jours que nous sommes<br />

au rendez-vous de l'Orange, à la cataracte de Morgheda. Or il y a longtemps que pareil<br />

événement n'est arrivé à un membre de ma famil<strong>le</strong>, de rester huit jours à la même place ! Vous<br />

oubliez que nous sommes des nomades, et que <strong>le</strong>s pieds nous brû<strong>le</strong>nt à demeurer ainsi !» 74<br />

D) Parfois, <strong>le</strong>s deux procès, dont <strong>le</strong>s <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> références respectifs devraient<br />

coïncider, sont sémantiquement incompatib<strong>le</strong>s, au sens où ils ne peuvent être<br />

simultanés, parce que l'un des deux exprime la fin ou <strong>le</strong> début de l'autre (par exemp<strong>le</strong><br />

dormir et se réveil<strong>le</strong>r, courir et s'arrêter ...). Il est remarquab<strong>le</strong> que cette incompatibilité<br />

entre procès ne soit pas prise en compte lors de la recherche d'un antécédent pour<br />

l'interval<strong>le</strong> de référence, mais qu'el<strong>le</strong> n'intervienne que <strong>dans</strong> un second temps, obligeant<br />

au glissement de la relation anaphorique vers la phase préparatoire ou, beaucoup plus<br />

diffici<strong>le</strong>ment en français, vers la situation résultante du procès considéré; exemp<strong>le</strong>s :<br />

63a) «Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se <strong>le</strong>va comme surpris de son travail.» 75<br />

63b) Luc se <strong>le</strong>va du lit où il dormait depuis trois heures<br />

72 S. Lagerlöf, <strong>Les</strong> écus de messire Arne (ed. 1989), p.7.<br />

73 J. Verne, Aventures de trois russes et de trois anglais (ed. 1981), p. 9.<br />

74 J. Verne (ed. 1981), p.12.<br />

75 G. Flaubert, Madame Bovary (ed. 1972), I, 1, p. 3.<br />

29


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

63c) Il attrapa une contravention : il roulait trop vite 76<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

[I,II]<br />

64) Marie dormait profondément. Pierre la réveilla bruta<strong>le</strong>ment<br />

[I,II]<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

65) Pierre alluma la lampe. La lumière donnait à la pièce un aire de tristesse désolée 77 .<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

[I,II]<br />

D) Certains conflits liés à la construction de la référence reposent sur <strong>le</strong> principe selon<br />

<strong>le</strong>quel un même individu ne peut se trouver en deux lieux distincts simultanément. Là<br />

encore, la résolution du conflit passe par un glissement de la relation anaphorique vers<br />

la phase préparatoire du procès aoristique :<br />

66) «Arsène Lupin sortit du kiosque où il fumait une cigarette .» 78<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

[I,II]<br />

Le conflit provient ici du fait que sortir exprime un changement de lieu alors que la<br />

relation anaphorique marque la coïncidence temporel<strong>le</strong> des deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de référence<br />

et donc, norma<strong>le</strong>ment, la simultanéité des procès.<br />

F) Une variante du précédent type de conflit résulte de ce qu'un verbe exprime la<br />

rencontre de deux individus qui devraient, selon <strong>le</strong> con<strong>texte</strong>, occuper deux lieux<br />

76 Exemp<strong>le</strong> de A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 69, déjà donné sous <strong>le</strong> n°39.<br />

77 A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 26; exemp<strong>le</strong> adapté de E. W. Hinrichs (1981), déjà donné sous <strong>le</strong> n°36.<br />

78 M. Leblanc, Le bouchon de cristal (ed. 1986), p. 655.<br />

30


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

distincts au moment même de <strong>le</strong>ur rencontre. La résolution de ce conflit (très rare)<br />

implique, comme précédemment, <strong>le</strong> glissement de la relation anaphorique vers la phase<br />

préparatoire du procès aoristique :<br />

67) «Le jeune et sympathique Jimmy Thesiger dévalait <strong>le</strong> grand escalier du manoir de Chimneys.<br />

Emporté par son élan, il se heurta à Tredwell, l'imposant majordome, qui traversait <strong>le</strong> hall, un<br />

plateau de café à la main.» 79<br />

dévalait heurta traversait<br />

[I,II]<br />

I/II<br />

[I,II]<br />

B1/B2<br />

Le fait que <strong>le</strong>s contraintes d'ordre pragmatico-référentiel ne soient prises en<br />

compte que <strong>dans</strong> un second temps, après que l'antécédent ait été sé<strong>le</strong>ctionné, obligeant<br />

ainsi à des glissements de la relation anaphorique, suscite une hypothèse explicative qui<br />

suppose que <strong>le</strong> problème soit posé en termes de processus cognitifs. Il est généra<strong>le</strong>ment<br />

admis, en effet, que si <strong>le</strong> con<strong>texte</strong> linguistique immédiat est enregistré <strong>dans</strong> la mémoire<br />

de travail (mémoire à court terme), <strong>le</strong>s connaissances de la structure du monde<br />

appartiennent à la mémoire à long terme. Dès lors, comme l'accès à ces deux types de<br />

mémoire est séquentiel, il n'est pas surprenant que <strong>le</strong> choix de l'antécédent s'établisse<br />

exclusivement sur la base des données linguistiques, faisant appel uniquement à la<br />

mémoire de travail, quitte à entrer en conflit, <strong>dans</strong> un second temps, avec <strong>le</strong>s principes<br />

référentiels enregistrés <strong>dans</strong> la mémoire à long terme 80 .<br />

3.3 L'effet de la dépendance contextuel<strong>le</strong> de l'interval<strong>le</strong> de référence sur la va<strong>le</strong>ur<br />

aspectuel<strong>le</strong> de certains temps verbaux<br />

On fait l'hypothèse que, <strong>dans</strong> un grand nombre de structures temporel<strong>le</strong>s (apparemment<br />

très différentes), l'aspect n'est pas directement codé par une instruction liée à un temps<br />

morphologique, mais que ce sont <strong>le</strong>s principes généraux sur la dépendance contextuel<strong>le</strong><br />

de l'interval<strong>le</strong> de référence qui s'appliquent et qui déterminent contextuel<strong>le</strong>ment l'aspect<br />

sous <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> procès est présenté.<br />

79 A. Christie, <strong>Les</strong> sept cadrans (ed. 1990), p.5.<br />

80 Pour une présentation critique des expériences psycholinguistiques sur <strong>le</strong> traitement des relations<br />

anaphoriques, cf. G. Tiberghien (1988).<br />

31


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

On illustre ce mécanisme avec l'exemp<strong>le</strong> du futur simp<strong>le</strong>. Le futur simp<strong>le</strong><br />

marque <strong>le</strong> plus souvent l'aspect aoristique (cf. ch. 1, tab<strong>le</strong>au 1); il est donc directement<br />

compatib<strong>le</strong> (sans itération) avec <strong>le</strong>s circonstanciels [en + durée] et [pendant + durée]. A<br />

la différence du passé simp<strong>le</strong> ou du passé composé, par exemp<strong>le</strong>, il n'est cependant pas<br />

inapte à exprimer l'inaccompli, comme l'indique la compatibilité de ce temps avec la<br />

périphrase verba<strong>le</strong> [être en train de Vinf] et avec <strong>le</strong> circonstanciel [depuis+ durée] :<br />

68a) *Il fut en train de manger<br />

68b) (A ce moment là), il sera en train de manger<br />

69a) *Il mangea depuis un quart d'heure<br />

69b) (A ce moment-là), il mangera depuis un quart d'heure.<br />

Reste que cette va<strong>le</strong>ur aspectuel<strong>le</strong> n'est rendue possib<strong>le</strong> que par la présence d'un<br />

circonstanciel de localisation temporel<strong>le</strong> détaché, et <strong>le</strong> plus souvent ponctuel :<br />

70) Pierre mangera (aoristique)<br />

71) Quand tu entreras, Pierre mangera (aoristique ou inaccompli).<br />

A huit heures<br />

<strong>Les</strong> deux interprétations de l'énoncé 71) correspondent respectivement aux paraphrases :<br />

72a) Quand tu entreras, Pierre se mettra à manger<br />

72b) Quand tu entreras, Pierre sera en train de manger.<br />

Il faut ajouter que la va<strong>le</strong>ur d'inaccompli est largement favorisée par la présence d'un<br />

procès borné de façon extrinsèque :<br />

73a) Quand tu entreras, Pierre mangera une pomme (presque nécessairement aoristique : <strong>le</strong><br />

procès est un accomplissement)<br />

73b) Quand tu entreras, Pierre mangera des pommes (aoristique ou inaccompli : <strong>le</strong> procès<br />

correspond à une activité).<br />

Remarquons enfin que certains con<strong>texte</strong>s interphrastiques rendent aussi possib<strong>le</strong><br />

l'apparition de cette va<strong>le</strong>ur d'inaccompli du futur (sans exiger la présence d'un<br />

circonstanciel), par exemp<strong>le</strong> <strong>dans</strong> un enchaînement du type :<br />

74) Tu ouvriras la porte. Tu entreras sans faire de bruit car Pierre dormira. Tu iras jusqu'au<br />

coffre-fort ...<br />

Ces phénomènes s'expliquent aisément si l'on admet que <strong>le</strong> futur simp<strong>le</strong> ne<br />

code aucune instruction d'ordre aspectuel (il ne contraint nul<strong>le</strong>ment la relation entre<br />

32


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

[I,II] et [B1,B2]), mais que c'est <strong>le</strong> liage de l'interval<strong>le</strong> de référence, guidé par <strong>le</strong>s<br />

principes exposés <strong>dans</strong> la section précédente, qui détermine l'aspect, aoristique ou<br />

inaccompli, sous <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> procès est présenté. On considère que, <strong>dans</strong> la plupart des<br />

cas, l'interval<strong>le</strong> de référence prend celui du procès pour antécédent (selon la relation de<br />

proximité n°1); il est alors contraint de coïncider exactement avec lui, présentant ainsi<br />

une configuration aoristique ([I,II] CO [B1,B2]). L'aspect inaccompli n'apparaît qu'en<br />

présence d'un procès borné de façon extrinsèque et d'un circonstanciel détaché ou d'un<br />

con<strong>texte</strong> interphrastique spécifique comme en 74). <strong>Les</strong> bornes extrinsèques d'un procès<br />

ayant un degré de saillance moindre que des bornes intrinsèques (cf ch. 2, §3), celui-ci<br />

constitue un moins bon antécédent pour l'interval<strong>le</strong> de référence (il ne s'impose plus<br />

avec la même force). Par ail<strong>le</strong>urs, un circonstanciel de localisation temporel<strong>le</strong> détaché<br />

porte sur l'interval<strong>le</strong> de référence. Dans <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s qui nous occupent, <strong>le</strong><br />

circonstanciel est ponctuel (ct1 ∝ ct2) et la relation circonstanciel<strong>le</strong> est une relation de<br />

coïncidence, d'où la formu<strong>le</strong> : I = ct1 ∝ ct2 = II. Dès lors un conflit se produirait<br />

nécessairement avec un procès non ponctuel présenté sous un aspect aoristique<br />

(I = B1 ⊂ B2 = II). Ce conflit peut se trouver résolu soit par un glissement du procès<br />

vers sa phase initia<strong>le</strong> ponctuel<strong>le</strong> (B1 = I = ct1 ∝ ct2 = II = B2; cf. la paraphrase 72a) de<br />

l'exemp<strong>le</strong> 71)), soit par <strong>le</strong> liage de l'interval<strong>le</strong> de référence non plus par <strong>le</strong> procès luimême,<br />

mais par l'interval<strong>le</strong> circonstanciel (relation de proximité n°2); <strong>dans</strong> ce dernier<br />

cas, l'interval<strong>le</strong> du procès reste non ponctuel et recouvre celui de l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence, qui coïncide avec l'interval<strong>le</strong> circonstanciel ponctuel (B1 < I = ct1 ∝ ct2 =<br />

II > B2), de sorte que l'aspect devient inaccompli (paraphrase 72b)).<br />

C'est un phénomène comparab<strong>le</strong> qui se produit <strong>dans</strong> la séquence 74),<br />

quoiqu'il n'ait pas sa source <strong>dans</strong> un conflit du même type : l'interval<strong>le</strong> de référence de<br />

l'énoncé «Pierre dormira» se rattache non pas au procès lui-même, mais à l'interval<strong>le</strong> de<br />

référence de l'énoncé qui précède (relation de proximité n°4), <strong>le</strong>quel présente un procès<br />

ponctuel sous un aspect aoristique («Tu entreras» : B1 = I ∝ II = B2). Comme dormir<br />

désigne un procès non ponctuel, l'aspect sous <strong>le</strong>quel il se trouve présenté est donc<br />

inaccompli (B1 < I ∝ II > B2) :<br />

fig.9<br />

tu entreras<br />

Pierre dormira<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

B1<br />

I/II<br />

B2<br />

coïncidence<br />

33


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

Si, <strong>dans</strong> cet exemp<strong>le</strong>, l'interval<strong>le</strong> de référence ne semb<strong>le</strong> pas pouvoir prendre <strong>le</strong> procès<br />

lui-même pour antécédent, c'est, semb<strong>le</strong>-t-il, essentiel<strong>le</strong>ment pour des raisons de<br />

plausibilité pragmatico-référentiel<strong>le</strong>, car il suffit de modifier quelque peu <strong>le</strong> scénario<br />

pour que l'aspect aoristique (<strong>le</strong> liage de [I,II] par [B1,B2]) redevienne envisageab<strong>le</strong> :<br />

75) Le médecin entrera. Il fera une piqûre à Paul. Celui-ci dormira (s'endormira ou sera en train<br />

de dormir) 81 .<br />

Ce type d'explication des va<strong>le</strong>urs aspectuel<strong>le</strong>s du futur simp<strong>le</strong> s'applique<br />

rigoureusement de la même manière à d'autres temps morphologiques, qui ne paraissent<br />

pas coder directement un aspect particulier, comme <strong>le</strong> conditionnel présent et <strong>le</strong><br />

subjonctif présent employés <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s subordonnées (en particulier <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s complétives),<br />

<strong>le</strong> présent simp<strong>le</strong> lorsqu'il n'exprime pas la va<strong>le</strong>ur temporel<strong>le</strong> absolue de présent (car il<br />

est alors soumis à la contrainte aspectuel<strong>le</strong> sur la simultanéité) ou même à l'imparfait<br />

itératif, puisque, <strong>dans</strong> ce cas, l'aspect inaccompli, marqué par l'imparfait porte sur la<br />

série itérative <strong>dans</strong> son ensemb<strong>le</strong> et non sur chacune des occurrences de procès (cf. ch.<br />

1, §2.1). Tous ces temps sont, en effet, compatib<strong>le</strong>s aussi bien avec des circonstanciels<br />

de durée impliquant l'aspect aoristique (comme [en + durée] et [pendant + durée])<br />

qu'avec [depuis + durée] qui exige l'inaccompli, ce qui prouve, à nos yeux, <strong>le</strong> fait qu'ils<br />

ne codent aucune instruction d'ordre aspectuel. Exemp<strong>le</strong>s :<br />

Conditionnel présent (à va<strong>le</strong>ur temporel<strong>le</strong> d'ultérieur du passé) :<br />

(76a)<br />

(76b)<br />

Luc croyait que Marie marcherait pendant deux heures<br />

Luc croyait que Marie marcherait depuis deux heures (,à ce moment-là).<br />

Subjonctif présent :<br />

77a) Luc voulait que Marie marche pendant deux heures<br />

77b) Luc voulait que Marie marche depuis deux heures (,à ce moment -là).<br />

Présent de narration (historique) :<br />

78a) Le 17 avril 1765, <strong>le</strong> père Jean marche pendant trois heures <strong>dans</strong> <strong>le</strong> désert<br />

78b) Le 17 avril 1765, <strong>le</strong> père Jean marche depuis dix jours <strong>dans</strong> <strong>le</strong> désert.<br />

Présent itératif :<br />

81 L'aspect aoristique peut même s'imposer si la séquence présente un lien causal («Et celui-ci dormira»)<br />

ou une série de changements affectant un même objet («Paul se couchera. Il domira»).<br />

34


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

79a) Tous <strong>le</strong>s vendredis, Luc marche pendant trois heures<br />

79b) Tous <strong>le</strong>s vendredis (quand je <strong>le</strong> rencontre), Luc marche depuis trois heures.<br />

Imparfait itératif :<br />

80a) Tous <strong>le</strong>s Vendredis, Luc marchait pendant trois heures<br />

80b) Tous <strong>le</strong>s Vendredis (quand je <strong>le</strong> rencontrais), Luc marchait depuis trois heures.<br />

En l'absence d'un circonstanciel de localisation temporel<strong>le</strong> détaché, ils expriment tous<br />

prioritairement l'aspect aoristique, alors que la présence d'un tel circonstanciel rend<br />

possib<strong>le</strong> la va<strong>le</strong>ur d'inaccompli (c'est pourquoi nous avons dû introduire ce type de<br />

circonstanciel <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s avec [depuis + durée]) :<br />

81) Luc croyait que, quand il arriverait, Marie mangerait (pph : se mettrait à manger ou serait en<br />

train de manger)<br />

82) Luc voulait qu'au moment où il arriverait, Marie mange (pph : se mette à manger ou soit en<br />

train de manger)<br />

83) Le Lundi 8 mars, quand Pierre arrive, Marie mange (pph : se met à manger ou est en train de<br />

manger)<br />

84) Chaque mercredi, quand Pierre arrive, Marie mange (pph : se met à manger ou est en train de<br />

manger)<br />

85) Chaque mercredi, quand Pierre arrivait, Marie mangeait (pph : se mettait à manger ou était<br />

en train de manger).<br />

Comme <strong>le</strong> futur simp<strong>le</strong>, ces temps peuvent prendre une va<strong>le</strong>ur d'inaccompli lorsque<br />

l'interval<strong>le</strong> de référence trouve son antécédent non <strong>dans</strong> <strong>le</strong> procès lui-même (borné<br />

seu<strong>le</strong>ment de façon extrinsèque), mais <strong>dans</strong> une proposition du con<strong>texte</strong>, qui présente<br />

un procès ponctuel aoristique :<br />

86) Luc entra sans bruit. Il avait cru que Marie dormirait, mais el<strong>le</strong> était réveillée<br />

87) Je suis entré sans bruit. J'avais espéré que Marie dorme, mais el<strong>le</strong> était réveillée<br />

88a) J'entre. Marie dort. Je ne fais donc aucun bruit<br />

88b) «Un officier se lève, d'un geste impatienté ouvre la fenêtre, et fait deux pas sur <strong>le</strong> balcon.<br />

Alors, au-dessous de lui, de toute la place de l'Hôtel-de-Vil<strong>le</strong> bondée de képis, hérissée de<br />

baïonnettes dont <strong>le</strong>s pointes d'acier étincel<strong>le</strong>nt vaguement en trouant <strong>le</strong> brouillard, et<br />

débordent à droite <strong>dans</strong> la rue de Rivoli; en face, <strong>dans</strong> l'avenue Victoria où <strong>le</strong>s arbres<br />

35


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

dépouillés mettent de fantastiques silhouettes; à gauche, sur <strong>le</strong>s quais bourrés de monde<br />

jusqu'aux parapets, un hurrah ironique éclate suivi d'une marée d'insultes.» 82<br />

89) Chaque soir, ils rentre vers minuit. Tout <strong>le</strong> monde dort<br />

90) Chaque soir, il rentrait vers minuit. Tout <strong>le</strong> monde dormait.<br />

Il apparaît donc que, contrairement à ce qui est souvent affirmé, <strong>le</strong> présent<br />

historique n'équivaut pas toujours, du point de vue aspectuel, au passé simp<strong>le</strong> : il<br />

remplit à la fois <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> du passé simp<strong>le</strong> et celui de l'imparfait <strong>dans</strong> la narration. Il<br />

s'apparente, de ce point de vue, aux temps simp<strong>le</strong>s du passé des langues qui ne<br />

connaissent pas l'opposition passé simp<strong>le</strong>/imparfait (comme l'anglais ou l'al<strong>le</strong>mand),<br />

<strong>le</strong>squels peuvent prendre, en fonction du con<strong>texte</strong> et du type de procès, des va<strong>le</strong>urs<br />

d'inaccompli ou d'aoristique.<br />

4 <strong>Les</strong> relations référentiel<strong>le</strong>s entre <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de procès<br />

<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de procès sont sémantiquement autonomes. Ils ne nécessitent donc aucun<br />

lien anaphorique, mais ils entretiennent, <strong>le</strong> plus souvent, des relations référentiel<strong>le</strong>s avec<br />

d'autres procès. Explicitons <strong>le</strong>s conditions <strong>dans</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ces relations sont établies et<br />

quel<strong>le</strong> est <strong>le</strong>ur nature.<br />

Le concept même de grammaire de <strong>texte</strong> repose sur une doub<strong>le</strong> hypothèse :<br />

qu'il soit possib<strong>le</strong> de spécifier des régularités formel<strong>le</strong>s, syntaxiques et/ou sémantiques,<br />

qui assurent la cohésion et la progression du <strong>texte</strong> 83 . Si la progression informative du<br />

<strong>texte</strong> est actuel<strong>le</strong>ment décrite à la fois par <strong>le</strong>s travaux sur la Dynamique<br />

Communicative 84 et, <strong>dans</strong> une certaine mesure, par la Théorie des Structures<br />

Rhétoriques 85 , la cohésion paraît être assurée par <strong>le</strong>s chaînes de référence 86 . L'hypothèse<br />

82 H. Céard, La saignée (ed. 1955), pp. 133-134.<br />

83 Cf. D. Slakta (1975), (1977), (1980).<br />

84 Pour <strong>le</strong> français, cf. D. Slakta (1975), (1977), B. Combettes (1988).<br />

85 Cf. W.C. Mann et S.A. Thompson (1986) et (1988). Pour un modè<strong>le</strong> qui articu<strong>le</strong> différents plans<br />

d'analyse du <strong>texte</strong>, et qui nous paraît, aujourd'hui, <strong>le</strong> plus à même d'en cerner toute la comp<strong>le</strong>xité<br />

d'organisation, cf. M. Charol<strong>le</strong>s (1988).<br />

86 Cf. §2.1.<br />

36


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

avancée ici est que ces chaînes de référence ne concernent pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s objets,<br />

mais aussi <strong>le</strong>s procès (même s'ils sont rarement liés par une relation d'identité), et que<br />

ces relations entre procès contribuent à la construction de la chronologie <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>.<br />

Or, on sait, depuis Aristote, que deux types de visées discursives doivent être<br />

distinguées selon qu'el<strong>le</strong>s privilégient <strong>le</strong>s objets et <strong>le</strong>s individus (<strong>le</strong>s portraits, discours<br />

d'éloge, de blâme, d'accusation, etc., qui relèvent de la rhétorique et de l'éthique) ou <strong>le</strong>s<br />

procès (<strong>le</strong>s discours narratifs, qui constituent l'objet de la poétique 87 ). Pour la<br />

rhétorique, en effet, <strong>le</strong>s actes ne sont que «<strong>le</strong>s indices des habitus» des individus 88 , alors<br />

que, <strong>dans</strong> la narration, <strong>le</strong>s individus (et <strong>le</strong>s objets en général) ne servent que de supports<br />

aux procès. L'adoption de l'une de ces deux perspectives discursives a des effets textuels<br />

immédiats : un segment narratif peut très bien faire l'économie de relations de<br />

coréférence nomina<strong>le</strong>s (voir l'ex. 46) du ch. 3, §5), tandis qu'un segment qui sert à<br />

décrire un objet ou, a fortiori, qui sert à son identification, peut aisément – même s'il se<br />

trouve pris <strong>dans</strong> un <strong>texte</strong> dont la visée globa<strong>le</strong> est de type narratif – se passer de toute<br />

relation référentiel<strong>le</strong> entre procès; c'est, en particulier, <strong>le</strong> cas <strong>dans</strong> certaines relatives<br />

restrictives, comme l'illustre l'exemp<strong>le</strong> proposé par A. Mo<strong>le</strong>ndijk :<br />

91) En 1982, il s'installa <strong>dans</strong> la vil<strong>le</strong> même où Char<strong>le</strong>s Martel arrêta <strong>le</strong>s Arabes. Il y rencontra<br />

son épouse future 89<br />

ou, de façon très développée, <strong>dans</strong> la description du caractère de Monseigneur Myriel,<br />

au chapitre IV du livre I de la première partie des Misérab<strong>le</strong>s, où <strong>le</strong>s procès rapportés<br />

servent d'indices en faveur des habitus du personnage, mais ne sont pas organisés selon<br />

des relations de chronologie relative (ce qui est rendu explicite par l'emploi des<br />

circonstanciels) :<br />

92) «Sa conversation, était affab<strong>le</strong> et gaie. Il se mettait à la portée des deux vieil<strong>le</strong>s femmes qui<br />

passaient <strong>le</strong>ur vie auprès de lui; quand il riait, c'était <strong>le</strong> rire d'un écolier.<br />

(...) Un jour, il se <strong>le</strong>va de son fauteuil et alla à sa bibliothèque chercher un livre. Ce<br />

livre était sur un des rayons d'en haut. Comme l'évêque était d'assez petite tail<strong>le</strong>, il ne put y<br />

atteindre. – Madame Magloire, dit-il, apportez-moi une chaise. Ma Grandeur ne va pas<br />

jusqu'à cette planche. (...)<br />

87 Cf. Aristote, Poétique 50a 15-50b 3, et note 11, pp. 202-204, de l'édition de R. Dupont-Roc et J. Lallot<br />

(1980).<br />

88 Aristote, Rhétorique I, 9, 1367b 31.<br />

89 A. Mo<strong>le</strong>ndijk (1990), p. 251.<br />

37


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

Une autre fois, recevant une <strong>le</strong>ttre de faire part du décès d'un gentilhomme du pays, où<br />

s'étalaient en une longue page, outre <strong>le</strong>s dignités du défunt, toutes <strong>le</strong>s qualifications féoda<strong>le</strong>s et<br />

nobiliaires de tous ses parents : – Quel bon dos a la mort ! s'écria-t-il. Quel<strong>le</strong> admirab<strong>le</strong><br />

charge de titres on lui fait allègrement porter et comme il faut que <strong>le</strong>s hommes aient de l'esprit<br />

pour employer ainsi la tombe à la vanité ! (...)<br />

Un jour, <strong>dans</strong> la cathédra<strong>le</strong>, il fit ce sermon : (etc.).» 90<br />

Puisque l'objet de cette section est de décrire <strong>le</strong>s relations entre procès, l'attention va<br />

porter sur <strong>le</strong>s segments narratifs. Posons <strong>le</strong> principe suivant :<br />

Si deux énoncés appartenant à un même segment narratif se suivent, et si aucun<br />

changement de scène n'est explicitement marqué <strong>dans</strong> <strong>le</strong> second énoncé, <strong>le</strong>s procès<br />

qu'ils expriment entretiennent une relation de co-appartenance à une même scène.<br />

Cette relation se laisse subdiviser en cinq relations distinctes, ayant des effets différents<br />

sur la chronologie relative :<br />

a) la co-appartenance à une même vue<br />

b) la co-appartenance à une même série de changements (au sens défini au ch. 2,<br />

§2.2)<br />

c) l'identité référentiel<strong>le</strong><br />

d) la relation partie-tout<br />

e) la dépendance causa<strong>le</strong>.<br />

1) La co-appartenance à une même vue est marquée par la coïndexation (et donc la<br />

coïncidence) des <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de référence; el<strong>le</strong> implique, avec <strong>le</strong>s aspects aoristique et<br />

inaccompli, la simultanéité des procès. El<strong>le</strong> s'impose (sauf en cas de glissement de la<br />

relation anaphorique) lorsque l'un, au moins, des deux procès est présenté sous un<br />

aspect inaccompli et que son interval<strong>le</strong> de référence doit être lié par celui de l'autre<br />

procès , comme il est indiqué <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s structures suivantes 91 :<br />

90 V. Hugo, <strong>Les</strong> misérab<strong>le</strong>s (ed. 1978), pp. 31-32.<br />

91 <strong>Les</strong> flèches en gras correspondent au liage de l'interval<strong>le</strong> de référence par un autre interval<strong>le</strong>, <strong>le</strong>ur<br />

direction indique <strong>le</strong> sens du mouvement interprétatif (de recherche d'un antécédent coïncident). En<br />

revanche la direction des autres flèches est dictée par la relation el<strong>le</strong>-même; seu<strong>le</strong>s SIMUL et CO sont<br />

symétriques et donc doub<strong>le</strong>ment orientées (sauf, bien sûr, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas précédent). Voir la définition de<br />

ces relations au ch. 1, §1, et à l'entrée «Relations entre <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>» de l'annexe 1.<br />

38


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

93a) Il p<strong>le</strong>uvait. Le vent souflait très fort<br />

[B1,B2] [I,II] [B1,B2] [I,II]<br />

RE<br />

CO<br />

RE<br />

CO<br />

SIMUL (co-appartenance à une vue)<br />

93b) Il p<strong>le</strong>uvait. Pierre écouta des disques<br />

[B1,B2] [I,II] [B1,B2] [I,II]<br />

RE<br />

CO<br />

CO<br />

SIMUL (co-appartenance à une vue)<br />

mais aussi – et <strong>le</strong> phénomène est remarquab<strong>le</strong> car il n'est plus directement prédictib<strong>le</strong> à<br />

partir des principes de dépendance contextuel<strong>le</strong> de l'interval<strong>le</strong> de référence – quand<br />

l'interval<strong>le</strong> de référence du procès inaccompli est saturé par un circonstanciel à<br />

l'intérieur de son propre énoncé :<br />

94) Le mardi 15 janvier, il p<strong>le</strong>uvait. Pierre écouta des disques<br />

[ct1,ct2] [B1,B2] [I,II] [B1,B2] [I,II]<br />

CO<br />

RE<br />

CO<br />

SIMUL (co-appartenance à une vue)<br />

95) «Ce jour-là, toute la caravane, mise sous <strong>le</strong>s ordres de Mokoum, était prête. <strong>Les</strong> Européens<br />

firent <strong>le</strong>urs adieux aux missionnaires de Lattakou (...).» 92<br />

<strong>Les</strong> autres relations vont concerner prioritairement <strong>le</strong>s procès présentés sous l'aspect<br />

aoristique (et sous une même relation temporel<strong>le</strong> absolue).<br />

2) En ce qui concerne <strong>le</strong>s procès aoristiques, la relation de très loin la plus fréquente<br />

consiste en la co-appartenance à une même série de changements. C'est el<strong>le</strong> qui est à<br />

l'origine de l'effet de succession des procès. On a montré au ch. 3, §4, que <strong>le</strong>s séries de<br />

changements sont el<strong>le</strong>s-mêmes liées aux objets qu'el<strong>le</strong>s affectent, de sorte qu'un<br />

changement de thème peut (sans que cela soit nécessaire) entraîner une suspension de la<br />

92 J. Verne, Aventures de trois russes et de trois anglais (ed. 1981), p. 48.<br />

39


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

succession, tout simp<strong>le</strong>ment parce qu'on change de série 93 . Il arrive même, comme <strong>dans</strong><br />

l'exemp<strong>le</strong> 44) du ch. 3, extrait des Misérab<strong>le</strong>s, que plusieurs séries soient développées<br />

successivement au plan de l'ordre linéaire des propositions, mais parallè<strong>le</strong>ment du point<br />

de vue de la chronologie. Soit deux exemp<strong>le</strong>s où ce phénomène est particulièrement<br />

développé :<br />

96) Le chapitre XXI de la première partie d'Ivanohé de W. Scott nous montre divers personnages<br />

qui sont enmenés prisonniers <strong>dans</strong> un château fort. Arrivés au château, ils sont séparés <strong>dans</strong> des<br />

pièces différentes <strong>dans</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ils vont connaître des fortunes diverses. La fin du chapitre<br />

relate ce qui arrive aux deux chefs saxons : «L'endroit où <strong>le</strong>s chefs saxons avaient été relégués<br />

(nous allons d'abord nous occuper d'eux) (...) avait été jadis la grand-sal<strong>le</strong> du château». Il<br />

s'achève avec une sonnerie de cor en provenance de l'extérieur du château : «<strong>Les</strong> prisonniers ne<br />

jouirent pas longtemps en paix des plaisirs d'une bonne chère; ils furent troublés <strong>dans</strong> cette<br />

grave occupation par <strong>le</strong> son d'un cor, qui se fit entendre à la porte du manoir. (...). L'appel<br />

annonçait (..) quelque chose de sérieux, à en juger par l'agitation considérab<strong>le</strong> qui s'ensuivit<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong> château». Le chapitre suivant (XXII) va suivre <strong>le</strong>s aventures (parallè<strong>le</strong>s) d'un autre<br />

prisonnier : «Laissons <strong>le</strong>s chefs saxons (...) pour nous occuper d'Isaac d'York dont la prison<br />

était bien autrement cruel<strong>le</strong>». Il se termine, de même que <strong>le</strong> précédent, avec la sonnerie du cor :<br />

«(...) <strong>le</strong>s Sarrasins avaient déjà dépouillé <strong>le</strong> vieillard de son manteau, et ils allaient lui en<strong>le</strong>ver<br />

<strong>le</strong> reste de ses vêtements, lorsque <strong>le</strong> son d'un cor se fit entendre à la porte du château et<br />

pénétra jusqu'au fond de la prison». Et <strong>le</strong>s deux chapitres XXIII et XXIV, consacrés chacun à<br />

une prisonnière enfermée <strong>dans</strong> une pièce particulière, sont structurés sur <strong>le</strong> même modè<strong>le</strong> et<br />

connaissent un dénouement identique : «Mais ces tentatives d'un nouveau genre furent<br />

interrompues par <strong>le</strong> son rauque et perçant du cor, qui avait alarmé au même instant <strong>le</strong>s autres<br />

commensaux du castel et suspendu l'exécution de <strong>le</strong>urs plans de licence et de cupidité» (ch.<br />

XXIII), «Mais je ne te dévoi<strong>le</strong>rai pas davantage nos mystères. Le son du cor m'annonce<br />

quelque événement qui réclame peut-être ma présence.» (ch. XXIV) 94 .<br />

Aussi pouvons-nous représenter, de façon très schématique, <strong>le</strong> chronogramme associé à<br />

ces quatre chapitres, de la façon suivante :<br />

93 Une étude systématique des types de progressions thématiques/rhématiques en relations aux effets de<br />

succession des procès serait à entreprendre.<br />

94 W. Scott, Ivanohé (ed. 1983), t. I p. 266- t. II p. 23.<br />

40


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

fig.10<br />

arrivée au château<br />

début du chap. XXI<br />

fin chap. XXI<br />

série concernant <strong>le</strong>s chefs saxons<br />

sonnerie du cor<br />

chap. XXII<br />

série concernant Isaac d'York<br />

chap. XXIII<br />

série concernant la première prisonnière<br />

chap. XXIV<br />

série concernant la seconde prisonnière<br />

97) Au chapitre 18 des Sept cadrans d'A. Christie, <strong>le</strong> narrateur annonce explicitement la division<br />

du récit en trois séries de procès distinctes, associées chacune à un personnage. El<strong>le</strong>s vont se<br />

poursuivre parallè<strong>le</strong>ment, mais, contrairement à ce qui se produit <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong> précédent,<br />

el<strong>le</strong>s ne s'interrompent pas toutes au même moment, quoiqu'un même point de repère serve à<br />

indiquer <strong>le</strong>ur simultanéité partiel<strong>le</strong> :<br />

« 18<br />

LES AVENTURES DE JIMMY<br />

Il est nécessaire que notre chronique se divise ici en trois parties bien distinctes. En<br />

effet, la nuit devait se révé<strong>le</strong>r riche d'événements que chacune des trois personnes impliquées<br />

vécut différemment.<br />

Nous commencerons par ce sympathique et très attachant Jimmy Thesiger, au moment<br />

où il échange d'ultimes souhaits de bonne nuit avec son complice, Bill Evers<strong>le</strong>igh (...)<br />

Au loin, une horloge sonna deux heures.<br />

19<br />

LES AVENTURES DE BUNDLE<br />

Bund<strong>le</strong>-la-boulotte ne manquait pas de ressources ... ni d'imagination. (...)<br />

Une horloge sonna deux heures.(...)<br />

Puis rompant de façon sinistre et définitive la tranquillité de la nuit, deux coups de feu<br />

se succédèrent rapidement.<br />

20<br />

LES AVENTURES DE LORRAINE<br />

Lorraine Wade s'assit <strong>dans</strong> son lit et alluma. Il était exactement 1 heure moins 10. (...)<br />

Aussi discrètement que possib<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> se dirigea vers <strong>le</strong>s imposantes bâtisses tapissées<br />

de lierre. Au loin, une horloge sonnait 2 heures. (...)<br />

Une détonation claqua, suivie d'une autre. (...)<br />

41


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

Sur <strong>le</strong> seuil de la porte-fenêtre, Jimmy Thesiger était étendu <strong>dans</strong> ce qui ressemblait à<br />

une mare de sang.» 95<br />

Soit <strong>le</strong> chronogramme simplifié :<br />

fig.11<br />

l'horloge sonne 2h.<br />

chap. 18<br />

2 coups de feu<br />

chap. 19<br />

chap. 20<br />

On a vu aussi (au ch. 3, §4) que, <strong>dans</strong> la narration, chacun des procès était<br />

présenté de façon inchoative, si bien que l'effet de succession concerne en fait<br />

uniquement <strong>le</strong>s début de procès (sauf, bien entendu, avec <strong>le</strong>s procès ponctuels ou avec<br />

ceux auxquels sont associés des circonstanciels de durée qui obligent à considérer la<br />

totalité de <strong>le</strong>ur dérou<strong>le</strong>ment). Ce principe conduit à poser la règ<strong>le</strong> selon laquel<strong>le</strong> la coappartenance<br />

à une série de changements implique, moyennant <strong>le</strong>s restrictions qui<br />

viennent d'être évoquées, la successivité des bornes initia<strong>le</strong>s des procès, soit<br />

[B1,B2] PREC [B'1,B'2]. <strong>Les</strong> relations entre bornes fina<strong>le</strong>s des procès restent<br />

linguistiquement indéterminées, même si des considérations pragmatico-référentiel<strong>le</strong>s<br />

viennent souvent palier cette indétermination (voir <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s 41) et 42) au ch. 3, §4).<br />

Lorsque l'on veut contraindre explicitement et par des moyens linguistiques<br />

l'ordre des procès, y compris celui des bornes fina<strong>le</strong>s, on a recours à des connecteurs<br />

temporels comme puis et alors. Tandis que puis impose que la borne fina<strong>le</strong> du premier<br />

procès précède la borne initia<strong>le</strong> du second, alors indique <strong>le</strong> contraire 96 ) :<br />

98) Pierre regarda l'album de photos. Puis il me parla de son enfance<br />

95 A. Christie, <strong>Les</strong> sept cadrans (ed. 1990), pp. 134-146.<br />

96 Bien évidemment, cette contrainte ne vaut plus lorsque <strong>le</strong> premier procès est ponctuel (ex. : «Pierre<br />

ouvrit la fenêtre. Puis/alors il regarda dehors»). Reste que puis indique que l'on passe d'un<br />

changement à un autre (sur <strong>le</strong> schéma cognitif du changement), tandis qu'alors marque <strong>le</strong> passage d'un<br />

changement à la situation résultante (il exprime la consécution à la fois temporel<strong>le</strong> et causa<strong>le</strong>). D'où <strong>le</strong><br />

contraste :<br />

Pierre ouvrit la fenêtre. Alors il put regarder dehors<br />

* Puis il put regarder dehors.<br />

Sur puis, alors, ensuite, cf. M. Nøjgaard (1992), pp. 251-271, et la présentation critique de cet<br />

ouvrage par V. Lenepveu (1995).<br />

42


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

fig.12<br />

1<br />

B1<br />

B2<br />

2<br />

B1<br />

B2<br />

99) Pierre regarda l'album de photos. Alors, il me parla de son enfance<br />

fig.13<br />

1<br />

2<br />

B1<br />

B1<br />

B2<br />

B2<br />

D'où <strong>le</strong>s contrastes suivants, où <strong>le</strong>s contraintes linguistiques entrent en conflit avec <strong>le</strong>s<br />

scénarios pragmatico-référentiels :<br />

100a) ?? Pierre regarda par la fenêtre. Puis il aperçut Marie 97<br />

100b) Pierre regarda par la fenêtre. Alors, il aperçut Marie<br />

101a) Luc dormit. Puis il mangea<br />

101b) ?* Luc dormit. Alors, il mangea.<br />

Mis à part ces connecteurs temporels, la relation référentiel<strong>le</strong> de coappartenance<br />

à une série de changements n'est pas explicitement marquée. On peut<br />

admettre qu'el<strong>le</strong> s'impose, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre d'une modélisation calculatoire, comme<br />

l'hypothèse initia<strong>le</strong> d'un raisonnement par défaut : une succession de procès aoristiques<br />

présentés sous une même relation temporel<strong>le</strong> exprime une (ou plusieurs) série(s) de<br />

changements. C'est seu<strong>le</strong>ment en présence d'indices forts en faveur d'un autre type de<br />

relation référentiel<strong>le</strong> que cette hypothèse de départ se trouve remise en cause.<br />

2) la relation d'identité entre <strong>le</strong>s procès est marquée, au plan <strong>le</strong>xical par la répétition, la<br />

synonymie, la quasi-synonymie ou l'hyperonymie/hyponymie. Exemp<strong>le</strong>s :<br />

102a) Pierre a attrapé un papillon. Il l'a attrapé avec un fi<strong>le</strong>t<br />

102b) Pierre a attrapé un papillon. Il l'a capturé avec un fi<strong>le</strong>t (synonymie)<br />

97 Cet exemp<strong>le</strong> ne devient acceptab<strong>le</strong> qu'à la condition de comprendre que Pierre ne voit pas Marie par la<br />

fenêtre.<br />

43


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

102c) Marie écrivit un roman. El<strong>le</strong> y travailla deux ans (hyperonymie).<br />

Mais, tandis que ce type de relation est extrêmement fréquent <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine nominal,<br />

il se manifeste beaucoup plus rarement <strong>dans</strong> celui des procès 98 , cette différence de<br />

fonctionnement étant liée, du point de vue cognitif, au principe de permanence des<br />

objets et à celui de la succession des changements. Il n'y a, en général, d'intérêt à<br />

exprimer deux fois un même procès que parce qu'on <strong>le</strong> présente sous un jour différent,<br />

et/ou en apportant des déterminations supplémentaires. Mais, <strong>dans</strong> ce cas, un effet de<br />

succession peut encore se faire sentir, sous la forme d'une gradation :<br />

103a) «Ils s'affichèrent, se donnèrent en spectac<strong>le</strong>, se compromirent mutuel<strong>le</strong>ment, fiers tous deux<br />

d'une pareil<strong>le</strong> aventure. (...)<br />

Pendant plus d'un an, il promena, étala, déploya <strong>dans</strong> Rouen cet amour, comme un<br />

drapeau pris à l'ennemi.» 99<br />

On peut admettre que chacune des deux séries de trois prédicats <strong>dans</strong> cette séquence,<br />

coréfère au même procès, mais, simultanément, que la validité de ces prédicats ne<br />

s'impose au sujet que successivement, au fur et à mesure du dérou<strong>le</strong>ment du procès : on<br />

peut d'abord dire que p1, puis que p2, et enfin que p3. C'est ce que confirme la quasiimpossibilité<br />

d'inverser l'ordre des prédicats, au moins <strong>dans</strong> <strong>le</strong> premier énoncé :<br />

103b) ?? Ils se compromirent mutuel<strong>le</strong>ment, se donnèrent en spectac<strong>le</strong>, s'affichèrent, fiers tous<br />

deux d'une pareil<strong>le</strong> aventure. (...)<br />

Cette relation d'identité est aussi utilisée pour indiquer <strong>le</strong> retour à une scène<br />

(ou à une vue) antérieure, dont la présentation a été interrompue, comme <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong><br />

d'Hugo déjà cité (ex. 44) du ch. 3) :<br />

104) «Un homme entra.<br />

Cet homme, nous <strong>le</strong> connaissons déjà. C'est <strong>le</strong> voyageur que nous avons vu tout à<br />

l'heure errer cherchant un gîte.<br />

Il entra, fit un pas et s'arrêta, laissant la porte ouverte derrière lui.» 100<br />

98 Ce procédé est cependant fréquemment employé <strong>dans</strong> <strong>le</strong> roman courtois, chez Chrétien de Troyes, par<br />

exemp<strong>le</strong>.<br />

99 G. de Maupassant, <strong>le</strong> lit 29 (ed. 1979), p. 177.<br />

100 V. Hugo, <strong>Les</strong> misérab<strong>le</strong>s (ed. 1978), première partie, livre II, chap. 3, p. 92.<br />

44


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

Remarquons enfin que cette relation s'établit <strong>le</strong> plus souvent entre un<br />

prédicat verbal et un nom déverbal :<br />

105) Ils se battirent pendant deux jours. Le combat fut acharné.<br />

3) La relation partie-tout entre procès est beaucoup plus fréquente. D'ordinaire, c'est <strong>le</strong><br />

procès englobant qui précède <strong>le</strong> ou <strong>le</strong>s procès qui en constitue(nt) une ou des parties (si<br />

bien que cette configuration ne contrevient pas au principe de succession des bornes<br />

initia<strong>le</strong>s) :<br />

106a) Pierre a mis la tab<strong>le</strong>. Il a mis une nappe, puis il a disposé <strong>le</strong>s couverts et <strong>le</strong>s assiettes, enfin il a<br />

apporté des serviettes.<br />

fig.14<br />

1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

B1<br />

B1<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B2<br />

Dans l'ordre inverse, beaucoup plus rare, la présence d'un adverbe anaphorique s'avère<br />

presque indispensab<strong>le</strong> :<br />

106b) Il a mis une nappe, puis il a disposé <strong>le</strong>s couverts et <strong>le</strong>s assiettes, enfin il a apporté des<br />

serviettes. Il a ainsi mis la tab<strong>le</strong> pour ses amis.<br />

Il est tout à fait possib<strong>le</strong> que des parties du procès global se constituent en séries de<br />

procès parallè<strong>le</strong>s (<strong>dans</strong> la mesure où el<strong>le</strong>s affectent des objets différents) :<br />

107) Pierre et Marie ont fait un excel<strong>le</strong>nt repas <strong>dans</strong> ce restaurant. Pierre a pris du pâté de lèvre,<br />

du coq au vin, et une tarte au citron. Marie a mangé des huîtres, du canard à l'orange, et el<strong>le</strong><br />

a<br />

terminé par des profiterol<strong>le</strong>s au chocolat.<br />

fig.15<br />

45


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

5<br />

6<br />

7<br />

B1<br />

B1<br />

B1<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B2<br />

B2<br />

Comme il n'est nul<strong>le</strong>ment nécessaire que ces parties de procès (qu'il s'agisse de procès<br />

uniques ou de séries de procès) occupent l'intégralité de la durée du procès global, il<br />

arrive que plusieurs parties portant sur des objets différents ne soient pas situées<br />

chronologiquement <strong>le</strong>s unes par rapport aux autres; on sait seu<strong>le</strong>ment qu'el<strong>le</strong>s coappartiennent<br />

au même procès global. C'est ce qui se produit <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong> de Kamp et<br />

Rhorer (1983), que nous redonnons ci-dessous :<br />

108) L'été de cette année-là vit plusieurs changements <strong>dans</strong> la vie de nos héros. François épousa<br />

Adè<strong>le</strong>, Jean-Louis partit pour <strong>le</strong> Brésil et Paul s'acheta une maison de campagne.<br />

L'identification de ces relations suppose que l'on ait intégré au <strong>le</strong>xique,<br />

structuré sous la forme d'une Encyclopédie 101 , des scénarios prototypiques du type :<br />

faire un repas <strong>dans</strong> un restaurant consiste à prendre une entrée, un plat de résistance et<br />

un dessert; mettre la tab<strong>le</strong> revient à mettre (éventuel<strong>le</strong>ment) une nappe, des couverts,<br />

des assiettes, des serviettes, etc.<br />

4) La relation de dépendance causa<strong>le</strong> est sans doute plus diffici<strong>le</strong> à identifier de façon<br />

automatique. El<strong>le</strong> a généra<strong>le</strong>ment pour effet, avec <strong>le</strong>s énoncés au passé simp<strong>le</strong> et surtout<br />

au passé composé aoristique 102 , d'inverser tota<strong>le</strong>ment l'ordre de succession attendu.<br />

Exemp<strong>le</strong> :<br />

109) Luc a brisé <strong>le</strong> vase. Il l'a laissé tomber.<br />

101 Cf. U. Eco (1985), chap. 1, et (1988), chap. 2.<br />

102 El<strong>le</strong> apparaît beaucoup plus souvent <strong>dans</strong> <strong>le</strong> discours, au sens d'E. Benveniste (1966), que <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s<br />

récits au passé simp<strong>le</strong>.<br />

46


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

ou, au moins, de suspendre cette relation de succession :<br />

110) Luc s'est ennuyé. Il a passé ses vacances <strong>dans</strong> son appartement.<br />

Dans ces séquences, <strong>le</strong> second procès (selon l'ordre linéaire) exprime la cause du<br />

premier, avec <strong>le</strong>quel il ne peut donc entretenir qu'une relation chronologique<br />

d'antériorité ou de simultanéité. Cette cause, dont l'énonciation constitue une<br />

explication de l'énoncé qui précède, peut être développée sous la forme d'une (ou même<br />

de plusieurs) série(s) de changements :<br />

111) Pierre a brisé <strong>le</strong> vase. Il a voulu <strong>le</strong> prendre <strong>dans</strong> <strong>le</strong> placard. Pour ce faire, il est monté sur une<br />

chaise, et une fois qu'il l'a eu entre <strong>le</strong>s mains, la chaise a glissé. Il l'a lâché pour se rattraper<br />

au bord du placard.<br />

112) Marie a beaucoup p<strong>le</strong>uré ce week-end. Son mari lui a annoncé qu'il la quittait. Sa fil<strong>le</strong> a<br />

essayé de se suicider. Et sa grand-mère est morte.<br />

Dans ce dernier exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s trois derniers procès (selon l'ordre linéaire), qui portent sur<br />

des individus différents, ne sont pas chronologiquement situés <strong>le</strong>s uns par rapport aux<br />

autres.<br />

Quoiqu'il paraisse très diffici<strong>le</strong> d'identifier automatiquement ce type de<br />

relation causa<strong>le</strong>, deux critères peuvent cependant être pris en compte :<br />

a) l'existence de scénarios prototypiques, selon <strong>le</strong>squels, par exemp<strong>le</strong>, lorsqu'on lâche un<br />

vase au dessus du sol, il tombe et il se casse, 103<br />

b) <strong>le</strong> caractère informationnel<strong>le</strong>ment insuffisant (parfois même délibérément<br />

énigmatique) de l'énoncé initial, qui appel<strong>le</strong> l'explication qui suit; par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> passif<br />

sans agent <strong>dans</strong> la séquence de M. Leblanc (ex. 34) : «Le village fut terrifié»).<br />

Reste que <strong>dans</strong> la plupart des cas, l'antériorité causa<strong>le</strong> est exprimée par un temps à<br />

va<strong>le</strong>ur d'antérieur, comme <strong>le</strong> plus-que-parfait aoristique, qui met en oeuvre d'autres<br />

mécanismes, que nous allons analyser maintenant.<br />

5 Le fonctionnement des temps composés <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

Comme <strong>le</strong>ur nom l'indique, <strong>le</strong>s temps composés combinent deux marqueurs<br />

linguistiques distincts : un auxiliaire et un participe passé. On admettra (cf. ch. 6, §3.5)<br />

103 Cf., par exemp<strong>le</strong>, la description de la tasse prototypique par R. Martin (1991), pp. 152-153.<br />

47


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

que chacun de ces deux marqueurs indique à la fois un procès et un interval<strong>le</strong> de<br />

référence; si bien qu'un temps composé est virtuel<strong>le</strong>ment porteur de deux relations<br />

temporel<strong>le</strong>s et de deux aspects distincts. Plus précisément, on fait l'hypothèse que <strong>le</strong><br />

participe passé présente toujours <strong>le</strong> procès sous un aspect aoristique et une relation<br />

temporel<strong>le</strong> relative d'antériorité par rapport à l'interval<strong>le</strong> de référence associé à<br />

l'auxiliaire; alors que celui-ci marque un temps absolu et un aspect inaccompli (au<br />

moins au plus-que-parfait et au passé composé) sur l'état résultant du procès. Exemp<strong>le</strong> :<br />

113) Luc a quitté la France<br />

Instructions :<br />

quitter la France :<br />

participe passé :<br />

auxiliaire au présent :<br />

[Bi1, Bi2]; B1 ∝ B2<br />

[B1,B2] CO [I,II] (aspect aoristique)<br />

[I,II] ANT [I',II'] (antériorité par rapport à<br />

l'interval<strong>le</strong> de référence associé à l'auxiliaire)<br />

[B'1, B'2] RE [I',II'] (aspect inaccompli sur l'état<br />

résultant)<br />

[I',II'] SIMUL [01,02] (temps présent), formu<strong>le</strong> qui<br />

prend la forme plus précise de [I',II'] CO [01,02], à<br />

cause du liage de l'interval<strong>le</strong> de référence par celui<br />

de l'énonciation.<br />

Représentation :<br />

fig.16<br />

B'1<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

B'2<br />

I'/II'<br />

01/02<br />

<strong>Les</strong> va<strong>le</strong>urs aspectuel<strong>le</strong>s d'accompli ou d'aoristique associées aux temps composés (cf.<br />

ch. 1, §2.1 et ch. 6, §3.5) proviennent de ce que <strong>dans</strong> certains con<strong>texte</strong>s, en particulier<br />

sous la pression de certains circonstanciels temporels, l'un des <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> de référence<br />

acquiert une saillance particulière, qui relègue l'autre au second plan : l'aspect aoristique<br />

résulte de l'occultation (relative) de [I',II'] (et par voie de conséquence de [B'1,B'2]);<br />

l'aspect accompli provient, à l'inverse, de la mise en va<strong>le</strong>ur de [I',II'] et de [B'1,B'2], ce<br />

procès n'étant, de toute façon, que secondaire par rapport à [B1,B2], puisqu'il se définit<br />

uniquement comme l'état résultant de ce dernier : l'aspect est inaccompli sur l'état<br />

résultant ([B'1,B'2] RE [I',II']) et accompli sur <strong>le</strong> procès lui-même ([B1,B2] ANT [I',II']).<br />

48


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

Soit deux exemp<strong>le</strong>s, avec <strong>le</strong>urs représentations simplifiées (où n'apparaissent que <strong>le</strong>s<br />

<strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>le</strong>s plus saillants) :<br />

114) Luc a quitté la France en décembre 1993 ( aoristique)<br />

fig.17<br />

ct1<br />

I/II<br />

B1/B2<br />

ct2<br />

01/02<br />

115) Luc a quitté la France depuis deux ans (accompli)<br />

fig.18<br />

ct1<br />

B'1<br />

ct2/B'2<br />

I'/II'<br />

01/02<br />

On présente, au ch. 6, §3.5 et suivants, l'ensemb<strong>le</strong> des conséquences qui décou<strong>le</strong>nt de<br />

cette analyse, et qui constituent autant d'arguments en sa faveur; examinons maintenant<br />

cel<strong>le</strong>s (des conséquences) qui sont déduites de l'application des principes généraux sur<br />

<strong>le</strong>s <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>.<br />

La mise en relation des principes qui viennent d'être exposés sur <strong>le</strong> statut des<br />

<strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong> avec cette analyse des temps composés conduit aux prédictions<br />

suivantes :<br />

1) [I',II'] (l'interval<strong>le</strong> de référence marqué par l'auxiliaire) n'étant pas lié par <strong>le</strong> procès<br />

auquel il se rapporte ([B'1,B'2]), puisqu'ils ne peuvent coïncider (à cause de l'aspect<br />

inaccompli), doit trouver un antécédent hors du prédicat; cette recherche se poursuit<br />

conformément aux relations de proximité n°2 à 7.<br />

2) [I,II] (l'interval<strong>le</strong> de référence marqué par <strong>le</strong> participe passé) est directement lié par <strong>le</strong><br />

procès avec <strong>le</strong>quel il coïncide, [B1,B2] (aspect aoristique).<br />

3) Comme, au plus-que-parfait et au futur antérieur, [I',II'] est, <strong>le</strong> plus souvent, lié, <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong> <strong>texte</strong>, par un autre interval<strong>le</strong> de référence qui lui sert d'antécédent (selon <strong>le</strong>s relations<br />

de proximité relative n°3 à 7), l'état [B'1,B'2] entre en relation de co-appartenance à une<br />

49


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

même vue avec <strong>le</strong> procès sur <strong>le</strong>quel porte cet interval<strong>le</strong> de référence antécédent (<strong>le</strong>s<br />

procès sont simultanés) 104 .<br />

4) [B1,B2], en revanche, va pouvoir entrer en relation de co-appartenance à une même<br />

série de changements, d'identité référentiel<strong>le</strong>, en relation partie-tout, ou de dépendance<br />

causa<strong>le</strong> avec d'autres procès du con<strong>texte</strong> présentés de façon aoristique.<br />

Il suit qu'à l'aspect accompli, qui relègue [I,II] au second plan au profit de<br />

[I',II'], un temps composé se comporte de façon semblab<strong>le</strong> au temps inaccompli<br />

correspondant : <strong>le</strong> plus-que-parfait, comme l'imparfait, <strong>le</strong> passé composé comme <strong>le</strong><br />

présent, <strong>le</strong> futur antérieur comme <strong>le</strong> futur inaccompli. [I',II'] se trouve lié par [01,02] (ou<br />

<strong>le</strong> cas échéant par un circonstanciel détaché) au passé composé, et par un circonstanciel<br />

ou un autre interval<strong>le</strong> de référence au plus-que-parfait et au futur antérieur. [B'1,B'2], ne<br />

peut entretenir qu'une relation de simultanéité (fondée sur la co-appartenance à une<br />

même vue) avec d'autres procès.<br />

A l'inverse, lorsqu'il prend une va<strong>le</strong>ur aoristique (qui occulte [I',II'] au profit<br />

de [I,II]), un temps composé fonctionne comme <strong>le</strong>s autres temps aoristiques (au sens où<br />

<strong>le</strong>s procès entretiennent des relations référentiel<strong>le</strong>s de co-appartenance à une même série<br />

de changements, d'identité référentiel<strong>le</strong>, des relations partie-tout, ou de dépendance<br />

causa<strong>le</strong> avec d'autres procès (aoristiques) du <strong>texte</strong>), à ceci près – et la différence est de<br />

tail<strong>le</strong> – que [I,II] est toujours situé comme antérieur par rapport à [I',II'], et que<br />

l'établissement de ces relations chronologiques exige donc nécessairement que [I',II']<br />

soit tout de même pris en compte et clairement identifié (i.e. lié par un antécédent).<br />

Ainsi <strong>dans</strong> une séquence comme<br />

116) Hier midi, Pierre était très fatigué. Il avait pris son travail à 5 heures et ne s'était arrêté qu'à<br />

11h 45.<br />

L'énoncé «il avait pris son travail à 5 heures» présente <strong>le</strong> procès sous un aspect<br />

aoristique (indiqué par <strong>le</strong> circonstanciel qui localise la borne initia<strong>le</strong> du procès, laquel<strong>le</strong><br />

doit donc être accessib<strong>le</strong> à partir de [I,II]). Si bien que [I,II] est lié par [B1,B2], et que ce<br />

procès va pouvoir entretenir une relation de co-appartenance à une même série avec <strong>le</strong><br />

procès (aoristique) qui suit (s'arrêter); pour autant, cet énoncé n'est pas autonome, car<br />

[I,II] est situé comme antérieur par rapport à [I',II'], <strong>le</strong>quel doit être lié par un antécédent<br />

: <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas présent, c'est l'interval<strong>le</strong> de référence de l'énoncé précédent, lui-même lié<br />

104 Le cas est différent au passé composé, puisque [I',II'] est généra<strong>le</strong>ment lié par [01,02].<br />

50


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

par <strong>le</strong> circonstanciel hier midi, qui constitue son seul antécédent possib<strong>le</strong>. D'où la<br />

structure :<br />

fig.19<br />

hier midi ... était fatigué ... avait pris<br />

... s'était arrêté<br />

[ct1,ct2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

CO<br />

RE<br />

CO<br />

CO<br />

ANT<br />

SUCC<br />

CO<br />

ANT<br />

CO<br />

Voilà pourquoi <strong>le</strong> plus-que-parfait apparaît, <strong>dans</strong> la théorie classique de<br />

l'anaphore temporel<strong>le</strong>, comme un temps anaphorique : qu'il prenne une va<strong>le</strong>ur<br />

d'accompli ou d'aoristique, il exige toujours <strong>le</strong> liage de [I',II'] soit par un circonstanciel,<br />

soit, <strong>le</strong> plus souvent, par un autre interval<strong>le</strong> de référence. Cette remarque vaut aussi pour<br />

<strong>le</strong> futur antérieur, mais pas pour <strong>le</strong> passé composé, puisqu'avec ce temps<br />

morphologique, la relation temporel<strong>le</strong> absolue marquée par l'auxiliaire est généra<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> présent ([I',II'] SIMUL [01,02]), et que, <strong>dans</strong> ce cas, l'interval<strong>le</strong> de l'énonciation<br />

constitue l'antécédent «naturel» de [I',II'] ([I',II'] CO [01,02]), que l'aspect soit accompli<br />

ou aoristique. Il en résulte une différence temporel<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s deux va<strong>le</strong>urs aspectuel<strong>le</strong>s<br />

du passé composé (accompli du présent ou aoristique du passé), mais aucun phénomène<br />

anaphorique interphrastique. Ainsi, <strong>dans</strong> l'énoncé 113) (Luc a quitté la France), [I',II']<br />

se trouve lié par [01,02], de sorte que la recherche d'un antécédent se limite au cadre de<br />

la phrase. Selon que [I',II'] ou [I,II] se trouve privilégié (cf <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s 114) et115)), <strong>le</strong><br />

temps absolu prend va<strong>le</strong>ur de présent ou de passé (puisque [I,II] ANT [I',II'] et que<br />

[I',II'] CO [01,02]).<br />

Le plus-que-parfait à va<strong>le</strong>ur aoristique donne donc lieu à des configurations<br />

temporel<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s l'interval<strong>le</strong> du procès ([B1,B2]) est susceptib<strong>le</strong> d'entretenir<br />

des relations référentiel<strong>le</strong>s chronologiques avec d'autres procès (puisqu'il est présenté de<br />

façon aoristique), alors que l'interval<strong>le</strong> de référence [I',II'], par rapport auquel est situé<br />

l'autre interval<strong>le</strong> de référence ([I,II]), entre lui-même en relation de dépendance<br />

contextuel<strong>le</strong> avec d'autres <strong>interval<strong>le</strong>s</strong>. Cette situation crée, en cas de succession<br />

d'énoncés au plus-que-parfait aoristique, des ambiguïtés virtuel<strong>le</strong>s, car on peut se<br />

demander si <strong>le</strong> second énoncé au plus-que-parfait situe <strong>le</strong> procès comme antérieur par<br />

rapport au procès exprimé par l'énoncé précédent (par l'intermédiaire de <strong>le</strong>urs <strong>interval<strong>le</strong>s</strong><br />

de référence, [I,II], respectifs) ou en relation avec <strong>le</strong> point de repère précédent ([I',II'] qui<br />

51


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

est lui-même coïndexé avec un circonstanciel ou un autre interval<strong>le</strong> de référence<br />

préalab<strong>le</strong>). Ainsi <strong>dans</strong> une séquence du type :<br />

117) E1 (passé simp<strong>le</strong>) . E2 (plus-que-parfait aoristique). E3 (plus-que-parfait<br />

aoristique)<br />

l'interval<strong>le</strong> [I',II'] de E2 est lié (en l'absence de circonstanciel temporel détaché) par<br />

l'interval<strong>le</strong> de référence de E1 (lui-même lié par <strong>le</strong> procès de E1), en vertu de la relation<br />

de proximité n°4. Mais l'interval<strong>le</strong> [I',II'] de E3 peut être lié soit par l'interval<strong>le</strong> [I',II'] de<br />

E2, soit par l'interval<strong>le</strong> [I,II] de E2 (ambiguïté virtuel<strong>le</strong>). Prenons deux exemp<strong>le</strong>s qui<br />

illustrent respectivement ces deux constructions possib<strong>le</strong>s :<br />

118) Luc remporta la course cycliste. Il avait attaqué au bon moment. (Et) il avait réussi à laisser<br />

sur place ses principaux adversaires.<br />

fig.20<br />

E1 E2 E3<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

CO<br />

CO<br />

ANT<br />

CO<br />

ANT<br />

CO<br />

CO<br />

119) Luc abandonna la course. Sa fourche s'était brisée. (Car) son mécanicien lui en avait monté<br />

une beaucoup trop fragi<strong>le</strong>.<br />

fig.21<br />

E1 E2 E3<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

CO<br />

CO<br />

ANT<br />

CO<br />

ANT<br />

CO<br />

CO<br />

En fait, comme il apparaît <strong>dans</strong> ces exemp<strong>le</strong>s, cette ambiguïté virtuel<strong>le</strong> est généra<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong>vée par <strong>le</strong>s relations entre procès (ici respectivement la co-appartenance à une même<br />

série de changements et la dépendance causa<strong>le</strong>, explicitées par <strong>le</strong>s connecteurs entre<br />

parenthèses). Et comme la relation référentiel<strong>le</strong> de loin la plus fréquente est constituée<br />

par la co-appartenance à une même série de changement (qui implique la succession des<br />

bornes initia<strong>le</strong>s des procès), c'est presque toujours l'interval<strong>le</strong> [I',II'] de l'énoncé<br />

précédent qui sert d'antécédent au nouvel interval<strong>le</strong> [I',II'] (comme <strong>dans</strong> l'exemp<strong>le</strong> 118)).<br />

52


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

Soit maintenant, pour illustrer <strong>le</strong> fonctionnement de l'ensemb<strong>le</strong> de ces<br />

relations entre <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> sur un fragment de <strong>texte</strong> plus étendu que ceux que nous avons<br />

proposés jusqu'ici, un bref rappel de ces relations. Puisque <strong>le</strong>s temps composés peuvent<br />

eux-mêmes être analysés comme marquant la combinaison d'un aspect aoristique (sur <strong>le</strong><br />

procès) et d'un aspect inaccompli (sur l'état résultant), on évoque successivement <strong>le</strong>s<br />

configurations aspectuo-temporel<strong>le</strong>s inaccomplie et aoristique :<br />

a) Structure inaccomplie ([B1,B2] RE [I,II]) :<br />

[I,II] doit chercher un antécédent qui lui convienne <strong>dans</strong> <strong>le</strong> con<strong>texte</strong> (selon <strong>le</strong>s relations<br />

de proximité relative) : l'interval<strong>le</strong> de l'énonciation (uniquement au présent), un<br />

interval<strong>le</strong> circonstanciel, ou, <strong>le</strong> plus souvent, au passé ou au futur, un autre interval<strong>le</strong> de<br />

référence appartenant à une autre proposition. Dans ce dernier cas, <strong>le</strong>s deux procès<br />

correspondant seront liés par une relation de co-appartenance à une même vue, et donc<br />

par une relation chronologique de simultanéité, sauf si un conflit conduit à un<br />

déplacement de la relation anaphorique.<br />

b) Structure aoristique ([B1,B2] CO [I,II]) :<br />

[I,II] est lié par [B1,B2]. Le procès peut cependant entretenir une relation référentiel<strong>le</strong><br />

avec d'autres procès du con<strong>texte</strong>, s'ils sont exprimés sous une même relation temporel<strong>le</strong><br />

absolue. Il s'agit, <strong>le</strong> plus souvent, d'une relation de co-appartenance à une même série de<br />

changements, qui implique donc la succession des procès, mais il arrive aussi que <strong>le</strong>s<br />

procès appartiennent à des séries parallè<strong>le</strong>s (en cas de changement de thème), ou qu'ils<br />

entretiennent une relation partie-tout (simultanéité), d'identité (coïncidence) ou de<br />

dépendance causa<strong>le</strong> (antériorité).<br />

On prend pour exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong> suivant, qui présente une structure<br />

temporel<strong>le</strong> relativement comp<strong>le</strong>xe; il est suivi 1) de la structure de relations<br />

contextuel<strong>le</strong>s qui est calculée à partir des marqueurs linguistiques qu'il présente, et 2) du<br />

chronogramme qui en résulte :<br />

53


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

120) «Quand la reine Imogine sut que la princesse Neigef<strong>le</strong>ur n'était pas<br />

p1<br />

p2<br />

morte, que <strong>le</strong> lacet de soie qu'el<strong>le</strong> lui avait serré el<strong>le</strong>-même autour du cou ne<br />

p3<br />

l'avait qu'à demi étranglée et que <strong>le</strong>s gnomes de la forêt avaient recueilli ce<br />

p4<br />

p5<br />

doux corps léthargique <strong>dans</strong> un cercueil de verre, pis, qu'ils <strong>le</strong> gardaient<br />

p6<br />

invisib<strong>le</strong> <strong>dans</strong><br />

une grotte magique, el<strong>le</strong> entra <strong>dans</strong> une grande colère : el<strong>le</strong> se<br />

p7<br />

dressa toute droite <strong>dans</strong> la stal<strong>le</strong> de cèdre où el<strong>le</strong> songeait, assise <strong>dans</strong> la plus<br />

p8 p9 p10<br />

haute chambre de sa tour, déchira <strong>dans</strong> toute sa longueur sa lourde<br />

p11<br />

dalmatique de<br />

brocart jaune enrichie de lys et de feuillages de per<strong>le</strong>s, brisa<br />

p12<br />

contre terre <strong>le</strong> miroir d'acier qui venait de lui apprendre l'odieuse nouvel<strong>le</strong> et,<br />

p13<br />

saisissant de ma<strong>le</strong> rage par la patte de derrière <strong>le</strong> crapaud enchanté qui lui<br />

p14<br />

servait pour ses maléfices, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> lança à toute volée <strong>dans</strong> la flamme de l'âtre<br />

p15<br />

p16<br />

où il fit frisst, grisst et prisst et s'évapora comme une feuil<strong>le</strong> sèche.» 105<br />

p17 p18 p19 p20<br />

105 J. Lorrain, «La princesse Neigef<strong>le</strong>ur», <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s Princesses d'ivoire et d'ivresse (ed. 1980), p. 159.<br />

54


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

55<br />

P1<br />

P2<br />

P3<br />

P4<br />

P5<br />

P6<br />

P7<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

[I',II']<br />

[B'1,B'2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

CO<br />

CO<br />

ANT<br />

RE<br />

[I',II']<br />

[B'1,B'2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

ANT<br />

RE<br />

PREC<br />

[I',II']<br />

[B'1,B'2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

ANT<br />

RE<br />

CO<br />

SUCC<br />

PREC<br />

[I',II']<br />

[B'1,B'2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

ANT<br />

RE<br />

CO<br />

SUCC<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

RE<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

SUCC<br />

SUCC<br />

fig.21<br />

SIMUL<br />

CO


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

56<br />

P8<br />

P9<br />

P10<br />

p11<br />

P12<br />

P13<br />

P14<br />

P15<br />

P16<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

RE<br />

PREC<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

RE<br />

CO<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

[I',II']<br />

[B'1,B'2]<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

RE<br />

CO<br />

ANT<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

RE<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

SUCC<br />

SIMUL<br />

PREC


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

P17 [I,II] [B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

P18<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

P19<br />

[I,II]<br />

[B1,B2]<br />

CO<br />

SUCC<br />

P20 [I,II] [B1,B2]<br />

CO<br />

Commentaires :<br />

Cette structure de relations contextuel<strong>le</strong>s résulte directement de l'application des<br />

principes généraux qui viennent d'être exposés. Certaines de ces relations appel<strong>le</strong>nt<br />

cependant quelques explications :<br />

1) Procès P3 : [I',II'] est lié, <strong>dans</strong> la structure correspondant à P2, par [I,II] et non par<br />

[I',II'], contrairement à ce qui se passe avec <strong>le</strong>s procès qui suivent, au plus-que-parfait.<br />

Cette relation est déterminée par <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s procès P2 (X mourir) et P3 (serrer un<br />

lacet autour du cou de X) entretiennent une relation référentiel<strong>le</strong> de dépendance<br />

causa<strong>le</strong>, alors qu'avec <strong>le</strong>s procès qui suivent (P4, P5), P3 est lié par une relation de coappartenance<br />

à une même série de changements. Par ail<strong>le</strong>urs P2 (X mourir) marque<br />

l'aboutissement, qui, en l'occurrence, n'est pas atteint des procès P3 (serrer un lacet<br />

autour du cou de X) et P4 (étrang<strong>le</strong>r X); d'où la relation de précédence entre procès.<br />

2) L'interval<strong>le</strong> de référence associé à P7 succède immédiatement à celui de P1 en vertu<br />

de la va<strong>le</strong>ur de la subordination circonstanciel<strong>le</strong> (Quand équivaut ici à aussitôt que).<br />

3) L'interval<strong>le</strong> de référence de P9 précède celui de P8, au lieu de coïncider avec lui, à<br />

cause d'un glissement de la relation anaphorique du type de ceux que nous avons<br />

analysés au §3.2 (du point de vue référentiel, on ne peut à la fois être assis à songer et se<br />

57


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

dresser). Il en va de même pour la relation entre l'interval<strong>le</strong> de référence de P15 et celui<br />

de P14 (<strong>le</strong> crapaud détruit ne peut plus servir).<br />

De cette structure de relations contextuel<strong>le</strong>s, on déduit <strong>le</strong> chronogramme<br />

suivant (qui ne retient que <strong>le</strong>s relations entre procès) :<br />

58


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

59<br />

Chronogramme<br />

B1<br />

B1/B2<br />

B'1<br />

B'2<br />

P1<br />

P2<br />

P3<br />

P4<br />

P5<br />

P6<br />

P7<br />

P8<br />

P9<br />

P10<br />

P11<br />

P12<br />

P13<br />

P14<br />

P15<br />

P16<br />

P17<br />

P18<br />

P19<br />

P20<br />

B1<br />

B2<br />

B2<br />

B1<br />

B2<br />

B2<br />

B1<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1<br />

B2<br />

B2<br />

B1<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1/B2<br />

B1<br />

B2<br />

fig.22<br />

B1<br />

B2


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

6 <strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> circonstanciels<br />

<strong>Les</strong> circonstanciels de localisation temporel<strong>le</strong> servent à situer – selon des modalités<br />

évoquées au ch. 1, §2.1, et qui seront précisées au ch. 6, §5 –, de façon plus ou moins<br />

déterminée et plus ou moins précise, la position de la vue (et, en début de scène, cel<strong>le</strong> de<br />

la fenêtre el<strong>le</strong>-même) par rapport soit au ca<strong>le</strong>ndrier (chronologie absolue), soit à d'autres<br />

vues présentées <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong> (chronologie relative). Or, que la chronologie soit absolue<br />

ou relative, c'est souvent à un même découpage «objectif» du temps (mesuré en termes<br />

de minutes, d'heures, de jours, de semaines, de mois, d'années ...) qu'il est fait référence<br />

: Au mois d'août, <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain, la semaine dernière, etc.; seu<strong>le</strong>s échappent à ce cadre<br />

des expressions marquant l'évaluation subjective de la durée, comme peu de temps<br />

après, peu après, beaucoup plus tard ... La première question qui se pose est cel<strong>le</strong> du<br />

statut de cette représentation objective, absolue du temps, tel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> s'exprime <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

ca<strong>le</strong>ndrier. Il s'agit, en particulier, de comprendre <strong>dans</strong> quel<strong>le</strong> mesure el<strong>le</strong> est conciliab<strong>le</strong><br />

avec la représentation de la temporalité comme doub<strong>le</strong> dynamique de sens opposé et<br />

comme structure de la relation du sujet à l'objet tel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> se manifeste <strong>dans</strong> l'énoncé.<br />

Nous avançons l'hypothèses que <strong>le</strong> ca<strong>le</strong>ndrier, et de façon généra<strong>le</strong> l'échel<strong>le</strong> objective de<br />

mesure du temps, constitue un système sémiologique particulier 106 qui sert à désigner<br />

une série de changements, laquel<strong>le</strong>, à ce titre, peut défi<strong>le</strong>r devant <strong>le</strong> sujet (comme<br />

l'indiquent <strong>le</strong>s métaphores citées au ch. 3, §2 : «<strong>le</strong>s semaines, <strong>le</strong>s mois, <strong>le</strong>s années<br />

passent, défi<strong>le</strong>nt, s'éloignent, etc.»). Il n'est pas douteux, en effet, du point de vue de la<br />

genèse du ca<strong>le</strong>ndrier, que <strong>le</strong>s premiers repérages temporels aient été effectués en<br />

relation à cette série naturel<strong>le</strong> de changements que constitue l'alternance et <strong>le</strong> retour des<br />

jours et des nuits, des saisons et des années, fondés sur <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> mouvement continu de<br />

rotation de la terre. Si cette série de changements a pu être prise comme point de repère<br />

absolu pour situer <strong>le</strong>s autres changements, c'est, d'une part, parce qu'el<strong>le</strong> est «publique»<br />

(perceptib<strong>le</strong> par tous) et, d'autre part, parce qu'el<strong>le</strong> constitue un type de procès très<br />

particulier : une série de changements dépourvue de bornes (une sorte d'«activité<br />

nécessaire»), globa<strong>le</strong>ment homogène et régulière. Le rô<strong>le</strong> du ca<strong>le</strong>ndrier, en tant que<br />

système sémiologique, a été d'abord d'assurer de façon absolue cette régularité et cette<br />

homogénéité de la série de changements en en définissant la structure de façon<br />

conventionnel<strong>le</strong>, et d'offrir un système de désignations comp<strong>le</strong>xe pour identifier <strong>le</strong>s<br />

106 G. Lakoff (1987), pp. 68-69, considère qu'il s'agit là d'un «modè<strong>le</strong> cognitif idéalisé». Ce concept nous<br />

paraît cependant trop peu précis pour être éclairant. Par<strong>le</strong>r de «système sémiologique» indique au<br />

moins que <strong>le</strong>s signes délimitent <strong>le</strong>urs conditions d'emploi de façon différentiel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s uns par rapport<br />

aux autres. Ainsi l'expression «mardi» désigne-t-el<strong>le</strong> la portion temporel<strong>le</strong> qui n'est pas dénotée par <strong>le</strong>s<br />

autres jours de la semaine, et rien d'autre.<br />

60


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

changements et <strong>le</strong>s types d'<strong>interval<strong>le</strong>s</strong> entre <strong>le</strong>s changements (<strong>le</strong>s heures, <strong>le</strong>s jours, <strong>le</strong>s<br />

mois ...). La structure de cette série de changements, fixée conventionnel<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong><br />

ca<strong>le</strong>ndrier, se conforme aux principes généraux sur <strong>le</strong>s séries de changements (cf. <strong>le</strong><br />

schéma cognitif du changement au ch. 2, §2.2), <strong>dans</strong> la mesure où un changement peut<br />

être perçu soit comme un changement atomique (point de passage entre deux<br />

situations), soit comme une série de changements, qui a <strong>le</strong> statut d'une situation bornée<br />

par deux changements, et qui est el<strong>le</strong>-même décomposab<strong>le</strong> en changements et<br />

situations. Un exemp<strong>le</strong> : <strong>le</strong> printemps peut être vu comme un changement (<strong>le</strong> passage de<br />

l'hiver à l'été, mais aussi comme la situation comprise entre la fin de l'hiver<br />

(changement initial) et <strong>le</strong> début de l'été (changement final), cette situation étant el<strong>le</strong>même<br />

analysab<strong>le</strong> en une série de changements et de situations, et ainsi de suite (<strong>le</strong>s<br />

mois, <strong>le</strong>s semaines, <strong>le</strong>s jours, etc.). Il est remarquab<strong>le</strong> à cet égard que <strong>le</strong> français offre<br />

pour certains types de périodes deux modes de désignation, selon que la période<br />

envisagée est considérée comme un changement indécomposab<strong>le</strong> (comme un tout) ou<br />

comme une situation (qui peut être vue de l'intérieur). On peut dire<br />

121a) En début de (la) matinée<br />

En fin de (la) soirée<br />

Au milieu de (la) journée<br />

Au cours de (l')année<br />

Tout au long de<br />

alors que ces combinaisons sont exclues avec des termes référentiel<strong>le</strong>ment équiva<strong>le</strong>nts :<br />

122a) * En début de/du matin<br />

* En fin de/du soir<br />

* Au milieu de/du jour<br />

* Au cours de/du an 107 .<br />

* Tout au long de/du<br />

La spécificité de cette structure ca<strong>le</strong>ndaire tient à la régularité absolue,<br />

garantie par la convention, de chacune des séries de changements qui la composent,<br />

aussi loin qu'on en pousse l'analyse. C'est parce qu'el<strong>le</strong> est régulière, homogène, non<br />

bornée et publique que cette série de changements peut être prise pour la structure du<br />

temps objectif (au sens où el<strong>le</strong> est, partout et toujours, intersubjectivement accessib<strong>le</strong>).<br />

Dater un événement, ou localiser une vue, c'est donc <strong>le</strong>s situer relativement à cette série<br />

de changement très généra<strong>le</strong>, considérée comme repère absolu. Il n'y à pas de différence<br />

fondamenta<strong>le</strong> entre la chronologie absolue et la chronologie relative, seul <strong>le</strong> type de<br />

107 Cf. A. M. Berthonneau (1989), p. 411 sq.; cf. aussi D. Flament-Boistrancourt (1994).<br />

61


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

repère change.<br />

<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> circonstanciels ([ct1,ct2]) sont bornés par <strong>le</strong>s<br />

changements appartenant à cette série régulière. De sorte qu'en énonçant :<br />

122) Le 4 juil<strong>le</strong>t, Pierre a réparé sa bicyc<strong>le</strong>tte<br />

<strong>le</strong> locuteur situe <strong>le</strong> procès, qui coïncide avec la vue (l'interval<strong>le</strong> de référence) à cause de<br />

l'aspect aoristique marqué par <strong>le</strong> passé composé, entre un changement initial (ct1 : <strong>le</strong><br />

passage du 3 au 4) et un changement final (ct2 : <strong>le</strong> passage du 4 au 5).<br />

Pour caractériser <strong>le</strong> fonctionnement des <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> circonstanciels <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

<strong>texte</strong>, il est, tout d'abord, nécessaire de distinguer différents modes de repérage de la vue<br />

par rapport au ca<strong>le</strong>ndrier ou à d'autres vues. Il paraît, schématiquement, possib<strong>le</strong> d'iso<strong>le</strong>r<br />

trois modes de repérage autonomes et deux modes non autonomes (déictiques et<br />

anaphoriques) 108 .<br />

Modes de repérage autonomes :<br />

1) Le circonstanciel renvoie à un interval<strong>le</strong> déterminé du ca<strong>le</strong>ndrier en lui donnant sa<br />

désignation propre et complète. On par<strong>le</strong>ra de circonstanciel de date complète : Le 10<br />

août 1983, en 1728, <strong>le</strong> 3 juil<strong>le</strong>t 1928 à 5 heures, etc. Comme il apparaît <strong>dans</strong> ces<br />

exemp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> repérage peut être plus ou moins précis, <strong>le</strong> degré de précision étant<br />

fonction de la tail<strong>le</strong> relative de l'interval<strong>le</strong> considéré. L'homologue de ces dates<br />

complètes, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine de la référence nomina<strong>le</strong> à des objets, est constitué par <strong>le</strong>s<br />

descriptions définies complètes.<br />

2) L'interval<strong>le</strong> circonstanciel est éventuel<strong>le</strong>ment déterminé <strong>dans</strong> son extension (sa<br />

durée), mais reste indéterminé quand à sa localisation : un jour, une fois, par une bel<strong>le</strong><br />

matinée de septembre, «En je ne sais quel<strong>le</strong> année» 109 , etc. On par<strong>le</strong>ra de dates<br />

indéterminées. Ces expressions peuvent être comparées au descriptions indéfinies<br />

(dont el<strong>le</strong>s partagent souvent la morphologie).<br />

3) La subordination circonstanciel<strong>le</strong> constitue un mode de repérage autonome (<strong>dans</strong> la<br />

mesure où la subordonnée circonstanciel<strong>le</strong> ne renvoie à rien d'autre qu'à el<strong>le</strong>-même),<br />

mais strictement relatif, puisque seu<strong>le</strong> la relation entre deux vues, et donc entre deux<br />

procès, se trouve ainsi établie (ex. : «Pierre mangeait quand Marie est arrivée»).<br />

108 Sur cette distinction, cf. J. Moesch<strong>le</strong>r (1993).<br />

109 H. de Balzac, L'auberge rouge (ed. 1950), première ligne.<br />

62


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

Modes de repérage non autonomes<br />

a) Repérage déictique :<br />

1) L'interval<strong>le</strong> circonstanciel est lui-même repéré par rapport au moment de<br />

l'énonciation ([01,02]). Il s'agit des circonstanciels déictiques : aujourd'hui, demain,<br />

l'année dernière, mardi prochain, etc. Ils sont, <strong>dans</strong> une certaine mesure, comparab<strong>le</strong>s<br />

aux pronoms embrayeurs. Le repérage de l'interval<strong>le</strong> circonstanciel par rapport<br />

ca<strong>le</strong>ndrier est opéré, avec ce type de circonstanciels, par l'intermédiaire de<br />

l'actualisation de [01,02] (i.e. du repérage de [01,02] par rapport au ca<strong>le</strong>ndrier). Cette<br />

actualisation, immédiate <strong>dans</strong> <strong>le</strong> cas de la communication ora<strong>le</strong>, ne l'est pas toujours<br />

lorsqu'ils s'agit de communication écrite : [01,02] peut se trouver rapporté au moment<br />

de l'énonciation effective, ou à celui de la réception du message 110 .<br />

b) Repérage anaphorique<br />

2) Certains circonstanciels sont intrinsèquement anaphoriques (à la manière des<br />

pronoms anaphoriques), au sens où la localisation qu'ils expriment ne peut être fixée<br />

qu'en référence à d'autres éléments du <strong>texte</strong> : <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain, ce jour-là, l'année<br />

précédente, etc.<br />

3) <strong>Les</strong> circonstanciels de date incomplète (<strong>le</strong> 8 juil<strong>le</strong>t, en août, à 8 heures, etc.)<br />

demandent pour fixer <strong>le</strong>ur référence que la datation soit complétée (<strong>le</strong> plus souvent par<br />

renvoi à un circonstanciel énoncé préalab<strong>le</strong>ment <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong>) :<br />

123) En 1781... Le 10 mars ... A huit heures<br />

Ils sont comparab<strong>le</strong>s aux descriptions définies incomplètes.<br />

Il n'entre pas <strong>dans</strong> notre propos d'étudier de façon précise et exhaustive <strong>le</strong><br />

fonctionnement de ces divers modes de repérage circonstanciel, mais seu<strong>le</strong>ment<br />

d'évoquer certaines des caractéristiques essentiel<strong>le</strong>s du repérage anaphorique. Il<br />

convient tout d'abord de remarquer que si une date incomplète renvoie généra<strong>le</strong>ment,<br />

<strong>dans</strong> un <strong>texte</strong>, à un circonstanciel préalab<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> peut aussi, <strong>dans</strong> la communication<br />

110 Sur ces questions, cf. M. Vuillaume (1990), pp. 19-25, et (1993).<br />

63


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

ora<strong>le</strong>, fixer sa référence en relation à la situation d' énonciation (à la manière, là encore,<br />

de certaine descriptions définies incomplètes 111 ), <strong>dans</strong> des énoncés comme :<br />

124a) Je reviens à huit heures<br />

124b) J'ai pris mes vacances en août.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, il est des relations référentiel<strong>le</strong>s entre <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> circonstanciels qui se<br />

laissent construire indépendamment de toute relation anaphorique (un phénomène<br />

analogue se rencontre <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine de la référence nomina<strong>le</strong>, voir <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s 13)<br />

et 14) ci-dessus) :<br />

125) L'hivers 1781, il faisait très froid. Un jour, Luc sortit ...<br />

<strong>Les</strong> circonstanciels intrinsèquement anaphoriques et <strong>le</strong>s circonstanciels de<br />

date incomplète ont un fonctionnement anaphorique très différent :<br />

a) Ils ne renvoient pas (par anaphore) au même type d'interval<strong>le</strong> : un circonstanciel de<br />

date incomplète prend pour antécédent un autre circonstanciel, de sorte que la relation<br />

s'établit entre deux <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> circonstanciels :<br />

126) Le 8 janvier, il faisait très froid. A huit heures, Luc sortit ...<br />

[ct1,ct2]<br />

[ct1,ct2]<br />

tandis qu'un circonstanciel intrinsèquement anaphorique renvoie à une vue, c'est-à-dire<br />

à un interval<strong>le</strong> de référence, y compris lorsque celui-ci est lui-même localisé par un<br />

circonstanciel :<br />

127) Il faisait très froid. La veil<strong>le</strong>, il avait neigé<br />

[I,II]<br />

[ct1,ct2]<br />

128) En janvier 1964, Luc rentra chez sa mère. La veil<strong>le</strong>, il avait neigé.<br />

[I,II]<br />

[ct1,ct2]<br />

111 Voir des emplois du type «Passe-moi la bouteil<strong>le</strong> !».<br />

64


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

Il trouve généra<strong>le</strong>ment son antécédent <strong>dans</strong> la phrase précédente la plus proche qui<br />

présente <strong>le</strong> procès sous la même relation temporel<strong>le</strong> absolue que cel<strong>le</strong> à laquel<strong>le</strong> il<br />

appartient (critères de proximité et de compatibilité). En l'absence de phrase précédente<br />

accessib<strong>le</strong>, il prend son antécédent <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s propositions, voire <strong>le</strong>s phrases, qui suivent :<br />

129a) Comme il avait plu la veil<strong>le</strong>, l'herbe était mouillée<br />

129b) Il avait plu la veil<strong>le</strong>. L'herbe était mouillée.<br />

Il arrive même, en l'absence de con<strong>texte</strong> antérieur et lorsque l'interval<strong>le</strong> circonstanciel<br />

doit entretenir une relation de simultanéité avec l'interval<strong>le</strong> antécédent, qu'il sé<strong>le</strong>ctionne<br />

ce dernier <strong>dans</strong> sa propre proposition, opérant ainsi une sorte d'«auto-repérage» :<br />

130) «Deux tramps de minab<strong>le</strong> allure, et qui paraissaient près de succomber à la fatigue et à la<br />

cha<strong>le</strong>ur de ce torride après-midi, suivaient <strong>le</strong>ntement la grande route bordée de palmiers<br />

géants qui part d'Hollywood (...) et se dirige vers <strong>le</strong> sud.» 112<br />

b) Ils marquent des relations de natures différentes avec <strong>le</strong>ur antécédent. Une date<br />

incomplète indique que l'interval<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> désigne et celui auquel renvoie son<br />

antécédent entretiennent une relation référentiel<strong>le</strong> de type partie-tout (ex. 126)) ou de<br />

co-appartenance à un même tout (à une même période); exemp<strong>le</strong> :<br />

131) A 8h10, il ouvrit <strong>le</strong>s yeux. A 8h20, il sortit du lit. A 8h30, il était en cours.<br />

Un circonstanciel intrinsèquement anaphorique peut exprimer aussi bien la coïncidence<br />

(à ce moment-là), <strong>le</strong> recouvrement (cette année-là), l'antériorité (la veil<strong>le</strong>) ou la<br />

postériorité (l'année suivante).<br />

c) Ils ne correspondent pas toujours au même type d'interval<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> dates incomplètes<br />

marquent un interval<strong>le</strong> de localisation qui situe la vue (l'interval<strong>le</strong> de référence) sur<br />

laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong>s portent. <strong>Les</strong> circonstanciels intrinsèquement anaphoriques peuvent soit<br />

indiquer un interval<strong>le</strong> de localisation (<strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain), soit exprimer la distance entre<br />

l'une des bornes de l'interval<strong>le</strong> de référence antécédent et la vue sur laquel<strong>le</strong> il porte<br />

(deux jours plus tard, trois heures avant ...).<br />

112 G. Lerouge, L'Amérique mystérieuse (ed. 1986), p. 9.<br />

65


SEMANTIQUE DE LA TEMPORALITE<br />

66


<strong>Les</strong> <strong>interval<strong>le</strong>s</strong> <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>texte</strong><br />

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