Lettre n°40_2504.indd - Semaine de la Critique
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ÉDITO DU PRÉSIDENT<br />
Vive <strong>la</strong> critique,<br />
<strong>la</strong> vraie…<br />
par Jean-Jacques Bernard<br />
distributeur, l’exploitant jouent le jeu<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> contrainte parce qu’elle est le prix<br />
<strong>de</strong> sa liberté. Le critique, lui, exerce <strong>la</strong><br />
sienne (<strong>de</strong> liberté) dans <strong>la</strong> seule mesure<br />
où on l’invite à le faire. Car montrer un<br />
film à <strong>la</strong> presse n’est pas une obligation<br />
<strong>de</strong> droit. Seuls <strong>la</strong> nécessité et l’usage<br />
ont installé une manière d’élégance :<br />
ceux qui font le film invitent ceux qui le<br />
commentent à <strong>de</strong>s projections privées<br />
avant sa sortie. Certes, par le passé il<br />
y a déjà eu maints coups <strong>de</strong> canif à<br />
ce contrat moral. Mais <strong>de</strong> nouveaux<br />
seuils viennent d’être franchis qui<br />
imposent à <strong>la</strong> critique d’inacceptables<br />
pressions et contorsions pour voir les<br />
films, accé<strong>de</strong>r à leurs auteurs, publier<br />
son opinion en temps utile. En c<strong>la</strong>ir,<br />
dans le cinéma comme ailleurs, <strong>la</strong><br />
communication prend <strong>la</strong>rgement le pas<br />
sur l’information. Listings préférentiels,<br />
restrictions, voire embargo sur les<br />
projections presse, engagements à<br />
signer avant <strong>la</strong> vision du film pour que<br />
<strong>la</strong> critique ne soit pas défavorable,<br />
DVD fournis aux uns et indisponibles<br />
pour les autres : les différences<br />
<strong>de</strong> traitement se multiplient et <strong>de</strong>s<br />
soupçons tenaces s’installent entre<br />
<strong>de</strong>s segments jadis plus respectueux<br />
les uns <strong>de</strong>s autres. Ainsi, <strong>de</strong>s heures<br />
<strong>de</strong> télévision promotionnelle se voient<br />
dévolues à certains films alors qu’une<br />
partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse écrite n’a même<br />
pas accès aux films en question.<br />
Après Hollywoo et Un jour, mon père<br />
viendra, le film La Vérité si je mens 3<br />
a donné lieu à <strong>de</strong> nouveaux excès <strong>de</strong><br />
zèle. Plusieurs papiers <strong>de</strong> presse et<br />
<strong>de</strong> radio (France Info) s’en sont fait<br />
l’écho. L’un <strong>de</strong>s mieux troussé fut celui<br />
<strong>de</strong> notre confrère Nico<strong>la</strong>s Schaller<br />
<strong>de</strong> Télé Obs (1) . J’ai d’autant plus <strong>de</strong><br />
p<strong>la</strong>isir à recomman<strong>de</strong>r <strong>la</strong> pleine page<br />
courageuse qu’il a consacré à ce «récit<br />
d’une mascara<strong>de</strong> marketing outrancière<br />
et peu glorieuse» que Nico<strong>la</strong>s Schaller<br />
n’est pas (encore ?) adhérent <strong>de</strong> notre<br />
syndicat. Et là, j’en profite pour rappeler<br />
que le débat, maintes fois engagé entre<br />
nous sur le thème, n’a jamais amené<br />
aucun acte vigoureux en direction <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> profession tout entière. Pourtant,<br />
une pétition publique sur <strong>la</strong> question<br />
<strong>de</strong>vrait être notre plus petit commun<br />
dénominateur.<br />
3<br />
Le respect dû à nos métiers<br />
comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> se mobiliser.<br />
Mais comment interpeller un<br />
secteur cinéma si soucieux<br />
d’obligations et <strong>de</strong> registre public quand<br />
il s’agit <strong>de</strong> ses propres financements<br />
et si peu enclin à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté quand<br />
il s’agit <strong>de</strong>s multiples truchements<br />
qu’il utilise entre le film et l’opinion ?<br />
Comment amener les médias, tous<br />
confondus, à ba<strong>la</strong>yer <strong>de</strong>vant leur<br />
porte ? À baliser plus nettement le<br />
territoire entre critique et propagan<strong>de</strong> ?<br />
Faut-il réunir tous les partis en<br />
présence (producteurs, distributeurs,<br />
attachés <strong>de</strong> presse, chaînes télés,<br />
sociétés marketing, éditeurs <strong>de</strong><br />
journaux) dans un très hypothétique<br />
Grenelle du secteur ? Après notre<br />
Syndicat, faut-il créer un Ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>Critique</strong> ? Des examens, <strong>de</strong>s quotas,<br />
<strong>de</strong>s serments déontologiques ?...<br />
Faut-il crier ? Ou se coucher par terre<br />
?... N’hésitez pas à interpeller votre<br />
Conseil : il est fait pour ça. La récolte<br />
<strong>de</strong> récits éloquents sur vos déboires en<br />
l’espèce serait déjà un bon début… En<br />
tous cas, <strong>la</strong> bonne image gagnée par<br />
notre <strong>Semaine</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>Critique</strong> <strong>de</strong>vrait<br />
ai<strong>de</strong>r notre syndicat à imposer l’idée<br />
qu’une p<strong>la</strong>te-forme collective <strong>de</strong><br />
discernement et <strong>de</strong> compétence serait<br />
possible, utile et reconnue.<br />
4<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> noter que<br />
nombre <strong>de</strong> cinéastes ont déjà<br />
pris fait et cause pour une<br />
critique digne <strong>de</strong> ce nom, à<br />
l’instar d’un Frédéric Sojcher qui, dans<br />
son Manifeste du Cinéaste (2) , pose ceci<br />
comme 10 e et ultime comman<strong>de</strong>ment :<br />
«Vive <strong>la</strong> critique. Pour un cinéaste, <strong>la</strong><br />
liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique est essentielle.<br />
Il doit se battre pour qu’elle puisse<br />
gar<strong>de</strong>r son indépendance, y compris<br />
à ses dépens. La critique est le seul<br />
contre-pouvoir aux lois du marché.<br />
Sans critique, pas d’ «auteur <strong>de</strong> film».<br />
Rien à ajouter. ♦<br />
(1) Télé Obs in Le Nouvel Observateur du<br />
1er février 2011<br />
(2) Manifeste du cinéaste <strong>de</strong> Frédéric Sojcher,<br />
Klincksieck éditeur (2011)<br />
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