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<strong>Un</strong> <strong>pont</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>jeunesse</strong><br />
<strong>Un</strong>e histoire de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>
<strong>Un</strong> <strong>pont</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>jeunesse</strong><br />
<strong>Un</strong>e histoire de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
Recherche et entretiens<br />
Frédéric Bastien<br />
Rédaction :<br />
Frédéric Bastien<br />
sous <strong>la</strong> direction éditoriale<br />
de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>
<strong>Un</strong> <strong>pont</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
<strong>Un</strong>e histoire de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
<strong>Un</strong>e publication de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> (OFQJ)<br />
En col<strong>la</strong>boration avec Groupe Beauchemin, éditeur ltée<br />
Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
Rédaction : Frédéric Bastien sous <strong>la</strong> direction éditoriale de l’OFQJ<br />
Chargé de projet : Michel Leduc assisté de Sophie Boissonneault et de Chantale Morin<br />
Recherche iconographique : Chantale Morin et Michel Lagacé<br />
Groupe Beauchemin, éditeur ltée<br />
Supervision éditoriale : Corinne Audinet-Dumont<br />
Production : Michel-Carl Perron<br />
Révision linguistique : Marie-Josée Guy<br />
Correction d’épreuves : Viviane Deraspe<br />
Couverture, conception graphique et réalisation : Communication visuelle Bizier & Bouchard<br />
Impression : Solisco<br />
© 2003 Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
Section du Québec : Section de France :<br />
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Dépôt légal : 1er trimestre 2003<br />
Bibliothèque nationale du Québec<br />
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ISBN 2-7616-1578-6<br />
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faire éditer par des professionnels est menacée.
À PROPOS DE L’AUTEUR<br />
Né à Montréal au Québec, Frédéric Bastien a obtenu un doctorat en<br />
re<strong>la</strong>tions internationales de l’Institut universitaire de hautes études<br />
internationales de Genève. Parallèlement à ses études, il a occupé<br />
le poste de coordonnateur des nouvelles <strong>pour</strong> l’Eurovision tout en<br />
étant journaliste <strong>pour</strong> Radio-Canada depuis l’Europe. Il enseigne<br />
actuellement au département de Re<strong>la</strong>tions internationales de<br />
l’<strong>Un</strong>iversité du Québec à Montréal.<br />
Il col<strong>la</strong>bore également à diverses publications, dont La Presse, Études<br />
internationales, Re<strong>la</strong>tions internationales et Vélo-Mag.<br />
Spécialiste en re<strong>la</strong>tions internationales avec un intérêt marqué <strong>pour</strong><br />
<strong>la</strong> coopération franco-québécoise, Frédéric Bastien est également<br />
l’auteur de l’ouvrage Re<strong>la</strong>tions particulières, <strong>la</strong> France face au Québec<br />
après de Gaulle paru aux Éditions du Boréal en 1999.
« <strong>Un</strong> organisme comme l’Office franco-québécois<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> est condamné par le mouvement<br />
qu’il a créé, par les succès qu’il a enregistrés, par<br />
les espoirs qu’il a fait naître, à toujours avancer,<br />
à toujours progresser, à toujours inventer.»<br />
JOSEPH COMITI,<br />
MINISTRE DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS,<br />
3 JUIN 1973
L’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> (OFQJ) a contribué<br />
utilement, au cours de ses trente-cinq années d’histoire, à faire vivre<br />
ce qui constitue sans doute le cœur de <strong>la</strong> communauté francophone.<br />
Il est bon que des jeunes gens, profitant du fait qu’ils aient en partage<br />
<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, soient incités à sortir de chez eux afin de découvrir sur un<br />
autre continent une approche nécessairement différente de <strong>la</strong> vie<br />
moderne. Ce genre d’expérience permet d’acquérir une distance<br />
critique sur soi-même qui ne peut que favoriser le progrès<br />
professionnel et humain.<br />
L’Office, et c’est une excellente chose, ne s’en est pas tenu à l’entretien<br />
des liens d’ordre culturel : grâce à son dynamisme, <strong>la</strong> palette des<br />
échanges s’est étendue aux activités économiques, aux parcours d’insertion sociale,<br />
ou encore à <strong>la</strong> coopération universitaire. En é<strong>la</strong>rgissant ainsi son champ d’intervention,<br />
il est parvenu à toucher un public <strong>pour</strong> lequel l’idée même de mobilité n’al<strong>la</strong>it pas<br />
forcément de soi.<br />
Ce rôle d’accompagnement et d’expérimentation dans le domaine des échanges de<br />
jeunes méritait d’être mis en relief, ce que fait heureusement l’ouvrage <strong>Un</strong> <strong>pont</strong> <strong>pour</strong><br />
<strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. Que tous ceux qui concourent au succès de l’OFQJ trouvent ici l’expression<br />
de ma reconnaissance.<br />
Luc FERRY<br />
Ministre de <strong>la</strong> Jeunesse, de l’Éducation nationale et de <strong>la</strong> Recherche
Il aura fallu l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> afin de rebâtir<br />
les <strong>pont</strong>s entre deux nations, aux liens naturels trop longtemps<br />
endigués. C’est <strong>la</strong> Révolution tranquille, doublée de <strong>la</strong> volonté politique<br />
gaullienne, qui ont fait mûrir les fruits de l’amitié, des complicités, des<br />
destins entrecroisés. Dont l’un des plus riches est sans contredit l’OFQJ.<br />
Aujourd’hui, nous célébrons avec fierté ses 35 ans !<br />
De tels succès sont le résultat d’une vision c<strong>la</strong>ire, concrétisée par un<br />
travail acharné. Plusieurs des propositions contenues dans les accords<br />
Johnson-Peyrefitte, le texte fondateur de <strong>la</strong> coopération entre <strong>la</strong> France<br />
et le Québec, ont été concrétisées. Nommément, l’OFQJ.<br />
Trentre-cinq ans plus tard, <strong>la</strong> richesse de notre re<strong>la</strong>tion, sa profondeur, se voient dans<br />
les domaines des plus divers. Des dizaines de visites ministérielles, soixante ententes<br />
bi<strong>la</strong>térales, <strong>la</strong> commission permanente de coopération, des centaines d’entreprises dont<br />
les investissements créent de part et d’autre des milliers d’emplois, des re<strong>la</strong>tions<br />
interparlementaires soutenues, cent trente jume<strong>la</strong>ges de villes. Et bien sûr, l’OFQJ et<br />
ses cent mille participants.<br />
L’impact d’une expérience sur un jeune via l’OFQJ est, dans l’immense majorité des<br />
cas, positif. Mais au-delà de <strong>la</strong> myriade de cas particuliers, cette institution a un impact<br />
sur <strong>la</strong> société dans son ensemble. L’OFQJ, en définitive, est plus que <strong>la</strong> somme de ses<br />
parties. Car les rapports interpersonnels, de par leurs effets multiplicateurs, surtout<br />
lorsqu’ils sont forgés à un âge si fécond, demeurent le ciment même des re<strong>la</strong>tions qui<br />
unissent les nations.<br />
Cette dimension est vitale. Si nous, Québécois et Français, ne pouvons rien à <strong>la</strong> dérive<br />
des continents – qui nous éloigne imperceptiblement mais inexorablement l’un de<br />
l’autre – nous pouvons, par contre, par des politiques avisées, empêcher nos sociétés<br />
de suivre <strong>la</strong> même tangente.<br />
L’OFQJ, c’est l’une de ces politiques. C’est l’avenir de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion franco-québécoise.<br />
Louise BEAUDOIN<br />
Ministre d’État aux Re<strong>la</strong>tions internationales et Responsable de <strong>la</strong> Francophonie
SOMMAIRE<br />
Introduction : Naître avec l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13<br />
Chapitre I : <strong>Un</strong>e course à obstacles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19<br />
Chapitre II : Inventer un outil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31<br />
Chapitre III : Dans <strong>la</strong> tourmente linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . 35<br />
Chapitre IV : Vivre du nouveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41<br />
Chapitre V : S’adapter <strong>pour</strong> progresser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49<br />
Chapitre VI : L’heure des grandes manœuvres . . . . . . . . . . . . . . . . 55<br />
Chapitre VII : L’ère des grands projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59<br />
Chapitre VIII : Ajustements et nouveaux horizons . . . . . . . . . . . . . . . 67<br />
Chapitre IX : Re<strong>la</strong>nce et é<strong>la</strong>rgissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75<br />
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89<br />
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92<br />
Secrétaires généraux et Ministres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93<br />
Crédits iconographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95<br />
11
12<br />
C'est au cours du voyage historique du président de Gaulle<br />
au Québec en 1967, sous les c<strong>la</strong>meurs de <strong>la</strong> foule qui se presse<br />
tout au long du chemin du Roy, que naît l'idée de créer<br />
l'Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>.<br />
Le général, qui soumet l'idée au premier ministre Daniel Johnson,<br />
souhaite ainsi « rebâtir les <strong>pont</strong>s entre le Québec et <strong>la</strong> France »<br />
en favorisant le rapprochement des jeunes.
INTRODUCTION : Naître<br />
avec l’histoire<br />
L’histoire de l’Office franco-québécois<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> est indissociable du contexte<br />
enfiévré des années 1960 qui portait <strong>la</strong> France<br />
et le Québec vers le changement et <strong>la</strong><br />
redécouverte. Ces circonstances historiques<br />
ont eu un tel impact sur les re<strong>la</strong>tions francoquébécoises<br />
(et sur l’OFQJ) qu’elles méritent<br />
d’être rappelées.<br />
[...] vous êtes en train de vous constituer des élites,<br />
des usines, des entreprises, des <strong>la</strong>boratoires… qui,<br />
un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider<br />
<strong>la</strong> France.<br />
CHARLES DE GAULLE<br />
Le 22 juin 1960, le Parti libéral prenait le pouvoir au Québec, conduit par des slogans<br />
restés fameux : « Maître chez-nous » et « Maintenant ou jamais ». Le nouveau premier ministre,<br />
Jean Lesage, ne demande pas mieux que de coopérer avec <strong>la</strong> France <strong>pour</strong> réussir les réformes<br />
proposées dans son programme<br />
électoral. Ce qui l’amène, dès<br />
1961, à ouvrir à Paris une « maison<br />
du Québec », qui deviendra<br />
ensuite <strong>la</strong> délégation générale du<br />
Québec. Trois ans plus tard, les<br />
premiers accords de coopération<br />
franco-québécoise sont signés. La<br />
convergence des volontés entre<br />
les deux sociétés ne fait que<br />
commencer car, comme le note<br />
le général de Gaulle devant A<strong>la</strong>in<br />
Peyrefitte, ministre de l’Éducation<br />
nationale : « Les Français du<br />
Canada sont en danger <strong>pour</strong> leur<br />
identité, nous devons leur venir<br />
en aide. » Et le ministre Louis<br />
Joxe ajoute à propos de son<br />
Signature du protocole fondant l’OFQJ le 9 février 1968. De <strong>la</strong> France, le ministre de <strong>la</strong><br />
Jeunesse et des Sports, François Misoffe (1968-1969) assis aux côtés de Jean-Marie Morin,<br />
ministre québécois de <strong>la</strong> Jeunesse, des Loisirs et des Sports (1968-1970).<br />
patron : « Sa grande pensée est<br />
de réveiller le fait français dans<br />
le monde <strong>pour</strong> faire équilibre<br />
aux Anglo-Saxons 1 . »<br />
1 A<strong>la</strong>in Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, éditions Fayard, 2000,<br />
tome III, p. 304, 317.<br />
13
C’est dans cette perspective que s’amorcent les préparatifs du voyage du général de<br />
Gaulle au Québec, en 1967, dans le cadre de l’Exposition universelle de Montréal. Si le général<br />
accepte finalement d’aller dans « cette foire 2 », ce n’est qu’après que son « ami Johnson,<br />
devenu premier ministre en 1966 3 », lui ait fait part de l’attente des Québécois.<br />
Les propos de Daniel Johnson convainquent de Gaulle qui, en stratège attentif aux<br />
circonstances, décide finalement de se rendre au Québec <strong>pour</strong> aider le Canada français à<br />
s’émanciper. « On va m’entendre là-bas », <strong>la</strong>nce-t-il au député Xavier Deniau, venu le saluer<br />
alors qu’il s’embarque sur le Colbert <strong>pour</strong> traverser l’At<strong>la</strong>ntique 4 .<br />
Ce voyage en bateau ne sera pas sans conséquence dans l’histoire de l’OFQJ. De Gaulle<br />
arrive à Québec le 23 juillet 1967 et il rejoint Montréal le 24 juillet. Dès le moment où il met<br />
le pied à l’Anse-aux-Foulons, le vent de l’histoire commence à souffler sur <strong>la</strong> vallée du Saint-<br />
Laurent. Dans peu de temps, c’est à l’échelle mondiale qu’on va parler de ce coin d’Amérique.<br />
De Gaulle à Johnson :<br />
« Pourquoi ne pas faire un office <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ? »<br />
Parmi ceux chargés de l’accueil du général se trouve un personnage appelé à jouer un<br />
rôle important dans les annales de l’OFQJ. D’allure svelte, <strong>la</strong> chevelure frisant aux quatre<br />
vents, <strong>la</strong> mèche en bataille, l’air vaguement technocrate, son apparence ne manque pas<br />
d’attirer l’attention. Son nom : Jean-Paul L’Allier. Âgé de 27 ans, il est directeur de <strong>la</strong><br />
Coopération au ministère des Affaires culturelles. <strong>Un</strong> haut fonctionnaire, comme il y en avait<br />
plusieurs à l’époque. <strong>Un</strong> homme qui ignore encore qu’il est sur le point de devenir le premier<br />
secrétaire général de l’OFQJ, <strong>pour</strong> ensuite en devenir le ministre responsable.<br />
Jean-Paul L’Allier considère <strong>la</strong> venue de de Gaulle comme « <strong>la</strong> mère de toutes les<br />
visites 5 ». En ce 24 juillet, tandis que le jeune L’Allier vaque à tous les détails du voyage,<br />
s’assurant <strong>pour</strong> <strong>la</strong> millième fois que rien n’est <strong>la</strong>issé au hasard, le président de <strong>la</strong> France et<br />
le premier ministre du Québec entament leur expédition le long du chemin du Roy. De<br />
Donacona à Trois-Rivières en passant par Sainte-Anne-de-<strong>la</strong>-Pérade et Cap-de-<strong>la</strong>-Madeleine,<br />
de Louiseville à Montréal en traversant Berthier et Repentigny, les deux hommes discutent<br />
de <strong>la</strong> France et du Québec. C’est alors que le général sonde son « ami Johnson ». « Il en a<br />
parlé à Daniel Johnson au cours du voyage », raconte Jean-Paul L’Allier. Il lui a dit : « La<br />
France et l’Allemagne ont fait l’Office franco-allemand <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> afin de rebâtir les<br />
<strong>pont</strong>s entre eux. Nous devrions faire <strong>la</strong> même chose 6 . »<br />
« L’ami » québécois se montre réceptif, mais <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> création de l’Office va être<br />
momentanément éclipsée. Car le souffle de l’histoire se fait sentir au fur et à mesure que <strong>la</strong><br />
voiture du général approche de Montréal. La pluie diluvienne du matin a cessé depuis Capde-<strong>la</strong>-Madeleine.<br />
Tandis que les premiers gratte-ciel de <strong>la</strong> métropole se découpent au loin,<br />
14<br />
2 L’expression est du général.<br />
3 L’expression est du général.<br />
4 Entretien avec Xavier Deniau, 18/03/98.<br />
5 Témoignage de Jean-Paul L’Allier tiré du documentaire de Luc Cyr et Carl<br />
Leb<strong>la</strong>nc, « Le voyage du général de Gaulle au Québec», Prospec, 1997.<br />
6 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
un soleil radieux pointe désormais à l’horizon. Quand le cortège arrive enfin devant l’hôtel<br />
de ville, le tonnerre d’acc<strong>la</strong>mations est tel qu’on n’entend même pas <strong>la</strong> fanfare qui joue<br />
<strong>pour</strong>tant à tue-tête en l’honneur du visiteur.<br />
Le général a juste le temps de saluer <strong>la</strong> foule et de s’engouffrer dans l’entrée avant que<br />
le cordon de sécurité se rompe sous <strong>la</strong> pression de <strong>la</strong> foule. À l’intérieur, <strong>la</strong> c<strong>la</strong>meur popu<strong>la</strong>ire<br />
continue à monter aux oreilles du premier des Français : « <strong>Un</strong> discours ! <strong>Un</strong> discours ! <strong>Un</strong><br />
discours ! ». Et voici le général, les bras en V, sur cette balustrade en forme de corniche,<br />
f<strong>la</strong>nquée de ces imitations de colonnes corinthiennes, saluant le peuple en délire qui n’attend<br />
plus que les paroles providentielles de l’homme d’État déferlent sur lui.<br />
Après avoir « secrètement » confessé à <strong>la</strong> foule que sa tournée québécoise lui a fait penser<br />
à l’atmosphère de <strong>la</strong> Libération, le voilà qui entonne, dans un crescendo surprenant, l’agencement<br />
fatidique des mots désormais célèbres : « Vive Montréal ! Vive le Québec ! Vive le<br />
Québec… libre ! Vive le Canada français et vive <strong>la</strong> France ! ».<br />
Outre les sept syl<strong>la</strong>bes du « Vive le Québec libre ! », d’autres passages du discours attirent<br />
l’attention, notamment celui où de Gaulle salue le symbole de réussite moderne qu’est<br />
devenue Montréal, non sans ajouter à quel point <strong>la</strong> modernité québécoise va dans le sens<br />
des intérêts de <strong>la</strong> France : « […] Le concours que <strong>la</strong> France va, tous les jours un peu plus,<br />
prêter ici, elle sait bien que vous lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer<br />
des élites, des usines, des entreprises, des <strong>la</strong>boratoires, qui feront l’étonnement de tous et<br />
qui, un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider <strong>la</strong> France 7 . »<br />
Le général ne tarde pas à démontrer qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air, surtout lorsqu’il<br />
s’adresse à <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. <strong>Un</strong>e conversation à ce sujet avec Johnson est encore fraîche à sa<br />
mémoire lorsqu’il atterrit à Orly, le 27 juillet 1967.<br />
L’idée est dans l’air<br />
Puisqu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, le général de Gaulle ne perd pas de<br />
temps. À sa descente d’avion où l’attend tout son Conseil des ministres, il déc<strong>la</strong>re à A<strong>la</strong>in<br />
Peyrefitte qu’il veut le voir le lendemain à son bureau. De Gaulle compte l’envoyer au Québec<br />
<strong>pour</strong> signer de nouveaux accords de coopération. Et il lui confie peu de temps après une<br />
lettre personnelle adressée à Daniel Johnson 8 .<br />
Ensuite, c’est au tour de François Missoffe, ministre de <strong>la</strong> Jeunesse et des Sports, d’être<br />
convoqué à l’Élysée. Fort des instructions du général, Missoffe rassemble une petite équipe<br />
comprenant Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, l’un de ses col<strong>la</strong>borateurs. Il se trouve que Quyollet fait<br />
également partie du conseil d’administration de l’Office franco-allemand <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> et<br />
qu’il a déjà une bonne connaissance de ce genre d’organisme.<br />
7 Charles de Gaulle, Discours aux peuples du monde (sur disque compact),<br />
Paris, Institut Charles de Gaulle, 1994.<br />
8 Entretien avec A<strong>la</strong>in Peyrefitte, 27/10/98.<br />
15
L’idée de faire quelque chose <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> est dans l’air. Au printemps 1967, le haut<br />
fonctionnaire québécois, André Patry, se souvient d’en avoir formellement parlé avec des<br />
diplomates français en vue du voyage en France de Daniel Johnson 9 . Il est donc tout à fait<br />
p<strong>la</strong>usible que cette volonté soit très tôt présente à l’esprit du général. Il confie son idée à<br />
A<strong>la</strong>in Peyrefitte <strong>la</strong> journée même de son retour. Selon toute vraisemb<strong>la</strong>nce, l’idée a dû mûrir<br />
au cours du voyage. Il demeure naturel que de Gaulle ait pensé à l’Office franco-allemand<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, référence toute normale <strong>pour</strong> lui.<br />
De toute évidence, dans le tourbillon des événements de 1967, le projet devait être resté<br />
à un stade embryonnaire. Les instructions données à Missoffe étaient sûrement d’ordre général.<br />
L’idée de remettre à de Gaulle un projet détaillé qui transposait au Québec ce qui avait été<br />
fait en Allemagne émane sans aucun doute de Missoffe et son équipe.<br />
Fort de l’aval présidentiel, Missoffe et Quyollet se mettent rapidement en route. Ils débarquent<br />
à Montréal à <strong>la</strong> fin du mois de septembre où ils sont accueillis par Jean-Marie Morin,<br />
adjoint parlementaire du premier ministre, à qui celui-ci vient de confier le mandat de prendre<br />
en charge les destinées de l’Office. Le temps de <strong>la</strong> redécouverte vient de commencer.<br />
Cette redécouverte s’applique d’abord au climat, détail qui ne manque pas de frapper<br />
les visiteurs. C’est l’automne et Jean-Marie Morin<br />
a <strong>la</strong> présence d’esprit d’emmener ses convives dans<br />
son coin de pays : le Bas-Saint-Laurent. Aussi loin<br />
que peut porter le regard vers l’horizon, les vastes<br />
forêts québécoises ont revêtu leurs plus belles<br />
couleurs : rouge, jaune, vert et orange, embellies<br />
de teintes écar<strong>la</strong>tes et éc<strong>la</strong>tantes. Jamais Missoffe<br />
et Quyollet n’ont vu pareille beauté ! Ils en ont le<br />
souffle coupé.<br />
[...] <strong>la</strong> création d’un office bigouvernemental<br />
était une première, et tout ce<strong>la</strong><br />
se faisait dans le désaccord d’Ottawa.<br />
Donc ce n’était pas banal.<br />
JEAN-CLAUDE QUYOLLET<br />
<strong>Un</strong>e lettre personnelle <strong>pour</strong> Daniel Johnson<br />
Entre Français et Québécois, les choses vont bon train. Le travail plus sérieux commence<br />
à Québec grâce à une rencontre entre François Missoffe et Daniel Johnson. C’est à ce moment<br />
que le ministre remet au premier ministre une lettre manuscrite de <strong>la</strong> part du général. Jean-<br />
C<strong>la</strong>ude Quyollet re<strong>la</strong>te <strong>la</strong> suite :<br />
« Cette lettre proposait à Johnson <strong>la</strong> création d’un office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>jeunesse</strong>… il a lu <strong>la</strong> lettre devant nous et il nous a dit qu’il trouvait l’idée très bonne, qu’il<br />
était enthousiaste, tout en faisant remarquer que le Québec manquait d’expérience dans le<br />
domaine des re<strong>la</strong>tions bi<strong>la</strong>térales. »<br />
9 Entretien avec André Patry, 12/07/01.<br />
16
François Missoffe lui a répondu : « ne vous inquiétez pas, nous avons des organismes<br />
bi<strong>la</strong>téraux et d’ailleurs nous en avons un avec l’Allemagne qui marche très bien et monsieur<br />
Quyollet en est membre. Donc nous savons comment il faut faire. »<br />
« Là-dessus j’ai senti que Daniel Johnson a été quelque peu rassuré puisque au départ<br />
il ne savait pas trop ce que ça al<strong>la</strong>it être. Il faut dire que <strong>pour</strong> le Québec, <strong>la</strong> création d’un<br />
office bigouvernemental était une première, et tout ce<strong>la</strong> se faisait dans le désaccord d’Ottawa.<br />
Donc ce n’était pas banal 10 . »<br />
À <strong>la</strong> suite de cette rencontre, les discussions concrètes sont entamées. Jean-C<strong>la</strong>ude<br />
Quyollet en est chargé <strong>pour</strong> le gouvernement français. Du côté québécois, le choix de Daniel<br />
Johnson se porte assez rapidement sur Jean-Paul L’Allier, qui s’apprête alors à retourner à<br />
son poste d’enseignant à l’<strong>Un</strong>iversité d’Ottawa, qu’il a dé<strong>la</strong>issé depuis deux ans. L’intéressé<br />
re<strong>la</strong>te <strong>la</strong> scène :<br />
« J’avais connu Johnson l’année de l’Expo, en 1967. Pour chaque visiteur qu’il recevait,<br />
je lui faisais un briefing. Et puis j’ai commencé à lui écrire des discours <strong>pour</strong> des réceptions,<br />
des toasts, etc.<br />
Après cet épisode, il m’a fait venir à son bureau <strong>pour</strong> me demander de mettre sur pied<br />
cet Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> qui était sur le point de naître. Il m’a dit : Je<br />
veux que ça soit vous, je vais vous donner les moyens. Vous avez carte b<strong>la</strong>nche, débrouillezvous<br />
11 ! ».<br />
Tout le long des mois d’octobre, de novembre et de décembre, les négociations se<br />
<strong>pour</strong>suivent entre Paris et Québec. L’Allier et Quyollet multiplient les allers et retours entre<br />
les deux capitales. Ces démarches<br />
ne resteront pas vaines.<br />
Le 8 février 1968, le protocole<br />
donnant officiellement naissance<br />
à l’Office francoquébécois<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
est signé à Paris par François<br />
Missoffe et Jean-Marie Morin.<br />
À partir de maintenant,<br />
il s’agit de transformer ces<br />
intentions en gestes concrets.<br />
Tant en France qu’au Québec,<br />
on veut que les premiers<br />
échanges débutent dès l’été<br />
1968. <strong>Un</strong> pari des plus risqués<br />
s’il en est.<br />
C'est le début d'un temps nouveau... Les premiers échanges débutent dès l’été 1968 par des<br />
voyages de groupes. On se connaît, on se reconnaît, on compare, on apprend. La découverte<br />
est grande, belle, irrésistible.<br />
10 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
11 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.<br />
17
18<br />
« Où sont les Indiens ? » demandent les cohortes<br />
de jeunes Français qui débarquent au Québec en 1968.<br />
La coopération, c'est aussi de désamorcer les clichés,<br />
les mythes et les préjugés.
CHAPITRE 1 :<br />
<strong>Un</strong>e course<br />
à obstacles<br />
Afin d’accélérer le processus, Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet a été momentanément détaché du<br />
ministère de <strong>la</strong> Jeunesse et des Sports <strong>pour</strong> travailler directement auprès de l’Élysée. <strong>Un</strong> autre<br />
signe de l’importance qu’accorde de Gaulle à <strong>la</strong> question québécoise.<br />
Cet appui politique n’est pas du tout superflu. Le projet de l’OFQJ est à peine <strong>la</strong>ncé<br />
qu’il se heurte à l’âpreté initiale du ministère français des Affaires étrangères. « Ah ! il a fallu<br />
convaincre », <strong>la</strong>nce Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet en soupirant. « On a imposé l’idée au Quai d’Orsay<br />
malgré leur hostilité. Heureusement que nous pouvions compter sur une poignée de gens<br />
convaincus comme Pierre Moineau, directeur de <strong>la</strong> Coopération culturelle, technique et scientifique,<br />
ou encore Pierre de Menthon, consul général de France à Québec. »<br />
Pour ce qui est de ce dernier, il faut dire que de Gaulle le nomme à ce poste à <strong>la</strong> suite<br />
de son voyage. Cependant, il lui donne des instructions très c<strong>la</strong>ires. À titre de consul général,<br />
il devra entretenir des re<strong>la</strong>tions avec le gouvernement du Québec, sans passer par le gouvernement<br />
fédéral ou par l’ambassade de France à Ottawa, tout en faisant rapport à Paris. Afin<br />
d’être certain que le message soit reçu cinq sur cinq, de Gaulle convoque de Menthon à<br />
l’Élysée <strong>pour</strong> lui expliquer personnellement sa mission.<br />
Les premiers artisans de l’Office <strong>pour</strong>ront donc s’appuyer sur un allié de taille en <strong>la</strong><br />
personne de De Menthon. Ce qui ne veut pas dire que les fonctionnaires du Quai ont réellement<br />
compris l’importance que revêt désormais <strong>la</strong> politique québécoise. En 1969, une fois<br />
de Gaulle parti, les anciennes habitudes reviennent vite au galop. « On était un peu inquiet<br />
à ce moment-là, rappelle Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet. Mais sous <strong>la</strong> présidence de Georges Pompidou,<br />
j’ai pu compter sur Michel Jobert, secrétaire général de l’Élysée, et aussi sur deux conseillers<br />
du président, Jean-Bernard Raimond et Michel Bruguières 12 . »<br />
<strong>Un</strong> office <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>… paralysé par <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
Les rebuffades administratives ne sont pas les seuls obstacles que doit surmonter le<br />
jeune organisme au cours de ses premières années d’existence. D’entrée de jeu, les événements<br />
se précipitent. L’encre du protocole de février 1968 n’est pas encore sèche que les<br />
étudiants de <strong>la</strong> faculté de Nanterre entament une grève dont les conséquences vont bouleverser<br />
<strong>la</strong> France. Alors que les premiers stages de l’Office sont prévus <strong>pour</strong> le mois de juin,<br />
<strong>la</strong> révolte estudiantine se répand sur <strong>la</strong> France comme un raz-de-marée, défer<strong>la</strong>nt sur le<br />
12 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
19
Quartier <strong>la</strong>tin, emportant l’Odéon, dressant des barricades, ébran<strong>la</strong>nt le général… paralysant<br />
complètement les communications.<br />
Les cris de fronde de cette <strong>jeunesse</strong> capricieuse<br />
sont tels qu’ils retentissent jusqu’aux nouveaux locaux<br />
de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, tout à côté<br />
du parc Monceau dans le XVII e arrondissement. Sur le<br />
bureau du secrétaire général, les projets de stages s’empilent<br />
les uns sur les autres, sans qu’il puisse y donner suite<br />
de quelque façon que ce soit. Or, nous sommes à un<br />
mois des premiers échanges. Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet<br />
s’arrache les cheveux. Et, comme si <strong>la</strong> situation n’était<br />
Mais qui sont-ils ces jeunes<br />
Français et Québécois qui se<br />
<strong>la</strong>ncent à <strong>la</strong> redécouverte d’une<br />
lointaine parenté dont on avait<br />
perdu <strong>la</strong> trace ?<br />
pas assez difficile, Postes Canada déclenche une grève quelques semaines plus tard. « On a<br />
vraiment eu des problèmes ! », raconte Quyollet. « Pendant un mois, un mois et demi, il n’y<br />
avait plus de communication avec le Québec. Les messages, les lettres, les télex et même le<br />
téléphone ont été brièvement paralysés. C’était un véritable trou noir et tout ce<strong>la</strong> au moment<br />
même où l’on s’apprêtait à <strong>la</strong>ncer les premiers échanges 13 . »<br />
En de telles circonstances, les premiers artisans de l’OFQJ sont-ils gagnés par le<br />
découragement ? Pas du tout, s’il faut en croire A<strong>la</strong>in Beaugier, ancien directeur des<br />
Programmes et des échanges à <strong>la</strong> section française :<br />
« En dehors du regret qu’on avait de ne pas pouvoir faire venir nos premiers stagiaires,<br />
on savait qu’on n’avait aucune prise sur les événements. Mais nous n’étions pas abattus<br />
puisqu’on était une équipe jeune. Nous gardions le moral vaille que vaille. Et comme il y<br />
avait des journées où l’on ne pouvait pas travailler, on al<strong>la</strong>it voir ce qui se passait, le jour à<br />
<strong>la</strong> Sorbonne, le soir à l’Odéon. Au fond, c’était une époque vraiment captivante 14 […] ».<br />
Les stagiaires ont disparu<br />
Finalement, et contre toute attente, l’Office réussit à faire démarrer ses stages au début<br />
de juin. Non sans quelques ratés supplémentaires… dont <strong>la</strong> toute première arrivée de stagiaires<br />
français au Québec.<br />
« On était partis en parade, tout fiers, afin d’aller accueillir nos premiers stagiaires »,<br />
raconte en riant Jean-Paul L’Allier. « On arrive à Dorval, pas de stagiaires 15 ! » Tout le monde<br />
est interloqué. Les Québécois se mettent à <strong>la</strong> recherche des Français en se renseignant à<br />
toutes les compagnies aériennes de l’aéroport. Tout le monde revient bredouille. Et comme<br />
les grèves se <strong>pour</strong>suivent en France, impossible de communiquer avec Paris.<br />
« Comme ils n’arrivaient pas, <strong>pour</strong>suit Jean-Paul L’Allier, on est allés au collège Brébeuf<br />
où ils devaient loger. On avait organisé une petite réception avec du vin et des pâtés. On<br />
20<br />
13 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
14 Entretien avec A<strong>la</strong>in Beaugier, 02/02/01.<br />
15 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
s’est dit qu’on n’al<strong>la</strong>it pas gaspiller tout ça ! Alors on a mangé et on a bu. La soirée était assez<br />
avancée lorsque quelqu’un a <strong>la</strong>ncé : “Et s’ils étaient arrivés par New York 16 ?”. »<br />
Mais bien sûr ! Faute d’avoir pu les diriger sur Montréal, <strong>la</strong> section française avait dû<br />
les envoyer vers <strong>la</strong> métropole américaine. Jean-Paul L’Allier et sa bande font alors un rapide<br />
calcul. Depuis leur arrivée à New York, considérant <strong>la</strong> durée du trajet en autobus entre les<br />
deux villes, ils étaient probablement déjà arrivés à Montréal. Les bureaux de l’OFQJ étaient<br />
situés dans <strong>la</strong> tour d’Hydro-Québec. En deux temps, trois mouvements, tout le monde saute<br />
dans sa voiture <strong>pour</strong> foncer à toute vitesse vers le centre-ville. Résultat : « On a trouvé nos<br />
trente stagiaires qui nous attendaient <strong>la</strong> mine fatiguée, mais contents qu’on les ait retrouvés 17 . »<br />
Où sont les « Indiens » ?<br />
Si les premiers contingents de stagiaires arrivent sains et saufs, les questions qu’ils posent<br />
ne manquent pas de faire sourciller les Québécois. « Quand les Français débarquaient, se<br />
souvient François Duffar, l’un des premiers employés de l’Office, ils nous posaient toujours<br />
cette question : Où sont les « Indiens » ? Les clichés et les obstacles ne sont donc pas venus<br />
à bout de <strong>la</strong> volonté des premiers artisans de l’Office. Le 4 juin, les premiers échanges<br />
commençaient et il y eut au cours de l’été plus de deux mille échanges de jeunes professionnels<br />
et d’étudiants 18 […]. »<br />
Franco-québécois ou franco-canadien ?<br />
S’il n’en tenait qu’au gouvernement fédéral, ce succès serait rapidement remis en cause.<br />
Le remue-ménage provoqué par <strong>la</strong> création de l’OFQJ ne passe pas inaperçu à Ottawa. Les<br />
fédéraux s’inquiètent de <strong>la</strong> tournure des événements et commencent à craindre, plus que<br />
jamais, que le Québec ne devienne le partenaire privilégié de <strong>la</strong> France. Ce<strong>la</strong>, malgré le fait<br />
qu’Ottawa n’ait jamais jugé opportun, dans le passé, de développer ses re<strong>la</strong>tions avec Paris.<br />
Qu’à ce<strong>la</strong> ne tienne ! Les manœuvres d’obstruction débutent avant même que le protocole<br />
de février 1968 soit signé. C’est Bernard Dorin, le conseiller diplomatique d’A<strong>la</strong>in Peyrefitte<br />
qui, le premier, tire <strong>la</strong> sonnette d’a<strong>la</strong>rme. Ministre de l’Éducation nationale, Peyrefitte est mêlé<br />
de très près à <strong>la</strong> coopération avec le Québec. Dans un document frappé de <strong>la</strong> mention<br />
« secret » qu’il rédige <strong>pour</strong> son ministre, le diplomate Dorin écrit notamment ce qui suit concernant<br />
l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> :<br />
« Le haut comité <strong>pour</strong> l’expansion et <strong>la</strong> défense de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française, avec l’accord du<br />
premier ministre et finalement du ministre des Affaires étrangères, émet un vœu <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />
création d’un office francophone <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. <strong>Un</strong> dossier complet est alors constitué.<br />
16 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.<br />
17 Ibid.<br />
18 Journal des débats de l’Assemblée légis<strong>la</strong>tive du Québec, troisième<br />
session, 28 e légis<strong>la</strong>ture, vendredi 1 er novembre 1968, vol. 7,<br />
n o 81, p. 3772.<br />
21
Le ministre fédéral canadien Jean Marchand, qui a eu vent du projet et désire couper<br />
l’herbe sous le pied des Québécois (qui n’ont pas encore de ministère de <strong>la</strong> Jeunesse), propose<br />
<strong>la</strong> création d’un office franco-canadien <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>.<br />
Le Quai d’Orsay saisi des deux projets et devant <strong>la</strong> difficulté de leur harmonisation en<br />
profite <strong>pour</strong> enterrer l’un et l’autre… Il ne faut pas se dissimuler qu’après <strong>la</strong> proposition<br />
Marchand, <strong>la</strong> création d’un office franco-québécois (au lieu de franco-canadien) va constituer<br />
<strong>pour</strong> Ottawa un motif supplémentaire de désagrément 19 […] »<br />
Désagrément, le mot n’est pas exagéré. Aux yeux des libéraux fédéraux, qui gouvernent<br />
alors à Ottawa, tout ce qui relève de <strong>la</strong> coopération franco-québécoise est suspect. Le<br />
fait de n’avoir pu empêcher <strong>la</strong> naissance de l’Office ne met pas un frein aux ardeurs<br />
outaouaises. Comme l’explique Jean C<strong>la</strong>ude Quyollet : « Ottawa a tenté par tous les moyens<br />
de nous mettre des bâtons dans les roues 20 . »<br />
De fait, en novembre 1968, le secrétariat d’État du gouvernement fédéral, étudie <strong>la</strong> possibilité<br />
de construire des centres d’accueil internationaux […] qui seraient destinés en premier<br />
lieu aux jeunes 21 . D’où le titre du projet : « Opération <strong>jeunesse</strong> ». Au même moment,<br />
l’Assemblée nationale discute de <strong>la</strong> loi qui va créer officiellement l’OFQJ. La manœuvre<br />
fédérale ne passe pas inaperçue au sein de <strong>la</strong> députation québécoise. Les réprobations fusent<br />
des deux côtés de l’Assemblée. Le député libéral, Gilles Houde, critique de l’opposition en<br />
matière de <strong>jeunesse</strong>, propose même que le gouvernement québécois construise lui-même<br />
des centres d’accueil afin de prendre Ottawa de vitesse 22 . Finalement, il n’y aura pas de<br />
centre d’accueil du tout.<br />
Ils reviennent !<br />
Contre vents et marées, les stagiaires ont donc traversé l’At<strong>la</strong>ntique, dans les deux sens.<br />
Mais qui sont-ils ces jeunes Français et Québécois qui se <strong>la</strong>ncent à <strong>la</strong> redécouverte d’une<br />
lointaine parenté dont on avait perdu <strong>la</strong> trace ?<br />
Ce sont, par exemple, les membres de <strong>la</strong> chorale universitaire de Montpellier, qui débarquent<br />
au Québec en plein été <strong>pour</strong> donner un concert le 14 juillet 23 . Le symbole est particulièrement<br />
fort, et le ministre Jean-Marie Morin a tenu à être présent <strong>pour</strong> les saluer. Ému,<br />
c’est avec lyrisme que Morin cite le poète québécois Octave Crémazie qui, dans un poème<br />
composé <strong>pour</strong> saluer l’arrivée de <strong>la</strong> Capricieuse, avait imaginé un vieux soldat esca<strong>la</strong>dant<br />
chaque jour les remparts de Québec dans l’espoir de voir surgir à l’horizon une voile française.<br />
En mourant, ce vieux soldat avait fait à son fils <strong>la</strong> prédiction suivante : « De ce grand jour,<br />
tes yeux verront l’aurore, ils reviendront et je n’y serai pas 24 ! ».<br />
22<br />
19 « Projet de coopération franco-québécoise en matière d’éducation nationale », document<br />
écrit par Bernard Dorin <strong>pour</strong> A<strong>la</strong>in Peyrefitte, non daté, archives de Frédéric Bastien.<br />
20 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
21 Le Soleil, 05/11/68.<br />
22 La Presse, 02/11/68.<br />
23 L’Action, 15/07/68.<br />
24 L’Action, 17/07/68.
Non, ils n’étaient pas<br />
revenus. Et <strong>pour</strong> que<br />
l’homme de lettres puisse<br />
reposer en paix, il avait<br />
été inhumé au Havre, en<br />
guise de conso<strong>la</strong>tion.<br />
Stagiaires dans un camp d’échanges étudiants entre <strong>la</strong> France et le Québec, en<br />
1968. La formule initiale préconisait des visites thématiques dans différents secteurs<br />
dont les sports nautiques.<br />
Au moment où Jean-<br />
Marie Morin rappelle avec<br />
émotion cet épisode, <strong>la</strong><br />
situation a changé du tout<br />
au tout. Après cette<br />
longue attente, dans le<br />
sil<strong>la</strong>ge de l’abandon de<br />
1760, à <strong>la</strong> suite de deux<br />
siècles d’indifférence, <strong>la</strong><br />
France est de retour.<br />
Les Québécois redécouvrent <strong>la</strong> France<br />
Cependant l’inverse est également vrai. De jeunes Québécois foulent le sol de <strong>la</strong> France<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> première fois. Comme Suzie Harvey, une travailleuse sociale de Jonquière qui, en<br />
1970, met le cap sur l’Hexagone <strong>pour</strong> faire un stage en animation sociale. De Paris à Grenoble,<br />
cette Québécoise est frappée par ce qu’elle découvre. « Au niveau de l’animation culturelle,<br />
on avait été impressionné par ce qu’on avait vu, dit-elle, particulièrement par ce qui se faisait<br />
dans les banlieues 25 . »<br />
Mais au-delà des découvertes professionnelles, l’époque s’avère particulièrement intéressante.<br />
Les baby-boomers arrivent à l’âge adulte, découvrent le monde… bardés de mille et<br />
une illusions, selon Suzie Harvey :<br />
« On avait décidé qu’on al<strong>la</strong>it changer le monde. D’ailleurs, on n’arrêtait pas de parler<br />
du voyage de de Gaulle. Je criais « Vive le Québec libre ! » en prenant l’intonation du général.<br />
Et puis, on était tapageurs, on contestait tout, tellement qu’à un moment donné on nous avait<br />
dit de nous assagir sinon on rentrait au Québec illico.<br />
Mais depuis, ce stage n’a jamais cessé d’influencer ma vie personnelle et professionnelle.<br />
J’ai vécu en France avec mon mari pendant un an, j’ai même maintenant une bellefille<br />
qui est Française.<br />
25 Entretien avec Suzie Harvey, 16/02/01.<br />
23
Même chose au travail. Je suis<br />
aujourd’hui directrice du Concours<br />
québécois en entrepreneurship et on a<br />
des partenaires français qui sont venus<br />
voir ce qu’on fait ici et qui <strong>la</strong>ncent un<br />
concours semb<strong>la</strong>ble en France 26 . »<br />
Telle une sculpture qui prend forme entre les mains d'un artiste, <strong>la</strong><br />
coopération se façonne peu à peu ; chacun y apporte son regard,<br />
ses perceptions, son impulsion.<br />
Les comparaisons<br />
et l’incomparable<br />
Il faut dire aussi que ces<br />
Québécois qui redécouvrent <strong>la</strong> France<br />
font des trouvailles surprenantes. Qui<br />
aurait cru qu’ils ramèneraient dans<br />
leurs bagages un sport aussi québécois<br />
que le ski de fond ? Le témoignage<br />
d’Yvon Gagnon, professeur de ski de<br />
fond au Cégep de Shawinigan rappelle<br />
les faits :<br />
« En 1970, je terminais un bacca<strong>la</strong>uréat en éducation physique avec une spécialisation<br />
en physiologie de l’exercice. J’avais perçu dans le ski de fond, outre le loisir, <strong>la</strong> possibilité<br />
de performances physiologiques extraordinaires […] je pressentais les grandes promesses de<br />
cette activité au Québec. Dès mon embauche, le Cégep de Shawinigan adoptait un projet de<br />
mise sur pied de cours de ski de fond […].<br />
C’est grâce à l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> que j’ai pu acquérir en 1971 <strong>la</strong><br />
formation technique et pédagogique dispensée par l’École nationale de ski de fond de<br />
Prémanon en France. Les enseignants de cet établissement de haut niveau nous ont donné<br />
une formation intensive et complète, adaptée <strong>pour</strong> une application rapide au Québec 27 . »<br />
C’est ainsi que les deux sociétés refont connaissance. Français et Québécois, forts de<br />
leurs préjugés et <strong>la</strong> tête pleine d’a priori, questionnent leur façon d’appréhender les événements.<br />
C’est le cas des ingénieurs de l’École des ingénieurs de <strong>la</strong> préfecture de Paris, qui<br />
débarquent à Montréal en 1970 et qui repartent avec une analyse complètement différente<br />
de celle qu’ils envisageaient :<br />
« Au départ, nous étions décidés à faire des comparaisons, comme s’il était possible de<br />
comparer <strong>la</strong> Seine et le Saint-Laurent ; <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de <strong>la</strong> Concorde et <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ce-Bonaventure […]<br />
l’idée même d’avoir envisagé le problème sous cet angle nous semble maintenant dérisoire<br />
26 Entretien avec Suzie Harvey, 16/02/01.<br />
27 Témoignage d’Yvon Gagnon dans Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988, p. 13.<br />
24
[…] cette erreur d’optique nous amène à poser <strong>la</strong> question : Comment se fait-il que ce ne<br />
soit pas comparable 28 ? »<br />
Pas comparable. Voilà ce qu’en retiennent plusieurs stagiaires français. Certains d’entre<br />
eux ne manquent pas d’être étonnés par <strong>la</strong> modernité et le dynamisme de <strong>la</strong> société québécoise.<br />
Le jeune Michel Vinck, à <strong>la</strong> suite de son séjour, note dans son rapport de stage que <strong>la</strong><br />
technologie québécoise contribue parfois à « donner des leçons de modestie aux Français 29 ».<br />
Même quand il s’agit de sujets aussi délicats que <strong>la</strong> nourriture, les préjugés de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
hexagonale sont mis à rude épreuve.<br />
Comme en témoigne Jocelyne Tournier, diététicienne faisant partie d’un stage en alimentation<br />
: « De par ma profession, nous avons beaucoup parlé de nourriture. <strong>Un</strong>e chose est<br />
appréciable, les horaires des repas et des col<strong>la</strong>tions. Quant à <strong>la</strong> qualité, trop de sauces d’un<br />
goût bizarre, trop de mets très sucrés, mais des viandes d’excellente qualité et un petitdéjeuner<br />
bien agréable que l’on voudrait bien voir se répandre en France 30 . »<br />
Nourriture, sport, loisirs, les thèmes des premiers stages sont variés. Ils touchent également<br />
beaucoup au domaine social. C’est ainsi que dès l’été 1968, une cinquantaine de jeunes<br />
de <strong>la</strong> CEQ (Centrale des Enseignants du Québec), accompagnés d’une vingtaine d’animateurs<br />
sociaux, se rendent en France <strong>pour</strong> faire un stage dans le milieu syndical 31 .<br />
<strong>Un</strong>e rencontre avec Michel Chartrand<br />
Ce type d’échanges occupe une p<strong>la</strong>ce importante dans les activités de l’Office. Les<br />
Français qui visitent <strong>la</strong> Belle Province sont frappés par l’activisme des Québécois. C’est le<br />
cas de Martine et A<strong>la</strong>in Chevil<strong>la</strong>rd, un jeune couple de <strong>la</strong> Franche-Comté, qui se rend au<br />
Québec en 1972 dans le cadre d’un stage organisé par <strong>la</strong> Fédération française des œuvres<br />
<strong>la</strong>ïques. Comme le rappelle Martine : « Dès le départ, le Québec libre était dans nos têtes.<br />
On al<strong>la</strong>it visiter une société qui cherchait à s’émanciper 32 . »<br />
« Nous avons rencontré beaucoup de syndicalistes, <strong>pour</strong>suit A<strong>la</strong>in, et on nous a fait voir<br />
des organismes qui faisaient des stages <strong>pour</strong> <strong>la</strong> réinsertion des chômeurs. Quelque chose<br />
qu’on ne connaissait pas en France. C’était vraiment bien organisé 33 . »<br />
Pourtant le couple n’est pas au bout de ses surprises. Après quelques jours, nos deux<br />
amis ont droit à une rencontre avec le très coloré Michel Chartrand… libéré de prison à <strong>la</strong><br />
suite du front commun de 1972. « Quelle personnalité ! se souvient A<strong>la</strong>in. Il nous avait tellement<br />
impressionnés par son discours, nous expliquant que le Québec était une société aliénée,<br />
qu’il ne pouvait compter que sur ses propres forces <strong>pour</strong> s’en sortir. Il nous racontait tout ça<br />
avec conviction, alors qu’il sortait à peine de prison. Ça nous avait sidérés 34 . »<br />
28 Archives de <strong>la</strong> cinquième réunion du C.A. de l’OFQJ, Jonquière, juin 1971,<br />
2 e cahier présenté aux membres du conseil, p. 46.<br />
29 Ibid., p. 16.<br />
30 Ibid., p. 27.<br />
31 Montréal Matin, 03/08/68.<br />
32 Entretien avec Martine et A<strong>la</strong>in Chevil<strong>la</strong>rd, 07/10/00.<br />
33 Ibid.<br />
34 Ibid.<br />
25
L’action corrige l’action<br />
Est-il étonnant que ces Français soient aussi satisfaits de leur stage quand on regarde<br />
l’équipe qu’avait rassemblée autour de lui Jean-Paul L’Allier ? Des gens comme Louise<br />
Fréchette, qui est aujourd’hui <strong>la</strong> deuxième personne d’importance des Nations <strong>Un</strong>ies à New<br />
York. Sans parler des Jean-Guy Saint-Martin, Diane Wilhelmy et François Duffar, qui sont<br />
respectivement devenus ambassadeur du Canada au Maroc, déléguée générale du Québec<br />
à New York et vice-président de Cossette marketing. Sans oublier l’ancien ministre Jean-<br />
François Bertrand et l’ancien premier ministre Pierre-Marc Johnson.<br />
«Ça bougeait très vite, mentionne François Duffar. Moi, je suis arrivé en mars 1968.<br />
L’Office n’était même pas créé officiellement. On ne savait pas où on al<strong>la</strong>it et quelques<br />
semaines plus tard, on recevait nos premiers stagiaires ! On n’avait même pas d’argent, car<br />
le gouvernement ne pouvait nous donner des crédits parce que <strong>la</strong> loi créant l’OFQJ n’était<br />
pas encore votée. Alors, avec Jean-Paul, on était allés voir des banques <strong>pour</strong> emprunter de<br />
l’argent… heureusement qu’on avait une lettre du premier ministre 35 . »<br />
« Notre équipe était fantastique, évoque Jean-Paul L’Allier, L’action corrige l’action était<br />
notre devise et on l’avait écrite sur un de nos documents de travail. Et en plus, il faut bien<br />
voir qu’on a monté tout ça très rapidement. Sans qu’il y ait eu une pléiade d’études préa<strong>la</strong>bles<br />
<strong>pour</strong> en vérifier <strong>la</strong> faisabilité. Quand je vois que ça continue plus de trente ans plus<br />
tard, j’en suis très fier ! Pour moi, c’est vraiment l’un des plus beaux souvenirs de ma vie<br />
professionnelle 36 . »<br />
<strong>Un</strong>e fierté qui se comprend. Sauf que préparer en vitesse des rencontres avec des<br />
activistes tel Michel Chartrand n’a rien <strong>pour</strong> rassurer les sceptiques, surtout à Ottawa.<br />
Il faut dire que depuis le voyage de de Gaulle, et à <strong>la</strong> suite des nombreux voyages au<br />
Québec du haut fonctionnaire Philippe Rossillon, le gouvernement fédéral voit des espions<br />
partout. Rossillon, qui est alors à <strong>la</strong> tête du Haut-Commissariat <strong>pour</strong> l’expansion et <strong>la</strong> défense<br />
de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française, se fait même traiter d’agent plus ou moins secret par le premier ministre<br />
canadien Pierre Trudeau. La méfiance envers <strong>la</strong> France est donc de mise. Le ministre Joseph<br />
Comiti ne va pas tarder à l’apprendre.<br />
Stagiaires ou agitateurs ?<br />
L’affaire se produit lors du premier conseil d’administration de l’Office, les 9 et<br />
10 novembre 1968. Jean-Marie Morin et Joseph Comiti donnent une conférence de presse à<br />
l’issue des travaux. D’abord, les deux ministres prennent bien soin de préciser que le nouvel<br />
organisme n’a aucune visée politique. <strong>Un</strong>e phrase qui ne met pas fin au scepticisme de<br />
certains journalistes. Les deux hommes ont à peine fini de parler que le bal des questions<br />
pièges commence :<br />
35 Entretien avec François Duffar, 02/04/01.<br />
36 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.<br />
26
«Êtes-vous au courant, <strong>la</strong>nce un premier journaliste, que des coopérants français auraient<br />
participé à de l’agitation au Québec ?<br />
– Si tel est le cas, répond Comiti, ils reprendront le premier avion 37 . »<br />
Et le ministre français d’expliquer que peu de temps auparavant, de jeunes Allemands<br />
de l’Office franco-allemand <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> (OFAJ) s’étaient fait prendre à chahuter l’homme<br />
politique Gaston Deferre dans <strong>la</strong> région de Marseille. Ils ont été renvoyés en Allemagne<br />
immédiatement. Bel exposé. Mais dans le sil<strong>la</strong>ge du « Vive le Québec libre », le Français n’al<strong>la</strong>it<br />
pas s’en tirer à si bon compte.<br />
« Faut-il conclure de votre réponse, rétorque un second journaliste, qu’il n’y aura pas<br />
de jeunes gaullistes qui viendront au Québec 38 ?<br />
– Comme il y a 65 % des Français qui sont gaullistes, il devrait y avoir <strong>la</strong> même proportion<br />
chez les jeunes. Nous ne pouvons pas empêcher des jeunes de partager leur idéal, et<br />
ce, de part et d’autre. Il s’agit simplement qu’ils ne deviennent pas des agitateurs. »<br />
Ce début de polémique n’ira pas plus loin. En revanche, il fait réaliser une fois de plus<br />
aux artisans de l’Office à quel point le nouvel organisme peut devenir un sujet controversé.<br />
Le Québec étant associé en France de façon aussi forte à <strong>la</strong> mémoire du général de Gaulle,<br />
c’est au sein de <strong>la</strong> section française que cette question se pose le plus. Alors Jean-C<strong>la</strong>ude<br />
Quyollet va prendre les moyens qu’il faut <strong>pour</strong> résoudre le problème.<br />
« Dégaulliser » les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises<br />
« Dès le départ, on a voulu que l’Office soit apolitique, même si c’était c<strong>la</strong>ir que c’était<br />
de Gaulle qui en avait été l’inspirateur. On n’a pas voulu être accusé d’avoir un parti pris<br />
politique, et c’est ce que le général souhaitait lui-même. Alors, il fal<strong>la</strong>it faire en sorte que<br />
toutes les familles politiques françaises puissent aller au Québec. Pour que ce ne soient pas<br />
que les jeunes gaullistes. »<br />
On a invité <strong>la</strong> Confédération générale du travail (proche des communistes), et d’autres<br />
groupes de gauche. Quand on envoyait des groupes de jeunes syndicalistes, c’était c<strong>la</strong>ir qu’ils<br />
étaient plutôt à gauche. Et quand c’était des jeunes patrons, c’est sûr qu’ils étaient plutôt à<br />
droite […].<br />
En plus, j’avais fait nommer des gens de droite et de gauche dans mon conseil d’administration.<br />
Comme Jean-Marie Domenach, un éminent intellectuel, directeur de <strong>la</strong> revue Esprit,<br />
qui en plus était un disciple d’Emmanuel Mounier, ce philosophe qui avait eu beaucoup<br />
d’influence au Québec. Donc, ça équilibrait les choses 39 . »<br />
37 Le Devoir, 09/11/68.<br />
38 Le Devoir, 09/11/68.<br />
39 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
27
Pour vraiment « dégaulliser » les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises, dont l’OFQJ est l’un des<br />
fers de <strong>la</strong>nce, encore faut-il convaincre <strong>la</strong> presse et l’opinion publique de <strong>la</strong> justesse des vues<br />
de de Gaulle. <strong>Un</strong>e tâche qui s’annonce titanesque car le 24 juillet 1967, <strong>la</strong> journée du fameux<br />
discours au balcon, à <strong>la</strong> notable exception du quotidien communiste L’Humanité, il faut bien<br />
comprendre que presque tout ce que <strong>la</strong> France compte de journalistes et d’éditorialistes<br />
conspuent littéralement le général. Et pendant que le général fulmine contre « ces plumitifs<br />
qui sont des <strong>la</strong>rbins 40 », sur le terrain les partisans du Québec tentent d’endiguer le déferlement<br />
d’indignation et d’incompréhension qui ba<strong>la</strong>ie <strong>la</strong> France. Dans cette perspective, quoi<br />
de mieux <strong>pour</strong> l’OFQJ que d’emmener de jeunes journalistes français au Québec <strong>pour</strong> qu’ils<br />
puissent se forger eux-mêmes une opinion ? C’est l’idée qui traverse très tôt l’esprit de Jean-<br />
C<strong>la</strong>ude Quyollet :<br />
« L’un des premiers voyages que j’avais organisé était un stage <strong>pour</strong> des journalistes.<br />
L’Office avait emmené au Québec des journalistes de droite et de gauche, tout en leur<br />
préparant un programme exceptionnel. Ils avaient rencontré André Patry, qui enseignait le<br />
droit international à l’<strong>Un</strong>iversité de Montréal, et aussi Gérard Bergeron, qui venait de sortir<br />
son livre Le Canada français après deux siècles d’impatience.<br />
L’opération avait très bien marché. Très tôt le quotidien Le Monde nous avait appuyés.<br />
On avait également eu des papiers favorables, incluant Le Nouvel observateur, un hebdomadaire<br />
de gauche, qui commençait à dire que non ! le général ne s’était pas trompé 41 . »<br />
Crise diplomatique, querelle politique, controverses dans <strong>la</strong> presse, on <strong>pour</strong>rait croire<br />
que l’OFQJ est né sur un fond de litiges insurmontables qui nous auraient fait passer à côté<br />
de beaucoup de choses, notamment cette histoire d’amour entre <strong>la</strong> France et le Québec, de<br />
re<strong>la</strong>ter Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet. « Ce qui a été assez sympathique, c’est qu’au bout de deux ou<br />
trois ans, on a eu nos premiers mariages. De jeunes Françaises se mariaient avec des<br />
Québécois et des Québécoises prenaient des Français comme époux… et j’ai <strong>la</strong> faiblesse de<br />
penser que ce<strong>la</strong> a joué un rôle, dans <strong>la</strong> connaissance mutuelle en tout cas 42 . »<br />
« <strong>Un</strong> voyage peut vraiment changer le cours d’une vie »<br />
Des mariages ? Marie-Paule Courroy Desaulniers, une Française qui vit désormais<br />
au Québec, en témoigne. « <strong>Un</strong> voyage peut vraiment changer le cours d’une vie 43 »,<br />
explique-t-elle. « En 1968 […] avec quatre autres moniteurs français, je venais découvrir les<br />
colonies de vacances du Québec. Pendant huit semaines, j’ai été intégrée à l’équipe d’animation<br />
du camp Minogami. En fait, j’ai eu beaucoup de chance ! J’y ai découvert une approche<br />
pédagogique qui a été une révé<strong>la</strong>tion <strong>pour</strong> moi : une franchise toute simple entre enfants et<br />
animateurs, des re<strong>la</strong>tions directes sans aucune agressivité. Pas de c<strong>la</strong>ques ! Pas de coups de<br />
pied au cul !<br />
28<br />
40 Jacques Foccart, Le journal de l’Élysée, « Tous les soirs avec de Gaulle »,<br />
Paris, Éditions Fayard/Jeune Afrique, 1997, tome 1, p. 684-685.<br />
41 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
42 Ibid.<br />
43 Témoignage de Marie-Paule Desaulniers dans Traces et jalons, Montréal,<br />
OFQJ, 1988, p. 7.
« Je faisais partie des tout<br />
premiers stagiaires. Le stage que j’ai<br />
effectué m’a donné <strong>la</strong> passion du<br />
Québec et m’a permis de connaître<br />
l’homme qui al<strong>la</strong>it devenir mon<br />
mari 44 . »<br />
Rencontres, mariages, redécouvertes,<br />
autant d’éléments qui<br />
rendent compte de cet emballement<br />
qui a caractérisé les premières<br />
années d’échanges du<br />
nouvel organisme. Mais tout ce<strong>la</strong><br />
ne s’est pas fait tout seul. Il a fallu<br />
encadrer les stagiaires, former les<br />
accompagnateurs et inventer une<br />
pédagogie. <strong>Un</strong>e tâche à <strong>la</strong>quelle les<br />
premiers artisans de l’Office vont<br />
s’attaquer avec enthousiasme et<br />
passion, mettant toute leur énergie<br />
dans ces nouveaux objectifs.<br />
Les échanges de l’OFQJ permettent aux jeunes issus des deux communautés<br />
de créer des liens et de confronter leurs pratiques.<br />
44 Ibid.<br />
29
30<br />
Au départ, l'objectif est de deux mille stagiaires<br />
de part et d'autre de l'At<strong>la</strong>ntique. Il fal<strong>la</strong>it aussi<br />
que l'expérience ait <strong>pour</strong> chacun et chacune un<br />
maximum de répercussions dans leur future<br />
activité professionnelle.
CHAPITRE II :<br />
Inventer<br />
un outil<br />
Débordé par <strong>la</strong> demande<br />
Même si connaître le Québec, c’est aussi se mesurer<br />
à son climat, il faut vite passer aux différents points à<br />
l’ordre du jour du Conseil d’administration. L’Office<br />
franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> complète sa deuxième<br />
année d’existence, et si les résultats sont re<strong>la</strong>tivement<br />
encourageants, il existe de très nombreux ajustements à<br />
faire.<br />
Nous recherchions des jeunes leaders<br />
dans toutes les professions. Des jeunes<br />
dirigeants de syndicats, de fédérations<br />
agricoles ou d’associations patronales.<br />
Des gens qui, par leur fonction, seraient<br />
en mesure de faire des conférences, de<br />
parler à <strong>la</strong> presse, d’écrire des articles<br />
dans leur revue professionnelle, etc. 45<br />
Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet ouvre les discussions, expliquant<br />
qu’en 1969, chacune des sections a réussi à faire<br />
voyager mille huit cents stagiaires, alors que l’objectif était<br />
de deux mille de chaque côté 46 . Inutile de dire qu’en ces<br />
toutes premières années, l’organisme franco-québécois est méconnu en France comme au<br />
Québec. Les deux secrétaires généraux doivent surseoir au plus vite à ce problème.<br />
JEAN-CLAUDE QUYOLLET<br />
Ce sera d’abord le rôle de Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, jeune sous-préfet, à qui l’on a confié<br />
l’immense tâche de recruter environ deux mille stagiaires par année. Relevant ses manches,<br />
crachant dans ses mains, saisissant son bâton de pèlerin, notre homme s’attaque à cette tâche<br />
avec autorité.<br />
D’est en ouest, du nord au sud, des montagnes en descendant vers les p<strong>la</strong>ines, de <strong>la</strong><br />
côte en al<strong>la</strong>nt vers l’intérieur, il sillonne in<strong>la</strong>ssablement <strong>la</strong> France. De préfectures en mairies,<br />
de chefs-lieux en départements, d’associations en écoles d’ingénieurs, de syndicats en<br />
chambres de commerce, de conférences en déjeuners de travail, son message demeure chaque<br />
fois le même : « Il faut que vous connaissiez le Québec ; il s’y passe des choses très intéressantes<br />
<strong>pour</strong> de jeunes Français 47 . »<br />
Les interventions de l’Office auprès des milieux professionnels et associatifs ne tardent<br />
pas à susciter une énorme demande. « Si au début on a été assez souples dans les critères<br />
de sélection, très rapidement on a été complètement débordés par <strong>la</strong> demande 48 », se souvient<br />
Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet. <strong>Un</strong> commentaire qui s’applique parfaitement aux deux sections, tellement<br />
qu’il faut bientôt faire des choix. Contrairement à l’Office franco-allemand <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />
<strong>jeunesse</strong>, il était c<strong>la</strong>ir dès le départ que l’OFQJ, <strong>pour</strong> des raisons évidentes de géographie,<br />
ne <strong>pour</strong>rait pas miser sur des échanges de masse. Il fal<strong>la</strong>it donc faire en sorte que <strong>pour</strong> chaque<br />
stagiaire, l’expérience de l’Office ait un maximum de répercussions.<br />
45 Ibid.<br />
46 Ibid., p. 7.<br />
47 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
48 Ibid.<br />
31
Jeunes leaders ou jeunes travailleurs ?<br />
D’où l’idée de joindre de jeunes multiplicateurs.<br />
« Il ne fal<strong>la</strong>it pas que ce soit du tourisme », rappelle Jean-<br />
C<strong>la</strong>ude Quyollet. « Nous recherchions des jeunes leaders<br />
dans toutes les professions. Des jeunes dirigeants de<br />
syndicats, de fédérations agricoles ou d’associations<br />
patronales. Des gens qui, par leur fonction, seraient en<br />
mesure de faire des conférences, de parler à <strong>la</strong> presse,<br />
d’écrire des articles dans leur revue professionnelle,<br />
etc. 49 »<br />
Les deux premiers secrétaires généraux au Procédant ainsi, l’organisme franco-québécois est<br />
Québec : Jean-Paul L’Allier (1968-1970)<br />
(également ministre responsable de l’Office de en mesure de compenser le nombre par <strong>la</strong> qualité. Sauf<br />
1970 à 1976) et Jean-Guy Saint-Martin que cette approche ne fait pas l’unanimité. Du côté<br />
(1970-1975).<br />
québécois, <strong>la</strong> sélection s’effectue grâce aux annonces<br />
dans les journaux. Elle s’adresse, dès le départ, à un<br />
public plus <strong>la</strong>rge. Et ce, d’autant plus qu’au Québec, étant donné <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion plus réduite,<br />
on a vite fait le tour du bassin des jeunes multiplicateurs. La section québécoise de l’Office<br />
essaie, en conséquence, de céder une p<strong>la</strong>ce importante aux jeunes travailleurs. <strong>Un</strong>e démarche<br />
qui <strong>la</strong> différenciait un peu de <strong>la</strong> section française, comme le rappelle A<strong>la</strong>in Beaugier, exdirecteur<br />
des programmes à <strong>la</strong> section française : « L’idée d’aller vers les jeunes travailleurs,<br />
c’était effectivement plus fort du côté québécois, un peu moins du côté français. Pour notre<br />
part, on cherchait plus des leaders potentiels. Pas dans un sens élitiste, mais des jeunes ayant<br />
des responsabilités sociales, économiques, politiques, et qui al<strong>la</strong>ient ensuite faire connaître<br />
le Québec dans leur milieu. Il y avait là une certaine contradiction en quelque sorte 50 . »<br />
À partir des élections du 25 avril 1970, cette conception sera fortement défendue par le<br />
nouveau ministre québécois responsable de l’OFQJ, nul autre que Jean-Paul L’Allier : « Quand<br />
nous avons été élus en avril 70, j’ai demandé à monsieur Bourassa de me <strong>la</strong>isser le dossier<br />
de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> et il avait accepté. Le problème, c’était qu’il y<br />
avait des fonctionnaires au ministère des Affaires intergouvernementales et surtout au ministère<br />
de l’Éducation qui vou<strong>la</strong>ient que l’Office dépende d’eux. Et si l’OFQJ avait dépendu du<br />
ministère de l’Éducation, il aurait été pris d’assaut par les étudiants […] et on ne vou<strong>la</strong>it pas<br />
que ça soit ouvert seulement aux étudiants […].<br />
Les étudiants avaient de multiples occasions de faire des stages. Mais ce n’était pas le<br />
cas des jeunes travailleurs, <strong>pour</strong> qui un stage avec l’Office représentait le grand stage de leur<br />
vie. On avait donc adopté <strong>la</strong> règle du 70/30. Il y aurait 30 % de stages <strong>pour</strong> les étudiants et<br />
70 % <strong>pour</strong> les travailleurs 51 . »<br />
Travailleurs ou leaders, ce débat revient souvent dans les instances de l’Office francoquébécois<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, presque autant que <strong>la</strong> question de l’âge. <strong>Un</strong>e polémique qui naît<br />
32<br />
49 Ibid.<br />
50 Entretien avec A<strong>la</strong>in Beaugier, 02/02/01.<br />
51 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.
en novembre 1968, c’est-à-dire dès <strong>la</strong><br />
première séance du conseil d’administration<br />
52 . À l’époque, l’âge est fixé entre<br />
16 et 30 ans, avec une priorité <strong>pour</strong> les<br />
18-25 ans. Le problème est que<br />
plusieurs organisations de jeunes, du<br />
type chambre de commerce, recrutent<br />
des membres jusqu’à 35 ans. Cette situation<br />
empêche l’Office de joindre davantage<br />
les jeunes professionnels, une<br />
dynamique que <strong>la</strong> section française<br />
déplore tout particulièrement<br />
53<br />
. En<br />
1973, il est alors proposé que <strong>pour</strong><br />
certains stages, une clientèle âgée entre<br />
30 et 35 ans soit acceptée. Idée qui sera<br />
chaudement débattue et adoptée par<br />
sept voix contre six 54 .<br />
Jeunes musiciens français en visite au Québec dans les premières<br />
années.<br />
Plus ou moins 30 ans ? Jeunes travailleurs ou jeunes leaders ? Tout au cours de l’histoire<br />
de l’Office, ces deux questions continueront de soulever des débats. Mais quel que soit leur<br />
âge, impliqués ou pas dans leur milieu, avant de faire traverser l’At<strong>la</strong>ntique à des milliers de<br />
jeunes Québécois et de jeunes Français, il importe plus que tout de les préparer. Et de s’y<br />
préparer soi-même.<br />
La réunion-programme<br />
La préparation n’est pas évidente quand tout est à faire et à inventer. De fait, dès 1969,<br />
les stagiaires français et québécois expriment leur insatisfaction généralisée face aux séances<br />
de formation qu’ils reçoivent 55 . Le problème est important et les deux secrétaires généraux<br />
doivent réagir rapidement. Encore faut-il <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> savoir ce que les stagiaires souhaitent<br />
faire lors de leur séjour en France et au Québec. Et y a-t-il quelqu’un de mieux p<strong>la</strong>cé que les<br />
stagiaires eux-mêmes <strong>pour</strong> répondre à cette question ?<br />
C’est le raisonnement que font Jean-Paul L’Allier et Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet. D’où l’idée<br />
d’organiser une réunion-programme, afin de consulter et de préparer les échanges avec chaque<br />
groupe de stagiaires, une activité qui débute en 1970 et qui se généralise par <strong>la</strong> suite 56 .<br />
Il faut dire qu’à l’époque, les stages se font en groupes d’environ une trentaine de<br />
participants. Dans cette optique, <strong>la</strong> pratique que les dirigeants de l’Office mettent en p<strong>la</strong>ce est<br />
simple. Elle consiste à rassembler tout un groupe de stagiaires quelques semaines avant leur<br />
départ afin de leur demander ce qu’ils cherchent en France ou au Québec. Et de là, essayer<br />
de leur bâtir un programme en fonction de leurs champs d’intérêt.<br />
52 Compte rendu de <strong>la</strong> première réunion du conseil d’administration, Québec, 7 et 8 novembre 1968, p. 7-8, archives de l’OFQJ.<br />
53 C’est le commentaire que fait Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet en juin 1973, à Rimouski, lors de <strong>la</strong> 9 e session du C.A.<br />
54 Compte rendu de <strong>la</strong> 10 e session du conseil d’administration, Bordeaux, décembre 1973, p. 19-20, archives de l’OFQJ.<br />
55 Compte rendu de <strong>la</strong> troisième séance du conseil d’administration de l’OFQJ, Lac-De<strong>la</strong>ge, octobre 1969, p. 33-37,<br />
archives de l’OFQJ.<br />
56 Compte rendu de <strong>la</strong> quatrième session du conseil d’administration de l’OFQJ, Marseille, octobre 1970, p. 46,<br />
archives de l’OFQJ.<br />
33
Pour que ce<strong>la</strong> fonctionne, encore faut-il que chacune des deux sections de l’Office ait<br />
des antennes dans l’autre société. Lorsque, par exemple, un groupe de bouchers québécois<br />
fait un stage en France, l’Office doit connaître les intervenants appropriés dans l’industrie de<br />
l’alimentation. Pour ensuite faire des téléphones, prendre des rendez-vous, organiser des<br />
réunions… tout en gardant à l’esprit les attentes que les Québécois ont exprimées lors de <strong>la</strong><br />
réunion-programme. Tel sera le rôle des chargés de mission, personnages clés des premières<br />
années de l’organisme. Chargé de projets à <strong>la</strong> section française de l’OFQJ depuis 1972, Daniel<br />
Camp explique cette méthode particulière :<br />
« On recevait des projets de <strong>la</strong> section de Montréal, par exemple le syndicalisme agricole<br />
[…] tout ce<strong>la</strong> nous était transmis à Paris, et à partir de là on choisissait un chargé de mission,<br />
si possible un spécialiste du même domaine. Après avoir été briefé par les agents de l’Office,<br />
il partait au Québec, rencontrait le groupe et faisait le point avec eux tout en leur expliquant<br />
<strong>la</strong> situation en France dans le domaine qui les intéressait. À <strong>la</strong> suite des échanges avec le<br />
groupe, le chargé de mission rédigeait un procès-verbal de <strong>la</strong> réunion-programme et faisait<br />
rapport à <strong>la</strong> section française. Le tout servait de base à <strong>la</strong> préparation du programme 57 . »<br />
La session culturelle<br />
La réunion-programme permet donc de répondre aux attentes souvent très pointues des<br />
différents groupes de stagiaires. Ce qui ne veut pas dire que ceux-ci connaissent <strong>pour</strong> autant<br />
<strong>la</strong> France ou le Québec de manière plus générale. Il importe donc de leur faire découvrir<br />
l’autre société. D’où l’idée d’organiser une session culturelle <strong>pour</strong> préparer les stagiaires à ce<br />
qu’ils vont découvrir.<br />
Du côté français, elle consiste en une visite de Paris assurée par les maîtres de conférence<br />
du ministère de <strong>la</strong> Culture. Puis les participants peuvent, au choix, assister à des conférences<br />
sur des thèmes culturels, économiques, politiques ou administratifs, que ce soit à l’Organisation<br />
de <strong>la</strong> radio-télévision française, au Sénat ou au Centre du commerce international 58 .<br />
« Ce qu’il faut comprendre, rappelle Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, c’est que <strong>la</strong> plupart de ces jeunes<br />
garçons et de ces jeunes filles n’avaient jamais mis les pieds en France ou ailleurs en Europe,<br />
et inversement <strong>pour</strong> les Français qui al<strong>la</strong>ient au Québec. Donc, on mettait sur pied des sessions<br />
d’information qui duraient une semaine, avec de l’audiovisuel, etc. Et lorsqu’ils partaient en<br />
stage une semaine après, ils avaient un minimum de connaissances sur <strong>la</strong> France 59 ».<br />
Les Français qui débarquent au Québec ne sont pas en reste. Leur session culturelle<br />
dure trois jours et elle commence avec une découverte de Montréal, souvent organisée sous<br />
forme de rallye 60 . Des ateliers sont également mis sur pied afin d’illustrer <strong>la</strong> vie québécoise.<br />
Puis les stagiaires doivent eux-mêmes é<strong>la</strong>borer une partie de leur session culturelle avec les<br />
ressources mises à leur disposition.<br />
34<br />
57 Entretien avec Daniel Camp, 28/09/00.<br />
58 Ibid., p. 51.<br />
59 Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
60 Rapport au C.A., 3 et 4 juin 1971, Jonquière, 1 er cahier, p. 78,<br />
archives de l’OFQJ.
CHAPITRE III :<br />
Dans <strong>la</strong> tourmente<br />
linguistique<br />
Tandis que l’Office s’organise, se<br />
développe et se taille une p<strong>la</strong>ce de choix au<br />
sein de <strong>la</strong> coopération franco-québécoise, <strong>la</strong><br />
vie politique québécoise suit son cours.<br />
Depuis 1970, le Québec est dirigé par le Parti<br />
libéral de Robert Bourassa qui a chassé du<br />
pouvoir le gouvernement de l’<strong>Un</strong>ion<br />
nationale de Jean-Jacques Bertrand. Parmi<br />
les raisons qui amènent <strong>la</strong> défaite de l’équipe<br />
unioniste, <strong>la</strong> question linguistique figure au<br />
premier p<strong>la</strong>n. Les Québécois veulent vivre<br />
dans une société francophone et le nouveau<br />
gouvernement libéral compte bien faire du<br />
français <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue du marché du travail. Ce<br />
Le fait français en Amérique du Nord est une<br />
donnée de <strong>la</strong> vie internationale. Pour nous c’est<br />
une donnée profonde, c’est une donnée essentielle.<br />
Le constater n’a de valeur que <strong>pour</strong> autant que<br />
nous savons en déduire les conséquences…<br />
c’est ce que le général de Gaulle nous a appris et<br />
c’est ce que nous devons <strong>pour</strong>suivre.<br />
JACQUES CHIRAC À ROBERT BOURASSA<br />
qui n’était absolument pas le cas à l’époque. Le dossier est prioritaire et le premier ministre<br />
du Québec l’explique lui-même au président de <strong>la</strong> République française, dans une lettre qu’il<br />
lui envoie le 7 décembre 1970 :<br />
« Cet objectif, qui constitue l’une des grandes priorités de notre action, doit être atteint.<br />
Seul État francophone d’Amérique du Nord, héritier et dépositaire d’une culture intimement<br />
liée à celle du peuple français, le Québec doit vivre en français s’il veut garder les traits<br />
profondément originaux de sa culture.<br />
À cet égard, notre intention est de puiser abondamment au patrimoine linguistique et<br />
culturel de <strong>la</strong> France. Ce patrimoine est indispensable à <strong>la</strong> vitalité de notre culture. La France,<br />
nous en avons l’assurance, ne nous ménagera pas sa col<strong>la</strong>boration 61 [...]. »<br />
Devant ce vaste projet, touchant le cœur de l’identité québécoise, essentiel à <strong>la</strong> francophonie<br />
mondiale, lié au statut de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française dans le monde, comment Georges<br />
Pompidou, l’héritier du général, <strong>pour</strong>rait-il rester indifférent ? Sa conviction est profonde, sa<br />
réponse ne fait aucun doute :<br />
« En participant aux efforts du Québec <strong>pour</strong> vivre et travailler en français, et <strong>pour</strong> affirmer<br />
les traits originaux de sa culture et de sa personnalité, ce dont bénéficiera l’Amérique du<br />
Nord tout entière, <strong>la</strong> France est consciente de faire son devoir.<br />
61 Lettre de Robert Bourassa à Georges Pompidou, datée du 07/12/70. AN-5 AG 2/115.<br />
35
Mais en permettant à sa <strong>jeunesse</strong>, à ses techniciens, à ses ingénieurs, à ses chercheurs,<br />
de prendre part à votre expérience et à vos succès, vous apportez quant à vous à <strong>la</strong> France<br />
votre goût du progrès, votre esprit d’entreprise, contribuant ainsi à son avenir 62 . »<br />
Être à l’avant-garde<br />
C’est dans une perspective dynamique que s’orientent désormais les re<strong>la</strong>tions francoquébécoises.<br />
« Ça faisait partie de notre mission d’être un peu à l’avant-garde de ce qui se<br />
faisait dans nos sociétés respectives. L’Office devait être un agent de changement. De façon<br />
apolitique, on faisait cause commune avec tout ce qui bougeait. D’où les stages en syndicalisme,<br />
d’où notre implication dans le domaine du français <strong>la</strong>ngue du travail 63 », rappelle<br />
Jean-Paul L’Allier.<br />
En matière de <strong>la</strong>ngue française, le Québec s’agite dans tous les sens, et ce n’est pas<br />
Jean-Paul L’Allier qui va s’opposer à ce que l’Office se <strong>la</strong>nce tête baissée dans <strong>la</strong> mêlée. Cette<br />
audacieuse entreprise prend forme, en grande partie, grâce aux initiatives de Gaston Cholette,<br />
président de l’Office de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française, et membre du conseil d’administration de l’OFQJ.<br />
Nommé à <strong>la</strong> tête de l’Office<br />
de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue française au début<br />
des années 1970, Gaston Cholette<br />
va, le premier, suggérer à l’OFQJ<br />
de faire des stages liés au thème<br />
du français <strong>la</strong>ngue du travail. Dès<br />
juin 1971, lors de <strong>la</strong> V e séance du<br />
C.A. à Jonquière, les deux secrétaires<br />
généraux demandent aux<br />
membres du conseil d’administration<br />
l’autorisation de diriger<br />
formellement l’Office dans cette<br />
voie. Ce qui sera accepté aussitôt,<br />
non sans quelques balises : c’està-dire<br />
de ne pas dédoubler<br />
l’action engagée par les autres<br />
instances de <strong>la</strong> coopération<br />
franco-québécoise 64 .<br />
La 10 e session du C.A. en 1972. Sur <strong>la</strong> photo : Jean-Guy Saint-Martin (secrétaire<br />
général au Québec, 1970-1975), Jean-Paul L’Allier (ministre responsable<br />
au Québec, 1970-1976), Joseph Comiti (ministre responsable en France, 1969-<br />
1972) ainsi que Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet (secrétaire général en France, 1968-1974).<br />
Le ton est donné, mais les<br />
autorités politiques québécoises<br />
ne tardent pas à mesurer le rôle<br />
que peut jouer l’Office dans cette<br />
vaste entreprise de <strong>la</strong> francisation<br />
36<br />
62 Lettre de Georges Pompidou à Robert Bourassa, datée du 08/12/70.<br />
AN-5 AG-2/115.<br />
63 Entretien avec Jean-Paul L’Allier, 06/02/01.<br />
64 Compte rendu de <strong>la</strong> 4 e session du conseil d’administration, Jonquière,<br />
3 et 4 juin 1971, p. 26-27, archives de l’OFQJ.
du Québec, surtout à Montréal. Quand, en juin 1972,<br />
le conseil d’administration se réunit dans cette ville,<br />
le ministre Jean-Paul L’Allier fait tout de suite le lien :<br />
« Plus que partout ailleurs au Québec, les<br />
accords franco-québécois prennent à Montréal leur<br />
sens profond et essentiel. C’est en effet à Montréal<br />
que le fait français doit s’épanouir si le Québec veut<br />
continuer à apporter sa col<strong>la</strong>boration à <strong>la</strong> communauté<br />
francophone et internationale. C’est aussi à<br />
Montréal que <strong>la</strong> France peut jouer son rôle le plus<br />
Ça faisait partie de notre mission<br />
d’être un peu à l’avant-garde de ce<br />
qui se faisait dans nos sociétés<br />
respectives. L’Office devait être un<br />
agent de changement.<br />
JEAN-PAUL L’ALLIER<br />
déterminant et le plus éc<strong>la</strong>tant, et <strong>pour</strong>ra aider le Québec à affirmer sa culture sur ce continent.<br />
La présence de l’OFQJ dans le Vieux-Montréal, avec ses milliers de stagiaires n’est pas<br />
sans créer un courant culturel important dans cette partie de <strong>la</strong> ville 65 . »<br />
Mais concernant <strong>la</strong> présence de <strong>la</strong> France au Québec, il ne s’agit que d’une étape dans<br />
ce qui est en train de devenir une lutte épique. Car après « deux siècles de patience 66 », le<br />
Canada français est toujours aux prises avec <strong>la</strong> domination de l’ang<strong>la</strong>is dans l’affichage<br />
commercial, obligé de vivre dans un marché du travail anglophone, voire britannique, forcé<br />
de supporter un racisme si discriminatoire que certains intellectuels comparent le Québec à<br />
une colonie peuplée par les « Nègres b<strong>la</strong>ncs d’Amérique 67 », autant d’éléments qui nourrissent<br />
le ressentiment que les Québécois francophones éprouvent devant les « Ang<strong>la</strong>is ». Dans<br />
cette société bouillonnante des années 1970, où <strong>la</strong> moitié des gens n’ont pas 30 ans, une<br />
rumeur persistante gronde, un slogan est brandi à tout vent, une phrase est sur toutes les<br />
lèvres, une idée ba<strong>la</strong>ie toutes les consciences, un sentiment embrase tous les cœurs : le<br />
Québec français.<br />
Pendant que le gouvernement québécois mène <strong>la</strong> bataille linguistique sur le p<strong>la</strong>n interne,<br />
conscient de l’aide que peut lui apporter le gouvernement français, Robert Bourassa met le<br />
cap sur l’Hexagone en décembre 1974. « Si me je rends à Paris, déc<strong>la</strong>re-t-il à <strong>la</strong> veille de son<br />
départ, quelques mois après l’adoption de cette loi qui fait du Québec un État officiellement<br />
français [...], c’est <strong>pour</strong> demander au gouvernement français de l’aide dans l’application de<br />
cette loi 68 . »<br />
<strong>Un</strong> invité de marque au Conseil des ministres<br />
De fait, <strong>la</strong> France ne ménage pas ses efforts <strong>pour</strong> recevoir le chef du gouvernement<br />
québécois. Comme le rappelle Valéry Giscard d’Estaing, le président de <strong>la</strong> République de<br />
l’époque : « Comment marquer notre attachement et notre attention au Québec sans tomber<br />
dans les banalités du protocole ? [...] J’eus l’idée d’inviter nos partenaires à participer à notre<br />
séance habituelle du Conseil des ministres [...] J’ai fait établir l’ordre du jour habituel et ajouter,<br />
65 Discours de Jean-Paul L’Allier à l’ouverture du C.A. Compte rendu de <strong>la</strong> 5 e session du conseil d’administration, Montréal,<br />
mai 1972, p. 9.<br />
66 L’expression est de l’universitaire Gérard Bergeron.<br />
67 C’est le cas de l’essayiste Pierre Vallières qui, en 1970, publie un livre qui fait scandale intitulé Nègres b<strong>la</strong>ncs d’Amérique.<br />
68 Entrevue de Robert Bourassa avec Pierre-Louis Mallen, France-Québec, décembre 1974, n o 13, p. 9-10,<br />
archives de l’auteur.<br />
37
dans une seconde partie, <strong>la</strong> discussion avec les<br />
ministres québécois des questions sur les rapports<br />
entre le Québec et <strong>la</strong> France [...].<br />
Il s’agissait d’une « première », et <strong>pour</strong>tant, ce<br />
qui m’a le plus frappé dans cette réunion, c’était<br />
son caractère parfaitement naturel. J’ai senti nos<br />
partenaires québécois détendus et à l’aise 69 . »<br />
Tant aux yeux de Giscard d’Estaing<br />
que de Bourassa, il va donc de soi que<br />
l’OFQJ doit être aux premières loges<br />
de <strong>la</strong> francisation du Québec.<br />
La « première » dont parle Valéry Giscard d’Estaing a donc bien fonctionné. Mais que<br />
s’est-il passé derrière les portes closes du Conseil des ministres ? Robert Bourassa présente<br />
un document de travail d’une vingtaine de pages, <strong>pour</strong> ensuite dresser un bi<strong>la</strong>n (positif) de<br />
<strong>la</strong> coopération franco-québécoise, tout en proposant une série de mesures nouvelles dont<br />
les plus concrètes visent à renforcer le français comme <strong>la</strong>ngue de travail 70 . Les discussions<br />
s’engagent sur cette base et conduisent à l’adoption de ce que l’on désignera comme une<br />
« charte de coopération ».<br />
Tant aux yeux de Giscard d’Estaing que de Bourassa, il va donc de soi que l’OFQJ doit<br />
être aux premières loges de <strong>la</strong> francisation du Québec, multipliant les ressources, augmentant<br />
le nombre de stagiaires, haussant le financement des échanges en matière de francisation<br />
du travail. Les deux ministres de tutelle ne tardent pas à battre le fer pendant qu’il est<br />
chaud. Moins d’une semaine après <strong>la</strong> visite de Bourassa, le conseil d’administration de l’Office<br />
se réunit à Paris. Le nouveau ministre de <strong>la</strong> Jeunesse et des Sports, Pierre Mazeaud, ne manque<br />
d’ailleurs pas de souligner l’importance de cet événement, tandis que Jean-Paul L’Allier<br />
rappelle <strong>pour</strong> sa part à quel point l’OFQJ doit tenir compte des priorités gouvernementales<br />
des deux pays 71 .<br />
Concrètement toutefois, comment s’articule l’action de l’Office ? En créant des stages<br />
portant sur le français <strong>la</strong>ngue du travail. Certes, mais seront-ils suivis d’effets ? D’après Gaston<br />
Cholette, celui qui, au sein du conseil d’administration, fait in<strong>la</strong>ssablement valoir les possibilités<br />
d’une telle approche :<br />
« Le but <strong>pour</strong>suivi est <strong>la</strong> sensibilisation des principales catégories d’agents économiques<br />
québécois à l’utilisation du français comme <strong>la</strong>ngue du travail dans les entreprises. Il s’agit de<br />
faire voir à ces agents des entreprises françaises dans le secteur qui les intéresse 72 […]. »<br />
Sensibiliser, faire tomber les préjugés, sont autant d’objectifs qui se réalisent plus facilement<br />
lorsqu’on est jeune. Tel est l’argument central que Gaston Cholette emploie au sein de<br />
l’OFQJ et qui finit par recueillir l’adhésion générale. « Le fait de voir du travail se faire en<br />
français a un impact psychologique important 73 », <strong>la</strong>nce-t-il au cours d’une réunion. <strong>Un</strong><br />
argument qui reçoit aussitôt l’appui de Jean-Paul L’Allier, et dont Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet<br />
confirme <strong>la</strong> validité, en faisant remarquer que l’effet de sensibilisation est effectivement « très<br />
visible sur les stagiaires québécois 74 ».<br />
38<br />
69 Valéry Giscard d’Estaing, « Je me souviens du Québec d’antan », Québec Match, numéro spécial, 1989, p. 36-37,<br />
archives de l’auteur.<br />
70 Le Devoir, 05/12/74.<br />
71 Compte rendu de <strong>la</strong> 12 e réunion du conseil d’administration, Paris, 12 décembre 1974, p. 1, archives de l’OFQJ.<br />
72 Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en matière linguistique, Québec, Presses de l’<strong>Un</strong>iversité<br />
Laval, 1997, p. 29-30, 35.<br />
73 Compte rendu de <strong>la</strong> 7 e réunion du C.A., Montréal, mai 1972, p. 33-47, archives de l’OFQJ.<br />
74 Ibid.
Plusieurs opérations de l’OFQJ se font dans cette perspective de francisation, permettant<br />
notamment d’envoyer en France des employés de General Electric, Laurentides industries<br />
et de <strong>la</strong> raffinerie de ville d’Anjou dans l’est de Montréal. Tant et si bien qu’à <strong>la</strong> fin de<br />
l’année 1974, <strong>la</strong> section québécoise décide d’augmenter <strong>la</strong> mise. Dans un geste exceptionnel,<br />
et qui ne se reproduira plus par <strong>la</strong> suite, Jean-Paul L’Allier annonce que son gouvernement<br />
versera uni<strong>la</strong>téralement 150 000 dol<strong>la</strong>rs de plus au budget de l’Office <strong>pour</strong> l’année 1975, et<br />
ce, afin de permettre à deux cents jeunes Québécois de plus de faire des stages en matière<br />
de <strong>la</strong>ngage technique et de coopération industrielle. Le conseil d’administration donne aussitôt<br />
son aval à ce programme spécial 75 .<br />
Premières turbulences<br />
En revanche, le dynamisme de l’organisme dans le domaine linguistique ne veut pas<br />
dire que tout est parfait dans le meilleur des mondes. Surtout pas en ce qui a trait à l’actualité<br />
internationale. <strong>Un</strong> sujet qui a tôt fait de rattraper l’OFQJ. En effet, le 6 octobre 1973, les<br />
blindés égyptiens et syriens se ruent vers Israël, prenant l’État juif par surprise, connaissant<br />
de remarquables succès initiaux, inquiétant les Occidentaux, menaçant l’équilibre mondial.<br />
Jusqu’à ce que Tsahal (l’armée israélienne) se ressaisisse et fasse plier l’Égypte et <strong>la</strong> Syrie<br />
sous le poids d’une énergique contre-offensive. D’où le déclenchement de représailles par<br />
les pays arabes de l’OPEP (l’Organisation des pays producteurs de pétrole). Le premier choc<br />
pétrolier vient de commencer. Les Occidentaux connaissent une spectacu<strong>la</strong>ire augmentation<br />
du prix du carburant, ce qui touche, au premier rang, le transport aérien.<br />
En décembre 1974, le secrétaire général de <strong>la</strong> section française, Francis Jacquemont, est<br />
le premier à tirer <strong>la</strong> sonnette d’a<strong>la</strong>rme. Il se p<strong>la</strong>int amèrement des coûts d’hébergement,<br />
surtout ceux du transport aérien qui augmentent de façon vertigineuse, alors que <strong>la</strong> subvention<br />
gouvernementale reste bloquée au même niveau 76 .<br />
<strong>Un</strong> vif débat s’engage sur le seuil de crédibilité de l’Office, à savoir le nombre minimal<br />
de stagiaires à échanger <strong>pour</strong> que l’organisme demeure crédible. Depuis quelques années<br />
déjà, il a été fixé à mille cinq cents stagiaires par section. Or, il est c<strong>la</strong>ir que ce niveau ne<br />
sera pas atteint en 1975.<br />
De fait, en 1975, il n’y aura que mille cent stagiaires échangés de part et d’autre. Ce ne<br />
sera guère mieux <strong>pour</strong> 1976. En francs constants, <strong>la</strong> subvention ne cesse de diminuer. Qu’ils<br />
soient Français ou Québécois, les membres du conseil d’administration ne sont pas très satisfaits<br />
du travail de Pierre Mazeaud qui s’explique longuement devant eux :<br />
« Je vou<strong>la</strong>is vous dire que j’ai très bien ressenti […] le souci partagé par l’ensemble des<br />
membres du conseil d’administration en ce qui concerne bien sûr les dotations budgétaires<br />
des deux gouvernements […] alors il m’appartient de dire à nos amis québécois que le<br />
gouvernement français fera le maximum […] je ferai naturellement le maximum, je serai en<br />
75 Compte rendu de <strong>la</strong> 12 e réunion du conseil d’administration,<br />
Paris, 12 décembre 1974, p. 10, archives de l’OFQJ.<br />
76 Compte rendu de <strong>la</strong> 12 e réunion du conseil d’administration,<br />
Paris, 12 décembre 1974, p. 3, archives de l’OFQJ.<br />
39
quelque sorte votre interprète à l’occasion des discussions budgétaires, mais quels qu’en<br />
soient les résultats […] ce qui compte, ce sont les liens qui unissent nos deux pays, liens que<br />
vous me permettrez de traduire dans le sens de l’affectivité […] nous avons des difficultés<br />
internes […] mais ce<strong>la</strong> ne change en rien l’intérêt profond que porte le gouvernement français<br />
<strong>pour</strong> l’Office franco-québécois 77 […] »<br />
Sauf que cette élégante séance de patinage artistique ne semble pas convaincre beaucoup<br />
les membres du conseil d’administration. Ils ne sont pas les seuls à être sceptiques, puisqu’à<br />
<strong>la</strong> même époque, le quotidien Le Monde titre que « le budget de <strong>la</strong> Jeunesse et des Sports<br />
reflète l’immobilisme gouvernemental 78 ». Et <strong>pour</strong> couronner cette situation, <strong>la</strong> section québécoise<br />
de l’Office entame une grève <strong>pour</strong> signer une première convention collective.<br />
<strong>Un</strong> arrêt de travail qui sera suivi de deux autres. Événement singulier privant des<br />
centaines de jeunes Français d’un stage au Québec. « Les Français n’avaient pas compris ça »,<br />
rappelle André Tétrault, secrétaire général de <strong>la</strong> section québécoise au moment de l’une des<br />
grèves. « À un moment donné, les employés avaient même convaincu des stagiaires français<br />
de venir occuper nos locaux. Je leur avais dit bienvenue chez nous, si ça vous intéresse de<br />
rester quinze jours entre quatre murs, sinon revenez visiter le Québec l’année prochaine. Le<br />
lendemain ils étaient tous partis 79 . »<br />
Mais cette vision des choses n’est pas nécessairement partagée par le personnel de<br />
l’Office, comme en témoigne Maurice Segall, alors directeur adjoint à <strong>la</strong> direction des Échanges<br />
à <strong>la</strong> section française. « Comme dans toutes les grèves, il y avait des conséquences négatives,<br />
mais en même temps on se sentait très solidaires de <strong>la</strong> section québécoise. Car il y avait<br />
beaucoup de frustrations […] nous vivions dans une espèce de flou juridique et au départ,<br />
nous n’avions pas de syndicat ni de comité d’entreprise. Donc on n’avait pas droit au chômage<br />
ni à <strong>la</strong> retraite, ni à <strong>la</strong> sécurité sociale, etc., donc les grèves nous paraissaient justifiées 80 . »<br />
40<br />
77 Compte rendu de <strong>la</strong> 13 e session du C.A. de l’OFQJ, Pointe-au-Pic,<br />
9 et 10 juin 1975, p. 22-24, archives de l’OFQJ.<br />
78 Le Monde, 27/09/75.<br />
79 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01.<br />
80 Entretien avec Maurice Segall, 07/02/01.
CHAPITRE IV :<br />
Vivre du<br />
nouveau<br />
« J’ai jamais pensé que je <strong>pour</strong>rais être<br />
aussi fier d’être Québécois, que ce soir. »<br />
Devant une foule de partisans en délire,<br />
c’est avec ces paroles que René Lévesque<br />
accueille sa victoire électorale du<br />
15 novembre 1976. Pour <strong>la</strong> première fois de<br />
l’histoire, les indépendantistes vont<br />
gouverner le Québec.<br />
Ce que vous attendez de <strong>la</strong> France, c’est<br />
sa compréhension, son soutien et son appui,<br />
vous pouvez compter qu’ils ne vous manqueront<br />
pas le long de <strong>la</strong> route que vous déciderez<br />
de suivre.<br />
VALÉRY GISCARD D’ESTAING À RENÉ LÉVESQUE<br />
L’événement trouve rapidement un<br />
formidable écho en France. Le 16 novembre<br />
1976, les nouvelles de <strong>la</strong> victoire du Parti québécois se répand comme une traînée de poudre<br />
dans les médias français. « Victoire des Nègres b<strong>la</strong>ncs 81 » titre à <strong>la</strong> une le quotidien Le Monde,<br />
tandis que le journaliste Roger Gicquel commence le bulletin d’informations télévisées en<br />
exprimant sa satisfaction. À l’écran, les images d’euphorie et d’allégresse du centre Paul-<br />
Sauvé défilent devant des millions de Français 82 . D’où qu’ils viennent, les commentaires sont<br />
enthousiastes et positifs 83 .<br />
<strong>Un</strong>e vitalité qui ne tarde pas à se répercuter sur les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises. Comme<br />
le notera plus tard le consul général Marcel Beaux, en poste à Québec de 1976 à 1979 : « [...]<br />
les trois années qu’il m’a été donné de vivre à Québec ont coïncidé avec un temps fort dans<br />
les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises, souffrant <strong>la</strong> comparaison, toute proportion gardée, avec<br />
l’expansion de <strong>la</strong> coopération qui avait suivi le voyage du général de Gaulle en 1967 84 . »<br />
<strong>Un</strong>e fois de plus, l’Office franco-québécois plonge dans le cœur de l’actualité francoquébécoise.<br />
C<strong>la</strong>ude Charron, son nouveau ministre de tutelle au Québec, reçoit à cet égard<br />
des instructions on ne peut plus c<strong>la</strong>ires :<br />
« Dès le départ, dans le contexte général, nos re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong> France devenaient primordiales.<br />
Tout ce qui s’appe<strong>la</strong>it contact avec <strong>la</strong> France devait être contrôlé à <strong>la</strong> fois par le ministre<br />
sectoriel mais aussi par C<strong>la</strong>ude Morin, le ministre des Affaires intergouvernementales. Rien<br />
ne devait être <strong>la</strong>issé au hasard.<br />
Alors, quand on m’a confié <strong>la</strong> gestion de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, j’ai<br />
compris tout de suite qu’il s’agissait d’une responsabilité très importante 85 . »<br />
81 Le Monde, 17 novembre 1976.<br />
82 Nico<strong>la</strong>s Dimic, Les re<strong>la</strong>tions franco-canadiennes sous <strong>la</strong> présidence de Valéry Giscard<br />
d’Estaing, dirigé par Alfred Grosser, I.E.P. Paris, 1985, p. 31, archives de l’auteur.<br />
83 Donald Baker, « Quebec on French minds », Queen’s Quarterly, vol. 85, n o 2, été 1978, p. 250.<br />
84 Ministère des Affaires étrangères de <strong>la</strong> France. Rapport de fin de mission de Marcel Beaux,<br />
26 octobre 1979, p. 1, archives de l’auteur.<br />
85 Entretien avec C<strong>la</strong>ude Charron, 26/01/01.<br />
41
Le ton est donné dès le départ. Et il se trouve que l’Office doit se réunir à Québec en<br />
février 1977, c’est-à-dire dans les suites immédiates de <strong>la</strong> victoire péquiste. Comme il s’agit<br />
de l’un des premiers contacts entre <strong>la</strong> France et le nouveau gouvernement québécois, l’affaire<br />
est d’emblée promise à un bel avenir.<br />
Ministre de l’OFQJ… et messager du président de <strong>la</strong> République<br />
Il faut dire que Paris ne tarde pas à prendre acte de l’évolution de <strong>la</strong> situation au Québec.<br />
Le 18 janvier 1977, Maurice Ligot, secrétaire d’État à <strong>la</strong> fonction publique, part en mission au<br />
Québec afin de présider <strong>la</strong> réunion du conseil d’administration. Il remp<strong>la</strong>ce Jean-Pierre<br />
Soissons qui, menacé dans sa ville d’Auxerre, doit rester en France <strong>pour</strong> faire campagne en<br />
vue des élections municipales. Auteur d’une thèse sur le Canada français écrite en 1950, Ligot<br />
est sans conteste l’homme politique français qui, de <strong>la</strong> conquête jusqu’à <strong>la</strong> conscription,<br />
connaît le mieux l’histoire du Québec.<br />
Or, développement inattendu, juste avant son départ, Ligot est convoqué à l’Élysée par<br />
le président Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci, pressé par les éléments les plus gaullistes de<br />
sa coalition gouvernementale depuis l’arrivée du Parti québécois, commence à manifester<br />
un très grand intérêt <strong>pour</strong> le Québec. Il charge donc le ministre responsable de l’Office d’une<br />
mission supplémentaire, comme le raconte le principal intéressé. « J’ai reçu du président <strong>la</strong><br />
mission de remettre à René Lévesque un message oral qui consistait en ceci : <strong>la</strong> France se<br />
félicite de l’élection du Parti québécois de même que des projets qu’il envisage ; elle fait<br />
confiance à René Lévesque ; elle soutient sa politique 86 . »<br />
Fort de ces instructions et de cet appui en haut lieu, Ligot met le cap sur <strong>la</strong> belle mais<br />
froide province en janvier 1977.<br />
Trois mille stagiaires<br />
Lorsqu’il s’adresse aux membres du conseil d’administration, c’est donc en connaissance<br />
de cause que Maurice Ligot peut leur dire, à l’instar de Gilles Vigneault, « mon pays ce n’est<br />
pas un pays, c’est l’hiver », avant d’ajouter sur une note plus sérieuse, que les re<strong>la</strong>tions francoquébécoises<br />
sont importantes et que « le président de <strong>la</strong> République française entend y veiller<br />
personnellement 87 ».<br />
De son côté, le Québec est représenté par deux ministres, C<strong>la</strong>ude Morin et C<strong>la</strong>ude<br />
Charron. Le premier, le plus ancien, est venu appuyer son jeune collègue. Le chef de <strong>la</strong> diplomatie<br />
québécoise martèle un message des plus c<strong>la</strong>irs : l’Office doit plus que jamais avoir<br />
valeur de symbole concret dans le cadre des re<strong>la</strong>tions directes, privilégiées et fraternelles<br />
qu’entretiennent <strong>la</strong> France et le Québec 88 .<br />
42<br />
86 Entretien avec Maurice Ligot, 27/10/98, archives de l’auteur.<br />
87 Compte rendu de <strong>la</strong> 15 e session du C.A., Québec, 19 et 20 janvier<br />
1977, p. 5, 52, archives de l’OFQJ.<br />
88 Ibid, p. 1.
Pour ce faire, les deux ministres québécois ont un p<strong>la</strong>n très simple. Il consiste à ramener<br />
le nombre de stagiaires à trois mille par année, soit le seuil critique de mille cinq cents par<br />
section. Maurice Ligot saisit <strong>la</strong> balle au bond et reprend immédiatement à son compte cette<br />
idée.<br />
Jamais depuis 1968 <strong>la</strong> conjoncture n’a été aussi favorable aux dirigeants de l’Office. Et<br />
contrairement à <strong>la</strong> période du début des années 1970, les réalisations de l’organisme sont<br />
désormais prises au sérieux par le Quai d’Orsay. Comme le note Marcel Beaux, consul général<br />
de France à Québec, en poste de 1976 à 1979 :<br />
« La coopération franco-québécoise est sans équivalent dans <strong>la</strong> mesure où elle est <strong>la</strong><br />
seule qui lie, avec cette quantité de moyens, <strong>la</strong> France à un autre pays hautement développé<br />
et d’économie libérale. Le montant global des sommes consacrées annuellement à cette œuvre<br />
par les deux parties situe le Québec au quatrième rang des pays bénéficiaires de notre<br />
coopération après les trois pays du Maghreb […].<br />
Grâce à l’OFQJ, un programme annuel intéressant trois mille jeunes s’est <strong>pour</strong>suivi […]<br />
il est important cependant de veiller à ce que le volume global des actions entreprises ne<br />
diminue pas 89 . »<br />
En fait d’importance de <strong>la</strong> coopération, l’année 1977 illustre bien le dynamisme dont<br />
parle Marcel Beaux. Les visites ministérielles se multiplient de part et d’autre de l’At<strong>la</strong>ntique.<br />
Dynamisme qui culmine du 2 au 4 novembre, lors de <strong>la</strong> visite à Paris de René Lévesque,<br />
comme le rappelle C<strong>la</strong>ude Charron :<br />
« Mon plus beau souvenir de l’Office, c’est que ça m’a valu d’accompagner monsieur<br />
Lévesque à Paris en novembre 1977.<br />
Tous les ministres vou<strong>la</strong>ient aller à Paris. Bernard Landry faisait des pieds et des mains<br />
<strong>pour</strong> trouver des dossiers économiques <strong>pour</strong> traverser en France. Et finalement le premier<br />
ministre avait tranché. Voyant que tout le monde trouvait une raison <strong>pour</strong> être du voyage, il<br />
a décidé que seul C<strong>la</strong>ude Morin l’accompagnerait. Mais on lui a expliqué que l’Office francoquébécois<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> tenait son conseil d’administration en même temps que le voyage<br />
et c’était moi le ministre responsable. Alors il m’a dit, venez discrètement 90 ! »<br />
Mais au moment où, prenant le monde <strong>pour</strong> témoin, <strong>la</strong> France s’apprête à recevoir le<br />
premier ministre indépendantiste du Québec, est-ce bien le moment d’être discret ? Quand<br />
toute <strong>la</strong> France politique, de Chirac à Giscard d’Estaing à l’exception notable de François<br />
Mitterrand, rivalise d’adresse, d’honneurs et d’audace <strong>pour</strong> saluer le chef des Québécois libres,<br />
les circonstances ne favorisent nullement <strong>la</strong> discrétion. Et puisque le ministre responsable de<br />
l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> accompagne René Lévesque <strong>pour</strong> un voyage<br />
historique, comment <strong>pour</strong>rait-on faire jouer au responsable de l’Office <strong>la</strong> carte de l’attitude<br />
discrète et de l’effacement ? Ce serait sous-estimer grandement l’importance du Québec <strong>pour</strong><br />
<strong>la</strong> France et le rôle de l’OFQJ dans cette affaire.<br />
89 Ministère des Affaires étrangères de <strong>la</strong> France.<br />
Rapport de fin de mission de Marcel Beaux, 26 octobre 1979, p. 13-14,<br />
archives de l’auteur.<br />
90 Entretien avec C<strong>la</strong>ude Charron, 26/01/01, archives de l’auteur.<br />
43
Dans cette course au déploiement protoco<strong>la</strong>ire sans précédent, l’Office ne sera pas en<br />
reste, comme le raconte C<strong>la</strong>ude Charron :<br />
« Les Français n’ont pas voulu que ce soit discret. Avec monsieur Dijoud, j’ai donc été<br />
invité au déjeuner à l’Élysée offert par Giscard <strong>pour</strong> René Lévesque. Alors j’arrive, un huissier<br />
annonce « le ministre de <strong>la</strong> Jeunesse et des Loisirs ». Sur ce je rentre, avec <strong>la</strong> tête frisée que<br />
j’avais à l’époque. Giscard me voit et s’exc<strong>la</strong>me tout de go « mais qu’il est jeune ! » Et là, le<br />
visage de René Lévesque s’est illuminé de voir <strong>la</strong> surprise du président. Comme si l’on montrait<br />
à <strong>la</strong> France à quel point le Québec est une société jeune. Et quand je suis passé à côté de<br />
monsieur Lévesque, il m’a fait un clin d’œil, fier comme s’il avait été mon père, content d’avoir<br />
marqué un point 91 ! ».<br />
Sortir l’OFQJ de <strong>la</strong> « c<strong>la</strong>ndestinité »<br />
Mais, outre les réceptions et le protocole, le conseil d’administration de l’Office s’est mis<br />
au boulot. Le clou de cette séance de travail est sans l’ombre d’un doute <strong>la</strong> participation aux<br />
délibérations des premiers ministres de France et du Québec. Événement dont C<strong>la</strong>ude Charron<br />
se souvient comme si c’était hier : « René Lévesque et Raymond Barre étaient venus <strong>la</strong><br />
deuxième journée […] ils étaient arrivés en retard d’ailleurs. C’était l’apothéose de notre<br />
réunion. Ils sont venus nous dire de continuer et surtout nous signaler que les deux gouvernements<br />
al<strong>la</strong>ient nous soutenir financièrement 92 ». Les deux premiers ministres ne tardent pas<br />
à passer de <strong>la</strong> parole aux actes. Le financement de l’Office est augmenté de 35 %.<br />
Par ailleurs, on n’a jamais parlé autant du Québec en France depuis 1967. Belle occasion<br />
<strong>pour</strong> l’organisme de se faire connaître davantage dans l’Hexagone. C’est ce que plusieurs<br />
pensent, dont le ministre Dijoud, qui s’étonne à haute voix qu’en France « l’OFQJ est confidentiel<br />
», ajoutant qu’« il serait nécessaire de le sortir d’une certaine c<strong>la</strong>ndestinité 93 ».<br />
Ce commentaire vise <strong>la</strong> section française et, au premier chef, son secrétaire général<br />
Francis Jacquemont. En réalité, le débat existe depuis quelques années déjà. Tant au conseil<br />
d’administration que parmi le personnel, plusieurs trouvent que <strong>la</strong> section française ne fait<br />
pas connaître son rôle dans l’Hexagone. Ce à quoi Francis Jacquemont s’oppose avec<br />
véhémence.<br />
La remarque lui est faite une première fois lors d’une réunion du conseil d’administration<br />
en août 1974 94 . Mais rien ne bouge, et <strong>la</strong> question est à nouveau soulevée l’année suivante.<br />
La réponse de Francis Jacquemont <strong>la</strong>isse plusieurs songeurs : « Nous sommes débordés de<br />
demandes de stages, alors si nous faisons parler de nous dans les grands médias nationaux,<br />
<strong>la</strong> situation sera pire encore 95 . »<br />
Henri Réthoré, nouveau consul général de France à Québec, écrit dans son rapport de<br />
fin de mission que « nous (les Français) devons impérativement <strong>pour</strong>suivre, en l’accentuant,<br />
44<br />
91 Entretien avec C<strong>la</strong>ude Charron, 26/01/01.<br />
92 Entretien avec C<strong>la</strong>ude Charron, 26/01/01.<br />
93 Compte rendu de <strong>la</strong> 16 e session du C.A., 3 et 4 novembre 1977, p. 25, archives<br />
de l’OFQJ.<br />
94 Compte rendu de <strong>la</strong> 11 e réunion du CA, Québec, août 1974, p. 27, archives de l’OFQJ.<br />
95 Compte rendu de <strong>la</strong> 13 e session du CA, Pointe-au-Pic, Juin 1975, p.15, archives de l’OFQJ.
l’action menée <strong>pour</strong> redresser notre image au Québec […] le rôle de l’OFQJ est essentiel et<br />
ses crédits doivent impérativement être maintenus, sinon développés 96 ».<br />
Néanmoins, Francis Jacquemont n’y croit toujours pas. Sauf que depuis l’élection du<br />
Parti québécois en 1976, ses patrons sont décidés à aller de l’avant. « Il est regrettable, affirme<br />
Dijoud, en novembre 1977, que dans le cadre de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce de l’amitié entre le Québec et <strong>la</strong><br />
France, nous ne fassions pas mieux connaître l’action de l’Office et <strong>la</strong> portée du message<br />
dont il est chargé 97 . » Pour diplomates qu’elles soient, ces instructions n’en sont pas moins<br />
fermes. Et Jacquemont doit s’y conformer. L’OFQJ-France met donc le cap sur l’information.<br />
En 1978, dans <strong>la</strong> foulée de <strong>la</strong> visite en France de René Lévesque, des journalistes de TF1, du<br />
Figaro et de L’Est Républicain se rendent au Québec.<br />
Cette offensive porte ses fruits. En tout et <strong>pour</strong> tout, cent quatre-vingt-six articles de<br />
presse traitant du Québec et des activités de l’OFQJ sont publiés dans les journaux. Et comme<br />
si ce n’était pas assez, A<strong>la</strong>in Beaugier organise et anime des tournées d’information en<br />
province. Sans compter <strong>la</strong> publication en douze mille exemp<strong>la</strong>ires d’une brochure <strong>pour</strong> le<br />
dixième anniversaire de l’organisme, et qui sera distribuée dans les milieux politique et associatif<br />
98 . <strong>Un</strong> effort qui s’est avéré rentable. Comme le rappelle Louis-Bernard Robitaille, correspondant<br />
du journal La Presse à Paris, « après 1976, on a vraiment beaucoup parlé du Québec<br />
dans les médias français. Tout le monde y est allé 99 . » <strong>Un</strong> succès auquel l’OFQJ aura contribué.<br />
<strong>Un</strong> accent sur l’économie<br />
Tout le long de <strong>la</strong> période 1976-1980, l’accent des re<strong>la</strong>tions franco-québécoises est mis<br />
sur les re<strong>la</strong>tions économiques. Raison <strong>pour</strong> <strong>la</strong>quelle, par exemple, René Lévesque choisit à<br />
l’époque Jean Deschamps comme délégué général du Québec à Paris, celui-ci ayant été<br />
directeur des HEC à Montréal. C’est également le leitmotiv de <strong>la</strong> visite du premier ministre<br />
Raymond Barre au Québec, en 1979. Toujours dans <strong>la</strong> mouvance du politique, l’Office va<br />
donc multiplier les stages de travailleurs spécialisés, d’agriculteurs et les échanges à caractère<br />
technique.<br />
Des stages, entre autres, dans le domaine du meuble artisanal sont organisés. À l’instar<br />
d’un groupe qui, sous <strong>la</strong> supervision de l’ébéniste François Boisvert, part en France le 13 mai<br />
1980 <strong>pour</strong> se familiariser avec les méthodes traditionnelles et contemporaines de fabrication<br />
artisanale de meubles 100 . Citons également l’exemple de cet autre groupe d’étudiants qui,<br />
sous <strong>la</strong> direction de Vital Chabot, met le cap sur l’Hexagone <strong>pour</strong> observer les techniques<br />
de fabrication de maisons so<strong>la</strong>ires. Ou encore ces travailleurs de l’usine GM de Boisbriand<br />
qui, sous <strong>la</strong> direction du conseiller syndical Bertrand Bégin, traversent l’At<strong>la</strong>ntique <strong>pour</strong><br />
comparer les conditions de vie des travailleurs de l’automobile 101 .<br />
La perspective économique est encore renforcée en décembre 1980, lors du second<br />
voyage de René Lévesque à Paris. Les deux premiers ministres signent alors une entente<br />
96 Ministère des Affaires étrangères, Rapport de fin de mission de Henri Réthoré, décembre 1983, p. 29, archives de l’auteur.<br />
97 Compte rendu de <strong>la</strong> 16 e session du C.A., 3 et 4 novembre 1977, p. 22, archives de l’OFQJ.<br />
98 Compte rendu de <strong>la</strong> 19 e session du C.A., Auxerre, janvier 1979, p. 56-59, archives de l’OFQJ.<br />
99 Entretien avec Louis-Bernard Robitaille, 17/03/98, archives de l’auteur.<br />
100 Rapport des secrétaires généraux au C.A., 2 e cahier, bi<strong>la</strong>n des échanges, 22 e session du C.A., novembre 1980, p. 7-10.<br />
101 Ibid.<br />
45
permettant à cent jeunes de chaque<br />
communauté d’obtenir un visa <strong>pour</strong> aller<br />
travailler de l’autre côté de l’At<strong>la</strong>ntique<br />
et confient ce mandat à l’OFQJ.<br />
La 19 e session du C.A. en 1979 : C<strong>la</strong>ude Charron (ministre<br />
responsable au Québec, 1976-1982) et Jean-Pierre Soisson (son<br />
homologue français, 1978-1981).<br />
Des stages faits sur mesure…<br />
par le stagiaire lui-même<br />
Tandis que l’Office étend ses activités<br />
dans le domaine économique,<br />
lentement mais sûrement, les Français<br />
continuent à redécouvrir le Québec. Les<br />
liens tendent également à s’approfondir,<br />
à l’image d’une idée qui fait peu à peu<br />
son chemin dans les cercles décisionnels<br />
de l’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
et qui consiste à mettre en p<strong>la</strong>ce<br />
des stages individuels. À l’époque, les<br />
échanges de l’organisme se font en<br />
groupe <strong>pour</strong> une durée de deux à trois<br />
semaines.<br />
Cette formule « en groupe » est excellente quand il s’agit de découvrir l’autre pays. Mais<br />
elle connaît aussi de sérieuses limites quand il s’agit d’approfondir un thème particulier ou<br />
d’acquérir une véritable expérience professionnelle. Dès les tout premiers échanges, nombreux<br />
sont les jeunes qui le notent dans leur rapport de fin de stage. C’est le cas de Guy Fayolle,<br />
stagiaire en urbanisme et architecture, qui note que « trois semaines de visites à bâtons rompus<br />
et d’exposés n’apportent pas de connaissances précises et étendues 102 […] ». Ce à quoi Jean-<br />
Louis Chenaud ajoute : « <strong>la</strong> comparaison est intéressante mais trois semaines paraissent un<br />
<strong>la</strong>ps de temps trop court <strong>pour</strong> faire une véritable étude 103 ».<br />
Le problème semble important et l’OFQJ décide d’étudier davantage <strong>la</strong> question dans<br />
son évaluation des stages. Ce<strong>la</strong> lui permettra de découvrir que 36 % des stagiaires pensent<br />
qu’ «il faudrait trouver un autre moyen qu’une brève rencontre <strong>pour</strong> que ces échanges portent<br />
fruit sur le p<strong>la</strong>n professionnel 104 ».<br />
L’idée fait donc son chemin même. Elle est évoquée lors du conseil d’administration de<br />
novembre 1977. Ces stages devront viser <strong>la</strong> réalisation d’un projet précis avec des retombées.<br />
Tout ce<strong>la</strong> est bien beau, mais l’idée n’est pas encore assez mûre. Ce n’est donc finalement<br />
qu’en 1979 que l’affaire prend son véritable envol, sous <strong>la</strong> houlette de Dominique<br />
46<br />
102 Bi<strong>la</strong>n des échanges : les stagiaires français au Québec en 1970, p. 53, archives<br />
de l’OFQJ.<br />
103 Ibid., p. 54.<br />
104 Rapport au conseil d’administration de l’OFQJ, Rimouski, 15 et 16 juin 1973,<br />
p. 152, archives de l’OFQJ.
Bussereau et d’André Tétrault, les deux nouveaux secrétaires généraux de l’Office. Du côté<br />
québécois, Tétrault se fait l’ardent promoteur de cette idée, comme il l’explique lui-même :<br />
«À mon arrivée, <strong>la</strong> formule était restée <strong>la</strong> même depuis le début avec des petites<br />
variantes, c’était des stages de groupes avec des voyages axés sur <strong>la</strong> découverte de l’autre<br />
communauté […] un jour une dame m’appelle de <strong>la</strong> bibliothèque de l’école vétérinaire de<br />
Saint-Hyacinthe, <strong>pour</strong> aller faire un stage en France. Je lui explique qu’il fal<strong>la</strong>it qu’elle forme<br />
un groupe de gens dans son domaine puisqu’à l’OFQJ on ne faisait pas de stages individuels.<br />
Ce sur quoi elle me répond : Je suis <strong>la</strong> seule au Québec en bibliothéconomie spécialisée en<br />
médecine vétérinaire. Et là, j’ai eu un f<strong>la</strong>sh ! […] Et ce, d’autant plus que peu de temps après<br />
on a eu le même problème avec un groupe de quelques individus qui vou<strong>la</strong>ient aller étudier<br />
<strong>la</strong> culture des pommiers nains en France. Il était impossible de rassembler vingt ou trente<br />
personnes sur un thème aussi spécialisé 105 . »<br />
Devant une telle situation, il devient impératif de s’adapter. Ce qui est fait lors de <strong>la</strong><br />
réunion du conseil d’administration qui a lieu en novembre 1979. L’opération commence<br />
donc en 1980, année au cours de <strong>la</strong>quelle cent trente projets de stages individuels ou de<br />
petits groupes sont expérimentés. La formule réussit au-delà des attentes, comme l’expliquent<br />
Dominique Bussereau et André Tétrault : « Le milieu a très bien répondu 106 ».<br />
Le pari a donc été gagné. Et <strong>pour</strong> des raisons totalement extérieures à l’Office francoquébécois<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, cette forme d’échange va très rapidement devenir <strong>la</strong> plus importante<br />
de l’organisme.<br />
105 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01.<br />
106 Compte rendu de <strong>la</strong> 21 e session du C.A., Québec, p. 11.<br />
47
48<br />
« Des deux côtés, on se connaissait mieux.<br />
On était prêt à donner une autre impulsion »,<br />
affirme Anne Cublier (secrétaire générale<br />
de <strong>la</strong> section française (1982-1988), qu'on<br />
aperçoit à doite avec son homologue québécois<br />
André Tétrault et <strong>la</strong> ministre Edwige Avice<br />
à gauche (Saint-Malo, 1984).
CHAPITRE V :<br />
S’adapter <strong>pour</strong><br />
progresser<br />
« Il faut envisager une période difficile qui <strong>pour</strong>rait<br />
modifier sensiblement le visage de l’OFQJ […] <strong>la</strong> période<br />
des années 1980 ne sera facile <strong>pour</strong> personne 107 . »<br />
L’avertissement était tombé de <strong>la</strong> bouche de C<strong>la</strong>ude<br />
Charron, en novembre 1979, au terme de <strong>la</strong> 19 e session<br />
du conseil d’administration. Le ministre des Loisirs et<br />
des Sports ne croyait pas si bien dire.<br />
Face à <strong>la</strong> tourmente économique<br />
On a toujours réussi à trouver des<br />
solutions qui pouvaient permettre<br />
à <strong>la</strong> fois de maintenir les objectifs<br />
et les caractéristiques de l’organisme<br />
et à continuer à pouvoir le considérer<br />
comme un exemple, non seulement<br />
dans le cadre de <strong>la</strong> coopération<br />
France-Québec… mais également<br />
auprès d’autres pays.<br />
Le second choc pétrolier et <strong>la</strong> crise économique<br />
qui s’ensuit frappent l’OFQJ de plein fouet. <strong>Un</strong>e PIERRE BERNIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL<br />
conjoncture correspondant en France à l’arrivée au<br />
DE L’OFQJ AU QUÉBEC 1975-1978<br />
pouvoir des socialistes, dont <strong>la</strong> politique économique<br />
ne sera pas d’une aide particulière <strong>pour</strong> l’organisme<br />
franco-québécois. Surtout lorsque les socialistes mettent en p<strong>la</strong>ce une politique de contrôle<br />
des changes qui limite <strong>la</strong> libre conversion du franc en monnaie étrangère. Selon Dominique<br />
Bussereau et André Tétrault lorsqu’ils s’adressent à l’époque aux membres du conseil d’administration<br />
: « La hausse des tarifs aériens fait très mal à l’Office. Les frais fixes de l’OFQJ<br />
représentent désormais <strong>la</strong> moitié des frais d’activité et nous avons dû réduire <strong>la</strong> durée des<br />
stages 108 . »<br />
<strong>Un</strong> nouveau fer de <strong>la</strong>nce : les stages individuels et en petits groupes<br />
L’Office va, dans un premier temps, opter <strong>pour</strong> une réduction des prestations données<br />
aux stagiaires et d’une réduction de deux à trois semaines <strong>pour</strong> le tiers des stages effectués.<br />
Mais quand Air France augmente ses tarifs aériens de 20 % par année, <strong>pour</strong> ne pas parler<br />
d’Air Canada et de son 40 % d’augmentation, ce sont là des mesures nettement insuffisantes<br />
<strong>pour</strong> enrayer <strong>la</strong> crise financière que vit l’Office franco-québécois. De toute évidence, un<br />
vigoureux coup de barre est nécessaire <strong>pour</strong> redresser <strong>la</strong> situation.<br />
Mais il y a plus. Treize années après le coup de tonnerre du balcon, cinq ans après <strong>la</strong><br />
victoire du Parti québécois, le temps des retrouvailles est révolu. La France et le Québec se<br />
sont ouverts l’un à l’autre. Comme le note Dominique Bussereau et André Tétrault, « <strong>la</strong> mission<br />
première de l’OFQJ n’est plus de faire découvrir ce qui est aujourd’hui mieux connu, mais<br />
107 Compte rendu de <strong>la</strong> 19 e session du C.A., Québec, novembre 1979, p. 28, 36, archives de l’OFQJ.<br />
108 Compte rendu de <strong>la</strong> 19 e session du C.A., Québec, novembre 1979, p. 28, archives de l’OFQJ. p. 11.<br />
49
de dépasser l’étape de sensibilisation <strong>pour</strong> promouvoir l’approfondissement des re<strong>la</strong>tions<br />
franco-québécoises 109 ».<br />
Quant à l’ampleur de l’inf<strong>la</strong>tion qui pousse vers le haut le prix du transport tout en<br />
diminuant les subventions gouvernementales, les deux secrétaires généraux ne peuvent que<br />
constater son effet dévastateur.<br />
Et puisqu’il faut prendre le taureau par les cornes, une piste précise de solution est mise<br />
de l’avant : « L’évaluation positive faite des stages individuels et de petits groupes renforce<br />
les secrétaires généraux dans leur conviction qu’il s’agit d’une formule de séjour extrêmement<br />
prometteuse qu’il convient de développer sur une grande échelle […] ces stages répondent<br />
donc à un double objectif : allégement et approfondissement 110 . »<br />
« Des deux côtés on se connaissait mieux », rappelle Anne Cublier, qui devient secrétaire<br />
générale de <strong>la</strong> section française à <strong>la</strong> suite de Dominique Bussereau. « Des deux côtés,<br />
on était prêt à donner une autre impulsion 111 . »<br />
C’est donc sous <strong>la</strong> contrainte conjuguée de <strong>la</strong> conjoncture financière et du besoin de<br />
faire autre chose que l’OFQJ effectue donc l’un des plus importants virages de son histoire.<br />
Dé<strong>la</strong>issant de plus en plus les voyages de grands groupes <strong>pour</strong> miser sur le stage individuel<br />
ou de petit groupe. <strong>Un</strong> séjour centré non plus sur <strong>la</strong> découverte mais sur les besoins précis<br />
de chaque stagiaire, <strong>pour</strong> <strong>la</strong> production d’un spectacle ou d’une exposition, <strong>pour</strong> l’apprentissage<br />
d’un métier, ou <strong>pour</strong> faire une étude sur un domaine précis. <strong>Un</strong> échange ne nécessitant<br />
pas une logistique lourde et coûteuse, que l’Office ne peut plus se payer à grande<br />
échelle. Mais que font-ils exactement ces stagiaires nouvelle mouture que l’OFQJ <strong>la</strong>nce sur<br />
les deux rives de l’At<strong>la</strong>ntique ?<br />
Ce sont, par exemple, des stagiaires québécois travail<strong>la</strong>nt à l’Association <strong>pour</strong> l’avancement<br />
de <strong>la</strong> littérature <strong>jeunesse</strong> qui ont organisé une série d’expositions sur les livres destinés<br />
à <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> dans une soixantaine de c<strong>la</strong>sses françaises. Séjour complété par celui de leurs<br />
vis-à-vis français du Centre de recherche et d’information sur <strong>la</strong> littérature <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>,<br />
qui sont allés au Québec <strong>pour</strong> étudier l’utilisation des livres de loisirs dans les écoles québécoises.<br />
<strong>Un</strong>e expérience si réussie qu’elle a amené les deux organismes à <strong>pour</strong>suivre leur<br />
coopération 112 .<br />
Les nouveaux stages de l’Office permettent d’organiser, entre autres, un réseau d’information<br />
sur les voyages et les loisirs <strong>pour</strong> les personnes souffrant d’insuffisance rénale. Sans<br />
parler d’un éducateur québécois œuvrant auprès des handicapés, qui organise en France une<br />
exposition de leurs travaux artistiques.<br />
Et que dire de ces étudiants de l’Institut universitaire des technologies de Villeurbanne,<br />
qui font au Québec des études de marché <strong>pour</strong> les entreprises de leur région. Le tout ayant<br />
été remis à <strong>la</strong> Chambre de commerce et d’industrie et au Centre français du commerce<br />
extérieur 113 .<br />
50<br />
109 Rapport au C.A., « Propositions financières », 22 e session du C.A., Paris, novembre 1981, p. 2, archives de l’OFQJ.<br />
110 Ibid., p. 18, 22.<br />
111 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01.<br />
112 Rapport au C.A., 2 e cahier, « Propositions d’activités <strong>pour</strong> 1981 », Québec, 7 et 8 décembre 1980, p. 22, archives<br />
de l’OFQJ.<br />
113 Ibid., p. 21.
Changer <strong>la</strong> vie<br />
Pendant que les premiers<br />
stagiaires (seuls ou en petits<br />
groupes) sont à l’œuvre des<br />
deux côtés de l’At<strong>la</strong>ntique, le<br />
souffle de l’histoire rattrape une<br />
nouvelle fois l’OFQJ. Le 10 mai<br />
1981, après une très longue<br />
traversée du désert, malgré les<br />
échecs, les affronts et les revers,<br />
en dépit des trahisons et des<br />
outrages, François Mitterrand<br />
gagne à l’arraché les élections<br />
présidentielles. Ainsi, depuis le<br />
soutien communiste au gouvernement<br />
du front popu<strong>la</strong>ire en<br />
Le premier ministre René Lévesque à Paris en 1980. Lors de cette visite,<br />
une entente concernant <strong>la</strong> mobilité des jeunes travailleurs entre le Québec<br />
et <strong>la</strong> France est signée. L’administration du programme est confiée à 1936 et depuis <strong>la</strong> Libération en<br />
l’OFQJ. Il est accompagné des secrétaires généraux, André Tétrault 1945, c’est <strong>la</strong> première fois<br />
(Québec, 1978-1985) et Dominique Bussereau (France, 1979-1982). qu’une coalition formée de<br />
socialistes et de communistes va<br />
gouverner <strong>la</strong> France. On chante « l’Internationale » sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de <strong>la</strong> Bastille. <strong>Un</strong> symbole<br />
dont <strong>la</strong> puissance n’a d’égal que l’ambition du programme socialiste. Rassemblée sous le<br />
thème « changer <strong>la</strong> vie », <strong>la</strong> gauche française propose rien de moins que cent dix propositions,<br />
dont <strong>la</strong> cent dixième promet d’intensifier <strong>la</strong> coopération avec le Québec.<br />
Les espoirs sont à <strong>la</strong> hauteur des attentes suscitées et le nouveau gouvernement ne<br />
perd pas de temps. Dès qu’elle s’installe aux commandes de l’État, <strong>la</strong> coalition donne l’impulsion<br />
nécessaire à sa politique. Vitalité qui ne tarde pas à affecter l’évolution de l’OFQJ. Comme<br />
en témoigne le rapport des secrétaires généraux au conseil d’administration en novembre<br />
1981 : « L’évolution de <strong>la</strong> société française, en particulier depuis le printemps, a conduit <strong>la</strong><br />
section française à s’interroger à nouveau sur les orientations fondamentales de l’OFQJ afin<br />
de vérifier si elles répondent correctement aux besoins des différents milieux intéressés 114 . »<br />
Ce rapport révèle ensuite que <strong>la</strong> section française s’est livrée à une vaste opération de<br />
consultations en préparant un important document de travail envoyé à différents organismes,<br />
dans l’ordre : les centrales syndicales, les associations s’occupant des loisirs de jeunes<br />
travailleurs, les associations de <strong>jeunesse</strong>, d’éducation popu<strong>la</strong>ire et de sport, les associations<br />
de « progrès », les groupes de formation et de recherche, et les organisations professionnelles.<br />
Cette énumération indique déjà les couleurs dont <strong>la</strong> France entend désormais parer<br />
l’OFQJ. Les secteurs les moins favorisés de <strong>la</strong> société sont à l’honneur. La coopération<br />
114 Rapport au C.A., « Propositions financières », 22 e session du C.A., Paris,<br />
novembre 1981, p. 15, archives de l’OFQJ.<br />
51
[...] l’Office favorise depuis le début une<br />
clientèle qui peut « démultiplier » les effets<br />
de ses stages.<br />
économique n’est plus l’objectif numéro un de<br />
l’organisme. En avril 1982, <strong>la</strong> ministre Edwige<br />
Avice annonce d’ailleurs c<strong>la</strong>irement ses couleurs<br />
lors d’une réunion du conseil d’administration à<br />
Jonquière. Événement qui suit de peu le passage<br />
du premier ministre Pierre Mauroy dans cette<br />
région. « L’OFQJ, dit-elle, doit faire un effort particulier<br />
vis-à-vis des jeunes travailleurs […] il doit lutter contre les inégalités […] équilibrer ses<br />
échanges entre les secteurs économique, culturel et social […] et faire en sorte d’être accessible<br />
aux moins favorisés 115 ».<br />
Nouvelles priorités<br />
Suivant les instructions de <strong>la</strong> ministre, l’Office met donc en p<strong>la</strong>ce de nouvelles priorités<br />
qui consistent notamment à réduire <strong>la</strong> moyenne d’âge des participants. Celle-ci atteint alors<br />
presque 30 ans 116 . <strong>Un</strong>e situation qui est, en quelque sorte, le résultat de <strong>la</strong> recherche de<br />
jeunes leaders. Pour pallier le modeste volume d’échange de jeunes, l’Office favorise depuis<br />
le début une clientèle qui peut « démultiplier » les effets de ses stages. <strong>Un</strong> objectif qui, jumelé<br />
au souci de développer l’aspect économique, a <strong>pour</strong> effet de faire augmenter <strong>la</strong> moyenne<br />
d’âge, puisque les stages à caractère économique s’adressent généralement à une clientèle<br />
plus établie professionnellement, donc plus âgée.<br />
En juin 1983, un coup de barre est donné : à compter de cette date, l’objectif de recherche<br />
de jeunes leaders est officiellement abandonné au profit des clientèles défavorisées. Pour<br />
être sûr d’atteindre cet objectif, le conseil d’administration décide d’accorder un tarif réduit<br />
destiné à 20 % des stagiaires, qui seront choisis dans les milieux économiquement moins<br />
nantis 117 .<br />
Mais les changements d’orientations ne se limitent pas à ce<strong>la</strong>, car <strong>la</strong> gauche française<br />
entend faire de l’OFQJ un instrument de sa politique. Ce qui passe par un certain réaménagement<br />
dans les programmes de l’organisme :<br />
« Depuis les débuts de l’OFQJ, <strong>la</strong> préoccupation de faire de l’Office un instrument de<br />
complémentarité de <strong>la</strong> coopération franco-québécoise avec les autres organismes dotés d’un<br />
même mandat est demeurée constante, sans qu’elle se traduise efficacement au niveau des<br />
actions concrètes […] étant ce qu’il est, l’Office doit tenir compte de <strong>la</strong> volonté gouvernementale<br />
dans l’é<strong>la</strong>boration de sa programmation et <strong>la</strong> définition de ses moyens d’action […]<br />
d’autant plus que les gouvernements veulent mener une politique d’ensemble et qu’il y a<br />
d’autres organismes qui s’occupent de coopération 118 . »<br />
Cet énoncé se traduit par <strong>la</strong> mise sur pied d’un volet dit « action prioritaire ». Et qui,<br />
<strong>pour</strong> <strong>la</strong> section française, se fait à l’époque sous le thème de l’insertion sociale et professionnelle.<br />
Ce qui amène les Français à organiser des échanges sur des thèmes nouveaux. Par<br />
52<br />
115 Compte rendu de <strong>la</strong> 23 e session du C.A., Jonquière, avril 1982, p. 1, archives de l’OFQJ.<br />
116 Ibid., p. 8.<br />
117 Compte rendu de <strong>la</strong> 23 e session du C.A., Jonquière, avril 1982, p. 10, archives de l’OFQJ.<br />
118 Ibid.
exemple, un stage de jeunes chômeurs dédié à l’organisation et aux initiatives des mouvements<br />
de chômeurs. Ou encore un stage en informatique au Cégep Ahuntsic, conçu par le<br />
Centre académique de formation continue de Versailles, œuvrant auprès des jeunes sans<br />
emploi et qui bénéficie aux vingt-quatre jeunes programmeurs français âgés de 18 à 21 ans.<br />
Et que dire de ce grand colloque franco-québécois, préparé à Poitiers, à l’automne 1984,<br />
consacré aux jeunes acteurs du développement local. Qu’ils soient jeunes créateurs d’entreprises,<br />
élus locaux, représentants des milieux bancaires ou associatifs, ils sont venus nombreux<br />
(deux cent cinquante personnes en tout) <strong>pour</strong> prendre connaissance de ce qui se fait au<br />
Québec en <strong>la</strong> matière 119 .<br />
« L’Office a pris une série d’initiatives qui consistait à travailler sur le fond des dossiers,<br />
raconte Anne Cublier, en concertation étroite avec les acteurs de terrain, sur des sujets extrêmement<br />
sensibles, puisqu’en France c’était très vivant le travail d’insertion sociale. L’Office<br />
pouvait réagir rapidement et mettre sur pied de tels événements contrairement à d’autres<br />
organismes de coopération. Le colloque de Poitiers était donc très important dans cette<br />
perspective, les Français avaient l’impression d’apprendre énormément de l’expérience québécoise.<br />
Il y avait notamment Gilles Baril (futur ministre) qui avait volé <strong>la</strong> vedette en par<strong>la</strong>nt<br />
de ses propres expériences 120 ».<br />
Ce virage à caractère social est bien accueilli par le Parti québécois qui, <strong>pour</strong> se<br />
rapprocher de <strong>la</strong> gauche française, ne cesse de rappeler son programme socialdémocrate.<br />
Les orientations de l’OFQJ prennent donc naturellement <strong>la</strong> tournure voulue par<br />
le gouvernement français.<br />
119 Rapport au C.A., 4 e cahier, 27 e session du conseil d’administration, Joliette,<br />
octobre 1984, p. 9, archives de l’OFQJ.<br />
120 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01.<br />
53
54<br />
Parallèlement à l'agitation politique qui secoue<br />
Paris et Québec, <strong>la</strong> coopération suit son cours.<br />
L'OFQJ reprend une idée du général de Gaulle et<br />
organise le projet le plus ambitieux de son histoire.
CHAPITRE VI :<br />
L’heure des grandes<br />
manœuvres<br />
Créé sous l’impulsion de De Gaulle, l’OFQJ a donc<br />
été conservé par <strong>la</strong> gauche et adapté avec succès aux<br />
priorités de cette dernière. De fait, en ce début des<br />
années 1980, ce n’est pas l’Office qui pose problème<br />
sur le front des re<strong>la</strong>tions franco-québécoises. <strong>Un</strong> petit<br />
détour s’impose ici <strong>pour</strong> remettre les choses dans une<br />
plus vaste perspective.<br />
Le Québec demeure malgré tout<br />
notre principal point d’appui en<br />
Amérique du Nord.<br />
HUBERT VÉDRINE À<br />
FRANÇOIS MITTERRAND<br />
François Mitterrand et le sommet des pays francophones<br />
François Mitterrand est à l’époque décidé à tenir le premier sommet des pays francophones.<br />
Il se heurte alors de plein fouet au problème canado-québécois. Or, le Québec<br />
possède déjà sa propre représentation au sein de l’Agence de coopération culturelle et<br />
technique (aujourd’hui, Agence intergouvernementale de <strong>la</strong> francophonie) et il entend donc<br />
obtenir un statut équivalent au sein du futur sommet des pays francophones. <strong>Un</strong>e prétention<br />
qui heurte de plein fouet le gouvernement fédéral de Pierre Trudeau, qui s’oppose corps<br />
et âme à toute forme de représentation <strong>pour</strong> le Québec. Entre Paris, Québec et Ottawa,<br />
l’heure des grandes manœuvres est arrivée.<br />
Pressé de réaliser ce sommet, le président socialiste devient l’arbitre involontaire du<br />
duel Lévesque - Trudeau. Or, il s’avère que François Mitterrand n’en finit plus de se méfier<br />
de cette histoire de Québec, qu’il associe à de Gaulle, à Michel Rocard et à René Lévesque.<br />
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça commence mal. Mais il y a plus. Outre le fait<br />
que le nouveau président ne s’intéresse pas au Québec en général et à René Lévesque en<br />
particulier, il compte dans son proche entourage des personnes tout aussi insensibles que<br />
lui à <strong>la</strong> question. C’est le cas de Régis Debray, son conseiller culturel, qui conçoit <strong>la</strong> francophonie<br />
comme une œuvre tournée vers le tiers-monde et que les querelles Canada-Québec<br />
ne doivent pas empêcher d’aller de l’avant 121 . Toutefois c’est à cet homme que Mitterrand<br />
confie l’organisation du premier sommet des pays francophones.<br />
Régis Debray é<strong>la</strong>bore rapidement un sommet francophone où le Québec n’a aucun rôle<br />
important à jouer. Alors ministre des Affaires intergouvernementales, et de plus responsable<br />
de l’OFQJ, Jacques-Yvan Morin est le premier informé des intentions de Régis Debray à<br />
l’automne de 1982. Sa réponse est sans appel : inacceptable. Mais l’argument n’ébranle nulle-<br />
121 C<strong>la</strong>ude Morin, L’art de l’impossible, Montréal, Boréal, 1987, p. 441.<br />
55
ment le tandem Mitterrand-Debray. À <strong>la</strong> fin du mois de mai 1983, Trudeau et Mitterrand font<br />
le point sur <strong>la</strong> question lors du Sommet du G7 qui a lieu à Williamsburg aux États-<strong>Un</strong>is. En<br />
quelques minutes, le dossier est réglé. Les deux hommes s’entendent sur un projet de sommet<br />
francophone qui <strong>la</strong>isse le Québec en p<strong>la</strong>n. Décision que l’ambassade du Canada à Paris a<br />
tôt fait de rendre publique 122 .<br />
Prévisions franco-québécoises : nuages mitterrandiens à l’horizon<br />
Il n’y a aucun moyen d’y échapper, Mitterrand demeure <strong>la</strong> source du problème. À titre<br />
de premier ministre, René Lévesque est le seul à pouvoir agir. <strong>Un</strong>e rencontre à Paris entre<br />
les deux hommes est prévue <strong>pour</strong> le 29 juin. Pour les Québécois, il est capital de convaincre<br />
François Mitterrand de ne pas faire le sommet francophone sans le Québec.<br />
Tout ce que le gouvernement québécois compte de diplomates a été rassemblé <strong>pour</strong><br />
préparer l’événement 123 . Afin de convaincre le président, plusieurs arguments sont suggérés<br />
à René Lévesque par ses conseillers. Le plus à même de convaincre le président est celuici<br />
: comme Mitterrand pratique fondamentalement <strong>la</strong> realpolitik, il faut lui faire valoir que le<br />
poids du Québec en matière de francophonie est important.<br />
Coopération universitaire, littérature, culture, éducation, télévision, économie, recherche<br />
scientifique, jume<strong>la</strong>ge de villes, etc., Lévesque sait mieux que personne qu’il aura besoin<br />
d’utiliser tous les exemples possibles <strong>pour</strong> démontrer à Mitterrand que, dans tout ce qui<br />
touche <strong>la</strong> francité, le Québec est <strong>pour</strong> <strong>la</strong> France un partenaire beaucoup plus solide que le<br />
Canada et que faire <strong>la</strong> francophonie avec Ottawa sans le Québec serait lâcher <strong>la</strong> proie <strong>pour</strong><br />
l’ombre.<br />
À quelques jours de cette rencontre présidentielle qui s’annonce décisive, le premier<br />
ministre en est à ces réflexions, lorsque le 20 juin 1983, un projet spécial de l’OFQJ aboutit<br />
sur son bureau. Nom de code : Cap sur l’avenir.<br />
<strong>Un</strong>e idée du général… <strong>pour</strong> convaincre Mitterrand<br />
Il faut dire que parallèlement à toute l’agitation politique qui secoue Paris et Québec,<br />
<strong>la</strong> coopération franco-québécoise suit son cours. En 1984, <strong>pour</strong> célébrer le 450 e anniversaire<br />
de <strong>la</strong> découverte du Canada par Jacques Cartier, l’OFQJ caresse le projet le plus ambitieux<br />
de son histoire : faire traverser l’At<strong>la</strong>ntique à six cents jeunes Français et Québécois, de<br />
Québec à Saint-Malo, dans le sens inverse du célèbre navigateur malouin.<br />
Qui a été le premier à envisager un tel projet ? Nul autre que de Gaulle lui-même. Le<br />
18 avril 1969, le ministre Joseph Comiti avait joué le messager lors de <strong>la</strong> deuxième réunion<br />
du conseil d’administration, à Québec. « Le général aurait souhaité, dit-il, qu’avec un groupe,<br />
probablement un groupe de prestige, l’Office organise un voyage en bateau et que <strong>la</strong> session<br />
culturelle ait lieu sur ce bateau 124 ».<br />
56<br />
122 Cité par C<strong>la</strong>ude Morin, op. cit., p. 443.<br />
123 Archives du MRI.<br />
124 Compte rendu du CA, 2 e session, Québec, 17 et 18 avril 1969, p. 20,<br />
archives de l’OFQJ.
À ces paroles, Jean-C<strong>la</strong>ude<br />
Quyollet promettait d’examiner <strong>la</strong><br />
question. Sauf que l’idée n’avait<br />
pas eu de suite. Tout le monde a<br />
oublié qu’elle avait été <strong>la</strong>ncée par<br />
de Gaulle, jusqu’à ce qu’elle<br />
revienne au centre des discussions<br />
près de quinze ans plus<br />
tard, grâce notamment à C<strong>la</strong>ude<br />
Quenault. Celui-ci est à l’époque<br />
directeur de <strong>la</strong> Maison des jeunes<br />
et de <strong>la</strong> culture de <strong>la</strong> ville de<br />
Conf<strong>la</strong>ns Sainte-Honorine, fief du<br />
premier ministre Michel Rocard.<br />
À l’instar de son patron, Quenault<br />
est un grand ami du Québec, et<br />
il connaît bien Anne Cublier, <strong>la</strong><br />
secrétaire générale de l’Office.<br />
« J’avais pensé à <strong>la</strong> course de<br />
voiliers Québec–Saint-Malo, ditil.<br />
Et je m’étais dit que ça serait<br />
Comment convaincre François Mitterrand de faire une p<strong>la</strong>ce au Québec<br />
au sommet des pays francophones ? René Lévesque, à <strong>la</strong> recherche d'un<br />
projet qui frappe l'imagination, part en France avec l'ébauche d'une grande<br />
traversée de l'At<strong>la</strong>ntique orchestrée par l'OFQJ.<br />
F. Mitterrand et R. Lévesque (Paris 1983).<br />
une bonne idée de faire voyager des stagiaires de l’Office sur un bateau […] et j’en avais<br />
parlé à Anne Cublier 125 . » Quenault rédige donc une première ébauche du projet. Ce projet<br />
est évoqué par les premiers ministres René Lévesque et Pierre Mauroy lors de <strong>la</strong> visite de ce<br />
dernier au Québec en avril 1982 126 . Mais ce n’est que l’année suivante que l’idée va véritablement<br />
suivre son chemin. <strong>Un</strong> projet en bonne et due forme est formellement présenté<br />
à une réunion du conseil d’administration de l’Office qui a lieu au Lac-Beauport les 19 et<br />
20 juin 1983.<br />
En cette journée du 20 juin, l’heure est maintenant venue de décider si le projet de<br />
traversée ira de l’avant ou non. Car est-il vraiment possible de faire voyager six cents jeunes<br />
pendant deux semaines sur un paquebot de luxe entre le Québec et <strong>la</strong> France ? Au fur et à<br />
mesure que se déroulent les débats, les sourcils se froncent, les regards interrogateurs se<br />
multiplient, le doute jaillit de toutes parts. Presque tout le monde a <strong>la</strong> même réaction : c’est<br />
le scepticisme général. « Je n’étais pas très chaud à l’idée, se souvient André Tétrault. Je<br />
trouvais qu’il y avait de trop nombreux risques de dérapages 127 . » « Il y avait des problèmes<br />
sociaux importants à l’époque, ajoute de son côté Madeleine Bourgeois, directrice des<br />
programmes de <strong>la</strong> section québécoise. Alors faire voyager six cents jeunes sur un paquebot<br />
de luxe, c’était risqué au niveau de l’image 128 . » « J’avais vraiment beaucoup de doutes, conclut<br />
Anne Cublier, notamment au niveau financier 129 . »<br />
125 Entretien avec C<strong>la</strong>ude Quenault, 14/02/01.<br />
126 Lors du C.A. du Lac-Beauport, <strong>la</strong> ministre Avice rappelle devant tout le monde que Lévesque et<br />
Mauroy ont évoqué le projet de traversée en bateau lors de leurs entretiens de 1982. Compte rendu<br />
de <strong>la</strong> 25 e session du C.A., Lac-Beauport, 19 et 20 juin 1983, p. 114, archives de l’OFQJ.<br />
127 Entretien avec André Tétrault, 24/01/01.<br />
128 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01.<br />
129 Entretien avec Anne Cublier, 27/01/01.<br />
57
Autour de <strong>la</strong> table du conseil d’administration, les discussions sont effectivement vives.<br />
Outre l’image peu f<strong>la</strong>tteuse que projetteront les médias du projet, le principal obstacle est<br />
d’ordre financier. L’OFQJ est prêt à allouer le montant de ce que coûte normalement l’envoi<br />
au Québec et en France de six cents stagiaires, mais le reste doit être aux frais des deux<br />
gouvernements. Comment manœuvrer en pareilles circonstances ? Les deux ministres décident<br />
d’en référer à leur patron, les deux premiers ministres, qui doivent se rencontrer huit jours<br />
plus tard à Paris. Il est convenu que madame Avice leur présentera formellement le projet à<br />
ce moment-là 130 .<br />
Prendre des risques. Au point où René Lévesque en est, il n’a rien à perdre. Il lui faut<br />
convaincre Mitterrand de faire une p<strong>la</strong>ce au Québec au sommet francophone. <strong>Un</strong> projet qui<br />
frappe l’imagination, comme une traversée de l’At<strong>la</strong>ntique en bateau avec six cents participants,<br />
est exactement le genre d’exemple dont il a besoin <strong>pour</strong> parvenir à ses fins. Le premier<br />
ministre québécois part donc en France avec le projet sous le bras. En <strong>la</strong> personne de Pierre<br />
Mauroy il trouve un allié inattendu. Le premier ministre français est très satisfait de son voyage<br />
au Québec en avril 1982. En revanche, il est très déçu des re<strong>la</strong>tions franco-canadiennes qui,<br />
selon lui, n’aboutissent à rien.<br />
Mais il n’y a pas que le premier ministre français qui réalise <strong>la</strong> profondeur et <strong>la</strong> vitalité<br />
de <strong>la</strong> coopération franco-québécoise. C’est aussi le cas d’Hubert Védrine, futur ministre des<br />
Affaires étrangères, et à l’époque conseiller diplomatique de François Mitterrand. La possibilité<br />
que son patron fasse le sommet des pays francophones sans le Québec le préoccupe<br />
grandement. Plus que tout, Védrine est sensible au poids du partenaire québécois dans le<br />
contexte de <strong>la</strong> coopération. La veille de <strong>la</strong> rencontre entre Mitterrand et Lévesque, il s’en<br />
ouvre au président dans une note :<br />
« Le Québec demeure malgré tout notre principal point d’appui en Amérique du Nord,<br />
évidemment sur le p<strong>la</strong>n culturel mais aussi sur le p<strong>la</strong>n économique. Cette province continue<br />
ainsi de représenter 50 % de toutes nos exportations au Canada. Les ouvertures faites par<br />
monsieur Trudeau ne se sont pas jusqu’à présent concrétisées en ce qui concerne le reste<br />
de <strong>la</strong> Fédération [...]. Ces promesses risquent de rester sans suite du fait de <strong>la</strong> mainmise des<br />
États-<strong>Un</strong>is sur le Canada, du protectionnisme canadien et de l’impact limité de <strong>la</strong> volonté<br />
politique d’Ottawa, si elle existe vraiment 131 [...]. »<br />
Si le conseiller du président ne fait pas mention explicitement de l’OFQJ dans ses propos,<br />
il est c<strong>la</strong>ir que l’organisme fait partie d’un ensemble de réalisations concrètes qui font du<br />
Québec le « principal point d’appui » français en Amérique du Nord, réalisations face<br />
auxquelles Ottawa ne fait pas le poids.<br />
Après de multiples tergiversations, ces arguments finissent par recueillir l’adhésion de<br />
François Mitterrand. Le 29 juin 1983, il reçoit René Lévesque avec une étonnante chaleur et<br />
l’assure que <strong>la</strong> France ne <strong>la</strong>issera pas tomber le Québec.<br />
58<br />
130 Programmation de 1984. Rapport au C.A., 26 e session du C.A., La Rochelle, janvier 1984,<br />
p. 16-17, archives de l’OFQJ.<br />
131 Note de Hubert Védrine au président de <strong>la</strong> République, datée du 28/06/83 (AN-5 AG 4/11 469).
CHAPITRE VII :<br />
L’ère des grands<br />
projets<br />
L’OFQJ a reçu le feu vert à son projet de<br />
traversée de l’At<strong>la</strong>ntique. Il faut maintenant livrer <strong>la</strong><br />
marchandise. Ce qui n’est pas une mince affaire. Et<br />
tout le monde s’en rend compte le 9 janvier 1984, lors<br />
d’un conseil d’administration tenu à La Rochelle.<br />
<strong>Un</strong>e dynamique incroyable qui, dès le<br />
départ, a fait voguer le bateau […] le<br />
Mermoz aura été un <strong>la</strong>boratoire riche<br />
en expériences individuelles variées.<br />
« Rien ne doit être <strong>la</strong>issé au hasard »<br />
MARTHA GAGNON, JOURNALISTE DE<br />
LA PRESSE À BORD DU MERMOZ<br />
L’un des principaux points à l’ordre du jour du<br />
conseil d’administration consiste à définir le<br />
programme de <strong>la</strong> traversée, plusieurs idées ayant été mises de l’avant à cet égard. Les artisans<br />
de l’Office ont beaucoup travaillé sur <strong>la</strong> question, comme l’explique André Tétrault aux<br />
membres du conseil d’administration :<br />
« Dans les deux sections, un premier travail de recherche a été accompli <strong>pour</strong> identifier<br />
les thèmes de programmation devant être réalisés à bord du Mermoz. <strong>Un</strong>e série de consultations<br />
a été entreprise au Québec et en France […] il a été convenu que le thème majeur<br />
du projet devait être l’avenir, ce qui<br />
concordait parfaitement avec le genre de<br />
clientèle que nous avons, à savoir <strong>la</strong><br />
<strong>jeunesse</strong> […]. Les activités organisées sur<br />
le bateau seront liées à des thèmes et à<br />
<strong>la</strong> vie culturelle et artistique. Les thèmes<br />
retenus sont les suivants : le travail, <strong>la</strong><br />
société, <strong>la</strong> culture, le mieux-être, <strong>la</strong> mer<br />
et l’histoire 132 . »<br />
L’arrivée au Québec<br />
Forts de ces instructions, les artisans<br />
de l’Office vont travailler d’arrache-pied<br />
<strong>pour</strong> préparer un programme et sélectionner<br />
les candidats. Après avoir mis les<br />
bouchées doubles pendant quatre mois,<br />
Le 28 mai 1984, six cents jeunes mettent le « Cap sur l'avenir »<br />
et <strong>la</strong> communication à bord du Mermoz.<br />
132 Compte rendu de <strong>la</strong> 26 e session du C.A., La Rochelle, 9 janvier 1984, p. 30,<br />
archives de l’OFQJ.<br />
59
l’heure du grand départ arrive. Nous sommes à Québec, le 28 mai 1984. Le ciel est gris, il y<br />
a du vent. Mais ce climat « tristounet » n’a pas suffi à dissiper <strong>la</strong> bonne humeur des six cents<br />
passagers du Mermoz. Sur le quai, tout le gratin de l’OFQJ est présent, le ministre Guy<br />
Chevrette en tête, qui y va d’un discours de circonstance 133 . <strong>Un</strong> orchestre joue de <strong>la</strong> musique.<br />
Des stagiaires dansent au son des mélodies. Et puis, enfin c’est l’embarquement. Il y a de <strong>la</strong><br />
cohue et de <strong>la</strong> fébrilité au moment de monter à bord.<br />
Des partenaires de choix<br />
La vie à bord s’organise. Pratiquement toutes les facettes de l’existence sur le bateau<br />
font l’objet d’une formation quelconque. Il faut dire que les artisans de l’OFQJ n’ont pas<br />
lésiné sur <strong>la</strong> recherche de partenaires. Du côté québécois, on compte d’abord le journal La<br />
Presse, qui fête en 1984 son centième anniversaire, et qui décide donc de s’associer au projet<br />
en organisant un concours qui permettra <strong>la</strong> sélection d’une dizaine de stagiaires. Il s’agit <strong>pour</strong><br />
ces derniers d’organiser une exposition intitulée « Les temps forts d’un siècle », illustrant les<br />
grands moments de l’histoire du Québec, à l’aide des unes des journaux de l’époque.<br />
L’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec est également du voyage. Quinze de<br />
ses étudiants effectuent un stage… dans les cuisines du Mermoz. Leur tâche est toute particulière<br />
: ils doivent préparer de somptueuses agapes aux saveurs québécoises, un festin qui<br />
sera baptisé « Menu de l’histoire » : terrine de saumon au ragoût de grenouilles ; gratiné à <strong>la</strong><br />
bière et au gingembre et soufflé à <strong>la</strong> crème d’érable couronné d’une fleur de lys 134 .<br />
La gastronomie est donc au rendezvous.<br />
Toutefois <strong>la</strong> traversée de l’At<strong>la</strong>ntique<br />
s’effectue avant tout sur le thème de <strong>la</strong><br />
mer. La navigation est à l’honneur grâce à<br />
l’Institut maritime de Rimouski avec son<br />
contingent d’une quinzaine de stagiaires.<br />
Postés à <strong>la</strong> radio, aux machines ou aux<br />
instruments de navigation, ceux-ci auront<br />
<strong>la</strong> délicate mission de participer aux<br />
manœuvres du Mermoz.<br />
À bord du bateau, les jeunes discutent de nombreuses<br />
questions re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, l’avenir et le milieu maritime.<br />
Pour compléter le thème des activités<br />
maritimes, on a sollicité <strong>la</strong> participation<br />
du Département d’océanographie de l’<strong>Un</strong>iversité<br />
de Rimouski. F<strong>la</strong>nqués des étudiants<br />
de l’Institut de Dinard en France,<br />
les jeunes océanographes ont <strong>pour</strong> mission<br />
d’organiser des conférences sur les secrets<br />
des fonds marins et de <strong>la</strong> vie aquatique.<br />
133 Le Devoir, 29/05/84.<br />
134 La Presse, 01/06/84.<br />
60
Les Français n’ont pas lésiné non plus sur le déploiement des activités. Plusieurs<br />
ministères ont été mis à contribution, plus particulièrement celui de <strong>la</strong> Culture, de l’Éducation<br />
nationale de même que les missions locales <strong>pour</strong> l’emploi. En revanche, c’est surtout<br />
par ses artistes que l’Hexagone se fait connaître. Il y a notamment le dessinateur Fred, le<br />
père du célèbre Philémon, qui a accepté d’animer un atelier de dessin. Sans oublier l’auteurcompositeur-interprète<br />
Charlélie Couture, dont <strong>la</strong> carrière bat son plein.<br />
Cinéma, radio, journal<br />
Il ne manque plus que <strong>la</strong> principale vedette de cette traversée, <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. L’OFQJ a<br />
trouvé une façon originale de sélectionner les candidats, comme le rappelle Madeleine<br />
Bourgeois :<br />
« <strong>Un</strong> des aspects intéressants de « Cap sur l’avenir » a été le recrutement des projets et<br />
des candidats. On a d’abord procédé par appel de projets et sélection en tenant compte de<br />
<strong>la</strong> représentation de toutes les régions du Québec. Les projets retenus étaient inscrits dans<br />
<strong>la</strong> grille de programmation et animés par les participants. On a aussi recruté auprès de certains<br />
établissements d’enseignement (ITHQ, Institut maritime…). De même plusieurs communautés<br />
autochtones étaient représentées.<br />
Pour recruter des animateurs, on s’est tourné vers le programme d’animation de<br />
l’<strong>Un</strong>iversité de Montréal, en plus d’enrôler l’équipe des animateurs de l’OFQJ. <strong>Un</strong> de ces<br />
animateurs détenait un doctorat en psychologie et avait comme mandat d’intervenir auprès<br />
des gens en difficulté. Mais ses services ont été peu sollicités, <strong>la</strong> vie à bord s’est régulée d’ellemême<br />
135 . »<br />
Que ce soit sur le thème du travail, de <strong>la</strong> société, de <strong>la</strong> culture ou de <strong>la</strong> mer, le<br />
programme s’annonce copieux. Il y aura, au cours de <strong>la</strong> traversée, 3960 inscriptions aux<br />
différentes activités 136 , des activités porteuses d’avenir comme l’informatique (nous sommes<br />
en 1984 !). Dans le gymnase intérieur du bateau, on a installé plusieurs ordinateurs, qui<br />
fonctionnent six heures par jour tout le long de <strong>la</strong> traversée. On y reçoit quotidiennement<br />
une trentaine de personnes. Les jeunes découvrent ainsi <strong>la</strong> micro-informatique, le dessin par<br />
ordinateur, etc., et profitent aussi de l’atelier audiovisuel qui leur propose une réflexion sur<br />
le cinéma et <strong>la</strong> télévision.<br />
Français et Québécois peuvent aussi se découvrir dans <strong>la</strong> réalisation d’œuvres vidéo<br />
puisqu’un atelier d’initiation à <strong>la</strong> vidéo légère a été mis sur pied. Les participants visionnent<br />
plusieurs cassettes à leur disposition. Ils se familiarisent avec le matériel de diffusion tout en<br />
relevant le grand défi de réaliser un film vidéo marathon et un document de fiction 137 .<br />
Aussi, <strong>pour</strong> les adeptes du septième art, avec un regard critique ou celui d’un simple<br />
spectateur, l’Office a préparé un horaire de cinéma répertoire rassemb<strong>la</strong>nt les meilleurs réalisateurs<br />
de <strong>la</strong> France et du Québec, avec entre autres Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jean-<br />
135 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01.<br />
136 Rapport au C.A., 3 e cahier, « Bi<strong>la</strong>n cap sur l’avenir 1984 », Joliette, octobre 1984,<br />
p. 10, archives de l’OFQJ.<br />
137 Futurs actuels, journal de bord, p. 3.<br />
61
C<strong>la</strong>ude Labrecque, Denys Arcand et Pierre Fa<strong>la</strong>rdeau. À l’affiche : Sauve qui peut <strong>la</strong> vie (1980),<br />
Les 400 coups (1958), L’affaire Coffin (1979) ; Le confort et l’indifférence (1981) ; Elvis Gratton<br />
(1981) 138 .<br />
Si l’image est à l’honneur, le son ne demeure pas en reste. Les organisateurs de l’OFQJ<br />
ont mis en p<strong>la</strong>ce une station radiophonique : « Vous écoutez Radio-Véronique, <strong>la</strong> radio du<br />
Mermoz. ». Cent soixante-dix-huit heures d’émission… en douze jours ! Les jeunes interviewent<br />
les personnalités à bord (les artistes, le capitaine, les responsables de l’Office, etc.),<br />
ils font des topos lors des escales avec de nouvelles entrevues, interrogent des passagers,<br />
tout en proposant un choix de musiques variées.<br />
Que dire, par ailleurs, de cette trentaine de jeunes qui décide s<strong>pont</strong>anément de publier<br />
un journal, Le mille sabords, qui alimente un fort courant de contestations chez certains<br />
stagiaires 139 . Le feu rou<strong>la</strong>nt de <strong>la</strong> critique de nos jeunes amis n’épargne personne. Et comme<br />
le note <strong>la</strong> journaliste Nathalie Pétrowski, « le journal finit par se saborder de lui-même… sous<br />
le poids de sa propre critique 140 ».<br />
Tout ce programme <strong>la</strong>isse encore le temps aux stagiaires de s’amuser. Surtout lorsque<br />
le capitaine met le cap sur les Açores. Précédemment utilisée <strong>pour</strong> un atelier d’aquarelle, <strong>la</strong><br />
piscine a été vidée de ses peintres <strong>pour</strong> être remplie d’eau. Tandis que plusieurs profitent<br />
du beau temps <strong>pour</strong> faire trempette et se « dorer <strong>la</strong> couenne au soleil ». À l’approche du vieux<br />
continent, une frénésie de fraternisation s’empare du bateau. Tout le monde parle à tout le<br />
monde comme si tous étaient de vieux amis 141 . On s’échange des adresses, des promesses<br />
de se revoir, on s’invite à qui mieux mieux. Les soirées sont arrosées et on fait <strong>la</strong> fête jusqu’aux<br />
petites heures du matin.<br />
Porté par le mouvement<br />
Le 8 juin 1984, au petit matin, le Mermoz arrive finalement dans <strong>la</strong> rade de Saint-Malo.<br />
Les vénérables murs de pierres de <strong>la</strong> cité des corsaires sont en vue. Jacques Cartier est revenu<br />
à Saint-Malo. <strong>Un</strong> accueil de tous les participants se fait en cascade dans cette nouvelle Maison<br />
du Québec, sise sur les remparts de <strong>la</strong> ville, et que René Lévesque vient à peine d’inaugurer<br />
en présence des autorités françaises.<br />
Mais plus sérieusement, tous les voyageurs se demandent quelles conclusions ils peuvent<br />
tirer d’une telle aventure. Ils ont travaillé, étudié, créé, contesté, festoyé, fait et défait le monde<br />
à plusieurs reprises. Et tout ça <strong>pour</strong> quoi ? Pour se confronter. Et par le fait même <strong>pour</strong> se<br />
découvrir. Les voyages forment <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, dit le vieil adage. Celui du Mermoz aura été particulièrement<br />
réussi à cet égard, comme le rappellent les principaux intéressés :<br />
« La traversée, raconte Huguette Corbeil, est un pas de plus qui va du rêve à <strong>la</strong> réalité,<br />
des attentes à l’action. Coexister avec six cents « Mermousses » franco-québécois et baigner<br />
62<br />
138 Ciné fiches cap sur l’avenir, archives de l’OFQJ.<br />
139 Futurs actuels, journal de bord, p. 3<br />
140 Le Devoir, 05/01/84.<br />
141 Le Devoir, 09/06/84.
dans cette énergie pendant douze<br />
jours en pleine mer fut <strong>pour</strong> moi<br />
comme <strong>la</strong> potion magique de<br />
Panoramix. Elle renforce et donne<br />
envie de bouger, d’agir 142 . »<br />
Agir, à l’image de Florence<br />
Guillemet, qui affirme « qu’après<br />
six ans dans le même lieu de travail,<br />
je suis désormais persuadée que je<br />
peux aller plus loin… j’ai trouvé un<br />
é<strong>la</strong>n nouveau ».<br />
Que dire du témoignage de<br />
ces groupes de chômeurs qui se<br />
trouvaient à bord. Comme le rapporte<br />
Christian Tytgat, de l’Asso-<br />
Maison du Québec à Saint-Malo fut inaugurée le 4 avril 1984. Depuis<br />
Léguée au gouvernement du Québec par <strong>la</strong> Ville de Saint-Malo, <strong>la</strong><br />
ciation formation-étude-rencontre : 1990, l’animation culturelle de <strong>la</strong> saison estivale est assurée par l’OFQJ.<br />
« Nos six stagiaires sont revenus<br />
bouleversés, enchantés, déphasés et<br />
changés. Je peux affirmer que ce voyage leur a fait gagner des mois, voire des années, dans<br />
leur cheminement difficile <strong>pour</strong> se faire et trouver une p<strong>la</strong>ce dans notre société. »<br />
De toute évidence, les deux gouvernements sont très satisfaits de l’opération du Mermoz.<br />
L’idée de faire un grand projet qui soit au cœur de l’actualité a très bien fonctionné. Selon<br />
toute vraisemb<strong>la</strong>nce, les félicitations que Guy Chevrette adresse aux artisans de l’Office sont<br />
partagées par René Lévesque. Devant un tel succès, celui-ci pense sûrement qu’il ne faut pas<br />
s’arrêter en si bon chemin. C’est en tout cas ce que <strong>la</strong> suite des événements permet de penser.<br />
L’Année internationale de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
Guy Chevrette et le nouveau ministre français, A<strong>la</strong>in Calmat, décident à nouveau de<br />
mobiliser l’OFQJ derrière un grand projet. Ce sera <strong>pour</strong> 1985, l’Année internationale de <strong>la</strong><br />
<strong>jeunesse</strong>. Comme le révèle le cahier de programmation de l’organisme, « l’Année internationale<br />
de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> est une occasion <strong>pour</strong> l’Office de faire valoir <strong>la</strong> vitalité actuelle, passée<br />
et à venir de sa mission 143 ».<br />
Autour de <strong>la</strong> table du conseil d’administration, un certain nombre de projets sont discutés.<br />
La démarche consiste à organiser plusieurs concours destinés à <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. Espace et énergie<br />
seront les sujets d’un concours de culture scientifique qui amènera les participants à réfléchir<br />
et à imaginer les impacts des sciences sur les devenirs des sociétés française et québécoise.<br />
Le concours « Ariane-Baie-James » s’articulera en deux volets, l’un intitulé « Jeunes, énergie<br />
142 Six mois après le voyage, deux tables rondes furent organisées. À Montréal,<br />
le 19 novembre et à Paris, le 21. Les témoignages cités sont tirés de ces deux<br />
rencontres, archives de l’OFQJ.<br />
143 Rapport au C.A., cahier de programmation 1985, 27 e session du C.A., Joliette,<br />
19 et 20 octobre 1984, p. 4, archives de l’OFQJ.<br />
63
et environnement », l’autre<br />
« Jeunes et espace ». Le prix est<br />
un stage d’observation de deux<br />
semaines au complexe hydroélectrique<br />
de <strong>la</strong> Baie-James <strong>pour</strong><br />
le premier et au Centre de<br />
recherches spatiales de Kourou,<br />
en Guyane, <strong>pour</strong> le second. Le<br />
tout servira de prétexte <strong>pour</strong><br />
permettre à deux groupes de<br />
quarante jeunes de se familiariser<br />
avec les professions<br />
scientifiques 144 .<br />
L’OFQJ ne manque pas<br />
Année internationale de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> (1985) : l’OFQJ <strong>la</strong>nce, en partenariat d’idées et, entre autres projets,<br />
avec le Festival FM de La Rochelle, le concours radio « 85 FQ ». De gauche<br />
envisage également d’organiser<br />
un grand concours de<br />
à droite, les organisateurs : Robert Sorel, Patrick Beaudin et Madeleine<br />
Bourgeois de l’Office en compagnie de Richard Lelièvre et Serge P<strong>la</strong>isance,<br />
animateurs à CKOI-FM.<br />
création radiophonique, dont les<br />
meilleurs <strong>la</strong>uréats participeraient<br />
au concours de <strong>la</strong> radio FM de La Rochelle 145 , ainsi qu’un projet de murales extérieures<br />
géantes réalisées à partir d’œuvres créées par des jeunes, un concours d’aventure et une<br />
coproduction : Les Vêpres de <strong>la</strong> Vierge du compositeur québécois Gilles Tremb<strong>la</strong>y.<br />
Ariane - Baie-James<br />
Dans le cadre des volets « Jeunes et espace » et « Jeunes, énergie et environnement » les<br />
stages sont organisés en deux parties. Première destination : Paris ou Montréal. Seconde destination<br />
: <strong>la</strong> Guyane (Kourou) ou le Grand-Nord (Baie-James). Dans un cas comme dans l’autre,<br />
un programme chargé attend les <strong>la</strong>uréats du concours.<br />
Pour les amateurs de l’espace, les deux premiers jours du stage se composent de visites<br />
en métropole à l’Aérospatiale, au Musée de l’air et de l’espace, à <strong>la</strong> cité des sciences et des<br />
techniques <strong>la</strong> Villette, et surtout aux Mureaux, dans les Yvelines, où une partie de <strong>la</strong> fusée<br />
Ariane est fabriquée 146 . De son côté, le groupe qui visite <strong>la</strong> Baie-James arrive à Montréal le<br />
4 août, et part <strong>pour</strong> le Grand-Nord trois jours plus tard. Accueillis par Hydro-Québec, Français<br />
et Québécois marchent aussitôt sur les traces de Gilbert Bécaud, tantôt visitant les barrages<br />
LG2 et LG3, tantôt le fameux escalier des géants, où le chanteur français a donné un spectacle<br />
mémorable.<br />
Mais ce n’est là qu’un début. Les Français (<strong>la</strong> majorité du groupe) prennent rapidement<br />
conscience de ce que l’écrivain Chateaubriand appe<strong>la</strong>it « <strong>la</strong> vastitude de l’Amérique ».<br />
64<br />
144 Rapport au C.A., cahier de programmation 1985, 27 e session du C.A., Joliette,<br />
19 et 20 octobre 1984, p. 2, archives de l’OFQJ.<br />
145 Ibid.<br />
146 Programme du séjour des <strong>la</strong>uréats du concours « Jeunes et espace » : France<br />
métropolitaine et Guyanne, Q/F 977-85, p. 6-7, archives de l’OFQJ.
Ils prennent l’avion <strong>pour</strong> découvrir Charlevoix puis <strong>la</strong> Côte-Nord où ils ont le loisir de<br />
contempler les cinq voûtes gigantesques de Manic-5, un symbole à <strong>la</strong> dimension du Québec :<br />
immense et qui a inspiré tant de poètes. <strong>Un</strong> spectacle qui ne manque pas d’impressionner<br />
les visiteurs français… comme les Québécois d’ailleurs.<br />
85 FQ, <strong>la</strong> voix de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
Si en cette année 1985 <strong>la</strong> science demeure au rendez-vous, une fois de plus <strong>la</strong> culture<br />
n’est pas oubliée. Le concours « Les jeunes et <strong>la</strong> radio » voit le jour. Son objectif consiste à<br />
donner <strong>la</strong> parole aux jeunes en les aidant à créer, à réaliser et à diffuser des émissions de<br />
radio. Le Festival FM de La Rochelle bat son plein et plusieurs ont le loisir de syntoniser<br />
85 FQ, <strong>la</strong> « nouvelle chaîne » où travaillent les <strong>la</strong>uréats du concours de l’OFQJ. En réalité il<br />
ne s’agit pas d’une chaîne, mais de plusieurs émissions produites par les stagiaires de l’OFQJ<br />
et qui sont diffusées sur différentes chaînes.<br />
« On avait fait cette activité dans les suites du Congrès mondial des radios communautaires,<br />
qui s’était tenu à Montréal en 1983, de dire Maurice Segall. J’avais convaincu Anne<br />
Cublier que l’Office devait y participer. D’où l’idée de faire un concours radiophonique lors<br />
de l’Année internationale de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. Du côté français, je me souviens que le <strong>la</strong>uréat avait<br />
été Serge Poézevara. Je l’ai revu depuis et il m’a dit que ce stage avait changé sa vie… il est<br />
aujourd’hui l’un des grands patrons de Radio-France 147 ».<br />
L’Année internationale de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> est également l’occasion de mettre sur pied une<br />
coproduction de l’œuvre inédite de Gilles Tremb<strong>la</strong>y : Les Vêpres de <strong>la</strong> Vierge. La pièce est<br />
présentée à l’abbaye de Sylvanès dans le cadre de son festival de musique sacrée. Le projet<br />
réunit un chef d’orchestre et des musiciens québécois, avec <strong>la</strong> participation d’un chœur<br />
français, tandis qu’un peintre québécois<br />
expose ses œuvres sur les lieux<br />
du festival. L’année suivante, ce seront<br />
les Français qui présenteront une<br />
pièce lors du Festival international de<br />
Lanaudière et à celui du domaine<br />
Forget dans Charlevoix.<br />
<strong>Un</strong> projet intitulé « Bourses<br />
Jeunesse-Aventure-Québec » est également<br />
mis en p<strong>la</strong>ce par <strong>la</strong> section<br />
française. Destinées à soutenir les<br />
initiatives de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> dans le<br />
domaine de l’aventure, une cinquantaine<br />
de bourses vont permettre à de<br />
jeunes Français de réaliser un projet<br />
d’aventure au Québec.<br />
Présentation des Vêpres de <strong>la</strong> Vierge de Gilles Tremb<strong>la</strong>y à l’abbaye<br />
de Sylvanès à l’occasion du Festival de musique sacrée.<br />
(France, 1986).<br />
147 Entretien avec Maurice Segall, 07/02/01.<br />
65
La notion d’aventure est entendue au sens <strong>la</strong>rge du terme. Pour l’Office, l’aventure, c’est<br />
l’esprit même de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> qui s’exprime à travers le voyage. C’est tout ce qui favorise<br />
l’énergie et <strong>la</strong> débrouil<strong>la</strong>rdise, de l’exploit sportif à <strong>la</strong> simple découverte d’une autre culture.<br />
Jeunes révolutionnaires<br />
L’Année internationale de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> est à peine terminée que <strong>la</strong> France songe déjà à<br />
préparer en grand le bicentenaire de <strong>la</strong> Révolution française, en 1989. L’Office est mis à contribution<br />
et organise un grand concours québécois <strong>pour</strong> les étudiants de niveau collégial. Ils<br />
doivent écrire un essai sur le thème « Qu’est-ce que ça signifie <strong>pour</strong> vous <strong>la</strong> Révolution<br />
française ? ». Quarante d’entre eux sont sélectionnés, vingt en sciences humaines et vingt en<br />
sciences pures. Ensemble, ils mettent le cap sur Paris où ils arrivent le 5 juillet 1989.<br />
De nombreuses activités sont organisées, des débats, des visites de musées et de sites<br />
historiques 148 , comme le raconte l’historien Gilles Villemure, qui accompagne alors le groupe :<br />
« On a fait un grand rallye dans Paris, sous <strong>la</strong> forme d’une chasse au trésor. On était<br />
parti du jardin des P<strong>la</strong>ntes et il y avait des enveloppes et des indices disséminés un peu<br />
partout. Les jeunes étaient divisés en équipes, chacune représentait une des tendances de <strong>la</strong><br />
Révolution française […].<br />
Fait intéressant, à chaque<br />
étape, il y avait des épreuves à<br />
faire. <strong>Un</strong>e de ces épreuves avait lieu<br />
devant le Pa<strong>la</strong>is-Royal, les jeunes<br />
devaient improviser un discours<br />
comme Camille Desmoulins l’avait<br />
fait durant <strong>la</strong> Révolution française.<br />
Les passants s’arrêtaient et se<br />
groupaient <strong>pour</strong> assister à ces<br />
discours improvisés. Les gens<br />
étaient très intéressés et c’était très<br />
pédagogique 149 . »<br />
Deux jeunes p<strong>la</strong>ntent « l’arbre de <strong>la</strong> liberté » sur l’île Notre-Dame à Montréal<br />
en 1989, à l’occasion du bicentenaire de <strong>la</strong> Révolution française et de <strong>la</strong><br />
Déc<strong>la</strong>ration des droits de l’homme. En arrière p<strong>la</strong>n, de part et d’autre de<br />
l’orateur, à gauche, André Maltais (secrétaire général, 1989-1991) et à<br />
droite, Madeleine Bourgeois (directrice des programmes, 1979-).<br />
Au niveau politique, les<br />
Québécois ont également droit à un<br />
programme digne de mention. Le<br />
lundi 11 juillet ils sont reçus à<br />
l’Assemblée nationale. Et le lendemain<br />
ils ont rendez-vous à l’Élysée,<br />
où ils prennent part à un grand<br />
spectacle organisé par les Francofolies.<br />
66<br />
148 Bicentenaire de <strong>la</strong> Révolution française, groupes Q 7022-Sciences humaines,<br />
arts et lettres, Q 7023-Sciences pures et de <strong>la</strong> santé. Programme du séjour,<br />
archives de l’OFQJ.<br />
149 Entretien avec Gilles Villemure, 19/02/01.
CHAPITRE VIII :<br />
Ajustements et<br />
nouveaux horizons<br />
L’Office a vogué sur l’At<strong>la</strong>ntique, participé<br />
à l’Année internationale de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, réalisé sa<br />
première coproduction franco-québécoise, fait <strong>la</strong><br />
révolution et <strong>la</strong>ncé ses <strong>la</strong>uréats à l’assaut des<br />
ondes françaises et québécoises. <strong>Un</strong>e fois de plus,<br />
le voici rattrapé par l’actualité politique francoquébécoise.<br />
En période de crise économique et budgétaire, on<br />
questionne tout […] ce n’est pas tout le monde<br />
qui percevait l’importance des re<strong>la</strong>tions francoquébécoises.<br />
C’est <strong>pour</strong> ça qu’on a pris le virage<br />
des stages qualifiants en milieu de travail.<br />
GINETTE PELLERIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE<br />
À <strong>la</strong> fin de l’année 1985, les libéraux de<br />
L’OFQJ, SECTION DU QUÉBEC DE 1991 À 1995<br />
Robert Bourassa ont repris le pouvoir à Québec.<br />
L’année suivante, une cohabitation s’instaure en<br />
France lors des élections légis<strong>la</strong>tives. François Mitterrand doit faire appel à Jacques Chirac<br />
<strong>pour</strong> diriger son gouvernement, car son parti est minoritaire à l’Assemblée nationale.<br />
Le courant passe à merveille entre Robert Bourassa et Jacques Chirac. Ceux-ci, que <strong>la</strong><br />
fonction de premier ministre avait déjà réunis, réintègrent, presque en même temps, le poste<br />
qu’ils occupaient 150 . Et si, lors de <strong>la</strong> visite de Jacques Chirac en septembre 1987, les deux<br />
hommes ne manquent pas de souligner l’apport<br />
de l’OFQJ dans les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises,<br />
il n’empêche, malgré tout, qu’un certain nombre<br />
de différends mettent les deux sections de l’Office<br />
en porte-à-faux.<br />
Du côté québécois, le gouvernement<br />
compte sabrer dans l’appareil administratif et<br />
procède à un examen minutieux de chacun des<br />
organismes gouvernementaux. « On avait échappé<br />
de peu à une fermeture pure et simple, rappelle<br />
le secrétaire général Alexandre Stefanescu, car le<br />
gouvernement, après avoir examiné <strong>la</strong> vocation<br />
de plusieurs organismes publics, jugeait que<br />
l’OFQJ méritait d’être maintenu. Mais on a dû<br />
vivre dans un contexte de coupures. On a donc<br />
dû compenser par l’imagination 151 . »<br />
Le 20 e anniversaire de l’OFQJ (1988). Alexandre Stefanescu<br />
(secrétaire général au Québec, 1985-1989), C<strong>la</strong>ude Charron<br />
(ministre responsable au Québec, 1976-1982) et Pierre<br />
Moretti (directeur de l’administration, 1977-1990).<br />
150 Entretien avec l’ancien délégué général Jean-Louis Roy, 25/05/98. Archives<br />
de l’auteur.<br />
151 Entretien avec Alexandre Stefanescu, 30/04/01.<br />
67
Cette situation en<br />
amène plusieurs à penser<br />
qu’il faut séparer <strong>la</strong> gestion<br />
des deux sections qui ont,<br />
jusqu’à maintenant, fonctionné<br />
sur <strong>la</strong> base d’un<br />
budget commun. C’est le<br />
cas de Guy Rivard, ministre<br />
québécois responsable de<br />
l’OFQJ. « La parité, dit-il<br />
lors d’une réunion, constitue<br />
une orientation qui est<br />
fondamentale. Ce n’est pas<br />
Découverte de <strong>la</strong> culture inuite dans le Nord du Québec (Inukjak) par l’OFQJ en 1990. Sur une parité, cependant, qui<br />
<strong>la</strong> photo : Thierry Tu<strong>la</strong>sne (agent de programme, 1989-), C<strong>la</strong>ude Quenault (secrétaire général est immobile 152 . » « <strong>Un</strong> certain<br />
nombre de problèmes<br />
en France, 1989-1993), Madeleine Bourgeois (directrice de <strong>la</strong> programmation, 1979-) et<br />
André Maltais (secrétaire général au Québec, 1989-1991).<br />
se posaient », ajoute André<br />
Maltais, le secrétaire général<br />
de <strong>la</strong> section québécoise. « Il fal<strong>la</strong>it que les Français paient leur transport et il fal<strong>la</strong>it aussi<br />
que le Québec augmente sa subvention 153 . » C’est finalement quelques mois plus tard, en<br />
novembre 1990, lors d’un conseil d’administration à Magog, que l’épineuse question du transport<br />
est réglée une fois <strong>pour</strong> toutes. Le fonds commun est éliminé. Chaque section paiera<br />
ses dépenses et chacune aura une marge de manœuvre plus grande dans l’organisation de<br />
ses activités.<br />
Économie et formation professionnelle<br />
Le gouvernement libéral a fait de l’économie son fer de <strong>la</strong>nce et désire orienter les<br />
re<strong>la</strong>tions franco-québécoises en ce sens, comme en atteste l’énoncé de politique publié en<br />
1991 :<br />
« Le Québec tentera de conclure des alliances avec <strong>la</strong> France en matière d’économie et<br />
de développement scientifique et technologique, d’industrie de <strong>la</strong> culture, de <strong>la</strong> communication<br />
et de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, en s’appuyant notamment sur <strong>la</strong> participation é<strong>la</strong>rgie des divers intervenants<br />
québécois, sur un rapport intergouvernemental et institutionnel toujours plus étroit<br />
et sur un effort de rayonnement accru 154 ».<br />
Le mot d’ordre est donné et il ne tarde pas à se répercuter sur les activités de l’Office<br />
franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. Surtout qu’en cette période de crise, certains se demandent,<br />
au sein du gouvernement québécois, s’il est toujours pertinent de maintenir les activités<br />
de l’organisme.<br />
68<br />
152 Ibid, p. 10<br />
153 Entretien avec André Maltais, 26/01/01.<br />
154 Le Monde <strong>pour</strong> horizon, le Québec et l’interdépendance, ministère des Affaires<br />
internationales, Québec, 1991, p. 150.
« Ce n’est pas tout le monde<br />
qui percevait l’importance de<br />
l’OFQJ, raconte Ginette Pellerin.<br />
Comme secrétaire générale je me<br />
devais de défendre l’Office. Avant<br />
chaque étude de crédit, il fal<strong>la</strong>it<br />
mener des batailles budgétaires.<br />
<strong>Un</strong>e année on est passé à un<br />
cheveu de subir de très grosses<br />
coupures budgétaires. Jusqu’à ce<br />
que <strong>la</strong> ministre de <strong>la</strong> Culture du<br />
Québec, Liza Frul<strong>la</strong>, récupère<br />
l’Office sous sa gouverne et<br />
accepte d’injecter des fonds de son<br />
ministère. Ça nous a permis de<br />
sauver notre mise [...].<br />
Les ex-secrétaires généraux au Québec, à l’occasion du 25 e anniversaire.<br />
De gauche à droite : André Tétrault (1978-1985), Jean-Guy Saint-Martin<br />
(1970-1975), Ginette Pellerin (1991-1995), Pierre Bernier (1975-1978),<br />
Jean-Paul L’Allier (1968-1970), Alexandre Stefanescu (1985-1989) et<br />
André Maltais (1989-1991).<br />
Dans ce contexte-là, on ne pouvait plus faire le même type d’échanges […] c’est <strong>pour</strong><br />
ça qu’on a pris le virage des stages qualifiants en milieu de travail. En misant sur <strong>la</strong> formation<br />
professionnelle, ça nous permettait de justifier nos budgets » 155 .<br />
De fait, <strong>la</strong> section québécoise de l’Office multiplie à cette époque les ententes avec<br />
les établissements d’enseignement (cégeps et universités), ce qui lui permet d’offrir de plus<br />
en plus de stages de formation professionnelle. Du reste, cette orientation reflète les délibérations<br />
de l’Office lors d’un conseil d’administration tenu à Fécamp en 1992 :<br />
« Après 25 ans d’activité, l’Office a acquis une très riche expérience et apparaît comme<br />
l’élément incontournable d’une coopération franco-québécoise forte. La nécessité s’impose<br />
aujourd’hui de définir une nouvelle dynamique afin de rendre l’Office encore plus performant<br />
et de donner à notre <strong>jeunesse</strong> de nouvelles perspectives. Les échanges de jeunes doivent<br />
pleinement intégrer <strong>la</strong> dimension économique et favoriser leur orientation et leur formation<br />
professionnelle 156 . »<br />
Cette nouvelle politique amène une réorganisation des différents types de stages de<br />
l’Office. Comme l’expliquent les dirigeants de l’organisme aux membres de <strong>la</strong> commission<br />
permanente, l’OFQJ « concentrera désormais son action de formation dans des secteurs<br />
porteurs d’avenir prioritaire <strong>pour</strong> les deux gouvernements : communication ; culture ; droit<br />
international ; environnement ; science et technologie, tourisme et insertion des jeunes 157 . »<br />
Ce virage correspond c<strong>la</strong>irement à <strong>la</strong> politique du gouvernement libéral, comme<br />
l’explique l’ancien ministre Guy Rivard. « Notre approche était moins traditionnelle. L’Office<br />
avait été plus tourné vers le culturel et nous on vou<strong>la</strong>it ajouter plus d’économique et de<br />
technologique 158 . »<br />
155 Entretien avec Ginette Pellerin, 25/05/01.<br />
156 Rapport au C.A., 39 e session, Fécamp, septembre 1992, p. 1, archives de l’OFQJ.<br />
157 Procès-verbal de <strong>la</strong> 51 e session de <strong>la</strong> commission permanente, 24 novembre 1992.<br />
158 Entretien avec Guy Rivard, 30/01/01.<br />
69
La 38 e session du C.A. en 1991 au Parlement de Québec en présence du premier<br />
ministre, Robert Bourassa, Guy Rivard (ministre responsable au Québec, 1988-1993)<br />
et Frédérique Bredin (ministre responsable en France, 1991-1993).<br />
De son côté, le gouvernement<br />
français défend<br />
l’insertion sociale des jeunes.<br />
Cette dernière catégorie a été<br />
maintenue à <strong>la</strong> demande de <strong>la</strong><br />
France, car il lui importe que<br />
l’OFQJ ne s’intéresse pas seulement<br />
aux activités économiques.<br />
En fait, les socialistes<br />
français sont particulièrement<br />
préoccupés par <strong>la</strong> situation<br />
des jeunes dans les banlieues<br />
difficiles. En 1990, il crée un<br />
ministère à <strong>la</strong> ville chargé,<br />
notamment, d’étudier <strong>la</strong> question.<br />
<strong>Un</strong>e nouvelle politique<br />
verra le jour : « La <strong>jeunesse</strong> et<br />
<strong>la</strong> ville ».<br />
On veut donner une chance aux jeunes des quartiers défavorisés de s’ouvrir à de<br />
nouveaux horizons. Mais comment faire <strong>pour</strong> mettre en œuvre cette nouvelle politique<br />
gouvernementale ? Les dirigeants français ont notamment l’idée de faire appel à l’Office<br />
franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, organisme tout indiqué <strong>pour</strong> être actif dans ce dossier.<br />
À l’occasion de <strong>la</strong> 37 e séance du conseil d’administration de l’Office, réuni le 30 mai<br />
1991, Frédérique Bredin, <strong>la</strong> ministre française de <strong>la</strong> Jeunesse et des Sports, a demandé à<br />
l’Office d’intensifier les actions déjà menées auprès des jeunes en démarche d’insertion, en<br />
consentant un effort supplémentaire dans le cadre de <strong>la</strong> politique urbaine et du développement<br />
social des quartiers. L’Office va organiser, dès l’été 1991, une opération-phare intitulée<br />
« Les jeunes et <strong>la</strong> ville ». En moins de deux mois, une dizaine de projets vont être montés en<br />
col<strong>la</strong>boration avec <strong>la</strong> Délégation interministérielle à <strong>la</strong> ville (DIV) et <strong>la</strong> Délégation interministérielle<br />
à l’insertion des jeunes (DIJ) 159 . Cent jeunes issus de différentes régions de France<br />
vont s’envoler <strong>pour</strong> le Québec. Leurs projets sont principalement axés sur <strong>la</strong> prévention et<br />
l’insertion professionnelle, par <strong>la</strong> rencontre et <strong>la</strong> confrontation avec de jeunes Québécois.<br />
Rencontres sportives, productions de spectacles, théâtre, mime, danse, rap, reportages vidéo,<br />
sont les moyens qu’ils se sont donnés <strong>pour</strong> faire de leur voyage une expérience riche en<br />
découvertes et en enseignements. Avec le soutien de l’Office, ces jeunes travaillent activement<br />
à l’é<strong>la</strong>boration et à <strong>la</strong> réalisation de leur projet. <strong>Un</strong> petit coup de pouce, un gros coup<br />
de cœur. L’Office souhaite encourager, chez des jeunes en situation difficile, l’esprit d’initiative,<br />
<strong>la</strong> créativité, <strong>la</strong> curiosité et <strong>la</strong> volonté d’entreprendre par le voyage et <strong>la</strong> découverte d’une<br />
autre culture et d’autres pratiques, une vision différente de <strong>la</strong> vie, de <strong>la</strong> société et de l’avenir.<br />
159 Entretien avec Sylvie Teveny, 29/05/01.<br />
70
Montréal en fête<br />
En 1992, Montréal se prépare à célébrer en grande pompe son 350 e anniversaire. Que<br />
ce soit en France ou au Québec, plusieurs comptent profiter de l’événement <strong>pour</strong> illustrer <strong>la</strong><br />
vitalité des re<strong>la</strong>tions entre les deux communautés. L’OFQJ y participera d’abord par <strong>la</strong> mise<br />
sur pied d’un orchestre franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. <strong>Un</strong>e idée qui, depuis quelques<br />
années, trottait dans <strong>la</strong> tête de certains artisans de l’Office, puisque aucune activité n’avait<br />
jamais été organisée avec le Conservatoire de musique de Montréal qui, à l’aube des années<br />
1990, s’apprête à célébrer son 50 e anniversaire. C’est sur cette toile de fond que deux professionnelles<br />
de l’Office, Monique Dairon Vallières et Madeleine Bourgeois se présentent au<br />
bureau d’Albert Grenier, directeur du Conservatoire. « C’est providentiel ! j’étais justement à<br />
<strong>la</strong> recherche d’un projet <strong>pour</strong> souligner le 50 e anniversaire du Conservatoire » 160 , leur <strong>la</strong>ncet-il,<br />
au moment où elles expliquent leur démarche.<br />
Assez rapidement, un partenaire français est trouvé : en l’occurrence, il s’agit du<br />
Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Le projet se déroule en fait en trois<br />
temps sur une période de deux ans. En 1990 d’abord, les musiciens québécois se rendent<br />
dans <strong>la</strong> région lyonnaise <strong>pour</strong> y faire une série de concerts.<br />
L’année suivante, un concours de composition est <strong>la</strong>ncé, avec un gagnant de chaque<br />
côté de l’At<strong>la</strong>ntique. Deux pièces musicales qui feront partie du répertoire lorsque l’orchestre<br />
sera bel et bien formé en vue du 350 e anniversaire. En juillet 1992, quarante Français débarquent<br />
au Québec <strong>pour</strong> rejoindre le même nombre de vis-à-vis québécois. Après une semaine<br />
intense de répétitions, ils sont prêts à<br />
entamer leur tournée de sept concerts,<br />
sous <strong>la</strong> direction de Mark Foster et de<br />
Raffi Armenian. Les voici bientôt à<br />
Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke et<br />
bien sûr Montréal où, le 14 juillet, ils<br />
convient les Montréa<strong>la</strong>is à un grand<br />
concert à l’aréna Maurice-Richard. La<br />
performance sera saluée par <strong>la</strong><br />
critique malgré <strong>la</strong> mauvaise acoustique<br />
de <strong>la</strong> salle 161 .<br />
Toujours dans le cadre du 350 e<br />
anniversaire de Montréal, l’Office<br />
décide d’organiser différentes manifestations<br />
à l’intention de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. <strong>Un</strong><br />
concours franco-québécois sur le<br />
thème « 350 ans de vie française en<br />
Amérique » est organisé en partenariat<br />
avec <strong>la</strong> fondation Lionel-Groulx, au<br />
En 1992, à l’occasion des Fêtes du 350 e anniversaire de Montréal,<br />
l’OFQJ a développé un projet d’orchestre symphonique francoquébécois.<br />
160 Entretien avec Monique Dairon Vallières, 10/09/01.<br />
161 Le Devoir, 16/07/92.<br />
71
Québec, et le ministère français de l’Éducation<br />
nationale. Il s’adresse aux élèves<br />
des collèges et lycées de France et des<br />
cégeps du Québec. Axé sur l’histoire de<br />
l’Amérique française, ce concours a<br />
suscité des actions éducatives variées qui<br />
ont permis, en faisant progresser <strong>la</strong><br />
connaissance du Québec, une sensibilisation<br />
à <strong>la</strong> francophonie en Amérique<br />
du Nord. Des jeux, des expositions de<br />
gravures et un roman, ont été primés.<br />
Les <strong>la</strong>uréats québécois et français se sont<br />
vu offrir une expédition historique de<br />
deux semaines, en France <strong>pour</strong> les<br />
premiers, au Québec <strong>pour</strong> les seconds.<br />
Course « RABASKAS » autour de l’île de Montréal en 1992. L’Office<br />
convie <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> à parcourir les 160 kilomètres d’eau qui ceinturent Ces voyages ont permis à ces jeunes de<br />
Montréal.<br />
découvrir l’histoire et le patrimoine<br />
culturel de chacun des deux pays. Et,<br />
toujours à l’occasion du 350 e anniversaire de <strong>la</strong> ville, les Français ont été invités à participer<br />
au grand rallye historique et sportif organisé par l’Office autour de l’île de Montréal.<br />
En effet, outre ce concours historique, l’organisme décide de convier <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> des<br />
deux pays à un important défi sportif : parcourir en rabaska les cent soixante kilomètres qui<br />
ceinturent l’île de Montréal. Naviguant sur ces grands canots d’époque, à raison de quatre<br />
Français et quatre Québécois par embarcation, il s’agit <strong>pour</strong> ces soixante-quatre jeunes de<br />
suivre l’itinéraire fluvial des premiers voyageurs de <strong>la</strong> traite des fourrures, de ces aventuriers<br />
qui, en brigade d’engagés, partaient à <strong>la</strong> découverte du continent <strong>pour</strong> faire le commerce<br />
des pelleteries 162 . Fait particulier, l’activité comprend des jeunes Québécois de <strong>la</strong> région de<br />
Montréal et beaucoup de Français provenant des différents « Montréal » de France : Montréaldu-Gers,<br />
Montréal-La Cluse et Montréal de l’Aude.<br />
À <strong>la</strong> conquête du Grand-Nord<br />
Toutefois cette découverte épique du Québec en canot ne se limite pas aux rives de<br />
Montréal, car avec le passage d’André Maltais à <strong>la</strong> tête de l’organisme, l’horizon de l’OFQJ<br />
s’é<strong>la</strong>rgit vers le Grand-Nord. Expert dans le domaine des re<strong>la</strong>tions avec les Autochtones,<br />
Maltais ne tarde pas à orienter les stagiaires hors des sentiers battus. « Tout en gardant les<br />
activités traditionnelles, on vou<strong>la</strong>it ouvrir de nouveaux horizons 163 », raconte Maltais.<br />
« On est allé à Inukjuak dans le Grand-Nord, <strong>pour</strong> voir un peu le type d’échanges qu’on<br />
pouvait faire avec les gens de cette région. On se disait que c’est pas parce que les<br />
162 Dossier Rabaskas, archives de l’OFQJ.<br />
163 Entretien avec André Maltais, 16/01/01.<br />
72
Autochtones habitent au bout du monde qu’on ne peut pas faire d’échanges avec eux 164 »,<br />
<strong>pour</strong>suit C<strong>la</strong>ude Quenault, secrétaire général français. Dès lors l’Office multiplie ses activités<br />
avec les Autochtones. Au cours de l’été 1991, un projet d’échanges entre de jeunes Français<br />
et de jeunes Inuits a déjà vu le jour. Visant à sensibiliser les nations autochtones à <strong>la</strong> francophonie,<br />
il avait permis à une vingtaine de jeunes provenant de trois régions françaises (Midi-<br />
Pyrénées, Limousin et Champagne-Ardennes) de séjourner dans des familles d’Inukjuak et<br />
de partager leur quotidien. À leur tour, une vingtaine de jeunes Inuits avaient été accueillis<br />
dans des familles françaises de ces trois régions. <strong>Un</strong>e expérience enrichissante et inoubliable,<br />
des moments intenses d’émotion <strong>pour</strong> tous les participants.<br />
L’organisme ne s’arrêtera pas en si bon chemin. D’où l’idée de participer aux activités<br />
« Ilnu 92 » en envoyant un groupe de vingt et un jeunes (issus de milieux difficiles) de <strong>la</strong> ville<br />
de Cesson chez des hôtes montagnais. Dans le cadre du 500 e anniversaire de <strong>la</strong> découverte<br />
de l’Amérique, « Ilnu 92 » consiste en une série d’activités qui sont organisées afin de<br />
rapprocher B<strong>la</strong>ncs et Montagnais de <strong>la</strong> région du Lac-Saint-Jean, notamment en les invitant<br />
à un grand rallye en canot.<br />
L’Office en profite donc <strong>pour</strong> accrocher son wagon à <strong>la</strong> locomotive du projet. Accueillis<br />
pendant trois semaines au sein de <strong>la</strong> communauté montagnaise, les jeunes Cessonnais ont<br />
ainsi l’occasion, eux aussi, de renouer avec le mode de transport des découvreurs. D’ailleurs,<br />
le trajet fluvial qu’ils empruntent s’appelle <strong>la</strong> « route des fourrures ». Depuis <strong>la</strong> rivière<br />
Metabetchouan (près du vil<strong>la</strong>ge montagnais de Mashteuiatsh) ils se rendent à Desbiens,<br />
Chicoutimi, La Baie, Sainte-Rose-du-Nord, Cap Trinité, Anse Saint-Jean, Baie Sainte-Marguerite.<br />
L’arrivée se fait à Tadoussac, ce qui leur donne <strong>la</strong><br />
chance d’aller observer les baleines 165 . Les Montagnais,<br />
quant à eux, initient leurs visiteurs européens à des<br />
activités traditionnelles. C’est ainsi que les Français<br />
étudient <strong>la</strong> faune et <strong>la</strong> flore, découvrent l’artisanat de<br />
ce peuple, tout en participant à des spectacles et en<br />
assistant à un conseil de bande.<br />
<strong>Un</strong> phare<br />
de <strong>la</strong> culture québécoise à Saint-Malo<br />
Il n’y a pas que dans le Grand-Nord que l’OFQJ<br />
organise des manifestations avec les Autochtones.<br />
Grâce à l’organisme, des artistes amérindiens et inuits<br />
se produisent en spectacle à <strong>la</strong> Maison du Québec à<br />
Saint-Malo qui est devenue un lieu privilégié <strong>pour</strong> de<br />
jeunes artistes québécois qui en sont à leurs premières<br />
Les Inuits du nord du Québec à <strong>la</strong> Maison<br />
du Québec à Saint-Malo en août 2000.<br />
Démonstration de chants de gorge traditionnels.<br />
164 Entretien avec C<strong>la</strong>ude Quenault, 14/02/01.<br />
165 Expédition Ilnu 92, archives de l’OFQJ.<br />
73
armes. Il faut dire qu’à partir de <strong>la</strong> fin des années 1980, l’Office joue un rôle de premier p<strong>la</strong>n<br />
en ce lieu. « En 1989, Louis Cournoyer, conseiller culturel de <strong>la</strong> délégation générale du Québec<br />
à Paris, est venu nous voir <strong>pour</strong> nous demander d’assurer une programmation d’été. La Maison<br />
du Québec, offrait un lieu de diffusion unique <strong>pour</strong> nos artistes québécois et une magnifique<br />
vitrine <strong>pour</strong> le Québec. En conjuguant les moyens qu’offrait l’OFQJ, <strong>la</strong> délégation du<br />
Québec avec <strong>la</strong> ville de Saint-Malo et l’Association Saint-Malo-Québec, une première programmation<br />
a été <strong>la</strong>ncée l’été suivant 166 . »<br />
Et <strong>la</strong> relève artistique et musicale se manifeste sans tarder. Depuis 1990, des dizaines de<br />
conteurs, d’artistes, de chanteurs ou de conférenciers en tout genre débarquent dans <strong>la</strong> ville<br />
de Jacques Cartier chaque année pendant <strong>la</strong> saison estivale. Ils y viennent <strong>pour</strong> raconter une<br />
histoire, <strong>pour</strong> faire un tour de chant, ou <strong>pour</strong> présenter un film. C’est le cas, par exemple,<br />
d’Anne Ardouin, l’ancienne animatrice de Radio-Véronique sur le Mermoz, devenue entretemps<br />
réalisatrice de documentaires. C’est à <strong>la</strong> Maison du Québec à Saint-Malo qu’elle présente<br />
en France son premier bébé. « En 1993, je suis retournée à Saint-Malo avec l’Office <strong>pour</strong><br />
présenter mon premier film, <strong>Un</strong>e rivière imaginaire. On était sept jeunes appuyés par <strong>la</strong><br />
SODEC qui présentions un court métrage. Ça c’est tellement bien passé que certaines<br />
personnes que j’ai rencontrées ce soir-là ont par <strong>la</strong> suite présenté mon film dans d’autres<br />
villes. Ça a créé des liens très forts 167 . »<br />
Des liens, Anne Ardouin n’est pas <strong>la</strong> seule a en avoir créé. De nombreux artistes comme<br />
Kevin Parent, Marie-Jo Thério, <strong>la</strong> Bande Magnétik, Daniel Boucher et bien d’autres l’ont<br />
expérimenté. Chaque été, une vingtaine d’activités d’animation et de spectacles sont présentés<br />
à <strong>la</strong> Maison du Québec, dans les rues ou sur des scènes de <strong>la</strong> ville, avec une palette variée<br />
offrant de <strong>la</strong> musique traditionnelle, jazz et c<strong>la</strong>ssique, de <strong>la</strong> chanson, du théâtre, des contes,<br />
des animations autour des métiers d’art,<br />
des cultures autochtones, des expositions,<br />
etc. <strong>Un</strong>e <strong>la</strong>rge p<strong>la</strong>ce est <strong>la</strong>issée<br />
aussi à des projets expérimentaux d’étudiants<br />
de niveau avancé en arts d’interprétation.<br />
L’Office s’est ainsi associé au<br />
Conservatoire d’art dramatique de<br />
Montréal <strong>pour</strong> présenter à Saint-Malo<br />
une opération de théâtre de rue qui est<br />
le fruit du travail des élèves de l’atelier<br />
de création. Les rues de <strong>la</strong> ville s’animent<br />
de <strong>la</strong> présence de jeunes comédiens du<br />
Québec avec une série de capsules<br />
La saison estivale 2001 de <strong>la</strong> Maison du Québec à Saint-Malo.<br />
La troupe de comédiens de rue La Bardasse est issue du Conservatoire<br />
d’art dramatique de Montréal.<br />
théâtrales. Avec une telle programmation,<br />
pas étonnant que <strong>la</strong> Maison du<br />
Québec soit devenue partie prenante du<br />
paysage culturel de Saint-Malo.<br />
166 Entretien avec Madeleine Bourgeois, 30/01/01.<br />
167 Entretien avec Anne Ardouin, 25/02/01.<br />
74
CHAPITRE IX :<br />
Re<strong>la</strong>nce et<br />
é<strong>la</strong>rgissement<br />
Le début de l’année 1994 marque un<br />
certain dégel au niveau des re<strong>la</strong>tions entre Paris<br />
et Québec. Contrairement à son ancien chef<br />
Robert Bourassa, le premier ministre Daniel<br />
Johnson fils décide, lui, d’effectuer une visite<br />
officielle à Paris, quelques semaines seulement<br />
après son arrivée au pouvoir.<br />
Mais Johnson est battu aux élections<br />
quelques mois plus tard. C’est à son successeur<br />
péquiste, Jacques Parizeau, que<br />
reviendra l’essentiel de <strong>la</strong> tâche<br />
de re<strong>la</strong>ncer les re<strong>la</strong>tions francoquébécoises.<br />
Pour ce<strong>la</strong>, le<br />
nouveau premier ministre choisit<br />
Bernard Landry comme ministre<br />
responsable des Re<strong>la</strong>tions internationales.<br />
En 1994, je suis allé à Paris dans une<br />
atmosphère de re<strong>la</strong>nce […] <strong>pour</strong><br />
préparer <strong>la</strong> visite de Jacques Parizeau.<br />
BERNARD LANDRY, MINISTRE DES<br />
RELATIONS INTERNATIONALES DU QUÉBEC<br />
En ce qui a trait à <strong>la</strong><br />
France, Landry a une idée très<br />
c<strong>la</strong>ire de ce qu’il veut. « En<br />
novembre 1994, je suis allé à<br />
Paris dans un climat de re<strong>la</strong>nce<br />
des re<strong>la</strong>tions franco-québécoises<br />
[…] les visites croisées de<br />
premiers ministres ne se<br />
faisaient pratiquement plus […]<br />
ça s’était considérablement<br />
refroidi. J’ai donc participé à<br />
cette re<strong>la</strong>nce en al<strong>la</strong>nt à Paris<br />
préparer <strong>la</strong> visite de Jacques<br />
Parizeau. Et j’ai été accueilli à<br />
bras ouverts 168 . »<br />
Attribution de mentions spéciales aux fondateurs, en 1994. Dans l’ordre :<br />
Dominique de Combles de Nayves (consul général de France), Jean-Paul<br />
L’Allier (premier secrétaire général au Québec, 1968-1970) et Jean-Marie<br />
Morin (ministre québécois cofondateur, 1968-1970).<br />
168 Entretien avec Bernard Landry, 08/06/98.<br />
75
Améliorer l’employabilité des jeunes<br />
<strong>Un</strong>e telle attitude, on s’en doute, se répercute<br />
rapidement sur l’action de l’OFQJ. La visite<br />
de monsieur Parizeau en janvier 1995 a porté, en<br />
partie du moins, sur <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce de <strong>la</strong> coopération<br />
<strong>jeunesse</strong>. L’OFQJ était au cœur des activités envisagées<br />
selon Michel Leduc, secrétaire général<br />
québécois.<br />
Visite au Québec du premier ministre de <strong>la</strong> République<br />
française A<strong>la</strong>in Juppé accueilli par le premier ministre<br />
Lucien Bouchard, les 10 et 11 juin 1996.<br />
Celui-ci affirme que l’Office se devait de<br />
diversifier ses interventions au service de toutes<br />
les catégories de jeunes, étudiants et travailleurs,<br />
et d’être ouvert à tous les types de coopération<br />
avec <strong>la</strong> France. Pour ce<strong>la</strong>, il fal<strong>la</strong>it augmenter les<br />
moyens de l’Office. Des suggestions, celui qui est<br />
à l’époque conseiller spécial en a plusieurs. « On<br />
s’était beaucoup occupé des étudiants, et je<br />
pensais que l’OFQJ devait faire plus <strong>pour</strong> les<br />
jeunes travailleurs et les jeunes en recherche<br />
d’emploi […] En février 1995, l’Office se verra<br />
offrir un partenariat avec <strong>la</strong> Société québécoise<br />
de <strong>la</strong> main-d’œuvre en vue de monter un<br />
programme s’adressant aux jeunes demandeurs<br />
d’emploi 169 . »<br />
Jeunes travailleurs, jeunes en difficulté, il faut comprendre qu’à l’époque <strong>la</strong> crise<br />
économique se termine à peine. <strong>Un</strong>e partie de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> a été particulièrement frappée. Il<br />
s’agit donc d’intervenir de façon ciblée en faveur de ce segment de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Tant en<br />
France qu’au Québec, les deux gouvernements approuvent cette façon de voir. Comme en<br />
témoigne <strong>la</strong> visite d’A<strong>la</strong>in Juppé, au Québec, en juin 1996. Le premier ministre français et<br />
son vis-à-vis Lucien Bouchard profitent de cette visite <strong>pour</strong> dresser le p<strong>la</strong>n de match en ce<br />
qui concerne <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> :<br />
«À <strong>la</strong> lumière des expériences pilotes menées au cours de <strong>la</strong> dernière année, les deux<br />
premiers ministres se sont mis d’accord <strong>pour</strong> centrer l’action de l’OFQJ sur <strong>la</strong> formation professionnelle<br />
des jeunes, afin de lutter durement contre le chômage qui les frappe. Cette démarche<br />
permettra de souligner fortement <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d’un organisme dont <strong>la</strong> France et le Québec considèrent<br />
qu’il est l’un des instruments efficaces et adaptés de leur coopération 170 […]. »<br />
Deux mots clés doivent ici être retenus : formation et emploi. Les deux premiers ministres<br />
veulent que l’Office accentue son volet formation, mais qu’il le fasse surtout <strong>pour</strong> aider les<br />
jeunes à réintégrer le marché du travail ou à retourner aux études.<br />
76<br />
169 Propos tirés de « Trentième anniversaire de l’OFQJ », document audiovisuel,<br />
1998, archives de l’OFQJ.<br />
170 Extrait du relevé de décision des deux premiers ministres signé par messieurs<br />
Bouchard et Juppé, 11 juin 1996, archives du MRI.
Le programme « Formation et emploi »<br />
C’est dans cette perspective qu’en 1994, à <strong>la</strong> suite d’une réunion du conseil d’administration,<br />
l’Office commence à mettre en p<strong>la</strong>ce les bases de nouveaux stages spécialisés en<br />
entreprise. L’année suivante, l’opération débouche sur un nouveau programme en bonne et<br />
due forme, « Formation et emploi », qui constitue l’un des éléments de <strong>la</strong> nouvelle politique<br />
franco-québécoise de lutte contre le chômage chez les jeunes. La nouveauté vient ici du fait<br />
que <strong>la</strong> clientèle cible est uniquement constituée de jeunes sans emploi et de jeunes<br />
décrocheurs. Le but du projet étant de développer chez eux leur employabilité à l’aide d’un<br />
stage en France ou au Québec. Particu<strong>la</strong>rité du projet, il se fait en partenariat avec <strong>la</strong> Société<br />
québécoise de <strong>la</strong> main d’œuvre (devenue aujourd’hui Emploi-Québec) et en France avec le<br />
concours occasionnel des régions. Faute d’un financement institutionnel, <strong>la</strong> section française<br />
a maintenu le programme en le finançant à l’aide de ses propres fonds.<br />
En contrepartie, <strong>la</strong> loi québécoise interdit à un assisté social de toucher ses prestations<br />
s’il se trouve à l’extérieur du Québec. « L’idée d’envoyer parmi ces jeunes des assistés sociaux<br />
et des chômeurs à l’étranger dans le cadre d’un programme de formation, c’était une première,<br />
raconte Michel Leduc. Il a fallu convaincre le gouvernement d’amender <strong>la</strong> loi. Ce n’était pas<br />
facile, mais heureusement <strong>la</strong> ministre Louise Harel a été très efficace <strong>pour</strong> trouver une<br />
solution 171 . » Et <strong>la</strong> loi fut amendée en 1998.<br />
De nombreux projets naissent avec le programme « Formation et emploi ». Serge Duclos,<br />
président du Carrefour <strong>jeunesse</strong> emploi (CJE) de Charlesbourg-Chauveau, profite de l’occasion<br />
<strong>pour</strong> proposer ses idées lorsqu’il apprend l’existence de ce nouveau programme. Il faut<br />
dire que les CJE sont des<br />
organismes sans but lucratif,<br />
qui ont précisément <strong>pour</strong><br />
objectif de favoriser l’intégration<br />
économique et sociale<br />
des jeunes adultes. Précisons<br />
en plus que Serge Duclos est<br />
un ancien stagiaire de l’OFQJ.<br />
« En 1994, j’étais allé en<br />
France <strong>pour</strong> étudier les entreprises<br />
en insertion sociale. Ce<br />
sont des entreprises qui<br />
embauchent des personnes<br />
qui font des démarches de<br />
réinsertion en emploi. Les<br />
Français étaient beaucoup<br />
plus en avance que nous dans<br />
ce domaine-là 172 . »<br />
La 42 e session du C.A. au Québec en 1995. Sur <strong>la</strong> photo, Pierre Mesmer<br />
(membre du C.A., ancien premier ministre de <strong>la</strong> France), Jacques Barrat (secrétaire<br />
général en France, 1993-1997), Christiane Lessard, responsable du protocole,<br />
Bernard Landry (ministre responsable au Québec, 1994-1995) et Michel<br />
Leduc (secrétaire général au Québec, 1995-).<br />
171 Entretien avec Michel Leduc, 23/04/01.<br />
172 Entretien avec Serge Duclos, 27/02/01.<br />
77
Nommé directeur du<br />
Carrefour emploi <strong>jeunesse</strong> de<br />
sa région en 1996, notre<br />
homme pose alors une<br />
question fort simple : Pourquoi<br />
ne pas faire bénéficier ces<br />
jeunes d’un stage en France<br />
dans une entreprise qui fait de<br />
<strong>la</strong> réinsertion sociale ? L’idée lui<br />
vient d’autant plus vite qu’il<br />
apprend que <strong>la</strong> section<br />
française de l’OFQJ effectue<br />
une démarche semb<strong>la</strong>ble dans<br />
le parc de <strong>la</strong> Jacques-Cartier<br />
<strong>Un</strong> chantier de perfectionnement en ébénisterie artisanale, effectué par le<br />
dans le cadre d’un « chantier<br />
CFP Neufchatel (Québec) en col<strong>la</strong>boration avec l’Association Chanteloube<br />
Développement, en 2001.<br />
d’aménagement ». À l’époque,<br />
de jeunes Français en réinsertion<br />
y travaillent chaque été afin d’entretenir le parc 173 . L’un des responsables du programme<br />
en France avait contacté Duclos <strong>pour</strong> avoir des conseils.<br />
Après avoir accompli les démarches de préparation, le projet de Duclos est accepté.<br />
L’OFQJ fournira son expertise et son financement au projet de son ancien stagiaire. C’est<br />
ainsi qu’en juin 1997, une vingtaine de jeunes Québécois débarquent à <strong>la</strong> station balnéaire<br />
de Bombannes, près de Bordeaux sur <strong>la</strong> côte At<strong>la</strong>ntique. « Ils faisaient des travaux <strong>pour</strong><br />
préparer <strong>la</strong> saison touristique, raconte Serge Duclos. En retour, ils étaient hébergés et nourris.<br />
Leur prestation d’Emploi-Québec servait directement à financer le stage. Ce<strong>la</strong> a très bien<br />
fonctionné 174 . »<br />
Du côté français, le programme présentait des caractéristiques originales dans <strong>la</strong> mesure<br />
où il s’adressait aussi aux primo demandeurs d’emploi, public ayant des difficultés d’accès à<br />
des dispositifs de formation. L’objectif était de :<br />
– réduire les périodes d’absence du marché du travail en multipliant les expériences pratiques<br />
liées au domaine de formation ;<br />
– stimuler <strong>la</strong> recherche active d’emploi et améliorer les facteurs de réussite en soutenant<br />
des expériences de stages distinctes et qualifiantes ;<br />
– encourager <strong>la</strong> mobilité géographique et professionnelle.<br />
Les premières années de fonctionnement révèlent que <strong>la</strong> majorité des candidatures<br />
s<strong>pont</strong>anément recueillies relèvent de <strong>la</strong> formation supérieure, mais des efforts sont faits <strong>pour</strong><br />
accroître davantage <strong>la</strong> participation d’un public nettement moins qualifié, en particulier par<br />
l’information auprès des missions locales, des centres de formation et des associations d’accompagnement<br />
à l’emploi.<br />
173 Entretien avec Serge Duclos, 27/02/01.<br />
174 Ibid.<br />
78
Les évaluations du programme, tant internes qu’externes, démontrent toutes que le<br />
programme atteint bien ses objectifs. L’affaire fait boule de neige. Le gouvernement fédéral<br />
emboîte le pas et accepte que les chômeurs en bénéficient. Ottawa leur permet à leur tour<br />
de toucher des prestations de chômage lorsqu’ils sont à l’étranger dans le cadre d’activités<br />
d’apprentissage.<br />
La culture : une p<strong>la</strong>ce toujours particulière<br />
Le programme « Formation et emploi » répond donc à des objectifs de diversification et<br />
de renouvellement. La volonté de rajeunissement va également se faire sentir <strong>pour</strong> l’ensemble<br />
des programmes de l’organisme.<br />
Si <strong>la</strong> formation professionnelle accapare une bonne partie des énergies de l’Office, <strong>la</strong><br />
culture ne perd pas sa p<strong>la</strong>ce <strong>pour</strong> autant. Le renouvellement touche aussi ce secteur, car il<br />
importe que l’Office reste accessible à tous. Ce retour des choses s’applique également à <strong>la</strong><br />
culture. Au fil des années, les choix successifs des dirigeants de l’OFQJ ont eu comme<br />
conséquence indirecte de reléguer <strong>la</strong> culture dans l’ombre. L’arrivée, en 1997, d’un nouveau<br />
secrétaire général à <strong>la</strong> section de Paris a facilité le<br />
retour de <strong>la</strong> tendance. Jacques Fauconnier tenait à<br />
rendre à <strong>la</strong> culture <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce qui lui revenait en tant<br />
qu’un des fondements de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion franco-québécoise.<br />
En 1998, <strong>la</strong> nomination de Louise Beaudoin à <strong>la</strong> tête<br />
du ministère des Re<strong>la</strong>tions internationales a <strong>pour</strong> effet<br />
de renforcer cette orientation. Ancienne ministre de <strong>la</strong><br />
Culture et ancienne déléguée générale du Québec à<br />
Paris, elle est sensible à cette question. D’autant plus<br />
qu’elle est l’une des artisanes d’un projet des plus<br />
ambitieux : le Printemps du Québec en France.<br />
« Heureux d’un printemps »<br />
Dans <strong>la</strong> foulée, alors que tout ce que le Québec<br />
compte de créateurs se prépare à se <strong>la</strong>ncer à <strong>la</strong><br />
conquête de l’Hexagone, tandis que le métro parisien<br />
roule aux couleurs du Québec, l’Office frappe un grand<br />
coup. Il s’agit <strong>pour</strong> l’occasion d’organiser un concours<br />
de création étudiante, en col<strong>la</strong>boration avec<br />
l’Association des professeurs de français du Québec.<br />
Sous le thème « Heureux d’un printemps », titre de <strong>la</strong><br />
célèbre chanson de Paul Piché, <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> québécoise<br />
est invitée à présenter en images et en mots, son<br />
En 1999, quelque 250 jeunes issus de différents<br />
horizons ont fait leur marque lors de <strong>la</strong> première<br />
saison du Québec à l’étranger.<br />
79
Québec à elle, celui du quotidien<br />
et de ses mille et une petites<br />
choses, celui de l’ambition et du<br />
rêve, celui de l’intemporel avec<br />
ses paysages et ses saisons, celui<br />
de ceux et celles qui y vivent et<br />
qui, selon les mots fameux de<br />
René Lévesque, « […] de cette<br />
Amérique d’abord presque<br />
entièrement française, ont réussi<br />
à garder vivante cette partie<br />
qu’on appelle le Québec 175 . »<br />
Les voici donc <strong>la</strong>ncés ces<br />
jeunes – ils sont des milliers à se<br />
présenter au concours – avides<br />
de mots et d’esquisses, poussés<br />
par <strong>la</strong> soif de créer, désireux de<br />
faire découvrir à <strong>la</strong> France le<br />
Des élèves en art dramatique participent au Festival Molière de Versailles,<br />
lors du Printemps du Québec en France en 1999.<br />
Québec d’aujourd’hui. Ils ont écrit, peint, dessiné, photographié. Sous forme de poèmeaffiche<br />
ou de murale, ce sont ces mots, ces métaphores et ces images qui sillonnent le vieux<br />
pays afin de faire connaître aux Français le Québec et les Québécois. Et qui illustrent une<br />
nouvelle fois l’importance de <strong>la</strong> culture au sein de l’OFQJ. Le résultat surprend, le lyrisme<br />
est au rendez-vous. Comme en témoigne l’œuvre de Kateri Lemmens de l’<strong>Un</strong>iversité de<br />
Sherbrooke : « Avez-vous vu vous l’espace<br />
écartelé, de l’Amérique romane, ses îlots de<br />
paroles et ses corps forcés, dans l’urgence de<br />
l’instant […]. »<br />
En 2001, le Québec accueille plusieurs artistes français<br />
qui « décoiffent » dans le cadre de <strong>la</strong> première saison de<br />
<strong>la</strong> France à l’étranger. Le chanteur Néry au Festival Coup<br />
de cœur francophone.<br />
Ce « Printemps » bien particulier aura<br />
permis à deux cent cinquante jeunes de faire<br />
leur marque en France dans des secteurs<br />
aussi divers que les sciences, <strong>la</strong> culture et les<br />
communications. Du théâtre de rue au robot<br />
mobile en passant par <strong>la</strong> diffusion sur les<br />
ondes radio, le volet <strong>jeunesse</strong> du « Printemps »<br />
a montré l’image d’une génération aux multiples<br />
talents. Tournée de spectacles de chanson<br />
et de musique contemporaine, écriture<br />
en direct, lectures publiques, cinéma, danse,<br />
le secteur culturel portait l’étendard de <strong>la</strong><br />
relève artistique.<br />
175 René Lévesque, Option Québec.<br />
80
France au Québec - La saison<br />
En fait, l’affaire a si bien marché que les Québécois décident d’inviter les Français chez<br />
eux à l’automne 2001. Ce sera une grande première ! La France, habituée à recevoir des<br />
saisons culturelles du monde entier, n’avait pas, jusqu’alors, programmé de son propre chef,<br />
une saison française à l’étranger. Que le Québec soit le lieu de cette première expérience<br />
demeure significatif des re<strong>la</strong>tions privilégiées entretenues par les deux pays. L’Office a immédiatement<br />
réagi à cette perspective. La section de Paris, en re<strong>la</strong>tion avec l’Association française<br />
action artistique (l’AFAA), opérateur principal, <strong>la</strong> Direction des affaires internationales du<br />
ministère de <strong>la</strong> Culture et de <strong>la</strong> Communication (MCC) et <strong>la</strong> Direction de <strong>la</strong> coopération<br />
culturelle et du français du ministère des Affaires étrangères (MAE), a participé à <strong>la</strong> définition<br />
de <strong>la</strong> ligne éditoriale de ce qui al<strong>la</strong>it devenir « France au Québec – <strong>la</strong> saison ». La volonté<br />
de tous les acteurs est restée immuable : donner de <strong>la</strong> France une image renouvelée, axée<br />
sur <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> et <strong>la</strong> vitalité de ses représentants comme celle des publics auxquels elle désire<br />
s’adresser. Acteur convaincu de <strong>la</strong> coopération culturelle <strong>pour</strong> <strong>la</strong> relève artistique, l’Office a<br />
trouvé tout naturellement sa p<strong>la</strong>ce dans cet événement.<br />
Valoriser les partenariats de longue date, favoriser les rencontres entre professionnels<br />
parallèlement aux événements, développer des projets en région, autant de lignes directrices<br />
qui répondent aux souhaits des institutions. Huit projets sont développés par l’OFQJ, quelque<br />
soixante-dix artistes y participent, <strong>la</strong> majorité réunit des artistes français et québécois.<br />
Des nouveaux conteurs aux performances chorégraphiques, de <strong>la</strong> musique contemporaine<br />
à <strong>la</strong> mouvance techno, du ciné-concert électronique à <strong>la</strong> présentation de vidéastes<br />
français, sans oublier les coups de cœur aux espoirs musicaux, l’OFQJ a choisi de présenter<br />
un mé<strong>la</strong>nge explosif de disciplines,<br />
d’époques et de tendances en émergence.<br />
Ces événements ont abordé ainsi<br />
des sujets porteurs telle l’application des<br />
nouvelles technologies dans <strong>la</strong> création<br />
musicale, et ont ouvert au public des<br />
espaces habituellement réservés à <strong>la</strong><br />
création, <strong>pour</strong> exposer les œuvres<br />
d’artistes littéralement « inc<strong>la</strong>ssables ».<br />
Tourné vers l’avenir<br />
Si de tels événements sont résolument<br />
culturels, l’initiative, elle, demeure<br />
politique. À cet égard il faut dire que<br />
plusieurs personnes du gouvernement<br />
La rencontre de Lionel Jospin, premier ministre de <strong>la</strong> France, Lucien<br />
Bouchard, premier ministre du Québec et de stagiaires (1998).<br />
81
France au Québec/La saison : A<strong>la</strong>in<br />
Beaugier (directeur des échanges en<br />
France, 1968-2000) et l’animateur<br />
Calixte de Nigremont lors d’une<br />
soirée spéciale OFQJ au festival<br />
Coup de cœur francophone (automne<br />
2001). L’OFQJ coproduisait<br />
le spectacle Libérer le trésor,<br />
consacré au répertoire des chansons<br />
méconnues, interprétées par des<br />
artistes de <strong>la</strong> jeune scène. La soirée<br />
remporta un tel succès, qu’un CD<br />
du spectacle a été produit.<br />
de Lionel Jospin connaissent bien <strong>la</strong> question québécoise. C’est<br />
le cas notamment du ministre des Affaires étrangères, Hubert<br />
Védrine, de <strong>la</strong> ministre de <strong>la</strong> Culture, Catherine Trautmann, et<br />
du premier ministre lui-même. Celui-ci ne tarde pas à reprendre<br />
à son compte <strong>la</strong> tradition des visites alternées de premiers<br />
ministres. Lors de son voyage au Québec en 1998, lui et Lucien<br />
Bouchard profitent de l’événement <strong>pour</strong> souligner le 30 e anniversaire<br />
de l’Office. Et le chef du gouvernement français réitère<br />
ses convictions, tout en louant le travail de l’Office dans le<br />
domaine des technologies de l’information :<br />
«Ça fait longtemps que je participe à l’Office francoquébécois<br />
<strong>pour</strong> adultes (rires) et je me sens un ami du<br />
Québec. Les stages proposés par l’OFQJ le sont dans des<br />
secteurs d’avenir, extrêmement modernes, comme dans les<br />
nouvelles technologies. Nous ne sommes donc pas tournés<br />
vers le passé. Au contraire, on essaie d’affronter le monde de<br />
demain […].<br />
La capacité <strong>pour</strong> des hommes et des femmes de culture<br />
francophone de se projeter sur de nouveaux médias et de<br />
nouveaux moyens est tout à fait essentielle 176 . »<br />
« Se projeter dans l’avenir » signifie aborder de front les<br />
questions qui sont posées aux sociétés modernes. C’est le défi<br />
que tente de relever l’Office avec ses « universités d’été », ces<br />
périodes de formation de quelques semaines, ayant généralement<br />
lieu durant cette saison comme leur nom l’indique. En<br />
fait, ce concept d’université d’été qui prend le plus souvent l’allure de rencontres organisées<br />
sur des thèmes éducatif, culturel, social et scientifique va permettre à l’Office de dynamiser<br />
ses programmes de coopération en participant activement à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce de telles rencontres<br />
sur des questions de l’heure telles que le patrimoine, le développement économique<br />
régional, le multimédia et <strong>la</strong> ruralité.<br />
C’est le cas en environnement par exemple. En 1990, l’<strong>Un</strong>iversité du Québec à<br />
Chicoutimi en col<strong>la</strong>boration avec l’OFQJ et trois régions françaises (Franche-Comté, Nord-<br />
Pas-de-Ca<strong>la</strong>is et Alsace), crée une université d’été internationale sur le développement durable.<br />
Des Français, des Québécois, ainsi que quelques Africains, Antil<strong>la</strong>is et Maghrébins se joignent<br />
au groupe. Ils sont issus de plusieurs disciplines : environnement, biologie, droit, économie,<br />
le but de l’université d’été étant d’avoir une vision globale des problèmes. Que ce soit <strong>la</strong><br />
gestion du littoral boulonnais, <strong>la</strong> stratégie d’élimination des déchets de <strong>la</strong> communauté urbaine<br />
de Lille, <strong>la</strong> gestion des forêts alpines ou le programme de stabilisation des berges du <strong>la</strong>c Saint-<br />
176 Trentième anniversaire de l’OFQJ, document audiovisuel, 1998, archives de<br />
l’OFQJ.<br />
82
Jean, ils sont confrontés aux difficultés de <strong>la</strong> cohabitation de l’humain et de <strong>la</strong> nature. La<br />
formation est très intense. « Ils travail<strong>la</strong>ient même <strong>la</strong> nuit, se souvient Pierre Gougeon, chargé<br />
de projet à l’OFQJ, car à <strong>la</strong> fin du stage, ils devaient présenter un rapport (fait en équipe)<br />
qui consistait en une étude de cas d’un problème particulier lié au développement durable 177 . »<br />
En 1996, l’OFQJ participe à <strong>la</strong> mise sur pied de l’<strong>Un</strong>iversité d’été sur le patrimoine en<br />
col<strong>la</strong>boration avec <strong>la</strong> région Poitou-Charentes, les universités de Montréal, Poitiers et La<br />
Rochelle.<br />
Travailler ensemble<br />
Pour que les jeunes de France et du Québec puissent <strong>pour</strong>suivre leurs échanges, il<br />
importe que les deux sections de l’Office travaillent main dans <strong>la</strong> main. Or, depuis que <strong>la</strong><br />
gestion budgétaire a été séparée les choses ne sont pas si faciles, comme l’explique le secrétaire<br />
général Michel Leduc :<br />
«À partir du moment où l’on a mis fin à cette espèce de péréquation entre les deux<br />
sections, chacune avait une plus grande marge de manœuvre, surtout au niveau budgétaire.<br />
Et ça se répercute forcément sur les effectifs de stagiaires, sur le choix des projets et sur les<br />
échanges. On a réglé un problème, mais on a accentué les risques de dérive entre chaque<br />
section. Et ultimement ça <strong>pour</strong>rait mener de facto à une situation où il y aurait deux offices 178 . »<br />
Heureusement, nous n’en sommes pas encore là, mais plusieurs dans les cercles francoquébécois<br />
sont préoccupés tant il apparaît important que l’Office demeure un organisme<br />
unitaire et uni. En 1997, Sylvain Simard,<br />
alors ministre des Re<strong>la</strong>tions internationales<br />
du Québec, confie ouvertement<br />
<strong>la</strong> question à Marie-Georges Buffet, <strong>la</strong><br />
nouvelle ministre de <strong>la</strong> Jeunesse et des<br />
Sports.<br />
L’arrivée d’un nouveau secrétaire<br />
général à <strong>la</strong> section française, en <strong>la</strong><br />
personne de Jacques Fauconnier,<br />
facilite <strong>la</strong> projection d’une vision<br />
commune souhaitée de part et d’autre.<br />
Mais une telle vision va mettre un<br />
certain temps à apparaître. Il faut y<br />
consacrer du temps, permettre <strong>la</strong> réflexion,<br />
insuffler <strong>la</strong> cohérence nécessaire<br />
et tenir compte de <strong>la</strong> nouvelle donne.<br />
La 45 e session du C.A. au Québec en 1998. Michel Leduc (secrétaire<br />
général au Québec, 1995-) ; <strong>la</strong> ministre des Re<strong>la</strong>tions internationales,<br />
Louise Beaudoin (coprésidente du C.A., 1998-);<br />
l’ex-ministre française de <strong>la</strong> Jeunesse et des Sports, Marie-Georges<br />
Buffet (coprésidente du C.A., 1997-2002) et Jacques Fauconnier<br />
(secrétaire général en France, 1997-).<br />
177 Ibid.<br />
178 Entretien avec Michel Leduc, 28/02/01.<br />
83
C’est-à-dire rééquilibrer les effectifs en tenant compte des jeunes travailleurs, aider les jeunes<br />
en difficulté d’insertion, tenir compte des nouvelles technologies et ne pas <strong>la</strong>isser tomber les<br />
étudiants qui sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide de l’Office.<br />
De nouveaux partenaires<br />
La réflexion porte ses fruits. Les violons s’accordent, les musiciens connaissent leur partition,<br />
l’Office attaque une nouvelle pièce. En l’occurrence il s’agit d’étendre le partenariat de<br />
l’organisme. C’est ce qui est réalisé, par exemple, avec <strong>la</strong> création du Comité d’action politique<br />
franco-québécois, les jeunes militants de partis politiques y trouvant aussi leur compte.<br />
L’idée remonte à… octobre 1969. Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet l’a <strong>la</strong>ncée lors d’une réunion du<br />
C.A. au Lac-De<strong>la</strong>ge. « Ce serait intéressant <strong>pour</strong> des jeunes Français de venir suivre une<br />
campagne électorale ici au Québec 179 . » <strong>Un</strong>e proposition qui a tout de suite plu au ministre<br />
unioniste Jean-Marie Morin, <strong>pour</strong> peu qu’on tienne compte d’un certain nombre de conditions<br />
: « Personnellement je serais bien d’accord à condition que le C.A. autorise les stagiaires<br />
à venir me prêter main-forte dans mon comté de Lévis 180 . » La remarque a soulevé l’hi<strong>la</strong>rité<br />
générale. Sauf que dans le climat d’agitation, et avec les suspicions qui pèsent sur l’Office<br />
dans certains milieux, les membres du C.A. ont préféré ne pas s’engager dans cette voie. En<br />
tout cas pas avec des échanges de membres de partis politiques. Le conseil d’administration<br />
a donné son accord du bout des lèvres <strong>pour</strong> que des étudiants en sciences politiques puissent<br />
faire de tels stages. Mais Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet croit se souvenir que le projet n’est finalement<br />
pas allé de l’avant 181 .<br />
Néanmoins, l’idée revient sur <strong>la</strong><br />
table plusieurs années plus tard, au<br />
printemps de 1994, grâce à l’initiative<br />
de Jean-François Doray, un jeune<br />
militant du Bloc québécois 182 . Le<br />
Comité d’action politique franco-québécois<br />
est alors formé. En 1995, il permet<br />
à de jeunes Québécois d’assister aux<br />
élections présidentielles françaises.<br />
Au nom du Comité d’action politique franco-québécois, Jean-François<br />
Doray remet un cadeau à Jacques Chirac, au printemps de 1995, à<br />
l’occasion des élections présidentielles.<br />
L’action citoyenne<br />
La recherche de nouveaux partenaires<br />
amène aussi l’Office à tisser des<br />
liens en France et au Québec avec des<br />
organismes actifs dans les milieux<br />
multiethniques français et québécois. À<br />
l’initiative de l’OFQJ, du ministère des<br />
84<br />
179 Compte rendu de <strong>la</strong> 3 e session du C.A., Lac-De<strong>la</strong>ge, 16 et 17 octobre 1969,<br />
p. 117-118.<br />
180 Ibid.<br />
181 Entretien avec Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet, 29/01/01.<br />
182 Entretien avec Julien Lampron, 11/01/01.
Re<strong>la</strong>tions avec les citoyens et de l’immigration,<br />
d’Images interculturelles, du Conseil des<br />
re<strong>la</strong>tions interculturelles, de <strong>la</strong> Fondation de <strong>la</strong><br />
tolérance, on crée en mars 2000, <strong>la</strong> Semaine<br />
d’actions contre le racisme. Depuis, celle-ci est<br />
renouvelée chaque année.<br />
Le but consiste notamment à sensibiliser<br />
les jeunes et les moins jeunes aux problèmes<br />
du racisme et de l’intolérance. L’Office s’engage<br />
à faire participer une importante délégation<br />
française aux activités de <strong>la</strong> semaine. De<br />
nombreuses activités figurent au programme.<br />
D’abord en 2000, une conférence internationale<br />
avec <strong>la</strong> participation de Québécois, de<br />
Français et de Belges, ainsi qu’un festival de<br />
films contre <strong>la</strong> discrimination qui est présenté<br />
à <strong>la</strong> Cinémathèque québécoise. Sont invités de<br />
La ministre québécoise des Affaires municipales et de<br />
<strong>la</strong> Métropole, Louise Harel, joint sa voix à celles de<br />
créateurs français <strong>pour</strong> dire « Non au racisme ».<br />
(Semaine d'actions contre le racisme, 2000).<br />
jeunes réalisateurs français tels que Fabrice Genestal, réalisateur de <strong>la</strong> Squale portant sur le<br />
problème du racisme et de l’intolérance chez les jeunes d’une banlieue française.<br />
Le volet cinématographique se double d’un volet production <strong>pour</strong> des étudiants en<br />
cinéma. Puisque chacune des dix équipes françaises, québécoises et belges s’aventure caméra<br />
au poing avec le mandat de réaliser de courtes capsules cinéma à partir de thèmes d’improvisation<br />
explorant « <strong>la</strong> ville, lieu d’inclusion,<br />
lieu d’exclusion ». Les équipes ont une<br />
journée <strong>pour</strong> effectuer un repérage des lieux<br />
et une autre <strong>pour</strong> le tournage, le tout<br />
encadré par le Département de cinéma du<br />
Cégep Ahuntsic. La présentation des œuvres<br />
a finalement lieu lors d’une soirée en<br />
présence de deux cents invités.<br />
P<strong>la</strong>Net en couleurs :<br />
<strong>la</strong> coopération à distance<br />
Les nouvelles technologies sont mises<br />
à contribution <strong>pour</strong> l’événement, et ce, d’une<br />
façon insoupçonnée. Qui aurait dit que, dans<br />
les premières années de l’Office, quelque<br />
trente ans plus tard, des activités entre le<br />
Semaine d’actions contre le racisme, activité « Des mots<br />
<strong>pour</strong> le dire », 2001. Sur <strong>la</strong> photo : un jeune rappeur dans<br />
le métro de Montréal.<br />
85
Québec et <strong>la</strong> France seraient générées et produites ensemble à plus de six mille kilomètres<br />
de distance. C’est ce dont témoigne l’activité P<strong>la</strong>Net en couleurs qui inaugure une nouvelle<br />
dimension à l’intérieur de <strong>la</strong> coopération : celle d’Internet. Objectif : réaliser à distance les<br />
éléments d’un site visant à sensibiliser le public contre le racisme. Qui plus est, ce site est<br />
réalisé par de jeunes décrocheurs dans le contexte d’un projet d’insertion professionnelle<br />
dont l’encadrement est assuré par un programme d’intégration <strong>pour</strong> les jeunes Québécois<br />
nommé CyberCap et le Conseil des re<strong>la</strong>tions interculturelles du Québec. Les équipes ont<br />
travaillé à distance et se sont retrouvées au Québec <strong>pour</strong> finaliser leurs productions et assister<br />
par <strong>la</strong> suite au dévoilement des résultats à l’hôtel de ville de Montréal en présence de<br />
nombreux dignitaires et de tous les partenaires de <strong>la</strong> Semaine d’actions contre le racisme.<br />
Se tourner vers les pays tiers<br />
L’idée d’étendre le champ des activités de l’Office n’est pas nouvelle. Elle a été discutée<br />
à de très nombreuses reprises au conseil d’administration de l’OFQJ et à <strong>la</strong> commission permanente,<br />
que ce soit en atelier, en comité restreint, autour d’un repas, au sein d’une commission,<br />
entre les ministres et les sous-ministres, entre Pierre, Jean, Jacques et tutti quanti.<br />
Autant de pa<strong>la</strong>bres qui n’ont jamais abouti. Le Québec craignant chaque fois de voir sa<br />
re<strong>la</strong>tion avec <strong>la</strong> France perdre de son caractère privilégié en se diluant dans un ensemble<br />
plus grand.<br />
L’action de l’OFQJ, d’abord ouverte aux départements et<br />
territoires français d’outre-mer, s’est ensuite é<strong>la</strong>rgie aux<br />
pays tiers. Fouilles archéologiques en Guyane en 2001.<br />
Il y eut quand même de petites exceptions.<br />
En 1971, par exemple, à <strong>la</strong> demande de<br />
l’Agence de coopération culturelle et<br />
technique, l’OFQJ accepte de créer un comité<br />
ad hoc qui va s’occuper de l’accueil de<br />
Louisianais et d’Africains en stage au<br />
Québec 183 . En 1990, il y a eu l’accueil de<br />
Roumains. On compte également un projet<br />
où des sculpteurs ont été échangés au cours<br />
d’un stage qui s’est fait en col<strong>la</strong>boration avec<br />
l’Office franco-allemand <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>. De<br />
même, un protocole d’entente existe entre<br />
l’OFQJ et les services de coopération du<br />
canton du Jura en Suisse, qui permet des<br />
échanges de stagiaires dans le cadre du<br />
programme « Formation et emploi ».<br />
Pour intéressants et prometteurs qu’aient<br />
été tous ces projets, ils demeurent néanmoins<br />
des épiphénomènes. À l’Office, l’idée d’une<br />
183 Compte rendu de <strong>la</strong> 4 e session du C.A., Jonquière, 3 et 4 juin 1971, p. 3,<br />
archives de l’OFQJ.<br />
86
coopération franco-québécoise tournée vers<br />
d’autres pays est restée très longtemps un vaste<br />
champ en friche, jusqu’à l’arrivée en poste de<br />
Michel Leduc en 1995 et de Jacques Fauconnier<br />
en 1997.<br />
«Ça faisait longtemps que le Québec était<br />
réticent à cette idée, explique Jacques<br />
Fauconnier. Mais après beaucoup d’hésitations,<br />
le fruit était mûr. Il faut bien comprendre<br />
qu’après tant d’années de coopération, <strong>la</strong><br />
France et le Québec se sont redécouverts.<br />
Comme cet objectif a été atteint, il faut<br />
maintenant positionner <strong>la</strong> coopération francoquébécoise<br />
dans <strong>la</strong> mondialisation 184 . »<br />
Cette convergence des points de vue<br />
amène <strong>la</strong> France et le Québec à modifier le<br />
protocole de 1968. Il est amendé afin d’officialiser<br />
le fait que des activités puissent avoir<br />
lieu avec des pays tiers.<br />
<strong>Un</strong>e expérience « édifiante » : Français, Québécois et<br />
Ivoiriens ont construit ensemble <strong>la</strong> Maison de l'Apprenti<br />
à Grand Bassam en Côte d'Ivoire, ouvrant ainsi <strong>la</strong> voie<br />
à une coopération dynamique entre plusieurs centres de<br />
formation professionnelle. Les participants ont <strong>la</strong> chance<br />
de mettre leurs acquis en pratique et d'apprendre de<br />
nouvelles techniques. (Grand Bassam, 2000)<br />
La Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays à bénéficier de cette nouvelle ouverture. En<br />
1999, un accord est signé à Nîmes entre Marie-Georges Buffet <strong>pour</strong> <strong>la</strong> France, Louise Beaudoin<br />
<strong>pour</strong> le Québec et Simone Tchinah <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Côte d’Ivoire. L’accord prévoit <strong>la</strong> construction<br />
d’un centre de formation et d’apprentissage <strong>pour</strong> les apprentis à Grand-Bassam, une ville<br />
située à quarante kilomètres d’Abidjan 185 . Pour ce faire, des étudiants du Centre <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />
formation professionnelle de Longueuil se rendent en Côte d’Ivoire donner un coup de main<br />
aux Ivoiriens. Cette démarche sera imitée par des étudiants français issus de différents centres<br />
de formation <strong>pour</strong> apprentis du bâtiment.<br />
Ce projet est intéressant à plus d’un titre. D’une part, il permet à de jeunes apprentis<br />
de participer à des actions de coopération internationale. C’est un public ciblé qui en est<br />
<strong>pour</strong> l’essentiel exclu et cette action renforce <strong>la</strong> volonté de l’Office de toucher toutes les<br />
catégories socio-économiques constituant <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>.<br />
Les jeunes apprentis concernés ont vécu une expérience interculturelle tout à fait inédite<br />
et ont acquis des compétences complémentaires à leur formation initiale. Pour ce qui est des<br />
formateurs, ils ont pu s’enrichir par <strong>la</strong> diversité des approches pédagogiques propre à chaque<br />
pays et échanger sur le concept de formation en alternance, vécu très différemment en Côte<br />
d’Ivoire, au Québec et en France.<br />
<strong>Un</strong>e des premières retombées pérennes de ce projet réside dans <strong>la</strong> perspective d’ouvrir<br />
à Abidjan des sections de charpenterie dans des établissements de formation et une option<br />
184 Entretien avec Jacques Fauconnier, 29/09/00.<br />
185 Magazine France-Québec, hiver 1999-2000. p. 59.<br />
87
« brique de terre comprimée » dans les<br />
cursus proposés par l’école Pierre-Dupuy<br />
à Longueuil.<br />
<strong>Un</strong>e entente est conclue avec les francophones<br />
hors Québec, signe que l’Office entre de p<strong>la</strong>inpied<br />
dans l’espace francophone.<br />
<strong>Un</strong> autre projet est mis en p<strong>la</strong>ce avec<br />
l’Algérie, organisé par l’Office et <strong>la</strong><br />
Fédération internationale des journalistes.<br />
Trois jeunes journalistes algériennes sont accueillies au Québec <strong>pour</strong> suivre une formation<br />
à l’<strong>Un</strong>iversité Laval, dans le cadre d’un programme en journalisme international. Cette formation<br />
en terre québécoise est complétée ensuite par des stages en France.<br />
Ouverture sur <strong>la</strong> francophonie<br />
Il n’y a pas qu’au niveau bi<strong>la</strong>téral que l’OFQJ se positionne vers de nouveaux horizons.<br />
<strong>Un</strong>e entente est conclue avec les francophones hors Québec, signe que l’Office entre de<br />
p<strong>la</strong>in-pied dans l’espace francophone. Ainsi chaque année, depuis 1995, de jeunes francophones<br />
de Sudbury, de Moncton ou de l’Alberta participent aux activités de l’Office. Celuici<br />
tisse d’ailleurs des liens du côté de l’AIF (l’Agence internationale de <strong>la</strong> francophonie).<br />
Surtout quand, en 1999, le Sommet de Moncton décide de faire de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> le thème central<br />
de ses délibérations et de créer au sein de l’Agence internationale de <strong>la</strong> francophonie un<br />
programme de mobilité <strong>jeunesse</strong> à l’échelle de <strong>la</strong> francophonie auquel va col<strong>la</strong>borer l’OFQJ.<br />
« Je pense vraiment que ce programme est porteur, déc<strong>la</strong>re Jacques Fauconnier. Et je<br />
crois même qu’on <strong>pour</strong>rait étendre ce genre de coopération à des programmes <strong>jeunesse</strong> de<br />
l’ONU et de l’<strong>Un</strong>ion européenne.<br />
C’est comme ça qu’on arrivera à<br />
positionner l’Office dans le nouveau<br />
contexte de mondialisation 186 . »<br />
L’OFQJ embrasse de nouveaux horizons avec l’émergence de projets<br />
qui réunissent des jeunes de plusieurs pays francophones autour de<br />
thématiques universelles. En 2002 à Marly-le-Roi en région parisienne,<br />
soixante-dix jeunes de différents pays ont participé à Fragments du<br />
monde, un vaste projet sur le métissage culturel.<br />
Ce contexte favorise l’émergence<br />
de projets d’un type nouveau<br />
qui réunissent des jeunes de divers<br />
pays autour de thématiques universelles<br />
telles que l’économie, l’environnement,<br />
<strong>la</strong> citoyenneté et l’interculturalité.<br />
Des projets qui donnent<br />
lieu à <strong>la</strong> création de réseaux internationaux<br />
grâce à l’appropriation<br />
des nouvelles technologies de <strong>la</strong><br />
communication. De nouveaux défis<br />
à relever, une histoire à suivre.<br />
186 Ibid.<br />
88
CONCLUSION<br />
Tout le long de son existence, l’Office aura connu plusieurs périodes de développement,<br />
chacune avec ses particu<strong>la</strong>rités. Dans sa première mouture, <strong>la</strong> vie de l’organisme a été<br />
caractérisée par des échanges de découverte. Pour être plus exact, on parle de « redécouverte<br />
». La France et le Québec avaient été si longtemps éloignés qu’il fal<strong>la</strong>it en quelque sorte<br />
repartir à zéro. De 1968 jusqu’au début des années 1980, le dynamisme prévaut. Les stages<br />
se font en groupes de vingt à quarante jeunes et, même si l’accent est parfois mis sur <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>ngue ou l’économie, <strong>la</strong> dimension formation demeure re<strong>la</strong>tivement limitée.<br />
Mais peu à peu l’Office se spécialise. Québécois et Français se connaissent mieux. Les<br />
stagiaires ont des demandes de plus en plus pointues. Ils ne veulent plus seulement savoir<br />
ce qui se fait en France ou au Québec dans leur domaine. Ils désirent réaliser des projets,<br />
acquérir des habiletés, faire des stages plus longs, se former, etc. L’OFQJ réagit en mettant<br />
de l’avant des stages individuels.<br />
Or, cette évolution ne veut pas dire <strong>pour</strong> autant que l’Office se retire complètement de<br />
<strong>la</strong> conceptualisation des activités, comme elle le faisait avec les stages de groupes. À compter<br />
de 1984, l’OFQJ organise de nombreux projets spéciaux qui correspondent souvent à des<br />
temps forts de l’actualité. L’âge d’or de cette période commence avec le voyage « Cap sur<br />
l’avenir », et se <strong>pour</strong>suit jusqu’au début des années 1990, avec <strong>la</strong> participation de l’OFQJ aux<br />
fêtes du 350 e anniversaire de Montréal. <strong>Un</strong>e vitalité qui s’est <strong>pour</strong>suivie avec le « Printemps<br />
du Québec en France » et avec « France au Québec – <strong>la</strong> saison », et bientôt sûrement avec<br />
de nouveaux projets. <strong>Un</strong>e participation qui apporte aux différents événements une touche<br />
de <strong>jeunesse</strong> et d’originalité.<br />
À l’ère des grands projets succède celle, toute récente, de l’ouverture vers les pays tiers,<br />
des rencontres portant sur des questions citoyennes, le patrimoine, les nouvelles technologies,<br />
le développement local et l’employabilité des jeunes.<br />
Si d’une période à l’autre les types d’activités varient, l’action de l’Office évolue également<br />
selon l’intérêt que les gouvernements y portent. En France, <strong>la</strong> période de Gaulle –<br />
Pompidou correspond à un intérêt très marqué de <strong>la</strong> droite française. Pour le général et son<br />
immédiat successeur, les re<strong>la</strong>tions avec le Québec sont prioritaires.<br />
Cette tendance ne sera pas <strong>la</strong> même sous Giscard d’Estaing. Ayant vécu au Québec à<br />
<strong>la</strong> fin des années 1940, celui-ci conserve de <strong>la</strong> Belle Province une image mitigée. Mais quand<br />
le Parti québécois est élu en 1976, le président centriste prend <strong>la</strong> mesure de l’événement. Il<br />
décide d’enfourcher à son tour le cheval des re<strong>la</strong>tions franco-québécoises. Ce qui se traduit<br />
par une nette revalorisation de l’OFQJ.<br />
89
Toutefois <strong>la</strong> plus grande surprise vient certainement de <strong>la</strong> gauche. Mitterrand n’avait<br />
jamais été un chaud partisan des re<strong>la</strong>tions franco-québécoises. Pourtant, l’OFQJ va connaître<br />
sous sa gouverne un é<strong>la</strong>rgissement de ses activités. Grâce à ses stages, l’Office devient non<br />
plus un instrument de rapprochement entre le Québec et <strong>la</strong> France mais plutôt un moyen<br />
de lutter contre l’exclusion et le chômage chez les jeunes. <strong>Un</strong> phénomène qui se <strong>pour</strong>suivra<br />
en 1997 lorsque <strong>la</strong> gauche reviendra au pouvoir.<br />
À l’instar de <strong>la</strong> France, personne au Québec n’a remis en question <strong>la</strong> pertinence de<br />
l’OFQJ. Daniel Johnson père en avait fait un instrument privilégié de sa politique d’ouverture.<br />
Robert Bourassa vou<strong>la</strong>it que l’OFQJ serve de re<strong>la</strong>is à sa politique linguistique. René<br />
Lévesque accordait une importance capitale aux re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong> France. Même à son retour<br />
au pouvoir, Robert Bourassa a renoncé à sabrer dans les crédits de l’OFQJ, en dépit du fait<br />
que les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises traversaient une période difficile. En 1994, <strong>la</strong> droite<br />
française avait une nouvelle fois réagi favorablement au désir du Parti québécois d’intensifier<br />
les re<strong>la</strong>tions franco-québécoises, notamment en incitant l’Office à s’occuper de formation<br />
professionnelle.<br />
Que ce soit en France ou au Québec, les thèmes et les clientèles prioritaires ont varié<br />
d’un gouvernement à l’autre. De <strong>la</strong> droite vers <strong>la</strong> gauche, du PQ au PLQ, on a, en fait, assisté<br />
à plusieurs mouvements de ba<strong>la</strong>ncier. Au début des années 1970, <strong>la</strong> clientèle visée était<br />
surtout composée de jeunes travailleurs, comme le vou<strong>la</strong>it le ministre Jean-Paul L’Allier. Les<br />
Français eux misaient davantage sur de jeunes leaders. Dans <strong>la</strong> seconde moitié des années<br />
1970, <strong>la</strong> clientèle a vieilli et les re<strong>la</strong>tions économiques sont devenues le leitmotiv de l’Office.<br />
Jusqu’à l’arrivée de <strong>la</strong> gauche qui a mis, à son tour, l’accent sur les jeunes travailleurs.<br />
À l’évidence, d’un parti à l’autre et à l’intérieur même des partis, les orientations varient<br />
et l’Office est confronté à ces variations. On semble quelquefois revenir à ce qui s’était fait<br />
dans le passé, mais les choses demeurent plus complexes. L’accumu<strong>la</strong>tion de 35 ans d’expérience<br />
collective, et qui plus est interculturelle, a permis à l’Office de développer une compétence<br />
en ingénierie de projets et en accompagnement de <strong>la</strong> formation à l’international qui le<br />
p<strong>la</strong>ce au meilleur niveau des organismes internationaux qui participent à <strong>la</strong> mobilisation des<br />
jeunes.<br />
Attaché à sa mission auprès de <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, l’Office demeure cependant au centre de<br />
l’actualité et des priorités franco-québécoises.<br />
Organisme bigouvernemental, il s’est malgré tout voulu dès le départ une incarnation<br />
d’une <strong>jeunesse</strong> aux multiples visages à l’image d’une génération désireuse de vivre une expérience<br />
à l’étranger seule ou en groupe par l’entremise d’une activité regroupée ou d’un stage<br />
en entreprise. L’Office franco-québécois <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> devait être tout, sauf répétitif et<br />
routinier. Si cet état d’esprit a été inégalement maintenu au fil des années, l’idéal lui, est resté<br />
intact et les compétences se sont développées et é<strong>la</strong>rgies.<br />
Au cœur de <strong>la</strong> mission de l’OFQJ, <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> continue d’inspirer ses artisans.<br />
90
BIBLIOGRAPHIE<br />
SOURCES PRIMAIRES<br />
Archives<br />
Archives des conseils d’administration de l’OFQJ<br />
Archives des stages de l’OFQJ<br />
Archives présidentielles : Fonds AN-5 AG 2/1021 ; AN-5<br />
AG 4/11 469<br />
Archives du ministère des Re<strong>la</strong>tions internationales du Québec<br />
Mémoires et témoignages écrits<br />
• Gaston Cholette, L’action internationale du Québec en<br />
matière linguistique, Québec, Presses de l’<strong>Un</strong>iversité Laval,<br />
1997.<br />
• Valéry Giscard d’Estaing, Je me souviens du Québec d’antan,<br />
Québec Match, numéro spécial, 1989, p. 36-37.<br />
• François Flohic, Souvenirs d’outre de Gaulle, Paris, Plon, 1979.<br />
• Jacques Foccart, Le journal de l’Élysée, « Tous les soirs avec<br />
de Gaulle », Paris, Fayard/Jeune-Afrique, 1997, tome 1.<br />
• Georges-Émile Lapalme, Le paradis du pouvoir, mémoires,<br />
Ottawa, Leméac, 1973.<br />
• Pierre-Louis Mallen, Vive le Québec libre, Paris, éditions Plon,<br />
1978.<br />
• C<strong>la</strong>ude Morin, L’art de l’impossible, Montréal, Boréal, 1987.<br />
• A<strong>la</strong>in Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, éditions Fayard, 2000,<br />
tome III.<br />
Entretiens<br />
Anne Ardouin<br />
A<strong>la</strong>in Beaugier<br />
Éric Bédard<br />
Madeleine Bourgeois<br />
Daniel Camp<br />
C<strong>la</strong>ude Charron<br />
A<strong>la</strong>in et Martine Chevil<strong>la</strong>rd<br />
Anne Cublier<br />
Monique Dairon Vallières<br />
Serge Duclos<br />
François Duffar<br />
Jacques Fauconnier<br />
Suzie Harvey<br />
Jean-Paul L’Allier<br />
Julien Lampron<br />
Michel Leduc<br />
André Maltais<br />
Ginette Pellerin<br />
Nathalie Prud’homme<br />
C<strong>la</strong>ude Quenault<br />
Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet<br />
Guy Rivard<br />
Maurice Segall<br />
Alexandre Stefanescu<br />
André Tétrault<br />
Sylvie Teveny<br />
Thierry Tu<strong>la</strong>sne<br />
Gilles Villemure<br />
SOURCES SECONDAIRES<br />
Monographies<br />
• Dale Thomson, de Gaulle et le Québec, Montréal,<br />
Éditions du Trécarré.<br />
• Jean Lacouture, de Gaulle, le Souverain, Paris, Seuil,<br />
octobre 1986, tome III.<br />
Journaux et revues<br />
L’Action<br />
Le Devoir<br />
F<strong>la</strong>mbeau de l’Est<br />
Le Monde<br />
Montréal Matin<br />
La Presse<br />
Revue France-Québec<br />
Le Soleil<br />
Articles de périodiques<br />
• Donald Baker, « Quebec on French minds », Queen’s<br />
Quarterly, vol. 85, n o 2, été 1978.<br />
• Maurice Croisat, « Le Québec, de Gaulle et l’opinion<br />
publique française », juillet et août 1967, 21 p., in : Quebec-<br />
France and the US : two special re<strong>la</strong>tionships, Center for<br />
European Studies, City <strong>Un</strong>iversity of New York, Workshop<br />
conference, 20 et 21 novembre 1986, New York.<br />
• Jean-Louis Élie, Vive le Québec libre et ses répercussions<br />
sur <strong>la</strong> presse française, mémoire dirigé par P. Guiral, I.E.P.<br />
Aix-en-Provence, 1974.<br />
• Nico<strong>la</strong>s Dimic, Les re<strong>la</strong>tions franco-canadiennes sous<br />
<strong>la</strong> présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dirigé par<br />
Alfred Grosser, I.E.P. Paris, 1985.<br />
• Traces et jalons, Montréal, OFQJ, 1988.<br />
92
SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX ET MINISTRES<br />
SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX<br />
QUÉBÉCOIS<br />
Jean-Paul L’Allier 1968-1970<br />
Jean-Guy Saint-Martin 1970-1975<br />
Pierre Bernier 1975-1978<br />
André Tétrault 1978-1985<br />
Alexandre Stéfanescu 1985-1989<br />
André Maltais 1989-1991<br />
Ginette Pellerin 1991-1995<br />
Michel Leduc 1995-<br />
FRANÇAIS<br />
Jean-C<strong>la</strong>ude Quyollet 1968-1974<br />
Francis Jacquemont 1975-1978<br />
Dominique Bussereau 1979-1982<br />
Anne Cublier 1982-1988<br />
C<strong>la</strong>ude Quenault 1989-1993<br />
Jacques Barrat 1993-1997<br />
Jacques Fauconnier 1997-2003<br />
MINISTRES FRANÇAIS ET QUÉBÉCOIS COPRÉSIDENTS DE L’OFQJ<br />
QUÉBÉCOIS<br />
Ministre délégué à <strong>la</strong> Jeunesse,<br />
Loisirs et Sports<br />
Jean-Marie Morin 1968-1970<br />
Ministre des Communications<br />
Jean-Paul L’Allier 1970-1976<br />
Haut-Commissariat à <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong><br />
et aux sports<br />
C<strong>la</strong>ude Charron 1976-1982<br />
Ministre des Affaires<br />
intergouvernementales<br />
Jacques-Yvan Morin 1982-1983<br />
Ministres Loisirs, Chasse et Pêche<br />
Guy Chevrette 1983-1984<br />
Jacques Brassard 1984-<br />
Yvon Picotte 1984-1985<br />
Ministre des Re<strong>la</strong>tions<br />
internationales<br />
Gil Rémil<strong>la</strong>rd 1985-1986<br />
Ministre délégué aux petites<br />
et moyennes entreprises<br />
André Vallerand 1986-1988<br />
Ministre des Affaires internationales<br />
Paul Gobeil 1988-1989<br />
FRANÇAIS<br />
Ministres de <strong>la</strong> Jeunesse<br />
et des Sports<br />
François Missoffe 1968-1969<br />
Joseph Comiti 1969-1972<br />
Paul Dijoud 1972-1976<br />
Pierre Mazeaud 1976-1978<br />
Jean-Pierre Soisson 1978-1981<br />
Edwige Avice 1981-1984<br />
A<strong>la</strong>in Calmat 1984-1986<br />
Secrétaires d’État délégués<br />
à <strong>la</strong> Jeunesse et aux Sports<br />
Christian Bergelin 1986-1988<br />
Roger Bambuck 1988-1991<br />
Ministres de <strong>la</strong> Jeunesse<br />
et des Sports<br />
Frédérique Bredin 1991-1993<br />
Michèle Alliot-Marie 1993-1995<br />
Guy Drut 1995-1997<br />
Marie-Georges Buffet 1997-2002<br />
Ministre de <strong>la</strong> Jeunesse,<br />
de l’Éducation nationale<br />
et de <strong>la</strong> Recherche<br />
Luc Ferry 2002-<br />
Ministre des Affaires internationales<br />
et responable de <strong>la</strong> Francophonie<br />
Guy Rivard 1989-1994<br />
Ministre de <strong>la</strong> Culture et des<br />
Communications et Ministre<br />
responable de <strong>la</strong> Francophonie<br />
Liza Frul<strong>la</strong> 1994-<br />
Vice-premier ministre,<br />
Ministre des Affaires internationales,<br />
de l’Immigration<br />
et des Communautés culturelles,<br />
Ministre responsable<br />
de <strong>la</strong> Francophonie<br />
Bernard Landry 1994-1996<br />
Ministre des Re<strong>la</strong>tions<br />
internationales et responsable<br />
de <strong>la</strong> Francophonie<br />
Sylvain Simard 1996-1998<br />
Louise Beaudoin 1998-<br />
93
CRÉDITS ICONOGRAPHIQUES<br />
Couverture avant<br />
• Jules Rochon/Archives nationales du Québec à Québec : de Gaulle sur le chemin du Roy ;<br />
• Pierre Dilighen : La Trâlée du Joual vert.<br />
Couverture arrière (dans le sens des aiguilles d’une montre)<br />
• Mermoz : Archives OFQJ-Québec<br />
• Chantier en Côte d’Ivoire : Archives OFQJ-Québec<br />
• Pré-salés : Matthieu Clotteau et Jacques DeBlois, Archives OFQJ<br />
• Chez les Inuits : Archives OFQJ (1990)<br />
• Vêpres de <strong>la</strong> Vierge : Archives OFQJ (1986)<br />
• Sports nautiques : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de <strong>la</strong> Culture<br />
et des Communications<br />
• Jacques Chirac et Jean-François Doray : CAP FQ/Archives OFQJ (1995)<br />
• La troupe de La Bardasse à Saint-Malo : Archives OFQJ (2001)<br />
• Stage de haute couture, Louis Camperau et Yves Saint-Laurent : Archives OFQJ (1999)<br />
• On p<strong>la</strong>nte un arbre en commémoration de <strong>la</strong> Révolution française, Pa<strong>la</strong>is de <strong>la</strong> Civilisation de Montréal :<br />
Archives OFQJ (1989)<br />
• De Gaulle sur le Chemin du Roy, Jules Rochon : Archives nationales du Québec à Québec<br />
Intérieur<br />
• pp. : 13-17-29-30-32-33-48-54-59-60-64-65-66-67-68-71-72-73-74-77-78-80-81-83-84-86 : Archives OFQJ - Québec<br />
• pp. 8-9 : Photos officielles, cabinet du ministre de <strong>la</strong> Jeunesse, de l’Éucation nationale et de <strong>la</strong> Recherche<br />
(France) ; cabinet de <strong>la</strong> ministre des Re<strong>la</strong>tions internationales (Québec)<br />
• p. 12 : Jules Rochon/Archives nationales du Québec à Québec : De Gaulle sur le chemin du Roy<br />
• p. 18 : Patricia Lefebvre : Exposition Mémoires montagnaises (1993)<br />
• p. 23 : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de <strong>la</strong> Culture<br />
et des Communications<br />
• p. 24 : Office du film du Québec (63-2736)<br />
• p. 36 : Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Fonds du ministère de <strong>la</strong> Culture<br />
et des Communications<br />
• pp. 46-51 : Archives André Tétrault<br />
• p. 57 : Photothèque La Presse<br />
• p. 63 : Jocelyn Moffat<br />
• p. 69 : Daniel Lessard/Ministère des Communications du Québec<br />
• p. 70 : Bernard Vallée/Ministère des Communications du Québec<br />
• p. 75 : Louise Leb<strong>la</strong>nc<br />
• p. 76 : Bureau du protocole du gouvernement du Québec<br />
• p. 79 : Affiche de Janice Nadeau, Concours Heureux d’un Printemps (1999)<br />
• pp. 80 (bas)-82 : Jean-François Leb<strong>la</strong>nc<br />
• p. 85 : Sophie D’Ayron<br />
• p. 87 : Madeleine Bourgeois/OFQJ<br />
• p. 88 : Fragments du monde<br />
95
Achevé d'imprimer<br />
sur les presses de l'imprimerie Solisco<br />
en février 2003