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Waroquier, sculpteur du visage - Presse

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La Rochelle Musée des Beaux-Arts<br />

Henry de <strong>Waroquier</strong> (1881-1970),<br />

<strong>sculpteur</strong><br />

Œdipe et Le Verbe<br />

11 Juin - 20 septembre 2010<br />

Communiqué 02<br />

<strong>Waroquier</strong>, <strong>sculpteur</strong> <strong>du</strong> <strong>visage</strong> 03<br />

Le catalogue 12<br />

Le musée des Beaux-Arts de La Rochelle 13


Communiqué<br />

Henry de <strong>Waroquier</strong> <strong>sculpteur</strong> (1881-1970) :<br />

Œdipe et le Verbe<br />

02<br />

Peintre, <strong>sculpteur</strong> et graveur, Henry de <strong>Waroquier</strong> est né à Paris en 1881. Sa famille habite<br />

rue Laffite et pendant ses études, le jeune Henry fréquente dans la même rue les galeries<br />

Vollard et Durand Ruel où l’impressionnisme et l’art moderne sont montrés pour la première<br />

fois. <strong>Waroquier</strong> ne suit aucun cours de peinture mais travaille et rencontre de nombreux<br />

artistes à Montmartre, puis à Montparnasse où il habite de 1898 à 1919. Il voyage beaucoup,<br />

en Italie, en Grèce, en Espagne, en Palestine et en Egypte. Ses grands paysages d’Espagne<br />

de 1917 montrent qu’il n’a pas été insensible au cubisme, mais il poursuit une démarche<br />

solitaire, indépendante, dirigée vers l’étude de la figure humaine. En 1937, il exécute son<br />

œuvre la plus célèbre, décoration pour le Palais de Chaillot, La Tragédie, et s’inspire de plus<br />

en plus de thèmes mythologiques.<br />

Pendant les années 1930 et 1940, <strong>Waroquier</strong> pro<strong>du</strong>it des sculptures tout à fait étonnantes,<br />

lyriques, angoissées et angoissantes, qui sont le sujet de cette exposition. Pour Paul Claudel<br />

qui l’appelle "Le Voyant", <strong>Waroquier</strong> "est un homme qui a pris le monde au tragique". Ses<br />

<strong>visage</strong>s sculptés sont "inoubliables", écrit Georges Duhamel. Ces auteurs, ainsi qu’Alain et<br />

Bachelard ont remarqué la véhémence de ces <strong>visage</strong>s, avec les yeux tournés vers le ciel<br />

comme Le Verbe (1934-1947), ou les yeux crevés "entrés en ténèbre" de son Œdipe (1934-<br />

1950) et ont évoqué l’Île de Pâques, l’Egypte et d’autres civilisations lointaines, dont a pu<br />

également s’inspirer Picasso dans ses propres sculptures. Aujourd’hui, ces sculptures<br />

paraissent d’une modernité étonnante, dignes de figurer parmi les grandes œuvres de la<br />

première moitié <strong>du</strong> XXe siècle, à côté des sculptures de Brancusi, Derain et Picasso.<br />

Jean-Loup Champion, commissaire de l’exposition, a réuni ici un ensemble inédit de ces<br />

sculptures, qui constitue une véritable révélation.<br />

Le catalogue de l'exposition est édité par Gallimard, dans la collection Livres d’art.<br />

[format : 19,5 x 25,5 cm - 180 illustrations en couleurs - 144 pages - prix public : 30,00 € -<br />

auteur :<br />

Jean-Loup Champion, avec des textes de Gaston Bachelard et Paul Claudel.<br />

Contacts presse<br />

• <strong>Presse</strong> La Rochelle : Annick Notter, conservateur en chef des musées d’Art et d’Histoire<br />

tél. 05.46.41.46.50 – annick.notter@ville-larochelle.fr<br />

• Service presse Gallimard : Béatrice Foti, attachée de presse<br />

tél. +33.(0)1.49.54.42.10 - beatrice.foti@gallimard.fr


<strong>Waroquier</strong>, <strong>sculpteur</strong> <strong>du</strong> <strong>visage</strong><br />

Texte de Jean-Loup Champion extrait <strong>du</strong> catalogue de l'exposition<br />

03<br />

Mort d’un « indépendant »<br />

À l’annonce de la mort d’Henry de <strong>Waroquier</strong>, le 28 décembre 1970, tous les journaux<br />

publièrent des articles où l’épithète d’« indépendant » était souvent accolée à son nom ; le<br />

plus long fut un émouvant hommage de Claude Roger-Marx dans Le Figaro littéraire, et le<br />

plus court, quelques lignes signées Jacques Michel dans Le Monde. On y lit que l’artiste « a,<br />

<strong>du</strong>rant sa longue vie, accompagné l’histoire de l’art moderne sans y avoir vraiment participé».<br />

C’est ce dernier jugement qui prévaut près de quarante ans après, et pendant cette période<br />

de purgatoire, <strong>Waroquier</strong> a lentement disparu de l’histoire de l’art.<br />

Au terme de quelques années d’études et de recherches, il semble équitable de donner à la<br />

sculpture de <strong>Waroquier</strong> la chance d’être enfin considérée dans l’histoire de la sculpture<br />

moderne. C’est une histoire qui, depuis cinquante ans, fluctue au rythme des études,<br />

américaines, françaises, européennes autour d’une grande question : qui, parmi tous ces<br />

artistes, a droit à l’attention <strong>du</strong> public et à une place dans les musées (et pas dans les<br />

réserves) ? <strong>Waroquier</strong> a pratiqué la sculpture pendant vingt ans sans jamais la montrer.<br />

Quand il s’y est finalement décidé en 1952, il était trop tard pour que sa place dans l’époque<br />

soit reconsidérée.<br />

Ressusciter un artiste<br />

Raconter la vie et l’oeuvre de <strong>Waroquier</strong> demanderait tout un volume alors que l’artiste ne<br />

commence la sculpture qu’à l’âge de cinquante-trois ans. Les indications indispensables pour<br />

suivre sa carrière sont regroupées dans les « Repères biographiques ». Lorsque <strong>Waroquier</strong>, à<br />

son retour de Grèce en 1934, se jette dans la sculpture d’une manière vorace et exclusive, il a<br />

derrière lui la vie d’un artiste célèbre, comblé, dont les oeuvres ont fait l’objet d’innombrables<br />

expositions. Il a fait fortune avec ses vues de Venise, ven<strong>du</strong>es par d’importantes galeries<br />

comme Druet, Bernheim-Jeune et bien d’autres encore.<br />

Cette étude de la sculpture de <strong>Waroquier</strong> a demandé provoquer de nombreuses recherches<br />

et de non moins nombreuses découvertes, d’abord grâce à Fabrice Riva qui a recueilli le très<br />

imposant fonds d’œuvres et d’archives ven<strong>du</strong> par les descendants de l’artiste. C’est par les<br />

expositions qu’il a organisées à la galerie Mazarini à Lyon puis à la galerie Amicorum à Paris<br />

que les amateurs, dont l’auteur de ces lignes, ont découvert l’ampleur de l’œuvre de<br />

<strong>Waroquier</strong> et en particulier sa sculpture.<br />

Grâce à lui, des collectionneurs ont, en quelques années, constitué des ensembles majeurs<br />

dont l’examen a considérablement aidé la préparation de cette exposition et de son<br />

catalogue. <strong>Waroquier</strong> a fait à l’État un important legs comprenant peintures, dessins et<br />

sculptures, répartis aujourd’hui entre le Musée national d’art moderne et les musées de<br />

Boulogne-Billancourt, de Mont-de-Marsan et d’Angers. Ce legs comprenait aussi « six<br />

étagères » de documents conservés à la Bibliothèque Kandinsky <strong>du</strong> Centre Pompidou dont<br />

l’énorme manuscrit <strong>du</strong> Jugement dernier, ensemble de textes que <strong>Waroquier</strong> a écrits,<br />

rassemblés, repris pendant quarante ans et dont la description figure en annexe de « Vingtquatre<br />

fois Œdipe ». Mine inépuisable de poèmes, de pensées, de correspondances, qui font<br />

entrer de plain-pied dans l’univers de cet étrange artiste.


L’enfance d’un artiste racontée par lui-même<br />

Comme il l’a tant de fois raconté et revendiqué, <strong>Waroquier</strong> s’est é<strong>du</strong>qué seul sans jamais<br />

passer par l’École des beaux-arts, ni par aucune académie. Né en 1881 à Paris, dans une<br />

famille aristocratique, il revendiquait par son ascendance maternelle de grands ancêtres,<br />

Lavoisier pour la science et l’ébéniste Charles-André Boulle pour les arts décoratifs, auxquels<br />

il ajoutait un grand-père paternel artiste-peintre puis inventeur intéressé par l’automobile.<br />

Ainsi, tous les talents qu’il briguait semblaient-ils déjà dans ses gènes. Ces premières<br />

indications sur son enfance montrent une volonté l’indépendance, comme l’autoportrait d’un<br />

artiste qui ne devrait rien à personne d’autre qu’à lui-même. Sa famille est bourgeoisement<br />

installée rue Laffitte, « face aux galeries Vollard et Durand-Ruel ». À quatorze ans, élève au<br />

collège Rollin, il va faire son é<strong>du</strong>cation artistique dans ces galeries qui en 1895 montraient<br />

l’avant-garde, c’est-à-dire Cézanne et les impressionnistes, mais aussi les romantiques, cette<br />

« école de 1830 ». Son « goût et son désir de peindre » sont confirmés par ses visites chez<br />

Bing, rue Chauchat, à deux pas de la rue Laffitte, où il découvre les arts d’Orient et<br />

d’Extrême-Orient.<br />

Il s’installe en 1898 à Montparnasse dans un désordre très bohème. Il fréquente l’École des<br />

arts décoratifs où il fut pour l’architecture, élève de Charles Genuys (1852-1928), maître de<br />

rigueur qui recourait aux matériaux de son temps, le béton et le fer mais ajoutait aussi le<br />

bronze et la porcelaine. Pour la mythologie et l’histoire des Grecs, il est élève de Louis<br />

Ménard (1822-1901), figure remarquable, helléniste, historien des religions, philosophe,<br />

poète, peintre, chimiste. Le portrait de l’indépendant est ainsi terminé et tout ce qui est<br />

important dans l’œuvre de l’artiste pris en compte.<br />

Dans les premières années <strong>du</strong> siècle il se consacre aux arts décoratifs, termine ses études en<br />

1901 et reçoit ses premières commandes en 1903, année où il devient professeur à l’école<br />

Estienne. Il y enseignera jusqu’en 1919. <strong>Waroquier</strong> veut surtout se présenter comme un<br />

artiste qui ne sort pas <strong>du</strong> moule normatif de l’École des beaux-arts. En revanche, il<br />

revendique son appartenance aux arts décoratifs et son goût pour les techniques. Il innovera<br />

beaucoup en faisant varier matériaux et techniques (peignes en corne au début, reliures,<br />

tapisseries, broderies dont plusieurs exemples, conservés à Paris au musée des Arts<br />

décoratifs, figurent dans l’exposition). Ces excursions ont été déterminantes pour son œuvre<br />

de <strong>sculpteur</strong>, un art qui l’a tenté très jeune, mais qu’il ne pratiquera pas avant la cinquantaine.<br />

04<br />

Une carrière immédiate<br />

Dès 1908, <strong>Waroquier</strong> voyage en Bretagne puis en Italie. Pour les paysages, ces deux<br />

destinations resteront les sources essentielles de son inspiration, avec l’Espagne, qu’il<br />

découvre en 1917 et où il réalise une série de paysages impressionnants marqués par le<br />

cubisme. Enfin les années vingt voient le triomphe commercial d’une multitude de peintures,<br />

aquarelles et dessins consacrés à Venise et leur succès tant auprès des écrivains et des<br />

poètes comme Rilke qu’auprès des gens <strong>du</strong> monde. Le prince de Faucigny-Lucinge lui<br />

commande un paravent. Les « Repères biographiques »égrènent les innombrables<br />

expositions en France et à l’étranger auxquelles <strong>Waroquier</strong> participe à partir de 1906. Il est un<br />

artiste célèbre, riche, reconnu, et ce succès se renforce dans les années trente.<br />

En 1937, <strong>Waroquier</strong> peint son œuvre la plus célèbre, La Tragédie, une grande peinture<br />

décorative, destinée au foyer <strong>du</strong> Palais de Chaillot, commande de l’Exposition de 1937. Ses<br />

œuvres occupent une salle entière dans l’exposition <strong>du</strong> Petit-Palais Les Maîtres de l’Art<br />

indépendant 1895-1937. L’année suivante, il expose au Salon d’Automne Espagne (1938),<br />

une femme hurlante se déchirant la poitrine, symbolisant le drame <strong>du</strong> pays meurtri par la<br />

guerre civile. Pendant les années trente, comme beaucoup d’autres artistes, il a défen<strong>du</strong> les<br />

valeurs de la tradition moderne fondatrices de l’Exposition de 1937, mais il en a aussi forcé le<br />

trait dans des allégories historiques comme Espagne, alors repro<strong>du</strong>ite partout. Le pathos<br />

déclamatoire de cette œuvre – et aussi à un autre niveau le désengagement politique et<br />

probablement la carrière de son auteur – a con<strong>du</strong>it à l’effacer presque jusqu’à l’oubli, loin, très<br />

loin derrière Guernica.<br />

Au cours de ces mêmes années, à travers toutes les techniques et les médiums – la peinture<br />

et le dessin, mais aussi et simultanément la gravure et la sculpture –, <strong>Waroquier</strong> se tourne


définitivement vers l’étude <strong>du</strong> <strong>visage</strong> humain en tant que miroir <strong>du</strong> tragique.<br />

1934, la naissance d’un <strong>sculpteur</strong><br />

05<br />

« Au retour d’un voyage en Grèce et en Orient, d’où je revins illuminé ».<br />

<strong>Waroquier</strong> ne présente aucune sculpture à l’Exposition de 1937 ; il est inconnu comme<br />

<strong>sculpteur</strong> alors qu’au Petit-Palais on peut voir des salles entières emplies d’œuvres de<br />

Despiau, Maillol ou Lipchitz. Pourtant, trois ans auparavant, il réalise la plupart des sculptures<br />

qu’il reprendra et retravaillera en secret pendant quinze ans tout en les gardant secrètes dans<br />

ce qu’il nomme « la chambre funéraire ».<br />

Il commence à sculpter tout d’un coup au retour d’un voyage en Grèce et en Orient effectué<br />

avec son épouse Suzanne. « Suzanne sait mon désir. Au retour de mon premier voyage en<br />

Grèce, elle dépose sur ma table trente pains de cire. Je me jette sur cette manne. Je la pétris<br />

en des formes tour à tour détruites et renouvelées. Entre-temps, je prends des clichés.<br />

Quelques épreuves agrandies, voilà ce qui me reste. Octobre 1934 » Ce passage <strong>du</strong><br />

Jugement dernier montre à la fois son enthousiasme sans retenue et sa façon de procéder.<br />

S’il détruit ses œuvres, il fixe toutes les étapes de son travail au moyen de la photographie.<br />

Ce sont ces clichés qui permettent aujourd’hui de suivre son long cheminement autour de la<br />

figure d’Œdipe.<br />

La sculpture de <strong>Waroquier</strong><br />

« Toute la sculpture est incluse entre le rocher et l’œuf. L’œuf exige la perfection, le rocher<br />

naît de la passion ».<br />

Pendant la seule année 1934, <strong>Waroquier</strong> modèle avec fougue une centaine de figurines, de<br />

masques, de bustes, de statuettes grotesques et d’animaux chimériques. Ce sont ces petits<br />

modèles qui seront détruits ou repris à l’infini et agrandis. De la cire il passe à la terre, puis<br />

au plâtre et enfin au bronze. Les dimensions sont toujours plutôt modestes chez <strong>Waroquier</strong> et<br />

les plus grands bustes ne dépassent pas soixante centimètres de hauteur.<br />

Pour nombre d’œuvres appartenant à son œuvre sculpté, qui s’étend jusqu’à la fin des<br />

années cinquante, il semble qu’il a toujours expérimenté des techniques diverses. En cela<br />

son inventivité se rapproche de celle Picasso, surtout pour les petites figurines, les<br />

grotesques, les galets et les coquillages peints. En revanche, les grandes têtes sont<br />

dominées par l’idée, le symbole, plutôt que par la forme comme chez Picasso.<br />

Mais tout comme ce dernier, <strong>Waroquier</strong> établit un rapport très physique avec la sculpture :<br />

« Quand, au musée, je me perds en la contemplation d’une belle statue, je ressens<br />

simultanément le désir et la crainte de confronter, d’éprouver le spirituel par l’attouchement<br />

sensuel et sacrilège ; cependant, dans le moment même où le gardien tourne le dos, je ne<br />

puis résister au plaisir défen<strong>du</strong>, – à celui dont je me défends sans parvenir à m’obéir :<br />

caresser, avec quelle émotion, la perfection des formes. »<br />

La partie la plus importante de l’œuvre sculpté de <strong>Waroquier</strong> concerne la figure humaine et<br />

l’universalité de sa symbolique tragique. Il écrit dans Le Jugement dernier que « Le Verbe,<br />

L’Homme, Œdipe, Le Gisant, L’Otage, portent sur des sujets d’une exaltation intemporelle et<br />

généralisée ».<br />

Pour comprendre la complexe logique de création de ses figures, il est nécessaire d’en<br />

esquisser un classement et, ce faisant, de respecter l’ordre toujours provisoire dans lequel<br />

<strong>Waroquier</strong> les présentait en 1949 dans Le Jugement dernier quand il écrit : « 1946-1947 : je<br />

n’ai pas touché à une brosse depuis 1944. Ces deux dernières années, je les ai vécues en<br />

<strong>sculpteur</strong>. Nourries dans la mémoire par le désir, mûries par une longue attente, j’ai repris de<br />

petites pièces en terre cuite ou en plâtre datées 1934-1935. Transposées, développées en<br />

états successifs jusqu’à leur exécution en matière définitive – terre cuite ou bronze – et en<br />

grandeur naturelle. »<br />

Suit alors une liste, incomplète, selon les propres dires de l’artiste, où paraissent les figures<br />

ou bustes, puis les premières œuvres tirées en bronze. Cette liste est discutable puisqu’il n’y<br />

mentionne aucun des nombreux masques et grotesques, montrés dans la présente<br />

exposition, et qu’il réalisa sans les fondre dans le bronze.


FIGURES DE L’HUMAIN<br />

06<br />

Ses bustes furent exposés dans leur ensemble au Musée national d’art moderne en 1952.<br />

Creuser le <strong>visage</strong> humain, le pénétrer, l’appréhender, le résumer dans son tragique<br />

élémentaire est une quête que <strong>Waroquier</strong> pratique à l’extrême, jusqu’à en extraire la<br />

métaphore d’un <strong>visage</strong> unique, un <strong>visage</strong> universel qu’il remodèle sans cesse, qu’il torture,<br />

auquel il ôte les yeux, les rajoute encore, puis les crève comme chez Œdipe. En résultent ces<br />

têtes ravagées, momifiées, comme découvertes dans le désert, où elles auraient été enfouies<br />

pendant des siècles.<br />

La figure symbolique<br />

« À ces objets mystérieux et sacrés convient le bronze. »<br />

Le Verbe, 1934-1949, est une des sculptures que <strong>Waroquier</strong> a le plus longtemps travaillé.<br />

Une collection privée conserve aujourd’hui les deux plâtres originaux desquels l’artiste a tiré<br />

quatre terres cuites, chacune reprise et patinée par lui-même. Il en fit tirer deux bronzes, dont<br />

l’extraordinaire exemplaire à patine dorée <strong>du</strong> musée de Mont-de-Marsan qui porte une<br />

inscription le désignant comme « meilleur » exemplaire. Légèrement renversé, comme issu<br />

de la Grèce archaïque, la nuque évasée comme dans les temples de Summer, le nez large<br />

comme une colonne de temple, le <strong>visage</strong> muet, ten<strong>du</strong> vers le haut : « Le Verbe à la bouche<br />

close, celui qui n’a nul besoin des mots pour répandre la lumière. » Son ample chevelure de<br />

Kouros rayonnant le fait ressembler à la figure de saint Matthieu coiffé d’un voile dans le film<br />

de Pasolini. Sa peau présente un aspect rugueux, grumeleux, dont la surface rappelle le<br />

primitivisme de certains artistes parmi ses contemporains.<br />

On peut rattacher au Verbe l’étonnant buste appelé simplement Tête, 1934-1947, hiératique<br />

et totalement droit, dont on connaît le plâtre original, des terres cuites et des bronzes.<br />

Figures féminines<br />

Les figures féminines de <strong>Waroquier</strong> se regroupent autour de la jeunesse, avec une forte<br />

fragrance venue de Crète ou de l’Égypte copte. Il a modelé plusieurs bustes de jeune fille,<br />

dont le plus impressionnant, peut-être le plus « crétois » d’entre eux, est celui en grand format<br />

de L’Adolescente, dont le petit sourire pincé et le cou gracile rappellent la Parisienne <strong>du</strong><br />

palais de Knossos à Héraklion. Deux variantes en bronze aux fontes magnifiques figurent<br />

dans l’exposition.<br />

Dans la même veine « crétoise » se trouve la Jeune fille, dont la fonte à la cire per<strong>du</strong>e de la<br />

première version de 1935 retient les empreintes des pouces <strong>du</strong> <strong>sculpteur</strong>, avec sa coiffure<br />

extravagante qui s’incurve au sommet d’une sorte de petit chignon, encore plus étonnante<br />

vue de profil, comme <strong>Waroquier</strong> la représente dans un dessin préparatoire à la version<br />

agrandie dont il fera fondre deux exemplaires en 1947.<br />

L’on ajoutera ici la figure plus brancusienne et plus grecque <strong>du</strong> Modèle en bronze de<br />

Boulogne- Billancourt, avec son énigmatique sourire de Korè.<br />

Les Anges<br />

Le primitivisme de <strong>Waroquier</strong> est essentiellement méditerranéen et la série des Anges prend<br />

son essor à partir d’une figure, peut-être copte, vue au cours de son voyage en Égypte en<br />

1934, et dont il tirera d’innombrables variations.<br />

Tous les Anges, avec leur grand nez à base carrée mais à l’extrémité retroussée, des joues<br />

pleines et hautes, des yeux exorbités en fort relief, semblent issus de la sculpture archaïque<br />

crétoise, voire égyptienne, comme les « portraits funéraires d’Antinoé ».<br />

La figure d’origine de l’Ange est probablement celle qu’il appelle L’Ange à l’égyptienne dont il


a tiré plusieurs terres cuites. Ainsi que l’on peut le vérifier sur les photos de <strong>Waroquier</strong>, le<br />

plâtre original a connu divers modifications au cours des années. <strong>Waroquier</strong> a repris ensuite<br />

le buste en ajoutant de la polychromie et en recouvrant totalement les yeux de peinture noire.<br />

Les anges de <strong>Waroquier</strong> sont sujets à la métamorphose. Parmi de nombreuses variantes,<br />

petites ou grandes, citons : calé sur un cube, l’Ange au cube en terre cuite patine rouge et<br />

terre cuite patine noire ; l’Ange aux cheveux courts en grand et petit format de plâtre, terre<br />

cuite et bronze ; ou à la longue chevelure, l’Ange funéraire, exemplaire unique en terre cuite ;<br />

la tête surmontée d’un vase, comme le merveilleux Canéphore polychrome de Boulogne-<br />

Billancourt ; enfin l’ange en Cariatide (localisation inconnue), repro<strong>du</strong>it sous toutes ses faces<br />

dans les photos de <strong>Waroquier</strong>.<br />

07<br />

Figures renversées<br />

Dans de nombreux bustes, les têtes sont renversées en arrière ou ont les yeux levés, à<br />

l’exception d’Œdipe qui penche vers l’avant.<br />

La tête la plus renversée en arrière, couchée même, est celle <strong>du</strong> Guerrier, 1947, dont le plâtre<br />

original, une terre cuite et un bronze figurent dans l’exposition. Encore une fois, la posture<br />

résulte d’une volonté fortement symbolique de l’artiste : « En sculptant Le Guerrier, l’histoire<br />

n’a pas de prise sur l’homme pensé dans le bronze. Je ne vis en lui aucune guerre précise<br />

dans le temps, mais l’offrande totale et sereine de l’homme de tous les temps, dans la<br />

condition fatale héroïque et totale <strong>du</strong> don de sa vie pour sauver sa famille, sa terre et son<br />

honneur. »<br />

<strong>Waroquier</strong> a beaucoup photographié et fait repro<strong>du</strong>ire, presque autant que Le Verbe, le plâtre<br />

original <strong>du</strong> Visage au nez cassé, 1944, qui ressemble aux têtes grecques archaïques<br />

d’Apollon.<br />

Figures de la douleur<br />

Le premier buste de Douleur, commencé dès 1934 et repris jusqu’en 1947, est semble-t-il une<br />

variante de Tête (mêmes dates), mais penchée en arrière. Le même titre se rattache à une<br />

autre œuvre, la plus belle, la plus bouleversante et la plus symbolique des têtes de<br />

<strong>Waroquier</strong>, qui figure sur la couverture <strong>du</strong> présent ouvrage. Il s’agit de la tête couchée,<br />

trouée, Douleur, 1947, conservée au musée Despiau- Wlérick de Mont-de-Marsan, un « éclat<br />

d’or funèbre». C’est à son propos que l’on peut citer l’artiste : « Poursuivre sur les <strong>visage</strong>s la<br />

trace de la douleur comme le signe le plus humain de la beauté. »<br />

On dirait la tête <strong>du</strong> Verbe sans sa coiffure, avec le crâne troué et de profondes estafilades<br />

partout sur le <strong>visage</strong>. C’est une tête abandonnée sur le côté, comme la tête de Brancusi mais<br />

en même temps totalement son contraire, l’œuf lisse des origines s’est transformé en une<br />

figure brisée, battue par les flots, le vent, le sable et tous les éléments. Elle repose sur le sol,<br />

isolée, comme la tête de la statue de la Liberté sur le sable dans La Planète des singes.<br />

GROTESQUES, HYBRIDES<br />

ET ANIMAUX CHIMERIQUES<br />

En même temps que les bustes, les masques et les petites figurines, <strong>Waroquier</strong> crée toute<br />

une série de statuettes qu’il nomme Grotesques, ou quelquefois Burlesques, et sur lesquelles<br />

il ne cesse d’expérimenter. Ces petites terres cuites peuvent rappeler Tanagra mais surtout<br />

l’Égypte romaine ou le monde hellénique. Beaucoup ont été détruites mais toutes, semble-t-il,<br />

ont été photographiées par l’artiste.<br />

Dans de nombreux cas, <strong>Waroquier</strong> change les têtes de plusieurs de ses créatures grotesques<br />

en gardant les corps. Les nombreuses photos qu’il a prises nous en offrent deux exemples.<br />

Tout d’abord avec le Personnage double-face qui figure dans l’exposition, terre cuite


polychrome datée de 1934. Avant de se décider pour cette tête double-face, <strong>Waroquier</strong> a<br />

utilisé le corps seul de ce personnage pour y poser diverses têtes grotesques, une tête de<br />

style grec archaïque, quelquefois couronnée d’un coquillage, en prenant à chaque fois une<br />

photo de la composition. Un autre exemple est celui de La Sorcière, terre cuite polychrome<br />

qui fait partie <strong>du</strong> legs de l’artiste, dont le corps a également supporté d’autres têtes<br />

grotesques. L’inscription « corps de la sorcière » sous le socle de la statuette en est la<br />

preuve. La tête de la sorcière a d’ailleurs été photographiée seule, à côté <strong>du</strong> Mexicain, dans<br />

une de ces photos mises en scène par l’artiste. De nombreuses têtes grotesques sont<br />

conservées, sur des socles de l’artiste, dans des collections particulières.<br />

08<br />

Hybrides et animaux chimériques<br />

Le modelage permet la métamorphose par le rajout d’éléments et de formes. L’animal hybride<br />

est aussi au cœur de la mythologie, des métamorphoses et de leur revival dans l’entre-deuxguerres.<br />

Le rêve considéré comme une forme de la pensée primitive préexiste chez les<br />

romantiques et les symbolistes. À la suite de grands ancêtres comme le Centaure blessé de<br />

Bourdelle, ou les faunes et satyres de Stuck, <strong>Waroquier</strong> a créé des animaux fantastiques, des<br />

créatures hybrides, qui sont parmi ses plus grandes réussites plastiques. Comme le note<br />

Jean Cassou, le <strong>sculpteur</strong> restitue « l’état de participation où se trouve la mentalité humaine à<br />

son éveil […] dans les petites sculptures d’animaux plus ou moins fantastiques auxquelles se<br />

joue <strong>Waroquier</strong> et qui semblent en effet n’être pro<strong>du</strong>ites que par une imagination spontanée<br />

».<br />

Tout d’abord l’hybride le plus grand, le plus impressionnant, résultant d’une mutation<br />

enregistrée par la photographie, qui le fait passer de l’état d’homme à celui d’animal fabuleux<br />

est Le Taureau à six cornes. D’une taille équivalente ou supérieure à ses grands bustes, ce<br />

taureau est certainement, de toute sa création d’animaux, celui dont la valeur symbolique est<br />

la plus riche. L’artiste, qui en raconte lui-même les métamorphoses successives, a commencé<br />

par un diable, puis une tête d’homme ornée et couronnée de bijoux barbares, qui devient un<br />

Taureau à deux cornes (détruit), puis petit à petit un Taureau à six cornes, pour culminer dans<br />

l’admirable et terrifiant bronze d’Athor, conservé à Boulogne-Billancourt. La métamorphose<br />

des animaux les fait changer de forme, de sens, mais aussi de civilisation.<br />

En 1950, l’exposition <strong>du</strong> Bestiaire de <strong>Waroquier</strong> à la galerie Lucie Weil inspire de nombreux<br />

commentaires, comme ce charmant texte d’Alexandre Vialatte : « L a zoologie fait un songe. Il<br />

en sort, de l’animal réel, des espèces parallèles, des races imaginaires et des bêtes<br />

chimériques où le rêve et la géométrie s’entraident et s’interfèrent, s’épanouissent enfin en<br />

une coïncidence qui comble dans l’esprit un mélange de désirs. Il y a aussi d’adorables<br />

girafes, des <strong>visage</strong>s d’animaux où se réunissent le chat, le tigre et le grand-<strong>du</strong>c. »<br />

Il y a également toute une série de petits animaux en terre cuite, qui font tantôt penser à la<br />

Crète, tantôt à la Chine, que <strong>Waroquier</strong> a photographiés en les affrontant dans des<br />

assemblages que la présente exposition a essayé de restituer, comme un Pékinois, un Lion,<br />

un Animal et un Animal préhistorique. Dans les années cinquante et soixante, <strong>Waroquier</strong><br />

poursuit ses expériences dans de petites sculptures et créations où il retrouve la liberté, la<br />

fantaisie et la spontanéité de ses débuts, comme le Griffon, 1960. Il utilise également de<br />

nombreux supports aussi étonnants que variés, « à la Picasso », en décorant et peignant<br />

coquilles d’huître, galets, tessons de terre cuite et morceaux de bitume.<br />

Ce survol de la pro<strong>du</strong>ction de <strong>Waroquier</strong> <strong>sculpteur</strong> ne doit pas faire oublier la rapidité avec<br />

laquelle un homme ayant largement dépassé la cinquantaine a pu, en si peu d’années, créer<br />

un univers extraordinaire, différent, où le drame côtoie le rêve et la fantaisie.


SCULPTURE ET PHOTOGRAPHIE,<br />

VISAGES PEINTS, DESSINÉS, GRAVÉS,<br />

HÉLIOCOPIÉS ET LEURS RAPORTS AVEC<br />

LA SCULPTURE<br />

09<br />

Entre mémoire, archive et création, la place de la photographie dans l’œuvre de <strong>Waroquier</strong><br />

est fondamentale et mériterait à elle seule une étude approfondie. <strong>Waroquier</strong> voulut très tôt<br />

classer son œuvre – il a été souvent moqué à ce sujet –, et non content de numéroter ses<br />

œuvres, il les a fait photographier par centaines, avec le projet de le faire pour la totalité de<br />

son œuvre. Il y a un millier de photographies, dont une centaines de somptueuses<br />

héliocopies, conservées à la Bibliothèque Kandinsky. Malheureusement manquent toutes<br />

celles qui sont consacrées à ses sculptures, mais de nombreux exemplaires provenant de la<br />

famille de l’artiste sont réunis au sein de plusieurs collections privées. Ces photographies de<br />

sculptures, dont tout nous indique qu’elles sont de la main de l’artiste qui les tirait lui-même,<br />

doivent être considérées comme des œuvres d’art, de véritables créations de l’artiste, ou<br />

selon les propos d’Alain, des « chefs-d’œuvre de l’art photographique».<br />

<strong>Waroquier</strong> se sert de l’appareil photo comme <strong>du</strong> pinceau ou de l’ébauchoir. Il a compris la<br />

photographie dans le processus de sa création sculpturale dès le début, en 1934. Incorporant<br />

l’éphémère à l’œuvre d’art, il photographie des masques faits de matières périssables,<br />

comme son Masque de bal de 1934, fabriqué avec des œufs <strong>du</strong>rs, des petits pains et des<br />

cure-dents et garde les photographies de sculptures annotées « pièce détruite » dans la<br />

marge. Il fait des essais de têtes différentes sur le même corps (voir plus haut la<br />

démonstration autour <strong>du</strong> corps <strong>du</strong> personnage à tête réversible) et semble avoir la même<br />

fascination pour les photos de sculptures qu’ont pu avoir, à différentes époques, Rodin et<br />

Picasso. Il met en scène diverses sculptures photographie, comme pouvaient aussi le faire<br />

d’autres artistes tel Bellmer. <strong>Waroquier</strong> attachait une grande importance à ses photographies<br />

de sculptures et présenta systématiquement de grands tirages encadrés dans la plupart de<br />

ses expositions à partir de 1952.<br />

Ensuite il inventera la technique de l’héliocopie, qui lui permettra de reprendre dessins et<br />

gravures dans une perspective et un sens nouveaux. <strong>Waroquier</strong> s’intéresse aussi au fixé sur<br />

verre et réalise ainsi plusieurs peintures dont certaines comportent également des<br />

applications de coquille d’œuf comme Jérusalem et L’Ange. L’artiste réalisera d’après ces<br />

fixés sur verre des héliocopies et des estampes pour illustrer L’Apocalypse selon saint Jean<br />

de Patmos en 1951.<br />

La modernité<br />

À la différence de ses contemporains et de beaucoup de peintres <strong>sculpteur</strong>s, la sculpture de<br />

<strong>Waroquier</strong> est autarcique et n’entretient aucun lien formel avec sa peinture. Il a certainement<br />

dû voir les premiers essais de sculpture de Picasso et de Derain dans les années 1910, mais<br />

il lui faut un quart de siècle pour se mettre subitement à faire de la sculpture. En 1934, au<br />

retour de Grèce et d’Égypte, il se met à modeler des idoles, des animaux fantastiques et des<br />

<strong>visage</strong>s-obélisques, inspirés par des divinités primitives dont on ne voit aucune représentation<br />

dans ses tableaux. Il n’est pas à proprement parler un moderne, mais la radicalité de son<br />

temps, la recherche d’une solution, de racines, de fondements le con<strong>du</strong>isent vers un<br />

archaïsme formel, un primitivisme que n’avait jamais expérimenté sa peinture. Pétrir des<br />

pains de cire lui a soudainement ouvert un autre univers, changer de technique a<br />

métamorphosé l’essence de son art : il dit autre chose. Changeant de catégorie, il devient<br />

soudain un grand artiste.<br />

Montrée en 1937, sa sculpture aurait pu l’imposer comme un maître à part entière de l’art<br />

moderne. En 1952, il est trop tard, la caution d’Alain, de Bachelard et de Claudel, intellectuels<br />

d’avant-guerre, ne suffit pas à l’inscrire dans la modernité. Son moment est passé et ce grand<br />

tragique reste prisonnier de son image de peintre commercial, qui a fait fortune en pro<strong>du</strong>isant


des vues de Venise.<br />

Invisible, sa sculpture est restée un phénomène marginal, bien éloigné de Brancusi et de tous<br />

les modernistes venus d’Europe ou d’ailleurs au début <strong>du</strong> XXe siècle ; loin aussi de la<br />

sculpture de Maillol, de Despiau et des partisans de l’antique qui triomphent à l’Exposition de<br />

1937.<br />

Pourtant, de Cogniat à Roger-Marx et à Cassou, de Daniel-Rops à Claudel, d’Alain à<br />

Bachelard, et plus tard Vladimir Jankélévitch, <strong>Waroquier</strong> a eu droit à des articles et des lettres<br />

de tous les critiques et historiens de l’art de l’époque, tous, sauf les défenseurs des avantgardes.<br />

Célébrée par de grands esprits, la sculpture de <strong>Waroquier</strong> – celle <strong>du</strong> Verbe et celle<br />

des Œdipe – ne s’est-elle pas trop chargée de message ; et trop théâtrale, plus littéraire que<br />

formelle échappe-t-elle encore à la modernité <strong>du</strong> XX e siècle ?<br />

C’est cette volonté de symbolique que Cassou remarque en semblant reprocher à <strong>Waroquier</strong><br />

une œuvre « trop apparemment influencée […] par les mécanismes et les inquiétudes de […]<br />

l’intellect. On la souhaite plus immédiate ». Voilà semble-t-il une des raisons <strong>du</strong> rejet ou de<br />

l’indifférence exprimés par de jeunes artistes et critiques « modernes », sept ans après<br />

l’exposition Fautrier : trop de message, trop d’intellect, trop de retard par rapport aux gestes<br />

artistiques à première vue plus spontanés de l’art de l’immédiat après-guerre.<br />

Mais si c’était l’inverse et que plutôt que de science la sculpture de <strong>Waroquier</strong> avait souffert<br />

l’avant-gardisme ? Si dans le débat « archaïsme-modernité » dont parle Laurence Bertrand<br />

Dorléac dans son lumineux panorama de l’année 1946, <strong>Waroquier</strong> avec ses têtes grêlées,<br />

trouées, cassées comme des œuvres primitives, déterrées <strong>du</strong> sol de continents lointains,<br />

avant Roger Bissière et avant Germaine Richier, avait deviné un expressionnisme primitiviste<br />

? Comme par effraction alors, par cette exposition, sa sculpture retrouverait sa position dans<br />

l’histoire de l’art de l’immédiat après-guerre ; les expositions ayant aussi pour mission de<br />

réécrire le livre jamais clos de l’histoire de l’art.<br />

Même si <strong>Waroquier</strong> a pris la posture d’un retrait <strong>du</strong> monde pendant la guerre et qu’après, loin<br />

des problèmes de la reconstruction, il réalise que l’art a changé et refuse de tomber dans<br />

l’oubli. Dès 1948, il commence vraiment à montrer ses sculptures et publie dans les Cahiers<br />

de Paris ses photographies de l’année 1934, y compris celles des œuvres détruites.<br />

10<br />

Il rencontre Christian Zervos, sans doute en 1949, et semble avoir eu avec l’éditeur de<br />

Picasso un contact suffisamment bon pour rêver de projets autour de ses sculptures. Il<br />

recopie dans Le Jugement dernier une lettre désespérée de 1950, une lettre que finalement il<br />

ne lui a pas envoyée : « Proche de soixante-dix ans – j’ai exactement l’âge <strong>du</strong> glorieux P. P. –<br />

Ah ! si je pouvais commencer à trouver un peu d’adhésion. […] Une dernière fois (vous savez<br />

que je ne suis ni un impatient ni un importun), je vous dis : aidez-moi. Vous le pouvez, vous le<br />

devez à ma solitude, à mon acharnement, vous vous le devez pour m’avoir discerné.<br />

Maintenant “L’Homme” est en bronze.<br />

J’ai donné toute l’année qui nous a séparés à parfaire “Le Verbe”. Et j’ai de nouveaux bronzes<br />

: “Visage aux yeux clos”, “L’Otage” – “Le Gisant”. Avec la vingtième variante s’achève<br />

l’“Œdipe”. Je suis à bout de forces et si las. Téléphonez-moi, un mot, – Vous m’aviez fait tant<br />

de bien. Venez, je vous en prie, j’ai besoin de vous.<br />

Cette lettre écrite en 1950, je ne l’ai pas envoyée à Zervos. »<br />

Le ton est désespéré, l’artiste semble au bout <strong>du</strong> rouleau. Et pourtant, en 1951 a lieu le grand<br />

hommage que lui rend le Salon d’Automne avec une pluie d’articles dans tous les journaux.<br />

L’année suivante prend place la rétrospective de sa sculpture au Musée national d’art<br />

moderne et enfin, en 1954, celle de son œuvre graphique à la Bibliothèque nationale.<br />

<strong>Waroquier</strong> n’était ni oublié ni dédaigné, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’avec<br />

Zervos, il aurait immédiatement gagné sa place au Paradis de la modernité et que <strong>Waroquier</strong>,<br />

au fond de lui-même, le savait.


LE CATALOGUE<br />

11<br />

Le catalogue de l’exposition est édité par Gallimard<br />

Dans la collection Livres d’Art.<br />

Format 19,5 x 25,5 cm – 180 illustrations en couleurs<br />

144 pages ; prix public 30 euros<br />

Auteur Jean-Loup Champion, avec des textes de<br />

Gaston Bachelard et Paul Claudel.


Le Musée des Beaux-Arts<br />

de La Rochelle<br />

12<br />

Le Musée des Beaux-Arts occupe depuis 1844 le second étage de l’hôtel de Crussol d’Uzès,<br />

palais épiscopal construit sous Louis XVI sur les plans de l’architecte parisien Nicolas Ducret.<br />

Il présente une importante collection de peintures européennes <strong>du</strong> XVème au milieu <strong>du</strong><br />

XXème siècle.<br />

Le XIXème siècle est le plus largement représenté avec des œuvres de Camille Corot, Paul<br />

Huet, Gustave Doré et d’intéressants artistes réalistes…Les artistes originaires de la région,<br />

William Bouguereau, Eugène Fromentin, Théodore Chassériau y ont une place de choix et<br />

confortent les noyaux de peinture académique et orientaliste.<br />

Le XXème siècle est illustré par quelques œuvres remarquables d’Alberto Magnelli, Maurice<br />

Denis et Gaston Chaissac.<br />

Une politique d’accrochage régulièrement renouvelée propose un regard sans cesse nouveau<br />

sur de collections trop riches pour la surface <strong>du</strong> bâtiment.<br />

Il est ouvert tous les jours sauf le mardi,<br />

De 10h00 à 12h30<br />

Et de 14h00 à 18h00<br />

(fermé le 14 juillet)<br />

Il n’est pas accessible aux personnes en situation de handicap moteur.<br />

Tarifs<br />

4 euros Plein tarif<br />

3 euros Tarif ré<strong>du</strong>it<br />

Gratuité pour les moins de 18 ans,<br />

Les étudiants et les demandeurs d’emploi.

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