Politiques de l'habitat en banlieue rouge : entre mixité sociale et ...

Les territoires du communisme
Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes
Journées d’études 1 er et 2 décembre 2009
Université Paris 1
Politiques de l’habitat en banlieue rouge :
entre mixité sociale et gentrification
Lina Raad, lina.raad@gmail.com
Doctorante en Sciences des Territoires
Université Paris Diderot – Paris 7 UMR Géographie-Cités
Depuis les années 80, la mixité sociale fait l’objet d’un consensus politique. De
nombreuses municipalités de la banlieue rouge ont placé cet objectif au centre de leurs politiques
de l’habitat (Bacqué et Fol, 1997 ; Masclet, 2005). Dans ces anciennes communes industrielles
qui entourent la capitale, le parti communiste s’est imposé à la tête des municipalités à partir des
années 30. Dans les années d’après-guerre, les élus communistes ont construit massivement des
logements sociaux afin de loger les populations ouvrières. Pendant longtemps, ils ont cherché à
limiter le développement de la promotion privée de logements et de bureaux sur leur territoire.
Mais depuis les années 80, ce modèle traditionnel de la banlieue rouge est remis en question, sur
le plan des politiques de l’habitat, et plus largement sur le plan des politiques de développement
urbain. En effet, pour lutter contre les effets de la désindustrialisation, certaines municipalités
communistes ont encouragé le développement du secteur tertiaire sur leur territoire (Albecker et
Fol, à paraître). Par ailleurs, par le biais d’une diversification de l’offre de logements et d’une
requalification urbaine, les élus espèrent attirer de nouveaux habitants appartenant aux classes
moyennes, tout en permettant la poursuite des parcours résidentiels des classes moyennes déjà
implantées. Cette promotion de la « mixité sociale » encourage la diffusion d’un processus de
gentrification dans la banlieue rouge.
La gentrification, terme d’origine anglo-saxonne, désigne l’arrivée de classes moyennes et
supérieures dans des quartiers populaires dévalorisés, qui s’accompagne d’une transformation
physique du bâti (Authier et Bidou-Zacharasien, 2008; Clerval, 2008 ; Fijalkow et Préteceille,
2006). La diffusion de la gentrification entraîne une hausse des prix de l’immobilier et conduit, la
plupart du temps, à une éviction des couches populaires. Une partie de la littérature anglophone
tend à présenter la gentrification comme un processus dont le déclenchement s’expliquerait par
les stratégies résidentielles des nouvelles classes moyennes (Ley, 1994). A l’inverse, N. Smith,
accorde une place centrale aux acteurs collectifs - banques, promoteurs immobiliers
essentiellement - dans le processus de gentrification (Smith, 1979). Mais, de façon générale, les
approches anglo-saxonnes sous-estiment grandement l’influence des politiques publiques sur le
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processus de gentrification. Dans le contexte de la banlieue rouge, le rôle des politiques locales
nous semble particulièrement déterminant dans la diffusion du processus de gentrification, étant
donné les ruptures majeures qui ont été opérées au fil du temps par les élus. L’enjeu de notre
travail de thèse est de comprendre ce qui entraîne un changement social dans les communes de la
banlieue rouge et au-delà, de déterminer si la gentrification est un processus qui est
inéluctablement amené à se diffuser, dès lors que ses premiers signes se manifestent. A ce titre,
nous accordons une place centrale à l’analyse des politiques locales, qui peuvent aussi bien
constituer un frein qu’un encouragement à la diffusion du processus de gentrification 1 . Les
politiques urbaines ne peuvent suffire à expliquer la diffusion de la gentrification dans la banlieue
rouge, surtout dans le contexte de hausse de la pression foncière et immobilière en Ile-de-France.
Mais les politiques locales, par le biais d’une requalification urbaine, peuvent contribuer à
améliorer l’image d’une ville et à stabiliser des gentrifieurs.
La ville de Saint-Denis, qui a connu de nombreuses mutations depuis les années 70, est un
terrain tout à fait adapté pour analyser le lien entre les politiques municipales et le processus de
gentrification. Depuis les années 30, Saint-Denis est un bastion du communisme municipal 2 . Le
parti communiste a réussi à se maintenir à la tête de la municipalité, malgré un recul progressif
des votes en sa faveur depuis les élections municipales de 1970. A partir des années 80, les élus
locaux ont progressivement réorienté les politiques municipales, notamment en ouvrant le
territoire à l’investissement privé. Le développement économique, s’il profite peu à la population
locale en termes d’emploi, contribue fortement à l’augmentation des ressources de la collectivité,
par le biais de la taxe professionnelle, et permettrait de financer des politiques sociales à
destination des populations défavorisées. En outre, depuis les années 80, la mixité sociale est
devenue un objectif prioritaire des politiques municipales, comme en témoigne l’évolution du
discours des élus locaux (Bacqué et Fol, 1997). La diversification du peuplement de la ville
déboucherait d’après eux sur une mixité sociale, qui serait bénéfique pour les populations
pauvres 3 . L’analyse des politiques de l’habitat montre que les responsables municipaux ont
cherché à promouvoir la mixité sociale par différents moyens : politique d’attribution des
logements sociaux, développement de l’accession à la propriété, politiques de restructuration
urbaine, politiques de rénovation urbaine 4 .
Bien que les élus locaux n’emploient jamais le terme de « gentrification », la promotion
de la mixité sociale constitue clairement un encouragement à la diffusion du processus. Mais dans
le même temps, les responsables politiques mettent en place des mécanismes de contrôle. Ils
cherchent à maîtriser l’arrivée de classes moyennes, le but étant de parvenir à un certain équilibre
social tout en enrayant la paupérisation. Les réorientations des politiques locales sont porteuses
de risques et de contradictions. En effet, les élus communistes désirent à la fois garantir l’accès
au logement des plus pauvres et la mixité sociale. Les responsables politiques cherchent à garder
1 Notre thèse doit articuler les trois dimensions des politiques publiques, de l’investissement privé et des stratégies
résidentielles des gentrifieurs dans l’analyse de la diffusion du processus de gentrification dans la banlieue rouge.
2 Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, le maire communiste Jacques Doriot s’est rallié à la Collaboration.
3 On retrouve là la thèse des “effets de quartier”, d’après laquelle les populations pauvres ne peuvent sortir de leur
pauvreté si elles ne fréquentent que des personnes qui leur ressemblent. D’après cette thèse, la présence de
populations plus aisées dans les quartiers pauvres aurait un effet d’entraînement et permettrait aux populations
défavorisées de « s’en sortir ».
4 De nombreux quartiers de Saint-Denis font partie du Programme National de Rénovation Urbaine, qui par la
destruction de grands ensembles de logements sociaux dégradés et la reconstruction de logements sociaux, de
logements locatifs privés et de logements en accession, doit favoriser la mixité sociale dans les quartiers politique de
la ville.
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la maîtrise de la diversification sociale de la ville, pour éviter une « homogénéisation sociale vers
le haut » (Entretien Stéphane Peu 5 – juin 2008). Néanmoins, l’exemple de Montreuil 6 démontre
qu’ils s’exposent au risque d’évolutions de peuplement incontrôlables (Bacqué et Fol, 2008).
Saint-Denis : des évolutions incertaines, mais les premiers signes d’un
processus de gentrification
A Saint-Denis, le processus de gentrification se manifeste de manière très inégale selon les
quartiers. Certains secteurs se paupérisent, par exemple les quartiers de logement social, mais
aussi les quartiers de logement privé, marqués par une dégradation du bâti et un développement
du « parc social de fait ». A l’échelle du centre-ville, la paupérisation semble l’emporter sur le
processus de gentrification 7 . Mais à une échelle plus fine, certains micro-quartiers, investis par
des gentrifieurs, se détachent 8 . Dans le secteur des Ursulines, à proximité de la Basilique, les
logements anciens ont déjà été largement réhabilités. C’est dans cette zone que les prix des
logements anciens sont les plus élevés, autour de 3 100 euros du m 2 9 . Par ailleurs, à proximité de
la station de métro Porte de Paris, le renouvellement de la propriété a été très important entre
2000 et 2005. Cela s’est traduit par une hausse de la propriété occupante, et un investissement par
des acquéreurs parisiens. Les entretiens réalisés auprès des gentrifieurs montrent que la
gentrification concerne l’ensemble du centre-ville, même si, au-delà de ces deux « poches de
gentrification », les gentrifieurs apparaissent plus dispersés dans l’espace. Pour les gentrifieurs, le
centre-ville de Saint-Denis présente de nombreux facteurs d’attractivité, notamment la proximité
avec Paris, son histoire et son patrimoine, ou encore ses équipements. Mais certaines
caractéristiques de la ville peuvent, à l’inverse, apparaître comme des freins à la gentrification,
comme le fort taux de logement social ou la mauvaise réputation des écoles. Ainsi, les évolutions
futures du centre de Saint-Denis apparaissent incertaines : faut-il s’attendre à une diffusion du
processus de gentrification à l’ensemble du centre Dans ce contexte, les politiques de l’habitat
peuvent apparaître comme un encouragement à la diffusion du processus.
La réorientation des politiques locales : attirer les investisseurs privés et
encourager la mixité sociale
Comme les autres communes ouvrières de la petite couronne parisienne, Saint-Denis est
5 Stéphane Peu est adjoint au maire délégué à l’urbanisme et l’habitat.
6 A Montreuil, les anciens élus communistes ont encouragé l’installation de gentrifieurs dans le quartier du Bas-
Montreuil. Aux élections municipales de 2008, le Parti des Verts a remporté la majorité des voix.
7 C’est du moins ce qu’a montré l’Etude pré-opérationnelle pour la requalification de l’habitat dégradé du centreville
de Saint-Denis (septembre 2007).
8 Les données du RGP de l’Insee ne sont disponibles que pour 1999 et ne permettent donc pas de retracer les
évolutions récentes. En attendant les résultats de 2005, nous avons donc exploité certaines données présentées dans
l’Etude pré-opérationnelle pour la requalification de l’habitat dégradé du centre-ville de Saint-Denis, septembre
2007.
9 A titre de comparaison, à Paris, le prix moyen des logements anciens se situe autour de 6 000 euros/m 2 . A Saint-
Denis, au 3 ème trimestre 2006, le prix moyen des logements collectifs anciens se situe entre 2 300 euros/m 2 et 2 700
euros/m 2 (ADIL 93, d’après la base BIEN).
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profondément touchée par la désindustrialisation dès la fin des années 60. Ces mutations se
traduisent démographiquement, la population dionysienne étant marquée par une baisse continue
de 1962 à 1999. Pendant de nombreuses années, les élus communistes sont restés opposés à tout
développement du secteur tertiaire sur leur territoire, pensant ainsi soutenir les industries,
premiers employeurs de la population locale. Mais à la fin des années 80, le maire de Saint-
Denis, un communiste « rénovateur », commence à ouvrir la ville aux implantations tertiaires et à
la promotion immobilière, par la construction de bureaux. Néanmoins, cette politique d’ouverture
reste limitée et contrôlée, puisque dans un premier temps, seules les implantations de groupes
publics sont bien accueillies. Sur le plan des politiques de l’habitat, le développement de
l’accession à la propriété est plus tardif et n’intervient pour l’essentiel qu’à la fin des années 90.
Néanmoins, dès le milieu des années 80, le terme de « mixité sociale » apparaît dans le discours
des élus. Cette évolution est révélatrice d’un véritable tournant dans les politiques locales.
A l’époque de la rénovation du centre-ville de Saint-Denis, dans les années 80, les élus
expriment déjà la volonté de diversifier le peuplement du centre (Bacqué et Fol, 1997). Bien que
les logements construits relèvent pour 80% du secteur social, la diversité et l’originalité de ceuxci
doivent favoriser la mixité sociale. Le centre-ville rénové, avec ses logements modernes, ses
commerces et ses équipements, est érigé en vitrine de Saint-Denis par les responsables politiques.
Ils espèrent ainsi stabiliser des classes moyennes dionysiennes dans le quartier, mais aussi attirer
de nouveaux habitants. Néanmoins, les élus refusent encore à l’époque que la part de logement en
accession à la propriété dépasse 20% des constructions neuves.
A la même époque, les élus locaux entament une réflexion sur le devenir économique de la
Plaine, vaste friche industrielle située au sud de la ville. Alors que jusque là, des règles
d’urbanisme très contraignantes avaient empêché les implantations de bureaux à Saint-Denis, et
en particulier à la Plaine, les élus décident d’ouvrir la ville aux implantations tertiaires (Albecker
et Fol, à paraître). En limitant le développement du secteur tertiaire, les élus cherchaient à
favoriser les implantations industrielles, créatrices d’emploi pour la population locale. Les élus
désiraient ainsi préserver l’identité industrielle et ouvrière de Saint-Denis, fondement symbolique
de la banlieue rouge. L’ouverture de la ville au secteur tertiaire est donc révélatrice d’une rupture
politique majeure. Dans ce contexte, les élus se voient contraints de redéfinir l’identité de la ville,
et adoptent un discours qui est dirigé à la fois vers les classes populaires (et non plus uniquement
vers les « ouvriers »), mais aussi vers les classes moyennes, qui se doivent d’être « solidaires »
envers les plus démunis.
Dans les années 90, les grands investissements de l’Etat sur le territoire de Saint-Denis
accélèrent les mutations urbaines. En 1993, le gouvernement décide d’implanter le Stade de
France à Saint-Denis. Bien que les élus aient engagé la ville dans des transformations
économiques avant sa construction, le Stade de France est considéré comme un catalyseur dans le
développement économique du territoire, car il a contribué à améliorer son image et s’est
accompagné de grands investissements publics. En effet, lors des négociations avec le
gouvernement, les élus de Saint-Denis ont exigé que l’implantation du Stade de France
s’accompagne d’investissements de l’Etat dans l’aménagement de la ville. La construction du
Stade a ainsi permis de financer la couverture de l’Autoroute A1 qui traverse le quartier de la
Plaine, la création d’une nouvelle gare RER, l’aménagement et l’agrandissement de la gare RER
existante, la création d’un stade annexe pour la ville de Saint-Denis et l’aménagement d’espaces
publics. Ces investissements publics, s’ajoutant à la stratégie d’ouverture des responsables
politiques, rendent la ville plus attractive aux yeux des promoteurs immobiliers. La Plaine est
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ainsi devenue l’un des plus grands pôles tertiaires de petite couronne 10 . Bien que les élus aient
encouragé le maintien d’une activité productive, notamment à travers la logistique, le
développement économique ne profite que très peu à la population locale en termes d’emplois et
le taux de chômage reste très élevé à Saint-Denis.
La valorisation de l’image de la ville permet d’attirer des promoteurs de logements privés,
évolution largement encouragée par les responsables politiques. Jusque là, la part de logement
social était restée majoritaire parmi les constructions neuves. Rétrospectivement, ce choix est
critiqué par les responsables politiques. En effet, ils insistent désormais sur la nécessité de
permettre la poursuite des parcours résidentiels au sein de la ville – ce qui passe par une
diversification de l’offre de logements –, pour éviter que les ménages en ascension sociale ne
quittent la ville 11 . Le développement de l’accession à la propriété doit aussi contribuer à attirer de
nouveaux habitants appartenant aux classes moyennes. Depuis 2000, la construction de logement
est très dynamique à Saint-Denis. La majorité de ces constructions neuves relèvent du logement
privé et sont essentiellement concentrées dans le quartier de la Plaine, où de grandes emprises
foncières étaient disponibles 12 . Le Schéma de Cohérence Territoriale de Plaine Commune 13 ,
adopté en 2007, témoigne de ces évolutions dans les politiques de l’habitat. En effet, il est prévu
que la part de logement social ne dépasse pas 40% des constructions neuves à Saint-Denis 14 . Bien
que ce taux reste élevé en comparaison des autres communes de petite couronne parisienne, il est
clairement révélateur d’une politique de diversification sociale du peuplement, comme le
souligne S. Peu : « Quand on fait 60% d’accession à la propriété, c’est très clairement la volonté
de fixer et d’attirer ce qu’on appelle des couches moyennes » (Entretien Stéphane Peu – juin
2008). De plus, l’objectif des 40% de logements sociaux n’est pour l’instant pas atteint puisque
75% des programmes neufs sont des opérations d’accession. La raison en serait qu’« une
opération de logements sociaux est plus compliquée et plus longue à monter qu’un programme en
accession » 15 . Le dynamisme de la construction neuve à la Plaine profite très peu aux habitants de
Saint-Denis, et attire de nouveaux habitants, venant de Paris ou d’autres communes de la région
parisienne : « […] sur les autres quartiers de La Plaine et sur Pleyel, où là on a une proportion
d’habitants du territoire qui est très minoritaire, qui va de 10 à 15% parfois. Et une très forte
proportion de Parisiens. Soit d’habitants des Hauts-de-Seine, soit de Paris, qui achète dans ces
logements. » (Entretien Stéphane Peu – juin 2008) 16 . Le niveau des loyers dans les logements
10 Entre 1999 et 2004, 480 entreprises se sont installées à Plaine Commune (Albecker et Fol, à paraître).
11 Dans le projet de programme d’actions du PLH (programme local de l’habitat) communautaire 2005-2009 de
Plaine Commune, il est précisé que les nouvelles constructions doivent à la fois permettre la mixité sociale et la
poursuite des parcours résidentiels de la population locale.
12 Source : Direction de l’habitat de Plaine Commune.
13 Créée en 2000, Plaine Commune est une communauté d’agglomération qui rassemble les villes de Saint-Denis,
Aubervilliers, Epinay-sur-Seine, l’Ile-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Stains et Villetaneuse. Parmi les
competences déléguées à la communauté d’agglomération, on compte notamment celles de l’habitat, de
l’aménagement et du développement économique.
14 Le logement social désigne ici l’ensemble des logements aidés, c’est-à-dire à la fois les logements sociaux, les
logements très sociaux et les logements intermédiaires (programme d’actions du PLH communautaire de Plaine
Commune 2005-2009).
15 Programme d’actions du PLH communautaire de Plaine Commune 2005-2009.
16 Dans le cadre d’un stage au service habitat de Plaine Commune, une étudiante a analysé le peuplement de
copropriétés récemment construites à Saint-Denis et Aubervilliers (Delabarre, 2009). Ainsi, sur les 28 copropriétés
enquêtées, 14 se situent à Saint-Denis et leurs logements ont été livrés entre 1998 et 2007. Parmi les propriétaires de
ces copropriétés, 1/3 proviennent de Paris, 1/3 de Plaine Commune, et 1/3 du reste de la région parisienne. Parmi les
locataires, ¼ habitaient Paris auparavant, ¼ Plaine Commune, ¼ le reste de la région parisienne et ¼ la province
(l’échantillon étant constitué de 276 propriétaires et 126 locataires).
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privés et le coût de l’accession à la propriété restent trop élevés pour la majorité des habitants du
territoire. Mais à l’inverse, pour des ménages parisiens, les prix de l’immobilier à Saint-Denis
sont très attractifs, puisqu’ils sont parmi les plus faibles en petite couronne.
Au-delà des politiques de l’habitat, l’importance accordée aux politiques d’aménagement
par les élus locaux est révélatrice de la volonté d’attirer des investisseurs privés et d’encourager
la mixité sociale. Dans la continuité des grands investissements de l’Etat liés à la construction du
Stade de France, la ville de Saint-Denis – et la communauté d’agglomération Plaine Commune –
ont engagé des fonds importants pour améliorer les espaces publics. En premier lieu, l’effort
d’investissement des élus s’est porté sur le quartier neuf de la Plaine, où de nouveaux
équipements étaient indispensables pour répondre à l’augmentation de population générée par la
construction de logements et de bureaux. Mais les investissements de la collectivité portent aussi
sur les quartiers anciens.
Lors de la campagne municipale de 2001, l’ancien maire de Saint-Denis, Patrick
Braouezec 17 , avait axé son programme municipal sur l’amélioration des espaces publics du
centre-ville. Outre la piétonisation autour de la Basilique, plusieurs places du centre-ville ont été
réhabilitées, notamment la Halle du Marché. Les élus espéraient que les moyens investis
permettraient d’enclencher un « cercle vertueux », c’est-à-dire d’attirer des investisseurs privés
qui participeraient à la réhabilitation des logements anciens dégradés (Entretien S. Loubet 18 –
mars 2009). Constatant que cette stratégie n’avait pas véritablement atteint ses objectifs, les élus
ont lancé une grande étude sur les logements dégradés du centre ancien, juste avant les élections
municipales de 2008. Les résultats de cette étude ont conduit Didier Paillard à faire de l’opération
de résorption de l’habitat dégradé du centre un objectif prioritaire de son mandat municipal. Les
procédures classiques de réhabilitation – type OPAH – semblant peu à même de résoudre le
problème de l’habitat dégradé, les acteurs municipaux ont pris la décision de mener une opération
de restructuration complète de deux îlots particulièrement touchés par la dégradation et la
paupérisation : le secteur Brise-Echalas au nord-ouest du centre et le secteur Porte de Paris au sud
(Entretien S. Loubet – mars 2009).
Si l’objectif n’est pas de chasser les populations pauvres du quartier mais de mettre un
terme à la dégradation du bâti et à la paupérisation, le projet va inévitablement aboutir au
déplacement d’une grande partie de ses habitants actuels. La durée et l’ampleur de cette opération
vont nécessiter le relogement de nombreux habitants, qui n’auront pas forcément la possibilité de
revenir dans le quartier après l’achèvement de l’opération. En effet, des logements plus grands
vont être reconstruits et le nombre de logements total va diminuer. Par ailleurs, la collectivité doit
céder une partie des parcelles à des promoteurs privés, afin de limiter le déficit de l’opération. Le
pourcentage de logement social représentera un tiers des logements reconstruits, ce qui ne
permettra pas de reloger la majorité de la population, très précaire 19 . D’après Stéphane Peu, le
centre ancien est « homogène en sans-papiers » et l’existence d’un « marché noir de
l’immobilier » expliquerait le basculement du quartier dans une spirale de dégradation (Entretien
Stéphane Peu – juin 2008). Finalement, la restructuration du centre ancien va aboutir à disperser
les populations immigrées. Même si la collectivité a la volonté d’accompagner cette population et
de lui trouver des solutions de relogement, celles-ci se concrétiseront probablement dans le parc
17 Patrick Braouezec a démissionné en 2004 pour prendre la tête de la communauté d’agglomération Plaine
Commune, et Didier Paillard a donc pris sa succession à la tête de la mairie de Saint-Denis.
18 S. Loubet est responsable de l’habitat ancien à la mairie de Saint-Denis.
19 Par ailleurs, il est à prévoir que les populations pauvres préféreront habiter des logements sociaux plus anciens
plutôt que ces nouveaux logements, car les loyers y sont plus élevés.
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social périphérique pour une partie des ménages tandis que pour les ménages sans-papiers, qui ne
peuvent accéder à un logement social, l’issue de l’opération reste incertaine. Bien que l’objectif
ne soit pas de chasser les populations indésirables du centre, la mixité sociale est centrale dans le
projet pour le centre ancien.
Le projet de résorption de l’habitat dégradé n’est qu’un pan du projet plus global de
requalification du centre-ville. Les responsables politiques ont choisi de privilégier une
réhabilitation lourde, qui porte en particulier sur deux secteurs, car leur état physique et la
paupérisation de leurs habitants paraissaient alarmants. Mais l’idée des élus et des techniciens de
la mairie est aussi d’appuyer la résorption de l’habitat dégradé sur des projets urbains de grande
ampleur, afin de requalifier le centre-ville et d’attirer des investisseurs et des classes moyennes.
Ainsi, le quartier Gare, à la limite nord du centre près de la Gare SNCF et à proximité du secteur
Brise-Echalas, fait l’objet d’un vaste projet de réaménagement urbain, associant programmes de
logements, de bureaux, création de stations de transports ainsi qu’un projet de piétonisation et
une rénovation de la gare. De même, dans le quartier de la Porte de Paris, des logements et
bureaux vont être construits dans le cadre d’une ZAC, le carrefour routier et les espaces publics
vont être réaménagés. Or les entretiens réalisés avec les gentrifieurs ont montré que les mutations
urbaines jouent un grand rôle dans leurs stratégies résidentielles. En effet, certains sont venus
s’installer à Saint-Denis car l’ampleur des transformations urbaines suggère que la ville va
connaître un changement social.
L’ambivalence des politiques locales : défense de la mixité sociale et
tradition d’accueil des classes populaires
Bien que les élus se soient engagés dans une stratégie de diversification sociale, ils
cherchent tout de même à rester fidèles à leur tradition d’accueil des classes populaires. Outre le
maintien d’une part importante de logement social parmi les constructions neuves, ils ont mis en
place divers mécanismes de contrôle, visant à favoriser l’accès au logement des plus modestes.
Dans la Charte Qualité Construction Neuve, outil de négociation entre les promoteurs
immobiliers et la collectivité, la communauté d’agglomération Plaine Commune a fixé un coût de
foncier maximal (350 euros du m 2 de SHON), afin de limiter le prix de vente des logements. Par
ailleurs, la Charte impose qu’au moins 30% des ventes soient réalisées auprès de ménages
éligibles au prêt à taux zéro. Mais la Charte n’étant pas un document opposable, il n’existe pas
réellement d’obligations de la part des promoteurs. Cependant, si les plafonds de prix de vente du
foncier ne sont pas respectés, la collectivité peut faire usage de son droit de préemption. Par
ailleurs, Plaine Commune négocie le prix de vente des logements avec les promoteurs
immobiliers et refuse que la marge du promoteur dépasse 10% par opération 20 , tout en cherchant
à garantir un certain niveau de qualité des logements.
D’après V. Guillaumin, responsable du service Habitat de Plaine Commune, si le prix de
vente des logements descend en dessous de 1500 euros du m 2 , il faut s’attendre à une dégradation
rapide de l’immeuble (Delabarre, 2009). La collectivité s’efforce donc de négocier les prix avec
les promoteurs, tout en maintenant des exigences de qualité. Malgré les outils de contrôle mis en
place, les prix de l’immobilier restent élevés et une très faible proportion de la population locale
20 D’après V. Guillaumin (Delabarre, 2007).
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peut accéder à la propriété 21 . La volonté politique de maintenir un équilibre – entre lutte contre la
paupérisation et contrôle de la gentrification – est complexe à mettre en œuvre.
Par ailleurs, Plaine Commune cherche à développer l’accession sociale à la propriété. La
Coopérative d’Accession Sociale à la propriété, activée en 2005, n’a pour l’instant réalisé qu’une
seule opération de 15 logements mais l’objectif est de produire 50 à 60 logements par an d’ici
quelques années. Ces logements s’adressent en priorité aux locataires du parc social de Plaine
Commune Habitat, le bailleur communautaire, qui désirent accéder à la propriété 22 . C’est donc là
un des outils mobilisés par les responsables politiques pour permettre la poursuite des parcours
résidentiels au sein du territoire.
La politique des élus locaux paraît ambivalente. Les élus essayent à la fois de favoriser
l’accès au logement des plus modestes et des gens originaires du territoire et de faire venir de
nouvelles catégories de population, dans la perspective d’une diversification sociale de la ville.
Nous avons montré que les orientations des politiques d’aménagement encouragent largement la
gentrification, et pourtant, dans leur discours, les élus ont tendance à nier l’existence d’un
processus de gentrification. En effet, ils insistent surtout sur la paupérisation et la dégradation du
centre-ville. D’après S. Peu, la paupérisation et la dégradation du centre-ville seraient des
obstacles à la gentrification (Entretien Stéphane Peu – juin 2009). D’après N. Smith, c’est
justement lorsqu’un quartier est dégradé que la perspective de réhabiliter le logement devient
profitable (Smith, 1979) 23 . Pour satisfaire à certaines exigences de logements, les ménages
gentrifieurs choisissent de venir s’installer dans des quartiers dégradés où les prix de l’immobilier
sont attractifs. Reste que le contexte urbain a une grande influence dans le déclenchement du
processus de gentrification. En Amérique du Nord, les quartiers centraux des villes ont été les
premiers concernés par le processus de gentrification, après avoir connu une paupérisation. Ces
quartiers populaires sont des quartiers centraux bien desservis, qui, bien que dégradés,
disposaient d’un patrimoine immobilier facilement valorisable. Des quartiers populaires de
banlieue proche sont donc certainement moins attractifs, ne serait-ce que parce que leur centralité
est relative. Cependant, Saint-Denis se caractérise par une bonne desserte en transports en
commun, de nombreux équipements, un patrimoine historique et culturel. Mais à l’inverse,
d’autres facteurs, comme le fort taux de logement social, peuvent constituer des freins au
processus de gentrification. Ainsi, nous faisons l’hypothèse que le contexte local au sens large 24 a
une grande influence dans le déclenchement et la diffusion du processus de gentrification dans
l’ancienne banlieue rouge.
D’un côté les élus encouragent la diversification sociale de la ville, mais de l’autre, ils ont
tendance à nier le processus de gentrification. Même dans le cas du quartier de la Plaine, où
l’habitat privé s’est fortement développé et où la proportion d’habitants originaires du territoire
parmi les acquéreurs est minoritaire, les élus écartent l’hypothèse d’une gentrification, en
21 Par exemple, d’après une simulation dans le diagnostic sur la requalification de l’habitat dégradé du centre de
Saint-Denis: « Environ 70% des ménages de deux personnes dionysiens ne peuvent entrer dans le marché privé du
centre ancien dans les conditions actuelles de marché, s’ils ne concèdent un taux d’effort supérieur à 30% de leurs
revenus, sachant que la simulation part sur l’hypothèse optimiste d’un apport de 20% du montant total de l’achat ».
22 Nous avons réalisé un stage de 6 mois à la Coopérative d’accession sociale à la propriété de Plaine Commune.
23 Thèse du rent gap
24 Le contexte local recouvre des caractéristiques telles que les équipements, la structure des logements, le taux de
logement social, le patrimoine historique et culturel…
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prétextant que seul le logement ancien est à même d’attirer des gentrifieurs (Entretien Stéphane
Peu – juin 2009) 25 .
Finalement, les évolutions politiques et sociales paraissent peu assumées par les élus
locaux. Le fait de nier la gentrification et d’insister sur la paupérisation permet aux élus
d’encourager, voire de justifier des politiques de mixité sociale. La mixité sociale devient alors
un rempart contre la dégradation des logements, et plus généralement de la ville ; elle permettrait
d’endiguer le processus de paupérisation. Une telle vision accorde des bienfaits démesurés à la
mixité sociale. En effet, elle suggère que la cohabitation entre populations pauvres et populations
plus aisées entraîne une amélioration des conditions de vie des plus démunis. Grâce à la solidarité
et au militantisme des classes moyennes, les classes populaires verraient leur sort s’améliorer :
« Il faut arriver à faire les deux ; c’est-à-dire qu’il faut continuer à avoir une politique qui soit
axée sur les solidarités et sur l’élévation sociale ou l’émancipation sociale, en tout cas ce qu’on
peut faire à l’échelle d’une ville, et en même temps, promouvoir la diversité sociale sans laquelle
il peut pas y avoir de solidarité. » (Entretien Stéphane Peu – juin 2009). Pour que cette thèse des
« effets de quartier » soit validée, encore faudrait-il que les relations entre classes moyennes et
classes populaires aillent au-delà d’une simple coexistence résidentielle 26 .
Les deux objectifs des élus dionysiens – maintenir les populations pauvres et encourager la
mixité sociale – sont-ils réellement compatibles En effet, la diversification sociale du
peuplement va inévitablement aboutir à un déplacement des populations pauvres vers les
quartiers les moins attractifs. Mais surtout, au-delà de ce cas particulier, il faut s’interroger sur la
capacité des politiques locales à maîtriser les évolutions du peuplement dans leur ville. Dans le
contexte de la banlieue rouge plus précisément, en opérant des ruptures politiques majeures, les
élus locaux n’ont-ils pas ouvert une porte qu’ils ne pourront plus refermer
Au delà du cas de Saint-Denis, les communes de l’ancienne banlieue rouge se distinguent
par leurs politiques locales. Certaines ont ouvertement et précocement encouragé la
gentrification ; d’autres ont réorienté leurs politiques plus tardivement et encouragent la
gentrification tout en cherchant à contrôler le processus ; enfin certaines restent encore très
réfractaires aux interventions du secteur privé. Pour comprendre l’influence des politiques locales
dans le processus de gentrification et sa diffusion, il apparaît donc essentiel de comparer des
communes qui se distinguent par leurs orientations politiques. En matière de gentrification, la
ville de Montreuil reste certainement un exemple repoussoir pour les municipalités communistes.
Les élus locaux ont laissé se développer, voire ont encouragé l’installation de gentrifieurs dans le
quartier du Bas-Montreuil, mais ils ont été vite dépassés par le processus de gentrification et ont
été délogés de la municipalité. Ainsi, en encourageant une diversification du peuplement, les élus
locaux mettent en péril leur mandat électoral. Mais l’enjeu est en réalité plus complexe. Dans le
cas de Saint-Denis, la recherche d’une diversification sociale va de pair avec des politiques
sociales fortes à destination des populations modestes. Les politiques locales sont guidées par
l’idéal de mixité sociale, qui permettrait d’améliorer le sort des populations pauvres. Mais nous
25 Des données récentes sur le quartier de la Plaine vont bientôt permettre de préciser les évolutions sociales à
l’œuvre.
26 Des entretiens semi-directifs réalisés en 2008 et 2009 ont montré qu’une partie des classes moyennes
dionysiennes, bien qu’elles défendent la mixité sociale, n’ont que peu de relations avec les classes populaires, voire
les évitent. Néanmoins, certaines classes moyennes sont très investies dans la vie locale et militent par exemple dans
des mouvements de défense des sans-papiers ou dans des collectifs de lutte contre l’expulsion des logements anciens
dégradés. De telles formes de militantisme ont donc ouvertement pour objectif de défendre les classes populaires et
d’améliorer leurs conditions de vie. On peut d’ailleurs souligner qu’il y a parfois des convergences d’intérêt entre
classes moyennes et responsables politiques, notamment en ce qui concerne la défense des sans-papiers.
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avons montré que cette politique de mixité sociale peut avoir des conséquences plutôt éloignées
du résultat attendu, les populations pauvres étant contraintes d’habiter les quartiers les moins
valorisés, ce qui conduit à de nouvelles concentrations des plus démunis.
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