Philon d'Alexandrie, le philosophe de la Bible - Philo à Vivre

Philon d’Alexandrie,
le philosophe de la Bible
Marie-Agnès Lambert
Comment mener la vie d’un Juif fidèle à la Tradition
dans un milieu cosmopolite où l’on parle et
l’on pense en grec ? Philon d’Alexandrie l’a très
vite compris en adaptant d’une façon audacieuse
la Bible à la vie et à la culture de son époque.
Philon (vers – 12 av. J.- C. - environ 54 ap. J.- C.), appelé Philon le Juif, naît à Alexandrie
dans une riche famille juive. À cette époque, Alexandrie est une ville cosmopolite où se côtoient
Grecs, Égyptiens, Syriens, puis Italiens, et Juifs.
Membre d’une aristocratie juive privilégiée, Philon reçoit une éducation complète juive (couvrant
la Torah) et hellénistique à travers les œuvres d’Homère et des tragiques grecs mais également
à travers les enseignements des pythagoriciens, de Platon et des stoïciens.
Comme Paul (1), Philon est à la fois très juif et très grec. Il a été le plus loin dans la synthèse
entre la philosophie grecque et le judaïsme.
Contemporain du Christ, Philon n’a connu ni ce dernier ni ses disciples, mais c’est pourtant
grâce à des mains chrétiennes que son œuvre a survécu. Elle a exercé une grande influence sur
l’école chrétienne d’Alexandrie, sur Clément et Origène, et sur beaucoup de Pères de l’Église.
Pour Philon, la divinité de la Loi juive est la base et le critère de toute vraie philosophie. Mais
il se rend compte que ces textes sacrés, et les conduites qu’ils prescrivent (circoncision, régime
alimentaire, tenue vestimentaire…) peuvent représenter quelque chose d’insolite voire
d’incongru aux yeux des Grecs. Aussi décide-t-il d’en produire une version allégorique. Il
dispose pour cela de la version grecque des Septante (2) et des Livres de Sagesse réédités en
grecs et détient une solide culture philosophique grecque.
Une interprétation allégorique de la Bible
Philon soutient que l’ensemble du Pentateuque, (3) qu’il s’agisse des parties historiques ou
légales, peut être expliqué allégoriquement, et livrer ainsi sa signification la plus profonde et
la plus vraie.
Pour interpréter les secrets de l’Écriture, Philon va se servir de la culture de son temps et utiliser
dans la philosophie grecque tout ce qu’il lui semble accordé à ses intuitions. Chez les pythagoriciens,
il retient la symbolique des nombres ; chez Platon, il puise le vocabulaire de la
contemplation ; chez Aristote il prend la définition du temps ; chez les stoïciens il retient les
vertus morales. Mais son propos reste imperturbablement biblique.

Un éclairage philosophique de la Bible
L’exégèse allégorique permet d’évacuer certaines difficultés du sens littéral.
Dans cette perspective, tous les personnages tirés de la Bible et tous les épisodes reçoivent un
éclairage philosophique. Ainsi Moïse est la figure et la manifestation de la parole, du Logos.
Le Péché d’Adam représente l’homme, Êve la sensation, le serpent, le plaisir. La partie sensible
de l’homme peut être à tout moment détournée de sa vocation.
L'itinéraire spirituel de l’âme est décrit avec l’Éxode. L’Égypte, où les Israélites vivent en
esclavage, représente le corps ou les sens, dont l’âme doit se libérer. Lors de la traversée de la
mer Rouge, les passions sont englouties dans la mer sous la figure du cheval et du cavalier. Le
long passage au désert est une purification sous la conduite de Moïse, qui mène les Israélites
au puits de la Sagesse. L’arche d’alliance figure la présence divine.
Abraham figure la foi. Jacob a lutté avec l’Ange, il est le lutteur, donc l’ascète ; Isaac, dont le
nom hébreu signifie «rire», est le symbole de la joie, car il est le fils de la promesse, celui que
Dieu seul peut faire engendrer à Sara ; or rien n’est plus grand ni plus divin que la joie ; Isaac
est le type de la nature parfaite, don qui ne peut venir que de Dieu seul.
En un sens, l’œuvre de Philon est un traité de la perfection qui veut répondre à cette question :
comment l’homme peut-il se dégager de l’emprise du corps et des sens pour monter vers
Dieu ?
La représentation transcendante de Dieu
Pour Philon, Dieu est transcendant, dans le plus pur esprit de l’Écriture. Dieu est un être dénué
d’attributs, meilleur que la vertu et la connaissance, meilleur que le beau et le bien, un
être tellement au-dessus du monde qu’il en affirme l’inconnaissabilité. L’homme ne peut saisir
l’essence de Dieu ni par le sens, ni par l’intelligence. Cette thèse de l’inconnaissabilité (qui
sera reprise ensuite par Maïmonide) confronte Philon au rapport de la divinité avec le monde,
et donc à l’incontournable question de l’Un et du Multiple. La réponse est trouvée dans le
concept du Logos.
Le pouvoir d’ouverture au divin
Pour préserver la transcendance, Dieu recourt à des intermédiaires.
D’abord, le Logos, tantôt le lieu des idées archétypes, modèles des choses créées, tantôt
considéré comme immanent au monde et comme constituant le lien de la création. Mais il
tient également le rôle de la Sagesse régulatrice (parole divine ou sabar) dans le monde biblique.

Ensuite viennent les Puissances divines (les Anges), les attributs, les émanations de Dieu, les
hypostases dénommées «Fils de Dieu». Enfin, l’esprit humain, l’âme et l’intelligence sont
eux-mêmes logos susceptibles de s’ouvrir aux autre puissances dont l’enchevêtrement, la hiérarchie
et l’harmonie forment la structure du monde.
Se rapprocher de Dieu
Philon ramène tout à l’histoire d’une âme qui se rapproche ou s’éloigne de Dieu en se rapprochant
ou en s’éloignant des contingences matérielles. La Parole ou le Verbe constituent un
intermédiaire qui exprime la volonté de Dieu et qui touche le monde et l’âme humaine.
Les degrés d’immortalité
Les hommes sont immortels en raison de leur nature céleste, mais, de même qu’il existe des
degrés dans la nature divine, il existe aussi des degrés dans l’immortalité. La simple vie après
la mort, commune à toute l’humanité, diffère de l’existence future des âmes parfaites, qui
connaissent le paradis de l’unité avec Dieu.
Les devoirs de l’homme
Les devoirs de l’homme consistent dans la vénération de Dieu, dans l’amour du prochain et la
droiture envers autrui.
De nombreux ouvrages de Philon ont été conservés, ils portent sur l’exposé et l’interprétation
allégorique de la Genèse et l’exposé de la Loi de Moïse pour les gentils. Ses autres écrits
comprennent des biographies de personnages bibliques et une série d'ouvrages sur les dix
commandements.
Citons les Commentaires allégoriques sur les saintes lois, le traité Sur le Décalogue, Sur les
lois particulières, Sur les migrations d’Abraham, les écrits Sur la Providence, Sur l’éternité
du monde et Quod omnis probus.
Philon a laissé une œuvre, source précieuse de renseignements sur le judaïsme de l’époque et
un témoignage essentiel sur l’exégèse alexandrine de l’Ancien Testament. Elle est à la fois la
somme et la résultante de ces efforts de la pensée juive affrontée à l’hellénisme, qui ont jeté
un pont entre la révélation biblique et la philosophie grecque.

(1) Voir article sur Paul de Tarse page 20
(2) Version de la Torah réalisée par soixante-douze traducteurs en langue grecque au III ème
siècle av. J.- C., pour les Juifs. Par extension, version grecque ancienne de la totalité des
Écritures bibliques (l’Ancien Testament chrétien).
(3) Cinq premiers livres de l’Ancien testament ou cinq premiers livres de Moïse.
«Le sage n’a ni maison, ni parenté, ni patrie.»
De Vita contemplativa, 18
Philon d’Alexandrie
«Tout est grâce de Dieu.»
De l’immutabilité de Dieu, 107
Philon d’Alexandrie